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L’ESPACE RITUEL ET LE SACRÉ DANS LE CHRISTIANISME LA LITURGIE DE L’AUTEL PORTATIF DANS L’ANTIQUITÉ ET AU MOYEN ÂGE
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Culture et société médiévales Collection dirigée par Edina Bozoky
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Éric PALAZZO
L’espace rituel et le sacré dans le christianisme La liturgie de l’autel portatif dans l’antiquité et au moyen Âge
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Couverture : Nicolas Dipre, Le songe de Jacob, fin XVe-début XVIe s. Avignon, Musée du Petit Palais Cliché : A. Guerrand, Avignon, Musée du Petit Palais
© 2008, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2008/0095/17 ISBN 978-2-503-52834-2 Printed in the E.U. on acid-free paper
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Pour Sibylle
« À quel moment une maison cesse-t-elle d’être une maison ? Quand on enlève le toit ? Les fenêtres ? Quand on abat les murs ? A quel moment n’y a-t-il plus qu’un tas de gravas ? Il disait : elle n’est pas comme les autres mais elle va très bien. Et un beau jour les murs de la maison finissent par s’effondrer. Pour peu que la porte soit encore debout, il n’y a qu’à la franchir pour se retrouver à l’intérieur. C’est agréable de dormir sous les étoiles. Tant pis s’il pleut. Cela ne durera guère. » Paul Auster, L’invention de la solitude
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AVANT-PROPOS Le présent livre constitue l’exposé final d’une recherche entreprise voici quelques années sur l’autel portatif chrétien et son rôle dans la définition du « lieu rituel » et de l’espace sacré chrétiens. Il est l’aboutissement et le fruit d’une recherche de longue haleine qui, comme il se doit, a bénéficié de l’apport et du soutien de nombreuses personnes et institutions que je ne peux toutes mentionner. Au fil des pages et des notes du livre, chacun reconnaîtra la dette que je lui dois. De nombreuses étapes intermédiaires de plusieurs des chapitres du livre ont fait l’objet de présentations et de conférences que j’ai données puis discutées avec plusieurs collègues, amis, étudiants dans différents cadres académiques, notamment celui des deux séminaires que j’ai animés au Centre d’études supérieures de civilisation médiévale de Poitiers entre 1999 et 2006 et au Groupe d’anthropologie de l’Occident médiéval de l’EHESS à Paris dans ces mêmes années. A tous j’adresse un remerciement collectif chaleureux. Avant ce livre, j’ai publié des articles qui ont marqué différentes étapes dans l’élaboration de cette recherche et dont certains sont partiellement repris sous une forme largement développée et augmentée dans certains chapitres du présent livre. J’ai rédigé cet ouvrage durant l’année universitaire 2006-2007 au cours de laquelle j’ai eu la chance d’être accueilli comme « Getty Scholar » au Getty Research Institute de la Fondation Getty (Los Angeles) grâce à une délégation de recherche accordée par le Centre National de la Recherche Scientifique. Je remercie vivement ces deux institutions pour les facilités et, pour la première, les excellentes conditions de travail qu’elles m’ont offertes. Au Getty Research Institute, j’ai aussi rencontré une atmosphère amicale et conviviale que son équipe sait créer et dont ce livre a, j’en suis convaincu, bénéficié. J’adresse mes chaleureux remerciements aux Éditions Brepols qui, pour la deuxième fois ont accepté de publier le fruit de ma recherche, à Edina Bozoky, responsable de la collection « Culture et société médiévales » du CESCM, pour le soin qu’elle a apporté à la mise au point du manuscrit. Enfin, je voudrais adresser un remerciement amical à Marie-Thérèse Gousset pour avoir accepté de dessiner avec son talent habituel la figure 2 et à Dominique Vingtain, directrice du Musée du Petit Palais à Avignon, pour m’avoir fait découvrir le tableau de Nicolas Dipre illustrant la couverture de ce livre et m’avoir donné
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l’autorisation de la reproduction. La scène du tableau du peintre provençal de la fin du XVe et du début du XVIe siècle représente le songe de Jacob dont il est beaucoup question dans ce livre. On y voit figurées l’échelle céleste et, plus intéressant pour mon propos, la stèle dont Jacob a fait son oreiller et amenée à devenir dans la théologie chrétienne l’image par excellence de l’autel portatif. Éric PALAZZO Poitiers, octobre 2007
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INTRODUCTION Brève historiographie des recherches sur l’autel chrétien Les études d’histoire de l’art et d’archéologie, toutes périodes confondues, ont généralement accordé une importance particulière à l’histoire de l’autel dans le christianisme oriental et occidental. Dans le domaine plus spécifique de l’histoire de la liturgie, on compte également un nombre non négligeable de publications ayant traité des rituels relatifs à l’autel et à son histoire. Dans le cadre de l’introduction à ce livre, il ne m’appartient nullement de dresser un état de la question précis et détaillé des publications sur l’autel chrétien. D’autres auteurs ont par le passé réalisé cet état de la question. De façon générale, la majorité des publications ayant traité de l’histoire de l’autel chrétien ont pris en considération les données historiques, archéologiques et liturgiques aussi bien que celles relatives au domaine de l’histoire de l’art à proprement parler. Pour le médiéviste désireux de se pencher sur l’histoire de l’autel, la première orientation bibliographique doit partir des articles de dictionnaires publiés, pour certains, depuis plusieurs décennies. Parmi eux, je mentionnerai tout particulièrement l’excellente synthèse – pour son époque – proposée par dom Henri Leclercq parue dans l’indémodable Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie 1. Dans ce monument d’érudition, le savant ecclésiastique aborde l’autel chrétien à partir des principales données textuelles de l’Antiquité et du haut Moyen Âge tout en tenant compte de la documentation archéologique et, parmi elle, les informations fournies notamment par l’épigraphie. À côté de cet article, je relèverai l’intérêt majeur des contributions aux différents dictionnaires allemands, telles que celles publiées sous la plume de J.P. Kirsch et de T. Klauser 2. Dans ces articles, les auteurs offrent au lecteur une synthèse de haut tenue sur l’autel chrétien, son archéologie, son histoire, sa liturgie, établie notamment à partir de rapides enquêtes sur les autels dans la Bible ainsi que dans la littérature de droit canon. De moindre importance à mes yeux, il faut encore mentionner les articles publiés dans des dictionnaires en langue française, tels que le Diction-
H. Leclercq, “Autel”, DACL, I/2, 1907, col. 3155-3189. “Altar”, Lexikon für Theologie und Kirche, I, col. 369-376; “Altar, christlich”, Reallexikon für Antike und Christentum, I, col. 334-354.
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naire de droit canonique 3, Catholicisme 4 ou bien encore le Dictionnaire théologique 5. De façon générale, ces articles proposent d’excellentes introductions synthétiques et regroupent un matériau textuel d’une grande richesse. Dans le cadre de cette introduction, il m’est ainsi non seulement agréable de rendre hommage aux pionniers ayant tracé la voie de recherches futures sur l’autel chrétien, mais aussi de souligner d’entrée de jeu la dette que j’aie envers ces auteurs et leurs articles. Tout au long de ce livre, je ne manquerai pas de m’y référer car un nombre important d’informations en tout genre m’a été fourni par la riche matière rassemblée dans ces articles de dictionnaires. Après la consultation des dictionnaires, le même médiéviste abordant l’histoire de l’autel chrétien ne peut faire l’impasse sur quelquesunes des synthèses parues sous forme de livres. Parmi la multitude de livres consacrés depuis la seconde moitié du XIXe siècle à l’histoire de l’autel chrétien 6, - pour l’heure je ne fais pas mention de l’oeuvre de Joseph Braun sur laquelle je reviendrai plus loin dans cette introduction -, je retiendrai tout particulièrement, par ordre chronologique, l’excellent petit livre d’Alfred Heales 7, le riche ouvrage de Cyril Pocknee 8 et, tout en étant plus critique à son égard du fait de la connaissance souvent erronée de la documentation et des sources par son auteur, la synthèse proposée par José Antonio Iñiguez 9. Mis à part ce dernier ouvrage, ces livres se révèlent dans l’ensemble fort utiles pour la synthèse qu’ils proposent ainsi que pour le matériau à la fois textuel et archéologique présenté. Dans l’historiographie française, je ne connais pour ma part aucun ouvrage de synthèse sur l’autel chrétien, ce que ne tente en aucune manière de combler le présent livre10. À côté de ces ouvrages de synthèse, il faut aussi prendre en compte certains passages de livres généraux d’histoire de l’art ou des
P. Bayart, “Autel”, Dictionnaire de droit canonique, I, col. 1456-1468. R. Lesage, “Autels”, Catholicisme, I, col. 1080-1084. 5 E. Mangenot, “Autel”, Dictionnaire théologique, I, col. 2576-2584. 6 Cf. les références n. 282 à 388 de la bibliographie établie par C. Kosch dans Heiliger Raum. Architektur, Kunst und Liturgie in mittelalterlichen Kathedralen und Stiftskirchen, “Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen – 82”, Münster, 1998, p. 241-387. 7 A. Heales, The Archaelogy of the Christian Altar in Western Europe, London, 1881. 8 C. Pocknee, The Cristian Altar in History and Today, London, 1963. 9 J. A. Iñiguez, El altar cristiano. De los origenes a Carlomagno (s. II-ano 800), Pamplona, 1978. 10 On pourra néanmois se reporter à l’intéressant dossier “en ligne” constitué par Joël Perrin pour l’inventaire du patrimoine, “L’autel : fonctions et formes”, In situ, 1-2001. Pour une vue d’ensemble de l’histoire de l’autel à travers toutes les civilisations et les cultures, voir le riche cataogue, Altäre. Kunst zum Niederknien, Museum Palast, Düsseldorf, 2001 (je remercie mon amie Orlan de m’avoir fait connaître ce catalogue d’exposition). 3 4
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catalogues d’expositions consacrées au Moyen Age 11 ou bien, de façon plus spécifique, à certaines formes de productions artistiques, comme par exemple ce que les historiens d’art ont encore à tort trop souvent coutume d’appeler les “arts mineurs” 12. Dans l’ensemble de ces publications on traite, selon les cas, de problèmes d’ordre historique, liturgique ou plus généralement archéologique et artistique. Il n’est pas rare non plus de lire d’excellentes pages sur l’autel chrétien dans les travaux consacrés à l’histoire de l’architecture chrétienne dans l’Antiquité et au Moyen Âge, étant donné le rôle central joué par les autels dans la définition de l’espace liturgique de l’église 13. Enfin, quelques auteurs se sont risqués, avec plus ou moins de succès selon les cas, à l’écriture d’articles synthétiques destinés à faire le point sur l’histoire de l’autel. Parmi les plus réussis, retenons ceux de Christian Beutler qui s’est intéressé à la genèse de l’autel médiéval 14, d’Alfred Weckwerth qui a discuté avec beaucoup de pertinence la relation complexe entre la table et l’autel dans les premiers temps chrétiens mais aussi au Moyen Age 15, de Jean Hubert qui, comme à son habitude, a ouvert des voies nouvelles pour la compréhension générale de l’autel dans l’histoire du christianisme de l’Antiquité et du Moyen Âge 16. Enfin, je voudrais souligner l’intérêt de la récente et belle synthèse historiographique et méthodologique de Noël Duval sur l’autel paléo chrétien et le livre de Joseph Braun 17. Dans cet article, Noël Duval pose clairement les principales questions méthodologiques relatives à l’étude de l’autel chrétien : critique de l’étude monodisciplinaire, nécessité de l’approche interdisciplinaire (archéologie, histoire, histoire de l’art, liturgie…), établissement d’une typologie fine de l’autel chrétien prenant en compte les spécificités locales et chronologiques des objets 18, étude de la relation entre l’autel et les reliques, prise en De nombreuses références apparaîtront au fur et à mesure des pages de ce livre. Voir par exemple le livre classique de P. Lasko, Ars sacra, 800-1200, Hardmondsworth, 1972. Voir aussi les excellentes pages de A. von Euw, “Liturgische Handschriften, Gewänder und Geräte”, Ornamenta Ecclesiae. Kunst und künstler der Romanik, bd. I, Köln, 1985, p. 385-414, sp. p. 402-405. 13 Je reviendrai sur ce point à différents endroits de ce livre. 14 C. Beutler, “Die Anfänge des mittelalterlichen Altares”, Studien zur Geschichte der europäischen Skulptur im 12./13. Jahrhundert, Bd. I, Frankfurt-am-Main, 1994, p. 457-467. 15 A. Weckwerth, “Tisch und Altar”, Zeitschrift für Religions- und Geistesgeschichte, XV, 1963, p. 209-244. 16 J. Hubert, “Introïbo ad altare”, La Revue de l’art, 24, 1974, p. 9-21. 17 N. Duval, “L’autel paléochrétien : les progrès depuis le livre de Braun, 1924, et les questions à résoudre”, Hortus Artium Medievalium, 11, 2005, p. 7-17. 18 À titre d’exemple, voir l’excellente contribution de G. Ripoll et A. Chavarria Arnau, “El altar en Hispania. Siglos IX-X”, ibid., p. 29-47 faisant suite à l’article de P. Dourthe, “Typolo 11 12
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compte d’un cadre géographique large…Malgré le réel intérêt de l’article de Noël Duval, je ne peux m’empêcher de regretter l’absence de mention de l’autel portatif à côté de l’autel fixe et sa grande variété typologique. Certes, l’article de Noël Duval n’est pas le seul à présenter cette lacune, car la plupart des références citées précédemment n’aborde pas ou si peu l’autel portatif. Pourtant, comme j’aurai à coeur de le montrer, l’histoire de l’autel portatif est intimement liée à celle de l’autel chrétien en général. Ces lacunes constatées dans la bibliographie sont d’autant plus surprenantes que, d’un strict point de vue méthodologique, les questions posées par certains auteurs à propos de l’autel chrétien en général – notamment l’impérative nécessité de prendre en compte les différents aspects archéologique, historique, liturgique et artistique de l’autel pour comprendre son histoire et sa fonction – méritent amplement d’être également soulevées à propos des autels portatifs. L’espace sacré et les autels portatifs. Bilan historiographique Durant ces dernières années, je me suis intéressé de près à l’histoire, à l’archéologie, à l’iconographie, à la liturgie et à la théologie de l’autel portatif depuis les premiers temps chrétiens jusque dans la seconde moitié du Moyen Âge et même souvent au-delà. J’ai publié ailleurs des résultats intermédiaires d’une vaste enquête dont je livre les fruits définitifs dans le présent livre 19. Comme j’ai eu à coeur de le souligner dans certaines de mes publications antérieures sur le sujet, l’approche résolument interdisciplinaire de l’autel portatif chrégie de l’autel, emplacement et fonction des reliques dans la péninsule ibérique et le sud de la Gaule du Ve au XIe siècle”, Bulletin Monumental, 153, 1995, p. 7-22. 19 « Réforme liturgique, spatialisation du sacré et autels portatifs. Aux origines de la liturgie itinérante des ordres mendiants », Liturgiereformen. Historische Studien zu einem bleibenden Grundzug des christlichen Gottesdienst, t. I, « Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen 88 », Münster, 2002, p. 363-377; « Les mots de l’autel portatif. Contribution à la connaissance du latin liturgique au Moyen Age », Les historiens et le latin médiéval, Paris, 2001, p. 247-258 ; « L’histoire des autels portatifs de Jean-Baptiste Gattico (1704-1754) », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 34, 2003, p. 141-146 ; « L’autel de Saint-Guilhem-le-Désert et l’iconographie des autels portatifs du haut Moyen Age », Saint-Guilhem-le-Désert. Le contexte de la fondation. L’autel médiéval de Saint-Guilhem, table ronde d’août 2002, Aniane, 2004, p. 115-123 ; « L’espace et le sacré dans l’Antiquité et le haut Moyen Age : les autels portatifs », Cristianità d’occidente e cristianità d’oriente (secoli VI-XI), “Settimane di Studio della fondazione centro italiano di studi sull’alto medioevo LI », Spoleto 2003, Spoleto, 2004, p. 1117-1160; “Exégèse et liturgie dans le haut Moyen Age. L’exemple des autels portatifs”, Exegese im Mittelalter, actes du colloque tenu à Wolfenbüttel, mars 2005 (sous presse). Sur la relation étroite entre la liturgie de l’autel et l’archéologie, qu’on me permette de renvoyer également à É. Palazzo et B. Palazzo-Bertholon, “Archéologie et liturgie. L’exemple de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel”, Bulletin Monumental, 159, 2001, p. 305-316.
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tien que je propose dans cet ouvrage, faisant dialoguer différentes sources au service d’une problématique, fut déjà partiellement adoptée par le passé par certains auteurs. Si l’on fait abstraction de la “dissertation doctorale” présentée par Johann Andrea Schmidt à Iéna en 1695 20, le premier “vrai” grand historien de l’autel portatif est bien Jean-Baptiste Gattico (1704-1754). Dans une brève contribution, j’ai tenté de mieux faire connaître ce savant ecclésiastique dont le traité sur les autels portatifs publié en 1746 est fondamental pour la connaissance de l’histoire de cet objet liturgique 21. Né en 1704 à Novare, Jean-Baptiste Gattico est entré dans l’ordre des chanoines réguliers du Latran dont il devint l’abbé. Sa carrière est cependant marquée par son enseignement de la philosophie et de la théologie. Sa principale publication est le “De oratoriis domesticis et de usu altaris portatilis juxta veterem ac recentem Ecclesiae disciplinam” publiée une première fois en 1746 et rééditée en 1770 à Rome par J. Assemani qui y ajouta des notes et l’accompagna d’autres textes sur le même sujet. Le traité de Gattico apparaît à plusieurs égards comme l’ouvrage pionnier sur l’histoire de l’autel portatif. Commandé par le pape Benoît XIV afin de contrôler l’usage de l’autel portatif, le traité est prioritairement destiné à fournir du matériau historique pour les défenseurs de l’usage strictement réglementé de cet objet cultuel. L’ouvrage comprend quinze chapitres de longueur inégale et occupe 119 pages imprimées sur deux colonnes dans l’édition originale de 1746. Au fur et à mesure des pages, il est question par exemple, “de la double nécessité pour l’Église de procéder à l’offrande du sacrifice sur des autels fixes et des autels mobiles”, des matériaux employés pour confectionner les autels portatifs, de la réglementation canonique, de l’argumentation théologique en faveur de l’usage de l’autel portatif, des textes liturgiques de consécration de ces autels, ou bien encore de la description – textes et citations à l’appui – des différentes circonstances nécessitant l’usage de l’autel portatif et permettant à Gattico d’établir une typologie des célébrants autorisés à utiliser cet objet rituel. L’opuscule du savant italien n’est pas un ouvrage d’histoire de l’art destiné à décrire les objets et leur décor mais plutôt une magistrale synthèse sur l’histoire de l’autel portatif. Pour ce faire, Gattico a rassemblé une J. A. Schmidt, Dissertatio historico-ecclesiastica, de altaribus portatilibus, Jenae, 1695. De oratoriis et de usu altaris portatilis, Rome, 1746. Cf. mon article cité à la note 19 (avec bibliographie). Comme je l’avais signalé dans cet article, l’oeuvre théologique et liturgique de Gattico mériterait une étude particulière qui permettrait, entre autres, de cerner la façon dont il a pu travailler, dans le cas où le savant aurait laissé des notes préparatoires à ses ouvrages, en particulier pour ce qui m’intéresse ici, le traité sur les autels portatifs. 20 21
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impressionnante documentation relative à ces objets et à leur histoire allant des textes bibliques jusqu’aux théologiens de l’Antiquité et du Moyen Age en passant par les textes liturgiques. Enfin, je voudrais souligner à quel point le traité de Gattico présente déjà, avec les caractéristiques propres à l’époque de sa rédaction, les grandes lignes d’une histoire de l’autel portatif complète et pour ainsi dire “interdisciplinaire”, faisant usage de nombreux textes et surtout destinée à montrer que cet objet est au coeur d’une réflexion de fond sur la notion d’espace sacré dans le christianisme antique et médiéval. D’une certaine manière, Joseph Braun avait très certainement perçu le caractère pionnier du traité de Gattico. En effet, l’important chapitre publié par Braun sur l’autel portatif dans son monumental ouvrage sur l’autel chrétien – livre qui, malgré son ancienneté demeure à mes yeux la référence majeure sur l’histoire de l’autel chrétien – doit manifestement beaucoup au travail de Gattico bien que celui-ci ne soit étonnamment jamais cité par le savant allemand22. La grande originalité du chapitre de Braun consacré à l’autel portatif réside – à la manière de Gattico - dans son approche globale de l’objet, ne négligeant aucun type de matériau et qu’il devait sans doute considerer comme un “témoin vivant” de la pratique rituelle médiévale et non pas comme un simple objet de musée du XXe siècle. Tel est le sentiment qui se dégage à la lecture du chapitre du livre de Braun. Le matériau textuel glané par Braun est considérable et se révèle toujours utile de nos jours. Néanmoins, l’apport majeur de Braun à l’histoire de l’autel portatif me paraît résider dans son approche résolument archéologique de l’objet. On lui doit en effet l’élaboration de la première véritable typologie formelle de l’autel portatif établie à partir de critères archéologiques solides (formes, dimensions, matériaux employés, iconographie…). Le chapitre du livre de Braun consacré aux autels portatifs reste un instrument de travail indispensable et les pages qui suivent s’y référeront souvent. Pour clore cette rapide présentation des principaux travaux de l’historiographie moderne sur les autels portatifs, il faut souligner le grand intérêt de la thèse doctorale soutenue en 1998 à l’université de Münster par Michael Budde et publiée sous la forme de CDroms 23. Les pages de Budde offrent au lecteur une synthèse récente et solidement J. Braun, Der christliche Altar in seiner geschichtlichen Entwicklung, 2 Bde., München, 1924. Le chapitre consacré aux autels portatifs occupe les pages 419 à 523 du volume I. 23 M. Budde, Altare portatile. Kompendium der Tragaltäre des Mittelalters 600-1600, Münster, 1998. 22
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documentée sur l’histoire de l’objet, même si elles n’apportent rien de véritablement neuf par rapport aux perspectives développées par Braun, ni du point de vue de la problématique historique. En revanche, il faut louer l’auteur d’avoir realisé un inventaire complet des autels portatifs conservés à travers le monde et realisés entre 600 et 1600. Ainsi, pour chaque objet, nous disposons aujourd’hui d’une notice complète à laquelle est jointe un nombre souvent très important de clichés gravés sur le deuxième CDrom de l’édition électronique de l’ouvrage de Budde. Outre l’intérêt propre qu’il représente, ce travail a été pour mes recherches une source inépuisable et m’a permis de disposer d’une documentation inégalable et indispensable pour connaître les objets eux-mêmes. On comprendra donc que je m’y réfère fréquemment tout au long de ce livre et que je renvoie le lecteur aux notices de Budde pour de plus amples informations sur tel ou tel autel portatif dont il sera plus rapidement question ici. En effet, l’idée première que j’avais en entreprenant cette recherche sur les autels portatifs médiévaux n’était nullement d’établir un inventaire des objets conservés, ni de proposer une typologie formelle qui se serait substituée à celle, fort savamment construite par Joseph Braun en 1924, ni même de procéder à une analyse iconographique exhaustive et approfondie du décor des autels portatifs. Mon intérêt pour les autels portatifs chrétiens n’a en réalité été durant ces années de recherche qu’un prétexte pour traiter ce qui est le véritable sujet du présent livre : l’espace sacré chrétien de l’Antiquité et du Moyen Âge. En effet, les autels portatifs participent activement et pleinement à la définition de l’espace sacré chrétien, en particulier dans les premiers temps chrétiens et dans les siècles du haut Moyen Âge. Pour cerner la façon dont ces objets nous permettent de comprendre l’espace sacré chrétien, il n’était ainsi aucunement indispensable de procéder à un inventaire complet des autels portatifs ou bien à des enquêtes archéologiques poussées sur chaque autel conservé, même si, comme on pourra le constater au fil des pages, les objets euxmêmes, avec leur dimension matérielle, archéologique, voire iconographique, sont bien présents dans ce livre. Mais ce qui ici est plus présent encore que les objets eux-mêmes, ce sont les textes en tout genre qui “parlent” des autels portatifs et dont j’ai fait mon grain pour tenter de comprendre ce qu’ils avaient suggéré aux théologiens, aux liturgistes, aux canonistes de l’Antiquité et du Moyen Âge, leur ayant permis d’élaborer un discours sur l’espace sacré, sur le “lieu rituel” dans le christianisme. Ainsi, ce livre n’est donc pas à proprement parler un livre sur les autels portatifs. Le sujet central est bien l’espace
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sacré chrétien étudié et considéré à partir du dossier des autels portatifs et des rituels liturgiques auxquels ils sont destinés, de leurs multiples significations théologiques, liturgiques, canoniques. Ces différentes significations ont pu être appréhendées à partir de l’exploration d’une multitude de textes appartenant à des genres fort différents, depuis les textes bibliques et leur exégèse, aux traités théologiques, en passant par les rituels liturgiques et leurs commentaires, ou bien encore par les récits de vie de saints et les textes conciliaires de l’Église, pour n’en citer que quelques-uns. À côté de cet ensemble, une attention particulière a été portée sur l’iconographie des autels et leurs inscriptions. Dans ce livre donc, les “mots” ont leur place et leur importance autant – et même souvent plus – que les objets eux-mêmes. J’en veux pour preuve le regard systématique que j’ai choisi d’accorder à la lexicographie et donc à la richesse du vocabulaire employé pour désigner les autels portatifs, selon les époques et le genre des textes 24. Avant de conclure cette introduction par le “menu” de l’ouvrage, une dernière précision d’ordre méthodologique – et même épistémologique – s’impose. L’espace sacré abordé et traité dans ce livre grâce au riche dossier des autels portatifs n’est pas celui auquel on pourrait peut-être penser au premier abord, c’est-à-dire l’espace intérieur de l’église. Et pourtant, comme on aura l’occasion de le voir, certains autels portatifs ont été utilisés dans l’espace intérieur de l’église en complément des autels fixes. Lorsque l’on pense aux autels portatifs, il est relativement aisé de penser que ces objets ont très majoritairement été confectionnés afin de célébrer des rituels à l’extérieur de l’église-bâtiment. Ainsi, les autels portatifs médiévaux m’ont permis de mener une réflexion approfondie sur l’espace sacré chrétien en dehors de l’église et de comprendre la complémentarité entre les deux espaces, intérieur et extérieur à l’édifice cultuel, et de cerner la façon dont ils ont interagi durant l’Antiquité et le haut Moyen Âge. Organisation et objectifs de l’ouvrage Dans le premier chapitre, je planterai le décor tant conceptuel que méthodologique du livre. Pour ce faire, il faudra procéder tout 24 Sur le vocabulaire de l’autel portatif, voir déjà mon article cité à la note 19. Au Moyen Âge, la lexicographie relative à l’autel ne concerne pas seulement le domaine liturgique mais, par exemple, aussi celui de “l’espace économique”, cf. B.-M. Tock, “Altare dans les chartes française antérieures à 1121”, Roma, magistra mundi. Itineraria culturae medievalis. Mélanges offerts au Père L.E. Boyle à l’occasion de son 75e anniversaire, Louvain-la-Neuve, 1998, p. 901-926.
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d’abord à l’exposé synthétique des principaux acquis des recherches récentes sur la notion d’espace au Moyen Âge. En effet, l’intérêt pour un thème de recherche ne vient jamais seul et, depuis quelques années, nombreux sont les médiévistes qui se sont à divers égards intéressés à l’espace sous ses formes les plus diverses. Cet exposé me permettra également de situer mon propos sur les autels portatifs et l’espace sacré chrétien au sein du vaste ensemble de travaux aboutis ou en cours sur le thème général de l’espace. Dans la seconde partie de ce même premier chapitre, j’exposerai le cadre théorique et conceptuel de mon approche des autels portatifs et de l’espace sacré. Ce cadre a été notamment construit à partir de réflexions de nature historique, anthropologique et même, par certains côtés, philosophique, sur la définition du “sacré”, de celle de “l’espace” ou bien encore de celle de la liturgie de plein air au Moyen Âge et, de façon plus générale, de celle du “lieu rituel”. Le deuxième chapitre exposera les données essentielles du dossier biblique des autels aussi bien fixes que mobiles. Plusieurs passages de l’Ancien Testament comme du Nouveau Testament mentionnent, mettent en scène ou même dissertent sur l’autel dans l’espace rituel et sa signification symbolique. Les liturgistes, les théologiens et les canonistes de l’Antiquité et du Moyen Âge n’ignoraient évidemment pas la richesse du texte biblique à propos de l’autel et ne se sont pas privés d’utiliser et de commenter ces passages dans leurs écrits. Si bien que l’on peut considérer les extraits de la Bible où il est question d’autels comme le principal substrat à la réflexion menée par les auteurs chrétiens sur l’autel en général – dans certains cas il s’agit plus précisément d’un discours sur l’autel portatif – et sa relation à l’espace sacré tout comme à celle portant sur des points particuliers telles que les discussions sur la forme et la matière de l’autel. Dans le troisième chapitre, je passerai en revue les principaux témoignages des premiers siècles chrétiens concernant l’autel portatif. Dans ce cadre, je serai attentif à ce que l’on peut savoir des pratiques liturgiques qui lui sont attachées et des débats théologiques et juridiques qui voient le jour dès le IIe et surtout le IIIe siècle à propos de l’usage de l’autel portatif. Même si le propos de mon livre est centré sur le haut Moyen Âge, il est rapidement apparu que je ne pouvais faire l’économie d’une exploration du dossier des autels portatifs dans l’Antiquité et ce, pour deux raisons au moins. D’une part, le substrat biblique auquel j’ai fait allusion précédemment s’est transmis au haut Moyen Age par l’intermédiaire de la pensée chrétienne des premiers siècles. D’autre part, ce que les autels portatifs du haut Moyen Âge
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nous apprenent sur l’espace sacré ne peut se concevoir dans une perspective historique de “courte durée” mais, au contraire, dans un cadre chronologique large car, tous les spécialistes le savent bien, l’histoire de la liturgie doit être étudiée dans la longue durée. Si bien que, dans le cours du livre, à côté du recours fréquent à l’Antiquité, il me faudra souvent m’aventurer dans des périodes postérieures au Moyen Âge au sens traditionnel du terme. Le chapitre quatre sera entièrement consacré à l’exploration minutieuse et précise de la liturgie de l’autel et celle de l’autel portatif dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge. Dans ces pages, comme dans celles qui suivront au chapitre cinq, nous serons au coeur du propos même de ce livre. Il y sera principalement question des textes liturgiques de consécration de l’autel portatif et de leur théologie ainsi que de l’analyse du rituel de consécration et de son importance dans la définition du concept d’espace sacré. Étant donné les liens étroits entre les textes de consécration de l’autel fixe et ceux de l’autel portatif dans le haut Moyen Âge, je prendrai ici en considération aussi bien l’un que l’autre tout en mettant plus particulièrement l’accent sur ceux relatifs à l’autel portatif. Le chapitre cinq passera en revue les différents usages rituels de l’autel portatif dans le haut Moyen Âge à partir de l’analyse de textes variés mettant en scène l’objet lui-même ou bien y faisant allusion. Dans ces pages, j’explorerai entre autres des passages relatant des pèlerinages, des missions évangélisatrices, des circonstances particulières, comme celle où l’usage de l’autel portatif est nécessité par les temps de guerre. J’analyserai également des extraits de vies de saints, des inventaires de trésors et surtout des textes théologiques et exégétiques où il est question des fonctions symboliques de l’autel portatif et de son rôle dans la définition de l’espace sacré. Le chapitre six permettra de comprendre l’importance des objets eux-mêmes, ainsi que l’iconographie de leur décor et leurs inscriptions, dans la définition de l’espace sacré et sa théologie telle qu’elle se dessine à l’issue de l’examen du dossier textuel des autels portatifs auquel aura été consacré les chapitres précédents. Qu’on n’attende pas dans ce chapitre d’analyse exhaustive de tous les autels conservés d’autant plus que ce travail de vaste ampleur a trouvé son auteur en la personne de Michaël Budde. Plus simplement, le choix et l’analyse de quelques autels, de leur iconographie et de leurs inscriptions, montreront l’importance du reflet des débats théologiques et liturgiques sur les objets mêmes, ou bien encore, souligneront le rôle de l’autel portatif dans la définition de l’espace sacré.
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Le septième et dernier chapitre, de nature conclusive, voudrait offrir une vision élargie de l’autel portatif et de son rôle dans la définition de l’espace rituel médiéval en comparant son apport à celui d’autres objets mobiles de la liturgie chrétienne. Cette exploration de nature comparative permettra de faire ressortir la spécificité de l’autel portatif dans la définition de l’espace sacré de même qu’elle devrait faire prendre conscience de la façon dont au Moyen Âge, l’espace rituel a été pensé à partir de l’interaction entre plusieurs objets, dont l’autel portatif, au sein d’un seul et même espace. Dans ces pages, il s’agira également de mettre en évidence les liens étroits et complexes existants entre l’autel portatif et l’espace rituel qu’il permet de créer avec le lieu par excellence de la liturgie chrétienne qu’est l’espace de l’église-bâtiment 25. Enfin, ce chapitre conclusif tentera non seulement de dégager les lignes de force du livre, en relation avec le rôle de l’autel portatif dans la conception de l’espace sacré au Moyen Âge, de faire clairement apparaître et mettre en évidence le fil rouge existant entre les chapitres, mais aussi de souligner que ce travail s’inscrit pleinement et résolument dans le cadre beaucoup plus vaste des recherches sur l’espace médiéval dans son acception la plus large comme dans celui qui m’est plus familier des relations entre art et liturgie au Moyen Âge 26. .
25 Dans ce sens, les autels portatifs chrétiens constituent un parfait exemple de la transformation opérée de façon générale par les musées à partir du XIXe siècle sur le statut de ces objets liturgiques. Dans ces lieux où ils sont exposés, les autels portatifs sont devenus uniquement des objets d’art, délaissant leur fonction liturgique et leur signification théologique, car, comme l’exprime Hans Belting avec une formule suggestive : “les musées exposent de l’art et non de la religion”, La vraie image, Paris, 2007, p. 59 et 59-63. 26 Sur les relations entre art et liturgie au Moyen Age, j’ai récemment fait le point sur les aspects méthodologiques du sujet ainsi que sur la bibliographie des dernières décennies, É. Palazzo, “Art and Liturgy in the Middle Ages : Survey of Research, (1980-2003), and Some Reflections on Method”, Journal of English and Germanic Philology, 105, 2006, p. 170-184. Dans son très beau livre, Herbert Kessler montre avec beaucoup de pertinence l’omniprésence de la liturgie dans la définition de l’art médiéval, H. L. Kessler, Seeing Medieval Art, Peterborough, 2004.
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CHAPITRE I
LE CONCEPT D'ESPACE DANS LE CHRISTIANISME DE L'ANTIQUITÉ ET AU MOYEN ÂGE Bilan historiographique des recherches sur l'espace dans l'Antiquité et au Moyen Âge Depuis plusieurs années, voire quelques décennies déjà, les médiévistes s’intéressent de près à la définition de l’espace et à ses différentes acceptions dans la culture du médiévale. Emboîtant le pas aux anthropologues, aux sociologues ou bien encore aux philosophes, plusieurs médiévistes d’horizons divers ont tenté de définir les multiples aspects du concept d'espace au Moyen Âge, ou plutôt, devrais-je dire, “des espaces” élaborés au sein des différentes sphères de la culture médiévale. On peut penser que la progressive réception favorable de “l’École des Annales” a joué un rôle non négligeable dans le développement des recherches sur l’espace au Moyen Âge. On sait bien que les thèmes favorisant une approche transversale et interdisciplinaire ont le plus souvent été à l’honneur dans la “nouvelle” pratique de l’histoire par les tenants de “l’École des Annales”, aidés en cela par la perméabilité – profitable à plusieurs égards mais néanmoins critiquable par certains côtés - de cette école envers les grandes tendances historiographiques de l’anthropologie et de la sociologie. Évitons cependant de grossir le trait car les médiévistes n’ont pas attendu les impulsions de “l'École des Annales” pour étudier cet aspect particulier de la culture du Moyen Âge, l'espace. Par exemple, les spécialistes de l’économie et de l’histoire du paysage, voire des techniques et de l’économie des campagnes, ont depuis longtemps porté leur attention sur l’espace. Il faut néanmoins souligner les orientations nouvelles proposées et développées par les historiens de “l’École des Annales” pour appréhender “l’espace médiéval”, en premier lieu Jacques Le Goff dans son grand livre sur “La civilisation de l’Occident médiéval” 1. Dans un récent livre, Jérôme Baschet a consacré un remar1 J. Le Goff, La civilisation de l’Occident médiéval, Paris, 1964, voir notamment le chapitre “Structures spatiales et temporelles (Xe-XIIIe siècle)” dans lequel Le Goff pose les bases d’une approche “anthropologique et sociologique” de l’espace de la culture médiévale. Il est quelque peu surprenant de constater que, dans le Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, 1999 que Le Goff a co-édité avec Jean-Claude Schmitt, aucune entrée n’ait
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quable chapitre de synthèse à la “structuration spatiale de la société féodale” 2. Dans ces pages, l’auteur balaie l’ample spectre des thèmes de recherche où la notion d’espace intervient. Il propose aussi une utile mise au point sur les principaux aspects relatifs aux différentes approches de l’espace dans la culture médiévale et leur influence sur ce que Baschet appelle la “structuration spatiale”. Après avoir rappelé les apports majeurs de la philosophie antique et son interprétation médiévale concernant le thème de l’espace, basés en particulier sur la pensée aristotélicienne, l’auteur résume les acquis récents de la recherche portant entre autres sur l’histoire de la paroisse et sa “spatialisation”, sur l’articulation entre le local et l’universel dans la conception que l’Église se fait de l’espace, ou bien encore sur la notion de “lieu sacré” développée surtout à propos des espaces construits, en premier lieu l’église. Les apports récents de l’historiographie à notre connaissance de “l’espace au Moyen Âge” et de ses multiples déclinaisons (territoire, territorialité, lieu, “spatialisation”, voire “mise en espace”) ont très remarquablement été présentés dans une contribution fort nourrie en références bibliographiques que l’on doit à Stéphane Boissellier 3. Partant de l’histoire économique et sociale, l’auteur a brossé un panorama d’ensemble de la problématique de l’espace au Moyen Âge et a montré ainsi les multiples liens et interactions entre les différentes approches du thème. Ces multiples approches de l’espace médiéval sont aussi présentes dans les actes de la semaine de Spolète consacrée en 2002 au thème de l' “Uomo e spazio nell’alto medioevo”4. Dans ce volume, je retiendrai plus particulièrement – et ce pour des raisons différentes - les contributions de Tullio Gregory 5 et d’Alain Guerreau 6. Le premier auteur s’est intéressé à la relation très étroite qui existe dans la théologie médiévale entre la été consacrée à l’espace, si l’on fait exception du cas particulier que représente l’article “Centre/périphérie” que l’on doit d’ailleurs à la plume de Jacques Le Goff, p. 149-165. 2 J. Baschet, La civilisation féodale. De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Paris, 2004, p. 319-353. 3 S. Boissellier, “De l’espace aux territoires : pour une étude de la territorialité des processus sociaux et culturels en Méditerranée occidentale médiévale. État des recherches, sources, objets et méthodes”, Actes de la table ronde de Poitiers, juin 2006, sous presse. La problématique de la maîtrise de l’espace économique médiéval et ses différentes implications sociopolitiques a parfaitement été étudiée entre autres par B. Rosenwein, Negociating Space. Power, Restraint and Privileges of Immunity in Early Medieval Europe, Ithaca, 1999. 4 Uomo e spazio nell’alto medioevo, L settimana di studio del centro italiano sull’alto medioevo, 2002, Spoleto, 2 vols., Spoleto, 2003. 5 T. Gregory, “Lo spazio come geografia del sacro nell’occidente altomedievale”, ibid., t. I, p. 27-68. 6 A. Guerreau, “Structure et évolution des représentations de l’espace dans le haut Moyen Âge occidental”, ibid., t. I, p. 91-115.
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géographie du sacré et le discours sur l’eschatologie. Dans ce cadre, Tullio Gregory a procédé à un utile rappel des conceptions développées par de nombreux théologiens médiévaux touchant à la relation, voire à l’imbrication, entre la verticalité et l’horizontalité dans la théologie et permettant de penser la relation entre Dieu et les hommes dans des espaces aussi bien terrestres que célestes. On ne sera donc pas surpris de voir Grégory passer en revue les différents lieux de l’au-delà que le Moyen Âge “imaginaire” a inventé au cours des siècles. De son côté, Alain Guerreau a tenté d’ouvrir des pistes de réflexions nouvelles pour échapper à l’impossibilité définitive de saisir la pensée des hommes du Moyen Age. Comme il en a l’habitude, l’auteur a proposé une approche critique des catégories de pensée, des concepts et du vocabulaire utilisés pour la compréhension du thème de l'espace au Moyen Âge. Pour résumer très schématiquement les conclusions de l’auteur, insistons sur l’idée que le système de représentation médiéval permet d'affirmer que “l’espace” médiéval est fini, hétérogène et polarisé et qu’il prend place au sein d’un vaste ensemble social dominé par l’Église. Bon nombre de publications collectives ont ces dernières années – notamment en France – proposé des regards croisés et complémentaires sur l’espace au Moyen Âge tant en Occident qu’en Orient. Je pense en particulier à l’important recueil publié en 1990 sous la direction de Sofia Boesch Gajano et Lucetta Scaraffia où le thème global de l’espace était decliné à partir d’approches culturelles, sociales et historiques sur la base de dossiers touchant à l’histoire de l’art, à l’histoire, ou bien encore à la musicologie 7 . Dans plusieurs contributions de ce volume, la part belle a été faite à la dimension symbolique de l’espace considérée sous différents aspects 8. Ces regards croisés sur l’espace médiéval caractérisent également deux publications collectives récentes où l'espace est abordé à partir de sa dimension rituelle et en relation avec la double définition du lieu de culte au Moyen Âge et et celle de l'espace sacré chrétien 9. À ce stade de Luoghi sacri e spazi della santità, Torino, 1990. Voir par exemple l’article fort suggestif d’Alain Boureau sur la création d’un espace (“symbolique”) pontifical à Rome, “Vel sedens vel transiens: la création d’un espace pontifical au XIe et XIIe siècles”, p. 367-380, ou bien encore celui de Corrado Bologna sur l’invention de l’intériorité à partir de la pratique de la prière, “L’invenzione dell’interiorita (spazio della parola, spazio del silenzio : monachesimo, cavalleria, poesia cortese)”, p. 243-266. 9 Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires. Approches terminologiques, méthodologiques, historiques et monographiques, sous la direction d’A. Vauchez, “Ecole Française de Rome”, Rome, 2000; Le sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en Occident. Etudes comparées, sous la direction de M. Kaplan, “Publications de la Sorbonne – Byzantina Sorbonensia, 18”, Paris, 2001; voir en dernier lieu Construction de l'espace au Moyen Âge: Pratiques et représentations, SHMESP, Paris, 2007; très riche également pour l’Antiquité sont les actes du colloque tenu à Lyon en juin 1988, L’espace sacrificiel dans les civilisations méditerranéennes de l’Antiquité, sous la direction de 7 8
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mon propos, je ne m’attarde pas sur ces deux dernières publications étant donné que, dans le cours de ce livre, je ferai à diverses reprises mention de l’un ou l’autre des articles parus dans ces volumes. Dans le domaine plus spécifique de l’étude de la “littérature” médiévale, on doit à Paul Zumthor des recherches passionnantes, stimulantes et novatrices qui ont considéré “l’espace littéraire” à partir des caractères particuliers de la langue ou bien encore en tenant compte de la matérialité du “lieu” propre de la “littérature”, c’est-à-dire le manuscrit (pour désigner ce “lieu”, Zumthor emploie le sympathique néologisme de “manuscripture”) 10. A côté de ces considérations de nature linguistique d’une part et codicologique, voire performative, d’autre part, Zumthor et d’autres auteurs avec lui se sont aussi penchés sur la dimension spatiale dans les récits que le Moyen Âge a légué. Dans ce sens, je citerai, à titre d’exemple, la contribution de Lucien Scubla où une meilleure compréhension du schéma mythico-rituel organisant l’espace dans la “littérature” médiévale est présentée et où interagissent le lieu d’où est parti le héros fondateur, celui où il s’est fixé et qu’il a consacré par un acte mémorable et celui occupé par les hommes 11. Dans ces différents cas de figure décrits par Lucien Scubla, la relation entre l’homme et la nature occupe le devant de la scène. J’y reviendrai. À la frontière entre la dimension spatiale du récit “littéraire” et l’expression du sentiment de l’émotion dans le récit, on doit à Barbara Rosenwein d’avoir lancé une enquête pour le haut Moyen Âge qui mériterait d’être approfondie et poursuivie pour d’autres périodes du Moyen Âge et d’autres textes qui ont retenu son attention 12. Dans un article fort suggestif, Marie-Dominique Chenu a remarquablement lu et interprété l’espace urbain de la seconde moitié du Moyen Âge comme un véritable carrefour où l’histoire économique et sociale et l’histoire de la théologie sont en interaction permanente13. Partant du constat que la théologie monastique et la mentalié féodale R. Etienne et M.-T. Le Dinahet, “Publications de la bibliothèque Salomon-Reinach, V”, Paris, 1991. 10 P. Zumthor, La lettre et la voix. De la “littérature” médiévale, Paris, 1987 et son maître livre sur lequel je reviendrai amplement plus loin, La mesure du monde. Représentation de l’espace au Moyen Age, Paris, 1993 (sur “l’espace des textes”, voir p. 363-394). 11 L Scubla, “Parcours fondateur et pèlerinage aux sources. Note sur la construction mythico-rituelle de l’espace”, Visio. Cognition culturelle et cognition spatiale, 6, 2001, p. 11-24 (Je remercie Jean-Jacques Vincensini de m'avoir fait connaître cet article). 12 B. Rosenwein, “The Places and Spaces of Emotion”, Uomo et spazio…cité à la note 4, t. I, p. 505-536, voir son livre, Emotional Communities in The Early Middle Ages, Ithaca, London, 2006. 13 M.-D. Chenu, “Civilisation urbaine et théologie. L’Ecole de Saint-Victor au XIIe siècle”, Annales ESC, 1974, p. 1253-1263.
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présentent une forte conjonction, Chenu a montré les liens probables entre la civilisation urbaine et les méthodes, les réflexions ainsi que les nouvelles aspirations intellectuelles et spirituelles de certains milieux théologiques parisiens, comme par exemple l’École de SaintVictor. Avant de parler des idées et de la théologie, l’auteur constate la multiplication des communautés de chanoines réguliers qu’il relie aux changements qui ont affecté, dans la chrétienté médiévale, le milieu économique et social (notamment le passage de la stabilité campagnarde à la mobilité des fortunes marchandes, à la fébrilité des villes). Marie-Dominique Chenu relève encore l’intérêt porté par Hugues de Saint-Victor dans ses écrits aux métiers “des villes” et aux artisans qui contribuent à leur développement. Cet ensemble cohérent de facteurs d’ordre économique et social d’un côté, et théologique et spirituel de l’autre, a participé à la formation de la civilisation urbaine considérée sous tous ses aspects et dont le fort ancrage spatial est un des caractères propres. Par certains côtés, le bel article du père Chenu fait écho au fameux livre d’Erwin Panofsky dans lequel le génial savant avait tenté de démontrer la correspondance entre le développement de l’architecture gothique et les premiers rayonnements de la pensée scolastique 14. Dans un cas comme dans l’autre, l’espace était non seulement au coeur des propos des deux auteurs, mais il en constituait surtout le véritable objet d’étude. L’évocation du beau livre d’Erwin Panofksy m’offre une transition aisée pour aborder à présent l’apport des recherches récentes dans le domaine des relations entre l’art et la liturgie au Moyen Âge où l’espace, pris dans ses multiples acceptions, est un objet d’étude prédominant 15. Depuis déjà plusieurs décennies, certains historiens de l’art se sont intéressés de près aux relations entre art et liturgie au Moyen Âge et pas seulement pour l’étude de l’architecture religieuse16. Dans ce domaine particulier, où les publications sont nombreuses, il suffira ici de rappeler l’apport des ouvrages pionniers de Carol Heitz
E. Panofsky, Architecture gothique et pensée scolastique, tr. fr., Paris, 1967. Sur les relations entre art et liturgie, je me permets de renvoyer à É. Palazzo, “Art and Liturgy in the Middle Ages : Survey of Research (1980-2003) and Some Reflections on Method”, Journal of English and Germanic Philology, 105, 2006, p. 170-184. 16 Voir notamment les publications collectives : Kunst und Liturgie im Mittelalter, Akten des internationalen Kongresses der Bibliotheca Hertziana und des Nederlands Instituut te Rome, Rom 28-30 september 1997, Munich, 2000; Art, cérémonial et liturgie au Moyen Âge, Actes du 3° cycle romand de Lettres, Lausanne-Fribourg, mars-avril-mai 2000, Rome, 2002; The White Mantle of Churches : Architecture, Liturgy and Art around the Millenium, Turnhout, 2003; Objects, Images and the Word, Princeton, 2003. 14 15
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sur l’architecture religieuse carolingienne 17, ou bien encore de se reporter à l’excellente synthèse problématique de Nicolas Reveyron 18. De récents volumes d’actes de colloques ont fait le point et approfondi l’étude de certains espaces liturgiques spécifiques – tel le cloître ou les avants-nefs – non seulement à partir de l’étude des “fonctions” liturgiques de ces lieux mais prenant aussi en considération le décor monumental et ses apports à la connaissance de ces espaces et des rituels qui s'y déroulaient 19. Dans le même esprit, mentionnons des monographies d’édifices où l’église est considérée comme un espace rituel “total” où chaque élément du décor comme de l’architecture contribue à l’expression des rituels de la liturgie locale 20. Dans ce contexte, il faut souligner l’impérative nécessité pour l’historien de l’art de bien connaître la spécificité des sources liturgiques locales afin de proposer des interprétations fondées concernant la relation entre la liturgie et l'espace d'un édifice particulier. Pour la fin du Moyen Âge, la liturgie des grandes cathédrales gothiques doit être appréhendée en premier lieu grâce aux ordinaires qui décrivent amplement les rituels propres à tel ou tel lieu 21. De façon générale, on doit souligner que certains historiens de l’art médiévistes considèrent à juste titre “l’espace liturgique” non seulement à partir de l’architecture mais aussi du point de vue du décor monumental des églises ou bien encore à partir de “l’espace liturgique” particulier et complexe constitué par les manuscrits liturgiques et leurs pages peintes, ou bien encore par les multiples objets destinés à la réalisation des rituels 22. C. Heitz, Recherches sur les rapports entre architecture et liturgie à l’époque carolingienne, Paris, 1963 et L’architecture religieuse carolingienne. Formes et fonctions, Paris, 1980. 18 N. Reveyron, “Architecture et liturgie et organisation de l’espace ecclésial : Essai sur la notion d’espace sacré dans l’architecture religieuse du Moyen Âge”, Les Cahiers de SaintMichel de Cuxa, 34, 2003, p. 161-175. Pour le cas particulier de l’Angleterre autour de l’an mil, voir la belle étude de H. Gittos, “Architecture and Liturgy in England c. 1000 : Problems and Possibilities”, The White Mantle…, cité à la note 16, p. 91-106. 19 Avant-nefs et espaces d’accueil dans l’église entre le IVe et le XIIe siècle, Paris, 2002; Der mittelalterliche Kreuzgang. Architektur, Funktion und Programm, Regensburg, 2004. 20 Voir par exemple, La cathédrale de Bénévent, “Esthétiques et rituels des cathédrales d’Europe”, Paris, 1999, ou bien encore la belle étude de C. Malone, Facade as Spectacle : Ritual and Ideology at Wells Cathedral, Leiden-Boston, 2004. 21 Voir les contributions réunies dans Heiliger Raum. Architektur. Kunst und Liturgie in mittelalterlichen Kathedralen und Stiftskirchen, “Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen 82”, Münster, 1998, voir aussi la remarquable étude monographique de J. Pycke, Sons, couleurs, odeurs dans la cathédrale de Tournai au 15e siècle, Tournai et Louvain-laNeuve, 2003. 22 On tirera une grand profit de la récente mise au point de P. Piva, “Lo spazio liturgico : architettura, arredo, iconografia (secoli IV-XII)”, L’arte medievale nel contesto (300-1300), Milano, 2006, p. 141-180. Pour l’illustration des livres liturgiques, É. Palazzo, Les sacramentaires de Fulda. Etude sur l’iconographie et la liturgie à l’époque ottonienne, “Liturgiewissenschaftliche 17
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D’une certaine manière, on pourrait affirmer que les historiens de l’art redécouvrent, ou sont en tout cas mieux à même de saisir la façon dont les hommes du Moyen Âge ont “pensé” l’espace liturgique considéré non seulement à partir de son cadre architectural et de sa signification symbolique, mais aussi dans toutes ses dimensions visuelles bien illustrées par les manuscrits et autres objets liturgiques. Telle est pour une grande part la matière du beau livre d’Herbert Kessler qui, d’une certaine manière, exprime le mieux, en des termes “modernes”, la façon dont les theologiens médiévaux ont pensé l’espace symbolique de la liturgie 23. Parmi les nombreux textes du Moyen Âge ayant traité de la dimension symbolique de l’espace rituel, principalement l’église, je rappellerai simplement pour mémoire l’interprétation des différentes parties du bâtiment cultuel donnée par Sicard de Crémone au XIIe siècle dans son Mitrale 24. Dans ce fameux texte – qui n’a pas encore trouvé son historien ! – Sicard élabore une véritable topographie liturgique de l’église. En effet, chaque partie de l’église est considérée à partir de la théologie du lieu de culte et de ses différentes parties. Pour ce qui touche à l’interprétation “multidimensionnelle” et sensorielle du rituel et les différents éléments qui le composent, parmi lesquels il faut compter l’espace de l’église, les images, les sons, les odeurs, les paroles sacrées, je mentionnerai simplement la profonde lecture symbolique qui en est proposée par Raban Maur au IXe siècle (PL, 111, col. 73-74). Pour cet auteur, l’esQuellen und Foschungen – 77”, Münster, 1994, L’évêque et son image. L’illustration du pontifical au Moyen Age, Turnhout, 1999, J. Lowden, “Illuminated Books and the Liturgy : Some Observations”, Objects and Images…cité à la note, 16, p. 17-55, G. Zanichelli, “I soggetti dei libri liturgici miniati (VI-XIII secolo), L’arte medievale…, p. 245-274. Voir aussi les monographies sur des manuscrits particuliers où l’illustration est considérée comme un élément à part entière de l’organisation “spatiale” du programme du manuscrit : R. Deshman, The Benedictional of Æthelwold, “Studies in Manuscript Illumination 9”, Princeton, 1995 et A. Cohen, The Uta Codex. Art, Philosophy and Reform in Eleventh-Century Germany, The Pennsylvania State University, 2000. Sur l’importance accordée à la présence physique du livre liturgique dans l’espace du rituel, voir l’intéressante ouverture proposée par T. Lentes, “Textus Evangelii. Materialität und Inszenierung des textus in der Liturgie”, Textus im Mittelalter. Komponenten und Situtationen des Wortgebrauchs im Schriftsemantischen Feld, Göttingen, 2006, p. 133-148. Sur l’iconographie de “l’espace ecclésiologique”, voir l’intéressante contribution de P. Henriet, “Du Cosmos à la chrétienté : images d’évêques dans quelques manuscrits hispaniques des Xe-XIIIe siècles”, La imagen del Obispo en la Edad Media, Pamplona, 2004, p. 75-113. Sur les différents modes de représentations iconographiques de l’espace géographique, cf. P. Gautier Dalché, “Principes et modes de la représentation de l’espace géographique durant le haut Moyen Âge”, Uomo e spazio…, cité à la note 4, p. 117-150. On consultera aussi avec profit W. Pullan, “”Sacred Space” as mediation”, The Church in the postindustrial landscape, Zoetermeer, 2004, p. 247-263. 23 H. L. Kessler, Seeing Medieval Art, Peterborough-New York, 2004. 24 PL, 213, col. 19-26.
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pace du rituel, construit à partir de l’église et des différents éléments du rituel, vise à construire le temple ecclésial ainsi que le temple intérieur en chaque homme. Je m’attarderai plus loin dans ce premier chapitre sur l’importance de ce texte de Raban Maur pour la reflexion théorique du présent livre 25. Pour l’heure, je me contenterai de rappeler que la conception de l’espace rituel exprimée par Raban Maur renvoie pleinement au fonctionnement de la Machina memorialis et ses enjeux d’ordre mnémotechnique et spatiaux tels que Mary Carruthers les a parfaitement analysés 26. Dans le domaine spécifique de l’histoire de la liturgie, ces dernières années ont également vu progresser les spécialistes de ce champ de recherche – jusque-là, notamment en France, particulièrement imperméable aux méthodes de l’anthropologie et de l’anthropologie historique – en direction d'un renouvellement méthodologique appliqué à l’étude des rituels ecclésiastiques de l’Antiquité et du Moyen Âge. J’ai tenté pour ma part de “lire” et “d’interpréter” la liturgie médiévale comme un domaine propre de l’histoire du Moyen Âge, en considérant surtout les rituels de l’Église comme les témoins privilégiés des principaux enjeux sociaux, politiques et culturels des périodes qui les ont vus naître, se developper et être realisés 27. À partir de là, et ce sans jamais négliger les enjeux techniques spécifiques à l’histoire de la liturgie, j’ai proposé une lecture aussi bien “réellement” historique qu’anthropologique des rituels liturgiques et, dans certains cas, de leurs relations à l’espace 28. Dans le même sens, on peut aussi mentionner quelques-unes des études d’histoire de la liturgie qui ont permis, ces dernières années, de renouveler notre vision de l’espace liturgique, il faut noter l’importance des travaux d’historiens comme d’historiens de la liturgie. En premier lieu, je soulignerai l’apport majeur de Victor Saxer, grand historien de la liturgie, qui a montré dans plusieurs publications admirables la façon dont s’interpénétraient l’étude de la formation d’un espace ecclésiologique – par exemple, la ville de Rome dans l’Antiquité 29 ou bien encore le cas plus particulier de l’église Sainte-Marie-Majeure à Rome 25 Cf. É. Palazzo, “Raban Maur et la liturgie. État de la question et nouvelles perspectives”, Raban Maur et son temps, actes du colloque de Lille-Amiens, juillet 2006 (sous presse). 26 M. Carruthers, Machina memorialis. Méditation, rhétorique et fabrication des images au Moyen Age, Paris, 2002, p. 342. Le texte de Raban Maur se trouve dans PL. 110, col. 73-74, homilia 39, In dedicatione templi. 27 É. Palazzo, Liturgie et société au Moyen Âge, Paris, 2000. 28 Ibid., p. 124-149. 29 V. Saxer, “L’utilisation par la liturgie de l’espace urbain et surburbain : l’exemple de Rome dans l’Antiquité et le haut Moyen Age’, Actes du XIe congrès international d’archéologie
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dont Saxer a étudié la liturgie et son rôle dans la formation de l’espace dans l’église et aux alentours 30 – en relation directe avec la “mise en espace” de la liturgie. Dans ces publications, Saxer offre une vue complète et approfondie de la construction d’un espace liturgique particulier à travers les siècles. Si l’on s’arrête un bref instant encore à l’intérieur de l’église et de ses espaces rituels, il faut mentionner l’apport des recherches de Cécile Treffort sur les inscriptions situées dans le choeur du bâtiment réservé au culte 31. À leur propos, l’auteur a bien montré la façon dont ces inscriptions participaient pleinement à la construction d’un espace liturgique de la mémoire et comment elles en constituaient même les principaux marqueurs visuels. Des études sur la poésie liturgique et ses reflets dans les tituli d’églises ont permis aussi de mieux percevoir la manière dont le rituel faisait intervenir sa dimension “textuelle” autrement que par les textes liturgiques transcrits dans les livres utilisés lors des cérémonies 32. Enfin, je ne peux terminer ce rapide tour d’horizon sur les recherches concernant dans le domaine de l’histoire de la liturgie et des pratiques rituelles sans évoquer le renouvellement des perspectives dans l’étude des “drames liturgiques” ou des “jeux liturgiques” qu’on a longtemps voulu voir comme les ancêtres du théâtre moderne, mais qu’il faut plutôt lire comme une partie intégrante du rituel de l'Église. Après les travaux fondateurs et essentiels de Karl Young, un certain nombre d’historiens et de théologiens ont récemment proposé de lire ces “drames” à la lumière de la réflexion sur le thème de la “représentation” et de ses multiples implications d’ordre théologique 33. Rappelons ici l’inchrétienne, “Collection de l’Ecole française de Rome 123 – Studi di Antichità cristiana 41”, Rome, 1989, p. 917-1033. 30 V. Saxer, Sainte-Marie-Majeure. Une basilique de Rome dans l’histoire de la ville et de son église, “Collection de l’Ecole française de Rome 283”, Rome, 2001. Voir aussi le beau livre de S. De Blaauw, Cultus et décor. Liturgia e architettura nella Roma tardoantica e medievale, “Studi e Testi 355-356”, Città del Vaticano, 1994 ainsi que la contribution de J.-J. Emerick, “Altars Personified : The Cult of the Saints and the Chapel System in Pope Paschal I S. Prassede (817-819)”, Archaeology in Architecture : Studies in Honor of Cecil L. Stricker, Mainz, 2005, p. 43-63. 31 C. Treffort, “Inscrire son nom dans l’espace liturgique à l’époque romane”, Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 34, 2003, p. 147-160. 32 Voir par exemple, G. Iversen, “L’espace sacré et la poésie liturgique. Proses pour la dédicace d’une église”, À la confluence de nos disciplines. 50 ans d’études médiévales, actes du colloque international organisé à l’occasion du cinquantenaire du CESCM, Poitiers, 2003, Turnhout, 2006, p. 409-422. 33 K. Young, The Drama of the Medieval Church, 2 vols., Oxford, 1933. O.B. Hardison, Christian Rite and Christian Drama in the Middle Ages, Westport, 1965 et surtout C. Petersen, Ritual und Theater. Messealegorese, Osterfeier und Osterspiel im Mittelalter, Tübingen, 2004 qui développe d’intéressantes idées sur la question de la “représentation” dans ces drames; idées souvent
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térêt de ces rituels particuliers pour l’approche de l’espace liturgique dépassant le strict cadre architectural de l’église - bien que certains “drames” prennent place dans le bâtiment – permettant notamment le déploiement des processions à l’intérieur des villes 34. Pour terminer ce rapide tour d’horizon de l’historiographie récente consacrée à l’étude de l’espace au Moyen Âge, j’évoquerai deux ouvrages dans lesquels les auteurs, chacun à leur manière et selon la spécificité du sujet traité, ont fait progresser la recherche de façon notoire. Michel Lauwers s’est de son côté intéressé à la naissance du cimetière chrétien dans le haut Moyen Âge 35. Pour ce faire, l’auteur a proposé une réflexion approfondie sur la notion d’espace sacré. Michel Lauwers a montré la façon dont s’élabore progressivement chez les théologiens et les liturgistes du XIIe siècle – Sicard de Crémone et Jean Beleth en tête – une typologie de l’espace sacré où se trouvent définies les catégories du “sacré”, du “saint” et du “religieux”, à la suite de la réception par ces auteurs du droit romain compilé à l’époque de Justinien. Le propos principal du livre de Michel Lauwers, comme déjà dans certains travaux intermédiaires, était l’étude historique, archéologique et liturgique du cimetière. Pour le sujet du présent livre, l’apport majeur de la recherche de Lauwers réside dans le fait d’avoir démontré, à la suite des travaux de Cécile Treffort et d’Élisabeth Zadora-Rio 36, que l’espace du cimetière était considéré dès l’époque carolingienne, puis surtout à partir du Xe siècle, comme un espace sacré car consacré par un rituel liturgique. À la suite de quoi, Lauwers suggère que le cimetière et son statut d’espace sacré-consacré a été un élément central dans le développement du phénomène de proches de la réflexion théorique menée sur ce mot par C. Ginzburg, “Représentation. Le mot, l’idée, la chose”, A distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire, Paris, 2001, p. 73-88. Sur la relation entre les “drames” liturgiques et l’origine du théâtre, voir l’utile mise au point d’É. Lalou, “Quelques réflexions sur cérémonie, cérémonial et jeu”, Le jeu théâtral, ses marges, ses frontières, “Centre d’études supérieures de la Renaissance – le savoir de Mantice”, Paris, 1999, p. 115-124 et surtout, l'ouvrage de R. Warning, Funktion und Struktur. Die Ambivalenz des geistlichen Spiels, Munich, 1974 (je remercie Amy Powell de m'avoir signalé cet ouvrage). 34 Voir désormais l’ouvrage essentiel de S. Felbecker, Die Prozession. Historische und systematische Untersuchungen zu einer liturgischen Ausdruckshandlung, “Münsteraner Theologische Abhandlungen 39 “, Altenberge, 1995. 35 M. Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005. Voir déjà son article, “Le cimetière dans le Moyen Âge latin. Lieu sacré, saint et religieux”, Annales HSS, 1999, p. 1047-1072. 36 C. Treffort, “Consécration de cimetière et contrôle Episcopal des lieux d’inhumation au Xe siècle”, Le sacré et son inscription…cité à la note 9, p. 285-299. É. Zadora-Rio, “Lieux d’inhumations et espaces consacrés. Le voyage d’Urbain II en France (août 1095-août 1096)”, Lieux sacrés, lieux de culte…cité à la note 9, p. 197-213.
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polarisation de la paroisse autour de l’église et de son cimetière 37. Autrement dit, le cimetière du haut Moyen Âge a pleinement participé à la nouvelle manière de penser, en termes juridiques, liturgiques et ecclésiologiques, l’espace sacré et celui plus spécifique de la paroisse. Malgré certaines réserves que l’on peut formuler face à certaines hypothèses de Michel Lauwers 38, on ne peut dans l’ensemble que suivre sa démonstration. De son côté, Dominique Iogna-Prat s’est penché sur un vaste sujet : l’histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge 39. Dans ce livre, l’auteur s’attache à démontrer la naissance, le développement et l’évolution de l’ecclésiologie du lieu de culte chrétien. Son enquête s’inscrit dans un cadre chronologique large et embrasse des domaines et sujets forts divers. Pour notre propos, retenons principalement que Dominique Iogna-Prat souligne à juste titre le jalon important que représente le moment carolingien dans l’élaboration de l’ecclésiologie du lieu de culte, notamment à partir des commentaires de la liturgie 40 et des idées politiques contemporaines touchant à la construction de “l’image” du souverain. Je ne peux ici résumer l’ensemble de la démonstration de l’auteur à laquelle je me référerai fréquemment dans les pages qui suivent. Pour l’heure je relèverai simplement la curieuse absence d’intérêt de Iogna-Prat pour l’espace rituel extérieur à l’église-bâtiment. Pourtant, comme j’aurai à coeur de le montrer dans ce livre, l’élaboration de la conception chrétienne du lieu de culte, ainsi que sa théologie et son ecclésiologie, ne peut être saisie sans un regard croisé et complémentaire sur l’espace de l’église d’une part, et sur celui extérieur au bâtiment, d’autre part, où l’on est précisément amenés à célébrer à l’aide de l’autel portatif. La compréhension de la relation dialectique qui existe dans l'espace sacré chrétien entre “lieu de culte intérieur” et “lieu de A propos d’un récit de vision italien du milieu du Xe siècle, André Vauchez a noté à juste titre que les pérégrinations des âmes d’un sanctuaire à l’autre et mentionnées dans le texte étudié reflètaient l’achèvement du processus de polarisation du sacré autour des lieux saints à cette époque, “Pèlerinages posthumes et purgation des péchés : la vision de Narni (milieu du Xe siècle)”, Mediteraneo, Mezzogiorno, Europa, Studi in onore di Cosimo Damiano Fonseca, Bari, 2004, p. 1081-1090. 38 J’ai exprimé ces réserves dans “La liturgie carolingienne : vieux débats, nouvelles questions, publications récentes”, Le monde carolingien. Bilan, perspectives, champs de recherche, actes du colloque de Poitiers (sous presse). 39 D. Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Eglise au Moyen Âge, Paris, 2006. Pour une période légèrement postérieure à celle qui a retenue l’attention de Iogna-Prat, on pourra se reporter au beau livre de M. Bacci, Lo spazio dell’anima. Vita di una chiesa medievale, Rome, 2005. 40 Voir déjà D. Iogna-Prat, “Lieu de culte et exégèse liturgique à l’époque carolingienne”, The Study of the Bible in the Carolingian Era, Turnhout, 2003, p. 214-244. 37
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culte extérieur” est au coeur de mon propos et pose clairement la question de la place de la nature, du lieu rituel situé dans la nature, dans la définition de l’ecclésiologie de l’espace sacré chrétien. Espace, lieu, sacré, rituel : les enjeux conceptuels du vocabulaire chrétien de l'Antiquité et du Moyen Âge L'objet du présent livre est de cerner la définition de l’espace sacré chrétien à partir des rituels nécessitant l’usage de l’autel portatif dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge occidental. Comme on le verra amplement dans les différents chapitres, l’autel portatif est employé pour permettre la réalisation de rituels qui se déroulent presque exclusivement en plein-air, dans un espace liturgique autre et extérieur à celui de l’église. D’une certaine manière, on peut dire que l’autel portatif chrétien et les rituels qui lui sont attachés constituent un observatoire privilégié pour comprendre la façon dont dans l'Antiquité et au Moyen Âge on a pensé l’espace sacré à partir des pratiques liturgiques de plein air qui prennent majoritairement place dans le cadre de la nature et du paysage. Pour permettre l’exposé du cadre conceptuel de la présente recherche, il est avant toute chose nécessaire de rappeler quelques aspects aujourd’hui bien connus de la définition du vocabulaire employés par les spécialistes. “Espace”, “lieu”, “sacré”, “rituel”….tels sont les mots essentiels au coeur de la problématique développée dans ce livre. Bien que celui-ci ne soit pas le lieu pour traiter ou pour revenir sur chacun des mots de façon détaillée41. Quelques rappels cependant, utiles je crois à la compréhension des lignes qui suivent. Â propos de la notion de “sacré” et de son application au christianisme médiéval, Jean-Claude Schmitt a jadis fait entre autres observer l’importance que représente le développement de “l’institution du sacré” (l’Église) pour définir le sacré et rappelle, à juste titre, le rôle central tenu pour cela par les rituel de consécrations d’espaces, d’objets, voire de personnes 42. Tandis que le sacer se réfère à tout ce qui est consacré, le profanus concerne ce qui est “extérieur” au sacré. Or cette opposition entre 41 Sur les différentes acceptions du mot “rituel” appliquées à la liturgie médiévale, je me permets de renvoyer à Palazzo, op. cit. à la note 27, p. 11-16. Pour une approche sociologique et anthropologique des rituels, ne prenant pas forcément en compte la période médiévale, on consultera avec profit le numéro spécial d’Hermès, 43, 2005. Voir aussi l'intéressante mise au point de C. Dörrich, Poetik des Rituals. Konstruktion und Funktion politischen Handelns in mittelalterlicher Literatur, Darmstadt, 2002, p. 1-9. 42 J.-C. Schmitt, “La notion de sacré et son application à l’histoire du christianisme médiéval”, Cahiers du Centre de recherches historiques, 8, 1991, p. 15-20 (repris dans Le corps, les rites, les rêves, le temps. Essais d’anthropologie médiévale, Paris, 2001, p. 42-52).
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“sacré” et “profane”, et l’usage des mots qui en résulte, était à l’origine faite pour clairement établir une distinction d’ordre spatial 43. Dans le vocabulaire chrétien de l’Antiquité et du haut Moyen Âge, l’adjectif “sacré” correspond au latin “sacrare” qui désigne ce qui a fait l’objet d’une consécration. En contrepartie, l’adjectif “profane” définit l’ignorant, le néophyte, celui que se tient à distance du sacré. Là encore, on voit que la définition des deux adjectifs fait intervenir la notion d’espace 44. Comme l’a avec pertinence souligné Philippe Borgeaud, cette définition ancienne du “sacré” et du “profane” et les implications spatiales qui en découlent, va changer de nature lorsque, à la suite de l’intervention de Durkheim et son école sociologique, le “sacré” sera entendu comme un substantif aux acceptions différentes de celles considérées dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge 45. Pour notre propos, il est tout à fait essentiel de relever que dans le christianisme ancien et dans le haut Moyen Âge, le “sacré” et le “profane” se définissaient mutuellement selon des significations d’ordre spatial accordées aux mots. À côté de ces distinctions à propos du couple “sacré-profane”, il faut aussi prendre en compte celles qui concernent les adjectifs “saint” et “religieux” 46. Ces différents qualificatifs, ainsi que celui de “sacré”, se trouvent en premier lieu dans le texte de la Bible et tout spécialement dans les récits fondateurs de l’Ancien Testament. Dans ces textes, il est fondamentalement question de la révélation de la Terre sainte faite à Moïse comme le passage d’une sacralité temporaire et mobile – dont il sera grandement question dans ce livre – à la fixation en un lieu, le temple de Jérusalem, du sacré et des rituels qui s’y rattachent. Partant de ces fondements bibliques qui ont fait l’objet d’une exégèse dès les premiers siècles chrétiens, comme par exemple chez Isidore de Séville dans sa tentative pour définir les “édifices 43 Voir à ce sujet les remarques fort instructives de S. Hamilton et A. Spicer, “Defining the Holy : The Delineation of Sacred Space”, Defining the Holy. Sacred Space in Medieval and Early Modern Europe, Ashgate, 2005, p. 1-23, sp. p. 2-3. 44 Pour une étude approfondie des mots “sacré” et “profane” dans l’Italie romaine, voir A. Dubourdieu et J. Scheid, “Lieux de culte, lieux sacrés : les usages de la langue. L’Italie romaine”, Lieux sacrés, lieux de culte…, cité à la note 9, p. 59-80, sp.p. 60-61. 45 P. Borgeaud, “Le couple sacré/profane. Genèse et fortune d’un concept “opératoire” en histoire des religions”, Revue de l’histoire des religions, 211, 1994, p. 387-418. Voir aussi l'importante contribution, portant plus particulièrement sur le domaine juridique de R. Jacob, “La question romaine du sacer. Ambivalence du sacré ou construction symbolique de la sortie du droit”, Revue Historique, 308, 2006, p. 523-588. De nature plus historiographique, voir aussi l'article de J. Bremmer, “Religion, Ritual and the Opposition “Sacred vs. Profane”. Notes Towards a Terminological “Genealogy”, Ansichten grieschicher Rituale. Festschrift für Walter Burkert, Stuttgart-Leipzig, 1998, p. 9-32. 46 Sur ce thème, voir les mises au point de Iogna-Prat, op. cit., à la note 39, p. 53-58.
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sacrés”, les théologiens du Moyen Âge vont progressivement élaborer une véritable théologie du “lieu sacré” où le rituel et son caractère sacré – expression prise ici dans le sens du sacrement qui rend “sacré”, c'est-à-dire qui consacre – joue un rôle central. Pour ce faire, les théologiens vont aussi s’emparer et s’approprier certains concepts issus du droit romain traditionnel et présenté dans le Digeste compilé du temps de Justinien (527-565). Sur cette triple base biblique, théologique et juridique, les liturgistes et théologiens du haut Moyen Âge et du Moyen Âge central ont élaboré un discours d’une grande richesse sur “l’espace sacré”, sur “le lieu rituel”, voire sur les différents espaces consacrés construisant ainsi une véritable typologie de “l’espace sacré”. Dans ses différents travaux sur le cimetière médiéval, Michel Lauwers a montré tout l’intérêt qu’il y avait à scruter la littérature exégétique sur la liturgie pour cerner la façon dont les théologiens avaient proposé une typologie des espaces sacrés et, par là-même, une définition du lieu de culte 47. Dans ce contexte, Lauwers souligne le moment fort représenté par les écrits de Jean Beleth d’une part, et de Sicard de Crémone d’autre part. Dans sa Summa de ecclesiasticis officiis, composée autour de 1160-1164, Jean Beleth cite parmi les “lieux vénérables” ceux qui sont “destinés aux nécessités humaines” et ceux qui sont “dédiés à la prière” 48. Parmi les seconds, Beleth propose encore de distinguer les lieux “saints”, les lieux “sacrés” et les lieux “religieux”. Pour le théologien du XIIe siècle, les lieux “sacrés” sont ceux consacrés par la marque du pontife, tandis que les lieux “saints” sont ceux qui bénéficient de l’immunité autour des monastères. Et parmi les lieux “sacrés”, on rencontre une grande variété d’édifice allant de la basilique à la chapelle en passant par l’église 49. Après Jean Beleth, autour de 1198-1200, Sicard de Crémone a sans doute le mieux défini la notion d’espace sacré : “Parmi les lieux, est sacré, celui qui est dédié à Dieu par la main du pontife, comme l’Église; est saint celui qui est destiné aux serviteurs de l’Eglise et qui est soumis à la menace d’une peine éternelle…est religieux, le lieu où, selon les statuts romains, un corps entier ou la tête d’un homme est enseveli…” 50 . Ces auteurs du Moyen Âge central, Lauwers, op. cit. à la note 35. “De locis venerabilis et eorum diversitate. Locorum ergo venerabilium alia sunt orationi dicata, alia humane necessitati deputata…”, Iohannis Beleth, Summa de Ecclesiasticis Officiis, H. Douteil ed., “Corpus Christianorum – Continuatio Mediaevalis XLI A”, Turnhout, 1976, p. 4. 49 “Locorum autem, que orationi sunt dicata, alia sunt sacra, alia sancta, alia religiosa. Sacra loca sunt, que per manus pontificum sunt rite dicata et Deo sanctificata, que diversis vocantur nominibus, istis scilicet : Ecclesia, sacrarium, sacellum, templum, oratorium…basilica”, ibid., p. 5. 50 “locorum itaque alius est sacer, et qui per manus pontificis est Deo dicatus, ut ecclesia, alius sanctus, ut qui servitoribus ecclesiae deputatur, de quo sub interminatione aeternae poenae sanctium est, ne quis 47 48
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comme d’autres après eux – tel Guillaume Durand dans son Rationale dans la seconde moitié du XIIIe siècle -, ont proposé une définition élaborée de l’espace sacré et de sa typologie, fruit du long processus de réflexion sur l’espace sacré et le lieu de culte initié depuis les premiers siècles chrétiens et porté à maturité à l’époque carolingienne 51. Dans son fameux traité liturgique, le Liber officialis, Amalaire de Metz consacre un long paragraphe à la définition du “lieu de l’Église” (De situ ecclesiae) où prédominent largement les modèles bibliques vétérotestamentaires, notamment le temple de Salomon : “Ecclesia est convocatus populus per ministros ecclesiae ab eo qui facit unianimes habitare in domo. Ipsa domus vocatur ecclesia, qui ecclesiam continet…Iosephus simili modo nominat domum quam aedificavit Salomon ad suum opus dicens …” 52. A côté de cela, Amalaire s’intéresse de près à la répartition des différentes catégories de personnes dans le lieu de culte, en particulier dans les églises monastiques. La référence aux lieux de culte bibliques ne surprend évidemment pas sous la plume d’Amalaire, étant donné le fort ancrage de l’époque carolingienne et de sa littérature exégétique dans la connaissance du texte biblique et de son allégorèse53. À la même époque, Walafrid Strabon souligne, lui aussi, avec force l’importance des différents lieux de culte décrits dans les récits vétéro-testamentaires, au premier rang desquels on trouve le temple de Salomon et le tabernacle confectionné par Moïse, pour forger et penser le “lieu de culte”, l’espace sacré chrétien. Sur ce sujet, Walafrid semble s’inspirer de la dense dissertation consacrée aux lieux bibliques et à leur typologie de Raban Maur dans l'une de ses oeuvres majeures, le De Universo. On y retrouve les mêmes “monuments” et “lieux” phares des textes vétéro-testamentaires ainsi que certains dont il est question dans le Nouveau Testament, tel par exemple le lieu du calvaire, le Golgotha 54. De son cru, Walafrid nous livre une riche et intéressante typologie du lieu de culte, à l’instar de ce que Jean Beleth offrira quelques siècles plus tard. Dans la typologie de Walafrid, on trouve la domus (la violare presumat…Alius religiosus, ubi secundum statuta romanorum corpus integrum, aut caput hominis sepelitur…”, PL, 213, col. 428 (traduction de M. Lauwers, art. cit. à la note 35, p. 1053). 51 Cf. Iogna-Prat, op. cit. à la note 39, p. 301-308. Voir aussi les riches réflexions de Bruno de Segni, Sententiae, lib. I, PL. 165, col. 895-896. 52 Amalarii episcopi. Opera liturgica omnia, I.M. Hanssens ed., “Studi e Testi 139”, Città del Vaticano, 148, LO, III, c.2, p. 261-265. 53 M. Lauwers, “De l’Église primitive aux lieux de culte. Autorité, lectures et usages du passé de l’Église dans l’Occident médiéval (IXe-XIIIe siècle)”, L’autorité du passé dans les sociétés médiévales, “Collection de l’École française de Rome – 333”, Rome, 2004, p. 297-323. 54 PL. 111, col. 367-370.
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maison), le temple, le tabernacle, la basilique, le cimetière, la crypte, entre autres, mais aussi et surtout l’autel pour lequel Walafrid s’attache à différencier l’ara de l’altare 55. Pour ce qui concerne l’autel et la définition du lieu de culte chez ces auteurs médiévaux, je note simplement ici, car il me faudra longuement revenir sur ce point plus loin dans ce livre, qu’à maintes reprises l’autel sert de point focal pour définir le lieu du rituel, l’espace sacré. Cette exégèse sur l’autel en relation avec le lieu de culte provient pour une part du droit canon comme l’atteste à sa manière Burchard de Worms dans son Décret du premier quart du XIe siècle lorsqu’il affirme que l’autel consacré fonde l’Église : “De Ecclesiis et altaribus, ubi aliqua dubitatio est de consecratione, ut consecrentur. Ut Ecclesiae vel altaria quae ambigua sunt de consecratione, consecrentur, et ut superflua altaria destruantur”56. Dans l’ensemble du vocabulaire employé durant le haut Moyen Âge pour désigner l’espace sacré ou le lieu de culte, on est frappé par la fréquence du mot “locus” aussi bien, comme on vient de le voir, dans l’exégèse liturgique, que dans des textes appartenant au genre épistolaire ou législatif. Dans la vaste correspondance de Pierre Damien au XIe siècle, on trouve plusieurs acceptions possibles pour l’usage de “locus” et, dans de rares cas, l’auteur utilise ce terme pour désigner le lieu de la célébration liturgique : “Sollerter ergo se quisque metiatur, ne locum sacerdotalis officii suscipere audeat…” 57. Parmi les nombreuses informations en tout genre qui fourmillent dans les capitulaires épiscopaux du haut Moyen Âge, on rencontre d’utiles précisions sur les “lieux saints” et les “lieux de culte” declinés à partir d’expressions telles que “locus consecratus”, “locus ecclesiasticis”, “loca divino cultui”, loci sacri” ou bien encore “locus sanctis”. Ainsi, dans le premier capitulaire de Théodulf d’Orléans, il est mentionné que “Non debere ad ecclesiam ob aliam causam convenire nisis ad laudandum deum et eius servitium faciendum. Disceptationes vero et tumultus et vaniloquia et ceteras actiones ab eodem sancto loco penitus prohibenda sunt” 58. Dans les Capitula Frinsingensia tertia, il est question cette fois des “lieux ecclésiastiques” : “Admonemus, ut unusquisque presbiter populum sibi, subiectu instruat et ei ex auctoritate canonica praecipiat, ut dies dominicos seu festivitates sanctorum diligenti cura observare 55 Walahfrid Strabo’s, Libellus de exordiis et incrementis quarundam in observationibus ecclesiasticis rerum, “Mittellateinische Studien und Texte – XIX”, A. L. Harting-Correa ed., Leiden, New York, Köln, 1996, p. 64-69. 56 Decretum, Lib. III, PL. 140, col. 675. 57 Die Briefe des Petrus Damiani, herausgegeben K. Reindel, MGH, “Die Briefe der deutschen Kaiserzeit IV”, Teil 1, München, 1983, p. 316. 58 MGH, Capitula episcoporum, P. Brommer ed., Hannover, 1984, p. 110.
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et celebrare studeat; et in illis diebus prohibeat populum, ne aliquod servile agat; collocutiones et placita inter ecclesiastica loca illis diebus, ne habeat, omnimodis coherceat” 59. Dans les Capitula Vesulensia, du IXe siècle, le lieu du rituel est défini à partir de la nécessité de célébrer dans un lieu consacré : “Ut nullus presbiter sacra misteria nisi in locis consecrates pro contemptu ecclesiae agere praesumat” 60. À propos de la réglementation en matière de sépulture dans les églises, un canon du capitulaire d’Atton de Verceil donne les précisions suivantes : “Antiquus in his regionibus in ecclesia sepeliendorum mortuorum usus fuit et pleraque loca divino cultui mancipata et ad offerendas deo hostias praeparata cimiteria sive poliandria facta sunt” 61. Enfin, l’expression “loci sacri” est employée à maintes reprises dans différents capitulaires épiscopaux pour désigner le lieu de la liturgie : “Hic in romana synodo constitutum est omnium cum consensus synodi, ut nullus presbiter missas nisi in sacratis ab episcopo locis caelebrare praesumat iuxta illud, quod scriptum est : Vide, ne offeras holocausta tua in omni loco, que videris, sed in loco, quem elegerit dominus, ut ponat nomen suum ibi, qui particeps de cetero sui voluerit esse sacerdotii et pietatis affectus; nisi manga necessitas preoccupaverit, et hoc cum iudicio episcopi fiat” 62, ou bien encore : “Quinto statutum est, ut omnis presbiter qui tam in plebe quam etiam in titulo residet, sollicitudinem suae ecclesiae, in restauratione videlicet murorum et in tectis desuper et laqueariis faciendis. Et in singulas noctes, in quantum potuerit, luminaria in sacris locis amministratre prevideat et divina procurare officia” 63. Ces passages extraits des capitulaires épiscopaux du haut Moyen Age où l’on relève de multiples déclinaisons du “locus sacratus” pour désigner le lieu de culte soulignent avec force l’importance du vocable “locus” dans la terminologie du lieu rituel et de l’espace sacré. Tel ne sera pas l’usage exclusif de ce mot au Moyen Âge car on le rencontrera fréquemment aussi pour désigner le monastère dans des textes portant sur la fondation, la construction ou bien la consécration de monastère 64. Ceci n’a rien de surprenant si l’on considère la forte polysémie qui domine le vocabulaire médiéval dans son ensemble et celle attachée au mot “locus” 65. Paul Zumthor a jadis rappelé que les langues médiévales ne possédaient pas de mots permettant d’exprimer Cap. Ep., III, R. Pokorny ed., Hannover, 1995, p. 225. Ibid., p. 352. 61 Ibid., p. 273. 62 Ibid., p. 268. A propos du même thème, cf. Cap. Ep. I, p. 110-111. 63 Ibid., p. 315. 64 A. Dimier, “Le mot locus employé dans le sens de monastère”, Revue Mabillon, 58, 1972, p. 133-154. 65 Voir les remarques d’A. Guerreau à propos des différentes acceptions de via, iter, locus, ascendere, progredi dans la littérature hagiographique, “Le champ sémantique de l’espace 59 60
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notre idée d’espace et que les langues romanes avaient hérité du latin “locus” qui désigne l’emplacement où se trouve un objet déterminé 66. À la frontière entre les textes liturgiques et ceux règlementant la vie des moines à l’intérieur des monastères du haut Moyen Âge et du Moyen Âge central, les coutumiers monastiques présentent dans certains cas des emplois intéressants des vocables locus et spatium 67. Dans ces textes, le locus désigne tout lieu particulier où une action précise est amenée à se dérouler et la connotation strictement liturgique du locus n’y apparaît que rarement, comme par exemple dans cette extrait des coutumes de Saint-Maximin de Trèves où il s’agit de désigner le lieu où repose le Saint-Sacrement : “…dominus abbas tres cruces cum monstrantia infert seu facit et statim praeeuntibus ministris reponit sacramentum ad locum suum”68. Dans d’autres coutumiers, comme celui de l’abbaye d’Afflighem du XIe siècle, l’emploi respectif de “locus” et de “spatium” permet, dans le premier cas, de désigner des espaces du monastère, dans le second cas, il s’agit plutôt de repérer la désignation d’un lieu physique ou bien d’un espace temporel dans le déroulement des rituels 69. Cette polysémie du vocabulaire employé pour désigner l’espace se rencontre également dans les actes de consécration d’églises catalanes qu’a étudiées Michel Zimmermann 70. Dans ces textes qui font apparaître le rituel de consécration comme une réalité juridique, le vocabulaire varie et montre l’usage de “locus” comme de “domus” ou bien celuis d'“ecclesia” pour désigner le lieu de culte consacré. Dans l’Antiquité déjà, on note cette même polysémie avec toutefois d’importantes différences, étant donné ce que l’on sait de l’évolution du lieu de culte à proprement parler qui, comme l’a à juste titre récemment rappelé Claire Sotinel, s’est progressivement déplacé de l’espace privé des maisons vers les églises martyriales ayant fait l’objet d’une sacralisation par le rituel de consécration 71. dans la vita de saint Maieul (Cluny, début du XIe siècle)”, Journal des Savants, 1997, p. 363-419. 66 Zumthor, La mesure..., cité à la note 10, p. 51. 67 Les remarquables éditions de coutumiers monastiques dans la série du Corpus Consuetudinum Monasticarum (1957- ) permettraient une enquête exhaustive sur l’emploi des mots pour désigner les lieux de culte dans l’espace monastique. Pour ma part, je me suis ici simplement livré à un rapide sondage. 68 CCM, V, 1968, p. 134-135. 69 CCM, VI, 1975, p. 377 et 392. 70 M. Zimmermann, “Les actes de consécration du diocèse d’Urgell (IXe-XIIe siècle) : la mise en ordre d’un espace chrétien”, Le sacré et son inscription…, cité à la note 9, p. 301-318. 71 C. Sotinel, “Les lieux de culte chrétien et le sacré dans l’Antiquité tardive”, Revue de l’histoire des religions, 222, 2005, p. 411-434 et “Locus orationis ou domus Dei ? le témoignage
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Le lieu de culte, l'espace sacré et les rituels de l'autel portatif : définition des concepts et cadre problématique Les rituels de plein air nécessitant l’usage de l’autel portatif suggèrent de mener une réflexion approfondie sur l’anthropologie de l’espace sacré et du lieu de culte. En complément et à la suite de ce que j’ai rappelé dans les pages précédentes de ce chapitre concernant la façon dont les textes du Moyen Âge donnent à “voir” et à “penser” l’espace sacré, il me faut procéder à quelques rappels touchant la relation “naturelle” ou pas entre le christianisme et le lieu de culte, d'une part, et l'espace sacré, d'autre part 72. Pendant les trois premiers siècles chrétiens, le lieu de culte se résume essentiellement aux maisons d’habitation. Dans la perspective chrétienne en effet, le lieu de culte est avant tout un espace de rassemblement de la communauté pour la prière et un lieu d’enseignement. Les textes liturgico-canoniques des premiers siècles “pensent” le lieu de culte à partir de l’organisation des fidèles pendant la liturgie. Dans la conception du lieu de culte chrétien, le tournant se produit aux IVe et Ve siècles avec l’apparition des églises martyriales, considérées comme des lieux saints, et le développement des lieux de mémoire, associés en Terre sainte aux principaux événements de la vie du Christ ou bien aux tombes des martyrs. Dans ce contexte, il est inapproprié de penser le lieu de culte chrétien dans les premiers siècles comme un espace sacré, car, comme l’a à juste titre rappelé Claire Sotinel, l’existence de lieux de culte dans le christianisme ne va pas de soi, étant donné la forte tradition, depuis les évangiles, contestant la possibilité de lieux privilégiés dans la relation à Dieu. C’est cependant autour du IVe et du Ve siècle que le christianisme va penser les lieux saints en terme d’espace sacré. Pour R. Markus, l’élaboration d’une géographie du sacré chez les chrétiens s'accompagne du souhait de combler ce qui pourrait les séparer de l’Église des martyrs, réalisant ainsi une projection géographique de la sacralisation du temps 73. Dans ce processus de sacralisation de l’espace rituel chrétien, Markus ajoute que les lieux mémorables du christianisme n’ont pas de sainteté intrinsèque et qu'en conséquence, ils sont amenés à devenir sacrés au moment où de Zénon de Vérone sur l’évolution des églises (Tractatus II, 6)”, Studia Patristica, XXIX, 1997, p. 141-147. 72 Sur tout ceci, voir les travaux de Claire Sotinel cités à la note précédente. 73 R.A. Markus, “How on Earth Could Places Become Holy ? Origins of the Christian Idea of Holy Places”, Journal of Early Christian Studies, 2, 1994, p. 257-271. Voir aussi J.E. Taylor, Christians and the Holy Places, Oxford, 1993.
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ils prennent place dans la conception de l’historicité chrétienne et de ses liens avec “l’histoire des événements bibliques”. Par la suite, le déroulement de rituels dans ces lieux de culte va fortement contribuer à leur sacralisation, de même que, de façon plus générale, le développement des rituels de consécration des espaces liturgiques. Ce double phénomène de sacralisation du lieu de culte chrétien et de développement d’un rituel de consécration après le Ve siècle amène-t-il pour autant à penser que le christianisme va dorénavant considérer l’espace sacré exclusivement à partir de la polarisation sur l’église-bâtiment ? Je ne le crois pas et l’étude de l’espace sacré et du lieu rituel à partir de l’autel portatif va montrer l’harmonieuse combinaison entre une conception du lieu rituel polarisé sur l’espace intérieur de l’église et l’intérêt jamais démenti pour les liturgies de plein air se déroulant à l’extérieur de tout bâtiment consacré. Paul Zumthor a insisté sur l’idée que tout lieu, quel qu’il soit, est en effet susceptible d’être investi par le sacré 74. Néanmoins, la conception médiévale de l’espace sacré accorde la prééminence à l’idée selon laquelle le “lieu bâti” (l’église) polarise la sacralisation de l’espace. Cette façon de concevoir les choses correspond à l’idée généralement répandue selon laquelle le lieu humain est pensé et vécu comme un espace clos qui serait mis en opposition avec la terre nue, le paysage. Or cette opposition implique de repenser la relation entre le “dedans” et le “dehors”, ou bien encore celle entre “l’ici” et “l’ailleurs”, pour reprendre les expressions de Paul Zumthor. À la manière de Gaston Bachelard et son interprétation phénoménologique de l’espace 75, Zumthor suggère une complémentarité par nature entre ces “différents” espaces intérieurs et extérieurs, ces espaces du dehors et du dedans, du bâti et de la nature. Cette complémentarité tient avant tout à la définition de la sacralité qui passe autant par la vue, l’ouie et les autres sens que par l'inscription du sacré dans un espace défini (le lieu de l’église consacrée ou les “lieux de mémoire” des événements du Christ et des martyrs chrétiens). Si l’on poursuit dans cette voie de la lecture phénoménologique de l’espace au sens général et de l’espace sacré chrétien en particulier, on doit s’arrêter sur le fait que le christianisme opère une distinction, bien visible dans l’étude du vocabulaire relatif au lieu de culte, entre le lieu, le “locus” et l’espace. Le lieu implique la polarisation, car il s’agit d’un “point” parmi d’autres dans l’espace, tandis que ce dernier est “entre deux” : un vide “à rem Zumthor, op. cit. à la note 10, p. 51 et ss. G. Bachelard, La poétique de l’espace, Paris, 1957.
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plir” pour reprendre la belle formule de Paul Zumthor 76. Et l’on verra l’importance de cette distinction dans la construction de l’espace rituel chrétien à partir des autels portatifs, en permanence balancée entre la polarisation du “lieu de culte” et la dilatation à l’infini de l’espace de la liturgie à partir du “locus”, du point dans l'espace qu'est le lieu de culte. Comme l’a rappelé Jérôme Baschet, la conception médiévale de l’espace est aussi marquée par la vision aristotélicienne selon laquelle le “lieu” se définit à partir de ce qui est en lui, car le “lieu”, c’est l’endroit où l’on est 77. L’espace se trouve, quant à lui, compris entre deux points. À partir de là, l’Église pense essentiellement l’espace à partir de l’articulation entre le local (le point, la polarisation du lieu de culte consacré) et l’universel (l’espace infini du christinanisme compris entre les points et rassemblant en même temps l’ensemble des lieux consacrés). En d’autres termes, l’espace sacré du christianisme médiéval négocie sans cesse la bonne complémentarité entre l’intérieur (de l’espace bâti) et l’extérieur (le lieu de culte en dehors du bâtiment-église), entre la stabilité (de l’église) et la mobilité (celle rendue possible par l’utilisation de l’autel portatif), entre l’idée de la polarisation du lieu de culte (concrétisée par la définition d’espaces rituels consacrés) et celle de la dilatation de l’espace sacré jusqu’aux confins de l’espace naturel où le royaume du Christ doit s’établir. La conception large, voire élargie, de l’espace sacré chrétien et des rituels qui s’y déroulent m’amène à opérer une distinction entre le temple bâti, le temple intérieur de l’Homme, et le temple de la nature que les théologiens médiévaux ont pensé en termes de complémentarité. Chacun de ces temples illustre à sa manière ce que Jean-Yves Hameline a proposé d’appeler le “site cérémoniel” 78. Pour résumer sommairement la pensée de l’auteur, il faut mettre l’accent sur l’idée que le “site cérémoniel” est en fin de compte un lieu de transit où s’exprime le rapport entre l’illusion et le réel de l’espace sacré, parfois matérialisé par un bâtiment (une “marque” matérielle de ce lieu de transit), parfois simplement présent dans l’espace de la nature ou bien encore “construit” dans et par un espace mental, l’espace intérieur de l’Homme. D’une certaine manière, en suivant ou en interprétant Jean-Yves Hameline, on pourrait presque affirmer que l’espace sacré en tant que tel, sui generis, n’existe pas Zumthor, op. cit. à la note 10, p. 51. Baschet, op. cit. à la note 2, p. 319 et ss. 78 J.-Y. Hameline, Une poétique du rituel, Paris, 1997, voir notamment p. 53 et ss. et 100 et ss. 76 77
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mais que c’est en fin de compte la complémentarité entre les différents lieux de transit précédemment décrits et formant le “site cérémoniel” qui permet le mieux de définir l’espace sacré. La conception du “lieu de transit” qui vient d’être décrite se révèle fort proche de la sémiotique décryptée jadis par Edward Hall dans sa brillante analyse sociologique du concept d'espace 79. En effet, partant du principe sociologiquement fondé qui vise à considérer le lieu comme un objet de civilisation – aussi bien pour les humains que pour le genre animal – , Hall s’interroge sur le réel et l’illusion dans la perception et la définition de l’espace. Au final, on peut considérer qu’en matière d’espace, tout part d’un point de vue relatif, sans cesse changeant de perspective et permettant de comprendre la relation entre l’environnement fixe et l’espace mobile, entre les différents types de distance ou bien encore permettant de cerner la nature fondamentalement dynamique de l’espace. Or, bien que l’Homme soit amené à organiser son espace de vie et son espace social à partir de ce que Hall nomme “l’organisation fixe”, il n’en demeure pas moins fondamental de pouvoir exprimer sa relation dynamique à l’espace et son relativisme généralisé. Ainsi, j’en viens à émettre l’hypothèse que le Moyen Âge chrétien, par l’intermédiaire de ces théologiens principalement, a pensé l’espace sacré en termes dynamiques et complémentaires où il a fallu trouver la bonne articulation entre l’espace du temple de pierres (l’église), le temple intérieur de l’Homme, que l’on peut aussi considérer comme un “site cérémoniel” où se défini l’espace sacré du rituel, et le temple de la nature, c’est-à-dire l’espace sacré infini et illimité du christianisme. Aux yeux des théologiens, des liturgistes et des canonistes, l’autel portatif touchent précisément à toutes ces questions fondamentales ainsi qu'à celle analysant la relation entre la fixité et la mobilité du lieu de culte, ou bien encore celle concernant la conception de l’espace ecclésiologique, compris seulement entre les murs des églises, ou bien étendue au-delà des limites matérielles des bâtiments construits pour la célébration. Dans ce contexte, je serai tenté d’opérer une distinction entre l’espace liturgique « concret », « réel » – celui du déroulement des rituels, consacré et destiné à marquer la polarité de l’Église en des “lieux de culte” –, l’espace liturgique « mental », « spirituel » développé notamment dans les traités 79 E. Hall, La dimension cachée, tr. fr., Paris, 1971. En complément du livre de Hall, on pourra aussi consulter les riches réflexions de Marc Augé relatives à la notion d'espace et à celle des “non-lieux”, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, 1992, sp. p. 105 et ss.
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exégétiques sur la liturgie et enfin l’espace rituel infini dans la nature80. Pour illustrer ce propos, je voudrais simplement mentionner et rapidement commenter un passage extrait d’une homélie sur la dédicace de l’église composée par Raban Maur au IXe siècle : « Vous voici tous réunis, mes chers frères, afin que nous puissions consacrer cette maison à Dieu(…). Mais nous ne pouvons le faire que si nous nous appliquons à devenir nous-mêmes un temple de Dieu, et nous employons à correspondre au rituel que nous cultivons en notre âme en sorte que, à l’instar des murs décorés de cette église, des bougies allumées, des voix qui s’élèvent dans la litanie et dans la prière, des lectures et des chants, nous puissions mieux rendre grâce à Dieu : c’est pourquoi nous devrions toujours décorer les recoins secrets de notre âme des ornements essentiels des bonnes œuvres, toujours laisser croître côte à côte la flamme de la charité divine et celle de la charité fraternelle, toujours laisser résonner à l’intérieur de notre cœur et la douceur sainte des préceptes divins et la gloire de l’Évangile. Ce sont là les fruits de l’arbre prospère, là le trésor d’un cœur bon, là les fondations d’un sage architecte, que notre lecture de l’Évangile sainte à recommandés à notre âme aujourd’hui » 81. À propos de ce passage, Mary Carruthers a développé l’idée selon laquelle les images matérielles, « visuelles », reflèteraient les constructions mentales de la pensée médiévale en se fondant surtout sur la notion de mémoire. Ainsi, les images seraient amenées à « fonctionner » comme de véritables repères mnémotechniques participant à l’expression d’une pensée. Cette idée, on le voit, écarte la lecture strictement fonctionnaliste des images médiévales. À ces réflexions de Mary Carruthers, j’ajouterai pour ma part que le passage de l’homélie composée par Raban Maur souligne, je crois, que les images sont considérées comme des « lieux » 80 Voir les développements que j’ai proposés dans “Territoire, territorialité, espace, lieu : l’apport de la liturgie à une définition de l’espace rituel au Moyen Âge”, Actes du colloque… cité à la note 3 (sous presse). 81 “…bene convenistis hodie, fratres charissimi, ut Deo domum dedicaremus, ipso jubente ac dicente : Facite mihi sanctuarium, et habito in medio vestri, dici Dominus Deo. Sed hoc digne facimus si ipsi Dei templum fieri contendimus, si studemus congruere solemnitati quam colimus ; ut sicut ornatis studiosus eiusdem ecclesiae parietibus, pluribus accensis luminaribus, diversis per litanias et preces, per lectiones et cantica, excitatis vocibus, Deo laudem parare satagerimus : ita etiam penetralia cordium nostrorum semper necesariis bonorum operum decoremus ornatibus, semper in nobis flamma divinae pariter et fraternae charitatis augescat, semper in secretario pectoris nostri coeslestium memoria praeceptorum et evangelicae laudationis dulcedo sancta resonet. Hi sunt enim fructus bonae arboris, hic boni thesaurus cordis, haec fundamenta sapientis architecti, quae nobis hodierna sancti Evangelii lectio commendat ». Traduction française extraite du livre M. Carruthers, Machina memorialis. Méditation, rhétorique et fabrication des images au Moyen Âge, Paris, 2002, p. 342 (texte latin dans PL., 110, col. 73-74).
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du rituel dont elles constituent la dimension visuelle 82. En effet, plutôt que de restreindre les images rituelles à des objets purement fonctionnels qui constitueraient la « Bible des illettrés », selon la rhétorique fortement ambiguë de Grégoire le Grand dans sa lettre à Serennus de Marseille, il faudrait plutôt les considérer comme les éléments constitutifs de la dimension visuelle du rituel de l’Église, c’est-à-dire la liturgie. Dans ce cadre, les images rituelles apparaissent, au même titre que les chants, que les lumières des bougies, que les lectures bibliques (pour reprendre la description de la « performance » liturgique faite par Raban Maur), comme des « lieux » d’expression du sacré, comme des « lieux de communication du sacré » destinées, in fine, à servir de modèle à l’homme qui participe à la liturgie, de manière à l’inciter à être lui-même, une « image » du temple de Dieu et à y cultiver les ornements de son cœur, reflétés dans le rituel par tout ce qui le constitue et notamment les images. Autrement dit, Raban Maur suggère d’une certaine manière que l’homme est luimême un espace rituel, au fond de lui, à l’intérieur de son cœur et de son âme, car, en pratiquant la liturgie « réelle », « concrète » – c’està-dire le rituel dans toutes ses dimensions sensibles – il est amené à devenir le temple de Dieu ou du moins, une image du temple de Dieu. D’une certaine manière, on peut affirmer que Raban Maur saisit l’occasion d’une homélie composée pour la dédicace de l’église, et sans doute prononcée lors du rituel de consécration, pour établir un lien entre le temple bâti, l’église consacrée lors de la dédicace, et l’autre espace sacré qu’est le temple intérieur de l’Homme, lui aussi, d'une certaine manière consacré lors de ce rituel de la dédicace du lieu de culte chrétien 83. Comme on va le voir dans ce livre, la relation dialectique entre l’espace « réel » de la liturgie, celui de nature plus symbolique de « l’espace intérieur » de l'Homme, et enfin l’espace de la nature est, me semble-t-il l’un des points essentiels de la définition de la notion d’espace de la liturgie médiévale. Les relations entre l’espace sacré des rituels et la nature au Moyen Âge n’a semble-t-il pas particulièrement retenu l’attention des médiévistes. Une étude sur l’espace sacré et le lieu rituel considérés à partir des pratiques liturgiques de l’autel portatif ne peut passer sous silence Cf. Palazzo, art. cit. à la note 25. Dans le haut Moyen Âge, la construction intérieure de l’homme pouvait aussi tirer parti de la “peregrinatio-errance” qui occupe une place importante dans la littérature monastique ainsi que l’a bien montré Jean-Marie Sansterre, “Attitudes à l’égard de l’errance monastique en Occident du VIe au XIe siècle”, Voyages et voyageurs à Byzance et en Occident du VIe au XIe siècle, Genève, 2000, p. 215-234. 82 83
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cet aspect de la problématique général, et je dirai même qu’il en constitue l’un des aspects majeurs. Dans son opus auquel j’ai déjà maintes fois fait allusion, Paul Zumthor considère la nature en opposition aux édifices bâtis, sans jamais toutefois perdre de vue que les bâtiments, dont les églises, prennent place dans l’espace de la nature avec laquelle, d’une certaine manière, ils sont amenés à interagir en opposant, par exemple, le dehors et le dedans 84. Dans la définition théorique que Jean-Yves Hameline propose du “site cérémoniel”, la nature, ou, plus exactement, le paysage et la géographie entrent fortement en ligne de compte et constituent une part possible du “site cérémoniel” où s’exerce la relation dialectique entre l’illusion et le réel 85. Dans leur belle synthèse de nature historiographique, Sarah Hamilton et Andrew Spicer se posent à juste titre la question du type de relation existant au Moyen Âge entre le sacré et la nature, ou plus précisément l’espace naturel, étant donné que cette relation peut revêtir de multiples formes et significations selon les cultures et les idéologies qui les animent 86 . En d’autres termes, le danger est réel de voir projeter sur l’époque médiévale notre perception de la nature et sa place dans la culture occidentale contemporaine. Je suivrai ces deux mêmes auteurs lorsqu’ils affirment que ce n’est qu’au Xe-XIe siècle que l’Église prit véritablement possession du paysage avec le développement de la construction d’églises et l’impact qu’elles pouvaient créer sur la perception du paysage 87. Analysant les actes de consécration d’églises du diocèse d’Urgell entre le Xe et le XIIe siècles, Michel Zimmermann a relevé que ces textes ne parlaient pas seulement du rite de dédicace et de consécration, mais aussi de la définition et du repérage d’un espace à la fois symbolique et géographique, d’un territoire médiateur du salut 88. Dans cette direction, l’auteur conclut à la nécessité de ne pas réserver à la seule église le qualificatif d’espace sacré, car le bâtiment irradie à l’extérieur, dans le paysage naturel, la sacralité qui le caractérise à la suite du rituel de dédicace et de consécration 89. On verra un Zumthor, op. cit. à la note 10, p. 91 et ss. Hameline, op. cit. à la note 78, p. 102. 86 Hamilton et Spicer, art. cit. à la note 43, p. 4-5. 87 Voir à ce sujet différentes contributions réunies dans The White Mantle…, cité à la note 16. Cet engouement pour les constructions d’églises s’est accompagné, comme l’a justement fait remarqué Dominique Iogna-Prat, par l’apparition du genre littéraire du De constructioneDe consecratione, Iogna-Prat, op. cit. à la note 39, p. 345-350 ainsi que “Les moines et la “blanche robe d’églises” à l’âge roman”, XXX semana de estudios medievales, julio 2003, Pamplona, 2004, p. 319-347. 88 Zimmermann, art. cit. à la note 70, p. 310-311. 89 Ibid., p. 317-318. 84 85
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peu plus loin l’intérêt que représente cette notion d’irradiation du sacré non plus à partir de l’église mais de l’autel portatif. À l’époque carolingienne, les Libri carolini affirment clairement que Dieu est présent partout dans le monde et qu’il n’est pas plus dans un lieu de culte qu’ailleurs 90. Cette idée rappelle la façon dont est exprimée avec plus de force encore dans un passage des Actes de Apôtres le fait que le Seigneur ne réside pas dans les temples : “Le Dieu qui a créé l'univers et tout ce qui s'y trouve, lui qui est le seul Seigneur du ciel et de la terre, n'habite pas des temples construits par la main des hommes” (Actes des Apôtres, 17, 24). Toujours selon ce célèbre traité carolingien sur les images, le lieu de culte n’est pas spécialement “la Maison Dieu”, car le Seigneur est accessible partout, là où l’homme peut entrer en contact avec Lui, même si les lieux saints, par exemple l’église, ont été réservés au culte divin (“loca sancta divino cultui mancipata”) 91. Pour mieux saisir la relation entre la nature et le sacré au Moyen Âge, arrêtons nous un instant sur la façon dont la nature était perçue et interprétée par les théologiens médiévaux 92. Dans ce cadre, il ne fait aucun doute que, dans la perspective théologique chrétienne, la nature faisait partie de la création divine et qu’à ce titre, la signification qu’elle revêtait relevait de l’interprétation du récit de la création au livre de la Genèse. Pour illustrer ce propos, prenons un seul exemple qui ne nous fait pas remonter au-delà de l’époque carolingienne. La vaste encyclopédie qu’est le De Universo de Raban Maur contient des chapitres entiers consacrés à l’exposé des espaces naturels les plus variés de la terre 93. Même si l’on peut à juste titre penser que, dans ces passages, Raban Maur fait preuve d’une grande connaissance de la nature et du savoir antique, il n’est pas moins fortement marqué par l’interprétation biblique des éléments de la nature qu’il met sans cesse en relation avec tel ou tel passage de l’Ancien Testament, notamment ceux du livre de la Genèse. Quelques siècles plus tard, l’interprétation théologique de la nature et de ses différents éléments en relation avec l’allégorèse biblique sera toujours au coeur de grands textes produits par les théolo90 Sur toutes ces questions, voir la contribution de X. Payet, “L’image des lieux de culte dans les Livres carolins. La question des idées directrices à travers la “Renaissance carolingienne” en architecture”, Texte et archéologie monumentale. Approches de l’architecture médiévale, actes du congrès d’Avignon 30 novembre-1er et 2 décembre 2000, Montagnac, 2005, p. 82-92. 91 Ibid., p. 85. 92 Le volume de la 37e semaine d’étude du Centro italiano di studi sull’alto medioevo de Spolète (1989) ne consacre aucun article spécifique à la théologie de la nature au Moyen Âge, L’ambiente vegetale nell’alto medioevo, Spoleto, 1990. 93 PL, 111, col. 1-614, voir particulièrement les livres XI à XVII.
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giens qui accorderont aussi une certaine place à un forme de naturalisme. Dans son long poème consacré au mot “Natura”, Alain de Lille tente une véritable synthèse entre l’interprétation théologique du passé mettant l'accent, on vient de le voir, sur l'allégorie biblique, et des considérations d’ordre philososphique voire “scientifique” si l’on se réfère, par exemple, à ces allusions au vocabulaire médical 94. Dans un article jamais égalé à ce jour, Marie-Dominique Chenu a retracé l’évolution de la relation entre l’homme et la nature depuis le haut Moyen Âge jusqu’au XIIe-XIIIe siècle 95. Pour le grand érudit dominicain, le XIIe siècle fait apparaître une nouvelle relation entre l’homme et la nature. Sans rien rejeter de l’interprétation théologique de la nature où l’univers est perçu comme un tout, formé dans et par l’action de Dieu. Le naturalisme du XIIe siècle – dont témoigne par exemple les écrits d’Alain de Lille – rend possible la perception de la nature comme une réalité extérieure aux seules considérations théologiques, présente et efficace pour elle-même ainsi que dans sa diversité. Selon le père Chenu, un processus de désacralisation de la nature se produit à partir du XIIe siècle, par le passage de la conception des Mirabilia à celle de l'existence autonome des phénomènes de la vie. Cette nouvelle conception naturaliste de la nature n’est cependant pas incompatible avec la lecture théologique qui en était faite jusque-là. En effet, la cohérence ontologique de la nature mise en évidence par les théologiens du XIIe siècle participe à la cohérence de la grandeur de Dieu et de son action créatrice. Ce syncrétisme entre la conception naturaliste de la nature et sa signfication théologique caractéristique de la seconde moitié du Moyen Âge a récemment été soulignée et analysée par Philippe Descola dans une perspective différente de celle qui avait animée la pensée du père Chenu 96. Dans un remarquable livre destiné à reconsidérer la relation entre nature et culture dans les civilisations humaines qui passe entre autres par une critique acerbe de l’anthropologie moderne occidentale, Descola porte un regard lucide sur la situation médiévale à propos de la relation entre nature et culture 97. De l’origine surnaturelle de la création et de la volonté divine, l’homme tire le droit et la mission d’administrer la terre, de gérer la nature à sa guise, pour son profit. Cependant, en perspective chrétienne, la nature, par sa diversité et l’origine de sa création, PL, 210, col. 431-482. M.-D. Chenu, “La nature et l’homme. La renaissance du XIIe siècle”, La théologie au XIIe siècle, Paris, 1957, p. 20-51. 96 P. Descola, Par-delà nature et culture, Paris, 2005. 97 Ibid., p. 103-105. 94 95
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demeure un domaine appartenant à Dieu qui l’a créée et l’offre à l’homme comme une sorte de livre où celui-ci peut déchiffrer les mystères de la création divine. À côté de cela, le Moyen Âge “n’aura pas démérité”, comme l’écrit Philippe Descola. En effet, l’émergence et le développement de la pensée théologique naturaliste autour du XIIe siècle aura jeter les bases de la cosmologie moderne qui se mettra en place par la suite, tout en la combinant harmonieusement avec la vision “classique” de la transcendance divine et de la place de l’homme dans le dessein divin. Plus fondamentalement, l’essai de Philippe Descola pose avec beaucoup d’acuité et de pertinence la question du rapport entre la nature et la notion d’altérité dans les cultures et les civilisations humaines. Pour le Moyen Âge en effet, la relation de l’homme avec la nature place au centre du débat son attitude face à “l’autre” et à sa perception de l’altérité à travers la nature. Comme on l’a dit, cette relation d’altérité entre l’homme et la nature au Moyen Âge ne peut se comprendre sans prendre en considération la théologie chrétienne qui explique à sa manière la création de la nature et de l’homme. Dans ce contexte, il faut souligner avec force le fait qu’au Moyen Âge, la nature est un “autre” pour l’homme. Qu’elle est fondamentalement “habitée” par le divin et qu’à ce titre elle contient une part du sacré. Dans ce sens, il faut alors la considérer comme un véritable “temple” à côté du temple de pierres et du temple intérieur que l’homme construit en lui. En d’autres termes, l’espace sacré est aussi dans la nature, dans le paysage et pas seulement dans les lieux bâtis consacrés et destinés à accueillir les rituels liturgiques. Ajoutons à cela qu'en tant qu'espace sacré, la nature peut également être le cadre du déroulement de rituels dont ceux célébrés avec l'autel portatif. Simplement, l’homme du Moyen Âge, dans son désir de tout maîtriser, en particulier la nature puisque Dieu le lui a permis, en est venu à considérer l’espace sacré uniquement à partir de l’église-bâtiment construite pour la liturgie et rendue sacrée par l’acte de dédicace et de consécration. Pourtant, même si comme on l’a vu, la notion d’espace sacré appliquée à la nature ne va pas forcément de soi dans le christianisme et ne semble pas, si je puis dire, naturelle, les multiples occasions offertes par les pratiques liturgiques nécessitant un autel portatif et prenant place pour la plupart en milieu naturel, à l’extérieur de l’église, amènent à reconsidérer, d'une part, la relation entre l’Homme et la nature et, d'autre part, la façon dont il est amené à penser l’espace sacré, le lieu rituel dans la nature. J’en veux pour preuve le rôle central tenu par l’espace naturel – souvent il s’agit d’une nature sauvage, hostile comme
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la forêt 98– dans les récits de fondation d’églises et de monastères qui abondent notamment dans la littérature hagiographique. Dans ces textes, l’accent est souvent porté sur la nature comme un lieu où, si je puis dire, le sacré est là, bien qu’en sommeil. La nature y est aussi considérée comme un lieu habité par le divin depuis la création où le sacré qu’il contient se révèle à l’homme dans des événements épiques permettant à celui-ci d’entrer en contact avec “l’autre”, la nature, dans le but, à son tour, de faire valoir le sacré par la construction, puis la consécration d’un espace rituel bâti 99. On l’aura compris, l’autel portatif chrétien constitue un parfait objet d'étude pour cerner la double définition de l’espace sacré et du lieu rituel telle que la théologie médiévale a pu l’énoncer en tenant compte de la relation dynamique entre le temple de pierres, le temple de l’homme intérieur et le temple de la nature. Les autels portatifs et les rituels pour lesquels ils sont utilisés permettent une réflexion approfondie sur la relation entre “lieu rituel”, “espace sacré” et espace naturel, c'est-à-dire la géographie du paysage 100. De même, cet objet offre la possibilité de penser l’espace sacré à partir des notions opposées mais néanmoins complémentaires telles que celles du dedans et du dehors, de l’intérieur et de l’extérieur, du bâti et de la nature, du pôle (avec ce qu’implique l’idée de la polarisation du lieu de culte) et de la dilatation de l’espace, ou bien encore celle de la fixité et de la mobilité. D’une certaine manière, on peut penser que l’étude de l’espace sacré créé à partir des rituels qui mettent en scène l’autel portatif implique une réflexion sur le mode d’organisation de l’espace rituel, à partir d’interactions entre différentes unités emboîtées les unes dans les autres dans un espace multidimensionnel, à l’instar de ce que Philippe Descola a décrit pour la mise en scène de la liturgie d’un village mexicain et où interviennent plusieurs autels mobiles en complément de bâtiment fixes 101. Dans ce cas, l’auteur a conclu a l’élaboration d’un espace rituel où le symbolisme spatial est fortement liée à la connota98 R. Grégoire, “La foresta come esperienza religiosa”, L’ambiente vegetale…, cité à la note 92, p. 663-707. 99 Sur ce thème, voir aussi les textes hagiographiques byzantins et notamment le beau dossier relatif à la vie de Damien le stylite, M. Kaplan, “Le choix du lieu saint d’après certaines sources hagiographiques byzantines”, Le sacré et son inscription dans l'espace..., cité à la note 9, p. 183-198 et du même auteur, “L'espace et le sacré dans la vie de Daniel le stylite”, ibid., p. 199-217. 100 É. Palazzo, “The Role of Nature in the Definition of Sacred Space in Medieval Europe”, Art, Ethics and Environment. A Free Enquiry Into the Vulgarly Received Notion of Nature , Actes du colloque de Selfoss (Islande), juin 2005, Cambridge, 2006, p. 36-44. 101 Descola, op. cit. à la note 96, p. 370-373.
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tion sociale du rituel et fonctionne selon une répartition spatiale segmentée des autels. À plusieurs égards, on pourrait appliquer le même schéma d’analyse pour les rituels mettant en scène les autels portatifs chrétiens dans l’Antiquité et le Moyen Âge, en particulier pour tout ce qui touche à la conception segmentée de l’espace rituel et aux interrelations entre les différents lieux de culte impliqués 102. J’ai déjà ailleurs pointé l’importance de la lecture exégétique faite par les théologiens médiévaux des lieux de culte, des espaces sacrés décrits dans la Bible et en particulier dans l’Ancien Testament pour légitimer les pratiques liturgiques de l’autel portatif 103. J’y reviendrai de façon plus développée et approfondie à plusieurs reprises dans les chapitres du présent livre. Plusieurs passages vétéro-testamentaires mettent l’accent sur la sainteté d’un espace naturel et sa sacralisation par l’intervention divine dont on fera mémoire ensuite par la célébration de rituels. Or, comme on le verra amplement, certains de ces textes – comme le récit du songe de Jacob (Gen. 28, 10-22) – constituent le véritable support pour les théologiens et les canonistes chrétiens leur permettant de justifier l’usage de l’autel portatif. Ces textes bibliques posent en des termes puissants et explicites la relation entre la nature et l’espace sacré concretisé par le déroulement de rituels dans l'espace de la nature 104. En plus de ce que l’exégèse de ces textes rend possible comme pratiques liturgiques avec l’autel portatif, le Moyen Âge aura également à coeur d’intrégrer l’idée de la nature dans la construction des “paysages de lieux symboliques” (tels que les lieux de l’au-delà) avec, en arrière-plan, ces mêmes références bibliques 105. Ajoutons à cela que, comme on l’a déjà noté à propos de l’apparition de l’espace du cimetière, la nature offre de multiples possibilités pour voir se développer et s’installer des lieux rituels venant compléter ou plus exactement, interagir avec l’espace consacré de l’église 106. De tout cela, il résulte que la liturgie de plein air, pour 102 Voir à ce sujet les excellentes pages de R. Suntrup, Die Bedeutung der liturgischen Gebärden und Bewegungen in lateinischen und deutschen Auslegungen des 9. bis 13. Jahrhunderts, “Münstersche Mittelalter-Schriften 37”, Munich, 1978, p. 182-255. 103 É. Palazzo, “L’espace et le sacré dans l’antiquité et le haut Moyen Age. Les autels portatifs”, Cristianità d’Occidente e cristianità d’Oriente (secoli VI-XI), LI settimana di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo, Spoleto 2003, Spoleto, 2004, p. 1117-1160. 104 S. Japhet, “Some Biblical Concepts of Sacred Place”, Sacred Space. Shrine, City, Land, Londres, 1998, p. 55-72. 105 J. Howe, “Creating Symbolic Landscapes. Medieval Development of Sacred Space”, Inventing Medieval Landscapes. Senses of Place in Western Europe, University Press of Florida, 2002, p. 208-223. 106 R. Bradley, “Monuments and Places”, Sacred and Profane. Proceedings of a Conference on Archaeology, Ritual and Religion, Oxford, 1989, Oxford, 1991, p. 135-140. Voir aussi les
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reprendre l’expression employée par Paul Post, offre une typologie rituelle fort riche où l’espace sacré ne dépend pas uniquement de la nature de la liturgie où du symbolisme de tel ou tel lieu naturel, mais où il peut être encore assujetti aux conditions de la topographie du paysage, voire aux conditions climatiques de ce paysage 107. À propos des lieux de culte italiques, Olivier de Cazanove a noté avec justesse l’importance de l’élément naturel dans les descriptions littéraires des lieux consacrés, insistant sur un site caractéristique, mentionnant un mont, un lac ou un bois 108. On pourrait appliquer cette remarque à propos de la création d’espaces sacrés en milieu naturel décrits dans les textes médiévaux, où cependant l’espace est fréquemment marqué par la présence matérielle d’un signe visible du sacré. Tel est par exemple le cas des croix rurales fixées dans la nature des campagnes médiévales bretonnes afin de sacraliser l’espace 109. Dans ce sens, n’est-il pas légitime de considérer les autels portatifs comme autant de marqueurs matériels et visibles de l’espace naturel considéré comme sacré au moment du déroulement du rituel et, parfois, continuant de l’être après la fin des cérémonies ? Si l’on accepte cette idée, il serait judicieux de considérer les autels portatifs comme des signes visibles du sacré dans la nature dont la fonction première n’est pas seulement de permettre le déroulement d’un rituel mais aussi de créer un espace sacré. Dans ce cas, au-delà de la matérialité réelle de l’autel portatif, il faudrait prendre en compte ce qu’il peut représenter du point de vue de la théologie du “signum” telle qu’elle est développée chez les grands auteurs chrétiens – saint Augustin le premier – qui considèrent le “signe” aussi bien dans sa présence physique et sa réalité matérielle
contributions du volume Holy Ground : Theoretical Issues Relating to the Landscape and Material Culture of Ritual Space Objects, Cardiff 1999, “BAR International Series 956”, 2001. On pourra aussi consulter avec profit la contribution de T. Cummins et de J. Rappaport sur la reconfiguration de l'espace civique et de l'espace sacré dans les Andes à l'époque coloniale, “The Reconfiguration of Civic and Sacred Space : Architecture, Image and Writing in the colonial Northern Andes”, Latin American Literary Review, vol. 36, n° 52, p. 174-200 (je remercie Megan Holmes pour m'avoir fait connaître cet article). 107 P. Post, “Paysage rituel : la liturgie en plein air” Questions liturgiques, 77, 1996, p. 174-190. Ce que l’on peut savoir de l’état du climat et de son évolution dans le haut Moyen Âge n’est malheureusement d’aucune aide particulière pour les rituels de plein air, cf. M. Pinna, “Il clima nell’alto medioevo. Conoscenze attuali e prospettive di ricerca”, L’ambiente vegetale… cité à la note 98, p. 431-459. 108 O. De Cazanove, “Les lieux de culte italiques. Approches romaines, désignations indigènes”, Lieux sacré, lieux de culte…cité à la note 9, p. 31-41. 109 Cet exemple est rappelé par L. Gaffuri, “Luoghi di culto e santuari nel medioevo occidentale”, ibid., p. 179-196, sp. p. 183.
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que dans son immanence immatérielle 110. Dans ce sens, l’autel portatif peut être considéré comme un “signum” au sens plein de la théologie du signe, comme un objet materiel concret destiné à la réalisation pratique de rituels dans la nature ou, tout au moins, en dehors de l’église. Si l’on suit cette hypothèse, on comprend mieux que l’autel portatif puisse non seulement sacraliser l’espace naturel lors de la célébration liturgique, mais aussi après qu’elle soit terminée, perpétuant à travers le temps le caractère sacré du lieu, le “locus” où la liturgie s’est déroulée. Ainsi, l’espace sacré localisé dans la nature où l’on a pratiqué une liturgie à l’aide de l’autel portatif se trouve purifié, empli de la présence divine et devient un lieu de l’Église. Comme le rituel de la dédicace de l’église purifie le bâtiment et en fait un lieu consacré, l’autel portatif joue un rôle similaire dans les espaces de la nature qu’il est amené à sacraliser 111. La conception chrétienne du lieu rituel et sa dilatation spatiale Avant de clore ces pages de réflexions théoriques destinées à planter le décor conceptuel de ce livre, il me faut dire quelques mots de ce que j’appelle la dilatation du sacré à partir d’un pôle rituel comme celui que peut constituer le lieu de la liturgie “construit” autour d’un autel portatif, le “locus” du lieu rituel. À ce propos, la dilatation du sacré rendue possible à partir de la sacralisation de l’espace naturel par l’autel portatif n’est pas un phénomène isolé dans la liturgie et la théologie du Moyen Âge. Prenons un exemple de “dilatation” symbolique de l’espace sacré à partir de la topographie liturgique d’une église. En effet, la double vocation liturgique et symbolique de l’espace rituel dans l’église-bâtiment rencontre une parfaite illustration à travers l’église de Cluny II entreprise du temps de l’abbé Maïeul au Xe siècle puis fortement rénovée sous l’abbatiat d’Odilon au XIe siècle. Cet édifice a été construit sur la première église de l’abbaye, celle que les archéologues appellent Cluny A. L’originalité de Cluny II réside avant tout dans l’aménagement de son chevet. Qu’elle ait ou non comporté des cryptes, cette partie de l’église était très développée et comprenait plusieurs absides échelonnées. Ces absides remplissaient de nombreuses fonctions liturgiques mentionnées dans le Liber Tramitis, le coutumier de Cluny rédigé vers 1035-1040 et décrivant les usages liturgiques et monastiques de l’abbaye du temps d’Odilon. 110 N. Staubach, “Signa utilia – signa inutilia. Zur Theorie gesellschaftlicher und religiöser Symbolik bei Augustinus im Mittelalter”, Frühmittelalterliche Studien, 36, 2002, p. 19-49. 111 Voir déjà les remarques de C. Sotinel, art. cit. à la note 71, p. 431.
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Plusieurs autels prenaient place dans le chevet et permettaient aux moines-prêtres de célébrer des messes votives. Le grand nombre de reliques répertoriées dans le coutumier de Cluny suggère un nombre équivalent de petits reliquaires que l’on menait en procession dans l’église lors des principales fêtes de l’année liturgique. Selon Alain Guerreau, cet ensemble impressionnant de reliques constitue une sorte de géographie du sacré. En un seul espace, l’église de Cluny, tous les hauts lieux de la chrétienté sont représentés par l’intermédiaire des reliques : la Palestine, Rome, Saint-Jacques de Compostelle, les cités majeures de la Gaule. Dans ce cas, selon la démonstration convaincante d’Alain Guerreau, l’espace liturgique, destiné à la célébration des différents rituels de l’abbaye de Cluny, se double d’une dimension spatiale de nature à la fois ecclésiologique et politique (ou symbolique) 112. Pour illustrer encore ces propos sur la “dilatation” symbolique de l’espace sacré et de son ecclésiologie, mais considérée cette fois non pas seulement à partir de la topographie liturgique d’une église spécifique, mais prenant aussi en compte l’espace en dehors du bâtiment, prenons quelques exemples où l'expression de l’ecclésiologie de l’espace sacré est un souci majeur dans la mise en place et le déroulement des rituels. Parmi les nombreux rites unificateurs qui se mettent en place dans l’Église au cours des premiers siècles pour structurer la communauté ecclésiale de la ville, l’envoi du fermentum est l’un des plus significatif 113. Attesté dès la fin du IIe siècle, l’envoi dominical du fermentum, l’eucharistie consacrée par le pape pour la communion des fidèles dans les églises titulaires, exprime l’unité de l’Église locale urbaine. La visée de ce rite porte sur l’union de l’Ecclesia avec le territoire, l’espace concerné par le fermentum, afin de construire un véritable tissu liturgique urbain. Cette pratique apparaît comme une solution au problème par le morcellement de la cité, en l’occurrence Rome, en plusieurs titres presbytéraux et par l’impossibilité de réunir l’ensemble des fidèles de la même Église en un seul lieu pour y célébrer l’eucharistie dominicale. Ainsi, chaque dimanche, à Rome dans l’Antiquité, ce rite d’union liturgique exprime le lien des prêtres titulaires avec le pape, en même temps évêque local, et l’unité de l’Ecclesia romaine. Dans la célèbre lettre-réponse adressée par le pape Innocent Ier à l’évêque Décentius de Gubbio le 19 mars 112 A. Guerreau, « Espace social, espace symbolique : à Cluny au XIe siècle », L’ogre historien. Autour de Jacques Le Goff, Paris, 1998, p. 171-177. 113 P. Nautin, « Le rite du fermentum dans les églises suburbaines de Rome », Ephemerides Liturgicae, 96, 1986, p. 510-522 et V. Saxer, « L’utilisation par la liturgie...”, art. cit. à la note 29.
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416, le pontifie écrit à propos du fermentum : « Quant au fermentum que nous envoyons le dimanche dans les divers titres, il est superflu pour toi de nous consulter à ce sujet ; chez nous, en effet, les églises sont toutes établies à l’intérieur des murs de la cité. Leurs prêtres qui, ce jours-là, à cause du peuple qui leur est confié, ne peuvent pas célébrer avec nous, reçoivent donc par les acolytes le fermentum confectionné par nous, afin qu’ils ne se sentent pas, surtout ce jour-là, séparés de notre communion. Mais cela, je ne pense pas qu’il faille le faire dans les parties rurales des diocèses, parce que les sacrements ne doivent pas être portés au loin. Nous-mêmes, nous ne les envoyons pas aux prêtres établis dans les divers cimetières ; ces prêtres ont le droit et la permission de les confectionner eux-mêmes » 114. Ce texte offre tout d’abord une définition précise du fermentum en insistant sur sa fonction unificatrice : l’unité du sacrement constitue l’unité ecclésiologique. Ensuite, le pape indique l’inutilité de l’envoi du fermentum dans les campagnes car, dit-il, les sacrements ne doivent pas être portés au loin. Que faut-il comprendre dans cette affirmation ? Dans cette mise en garde, Innocent Ier veut attirer l’attention sur le risque de l’éclatement sacramentel. En effet, l’envoi du fermentum dans les paroisses urbaines ne fait courir aucun risque au sacrement ; bien au contraire, ici, c’est précisément l’éclatement sacramentel qui renforce l’unité ecclésiale de l’urbs. Mais, dans le cas où l’on enverrait le sacrement en dehors, à l’extérieur, du territoire homogène d’une église locale, sa valeur intrinsèque, sacramentelle, serait gravement mise en danger. Autrement dit, l’éclatement sacramentel dans l’espace, au sens ecclésiologique du terme, ne vaut que si l’objectif est de renforcer l’homogénéité ecclésiale d’une église définie comme un territoire clos. A l’extérieur de ce territoire, la validité du sacrement devient d’une grande fragilité. Durant le Moyen Âge, d’autre solutions, parfois fortement connotées sur le plan symbolique, sont apparues pour résoudre le problème de l’adéquation entre l’éclatement sacramentel et la recherche de l’unité ecclésiale d’une église locale à partir de la dilatation de l'espace sacré lors du déroulement du rituel dans un espace liturgique bien déterminé. Vers 976, l’archevêque Adalbéron entreprit des rénovations dans la cathédrale carolingienne de Reims dont l’une des caractéristiques principales était le massif occidental qui, à l’instar du Westwerk de Saint-Riquier, constituait une véritable anté114 La lettre du pape Innocent Ier à Décentius de Gubbio (19 mars 416), texte critique, traduction et commentaire par R. Cabié, « Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique 58 », Louvain, 1973, p. 27-29.
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glise avec sa liturgie propre. Selon le témoignage de contemporains, les rénovations portèrent surtout sur l’antéglise et ont principalement consisté à supprimer ses étages de manière à obtenir un espace « vide ». Les intentions de l’archevêque concernant ces rénovations nous sont connues grâce au témoignage apporté par le rédacteur de la chronique de Mouzon (vers 1033) qui peut être assimilée, selon Michel Bur, à des Gesta Adalberonis 115. Les transformations architecturales voulues par Adlbéron s’expliqueraient par le désir de ce dernier de réinsérer dans l’espace ecclésial de la cité l’église Saint-Denis, proche de la cathédrale et située dans son axe. Cette église recevait la sépulture des chanoines et avait été détruite lors des invasions normandes. Or, elle fut reconstruite hors les murs au début du Xe siècle et placée dans l’axe de la cathédrale, l’église Saint-Denis formait avec cette dernière un espace liturgique homogène ; voici ce qu’en dit le chroniqueur du XIe siècle : « Que dire de l’église de Saint-Denis que cet éminent serviteur de Dieu institua hors des murs de la ville devant les portes de la grande église dédiée à sainte Marie mère de Dieu, afin que, l’entrée de l’une faisant face à l’entrée de l’autre, le célébrant tourné vers l’orient eût toujours devant les yeux au cours de la messe le prêtre officiant dans la cathédrale et que les prières offertes en prémisses par le premier fussent confirmées par l’offrande du second et aussi pour que le premier sentît croître sa dévotion au spectacle qu’il avait sous les yeux tandis que le second, tendu vers l’avant, pût procéder en toute quiétude au sacrifice, sachant qu’il avait derrière lui un ange en armes tout prêt à le protéger ou encore que regardant vers le couchant pour saluer le peuple et dire : le Seigneur soit avec vous, le second, dans sa prière, en invoquant le nom divin, pût bénir le premier avec toute l’assistance ». Aux yeux du liturgiste, la véracité de la description rituelle du chroniqueur importe peu ; il en va de même du désir de savoir si telles étaient bien les intentions recherchées par Adalbéron dans son entreprise de rénovation architecturale. L’essentiel me semble être ailleurs. En effet, le passage de la chronique de Mouzon exprime symboliquement la conscience que les hommes du Moyen Âge avaient de la nécessité de constituer un espace ecclésiologiquement homogène, unifié par la pratique des sacrements, en l’occurrence l’eucharistie. Voulant réintroduire dans 115 M. Bur, « À propos de la chronique de Mouzon. Architecture et liturgie à Reims au temps d’Adalbéron (vers 976) », Cahiers de civilisation médiévale, 27, 1984, p. 297-302. Voir en dernier lieu, J. Glenn, Politics and History in the Tenth Century. The Work and World of Richer of Reims, Cambridge University Press, 2004, p. 30-35.
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l’espace ecclésial de la ville l’église de Saint-Denis reconstruite hors les murs, Adalbéron imagina ce cérémonial, probablement fictif. L’objectif étant alors de montrer sans ambiguité possible l’unité de l’Église de Reims, grâce à l’unité sacramentelle, réalisée dans un espace ecclésial homogène et bien réel, celui de la ville, et dans une église-bâtiment imaginaire, symbolique, c’est-à-dire la cathédrale et l’oratoire Saint-Denis. Cet exemple illustre l’intérêt majeur de la dialectique intérieur-extérieur dans la constitution d’un espace ecclésial, unifié par la pratique liturgique 116. L’espace du cloître constitue un espace privilégié pour l’établissement de la relation entre espace « réel » de la liturgie et sa dilatation vers un espace « symbolique » où peut également être prise en considération la dimension cosmologique de la nature. Un document exceptionnel, datant probablement du XIe siècle, propose une sorte d’organisation idéale de l’espace monastique, différente de celle attestée par le plan carolingien de Saint-Gall et toujours axée sur l’espace du cloître. Il s’agit de la célèbre « Table des étoiles » ou « Horloge stellaire » contenue dans un seul manuscrit vraisemblablement réalisé dans un scriptorium de la vallée de la Loire 117. Au sens strict, l’Horologium stellare monasticum appartient à la documentation astronomique dont on sait qu’elle était très prisée dans les monastères et qui avait place dans l’enseignement scolaire des moines. Le texte concerne l’observation des constellations et leurs différentes positions dans le ciel, variables selon les saisons. La double originalité du document réside dans l’association des informations astronomiques avec le calendrier liturgique – ou, pour être plus précis, les principales fêtes du cycle -, et l’aménagement des bâtiments monastiques. La connaissance par les moines du haut Moyen Âge de la position des astres leur permettait notamment de déterminer l’heure des offices nocturnes, variable selon les saisons. Poussant plus loin la complexité, l’Horologium stellare monasticum indique la position des astres à partir de points de vue fixes, c’est-à-dire les bâtiments monastiques, de telle sorte que les informations d’ordre astronomique fournies par le texte permettent de se représenter l’organisation spatiale d’un monastère. Les 116 La dilatation de l’espace sacré à partir du lieu de culte doit aussi être considérée à propos de la relation entre “l’espace sacré” d’une église ou d’un oratoire intégré au sein d’un espace “profane” comme celui du palais du roi ou de l’empereur. J. Barbier, “Le sacré dans le palais franc”, Le sacré et son inscription…cité à la note 9, p. 25-41. 117 É. Palazzo, « Le calendrier liturgique et l’espace monastique au Moyen Age : l’Horologium stellare monasticum (XIe siècle) », Les calendriers. Leurs enjeux dans l’espace et le temps, Colloque de Cerisy, juillet 2000, Paris, 2002, p. 37-43.
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principaux points d’observation sont le réfectoire, situé au sud de l’espace rectangulaire formé par l’ensemble du monastère, le dortoir à l’est et l’église localisée au nord. Mais le lieu privilégié d’observation semble être une chapelle du monastère peut-être consacrée à saint Aignan ou à tous les saints. Cette horloge stellaire désigne-t-elle un monastère précis ? Plusieurs hypothèses ont été faites à ce sujet et, sans pouvoir trancher de façon certaine, on tient aujourd’hui comme vraisemblable la localisation de ce texte à Fleury. Si l’on a présent à l’esprit que l’observation des étoiles à différentes dates du calendrier liturgique tout au long de l’année se fait de plusieurs endroits différents du cloître et des bâtiments monastiques, il paraît légitime de se demander si ces liens étroits entre les constellations et l’espace du cloître ne cache pas une signification symbolique. Sans pouvoir le prouver de façon absolue, j’en suis convaincu, étant donné que le Moyen Âge associe symboliquement l’espace du cloître et l’image du paradis. L’espace idéal du cloître décrit dans l’Horologium stellare monasticum est déterminé par les constellations du cosmos qui sont vues et interprétées dans une perspective chrétienne, comme si le cosmos était lui-même le reflet de la cité céleste. Or, il est frappant de constater le rôle central tenu par le calendrier – le temps liturgique – dans l’établissement de ce lien entre les étoiles et l’espace du cloître considéré comme l'image du paradis. C’est, en effet, le déroulement du calendrier liturgique chrétien qui permet la construction de l’Église au sens ecclésial du terme, c’est-à-dire la Jérusalem céleste. La rencontre du cosmos interstellaire et de l’image de la Jérusalem céleste sur terre, le cloître, s’inscrit dans le temps liturgique. C’est en quelque sorte ce temps liturgique-là, celui du calendrier, qui édifie la Jérusalem céleste dans sa dimension cosmique et terrestre, concrétisée dans l’Horologium stellare monasticum par la rencontre de l’observation astronomique et de la vision idéale de l’espace du cloître monastique 118. En guise de conclusion À l’époque carolingienne, dans les Libri carolini notamment mais aussi sous la plume de nombre de théologiens, on insiste sur l’omniprésence et l’accessibilité de Dieu partout dans le monde, et aussi dans la nature. S’inspirant de Cassiodore, les auteurs des livres carolins 118 La relation entre l’espace sacré de l’église et l’observation du cosmos a été étudiée à partir de cathédrales italiennes qui servaient aux XVIIe et XVIIIe siècles de lieux d’observation du soleil, J.L. Heilbron, The Sun in the Church. Cathedrals as Solar Observatories, Cambridge Mass., 1999.
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chapitre i
commentant le psaume 98, verset 9 (“Exaltez le Seigneur notre Dieu; prosternez-vous vers sa montagne sainte, car il est le saint, le Seigneur notre Dieu”) argumentent en faveur du lieu de culte dans la nature : “Il est bon que le psalmiste recommande d’adorer le Seigneur saint dans la sainte montagne, parce que, de même qu’une bouche tordue est impropre à la louange, la laideur du lieu de son culte n’est pas convenable” 119, montrant par là que la nature est un lieu sacré car investi par la présence de Dieu. Ainsi, le temple de la nature est un lieu sacré, propice au déroulement de rituels, de même que le temple de pierres (l’église) ou bien encore le temple intérieur que chaque homme construit à l’intérieur de lui-même car, comme aime à le dire Pierre Damien dans son traité connu sous le nom de “Dominus vobiscum”, datant du mileu du XIe siècle, l’homme est un microcosme, une sorte de “petite Église” 120. Dans ce texte – véritable petit traité théologique sur l’Église – Pierre Damien explique à ses frères ermites qu’ils peuvent utiliser la formule liturgique “Dominus vobiscum” lorsqu’ils célèbrent dans leurs cellules car l’Église, dit-il, est présente en chacun de ses membres et ainsi, même si le prêtre est isolé, c’est l’ensemble de l’Église qui offre à travers lui le sacrifice de l’autel qui dans ce cas précis, se révèlent être des tables de pierres, des autels portatifs 121.
Payet, art. cit. à la note 90, p. 86. Pierre Damien, op. cit. à la note 57, vol. I, lettre 28, p. 248-278. Pour la citation, p. 262 : “Sicut autem homo Greco aeloquio dicitur microcosmus, hoc est minor mundus, quoniam per materialem essntiam eisdem quattuor elementis homo constat, quibus et universalis hic mundus, ita etiam unusquisque fidelium quasi quaedam minor esse videtur ecclesia”. Voir l’interprétation de ce passage par Y. Grandjean, Laïcs dans l’Eglise. Regards de Pierre Damien, Anselme de Cantorbéry, Yves de Chartres, “Théologie historique 97”, Paris, 1994, p. 154-155. 121 C’est du moins ce que l’expression employée par Pierre Damien laisse supposer (“lapidibus aut tabulis cellulae”) ainsi que le contexte du lieu de la célébration par les ermites auxquels il s’adresse. 119 120
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CHAPITRE II
LES AUTELS ET L’ESPACE SACRÉ DANS LA BIBLE L’étude des mentions et descriptions d’autels dans les différents livres de la Bible est d'une telle richesse et complexité qu’elle attend toujours son historien “moderne”. Si l’on fait exception du livre déjà fort ancien et dépassé à plusieurs égards de Hans Wiener sur l'autel dans l'Ancien Testament, je ne connais aucune étude de fond consacrée à ce thème 1. Plusieurs articles de dictionnaires font cependant utilement le point sur le sujet parce que l’on y trouve entre autres, une grand nombre de références bibliques où l’autel apparaît dans le récit 2. Le présent chapitre n’envisage aucunement de combler cette lacune de l’historiographie car il faudrait pour cela entreprendre un livre à part entière. Plus modestement et pour rester dans le cadre de la problématique et du thème du présent livre, je vais rapidement présenter et analyser les principaux passages bibliques relatifs aux autels et à leur signification pour la compréhension de l'espace sacré 3 . Précisons également que ces pages ne visent nullement l’exhaustivité. J’ai procédé à une sélection de textes où l’autel apparaît comme l’un des éléments majeurs du récit et qui ont été commentés, interprétés dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge à partir de considérations sur l’autel chrétien et l'espace sacré, voire directement à propos de l’autel portatif dans un nombre limité de cas. Dans ces textes, il est question des autels fixes comme des autels mobiles. À partir de ces mentions et descriptions de l’objet lui-même, il est possible d’élaborer une typologie de l’autel qui prend en compte non seulement la forme et les matériaux employés pour sa fabrication mais les différents rituels qui ont nécessité l'usage de ces autels (sacrifices, libations…). Enfin, 1 H. Wiener, The Altar of the Old Testament, Leipzig, 1927. Sur l’influence en général de l’Ancien Testament sur la liturgie et le droit dans le haut Moyen Age, voir l’ouvrage classique de R. Kottje, Studien zum Einfluss des altes Testamentes auf Recht und Liturgie des frühen Mittelal ters (6.-8. Jahrhundert), Bonn, 1964. 2 “Autel”, Dictionnaire de théologie, 1, col. 2575-2584, sp. col. 2576-2577; “Altar”, Lexikon für Theologie und Kirche, I, col. 370-376, sp. col. 370; “Altar III (christlich)”, Reallexikon für Antike und Christentum, I, col. 334-354, sp. col. 334. 3 Voir déjà, É. Palazzo, “L’espace et le sacré dans l’Antiquité et le haut Moyen Age. Les autels portatifs”, Cristianità d’Occidente et cristianità d’Oriente (secoli VI-XI), LI Settimana di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo, Spoleto 2003, Spoleto, 2004, p. 1117-1160, sp. p. 1123-1134.
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chapitre 2
l’étude de certaines mentions d’autels – notamment celles provenant des principaux livres de l’Ancien Testament – offre de vastes possibilités pour mieux saisir les rituels itinérants et ce qu’ils impliquent du point de vue de la mobilité du rituel, en opposition à la fixité de la liturgie, permettant ainsi de progresser dans la définition de l’espace sacré et de celle du lieu de culte. Les autels et l'espace sacré dans l'Ancien Testament Dans l’Ancien Testament, les mentions d’autels, parfois décrits avec une très grande précision, sont légion. De façon générale, le principal thème au coeur de ces mentions et descriptions d’autels, ainsi que de la mise en scène des rituels dans lesquels ils interviennent, est celui de la définition de l’espace sacré, du lieu de la rencontre entre Dieu et les hommes – du lieu de la médiation donc – et de son corollaire naturel, la définition de l’espace rituel. Dans le livre de la Genèse, l’exemple sans aucun doute le plus représentatif pour l’ensemble de ces différents points est l’érection de l’autel par Abraham en vue du sacrifice de son fils unique, Isaac (Genèse 22) : “Abraham se leva de bon matin, sangla son âne, prit avec lui deux de ses jeunes gens et son fils Isaac. Il fendit les bûches pour l’holocauste. Il partit pour le lieu que Dieu lui avait indiqué. Le troisième jour, il leva les yeux et vit de loin ce lieu…Abraham prit les bûches pour l’holocauste et en chargea son fils Isaac…Lorsqu’ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait indiqué, Abraham y éleva un autel et disposa les bûches. Il lia son fils Isaac et le mit sur l’autel au-dessus des bûches” 4. S’ensuit le célèbre récit du sacrifice d’Isaac avec, comme point culminant, l’intervention de l’ange envoyé par le Seigneur pour sauver le fils unique d’Abraham et lui substituer un bélier pour la réalisation de l’holocauste. Dans le texte de la Vulgate, le lieu du sacrifice prévu par le Seigneur est à plusieurs reprises désigné par le mot “locus” et l’autel construit pour l’action rituelle fait apparaître l’emploi du mot “altare” : “dixit Abraham Deus providebit sibi victimam holocausti filii mei pergebant ergo pariter veneruntque ad locum quem ostenderat ei Deus in quo aedificavit altare et de super ligna conposuit…” 5. Dans ce célèbre épisode du livre de la Genèse, du fait notamment de sa forte signification théologique en relation avec le sacrifice du Christ sur la croix, il faut souligner 4 Voir récemment, J. Baschet, Le sein du père. Abraham et la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, 2000, p. 73-98. 5 L’ensemble des citations bibliques en latin sont extraites de la Vulgate, Biblia sacra. Vulgata, 2 vols., Stuttgart, 1983.
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l’importance accordée à la désignation du lieu du sacrifice, du lieu sacré, par le Seigneur lui-même. De même qu’on pourra aussi relever l’idée selon laquelle l’espace rituel est localisé en plein air. Cet extrait du livre de la Genèse est pris en considération par les commentateurs de la liturgie à l’époque carolingienne dans leur discours sur les lieux de culte et leurs origines vétéro-testamentaires. Dans son Libellus de exordiis et incrementis quarundam in observationibus ecclesiasticis rerum, Walafrid Strabon procède à une énumération des principaux exemples de temples ou d’autels érigés par les grandes figures de l’Ancien Testament servant de modèles symboliques pour les constructions carolingiennes parmi lesquels figure l’autel de bois construit par Abraham : “Altaria quidem Noe, Abraam, Isaac et Iacob Domino, ut legitur, exstruxerunt” 6. Comme l’a souligné Michel Lauwers, la définition du lieu de culte à l’époque carolingienne, notamment au sein des cercles des exégètes de la liturgie, prend appui sur “l’historicité” et l’autorité des autels et des temples de l’Ancien Testament, ainsi que du tabernacle, érigés par Noé, Abraham, Jacob, Salomon 7.
Le récit du songe de Jacob : théologie du lieu rituel et de l'espace sacré À n’en pas douter, le principal texte vétéro-testamentaire glosé par les théologiens du haut Moyen Âge, puis d’autres à leur suite durant le Moyen Âge central, et sur lequel ils ont amplement pris appui pour définir le lieu sacré chrétien et même, pourrait-on ajouter, pour proposer une définition du lieu rituel, est bien le récit du songe de Jacob (Genèse 28, 10-22) 8. Tout au long de ce livre, on aura l’occasion de constater l'importance fondamentale de ce texte pour mon propos sur l’espace sacré du haut Moyen Âge et les rituels mettant en scène des autels portatifs. Voici le texte : « Jacob sorti de Beer-Shéva et partit pour Harran. Il fut surpris par le coucher du soleil en un lieu où il passa la nuit. Il prit une des pierres de l’endroit en fit son chevet et coucha en ce lieu. Il eut un songe : Voici qu’était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel; des anges de Dieu y montaient 6 Walahfrid Strabo’s Libellus de exordiis et incrementis quarundam in observationibus ecclesiasticis rerum, A. L. Harting-Correa, Leiden-New York-Köln, 1996, p. 50-51. 7 M. Lauwers, “De l’Eglise primitive aux lieux de culte. Autorité, lectures et usages du passé de l’Église dans l’Occident médiéval (IXe-XIIIe siècle)”, L’autorité du passé dans les sociétés médiévales, “Collection de l’Ecole française de Rome – 333”, Rome, 2004, p. 297-323; sp. p. 305-307. 8 Voir déjà les commentaires de M. Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005, p. 67-73.
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et y descendaient. Voici que le Seigneur se tenait près de lui et dit : “Je suis le Seigneur, Dieu d’Abraham ton père et Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu couches, je la donnerai à toi et à ta descendance. Ta descendance sera pareille à la poussière de la terre. Tu te répandras à l’ouest, à l’est, au nord et au sud; en toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre. Vois ! Je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras et je te ferai revenir vers cette terre car je ne t’abandonnerai pas jusqu’à ce que j’aie accompli tout ce que je t’ai dit”. Jacob se réveilla de son sommeil et s’écria : “Vraiment, c’est le Seigneur qui est ici et je ne le savais pas !”. Il eut peur et s’écria : “Que ce lieu est redoubtable ! Il n’est autre que la maison de Dieu, c’est la porte du ciel”. Jacob se leva de bon matin, il prit la pierre dont il avait fait son chevet, l’érigea en stèle et versa de l’huile à son sommet. Il appela ce lieu Béthel – c’est-à-dire la maison de dieu – mais auparavant le nom de la ville était Louz. Puis Jacob fit ce voeu : “Si Dieu est avec moi et me garde dans le voyage que je poursuis, s’il me donne du pain à manger et des habits à revêtir, si je reviens sain et sauf à la maison de mon père – le Seigneur deviendra mon Dieu – cette pierre que j’ai érigée en stèle sera une maison de Dieu et, de tout ce que tu me donneras, je te compterai la dîme ». Dans le texte latin de la Vulgate, il est intéressant de relever l’emploi des mots et expressions “locus”, “lapis, lapidibus” et “domus Dei” pour désigner le lieu, la pierre choisie par Jacob pour faire son chevet et la Maison de Dieu, en d’autres termes pour définir le lieu sacré, marqué par l’érection de la stèle destinée à recevoir des libations : “Igitur egressus Iacob de Bersabee pergebat Haran cumque venisset ad quendam locum et vellet in eo requiescere post solis occubitum tulit de lapidibus qui iacebant et subponens capiti suo dormivit in eodem loco…cumque evigilasset Iacob de somno ait vere Dominus est in loco isto et ego nesciebam pavensque quam terribilis inquit est locus iste non est hic aliud nisi domus Dei et porta caeli surgens ergo mane tulit lapidem quem subposuerat capiti suo et erexit in titulum fundes oleum desuper …erit mihi Dominus in Deum et lapis iste quem erexi in titulum vocabitur Domus Dei cunctorumque quae dederis mihi decimas offeram tibi”. Le récit du Songe de Jacob reprend l’important thème du lieu sacré et de sa définition déterminée par la volonté divine, par l’intervention directe du Seigneur 9. Cette révélation que reçoit Jacob à son réveil après avoir passé la nuit sur ce lieu et avoir fait son rêve a tout d’abord pour conséquence de l’effrayer. Puis, se levant Jacob fit de la pierre qui lui avait 9 Sur le thème fondamental de l’échelle céleste, C. Heck, L’échelle céleste. Une histoire de la quête céleste, Paris, 1997.
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servi d’oreiller une stèle avec laquelle il procéda à une libation. À la suite de quoi, il décida d’appeler ce lieu la Maison de Dieu, matérialisée dans cet espace par la pierre érigée en stèle. Comme on l’aura amplement l’occasion de le voir dans les chapitres suivants de ce livre, la stèle de Jacob a servi de modèle et en quelque sorte d’argumentaire théologique pour les théologiens du haut Moyen Âge non seulement afin de justifier et légitimer l’emploi des autels portatifs mais aussi pour construire, avec d'autres thèmes extraits de passages bibliques, leur symbolisme et la signification théologique de ces objets. À côté de ce rôle central, tenu par la stèle de Jacob dans le symbolisme biblique accordé aux autels portatifs, j’insiste à propos de l’ensemble du passage extrait de la Genèse sur son importance dans la conception de l’espace sacré, désigné ici seulement par Dieu, et sur l’idée essentielle selon laquelle la stèle est une pierre brute, non travaillée par la main de l'homme, qui risquerait par son travail de souiller le matériau, la pierre, et de profaner le lieu de la commémoration rituelle. Je souligne également que, dans le songe de Jacob, une place non négligeable est accordée au fait que l’espace sacré est situé en plein air, à l’extérieur de tout bâtiment. Enfin, n’omettons pas de relever que l’espace sacré défini dans ce récit est avant tout un lieu commémoratif marqué par la stèle, une sorte d’autel destiné à commémorer l’événement glorieux qui s’est tenu en cet endroit. À ce propos, il me paraît essentiel de relever que la stèle érigée par Jacob n’est pas au sens strict un autel. Il s’agit plutôt d’une pierre brute transformée en autel commémoratif et destinée à recevoir des libations afin de rendre grâce au Seigneur pour s’être manifesté en ce lieu ainsi que de perpétuer la mémoire de cette manifestation. C’est bien de cela dont il est majoritairement question dans l’exégèse proposée par les théologiens médiévaux sur ce texte du livre de la Genèse. En effet, la stèle de Jacob est un des principaux emblèmes auxquels l’exégèse liturgique associe l’autel chrétien, et, de façon plus générale, le lieu sacré. Pour les théologiens du haut Moyen Âge, certains passages du récit du songe de Jacob avec son insistance sur le geste rituel de la libation sur la stèle auquel procède Jacob constituent non seulement le prototype de la consécration de l’autel, mais permettent aussi de définir le lieu de culte et l’espace sacré associé au temple du Seigneur, à la Maison de Dieu. Dans ce texte, le marquage du lieu sacré est fait à partir de l’érection de la stèle qui devient le pivot d’un espace destiné à se dilater aux quatre coins de la terre, aux quatre points cardinaux. Le miracle dont a bénéficié Jacob a servi de modèle pour l’élaboration de récits de fondations d’églises, et pas seulement d’autels, comme
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celle de l’église des Fossés, près de Paris, dans la seconde moitié du XIe siècle où, comme l’a noté Michel Lauwers, le récit hagiographique met l’accent sur la conception du lieu sacré en relation avec la “Maison de Dieu” à l’instar de la révélation faite à Jacob. Mais, dans le cas du texte du XIe siècle, la sacralisation de l’espace ne porte plus seulement sur la pierre érigée en stèle dans le récit du songe de Jabob mais touche l’ensemble de l’église et ses alentours : “La nuit précédant le jour où la basilique devait être dédiée, il se passa une chose tout à fait mémorable…En effet, durant la nuit que nous avons dite, alors que le bienheureux archevêque se trouvait en prière dans l’église même… il vit, comme autrefois Jacob, des anges saints descendre du ciel, et purifier, consacrer et bénir l’église et l’aître situé tout autour afin que, grâce aux louanges divines que l’on y acquitte sans cesse, ce lieu même devienne d’autant plus convenable qu’il sera saint et que l’on ne doute plus qu’en ce lieu, le Seigneur s’est choisi une maison spéciale, à laquelle, en la sacralisant, il a donné une dignité angélique” 10. Dans l’exégèse du haut Moyen Âge donc, la stèle de Jacob apparaît bien comme l’un des principaux prototypes de l’autel chrétien et comme l’un des éléments majeurs de la fondation des lieux de culte et des églises. Walafrid Strabon, on l’a déjà dit, mentionne la stèle de Jacob dans la liste énumérant les constructions d’autels et de temples par les patriarches de l’Ancien Testament : “Altaria quidem Noe, Abraam, Isaac et Iacob Domino, ut legitur, exstruxerunt” 11. Cet auteur, comme d’autres de la même époque 12, tel Jonas d’Orléans en 836 dans son traité sur les origines et les fondements de la pratique de l’offrande à Dieu 13, propose une lecture à la fois historicisante et allégorique de ce passage de la Genèse, comme pour d’autres extraits vétéro-testamentaires où il est fortement question de l’érection de temples, d’autels et de la définition du lieu de culte. Dans certains capitulaires épiscopaux de l’époque carolingienne, tel ce passage extrait des Capitula Franciae occidentalis, on retrouve la même énumération que celle proposée par Walafrid Strabon à propos des constructions de temples Cf. Lauwers, op. cit. à la note 8, p. 69. Walafrid Strabon, op. cit. à la note 6, p. 50-51. Voir les commentaires de Heck, op. cit. à la note 9, p. 211-214. 12 À ma connaissance, Amalaire de Metz reste muet sur le récit du songe de Jacob en relation avec la définition de l’espace sacré. Plus tard au Moyen Âge, d’autres grands commentateurs de la liturgie, tel Jean Beleth, ne disserteront pas sur la stèle de Jacob et le récit du chapitre 28 de la Genèse dans son ensemble. 13 Cf. Lauwers, op. cit. à la note 8, p. 69-70 : “C’est ainsi qu’aujourd’hui la religion chrétienne, prenant l’exemple de cette antique tradition des patriarches, édifie et dédie des autels, y répand de l’huile et les oints de Saint-Chrême...”, traduction de Lauwers, p. 70. 10 11
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et d’autels par les grandes figures de l’Ancien Testmanent et considérés comme les fondements mêmes du lieu de culte des chrétiens, consacré par l’autorité ecclésiastique, et où la stèle de Jacob occupe la première place : “Scimus etiam quosdam sacerdotes missas celebrare in locis illis, in quibus dedicatio solempniter peracta non est; …et aliquis minister aeterni dei ministerium audet peragere in loco illo, qui ab episcopo secundum partum precedentium instituta consecratus non est ? Quur recolunt, quod Iacob, sanctus patriarcha, erexit lapidem in titulum, cui primum infudit oleum consecrationis, deinde obtulit sacrificium laudis, Moyses, sanctus, et prophetarum eximus, constructo templo primo consecravit eum, deinde peregerunt sacerdotes in eo sacrificia sollempnia, Salomon, rex, sapientissimus et sacerdotis, aedificato templo mirablili dedicavit eum, tunc demum sacrificia pergagi iussit ? Auctoritas canonica super hoc manifestissime clamat. Idcirco precipimus et omnino ex canonum institutes iniungimus, ut nullus presumat celebrare missam in basilica illa, quae consecrata non est” 14. Pour les théologiens, la stèle de Jacob et ce qu’elle “créée” comme lieu sacré fait non seulement figure de modèle pour les églises, les autels et le lieu de culte mais elle apparaît aussi comme la “pierre angulaire” de la définition de l’ecclésiologie du lieu de la liturgie de l’Église. Tel est le sens accordé à ce passage de l’Ancien Testament par Raban Maur dans son long développement consacré au commentaire du livre de la Genèse. Dans la pensée de Raban Maur, l’ecclésiologie du lieu de culte défini dans ce texte est fondée sur la préfiguration de la passion du Christ : “Somnus iste Iacob mors sive passio Christi” 15. Dans ce sens, la pierre choisi par Jacob pour se reposer et qu’il érigera ensuite en stèle à libation est associée à la figure du Christ : “Lapis ad caput, eius, qui nominatim quodamodum dictus est, etiam unctus Christus significatur” 16. À la suite de quoi, Raban Maur établit le parallèle entre l’érection de la stèle et la résurrection du Seigneur : “Erectio autem lapidis resurrectio Christi est” 17. Par extension, l’espace sacré créé par l’érection de la stèle par Jacob devient, dans l’esprit de Raban Maur, par excellence la Maison de Dieu : “Quod autem vovit votum si prosperaretur eundo et reundo, et decimas promisit domui Dei futurae in loco illo, prophetia est domus Dei, ubi et ipse rediens Deo sacravit, non illum lapidem Deum appellans, sed domum Dei, id est, quia in illo loco futura erat domus Dei” 18. L’association entre la figure du Christ et l’autel est un lieu MGH, Capitula episcoporum, III, Hannover, 1995, p. 42-43. PL, 107, col. 591. 16 Ibid., col. 591. 17 Ibid., col. 591. 18 Ibid., col. 594. 14 15
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commun néanmoins essentiel de l’ecclésiologie de l’espace sacré. Et l’on voit ici le rôle fondamental joué par l’épisode du songe de Jacob, avec l’érection de la stèle, considérée pour ainsi dire comme un autel commémoratif, dans l’élaboration de cette association d'ordre théologique. Au XIIe siècle, Sicard de Crémone, reprenant à son compte la liste des patriarches de l’Ancien Testament ayant fait construire des temples ou ériger des autels, construit l’ensemble de son éxégèse sur l’autel à partir de l’association entre cet objet et la figure du Christ : “Lapides in altaria erecti, et altare aureum, et haec nostra altaria lapidea Christum significant, qui est lapis de monte sine manibus excisus, lapis quadratus, stabilis, super quem nostrarum orationum vota congerimus, unde orations per Iesum Christum Dominum, terminamus…” 19. On voit dans ce commentaire de Sicard de Crémone la façon dont l’ecclésiologie du lieu de culte s’inscrit dans la tradition vétéro-testamentaire dans laquelle la stèle de Jacob tient un rôle majeur, et fonde l’association entre le Christ et l’espace sacré. Notons encore l’intéressante allusion à la nécessité de ne pas profaner le lieu de culte par le travail de la pierre par l’homme renvoyant à un autre passage vétéro-testamentaire qu’il nous faudra commenter plus loin. Dans les commentaires liturgiques de Rupert de Deutz au XIIe siècle et de Guillaume Durand à la fin du XIIIe siècle, l’association entre la stèle de Jacob et l’autel consacré sera également présente, de même que celle entre le lieu où s’est déroulé le songe et le lieu de culte, la Maison de Dieu : “Lecta tandem predicta generatione Christi protinus laudem Deo solemnem chorus ecclesiae concrepando succinit. Et merito. Si enim Iacob, cum evigilasset a somno ait…si inquam, adeo miratus est propter umbram vel figuram futurorum, quae in somnis viderat, quanto magis nos practam rei veritatem intuentes excitari debemus in laudem et vocare locum hunc, id est sanctam ecclesiam, Bethel, id est domum Dei…Et si statim surgens Iacob tuli lapidem, quem supposuerat capiti suo, et erexit in titulum dundens oleum desuper, quanto magis nos confestim, ubi nobis haec generatio recitata est, attollere debemus summis laudibus lapidem summum, angularem, pretiosum, quem supposuimus capiti, id est cordi nostro ut stabile fundamentum, et super illum fundere oleum piae confessionis ac devotae gratiarum actionis ?” 20.
PL. 213, col. 18-19. Rupert de Deutz, Liber de divinis officiis, “Corpus Christianorum – Continuatio Mediaevalis VII”, Turnhout, 1977, p. 89-90; voir aussi Guillaume Durand, Rationale divinorum officiorum, “Corpus Christianorum – Continuatio Mediaevalis CXL”, Turnhout, 1995, p. 73-74 : “Nam et apud imperialem magnificentiam observatur ut, aliqua civitate sibi tradita, imperialem vexillum in ea erigatur. Et in huius modi figuratione diditur, Gen. XXVIII. C, quod Iacob lapidem quem 19 20
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Ainsi que l’a avec pertinence relevé Sara Japhet, l’espace sacré considéré à partir des textes vétéro-testamentaires, dont celui relatant le songe de Jacob, souligne avec force l’idée que celui-ci se définit d’abord par la révélation divine en tel ou tel lieu 21. Dans un premier temps, une forme de concentration du sacré sur cet espace se manifeste, puis, dans un second temps, ce caractère sacré est amené à se répandre au-delà, dans un espace beaucoup plus vaste que le seul lieu de la manifestation de Dieu. À partir de là, les théologiens médiévaux tenteront de penser l’espace sacré du lieu de culte non seulement à partir de l’héritage de la tradition biblique en matière de localisation du divin, mais aussi selon l’idée que le lieu de la liturgie est avant tout celui qui a été consacré par l’autorité ecclésiastique.
Théologie de l'espace sacré et du lieu de culte dans les autres principaux modèles d'autels de l'Ancien Testament Le livre de l’Exode contient plusieurs passages relatifs à l’autel et à la définition de l’espace sacré. Intéressons nous pour commencer à l’extrait où sont détaillées les conditions de l’alliance passées entre Dieu et Moïse : « Le Seigneur dit à Moïse : “Ainsi parleras-tu aux fils d’Israël : vous avez vu vous-mêmes que c’est du haut des cieux que je vous ai parlé. Vous ne me traiterez pas comme un dieu d’argent ni comme un dieu en or – vous ne vous en fabriquerez pas. Tu me feras un autel de terre pour y sacrifier tes holocaustes et tes sacrifices de paix, ton petit et ton gros bétail; en tout lieu où je ferai rappeler mon nom, je viendrai vers toi et je te bénirai. Mais si tu me fais un autel de pierres, tu ne bâtiras pas en pierres de taille, car en y passant ton ciseau, tu les profanerais. Tu ne monteras pas par des marches à mon autel, pour que ta nudité n’y soit pas découverte” » (Exode 20, 22-26) (“dixit praetera Dominus ad Moisen haec dices filiis Israhel vos vidistis quod de caelo locutus sum vobis non facietis mecum deos argenteos nec deos aureos facietis vobis altare de terra facietis mihi et offeretis super eo holocausta et pacifica vestra oves vestras et boves in omni loco in quo memoria fuerit nominis mei veniam ad te et benedicam tibi quod si altare lapideum feceris mihi non aedificabis illud de sectis lapidibus si enim levaveris cultum tuum super eo polluetur non ascendes per gradus ad altare meum ne reveletur turpido tua”). supposuerat capiti suo erexit in titulum, videlicet, in titulum preconialem, memorialem et triumphalem”. 21 S. Japhet, “Some Biblical Concepts of Sacred Place”, Sacred Space. Shrine, City, Land, Londres, 1998, p. 55-72.
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La consigne adressée par le Seigneur à Moïse pour la fabrication de l’autel des holocaustes et des sacrifices de paix concerne un aspect fondamental de la théologie de la liturgie de l’autel en général et de l’autel portatif en particulier. Ce passage du livre de l’Exode souligne avec force l’idée que l’autel doit être fait à partir de la terre afin que la matière pure employée pour la fabrication ne soit pas souillée par la main de l’homme ni par les matériaux utilisés pour tailler la pierre 22. On retrouve ici un thème déjà implicitement présent dans le récit du songe de Jacob, à savoir que le lieu sacré, défini par la présence de l’autel ou de la stèle dans le cas du récit extrait du livre de la Genèse, ne doit pas être profané par des matériaux impurs et par le travail de l’homme. Seul en effet compte la pureté du lieu sacré, défini par la volonté de Dieu de voir un espace sacralisé et marqué par la présence d’un autel. Dans le passage du livre de l’Exode, on insiste également sur l’idée selon laquelle le lieu sacré, ou le lieu rituel du sacrifice, peut être n’importe quel lieu à partir du moment où Dieu l’a voulu et s’est manifesté pour “faire” le lieu sacré. Dans son commentaire sur ce passage du livre de l’Exode, Raban Maur “justifie” la nécessité de fabriquer un autel de pierre pure car cette pureté renvoie à l’incarnation du Seigneur : “Mystice autem, altare de terra Deo facere, est incarnationem Mediatoris sperare” 23. La nécessité de ne pas utiliser de matériaux fabriqués par l’homme pour confectionner l’autel afin de ne pas profaner le lieu sacré est expliqué de façon plus détailleée encore par Raban Maur. Pour le théologien du IXe siècle, l’emploi de la pierre pure non taillée par les ciseaux de l’homme représente la garantie de l’unité de l’Église contre les tentations schismatiques : “Secti lapides hi sunt qui unitatem scindunt ad dividunt semetiposos a societate fraterna, per odium vel schemata. Tales in corpore suo non recipit Christus, cuius corporis figuram altaris illius constructio obumbrat. Isti vero non secti lapides ex quibus altare construi iubetur, hi sunt qui fidei morumque unitate solidantur” 24. Reprenant à son compte les positions exégétiques exprimées quelques siècles auparavant par Raban Maur à propos du passage extrait du livre de l’Exode, Innocent III commente en des termes assez similaires cette même péricope vétéro-testamentaire, du moins pour ce qui concerne les risques de division de l’Église : “Per altare signature Ecclesia, iuxta quod Dominus dixit in Exodo, “Si altare lapideum 22 S. M. Olyan, “Why an Altar of unfinished Stones : Some Thoughts on Ex 20, 25 and Dtn 27, 5-6”, Zeitschrift für die Alttestamentliche Wissenschaft, 108, 1996, p. 161-171. 23 PL. 108, col. 107. 24 Ibid., col. 107.
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feceris mihi, non aedificabis illud de sectis lapidibus”. Quod sectionem lapidum prohibet in altari divisionem fidelium reprobat, ne ecclesia dividatur per error et schismata” 25. Ainsi que l’a souligné avec justesse Saul Olyan, le passage tiré du livre de l’Exode constitue l’un des principaux points d’appui pour définir le lieu sacré dont la localisation doît être décidée par Dieu et qui doit être préservé de toute profanation, de toute altération physique qui serait causée, par exemple, par le travail de l’homme sur la pierre afin de fabriquer l’autel. C’est dans le même sens qu’il faut lire et interpréter le passage extrait du Deutéronome relatif à la célébration de l’alliance et décrivant la liturgie de Sichem : “Quand vous aurez passé le Jourdain, vous dresserez ces pierres, suivant l’ordre que je vous donne aujourd’hui sur le Mont Ebal, et tu les enduiras de chaux. Tu bâtiras là un autel au Seigneur ton Dieu, un autel fait de pierres sur lesquelles le fer n’aura pas passé; c’est avec des pierres intactes que tu bâtiras l’autel du Seigneur ton Dieu; c’est là que tu feras monter les holocaustes vers le Seigneur ton Dieu” (Deutéronome 27, 4-6) (“quando ergo transieritis Iordanem erige lapides quos ego hodie praecipio vobis in monte Hebal et levigabis calce et aedificabis ibi altare Domino Deo tuo de lapidibus quos ferrum non tetigit et de saxis informibus et inpolitis et offeres super eo holocausta Domino Deo tuo”). Dans son commentaire théologique sur le Deutéronome, Raban Maur met en parallèle les deux péricopes vétéro-testamentaires de l'Exode et du Deutéronome et souligne en premier lieu l’association entre la figure du Christ et l’autel, avant d'établir le parallèle entre les pierres d’autel pures ne devant pas être souillées par le travail de l’homme et les pierres vivantes que sont les fidèles qui, eux aussi, à l’image de la pureté de la pierre d’autel décrite dans le passage du Deutéronome, doivent rester purs de tout péché : “Hoc quomodo factum fuerit, in libro Iesu Nave plenius enarratur. Superatis igitur hostibus, aedificavit Iesus altare Deo excelso ex lapidibus integris , in quibus non erat injectum ferrum sicut praeceperat Moyses, et immolavit sacrificium, et scripsit in lapidibus Deuteronomium legis Moysi. Videamus itaque, qui sint isti lapides, ex quibus aedificatur altare. Omnes ergo qui in Christum Iesum credunt, lapides dicuntur vivi…His non injectum ferrum, quia incorrupti et immaculate carne et spiritu sunt, et iacula maligni ignita non receperunt” 26. Toujours en écho au passage du livre de l’Exode mentionné précédemment, citons encore l’extrait du premier livre des Rois relatant la construction du temple : “La construction de la Maison se fit avec PL, 217, col. 803. PL. 108, col. 947-948.
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des pierres préparées en carrière, ainsi que l’on entendit ni marteaux, ni pics, ni aucun outil de fer dans la Maison pendant sa construction” (I Rois, 6, 7). Bien qu’il ne s’agisse pas ici à proprement parler de la fabrication d’un autel, on peut rapprocher ce passage des précédents analysés plus haut dans la mesure où il s’agit d’insister, là encore, sur la nécessité de ne pas profaner l’espace sacré : pour la construction du temple, les pierres sont taillées en carrière et non pas sur le lieu de l’érection de la Maison du Seigneur. Dans les textes étudiés jusqu’ici, on a pu relever l’importance accordée à la décision de Dieu lui-même dans la désignation du lieu sacré et de l’espace destiné à devenir un lieu rituel. Un autre passage extrait du livre du Deutéronome insiste encore sur cet aspect de la définition de l’espace sacré. Parmi les différentes lois et coutumes que les hommes devront mettre en pratique selon les indications données par Dieu, figure celle de la nécessité d’établir un sanctuaire unique : “Garde-toi bien d’offrir tes holocaustes dans n’importe lequel des lieux que tu verras; c’est seulement au lieu choisi par le Seigneur chez l’une de tes tribus que tu offriras tes holocaustes; c’est là que tu feras tout ce que je t’ordonne” (Deutéronome 12, 13-14) (“cave ne offeras holocausta tua in omni loco quem videris sed in eo quem elegerit Dominus in una tribuum tuarum offeres hostias et facies quaecumque praecipio tibi”). L’exégèse liturgique médiévale a interprété ce passage en relation avec l’humilité et la modestie qui doivent animer l’homme face aux décisions dans le choix du lieu de culte et de sa sacralisation, comme le montre ce passage, extrait du commentaire de Raban Maur sur le Deutéronome : “Mystice autem innuit nobis nullum sacrificium, nullum munus Deo acceptabile fore extra Ecclesiam catholicam, quia ipse est locus quem elegit Dominus, ut ponat nomen suum ibi, et habitet in eo…Affectus enim verae humilitatis atque innocentiae, absque dubio locus est quem elegit Dominus” 27. Dans son Rational des divins offices, Guillaume Durand s’appuie également sur ce passage, extrait du Deutéronome, pour argumenter en faveur de l’obligation de ne célébrer la liturgie que sur un autel consacré par l’autorité épiscopale et qui peut aussi être un autel portatif : “Non ergo in profanis domibus absque episcopi licentia, quia sanctius est missam non cantare vel non audire quam in locis in quibus hoc fieri non oportet…Potest autem esse necessitas ut dicatur in navi vel in exercitu sub papilione, sive sub divo, si illud haberi non posit; sed tunc cum tabula seu altari viatico. Presbyter autem non deberet missam celebrare sine licentia epis-
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copi in altari in quo episcopus ea die celebravit” 28. Dans le domaine de la législation ecclésiastique, les capitulaires épiscopaux de l’époque carolingienne montrent aussi un certain intérêt pour cette péricope biblique afin de justifier la règle de la célébration liturgique dans l’espace consacré de l’église et sur un autel dédicacé par l’autorité épiscopale: “Quod sacerdos missas nisi in sacratis ab episcopo locis non praesummat celebrare. Hic in Romana synodo constitutum est omnium cum consensus synodi, ut nullus presbiter missas nisi in sacratis ab episcopo locis caelebrare praesumat iuxta illud, quod scriptum est…nisi magna necessitas preoccupaverit, et hoc cum iudicio episcopi fiat”, stipule l’un des canons du capitulaire d’Adon de Verceil 29. C’est dans le même sens que s’exprime Théodulf d’Orléans au IXe siècle dans l’un de ses capitulaires où il est fait mention cette fois de la célébration sur un autel portatif : “Missarum sollemnia nequaquam alibi nisi in ecclesia celebranda sunt, non in quibuslibet domibus et in vilibus locis, sed in loco, quem elegerit dominus iuxta illud, quod scriptum est : vide, ne offeras holocausta tua in omni loco, quem videris, sed in loco quam elegerit dominus, ut ponat nomen suum ibi; excepta ratione eorum, qui in exercitu pergentes ad hoc opus habent tentoria et altaria dedicata, in quibus missarum sollemnia expleant” 30. Je reviendrai dans le chapitre 5 de ce livre sur l’interprétation que l’on peut proposer du canon du capitulaire de Théodulf en relation avec l’usage de l’autel portatif. Pour l’heure, je me contente de souligner que, pour l’évêque d’Orléans, la définition du lieu sacré de la liturgie est faite à partir de la désignation de ce lieu qui doit être faite par le Seigneur et non selon le choix de l’homme. Outre son intérêt pour la définition de l'espace sacré, le texte extrait du livre du Deutéronome permet aussi de penser le lieu de culte dans l’Ancien Testament à partir de la notion de “lieux de mémoire”. En effet, une autre catégorie d’autels décrits dans le texte vétéro-testamentaire renvoie à la notion d’autel memorial érigé sur des “lieux de mémoire” et situés généralement en plein air. Tel est par exemple le cas pour l’érection de l’autel près du Jourdain par les fils de Ruben, les fils de Gad et la demi-tribu de Manassé : «…Entre nous et vous, fils de Ruben et de Gad, le Seigneur a établi une frontière, le Jourdain. Vous n’avez aucune part sur le Seigneur. Vos fils pousseraient nos fils à cesser de craindre le Seigneur. Nous nous sommes dit alors : “Il nous faut bâtir un autel, non pour des holocaustes ni pour des sacrifices, mais comme témoin entre nous et vous, et entre nos Guillaume Durand, op. cit. à la note 20, p. 255. Capitula episcoporum, cité à la note 14, p. 268. 30 MGH, Capitula episcoporum, t. I, Hannover, 1984, p. 110-111. 28 29
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descendants, que c’est bien le service du Seigneur que nous accomplissons devant sa face, par nos holocaustes, par nos sacrifices de paix, afin que vos fils demain ne disent pas à nos fils : vous n’avez pas de part sur le Seigneur”. Nous nous sommes dit : “Si demain on nous tient ce langage à nous et à nos descendants, nous dirons : voyez la forme même de l’autel du Seigneur que nos pères ont établi non pas pour des holocaustes ou des sacrifices, mais comme témoin entre nous et vous…”. Quelle abomination ce serait de nous révolter contre le Seigneur et de nous détourner aujourd’hui du Seigneur en bâtissant un autel pour des holocaustes, des offrandes et des sacrifices, en dehors de l’autel du Seigneur, notre Dieu, qui se trouve devant sa demeure…Les fils de Ruben et les fils de Gad nommèrent l’autel, “car il est “témoin” entre nous que le Seigneur est Dieu” » (Josué 22, 25-34). Avec une connotation plus symbolique encore, la fonction mémoriale de l’autel apparaît également présente dans certains passages de l’Ancien Testament où se trouve en jeu la mémoire des actes commis par les hommes. À titre d’exemple, citons un autre extrait du livre de l’Exode dans lequel on attribue à l’autel une valeur mémoriale en relation avec les homicides commis par les hommes 31. D’une certaine manière, l’image de l’autel est ici associée non seulement à l’idée de mémoire mais également à celle du droit d’asile et de la protection liée à l’autel : “Qui frappe à mort sera mis à mort. Cependant, celui qui n’a pas guetté sa victime – puisque c’est Dieu qui l’aurait mise sous sa main – je te fixerai un lieu où il pourra fuir. Mais quand un homme est enragé contre son prochain au point de le tuer par ruse, tu l’arracheras même de mon autel pour qu’il meurre” (Exode 21, 12-14). Dans les textes de l’Ancien Testament, une large part est accordée à la description d’autels particuliers où l’accent est mis sur certains détails techniques relatifs à la fabrication de l’objet ou bien encore en relation avec les matériaux employés pour sa réalisation. Nous verrons plus loin dans ce livre l’importance de ces descpritions d’autels, dont beaucoup sont mobiles, pour légitimer non seulement l’usage de l’autel portatif mais aussi pour justifier l’emploi de matériaux tels que le bois ou certaines matières précieuses pour la réalisation de ces autels. Par exemple, au chapitre 38 du livre de l’Exode, de même qu’au chapitre 37, est décrite la fabrication de l’autel dans le cadre général de la mise en place par Dieu des institutions cultuelles : “Puis il fit l’autel de l’holocauste en bois d’acacia : cinq coudées pour 31 C. Houtman, “Der Altar als Asylstätte im Alten Testament : Rechtsbestimmung (Ex 21, 12-14) und Praxis (I Reg. 1-2)”, Revue biblique, 103, 1996, p. 343-366.
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sa longueur, cinq coudées pour sa largeur – il était carré – et trois coudées pour sa hauteur. Il fit à ses quatre angles des cornes qui faisaient corps avec lui. Il le plaqua de bronze. Il fit tous les accessoires de l’autel : les bassins, les pelles, les coupes à aspersion, les fourchettes et les cassolettes, tous accessoires qu’il fit en bronze. Il fit pour l’autel une grille à la façon d’un filet de bronze, sous la bordure de l’autel, depuis la base jusqu’à mi-hauteur. Il coula quatre anneaux aux quatre extrêmités de la grille de bronze, pour loger les barres. Il fit les barres en bois d’acacia et les plaqua de bronze. Il introduisit les barres dans les anneaux sur les côtés de l’autel, pour servir à la porter. Il le fit creux, en planches” (Exode 38, 1-7). Dans ce passage, l’insistance est nettement portée à la fois sur la richesse des matériaux employés pour confectionner l’autel des holocaustes ainsi que sur la typologie de l’autel que l’on peut manifestement classer dans la catégorie des autels mobiles. De ce double point de vue, ce passage aura une influence sur la conception théologique de l’autel portatif, pouvant être fabriqué en matériaux nobles et destinés à un usage liturgique mobile. À plusieurs égards, la richesse de l’autel décrit dans le passage de ce chapitre du livre de l’Exode anticipe sur celle voulue par Salomon pour la fabrication de l’arche d’alliance déposée dans le Temple : “Devant la chambre sacrée aux vingt coudées de long, aux vingt coudées de large aux vingt coudées de haut et que Salomon avait plaquée d’or fin, se trouvait l’autel qu’on lambrissa de cèdre. Salomon plaqua d’or fin l’intérieur de la maison et fit passer des chaînes d’or devant la chambre sacrée qu’il plaqua d’or. Il avait plaqué d’or toute la maison, la maison dans son entier; tout l’autel destiné à la chambre sacrée, il l’avait plaquée d’or” (I Rois 6, 20-22). Dans son commentaire sur les “choses liturgiques”, au moment où il est précisément question du temple de Salomon et de l’arche d’alliance, Walafrid Strabon, dans le courant du IXe siècle, établit un rapprochement entre le temple et le tabernacle que Moïse a fait fabriquer : “Templum dictum est quasi tectum amplum, unde et excellentioribus aedificiis hoc congruit nomen; sicut Salomon rex potentissimus in regia urbe templum, Moyses vero in itinere tabernaculum dicitur condidisse. Dictum est autem tabernaculum a tabulis et cortinis, eo quod interstantibus tabulis cortinae desuper tenderentur, unde et militum tentoria, quibus in itinere solis ardores, tempestates imbrium frigorisque iniurias vitant, tabernacula dicuntur” 32. Ainsi que l’a rappelé Michel Lauwers à propos de l’exégèse de Raban Maur sur le temple de Salomon et du tabernacle établi par Moïse, ces deux “constructions” figu Walafrid Strabon, op. cit. à la note 6, p. 68-69.
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raient par excellence le type même de l’Église 33. Dans le même esprit que ces textes où l’on procède à la description d’autels mobiles et de leurs matériaux – anticipant ainsi sur les autels portatifs chrétiens -, mentionnons encore le célèbre passage tiré du deuxième livre des Rois relatant un moment du règne du roi de Juda, Akhaz 34. Le texte nous apprend que ce roi avait vingt ans lorsqu’il accéda au trône et qu’il régna durant seize années à Jérusalem. Mauvais souverain tyrannique, Akhaz est combattu par différents rois et, alors qu’il se rend à Damas pour y rencontrer le roi d’Assyrie : “Il vit l’autel qui était à Damas. Le roi Akhaz envoya au prêtre Ouriya un modèle et un plan de l’autel, en vue d’en faire une reproduction exacte. Le prêtre Ouriya construisit l’autel : c’est d’après toutes les indications envoyées de Damas par le roi Akhaz que le prêtre Ouriya agit et cela avant même que le roi ne revienne de Damas. Le roi s’approcha de l’autel; il y monta; il fit fumer son holocauste et son offrande, versa sa libation sur l’autel qu’il aspergea avec le sang de ses sacrifices de paix. Quant à l’autel de bronze qui était devant le Seigneur, il l’enleva de devant la maison, place qu’il occupait entre le nouvel autel et la Maison du Seigneur, et l’installa sur le côté, au nord de cet autel” (II Rois, 16). La notion de modèle est dans cette péricope fortement présente et a suggéré à certains auteurs que l’autel du roi Akhaz décrit dans ce passage du deuxième livre des Rois constituait une preuve de l’influence des autels assyriens sur les autels de bronze de l’Ancien Testament. Une hypothèse identique a été formulée à propos de la description de l’autel du Temple faite par le prophète Ezéchiel au chapitre 43, 13-17 de son livre 35 : “Voici les dimensions de l’autel en coudées, cette coudée valant une coudée et une palme. Le fossé, mesuré avec cette coudée : une coudée de large; il s’étend jusqu’au rebord qui en fait le tour, sur un empan. Voici la hauteur de l’autel; du “sein de la terre”, jusqu’au socle inférieur, deux coudées sur une largeur d’une coudée; depuis le petit socle jusqu’au grand socle, quatre coudées sur une largeur d’une coudée”. La “montagne-de-Dieu”; quatre coudées, et par-dessus le sommet, quatre cornes. “La montagne Lauwers, op. cit. à la note 7, p. 70-71. Sur le symbolisme du temple de Salomon, voir entre autres, W. Cahn, “Solomonic Elements in Romanesque Art”, The Temple of Solomon. Archaeological Fact and Medieval Tradition in Christian, Islamic and Jewish Art, Missula, 1976, p. 45-72. 34 K. Smelik, “The New Altar of King Ahaz (2 Kings 16) and Deuteronomistic Reinterpretation of a Cult Reform”, Deuteronomy and deuteronomic Literature. Festschrift für C.H.W. Brekelmans, Leuven, 1997, p. 263-278. 35 H. Vincent, “L’autel des holocaustes et le caractère du temple d’Ezéchiel”, Analecta Bollandiana, 67, 1949, p. 7-20. 33
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de Dieu : douze coudées de long sur douze de large; elle est carrée par ses quatre côtés. Le socle : quatorze coudées de long sur quatorze coudées de large, pour ses quatre côtés. Le rebord qui en fait le tour, une demi-coudée; son fossé, autour de lui, une coudée. Les degrés sont tournés vers l’Orient”, puis vient la description des différents rituels sacrificiels que devront exécuter les prêtres lévites sur cet autel du Temple à venir. Selon différents auteurs, la description relativement précise de l’autel du Temple par Ezéchiel repose sur la connaissance qu’aurait eu le prophète des autels assyriens présents dans les sanctuaires et qui lui étaient familiers durant son service sacerdotal au temple avant l’exil. L’influence des objets et monuments de l’Orient sur la description de l’autel du temple fait par Ézéchiel se vérifierait jusque dans la comparaison entre cet autel et l’architecture des ziggourats mésopotamiennes. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, il nous faut insister sur le modèle qu’a fréquemment représenté l’autel du temple décrit par Ézéchiel pour les hommes du Moyen Âge et l’influence qu’il a éventuellement pu exercer sur la conception des autels chrétiens. Le dernier exemple extrait de l’Ancien Testament et mentionnant l’autel est le fameux passage du psaume 42, 4 : “Je parviendrai à l’autel de Dieu, au Dieu qui me fait danser de joie, et je te célèbrerai sur la cithare, Dieu, mon Dieu !”. Ce verset de psaume a connu une grande postérité durant le Moyen Âge puisqu’il a notamment été utilisé dans la liturgie eucharistique comme antienne d’introït, en particulier pour le rituel de la consécration de l'autel 36. Comme l’a justement fait remarquer Jean Hubert, il établit la relation, il fait le lien entre l’autel et la nouvelle Loi et les autels de l’ancienne Loi cités dans l’Ancien Testament 37. Les autels dans le Nouveau Testament : vers une théologie christologique de l'espace sacré et du lieu de culte Dans le Nouveau Testament, les mentions d’autels sont plus rares que dans les livres vétéro-testamentaires mais elles n’en sont pas moins fondamentales pour comprendre l’histoire de l’autel chrétien et sa signification théologique dans l'Antiquité et au Moyen Âge. La plus importante péricope du Nouveau Testament mentionnant l’autel est un extrait de l’épître aux Hébreux. A propos de la vraie communauté Carmina scripturarum scilicet antiphonas et responsoria, 1907, p. 120. J. Hubert, “Introïbo ad altare”, Revue de l’art, 24, 1974, p. 9-21.
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et de l’amour fraternel, il est dit : “Nous avons un autel dont les desservants de la tente n’ont pas le droit de tirer leur nourriture” (Hébreux 13, 10) (“habemus altare de quo edere non habent potestatem qui tabernaculo deserviunt”). Ce passage est fondamental pour comprendre dans l’exégèse médiévale l’association, ou plus exactement l’assimilation opérée dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge entre cet unique autel de la communauté et le Christ. Selon l’interprétation admise par la plupart des spécialistes 38, l’autel mentionné dans Hébreux 13, 10 est par excellence la figure du Christ et justifie en même temps la nécessité pour les chrétiens de ne posséder dans leurs églises qu’un seul et unique autel, symbole du Sauveur. Dans ce sens, l’autel chrétien associé à la figure du Christ permet le rejet et l’éloignement des idoles comme le souligne un extrait de la première épître aux Corinthiens : “C’est pourquoi, mes biens-aimés, fuyez l’idolâtrie. Je vous parle comme à des personnes raisonnables; jugez vous-mêmes de ce que je dis. La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pas un communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n’estil pas une communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps : car tous nous participons à cet unique pain. Voyez les fils d’Israël : ceux qui mangent les victimes sacrifiées ne sont-ils pas en communion avec l’autel ? Que veux-je dire ? Que la viande sacrifiée aux idoles ou que l’idole aient en elles-mêmes quelque valeur ? Non ! Mais comme leurs sacrifices sont offerts aux démons et non pas à Dieu, je ne veux pas que vous entriez en communion avec les démons” (I Corinthiens 10, 14-20). Certains auteurs ont aussi mis en opposition la signification christologique de l’autel mentionné dans l’épître aux Hébreux avec le service de l’autel décrit dans un autre passage de la première épître aux Corinthiens : “Ne savez-vous pas que ceux qui assurent le service du culte sont nourris par le temple, que ceux qui servent à l’autel ont part à ce qui est offert sur l’autel ?” (I Corinthiens 9, 13) où l’accent est porté sur la définition du service liturgique plutôt que sur la référence à l’autel unique, figure du Christ sacrifié sur la croix. Enfin, je terminerai cette exploration des mentions d’autels dans le texte biblique par le célèbre passage de l’Apocalypse relatant la vision des âmes des martyrs sous l’autel : “Quand il ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été immolés au 38 Voir notamment, C. Pocknee, The Christian Altar. In History and Today, Londres, 1963, p. 33 et ss. et A. Werckwerth, “Tisch und Altar”, Zeitschrift für Religions- und Geistesgeschichte, 15, 1963, p. 209-244, p. 229-230.
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cause de la parole de Dieu et du témoignage qu’ils avaient porté. Ils criaient d’une voix forte : jusqu’à quand, maître saint et véritable, tarderas-tu à faire justice et à venger notre sang sur les habitants de la terre ? Alors il leur fut donné à chacun une robe blanche, et il leur fut dit de patienter encore un peu, jusqu’à ce que fut au complet le nombre de leurs compagnons de service qui doivent être mis à mort comme eux” (Apocalypse 6, 9). Ce passage, dont l’exégèse et les représentations iconographiques sont très riches 39, fonde d’une certaine manière la légitimité de l’emplacement du corps des martyrs, du corps des saints sous les autels, de telle manière qu’il participe pleinement, avec l’extrait de l’épître aux Hébreux mentionné précédemment, à l’ancrage du lieu de culte et de l’autel fixe et unique dans le bâtimentéglise. Et, de fait, les premiers siècles chrétiens verront se developper la construction d’édifices destinés au culte, à la célébration de la liturgie, autour de l’autel du saint devenu le pivot de l’espace sacré construit par les hommes. Et cet autel devait dès les premiers siècles être unique étant donné le rapprochement proposé entre l’autel et la figure du Christ à partir du passage de l’épître aux Hébreux. 40 On le voit, l’extrait de l’épître aux Hébreux comme celui issu du texte de l’Apocalypse orientent l’exégèse chrétienne du lieu de culte en direction de l’association entre la figure du Christ et l’autel unique et fixe aménagé dans l’église ainsi qu’en direction d’un fort ancrage de celle-ci autour de la tombe des martyrs, assimilés aux âmes décrites dans le chapitre 6 de l’Apocalypse. Pourtant, la localisation précise du lieu de culte dans le christianisme ne va pas de soi notamment, du fait de l’important dossier vétéro-testamentaire relatif aux autels fabriqués à partir de la pierre brute et installés dans des lieux désignés par Dieu lui-même ainsi que du fait du symbolisme accordé au temple et au tabernacle, ou bien encore aux autels mobiles confectionnés par Moïse lors de l’Exode. Ces textes “modèles” décrivant des autels vont permettre la justification théologique, liturgique et juridique en faveur de l’usage des autels portatifs chrétiens. À propos de cet apparent conflit entre la définition de l’espace sacré dans certains textes vétéro-testamentaires et d’autres issus du Nouveau Testament où l'accent est porté sur la dimension christologique de l'autel, Dominique Iogna-Prat a à juste titre souligné l’évo N. Mezoughi, “Le fragment de Beatus illustré conservé à Silos (1ère partie)”, Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 13, 1982, p. 125-145. 40 Certains auteurs ont associé l’autel décrit dans l’épître aux Hébreux avec la croix du Christ, cf. Pocknee, op. cit. à la note 38, p. 33. 39
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lution d’un processus menant de la prise en compte de l’héritage biblique par la théologie médiévale vers l’instauration d’un double phénomène de spiritualisation et d’intériorisation des textes vétérotestamentaires 41. Or, dans ce processus, la nouvelle Alliance suppose l’élaboration d’une autre conception du temple, fait non pas de main d’homme mais de l’humanité du Christ.
41 D. Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, 2006, p. 32-33.
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CHAPITRE III
L’AUTEL CHRÉTIEN DANS L’ANTIQUITÉ. THÉOLOGIE, LITURGIE, DROIT CANON L‘autel fixe et unique au service de la théologie chrétienne Dans ce chapitre, je vais examiner la façon dont la théologie, les pratiques liturgiques et le droit canon ont considéré l’autel chrétien fixe ou mobile dans l'Antiquité. Chemin faisant, j’explorerai également ce qu’il est dit de l’espace sacré dans ces différents domaines au cours des premiers siècles chrétiens 1. Au IVe siècle, un bref passage tiré d’un célèbre texte de nature liturgico-canonique célèbre d’origine orientale, les “Constitutions Apostoliques”, disserte sur les qualités et les vertus des veuves. Ces considérations d’ordre moral et théologique à la fois sont légion dans ce genre de textes où il s’agit de définir les rôles de chaque membre d’une communauté chrétienne en insistant sur les qualités morales requises et leur signification théologique. À propos de la discrétion requise des veuves et des vierges, les “Constitutions Apostoliques” précisent que : “…la veuve sache donc qu’elle est l’autel de Dieu et qu’elle reste dans sa maison, sans s’introduire sous quelque prétexte dans les maisons des fidèles pour quémander : car jamais l’autel de Dieu ne circule, mais il est établi en un lieu unique. Que donc la Vierge et la veuve ne circulent ni n’errent dans les maisons des autres …” 2. De manière fort suggestive, ce passage du texte liturgico-canonique oriental affirme que l’autel du Seigneur n’est pas mobile et qu’il n’est par conséquent pas destiné à l’itinérance liturgique, à l'instar de la veuve et de la vierge dont la stabilité doit être une vertu essentielle. Au contraire, l’autel de Dieu est installé dans ce lieu unique et consacré, le lieu sacré et rituel par excellence qu’est l’église, le bâtiment dans lequel se rassemblent les chrétiens pour célébrer la liturgie. Ainsi, très tôt, la théologie chrétien soutiendra l’idée selon laquelle l’autel est associé à la stabilité, à la fixité et surtout à l’unité de l’Église car il est assimilé à la figure du 1 Ces pages reprennent en les développant certaines idées déjà exposées dans mon article, “L’espace et le sacré dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge. Les autels portatifs”, Cristianità d’Occidente e cristianità d’Oriente (secoli VI-XI), LI Settimana di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo, Spoleto 2003, Spoleto, 2004, p. 1117-1160, sp. p. 1134-1140. 2 Les Constitutions Apostoliques, t. II, livres III-VI, introduction, texte critique et notes par M. Metzger, “Sources chrétiennes – 329”, Paris, 1986, p. 133-134.
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chapitre 3
Christ. Dans sa belle contribution à l’histoire des mots “Tisch” et “Altar” (“table” et “autel”) dans la théologie du christianisme des premiers siècles, Alfred Werckwerth a fait remarquer avec une grande pertinence que cette idée de l’unicité de l’autel chrétien et de son association avec la figure du Christ reposait principalement sur l’interprétation de la péricope de l’épître aux Hébreux dont il a été grandement question dans le chapitre précédent : “Nous avons un autel dont les desservants de la tente n’ont pas le droit de tirer leur nourriture” (Hébreux 13, 10) 3. En effet, dès les premiers siècles chrétiens, se développe l’idée fondamentale selon laquelle l’unité de l’Ecclesia, terme pris ici dans son acception ecclésiologique et non pas dans le sens du bâtiment où se réunissent les fidèles pour célébrer la liturgie, est présente dans l’unicité du sacrifice de l’eucharistie célébré sur l’autel unique et fixe installé dans les lieux de la célébration, l'église consacrée. Ainsi que l’a récemment rappelé Dominique IognaPrat, l’Antiquité chrétienne a fait émerger une nouvelle conception du temple 4. Cette nouvelle conception fait passer de l’image du temple de Salomon, fait de pierres, à celle du temple associée à la figure du Christ et de sa nature humaine. Par exemple, Jean Chrysostome ou Grégoire de Nazianze défendent contre les Juifs l’idée selon laquelle le temple est bien le Christ dont le sacrifice est commémoré dans les églises 5. Bon nombre d'autres théologiens d’Orient et d’Occident dissertent à ce propos dans les premiers siècles chrétiens. La plupart d’entre eux s’accordent pour affirmer avec force que les chrétiens n’ont besoin et ne doivent posséder qu’un seul autel fixe pour la célébration de la liturgie, car ils n’admettent qu’un seul évêque, qu'un seul sacrifice et qu'un seul corps du Christ. C’est par exemple dans ce sens que s’exprime Ignace d’Antioche : “Augustum vero magnumque et unicum altare quondam aliud est, quam summi omnium sacerdotis purissima mens prorsusque sanctum sanctorum ?” 6, ou bien encore saint Irénée 7. Tel est aussi clairement la position exprimée par saint Cyprien de Carthage au IIIe siècle : “Deus unus est et Christus unus et una Ecclesia, et cathedra una super petram Domini voce fundata. Aliud altare constitui aut sacerdotium novum fieri praeter unum altare et unum sacerdotium non 3 A. Werckwerth, “Tisch und Altar”, Zeitschrift für Religions- und Geistesgeschichte, XV, 1963, p. 209-244, sp. p. 233-235. 4 D. Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, 2006, p. 30-33. 5 Ibid., p. 31. 6 PG 20, col. 879. 7 Cf. Dictionnaire de théologie, I, col. 2575-2577.
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potest” 8. Afin de comprendre ces prises de positions énoncées par les théologiens des premiers siècles, il faut se souvenir que ces périodes sont principalement marquées par les schismes qui risquaient de porter atteinte à l’unité de l’Église. Dans les écrits des théologiens, le vocabulaire employé pour désigner l’autel reflète aussi à sa manière le débat sur le lieu de culte chrétien et la tentative des pères de l'Église pour en proposer une définition. En marge de cet aspect relatif à la définition de l’espace rituel chrétien, le vocabulaire utilisé par les théologiens à cette époque pour désigner l’autel vise aussi à établir une nette distinction entre les rituels “païens” et les rituels du christianisme naissant. Dans de nombreux textes, le choix du vocabulaire oscille entre les mots ara, altare, mensa et tabula. Les auteurs chrétiens ont cependant très peu fait usage du mot ara car bien trop connoté négativement en relation avec les autels utilisés dans le cadre de rituels “païens”. C’est par exemple en ces termes que s’exprime Cyprien de Carthage au IIIe siècle pour rejeter et condamner les cultes païens et les dispositifs rituels nécessaires pour leur réalisation, en premier lieu l’autel : “…audet sibi adhuc sacerdotium quod prodidit vindicare, quasi post aras diaboli accedere ad altare Dei fas sit, aut non majorem in se iram et indignationem Domini in die judicii provocet…” 9. Dans une autre de ses lettres, saint Cyprien préfère clairement utilisé le mot “altare” pour désigner l’autel de la célébration liturgique des chrétiens : “…quando singuli divino sacerdotio honorati et in clerico ministerio constituti non nisi altari et sacrificiis deservire et precibus atque orationibus vacare debeant.” 10. “Altare” a donc la préférence des auteurs chrétiens bien que Tertullien, par exemple, emploie de temps à autre le mot “ara” sans connotation négative, eu égards aux allusions explicites contre les autels païens formulées par saint Cyprien : “Similiter et stationum diebus non putant plerique sacrificiorum orationibus interveniendum, quod statio solvenda sit, accepto corpore Domini. Ergo devotum Deo obsequium Eucharistia resolvit ? An magis Deo obligat ? Nonne solemnior erite statio tua, si et ad aram Dei steteris ? Accepto corpore Domini, et reservato, utrumque salvum est, et participatio sacrificii, et executio officii.” 11. Après saint Cyprien, d’autres auteurs chrétiens reprendront à leur compte cette opposition entre les autels chrétiens et les autels païens à partir de l’emploi différencié du vocabulaire, “altare” pour les premiers et “ara” pour les seconds. PL, 4, col. 336. PL, 4, col. 389. 10 Ibid., col. 398. 11 PL, 1, col. 1181-1183. 8 9
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Tel est par exemple le sens de la vive invective adressée par Minutius Felix contre les autels païens destinés à l’adoration des idoles et aux sacrifices sanglants par les juifs : “Cur nullas aras habent, templa nulla, nulla nota simulacra ? numquam palam loqui, numquam libere congregari (sustinent), nisi illud quod colunt et interprimunt, aut puniendum est aut pudendum ? Unde autem, vel quis ille, aut ubi Deus unicus, solitarius, destitutus; quem non gens libera, non regna, non saltem Romana superstitio noverunt. Judaeorum sola et misera gentilitas unum et ipsi Deum, sed palam, sed templis; aris, victimis caerimoniisque coluerunt : cujus adeo nulla vis nec potestas est, ut si romanis numinibus cum sua sibi natione captivus“ 12. Ainsi, à partir du IVe siècle, on peut considérer que, mises à part quelques exceptions le terme d’“altare” se généralise dans le vocabulaire des théologiens chrétiens. C’est également à cette époque que commence à se faire jour la distinction entre l’autel à proprement parler – c’està-dire l’autel fixe placé dans le choeur des églises – et la “mensa” employée de temps à autre pour désigner la surface de l’autel13. La matière des autels chrétiens dans l'Antiquité Dans les premiers siècles chrétiens, des textes appartenant à des genres très différents nous apprennent beaucoup sur la matière des autels et des autels portatifs, en plus de la discussion, de nature idéologique et théologique concernant le choix du vocabulaire. À travers divers témoignages, on sait que, dès le début du christianisme, les célébrations liturgiques qui se déroulaient dans des maisons privées nécessitaient l'usage des tables de bois. Ainsi que le rappelle Claire Sotinel, la plus grande partie des trois premiers siècles de l’ère chrétienne voit les célébrations prendre place non pas dans des édifices spécifiques mais dans les maisons d’habitation 14. Ce n’est qu’à partir du début du IVe siècle et la période constantienne que l’église-bâtiment – la basilique puis l’église au sens large – et son autel s’imposeront. On peut aisément imaginer la difficulté que l’on rencontre si l’on veut préciser le type de table employée pour les célébrations
12 PL. 3, col. 264-265. Dans la même direction, on peut aussi lire les propos d’Origène dans son traité contre Celse : “et propter alia plura similia, non solum templa, aras et simulacra abominantur, sed etiam parati sunt mori ubi se dederit occasio, ut suma Dei summi notionem ab aliqua ejusmodi impietate intaminatam servent”, PG, 11, col. 1511. 13 Cf. Dictionnaire de théologie cité à la note 7, col. 2578. 14 C. Sotinel, “Les lieux de culte chrétiens dans l’Antiquité et le sacré dans l’Antiquité tardive”, Revue de l’histoire des religions, 222, 2005, p. 411-434, sp. p. 412.
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liturgiques dans les maisons privées des premiers siècles 15. Dans le même sens, il est difficile de prouver, dans ce contexte précis des célébrations dans les maisons privées, l’utilisation d’autels portatifs à proprement parler d’autant plus que l’objet n’apparaîtra et ne se développera qu’à partir de l’existence conjointe de l’autel fixe dans les églises. Concernant les divers usages anciens de l’autel portatif, les témoignages sont, reconnaissons-le, bien minces. Il semble en revanche probable que les prêtres étaient, dans les premiers siècles, amenés à utiliser l'autel portatif dans diverses circonstances, peut-être dans les maisons particulières, dans la nature et dans les prisons. Sans pouvoir le prouver, l’usage de l’autel portatif en prison est vraisemblable dans les circonstances décrites par saint Cyprien de Carthage lorsqu’il s’adresse à ses diacres en leur recommandant de changer les célébrants afin de ne pas attirer l’attention des gardiens, mais rien n’est dit sur la manière de célébrer ni sur le matériel liturgique à proprement parler et a fortiori sur un autel portatif : “Et quamquam sciam plurimos ex his fratrum voto et dilectione susceptos, tamen si qui sunt qui vel vestitu vel sumptu indigeant, sicut etiam pridem vobis scripseram cum ad huc essent in carcere constituti, subministrentur etis quaecumque sunt necessaria, modo ut sciant ex vobis et instruantur et discant quid, secundum scripturarum magisterium…” 16 . Quoi qu’il en soit, on peut légitimement supposer que ces formes anciennes de célébrations liturgiques chrétiennes, dans ces lieux divers, mettaient en scène des tables de bois dont certaines étaient déjà conçues, considérées comme des autels portatifs, consacrés ou pas mais ne contenant sans doute pas encore de reliques. L’usage de la table de bois pour célébrer l’eucharistie s’est maintenu relativement tard dans la pratique de l’Église. Dans son traité contre les donatistes, Optat de Milève nous apprend que les schismatiques avaient raclé, brisé et arraché des autels de bois des catholiques car ils représentaient le symbole de la foi qu’ils combattaient : « Altaria, inquam, quibus fraternitatis munera non jussit Salvator imponi, nisi quae essent de pace condita : “Depone”, inquit, “munus tuum ante altare, et redi prius, concorda cum fratre tuo, ut posit pro te sacerdos offerre. Qui est enim altare, nisi sedes et corporis et sanguinis Christi ? haec omnia furor vester aut rasit, aut fregit, aut removit. Hoc igitur inexpiabile nefas, si de aliqua ratione descendit, uno modo fieri debuit. Sed, ut aestimo, alio loco copia lignorum frangi jussit, aliis vero ut altaria raderent, lignorum inopia imperavit; ut Cf. “Autel”, Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, I, col. 3155-3189, sp. col. 3157-3161. 16 PL. 4, col. 231-235, sp. col. 233. 15
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autem alii removerent, ex parte verecundia persuasit : ubique tamen nefas est, dum tantae rei manus sacrilegas et impias intulistis »17. De son côté, saint Augustin rapporte que des schismatiques avaient porté des coups à l’évêque Maximinen au moyen de planches d’un autel qu’ils avaient brisé : “Supradictum quippe episcopum Bagaiensem, quoniam apud ordinarium judicem, dicta inter partes sententia, obtinuerat basilicam, quam illi, cum catholica esset, invaserant, stantem ad altare irruentes horrendo impetus et furore crudeli, fustibus et cuiusmodi telis, lignis denique eiusdem altaris effracti immaniter ceciderunt; pugione etiam percusserunt in inguine; quo vulnere sanguis effluens eum exanimem redderet, nisi et ad vitam major saevitia eorum profuisset. Nam cum graviter sauciatum per terram insuper traherent, exundanti venae pulvis obstrusus sanguinem abstinuit, cujus effusione ibat in mortem. Deinde cum ab eis tandem relictum, nostri cum psalmis auferre tentarent, illi ira ardentiore succensi, eum de portantium minibus abstulerunt, male multatis fugatisque catholicis, quos ingenti multitudine superabant, et facile saeviendo terrebant” 18. Quant à lui, saint Athanase relate que le comte Héraclius avait fait briser puis brûler la table d’autel en bois de l’église d’Alexandrie : “Populis autem in magna ecclesia congregates, quarta quippe sabbati erat, postridie Heraclius comes secum assumpsit cataphronium Egypti praefectum…Eratque miserabile spectaculum : nam cum paucae, finita oratione, jamjam sedissent, derepente juvenes illi, cum lapidibus, et fustibus, nudi irruentes, alias lapidare, sacra vero virginum corpora plagis impii condidere, detractisque velaminibus earum capita nudare, ex adversoque trahentes illas pedibus improbi percutere” 19. On aura l’occasion de voir par la suite que le Moyen Âge a fait usage du bois pour la fabrication d’autels portatifs chrétiens et ce malgré la plus ancienne interdiction connue relative aux autels de bois ou à l’interdiction d’une autre matière. En effet, le canon 26 du concile d’Épaone tenu en 527 stipule que : “(l’) on ne consacre pas d’autels autres que ceux de pierre, par l’onction du chrême” 20. Comme le rappelle à juste titre Cyril Pocknee à propos de ce canon du concile d’Épaone, cette règle ne supprima jamais réellement les occasions de célébrer l’eucharistie sur un autel portatif fabriqué à partir d'autres matières que la pierre, comme par exemple lors des liturgies destinées aux missions évangélisatrices ou pour celles prenant place en temps de guerre 21. Il faut néanmoins dire que, mises PL, 11, col. 1065. PL, 33, col. 805. 19 PG, 25, col. 759. 20 Les canons des conciles mérovingiens (VIe-VIIe siècles), introduction, traduction et notes par J. Gaudemet et B. Basdevant, t. I, “Sources chrétiennes 353”, Paris, 1989, p. 113. 21 C. Pocknee, The Christian Altar in History and Today, Londres, 1963, p. 42-43. 17 18
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à part ces quelques exceptions, la règle énoncée par le canon du concile d’Épaone fut dans l’ensemble respectée et appliquée un peu partout dans l’Occident chrétien à partir du VIe siècle. J’en veux pour preuve les témoignages laissés par l’important matériau archéologique en provenance de la péninsule ibérique que Gisela Ripoll et Alexandra Chavarria Arnau ont présenté à nouveaux frais dans une synthèse fort suggestive concernant le matériau des autels espagnols entre le Ve et le Xe siècle 22. De son côté, Noël Duval a également bien souligné l’importance de l’usage de la pierre pour la confection de l’autel chrétien, très tôt dans l’Antiquité et demeurant l’habitude courante tout au long du Moyen Âge 23. D’un point de vue méthodologique, Noël Duval a parfaitement montré que l’absence de traces archéologiques en pierres ou témoignant de l’usage de la pierre pour les installations liturgiques des églises paléochrétiennes ne devait pas obligatoirement mener à la conclusion de l’usage d’autels de bois 24. Dans un de ses sermons pour la dédicace d’une église et pour la consécration de l’autel, saint Augustin parle de la bénédiction d’une pierre devant servir pour les sacrifices eucharistiques qui devront être célébrés quotidiennement en ce lieu : “Sicut optime novit sanctitas vestra, fratres, consecrationem altaris hodie celebramus: et juste ac merito gaudentes celebramus festivitatem, in qua benedictus vel unctus est lapis, in quo nobis divina sacrificia consecrantur”25. Un peu plus loin dans le même sermon, saint Augustin disserte sur la relation entre le temple de bois et les pierres vivantes de l’église, de l’Ecclesia, qui sont les fidèles, leur coeur et leur esprit entièrement dirigés vers la construction du temple du Seigneur : “Sed quando festivitates istas colimus, fratres charissimi, diligenter debemus attendere, et totis viribus laborare, ut quod in templis vel altaribus visibiliter colitur, in nobis invisibiliter compleatur : quia quamvis sancta sint templa quae videmus de lignis et lapidibus fabricari, tamen plus apud Deum pretiosa sunt templa cordis, et corporis nostri; quia illa fiunt ab homine carnali, ista ab artifice mundi. Templa de lignis et lapidibus humano ingenio componuntur; templa corporum ipsius coelestis artifices manu fabricantur, sicut scriptum est …”26. D'après certaines mentions de l’important recueil 22 G. Ripoll et A. Chavarria Arnau, “El altar en Hispania. Siglos IV-X”, Hortus Artium Medie valium, 11, 2005, p. 29-47. 23 N. Duval, “L’autel paléochrétien : les progrès depuis le livre de Braun (1924) et les questions à résoudre”, Ibid., p. 7-17. Pour le haut Moyen Âge, on se reportera à l’important article de C. Beutler, “Die Anfänge des mittelalterlichen Altares”, Studien zur Geschichte der europäischen Skulptur im 12./13. Jahrhundert, Frankfurt-am-Main, 1972, p. 457-467. 24 Ibid., p. 7. 25 PL. 39, col. 2169. 26 Ibid., col. 2169.
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du Liber pontificalis, on peut constater que l’usage du bois n’a jamais été véritablement exclu de la fabrication des autels. A plusieurs reprises, il est question dans ce texte d’autels mobiles recouverts de métaux précieux dont certains recouvraient peut-être du bois. Tels est par exemple le cas de passages extraits de la notice sur le pape Sylvestre Ier (314-335), de celle sur le pape Syxte III (432-440) et de celle sur le pape Hilaire Ier (461-468) : “Altaria VII ex argento purissimo, pens. sing. lib. CC”27; “altarem ex argento purissimo, pens. Lib. CC…” 28; “altare ex argento purissimo, pens. Lib. CC” 29; “altarem argenteum purissimum, pens. Lib. CCC” 30; “altarem argenteum , pens. lib. XL” 31. En Orient, le patriarche des Nestoriens, Jean Bar Algari a interdit l’usage des autels de bois à la fin du IXe siècle 32. L'espace sacré et le lieu rituel de plein air dans l'Antiquité Les textes de l’Antiquité chrétienne renseignent en réalité bien plus sur la façon dont on a pu concevoir et penser l’espace sacré que sur les conditions propres et réelles d’utilisation des autels portatifs. Ce fait est particulièrement vrai à propos des nombreux récits de pèlerinages qui sont parvenus jusqu’à nous. Dans ces textes, d’une très grande richesse du point de vue de l’histoire de la liturgie allant au-delà des pratiques liées aux autels portatifs, il est maintes fois fait allusion à l’usage d’autels en plein air ou bien à des descriptions de célébrations liturgiques se déroulant à l’extérieur d’un édifice 33. Dans la tradition des autels mémoriaux de la Bible auxquels j’ai fait allusion dans le chapitre précédent de ce livre 34, la célèbre pèlerine Égérie à de nombreuses reprises au IVe siècle des autels installés sur les lieux de la Terre sainte où le Christ s’est manifesté. Ainsi, dans sa description de Gethsémani et du Mont des oliviers, Égérie écrit que “sur le mont des oliviers, il y a une grotte très belle, et dans cette grotte un 27 Le Liber pontificalis, texte, introduction et commentaire par L. Duchesne, t. I, Paris, 1895, p. 172. Sur ces probables autels de bois couverts d’argent, voir déjà les commentaires de dom Leclercq dans l’article “Autel” du DACL, 1907, col. 3171. 28 Ibid., p. 182. 29 Ibid., p. 183. 30 Ibid., p. 232. 31 Ibid., p. 244. 32 H. Leclercq, “Autel”, DACL, col. 2579. 33 Sur tous ces textes, voir le très utile recueil constitué par P. Maraval, Récits des premiers pèlerins chrétiens au Proche-Orient (IVe-VIIe siècle), Paris, 1996 ainsi que l’histoire qu’il en retrace dans Lieux saints et pèlerinages d’Orient. Histoire et géographie des origines à la conquête arabe, Paris, 1995. 34 Voir chapitre II.
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autel, où le Seigneur avait coutume d’enseigner à ses disciples” 35, ou bien encore lorsqu’il est question de Bethléem, la pèlerine s’exprime en ces termes : “Non loin de là, se trouve l’église qu’on appelle “Aux bergers”; il y a maintenant un grand jardin, soigneusement clos de murs, et une grotte très belle avec un autel, à l’endroit où un ange apparut aux bergers qui veillaient pour leur annoncer la naissance du Christ” 36. Dans le passage du récit d’Égérie relatif aux différents sites de Galilée visités, la pèlerine relate qu’ “au même endroit, près de la mer, il y a une prairie avec de l’herbe en abondance et de nombreux palmiers; tout près, sept fontaines donnent chacune de l’eau en abondance. Dans cette prairie, le Seigneur rassasia le peuple avec cinq pains et deux poissons. La pierre sur laquelle le Seigneur déposa le pain est maintenant devenue un autel. Ceux qui viennent là emportent des morceaux de cette pierre pour leur salut, et elle fait du bien à tous” 37. Ce passage, comme les précédents qui viennent d’être cités, s’inscrit d’une part dans la tradition des autels bibliques à vocation mémoriale et permet d'autre part de mieux cerner la catégorie des autels “fabriqués”, “conçus” à partir de pierres naturelles, puisqu’il s’agit de pierres devenues ou transformées en autels et destinées à l'usage liturgique en plein air ou au moins se déroulant à l'extérieur de l'église. Dans son ouvrage consacré aux “lieux saints”, Adomnan relate à la fin du VIIe siècle qu’Arculfe, évêque gaulois qui s’était rendu en Palestine 38, avait rapporté que la pierre qui fut roulée sur le sépulcre du Christ a été divisée en deux parties : “On voit la plus petite, taillée au moyen d’outils de fer, comme un autel carré, placé dans l’église ronde décrite ci-dessus, devant la porte de cet édicule souvent mentionné, le monument du Seigneur. La partie la plus grande de cette pierre, convenablement retaillée, se trouve placée dans un endroit à l’est de cette église comme un autre autel quadrangulaire, recouvert de linges” 39. Dans le texte d’Adomnan, il est intéressant de constater qu’Arculfe décrit de cette façon l’installation sur le lieu du sacrifice d’Isaac : “Entre ces deux églises se trouve le fameux endroit où le patriarche Abraham éleva un autel, plaça sur lui un tas Maraval, Récits.., cité à la note 33, p. 60. Ibid., p. 61. 37 Ibid., p. 65. 38 Ibid., p. 237-289. Sur Arculfe, voir en dernier lieu N. Delierneux, “Arculfe, sanctus episcopus gente gallus : une existence historique discutable”, Revue belge de philologie et d’histoire, 75, 1997, p. 911-941. Sur la conception du De locis sanctis, cf. O. Limor, “Pilgrims and Authors : Adomnan’s De locis sanctis and Hugeburc’s Hodoeporicon Sancti Willibaldi”, Revue bénédictine, 114, 2004, p. 253-275. 39 Maraval, Récits…, cité à la note 33, p. 244. 35 36
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de bois et tira son glaive du fourreau pour immoler son fils Isaac. Il y a là maintenant une gande table de bois, ou un autel, qui commémore l’autel érigé par Abraham pour le sacrifice de son fils unique”40. C’est ici une table de bois, ou un autel, qui commémore l’autel érigé par Abraham pour le sacrifice de son fils unique. Dans le récit de son pèlerinage, Égérie propose en quelque sorte une définition de l’espace sacré qui met clairement en avant les lieux de plein air et les célébrations commémoratives qui s’y déroulaient. Ainsi, à propos de l’Horeb, Égérie décrit que : “À cet endroit , bien qu’il n’y ait pas de construction, il y a un énorme rocher circulaire, plat sur le dessus, où l’on dit que se sont tenus ces saints; là en son milieu, il y a comme un autel fait de pierres” 41. Arrivant à Livias, Égérie souligne que l’habitude des pèlerins consistait à pratiquer des formes de liturgie ou de célébration sans la présence obligatoire d’un autel : “Telle était notre constante habitude : chaque fois que nous arrivions aux endroits que nous avions desiré voir, on y faisait d’abord une prière, puis on lisait cette lecture tirée de la Bible, on disait un psaume approprié à la circonstance et on y faisait à nouveau une prière. Cette habitude, selon le bon vouloir de Dieu, nous l’avons toujours observée, chaque fois que nous avons pu arriver aux endroits que nous avions desiré voir” 42. Au moment de l’adoration de la croix lors de la semaine sainte, Égérie développe ses descriptions d’actes de prière collective et de célébrations qui se déroulaient en plein air : “Quand vient la sixième heure, on va devant la croix, qu’il pleuve ou qu’il fasse très chaud. C’est un endroit en plein air : c’est une sorte d’atrium très grand et très beau, entre la croix et l’Anastasis” 43. Pour terminer ce rapide passage en revue de ces quelques récits de pèlerinages en relation avec les célébrations liturgiques de plein air et l’usage des autels de pierre en extérieur, je citerai un extrait d’une compilation du VIe siècle réalisée à partir de sources orales et écrites sur les lieux de Terre sainte 44 : “La ville de Cherson est sur la mer Pontique : c’est là que le seigneur Clément a subi le martyre. Sa tombe a été placée dans la mer avec son corps. Une ancre fut attachée au cou du seigneur Clément; maintenant, le jour de sa fête, tous montent dans des barques, le peuple et les prêtres, et lorsqu’ils sont arrivés là, la mer s’assèche sur six milles. Là où est son reliquaire, on élève des Ibid., p. 246. Ibid., p. 79. 42 Ibid., p. 90. 43 Ibid., p. 131. 44 Ibid., p. 185-201. 40 41
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tentes, on place un autel, et pendant huit jours on y célèbre des messes et le Seigneur y fait de nombreux miracles” 45. Sans avoir la possibilité de le prouver, les conditions de célébration de l’eucharistie évoquées dans le texte du miracle de la vie de saint Clément suggèrent l’utilisation d’un autel portatif sous une tente, comme cela est attesté dans d’autres textes postérieurs et que l’on examinera dans les chapitres suivants. Tous ces textes nous renvoient fondamentalement à la notion de liturgie de plein air. De son côté, la liturgie itinérante, considérée indépendamment de ses caractères propres ou pas à l’extérieur de l’église, c’est-à-dire en plein air, ne se déroule pas obligatoirement et de façon systématique à l’extérieur d’un édifice. Ainsi, dans cette dialectique complexe se pose à la fois la question du rapport entre l’intérieur et l’extérieur de l'édifice où l'on célèbre; de même que celle de la possibilité canonique de porter en dehors de l’église consacrée les sacrements. Cette dernière apparaît particulièrement vive lorsqu’il s’agit de définir l’unité ecclésiologique d’un territoire, d’un espace, à partir de l’unité sacramentelle. Telle est par exemple la solution que propose la pratique du fermentum sur le vaste territoire de l’Église de Rome dès le Ve siècle, déjà présentée dans le premier chapitre. L’envoi de l’eucharistie consacrée par le pape dans toutes les églises suburbaines de la cité rend possible l’unification ecclésiologique de Rome à partir d’une pratique rituelle spécifique à la ville des bords du Tibre46. Dans certaines églises de l’Antiquité et du haut Moyen Âge la présence de multiples autels destinés à divers types de célébrations liturgiques peut, dans certains cas, laisser supposer l’utilisation d’autels portatifs à la place d’autels fixes qui constituent l’usage courant et habituels dans les églises dès les premiers siècles chrétiens. Cette pratique va pourtant à l’encontre de l’usage qui s’imposera rapidement comme la norme dès les premiers siècles et basé sur l’idée qu’il ne faut célébrer que sur un seul autel fixe car, comme l’explique de façon assez dogmatique saint Ignace d’Antioche : “Il n’y a qu’une eucharis-
Ibid., p. 192. P. Nautin, “Le rite du fermentum dans les églises suburbaines de Rome”, Ephemerides Liturgicae, 96, 1986, p. 510-522; V. Saxer, “L’utilisation par la liturgie de l’espace urbain et suburbain : l’exemple de Rome dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge”, Actes du XIe congrès international d’archéologie chrétienne, Lyon-Vienne-Grenoble-Genève-Aoste (1986), Rome, 1989 (Collection de l’École française de Rome 123 – Studi di antichità cristiana 91), p. 917-1031, p. 924-930. 45 46
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tie, qu’un autel, comme il n’y a qu’un seul évêque” 47. On le voit, pour cet auteur comme pour d’autres à sa suite, tel saint Augustin quand il parle de l’existence de deux autels dans une ville comme un témoignage visible du schisme donatiste 48, la règle de la présence d’un seul et unique autel dans l’église relève de la nécessité de lutter contre les schismatiques qui mettaient en péril l’unité de l’Église à une période de constitution et d’installation de l’autorité ecclésiastique comme de la recherche de définition des principaux aspects du dogme chrétien. Dans certains textes de l’Antiquité, les brèves descriptions qui sont faites de ces multiples autels en usage à l’intérieur de l’église permettent de penser qu’il a pu s’agir d’autels mobiles, d’autels portatifs. Tel est par exemple le cas dans la mention de plusieurs autels faite par Paulin de Nole dans l’une de ses lettres : “Ita ut crucem Christi decuit, experimento resurrectionis inventa et probata crux Christi est; dignoque mox ambitu consecratur, condita in passionis loco basilica, quae auratis corusca laquearibus, et aureis dives altaribus, arcano positam sacrario crucem servat : quam episcopus urbis eius quotaniis, cum Pascha Domini agitur, adorandam populo princeps ipse venerantium promit” 49. Dans tous les cas, que cela concerne les autels fixes situés dans les églises ou les autels portatifs utilisés en dehors de l’espace de l’église ou à l’intérieur de celle-ci, l’Antiquité chrétienne jette les bases essentielles de la réflexion théologique et liturgique sur la relation entre les autels fixes et les autels portatifs. Dans ce discours de nature à la fois théologique, dogmatique, liturgique et canonique les théologiens prennent position sur des sujets aussi divers que la matière des autels, la légitimité de leur usage dans des rituels spécifiques et constitutifs des pratiques liturgiques des premiers siècles du christianisme. Dans le même sens, il faut accorder une grande importance à l’apport de la législation canonique qui, pour la première fois tente de réguler les usages de ces autels en focalisant le débat sur la matière de l’autel et sur l’exclusion d’une toute autre matière que celle de la pierre. Dans le bref canon du concile d’Épaone, la définition stricte de l’autel tourne en premier lieu autour de la matière imposée pour la fabrication de l’objet – la pierre – mais aussi et en second lieu autour de l’impérative nécessité de célébrer sur des autels consacrés par l’autorité épiscopale. On le verra amplement dans les chapitres ultérieurs, Cf. “Autel”, DACL, I, col. 3185. Ibid., col. 3185 et PL. 35, col. 1999. 49 PL, 61, col. 329. 47 48
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ces deux points seront au coeur du discours élaboré au Moyen Age sur l’autel portatif et sa relation à l’autel fixe ainsi que son rôle dans la définition de l’espace sacré et construite par les théologiens carolingiens d’abord puis par l’exégèse liturgique et le droit canon de la période postérieure à la réforme grégorienne. Pour terminer cette rapide incursion dans les siècles précédents le haut Moyen Âge, véritable période chronologique focale de ce livre, il faut rappeler l’importance majeure de l’Antiquité dans l’élaboration du discours sur l’autel en relation avec la définition de l'espace sacré et du lieu rituel. J’en veux pour preuve certains passages de la Constitution du 23 mars 431, originellement conçue pour être promulguée dans la partie est de l’Empire mais qui fut finalement incorporé au Code théodosien. Comme l’a parfaitement relevé et analysé Barbara Rosenwein 50, les mentions de l’autel extraites de cette constitution de 431 marquent clairement l’élaboration définitive d’une pensée législative où l’autel et le “territoire”, “l’espace” qu’il représente est un lieu de pureté et de sacralité qui ne doit en aucune manière être profané. Dans ce sens, il est intéressant de constater que l’autel n’est pas seulement considéré dans ces textes que comme un objet “utilitaire” destiné à la célébration liturgique mais aussi et surtout comme un “lieu saint”, comme un “espace sacré” à part entière où se déroule certes la liturgie mais dont la valeur sacrée doit demeurée inviolable.
50 B. Rosenwein, Negotiating Space. Power, Restraint and Privileges of Immunity in Early Medieval Europe, Ithaca, 1998, p. 40.
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CHAPITRE IV
LA LITURGIE DE LA DÉDICACE DE L’ÉGLISE, DE LA CONSÉCRATION DE L’AUTEL ET DE L’AUTEL PORTATIF AU MOYEN ÂGE La liturgie de l’autel portatif, ou plus exactement, le rituel de sa consécration n’a pas, à ma connaissance, fait l’objet d’une étude complète et approfondie. Dans les ouvrages de référence de Joseph Braun et de Michaël Budde, aucune analyse spécifique n’est proposée de la liturgie de la consécration de l’autel portatif, bien que le premier de ces auteurs ait été amené à mentionner et citer quelques-unes des pièces liturgiques relatives au rituel en question 1. Comme j’ai déjà tenté de le faire de façon très ponctuelle et partielle dans des articles intermédiaires et destinés à préparer le présent livre il est pourtant possible de retracer l’histoire et d'analyser le contenu rituel et la signification théologique de la consécration de l'autel portatif grâce à la tradition textuelle de l’ordo d’une part et à celle des bénédictions de l’autel mobile que l’on trouve dans certains sacramentaires dès le VIIIe siècle 2. Ce chapitre voudrait combler cette lacune, du moins pour partie car il ne s’agira pas non plus de procéder à une analyse exhaustive du rituel et des pièces liturgiques qui composent ce rituel. Mon objectif est bien de proposer une analyse des principaux textes de la bénédiction et de la consécration de l’autel portatif depuis l’époque carolingienne jusqu’à la fin du Moyen Âge sans pour autant analyser chaque pièce et chaque partie de l'ordo de façon précise et détaillée. Pour ce faire, je procèderai essentiellement à l’exposé de l’histoire des premières bénédictions de l’autel portatif et du rituel de consécration à proprement parler tel qu’il se met en place à partir de la seconde moitié du Xe siècle dans le pontifical romano-germanique de l’Empire ottonien. Dans ce cadre, il sera nécessaire d’étudier le passage menant de l’existence de pièces liturgiques isolées n’appartenant 1 J. Braun, Der christliche Altar in seiner geschichtlichen Entwicklung. Munich, 1924, p. 419-523, sp. p. 420-421; M. Budde, Altare Portatile. Kompendium der Tragaltäre des Mittelalters 600-1600, Münster, 1998. 2 É. Palazzo, “L’espace et le sacré dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge. Les autels portatifs”, Cristianità d’Occidente et cristianità d’Oriente (secoli VI-XI), Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, LI, Spoleto 2003, Spoleto, 2004, p. 1117-1160, sp. p. 1156-1158 et “Exégèse et liturgie dans le haut Moyen Âge. L’exemple des autels portatifs”, L’exégèse biblique au Moyen Âge, actes du colloque de Wolfenbüttel, mars 2006, sous presse.
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pas à un rituel spécifique à la création d’un ordo de consécration parfaitement codifié. Dans l’étude de la constitution de l’ordo de consécration de l’autel portatif, je serai attentif à l’évolution des prières et rubriques particulières ainsi qu’à l’organisation d’ensemble du texte et à la signification théologique de certaines prières. De façon générale, il sera important à la fois de saisir les principaux enjeux de nature historique et liturgique ayant mené vers la création du rituel spécifique de la consécration de l’autel portatif au sein du pontifical romano-germanique et dans le contexte de la réforme liturgique entreprise par le pouvoir ottonien, ainsi que de cerner les aspects majeurs de sa signification théologique et anthropologique en relation avec le thème de l'espace sacré. Histoire et théologie de la dédicace de l'église, de la consécration de l'autel et de l'ordo de consécration de l'autel portatif Pour comprendre l’origine, l’évolution et le contenu du rituel de la consécration de l’autel portatif, il est indispensable de se pencher en même temps sur l’histoire du rituel de la consécration de l’autel fixe qui constitue le long développent de la seconde phase de la liturgie de la dédicace de l’église. Il ne peut cependant être question, aussi bien dans le cadre de ce chapitre que dans celui plus large du présent livre de traiter de façon approfondie de l’histoire du rituel de la dédicace de l’église et de son indispensable corollaire, la consécration de l’autel fixe. De nombreux auteurs ont déjà retracé avec beaucoup de précisions et de talent l’histoire de ce double rituel qui n’est en réalité conçu que comme un seul et unique ordo, constiué de deux parties, et dont l’histoire et la théologie s’avèrent bien plus riches et plus complexes que ce qui concerne de façon exclusive la consécration de l’autel portatif 3. Il m’a cependant paru nécessaire, voire tout à fait indispensable, d’aborder et de traiter de la liturgie de la consécration de l’autel portatif au sein de l’histoire plus large du rituel de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel fixe, et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, il faut tenir compte du fait que le texte de la consécration de l’autel portatif, pour la première fois codifié en 3 Voir surtout B. Repsher, The Rite of Church Dedication in the Early Medieval Era, Lewiston, 1998. On pourra aussi utilement se reporter à la synthèse proposée par D. Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, 2006, p. 260-283. Voir aussi D. Méhu, “Images et consécration de l’église dans l’Occident médiéval”, Mises en scènes et mémoires de la consécration d’église dans l’Occident médiéval, actes de la table ronde d’Auxerre, 25-27 juin 2005, dir. D. Méhu (sous presse). Je remercie l’auteur de m’avoir communiqué son texte avant publication.
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tant que tel dans le pontifical romano-germanique, semble conçu en lien direct avec le rituel de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel dont l’origine et l’histoire sont bien plus anciennes et remontent à l’antiquité chrétienne et la période de codification des premiers rituels dans les ordines. En second lieu, l’analyse du texte liturgique de la consécration de l’autel portatif permettra de se rendre compte et de constater la relative proximité entre ce texte et celui de la consécration de l’autel fixe qui lui est bien antérieur. On aura l’occasion de cerner les raisons de cette forte proximité entre les deux textes, du fait notamment de l’usage très vraisemblable pendant de nombreux siècles du rituel de la consécration de l’autel fixe pour consacrer les autels portatifs. Enfin, on ne peut passer sous silence les éléments communs entre la dédicace de l’église et la consécration de l’autel fixe d’une part et le rituel de la consécration de l’autel portatif d’autre part pour ce qui touche à la signification théologique de ces trois rituels car tous participent pleinement à la définition de l'espace sacré. Dans ce chapitre, je ne ferai qu’esquisser l’étude de cette signification théologique de ces rituels et de leurs éléments communs. Il me faudra y revenir de façon plus détaillée et approfondie dans le chapitre suivant. Dans un premier temps, je vais procéder à un bref et synthétique rappel des principaux éléments de la connaissance que nous avons de l’histoire et du contenu de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel fixe, ainsi que du rituel de la consécration de l’autel portatif. Dans un second temps, j’analyserai le texte de la consécration de l’autel portatif, ainsi que son histoire, sa structure, ses traditions textuelles à travers les siècles et ses relations avec les textes liturgiques pour la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel fixe. Dans l'étude du rituel de la consécration de l’autel portatif, je m'intéresserai de près aux prières de l'ordo contenu dans le pontifical et aux bénédictions de l’autel portatif dont on trouve les traces dans les sacramentaires carolingiens. Dans ce cadre général, je procèderai à l’analyse ponctuelle de quelques pièces liturgiques essentielles pour saisir plusieurs aspects de la signification théologique de l'autel portatif et du rituel de sa consécration. À côté de cette approche des textes, je serai aussi attentif à la structure du rituel et à sa dimension anthropologique. L’Antiquité chrétienne ne nous pas à proprement parler légué de rituels de la dédicace de l’église 4. Pour connaître la pratique qui avait 4 Voir déjà mes pages dans É. Palazzo, L’évêque et son image. L’illustration du pontifical au Moyen Age, Turnhout, 1999, p. 307-356 ainsi que É. Palazzo et B. Palazzo-Bertholon, “Archéologie
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cours avant le VIIIe siècle et les ordines romani, il faut se reporter à des témoignages indirects de nature non liturgique, comme, par exemple, les récits de pèlerinages en Terre sainte ou bien quelques éléments issus des textes de la tradition liturgico-canonique. En tout état de cause, il semble clairement établi que dès les périodes les plus anciennes de son histoire, le rituel de la dédicace de l’église comprenait essentiellement la célébration de l’eucharistie à laquelle est venue rapidement s’ajouter la déposition des reliques sous l’autel fixe placé dans le choeur de l’église. Le fort développement de la liturgie romaine à partir du VIIe siècle a permis la codification d’un grand nombre de rites parmi lesquels celui de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel 5. La codification des rites romains connut un grand succès dans une large partie de l’Occident durant les réformes menées par les souverains carolingiens, Pépin le Bref et surtout Charlemagne. La diffusion de la liturgie romaine sur le territoire de la Gaule put se faire grâce à la circulation des textes romains, tels que les sacramentaires et les antiphonaires, mais surtout par les collections d’ordines romani qui ont une fonction purement descriptive des rites. L’Ordo romanus 42, selon la numérotation proposée par l’éditeur de ces textes, Michel Andrieu, décrit le rite de la dédicace de l’église ainsi que la déposition des reliques à Rome vers 700-750, tandis que l’ordo romanus 41 donne le texte de la dédicace en pays francs vers 750-775 6. Dans ces textes, l’essentiel de la cérémonie est concentré autour de la déposition des reliques des martyrs et de la consécration de l’autel. À côté de cela, on accorde aussi une grande importance aux lustrations. C’est ainsi que l’on voit à plusieurs reprises l’évêque procéder à des aspersions, accompagnées de bénédictions, sur les murs extérieurs et intérieurs de l’église, de même que sur l’autel. Ces gestes rituels sont à interpréter en relation avec le fort symbolisme baptismal développé par les exégètes à propos de l'ensemble du rituel de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel qu’ils ont rattachés à la tradition de la dédicace des temples dans l’Ancien Testament 7. L’ordo 41 ajoute d’autres gestes à cet ensemble comme celui et liturgie. L’exemple de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel”, Bulletin Monumental, 159, 2001, p. 305-316. 5 Sur le processus de codification de la liturgie romaine dans l’Antiquité, on se reportera à l’ensemble des travaux d’Antoine Chavasse, La liturgie de la ville de Rome du Ve au VIIIe siècle, “Studia Anselmiana 112 – Analecta liturgica 18”, Rome, 1993. 6 Cf. M. Andrieu, Les Ordines romani du haut Moyen Âge, “Spicilegium sacrum lovaniense – 11, 23, 24, 28, 29”, Louvain, 1931-1961, t. IV, p. 339-347 et 397-402. 7 L. Bowen, “The Tropology of Mediaeval Dedication Rites”, Speculum, 16, 1941, p. 469-479.
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où l’évêque frappe à trois reprises à la porte de l’église, celui où il trace à l’intérieur de l’édifice l’alphabet sur le sol, ou bien encore les encensements que l’on pratique en grand nombre, surtout autour de l’autel. Dans le rituel romain, on met aussi l’accent sur le moment au cours duquel l’évêque scelle le ciment du sépulcre de l’autel où sont déposées les reliques, sur les onctions chrismales pratiquées par lui sur l’autel, ainsi que sur les aspersions de l’église pratiquée avec une branche d’hysope 8. Dans l’un et l’autre ordo, la célébration de l’eucharistie a lieu à la suite de l’exécution de ces rites. À l’occasion de chacun de ces actes, les ministres prononcent ou chantent de nombreuses pièces liturgiques (oraisons, antiennes, psaumes…) dont plusieurs visent à exprimer la signification théologique et spirituelle du rite. De façon pertinente, Dominique Iogna-Prat a insisté sur les quatre étapes principales qui voient les acteurs de ce rituel prendre possession du lieu 9, et, j’ajouterai pour ma part, pour créer aussi un véritable espace ecclésial au sens à la fois ecclésiologique du terme et dans son acception matérielle, en relation avec le bâtiment construit et où devra désormais se dérouler la liturgie de l’eucharistie et d’autres rituels de l’Eglise 10. A côté de ces considérations d’ordre théologique, Dominique Iogna-Prat a également pointé à juste titre la nature multisensorielle du spectacle qui est réalisé à l’occasion du déroulement du rituel de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel où tout est donné à voir (gestes du célébrant, procession des clercs et de l’assemblée), à entendre (prières et chants liturgiques) et à sentir (usage de l’encens, du nard, de la cinnamone et de la myrrhe dont l’odeur emplit l’église venant ainsi rappeler aux fidèles qu’ils sont à la fois “les pierres vivantes” et la “bonne odeur” de Dieu (“De fait, nous sommes pour Dieu la bonne odeur du Christ, pour ceux qui se sauvent et pour ceux qui se perdent”, II Corinthiens 2, 15) 11. Les textes des ordines 41 et 42 ont été largement repris dans la compilation liturgique majeure de la seconde moitié du Xe siècle, le 8 É. Palazzo, “Le végétal et le sacré. L’hysope dans le rite de la dédicace de l’église”, Ritual, Text and Law. Studies in Medieval Canon Law and Liturgy Presented to Roger E. Reynolds, Ashgate, 2004, p. 41-49. 9 Cf. Iogna-Prat, op. cit. à la note 3, p. 266-273. 10 Sur cette double acception de la signification théologique de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel, on peut toujours consulter avec grand profit les travaux classiques et essentiels de Y. M. Congar, L’ecclésiologie du haut Moyen Âge, Paris, 1968, p. 73-98, “L’Église, ce n’est pas les murs mais les fidèles”, La Maison-Dieu, 70, 1962, p. 105-114 et “L’Ecclesia ou communauté chrétienne, sujet integral de l’action liturgique”, La liturgie après Vatican II, “Unam Sanctam 66”, Paris, 1967, p. 241-282. 11 Iogna-Prat, op. cit. à la note 3, p. 266.
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pontifical romano-germanique, réalisée à Mayence, siège du pouvoir politique de l’Empire ottonien et destinée à s’imposer partout et à tous les évêques du vaste territoire sous domination ottonienne 12. Destiné à asseoir l’autorité liturgique épiscopale au sein de l’Église impériale ottonienne, le pontifical romano-germanique regroupe l’ensemble des rites réservés aux évêques. Dans ce cadre, on y trouve un important rituel de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel qui fusionne les deux traditions textuelles des ordines romani 41 et 42, tout en leur ajoutant certains éléments nouveaux, comme des rubriques ou bien encore en les complétant par des rituels que l’on peut rattacher à la dédicace de l’église, telle que la réconciliation d’une église profanée. On va le voir amplement, c’est dans ce cadre des “compléments” et ajouts au rituel de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel que prend place le texte du “nouvel” ordo de la consécration de l’autel portatif qui vient ainsi terminer un ensemble homogène et cohérent autour de la dédicace et de la consécration des espaces sacrés et des objets nécessaires pour la célébration liturgique dans ces lieux 13. Dans les pontificaux romains de la seconde moitié du Moyen Âge, le schéma général du déroulement du rite de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel tel qu’il est codifié dans le pontifical romano-germanique à la suite de la réception des ordines romani 41 et 42 ne connaîtra que peu de changements majeurs 14. Les liturgistes de la curie romaine auront surtout à coeur de l’enrichir de rubriques accentuant sa dimension rituelle et mutisensorielle. Ce désir s’inscrit dans le mouvement de ritualisation poussée issue de la réforme liturgique progressivement mise en place et réalisée à Rome durant le XIIIe siècle. Dans le pontifical romain du XIIe siècle, le rituel de la réconciliation d’une église profanée suit l’ordo de la dédicace de l’église. On y ajoute également un bref ordo pour la consécration de la basilique Saint-Pierre par le pape dont le texte est principalement issu du pontifical romano-germanique du Xe siècle. Au début du XIIIe siècle, le pape Innocent III entreprit une grande réforme de l’Église qui provoqua d’importants remaniements 12 C. Vogel et R. Elze, Le pontifical romano-germanique du Xe siècle, “Studi e Testi 226, 227, 269”, Città del Vaticano, 1963-1972, t. I, p. 82 et ss. 13 PRG, I, p. 148-149 et 167-173. 14 M. Andrieu, Le pontifical romain du XIIe siècle, “Studi e Testi 86”, Città del Vaticano, 1938, p. 176-197; Le pontifical romain du XIIIe siècle, “Studi e Testi 87”, Città del Vaticano, 1940, p. 420-428 (Le pontifical de la curie romaine au XIIIe siècle, texte latin, traduction et introduction par M. Goullet, G. Lobrichon et É. Palazzo, “Sources liturgiques 4”, Paris, 2004, p. 200-239).
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au sein des livres de la liturgie. Le pontifical n’échappa pas à cette réforme et la version du texte du XIIe siècle subit de profondes transformations qui ont notamment porté sur le développement de rubriques. Au cours du XIIIe siècle, d’autres papes tels que Innocent IV et Grégoire X ont eu à coeur d’apporter leur touche personnelle à ce texte liturgique dont la diffusion en Occident était considérable étant donné les desseins ecclésiologiques de la curie et visant à assimiler la liturgie de la chapelle papale à la liturgie de l’Église universelle 15. Dans le pontifical romain du XIIIe siècle, outre ces mêmes textes, on relève la présence nouvelle de bénédictions des pierres pour la construction de l’église. La présentation de ces textes liturgiques témoigne de la permanence sur plusieurs siècles du rituel de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel. Dans ses grandes lignes, le texte du rituel de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel conteu dans le pontifical présente la structure suivante : Rassemblement du clergé et du peuple sur le lieu où reposent les reliques. Litanie et bénédiction de l’eau par l’évêque. Procession vers l’église et translation des reliques. Devant la porte de l’église, dans laquelle douze cierges sont allumés, l’évêque frappe trois fois à la porte avec sa crosse en prononçant la formule “Tollite portas”. Les portes restant closes, l’évêque procède à l’aspersion de l’extérieur de l’édifice. Ouverture de la porte; l’évêque entre dans l’église avec trois ministres tandis que le reste du clergé et le peuple attendent dehors avec les reliques. À l’intérieur, l’évêque trace l’alphabet sur le sol, bénit l’eau avec laquelle il trace des croix sur l’autel et il asperge les murs de l’église à trois reprises. Ici, il prononce la prière de consécration de l’édifice. Préparation du ciment pour le scellement de l’autel et rites d’onction de l’autel effectués par l’évêque. Après une seconde série d’onctions, encensement de l’autel par un prêtre suivi de l’onction des murs de l’église par l’évêque. Préface de consécration de l’autel suivie de la bénédiction des objets et vêtements liturgiques.
Sur tout ceci, cf. Palazzo, op. cit. à la note 4.
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Retour de l’évêque vers l’extérieur où il va chercher les fidèles pour entrer en procession dans l’église. Déposition des reliques par l’évêque suivie de nombreuses onctions. Scellement des reliques dans l’autel. Célébration de l’eucharistie.
Pour cerner au plus près les origines rituelles et symboliques de la dédicace de l’église de laquelle on ne peut dissocier la consécration de l’autel – auxquelles la consécration de l’autel portatif sera associée à partir du Xe siècle – il faut s’intéresser au substrat biblique. L’Ancien Testament connaît plusieurs consécrations d’autels, parmi lesquelles citons : « Les chefs apportèrent l’offrande, pour la dédicace de l’autel le jour où l’on en fit l’onction. Les chefs apportèrent leurs présents devant l’autel. Le Seigneur dit à Moïse : “Que les chefs, à raison d’un par jour, apportent leur présent en offrande pour la dédicace de l’autel » (Nombres 7, 10-11). La dédicace du temple de Salomon demeure la référence essentielle pour la liturgie chrétienne de la dédicace de l’église (I Rois 8, 1-66). En effet, ce texte contient les moments incontournables pour effectuer ce qui sera amené à devenir la dédicace de l’église dans le christianisme : transfert de l’arche d’alliance (dans le christianisme ce sera l’autel avec les reliques), la longue prière de Salomon au Seigneur, le sacrifice offert dans la demeure permanente du Seigneur. Dans le Nouveau Testament, l’assimilation du temple du Seigneur avec le corps du Christ prend forme à partir de l’idée selon laquelle le sanctuaire est le lieu où Dieu est présent. Dans l’évangile de Jean, le corps du Christ est considéré comme le temple par excellence : “Mais lui parlait du Temple de son corps” (Jean 2, 21). Dans le même esprit, plusieurs passages des épîtres comparent la communauté chrétienne au temple de Dieu : “Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous . Si quelqu’un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est saint et ce temple, c’est vous” (I Corinthiens 3, 16-18); “Ou bien ne savez pas que votre corps est le temple du SaintEsprit qui est en vous et qui vous vient de Dieu, et que vous ne vous appartenez pas” (I Corinthiens 6, 19). Sur cette base scripturaire, l’idée visant à assimiler l’église-édifice à l’Ecclesia-corps du Christ connut un succès considérable depuis l’Antiquité et durant tout le Moyen Âge. En arrière-fond, se profile la notion d’assemblée come sujet intégral de l’action liturgique. Au XIIIe siècle, dans son “Rational des divins offices”, Guillaume Durand, à la suite d’autres commenta
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teurs médiévaux, développe longuement la position théologique assimilant le corps du Christ à l’Assemblée liturgique réunie dans l’église-bâtiment, et définissant ainsi l’Église 16. Ainsi, on peut affirmer avec force la place centrale tenue par le rite de la dédicace de l’église avec son corollaire indispensable, la consécration de l’autel, dans les fondements de l’ecclésiologie chrétienne. Deux autres aspects symboliques de la dédicace de l’église, fortement liés à la théologie du rite sont à signaler. Le premier concerne l’autel et sa signification pour la sacralisation du sanctuaire. La consécration du temple construit à l’initiative de Salomon n’a de réalité qu’à partir du transfert de l’arche d’alliance dans l’édifice. Or, l’arche d’alliance est une préfiguration de l’autel chrétien. Elle contient les tables sacrées de la Loi du Seigneur données à Moïse. Dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge, c’est autour de l’autel que l’on construit l’église. La décision d’établir un autel puis une église à tel ou tel endroit est généralement prise lorsque le culte d’un saint se fait jour. Autour de ses reliques, contenues dans l’autel, on bâtit l’église dans laquelle l’Assemblée, guidée par l’évêque, fera vivre l’Église locale, elle-même considérée comme une partie du corps du Christ. Le second aspect vise à assimiler l’église à un corps humain étant donné les rapprochements effectués entre le rite de la dédicace de l’église et l’initiation chrétienne. Il existe en effet une correspondance très étroite entre les différents moments du rituel de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel et le symbolisme baptismal. Développée déjà dans l’Antiquité, notamment par saint Augustin, cette idée sera largement reprise par les commentateurs tout au long du Moyen Âge. Aux yeux des théologiens, il existe une analogie entre les transformations sur l’âme humaine opérée lors du baptême et les effets sacramentels de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel sur le bâtiment et son espace. Par exemple, les nombreuses lustrations pratiquées lors de la dédicace sont considérées comme équivalentes à la purification du corps et de l’âme lors de l’administration du baptême. Lors de la dédicace, plusieurs gestes sont realisés trois fois de suite – par exemple lorsque l’évêque frappe à la porte de l’église ou bien encore pour les aspersions à l’extérieur et à l’intérieur de l’édifice – rappelant ainsi l’Incarnation du Christ, sa Descente aux enfers et sa 16 Rationale divinorum officiorum, I-IV, ed. A. Davril et T.M. Thibodeau, “Corpus christianorum – Continuatio mediaevalis CXL”, Tunrhout, 1995, voir plusieurs passages tirés des chapitres 1 et 6 du livre premier. Pour des textes analogues, voir le recueil de G. Binding, Der früh- und hochmittelalterliche Bauherr als Sapiens architectus, Darmstadt, 1996, p. 365-405.
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Résurrection, également symboliquement présentes dans la triple immersion pratiquée lors du baptême. À propos de ce même geste que l’évêque effectue devant la porte de l’église, on invoque encore le symbolisme lié au triple pouvoir du Christ dans les cieux, sur la terre et en enfer, reliant ainsi la dédicace au temps liturgique de Pâques. La consécration de l’autel par l’évêque s’inscrit également dans le cadre de ce symbolisme baptismal. Symbole de la crucifixion, l’autel apparaît comme le coeur purifié de l’église, identique au coeur pur de l’homme après le baptême. On voit ici affirmer la prise en compte de l’intérieur et de l’extérieur – de l’homme ou de l’église – dans l’acte de purification, baptême pour le premier, dédicace pour le second.
Histoire, théologie et anthropologie du rituel de la consécration de l'autel portatif L’histoire de la liturgie de consécration de l’autel portatif débute par la connaissance que l’érudition moderne a d’une bénédiction de cet objet et qui apparaît parmi une série de trois oraisons et d’une préface également dédiées à l’autel portatif. Cet ensemble de pièces liturgique est présente dans le sacramentaire gélasien du VIIIe siecle dans sa version du manuscrit de Gellone (Paris, BNF, lat. 12048, ff. 202v-203) 17. Cette pièce a fait l’objet d’une double étude philologique et liturgique très précise et savante de la part de Jean Magne 18. Cet auteur a remarquablement montré le caractère original de cette bénédiction, notamment à travers l’histoire de sa réception dans les différents livres liturgiques à partir du Xe siècle. Un aspect essentiel de l’intérêt et de l’originalité de cette pièce liturgique réside dans la comparaison explicitement mentionnée entre l’autel portatif et la stèle érigée par Jacob du récit de Genèse 28 : « Singulare illud repropitiatorium quam se in altare crucis nobis redemendis obtullit inmolandum, cuius prefiguratum patriarcha iacob lapidem erexit in titulum quod fierit sacrificium et porta celi desuper aperiretur oraculum, simpliciter tibi domine precis fundimus ut metalli expoliatam materii supernis sacrificiis inbuendam, ipse suae dotare sanctificationibus hubertate precipiat, qui condam lapidias legem scripsit in tabulis. In dominum ». Cette pièce liturgique est la plus Liber sacramentorum Gellonensis, A. Dumas ed., « Corpus Christianorum – series latina CLIX », Turnhout, 1981, p. 365-367. 18 J. Magne, « La bénédiction d’autel « Singulare illud repropitiatorium ». Préhistoire et histoire du texte », Vigiliae Christianae, 19, 1965, p. 169-189. 17
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ancienne bénédiction de l’autel portatif connue 19. Il est à noter qu’elle ne figure nullement au sein d’un ordo de consécration de l’autel portatif qui fera son apparition un peu plus tard, après le VIIIe siècle, date du manuscrit de Gellone, avec le texte officiel du Pontifical romano-germanique. En revanche au moins deux des autres pièces qui l’accompagnent dans le sacramentaire de Gellone seront reprises à l’identique dans le pontifical romano-germanique, aussi bien dans le rituel de la consécration de l’autel fixe que dans la série de bénédictions de l’autel portatif qui apparaît dans le texte liturgique ottonien à la suite de la consécration de l’autel fixe. À l'époque de réalisation du sacramentaire de Gellone, la seconde moitié du VIIIe siècle, il n’existe pas encore de rituel spécifique de la consécration de l’autel portatif. Pour réaliser ce rituel, les liturgistes de l’Antiquité et du haut Moyen Âge se sont très vraisemblablement “contentés” d’utiliser le rituel de consécration de l’autel fixe, prenant place à la suite de la dédicace de l’église, ou plus exactement, qui en constitue la seconde phase rituelle. Cette utilisation commune du rituel de la consécration de l’autel fixe pour celle de l’autel portatif souligne avec force l’idée selon laquelle, dans l’esprit des théologiens et des liturgistes de ces périodes anciennes du christianisme, l’autel fixe et l’autel portatif sont, d’une certaine manière, considérés comme des objets similaires, montrant ainsi que l’autel portatif, tant dans son matériau que dans son usage liturgique, ou bien encore du point de vue de sa signification symbolique, est bien considéré comme un autel “fixe” que l’on transporte pour permettre le déroulement de célébrations rituelles ayant obligatoirement necessité l’usage de cet objet 20. Comme je l’ai dit plus haut, cette bénédiction du sacramentaire de 19 Je ne prends pas ici en considération les pièces mentionnées par Aimé-Georges Martimort à partir de la documentation liturgique de Dom Martène d’après des textes remontant peut-être au VIe siècle. Ces pièces, insérées dans des pontificaux de la seconde moitié du Moyen Âge, s’avèrent être en réalité des parties de consécration de l’ordo de l’autel portatif tel qu’on le trouve dans la tradition textuelle inaugurée par le pontifical romano-germanique, cf. A.-G. Martimort, La documentation liturgique de Dom Edmond Martène. Étude codicologique, “Studi e Testi 279”, Città del Vaticano, 1978, p. 403-404. 20 Dans le même sens, je trouve particulièrement révélateur de constater que les images représentant la consécration de l’autel fixe par un évêque comme celles montrant la consécration de l’autel portatif dans les pontificaux de la seconde moitié du Moyen Age suivent, à peu de choses près, le même schéma iconographique où l’on voit l’évêque en train de bénir l’autel comme par exemple dans cette peinture du Paris, BNF, lat. 17336, fol. 93v (fig. 1). Sur l’iconographie de la consécration de l’autel, je me permets de renvoyer à mon livre sur l’illustration du pontifical cité à la note 4, p. 307-356. On trouvera dans les catalogues des pontificaux conservés en France de Victor Leroquais les indications d’autres représentations de la bénédiction ou de la consécration de l’autel portatif, Les pontificaux manuscrits des bibliothèques publiques de France, 3 vols., Paris, 1937.
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Fig. 1. La consécration de l’autel portatif. Paris, BNF, Lat. 17336, fol. 93v.
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Gellone ouvre une brève section du Gélasien du VIIIe siècle dédiée à la bénédiction des tables d’autel mobiles et comprenant quatre autres pièces liturgiques au contenu assez stéréotypé et donc bien moins intéressant que celui de la pièce « Singulare illud… », mais dont il faut néanmoins mentionner le contenu d’autant plus que, comme je l’ai signalé précédemment, certaines d’entre elles sont réutilisées dans le pontifical romano-germanique du Xe siècle : “Deus omnipotens, universarum rerum rationabilis artifix, que inter creaturis furmam lapidiae metallum ad obsequium tui sacrificii condedisti ut legis liberaturi tue pararetur altare, annuae dignanter huius institutur misterii, ut quodquod hic oblatum sacrum fuerit nomini tuo adsurgat relegione, proficiat spei, inicietur fidei, sit honor. Per”. “Domine sanctae pater omnipotens eterne Deus, clemens et propitius, preces nostre humilitatis exaudi, et respice ad hoc altaris tui holocaustum quod non tam igne probatur, sed infusa sancti spiritus tui gratiam in odorem suavitatis ascendat, ut hactipentibus hac sumentibus nobis legitima permaniat eucharistia, que ereat in visceribus nostris et vitam concedat eternam. Per”. “Vere Dignum et eterne Deus. Qui pus offendicula lapsus primi hominis instituisti tibi propitiatore delibamenta libaminis ut culpam que precesserat, futuris temporibus exibiaretur per munera quibus honorarentur altaria, honorificarentur et templa, quam tibi primus noe preparavit officium, rursus instrucxit habraham inmolaturus filium, dehinc electus Iacob erexit et unxit in titulum. Adsit redemptoris mundi pietas exorata, ut lapidis sanctificandi mysterium, qui penitrabis et lapis angularis es, consecrare digneris benedictionis in lapidum et hic inhereas platitus magistas eternalis obtotum, ut quicquid sacrum ritum super hoc immolabitur sicut melcisedhaec oblatum placiat tibi hoc holocaustum, ut reportit per hoc premium quicquid intullerit votum, sacrificare, benedicere, consecrareque digneris et per manibus nostris opem tuae benedictionis infunde, qui te angularem lapidem et saxum sine manibus excisum nominare ipsum voluisti. Tu lapidis istus divinis cultibus apparatus benedic atque sanctifica, et sacri huius misterii sicut institutur ita etiam sanctificatur appare. Per Christum.” 21 Outre l’intérêt de cette bénédiction “Singulare illud…” du fait de la comparaison entre l’autel portatif et la stèle de Jacob, il faut relever les évocations successives du propitiatoire de l’arche d’alliance et des tables de la Loi, cristallisant ainsi sur l’autel portatif un symbolisme multiple ancré dans les textes vétéro-testamentaires et basé, entre autres, sur la comparaison entre l’autel portatif et l’espace sacré. Sur Liber sacramentorum gellonensis…cité à la note 17, p. 366-367.
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les autels portatifs, de nombreux passages bibliques sont mentionnés sur les inscriptions à côté des textes de dédicace ou de la liste des saints dont les reliques sont conservées dans l'autel. Il est cependant à noter qu'on ne relève pas particulièrement de textes liturgiques du rituel de consécration sur les inscriptions des autels portatifs 22. Sur ces inscriptions, on trouve aussi fréquemment à partir du XIIe siècle, des extraits de commentaires théologiques sur la Bible. L’autel portatif apparaît ici comme un objet autour duquel se définit l’espace sacré, à l’instar de la stèle de Jacob érigée là où Dieu s’était manifesté et avait décidé d’établir un lieu rituel. La mention de la stèle de Jacob dans la bénédiction de l’autel portatif du sacramentaire de Gellone souligne la présence dans le contenu d’une pièce liturgique d’un thème exégétique connu à l’époque carolingienne, du moins si l’on se réfère au commentaire de Walafrid Strabon sur les « choses liturgiques ». En effet, le passage du chapitre 9 du Libellus de exordiis et incrementis quarundam in observationibus ecclesiasticarum de Walafrid associe clairement la stèle de Jacob à l’autel et compare la dédicace des temples et des autels avec l’action rituelle de Jacob en relation avec la stèle durant la nuit passée sur le lieu sacré : “Quod templa Dei dedicatione solemni consecranda sint, exemplis antiquorum et congrua ratione docentur, quia et Iacob patriarcha erexisse lapidem legitur et oleo super fuso unxisse eum et vocasse domum Dei itemque super altare erectum invocasse fortissimum Deum Israel” 23. Dans le cas de la bénédiction du sacramentaire de Gellone, c’est bel et bien l’autel portatif qui est associé à la stèle de jacob et non plus seulement les temples et les autels. Ainsi la bénédiction « Singulare illud », bien qu’antérieure au commentaire de Walafrid Strabon, témoigne de l’expression de l’exégèse sur l’autel portatif, en relation avec la stèle de Jacob associée à l’image de l’espace sacré, dans le texte liturgique de la bénédiction de cet objet. Ceci n'a pas vraiment lieu de surprendre si l'on a à l'esprit que, ainsi que l’a récemment rappelé Michel Lauwers, la stèle de Jacob représente le modèle par excellence des lieux de culte aux yeux des exégètes de la liturgie. Dans certains actes de dotation d’églises des Xe et XIe siècles, fréquents dans les R. Favreau, “Les autels portatifs et leurs inscriptions”, Cahiers de civilisation médiévale, 46, 2003, p. 327-352 et J. Michaud, “Culte des reliques et épigraphie. L’exemple des dédicaces et de consécrations d’autels”, Les reliques. Objets, cultes et symboles, Actes du colloque international de l’université du Littoral-Côte d’Opale, 1997, éd. E. Bozoky et A.-M. Helvétius, Turnhout, 1999, p. 199-212. Voir aussi, R. Favreau, “Inscriptions de dédicaces d’églises et de consécrations d’autels à Rome, XIe-XIIe siècles”, Arte d’Occidente. Temi e metodi. Studi in onore di A.M. Romanini, Rome, 1999, p. 947-956. 23 Walafrid Strabo’s, Libellus de exordiis et incrementis quarundam in observationibus ecclesiasticis rerum, A.L. Harting-Correa, Leiden-New York-Köln, 1996, p. 80-83. 22
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régions méridionales de l’Occident, il est souvent fait mention de la stèle de Jacob dans des termes identiques à ceux développés dans les traités liturgiques carolingiens 24. À partir de là, le rapprochement effectué dans la bénédiction du sacramentaire carolingien entre la stèle de Jacob et l’autel portatif est très importante pour comprendre la double signification symbolique et théologique de l'objet en relation avec l'espace sacré et la définition du lieu rituel. Dans les rituels de consécration de l’autel portatif, dont l’apparition est postérieure à l’époque carolingienne, on ne trouve aucune trace de la réception, telle quelle, de la bénédiction extraite du sacramentaire gélasien du VIIIe siècle dans sa version du manuscrit de Gellone. Cela tient sans doute à la faible transmission et à la réception au-delà des sacramentaires francs, de la tradition textuelle de ces oraisons et bénédictions isolées, ou ne formant en tout cas pas un ordo liturgique à proprement parler ou une solide section de bénédictions qui assurent plus facilement que des pièces isolées la transmission des textes liturgiques à travers le temps et dans d'autres livres liturgiques. C’est avec le texte officiel du pontifical romano-germanique que la ritualisation de la liturgie de consécration de l’autel portatif apparaît véritablement, sans préjuger pour autant de l’éventuelle disparition de textes liturgiques isolés qui auraient déjà contenu le texte d’un ordo de consécration de l’autel portatif 25. Quoi qu’il en soit de ce genre d’hypothèses auxquelles l’historien est sans cesse confronté, je ne pense pas pour ma part qu’il ait véritablement existé de rituel de consécration de l’autel portatif avant le texte codifié du pontifical romano-germanique. En effet, l’étude de la tradition textuelle de 24 Cf. M. Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005, p. 67-70. 25 Il n’est pas inintéressant de noter l’apparition simultanée dans le pontifical romanogermanique du texte de consécration de l’autel portatif qui suggère des développements importants à cette époque pour tout ce qui touche à la mobilité du rituel et à son itinérance et du rituel de pose de première pierre d’une église, cf. K.J. Benz, “Ecclesia pura simplicitas. Zu Geschichte und Deutung des Ritus der Grundsteinlung im hohen Mittelalter”, Archiv für mittelrheinische Kirchengeschichte, 32, 1980, p. 9-25 et D. Iogna-Prat, “Aux fondements de l’Église : naissance et développements du rituel de pose de la première pierre dans l’Occident latin (v. 960-v. 1300)”, Retour aux sources. Textes, études et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, Paris, 2004, p. 635-643. On notera aussi l’apparition dans le pontifical romano-germanique d’un autre rituel de consécration d’un “nouvel” espace rituel, le cimetière, cf. C. Treffort, “Consécration de cimetière et contrôle épiscopal des lieux d’inhumation au Xe siècle”, Le sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en Occident. Études comparées, “Publications de la Sorbonne – Byzantina Sorbonensia 18”, Paris, 2001, p. 285-299 et Lauwers, op. cit. à la note 24.
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l’ordo du pontifical romano-germanique montre une relative proximité avec le texte de la consécration de l’autel fixe qui suit la dédicace de l’église qui ne permet pas de supposer l’existence d’un rituel spécifique pour l’autel portatif avant cette version du pontifical romanogermanique qui semble “calquée”, ou, tout au moins fortement inspirée par celle destinée à l’autel fixe. Il faut par ailleurs rappeler que, dans l’esprit des théologiens et des liturgistes de ces périodes, la similarité entre l’autel fixe et l’autel portatif est si forte qu’il paraissait sans doute tout à fait naturel d’utiliser le même rituel pour la consécration des deux types d’autels. Dans ce texte liturgique officiel de l’Empire ottonien, destiné à asseoir plus solidement que jamais le pouvoir politique et liturgique de l’épiscopat, le processus de codification des rituels est si fort, si poussé, sans doute comme jamais auparavant, excepté dans le cadre de la mise en place de la liturgie romaine dans l’Antiquité, qu’il n’est nullement surprenant de constater, dans ce texte, l’apparition de nouveaux rituels tel que celui reservé à la consécration de l’autel portatif. Dans ce livre liturgique, l’ordo de la consécration de l’autel portatif est situé, “localisé” dans le texte à deux endroits différents. Tout d’abord, on trouve une série de bénédictions placées en tête d’une section de bénédictions d’objets liturgiques divers et placées juste après le long texte de l’ordo de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel. Cette section regroupant des bénédictions d’objets liturgiques divers apparaît comme une sorte d’appendice aux textes de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel. Il faut ici insister sur le fait que cette série d’objets – dont l’autel portatif placé de façon significative en tête de ce regroupement d’objets liturgiques à bénir – apparaît comme une partie constitutive, après l'église-bâtiment et l'autel fixe, de la construction du lieu sacré, de la définition du lieu de la célébration des rituels de l’Église. En d’autres termes, ces différents objets qui seront utilisés dans divers rituels participent à la “construction” de l’Ecclesia du fait de leur usage dans les rituels de l’Église au même titre que le bâtiment-église, le lieu privilégié de la célébration de la liturgie, est une image de l’Église et fait aussi l’Ecclesia. Voici la première série de bénédictions de l’autel portatif telle qu’elle apparaît dans le pontifical romano-germanique, sans constituer un ordo liturgique à proprement parler du fait notamment de l’absence pratiquement générale de rubriques. L’absence de tout texte rubrical dans cette première série de bénédictions de l’autel portatif dans le pontifical romano-germanique montre clairement qu’il n’existait pas à cette époque et avant la seconde moitié du Xe
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siècle de rituels de l’autel portatif en tant que tel et que la série de bénédictions du pontifical romano-germanique ne représente en fin de compte qu’une première étape dans la constitution du rituel à proprement parler. Benedictio tabulae 26 Oremus. Omnipotens, fratres dilectissimi, votis exultantibus deprecemur, ut qui per omnem mundum sparsit… Alia. Exaudi nos, Deus salutaris noster, et precum nostrarum libenter accipe votum, et hoc altare ad celebranda mysteria… Oratio. Supplices tibi, domine Deus, pater omnipotens, preces effundimus, ut metalli huius… Postea extollens vocem publice proclamet : Per omnia secula seculorum. R/ Amen Dominus vobiscum R/ Et cum spiritu tuo Sursum corda R/ Habemus ad dominum Gratias agamus domino Deo nostro. R/ Dignum et iustum est Vere dignum usque eterne deus. Qui post offendicula lapsus primi hominis instituisti… Alia : Oremus. Deus omnipotens universarum rerum rationabilis artifex… His expletis, sequitur oratio in medio ecclesiae Habitare sanctarum mentium Deus, cui anima fidelis hospitium, cui mens pia templum est, tibi preces effundimus, tibi supplicamus, ut hanc domum tuam, quam per invocationem nominis tui pio sanctificamus officio, misericordia tua et protectione custodias. Dona habitatoribus illius, id est sacerdotibus, clero atque omni plebi bonae voluntatis studium et pii operas effectum. Sint in ea semper viri gravedine insignes, feminae castae, prudentes pueri, probae virgines, pro sexu suo atque etate laudabiles, ut dum sanctificatam per invocationem tuam domum habitant, ipsi te habitatorem mereantur habere. Per Dans cette série de bénédictions, on notera au moins deux pièces, l’oraison “Deus omnipotens universarum rerum rationabilis artifex..” et la préface “Qui post offendicula lapsus primi hominis instituiti…”, qui étaient déjà présentes dans le bref recueil de bénédictions de l’autel portatif dans le sacramentaire de Gellone de la seconde moitié du VIIIe siècle, témoignant ainsi de la volonté des compilateurs du pontifical romano-
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germanique d’assurer une transmission des pièces les plus anciennes relatives à la liturgie de l’autel portatif. Plus loin dans le pontifical romano-germanique, prenant place à la fin de la série de ces bénédictions liturgiques – dont certaines sont communes avec la première série de pièces que l’on vient de citer – et juste avant la série d’Orationes ad missam in dedicatione – dont la fonction est de venir compléter et enrichir le rituel de la dédicace de l’église – on trouve une autre série de bénédictions et d’oraisons accompagnées cette fois de rubriques et constituant d’une certaine manière le premier rituel de consécration de l’autel portatif à proprement parler, du fait notamment de la présence cette fois des rubriques soulignant ainsi la ritualisation à cette époque de cette consécration de l’autel portatif. Prephatio tabulae itinerariae 27 Deus Omnipotentem, fratres dilectissimi, votis exultantibus deprecemur, ut qui per omnem, mundum fidem sparsit… Consecratio Exaudi nos, Deus noster, et precum nostrarum libenter accipe vota, et hoc altare, ad celebranda divina mysteria... Et accipiens tabulam, aspergat eam aqua benedicta, addens odorem incensi, et confirmet eam cum chrismate in crucem, ita dicendo : In nomine patris et filii et spiritus sancti. R/ Amen. Pax tecum et cum spiritu. Deinde vadant ad eum locum in quo reliquiae praeterita nocte cum vigiliis fuerunt et ibi mutet pontifex, si voluerit, vestimenta sua et praeparet se ad missam vestimentis aliis sollemnibus. Deinde redeant ad ostium ecclesiae ubi letaniae vel laudes circa feretrum celebrantur et dicat prae foribus hanc orationem, signans ostium et ecclesiam cum chrismate signum faciat cruces super liminare dicens :
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In nomine patris et filii et spiritus sancti, porta sis benedicta, consecrata, sanctificata, consignata et domino Deo commendata. Porta sis introitus salutis et pacis. Porta sis ostium pacificum, per eum qui se ostium et ostiarium appellavit, Iesus Christus dominus noster qui cum patre et spiritu sancto. Deinde hanc orationem : Deus qui sacrandorum tibi auctor es munerum, effunde super hanc orationis domum benedictionem tuam, ut ab omnibus hic invocantibus nomen tuum defensionis tuae auxilium sentiatur. Per. Tunc portantes feretrum magno honore cum reliquiis simul et crucibus et luminaribus circumeant ecclesiam, sequente clero has antiphonas vel responsoria psallendo et populo cum mulieribus et parvulis Kyrie eleison decantando : Ambulate, sancti Dei, ad locum destinatum qui vobis preparatus est ab origine mundi. Antiphona : Platea Hierusalem gaudebunt et omnes vici eius canticum leticiae dicent. Antiphona : Custodit dominus animas sanctorum suorum, de manu peccatorum liberabit eas, lux orta est iustis et rectis corde laeticia. Antiphona : In sancits gloriosus es deus noster, quis similis tibi. Sanctimonium tuum, domine, quod firmaverunt manus tuae. Domine, qui regnas in aeternum et in seculum adhuc. Antiphona : Ambulate, sancti Dei, ingredimini in civitatem domini, aedificata est enim vobis ecclesia nova ubi, populus adorare debeat maiestatem domini. Antiphona : Sanctificavi Iherusalem, dicit dominus et dabo sanctis meis regnum et tabernaculum electum quae preparavi in odorem unguenti, alleluia, alleluia. R/ Sancti, tui domine V/ Quoniam percussit R/ Tradiderunt corpora V/ isti sunt R/ Sancti mei qui in isto seculo V/ Venite benedicti patris R/ Exultabunt sancti
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V/ Epulentur et letentur R/ Fulgebunt iusti sicut lilium V/ Iusti autem in perpetuum His ita per ordinem gestis, cum redierit iterum ad ostium ecclesiae, facto silentio, habeat pontifex verbum ad plebem de honore ecclesiastico et de pace venientum ac redeuntium et de decimis vel oblationibus ecclesiarum, ac de anniversaria ipsius ecclesiae dedicatione, et annuntiet tam clero quam populo, in cuius honore constructa et dedicata sit ecclesia vel etiam nomina sanctorum ibi quiescentium. Ipse autem dominus et constructor ipsius ecclesiae ammoneatur de dote illius et qualem honorem vel curam ecclesiae et presbitero exhibere debeat. Illo autem profitente in omnibus ita se velle agere, pontifex hec confirmari a domino postulans, antequam intret ecclesiam dicat hanc orationem : Domum tuam, quaesumus, domine, clementer ingredere et in tuorum cordibus fidelium perpetuam tibi constitue mansionem, et praesta, ut domus haec, quae tu a subsistit dedicatione sollemnis, tua fiat habitatione sublimis. Per Tunc accipiat pontifex feretrum cum presbiteris et ingrediendo dicit scola antiphonam. Ingredimini, benedicti Dei, parata est vobis a domino habitatio sedis vestrae, sed et populus fidelis cum gaudio insequitur iter vestrum ut oretis pro nobis maiestatem domini. Antiphona : benedicta Gloria domini de loco sancto suo. Et cum intraverint, extenso velo inter populum et altare, pontifex recondat reliquias in altari et presbiteri qui cum eo sunt cantent antiphonam : Exultabunt sancti in Gloria laetabutntur in cubilibus suis cum psalmo : Cantate domino canticum novum, laus eius in ecclesia sanctorum. Et antequam recludantur reliquiae dicat pontifex hanc orationem : Deus, qui in omni loco dominationis tuae clemens ac benignus dedicator assistis, exaudi nos, quaesumus, et concede, ut inviolabilis huius loci permaneat consecratio et beneficia tui muneris universitas sanctae ecclesiae, que supplicat, mereatur. Per. Hac expleta, ponat chrisma per confessionem, per angulos quattuor in cruce, dicendo : In nomine patris et filii et spiritus sancti. R/ Amen. Pax tecum R/
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Et cum spiritu tuo. Deinde ponat tres portiones corporis domini intro in confessione et tres de incenso. Et tunc recludantur reliquiae in confessione. Et dum recluduntur, cantatur antiphona : sub altare domini sedes accepisis, cum psalmo : Exultabunt sancti in gloria, letabuntur in cubiculis. Oratio ad dedicandum altare post impositas reliquias. Deus qui altaria nomini tuo dicanda sanctificas, praesta, quaesumus, ut quod nostra fragilitas non meretur, intercessione beati ill. huc spiritus tui plenitudo descendat, qui et munera nostra sanctificet et indulgentiam nobis tuae pietatis obtineat. Per dominum. Eiusdem. Et accipiens tabulam de subtus confirmet eam cum chrismate in crucem ita dicendo : In nomine patris et filii et spiritus sancti. Pax tecum. Et cum spiritu tuo. Tunc ponat tabulam super reliquias et det orationem. Deus qui ex omni coaptatione sanctorum aeternum maiestati tuae condis habitaculum, da edificationi tuae incrementa caelestia et praesta, ut quorum hic reliquias pio amore complectimur, eorum semper meritis adiuvemur. Per. Deinde liniat eam cum calce que ante fuerat praeparata et postquam linita fuerit, faciat crucem desuper cum chrismate, dicendo sicut supra : In nomine patris, et filii et spiritus sancti. R/ Amen. Pax tecum. R/ Et cum spirituo tuo. Et mittat chrisma per quattuor cornua altaris, ipsa suprascripta verba dicendo et crucem faciendo et cantent antiphonam : Corpora sanctorum in pace sepulta sunt, et vivent nomina eorum in aeternum adiungens Gloria patri. Tunc diaconi vestiant altare et scola dicat antiphonam : circumdate Syon, levitae altare domino, vestiti vestimentis albis, estote et vos canentes ymnum novum dicentes Benedictus es Deus cum psalmo Mirabilis Deus et cum Gloria. Item alia antiphona. In velamento clamabunt sancti tui, domini, alleluia, alleluia, alleluia. Postea quoque offeratur incensum versusque dicatur : Omnis terra adoret te, Deus. Et ita Kyrie eleison et oratio dominica et preces : Bene fundata est domus domini.
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R/ Bene fundata est super omnes colles. Dominus in templo sancto suo. R/ Dominus in caelo sedis eius. Domus mea dicit dominus. R/ Domus orationis vocabitur. Exultabunt sancti in gloria. R/ Letabuntur. Exultent iusti in conspectu Dei. R/ Et delectentur in letitia. Pretiosa in conspectu domini. R/ Mors sanctorum eius. Letamini in domino et exultate iusti. R/ Et gloriamini. Iusti confitentur nomini tuo R/ Et habitabunt recti. Fiat misericordia tua, domini R/ Quemadmodum speravimus. Exsurge, domini, adiuva nos. R/ Libera nos. Domine Deus virtutum. R/Et ostende. Domine exaudi. R/ Et clamor. Dominus vobiscum. R/ Et cum Oratio. Descendat, quaesumus, domini Deus noster, spiritus tuus sanctus super hoc altare, qui et populi tui dona sanctificet et sumentium corda purificet. Per. Alia. Omnipotens sempiterne Deus, altare hoc nomini tuo dicatum caelestis virtutis benedictione sanctifica et omnibus in te sperantibus auxilii tui munus ostende, ut hic et sacramentorum virtus et votorum obtineatur effectus. Per. Deinde revertatur pontifex in sacrarium, donec ornetur ecclesia et accendantur luminaria. Et incipiunt cantores antiphonam ad introitum Terriblis est locus. Psalmus. Quam dilecta. Et procedat pontifex cum ordinibus suis, sicut consuetude est in festivitatibus,
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et celebretur sollemniter missa sicut in sacramentorio continetur, cum Gloria in excelsis Deo. Et postea per totam ebdomadam fiant missae publicae in ipsa ecclesia usque ad dies octo completo. Dans ce texte de l’ordo de la consécration de l’autel portatif du pontifical romano-germanique, l’accent est clairement porté sur la ritualisation de cette cérémonie, qui, d’une certaine manière, devient ici, dans cette seconde section du pontifical romano-germanique consacré à l’autel portatif, un véritable rituel, un ordo à proprement parler et à part entière. Cette indépendance acquise par le rituel de la consécration de l’autel portatif ne supprime pas complètemet les liens entre ce rituel et ceux de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel fixe auxquels il était jusqu’alors si intimement lié et imbriqué, notamment à propos du déroulement liturgique et de la mise en scène rituelle. Pour ce qui concerne la tradition textuelle des deux ordines, force est de constater des différences importantes non seulement entre le rituel de la consécration de l’autel portatif et la première série de bénédictions du pontifical romano-germanique réservée à ce même objet, mais aussi entre le rituel de consécration de l’autel portatif et celui de l’autel fixe. En effet, dans tous les cas, le rituel de consécration de l’autel portatif fait apparaître pour la première fois une structure propre (bien que largement empruntée à l'ordo de la dédicace de l'église) et un cursus de pièces liturgiques, en particulier les oraisons et les psaumes, qui lui est en partie spécifique 28 . Bon nombre des oraisons de ce rituel ne sont connues que dans ce texte et n’apparaissent pas dans l’ordo de la consécration de l’autel fixe ni dans le recueil d’oraisons et de bénédictions de l’autel portatif tel qu’il se présente dans la première section du pontifical romanogermanique. D’autres oraisons au contaire sont communes entre le rituel de l’autel portatif et la première série de pièces liturgiques du pontifical romano-germanique. Dans ces pièces communes, l’accent est toujours porté sur le parallèle établie entre la pierre de l’autel portatif et la stèle de Jacob dont il a déjà été question plus haut. Dans les oraisons propres au rituel de la consécration de l’autel portatif, la thématique générale relève sans surprise de la notion de sacrifice liée à la célébration de l’eucharistie. De même, le choix des antiennes 28 Sur les psaumes en commun entre le rituel de consécration de l’autel portatif et celui de l’autel fixe, cf. Michaud, art. cit. à la note 22, p. 205.
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présentes dans ce texte de l’ordo de consécration de l’autel portatif fait apparaître plusieurs pièces propres à ce rituel soulignant plus encore la volonté de créer une liturgie spécifique pour la consécration de l’autel portatif. Le contenu des rubriques souligne en premier lieu la forte mise en scène du rituel avec la participation de nombreux membres de la hiérarchie ecclésiastique faisant intervenir différents célébrants dont l’évêque et des prêtres. À propos de la mise en scène rituelle de la consécration de l’autel portatif telle qu’elle apparaît véritablement pour la première fois dans ce texte, il faut souligner la très forte similitude avec la mise en scène rituelle de la dédicace de l’église. En effet, la grande majorité de ce rituel se déroule à l’extérieur du bâtiment église, et à des endroits bien précis, comme par exemple devant la porte de l’église, rappelant en cela la longue phase de prières et de louanges aux reliques qui se déroule tout au long de la première partie du rituel de la dédicace de l’église. J’ajouterai encore que les rubriques de l’ordo de la consécration de l’autel portatif insistent également sur le parallèle entre l’autel fixe et l’autel portatif notamment pour le déroulement de gestes communs tel que celui consistant à placer les reliques dans l’autel et à porter ces reliques en procession. À propos de ce premier véritable ordo de consécration de l’autel portatif, je soulignerai l’importance accordée dans le texte et sa construction rituelle à la volonté de lire et comprendre l’autel portatif comme une image de l’église-bâtiment, comme le symbole plein de l’Ecclesia, du fait de la dimension “mimétique” existante entre l'ordo de consécration de l'autel portatif et celui de la dédicace de l'église et de la consécration de l'autel fixe. Ceci me paraît d’autant plus important à relever que, comme on aura l’occasion de l’analyser et de l’étudier dans le chapitre suivant, l’autel portatif se révèle finalement être aux yeux des théologiens une image de l’Église se déplaçant partout dans le monde et présente aux quatre coins de la terre. Pour terminer cette brève analyse de la série de bénédictions de l’autel portatif et du rituel à proprement parler qui lui est consacrée dans le pontifical romanogermanique, je relèverai les différences existantes dans l’usage des mots réservés aux rubriques-titres de ces textes. En effet, en ouverture à la série de bénédictions, on note l’expression “Benedictio tabulae” pour laquelle on pourra noter la proximité avec la rubrique-titre placée en tête de la série de bénédictions du sacramentaire de Gellone, “Orationes ad tabulas benedicendas”. De façon quelque peu surprenante, la rubrique-titre de l’ordo de la consécration de l’autel portatif dans le pontifical romano-germanique propose un titre assez général et vague,
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peu habituel pour désigner un ordo au sens propre : “Prephatio tabulae itineriae”. La dernière question à laquelle il faut tenter de répondre concerne la signification de la présence dans le pontifical romanogermanique de ce recueil de bénédictions pour l’autel portatif, fortement lié à la dédicace de l’église et la consécration de l’autel fixe, et celle un peu plus loin dans le “lieu” textuel adéquat au sein du pontifical romano-germanique du premier véritable ordo réservé à la consécration de l’autel portatif. Je pense que cette double présence s’explique par la très vraisemblable volonté de la part des concepteurs du pontifical romano-germanique de maintenir d’un côté certaines pièces issues de la tradition des recueils carolingiens, tel qu’on peut les connaître à travers la série du sacramentaire de Gellone et de créer en même temps un ordo à part entière à partir de pièces liturgiques, d’un choix d’antiennes et de rubriques largement nouvelles. Dans les versions du pontifical romain des XIIe et XIIIe siècles, le texte de l’ordo de la consécration de l’autel portatif demeurera dans ses grandes lignes proche de la version qui fait son apparition dans le pontifical romano-germanique du Xe siècle. Ces versions présentent néanmoins un certain nombre de différences avec le texte du pontifical ottonien qui portent notamment sur la réduction du nombre des pièces liturgiques (oraisons et antiennes) ainsi qu’une diminution des rubriques. Mais, dans l’ensemble, le rituel de consécration de l'autel portatif des pontificaux des XIIe et XIIIe siècles conserve la même structure et une signification liturgique et théologique identique. Il est également à noter les différences existantes entre les rubriquestitres pour l’ordo de consécration de l’autel portatif dans ces versions du pontifical romain et celles du pontifical romano-germanique, “Benedictio altaris itinerarii” (version du XIIe siècle) et “Benedictio lapidis itinerarii” (version du XIIIe siècle) dans lequel l’accent est porté sur la pierre d’autel, sur l’autel itinérant, mobile, portatif, tandis que dans les rubriques des textes du pontifical romano-germanique il était seulement question des tables itinérantes. Il faut, je crois, interpréter le sens de ces différences rubricales en relation avec la prise de conscience de plus en forte au fur et à mesure des siècles de la part des liturgistes et des théologiens de l’existence de l’autel portatif et non plus seulement d’une simple pierre mobile, utile pour certaines célébrations liturgiques à l'extérieur de l'église. Dans le pontifical romano-germanique de la seconde moitié du Xe siècle, l’association de la stèle de Jacob avec l’autel portatif apparaît dans diverses oraisons dont certaines font partie d’une série ne consti
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tuant pas à proprement parler un rituel et d’autres formant bel et bien un ordo destiné à la consécration de l’autel portatif 29. Il est à noter qu’entre ces deux séries de pièces liturgiques, beaucoup d’oraisons et de bénédictions sont communes. L’une d’elles apparaît comme la plus intéressante pour notre propos. Il s'agit de l'oraison qui souligne l’association de la stèle de Jacob avec l’autel portatif, pérpétuant ainsi la voie ouverte par la bénédiction du sacramentaire de Gellone en accordant une place importante à cette association, de nature exégétique on l’a vu : « Exaudi nos, Deus noster, et precum nostrarum libenter accipe vota, et hoc altare, ad celebranda divina mysteria praeparatum, odore unguenti celestis asperge et aromata illa divine sanctificationis infunde, et sicut lapidem Iacob patriarchae erectum unguenti perfusione dicasti, et angelicis visionibus per scalam gradus ecclesiae figurasti, super hunc quoque lapidem altari coaptandum caelestis gratiam benedictionis inmitte, ut, dum tibi super eum sacri corporis et sanguinis unigeniti tui mysteria consecrantur, petentibus peccata deleantur, merentibus influat gratia sempiterna » 30. Cette oraison sera reprise pratiquement à l’identique au sein du texte du rituel de consécration de l’autel portatif dans le pontifical romain de la Curie dès le XIIe siècle. De son côté, le rituel de la dédicace de l’église du pontifical romano-germanique, puis du pontifical romain, incluant la consécration de l’autel fixe, contient une préface mentionnant la stèle de Jacob à côté de l’autel érigé par Abraham pour sacrifier Isaac, considérés ici comme des images de l’autel devant être consacré selon l’ordo du pontifical 31. Toujours dans le rituel de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel fixe, l’évocation de la stèle de Jacob apparaît encore dans une antienne chantée au moment où l’évêque trace sur l’autel les croix de consécration avec l’huile des catéchumènes : « Mane surgens Iacob erigebat lapidem in titulum ; fundens oleum desuper, votum vovit domino. Vere locus iste sanctus est et ego nesciebam » 32. À ce moment du rituel de la consécration de l’autel fixe, un lien est clairement établi d’une part entre la pierre d’autel et la stèle de Jacob, et, d’autre part entre l’action liturgique de l’évêque et le geste rituel de Jacob sur la stèle. Ces allusions à la stèle de Jacob Le Pontifical Romano-germanique du Xe siècle, R. Elze et C. Vogel ed., t. I, « Studi e Testi 226 », 1963, p. 148-151 ; 167-173. Comme l’a à juste titre fait remarquer Christian Heck, il est intéressant de souligner qu’Hildegarde de Bingen considère l’onction de la stèle de Jacob comme la préfigure de la dédicace des autels chrétiens, Scivias, III, 5, 21; cf. C. Heck, L’échelle céleste. Une histoire de la quête du ciel, Paris, 1997, p. 213. 30 Ibid., p. 148 et 167. 31 Ibid., p. 146. 32 Ibid., p. 144. 29
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dans l’ordo de la dédicace de l’église et la consécration de l’autel fixe sont moins insistantes que dans l’oraison du rituel de la consécration de l’autel portatif et portant sur l’association, voire l'assimilation entre ce dernier objet et la stèle. Cependant, dans les deux cas de figure, mais à un degré moindre dans les textes de la consécration de l’autel fixe, la présence de l’idée exégétique visant à associer la stèle de Jacob à l’autel – et surtout à l’autel portatif – est à relever car elle revêt une forte signification théologique destinée à affirmer l'idée selon laquelle la stèle de Jacob, l'autel fixe et l'autel portatif sont des “images” symboliques de l'espace sacré. Avant de quitter ces différents ordines, je relèverai encore que, de façon générale, le contenu du rituel de consécration de l’autel portatif du pontifical romano-germanique comme dans sa version du pontifical romain à partir du XIIe siècle, s’inspire très largement de l’ordo de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel fixe. Ce constat donne plus de poids encore à l’originalité de l’oraison « Exaudi nos Deus noster… » de la consécration de l’autel portatif et entièrement construite sur le rapprochement, de nature exégétique, entre la stèle de Jacob et cet objet. Dans cette partie consacrée à l’étude des textes liturgiques relatifs à l’autel portatif et faisant apparaître la présence, dans ces textes, d’idées exégétiques, notamment celle visant à associer l’autel portatif à l’espace sacré, par l’intermédiaire de la stèle de Jacob, il faut également relever l’intéressante mention de l’association entre l’autel portatif et sa pierre avec la pierre angulaire de l’Église, image du Christ dans l'oraison qui ouvre l'ordo : « Deum omnipotentem, fratres dilectissimi, votis exultantibus deprecentur, ut qui per omnem mundum fidem sparsit et ecclesiam congregavit, qui et lapis excisus sine manibus angularem compagem solidavit, hanc petram serenus illustret eamque aeterno lumine irrigatam ita multiplicibus ac diversis chrismatibus locupletet, ut super illam administrandam corporis sui hostiam benedicat et suscipiat consecrantam » 33. Dans ce texte, la mention de la pierre non travaillée par la main de l'homme renvoie au passage de l’Exode (XX, 22-26) mentionné et commenté dans le chaptire II et où l'on insiste sur l’obligation de ne pas tailler la pierre d’autel avec des ciseaux, à partir du travail de l’homme, au risque de profaner la pierre naturelle, et par extension, le lieu sacré matérialisé dans ce cas par l’autel.
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Benedictio lapidis itinerarii 34 Deus omnipotentem, fratres dilectissimi, votis exultantibus deprecemur, ut qui per omnem mundum fidem sparsit et ecclesiam congregavit, qui et lapis excisus de monte sine manibus angularem compagem solidavit, hanc petram serenus illustret eamque eterno lumine irrigatam ita multiplicibus ac diversis chrismatibus locupletet, ut super illam administrandam corporis sui hostiam benedicat et suscipiat consecratam. Qui cum patre... Très chers frères, par des prières pleines d’allégresse supplions le Dieu tout-puissant : que celui qui a répandu la foi par le monde entier et rassemblé l’Église, qui, pierre taillée dans la montagne sans l’aide des mains, à consolidé l’assemblage d’angle, répande son éclat sur cette pierre, la baigne de sa lumière éternelle, et la comble des multiples dons de sa grâce, afin de bénir l’hostie de son corps qui sera administrée sur elle, et de la recevoir une fois consacrée. Lui qui règne...” Consecratio lapidis. Oratio. Exaudi nos, Deus noster, et precum nostrarum libenter accipe vota et hoc altare, ad celebranda divina mysteria preparatum, odore unguenti celestis asperge et aromata divine sanctificationis illi infunde et, sicut lapidem Iacob patriarche erectum unguenti perfusione dicasti et angelicis visionibus per scalam gradus ecclesie figurasti, sic super hunc lapidem altari coaptandum celestis gratiam benedictionis immitte, ut, dum tibi super eum sacri corporis et sanguinis unigeniti tui mysteria consecrantur, petentibus peccata dimittantur, merentibus influat gratia sempiterna. Per...” Consécration de l’autel. Oraison. “Exauce-nous, notre Dieu, accepte volontiers l’expression de nos prières, répands l’odeur du parfum céleste sur cet autel préparé pour la célébration des divins mystères, et verse sur lui les aromates de la divine sanctification : de même que tu as mouillé d’huile la pierre dressée par le patriarche Jacob, qu’en des visions célestes tu as figuré les degrés par une échelle, de même sur cette pierre qui doit être scellée à l’autel envoie la grâce de ta bénédiction, afin que, tandis que sur elle seront consacrés les mystères du saint corps et du sang de ton Fils unique, leurs péchés soient remis à ceux qui le demanderont et que la grâce éternelle soit accordée à ceux qui le mériteront. Par...”
34 Cf. Andrieu, Pontifical…, cité à la note 14, p. 445-448 (traduction française dans Le pontifical de la curie romaine au XIIIe siècle, texte latin, traduction, introduction par M. Goullet, G. Lobrichon et E. Palazzo, “Sources liturgiques 4”, Paris, 2004, p. 253-259). Pour le texte de l’ordo contenu dans le pontifical romain du XIIe siècle, cf. Andrieu, Pontifical…, cité à la note 14, p. 197-201.
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Tunc accipiens pontifex tabulam aspergat eam aqua benedicta, datis odoribus incensi Le pontife recevra alors la plaque et l’aspergera d’eau bénite, après avoir répandu de l’encens Version A : Et confirmet eam crismate in medio et quatuor angulos confessionis, cruces faciendo dicens : In nomine Patris et filii et spiritus sancti. Amen. Pax tecum R/ Et cum spiritu tuo. Et il la confirmera en faisant des croix avec le chrême au milieu et aux quatre angles de la confession, et en disant : Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen. Que la paix soit avec toi. R/ Et avec ton Esprit. Tunc imponat tabulam super reliquias et dicat antiphona “Sub altare Dei”. Il placera alors la table sur les reliques, et il dira l’antienne “Sous l’autel du Seigneur”. Interim faciat incensum et dicatur antiphona “Dirigatur, domine, oratio”. Et ponat reliquias in medio cum tribus granis incensi et superposito lapide liniat cassellam colla. Pendant ce temps il répandra de l’encens en disant l’antienne “Que ma prière devant toi s’élève”. Il posera les reliques au milieu avec trois grains d’encens, remettra la pierre au-dessus et enduira de colle le reliquaire. Version B : Postmodum de crismate cruces faciat cum police in capsa ubi debent poni reliquie, in medio et per quatuor angulos dicens in qualibet unctione seu cruce : “Consecretur hoc sepulcrum in nomine patris et filii et spiritus sancti. Amen. Pax tecum. R/ Et cum spiritu tuo” Puis, du pouce, il fera des croix avec le chrême à l’emplacement qui devra contenir les reliques, au milieu et aux quatre angles, en disant à chaque signe d’onction : “Que ce sépulcre soit consacré au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen. Que la paix soit avec toi. R/ Et avec ton esprit”. Deinde recondat reliquias veneranter cum tribus franis incensi et qui circa eum sunt cantent antiphonam : “Exultabunt sancti in Gloria, letabuntur in cubi
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libus suis”. Ps : “Cantate domino canticum novum, laus eius in ecclesia sanctorum”. Puis il enfouira respectueusement les reliques avec trois grains d’encens, et ceux qui l’entourent chanteront l’antienne : “Les saints exulteront dans la gloire, ils se réjouiront en leurs demeures”. Ps : “Chantez au Seigneur un chant nouveau, louez-le dans l’assemblée des fidèles”. Deinde in medio et per quatuor angulos ipsius lapidis cruces faciat cum oleo sancto cathecuminorum et perungat totum lapidem, dicens in qualibet unctione seu cruce : “Consecrare et sanctificare digneris, domine, lapidem istum per istam unctionem et nostram benedictionem. Per Christum dominum nostrum. Amen”. Puis, au milieu et aux quatre angles de cet autel, il fera des croix avec l’huile consacrée destinée aux catéchumènes, il en oindra tout l’autel en disant à chaque signe d’onction : “Seigneur, daigne consacrer et sanctifier cet autel par cette onction et par notre bénédiction. Par le Christ notre Seigneur. Amen”. Tunc imponat lapidem super reliquias, primo liniens intus capsellam cum colla et dicatur antiphona : “Sub altare Dei sedem accepistis, intercedite pro nobis ad dominum Iesum Christum”. Ps. : “Exultate iusti in domino, rectos decet collaudatio”. Il placera alors la pierre sur les reliques, en enduisant d’abord de mortier l’intérieur du reliquaire, et il dira l’antienne : “Vous avez pris place sous l’autel du Seigneur, intercédez pour nous auprès du Seigneur Jésus-Christ”. Ps. “Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes ! Hommes droits, à vous la louange !”. Deinde confirmet lapidem cum crismate in medio et per quatuor angulos, crucem consecrationis faciendo, et perungat totum lapidem, dicens in qualibet cruce : “In nomine patris et filii et spiritus sancti. Amen. Pax tecum”. R/ Et cum spiritu tuo”. Puis il confirmera l’autel en faisant une croix de consécration avec le chrême, au milieu et aux quatre angles, et il oindra tout l’autel en disant à chaque signe d’onction : “Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen. Que la paix soit avec toi. R/ Et avec ton esprit”. Deinde faciat incensum accendi in quatuor angulis et in medio et dicatur antiphona : “Dirigatur, domine, oratio mea sicut incensum in conspectu tuo. Ascendit fumus aromatum in conspectus domini de manu angeli”.
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Puis il fera brûler de l’encens aux quatre angles et au milieu, et on dira l’antienne : “Que ma prière devant toi s’élève comme un encens. La fumée des parfums s’éleva de la main de l’ange à la face du Seigneur”. Version commune : Deinde dicat has orationes que consequenter ordine ponuntur. Puis il dira les oraisons qui suivent dans le rituel. “Deus qui ex omni coaptatione sanctorum eternum maiestati tue condis habitaculum, da edificationi tue incrementis celestia, ut quorum hic reliquias pio amore complectimur, eorum semper meritis adiuvemur. Per”. Dieu qui de l’assemblée de tous les saints bâtis pour ta majesté une demeure éternelle, accorde à ton édifice les accroissements célestes, afin que ceux dont ici-bas nous vénérons pieusement les reliques nous fassent toujours bénéficier de leurs mérites. Prephatio : “lapidem hunc, fratres dilectissimi, in quo unguentum sacre unctionis effunditur, ad suscipienda populi sui vota et sacrificia, oremus ut dominus consecret et benedicat et quod unctum est a nobis sit unctum in nomine eius, ut plebis oblata suscipiat et, altario per sacram unctionem perfecto dum propitiationem sacrorum imponimus, ipsi propitiatores Dei esse mereamur. Per unigenitum etc. Amen”. Préface : Très chers frères, prions le Seigneur de consacrer et de bénir cette pierre, sur laquelle nous répandons le parfum de l’onction sacrée pour qu’elle reçoive les prières et les sacrifices de son peuple : que ce qui a été oint par nous le soit en son nom, afin qu’il reçoive favorablement les offrandes du peuple et qu’en offrant le sacrifice propitiatoire sur cet autel rendu parfait par l’onction sacrée, nous méritions de devenir nous-mêmes l’offrande propitiatoire de Dieu. Par le Christ. Amen. Benedictio altaris. Oratio : “Supplices tibi, domine Deus, pater omnipotens, preces effundimus, ut metalli huius expoliatam materiam supernis sacrificiis, imbuendam, ipse tue dotare sanctificationis ubertate digneris, qui quondam scripsisti lapideis legem in tabulis. Per...”. Bénédiction de l’autel : “Seigneur Dieu, Père tout-puissant, nous répandons nos prières en te suppliant de daigner enrichir de l’abondance de ta sanctification la manière ouvragée de cette pierre qui recevra les sacrifices célestes, toi qui jadis as choisi des tables de pierre pour y écrire la Loi. Par...”.
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Et dicat alta voce cum cantu : Per omnia secula seculorum etc… Et il dira à voix haute en chantant : Par tous les siècles des siècles… Prephatio : “Vere dignum…Qui post offendicula lapsus primi hominis instituisti tibi offerri propitiatorii delinimenta libaminis, ut culpa que precesserat per superbiam futuris temporibus expiaretur per munera, quibus honorarentur altaria, honorificaretur et templum. Assit igitur misericordie tue ineffabilis pietas et super hunc lapidem opem tue benedictionis infunde ut, te largiente, referat premium quisquis intulerit votum. Per eum qui se angularem lapidem et saxum sine minibus excisum nominari voluit, dominus noster Iesus Christus filius tuus. Qui tecum...”. Préface. Il est vraiment juste et bon de te rendre grâces, Seigneur saint, Père tout-puissant. Toi qui après l’offense de la chute du premier homme as ordonné que te soient offertes des offrandes propitiatoires, afin que la faute commise par orgueil au début des temps fût expiée dans les temps futurs par les dons qui honoreraient les autels et le temple : accorde-nous l’ineffable bonté de ta miséricorde et répands sur cette pierre le secours de ta bénédiction, afin que par tes largesses chacun obtienne en récompense ce qu’il aura demandé. Par celui qui a voulu être appelé pierre angulaire taillée sans l’aide des mains, notre Seigneur Jésus-Christ ton Fils…Qui est avec toi…”. Item benedictio. “Quaesumus, omnipotens Deus, universarum rerum rationabilis artifex, qui inter ceteras creaturarum formas lapideum metallum ad obsequium tui sacrificii condidisti, ut legitime libationis pararetur altare, annue dignanter, ut quicquid hic oblatum sacratumque fuerit, nomini tuo assurgat, religioni proficiat, spei innitatur, fidei sit honori. Per...”. Autre bénédiction. “Nous te le demandons, Dieu tout-puissant, artisan de l’ordre du monde, qui, entre autres formes de créatures, as créé pour servir à ton sacrifice cette pierre afin que soit préparé l’autel de la juste libation, daigne permettre que tout ce qui aura été offert et consacré ici se lève à ton nom, profite de la religion, favorise l’espérance, et fasse honneur à la foi. Par...”. Hac consecratione facta et thure combusto, amoveant ministri crismationes et extergant lapidem diligenter et cineres combustionis in pelvi collectos mittant in piscinam. Cette consécration faite et l’encens brûlé, les ministres effaceront les onctions, nettoieront soigneusement l’autel et jetteront dans les fonts toutes les cendres de la combustion, qu’ils auront recueillies dans un bassin.
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À la fin du XIIIe siècle, la version de l’ordo de consécration de l’autel portatif contenue dans le pontifical de Guillaume Durand, dont la rubrique-titre “De altaris portatilis consecratione” insiste plus encore que dans les versions précédentes de ce rituel sur la dimension sacramentelle avec l’usage du mot “consécration”, présente bon nombre de points communs avec les versions précédentes du même texte dans les pontificaux de la curie, notamment pour le choix des pièces liturgiques, mais offre d'importants développements rubricaux qui mettent l’accent sur la forte ritualisation de l’ordo. Dans ces rubriques, on constate une tendance de plus en plus prononcée pour suggérer des rapprochements entre le rituel de la dédicace de l’église et de la consécration de l’autel fixe d’un côté et celui de la consécration de l’autel portatif de l’autre. À titre d’exemples, citons les passages suivants : De altaris portatilis consecratione 35 Ad consecrandum tabulam, sive altare portatile, parentur in primis que supra, in titulo precedenti, paranda diximus in consecratione altaris que fit sine ecclesiae dedicatione, excepto quod nec de reliquiis, nec quod vas aque ponatur in presbiterio, sed alibi ubi placuerit ponatur, nec de coopertura linea cerrata, nec de calce et sabulo vel cementario, nec de duobus cereis hic est procurandum. …Deinde benedicit (pontifex) aquam cum sale, cinere et vino, ea commiscendo, incipiens et dicens ter flexis genibus…prout sub ecclesie dedicatione, in secunda aque benedictione dictum est, usque ad prephationem illam…. que hic non dicitur; hoc salvo quod, ubicumque fit mentio de ecclesia et altari, dicatur hic tantum de altari vel tabula…Aqua igitur benedicta, mox ex illa faciat cruces cum pollice dextere manus in medio tabule seu altaris et per quattuor eius cornua..Et dum dicuntur antiphona et psalmus, aspergit cum aspersorio de herba ysopi acto ex ipsa qua tabulam septem vicibus, nullo circuitu facto, interpositis ternis versibus ipsius psalmi inter unam aspersionem et aliam. Quo facto, abstergitur cum mundo panno linteo. …Post haec, facit (pontifex) cruces cum pollice in medio tabule seu altaris…Et interim pontifex facit cruces de crismate sancto ineisdem locis tabule in quibus prius eas fecti de aqua et oleo sancto dicens…Incenso itaque benedictio, formet quinque cruces, videlicet quamlibet de quinque granis eiusdem thuris, super illa quinque loca altaris, in quibus cruces de aqua et oleo et crismate prius facte fuerunt. Et super quamlibet crucem thuris ponat unam crucem factam de subtili candela ad 35 M. Andrieu, Le pontifical romain au Moyen Âge, t. III, “Studi e Testi 88”, Città del Vaticano, 1940, p. 498-504.
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mensuram illius, cuius capita sint accensa, ut sic etiam thus accendatur et cremetur…”. En guise de conclusion Ce chapitre aura, je l'espère, mis en évidence la riche histoire de l'ordo de consécration de l'autel portatif ainsi que son grand intérêt du triple point de vue de sa signification théologique, liturgique et anthropologique. Dans les textes liturgiques de cet ordo, ainsi que dans ceux appartenant aux premières séries de bénédictions de l'autel portatif à l'époque carolingienne, on a pu constater l'importance accordée à l'exégèse développée à propos de cet objet. En effet, les textes liturgiques de l'autel portatif constituent le “lieu” d'expression de l'exégèse sur l'objet et principalement axée sur l'association entre l'autel et la stèle de Jacob du récit du chapitre 28 du livre de la Genèse. L'exégèse liturgique sur l'autel portatif accorde une place de choix à la signification symbolique de l'objet en relation avec la définition du lieu rituel et de l'espace sacré. Cette signification est amplement suggérée à partir de la comparaison effectuée entre la stèle de Jacob, qui constitue elle-même une image symbolique de l'espace sacré, et l'autel portatif. Par ailleurs, il nous faut également souligner l'intérêt de l'ordo de la consécration de l'autel portatif du point de vue de l'anthropologie du rituel. En effet, le texte de cet ordo, tel qu'il apparaît pour la première fois au Xe siècle dans le pontifical romano-germanique, présente tous les caractères d'une forte ritualisation largement inspirée par le texte de l'ordo de la dédicace de l'église. Le caractère fortement ritualisé du rituel de la consécration de l'autel portatif montre notamment la volonté d'insister dans ce texte sur la notion d'espace – en particulier l'espace extérieur à l'église – soulignant bien par là les enjeux de ce rituel pour la réflexion symbolique sur l'espace sacré et le lieu rituel. Or, cette insistance sur la notion d'espace est ici encore largement calquée sur le texte de l'ordo de la dédicace de l'église où la réflexion sur l'espace sacré est au coeur à la fois de la structure du texte et de sa ritualisation et de sa signification théologique.
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CHAPITRE V
L’AUTEL PORTATIF AU MOYEN ÂGE : USAGES, FONCTIONS LITURGIQUES ET SYMBOLISME EXÉGÉTIQUE Dans ce chapitre, je me propose d’examiner divers aspects de l’usage, des fonctions liturgiques et du symbolisme exégétique et théologique des autels portatifs sur la longue durée du Moyen Âge occidental bien qu’en focalisant mon propos sur le haut Moyen Âge 1. Pour ce faire, je vais procéder à l’exposé et à l’analyse de différents textes issus de contextes et de genres “littéraires” très différents, depuis la littérature hagiographique aux commentaires exégétiques sur la liturgie, en passant par les chroniques, les coutumiers monastiques et les ordinaires liturgiques ou bien encore certains textes de la législation canonique et d’autres encore détaillant les inventaires de trésors ecclésiastiques. Pour naviguer aisément dans l’immensité de cette matière et tirer utilement parti de ce qu’elle offre au chercheur en relation avec le thème de recherche traité dans ce livre, on comprendra que l’exhaustivité n’est nullement visée dans les enquêtes que j’ai menées au sein de ces différents genres de textes. Je crois cependant que la matière réunie et présentée dans les pages qui suivent permet d'avoir une vision ample des différents usages et fonctions liturgiques de l’autel portatif ainsi que du symbolisme à la fois exégétique et théologique qui lui est attaché. Exégèse, théologie et législation canonique de la liturgie de l'autel portatif dans le haut Moyen Âge Commençons l’exposé par la citation et l’analyse de quelques textes législatifs du haut Moyen Âge dont on peut légitimement penser qu’ils assurent la transition entre la façon dont l’Antiquité a pensé et réglementé l’usage de l’autel portatif et la manière de considérer cet objet à partir de la réforme liturgique carolingienne. Dans le haut Moyen Âge, il n’est pas rare que la réflexion autour de la définition de l’espace rituel et de l’espace sacré porte sur des éléments relatifs aux autels portatifs et à la façon dont on les considère 1 Voir déjà, É. Palazzo, “L’espace et le sacré dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge. Les autels portatifs”, Cristianità d’Occidente et cristianità d’Oriente (secoli VI-XI), Settimane di studio del Centro italiano di sutdi sull’alto Medioevo, LI, Spoleto 2003, Spoleto, 2004, p. 1117-1160.
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du point de vue de la réglèmentation de leur usage liturgique. A l’époque carolingienne, la législation canonique pose un certain nombre de jalons dans cette réflexion sur l’espace sacré, notamment à propos de la nécessité d’encadrer strictement et précisément la célébration avec un autel portatif. Ainsi, le canon 14 du capitulaire de Charlemagne stipule que si certains prêtres sont amenés à célébrer l’eucharistie avec un autel portatif, ce qui ne doit en aucun cas être la règle, ils doivent alors impérativement utiliser un autel portatif réalisé avec une pierre et consacré au préalable par un evêque, selon l’usage instauré dans la législation canonique au moins depuis le canon 26 du concile d’Épaone de 517 : “Qu’on ne consacre pas d’autels autres que ceux de pierre, par l’onction du chrême” (“Altaria nisi lapidea chrismatis unctione non sacrentur” 2 : “Nullus sacerdos nisi in loco Deo dicatis, vel in itinere positus in tabernaculis et mensis lapideis ab episcopo consecrates, missas celebrare praesumat”), en voyage donc le prêtre ne peut célébrer que sur une pierre consacrée par l’évêque. Comme le rappelle à juste titre Robert Favreau dans sa contribution à la connaissance des autels portatifs par l’étude de leurs inscriptions, on utilisera de préférence une pierre de belle et noble matière, comme du marbre, du porphyre, du jaspe, de l’albâtre, de l’onyx, de la serpentine, du saphir ou de l’ivoire, plutôt qu’une simple pierre 3. La diversité des pierres précieuses utilisées dans la fabrication des autels portatifs est attestée dans certaines mentions de trésors d’églises : “Duo altaria marmorea portabilia benedicta” (Deverel) 4, “Altare portatile marmoreum benedictum” (Horningshem)5, “Et unum marmoreum portabile” (Mere) 6, “Altare apostolorum argenteum…et aliud altare eburneum” 7, pour cette dernière mention, on ne peut être absolument certain que le Les canons des conciles mérovingiens (VIe-VIIe siècles), introduction, traduction et notes par J. Gaudemet et B. Basdevant, t. I, “Sources chrétiennes 353”, Paris, 1989, p. 113. 3 R. Favreau, “Les autels portatifs et leurs inscriptions”, Cahiers de civilisation médiévale, 46, 2003, p. 327-352, sp. p. 328. Voir déjà les remarques de J. Braun, Der christliche Altar in seiner geschichtlichen Entwicklung, Munich, 1924, p. 419-523, sp. p. 420-421. 4 O. Lehmann-Brockhaus, Lateinische Schriftquellen zur Kunst in England, Wales und Schottland vom Jahre 901 bis zum Jahre 1307, I, Munich, 1955, n° 1232, p. 331. 5 Lehmann-Brockhaus, ibid., n° 2157, p. 573-574. 6 Lehmann-Brockhaus, ibid., n° 3136, p. 266. 7 B. Bischoff, Mittelalterliche Schatzverzeichnisse, I, Von der Zeit Karls des Grossen bis zur Mitte des 13. Jarhunderts, Munich, 1967, n° 58, ligne 16, p. 67. À côté des inventaires de trésors d’églises, il y aurait grand profit à opérer un sondage dans les testaments d’abbés et d’évêques où, bien souvent, on a affaire à une importante série d’objets liturgiques dont parfois des autels portatifs et qui font l’objet de la donation au même titre que les objets donnés dans les trésors d’églises, cf. É. Palazzo, “Arts somptuaires et liturgie : le testament de l’évêque d’Elne, Riculf (915)”, Retour aux sources. Textes, études et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, Paris, 2004, p. 711-717. 2
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second autel soit un autel portatif, mais l’usage de l’ivoire peut le laisser supposer. Ainsi que le rappelle encore Robert Favreau, cet intérêt pour la pierre destinée à la fabrication des autels portatifs relève essentiellement d’une raison symbolique plutôt qu'il ne trouve ses fondements dans les textes bibliques car, dans l’Ancien Testament en particulier, on cite aussi bien d’autres matières que la pierre, telles que l’or et l’airain, pour la fabrication des autels 8. En effet, dans la théologie chrétienne, le Christ est fondamentalement associé à l’autel. Dans les Évangiles, le Christ s’est présenté comme la pierre rejetée par les bâtisseurs et devenue la pierre d’angle : “Jésus leur dit : “N’avezvous jamais lu dans les Écritures : “La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue la pierre angulaire; c’est là l’oeuvre du Seigneur : quelle merveille à nos yeux” (Matthieu, 21, 42), “Mais Jésus, les regardant en face, leur dit : “Que signifie donc ce texte de l’Écriture : “La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue la pierre angulaire” ?” Tout homme qui tombe sur cette pierre sera brisé, et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera (Luc, 20, 17-18), “C’est lui la pierre que, vous, les bâtisseurs, aviez mise au rebut, elle est devenue la pierre angulaire” (Actes des Apôtres, 4, 11). Pour nombre de théologiens et d’exégètes chrétiens de l’Antiquité et du Moyen Âge, le Christ est signifié par l’autel car, selon l’identification paulinienne de l’épître aux Corinthiens – “Tous (les hébreux) mangèrent la même nourriture spirituelle, et tous burent le même breuvage spirituel; car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait ; et ce rocher, c’était le Christ (“petra autem erat Christus” (I Corinthiens 10, 3-4)” – les théologiens ont également associé le Christ à la pierre du fait de l’ensevelissement du corps du Christ dans un tombeau de pierre 9. À cela vient s’ajouter l’importante association entre le Christ et la pierre en relation avec la solidité de la foi, selon ce que le Seigneur a dit à Pierre : “Et moi, je te déclare, tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et la puissance de la mort n’aura pas de force contre elle” (Matthieu 16, 18) et que l’on rencontre expliquée par exemple dans le “Rational des divins offices” de Guillaume Durand dans la seconde moitié du XIIIe siècle : “Hec autem tabula sive lapis continet sive diciture sigillum sepulcri sicut ait Alexander papa III. Postea vero lapis, qui mensa altaris dicitur, super altare adaptatur, per suem perfectionem Favreau, art. cit à la note 3, p. 328 et M. Budde, Altare portatile. Kompendium der Tragaltäre des Mittelalters, 600-1600, Münster, 1998, p. 37-44 et la description des différents autels portatifs dans le catalogue. 9 Cf. Favreau, art. cit. à la note 3, p. 328. 8
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et soliditatem notitie Dei possumus intelligere, que non propter duritiem sed propter soliditatem fidei lapidea esse debet, sicut Dominus ait Petro : “Tu es Petrus et super hanc petram”, id est super hanc fidei firmitatem, edificabo ecclesiam meam” 10. Cette exégèse visant à associer le Christ à la pierre en allusion à divers passages bibliques ainsi qu’à penser l’association entre le Christ et la pierre d’autel, ou, de façon plus large, l’autel en général, se recontre chez plusieurs auteurs et commentateurs de la liturgie autres que Guillaume Durand. Ainsi par exemple, chez Rupert de Deutz au XIIe siècle : “Altare significat Christum” ou bien encore Sicard de Crémone lorsqu’il écrit : “Lapides in altaria erecti, et altare aureum, et haec nostra altaria lapidea significant Christum, qui est lapis de monte sine manibus excisus, lapis quadratus, stabilis, super quem nostrarum orationum vota congerimus, unde orationis per Jesum Christum Dominum, terminamus…” 11. Un peu plus haut dans le temps, à l'époque carolingienne, Raban Maur s'exprime en ces termes à propos de la stèle de Jacob et de sa signification théologique : “Somnus iste Jacob mors sive passio est Christi. Lapis ad caput eius qui nominatim quodammodo lapis dictus est, etiam unctus Christus significatur...erectio autem lapidis, resurrectio Christi est” 12. On peut également citer un autre passage extrait du Rational des divins offices dont le sujet est en l’occurrence l’exégèse sur l’autel et le rite de sa consécration en relation avec le symbolisme christologique : “Non ergo unguntur altaria nisi lapidea, qui Christus per altare significatus est lapis excrescens in montem, ut dictum est. Ipse est mons pinguis oleo letitie pre consortibus unctus” 13. Après cette brève incursion dans l'exégèse liturgique établissant notamment la signification symbolique de la pierre utilisée par Jacob, revenons à la législation canonique. Dans la seconde moitié du IXe siècle, l’archevêque de Reims Hincmar ordonne à ses prêtres qui étaient dans l’obligation de célébrer la messe en dehors de l’église de lui faire parvenir une table de marbre, ou faite d’une “pierre noire” (peut-être du porphyre ?) ou bien encore réalisée à partir de toute autre pierre convenable, selon les possibilités de chacun : “Ut nullus missam celebret in altari non consecrato, vel sine tabula ab episcopo consecrata. Ut quia presbyteri, praeter ecclesiam in qua titulati sunt, etiam capellas habent, et quidam etiam veteres ecclesias restaurant, aut altaria Guillelmi Duranti. Rationale divinorum officiorum, I-IV, ed. A. Davril, T.M. Thibodeau, “Corpus christianorum – Continuatio Mediaevalis CXL”, turnhout, 1995, p. 92. 11 Sur tout ceci, voir les pages bien documentées de Budde, op. cit. à la note 8, p. 38-42. Pour le passage de Sicard de Crémone, cf. PL. 213, col. 18-19. 12 PL, 111, col. 39, De Universo. 13 Guillaume Durand, op. cit. à la note 10, p. 93. 10
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nova construunt propter loci convenientiam, vel immutant; nemo presbyterorum in altario ab episcopo non consecrato ante consecrationem cantare praesumat. Quapropter, si necessitas poposcerit, donec ecclesia vel altaria consecrentur, et in capellis etiam que consecrationem non merentur tabulam quisque presbyter, vui necessarium fuerit, de marmore vel nigra petra, aut litio honestissimo, secundum suam possibilitatem, honeste affectam habeat, et nobis consecrandum afferat, quam secum cum expedierit deferat, in qua sacra mysteria secundum ritum ecclesiasticum agere valeat” 14. Ce texte met clairement en évidence le souci d’Hincmar d’imposer et de faire respecter la règle de la célébration de la messe par les prêtres de son territoire – plus ou moins assimilable avec son diocèse – sur des autels, ou des tables mobiles, portatives, des autels portatifs qu’il aura auparavant lui-même consacrés comme le veut la législation canonique rappelée plus haut et établie depuis le concile d’Epaone en 527. Soucieux également de l’unité ecclésiale de son diocèse, l’archvevêque de Reims se montre dans ce texte également vigilant pour la maîtrise sacramentelle des célébrations qui se déroulent dans les églises et les chapelles qui se multiplient à cette époque sur le territoire ecclésiastique dont il a la charge. Ces préoccupations d’ordre territorial et relatives à la définition nouvelle de la paroisse et de son territoire qui se dessine à l’époque carolingienne recoupent et viennent s’ajouter à la longue réflexion menée ailleurs par Hincmar de Reims, en particulier dans différents passages de la Collection sur les églises et les chapelles du milieu du IXe siècle 15. Ces matières précieuses sont recommandées pour la fabrication des autels portatifs car, dans l’exégèse chrétienne, le Christ n’est pas seulement associé à la pierre mais aussi à toutes matières précieuses, à toutes pierres précieuses comme l’a souligné avec justesse Michaël PL. 125, col. 794. Collectio de ecclesiis et capellis, M. Stratmann ed., MGH, “Fontes iuris Germanici antiqui 14”, Hannover, 1990, voir surtout p. 75 et 80-81. Ce texte a fait l’objet d’une traduction française accompagnée d’un long commentaire historique et établie dans le cadre d’un séminaire de traduction dirigée par Cécile Treffort et Philippe Depreux au CESCM à Poitiers et qui sera prochainement publiée. On attend aussi avec impatience la publication de la table ronde tenue à Göttingen sur ce texte en mars 2006 et co-organisée par la Mission Historique Française en Allemagne et le CESCM. En attendant, on consultera avec grand profit les pages éclairantes de M. Lauwers, Naissance du cimetière chrétien. Lieux sacrés et terrre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005, p. 32-40 et C. Treffort et P. Depreux, “La paroisse dans le De ecclesiis et capellis d’Hincmar de Reims. L’énonciation d’une norme à partir de la pratique ?”, Médiévales, 48, 2005, p. 141-148. Sur la diversité des espaces liturgiques telle que l’époque carolingienne la définit, voir les intéressantes remarques de D. Bullough, “The Carolingian Liturgical Experience”, Continuity and Change in Christian Worship, “Studies in Church History 35”, 1999, p. 29-64, sp. 30-43. 14 15
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Budde citant quelques passages émanant de la plume de grands théologiens du Moyen Âge 16. Ainsi dans son commentaire du Cantique des Cantiques, Bède le Vénérable écrit à propos du vers 5, 14 du poème : “Distinctus est ergo sapphires venter Christi eburneus, quia immaculate et incontaminabilis eius incarnatio, frequentibus refulsit miraculis divinae celsitudinis” 17. Il faut rappeler que les autels portatifs conservés montrent précisément cet intérêt pour l’usage et l’utilisation des pierres précieuses dans leur fabrication. Cet intérêt pour les matières précieuses en vue de la réalisation des autels portatifs trouve également son origine dans les modèles d’autels vétéro-testamentaires – comme par exemple les autels mobiles décrits dans le livre de l'Éxode - qui ont très vraisemblablement influencé la façon de percevoir le symbolisme des autels portatifs. Ces références aux autels décrits dans l’Ancien Testament, avec leurs matières précieuses, ou, de façon générale utilisant la pierre pure et noble, ont également servi le discours de légitimation des autels portatifs et de leurs usages liturgiques. Rappelons-nous ici les citations explicites à la stèle de Jacob d’une part, et aux tables de la Loi remises par le Seigneur à Moïse d’autre part, dans l’oraison “Singulare illud repropitiatorium” du sacramentaire de Gellone dont on a vu l’importance du point de vue de l’exégèse liturgique 18. Les inventaires de trésors d’églises et les listes de donations effectuées par des évêques ou des abbés à leur monastère ou à leur cathédrale fournissent une documentation fort riche pour saisir l’importance accordée aux pierres précieuses et, de façon plus générale, aux matières précieuses dans la fabrication des autels portatifs 19. Entre le IXe Budde, op. cit. à la note 8, p. 37-42. Dans le haut Moyen Âge, d’autres objets liturgiques on fait l’objet d’une réflexion canonique et théologique à propos de la matière noble devant être utilisée pour leur fabrication, comme par exemple le calice pour lequel il est demandé d’utiliser de l’argent plutôt que de l’étain, cf. E. Frutieaux, “Entre liturgie et sacralité. Enquête sur la nature et la fonction des calices durant le haut Moyen Âge”, Revue d’histoire de l’Église de France, 85, 1999, p. 225-240. 17 Cité d’après Budde, ibid., p. 39, Bède le Vénérable, In cantica canticorum allegorica expositio, PL. 91, col. 1168. Sur le symbolisme théologique des pierres précieuses au Moyen Âge, voir le beau livre de C. Meier, Gemma spiritalis. Methode und Gebrauch der Edelsteinallegorese von frühen Christentum bis in 18. Jahrdhundert, “Münstersche Mittelalter-Schriften 34/1”, Munich, 1977. 18 Voir l’analyse de cette pièce liturgique dans le chapitre 4. 19 Pour l’Allemagne, cf. Bischoff, op. cit . à la note 7; pour les îles britanniques, voir l’important recueil de Lehmann-Brockhaus, cité à la note 4; pour la France, un inventaire exhaustif fait toujours défaut mais on consultera avec profit, V. Mortet et P. Deschamps, Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition des architectes en France au Moyen Âge, XIe-XIIIe siècles, rééd. , Paris, 1995. Pour l’Italie, cf. F. Bougard, “Trésors et mobilia italiens du haut Moyen Âge”, Les trésors de sanctuaires, de l’Antiquité à l’époque romane, Université de Paris X-Nanterre, 1996 (Cahiers du centre de recherches sur l’Antiquité tardive et le haut 16
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et le XVe siècles, les mentions d’autels portatifs dans ces textes insistent non seulement sur la matière de ces objets, soulignant ainsi clairement leur caractère précieux d’autant plus s’ils sont intégrés à un trésor, mais également sur leur fonction mobile, itinérante, voire portative. Voici à titre d’exemples, certaines de ces mentions extraites des inventaires de trésors entre le IXe et le XIIIe siècle : – Altare illud in honore perpetuae virginis Mariae decoravit lignea tabula, quam imaginibus argenteis diversis cooperuit. – Videlicet tabulam altaris portabilis, una cum reliquis. – Itineraria altaria duo. – Altare II in itinere portandum. – Vasa altaris sunt altaria mobilia. Habemus altare unum mobile. – Tria altaria mobilia. – Et unum marmoreum portabile. – Erant tunc temporis altaris lignea iam inde a priscis diebus in Anglia… in ipso dedicandorum altarium itinere venit ad locum cui vicinabatur ecclesia… Ce parallèle établi entre la préciosité des matériaux de l’autel portatif et les matières précieuses employées pour la fabrication de certains autels décrits dans l’Ancien Testament s’explique pour une large part du fait de l’exégèse chrétienne sur ces matériaux précieux et sur l’autel chrétien en général, voire l’autel portatif en particulier. Pour illustrer ce propos, il faut principalement nous intéresser à la signification symbolique d’un autel portatif fait réaliser à la fin du Xe siècle par l’archevêque de Reims Adalbéron en même temps qu’un certain nombre d’autres objets liturgiques destinés à servir dans le déroulement des célébrations du rituel de la cathédrale de Reims ou bien à être déposés dans son trésor. Dans la description de cet autel portatif donnée par le chroniqueur rémois Richer, on insiste tout particulièrement sur l’association entre l’autel portatif et l’arche d’alliance déposée dans le Temple de Salomon. Voici cet important passage extrait de l’Histoire de France de Richer de Reims : “Preter haec altare gestatorium non viliore opere effinxit. Super quod, sacerdote apud Deum agente, aderant quatuor evangelistarum expressae auro et Moyen Âge, VII), p. 167-191, sp. p. 180-181; de façon générale, ce dernier ouvrage fournira d’importantes informations sur les trésors médiévaux. À ce sujet, voir aussi, Treasure in the Medieval West, York Medieval Press, 2000 et Tesori. Forme di accumulazione della ricchezza nell’alto medioevo (secoli V-XI), Rome, 2004. Sur l’importance de l’or dans la fabrication des objets liturgiques du Moyen Âge, on pourra aussi consulter l’article classique de M.-M. Gauthier, “L’or et l’Église au Moyen Âge”, Revue de l’art, 26, 1974, p. 64-77
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argento imagines, singulae in singulis angulis stantes; quarum uniuscuiusque alae extensae duo latera altaris usque ad medium obvelabant; facies vero agno inmaculato conversas intendebant; in quo etiam ferculum Salomonis imitari vedebatur”. “Outre cela (c’est-à-dire les remaniements architecturaux entrepris dans la cathédrale), il (Adalbéron de Reims) fit fabriquer un autel portatif d’un travail non moins soigné. Sur cet autel, où le prêtre se tient devant Dieu, se trouvaient les figures des quatre evangélistes, façonnées en or et en argent, établies dans chacun des angles. Chacune par ses ailes déployées masquait jusqu’au milieu les faces latérales de l’autel; elles tendaient leur visage vers l’Agneau immaculé. Par là, il avait voulu copier l’arche d’alliance de Salomon” 20. S’inspirant d’une tradition exégétique sur laquelle je vais m’attarder plus loin et visant à associer d’une part l’autel à l’arche d’alliance et, d’autre part, les quatre angles de l’autel aux quatre évangiles dont le message est appelé à se diffuser dans le monde entier, ce passage de la chronique de Richer de Reims fournit la première occurrence connue désignant l’autel portatif par l’expression “altare gestatorium”. Cette expression insiste fortement sur l’idée de l’autel que l’on transporte, sur la notion de mobilité de l’autel portatif. La mobilité liturgique de l’autel portatif en fait le pivot, le coeur de l’espace sacramentel qui se définit ainsi par la présence de l’autel du seigneur sur le lieu de la célébration, même si celui-ci n’est pas le lieu par excellence du déroulement des rituels, c’est-à-dire l’église consacrée. Dans la correspondance de saint Anselme, mort en 1109, on relève à nouveau l’expression utilisée par Richer de Reims pour désigner l’autel portatif fait fabriqué par l’archevêque Adalbéron, dans une lettre envoyée par Anselme à l’abbé de l’abbaye du Bec, Guillaume : “Cavendum existimo, ne altare gestatorium consecretur sine fundamento, quod multi custodiunt et fere ubique custoditur, quamvis in Northmania, cum ibi eram, non servaretis, sed nudi lapides nusquam affixi consecrarentur” 21. Dans le texte décrivant l’autel portatif fait confectioner par Adalbéron de Reims, l’insistance est d’abord faite sur la richesse des matériaux employés, l’or et l’argent et sur la qualité du travail réalisé. Mais 20 Richer, Histoire de France, R. Latouche, édition et traduction, Paris, 1937, “Les classiques de l’histoire de France au Moyen Age”, t. II, p. 30-31. Voir en dernier lieu J. Glenn, Politics and History in the Tenth Century. The Work and World of Richer of Reims, Cambridge University Press, 2004, p. 32-33. 21 Passage cité par Braun, op. cit. à la note 3, p. 426.
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Fig. 2: Reconstitution par Marie-Thérèse Gousset de l’autel portatif d’Adalbéron de Reims.
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l'aspect le plus original de cette description réside dans la mention de l’iconographie (fig. 2) des quatre évangélistes et de l’Agneau immaculé ainsi que dans le symbolisme explicite auquel est associé cet autel, à savoir le modèle de l’arche d’alliance déposée dans le temple de Salomon. L’arche d’alliance apparaît durant tout le Moyen Âge comme une référence symbolique majeure pour l’autel chrétien et, plus largement, pour l’église-bâtiment dans son ensemble. Au-delà de ce rapprochement effectué entre l’arche d’alliance et l’autel, c’est donc bien l’assimilation entre le temple de Salomon et l’église que les théologiens évoquent dans leurs traités et leurs commentaires liturgiques 22. L’évêque d’Orléans du début du IXe siècle, Théodulf, n’avait-il pas, par exemple, fait construire son oratoire privé de Germigny-des-Prés à l’image du temple de Salomon comme en témoigne encore aujourd’hui la mosaïque de l’abside représentant l’arche d’alliance ? 23 De même au milieu du XIe siècle, lorsque l’abbé du monastère de Saint-Michel de Cuxa, Oliba, fit entreprendre un ensemble de rénovations architecturales de l’église de son abbaye, on installa dans le choeur de l’édifice, selon le poème dédié par le moine de Cuxa, Garsias, à Oliba, un baldaquin au-dessus du temple de l’autel semblable au propiatoire du temple de Salomon et protégeant l’arche d’alliance 24. Si l’on se réfère à ce symbolisme de l’arche d’alliance, l’autel portatif n’apparaît ainsi plus uniquement comme synonyme d’itinérance, de mobilité, mais se trouve aussi associé à la notion de stabilité de l’Église et du lieu de culte. Dans ce sens, on peut véritablement considérer que c’est bien l’objet qui fait le lieu de culte et l’espace sacré ainsi que les premiers traités carolingiens dissertant sur la notion 22 Cf. W. Cahn, “Solomonic Elements in Romanesque Art”, The Temple of Solomon. Archaeological Fact and Medieval Tradition in Christian, Islamic and Jewish Art, “American Academy of religion Society of Biblical Literature religion and the Arts”, 1976, p. 45-72: A. Peroni, “Ordo et mensura nell’ architectura altomedievale”, Uomo e spazio nell’alto medioevo, L Settimana di studio del centro italiano sull’alto medioevo, Spoleto, 2002, Spoleto, 2003, t. II, p. 1055-1117. Voir aussi G. Binding, Der früh- und hochmittelalterliche Bauherr als sapiens architectus, Darmstadt, 1996, passim (voir par exemple Bruno de Segni, Sententiae, lib. I, PL. 165, col. 895-896). 23 C. Heitz, L’architecture religieuse carolingienne. Les formes et leurs fonctions, Paris, 1980, p. 82-85. Voir en dernier lieu, A. Freeman et P. Meyvaert, “The Meaning of Theodulf’s Apse Mosaïc at Germigny-des-Prés”, Gesta, 40, 2001, p. 125-139. 24 M. Durliat, “L’architecture du XIe siècle à Saint-Michel de Cuxa”, Etudes d’art médiéval offertes à Louis Grodecki, Strasbourg, 1981, p. 49-51. Sur le traité du moine Garsias comme première étape vers l’élaboration d’un nouveau genre littéraire, de type historiographique, cf. D. Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Age, Paris, 2006, p. 340-344.
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de lieu de culte l'ont bien établi, comme l’étude des commentaires exégétiques d’Amalaire de Metz et de Walafrid Strabon par Dominique Iogna-Prat l’a bien montré 25. Dans ce contexte précis du symbolisme exégétique, l’autel portatif décrit par Richer de Reims apparaît d’une certaine manière l’autel fixe du temple de Dieu, c’est-à-dire l’Église établie dans toutes le parties du monde. Or, si l’Église est partout, sans être nullement limitée à l’espace de l’église-bâtiment, on comprend mieux l’association entre l’autel portatif et l’autel fixe, stable, image du Christ établie et répandue partout dans le monde, comme doit l’être l’Église. Ici, ce symbolisme de l’autel portatif est proche de celui accordé à l’autel en général par le principal commentateur et exégète de la liturgie au IXe siècle, Amalaire de Metz qui s'exprime ainsi dans son Liber officialis à propos du diacre et du symbolisme de ses fonctions liturgiques : “Deinde vadit (le diacre) ad altare, ut inde sumat evangelium ad legendum. Altare Hierusalem potest designare, ut praetulimus, de qua exivit verbum Domini de Hierusalem, vel ipsius Domini Corpus, in quo sunt verba evangelii, videlicet nuntiationis” 26. Ici, l’autel désigne Jérusalem d’où s’est répandu le message du Christ, à l’instar des évangiles lus sur l’autel lors du déroulement de la célébration de l’eucharistie. Revenons un instant au symbolisme de la description de l’autel portatif par Richer de Reims pour constater que sur cet objet les figures des évangélistes étaient placées aux quatre angles comme pour signifier que le message du Christ contenu dans les textes évangéliques devait se diffuser aux quatre coins de la terre, les quatre points cardinaux. L’autel portatif fait confectionner par Adalbéron de Reims se présente comme le pivot, le coeur d’un espace sacré symbolique dont les dimensions sont extensibles à l’infini, aux confins du monde, là où le message des évangiles sera entendu. Il est ainsi possible d'établir un parallèle entre le symbolisme développé par Amalaire de Metz à propos de l'autel , image de Jérusalem à partir d'où les quatre évangiles se diffusent à travers le monde, et celui implicitement contenu dans la description de l'autel portatif faite par Richer de Reims, où l'insistance est portée notamment sur les quatre figures des évangélistes placées aux quatre coins de l'autel. Il faut dire qu’Adalbéron de Reims semble avoir particulièrement réfléchi à la notion d’espace sacré, non seulement à Iogna-Prat, op. cit. à la note précédente, p. 286-308 et déjà “ Lieu de culte et exégèse liturgique à l’époque carolingienne”, The Study of the Bible in the Carolingian Era, Turnhout, 2003, p. 214-244. 26 Amalaire de Metz, Liber officialis, lib. III, cap. 18, 6. Opera liturgica omnia, I.-M. Hanssens ed., vol. 2, “Studi e Testi 139”, Città del Vaticano, 1950, p. 308. 25
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partir de l’autel portatif et de son symbolisme mais aussi à propos de l’espace ecclésiologique de la ville de Reims comme je l'ai rappelé dans le chapitre I à propos de la “description” du rituel se déroulant à la cathédrale de Reims dans la seconde moitié du Xe siècle, imaginée à la suite des remaniements architecturaux entrepris par Adalbéron dans la cathédrale et que l'on connaît grâce au passage de la chronique de Mouzon écrite vers 1033 27 : “Que dire de l’église de Saint-Denis que cet éminent serviteur de Dieu (Adalbéron) institua hors des murs de la ville devant les portes de la grande église dédiée à sainte Marie mère de Dieu, afin que l’entrée de l’une faisant face à l’entrée de l’autre, le célébrant tourné vers l’orient eut toujours devant les yeux au cours de la messe le prêtre officiant dans la cathédrale et que les prières offertes en prémisses par le premier fussent confirmées par l’offrande du second et aussi pour que le premier sentit croître sa dévotion au spectacle qu’il avait sous les yeux tandis que le second, tendu vers l’avant, pu procéder en toute quiétude au sacrifice, sachant qu’il avait derrière lui un ange en armes tout prêt à le protéger ou encore que regardant vers le couchant pour saluer le peuple et dire : “Le Seigneur soit avec vous”, le second dans sa prière, en invoquant le nom divin, pu bénir le premier avec toute l’assistance” 28. Au IXe siècle, la législation canonique, la liturgie et la théologie contribuent chacune à leur manière à élaborer la règlementation concernant la célébration des rituels et notamment de l’eucharistie. Celle-ci doit, aux yeux des théologiens et des ecclésiastiques de l’époque carolingienne obligatoirement se dérouler dans une église consacrée, à l’exception cependant de quelques circonstances parfaitement règlementées. Ainsi, dans l’un de ses capitulaires épiscopaux, l’évêque d’Orléans Théodulf, au début du IXe siècle, s’exprime clairement à ce sujet : “Les solennités de la messe ne doivent en aucun cas être célébrées ailleurs que dans une église, et non dans n’importe quelle maison, ni dans un endroit profane, mais à l’endroit que le Seigneur aura choisi, conformément à ce qui a été écrit : “Veille à ne pas offrir tes holocaustes en tout lieu que tu auras vu, mais à l’endroit que le Seigneur aura choisi pour y placer son nom”. Exception faite de ceux qui, continuant de célébrer à l’armée, ont pour cela besoin des tentes 27 M. Bur, “À propos de la chronique de Mouzon. Architecture et liturgie à Reims au temps d’Adalbéron (vers 976)”, Cahiers de civilisation médiévale, 27, 1984, p. 297-302. 28 Bur, art. cit. à la note précédente, p. 301.
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et des autels avec lesquels ils accomplissent les solennités de la messe” (“Missarum sollemnia nequaquam alibi nisi in ecclesia celebranda sunt, non in quibuslibet domibus et in vilibus locis, sed in loco, quaem elegerit dominus iuxta illud, quod scriptum est : vide, ne offeras holocausta tua in omni loco, quem videris, sed in loco quam elegerit dominus, ut ponat nomen suum ibi; excepta ratione eorum, qui in exercitu pergentes ad hoc opus habent tentoria et altaria dedicata, in quibus missarum sollemnia expleant” 29). Le passage du capitulaire de Théodulf est à plusieurs égards intéressant pour notre propos et notre réflexion sur l’espace sacré et sa définition à partir des célébrations de plein air, ou se déroulant en dehors de l’église consacrée, et sur les pratiques liturgiques nécessitant l’utilisation d’un autel portatif. D’une part, et c’est là, me semble-t-il, le point central développé dans le canon du capitulaire de Théodulf, l’évêque d’Orléans insiste clairement sur l’impérative nécessité et obligation de célébrer l’eucharisitie, et sans doute aussi, de façon implicite, d’autres rituels, dans une église consacrée et nulle part ailleurs. Pour justifier son argumentation, l’évêque d’Orléans se réfère au passage vétéro-testamentaire extrait du Deutéronome 12, 13-14 qui, d’une certaine manière propose la définition suivante de l’espace sacré : un lieu, un espace choisi par Dieu et non pas par l’homme. D’autre part, Théodulf s’empresse de rappeler que l’on admet des exceptions à cette règle, comme par exemple le cas particulier et bien connu depuis l’Antiquité des célébrations liturgiques en temps de guerre, sur un champ de bataille. Pour ces célébrations, nous dit l’évêque d’Orléans, il est nécessaire de posséder des tentes et des autels. À propos de ces autels, il n’est nullement spécifié dans le texte même du canon du capitulaire de Théodulf s’il s’agit d’autel portatifs, mais, étant donné les circonstances de la célébration qui sont décrites, on peut facilement se risquer à supposer que la mention du capitulaire de Théodulf se réfère effectivement à des autels portatifs placés sous des tentes et utilisés pour la célébration de la liturgie de la messe sur le champ de bataille. Ainsi, pour Théodulf, comme sans doute pour bon nombre de ces contemporains, l’espace sacré du rituel est essentiellement – voire exclusivement – associé à l’espace de l’église consacrée où l’on pouvait néanmoins être amené à célébrer sur plusieurs autels dont, parfois, sur des autels portatifs. De manière implicite, Théodulf suggère de voir en l’espace de l’église consacrée le lieu choisi par Dieu pour la célébration de la liturgie, comme le passage 29 Capitula episcoporum, herausgegeben von P. Brommer, MGH, Bd. I, Hannover, 1984, p. 110-111.
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extrait du Deutéronome auquel il se réfère explicitement le laisse clairement entendre. L’homme ne choisit pas son lieu de culte car il s’en remet pour cela à la décision du Seigneur. Malgré cela, Théodulf admet des exceptions génératrices d’espaces sacrés temporaires et définis par la présence de l’autel consacré (“altaria dedicata”, telle est la formule employée dans le texte du capitulaire). Dans ce cas, on constate que c’est bel et bien la présence de l’autel consacré qui fait l’espace sacré, à condition de célébrer dans des circonstances parfaitement admises et reconnues dans la législation canonique et par les autorités ecclésiastiques. À d’autres époques, le débat juridique sur l’autel a porté sur les circonstances et conditions de profanation de l’autel ainsi que sur des possibilités de reconsécration. Dans ce cadre du droit canonique, il faut préciser qu'il n’est pas spécifiquement question de l’autel portatif mais de l’autel en général. Dans sa Summa de 1188, Huguccio disserte par exemple sur les différentes conditions de profanation de l’autel et du caractère sacré de l’objet et de ses différentes parties : “Sed pro qua motione intelligitur altare execratum ? Nonne altare viaticum de loco ad locum movetur et tamen non reconsecratur, ut infra eodem di. Concedimus. Ad hoc dico quod altare dicitur motum et execratum si ex toto destructum est, et post si restituatur debet consecrari. Item si mensa inferior moveatur intelligitur moveri altare et execrari. Consecratio enim altaris presertim intelligitur in coniuctionem mense scilicet superioris lapidis et structure inferioris si ergo ibi moventur execratur altare : ergo si mensa moveatur vel aliis de inferioribus lapidibus tantens ipsam execratur altare et est reconsecrandum sed si mensa maneat immota et lapides ipsam tangentes maneant immota quamvis de aliis inferioribus auferatur non execratur altare immo particulatim omnes inferiores lapides posset removeri et alii inmitti et non execratur altare dummodo mensa et lapidis eam tangentes remaneant immoti. Item si totum altare sine motione mense et lapidum ei coniunctorum artificio removeatur de loco ad locum vel in eodem loco in circuitu, sursum vel deorsum non execratur ob hoc altare sicut patet in viatico. Item si mensa frangatur vel ledatur vel diminuatur, distinguo : si fractio illa vel lesio vel diminutio tangat coniunctionem mense et lapidum altare intelligitur motum et execratum; si non tangat non est execratum. Si tamen multam inducat deformitatem desecratur altare et alia mensa apponita reconsecretur. Quid si vetera structura manente et , consecratione manente, altario additamentum fiat; non ob hoc desecratur nec ob hoc debet consecrari quia sacrum trahit ad se non sacrum; aspergatur tamen aqua benedicta quod additum”. “Quels sont les types de déplacement qui font qu’un autel est profané ? Ne déplace-t-on pas l’autel du viatique d’un endroit à l’autre sans pourtant le reconsacrer comme c’est indiqué
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plus bas dans la même distinction au canon “Concedimus”” ? Je réponds à cela : L’autel est dit déplacé et profané s’il est dans sa totalité détruit et si par la suite on le remet en place, il doit être reconsacré. Si la partie inférieure de la table est déplacée alors on doit dire que l’autel est déplacé et profané. Il faut comprendre que la consécration de l’autel réside surtout dans la jointure de la table, c’est-à-dire la jointure de la pierre au-dessus et de la structure en dessous. Ainsi, si à cet endroit, il y a déplacement alors l’autel est profané. Ainsi, si la table est déplacée ou si sont déplacées d’autres pierres inférieures la touchant, l’autel est profané et doit être reconsacré. Mais si la table reste immobile ainsi que les pierres inférieures la touchant, on pourra enlever les pierres tant que l’on voudra sans profaner l’autel; bien plus on pourra enlever les unes après les autres toutes les pierres inférieures et les remplacer par d’autres et l’autel ne sera pas profané, tant que la table et les pierres qui la touchent restent immobiles. Si la totalité de l’autel sans déplacement de la table et des pierres qui lui sont conjointes est bougée d’un lieu à l’autre par un ouvrier, ou dans un même lieu de manière circulaire ou est renversée vers le haut ou vers le bas, l’autel n’est pas alors profané comme cela se voit dans le cas du viatique. Si la table est brisée, lézardée ou ébréchée, je distingue de la manière suivante. Si cette brisure, lézarde ou ébréchure touche la jointure de la table et des pierres, alors l’autel est considéré comme déplacé et profané; si la brisure ne touche pas alors l’autel n’est pas profane. Que se passe-t-il si l’ancienne structure étant conservée et la consécration toujours présente, on ajoute quelque chose à l’autel. A cause de cela, il n’est pas profané et ne doit pas être consacré par ce que le sacré attire à lui le non sacré. Néanmoins on doit asperger ce qui a été ajouté d’eau bénite” 30. Certes, ce texte de droit canon ne porte pas au sens strict sur l’autel portatif et d’éventuelles profanations ou accidents qui pourrraient survenir à son encontre. Il y est néanmoins question de façon très suggestive de l’autel chrétien consacré et de la conception faite par le droit canon, considérant l'autel en tant que “lieu”, en tant qu’”espace” sacré. En effet, on voit ici clairement la façon dont l’autel et ses différentes parties sont considérées comme sacrée de telle sorte que toutes cassures, brisures, ébréchures ou lézardes peuvent constituer 30 Paris, BNF, lat. 15397, fol. 113v. Je suis redevable à Charles de Miramon du texte latin et de sa traduction française, présentés et commentés lors d’une table ronde organisée en juin 2001 dans le cadre du Groupe d’anthropologie historique de l’Occident médiéval à Paris, EHESS.
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une profanation de l’objet consacré et, par extension, celle du “lieu” rituel et de l'espace sacré que représente symboliquement l'autel. Dans les différents cas de figure présentés et discutés par Huguccio dans ce texte, l’autel semble clairement associé à la notion d’espace sacré pouvant être profané. Dans ce sens, Huguccio considère comme intéressant le cas de figure développant la notion de mouvement, de mobilité et de déplacement de l’autel dans l’espace. À ce sujet, la question qui est posée concerne le déplacement dans l’espace de l’autel du viatique, transporté d’un endroit à l’autre, nous dit Huguccio, sans pour autant qu’il soit nécessaire de procéder à une reconsécration de l’objet mobile. Dans ce cas, on peut légitimement se demander si l’autel du viatique dont parle Huguccio ne pourrait être un autel portatif, dans le sens où l’autel du viatique rappelle que la liturgie des maladies nécessitait l’usage d’un autel mobile afin de permettre au clergé d’aller célébrer auprès des malades et de leur apporter le sacrement des malades. Cette expression “d'autel du viatique” peut aussi plus largement désigner tout type d'autels mobiles, portatifs. L’argumentation développée par le canoniste à propos de l’autel du viatique est dans ce cas destinée à servir la démonstration qui suit et relative aux dégâts subis par l’autel et aux causes de profanation de l’objet. Pour notre sujet, il est intéressant de remarquer et de souligner avec Huguccio que le déplacement dans l’espace, d’un endroit à l’autre, d’un autel mobile, d’un autel portatif utilisé dans le cadre de rituels nécessitant l’usage d’un tel objet de culte, ne constitue en aucune manière un cas de profanation de l’autel. En d’autres termes, l’argumentation canonique d’Huguccio permet d’affirmer que l’usage liturgique de l’autel portatif ne nuit d’aucune sorte à la sacralité de l’objet consacré et, par extension, à “l’espace sacré” symbolique qu’il constitue ainsi qu'au “lieu” rituel qu'il définit. Notons au passage que l’ensemble de la discussion développée par le canoniste tourne autour de la question majeure du mouvement, de la mobilité de l’objet consacré et par conséquent considéré comme l’équivalent de l’espace sacré – du moins dans le cas particulier d’un autel – et des éventuelles conséquences, incidences de ces déplacements, de ces mouvements, de cette mobilité sur l’intégrité de l’objet du point de vue de la sacralité dont il est investi. Toutes ces questions essentielles développées par Huguccio ne prennent pas en considération des autels dont la matière aurait été autre que de la pierre, comme la législation canonique l’impose depuis le concile d’Epaone de la première moitié du VIe siècle et comme l’a rappelé avec insistance le capitulaire de Charlemagne de
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794 ainsi qu’Hincmar dans le canon de son capitulaire qui a été présenté et discuté plus haut. Les canonistes de la réforme grégorienne ont réaffirmé fermement l’usage de la pierre consacrée constituant l’autel chrétien, comme l'a écrit de façon si explicite Burchard de Worms dans son Décret : “Ut altaria, nisi sint lapidea, chrismate non consecrentur. Altaria si non sunt lapidea, chrismatis unguine non consecrentur. Ad celebranda autem divina officia ordinem quem metropolitani tenent, comprovinciales eorum et observare debebunt” 31. Dans d’autres types de textes, et ce, à la suite sans doute de l’influence des décisions de droit canonique, on voit clairement imposer la nécessité de respecter la fabrication d’autels portatifs avec la pierre comme seul matériau. Ainsi, saint Wulfstan, évêque de Worcester entre 1062 et 1095 fit détruire tous les autels de bois existants encore dans les limites de sa juridiction ecclésiastique, se fondant sur un usage immémorial : “Altaria lignea iam inde a priscibus diebus in Anglia” 32. De même, l’auteur anonyme des Miracula sancti Dionysii mentionne que les moines de l’abbaye de Saint-Denis, emmenés par Charlemagne durant la guerre contre les Saxons, avaient l’usage d’une table de bois en guise d’autel pour célébrer la liturgie de l’eucharistie sur le champ de bataille 33. Cet usage coûta cher aux reliques conservées dans cet autel. En effet, l’instabilité de la table de bois provoqua sa chute ainsi que celle du cierge qui reposait dessus. Celui-ci enflamma le linge ainsi que l’autel de bois et les reliques contenues à l’intérieur34. Ce cas mentionant l’utilisation du bois correspond parfaitement à l’exception rappelée et soulignée avec force par Théodulf dans le canon de son capitulaire dont j’ai procédé à une rapide analyse plus haut. Ceci étant, il faut insister sur le fait que ces circonstances des célébrations liturgiques sur un autel portatif en temps de guerre n’étaient pas les seules et uniques exceptions acceptées et autorisées par les autorités de l’Église pour l’usage de l’autel portatif. Les rituels de l'autel portatif au Moyen Âge Parmi les circonstances les plus fréquentes dans le haut Moyen Âge où l’autel portatif était utilisé – à côté des rituels se tenant sur le
PL, 140, col. 677. Cité d’après H. Leclercq in DACL, I, col. 3161. 33 Ibid., col. 3161 et Braun, op. cit. à la note 3, p. 422-425. 34 Cité par Braun, op. cit. à la note 3, p. 424. 31 32
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champ de bataille ou, de façon plus générale, en temps de guerre 35, il faut mentionner en premier lieu les célébrations de l’eucharistie nécessitées par les importantes missions évangélisatrices du haut Moyen Âge et organisées le plus souvent par des missionnaires insulaires, anglo-saxons, arrivant sur le continent pour évangéliser les populations 36. Pour la plupart, ces missions évangélisatrices effectuées par les prêtres anglo-saxons se déroulèrent durant les VIIe, VIIIe et IXe siècles 37. Ces prêtres possédaient dans leurs bagages un vaste ensemble d’objets liturgiques destinés aux rituels à célébrer en vue de l’évangélisation des peuples. Parmi ces objets, on rencontre très fréquemment un autel portatif. Dans la vie de saint Wulframm (missionnaire et évêque de Sens au VIIe siècle mais dont la vita date du VIIIe siècle), il est dit que le saint utilisait un autel contenant des reliques en son centre, consacré aux quatre angles et à propos duquel on peut penser qu’il s’agissait d’un autel portatif : “altare quoque consecratum in quattuor angulorum locis et in medio reliquias continens sanctorum in modum clipei, quo secum, cum iter ageret, vehere solitus erat, vascular quoque et instrumenta et tabernacula ecclesiastici ministerii plurima” 38. Dans son “Historia ecclesiastica” du VIIIe siècle, Bède le Vénérable relate les efforts de deux prêtres anglo-saxons envoyés en mission d’évangélisation en Frise et amenés à célébrer quotidiennement
35 Ainsi que le suggère avec pertinence Élisabeth Lalou en se référant au tableau de la “représentation” de la bataille de Bouvines peinte par Horace Vernet en 1824, pourtant fausse car le roi n’a pas entendu la messe mais a simplement procédé à une courte oraison (cf. G. Duby, Le dimanche de Bouvines. 27 juillet 1214, Paris, 1973, p. 75), “Mais la messe pouvait parfois bien qu’exceptionnellement, être célébrée en plein air, hors des édifices religieux. Spécialement le confesseur du roi avait en temps de guerre le droit de célébrer la messe sous des tentes, sur un autel portatif dont le privilège avait été accordé au roi”, “Quelques réflexions sur cérémonie, cérémonial et jeu”, Le jeu théâtral, ses marges, ses frontières. Actes de la deuxième rencontre sur l’ancien théâtre européen de 1997, Paris, 1999, p. 115-123, sp. p. 115-116. 36 Sur ces missions évangélisatrices des missionnaires insulaires, souvent associées à un pèlerinage, cf. A. Angenendt, Monachi peregrini. Studien zu Pirmin und den monastischen vorstellungen des frühen Mittelalters, “Münstersche Mittelalter-Schriften 6”, Munich, 1972, du même auteur, “Die Christianieserung Nordwesteuropas”, 799. Kunst und Kultur karolingerzeit. Karl der Grosse und Papst Leo III. In Paderborn, Paderborn, 1999, p. 420-433. Voir aussi le bel article de J.-M. Sansterre, “Attitudes à l’égard de l’errance monastique en Occident du VIe au XIe siècle”, Voyages et voyageurs à Byzance et en Occident du VIe au XIe siècle, Actes du colloque international de Liège (5-7 mai 1994), “Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège – fasc. CCLXXVIII”, Genève, 2000, p. 215-234. 37 M. Parabiaghi, “Pitture ed apparato di culto nelle opere del Venerabile Beda”, Ecclesia orans, 4, 1987, p. 203-234. 38 Vita Vulframmi, c. 5, MGH. Script. Rerum Merov. V, p. 665; je remercie Martin Roch pour m’avoir fait connaître ce texte.
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l’eucharistie sur un autel portatif désigné dans le texte de Bède par l’expression “tabula altaris” : “Qui cum cogniti essent a barbaris, quod essent alterius religionis nam et psalmis semper atque orationibus vacabant, et cotidie sacrificium Deo victimae salutaris offerebant, habentes secum vascula et tabulam altaris vice dedicatam”39. Les éditeurs et traducteurs anglais de ce texte de Bède le Vénérable pensent à juste titre que ces prêtres utilisaient des autels portatifs pour célébrer l’eucharistie durant leurs missions d’évangélisation. À propos des circonstances de la mission effectuée par ces deux prêtres, il semble normal de supposer que leur objets liturgiques, et tout particulièrement les autels portatifs, leur servaient pour les célébrations de la messe en dehors des églises consacrées. Ici encore, dans le même esprit que le passage du capitulaire de Théodulf où il est fait mention de la célébration liturgique en temps de guerre, l’espace sacré est défini à partir du pivot que représente l’autel portatif consacré par l’évêque. Nous ne savons rien sur le matériau de cet autel utilisé par les deux prêtres anglo-saxons mentionnés par Bède, car l’expression “tabula altaris” ne permet pas dans ce cas de se faire une idée sur le type de matière utilisée pour cet objet dans le cas présent. Nous savons en revanche que certains autels portatifs ayant appartenu à des missionnaires insulaires du haut Moyen Âge pouvaient avoir été fabriqués en bois et avoir été combinés à d’autres matières. Dans son Historia Regum, Simon de Durham au XIIe siècle décrit un autel portatif retrouvé dans la tombe de l’évêque Acca d’Hexham, contemporain et ami de Bède le Vénérable, précisant l’utilisation conjointe du bois et de l’argent ayant servi à fabriquer cet autel : “Inventa est etiam super pectus tabula lignea in modum altaris facta ex duobus ligneis clavis argenteis coniuncta, sculptaque est in illa scriptura haec : Almae trinitati aghiae sophiae sanctae Mariae” 40. Dans le chapitre suivant de ce livre, consacré à une rapide exploration des principaux autels portatifs du haut Moyen Âge conservés et de leur décor, on aura l’occasion de constater l’usage effectif, réel, du bois combiné à d’autres matières pour la fabrication de certains de ces objets 41. L’usage du bois pour la fabrication de l’autel portatif ne disparut cependant pas après le haut Moyen Âge. Plusieurs men Bede’s Ecclesiastical History of the English People, B. Colgrave, R.A.B. Mynors ed., Oxford, 1969, p. 482-483. 40 Parabiaghi, art. cit. à la note 37, p. 230-231. 41 Cf. chapitre 6 du présent livre. Voir l’inventaire détaillé et précis établi par Budde, op. cit. à la note 7, volume d’inventaire. On me permettra aussi de renvoyer à É. Palazzo, “L’autel de Saint-Guilhem-le-Désert et l’iconographie des autels portatifs du haut Moyen 39
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tions d’autels portatifs de la seconde moitié du Moyen Âge atteste du maintien de l’utilisation du bois comme en témoigne par exemple ce texte d’une charte mentionnant la donation d’un autel portatif en bois par l’évêque Albrecht à la cathédrale d’Halberstadt le 13 décembre 1372 : “Albertus Dei et apostolice sedis gratia Halb. Ecclesie episcopus honorabilibus et discretis viris dominis canonicis et vicariis ecclesie nostre predicte salutem in Domino sempiternam. Cum propter structuram novi chori dicte ecclesie nostre nonnulla altaria inibi sint necessario destructa, que breviter commode reedificari non possunt, et ne divinus cultus ob hoc, presertim in missis legendis et celebrandis, detrimentum aliquatenus patiatur, vobis ut in altaribus ligneis portatilibus in lapidibus tamens consecrates et aliis ad hec requisites adhibitis missas debite celebrare valeatis, presentibus liberam concedimus, donec id revocandum duxerimus, facultatem” 42. Dans le cadre des missions évangélisatrices du haut Moyen Âge, dont les principaux acteurs étaient les missionnaires anglo-saxons auxquels j’ai déjà rapidement fait allusion plus haut, l’usage de l’autel portatif, à côté d’autres objets liturgiques tels que le calice et la patène, était indispensable pour la célébration de la liturgie eucharistique. Ces missions évangélisatrices pouvaient le cas échéant être doublées par des déplacements necessités par la réalisation de pèlerinages. Ainsi, on peut considérer les pratiques liturgiques durant les pèlerinages comme une autre circonstance ayant nécessité l’usage de l’autel portatif pour célébrer la messe en dehors d’une église. Par exemple, Bède le Vénérable, encore lui, relate que durant les cent quarantequatre jours du voyage qui menait l’abbé Ceolfrith des îles anglosaxonnes vers Rome, celui-ci célébrait quotidiennement sur un autel portatif 43. La circonstance relatée par Bède le Vénérable concerne le pèlerinage que l’on peut ainsi compter au nombre des exceptions admises par l’Église et ses autorités pour célébrer en dehors de l’espace sacré par excellence qu’est l’église-bâtiment. Il est ici nécessaire et important de noter et même de souligner qu’à l’occasion de pèleAge”, Saint-Guilhem-le-Désert. Le contexte de la fondation. L’autel médiéval de Saint-Guilhem, Actes de la table ronde d’août 2002, Aniane, 2004, p. 115-123. 42 Urkundenbuch des Hochstifts Halberstadt und seiner Bischöfe, G. Schmidt ed., Leipzig, 1889, 4, n° 2826, p. 159. Au sujet de la relation entre les chartes et les autels – dans certaines circonstances il a même pu s’agir d’autels portatifs installés dans les salles capitulaires -, Arnold Angenendt a bien démontré le caractère sacré du don d’une charte déposée sur un autel afin de conférer plus de sacralité à la charte et à son contenu ainsi qu’au geste rituel de la donation, cf. A. Angenendt, “Cartam offerre super altare. Zur Liturgieserung von Rechtsvorgängen”, Frühmittelalterliche Studien, 36, 2002, p. 133-158. 43 Cf. Parabiaghi, art.cit. à la note 37, p. 230.
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rinages ou de missions évangélisatrices telles que celles auxquelles je viens de faire allusion à partir du texte de Bède le Vénérable, la notion d’espace sacré se déplace vers l’extérieur de l’église pour se situer dans des lieux de la nature où elle devient mobile, itinérante, obéissant au gré des cheminements des pèlerins ou des prêtres évangélisateurs. Certaines descriptions de célébrations liturgiques en dehors de l’église, ou, plus exactement, certaines évocations de rituels pratiqués ailleurs que dans l’espace sacré de l’église, lors de voyage en mer par exemple, ne mentionnent pas explicitement l’usage de l’autel portatif mais tout laisse croire, étant donné les circonstances de ces célébrations et les contextes du voyage, qu’il était d’usage d’utiliser un autel portatif pour pouvoir célébrer sur un bateau en mer par exemple. Tel est par exemple le cas évoqué dans le récit du voyage maritime entre la Terre Sainte et les îles anglo-saxonnes avec un “arrêt” forcé au large de La Rochelle effectué par une dizaine de navires ayant participé en 1189 à la troisième croisade et récemment étudié par Olivier Jeanne-Rose : “Sequenti die velificantes, media nocte ad portum Deramithie venimus. Ibi inventis quibusdam sociis, mane dimissa Anglia versus Britanniam processimus; sed deficiente vento et quandoque in contrarium flante, sex diebus in mari fluctuavimus; sed sexto die zefirus tempestuosus nostro itineri contrarius ad insulam modicam a pauperibus Britaniis inhabitatam velificare compulit, que a Gallis belile, a Britonibus Wechele dicitur. Infra iam dictos sex dies, preter, sollemnia missarum, et extra portum Pentecosten cum merore celebravimus” 44. (Le jour suivant, nous mîmes la voile pour le port de Darmouth où nous arrivâmes vers le milieu de la nuit. Nous y trouvâmes quelques compagnons et, au matin, nous quittâmes l’Angleterre pour voyager vers la Bretagne; mais, faute de vent, et parfois par vent contraire, nous passâmes six jours sur la mer; mais, le sixième jour, un vent de tempête qui soufflait contre notre route nous força à faire voile vers une petite île habitée par des pauvres Bretons, que les Gaulois appellent Belle-Ile et les Bretons Wechele. Durant ces six jours, nous avons célébré les messes et la Pentecôte en dehors du port” 45). À une autre époque et dans un contexte très différent de ceux des deux textes dont il a été question précédemment, rappelons l’autorisation accor44 Enarratio de itinere navali peregrinorum Hierosolymam tendentium et Silviam capientium, C. W. David ed., in Proceedings of the American Philosophical Society, 81, 1939, p. 612-613. 45 Traduction d’Olivier Jeanne-Rose, “Une description peu connue du littoral poitevin à la fin du XIIe siècle : la Narratio itinere navali peregrinorum hierosolymam tendentium et silviam capientium”, Bulletin de la Société des Antiquaires de l’ouest, 5e série, t. XV, 2001, p. 199-210.
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dée par le pape à saint Louis pour avoir un autel – très vraisemblablement un autel portatif – sur le bateau qui l’emmenait en Terre Sainte46. Dans la Vita sancti Carantoci, saint du Ve siècle dont la vie date du XIIe siècle, il est explicitement fait allusion à un autel portatif emmené sur un bateau afin de pouvoir célébrer l’eucharistie : “Vita prima sancti Carantoci : Et postea venit iterum ad suam propriam regionem Kerediciaun ad suam speluncam cum clericis multis et ibi multas virtutes fecit, quas enumerare aliquis non potest. Et dedit illi Christus altare honorificabile de excelso, cuius nemo intelligebat colorem. Et postea ad Sabrinam (hoc est mare) amnem venit ut navigaret et misit altare in mare, quod et precedebat, ubi Deus volebat illum venire…Et venit Carantocus et salutavit Arthurum, qui gaudens accepit benedictionem ad illo. Et interrogavit Carontocus Arthurum, utrum audisset ubi applicuisset altare suum, et Arthur respondit, “Si habuero precium, nunciabo tibi, “et ille dixit, “Quid precium postulas ?” ille respondit , “Ut deducas serpentem, qui inprope est tibi, si servus Dei es, ut videamus”. Tunc Beatus Carantocus perrexit, et oravit ad Dominum, et ilico venit serpens cum sonitu magno, quasi vitulus ad marem currens…Et exivit hesitque ante sicut dixit ordinatio Dei. Et accepit altare, quod cogitaverat Arthur in mensam facere, sed quicquit apponebatur super illam, iactabatur in longuinquo” 47. Ces autorisations accordées ponctuellement et temporairement pour permettre la célébration de l'eucharistie lors de pèlerinages l’étaient également pour d’autres personnes importantes que le souverain et pour d'autres circonstances que des voyages. Ainsi, à titre d’exemple, on peut citer cette bulle du pape Grégoire XI, par laquelle il accorde à Guillaume, comte de Hainaut, étant donné qu’il était gravement malade, la permission d’avoir un autel portatif pour y faire célébrer la messe, dans son hôtel, en sa présence et celle de dix de ses domestiques : “Gregorius episcopus, servus servorum Dei, dilecto filio, nobili viro Willelmo, comiti Hanonie, salutem et Apostolicam benedictionem. Sincere devotionis affectus quem ad nos et Romanam geris ecclesiam non indigne meretur et petitionibus tuis illis presertim quas ex devotionis fervore prodire conspicimus quantum cum Deo possumus favoraliter annuamus. Hinc est quod nos tuis devotis supplicationibus inclinati ut liceat tibi qui ut asseritur grave infirmitate detentus existis habere altare portabile cum debita reverentia et honore in 46 Cf. J. Le Goff et P.-M. Gy, “Saint Louis et la pratique sacramentelle”, La Maison-Dieu, 197, 1994, p. 99-124, sp. p. 123. 47 BHL 1563, ASS., mai III, 585-586. Je remercie Martin Aurell de m’avoir fait connaître ce texte.
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domo tua, in loco ad hoc congruo et honesto, super quo possis per proprium vel alium sacerdotem ydoneum missas et alia divinia officia sine juris alieni prejudicio, in tua et decem familiarum tuorum domesticorum presentia, facere celebrare devotioni tue, tenore presentium, indulgemus. Nulli ergo omnino hominum liceat hanc paginam nostre concessionis infringere vel ei ausu temerario contraire. Si quis autem hoc attemptare presumpserit, indignationem Omnipotentis Dei et beatorum Petri et Pauli apostolorum eius se noverit incursurum. Datum Avinione, nonas aprilis, pontificatus nostri anno primo” 48. À l'extrême fin du Moyen Âge, on assiste à un accroissement du nombre de concessions d'autels portatifs accordées aux seigneurs laïques pour satisfaire les besoins de leur dévotion privée 49. Dans certains autres cas, le don ou la donation d’un autel portatif est associé à la mémoire d’un personnage particulièrement “saint”. Tel est le cas de ce religieux, ce frère moine auquel fait allusion Pierre le Vénérable dans son De Miraculis à propos de la qualité exceptionnelle de sa mémoire, liée au souvenir de la donation d’un autel portatif, au moment de sa confession, craignant sa mort venir : “La qualité exceptionnelle de sa mémoire dans cette confession, j’ai pu m’en assurer sur-le-champ. Il avait dit, en effet, que plusieurs années auparavant, il avait confié un autel benit à un certain frère. Désireux de vérifier sur ce point si sa mémoire était fidèle, je fis demander cet autel au frère qu’il avait désigné. Après recherché, il me fut apporté par celui-là même à qui il avait été confié” 50. Dans ce texte, il n’est pas explicitement fait mention d’un autel portatif mais le contexte de la scène décrite ne laisse que peu de doute sur le fait que Pierre le Vénérable désigne bien dans son récit un autel portatif 51 . Il est intéressant pour notre propos de remarquer que dans ce passage du De Miraculis de Pierre le Vénérable, l’autel portatif soit associé à l’idée du don et de la mémoire de ce don, à la dimension mémoriale du lieu de culte, directement associé ici à l’autel portatif, Cartulaire des comtes de Hainaut. De l’avènement de Guillaume II à la mort de Jacqueline de Bavière 1357-1436, L. Devillers ed., t. II, Bruxelles, 1883, p. 570 (supplément) (Je remercie Paola Corti d’avoir eu la gentillesse de me communiquer ce texte). 49 Voir par exemple les nombreux exemples portugais de la fin du Moyen Âge présentés par M. de L. Rosa, As almas herdeiras. Fundaçao de capellas funebres e afirmaçao de alma cumo sujeito de direito (Portugal 1400-1521), thèse manuscrite, EHESS-Univ. Nova de Lisboa, 2005, p. 390-395. Je remercie Stéphane Boissellier de m’avoir fait connaître cette thèse. 50 Pierre le Vénérable, Les merveilles de Dieu, présenté et traduit par J.-P. Torrell et D. Bouthilier, Paris-Fribourg, 1982, p. 89. Je remercie Marie-Anne Polo de Beaulieu d’avoir attiré mon attention sur ce passage du célèbre texte de Pierre le Vénérable. 51 Dans la note à l’édition et à la traduction française du texte de l’abbé de Cluny citées à la note précédente, les auteurs précisent qu’ “il s’agit probablement d’un autel portatif, qui s’explique par la dévotion de l’époque aux autels…”, n. 34 p. 89. 48
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objet liturgique par excellence lié à la célébration de la mémoire du sacrifice du Christ sur la croix, à travers la performance de la liturgie de l’eucharistie. Dans d’autres vies de saints du haut Moyen Âge, les mentions d’autels portatifs ne sont pas toujours explicites mais les circonstances des célébrations liturgiques qui sont décrites dans certains de ces textes ne laissent que peu de place au doute sur la nature des autels utilisés par tel ou tel saint dans le cadre de la célébration de la messe. Tel est par exemple le cas à propos d’un passage de la vita de saint Ulrich d’Augsbourg composée moins de dix ans après la mort du saint par le prévôt de la cathédrale d’Augsbourg, Gerhard à la fin du Xe siècle 52. Dans ce texte, l’accent est porté sur le rôle de la célébration de l’eucharistie et de la prière pour abréger les souffrances des âmesoiseaux. La messe de saint Ulrich est aussi réputée miraculeuse pour avoir repoussé une attaque hongroise contre la ville d’Augsbourg et on trouve ainsi la représentation de la célébration de la messe par Ulrich dans plusieurs manuscrits 53. Une deuxième version de cette vie, appelée “Vita sancti Conradi altera”, anonyme, procure des éléments nouveaux par rapport à la première vita portant notamment sur des nouveaux miracles et le récit de la translation du corps du saint. Comme le souligne à juste titre Marie-Anne Polo de Beaulieu, cette seconde vita rappelle aussi l’amitié entre les deux prélats et rapporte avec beaucoup de détails l’épisode des âmes oiseaux : “Depuis le début de sa promotion jusqu’à la fin le vénérable Conrad entretint des relations régulières et charitables avec tous les religieux, et particulièrement avec le très saint Ulrich dans des liens de paix; il lui demandait souvent des entretiens d’édification sacrée, réfutant comme la peste les fables des séculiers…une fois ils se retrouvèrent au château de Laufen et passèrent de joyeux moments ensemble dans ces conversations d’édification sacrée. Il se trouve en ces lieux un immense précipice dans lequel tous les flots du Rhin se jettent comme dans un gouffre cruel, et là toute la terre alentour tremble à cause de la masse d’eau chutant dans les profondeurs, ceux qui regardent la nuit ces eaux écumantes et volantes, comme couvertes de cendres, ont l’impression que les flots jettent des étincelles. Comme les deux saints pontifes se trouvaient ensemble à marcher en contemplant les Sur cette vita, Gerhard von Augsburg, Vita sancti Uodalrici, éd. critique par W. Berschin et A. Haese, MGH, 1993. Je remercie Marie-Anne Polo de Beaulieu de m’avoir fait connaître ce texte. 53 Cf. PL, 142, col. 1195-1196. 52
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flots, ils virent deux oiseaux volant au-dessus de ce terrible danger, tantôt plongeant avec les eaux jetées dans les profondeurs, tantôt émergeant comme rejetés un peu plus loin. Ces célèbres prélats les regardèrent longuement, commencèrent à s’étonner de cette sorte de miracle qui faisait que ces volatiles emplumés ne tentaient pas d’échapper à ce danger et ils s’étonnèrent moins qu’ils ne soient jamais brisés par ces coups mortels. Que dire de plus ? Ils comprirent grâce à l’Esprit qu’ils ne pouvaient dès lors pas être de simples corps d’animaux, mais qu’il fallait plutôt croire qu’il s’agissait d’esprits qui devaient se purifier par ces châtiments des souillures de leurs péchés. Aussitôt, la piété habituelle gagna les coeurs des saints, elle les portait à faire preuve de compassion envers ces pauvres âmes. Ils décidèrent d’un commun accord de les secourir autant que possible. Une pieuse émulation se fit jour entre eux pour savoir lequel célébrerait le premier à l’autel. Ulrich, le plus âgé, offrit le premier, par obligation, l’hostie salutaire. Pendant ce temps, Conrad, à la place où il s’étaient tenus, attendait le déroulement des événements. La messe célébrée, un oiseau disparut, donnant ainsi un signe évident qu’il était libéré du danger. Ulrich alla alors à la demeure et Conrad se mit en route pour immoler le saint agneau. L’autre oiseau apparaissait effectivement seul, car son compagnon déjà libéré jouissait du repos. Conrad présenta l’offrande sacrée et l’oiseau qui restait disparut comme le premier. Ainsi fut donc démontré avec clarté ce qui avait été promis aux fidèles par une bouche véridique : “Si vous demandez quelque chose à mon père, en mon nom, il vous l’accordera…”. (“…exinde ab initio promotionis suae usque in finem venerabilis Conradus foedera illibatae caritatis ad religiosos quosque, sed praecipue ad sanctissimum Ouldaricum in vinculo pacis conservavit, frequenter sacrae aedificationis colloquia requisivit, secularium fabulas quasi pestem quondam refutavit…una vice in castello Loffen dicto convenerunt, ac simul laeta momenta sacris aedificationum colloquiis deduxerunt. Est autem in eodem loco ingens praecipitium, ubi tota simul unda Rheni fluminis quasi in immane barathrum ruit, ibique ex tanta aquarum nole in profunda dedidentium terra omnis tremuit per circuitum, atque in ipso gurgite inter spumantes et evolantes velut sparsi cineris aquas, per noctem aspicientes, quasi scintillae emungantur, apparent, ex unda; in qua dum ambo consisterent almi praefati pontifices, decurrentes aquas intuentes, conspiciuntur emimus in ipso vehementi periculo binae aviculae volitantes, et nunc quidem quasi undis cadentibus in profundum depressae, nunc vero altera parte quasi erutae emersisse. Haec diutius intuentes praeclari praesules, coeperunt admirare, quale hoc genus sit miraculi, quod haec pennata volatilia minime conentur affugere tanta discrimina; nec minus
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mirantur, quod mortiferis ictibus nequaquam conquassentur. Qui multa ? Demum per spiritum decernunt, quod haec corpora animalia esse nequeant; sed potius spiritus oportere credi, qui his poenis a culparum maculis debeant expurgari. Itaque sanctis pectoribus usitata /b/ pietas confestim adfuit, quae miseris animabus extemplo condoluit. Confestim namque consilium initur, ut his quantocius scurratur. Ecce autem pium certamen inter eos exoritur, quis eorum prior altaribus praeparetur. Tandem senior Oudalricus salutarem hostiam prior coactus obtulit. Conradus vero interim in loco stationis eventum rei praestolatur. Missa igitur consummata, una disparuit avicula, aperto date indicio, quod haec liberata sit de periculo. Ad metatum dehinc Oudalricus accessit, et Counradus agnum illibatum immolaturus perrexit. Altera quippe avicula sola cernebatur, quia socia illius iam erepta, requie fruebatur. Igitur mox et Counradus libamen sanctum perregit, et iam haec una, quae remanserat, avis sicut et priror evanuit. Hic liquido experitur, quod veritatis ore fidelibus promittitur : si quid, inquit, petieritis patrem in nomine meo, dabit vobis…” 54. Dans ce texte, on voit clairement qu’il n’est pas explicitement fait mention d’un autel portatif pour la célébration de l’eucharistie par les deux saints dans ce lieu “étrange” de la rencontre avec les âmes oiseaux. On peut néanmois supposer que ce genre de circonstances rituelles doit permettre l’utilisation de l’autel portatif qui, dans ce cas, contribue à la définition de l’espace sacré, celui du lieu de la célébration dans la nature. À propos d’une série de textes hagiographiques du haut Moyen Âge, Anne-Marie Helvétius a parfaitement démontré le rôle de la figure du saint dans le processus de sacralisation de l’espace. L’auteur a montré la façon dont, dans la littérature hagiographique occidentale, l’idée d’espace sacré s’applique non seulement aux catégories telles que les endroits où le saint a vécu et ceux où il est mort, mais aussi à ceux où il a réalisé des rituels liturgiques, consacrés des espaces par la liturgie 55. Dans ce cadre, la sacralisation de l’espace se produit par le saint et ses actions, en particulier ses gestes liturgiques, les célébrations qu’il est amenées à réaliser le plus souvent en milieu naturel et, on peut le supposer, à l’aide d’un autel portatif notamment lorsqu’il s’agit de célébrer l’eucharistie. Tel semble être 54 Vita altera, anonyme, MGH, Script. S., IV, p. 440. M.-A. Polo de Beaulieu, Innovation liturgique, arguments théologiques et sources narratives. Le lundi des trépassés dans l’Occident médiéval (Xie-XVe siècle), Habilitation à diriger des recherches, université de Paris I, 2001, p. 258-266. 55 A.-M. Helvétius, “Le saint et la sacralisation de l’espace en Gaule du nord d’après les sources hagiographiques (VIIe-XIe siècle)”, Le sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en Occident. Etudes comparées, “Byzantina Sorbonensia 18”, Paris, 2001, p. 137-161.
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le cas de figure à propos de l’extrait de la Vita anonyme de Conrad cité plus haut et dans lequel on note l’harmonieuse combinaison et complémentarité entre la figure du saint et la présence de l’autel pour la liturgie de la messe destinée à sacraliser l’espace naturel où se déroule le récit. Dans le même sens, Martin Heinzelmann a relevé avec pertinence que, dans certains textes hagiographiques de l’Antiquité, la réussite de l’activité épiscopale d’un évêque pouvait souvent se résumer à la création d’espaces sacrés servie par la diffusion de reliques de saints 56. On peut interpréter dans un sens relativement proche certains passages extraits des lettres de Pierre Damien dans lequel l’auteur, s’adressant le plus souvent à des frères, définit l’espace sacré à partir de la présence de l’autel dont on ne peut malheureusement savoir s’il pouvait s’agir d’autels portatifs bien que dans de rares cas l’expression et les mots utilisés par Pierre Damien font penser à la possibilité d’un autel portatif utilisé comme pivot, noyau de l’espace sacré de la célébration : “Iam vero, qui dicunt numquid lapidibus aut tabulis cellae petenda est benedictio, aut illis dicendum est, ut Dominus si cum eis ? Respondeant mihi et dicant, cur singulare in eisdem cellulis positi dicunt : Venite, exultemus Domino ?” 57. Le célèbre livre d’évangiles réalisé à Ratisbonne autour de 1025 pour l’abbesse de l’abbaye de Niedermünster Uta (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 13601) contient au sein de son vaste et riche programme iconographique dont la forte et double signification théologique et historique a parfaitement été démontrée dans la remarquable monographie qu’Adam Cohen lui a consacré, une miniature en pleine page représentant la célébration de l’eucharistie par saint Erhard (folio 4r, fig. 3) 58. L’analyse minutieuse à laquelle Adam Cohen a procédé pour cette image a bien mis en évidence la double dimension théologique et historique de cette scène dans le contexte de la réforme monastique à Niedermünster dans laquelle la référence au prestigieux passé du lieu tenait une place déterminante. Pour notre propos, l’image du manuscrit de Ratisbonne permet de “visua M. Heinzelmann, “Sainteté, hagiographie et reliques en Gaule dans leurs contextes ecclésiologique et social (Antiquité tardive et haut Moyen Âge)”, LALIES, 24, 2004, p. 37-62, sp. p. 41. 57 Die Briefe des Petrus Damiani, Herausgegeben von K. Reindel, Teil 1, MGH., Munich, 1983, p. 257. Voir d’autres passages dans les quatre volumes d’édition des lettres de Pierre Damien, Munich, 1988-1993. 58 A. Cohen, The Uta Codex. Art, Philosophy and Reform in Eleventh-Century Germany, The Pennsylvania State University Press, 2000 ; sur la miniature de la messe de saint Erhard, p. 77-96. 56
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Fig. 3. Célébration de la messe par Saint Erhard, Munich Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 13601, fol. 4r.
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liser” la célébration de la messe à l’aide de l’autel portatif et souligne fortement l’idée que l’espace sacré est ici créé à partir de l’autel portatif utilisé par le saint lors de ce rituel. Ainsi, l’image du manuscrit de Ratisbonne “illustre” la double idée selon laquelle l’espace sacré est créé par le saint, par sa présence, ainsi que par celle de l’autel portatif, consacré, et destiné à la célébration de l’eucharistie en dehors de l’église et participant pleinement à la creation de l’espace sacré, le lieu de la célébration de la messe par saint Erhard. À propos de l’autel portatif représenté sur la miniature du manuscrit ottonien, Adam Cohen a justement et pertinemment analysé la référence historique et la “citation archéologique” de l’autel portatif conservé à la Residenz de Munich et plus connu sous l’appellation de ciborium d’Arnulf 59. On sait que cet autel portatif fut sans doute réalisé autour de 870 peut-être à Reims ou à Metz. L’inscription placée sur la partie supérieure du ciborium mentionne le nom du roi Arnulf mort en 899 qui fit don à l’abbaye de Saint-Emmeram de Ratisbonne de l’ensemble de son trésor afin de remercier le saint patron de l’abbaye pour le bon déroulement de l’un de ses voyages. La représentation “archéologique” de cet autel sur la miniature de la messe de saint Erhard montre l’importance de la perception de cet objet précis donné par le roi Arnulf avec son trésor à l’abbaye de Ratisbonne ainsi que l’importance symbolique dont jouissait cet objet sur place, à Saint-Emmeram, au moment de la réalisation des évangiles d’Uta. Dans une certaine mesure, la miniature des évangiles de Ratisbonne montre aussi l’association étroite, suggérée par la littérature exégétique au moins depuis l’époque carolingienne entre l’évêque et l’autel dont la réunion sur le lieu de la célébration de la messe rend possible et crée l’espace sacré. Une image semblable se trouve dans le fameux bénédictionnaire d’Ethelwold réalisé à Winchester dans la seconde moitié du Xe siècle (Londres, British Library, Add. 49598, fol. 118v) 60. Sur cette miniature, on voit l’évêque (peut-être Ethelwold lui-même) en train de bénir la congrégation des moines réunie dans la nef d’une église qu’il bénit également au même moment. La localisation de cette image dans le manuscrit en ouverture de la section du texte consacrée aux bénédictions épiscopales autorise à interpréter cette image comme une représentation emblématique du rituel des 59 Ibid., p. 93-95. Sur cet objet, cf. Budde, op. cit. à la note 7, p. 12-17. Dans le chapitre 6 de ce livre, je reviendrai de façon plus détaillée sur cet objet et le symbolisme de son décor. 60 R. Deshman, The Benedictional of Ethelwold, “Studies in Manuscript Illumination 9”, Prince ton, 1995.
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bénédictions réservées à l’évêque ainsi qu’une illustration de l’éxégèse visant à associer l’évêque à l’autel fixe de l’église consacrée, comme sur l’image de Ratisbonne où là il s’agit d’un autel portatif, soulignant ainsi visuellement que cette association de nature exégétique produit en fin de compte une image de l’Église, de l’Ecclesia universelle 61 . L’usage liturgique de l’autel portatif dans le haut Moyen Âge n’apparaît cependant pas réservé aux différentes occasions de liturgie de plein air qui viennent d’être rapidement présentées et analysées 62. De façon quelque peu surprenante, on sait que dans certaines églises monastiques on pouvait le cas échéant avoir recours à un autel portatif pour célébrer des messes votives pour des occasions particulières. Par exemple, dans la pratique de la messe privée, l’utilisation d’autels portatifs ne semble pas avoir du tout été la règle étant donné l’impressionnant déploiement d’autels fixes dans les églises monastiques du haut Moyen Âge et placés dans les bras du transept, dans des chapelles ou dans les collatéraux des édifices 63. Ces autels secondaires contenaient pour la plupart des reliques et ont rendu possible le 61 É. Palazzo, L’évêque et son image. L’illustration du pontifical au Moyen Age, Turnhout, 1999, p. 129-139 et 317-318 et D. Russo, “O altar, a igreja. Reflexoes acerca da tematica do altar na iconografia crista (final del do segulo X – começo do seculo XI)”, Signum, 6, 2004, p. 89-103. 62 Certaines lanternes des morts, présentes essentiellement en Aquitaine et en Poitou aux XIe et XIIe siècles, qui servaient pour la liturgie de la commémoration des défunts sont de façon permanente ou temporaire aménagées avec des autels en plein air dont on ne sait si, parfois, il pouvait s’agir d’autels portatifs. Cf. M. Plault, Les lanternes des morts. Inventaire, histoire et liturgie, Poitiers, 1988, p. 156-162; C. Treffort, “Les lanternes des morts, une lumière protectrice ? A propos d’un passage du De miraculis de Pierre le Vénérable”, Cahiers de recherche médiévale (XIIIe-XVe siècle), 8, 2001, p. 143-170 et “Une lumière pour les morts, ou de l’usage funéraire de quelques lanternes carolingiennes. Le témoignage des Carmina centulensia”, PRISMA, t. XVIII/1-2, 2002, p. 155-168. 63 A. Häussling, Mönchskonvent und Eucharistiefeier. Eine Studie über die Messe in der abendländische Klosterliturgie des frühen Mittelalters und zur Geschichte der Messhäufigkeit, “Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen 58”, Münster, 1973. Sur le dispostif archéologique des autels secondaires dans les églises du haut Moyen Age et ses implications liturgiques, G. Bandmann, “Früh- und Hochmittelalterliche Altardordnung als Darstellung”, Das erste Jahrtausend, Düsseldorf, 1962, bd. I, p. 371-411; S. de Blaauw, Cultus et decor. Liturgia e architettura nella Roma antica et medievale, 2 vols., “Studi e Testi 355-356”, Città del Vaticano, 1994 ainsi que son article “The Lateran and Vatican Altar Dispositions in Medieval Roman Church Interiors : A Case of Models in Church Planning”, Cinquante années d’études médiévales. À la confluence de nos disciplines, Actes du colloque du cinquantenaire du CESCM, Poitiers, septembre 2003, Turnhout, 2005, p. 201-217. Pour l’Angleterre, H. M. Taylor, “The Position of the Altar in Early Anglo-Saxon Churches”, The Antiquaries Journal, 53, 1973, p. 52-58. Ces autels secondaires pouvaient dans certains cas faire l’objet de dévotion particulière de la part des moines, cf. D.S. Couneson, “La visite des autels dans la tradition monastique”, Revue liturgique et monastique, 21, 1935/1936, p. 8-21, 142-154 et 378-387.
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déroulement, en soliatire, de la messe privée à caractère votif, de nature pénitentielle ou plus largement, de nature dévotionnelle. La célébration en solitaire de la messe permet cependant dans certains cas que l’on se serve d’un autel portatif au lieu d’un autel fixe. Dans certaines églises monastiques trop petites pour accueillir plusieurs autels fixes on mettait en service des autels portatifs pour la célébration des messes privées 64. Selon Cyrille Vogel, tel semble avoir été le cas dans les communautés celtes où les lieux de culte étaient réduits à des dimensions si modestes qu’il fallait avoir recours à des autels portatifs pour célébrer certaines messes 65. L’usage itinérant ou mobile de l’autel portatif est precisé par l’expression “altare viaticum” qui est attestée dans plusieurs textes de la seconde moitié du Moyen Âge 66. L’emploi de cette expression paraît cependant plus ancien si l’on se réfère à un extrait du récit fait au XIe siècle par un moine anonyme du Mont-Cassin et mentionnant quelques usages liturgiques du lieu. Ce moine relate entre autres que chaque année se déroulait, dans la tour Saint-Benoît du monastère d’Italie centrale, un office liturgique en grec et en latin destiné à commémorer la mémoire de l’abbé Petronax et qui était exécuté sur un autel portatif : “In ipsa turre omni anno sancti benedicti altare biariczo (peut-être s’agit-il d’une deformation de viaritio, du moins telle est l’hypothèse formulée par Thomas Kelly) faciebant officium greci et latini sicut praecepti petronax abbas” 67. Ce passage évoque selon toute probabilité la pratique de messes votives que certains moines du haut Moyen Âge auraient célébré sur des autels portatifs à l’intérieur de l’église lorsque les dimensions du bâtiment étaient exiguës, ou bien peut-être pour ne pas surcharger le service sur les autels secondaires de l’église, ou bien encore à l’occasion de célébrations particulières telle que celle évoquée par le moine anonyme du Mont-Cassin. Selon Roger Reynolds, l’office en grec et en latin pratiqué occasionnellement au Mont-Cassin devait nécessiter des objets liturgiques spécifiques comme l’autel portatif mentionné mais aussi, sans doute, un libellus, un petit livret liturgique propre avec les versions latine et grecque de l’office célébré comme le témoignage des manuscrits, ailleurs qu’au Mont-Cassin, semble le suggérer et
64 C. Vogel, “Deux conséquences de l’eschatologie grégorienne : la multiplication des messes privées et des moines-prêtres”, Grégoire le Grand, colloque international du CNRS, Paris, 1986, p. 267-276. 65 Vogel, ibid., p. 271-272. 66 Cf. Braun, op. cit. à la note 3, p. 431. 67 T. F. Kelly, The Benevant Chant, Cambridge, 1989, p. 205.
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même l’attester 68. Les cas d’utilisation d’autels portatifs pour la célébration de messes votives, privées, à l’intérieur de certaines églises du haut Moyen Âge relèvent plus de circonstances “pratiques” (étroitesse du lieu de culte, du bâtiment…) ou de nature mémoriale (comme pour la liturgie commémorative en l’honneur de l’abbé Petronax du Mont-Cassin) que de la volonté de “doubler” l’espace sacré à l’intérieur de l’espace rituel consacré qu’est l’église par l’installation et l’usage ponctuel d’un autel portatif. L’utilisation d’un autel portatif pour la célébration de messes votives, le plus souvent à caractère privé, ne semble pas avoir été la règle dans les monastères du haut Moyen Âge comme l’atteste l’absence quasi générale de ce genre de mentions dans les nombreux coutumiers monastiques parvenus jusqu’à nous. Pour terminer ce passage en revue des principaux textes et circonstances liturgiques du haut Moyen Âge mettant en scène un autel portatif, ou bien, dans certains cas, le laissant supposer, je mentionnerai quelques exemples empruntés aux coutumiers monastiques 69. Ces textes décrivent avec minutie la vie quotidienne et la pratique liturgique des monastères du haut Moyen Âge et du Moyen Âge central. Un sondage relativement approfondi dans les index des volumes du Corpus consuetudinum monasticarum permet d’envisager quelques conclusions à propos de l’usage fait par les moines de l’autel portatif et des mots employés pour le désigner. Tout d’abord, la surprise vient de l’absence de mention claire et explicite de l’autel portatif dans ces textes. Puis, l’interprétation de certains mots laisse supposer l’usage d’autels portatif, sans pour autant pouvoir l’affirmer de façon catégorique. Par exemple, les multiples occurrences du mot “altariolum” peut faire penser à des petits autels – de type portatif – ou bien à des autels secondaires aménagés dans les collatéraux et le transept de certaines grandes églises monastiques. D’autres mentions telles que “altare in infirmaria” ou bien “altare in oratorio” suggèrent peut-être des autels portatifs en usage dans ces lieux du monastère que sont l’infirmerie ou un oratoire privé comme celui fréquemment localisé dans le logis abbatial. Certaines recherches ont montré que les moines n’hésitaient pas à créer des livres liturgiques spécifiques pour tel ou tel usage rituel – à la manière de ce qui a été décrit précédemment à propos de l’of68 R. E. Reynolds, “The Greek Liturgy of St. John Chrysostom in Beneventan Script : An Early Manuscript Fragment”, Mediaeval Studies, 52, 1990, p. 296-302, sp. p. 300. 69 Sur ces documents, je me permets de renvoyer à A. Davril et É. Palazzo, La vie des moines au temps des grandes abbayes, Xe-XIIIe siècles, Paris, 2000, chapitre 2 et Corpus consuetudinum monasticarum, Siegburg, 1957- , 14 volumes parus à ce jour.
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fice en grec et en latin au Mont-Cassin – ailleurs que dans l’église, dont des livres propres pour les usages liturgiques à l’infirmerie 70. Dans ce cas précis, ne peut-on formuler l’hypothèse selon laquelle la liturgie de l’infirmerie, ou encore d’autres rituels parallèles à celui de la communauté réunie dans l’église, aient nécessité l’usage de l’autel portatif, comme de livres spécifiques, à cause de l’impossibilité d’installer un autel fixe dans ce lieu, recréant ainsi l’espace sacré de la célébration liturgique ? Ainsi dans les coutumes de Cluny du XIe siècle, pour le dimanche après l’octave de l’épiphanie, on peut lire la description “rituelle” suivante : “Dicta oratione in infirmorum domo veniatque ante altare sacerdos , dicat hunc versum “Benedicta tu, Dominus vobiscum”, oratio de ipsa beata” 71. Dans le même coutumier, au moment de la liturgie du samedi saint, le dispositif liturgique prévoit que : “In primis altaria debent adornari et evangeliorum textibus auro gemmisque opertis atque aliis argento inclusis. In maius scilicet altare necnon et crucifixos vel cruces ponant, quas in lignorum materiae post ipsam ara ordinent et quaecum que ibi sunt reconditae filacteriae. Tunc debent vestire se secretarii albis, cum accipiunt ipsas. Inde et ante maiorem altare in pertica suspendant et altariola atque auream coronam eademque de capsis faciant. Tabulas quidem cum imaginibus sanctorum auro textas ante arcum principalem collocent.” 72. Dans la seconde moitié du Moyen Âge, notamment à partir du XIIIe siècle et les différents privilèges accordés aux ordres mendiants par le pape pour pouvoir célébrer sur un autel portatif, la législation portant sur les usages de l’autel portatif va considérablement augmenter du fait de l’impérative nécessité, pour les franciscains comme pour les dominicains, de voir reconnaître un aspect important de leur identité liturgique liée à la notion d’itinérance, de mobilité en vue notamment de la pratique de la prédication 73. Ainsi, le 5 mai 1221 70 D. Nebbiai-Dalla Guarda, “Les livres de l’infirmerie dans les monastères médiévaux”, Revue Mabillon, n.s. 5, 66, 1994, p. 57-81. 71 Liber tramitis aevi Odilonis abbatis, “Corpus consuetudinum monasticarum X”, P. Dinter ed., Siegburg, 1980, p. 37. 72 Ibid., p. 83-84. On peut lire à peu de choses près la même rubrique dans le même coutumier de Cluny lors de la liturgie du samedi de la Pentecôte. 73 Sur toutes ces questions, voir déjà mon article “Réforme liturgique, spatialisation du sacré et autels portatifs. Aux origines de la liturgie itinérante des Ordres mendiants”, Liturgiereformen. Historische Studien zu einem bleibenden Grundzug des christlichen Gottesdienstes, I, “Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen 88”, Münster, 2002, p. 363-377.
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saint Dominique obtient du pape Honorius III le privilège pour l’Ordre des prêcheurs de célébrer la messe sur un autel portatif. Peu de temps après le 3 décembre 1224, le même privilège est accordé aux frères mineurs 74. Pierre-Marie Gy a éclairé de façon particulièrement saisissante l’origine de ces privilèges papaux en faveurs des ordres mendiants 75. En effet, l’obtention pour les deux ordres du droit de célébrer sur un autel portatif a directement à voir avec la querelle qui a opposé dans la première moitié du XIIIe siècle dominicains et franciscains à propos du statut ecclésiologique de leur apostolat respectif. L’accomplissement d’une liturgie itinérante – liée pour les dominicains à l’exercice de la prédication – apparaît dès les origines des deux ordres comme un enjeu identitaire, d’une part, et comme l’expression de la rivalité entre prêcheurs et mineurs, d’autre part, étant donné la nécessité de voir leur pratique pastorale reconnue par la Curie puis par les évêques. Dans ce contexte, on comprend mieux l’enjeu ecclésiologique que représente l’autel portatif et la pratique liturgique qu’il permet. Les privilèges accordés aux dominicains en 1221 et aux franciscains en 1223 autorisent les frères des deux ordres à pratiquer les pastorale itinérante et, par conséquent, leur permet de fonder leurs couvents. À partir de ce moment et de ces privilèges permanents accordés par le pape aux franciscains et aux dominicains leur permettant de célébrer avec un autel portatif, l'histoire de la législation et des pratiques liturgiques liées à l'usage de cet objet ne sera plus tout à fait identique à celle connue depuis les premiers siècles et qui domine tout le haut Moyen Âge.
74 S.J.P. Van Dijk, Sources of the Modern Roman Liturgy, The Ordinals by Haymon of Faversham and related Documents (1243-1307), “Studia et documenta franciscana I”, Leiden, 1963, p. 11-13. 75 P.-M. Gy, “le statut ecclésiologique de l’apostolat des prêcheurs et des mineurs avant la querelle des mendiants”, Revue des Sciences philosophiques et théologiques, 59, 1975, p. 79-88.
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CHAPITRE VI
LE DÉCOR ET L’ICONOGRAPHIE DES AUTELS PORTATIFS. EXÉGÈSE VISUELLE ET THÉOLOGIE DE L’ESPACE SACRÉ Il ne peut être question dans ce chapitre de traiter de façon complète et exhaustive du décor et de l’iconographie des autels portatifs du Moyen Âge. D’une part, la tâche serait bien trop importante eu égard aux objectifs du présent ouvrage et, d’autre part, il faudrait consacrer un livre à part entière au sujet. Par ailleurs, il est utile de rappeler que d’autres auteurs se sont intéressés au décor et à l’iconographie des autels portatifs sans pour autant leur consacrer la monographie qui fait toujours défaut aujourd’hui dans la bibliographie. Dans le cadre de ce chapitre, je vais m’intéresser au décor ainsi qu’à certains aspects de l’iconographie des autels portatifs chrétiens à partir du cadre problématique de ce livre, c’est-à-dire l’étude de l’espace sacré et ses relations avec les rituels liturgiques pratiqués à l’extérieur de l’église-bâtiment et nécessitant l'utilisation de l'autel portatif. À partir de quelques exemples précis, j’aurai essentiellement à coeur de montrer la façon dont les images et, dans une moindre mesure le décor ornemental, placés sur ces objets contribuent à leur manière à l’interprétation théologique et liturgique des autels portatifs en relation avec la definition de l’espace sacré chrétien. Pour ce faire, on comprend aisément qu’il ne soit pas nécessaire de procéder à une enquête exhaustive dans la documentation parvenue jusqu’à nous ni de mener une analyse approfondie du décor et de l’iconographie de chacun des autels portatifs conservés. Après avoir brièvement rappelé les acquis essentiels de l’historiographie des recherches sur le décor et l’iconographie des autels portatifs, notamment à partir des travaux de Joseph Braun, Michaël Budde et son grand catalogue détaillé sur chacun des objets, mais aussi en prenant en compte certaines contributions ayant traité du décor de tel ou tel autel portatif, je vais concentrer mon propos sur les grandes catégories de thèmes iconographiques que l’on rencontre sur ces autels. À partir de ces catégories, j’aurai pour objectif de cerner les différents aspects liturgiques, théologiques, voire parfois politiques du décor et de l’iconographie des autels portatifs. Pour cela, il faudra procéder à l’analyse du décor – incluant aussi les inscriptions – et de l’iconographie d’un nombre limité d’autels portatifs, et plus particu-
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lièrement ceux réalisés dans le haut Moyen Âge, avant l’an mil ou juste après, car, comme on va avoir l’occasion de s’en apercevoir, l’iconographie de ces autels du haut Moyen Âge s’avère plus riche, plus ouverte aux interprétations liturgiques, théologiques et politiques que pour la plupart des autels portatifs realisés à partir du XIIe siècle notamment et dont la typologie renvoie plutôt à des reliquaires bien plus qu’à des autels portatifs à proprement parler. Pour ce qui concerne l’interprétation liturgique et théologique de l’iconographie des autels portatifs, je tenterai de cerner la façon dont cette iconographie reflète certains aspects de la liturgie de l’autel portatif ainsi que d’autres liés à l’exégèse sur l’autel en général en relation avec la conception de l'espace sacré défini à partir de l'objet lui-même. Au final, l'idée centrale que j'essaierai de dégager de cette enquête consiste à cerner la façon dont l’iconographie de l’autel portatif contribue à penser cet objet comme une “reproduction”, une “représentation” symbolique de l’église-bâtiment, ou bien encore du temple de Salomon, avec le décor monumental peint ou sculpté sur ses murs, affirmant ainsi l’idée centrale selon laquelle l’Église se “déplace” partout dans le monde non seulement d’un point de vue spirituel et ecclésiologique mais aussi, d’une certaine manière, dans sa “matérialité” à travers l’autel portatif, véritable “reproduction” miniature de l’église-bâtiment avec son autel, ses aménagements liturgiques et son décor monumental. L'autel portatif et son décor. L'apport de Joseph Braun et de Michaël Budde Dans le remarquable chapitre consacré aux autels portatifs dans sa monumentale histoire de l’autel chrétien, Joseph Braun a, à ma connaissance, pour la première fois proposé une typologie formelle de ces objets, prenant en considération les aspects archéologiques des autels portatifs et incluant une réflexion déjà relativement approfondie sur leur décor et leur iconographie 1. À juste titre, Joseph Braun a tout d'abord fait remarquer que bon nombre d’aspects du décor et de l’iconographie des autels portatifs ne se différenciaient pas particulièrement de ce que l'on voit sur les autels fixes. Ceci n’a pas véritablement lieu de surprendre : qu’il soit fixe à l’intérieur d’une église ou bien portatif et destiné à servir lors des rituels prenant place à 1 J. Braun, Der christliche Altar in seiner geschichtlichen Entwicklung, Munich, 1924, t. I, p. 419-523, sp. p. 501-512.
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l’extérieur du bâtiment consacré pour la célébration de la liturgie, la fonction de l’autel reste, si je puis dire identique, en relation avec le déroulement de la liturgie de la messe, de la célébration de l’eucharistie. À partir de là, on peut aisément comprendre les points communs entre le décor et l’iconographie des autels fixes d’un côté et des autels portatifs de l’autre. Dans des pages d’une grande densité pour le matériau présenté et la réflexion sur ce matériel, Joseph Braun a proposé une classification des thèmes iconographiques présents sur les autels portatifs dont les principaux aspects seront repris par Michaël Budde dans sa thèse-inventaire consacrée à ces objets. Joseph Braun discute tout d’abord de l’importante catégorie des représentations “symboliques” comprenant par exemple l’image de la croix, celle de l’agneau, celle de la main de Dieu ou bien encore l'iconographie des symboles des évangélistes et des personnifications telles que les vertus cardinales. Pour chacun de ces motifs, voire de ces thèmes iconographiques, le savant allemand a donné une rapide analyse à partir de quelques exemples pris dans les objets conservés, s'attachant en particulier à rappeler la tradition iconographique dans laquelle se situe telle ou telle représentation. Joseph Braun aborde ensuite la catégorie des motifs ou thèmes iconographiques provenant de l’Ancien Testament et si essentiels pour la compréhension de l’iconographie typlogique mettant en avant les scènes des épisodes vétéro-testamentaires préfigurant – du moins selon l’interprétation de la pensée typologique médiévale – les épisodes du Nouveau Testament. Dans ce cadre, les autels montrent avec une certaine fréquence les images des offrandes d’Abel, Melchisédech et Abraham considérées par excellence comme les préfigurations de l'offrande eucharistique. Dans ce sens, on voit ainsi que le choix de ces thèmes vétéro-testamentaires était largement conditionné par la fonction de l’autel portatif dans le cadre de la célébration de l’eucharistie. De façon quelque peu énigmatique, Braun passe ensuite en revue ce qu’il appelle les “représentations réelles” parmi lesquelles on trouve des thèmes comme l’image de la Trinité – que l’on s’attendrait à voir classer dans la catégorie des images symboliques –, des images montrant des épisodes de la vie du Christ ou bien encore les représentations de la Vierge ainsi que des figures d’apôtres, de prophètes, des évangélistes ou des saints. À propos de chacun de ces motifs ou thèmes iconographiques, les pages de Braun restent plutôt de nature descriptive, donnant lieu à un commentaire d'un niveau très général du point de vue de l’analyse des images et de leur relation avec l’objet et sa signification théologique et sa fonction liturgique. Enfin, il me semble
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important de souligner que l’auteur fait suivre ces pages consacrées à l’iconographie des autels portatifs par quelques considérations sur leurs inscriptions, prenant en compte cet aspect des autels comme partie à part entière de leur décor, de leur ormentation et devant être lue de façon complémentaire aux images à proprement parler 2. De son côté, Michaël Budde a consacré quelques pages descriptives et relativement peu analytiques au décor et à l’iconographie des autels portatifs 3. De façon générale, Budde reprend dans ses grandes lignes la typologie iconographique proposée par Joseph Braun. Sur quelques points cependant, Budde apporte des éléments nouveaux par rapport aux pages de son prestigieux prédécesseur. En premier lieu, Budde cite un certain nombre de théologiens médiévaux où l’on trouve quelques considérations sur la pensée typologique ou bien encore sur le symbolisme de la matière et des pierres précieuses utilisées pour la fabrication des autels portatifs. Néanmoins, Budde ne procède pas particulièrement à une analyse approfondie de l’iconogaphie des autels portatifs et reste au niveau d’une simple description du décor et des thèmes représentés sur chaque objet. En second lieu, il faut porter au crédit de Michaël Budde l'intérêt accordé non seulement aux images représentant telle ou telle iconographie, mais aussi au décor strictement ornemental et à sa signification symbolique en relation précisément avec l’exégèse sur les matériaux précieux utilisés pour la fabrication des autels. Enfin, l’inventaire exhaustif des autels portatifs dressé par Michaël Budde permet d’avoir dans chaque cas, pour chacun des objets décrits dans cet inventaire, une description aussi précise que possible sur le décor de chaque autel portatif ainsi que leur état archéologique complet. Le décor et l'iconographie des autels portatifs du haut Moyen Âge L’exploration et l’analyse succincte des plus anciens autels portatifs conservés, datant entre le VIIIe et le XIe siècle, vont permettre de connaître une très large part du décor et de l’iconographie de ces 2 Braun, Ibid., p. 512-517. Sur les inscriptions des autels portatifs, sur lesquelles je revien drai un peu plus loin dans ce chapitre, voir l’mportant article de R. Favreau, “Les autels portatifs et leurs inscriptions”, Cahiers de civilisation médiévale, 46, 2003, p. 327-352. Parmi les multiples études de cas présentant un ou plusieurs autels portatifs avec leurs inscriptions et constituant des groupes régionaux particuliers, voir, à titre d’exemple, A. Straub, “Autels portatifs en Alsace”, Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace, IIe série, vol. 9, 1878, p. 73-79. 3 M. Budde, Altare portatile. Kompendium der Tragaltäre des Mittelalters 600-1600, Münster, 1998, p. 31-44.
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objets étant donné que les images présentes sur le petit nombre d'objets conservés se révêlent tout à fait représentatives de l’iconographie des autels portatif en général. Ce rapide passage en revue mettra également en évidence l’intérêt majeur du décor et de l’iconographie des autels portatifs en relation avec les principaux thèmes exégétiques et liturgiques relatifs à l’espace sacré et la façon dont les théologiens pensent la diversité de l’espace rituel de l’Église. On verra aussi la manière dont les thèmes théologiques et liturgiques se trouvent parfois harmonieusement combinés à d’autres thèmes de nature politique qui sont le plus souvent fondés sur le culte des saints et les images hagiographiques présentes sur les autels portatifs. Un nombre relativement limité d’autels portatifs du haut Moyen Âge est parvenu jusqu’à nous. Cette faible quantité n’entâche cependant pas l’intérêt de ces objets notamment à cause de leur décor dont certaines parties sont historiées. Or, l'iconographie des autels portatifs du haut Moyen Âge présente une grande variété sur laquelle il est intéressant de s’attarder afin de comprendre la place du discours visuel dans la fonction liturgique et la signification symbolique de l’objet lui-même. Avant les XIe-XIIe siècles, la typologie formelle des autels portatifs offre une relative diversité où émerge un point commun : la forme simple de la table ou de la plaque d’autel. À cette époque, ainsi qu’on a pu le constater dans le chapitre précédent, plusieurs matériaux sont utilisés pour la fabrication des autels portatifs, depuis la pierre et le bois jusqu’aux couvertures d’orfèvrerie et l’emploi de pierres précieuses. L’emploi de certains matériaux précieux dans la fabrication des autels portatifs trouve sa justification, d’une part, comme j’ai essayé de le montrer dans le chapitre précédent, dans l’exégèse biblique développée sur les matériaux nobles, et, d’autre part, à partir de l’éloge de nature théologique faite à propos du travail manuel destiné à fabriquer des objets liturgiques précieux, comme le laissent penser des traités comme celui du moine Théophile (De diversis artibus) et bon nombre d’écrits émanants de grands théologiens du XIIe siècle, en premier lieu Rupert de Deutz 4. À partir du XIIe siècle, la grande majorité des autels portatifs sont plutôt conçus comme des autels-reliquaires dont la fonction liturgique à propre Voir à ce sujet la belle étude de J. Van Engen, “Theophilus Presbyter and Rupert of Deutz : The Manual Arts and Benedictine Theology in the Early Twelfth Century , Viator, 11, 1980, p. 147-163. À propos des signatures d’orfèvres sur les objets liturgiques précieux, dont certains sont des autels portatifs, cf. J. Leclercq-Marx, “Signatures iconiques et graphiques d’orfèvres dans le haut Moyen Âge. Une première approche”, Gazette des Beaux-Arts, 2001, p. 1-16.
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ment parler n’est plus absolument prioritaire ni indispensable. Bon nombre de ces autels portatifs de la seconde moitié du Moyen Âge constitue des donations, des cadeaux faits aux monastères ou aux cathédrales par les autorités ecclésiastiques ou bien les rois, les empereurs, les princes et les seigneurs. Le décor et l’iconographie de ces autels-reliquaires ne varient pas véritablement de ce que l’on rencontre sur les autels du haut Moyen Âge, et l’on y retrouve ainsi les éléments “classiques” de l’iconographie de ces objets, c’est-à-dire les représentations de la Maiestas Domini, de l’agneau eucharistique et apocalyptique, des évangélistes ou de leurs symboles, des figures de saints dont les reliques sont conservées dans les autels, quelques scènes de la vie du Christ et surtout les thèmes iconographiques habituels issus de l’Ancien Testament (sacrifice d’Isaac, offrandes d’Abel et Melchisédech…). Je reviendrai rapidement plus loin sur certains aspects du décor et de l’iconographie de ces autels-reliquaires, en particulier à partir de “monuments” fameux tels que l’autel portatif de la comtesse Gertrude ou bien encore l’autel portatif de l’empereur Henri II. Avant de traiter de l’iconographie des principaux autels portatifs du haut Moyen Âge et de sa double signification théologique et liturgique en relation avec la définition de l’espace sacré, je souhaiterais mentionner de nouveau la description de l’autel portatif fait réaliser par Adalbéron de Reims dans la seconde moitié du Xe siècle que l’on doit au chroniqueur rémois Richer : “En outre, il fit fabriquer un autel portatif d’un travail non moins soigné. Sur cet autel où le prêtre dialogue avec Dieu, se trouvaient aux quatre angles, les statues des quatre évangélistes, sculptées dans l’or et l’argent, leurs ailes déployées masquaient jusqu’au milieu les faces latérales de l’autel; les figures étaient tournées vers l’Agneau immaculé. Il (Adalbéron) avait voulu copier l’arche d’alliance” (fig. 2) 5. Dans ce texte, dont j’ai déjà proposé une analyse dans le chapitre précédent, on est en présence de certains des éléments majeurs du décor historié de l’autel portatif avec la présence de l’agneau eucharistique et apocalyptique et les figures des évangélistes pour lesquelles on ne peut véritablement savoir, dans ce cas précis, s’il s’agit des symboles ailés ou bien des figures des évangélistes avec des ailes. La présence de l’agneau n’a aucunemenent lieu de surprendre sur un objet liturgique destiné à la célébration de l’eucharistie. L’agneau eucharistique et apocalyptique se trouve fréquemment associé au contexte liturgique de la célébration de la 5 Voir déjà certains de mes commentaires à propos de ce texte dans le chapitre 5 du présent livre; Richer, Histoire de France, R. Latouche éd. et trad., t. II, Paris, 1937, p. 30-31.
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messe, sur des peintures de manuscrits, en particulier dans les sacramentaires et les missels, sur les autels fixes ou bien encore sur des peintures et des sculptures constituant le décor monumental, l’environnement et le dispositif visuel du lieu de la célébration dans le choeur des églises. De leur côté, les figures des évangélistes renvoient aux quatre évangiles amenés à se diffuser dans l’ensemble de l’espace de l’Église, étendue à l’infini, au-delà des limites imposées par les murs de l'église-bâtiment. On a vu dans le chapitre précédent que certains exégètes de la liturgie, notamment Amalaire de Metz au IXe siècle, associaient les quatre évangiles et, par extension la figure des évangélistes, aux quatre angles de l’autel suggérant ainsi que l’autel lui-même représentait l’Église dans son étendue spatiale infinie, l’espace de diffusion du message du Christ à travers les évangiles, et l’espace sacré, le lieu consacré de la célébration de l’eucharistie. Dans son commentaire sur la signfication symbolique de l'autel, Amalaire considère cet objet comme une image de Jérusalem d'où le message des évangiles s'est diffusé partout dans le monde. À côté de cela, il faut rappeler la volonté d’Adalbéron – du moins selon le chroniqueur – de souligner l’association symbolique entre l’autel portatif, l’espace infini de l’Église et le temple de Salomon. À ce propos, j’ai également insisté dans le chapitre précédent sur l’importance de l’association symbolique entre le temple de Salomon, l’église et l’autel, et, enfin, la Jérusalem céleste, c'est-à-dire l’Église éternelle à venir. On verra plus loin que la description de l’iconographie de l’autel portatif d’Adalbéron de Reims se retrouve à différents niveaux sur de “vrais” autels conservés et réalisés à une époque relativement proche de l’autel décrit par Richer de Reims. Toujours à propos de la description de cet autel portatif et de son iconographie, je voudrais d’ores et déjà insister sur le parallèle que l’on peut établir, car il est suggéré d’une certaine manière par la description elle-même ainsi que par l’exégèse liturgique faite par Amalaire de Metz, entre le décor de l’autel portatif et celui de l’église monumentale, de l’église consacrée. En effet, outre les liens évidents et naturels entre le décor des autels portatifs, celui des autels fixes et le décor monumental du choeur des églises – conditionnés par la référence à la célébration de l’eucharistie et à sa théologlie – on peut suggérer que ces points communs entre ces différents lieux et objets sont également fait pour insister sur l’idée que l’autel portatif est une sorte de “reproduction” miniature de l’église, dans sa dimension à la fois matérielle et ecclésiale, avec son autel fixe et son décor monumental, une image de l'église qui se déplace ainsi partout dans le monde, dans la nature, afin d’affirmer
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la présence de l’Église dans son étendue infinie et à travers la pratique de la célébration de l’eucharistie. Et on a vu la façon dont cette dernière idée était soutenue par l’exégèse sur l’autel chrétien. Penchons-nous à présent sur le décor et l’iconographie des plus anciens autels portatifs conservés afin de préciser les données concernant l’importance du discours visuel placé sur ces objets en relation avec la théologie et la liturgie du lieu rituel, de l’espace sacré en dehors de l’église. Le premier autel portatif qui doit retenir notre attention est le célèbre autel portatif dit de saint Cuthbert. Aujourd’hui conservé au trésor de la cathédrale de Durham, il s’agit d’un autel portatif fait de bois recouvert d’argent et mesurant 13,6 cm sur 12,2 cm (fig. 4). D’origine anglo-saxonne, l’objet a sans doute été réalisé dans la deuxième moitié du VIIe siècle, bien que certains auteurs ayant écrit à son sujet ont proposé une date allant du milieu du VIIIe siècle au début du siècle suivant. Selon la typologie formelle des autels portatifs établie par Michaël Budde à la suite des premières propositions faites par Joseph Braun, l’autel dit de saint Cuthbert appartient à la catégorie des autels en forme de planche 6. L’autel a peut-être appartenu à saint Cuthbert, né vers 634 et mort le 20 mars 687. Deux sources textuelles du XIIe siècle prétendent que l’autel a été placé dans la tombe du saint avec d’autres objets liturgiques comme un calice et une patène. L’ouverture de la sépulture du saint en 1827 permit de retrouver l’autel portatif sur la poitrine de la dépouille de Cuthbert en compagnie d’un peigne, d’un pectoral et de divers textiles. Bien qu’abîmé – il a dû subir plusieurs restaurations dont l’une en 1954 à Londres –, l’autel portatif de saint Cuthbert présente un décor relativement riche avec une iconographie intéressante. Il contient également plusieurs inscriptions fragmentaires qui attestent la dédicace de l’autel en l’honneur de saint Pierre. Très tôt recouvert d’une plaque d’argent, l’autel a perdu une grande partie de sa couvrure originelle laissant apparaître le bois de chêne épais de 6 mm qui a été utilisé pour le confectionner. D’après les restitutions proposées par différents auteurs, la face supérieure de l’autel devait peut-être montrer une figure monumentale de saint Pierre placée entre les lettres de
6 Budde, op. cit. à la note 3, p. 12-17. On pourra aussi consulter l’article plus ancien de R. Radford, “The Portable Altar of Saint Cuthbert”, The Relics of Saint Cuthbert, Oxford, 1956, p. 326-335 et E. Coatsworth, “The Pectoral Cross and Portable Altar from the Tomb of St. Cuthbert”, St. Cuthbert. His Cult and his Community to AD 1200, Woodbridge, 1989, p. 287-301, sp. p. 296-301.
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Fig. 4. Autel portatif de Saint Cuthbert. Durham, trésor de la Cathédrale.
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l’inscription : “SCOS PETROS APOSTOLOS” 7. Si tel était le cas, la figure apostolique aurait été assise, un nimbe placé derrière la tête et tenant une sorte de rouleau entre les mains. Cette hypothèse ne rencontre pas l’approbation de tous. Pour certains, la figure de la face supérieure aurait pu aussi représenter un prêtre vêtu d’un vêtement liturgique. La face inférieure de l’autel est décorée de motifs ornementaux de type végétal dont l’origine est vraisemblablement northumbrienne. Ces motifs rappellent le décor d’autres pièces de même origine et situées dans la seconde moitié du VIIIe siècle par les spécialistes. Les motifs décoratifs de type ornemental de l’autel de saint Cuthbert peuvent pour certains auteurs être rapprochés de l’art des évangiles de Lindisfarne attestant peut-être la présence tardive à Lindisfarne de cet autel portatif. L’autel portatif de saint Cuthbert n’est pas le plus ancien autel connu de ce genre, mais il est sans nul doute le plus célèbre du fait notamment de son probable destinataire, saint Cuthbert. L’orginalité de cet objet réside également dans sa typologie formelle – un autel en forme de simple planche – ainsi qu’à la combinaison harmonieuse de matériaux aussi divers que le bois et l’orfèvrerie argentée. Selon Michaël Budde, l’autel portatif de saint Cuthbert serait en de mombreux points comparable à celui trouvé au XIe siècle, selon une source textuelle du XIIe siècle, dans la tombe de l’évêque Acca d’Hexham (mort vers 740) : “Inventa est etiam super pectus eius tabula lignea in modum altaris facta ex duobus lignis, clavis argenteis coniuncta sculptaque est in illa scriptura haec : “Alme Trinitati agie sophie sanctae Mariae. Utrumque vero reliquiae in ea positae fuerint, vel que de causa cum eo in terra posita est ingoratur” . La décoration de l’autel de saint Cuthbert demeure encore d’une grande sobriété accordant un rôle de premier plan au vocabulaire du décor ornemental mais faisant néanmoins place à l’iconographie historiée. Ici, celle-ci apparaît sous une forme relativement simple avec la figure d’un personnage assis, saint Pierre ou bien un prêtre. Qu'il s'agisse de la figure de saint Pierre ou d'une représentation d'un prêtre, l’iconographie correspond à la dédicace de l’objet ou bien renvoie à la fonction liturgique de l’autel portatif, c’est-à-dire la célébration de l’eucharistie. De façon générale, l’iconographie des autels portatifs consacrera une large part de son répertoire à la représentation des saints étant donné la relation étroite entre les reliques conservées dans les autels et la dévotion réservée aux figures hagiographiques à travers la célébration de la messe avec un autel qui leur Sur l’inscription, cf. Favreau, art. cit. à la note 2, p. 327.
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Fig. 5. Autel portatif de la comtesse Gertrude de Brunswick, Cleveland, Museum of Art.
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Fig. 6. Autel portatif d’Adelhausen, Fribourg (Allemagne), Musée des Augustins.
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est consacré 8. L’immense majorité des inscriptions présentes sur les autels portatifs souligne d’ailleurs avec force cette relation entre la présence des reliques et la dédicace de l’autel en l’honneur de tel ou tel saint 9. Dans de rares cas, les figures de saints se touvent combinées à celles de personnages historiques qui trahissent la volonté des commanditaires de l'objet de mettre l’accent sur des aspects politiques de la commande en relation avec les personnages représentés. Tel est par exemple le cas pour l’autel portatif de la comtesse Gertrude de Brunswick, réalisé vers 1040 et conservé aujourd’hui au Museum of Art de Cleveland (USA) (fig. 5). Dans la remarquable étude qu’il lui a consacrée, Patrick Corbet a parfaitement mis en évidence que le choix de l'iconographie de cet autel – centrée sur la présence des souverains Sigismond, Constantin, Hélène et Adélaïde autour de la sainte Croix – renvoyait non seulement au culte de la croix si répandu dans l’Empire à cette époque, mais aussi à l’événement politique qu’a constitué l’incorporation en 1032 du royaume de Bourgogne à l’Empire. Or Gertrude Ière, morte en 1077, épouse du comte brunonide Liudolf, mort en 1038, fut une personnalité marquante de cette famille apparentée aux Ottoniens, fondatrice et bienfaitrice de la collégiale Saint-Blaise de Brunswick au trésor de laquelle l’autel portatif était destiné. Dans ce cas, l’autel portatif de type “autel-reliquaire” devient le support matériel pour l’expression d’un message de nature politique et idéologique. Dans le cas présent, il s’agit de la puissante ambition d’un lignage qui voulait acquérir un jour une couronne, se servant ainsi pour ce faire de la tradition royale de Bourgogne (à travers les représentations des souverains bourguignons Sigismond et Adélaïde) mise au service de la consciende aristocratique au sein de
8 Voir à ce propos l’inventaire exhaustif dressé par Michaël Budde dans son remarquable catalogue des autels portatifs conservés, Budde, op. cit. à la note 3. A titre d’exemples, parmi l’abondante iconographie hagiographique figurée sur les autels portatifs et l’impressionnante bibliographie qui lui est consacrée, voir les deux excellents articles de C. Bayer qui étudient deux des plus fameux autels portatifs à l’iconographie hagiographique développée et augmentée d’inscriptions dédicatoires,”Der Mauritius-Tragaltar in Siegburg : Bemerkungen zu Datierung, Ikonographie und Ikonologie unter besonderer Berücksichtigung der Inschriften”, Heimatsblätter des Rhein-Sieg-Kreiser, 1992/1993, p. 7-46 et “Der Paderborner Dom-Tragaltar und die zu 1100 gefälschte Urkunde Bischof Heinrichs II.” Von Werl für die Abtei Helmarshausen , Schatzkunst am Aufgang der Romanik. Der Paderborner Dom-Tragaltar und sein Umkreis, Munich, 2006, p. 65-77. Voir aussi les autels portatifs du trésor de Conques, l’un dit de sainte Foy, l’autre dit de l’abbé Bégon, Le trésor de Conques. Catalogue de l’exposition du Musée du Louvre, 2001-2002, p. 56-64. 9 Cf. Favreau, art. cit. à la note 2.
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l’Empire des Saliens 10. D’autres autels portatifs soulignent autrement que le décor de l’autel de la comtesse Gertrude la double dimension politique et idéologique de leur message iconographique. Tel est le cas de l’autel portatif-staurothèque réalisé au XIIe siècle dans un atelier du royaume franc de Jérusalem et conservé aujourd’hui au trésor de la cathédrale d’Agrigente en Sicile. Ainsi que l’a fait observer jadis Marie-Madeleine Gauthier, le décor historié de cet autel-staurothèque, centré sur la représentation du Sauveur entre l’alpha et l’omega et celle des souverains de l’Ancien Testament, David et Salomon vénérant une relique de la Sainte-Croix, trahit la volonté de l’auteur du programme iconographique de contribuer à l’équilibre géopolitique précaire unissant les chrétientés d’Europe méridionale en Terre Sainte 11. Revenons à présent aux autels portatifs plus anciens que ceux décrits précédemment avec celui conservé aujourd’hui au Musée des Augustins à Fribourg (Allemagne) (fig. 6) 12. Sans doute réalisé à Mayence dans la première moitié du IXe siècle, il s’agit d’une magnifique pièce de porphyre rouge incrustée dans une planche de bois de chêne. L’ensemble est recouvert d’orfèvrerie gravée, niellée et recouvert d’incrustations diverses. L’autel mesure 38 cm sur 17 cm et l’épaisseur de la planche de bois est de 1,7 cm. L’autel portatif en question a appartenu au trésor du couvent des dominicaines d’Adelhausen près de Fribourg en Allemagne où il a été transporté dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le couvent a été fondé en 1234 et on ne possède aucune information sur la provenance de l’autel avant cette date. Michaël Budde a par ailleurs fait observer, sur la base de nombreuses restaurations et remaniements subis par cet autel, que son état actuel n’était peut-être pas celui d’origine. Cette observation a des conséquences importantes sur la compréhension du décor de l’autel portatif d’Adelhausen car tous ces éléments décoratifs ne sont sans doute pas à considérer comme parfaitement homogène, à la fois du point de vue de l’iconographie comme de celui des techniques utilisées pour décorer cet objet. Plusieurs auteurs ont rattaché avec vraisem10 P. Corbet, “L’autel portatif de la comtesse Gertrude de Brunswick (vers 1040). Tradition royale de Bourgogne et conscience aristocratique dans l’Empire des Saliens”, Cahiers de civilisation médiévale, 34, 1991, p. 97-120. 11 M.-M. Gauthier, Émaux méridionaux. Catalogue international de l’œuvre de Limoges, t. I, l’époque romane, Paris, 1987, p. 57. Voir aussi la riche analyse proposée par J.-C. Bonne, “Entre l’image et la matière : la choséité du sacré en Occident”, Les images dans les sociétés médiévales. Pour une histoire comparée, actes du colloque de Rome, juin 1998, Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, LXIX, 1999, p. 77-111, sp. p. 96-101. 12 Budde, op. cit. à la note 3, p. 20-26.
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blance le décor des deux croix latérales encadrant la plaque de porphyre rouge à la production d’orfèvrerie connue au IXe siècle dans la région de Mayence ou, plus largement, dans la zone géographique de l’Allemagne du nord-ouest et des Pays-Bas actuels. D’autres specialistes ont également proposé des rapprochements entre ces croix et certaines oeuvres executées en Italie du nord, plus précisément à Milan, laissant supposer une origine incertaine transalpine de l’artiste qui a travaillé à cet ouvrage. En faveur de l’origine mayençaise de cet autel, il faut insister sur le siège épiscopal important que représentait Mayence supposant peut-être l’utilisation d’un autel portatif dans une chapelle pour la liturgie épiscopale ou royale. L’iconographie de l’autel portatif d’Adelhausen est d’une grand simplicité, du moins si l’on se place du point de vue de l’iconographie historiée. En effet, nul personnage ou a fortiori aucune scène narrative n’apparaît sur le décor de l’autel. Tout est ici construit autour de schémas ornementaux d’une grande richesse. Tout d’abord, les matériaux contribuent à leur manière à l’ornementation de l’autel. Le bois, la plaque de porphyre rouge, l’orfèvrerie et les incrustations composent une harmonie à la fois formelle et colorée qui contribue à la mise en valeur de l’objet notamment de la plaque de porphyre placée au centre et destinée à servir de reposoir pour les objets liturgiques lors de la célébration de l’eucharistie. Soulignons également l’heureuse combinaison de la croix, du cercle et des entrelacs. La finesse du décor des croix émaillées, aux branches égales et terminées par de légers empattements, contribue à la mise en valeur du motif de la croix pénétrée de cercles dont la signification cosmique est plus que vraisemblable. Plus certaine en revanche est la signification christologique et sacrificielle des croix étant donné leur présence sur un objet, l’autel portatif, dont la destination essentielle est la célébration de la messe où la commémoration du sacrifice du Christ sur la croix occupe un place centrale. Comme je l’ai dit plus haut, ces croix encadrent littéralement l’espace de la célébration aménagé sur l’autel portatif, c’est-à-dire la plaque de porphyre rouge. On peut ainsi considérer ce décor ornemental de l’autel d’Adhelhausen comme l’expression de la signification christocosmologique présente dans l’eucharistie à travers le sacrifice du Christ sur la croix 13. À plusieurs égards, on retrouve le même genre de significations dans le décor ornemental de plusieurs plats de reliure 13 Sur l’histoire de la croix dans le premier millénaire, son iconographie et ses diverses significations symboliques, voir dorénavant l’ouvrage de P. Skubiszewski, La croix dans le premier art chrétien, Paris, 2002.
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Fig. 7. Autel portatif d’Arnulf, Munich, trésor de la Residenz.
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du haut Moyen Age, d’une multitude d’autels portatifs ainsi que sur d’autres objets liturgiques 14. L’autel portatif conservé à la Residenz à Munich est plus connu sous l’appellation de ciborium d’Arnulf (fig. 7) 15. Il s’agit d’un magnifique objet composite formé de deux parties : l’autel, ou, plus exactement, la plaque d’autel, et le ciborium. La réalisation de cette oeuvre est localisée par les spécialistes dans la zone franque de l’ouest, et plus précisément à Reims ou à Metz. La datation proposée et communément admise est celle des années 870. La plaque d’autel est composée d’une pièce de porphyre vert et sans doute d’un bois de tilleul. Le tout étant enrichi par de l’orfèvrerie dorée et émaillée. Le ciborium, mesurant 59 cm de hauteur est, quant à lui, composé d’un bois de chêne recouvert d’une fine feuille d’or et incrusté de pierres précieuses et de perles. L’inscription placée sur la partie supérieure du ciborium mentionne le nom du roi Arnulf (vers 850 et mort le 8 décembre 899) qui fit don en 893 à l’abbaye de Saint-Emmeram de Ratisbonne l’ensemble de son trésor afin de remercier son saint patron, Emmeram, pour le bon déroulement de l’un de ses voyages. Une source du XIe siècle originaire de Saint-Emmeram mentionne l’autel et son ciborium dans les termes suivants : “In quo erat ciborium quadratum, cuius auro tectum tabulatum, fastigium serto gemmarum redimitum. Corpus vero ad geminae specimen dilectionis, similitudinem habiens superioris et inferioris, sustentatur aureis octo columinellis, aquae et ipsae tot virtutum seu beatudinum instar exponunt” 16. À côté du texte dédicatoire, la pièce contient plusieurs autres inscriptions, souvent très brèves, qui sont en relation avec l’iconographie présentée sur le ciborium. Ces inscriptions sont de courtes citations bibliques extraites des évangiles. Elles ont pour fonction d’accompagner les scènes historiées et d’en assurer l’identification iconographique. À propos de la relation entre la plaque d’autel et le ciborium, permettant de classer cet objet dans une caté14 Sur le décor des reliures médiévales, voir l’ouvrage classique de F. Steenbock, Der kirchliche Prachteinband im frühen Mittelalter. Von den Anfängen bis zum Beginn der Gotik, Berlin, 1965. Sur les différents aspects de la signification symbolique du décor ornemental sur les objets liturgiques du Moyen Age, voir les différentes contributions de J.-C. Bonne parmi lesquelles l’article cité à la note 11 et “Formes et fonctions de l’ornemental dans l’art médiéval (VIIeXIIe siècle). Le modèle insulaire”, L’image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, actes du colloque d’Erice, octobre 1992, Paris, 1996, p. 207-250. Voir aussi J.-P. Caillet, “Et magnae silvae creverunt...Observations sur le thème du rinceau peuplé dans l’orfèvrerie et l’ivoirerie liturgique aux époques ottonienne et romane”, Cahiers de civilisation médiévale, 38, 1995, p. 23-33. 15 Sur cet objet et son iconographie, voir la notice de Budde, op. cit. à la note 3, p. 27-33. 16 Arnold von St. Emmeram, Liber I de miraculis beati Emmerammi, MGH., SS. IV, p. 551.
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gorie ou l’on dénombre peu de specimen dans le haut Moyen Âge et même après, il n’est pas certain que les deux pièces aient été dès l’origine conçues pour être combinées. Le style de l’ornementation végétale de l’autel portatif et de son ciborium ne laisse pour ainsi dire aucun doute quant à l’origine de l’objet. On peut lui comparer certains détails du plat de reliure du célèbre Codex Aureus (Munich, Bayerische staatsbibliothek, clm 14000), réalisé dans le troisième quart du IXe siècle, appartenant au “jeune groupe rémois” et réalisé dans l’entourage artistique de Charles le Chauve. Dans le même sens, on peut citer le détail de la figure du diable dans la scène de la tentation du Christ qui rencontre son exact parallèle dans l’image du folio 59r du psautier d’Utrecht, réalisé à Reims dans le premier quart du IXe siècle. L’autel ciborium de la Schatzkammer de Munich est également célèbre du fait de sa représentation relativement fidèle sur une miniature des évangiles d’Uta, realisés vers à Ratisbonne aux alentours de 1020 (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, clm 13601) que j’ai déjà discutée dans le chapitre précédent (fig. 3). Au folio 4r de ce manuscrit, on voit une représentation de la célébration de la messe par saint Erhard sur un autel portatif en tout points comparables à l’autel-ciborium carolingien qui appartenait au trésor de Saint-Emmeram de Ratisbonne. Malgré la prudence dont il faut faire preuve face à ce genre de probables representations d’un objet précis sur une miniature médiévale, force est de constater que l’autel-ciborium carolingien qui appartenait au trésor de l’église de Saint-Emmeram a été reproduit dans cette miniature étant donné le prestige dont il jouissait sur place à l’époque de la réalisation des évangiles d’Uta 17. L’iconographie de l’autel-ciborium accorde une large place aux scènes extraites des évangiles ainsi qu’à des motifs de nature eschatologique 18. Les scènes tirées des évangiles mettent en confrontation le Christ avec un personnage : telles par exemple ces représentations du Christ face à Lazare ou bien où on le voit s’adresser à Pierre : “Petre amas me” (Jean 21, 15). Citons encore l’interpellation du Christ face au démon : “Vade satanas” (Matthieu 4, 10). Ces thèmes iconographiques extraits des évangiles présentent un schéma de composition extrêmement simple où sont surtout mis en valeur les personnages et leur confrontation. À côté des scènes évangéliques, l’iconographie de l’autel-ciborium de 17 A. Cohen, Art, Philosophy and Reform in Eleventh Century Germany, The Pennsylvania State University Press, 2000, p. 93-96. 18 Sur la présence en général des motifs eschatologiques sur les images des autels portatifs, cf. Budde, op. cit. à la note 3, p. 37 et ss.
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Munich insiste sur les figures théologiques et eschatologiques telles que l’agneau du sacrifice dont la tête est cerclée du nimbe crucifère, la colombe de l’Esprit-Saint dont la tête est aussi placée dans un nimbe crucifère, ou bien encore la main de Dieu bénissante, inscrite cette fois dans la croix et symbolisant le sacrifice du Christ. Dans ce décor de l’autel-ciborium, la place de l’agneau et l’importance accordée au motif de la croix rappelle la fonction liturgique de l’autel portatif destiné à la célébration de la messe. D’autres autels portatifs du haut Moyen Âge, un peu plus récents que celui conservé à la Schatzkammer de Munich présente ces mêmes motifs iconographiques en relation avec la célébration de l’eucharistie. En effet, d’autres autels portatifs montrent un choix de thèmes iconographiques relativement proches de celui effectué pour l’autel portatif de Munich sans pour autant reprendre la typologie formelle si particulière qui caractérise cet autel et dont on ne trouve pour ainsi dire pas d’équivalent durant tout le Moyen Âge. L’insistance sur le thème de la passion du Christ et sur celui de l’eucharistie apparaît fréquemment sur le décor d’autels portatifs du haut Moyen Âge réalisés en Angleterre et en Allemagne par exemple. Tel est le cas de ce superbe autel portatif réalisé en Angleterre au XIe siècle (Paris, Musée de Cluny, cl. 11459) où l’iconographie juxtapose de façon relativement traditionnelle le thème de la crucifixion d’un côté et celui de l’agneau apocalyptique et eucharistique de l’autre, encadrés par la représentation d’anges ainsi que de la Vierge et de saint Jean 19. Ces deux dernières figures viennent sur cet autel compléter le thème de la crucifixion dans sa formulation classique et que l’on rencontre de façon pratiquement systématique à la même époque pour illustrer la prière Te igitur du début du canon de la messe dans les sacramentaires20. La présence de l’agneau souligne bien évidemment la double connotation à la fois sacrificielle en relation avec la célébration de l’eucharistie et la commémoration du sacrifice du Christ sur la croix, ainsi que la dimension eschatologique relative à la théologie de l’eucharistie. Dans le même esprit que le décor de l’autel portatif anglo-saxon du musée de Cluny, mentionnons une autre pièce du même genre également conservé au musée parisien du Moyen Âge. Il s’agit de l’autel portatif vraisemblablement réalisé à Fulda dans le 19 Sur cet autel, voir la contribution de E. Okasha et J. O’Reily, “An Anglo-Saxon Portable Altar : Inscriptions and Iconography”, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 47, 1984, p. 32-51. 20 R. Suntrup, “Te igitur-Initialen und Kanonbilder in mittelalterlichen Sakramentarhandschriften”, Text und Bild, Wiesbaden, 1980, p. 278-382.
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Fig. 8. Autel portatif, Paris, Musée de Cluny.
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premier quart du XIe siècle (Paris, Musée de Cluny, cl. 13072) (fig. 8) 21 . Outre la présence du thème rare de la Traditio Legis qui renvoie ici sans doute au contexte politique de l’Empire ottonien, il faut noter la présence de figures de saints (saint Blaise et saint Nicolas) qui s’expliquent par le lieu d’usage de l’autel (sans doute le monastère de Saint-Blaise en forêt noire), ainsi que la représentation du sacrifice d’Isaac par Abraham, complétée par les offrandes d’Abel et Melchisédech. Ces trois personnages et leurs offrandes ou sacrifices renvoient à l’une des prières du canon de la messe dans laquelle on mentionne et présente ces trois personnages comme les figures modèles du prêtre. De même, leur offrande et leur sacrifice sont considérés dans la théologie comme les préfigurations du sacrifice du Christ sur la croix et renvoient ainsi bien évidemment à la théologie de la célébration de la messe. De même que pour les thèmes de la crucifixion et de l’agneau apocalyptique et eucharistique auxquels j’ai fait allusion plus haut, on rencontre fréquemment cette représentation conjointe d’Abraham sacrifiant Isaac et Abel et Melchisédech dans le décor du sacramentaire, à la partie du canon de la messe et sur d’autres autels portatifs contemporains de celui du Musée de Cluny, comme par exemple sur le fameux autel portatif dit d’Henri II conservé aujourd’hui à la Schatzkammer de la Residenz à Munich et datant du début du XIe siècle. Sur d’autres autels portatifs de la même époque que celui dont je viens rapidement d’aborder le décor et provenant également de l’Empire ottonien, on rencontre seulement parfois le thème de l’agneau entouré des personnifications des vertus cardinales, comme sur l'autel portatif conservé au Musée de Cluny à Paris dont il a été question plus haut (cl. 13072) où la figure centrale de l’agneau peut être assimilée à celle d’une Maiestas Domini. Je pense encore à cet autel portatif conservé à Munich (Bayerisches Nationalmuseum), plus connu sous l’appelation d’autel portatif de Watterbach, où la figure du Christ en majesté, représenté en buste, est placée au centre de la composition complétée par les bustes des personnifications des vertus aux quatre angles de la table d’autel 22. De cent ans plus jeune que l’autel portatif de Munich, l’autel portatif d’Egbert de Trèves, appelé encore “autel portatif de saint André” 21 J.-P. Caillet, L’Antiquité classique, le haut Moyen Age et Byzance au Musée de Cluny, Paris, 1985, p. 237-240. 22 Sur l’ensemble de ces autels portatifs ottoniens et leur iconographie, cf. G. SuckaleRedlefesen, “Eine kaiserliche goldschmiedewerkstatt in Bamberg zur Zeit Heinrichs II. Überlegungen zum Rückdeckel des Perikopenbuches und der Werkgruppe um den Watterbacher Tragaltar”, 131. Bericht des Historischen Vereins Bamberg, 1995, p. 129-175.
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Fig. 9. Autel portatif d’Egbert de Trèves, Trèves, trésor de la cathédrale.
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a sans doute été réalisé à Trèves entre 977 et 993 dans l’entourage artistique de l’archevêque de Trèves, Egbert (fig. 9). Il est aujourd’hui toujours conservé au trésor de la cathédrale de cette ville. La typologie formelle de cet autel portatif le distingue des objets présentés précédemment. Nous avons ici affaire à ce que Michaël Budde appelle un autel en forme de boîte 23. En réalité, il s’agit d’un autel portatif de type reliquaire, un genre qui, comme je l’ai déjà indiqué précédemment, connaîtra un succès considérable à partir du XIIe siècle et ce jusqu’à la fin du Moyen Âge. L’autel portatif de saint André apparaît dans de nombreux textes trévirois du Moyen Âge et après, notamment les inventaires de trésor. Il a une hauteur de 31 cm et mesure 44,7 cm sur 22 cm. Il est composé d’une boîte faite en bois de chêne et recouverte de nombreux matériaux précieux, tels que l’or, l’argent, l’ivoire, l’émail, des perles et des pierres précieuses. L’ensemble a été l’objet de nombreuses restaurations dont fait état Michaël Budde dans la notice qu’il a consacrée à cet autel. Là aussi des inscriptions viennent préciser les conditions de la réalisation de l’objet et sa fonction. Sur la face intérieure, une première inscription précise que l’autel est consacré à saint André, apôtre : “Hoc altare consecratum est in honore sancti andrae apostoli”. Une autre inscription placée sur le cadre de la partie supérieure de l’autel mentionne le commanditaire, Egbert de Trèves, la liste des reliques contenues dans l’objet et se termine par la formule d’anathème : “Hoc sacrum reliquiarum conditorium egbertus archiepiscopus fieri iussit et in eo pignora sancta servari constitutui clavum videlicet Domini et de sancti Petri de barba ipsius et de catena sandalium sancti andrae apostoli aliasque sanctorum reliquias quae si quis ab hac ecclesia abstulerit anathema sit” 24. Outre l’important décor ornemental présent sur l’ensemble de cet autel portatif, l’iconographie joue un rôle important pour l’intérêt de cet objet et pour comprendre la fonction des images sur ces autels portatifs du haut Moyen Âge. Mise à part l’incrustation d’une pièce de monnaie sur laquelle on a représenté le buste de l’empereur Justinien Ier, il faut souligner la présence du pied monumental sur la partie inférieure de l’autel. Ce pied sculpté offre un lien direct entre la relique de saint André et la fonction d’autelreliquaire de l’objet. Ce pied monumental doit également être mis en relation avec la signification de cette partie du corps humain telle qu’elle est donnée dans les textes bibliques comme par exemple cet extrait de l’épître aux Romains (10, 15) : “Et comment le proclamer Budde, op. cit. à la note 3, 35-47. Favreau, art. cit. à la note 2, p. 330.
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sans être renvoyé ? Aussi est-il écrit : qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles”. Ce lien entre le pied et l’annonce de l’évangile est présent sur l’autel portatif de saint André étant donné la présence des symboles des évangélistes sur les faces de cet autel. Ces figures classiques de l’iconographie chrétienne encadrent une représentation du lion qui est l’un des symboles fréquemment employés dans l’Antiquité et au Moyen Âge pour symboliser la figure du Christ 25. Selon différents auteurs, la combinaison des symboles des évangélistes et du lion symbolisant le Christ doit être considérée au même tire que n’importe quelle représentation de la Maiestas Domini. Sur l’autel portatif de Trèves, ces motifs iconographiques touchent à la fois la signification cosmologique, voire théophanique de ces images ainsi qu'à la portée du message des évangiles diffusé à travers le monde à partir de l'autel, considéré par l'exégèse comme une image de Jérusalem d'où le message des évangiles s'est répandu à travers le monde pour diffuser le message du Christ, autre image exégétique de l'autel. Le dernier autel portatif que je souhaite rapidement présenter est un des plus beaux objets liturgiques du haut Moyen Âge. Il s’agit de l’autel portatif conservé au Musée d’art de Gérone, réalisé à la fin du Xe siècle ou au début du XIe siècle en Catalogne (fig. 10) 26. Appartenant au type “planche” des autels portatifs, il est constitué d’une planche de bois recouverte d’une feuille d’argent travaillée au repoussé. Il mesure 13,9 cm sur 22,5 cm et son épaisseur est de 2,9 cm. L’autel portatif de Gérone a été trouvé au XIXe siècle dans une boîte en ivoire placée dans l’autel majeur de l’église en ruine de San Pere de Roda en Catalogne. Les faces supérieure et inférieure de l’autel présentent un décor abondant pour ce genre d’objets ainsi que de nombreuses inscriptions 27. Celles-ci évoquent la dimension eschatologique du règne du Christ dans l’éternité et mentionnent les donateurs de l’autel, un certain Josue et une femme nommée Elimburga : “Iosue et Elimburga fieri iusserunt”. Une autre inscription gravée cette fois sur la face inférieure permet l’identification du personnage représenté au centre d’une sorte de mandorle circulaire : “Iohannes evangelista”. Outre l’abondant décor ornemental principalement constitué de motifs végétaux, l’iconographie de l’autel portatif de Gérone montre 25 M. Angheben, “Les animaux stylophores des églises romanes apuliennes. Etude iconographique”, Bulletin du Centre international d’études romanes, 1998, p. 251-290. 26 Budde, op. cit. à la note 3, p. 50-53 et I. Lorès i Otzet, El monestir de Sant Pere de Rodes, Bellaterra, Barcelona, Girona, Lleida, 2002, p. 160-167. 27 Favreau, art. cit. à la note 2,p. 329.
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Fig. 10. Autel portatif, Gérone, Musée d’art de Catalogne.
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sur la face supérieure la répétition à quatre reprises de figures d’anges logées aux quatre angles de la plaque d’autel. En alternance avec ces anges, on remarque la présence de quatre représentations identiques de la figure du Christ dont la tête est placée dans un nimbe crucifère et située entre les lettres alpha et omega. Ces quatre représentations du Christ forment une croix inscrite dans le cadre de la table d’autel et constituent ainsi une allusion évidente au sacrifice du Christ sur la croix que l’on commémore au moment de la célébration de l’eucharistie. Les lettres alpha et omega placées entre les representations du Christ sont à mettre en relation avec le passage de l’Apocalypse : “Je suis l’alpha et l’omega dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant” (Apocalypse 1, 8). La présence des anges aux quatre angles de la table d’autel se réfère de son côté à un autre passage du texte johannique : “Après cela, je vis quatre anges debout aux quatre anges debout aux quatre coins de la terre. Ils retenaient les quatre vents de la terre, afin que nul vent ne souffle sur la terre, sur la mer ni sur aucun arbre” (Apocalypse 7, 1). Comme l’a à juste titre fait remarquer Michaël Budde, l’iconographie de la face supérieure de l’autel de Gérone est largement connotée d’une signification eschatologique liée aux fins dernières et destinée à inscrire la célébration de l’eucharistie dans la perspective de la rédemption par le sacrifice du Christ. L’importance du texte de l’Apocalypse dans l’iconographie de l’autel portatif de Gérone est confirmée par la présence de la figure de saint Jean sur la face inférieure de l’objet. Représenté de face dans une sorte de “mandorle-clipeus”, Jean tient dans sa main droite un livre – peut-être le livre de l’Apocalypse – qu’il plaque sur son buste. Ainsi, l’iconographie de l’autel portatif de Gérone combine harmonieusement des motifs de nature eucharistique et d’autres plus en relation avec la fin des temps et le thème plus général de l’eschatologie. Le thème de l’eschatologie en relation avec la représentation du Christ en majesté est parfois associé avec le thème de la Trinité comme c’est le cas sur un autel portatif du XIIe siècle conservé au palais épiscopal d’Andria dans la province de Bari 28. Le décor de cet autel insiste sur le dogme trinitaire dont on débattait encore beaucoup au XIIe siècle, à travers les représentations de la double Maiestas Domini – allusion probable à la double nature humaine et divine du Christ – et chacune comprise dans trois médaillons ornementaux que l’on peut lire comme des allusions visuelles au dogme trinitaire. L’une 28 Cf. S. Di Sciascio, “Una lettura iconografica trinitaria : l’altare portatile della cattedrale di Andria”, Arte cristiana, 805, 2001, p. 307-314.
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des Maiestas Domini de cet autel d’Italie du sud voit le buste du Christ flanqué de l’alpha et de l’omega – à l’instar des représentations du même thème sur l’autel portatif de Gérone – combinant ainsi harmonieusement l’image du dogme trinitaire, la représentation de la double nature du Christ et le thème de l’eschatologie 29. De façon générale, l’iconographie des autels portatifs – en particulier ceux realisés dans le haut Moyen Âge ainsi que certains des “autels portatifs-reliquaires” de la seconde moitié du Moyen Âge, propose une réflexion savante de type exégétique, théologique et liturgique sur la signification eschatologique de l’eucharistie. À cela vient s’ajouter la présence fréquente des saints – en relation avec les reliques contenues dans les autels – ou bien des motifs de nature politique – comme par exemple sur l’autel portatif de la comtesse Gertrude de Brunswick – permettant de souligner l’ancrage local de la production des autels portatifs. On soulignera aussi l’intérêt de la présence des symboles des évangélistes, souvent placés aux quatre angles de l’autel dont la signification touche au symbolisme des quatre points cardinaux et au modèle parfait de l’espace sacré, de la Jérusalem céleste, que représente de façon générale l'autel pour certains exégètes de la liturgie. À côté de l’intérêt de ces thèmes iconographiques présents sur les autels portatifs et leur signification théologique, liturgique voire politique, il faut souligner l’idée selon laquelle ces objets et leur décor ne représentent pas seulement des autels, des objets destinés à la célébration de la messe en plein air, mais aussi une image de la Jérusalem Céleste et du temple de Salomon, ainsi que l’indique explicitement la description de l’autel portatif fait réaliser par Adalbéron de Reims ou bien encore l’autel portatif de la Residenz de Munich avec son ciborium protégeant la table d’autel, et reproduisant en quelque sorte l’image du propitiatoire du temple de Salomon. Cet autel de Munich comme d’autres plus simples avec leur iconographie eucharistique, eschatologique et hagiographique, combinée harmonieusement avec leurs inscriptions, soulignent avec force l’idée que ces autels reproduisent l’espace liturgique du choeur de l’église avec l’autel fixe, le décor monumental peint ou sculpté où l’on retrouve les mêmes thèmes que sur les autels portatifs, certains des aménage Sur la relation entre le thème de la Maiestas Domini et la liturgie, voir désormais, P. Skubiszewski, “Maiestas Domini et liturgie”, Cinquante années d’études médiévales. A la confluence de nos disciplines, actes du colloque du cinquantenaire du CESCM, Poitiers, 2003, Turnhout, 2005, p. 309-408.
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ments liturgiques 30 – comme par exemple le ciborium-baldaquin – et même parfois les inscriptions dont on sait qu’elles contribuent – dans le choeur des églises comme sur les autels portatifs 31 – à la lecture du programme iconographique de l'espace de la célébration, de nature théologique et liturgique. Ainsi, il me paraît justifier de considérer ces autels portatifs et leur décor comme des “reproductions” miniatures, des “représentations” de l’église matérielle, du bâtiment consacré pour la célébration de la liturgie, qui se déplace partout dans le monde, dans la nature, afin de marquer concrètement, matériellement et symboliquement l’espace sacré de la nature par la présence de l’autel portatif et ainsi affirmer l’idée que l’Église est partout dans le monde à travers la multiplicité des espaces sacrés, celui de l’église consacrée mais aussi celui sacralisé par la présence de l’autel portatif lors de célébrations liturgiques sur ces lieux rituels temporaires. Dans ce sens, on peut considérer que le décor des autels portatifs contribuent, au même titre que les textes liturgiques ou bien les commentaires exégétiques, à affirmer l’idée selon laquelle ces objets sont une image à la fois matérielle et ecclésiologique de l’Église présente partout dans le monde.
30 U. Nilgen, “Die Bilder über dem Altar. Triumph- und Apsisbogenprogramme in Rom und mittelitalien und ihr Bezug zur Liturgie” Kunst und Liturgie im Mittelalter. Akten des internationalen Kongresses der Bibliotheca Hertziana und des Nederlands Instituut te Rome, Rom, 28.-30. September 1997, Munich, 2000, p. 75-89. 31 C. Treffort, “Inscrire son nom dans l’espace liturgique à l’époque romane”, Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 34, 2003, p. 147-160 et “Mémoires de choeurs. Monuments funéraires, inscriptions mémorielles et cérémonies commémoratives à l’époque romane”, Cinquante années..., cité à la note 29, p. 219-232.
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CONCLUSION L’eucharistie en mouvement : les objets liturgiques mobiles du Moyen âge et les autels portatifs À côté des autels portatifs destinés à la célébration de l’eucharistie en dehors de l’église consacrée, la liturgie chrétienne connait de nombreux autres objets liturgiques mobiles également destinés au déroulement des différents rituels de l’Église. Il ne peut être question dans le cadre de cette conclusion de dresser un inventaire complet de ces objets liturgiques dont la plupart, si ce n’est la totalité, est par nature mobile 1. Tel est aussi le cas pour l’autel portatif dont le type appartient néanmoins à une catégorie d’objet, l’autel, dont la majeure partie des exemplaires sont des autels fixes placés dans les choeurs, les collatéraux, les chapelles et bien d’autres “lieux liturgiques” spécifiques de l’église-bâtiment. L’Antiquité et le Moyen Âge chrétien ont aussi connu bien d’autres objets liturgiques mobiles que les autels portatifs. D'ailleurs, par définition, un objet liturgique est mobile. Pour ce qui les concerne, les autels portatifs sont non seulement mobiles par définition, au même titre que n’importe quel autre objet liturgique, mais leur mobilité concerne principalement, comme on a pu le voir tout au long de ce livre, leur utilisation dans l’espace sacré constitué précisément par leur présence, en dehors de l’espace consacré de l’église, dans des espaces et des lieux naturels. À plusieurs égards donc, l’autel portatif chrétien contribue au même titre que d’autres objets liturgiques à la réalisation de la perfomance liturgique, du déroulement du rituel pratiqué par le clergé en dehors ou à l’extérieur de l’église-bâtiment 2. Dans ce sens, on sait la sacralité accordée par la théologie médiévale aux objets liturgiques attribués à chaque membre de la hiérarchie ecclésiastique lors du rituel de l’ordination. En effet, selon la tradtion exégétique remontant à l’époque carolingienne, lors de la Traditio instrumentorum, le don de l’instrument liturgique par l’évêque à chaque nouvel 1 Voir entre autres P. Lasko, Ars sacra, 800-1200, Hardmonsworth, 1972, A. von Euw, “Liturgische Handschriften, Gewänder und Geräte”, Ornamenta ecclesiae, Kunt und Künstler der Romanik, I, Köln, 1985, p. 385-414. 2 Sur la notion de “performance liturgique” dans le haut Moyen Âge, je me permets de renvoyer à mon article, “The Performance of the Liturgy in the Early Middle Ages (600-1100)”, Cambridge History of Christianity, vol. 9, sous presse (2008).
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ordonné, c’est à la fois l’insigne d’une charge ecclésiastique et le symbole de la fonction liturgique du nouvel ordonné qui sont manifestés 3. Ainsi, au-delà de sa fonction strictement pratique, utilitaire, l’objet liturgique du Moyen Âge participe à la définition de la théologie de la liturgie ainsi qu’à la mise en place de l’ensemble du dispositif rituel dont ont besoin les rites pour être realisés et exprimer toute la dimension de l’ecclésiologie de la liturgie. Même s’il n’est pas question d’autels portatifs ou d’objets liturgiques au sens strict – bien que les bougies dont il est question puissent le cas échéant être assimilées à cette catégorie d' objets –, il me paraît opportun de rappeler ici la définition du rituel proposée par Raban Maur à l’époque carolingienne dans un extrait d’une homélie pour la dédicace de l’église et dont j’ai déjà souligné dans le premier chapitre la triple signification liturgique, théologique et ecclésiologique. : “Vous voici tous réunis mes chers frères, afin que nous puissions consacrer cette maison à Dieu (…). Mais ne ne pouvons le faire que si nous nous appliquons à devenir nous-mêmes un temple de Dieu, et nous employons à correspondre au rituel que nous cultivons en notre âme, en sorte que, à l’instar des murs décorés de cette église, des bougies allumées, des voix qui s’élèvent dans la litanie et dans la prière, des lectures et des chants, nous puissions mieux rendre grâce à Dieu : c’est pourquoi nous devrions toujours décorer les recoins secrets de notre âme des ornements essentiels des bonnes oeuvres, toujours laisser croître côte à côte la flamme de la charité divine et celle de la charité fraternelle, toujours laisser résonner à l’intérieur de notre coeur et la douceur sainte des préceptes divins et la gloire de l’Évangile. Ce sont là les fruits de l’arbre prospère, là le trésor d’un coeur bon, là les fondations d’un sage architecte, que notre lecture de l’Évangile sainte à recommandés à notre âme aujourd’hui…” 4. Dans ces directions soulignant les multiples dimensions de la défintion du rituel, il faut rappeler que les aménagements liturgiques des églises médiévales, aussi bien en milieu monastique, qu’épiscopal, papal ou bien encore presbytéral, mais avec néanCf. R. E. Reynolds, “Image and Text : The Liturgy of Clerical Ordination in Early Medieval Art”, Gesta, 22, 1983, p. 27-38 et É. Palazzo, L’évêque et son image. L’illustration du pontifical au Moyen Âge, Turnhout, 1999, p. 183 et ss. 4 Traduction française extraite du livre de M. Carruthers, Machina memorialis. Méditation, rhétorique et fabrication des images au Moyen Âge, Paris, 2002, p. 342 (texte latin dans PL. 110, col. 73-74), voir aussi ma contribution à paraître au colloque “Raban Maur et son temps”, Lille-Amiens, juillet 2006, “Raban Maur et la liturgie : État de la question et nouvelles perspectives”, sous presse. 3
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moins des différences certaines dans le faste déployé, était le plus souvent pensés en fonction de la nécessité d’exprimer par toutes les dimensions physiques, matérielles, sensorielles, la multidimensionnalité du rituel. Dans son remarquable livre judicieusement intitulé “Seeing Medieval Art”, Herbert Kessler a rappelé et démontré avec beaucoup de pertinence et de justesse la façon dont ce que les historiens modernes nomment “l’art médiéval”, comprenant à la fois l’architecture, le décor des manuscrits et l’ensemble des objets liturgiques, dont l’autel et les aménagements de ses abords, contribuait à la définition de l’espace à au sens matériel de l’église et sa signification ecclésiologique5. Revenons à présent aux autels portatifs et, de façon plus générale, aux objets liturgiques mobiles. Dans un récent article de synthèse, Jean-Pierre Caillet a dressé un inventaire presque complet des objets liturgiques destinés à la célébration de la liturgie dans l’église et constituant en quelque sorte l’environnement liturgique de l’autel, considéré à juste titre comme le pivot, l’axe central autour duquel s’organise le déroulement du rituel et les objets qui y participent et au sein duquel s'emboîte parfois un autel portatif 6. Parmi ces objets, citons entre autres, les vases sacrés et les calices, les croix, les candélabres, les livres liturgiques – dont j’ai déjà dit dans l’introduction qu’il fallait les considérer comme des objets liturgiques à part entière et 5 H. L. Kessler, Seeing Medieval Art, Peterborough, 2004, voir surtout les chapitres intitulés “Church” et “Performance”. A titre d’exemples voir aussi les contributions rassemblées dans Heiliger Raum. Architektur, Kunst und Liturgie in mittelalterlichen Kathedralen und Stiftskirchen, “Liturgewissenschaftliche Quellen und Forschungen 82”, Münster, 1998. Comme exemple d’une monographie consacrée à l’étude d’une cathédrale médiévale abordée sous tous ses aspects rituels, artistiques et esthétiques, on consultera avec profit La cathédrale de Bénévent, sous la direction de T. F. Kelly, “Esthétiques et rituels des cathédrales d’Europe”, Paris-GandAmsterdam, 1999. Dans le déroulement des “drames liturgiques”, mettant notamment en scène les principaux événements de la vie du Christ, on possède un bon autre exemple de ces aménagements multidimensionnels au service de la performance liturgique, cf. K. Young, The Drama of the Medieval Church, 2 vols., Oxford, 1933. 6 J.-P. Caillet, “L’arredo del altare”, L’arte medievale nel contesto (300-1300), Milan, 2006, p. 181-203. Pour une période précise, l’époque ottonienne, voir le bel article de V. H. Elbern, “Über die mobile Ausstattung der Kirchen in ottonischer Zeit”, Otto der Grosse. Magdeburg und Europa, Mainz, 2001, p. 305-326. M. Brandt, “Tragaltäre im Hochaltar. Ein Reliquienfund im Hildesheimer Dom”, Ars et Ecclesia, Festschrift für Franz Ronig, Trèves, 1989, p. 69-77. Sur les reliquaires, on pourra consulter la synthèse de M.-M. Gauthier, Les routes de la foi. Reliques et reliquaires de Jérusalem à Compostelle, Fribourg, 1983 ainsi que certaines contributions du volume Les reliques. Objet, cultes, symboles, Actes du colloque international de l’Université du Littoral-Côte d’Opale (Boulogne-sur-Mer), 4-6 septembre 1997, Turnhout, 1999, dont celle de A. Dierkens, “Du bon (et du mauvais) usage des reliquaires au Moyen Age”, p. 239-252. Voir aussi l’intéréssant petit volume, Irish Shrines and Reliquaries of the Middle Ages, Dublin, 1994.
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comme des “lieux spécifiques” de la liturgie -, les multiples types de reliquaires, les sceaux liturgiques, les peignes liturgiques, entre autres. Dans un article fort bien documenté, Élisabeth Frutieaux a souligné l’importance de la réflexion sur les matériaux utilisés dans la fabrication des calices du haut Moyen Âge pour comprendre leur signification symbolique basée sur une pensée théologique relativement proche de celle développée à propos des différentes matières employées dans la fabrication des autels portatifs 7. À côté de l’ensemble de ces objets spécifiquement destinés à la célébration de la liturgie, on doit également compter avec d’autres objets dans la mise en place du dispositif liturgique occasionné par certaines pratiques rituelles. Parmi ces autres objets, mentionnons tout particulièrement les “images rituelles” telles que les statues-reliquaires dont on sait qu’elles pouvaient, à certaines occasions, être le coeur d’un dispositif liturgique destiné à la vénération d’une figure hagiographique marquante et, dans certains cas, ce dispositif liturgique pouvait impliquer une forme de mobilité du culte et des objets utilisés à cet effet, par exemple, lors du déroulement de certaines processions avec des statues-reliquaires 8. Parmi ces images “liturgiques” d’un genre particulier qui, le cas échéant, participent à la mobilité du rituel lors de procession notamment, il faut encore mentionner les icônes dont le statut d’objet “sacré” par essence, par nature, a fréquemment donné lieu à la mise en place et au déroulement de rituels de dévotion à l’objet, à l’image, aux personnages sacrés représentés sur l’image 9. Dans d’autres rituels encore, tels que les “drames
E. Frutieaux, “Entre liturgie et sacralité. Enquête sur la nature et la fonction des calices durant le haut Moyen Age”, Revue d’histoire de l’Église de France, 85, 1999, p. 225-246. A propos des différentes pierres et matières précieuses utilisées dans la fabrication des objets liturgiques médiévaux, outre les travaux déjà mentionnés dans ce livre, on pourra également consulter avec profit, M . Campbell, “Gold, Silver and Precious Stones”, English Medieval Industries, Craftsmen, Techniques, Products, Londres, 1991, p. 107-166. 8 Voir par exemple l’ensemble du dossier des statues-reliquaires comme celle de sainte Foy de Conques, cf. J.-C. Schmitt, “La légitimation des nouvelles images autour de l’an mil”, Le corps des images. Essais sur la culture visuelle du Moyen Age, Paris, 2002, p. 167-198 (repris de “Rituels de l’image et récits de vision”, Testo e imagine nell’alto medioevo, Settimane di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo, XLI (15-21 aprile 1993), Spoleto, 1994, p. 419-459). 9 Cf. H. Belting, Image et culte, Paris, 1988. Voir aussi les excellentes contributions du catalogue de l’exposition tenue durant l’hiver 2006 au Musée Getty à Los Angeles, Holy Image. Hallowed Ground. Icons from Sinai, The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, 2006. Sur la relation entre l’image et la notion de signe iconique, cf. H. Belting, La vraie image, Paris, 2007, p. 165-207. Ce même auteur a exploré de façon suggestive la relation complexe entre le lieu et les images, Pour une anthropologie des images, Paris, 2004, p. 77-117. Sur ce thème 7
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liturgiques” 10 ou bien encore les rituels de funérailles des souverains anglais dans la seconde moitié du Moyen Âge pour lesquels on utilisait pour représenter l’effigie du souverain défunt un mannequin de cire, de bois ou de cuir deposé sur le catafalque 11, mettent en scène des objets non spécifiquement liturgiques, comme les statues-reliquaires et les icônes, mais qui contribuent pleinement à la dimension performative du rituel. Tous les objets auxquels je viens de faire allusion, avec leur forme, leur matière, leur statut particulier, participent, comme les autels portatifs, à la création de l'espace du rituel, à la création de cet “espace sacré” et de son organisation liturgique. Je reviendrai dans un instant sur la différence majeure entre tous ces objets et les autels portatifs qui concerne le fait que ces autels “représentent” pleinement et à eux seuls l’espace du rituel dans son intégralité du fait du symbolisme liturgique et théologique accordé à cet objet tandis que les autres objets ne constituent qu’une partie de cet “espace”, ou, plus exactement ne font que participer à sa mise en place et à sa définition. Au contraire de cela, les autels portatifs sont cet “espace” rituel et sacré à la fois tout en étant aussi un objet participant à la mise en scène de pratiques liturgiques. Avant de développer cette idée, j’ajoute que tous les objets dont il a été question précédemment, ainsi que les autels portatifs, sont par nature mobiles et utilisés dans des rituels impliquant, à certains moments en tous cas, une forme de mobilité liturgique, voire d’itinérance, comme par exemple lors des processions 12 ou bien encore dans le déroulement des missions évangélisatrices du haut Moyen Âge auxquelles j’ai à plusieurs reprises fait allusion dans ce livre 13. A certaines autres occasions cependant, ces objets – même les autels portatifs – acquièrent voir aussi J.C. Schmitt, “De l’espace aux lieux: les images médiévales”, Construction de l’espace au Moyen Âge: Pratiques et représentations, Paris, 2007, p. 317-346. 10 K. Young, The Drama of the Medieval Church, 2 vols., Oxford, 1933. 11 C. Ginzburg, “Représentation. Le mot, l’idée, la chose”, A distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire, tr. fr., Paris, 2001, p. 73-88. Sur les objets sculptés en cire au Moyen Age et leur utilisation rituelle, F. Bisogni, “La scultura in cera nel Medioevo”, Iconografia, I, 2002, p. 1-15. 12 Sur le rôle central tenu par certains objets liturgiques dans le déroulement des processions, voir par exemple les reliquaires du Saint-Sacrement placés au coeur du dispositif liturgique mobile, itinérant et mis en place lors du déroulement des processions de la FêteDieu, du Corpus Christi, cf. M. Rubin, Corpus Christi. The Eucharist in Late Medieval Culture, Cambridge, 1991. Sur les images du Corpus Christi, voir aussi Belting, La vraie image, Paris, 2007, p. 119 et ss. 13 M. Parabiaghi, “Pitture ed apparato di culto nelle opere del Venerabile Beda”, Ecclesia Orans, 4, 1987, p. 203-234.
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une dimension qui touche à leur fonction mémoriale, au sens à la fois matériel et spirituel, et qui s’exprime cette fois dans une sorte de “fixité” matérielle et spirituelle lorsque ces objets sont deposés dans les trésors d’églises, dans ce “lieu” de la mémoire par excellence où ils ne sont plus mobiles mais fixes, statiques, comme figés dans une sorte d’immobilité contrastant avec leur mobilité “naturelle” dans le cadre des célébrations litugiques auxquelles ils participent, car ils sont là – dans ce “lieu” particulier qu'est le trésor – destinés à ancrer la mémoire d’un lieu ou d’un personnage par le regroupement d'objets dans le trésor 14. La valeur sacrée et/ou mémoriale de ces objets peut également exister en dehors de leur présence dans un trésor ou dans leur utilisation rituelle et s’exprimer par exemple à travers le statut d’objets-reliquaires ou d’amulettes, comme on le constate à propos de certains livres ayant appartenus à tel ou tel saint 15. Enfin, des circonstances relatives à la christianisation de certains objets issus de cultures autres telles que l’Islam ou la culture romaine ont également rendu possible un processus de conversion au christianisme d’objets rituels à des fins essentiellement mémoriale 16. Comme je l’ai rappelé plus haut, l’autel portatif chrétien de l’Antiquité et du Moyen Âge est un objet liturgique particulier dont plusieurs aspects de la spécificité permettent de le distinguer des autres 14 B. Bischoff, Mittelalterliche Schatzverzeichnisse. Von der Zeit Karls der Grossen bis zur Mitte des 13. Jahrhnuderts, I, Munich, 1967. É. Palazzo, “Le livre dans les trésors du Moyen Age. Contribution à l’histoire de la Memoria médiévale”, Annales HSS, 1997, p. 93-118 et “Arts somptuaires et liturgie : le testament de l’évêque d’Elne”, Riculf (915)”, Retour aux sources. Textes, études et documents d’histoire médiévale offertes à Michel Parisse, Paris, 2004, p. 711-717. Sur ces objets, les inscriptions jouent souvent un rôle majeur dans la définition de leur statut “mémorial”, cf. C. Treffort, “Objets d’art et inscriptions romanes : les enjeux d’une enquête croisée”, Regards sur l’objet roman, Actes du colloque de l’Association des conservateurs des antiquités et objets d’art de France, Saint-Flour, 7-9 octobre 2004, Paris, 2005, p. 109-114 et, pour les inscriptions des autels portatifs, R. Favreau, “Les autels portatifs et leurs inscriptions”, Cahiers de civilisation médiévale, 46, 2003, p. 327-352. 15 J. Vezin, “Les livres utilisés comme amulettes et comme reliques”, Das Buch als magisches und als Repräsentationsobjekt, “Wolfenbütteler Mittelalter-Studien 5”, Wiesbaden, 1987, p. 101-115. A titre de comparaison avec la culture chrétienne, on pourra consulter l’intéressant article de F.B. Flood sur la valeur apotropaïque des amulettes et autres talismans dans l’Islam médiéval, “Image against Nature : Spolia as Apotropaia in Byzantium and the dar-Islam”, The Medieval History Journal, 9, 1, 2006, p. 143-166. 16 Cf. P. Buc, “Conversion of Objects”, Viator, 28, 1997, p. 99-143. Ce phénomène de christianisation d’objets mobiles à des fins d’assimilation ou d’acculturation culturelle à été bien étudié pour les objets issus de la culture islamique et déposés dans les trésors médiévaux, A. Shalem, Islam Christianized. Islamic Portable Objects in the Medieval Church Treasuries of the Latin West, “Beiträge und Studien zur Kunstgeschichte 7”, Frankfurt-am-Main, Berlin, Bern, New York, Paris, Wien, 1998.
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objets liturgiques chrétiens. En effet, l’autel portatif permet la célébration de l’eucharistie en dehors de l’espace consacré de l’église et pour des circonstances liturgiques nécessitant l’usage spécifique de cet objet. À travers les rituels pour lesquels il est destiné, son rituel de consécration, son exégèse et sa théologie, ainsi que, par certains côtés, par le discours élaboré par les canonistes et, de façon plus générale par le clergé à travers la littérature hagiograpique par exemple, l’autel portatif peut être considéré comme une “image” de l’Église qui se déplace à travers le monde, qui prend possession de son territoire par la célébration de l’eucharistie ailleurs que dans l'église-bâtiment. Dans ce sens, la pensée médiévale fait de l’autel portatif non seulement un objet destiné à la mise en place du dispositif liturgique pour le déroulement de la messe en plein-air, mais elle lui accorde surtout une puissante valeur mimétique qui touche à la volonté de voir, à travers l’autel portatif, une “image”, une “représentation” de l’église au double sens matériel et spirituel, voire ecclésiologique 17. L’ensemble du matériel exposé dans ce livre, qu’il soit de nature textuel, archéologique ou iconographique, montre la volonté de la théologie chrétienne de penser l’espace sacré de l’Église non seulement à partir de l’espace consacré de l’église-bâtiment, mais aussi en considérant l’espace infini, compris au-delà des murs de l’église et marqué par la présence de l’autel portatif lors de la célébration de rituels dans la nature. Ainsi, l’autel portatif permet la sacralisation de l’espace non consacré, tout en étant une “image”, une “représentation” de l’église matérielle, en miniature et qui se transporte à l’extérieur de ses murs. Il est un symbole de l’Église universelle répandue à travers le monde, à l’image de la Jérusalem céleste à venir.
17 Cette notion de “représentation” appliquée ici à l’autel portatif consiste principalement à souligner la valeur mimétique de l’objet, “image” de l’Église au sens matériel comme ecclésiologique, et reprend des catégories de pensée exposées par Carlo Ginzburg dans son article cite à la note 11. Cette valeur mimétique accordée à la “représentation” dans la liturgie médiévale peut également s’appliquer aux “images” et aux “représentations” mises en place et intervenant dans le déroulement des “drames liturgiques” qui ne font en réalité que “reproduire” non pas tellement la réalité des événements de la vie du Christ mais plutôt les idées de l’exégèse chrétienne à propos de ces événements à travers les “images” développées lors de ces rituels; cf. C. Petersen, Ritual und Theater. Messealegorese, Osterfeier und Osterspiel im Mittelalter, Tübingen, 2004. Dans le même esprit, on pourra aussi consulter, C. Dörrich, Poetik des Rituals. Konstruktion und Funktion politischen Handelns in mittelalterlicher Literatur, Darmstadt, 2002. Or, le processus décrit pour les “drames liturgiques” s’avère je crois tout à fait pertinent pour les autels portatifs dans la mesure où ils expriment symboliquement certaines idées centrales de la théologie et de l’exégèse sur l’espace sacré chrétien tout en participant pleinement à la réalisation de rituels spécifiques.
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Épilogue Les différents chapitres de ce livre ont montré que cette idée essentielle, l’autel portatif, “image” de l’Église, reposait pour une large part sur l'interprétation exégétique et théologique des textes bibliques relatifs à l'autel et à la définition du lieu rituel et, par extension à celle de l'espace sacré. Les textes liturgiques de consécration de l'autel portatif, de même que la forme, la matière et l'iconographie développée sur les objets conservés, ont amplement servi de relais au discours théologique où s'est élaborée la signification symbolique de l'objet. À côté de cela, on a vu la façon dont les pratiques liturgiques nécessitant l'usage de l'autel portatif tout au long de l'Antiquité et du Moyen Âge, soulignaient à la fois ses fonctions “pratiques”, “utilitaires” tout en prenant en considération et en intégrant l'ensemble des données relatives à sa forte et puissante signification symbolique et théologique. L'autel portatif chrétien se révèle être une parfaite illustration, de nature à la fois liturgique et théologique, de la définition que le Moyen Âge a accordé au concept de “locus” et jadis pertinemment rappellée par Paul Zumthor : “Les langues romanes ont toutes hérité du latin locus ou (comme l'espagnol et le portugais) de l'un de ses dérivés : les termes qui en proviennent désignent l'emplacement d'un objet déterminé” 18. Dans ce sens, l'autel portatif apparaît comme le “locus” par excellence contenant et concentrant le sacré qu'il diffuse symboliquement autour de lui lors de la célébrations de rituels qui prennent très majoritairement place dans la nature, ou tout au moins, en plein air 19. J'ai essayé de montrer dans ce livre que la théologie médiévale considérait l'autel portatif, à partir de toutes ses composantes, comme une “image”, une “représentation” de l'Église, dans sa double acception matérielle et spirituelle, ainsi qu'une image du Christ. Dans l'Antiquité et le haut Moyen Âge, l'exégèse développe à propos de l'autel en général et de l'autel portatif en particulier une théologie à la fois ecclésiologique et christologique. Ainsi, durant les célébrations liturgiques de plein air, l'autel portatif est le “locus” du sacré et défini en même temps le “lieu rituel” et l'espace sacré, celui de l'Église amenée à se répandre partout dans le monde. La présence de l'autel portatif sur le lieu du déroulement de la liturgie rend possible un double phénomène de consécration et de sacralisation de l'espace. Le plus souvent, cet espace est celui de la nature et l'on peut ainsi légitimement se demander si, l'une des fonctions symboliques de l'autel portatif ne résiderait pas aussi dans le rôle P. Zumthor, La mesure du monde, Paris, 1993, p. 51. À propos de la définition du sacré au Moyen Age, J.-C. Schmitt, “La notion de sacré et son application à l’histoire du christianisme médiéval”, Le corps, les rites, les rêves, le temps. Essais d’anthropologie médiévale, Paris, 2001, p. 42-52. 18 19
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conclusion qu'il peut tenir dans le processus de rédemption de la nature, créée par Dieu, mais profanée par la chute originelle. L'espace consacré et sacralisé par la présence de l'autel portatif lors du déroulement de rituels spécifiques - le “locus” où le sacré se trouve concentré et prêt à se diffuser à partir de ce “point” - ne présente pas de limite à proprement parler. En effet, d'une part, l'autel portatif diffuse du sacré, rendant ainsi possible l'extension sans limite de l'Église dans toutes les parties du monde. D'autre part, je crois que la question de la limite de l'espace consacré et sacré, créé par la présence de l'autel portatif ne se pose pas dans la mesure où la conception symbolique de cet objet fait porter l'accent sur la notion de point focal, sur le “locus” et son rapport dynamique, et non pas limité, à l'espace. Ainsi, le “site cérémoniel” - pour reprendre l'expression et le concept élaboré par Jean-Yves Hameline 20 – au coeur duquel se trouve placé l'autel portatif est à la fois, symboliquement, un espace dynamique et en expansion car consacré et sacralisé par la présence de l'objet lui-même (le “locus”), symbole de l'Église au double sens matériel et spirituel, et un espace contenu dans les limites précises qui lui sont imposées par la mise en scène pratique, concrète, des rituels qui s'y déroulent. En d'autres, termes, la dimension spatiale définie par l'autel portatif au moment du déroulement des rituels se trouve bel et bien limitée par la performance liturgique et les limites concrètes, réelles de sa mise en scène. Mais, à côté de cela, il faut rappeler l'idée essentielle selon laquelle cette même dimension spatiale est symboliquement illimitée car l'autel portatif est le “locus” du sacré amené à se diffuser et à irradier dans l'espace de l'Église, au moment même du déroulement des rituels liturgiques avec l'autel portatif. Enfin, ce phénomène de consécration et de sacralisation de l'espace rituel à partir de ce “locus” spécifique qu'est l'autel portatif repose essentiellement sur la façon dont le christianisme à considérer cet objet. En effet, l'autel portatif est un exemple parfait de la théorie chrétienne du “signum” définie, d'une part, à partir de la combinaison harmonieuse du matériel et du spirituel, et, d'autre part, selon sa valeur cognitive 21. La matérialité de l'autel portatif – ou même sa “choséité” pour reprendre l'expression utilisée par Jean-Claude Bonne 22 – constitue une dimension fondamentale pour sa signification symbolique, au même titre que le discours théologique qui repose essentiellement sur l'idée que l'autel J.-Y. Hameline, Une poétique du rituel, Paris, 1997, p. 100 et ss. N. Staubach, “Signa utilia – signa inutilia. Zur Theorie gesellschaftlicher und religiöser Symbolik bei Augustinus im Mittelalter”, Frühmittelalterliche Studien, 36, 2002, p. 19-49. Sur la valeur intrinsèquement cognitive du signe dans la culture médiévale, voir le très suggestif exposé d’I. Rosier-Catach, La parole efficace. Signe, rituel, sacré, Paris, 2004, p. 481-491. 22 J.-C. Bonne, “Entre l’image et la matière : la choséité du sacré en Occident”, Les images dans les sociétés médiévales : pour une histoire comparée, Actes du colloque international, Rome, 1998, Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, LXIX, 1999, p. 77-111. 20 21
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portatif est une “image” de l'Église matérielle et spirituelle. À plusieurs égards, l'autel portatif reflète l'ecclésiologie de la liturgie chrétienne dans l'Antiquité et au Moyen Âge23.
Le symbolisme cosmologique de l’autel portatif se retrouve dans d’autres cultures comme chez les Dogons en Afrique qui utilisent ces objets pour certains sacrifices. Les autels portatifs sont fabriqués à partir de fragments de l’univers dont ils constituent un résumé. Cf. L. De Heusch, Le Sacrifice dans les religions africaines, Paris, 1986, p. 268.
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LISTE DES ILLUSTRATIONS Fig. 1 : Bénédiction de l’autel portatif, Paris, BNF, lat. 17336, fol. 93v Fig. 2 : Reconstitution par Marie-Thérèse Gousset de l’autel portatif d’Adalbéron de Reims Fig. 3 : Célébration de la messe par saint Erhard, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 13601, fol. 4r Fig. 4 : Autel portatif de saint Cuthbert, Durham, trésor de la cathédrale Fig. 5 : Autel portatif de la comtesse Gertrude de Brunswick, Cleveland, Museum of Art Fig. 6 : Autel portatif d’Adelhausen, Fribourg (Allemagne), Musée des Augustins Fig. 7 : Autel portatif d’Arnulf, Munich, trésor de la Residenz Fig. 8 : Autel portatif, Paris, Musée de Cluny Fig. 9 : Autel portatif d’Egbert de Trèves, Trèves, trésor de la cathédrale Fig. 10 : Autel portatif, Gérone, Musée d’art de Catalogne
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INDEX DES NOMS DE PERSONNES Acca d’Hexham, 137, 162 Adalbéron de Reims, 46, 47, 48, 125, 126, 129, 130, 158, 159, 179 Adelaïde, 165 Adomnan, 79 Alain de Lille, 39 Albrecht d’Halberstadt, 138 Amalaire de Metz, 27, 56, 129, 159 Anselme de Laon, 126 Arculfe, 79 Arnulf, 147, 169 J. Assemani, 5 Saint Athanase, 76 Atton de Verceil, 29, 63 Saint Augustin, 43, 76, 77, 82, 93 Bède le Vénérable, 124, 136, 137, 138, 139 Bégon, 165 Saint Blaise, 173 Burchard de Worms, 28, 135 Cassiodore, 49 Ceolfrith, 138 Charlemagne, 88, 120, 134, 135 Charles le Chauve, 169, 170 Conrad d’Augsbourg, 143, 145 Constantin, 165 Saint Cuthbert, 160, 162, 165 Saint Cyprien, 72, 73, 75 Decentius de Gubbio, 45 Egbert de Trèves, 175 Egerie, 78, 79, 80
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Elimburga, 176 Saint Erhard, 145, 146, 170 Ethelwold, 147 Sainte Foy, 165 Garsias, 128 Gattico, G.-B., 5, 6 Gerhard d’Augsbourg, 142 Gertrude de Brunswick, 158, 165, 166, 179 Grégoire X, 91 Grégoire XI, 140 Grégoire de Nazianze, 72 Guillaume du Bec, 126 Guillaume, comte de Hainaut, 140 Guillaume Durand, 27, 58, 62, 92, 117, 121, 122 Henri II, 158 Hélène, 165 Hilaire Ier, 78 Hildegarde de Bingen, 110 Hincmar de Reims, 122, 123, 135 Honorius III, 152 Hugues de Saint-Victor, 17 Huguccio, 132, 133 Ignace d’Antioche, 72, 81 Innocent Ier, 45, 46 Innocent III, 60, 90 Innocent IV, 91 Isidore de Séville, 25 Jean Bar Algari, 78
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Rupert de Deutz, 58, 122, 157
Jean Beleth, 22, 26, 56 Jean Chrysostome, 72 Josue, 176 Justinien, 22, 26, 175
Serennus de Marseille, 36 Sicard de Crémone, 19, 22, 26, 58, 122 Sigismond, 165 Simon de Durham, 137 Sylvestre Ier, 78 Syxte III, 78
Saint Louis, 140 Dom Edmond Martène, 95 Maximien, 76 Minutius Felix, 74
Tertullien, 73 Theodulf, 63, 128, 130, 131, 132 Théophile, 157
Odilon de Cluny, 44 Oliba, 128 Origène, 74 Optat de Milève, 75
Uta de Niedermünster, 145 Vernet, Horace, 136
Paulin de Nole, 82 Pépin le Bref, 88 Petronax, 149, 150 Pierre Damien, 28, 50, 145 Pierre le Vénérable, 141, 148
Walafrid Strabon, 27, 28, 53, 56, 65, 98, 129 Saint Wulframm, 136 Saint Wulfstan, 135
Raban Maur, 19, 20, 30, 35, 36, 38, 57, 60, 61, 62, 65, 122, 182 Richer de Reims, 125, 126, 129, 158, 159
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INDEX DES NOMS DE LIEUX Adelhausen, 166 Agrigente, 166 Andria, 178 Aquitaine, 148 Augsbourg, 142
Jérusalem, 129, 166
Bari, 178 Abbaye du Bec, 126 Belle-Ile, 139 Bethléem, 79 Bourgogne, 165 Bouvines, 136 Bretagne, 139 Brunswick, 165
Mayence, 90, 166, 167 Mere, 120 Metz, 147, 169 Milan, 167 Mont-Cassin, 149, 150, 151 Mouzon, 47
Cluny, 44, 45, 151 Cherson, 80 Conques, 165 Saint-Michel-de-Cuxa, 128
Orléans, 63, 128, 130, 131
Darmouth, 139 Deverel, 120 Durham, 160
Ratisbonne, 145, 146, 147, 148, 169, 170 Reims, 46, 48, 122, 123, 147, 169, 170 Roda, San Pere, 176 Rome, 5, 20, 45, 81, 88, 138
Epaone, 76, 82, 121, 123, 134 Fribourg, 166 Frise, 136 Fulda, 171 Galilée, 79 Gaule, 45, 88 Gellone, 95, 97, 98, 99, 101, 110 Germigny-des-Prés, 128
La Rochelle, 139 Lindisfarne, 162 Livias, 80
Novare, 5
Palestine, 45, 79 Poitou, 148
Saint-Denis, 135 Saint-Gall, 48 Saint-Jacques-de-Compostelle, 45 Saint-Riquier, 46 Sens, 136 Trèves, 30
Halberstadt, 138 Horningshem, 120
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Urgell, 37
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Winchester, 147 Worcester, 135
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TABLES DES MATIÈRES Avant-propos
VII
INTRODUCTION
1
Brève historiographie des recherches sur l'autel chrétien
1
L'espace sacré et les autels portatifs. Bilan historiographique
4
Organisation et objectifs de l'ouvrage
8
CHAPITRE I : LE CONCEPT D'ESPACE DANS LE CHRISTIANISME DE L'ANTIQUITÉ ET AU MOYEN ÂGE Bilan historiographique des recherches sur l'espace dans l'Antiquité et au Moyen Âge
13 .13
Espace, lieu, sacré, rituel : les enjeux conceptuels du vocabulaire chrétien de l'Antiquité et du Moyen Âge 24 Le lieu de culte, l'espace sacré et les rituels de l'autel portatif : définition des concepts et cadre problématique 31 44
En guise de conclusion
49
CHAPITRE II : LES AUTELS ET L'ESPACE SACRÉ DANS LA BIBLE
51
Les autels et l'espace sacré dans l'Ancien Testament
52
Le récit du songe de Jacob : théologie du lieu rituel et de l'espace sacré
53
Théologie de l'espace sacré et du lieu de culte dans les autres principaux modèles d'autels de l'Ancien Testament 59
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La conception chrétienne du lieu rituel et sa dilatation spatiale
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tables des matières
Les autels dans le Nouveau Testament : vers une théologie christologique de l'espace sacré et du lieu de culte
67
CHAPITRE III : L'AUTEL CHRÉTIEN DANS L'ANTIQUITÉ. THÉOLOGIE, LITURGIE, DROIT CANON
71
L'autel fixe et unique au service de la théologie chrétienne
71
La matière des autels chrétiens dans l'Antiquité
74
L'espace sacré et le lieu rituel de plein air dans l'Antiquité
78
CHAPITRE IV : LA LITURGIE DE LA DÉDICACE DE L'ÉGLISE, DE LA CONSÉCRATION DE L'AUTEL ET DE L'AUTEL PORTATIF AU MOYEN ÂGE 85 Histoire et théologie de la dédicace de l'église, de la consécration de l'autel et de l'ordo de consécration de l'autel portatif
86
Histoire, théologie et anthropologie du rituel de la consécration de l'autel portatif 94 En guise de conclusion
118
CHAPITRE V : L'AUTEL PORTATIF AU MOYEN ÂGE : USAGES, FONCTIONS LITURGIQUES ET SYMBOLISME EXÉGÉTIQUE 119 Exégèse, théologie et législation canonique de la liturgie de l'autel portatif dans le haut Moyen Âge
119
Les rituels de l'autel portatif au Moyen Âge
135
CHAPITRE VI : LE DÉCOR ET L'ICONOGRAPHIE DES AUTELS PORTATIFS. EXÉGÈSE VISUELLE ET THÉOLOGIE DE L'ESPACE SACRÉ 153 L'autel portatif et son décor. L'apport de Joseph Braun et de Michaël Budde
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tables des matières
Le décor et l'iconographie des autels portatifs du haut Moyen Âge CONCLUSION
156 181
L'eucharistie en mouvement : les objets liturgiques mobiles du Moyen Age et les autels portatifs
181
Épilogue
188
Bibliographie
191
Liste des illustrations
197
Index des noms de personnes, des noms de lieux 199
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