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LA QUESTION DE LA « SACERDOTALISATION » DANS LE JUDAÏSME SYNAGOGAL, LE CHRISTIANISME ET LE RABBINISME
Judaïsme ancien et origines du christianisme Collection dirigée par Simon Claude Mimouni (EPHE, Paris) Équipe éditoriale: José Costa (Université de Paris-III) David Hamidovic (Université de Lausanne) Pierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa – EPHE, Paris)
LA QUESTION DE LA « SACERDOTALISATION » DANS LE JUDAÏSME SYNAGOGAL, LE CHRISTIANISME ET LE RABBINISME Colloque international Université Laval, Québec, Canada 18 au 20 septembre 2014
sous la direction de
Simon C. M imouni et Louis Painchaud
2018
Cover illustration: Il martirio di San Giacomo minore. Per gentile concessione della Procuratoria di San Marco. Archivio Fotografico della Procuratoria di San Marco.
© 2018, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2018/0095/21 ISBN 978-2-503-57777-7 e-ISBN 978-2-503-57778-4 10.1484/M.JAOC-EB.5.114139
AVANT-PROPOS Simon C. Mimouni et Louis Painchaud Contrairement à ce que l’on pense de manière habituelle, la destruction du temple de Jérusalem en 70 n’a pas conduit à la disparition du sacerdoce et des sacrifices. Ceux-ci prennent alors de nouvelles dimensions et significations selon les tendances politiques et religieuses du peuple judéen en Palestine comme en Diaspora. Le sacerdoce et les sacrifices paraissent avoir été, vers la fin du Ier siècle et le IIe siècle, au centre des conflits entre Judéens chrétiens, Judéens synagogaux et Judéens rabbiniques de diverses convictions et au cœur des constructions de ces diverses entités religieuses – conflits qu’on semble retrouver, par exemple, dans l’Épître aux Hébreux et l’Apocalypse de Jean, qui sont de la deuxième moitié du Ier siècle, dans IV Esdras, II Baruch et III Baruch, qui sont de la fin du Ier siècle ou du début du IIe siècle, mais aussi dans bien d’autres textes du IIe siècle comme l’Homélie pascale de Méliton de Sardes, l’Évangile de Philippe ou l’Évangile de Judas. Autrement exprimé, le temple semble être dorénavant plutôt virtuel que réel entre 70 et 132 : il s’agira de voir comment/pourquoi/quand cette institution, alors qu’elle ne paraît plus officiellement exister, est devenue un enjeu majeur dans les processus de légitimation mis en œuvre de manière plus ou moins contrastée par chacune des trois grandes tendances. C’est pourquoi cette proposition de recherche, porte sur l’appropriation et la transformation contrastées, voire conflictuelles, du temple, du sacerdoce et des sacrifices entre Judéens chrétiens, Judéens synagogaux et Judéens rabbiniques et à l’intérieur même de ces groupes ou mouvances. Elle se justifie amplement : c’est en effet une approche nouvelle, jamais mise en avant précédemment même si elle est déjà perceptible chez certains critiques anglo-saxons qui, depuis quelques années, parlent de « priestlization » et de « sacerdotalization ». Par ailleurs, le concept de « Templelization » dans le monde anglosaxon, de « Templisierung » en Allemagne ou de « pensée du temple » en France étudie la métaphorisation du sanctuaire et ses adjuvants dans la littérature judéenne toutes tendances confondues (y compris chrétiennes), mais n’articule pas ces constations littéraires avec les groupes sociaux et religieux anciens et émergents. Le judaïsme sacerdotal, c’est-à-dire avec temple ou tabernacle, sacrifices et sacerdoce, paraît être à l’origine du judaïsme synagogal qui se recompose après 70 en Palestine, face aux rabbins et aux chrétiens qui sont encore
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PRÉSENTATION
des mouvements minoritaires et interstitiels. Il est d’ailleurs relativement influent avant comme après 70. Le judaïsme synagogal semble ainsi avoir spiritualisé le temple et les sacrifices comme les chrétiens mais, à la différence des rabbins, qui ont apparemment refusé une telle spiritualisation. De fait, les synagogaux et les chrétiens pourraient bien avoir valorisé plus les croyances que les pratiques, alors que les rabbins se seraient concentrés plus sur les pratiques que sur les croyances. C’est ainsi que toute une littérature « mystique » paraît avoir été développée par des élites intellectuelles et spirituelles, sans doute constituées pour une large part par des membres de la classe des prêtres relevant aussi bien du judaïsme synagogal que du judaïsme chrétien. Ce que l’on appelle aujourd’hui la littérature des Heikhalot comme celle des Apocalypses, postérieures à 70, pourraient en effet relever, pour une large part, du judaïsme synagogal qui met au centre de tout son culte non pas la synagogue, comme on l’a pensé, mais le « temple » à travers les palais et les révélations. C’est ainsi que, par exemple, pour ce qui concerne la littérature apocalyptique et gnostique, la symbolique du temple occupe une place centrale dans des textes aussi différents que l’Apocalypse de Jean, qu’on ferait mieux d’intituler l’Apocalypse de Jésus le Messie (Ap 1, 1) de Jean de Patmos et l’Évangile de Judas. Jean de Patmos, prophète judéen de Jésus le Vivant, lie au centre de sa révélation (Ap 11) la « mesure » du temple et la destruction de la cité sainte d’une part et la crucifixion de Jésus d’autre part, comme les deux faces d’un seul événement inaugurant les temps eschatologiques. Ces temps s’accomplissent dans la destruction de la Jérusalem souillée représentée par Babylone, la grande prostituée écarlate, et l’avènement de la fiancée de l’Agneau, la Jérusalem nouvelle, cité temple où n’entrera nulle souillure (Ap 21 ,27). Refusant une sacerdotalisation perçue comme une continuation du culte du temple de Jérusalem, l’Évangile de Judas oppose pour sa part deux images contrastées de temples célestes. La première, inspirée de descriptions du temple de Jérusalem et de son culte sacrificiel, met en scène des prêtres iniques trompant leurs fidèles et trahissant l’enseignement de Jésus (EvJud 37, 20-41 ,9) ; la seconde, d’où sacerdoce et sacrifices sont absents, décrit sobrement la demeure céleste de la génération sainte, une demeure interdite à quiconque n’appartient pas à cette génération (EvJud 44, 18-46,4) C’est dans le judaïsme synagogal qu’il semblerait donc possible de situer l’origine de la littérature mystique des Heikhalot et des Apocalypses qui se développe après 70 – une littérature dont la mise en contexte historique a toujours été difficile et incertaine. La littérature dite « gnostique » dans son extrême diversité, qui relève pour une large partie du judaïsme chrétien, est aussi à percevoir à partir de ce mouvement intellectuel et spirituel. Il va sans dire que pour ces judaïsmes, synagogal et chrétien, aux accents
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mystiques bien marqués, il est possible de localiser le temple soit sur la terre, soit dans les cieux, ou bien dans l’imaginaire spiritualisant. Les recherches récentes montrent qu’on commence à mieux cerner les élites intellectuelles du judaïsme synagogal qui présentent des tendances à la fois messianiques, puisqu’elles espèrent la restauration du temple et des sacrifices, et mystiques, puisqu’elles compensent l’absence de ces institutions par des transferts extatiques et la contemplation au ciel de ce qui n’est plus sur terre. C’est avec cette clef qu’on propose de relire toute la littérature dite mystique (les Heikhalot) et dite apocalyptique (les Apocalypses). On peut aussi se demander si ces élites n’ont pas fonctionné, dans une sorte d’exil intérieur, sur un calendrier solaire de 364 jours et non luni-solaire de 365 jours. Dans l’état actuel des recherches, qui sont en plein bouleversement, un point paraît assuré : ces élites ont été proches du judaïsme synagogal et éloignées du mouvement rabbinique, mais elles ont été aussi en conflit avec le mouvement chrétien dont elles étaient peut-être plus proches qu’on ne le croit généralement, notamment sur la question du sacerdoce et des sacrifices – en un mot sur le temple. Le thème de la shekhinah va dans ce sens : comme l’a proposé José Costa, dans un article à paraître, il a été développé par le judaïsme synagogal avant d’être récupéré par le mouvement rabbinique – si tant est qu’il l’ait été réellement. Dans ces conditions, il n’est nullement étonnant que les chrétiens, probablement après 70, aient vu Jésus comme un grand prêtre et qu’ils aient transcendé cette grande prêtrise de leur Messie à travers la figure de Melchisédech. C’est ainsi qu’il faudrait lire l’Épître aux Hébreux qui relève peut-être d’une revendication sacerdotale entre les chrétiens et les synagogaux. Quoi qu’il en soit de ces questions si discutées et si difficiles, on assiste, dans l’empire romain, durant la dynastie des Flaviens, à un vaste mouvement de sacerdotalisation des pratiques politico-religieuses : les Judéens chrétiens et synagogaux n’ont évidemment pas échappé à cet engouement, d’autant qu’ils doivent, eux, d’une manière ou d’une autre, remplacer le temple et les sacrifices disparus ou suspendus. Il s’agit également, dans ce projet, de traiter de la question de la sacerdotalisation du christianisme et notamment de certains de ses ministères. Cette sacerdotalisation comporte de multiples facettes, symboliques autant que pratiques. Elle se traduit notamment, dans une perspective non ministérielle d’abord et très tôt, par la reprise insistante de la notion de sacerdoce universel de Ex 19, 6 par les auteurs de l ’Apocalypse de Jean (1, 6 ; 5, 10 ; 20, 6) et de la Première Épître de Pierre (2, 5.9), deux textes adressés à des judéens chrétiens d’Asie mineure à l’époque des Flaviens. Elle se traduit encore par le développement d’une christologie sacerdotale comme, par exemple, dans l’Épître aux Hébreux mentionnée plus haut. Elle se traduira enfin, plus tard, lorsque les chrétiens se doteront de lieux de culte spécifiques qu’ils sacraliseront, par la sacerdotalisation des ministres,
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épiscopes et presbytres ou anciens, qui en auront la charge, sur le modèle du clergé du temple de Jérusalem davantage que sur celui des temples gréco-romains. Pour traiter de toutes ces questions qui sont en pleine discussion parmi les spécialistes, deux rencontres sous forme de colloques internationaux de trois jours ont réuni une vingtaine de chercheurs chaque fois. Une première fois à Québec, à l’automne 2014. Une seconde fois à Lausanne à l’automne 2015. Le premier colloque, qui a eu lieu du 18 au 20 septembre 2014 à l’Université Laval à Québec, a porté sur « le temple et les sacrifices chez les chrétiens et les synagogaux après 70 » à partir notamment de l’Épître aux Hébreux et de l’Apocalypse de Jean, des écrits dits « apocalyptisants » et de ceux dits « gnosticisants ». Il a réuni dix-huit spécialistes dont les contributions sont réunies dans le présent volume. Ce sont, du Canada, Steeve Bélanger (Université Laval, Québec-EPHE), Naftali S. Cohn (Concordia University, Montréal), Dominique Côté (Université d’Ottawa), Eric Crégheur (Université Laval, Québec), André Gagné (Concordia University, Montréal), Louis Painchaud (Université Laval, Québec), Anne Pasquier (Université Laval, Québec), Pierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa), Paul-Hubert Poirier (Université Laval, Québec) ; des États-Unis, Edmondo Lupieri (Loyola University of Chicago), Annette Y. Reed (Princeton University) ; d’Europe,Bernard Barc (Université de Lyon), Alexandre Faivre (Université de Strasbourg), Claudio Gianotto (Université de Turin), David Hamidovic (Université de Lausanne), Simon C. Mimouni (École pratique des Hautes études, Paris), Einar Thomassen (Université de Bergen) ; et d’Israël, Emmanuel Friedheim (Université Bar Ilan). Le second colloque, qui a eu lieu à l’automne 2015 à l’Université de Lausanne, a concerné essentiellement la littérature des Heikhalot et la littérature des Apocalypses dans leurs contextes historiques et en contact avec les écrits chrétiens. Allocution d’ouverture par Simon Claude Mimouni En l’absence du professeur Louis Painchaud, retenu par un deuil important survenu dans sa famille cette nuit même, qui regrette vivement de ne pas pouvoir être parmi nous ce matin, je vais essayer de le remplacer du mieux que possible pour cette allocution d’ouverture qu’il aurait dû faire Mesdames et Messieurs, chers collègues, nous sommes très heureux, le professeur David Hamidovic, le professeur Louis Painchaud et moi-même, de vous accueillir ici à l’Université Laval à Québec, et de vous souhaiter à tous la bienvenue. Nous tenons à vous remercier d’avoir répondu à notre
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invitation pour participer à ce colloque international que nous avons intitulé « La question de la ‘sacerdotalisation’ dans le judaïsme chrétien, le judaïsme synagogal et le judaïsme rabbinique ». L’idée de ce colloque a pris naissance à l’occasion de conversations à bâtons rompus que j’ai eues avec Louis Painchaud, ici, à Québec en 2012. Cette idée a ensuite pris la forme d’un colloque en deux volets dont le second se déroulera à Lausanne les 26-27-28 octobre 2015. La question de la sacerdotalisation a été souvent négligée par les chercheurs, sans doute à cause des difficultés de son approche qui nécessite autant la connaissance des sources juives que des sources chrétiennes, et ce dans de multiples langues. Cette première rencontre a été rendue possible grâce à la générosité d’un certain nombre d’institutions et laboratoires qui ont accepté ainsi d’assurer à notre colloque des conditions de travail optimales, nous voulons dire : - l’Université Laval, qui est l’hôte officiel du colloque, en la personne de son Recteur, Monsieur Denis Brière ; - l’École pratique des Hautes études (Paris, France), en la personne de son Président Monsieur Hubert Bost ; - le Laboratoire d’études sur les monothéismes (Paris, France), en la personne de son Directeur, Monsieur Sylvio Hermann de Franceschi ; - le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, pour son soutien financier ; - le Groupe de recherche sur le christianisme et l’Antiquité tardive, sous la responsabilité de Monsieur Louis Painchaud, qui a inscrit ce colloque dans la programmation de ses activités scientifiques, et également pour son soutien financier en provenance du Fonds québécois pour la recherche – Société et culture. À ces institutions et laboratoires, il convient aussi d’ajouter la Faculté de théologie et de sciences religieuses, ici représentée par son doyen, Monsieur le professeur Gilles Routhier, et l’Institut d’études anciennes et médiévales, représenté par sa directrice, Madame le professeur Anne-France Morand. Sans le soutien de toutes ces institutions et laboratoires que nous avons plaisir à remercier chaleureusement, nous ne serions pas là. Je voudrais aussi, avant de laisser la parole à Madame Anne-France Morand, directrice de l’Institut des études anciennes et médiévales de l’Université Laval, qui nous fait l’honneur et le plaisir de nous accueillir en ses murs, adresser mes remerciements à Monsieur Steeve Bélanger, doctorant de l’Université Laval et de l’École pratique des Hautes études pour la prise en charge efficace du secrétariat et de l’intendance de notre colloque. À chacune et à chacun, nous vous souhaitons, David Hamidovic, Louis Painchaud et moi-même, un heureux et studieux colloque !
JACQUES LE JUSTE, FRÈRE DE JÉSUS : « GRAND PRÊTRE » DE JÉRUSALEM, IMAGE OU RÉALITÉ ?* Simon C. Mimouni École pratique des Hautes études – Section des sciences religieuses, Paris
Abstract The representation of James the Just – James the Minor –is not easy to release, at least if one tries to take into account all the traditions that have been circulating around this name in the writings of the early centuries of Christianity. As brother of Jesus or brother of the Lord, regardless of exactly how this relationship develops, James has played an important role in the first decades of the Christian movement, especially among the followers of Judean origin of which he became the iconic figure. In this contribution, we examine the very broad outlines of the life and the death of James, from a historical point of view, relying on the canonized literature, apocryphised (Judaizing as Gnosticizing), hagiographic and Patristic and focusing attention on its presentation – under the image or reality? – as “ high priest” of Jerusalem. Résumé La figure de Jacques le Juste – Jacques le Mineur – n’est pas facile à dégager, du moins si l ’on essaie de prendre en considération toutes les traditions qui ont circulé autour de ce nom dans les écrits des premiers siècles du christianisme. Comme frère de Jésus ou frère du Seigneur, quelle que soit la manière exacte dont on conçoit cette parenté, Jacques a joué un rôle important dans les premières décennies du mouvement chrétien, notamment parmi les adeptes d’origine judéenne dont il est devenu la figure emblématique. On examine dans cette contribution les très grandes lignes de la vie et de la mort de Jacques, d’un point de vue historique, en se fondant sur les littératures canonisée, apocryphisée (judaïsante comme gnosticisante), patristique et hagiographique et en focalisant l ’attention sur sa présentation – relevant de l ’image ou de la réalité ? – comme « grand prêtre » de Jérusalem.
* Nous avons conservé à cette conférence publique son aspect oral, c’est-à-dire sans lui ajouter une annotation, pour laquelle on peut se reporter à l’ouvrage qui figure dans la note suivante. La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 13-37. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115524 ©
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Dans cette conférence sont résumés des éléments qui figurent sous une forme bien plus développée dans un ouvrage sur Jacques le Juste, le frère de Jésus, qui est paru au printemps 2015 aux Éditions Bayard 1. Ce ne sera évidemment pas le premier ouvrage sur ce personnage : citons pour ces vingt-cinq dernières années celui de Wilhelm Pratscher en allemand (1987), celui de Pierre‑Antoine Bernheim en français (1996) et celui de John Painter en anglais (1999) – une liste qui n’est pas exhaustive. L’histoire de la réception de Jacques le Juste pose autant de questions qu’elle en résout : les aléas de la réception de cette figure éminente de la première communauté chrétienne, celle de Jérusalem, permettent de faire le point sur les ignorances mais aussi sur les certitudes dans la construction de la légitimité des premiers siècles. Ignorances et certitudes que laissent percevoir les documents qui renseignent cette figure fondatrice. I. Introduction La figure de Jacques frère de Jésus – appelé aussi Jacques le Juste ou Jacques le Mineur – n’est pas facile à dégager si l’on essaie de prendre en considération toutes les traditions qui ont circulé autour de ce nom dans les écrits des premiers siècles du christianisme. En tant que « frère » de Jésus, quelle que soit la manière exacte dont on conçoit cette parenté, le personnage de Jacques le Juste a quelque chose d’intriguant. On voudrait, en effet, mieux le connaître, et entrer ainsi quelque peu dans la famille et le milieu qui ont vu grandir et mourir Jésus de Nazareth, se développer aussi la croyance en sa messianité dans ses diverses formes. Jacques a joué un rôle de premier plan dans les premières décennies du christianisme, notamment parmi les chrétiens d’origine judéenne dont il est devenu la figure emblématique. Toutefois, en triomphant, les chrétiens d’origine grecque, au IVe siècle, paraissent avoir éliminé beaucoup de documents concernant Jacques, barrant presque ainsi l’accès aux groupes de chrétiens qui ont revendiqué, autant que d’autres, la fidélité à la parole et à l’esprit de Jésus. Pendant plusieurs siècles, une sorte de damnatio memoriae tacite semble avoir frappé dans certaines communautés chrétiennes et notamment celle de Jérusalem à partir de 135-150, celui auquel l’auteur de l’Évangile selon Thomas et de l’Épître apocryphe de Jacques ont osé donner la primauté par rapport à Pierre et aux Douze. L’audace même d’une telle prétention, par contraste avec le peu que l’on sait aujourd’hui de Jacques, montre combien la tradition chrétienne d’origine grecque – comme par exemple celle dont l’auteur des Actes des Apôtres est le témoin – a éliminé ou détourné, voire dissimulé, la tradition chrétienne d’origine judéenne et 1. S.C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth. Histoire de la communauté chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015.
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les documents qu’elle a pu produire durant trois siècles. La vénération pour Jacques a refleuri, sous d’autres formes, quand le temps a fait oublier qu’il a été le chef du parti opposé à ceux de Pierre et de Paul, et en particulier dans les traditions géorgienne et arménienne qui ont repris sa figure à partir des Ve et VIe siècles – ignorant ou négligeant les aspects anti-pétriniens et anti-pauliniens de son personnage et de son entourage. Les traditions sur Jacques sont tout aussi nombreuses que diverses, car cette figure a été développée par de nombreux groupes chrétiens aussi opposés que peuvent l’avoir été, par exemple, des groupes aux tendances judaïsantes et des groupes aux tendances gnosticisantes – ce qui, pourtant, ne les a pas empêchés de développer de manière traditionnelle cette figure, en en faisant même parfois un emblème de leur mouvement ou de leur orientation spirituelle. Il convient évidemment de ne point confondre Jacques le Mineur avec Jacques le Majeur, ni avec Jacques d’Alphée, même si certaines traditions linguistiques – la latine par exemple – ont parfois commis, pour des raisons doctrinales, une telle confusion. Soulignons, en effet, que ces confusions de la tradition ne sont pas dues au hasard mais à la volonté de vouloir à tout prix faire en sorte que la figure de Jacques le Juste ne contamine en aucune manière celle de Jésus de Nazareth, surtout depuis qu’on a eu tendance à le considérer comme un être divin. On présente ici, dans les très grandes lignes, la vie et la mort de Jacques. La problématique va porter sur l’hypothétique caractère sacerdotal de Jacques et de sa famille non seulement dans la tradition mais aussi dans l’histoire. II. La vie de Jacques le Juste La vie de Jacques, en tant que frère de Jésus et responsable de la communauté chrétienne de Jérusalem, peut être retracée de manière substantielle grâce à une documentation qui relève de plusieurs catégories littéraires qui présentent toutes la caractéristique d’être chrétiennes. Jacques, qui est originaire de Galilée, est un des rares personnages des premières décennies du mouvement chrétien pour lequel on connaît de manière précise la date de sa mort : 62 de notre ère, alors qu’Ananus ou Hannan est grand prêtre et que la procuratèle romaine est vacante, car Festus vient de mourir et Albinus, nommé, n’est pas encore arrivé en Judée. A. Jacques dans la littérature canonisée Les témoignages concernant Jacques dans la littérature canonisée se répartissent entre ceux relevant des Évangiles synoptiques et ceux provenant des Épîtres pauliniennes ainsi que des Actes des Apôtres. Il s’agit de témoignages anciens qui n’ont pas tous nécessairement subi les contraintes,
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même s’ils en ont subies d’autres, des implications doctrinales relatives à la conception et à la naissance virginales de Jésus. Ils sont donc bruts si l’on peut dire et donnent des informations auxquelles il faut accorder une certaine confiance. Il y a, de plus, les suscriptions de l’Épître de Jacques et de l’Épître de Jude mais qui sont tellement brèves qu’il est difficile d’en tirer des informations historiques : il convient cependant de prendre au sérieux ces suscriptions et ne pas les considérer trop rapidement comme pseudépigraphiques. Sans entrer dans une présentation détaillée des témoignages, observons que Jacques y apparaît comme un personnage important de la communauté chrétienne de Jérusalem, au point d’en être devenu progressivement la figure fondatrice. Après la dispersion des Douze, Jacques semble être devenu le véritable responsable de la communauté de Jérusalem. Lors de l’incident d’Antioche et la réunion de Jérusalem, il apparaît comme tel et aussi comme le chef de file des chrétiens d’origine judéenne qui souhaitent imposer toutes les observances de la Torah aux chrétiens d’origine grecque. La figure de Jacques, qui émerge dans les Évangiles synoptiques, assez peu flatteuse, est le résultat d’une tradition qui n’est pas toujours favorable au frère de Jésus et au chef de la communauté de Jérusalem. En revanche, dans les Épîtres pauliniennes et dans les Actes des Apôtres, la figure de Jacques est plus conforme aux réalités historiques qui font de lui un interlocuteur légitime de Paul, sans doute avec plus de titres que Pierre. Dans les traditions canonisées, Jacques, qui n’est pas qualifié de « Juste » mais de « Mineur » ou de « Frère de Jésus », de « Frère du Seigneur aussi, n’apparaît jamais comme un membre de la classe sacerdotale. B. Jacques dans la littérature apocryphisée Dans la littérature apocryphisée, la figure de Jacques n’est pas évidente à percevoir car elle varie selon les écrits dont la plupart lui sont attribués de manière pseudépigraphique. Les textes apocryphisés attribués à Jacques, relativement nombreux, peuvent être répartis en plusieurs catégories : ceux provenant des milieux nazoréens, des milieux ébionites et des milieux gnostiques – il convient, bien entendu, de ne pas trop forcer de telles catégories, même si elles remontent parfois à des groupes ou à des écoles, voire à des communautés. 1. Jacques dans les textes nazoréens ou leur ayant été attribués La figure de Jacques a été revendiquée par les nazoréens qui estiment être les fondateurs et les héritiers de la communauté de Jérusalem : on le sait notamment par Épiphane de Salamine (Panarion XXIX), mais aussi par d’autres auteurs chrétiens qui lui sont antérieurs (comme Eusèbe) ou postérieurs (comme Jérôme). De nombreux textes, parfois d’origine diverse, sont attribués ainsi à Jacques et peuvent être caractérisés comme nazoréens : une caractéristique qui repose non seulement sur l’origine ethnique,
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ils sont judéens, mais aussi sur la doctrine, ils ont tendance à accepter le caractère divin de Jésus et non seulement son caractère humain. Il s’agit notamment de la Nativité de Marie ou Révélation de Jacques, un texte mieux connu sous son titre moderne de Protévangile de Jacques : un texte peut-être composé en grec au milieu du IIe siècle. Dans ce texte, qui joue un rôle important dans la consolidation de la doctrine de la conception et la naissance de Jésus mais aussi dans l’élaboration de la doctrine de la conception et la naissance de Marie, Jésus est un personnage exceptionnel dont la conception et la naissance sont décrites de manière merveilleuse – garantissant ainsi son caractère divin. Dans le manuscrit le plus ancien (Papyrus Bodmer 5) de ce texte, Jacques ne figure que dans le colophon (en XXV, 1) et dans d’autres manuscrits plus récents, il est question d’un Jacques (en XVII, 2) ou des fils de Joseph dont le nom ou les noms ne sont pas donnés (en XI, 2 et en XVIII, 1). Le Protévangile de Jacques est le seul texte apocryphisé à pouvoir être caractérisé comme nazoréen, en dehors bien sûr de l’Évangile selon les Hébreux ou selon les Nazoréens dont les fragments sont bien rares et ne permettent pas de se faire une idée exacte de son contenu d’origine. Il est possible cependant, notamment à partir d’un des fragments rapportés par Jérôme, de considérer que Jacques y tient une place primordiale par rapport aux autres disciples immédiats de Jésus. Dans les textes apocryphisés attribuables aux nazoréens, la figure de Jacques n’est pas du tout négligée. On peut même dire qu’il est souvent fait appel à elle pour valoriser ou légitimer des textes tout aussi tardifs que légendaires. 2. Jacques dans les textes ébionites ou leur ayant été attribués La figure de Jacques a été revendiquée non seulement par les nazoréens mais aussi par les ébionites : ces derniers étant issus d’une scission avec les premiers. On retrouve en effet cette figure dans les écrits ébionites, et ce, bien plus fréquemment que dans les écrits nazoréens. Les ébionites utilisent divers écrits mis sous les noms d’apôtres, y compris sous celui de Jacques (Épiphane de Salamine, Panarion XXX, 23, 1). Il s’agit, sans doute, du même Jacques, Frère du Seigneur, mentionné également dans les Ἀναβαθμοὶ Ἰακώβου ou Ascensions de Jacques (Épiphane de Salamine, Panarion XXX, 16, 7), un écrit que les ébionites semblent tenir en grande estime, et où ils sont présentés comme prêchant contre le temple, les sacrifices et le feu de l’autel. Certains critiques veulent retrouver cet écrit dans les Reconnaissances, en I, 27-71, dont la caractéristique principale serait un anti-paulinisme certain et un certain pro-jacobisme. En réalité, Épiphane de Salamine est tellement elliptique en ce qui concerne Jacques et l’écrit qu’il lui attribue qu’il est difficile d’en tirer grand-chose et la question de cet écrit demeure discutée. Dans les Homélies et les Reconnaissances dites « clémentines », Jacques est appelé « évêque des évêques », et il est souligné qu’il a été installé
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évêque de Jérusalem par Jésus lui-même (Reconnaissances I, 44 et IV, 35). Certains critiques estiment que les Homélies et les Reconnaissances doivent remonter à une Grundschrift, ou « Écrit de base » qui aurait été composée en milieu ébionite, notamment dans une communauté installée dans la province romaine d’Arabie : c’est une hypothèse qui ne repose que sur des reconstitutions littéraires difficiles à évaluer. Dans les écrits préliminaires aux Homélies, il est mentionné dans l’Épître de Pierre à Jacques et dans l’Épître de Clément à Jacques que Pierre et les autres apôtres reçoivent leur mission de Jacques, de plus, l’Engagement solennel, le troisième d’entre eux, est attribué à Jacques. Il s’agit évidemment de textes apocryphisés, datant sans doute du IIe siècle, où Jacques est censé jouer un rôle non négligeable en tant qu’« évêque » de Jérusalem. D’une manière générale, il est souvent question de Jacques tant dans les Homélies grecques que dans les Reconnaissances latines, implicitement ou explicitement. Mais, étant donné la transmission de ces textes, il est très difficile de se faire une idée précise du rôle de Jacques dans les milieux qui les ont produits et même dans les milieux qui les ont transmis. 3. Les textes gnostiques attribués à Jacques ou leur ayant été attribués La figure de Jacques a été encore assez bien sollicitée dans les textes gnostiques, tout autant que dans les textes ébionites mais de différentes manières. Dans l’Évangile selon Thomas, un texte de la fin du Ier ou du début du e II siècle, au logion 12, il est question de Jacques en ces termes : Les disciples dirent à Jésus : « Nous savons que tu nous quitteras. Qui deviendra le plus grand parmi nous ? ». Jésus leur dit : « Où que vous soyez allés, vous irez vers Jacques le Juste, pour qui ont été faits le ciel et la terre ».
Dans ce logion, Jacques est qualifié de « Juste » (δίκαιος) : c’est, selon toute apparence, l’emploi le plus ancien de ce titre. Dans le logion 13, le suivant, Jacques, sans être mentionné, paraît certes désigné comme le chef qu’il faut suivre après le départ du Christ ressuscité, mais il est aussi celui qui partage avec Thomas le rôle de révélateur. Il y a donc un certain contraste entre ce qui est dit de Jacques au logion 12 et de Thomas au logion 13, tout comme de Simon-Pierre et de Matthieu. On n’entre pas ici dans la discussion pour savoir si l’Évangile selon Thomas est gnostique ou pas. De toute façon, il relève d’un judaïsme chrétien aux tendances mystiques et ésotériques. On peut seulement constater que Jacques occupe une place importante dans la tradition de laquelle relève ce texte, représentant une ligne de transmission des révélations secrètes de Jésus qui est différente de celle des apôtres. Dans les documents gnostiques, notamment dans ceux retrouvés en Égypte, aux environs de Nag Hammadi, Jacques est aussi mis en avant
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dans trois textes qui lui sont attribués de manière pseudépigraphique : l’Épître apocryphe de Jacques (NH I, 2), l’Apocalypse I de Jacques (NH V, 3 ; Codex Tchacos 2) et l’Apocalypse II de Jacques (NH V, 4). 4. Récapitulatif Dans les textes nazoréens, Jacques tient un rôle important en tant que chef de la communauté chrétienne de Jérusalem. Il représente le garant d’une certaine orthodoxie contre des hétérodoxes qui contestent en matière doctrinale des formes adoptianisantes ou docétisantes de la figure de Jésus. Dans les textes ébionites, Jacques est le chef de file d’un judaïsme chrétien qui s’oppose à un autre judaïsme chrétien dont Paul est considéré comme une grande figure : il est apparemment l’« homme ennemi », selon l’expression de Reconnaissances I, 71, et il représente l’autorité et la légitimité des communautés qui affirment descendre de celle de Jérusalem. Dans les textes gnostiques, Jacques tient essentiellement un rôle de révélateur, voire de transmetteur de traditions ésotériques dont il est le chaînon essentiel. Il est le porteur de la connaissance, celle qui est issue des révélations transmises par Jésus à Jacques. Dans la plupart de ces textes apocryphisés, qu’ils soient de tendance nazoréenne, ébionite ou gnostique, Jacques est souvent considéré comme un membre de la classe sacerdotale – de ce point de vue, ils divergent donc fortement avec les textes canonisés. C. Jacques dans la littérature patristique Les Pères de l’Église ont conservé un certain nombre d’informations, parfois des plus importantes, sur la vie de Jacques. Ils ont aussi transmis, sous plusieurs formes divergentes, une tradition sur la mort de Jacques que l’on va examiner dans la partie qui lui est consacrée. 1. Le témoignage d’Hégésippe Hégésippe, un chrétien probablement d’origine judéenne, vers 180, compose un ouvrage de mémoires en cinq livres connu sous le nom d’Hypomnemata ou Mémoires, aujourd’hui perdu mais dont des passages sur Jacques et la communauté de Jérusalem ont été conservés par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique. Le frère du Seigneur, Jacques, reçut (la direction) de la communauté avec les apôtres. Depuis les temps du Seigneur jusqu’à nous, tous l’appellent le Juste, puisque beaucoup portaient le nom de Jacques. Cet homme fut sanctifié dès le sein de sa mère ; il ne but ni vin, ni boisson enivrante ; il ne mangea rien qui eût vécu (Lv 10, 9 ; Nb 6, 3) ; le rasoir ne passa pas sur sa tête ; il ne s’oignit pas d’huile et ne prit pas de bain (Nb 6, 7). À lui seul, il était permis d’entrer dans le sanctuaire, car il ne portait pas de vêtement de laine, mais de lin (Ex 29, 39 ; 28, 27). Il entrait seul dans le temple et il s’y tenait à genoux, demandant pardon pour le peuple, si bien
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que ses genoux s’étaient endurcis comme ceux d’un chameau, car il était toujours à genoux, adorant Dieu et demandant pardon pour le peuple. À cause de son éminente justice, on l’appelait le Juste (δίκαιος) et Oblias (ὠβλίας), ce qui signifie en grec rempart (περιοχή) du peuple et justice, ainsi que les prophètes le montrent à son sujet (Is 3, 10). Quelques-uns donc des sept tendances qui existaient dans le peuple et dont nous avons parlé plus haut dans les Mémoires, demandèrent à Jacques quelle était la porte de Jésus et il leur dit qu’il était le Sauveur (Jn 10, 7). Quelques-uns d’entre eux crurent que Jésus était le Christ. Mais les tendances ne crurent ni à sa résurrection, ni à sa venue pour rendre chacun selon ses œuvres (Rm 2, 7) : tous ceux qui crurent le firent par le moyen de Jacques.
Ce passage, unique en son genre, se trouve en Histoire ecclésiastique II, 23, 4-9 et il soulève nombre de difficultés et de contradictions qui paraissent le rendre obscur, et ce notamment à cause de certaines incohérences. Hégésippe y raconte comment la direction de la communauté chrétienne de Jérusalem est passée à Jacques, le Frère du Seigneur (comme en Ga 1, 19), dont il trace ensuite un éloquent portrait. Il mentionne que Jacques a été appelé « le Juste » par tout le monde, depuis l’époque de Jésus jusqu’au temps où il écrit, car plusieurs autres personnes portent le nom de Jacques. Il précise que, même si non seulement les scribes et les pharisiens mais aussi d’autres groupes judéens ont attaqué Jacques, plusieurs, y compris parmi les chefs du peuple, ont reçu son enseignement. Hégésippe y décrit Jacques comme un membre de la classe sacerdotale qui a été sanctifié dès sa naissance, alors que Jean le Baptiste l’a été avant sa naissance (Lc 1, 15) – Jacques l’est à sa naissance tout comme Samson (Jg 14, 4) et Samuel (1 S 1, 11). Il présente Jacques comme un ascète ne buvant ni vin ni boisson fermentée et n’utilisant pour son corps ni rasoir, ni huile, ni bain – caractéristiques renvoyant à l’institution du naziréat. Il mentionne que Jacques ne porte pas des vêtements de laine, mais des vêtements de lin, comme tous les prêtres ou lévites. Malgré ces indications, il n’est pas du tout certain que Jacques ait été un « nazir » car, afin de mériter son titre de « Juste », il a dû forcément être montré comme tel. Jacques est non seulement identifié comme Frère du Seigneur, mais est aussi qualifié de « Juste » (δίκαιος) et de « Rempart » (ὠβλίας) – on passe sur ces titres qui ne sont cependant pas sans intérêt. Le portrait de Jacques par Hégésippe est celui qu’on a dû se représenter dans les milieux nazoréens de Jérusalem et de Palestine vers la seconde moitié du IIe siècle. Il remonte sans doute à la fin du Ier siècle, mais il est difficile de savoir s’il permet de retrouver le personnage historique de Jacques, le frère de Jésus. Il contient en tout cas toutes les caractéristiques qui autorisent à penser que Jacques est originaire d’une famille sacerdotale, ce qui implique que son frère, Jésus, le soit également.
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Cette représentation de Jacques par Hégésippe pourrait être historique mais pourrait aussi être traditionnelle – il est difficile de décider dans un sens ou dans l’autre. 2. Le témoignage de Clément d’Alexandrie Clément d’Alexandrie, un auteur de la fin du IIe et du début du IIIe siècle, dans les sixième et septième livres de ses Hypotyposes – dont seuls des fragments ont été conservés dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée ou ailleurs – rapporte quelques bribes d’information sur Jacques. Il dit en effet que Pierre, Jacques et Jean, après l’ascension du Sauveur, après avoir été particulièrement honorés par le Sauveur, ne se disputèrent pas pour cet honneur mais qu’ils choisirent Jacques le Juste comme évêque de Jérusalem (sixième livre). […] À Jacques le Juste, à Jean et à Pierre, le Seigneur après sa résurrection donna la connaissance ; ceux-ci la donnèrent aux autres apôtres, les autres apôtres la donnèrent aux soixante-dix, dont l’un était Barnabé (septième livre).
Dans deux passages, qui viennent de l’Histoire ecclésiastique II, 1, 3-4, Clément mentionne, dans celui du sixième livre, comment Jacques, qualifié de « Juste », a été élu premier évêque de Jérusalem en précisant qu’il n’y a eu aucune dispute venant de Pierre ou de Jean, et il accorde, dans celui du septième livre, une importance particulière à Jacques, Jean et Pierre étant donné leur rôle dans la transmission des enseignements ésotériques, en mentionnant qu’ils auraient été honorés par Jésus et auraient reçu de lui la « connaissance » et qu’ils l’auraient à leur tour transmise aux autres apôtres, et ceux-ci aux soixante-dix disciples – dans ce dernier, il met Jacques non seulement dans la chaîne de la tradition chrétienne, mais en plus il le situe en première position, avant Jean et Pierre. 3. Le témoignage d’Eusèbe de Césarée Eusèbe de Césarée, un auteur du début du IVe siècle, en dehors des témoignages sur Jacques qu’il transmet en passant par Hégésippe ou Clément, en donne aussi quelques autres, pas moins de trois, mais sans citer ses sources. … donc ce Jacques à qui les anciens donnaient le surnom de Juste à cause de la supériorité de sa vertu, fut, dit-on, le premier installé sur le trône épiscopal de la communauté de Jérusalem (Histoire ecclésiastique II, 1, 2).
Dans ce premier passage, Eusèbe, semblant parler en son nom propre mais en attribuant ses propos à ce que l’on raconte partout (« dit-on »), affirme que Jacques est qualifié de « Juste » et qu’il a été le premier responsable de la communauté de Jérusalem. On sait par Hégésippe qu’il a reçu ce surnom, mais on apprend maintenant qu’il a été le premier à diriger la communauté de Jérusalem – recoupant ainsi l’information de Clément (Histoire ecclésiastique II, 1, 3).
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Pendant tout ce temps, la plupart des apôtres et des disciples et Jacques lui-même, le premier évêque de la ville, qu’on appelait le Frère du Seigneur, étaient encore en vie et passaient leur existence dans la cité même de Jérusalem, comme un rempart puissamment fortifié pour elle (Histoire ecclésiastique III, 7, 8).
Dans ce deuxième passage, Eusèbe souligne qu’après la mort de Jésus, les chrétiens ont été présents à Jérusalem et ont protégé la ville comme un rempart, y compris Jacques le premier d’entre eux. La métaphore de Jacques comme « rempart » renvoie à celle que l’on trouve en Histoire ecclésiastique II, 23, 7. Le trône de Jacques aussi, de celui qui le premier reçut du sauveur et des apôtres l’épiscopat de la communauté de Jérusalem et que les divines Écritures désignent couramment comme le frère du Christ (Ga 1, 19 ; 1 Co 15, 7 ; Mt 13, 55), a été conservé jusqu’à présent, et les frères de ce pays l’ont successivement entouré de soin, de sorte qu’ils montrent clairement à tous quelle vénération pour les hommes saints, parce qu’ils ont été aimés de dieu, ceux d’autrefois et ceux d’aujourd’hui gardaient et gardent encore. Voilà en ce qui concerne ce sujet (Histoire ecclésiastique VII, 19, 1).
Dans ce troisième passage, il semble que ce soit le siège matériel qui paraît avoir été conservé comme une relique par les chrétiens de Jérusalem qui vénèrent la mémoire de Jacques. Il se pourrait que l’expression « les frères de ce pays », ceux d’avant et ceux de maintenant, renvoie aux chrétiens d’origine judéenne de la Ville sainte qui sont dépositaires de cette tradition et qu’Eusèbe connaît encore à son époque. Il est question de Jacques dans d’autres passages de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe que l’on n’examine pas ici, mais on doit signaler qu’ils relèvent de (1) la tradition des évêques de la communauté de Jérusalem (IV, 5, 1-4), de (2) la tradition de la migration de cette même communauté (III, 5, 3) et de (3) la tradition de la succession ‘dynastique’ de Jésus (II, 23, 1 ; II, 23, 4 ; III, 11 ; IV, 22 ; III, 20, 1-2 ; III, 20, 3-7 ; III, 12 ; III, 17) – lesquels passages proviennent pour la plupart d’Hégésippe. 4. Le témoignage d’Épiphane de Salamine Épiphane de Salamine, un auteur de la seconde moitié du IVe siècle, peut-être un chrétien d’origine judéenne, dans son Panarion, rapporte un certain nombre de témoignages sur Jacques. Et aussitôt fut installé comme premier évêque Jacques, qui est appelé frère du Seigneur et qui est apôtre, car il était aussi par naissance fils de Joseph, mais fut mis au rang de « frère du Seigneur » parce qu’il avait été élevé avec lui. Ce Jacques était en effet fils de Joseph par une femme de Joseph, non par Marie, comme cela nous est dit en beaucoup d’endroits et comme nous en avons traité plus clairement. Nous découvrons en outre qu’il était de la descendance de David étant fils de Joseph, et qu’il était devenu nazi-
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réen (il était en effet le premier-né de Joseph et avait été consacré); et nous avons trouvé encore qu’il a été grand prêtre selon l’ancien sacerdoce. C’est pourquoi il lui était permis d’entrer une fois par an dans le Saint des Saints, comme la Loi l’a ordonné aux grands prêtres selon l’Écriture; c’est en effet ce que plusieurs de nos prédécesseurs ont raconté à son sujet, Eusèbe, Clément et d’autres. En outre il avait le droit de porter la mitre (πέταλον) sur la tête, comme les mêmes auteurs dignes de confiance en ont porté témoignage dans leurs ouvrages.
Dans ce passage du Panarion XXIX, 3, 9-4, 4, qui provient de la notice sur les nazoréens, Épiphane tient de ses prédécesseurs (Hégésippe via ou non Eusèbe) tous les éléments sur Jacques : de ce fait ils pourraient être sans grand intérêt si ce n’est d’un point de vue rhétorique. Précisons toutefois que si l’hérésiologue s’étend quelque peu sur la figure de Jacques, c’est sans doute parce que ce personnage est considéré par les nazoréens comme un fondateur de communautés, « un apôtre ». Son exposé sur ce point ressemble fort à une récupération de cette importante figure de la communauté chrétienne de Jérusalem au Ier siècle pour être replacée dans le cadre de l’Église qui descend du Christ, faisant de Jacques, le « Frère du Seigneur », son premier successeur sur le trône de David. Puis, le siège royal étant échu à l’Église dans le Christ, la dignité royale a quitté la maison de Juda et d’Israël charnels, et le trône est établi dans la sainte Église de Dieu pour l’éternité, trône qui a une dignité doublement justifiée, à la fois royale et sacerdotale: la dignité royale d’une part, qu’il tient de notre Seigneur Jésus-Christ de deux manières, parce qu’il est de la semence du roi David selon la chair, et parce qu’il est – comme il l’est aussi – roi plus grand depuis l’éternité en vertu de sa divinité; la dignité sacerdotale, d’autre part, parce qu’il est lui-même grand prêtre et chef des grands prêtres.
Dans ce passage du Panarion XXIX, 3, 7-8, qui provient aussi de la notice sur les nazoréens, Épiphane considère que le trône de David a été échu à l’Église par le Christ. Il ajoute de ce point de vue une précision importante : le premier évêque de cette Église n’est autre que Jacques, « Frère du Seigneur » qui, par son père Joseph, est lui aussi d’ascendance davidique, donc royale. Il déclare même que Jésus a été « grand prêtre selon l’ancien sacerdoce » : la dignité royale et sacerdotale, selon lui, se trouve donc, après le Christ, transmise à l’Église concrètement, et non seulement de manière figurée. En bref et en clair, l’Église tient son pouvoir du Christ, qui l’a reçu car étant « Fils de David » – sa légitimité est donc tout autant royale que sacerdotale. Épiphane, en Panarion LXXVIII, 13, 3, rapporte que Jacques est vêtu de vêtements en lin (= Histoire ecclésiastique II, 23, 6) et en Panarion LXXVIII, 14, 1, il souligne, qu’étant donné qu’il prie agenouillé, la peau de ses genoux est devenue semblable à celle d’un chameau (= Histoire
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ecclésiastique II, 23, 6) ajoutant, comme en Panarion XXIX, 4, 4, qu’il est coiffé de la mitre (πέταλον) des grands prêtres. Toujours, en Panarion LXXVIII, 14, 6, le rôle d’intercesseur de Jacques est précisé et il est aussi magnifié, notamment par sa médiation en faveur de ses propres bourreaux (= Histoire ecclésiastique II, 23, 16). Encore, en Panarion LXXVIII, 13, 3 et 14, 1-2, de multiples allusions renvoient à la fonction de grand prêtre lors de la fête de Yom Kippour, à savoir son entrée dans le Saint des Saints sans sandales aux pieds et sans avoir pris de bains (M Yoma VIII, 1), sans compter qu’il est mentionné que Jacques, lors d’une période de disette, levant les mains au ciel et priant a fait pleuvoir – une tâche incombant au grand prêtre lors de cette même fête (TB Yoma 53b ; Ta’anit 24b). Dans un passage du Panarion LXVIII, 7, 7, qui est un écho à celui de l’Histoire ecclésiastique II, 23, 7, mais sans pour autant en être une dépendance, Jacques est qualifié de « Juste » et de « Rempart ». De nombreux indices, dont certains ont été relevés, conduisent à considérer que pour Épiphane Jacques appartient à la classe sacerdotale. 5. Récapitulatif Les Pères de l’Église se sont intéressés au personnage de Jacques essentiellement d’un point de vue exégétique. Du fait même qu’il est qualifié, dans le Nouveau Testament, de « Frère de Jésus », il leur a posé un problème délicat du point de vue de la doctrine de la virginité post partum dont l’appréciation n’est pas la même entre les Pères latins et les Pères grecs. Tous ont été plus ou moins influencés par Hégésippe et par le portrait hagiographique qu’il a fait de Jacques qualifié de « Juste » et de « Rempart ». Ils ont tous estimé, d’une manière ou d’une autre (Hégésippe et Épiphane surtout), que Jacques a fait partie de la classe sacerdotale, mais ils ont insisté différemment sur ce point. D. Éléments pour une synthèse Jacques le Juste est un personnage essentiel du mouvement nazoréen / chrétien dans les premières décennies de son développement, mais c’est aussi un personnage controversé. Il a joué un rôle significatif dans certains courants, tandis que dans d’autres il a été presque ignoré ou même évincé. Opposé tantôt à Pierre et tantôt à Paul, il a été utilisé de manière polémique surtout par les ébionites et les gnostiques dans leurs différents et multiples conflits avec certaines communautés chrétiennes, celles qui sont en train de devenir majoritaires ou se considérant comme telle. La figure de Jacques, en tant que premier évêque de Jérusalem, est devenue, dans certaines traditions orientales, la plus développée et la plus importante avec comme symbole le trône dit de Jacques. La figure de Jacques a été récupérée et transformée par la tradition syriaque, dès les IVe ou Ve siècles, pour devenir celle d’un administrateur et d’un inspecteur de l’Église de Jérusalem mais aussi de l’Église d’Édesse. La figure de
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Jacques a été récupérée aussi, dès les Ve et VIe siècles, successivement par les communautés géorgienne et arménienne de Jérusalem, la seconde en en dépossédant la première de son emblème. Observons encore que, dans les milieux gnostiques, Jacques a été le dépositaire de révélations, et donc le transmetteur. Il est curieux de constater comment la figure de Jacques, alors si honorée dans les milieux judaïsants, plutôt fermés et rigoristes sur le plan des pratiques, est devenue un personnage important dans certains milieux gnosticisants qui ont tendance, du moins en principe, à valoriser l’éthique plus que les pratiques. On peut penser que la figure de Jacques s’est diversifiée, tant dans le temps que dans l’espace, du fait qu’elle a été considérée comme le dépositaire et le transmetteur des traditions fondatrices du christianisme. Au fur et à mesure que cette figure de Jacques a été récupérée, elle a subi des mutations au gré des développements et des transformations doctrinaux. III. La mort de Jacques le Juste Les témoignages anciens, qui parlent de Jacques, s’intéressent non seulement à sa vie mais aussi à sa mort, son martyre comme on dit en théologie chrétienne, qui a eu lieu dans les quelques années qui ont précédé la destruction du temple de Jérusalem. Diverses traditions littéraires semblent s’être, en effet, développées autour de cet événement tragique. Il s’agit principalement des traditions rapportées par Josèphe (un auteur judéen), par Hégésippe (un auteur judéo-chrétien) et par Clément (un auteur pagano-chrétien), mais aussi transmises par les Reconnaissances dites « clémentines » et par les Apocalypses I et II de Jacques – des textes apocryphes d’origine vraisemblablement judéo-chrétienne, mais de tendances différentes. A. Le témoignage de Josèphe L’historiographe judéen Flavius Josèphe rapporte un récit de la mort de Jacques dans les Antiquités judéennes, en XX, § 199-203 : Ananias le Jeune qui, comme nous l’avons dit, reçut la grande prêtrise, était d’un caractère orgueilleux et d’un courage remarquable. Il suivait, en effet, la doctrine des sadducéens, qui sont inflexibles dans leur manière de voir – du moins si on les compare aux autres Judéens – ainsi que nous l’avons déjà montré. Comme Ananias était tel et qu’il croyait avoir une occasion favorable parce que Festus était mort et Albinus encore en route, il réunit un tribunal, traduisit devant lui le frère de Jésus appelé le messie (τοῦ λεγομένου χριστοῦ), dont le nom était Jacques, et certains autres, les accusant d’avoir transgressé la Loi et les fit lapider. Mais tous les habitants
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de la ville qui étaient les plus modérés et les plus attachés à la Loi en furent irrités. Ils envoyèrent demander secrètement au roi d’enjoindre à Ananias de ne plus agir ainsi car déjà auparavant il s’était conduit injustement. Certains d’entre eux allèrent même à la rencontre d’Albinus qui venait d’Alexandrie et lui apprirent qu’Ananias n’avait pas le droit de convoquer un tribunal sans son autorisation. Albinus, persuadé par leurs paroles, écrivit avec colère à Ananias, en le menaçant de tirer vengeance de lui. Le roi Agrippa lui enleva, pour ce motif, la grande prêtrise qu’il avait exercée trois mois et en investit Jésus, fils de Dammaros.
Il s’agit du récit le plus anciennement attesté puisqu’il remonte aux années 90, époque de la composition des Antiquités judéennes. Le contexte général où se trouve ce récit est une description des problèmes rencontrés par Rome avec les habitants de Jérusalem, problèmes qui déboucheront quelques années plus tard sur l’investissement et la destruction de la ville par les légions romaines. On y décrit les agissements du grand prêtre Ananias ou Hannan, fils d’Ananias, un homme au caractère orgueilleux et audacieux, le seul grand prêtre connu comme appartenant à la tendance sadducéenne, dont on sait qu’il a été assassiné en 69 par des révoltés iduméens et zélotes (Guerre des Judéens IV, § 319-321). Ananias, profitant de la vacance de la procuratèle romaine, après avoir rassemblé les juges d’un tribunal, sans doute le Sanhédrin, est parvenu à conduire devant eux Jacques « frère de Jésus appelé le Messie » et quelques autres de son entourage, à les faire condamner et exécuter par lapidation. Le peuple – précise Josèphe – a réagi contre cet abus de justice, et en a appelé au gouverneur Albinus : ce qui a conduit à la déposition d’Ananias. Les éléments historiques fournis par Josèphe permettent de dater très précisément la mort de Jacques en l’an 62, après la mort du procurateur Porcius Festus (en 62) et avant l’arrivée de son successeur Lucius Albinus (en 62) – autrement dit, durant une vacance de quelques mois. Par rapport aux divers autres témoignages, qui sont tous chrétiens, ce récit est le plus dépouillé. Il ne contient aucun élément d’ordre topographique, et notamment pas la mention du « pinacle du temple » qu’on trouve chez Hégésippe, chez Clément et dans l’Apocalypse II de Jacques, mais pas dans l’Apocalypse I de Jacques ni dans les Reconnaissances. En revanche, il est fait mention de la lapidation comme mode d’exécution et aucunement d’une mort par un coup de bâton comme chez Hégésippe et Clément – aucune mention non plus d’une prière de Jacques en faveur de ses assassins comme partout ailleurs dans la tradition chrétienne, sauf dans les Reconnaissances. Il convient d’observer qu’Origène a connu ce passage mais sous une forme sensiblement différente : en effet, à trois reprises (Commentaire de Matthieu X, 17 ; Contre Celse I, 47 ; II, 13), il invoque l’autorité du témoignage de Josèphe pour affirmer que la destruction de Jérusalem a été un
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châtiment infligé au peuple judéen à cause du meurtre de Jacques – ce qui n’est pas le cas dans la forme qui a été transmise. Eusèbe l’a connu également sous une forme assez proche de celle que l’on possède encore. Ramené à ses éléments essentiels, le récit de Josèphe rapporte donc un coup de force du grand prêtre Ananias contre Jacques et les chrétiens de Jérusalem, facilité par l’absence du procurateur, lequel est blâmé par l’opinion publique : ce qui pourrait indiquer que l’intervention du grand prêtre a dû avoir des motivations personnelles. En effet, il est possible de penser qu’entre Ananias et Jacques, il y ait eu une rivalité d’influence : autrement dit, le grand prêtre, dont les préoccupations semblent avoir été autant politiques que religieuses, aurait été jaloux de la popularité dont jouissait Jacques parmi le peuple, ce que laissent entendre les témoignages chrétiens, et donc représenter une menace pour lui et le sacerdoce de Jérusalem. Observons encore que dans ce récit, la responsabilité de la mort de Jacques en incombe à son manquement à la Loi – sans qu’il soit précisé quel a été ce manquement, en tout cas ce n’est pas sa croyance messianique qui en est la cause. Ce témoignage pourrait indiquer que Jacques a été condamné et exécuté à cause de son appartenance sacerdotale, du moins si l’on accepte l’hypothèse, parfois proposée, d’un engagement dans le conflit entre la haute prêtrise et la basse prêtrise, lui-même relevant sans doute de cette dernière étant donné que son ennemi, Ananias, appartient à la tendance sadducéenne. B. Le témoignage d’Hégésippe Le témoignage d’Hégésippe sur la mort de Jacques est transmis par Eusèbe de Césarée, dans l’Histoire ecclésiastique, en II, 23, 10-18, et il est tiré du cinquième livre des Hypomnemata dont on a déjà examiné une partie concernant la vie de Jacques. Beaucoup donc, et même des chefs ayant cru, il y eut un tumulte parmi les Judéens, les scribes et les pharisiens, qui disaient : « Tout le peuple court le risque d’attendre en Jésus le Messie » (Jn 12, 19). Ils allèrent ensemble près de Jacques et lui dirent : « Nous t’en prions, retiens le peuple, car il se trompe sur Jésus, comme s’il était le Messie. Nous t’en prions, persuade tous ceux qui viennent pour le jour de Pâque, au sujet de Jésus : car tous nous avons confiance en toi. Tiens-toi donc sur le pinacle du temple, afin que de là-haut tu sois en vue et que tes paroles soient entendues de tout le peuple ». Car à cause de Pâque, toutes les tribus et même les non Judéens (ἐθνῶν) se sont rassemblés (Jn 12, 20). Les mêmes scribes et pharisiens placèrent donc Jacques sur le pinacle du temple et lui crièrent en disant : « Juste, en qui nous devons tous avoir confiance, puisque le peuple se trompe à la suite de Jésus le crucifié, annonce-nous quelle est la porte de Jésus ». Et il répondit à haute voix : « Pourquoi m’interrogez-vous sur le Fils de l’Homme (Ac 7, 56) ? Il est assis au ciel à la droite de la Grande Puissance et il viendra sur les nuées
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du ciel » (Mc 14, 62 ; Mt 26, 64). Beaucoup furent entièrement convaincus et glorifièrent le témoignage de Jacques en disant : « Hosannah au Fils de David » (Mt 21, 9). Alors, en revanche, les mêmes scribes et pharisiens se disaient les uns aux autres : « Nous avons mal fait de procurer un tel témoignage à Jésus. Montons donc et jetons-le en bas, afin qu’ils aient peur et ne croient pas en lui ». Et ils crièrent en disant : « Oh ! Oh ! Même le Juste a été égaré ». Et ils accomplirent l’Écriture écrite dans Isaïe : Enlevons le juste parce qu’il nous est insupportable : alors ils mangeront les produits de leurs œuvres (Is 3, 10). Ils montèrent donc et jetèrent en bas le Juste. Et ils se disaient les uns aux autres : « Lapidons Jacques le Juste ». Et ils commencèrent à le lapider, car lorsqu’il avait été jeté en bas il n’était pas mort. Mais s’étant retourné, Jacques se mit à genoux en disant : « Je t’en prie, Seigneur Dieu Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34 ; Ac 7, 59-60). Tandis qu’ils lui jetaient ainsi des pierres, un des prêtres, des fils de Réchab, fils des Rechabim, auxquels Jérémie le prophète a rendu témoignage (Jr 35, 2-3), criait en disant : « Arrêtez que faites-vous ? Le Juste prie pour vous ». Et quelqu’un d’entre eux, un foulon, ayant pris le bâton avec lequel il foulait les étoffes, frappa sur la tête du Juste ; et ainsi celui-ci rendit témoignage. Et on l’enterra dans le lieu même, près du temple et sa stèle demeure encore auprès du temple. Il a été un vrai témoin pour les Judéens et pour les Grecs (Ἕλλησιν), que Jésus est le Messie. Et bientôt après, Vespasien les assiégea.
Le récit de la mort de Jacques par Hégésippe relève assurément du genre hagiographique dont il utilise de nombreux procédés. Ces derniers rendent ainsi plus ou moins suspect tout le récit qui rapporte un certain nombre d’invraisemblances historiques. Indéniablement, on est en présence d’un récit édifiant dont l’auteur ne s’est soucié ni de vraisemblance ni de chronologie : ce qui lui importe, c’est de montrer en quoi la mort de Jacques est un événement marquant pour la communauté de Jérusalem. On peut considérer ce récit comme le plus ancien et le plus typique des récits de « martyres » en milieu chrétien, lequel est fondé sur le concept biblique de la persécution des prophètes. Hégésippe a recueilli et agencé diverses traditions relatives à la mort de Jacques : il est d’ailleurs possible que certains éléments aient été ajoutés plus tard au récit repris par Eusèbe puisque celui d’Épiphane est sensiblement différent. Dans son récit, Hégésippe mentionne le lieu de la mort de Jacques à Jérusalem, à savoir le « pinacle du temple », il n’y est pas question seulement de lapidation mais aussi de mort par un coup de bâton donné par un foulon. Relevons que certains détails de la mise à mort de Jacques pourraient renvoyer au procédé d’exécution réservé aux prêtres : on sait en effet que les sacrificateurs ayant servi en état de souillure sont condamnés à avoir le crâne brisé d’un coup de bâton (M Sanhedrin IX, 6 ; T Kelim I, 6 ; TB Sanhedrin 81b).
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Le témoignage d’Hégésippe pose toutefois quelques problèmes d’ordre historique, certains détails apparaissent exacts et d’autres inexacts. Parmi les exactitudes historiques, on peut souligner que, d’après le droit judéen, on précipite les condamnés d’une certaine hauteur avant de les achever par la lapidation, sauf dans le cas des prêtres qui sont achevés par un coup de bâton. Parmi les inexactitudes historiques, on peut relever qu’une exécution et une sépulture dans le temple ou dans les environs immédiats sont d’une criante invraisemblance, si ce n’est qu’à cause de la souillure que la mort entraine. Quelques autres éléments sont à relever : (1) la déclaration de Jacques sur le Fils de l’Homme à la droite de la « Grande Puissance » rappelle trop directement la parole de Jésus devant le sanhédrin pour qu’on puisse lui attribuer une origine autre que littéraire ; (2) la même observation doit être faite à propos de l’application du titre de Fils de l’Homme au Christ exalté dans la gloire que l’on retrouve à la fois ici et dans la bouche d’Étienne (Ac 7, 56), de même que de la prière de Jacques pour ses bourreaux qui est un écho de celle d’Étienne (Ac 7, 60). Sur de nombreux points, les récits de Josèphe et d’Hégésippe se contredisent : (1) d’après Josèphe, c’est en 62 qu’a eu lieu la mort de Jacques alors que d’après Hégésippe, c’est immédiatement avant le siège de Jérusalem par les Romains – c’est pourquoi, certains proposent la date de 66, tandis que d’autres proposent la date de 68 : ces datations, qui s’appuient sur un récit dont nombre de traits, rappelons-le, ne sont pas historiques, ne paraissent pas devoir être retenues et la date de 62 est à maintenir – ; (2) d’après Josèphe, il y aurait eu jugement, rien de semblable chez Hégésippe ; (3) d’après Josèphe, Jacques est mis à mort en même temps que quelques autres alors, que d’après Hégésippe, il périt seul ; (4) Josèphe n’indique pas le lieu de la mort de Jacques alors qu’Hégésippe mentionne que c’est au « pinacle du temple » ; (5) contrairement à ce qu’avance Josèphe, pour Hégésippe, suivi en cela par une grande partie de la tradition chrétienne, la responsabilité de la mort de Jacques incombe au peuple judéen. Tous ces éléments ne sont pas vraiment en faveur d’une influence du récit de Josèphe sur celui d’Hégésippe. Comme son récit sur la vie, le récit sur la mort contient des traces qui sont en faveur d’une appartenance de Jacques à la classe sacerdotale. C. Le témoignage de Clément d’Alexandrie Le témoignage de Clément d’Alexandrie sur la mort de Jacques est aussi transmis par Eusèbe de Césarée, dans l’Histoire ecclésiastique, en II, 1, 5, et il est tiré du septième livre des Hypotyposes. Et il y eut deux Jacques : l’un, le Juste qui, ayant été jeté du pinacle du temple, fut frappé jusqu’à la mort d’un bâton de foulon, et l’autre qui fut décapité.
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Avant de reprendre le récit d’Hégésippe sur le martyre de Jacques, un peu plus loin, Eusèbe rappelle encore le témoignage de Clément en Histoire ecclésiastique II, 23, 3 : Les circonstances de la mort de Jacques ont déjà été précédemment indiquées par les paroles de Clément que nous avons citées : celui-ci rapporte qu’il fut jeté du pinacle du temple et frappé à mort à coups de bâton.
Et Eusèbe d’ajouter toujours en Histoire ecclésiastique II, 23, 3 : Ce qui concerne Jacques, Hégésippe qui appartient à la première succession des apôtres, le raconte de la manière la plus exacte dans le cinquième livre de ses Mémoires.
Le récit de la mort de Jacques par Clément est aussi concis que précis : il mentionne, tout comme Hégésippe, le lieu de la mort de Jacques à Jérusalem, à savoir le « pinacle du temple », toutefois il n’est pas question de lapidation mais seulement de mort à coups de bâton donnés par un foulon. Eusèbe semble assez critique vis-à-vis de ce récit, qu’il considère comme peu exact et il ne fait pas de doute qu’il préfère la tradition d’Hégésippe à la tradition de Clément : peut-être à cause de son développement bien plus circonstancié ; peut-être aussi pour des raisons inconnues – on peut penser aux penchants « mystiques » de Clément qui ne sont pas du goût d’Eusèbe. La seule mention dans le récit de Clément d’une appartenance de Jacques à la classe des prêtres est le procédé d’exécution. D. Le témoignage des Reconnaissances clémentines Les Reconnaissances transmettent un récit de la « mort » de Jacques qui est relativement semblable – dans ses éléments essentiels – à celui d’Hégésippe et de Clément, même s’il présente des différences importantes dont l’une est fondamentale. Pour ce récit, le texte de la version syriaque est conservé, mais comme il ne fournit pas de variantes significatives d’un point de vue historique on va donc retenir ici uniquement la version latine. Déjà on en était au point où ils allaient venir se faire baptiser ; un « homme ennemi », pénétrant alors dans le temple avec quelques autres, peu nombreux, se mit à crier et à dire : « Que faites-vous, hommes d’Israël ? Pourquoi vous laissez-vous entraîner si facilement ? Pourquoi vous précipitez-vous sous la conduite d’hommes misérables, bernés par un magicien ? ». Et alors qu’il tenait ces propos, mais que, à l’ouïe des répliques de l’évêque Jacques, il se sentait en état d’infériorité, il se mit à exciter le peuple et à provoquer des désordres, afin que les gens ne pussent même pas entendre ce qui se disait. Il se prit donc à tout jeter dans la confusion par ses clameurs, à bouleverser ce qui avait été arrangé à grand-peine et, en
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même temps, à accuser les prêtres, à les enflammer par ses vitupérations et ses reproches et, comme un fou, à exciter chacun au meurtre, en disant : « À quoi jouez-vous ? Pourquoi hésitez-vous ? Pourquoi, hommes paresseux et inertes, ne tombons-nous pas sur eux à bras raccourcis pour les mettre tous en pièces ? » Et après avoir proféré ces paroles, saisissant le premier un brandon sur l’autel, il donna le signal du massacre. Ce que voyant, tous les autres, à leur tour, furent pris d’une folie semblable ; de toute part on pousse des clameurs, les attaquants comme les attaqués ; le sang coule à flots ; il se produit une débandade confuse, au cours de laquelle l’ennemi en question assaillit Jacques et le précipita du haut des marches ; puis, le croyant mort, il renonça à s’acharner davantage sur lui (Reconnaissances I, 70, 1-8). Nos amis cependant le relevèrent et l’emportèrent, car ils étaient plus nombreux et plus vaillants que leurs ennemis ; pourtant, à cause de leur crainte de Dieu, ils acceptaient plus volontiers de se laisser massacrer par un adversaire inférieur en nombre que de faire périr autrui (Reconnaissances I, 71, 1).
Observons qu’antérieurement aux deux passages portant sur sa mort (Reconnaissances I, 70, 1-8 et I, 71, 1), Jacques a été invité à parler à la multitude du peuple du haut des degrés du temple (Reconnaissances I, 66, 1-4) et qu’il a alors prononcé un discours où il a démontré avec de nombreuses preuves que Jésus est le Messie et qu’en lui ont été accomplies toutes les promesses prophétiques (Reconnaissances I, 69, 1-8) – une prédication qui a duré sept jours et par laquelle il a persuadé tout le peuple et même le grand prêtre de marcher droit et de recevoir le baptême. C’est ce discours qui a provoqué les réactions à l’égard de Jacques et des siens : certains parmi le peuple, n’ayant pas été convaincus, provoquent une échauffourée au cours de laquelle un « homme ennemi » parvient à jeter Jacques du haut des « degrés (c’est-à-dire les marches de l’escalier) du temple », le laissant pour mort : dans ce récit, en effet, le chef de la communauté des chrétiens de Jérusalem, contrairement aux récits d’Hégésippe et de Clément, n’est que blessé et, emporté par ses partisans, il semble même s’être remis de cette chute – il est cependant tellement elliptique qu’on ne sait pas ce que Jacques devient réellement. Le remplacement par les « degrés du temple » du « pinacle du temple » n’est qu’un détail topographique, car pour accéder au pinacle, il fallait passer par les degrés (c’està-dire les escaliers). En ce qui concerne l’expression « homme ennemi » – il pourrait s’agir de Saul (Paul) avant sa conversion au mouvement chrétien –, il est difficile de savoir si elle remonte au texte traduit par Rufin d’Aquilée ou si elle est proprement de lui : ce qui paraît plus vraisemblable, étant donné le contexte conflictuel (entre l’évêque de Jérusalem d’un côté, Jérôme et Épiphane de l’autre) qui se trouve à l’origine de la traduction, l’homme en question serait alors Jean II, l’évêque de Jérusalem.
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Il paraît difficile de considérer, contrairement à la position généralement admise par la critique, que la tradition rapportée par les Reconnaissances puisse dépendre d’Hégésippe : il y a trop de différences irréductibles, et notamment le sort final de Jacques sur lequel on ne peut se prononcer. La présence et l’action de cet « homme ennemi » dont il est question dans le récit des Reconnaissances obligent à considérer que son auteur a puisé ailleurs que dans Hégésippe où il n’est pas question de ce personnage. Ce trait d’ailleurs, typiquement antipaulinien, impose de prendre en considération l’hypothèse d’une origine ébionite pour cette tradition de la fin de Jacques : les ébionites ne tenant pas Paul en haute estime alors que ce n’est pas le cas pour Hégésippe, qui est un judéo-chrétien de type nazoréen – c’est-à-dire reconnaissant sans doute le rôle positif de Paul dans le développement du christianisme. E. Le témoignage de l’Apocalypses I de Jacques Dans le témoignage de l’Apocalypses I de Jacques, qui pourrait dater de la fin de la seconde moitié du IIe siècle (à cause de la présence de caractéristiques valentiniennes), le récit de la mort de Jacques, est fondé sur le texte conservé dans le Codex Tchacos (II, 29, 18-30, 26), lequel permet de compléter le texte en partie perdu du Codex V de Nag Hammadi (V, 42, 20-44, 10). […les] douze [l’in]croyance […] il leur a dit : […] et la connaissance […] il les a persuadés […] hors d’eux […] le reste (aussi ?) […]. Il est arrivé (que), après [un certain temp]s (?), ils ont arrêté Jacques [à la] place d’un autre homme, [l’]ayant accusé de s’être enfui de […] or [… la pri] son, mais c’(était) un autre qui était sorti de la prison – Jacques était aussi son nom –. Ils ont (donc) arrêté [celui-(ci) au li]eu de celui-(là), (et) ils l’ont amené aux juges. Alors la plupart des juges ont vu qu’il était sans péché et ils l’ont re[lâché]. Et le reste (des juges) et tout le peu[ple] se sont tenus là, (persistant et) di[sant] : « Ôtez-le de dessus la Terre ! Il n’est pas di[gne de vi]vre ! Toutefois ces (indécis) ont eu peur, [ils se sont levé]s (et) ont dit : « Nous ne sommes […] pas ( ?) […] ». […] […] […] il s’est rappe[lé …] il est devenu […] car les hom[mes …] mais (?) la diminu[tion ? … et ] lorsqu’ils [le lapi] daient, il a dit : « Mon Père [qui (est) dans] les cieux, pardonne-leur ! car ils ne [connais]sent pas ce qu’ils font ».
Il y est question d’un personnage dont le nom n’est pas mentionné qui fait un discours devant un public qui se partage ensuite entre ceux qui sont persuadés par ses paroles et ceux qui en deviennent furieux : dans ce discours, il semble y avoir une critique des Douze (II, 29, 18-23 ; V, 42, 20-24). Il y est aussi question de l’arrestation de Jacques à la place d’un autre Jacques qui s’est enfui de la prison, en croyant l’avoir rattrapé, et de
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son transfert devant les juges (II, 29, 24-30, 8 ; V, 43, 6-10). Certains juges le trouvent innocent et veulent le relâcher, d’autres, avec le peuple, veulent le condamner à la peine capitale : les premiers quittent alors le tribunal en déclarant qu’ils se désolidarisent de toute condamnation (II, 30, 8-10 ; V, 43, 16-21). Une émeute semble éclater et Jacques est alors lapidé (II, 30, 10-23 ; V, 43, 21-28), durant son exécution il récite une prière pour demander à son dieu le pardon de ses assassins (II, 30, 24-26 ; V, 44, 5-10). La substitution d’un Jacques par un autre est semblable à la substitution de Simon à Jésus lors de la crucifixion [Grand Seth VII, 56, 9-19 ; Irénée de Lyon, Contre les hérésies I, 24, 4]) : on ne rencontre jamais ce trait dans les autres témoignages. Ce récit de la mort de Jacques entretient des points de contact avec certains passages du Nouveau Testament, notamment par exemple la prière de Jacques (II, 30, 24-26 ; V, 44, 5-8 ; voir Lc 23, 34 ; Ac 7, 60) et n’a pas de caractères gnostiques proprement dits. Il ne s’inspire que de très loin de celui qu’on trouve chez Hégésippe si ce n’est par la mention de la lapidation et de la prière en faveur de ses exécuteurs. F. Le témoignage de l’Apocalypses II de Jacques Et ils se levèrent, disant : « Oui, tuons cet homme, de sorte qu’il soit enlevé du milieu de nous. Car il ne nous sera d’aucune utilité ». Et ils étaient là, et ils le trouvèrent debout près du pinacle du temple (Mt 4, 5), près de la puissante pierre angulaire (Ps 118 [117], 22 ; Mt 21, 41 ; Ac 4, 11). Et ils décidèrent de le jeter en bas, depuis cette hauteur. Et ils le jetèrent en bas. Et ils [...]. Ils le saisirent et le frappèrent, en le traînant par terre. Ils l’allongèrent, et placèrent une pierre sur son ventre. Ils le piétinèrent tous, disant : « Tu t’es fourvoyé ! ». Puis ils le relevèrent, car il était encore vivant, et ils lui firent creuser une fosse. Ils le firent s’y tenir. L’ayant couvert jusqu’(à la hauteur) du ventre, ils le lapidèrent ainsi.
Ce récit de la mort de Jacques, qui figure à la fin de l’Apocalypses II de Jacques, en V, 61, 15-62, 12, fondé sur le texte du Codex V de Nag Hammadi, n’a absolument rien de gnostique, du moins si l’on exclut la prière (V, 62, 12-63, 32). La prière d’ailleurs ne se rapporte aucunement, dans son contenu, à la mort de Jacques, mais aux épreuves que rencontre le gnostique dans son affrontement avec les archontes lors de son retour vers le plérôme : c’est une très belle prière que n’importe quel gnostique peut réciter n’importe quand – elle a peut-être été ajoutée au récit de la mort. Il est fait mention du « pinacle du temple » et de la lapidation comme dans le témoignage d’Hégésippe pour les deux éléments et de Clément pour seulement le premier. Le récit se rattache à la tradition représentée par Hégésippe ou par Clément, même si elles ont été exploitées différemment.
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G. Récapitulatif Durant longtemps, on a considéré qu’Hégésippe est à l’origine de la combinaison entre les traditions représentées par Josèphe et Clément : autrement dit, que la tradition d’Hégésippe dépend d’une tradition assez semblable à celle connue par Josèphe et Clément. Récemment, on a proposé d’abandonner cette thèse, considérant que la tradition représentée par Hégésippe est la source unique de toutes les autres traditions chrétiennes – en dehors bien sûr de celle transmise par Josèphe. Il paraît difficile de faire l’impasse sur la tradition de Josèphe et de considérer que la tradition de la mort de Jacques, représentée par Hégésippe, constitue la source dont dépendraient toutes les autres traditions chrétiennes. On peut se demander s’il est vraiment possible de classer, d’un point de vue chronologique, les différentes traditions littéraires qui rapportent la mort de Jacques. Quoi qu’il en soit, la plus ancienne est évidemment la tradition rapportée par Josèphe : elle est à la fois la plus dépouillée et la plus historique et elle remonte de manière certaine à la fin du Ier siècle, à condition évidemment de la considérer comme authentique. La tradition rapportée dans les Reconnaissances, même si elle provient d’un milieu fort différent par rapport à toutes les autres qui sont de provenance chrétienne, est aussi à considérer comme ancienne : elle pourrait dater du milieu du IIe siècle. La tradition rapportée dans l’Apocalypse I de Jacques est difficile à classer par rapport aux autres, d’autant qu’elle contient des éléments originaux, par exemple la substitution d’un Jacques par un autre qu’on ne rencontre jamais ailleurs. La tradition rapportée dans l’Apocalypse II de Jacques, quant à elle, paraît dépendre d’Hégésippe, et auquel cas pourrait être postérieure aux environs de 180. La tradition de l’Apocalypse I de Jacques pourrait être antérieure à celle de l’Apocalypse II de Jacques, à cause aussi de ses éléments originaux et inconnus par ailleurs. Les traditions rapportées par Hégésippe et Clément, qui sont transmises par Eusèbe, sont respectivement des environs de 180 et des environs de 200 : rien ne permet de mettre en doute l’affirmation d’Eusèbe qui considère ces deux traditions comme indépendantes l’une de l’autre. Il est possible de considérer que les traditions d’Hégésippe et des Apocalypses I et II de Jacques, soient plus ou moins contemporaines : elles dépendraient alors d’une tradition commune, qui parle de l’exécution par lapidation avec ou sans le coup de bâton, qu’elles auraient utilisée chacune de manière différente en fonction de leur propre propos. H. Éléments pour une synthèse La mort de Jacques a donné naissance à diverses traditions que l’on retrouve principalement, outre l’œuvre de Flavius Josèphe, dans des textes judéo-chrétiens – du moins pour les plus anciennes d’entre elles.
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Rappelons que l’histoire de la communauté chrétienne de Jérusalem dans ses premières années a été marquée par trois événements violents : vers 36-37, exécution d’Étienne à l’instigation du sanhédrin (sans plus de précisions) ; en 44, mise à mort de Jacques, frère de Jean, sur ordre du roi Hérode Agrippa Ier ; en 62, mise à mort de Jacques, frère de Jésus, sur ordre du grand prêtre Ananias. La lapidation de Jacques est vraisemblablement une conséquence de l’influence exercée par la communauté chrétienne de Jérusalem auprès de l’ensemble des Judéens de la ville. Dans ces conditions, il est fort probable que le « martyre » de Jacques soit une tradition d’origine judéo-chrétienne. Comme cette tradition se trouve aussi bien dans des documents de provenance nazoréenne (avec Hégésippe) que de provenance ébionite (avec les Reconnaissances), il se pourrait que la formation de cette tradition soit antérieure à la fracture qui a été provoquée, pour des raisons institutionnelles, par la création de communautés ébionites aux côtés de communautés nazoréennes – une fracture qui a provoqué avec le temps des distinctions tant du point de vue doctrinal que du point de vue rituel. La tradition de la mort de Jacques repose sur un fait dont l’historicité ne saurait être mise en doute : elle a été probablement formée à une époque encore proche de 62, année de la mort de Jacques. On pourrait dater de manière relative l’émergence de cette tradition dans le temps si l’on parvenait à situer la séparation entre les nazoréens et les ébionites : ce qui est difficile, même si l’on peut raisonnablement penser que cette séparation intervient aux alentours de l’an 100, en tout cas entre 70 et 135, peut-être même peu après 70. La formation de la tradition de la mort de Jacques paraît ainsi pouvoir être située dans une période couvrant les années 70 à 135. Certainement pas après cette période, puisqu’elle est connue des nazoréens, des ébionites et des gnostiques. Nul doute qu’il s’agit d’une des plus anciennes traditions chrétiennes, même si elle n’a pas été retenue dans le Nouveau Testament sous une forme littéraire quelconque : une des raisons de cette absence pourrait en être son origine judéo-chrétienne qui a fait qu’elle n’a pas été considérée comme digne d’intérêt pour un auteur comme Luc – qui, cependant, dans ses Actes des Apôtres, a intégré la tradition de la mort d’Étienne, elle aussi d’origine judéo-chrétienne mais non récupérée par les ébionites – est-ce peut-être là, comment savoir, la vraie raison pour laquelle la tradition de la mort de Jacques n’a pas été retenue par Luc ? La représentation de Jacques comme prêtre, voire comme grand prêtre idéalisé – comme son frère Jésus l’est d’une certaine manière, en faisant le détour par la figure de Melchisédech dans l’Épître aux Hébreux – figure de manière implicite dans Josèphe et Clément, de manière explicite dans Hégésippe, mais est absente des autres témoignages.
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IV. Conclusion La figure de Jacques le Juste, emblématique pour les chrétiens d’origine judéenne qu’ils soient de la tendance nazoréenne ou de la tendance ébionite, voire de la tendance elkasaïte (étant donnée sa récupération dans le manichéisme où des traces éparses ont été conservées dans la documentation qui émane de ce mouvement religieux, un dossier non traité ici), a été considérée comme fondamentale non seulement pour la communauté de Jérusalem des Ier-IIe siècles, mais aussi pour certaines églises périphériques qui lui ont succédé, celle des Géorgiens comme celle des Arméniens – sans compter des lieux de vénération qui lui sont attachés dans la Ville Sainte, notamment son tombeau dans la vallée du Cédron, et qui ont été récupérés par la Grande Église pour en faire des lieux de pèlerinage contrôlé par l’épiscopat local et non plus par une communauté marginale et repliée sur elle-même comme a dû être celle se réclamant de la figure du « Frère du Seigneur ». Jacques a été le premier successeur de Jésus à la tête de la communauté de Jérusalem, contrairement aux affirmations de l’auteur des Actes des Apôtres qui a tendance à réduire le rôle du « Frère du Seigneur » au strict minimum, sans doute à cause d’une primauté qu’il veut accorder à Pierre dans un premier temps et à Paul dans un second temps. Il y a dans la documentation chrétienne du Ier siècle, une volonté à présenter Pierre comme le successeur immédiat de Jésus à la tête de la communauté de Jérusalem : il est évident que les problèmes de la succession de Jésus entre Jacques et sa famille d’une part, et Pierre et ses disciples d’autre part, indiquent un conflit qui a éclaté sans doute déjà du vivant du Maître comme il en existe dans toute succession d’un personnage charismatique. La figure de Jacques, telle qu’elle apparaît dans certains témoignages, mais pas dans tous, indique une appartenance sacerdotale, réelle ou fictive, qu’il ne faut nullement négliger. Le témoignage qu’Hégésippe rapporte sur Jacques va dans le même sens et il est très éclairant : d’ailleurs, seul un prêtre, un membre de la classe sacerdotale, ayant même le rang de grand prêtre, peut obtenir le privilège unique de pénétrer dans le sanctuaire, le Saint des Saints – que ce privilège soit réel ou fictif. De ce point de vue, le témoignage d’Épiphane de Salamine, qui affirme que Jacques a joui des privilèges de grand prêtre, n’est pas sans intérêt et mérite la plus ample attention (Panarion XXIX, 3-4). La question que l’on doit maintenant se poser est la suivante : le caractère sacerdotal de Jacques repose-t-il sur une légende étiologique de la communauté pagano-chrétienne de Jérusalem après 135 ou sur une réalité historique conservée et transmise par la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem avant 135 ? Nulle réponse à cette question ne peut être facile et définitive, mais un point apparaît comme assuré : au vu des indices relevés,
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l’appartenance sacerdotale de la famille de Jésus devient de plus en plus évidente, pour ne pas dire certaine. De ce fait, on peut observer déjà que le caractère sacerdotal de Jacques relève plus de la réalité historique que de la légende étiologique. Ce qui ne fait pas pour autant de lui un sadducéen et sans doute encore moins un pharisien, qui figurent parmi ses opposants et ses juges, tant d’après le témoignage de Josèphe que d’après celui d’Hégésippe. Par ailleurs, la possible appartenance de Jacques aux Réchabites, du moins d’après le témoignage d’Hégésippe, pourrait être un indice supplémentaire de cette appartenance sacerdotale, car ce groupe aux anciens préceptes ascétiques a toujours été composé essentiellement de prêtres. L’action de Jésus contre le temple n’est pas étrangère non plus à une possible appartenance de toute la famille aux Réchabites qui ont toujours été très critiques à l’égard du sanctuaire, de ses sacrifices et de son sacerdoce – ce sont les traditionnalistes de l’époque, prônant la fidélité aux traditions ancestrales et refusant la culture urbaine pour une vie ascétique (Jr 35, 1-19). Il peut paraître paradoxal que Jacques dont le zèle pour la Torah lui a valu une réputation telle qu’il est demeuré dans les mémoires comme un « Juste » (δίκαιος) ou un « Rempart » (ὠβλίας) l’ait conduit aussi à la mort. Cela n’est cependant pas si paradoxal quand on réalise que c’est souvent le sort qui attend les personnages exemplaires de la tradition judéenne, et notamment celui des prophètes persécutés – un topos classique de la littérature biblique. Jacques, tout comme d’ailleurs son frère Jésus, est mort à cause de ses idées rigoristes et sans concession aucune : il a ainsi subi le sort des prophètes qui ont proclamé un message critique à l’égard des autorités en place, qu’elles soient monarchiques ou sacerdotales. La figure de Jacques s’inscrit donc parfaitement bien dans celle de Jésus : une raison de plus, s’il en fallait encore, pour accepter ce que disent de manière unanime les auteurs chrétiens les plus anciens à propos de leur fraternité, qui ne saurait être que de sang, même si les auteurs postérieurs seront bien gênés et tenteront de contourner cette réalité de plusieurs manières à cause notamment de la doctrine faisant de Jésus un être non seulement humain mais aussi divin.
DU TEMPLE AUX PALAIS. DE SIMÉON FILS D’ONIAS À SIMÉON FILS DE YOHAÏ Bernard Barc Université Jean Moulin (Lyon III)
Abstract It is generally acknowledged that the Sadducees, a group made up primarily of priests, disappeared following the destruction of the Temple. Deprived of both their monopoly over the Temple cult and the political power gained through their collaboration with the Roman occupiers, their absence would have left room for the Pharisees, whose exclusively religious authority derived from their interpretation of the oral Torah. It is clear from many ancient sources that the struggle between the two groups for religious status was concerned—perhaps even primarily concerned—with the interpretation of Scripture. Although the oral Torah of the Pharisees eventually won the day, this is not to say that the priestly interpretation of Scripture was altogether lost: rather, it became an esoteric tradition reserved for initiates. The book of Joshua ben Sirach, known as Ecclesiasticus, presents the High Priest Simon, son of Onias (220-195 BCE), as being the founder of this ancient interpretation of Scripture; this work was preserved, but the teaching was attributed to a different Simon, the son of Yohay and the reputed founder of the Hekhalot (“palace”) tradition of Jewish mysticism. Résumé On admet généralement que le parti des Sadducéens, majoritairement composé de prêtres, a disparu corps et biens lors de la destruction du Temple. Privé de son monopole sur le culte du Temple et d’un pouvoir politique fondé sur la collaboration avec l ’occupant, il aurait laissé le champ libre au mouvement pharisien dont l ’autorité exclusivement religieuse reposait sur l ’interprétation de la Torah orale. En fait de nombreux témoignages anciens montrent que le conflit entre les deux partis avait aussi – et peut-être avant tout – pour objet l ’interprétation des Écritures et que, si la Torah orale pharisienne finit par l ’emporter, l ’interprétation sacerdotale de l ’Écriture ne disparut pas pour autant, mais elle fut réservée aux initiés. Le livre de Jésus ben Sira (l ’Ecclésiastique) qui faisait du grand prêtre Siméon fils d’Onias (220-195 avant notre ère) le fondateur de cette interprétation ancienne fut conservé mais son enseignement attribué à un nouveau Siméon, fils de Yohay, le fondateur éponyme de la nouvelle mystique des Palais. La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 39-59. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115525 ©
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Que devinrent les prêtres et les lévites après la destruction du second Temple en 70 de notre ère ? L’absence de témoignages sur leur survie en tant qu’institution a conduit à conclure que le parti sadducéen, auquel se rattachaient la plupart d’entre eux, n’avait pas survécu à cette destruction. Telle est la thèse que retiennent les ouvrages de synthèse tant universitaires que juifs ou chrétiens : (Le parti sadducéen) opposé aux pharisiens […] n’apparaît pour la première fois comme tel que sous Jean Hyrcan (-134 à -104). Composé d’aristocrates, durant tout le Ier siècle avant notre ère et une bonne partie du Ier siècle chrétien, il se recruta surtout dans la caste sacerdotale. Au temps de Jésus, il contrôlait l’administration et le culte du Temple. Malgré ses complicités avec l’occupant romain, qui l’avantageait en maintenant le statu quo, la ruine du Temple lui fut fatale. Politique, sa force ne pouvait survivre à l’écrasement de l’État juif. Après ces événements, le judaïsme s’étant réorganisé exclusivement comme pharisien, on ne retrouve des sadducéens que des traces fictives; dans la littérature talmudique, « sadducéen » est alors simplement synonyme d’« hérétique » (la censure catholique des XIIe, XIIIe et XVIe siècles a souvent remplacé par « sadducéens » le terme mînîm — « hérétiques » —, dans lequel elle voyait la désignation des judéo-chrétiens) 1. Comme les saducéens étaient attachés au culte du Temple, ils disparurent avec sa destruction, laissant le champ libre à leurs adversaires de toujours, les pharisiens 2 . Malgré l’importance de leur parti, puissant bien que minoritaire dans le judaïsme au tournant de l’ère chrétienne, les sadducéens ne sont connus que de façon indirecte; cela tient au fait qu’ils disparaissent quasiment corps et biens dans la destruction de Jérusalem et du Temple en 70 3.
Est-il pensable que ces prêtres et lévites qui avaient fait l’histoire religieuse et politique de la Judée pendant plusieurs siècles aient pu renoncer à jouer un rôle après la destruction du Temple ? Une telle conclusion repose en fait sur la dissociation de deux aspects de la religion judéenne – le culte du Temple et l’interprétation des Écritures – comme si, au premier siècle de notre ère, les Sadducéens n’avaient revendiqué que le culte du Temple et abandonné à leurs adversaires pharisiens le soin d’interpréter ces Écritures.
1. A. Paul , « Sadducéens », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 26 novembre 2015, http://www.universalis-edu.com.acces.bibl.ulaval.ca/encyclopedie/ sadduceens/. 2. G. Wigoder – S.A. Goldberg (éd.), Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Paris, 1996, p. 897. 3. H. Cousin – J.-P. L émonon – J. M assonnet (éd.), Le monde où vivait Jésus, Paris, 1998, p. 677.
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Notre manque d’information sur les Sadducéens est en fait la conséquence d’une censure radicale effectuée par les Pharisiens et, dans leur sillage, par le judaïsme rabbinique. Cette censure s’est exercée aussi bien à l’égard de leur production littéraire que de leur histoire. Le judaïsme rabbinique n’a conservé aucune œuvre littéraire sadducéenne; elles ont été mises à l’index en même temps que toute la littérature de la période du Temple, à l’exception des 22 (24) livres retenus dans le canon des Écritures. Cette même censure s’est également exercée, en apparence au moins, en ce qui concerne l’histoire des Sadducéens. Toute référence à celle-ci aurait été bannie, de sorte que les seules allusions qui nous seraient parvenues ne seraient – selon la formule d’André Paul – que « des traces fictives » sans valeur pour l’historien. Cette contribution voudrait montrer que ce silence apparent de la littérature rabbinique sur l’histoire sacerdotale d’après la destruction du Temple provient moins de l’absence de sources que de la grille de lecture que nous projetons sur les sources existantes. Bon nombre de récits, en apparence légendaires, ont en effet été écrits en vue d’un double niveau d’interprétation. Le non-initié en fait une lecture naïve et n’y voit que légendes, alors que l’initié peut y lire, en filigrane, une version de l’histoire qui montre que la doctrine pharisienne ne s’imposa qu’au terme d’un long conflit dont l’un des enjeux, probablement le principal, fut l’interprétation des Écritures. Cette technique d’écriture « à double hauteur » dont on se servait encore pendant les deux premiers siècles de notre ère ne fait, en réalité, que pasticher une technique mise au point trois siècles auparavant par le grand prêtre Siméon le Juste pour rédiger l’histoire biblique elle-même 4 . On peut la définir de la façon suivante : l’auteur inspiré n’étant que le porte-parole d’une révélation divine, son message se doit de refléter la perfection de son véritable auteur. La pensée divine étant parfaite, l’Écriture ne peut alors que refléter cette perfection, ce qui exclut tout superflu et toute contradiction. La composition du texte doit en conséquence être parfaitement logique et son interprétation se fonder, non pas sur l’intuition du lecteur ou sur une approche critique, mais sur l’application stricte de règles de logique qui, de proche en proche, en dévoilent de façon impérative le sens caché. Dans le contexte d’une Judée hellénisée depuis plus d’un siècle, Siméon (grand prêtre de 220 à 195 avant notre ère) s’inspire naturellement de la logique grecque. Parmi les règles qu’il édicte il en est une que les écrivains postérieurs désigneront du nom de binian ’av (= construction paternelle), une règle que les pharisiens corrigeront pour en réduire officiellement le champ d’application au seul domaine juridique. À l’origine, elle signifiait que le « sens » d’un mot devait être déduit du contexte de 4. B. Barc , Siméon le juste : L’auteur oublié de la Bible hébraïque, Turnhout, 2015, p. 161-167.
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son premier emploi dans l’Écriture. Cet emploi en construisait donc le « paradigme » d’interprétation. Toute contradiction étant exclue, toutes les occurrences suivantes devaient alors être interprétées par référence à ce paradigme et en harmonie avec lui. La notion d’un champ symbolique s’enrichissant progressivement d’occurrence en occurrence prenait alors la place du champ sémantique qui nous est familier 5. Les auteurs de certaines légendes rabbiniques pastichent ce fonctionnement de l’Écriture. Ils glissent dans leurs compositions un mot, parfois en apparence banal et pris au hasard, mais qui renvoie l’initié, par le biais de la règle du « paradigme », à un texte de l’histoire biblique qui en dévoile le sens. La légende devient alors accomplissement des Écritures. C’est à entrer dans cette logique d’un autre âge que nous nous emploierons ici. I. La version officielle de l’histoire selon la Michnah Pour s’imposer comme les seuls guides du peuple juif, les héritiers du mouvement pharisien se devaient de légitimer leur doctrine face aux doctrines antérieures de la période du Temple. Il leur fallait avant tout convaincre que les nombreuses innovations qu’ils avaient introduites dans la tradition jouissaient du même degré d’inspiration que l’Écriture ellemême. Leur croyance en la survie dans l’au-delà et en la résurrection des morts était, semble-t-il, au centre du conflit théologique qui les avait opposés aux Sadducéens, une innovation qui, à première lecture au moins, n’avait pas de fondement scripturaire solide. Pour justifier ce silence des Écritures ils se présentaient comme les héritiers d’un enseignement oral de Moïse dont l’authenticité avait été garantie par une transmission orale ininterrompue, de génération en génération, du Sinaï jusqu’à la fixation écrite de cette Torah orale dans la Michnah au début du troisième siècle de notre ère. Cet axiome étant admis, toute justification de leurs innovations devenait superflue. Il leur suffisait d’affirmer que chacune correspondait à « une Torah (révélée) à Moïse depuis le Sinaï (Torah lemochéh misinaï) ». À la différence de la doctrine sadducéenne qui se fondait sur une Torah écrite définitivement figée, et en apparence sur elle seule, la Torah orale pharisienne était une Parole descendue des cieux sur la terre et dont les soixante-dix sages de Yavnéh étaient collégialement les gardiens et les interprètes. Cette approche pharisienne de l’herméneutique biblique était 5. Voir B. Barc . « “Au commencement”. Essai de lecture littérale du prologue du récit de création », Tsafon, Revue d ’études juives du Nord 40 (2000), p. 77-101. Cette étude illustre l’application de ces règles en s’attachant à montrer que la lecture littérale des 18 occurrences de ré ’chit (commencement) dispersées dans la Torah – de Gn 1, 1 à Dt 33, 21 – construit un modèle cohérent de l’histoire de la Sagesse, des origines jusqu’à Siméon le Juste lui-même. Voir également B. Barc , Les arpenteurs du temps, Lausanne, 2000, § 42-53.
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ramassée en une formule : « chive ‘ im panim latorah » que l’on interprète généralement de la multiplicité des interprétations possibles – « Il y a soixante-dix faces à la Torah » – mais qui signifie plutôt que ces « faces », celles des soixante-dix sages siégeant au Sanhédrin, participent à l’élaboration d’un enseignement unique adopté à la majorité. Comme nous le verrons, c’est au nom de cette doctrine qu’au début du deuxième siècle de notre ère Rabbi Eliézer ben Hyrkanos fut excommunié après que Rabbi Josué eut déclaré : « La Torah n’est plus dans les cieux depuis que tu as dit au Sinaï : « c’est derrière les Nombreux qu’il faut se ranger » (’aharé rabim lehatot : Ex 23, 2) ». Cela revenait à affirmer que l’Écriture d’origine céleste, gravée par le doigt de Dieu sur les Tables de la Loi (Torah chebiktav), ne devait plus désormais être interprétée qu’en conformité avec l’enseignement oral (Torah chebe‘al pé) des maîtres (rabim) du judaïsme nouveau. Cette excommunication, prononcée au plus tôt au début du deuxième siècle de notre ère, suffirait déjà à démontrer que le monopole de la pensée pharisienne ne s’est pas imposé dès la destruction du Temple et encore moins avant celle-ci comme le prétend la version officielle de l’histoire codifiée dans la Michnah, mais, au plus tôt, après un siècle de cohabitation conflictuelle avec les défenseurs de l’herméneutique de la période du Temple. L’autorité de la Torah orale pharisienne se fonde pour l’essentiel sur un document dont la rédaction définitive date de cent cinquante ans environ après la destruction du Temple (218 de notre ère) et qui a été placé en préface du premier des traités de la Michnah, les Chapitres des Pères (Pirqé ’avot) 6. Ce document pastiche celui des voyages de la Sagesse décrit en prologue de son traité – l’Écclésiastique – par Jésus ben Sira, un contemporain de Siméon le Juste 7. Comme celle de la Sagesse, l’histoire de la Torah est structurée en trois étapes, conformément au modèle platonicien de tripartition du réel. Pendant la première étape, la Torah est une « Écriture » révélée dans laquelle est consignée toute l’histoire biblique, de Moïse aux Hommes de la Grande Assemblée 8. Sa troisième étape, terrestre, s’identifie quant à elle à l’histoire du mouvement pharisien lui-même, de Hillel, son fondateur éponyme, à Juda le Prince, rédacteur de la Michnah et à son fils. La Torah-Écriture de la période du Temple se trouve alors « doublée » – tel est le sens du mot Michnah – d’une Torah-Parole dans laquelle 6. B. Barc , Les arpenteurs du temps, Lausanne, 2000, § 94-100. 7. B. Barc , Les arpenteurs du temps, Lausanne, 2000, § 71. 8. Cette « Grande Assemblée » aurait été composée de 120 membres parmi lesquels auraient siégé les derniers prophètes, Aggée, Zacharie et Malachie. Par son nombre 120, elle symbolise la révélation parfaite reçue par Moïse pendant les 120 ans de sa vie terrestre.
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Juda le Prince a consigné les enseignements des 70 rabbins qui l’entourent 9. Mais, comme dans tout modèle de tripartition, l’étape décisive est la deuxième, celle qui explique le pourquoi de ce passage de la Torah écrite à la Torah orale et les raisons qui ont contraint les rabbins à repenser le sens de cette Torah écrite, en proclamant qu’elle n’était plus dans les cieux. Dans ce manifeste, la transmission de la Torah orale à travers l’histoire biblique se déroule en cinq étapes : Moïse a reçu la Torah du Sinaï et il l’a transmise à Josué et Josué aux Anciens et les Anciens aux Prophètes et les Prophètes l’ont transmise aux hommes de la Grande Assemblée (Pirqé ’avot 1, 1).
À la différence de la Torah écrite, la transmission de la Torah orale pharisienne ne s’est pas faite par le canal des rois et des prêtres dont les Sadducéens se disaient les héritiers, mais par celui des prophètes 10. Il est vrai que les prêtres et les rois des temps bibliques s’étaient montrés incapables de garantir la transmission de la Torah écrite. En se faisant complice du culte des idoles, lors de l’épisode du veau d’or, le grand prêtre Aaron luimême n’avait-il pas contraint Moïse à briser les Tables de la Loi ? Les nouvelles Tables, déposées dans l’Arche d’alliance, avaient été dérobées par les Philistins, puis retrouvées et perdues à nouveau pour n’être retrouvées, dans le Temple, qu’au moment de la réforme de Josias. Puis cette Torah avait disparu, une fois encore, au moment de l’Exil en Babylonie, jusqu’à ce qu’un personnage providentiel la rapporte de Babylone ? En contrepoint de ce parcours chaotique de la Torah écrite, la Torah orale s’était transmise fidèlement par le canal des prophètes, de Moïse qui posséda la plénitude de l’inspiration au moment de sa mort en atteignant l’âge de cent vingt ans 11, jusqu’aux cent vingt membres de cette Grande Assemblée qui, conformément à leur nombre, héritèrent collégialement de cette plénitude de l’Esprit de Moïse. C’est au sein de cette Grande Assemblée que la Torah orale, réduite jusqu’ici au silence, avait pris pour la première fois la parole, une triple parole prononcée par les cent vingt à l’unisson et qui fixait la conduite à tenir en matière juridique, éducative et religieuse : 9. Que le traité Pirqé ’avot rapporte les paroles de 71 maîtres (1 + 70) est probablement intentionnel. On trouvera leurs biographies en appendice du dictionnaire de N.-Ph. Sander – L. Trenel , Dictionnaire Hébreu-Français, Genève 1982 p.797811 (réédition). 10. Le statut prophétique de chaque personnage ou groupe est fondé sur un texte scripturaire. Moïse fut le plus grand des prophètes (Dt 34, 10). Josué hérita de l’Esprit prophétique de Moïse (Nb 27, 15-21 et Dt 34, 9). Les Anciens prophétisèrent à la période du désert mais ne continuèrent pas (Nb 11, 25). Puis vinrent les Prophètes et enfin les hommes de la Grande Assemblée qui comptaient dans leurs rangs les derniers prophètes. 11. B. Barc , Siméon le juste : L’auteur oublié de la Bible hébraïque, Turnhout, 2015, § 169.
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trois domaines dans lesquels les Pharisiens étaient en désaccord avec les Sadducéens. Les hommes de la Grande Assemblée ont dit trois paroles : « Soyez simples dans le jugement, formez de nombreux disciples et faites une haie pour la Torah » (Pirqé ’avot 1, 1).
Au terme de ce voyage biblique, la doctrine pharisienne, héritière de celle de la Grande Assemblée, aurait dû s’imposer. Mais il n’en fut rien par la faute d’un grand prêtre de la période hellénistique, Siméon le Juste, qui avait fait partie des chantres (cheyaré) de la Grande Assemblée et en fut le dernier survivant. Dans un premier temps il avait fait siennes les trois paroles prononcées à l’unisson par cette Assemblée. Puis il avait dit, sous sa propre autorité : « Sur trois choses tient le monde, sur la Torah, sur le service (du Temple) et sur la pratique des miséricordes » (Pirqé ’avot 1, 2).
C’est ce Siméon, grand prêtre du Temple de Jérusalem – de 220 à 195 avant notre ère – à l’époque de l’hellénisation de la Judée par les Lagides puis les Séleucides, qui aurait donc été responsable du report de la manifestation de la doctrine pharisienne. Il aurait été à l’origine de la doctrine sadducéenne en fixant comme priorité « le service du Temple » plutôt que la formation de « nombreux disciples » comme le prévoyait la Grande Assemblée. De ce fait, il aurait concentré le pouvoir entre les mains de l’aristocratie sacerdotale. Quant à sa Torah, une Torah écrite, il l’aurait livrée à ses lecteurs sans l’entourer de cette « haie » exigée par la Grande Assemblée, une haie que les pharisiens dresseront au moyen de leur enseignement oral. La conséquence ne se fit pas attendre et les disciples de Siméon, dont le porte-parole emblématique fut un prêtre hellénisé nommé Antigonos, rejetèrent les dogmes les plus chers aux pharisiens, ceux du jugement et de la résurrection : Antigonos, l’homme de son Souk, a reçu de Siméon le Juste. Il disait : « Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent le Maître afin de recevoir un salaire (dans l’au-delà), mais soyez comme des serviteurs qui servent le maître sans attendre aucun salaire, et que la crainte des cieux soit sur vous » (Pirqé ’avot 1, 3).
Les générations suivantes – représentées par des couples de maîtres (les zougot) – continuèrent à s’affronter dans des débats contradictoires. Et c’est alors, à la troisième génération de ces couples que le parti sadducéen serait devenu le parti officiel des rois prêtres asmonéens, sous Jean Hyrcan (134-104 avant notre ère). Après ce « schisme sadducéen », les débats contradictoires se seraient poursuivis au sein même du mouvement pharisien, jusqu’à la cinquième génération, celle de Hillel et de Chammaï.
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C’est alors, selon la version officielle de la Michnah, que ces conflits « théologiques » provoqués par Siméon le Juste auraient pris fin. Nous sommes au début de notre ère. Selon cette version, l’histoire de la religion juive se serait alors identifiée à celle de la lignée des descendants de Hillel et à son seul enseignement. À partir de cette date l’auteur de cette synthèse pharisienne se désintéresse totalement de l’histoire politique judéenne. Aucune allusion n’est faite, ni à la première révolte juive (en 66 de notre ère), ni à la destruction du Temple (en 70 de notre ère), ni à la deuxième révolte (entre 132 et 135 de notre ère). À partir de Hillel, l’histoire du peuple juif s’identifie à celle de la lignée des hillélites et à leur enseignement, et cela sur sept générations, jusqu’aux pontificats de Juda le Prince et de son fils. Telle est la version officielle. II. La version des fondateurs de Yavnéh À la suite de cette version, les Pirqé avot en ont conservé une autre qui montre que l’histoire ne s’arrêta pas avec Hillel. Cette version jugée « secondaire », et placée en conséquence en appendice par les rédacteurs de la Michnah (Pirqé ’avot 2, 9), était celle que commentait l’auteur des Avot de Rabbi Natan, près d’un siècle auparavant, vers le milieu du deuxième siècle de notre ère. Jusqu’au couple constitué par Hillel et Chammaï les deux versions sont identiques, mais alors que la Michnah ne s’intéresse ensuite qu’à la lignée des hillélites, la version ancienne suit un tout autre parcours. Après Hillel et Chammaï, entre en scène un nouveau personnage Rabbi Yohanan ben Zaccaï, dont les biographies traditionnelles résument ainsi l’histoire : Rabbi Yohanan ben Zaccaï, né, suivant plusieurs chroniques, en 47 avant l’ère vulgaire, de la race pontificale, fut un des plus illustres disciples de Hillel. Partisan de la paix, il se rendit pendant le siège de Jérusalem auprès de Vespasien et obtint de lui la permission d’établir une école à Yamniah, qui devint le siège du Sanhédrin. En fondant cette institution, le célèbre docteur assura l’avenir du judaïsme, et sauva du milieu des ruines fumantes de Jérusalem et du temple le trésor le plus précieux de la nation juive, sa doctrine et sa législation […]. Il soutenait souvent des controverses contre les sadducéens. Il mourut peu d’années après la prise de Jérusalem, à l’âge de 120 ans et en 73 de l’ère vulgaire, suivant les chroniqueurs déjà cités. Depuis sa mort, dit la Michnah, la Sagesse a perdu sa splendeur 12 .
En fait cette biographie, d’inspiration rabbinique, est pour le moins tendancieuse. Elle pèche en effet par omission lorsqu’elle dit que Yohanan « fut l’un des plus illustres disciples de Hillel », comme s’il avait épousé 12. N.-Ph. Sander – L. Trenel , Dictionnaire Hébreu-Français, Genève, 1982, p. 804-805 (réédition).
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le point de vue pharisien. La récupération du personnage est encore accentuée par le fait qu’il aurait « soutenu de nombreuses controverses avec les sadducéens ». En fait le texte dit : Rabban Yohanan ben Zaccaï reçut de Hillel et de Chammaï. (Pirqé ’avot 2, 9).
Il puisa donc dans l’enseignement de deux écoles. Plutôt que l’exclusion, il choisit la voie de la synthèse entre des doctrines opposées. De nombreux indices permettent d’ailleurs de penser que l’école de Chammaï que la tradition rabbinique rattache au mouvement pharisien comme celle de Hillel, représente en réalité la doctrine sadducéenne. Le Yohanan ben Zaccaï de la première version, bien que d’origine sacerdotale, s’efforce donc de concilier les doctrines sadducéennes et pharisiennes. Il justifie sa tentative de synthèse dès son premier enseignement que les traductions traditionnelles rendent sous la forme suivante : Si tu as beaucoup étudié la Torah, ne t’en fais pas un mérite, car c’est pour cela que tu as été créé ! (Pirqé ’avot 2, 9).
Cet enseignement est en fait écrit en vue d’une double interprétation, dont la traduction ci-dessus ne rend que le sens superficiel, somme toute banal. Pour en découvrir le sens profond, il faut revenir au texte hébreu 13 ou pour le moins à une traduction littérale qui en soit autant que possible le calque : Si tu as fait une Torah (aux interprétations) nombreuse(s)
Ne saisis pas (la) bonne (interprétation) en vue de ton os. Car (c’est) en vue de ces (interprétations multiples) que tu as été façonné (avec un double penchant) (Pirqé ’avot 2, 9).
On se contentera d’un commentaire minimal. Les récits des origines emploient trois verbes pour définir le statut d’Adam : il a été créé (bara’), façonné (yaçar) et fait (‘asah). Chacun de ces verbes correspond à l’un des niveaux de la tripartition du réel : créé dans l’intelligible qui est le monde de l’unité, fait dans le monde sensible qui est celui de la multiplicité, Adam a été façonné dans le monde de la médiation afin de faire la synthèse entre intelligible et sensible, d’où l’association de la racine (yaçar) à la notion de double penchant (yèçèr) – au mal (terrestre) et au bien (céleste) 14 . Comme l’indique le choix du verbe dans l’expression insolite : « si tu as fait une Torah », il faut comprendre que les interprétations de la Torah « faites » jusqu’ici ont été terrestres donc nécessairement multiples et contradictoires. Cependant, il ne faudrait pas en déduire – comme le 13. « ’im ‘asita toratekha ’arbéh ‘al tahaziq tovah le‘açmekha ki lekakh noçarta ». Voir S. Schechter , Aboth de Rabbi Natan, Hildesheim-New York, 1979, p. 66; E. Smilevitch, Les Leçons des Pères du Monde, Lagrasse, 1983, p.153. 14. B. Barc , Siméon le juste : L’auteur oublié de la Bible hébraïque, Turnhout, 2015, § 162.
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feront les pharisiens – que le moment est venu de faire le tri et de ne retenir que la bonne interprétation – celle de Hillel. Ce serait renoncer à faire la synthèse entre un sens intelligible caché de la Torah et son sens apparent. Ce serait oublier que l’homme a été « façonné » avec ce double penchant dont les exégèses contradictoires sont la manifestation. Alors que les hillélites choisiront d’occulter l’interprétation de Chammaï, Yohanan « reçoit » donc les deux interprétations. Si les verbes « faire » et « façonner » servent à définir le projet exégétique de Yohanan, le verbe « saisir », dans l’expression : « Ne saisis pas (‘al tahaziq) la bonne (interprétation) » a pour but de convaincre l’initié que l’attitude en apparence critiquable de Yohanan est conforme au plan divin. En fuyant vers la bourgade de Yavnéh, avec l’accord de l’empereur, et avant même la destruction de Jérusalem – Yohanan a accompli les Écritures. C’est ce qu’enseigne le paradigme du verbe « saisir » (hazaq) dont la première occurrence apparaît dans l’histoire de Lot. Yohanan quitte la ville de Jérusalem comme Lot avait quitté celle de Sodome dont la destruction avait été décidée de façon irrémédiable par Yahvé. Cette Jérusalem, que Yohanan ben Zaccaï s’apprête à quitter, est donc devenue une nouvelle Sodome, vouée à la destruction. À partir de là, l’initié peut étendre le parallèle à l’ensemble de l’histoire de Lot et constater que Yohanan n’a fait que marcher sur les traces de son modèle. Il suffira ici de retenir les passages où le parallèle entre Yohanan et Lot n’exige pas de longues explications et en premier lieu ce passage où apparaît le verbe « saisir » qui a permis de passer de façon mécanique de l’histoire de Yohanan à celle de son modèle. Quand se leva l’aurore, les anges pressèrent Loth, en disant : « Lève-toi, prends ta femme et tes deux filles qui se trouvent ici, de peur que tu ne périsses par la faute de la ville ». Et comme il hésitait, les hommes saisirent (hazaq) sa main, la main de sa femme et la main de ses deux filles, grâce à la compassion de Yahvé pour lui, puis ils le firent sortir et l’emmenèrent hors de la ville » (Genèse 19, 15-16).
En quittant Jérusalem avec l’accord de l’empereur qui allait la détruire, Yohanan n’a fait qu’imiter Loth que les « Hommes » chargés de détruire Sodome « avaient saisi par la main ». Mais de même que ces Hommes avaient également saisi la main de la femme de Loth et de ses filles pour les faire sortir en même temps que lui, Yohanan sort accompagné de cinq de ses disciples. Quand on connaît la suite de l’histoire biblique – la désobéissance de la femme de Loth qui lui valut d’être changée en statue de sel et la transgression de ses filles qui enivrèrent leur père pour lui imposer une liaison incestueuse –, on peut prévoir que certains des disciples que Yohanan entraîne dans sa fuite seront également sous l’influence d’un mauvais penchant. Ses disciples ne sont pas encore prêts à « saisir la bonne (interprétation) » et à rejeter la mauvaise. Ils doivent consentir à cohabiter avec leurs adversaires. L’histoire judéenne d’après la destruction du Temple devra continuer avec son mélange de bons et de mauvais.
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L’accomplissement le plus évident du modèle biblique par Yohanan apparaît dans les propos tenus par Loth aux « hommes » qui le pressent de partir : « Je ne puis me sauver à la montagne, de peur que le malheur ne s’attache à moi et que je ne meure. Or la ville que voici est assez proche pour y fuir et elle est petite chose ! Que je puisse donc me sauver là-bas et que vive mon âme. (Yahvéh) lui dit : « Voici que je te favorise même sur ce point, en n’anéantissant pas la ville dont tu as parlé. Hâte-toi donc de te sauver là-bas, car je ne puis rien faire tant que tu n’y es pas arrivé ». C’est pourquoi on a appelé la ville du nom de Soar. (Genèse 19, 19-20).
Conformément aux Écritures, Yohanan, dont la tradition fait un prêtre, voire un grand prêtre, refuse de se réfugier sur la montagne (du Temple), qui ne garantirait pas sa survie ni celle de ses disciples. Comme Loth, il propose alors de se rendre dans une bourgade comparable à Soar et qui, comme elle, « est petite chose ». Il choisit la bourgade de Yamniah dont le nom deviendra Yavnéh (il fera bâtir). C’est ainsi que son âme pourra survivre à la destruction de Jérusalem et du Temple et bâtir un nouveau « Temple ». Les contemporains de la destruction du Temple étaient assurément en mesure de distinguer ce qui, dans cette présentation des faits, était conforme à l’histoire de ce qui n’était qu’une projection du modèle biblique sur l’histoire. L’important pour eux était avant tout de prouver que leur maître agissait « conformément aux Écritures ». Les documents relatifs à l’histoire de Yavnéh ayant été rédigés en fonction de ces règles d’écriture, les critères qui permettraient de faire le tri entre histoire et « légende » manquent. Cela explique que les spécialistes se soient divisés sur le sujet, les uns acceptant sans réserve l’historicité de ces récits, d’autres les rejetant en bloc, d’autres optant pour une position moyenne 15. Solliciter ces récits pour les faire répondre à des préoccupations d’historiens qui leur sont étrangères ne peut que déboucher sur des débats sans fin. Ils nous livrent en revanche des informations précieuses sur le projet de Yohanan et à travers lui sur les péripéties de la transition entre la période du Temple et la prise de contrôle exclusif de la religion judéenne par le judaïsme rabbinique. III. Les disciples de Yohanan Pour en savoir plus, il nous faut nous intéresser aux cinq disciples de Yohanan en appliquant à la notice qui concerne chacun d’eux la même grille d’analyse que précédemment. Trois informations sont données à leur propos. La première est leur ordre d’apparition. La deuxième est fournie 15. Voir S.C. M imouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012 p. 489-490.
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par l’étymologie de leur nom et, éventuellement, de celui de leur père, conformément au principe qui veut que le nom corresponde à la fonction 16. La troisième enfin est une parole de Yohanan qui décrit, à mots couverts, le rôle que chacun jouera dans l’histoire de cette nouvelle période. Le premier d’entre eux est Rabbi Eliézer fils d’Hyrkanos : « Il est une citerne (bor) qui ne laisse perdre aucune goutte ». Le deuxième est Rabbi Josué fils d’Hananiah : « Bénie soit celle qui l’a enfanté » (ou) « La corde triple ne sera pas facilement brisée ». Le troisième est Rabbi Yossé, le prêtre : « C’est un homme pieux ! » Le quatrième est Rabbi Siméon fils de Nathaniel : « Une diminution (gerou‘ah) qui (est) dans le désert (chebamidbar) (et) qui saisit ses (propres) eaux (chemahazèqèt memeah). Le cinquième est Rabbi Eléazar fils d’Arakh : « Un flot intarissable, une fontaine (ma‘yan) débordante dont les eaux jaillissent au-dehors » (Aboth de Rabbi Natan A, 14) 17.
On notera d’abord que les cinq disciples reçoivent le titre de Rabbi ce qui signifie que leur enseignement fait autorité dans chacune de leurs communautés, qu’il soit bon ou mauvais. Les notices consacrées au premier et au dernier d’entre eux – Eliézer fils d’Hyrkanos et Eléazar fils d’Arakh – méritent une attention particulière du seul fait de leur place dans l’énumération. Ils ont, tous les deux, reçu un nom dérivé de la racine « aider » (‘azar) : Eliézer signifie « mon dieu (est) aide » et Eléazar « Dieu a aidé ». Leur mission consistera donc à manifester ce qu’a été et ce que sera cette aide divine. Le paradigme d’interprétation du verbe « aider » est défini par la parole bien connue de Yavhé-Elohim : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul je vais lui faire une aide qui lui soit comparable » (Genèse 2,18). Mais, lue en fonction des règles de la lecture littérale, cette parole prend un tout autre sens. Elle est en effet prononcée après que Yahvé-Elohim, la double hypostase divine, a façonné (yaçar) Adam avec son double penchant (yèçèr) au bien et au mal. Yahvéh-Elohim dit : « (Cela n’est) pas bien que l’Adam (façonné) existe en vue de son (vêtement de) lin 18 . 16. Le paradigme qui impose que le nom d’un personnage corresponde à sa fonction est révélé lors de l’imposition du premier nom : « (Adam) l’appela Ève (la vivante : hawah) parce qu’elle a été la mère de tout vivant (hay) » (Genèse 3, 20). 17. S. Schechter , Aboth de Rabbi Natan, Hildesheim-New York, 1979, p. 57-58. 18. L’expression levado que l’on traduit habituellement par « seul » – « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » – signifie littéralement « en vue de son lin » (lebad-o). Le lin (bad) étant exclusivement réservé à la confection des vêtements sacerdotaux d’Aaron et de ses fils (Ex 28, 42; Lv 6, 3), la remarque divine devient alors
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Je ferai pour ce (vêtement) un aide (‘ ézer) (qui soit) comme son complément » (Genèse 2, 18).
Yahvé-Elohim a donc considéré, dès les origines, que soumettre l’homme façonné à la seule autorité du sacerdoce (symbolisée par le lin) ne lui permettrait pas de choisir le « bien ». Aussi Yohanan, prenant acte de la trahison des grands prêtres qui l’ont précédé et ont conduit à la ruine du Temple, décide-t-il de s’entourer de cet « aide » prévu dès les origines par Yahvéh Elohim, mais un aide choisi dans la caste sacerdotale et non dans celle des pharisiens. Les noms des deux « aides » – Eliézer et Eléazar – renvoient en effet à deux personnages bibliques de lignée lévitique qui préfigurent leur propre histoire. Eliézer porte le nom d’un des fils de Moïse et Eléazar celui du fils et successeur du grand prêtre Aaron, frère de Moïse. Au regard de la lecture littérale, le choix de ces noms suffit alors à faire comprendre que les deux aides qui encadreront le groupe des trois autres disciples auront pour mission, avec Yohanan, de les garder sous le contrôle de la caste sacerdotale à laquelle ils appartiennent. Quant à l’apport spécifique de chacun d’eux, il peut être déduit des indices fournis à leur sujet. Qu’Eliézer soit « fils d’Hyrcan » le rattache à la lignée des rois prêtres hasmonéens et particulièrement à celui d’entre eux, Jean Hyrcan, qui reconnut officiellement le parti des sadducéens et gouverna avec lui au détriment des pharisiens. On ne se trompera probablement pas en faisant d’Eliézer fils Hyrkanos le porte-parole de la doctrine sadducéenne de la période du Temple. Qu’il soit, par ailleurs, comparé à une « citerne » (bor) renvoie par analogie à l’histoire de Joseph. C’est en effet dans une citerne (bor) encore vide qu’il fut jeté par ses frères (Gn 37, 22-29) et c’est de la citerne (bor) où il était retenu prisonnier (Gn 41, 14) que le Pharaon le fit sortir pour en faire le vice-roi d’Égypte. Comparer Eliézer à une citerne revient alors à l’identifier à Joseph, le seul des douze fils de Jacob qui pactisa avec l’Égypte et partagea le pouvoir avec Pharaon comme les sadducéens pactisèrent avec l’hellénisme et partagèrent le pouvoir avec l’occupant romain. En accueillant Eliézer fils d’Hyrkanos, Yohanan reconnaît donc que la refondation ne peut se faire sans intégrer l’héritage dont les sadducéens sont les dépositaires. Comme nous le verrons, la tendance représentée par Eliézer se maintiendra effectivement dans l’école de Yavnéh au moins jusqu’au pontificat de Gamaliel II, au début du second siècle de notre ère, et c’est alors seulement, à la suite de l’excommunication d’Eliézer votée par la majorité du Sanhédrin, que le dogme de la Torah orale deviendra la doctrine officielle : « La Torah ne sera plus dans les cieux ». En accueillant Eliézer, Yohanan signifie donc une mise en garde contre le monopole du sacerdoce. Les pharisiens se serviront de ce paradigme pour justifier leur opposition au parti des Sadducéens. Pour eux l’aide (‘ ézer) promis dès les origines s’identifiera à Esdras (‘ ézra’), le fondateur éponyme du parti pharisien, tandis que pour Yohanan il s’identifie à deux descendants de Lévi (Eliézer et Eléazar).
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que l’interprétation passée de la Torah – une Torah écriture – doit continuer à être enseignée. Si Eliézer représente le passé, Eléazar, le dernier des disciples, doit représenter l’avenir – le but à atteindre. Il est le lévite qui devra faire la synthèse de l’enseignement des quatre autres. En effet, immédiatement après avoir décrit chacun de ses disciples, Yohanan les questionnera sur la « bonne voie » à laquelle l’homme doit s’attacher pour accéder au monde futur ». Chacun apportera sa réponse et Yohanan en déduira : « Je préfère les paroles d’Eléazar fils d’Arakh aux vôtres, car toutes les vôtres sont contenues dans les siennes ». Eléazar est donc bien l’homme de la synthèse. Il est le nouvel Eléazar qui, comme son modèle biblique, fera entrer le peuple dans la terre promise. Qu’il soit par ailleurs désigné comme « fils d’Arakh (‘arakh) » permet de préciser encore son statut. Arakh ne correspondant à aucun personnage biblique, on doit interpréter ce nom par référence à la racine ‘arakh, en tenant le raisonnement suivant. Puisque le modèle biblique d’Eléazar fils d’Arakh est Eléazar fils d’Aaron, le verbe ‘arakh doit logiquement renvoyer à Aaron lui-même. C’est ce que confirme la troisième occurrence biblique de cette racine : […] Aaron et ses fils disposeront (‘arakh) la (lampe) pour que, du soir au matin, elle soit devant Yahvéh : rite éternel chez les fils d’Israël pour leurs générations. (Ex 27, 21)
Eléazar fils d’Arakh, est donc chargé de veiller sur la « lampe du Sanctuaire » jusqu’à ce que le Temple soit reconstruit. Comme son modèle biblique Eléazar fils d’Aaron, le nouvel Eléazar est le grand prêtre eschatologique 19. Les trois principaux acteurs de cet acte de fondation de Yavnéh appartiennent donc à la lignée des prêtres lévitiques et incarnent trois étapes décisives de l’histoire – Eliézer le passé, Yohanan le présent et Eléazar le futur. Cette première rédaction de l’acte de fondation de Yavnéh émane donc d’un parti sacerdotal qui entend continuer à présider aux destinées de la communauté juive par-delà la destruction du second Temple et à contrôler les autres tendances religieuses représentées par les trois autres disciples de Yohanan : Josué fils de Hananiah, Yossé le prêtre et Siméon fils de Nathaniel. Rabbi Yosse le prêtre représente un groupe, lui aussi d’origine sacerdotale, mais distinct de celui représenté par Eliézer le sadducéen. Dans la mesure où Yohanan dit de lui qu’il est « un (homme) pieux (hasid), on peut penser qu’il est l’héritier du mouvement des Hassidim qui s’est constitué au moment de la révolte maccabéenne et que certains identifient aux Esséniens 20. 19. B. Barc , Siméon le juste : L’auteur oublié de la Bible hébraïque, Turnhout, 2015, § 117 et 119-122. 20. Voir S.C. M imouni , Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 238-243.
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Puisque Josué fils de Hananiah est un nouveau Josué, il doit se fixer pour mission de faire entrer le peuple dans la Terre promise comme le fit son modèle. Mais qu’il soit le fils de Hananiah le rend suspect. Son modèle biblique est en effet un faux prophète, contemporain de Jérémie et de la destruction du premier Temple. Ayant, à tort, annoncé le retour des objets cultuels emportés à Babylone et la reprise imminente du culte du Temple, ce prophète mourut l’année même (Jr 28). La portée polémique d’une telle comparaison ne pouvait échapper à un judéo-chrétien qui avait eu foi en la parole du nouveau Josué (= Jésus) : « Détruisez ce Temple et en trois jours je le rebâtirai ». La bénédiction prononcée par Yohanan sur ce nouveau Josué – « Bénie soit celle qui l’a enfanté ! » – devait également renvoyer ce judéo-chrétien à une autre bénédiction, celle qu’avait prononcée la mère d’un autre Yohanan, non pas fils de Zaccaï mais de Zacharie (Jean le Baptiste), lors de la « visitation » de la mère du Jésus (Lc 1, 39-56). Si l’on admet l’identification des trois premiers disciples avec les composantes, sadducéenne, essénienne (?) et chrétienne du peuple judéen de la période du Temple, le quatrième d’entre eux, Siméon fils de Nathaniel, doit alors logiquement être identifié à la composante pharisienne. Dans l’acte de fondation de Yavnéh, le nom de Siméon est effectivement celui que porte le fondateur historique du parti pharisien – Siméon fils de Chatah –, mais l’indice est fragile car toutes les factions religieuses fondées sur la révélation biblique se réclament du patronage de Siméon le Juste. En revanche, la remarque que fait Yohanan à son sujet – dans un style si alambiqué qu’il en est presque intraduisible – permet, au terme d’une lecture littérale intégrale, de comprendre que la doctrine exégétique enseignée par ce groupe est bien celle des pharisiens. Le quatrième est Rabbi Siméon fils de Nathaniel : « une diminution (gerou‘ah) qui (est) dans le désert (chebamidbar) (et) qui saisit ses (propres) eaux (chemahazèqèt memeah). (Avot de Rabbi Natan A, ch. 14)
L’emploi de la racine rendue par « diminuer » (gara‘), renvoie à une mise en garde de Moïse à l’adresse de celui qui serait tenté d’ajouter ou de retrancher à sa Parole : « tu ne la diminueras pas (’al tigra‘ miménou) » (Dt 13, 1). Le paradigme de ce verbe – donc l’occurrence qui en définit le contexte général d’interprétation – renvoie en réalité à la condition des Hébreux en Égypte. Alors qu’ils avaient demandé à interrompre leur travail pendant trois jours pour aller sacrifier dans le désert, Pharaon refusa et décréta qu’à partir de ce jour, la paille destinée à la fabrication des briques ne leur serait plus fournie. Ils devraient aller la récolter eux-mêmes, sans que pour autant la quantité de briques à fabriquer ne soit réduite (gara‘). Et ce sont « les scribes des fils d’Israël (choteré bené yisra’él) » qui, non sans avoir regimbé, se chargèrent de faire exécuter les ordres du pharaon : « Vous ne diminuerez pas (lo’ tigre‘ou) de vos briques » (Ex 5,19). L’interprétation de ce thème repose avant tout sur la fonction allégorique de la
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brique (levanah). On se trouve alors transporté à Babel – la ville d’origine de Hillel fondateur éponyme du mouvement pharisien – et au récit de la tour de Babel (Gn 11, 1-9). C’est là en effet que, pour la première fois, « la brique servit de pierre » (Gn 11, 3), ce qui conduisit à la « confusion des langues ». Celui qui incarne cet abandon de la pierre pour la brique et la confusion des langues qui s’en suivit est Laban l’Araméen (lavan = il a briqueté), celui qui donna le nom araméen de yegar sahaduta au monceau de « pierre » que Jacob avait nommé en hébreu gal ‘ éd. (Gn 31, 47). La fabrication de briques symbolise donc une entreprise de traduction du texte hébreu en langue vernaculaire. On peut alors entrevoir – et il nous faudra nous en tenir là – qu’en renvoyant au thème de la brique par le biais du verbe gara‘, Yohanan invite l’initié à placer Siméon fils de Nataniel dans les rangs de ceux qui enseignent la Torah à partir de traductions. Deux communautés peuvent alors être visées : les Pharisiens qui enseignent le peuple en se référant à la traduction araméenne du Targum et les communautés judéo-hellénistiques qui lisent le texte dans la traduction grecque des LXX. Il est d’ailleurs possible que Yohanan les mette tous dans le même panier, car les uns comme les autres ont abandonné le texte hébreu (donc la lecture littérale) et substitué au culte du Temple la liturgie synagogale. En agissant ainsi, ils ont choisi de se séparer des autres groupes religieux qui composent le peuple judéen. Alors que Yohanan demandait à ses disciples de « ne pas saisir la bonne (interprétation) » (’al tahaziq tov), ils « saisissent leurs (propres) eaux (mahazèqèt méméah), ces eaux symbolisant l’interprétation de l’Écriture. Il reste encore à comprendre pourquoi Yohanan relègue ces pharisiens « dans le désert » (bamidbar). De même que l’expression le-bad-o, signifiait littéralement « pour son lin », l’expression ba-mi-dbar signifie « dans (ba-) ce-qui-provient-de (mi) la parole (davar) ». Elle reflète donc parfaitement le choix fait par les pharisiens de substituer la parole de la Torah orale à la Torah-écriture. Cette ébauche d’interprétation du texte des Pirqé ’avot sur Yohanan et ses cinq disciples suffit à faire entrevoir une version de l’histoire bien différente de la version officielle rabbinique qu’imposera le rédacteur de la Michnah. Elle indique, pour le moins, qu’au lendemain de la destruction du Temple une tentative de réunification des différents groupes qui s’étaient affrontés précédemment a été faite par la composante sacerdotale. Le projet était grandiose mais utopique. Il ne s’agissait pas moins que de convaincre esséniens, chrétiens et pharisiens de se rallier au mouvement sadducéen et d’en reconnaître l’autorité. La version remaniée de la Michnah – la version officielle – en substituant à Yohanan et à ses disciples la lignée des hillélites, a occulté le rôle des sadducéens dans cette reconstruction, s’en attribuant le seul mérite. Mais le rédacteur final des Pirqé ’avot n’a pu se résoudre à passer sous silence la version antérieure et l’a conservée
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en appendice. Comme le signalait la notice de Sander et Trenel, on gardera le souvenir d’un contrôle du Temple par Yohanan ben Zaccaï pendant trois ans après la destruction du Temple. On en fera même un nouveau Moïse, en le faisant vivre 120 ans comme son modèle… et l’on reconnaîtra qu’à sa mort la splendeur de la Sagesse fut obscurcie. IV. La conversion d’Eléazar ben Arakh Qu’advint-il d’Eliézer et d’Eléazar, les deux disciples préférés de Yohanan ? Deux autres récits, écrits comme l’Acte de fondation de Yavnéh en vue d’une lecture « à double hauteur », mais par des adversaires de Yohanan et de sa tentative de réforme, nous l’apprennent. Bien que Yohanan fasse d’Eléazar fils d’Arakh un personnage « messianique », la littérature rabbinique n’a conservé de lui aucun enseignement, mais seulement une anecdote rapportée dans les Avot de-Rabbi Natan. L’épisode se situe au moment de la mort du « fils » de Yohanan ben Zaccaï. À la suite de cette mort, Eléazar, celui qui incarnait l’avenir aux yeux de Yohanan, dit : « J’irai vers DMSYT, vers un beau lieu et de belles eaux ». Et eux (les autres disciples) dirent « Nous irons vers Yavneh , vers un lieu (où) des disciples sages en grand nombre aiment la Torah. Le nom de celui qui alla vers DMSYT vers un beau lieu et des eaux belles et douces, fut diminué dans la Torah, (tandis que) le nom de ceux qui allèrent vers un lieu (où) des disciples des sages en grand nombre aiment la Torah fut magnifié. (Avot de-Rabbi Nathan A 14)
La ville de Dmsyt où Rabbi Eléazar décida de se rendre est identifiée dans les traductions modernes à Emmaüs, mais pourrait tout aussi bien l’être à Damas. Le détail est d’ailleurs secondaire, car, que l’on emprunte le chemin de Damas ou celui d’Emmaüs, on y fait la même rencontre (Ac 9 et Lc 24, 13-35). Que cette conversion se produise immédiatement après la mort du fils de Yohanan pourrait alors signifier que cette mort, réelle ou symbolique, met fin à sa lignée, laissant par le fait même le champ libre à la lignée des hillélites. Dès lors les judéens doivent choisir entre deux camps, celui des chrétiens et celui des héritiers des pharisiens. La chose n’est pas dite en clair mais ceux qui choisissent de se rendre « vers le lieu où les disciples des sages sont en grand nombre » se conforment au deuxième commandement des Hommes de la grande Assemblée – « Faites de nombreux disciples » – dont la maison de Hillel est l’héritière, tandis qu’Eléazar, celui qui symbolisait l’espérance messianique, se tourne vers l’Emmaüs-Damas chrétienne. Ce passage symbolique d’Eléazar du « judaïsme » au « christianisme » trouve peut-être son parallèle chrétien dans le récit bien connu de la résurrection de Lazare (= Eléazar). Celui qui est perdu pour l’école de Yavnéh ressuscite dans la communauté chrétienne (Jn 11, 1-12,2).
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Il ne s’agit là que de pistes qui mériteraient d’être suivies. Elles semblent au moins indiquer que les héritiers du mouvement pharisien ne furent pas à l’origine de la rénovation de la religion judéenne d’après la destruction du Temple. Celle-ci fut entreprise par les héritiers du mouvement sadducéen, mais leur tentative de réunifier tous les courants religieux autour d’eux fut un échec. V. L’excommunication d’Eliézer ben Hyrkanos Si le départ d’Eléazar semble marquer une prise de distance du judaïsme rabbinique vis-à-vis de l’imminence des temps messianiques, l’excommunication d’Eliézer marque une nouvelle étape dans la rupture d’avec l’interprétation du Temple. Le récit de cette excommunication, comme les précédents, pastiche les Écritures et renvoie, par le biais de l’analogie, à des paradigmes qui en révèlent le sens. J’en ai présenté, dans Les arpenteurs du temps, une analyse dont on se contentera ici de reprendre les conclusions 21. Soumis à un interrogatoire serré par les maîtres de Yavnéh, Eliézer – cette citerne qui ne laisse perdre aucune goutte de l’interprétation passée – « apporta toutes les réponses qui sont dans le monde mais ils n’en reçurent aucune ». Il convoqua alors pour sa défense quatre témoins affirmant au moment de les introduire qu’ils prouveraient que l’interprétation des Écritures était bien conforme à son enseignement, donc à celui du Temple. Le premier témoin – un caroubier (harouv), image du Temple détruit (harouv) – se déplaça de son Lieu vers Yavnéh, prenant ainsi acte du fait que l’interprétation de la période du Temple était dépassée. Le deuxième témoin, un canal, symbolisant l’enseignement de Jésus ben Sira, disciple de Siméon le Juste, fut également récusé et le livre de Sagesse de Ben Sira (l’Ecclésiastique) fut exclu du canon des Écritures juives. Les murs de la maison d’étude (kotlé habayit), le troisième témoin, commencèrent à tomber pour permettre l’entrée du Bien-aimé (le Messie) à laquelle aspirait Eliézer, mais une intervention du président de séance, Rabbi Josué, fit suspendre leur chute, tant et si bien que jusqu’à aujourd’hui ils penchent mais tiennent. On se refusa donc à trancher sur l’imminence de la fin des temps qui motivera quelques décennies plus tard, la deuxième révolte messianique juive. Sur ce point Eliézer est acquitté au bénéfice du doute. Ragaillardi, il convoque alors à la barre son quatrième témoin « une voix céleste ». Mais cette voix refuse de comparaître et se fait représenter par une « fille de la voix » qui pose aux rabbins la question suivante : « Qu’avez-vous à faire auprès de Rabbi Eliézer dont l’interprétation est exacte en tout point ! ». L’exactitude de cette interprétation est donc confirmée par le ciel lui-même, mais en laissant entendre que son enseignement par l’école 21. B. Barc , Les arpenteurs du temps, Lausanne, 2000, § 108-115.
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est laissé à l’appréciation des maîtres. C’est alors que Josué – président de séance par intérim, car Rabban Gamaliel II était, fort opportunément, en voyage ce jour-là – décréta que « la Torah n’est pas dans les cieux ». À la suite de quoi l’interprétation de la période du Temple, dont le livre de Ben Sira était le plus beau fleuron, fut rejetée de l’enseignement officiel, mais sans que sa valeur exemplaire soit pour autant mise en question. Les analyses précédentes ont, me semble-t-il, abondamment démontré que les prêtres ne se consacraient pas seulement à l’exercice du pouvoir et à la gestion du Temple. Ils se présentaient aussi comme les garants d’une herméneutique biblique qui avait atteint sa maturité à la période du Temple. En faisant vivre Yohanan ben Zaccaï pendant 120 ans, les maîtres de Yavnéh en faisaient un nouveau Moïse et reconnaissaient que depuis sa mort la Torah avait perdu sa splendeur ! Mais, à l’inverse, en le faisant mourir trois ans seulement après la destruction du Temple et en envoyant son disciple préféré sur le chemin de Damas ou d’Emmaüs, ils laissaient entendre que l’échec de Yohanan aurait été la conséquence de son attitude envers les judéo-chrétiens. VI. La survivance de l’herméneutique du Temple Que l’interprétation allégorique ait été occultée dans l’enseignement officiel ne signifie pas pour autant que les rabbins se désintéressèrent de cette face cachée de l’Écriture. Exclu du canon, le livre de Sagesse de Ben Sira ne survécut de façon officielle que dans sa traduction grecque, conservée et transmise par les chrétiens. Mais la découverte de plusieurs manuscrits fragmentaires d’un texte hébreu de Ben Sira dans la génizah du Vieux Caire prouve qu’il a continué de circuler en milieu juif. La question qui divisa les spécialistes au moment de cette découverte fut de savoir si le texte hébreu du Caire était le texte hébreu original ou s’il ne s’agissait que d’une rétroversion faite à partir du grec. Une solution médiane me paraît s’imposer, celle d’une version hébraïque originale remaniée. Pour s’en convaincre, il suffit de mettre en regard les versions grecques et hébraïques de l’éloge de Siméon le Juste que fait Ben Sira en conclusion de son traité : Texte grec
Texte hébreu de la Guénizah
Grand parmi ses frères et splendeur de son peuple Siméon, fils d’Onias, fut le grand prêtre, fut Siméon, fils de Yohanan, le prêtre qui, pendant sa vie, répara la Maison (lui) qui (vécut) à l’époque où fut visitée la Maison pendant ses jours, affermit le Sanctuaire et (qui), pendant ses jours, a affermi le Palais. Par lui fut fondée la double hauteur Pendant ses jours fut bâti un mur soubassement élevé de l’enceinte du Saint. et les pierres angulaires de la résidence (qui est) dans le Palais du Roi.
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« Siméon fils d’Onias » est remplacé par « Siméon fils de Yohanan » et « la double hauteur » par « un mur ». Pour permettre au lecteur d’identifier ce nouveau fondateur et son œuvre, le réviseur multiplie les allusions. Il précise d’abord que ce Siméon vécut « à l’époque où fut visitée la Maison ». Le verbe « visiter » (paqad) étant un code qui renvoie à la fresque du jugement 22 , « La visite de la Maison » évoque alors la destruction du Temple, un événement dont le nouveau Siméon et son père Yohanan auraient été contemporains. S’il s’agissait de la destruction du Temple de Salomon, le père de Siméon devrait être identifié à Yohanan fils de Qaréah. De tous les acteurs bibliques, celui-ci est en effet le seul à porter ce nom et à être impliqué dans la destruction du premier Temple. Le personnage est en apparence peu recommandable, car il fit descendre une partie des Judéens en Égypte au moment de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor (Jr 40-43) alors que Yahvéh avait interdit ce retour. On pourrait objecter que le Yohanan biblique n’est pas de lignée sacerdotale, mais l’objection devrait être repoussée au nom de la lecture littérale, car il est fils de Qaréah, nom dont l’écriture est identique à celle du prêtre lévite Qoré, un révolté comme lui (Nb 15). Si la référence à ce personnage biblique ne peut être écartée, il paraît cependant plus logique que le Yohanan visé par le texte hébreu ait été un contemporain de la destruction du second Temple et non du premier. Le père du nouveau Siméon serait alors Yohanan ben Zaccaï lui-même. Sa ressemblance avec le Yohanan du premier Temple est d’ailleurs frappante : comme le fils de Zaccaï, Yohanan ben Qareah est de lignée sacerdotale. Comme lui il fait sortir le peuple judéen de Jérusalem au moment de la destruction du Temple. Comme lui il emmène le peuple en exil. Si l’on retient cette identification, le nouveau Siméon que la version hébraïque substitue à Siméon fils d’Onias, doit alors être l’un des disciples de Yohanan ben Zaccaï et l’un des plus illustres d’entre eux, puisqu’il fut « grand parmi ses frères et splendeur (tif ’éret) de son peuple ». Parmi les soixante et onze sages que cite le traité des Pirqé ’avot 23 , dix portent le nom de Siméon, mais celui qui paraît le mieux s’accorder avec l’œuvre décrite dans la suite du texte hébreu est celui que la tradition rabbinique présentera comme le fondateur de la mystique juive, Siméon fils de Yohaï. L’auteur emprunte en effet les termes de son éloge au vocabulaire de la mystique des « Palais » (hékhalot) enseignée à cette période. Le nouveau Siméon est la « splendeur » (tif ’éret) de son peuple. « Le mur » (qir) qu’il construit renvoie par analogie au « mur du Palais » (qir hahékhal) dont parle Ézéchiel dans sa description du Temple futur (Éz 41, 20). Quant aux 22. B. Barc , Siméon le juste : L’auteur oublié de la Bible hébraïque, Turnhout, 2015, § 26. 23. N.-Ph. Sander – L. Trenel , Dictionnaire Hébreu-Français, Genève 1982 p.797-811 (réédition).
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mots qui servent à définir l’œuvre du nouveau Siméon – les pierres d’angle (pinot) de « la résidence » céleste (ma’on) qu’est « le Palais » (hékhal) du Dieu Roi (mélék) – ils sont empruntés au vocabulaire des premiers traités de mystique juive, les Hékhalot. 24 Ce faisceau d’indices suffit, me semble-t-il, à prouver que le texte hébreu de la Guénizah n’est qu’une réinterprétation du texte hébreu original dont le but est, à la fois, d’occulter le rôle historique joué par Siméon fils d’Onias à la période du second Temple et de lui substituer un nouveau Siméon, fils de Yohaï 25, chef de file de la « nouvelle » mystique juive enseignée après la destruction de ce Temple. Que les mystiques juifs aient fait de leur fondateur un nouveau Siméon prenant le relais de l’ancien n’a rien d’original. Les autres mouvements religieux héritiers de la Bible avaient fait de même. Le fondateur du mouvement pharisien se nommait, on l’a dit, Siméon ben Chatah. Le chef des apôtres se nommait Simon bar Yonah avant de recevoir le nouveau nom de Pierre (Mt 16, 15-19). Le fondateur de la gnose séthienne aurait été un certain Simon que ses disciples identifiaient à la Grande Puissance de Dieu mais que ses adversaires chrétiens appelaient Simon le magicien. Celui qui prit la tête des juifs, lors de la révolte messianique de 132 de notre ère, était nommé Simon bar Kokhba (fils de l’étoile) par ses partisans et Simon bar Kosiva (fils de la honte) par ses adversaires. Qu’il s’agisse de leur nom véritable ou d’un surnom choisi par eux-mêmes ou par leurs disciples, ces multiples avatars de Siméon fils d’Onias montrent sans ambiguïté que, trois siècles après sa mort, le grand prêtre était encore une référence incontournable pour tous ceux qui entendaient rénover la religion judéenne tout en s’inscrivant dans la continuité de l’histoire du second Temple et de son interprétation des Écritures. Le judaïsme rabbinique n’a pas fait exception et a éprouvé le besoin de rattacher la mystique des Hekhalot à l’herméneutique de la période du Temple en attribuant au fondateur de la nouvelle mystique, le livre fondateur de l’herméneutique de la période du Temple, le Livre de Ben Sira.
24. H. Odeberg, 3 ENOCH or The Hebrew Book of Enoch, New York, 1973 (voir l’index au texte hébreu). 25. Le nom de Yohaï (yoh’ay) ne correspond à aucun personnage connu et ne se prête à aucune interprétation fondée sur son étymologie. Il est donc possible qu’il faille l’interpréter comme une abréviation du nom de Yoh(anan ben Zak)’ay.
L A PLACE DE LA PRÊTRISE YABNÉENNE DANS LE JUDAÏSME RABBINIQUE OU LA QUESTION DU MILITANTISME SACERDOTAL FACE AU CLIMAT INSURRECTIONNEL CONTRE ROME Emmanuel Friedheim The Israel & Golda Koschitzky Department of Jewish History & Contemporary Jewry, Bar Ilan University, Israel
Abstract In this discussion, I propose to examine the religious functions and political role of the priesthood with regard to the rabbinic movement as the latter took shape in the period extending from the destruction of the second Temple in Jerusalem to the Judean uprising under Bar Kokhba of 132. A detailed examination of the Tannaitic writings reveals a consistent pattern of power struggles between the priesthood(s) and the rabbinic elite at the council of Yavne. This period was ended by Bar Kokhba’s uprising against Rome, an uprising whose proclaimed goals had to do with the reconstruction of the Temple in Jerusalem and the recreation of its priestly offices. It is very likely that Bar Kokhba sought to reestablish the position of the priesthood at the head of the Judean people, bestowing upon them again the authority and prestige that they had previously enjoyed. In bringing back the Judaism of the past, he would necessarily have put an end to the rabbinic establishment that was in the process of developing. I will argue that after 70 CE, the priestly class, or at least a party within that class, embarked on a long-term campaign whose goals were as much social as political. This was done first of all in order to preserve the priestly class’s privileges and prestige in the face of the rise of rabbinic power; and secondly, to incite the rabbinic class to support the reconstruction of the Temple, whether in accord with Rome or in insurrection against it. Résumé Dans cette contribution, nous proposons d’examiner les fonctions religieuses et le rôle politique de la classe sacerdotale en rapport avec le mouvement rabbinique, alors en pleine formation, entre la dévastation du Second Temple de Jérusalem et le soulèvement judéen de Bar-Kokhba en 132. Une étude minutieuse des textes tannaïtiques révèle une constante lutte de pouvoir entre les prêtres et les élites rabbiniques lors du concile de Yabné. Cette période se soldera par l ’insurrection de Bar-Kokhba contre Rome, dont le but avoué était la restauration du sanctuaire judéen de Jérusalem et le rétablissement de ses offices sacerdotaux. La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 61-84. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115526 ©
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Bar-Kokhba cherchait, très probablement, à replacer ainsi les prêtres à la tête des Judéens en rétablissant leur autorité de naguère et leur prestige perdus. En réinstaurant le judaïsme d’antan, il aurait mis un terme à l ’institution rabbinique qui était en train de se développer. Nous soutiendrons qu’après 70, la classe sacerdotale, ou du moins un parti en son sein, s’engagea dans une longue campagne dont les fins étaient aussi bien sociales que politiques. Le but de cette campagne était en premier lieu de préserver les privilèges et le prestige de la classe sacerdotale en face du pouvoir rabbinique montant, et, en second lieu, d’inciter la classe rabbinique à promouvoir la reconstruction du temple, fût-ce avec l ’assentiment de Rome ou sans lui.
Dans cette étude, on propose de clarifier le rôle joué par les membres du sacerdoce judéen, à savoir les kohanim, dans la société judéenne en pleine (re)construction après la dévastation du sanctuaire de Jérusalem en 70 de notre ère, ou, pour être plus précis du point de vue historique, après la défaite de la grande révolte contre Rome en 73-74, à une époque dénommée communément, mais peut-être à tort, comme étant celle de l’Assemblée de Yabneh. On tentera d’évaluer tant la fonction religieuse que le rôle politique remplis par le discours sacerdotal au sein du milieu rabbinique, alors en pleine formation, entre 70 et le soulèvement judéen de Bar-Kokhba (= Ben-Kosiba) en 132. Une étude minutieuse des textes tannaïtiques dévoile la présence de luttes de pouvoir entre les prêtres et les élites rabbiniques au concile de Yabneh. Cette période se soldera par l’insurrection contre Rome de Ben-Kosiba. La finalité recherchée par Ben-Kosiba était la réédification du sanctuaire judéen de Jérusalem avec ses caractéristiques sacerdotales. Il cherchait, très probablement, à restaurer ainsi le pouvoir des prêtres à la tête des Judéens, ce qui aurait manifestement permis de remettre en place les instances judéennes d’antan, et, par conséquent, sonné le glas de ce milieu rabbinique en pleine gestation. On tente aussi de soutenir la thèse selon laquelle la classe sacerdotale, ou du moins certains de ses membres, engagea dès 70 – vraisemblablement dans le but de rétablir son autorité et son prestige perdus – un travail de terrain de longue haleine, tant au niveau social que politique. Ceci, en premier lieu, afin de conserver ses prérogatives et son prestige aux yeux du jeune pouvoir rabbinique émergeant, puis, en second lieu, pour inciter les membres de la classe rabbinique à promouvoir la reconstruction du temple, avec l’assentiment de Rome ou, dans le cas contraire, en appelant à l’insurrection. Pour entamer cette démonstration, il convient de rappeler la place primordiale occupée par la prêtrise dans la société judéenne d’avant 70. Cette place est en partie due à l’immense prestige dont bénéficiait généralement le temple aux yeux des différentes composantes de la société tant judéenne – dans le sens géographique du terme – que dias-
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porique – comme chez Philon d’Alexandrie 1 –, voire dans la perception romaine – notamment pour Pline l’Ancien (23-79) qui présente, manifestement en raison de son sanctuaire, Jérusalem comme la plus illustre cité d’Orient 2 . Officiant quotidiennement ou périodiquement dans le temple, les prêtres, avec le grand-prêtre à leur tête, bénéficiaient d’une position politico-religieuse prestigieuse au sein d’une société astreinte, selon les règles sacerdotales énoncées dans la Pentateuque ainsi que dans les littératures connexes, à en assurer la subsistance. 3 On sait que la société judéenne de l’époque était divisée en mouvances telles que pharisiens, sadducéens/ bothuséens, esséniens/Qumrân, zélotes et sicaires, sans oublier évidemment les judéo-chrétiens. Il est intéressant de noter qu’en dépit de divergences fondamentales, tant d’un point de vue doctrinal que rituel, ces mouvements, du moins la plupart d’entre eux, considéraient le sacerdoce avec prestige, et leurs chefs respectifs étaient, pour la plupart, affiliés à la prêtrise. Les luttes politiques entre grands-prêtres sadducéens ou pharisiens concernant la mainmise sur le temple et l’application du rituel selon la halakha des uns ou
1. S. Safrai, « The Service of God in the Second Temple Period », dans S. Safrai, In Times of Temple and Mishnah. Studies in Jewish History, I, Jérusalem, 1994, p. 34 [héb.] : « Qu’il s’agisse du domaine philosophique, spirituel ou pratique, tout fut concentré intrinsèquement autour du temple. Le sanctuaire juif était source de fierté nationale pour tout Juif. Les superbes bâtiments, l’ordre apprécié du service sacerdotal, impressionnaient profondément les pèlerins qui pouvaient ressentir au sein du temple le frémissement du cœur de la nation juive… expliquant ainsi l’abnégation que le peuple éprouvait à l’égard du temple, son dévouement à la stricte observance des injonctions halakhiques, la bataille désespérée qu’il engagea pour préserver son indépendance au moment où les assaillants s’en prirent aux murailles, ainsi que le deuil et l’effroi qui déferlèrent sur le peuple à la vue du temple incendié » ; E. Schürer , The History of the Jewish People in the Age of Jesus Christ. II, revised and edited by G. Vermes – F. M illar – M. Black , Édimbourg, 1979, p. 237308 ; E. Friedheim, « Polythéisme et monothéisme juif ou la question des convergences cultuelles au sein du second temple de Jérusalem », Revue biblique 119 (2012), p. 367, n. 1. 2. Pline l’Ancien, Historia Naturalis, 5, 66 : « Orinen, in qua fuere Hierosolyma, longe clarissima urbium Orientis non Iudaeae modo… » ; E. Friedheim, « Quelques remarques sur l’évocation de Jérusalem dans la littérature gréco-latine non chrétienne », Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 90 (2010), p. 161-178. 3. Voir notamment, Nb 18, 18-21 : « Je donne comme possession aux fils de Lévi toute dîme en Israël, pour le service qu’ils font, le service de la tente d’assignation… » ; Ne 12, 47 : « Tout Israël, au temps de Zorobabel et de Néhémie, donna les portions des chantres et des portiers, jour par jour; on donna aux Lévites les choses consacrées, et les Lévites donnèrent aux fils d’Aaron les choses consacrées » ; He 7, 5 : « Ceux des fils de Lévi qui exercent le sacerdoce ont, d’après la Loi, l’ordre de lever la dîme sur le peuple, c’est-à-dire, sur leurs frères… ». Quant à la littérature tannaïtique sur le sujet, voir, par exemple, Sifré sur Nombre 119 (éd. Horovitz, p. 142-143).
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des autres 4 , ne pouvaient en aucune manière remettre en cause la nécessité existentielle du sacerdoce même, une obligation ancrée à la base même du Lévitique 5. On pourrait même affirmer qu’un dirigeant juif, peu importe son appartenance à tel ou tel mouvement, devait posséder dans son curriculum vitæ trois éléments majeurs constituant une condition sine qua non pour assurer son leadership sur la communauté judéenne : (1) La connaissance de la Loi/Torah, (2) la richesse et (3) une ascendance illustre. On avancera pour preuve deux exemples d’origine différente, mais complémentaires. Le premier exemple est celui de Josèphe qui entame son autobiographie en signalant d’emblée : « puisque je tire mon origine par une longue suite d’aïeux de la lignée sacerdotale, je pourrais me vanter de la noblesse de ma naissance, puisque chaque nation établissant la grandeur d’une maison sur certaines marques d’honneur qui l’accompagnent, c’en est parmi nous une des plus remarquables que d’avoir l’administration des choses saintes… 6 ». Puis, Josèphe nous apprend en détail qu’il est issu d’une lignée sacerdotale fort prestigieuse 7. Dans le deuxième chapitre de son autobiographie, Josèphe nous informe qu’il est – pour ainsi dire – le plus érudit de Jérusalem, un très grand connaisseur des lois, à tel point qu’à l’âge de quatorze ans, les grands-prêtres faisaient la queue à sa porte pour entendre ses interprétations de la Loi 8. Josèphe n’est pas, on l’aura compris, un exemple de modestie notoire, mais à l’en croire, il est savant et expert en matière de religion judéenne. Hormis, l’ascendance illustre et la sagesse, Josèphe évoque, à la fin de sa Vita 9, les domaines fonciers que lui auraient octroyés les Flaviens, notamment Titus qui lui aurait proposé de lui attribuer des 4. E. R egev, The Sadducees and their Halakhah. Religion and Society in the Second Temple Period, Jérusalem, 2004, p. 380 ss. (héb.). 5. Voir, à ce propos, C. Nihan, From Priestly Torah to Pentateuch. A Study in the Composition of the Book of Leviticus, Tübingen, 2007; A. Cothey, « Ethics and Holiness in the Theology of Leviticus », Journal for the Study of the Old Testament 30 (2005), p. 131-151. 6. Flavius Josèphe, Vie I, 1-3. 7. Josèphe est prêtre de par son père et de par sa mère, nonobstant le fait qu’il insiste sur l’origine hasmonéenne de sa mère, dont il présente les dirigeants comme ayant régné durant très longtemps sur son peuple. Il semblerait donc que Josèphe tente d’affirmer, d’une part, que son ascendance paternelle fut sacerdotale et, d’autre part, que sa filiation maternelle fut royale. En réalité, et à l’en croire, il fut d’appartenance sacerdotale de part et d’autre, car les hasmonéens officièrent, avant tout, comme (grands-)prêtres. La démarche de Josèphe démontre par conséquent l’importance, qu’il accorde au fait d’asseoir solidement ses origines. Josèphe refuse absolument d’être perçu comme un parvenu. 8. Flavius Josèphe, Vie II, 9 : « ἔτι δ᾿ ἀντίπαις ὢν περὶ τεσσαρεσκαιδέκατον ἔτος διὰ τὸ φιλογράμματον ὑπὸ πάντων ἐπῃνούμην συνιόντων ἀεὶ τῶν ἀρχιερέων καὶ τῶν τῆς πόλεως πρώτων ὑπὲρ τοῦ παρ᾿ ἐμοῦ περὶ τῶν νομίμων ἀκριβέστερόν τι γνῶναι ». 9. Flavius Josèphe, Vie I, 76, 422.
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parts de la Judée, ce que l’historien judéen aurait refusé 10. Josèphe nous informe également de la bienveillance de Domitien à son égard : « cet empereur… a joint à tant de faveurs une marque d’honneur très avantageuse, qui est d’affranchir toutes les terres que je possède en Judée (ἐμοὶ δὲ τῆς ἐν Ἰουδαίᾳ χώρας ἀτέλειαν ἔδωκεν) 11 ». Autrement dit, le patrimoine de Josèphe, véritable ou hypothétique, est invoqué pour faire preuve de sa fortune. Il peut donc, en principe, se considérer comme un porte-parole pour le peuple judéen. Le deuxième exemple, qui relaye en seconde place la sagesse, la richesse et l’ascendance illustre comme éléments requis pour diriger, est rabbinique. C’est aux alentours de 110 que Rabban Gamaliel II fut renversé et évincé momentanément de la direction du judaïsme rabbinique 12 , que ce soit de la maison d’études ou du patriarcat 13. On lui chercha donc un successeur. Parmi les candidats, postulèrent R. Josué b. Hanania et R. ‘Akiva, mais leurs candidatures furent toutes deux refusées. Celle de R. Josué le fut pour deux raisons. D’une part, il fut à l’origine de la destitution de Rabban Gamaliel 14 , mettant alors en valeur un conflit d’intérêt évident. D’autre part, le Talmud mentionne que R. Josué était un charbonnier besogneux, 15 autrement dit, ce Sage était – de toute évidence – démuni. Or, comme nous l’avons souligné, la fortune est requise pour diriger. La candidature de R. ‘Akiva fut, quant à elle, écartée, car il n’avait pas d’ascendance illustre 16, sans laquelle, il lui fut alors impossible de se hisser à la tête de la communauté 17. Dans l’entrefaite, on sollicita R. Eléazar b. ‘Azaria, car 10. Flavius Josèphe, Vie I, 75, 418. 11. Flavius Josèphe, Vie I, 76, 429. 12. TJ Berakhot, 4, 1 (7d) ; TB Berakhot, 27b-28a. 13. H. Shapira, « Le révocation de Rabban Gamaliel : entre histoire et légende », Zion – A Quarterly for Research in Jewish History 64 (1999), p. 5-38 (héb.). Contra: M. Ben-Shalom, « L’histoire de la révocation de Rabban Gamaliel et la réalité historique », Zion – A Quarterly for Research in Jewish History, 66 (2001), p. 345-370. (héb.). 14. TB Berakhot, 27b : » « בעל מעשה הוא. 15. TB Berakhot, 28a. Suivant le TJ Berakhot, 4, 1 (7d), R. Josué fabriquait des aiguilles )(יתיב עביד מחטין, cf M. Sokoloff, A Dictionary of Jewish Palestinian Aramaic, Ramat-Gan, 19922 , p. 300. On notera que dans son commentaire sur TB Berakhot, 28a, s. v. » « שפחמי אתה, Rashi rapporte un avis anonyme selon lequel R. Josué était forgeron )(נפח, ce qui pourrait coïncider avec la version judéenne qui présente également ce Sage s’occupant de métaux. Quoi qu’il en soit, il découle de la suite du récit du TJ que la production d’aiguille fut perçue à cette époque, à l’instar de la tradition babylonienne, comme un gagne-pain misérable. 16. TB Berakhot, 27b: » =[ « דלית ליה זכות אבותcar il n’a pas le mérite des pères] et pour une version différente, voir TJ Berakhot, 4, 1 (7d) « 3 ». 17. R. Yankelevitch, « Le poids de l’ascendance familiale dans la société juive en terre d’Israël à l’époque de la Mishna et du Talmud », dans M. Stern (éd.), Nation and History. Studies in the History of the Jewish People Based on Papers Delivered at the 8th World Congress of Jewish Studies, Jerusalem 1981, Jérusalem, 1983, p. 151-162 (héb.).
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« il est Sage, riche et constitue la dixième génération depuis Ezra [= Esdras] le scribe 18 » qui était également prêtre 19. L’ascendance illustre est donc nécessaire pour gouverner. On notera d’ailleurs la remarque, un tant soit peu acerbe, de R. ‘Akiva, rapportée dans l’occurrence parallèle du TJ Berakhot – laquelle d’ailleurs, est sans doute bien plus exacte historiquement que son parallèle babylonien que nous avons cité –, où nous lisons : « Ce n’est pas qu’il [= R. Eléazar b. ‘Azaria] est plus érudit que moi [R. ‘Akiva] mais voilà qu’il provient d’une lignée bien plus prestigieuse que la mienne. Heureux soit celui qui mérite de tels ancêtres, heureux soit celui qui possède un solide pieu auquel il puisse se rattacher. Et quel fut l’ancrage de R. Eléazar b. ‘Azaria ? Il constituait la dixième génération d’Ezra 20. » Par conséquent, tant l’œuvre de Josèphe que les textes rabbiniques, malgré des différences fondamentales séparant ces deux corpus, présentent des critères identiques qui étaient requis d’un dirigeant judéen à la fin de l’époque du Second Temple et au début de l’ère yabnéenne, tout en accordant la priorité à celui de l’ascendance illustre qui ne peut être acquise au courant de la vie, à la différence de la richesse et de la sagesse. On peut s’enrichir financièrement et s’investir intellectuellement dans l’étude, mais concernant les origines, la filiation célèbre n’est pas un choix, c’est un patrimoine avéré ou inexistant. Les sadducéens étaient tous affiliés au sacerdoce 21. De même, les esséniens 22 , les zélotes23 ainsi que les pharisiens 18. TB Berakhot, 27b : » « דהוא חכם והוא עשיר והוא עשירי לעזרא. 19. Esdras, 7, 1-6. 20. TJ Berakhot, 4, 1 (7d): « והיה רבי עקיבה יושב ומצטער ואמר לא שהוא בן תורה יותר ממני אלא שהוא בן גדולים יותר ממני אשרי אדם שזכו לו אבתיו אשרי אדם שיש לו יתד במי להתלות בה וכי מה היתה יתידתו של רבי אלעזר בן עזריה שהיה דור עשירי .» לעזרא 21. Sur les liens des sadducéens à la prêtrise, voir Ben Sira, 51, 12 (à comparer avec : Ezéchiel, 44, 15; ARN, 5, version A [éd. Schechter, p. 26]; Tosefta Kipourim, 1, 8 [éd. Lieberman, p. 222-223]); Tosefta Souka, 3, 16 (éd. Lieberman, p. 270); Actes, 4, 1; 5, 17; TB Berakhot, 29a; TB Sanhédrin, 52b; TB Makkot, 5b; J. M ann, « Jesus and the Sadducean Priests, Luke, 10, 25-37 », Jewish Quarterly Review 6/3 (1916), p. 415-422; E. Schürer , The History of the Jewish People in the Age of Jesus Christ. II, revised and edited by G. Vermes – F. M illar – M. Black , Édinbourg, 1979, p. 404 : « … the actual information given is that the Sadducees were aristocrats, wealthy and persons of rank; which is to say that they mostly belonged to, or were associated with, the priesthood. » ; S.J.D. Cohen, From the Maccabees to the Mishnah, Louisville, 2006, p. 155; S.C. M imouni, Le judaïsme ancient du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 233 : « Dans l’ensemble, à l’époque de la domination romaine, les sadducéens se recrutent essentiellement parmi les grandes familles sacerdotales et aristocratiques, c’est pourquoi de manière générale le haut clergé a été pro-romain et le bas clergé anti-romain. » 22. R. Kugler , « Priesthood at Qumran », dans P. W. Flint – J.C. Vanderkam (éd.), The Dead Sea Scrolls after Fifty Years. A Comprehensive Assessment, II, Leyde, 1999, p. 93-116 ; M. Broshi, The Dead Sea Scrolls. Qumran and the Essenes, Jérusalem, 2010, p. 45 (héb.).
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comptaient dans leurs rangs de nombreux prêtres, en particulier parmi leurs chefs. Autrement dit, au-delà des clivages politiques et religieux, des critiques envers le temple et ses nombreux dysfonctionnements sociaux qui provenaient des différents courants du judaïsme d’avant 70 de notre ère et qui opposaient parfois les prêtres entre eux en raison de leur appartenance à des mouvances rivales, il est néanmoins quasi certain que la destruction du Second Temple, du grand Sanhédrin et de l’institution de la grande-prêtrise porta un coup significatif à l’ensemble de la classe sacerdotale. Ceci provient du simple fait que tout prêtre, dépossédé d’un sanctuaire concret avec ses prérogatives qui lui assuraient de nombreux privilèges socio-économiques, devint subitement désavantagé socialement. Un intérêt sacerdotal fédérateur de premier ordre, à savoir la réédification du temple de Jérusalem, devait donc théoriquement se forger afin de faire rebondir les consciences sacerdotales dans le but de redorer le blason des membres de la prêtrise, toutes tendances confondues 24 . À ce stade de notre investigation, il est important d’évoquer l’évolution du judaïsme rabbinique et de ses rapports aux prêtres en Judée, au terme du Ier siècle et au début du IIe siècle. L’état de la société judéenne après la grande révolte se résume généralement ainsi. Ceux qui luttèrent militairement contre Rome furent pour la plupart décimés et ne survécurent pas au séisme de 70. Les zélotes et les sicaires, noyaux durs des insurgés, furent écrasés puis éliminés et nombre d’entre eux furent déportés à Rome en vue de leur participation au triomphe, dont leurs chefs, Jean de Gischala le lévite et Simon bar Giyora. Après le triomphe, le premier fut condamné à la prison à perpétuité tandis que le second fut exécuté 25. On évoquera aussi la disparition des esséniens qui furent, selon Josèphe 26, torturés à mort par les légions romaines, 23. Sur les rapports étroits entre zélotes et sacerdoce, voir l’approche sociologique intéressante de G. A ran, « The Other Side of Israelite Priesthood: A Sociological-Anthropological Perspective », dans D.R. Schwartz – Z. Weiss (éd.), Was 70 CE a Watershed in Jewish History?, Leyde, 2012, p. 48 ss : « Zealot and Priest: Affinities ». 24. Et inversement, la critique du capital et des élites judéennes de Jérusalem, pouvait aussi fédérer la diversité des mouvances judéennes populaires en un seul mouvement, suivant un contexte bien précis, comme ce fut le cas avant la grande révolte de 66, en dépit de profondes divergences religieuses divisant d’ordinaire profondément ces groupes disparates. Voir E. Friedheim, « Richesse et pauvreté dans le judaïsme intertestamentaire et talmudique », Pardès. Études et culture juives, Judaïsme et économie 54 (2014), p. 157-168. 25. Flavius Josèphe, Guerre des Juifs 6, 9, 4; 7, 5, 6. 26. Flavius Josèphe, Guerre des Juifs 2, 8, 10. Après la grande révolte, nous n’entendons plus parler du courant essénien, aussi est-il permis de supposer qu’il fut effectivement décimé par les Romains. Cela ne signifie pas pour autant que la doctrine essénienne ne survécut pas à la tourmente. Voir D. Goddblatt, « The Title “Nasi” and the Ideological Background of the Second Revolt », dans A. Oppen-
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notamment à partir 68, lorsque Jean l’essénien, un des commandants des insurgés dans le sud de la Judée, perdit la vie au combat devant la placeforte d’Ascalon 27. Beth Shammaï, ou l’école de Shammaï, bien que faisant partie des pharisiens, rejoignit massivement les zélotes pour combattre les modérés de Jérusalem, puis les Romains 28. Beth Shammaï sortit largement éprouvé et amoindri de cette épreuve. Les sadducéens, quant à eux, ne se soulevèrent pas contre Rome. En tant qu’élite sacerdotale voulant continuer à dominer le temple, ils collaborèrent avec les hérodiens, puis avec l’administration romaine de la province Iudaea. Ceci dit, ils eurent apparemment beaucoup de difficultés à se remettre de la perte de leur position de force, puisqu’ils ne sont pour ainsi dire jamais mentionnés dans les sources tannaïtiques postérieures à 70, textes représentatifs de l’époque de Yabné 29, et, dans les rares cas où le terme de « » צדוקי est effectivement heimer – U. R appaport (éd.), The Bar Kokhva Revolt. A New Approach, Jérusalem 1984, p. 121, n. 37 (héb.). 27. Flavius Josèphe, Guerre des Juifs 3, 2, 2. 28. Concernant les tendances nationalistes de Shammaï et de son école, voir I. Ben-Shalom, « Events and Ideology of the Yavneh Period as Indirect Causes of the Bar-Kokhba Revolt », dans A. Oppenheimer – U. R appaport (éd.), The Bar Kokhva Revolt. A New Approach, Jérusalem, 1984, p. 1-12 (héb.). À propos de l’alliance contractée entre l’école de Shammaï et les insurgés de 66, voir TJ Shabbat, 1, 4, 3c. Il est rapporté dans ce texte que les disciples de Shammaï massacrèrent ceux du courant hillélite, lesquels, pour leur part, étaient favorables à la paix [sur l’authenticité de ce témoignage, voir S. lieberman, Yerushalmi Kipshuto. A Commentary Based on Manuscripts of the Yerushalmi and Works of the Rishonim and Midrashim in Mss. And Rare Editions. I, New York – Jérusalem, 19953, p. 38 (héb.)]. Les hillélites avaient, du reste, rejeté les dix-huit mesures restrictives contre les non-Judéens promulguées par les shammaïtes [voir I. Ben-Shalom, The School of Shammai and the Zealots’ Struggle against Rome, Jérusalem, 1993, p. 252-273 (héb.)]. Dans le même esprit, Josèphe stipule que les Judéens d’Idumée vinrent à la rescousse des insurgés de Jérusalem, afin d’empêcher les modérés de livrer la ville aux Romains (Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, 4, 4, 17). Les Iduméens massacrèrent les modérés. Ils assassinèrent, notamment, Josué b. Gamla (Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, 4, 5, 2), un des derniers grands-prêtres, ami de Josèphe, qui laissa d’ailleurs un bon souvenir dans la littérature rabbinique (Mishna Yebamot, 6, 4; TB Baba Bathra, 21a). Une partie très ancienne du Sifré Zouta sur Parachat Para, découverte dans la Guéniza du Caire, dévoila que l’école de Shammaï comptait dans ses rangs des élèves iduméens. Voir J. N. Epstein, « Sifre Zouta Parachat Para », Tarbiz 1 (1930), p. 52 (héb.). On notera, de surcroît, que le général en chef de l’Idumée révoltée contre Rome se nommait Eléazar b. Hanania (Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, 2, 20, 4). Ce dernier faisait vraisemblablement partie de l’école de Shammaï ainsi que le signale la Mekhilta Ba-Hodesh, 7 (éd. Horovitz-Rabin, p. 229), étant donné qu’il appliquait la halakha de Shammaï édictée en TB Betsa, 16a. Le nationalisme extrême de Shammaï et de sa maison pharisienne ne semble, par conséquent, ne laisser aucun doute. 29. E. M ain, « Les Sadducéens vus par Flavius Josèphe », Revue Biblique 97 (1990), p. 161-206 ; E. R egev, The Sadducees and their Halakhah. Religion and Society in the Second Temple Period, Jérusalem, 2004, p. 380 ss (héb.).
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mentionné, il semblerait qu’il s’agisse davantage d’un terme générique désignant l’ensemble des déviants du judaïsme rabbinique, plutôt qu’un vocable prouvant la présence concrète de sadducéens dans la société yabnéenne. Autrement dit, ceux qui se révoltèrent disparurent, mais également ceux, parmi les paficiques, qui ne réussirent pas à s’adapter à la nouvelle conjoncture historique, à savoir, la suppression du temple. Cette affirmation suppose que les seuls à avoir vraiment réussi à survivre furent les pharisiens de la maison d’Hillel, modérés, lesquels refusèrent tout d’abord de se révolter contre Rome puis réussirent à s’adapter à une nouvelle réalité religieuse qui leur était totalement inconnue, à savoir, une vie juive sans grand-prêtre, l’absence du temple, un jour de Kippour sans réelle possibilité halakhique d’expiation des fautes en raison de l’absence des sacrifices et du grand Sanhédrin. Il s’agit d’une réalité de rupture que l’historien aurait grand tort de négliger. Un exemple éloquent illustrant fort bien cette faculté d’adaptation se trouve dans une tradition rabbinique judéenne rapportée dans le traité d’Abot de Rabbi Nathan, Version A, chapitre 4 (édition Schechter, p. 21) où nous lisons: « פעם אחת היה רבן יוחנן בן זכאי יוצא מירושלים והיה ר’ יהושע הולך אוי לנו על זה שהוא חרבמקום: אמר ר’ יהושע. וראה בית המקדש חרב,אחריו יש לנו כפרה, בני אל ירע לך: אמר לו.שמכפרים בו עונותיהם של ישראל כי חסד חפצתי ולא זבח: שנאמר, ואיזה זה? גמילות חסדים,אחת שהיא כמותה «( ו ו,)הושע « Rabban Yohanan b. Zakkaï s’en allait une fois de Jérusalem et R. Yeoshoua/Josué le suivit et vit le temple détruit. Ce dernier dit : “Malheur à nous car il est détruit, le lieu où l’on expiait les fautes d’Israël”. Il (= Rabban Yohanan b. Zakkaï) lui dit : “Mon fils, ne te fais pas de mauvais sang, nous disposons d’une autre expiation qui lui est similaire. De quoi s’agit-il ? De la charité, ainsi qu’il est dit : « Car c’est la bonté que j’ai désiré et non l’offrande »” (Os 6, 6). »
Nous avons évoqué Rabban Yohanan ben Zakkaï [= Ribaz], lequel est supposé, d’après les thèses classiques de G. Alon 30, avoir restauré le judaïsme, plaçant dès lors les Judéens sous la férule pharisienne/rabbanite, et qui, par voie d’émondage, relégua très rapidement, soit dès le commencement du IIe siècle, toutes les autres tendances sociales-religieuses au seuil de la normativité judéenne 31. Mais voici que ces dernières années, une autre 30. G. A lon, Jews, Judaism and the Classical World. Studies in Jewish History in the Times of the Second Temple and Talmud, Jérusalem, 1977 ; The History of the Jews in the Land of Israel during the Mishna and Talmud Period. I, Jérusalem, 1956, p. 53-71 (héb.). 31. Hantés à l’idée de voir le peuple judéen se disloquer en plusieurs sectes après 70, les premiers Sages de Yabné, décidèrent, dans un premier temps, de ne prendre en considération que les préceptes halakhiques, énoncés à partir d’Hillel et de Shammaï (voir Tosefta ‘Edouyot, 1, 1 [éd. Zuckermandel, p. 454]; TB Shabbat, 138b).
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vision retraçant les faits de manière plus nuancée est apparue parmi les critiques. On se rendit compte que la société judéenne pluraliste du temps du Second Temple perdura après la dévastation du sanctuaire, sans doute sous d’autres formes, en conservant le dynamisme de son pluralisme d’antan. On rencontre ainsi à côté des rabbins – issus des maisons d’Hillel et de Shammaï –, des Judéens polythéistes 32 , des judéo-chrétiens 33, des Amei Plus tard, les Rabbins s’efforcèrent de restreindre davantage la Halakha pour la couler définitivement dans le moule hillélite. La tendance vire alors à l’écartement des conceptions shammaïtes perçues désormais comme marginales (voir Tosefta Yebamot, 1, 13 [éd. Lieberman, p. 4]; TJ Berakhot, 1, 7, 3b; TB Erouvine, 6b; TB Rosh Hashana, 14b). La source du TJ va même jusqu’à dire que quiconque transgresse les lois du courant hillélite est passible de mort ! Décret hypothétique à cette époque, puisque c’est bien avant 70 que la peine capitale fut annulée en Israël (voir par exemple: TB Shabbat 15a; TB ‘Avoda Zara 8b). R. Tarfon, sera fortement critiqué pour ses positions shammaïtes (Mishna Berakhot, 1, 3; TJ Shevi’it, 4, 2, 35b; TB Berakhot, 11a). R. Eliézer b. Hyrcanos, surnommé le « shammaïte » sera excommunié pour avoir dévié du courant hillélite (TB Baba Metzia, 59b). À l’époque de Rabban Gamaliel II, la loi de l’école de Shammaï était encore tellement ancrée au sein des Sages que nombre d’entre eux, et non des moindres, habituellement proches du courant hillélite, hésitèrent à trancher la loi entre Hillel et Shammaï dans certains domaines législatifs, ou bien adoptèrent ouvertement des positions légales édictées par l’école de Shammaï. Ainsi, Rabban Gamaliel II en personne, bien que descendant d’Hillel (TB Shabbat, 15a), applique parfois une conception shammaïte de la loi (Mishna Betsa, 2, 6; Tosefta Yom Tov, 2, 12 [éd. Lieberman, p. 289-290]; Mishna ‘Edouyot, 3, 10; TB Yevamot 15a). R. ‘Akiva hésita également parfois, à trancher la Halakha suivant les dires de Shammaï ou ceux d’Hillel (Tosefta Shevi’it, 4, 21 [éd. Lieberman, p. 185]; TB Rosh Hashana, 14a-b). À propos de R. Josué b. Hanania, voir TB Yebamot, 15b et al. Concernant R. Eléazar b. ‘Azaria, voir Sifri sur Deut., 34 (éd. Finkelstein, p. 62-63) ; Tosefta Berakhot, 1, 4 (éd. Lieberman, p. 2) ; TJ Berakhot, 1, 3, 3b; TB Berakhot, 11a. Selon S. Safrai, « The Decision according to the School of Hillel in Yavneh », dans S. Safrai, In Times of Temple and Mishnah. Studies in Jewish History. II Jérusalem, 1994, p. 382-405 (héb), le processus d’éviction de la Halakha shammaïte au profit de celle d’Hillel, qui fut engagé à Yabné par Rabban Yohanan b. Zakkaï au lendemain de la grande révolte (ca. 70-73) n’aboutit en réalité définitivement qu’à la génération galiléenne d’Ousha (ca. 138-170); S.J.D. Cohen, « The Significance of Yavneh: Pharisees, Rabbis and the End of Jewish Sectarianism », Hebrew Union College Annual, 55 (1984), p. 27-51. Hormis, une volonté probable de ne pas rester indifférents aux évènements sanglants perpétrés par les Shammaïtes contre les Hillélites durant l’insurrection de 66 (Supra, n. 28), il semblerait cependant que la décision finale d’évincer l’école de Shammaï, relève davantage d’un processus global d’unification de la Halakha autour d’un seul et unique courant, celui des hillélites. 32. E. Friedheim, Rabbinisme et paganisme en Palestine romaine. Étude historique des Realia talmudiques (Ier-IVème siècles), Leyde, 2006, p. 25-67. 33. S.C. M imouni, Early Judaeo-Christianity. Historical Essays, Louvain, 2012 ; Y.Y. Teppler , Birkat Ha-Minim. Jews and Christian in Conflict in the Ancient World, Tübingen, 2008 ; Y. Bourgel , « The Jewish-Christians’ Move from Jerusalem as a Pragmatic Choice », dans D. Jaffé (éd.), Studies in Rabbinic Judaism and Early Christianity. Text and Context, Leyde, 2010, p. 107-138 ; D. Jaffé , Le
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Haaretz – lourdement vilipendés par les Sages 3 4 –, puis des brigands, des malfaiteurs, des assassins ou encore une aristocratie judéenne corrompue achetant le pouvoir 35, mais également tous ces Judéens non-rabbiniques qui pouvaient, le cas échéant et de manière éclectique fréquenter un monde synagogal en marge du milieu rabbinique 36. Dans ce contexte varié, mouvant et d’une grande complexité sociale, il semble évident que des représentants de l’ensemble des courants de l’époque du Second Temple ont survécu à l’an 70 de notre ère, ainsi que l’avait pressenti, dès 1958, Salo W. Baron. Ce dernier affirmait en effet que les prêtres réussirent très probablement à conserver la cohésion au sein de la caste sacerdotale, en dépit de la perte du Second Temple de Jérusalem 37. Ceci est particulièrement vrai pour l’ensemble des prêtres, issus de toutes les mouvances politico-religieuses, qui ne voyaient pas forcément d’un bon œil la formation d’une élite rabbinique essentiellement non sacerdotale, soucieuse d’accéder au pouvoir. Il nous semble que l’étude du personnage de Ribaz est susceptible d’éclairer au mieux ces luttes de pouvoir, notamment lors de la tentative avortée d’évincement des prêtres. J. Neusner et plusieurs chercheurs à sa suite 38 sont réputés pour critiquer à outrance l’historicité des sources talmudiques en prétendant, notamjudaïsme et l ’avènement du christianisme : orthodoxie et hétérodoxie dans la littérature talmudique Ier-IIe siècles, Paris, 2005. 34. D. Jaffé , « Les “amei-ha-ares” durant le IIe et le IIIe siècle : état des sources et des recherches », Revue des études juives 161 (2002), p. 1-40; idem, « Les synagogues des “amei ha-aretz” : hypothèses pour l’histoire et l’archéologie », Sciences religieuses 32 (2003), p. 59-82. 35. G. A lon, « Thoses Appointed for Money: The History of the Various Juridical Authorities in Eretz-Israel in the Talmudic Period », dans G. A lon, Jews, Judaism and the Classical World. Studies in Jewish History in the Times of the Second Temple and Talmud, Jérusalem, 1977, p. 374-435. 36. S.C. M imouni, « Les origines du christianisme : nouveaux paradigmes ou paradigmes paradoxaux ? », Revue Biblique 115 (2008), p. 360-382; S.C. M imouni, « Les frères jumeaux ou les frères triplets ? Christianisme, Judaïsme et rabbinisme », Le Monde de la Bible 202 (2012), p. 19-24; J. Costa, « Judaïsme helléniste et judéo-paganisme en terre d’Israël : l’exemple des Minim », Henoch 34 (2012), p. 95-128; J. Costa, « Entre judaïsme rabbinique et judaïsme synagogal : la figure du patriarche », Judaïsme ancien/Ancient Judaism 1 (2013), p. 63-128. 37. S.W. Baron, Histoire d ’Israël. II. Les premiers siècles de l ’ère chrétienne, Paris 19862 , p. 747: « Exposant la loi juive, trois décennies après la destruction du temple, il [= Josèphe] se référait au culte sacerdotal comme s’il était toujours en vigueur. Pour Josèphe, c’était toujours le prêtre et non le rabbi qui dirigeait le peuple. Ce n’était pas là simplement le préjugé d’un prêtre en faveur de sa classe : il y avait, réellement, un nombre extraordinaire de prêtres et de lévites parmi les dirigeants pharisiens de l’époque qui suivit la Grande Guerre. » 38. J. Neusner , A Life of Yohanan ben Zakkai, Leyde, 1962, partagea tout d’abord une position classique envers l’historicité des récits concernant Ben Zakkaï leur accordant une grande crédibilité historique, puis il commença peu à peu à changer d’opinion, dans un article publié quelques années plus tard (voir J. Neusner ,
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ment, que Ribaz fut, en réalité, un personnage inventé de toutes pièces par les amoraïtes du IIIe siècle afin d’élaborer une conscience judéenne historique et nationale. En ce qui nous concerne, nous ne partageons ni cette position réprobatrice, ni celle considérant Ribaz comme un personnage investi de tous les pouvoirs par la totalité de la population judéenne. Il nous semble qu’il faille ici, comme ailleurs, adopter la voie médiane. Ribaz exista et eut manifestement un rôle, mais il opéra au sein d’un milieu social relativement réduit et fortement affaibli. Il se veut dirigeant, mais ne répond pas tout à fait aux critères requis, à savoir, la sagesse, la richesse et l’ascendance illustre. Concernant ce dernier point, on tentera de vérifier son appartenance au sacerdoce ou à la lignée davidique. On procèdera par élimination afin de dégager la solution qui nous apparaît la plus plausible. Était-il d’origine royale ? Certainement pas, car dans le cas contraire, les sources rabbiniques l’auraient spécifié à maintes reprises, ce qui n’est pas le cas. Concernant son affiliation à la prêtrise, deux possibilités se présentent alors à nous : (1) la grande-prêtrise ou (2) le simple sacerdoce. Ribaz fut-il grand-prêtre ? La réponse est là aussi catégoriquement négative puisque nous sommes en mesure, par les écrits de Josèphe ainsi que par certains textes mishniques et amoraïques 39, de reconstituer la liste plus ou moins exhaustive des 80 derniers grands-prêtres, en fonction jusqu’en « In Quest of the Historical Rabban Yohanan ben Zakkai », Harvard Theological Review 59 (1966), p. 391-413), avec pour finir une refonte complète de sa thèse, défendant dès lors une approche extrêmement critique des sources rabbiniques invalidant presque systématiquement la possibilité de tirer des conclusions historiques de sources tardives pour des époques antérieures. Voir J. Neusner , Development of a Legend. Studies on the Traditions Concerning Yohanan ben Zakkai, Leyde 1970 (réimp. Binghamton, 2002). Sur son approche concernant l’étude historique des textes talmudiques, voir J. Neusner , « Rabbinic Sources for Historical Study. A Debate with Ze’ev safari », dans J. Neusner –A.J. Avery-Peck (éd.), Judaism in Late Antiquity. Where We Stand, Issues and Debates in Ancient Judaism. III.1, Leyde, 1999, p. 123, et concernant la thèse voyant dans la littérature talmudique une source historique à part entière, réfutée par J. Neusner, voir ses propos incisifs, J. Neusner , « Rabbinic Sources for Historical Study. A Debate with Ze’ev safari », dans J. Neusner –A.J. Avery-Peck (éd.), Judaism in Late Antiquity. Where We Stand, Issues and Debates in Ancient Judaism. III.1, Leyde, 1999, p. 125: « It may be characterized very simple : it is simply intellectually primitive and historically uncritical. Its questions are trivial, and its results, incoherent » ; « The method is the same: believe it all, paraphrase it all, regurgitate it all, and call the result “history” »; idem, « From Biography to Theology: Gamaliel and the Patriarchate », Review of Rabbinic Judaism 7 (2004), p. 54; 55. 39. Flavius Josèphe, Antiquités juives, 20, 10, 1 [227]: «Depuis Aaron qui fut, comme nous l’avons dit, le premier, jusqu’à Pinhas qui reçut des mutins le pontificat pendant la guerre, il y eut en tout quatre-vingt-trois grands-prêtres». Selon la tradition rabbinique, ce chiffre constitue le nombre de grands-pontifes seulement pour l’époque du second temple, TJ Yoma, 5, 2, 42c; Lévitique Rabba, Aharei Mot, 21, 9 (éd. Margulies, p. 488-489).
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70, mais Ribaz n’y figure pas. En outre, si Ben Zakkaï avait occupé une telle fonction prestigieuse, cela ne serait sûrement pas resté inaperçu des sources rabbiniques visant, de manière générale, à l’auréoler 4 0. Il nous reste à savoir s’il appartenait au bas-clergé. Sur cette question, les critiques sont divisés depuis des siècles. Rashi, le grand commentateur médiéval du Talmud, affirma que Ben Zakkaï était prêtre 41, tandis que son petits fils, Isaac de Dampierres, chef de file des tossafistes, pensait, qu’il ne l’était pas 42. Depuis la Wissenschaft des Judentums jusqu’à nos jours, la plupart des chercheurs sont aussi partagés sur la question. Pour expliquer l’importance de cette controverse, il faut tout d’abord dire qu’aucune source n’affirme explicitement que Ribaz était prêtre. On ne rencontre effectivement jamais l’expression « =( » רבן יוחנן בן זכאי הכהןRibaz le prêtre). Cela dit, certains chercheurs pensaient pouvoir, de manière détournée, déduire un élément-clé par raisonnement halakhique, prouvant ainsi l’appartenance de Ribaz au sacerdoce. En effet, suivant la Mishna Para, 3, 5, seul le grandprêtre était autorisé à brûler la vache rousse dont les cendres purifiaient tout Judéen ayant été au contact d’un mort, tel que le mentionnent la loi massorétique et la Tosefta Para 4, 6 (éd. Zuckermandel, p. 633) : » « שריפת פרה והזאותיה בכהן גדול ושאר כל מעשיה בכהן הדיוט « La consumation de la vache et l’aspersion [de ses cendres] relèvent du grand-prêtre, tandis que le reste des actions concernant la vache rousse vise de simples prêtres. »
Par conséquent, on est ici dans un mode de réflexion halakhique exclusivement sacerdotal, relevant du grand-prêtre et, le cas échéant, de ses subalternes, mais en aucun cas de Judéens étrangers à la prêtrise. Si l’on arrivait donc à relier d’une quelconque manière, fût-ce de près ou de loin, Ribaz à une action, même la plus insignifiante, ayant trait à la vache rousse, alors nous serions en mesure d’affirmer qu’il appartenait à la prêtrise ! Une information de ce genre apparaît dans une loi de la Tosefta Para, 4, 7 (éd. Zuckermandel, p. 633) où nous lisons : « שאלו תלמידיו את רבן יוחנן בן זכאי פרה במה נעשית אמר להם בבגדי זהב אמרו לו למדתנו בבגדי לבן אמר להם יפה אמרתם ומעשה שעשו ידי וראו עיני ושכחתי וכששמעו אזני על אחת כמה וכמה לא שלא היה יודע אלא שהיה מבקש לזרז את התלמידים ויש אומרים הלל הזקן שאלו לא שלא היה יודע אלא שהיה « מבקש לזרז את התלמידים
40. S.W. Baron, Histoire d ’Israël. II. Les premiers siècles de l ’ère chrétienne, Paris 19862 , p. 747 évoque Ribaz en tant que « grand-prêtre rabbi », ce qui ne repose, pour autant que nous le sachions, sur aucune source première. 41. Rashi sur TB Shabbat 34b, s. v. « » תורמסי תרומה. 42. Tossafistes sur TB Menahot 21b, s. v. : » « שהכהנים דורשין מקרא זה לעצמן.
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« Les disciples de Rabban Yohanan b. Zakkaï lui demandèrent : “ Comment est réalisée la vache rousse ” [autrement dit : quels sont les habits portés par le grand-prêtre lors de son traitement de la vache rousse ?] Il leur dit : “ Avec des habits dorés ”. Ils lui dirent : “ Mais voilà que tu nous as enseigné qu’il portait des vêtements de couleur blanche ! ” Il leur dit : “ Vous avez bien parlé, mais si déjà j’ai oublié ce que mes mains ont réalisé et ce que mes yeux ont vu, alors c’est à plus forte raison que j’ai oublié ce que j’ai entendu ! ” Ce n’est pas que Ribaz ne connaissait plus la réponse, mais bien au contraire qu’il chercha, en vérité, à éveiller ses disciples [aussi répondit-il de la sorte]. Certains disent que c’est Hillel qui fut interrogé et ce n’est pas qu’il était ignorant de la réponse, bien au contraire, il chercha à dynamiser ainsi ses disciples. »
Suivant certains chercheurs 43, en rappelant la réalisation de ses mains )(מה שעשו ידי, dans un cadre halakhique ayant trait à la vache rousse, Ribaz admit qu’il avait commis un acte dans ce cadre légal, prouvant, au passage, son appartenance à la prêtrise, seule habilitée à prendre en charge ces lois ainsi que nous l’avons mentionné. Selon d’autres, cette expression est beaucoup trop vague et générique, et, par conséquent, ne peut servir d’argument pour prouver une quelconque intervention de type liturgique à propos d’actes rituels liés à la vache rousse. Cette expression prouve que Ribaz enseigna comment exécuter la loi, mais ceci ne constitue nullement une preuve concernant l’application tangible de cette loi par lui-même 4 4. 43. D.R. Schwartz , « Rabban Yohanan ben Zakkaï était-il prêtre ? », Sinai 88 (1981), p. 32-39 (héb.); S. Safrai, « Nouvelles interprétations sur la question du statut de Rabban Yohanan b. Zakkaï après la destruction du temple » dans S. Safrai, In Times of Temple and Mishnah. Studies in Jewish History, II, Jérusalem 1996, p. 205. (héb.). 44. G. A lon, The Jews in their Land in the Talmudic Age (70-640 CE) I, Jérusalem 1981, p. 91-92; S. Lieberman, Tosefet Rishonim: A Commentary Based on Manuscripts of the Tosefta and Works of the Rishonim and Midrashim in Manuscripts and Rare Editions, New York – Jérusalem 19932 , p. 225-226 (héb.). S. Lieberman, rapporte notamment un texte issu de la Tosefta Oholot, 16, 8 (éd. Zuckermandel, p. 614) où figure la même formule, une fois que Ribaz fut interrogé par ses disciples concernant la vérification de l’emplacement d’une souillure, voir S. Lieberman, Tosefet Rishonim: A Commentary Based on Manuscripts of the Tosefta and Works of the Rishonim and Midrashim in Manuscripts and Rare Editions, New York – Jérusalem 19932 , p. 225-226 (héb.) : « si déjà j’ai oublié ce que mes mains ont réalisé et ce que mes yeux ont vu, alors c’est à plus forte raison que j’ai oublié ce que j’ai entendu. » L’expression « ce que mes mains ont fait » ne peut là encore désigner une véritable action, car de deux choses l’une : si Ribaz était prêtre, il fut impossible alors de prétendre qu’il vérifia l’emplacement d’une souillure, catégoriquement proscrite aux prêtres ! Et si Ribaz vérifia tout de même cette souillure, cela prouverait, d’une part, qu’il n’appartenait pas au sacerdoce, puis, d’autre part, que l’expression « ce que mes mains ont fait », ne peut, en aucun cas, désigner une véritable action, mais tout au plus, l’apprentissage de ce rite selon l’instruction de Ribaz. » (Traduction française, E. F.).
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D’autant qu’il est possible que cette anecdote fut énoncée par Hillel, lequel ne faisait certainement pas partie d’une lignée sacerdotale, une tradition talmudique judéenne lui attribuant même une lignée davidique 45. Si Hillel fut le dépositaire de cette anecdote, il est clair qu’il n’aurait pu penser qu’à une action sacerdotale hypothétique en disant : « ce qu’ont fait mes mains» ». Cela montre d’autant plus l’invraisemblance historique d’un tel témoignage. Les défenseurs de l’appartenance sacerdotale de Ribaz, ne s’en tinrent pas là. Ils rapportèrent une tradition parallèle, figurant dans le Sifré sur Nmbs, 123 (éd. Horovitz, p. 151), où nous trouvons grosso modo la même tradition, mais avec une variante conséquente, puisque Ribaz y affirme devant ses disciples : ויש... ק"ו [= קל וחומר] מה שלמדתי,» אם מה שראו עיני ומה ששרתו ידי שכחתי « אלא שלא היה יכול לומר מה ששרתו ידי, הלל הזקן היה:אומרים « Si j’ai oublié ce que mes yeux ont vu et mes mains ont servi, [alors] a fortiori ce que j’ai enseigné… et certains affirment : C’était Hillel l’ancien, mais voilà qu’il ne pouvait dire: ce que mes mains ont servi »
La différence de versions entre la Tosefta et le misdrah tannaïtique Sifré est de taille. Du terme fort approximatif « faire » )(עשו, on passe à celui de « servir » )(שרתו, dont la racine hébraïque étymologique )(שרת témoigne d’ordinaire – tant dans le corpus intertestamentaire, qumranien que mishnique –, d’un fait sacerdotal rituellement actif, accompli au sein du sanctuaire 4 6. D’ailleurs, si ce terme n’avait qu’une simple connotation générique, on chercherait alors à savoir pour quel motif Hillel n’aurait-il pu le prononcer ? Ce qui prouve de nouveau que le vocable » » שרתוdésigne un acte rituellement vérifiable. Hillel fut dans l’incapacité de l’énoncer, précisément compte tenu de son statut non-sacerdotal, impliquant nécessairement, que dans la mesure où l’anecdote se déroula avec Ribaz, ce dernier aurait pu prononcer l’expression « ce que mes mains ont servi », établissant ainsi avec certitude sa filiation sacerdotale 47. Selon Schwartz, il faut aussi prendre en considération la dimension onomastique, selon laquelle aussi bien le nom de Yohanan que celui de Zakkaï, (= Zecharia/ Zacharie) reflètent au Ier siècle des appellations majoritairement sacerdo-
45. TJ Ta’aniot, 4, 2 (68a). Quand bien même, cette tradition serait effectivement tardive, il n’en ressort pas moins qu’à la fin du second temple, aucune source connue ne rattache Hillel et sa descendance patriarcale au sacerdoce. Voir D.R. Schwartz , « Rabban Yohanan ben Zakkaï était-il prêtre ? », Sinai 88 (1981), p. 32-39 (héb.). 46. voir D.R. Schwartz , « Rabban Yohanan ben Zakkaï était-il prêtre ? », Sinai 88 (1981), p. 35-36 notes 24-30 (héb.). 47. D.R. Schwartz , « Rabban Yohanan ben Zakkaï était-il prêtre ? », Sinai 88 (1981), p. 35-36 notes 24-30 (héb.).
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tales 48. Quand bien même il y aurait quelques exceptions à la règle, on rapportera avec intérêt l’argumentaire de Schwartz : « il faut se rappeler que si la majorité des “Yohanan/Jean” et le plus grand nombre des “Zacharie” sont des pontifes, il est donc particulièrement cohérent de supposer qu’un individu portant le nom de : “Yohanan b. Zekharia (= Zakkaï)” fut également prêtre 49. » Ceci dit, selon les partisans de la non-appartenance de Ribaz au sacerdoce, notamment G. Alon et S. Lieberman, la version de la Tosefta est plus ancienne que celle du Sifré. Ces chercheurs suivent, en outre, l’avis des tossafistes selon lesquels, « les mains d’Hillel ne purent servir dans le cadre de la vache rousse », car, de son temps, il n’y avait pas de vache rousse 50, parvenant ainsi au passage à invalider la déduction, rapportée plus haut, de Safrai et de Schwartz concernant Ribaz. De plus, selon ces chercheurs, dans la mesure où Ribaz fit réellement partie du sacerdoce, comment alors expliquer les nombreux différends qui l’opposèrent, avant 70, aux différents membres de la prêtrise, sadducéens/bothuséens et pharisiens confondus, ainsi que lors des premières années yabnéennes 51 ? Comment expliquer, de surcroît, l’opposition massive des prêtres à Ribaz à Yabné, si ce dernier était un des leurs 52 ? Pour notre part, nous partageons l’avis selon lequel Ribaz ne fut probablement pas affilié au sacerdoce de son temps, car, au-delà des syllogismes alambiqués invoqués par les uns et par les autres, une réalité demeure : Si Ribaz était prêtre, les Sages rabbiniques issus de son milieu auraient maintes fois souligné sa relation au sacerdoce en des termes explicites en ne laissant aucunement place au doute, si ce n’est afin d’enrayer une opposition politique grandissante durant une période où la notion d’ascendance illustre semble avoir été un 48. D.R. Schwartz , « Rabban Yohanan ben Zakkaï était-il prêtre ? », Sinai 88 (1981), p. 37-38 (héb.). 49. D.R. Schwartz , « Rabban Yohanan ben Zakkaï était-il prêtre ? », Sinai 88 (1981), p. 39 (héb.). 50. Cet argument fut réfuté par D.R. Schwartz, « Rabban Yohanan ben Zakkaï était-il prêtre ? », Sinai 88 (1981), p. 35, notes 22-23 (héb.), en rapportant notamment une ancienne tradition midrashique issue du Sifré sur Nmbs (Huqat), 19, 3 (éd. Horovitz, p. 302). 51. Pour les altercations entre Ribaz et les prêtres, toutes tendances confondues, voir Mishna Yadaïm, 4 6 ; Mishna Sheqalim, 1, 4 ; Mishna Edouyot, 8, 3 ; Tosefta Para, 3, 8 (éd. Zuckermandel, p. 632) ; TB Menahot, 65a ; Scholion sur Megilat Ta’anit, 8 Nissan (éd. V. Noam, Megillat Ta’anit: Versions, Interpretation, History, Jerusalem 2003, p. 135-136) ; Abot de R. Nathan [= ARN], 12, version A (éd. Schechter, p. 56) ; ARN, 27 version B (éd. Schechter, p. 57). 52. «… the sharp confrontations reported to have taken place between Rabban Johanan and the priests incline one to conclude that he himself was not a kohen. » G. A lon, The Jews in their Land in the Talmudic Age (70-640 CE) I, Jérusalem 1981, p. 92. D.R. Schwartz ne conteste pas l’opposition de Ribaz aux prêtres, ni avant ni après 70, mais s’efforce de montrer que l’affrontement d’un « prêtre » visà-vis de ses sociétaires, n’en est que plus éloquent. C’est, selon nous, pousser le raisonnement un peu loin.
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impératif chez tout Judéen ayant eu l’intention de présider aux destinées de sa communauté 53. Or, les rabbins yabnéens n’ont jamais attribué expressément une telle filiation à Ribaz, ce qui explique partiellement la contestation sacerdotale remettant en cause son leadership. Il nous semble, par conséquent, que Ribaz ne faisait pas partie de la prêtrise, faisant face à une opposition sacerdotale contestataire à Yabné ainsi qu’à une opposition passive qui l’abandonnait seul à son compte. G. Alon, à la suite d’A. Büchler, releva le fait très intéressant que de nombreux rabbins-prêtres d’obédience pharisienne connus à la fin de l’époque du Second Temple ont disparu de l’entourage de Ben Zakkaï lors de sa tentative de mener les Judéens, pour ne réapparaître qu’à l’époque son successeur, Rabban Gamaliel II (96115). G. Alon releva ainsi les prêtres suivants qui faisaient partie du milieu rabbinique : R. Hanina Segan Hacohanim, Zécharia b. Kevoutal, R. Tsadok, son fils, R. Eléazar b. R. Tsadok, R. Zéharia b. Hakatsav, R. Tarfon, R. Yehouda Hacohen, R. Shimon b. Hasegan, ‘Azaria et son fils R. Eléazar, R. Yossi Hacohen et R. Shim’on b. Netanel, etc… 54.
53. Il est du reste étonnant de constater que les Sages insistèrent lourdement sur l’érudition de Ribaz, l’un des critères requis d’un leader judéen contemporain. On apprend ainsi que Ribaz maîtrisait tous les recoins de la loi et de l’exégèse, qu’il aurait tout appris )[ (הכל למדvoir ARN, 28, version B (éd. Schechter, p. 58) ; ARN, 14, version A (éd. Schechter, p. 57); TJ Nédarim, 5, 6 (39b)]. Dans Massekhet Soferim, 16, 6 (éd. Higger, p. 289-290), on apprend aussi que Ribaz aurait dit : « Si tous les cieux étaient des peaux, tous les arbres des plumes [pour écrire], et l’ensemble des mers de l’encre, cela ne suffirait pas pour retranscrire la sagesse que j’ai acquise de mes maîtres. » On trouve aussi la tradition suivante : « on disait de Ribaz qu’il était assis toute la journée à l’ombre du sanctuaire [= de Jérusalem] où il enseignait » (TB Pessahim, 26a). Cette tradition est originaire de Judée (voir TJ ‘Aboda Zara, 3, 11 [43b]). Pourquoi appuyer si considérablement l’axe de l’érudition de Ribaz ? Serait-il même venu à l’idée d’un membre rabbinique de penser que Rabban [= notre maître, un titre bien plus important que celui de « Rabbi », voir la missive de Sherira Gaon (906-1006) (Igueret Rav Sherira Gaon, [éd. Lévine, p. 125-126] (selon le manuscrit français)] : « … le titre de Rabban ne fut trouvé que chez des patriarches : Rabban Gamaliel, Rabban Shim’on, Rabban Yohanan b. Zakkaï »] Yohanan b. Zakkaï ne fut pas érudit ? Il nous semble que les Sages s’efforcèrent coûte que coûte de consolider l’axe de la Sagesse et de la connaissance chez Ribaz pour rééquilibrer l’ensemble, puisque ce dernier était précisément chancelant dans les domaines de l’ascendance illustre et de la richesse [Ribaz n’était pas fortuné, il entretenait tout au plus des relations amicales avec des personnages aisés (voir Genèse Rabba, 41, 1 [éd. Theodor-Albeck, p. 398]) ; S.W. Baron, Histoire d ’Israël. II. Les premiers siècles de l ’ère chrétienne, Paris 19862 , p. 968), lesquels s’appauvrirent de toute façon considérablement lors de la Grande Révolte], une fragilité susceptible de remettre en cause son autorité sur la communauté. Tout ceci nous amène donc à penser que Ribaz n’était pas de généalogie sacerdotale. 54. Voir G. A lon, « Le patriarcat de Rabban Yohanan b. Zakkaï », dans G. A lon, Studies in Jewish History in the Times of the Second Temple, the Mishna and the Talmud. I, Jérusalem 19783, p. 256 note 9 (héb.).
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Pour conclure cet épisode, on dira que l’opposition sacerdotale, active ou passive, contre Ribaz fut manifestement motivée par sa non-appartenance à la prêtrise. Nous avons principalement évoqué une contestation sacerdotale de type pharisien contre Ribaz, soit celle de l’ancien pharisien hillélite devenu précurseur du milieu rabbinique. Mais, en réalité, il faut également prendre en considération une opposition sacerdotale sadducéenne, ou du moins ce qu’il en restait, contre Ben Zakkaï qui lui reprochait surtout, outre sa généalogie problématique, son appartenance pharisienne, puisque selon des textes mishniques anciens – notamment Mishna Yadayim 4, 7 et autres – c’est bien Ben Zakkaï qui menait, pour les pharisiens, les grands débats théologiques contre les sadducéens. Un autre texte de la Tosefta Para, 3, 8 (éd. Zuckermandel, p. 632) montre comment, avant 70, Ben Zakkaï s’en prit à un grand-prêtre sadducéen en usant de la force, le contraignant à appliquer le service religieux suivant les rites pharisiens. En d’autres termes, après 70, Ribaz dut vraisemblablement faire face à des tirs sacerdotaux croisés, d’aucuns pharisiens d’autres sadducéens/bothuséens, certes motivés par des intérêts politico-religieux divergents 55, mais tout en mettant en avant l’élément sacerdotal élitiste d’antan que tous ces courants voulaient absolument retrouver. Cette « union sacrée » du moment entre les différentes mouvances sacerdotales contre le milieu rabbinique non-sacerdotal en pleine gestation de Ben Zakkaï fut, selon nous, accentuée davantage à l’heure où ce dernier engagea plusieurs réformes dont le but ultime fut de déconnecter les Judéens de l’espoir d’une réédification rapide du sanctuaire de Jérusalem 56. Le tout, en s’efforçant de positionner le synode rabbinique yabnéen comme substitut définitif au temple de Jérusalem. Les positions messianiques, extrêmement pragmatiques et pacifiques, de Ribaz visaient sans doute à éviter une tentative supplémentaire de révolte contre Rome dont le projet de reconstruction du temple de Jérusalem aurait pu être perçu comme un élément catalyseur. Mais cette politique délibérée d’évincement des prêtres finit en réalité par les renforcer davantage en les soudant entre eux et il semblerait que ceux-ci retrouvèrent progressivement leur place chez Rabban Gamaliel II, le successeur de Ben Zakkaï, à partir de l’an 96. Ceci est sans doute dû au fait, qu’à la différence de Ribaz, Gamaliel II venait d’une famille illustre, peut-être d’ori55. Les pharisiens le désapprouvaient donc, en raison de sa non-appartenance au sacerdoce, tandis que les sadducéens devaient en plus le récuser pour ses positions pharisiennes zélées d’antan. 56. Mishna Rosh Hashana, 4, 6; TJ Rosh Hashana, 4, 1 (59a); TB Rosh Hashana, 29b; TB Rosh Hashana, 31b; TB Keritout, 9a; Pesikta Rabbati, 40 (éd. Friedmann, p. 167b). Quant aux conceptions messianiques pacifistes de Ribaz relativement assez marginales pour son temps, car contraires au climat messianique activiste qui alimenta l’insurrection juive contre Rome, voir, par exemple, ARN, 31, version B (éd. Schechter, p. 66-67).
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gine davidique suivant une tradition rabbinique tardive ainsi que nous l’avons déjà évoqué, mais en tout cas célèbre dans la Jérusalem d’avant 70, puisque son père, Simon b. Gamaliel, fut, selon Josèphe, un notable de Jérusalem issu d’une prestigieuse lignée (γένους δὲ σφόδρα λαμπροῦ) 57, un membre du gouvernement des insurgés qui périt lors du siège de Jérusalem 58 et son grand-père, Gamaliel l’ancien (hazaken), fut le maître qui s’opposa à la mise à mort de Pierre 59, et chez qui notamment Paul de Tarse étudia peut-être la Loi 60. Ces figures emblématiques de la lignée hillélite peuvent expliquer le retour, à Yabné, des prêtres sous l’égide de Rabban Gamaliel II. G. Alon fit remarquer que lorsque celui-ci fut démis de ses fonctions, c’est bien R. Eléazar b. ‘Azaria le prêtre, descendant d’Esdras le prêtrescribe, qui le remplaça. Et lorsque Ben ‘Azaria disparut vers 120, le chef de file devint sans doute le pharisien shammaïte R. Tarfon, lui aussi appartenant à la prêtrise 61, surnommé dans plusieurs sources amoraïques palestiniennes comme étant : « Le maître de tout Israël » ) (רבן של כל ישראל6 ou encore « le père de tout Israël » ( (אביהן של כל ישראל63. Il semblerait 57. Flavius Josèphe, Vie, 38, 191. 58. Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, 4, 3, 9; Flavius Josèphe, Vie, 1, 38: « Ὁ δὲ Σίμων οὗτος ἦν πόλεως μὲν Ἱεροσολύμων, γένους δὲ σφόδρα λαμπροῦ, τῆς δὲ Φαρισαίων αἱρέσεως, οἳ περὶ τὰ πάτρια νόμιμα δοκοῦσιν τῶν ἄλλων ἀκριβείᾳ διαφέρειν.»; Il faut corriger ainsi : G. A lon, « Le patriarcat de Rabban Yohanan b. Zakkaï », in: Idem, Studies in Jewish History in the Times of the Second Temple, the Mishna and the Talmud, I, Jérusalem, 19783, p. 267-270 (héb.); S.C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 486 et al. 59. Actes, 5, 34. 60. Actes, 22, 3 : « Je suis Juif, né à Tarse en Cilicie ; mais j’ai été élevé dans cette ville-ci (= Jérusalem), et instruit aux pieds de Gamaliel dans la connaissance exacte de la loi de nos pères, étant plein de zèle pour Dieu, comme vous l’êtes tous aujourd’hui. » T. Murcia, Jésus dans le Talmud et la littérature rabbinique ancienne, Turnhout, 2014, p. 248 n. 37. 61. Sifré sur Nmbs. (Qorah), 116 (éd. Horovitz, p. 133); TB Pessahim, 62b. Voir aussi Sifré Zouta sur Nmbs., 7 (éd. Horovitz, p. 293). Ces textes montrent, on ne peut mieux, la ténacité des lois et des privilèges sacerdotaux dans la réalité historique en Judée de nombreuses années après 70. R. Tarfon le prêtre était, en l’occurrence, extrêmement fier de continuer à percevoir les dîmes comme il fut de coutume lors de l’existence du temple et considérait que la consommation de ces offrandes équivalait à l’offrande même de sacrifices dans le temple, voir Sifré Zouta sur Nmbs., 7 (éd. Horovitz, p. 293) : « אמרו עליו על ר' טרפון שהיה אוכל תרומה בשחר ואומר הקרבתי תמיד של שחר ואוכל תרומה בין הערבים ואומר הקרבתי תמיד של ». « =( בין הערביםOn racontait de R. Tarfon, qu’il mangeait les offrandes du matin et disait qu’il avait offert le sacrifice quotidien du matin et [quand] il mangeait les prélèvements de l’après-midi, il affirmait avoir sacrifié l’offrande journalière de l’après-midi.» 62. TJ Horayot, 3, 2 (47d). 63. TJ Yoma, 1, 1 (38d); TJ Méguila, 1, 10 (62b); TJ Yebamot, 4, 12 (6b); G. A lon, The History of the Jews in the Land of Israel in the Days of the Mishnah and Talmud, I, Jérusalem, 19752 , p. 294 (héb.).
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aussi que sur le plan économique, les prêtres se redressèrent considérablement à l’époque de Yabné sous Gamaliel II et ce jusqu’en 132. Comme nous l’avons déjà vu, le texte talmudique, tant judéen que babylonien, affirme que R. Eléazar b. ‘Azaria était riche. Les sources affirment également que quiconque aperçoit en rêve ce docteur de la loi s’enrichira 6 4, ou, encore, que depuis la disparition de ce maître, la richesse fut abolie du monde des Sages 65. L’équation prêtrise/richesse semble ici probante. Elle nous rappelle un autre texte du IIe siècle tiré d’un Midrash halakhique 66 stipulant que « la majorité des prêtres sont riches », ou, comme le dira plus tard en Galilée R. Yohanan (IIIe siècle) : « celui qui veut s’enrichir, se joindra à la lignée d’Aharon 67 ». L’immense savant talmudique qu’était Saül Lieberman commenta ce passage en disant : « Sache que les plus fortunés parmi les Sages de la Mishna étaient, mis à part les patriarches, tous membres de la prêtrise 68. » Un autre Sage, appartenant à la lignée des prêtres, qui était également très riche en ce début du IIe siècle, était R. Tarfon 69 que nous avons déjà évoqué plus haut. Les restes d’un village judéen datant des années 80/90 et qui ont été excavés en 2006 au nord de Jérusalem, prouvent l’existence de maisons cossues ayant appartenu à des Judéens soucieux de pureté rituelle, un domaine particulièrement important pour les prêtres 70. Tout ceci confirmerait la conclusion historique selon laquelle, à l’époque de Rabban Gamaliel II, les prêtres récupérèrent deux des éléments nécessaires à la direction des affaires : l’ascendance illustre, dont ils furent de fait dépositaires en tant que prêtres, ainsi que la fortune. Ceci dit, la Sagesse, ou le pouvoir de décision halakhique, qui fut depuis toujours une exclusivité sacerdotale, tant dans la Bible que jusqu’en 70 pour ainsi dire, échappait encore à ces couches sacerdotales reconstituées. Car il 64. Abot de R. Nathan, 40 (Version A, éd. Schechter, p. 64b); TB Berakhot, 57b. 65. Mishna Sota, 9, 15. 66. Sifri sur Deutéronome, 452 (éd. Finkelstein, p. 409): « רוב כהנים עשירים » הם. 67. TB Pessahim, 49b. 68. S. Lieberman, Tosefta Ki-fshutah. A Comprehensive Commentary on the Tosefta. VIII. Order Nashim, Jérusalem, 19922 , p. 762 [héb.]. 69. Tosefta Ketouboth, 5, 1 (éd. Lieberman, p. 71-72); TJ Shevi’it, 4, 2 (35b); TB Nédarim, 62a; Massekhet Kalla, 21 (éd. Higger, p. 157-158); Tosefta Haguiga, 3, 37 (éd. Lieberman, p. 393); B. Z. Rosenfeld, Lod and its Sages in the Period of the Mishnah and the Talmud, Jérusalem, 1997, p. 26ff. [héb.]. 70. D.A. Sklar-Parnes – Y. R apuano – R. Bar-Nathan, « Excavations in Northeast Jerusalem: A Jewish Site in between the Revolts », New Studies on Jerusalem 10 (2004), p. 35-41; R. Bar-Nathan – D.A. Sklar‑Parnes , « A Jewish Settlement in Florine between the two Revolts », New Studies in the Archaeology of Jerusalem and its Region: Collected Papers, Jérusalem, 2007, p. 57-64 (héb.); Y. R apuano, « The Pottery of Judea between the First and Second Jewish Revolts », STRATA: Bulletin of the Anglo-Israel Archaeological Society 31 (2013), p. 57-102.
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faut bien préciser le fait que, dès 70, pour le monde rabbinique naissant, il fallait écarter les prêtres de la chaine de la transmission de la Tora, ainsi que le fit bien remarquer M. D. Herr dans une étude qui fit date 71. La première Mishna du traité Abot stipule ainsi : « משה קבל תורה מסיני ומסרה ליהושע ויהושע לזקנים וזקנים לנביאים ונביאים »...לאנשי כנסת הגדולה « Moïse reçut la Tora du Sinaï et la transmit à Josué et Josué la transmit aux anciens et les anciens aux prophètes et les prophètes aux membres de la grande assemblée… »
Herr de poser la question: Mais où donc passèrent les prêtres ? D’autant que dans la Bible, c’est le rôle du prêtre que d’enseigner la loi et de légiférer et non celui du prophète, ainsi que nous enseigne, parmi de très nombreuses occurrences, le passage suivant de Malachie 2, 7: » « ּכִי ׂשִ ְפ ֵת י כ ֹ ֵה ן י ִׁשְ ְמ רּו ַד ַע ת וְתֹו ָר ה י ְ ַב ְק ׁשּו ִמ ִּפ יהּו ּכִי ַמ ְל ַא ְך יהוה ְצ ָב אֹות הּוא « Car ce sont les lèvres du prêtre qui garderont la connaissance et c’est de sa bouche que l’on demandera la Tora car le prêtre est un ange de Dieu ».
M.D. Herr de répondre que, dès 70 ou peut-être même peu de temps avant la destruction du temple, les pharisiens/rabbiniques ôtèrent des mains sacerdotales le pouvoir de la décision et de la transmission halakhiques. Il est clair en tout cas qu’à l’époque yabnéenne de Gamaliel II, ce qui manquait aux prêtres, toutes tendances confondues, fut de rétablir leur pouvoir sur la décision des lois, ce qui ne pouvait être fait que par l’intermédiaire d’un grand-prêtre, ce qui implique, par conséquent, la reconstruction du temple. Le contexte historique s’y prête. Certains historiens ont montré à l’appui du Contre Apion de Josèphe, de sources chrétiennes et mishniques, qu’entre 70 et 135, il y eut une résurgence de l’offrande de sacrifices 72 un peu partout en Judée et, à notre sens, pas seulement à 71. M.D. H err , « Continuum in the Chain of Torah Transmission », Zion – Y. F. Baer Memorial Volume 44 (1979), p. 43-56 (héb.). 72. K.W. Clark , « Worship in the Jerusalem Temple after AD 70 », New Testament Studies 6 (1959-1960), p. 269-280; A. Guttmann, « The End of the Jewish Sacrificial Cult », Hebrew Union College Annual 38 (1967), p. 137-148; S.C. M imouni, Le judaïsme ancient du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 496-498; 498 : « Il y a donc lieu de considérer, avec bien entendu les réserves d’usage, que les sacrifices au temple de Jérusalem n’ont pas définitivement cessé en 70 mais plutôt en 135 – une situation qui a dû foncièrement déplaire aux rabbins comme aux chrétiens dont l’opposition à ces rituels est bien connue, raison pour laquelle les premiers sont plus ou moins silencieux sur ce point et les seconds relativement ambigus. Ces sacrifices ont été célébrés de manière plus ponctuelle que régulière par l’entremise de certains prêtres,
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Jérusalem. Le contexte historique est donc manifestement favorable à un retour des prêtres, à la tête de la scène politique dans le monde judéen de Palestine romaine : ce qui manque, c’est donc un temple reconstruit. Il est probable que la révolte de Ben-Kosiba en 132-135, fut d’une certaine manière une insurrection à caractère sacerdotal. Il n’est pas question ici de retracer les événements de la deuxième révolte judéenne sous ses multiples aspects, si ce n’est de mettre en avant ses caractéristiques sacerdotales grâce aux travaux de David M. Goodblatt 73. L’espérance de la reconstruction imminente du sanctuaire judéen de Jérusalem apparaît dans les sources contemporaines 74 : l’objectif de Ben-Kosiba étant de libérer la colonie romaine d’Aelia Capitolina et de réédifier le temple de Jérusalem à la place de celui de Jupiter Capitolin 75. La façade du temple, les ustensiles sacrés du sanctuaire judéen, les inscriptions mentionnant « Jérusalem » ou « pour la libération de Jérusalem » sur les monnaies de la révolte judéenne sont autant d’indices dévoilant les intentions de Ben-Kosiba 76. Certaines monnaies de la première année de la révolte (132) porte le nom de « אלעזר =( » הכהןEléazar le prêtre), habituellement identifié à R. Eléazar Hamodaï – originaire sans doute de Modi’in, une ville de prêtre depuis les hasmonéens – un proche de Ben-Kosiba tombé rapidement en disgrâce aux yeux du chef de la révolte judéenne qui l’aurait éliminé, ce qui expliquerait que, dans les monnaies des deuxième et troisième années de la révolte, « Eléazar le prêtre » n’y apparaisse plus 77. Selon David M. Goodblatt, la révolte de Ben-Kosiba ne fut pas cautionnée par les Sages du milieu rabbinique. Il s’agit, à l’en croire, d’un soulèvement essentiellement sacerdotal. Le terme de patriarche « » נשיאtrouvé dans les documents du désert de Judée n’est pas lié aux patriarches de la maison d’Hillel, dont le premier d’entre eux fut, selon lui, Rabban Simon b. Gamaliel II (140-170) œuvrant à Ousha en Galilée, donc après l’insurrection judéenne de 132. Le titre de sans qu’il soit pour autant possible de parler de cérémonies officielles, et encore moins de celles nécessitant la présence d’un grand-prêtre dont la vacance remonte à 70 ». 73. D.M. Goodblatt, « The Title Nasi’ and the Ideological Background of the Second Revolt », dans A. Oppenheimer – U. R appaport (éd.), The Bar-Kokhva Revolt: A New Approach, Jérusalem 1984, p. 113-132. (héb.) ; Idem, « Priestly Ideologies of the Judean Resistance », Jewish Studies Quarterly 3/3 (1996), p. 225-249. Dans ce dernier article, D.M. Goodblatt montre l’idéologie combattante des prêtres lors de la révolte de 66. 74. Genèse Rabba, 64, 8 (éd. Theodor-Albeck, p. 710). 75. Y. M eshorer , A Treasury of Jewish Coins. From the Persian Period to BarKochba, Jérusalem, 1997, p. 122; 127 (héb.). 76. Y. M eshorer , A Treasury of Jewish Coins. From the Persian Period to BarKochba, Jérusalem, 1997, p. 127-137 (héb.). 77. Y. M eshorer , A Treasury of Jewish Coins. From the Persian Period to BarKochba, Jérusalem, 1997, p. 126-127 (héb.).
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« Nassi » relèverait davantage, selon cet auteur, du « Nassi » mentionné dans les manuscrits de Qumrân, en adéquation directe avec le « Nassi » rapporté par Ezéchiel, qui était lui-même, prêtre. Ce « Nassi » désigne un prêtre et appuie ainsi considérablement la thèse sacerdotale de la seconde révolte juive contre Rome 78. Pour conclure, les membres du corps sacerdotal, qui furent divisés entre factions rivales aux intérêts contradictoires durant la Grande Révolte, mais qui dans l’ensemble tiraient profit à plusieurs niveaux de leur statut sacerdotal, ont assurément été atteints, tant matériellement que socialement, par la disparition du sanctuaire et par les bouleversements en tout genre qui s’ensuivirent. Ceux-ci furent, à notre avis, de taille à entamer l’existence même de la condition sacerdotale, c’est-à-dire un socle indivisible et commun à l’ensemble des prêtres. L’émergence du mouvement rabbinique avec Ribaz, un homme vraisemblablement non-clérical, à sa tête, tenta pour un temps de changer les préférences en termes de gouvernance, estimant davantage le bas-peuple non-sacerdotal que les élites d’antan. Du temps de son successeur, Rabban Gamaliel II, on assiste à un sursaut des prêtres, évoluant alors au sein même du milieu tannaïtique en pleine formation, avec notamment R. Eléazar b. ‘Azaria et R. Tarfon, lesquels (re) conquirent la direction des affaires. La frénésie sacerdotale culmina lors
78. D.M. Goodblatt, « The Title Nasi’ and the Ideological Background of the Second Revolt », dans A. Oppenheimer – U. R appaport (éd.), The Bar-Kokhva Revolt: A New Approach, Jérusalem 1984, p. VIII-IX (Abstract) : «… the position held by Ben-Kosiba is very similar to that of the nasi’ described in the Book of Ezekiel. The only attestation of this type of nasi’ in the literature of the Second Temple period occurs at Qumran. This fact suggests that the institution of nasi’ exemplified by Ben-Kosiba reflects priestly doctrine. And this, in turn, may indicate priestly influence on the leadership of the Second Revolt. Several considerations support this hypothesis. On the negative side, there is no basis for the widely held view that the religious inspiration of the Revolt derived from Tannaitic circles. On the other hand, we know that Eleazar the Priest had a role in the revolutionary leadership, and that the priests had a clear interest in preventing the transformation of Jerusalem into a pagan city… In sum, the investigation of the religious-ideological basis of the Second Revolt can no longer ignore the priestly class ». Autrement exprimé, selon David M. Goodblatt, la révolte de Ben-Kosiba, ne fut en rien liée au milieu rabbinique, mais uniquement aux cercles sacerdotaux. Il nous semble que la situation fut en réalité moins dichotomique, car bien plus contrastée, à savoir : une conjoncture nuancée, ni entièrement rabbinique/tannaïtique ni entièrement sacerdotale. En effet, des prêtres pouvaient être d’obédience religieuse rabbinique/ tannaïtique/ex-pharisienne ou ex-saducéenne ou autre, et, en même temps, être liés entre eux par un dénominateur sacerdotal commun à ne pas négliger, lequel devait assurer privilèges économiques et réputation sociale, du moins à la période étudiée.
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de la révolte de Ben-Kosiba (132-135) et à l’heure de la débâcle judéenne à Béthar, amorça lentement son déclin 79.
79. Ce n’est que vers la fin du IIe siècle ou au IIIe siècle, qu’on énoncera l’inutilité de l’ascendance illustre face à l’excellence intellectuelle, voir Mishna Horayot, 3, 8 : « Un Sage bâtard ) (ממזר תלמיד חכםet un grand-prêtre ignare (כהן גדול עם )הארץ, le Sage bâtard devance un grand-prêtre inculte » ; Tosefta Horayot, 2, 10 (éd. Zuckermandel, p. 477); TJ Shabbat, 12, 3 (13c); TJ Horayot, 3, 5 (47a); R. Yankelevitch , « Le poids de l’ascendance familiale dans la société juive en terre d’Israël à l’époque de la Mishna et du Talmud », dans M. Stern (éd.), Nation and History. Studies in the History of the Jewish People Based on Papers Delivered at the 8th World Congress of Jewish Studies, Jerusalem 1981, Jérusalem, 1983, p. 158-161 (héb.). Il est probable que le passage de la Mishna Horayot provient en réalité d’une strate littéraire d’époque amoraïque, R. Yankelevitch, « Le poids de l’ascendance familiale dans la société juive en terre d’Israël à l’époque de la Mishna et du Talmud », dans M. Stern (éd.), Nation and History. Studies in the History of the Jewish People Based on Papers Delivered at the 8th World Congress of Jewish Studies, Jerusalem 1981, Jérusalem, 1983, p. 161 n. 57 (héb.). L’argent aussi peut constituer au IIIe siècle un élément plus important que la filiation, voir par exemple : TB Kidoushin, 71a : « R. Josué b. Lévi (Lydda/IIIe siècle) a dit : l’argent purifie des bâtards »; G. Alon, « Thoses Appointed for Money: The History of the Various Juridical Authorities in Eretz-Israel in the Talmudic Period », dans G. Alon, Jews, Judaism and the Classical World. Studies in Jewish History in the Times of the Second Temple and Talmud, Jérusalem, 1977, p. 374-435.
SACRED SPACE IN THE M ISHNAH: F ROM T EMPLE TO SYNAGOGUE AND … CITY 1 Naftali S. Cohn Concordia University, Montréal
Résumé Sous les règnes d’Antonin le Pieux (138-161) et de Caracalla (211-217), la ville de Sepphoris frappa des monnaies légendées avec l ’ancien titre « hieras », Sainte. À peu près à la même époque, la Mishna rabbinique mit de l ’avant l ’idée que les villes de la Terre d’Israël et leurs places centrales étaient des lieux saints. Cet article examine ce qui, dans la première conception des rabbins, rend sacrées les villes et ce que signifie pour elles le fait d’être sacrées. S’appuyant sur le modèle plus explicite du Temple et de la Synagogue, l ’auteur fait valoir que l ’espace des villes a été sacralisé de multiples façons par l ’activité humaine, l ’activité rituelle, la construction de limites et d’intériorité spatiale, la relation parallèle établie avec le Temple, la présence des rouleaux de la Torah et la présence d’une foule nombreuse du peuple d’Israël. Pour les rabbins, c’était forcément un modèle rabbinique de sacralité de l ’espace qui confirmait une conception rabbinique de l ’identité ethnique israélite, procurant une puissante expérience du sacré créatrice de sentiments d’appartenance sociale, de raison d’être, de sûreté et de sécurité. Abstract During the reigns of Antoninus Pius (138–161 CE) and Caracalla (211–217 CE), the city of Sepphoris minted coins labeling itself with the old title of “ hieras,” holy. At roughly the same time, the rabbinic Mishnah put forth the idea that the cities of the land of Israel and their central squares were holy places. This article investigates what made cities sacred in the early rabbinic understanding, and what it meant for them to be sacred. Drawing on the more explicit paradigms of the Temple and the Synagogue, the author argues that the spaces of cities were made sacred in multiple ways by human activity – by ritual activity, the construction of boundaries and spatial interiority, the parallel relationship established to the Temple, the presence of Torah scrolls, and by the presence of a large crowd of the people of Israel. For the rabbis, this was necessarily a rabbinic type of sacredness of space, affirming a rabbinic idea of ethnic 1. I would like to express my gratitude to Louis Painchaud, Simon Claude Mimouni, and David Hamidovic for including me and encouraging me to participate in the original conference and in the collected conference proceedings. La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 85-121. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115527 ©
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“Israeliteness,” while at the same time affording the powerful experience of the sacred, with the attendant effects of creating feelings of social connectedness, of purpose, and of safety and security.
For the Rabbis of the late-second- or early-third-century Mishnah, the Temple and its inner sancta had been and continued to be the ultimate sacred places. 2 These, however, were not the only spaces that the rabbis understood to be sacred or to hold the potential for sacredness, or, kedushah. The synagogue, as many have noted, was one place that continued to be sacred and perhaps even took over some of the Temple’s sacred functions in the aftermath of the Temple’s destruction. But there was one more space, rarely discussed thus far in scholarship but explicitly named by the rabbis as sacred as well: the עיר, ‘ ir, the city or town, and its central open space, the רחובה של עיר, reḥovah shel ‘ ir. 3 Broad examination of the mechanisms by which spaces become and remain holy, according to the Mishnah, helps uncover how, precisely, the mishnaic rabbis understood this city sacredness and what holiness of space may have meant to them more generally. As with much of the material in the Mishnah, the rabbinic presentation of city as sacred space has a political dimension, subtly arguing for their particular vision for maintaining the traditional way of life and retaining a meaningful Israelite identity. 2. In this chapter I refer only to the evidence of the Mishnah and not to the Tosefta or midrashic collections that stem from roughly the same time – but likely largely post-date the Mishnah. Thus I refer only to the picture of sacrality in the Mishnah. 3. On synagogue sacredness, see especially See S. Fine , This Holy Place. On the Sanctity of the Synagogue during the Greco-Roman Period (Notre Dame [Indiana], 1997). On the construction of city spatiality in the later Talmudic period, see G.P. K lein, “The Topography of Symbol: Between Late Antique and Modern Jewish Understanding of Cities,” Zeitschrift Für Religions-und Geistesgeschichte 58 (2006) 16-28, and G.P. K lein, “Non-canonical Towns: Representation of Urban Paradigms in Talmudic Understanding of the Jewish City,” Studia Rosenthaliana 40 (2007– 2008) 231-63. In the following I do not deal with potentially sacred private spaces, particularly the home, which the Mishnah never explicitly ties to the concept of sacrality. The paragraphs in Mishnah Toharot 7:2–6 do imply that ideally the ‘am ha’arets would be excluded from the home of the rabbinic Jew, yet in reality there is quite a bit of mixing, with implications for purity practices. The ideal of exclusion appears to draw on a notion of sacredness that I will develop below, yet the connection to kedushah is not explicit, and moreover it appears nearly impossible to attain, considering the level of social mingling the Mishnah imagines. B.M. Bokser , The Origins of the Seder. The Passover Rite and Early Rabbinic Judaism (Berkeley – Los Angeles, 1984), implies that the rabbinic Passover seder brought Temple sacredness to the home. Here, however, there is little to suggest anything about the home as sacred space.
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At the same time, however, their understanding of sacred space that continued to exist even without a Temple provided an opportunity for themselves and for fellow Israelites to experience sacredness in their own lives. This experience, as framed by the rabbis, would have highlighted shared, traditional, “Israeliteness” while resisting foreign encroachment by Roman “gentiles.” It would have helped create feelings of social connectedness, of purpose, and of safety and security. 4 Sacred City and City Square There are two major passages in the Mishnah that present hierarchies of sacred space, and both demonstrate that in the mishnaic-rabbinic conception, the city or town (‘ ir) and its central square (reḥovah shel ‘ ir) are sacred places. 5 The first passage centers on the Temple and lists eleven levels of sacred space, from the Land of Israel at the bottom to the Holy of Holies at the top. Here I quote only a few key portions: There are ten [levels of] sanctities. The Land of Israel is more sacred than all the other lands… Cities surrounded by a wall are more sacred than it… Inside the wall [of Jerusalem] is more sacred than them… The Temple Mount is more sacred than it… the enclosure ( ) ֵח ילis more sacred than it… the Women’s Courtyard is more sacred than it… the Israelite Courtyard than it… the Priest’s Courtyard is more sacred than it… between the Altar and the Heikhal is more sacred than it… the Heikhal is more sacred than it… the Holy of Holies is more sacred than it. (Mishnah Kelim 1:6–9) 6
The vast majority of this list centers on the Temple, its spaces, and the city and the land in which it is located. This passage is about the Temple. But it is significant that the list also includes cities or towns (‘ayyarot) that are walled at the second lowest rung. By placing certain cities one step above the Land of Israel, the passage implies that these cities have a greater degree of holiness than the land. It is not merely because they are in Israel that they are sacred; ‘ayyarot have more sacredness than other 4. Two foundational studies that provide important models for this article are: B.M. Bokser , The Origins of the Seder. The Passover Rite and Early Rabbinic Judaism (Berkeley – Los Angeles, 1984) and S. Fine , This Holy Place On the Sanctity of the Synagogue during the Greco-Roman Period (Notre Dame [Indiana], 1997). 5. Below I will discuss the possibilities of what ‘ ir means and how it may relate to the archaeological evidence; henceforth I use the translation “city” to denote ‘ ir though the term applies to smaller towns and perhaps even villages as well. 6. All Mishnah translations are my own, based on MS Parma, in consultation with M.S Kaufmann. Note that the Mishnah says there are ten levels but actually lists eleven. Perhaps ten refers to steps up of sanctity.
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parts of the land. At the next step up, Jerusalem is even more sacred, or put differently, it is the most important example of the sacred cities of Israel. But it is not the only one. Other cities were considered sacred too. While the chart of sacred locations here in Mishnah Kelim 1:6–9 appears to imply that only a subset of cities, those with walls, are sacred, a different passage in the Mishnah suggests strongly that this rung of sacred space is in fact more widely applicable to cities or towns more generally. In Mishnah Zevaḥim 14:4–8, there is a brief historical narrative about the movement in biblical times from no central shrine to the Temple. It all begins “before the Tabernacle was erected,” and moves to Gilgal, Shiloh, Nob and Gibeon, and finally Jerusalem. At each of these historical points, the Mishnah is interested in where, precisely, the two levels of sacred offerings, kodshei kodashim (holiest offerings) and kodashim kalim (lesser holy offerings) could be offered and eaten. For the kodashim kalim, once the sacred shrine moved to Jerusalem, these offerings could be eaten “inside the wall” of Jerusalem (14:8). In the immediately preceding period, however, they could be eaten in “all the cities of Israel (kol ‘arei yisra’el).” In the earlier period, all cities functioned as only Jerusalem would later. In this passage, it is not merely some cities, but all cities that are one rung below Jerusalem as the place associated with sacred offerings and sacred consumption. The second major passage that creates a hierarchy of sacredness and includes the city square, focuses not on the Temple, but on a space relevant after the destruction, in the rabbis own times, the synagogue: If the people of a city sold the city square (reḥovah shel ‘ ir), they are allowed to buy a synagogue with the proceeds. If [they sold] a synagogue, they can buy an Ark… [next step:] Torah coverings… [next step:] scrolls… [next step:] Torah. But if they sold a Torah, they may not buy books… Torah coverings… Ark… synagogue. If [they sold] a synagogue, they may not buy the [town/city] square… One may not sell public property to an individual. For this would lower it from its level of sanctity [kedushato]. (Mishnah Megillah 3:1).
The main focus in this passage is the synagogue and the sacred objects therein. The most sacred in this case is in fact an object, the Torah. The principle here appears at the end, that buying an object or space of lesser sanctity is inappropriate when selling a sacred object or space; only buying an object or space of higher sanctity is acceptable. There is a hierarchy of sacredness. Similar to the Temple example, the passage focuses on the Synagogue, but, significantly, includes another space, the city square. It is the lowest rung of holiness, just below the synagogue: one can sell the city square to purchase a synagogue, but one cannot sell a synagogue to purchase the city square. As a public place, however, the city square cannot be sold to an individual, since this would “lower it from its level of sanctity.”
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This passage implies that in any city in the land of Israel the central public place has a modicum of sanctity. If the city and its central plaza or plazas were considered sacred, what made them sacred? And what did it mean that they were thought of as holy? Beyond these three passages, which themselves provide almost no hints to help answer these questions, the Mishnah says nothing else about cities or city squares in relation to sacredness. The Mishnah does, however, have more to say about the Temple and the Synagogue in relation to kedushah, and these two important sacred places provide a key to interpreting what sacredness seems to mean in the case of the city and its square. The Sacred Space of the Temple: By Human Hands The Jerusalem Temple, as the rabbis understood it, was the premier sacred space. In the passage in Mishnah Kelim quoted above, the Temple and its inner spaces form the pinnacle of sacrality. Further, the biblical names of the Temple and its inner sancta that the Mishnah uses – mikdash or beit hamikdash, “that which is sacred” or “the place of that which is sacred,” and kodesh and kodesh kodashim, “Holy” and “Holy of Holies” – highlight the fundamental nature of these places as sacred. 7 And the extensive amount of text devoted to the Temple, to the activ ities done therein, and to the sacred objects associated with it, testify to the Temple’s singular importance as locus and source of holiness in the mishnaic understanding. What makes the Temple sacred, however, is not as obvious. In contrast to the biblical paradigm, in which God’s presence imparts sacredness to the place, the Mishnah appears to emphasize the centrality of human action in creating and maintaining sacred space. People make Temple space sacred through ritual activity and through acts of exclusion, both of which may additionally contribute to the sense of sacredness of the place by constructing boundaries. In the Bible, as Barukh M. Bokser points out, the Temple, the Tabernacle, and the Holy of Holies are sacred because God dwells in them. 8 The presence of the divine lends sacredness to the place and necessitates certain measures to preserve the divine presence and to preserve the sanctity of the place. 9 Sacredness derives from a non-human source. While the 7. For a brief summary of important theoretical discussion about sacred space in relation to the Temple, see N.S. Cohn, The Memory of the Temple and the Making of the Rabbis (Philadelphia [Pennsylvania], 2013), 73-74. In this section I build on my earlier consideration there of the mishnaic construction of Temple as sacred space. 8. B.M. Bokser , “Approaching Sacred Space,” Harvard Theological Review 78 (1985) 279-99. 9. See, for instance, the introduction to the Day of Atonement ritual in Leviticus 16:2, linking certain measures and restrictions on access to God’s presence
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rabbinic authors of the Mishnah must have been aware of this biblical conception and may have embraced it fully, they never refer to it explicitly in the Mishnah itself. 10 Further, according to Mishnah Yoma 5:2, the Ark (’aron), the place of God’s presence, had been removed at some point in the Temple’s history. But the sanctity of the place continued even when the Ark was gone and only the foundation stone remained. The foundation stone itself (’even shetiyah) is said to date back only to the time of the early prophets, and so it cannot be taken to indicate intrinsic sacrality. The foundation stone is not a timeless and eternal source or marker of the sacredness of the place. 11 While it is possible that sacredness was understood to stem to a degree from these external factors, this is not where the Mishnah places its emphasis. In the most explicit and lengthy treatment of the Temple’s sanctity and of the sanctity of place more generally, the passage in Mishnah Kelim 1:6–9, the Mishnah provides explanations of the sanctity focusing only on human actions associated with sacred space. I now quote the passage in full (enumerations added for clarity): There are ten [levels of] sanctities.
(1) The Land of Israel is more sacred than all the other lands. And what is its sanctity? That one brings the ‘omer barley offering, the first fruits, and the two loaves wheat offering from it and not from the other lands. (2) Cities surrounded by a wall are more sacred than it. For we expel those afflicted with tsora’at skin disease from them and one may carry around the dead [in a funeral procession] for as long as one wishes, but once one takes [the body] out, it may not be returned. (3) Inside the wall [of Jerusalem] is more sacred than them. For one eats kodashim kalim [light sacred offerings] and second tithe. (4) The Temple Mount is more sacred than it. For gonorrheaic men and women, menstruating women, and postpartum women may not enter. in the cloud over the Ark. Similarly the presence of the divine/messenger, going together with being on “holy ground,” requires both Moses and Joshua to remove their shoes in Exodus 3:5 and Joshua 5:15. See also the analysis in J. M ilgrom, “Israel’s Sanctuary: The Priestly ‘Picture of Dorian Gray,” Revue Biblique 83 (1976) 390-99. 10. B.M. Bokser , “Approaching Sacred Space,” Harvard Theological Review 78 (1985) 279-99 considers this a crucial source of the place’s holiness not only in earlier sources, where the idea is explicit, but in the tannaitic texts as well. 11. The rabbis were also aware of biblical passages in Kings and Ezra and Nehemiah in which the Temple had been built by people in the distant past and had been consecrated by people. In the biblical accounts, the acts of consecration bring about the divine presence. There is an interplay between active human engagement and the resulting divine presence. But none of these factors play a big part in mishnaic descriptions of the Temple’s sanctity.
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(5) The enclosure ( ) ֵח ילaround the Temple is more sacred than it. For gentiles and those impure due to contact with the dead may not enter. (6) The Women’s Courtyard is more sacred than it. For one who has immersed but awaits sunset to become pure may not enter it. And one is not obligated a sin offering [for accidentally entering improperly]. (7) The Israelite Courtyard is more sacred than it. For those who have immersed but await their atoning sacrifice may not enter. And one is obligated a sin offering [for accidentally entering improperly]. (8) The Priest’s Courtyard is more sacred than it. For Israelites [non-priests] may only enter there when they are required to do so, for laying the hands, slaughtering, and waving [offerings]. (9) Between the Altar and the Heikhal is more sacred than it. For [Priests] with blemishes [and thus unfit for service] and those with unkempt hair may not enter. (10) The Heikhal is more sacred than it. For only one who has washed hands and feet may enter. (11) The Holy of Holies is more sacred than it. For only the High Priest may enter on the Day of Atonement at the time of performing the service. (Mishnah Kelim 1:6–9)
Perhaps surprisingly, in response to the rhetorical question, “What is its sanctity?,” this passage explains the sanctity of increasingly holy places not in terms of God’s presence, historical (or meta-historical) associations, or the nature of the places, but in terms of actions taken with respect to those places. The rabbinic authors appear to acknowledge that it is actions taken in response to those places that in fact make the places sacred. While it is possible that the rabbis understood these actions as responses to rather than causes of sacredness, it is significant that the mishnaic rabbis place the stress on these human acts. Even if these acts only maintain sacrality, this re-creation of holiness through human activity is what is primary. 12
12. It is true that the organization of the passage, moving inward in space, may hint at the notion of a sacred “center” (M. Eliade , Patterns in Comparative Religion [New York, 1958] 367-85; M. Eliade , The Sacred and the Profane. The Nature of Religion, transl. W.R. Trask [New York, 1959]). The Holy of Holies may in some way serve to orient the Israelite, as it does in prayer in Mishnah Berakhot 4:6. However, this is not what the passage itself emphasizes. The “sacredness” of the Holy of Holies is not its being the center of the world. Rather, it is the actions associated with that space. These human acts impart sacredness to the Temple and its inner spaces and establish their sacredness in the minds of the people of Israel.
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Sacred Objects and the Human Role in Making Sacredness The case of sacred objects shows just how explicit the rabbis are about the role of human action in bringing about sacredness. This role is particularly glaring for sacred objects related to the Temple. One indication of the important human role in making objects sacred is the regular use of the active verbs ( מקדישmakdish, sanctify) and ( ִק ּדֵׁשkidesh, sanctify) in relation to quite a few of these objects. Thus for the type of object called hekdesh ()הקדש, a person can voluntarily “sanctify” – מקדיש – a whole variety of objects, from produce and dough to a field and property in general, giving such objects sanctity by passing over ownership to the Temple until the objects are redeemed by monetary payment. 13 Even without this explicit verb usage, the same role for human action in making objects sacred occurs in a wide variety of agricultural “gifts” given to the priest or Levite and those eaten by farmers themselves. The Mishnah, for instance, using biblical language, explicitly calls terumah, the portion of produce given to the priest, “sacred” (Terumot 6:5–6). In the extensive rules about terumah, the Mishnah stresses the particular ways in which a person must set aside this portion, including declaring the object to have the status of terumah and having the correct intention that the object become terumah. 14 Repeatedly there is the ruling that only when done correctly is “terumato terumah,” is the act of setting aside the produce effective in creating terumah; when not done properly, “ein terumato terumah,” such an act fails to confer upon the object the desired status of terumah. The individual’s actions and intentions are key factors in making an amount of grain or other produce into the sacred object of terumah, and similarly into other types of ma‘aser, tithe. 15 13. Examples (not exhaustive): produce: Peah 1:6, 2:8, 4:7–8, Hallah 3:4; dough: Hallah 3:3 (a woman consecrates the dough); a field: ‘Arakhin 3:2, 7:1, 7:3; property in general: ‘Arakhin 6:1–2, 6:4–5. This concept appears to correspond to the vow to donate the value of a person or property to the Temple in Leviticus 27, though is not identical to those examples. Note that repeated references to the Temple treasurer (gizbar) acting upon the consecrated object indicates an understanding that the object is owned by the Temple unless or until redeemed. See Pe’ah 1:6, 2:8, and 4:8 and Hallah 3:3 and 3:4. There are additional unusual cases, such as sanctifying the ashes cleared from the Altar (Me’ilah 3:4). 14. Mishnah Terumot 3:8; the same applies for other tithes, ma’aserot. 15. See also Mishnah Ma’aser Sheni 2:5–6, where the money used to “redeem” and desacralize the “second tithe” and purchase food eaten in Jerusalem is contrasted to “non-sacred” money. Additionally, the term kodesh in Terumot 6:5 refers to second tithe as well. Note that the act of sacralizing second tithe, presumably falls under what is mentioned in Terumot 3:8. Another important example is that of the first fruits, bikkurim, sanctified by people even though ripening first would appear to be out of human hands. In this case, farmers “go down into their fields,” “see” which fig, pomegranate, or bunch of grapes has ripened first, “tie it with a
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In the case of the tithe of animals, ma‘aser behemah, this ritual act of sanctifying is described in detail, and the Mishnah indicates that it is the act that sanctifies, even when the circumstances might dictate otherwise. To sanctify the tithe of animals, a person passes the animals one at a time out of a pen, and counts off. The utterance of naming the tenth is what crucially makes the animal “sanctified” (mekudash). It is the utterance and not the random act of passing tenth that makes the animal sacred, as can be seen in the ruling that if an animal is accidentally labeled tenth even if it is not tenth, it is nevertheless sanctified and considered ma’aser. 16 Here, as in all examples of tithing, it is human action that makes objects sacred. Just as a person’s actions are crucial for creating sanctity, so they are important for maintaining this sanctity once it has come into existence. In the case of terumah and tithes in general, the person must give the gift to the appropriate recipient and not eat it themselves, thus upholding a restriction on who may eat the sacred object. 17 The example of the “second tithe” (ma’aser sheni), distinct from terumah and other tithes in that it is not given to anyone else, evinces additional ways in which the person’s actions are central to maintaining the sanctity of sacred objects. In this case, the person is responsible to “redeem” the produce in exchange for money, which itself becomes sacred, and then to use the money to buy something to eat in the holy space of Jerusalem. 18 The person is key to the transferences of sacredness for this type of tithe and for eating the tithe in a restricted place, in Jerusalem. The various types of sacrifices, or, offerings made in the Temple itself are most obviously sacred, labelled kodashim, “sacred things,” and also “mukdashim,” things made sacred, and “kodesh,” sacred, but these objects, actually used within the Temple, hint at the potential for a more complex relationship between human action and sacrality. 19 People play an obvistring,” “declare, ‘these are first fruits’,” and “call them first fruits again after they have been picked” (Mishnah Bikkurim 3:1), and further set apart and thus sacralize these objects by bringing them in pilgrimage to Jerusalem, offering them to the priest, and uttering the biblical recitation over them (Bikkurim 3:2–8). The priests further maintain the sacrality of these fruits by distributing them and treating them as the “sacred things of the Temple” (kodshei hamikdash), the other offerings made in the Temple, eating them only in a state of purity. 16. Mishnah Bekhorot 9:7–8. 17. Giving the tithe: Terumot 4:1, 11:8. Not eating, see especially Terumot 4:1. The emphasis is on the punishment for improperly eating terumah. 18. See Mishnah Ma’aser Sheni. On the sacrality of the money, see Mishnah Ma’aser Sheni 2:5–6, where the money used to “redeem” and desacralize the “second tithe” is contrasted to “non-sacred” money. Additionally, the term kodesh in Terumot 6:5 refers to second tithe as well. The act of sacralizing second tithe itself presumably falls under what is mentioned in Terumot 3:8. 19. This terminology is widespread throughout the Mishnah. Note that there are a variety of types of kodashim in addition the more general category. Further,
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ous part in setting aside an otherwise regular animal or otherwise regular vegetal products. The Mishnah mentions the act of “setting apart,” an animal or vegetal ingredients to be used for a given sacrifice. 20 Once separated, there are restrictions in the case that the animal is not ultimately used, suggesting some amount of sacredness. Yet, in the case of sacrifices, there is a further degree of sanctity created only in the sacrificial act itself: the altar (or ramp) is said to “sanctify” (mekaddesh) the animal offering, and the vegetal offerings are said to “be sanctified” in the vessels used. 21 The full sanctity of sacred offerings comes about at the moment they are offered in sacred vessels and upon the altar. The personification of the altar in the mishnaic language may indicate, as Jonathan Z. Smith suggests, that being in a sacred location – in this case the altar – is what makes objects sacred. 22 More likely, following the theorist Ronald Grimes, it may be more the human action associated with the location and objects that make the offerings sacred objects. 23 Perhaps it is precisely because humans engage in the multiple steps of sacrificing, in the key location and with the key utensils, that the sacrifices as objects become sacred. 24 Even if the source of holiness is understood to lie outside of human action, it is nevertheless a person, the priest, who must place the object in the correct location for it to become sanctified. One further example, vessels used in the Temple service, shows that despite the complex relationship between action and sacrality in the case of objects used within the Temple, the rabbis understood that human act and not simply emplacement within the Temple is what makes Temple objects sacred. Mishnah Zevahim 3:2 imagines a situation in which the the root קדשis applied as an adjective to specific offerings, for instance “kikarot hakkodesh,” sacred loaves (Toharot 1:9), mashkeh hakkodesh, “sacred drink” (Toharot 2:4), and “besar hakkodesh,” the sacred flesh [of the offering] (Pesaḥim 3:8, Avot 5:5, and Tevul Yom 2:5). 20. Mishnah Pesaḥim 9:7, Bekhorot 1:6 and 8:8, Temurah 3:3, 4:2, 4:3, and 4:4, Keritot 6:7, Me’ilah 1:2, and in the case of grain offerings, Menaḥot 7:4. The Mishnah never uses the verb “makdish” for this act, as it does with terumah and tithes. Note that I omit the case of setting aside money for an offering, which does not seem to make the money sacred. 21. By altar: Zevaḥim 9:1 and 9:7; in vessel: Sotah 3:6, Zevaḥim 9:7, Menaḥot 2:4, 7:4, and 12:1, and Me’ilah 2:8–9. 22. J.Z. Smith, “The Bare Facts of Ritual,” History of Religions 20 (1980) 115, 116; J.Z. Smith, To Take Place. Toward Theory in Ritual (Chicago, 1987) 104, 106. 23. R.L. Grimes , Rite Out of Place: Ritual, Media, and the Arts (New York, 2006) 108, and see earlier, R.L. Grimes , “Jonathan Z. Smith’s Theory of Ritual Space,” Religion 29 (1999) 266. 24. I note what may be an additional element in the process of sacralizing the sacrifice in the case of vegetal offerings, menaḥot: the processes of inspection and preparation of grains, oil, and wine specifically for the offerings. See Menaḥot 8:2, 8:4, and 8:6–7. The text, however, does not tie these activities specifically with the sanctity of the offerings.
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sacrificial blood is ritually “received” into a “sacred vessel” (keli kodesh) but then inappropriately transferred into a “non-sacred vessel” (keli hol). While this ritual error does not invalidate the offering, and the priest must immediately transfer the blood back before throwing it on the altar, it is significant that a non-sacred vessel can even be in the Temple. It is not automatically sacred simply by being there. Some human act, not specified, makes vessels sacred and appropriate for service in the Temple. 25 These diverse examples of sacred objects connected to the Temple suggest that human action may not always be the sole source of sacredness. But it is always the primary source, in the rabbinic understanding. People, Israelites, must confer sacredness on these objects through acts of speech, intent, and ritual activities done in particular ways. How People Make the Temple Sacred Considering the extent to which the mishnaic rabbis embrace the human role in making objects sacred, it is perhaps no surprise that they place similar emphasis on the same role in establishing the sacrality of Temple space. In the case of sacred places, however, there are particular ways in which people make space sacred. A close reading of the passage in Mishnah Kelim 1:6–9, quoted above, suggests that for the mishnaic rabbis, there are two distinct ways in which sanctity is created or reinforced through human activity. First, and evident in the majority of the eleven 25. See also reference to non-sacred vessels in Mishnah Sukkah 4:10. Normally the vessels used in the Temple are called kelei sharet, vessels for the (Temple) service (see Shekalim 4:4 and 6:4, Sotah 2:1 and 3:1, Zevaḥim 5:1–5 and 14:10, Menaḥot 3:4 and 12:1, and Me‘ ilah 5:3. Elsewhere, the Mishnah implies that immersion is necessary (Ḥagigah 3:1–2 and especially 3:8) and perhaps that vessels are made specifically for use in the Temple (see what Munbaz and Helene made according to Yoma 3:10). These features may be important for the vessels being or becoming sacred, though the Mishnah does not make this explicit. Wider consideration of all types of sacred objects, times, and people is beyond the scope of this article. In each of these cases, there are more examples of human action making sacred and more complex relationships. See Mishnah Rosh Hashanah 2:7 and 3:1 and Sukkah 5:5 (making time sacred); Mishnah Nazir 7:1 (making the nazirite sacred, in contrast to a priest’s sacrality); numerous passages throughout Mishnah Kiddushin and the entire Mishnah on a man “betrothing” a woman or a woman actively “being betrothed” using the term “sanctify”; Mishnah Shabbat 16:1, ‘Eruvin 10:3, Bava Batra 1:6, Sanhederin 10:6, Parah 10:3, and Yadaim 3:2, 3:5, and 4:6 (sacred scriptures); Yevamot 12:6 and Sotah 7:2–8:1 and 9:1 (the “sacred tongue,” Hebrew); Bekhorot 8:7 (the “sacred shekel,” the type of coin to be used for sacred purposes; Sotah 9:6 and 9:15 (“the holy spirit”); and Rosh Hashanah 4:5 (the regular prayer blessing “the sanctity of the name”). Note that the “sacred tongue,” may be linked to “sacred Scripture” as it is the language of scripture. See S. Fine , This Holy Place. On the Sanctity of the Synagogue during the Greco-Roman Period (Notre Dame [Indiana], 1997) 15-16.
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steps of kedushah, access to the space is restricted. Certain people may not enter. Men or women with certain medical conditions, in the middle of certain ritual processes, with or without certain statuses, or in varying states of impurity may not enter particular spaces. Improper entry, as for instance in the case of entering the Temple when impure (Keritot 1:1) can result in a harsh punishment, and if a person is in the space improperly, as in the case of a priest who has a nocturnal emission (Tamid 1:1 and Middot 1:9), the person must leave as soon as possible. The most sacred place is the most restricted place: only the High Priest may enter the Holy of Holies on the Day of Atonement. These rules suggest that people must take an active role in maintaining or establishing sacredness by refraining from entering or entering only when appropriate. The second type of act that “is the holiness” of the given space is ritual action. Bringing grains and fruits for produce offerings (stage 1) and eating certain offerings (stage 3) are ritual activities. Doing the rituals in this space is what lends the space its holiness. Alternatively, if the holiness of the place is taken as pre-existent, the status as holy creates ritual obligation. Performing the required rituals, in turn, perpetuates and enforces the sanctity of the space. Either way, as imagined by the Mishnah’s authors, ritual has the power to create the sense of sacredness for those who experience the space. The role of ritual activity, explicit in the first and third steps of holiness, also occurs more subtly in most of the examples that stress restricting access to space in relation to the status of the person who wishes to enter. In levels six, seven, and ten, the procedures of purity and sacrificial practice define status that in turn determines right to enter. By performing the procedure according to its rules, the person transverses the categories from restricted to permitted and gains entry to the more sacred space. The ritual acts themselves thus mark the distinction between places and reinforce the more sacred nature of the inner spaces. In a somewhat similar manner, the Israelite’s entry into the highly restricted space of the Priest’s Courtyard (stage 8) and the High Priest’s entry into the ultimate sacred place (stage 11) are conditioned upon the need to perform a given ritual. These acts take place not outside the space, prior to entry, but within the space. In these cases, too, the language focuses on restricting access to particular people, but the determining factor is in fact the act that the people must perform. Performing the key part of the Day of Atonement ritual and the elements of sacrifice within the highly restricted spaces, as much as restricting access to certain individuals, maintain and create sacredness within those spaces. Each of these two ways of establishing or affirming sacredness in the passage in Mishnah Kelim creates the mental and physical experience of sacredness in an additional, more subtle, way by constructing and affirm-
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ing the boundaries between spaces and by enclosing the sacred space. 26 Exclusion and expulsion of those who should not be present tends to highlight the line that must not be crossed. This can be seen quite concretely by looking outside the Mishnah to archaeological and other literary evidence of the Temple boundaries. Engraved stone signs warning gentiles not to enter into the Temple were described by Josephus and one complete and one fragmentary copy were discovered archaeologically quite some time ago. These physical markers designed to deny entry to certain people, or at least to tell them that they ought not enter, highlight the relationship between exclusion and boundaries. 27 In the Mishnah, the various walls, doorways and gates, and even the lines in the floor created by mosaics separating between different spaces act to delimit boundaries, to exclude, and to mark sacredness in the mind’s-eye of the reader (or listener). Further, such physical borders add to the establishment of sacrality by enclosing the space and surrounding those permitted to enter within. 28 A similar demarcation and enclosure occurs through ritual action. Previously I have argued that the many narrative accounts within the Mishnah of how rituals were once performed in Temple times stress the acts of entry into and exit from the various sacred spaces of the Temple, thereby suggesting that these acts were ritualized. 29 The Mishnah places literary emphasis on these actions by repeating the words “enter” and “exit.” In a handful of accounts the two terms recur seemingly unnecessarily and the words occur more than forty times each throughout this mishnaic sub-genre. 30 In one example, in Bikkurim 3:6, the passage uses all biblical language to describe the ritual act, adding only the word “exit.” The verse 26. I draw this terminology and the perspective that these can be significant acts in the making of sacred space from R.L. Grimes , Rite Out of Place. Ritual, Media, and the Arts (New York, 2006) 90-95, esp. 95, where he uses the terms “partitioning” and “enclosing.” 27. On these inscriptions, see E. Schürer , The History of the Jewish People, in the Age of Jesus Christ (175 B.C. – A.D. 135. 2., rev. and ed. G. Vermes – F. M illar (Edinburgh, 1973) 284–85, esp. n. 57. For a photograph of the inscription, see Y.Z. Eliav, God ’s Mountain. The Temple Mount in Time, Place, and Memory (Baltimore, 2005) 38. Josephus refers to these boundary markers in Flavius Josephus, Judaean War 5.194. 28. Gates and portals are described extensively throughout Mishnah Middot. On a line in the floor, see Middot 1:6, 2:6, and 4:5. The wall of Jerusalem, mentioned in level 3 above in Mishnah Kelim 1:6–9, is also mentioned several times throughout the Mishnah, for instance in Ma‘aser Sheni 3:7, Pesaḥim 7:12, Megillah 1:11, and Zevaḥim 14:8. 29. N.S. Cohn, The Memory of the Temple and the Making of the Rabbis (Philadelphia [Pennsylvania], 2013) 75-84. 30. In the narrative account of the Paschal offering, Mishnah Pesaḥim 5:5–10, enter appears three times and exit four times. In the description of the tamid daily offering, Mishnah Tamid 1-7, the word enter appears thirteen times and exit fifteen.
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at the root of this act, Deutronomy 26:10, uses the words “place it [the basket]” and “you shall bow down” to describe the conclusion of the ritual offering of the first fruits at the Temple. Earlier, in verse 4, the fruits are placed “at the side of the Altar.” Bikkurim 3:6 combines these phrases with the key addition of exiting: “And he places it [the basket] at the side of the Altar and he bowed down and he exited.” For the rabbinic mishnaic narrators, exiting – and similarly entering – was a key component of Temple ritual. At the same time, various accounts of Temple ritual indicate that the acts of entry and exit were accompanied by additional ritual actions. In Bikkurim 3:6, just mentioned, and in Tamid 6:1, 6:2, 6:3, and 7:1, and Sukkah 5:4, exiting is accompanied by bowing. In some narratives, entry into a space is accompanied by a turning to the right. 31 And in the Passover sacrifice narrative (Pesaḥim 5:5–10), the doors are closed and locked and the trumpets are sounded right as the group enters into the Temple Courtyard. These additional ritual acts, together with the literary emphasis on entry and exit, suggest that rabbis understood crossing the boundaries of the various sacred spaces in the Temple, to the inside and to the outside, to be ritualized. Ritualized boundary crossing helps establish the significance of that very boundary and the sacredness of the interior space. The inner space is marked and enclosed, as highlighted by the closing doors in Pesahim 5:5. The passage above from Mishnah Kelim describing the ten (or eleven) steps of sacred space, like the longer Temple ritual narratives throughout the Mishnah, stresses the act of entry. Most of the stages from four through ten repeat that certain individuals in certain states “may not enter.” Inverting to a positive formulation, stage eight and the final stage, eleven, state that Israelites may enter the Priests’ Courtyard and the High Priest may enter the Holy of Holies in order to perform the appropriate rituals there. The larger set of restrictions surrounding sacred space is tied to the act of entry, which is itself ritualized in the larger mishnaic conception, as I’ve suggested, and creates (imagined) sacredness through ritualized boundary crossing. One example in the Kelim passage hints at the ritualization of entry into sacred space through additional simultaneous acts. According to stage ten, hand and feet washing must precede entry into the Heikhal. Elsewhere in the Mishnah, in the narration of the Day of Atonement ritual in Yoma, this same act of ablution is tied explicitly to entering and exiting different spaces in the Temple. 32 Ablutions accom31. See Mishnah Middot 2:2 and Sotah 2:2. And see the gesture upon ascending the sacred space of the Altar in Sukkah 4:9 and Zevaḥim 5:3 and 6:5. On additional ritualization, see N.S. Cohn, The Memory of the Temple and the Making of the Rabbis (Philadelphia [Pennsylvania], 2013) 174 n. 8. 32. See Mishnah Yoma 3:3 and 7:3–4.
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pany and thus help ritualize the passage from one place to another, thereby distinguishing the spaces and helping to maintain their sacredness. Looking to the wider evidence of the Mishnah, the most explicit and widespread indication of this connection between ritual act, the boundaries between spaces, and sacrality appears in passages about the right and the wrong places for making offerings. In a number of instances, ritual acts associated with making offerings must take place לפנים, lifnim, or בפנים, bifnim, “within,” or, “inside” the correct space. Thus Zevaḥim 14:4–8, which narrates a history of sacrificial worship from before the Tabernacle to Temple times, repeatedly asserts that the offerings in the category of kodshei kodashim, the most sacred things, are always eaten lifnim min hakela’im, “within the curtains” that define the equivalent of Temple space. Once “they arrived at Jerusalem,” i.e. once the Temple was operational, all kodashim, all offerings (“sacred things”), not only kodshei kodashim, must be eaten “within.” The complementary space to “within” appears in Zevaḥim 14:9, which mentions offerings made בחוץ, baḥutz, outside of sacred space. The contrast between the inside and the outside appears in Menaḥot 7:3 – “If a person slaughtered his todah thanksgiving offering within [bifnim] but the associated bread is located outside [ḥutz] of the wall, the bread has not been sanctified [lo kidash haleḥem].” In these two examples, ritual actions associated with “holy things,” actions that “make holy,” and the objects themselves that become holy are located “within” and not “without.” 33 Quite a few additional passages highlight this connection between sacrality and the inside of space by focusing on the wrong places for acts associated with “sacred things” (kodashim) and with non-sacred things (ḥullin). Processing “holy things” – slaughtering them, bringing them up on the Altar, and receiving their blood – may not take place “outside,” baḥutz, or “outside of their proper place,” ḥutz lemekoman. At the same time, non-sacred animals, ḥullin, should not be slaughtered bifnim, “inside the sacred space of the Temple.” 3 4 Sacred things must be acted upon ritually inside the sacred place, while non-sacred things must be acted upon outside that place. One particular example of improper placement furthers the association between spatial interiority and sacredness by extending the language of sacrality beyond the object within the place to the place itself. Zevaḥim 7:5 begins by listing cases of improper slaughtering of sacred birds, includ33. Additional examples of sacrificial acts taking place appropriately “inside” include various acts done for minḥah grain offerings in Mishnah Menaḥot 11:2–4, the goat slaughtered not sent to Azazel on the Day of Atonement in Shevuo’ot 1:6, and the eating of the second tithe by Israelites in Ma‘aser Sheni 3:9. 34. Examples of improper locations inside and outside: Zevaḥim 3:1–2, 4:1, 7:5, 13:1, 13:4–14:4; and Menaḥot 7:3; Ḥullin 5:1–2, and 6:2.
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ing using the left hand rather than the right, slaughtering at night, and “slaughtering kodashim [sacred things] outside and ḥullin [non-sacred things] inside.” Subsequently, the paragraph makes a generalization that makes a key shift in the terminology. The text notes that each of these improper acts of sacrificing “sacred things” have invalidated the animal “while in the sacred space [bakodesh].” The “inside” space, the proper location for sacrificial acts, is equivalent to the place that is “sacred.” Generalizing from this example: sacredness of Temple space is fundamentally connected to the bounded interiority of that place and the ritual acts that must take place within. Post-Temple Sacred Space: The Synagogue If the Temple, in the mishnaic view, was the ultimate sacred place, it was not the only sacred place. There were other sacred spaces, those that continued to exist after the Temple’s destruction. The most well known of such places was the synagogue, the beit kenesset. The making of the synagogue’s sanctity, bound up in many ways with the idea of the Temple, differed in critical ways from that of the Temple’s sanctity, and reveals additional means whereby sacred place, in the mishnaic understanding, could be created and maintained. As Steven Fine demonstrates in his work on the history of the synagogue’s sanctity, in the Mishnah there appear to be two main sources of sanctity in the synagogue: the sacred Torah scrolls located within and the parallels in the synagogue to the Temple. 35 The significance of the Torah scroll, itself a sacred object (“sacred writings”), can be seen in the passage quoted above that explicitly labels the synagogue sacred and relates sanctity to restrictions on selling various types of property. I now quote the passage in full: If the people of a town or city 36 sold the town/city square, they are allowed to buy a synagogue with the proceeds. If [they sold] a synagogue, they can buy an Ark. If an Ark, they can buy Torah coverings. If Torah coverings, they can buy books. If books, they can buy a Torah. But if they sold a Torah, they may not buy books. If [they sold] books, they may not buy Torah coverings. If Torah coverings, they may not buy an Ark. If an Ark, they may not buy a synagogue. If a synagogue, they may not buy the [town/city] square. And so too with the surplus. One may not sell public property to an individual. For this would lower it from its level of sanctity [kedushato]. (Mishnah Megillah 3:1) 35. S. Fine , This Holy Place. On the Sanctity of the Synagogue during the GrecoRoman Period (Notre Dame [Indiana], 1997) 35–59. 36. The mishnaic term, ‘ ir, can refer to a city or town or even a smaller village.
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As Steven Fine points out, this passage suggests a ladder of holiness, ascending toward the pinnacle of the Torah scroll. Each item is related in some way to those scrolls. The synagogue, on a lower rung, in Fine’s reading, appears to derive its sanctity from the greater sacrality of the scroll. Presumably, as Steven Fine suggests as well, sacrality is created and maintained not only by the mere presence of the scrolls, but by the ritual activity associated with it – the ritual reading of the Torah. 37 While this understanding of the source of a synagogue’s sacredness may be implicit in the passage, there is a more explicit element of synagogue holiness that had existed in the case of the Temple and other sacred objects as well: restriction. Here, the sanctity of the synagogue, the scroll, and the various synagogue appurtenances related to the Torah scrolls are tied to restrictions on how the various objects or property may be disposed. The proceeds of the sale of a sacred object may only be used to buy objects of higher sanctity. Restrictions, and the imagined activities that enforce such restrictions, are the recurring methods of creating or maintaining sanctity seen in almost every example. What is novel, if only hinted, in this case is the pre-existent sacred object, and perhaps the activities associated with that object, that appear to bring about sacrality, and may be the reason for the restrictions. The second key element of synagogue sanctity that goes beyond the manner of creating and maintaining holiness in the Temple is the parallel relationship constructed between Synagogue and Temple, what Steven Fine terms “imitatio templi.” One rabbi makes this connection explicit in a passage that follows shortly on the rules for selling the synagogue and Torah-related objects: Rabbi Yehudah also said: In the case of a synagogue that has been destroyed, one may not make eulogies in it, lower ropes into it, spread out traps in it, set out fruits on its roof, or make it into a shortcut, for it says, “And I will make your sanctuaries [mikdesheikhem] desolate” (Lev 26:31). Their sanctity [kedushatan] exists even when they are destroyed. (Megillah 3:3)
In this passage, a destroyed synagogue is parallel to the destroyed Temple. They both fall under the biblical term “mikdash,” “Temple,” or literally “that which is sacred,” and retain their sacredness even when destroyed. The place is made sacred not only by restrictions on what one may do in that space, but also on acting – or not acting – in the same way one would act – or not act – in the Temple space. As Fine points out, 37. S. Fine , This Holy Place. On the Sanctity of the Synagogue during the GrecoRoman Period (Notre Dame [Indiana], 1997), 37. Steven Fine adds that the use of Hebrew, “the holy tongue,” for reading the scripture further contributes to the sanctity of the Synagogue space.
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one particular restriction here, not making the space into a shortcut, mirrors the identical restriction for the sacred place of the Temple Mount in Mishnah Berakhot 9:5. 38 Taking these two passages together suggests that the sacredness of the synagogue derives from its relationship to the Temple and from acting or refraining from acting in the same way one would act or refrain from acting in the Temple. The creation of parallels between Synagogue and Temple extends beyond the idea of restriction and the terminology of mikdash to ritual activities performed in the spaces. In a number of examples, Synagogue ritual activity explicitly parallels Temple ritual activity, and thus presumably further contributes to the sanctity of synagogue space. The most elaborated example of such a parallel centers on the taking of the lulav palm branch on the festival of sukkot. According to Mishnah Sukkah 3:12, the early rabbinic figure, Rabban Yohanan ben Zakkai was responsible for a change in practice in the aftermath of the destruction: Originally, the lulav was taken ritually in the Temple for seven days [on the Tabernacles holiday] and outside of the Temple for one day. When the Temple was destroyed, Rabban Yoḥanan ben Zakai decreed that the lulav would be taken ritually outside of the Temple for seven days, as a remembrance of the Temple. (Mishnah Sukkah 3:12)
The parallel acts of “taking the lulav ritually” are elaborated further in the subsequent paragraphs: On the first festival day of the Festival [i.e. sukkot] that coincides with the Sabbath, the entire people bring their lulavs to the synagogue. Each and every person recognizes his own and takes it ritually. For they said that a person does not fulfill his obligation on the first festival day of the Festival with his fellow’s lulav, whereas the rest of the days of the Festival a person does fulfill his obligation with his fellow’s lulav. […] The mitsvah of the lulav – how [was it performed in the Temple, on the first day of sukkot, when it coincided with the Sabbath]? The entire people bring their lulavs to the Temple Mount [the day before the first festival day], and the superintendents receive them from them and arrange them on the roof of the colonnade. And the elders place theirs in the chamber. And they teach them to say, “Whoever receives my lulav, it is his as a present.” The next day they get up early and come [to the Temple], and the superintendents would throw them out before them, and they would grab 38. S. Fine , This Holy Place. On the Sanctity of the Synagogue during the GrecoRoman Period (Notre Dame [Indiana], 1997) 43. See his discussion of the Megillah passage and the idea of parallel more generally on 41–43. The intentional limits on the parallel that he shows on 55–59 occur only outside of the Mishnah, in the Tosefta and halakhic midrashim.
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and hit each other. And when the Court saw that they had come to danger, they decreed that each and every person should take the lulav ritually in his home. (Mishnah Sukkah 3:13, 4:4)
According to these two parallel narratives, not only would the taking of the lulav for seven days outside of the Temple now mirrors the ritual as done in the Temple, but the procedure for bringing the lulav to the Synagogue before the Sabbath when the first day coincided with the Sabbath mirrors quite precisely the same preparatory procedure that was done in the Temple. The only difference is that the Temple procedure was not so successful and had to be modified. Like holiday ritual on Tabernacles, regular prayer ritual appears to create a connection between Synagogue and Temple as well. Though the Mishnah does not give a precise location for the majority of the extensive prayer regulations found especially in Berakhot and Megillah, there is one example that shows that prayer was located some of the time in the Synagogue: “A convert, when he prays to himself, says [in the amidah prayer], “The god of the forefathers of Israel. And when he is in the synagogue, he says, “the God of your forefathers” (Bikkurim 1:4). This ruling takes for granted that a person, in this case a convert, would sometimes pray alone, but at other times pray specifically in the Synagogue. The synagogue was a place of prayer. Similarly, according to Mishnah Tamid 5:1, the Temple was once the site for regular prayer that accompanied the daily tamid offering: “The appointed [ritual leader for the daily sacrifice in the Temple] would say to them [the rest of the priests who have come to the chamber of hewn stone to pray], “recite one blessing.” And they recited it. And they recited the ten commandments, and the shema, and vehayah im shamo‘a tishma, and vayomer, and they blessed the people with three blessings, and ’emet veyatsiv, and the blessing over the Temple service, and the priestly blessing, and on the Sabbath they added a blessing for the priestly watch that was leaving” (Tamid 5:1). This uniquely Temple prayer service is similar, but not identical, to the generally required elements of prayer elaborated in Mishnah Berakhot 1–2 (especially 2:2), Rosh Hashanah 4:5, and Megillah 4:10. 39 The mishnaic narrative about the High Priest’s “blessing” over the Torah reading in the Temple on the Day of Atonement in Mishnah Yoma 7:1 and Sotah 7:7 suggests a similar parallel between Temple and Synagogue in that two people who take and pass the Torah scroll toward the High Priest are the hazzan hakenesset and the rosh hakenesset, presumably functionaries tied to the beit hakenesset, the synagogue, in this case likely
39. This prayer is also similar to the purported prayer in the Temple on the Day of Atonement in Mishnah Yoma 7:1.
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an imaginary synagogue within the Temple. 4 0 All of these hinted connections between prayer in the synagogue and prayer in the Temple suggest the larger idea that prayer in the synagogue, like the lulav ritual, mirrors the similar ritual in the Temple. Enacting these rituals in the synagogue, therefore, helps to bring about or to enhance the sacred space of the synagogue by drawing upon the Temple’s sanctity. Following Rabbi Yehudah’s notion in Mishnah Megillah 3:3, Synagogue ritual performance – that which mirrors Temple ritual performance in the mishnaic understanding – helps turn the Synagogue into a mikdash, a Temple-like sacred place. The Sacredness of the City and its Central Square The Mishnah’s more extended treatments of sacred space in the case of Temple and synagogue provide a key for explaining the nature and ultimately the meaning of city sacredness for the Rabbis. They suggest a frame for interpreting passages about the city and city square even when there is no mention of sacrality. A handful of narratives in the Mishnah about rituals performed in the city square provide hints that one important source of holiness for the city and its central space, in the rabbinic view, was similar to the root of synagogue sacrality. Here, too, sacredness appears to stem from the relationship to the Temple, and is created or maintained by the ritual activities done in parallel to or in relation to ritual activities in the Temple. In the elaborate narration of the bringing of first fruits in Temple times, Mishnah Bikkurim 3:1–6, the city and its square form an important node in the pilgrimage path from field to Jerusalem to Temple. The narrative starts with a prelude, the individual farmer marking and declaring the first fruits in the field. Immediately, with the narrative proper, there is a switch to the group and a focus on the city: “How did they bring the first fruits? All the cities/towns (‘ayyarot) in the district gathered in the [central] city of the district and they slept in the city square” (Bikkurim 3:2). 41 According to the mishnaic telling, the first step in the pilgrimage takes place in the district capital city. The locals (called “cities”) all gather together 40. On this apparent synagogue in the Temple, see especially S.B. Hoenig, “The Suppositious Temple-Synagogue,” Jewish Quarterly Review 54 (1963) 115131. See also L.I. L evine , The Ancient Synagogue. The First Thousand Years, 2nd edition (New Haven [Connecticut], 2005) 60, 420–22. On these roles, see also T. R ajak – D. Noy, “Archisynagogoi: Office, Title, and Social Status in the GrecoJewish Synagogue,” Journal of Roman Studies 83 (1993) 75-93. 41. To minimize confusing language, I have translated all participles as simply past tense, on the assumption that they function as iterative past, following the usages at the end of the paragraph. For more on the verb usage in such narratives, see N.S. Cohn, The Memory of the Temple and the Making of the Rabbis (Philadelphia [Pennsylvania], 2013) 4-8.
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(mitkansot) there. The more precise place for this gathering is named as the city square, and this is also the place where people sleep before setting out on the trip early in the morning. While not much actually happens in the city or city square, the Mishnah marks it as an important step in the inward journey toward the Temple. As a place, it is bound up with the holier loci of Jerusalem and Temple. A similar connection between the generic city in Israel and Jerusalem and the Temple appears in the brief description of the Priestly watches in Mishnah Ta‘anit 4:2. This passage provides an origin narrative for the twenty-four priestly watches, and suggests that for each watch serving in the Temple by performing the daily tamid offerings, “there was a ‘pillar’ of Priests, Levites, and Israelites.” “When the time for each Priestly watch arrived, the Priests and Levites went up to Jerusalem, and the Israelites in that watch would gather in their cities and read from the creation story [in Genesis].” Here, the Israelites in a given district remain in their city and perform a ritual there that complements what takes place in the Temple and establishes a connection between the local city and the city of Jerusalem and the Temple. While the ritual of reading the Torah might normally have taken place in synagogues, the Mishnah does not locate the ritual there, but places it in the city as a whole. During the time of the Temple, according to this passage, a ritual within the city created a parallel to the ritual that took place in the Temple. The relationship between City and Temple and the role of ritual activity in creating this parallel and establishing the sacrality of the city and city square continued, according to the Mishnah, in post-Temple times as well. This can be seen in the description of fast-day ritual in Mishnah Ta‘anit. Public fast days, according to this tractate, purportedly decreed by the Court in response to lack of rain or other large-scale disasters or problems, were decidedly city affairs. The ritual performed on these days described by the Mishnah, which included the ritual placement of ashes, speeches designed to encourage repentance, and an extended prayer of twenty-four blessings, began with the movement into the key space: “What was the order of the ritual for fast days? They took out the ark into the city square…” (Mishnah Ta‘anit 2:1). While the ritual itself was located in the heart of the city, other passages in the Mishnah suggest it was a matter of the whole city as a unit. In Ta‘anit 3:3–4, lack of rain, pestilence, or fallen buildings were calamities located in particular cities, and only those cities – and to a lesser extent the surrounding towns – participated in the fast day rituals. According to 3:6, there once were particular calamities in Ashkelon and in the area across the Jordan, perhaps in one or more of the cities in the Decapolis, and the “elders” (of the Great Court) went to their cities and decreed fasts. Here, and in the rule about a city surrounded by gentiles or a river (3:7), it is unclear whether only that city or all cities engaged in fast day ritual. But in 3:9, a fast was suppos-
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edly decreed specifically in the city of Lod (Lydda). Taking this mishnaic evidence together, fast day rituals were centered on cities and included a detailed set of rituals performed in the city square. The Mishnah connects this city ritual to the Temple with one rather oblique comment within the brief narrative about what happened one time when this ritual was performed. This was “in the days of Rabbi Ḥalafta and Rabbi Ḥanina ben Teradyon” (Mishnah Ta‘anit 2:5). The people, according to the Mishnah, performed the ritual in rabbinic times, well after the destruction of the Temple. But the purported response of the sages to what they did when performing the ritual demonstrates the key relationship. The person leading the prayer recited the blessings in a more poetic fashion, different than the formula established in the Mishnah. According to this anecdote, “the matter came to sages [i.e. the rabbis], and they said, ‘we would not have done this unless we had been at the Eastern Gates [of the Temple]’ ” (Mishnah Ta‘anit 2:5). This is the only hint in the entire Mishnah that the elaborate fast day ritual had (supposedly) once been performed at the Temple. The sages’ response in the narrative suggests that the public prayer and other rituals done in the city square in rabbinic times should not be identical to what was once done in the Temple. But these rituals do mirror that which was once done there. 42 The sacredness of the city as a whole and particularly of the city square within it appears to stem in large part from the parallel between that space and the more obviously sacred spaces of Jerusalem and the Temple. Rituals within the city space that establish the parallel to the Temple are thus a key source of holiness in that space, similar to the source of holiness in synagogues in the post-Temple era. A second source of holiness for the city and its public square, also paralleling the root of synagogue holiness, seems to be the presence of a Torah scroll. In Mishnah Ta‘anit 2:1, the Ark containing the Torah scroll is brought into this space, presumably giving it a type of sanctity similar to that of the synagogue. A passage in the Talmud Yerushalmi takes this idea even further in its comment on the reḥovah shel ‘ ir as a sacred place one step below the synagogue. According to Rabbi Yohanan and Rabbi Menahem son of Rabbi Yose, “the city square has holiness because they take out the Torah and read it publicly [there]” (Talmud Yerushalmi Megillah 3:1, 73d). According to these later rabbis, the city square was the site for additional rituals that imparted sacredness from the Torah scroll by means of ritual actions associated with the Torah. 43 42. S. Fine , This Holy Place. On the Sanctity of the Synagogue during the GrecoRoman Period (Notre Dame [Indiana], 1997), 58, takes up this example and relates it to the paralleling between synagogue prayer and the Temple. 43. L.I. L evine , The Ancient Synagogue. The First Thousand Years, 2nd edition (New Haven Connecticut], 2005) 201 n. 98, discusses this passage and connects it
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Additional passages sprinkled throughout the Mishnah point to further mechanisms for the creation and maintenance of sacredness, those lying at the nexus between ritual action, the boundaries of the space, and notions of interiority and exteriority. While these connections and their role in establishing sacrality are quite explicit in the case of the Temple, for the city there are only strong hints of the relationship and the possibility that the rabbis understood the rituals associated with boundary maintenance as integral to the sanctity of city and its central space. One likely imaginary ritual, relating to the recovery of humans and houses from infections (nega‘ im), and tied to the sanctity of cities in Mishnah Kelim 1:7, appears to mirror the connection between ritual and boundary crossing that occurs in the Temple. In the biblical account of human infections (Leviticus 13–14), the afflicted must move and live “outside the camp” (Leviticus 13:46). When the process of inspecting of reintegration begins, the priest must go “outside the camp” to inspect the infected (Leviticus 14:2). When the Mishnah takes up the spatial dimension of this process, it shifts the location from the camp to the city. In Kelim 1:7, the afflicted person is “sent out.” Elsewhere in the Mishnah, once the person is healed, and undergoes the various rituals, including, slaughtering a bird, sprinkling the blood, sending off a second bird, shaving, washing clothes, and immersing in water, he (or she) is allowed to “enter inside the wall [of the city]” (Mishnah Nega’im 14:2). Similarly, for sending off the bird, the Mishnah draws on the verse referring to the infected house, stressing the boundaries of the city: “he sends the live bird off to outside of the city” (Mishnah Nega‘ im 14:2, quoting Leviticus 14:53). 4 4 During the ritual process, the city boundary is doubly traversed, the person coming inside and the bird going outside. The purity rules surrounding the infected person and the ritual for reintegrating the person highlight the boundary of the city space, creating an interior and exterior. 45 The rituals for the infected person likely were not practiced in rabbinic times, but the city interiority is also emphasized in a different passage that treats it as a more grounded historical reality. Mishnah Sotah 9:14 puts forth a debate about whether a particular wedding practice ought to continue after the Bar-Kokhba revolt (early- to mid-second century): “In the most recent war, they decreed that a bride should not go out in an to Mishnah Ta‘anit 2:1. Perhaps the later rabbis have in mind the passage in Mishnah Ta’anit 4:2 as well. 44. For the infected house, the dismantled stones are thrown outside of the city as well (Leviticus 14:40–41). 45. At this point, in Nega’im 14:2, the person must still remain “outside” her or his house. The house is a key space, integral to purity rules in the Bible and Mishnah, but is never specifically called sacred in the Mishnah.
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’aperion [bridal litter] inside the city. The rabbis permitted a bride to go out in an ’aperion inside the city.” The ritual procession with the bride took place – likely even in rabbinic times – inside the city and so appears to have constructed the city’s interior as a ritual place. Perhaps the most relevant ritual in rabbinic times that constructs city boundaries is the uniquely rabbinic ‘eruv, “joining ritual,” called ‘eruv tehumim, the joining of boundaries. In her work on the related types of ‘eruv called ‘eruv ḥatseirot, the joining of courtyards, and shituf mevo’ot, the joining of alleyways, Charlotte Elisheva Fonrobert elegantly demonstrates that these rituals construct “ritual space” and they map an idealized rabbinic neighbourhood. 4 6 Aspects of a third type of ‘eruv, the ‘eruv teḥumim, appear similarly to construct as ritual space, not the neighbourhood but the city. This type of ‘eruv emerges from the practice of restricted travel on the Sabbath that was based on the bible and appears even outside of rabbinic traditions. According to the mishnaic version of this practice, a person could normally travel on the Sabbath only two thousand cubits from the spot where that person was when the Sabbath began. A city, however, is its own bounded entity, and a person can travel within the city plus an additional two thousand cubits. The line at two thousand cubits from the city wall is called the “Sabbath boundary,” teḥum shabbat, or often simply the “boundary.” 47 Obeying the rabbinic rules for travel helps to construct this boundary – not only by not crossing the line, but, as in ‘Eruvin 4:11, by refraining from returning across the line if one did cross even accidentally. The ‘eruv ritual, placing food at the edge of town to allow a further two thousand cubits of travel, artificially extends this boundary. While the possibility of creating this ‘eruv creates a surprising fluidity of spatial boundaries, quite a few examples suggest that it never46. See especially C.E. Fonrobert, “Neighborhood as Ritual Space: The Case of the Rabbinic Eruv,” Archiv für Religionsgeschichte 10 (2008) 239-58; and C.E. Fonrobert, “The Political Symbolism of the Eruv,” Jewish Social Studies 11 (2005) 9-35. 47. See, most importantly, Mishnah Sotah 5:3. The biblical basis is rather loose from Exodus 16:29. The number two thousand comes from the unrelated verse Numbers 35:5. A very similar concept appears in the Damascus Document (CD 10:21), with a number of one thousand cubits, perhaps derived from Numbers 35:4, also mentioned in Sotah 5:3. It is significant that this text uses the term “city” as well. The full term teḥum shabbat also appears in Mishnah Sotah 5:3, ‘Eruvin 5:5, and Beitsah 4:2. Note that in Sotah 5:3 the typical city is presumed to have a wall. For a helpful explanation of ‘eruv, see C.E. Fonrobert, “From Separatism to Urbanism: The Dead Sea Scrolls and the Origin of the Rabbinic ‘Eruv,” Dead Sea Discoveries 11 (2004): 43–71. For an analysis of the Sabbath boundary from a different perspective, see G. P. Klein, “Squaring the City: Between Roman and Rabbinic Urban Geometry,” in H. Steiner – M. Sternberg, ed., Phenomenologies of the City. Studies in the History and Philosophy of Architecture (Farnham [United Kindom], 2015), 33-48.
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theless binds the people of the city together as a social unit. An individual may make a conditional ‘eruv such that he alone may go out of the city to the west or to the east if a certain conditional is fulfilled, but if not, that individual remains “as the people of my city” (‘Eruvin 3:5). Further, a person may, according to certain rabbinic views, make two different ‘eruvs for the two festivals days, one of which may be to extend in one direction, and the other to be “like the people of my city” (‘Eruvin 3:6–7). 48 More importantly, the Mishnah repeatedly imagines that an entire city creates such a ritual ‘eruv, effectively changing the city boundaries for the sake of this Sabbath rule. According to ‘Eruvin 8:1, there is a ritual procedure for this “joining,” and a person declares that the food item serves “for all the people of my city.” 49 While this analysis greatly simplifies the complex rules of ‘eruv, what it suggests is not only that Sabbath observance tends to fortify (in an abstract sense) the “Sabbath boundary” surrounding a city, but that the ritual of ‘eruv teḥumim has the power to reconstruct this physical spatial boundary and to affirm the sabbath boundary as a place that normally encloses and binds together all the people of the city (benei ha‘ ir). 50 If the Sabbath boundary, ‘eruv ritual, and perhaps the bridal procession ritual construct a bounded city space and a social group tied to the interior of that space, the city appears to exclude in the realm of the social as well, at least ideally. Multiple passages in the Mishnah imagine the case of gentiles or a gentile army threatening or even broaching the boundaries of the city. Two passages refer to the alien gentiles or army as encircling the city: “a city which gentiles have surrounded [shehikifuha goyim]” (Ta‘anit 3:7) and “a city which a besieging army [of gentiles] has surrounded [shehikifuha karkom]” (Gittin 3:4). As with the construction of spatial boundaries by enclosing what lies within, these passages tie the bounding of space to threatening enclosure from without. One passage, about the ‘eruv tehumim, is somewhat less specific, referring to gentiles coming toward the city from the east or from the west to threaten the city (‘Eruvin 3:5). Further, a handful of passages imagine a foreign army breaching the city, capturing it or simply entering to patrol it, and discuss the consequential impurity that results (Ketubot 2:9, Gittin 3:4, and ‘Avodah Zarah 5:6). The passage in ‘Eruvin 3:5, in particular, highlights the 48. Cf., however, the example in ‘Eruvin 4:10, in which a person may share no common ground with the people of his city. 49. The procedure is mentioned in Beitsah 5:6 as well. And see ‘Eruvin 4:10 and ‘Eruvin 5:6, which likely, however, refers to a different type of ‘eruv. 50. As Charlotte Elisheva Fonrobert’s analysis shows, however, this social collective is complicated by the presence of non-rabbinic Jews and non-Jews. See C.E. Fonrobert, “From Separatism to Urbanism: The Dead Sea Scrolls and the Origin of the Rabbinic ‘Eruv,” Dead Sea Discoveries 11 (2004) 66, and see further below.
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close relationship between the social group within the city and the alien gentiles who threaten from without. According to this passage: “a person may make a condition about his ‘eruv, ‘if gentiles come from the east, my eruv is to the west; if they come from the west, my ‘eruv is to the east; if they come from both sides, I can go to whichever direction I wish; if they do not come from either direction, I am like the people of my city’ ” (‘Eruvin 3:5). In this multi-possibility case, the approaching gentiles who threaten the city create a parallel to the social group of the “people of my city” who are normally contained within the standard “sabbath boundary” when there is no threat. 51 The Jewish people of the city form a collectivity that acts within the sacred space. This is the same group in Mishnah Bikkurim 3:2 who acts within city space and then Temple space and the same “Israelites” who read the Torah within the city while the Priests and Levites perform in Jerusalem (Ta‘anit 4:2). Even after Temple times, these are the people, called somewhat incongruously “cities,” who enact fast day ritual, the reading of the scroll of Esther on the Purim festival, and the blowing of the shofar (ram’s horn) on the holiday of Rosh Hashanah (Ta‘anit 3:3–4, Megillah 1:1–2, and Rosh Hashanah 4:2). 52 Sacred People, Sacred Space The prominence of the people of the city, contained within the Sabbath boundaries, living in a Jewish space that excludes gentiles, and acting collectively in ritual performance, may suggest one additional possible source of sacredness for the city and its central space –the presence of this very group, the people of the city. Their importance appears most clearly in the two Temple-era examples, the first fruits pilgrimage and the Israelites’ ritual when the priestly watch is in Jerusalem. In the former, “all the cities of the district gather together in the [capital] city of the district” (Mishnah Bikkurim 3:2) before sleeping in the city square and then going on to Jerusalem. In the latter, “the Israelites in that watch gather together in 51. The people of the city as a joinable eruv collectivity appears elsewhere, as for instance, Mishnah Rosh Hashanah 2:5. Note that this construct with respect to cities parallels the exclusion of gentiles from the Temple proper, mentioned above. 52. “Cities” forms the subject of the verb describing ritual action, just as cities are the subject of the verb to gather together in Bikkurim 3:2. The shofar example (Rosh Hashanah 4:2) in fact refers to Temple times. The same passage, Rosh Hashanah 4:1–2, may suggest a special role for or location in the court, and that Yavneh (Jamnia) had a special status as an important city, but it is difficult to tell the significance of these factors, which are unique to this case. For references to the people of a city acting as a collective unit, see also Mishnah Shevi’it 10:8 (parallel in Makkot 2:8), ‘Eruvin 5:8, Bava Batra 1:5, Shabbat 3:4, Pesaḥim 4:8, Menạhot 10:8, Makhshirin 3:4, and perhaps Betsah 5:5. Many of these examples involve a particular city.
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their cities” (Mishnah Ta‘anit 4:2) before reading from the beginning of the Torah. Gathering together and forming the group is a key initial stage in the rituals. 53 And in both cases the group’s presence in the city parallels their own presence or the presence of their brethren in the Temple. Elsewhere in the Mishnah, a similar group, the crowd of Israelites or of the entire nation is repeatedly located within the Temple. Using the phrases כל העם, kol ha’am, the entire nation; כל ישראל, kol yisra’el, all Israel; ישראל, yisra’el, Israel; and העם, ha‘am, the people, a number of different narratives describing Temple ritual place emphasis on the large crowd present in the Temple to witness the variety of ritual performances. 54 The Mishnah thus appears to suggest that cities, too, have a large crowd. “All the cities in the district” gather in Bikkurim 3:2, “Israel” gathers in Ta‘anit 4:2, and the participants in the fast day ritual, described only once as “everyone [kol ’eḥad v’eḥad],” appear to form a similar type crowd in Ta‘anit 2:1. 55 While the Mishnah never explicitly refers to this crowd of Israelites or the people of Israel in general as sacred, its authors must have been aware of the prevalence of this idea in the Bible, and it seems likely that the crowd repeatedly emphasized was understood to be bound up with the sacredness of place. Throughout the Bible, the special relationship between Israel and the divine is described using the language of sacrality. At the foundational moment of the covenant, when Moses brings God’s offer to the people in Exodus 19, God promises that they will be “a kingdom of priests and a sacred people [goy kadosh]” (Exodus 19:6). Further references to the holy people tie this holiness to the bond with God. Thus the people are enjoined by God: “you shall be holy for I am holy” (Leviticus 11:44 and 20:26). Similarly, Isaiah 62:12 makes the future moniker for Israel, “the holy nation [‘am hakodesh]” parallel to “those redeemed by God.” The Mishnah never makes any statement like this about the people of Israel. Still, it does tie the sacred space of the Temple to the people by noting that gentiles are categorically excluded (Mishnah Kelim 1:8). The sacred space of the Temple is the place for the people of Israel and the people of Israel alone. If the mishnaic authors did indeed share the biblical idea that that nation was itself holy, then this holiness may have been a small part of the Temple’s sacrality and a much larger part of the sacredness of the city and its central plaza. 53. See also the gathering of multiple “cities,” meaning the people of those cities, for the ritual harvesting of the ‘omer barley sacrifice in Mishnah Menaḥot 10:3. 54. See Mishnah Pesahim 5:5 (the reference is a verse: “all the community of the congregation of Israel”); Yoma 1:8, 3:4, and 6:3; Sukkah 4:4, 4:9; Rosh Hashanah 2:7; and Tamid 7:3. See also Sotah 7:5, referring to biblical times, and see Menahot 10:3, noted previously. 55. The word כל, kol, in this phrase does seem to imply a large group, similar to kol yisrael and kol ha’am, “all of Israel” and “all the people” used in Temple descriptions.
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The passage in the Talmud Yerushalmi about the sacredness of the city square, mentioned earlier, may hint at this very idea in the later rabbinic text. This passage, as discussed, ties holiness in the city square to the presence of the Torah scroll and the Torah reading, perhaps giving it a sacrality similar to that of the synagogue. Yet there is an additional word in this rabbinic opinion that points to the importance of the crowd as well: “the city square has holiness because they take out the Torah and read it publicly [barabim]” (Talmud Yerushalmi Megillah 3:1, 73d, emphasis added). The public reading is “barabim,” literally, in the presence of the many. Perhaps it is not simply because of the sacred scroll and the ritual associated with the scroll, but also because of the presence of a crowd of the people of Israel. The potentially key role played by the crowd that gathers and acts collectively in ritual performance suggests that the sacredness of the city differs from that of the Temple and the synagogue in that it is far more tenuous. Unlike the Temple and the synagogue, the city or town and its open plaza or plazas were not dedicated to ritual practice and sacred functions. There were no special sacred objects or sacred furniture unique to the city as a whole or the city square. The ark and perhaps the Torah scrolls within it, brought temporarily to the city square, belong to the synagogue. Even if the synagogue served non-worship functions in the mishnaic period, as it certainly had in earlier times, it was also a place of Torah reading and prayer with dedicated sacred objects and furniture. The Temple space and synagogue space retain sacredness, according to the Mishnah, even after being destroyed at least in part because they are set apart for sacred use. This is not the case for the city and the city square. 56 The primary use of the city square would have been for non-sacred gathering and social and commercial activity. The sense of sacredness in city space would have been strongest, according to the mishnaic understanding, when the people gathered for ritual purposes, possibly when they carried out rituals on the city-wide scale, including weddings and reading the scroll of Esther, and weekly on the Sabbath when the Sabbath boundary was meaningful and affirmed through not going beyond it and enacting the ‘eruv teḥumim. There were nevertheless more permanent traces of this sacredness. Thus cities – walled cities at least –retain a place on the abstract “mental” map of holy space in Mishnah Kelim 1:6–9 and the Mishnah places a minimal restriction on what can be done with proceeds of the city square’s sale (Megillah 3:1). But mostly the sacredness of the city and its center would only have come about through gathering and collective ritual action and would have been more temporary than the holiness of the more prominent sacred places. This is a very low level of sacredness. Maintaining this sacredness would have been particularly important due to its tenuousness. 56. This limitation applies to cities outside of Jerusalem. Jerusalem’s sanctity was far more concrete and permanently felt.
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And the human role in creating this sacredness would have been particularly prominent. Archaeological Evidence and the Rabbinic Interest in Holy Cities The archaeological evidence of Roman Palestine at the time of the Mishnah, combined with hints of evidence in the Mishnah itself, demonstrates that the mishnaic idea of a sacred Israelite city encompassing a sacred Israelite polity is something of a fantasy. At the same time, this evidence helps explain why the rabbis may have been particularly interested in such an idea. Excavations in Israel have uncovered numerous sites to which the generic mishnaic term ‘ ir ()עיר, plural ‘ayyarot ()עיירות, may correspond. The term itself is somewhat ambiguous, leading to a range of possibility. While ‘ ir sometimes contrasts kerakh ( )כרךand kefar ()כפר, the former larger and the latter smaller than the ‘ ir, it also applies to a wide range of cities and towns, and may perhaps cover the full range, including kerakh and kefar, when used generically. The Mishnah itself makes clear that there can be a large ‘ ir and a small ‘ ir (‘Eruvin 5:8, Megillah 3:1), a small ‘ ir having as few as fifty residents (‘Eruvin 5:6) and perhaps not even having one public bathhouse (Ketubot 7:8). According to the Mishnah, a given ‘ ir may be walled, as in the list of sacred places in Kelim 1:6–8, and, by implication, there are also ‘ayyarot that are not walled. Jerusalem is certainly included under the rubric of ‘ ir, as in Kelim 1:7–8, and it seems Ashkelon, quite a large (walled) city, is explicitly included as well (Ta’anit 3:6). Based on this, I presume that the term in the Mishnah includes a wide range of cities and towns, from Sepphoris and Tiberias to Antipatris, Lydda, Ashkelon, and Beit She’an (Scythopolis) to Korazin and Kefar Hananyah. 57 Centrally located open spaces that may correspond to the mishnaic reḥovah shel ‘ ir exist in all of these places, though there is not necessarily one single type of city square. 58 57. All of these can be found in the Mishnah except Korazin. For earlier treatments of the terminology and its relationship to archaeological findings, see, e.g., Z. Safrai, The Economy of Roman Palestine (London, 1994) 17-46; Z. Safrai, The Jewish Community in the Talmudic Period (Jerusalem, 1995) 29–49 [Hebrew], Z. Y eivin, “Medium Size Cities”, Erez Israel 19 (1987) 59–71 [Hebrew]; and D.A. Fiensy, “The Galilean Village in the Late Second Temple and Mishnaic Periods,” in D.A. Fiensy – J.R. Strange , ed., Galilee in the Late Second Temple and Mishnaic Periods (Minneapolis, 2014) 177-207. Note that the term ‘ayyarah ()עיירה, sometimes found in the secondary literature (stemming from the work of Krauss), does not exist in the Mishnah. ‘Ayyarot is the plural of ‘ ir. 58. Locations for such places can be found throughout the diagrams in Z. Yeivin, “Medium Size Cities”, Erez Israel 19 (1987) 59-71 [Hebrew]. Further, for potential such open spaces in Antipatris (a forum), Beit She’an (a plaza in front of a
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While places described by the Mishnah do correspond to those discovered archaeologically, the notion that these places are wholly Israelite (i.e. Jewish/Judaean) and exclude Roman gentiles who merely pose an external threat does not correspond precisely to the evidence. The large cities have a strong, identifiable pagan character. Evidence of Roman worship and cultural institutions can be found in every larger city, including Ashkelon, identified in the Mishnah as a city around which a public fast was performed. 59 While the Galilee as a whole appears to have been largely ethnically Judean, there were likely at least some non-Israelite Romans there, and Roman culture was pervasive. In the time of the Mishnah, Sepphoris had a theater and typical Roman mosaics on floors. The well-known mansion there has an elaborate mosaic depicting scenes from the life of Dionysus and Hercules. Similarly, small figurines with pagan motifs have been found in a few locations. 60 Both Sepphoris and Tiberias had the right to mint coins, and their coinage in the mishnaic period is full of typical Roman images, including depictions of emperors and gods. Whether this is an indication of a large non-Israelite Roman presence, as some have claimed, or of a more complex social mix, with a range of Judean identities, ideologies, and practices, including many who embraced Roman culture with enthusiasm, the people of the city hardly formed a single homogeneous polity acting as one to perform traditional rituals according to Temple), and Tiberias (a plaza in front of a gate and perhaps a more central marketplace), see A. Segal , From Function to Monument. Urban Landscapes of Roman Palestine, Syria, and Provincia Arabia (Oxford, 1997) 59-60, 71-72, and 86-87, and see Y. Hirschfeld – K. Galor , “New Excavations in Roman, Byzantine, and Early Islamic Tiberias,” in J. Z angenberg – H.W. Attridge – D.B. M artin, ed., Religion, Ethnicity, and Identity in Ancient Galilee. A Region in Transition (Tübingen, 2007) 213 and 217. Sepphoris may have had quite a large city square at this point, in the interpretation of Z. Weiss , “Josephus and Archaeology on the Cities in the Galilee,” in Z. Rodgers , ed., Making History. Josephus and Historical Method (Leiden, 2007), 385-414. For a number of potential candidates for the city square, see also D. L evine , “Who Participated in the Fast-Day Ritual in the City Square? Communal Fasts in the Third- and Fourth-Century Palestine”, Cathedra 94 (1999) 33-54 [Hebrew]. I would like to thank Zeev Weiss for generously helping me with the archaeological background and secondary literature discussed in this paragraph. On the blurring of “public” and “private” space – with potential implications for the ideology of the public square – see C.M. Baker , “Imagined Households,” in D.R. Edwards , ed., Religion and Society in Roman Palestine. Old Questions, New Approaches (New York, 2004) 115–16; C.M. Baker , Rebuilding the House of Israel. Architectures of Gender in Jewish Antiquity (Stanford, 2002) 113–22. 59. See especially N. Belayche , Iudaea-Palaestina. The Pagan Cults in Roman Palestine (Second to Fourth Century) (Tübingen, 2001). See also M.A. Chancey, Greco-Roman Culture and the Galilee of Jesus (Cambridge, 2005). 60. See R.M. Nagy – CL. M eyers – E.M. M eyers – Z. Weiss , ed., Sepphoris in Galilee. Crosscurrents of Culture (Raleigh, 1996), 171-74. Most pertinent are the figurines of Pan and Prometheus.
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the extensive rabbinic rules. 61 The Mishnah itself appears to admit to this more complex reality with repeated reference to the scenario of a “city that has gentiles present” or “a city in which Israelites and gentiles both dwell” (Sotah 9:2, ‘Avodah Zarah 4:11, and Makhshirin 2:5), or even “a city that is entirely gentile” (‘Avodah Zarah 4:11). Even rabbis, according to certain passages, were at times present in the cities of Beit She’an (Scythopolis) and Akko (Ptolemais), even though these cities are understood to have been predominantly gentile. 62 As Charlotte Elisheva Fonrobert shows in her analysis of the ‘eruv rituals, the Mishnah goes as far as imagining Jews living in a shared courtyard with a gentile (‘Eruvin 6:1). 63 Aside from the presence and potential majority of those called “gentiles” by the rabbis, there were also non-rabbinic Judeans. Assuming that the smaller cities or towns and the larger towns or cities in the Galilee were more predominantly Jewish than Beit She’an, Akko, and Caesarea, the majority of their inhabitants were not for the most part followers of the rabbis. As many scholars have suggested, the Mishnah itself admits to this reality. 6 4 In light of this context, the mishnaic picture of the city as sacred space enclosing a large group of Israelites that comes together to perform traditional rituals is an ideal one. Ideally, in the rabbinic conception, correct practice helped form the Israelite social group. Some of these rituals constructed sacred space and a sacred Israelite polity. In part, these practices drew on the Temple’s former sacredness, bringing it to the local scale. For the rabbis, city sacrality, bound up with the larger Israelite social group, had once existed in the time of the Temple and continued in their own time. 61. The first position appears in N. Belayche, Iudaea-Palaestina. The Pagan Cults in Roman Palestine (Second to Fourth Century) (Tübingen, 2001). M.A. Chancey, The Myth of a Gentile Galilee (Cambridge, 2002), presents a persuasive case that the Galilee is largely Judean, at least until the Bar Kokhba war. S. Schwartz , Imperialism and Jewish Society. 200 B.C.E. to 600 C.E. (Princeton, 2001), argues that this evidence suggests a widespread disappearance of Jewish culture and society and embrace of Roman culture. I have attempted to synthesize these different views in N.S. Cohn, The Memory of the Temple and the Making of the Rabbis (Philadelphia [Pennsylvania], 2013). 62. Mishnah Avodah Zarah 1:4, 4:12, and 3:4. For relevant toseftan examples, and further discussion and references, see N.S. Cohn, The Memory of the Temple and the Making of the Rabbis (Philadelphia [Pennsylvania], 2013) 151-2 n. 58. 63. C.E. Fonrobert, “From Separatism to Urbanism: The Dead Sea Scrolls and the Origin of the Rabbinic ‘Eruv,” Dead Sea Discoveries 11 (2004) 66. 64. This is what is often called the “revisionist” position on the rabbis. See N.S. Cohn, The Memory of the Temple and the Making of the Rabbis (Philadelphia [Pennsylvania], 2013) 17-37 for my own position and reference to earlier work. In the case of the eruv, as Charlotte Elisheva Fonrobert demonstrates as well (see previous note), rabbinic Jews are imagined living in the same shared courtyard as those who do not follow this rabbinic innovation.
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There is a strong power dimension to this ideal picture. Similar to the case of the eruv, described by Charlotte Elisheva Fonrobert, the construction of the sacred city places the uniquely rabbinic vision for traditional Judean practice at the center of the formation of the ethnic group and the creation of sacredness. The people of the city have the capacity to draw the Temple’s sacredness to the city, if they follow the practices as shaped by rabbis. The focus on the city can hardly be a coincidence. In The Memory of the Temple and the Making of the Rabbis, I marshaled mishnaic evidence to suggest that the rabbis were particularly interested in the people of the cities as objects of instruction. 65 Thus, for instance, in Mishnah Shabbat 3:4, there is a story about the “people of Tiberias” who did not consult the rabbis about building a water pipe in a specific configuration, which turns out to be problematic in the rabbinic view. And the “sages” inform them about correct practice. In this and similar examples, the rabbis appear to have had a particular interest in the Israelite social group centered in the city. According to Hayim Lapin, the early rabbis at some point, most likely in the amoraic period, became more urbanized. 66 Whether or not they were already to be considered urbanized, the rabbis of Mishnah show a marked interest in the people and place of the city. The notion of sacred Israelite cities is likely bound up with this desire to gain influence and spread teachings among the Judean people and elites of cities. By framing city sacrality in ethnic terms, the rabbis further imply that gentile Romans, and perhaps certain forms or aspects of Roman culture embraced by Judean elites, were excluded from sacredness. The Judeans of the city, in the rabbinic view, have the power to become a sacred polity and to make their local city space traditionally meaningful through the performance of rabbinically inflected traditional practices. The rabbinic focus on city sacrality has a second context that helps explain just how potent this discourse may have been and perhaps even where it originated. At the same time as the Mishnah expresses the idea of city as sacred space, Roman city coins from around the time of the Mishnah’s creation in the late second- and early third-century were pro65. N.S. Cohn, The Memory of the Temple and the Making of the Rabbis (Philadelphia [Pennsylvania], 2013), 31-32. My argument draws on Stuart S. Miller, Sages and Commoners in Late Antique ’Erez Israel. A Philological Inquiry into Local Traditions in Talmud Yerushalmi (Tübingen, 2006). See also N.S. Cohn, “Heresiology in the Third Century Mishnah: Arguments for Rabbinic Legal Authority and the Complications of a Simple Concept,” Harvard Theological Review [forthcoming]. 66. H. L apin, “Rabbis and Cities in Later Roman Palestine: The Literary Evidence,” Journal of Jewish Studies 50 (1999) 187-207; H. L apin, “Rabbis and Cities: Some Aspects of the Rabbinic Movement in Its Graeco-Roman Environment,” in The Talmud Yerushalmi and Graeco-Roman Culture. 2, P. Schäfer – C. H ezser , eds., (Tübingen, 1998) 51-80.
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claiming the very same cities sacred. Coins minted at Sepphoris during the reigns of Antoninus Pius (138–161 CE) and Caracalla (211–217 CE), both bearing the new name Diocaesarea (Diokaisaria, abbreviated ΔIOKA or ΔIOKAICAP), add the descriptor hieras, “sacred,” abbreviated IEP. 67 These coins, bearing an image of the emperor, a new city name associating the emperor with Zeus, and in one case a Temple with a statue of a god inside, proclaim Sepphoris sacred, but in a Roman manner. A number of these coins from Caracalla’s reign add further reference to a positive relationship between the city and the “holy senate and the people of Rome” or perhaps between “the holy council [of Sepphoris] and the senate and people of Rome.” 68 Either the council (boulē) in charge of minting represents itself as sacred or calls the Roman senate sacred, highlighting in one way or another the thoroughly Roman nature of the city’s holiness and perhaps that of its leadership. As Mark A. Chancey points out, this language of holy city has “a long history in the Mediterranean,” powerfully expressing Greco-Romanness. 69 Based on the coinage of Beit She’an (Nysa-Scytho polis), Rachel Barkay shows that widespread use of this title was a new trend in roughly the time of the Mishnah. This was in fact a Hellenistic city title that had waned in the Roman period, but its popularity was renewed in many cities, including cities in the northern part of Syria Palestina, during the Antonine and Severan periods, roughly the time when
67. See examples of these coins in R.M. Nagy – CL. M eyers – E.M. M eyers – Z. Weiss , ed., Sepphoris in Galilee. Crosscurrents of Culture (Raleigh, 1996) 197-98. And more examples in Y. M eshorer , “Coins of Sepphoris as a Historical Source,” Zion 43 (1978) 185-200. See also M. Rosenberger , City-Coins of Palestine. 3 (Jerusalem, 1977) 61-62 (where there are later examples from the reigns of Julia Domna and Elagabalus as well). The city and subsequent adjectives are in the genitive, “of Diocaesarea, the holy …”. This language does not occur in the few Tiberias coins available, though perhaps the first of the ambiguous letters in the coin from Caracalla’s reign in A. K indler , City Coins of Tiberias (Tiberias, 1961) 62, no.17, rev., could perhaps be the same “I(ERAC),” following the city name tiberieōn claudiopolitōn. And there is an exergue on a coin from the reign of Elagabalus with the words “TIBE” and “IERA” (M. Rosenberger , City-Coins of Palestine. 3 [Jerusalem, 1977] 67. 68. On the coins, see Y. M eshorer , “Coins of Sepphoris as a Historical Source,” Zion 43 (1978) 185-200. The wording is highly abbreviated, leading to alternative readings. Meshorer offers the second reading. His assertion that this “holy council” relates to Rabbi Yehudah the Nasi, however, is highly doubtful. S.S. M iller , “Those Cantankerous Sepphoreans Revisisted,” in R. Chazan – W.W. H allo – L.H. Schiffman, ed., Ki Baruch Hu. Ancient Near Eastern, Biblical, and Judaic Studies in Honor of Baruch A. Levine (Winona Lake [Indiana], 1999) 556 n. 58, provides the alternative reading. 69. M.A. Chancey, Greco-Roman Culture and the Galilee of Jesus (Cambridge, 2005), 190. And see the extensive study on this topic, K.J. R igsby, Asylia. Territorial Inviolability in the Hellenistic World (Berkeley, 1996).
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the Mishnah came into being. 70 In addition to being on coins of Sepphoris and of Nysa-Scythopolis, the title appears as well on numerous coins of Dora, Hippos-Sussita, and Caesarea-Panias from the same periods. 71 The numismatic evidence from the Galilean Sepphoris shows that the Roman-Judean leadership in one of the cities upon which the rabbis have set their sights and to which the rabbis imputed kedushah also labeled their city sacred, but in a thoroughly Roman manner that would have been construed as foreign and gentile by the rabbis. 72 The rabbis responsible for the Mishnah surely came into contact with these coins and with other city coins from the region, and whether or not they could read the Greek inscriptions, must have been aware of their meaning. In the context of this competing rhetoric and discourse of city sacredness, the rabbis were asserting their own spin on what made the Israelite cities sacred. Conclusion: On the Meaning of Sacred Space in the Mishnah In a recent essay on the topic of the holy, Robert A. Orsi affirms the role rhetoric of holiness may play in the assertion of power and control. 73 At the same time, however, he insists that limiting holiness to a matter of “language, social structure, and hierarchy” is inadequate. In “rethinking the holy,” Robert A. Orsi wishes to recover “experience as a key category.” 74 Experiences of the holy, he suggests, are meaningful for people through their interplay with agency, with intentionality and intersubjectivity, and with the embodied and socio-cultural sources that give rise to and shape that experience. Even this seems an incomplete explanation of 70. The title was used subsequently as well. See R. Barkay, The Coinage of Nysa-Scythopolis (Beth-Shean) (Jerusalem, 2003), 160–61, 163–65, and table on 166; see coins numbers 20, 21, 22, 27, 29, 31–70. For references to the city as “holy” on coins from Beit She’an (Scythopolis) and also Ashkelon, among many others; see also K.J. R igsby, Asylia. Territorial Inviolability in the Hellenistic World (Berkeley, 1996). 71. See M. Rosenberger , City-Coins of Palestine. 2 (Jerusalem, 1975) 35–37 (Dora); M. Rosenberger , City-Coins of Palestine. 3 (Jerusalem, 1977), 2-4 (HipposSussita) and 39–45 (Caesarea-Panias). The Dora coins begin to use this title on coins from as early as the reigns of Trajan and Hadrian. 72. The famous story about Rabbi Akiva in the Akko bathhouse with the statue of Aphrodite in Mishnah ‘Avodah Zarah 3:4, seems to tie the nonproblematic nature of the statue with the non-sacred way in which it is treated, with people urinating before it, and it being surrounded by a sewer. This is quite different from the association of god iconography with sacredness on the coins. 73. R.A. Orsi, “The Problem of the Holy,” in R.A. Orsi, ed., The Cambridge Companion to Religions Studies (New York, 2012) 84–106. 74. R.A. Orsi, “The Problem of the Holy,” in R.A. Orsi, ed., The Cambridge Companion to Religions Studies (New York, 2012) 86.
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the phenomenon of the holy for Robert A. Orsi, and so, delving into what he calls “the traditions of the more,” he argues that “holiness describes … something that is more than the sum of its social parts.” 75 Cultural, sociological, and psychological explanations fail to capture fully the power of experiences of holiness. There are two ways in which Robert A. Orsi’s framing of the issue are particularly helpful for thinking about the rabbinic use of the concept in the Mishnah. First, as in all of his work, Robert A. Orsi highlights the dimension of experience. The rabbinic concept of sacred space in the Mishnah may have served a political-rhetorical function, but it is also bound up with the lived experience of the Mishnah’s rabbinic authors, and so it tells us something about their experience of the social, physical, and cultural dimensions of sacred space and the ways in which they asserted agency within these social fields. The rabbis and others within their orbit of influence interacted with the spaces of the city, the city square, and the synagogue. The notion that these spaces were sacred must have shaped these experiences and helped make them meaningful at the same time as the experiences of these spaces must have shaped rabbinic notions of sacred space. The language used by the rabbis to describe sacredness and to talk about these places, particularly the recurrent motifs and intertextual connections that I have emphasized, point to the ways in which they believed these spaces were and could be meaningful not only in their own lives but in the lives of the people of Israel more widely. Most importantly, as I’ve stressed throughout this piece, the rabbis believed that sacredness came about through human action. Jews – members of the people of Israel – had not only the potential but also the obligation to make certain spaces with which they interacted sacred and to reinforce and thus manifest for themselves the sacredness that may have already existed there in some way. The people of Israel, in the rabbinic understanding, had the power to bring sacredness into their lives. This potential for sacred space may have been particularly important given the absence of the Temple. The hierarchical spatial map in Mishnah Kelim 1:6–9 that places Temple and Holy of Holies at the pinnacle, together with the notion that synagogue and city sacredness stem from parallels to the Temple, show that the Temple remained a prime locus of sacredness even in its absence. Without the ability to experience the physical space of the Temple or the many sacred objects associated with that space, the people could still bring about holiness and experience that holi-
75. R.A. Orsi, “The Problem of the Holy,” in R.A. Orsi, ed., The Cambridge Companion to Religions Studies (New York, 2012) 91.
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ness in the places that they did inhabit, not only the synagogue, but the city and the city square. 76 For the rabbis, importantly, the sacredness of place that the people could experience was in public. The Temple, in their view, had been a place of gathering for “the entire people,” for “all of Israel.” City and city square rituals, which could continue in the absence of the Temple, revolved around similar gatherings. The sacredness available to Israelites in the time of the Mishnah thus involved a social component. The people could experience the holy through the formation of an ethnically defined social body. The group would become enclosed within the sacred space the ritual boundary construction. By placing the people on the inside of the space, the rabbis of the Mishnah may be stressing the social connections created among Jews or perhaps the strength gained by becoming a unified ethnically distinctive polity. The role of sacred space in excluding, particularly excluding the Roman gentiles, may suggest further the sense of security the experience of sacred space could provide. Particularly with the connection to the Temple, the place where the covenantal blessings, including God’s special protection, were secured, the sacred space of the city might have given a similar sense of security and protection, provided that the people observed the covenant by performing the mitsvot, the commandments, the traditional rituals, properly. The Mishnah indeed repeatedly stresses the link between ritual performance and the creation of sacredness, including sacred space. The embodied act of doing ritual was an inextricable part of the experience of the sacred. Further, it was a key way in which the people could actively bring about sacrality, and perhaps thereby claim a small amount of control over the spaces they inhabited. 77 While the role of ritual in the creation of holiness highlights the experiential dimension, because of the centrality of ritual throughout the Mishnah, it also further stresses the political dimension of the rabbinic rhetoric of the sacred. Rabbis in the Mishnah determine how ritual ought to be done. It is not just ritual that brings about the sacred, but ritual done correctly. Ritual done properly in the Temple, as the rabbis imagine it, maintained the sacredness of Temple space, with 76. As noted above, I believe it is possible that the rabbis understood the home to be a potentially sacred space as well, a space from which the non-rabbinic ‘am ha’arets ought to be excluded, even if such exclusion was practically impossible, and a place in which some rituals were enacted. No passage in the Mishnah, however, ties the home explicitly to sacredness, and thus this possibility must remain speculative. 77. A different sort of possibility is that sacredness helps impart a sense of order. This is the approach taken by L.A. Hoffman, Covenant of Blood. Circumcision and Gender in Rabbinic Judaism (Chicago, 1996) 156-62, drawing on the work of Mary Douglas. I find little, however, to suggest this is what the rabbis have in mind in the Mishnah.
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all of its attendant effects, and similarly, only ritual done correctly, according to rabbinic rules, could bring about holiness in the rabbis own times. Rabbinic ritual, in the rabbis own minds, was the key to bringing about an Israelite (Jewish) sacredness, stemming from an Israelite polity, that could compete with Roman forms of holiness encapsulated in the captions on the city coins from the period. 78 The second helpful point in Robert A. Orsi’s analysis of the holy may help explain the unique power of rhetoric surrounding this concept. Building on the work of Rudolf Otto, Robert A. Orsi suggests that there is something “more” to holiness, a “surplus” that goes beyond the sociological, cultural, and historical factors that might help explain it. Using a locution from William James, he calls this “the 2 + 2 = 5.” 79 In part this means that the experience of the holy has a power that cannot be fully fathomed. Assuming this contemporary notion is not anachronistic for the time of the Mishnah, it provides insight into just how powerful the idea of the holy may have been for the rabbis. The rabbis harnessed the power of this idea and the experience it described to assert their own importance and to frame their role as bearers of the traditional way of life. But more than this, they worked to bring the ineffable experience of sacredness into their own lives and the lives of their fellow Israelites. Correct performance of ritual, as shaped by the rabbis of course, could make space sacred in their own times, as much as it had made space sacred in the past. Further, it could bring about the powerful experience of the holy and all of its associated benefits – the creation of a powerful Jewish polity; a sense of social connectedness, ethnic identification, and safety and security; and perhaps even what according to the Bible is the root of all these benefits, the very presence of the divine.
78. For a more theoretical formulation of the interplay between rabbinic and Roman cultural forms and the role rabbinic mimicry plays in the assertion of ethnic distinctiveness and the authority of the rabbis, see N.S. Cohn, The Memory of the Temple and the Making of the Rabbis (Philadelphia [Pennsylvania], 2013) 35-37. With regard to the dimension of experience, it is important to note the limited access that can be gained to ancient experience, particularly ancient experience of the sacred, and thus the necessity of focusing on the issues of rhetoric and power as they interact with those of experience brought out by Orsi. 79. R.A. Orsi, “The Problem of the Holy,” in R.A. Orsi, ed., The Cambridge Companion to Religions Studies (New York, 2012) 99–104.
L ES BÉNÉDICTIONS DES SAGES TANNAÏM ET LA « SACERDOTALISATION » David H amidović Université de Lausanne
Abstract “Sacerdotalisation” does not seem to be the monopoly of the Apostolic Fathers, because the contemporary Sages called tannaim used the same process concerning the cult. The Sages tried to have an access to God through new prayers and new blessings as already attested in Jewish no-priestly circles who discussed their increasing participation to the cult few centuries before. Among the ways chosen by the Sages, we note the redaction and use of new blessings in the liturgy. These blessings attest to the choice to use Hebrew language without any words in Aramaic, Greek and Latin, and to quote passages of Hebrew Bible according to diverse modalities. These literary choices are not neutral: they aim to legitimate and reinforce the authority of these new blessings. Thus, the Sages who are the redactors also received a new authority based on the cult. Résumé La « sacerdotalisation » ne semble pas l ’apanage des Pères apostoliques puisque les sages tannaim contemporains usent du même processus concernant le culte. Les sages tentent d’accéder à Dieu par de nouvelles prières et de nouvelles bénédictions à la suite de groupes juifs non-sacerdotaux qui débattent quelques siècles auparavant de leur participation accrue au culte. Parmi les modalités choisies par les sages, on observe la rédaction et l ’emploi de nouvelles bénédictions dans la liturgie. Celles-ci attestent le choix d’utiliser un hébreu biblique vierge de mots araméens, grecs et latins, et de citer la Bible hébraïque selon différentes modalités. Ces choix littéraires ne sont pas neutres : ils servent à légitimer et renforcer l ’autorité des bénédictions nouvellement créées. Ainsi, les sages, qui en sont les rédacteurs, se parent eux aussi d’une nouvelle autorité assise sur le culte.
I. Introduction Le néologisme « sacerdotalisation » prend ses racines dans les recherches sur les ministères chrétiens 1. Comme son nom l’indique, le terme décrit un processus. Celui-ci est souvent résumé par l’application de termes 1. Voir l’article de Paul-Hubert Poirier dans ce volume. La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 123-142. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115528 ©
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traditionnellement dévolus à la qualité sacerdotale, comme « prêtre » ou « grand prêtre », à Jésus devenu le Christ à l’instar de l’Épître aux Hébreux, et aux communautés du mouvement de Jésus. On se souvient, par exemple, de la première Épître de Pierre 2,9 : « Vous, au contraire, vous êtes une famille élue (γένος ἐκλεκτόν), un sacerdoce royal (βασίλειον ἱεράτευμα), une nation sainte (ἔθνος ἅγιον), un peuple en propriété (sous-entendu de Dieu) (λαὸς εἰς περιποίησιν) ». L’expression « sacerdoce royal » fusionne deux motifs attribués au Christ lorsqu’il s’est agi de qualifier sa messianité : le messie royal et le messie prêtre 2. Mais cette fois-ci, c’est la communauté qui endosse ces qualités à l’image du Christ. Il ne nous appartient pas ici de décrire plus en détail ce processus, mais on observe que l’attribution de la qualité sacerdotale à une communauté est bien plus ancienne. En effet dans la Bible hébraïque, on lit déjà que les Israélites sont « un royaume de prêtres et une nation sainte » ( )ממלכת כהנים וגוי קדושen Ex 19,6 ou « toute l’assemblée, tous sont saints et YHWH est au milieu d’eux » ( )כל העדה כלם קדשים ובתוכם יהוהen Nb 16,3. Ces affirmations ont donné lieu à de nombreux commentaires notamment théologiques. Récemment, Martha Himmelfarb posa une question centrale pour comprendre ces passages : « what need was there for a special class of priests? » 3. Elle discuta l’existence d’un sacerdoce national dans le judaïsme ancien et ses conséquences. En effet, comment penser les droits héréditaires des prêtres et des lévites si tous les Israélites sont saints ? Un débat semble avoir agité les groupes juifs durant les derniers siècles avant notre ère 4. Ainsi, les manuscrits de Qumrân livrent la position des esséniens : ils proclament 2. Voir A. Vanhoye , « Le Christ, grand-prêtre selon Héb 2,17-18 », Nouvelle Revue de Théologie 91 (1969), p. 449-474 ; W. Horbury, « The Aaronic Priesthood in the Epistle to the Hebrew », Journal for the Study of the New Testament 19 (1983), p. 43-71 ; G. Dagron, « Jésus prêtre du judaïsme : le demi-succès d’une légende », dans J.O. Rosenqvist (ed.), Leimôn. Studies Presented to Lennart Rydén on his Sixty-Fifth Birthday, Stockholm, 1996, p. 11-24 ; E.F. M ason, ‘You are a Priest Forever’. Second Temple Jewish Messianism and the Priestly Christology of the Epistle to the Hebrews, Leyde, 2008 ; S.C. M imouni, « Jésus : Messie ‘Fils de David’ et Messie ‘Fils d’Aaron’ », dans D. H amidović (ed.), Aux origines des messianismes juifs. Actes du colloque international tenu en Sorbonne, à Paris, les 8 et 9 juin 2010, Leyde, 2013, p. 145-172. 3. M. Himmerlfarb , « ‘Found Written in the Book of Moses’: Priests in the Era of Torah », dans D.R. Schwartz – Z. Weiss (ed.), Was 70 CE a Watershed in Jewish History. On Jews and Judaism before and after the Destruction of the Second Temple, Leyde, 2012, p. 38. 4. Voir D.R. Schwartz , « ‘Kingdom of Priests’– A Pharisaic Slogan? », dans D.R. Schwartz (ed.), Studies in the Jewish Background of Christianity, Tübingen, 1992, p. 67-70 ; M. Himmelfarb , « ‘A Kingdom of Priests’: The Democratization of the Priesthood in the Literature of Second Temple Judaism », Journal of Jewish Thought and Philosophy 6 (1997), p. 89-104 ; H. Birenboim, « ‘A Kingdom of Priest’: Did the Pharisees try to live like Priests? », dans D.R. Schwartz – Z. Weiss (ed.), Was 70 CE a Watershed in Jewish History. On Jews and Judaism before and
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que tout Israël est saint mais que les prêtres sont saint des saints dans la Règle de la Communauté (1QS V 4-7 ; VIII 4-12 ; IX 5-7) 5 et en 4QMMT B 75-82 6. La préséance des prêtres et des lévites sur les autres Israélites est donc maintenue, mais les Israélites acquièrent tout de même un cercle de sainteté. Une telle position a l’avantage de confirmer les droits des prêtres et de les rendre compatibles avec les passages de la Tora cités plus avant. Les pharisiens semblaient d’un autre avis 7. Ils défendaient la participation de tous les Israélites au culte et bénéficiaient de l’assentiment d’une large partie du peuple 8. Ils souhaitent que le peuple soit aussi intégré que possible à la vie du Temple et à ses rituels 9. Ainsi, ils voulaient affirmer que le peuple doit bénéficier d’une expérience religieuse aussi proche que possible de Dieu. C’est pourquoi, contrairement aux esséniens, les pharisiens n’envisageaient pas différents cercles de sainteté. Les communautés du mouvement de Jésus pourraient reprendre à leur compte ces idées et les transposer aux fidèles de Jésus. Bien qu’ils soient aussi des fidèles, les évêques et les diacres-presbytres n’ont pas encore particulièrement la qualité sacerdotale. La « sacerdotalisation » prend un tour nouveau avec la qualification des ministères selon ce prisme. Les Pères apostoliques, Ignace d’Antioche et Clément de Rome en tête, parent les évêques et les diacres d’une terminologie sacerdotale et d’idées relatives au sacerdoce. Ainsi et pour la première fois, Clément de Rome théorise la distinction entre le religieux et le non-religieux. Dans son Épître aux Corinthiens 40,1-5, Clément construit le terme « laïc » qui signifie alors issu du peuple, le laos. Par une actualisation des paroles de la Bible hébraïque, son ecclésiologie place les évêques et les diacres-presbytres dans la qualité sacerdotale 10. Cyprien de Carthage au IIIe siècle franchit after the Destruction of the Second Temple, Leyde, 2012, p. 59-68, qui inclut la communauté essénienne dans la perspective sacerdotale (p. 59, n.3). 5. Voir D. H amidović , « The Architextualization of the Qumran Community », dans L. DiTommaso – M. Henze – W. Adler (ed.), The Embroidered Bible: Studies in Biblical Apocrypha and Pseudepigrapha in Honour of Michael E. Stone, Leyde, 2017, p. 494-509. 6. E. Qimron – J. Strugnell (ed.), Qumran Cave 4.V. Miqsat Ma‘ase ha-Torah, Oxford, 1994, p. 54-57. 7. Rien ne prouve que les pharisiens voulaient vivre comme des prêtres et que la sainteté était réservée aux prêtres comme le remarque justement D.R. Schwartz , « ‘Kingdom of Priests’– A Pharisaic Slogan? », dans D.R. Schwartz (ed.), Studies in the Jewish Background of Christianity, Tübingen, 1992, p. 63-64. 8. Voir à ce sujet, Flavius Josèphe, Antiquités Juives 13, 296 ; 18,17. 9. Voir E.E. Urbach, The Sages. Their Concepts and Beliefs, Jérusalem, 1971, p. 519-520 (hébreu) ; Y. Sussmann, « The History of the Halakha and the Dead Sea Scrolls: Preliminary Talmudic Observations on Miqṣat Ma‘aśe Ha-Torah (4QMMT) », dans E. Qimron – J. Strugnell (ed.), Qumran Cave 4.V. Miqsat Ma‘ase ha-Torah, Oxford, 1994, p. 198. 10. Voir P.D. Pahl , « The Use of Scripture in 1 Clement », Anchor Bible Dictionary 27 (1957), p. 107-111 ; M. Jourjon, « Remarques sur le vocabulaire sacerdo-
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un nouveau cap dans la « sacerdotalisation » en faisant de l’évêque le détenteur de la plénitude sacerdotale selon les Lettres 1.2.2 ; 3.1.1 ; 3.3.4 ; 55.8.4 par exemple. Celui-ci devient l’unique dépositaire de l’autorité de l’Église ; son pouvoir est sacré comme sa personne et sa chaire 11. Le sacerdoce de l’évêque construit donc aussi la notion de sacralité. La dimension politique du statut des clercs complète alors cette dimension. On observe, cependant, que le sacerdoce des fidèles s’efface au profit du sacerdoce et de la primauté de l’évêque en son diocèse 12 . Si la notion de « sacerdotalisation » se forgea dans les recherches sur le christianisme primitif, on peut aussi se demander si une telle notion se déploie également dans le judaïsme rabbinique. Si la réponse est affirmative, sous quelle(s) forme(s) et selon quelle(s) modalité(s) perçoit-on le processus de la « sacerdotalisation » ? Est-il comparable à ce qui a déjà été observé dans le mouvement de Jésus ? Ces questions sont d’autant plus légitimes que la notion, en fait, ne naît pas avec l’émergence du mouvement de Jésus et ses premières communautés, elle prenait déjà place dans le judaïsme des derniers siècles avant notre ère où on débat sur le périmètre de la sainteté et ses bénéficiaires, et sur la place échue au peuple dans le culte, c’est-à-dire sa capacité à avoir un accès direct à Dieu. Le rapport entre les écrits rabbiniques et le sacerdoce est assez complexe. On y perçoit une nette volonté des sages de supplanter l’autorité des prêtres et des lévites en s’érigeant comme les experts en matière législative au sens de la technè 13. Par ailleurs, on ne dit pas assez que plus de la moitié des préoccupations à l’œuvre dans la Mishna a trait à la chose sacerdotale : le Temple, ses sacrifices, ses offrandes, ses rites, les offrandes pour les prêtres, la pureté à l’intérieur de l’enceinte du Temple et à l’extérieur, l’impureté et la purification. Sans trop extrapoler, il semble plausible qu’une partie des discussions autour de ces sujets provenait de cercles tal dans la Ia Clementis », dans J. Fontaine – C. K annengiesser (ed.), Epektasis. Mélanges patristiques offerts au Cardinal Jean Daniélou, Paris, 1972, p. 107-110 ; D.A. H agner , The Use of the Old and the New Testaments in Clement of Rome, Leyde, 1973. 11. G.W. Clarke (ed.), The Letters of St. Cyprian of Carthage, New York, 1984 (t. I-II) ; 1986 (t. III) ; 1989 (t. IV). Voir A. Faivre , Les laïcs aux origines de l ’Église, Paris, 1984, p. 155. 12. Voir par exemple, l’étude d’A. L emaire , Les Ministères aux origines de l ’Église. Naissance de la triple hiérarchie. Évêques, presbytres, diacres, Paris, 1971. 13. Voir D. H amidović , « Au sujet de l’affaiblissement de l’autorité des prêtres en matière de jurisprudence dans le judaïsme ancien », Judaïsme antique / Ancient Judaism 4 (2016), p. 79-104 ; S.D. Fraade , « Shifting From Priestly to Non-Priestly Legal Authority: A Comparison of the Damascus Document and the Midrash Sifra », dans S.D. Fraade (ed.), Legal Fictions. Studies of Law and Narrative inn the Discursive Worlds of Ancient Jewish Sectarians and Sages, Leyde, 2011, p. 193-210 ; M. Balberg, « Rabbinic Authority, Medical Rhetoric, and Body Hermeneutics in Mishna Nega‘im », Association for Jewish Studies Review 35 (2011), p. 323-346.
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sacerdotaux qui perdurèrent après la disparition du Temple de Jérusalem en 70 de notre ère. Quelques passages mishniques (Shekalim 1,4 ; Ketubbot 1,5 ; Rosh haShanah 1,7 ; Eduyot 8,2) laissent penser que des institutions sacerdotales subsistent ou bien se créent alors, comme le « tribunal des prêtres » ( )בת דין שלהכוהנים14. Ainsi, ces extraits signalent qu’une tradition législative sacerdotale perdure et qu’elle est bien différente des positions des sages. L’existence d’une telle tradition sacerdotale concurrente de celles des sages est probablement portée par des familles de prêtres et de lévites, mais on peut aussi penser que des non-clercs étudiaient la Tora, en particulier ce que les exégètes ont pris l’habitude de nommer depuis le XIXe siècle le document sacerdotal (P) et le code de sainteté (H). En résumé, l’étude de la Tora, notamment ses parties de facture sacerdotale, et l’autorité qui est conférée à ces textes ne peuvent se confondre avec le seul milieu sacerdotal, avant comme après 70 de notre ère. De plus, il est bien documenté que le curriculum des élites juives non-sacerdotales passait aussi par l’étude de la Tora, y compris les considérations relatives aux prêtres et aux lévites 15. S’il s’agit d’une forme de « sacerdotalisation », on peut ajouter que ce processus pourrait bien aller jusqu’à induire un comportement et des pratiques sacerdotales pour des non-prêtres. On a en tête l’exemple de la secte des esséniens qui, dans son projet politico-religieux, veut généraliser des prescriptions attachées aux prêtres dans la Tora à l’ensemble des Israélites, mais sans renier la précellence des prêtres 16. Les esséniens, qui se perçoivent comme le « reste » d’Israël 17, commencent par appliquer les lois sacerdotales à eux-mêmes, qu’ils soient d’extraction sacerdotale ou non. Dans ce cas, la généralisation des pratiques sacerdotales à des non-prêtres concourt à renforcer la « sacerdotalisation ». On retient pour le judaïsme ancien au tournant de notre ère qu’il n’y a pas forcément adéquation entre l’existence d’une tradition législative sacerdotale et les milieux sacerdotaux. Des milieux non-sacerdotaux pouvaient aussi porter des idées originellement sacerdotales. C’est pourquoi il demeure difficile d’associer des prescriptions sacerdotales à des milieux sacerdotaux ou non-sacerdotaux dans la Mishna 18, d’autant plus si on conçoit la Mishna 14. m. Ketubbot 1,5. 15. Voir C. H ezser , Jewish Literacy in Roman Palestine, Tübingen, 2001, p. 68-69 et 95 ; C. H ezser , « Private and Public Education », dans C. H ezser (ed.), The Oxford Handbook of Jewish Daily Life in Roman Palestine, Oxford, 2010, p. 472. 16. Voir H.K. H arrington, The Impurity Systems of Qumran and the Rabbis, Atlanta, 1993 ; J. K lawans , « Purity in the Dead Sea Scrolls », dans T.H. Lim – J.J. Collins (ed.), The Oxford Handbook of the Dead Sea Scrolls, Oxford, 2010, p. 377402. 17. CD I 4 ; II 6-13 ; 1QM XIII 8 ; XIV 8-9 ; 1QHa XIV 8 ; 4Q185 1-2 ii 2 ; 4Q393 3,7. 18. Voir S.J.D. Cohen, « The Judaean Legal Tradition and the Halakhah of the Mishnah », dans C.E. Fonrobert – M.S. Jaffee (ed.), The Cambridge Companion to the Talmud and Rabbinic Literature, Cambridge, 2007, p. 131-132.
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comme une compilation de traditions législatives d’origines diverses. Dès lors, on peut se demander quelle est l’ampleur de la « sacerdotalisation » dans le judaïsme rabbinique : est-elle rampante parmi les sages ou clairement affirmée ? Est-elle résiduelle car les sages se réfèrent notamment à la Tora (écrite) ou bien reflète-t-elle un projet d’appropriation des préceptes sacerdotaux ? Pour commencer à répondre à ces questions, l’étude des formules de bénédiction dans les écrits des tannaïm, c’est-à-dire la première génération de sages jusqu’au début du IIIe siècle, pourrait s’avérer instructive. II. L’hébreu biblique des formules de bénédiction des sages tannaïm Les bénédictions dans la Mishna, la Tosefta, les midrashim halakhiques et le Seder ‘Olam Rabba, qui constituent les principaux écrits des sages tannaïm, sont nombreuses. Au cours d’une année liturgique, on en compte environ 200. Elles sont généralement brèves, comme par exemple la bénédiction qui marque l’accomplissement du commandement de sonner le Shofar : « Béni sois-tu YHWH [Adonaï], notre Dieu, roi du monde, qui nous a sanctifiés par ses commandements et nous a ordonné d’écouter le son du shofar. » Mais d’autres sont plus longues comme lors de la fête de Rosh Hashana où le musaf compte trois bénédictions spécifiques : מלכויותsur la royauté divine, זיכרונותsur l’omniscience de Dieu, et שופרותsur la révélation au Sinaï au son du shofar. Il existe aussi d’autres bénédictions dans la littérature rabbinique qui ne sont pas reprises dans les récitations liturgiques. Il faut donc ajouter au nombre approximatif de 200 bénédictions une cinquantaine d’autres. La tradition juive reconnaît que les bénédictions ont été écrites à l’époque des tannaïm. Ainsi, un passage de la Tosefta, dans le traité Berakhot 4,5 rapporte la mise en garde de R. Yosé : « R. Yosé dit : ‘quiconque s’écarte de la formule de bénédiction établie par les sages pour des bénédictions n’a pas accompli son devoir.’ » Des sages semblent donc s’opposer à la libre création des bénédictions, ce qui peut traduire une pratique rabbinique de l’époque et un débat parmi les sages. Trois autres extraits plus tardifs du Talmud de Jérusalem développent ce qui ressemble à une interdiction. Dans le même traité 5,2 (9b) 19, il est question de ne pas changer « la formule de la prière (» )תפילה. Plus loin, au passage 9,1 (12d), on cite un exemple célèbre avec le ḥazzan, l’officiant, qui récitait la première bénédiction de la ‘Amida dans un village : « ‘Dieu grand, puissant et redoutable, fort et courageux’. R. Yohanan et R. Yonatan le firent taire, car ils lui reprochaient : ‘Tu n’as pas le droit de modifier 19. Les citations des folios du Talmud de Jérusalem suivent le manuscrit de Leyde édité par l’Académie de la langue hébraïque à Jérusalem en 2001.
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( )להוסיףune formule de bénédiction formulée par les sages.’ » Un autre passage du même traité, 7,3 (11c), justifie l’interdiction formulée par les deux sages. Il est dit que Moïse a institué la formule à la suite de Dt 10,17 : « Dieu grand, puissant et redoutable » sans autre développement. Bien qu’il y ait des tentatives d’innovation dans la formulation des bénédictions, la Mishna atteste une tendance conservatrice en la matière, c’est-à-dire qu’elle appelle à respecter les bénédictions bibliques. Traditionnellement, les bénédictions sont classées en trois catégories. La première concerne les bénédictions de remerciement ou de supplication adressées à Dieu. Dans cette catégorie figurent les dix-neuf – dix-huit au début 20 – bénédictions de la ‘Amida récitées deux fois par jour à l’époque des tannaïm. La prière du matin ( )שחריתse substitue au sacrifice quotidien du tamid ( )תמידoffert dans le Temple au matin. La prière de l’après-midi ( )מינחהreprésente le sacrifice quotidien en fin d’après-midi. À celles-ci s’ajoute le qiddush qui sanctifie le sabbat et les jours festifs, et la bénédiction inaugurale ( )שהחינוpour célébrer la nouveauté comme la dégustation annuelle d’un fruit ou l’achat d’un vêtement. La deuxième catégorie de bénédictions correspond aux bénédictions de jouissance ( )בירכות הנהניןcomme les bénédictions avant les repas ou avant de consommer du vin. La dernière catégorie rassemble les bénédictions de réalisation d’un commandement divin ( )בירכות המיצוותcontenu dans la Bible hébraïque ou dans la littérature rabbinique. Selon le traité Berakhot 6,9 de la Tosefta, « celui qui accomplit chaque commandement doit réciter une bénédiction sur lui » 21. Par exemple, lorsque l’orant revêt le châle de prières et met ses phylactères, une bénédiction est prononcée. De même, la lecture du rouleau d’Esther lors de la fête de Pourim est accompagnée d’une bénédiction de ce type. On remarque également que cette catégorie de bénédictions associe les commandements et l’élection d’Israël. Une telle thématique se trouve aussi dans d’autres genres littéraires de la littérature tannaïtique comme en Sifré Nombres 99 qui interprète Amos 9,7 : « Ils sont comme les fils des Kushites pour moi, les fils d’Israël. » Alors que le verset attaque la singularité revendiquée des Israélites, le Sifré retourne la question rhétorique dans un autre sens : « Et sont-ils en fait des Kushites ? Plutôt, comme le Kushite est distingué par sa peau, alors Israël est circonscrit par le commandement de la Tora au-delà de toutes les nations du monde. » Le thème de la sainteté des commandements est 20. La prière du soir ( )ארביתest instituée plusieurs générations après, probablement sous l’influence des prières attribuées aux trois patriarches : Abraham aurait institué la prière du matin, Isaac celle de l’après-midi, et Jacob celle du soir. 21. Voir Sh. Sharvit, « The Blessings Before Mitzvot: Their Versions and the Distribution of their Formulas », Bar-Ilan 26-27 (1995), p. 377-388 (hébreu) ; T. Novick , « Blessings over Miṣvot: The origins of a Category », Hebrew Union College Annual 79 (2008), p. 69-86.
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aussi martelé comme en Sifré Nombres 115 et Sifra Aḥarei Mot 8,3 : « la sainteté de tous les commandements ». La Mekhilta de R. Ishmaël Kaspa 20 rapporte le commentaire d’Isi b. Aqavia sur Ex 22,30 : quand Dieu crée des commandements sur Israël, il leur ajoute la sainteté. Enfin, les bénédictions sur l’accomplissement d’un commandement divin 22 attestent un intérêt particulier pour les dîmes, au sens des produits acheminés vers Dieu ou vers ses représentants sur terre. Un tel intérêt pour les bénédictions sur la nourriture est peut-être un moyen de substitution aux offrandes dans le Temple de Jérusalem 23. Cependant, la Mishna ne fait pas référence à cette catégorie de bénédictions 24. Toutefois, il existe des bénédictions associées aux dîmes dans le traité Ma‘aser šeni 5,11. Le passage commente Dt 26,13 lors de l’achèvement du cycle triennal des dîmes : « Et je n’ai pas oublié (Dt 26,13). Je n’ai pas oublié de te bénir et de rappeler ton nom sur cela » 25. Le passage semble comprendre la bénédiction comme une prière de remerciement. Le contexte de Dt 26,13 ne serait pas repris, puisqu’il s’agit davantage d’une incitation à respecter le cycle des dîmes dans le passage biblique. Une telle re-contextualisation vers la prière avec le terme « bénédiction » trouve une justification dans l’exégèse de Dt 26,13-14 selon le traité Ma‘aser šeni 5,24 dans la Tosefta : « Tous ceux qui sont engagés dans les commandements, leurs bouches sont ouvertes en prière devant (le) lieu 26. » Dans un article, Tzvi Novick 27 pensa même que les bénédictions sur les dîmes ont modelé, au moins en partie, la catégorie des bénédictions de commandements dans la littérature rabbinique des tannaïm. La langue choisie pour exprimer toutes ces bénédictions de l’époque tannaïtique nous semble particulièrement significative dans la perspective d’une « sacerdotalisation ». En effet, la littérature rabbinique d’époque tannaïtique utilise l’hébreu mishnique (MH1) – ce que les textes nomment la « langue des sages » –, mais l’immense majorité des formules de bénédiction de la même époque n’est pas écrite avec cette langue au point de constituer une véritable dissonance linguistique et de former un isolat linguistique dans les écrits rabbiniques 28. Les bénédictions n’empruntent ni 22. Il est à noter, néanmoins que quelques-unes sont rédigées en hébreu mishnique (MH1). 23. Voir B.M. Bokser , « Ma‘al and Blessings Over Food: Rabbinic Transformation of Cultic Terminology and Alternative Modes of Piety », Journal of Biblical Literature 100 (1981), p. 557-574. 24. Voir M. Hirshman, « ושכרה במשנה ובתוספתא׃ לדרכה של מחשבת חז״ל » מצות, WCJS 10 (1990), C.1, 54-60. 25. La déclaration a un écho dans le Sifré Deutéronome 303. 26. Le mot signifie ici l’omniprésence de Dieu. 27. M. Hirshman, « ושכרה במשנה ובתוספתא׃ לדרכה של מחשבת חז״ל » מצות, WCJS 10 (1990), p. 82. 28. Voir N. de L ange , « The Revival of the Hebrew Language in the Third Century CE », Jewish Studies Quarterly 3 (1996), p.342-358 ; W.F. Smelik , « Lan-
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aux langues parlées comme l’araméen des premiers siècles de notre ère, ni ne contiennent des mots venus du latin – à l’exception du mot « légion » ( לגיוןpour legionem) afin de désigner logiquement l’armée romaine dans la prière de consolation de la ‘Amida de l’office de l’après-midi du 9 av lorsqu’on évoque la destruction de Jérusalem –, et du grec translittérés en caractères hébraïques. Il est, certes, difficile de concevoir la prière qui unit les Juifs à Dieu dans une autre langue que l’hébreu. La première et la troisième catégories de bénédiction, c’est-à-dire les bénédictions de remerciement ou de supplication et les bénédictions d’accomplissement d’un commandement, sont particulièrement touchées par ce phénomène. Ainsi, les sages ont puisé dans l’hébreu biblique, notamment dans les écrits prophétiques et les psaumes. On observe aussi une tendance à sélectionner des mots et des locutions rares dans la Bible hébraïque qui ne trouvent pas de correspondance en hébreu mishnique. Il y a donc un véritable projet linguistique des sages pour dissocier les bénédictions des autres écrits tannaïtiques fondés principalement sur la halakha. Moshe Bar-Asher a essayé de caractériser les grands traits de ce projet 29. Il relève que les bénédictions entretiennent une relation plus forte avec le texte biblique qu’avec le reste de la littérature rabbinique. Plusieurs modalités sont discernables : (1) Ainsi, un passage biblique qui ne contient pas originellement de bénédiction peut être transformé en une bénédiction ad sensum. Le texte biblique mobilisé dans l’écrit rabbinique se termine alors par une formule de bénédiction et l’ensemble est appelé « bénédiction formulée par les sages ». Par exemple, les psaumes 120, 121, 130 et 102 sont intégrés comme de véritables bénédictions de la ‘Amida. Après les sept versets du texte massorétique, le psaume 120 qui débute la troisième bénédiction se termine ainsi : « Celui qui a répondu à Samuel à Miṣpah vous répondra et entendra votre cri aujourd’hui. Béni sois-tu YHWH [Adonaï], qui entends le cri (» )ברוך אתה ה׳ שומע צעקה. (2) L’intégration du texte biblique dans une bénédiction peut aussi rester sous la forme d’une citation explicite introduite par « comme il est écrit » ( )ככתובou par « comme il a dit » ( )כאמור30. Le musaf de Rosh Hashana fait figure d’exemple avec les citations explicites d’Ex 15,18, du Ps 22,29 et d’Is 44,6. La citation biblique peut aussi être explicite mais sans formule guage Selection and the Holy Tongue in Early Rabbinic Literature », dans L. Teugels – R. Ulmer (ed.), Interpretation, Religion and Culture in Midrash and Beyond. Proceedings of the 2006 and 2007 SBL Midrash Sessions, Piscataway (New Jersey), 2008, p. 91-151. 29. M. Bar-A sher , « Les formules de bénédiction forgées par les sages (étude préliminaire) », Revue des Études Juives 166 (2007), p. 441-461. 30. Plus tardivement, les traditions ashkénazes préfèrent la première formule alors que les traditions sépharades privilégient la seconde.
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d’introduction ; seul le lecteur ou l’auditeur averti peut déceler la citation. Par exemple, la première bénédiction de la Birkat hamazon : « Qui, par sa bonté, par amour, par bienveillance et par miséricorde, nourrit l’univers entier, il donne du pain à toute chair, car sa bienveillance est éternelle. La bonté divine est si grande que jamais la nourriture ne nous a manqué ». Les deux propositions « il donne du pain à toute chair, car sa bienveillance est éternelle » ( )נותן לחם לכל בשר כי לעולם חסדוcorrespondent à une citation mot à mot du Ps 136,25 intégrée parfaitement au corps de la bénédiction. Des citations de mots ou d’expressions provenant de passages bibliques peuvent aussi être insérées sans formule d’introduction. Ainsi, la bénédiction, « béni sois-tu… qui soignes toute chair et accomplis des merveilles », reprend une expression extraite du livre des Juges 13,19 : « accomplis des merveilles » ()ומפלא לעשות. (3) Il existe aussi des citations fragmentaires du texte biblique qui sont modifiées. Par exemple, dans la prière du matin, une bénédiction se termine par l’expression « qui ceins Israël de puissance » ()אוזר ישראל בגבורה. L’expression semble tirée du Ps 65,7 : « (qui) es ceint de puissance » ()נאזר בגבורה. Comme la modification ne semble pas correspondre à une autre version du texte biblique, l’expression, et plus précisément la forme verbale dans cet exemple, semble avoir été adaptée au contexte d’énonciation de la bénédiction. Donc la modification du passage biblique cité semble seulement formelle dans ce cas. (4) On trouve aussi des mots utilisés dans la Bible hébraïque mais disparus en hébreu mishnique. Ainsi, les mots « descendants » ()צאצאים et « chair » ou « viande » ( )שארsont attestés dans la bénédiction de la circoncision : « (…) qui a imposé un précepte dans sa chair et qui a marqué ses descendants du sceau de l’Alliance sainte ». Par ce procédé, le milieu rédacteur des bénédictions suscite consciemment la référence aux temps anciens, le temps de la Bible, et donc renforce la légitimité de la bénédiction créée. Ces quatre modalités pour forger des bénédictions dans le judaïsme des tannaïm permettent de constater que la première génération de sages cherche à allier les traditions bibliques et une créativité littéraire. L’enjeu est, sans nul doute, à la fois de donner une légitimité aux nouvelles bénédictions et de susciter dans l’esprit des fidèles un sentiment de continuité avec l’époque biblique, c’est-à-dire l’époque où Dieu a communiqué avec son peuple. Une des conséquences de ces procédés est la conservation de l’hébreu biblique comme langue de spécialisation réservée aux bénédictions. Ainsi, l’hébreu biblique demeure ancré dans le quotidien des Juifs malgré l’usage répandu de l’hébreu mishnique. Non seulement l’hébreu biblique est préservé à côté de la « langue des sages », mais il est aussi célébré et en quelque sorte renouvelé par un usage quasi systématique dans
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les bénédictions. Ce phénomène littéraire n’est, cependant, pas unique. En effet, le même procédé littéraire est d’ailleurs observable dans les piyyutim les plus anciens 31. Aussi, les bénédictions témoignent que l’évolution de la langue hébraïque n’est pas aussi linéaire qu’on le dit. Enfin, la langue de récitation des bénédictions pourtant rédigées en hébreu biblique semble avoir posé des problèmes comme en témoigne le traité Sota 7 dans la Mishna et la Tosefta. Dans le passage mishnique Sota 7,1-2, on distingue la récitation en « toute langue » et « la langue sainte ». Dans la première catégorie, on trouve les passages sur l’adultère (Nb 5,1922), sur la deuxième dîme (Dt 26,13-15), la récitation du Shema‘, de la Tefillah, de la bénédiction sur la nourriture, le serment de témoignage et le serment de dépôt. Dans la seconde catégorie, on doit dire le passage sur les prémices (Dt 26,3.5-10), sur le lévirat (Dt 25,7.9), les bénédictions et malédictions (Dt 27,15-26), la bénédiction des prêtres (Nb 6,24-26), la bénédiction du grand-prêtre, les passages sur le roi (Dt 17,14-20), sur la génisse à la nuque brisée (Dt 21,6-7), sur l’oint à la guerre (Dt 20,2-7). Cette distinction est reprise partiellement et succinctement dans la Tosefta, Sota 7,7, mais selon un autre classement : la première catégorie correspond aux bénédictions, au Hallel, au Shema‘, et à la Tefillah. Puis Rabbi précise : « Je dis que le Shema‘ est seulement récité dans la langue sainte, car il est dit : ‘et ces mots’ (Dt 6,6) ». En arrière-plan, on devine une difficulté des récitants à manier et probablement comprendre pleinement l’hébreu dans le cadre cultuel. Or, la volonté de participer au culte non pas dans une expression mécanique mais dans une dévotion totale et directe envers Dieu suppose la pleine compréhension des paroles récitées, c’est-à-dire une intériorisation. On perçoit alors le débat entre les tenants du respect du texte rédigé en hébreu biblique et les partisans d’une intériorisation du texte qui supposait une légère adaptation de l’hébreu biblique vers une langue vernaculaire. Nul doute que les premiers pouvaient être aussi ceux qui interdisaient la modification du texte des bénédictions décrites plus avant. La référence à « la langue sainte » dans le cadre cultuel semble alors ambigüe, car on ne sait s’il s’agit de l’hébreu mishnique (MH1) ou de l’hébreu biblique. Il est vraisemblable que la question se pose en des termes différents pour les récitants. Ceux-ci pouvaient percevoir tel ou tel passage récité comme empruntant une langue hébraïque plus ancienne mais sans établir une stricte séparation entre l’hébreu biblique et l’hébreu mishnique (MH1), si tant est qu’elle puisse être établie car l’hébreu restait une langue vivante 32 . Ainsi, « la langue sainte » semble correspondre à l’hébreu en général dans ce passage sans qu’on puisse établir une distinction entre 31. Voir L.J. Weinberger , Jewish Hymnography. A Literary History, Londres, 1998, p. 67-72. 32. W.F. Smelik , « Language Selection and the Holy Tongue in Early Rabbinic Literature », dans L. Teugels – R. Ulmer (ed.), Interpretation, Religion and Cul-
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l’hébreu biblique et l’hébreu mishnique (MH1). La référence à « toute langue » n’en est pas plus claire. On ne peut réduire assurément cette catégorie aux langues grecques et araméennes, car l’hébreu mishnique (MH1) pouvait être perçu comme un dialecte hébraïque aramaïsée par certains et comme l’hébreu vernaculaire par d’autres, c’est-à-dire « la langue sainte ». C’est pourquoi la classification des passages cités dans le traité Sota, y compris des bénédictions, ne remet pas en cause le projet linguistique des bénédictions décrit plus avant. L’analyse linguistique des bénédictions manifeste un usage volontaire de l’hébreu biblique à l’étape de leur création ; le traité Sota témoigne que la langue de récitation, c’està-dire l’étape de la diffusion des bénédictions dans le culte, a suscité des débats en lien avec le degré de maîtrise linguistique des récitants. III. Les bénédictions des tannaïm témoignent-elles d’une « sacerdotalisation » ? Alors que la « langue des sages », l’hébreu mishnique (MH1) des tannaïm véhicule la halakha et la aggada pour l’étude, cet hébreu biblique contemporain qui a rompu avec les emprunts aux lexiques étrangers devient la « langue des prières » selon l’expression de Moshe Bar-Asher 33. Cette locution ne peut, néanmoins, pas être confondue avec l’ensemble de la liturgie, car, par exemple, les targums lus dans les synagogues sont en araméen ; les bénédictions ne constituent qu’une partie du culte et de la liturgie. Elles sont davantage érigées au temps des tannaïm comme un genre littéraire à part entière. En effet, on ne connaît pas de bénédictions dans la littérature tannaïtique qui soient prononcées par Dieu vers les hommes. Seuls les orants bénissent Dieu. Ainsi le verbe barakh ()ברך, « bénir », prend un sens plus précis et technique : « réciter une bénédiction » 3 4. On est alors en droit de se demander quel(s) besoin(s) a-t-on dans les premiers siècles de notre ère de forger de nouvelles bénédictions d’une part, et de nouvelles bénédictions dans un style biblique ? La réponse à la première question semble aisée à la lumière du contexte des derniers siècles avant notre ère, avant la chute du Temple de Jérusalem. On a rappelé la volonté de nombre d’Israélites de participer davantage au culte et d’être au plus près de Dieu. Dès lors, les prières se sont multipliées ture in Midrash and Beyond. Proceedings of the 2006 and 2007 SBL Midrash Sessions, Piscataway (New Jersey), 2008, p. 125. 33. W.F. Smelik , « Language Selection and the Holy Tongue in Early Rabbinic Literature », dans L. Teugels – R. Ulmer (ed.), Interpretation, Religion and Culture in Midrash and Beyond. Proceedings of the 2006 and 2007 SBL Midrash Sessions, Piscataway (New Jersey), 2008, p. 461. 34. Voir D. H amidović , « Der Segen im antiken Judentum », dans M. L euenberger (ed.), Segen, Tübingen, 2015, p. 87-120.
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comme l’attestent les manuscrits de Qumrân qui préservent des textes liturgiques inconnus dans la Bible hébraïque. Les prêtres et les lévites conservent le monopole des sacrifices et des offrandes au Temple avec les rituels adéquats, mais de nouvelles formes de culte se généralisent dans le judaïsme ancien. Les prières découvertes dans les manuscrits de Qumrân 35 ne semblent pas des textes religieux rédigés par les esséniens mais des documents circulant dans tous les groupes juifs. On s’est posé la question de savoir si ces textes pouvaient provenir du Temple de Jérusalem 36. À ma connaissance, seul le document nommé par les modernes דברי המעורות (divrei hame‘ ôrôt), « paroles des luminaires »), c’est-à-dire les manuscrits 4Q504 à 4Q506, a été étudié selon cette perspective 37. Le texte conserve des prières communes pour les jours de la semaine qui se termine avec le sabbat. Lors des prières des six premiers jours de la semaine, le formulaire débute par un passage en revue de l’histoire, puis suit une pétition pour la délivrance physique les mardi, mercredi et vendredi ou bien une pétition pour le renforcement spirituel (connaissance de la Tora, rejet des péchés) les dimanche et jeudi ; le texte du lundi est perdu. Chaque demande se termine par une bénédiction de conclusion et un double amen en guise de réponse. La prière pour le sabbat est différente puisqu’il s’agit d’hymnes doxologiques. Il est possible que ce document provienne directement du Temple de Jérusalem et qu’il ait été repris par les esséniens. Mais les arguments en faveur ou contre cette hypothèse sont bien minces, car on ne connaît rien de la bibliothèque du Temple. C’est pourquoi je préfère comprendre ces textes liturgiques, absents de la Bible hébraïque et des textes apocryphes parvenus jusqu’à nous, comme des documents rédigés dans les derniers siècles avant notre ère dans la perspective d’une participation quotidienne plus directe au culte. On sait que les lieux de prière se sont
35. Les esséniens nomment la prière : « l’offrande des lèvres » en 1QS IX 5 ou « les offrandes et le don volontaire des lèvres » en 4Q258 4a, I+4b, 5, probablement pour marquer que la prière se substitue au sacrifice du Temple mais ne l’abolit pas. 36. Le promoteur de cette hypothèse fut N. Golb , Who Wrote the Dead Sea Scrolls?, New York, 1995. 37. Voir par exemple, E.G. Chazon, « Scripture and Prayer in ‘The Words of the Luminaries’, dans J.L. Kugel (ed.), Prayers That Cite Scripture, Cambridge (Massachusetts), 2006, p. 25-41 ; E.G. Chazon, « The Words of the Luminaries and Penitential Prayer in Second Temple Times », dans M.J. Boda – D.K. Falk – R.A. Werline (ed.), Seeking the Favor of God, Atlanta, 2007, p. 177-186 ; E.G. Chazon, « Looking Back: What The Dead Sea Scrolls Teach Us About Biblical Blessings », dans N. Dávid – A. L ange – K. De Troyer – Sh. Tzoref (ed.) The Hebrew Bible in Light of the Dead Sea Scrolls, Göttingen, 2012, p. 155-171 ; E.G. Chazon, « Liturgy Before and After the Temple’s Destruction: Change or Continuity? », dans D.R. Schwartz – Z. Weiss (ed.), Was 70 CE a Watershed in Jewish History. On Jews and Judaism before and after the Destruction of the Second Temple, Leyde, 2012, p. 371-392.
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multipliés avant la chute du Temple 38. On pourrait concevoir que dans ce cadre sont rédigées de nouvelles prières et de nouvelles bénédictions. La langue utilisée dans ces textes liturgiques est bien l’hébreu biblique. Bien que fragmentaires, les passages citent aussi des extraits de la Bible hébraïque. Par exemple, 4Q504 III 6-8 cite successivement Ex 19,4 et Dt 32,11 pour signifier que les Israélites sont le peuple de Dieu. Les deux citations explicites sont placées directement après la supplication suivante à la ligne 6 : « Souviens-toi, s’il te plaît, que chacun de nous est ton peuple ». Les citations bibliques s’intègrent parfaitement au nouveau texte. Ainsi dans un autre passage conservé en 4Q504 V 6, le Ps 79,8a est intégré dans la supplication : « Prends pitié de nous » à la ligne précédente, puis le verbatim du début du verset biblique : « Ne te souviens plus de nos iniquités passées » ()]אל תז]כור לנו עוונות רשונים. Ces deux exemples témoignent de modalités de rédaction analogues à celles des bénédictions des tannaïm. D’un point de vue formel, les tannaïm pourraient reprendre des pratiques plus anciennes de rédaction des prières. De nouveau, le style biblique crée immanquablement dans l’esprit de l’orant ou du récitant l’idée que les nouvelles prières se situent dans la continuité des anciennes et qu’elles les prolongent. Ces prières montrent aussi le souhait de continuer à communiquer directement avec Dieu en empruntant ses paroles conservées dans le texte biblique. Les bénédictions des tannaïm semblent se situer dans la même perspective et entretenir le même souhait. La multiplication des textes de prières, dont des bénédictions, au cours des derniers siècles avant notre ère, peut s’apparenter à une forme de « sacerdotalisation ». Les sacrifices et les offrandes au Temple perdurent à cette époque, mais les prières individuelles ou collectives tendent à compléter les modalités d’accès à Dieu. À cet égard, les bénédictions dans leur style direct adressé à Dieu en sont la quintessence. Les prêtres et les lévites conservaient également des textes liturgiques et rituels, mais il semble que d’autres milieux rédigeaient ces nouvelles prières. Ainsi, les textes des ( ברכותberakhot), des Bénédictions, conservés dans les manuscrits de Qumrân (4Q286-290), présentent des termes caractéristiques des écrits 38. Pour le temple de Léontopolis, voir R. H ayward, « The Jewish Temple at Leontopolis: A Reconsideration », Journal of Jewish Studies 33 (1982), p. 429-433 ; L. Capponi, Il tempio di Leontopoli in Egitto. Identità politica e religiosa dei Giudei di Onia (c. 150 a.C.-73 d.C.), Pise, 2007 ; J. Frey, « Temple and Rival Temple: The Cases of Elephantine, Mt. Gerizim, and Leontopolis », dans B. Ego – A. L ange – P. P ilhofer (ed.), Gemeinde ohne Tempel/Community without Tempel. Zur Substituierung und Transformation des Jerusalemer Tempels und seines Kultes im Alten Testament, antiken Judentum und frühen Christentum, Tübingen, 1999, p. 171-203 ; pour l’apparition des synagogues, voir dernièrement, L.I. L evine , The Ancient Synagogue. The First Thousand Years, New Haven (Connecticut), 2005 ; R. H achlili, Ancient synagogues – Archaeology and Art. New Discoveries and Current Research, Leyde, 2013.
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esséniens comme le mot ( יחדyaḥad) devenu un terme technique pour dire la « communauté » (4Q286 7 ii 1). Parmi les premières générations d’esséniens figuraient des prêtres du Temple de Jérusalem mais pas seulement 39. C’est pourquoi il est probable que des prêtres et des nonprêtres étaient en capacité de rédiger des prières selon les modalités décrites plus avant durant les derniers siècles avant notre ère. Dans cette perspective, on ne voit pas d’argument qui empêcherait de concevoir une continuité de cette pratique même après la chute du Temple de Jérusalem. En bref, l’accès (quotidien) à Dieu, réservé traditionnellement 4 0 à une catégorie sociale fondée sur l’hérédité – les prêtres et les lévites –, se trouve complété et peut-être même concurrencé par la multiplication des prières et bénédictions composées par d’autres élites. On a relevé que les bénédictions des tannaïm sont exclusivement ascendantes, c’est-à-dire des hommes vers Dieu, et non l’inverse. Les sacrifices et les offrandes, lorsque le Temple existait, se situaient bien dans le même mouvement ascendant, celui de la demande à Dieu. En ce sens, on peut comprendre les bénédictions au tournant de notre ère comme partie intégrante d’une forme de « sacerdotalisation ». Mais ce processus n’est pas le fait des tannaïm, ils poursuivent une pratique largement répandue dans le judaïsme ancien, dès avant 70 de notre ère. Les sages tentent de supplanter l’autorité des prêtres en matière halakhique mais aussi dans le registre cultuel. Les nouvelles bénédictions en sont un instrument. Un deuxième aspect de la « sacerdotalisation » est perceptible lorsqu’on examine les bénédictions des tannaïm dévolues aux dîmes. Il s’agit de la troisième catégorie de bénédictions, celles qui ont trait à l’accomplissement d’un commandement divin. Les considérations sur les dîmes y sont particulièrement présentes. En 1981, Baruch Bokser se demandait dans un article 41 si cette préoccupation quant à la nourriture dévolue à Dieu ou à ses intermédiaires humains ne trahissait pas une forme de substitution aux dîmes dues au Temple et au clergé. Selon cette hypothèse, les bénédictions sur les dîmes viseraient à transférer ce revenu, cette ressource, des prêtres 39. Par exemple, voir J. Liver , « The Sons of Zadok, the Priests in the Dead Sea Sect », Revue de Qumrân 6 (1967), p. 3-30 ; R.A. Kugler , « A Note on 1QS 9.14: The Sons of Righteousness or the Sons of Zadok », Dead Sea Discoveries 3 (1996), p. 315-320. 40. Les « écoles » de prophètes sont dans l’unique mouvement descendant de la parole divine, de Dieu au porte-parole littéralement qu’est le prophète. Elles se situent dans une gestion littéraire de la réception de la parole divine et ne revendiquent pas un contact quotidien avec Dieu comme les fonctionnaires du Temple, voir par exemple, L.L. Grabbe , Priests, Prophets, Diviners, Sages. A Sociohistorical Study of Religious Specialists in Ancient Israel, Valley Forge (Pennsylvanie), 1995. 41. B. Bokser , « Ma‘al and Blessings Over Food: Rabbinic Transformation of Cultic Terminology and Alternative Modes of Piety », Journal of Biblical Literature 100 (1981), p. 557-574.
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et des lévites vers les sages. Dans son Autobiographie 29,63, Flavius Josèphe rappelle, à la suite de Néhémie 10,37-38, que les prêtres rejoignaient les lévites dans les campagnes afin d’y collecter les dîmes. Un passage de la Tosefta, au traité Pe’ah 4,3, va aussi en ce sens. Dans une étude sur les pratiques et les croyances juives au tournant de notre ère, Edward P. Sanders ajouta qu’il lui semblait difficile pour les nombreux prêtres et lévites à cette époque de pouvoir vivre seulement avec des dîmes 42. Très peu de prêtres servaient en même temps au Temple de Jérusalem ; on estime qu’entre vingt et trente prêtres pouvaient servir le même jour dans le cadre des ( מישמרותmishmarot), les tours de service au Temple pour les 24 familles sacerdotales 43, et le double, voire le triple lors des trois grandes fêtes annuelles de pèlerinage. Or, il y aurait 20 000 prêtres et lévites selon Flavius Josèphe 4 4 au Ier siècle de notre ère. Ainsi, les prêtres et les lévites pouvaient aussi gérer des domaines agricoles lorsqu’ils ne servaient pas au Temple ou bien occuper d’autres métiers comme enseignants, juges, magistrats, voire maçons et artisans 45. Avant la chute du Temple, les dîmes ne semblaient pas pouvoir couvrir les besoins journaliers en nourriture de tous les prêtres au tournant de notre ère. La disparition du Temple n’a pas dû favoriser la collecte des dîmes. Toutefois, elles subsistaient localement et au moins, elles restaient inscrites dans la Tora. Leur valeur spirituelle et symbolique marquait sans nul doute les privilèges des prêtres dans la société juive. En conséquence, les nombreuses bénédictions des tannaïm sur les dîmes ressemblent à une opération de récupération de cette valeur à leur profit. Les sages les auraient forgées en nombre pour transférer vers eux cette caractéristique du sacerdoce. Une telle idée transparaît aussi dans le débat sur la langue liturgique de récitation dans le traité mishnique Sota 7,1-9,15. Alors que la Tosefta ne justifie pas la récitation de certains textes, dont les bénédictions, dans « la langue sainte », la Mishna s’attarde longuement sur ce point en Sota 7,3-8,1 ; 9,1.6 4 6. On observe différentes justifications. Pour les prémices et le lévirat, la mention des lévites en récitation dans le texte biblique sert de justification (7,3-4) ; pour la récitation des bénédictions et des malédictions, le rôle rituel des prêtres et des lévites à l’occasion de la 42. E.P. Sanders , Judaism. Practice and Belief, 63 BCE-66 CE, Londres, 1992, p. 170-189. 43. 1 Chr 24,7-19 ; 4Q320-321a ; Flavius Josèphe, Antiquités Juives 7,365 ; m. Sukka 5,6. 44. Contre Apion 2,108. Voir la discussion de ce nombre en J.M.G. Barclay, Flavius Josephus. Translation and Commentary, S. M ason (ed.), 10. Against Apion, Leyde, 2007, p. 225-226, n. 385-386. 45. R.A. Kugler , « Priests », dans J.J. Collins – D.C. H arlow (ed.), The Eerdmans Dictionary of Early Judaism, Grand Rapids (Michigan), 2010, p. 1099. 46. Il y a une inversion par rapport à la liste entre la génisse à la nuque brisée et l’oint à la guerre.
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traversée du Jourdain est avancé (7,5) ; pour les bénédictions des prêtres et du grand-prêtre, la justification de la récitation en hébreu semble aller de soi, seules les conditions de la récitation sont envisagées : une triple bénédiction des prêtres dans les campagnes avec une gestuelle adaptée vers Dieu (7,6), la transmission du rouleau de la Tora entre le personnel de la synagogue jusqu’au grand-prêtre et le rappel de la récitation par cœur des huit bénédictions (7,7) ; pour le passage sur le roi, on observe la même transmission du rouleau de la Tora jusqu’à ce que le grand-prêtre le passe au roi, et l’imitation des bénédictions du grand-prêtre sur Israël par le roi (7,8) ; pour l’oint à la guerre, la citation du prêtre parlant au peuple avant la bataille justifie l’emploi de l’hébreu (8,1) ; pour la génisse à la nuque brisée, il n’est pas question de prêtres et de lévites au début du passage biblique mais d’anciens et de juges en Dt 21,2. Il faut attendre m. Sota 9,6 pour trouver mention des prêtres en citant Dt 21,5. L’inversion des cas envisagés par rapport à la liste initiale entre la génisse à la nuque brisée et l’oint à la guerre sert probablement à introduire finement l’idée d’un glissement de l’expertise sacerdotale vers l’expertise des sages. À cet égard, le passage biblique de la génisse à la nuque brisée justifie subrepticement cette idée en commençant par la mention des anciens et des juges. Le reste du chapitre 9 et du traité Sota rapporte longuement l’avis de prestigieux sages tannaïm et envisage la situation après la destruction du Temple de Jérusalem, afin d’entériner cette évolution et justifier la primauté de l’expertise des sages. Outre les débats sur la langue de récitation, il faut constater que les justifications pour l’usage de l’hébreu comme langue de récitation construisent sciemment une correspondance entre la conservation de l’hébreu et le sacerdoce. L’hébreu apparaît alors comme la langue des prêtres et des lévites que les sages ont repris à leur compte. Il s’agit encore d’un aspect de la « sacerdotalisation » du culte en faveur des sages. IV. La « sacerdotalisation », une stratégie de la « rabbinisation » Dès l’époque des tannaïm, les sages tentèrent de supplanter les prérogatives sacerdotales en matière législative et ils réussirent à se construire une expertise supérieure à celle des prêtres au fil du temps. Pour ce faire, les sages empruntèrent les procédures réservées alors aux prêtres pour déclarer le pur et l’impur. À la place du prêtre, on peut lire dans les écrits rabbiniques que c’est le sage qui agit ou qui a le dernier mot 47. Le procédé littéraire qui met en avant des textes législatifs plus anciens vise à transférer 47. Voir D. H amidović , « Au sujet de l’affaiblissement de l’autorité des prêtres en matière de jurisprudence dans le judaïsme ancien », Judaïsme ancien / Ancient Judaism 4 (2016), p. 79-104 ; S.D. Fraade , « Shifting From Priestly to Non-Priestly Legal Authority: A Comparison of the Damascus Document and the Midrash Sifra », dans S.D. Fraade (ed.), Legal Fictions. Studies of Law and Narrative inn
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l’autorité des prêtres aux sages. Un tel processus peut être compris comme une « sacerdotalisation » des sages. Si tel est le cas, on peut aussi se demander si cette « sacerdotalisation » ne correspond pas au même processus déjà repéré par Philip S. Alexander et nommé la « rabbinisation » 48. La différence ne serait qu’une question d’observation : le même phénomène serait nommé au point de départ ou au point d’arrivée. Dans le premier cas, il faudrait choisir la « sacerdotalisation » et dans le second cas, on parlerait de « rabbinisation ». Pourtant, je crois que les deux expressions ne sont pas synonymes, parce qu’elles ne décrivent pas exactement le même processus. La « sacerdotalisation » me semble davantage une sous-catégorie de la « rabbinisation ». En effet, de « rabbinisation », si je suis Philip S. Alexander, il est question pour toute la société juive ou presque, car elle intègre les préceptes des sages dans tous les aspects de la vie quotidienne. La « sacerdotalisation » me semble davantage correspondre à une des stratégies mises en œuvre par les sages pour prendre en main la vie juive. Les prêtres et les lévites, bien qu’ils perdurent durant les siècles, au moins par le nom, perdent bien leur emprise sur les Juifs à la chute du Temple en 70 de notre ère 49, alors qu’ils assumaient un leadership moral et éthique voire davantage. La disparition du Temple les a vidés rapidement de leur substance bien qu’ils tentèrent de préserver leur institution. Les sages ont utilisé leurs textes, leurs traditions, leur expertise pour fonder et légitimer la leur. Bien entendu, il ne s’agit qu’une de leurs stratégies à cette fin, mais elle semble consciente et consciencieusement construite à force de textes et de casuistique. Les savants ont déjà repéré ce processus de « sacerdotalisation » pour la halakha. En somme, la « rabbinisation » se définit comme un processus de diffusion dans la société juive, alors que la « sacerdotalisation » correspond à un processus de légitimation de l’autorité des sages. Ce dernier processus étant une des conditions préalables au premier. Ces quelques remarques visaient à compléter la nature de la « sacerdotalisation » des sages. Ainsi, il semble aussi exister un processus de « sacerdotalisation » dévolu au culte chez les sages tannaïm. Ceux-ci tentent d’accéder à Dieu par de nouvelles prières et de nouvelles bénédictions. Le processus n’est pas nouveau, car on le voit déjà à l’œuvre dans le judaïsme des derniers siècles avant notre ère, lorsque les groupes juifs non-sacerdotaux débattaient d’une participation accrue au culte. Les sages tannaïm semblent poursuivre ce processus ; leur latitude étant probablement plus the Discursive Worlds of Ancient Jewish Sectarians and Sages, Leyde, 2011, p. 193210. 48. P.S. A lexander , « What Happened to the Jewish Priesthood after 70? », dans Z. Rodgers – M. Daly-Denton – A. Fitzpatrick McK inkey (ed.), A Wandering Galilean. Essays in Honour of Seán Freyne, Leyde, 2009, p. 5-33. 49. S.A. Cohen, The Three Crowns. Structures of Communal Politics in Early Rabbinic Jewry, Cambridge, 1990, p. 158, estime que les prêtres « certainly continued to constitute a communal force of some power and cohesion ».
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grande après la disparition du Temple de Jérusalem. Parmi les modalités choisies par les sages, on a observé la rédaction et l’emploi de nouvelles bénédictions dans la liturgie. Cet exemple n’est certes pas unique et généralisable, car d’autres procédés sont à l’œuvre dans d’autres pans de la liturgie 50. Les bénédictions des sages tannaïm attestent le choix d’utiliser un hébreu biblique vierge de mots araméens, grecs et latins et de citer la Bible hébraïque selon différentes modalités. Ces choix littéraires ne sont pas neutres : ils servent à légitimer et renforcer l’autorité des bénédictions nouvellement créées. Ainsi, les sages, qui en sont les rédacteurs, se parent eux aussi d’une nouvelle autorité assise sur le culte. On sait que ces bénédictions rythment la vie liturgique quotidienne des Juifs, elles sont donc un instrument privilégié pour la « rabbinisation ». Derrière le processus de « sacerdotalisation » de la halakha et du culte, les sages tannaïm cherchent-ils à construire le concept de sacré dans le judaïsme rabbinique comme le font à la même époque les Pères apostoliques dans le christianisme naissant ? Sans parler de la « sacerdotalisation » du Christ sans comparaison possible dans les écrits des tannaïm, la communauté des croyants dans le judaïsme rabbinique n’est pas construite, me semble-t-il, avec une « sacerdotalisation » à lire les écrits rabbiniques, alors que la communauté des fidèles connaît une « sacerdotalisation » dans quelques milieux chrétiens. L’explication de cette différence se lit fréquemment dans les écrits rabbiniques : c’est la conscience demeurée d’être le peuple élu malgré les soubresauts de l’histoire juive dans les premiers siècles de notre ère en Palestine. L’affirmation sacerdotale de la communauté des premiers chrétiens conserve, toutefois, cet argument, comme on l’a lu par exemple en 1 Pierre 2,9 : « une famille élue » avant la dénomination d’un « sacerdoce royal ». La « sacerdotalisation » dans les écrits tannaïtiques ne comporte pas cette affirmation d’une communauté de croyants comme un sacerdoce, à ma connaissance. On pourrait expliquer cette différence par la tendance de certains milieux proto-chrétiens à transmettre le caractère sacerdotal du Christ et par extension de sa communauté, mais on a relevé que l’attribution du sacerdoce à la communauté existait antérieurement dans le judaïsme comme on l’a dit en introduction. Les sages tannaïm ne semblent pas considérer ce motif pourtant ancien du sacerdoce de la communauté, ou du moins pas directement. En effet, les sages tannaïm semblent s’inscrire à la suite de la position pharisienne qui veut faire des Juifs non seulement des participants au culte mais des acteurs de celui-ci. L’écriture de nouvelles prières et de nouvelles bénédictions participe à un lien plus direct à Dieu sans emphase particulière pour la sainteté ou le sacerdoce de la communauté. La sacralité qui découle de la 50. On pense par exemple aux targums, voir P.V.M. Flesher – B. Chilton, The Targums. A Critical Introduction, Waco (Texas), 2011, p. 285-324.
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« sacerdotalisation » des prières et des bénédictions échoit à la liturgie ; la communauté quant à elle reste construite sur le concept d’élection. Les Pères apostoliques façonnèrent une hiérarchie sacrée pour l’Église, alors que les sages tannaïm s’effacèrent derrière les débats casuistiques et la primauté de l’étude. Les sages voulaient reprendre à leur compte les prérogatives sacerdotales par de multiples procédés – nous en avons aperçu quelques-uns – et se construisent ainsi l’image d’une expertise héritée. L’étude de la Tora l’emporte clairement sur l’ascendance sacerdotale pour les sages. En lien avec ce que nous avons dit sur les bénédictions des dîmes, le traité du Talmud de Jérusalem Ma‘aser šeni 5,5 (56b) ne laisse aucun doute : « R. Yonah donna sa dîme à R. Acha b. Ulla, pas parce qu’il était prêtre mais parce qu’il était instruit dans la Tora » 51. Plus tôt, la Mishna porte déjà cette idée d’une prééminence de l’étude de la Tora sur le statut sacerdotal dans le traité Horayot 3,8 selon une veine caricaturale : le mamzer (bâtard), disciple des sages, a la précellence sur un grand prêtre ignare. Les générations suivantes de sages confirmèrent aussi clairement cette vue rabbinique sur les prêtres. Si ces derniers gardent un prestige hérité, traditionnel, comme on le lit en maintes occasions pour les sages d’extraction sacerdotale 52 , les sages affirment sans ambiguïté leur primauté. Contrairement à la hiérarchie chrétienne contemporaine qui se met en place progressivement, les sages tannaïm ne revendiquent pas une sacralité. Ils mettent en avant l’étude de la Tora et la jurisprudence qui en découle, c’est-à-dire leur expertise. Pour conclure, alors que les Pères de l’Église modèlent les contours de la sacralité pour affirmer l’autorité de la hiérarchie naissante, les sages tannaïm se préoccupent de construire leur légitimité en tant qu’experts de la technè pour aussi affirmer leur autorité dans la société juive. Cette idée, toutefois, est à nuancer par le projet des patriarches de Sepphoris et probablement de quelques sages qui cherchent d’autres voies de légitimation plus personnelle 53.
51. Voir aussi 2 Chr 31,4. 52. Pour un résumé, voir C. H ezser , The Social Structure of the Rabbinic Movement in Roman Palestine, Tübingen, 1997, p. 267-269. 53. Voir C. H ezser , The Social Structure of the Rabbinic Movement in Roman Palestine, Tübingen, 1997, p. 405-449, et en dernier lieu, J. Costa, « Entre judaïsme rabbinique et judaïsme sacerdotal : la figure du patriarche », Judaïsme ancien / Ancient Judaïsm 1 (2013), p. 63-128.
« S’IL N’Y A PAS DE PATRIARCHE, IL NE DOIT PAS SE LEVER, MÊME DEVANT LE SANHÉDRIN ». L’APOTHÉOSE DU YORED MERKAVAH AU Ve SIÈCLE DE NOTRE ÈRE* Pierluigi Piovanelli Université d ’Ottawa – EPHE, Paris
Abstract A new look at the various texts, intertexts, and contexts of the Hekhalot Rabbati, or “Greater (Treatise) of the Palaces,” confirms the late-antique, SyroPalestinian origins of this collection of mystical traditions attributed to Rabbi Ishmael ben Elisha. Especially relevant are the parallels shared with the Vision of Dorotheus, a Christian poem written in the second half of the fourth century, as well as the references to Hekhalot themes found in a recently published piyyut. The different sections of the Hekhalot Rabbati can be dated on linguistic grounds to the fourth-fifth and the sixth-seventh centuries. As for its manuscript tradition, an examination of the gedullah hymns (§§ 81-86 and 91-93) exalting the “grandeur” of the practitioners of Merkavah mysticism confirms the excellence of manuscripts V, from Byzantium, and L, from Italy. A possible reference to the expiration of the patriarchal office with the death of Rabban Gamaliel VI, around 425, could shed a new light on the socio-religious role those mystics were called to play. Résumé Un réexamen des textes, des intertextes et des contextes des Hekhalot Rabbati, ou « Grand (traité) des palais », permet de confirmer la provenance syro-palestinienne tardo-antique de ce recueil de traditions mystiques attribuées à Rabbi Išmaël ben Eliša. Particulièrement significatifs se révèlent les parallèles partagés avec la Vision de Dorothéos, un poème chrétien de la seconde moitié du iv e siècle, et les renvois à des thèmes hekhalotiques découverts dans un piyyout récemment publié, tandis que la langue hébraïque des différentes couches rédactionnelles des Hekhalot Rabbati permettrait de les dater aux IVe-Ve et aux VIe* Nous remercions les organisateurs et les participants au colloque pour leurs réactions et leurs commentaires, comme toujours stimulants. Nous tenons à exprimer aussi notre gratitude à James R. Davila et Noam Mizrahi pour l’assistance que, en dépit des milliers de kilomètres qui nous séparent, ils nous ont généreusement prêtée. La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 143-165. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115529 ©
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VIIe siècles. En ce qui concerne la tradition manuscrite, l ’examen des hymnes de la gedullah (§§ 81-86 et 91-93), exaltant la « grandeur » des mystiques qui s’adonnent à la contemplation de la Merkavah, confirme la prééminence du manuscrit V, d’origine byzantine, et de son associé L, de provenance italienne. Une référence possible à la disparition de la fonction patriarcale, à la suite de la mort de Rabban Gamaliel VI, autour de 425, serait un indice précieux pour comprendre le nouveau rôle socioreligieux auquel ces mystiques auraient été appelés.
Le texte hébraïque communément connu sous le titre de Hekhalot Rabbati, ou les « Grands palais », est un recueil de traditions mystiques que le célèbre tannaïte Išmaël ben Eliša aurait reçues soit directement, par révélation angélique, soit indirectement, de la bouche de son maître Rabbi Neḥounya ben ha-Qanah, voire de celle de son collègue Rabbi Aqiva 1. Les Hekhalot Rabbati s’ouvrent sur une célébration de la gedul1. Le texte des Hekhalot Rabbati a été publié à trois reprises, mais, malheureusement, jamais de façon tout à fait satisfaisante. L’édition qui sert aujourd’hui de référence (après celles d’A. Jellinek , Bet ha-Midrasch. Sammlung kleiner Midraschim und vermischter Abhandlungen aus der ältern jüdischen Literatur. I-VI, Leipzig – Vienne, 1853-1877, vol. III, p. xx–xxv, 83-108, réimprimée par J.D. Eisenstein, Ozar Midrashim. A Library of Two Hundred Minor Midrashim, New York, 1915, p. 111-122, et de Sh.A. Wertheimer – A.J. Wertheimer , Batei Midrashot. TwentyFive Midrashim Published for the First Time from Manuscripts Discovered in the Genizoth of Jerusalem and Egypt. I-II, Jérusalem, 1951-1954 2 , vol. I, p. 63-136) est celle, certes, fort utile de P. Schäfer et collaborateurs, Synopse zur HekhalotLiteratur, Tübingen, 1981, p. 40-143 (§§ 81-334), reproduisant de façon diplomatique le texte de sept manuscrits médiévaux et modernes en colonnes parallèles (les limites d’une telle pratique éditoriale seront exposées plus loin). Sept fragments provenant de la Guenizah de la synagogue Ben Ezra du Vieux Caire ont été publiés aussi par P. Schäfer , Geniza-Fragmente zur Hekhalot-Literatur, Tübingen, 1984, p. 9-85 (G1-G6) ; P. Schäfer , « Ein neues Hekhalot Rabbati-Fragment », dans P. Schäfer , Hekhalot-Studien, Tübingen, 1988, p. 96-103 (GO). À ces publications il faut ajouter P. Schäfer et collaborateurs, Konkordanz zur Hekhalot-Literatur. I-II, Tübingen, 1986-1988, et P. Schäfer et collaborateurs, Übersetzung der Hekhalot-Literatur. I-IV, Tübingen, 1987-1995 (le vol. II contenant la traduction allemande des §§ 81-334). Parmi les traductions antérieures, mentionnons celle en italien d’A. R avenna – E. P iattelli, Cabbala ebraica. I sette santuari (Hekhalot), Turin, 1964, p. 49-118 (d’après la réédition d’Eisenstein), et celle en anglais de M. Smith (corrigée par G. Scholem), Hekhalot Rabbati. The Greater Treatise Concerning the Palaces of Heaven, publiée en ligne par D. K arr en 1995, 2009, et avec de nouvelles corrections, en 2013, 2015 (http://www.digital-brilliance. com/contributed/Karr/HekRab/HekRab.pdf, d’après le manuscrit atypique N). Une excellente traduction critique en anglais vient d’être publiée par J.R. Davila, Hekhalot Literature in Translation. Major Texts of Merkavah Mysticism, Leyde, 2013, p. 37-157 (Hekhalot Rabbati, §§ 81-121, 152-173, 189-277) et 159-185 (Śar Torah, « Prince de la Torah », §§ 281-306). Pour une introduction à la littérature hekhalotique, voir R.S. Boustan, « The Study of Heikhalot Literature: Between Mystical Experience and Textual Artifact », Currents in Biblical Research 6 (2007),
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lah, la « grandeur » quasi messianique du yored Merkavah, le mystique qui sait comment « descendre » de façon appropriée et sans heurts auprès du trône divin (§§ 81-86+91-93 de la Synopse de Peter Schäfer). Suit une série d’hymnes dits de la qeddušah, qui se terminent par le Trisagion d’Isaïe 6,3 et qui sont à réciter lors de l’ascension au ciel (§§ 94-106). Les pouvoirs extraordinaires de celui qui s’adonne à ce type d’expérience mystique sont démontrés aussi par la célèbre « Histoire des dix martyrs », dix Sages illustres qui auraient dû être exécutés par Lupinus, un empereur romain imaginaire, mais qui parviennent, grâce aux conseils de Rabbi Išmaël, non seulement à s’échapper, mais aussi à mettre à mort leur persécuteur et ses acolytes (§§ 107-121). Suivent d’autres hymnes censées retranscrire le chant et les prières des anges exaltant la « sainteté » absolue de la Divinité (§§ 152-169), dont il est primordial d’apprendre la teneur car l’adoration au ciel et la liturgie terrestre sont intimement liées (§§ 170-174+189-197). La partie finale du recueil consiste en un récit d’ascension au ciel effectuée par Rabbi Neḥounya ben ha-Qanah, apparemment en esprit, dans l’enceinte même du Temple de Jérusalem et en présence de ses disciples, de ses collègues et de tous les membres des deux Sanhédrins réunis (§§ 198259), avant qu’une dernière série d’hymnes (§§ 268-276) et une méditation sur les noms de l’ange Métatron (§ 277) n’achèvent le récit 2 . L’un des traits les plus caractéristiques de la littérature tardo-antique des Hekhalot, en général, et des Hekhalot Rabbati, en particulier, est, sans contexte, le halo sacerdotal qui entoure le yored Merkavah, le mystique en quête de la vision du trône divin, et cela à commencer par le père putatif d’une telle pratique, le « grand prêtre » Išmaël ben Eliša. D’un côté, le couronnement d’une telle expérience est la transformation angélique du visionnaire, ce qui rend possible sa participation au culte dans le temple qui est au ciel, de l’autre, les connaissances qu’il reçoit en haut – puisqu’il est censé « assister à ce qui se passe devant le trône de Gloire » (§ 81), nous pourrions parler de unio iuridica atque liturgica ! –, en font, ici-bas, un personnage tout à fait remarquable, doté d’un grand charisme, appelé à jouer un rôle social et religieux non négligeable. Je suis persuadé que ce transfert des prérogatives sacerdotales correspond à un essai de légitimer, à l’intérieur des communautés où résident les mystiques de la Merkavah, de nouvelles figures d’autorité, toute la question étant, à mon sens, celle du p. 130-160, et pour une bibliographie en ligne, constamment mise à jour, voir D. K arr , « Notes on the Study of Merkabah Mysticism and Hekhalot Literature in English (with an Appendix on Jewish Magic) » (http://www.digital-brilliance.com/ contributed/Karr/Biblios/mmhie.pdf). 2. Nous partageons l’avis de J.R. Davila, « Prolegomena to a Critical Edition of the Hekhalot Rabbati », Journal of Jewish Studies 45 (1994), p. 208-226 (216-217), et d’autres spécialistes, pour lesquels le texte du Śar Torah (§§ 281-306), copié dans plusieurs manuscrits à la suite des Hekhalot Rabbati (mais séparé par un colophon dans le manuscrit V), constitue, en réalité, un ajout secondaire.
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contexte historique où situer une telle tentative. Faut-il y voir la réémergence d’un courant d’origine réellement sacerdotale, un lointain héritier des esséniens de l’époque du Second Temple 3 ? S’agit-il de l’œuvre de certains mystiques ayant partie liée avec les institutions synagogales et, dans ce cas, en concurrence peut-être avec les tenants d’une approche davantage « scolastique » du judaïsme ? Sommes-nous en présence d’un phénomène d’origine syro-palestinienne ou mésopotamienne, datant de l’Antiquité tardive ou du Haut Moyen Âge ? Quelques découvertes et quelques études récentes devraient nous permettre d’apporter ne fût-ce qu’un début de réponse à ces questions et à bien d’autres encore du même genre. Signalons, d’abord, trois ouvrages d’envergure parus en 2013, à savoir, les actes de la conférence internationale qui s’était tenue à Princeton, du 14 au 16 novembre 2010, édités par Ra‘anan S. Boustan, Martha Himmelfarb et Peter Schäfer, entièrement consacrée à l’étude du contexte historique de la littérature hekhalotique et au sous-titre si éloquent de « entre Byzance et Babylone » 4 ; ensuite, les deux volumes de la Festschrift en l’honneur de Peter Schäfer édités par ses élèves Ra‘anan S. Boustan, Klaus Herrmann, Reimund Leicht, Annette Yoshiko Reed et Giuseppe Veltri 5 ; et enfin, la remarquable anthologie des textes les plus significatifs du mysticisme de la Merkavah en traduction anglaise publiée par James R. Davila 6. Nous aurons l’occasion, dans ce qui suit, de faire aussi référence à d’autres contributions plus ponctuelles 7.
3. Ainsi, par exemple, R. Elior , The Three Temples. On the Emergence of Jewish Mysticism (trad. D. L ouvish), Oxford – Portland (Oregon), 2004 ; R. Elior , « Early Forms of Jewish Mysticism », dans S.T. K atz (ed.), The Cambridge History of Judaism. 4. The Late Roman-Rabbinic Period, Cambridge, 2006, p. 749-791 ; R. Elior , Jewish Mysticism. The Infinite Expression of Freedom (trad. Y. Nave – A.B. M illman), Oxford – Portland (Oregon ), 2007. 4. R.S. Boustan – M. Himmelfarb – P. Schäfer (ed.), Hekhalot Literature in Context. Between Byzantium and Babylonia, Tübingen, 2013, recensé par D. H amidovic , dans Judaïsme ancien / Ancient Judaism 3 (2015), p. 376-383. 5. R.S. Boustan – K. H errmann – R. L eicht – A.Y. R eed – G. Veltri (ed.), Envisioning Judaism. Studies in Honor of Peter Schäfer on the Occasion of His Seventieth Birthday. I-II, Tübingen, 2013. 6. J.R. Davila, Hekhalot Literature in Translation. Major Texts of Merkavah Mysticism, Leyde, 2013. 7. Sans oublier la seconde édition, entièrement révisée, d’I. Gruenwald, Apocalyptic and Merkavah Mysticism, Leyde, 2014. Sur la vexata quaestio des rapports entre l’apocalyptique du Second Temple et la mystique juive de l’Antiquité tardive, qui a fait aussi l’objet du huitième Enoch Seminar, organisé par Lorenzo DiTommaso, Daniel Boyarin et Elliot Wolfson à Gazzada (Varèse), du 21 au 26 juin 2015, voir maintenant la mise au point de R.S. Boustan – P.G. McCullough, « Apocalyptic Literature and the Study of Early Jewish Mysticism », dans J.J. Collins (ed.), The Oxford Handbook of Apocalyptic Literature, New York – Oxford, 2014, p. 85-103.
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Dans un premier temps, j’aimerais revenir sur des témoignages pour ainsi dire « externes », qui tendent à démontrer, de façon certes indirecte, mais néanmoins éloquente, que des expériences et des récits de type hekhalotique ont eu cours ne fût-ce que dans des milieux prophétiques chrétiens de la région d’Antioche depuis le début du II e jusqu’à la fin du IVe siècle. J’aimerais donc préciser et compléter les réflexions que m’avait inspirées, à l’occasion d’un colloque organisé en 2011 à Paris par Simon C. Mimouni, Madeleine Scopello et Arnaud Sérandour, la réfutation posthume des thèses de Gershom Scholem opérée par Peter Schäfer dans sa monographie consacrée à The Origins of Jewish Mysticism, parue en 2009 8. Sans aucune prétention de vouloir identifier une chaine de transmission ésotérique particulière allant de l’époque du Second Temple jusqu’à l’Antiquité tardive, j’avais cru pouvoir mettre en évidence une série de témoignages – tirés du Livre des veilleurs hénochique (1er Hénoch 1-36), des Extraits de Théodote de Clément d’Alexandrie, du poème chrétien intitulé Vision de Dorothéos (Papyrus Bodmer XXIX, publié en 1984), et de la révélation de l’ange Ozḥayah à Rabbi Išmaël dans le Sceau de la Merkavah (le fragment G8 des Geniza-Fragmente) – qui constituent la preuve la plus significative de l’existence et de la persistance d’une pratique mystique, très probablement multiforme et variée, dans le judaïsme ancien 9. Deux ans plus tard, à l’occasion d’un autre colloque organisé, cette fois-ci à Regensburg, par Jan N. Bremmer et Tobias Nicklas, j’ai proposé une lecture en clé hekhalotique de l’Ascension d’Isaïe (le célèbre texte pseudépigraphique composé par un groupe de prophètes juifs chrétiens apparemment en conflit avec la hiérarchie émergente de l’Église d’Antioche), non seulement du récit de l’ascension d’Isaïe à travers les sept cieux, dans la seconde partie de l’ouvrage (chapitres 6-11), mais aussi de l’épisode initial qui retrace la persécution et le martyre du prophète (chapitres 1-5). Et de conclure qu’en dépit de leurs différences, indéniables, certes, mais à situer davantage au niveau de certains choix narratifs et options théologiques, les similitudes structurelles, cosmologiques et socioreligieuses que l’Ascension d’Isaïe partage avec les Hekhalot Rabbati et autres écrits mystiques apparentés, en font le premier et le plus ancien des textes hekhalotiques 10. Des considérations analogues s’appliquent aussi à la Vision de Dorothéos, ce poème en hexamètres homériques relatant le rêve bizarre d’un certain 8. P. Schäfer , The Origins of Jewish Mysticism, Tübingen, 2009, recensé par J.R. Davila, dans Dead Sea Discoveries 19 (2012), p. 107-132. 9. P. P iovanelli, « Pratiques rituelles ou exégèse scripturaire ? Origines et nature de la mystique de la Merkava », dans S.C. M imouni – M. Scopello (ed.), Mystique théorétique et théurgique dans l ’Antiquité gréco-romaine. Judaïsmes et christianismes, Turnhout, 2016, p. 281-302. 10. P. P iovanelli, « “A Door into an Alien World”: Reading the Ascension of Isaiah as a Jewish Mystical Text », dans J.N. Bremmer – T.R. K armann – T. Nicklas (ed.), The Ascension of Isaiah, Louvain, 2015, p. 119-144.
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Dorothéos qui, enrôlé dans un groupe de fonctionnaires angéliques en tant que « novice » (tírōn, v. 43), d’abord, et « portier » (ostiários, v. 131), ensuite, du palais du Seigneur, se rend coupable de toutes sortes de négligences professionnelles, ce qui lui vaut d’être fouetté jusqu’à ce que ses « os dénudés ne soient visibles » et qu’il n’ait « plus la force de tenir debout » (v. 143-153), avant de reprendre son poste devant la porte du palais et, une fois lavé de son sang, de recevoir le baptême des mains du Christ (?), ainsi que le nouveau prénom d’André, afin de souligner le don divin de sa « foi » nouvelle et sa « vaillance » (andreía, v. 208-231). Loin de s’agir de la parodie d’une apocalypse gnostique, nous avons plus probablement ici affaire à la réécriture en vers de l’expérience onirique réellement vécue par – ou simplement attribuée à – l’une des premières victimes illustres de la persécution de Dioclétien, un haut fonctionnaire (peut-être l’un des « puissants eunuques » mentionnés par Lactance) martyrisé à Nicomédie, avec son collègue Gorgon et d’autres membres de la « famille impériale », en 304 11. D’après le récit de la Vision, Dorothéos aurait été apparemment récalcitrant face au martyre et aurait eu besoin d’un rêve prémonitoire comparable à celui de Perpétue de Carthage afin d’accepter vaillamment son destin. En dépit de son étrangeté et de sa cruauté, plus apparente que réelle, les expériences vécues aux portes et dans les couloirs du palais céleste ont, une fois de plus, des répercussions hautement significatives icibas, au point d’apporter le réconfort à ceux qui doutent peut-être de la légitimité de leur engagement. À noter aussi qu’au-delà des parallèles évidents avec les Hekhalot Rabbati et les traditions au sujet de la flagellation d’Hénoch-Métatron, la Vision de Dorothéos et la littérature des Hekhalot partagent aussi une perception semblable de la haute administration impériale qu’ils n’hésitent pas à transposer au ciel. Dans le cas de la Vision de Dorothéos, la titulature des fonctionnaires impériaux correspondrait, pour Jan N. Bremmer, très exactement à celle en vigueur sous le règne de Valentinien Ier (364-375) 12 . 11. D’après Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique VIII,1 et 6, tandis que Lactance, De la mort des persécuteurs 14-15, ne donne pas le noms des victimes. La notice d’Eusèbe a été ensuite reprise, entre autres, par Jacques de Voragine dans sa Légende dorée (« Gorgon et Dorothée, qui étaient les premiers dans le palais de Dioclétien à Nicomédie… »), voire même, de façon nettement moins hagiographique, par Voltaire, au chapitre XIV de son Histoire de l ’établissement du christianisme, publiée en 1777 (« Dioclétien favorisa les chrétiens ouvertement pendant près de vingt années. Il leur ouvrit son palais ; ses principaux officiers, Gorgonius, Dorothéos, Migdon, Mardon, Pétra, étaient chrétiens… »). 12. J.N. Bremmer , « An Imperial Palace Guard in Heaven: The Date of the Vision of Dorotheus », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 75 (1988), p. 82-88 ; J.N. Bremmer , « The Vision of Dorotheus », dans J. den Boeft – A. Hilhorst (ed.), Early Christian Poetry. A Collection of Essays, Leyde, 1993, p. 253-261 ; J.N. Bremmer , The Rise and Fall of the Afterlife. The 1995 Read-Tuckwell Lectures at the University of Bristol, Londres – New York, 2002, p. 128-133
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Un troisième témoignage indirect, tout aussi, voire encore plus éloquent, vient d’être publié, en 2009, par Michael Rand : il s’agit d’un piyyout, un poème liturgique, copié dans le manuscrit 8190 du Jewish Theological Seminary of America, où l’on peut lire, entre autres, « Avec joie tu as créé (ô Seigneur) / Sept palais pour toi-même / Et pour chaque palais / Leur contenu est connu / Tu as placé leurs portes / Et tu as choisi des gardes / Et un sceau à montrer / À chacune de ces gardes » (lignes 59-60) 13. La portée exceptionnelle d’une telle découverte n’a pas échappé à Michael D. Swartz, qui estime, avec raison, que les renvois à des thèmes hekhalotiques présents dans ce piyyout constituent « la preuve de loin la meilleure de la présence en Palestine, au Ve ou au VI e siècle, d’un paytan préclassique ayant une certaine familiarité avec le modèle de récit d’ascension (au ciel) utilisé dans la littérature des Hekhalot » 14 . Une proximité poétique qui ne devrait pas étonner, car l’intérêt porté à la liturgie par les textes hekhalotiques est, comme nous l’avons vu dans le cas des Hekhalot Rabbati, considérable et les sources d’inspiration qu’ils peuvent offrir aux auteurs de piyyoutim, sont inépuisables. Si ce nouveau témoignage semble pointer dans la direction de la Palestine de l’Antiquité tardive, d’autres éléments, de nature, cette fois-ci, interne, pourraient nous en éloigner, dans le temps et dans l’espace. Je pense à une nouvelle étude fort bien documentée de l’état de la langue hébraïque utilisée dans les textes hekhalotiques – à savoir, s’il est possible de déterminer et 184-186. En ce qui concerne la littérature hekhalotique, une étude comparée de l’étiquette de la cour divine ici décrite et de celle des cours impériales historiques romaine et perse a amené P.S. A lexander , « The Family of Caesar and the Family of God: The Image of the Emperor in the Heikhalot Literature », dans L. A lexander (ed.), Images of Empire, Sheffield, 1991, p. 276-297 (288-295), à suggérer une date postérieure aux réformes de Dioclétien pour les structures bureaucratiques qui ont laissé leur marque sur les textes les plus anciens des Hekhalot. Signalons aussi que la question de la présence éventuelle, dans la littérature pseudo-clémentine, de traditions inspirées par la mystique juive a été réexaminée par D. Côté , « La forme de Dieu dans les Homélies pseudo-clémentines et la notion de Shiur Qomah », dans G. A ragione – R. Gounelle (ed.), « Soyez des changeurs avisés ». Controverses exégétiques dans la littérature apocryphe chrétienne, Strasbourg, 2012, p. 69-94 ; A.Y. R eed, « Rethinking (Jewish-)Christian Evidence for Jewish Mysticism », dans R.S. Boustan – M. Himmelfarb – P. Schäfer (ed.), Hekhalot Literature in Context. Between Byzantium and Babylonia, Tübingen, 2013, p. 349-377. 13. M. R and, « More on the Seder Beriyot », The Jewish Studies Quarterly 16 (2009), p. 183-209. 14. M.D. Swartz , « Piyut and Heikhalot: Recent Research and Its Implications for the History of Ancient Jewish Liturgy and Mysticism », dans D.R. Blank (ed.), The Experience of Jewish Liturgy. Studies Dedicated to Menahem Schmelzer, Leyde, 2011, p. 263-281 (277, nous traduisons). Voir aussi M.D. Swartz , « Hekhalot and Piyyut: From Byzantium to Babylon and Back », dans R.S. Boustan – M. Himmelfarb – P. S chäfer (ed.), Hekhalot Literature in Context. Between Byzantium and Babylonia, Tübingen, 2013, p. 41-64.
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s’il s’agit d’un hébreu mishnique plutôt ancien ou plutôt tardif – menée par Noam Mizrahi, qui s’est intéressé à la distribution dans ces textes des deux formes du pluriel du pronom démonstratif déictique de proximité, la forme plus archaïque ellû versus celle plus récente hallelû, « ceux-ci ». Il se trouve que les deux formes en question ont à peu près les mêmes droits de citoyenneté dans la littérature des Hekhalot, ce qui ferait penser à une phase plutôt tardive de la langue, que Mizrahi qualifie de post-talmudique 15. Toutefois, force est de constater que le lexique des Hekhalot ne comporte qu’un nombre très limité des innovations caractéristiques de l’hébreu mishnique tardif et gaonique. Ainsi, par exemple, parmi les phénomènes mis en évidence par Yochanan Breuer – tels que l’évolution de l’expression tannaïtique bi-maqôm, « dans un lieu, en présence de », acquérant la signification nouvelle de « au lieu de » en hébreu amoraïque ; la position de l’adverbe harbeh, « beaucoup de », généralement après le substantif en hébreu tannaïtique, mais le précédant lorsque le groupe nominal commence la phrase en hébreu amoraïque ; et même l’utilisation du verbe biqqeš, en hébreu gaonique, à la place de ša’al, dans le sens de « poser une question » 16 – toutes ces innovations ne figurent généralement pas, ou très peu, dans le vocabulaire des Hekhalot, bi-maqôm signifiant régulièrement « à l’endroit où » (par exemple, §§ 166 et 499) et harbeh suivant quatre fois le substantif auquel il se réfère (§§ 162, 686, 763 et 880) et une fois, exceptionnellement, le précédant en position rhétoriquement forte : « beaucoup de difficultés (harbeh ṣarôt) Tu nous as imposées » (§ 282). Un tel constat semble, à mon sens, confirmer les conclusions de Yael Zelikovich-Nadav qui, dans une thèse de maîtrise dirigée par Gershom Scholem, soutenue en 1953 à l’Université hébraïque de Jérusalem, proposait de localiser la langue du noyau originel des Hekhalot Rabbati en Palestine, entre le IVe et le VI e siècle 17, des conclusions reprises et précisées, à son tour, sur une base comparative lexicale et phraséologique plus exhaus15. N. M izrahi, « The Language of Hekhalot Literature: Preliminary Observations », dans R.S. Boustan – M. Himmelfarb – P. Schäfer (ed.), Hekhalot Literature in Context. Between Byzantium and Babylonia, Tübingen, 2013, p. 3-28. Voir aussi N. M izrahi, « Hekhalot », dans G. K han (ed.), Encyclopedia of Hebrew Language and Linguistics. I-IV, Leyde, 2013, vol. II, p. 204-207. 16. Voir tout spécialement Y. Breuer , « Innovations lexicales dans l’hébreu amoraïque », Leshonenu 69 (2007), p. 51-86 (hébreu) ; Y. Breuer , « Changements lexicaux pendant la période mishnique », Leshonenu 69 (2007), p. 227-241 (hébreu) ; Y. Breuer , « Ancien et tardif en hébreu mishnique : Le changement des expressions temporales en expressions causales », dans A. M aman – S.E. Fassberg – Y. Breuer (ed.), Sha‘arei Lashon. Studies in Hebrew, Aramaic, and Jewish Languages Presented to Moshe Bar-Asher. I-III, Jérusalem, 2007, vol. III, p. 62-81 (hébreu) ; Y. Breuer , « Innovations in the Hebrew of the Amoraic Period », Materia giudaica 12 (2007), p. 83-88. 17. Y. Zelikovich-Nadal , Particularités linguistiques dans le livre des « Hekhalot Rabbati », Jérusalem, 1953 (hébreu). Nous tenons à exprimer toute notre gratitude à Noam Mizrahi pour nous avoir fait parvenir une copie PDF de cette thèse,
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tive, par Yaron Zini, dans une thèse de doctorat réalisée sous la direction de Rachel Elior et Moshe Bar-Asher, soutenue en 2012 dans la même institution 18. De l’avis de Yaron Zini, en effet, les textes hekhalotiques sont le résultat d’un processus éditorial long et complexe, s’échelonnant sur plusieurs siècles et intéressant plusieurs aires géographiques et culturelles (depuis la Palestine byzantine et la Babylonie gaonique jusqu’au monde aškénaze de la vallée du Rhin), comparable à celui qui a présidé à la formation de la littérature des midrašim réunis dans le corpus Tanhuma-Yelammedenu 19. Yaron Zini identifie ainsi, à l’intérieur des Hekhalot Rabbati, des parties plus anciennes (essentiellement, la majorité des hymnes liturgiques, §§ 94-106, 152-196, 269-277, et les instructions pour l’ascension au ciel, §§ 204-223, 229-236, 241-259), dont la langue « ne devrait pas être datée avant l’hébreu amoraïque » 20, ce qui, dans le contexte palestinien d’origine qui était le leur, correspond aux IVe-Ve siècles, et des parties plus récentes (tous les passages mettant en scène Išmaël ben Eliša et Neḥounya ben haQanah, à savoir, les hymnes de la gedullah, §§ 81-86, 91-93, l’« Histoire des dix martyrs », §§ 107-121, et tous les éléments qui forment le cadre narratif du récit actuel de l’ascension au ciel, §§ 198-203, 224-228, 237-240), dont la langue correspondrait à l’hébreu gaonique, certes, mais de Palestine, et donc des VI e-VII e siècles. « Il s’ensuit que la plus grande partie de la macroforme Hekhalot Rabbati a été créée en Palestine, de façon approximative, entre l’époque byzantine et le début de la période musulmane » 21. tirée de l’exemplaire personnel de Gershom Scholem, annoté de sa propre main, ainsi que de celle de Yaron Zini, citée à la note suivante. 18. Y. Zini, Le lexique et la phraséologie des Hekhalot Rabbati, Jérusalem, 2012 (hébreu). 19. Réexaminé par M. Bregman, The Tanhuma-Yelammedenu Literature. Studies in the Evolution of the Versions, Piscataway (New Jersey), 2003 (publication de sa thèse doctorale, soutenue en 1991). 20. Y. Zini, Le lexique et la phraséologie des Hekhalot Rabbati, Jérusalem, 2012 (hébreu), p. 3 du résumé en anglais (nous traduisons, soulignement dans l’original). 21. Y. Zini, Le lexique et la phraséologie des Hekhalot Rabbati, Jérusalem, 2012 (hébreu), p. 13 du résumé en anglais (nous traduisons, soulignement dans l’original). Yaron Zini prend, ici, délibérément le contrepied de R.S. Boustan, From Martyr to Mystic. Rabbinic Martyrology and the Making of Merkavah Mysticism, Tübingen, 2005, et R.S. Boustan, « Immolating Emperors: Spectacles of Imperial Suffering and the Making of a Jewish Minority Culture in Late Antiquity », Biblical Interpretation 17 (2009), p. 207-238 (231-237), pour qui l’édition actuelle des Hekhalot Rabbati, avec la mise en forme de l’« Histoire des dix martyrs » (§§ 107113+117-121) et de l’« Ascension de Neḥounya ben ha-Qanah » (§§ 198-259), aurait été réalisée dans la Babylonie du VIII e ou du IX e siècle, un milieu d’origine pour lequel penchent aussi P. Schäfer et collaborateurs, Übersetzung der Hekhalot-Literatur. II, Tübingen, 1987, p. xx-xxv. Notons aussi, à ce propos, que le débat sur le milieu d’origine d’un autre texte hekhalotique majeur, le Sefer Hekhalot ou 3e Hénoch, a pris récemment l’allure d’une polémique assez vive entre, d’un côté, ceux et celles qui, comme Daniel Boyarin, souscrivent à une provenance palestinienne et
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Quoi qu’il en soit, Noam Mizrahi nous rappelle aussi, avec raison, que, compte tenu de la nature relativement tardive de la tradition manuscrite des textes hekhalotiques et de l’absence de toute édition vraiment critique et exhaustive, toute conclusion sur l’état de la langue utilisée pour les écrire ne peut être que provisoire 22 , une remarque plus que judicieuse, qui nous pousse à rouvrir le dossier épineux des sources mêmes de toute cette littérature. Si aux sept manuscrits « européens » collationnés dans la Synopse de Peter Schäfer nous ajoutons celui de Jérusalem publié par Shlomo Aharon Wertheimer, ainsi que celui de la Biblioteca Laurenziana de Florence et celui de Leyde utilisés dans les traductions allemandes de Schäfer et anglaise de Davila, nous obtenons le tableau suivant 23 : B = Budapest, Kaufmann 238 (italien, XVe siècle), fol. 169-184 : §§ 81-86+91-93 (Hymnes de la gedullah), 94-106 (Hymnes de la qeddušah), 107-113+117-118 (Histoire des dix martyrs), 122-126 (Apocalypse de à une certaine antiquité des traditions « binitaires » mises à contribution dans cet écrit, et, de l’autre, ceux et celles qui, à la suite de Peter Schäfer, soulignent l’origine babylonienne et la datation tardive de l’ouvrage en tant que tel. Il nous semble, toutefois, indéniable que la tradition de l’exaltation angélique du patriarche Hénoch remonte au moins au tournant de notre ère et que, s’il y a eu, dans le Sefer Hekhalot, une réponse juive à la divinisation chrétienne de Jésus, il faille la localiser plutôt, avec K. H errmann, « Jewish Mysticism in Byzantium: The Transformation of Merkavah Mysticism in 3 Enoch », dans R.S. Boustan – M. Himmelfarb – P. Schäfer (ed.), Hekhalot Literature in Context. Between Byzantium and Babylonia, Tübingen, 2013, p. 85-116, dans la Syrie-Palestine byzantine du VI e siècle. 22. N. M izrahi, « The Language of Hekhalot Literature: Preliminary Observations », dans R.S. Boustan – M. Himmelfarb – P. Schäfer (ed.), Hekhalot Literature in Context. Between Byzantium and Babylonia, Tübingen, 2013, p. 8-9. 23. Descriptions détaillées et informations utiles au sujet de la tradition manuscrite des Hekhalot Rabbati sont offertes par P. Schäfer et collaborateurs, Synopse zur Hekhalot-Literatur, Tübingen, 1981, p. viii-xxii ; P. Schäfer , « Handschriften zur Hekhalot Literatur », Frankfurter Judaistische Beiträge 11 (1983), p. 113193, réimprimé dans P. Schäfer , Hekhalot-Studien, Tübingen, 1988, p. 154-233 ; P. Schäfer et collaborateurs, Übersetzung der Hekhalot-Literatur. II, Tübingen, 1987, p. xv-xviii ; K. H errmann, Massekhet Hekhalot. Traktat von den himmlischen Palästen. Edition. Übersetzung und Kommentar, Tübingen, 1994, p. 22-63 ; A. Kuyt, The ‘Descent’ to the Chariot. Towards a Description of the Terminology, Place, Function and Nature of the Yeridah in Hekhalot Literature, Tübingen, 1995, p. 125-127 ; R.S. Boustan, From Martyr to Mystic. Rabbinic Martyrology and the Making of Merkavah Mysticism, Tübingen, 2005, p. 37-47 ; Y. Zini, Le lexique et la phraséologie des Hekhalot Rabbati, Jérusalem, 2012 (hébreu), p. 40-67 ; J.R. Davila, Hekhalot Literature in Translation. Major Texts of Merkavah Mysticism, Leyde, 2013, p. 19-20 et 38-39. Les manuscrits qui contiennent l’intégralité des Hekhalot Rabbati (§§ 81-277) sont au nombre de dix-huit ; quatre manuscrits nouveaux ont été signalés par J.R. Davila, « Prolegomena to a Critical Edition of the Hekhalot Rabbati », Journal of Jewish Studies 45 (1994), p. 208, n. 1, mais ils ne sont apparemment pas accessibles. Nous tenons à remercier James R. Davila pour les précisions qu’il nous a aimablement fournies sur le contenu des manuscrits F, J et L.
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David), 127-129 (= 119-121), 152-154+156-169 (Hymnes angéliques), 170173+189-196 (Liturgie céleste), 198-259 (Ascension de Neḥounya ben haQanah), 268+270-277 (Hymnes de la Merkavah), 278-280 (un passage tiré de la Merkavah Rabbah), 281-306 (Śar Torah), 320-321 (Le grand sceau – La couronne effroyable) et 322-334 (autres prières). : §§ 81-86+91-93 D = Dropsie 436 (séfarade, XVe siècle), fol. 1-41 (Hymnes de la gedullah), 94-106 (Hymnes de la qeddušah), 107-113+117121 (Histoire des dix martyrs), 152-154+156-169 (Hymnes angéliques), 170-173+189-196 (Liturgie céleste), 198-259 (Ascension de Neḥounya ben ha-Qanah), 268-277 (Hymnes de la Merkavah), 281-294+297-303+306 (Śar Torah) et 318-321 (Le grand sceau – La couronne effroyable). F = Florence, Laurenziana Plut. 44.13 (italien, début du XIVe siècle), fol. 95v-106v : §§ 297-334 (Śar Toraha , d’une autre main), 81-83+85+86+84+9193 (Hymnes de la gedullah), 94-106 (Hymnes de la qeddušah), 107-113+117121 (Histoire des dix martyrs), 152-154+156-169 (Hymnes angéliques), 170-173+189-196 (Liturgie céleste), 198-259 (Ascension de Neḥounya ben ha-Qanah), 268-277 (Hymnes de la Merkavah), 320-321 (Le grand sceau – La couronne effroyablea), 322-334 (autres prières), 281-306 (Śar Torahb), 318-321 (Le grand sceau – La couronne effroyable b) et 489-495 (un « livre » de magie en araméen). J = Jérusalem 381 (Scholem 4) (séfarade, XVI e ou XVII e siècle), fol. 1r-23r : §§ 81-86+91-93 (Hymnes de la gedullah), 94-106 (Hymnes de la qeddušah), 107-110 (Histoire des dix martyrsa), 122-126 (Apocalypse de David), 111113+117+119-121 (Histoire des dix martyrsb), 152-154+156-169 (Hymnes angéliques), 170-173+189-196 (Liturgie céleste), 198-257 (Ascension de Neḥounya ben ha-Qanaha), 267 (un ajout à 258 ?), 268 (Hymnes de la Merkavaha), 258-259 (Ascension de Neḥounya ben ha-Qanahb), 269-277 (Hymnes de la Merkavahb) et 281-306 (Śar Torah), avec l’ajout du Sefer Zerubavel. L = Leyde, Or. 4730 (Scaliger 13) (italien, XVI e ou XVII e siècle), fol. 55r-66r : §§ 81-83+86+85+84+91-93 (Hymnes de la gedullah), 94-106 (Hymnes de la qeddušah), 107-110 (Histoire des dix martyrsa), 122-126 (Apocalypse de David), 111-113+117-121 (Histoire des dix martyrsb), 152169 (Hymnes angéliques), 170-173+189-196 (Liturgie céleste, 196 copié dans les marges), 198-259 (Ascension de Neḥounya ben ha-Qanah, 239 copié dans les marges) et 268-272+274+273+274+275-277 (Hymnes de la Merkavah, 274 copié deux fois). M 22 = Munich, Cod. Hebr. 22 (italien, milieu du XVI e siècle), fol. : §§ 81-83+85-87+91-93 (Hymnes de la gedullah), 94-106 149r-160 v (Hymnes de la qeddušah), 107-113+117-121 (Histoire des dix martyrs), 152-154+156-164+166-169 (Hymnes angéliques), 170-173+189-196 (Liturgie céleste), 198-259 (Ascension de Neḥounya ben ha-Qanah), 268-277 (Hymnes de la Merkavah), 278-279 (un passage tiré de la Merkavah Rabbah) et 281-294+297-306 (Śar Torah). M40 = Munich, Cod. Hebr. 40 (aškénaze, fin du XVe siècle), fol. 80r-94r : §§ 81-86+91-93 (Hymnes de la gedullah), 94-106 (Hymnes de la qeddušah),
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107-118 (Histoire des dix martyrs), 152-154+156-169 (Hymnes angéliques), 170-173+189-196 (Liturgie céleste), 198-259 (Ascension de Neḥounya ben ha-Qanah), 268-277 (Hymnes de la Merkavah), 281-294+297-303+306 (Śar Torah) et 318-321 (Le grand sceau – La couronne effroyable). N = New York, Jewish Theological Seminary 8128 (aškénaze, fin du XVe ou début du XVI e siècle), fol. 1v-15r : §§ 81-86+91-93 (Hymnes de la gedullah), 94-106 (Hymnes de la qeddušah), 107-113+117-121 (Histoire des dix martyrs), 122-126 (Apocalypse de David), 130-138 (Aggadat Rabbi Išmaël), 139 (= 120), 140-145 (Aggadah messianique), 146-149 (des révélations de Métatron), 150 (un passage cosmologique), 151 (Talmud Bavli, Berakhot 7a), 152-169 (Hymnes angéliques), 170-174 (Liturgie célestea), 178-188 (un extrait du Seder Rabbah di-Berešit), 189-196 (Liturgie célesteb), 197 (fin de l’extrait du Seder Rabbah di-Berešit), 198-252+258-259 (Ascension de Neḥounya ben ha-Qanah), 260-266 (= 251-257), 267 (un ajout à 258 ?), 268-277 (Hymnes de la Merkavah), 281-294+297-303+306 (Śar Torah) et 318-321 (Le grand sceau – La couronne effroyable). O = Oxford, Michael 9 (Neubauer 1531) (aškénaze, ca. 1300), fol. 19 v38r : §§ 81-86+91-93 (Hymnes de la gedullah), 94-106 (Hymnes de la qeddušah), 107-113+117-121 (Histoire des dix martyrs), 152-154+156-169 (Hymnes angéliques), 170-173+189-196 (Liturgie céleste), 198-259 (Ascension de Neḥounya ben ha-Qanah), 268-277 (Hymnes de la Merkavah), 281-294+297-303+306 (Śar Torah) et 318-321 (Le grand sceau – La couronne effroyable). V = Cité du Vatican, Ebr. 228 (byzantin, fin du XIVe siècle – avant ca. 1470), fol. 69 v-90 v : §§ 81-83+86+85+84+91-93 (Hymnes de la gedullah), 94-106 (Hymnes de la qeddušah), 107-113+117-121 (Histoire des dix martyrs), 152-154+156-169 (Hymnes angéliques), 170-181+192-196 (Liturgie céleste), 198-259 (Ascension de Neḥounya ben ha-Qanah), 268-277 (Hymnes de la Merkavah), 281-294+297+299-306 (Śar Torah) et 307-314 (Chapitre de Rabbi Neḥounya ben ha-Qanah) et 315-317 (= 147-149, des révélations de Métatron).
Il s’agit donc de dix manuscrits – quatre italiens, trois aškénazes, deux séfarades et un byzantin – les plus anciens desquels ne remontent qu’au début du XIVe siècle. Dans ces conditions, il serait tentant d’imaginer (avec Joseph Dan) que l’ensemble de ces manuscrits ne remonte qu’à un seul et unique archétype 24 , qui aurait fait l’objet d’une édition de la part des 24. Joseph Dan a, en effet, proposé de voir dans la fin abrupte du § 223 une erreur significative partagée par tous les manuscrits publiés dans la Synopse (auxquels il faut ajouter aussi leurs confrères F, J et L), qui en ferait les descendants d’un seul et unique archétype commun. Voir J. Dan, « L’entrée du sixième palais », dans J. Dan (ed.), Proceedings of the First International Conference on the History of Jewish Mysticism. Early Jewish Mysticism, Jérusalem, 1987, p. 197-220 (hébreu) (204-205), dont la version anglaise, sous le titre de « The Dangers of the Mystical Ascension in Ancient Jewish Mystical Texts », est parue dans J. Dan, Jewish Mysticism. 1. Late
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Ḥassidé Aškenaz, ce cercle de piétistes allemands qui les ont, les premiers sur le continent européen, copiés et diffusés, au XII e et au XIII e siècle 25. Remarquons aussi que le nombre de paragraphes des Hekhalot Rabbati et autres écrits apparentés 26 copiés dans chacun de ces manuscrits est, de toute évidence, variable, le manuscrit N étant, à première vue, le plus complet. Fort heureusement, des passages plus ou moins bien préservés des Hekhalot Rabbati ont été retrouvés aussi parmi les fragments de la Guenizah du Vieux Caire 27 : Antiquity, Northvale (New Jersey) – Jérusalem, 1998, p. 261-309 (287-288), ainsi que le compte-rendu, en hébreu, de P. Schäfer , Geniza-Fragmente zur HekhalotLiteratur, Tübingen, 1984, dans Tarbiz 56 (1986-1987), p. 433-437 (436). En réalité, une telle anomalie a été provoquée par l’insertion tout à fait secondaire, mais, encore une fois, partagée par l’ensemble des manuscrits « occidentaux » publiés et/ou collationnés, des §§ 224-228, qui décrivent les modalités du rappel soudain de Neḥounya ben ha-Qanah de son ascension céleste. Sur cet épisode célèbre, voir L. H. Schiffman, « The Recall of Rabbi Neḥuniah Ben Ha-Qanah from Ecstasy in the Hekhalot Rabbati », Association for Jewish Studies Review 1 (1976), p. 269-281 ; M. Schlüter , « Die Erzählung von der Rückholung des R. Neḥunya ben Haqana aus der Merkava-Schau in Ihrem redaktionellen Rahmen », Frankfurter Judaistische Beiträge 10 (1982), p. 65-109 ; M.D. Swartz , « Mystics without Minds? Body and Soul in Merkavah Mysticism », dans H. Eifring (ed.), Meditation in Judaism, Christianity, and Islam. Cultural Histories, Londres – New York, 2013, p. 33-43 et 239240 (38-40 et 240). Sa nature secondaire est désormais confirmée par son absence du fragment GO de la Guenizah, publié par Peter Schäfer en 1988, qui a préservé la conclusion apparemment originale du § 223, à laquelle fait immédiatement suite le § 229. Voir aussi les considérations de J.R. Davila, « Prolegomena to a Critical Edition of the Hekhalot Rabbati », Journal of Jewish Studies 45 (1994), p. 220221, et d’A. Kuyt, The ‘Descent’ to the Chariot. Towards a Description of the Terminology, Place, Function and Nature of the Yeridah in Hekhalot Literature, Tübingen, 1995, p. 85-96 (au sujet des §§ 219-231). 25. L’étendue exacte de leurs activités éditoriales reste difficile à déterminer. Voir, à ce propos, les études préliminaires de J. Dan, « The Ancient Hekhalot Mystical Texts in the Middle Ages: Tradition, Source, Inspiration », Bulletin of the John Rylands Library 75 (1993), p. 83-96, réimprimée dans J. Dan, Jewish Mysticism. 1. Late Antiquity, Northvale (New Jersey) – Jérusalem, 1998, p. 243-260 ; K. H errmann, « Re-Written Mystical Texts: The Transmission of the Heikhalot Literature in the Middle Ages », Bulletin of the John Rylands Library 75 (1993), p. 97-116. 26. Signalons que l’Apocalypse de David (§§ 122-126) a été récemment réexaminée par A.M. Sivertsev, Judaism and Imperial Ideology in Late Antiquity, Cambridge, 2011, p. 188-195, et traduite en anglais par H. Spurling, « Hebrew Visions of Hell and Paradise », dans R. Bauckham – J. Davila – A. Panayotov (ed.), Old Testament Pseudepigrapha. More Noncanonical Scriptures. 1, Grand Rapids (Michigan), 2013, p. 699-753 (751-753). Quant au Chapitre de Rabbi Neḥounya ben haQanah (§§ 307-314) et à Le grand sceau – La couronne effroyable (§§ 318-321 // 651-654), ils sont traduits aussi par J.R. Davila, Hekhalot Literature in Translation. Major Texts of Merkavah Mysticism, Leyde, 2013, p. 341-343 et 349-355. 27. Réexaminés par P. Schäfer, « The Hekhalot Genizah », dans R.S. Boustan – M. Himmelfarb – P. Schäfer (ed.), Hekhalot Literature in Context. Between Byz-
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G1 = Cambridge, T.-S. K 21.95.S (fin du VIII e siècle ?), cols A-F : §§ 95 (ou 155), 306, 271-273, 270, 275, 274, 501, 269, 276-277, 623. G2 = Cambridge, T.-S. K 21.95.K (première moitié du XI e siècle), fol. 1r-2v : §§ 86+84+91-93, 94 […] 28, 190-196, 198-201. G3 = Cambridge, T.-S. K 21.95.M (première moitié du XI e siècle), fol. 1r-2v : §§ 110-113 […], 118-120 […], 120-121, 152, 156-158. G4 = Cambridge, T.-S. K 21.95.I (XII e ou XIII e siècle), fol. 2rv : prière, §§ 939, 376, 246-250. G5 = Cambridge, T.-S. AS 142.94 (XII e siècle), fol. 1rv : §§ 236-240. G6 = Cambridge, T.-S. K 1.97 (début du XIII e siècle), fol. 2rv : passage tiré du Sefer ha-Razim, évocation, §§ 213-214, évocation. GO = Oxford, Bodleian Library, Heb. f. 56 (XIII e ou XIVe siècle), fol. 125r : §§ 221-223, 229.
Certains de ces fragments (notamment G1, G4 et G6), de quelques siècles plus anciens que les manuscrits « européens » complets, présentent des montages parfois inédits de passages que l’on retrouve dans les Hekhalot Rabbati avec d’autres passages d’origine manifestement différente, une situation qui a amené leur éditeur, Peter Schäfer, à conclure que les unités de base de la littérature hekhalotique sont des « microformes », c’est-à-dire des « briques » textuelles librement sélectionnées et réassemblées dans des « macroformes » telles les Hekhalot Rabbati, qui seraient donc des textes, pour ainsi dire, à géométrie variable 29. Au moment même où on célèbre les mérites indéniables d’un chercheur aussi génial et influent que Peter Schäfer, vers qui tout spécialiste du judaïsme ancien aura toujours une dette non négligeable, il est assez antium and Babylonia, Tübingen, 2013, p. 179-211 (180-196), et traduits par J.R. Davila, Hekhalot Literature in Translation. Major Texts of Merkavah Mysticism, Leyde, 2013, p. 371-374 et 381-398. 28. En dépit de la désignation « 1r-2v », les deux feuillets préservés ne sont manifestement pas contigus et, en l’absence de toute numérotation visible, il n’est pas possible de déterminer le nombre de feuillets perdus et l’étendue exacte de la lacune entre le § 94 (copié à la fin du folio 1v) et le § 190 (au début du folio 2r). 29. Voir tout spécialement P. Schäfer , « Tradition and Redaction in Hekhalot Literature », Journal for the Study of Judaism 14 (1983), p. 172-181, étude réimprimée dans P. Schäfer , Hekhalot-Studien, Tübingen, 1988, p. 8-16 ; P. Schäfer , « Zum Problem der redaktionellen Identität von Hekhalot Rabbati », Frankfurter Judaistische Beiträge 13 (1985), p. 1-22, réimprimée dans P. Schäfer , HekhalotStudien, Tübingen, 1988, p. 63-74 ; P. Schäfer , « The Hekhalot Genizah », dans R.S. Boustan – M. Himmelfarb – P. Schäfer (ed.), Hekhalot Literature in Context. Between Byzantium and Babylonia, Tübingen, 2013, p. 179-211. Pour une appréciation et une mise en perspective de cette approche quasiment bultmannienne, voir M.D. Swartz , « Three-Dimensional Philology: Some Implications of the Synopse zur Hekhalot-Literatur », dans R.S. Boustan – K. H errmann – R. L eicht – A.Y. R eed – G. Veltri (ed.), Envisioning Judaism. Studies in Honor of Peter Schäfer on the Occasion of His Seventieth Birthday. I-II, Tübingen, 2013, vol. I, p. 529-550.
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pénible de constater que, lorsqu’on y regarde de plus près, certains faits ne corroborent nécessairement pas une telle interprétation. Aux remarques philologiques formulées il y a une vingtaine d’années par James R. Davila 30, sont venues s’ajouter les critiques récemment émises par Daniel Abrams, qui cite le cas emblématique d’un fragment du Seder Rabba di-Berešit que le manuscrit N est le seul à insérer dans le texte actuel des Hekhalot Rabbati (§§ 178-188), tandis que dans le(s) manuscrit(s) V (et L 31) une partie de ce passage a été manifestement ajoutée dans les marges, de façon donc secondaire (§§ 175-181) 32 . Or, dans la Synopse cela est signalé par un demicrochet ouvrant au début du § 174 et un demi-crochet fermant à la fin du § 181, à peine visibles, ce qui n’a pas manqué d’induire en erreur plusieurs de ses utilisateurs. En réalité, c’est l’organisation même de la Synopse qui pose problème, car son architecture a été conçue de façon à prendre en compte tous les ajouts manifestement atypiques propres au manuscrit N, ce qui fait que les paragraphes d’un texte comme les Hekhalot Rabbati, généralement assez stable dans l’ensemble de la tradition manuscrite, finissent par avoir une allure saccadée – §§ 81-86, 91-121, 152-173, 189-277, une séquence que l’on retrouve aussi, pour l’essentiel, dans les fragments G2 (§§ 86+84+91-93, 94 […], 190-196+198-201) et G3 (§§ 110-113 […], 118120 […], 120-121, 152, 156-158) 33 – qui donne une impression d’instabilité textuelle tout à fait injustifiée. 30. J.R. Davila, « Prolegomena to a Critical Edition of the Hekhalot Rabbati », Journal of Jewish Studies 45 (1994), p. 213-220. 31. D’après J.R. Davila, « Prolegomena to a Critical Edition of the Hekhalot Rabbati », Journal of Jewish Studies 45 (1994), p. 215-216. 32. D. A brams , « Critical and Post-Critical Textual Scholarship of Jewish Mystical Literatur: Notes on the History and Development of Modern Editing Techniques », Kabbalah 1 (1996), p. 17-71 (33-45) ; D. A brams , Kabbalistic Manuscripts and Textual Theory. Methodologies of Textual Scholarship and Editorial Practice in the Study of Jewish Mysticism, Jérusalem – Los Angeles, 2010, p. 37-47, 475-489 et fig. 1.9, p. 106 (photographie du fol. 76r du manuscrit V). Pour une réponse à certaines de ces critiques, voir R.S. Boustan, From Martyr to Mystic. Rabbinic Martyrology and the Making of Merkavah Mysticism, Tübingen, 2005, p. 26-29. Or, force est de constater qu’il s’agit d’un vieux débat, entre tenants de la Form- et adeptes de la Redaktionsgeschichte (pensons aux innombrables « microformes » qui constituent ces « macroformes » que sont les évangiles synoptiques…), entre philologues classiques et médiévistes, entre passionnés d’éditions critiques et férus d’éditions diplomatiques (l’ouvrage de B. Cerquiglini, Éloge de la variante. Histoire critique de la philologie, Paris, 1989, a été opportunément cité par Michael D. Swartz)…, et de deux points de vue qui devraient être, en réalité, complémentaires, une approche n’excluant pas, mais venant compléter l’autre. 33. Ce qui revient à dire que seulement trois fragments (G1, G4 et G6) présentent des assemblages inhabituels (et cela pour cause de choix liturgiques, magiques, autres, qui nous échappent, mais qui pourraient être tout à fait secondaires) de matériaux de type Hekhalot Rabbati avec d’autres d’origine différente, tandis qu’un fragment (GO) a conservé le texte vraisemblablement original d’une
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S’il s’avère qu’il aurait mieux valu ne pas inclure le manuscrit N dans la Synopse, autour de quels autres manuscrits aurait-il fallu la construire ? Y en aurait-il qui seraient plus représentatifs du texte médiéval standard des Hekhalot Rabbati, voire même antérieurs à l’œuvre rédactionnelle des Ḥassidé Aškenaz ? Nous pensons que tel est le cas non seulement des manuscrits d’origine italienne F et M22 , qui sont les seuls témoins à partager un accord significatif et une séquence (§§ 83-85-86-84-91) vraisemblablement secondaire avec le fragment G2 de la Guenizah, mais aussi et surtout du manuscrit V, d’origine byzantine, et de son associé L, de provenance italienne, qui ont préservé, eux, la séquence à notre avis originale (§§ 83-86-85-84-91). Nous allons vérifier la vraisemblance d’une telle hypothèse à partir d’une nouvelle traduction des hymnes de la gedullah, les §§ 81-83 et 91-93 (à titre indicatif, d’après le texte du manuscrit V) encadrant une synopse des §§ 84-86 dans l’ordre de chacun des quatre témoins (ou groupes de témoins) principaux de cette séquence (le fragment G2 3 4 et les manuscrits F - M22 , L - V et B - D - J - M40 - N - O 35).
séquence interpolée dans tous les manuscrits complets « occidentaux » (voir ci-dessus, n. 24), que deux fragments (G2 et G3) témoignent de la même organisation éditoriale que les manuscrits « occidentaux » et que la portion du texte préservé par un autre fragment (G5) ne permet pas de trancher. Il s’ensuit qu’un tel tableau ne semble confirmer qu’à moitié la thèse proposée par Peter Schäfer d’une grande liberté originelle de circulation des « microformes ». Sur la situation particulière des textes hekhalotiques (au sens large) en milieu égyptien, voir maintenant G. Bohak , « Observations on the Transmission of Hekhalot Literature in the Cairo Genizah », dans R.S. Boustan – M. Himmelfarb – P. Schäfer (ed.), Hekhalot Literature in Context. Between Byzantium and Babylonia, Tübingen, 2013, p. 213-229. Signalons aussi que les restes d’un nouveau « recueil » (ne contenant pas de passages des Hekhalot Rabbati) ont été identifiés par G. Bohak , « Hekhalot cachées : Pour la reconstitution d’un recueil hekhalotique inconnu de la Guenizah du Caire », Tarbiz 82 (2014), p. 407-446 (hébreu). 34. Les lettres des mots dans les lacunes (entre crochets) et des mots actuellement illisibles dans le manuscrit, restitués à titre purement hypothétique, sont imprimées en gris. Les accolades contiennent des mots ou des passages biffés par un correcteur du manuscrit, tandis que les chevrons renferment des corrections ajoutées au dessus de la ligne. 35. Les leçons des manuscrits F et L sont tirées soit du Partiturtext de P. Schäfer , Geniza-Fragmente zur Hekhalot-Literatur, Tübingen, 1984, p. 39-43, soit des variantes traduites par J.R. Davila, Hekhalot Literature in Translation. Major Texts of Merkavah Mysticism, Leyde, 2013, p. 51-56. Dans la petite synopse des §§ 84-86, lorsque les leçons particulières d’un manuscrit (même celles de V) ont peu de chances de remonter à l’ancêtre commun de chaque groupe de témoins, nous avons pris le parti de ne pas les traduire. Bien entendu, il ne sera pas question, dans ce qui suit, des §§ 87-90, car il ne s’agit, en réalité, que des §§ 84-86 copiés dans un ordre différent.
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Hekhalot de Rabbi Išmaël, qu’il vit lorsqu’il monta en haut, et Œuvre de la Merkavah (Chapitre 1, Halakha 1) Rabbi Išmaël dit : « Quels sont les hymnes que doit prononcer celui qui désire contempler la vision de la Merkavah, (qui désire) monter en paix et descendre en paix ? Sa grandeur est telle que (les anges) se mettent à son service afin de le laisser passer, de le faire entrer dans les chambres du palais du firmament d’Aravot et de le placer à la droite du trône de Gloire. Lorsqu’il se tient en présence de ṬʿṢŠ YHWH, Dieu d’Israël, il assiste à ce qui se passe devant le trône de Gloire et prend (ainsi) connaissance de ce qui va se passer en ce monde.
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(Halakha) 2 82 Lequel sera abaissé, lequel sera élevé ? Lequel sera affaibli, lequel sera affermi ? Lequel sera appauvri, lequel sera enrichi ? Lequel fera-t-on mourir, lequel fera-t-on vivre ? Auquel donnera-t-on l’héritage, auquel enlèvera-t-on l’héritage ? Auquel transmettra-t-on la Torah, auquel donnera-t-on la sagesse ? (Halakha) 3 Sa grandeur est telle qu’il a le don de voir toute action des fils de l’homme, même celles dans les chambres les plus intimes, qu’elles soient des bonnes actions ou des mauvaises actions. Si quelqu’un commet un vol, il le sait et le reconnaît. Si quelqu’un commet un adultère, il le sait et le reconnaît. Si (quelqu’un) tue un homme, il le sait et le reconnaît. Si (quelqu’un) couche avec une femme en état d’impureté, il le sait et le reconnaît. Si (quelqu’un) se livre à la calomnie, il le sait et le reconnaît. Sa grandeur est telle qu’il reconnaît tous ceux qui s’adonnent à la sorcellerie.
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G2
F - M 22 Sa grandeur est telle qu’il est séparé de tous les fils de l’homme, exalté à cause de toutes ses qualités et honoré par-dessus les créatures supérieures et les créatures inférieures. 85
L-V (Halakha) 4 Sa grandeur est telle que toutes les créatures apparaîtront devant lui comme de l’argent devant un orfèvre au bord du fourneau, quel argent est pur et quel argent est inutilisable.
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B - D - J - M40 N-O (Halakha) 4 84 Sa grandeur est telle que, si quelqu’un lève sa main sur lui et le frappe, on le parsème de plaies, on le couvre de lèpre et on le remplit de taches blanches.
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Si quelqu’un trébuche sur lui, d’énormes pierres, mauvaises, horribles et lourdes, lui tombent dessus du ciel. Si quelqu’un lève la main à son encontre, aussitôt le tribunal céleste lève (à son tour) la main à son encontre.
[Sa grandeur est telle que toutes les] créatures [apparaissent] devant lui (comme) argent orfèvre , [quel argent est inutilisable et] quel argent est pur. Il a aussi [le don de voir dans les famill]es : {combien (d’enfants) au membre coupé, [combien (d’enfants) d’esclav]es,} combien de bâtards [il y a dans une famille, combien] d’enfants conçus en état d’impureté, combien [(d’enfants) aux testicules écrasés, combien (d’en86
Sa grandeur est telle que toutes les créatures apparaissent devant lui comme de l’argent devant un orfèvre au bord du fourneau, quel argent est inutilisable et quel argent est pur.
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Il aura aussi le don de voir dans les familles :
combien de bâtards il y a dans une famille, combien d’enfants conçus en état d’impureté, combien (d’enfants) aux testicules écrasés, combien (d’enfants) au
Il aura aussi le don de voir dans les familles : combien de bâtards il y a dans une famille, combien d’enfants conçus en état d’impureté, combien (d’enfants) aux testicules écrasés, combien (d’enfants) au membre coupé, combien (d’enfants) d’esclaves et combien de fils d’incirconcis.
Sa grandeur est telle que, si quelqu’un le calomnie, on l’attaque et on lui donne toutes sortes de coups, (provoquant) éruptions cutanées, blessures graves et lésions, d’où coule du pus à vif.
(Halakha) 5 Sa grandeur est telle qu’il est séparé de tous les fils de l’homme, exalté à cause de toutes ses qualités et honoré par-dessus les créatures supérieures et les créatures inférieures.
(Halakha) 5 85 Sa grandeur est telle qu’il est séparé de tous les fils de l’homme, exalté à cause de toutes ses qualités et honoré par-dessus les créatures supérieures et les créatures inférieures.
Si quelqu’un trébuche sur lui, d’énormes pierres, mauvaises, puissantes et lourdes, lui tombent dessus du ciel. Si quelqu’un lève la main à son encontre, aussitôt le tribunal céleste lève (à son tour) la main à son encontre.
Si quelqu’un trébuche sur lui, d’énormes pierres, mauvaises et lourdes, lui tombent dessus du ciel. Si quelqu’un lève irrespectueusement la main à son encontre, le tribunal céleste lève (à son tour) la main à son encontre.
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fants) au memb] re coupé, combien [(d’enfants) d’esclaves et combien de fils] d’incirconcis. Halakha 5 [Et ce (qui suit) devrait précéder “qu’]il est mwdl (sic) séparé” (i.e., § 85). 84 [Sa grandeur est telle que, si quelqu’un lè]ve une main sur lui et le frappe, [on le parsème] de plaies, on le couvre de [lèp]re et on le remplit de taches blanches. [Sa grandeur est telle que,] si quelqu’un (le) calomnie, on lui donne toutes sortes de coups, (provoquant) éruptions cutanées, blessures graves et lésions, d’où coule du pus à vif.
Fin du chapitre (?).
membre coupé, combien (d’enfants) d’esclaves et combien de fils d’incirconcis. Et ce (qui suit) devrait précéder “qu’il est séparé” (i.e., § 85). 84 Sa grandeur est telle que, si quelqu’un lève une main sur lui et le frappe, on le parsème de plaies, on le couvre de lèpre et on le remplit de taches blanches. Sa grandeur est telle que, si quelqu’un le calomnie, on l’attaque et on lui donne toutes sortes de coups, (provoquant) éruptions cutanées, blessures et lésions, d’où coule du pus à vif.
Fin du chapitre.
84 Sa grandeur est telle que, si quelqu’un lève une main sur lui et le frappe, on le parsème de plaies, on le couvre de lèpre et on le remplit de taches blanches. Sa grandeur est telle que, si quelqu’un le calomnie, on l’attaque et on lui donne toutes sortes de coups, (provoquant) éruptions cutanées, blessures et lésions, d’où coule du pus à vif.
Sa grandeur est telle que toutes les créatures apparaîtront devant lui comme de l’argent devant un orfèvre, quel argent est inutilisable et quel argent est pur.
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Il aura aussi le don de voir dans une famille : combien de bâtards il y a dans une famille, combien d’enfants conçus en état d’impureté, combien (d’enfants) aux testicules écrasés, combien (d’enfants) au membre coupé, combien (d’enfants) d’esclaves et combien de fils d’incirconcis. Fin du chapitre.
Chapitre 2 (Halakha 1) Sa grandeur est telle que, si quelqu’un le provoque, on assombrit la lumière de la prunelle de ses yeux. Sa grandeur est telle que, si quelqu’un le méprise, il ne laisse pas de racine, de branche, ni même d’héritage.
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Sa grandeur est telle que, si quelqu’un le dénigre, on l’anéantit complètement, sans aucune compassion pour lui. (Halakha) 2 Sa grandeur est telle qu’ils soufflent un son long, un son saccadé et, de nouveau, un son long (dans le šofar), et il est, ensuite, banni et exclu, trois fois par jour, dans le tribunal céleste, depuis le jour où le pouvoir de descendre vers la Merkavah et d’en remonter fut donné à ceux qui sont droits 36 et (rituellement) aptes, aux doux et aux humbles, aux sensés, aux élus et à ceux qui ont été séparés, en disant : “Quiconque se tient devant celui qui contemple la Merkavah, et le quitte 37, qu’il soit banni de la présence de ṬʿṢŠ YHWH, Dieu d’Israël, de Lui et du trône de Sa Gloire, par la couronne de Sa tête, par le tribunal céleste et le tribunal terrestre, par toute l’armée céleste et tous Ses serviteurs.” » 92
(Halakha) 3 Rabbi Išmaël dit : « Tels sont ceux qui étudient la vision de la Merkavah : celui qui contemple la Merkavah n’est pas tenu de se lever (en signe de respect) sauf devant trois instances : devant un roi, devant un grand prêtre et devant le sanhédrin, et le sanhédrin même, (seulement) lorsqu’un patriarche s’y trouve aussi, (mais) s’il n’y a pas de patriarche, il ne doit pas se lever, même devant le sanhédrin. S’il se levait, celui devant lequel il s’est levé serait responsable de sa propre vie, car il diminuerait (le nombre de) ses jours et abrégerait ses années. » 93
36. Il faut retenir, ici, la leçon brève des manuscrits V, F et J, contre la leçon longue « fut donné à Israël, à ceux qui sont droits » de tous les autres témoins (y compris le fragment G2), issue de la lecture l-Yiśrael de l’abréviation lyšr” (ainsi en F) pour la-yešarîm, « à ceux qui sont droits ». La banalisation s’est poursuivie dans plusieurs manuscrits « occidentaux » (B, D, L, M22 , M40 et O), avec le remplacement de rašût (« pouvoir ») par Torah, ce qui a donné « depuis le jour où la Torah fut donnée à Israël, à ceux qui sont droits ». 37. Chaque traducteur a donné une interprétation différente de cette phrase énigmatique : « chiunque sta davanti a Lui ed è curioso di conoscere il Carro, la sua curiosità è appagata » (A. R avenna – E. P iattelli, Cabbala ebraica. I sette santuari (Hekhalot), Turin, 1964, p. 54) ; « wer vor him steht, sich vor der Merkava ängstigt, und (dann) von him ablässt » (P. Schäfer et collaborateurs, Übersetzung der Hekhalot-Literatur. II, Tübingen, 1987, p. 9) ; « he who standeth before one beholding the Merkabha and who abandoneth him » (M. Smith – G. Scholem [trad.] – D. K arr [ed.], Hekhalot Rabbati. The Greater Treatise Concerning the Palaces of Heaven, 1995 – 2015, ad locum) ; « who stands before Him considering the chariot but leaving it alone? » (J.R. Davila, Hekhalot Literature in Translation. Major Texts of Merkavah Mysticism, Leyde, 2013, p. 55). Il nous semble que l’interprétation donnée par Morton Smith et Gershom Scholem, présupposant le déroulement d’une transe mystique en présence de collègues et de disciples telle que celle décrite aux §§ 225-228 (sans oublier le parallèle de la séance prophétique en Ascension d ’Isaïe 6), soit, au vu de la grammaire et du contexte, la plus plausible.
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L’accord majeur partagé par le fragment G2 et les manuscrits F et M22 est la glose araméenne « et ce (qui suit) devrait précéder “qu’il est séparé” », insérée à la fin du § 86, signalant que le § 84 qui suit dans le texte devrait, en réalité, être placé avant le § 85, les premiers mots duquel sont, justement, « (sa grandeur est telle) qu’il est séparé » 38. Le témoignage de G2 permet donc de constater non seulement qu’un type de texte très proche de celui des manuscrits F et M22 était déjà en circulation dans l’Égypte fatimide de la première moitié du XI e siècle, mais aussi que des lecteurs avaient déjà eu l’occasion de remarquer qu’une péricope était apparemment déplacée et que leur commentaire, probablement inscrit, à l’origine, dans les marges, avait été inclus au début du texte même du § 84, ce qui incite à penser que l’existence de deux séquences alternatives, §§ 83-85-86-8491 et §§ 83-84-85-86-91, doit remonter au moins au siècle précédant. Ni l’une ni l’autre ne sont, pourtant, nécessairement « originales », car c’est dans les manuscrits L et V que l’on peut lire l’éloge le plus cohérent de la grandeur du yored Merkavah : admis à la cour divine (§ 81), celui-ci est en mesure de connaître à l’avance toutes les décisions prises au sujet des êtres humains (§ 82), dont il connaît aussi les actions les plus cachées (§ 83), jusqu’aux secrets d’alcôve les mieux gardés, pouvant entraîner des conséquences fâcheuses pour la pureté rituelle de certaines familles (§ 86) ; il est placé sous la protection du tribunal céleste, qui se charge de punir tous ceux qui s’opposent à lui en paroles et en gestes (§ 85) en leur infligeant de terribles infections cutanées et ulcères purulents (§ 84), jusqu’à la « décision irrévocable » de les anéantir 39, eux et leur descendance (§ 91) ; même ceux qui quittent indûment la session de transe du yored Merkavah, sont menacés d’excommunication et de bannissement par le tribunal céleste (§ 92) ; l’importance de son rang est telle qu’il est censé occuper la quatrième position d’une société juive idéalisée, juste après le roi, le grand prêtre et le patriarche, voire, de facto, après la disparition de ces trois personnages, la première place tout court (§ 93). La séquence dominante dans les manuscrits « occidentaux » serait donc le résultat du déplacement accidentel d’une section du texte (les §§ 86-85 ayant été inversés) et d’une correction erronée (le § 84 étant censé précéder le § 85), tandis que le manuscrit byzantin V et son associé italien L, les 38. Comme le reconnaît P. Schäfer , « The Hekhalot Genizah », dans R.S. Boustan – M. Himmelfarb – P. Schäfer (ed.), Hekhalot Literature in Context. Between Byzantium and Babylonia, Tübingen, 2013, p. 179-211 (187, n. 34), le mérite d’avoir compris la signification de ce commentaire sibyllin revient à Moulie Vidas. 39. J.R. Davila, Hekhalot Literature in Translation. Major Texts of Merkavah Mysticism, Leyde, 2013, p. 54 et 387, fait justement remarquer qu’il s’agit de la même expression qu’en Isaïe 10,23 ; 28,22 ; Daniel 9,27. L’empereur Lupinus va tomber sous la coupe du même décret (§ 112), qui peut être appliqué aussi à un mystique indigne qui serait parvenu jusqu’au seuil du septième palais (§ 238).
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seuls témoins à avoir préservé la séquence primitive (§§ 83-86-85-84-91) de cette magnifique ouverture des Hekhalot Rabbati, seraient les derniers représentants d’une tradition textuelle plus proche de l’édition, pour ainsi dire, « originale » de l’ouvrage. Si tel était, comme nous le pensons, le cas, non une, mais deux, voire trois recensions (représentées, respectivement, par les trois familles de manuscrits L - V, G2 - F - M22 et B - D - J - M40 - N - O) de la même édition des Hekhalot Rabbati seraient arrivées, de Palestine ou d’ailleurs, dans le monde byzantin, avant de passer en Italie, probablement du Sud, et de remonter ensuite jusqu’à la vallée du Rhin. Dans une édition authentiquement critique de l’intégralité des Hekhalot Rabbati, il faudrait donc donner la priorité aux leçons du manuscrit V, voire, le cas échéant, aux variantes des manuscrits L, F et M22 4 0. Il serait aussi préférable de revenir, pour des raisons, à la fois, de fidélité historique et de clarté, à l’organisation du texte en vingt-six chapitres continus, propre au(x) manuscrit(s) en question, manifestement antérieure aux assemblages éditoriaux opérés par les Ḥassidé Aškenaz et par quelques copistes médiévaux ou modernes. Après avoir ainsi jeté les bases d’une approche plus sélective de la tradition manuscrite des Hekhalot Rabbati, nous aimerions apporter, dans nos conclusions, quelques précisions sur les réalités socio-historiques auxquelles les hymnes de la gedullah 41, voire l’ensemble des Hekhalot Rabbati, semblent renvoyer. Le passage clé s’avère être la recommandation finale de cette section (§ 93), qu’il convient de subdiviser comme il suit : a) « celui qui contemple la Merkavah n’est pas tenu de se lever (en signe de respect) sauf devant trois instances (middôt) : devant un roi, devant un grand prêtre et devant le sanhédrin », b1) « et le sanhédrin même, (seulement) lorsqu’un patriarche s’y trouve aussi » et b2) « (mais) s’il n’y a pas de patriarche, il ne doit pas se lever, même devant le sanhédrin ». Or, si la première partie de cette instruction (a) est la seule qui pourrait, en théorie, convenir à l’époque à laquelle vécut Rabbi Išmaël, tandis que la référence à la présidence du sanhédrin par le patriarche (b1) trahit la familiarité du narrateur avec les institutions de l’époque des Amoraïm (du III e au IVe siècle de notre ère), la dernière précision (b2) a toute l’apparence d’un ajout secondaire motivé par la disparition historique non seulement du sanhé40. Une appréciation similaire pour les mêmes manuscrits a été récemment exprimée par P. Schäfer , « The Hekhalot Genizah », dans R.S. Boustan – M. Himmelfarb – P. Schäfer (ed.), Hekhalot Literature in Context. Between Byzantium and Babylonia, Tübingen, 2013, p. 186-188, tandis que J.R. Davila, Hekhalot Literature in Translation. Major Texts of Merkavah Mysticism, Leyde, 2013, p. 38, semble considérer le manuscrit F comme le codex optimus des Hekhalot Rabbati. 41. Voir aussi, à ce sujet, les remarques de G.A. Wewers , « Die Überlegenheit des Mystikers. Zur Aussage der Gedulla-Hymnen in Hekhalot Rabbati 1,2-2,3 », Journal for the Study of Judaism 17 (1986), p. 3-22, et de J.R. Davila, Descenders to the Chariot. The People behind the Hekhalot Literature, Leyde, 2001, p. 260-261.
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drin, mais aussi, avec la mort de Rabban Gamaliel VI, autour de 425, de la dynastie hillélite des patriarches de Tibériade 42 . Il serait tentant de se servir de cet indice comme d’un terminus post quem et de voir dans la promotion de la figure quasiment chamanique du yored Merkavah faite par les Hekhalot Rabbati 43 l’une des réponses du judaïsme syro-palestinien à l’abolition officielle, en 429, de la fonction patriarcale 4 4 : peu importe ce que l’empereur de Rome-Constantinople (le « Petit loup » nuisible seraitil à identifier, à l’origine, au faible Théodose II, agissant sous l’emprise de sa pieuse sœur Pulchérie ?) décide à l’encontre des Sages, il y aura toujours des mystiques de la Merkavah qualifiés pour assurer la transmission des seuls décrets qui comptent, ceux qui ont été émis « en présence de ṬʿṢŠ YHWH, Dieu d’Israël ».
42. Sur cette période critique, à cause principalement des politiques répressives menées par les institutions romaines, qui vit, néanmoins, d’un point de vue administratif, une « sacerdotalisation » progressive des fonctions synagogales, voir la mise au point d’A. Linder , « The Legal Status of the Jews in the Roman Empire », dans S.T. K atz (ed.), The Cambridge History of Judaism. 4. The Late Roman-Rabbinic Period, Cambridge, 2006, p. 128-173 (155-159). 43. Rappelons que la nature « chamanique » des expériences mystiques à l’arrière-plan des récits hekhalotiques a été établie, à l’aide de comparaisons interculturelles tout à fait éclairantes, par J.R. Davila, « The Hekhalot Literature and Shamanism », Society of Biblical Literature Seminar Papers 33 (1994), p. 767-789 ; J.R. Davila, Descenders to the Chariot. The People behind the Hekhalot Literature, Leyde, 2001 ; J.R. Davila, « Shamanic Initiatory Death and Resurrection in the Hekhalot Literature », dans P. M irecki – M. M eyer (ed.), Magic and Ritual in the Ancient World, Leyde, 2002, p. 283-302. Afin d’avoir ne fût-ce qu’un aperçu, quoique de plus de mille ans postérieur, de la vision du monde d’un praticien de la mystique juive, il faudrait se rapporter à l’étonnante autobiographie de Ḥayyim Vital (1542-1620), le disciple le plus doué du grand kabbaliste Isaac Louria (15341572), traduite par M.M. Faierstein, Jewish Mystical Autobiographies. Book of Visions and Book of Secrets, New York – Mahwah (New Jersey), 1999. 44. Dans le même ordre d’idées, notons aussi l’hypothèse émise par J. M agness , « Heaven on Earth: Helios and the Zodiac Cycle in Ancient Palestinian Synagogues », Dumbarton Oaks Papers 59 (2005), p. 1-52, d’attribuer l’apparition soudaine, dans les mosaïques de six synagogues palestiniennes tardo-antiques (datables entre la fin du IVe et la première moitié du VI e siècle), de représentations du Soleil sur son char entouré des signes du zodiaque comme le résultat iconographique de l’influence qu’auraient commencé à exercer, sur le culte synagogal, les spéculations et les pratiques de la mystique de la Merkavah consignées dans la littérature des Hekhalot. Sur les rapports entre judaïsme sacerdotal, judaïsme synagogal et mystique de la Merkavah, voir maintenant le bilan critique de J. Costa, « Qu’est-ce que le “judaïsme synagogal” ? », Judaïsme ancien / Ancient Judaism 3 (2015), p. 63-218.
JESUS, JERUSALEM, THE T EMPLE: T RACES OF H IS H ALAKHIC T EACHING IN DEFENSE OF THE T EMPLE Edmondo Lupieri Loyola University, Chicago
Résumé Cet article constitue une première tentative visant à travailler sur un détail marginal de la tradition synoptique habituellement laissé de côté et de voir si ce détail peut servir à rejoindre un aspect particulier de l ’enseignement halakhique de Jésus. On rencontre ce détail négligé en Mc 11,16 : « Et il ne laissait personne porter un récipient à travers le Temple ». Ce verset n’a pas de parallèle manifeste dans la tradition néotestamentaire ni ne semble cadrer dans le contexte de l ’épisode de la « purification du temple ». À mon avis, il fournit un indice passablement intéressant que l ’on peut utiliser pour fonder la reconstitution d’un aspect négligé, mais historiquement et culturellement plausible, de Jésus : son profond respect pour le vie cultuelle de Jérusalem et son désir de préserver et d’améliorer la pureté de son Temple. Abstract The objective of this paper is a first attempt to work on a marginal and usually discarded detail of the Synoptic tradition and see if this detail can indeed be used to reach one peculiar aspect of Jesus’ halakhic teaching. The neglected detail I have chosen is the content of Mk 11:16 : “And he did not allow any person to carry a vessel through the Temple.” This verse has no apparent parallel in the NT traditions and does not even seem to fit in the Markan context of the socalled “Cleansing of the Temple.” In my opinion it is a rather interesting clue which may be used as a foundation for the reconstruction of an overlooked, but historically and culturally plausible, aspect of the figure of Jesus: his profound respect for the cultic life in Jerusalem and his desire to protect and enhance the holiness and purity of its temple.
Introduction I will begin with dogs (and pigs) in the New Testament and in early traditions regarding Jesus, then move to analyze the possibility that Jesus had actually taught anything regarding them; finally I will try to La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 167-194. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115530 ©
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frame that teaching in the possible scenario of some larger surviving halakhic teaching by Jesus, centered around the temple of Jerusalem and its priesthood. This teaching should be understood in the frame of first century halakhic discussions and seems to show that Jesus not only did not share aggressive or overly critical positions towards the temple and its cultic life (as it is often told, as an example, regarding the so-called “cleansing of the temple”), but on the contrary wanted to preserve its purity and was respectful of priestly prerogatives. From this study I do not aim to reconstruct the historical figure of Jesus (or even less to propose a new one), but to contribute to the identification of a fragment of it, a fragment which will need to be connected to others in the attempt to reach a historically convincing reconstruction of the human Jesus. 1
1. Jesus on dogs (and pigs) We will start from the end, and precisely from Rev 22:15, “Out with the dogs and the poisoners and prostitutes and the murderers and the idolaters and anyone who loves and practices lies.” The sentence shows strong structural analogy with Rev 21:27, “And surely no profane thing will enter her [Jerusalem], nor anyone practicing abomination and lies, but only those who are written in the Lamb’s scroll of life,” and with Rev 21:8, “but as for the cowardly and unfaithful and abominable and murderers and prostitutes and poisoners and idolaters and all the lies, their share is in the marsh … which is the second death.” These verses are teachings of exclusion from the eschatological Jerusalem and/or final salvation. They contain lists with shared elements describing negative behaviors that culminate with “lying” or “lies.” 2 Apparently, none of these passages is considered by scholars as reporting the memory of Jesus’s words. 3 Nevertheless, at least Rev 22:15 shows some similarity with Matt 7:6, “Do not give what is holy to dogs; and do not throw your pearls before swine, or they will trample them under their foot and turn and maul you.” This verse is an example of a prohibitory teaching. What strikes me as potentially originating from the style we find in many examples of the preaching of Jesus is the fact that both passages in Revelation and Matthew begin with an example taken from 1. This contribution is a development of E. Lupieri, “Fragments of the Historical Jesus? A Reading of Mark 11,11-[26],” Annali di Storia dell ’Esegesi 28 (2011) 289–311. 2. As already noticed by L. Painchaud, “Identité chrétienne et pureté rituelle dans l’Apocalypse de Jean de Patmos : L’emploi du terme koinon en Ap 21,27,” Laval théologique et philosophique 62 (2006) 345–357. 3. Revelation 22:15 is not taken into consideration in the best and most recent study of the presence of Jesus’s words in Revelation, D. Tripaldi, Gesù di Nazareth nell ’Apocalisse di Giovanni. Spirito, profezia e memoria (Brescia, 2010).
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common elements of everyday life, in our case with dogs (and pigs), and end up with a moral teaching apparently dealing with the present time of the community in the Gospel 4 and with the eschatological future in Revelation. 5 It is not important now to understand what dogs (and swine) stand for allegorically in our texts, nor yet to prove that Jesus did indeed talk about dogs (and possibly pigs), 6 but that a lively discussion on the purity of dogs was present in first century Judaism. We can find its echoes through generations, from some Qumran texts to the Talmudic era. The problems with dogs are complex. Like pigs, they are impure. 7 Unlike pigs, which neighboring people did eat, apart from some rare cultic 4. Apart from its historical origin, the double logion of Matt 7:6 is now strictly connected with its present Matthean context as a negative example immediately preceding the discussion on “asking” and “being given” (Matt 7:7–11) that concludes with Matt 7:12 and its general law on the reciprocity of “doing.” 5. A number of scholars believe that the “dogs” in Rev 22:15 are people indulging in sodomy (and who therefore probably correspond to those perpetrating “abominations” in Rev 21:8, 27). See the discussion in J. Schwartz , “Dogs in Jewish Society in the Second Temple Period and in the Time of the Mishnah and Talmud,” Journal of Jewish Studies 55 (2004) esp. 267, n. 117. This interpretation is probably reductive. What is characteristically present both in Rev 22 and Matt 7 (and in many words attributed to Jesus) is the fact that the sentence begins with an example that does not necessarily require an allegorical interpretation, but that may refer to a discussion or a norm regarding a very concrete situation (in this case the purity or impurity of an animal). Only by becoming acquainted with the following of the discussion does it become clear to the reader or listener that some degree of allegory is needed to interpret the sentence (dogs are not dogs, but a category of humans). 6. This tradition is quite strong in Early Christianity and left its traces in different contexts, including Gos. Thom. 93 and Did. 9:5 (for P. Oxy. 840, see below). The logion in Gos. Thom. 93 says: “Do not give what is holy to dogs, or they may throw them upon the manure pile. Do not throw pearls [to] swine, or they might make [mud] of it” (trans. M. M eyer , in M. M eyer , ed., The Nag Hammadi Scripture [New York, 2007] 151). Meyer remarks that the end of the line is damaged and that other translations have been suggested. According to my reading, here the gnostic Jesus is becoming increasingly frustrated by the fact that his disciples (i.e., the apostolic church) do not understand his teaching and his own nature (logion 91) despite his willingness to explain it to them (logion 92). Therefore, here the “holy thing” should be understood as the revelatory doctrines of the sect; the dogs and pigs are non-gnostic Christians and non-spiritual humans. In the Didache, where we find only “Do not give what is holy to the dogs,” the context explains the saying as relating to Eucharistic food. The “dogs” are the non-baptized. See H. van de Sandt, “‘Do not Give What is Holy to the Dogs’ (Did 9:5d and Matt 7:6a): The Eucharistic Food of the Didache in its Jewish Purity Setting,” Vigiliae Christianae 56 (2002) 223–246. 7. This was clear and the comparison must have been usual. Some radical rabbis, though, thought that even breeding dogs impeded life in purity for an observant Jew: “R. Eliezer the Great says that he who breeds dogs is like him who breeds swine. What is the practical bearing of this comparison? – That he be declared
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contexts dogs were not a source of food. Dogs were, however, domesticated and very useful, especially for shepherding, hunting, and as watchdogs, to the Jews as well as to neighboring people. 8 Since it is clearly stated that no living animal, as impure as it be, can directly contaminate a pure person, 9 dogs become a source of impurity, like any impure animal, when they die. They also may endanger in various ways the state of purity of people and houses while they are alive because they are notorious scavengers. 10 Basically, dogs could bring impurity in three principal cases: (1) They can carry around or eat the carrion of an impure animal (or other impure food). 11 (2) They produce impure bodily secretions. 12 (3) They could eat and digest sacred food, desecrating it. cursed” (b. Baba Qamma 83a, trans. E.W. K irzner , in The Babylonian Talmud. 2.2. Baba Ḳamma [London, 1935] 471). 8. Dogs were not considered impure animals among neighboring populations, even if only the “Egyptian madness” had led to their deification. The precise expression (τὸν Αἰγυπτιακὸν τῦφον) about Egyptian theriolatry is from Philo, Fug. 90, but it was a regular topos in polemical texts. 9. As summarized very effectively by Elijah, the Gaon of Wilna, in the 18th century: “No creatures having life convey or contract uncleanness, excepting man” (and with the partial exception of the scapegoat) (see Elijah, “The Rules of Uncleanness,” in H. Danby, trans. and ed., The Mishnah (Oxford, 1933) 803. 10. See J. Schwartz , “Dogs in Jewish Society in the Second Temple Period and in the Time of the Mishnah and Talmud,” Journal of Jewish Studies 55 (2004). 11. Risks associated with dogs carrying or eating corpses (of impure animals) are discussed in various passages of the Mishnah, e.g., m. Ṭeharot 4:3 considers the case of a dog carrying the corpse of an impure animal in proximity to pure things; m. Zabim 2:3 deals with the state of a dog that has eaten the flesh of a corpse; and m. ʾOhalot 11:7 discusses impurity brought by the corpse of a dog that has died after eating the flesh of a corpse. 12. The general rule clearly states that whatever is produced by or originates with an unclean beast is unclean (m. Bekorot 1:2). This makes impure, for example, camel milk. Real problems arise with honey. It is pure, but comes from bees, which are impure. For ancient discussions and solutions, see E. Lupieri, “Halakah qumranica e halakah battistica di Giovanni: Due mondi a confronto,” in R. Penna, ed., Qumran e le origini cristiane: Atti del VI Convegno di studi neotestamentari. L’Aquila, 14–17 settembre 1995 (Bologna, 1997) esp. 76-78. In any case, the same R. Eliezer the Great (see n. 7) considers the breeding of bees as risky as the breeding of dogs and pigs. For a discussion, see t. Baba Batra 1:9; t. Baba Qamma 8:17; cf. t. Yebamot 3 (and parallels). Regarding dogs and their bodily fluids, the Mishnah contemplates the risk of dogs contaminating humid food (dough) with their saliva (m. Ṭeharot 3:8). In the particular teaching of Luke, impure dogs lick the wounds of the poor Lazarus, who is a son of Abraham (16:21), showing their mercy at risk of contaminating him, in the same way as the good Samaritan, using his own wine and oil (therefore impure) for the wounds of a Judean (10:34), saves his life by actually contaminating him. For the impurity of oil (and wine) of a Samaritan, see texts and discussions in J. Baumgarten, “The Essene Avoidance of Oil and the Laws of Purity,” Revue de Qumran 6 (1967) 183–192 and E. Lupieri, “La purità impura: Giuseppe Flavio e le purificazioni degli Esseni,” Henoch 7 (1985) esp. 16–18.
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Apparently, Matthew 7:6 alludes to this third case. 13 The text seems to be concerned with terumah offerings, or, more generally, with the flesh of victims presented in the Temple, the holiness of which (as meat that could only be eaten by priests) Leviticus 6:19 (26 LXX) already protects: “The priest who offers it as a sin offering shall eat of it; it shall be eaten in a holy place, in the court of the tent of meeting.” If dogs were allowed to roam freely in the holy city, and especially if they lived in the houses of priestly families, or, even worse, in the palace of the high priests, they could have accessed the food reserved for priests or coming from animals sacrificed in the temple. 14 We have open and critical statements both from teachers of Pharisaic tradition and from Qumran texts either protesting against high priests owning dogs 15 or proscribing allowing dogs in Jerusalem, in general or with limitations. For example, 4Q394 (4QMMTa) 8 IV, 8–12 (= 4Q396 [4QMMTc] II, 9–11) states, “And one should not let dogs enter the h[o]ly camp, because they might eat some of the [bo]nes from the temp[le with] the flesh on them. 16 For Jerusalem is the holy camp, it is the place which he has chosen from among all the tribes of [Israel, since] Jerusalem is the head of the ca[mps of Israel…].” 17 Probably all observant Jews would have agreed that, apart from and beyond the case of flesh accidentally remaining attached to a bone (of an animal sacrificed in the temple), the sacredness of the offering is such 13. A similar case seems to be envisioned in Gos. Thom. 93, quoted above, apart from its allegorical interpretation (the spiritual teaching of the Gnostic Jesus, eaten and digested by the non-spiritual listener, ends up in the “manure pile” of the non-spiritual [ecclesiastical?] doctrine). 14. After all, dogs were expected to eat fragments of food falling from the tables of their masters (Mark 7:28 // Matt 15:27 and Luke 16:21). 15. According to a word attributed to Eliezer ben Hyrcanus and often quoted (see J. Neusner , Eliezer ben Hyrcanus. The Tradition and the Man [Leyden, 2003] 1.388). 16. This is exactly the point where Pharisees and traditions present at Qumran could agree. In general, indeed, Pharisees and Qumranites disagreed on an important point: for the Pharisees the rules of purity (and impurity) apply only to the flesh of an animal, not to its bones (and sinews, skin, hair, horns, hoofs, etc.), while for the Qumranites “their purity (is) like that of their flesh” (Temple Scroll 47:10; cp. also possibly 4QMMT, B 17–20; see texts and discussions in E. Lupieri, “Halakah qumranica e halakah battistica di Giovanni,” in R. Penna, ed., Qumran e le origini cristiane: Atti del VI Convegno di studi neotestamentari. L’Aquila, 14–17 settembre 1995 (Bologna, 1997) 94–97). All would agree, however, that if some flesh remained attached to the bone, it would render the entirety pure or impure according of the nature of the flesh (the amount of flesh, though, may play a role for the application of the rule; for the rabbinic attention, see esp. m. Hullin 9). 17. F. García M artínez – E.J.C. Tigchelaar , ed., The Dead Sea Scrolls Study Edition, 2 vols. (Grand Rapids, 1998) 2.793–794. In this chapter, all quotations from the Dead Sea Scrolls are from this edition; volume and page number will be noted parenthetically following the quotations.
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that, even when “redeemed,” that is, bought back by a lay person for consumption at a non-priestly table, it could not be fed to dogs: “Animal offerings may not be redeemed in order to give them as food to the dogs” (m. Temurah 6:5). 18 The need to protect holy food in Jerusalem and pure food in the rest of Israel brought to establish general rules for both priests and lay people. The Mishnah (m. Baba Qamma 7:7) states that “They (any observant Jew) may not rear fowls in Jerusalem because of the Hallowed Things nor may priests rear them [anywhere] in the land of Israel because of [the laws concerning] 19 clean foods. None may rear swine anywhere. A man may not rear a dog unless it is kept bound by a chain.” 20 The main point is not that dogs can bite or attack humans, 21 but that they can either contaminate or eat pure food. 22 There is little doubt that dogs, especially feral dogs, were known for being desperately hungry, ready to devour anything edible, including human cadavers, and finally for attacking people and being dangerous. 23 At first reading, the danger posed by dogs seems to be mentioned in Matt 7:6, which states that the animals may “turn and maul you.” If these are to be understood as the dogs in the story, then the double logion appears to have a chiastic structure, since it is the pigs that are expected to “trample [the pearls] under their feet,” while the dogs would be expected to “turn and maul you.” I doubt that this is the correct interpretation of the logion, even if I have no doubts that the structure of the verse is 18. All quotations from the Mishnah in this chapter are from H. Danby, trans. and ed., The Mishnah (Oxford, 1933). 19. Or, even more concretely, “because of [the presence of] clean foods.” 20. Presumably the rabbis are less stringent with dogs because these can be chained up and therefore kept from roaming in the town or in the house of a priest or of an observant Jew. It seems more difficult to confine fowl. 21. Or that bees can sting. See n. 12. Bees are dangerous because they are fond of sweet substances, like honey, in which they can get trapped and die, rendering it permanently impure because honey, which is a liquid food, cannot be immersed in water to be purified. 22. Fowls are dangerous because they can bring in the corpse of a dead insect (or of some contaminating “creeping thing”) and pollute with it some pure food (see H. Danby, trans. and ed., The Mishnah [Oxford, 1933] 342, n. 2). 23. Plenty of cases are available in the Bible as well as in post-biblical Jewish narrations. See J. Schwartz , “Dogs in Jewish Society in the Second Temple Period and in the Time of the Mishnah and Talmud,” Journal of Jewish Studies 55 (2004) esp. 247. See also S. M enache , “From Unclean Species to Man’s Best Friends: Dogs in Biblical, Mishnaic, and Talmudic Periods,” in P. Ackerman-Lieberman – R. Z alashik , A Jew’s Best Friend? The Image of the Dog throughout Jewish History (Eastbourne, 2013) 36–51, and J. Schwartz , “Good Dog–Bad Dog: Jews and Their Dogs in Ancient Jewish Society,” in in P. Ackerman-Lieberman – R. Z alashik , A Jew’s Best Friend? The Image of the Dog throughout Jewish History (Eastbourne, 2013) esp. 53–55). For dogs eating unburied human cadavers, see Josephus, Jew War 6, 367.
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carefully constructed. Even the choice of the verb, viz. not giving holy food to dogs while not throwing pearls before swine, may correspond to an ongoing discussion preserved in a later Talmudic passage, “Food is put before the dog, but is not put before the pig: what is the difference between them? You are responsible for the food of one, but you are not responsible for the food of the other” (b. Šabbat 155b). Apparently, a Jew was expected to “give” food to his own dog, even on Shabbat, while pigs were expected to find their own food, possibly from the garbage (a habit they share with stray dogs). 24 If this is the case, then Matt 7:6 refers to owners feeding their own dogs, while this is not necessarily the case with the pigs. But why would the dogs, having been (foolishly) fed with holy food, then “turn and maul” their masters? Actually, it is quite a known fact that dogs are not the only animal that can maul humans and that swine can be as dangerous. 25 I believe that the end of the logion is either generically addressing both categories of animals or, more specifically and more probably, only the swine. Therefore, I have strong doubts that Matt 7:6 has a chiastic structure. It could easily be understood as based on a crescendo, with which the verse stigmatizes the condemned behavior first as unlawful, and then foolish and counterproductive to the point of being dangerous and life threatening. If this interpretation is correct, Matt 7:6 condemns first the giving of holy food to dogs, which is unlawful (even if does not have immediate negative consequences for the perpetrators), and then the throwing of pearls to swine which, although not unlawful, is stupid and dangerously counterproductive (swine do not appreciate the gift of pearls, 26 and remain hungry). 27 In any case, even if the “food” for dogs is a spiritual one, the allegorical use of “dogs” in the words of Jesus, as they are recorded, imply their traditional negative perspective. The same can be said of Mark 7:27 // Matt 15:26, where Jesus indicates the inappropriateness of diverting food, although not necessarily sacred or holy, but reserved for the “chil24. While Jews were forbidden from eating pork, they did, especially in the diaspora, raise them for sale to Gentiles or worked for Gentile pig farmers (cp. the parable of the prodigal son). 25. It is a recent, gruesome fact that the Calabrese mafia, the infamous ’Ndràngheta, fed one of its victims, wounded but still alive, to swine. The perpetrators were later arrested, but nothing remains of the victim (Giuseppe Baldessarro, “’Ndrangheta, il killer intercettato: ‘Quello lo abbiamo dato in pasto ai maiali,’” La Repubblica online, November 26, 2013). 26. Pearls are valuable and can be used metaphorically in a religious literary context, but they are not “holy” or “sacred” from a strictly Jewish cultic perspective. See discussions in E. Lupieri, A commentary on the Apocalypse of John (Grand Rapids [Michigan] – Cambridge, 2006) 255-256. 27. This reading would make it easier for the first part of the logion to have had an independent life, as its presence in the Didache apparently shows (see the bibliography given above in n. 6).
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dren,” to “little dogs.” In the present synoptic context, the dogs signify non-Jews in a traditional fashion, just as it was traditional to call one’s adversaries “dogs.” 28 This far the collected evidence indicates that Jesus shares a negative allegorical or spiritual interpretation of “dogs,” and the following passage confirms this interpretation. It allows us, though, to connect dogs not only to the purity of sacred food, but also to the purity of the temple. Papyrus Oxyrhynchus 840 preserves a portion of an otherwise unknown gospel: And he (Jesus) took them (the disciples) with him into the place of purification itself and walked about in the Temple court. And a Pharisaic chief priest, Levi (?) by name, fell in with them and s[aid] to the Savior: Who gave thee leave to [trea]d this place of purification and to look upon [the] se holy utensils without having bathed thyself and even without thy disciples having [wa]shed their f[eet]? On the contrary, being defi[led], thou hast trodden the Temple court, this clean p[lace], although no [one who] has [not] first bathed himself or [chang]ed his clot[hes] may tread it and [venture] to vi[ew these] holy utensils! Forthwith [the Savior] s[tood] still with h[is] disciples and [answered]: How stands it (then) with thee, thou art forsooth (also) here in the Temple court. Art thou then clean? He said to him: 1 am clean. For I have bathed myself in the pool of David and have gone down by the one stair and come up by the other and have put on white and clean clothes, and (only) then have I come hither and have viewed these holy utensils. Then said the Savior to him: Woe unto you blind that see not! Thou hast bathed thyself in water that is poured out, in which dogs and swine lie night and day and thou hast washed thyself and hast chafed thine outer skin, which prostitutes also and flute-girls anoint, bathe, chafe and rouge, in order to arouse desire in men, but within they are full of scorpions and of [bad]ness [of every kind]. But I and [my disciples], of whom thou sayest that we have not im[mersed] ourselves, [have been im]mersed in the liv[ing . . .] water which comes down from […]. 29
Here we are interested, first of all, in the issue of purity. The priest’s mention of “this place of purity” implies the subdivision of the temple area into differentiated zones of purity. Although the sources are not in full agreement, the temple, the city of Jerusalem and the whole land of Israel were divided somehow into concentric areas that required diminishing levels of purity, beginning with the place where the highest level of 28. For example, in the Pauline traditions “dogs” seem to refer either to nonbelieving Jews or to those among the believers who, according to Paul, were unable to detach themselves from the physical observance of the Mosaic Law: “Beware of the dogs! Beware of the evil-workers! Beware of the mutilation! For we are the circumcision, we who worship through the Spirit” (Phil 3:2–3). 29. P. Oxy. 840, trans. J. Jeremias – G. Ogg, in R. Cameron, ed., The Other Gospels. Non-Canonical Gospel Texts (Philadelphia, 1982) 54 (the “utensils” in the translation are “vessels” in Greek).
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purity was expected: the Holy of Holies. According to Josephus there are seven such areas, ( J.W. 1.26; 5.227 and Ag. Ap. 2.103-104); according to the Mishnah there are ten (m. Kelim 1:8-9); and according to the Temple Scroll there are eleven. 30 Our text seems to refer to specific purification rituals which were required for men entering some areas of the temple, as m. Kelim 1:9 states: “The Sanctuary is still more holy, for none may enter therein with hands and feet unwashed…. R. Jose said: In five things is the space between the Porch and the Altar equal to the sanctuary: for they may not enter there that … have hands and feet unwashed….” It is also possible that there is a memory of the need for purification for men passing “from purity to purity,” as stated in b. Yoma 30a: “Ben Yoma was asked: What is the purpose of this immersion? He answered: If one who moves from one holy place to another [mqdš lqdš] and from one place [the entering of] which [in uncleanness] involves kareth to another place [the entering of] which involves kareth, requires immersion, how much more shall he require immersion who moves from profane ground into holy ground….” 31 Interestingly, wearing fresh white garments after an immersion was required of priests on specific occasions and particularly from the high priest during the ritual of Yom hak-Kippurim. 32 I am not as optimistic as some about a very early date for the gospel fragment of P. Oxy. 840, 33 but it may very well testify to quite early traditions. Regarding dogs and pigs, it is not credible that actual dogs and pigs would have been allowed to enter a miqwah in historical Jerusalem before 70 and therefore this element of the discussion may indicate some significant chronological distance from the time of Jesus. Nevertheless, the polemic tones fit well in first-century discussions, even if the allegorical or spiritual interpretation, apparently centered on the impurity of any physical water, again may be later. Further we should ask what image of Jesus emerges from the fragment. That is, would the “real” Jesus have entered the most internal part of the Temple, together with his disciples, without the required purifications? 3 4 On the other side, could the debate be an 30. See J. M eier , Die Tempelrolle vom Toten Meer (München, 1978) 12-13 31. L. Jung, trans., “Yoma,” in Hebrew-English Edition of the Babylonian Talmud (London [Soncino], 1989). For “entering” (and not necessarily “passing from purity to purity”), see y. Yoma 40b. 32. For a concise description and discussion, see E. Lupieri, “Apocalisse, sacerdozio e Yom Kippur,” in Annali di Storia dell ’Esegesi 19/1 (2002) 11–21. 33. J. Jeremias , Unbekannte Jesusworte (Gütersloh 1963 [Unknown Sayings of Jesus, trans. R. H. Fuller , Eugene, 2008]) 50-60. 34. In the Protevangelium of James we do have (as early as mid 2nd century) legends that do locate Mary inside the temple, but she is a child, before the age of menstruation, and therefore she is not contaminating - and, according to Luke 1:36, she is from a priestly family. Would any among the earliest followers of Jesus have believed that Jesus too was from a priestly family?
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echo of Pharisaic discussions about which purifications are required in the different areas of purity inside the temple? Or, maybe, could it have saved some memory of halakhic skirmishes between Sadducees and Pharisees on the different levels of purity inside the temple? In this case, the “priest” would have accepted Pharisaic rules and Jesus would contest them. Be that as it may, what I would like to stress here is that we have at least three early Christian traditions (Revelation, Matthew, and P. Oxy. 840) that connect dogs with concerns of purity (however interpreted) and seem to testify to some teachings of Jesus on the subject. Furthermore, these concerns of purity are connected with Jerusalem (whether historical or eschatological) and the temple. The holiness of terumoth is accepted by Jesus as a matter of fact and we have no traces of Jesus criticizing the cultic system of sacrificing and offering.
2. Jesus, the altar, and the temple So when you are offering your gift at the altar, if you remember that your brother has something against you, leave your gift there before the altar and go; first be reconciled to your brother, and then come and offer your gift (Matt 5:23–24).
For us, the first important element we can derive from this passage is Jesus’s acceptance of the sacrificial dimension of the Jewish cultic life, including blood-offering. Another passage, present in all three of the Synoptics and not just in Matthew, the gospel most interested in describing the Jewish aspects of Jesus’s life and preaching, confirms this acceptance: “Go, show yourself to the priest, and offer the gift that Moses commanded, as a testimony to them” (Matt 8:4; see also Mark 1:44//Luke 5:14). Here the “gift” (Greek dōron) is the animal that must be slaughtered according to the Law. 35 Jesus’s familiarity with ritual slaughtering in the temple (as it seems) also concerns the Passover lamb (Mark 14:12,14) and even the well-known details about the preparation of the flesh of sacrificed animals, including its being salted before being burnt on the altar (probably to keep away impure animals, like insects, which could have contaminated the offering if they had died on it [see Mark 9:49 varia lectio.]). Another important element of the teaching of Jesus we may detect in the passage quoted from Matthew is a probable discussion about the spiritual or mental “cleanliness” to participate in a ritual ceremony involving 35. In different contexts the word dōron may be used for non-animal offering, as in Matt 15:5f, “But you say that whoever tells father or mother, ‘Whatever support you might have had from me is a gift (dōron) [to God],’ then he need not honor his father.” It should be noticed that even in this passage and in its parallels, where the keyword is korban, Jesus does not criticize the habit of donating to the temple, but its abuse.
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the offering of a “gift” on the altar in the temple. One should not bring his gift to the altar if he is for any reason guilty of something against his coreligionist. The probable presupposition is that any unlawful or sinful behavior leaves a mark, a stain, regarding which there were discussions if it could be cleaned by traditional and external purifications. In two instances Josephus states that the practice of virtue is what purifies the soul, and that the immersion or purification with water is useful for erasing the remaining “stain,” some sort of physical trace of the older sins, seen as sticking on the body. 36 In general, the discussions were centered on the efficacy of purifications with water (necessarily “external”) when not accompanied by internal and “spiritual” cleansing. Apparently, Jesus actively took part in the polemical discussions, at least according to the Synoptics. Luke 11:39–40 says: “Now you Pharisees clean the outside of the cup and of the dish, but inside you are full of greed and wickedness. You fools! Did not the one who made the outside make the inside also?” 37 Matthew 23:25–28 is even more direct: Woe to you, scribes and Pharisees, hypocrites! For you clean the outside of the cup and of the plate, but inside they are full of greed and self-indulgence. You blind Pharisee! First clean the inside of the cup, so that the outside also may become clean. Woe to you, scribes and Pharisees, hyp36. He tells it for the baptism of John the Baptist, in Ant. 18,117. (“For Herod slew him, who was a good man, and commanded the Jews who exercised virtue, both as righteousness towards one another, and piety towards God, to come to baptism; for that the washing [with water] would be acceptable to him, if they made use of it, not in order to the putting away [or the remission] of some sins, but for the purification of the body; supposing still that the soul was thoroughly purified beforehand by righteousness.” See Josephus , Antiquities of the Jews, trans. modified from W. Whiston, The Works of Josephus. Complete and Unabridged, new updated ed. (Peabody [Massachussetts], 1988) 484. For the purifications of the Essenes, see Jew War 2.138–41, “And when he [the new adept] had given evidence, during that time, that he can observe their continence, he approaches nearer to their way of living, and is made partaker of the waters of purification; yet is he not even now admitted to live with them; for after this demonstration of his fortitude, his temper is tried two more years, and if he appear to be worthy, they then admit him into their society. And before he is allowed to touch their common food, he is obliged to take tremendous oaths; that, in the first place, he will exercise piety towards God; and then, that he will observe justice towards men; and that he will do no harm to anyone and…that he will always hate the wicked, and be assistant to the righteous … and that he will keep his hands clear from theft, and his soul from unlawful gains” (in Josephus , Antiquities of the Jews, trans. W. Whiston, The Works of Josephus. Complete and Unabridged, new updated ed. [Peabody (Massachussetts), 1988] 606). 37. Here too the saying of Jesus begins with common objects (cups and dishes) and their rules of purity, but concludes with moral teaching about humans (you). Possibly these sentences traditionally attributed to Jesus were re-utilized when Gentiles were accepted in the groups of believers (see Acts 10:11–16).
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ocrites! For you are like whitewashed tombs, which on the outside look beautiful, but inside they are full of the bones of the dead and of all kinds of filth. So you also on the outside look righteous to others, but inside you are full of hypocrisy and lawlessness.
Philo was not less virulent when criticizing the “impure purity” of those whom the Synoptic Jesus would have called “hypocrites”: Such are the festivals of those who call themselves happy men, and even while they confine their unseemly conduct within their houses and unconsecrated places, they appear to me to be less guilty. But when, like the rush of a torrent carrying everything away with it, their indecency approaches and insults the most holy temples, it immediately overtaxes all that there is sacred in them, performing unhallowed sacrifices, offering victims which ought not to be sacrificed, and prayers such as should never be accomplished; celebrating impious mysteries, and profane rites, displaying a bastard piety, an adulterated holiness, an impure purity, a falsified truth, a debauched service of God. And besides all this, they wash their bodies with baths and purifications, but they neither desire nor endeavor to wash off the passions of their souls, by which their whole life is polluted; and they are eager to flock to the temples in white garments, clothes in robes without spot or stain, but they feel no shame at bringing a polluted mind up to the very inmost shrine. 38
Like Philo and the characters in Josephus’s narrative, Jesus is not questioning the Jewish cultic system, nor the temple, the altar or the “gifts.” On the contrary, he wants the whole system to be taken very seriously, 39 evidently to the point of teaching his own halakhah, which apparently strengthens the sacredness of the temple, according to a specific hierarchy of value, “And you say, ‘Whoever swears by the altar is bound by nothing, but whoever swears by the gift that is on the altar is bound by the oath.’ How blind you are! For which is greater, the gift or the altar that makes the gift sacred?” (Matt 23:18–19). The prohibition of swearing, confirmed by other texts among the early followers of Jesus, 4 0 may offer us the key to understanding the reasons behind the thought of the Matthean Jesus. In Matt 5:34–36 Jesus says, “But I say to you, Do not swear at all, either by heaven, for it is the throne 38. Philo, De Cherubim, 94-95, trans. C.D. Yonge , The Works of Philo. Complete and Unabridged, new updated ed. (Peabody [Massachussetts], 1995) 90. These words of Philo resonated in Christian writings. See Clement of A lexandria, Strom. VII, 4,26. 39. Which is, quite obviously, in agreement with the Scripture. See, e.g., Prov 15:8, “The sacrifice of the wicked is an abomination to the Lord.” 40. James 5:12, “Above all, my beloved, do not swear, either by heaven or by earth or by any other oath, but let your ‘Yes’ be yes and your ‘No’ be no, so that you may not fall under condemnation.”
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of God, or by the earth, for it is his footstool, or by Jerusalem, for it is the city of the great King. And do not swear by your head, for you cannot make one hair white or black.” More than with the (obvious) respect for the Name, clearly stated in the Mosaic Law 41 and stressed even in certain sectarian contexts, 42 here we are probably dealing with the Presence of God. Indeed, according to Matt 10:30, also the hair on a human head may become a sign of the divine presence through the mysterious but universal God’s providence: Who else but God could be the logical subject of its passivum divinum: “And even the hairs of your head are all counted” (Matt 10:30)? The whole context of Matt 23:16–22 can at this point be brought into our discussion. Woe to you, blind guides, who say, “Whoever swears by the sanctuary is bound by nothing, but whoever swears by the gold of the sanctuary is bound by the oath.” You blind fools! For which is greater, the gold or the sanctuary that has made the gold sacred? And you say, “Whoever swears by the altar is bound by nothing, but whoever swears by the gift that is on the altar is bound by the oath.” How blind you are! For which is greater, the gift or the altar that makes the gift sacred? So whoever swears by the altar swears by it and by everything on it; and whoever swears by the sanctuary, swears by it and by the one who dwells in it; and whoever swears by heaven, swears by the throne of God, and by the one who is seated upon it.
The gold he is talking about is probably the gold that was abundantly present inside the “sanctuary,” meaning the “house” or the main edifice of the temple properly considered, 43 and possibly also that of the treasury or korban. The sacredness and purity of the treasury was already protected in Deut. 23:19 (18 LXX): “You shall not bring the fee of a prostitute or the pay of a dog into the house of the Lord your God in payment for any vow, for both of these are abhorrent to the Lord your God.” The price of an impure activity or of an impure animal, be it in form of money or of
41. Exod 20:7, “You shall not misuse the name of the Lord your God.” 42. See CD-A XV, 1, “[He will not sw]ear by Aleph and Lamed (‘el = God) nor by Aleph and Daleth (‘adonai = the Lord)” (García-M artínez – Tigchelaar , 1.563). 43. This was already filled up with gold according to 1 Kings 6:20–30, “He [Solomon] overlaid the inside of the house with pure gold.… Next he overlaid the whole house with gold, in order that the whole house might be perfect: even the whole altar that belonged to the inner sanctuary he overlaid with gold.… He also overlaid the cherubim with gold.… The floor of the house he overlaid with gold, in the inner and outer rooms.” Its richness was vivid in the memory of the rabbis, “For all the house was overlaid with gold, save only behind the doors” (m. Middoth 4:1), and “What did they do with the surplus of the Terumah? Golden plating for bedecking the Holy of Holies” (m. Shekalim 4:4).
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a “gift,” should not be utilized in the temple, because again some “stain” would have remained attached to it. 4 4 The idea that what is earned through an impure activity brings with it some impurity 45 is further spiritualized in the Damascus Document, according to which any unlawful gain cannot be used in and for the temple: Concerning the regulation for free-will offerings. No-one should dedicate anything, obtained by unjust means, to the altar. Neither should the [pr]iests take from Israel (anything obtained by unjust means). (CD-A XVI, 13–15; García-M artínez –Tigchelaar , 1.565)
Similarly, they should take care to act in accordance with the exact interpretation of the law for the age of wickedness: to keep apart from the sons of the pit; to abstain from wicked wealth which defiles, either by promise or by vow, and from the wealth of the temple and from stealing from the poor of his people, making widows their spoils and murdering orphans; to separate unclean from clean and differentiate between the holy and the common. (CD-A VI, 14–18; García-M artínez –Tigchelaar , 1.559)
According to a rabbinic tradition, Jewish-Christian teaching (possibly attributed to a certain James, perhaps the brother or a disciple of Jesus) soon began disrespecting the purity of the temple and its annexes since it would have accepted the use of the money offered by a prostitute to build a “privy for the high priest.” 4 6 If this tradition is historically cor44. The “pay of a dog” was explained by Josephus as money earned as “payment for the mating of a dog” (A.J. 4.206) and by the Mishnah (m. Temurah 6:3) as an animal given in exchange of a dog. The Mishnah examines the case of the division of a heard with 19 lambs with a dog between two people. If one person gets ten lambs, and the other nine lambs and the dog, no lamb of the group of ten could be offered to the temple because it might correspond to the dog. Any of the nine, however, could be offered because it was distinct from the dog. No ancient testimony supports the recent interpretation that the “pay of the dog” is money earned by male prostitutes (called “dogs”). I once considered this modern hypothesis acceptable on the basis of an analogy with the “fee of the prostitute” and given the content of the preceding verse in Deuteronomy (23:18 [17 LXX]), but now I am convinced that there is no real need for it. The impurity of dogs and their incompatibility with the temple is a sufficient reason for the prohibition. Finally, in an economy scarcely monetized, it is not surprising that a “fee” or a “pay” is an animal (cp. Gen 38:17, where the fee of a prostitute is “a kid from the flock”) that theoretically could become a “gift” in the temple. 45. Against the famous “Pecunia non olet” attributed to the greedy emperor Vespasian (Suetonius , Vesp. 23; Dio Cassius , Hist. 66.14.5). 46. “I [R. Eliezer] was once walking in the upper-market of Sepphoris when I came across one [of the disciples of Jesus the Nazarene,] Jacob of Kefar-Sekaniah by name, who said to me: ‘It is written in your Torah, “Thou shalt not bring the hire of a harlot … into the house of the Lord thy God” [Deut 23:19]. May such money be applied to the erection of a retiring place for the High Priest?’ To which
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rect, it may testify to a development possibly connected to the sarcastic mood testified in Matthew’s narrative of the end of Judas’s betrayal. Matt 27:4-7 says, “Flinging the money into the temple, he [Judas] departed and went off and hanged himself. But the chief priests, having gathered up the pieces of silver, said, ‘It is not allowed to put them into the treasury, since they are price of blood.’ After consultation, they used them to buy the potter’s field as a burial place for foreigners.” According to Matthew’s narrative, Judas does not enter the temple, but throws the money into the naos, the sanctuary itself. This is quite difficult to imagine: Where were the priests talking? Which level of purity was expected in an area so close to the “house”? In any case, Matthew says that the high priests collect the money. Since, according to him, they recognize that that money possesses a level of “blood impurity” that disqualifies it from being deposited into the treasury, Matthew seems to imply that both the house and the priests have been contaminated. 47 It is not clear if Matthew thinks that the priests found the solution of what to do with the money after a regular meeting of the Sanhedrin, but their solution is halakhically parallel to the one suggested by the disciple of Jesus in the Talmudic passage quoted above: To put impure money to an impure, although useful and even charitable, use (viz. the potentially contaminating privy for the high priest and the definitively contaminating cemetery for the burial of Jewish foreigners who died in Jerusalem, probably during a pilgrimage). The main difference lies in the fact that the use of the contaminated money in the Matthean narrative is outside the temple, while the one suggested by the mysterious James would involve its use in the temple precinct, possibly even close to the sanctuary. In any case, the bitter irony by Matthew is evident: What kind of protection of the temple’s purity are the Jewish leaders able to offer? They seem to carefully protect its legal and halakhic purity, but at the same time they kill the Son of God, the real king of the Jews, whose blood is destined to fall upon them and their children (27:25), eventually causing the destruction of Jerusalem (21:33–46 etc.). I made no reply. Said he to me: ‘Thus was I taught [by Jesus the Nazarene], “For of the hire of a harlot hath she gathered them and unto the hire of a harlot shall they return [Mic 1:7]. They came from a place of filth, let them go to a place of filth.”’ Those words pleased me very much, and that is why I was arrested for apostasy; for thereby I transgressed the scriptural words, ‘Remove thy way far from her’—which refers to minuth—‘and come not nigh to the door of her house’ [Prov 5:4]—which refers to the ruling power” (b. Abodah Zarah 17a, trans. A. M ishcon [modified]). 47. As I discuss elsewhere (E. Lupieri, “La fuga di sabato. Il mondo giudaico di Matteo, seguace di Gesù,” Annali di Storia dell ’Esegesi 20 [2003] 57-73), Matthew seems interested in showing that the high priests and all Jewish leaders did contaminate themselves, particularly on Sabbath, during the Passover on which Jesus was killed.
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The antagonistic attitude of Matthew seems quite certain, but is it compatible with the image of Jesus that is apparently respectful of the temple and Jewish institutions, an image we are slowly constructing? Was not Jesus, at least once, directly responsible for an attack against the temple and was he not executed because of that possibly insurrectionist action?
3. Violence of Jesus in the temple Most traditional commentaries on the “cleansing of the temple” interpret the narrative as reflecting some historically violent action by Jesus and his disciples in the temple, roughly one week before his crucifixion. 48 The present context of the gospel narrative, particularly in Mark and Matthew, because of the cursing and withering of the fig tree, traditionally symbolizing Israel, is quite certainly antagonistic toward Israel as a whole or at least to its leadership (see Mark 11:12–[26] parr.). 49 But at the core of the narrative, possibly the oldest layer of the tradition, what does Jesus really do in the temple? He acts and teaches (apparently undisturbed). The first action is described by Mark in 11:15b: “And Jesus…began to drive out those who were selling and buying in the temple.” His action has both historical and eschatological models. The first is Nehemiah 13:15–22 where the ancient leader of the returning exiles and of the reconstruction of the temple rebuilds the power of Jerusalem by founding it on a strict application of the rules of Sabbath observance: In those days I saw in Judah people treading wine presses on the Sabbath, and bringing in heaps of grain and loading them on donkeys; and also wine, grapes, figs, and all kinds of burdens, which they had brought into Jerusalem on the Sabbath day; and I warned them at that time against selling food. Tyrians also, who lived in the city, brought in fish and all kinds of merchandise and sold them on the Sabbath to the people of Judah, and in Jerusalem … When it began to be dark at the gates of Jerusalem before the Sabbath, I commanded that the doors be shut and gave orders that they should not be opened until after the Sabbath. And I set some of my servants over the gates, to prevent any burden from being brought in on the Sabbath day. Then the merchants and sellers of all kinds of merchandise spent the night outside Jerusalem once or twice. But I warned them and said to them, “Why do you spend the night in front of the wall? If you do so again, I will lay hands on you.” From that time on they did not come on the Sabbath. And I commanded the Levites that they should purify themselves and come and guard the gates, to keep the Sabbath day holy. 48. See B. Dennert, “Mark 11:16: A status quaestionis,” Annali di Storia dell ’Esegesi 28 (2011) 279–288. 49. For an analysis of the possible traditional and redactional layers of the narrative, see E. Lupieri, “Fragments of the Historical Jesus? A Reading of Mark 11,11[26],” Annali di Storia dell ’Esegesi 28 (2011) 289–311.
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The eschatological model comes from Zechariah 14:20–21, a vision of the eschatological Shabbat (“that day”): On that day there shall be inscribed on the bells of the horses, “Holy to the LORD.” And the cooking pots in the house of the LORD shall be as holy as the bowls in front of the altar; and every cooking pot in Jerusalem and Judah shall be sacred to the LORD of hosts, so that all who sacrifice may come and use them to boil the flesh of the sacrifice. And there shall no longer be traders [lit.: Canaanites] in the house of the LORD of hosts on that day.
The action of Jesus, therefore, had an illustrious precedent and could be understood as aiming to protect the purity of the temple or maybe to introduce the eschatological end time for which the exclusion of merchants, possibly to be understood as “foreigners” like the Tyrians of Nehemiah or the Canaanites of Zechariah, 50 was expected and hoped for by some and possibly by many. If we believe Matthew’s narrative, on that occasion the crowds considered Jesus to be a prophet. Indeed, he could have been considered a new Nehemiah, who was finally implementing the sabbatical purification which founded the life of the second temple or, at the same time, a figure who was bringing into existence the time seen by Zechariah. 51 What I want to stress is that Jesus’s action, independently from what we can imagine to have happened or not happened, could have been understood as a symbolic action that could or should have taken place on a Sabbath, historically or eschatologically. Another main aspect of the scene makes Jesus less radical than Nehemiah and Zechariah: the “cleansing” is limited to the temple and does not involve the city (nor the land of Israel as a whole). We will return to this later. For now let us simply notice that, according to Jesus’s action, the merchants can keep doing their work in Jerusalem as long as they are outside the space of the temple. The connection with Sabbath seems to be confirmed by the contextual teaching of Jesus, reported only by Mark 11:16: “And he did not allow any person to carry a vessel through the temple.” The prohibition, indeed, sounds like an “exegetical reformulation” of a sabbatical prohibition of carrying. 52 Before we analyze its details, it is worth noticing that at the time of Jesus it was by no mean defined with certitude what was prohib50. For the exclusion of foreigners and unclean people, see Ezekiel 44:9 (for the sanctuary), “No foreigner, uncircumcised in heart and in flesh … shall ever enter my sanctuary,” and Isaiah 52:1 (for Jerusalem), “No longer shall the uncircumcised or the unclean enter you.” 51. The passage is actually attributed to a Trito-Zechariah, whose apocalyptic prophecy was possibly closer to Jesus than to the old prophet, but this was irrelevant at the end of the first century. 52. For the terminology and its meaning, see A. Jassen, “Law and Exegesis in the Dead Sea Scrolls: The Sabbath Carrying Prohibition in Comparative Perspec-
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ited or allowed on Sabbath because the passages of the Scripture dealing with Sabbath regulations were not exhaustive for all possible cases. Basically, only two biblical passages could be and were used to understand what God wanted an observant Jew to do or not to do on the seventh day. The first is Exod 16:26–29: Six days you shall gather it (food); but on the seventh day, which is a Sabbath, there will be none. On the seventh day some of the people went out to gather, and they found none. The LORD said to Moses, “How long will you refuse to keep my commandments and instructions? See, the LORD has given you the Sabbath, therefore on the sixth day he gives you food for two days; each of you stay where you are; do not leave your place on the seventh day.”
The prohibition seems to be against gathering food and leaving the place where one is, that is exiting the camps (and possibly one’s house or tent, but this is not explicit). The second passage is Jeremiah 17:19–27: Thus said the LORD to me: “Go and stand in the Gate of Benjamin, by which the kings of Judah enter and by which they go out, and in all the gates of Jerusalem, and say to them: ‘Hear the word of the LORD, you kings of Judah, and all Judah, and all the inhabitants of Jerusalem, who enter by these gates. Thus says the LORD: “For the sake of your lives, take care that you do not carry a burden on the Sabbath day or bring it in by the gates of Jerusalem. And do not carry a burden out of your houses on the Sabbath or do any work, but keep the Sabbath day holy, as I commanded your fathers.… But if you listen to me, says the LORD, and bring in no burden by the gates of this city on the Sabbath day, but keep the Sabbath day holy and do no work on it, then there shall enter by the gates of this city kings who sit on the throne of David, riding in chariots and on horses … and this city shall be inhabited forever. And people shall come from the towns of Judah and … bringing thank offerings to the house of the LORD. But if you do not listen to me, to keep the Sabbath day holy, and to carry in no burden through the gates of Jerusalem on the Sabbath day, then I will kindle a fire in its gates; it shall devour the palaces of Jerusalem and shall not be quenched.”
With Jeremiah we get many more details besides the prohibition against doing any work. The repeated prohibition is against carrying a burden in Jerusalem through its gates or against carrying a burden out of one’s house. The various added prohibitions involve exiting and entering through some gate or threshold, ideal lines one must cross when carrying a burden into Jerusalem or out of one’s house. Still, lot of gaps existed in the prohibitive,” in L.H. Schiffman – S. Tzoref, ed., The Dead Sea Scrolls at 60: Scholarly contributions of New York University Faculty and Alumni (Leiden, 2010) 115–156.
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tions, and other texts were composed to fill them. Two such passages from Jubilees are rich in details. Jubilees 2:29–30 says: Make known and recount to the children of Israel the judgment of the day that they should keep the Sabbath thereon and not forsake it in the error of their hearts. And (make known) that it is not permitted to do work thereon which is unlawful, (it being) unseemly to do their pleasure thereon. And (make known) that they should not prepare thereon anything which will be eaten or drunk, which they have not prepared themselves on the sixth day. And (make know that it is not lawful) to draw water or to bring in or to take out any work within their dwellings which is carried in their gates. And they shall not bring in or take out from house to house on that day because it is more holy and it is more blessed than any day of the jubilee of jubilees. On this day we kept the Sabbath in heaven before it was made known to any human to keep the Sabbath thereon upon the earth. 53
Besides the prohibitions against preparing food or doing a work, we learn here that it is prohibited to draw water and to carry (anything) in and out through a gate or from house to house. Jubilees 50:7–8 goes even further: Six days you will work, but the seventh day is the Sabbath of the Lord your God. You shall not do any work in it, you, or your children, or your manservant or your maidservant, or any of your cattle or the stranger who is with you. And let the man who does anything on it die. Every man who will profane this day, who lie with his wife, and whoever will discuss a matter that he will do on it so that he might make on it a journey for any buying or selling, and whoever draws water on it, which was not prepared for him on the sixth day, whoever lifts up anything that he will carry to take out of his tent or from his house, let him die. 54
Many more details are added, including the death penalty not only for a man having licit sex with his wife, but also for “discussing” something that would allow a person to make a journey in order to buy or sell anything and for lifting something so that he can carry it out of the house or of the tent. Three texts from Qumran complete our picture. CD-A XI, 5–11 states that “… on the Sabbath… …No man should carry (anything) from the house to outside, and from outside in the house. And if he is in a hut, he will not carry (anything) from it and will not carry (anything) inside it. He is not to open a sealed vessel on the Sabbath. No man should 53. O.S. Wintermute , “Jubilees: A New Translation and J.H. Charlesworth, ed., The Old Testament Pseudepigrapha, [Massachussetts], 2011) 2.58. 54. O.S. Wintermute , “Jubilees: A New Translation and J.H. Charlesworth, ed., The Old Testament Pseudepigrapha, [Massachussetts], 2011) 142.
Introduction,” in 2 vols. (Peabody Introduction,” in 2 vols. (Peabody
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wear perfumes, to go out or come in on the Sabbath. In his dwelling no man should lift a stone or dust. The wet-nurse should not lift the baby to go out – or come in – on the Sabbath” (García-M artínez – Tigchelaar , 1.569 [modified]). 4Q251 (4QHalakhah A) frag. (=4Q251) Frag. 1, 4–5 reads, “No] man will go out from his place the entire Sabbath, and from his house not out[si]de […]…to study or to read in the Book on [the Sabba]th” (García-M artínez – Tigchelaar , 1.497 [modified]). 4Q265 (4QMiscellaneousRules) Frag. 7, I, 5–6; 8–9 states, “No] man [carry o]ut from his tent vessels and foo[d] in the day of Sabbath. No one should take out an animal which has fallen in[to] water on the Sabbath day. But if it is a man who has fallen into water [on] the Sabbath [day], he may throw his garment to him to lift him out with it. And vessels no man [carry? lift? unseal? on the day of] Sabbath. And if an army […” (GarcíaM artínez – Tigchelaar , 1.549 [modified]). The prohibition of Mark 11:16 fits perfectly well in the frame of the discussion on sabbatical prohibitions against carrying. According to it, Jesus does not prohibits carrying a “burden” per se (therefore we should not translate “anything”), but rather carrying a “vessel,” that is anything belonging to the category of kelim, that is, objects that can contain or hold something, such as vases, for transport. Also, he does not prohibit bringing it inside or taking it outside, but rather carrying it through the temple. Here “temple” does not mean the “sanctuary” or the “house,” but the whole sacred area, including the porticos. Therefore the prohibition is not against entering and exiting the temple precinct in order to cross the whole area (which would involve carrying things inside and outside), but against crossing the internal boundaries within the temple precinct, that is, against passing “from purity to purity” while carrying a vessel. Further, for a “vessel” to be a vessel, it had to be used as one. Therefore the prohibition does not impede bringing in new and empty vessels, passing through the various internal boundaries with them, or taking out old and broken ones for disposal. Burdens which are not “vessels” (e.g., offerings, animals, their parts, food, woods, etc.) are allowed. Being careful makes most cultic activity possible. Likewise the transportation and pouring of the victims’ blood by the altar (for which the use of a vessel is unavoidable) is possible as long as the animal is slaughtered in the same area of purity that the altar occupies. Since carrying in or out is not prohibited, it is permitted to bring in food in its containers (for Tabernacles) as long as one remains within the first and most external area of purity and avoids crossing an internal boundary, since only in this case one’s action could be considered “carrying a vessel through the temple.” We should conclude this section of our work by noticing two details. First, even if the prohibition has the characteristics of a sabbatical prohibition of carrying, Mark 11:16 does not say when the prohibition should be enacted. This probably means that the prohibition should be in place
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always. If this is true, then Jesus wants to implement a typically sabbatical prohibition every day in the normal life of the temple. We will come back to this. Second, I would like to stress that despite the fact that Jesus’s prohibition would allow most of the cultic life of the lay faithful to take place in the temple, it would impede some rituals connected with sacrifices, 55 especially during key festivals such as Yom hak-Kippurim, which only priests, and particularly the high priests, could perform. For now, though, let’s examine another aspect that seems to emerge from our discussion. If Jesus wanted to extend sabbatical prohibitions to the everyday life of the temple, why did he act in ways that seem to profane the sabbatical prohibitions of lifting burdens and doing work? The answer is that he may not have. Mark 11:15c–d says: “And he overturned the tables of the money changers and the seats of those who sold doves.” Variously interpreted through centuries of exegesis, this sentence seems not only to prove that Jesus could exert, when needed, some “righteous violence,” but also that he could not have wanted to implement sabbatical prohibitions in the temple. His own behavior seems to deny any such intention. However, I don’t agree that Jesus’s behavior is incompatible with sabbatical observances. In fact, later rabbis would have probably recognized his behavior as acceptable. The first general rule to consider is that it is permitted to let objects fall on Sabbath. According to m. Šabbat 24:1, If (on the eve of the Sabbath) darkness overtook a man while he was on the way, he must give his purse to a gentile, and if there was no gentile with him he must put it on his ass. When he has reached the outermost courtyard (of the town) he may take off (from the ass) such baggage as can be taken off on the Sabbath, and for what cannot be taken off on the Sabbath he may loosen the cords so that the sacks fall down of themselves.
There were even people who thought they could pick up and eat fruit that had fallen (on its own) from a tree: “These are the things for which they [the teachers] reproved them [the people] … they ate on the Sabbath fruit that lay fallen under the tree” (m. Pesaḥim 4:8). I think that the point of the discussion is not that the fruit is prohibited per se, since it is definitely not picked directly from the tree (which would have certainly shown the intention of picking for eating), but because it is still necessary to pick it up from the ground. The people who felt authorized to eat it thought that having fallen to the ground, it would become licit since no one had caused it to fall. In specific cases, though, it was allowed to shake and even to lift things on top of which other things were so that those things would fall. 55. Apparently, water was flowing abundantly in the temple and, as we saw, blood could have been kept inside one area of purity, but oil, wine, flour etc. had to be brought in the most internal parts of the temple from outside.
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The goal, however, was not to use (or eat) the things which fell: “If a stone lay on the mouth of a jar, the jar may be turned on its side so that the stone falls off. If the jar was among other jars it may be lifted up and then turned on its side so that the stone falls off ” (m. Šabbat 21:2a). The idea is that licit food can be accessed on the Sabbath and that what covers it, depending on its nature, can be removed or, better, can be allowed to fall: “They may cover up hot food with hides and may move them about; and with wool-shearings, but these they may not move about. How should a man act? He should take off the lid (of the pot) while the wool-shearings fall away (of themselves). R. Eleazar b. Azariah says: The basket should be turned over on its side and the food thus removed. But the sages say: It may be removed and replaced” (m. Shabbat 4:2). Again, no lid or covering is taken or moved because someone wants to use it, but the action is needed for a different goal, in this case, to reach the food. 56 In the Gospel narrative of the “cleansing of the temple,” Jesus is not moving objects, nor lifting or carrying them to use them; he is certainly not sitting on the chairs or using the tables. On the contrary, he interrupts their use. He is not picking up nor using the coins either! Particularly for coins and tables, then, we have two mishnayot that seem to render Jesus’s behavior fully acceptable in the context of sabbatical prohibitions. The first says: “If there were coins on a cushion the cushion may be shaken so that the coins fall off ” (m. Šabbat 21:2b). The goal is not to get the coins, which could have been prohibited, but to use the cushion licitly. The coins are an obstacle and one can make them fall on the Sabbath. But even a table can be lifted and shaken, at least according to some rabbis: “The school of Shammai say: Bones and shells 57 may be taken up from the table (on the Sabbath). And the school of Hillel say: The entire table must be taken and shaken” (m. Šabbat 21:3). 58 Interestingly, b. Šabbat 143a inverts the attribution of the teachings, probably showing that at the time of the redaction there was the memory of this ruling, but—besides the fact that the two schools used to disagree—there was no longer a memory of who exactly had taught what. 59 At this point we can reasonably affirm that if Jesus wanted to introduce some sabbatical prohibition in the everyday life of the temple, his behavior was coherent because it would have been acceptable had it taken place on 56. The wool-shearing had been put over the lids of pots to keep the food, presumably a liquid (like soup or stew), prepared on Friday, warm for the Sabbath. Once the food is reached to be eaten, the wool-shearing is not useful any more. In the baskets the food must be dry and therefore R. Eleazar thinks the baskets should be turned over, to avoid lifting the covering. 57. That is, nutshells, quite obviously, and not mussel shells or other prohibited food. 58. The word translated “table” is tabla, a loanword from the Latin tabula. 59. This fact probably shows that the discussion was quite ancient.
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a Sabbath. Several other problems, though, need to be solved before we can hope to offer a coherent explanation of Jesus’s actions and teaching during the so-called “cleansing of the temple.” As we noted above, the prohibition against carrying vessels through areas with different levels of purity in the temple could have impeded some aspects of ritual life. For example, without carrying vessels through the temple it would have been impossible to bring incense and other arōmata to the altar and, particularly, to perform part of the ritual of the Day of Atonement. The point, though, is who was expected to carry the various containers needed for the rituals. Jesus’s prohibition is general because no specific person is mentioned. Therefore “no one” should “carry any vessel through the temple.” But might there have been exceptions? Actually, exceptions to sabbatical prohibitions were generally known and explicitly accepted by Jesus: “Or have you not read in the law that on the Sabbath the priests in the temple break the Sabbath and yet are guiltless?” According to Matt 12:5, Jesus accepts, since it is dictated by the Mosaic Law, that a specific category of people, “the priests,” in a specific religious area, “the temple,” can “break the Sabbath” and remain “guiltless.” Sabbatical prohibitions maintain their validity, but can be bypassed when a precise Mosaic disposition imposes it. Not everyone can do so, but only “the priests in the temple.” Matthew does not specify which particular behavior was being discussed. Nevertheless, there were universally accepted exceptions. For example, a passage from the Damascus Document states that “No one should offer anything upon the altar on the Sabbath, except the sacrifice of the Sabbath, for thus it is written: [Lev. 23:38] – except your offerings on the Sabbath” (CD-A XI, 17–18; M artínez – Tigchelaar , 1.569). The Mishnah also allows that “they [the priests or Levites] may draw water with a wheel on the Sabbath from the Golah-cistern and from the Great Cistern, and from the Haker Well on a festival day” (m. ʿErubin 10:14c). 60 These texts show that exceptions were known and accepted not only by Jesus, but also by the rabbis and by the sectarians at Qumran. Particularly, the justification of the exception in the Damascus Document is based on the Torah, like in Matthew. Given the tradition of Matt 12:5, I do not see a reason for thinking that Mark 11:16 contradicts it. And if it does not contradict it, then the cultic life of the temple becomes possible. If this is true, then Jesus wanted to apply more careful and rigid rules to the life of the temple, which, in his opinion, should have been subjected to the more stringent rules of sabbatical prohibitions against carrying. All the actions and the teaching of Jesus, as they appear in the oldest traditional level of the “cleansing of the temple” narrative, are coherent and may focus precisely on the imple60. Since water is drawn with a bucket or other vessel, this Mishnah also implies their use.
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mentation of sabbatical prohibitions in the temple. This is coherent with other traditional words of Jesus, preserved mostly by Matthew, according to which he was very respectful of the holiness of the temple. His behavior may be understood as supporting a more rigid observance than what was required by the priests, whose rules of purity, as we saw above regarding dogs, were constantly criticized by the Pharisees and the people behind the Qumran scrolls. This is probably why the people might have considered Jesus a “prophet” 61 and why he was not arrested on the spot or thrown out of the temple. It is understandable that the Sadducees may not have been pleased about the whole matter, but could the “cleansing,” understood in this way, have been the real cause for Jesus’s execution a week later? I feel comfortable saying that the Gospel narrative of the so-called “cleansing of the temple” very probably contains the memory of some action and teaching of the “real Jesus” and that this tradition is coherent with an aspect of his activity (a “fragment” of his figure) which was deeply respectful of the temple, its cult and its priesthood. If our reasoning is correct, Jesus might have wanted to have sabbatical restrictions applied to the everyday life of the temple. On the other side, Jesus does not seem interested in expanding or applying special rules of purity to Jerusalem or to the land of Israel. This is coherent with his teaching, which was apparently different for the everyday life of the people, including the “sinners,” in other places, public and private (synagogues, private houses, open fields), outside and even inside the city of Jerusalem, but definitely outside of the temple. The miracle in John 5:1–16 coheres with this picture. Jesus says to the “sick man,” who had been sick “for thirty-eight years,” to “get up,” “pick up [his] couch” 62 and to “walk.” The objection by “the Jews” is that, since that day was a Sabbath, 63 the healed man was not allowed to “pick up” his couch. In John 5 Jesus does not tell the man to walk home, 6 4 which would have involved carrying the couch into a house, but to “pick up … and walk.” Carrying the couch is implied, but apparently what triggers the reaction of the observant Jews is the “lifting” of the couch. In any case, the action was “lifting with the intention of carrying,” and the couch was certainly a “burden.” Given its function, it could also be considered a keli. 65 However, the event does take place outside of the temple. Interest61. Only Matt 21:11 and 46 connects explicitly people’s belief that Jesus was a prophet with his activity in the temple, but the idea is repeatedly asserted in all the Gospels (see Marc 6:15 par; Luke 7:16, 39 and 29:19; John 7:30 and 52). 62. The Greek krabattos means couch or any kind of simple bed. 63. John does not say that it was a Saturday. In John 5:1, he says that it was “a feast of the Jews” and then at 5:9 that “it was a Sabbath on that day.” 64. As he says to the lame man in Mark 2:11 (but it was not Sabbath then). 65. It does not seem to me that this is a case of mukzah, regarding an object the function of which changes on Sabbath, as supposed by H. Falk , Jesus the Pharisee. A New Look at the Jewishness of Jesus (New York, 1985) 153-54. Harvey Falk is
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ingly, according to John, in the following discussion (5:17-8) Jesus denies that God has ceased to work on the Sabbath. In this way he authorizes himself to “work,” too. Therefore, the accusation now is that Jesus (no more the healed man) has “broken Sabbath” (see also John 9:14–16 and Mark 3:1–6 and par., plus Luke 13:10–17 and 14:1–6). Probably, as a pious Jew, Jesus believed in some form of a localized Presence of God in the temple, a fact which would have required the more stringent application of rules to the whole area by observant Jews. In particular, he would have seen in the sabbatical restrictions a way to protect the holiness of “the place,” a holiness that people were at risk of forgetting given the priestly halakhic rules implemented at that time in the temple and deemed lax by some, including Jesus. If this is the motivation behind his actions and teaching in the “cleansing of the temple,” can we hypothesize why he decided to apply sabbatical prohibitions against carrying vessels and not to insist on the implementation of other rules not tied to the Sabbath, as an example more stringent rules of purity? If we accept that the key issue here is the sabbatical dimension of Jesus’s project for the everyday life of the temple, we can try various ways to understand why a sabbatical dimension of the temple’s life could or should be acceptable for observant Jews. It seems to me that there are two main related ways to proceed. The first is to reflect on the meaning of Sabbath, and the second is to focus on the divine presence. Sabbath can be many things at the same time. It is a remembrance of the creation and of God’s cessation of work on the seventh day; it is the remembrance of the exodus; and it is a glimpse into the eschatological bliss and rest. Connected etymologically with the root shabath (to rest; cease working) and phonetically to shebii and shebiith (seventh), the word could be used to name the seventh day of any calendric week of the year (a Saturday), or the seventh day of any count or list of days, or also any important festival, regardless of the day of the calendric week on which it fell. Particularly, the Day of Atonement (Yom hak-Kippurim) is defined “a Sabbath of Sabbaths” (Lev 23:32). This construction is a way of making the “superlative” of nouns (e.g., “the Song of Songs”), even if it is not a calendric Saturday. (Falling on the tenth day of the seventh month, it can be any day of the calendric week). probably right, though, when he points out that since Jerusalem was a walled city, carrying a burden within the walls should have been allowed. We do not know, though, where the sick person lived, but, had he carried the couch into his house, he would have been guilty in any case, at least according to the rules of Jubilees 2 and 50. Falk thinks that Jesus and his followers belong to the Hillelites and were opposed to and by a radical wing of the house of Shammai, allied with the “Zealots.” Independently from this, his book is a real trove of suggestions and ideas. It is unfortunate that he does not consider Mark 11:16.
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The fact that any day of a given week can become a Sabbath is extremely important for us because it means that Jesus could actually have had the idea of transforming that day, as well as all other days, into Sabbath or, better, into a series of Sabbaths. My supposition is that this series was expected to be an uninterrupted series of Sabbaths, or, to state it otherwise, that it was to be expected that in the temple it was always Sabbath. This brings us to the second point, the divine presence, in two different ways. First, it is the real presence of God (Yahweh) in the temple. If the “day of God” is Sabbath, should we not think that, wherever God is, it is Sabbath? But is it possible to think of some sort of relativization of time in the presence of God? This is actually quite normal in apocalyptical contexts.
4. The relativity of time in apocalyptical context Since time in general and the times (as periods) in particular must be considered spiritual entities, God is their lord and can change them and even have them co-present in his a-temporal reality. This is expressed in various apocalyptical texts from roughly the end of the first century to the beginning of the second century. For example, we find in 2 Baruch: “O Lord, you summon the coming of the times, and they stand before you. You cause the display of power of the worlds to pass away and they do not resist you. You arrange the course of the periods, and they obey you” (48:2). 66 This astonishing text is followed by another one a few pages later: “You are the one to whom both the depths and the heights come together, and whose word the beginnings of the periods serve” (54:3). 67 The phrase translated “coming of the times” and “beginnings of the periods,” literally, sounds “heads of the times,” referring probably to the angelic entities in charge of the times or periods in which the existence of the world is divided (and which, in some texts, could have been considered millennia, as ps.-Hippolytus did in his interpretation of Rev 17:10). 68 This is confirmed by another apocalyptic writing in which twice God (or his Voice) shows Abraham God’s power over the “ages”: “Go, get me a three-year-old heifer, a three-year-old she-goat, a three-year-old ram, a turtledove, and a pigeon, and make me a pure sacrifice. And in this sacrifice I
66. A.F.J. K lijn, “2 Baruch: A New Translation and Introduction,” in J.H. Chared., The Old Testament Pseudepigrapha, 2 vols. (Peabody [Massachussetts], 2011) 1.635. 67. A.F.J. K lijn, “2 Baruch: A New Translation and Introduction,” in J.H. Charlesworth, ed., The Old Testament Pseudepigrapha, 2 vols. (Peabody [Massachussetts], 2011) 639. 68. Pseudo -Hippolytus , In Dan 4.23.6; see. E. Lupieri, A commentary on the Apocalypse of John (Grand Rapids [Michigan] – Cambridge, 2006) 274-75. lesworth,
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will place the ages” (Apoc Abr 9.5) 69; and “And he said to me, ‘Look now beneath your feet at the firmament and understand the creation that was depicted of old on this expanse, (and) the creatures which are in it, and the age(s) prepared after it.’ And I looked beneath the firmament at my feet and I saw the likeness of heaven [translation tentative] and the things that were therein” (Apoc Abr 21.1-2). 70 This idea of the co-presence of different ages is essential in apocalyptical texts since it is only because of this phenomenon that the seer can contemplate the past, present, and future. What is important for us, though, is the fluidity or relativity of times. This fluidity left traces in some (apocalyptic) passages of the Gospels, where times can be “bent” according to the will of God: “If the Lord had not shortened those days, no one would be saved; but … he did shorten the days” (Mark 13:20). This way of reasoning would have allowed Jesus to realize that in the temple, given the sovereign presence of God, it was possible to think that it was always Sabbath, his day. This might have meant that Jesus thought he had understood something that should have been visible to everyone, but that other people could not “see.” According to Luke 17:20-21 Jesus, responding to the Pharisees, declared that “the kingdom of God is among you.” Could he have meant that the real presence of God was already in the temple and that the other Jews were not taking it seriously? If all this makes sense, we can imagine that the temple, as the privileged area of earth in direct contact with heaven, was going to play a key role in the beginning of the eschaton. As in the reconstruction by Luke and Acts, the beginning of the revelation was going to happen in the temple of Jerusalem and from there it would spread to save the whole inhabited world. We can also suppose that, possibly in an early phase of his preaching, somehow preserved in John’s chronology of his “cleansing of the temple,” Jesus hoped to “save” the temple and “convert” the other Jews to an active expectation of the Kingdom and its everlasting Sabbath, which was already there, at hand. He would have then shared that hope, the memory of which is preserved by the rabbis: “On the Sabbath they sang ‘A Psalm: a Song for the Sabbath Day’; a Psalm, a song for the time that is to come, for the day that shall be all Sabbath and rest in the life everlasting” (m. Tamid 7:4). It should not have been understood symbolically: It was real; it was there.
69. R. Rubinkiewicz , trans., “The Apocalypse ed., The Old Testament Pseudepigrapha, 2 2011) 1.693. 70. R. Rubinkiewicz , trans., “The Apocalypse worth, ed., The Old Testament Pseudepigrapha, 2 2011) 699. worth,
of Abraham,” in J.H. Charlesvols. (Peabody [Massachussetts], of Abraham,” in J.H. Charlesvols. (Peabody [Massachussetts],
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Did Jesus expect, or did people around him expect him to be the one who was going to initiate that Sabbath? Who applied to him, and when, the prophecy of the Son of Man: “The Sabbath was made for man, not man for the Sabbath; that is why the Son of Man is lord even of the Sabbath” (Mark 2:27–28)? If the Son of Man is the lord of Sabbath, is it not possible that he was the one able to decide when that Sabbath was going to be recognized, so that it could really “begin”? I am fully aware of the hypothetical dimension of what I am saying, but we may indeed have traces of different early speculations on the beginning of the eschatological Sabbath, possibly connected with the preaching of Jesus. When Matt 6:11 requests, “Give us today the food (or bread) of tomorrow,” as the probable fulfillment of Exod 16:29a–b (“Take note! The LORD has given you the Sabbath; that is why on the sixth day he gives you food for two days”), is he requesting that “today be Friday,” so that tomorrow will be the Sabbath? This expectation seems quite different from the one implied in Mark 11:16 and this may be one reason why Matthew did not reproduce the sabbatical prohibition of carrying vases in his version of the “cleansing of the temple.” The eschatology behind Matt. 6:11 is different from that of Mark 11, but also the eschatology of Luke 11:3 (“Give us every day the food [or bread] of the day after”) is different from that of Matthew. For Luke (and Acts) our time, the dimension of “already and not yet,” is probably a longer period of expectation, in which the church has the opportunity to develop and expand. In conclusion, the hypothetical image of Jesus that I am positing is a fragment that strongly connects him to the temple and its cultic and priestly life, possibly against other different interpretations of his image, interpretations already present in the very old layers of the traditions his followers collected and reworked. According to this fragment, Jesus did not attack nor menace the temple, but tried to protect its holiness in a way he thought was superior to the way that the priests of his days followed. The earliest layers of the “cleansing of the temple” traditions epitomize his respectful attitude and depict an attempt to protect the purity of the temple because of the presence of God and in view of its near eschatological function. This hypothesis would be supported by the chronology of John more than by that of the Synoptics and, especially, would require further inquiry on the immediate reasons that caused the execution in Jerusalem of the prophet from Galilee.
M ATTHIEU 16, 13-20, UN TEXTE SOUS INFLUENCE SACERDOTALE ? Alexandre et Cécile Faivre Université de Strasbourg
Abstract The distinctively Matthean aspects of the story of Peter’s confession include on the one hand the portrayal of a symbolic change of name, the fact that the confession is made to the “son of the living God,” and the elaboration of the theme of the stone; on the other hand, they also include the use of the term ekklesia, the specification of “Simon” as being “the son of Jonas,” and mention of the gates of hell. We will argue that these characteristics of the Matthean account were probably inspired by two groups of texts. The first group includes the accounts of the giving of symbolic names to children that are found in Isaiah, chapter 8, and Hosea, chapters 1-2, both of which were produced by a priestly redactor of Isaiah. Hosea 1:10 transforms those who are “not my people” into “sons of the living God,” while in Isaiah 8:14, following the tale of Isaiah’s children, the symbol of the stone with many properties is introduced. The second group includes Sirach, chapter 50, which presents a model for Simon the son of Jonas, namely the high priest Simon, son of Onias (or John), who redeems the people of Israel from their sins on the day of Yom Kippur, the only time at which the high priest is permitted to speak the name of God over “the whole ekklesia of the sons of Israel” (50:20). This group also includes Sirach chapter 51, in which the high priest Simon offers thanksgiving to God for having delivered him from death, saying that “ from the gates of Sheol I prayed, I appealed to the Lord, father of my Lord” (51:9-10). Résumé Au centre de l ’originalité du récit de la confession de Pierre selon Mathieu se trouvent : (1) la mise en scène d’un changement symbolique de nom, la confession au « fils du Dieu vivant », le développement du thème de la pierre ; (2) l ’utilisation du terme ekklèsia, la précision « Simon, fils de Jonas », la mention des portes de l ’enfer. Nous montrerons que toutes ces particularités du récit matthéen ont probablement été inspirées par deux séries de textes : (1) les récits d’imposition de noms symboliques aux enfants des prophètes Isaïe (8) et Osée (1-2), tous deux issus de la main d’un rédacteur sacerdotal d’Isaïe : en effet, Osée 2, 1 transforme « Pas mon peuple » en « Fils du Dieu vivant » et, à la suite du récit concernant les enfants d’Isaïe est introduit, en Is 8, 14 le symbole protéiforme de la pierre ; (2) Siracide (50) qui offre à Simon fils de Jonas le modèle La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 195-227. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115531 ©
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du Grand prêtre Simon fils d’Onias (ou de Jean) déliant le peuple d’Israël de ses péchés au jour du Yom Kippour, seul moment où le grand prêtre est autorisé à prononcer le nom de Dieu sur « toute l ’ekklèsia des fils d’Israël » (Si 50, 20) et Siracide (51) qui montre le grand prêtre Simon rendant grâces à Dieu pour l ’avoir délivré de la mort et rappelant : « des portes du shéol, je priais, j’invoquais le Seigneur, Père de mon Seigneur » (Si 51, 9-10).
Lorsque notre collègue Simon Claude Mimouni nous a informés que le sujet du prochain colloque qu’il organisait toucherait « le temple et les sacrifices chez les judéens chrétiens et les judéens synagogaux après 70 » nous avons tout de suite pensé au récit de la confession de Pierre relaté en Mt 16, 13-20. À priori, la rédaction finale de l’Évangile selon Matthieu se situe dans la fourchette indiquée 1 ; mais la question de la datation du passage que nous allons étudier et de l’éventuelle authenticité de la tradition qu’il rapporte est une autre paire de manches. Ici les questions de datation et d’interprétation s’entremêlent, et, bien souvent, le choix final entre les différentes hypothèses est largement conditionné par l’interprétation théologique souhaitée et conçue comme recevable par le chercheur. Il est évident que la question de l’authenticité ou non des paroles de Jésus est généralement perçue comme cruciale par tous ceux qui veulent soutenir la primauté de Pierre, ou, au contraire, la réfuter. Pourtant il nous semble que la question d’un rôle symbolique particulier donné à Pierre par le Christ peut très bien être dissociée de la question de la primauté du siège de Pierre aujourd’hui. En tout état de cause, il nous paraît beaucoup plus important de rapprocher l’ekklèsia / assemblée que Jésus fonde sur une pierre ou un rocher de la problématique du temple – qui répond au contexte historique dans lequel ce récit est né –, que d’une problématique d’Église qui n’apparaîtra que plus tard. Actuellement, beaucoup d’exégètes estiment que les versets 17 à 19 sont une création rédactionnelle. Certains en situent l’origine à Antioche, d’autre dans la communauté de Jérusalem, ou bien dans des milieux galiléens 2 . Notre propos ne sera pas d’affronter directement des problèmes de critique textuelle qui ont fait l’objet d’études multiples et très serrées. 1. M. Quesnel , dans B. Pouderon – E. Norelli, Histoire de la littérature grecque chrétienne. II, Paris, 2013, p. 317-322 ; E. Trocmé , « Y a-t-il un antijudaïsme du Nouveau Testament ? », Revue des sciences sociales 31 (2003), p. 160-165, spécialement 163 ; A. Jakab , « Une rupture consommée : chrétiens et juifs sur le chemin de la séparation/différenciation entre la destruction du temple (70 apr. J.-C.) et la révolte de Bar Kokhba (132-135 apr. J.-C.) », Classica et Christiana 9 (2014), p. 157-173. 2. S.C. M imouni – P. M araval , Le christianisme des origines à Constantin, Paris, 2006, p. 177.
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Nous aborderons plutôt le récit de Matthieu sous l’angle de sa compréhension. Notre recherche consistera d’abord à tenter de découvrir les éléments culturels préexistants ou les textes qui ont pu inspirer le récit de Matthieu, influencer sa forme et lui donner sens – et ceci en réservant la question de son caractère rédactionnel ou non. En effet nous partons de l’idée que tout discours qu’il soit spontané, ou, à l’opposé, réfléchi et construit de manière rédactionnelle, se réfère à certaines idées et à certains éléments de discours préconstruits, intégrés par le locuteur ou le rédacteur, et qu’il estime susceptibles d’être compris et de faire autorité auprès des récepteurs, qu’ils soient auditeurs ou lecteurs. Le dépistage de ces éléments « normalisateurs implicites » du discours permet à la fois d’orienter la compréhension du récit et de cerner les contours sociaux et culturels des milieux de production et de réception. Problématique Pour comprendre et situer le texte de Matthieu, il faut bien sûr tenter de retrouver l’origine de ce qui en fait un récit particulier et principalement l’origine des versets 17 à 19. Mais auparavant, il convient de rappeler ce qu’il a de commun avec ses parallèles synoptiques (Mc 8, 27-30 ; Lc 9, 18-21). Dans tous les synoptiques, la confession de Pierre fait suite à une interrogation de Jésus provoquée par les discussions des foules sur son identité : « Et vous qui dites-vous que je suis ? ». Elle est suivie par l’injonction du secret. Cette injonction était propre à susciter la curiosité et peut être aussi l’imagination. R. Bultmann voyait dans le récit de la confession de Pierre selon Marc une tradition relatant un dit historique de Jésus, qui aurait été ensuite développée par Matthieu 3. Quoi qu’il en soit, Marc et Matthieu s’accordent sur la situation géographique et chronologique de cette confession. Tous deux situent l’action dans la région de Philippe de Césarée 4 , et tous deux la situent six jours avant la transfiguration, qui, si l’on se réfère à la demande de Pierre de dresser trois tentes et à ce qu’elle symbolise, correspond à la fête de Sukkot. Ces « six jours avant » nous ramènent au Jour de l’Expiation, le Yom Kippour. C’est donc au Yom Kippour que Marc et Matthieu situent la confession de Pierre. Ils sont suivis par Luc qui note 3. J. Schlosser , Le Dieu de Jésus. Étude exégétique, Paris, 1987, p. 164-167, « considère avec la plupart des auteurs que la trame du récit matthéen a été fournie par Marc et que les éléments particuliers à Matthieu (verset 17-19) ont été insérés dans cette trame ». G. Claudel , La confession de Pierre, trajectoire d ’une péricope évangélique, Paris 1988, p. 40-41, fait le point sur le débat exégétique concernant le statut littéraire de Matthieu 16,17. 4. S.C. M imouni – P. M araval , Le christianisme des origines à Constantin, Paris, 2006, p. 175-185 et 261.
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que la transfiguration a eu lieu : « environ huit jours après ». Les trois synoptiques s’accordent également pour rapprocher le questionnement sur l’identité de Jésus d’un questionnement sur l’identité de Jean-Baptiste 5. Ils font ainsi apparaitre la prédication de Jean-Baptiste au sujet de Jésus comme une annonce, et la transfiguration comme une confirmation de la confession de Pierre. Le fait que les trois synoptiques présentent la confession de Pierre dans le cadre d’une discussion de Jésus et des disciples nous amènera sans doute à comparer la confession de Pierre avec d’autres confessions présentées dans un cadre similaire, même si ces confessions ne sont pas mises sous le nom de Pierre, et même si elles n’appartiennent pas aux Évangiles synoptiques, voire canoniques. Passons maintenant aux éléments originaux de l’Évangile selon Matthieu par rapport aux synoptiques. Le premier se situe avant le récit de la confession proprement dit, dans le questionnement de Jésus, où Jésus introduit, selon Mathieu, la question de l’identité du Fils de l’Homme. Bien que Matthieu soit le seul à rapporter ce questionnement sur le Fils de l’Homme, nous ne nous prononcerons pas maintenant sur le caractère « inventé » ou au contraire « historique » de cet élément. En effet, on pense généralement que le titre de Fils de l’Homme est sans doute le seul titre que Jésus se soit lui-même attribué 6 : le fait que les 802 occurrences évangéliques de cette expression la mettent dans la bouche de Jésus nous paraît plaider fortement en faveur de cette opinion. Il serait donc tout à fait possible et logique que Jésus ait introduit cette appellation dans une discussion sur son identité. Toutes les autres particularités de Matthieu se situent dans les versets 16b à 19. En effet, Matthieu ne se démarque pas seulement par le récit du nouveau nom et de la mission conférés à Pierre, mais aussi par la formulation de la confession où il introduit après « Tu es le Christ » la précision suivante : « le Fils du Dieu vivant » 7. À notre avis, cette précision ne peut être qu’appelée par la suite du récit, les fameux versets 17 à19 : « Or Jésus, répondant, lui dit : « Heureux es-tu, Simon, fils de Jonas, parce que ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi je te dis : tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon ekklèsia, et les portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te
5. Pour certains, le logion « mais vous, qui dites-vous que je suis ? », est un logion « flottant » qui, chez Marc, se situait primitivement dans le contexte de la réflexion faite par Hérode en Mc 6, 14 sur Jésus et Jean-Baptiste 6. On trouvera un état de la question sur le titre de Fils de l’Homme dans S.C. M imouni – P. M araval , Le christianisme des origines à Constantin, Paris, 2006, p. 141-143. 7. M. Wilcox , « Peter », New Testament Studies 22 (1976/1977), p. 73-88, rattache d’ailleurs Mt 16, 17 au récit primitif de la confession de Pierre.
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donnerai les clés du royaume des cieux et ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux ».
Ces versets composent un récit de changement de nom à portée symbolique dont la signification et les origines sont également difficiles à discerner. Notre démarche s’articulera en trois moments : (1) Tout d’abord, nous tenterons de définir quels précédents scripturaires et exégétiques, quels raisonnements théologiques, peuvent expliquer, dans la confession de Pierre selon Matthieu, le passage de la notion de Fils de l’Homme à celle de Fils de Dieu vivant. Ceci nous permettra d’appréhender le contexte mystique, voire eschatologique, qui a pu sous-tendre la réflexion menant à la confession du Fils du Dieu vivant. (2) Ensuite, nous rechercherons quels modèles scripturaires de récits symboliques de changement ou d’attribution de nom auraient pu commander ou suggérer l’écriture d’un récit de ce type dans l’Évangile selon Matthieu. Puis nous ferons la même démarche pour certains des points de ce récit propres à Matthieu : la précision « fils de Jonas » accolée au nom de Simon et le développement autour de la symbolique de la pierre. Nous constaterons l’influence de rédaction et de textes à caractère sacerdotal, et même liturgique. Nous tenterons d’éclairer l’usage particulier qu’en fait Matthieu et le sens qu’il leur donne. Tout ceci nous fournira déjà des indications sur le profil culturel et théologique de ceux qui sont capables de comprendre ce récit, qu’ils en soient l’(les) auteur(s) ou les récepteurs. (3) Enfin, pour essayer d’affiner encore ce profil, et de le situer historiquement, nous comparerons le récit de Matthieu avec les récits de l’Évangile selon Jean et de l’Évangile selon Thomas où une confession de foi est formulée, comme chez Matthieu, dans le cadre d’un dialogue avec Jésus. Nous en relèverons les similitudes et les divergences. Après quoi nous serons amenés à pointer deux tentatives « œcuméniques » pour tenter de concilier ces différents courants.
I. La confession de Pierre : comment passer du Fils de l’Homme au Fils du Dieu vivant ? Soulignons à nouveau que le récit de Matthieu ne se singularise pas seulement par la confession de Pierre, mais qu’il se caractérise également par l’interrogation de départ. Nous savons que celle-ci, chez Matthieu, est double. Elle comprend non seulement, comme les autres synoptiques, la question « qui dites-vous que je suis ? », mais aussi « que disent les gens qu’est le Fils de l’Homme ? ». Il s’agit pour Matthieu d’une véritable préoccupation théologique : il faut joindre les deux titres Fils de l ’Homme et Fils de Dieu vivant. De fait, l’expression « Dieu vivant » n’apparaît que deux fois dans l’ensemble des Évangiles, et les deux fois chez Matthieu.
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La première mention du Dieu vivant dans l’Évangile selon Matthieu se trouve dans notre texte, la seconde dans le récit du procès de Jésus. Mais cette fois-là les termes de la problématique sont inversés : on part de la notion de Dieu vivant pour aboutir à celle de Fils de l’Homme. En effet, lors de la comparution de Jésus devant le Sanhédrin, le grand prêtre (Caïphe !) interroge Jésus en lui disant « je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu ». Et Jésus lui répond « Tu l’as dit. D’ailleurs je vous le déclare : désormais vous verrez le Fils de l ’Homme siéger à la droite de la Puissance et venir sur les nuées du ciel (Dn 7,13 ; Ps 110,1) » (Mt 26, 63-64). Le grand prêtre rejette violemment cette réponse en accusant Jésus de blasphème. La condamnation de Jésus par Caïphe constitue dans l’Évangile selon Matthieu l’exacte antithèse de la confession de Pierre 8. A. L’interprétation de Daniel 2-7 Dans les deux cas, le passage du Fils de Dieu au Fils de l’Homme ou inversement du Fils de l’Homme au Fils de Dieu se fait, chez Matthieu, au travers d’un récit de confession active. Mais existe-t-il, dans le récit de Mt 16, une justification scripturaire sous-jacente à cette confession qui fait passer le Fils de l’Homme au statut de Fils de Dieu ? À vrai dire le texte de Mt 16 n’en met explicitement en évidence aucune. Nous avons donc d’abord cherché des éléments de réponse dans les textes ultérieurs du deuxième siècle. Et nous avons découvert, chez Justin comme chez Irénée, l’utilisation de séries de citations sur la pierre pour démontrer la divinité de Jésus de Nazareth. Parmi ces citations, nous avons remarqué l’importance de l’utilisation de l’image de la pierre détachée sans intervention de main d’homme développée en Dn 2, 31-45. Cette image se trouve dans le récit du songe de Nabuchodonosor, dévoilé et interprété par Daniel. Dans ce songe, le roi voit une grande statue dont la tête est d’or, la poitrine et les bras d’argent, le ventre et les cuisses de bronze, les jambes de fer et les pieds en partie de fer et d’argile. Une pierre détachée sans intervention de main d’homme frappe les pieds et les brise, toute la statue est réduite en poussière. Dans son raisonnement, Justin rapproche la vision du Fils de l’Homme relatée par Daniel au chapitre sept, du songe de Nabuchodonosor interprété au chapitre deux : « car Daniel, écrit-il, en désignant ‘comme un Fils
8. Les parallèles de Mc 14, 61-62 et de Lc 22, 67-68 reprennent dans la réponse de Jésus au grand prêtre exactement la même citation composite sur le Fils de l’Homme que celle de Matthieu. Mais le questionnement du grand prêtre n’est pas précédé par l’adjuration « par le Dieu vivant », et, dans Marc, le grand prêtre demande si Jésus est le Christ, « le fils du béni », tandis que dans Luc il demande simplement s’il est le Christ.
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d’Homme’ (Dn 7, 13) 9 celui qui reçoit la royauté éternelle, n’insinue-til pas cette chose-là même ? Le désigner comme un Fils d’Homme, c’est manifester qu’il est apparu et qu’il est devenu homme, mais c’est montrer aussi que ce ne fut point par une semence humaine ». Pour Justin, « Dire qu’il est une “pierre taillée, mais sans main d’homme” (Dn 2, 34), c’est proclamer la même chose en mystère, car dire qu’il “a été taillé sans main d’homme”, c’est montrer qu’il n’est pas une œuvre humaine, mais l’œuvre de la volonté de Dieu qui l’a produit, le Père, Dieu de toute chose » 10. Au chapitre 114 du Dialogue, Justin insère cette citation de Daniel sur la pierre taillée dans une suite de citations consacrées au thème de la pierre, d’où il ressort que le Fils est lui-même la pierre angulaire, la pierre source d’eau vive et la pierre taillée sans main d’homme. Dans l’Adversus Haereses (III, 21, 7), Irénée reprend et prolonge l’interprétation de Justin. Comme lui, il va réunir le thème de la pierre détachée sans l’intervention d’une main d’homme (Dn 2, 34 et 45) et celui de la pierre d’angle (Is 28, 16), pour expliquer que la venue dans le monde du Seigneur a eu lieu sans le travail de mains humaines, « c’est-à-dire de ces hommes qui ont l’habitude de tailler la pierre, autrement dit sans l’action de Joseph, Marie étant seule à coopérer à l’économie ». Au paragraphe suivant, Irénée insiste : « si en effet le Seigneur était fils de Joseph, comment pouvait-il avoir plus que Salomon ou plus que Jonas ou même plus que David, alors qu’il aurait été engendré de la même semence et serait leur rejeton ? Et pourquoi eût-il déclaré Pierre bienheureux pour l ’avoir connu comme Fils du Dieu vivant ? » (Mt 16, 16-17). C’est donc bien le texte de Matthieu qui est visé par cette exégèse combinée de Daniel et d’Isaïe. Par la suite, au livre IV, 20, 11, Irénée affirmera que le verbe se fait voir sous diverses formes ou divers aspects selon les réalisations de ses économies : « c’est de cette manière, écrit-il, qu’il est décrit dans le livre de Daniel : tantôt en effet, il se fait voir en la compagnie d’Ananias, d’Azarias, et de Misael, se tenant auprès de lui dans la fournaise et les sauvant du feu (Dn 3, 25), tantôt il est la pierre détachée de la montagne sans mains humaines, frappant et balayant les royaumes passagers et remplissant ellemême toute la terre (Dn 2, 34-35) ; tantôt encore il apparaît comme un Fils d’Homme venant sur les nuées du ciel, s’approchant de l’Ancien des jours et recevant de lui puissance gloire et règne universel : sa puissance, est-il dit, est une puissance éternelle et son royaume ne sera jamais détruit (Dn 7, 13-14) ». C’est ainsi qu’Irénée nous offre au moyen de l’interprétation des chapitres 2 et 7 de Daniel le rapprochement entre le Fils de Dieu et le Fils de l’Homme. 9. L’exégèse de Justin se base sur la traduction exacte de l’expression araméenne kebar nasha (comme un fils d’homme) employée par le livre de Daniel, et non sur le titre de fils de l’homme, tel qu’il est généralement rendu en grec. 10. Justin, Dialogue avec Tryphon, 76, 1.
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L’utilisation que font Justin et Irénée des sept premiers chapitres du livre de Daniel nous a donné la curiosité de nous interroger sur la conception de Dieu qui se dégage de ces chapitres. Nous avons relevé différentes confessions de foi qui parsèment ces chapitres. En Dn 2, 47, Nabuchodonosor confesse le Dieu des dieux et le maître des rois, le révélateur des mystères. En Dn 4, 31, il bénit le Très Haut, louant et exaltant en ces termes celui qui vit à jamais : « son royaume est un royaume éternel, son empire pour toutes les générations ». Tout ceci nous amène en Dn 6, 27-26 à la profession de foi de Darius présentée sous forme de décret : « Voici le décret que je porte : en tout royaume de mon empire, que les gens tremblent et frémissent devant le Dieu de Daniel : il est le Dieu vivant, il perdure à jamais, – son royaume ne sera point détruit et son empire n’aura point de fin, – il sauve et délivre, opère signes et merveilles aux cieux et sur la terre ; il a sauvé Daniel du pouvoir des lions ». Cette conception d’un Dieu vivant, libérateur, et de son royaume céleste et terrestre qui perdure à jamais coïncide assez exactement avec la conception développée par le récit de Mt 16 11. Nous pensons donc que Justin et Irénée ont visé juste dans leur interprétation scripturaire du texte de Dn 2, 34-45 conçu comme vecteur de la réflexion sur la divinité de Jésus. Nous avons vu, d’ailleurs, qu’Irénée met explicitement cette interprétation en rapport avec la confession de Pierre et la confirmation qui en est donnée par Jésus (voir supra AH III, 21,7). On sait par ailleurs que, dès le judaïsme, un certain nombre de textes mentionnant une pierre – dont celui de Dn 2, 34-45, avaient reçu une interprétation messianique, mais on ignore s’ils avaient déjà été regroupés en collections systématiques semblables à celles dont témoignent des textes chrétiens 12 . Quoi qu’il en soit de l’existence de regroupement de citations sur la pierre en collections systématiques avant les écrits judéo-chrétiens, Lc 20, 17 présente déjà, dans la conclusion de la parabole des vignerons homicides, un regroupement des citations du Ps 118, 22, d’Is 8, 14, et de Dn 2, 34 et 45. Dans l’Évangile selon Matthieu, la conclusion de la parabole des vignerons homicides (Mt 21, 42) regroupe, comme chez Luc, les citations du Ps 118, 22 et d’Is 8, 14. Pour ce qui concerne l’allusion à Dn 2, 34 et 45, seuls certains manuscrits la font figurer dans le texte de Matthieu. Il est par contre certain que Marc n’offre pas d’allusion à Dn 11. Ce Dieu de Daniel a pouvoir de libérer « aux cieux et sur la terre ». L’expression n’est pas sans rappeler le pouvoir donné à Pierre de lier et de délier « sur la terre comme au ciel ». 12. Pour P. P rigent Épitre de Barnabé, Paris, 1971, p. 117-119, n. 1, qui a étudié la formation de ces regroupements de citations thématiques concernant la pierre ou le roc en centons, que plusieurs passages bibliques parlant d’une pierre, notamment Daniel 2, 34, aient été appliqués au Messie dans le judaïsme, cela est sûr. En ce qui concerne les textes chrétiens, l’Epître de Barnabé (5-6) constitue sans doute un des premiers regroupements systématiques d’une grande ampleur.
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2. Donc, ou bien les manuscrits ont essayé d’harmoniser le texte de Matthieu avec celui de Luc, ou bien il s’agit d’une source ou d’une tradition commune à Matthieu et à Luc, comme la source Q. Cette dernière hypothèse pourrait trouver une confirmation dans le fait que les mises en garde de Jean-Baptiste à l’égard de ceux qui viennent se faire baptiser, ainsi que les récits de la tentation au désert, qui tous deux tournent autour d’une réflexion sur le thème de la pierre et sur l’attribution du titre de fils de Dieu à Jésus, sont également propres à Matthieu et à Luc. Nous y reviendrons plus tard. Mais il nous faut d’abord faire remarquer que, pour mettre en lien, comme le font Justin et Irénée, les textes relatifs à l’interprétation de la pierre et la vision du Fils de l’Homme, il est nécessaire de lire d’un seul trait les chapitres un à sept de Daniel et d’en faire la synthèse, alors que justement les chapitres un à six semblent former une unité, et le chapitre 7 paraît débuter une nouvelle section. En réalité ce qui unit ces sept premiers chapitres c’est le fait que, du chapitre 2 verset 4 à la fin du chapitre 7, ils sont rédigés en araméen, alors que le reste du livre de Daniel est en hébreu 13. La source matthéenne a donc probablement lu ces chapitres en araméen. Le rédacteur final a dû ensuite rendre tout ceci compréhensible en grec. Le chemin qui va du Fils de l’Homme au fils de Dieu passe donc par la lecture des sept premiers chapitres du livre de Daniel. À ce propos nous voudrions souligner une chose : Daniel est certes un prophète, il prédit l’avenir en interprétant les songes, mais il est aussi un mystique, il voit les cieux ouverts. Voir les cieux ouverts, c’est ce qui se passe principalement dans deux récits évangéliques, celui du baptême de Jésus (auquel assistent les disciples de Jean-Baptiste) et celui de la transfiguration (auquel assistent Pierre, Jacques et Jean). Ces deux récits sont des révélations de la condition divine de Jésus fils de Dieu, tous deux incluent la citation du « décret » du Ps 2, 7 : « tu es mon Fils… ». B. Le baptême de Jésus et la transfiguration, annonce et confirmation de la confession de Pierre : du Psaume 2 à Daniel 2 C’est au travers des mots du Ps 2, 7 : « celui-ci est mon fils bien-aimé, qui a toute ma faveur », qu’une voix venue des nuées révèle l’identité de Jésus de Nazareth. C’est avec les mêmes mots que la révélation de cette filiation, confessée par Pierre à Césarée de Philippe, est à nouveau confirmée lors d’une seconde ouverture des cieux à la transfiguration. Aux paroles du Ps 2, 7 est alors ajoutée l’injonction de Dt 18, 15 : « écoutez13. À l’exception de certaines parties : le cantique d’Azarias et des jeunes gens dans la fournaise, l’histoire de Bel et du serpent, l’histoire de Suzanne… qui ont été rajoutées dans la version grecque.
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le ». Ainsi se trouve certifiée, à l’aide du Ps 2, la confession de Pierre. Mais comment peut-on passer ainsi du Fils de l’Homme au Fils de Dieu ? Dès le judaïsme, le Ps 2 permettait une interprétation messianique de la figure du Fils de l’Homme en passant par le récit du songe de Nabuchodonosor et le symbole de la pierre détachée de la montagne sans intervention de main d’homme de Dn 2, 34-45. En effet, on peut voir des différences entre la première description du songe de Nabuchodonosor aux versets 34-35, et l’interprétation qui en est donnée au verset 45. Dans ce verset, l’auteur ajoute certaines précisions qui renvoient directement au Ps 2. Ainsi, la simple argile du verset 35 devient « argile de potier » au verset 45, ce qui constitue un hapax pour le livre de Daniel, et renvoie au Ps 2, 9 « tu les briseras avec un sceptre de fer, comme un vase de potier, tu les fracasseras » ; la pierre, dont on ignorait l’origine aux versets 34-35, se détache de la montagne au verset 45, ce qui renvoie au Ps 2, 6 « c’est moi qui ai sacré mon roi sur Sion, ma sainte montagne ». Ces deux renvois aux versets 6 et 9 encadrent le verset 7 cité au baptême et à la transfiguration de Jésus de Nazareth : « tu es mon fils… ». En outre, l’auteur de Dn 2 insiste en disant que la pierre s’est détachée sans l’intervention « d’aucune » main d’homme. Le rédacteur de l’interprétation du songe de Nabuchodonosor a donc voulu renvoyer le symbolisme de la pierre à l’interprétation messianique du Ps 2. La lecture des deux textes est intimement liée avant même toute interprétation chrétienne. Les synoptiques ont fait de cette interprétation messianique une interprétation chrétienne qui vient confirmer la confession de Césarée. Matthieu, tout spécialement, tire toutes les conséquences d’une perspective élargie qui lui permet de passer de l’identité du Fils de l’Homme à celle du Fils de Dieu, et même à celle du Fils du Dieu Vivant, et Dn 2-7 constitue très probablement le lien scripturaire qui a permis à Matthieu de rapprocher la notion de Fils de l’Homme et celle de Fils de Dieu, d’un Dieu qui est le Dieu vivant, dont l’empire perdure à jamais et dont le pouvoir s’étend aux cieux et sur la terre. Ce texte permettait, à ceux qui étaient capables de saisir les nuances de la relecture du rêve de Nabuchodonosor, de se livrer à une interprétation messianique du Ps 2, 7 utilisé comme décret de révélation de la divinité de Jésus, aussi bien au baptême qu’à la transfiguration. L’utilisation de cette interprétation suppose, d’une part, une communauté parlant araméen, d’autre part, une communauté accessible à une perspective mystique – sinon eschatologique – incluant l’idée ou la vision d’une ouverture des cieux. Ceci la rend proche de la littérature des Heikhalot qui s’est développée dans le judaïsme synagogal après 70, mais les germes de cette mystique sont déjà présents dans le texte même de Daniel, et, si l’on se fie au récit d’Ac 7, ils avaient été ravivés lors du martyre d’Étienne (Ac 7, 56 : « Ah, dit-il, je vois les cieux ouverts et le Fils de l’Homme debout à la droite de Dieu »).
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En fait, la vision mystique de la transfiguration est une réponse aux discussions qui avaient lieu dans l’entourage de Jésus sur son identité, et dont témoignent les trois synoptiques : les gens hésitaient entre Jean-Baptiste, ou Élie, ou un des prophètes. Dans la vision de la transfiguration, le Fils de l’Homme est entouré par Élie, et par le prophète par excellence, Moïse. Dans l’Évangile selon Marc et selon Matthieu, des disciples ont même droit à quelques explications supplémentaires (Mt 17, 9-13 ; Mc 9, 9-13). Ces explications visent les croyances populaires et les spéculations sur le retour d’Élie, le serviteur du Dieu vivant (1 R 17, 1 et 12), qui, selon la prophétie de Mal 3, 23-24, doit précéder le Jour du jugement eschatologique et doit restaurer les relations entre pères et fils 14 . Cette prophétie est évoquée dans le premier livre d’Hénoch (89, 52 et 90, 31-37) et dans les rouleaux de Qumran (4Q 558 frag 1, col II, 4 et 4Q 521). Mais on notera surtout qu’elle est reprise dans le portrait d’Élie contenu dans le chapitre 48 du Siracide qui y apporte quelques notes personnelles. Il appuie notamment sur le fait qu’Élie « fut désigné dans les menaces futures pour apaiser la colère 15 avant qu’elle n’éclate » (v. 10) et « a arraché un homme à la mort et au Shéol » (verset 8). La version en hébreu du Siracide insiste tout particulièrement sur le pouvoir de ressusciter propre à Élie. Ainsi, au verset 11 (manuscrit B), elle affirme : « heureux qui te verra et viendra à mourir, car tu rendras la vie et il vivra » 16. Notons encore que Si 48, 3 donne à Élie le pouvoir de fermer les cieux par la parole du Seigneur 17, au chapitre 48 comme aux chapitres 50 et 51, le Siracide dans sa version en hébreu est tout à fait en phase avec la théologie développée par Mt 16 lorsqu’il insiste
14. « Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que n’arrive mon Jour, grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d’anathèmes ». 15. Le thème de la colère qu’il faut apaiser, où à laquelle on cherche à échapper est développé dans les Évangiles de Matthieu et de Luc où il est mis dans la bouche de Jean-Baptiste apostrophant ceux qui viennent à lui pour se faire baptiser en ces termes : « engeance de vipères, qui vous a suggéré d’échapper à la colère qui vient ? » (Mt 3, 7 ; Lc 3, 7). 16. Voir E. P uech, La croyance des esséniens à la vie future : immortalité, résurrection, vie éternelle ? Histoire d ’une croyance dans le judaïsme ancien. I. La résurrection des morts et le contexte scripturaire, Paris, 1993, p. 74-75 et E. P uech, « Messianisme, eschatologie et résurrection dans les manuscrits de la mer Morte », Revue de Qumrân 18 (1997), p. 255-298. Voir également J.-S. R ey, « La résurrection des morts dans la littérature de la Sagesse de l’époque hellénistique : Ben Sira et 4QInstruction », dans G. Van O yen –T. Sheperd (ed.), Resurrection of the Deads, Biblical Traditions in Dialogue, Louvain, 2012, p. 99-111 et J.‑S. R ey, « L’espérance postmortem dans les différentes versions du Siracide », dans J.-S. R ey – J. Joosten (ed.), The Text and the Versions of the Book of Ben Sira, Leyde, 2011, p. 257-280. 17. Dans l’Apocalypse de Pierre, en 15-16, le ciel s’ouvre puis se ferme pour permettre la vision de Moïse et d’Élie, et du Paradis.
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sur la victoire sur le Shéol consécutive à la confession/dévoilement du fils du Dieu vivant. II. Les précédents vétérotestamentaires du récit de Matthieu A. Un récit d’attribution de nom symbolique De prime abord, ce qui apparaît au centre de la narration matthéenne, et qui fait la différence par rapport aux synoptiques, c’est l’explication du changement de nom de Simon en Pierre. Mais il ne faut pas oublier que ce qui fait l’originalité de la confession de Simon selon Matthieu, c’est aussi l’expression « Fils du Dieu vivant » 18. Nous avons cherché quels étaient dans les Écritures les récits d’attribution de nom symbolique qui auraient pu inspirer le rédacteur matthéen. Deux d’entre eux sont célèbres : le récit des noms symboliques et mystérieux imposés par Dieu aux fils d’Isaïe (Is 8), et le récit des noms imposés aux fils du prophète Osée (Os 1-2). Ces passages sont révélateurs d’un certain milieu et d’une certaine vision du destin auquel est appelé le peuple d’Israël, rejeté puis finalement réhabilité comme fils. Selon Bernard Renaud, certains versets de ces deux récits constituent une relecture sacerdotale de la malédiction primitive représentée par le nom des fils des deux prophètes 19. Ce sont précisément ces passages qui nous intéressent. Tout en s’inscrivant dans le prolongement des positions de Bernard Renaud, Bernard Gosse a développé avec acribie l’étude de ces passages. Selon lui, les naissances des enfants d’Osée peuvent être rapprochées 18. En dehors des Évangiles, on la retrouve en Rm 9, 26 ; 2 Co 3, 3 et 6, 16 ; 1 Th 1, 9 ; 1 Tm 3, 15. Elle est récurrente dans l’Épître aux Hébreux (3, 12 ; 9, 14 ; 10, 31 ; 12,22). Elle est également présente en 1 P 1, 23. En ce qui concerne l’appellation « Dieu vivant » dans les Épîtres, elle est corrélée à trois thématiques principales : celle du jugement eschatologique, celle du sacerdoce, du sacrifice expiatoire et du temple, et celle du peuple. À ces deux dernières thématiques, 1 Tm et 2 Co ajoutent une connotation pneumatique qui pousse Paul à affirmer : « Or, nous sommes le temple du Dieu vivant ainsi que Dieu l’a dit : “J’habiterai et je marcherai au milieu d’eux et ils seront mon peuple. Sortez donc du milieu de ces gens-là et tenez-vous à l’écart dit le Seigneur. Ne touchez à rien d’impur et moi je vous accueillerai. Je serai pour vous un père et vous serez pour moi des fils et des filles dit le Seigneur Tout-Puissant » (2 Co 6, 16-18 citation composite qui fait implicitement référence à 2 Sm 7, 14 ; Jr 31, 9 ; Is 43, 6 ; Os 2, 1). Quant à l’expression « fils du Dieu vivant », elle apparaît en Rm 9, 25-33 dans le cadre d’une citation d’Os 2, 25 et, dans le même contexte scripturaire, 1 P 2, 4-10 emploie l’expression « pierre vivante ». Dans ces deux derniers cas, nous sommes dans le cadre d’une réflexion sur le peuple ou la race. 19. En effet, B. R enaud, « Le livret d’Osée 1-3. Un travail complexe d’édition », Revue des sciences religieuses 36 (1982), p. 159-178, distingue dans les trois premiers chapitres du livre d’Osée des éléments proprement oséens, une édition deutéronomiste, et enfin l’édition « sacerdotale » (Os 1, 7 et 2, 1-3).
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de celles des enfants d’Isaïe (7, 3 et 8, 3), non seulement en raison de l’usage commun de noms à caractère symbolique à une époque à peu près semblable, mais encore au niveau de la formulation. Les noms symboliques des enfants du livre d’Osée signifient le rejet d’Israël par Dieu. En ce qui concerne les noms des enfants d’Isaïe, ils ont également un aspect négatif vis-à-vis d’Israël, mais en contrepartie ils offrent une possibilité de salut pour Juda. En Os 2, 1-3 sont levées les malédictions liées aux noms symboliques des enfants d’Osée, mais également de ceux d’Isaïe. Selon Bernard Gosse, ces changements de nom, ces relectures sacerdotales d’Os 1, 7 et 2, 1-3, doivent être attribuées aux rédacteurs de l’ensemble du livre d’Isaïe 20. Pour Bernard Renaud : « sans vouloir en faire un membre de l’école sacerdotale éditrice de la dernière couche du Pentateuque, il semble permis de voir dans le rédacteur final d’Osée 1-3 un écrivain familier des thèses sacerdotales. En ce sens large, on peut le qualifier de « sacerdotal » 21. Le but du relecteur d’Osée est de montrer que Dieu ne rejette plus son peuple mais lui pardonne et le reconstitue à nouveau. Le raisonnement du texte d’Osée culmine au chapitre 2, lorsque le rédacteur transforme le nom symbolique initial « Pas mon peuple » en disant « on les appellera fils du Dieu vivant ». Cette expression nous ramène au Dieu vivant de Matthieu et de Daniel. Bernard Renaud précise que parmi les préoccupations théologiques qui caractérisent cette strate, il y a le souci de donner à l’avenir une coloration eschatologique : « cette note eschatologique se trahit notamment dans la répétition insistante de la formule ‘en ce jour-là’ (Os 2, 20) ou ‘il arrivera en ce jour-là’ (Os 1, 5 ; 2, 18.23), qui donne ‘au Jour de Yizréel’ – le premier enfant d’Osée – la valeur d’une ouverture sur la fin des temps (Os 2, 2). Ce Jour (qui, se selon Malachie, doit être précédé du retour d’Élie) n’est-il pas qualifié de « grand », à l’instar du Jour de Yahvé (Sophonie 1, 14 ; Malachie 3, 22 s.) ? ». Cette discrète note eschatologique pourrait nous renvoyer à une dimension apocalyptique et judiciaire analogue à celle que nous trouvons dans la présentation de la vision du Fils de l’Homme en Dn 7. B. La pierre, lieu théologique à portée christologique et messianique Le récit de Matthieu ne se résume pas à un changement de nom et à une confession aboutissant en quelque sorte à la constitution d’une assemblée. Au centre se trouve le thème de la pierre, exprimé par le nom donné à Simon et par le « roc » sur lequel Jésus entend construire son assemblée. 20. B. Gosse , « Osée 1, 1-2, 3. Les enfants d’Osée et d’Isaïe et la rédaction d’ensemble du livre d’Isaïe », Studi epigrafici e linguistici 14 (1997), p. 65-68. Voir www.ieiop.csic.es /pub/06 gosse_14081f33. 21. B. R enaud, « Le livret d’Osée 1-3. Un travail complexe d’édition », Revue des sciences religieuses 36 (1982), p. 174-175.
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En continuant la lecture du chapitre 8 d’Isaïe, on trouve, à la suite du récit de l’imposition de noms symboliques aux fils d’Isaïe, un texte fameux : « il est le sanctuaire et la pierre d’achoppement et le rocher qui fait tomber les deux maisons d’Israël » (Is 8, 14). Ce verset, couplé avec le verset 16 du chapitre 28, est le noyau traditionnel des séries de citations qui seront regroupées autour du thème de la pierre ou du rocher pour former des centons. Or, on trouve dans le Nouveau Testament seulement deux citations d’Os 1 et 2, et on constate que ces deux citations sont, dans les deux cas, associées au verset d’Is 8, 14. Le premier de ces textes se trouve dans l’Épître aux Romains chapitre 9, verset 25 à 33. C’est une démonstration théologique qui a pour but de montrer que, malgré l’infidélité d’Israël qui a buté contre la pierre d’achoppement constituée par la loi, Dieu crée un nouveau peuple à partir du reste d’Israël et des païens appelés à la foi, qui seront tous appelés fils du Dieu vivant. Le second texte est rattaché à la tradition des communautés pétriniennes : il s’agit du fameux passage de la Première Épître de Pierre, chapitre 2, verset 4 à 15, qui – après avoir introduit le thème de la pierre vivante, choisie, précieuse (Is 28, 16) qu’est le Christ, et des pierres vivantes constituées par les fidèles – proclame le sacerdoce royal des chrétiens en insérant entre Is 8, 14, et Os 1, 6-9 la citation d’Ex 19, 6 qui fait de la maison de Jacob un royaume de prêtres et une nation consacrée. Il développe donc le thème sacerdotal qui est resté inaperçu en Rm 9. Dans le regroupement de citations effectué en Rm 9 et 1 P 2 on retrouve donc trois des éléments constitutifs du récit de Matthieu, à savoir : (1) la référence à un genre, celui du changement de nom à portée symbolique et prophétique ; (2) l’apparition de la notion de fils du Dieu vivant dans un contexte de pardon et de reconstitution d’un peuple aimé ; (3) le noyau d’une réflexion théologique sur le thème de la pierre.
En fait, à partir des mêmes éléments de réflexions scripturaires, l’Épître aux Romains construit un texte exégétique, la Première Épître, de Pierre, une exhortation, et l’Évangile selon Matthieu, un récit. Les milieux chrétiens étaient donc familiers du rapprochement entre le récit de changement de nom des enfants d’Isaïe, une interprétation « sacerdotale » du changement de nom des fils d’Isaïe et d’Osée, et une méditation sur la pierre (et ceci au moins à partir des années 60). Cette réflexion, issue d’une relecture sacerdotale d’Isaïe, a dû inspirer le récit de Matthieu. Le point d’accroche entre les chapitres 2 à 7 de Daniel et le récit d’attribution de nom symbolique aux fils d’Osée pourrait être l’utilisation qui leur est commune de la notion de Dieu vivant ; mais, si l’on prend
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plutôt en compte le récit d’attribution de nom symbolique aux fils d’Isaïe et ses prolongements, il se peut également que le point d’accroche avec le livre de Daniel soit les regroupements de citations effectués autour du thème de la pierre, regroupements dont témoigne, dans Luc et dans Mathieu, la conclusion de la parabole des vignerons homicides que nous avons déjà évoquée (p. 6) et qui réunit l’image de la pierre angulaire, celle de la pierre d’achoppement et celle de la pierre qui n’est pas taillée par des mains d’homme. Le lieu théologique constitué par le symbolisme de la pierre peut être exploité par des raisonnements exégétiques serrés ou faire l’objet d’une utilisation plus libre, il peut être appliqué au Messie lui-même ou bien au peuple de Dieu. Ainsi nous avons vu que le thème de la pierre d’achoppement, en lien avec la citation d’Osée, amène en Rm 9 une réflexion sur l’infidélité d’Israël et la fidélité de Dieu qui, malgré tout, restaure son peuple, en fait les fils du Dieu vivant et le sauve grâce au « germe » (Is 1, 9 ; 4, 3) qu’il lui laisse. Paul précise que le critère de ce salut accordé est la foi, car Dieu a posé en Sion une pierre d’achoppement et un rocher qui fait tomber, « mais qui croit en lui ne sera pas confondu » (Rm 9, 33). Il fait comprendre que ceux qui butent contre la pierre d’achoppement, c’est Israël, parce qu’au lieu de recourir à la foi, il comptait sur les œuvres. Ainsi s’explique l’affirmation de Rm 9, 6-7 : « car tous les descendants d’Israël ne sont pas Israël. De même que, pour être postérité d’Abraham, tous ne sont pas ses enfants… ». On retrouve une idée similaire dans la mise en garde énergique que Jean-Baptiste adresse, selon Mathieu et selon Luc, à tous ceux qui se pressent vers lui. En effet, Jean-Baptiste met en garde ceux qui seraient tentés de se prévaloir d’un privilège en disant « nous avons pour père Abraham », car, dit-il, « Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham ». Ce passage, tout comme l’enchaînement de citations de la conclusion de la parabole des vignerons homicides, n’apparaît ni dans Marc ni dans Jean. De même, seuls Matthieu et Luc développent le thème de la pierre au travers du récit de la tentation de Jésus au désert (dans la première tentation, en Mt 4, 3 et Lc 4, 3, le diable dit à Jésus : « si tu es le fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains » ; dans la seconde, il lui demande de sauter du faîte du temple, en arguant de la citation du Ps 90, 118, selon lequel les anges le porteront dans leurs mains de peur qu’il ne heurte son pied à une pierre. La seconde tentation, comme la première, est introduite par le défi : si tu es le fils de Dieu). Le récit de Marc est beaucoup plus succinct et ne développe nullement ce thème. Il est possible que ce thème commun à Matthieu et à Luc remonte à la source Q, c’est-àdire avant les années 60. Ceci voudrait dire que cet usage du thème de la pierre à une fin messianique, et plus particulièrement pour démontrer la qualité de fils de Dieu de Jésus de Nazareth, a été développé très tôt par les communautés chrétiennes.
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On trouve encore un témoignage fort intéressant de la mise en œuvre de cette façon de procéder par regroupement thématique de citations dans les Actes de Pierre. Selon Jean-Marc Prieur, la datation de ces Actes de Pierre « est située par la majorité des chercheurs vers la fin du IIe siècle, mais on peut envisager une datation plus précoce dans la seconde moitié de ce siècle » 22 . Au chapitre 23, Pierre y affirme par deux fois : « j’ai cru au Dieu vivant et vrai », « je crois au Dieu vivant » et s’attire une réponse ironique de Simon le magicien : « tu as l’audace de parler de Jésus le Nazaréen, fils d’un artisan et lui-même artisan, dont la famille est établie en Judée ? Écoute, Pierre, les Romains ont du bon sens, ils ne sont pas stupides ». À quoi Pierre répond au chapitre 24 par une magistrale série de onze citations. Les sept premières citations concernent explicitement la naissance de Jésus. Les quatre suivantes sont : Dn 2, 34 ; Ps 118, 22 (voir Is 8, 14) ; Is 28, 16 ; Dn 7, 13 ; c’est-à-dire exactement la séquence de citations que nous avons déterminée comme étant à l’origine de la réflexion de Matthieu. Enrico Norelli a étudié de près ces citations qui, de toute évidence, proviennent de testimonia 23. Selon lui, c’est la citation de Dn 2, 34 qui a servi de pivot entre les deux séries de citations, et les testimonia consacrés à la naissance de Jésus sont certainement antérieurs à l’Ascension d’Isaïe (ce qui implique qu’ils aient été formés au plus tard dans les dernières décennies du premier siècle) ; ils ne doivent pas être considérés comme dépendants des récits de l’enfance de Matthieu et de Luc, et ceci malgré une certaine parenté de contenu. « Les testimonia repris en Actes de Pierre 24 ne dépendent pas de récits, mais ils représentent des énoncés christologiques ». Nous sommes persuadés que l’auteur de la confession de Pierre telle qu’elle est rapportée en Matthieu a connu des testimonia semblables à ceux dont les Actes de Pierre ont conservé la trace, et que ceux-ci lui ont inspiré cette confession. Ces testimonia font sens dans le récit de la confession de Pierre, tout comme ils font sens dans les récits de l’enfance 24 .
22. B. Pouderon, Histoire de la littérature grecque chrétienne, II, Paris, 2013, p. 475-476. 23. E. Norelli, Marie des apocryphes : enquête sur la mère de Jésus dans le christianisme antique, Genève, 2009, p. 41-47. Voir aussi E. Norelli, « Avant le canonique et l’apocryphe : aux origines des récits de la naissance de Jésus », Revue de théologie et de philosophie (1994), 126, p. 305-324. 24. Curieusement, dans le chapitre 23, les Actes de Pierre donnent une explication du nom de l’apôtre qui n’a rien à voir avec la pierre ou le roc : « mon nom est Pierre, car le Seigneur a bien voulu m’appeler ‘prêt à tout’ ». Cette étymologie ne serait pas un jeu de mots du traducteur latin entre Petrus et paratus, mais remonterait au syriaque. En tout cas, elle semble montrer que les Actes de Pierre sont soucieux d’éviter toute ambiguïté et de réserver le thème messianique de la pierre à Jésus seul. Ils se démarquent ainsi de l’ambiguïté qui peut naître du récit de Matthieu.
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C. Un modèle sacerdotal pour le récit de Mathieu : la liturgie du jour de l’Expiation selon Si 50-51 Nous commençons à comprendre comment a pu être suggéré le thème de la pierre, présent à la fois dans le songe de Nabuchodonosor en Dn 2, et à la suite du récit de changement de nom des enfants d’Osée… Reste à expliquer pourquoi c’est un certain Simon fils de Jonas (ou de Jean) qui devient Pierre ? Et pourquoi apparaît ici le vocable de l ’ekklèsia (assemblée) ? Compte tenu du schéma narratif de Mt 16 (la confession – dévoilement d’un « nom » généralement tenu caché et corrélé avec l’édification d’une assemblée nouvelle contre laquelle les portes de l’Hadès ne prévaudront pas et avec le pouvoir de délier – autrement dit de permettre l’accès au salut ? –, il nous semble qu’on peut trouver un modèle au personnage de Simon Pierre dans le portrait du grand prêtre Simon fils d’Onias (en grec, ou de Jean en hébreu 25) tel qu’il est retracé par le Siracide dans le cadre de la liturgie du jour de l’expiation 26. L’honneur de prononcer le nom de Dieu devant l’assemblée (l’ekklèsia) du peuple d’Israël 27 – c’est-à-dire en fait de le révéler – qui est attribué au grand prêtre Simon fils de Jean ou d’Onias, correspond à la révélation de la qualité de Fils de Dieu de Jésus faite par Simon-Pierre, fils de Jonas. La « qahal / ekklèsia » 28, assemblée liturgique solennelle de tout le peuple d’Israël au jour du Pardon mentionnée par le Siracide, a pu inspirer aux rédacteurs de la confession de Pierre l’introduction du terme « ekklèsia » dans son récit. Le contexte liturgique du jour des expiations correspond bien à l’expression lier et délier, puisque, par le sacrifice d’expiation, les péchés du peuple étaient rachetés. Nous avons déjà présenté cette hypothèse dans un article intitulé : « Des identités en construction durant les trois premiers siècles » 29. 25. Ceci pourrait peut-être expliquer les hésitations du Nouveau Testament entre la version de Matthieu pour qui Simon est reconnu par Jésus comme fils de « J|Onas », et celle de Jean pour qui Simon est reconnu par Jésus comme fils de « Jean (Johanan) ». 26. Si 50. 27. Voir Si 50, 20 : « alors il descendait et élevait les mains vers toute l’assemblée des fils du peuple d’Israël pour donner à haute voix la bénédiction du Seigneur et avoir l’honneur de prononcer son nom ». À l’époque où a été rédigé le livre du Siracide, la bénédiction donnée à la fin de la liturgie des expiations est le seul moment ou le grand prêtre est autorisé à prononcer le nom de Dieu. 28. La notion de « qahal / ekklèsia » apparaît six fois dans le Siracide. Voir P. Grelot, La tradition apostolique, Règle de foi et de vie pour l ’Église, Paris, 1995, p. 234-236, qui de plus observe : « C’est par la résurrection de Jésus que le groupe de ses disciples est devenu son ecclésia, suivant une terminologie qui reprend celle des assemblées cultuelles d’Israël et qui montre dans l’assemblée des fidèles l’ecclésia eschatologique » (p. 286). 29. Voir A. Faivre , « Des identités en construction durant les trois premiers siècles » Transversalités 130 (2014), p. 41-67. H. R iesenfeld, Jésus transfiguré. L’arrière-plan du récit évangélique de la transfiguration de Notre-Seigneur, Copenhague,
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D’autre part le grand prêtre Simon est présenté d’emblée comme un bâtisseur, ce qui correspond à la thématique du Christ bâtisseur sur la pierre, le roc représenté par Simon Képhas. Les rapprochements sont particulièrement pertinents lorsque l’on lit le texte hébreu du Siracide 30. L’étude du texte de l’Ecclésiastique montre certaines particularités : elle fait preuve notamment de moins de particularismes et de plus d’ouverture à l’égard des étrangers 31. En ce qui concerne les chapitres qui nous intéressent, le texte insiste sur le thème de la mort et du shéol 32 , il est donc plus proche du récit de Matthieu que la version grecque. Ainsi, non seulement le récit Matthéen de changement de nom a puisé son inspiration dans une relecture sacerdotale des récits symboliques concernant les enfants des prophètes Isaïe et Osée, mais la présentation du personnage de Simon fils de Jonas, le pouvoir qui lui est conféré de lier et de délier suite à la proclamation qu’il fait du Nom divin de Jésus, ainsi que l’allusion aux portes de l’enfer, trouvent leur modèle et leur type dans la présentation de l’action de Simon, le grand prêtre, au jour du Yom Kippour, et il semble même que ce soit plus particulièrement la version en hébreu de Si 50-51 qui ait servi de guide à ce récit. Si tel est bien le cas, on peut même penser que la version hébraïque de Si 50, 24, « que sa grâce reste fidèlement avec Simon, qu’il réalise en lui l’alliance de Pinhas, qu’elle ne soit retirée ni à lui ni à sa postérité tant que durera le ciel », a joué un rôle dans l’affirmation du rédacteur de Matthieu 16,18-19 concernant la pérennité du royaume 33.
1947, p. 276-277, avait déjà noté le rapprochement de la confession de Pierre à Césarée et de la liturgie du Yom Kippour. Cette exégèse a été développée par J.-M. Van Cangh – M. Van E sbroeck , « La primauté de Pierre (Mt 16,16 -19) et son contexte judaïque », Revue théologique de Louvain 11 (1980), p. 310-324. A.A. Winogradsky, Parole d ’évangile, mémorial d ’Israël, Paris, 1987, p. 133-148, a repris l’hypothèse en opérant des rapprochements avec des textes du judaïsme rabbinique. En développant de façon assez systématique une interprétation vraiment catholique de cette exégèse à la lumière du Yom Kippour, P. Grelot a peut-être desservi l’idée d’un rapprochement qui nous paraît cependant tout à fait pertinent. 30. Des fragments du texte hébreu de l’Ecclésiastique ont été retrouvés dans les grottes de Qumrân et sur le site de Massada. 31. Voir J.-S. R ey, « La conception de l’étranger dans les différentes versions du livre du Siracide », dans J. Fantino (ed.), Identité et altérité. La norme en question. Hommage à Pierre-Marie Beaude, Paris, 2010, p. 273-294. 32. Voir M. Gilbert, « Où en sont les études sur le Siracide ? », Biblica 92 (2011), p. 161-181 : « car tu as délivré mon âme de la mort, tu as épargné à ma chair la fosse, et du shéol tu as sauvé mon pied… » (Si 51, 3 hébreu). Un peu plus loin le Siracide ajoute : « et des portes du shéol je priais » (Si 51, 14 hébreu). 33. Pour M. Gilbert – article cité supra – l’auteur du Siracide, maître de sagesse, « profondément religieux, sans pour autant être prêtre, quoi qu’on en ait dit, (il) admire les fastes du culte et compte sur le sacerdoce sadocite pour assurer l’avenir de la nation (Si 45, 26 hébreu ; 50, 23-24 hébreu) ».
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D. Recadrage et questions d’interprétation : de quelle pierre Simon est-il le symbole ? La mise en évidence d’une référence implicite à l’ensemble des chapitres 50-51 du Siracide qui donnent à voir le grand prêtre Simon dans l’exercice de ses fonctions au jour du Yom Kipour amène bien évidemment la question de la portée sacerdotale de cette comparaison. Faut-il carrément voir dans Simon Pierre Képhas le jumeau de Kaiphe, le grand prêtre en exercice, et donc un nouveau grand prêtre comme le fait, par exemple, Jean Galot 3 4 ? Bien que le rédacteur final de Matthieu semble avoir voulu établir un parallèle entre la confession de Pierre à Césarée et la réponse de Jésus à l’interrogation de Kaiphe, nous ne pensons pas qu’il faille aller jusque-là. À notre avis, deux types d’arguments contredisent cette hypothèse : d’une part des arguments d’ordre philologique – et, là, nous sommes d’accord avec la critique de Christian Grappe qui trouve « pour le moins aventureux d’assimiler le vocable kepha, qui signifie(…) pierre, roc, au nom Kaia34. Pour J. Galot, « La primauté de Pierre selon le Nouveau Testament », http://www.clerus.org/clerus/dati/2003-04/01-999999/02PIFR.html, consulté en ligne le 24 janvier 2018, en effet, « Ce nom, Kaipha, est conféré pour exprimer un nouveau rôle, qui est expliqué brièvement : ‘Sur cette pierre je bâtirai mon Église’. Il est identique au nom du Grand Prêtre en charge, Caïphe. Le rapprochement des deux noms ne saurait être un hasard ; il est encore plus intentionnel que ‘Simon, fils de Jonas’, parce qu’il s’agit ici d’un nom expressément choisi par Jésus. Ce choix évocateur signifie que, aux yeux de Jésus, pour l’avenir, Simon est déjà le Grand Prêtre qui dans l’Église remplira le rôle attribué précédemment au Grand Prêtre juif ». À partir de là, et du fait que, selon lui, Jésus communique à Pierre sa qualité de pierre de fondation, il extrapole : « le rôle du grand prêtre dans l’Église sera beaucoup plus important qu’il ne l’était dans la religion juive. Sur sa personne reposera tout l’édifice », et il en vient à la notion de primauté. Cette extrapolation sur le rôle personnel de Pierre paraît exagérée. J. Galot lui-même le sent peut-être, puisqu’il souligne fortement la nouveauté et qu’il précise : « il (Pierre) ne remplace pas Jésus parce que celui-ci demeure la seule pierre qui soutient l’ensemble de l’Église, mais il est destiné à le représenter visiblement dans le développement terrestre de son royaume ». En revanche, J.M. Garrigues , Le dessein bienveillant de Dieu à travers ses alliances, Paris, 2003, p. 235, reprend cette hypothèse en la nuançant : « Curieusement, Jésus change le nom de Simon fils de Jean, qui évoquait le nom d’un grand prêtre fidèle, en un autre qui évoque celui d’un grand prêtre renégat, compromis avec les Romains. Car Pierre, le nouveau nom de Simon, se dit en araméen Kephas, terme conservé par Paul (voir 1 Co 1, 12 ; 3 22 ; 9, 5 ; 15, 5 ;Ga 1, 18 ; 2, 7-9.11.14) et par l’Évangile selon Jean (voir Jn 1, 42). Képhas, ou plus littéralement Kaïphas, c’est-à-dire Caïphe, le nom même du grand prêtre alors en exercice (voir Jn 11, 49 51 : Jn 11, 49-51), ce grand prêtre qui jugera Jésus et le rejettera (cf. supra notre commentaire de Mt 26, 65) ». Mais « c’est seulement après la Pâque, précise-t-il, une fois Pierre ‘revenu’ de la tentation de Kaiphe (Lc 22, 31-32.61) que Jésus pourra lui confier définitivement le troupeau de son Église ». Ce ne serait donc qu’après le triple reniement et la résurrection qu’il serait possible de placer l’épisode des versets 18-19.
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phas, qui a une tout autre étymologie… » 35 – et, d’autre part, des arguments d’ordre herméneutique. Mais avant d’examiner ces derniers, il nous faut clarifier l’interprétation du symbolisme de la pierre. Parmi les trois références qui constituent le noyau des premières chaînes de citations sur la pierre tel qu’il est attesté en Lc 20, 17, la pierre taillée sans main d’homme de Dn 2 semble, d’après l’interprétation fournie par Justin et Irénée, surtout propice à exprimer la divinité de Jésus de Nazareth ; la pierre de faîte, évoquée par le Ps 118, 22 paraît un peu ambitieuse pour Pierre et se rapporte plutôt au Christ ; quant à la pierre d’angle, au fondement, d’Is 28, 16, malgré les paroles de Jésus : « et sur cette pierre je bâtirai mon Église », elle a toujours posé problème à beaucoup de théologiens qui objectent la parole de Paul en 1 Co 3, 11 : « de fondement en effet, nul n’en peut poser d’autre que celui qui s’y trouve, à savoir Jésus-Christ ». Plusieurs solutions ont été proposées. La plus simple est évidemment de déclarer les versets 18-19 rédactionnels, inauthentiques, sans aucune valeur historique. Sans arriver à cet extrême, on peut voir dans la pierre, non pas Simon lui-même, mais sa confession de foi. Cette solution, fort en vogue actuellement, était déjà évoquée par Épiphane de Salamine 36. Une autre solution serait de distinguer radicalement la « pierre » représentée par Simon, du « rocher » sur lequel doit être bâtie l’Église. Mais Pierre pourrait être aussi la pierre d’achoppement, celle qui fait trébucher, celle qui scandalise au sens étymologique de faire obstacle. C’est ce qui ressort en tout cas de la réprimande adressée par Jésus à Pierre peu après sa confession, quand celui-ci réagit négativement à l’annonce des souffrances qui doivent être endurées par le Fils de l’Homme : « Mais lui, se tournant, dit à Pierre : « passe derrière moi, Satan. Tu es scandale pour moi, car tu penses non les choses de Dieu mais celles des hommes » (Mt 16, 23).
Cette réprimande, qui est également rapportée par Marc (mais sans la référence au scandale : Mc 8,33), montre en tout cas que Pierre n’a pas saisi toute la portée de sa confession au Fils du Dieu vivant 37. Humainement 35. C. Grappe , D’un Temple à l ’autre, Paris, 1992, p. 170. 36. Épiphane de Salamine, Panarion 56, 3 : « Rien ne tiendra devant la foi de la vérité puisque ‘elle est bâtie sur la pierre’ et les portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle ». 37. On trouvera une relecture forte intéressante de ce recadrage dans l’Apocalypse de Pierre. Dans cet écrit qu’on peut estimer contemporain de la révolte de Bar Kokbah (132-135), la transfiguration est présentée sous forme d’un dialogue explicatif entre Jésus et ses disciples. Dans ce cadre, Pierre est sévèrement réprimandé par Jésus pour avoir proposé de faire trois tentes : « C’est Satan qui combat avec toi. Les affaires de ce monde l’emportent sur toi (…). Il n’y a qu’une tente, non faite de main d ’homme, mais qu’a faite mon père céleste pour moi et pour mes élus » (Apocalypse de Pierre XVI, 8-9). Suit dans le récit la voix qui atteste : « celui-ci est mon Fils que
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d’ailleurs, on ne voit pas comment cette confession aurait pu être pleinement comprise avant l’événement Pascal 38. C’est une des raisons qui font penser à certains exégètes que la confession de Pierre aurait été déplacée chez Matthieu, et que Pierre n’a pu recevoir d’investiture qu’après la résurrection 39. Selon nous, la pointe de l’interprétation d’un nom symbolique ne porte pas sur un pouvoir ou une fonction conférée à un personnage. Pour comprendre cela, il faut se référer aux enfants d’Isaïe et d’Osée. Après qu’un nom leur ait été imposé, il n’est plus jamais question à leur propos d’un rôle ou d’une activité particulière. Ils sont simplement symboles de l’Israël déchu, puis restauré en vertu de la promesse. Dans la même perspective, Pierre est le signe de l’avènement de cette nouvelle assemblée, l’ecclésia de Jésus fils du Dieu vivant. En conséquence, il nous semble plutôt que le modèle présenté par le Siracide sert principalement à introduire l’idée d’une nouvelle réalisation des voies du salut pour une nouvelle assemblée basée sur une proclamation renouvelée du Nom de Dieu fait homme. Nous privilégierons cette hypothèse et ceci d’autant plus que dans Mt 16, l’allusion à la terre et au ciel ne permet pas de dire si l’assemblée de Jésus est en attente proche de l’assemblée du royaume céleste, ou si elle est appelée à durer. En tout état de cause, le pouvoir de lier et de délier accordé à Pierre n’est autre que celui de rassembler, autour de la proclamation d’une confession de foi en Jésus, le Christ, le Fils du Dieu vivant, un peuple pardonné, multiplié au-delà des limites de Juda et d’Israël, en une assemblée « bien-aimée » des « fils du Dieu vivant ». Ce qui corrobore cette interprétation toute spirituelle, c’est le fait qu’aucune tentative d’interprétation j’aime, en qui je me complais, écoutez-le » (Ps 2, 9). L’Apocalypse de Pierre place donc ici, dans le cadre de la transfiguration, l’admonestation qui, dans Mathieu et Marc, suit immédiatement la confession de Pierre et la première annonce de la passion. L’Apocalypse de Pierre indiquait ainsi que Pierre n’a rien compris à ce qu’était la véritable tente, cette tente non faite de main d’homme, qui correspond au sanctuaire d’He 9, 11-12, ce qui implique que Pierre se trompe sur la nature du sanctuaire, et sans doute sur l’ecclésia que vient de bâtir Jésus sur la pierre devenue roc qui, comme la pierre de Dn 2, 34 et 45, surgit « sans main d’homme ». On constate ainsi que, tandis que Mathieu et Marc accusaient Pierre de n’avoir rien compris à l’identité de Jésus, l’Apocalypse de Pierre lui reproche plutôt de n’avoir rien compris à ce que pouvait représenter l’ekklésia, à savoir non une institution terrestre, mais un temple non fait de main d’homme. 38. On remarquera d’ailleurs que si, après la confession de Pierre, les synoptiques se contentent de demander le secret, après la transfiguration Matthieu (17, 9) et Marc (9, 9) précisent que Jésus leur demanda de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu « si ce n’est quand le Fils de l’Homme serait ressuscité d’entre les morts ». 39. Voir par exemple, P. Grelot, « L’origine de Matthieu 16,16-19 », dans À cause de l ’Évangile : mélanges offerts à Dom Jacques Dupont, Paris, 1985, p. 91-105 ; P. Grelot, « Sur cette pierre je bâtirai mon Église », dans Nouvelle revue théologique 109 (1987), p. 641-659. Voir également l’hypothèse de Jean Miguel Garrigues que nous avons évoquée dans la note 34.
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disciplinaire du pouvoir conféré à Pierre n’est opérée avant la fin du IIe siècle 4 0. Au IIIe siècle, l’auteur de la Didascalie des Apôtres, qui pourtant met l’accent sur le rôle pénitentiel et disciplinaire de l’évêque dans la communauté, au point que ce thème revient chez lui de façon obsessionnelle, ne se sert nullement du modèle de Pierre. Bien au contraire il interprète le pouvoir de lier et de délier conféré à Pierre uniquement comme le pouvoir de délier les croyants de la loi mosaïque 41. III. Des récits parallèles et des interprétations divergentes Nous allons maintenant examiner deux séries de textes : tout d’abord celui qui, dans l’Évangile selon Jean, nous semble correspondre au récit de Matthieu, puis la mise en scène d’un questionnement sur l’identité de Jésus au travers d’un dialogue entre Jésus, Matthieu, Pierre et Thomas dans l’Évangile selon Thomas. A. L’Évangile selon Jean Tout de suite après le récit du baptême de Jésus au Jourdain et du témoignage rendu par Jean-Baptiste, Jn 1, 35-44 met en scène l’appel des premiers disciples (qui ne sont autres, au départ, que ceux qui venaient à Jean-Baptiste), et montre progressivement l’adhésion au Rabbi, les premières affirmations de sa messianité, l’affirmation que Jésus de Nazareth, le fils de Joseph, est celui dont parlent la loi de Moïse et les prophètes (verset 45), pour aboutir à une confession de foi complète et à la réponse de Jésus. Dans ce récit, même si la transformation par Jésus du nom de Simon en Képhas est mentionnée, ce n’est pas Simon qui confesse sa foi, mais ce sera Nathanaël « véritable israélite », qui, après avoir maugréé « de Nazareth que peut-il sortir de bon ? » confessera : « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le Roi d’Israël » 42 . C’est alors que la réponse de Jésus introduira une référence au Fils de l’homme. Il y a donc, implicitement, dans l’Évangile selon Jean, comme dans l’Évangile selon Matthieu, l’équivalence entre la confession au Fils de Dieu et au Fils de l’Homme. La différence est que, dans l’Évangile selon Matthieu, la notion de Fils de l’Homme est introduite par Jésus dans le questionnement qu’il adresse à ses disciples, tan40. De surcroît, cette interprétation semble tout de suite avoir été contestée. Voir Tertullien, De Pudicitia 21. 41. Voir C. et A. Faivre « Mise en place et déplacement de frontières dans la Didascalie », Revue des sciences religieuses 81 (2007), p. 49-68. 42. Il y a cependant dans l’Évangile selon Jean une confession attribuée à Pierre, mais celle-ci est déplacée dans le contexte de la synagogue de Capharnaüm et elle est rédigée dans les termes utilisés dans les Évangiles de Marc et de Luc par l’homme possédé par un esprit impur (« tu es le Saint de Dieu ») qui sera guéri par Jésus après que celui-ci lui ait ordonné de se taire (Mc 1, 23-28 ; Lc 4, 33-37). Dans l’Évangile selon Jean, la confession de Pierre remplace tout bonnement cet épisode, tandis que dans l’Évangile selon Matthieu cet épisode particulier n’est pas relaté.
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dis que dans l’Évangile selon Jean, elle apparaît dans la réponse de Jésus à Nathanaël, comme une dimension complémentaire indispensable. Donc, si nous récapitulons : comme Matthieu, l’Évangile selon Jean connaît l’imposition du nom Képhas à Simon, comme Matthieu, il se préoccupe du passage de la notion de Fils de Dieu à celle de Fils de l’Homme. Mais à la différence de Matthieu, il n’introduit pas ici une confession de Pierre, et, apparemment, à la différence de Matthieu, il ignore le symbolisme de la pierre ou du rocher. Apparemment seulement. Car le thème de la pierre est bien implicitement présent. En effet, Jésus introduit la référence au Fils de l’Homme à l’aide d’une citation composite de Gn 28 et Dn 7 : « en vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’Homme ». Il y a là une allusion au songe de Jacob où les anges montent et descendent le long de l’échelle qui va aux cieux, et donc à la pierre de Béthel sur laquelle Jacob a reposé sa tête et qu’il dressera en stèle. Il s’agit, là encore, d’un récit d’ouverture des cieux. Et Jacob est encore un personnage qui se verra imposer un nouveau nom : celui d’Israël. En s’éveillant, Jacob dit : « que ce lieu est redoutable ! Ce n’est rien de moins qu’une maison de Dieu et la porte du ciel ! » (Gn 28, 17) après avoir dressé et oint la pierre sur laquelle il avait reposé, il fait le vœu que cette pierre qu’il a dressée comme une stèle soit une maison de Dieu. Auparavant (Gn 28, 14), il avait eu en songe la vision de Yahvé qui lui avait promis la terre sur laquelle il était couché et lui avait solennellement affirmé : « ta descendance deviendra nombreuse comme la poussière du sol, tu déborderas à l’Occident et à l’Orient, au Septentrion et au Midi, et toutes les nations du monde se béniront par toi et par ta descendance. Je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras et te ramènerai en ce pays, car je ne t’abandonnerai pas que je n’aie accompli ce que je t’ai promis ». Le contexte et l’intention sont exactement les mêmes que dans la prophétie d’Os 2, 1-3 (« et le nombre des enfants d’Israël sera comme le sable de la mer… Les enfants de Juda et d’Israël se réuniront, ils se donneront un chef unique et déborderont de leur territoire, il sera grand le jour de Yizréel ») et que dans la confession de Pierre. Mais dans le récit de l’Évangile selon Jean, c’est Nathanaël, « véritable israélite », qui est témoin de l’accomplissement de la promesse faite à Jacob. Dans tous les cas, Dieu est fidèle, par son Fils Jésus il se constitue un peuple nouveau, nombreux et multiple, qu’il réunira autour de sa maison. Il est difficile de déterminer dans quelle mesure l’Évangile selon Jean a voulu contester l’authenticité de la version de Matthieu et dans quelle mesure il serait simplement resté fidèle à d’autres sources. Quoi qu’il en soit, l’Évangile selon Jean a quand même fait le choix de mettre cette confession dans la bouche de Nathanaël, « véritable israélite ». De fait, il ne reproduit aucun dialogue mettant en valeur Pierre, et ignore les circonstances relatées par Matthieu.
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Malgré tout, les quatre Évangiles « canoniques » laissent percevoir un certain nombre de traits communs. Tous font état d’une discussion sur l’identité de Jésus provoquée par le questionnement que Jésus lui-même aurait adressé à ses disciples. Tous mettent les éléments de cette discussion en rapport avec Jean-Baptiste. Ceci pourrait suggérer l’hypothèse suivante : ce sont d’anciens disciples du Baptiste qui, lorsqu’ils ont décidé de suivre Jésus, se sont trouvés confrontés à cette question. La perspective de l’Évangile selon Jean, qui place cette discussion dans le cadre immédiat du recrutement des premiers disciples, est fort logique. Mais le texte de Jean montre que, même dans ce cadre, il y a eu progression de la découverte de l’identité de Jésus. Historiquement, il n’y a aucune raison pour récuser ce processus. La question est seulement de savoir à quel moment il a « abouti », c’est-à-dire à quel(s) moment(s) Jésus a pu approuver ou confirmer une (ou des) réponse(s). Le fait que Matthieu et Jean placent ce dialogue dans des cadres différents n’est pas dirimant. Il est même probable que, comme le suggère Jean, ce questionnement a duré et qu’il a suscité des tentatives de réponses et des approches différentes. Les quatre Évangiles confessent le Messie, le Christ. Mais, dans Jean, Nathanaël confesse un Messie royal pour Israël, tandis que Matthieu suggère plutôt un Messie sacerdotal, le fils du Dieu vivant. Jean, à l’instar de Matthieu, reconnaît la transformation du nom de Simon fils de Jean (ou de Jonas) en Képhas – Pierre, ce qui dénote une origine araméenne du dialogue entre Simon et Jésus. Il n’y a pas lieu de contester l’authenticité de ce dit sur le changement de nom 43. Jean comme Matthieu atteste l’introduction dans la problématique sur l’identité de Jésus, telle qu’elle aurait été gérée par Jésus lui-même, de la notion de Fils de l’Homme, et donc, indirectement, du thème eschatologique de l’ouverture des cieux tel qu’il est présenté en Dn 7. Là encore, il nous semble qu’il n’y a pas lieu de récuser le fondement historique de cet élément de la problématique, dans la mesure où nombre d’historiens et d’exégètes s’accordent pour admettre que le Jésus de l’histoire s’est lui-même désigné sous le nom de Fils de l’Homme. L’Évangile selon Jean et l’Évangile selon Matthieu répondent tous deux à la même problématique : « quelle est la messianité de ce Jésus de Nazareth qui se dit Fils de l’Homme » ? Derrière la problématique personnelle de l’identité de Jésus de Nazareth, se profile la problématique collective du salut du peuple de Dieu. En effet, l’Évangile selon Jean, comme celui de Matthieu, utilise des citations implicites qui conduisent à voir derrière l’affirmation de la messianité de Jésus, le signe de l’avènement de la reconstitution d’Israël, de l’accomplissement de la promesse de fidélité de Dieu, du rassemblement, dans toutes les nations, 43. Voir L’opinion de G. Claudel , La confession de Pierre, trajectoire d ’une péricope évangélique, Paris 1988, p. 436 : « le fondement historique le plus sûr de ce récit primitif réside dans le surnom de kyp’ donnée par Jésus à Simon ».
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d’un peuple nouveau, aimé de Dieu. Dans les deux cas, l’idée est que Dieu, par Jésus de Nazareth, son « Fils » et son « Christ », va restaurer « Israël », « son peuple ». Toutefois, seul Matthieu utilise le terme ecclésia pour concrétiser cette réalité. Soulignons enfin que la figure de Nathanaël n’apparaît pas du tout dans les synoptiques, et qu’elle n’apparaît dans l’Évangile selon Jean que deux fois. La figure de Nathanaël est hautement symbolique et fait penser à une construction théologique. On pourrait transposer sur Nathanaël ce que John P. Meier écrit à propos de Thomas : « quand on regarde le rôle de Thomas dans l’Évangile selon Jean, on voit clairement qu’il sert de véhicule à sa théologie et que ce rôle est purement sa création » 4 4 . À nos yeux, Nathanaël a encore moins de ‘consistance’ que Thomas. En effet, Thomas est mentionné au moins une fois dans les synoptiques, dans la liste des douze (Mt 10, 3 ; Mc 3, 18 ; Lc 6, 15). En outre, Thomas apparaît dans l’Évangile selon Jean dans deux récits différents (la résurrection de Lazare, et l’apparition post pascale), tandis que Nathanaël, après avoir été mentionné au chapitre premier de l’Évangile selon Jean, ne réapparaîtra qu’au dernier chapitre, dans l’épilogue de l’apparition du lac de Tibériade (Jn 21, 2). On pourrait dire que la figure de Nathanaël est trop chargée de signification symbolique, trop belle pour être vraie… Certes, on pourrait faire la même remarque à propos de la figure de Simon Pierre telle qu’elle est présentée en Matthieu 16. À cette différence près toutefois, qu’elle est appliquée à un personnage dont l’existence est bien attestée à de multiples reprises, aussi bien dans les Évangiles et dans les Actes, que dans les lettres de Paul. Quant à Thomas, il n’apparaît pas seulement dans les Évangiles canoniques… B. L’Évangile selon Thomas L’Évangile selon Thomas constitue un recueil de logia dans lesquels on a parfois voulu voir une tradition très ancienne voire une source de nos Évangiles. On peut raisonnablement le dater de la première moitié du deuxième siècle 45. Cet Évangile, qui se présente comme relatant les paroles secrètes que Jésus le vivant a dictées et que Didyme Jude Thomas a écrites, met en scène dans le logion 13 un dialogue où Jésus demande à ses disciples de lui dire à quoi il ressemble. Matthieu répond le premier « tu es semblable à un philosophe intelligent ». Simon Pierre dit : « tu es semblable à un ange juste ». C’est 44. J.P. M eier , A Marginal Jew – Rethinking the Historical Jesus, III, New York, 1991, p. 198-285. Traduction française, « Que sait-on de chaque personne du groupe des douze ? » [en ligne], www.mystereetvie.com/meier34.htlm. 45. C. Gianotto, dans F. Bovon – P. Geoltrain (ed.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 2012, p. 29.
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ensuite au tour de Thomas d’intervenir : « Maître, ma bouche est tout à fait incapable de dire à qui tu es semblable ». C’est à cette troisième réponse que Jésus va réagir. C’est donc Thomas qui va tenir le devant de la scène et non Simon Pierre. On notera que, dans le logion qui précède immédiatement (logion 12), les disciples interrogent Jésus : « Nous savons que tu nous quitteras. Qui deviendra le plus grand parmi nous ? », Et Jésus de répondre : « Où que vous soyez allés, vous irez vers Jacques le Juste, pour qui ont été faits le ciel et la terre ». Ce logion semble mêler deux traditions : celle de la question de Jacques et Jean fils de Zébédée, qui veulent savoir s’ils pourront siéger à la droite et à la gauche de Jésus, c’est-à-dire s’ils seront les plus grands 4 6, et l’épisode de la confession de Pierre selon Jn 6, 67-69, où Pierre s’exclame : « Seigneur, à qui irionsnous, tu as les paroles de la vie éternelle. Nous croyons et nous savons que tu es le Saint de Dieu ». Jacques le Juste est probablement ici confondu avec Jacques fils de Zébédée. Quoi qu’il en soit, l’objectif de ces logia 12 et 13 est bien de contrer la version que Matthieu donne de la profession de foi de Pierre, d’enlever à Pierre sa place prépondérante, et de mettre l’interprétation à tendance gnosticisante de l’Évangile selon Thomas sous le patronage de Jacques le Juste, chef de la communauté de Jérusalem. Au passage, l’Évangile selon Thomas donne peut-être même un coup d’épingle à la confession de Nathanaël telle qu’elle est relatée par Jean. En effet, Nathanaël, comme Thomas, commence sa confession en s’adressant à Jésus en lui disant : « Rabbi ». Dans l’Évangile selon Thomas Jésus réplique : « Je ne suis pas ton maître, puisque tu as bu, tu t’es enivré à la source bouillonnante que j’ai fait jaillir ». Puis il prend Thomas à part pour lui dire trois mots. Revenu vers les disciples, Thomas est pressé de révéler ce que Jésus lui a dit. Mais il refuse. Nous retrouvons là le thème du secret déjà présent dans les trois synoptiques. Jusqu’ici, dans l’Évangile selon Thomas, qui cherche à réduire le rôle de Simon Pierre, la symbolique de la pierre ou du rocher ne semble jouer aucun rôle dans la réponse concernant l’identité de Jésus. Pourtant, le thème de la pierre réapparaît sous une forme curieuse dans l’excuse donnée par Thomas pour ne pas répondre aux questions pressantes de ses compagnons : « Si je vous dis une seule des paroles qu’il m’a dites, vous prendrez des pierres et les lancerez contre moi ; et alors un feu sortira des pierres et vous brûlera ». Thomas craint d’être lapidé tout comme, dans l’épisode de Ex 17, 1-7, Moïse craint d’être lapidé par le peuple qui lui réclame de l’eau 47. Dans 46. Mt 20, 20-28 ; Mc 10, 35-45 ; voir aussi les disputes sur la préséance relatées par Mt 18, 15 ; Mc 9, 33-34 ; Lc 9, 46 ; et Lc 22, 24. 47. L’épisode de Ex 17, 1-7 a son parallèle en Nb 20, 1-13 où il est demandé à cette occasion à Moïse et Aaron de « rassembler la communauté ». À la suite de cet épisode Dieu annonce à Moïse et Aaron que, puisqu’ils ont douté, ce ne sera pas eux
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l’Évangile selon Thomas, la source bouillonnante à laquelle fait allusion Jésus – qui est source de connaissance – se réfère en fait au rocher de Mérida dont Moïse a fait jaillir l’eau 48. Il semble que la question de la prépondérance donnée à Pierre ait, dès le premier siècle, influé sur l’acceptation ou le rejet de la version matthéenne de la confession de Pierre. L’Évangile selon Thomas a sans doute créé de toutes pièces le récit du dialogue sur l’identité de Jésus pour contrer cette version et promouvoir une version gnostique où le disciple n’a plus à être enseigné. Dans cette perspective gnostique, il se soucie pourtant de savoir « pour qui ont été faits le ciel et la terre ». Le logion 12, qui décide d’attribuer cet honneur à Jacques le Juste, recompose en fait des traditions qui avaient été attribuées à Jacques et Jean fils de Zébédée et à Pierre (c’est-àdire en fait aux trois personnages qui ont assisté à la transfiguration selon les synoptiques). Il existait donc plusieurs personnages pour qui des groupes différents revendiquaient le privilège d’avoir formulé une confession de foi approuvée par Jésus, ou d’avoir eu une révélation directe de l’identité de Jésus, fils de Dieu : Pierre, Jacques et Jean, Thomas et Nathanaël. C. Des tentatives « œcuméniques » Bien entendu, au cours du premier siècle, ces revendications ont dû s’épanouir au travers de groupes ou de communauté qui se sont spécifiées et organisées. On peut se demander si le personnage de Nathanaël « véritable israélite » ne constitue pas une première tentative pour « neutraliser » des revendications trop spécifiques ou une émulation malsaine analogues à celles qu’on retrouve en 1 Co 1, 10-16, où les fidèles se réclament qui de Paul, qui d’Apollos, qui de Képhas, qui du Christ… (à cette légère différence près que dans la Première Épître aux Corinthiens, c’est l’apostoqui feront entrer cette assemblée dans le pays qu’il leur donne (verset 12). D’après Dt 1, 38 c’est Josué, le serviteur de Moïse, qui y entrera. Et Yahvé donne à Moïse l’instruction suivante : « affermis-le, car c’est lui qui devra mettre Israël en possession du pays ». L’auteur de l’Épître aux Hébreux, en 4, 1-11 fait l’exégèse de ce dernier texte en montrant que Josué n’a pas réellement fait entrer l’assemblée en possession de la terre promise, et qu’à nouveau, Dieu fixe un jour, un « aujourd’hui » pour les croyants qui entrent dans son repos – ceci juste avant de nous présenter notre « grand prêtre souverain qui a traversé les cieux, Jésus, le Fils de Dieu ». On trouve donc dans l’Épître aux Hébreux à la fois des spéculations apocalyptiques concernant la réalisation du Jour, et des préoccupations sacerdotales, exactement comme dans les textes qui inspirent Mt 16. 48. On peut rapprocher cette interprétation de celle qui se trouve déjà en 1 Co 10, 4 : « et tous ont bu le même breuvage spirituel, – ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher c’était le Christ – ». On peut également rapprocher de cette interprétation l’épisode où, en Jn 4, 14, Jésus promet à la Samaritaine que celui « qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif. L’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissante pour la vie éternelle ».
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lat qui sert de base à la revendication, tandis que dans les textes que nous venons d’étudier, c’est la confession de foi révélée : la perspective y est donc plus théologique et dénote peut-être un peu plus de recul). Dans ce contexte, la seconde conclusion de l’Évangile selon Jean nous apparaît comme une tentative œcuménique de réconciliation. En effet, le récit de l’apparition post-pascale au bord du lac de Tibériade commence par énumérer les noms de tous ceux qui assistèrent, selon le rédacteur, à cette troisième et dernière apparition du Christ ressuscité : « Simon-Pierre, Thomas, appelé Didyme, Nathanaël de Cana en Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples (les disciples d’Emmaüs ?). » Sont donc cités nominalement tous ceux que nous venons d’évoquer comme candidats et concurrents potentiels à une confession ou une révélation certifiée concernant l’identité de Jésus. On trouve peut-être une autre tentative « œcuménique » dans la Première Épître à Timothée. Dans Mathieu, Pierre confesse le Christ, fils du Dieu vivant, et met cette confession en rapport avec l’ekklèsia ; dans Jean, Nathanaël confesse le Christ, le roi d’Israël, et cette confession est implicitement mise en rapport avec la maison de Dieu. En 1 Tm 3, 14-15, Paul donne ses instructions à Timothée qu’il devrait bientôt rejoindre, et il ajoute : « Si toutefois je tardais il faut que tu saches comment te comporter dans la maison de Dieu – je veux dire l ’Église du Dieu vivant – : colonne et support de la vérité 49 ». Cet ajout et l’incise qu’il comporte n’ont rien d’anodin, surtout si l’on considère que ce passage est placé juste après la première description des ministères d’une communauté comportant un épiscope et des diacres, et que la première à Timothée reproduira plus tard, au chapitre 5, des instructions concernant les presbytres. La Première Épître à Timothée connaît visiblement deux types d’organisation communautaire qu’elle cherche à unifier. L’incise du verset 15 du chapitre 3 évoque sans doute les deux façons que ces communautés avaient de se concevoir et de se désigner. Quelles conclusions ? Le récit de la confession de Pierre selon Matthieu (tout spécialement Mt 16, 16b-19) se conçoit très bien comme le déroulement d’une exégèse fondée sur le Ps 2, Dn 2-7 et Os 1-2, et une série de citations axées sur le thème de la pierre. Dans ces conditions, la solution la plus simple serait de dire que les versets 16b à 19 sont en fait une construction théologique 49. Le terme « colonne » fait songer à Ga 2, 9, où, selon C. Grappe , D’un Temple à l ’autre, Paris, 1992, p. 90, « il peut donner à penser qu’effectivement l’Église primitive de Jérusalem s’est considérée comme le temple de la fin des temps ». Le terme colonne, comme le terme fondement, fait partie du champ sémantique de l’image de la construction, image centrale dans le récit de Mt 16, 17-19.
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purement rédactionnelle, issue d’auteur(s) judéen(s) parlant araméen et capable(s) de lire le Siracide dans une version en hébreu analogue à celles que l’on a retrouvées à Qumran et à Massada. Son ou ses auteur(s) seraient préoccupé(s) par une lecture sacerdotale du devenir du peuple de Dieu, sensible(s) à une vision mystique et eschatologique et – probablement – également sensible(s) au symbolisme véhiculé par le calendrier liturgique. Toutes choses qui pourraient nous orienter vers des courants « essénisants » analogues à ceux dont parlait Annie Jaubert 50 à propos de l’Épître de Clément de Rome ; toutes choses qui cadrent également avec les efforts de l’Épître aux Hébreux pour repenser le sacerdoce. La tentation est donc forte de replacer la conception de ce récit après la chute du temple, entre 70 et la fin du premier siècle, à la même période que la Première Épître de Pierre, l’Épître aux Hébreux ou l’Épître de Clément de Rome, à cette époque où Israël, déstabilisé, cherche à se reconstruire, et, surtout, à trouver un substitut au sacerdoce qui jusque-là pouvait étaler sa magnificence dans le temple en offrant les sacrifices qui auraient dû garantir l’effacement des fautes et le salut à ce peuple qui vient de subir un désastre. Mais les choses ne sont pas si simples. Nous avons vu que l’interprétation messianique du Ps 2 à l’aide de la pierre de Dn 2 était disponible dès le judaïsme et que les Judéens chrétiens s’en sont emparés très tôt. Si l’on en croit le témoignage des Épîtres de Paul, la théologie du Dieu vivant était déjà d’actualité dans les communautés en Macédoine et en Achaïe dans les années cinquante. Dans la seconde Épître aux Corinthiens, Paul rappelle les circonstances de son voyage en Macédoine d’où il a écrit. Il dit que les Corinthiens sont « une lettre du Christ rédigée par nos soins, écrite non avec de l’encre, mais avec l ’esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » (2 Co 3,3). Un peu plus loin, il affirme : « or, c’est nous qui le sommes, le temple du Dieu vivant… » (2 Co 6, 16), spiritualisant ainsi totalement le temple et la notion de sacerdoce qui lui est attachée. Dans la première Épître aux Thessaloniciens, Paul se félicite des fruits de son évangélisation : « on raconte, écrit-il, comment nous sommes venus chez vous, et comment vous vous êtes convertis à Dieu, abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et véritable, dans l’attente de son fils qui viendra des cieux, qu’il a ressuscité des morts, Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient » (1 Th 1, 9-10). Paul aurait donc prêché avec succès le Dieu vivant et véritable aux Thessaloniciens. Si l’on en croit Ac 17, 1-4, sa première prédication à Thessalonique avait été massivement rejetée par les Juifs, mais acceptée par les adorateurs de Dieu, les Grecs, et bon nombre de dames de qualité. C’est cette communauté hellénistique qui aurait abandonné les idoles pour servir le Dieu vivant et véritable. Mais 50. A. Jaubert, Clément de Rome, Epître aux Corinthiens, Paris, 1971, p. 49.
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il se peut également que « Paul » cale son récit sur le type de professions de foi qu’il a pu trouver dans les communautés déjà visitées par Pierre et Apollos, comme Corinthe d’où il écrit son Épître aux Thessaloniciens. On remarque dans la fin de la confession de foi que Paul prête aux Thessaloniciens l’allusion au jour de la colère qui vient, qui n’est pas sans rappeler l’avertissement de Jean-Baptiste issu de la source commune à Matthieu et à Luc : « engeance de vipères, qui vous a suggéré de vous soustraire à la colère prochaine ? ». La résonance eschatologique du Dieu vivant de Paul est la même que celle du Dieu vivant de Matthieu, à ceci près qu’on ne trouve chez Paul aucune spéculation sur le retour du Fils de l’Homme et encore moins sur le retour d’Élie, spéculations qui auraient d’ailleurs été totalement incompréhensibles pour des Grecs. En définitive, seules les Épîtres de Paul, l’Évangile selon Matthieu, et la première Épître de Pierre utilisent la notion de Dieu vivant. Si, en utilisant cette notion, Matthieu fait preuve d’originalité par rapport aux autres Évangiles, il n’y a là par contre aucune originalité par rapport à la confession de foi diffusée par Paul dans sa première évangélisation et peut-être déjà trouvée par lui dans les communautés où Pierre était passé. De plus, la tradition pétrinienne rapportée par la première Épître de Pierre confirme l’usage de la notion de Dieu vivant et la première Épître à Timothée connaît des communautés qui se présentent comme ekklèsia du Dieu vivant, tandis que d’autres sont désignées par l’expression « maison de Dieu ». La confession au Christ, Fils du Dieu vivant, énoncée par Pierre au verset 16 b du récit de Matthieu pourrait donc être ancienne et remonter à tout le moins aux années 50. À partir d’autres arguments, Christian Grappe – et, avant lui, Rudolf Pesch 51 – arrive à des conclusions similaires. Christian Grappe décèle dans les Épîtres de Paul deux allusions à la confession de Pierre. Il voit dans la mise en garde de 1 Co 3, 11 (« quant au fondement, nul ne peut en poser un autre que celui qui est en place : Jésus-Christ ») un texte qui viserait un parti qui reconnaîtrait en Pierre le fondement sur lequel doit être édifiée l’ékklèsia. Cette intuition est corroborée par le premier chapitre de l’Épître qui fait état des disputes entre ceux qui se réclament de Paul, d’Apollos, de Képhas ou du Christ 52 . Le second texte invoqué par Christian Grappe est la revendication de Paul en Ga 1, 15-17. Dans ce texte, la révélation directe faite à Paul, par Dieu lui-même, de la filiation divine de Jésus, et la précision selon laquelle Paul n’aurait consulté « ni la chair ni le sang » 53, rappellent étonnamment Mt 16, 17. D’après Christian Grappe, 51. R. Pesch Simon-Petrus. Geschichte und geschichtliche Bedeutung des ersten Jüngers Jesu Christi, Stuttgart, 1980, p. 99-100. 52. C. Grappe , D’un Temple à l ’autre, Paris, 1992, p. 88-89 53. Ga 1, 15-17 : « Mais lorsque celui qui m’a mis à part dès le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les païens, aussitôt, sans consulter ni la chair ni le sang, ni monter à Jérusa-
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Paul, s’efforcerait ici, en narrant son investiture apostolique en des termes qui évoquent celle du prince des apôtres, de démontrer que sa propre mission fait de lui un autre Pierre. Christian Grappe estime donc « tout à fait raisonnable d’envisager que le fonds de Mt 16, 17-19 remonte à tout le moins au début des années 50 de notre ère ». Cette datation rejoint nos propres conclusions. Il nous faut toutefois concéder que nous n’avons trouvé aucun témoignage d’une relecture du chapitre 50 du Siracide avant Matthieu, et que, bien que les trois synoptiques s’accordent pour situer la confession de Pierre à la date du Yom Kippour 54, Matthieu reste le seul à développer ce récit dont les acteurs trouvent leur type dans la liturgie du Yom Kippour décrite par le Siracide. Dans cette configuration deux solutions se présentent : (1) soit le rédacteur de Matthieu a voulu pousser à l’extrême et développer par un récit les implications théologiques de cette date liturgique ; (2) soit il est le seul à rapporter dans sa totalité une tradition commune (peut-être parce qu’il est à même d’en comprendre tous les sous-entendus dans leur langue d’origine).
Notons que l’indication qui permet de placer la confession de Pierre au Yom Kippour n’apparaît pas directement dans les récits de cette confession, mais qu’elle est implicitement fournie au travers des trois récits synoptiques de la transfiguration. Il convient par ailleurs de souligner que l’inspiration du récit de Mt 16 par la liturgie du Yom Kippour décrite par Si 50 reste également implicite et discrète, – et on ne voit pas que ce « décalque » de Si 50 sur Simon Pierre ait été prolongé ou discuté dans le siècle qui suit. Cette discrétion plaide plutôt, à notre avis, en faveur de la réception par Mathieu d’une tradition plus ancienne, car, dans le cas d’une création rédactionnelle, il aurait été logique que le rédacteur rende plus apparente et reconnaissable sa référence et les applications théologiques qu’elle pouvait induire. Mathieu est peut-être ici le seul à rapporter de manière détaillée une tradition commune. Du point de vue méthodologique, nous pensons qu’il est préférable d’essayer de dissocier la question de l’historicité des faits rapportés par le récit de Matthieu, la question des traditions qui composent ce récit, celle de l’agencement et la mise en forme du récit, et enfin, les raisons, « le lem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti pour l’Arabie, puis je suis revenu à Damas ». 54. Pour G. Claudel , La confession de Pierre, trajectoire d ’une péricope évangélique, Paris, 1988, p. 405, « les arguments ne manquent d’ailleurs pas, qui permettent à l’exégèse historico-critique de considérer la confession de Pierre et la transfiguration ‘comme des panneaux originaux d’un diptyque archaïque’ ». Affirmation développée par C. Grappe , D’un Temple à l ’autre, Paris, 1992, p. 172, n. 1.
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pourquoi », qui ont conduit le rédacteur final de Matthieu à insérer et conserver ce récit dans son Évangile alors que les autres ne le font pas. Nous avons déjà pointé tout ce qui, dans l’ordre de l’historicité, nous paraissait fort plausible : la discussion entre disciples issus du groupe qui entourait Jean-Baptiste, le questionnement sur le retour d’Élie et l’identité de Jésus, l’introduction dans cette discussion, par Jésus lui-même, de la notion de Fils de l’Homme, la confession au Fils du Dieu vivant, le changement de nom de Simon en Pierre ainsi qu’un arrière-fond théologique constitué par l’utilisation du thème de la pierre à une double fin, l’application au Messie et la compréhension du destin du peuple de Dieu… Toutes choses que l’on trouve attestées ou confirmées par diverses traditions dès les années 50. On peut ajouter à tous ces arguments que l’identification du Fils de l’Homme au Fils de Dieu semble déjà avoir été réalisée à la fin du premier siècle avant notre ère par l’apocryphe araméen de Daniel retrouvé dans la grotte 4 de Qumran 55. Certes, la réunion de tous ces éléments en un même récit obéit à une telle logique exégétique que l’on est tenté d’y voir la main d’un rédacteur. Mais elle peut également témoigner de la mise en acte de cette logique par des acteurs imbibés de ces éléments culturels. L’unanimité des synoptiques sur le lieu de l’événement constitue, à nos yeux, un argument en faveur de l’historicité du récit de Matthieu : ceci non seulement à cause de la pluralité du témoignage, mais surtout parce que ce témoignage fait difficulté – en effet, la logique aurait voulu que l’action soit située à Jérusalem et non dans la région de Césarée de Philippe 56. En ce qui concerne les éléments qui, dans les versets 17 et 18, modélisent l’action et les acteurs du récit suivant le texte du Siracide, ils ont sans doute été reçus, et non créés, par le rédacteur final de Matthieu qui a probablement décidé de les conserver pour trois raisons : (1) affermir la foi d’une communauté éprouvée par la chute de Jérusalem et par la mort qui avait dû frapper ses fidèles en lui donnant une vision qui interprète son histoire au-delà des événements présents ; (2) prendre ses distances par rapport au sacerdoce traditionnel de Jérusalem désormais déchu de son pouvoir et de sa splendeur et polémiquer contre ce sacerdoce qui refuse la confession à Jésus, Fils du Dieu vivant et Fils de l’Homme ; (3) a contrario, asseoir la légitimité de l’ekklèsia, assemblée de tous ceux qui acceptent cette confession, et en affirmer l’efficacité salvifique « sur la 55. J.J. Collins , Daniel, Minneapolis (Minnesota), 1993, p. 77-79. On discute pour savoir si les expressions « Fils de Dieu » et « Fils du Très Haut » font référence à une figure historique ou à un souverain apocalyptique qui établirait le règne de Dieu sur terre. 56. L’argument, repris par C. Grappe , D’un Temple à l ’autre, Paris, 1992, p. 17, selon lequel la région de Philippe de Césarée aurait été choisie parce qu’elle était un lieu traditionnel de révélation apocalyptiques paraît peu convaincant.
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terre comme au ciel », ce que le rédacteur final fait en plaçant ce récit de confession au centre de la rédaction de son Évangile.
La transmission de cette modélisation n’a pu être opérée que par et dans une communauté susceptible d’en comprendre le substrat culturel, à savoir une communauté marquée par une attente apocalyptique et une spéculation sur la définition du Jour du Seigneur, travaillée par une recherche sur l’identité du Messie attendu, et sur la conception d’un sacerdoce qui s’exercera de façon renouvelée au travers d’un peuple pardonné et multiplié au-delà de ses limites initiales. L’auteur (et le milieu auquel il s’adressait) devaient être capables d’assimiler une interprétation du texte araméen de Daniel (et peut-être – mais ceci reste hypothétique – avoir connaissance de l’apocryphe araméen de Daniel conservé à Qumrân) et devaient avoir la faculté d’accéder à une version en hébreu du livre du Siracide. Ce n’est que dans un tel milieu que l’intérêt de la transmission intégrale de cette modélisation pouvait apparaître. Nous cernons donc le milieu de production ou de réalisation du scénario. Mais nous n’en connaissons pas la date. L’ultime question est donc de savoir si ce scénario modélisé à partir de la liturgie du Yom Kippour procède d’une réflexion théologique opérée a posteriori et en chambre ou s’il a été effectivement réalisé. En effet, ce scénario peut avoir été mis en acte, comme les actions symboliques des prophètes. Chacun choisira l’une ou l’autre solution en vertu de son intime conviction. Mais là, chacun sait également que la foi est « une pierre d’achoppement, un rocher qui fait tomber » !
T EMPLE ET SACERDOCE DANS L’A POCALYPSE DE JEAN. ZOROBABEL ET JOSUÉ, TÉMOINS DE JÉSUS, MESSIE ROYAL ET SACERDOTAL (A P 11, 3-14) Louis Painchaud Université Laval, Québec
À la mémoire de maman Καὶ φῶς λύχνου οὐ μὴ φάνῃ ἐν σοὶ ἔτι (17 septembre 2014) Abstract From the very start of the Book of Revelation, the prophet John introduces the royal and priestly theme through an allusion to Ex 19:6: “ he has made us to be a kingship and priests to serve his God and father” (Rev 1:6). But how has Jesus Christ, the “ faithful witness,” made his followers into a kingship and priests? Our response to this question will draw on an analysis of chapter 11. Set in the middle of Revelation as a whole, this pivotal chapter links the destruction of Jerusalem (11:2) and the restoration of the Temple—symbolized by its measurement (11,1) and the death of the two “witnesses” and their resurrection (11:311)—to the death (11:8) and resurrection of Jesus (11:11-13). The two “unfaithful witnesses,” are to be understood as standing in for Zorobabel (representing the royal line) and Joshua (representing the priestly line) (Zach 4:1-13; Hagai 2:19); we argue in this article that through the assimilation of their death and resurrection to Jesus’ own, it is the ancient kingship and priesthood which die and are resurrected with Jesus, who then bestows them on his followers in renewed and purified form. The destruction of Jerusalem and the death of Jesus are thus two aspects of the same eschatological event, namely the restoration of the priesthood and the kingdom in the new Jerusalem. Résumé Dès les premières lignes de son Apocalypse, le prophète Jean en annonce le thème sacerdotal et royal par une allusion à Ex 19,6 : « Il a fait de nous une royauté, des prêtres pour Dieu son Père ». Mais comment Jésus Christ, « témoin fidèle », a-t-il fait des siens une royauté et des prêtres? C’est à cette question que nous tentons de répondre à partir du chapitre 11. En plein centre du texte, ce chapitre charnière associe symboliquement la destruction de Jérusalem (11,2) et la restauration du Temple, signifiée par sa mesure (11,1), ainsi que la mort des deux La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 229-246. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115532 ©
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« témoins » et leur résurrection (11,3-11), à la mort (11,8) et à la résurrection de Jésus (11,11-13). L’hypothèse que nous proposons dans cet article est que par l ’assimilation de la mort et la résurrection de ces deux « témoins infidèles », qu’il faut identifier à Zorobabel, de lignée royale, et Josué de lignée sacerdotale (Za 4,1-13; Aggée 2,1-9), à celles de Jésus, ce sont la royauté et le sacerdoce anciens qui meurent et ressuscitent avec Jésus, qui les confère, renouvelés et purifiés, aux siens. La destruction de Jérusalem et la mort de Jésus constituent ainsi les deux faces d’un même événement eschatologique, la restauration du sacerdoce et de la royauté dans la Jérusalem nouvelle. ... et de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né d’entre les morts, le prince des rois de la terre. À celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous une royauté, des prêtres pour Dieu son Père, à lui la gloire et la puissance pour les siècles de siècles. Amen 1 .
Βασιλείαν, ἱερεῖς « une royauté, des prêtres ». Campée dès les premiers versets de l’Apocalypse qu’a écrite Jean (Ap 1,19), un prophète judéen, disciple de Jésus certes, mais qui ne se sait ou ne se veut pas encore « chrétien » 2 , cette formule fait évidemment allusion à Ex 19,6 « un royaume de prêtres et une nation sainte » 3 . C’est aussi le seul pas1. Ap 1,5-6 (Nestle-Aland 28e ed. [2012]) καὶ ἀπὸ Ἰησοῦ Χριστοῦ, ὁ μάρτυς, ὁ πιστός, ὁ πρωτότοκος τῶν νεκρῶν καὶ ὁ ἄρχων τῶν βασιλέων τῆς γῆς. Τῷ ἀγαπῶντι ἡμᾶς καὶ λύσαντι ἡμᾶς ἐκ τῶν ἁμαρτιῶν ἡμῶν ἐν τῷ αἵματι αὐτοῦ, καὶ ἐποίησεν ἡμᾶς βασιλείαν, ἱερεῖς τῷ θεῷ καὶ πατρὶ αὐτοῦ, αὐτῷ ἡ δόξα καὶ τὸ κράτος εἰς τοὺς αἰῶνας τῶν αἰωνῶν. ἀμήν. 2. Et non un « Juif converti au christianisme » (“a Jew converted to Christianity”) comme le qualifie, de manière à mon avis anachronique, James H. Charles worth , « The Triumphant Majority as Seen by a Dwindled Minority : The Outsider According to the Insider of the Jewish Apocalypse », dans J. Neusner – E.S. Freisch – C. McCr acken-Flesher (ed.), “To See Ourselves as Others See Us” : Christians, Jews, “Others” in Late Antiquity, Chico, CA, 1985, p. 291; mais plutôt un prophète judéen de la secte des disciples de Jésus, pour reprendre l’expression de Martha Himmelfarb qui qualifie l’Apocalypse de “Jewish sectarian work” (M. H immelfarb , A Kingdom of Priests. Ancestry and Merit in Ancient Judaism, Philadelphie, 2006, p. 134); un prophète qui se voit lui-même comme un Juif fidèle (« a faithful Jew »), comme le qualifie Thomas B. Slater, qui date l’Apocalypse des années 68-70 (Th.B. Slater , « Dating the Apocalypse of John », Biblica 84 [2003], p. 258). En ce sens, la manière dont David Hill caractérise Jean comme un prophète qui se situe dans la tradition prophétique d’Israël paraît très juste; voir D. H ill , « Prophecy and Prophets in the Revelation of St. John », New Testament Studies 18 (1971-1972), p. 406-411; aussi, D.E. Aune , « The Prophetic Circle of John of Patmos and the Exegesis of Revelation 22 :16 », dans D.E. Aune (ed.), Apocalypticism, Prophecy, and Magic in Early Christianity. Collected Essays, Grand Rapids, MI, 2008, p. 250-260. 3. Ὑμεις δὲ ἔσεσθέ μοι βασίλειον ἱεράτευμα καὶ ἔθνος ἅγιον Ex 19,6 LXX RHALFS. Concernant les variantes de l’expression dans le texte hébreu et les différentes versions grecques, voir les commentaires de P. P rigent, L’Apocalypse de saint Jean. Édition revue et augmentée, Genève, 2000, p. 90-91 et de D.E. Aune , Revela-
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sage où l’auteur de l’Apocalypse emploie la première personne du pluriel. Il marque ainsi, on ne peut plus clairement, sa conception de la communauté que construit son texte, une communauté formée des fidèles de Jésus le Vivant, qu’il désigne le plus souvent comme « les saints » (ἅγιοί 5,8; 8,3.4; 11,18; 13,7.10; 14,12; 16,6; 17,6; 18,20; 20,6.9; 22,21), une communauté royale et sacerdotale annoncée dans les Écritures, dont la pureté doit être sans souillure 4 . « Il a fait de nous une royauté, des prêtres ». La référence à Ex 19,6 indique bien que Jésus, par son sang, non seulement délivre ses fidèles de leur péché, mais accomplit les promesses de l’Alliance du Sinaï. Ce « nous » n’inclut toutefois pas seulement des membres de l’ethnos judéen ou Israël, auquel appartient vraisemblablement Jean et, sans doute, un grand nombre de ses destinataires, comme en Ex 19,6. L’expression revient en effet presque identique dans une autre doxologie en Ap 5,9-10 où, encore une fois, mais sous la forme de l’adjectif possessif, apparaît la première personne du pluriel et où elle inclut « toute tribu, langue, peuple et nation » 5 : Ils chantent un cantique nouveau : « Tu es digne de recevoir le livre et d’en rompre les sceaux, car tu as été immolé et tu as racheté pour Dieu, par ton sang, (des hommes) de toute tribu, langue, peuple et nation. Tu en as fait pour notre Dieu une royauté et des prêtres, et ils régneront sur la terre ».
Si dans ce passage, le verbe acheter (ἀγοράζειν), de même que son composé racheter (ἐξαγοράζειν), rend un écho paulinien (1 Co 6.20; 7,23; Ga 3,13; 4,5; aussi Eph 5,6; Col 4,5), le sang de l’Agneau veut vraisemblablement évoquer ici l’Agneau pascal et la sortie d’Égypte (Ex 12). Non seulement ce rachat ne se limite plus aux fils d’Israël et englobe toute tribu, langue, peuple et nation, mais il en a fait une « royauté et des prêtres » (βασιλείαν καὶ ἱερεῖς). Comment comprendre cela? Comment par son sang, Jésus a-t-il conféré une qualité royale et sacerdotale à ses fidèles ? On essaiera de répondre à cette question à partir du chapitre 11. tion 1-5. Dallas, 1997, p. 47-49; aussi M. H immelfarb , A Kingdom of Priests. Ancestry and Merit in Ancient Judaism, Philadelphie, 2006, p. 1-3. 4. Sur le sens de ἅγιος, voir J.P. L ouw – E.A. Nida – R.B. Smith, Greek- English Lexicon of the New Testament : Based on Semantic Domains, New York, 1989, s.v.; aussi P.R. Trebilco, Self-Designations and Group Identity in the New Testament, Cambridge, 2012, en particulier p. 154-158 sur l’emploi de ce terme dans l’Apocalypse. 5. Ap 5,9-10 καὶ ᾄδουσιν ᾡδὴν καινὴν λέγοντες· ἄξιος εἶ λαβεῖν τὸ βιβλίον καὶ ἀνοῖξαι τὰς σφραγῖδας αὐτοῦ, ὅτι ἐσφάγης καὶ ἠγόρασας τῷ θεῷ ἐν τῷ αἵματί σου ἐκ πάσης φυλῆς καὶ γλώσσης καὶ λαοῦ καὶ ἔθνους καὶ ἐποίησας αὐτοὺς τῷ θεῷ ἡμῶν βασιλείαν καὶ ἱερεῖς, καὶ βασιλεύσουσιν ἐπὶ τῆς γῆς.
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Il sera utile d’exposer au préalable les principes de notre lecture de l’Apocalypse. On tiendra : 1) que l’Apocalypse de Jean est un texte globalement homogène sur les plans littéraire et doctrinal, œuvre d’un seul auteur 6 ; 2) que les clés de son interprétation sont d’abord à chercher dans son utilisation des Écritures 7; 3) que Babylone, la grande prostituée écarlate, y représente la Jérusalem terrestre 8 , son temple, ses rois et son clergé souillés par leur « prostitution avec les nations » 9, et non 6. « … a unified text, the work of a historical figure by the name John », E. Lu pieri , A Commentary on the Apocalypse of John, Grand Rapids, MI, 2006, p. 12-13; S. A lkier , « Revelation as a Coherent and Complete Whole », dans M. K arrer – M. L abahn (ed.), Die Johannesoffenbarung : Ihr Text und ihre Auslegung, Leipzig, 2012, p. 147-173, contre l’opinion encore largement dominante qui y voit un ouvrage ayant subi une histoire rédactionnelle complexe, voir par exemple D.E. Aune , Revelation 1-5, Dallas, 1997, p. cxviii- cxxxiv; P. P rigent, L’Apocalypse de saint Jean, Genève, 2000, p. 63-69. 7. Voir par exemple I.W. P rovan, « Foul Spirits, Fornication and Finance : Revelation 18 from an Old Testament Perspective », Journal for the Study of the New Testament 64 (1996), p. 81-100; aussi plusieurs contributions dans M. L abahn – M. K arrer , Die Johannesoffenbarung : Ihr Text und ihre Auslegung, Leipzig, 2012); J. Dochhorn en procure une brillante application à l’interprétation du chapitre 12 (J. D ochhorn, Schriftgelehrte Prophetie. Der eschatologische Teufelsfall in Apoc Joh 12 und seine Bedeutung für das Verständnis der Johannesoffenbarung, Tübingen, 2010). 8. Rares sont les exégètes qui ont proposé cette lecture de l’Apocalypse et leurs travaux sont largement, voire complètement ignorés par la recherche dominante. Ce sont E. C orsini , Apocalisse prima e doppo, Turin, 1980 ( = The Apocalypse : The Perennial Revelation of Jesus Christ, Wilmington, DE., 1983; L’Apocalypse maintenant, Paris, 1984); malgré les nombreuses lacunes que présente l’oeuvre de Corsini, sa critique de l’opinion identifiant la prostituée, Babylone, à Rome, qu’il identifie à la Jérusalem terrestre demeure valide (voir en particulier 242-257); J. M assyng berde Ford, Revelation, Garden City, NY,1975; A.J. B eagley, The ‘Sitz im Leben’ of the Apocalypse with Particular Reference to the Role of the Church’s Enemies, Berlin, 1987; E. Lupieri, L’Apocalisse di Giovanni, Milan, 1998, p. 248-280 ( = A Commentary on the Apocalypse of John, Grand Rapids, MI, 2006; I.W. P rovan, « Foul Spirits, Fornication and Finance : Revelation 18 from an Old Testament Perspective », Journal for the Study of the New Testament 64 (1996), p. 81-100; G.W. Camp bell , Reading Revelation : a Thematic Approach, Cambridge, 2012; D. Tripaldi , Apocalisse de Giovanni, Rome, 2012, p. 196-201; aussi L. A rcari , « L’Apocalisse di Giovanni nel quadro di alcun dinamiche gruppali proto-cristiane : elementi per una (ri)-contextualizzaazione », Annali di Storia dell ’Esegesi 28 (2011), p. 137-183, qui réfute manière convaincante les objections qu’oppose Giancarlo Biguzzi à cette approche de l’Apocalypse (G. Biguzzi , L’Apocalisse e suoi enigmi, Brescia, 2004). Aucun de ces auteurs n’est mentionné dans J.J. C ollins (ed.), The Oxford Handbook of Apocalyptic Literature, Oxford – New York, 2014. 9. Voir A.J. Beagley, The ‘Sitz im Leben’ of the Apocalypse with Particular Reference to the Role of the Church’s Enemies, 1987; I.W. P rovan, « Foul Spirits, Fornication and Finance: Revelation 18 from an Old Testament Perspective ». Journal for the Study of the New Testament 64 (1996), p. 81-100; aussi E. Friedheim, « Richesse et pauvreté dans le judaïsme intertestamentaire et talmudique », Pardès 54 (2013), p. 157-168.
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Rome10 , son dernier amant, qui se retournera contre elle (Ap 17,15-18) et ne sera que l’instrument de la colère de Dieu 11; 4) que l’annonce –vaticinatio post eventum– de la chute de Jérusalem (Ap 11,2) et de l’interruption de son commerce avec les marchands et les rois de la terre (Ap 18; cf. 1 R 10,11-29) révèle le sens providentiel de la tragédie de 70, la chute de la prostituée vêtue de lin, de pourpre et d’écarlate, la Jérusalem ancienne (Ap 18,16; voir 17,12), pour faire place à la Jérusalem nouvelle (Ap 21,2), l’épouse, vêtue de lin resplendissant et pur (Ap 19,7-8) 1 2 . 10. Voir par exemple R.H. Horsley, Revolt of the Scribes. Resistance and Apocalyptic Origins, Philadelphie, 2009; C.R. Koester , « Roman Slave Trade and the Critique of Babylon in Revelation 18 », Catholic Biblical Quarterly 70 (2008), p. 766-86; « Revelation’s Visionary Challenge to Ordinary Empire », Interpretation 63 (2009), p. 5-18. François Vouga et Marie-Françoise Baslez, parmi bien d’autres, donnent des exemples de cette lecture de l’Apocalypse de Jean comme résistance chrétienne à Rome et son empire, et plus généralement comme littérature de résistance ou de contestation du pouvoir (F. Vouga , Politique du Nouveau Testament. Leçons contemporaines, Genève, 2008, p. 27-46; M.-F. Baslez , Comment notre monde est devenu chrétien, Paris, 2008, p. 69). Pour une critique de cette lecture omniprésente de l’Apocalypse voir P. P rigent, L’Apocalypse de saint Jean, Genève, 2000, p. 41-42; mais aussi, plus récemment, D.D. Sheets , « Something Old, Something New. Revelation and Empire », dans S. Mc K night – J.B. Modica – A. Crouch, Jesus is Lord, Caesar is Not: Evaluating Empire in New Testament Studies, Downers Grove, IL, 2013, p. 197-209, en particulier la conclusion, p. 209; aussi, S. Friesen, « Apocalypse and Empire » et P. E ssler , « Social Scientific Approaches to Apocalyptic Literature », dans J.J. C ollins (ed.), The Oxford Handbook of Apocalyptic Literature, Oxford – New York, 2014, p. 171-175 et p. 132-140. 11. S’il ne fait pas de doute que la Babylone du 4 e Esdras désigne bien Rome, la situation est complètement différente dans l’Apocalypse de Jean; il faut se garder d’assimiler ces deux textes qui adoptent sur les mêmes événements des perspectives bien différentes. Et si tous deux procurent bien un aperçu de la culture impériale romaine (A. Yoshiko R eed – N.B. D ohrmann, « Rethinking Romanness, Provincializing Christendom », dans A. Yoshiko R eed – N.B. D ohrmann [ed.], Jews, Christians, and the Roman Empire. The Poetics of Power in Late Antiquity, Philadelphie, 2013, p. 1-21), c’est la compromission de Jérusalem avec cette culture impériale que condamne le prophète Jean et non l’empire lui-même; voir D. Tripaldi, Apocalisse de Giovanni, Rome, 2012 : « per Babilonia, parla più sbrigativamente di una quasi confusione tra la Gerusalemme reale e Roma, tra I falsi giudei e le autorità romane », p. 197. 12. J. M assyngberde Ford, « The Heavenly Jerusalem and Orthodox Judaism », dans E. Bammel – C.K. Barrett – W.D. Davies (ed.), Donum Gentilicium. New Testament Studies in Honour of David Daube, Oxford, 1978, p. 215-226. En ce sens, l’Apocalypse de Jean, comme toutes les Apocalypses de la même époque, interprète la chute de Jérusalem survenue en 70 et lui donne un sens providentiel; voir E. Lupieri, A Commentary on the Apocalypse of John, Grand Rapids, MI, 2006, p. 44. On a beaucoup discuté les motifs de la présence de Jean sur l’île de Patmos, que la tradition attribue à un bannissement. Toutefois, il n’existe aucune preuve que Patmos ait été un lieu de bannissement; voir D.E. Aune , Revelation 1-5. Dallas, 1997, p. 78-80. En outre, il semble peu vraisemblable qu’un prophète judéen ait été l’objet de bannissement, un châtiment normalement réservé aux honestiores. Quoi
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Jésus, donc, n’a pas seulement racheté et purifié les siens par son sang, il a fait d’eux une royauté et des prêtres. Certes, Jésus mort et ressuscité est présent dans l’Apocalypse comme l’Agneau immolé qui néanmoins se dressait (ἀρνίον ἑστηκὸς ὡς ἐσφαγμένον Ap 5,6) 1 3 . Pourtant, si cette christologie de l’Agneau reflète une interprétation sacrificielle et pascale de la mort de Jésus Christ 14 , elle ne permet pas de comprendre comment ce sacrifice fait des siens une royauté, des prêtres (Ap 1,5-6). Cette idée ne peut se comprendre, croyons-nous, en dehors de la reconnaissance au messie Jésus d’une qualité à la fois royale et sacerdotale 15 , double qualité qu’il confère par son sang à ses fidèles (Ap 1,5-6). Or si la messianité royale de Jésus, « Roi des rois ».(βασιλεὺς βασιλέων Ap 19,16) le Saint, le Véritable, qui « tient la clé de David ».(ὁ ἔχων τὴν κλεῖν Δαυίδ Ap 3,7), « rejeton de David ».(ἡ ῥίζα Δαυίδ 5,5; ἡ ῥίζα καὶ τὸ γένος Δαυίδ 22,16)
qu’il en soit, l’emploi de l’aoriste ἐγενόμην (Ap 1,9) semble indiquer que si Jean était à Patmos au moment où il a reçu cette révélation de Jésus Christ, il n’y était plus au moment de sa mise par écrit (D.E. Aune , Revelation 1-5. Dallas, Texas, 1997, p. 77-78). En plus d’introduire le thème du témoignage, cette précision introduite dès le début de l’Apocalypse pourrait avoir pour principale fonction de marquer l’antériorité de la révélation reçue par le prophète par rapport à sa mise par écrit. On peut former l’hypothèse d’un procédé d’antidatation ayant pour effet de situer la réception de cette révélation avant la chute de Jérusalem, lors d’un séjour de Jean dans l’île de Patmos avant 70, censé connu de ses destinataires. On s’est beaucoup interrogé sur le sens de cette référence à Patmos en tant qu’espace réel ou symbolique (voir par exemple récemment, I. B oxall , Patmos in the Reception History of the Apocalypse, Oxford, 2013), mais jamais sur sa possible fonction non seulement topologique, mais aussi chronologique. Situant dans un chronotope différent la réception de cette révélation (à Patmos avant 70) et son écriture/proclamation (après 70), le prophète pouvait construire fictivement comme à venir un événement déjà arrivé, la chute de la Jérusalem terrestre, et annoncer un événement réellement à venir, l’avènement de la Jérusalem nouvelle. En outre, cette antidatation permettait de donner un sens à la défaite de 70, prévue dans le plan divin puisque Dieu l’avait annoncée avant qu’elle ne survienne. Cette hypothèse permet de résoudre un certain nombre de problèmes chronologiques dans l’Apocalypse, qui annonce clairement la chute de Jérusalem, par exemple en 11,2. 13. Voir le commentaire de D.E. Aune , Revelation 1-5. Dallas, Texas, 1997, p. 353. 14. Voir en particulier H. Giesen, « The title ‘Lamb’ for Christ in Revelation and its History-of-religions Background », dans M. K arrer – M. L abahn (ed.), Die Johannesoffenbarung : Ihr Text und ihre Auslegung, Leipzig, 2012, p. 108-145; L.L. Johns , The Lamb Christology of the Apocalypse of John : An Investigation into its Origins and Rhetorical Force, Tübingen, 2003); M.R. Hoffmann, The Destroyer and the Lamb : the Relationship Between Angelomorphic and Lamb Christology in the Book of Revelation, Tübingen, 2005. 15. Au sujet de la double messianité royale et sacerdotale dans les manuscrits de la mer Morte, voir J.J. C ollins , The Scepter and the Star : The Messiahs of the Dead Sea Scrolls and Other Ancient Literature, New York, 1995, spécialement p. 74-101.
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est assurée par l’affirmation de son appartenance à la lignée davidique 16 , on ne trouve pas dans l’Apocalypse, du moins à première vue, d’association de Jésus avec l’ordre lévitique ou la lignée aaronide, ou d’affirmation de sa qualité sacerdotale. Cette double messianité, à la fois royale et sacerdotale, de Jésus, « témoin fidèle ».(ὁ μάρτυς, ὁ πιστός Ap 1,5), nous proposons que Jean en donne le fondement d’abord au début de son œuvre, en faisant allusion au psaume 89, un psaume messianique royal, puis au centre de son œuvre, au chapitre 11, cœur et pivot de toute l’Apocalypse qui emmaille restauration du temple et destruction de la ville sainte d’une part et mort et résurrection de Jésus Christ, dans la figure des deux « témoins », les deux « oliviers et les deux chandeliers qui se tiennent devant le Seigneur ».(Ap 11,3-4), qu’il faut identifier à Zorobabel, le prince, et à Josué, le prêtre (Za 4,1-13; Aggée 2,1-9), restaurateurs du second Temple (Esdras 5,1-3), qui participent à la fois, on le verra, du sort funeste du crucifié et de la ville sainte, et de leur résurrection. En 1,5 et 3,14, l’expression « témoin fidèle » (ὁ μάρτυς ἑν οὐρανῷ πιστός) est appliquée à Jésus. Le terme grec μάρτυς, ici comme ailleurs dans l’Apocalypse, ne signifie pas « martyr », mais bien « témoin » 17. En 2,13, Antipas n’est pas μάρτυς parce qu’il a été mis à mort, mais il est témoin fidèle de Jésus. Les circonstances historiques et la nature de ce témoignage nous échappant complètement, il est impossible de comprendre la signification exacte de ce passage. En revanche, la signification des autres occurrences n’est pas à chercher dans des circonstances historiques, mais bien dans les allusions scripturaires qu’elles recèlent. En 1,5 et 3,14 en effet, l’expression « témoin fidèle » appliquée à Jésus reprend ὁ μάρτυς ἑν οὐρανῷ πιστός du Ps 88, 38 LXX auquel elle fait allusion, allusion d’autant plus certaine que le même passage emprunte aussi l’expression « premier-né, prince des rois de la terre » au même psaume (πρωτότοκον ὑψηλὸν παρὰ τοῖς βασιλεῦσιν τῆς γῆς Ps 88,28 LXX) 18 . 16. Voir H. Ulfgar , « L’Apocalypse entre judaïsme et christianisme. Précisions sur le monde spirituel et intellectuel de Jean de Patmos », Revue d ’ histoire et de philosophie religieuses 79 (1999), p. 39-40 et 42-43 pour les expressions qumrâniennes correspondantes. Pour le sens du terme γένος comme indicateur de filiation ou d’appartenance familiale dans ce contexte, voir J.P. L ouw – E.A. Nida – R.B. Smith, Greek- English Lexicon of the New Testament : Based on Semantic Domains, New York, 1989, s.v.; aussi S.C. M imouni , Jacques le Juste. Frère de Jésus de Nazareth, Paris, 2015, p. 96. 17. Voir G. K ittel , Theological Dictionary of the New Testament, Grand Rapids, MI, 1967, vol. IV, p. 495. 18. On ne discutera pas ici les difficultés que soulève l’interprétation de cette formule dans le texte hébreu et dans le texte grec; on peut se référer à P.G. Mosca , « Once Again the Heavenly Witness of Psalm 89:38 », Journal of Biblical Literature 105 (1986), p. 27-37 et D.T. Tsumur a , « ‘As the Faithful Witness in the Sky’ (Ps 89:38b) », Exegetica 7 (1996), p. 41-46. Il suffira ici de constater que, pour l’auteur de l’Apocalypse, ce « témoin dans le ciel » est forcément, Jésus en tant que messie
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Cette double allusion a pour fonction de renvoyer le lecteur au texte de ce psaume des fils de Coré, qui exalte un messie davidique et, dès l’ouverture de l’Apocalypse, d’identifier Jésus comme ce messie royal 19. De même, en 11,3, les deux figures énigmatiques sont comme Antipas des témoins de Jésus, la signification de ce témoignage est toutefois donnée par un renvoi à Zacharie et Aggée; on y reviendra. Le chapitre 11, le Temple mesuré et les deux témoins Sur le plan fonctionnel, les chapitres centraux 10 et 11 occupent une place essentielle dans la structure bipartite de l’Apocalypse dont ils constituent la charnière 2 0 . Comme l’a bien vu Bernard P. Robinson, le chapitre 11, avec ses deux témoins de Jésus (δυσὶν μάρτυσίν μου), contient, au centre de l’Apocalypse, in nuce tout le sens du texte, qui s’ouvre (Ap 1,5) et se clôt (20,6; 22,20) sur le motif du témoignage 2 1 . Pierre Prigent écrit à propos de ce chapitre : « La plupart des commentateurs abordent l’explication d’Ap 11 en avouant trouver dans ce passage (et le ch. 12) les plus grandes difficultés du livre entier » 22 . Trois difficultés en particulier royal; à propos de l’exégèse messianique de ce psaume dans la tradition juive, voir P. P rigent, L’Apocalypse de saint Jean, Genève, 2000, p. 89. 19. Sur la fonction de l’allusion comme procédé littéraire, voir L. Painchaud, « The Use of Scripture in the Gnostic Literature, a Functional Approach », Journal of Early Christian Studies 4 (1996), p. 129-147. 20. M.S. H all , « The Hook Interlocking Structure of Revelation: The Most Important Verses in the Book and How they Unify its Structure », Novum Testamentum 44 (2002), p. 278-296; voir déjà concernant la fonction charnière de ce chapitre et son arrière plan à la fois « juif et chrétien », A. Feuillet, « Essai d’interprétation du chapitre XI de l’Apocalypse », New Testament Studies 4 (1958), p. 183-200 (= Johannine Studies, Staten Island, NY, 1964, p. 235-250); Allan J. McNicol met bien en évidence la fonction charnière de ce chapitre et l’imporance des allusions à la chute de Jérusalem qu’on y trouve; il est toutefois dans l’erreur quand il y voit le témoin d’une dispute « entre juifs et chrétiens » après la chute de Jérusalem (voir A.J. Mc Nicol , « Revelation 11:1-14 and the Structure of the Apocalypse », Restoration Quarterly 22 [1979], p. 193-202). Bien que nous ne souscrivions pas aux conclusions de Charles H. Giblin concernant l’interprétation de ce chapitre, la démonstration de sa parfaite intégration dans le texte de l’Apocalypse demeure utile, voir C.H. Giblin, « Revelation 11.1-13: its Form, Function, and Contextual Integration », New Testament Studies 30 (1984), p. 433-459. 21. B.P. Robinson, « The Two Persecuted Prophet-Witnesses of Rev 11 », Scripture Bulletin 19 (1988), p.14-19. 22. P. P rigent, L’Apocalypse de saint Jean, Genève, 2000, p. 260; voir aussi B. Witherington III, Revelation, Cambridge, U.K., New York, 2003, p. 123; pour le chapitre 12, voir maintenant l’excellente étude de Jan Dochhorn qui prend ses distances par rapport à une tradition exégétique qui veut comprendre ce chapitre sur l’arrière-plan de mythologoumènes païens (J. D ochhorn, Schriftgelehrte Prophetie. Der eschatologische Teufelsfall in Apoc Joh 12 und seine Bedeutung für das Verständnis der Johannesoffenbarung, Tübingen, 2010).
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retiennent l’attention : 1) aux vv. 1 et 2, s’agit-il du temple matériel, historique ou d’un temple spirituel, voire de l’Église des temps futurs? 2) comment faut-il comprendre, la « cité sainte » (v. 2), la grande cité que l’on nomme Sodome et Égypte, là même où leur Seigneur a été crucifié » (v. 8), et la « cité » écroulée (v. 13) et à quelle(s) cité(s) font-elles référence, Rome ou Jérusalem? 3) et enfin, comment interpréter ces deux « témoins »? À ces difficultés s’ajoute le passage apparemment incohérent du futur au passé. La cité sainte du v. 2 sera piétinée par les nations alors que la cité du v. 13 s’est déjà écroulée sous l’effet d’un tremblement de terre. De même, les deux témoins que fera périr la bête aux vv. 7-8 sont néanmoins déjà « dressés » (comme l’Agneau Ap 5,6) et montés au ciel aux vv. 11-12. Nous allons aborder successivement ces trois motifs, celui du temple mesuré, celui de la cité, puis celui des deux témoins. Conformément à ce que nous avons annoncé précédemment, nous considérons l’ensemble de ce chapitre comme littérairement homogène, et sans fondement l’hypothèse selon laquelle il dépendrait d’une source écrite antérieure dont dépendrait également Lactance (Institutions divines 7, 17) 2 3 . Le Temple mesuré (Ap 11,1-2) Le Temple mesuré renvoie évidemment, on l’a dit, à Ézéchiel 40 et à Zacharie 2 24 , où la mesure du Temple annonce son renouveau, sa restauration. Ce renvoi au prophète Ézéchiel annonce le renouveau du sanctuaire de Dieu (τὸν ναὸν τοῦ θεοῦ), de son autel (τὸ θυσιαστήριον) 25 et de ceux qui y adorent (τοὺς προσκυνοῦντας ἐν αὐτῷ) 2 6 . Toutefois, le fait que le 23. Voir ici encore la critique de P. P rigent, L’Apocalypse de saint Jean, Genève, 2000, p. 36. 24. Kenneth A. Strand considère qu’Ézéchiel 40 et Zacharie 2 ne procurent pas un arrière-plan scripturaire suffisant et propose plutôt de lire ce verset à la lumière de Lv 16. Son argument est qu’Ap 11,1 exclut la mesure du parvis extérieur alors qu’Ézéchiel l’inclut; K.A. S TRAND, « An Overlooked Old Testament Background to Revelation 11:1 », Andrews University Seminary Studies 22 (1984), p. 317-325. Or c’est précisément cet écart qui est significatif : désormais, le commerce avec les nations n’est plus permis (voir Ap 18,11-20 et 1 R 10,11-29). En outre l’abondance des références à Ézéchiel et Zacharie et, en particulier, la référence à ce dernier dans le ch. 11 même, invitent à lire ce passage à la lumière de ces deux prophètes; dans un cas comme dans l’autre la mesure du temple est symbole de sa rénovation et de sa protection; voir M. JAUHIAINEN, The Use of Zechariah in Revelation. Tübingen, 2005, p. 176. 25. Il s’agit de l’autel des offrandes brûlées, situé devant le sanctuaire, dans la cour intérieure, et non de l’autel des parfums situé à l’intérieur du sanctuaire. 26. La mesure pourrait aussi signifier la destruction du temple, cf. par exemple 2 R 21,13 ou Es 34,11, Toutefois, l’allusion claire à Εz 40 et Za 2 et le contraste entre ce qui est mesuré d’une part et ce qui est rejeté, exclu d’autre part, invite plu-
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visionnaire qui reçoit cet ordre ne le mette pas à exécution n’est nullement incohérent puisque cette restauration, c’est d’abord dans la mort et la résurrection de Jésus évoquées dans la suite du chapitre qu’elle se réalise, puis dans toute la suite du texte, en particulier la chute de la prostituée et l’avènement de la Jérusalem nouvelle ; en effet Jésus, l’Agneau, est le temple au centre de la Jérusalem nouvelle (Ap 21,22) 2 7. En rejetant le parvis extérieur (τὴν αὐλὴν τὴν ἔξωθεν) 2 8 , Jean prend ses distances par rapport à Ézéchiel chez qui ce parvis, accessible aux païens (Flavius Josèphe Antiquités, 15,11,5), est aussi mesuré (Ez 42). Si le Temple, son autel et ceux qui y adorent, c’est-à-dire la cour intérieure, sont mesurés, donc préservés 29 , en revanche, le parvis extérieur, accessible aux « nations » et voué au commerce 30 , est exclu de cette protection. Est-ce à dire que les nations sont exclues de la restauration du temple en la personne de Jésus ? Non pas, puisque, nous l’avons vu, royauté et sacerdoce s’étendent à toute tribu, langue, peuple et nation (Ap 5,9-10). C’est plutôt le négoce auquel ce parvis était largement employé qui est rejeté, et plus globalement toute impureté, donc précisément cette distinction entre Judéens et nations qui est abolie par le rejet du parvis extérieur 31 . Quant à la Cité tôt à lire cette mesure comme une préservation, une protection, voire un renouveau, comme chez Ézéchiel. 27. Voir le commentaire de D.E. Aune , Revelation 17-22, Nashville, TN, p. 1168. Sur Jésus comme temple eschatologique, la littérature est abondante; voir récemment J. Chanikuzhy, Jesus, the Eschatological Temple : An Exegetical Study of Jn 2,13-22 in the Light of the pre-70 C.E. Eschatological Temple Hopes and the Synoptic Temple Action, Louvain, 2012. 28. La variante ἔσωθεν, attestée par de nombreux manuscrits anciens, reflète bien la perplexité et l’incompréhension qu’a suscitées ce passage chez les scribes chrétiens; voir D.E. Aune , Revelation 6-16, Nashville, TE, 1998, p. 607; la lecture ἔξωθεν doit être préférée, voir Β.Μ. M etzger , A Τextual Commentary on the Greek New Testament; A Companion Volume to the United Bible Societies’ Greek New Testament (3d ed.), Londres, 1971, p. 746. Déjà, Victorin de Poetovio, qui lit « la cour intérieure » (Aulam autem interiorem eice foras XI,2), allégorise singulièrement : une cour étant vide de construction, ainsi, les gens de ce type seront rejetés de l’Église parce qu’inutiles (M. Dulaey, Victorin de Poetovio. Sur l ’Apocalypse suivi du Fragment chronologique et de La construction du monde, Paris, 1997, p. 92-95). 29. M.S. Hall a bien vu la fonction proleptique de l’ordre de mesurer le temple, l’autel et ceux qui y adorent, trois parties qui structurent la suite du texte : le temple (11,19-15,4), l’autel (15,5-16,21) et les fidèles (17,1-22,7); cf. M.S. H all , « The Hook Interlocking Structure of Revelation: The Most Important Verses in the Book and How they Unify its Structure », Novum Testamentum 44 (2002), p. 278. Toutefois, la troisième partie ne concerne pas seulement les fidèles qui adorent dans le temple, mais aussi le jugement de la grande prostituée et la destruction de Jérusalem-Babylone (17,1-19,21, qui est anticipée ici par l’ordre de rejeter la cour extérieure. 30. N.Q. H amilton, « Temple Cleansing and Temple Bank », Journal of Biblical Literature 83 (1964), p. 365-372. 31. À propos de la fonction du Temple comme articulation symbolique et spatiale de la distinction entre sacré et profane, entre pur et impur, Voir F. S chmidt,
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sainte, elle sera piétinée par les nations pendant quarante-deux mois; on y reviendra. Comme la lecture christianocentrée de l’Apocalypse tient généralement pour acquis que son auteur « chrétien » ne se serait guère soucié de la chute de Jérusalem, et que d’autre part, ce texte supposerait une claire distinction entre juifs ou Judéens et chrétiens, ou si l’on veut, entre Église et Synagogue, un large consensus s’est établi, qui voit allégoriquement dans le temple préservé et la cité sainte piétinée deux aspects de l’« Église chrétienne », à la fois spirituellement triomphante et piétinée dans le monde 3 2 . On se dégagera ici de cette lecture idéologique et on considérera plutôt que Jean, prophète judéen disciple de Jésus, annonce prophétiquement –post eventum– la destruction en 70 de la Jérusalem prostituée et de son Temple souillé. Pour Jean, le parvis extérieur est le lieu emblématique de cette prostitution de Jérusalem, de son commerce avec les nations 33 . Le fait que le sanctuaire, l’autel des offrandes, et ceux qui adorent, soient préservés alors que la cour extérieure est rejetée et livrée aux nations signifie bien que ce n’est pas le temple qui est rejeté, mais plutôt sa souillure, et celle de ses prêtres et de ses rois par leur commerce avec les nations. Or Jean annonce la protection ou la restauration du temple à des destinataires qui en connaissent pourtant déjà la ruine 34 . Il y a là une aporie qui exige que l’on prenne au sérieux le texte. En laissant l’ordre de mesurer le temple en suspens sans en montrer l’exécution, Jean indique que cette exécution s’est réalisée autrement, dans la mort et la résurrection de Jésus (Ap 11,3-14). Le point commun entre la mesure du temple chez Ezéchiel et les deux témoins convoqués dans la suite du chapitre, c’est en effet la La pensée du Temple, de Jérusalem à Qoumrân : identité et lien social dans le judaïsme ancien, Paris, 1994, p. 81-84 et passim; pour un survol récent des différentes interprétations de l’épisode évangélique des marchands du Temple, voir J. Chanikuzhy, Jesus the Eschatological Temple : An Exegetical Study of Jn 2,13-22 in the Light of the pre-70 C.E. Eschatological Temple Hopes and the Synoptic Temple Action, Louvain, 2012, p. 150-183. 32. Pierre Prigent en procure un bel exemple « … il s’agit de l’Église chrétienne symboliquement définie tout à la fois comme le temple préservé et comme le parvis livré aux païens, comme la ville sainte et comme la ville foulée aux pieds par les païens. » (P. P rigent, L’Apocalypse de saint Jean, Genève, 2000, p. 267); contre cette interpretation “mystique” et détachée du context historique de l’Apocalypse, voir déjà A. Feuillet, « Essai d’interprétation du chapitre XI de l’Apocalypse », New Testament Studies 4 (1958), p. 185-186. 33. « The outer court is thus the part of Israel which , has been lost, contaminated by contact with the Gentiles »; E. Lupieri, A Commentary on the Apocalypse of John, 2006, p. 172. 34. Flavius Josèphe, Guerre juive 6.4.5; voir la description résumée du siège et de la prise de Jérusalem dans H. S chwier , Tempel und Tempelzerstörung : Untersuchungen zu den theologischen und ideologischen Faktoren im ersten jüdisch-römischen Krieg (66-74 n. Chr.), Fribourg – Göttingen, 1989, p. 27-40; aussi M. G oodman, Rome & Jerusalem. The Clash of Ancient Civilizations, Londres, 2007, p. 11-29.
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restauration du Temple puisque ces deux témoins, Zorobabel et Josué, sont les responsables de la restauration du Temple au retour de l’exil (Esdras 5,1-3). Jean invite toutefois son lecteur à comprendre cette restauration autrement que comme celle du temple matériel; on le verra plus loin, c’est le sens du « témoignage » porté par les deux « témoins » dans la suite du ch. 11. Ces deux témoins incarnent en effet la royauté et le sacerdoce anciens, dont le témoignage messianique est arrivé à son terme, détruits avec la cité sainte et le Temple en 70, mais restaurés dans la mort et la résurrection de Jésus; comme lui et avec lui, ils montent au ciel, témoignant de sa double messianité royale et sacerdotale. On y reviendra. La cité Quant à la cité, qui apparaît trois fois dans le chapitre 11 aux vv. 2, 8 et 13, son identification demeure disputée. En effet, comme la « grande cité » est plus loin identifiée à Babylone, elle-même comprise presque unanimement comme un symbole de la Rome impériale, la mention de la crucifixion du Seigneur dans la « grande cité » a souvent été considérée comme une énigme et a suscité de nombreuses spéculations 35 . Toutefois, l’énigme disparaît dès lors que l’on comprend que la grande cité, Babylone ne désigne pas la Rome impériale, mais toujours la Jérusalem souillée 3 6 . Il s’agit donc dans le chapitre 11 toujours de la même cité, la Jérusalem terrestre. Elle est la cité sainte qui sera piétinée par les nations pendant 42 mois (καὶ τὴν πόλιν τὴν ἁγίαν πατήσουσιν μῆνας τεσσαράκοντα καὶ δύο Ap 11,2) 3 7; elle est encore la « grande cité que l’on nomme prophétiquement Sodome 3 8 et l’Égypte » (τῆς πόλεως τῆς 35. Voir le relevé qu’en donne W. R eader , « The Riddle of the Identification of the Polis in Rev. 11:1-13 », dans E.A. L ivingstone (ed.), Studia Evangelica VII. Papers presentend to the Fifth International Congress on Biblical Studies held at Oxford, 1973, Berlin, 1982, p. 407-414. 36. Même si la plupart des commentateurs observent que dans les Écritures, l’accusation de prostitution est habituellement portée contre Jérusalem ou Israël infidèle à son dieu, on persiste à y voir ici une désignation de Rome; ainsi Alice O. Bellis a pu écrire : « The fornications of the whore in Rev. 10 are symbolic primarily of Roman pagan religion, just as Gomer’s unfaithfulness to Hosea (Hos. 1-3) represents Judah’s worship of other gods. », A.O. Bellis « The Changing Face of Babylon in Prophetic/Apocalyptic Literature: Seventh Century BCE to First Century CE and Beyond », dans L.L. Gr abbe – R.D. H aak (ed.), Knowing the End from the Beginning. The Prophetic, the Apocalyptic and their Relationships, Londres, 2003, p. 70. 37. Durée empruntée à Daniel; pour la fonction structurante de ces références temporelles, voir A.K.W. Siew, The War Between the two Beasts and the Two Witnesses. A Chiastic Reading of Revelation 11.1-14.5, Londres, 2005, passim. 38. Dans l’Ascension d’Isaïe 3,10, le faux prophète Bechira accuse Isaïe d’avoir appelé Jérusalem « Sodome »; voir la note de E. Norelli , « Ascension d’Isaïe »,
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μεγάλης, ἥτις καλεῖται πνευματικῶς Σόδομα καὶ Αἴγυπτος Ap 11,8); car le point commun entre Jérusalem l’Égypte et Sodome, c’est qu’il faut en sortir (ἐξέλθατε ὁ λαός μου ἐξ αὐτῆς Ap 18,4; voir Gn 19,1214; Ex 12, en particulier 12,31). Jérusalem est la cité où la bête fera périr en 70 le sacerdoce et la royauté associés au Temple ancien, incarnés par les deux témoins, et où leur Seigneur a été crucifié; elle est enfin la cité dont le dixième s’est écroulé (καὶ τὸ δέκατον τῆς πόλεως ἔπεσεν καὶ ἀπεκτάνθησαν ἐν τῷ σεισμῷ ὀνόματα ἀνθρώπων χιλιάδες ἐπτά Ap 11,13) lors du tremblement de terre qui a accompagné la résurrection et l’ascension de ces témoins avec Jésus selon une tradition dont témoigne aussi Mt 27,51-54. Les deux témoins Depuis au moins le IIIe siècle, l’identité de ces deux témoins a suscité toutes les spéculations imaginables 3 9. Jean a pourtant pris soin de les identifier par un renvoi limpide à Zacharie 4,2-14 : ce sont « les deux oliviers et les deux chandeliers qui se tiennent devant le Seigneur de la dans F. B ovon – P. G eoltr ain (dir.), Écrits apocryphes chrétiens. Paris, 1997, p. 515-516. 39. Déjà, Victorin de Poetovio (Sur l ’Apocalypse 11,3-4) atteste les spéculations de ses prédécesseurs et contemporains qui voient dans ces deux témoins tantôt Élie et Élisée ou Moïse, tantôt Jérémie (M. Dulaey, Victorin de Poetovio. Sur l ’Apocalypse suivi du Fragment chronologique et de La construction du monde, Paris, 1997, p. 94-97); voir également J.A. Mc L ean, « The Chronology of the Two Witnesses in Revelation 11 », Bibliotheca Sacra 168 (2011), p. 460-471; B.A. Paschke , « Die Damnatio und Consecratio der zwei Zeugen (Offb 11) », Biblica 89 (2009), p. 555575; Ekkehardt Müller allégorise : les deux témoins sont les Écritures, c’est-à-dire l’Ancien et le Nouveau Testament (E. Müller , « The Two Witnesses of Revelation 11 », Journal of the Adventist Theological Society 13 [2002], p. 30-45); pour Michael Oberweis, ce sont les deux fils de Zébédée (M. O berweis , « Das Martyrium der Zebedaiden in Mk 10.35-40 (Mt 20.20-3) und Offb 11.3-13 », New Testament Studies 44 [1998], p. 74-92; Pour sa part, Otto Böcher y voit Élie et Moïse qu’il faudrait très vraisemblablement interpréter en référence à Jean le Baptiste et Jésus (O. B öcher , « Die Johannes-Apokalypse und die Texte von Qumran », dans W. H aase , (ed.), Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt II. 25. 5, Berlin, 1988, p. 3895); voir aussi B.P. Robinson, « The Two Persecuted Prophet-Witnesses of Rev 11 », Scripture Bulletin 19 (1988), p. 14-19; K.A. Str and, « The two Witnesses of Rev 11:3-12 », Andrews University Seminary Studies 19 (1981), p. 127-135; T.A. Lacey, « The Two Witnesses », The Journal of Theological Studies 11 (1909), p. 55-60; J.S. C onsidine , « The Two Witnesses: Apoc. 11:3-13 », Catholic Biblical Quarterly 8 (1946), p. 377-392; M. Black , « The “Two Witnesses” of Rev. 11:3 f. in Jewish and Christian Tradition », dans E. Bammel – C. K. Barrett – W. D. Davies (ed.), Donum Gentilicium. New Testament Studies in Honour of David Daube, Oxford, 1978, p. 227-237; Daniel K.K. Wong procure un résumé des différents types d’interprétations proposés (D.K.K. Wong , « The Two Witnesses in Revelation 11 », Bibliotheca Sacra 154 [1997], p. 344-354).
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terre » (Ap 11,4) 4 0 . Au-delà du texte de Zacharie, le renvoi est aux deux figures royale et sacerdotale de Zorobabel et de Josué/Jésus, qui ont dirigé la reconstruction du Temple au retour de l’exil. Les pouvoirs dont ils disposent, fermer le ciel, c’est-à-dire empêcher la pluie, changer les eaux en sang, semblent aussi renvoyer aux figures d’Élie et de Moïse 4 1 . Alors que tous les commentateurs insistent sur cette identification des deux témoins à Moïse et Élie et sur leur qualité de prophètes, la plupart négligent le renvoi, implicite mais clair, à Zacharie et, à travers Zacharie, à Zorobabel et Josué, parfois jusqu’à l’ignorer complètement 4 2 . Pourtant, c’est cette identification que suggère Jean lui-même. Ces deux chandeliers, « fils de l’huile », ne sont pas clairement identifiés en Zacharie 4. Toutefois, Zorobabel est mentionné dans le même contexte et une tradition postérieure les identifie à Zorobabel de lignée davidique et au grand-prêtre Josué qui président à la construction du second temple au retour de l’exil (Aggée, 1 Esdras). Il existe une chaîne rabbinique d’interprétations messianiques de ce texte dont les plus anciennes remontent à la fin du IIe siècle de l’ère commune 4 3 . 4Q254 frag. 4 4 4 pourrait toutefois attester une date plus ancienne pour une interprétation eschatologique de Za 4 et peut-être même messianique dans le sens d’un messianisme diarchique, royal et sacerdotal 45 . Craig Evans a raison 40. Οὗτοί εἰσιν αἱ δύο ἐλαῖαι καὶ αἱ δύο λυχνίαι αἱ ἐνώπιον τοῦ κυρίου τῆς γῆς ἐστῶτες. Ap 11,4. 41. R. Bauckham, The Climax of Prophecy : Studies on the Book of Revelation. Edimbourg, 1999, p. 273-278; voir aussi J.C. Poirier , « Jewish and Christian Tradition in the Transfiguration » Revue Biblique 111 (2004), p. 524-530. 42. Ainsi, B. Witherington III, Revelation. Cambridge, U.K. – New York, 2003, p. 156-164; de même Ph.L. M ayo,‘Those Who Call Themselves Jews’ : The Church and Judaism in the Apocalypse of John. Eugene, OR, 2006, p. 142, pour qui les deux témoins représentent la communauté croyante. 43. Par exemple, Sifra 97 et Nombres Rabba 14,13 (sur Nb 7,84) interprètent Za 4,14 en référence à Aaron et à David; voir C.A. Evans , « Biblical Interpretation at Qumran », dans A. Avery-P eck – J. Neusner – B.D. Chilton (ed.), The Judaism of Qumran: A Systemic Reading of the Dead Sea Scrolls, vol. 2 World View, Comparing Judaisms, Leyde, 2001, p. 118 note 28; C.A. Evans , « The “Two Sons of Oil” : Early Evidence of Messianic Interpretation of Zechariah 4:14 in 4Q254 4 2 », dans D.W. Parry – C.E. Ulrich (ed.), Provo International Conference on the Dead Sea Scrolls, Leyde, 1999, p. 566; L. Story, « Zechariah’s Two Sons of Oil : Zechariah 4 », Journal of Biblical and Pneumatological Research 2 (2010), p. 31-56. 44. K. Berthelot et al., La bibliothèque de Qumrân, Paris, 2008, p. 314-315 et note 4. 45. Voir G.J. Brooke , « 4Q254 Fragments 1 and 4, and 4Q254a: Some Preliminary Comments », Proceedings of the Eleventh World Congress of Jewish Studies, Jerusalem, June 22-29, 1993, Jerusalem, 1994, p. 185-192; C.A. Evans , « The “Two Sons of Oil” : Early Evidence of Messianic Interpretation of Zechariah 4:14 in 4Q254 4 2 », dans D.W. Parry – C.E. Ulrich (ed.), Provo International Conference on the Dead Sea Scrolls, Leyde, 1999, p. 566-575.
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de dénier à ces deux figures de l’Apocalypse de Jean une fonction messianique qu’ils n’ont pas en eux- mêmes puisque Jésus est le messie 4 6 , car ils représentent la royauté et le sacerdoce anciens, souillés et arrivés à leur terme. On comprendra toutefois que c’est précisément en tant que représentants de la royauté et du sacerdoce anciens dont la résurrection et l’ascension aux cieux est modelée sur celles de Jésus, qu’ils témoignent du renouvellement de cette royauté et de ce sacerdoce en Jésus Christ 4 7. Contrairement toutefois à Jésus, lui-même « témoin fidèle » (ὁ μάρτυς, ὁ πιστός Ap 1,5; 3,14), et à Antipas (ὁ μάρτυς μου, ὁ πιστός Ap 2,13), ces deux témoins de Jésus (τοῖς δυσὶν μάρτυσιν μου) ne sont pas qualifiés de « fidèles ». Évoquant les figures de Zorobabel et de Josué, en tant qu’attachés au second Temple et à sa souillure 4 8 , ils ne peuvent sans doute pas être qualifiés de fidèles, mais ils témoignent néanmoins prophétiquement de la double messianité royale et sacerdotale de Jésus. Quand leur témoignage arrivera à son terme, la bête, celle-là même avec laquelle ils sont compromis, leur fera la guerre, les vaincra et les fera périr, référence à la ruine de Jérusalem, qui marque la fin du sacerdoce ancien aussi bien que de la monarchie. On observera que ces deux témoins connaissent exactement le même sort : mort à venir, résurrection et ascension déjà survenues, de sorte qu’en réalité, bien que deux, ils ne constituent qu’une seule et même figure 4 9, qui se confond avec celle du Messie Jésus lui-même, dont ils représentent la double messianité. Alors que sont déjà survenues en Jésus leur résurrection et leur ascension, leur mort e s t n é a n m o i n s encore à venir. Ce passage d’une mort à venir à une résurrection déjà passée, qui a rendu perplexes tous les commentateurs 50 , correspond bien à la séquence des évé46. C.A. Evans , « The “Two Sons of Oil” : Early Evidence of Messianic Interpretation of Zechariah 4:14 in 4Q254 4 2 », dans D.W. Parry – C.E. Ulrich (ed.), Provo International Conference on the Dead Sea Scrolls, Leyde, 1999, p. 567. 47. K.A. Strand ne voit ni ici ni en Zacharie 4 de référence au prêtre Josué (K. A. Strand,» The Two Olive Trees of Zechariah 4 and Revelation 11 », Andrews University Seminary Studies 20 (1982), p. 257-261. Sur les difficultés d’interprétation que présentent ces figures dans le texte de Zacharie, voir M. Barker , « The Two Figures in Zechariah », Heythrop Journal 18 (1977), p. 38-46; on ne peut toutefois détacher la possible utilisation qu’en ferait l’Apocalypse de l’étude de sa réception et de son interprétation, voir à ce sujet J. Hogenhaven, « The Book of Zechariah at Qumran », Scandinavian Journal of the Old Testament 27 (2013), p. 107-117. 48. Le livre d’Esdras rapporte qu’à la suite de la reconstruction du Temple, les fils des prêtres ne se sont pas séparés des gens du pays et ont pris des femmes étrangères (Esdras 9-10). 49. Comme le souligne à juste titre K.A. Strand, « The Two Witnesses of Rev 11:3-12 », Andrews University Seminary Studies 19 (1981), p. 101-102. 50. Voir déjà les réflexions de Victorin sur les temps des verbes, Sur l ’Apocalypse 11,5 (M. Dulaey, Victorin de Poetovio. Sur l ’Apocalypse suivi du Fragment chronologique et de La construction du monde, Paris, 1997, p. 98-99).
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nements : sacerdoce et royauté anciens, qui périront symboliquement avec la ville et le temple en 70, ont déjà été renouvelés, ranimés par le souffle de Dieu et exaltés aux cieux avec la mort, la résurrection et l’ascension de Jésus Christ. Autrement dit, le ch. 11 de l’Apocalypse tout à la fois assimile la mort sur la croix de Jésus et la destruction du temple terrestre, avec ses rois et ses prêtres, en 70, et la résurrection et la montée au ciel de la royauté et du sacerdoce purifiés dans le sang de Jésus avec la résurrection et l’ascension de Jésus. Conclusion En résumé et pour conclure, le ch. 11 de l’Apocalypse, souvent perçu comme un corps étranger, contient au contraire, résume et condense, comme mis en abyme au cœur du texte, tout le propos de son auteur et le fondement de son « ecclésiologie sacerdotale » 51. Jean y télescope prophétiquement comme un seul et même événement eschatologique, d’une part, la chute de Jérusalem, la destruction de son temple souillé, et la mort en 70 de la royauté et du sacerdoce anciens arrivés à leur terme, figurée par celle des deux témoins, le prêtre Josué et le prince Zorobabel, et d’autre part, la mort sur la croix de Jésus leur Seigneur, Messie royal et sacerdotal. Pour lui, la tragédie de 70 ne signifie pas pour autant la fin du sacerdoce ni du temple, puisque c’est le Seigneur lui-même qui est le temple de la Jérusalem céleste (Ap 21,22) et que les deux témoins, Zorobabel et Josué, royauté et sacerdoce, sont ressuscités et montés au ciel avec lui. En ce sens, on peut dire que le témoignage conjugué de Zorobabel et de Josué, le prince de lignée davidique et le grand prêtre, et l’assimilation de leur sort à celui de Jésus, remplissent la même fonction dans l’Apocalypse de Jean que la figure du roi-prêtre Melchisédek dans l’épître aux Hébreux (He 7) 5 2 . Les rois et les prêtres anciens d’Israël sont désormais remplacés par les fidèles de toute langue, peuple et nation, qui « seront prêtres de Dieu et du Christ et régneront avec lui pendant mille ans » (Ap 20,4-6) 53 . C’est pourquoi ceux-ci devront désormais observer les règles de pureté sacerdotales. La mort et la résurrection de Jésus inaugurent en effet un temple et un sacerdoce renouvelés, dont ses fidèles sont les prêtres et les rois,
51. J’emprunte l’expression à H. Ulfgard, « L’Apocalypse entre judaïsme et christianisme. Précisions sur le monde spirituel et intellectuel de Jean de Patmos », Revue d ’ histoire et de philosophie religieuses 79 (1999), p. 40-43. 52. Voir la bibliographie spécifique dans D.E. Aune , Revelation 6-16. Nashville, TN, 1998, p. 575-577. 53. … ἔσονται ἱερεῖς τοῦ θεοῦ καὶ τοῦ Χριστοῦ καὶ βασιλεύσουσιν μετ’αὐτοῦ [τὰ] χίλια ἔτη (Ap 20,6).
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dans une cité nouvelle où désormais n’entreront « nulle souillure, ni quiconque commet abomination et mensonge » (Ap 21,27) 5 4 . C’est précisément cette orientation sacerdotale qui fonde et justifie l’insistance de Jean sur les questions de pureté dans les lettres aux assemblées des ch. 2 et 3, en particulier à Pergame et à Thyatire. S’adressant à des Judéens de la diaspora, mais aussi à des non-Judéens disciples de Jésus, Jean invite ses destinataires à vivre selon des critères de pureté qu’exige leur sacerdoce, une pureté incompatible avec l’intégration dans la cité qui caractérise les communautés judéennes d’Asie Mineure 55 . Loin d’annoncer la chute de Rome, Jean de Patmos, prophète judéen du second Temple et disciple de Jésus, est tout entier préoccupé de la chute de Jérusalem et de son temple qu’il interprète à la lumière de la tradition prophétique critique du temple terrestre et de son clergé, qui se prolonge jusque dans les écrits sectaires de Qumrân 56 . Comme 2 et 3 Baruch, 4 Esdras et l’Apocalypse d’Abraham 57, l’Apocalypse de Jean est d’abord et avant tout la réponse d’un prophète judéen à la destruction du Temple 5 8 . Pour lui, cette destruction est le résultat de la souillure initiale et permanente du Temple, par la compromission du sacerdoce et de la royauté avec les nations. Contrairement à 4 Esdras
54. Ou « rien de profane »; voir L. Painchaud, « Identité chrétienne et pureté rituelle dans l’Apocalypse de Jean de Patmos. L’emploi du terme koinon en Ap 21,27 », Laval théologique et philosophique 62 (2006), p. 345-357. 55. Voir S.C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins. Paris, 2012, p. 771-793; voir aussi le résumé toujours pertinent de M. Sartre , L’A sie Mineure et l ’Anatolie d ’Alexandre à Dioclétien. IVe siècle av. J.C. / IIIe siècle Ap. J.C., Paris, 1995, p. 319-322; et surtout P.R. Trebilco, Jewish Communities in Asia Minor, Cambridge, 1991, passim et en particulier p. 186-190; bien que ses observations concernent le plus souvent le IIe ou le IIIe siècle, il existe de nombreux indices de la participation des Judéens à la vie civique dans les cités d’Asie Mineure. 56. En ce sens, l’Apocalypse de Jean, prophète judéen disciple de Jésus, appartient bien au corpus des textes judéens réagissant à la destruction de Jérusalem en 70; comme 4 Baruch, l’Apocalypse de Jean voit dans la chute de Jérusalem une conséquence de sa compromission avec Rome, voir K.R. Jones , Jewish Reactions to the Destruction of Jerusalem in A.D. 70, Leyde – Boston, 2001, p. 143-172. Jones passe en revue 4 Esdras, 2 Baruch, 3 Baruch, 4 Baruch, Oracles sybillins 4 et 5 et l’Apocalypse d’Abraham, mais laisse complètement de côté l’Apocalypse de Jean. 57. Voir M.E. Stone , « Reactions to Destructions of the Second Temple : Theology, Perception and Conversion », Journal for the Study of Judaism in the Persian, Hellenistic and Roman Period 12 (1981), p. 195-204; M. Himmelfarb , A Kingdom of Priests. Ancestry and Merit in Ancient Judaism. Philadelphie, 2006, passim, mais en particulier le chapitre 6. 58. Peu importe ici que le culte s’y soit ou non poursuivi de quelque manière jusqu’en 135 (voir S.C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 496-498).
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toutefois, Jean ne questionne pas la justice divine 59. Disciple de Jésus de Nazareth, il voit au contraire la destruction du temple et la résurrection de Jésus comme les deux faces d’un même événement eschatologique, les noces de l’Agneau et de la nouvelle Jérusalem qui inaugurent une royauté et un sacerdoce renouvelés désormais exercés par les saints de toute tribu, langue, peuple et nation (Ap 20,1-6), abolissant la double distinction entre Judéens et nations, et entre prêtres et laïcs, sacré et profane. Il s’ensuit que les disciples de Jésus, qu’ils soient Judéens ou non, et les Judéens, qu’ils soient ou non disciples, doivent désormais respecter les règles de pureté les plus strictes 6 0 . L’Apocalypse de Jean serait donc le témoin d’un judaïsme en Asie Mineure davantage « séparatiste » ou sectaire que celui dont témoignent les données archéologiques et épigraphiques dont nous disposons 61.
59. 4 Esdras, désigne certes, sous la figure de Babylone, Rome en tant que puissance destructrice de Jérusalem; pourtant sa critique n’est pas dirigée contre Rome, mais bien contre le cœur mauvais des habitants de Jérusalem (4 Esdras 3, 26-27b). Tout comme 4 Esdras, l’Apocalypse de Jean participe de ce courant de la littérature apocalyptique à la fois fascinée et hostile à l’égard du temple de Jérusalem; voir R.G. H ammerton-K elly, « The Temple and the Origins of Jewish Apocalyptic », Vetus Testamentum 20 (1970), p. 1-15. 60. En ce sens, l’Apocalypse de Jean se situe jusqu’à un certain point dans la ligne du Rouleau du temple et du Livre des jubilés, nonobstant les différences entre ces deux textes, qui étendent les règles de pureté sacerdotale à tout le peuple; voir M. Himmelfarb , « Sexual Relations and Purity in the Temple Scroll and the Book of Jubilees », Dead Sea Discoveries 6 (1999), p. 11-36 ( = Between Temple and Torah. Essays on Priests, Scribes and Visionnaries in the Second Temple Period and Beyond, Tübingen, 2013, p. 111-133; voir aussi L. Painchaud, « ‘Assemblées’ de Smyrne et de Philadelphie et ‘congrégation’ de Satan. Vrais et faux Judéens dans l’Apocalypse de Jean (Ap 2,9; 3,9) », Laval théologique et philosophique 70 (2014), p. 475-492. 61. Un judaïsme prophétique qui pourrait bien avoir produit également 6 Esdras; voir J.W. M arshall , « 6 Ezra and the Apocalyptic Judaism in Asia Minor », dans Ed. I ricinschi – L. Jenott – N. Denzey L ewis – P. Townsend (ed.), Beyond the Gnostic Gospels : Studies Building on the Work of Elaine Pagels, Tübingen, 2014, p. 427-445.
L A SACERDOTALISATION DES MINISTÈRES CHRÉTIENS (Ier-IIIe SIÈCLES) Paul-Hubert Poirier Université Laval, Québec – Membre de l ’Institut
Abstract During the first three centuries C.E., the Christian ministry underwent a progressive sacerdotalisation, mainly due to the influence of the Jewish sacerdotal vocabulary and categories. This paper offers an overview of this important phenomenon from its first manifestations in the Pauline letters down to Tertullian and Origen, and the emergence of the canonico-liturgical literature in the 3rd century. Even if the first manifestations of a sacerdotalisation of the Christian pastoral ministry are visible already at the end of the 1st century, this phenomenon attained its full development only in the 3rd century. Résumé Au cours des trois premiers siècles de notre ère, on assiste à une sacerdotalisation progressive des fonctions pastorales et des ministères chrétiens. Le but de cette communication est de donner une vue d’ensemble de ce phénomène depuis ses premières manifestation dans les textes pauliniens jusqu’ à Tertullien et Origène, et à l ’émergence de la littérature canonico-liturgique. Si on en discerne nettement les prodromes dès la fin du Ier siècle, la sacerdotalisation des ministères, en raison d’une appropriation typologique et fonctionnelle du vocabulaire sacerdotal juif, est un phénomène qui ne se manifeste clairement qu’ à partir du IIIe siècle.
Le sujet que nous abordons dans cette communication a été traité à de nombreuses reprises, surtout dans la seconde moitié du XXe siècle 1, mais 1. Pour ne mentionner que les titres explicitement consacrés à notre thème, citons : J. Schmitt, « Sacerdoce judaïque et hiérarchie ecclésiale dans les premières communautés palestiniennes », dans J. Guyot (ed.), Études sur le sacrement de l ’ordre, Paris, 1957, p. 77-95 ; J. Colson, Ministre de Jésus-Christ ou le Sacerdoce de l ’Évangile. Étude sur la condition sacerdotale des ministres chrétiens dans l ’Église primitive, Paris, 1966 ; M. Jourjon, « La sacerdotalisation du ministère aux premiers siècles de l’Église », dans R. Didier (ed.), Le ministère sacerdotal. Un dossier théologique, Lyon, 1974, p. 72-83; B. Sesboüé , « Interrogations actuelles. C. Ministère et sacerdoce », dans J. Delorme (ed.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament. Dossier exégétique et réflexion théologique, Paris, 1974, p. 474La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 247-269. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115533 ©
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la thématique de ce colloque imposait en quelque sorte d’y revenir, ne serait-ce que pour faire état des avancées de la recherche sur certaines des sources souvent invoquées dans l’examen de ce dossier. Une autre raison de notre intérêt réside dans le fait que la sacerdotalisation des ministères ou des fonctions pastorales dans l’Église ancienne représente probablement le cas le plus manifeste de sacerdotalisation historiquement observable dans l’antiquité chrétienne, juive ou païenne. Une ambiguïté lexicale Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il importe de définir les termes de notre intitulé. La définition du premier terme va de soi. Nous entendons en effet par « sacerdotalisation » le processus qui a conduit à recourir à un vocabulaire sacerdotal pour nommer certaines ministères chrétiens ou fonctions pastorales et à désigner leurs titulaires comme des « prêtres » au sens cultuel et proprement sacerdotal de cette appellation 2 . Il n’est pas inutile de rappeler ici que le lexique de la langue française ne facilite pas l’examen de cette question dans la mesure où le français – comme aussi l’anglais mais non l’italien, pour ne mentionner que ces langues 3 ‒ confond deux séries de termes dont l’origine et le sens sont tout à fait différents : d’un côté « sacerdoce » et « sacerdotal », et de l’autre « prêtre » et « presbytéral » 4 . Le sens originel (propre et figuré) d’« ancien », du latin presby483 ; C.-J. P into de Oliveira, « Signification sacerdotale du Ministère de l’Évêque dans la Tradition Apostolique d’Hippolyte de Rome », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie 25 (1978), p. 398-427 ; A. Vanhoye , Prêtres anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, Paris, 1980 ; A. De H alleux, « Ministère et sacerdoce », Revue théologique de Louvain 18 (1987), p. 289-316, 425-453 ; A. Faivre , Ordonner la fraternité. Pouvoir d ’innover et retour à l ’ordre dans l ’Église ancienne, Paris, 1992, p. 55-84. Deux ouvrages portent spécifiquement sur cette question : R.R. Noll , Christian Ministerial Priesthood. A Search for its Beginnings in the Primary Documents of the Apostolic Fathers, San Franscisco – Londres, 1993 et C.J. Bulley, The Priesthood of Some Believers. Developments from the General to the Special Priesthood in the Christian Literature of the First Three Centuries, Carlisle (Cumbria) – Waynesboro (Géorgie), 2000. On consultera également les études rassemblées dans S. H ell – A. Vonach (ed.), Priestertum und Priesteramt. Historische Entwicklungen und gesellschaftlich-soziale Implikationen, Vienne – Berlin, 2012. 2. On pourrait aussi parler avec Georg Schöllgen, Die Anfänge der Professiona lisierung des Klerus und das kirchliche Amt in der Syrischen Didaskalie, Munster, 1998, de « professionnalisation » des fonctions pastorales ou cléricales. 3. On notera toutefois que, dans le cas de l’italien, le terme sacerdote est pratiquement réservé aux traductions bibliques et que, dans la langue courante, on utilise prete (voir Il grande dizionario Garzanti della lingua italiana, s. v.). 4. Il est intéressant de comparer à ce sujet quelques traductions de la Bible. Par exemple, pour les passages du Lévitique (1, 5.7.8. ; 4, 3 et passim), où on trouve כ ֹ ֵה ן en hébreu et ἱερεύς dans la Septante, si la plupart des traductions françaises (y
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ter, transposition du grec πρεσβύτερος 5, qui a donné le français «prêtre», s’est depuis longtemps perdu et « en fait, comme l’écrit Bernard Sesboüé, dans la mentalité courante, et pratiquement jusqu’à nos jours, le sens sacerdotal a dominé le sens presbytéral »; « deux vocabulaires, deux mondes de signification, écrit-il encore, se sont donc contaminés puis recouverts l’un l’autre » 6. Il en a résulté, dans plusieurs langues modernes – ce qui n’était pas le cas en grec ou en latin 7 –, une « synonymie pratique, qui condense une longue histoire théologique et sociologique » et qui induit « une confusion dommageable » 8 non seulement sur le plan théologique mais aussi historique. Bien que je ne sois pas friand de néologismes, ne serait-il pas opportun, du moins dans le langage scientifique, d’introduire le terme « sacerdote » pour parler des « prêtres », non pas au sens de presbytres ou d’anciens, mais de titulaires d’un sacerdoce ? D’autant qu’il ne s’agirait pas d’un néologisme absolu puisqu’Anatole France, dans Le procurateur de Judée, ne craint pas de recourir au substantif « sacerdote » pour désigner les « prêtres de la nation (juive) » 9. Le terme peut paraître insolite mais il a au moins l’avantage de la clarté. Les « ministères » chrétiens Si le sens du premier membre de notre intitulé est relativement clair, le second, en revanche, « “ministères” chrétiens », demande à être précisé sur le plan terminologique. Comme l’a montré Eduard Schweizer, des quatre termes grecs utilisés aux premier et deuxième siècles pour désigner une compris celle de Chouraqui) opte pour « prêtre », celle d’Ostervald donne « sacrificateur», celle de Zadok Kahn, « pontife », et celle de Samuel Cahen, « cohen/ cohenime ». 5. Voir G. Bornkamm, « πρέσβυς κτλ. », dans G. Friedrich (ed.), Theological Dictionary of the New Testament. VI, Grand Rapids (Michigan), 1968, p 662-680. 6. B. Sesboüé , « Interrogations actuelles. C. Ministère et sacerdoce », dans J. Delorme (ed.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament. Dossier exégétique et réflexion théologique, Paris, 1974, p. 475. 7. Comme le note J.T. Burtchaell , From Synagogue to Church. Public Services and Offices in the Earliest Christian Communities, Cambridge, 1992, p. 75, à propos de J.B. Lightfoot : «The process of confusion [entre une acception symbolique et une acception réaliste des catégories sacerdotales] was finally complete much later, with the rise of the modern vernaculars : German, French and English all offer a single word (Priester, prêtre, priest) to translate both elder = presbyteros = senior and levitical priest = hiereus = sacerdos». 8. A. De H alleux, « Ministère et sacerdoce », Revue théologique de Louvain 18 (1987), p. 291 (repris dans idem., Patrologie et œcuménisme. Recueil d ’études, Leuven, 1990, p. 712). 9. A. France , Œuvres complètes illustrées. V. Thaïs, L’Étui de nacre, Paris, 1925, p. 226; je dois cette référence au Trésor de la langue française publié par l’Institut National de la Langue Française de Nancy (Paris, Gallimard, 1990, tome XIV, p. 1303a).
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fonction ou une charge officielle – τέλος : autorité, magistrature; τιμή : poste ou charge honorifique, charge; ἀρχή : commandement, pouvoir, autorité, d’où charge, magistrature; λειτουργία : fonction, service public ou civique –, tous, à l’exception de τέλος, sont repris par les auteurs du Nouveau Testament 10. Ils sont appliqués notamment au « service » des prêtres juifs (τιμή, Hb 5, 4; λειτουργία, Lc 1, 23), à des officiers civils païens (τιμή, Rm 13, 7; ἀρχή, Lc 12, 11 et 20, 20, Tt 3, 1; λειτουργία, Rm 13, 6), aux anges (ἀρχή, Rm 8, 38; 1 Co 15, 24, Ep 1, 21, Col 1, 16), à Jésus (τιμή, Hb 3, 3; ἀρχή, Col 2, 10; λειτουργία, Hb 8, 2 et 10, 11-12). Quant au vocabulaire proprement sacerdotal, il apparaît exclusivement à propos des prêtres du temple de Jérusalem (ἱερεύς et ἀρχιερεύς; ἱερατεῖα; ἱερατεύω), de Jésus (ἀρχιερεύς et ἱερεύς) ou des chrétiens considérés dans leur ensemble comme « prêtres » (ἱερεύς) ou comme « organisme sacerdotal » (ἱεράτευμα) 11. Il est frappant et sans aucun doute significatif qu’aucun des termes du vocabulaire sacerdotal ne soit utilisé pour nommer les services rendus ou assumés par un ou plusieurs membres au bénéfice de la communauté, sauf dans le cas de Paul, qui parle de lui-même et de son service en termes sacerdotaux ou sacrificiels, lorsqu’il se désigne comme « servant (λειτουργόν) de Christ Jésus auprès des nations (εἰς τὰ ἔθνη), accomplissant le ministère sacré (λειτουργοῦντα) de l’Évangile de Dieu, pour que l’offrande (προσφορά) des nations soit agréée, sanctifiée (ἡγιασμένη) par l’Esprit saint » (Rm 15, 16) 12 . Au lieu de ces vocables spécialisés, les écrits du Nouveau Testament ont eu recours, pour désigner les personnes qui exerçaient des fonctions au sein de la communauté, à trois termes de la même famille, d’emploi relativement rare en grec classique et presque absents de la Septante : διακονία (trois occurrences dans la LXX : 1 M 11, 58 et Is 6, 3.5), διακονέω (aucune occurrence dans la LXX) et διακονός (sept occurrences 10. E. Schweizer , « Ministry in the Early Church », dans D.N. Freedman (ed.), The Anchor Bible Dictionary. 4, New York, 1992, p. 835-836; voir aussi Idem., Church Order in the New Testament, Londres, 1961, p. 171-180 ; sur l’approche terminologique de Eduard Schweizer, voir J.T. Burtchaell , From Synagogue to Church. Public Services and Offices in the Earliest Christian Communities, Cambridge, 1992, p. 153-154. 11. J’emprunte cette traduction de ἱεράτευμα (1 P 2, 5.9) à A. Vanhoye , Prêtres anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, , Paris, 1980, p. 276-278. Sur le sacerdoce « commun », voir V. Gäckle , Allgemeines Priestertum. Zur Metaphorisierung des Priestertitels im Frühjudentum und Neuen Testament, Tübingen, 2014. 12. Sur ce texte, voir P. Grelot, « Les épîtres de Paul : la mission apostolique », dans J. Delorme (ed.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament. Dossier exégétique et réflexion théologique, Paris, 1974, p. 54, ainsi que V. Gäckle , Allgemeines Priestertum. Zur Metaphorisierung des Priestertitels im Frühjudentum und Neuen Testament, Tübingen, 2014, p. 347-357.
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dans la LXX) 13. Comme le fait remarquer Jean Delorme, « ce vocabulaire n’est caractéristique ni de la langue religieuse de l’époque, ni de la Bible grecque » et «désigne couramment un service concret rendu en réponse à quelque besoin, comme servir à table, assister quelqu’un de ses biens ou d’une aide quelconque» 14 . Ce qui amène Eduard Schweizer à conclure : « Thus, strangely enough, a secular term is used to describe any ministry in the Church, be it a special one or one done by all the members » 15. Dans les lettres authentiques de Paul, en plus de διακονία, nous voyons apparaître le substantif χάρισμα. Il convient de noter ici l’ambivalence de ces deux termes 16. En effet, comme nous le voyons en 1 Co 12, 4-5, Paul ne fait pas de distinction entre le χάρισμα, un don conféré par l’Esprit à un fidèle pour l’édification de la communauté, et une διακονία, un service rendu à la communauté par un fidèle, pour le bien de tous. Pour Paul, un don spirituel doit être au bénéfice de la communauté tout comme un service auprès des membres de l’Église repose sur un don obtenu de l’Esprit. C’est seulement à partir de la deuxième génération de chrétiens que διακονία (et διακονός) désignera graduellement une fonction institutionnalisée, celle du « diacre », alors que χάρισμα gardera sa signification originale. Dans le cadre de la mission paulinienne, la plus ancienne et la seule qui nous soit connue d’une façon quelque peu précise, on observe une pluralité de « charismes » ou de « ministères » et une certaine variation de ces services entre les communautés chrétiennes. Cela s’explique probable13. E. Schweizer , « Ministry in the Early Church », dans D.N. Freedman (ed.), The Anchor Bible Dictionary. 4, New York, 1992, p. 836 ; H.W. Beyer , « διακονέω, διακονία, διάκονος », dans G. K ittel (ed.), Theological Dictionary of the New Testament. II, Grand Rapids (Michigan), 1964, p. 81-93 ; M. Stare , « Diakonia im Neuen Testament », dans S. H ell – A. Vonach (ed.), Priestertum und Priesteramt. Historische Entwicklungen und gesellschaftlich-soziale Implikationen, Vienne – Berlin, 2012, p. 139-161. 14. J. Delorme , « Diversité et unité des ministères d’après le Nouveau Testament », dans J. Delorme (ed.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament. Dossier exégétique et réflexion théologique, Paris, 1974, p. 313. 15. « Ministry in the Early Church », dans D.N. Freedman (ed.), The Anchor Bible Dictionary. 4, New York, 1992, p. 836 ; voir, dans le même sens, à propos de Paul, V. Gäckle , Allgemeines Priestertum. Zur Metaphorisierung des Priestertitels im Frühjudentum und Neuen Testament, Tübingen, 2014, p. 587 : « [Es] ist bemerkenswert, dass Paulus sowohl den christlichen Gemeindegottesdienst ebenso wie alle Gemeindeämter mit einer unkultischen Nomenklatur bezeichnet ». 16. Voir à ce sujet, H.W. Beyer , « διακονέω, διακονία, διάκονος », dans G. K ittel (ed.), Theological Dictionary of the New Testament. II, Grand Rapids (Michigan), 1964, p. 81-93, 87-88; B. Botte , « Le vocabulaire du ministère dans le Nouveau Testament », Ephemerides Liturgicae 101 (1987), p. 85 ; H. Conzelmann, « χάρισμα », dans G. Friedrich (ed.), Theological Dictionary of the New Testament. IX, Grand Rapids (Michigan), 1974, p. 403-405 ; J. Wagner , Die Anfänge des Amtes in der Kirche. Presbyter und Episkopen in der frühchristlichen Literatur, Tübingen, 2011, p. 83-92.
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ment par le fait que, dans l’attente de la parousie imminente du Christ et dans le contexte où les communautés n’étaient pas très grandes, il n’était pas primordial de régler en détail le fonctionnement d’un groupe chrétien nouvellement formé; mais cela s’explique aussi, comme l’a montré James Burtchaell, par le fait que les regroupements des partisans de Jésus messie, constitués majoritairement de juifs vivant parmi des juifs, se sont naturellement structurés selon le modèle synagogal 17. Pour Paul, l’important n’était pas d’encadrer les manifestations de l’Esprit par un modèle ministériel éprouvé, mais d’orienter ces manifestations vers l’édification et la consolidation de la communauté chrétienne (cf. 1 Co 12, 7; 14, 4-5.12.26; Ep 4, 12). Les différences que l’on observe entre les Églises locales s’expliquent par les particularités de la mission dont elles sont issues. Si, parmi ces ministères, le premier rôle revient sans contredit aux apôtres, aux « envoyés » responsables de la mission et de la mise en place de communautés locales 18, ceux-ci n’ont pas travaillé en solitaires. Paul constitue ici un cas exemplaire puisqu’il s’est lui-même entouré d’un très grand nombre de collaborateurs appelés συνεργοί 19. Même si ce titre n’apparaît pas dans les listes de dons charismatiques (1 Col 12,8-12.2830, Rm 12,6-8, Ep 4,11), il désigne des associés dont le rôle fut crucial pour le succès de l’entreprise apostolique. On compte plus de vingt-cinq personnes, hommes et femmes, qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à l’activité apostolique de Paul. Parmi ces collaborateurs, il y eut des gens comme Timothée et Tite qui furent chargés de missions spéciales et qui ont dû se déplacer d’une communauté à l’autre (1 Co 4, 17; 2 Co 2, 12-13; 1 Th 3, 1-6; Ph 2, 19-23). Il y en eut d’autres, cependant, qui ont assisté Paul en demeurant attachés à une communauté particulière, comme Priscille et Aquilas à Corinthe (Ac 18, 1) puis à Éphèse (Ac 18, 18.26) ainsi que Phoebé, « ministre » de l’Église de Cenchrées (Rm 16, 1 : τὴμ ἀδελφὴν ἡμῶν, οὖσαν διάκονον). 17. Voir J.T. Burtchaell , From Synagogue to Church. Public Services and Offices in the Earliest Christian Communities, Cambridge, 1992, notamment les chapitres 7 et 8. Voir, dans le même sens, J. Rüpke , Religion of the Romans, Cambridge, 2007, p. 243 : « Initially, the Christian’s organization resembled that of the Jews, who were still, in the third and fourth centuries, grouped in a variety of synagogues, without any overall leadership ». 18. Sur le terme ἀπόστολος, voir K.H. R engstorf, «ἀπόστολος», dans G. K ittel , éd., Theological Dictionary of the New Testament. I, Grand Rapids (Michigan), 1964, p. 407-445 et A. L emaire , Les ministères aux origines de l ’Église. Naissance de la triple hiérarchie. Évêques, presbytres, diacres, Paris, 1971, p. 179-180 et 182-183. 19. G. Bertram, « συνεργός, συνεργέω », dans G. Friedrich (ed.), Theological Dictionary of the New Testament. VII, Grand Rapids (Michigan), 1971, p. 871876 ; H.J. H auser , L’Église à l ’ âge apostolique. Structure et évolution des ministères, Paris, 1996, p. 71-73; W.-H. Ollrog, « συνεργός, συνεργέω », dans H. Balz – G. Schneider (ed.), Exegetical Dictionary of the New Testament. III, Grand Rapids (Michigan), 1993, p. 303-304.
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On observe aussi très tôt l’émergence d’un service ou d’un ministère de direction au sein des communautés. Même si les communautés chrétiennes étaient marquées par une très grande diversité de ministères, il y avait néanmoins des ministres locaux qui exerçaient des fonctions de gouvernement et les lettres pauliniennes ne laissent aucun doute à ce sujet. Nous avons à Corinthe, par exemple, le cas de Stéphanas, de sa famille et de tous ceux qui partagent leurs travaux et leur peine, à qui doivent se soumettre les autres membres de l’Église locale (1 Co 16, 15-18). Les injonctions : « obéissez donc à de telles personnes (τοῖς τοιούτοις) » (1 Co 16, 16a) et « sachez donc apprécier de telles personnes (τοὺς τοιτούτους) » (1 Co 16, 18b) indiquent qu’avec Stéphanas, quelques Corinthiens étaient reconnus par Paul comme étant des leaders et qu’ils devaient être acceptés comme tels par le reste de la communauté. De même, la première lettre aux Thessaloniciens témoigne de la présence dans cette communauté de fidèles qui exerçaient un ministère de direction même si aucun titre officiel ne leur est décerné : « Nous vous demandons, frères, d’avoir de la considération pour ceux qui se donnent de la peine parmi vous (τοῦς κοπιῶντας ἐν ὑμῖν), qui sont à votre tête (προϊσταμένους) 20 dans le Seigneur et qui vous avertissent; ayez pour eux la plus haute estime avec amour, à cause de leur œuvre » (1 Th 5, 12-13). Les expressions « se donner de la peine dans le Seigneur (κοπιᾶν ἐν Κυρίῳ) » (Rm 16, 12bis) et surtout « se donner de la peine pour/parmi (κοπιᾶν εἰς/ἐν) » (Rm 1, 6; Ga 4, 11; 1 Th 5, 12; cf. 1 Co 16, 16), appliquées aussi bien à des hommes qu’à des femmes, prennent en quelque sorte valeur technique pour désigner une responsabilité importante au sein de la communauté. Le fait que Paul exhorte les Thessaloniciens à avoir la plus grande considération pour ces personnes suggère que l’apôtre reconnaissait leur autorité et qu’il invitait les autres à faire de même. Étant donné le peu d’informations que nous avons sur ces dirigeants, il est toutefois impossible de savoir s’ils avaient tous la même autorité ou s’ils jouaient les mêmes rôles. De même, nous ne pouvons pas déterminer pour quelle période de temps ils exerçaient ce ministère ni qui les avaient désignés pour cette fonction. Vers un vocabulaire plus spécifique Une mutation significative se produira à partir des années 60 du premier siècle, marquée par un resserrement du vocabulaire et sans doute 20. «The leaders are proīstamenous hymôn = ruling over you. That is not a technical term, but it may plausibly imply the kind of responsibility which elders commonly had » (J. T. Burtchaell , From Synagogue to Church. Public Services and Offices in the Earliest Christian Communities, Cambridge, 1992, p. 293). Sur les κοπιῶντες et les προϊστάμενοι, voir J. Wagner , Die Anfänge des Amtes in der Kirche. Presbyter und Episkopen in der frühchristlichen Literatur, Tübingen, 2011, p. 105-107.
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aussi des fonctions exercées 21. À côté des titres d’« apôtres », de « prophètes » ou de « docteurs » (διδάσκαλος), employés seuls ou en groupe, et qui disparaissent des écrits postérieurs aux années 80 22 , trois termes seront de plus en plus massivement utilisés et finiront rapidement par s’imposer : il s’agit de ceux de διάκονος, que nous avons déjà rencontré, de πρεσβύτερος et d’ἐπίσκοπος 23. S’ils apparaissent déjà dans les Lettres authentiques d’Ignace d’Antioche sous la forme de la triade qui prédominera à partir de la fin du IIe siècle 24 , les sources de la fin du premier et de la première moitié du deuxième siècle montrent la coexistence d’un modèle dyadique (ἐπίσκοποι – διάκονοι, et πρεσβύτεροι – διάκονοι) et d’un modèle triadique (ἐπίσκοπος – πρεσβύτεροι – διάκονοι) 25. C’est sur cette toile de fond que nous nous proposons maintenant de considérer la question de la sacerdotalisation des ministères et des fonctions pastorales dans l’Église des trois premiers siècles. Nous procéderons en trois étapes : la Didachè et la Prima Clementis pour le Ier siècle; Justin et Clément d’Alexandrie pour le IIe siècle; Tertullien, Cyprien et Origène pour le IIIe, et nous traiterons à part la documentation canonicoliturgique. Deux témoins de la fin du premier siècle Si l’on excepte le passage de la lettre aux Romains cité ci-dessus (15, 16), la Doctrine des douze apôtres ou Didachè fournit la plus ancienne attestation de l’application du vocabulaire sacerdotal à des ministres chrétiens et cela, vers la fin du Ier siècle et probablement en Syrie ou en Palestine 26. Dans un passage de la section disciplinaire (chap. 11-15) qui porte sur 21. Pour une vue d’ensemble du vocabulaire ministériel attesté à cette époque, voir A. L emaire , Les ministères aux origines de l ’Église. Naissance de la triple hiérarchie. Évêques, presbytres, diacres, Paris, 1971, p. 179-190. 22. A. L emaire , Les ministères aux origines de l ’Église. Naissance de la triple hiérarchie. Évêques, presbytres, diacres, Paris, 1971, p. 183. 23. Sur ces trois termes, voir, entre autres, E. Cattaneo, I ministeri nella Chiesa antica. Testi patristici dei primi tre secoli, Milan, 1997, p. 33-40 ; sur la synonymie des termes πρεσβύτερος et ἐπίσκοπος dans le Nouveau Testament, voir J. Ysebaert, Die Amtsterminologie im Neuen Testament und in der alten Kirche. Eine lexikographische Untersuchung, Breda, 1994, p. 60-73. 24. Voir Philadelphiens insc., 4, 1 ; 7, 1 ; Tralliens 7, 2; À Polycarpe 6, 1. 25. Pour les références, voir G.W.H. L ampe , A Patristic Greek Lexicon, Oxford, 1961, p. 352ab, 533a, 1130a. 26. Sur la question de la date et du lieu d’origine de la Didachè, voir H. Van de Sandt – D. Flusser , « Introduction: History and Text of the Didache », dans H. Van de Sandt – D. Flusser (ed.), The Didache. Its Jewish Sources and its Place in Early Judaism and Christianity, Assen-Maastricht – Philadelphie, 2002, p. 48-52, et, pour les textes, E. Cattaneo, I ministeri nella Chiesa antica. Testi patristici dei primi tre secoli, Milan, 1997, p. 237-249.
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la rémunération des prophètes et des didascales, l’auteur ou le rédacteur écrit : « Tout vrai prophète qui vient s’établir chez vous mérite sa nourriture. De la même manière, le vrai didascale mérite, lui aussi, comme l’ouvrier sa nourriture. Par conséquent, tu prendras les prémices du pressoir et de l’aire et des bœufs et des brebis, pour les donner aux prophètes, car ils sont vos grands prêtres (αὐτοὶ γάρ εἰσιν οἱ ἀρχιερεῖς ὑμῶν) » (13, 1-3) 27. La prescription de prendre « les prémices » (ἀπαρχήν) pour les donner aux « prophètes » reprend des textes vétérotestamentaires comme Nb 18, 11-19, Dt 18, 3-5 et Ne 10, 36-40 28. Cette référence indique sans doute dans quel sens il faut comprendre la justification avancée par l’auteur : les prophètes sont dits « vos grands prêtres » dans la mesure où, comme eux, ils ont droit à un salaire de subsistance pour le service qu’ils rendent à la communauté. Il ne faut donc pas en tirer trop vite une conception sacerdotale ou sacerdotalisante du ministère prophétique chrétien, même si celui-ci devait comporter une dimension liturgique 29. Le recours de la Prima Clementis à l’appareil et au vocabulaire sacerdotaux de l’Ancien Testament doit, lui aussi, être compris en fonction de la visée de la lettre, qui veut dénoncer ceux qui, dans la communauté de Corinthe, s’étaient insurgés, « “les hommes de rien contre les hommes de valeur”, les obscurs contre les illustres, les insensés contre les sensés, les jeunes contre les anciens » (3, 3) 30. À ceux-ci est proposée en exemple la belle ordonnance du sacerdoce lévitique : « […] Nous devons faire avec ordre tout ce que le Maître a ordonné d’accomplir selon les temps fixés (κατὰ καιροὺς τεταγμένους). Il a ordonné que les offrandes et les fonctions liturgiques s’accomplissent non pas au hasard ou sans ordre, mais à des temps et des moments déterminés. Où et par qui il veut qu’elles soient accomplies, lui-même l’a déterminé par sa décision souveraine, afin que toutes choses se passent dans la sainteté selon son bon plaisir et soient agréables à sa volonté. Donc ceux qui présentent leurs offrandes aux temps marqués sont agréés et heureux, car en suivant les préceptes du Maître ils ne se trompent pas. Car au grand prêtre (τῷ γὰρ ἀρχιερεῖ) ont été dévolues des fonctions qui lui sont particulières, aux prêtres (τοῖς ἱερεῦσιν) a été marquée leur place particulière, aux lévites (λευΐταις) sont imposés des
27. Éd. et trad. (légèrement modifiée) W. Rordorf – A. Tuilier , La Doctrine des Douze Apôtres (Didachè). Introduction, texte critique, traduction, notes, appendice, annexe et index. Deuxième édition revue et augmentée, Paris, 1998, p. 190-191. 28. Voir J.-P. Audet, La Didachè, Instructions des apôtres, Paris, 1958, p. 457458. 29. Voir J.-P. Audet, La Didachè, Instructions des apôtres, Paris, 1958, p. 458 et J.-M.-R. Tillard, « La “qualité sacerdotale” du ministère chrétien », Nouvelle revue théologique 95 (1973), p. 504. 30. Nous citons l’édition et la traduction d’Annie A. Jaubert, Clément de Rome. Épître aux Corinthiens, Paris, 1971.
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services particuliers. Celui qui est laïque (ὁ λαϊκός) 31 est lié par les préceptes propres aux laïques » (40, 1-5). Ici aussi, il ne fait pas surinterpréter le texte. D’ailleurs, l’auteur indique lui-même dans quelle perspective il invoque l’analogie sacerdotale lévitique : « Que chacun de nous, frères, à son rang particulier (ἐν τῷ ἰδίῳ τάγματι), plaise à Dieu en agissant selon une conscience droite, avec dignité, sans enfreindre les règles qui ont été déterminées pour sa fonction (τὸν ὡρισμένον τῆς λειτουργίας αὐτοῦ τὸν κανόνα) » (41, 1). La suite précise le contexte, en l’occurrence liturgique, dans lequel cette admonition se situe : « Ce n’est pas partout, frères, qu’on offre des sacrifices […], en n’importe quel endroit […] » (41, 2). Il s’agit donc, comme le note Alexandre Faivre, d’une comparaison visant avant tout l’ordre à respecter et non d’une description du culte chrétien 32 . Au deuxième siècle Même si la littérature du IIe siècle, d’Ignace d’Antioche à Irénée de Lyon et à Clément d’Alexandrie au tournant du siècle, offre une ample matière relative à l’évolution des ministères chrétiens et en particulier sur la prédominance croissante de la triade ἐπίσκοπος – πρεσβύτεροι – διάκονοι, on n’y relève presque rien sur l’application aux ministres de catégories ou d’un vocabulaire sacerdotaux 33. Chez Justin, on trouve même un texte, visant les Juifs à travers Tryphon, qui va nettement dans le sens contraire : « Tous les sacrifices, donc, qui se font au nom de [Dieu], ceux dont JésusChrist a prescrit l’accomplissement – c’est-à-dire ceux qui, lors de l’Eucharistie du pain et de la coupe, sont en tout lieu de la terre offerts par les chrétiens –, par avance Dieu témoigne qu’ils lui sont agréables. Mais ceux qui sont offerts par vous [sc. les Juifs] et par l’intermédiaire de ceux qui sont vos prêtres (δι’ἐκείνων ὑμῶν τὼν ἱερέων), il les refuse (suit une citation de Mal 1, 10-12) » (Dialogue 117, 1) 3 4 .
Et lorsqu’auparavant (116, 3), Justin affirmait que «Dieu ne reçoit de sacrifices (θυσίας) de personne, sinon par l’intermédiaire de ses prêtres 31. Sur cette attestation du terme λαϊκός, voir A. Faivre , Les laïcs aux origines de l ’Église, Paris, 1984, p. 29-38. 32. A. Faivre , Ordonner la fraternité. Pouvoir d ’innover et retour à l ’ordre dans l’Église ancienne, Paris, 1992, p. 179-180 ; voir J.-M.-R. Tillard, « La “qualité sacerdotale” du ministère chrétien », Nouvelle revue théologique 95 (1973), p. 505 : «la comparaison porte […] sur la taxis, l’ordonnance des fonctions»; voir dans le même sens J. Wagner , Die Anfänge des Amtes in der Kirche. Presbyter und Episkopen in der frühchristlichen Literatur, Tübingen, 2011, p. 237-238. 33. Sur Clément d’Alexandrie et les ministères, voir E. Cattaneo, I ministeri nella Chiesa antica. Testi patristici dei primi tre secoli, Milan, 1997, p. 347-356. 34. P. Bobichon, Justin Martyr. Dialogue avec Tryphon. Édition critique, I, Fribourg, 2003, p. 496-497.
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(εἰ μὴ διὰ τῶν ἱερέων αὐτοῦ)», il est clair qu’il visait « la véritable race archiprêtresse de Dieu (ἀρχιερατικὸν τὸ ἀληθινὸν γένος […] τοὺ θεοῦ) » que constitue l’ensemble des chrétiens (ἐσμὲν) 35. La même réserve apparaît chez Clément d’Alexandrie, à la fin du IIe ou au début du IIIe siècle 36. S’il mentionne bien les trois «rangs progressifs (προκοπαί) d’évêques, de prêtres et de diacres qui existent ici-bas dans l’Église (et qui) reproduisent la gloire des anges » (Stromate VI, 107, 2) 37, il ne le fait jamais en termes sacerdotaux ou hiératiques. Dans le passage où il aborde le plus explicitement la hiérarchie ecclésiastique, il insiste plutôt sur le fait qu’« un homme est réellement prêtre (πρεσβύτερος) de l’Église et diacre (διάκονος) véritable de la volonté de Dieu s’il fait et enseigne ce que dit le Seigneur » et qu’« il n’est pas choisi par un vote humain ni considéré comme juste parce qu’il est prêtre (πρεσβύτερος), mais est mis au nombre des prêtres (ἐν πρεσβυτερίῳ καταλεγόμενος) parce qu’il est juste » (Stromate VI, 106, 1-2) 38. On peut donc conclure, avec Maurice Bévenot, que « neither in the N. T. nor in the first two centuries were these terms (sc. sacerdos, sacerdotium et leurs equivalents grecs) used of the Christian ministry at all » 39. Et c’est à la même conclusion qu’arrive Paul Bradshaw : « Vor Beginn des 3. Jh. gebraucht keine christliche Quelle den Titel “Priester” (griechisch ἱερεύς; lateinisch sacerdos) direkt zur Bezeichnung eines einzelnen oder einer Gruppe von Amtsträgern in der Kirche » 4 0. 35. P. Bobichon, Justin Martyr. Dialogue avec Tryphon. Édition critique, I, Fribourg, 2003, p. 496-497. 36. Pour la chronologie de Clément d’Alexandrie, voir A. M éhat, Étude sur les “Stromates” de Clément d ’Alexandrie, Paris, 1966, p. 54, et A. L e Boulluec , « Clément d’Alexandrie », dans R. Goulet (ed.), Dictionnaire des philosophes antiques. II, Paris, 1994, p. 426-427. 37. Éd. et trad. P. Descourtieux, Clément d ’Alexandrie. Les Stromates, Stromate VI, Paris, 1999, p. 274-275 ; voir U. Neymyer , « Episkopoi bei Clemens von Alexandrien », dans E. A. Livingstone (ed.), Studia Patristica. XXVI, Leuven, 1993, p. 294, et U. Neymyer , «Presbyteroi bei Clemens von Alexandrien», dans E ad., éd., Studia Patristica. Vol. XXXI, Leuven, 1997, p. 495. 38. P. Descourtieux, Clément d ’Alexandrie. Les Stromates, Stromate VI, Paris, 1999, p. 272-273 : on a un bel exemple de la confusion entre les registres « sacerdotal » et « presbytéral » dans la note sur ce passage : « La rectitude morale est exigée pour le sacerdoce. La haute idée que Clément se fait du prêtre explique le développement qui suit » (p. 272, n. 3, italiques de nous). 39. M. Bévenot, « Tertullian’s thoughts about the christian “prieshood” », dans Corona gratiarum. Miscellanea patristica, historica et liturgica Eligio Dekkers O.S.B. XII lustra complenti oblata, Brugge – La Haye, 1975, p. 125 (italiques de l’auteur). 40. P.F. Bradshaw, « Priester/Priestertum. III. Christliches Priesteramt. III/1. Geschichtlich », dans G. Müller (ed.), Theologische Realenzyklopädie. XXVII, Berlin – New York, 1997, p. 414 ; voir, dans le même sens, V. Gäckle , Allgemeines Priestertum. Zur Metaphorisierung des Priestertitels im Frühjudentum und Neuen Testament, Tübingen, 2014, p. 598.
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Au troisième siècle : Tertullien, Cyprien et Origène Il faut donc attendre le début du IIIe siècle pour trouver les premiers indices non équivoques d’une « sacerdotalisation » des fonctions ministérielles, avec le témoignage de Tertullien, dont l’interprétation demeure toutefois délicate 41. On doit en effet faire le partage entre les écrits de la période « catholique » ou prémontaniste et les écrits de la période montaniste 42 , sans parler des difficultés textuelles que posent certains d’entre eux. Si Tertullien n’hésite pas à qualifier le Christ de « summus sacerdos Patris » 43 ou de « summus sacerdos et magnus Patris » 4 4 , dans la ligne de la lettre aux Hébreux (8, 1), et s’il affirme que, parce qu’ils ont revêtu le Christ « summus sacerdos », les chrétiens ont été faits « prêtres pour Dieu son Père (sacerdotes Deo Patri) » 45 il est moins disert en ce qui concerne l’attribution de l’épithète sacerdos aux ministres de l’Église, episcopus, presbyteri ou diaconi. À une seule reprise, il qualifie l’évêque de summus sacerdos et encore, s’agit-il d’un passage dont l’interprétation est discutée. Dans le De baptismo, Tertullien écrit en effet que, « pour donner le baptême, le pouvoir en revient en premier lieu au summus sacerdos, si qui est, episcopus; après lui au prêtre (presbyteri) et au diacre (diaconi), mais jamais sans l’autorisation de l’évêque, à cause du respect qui est dû à l’Église, et qu’il faut sauvegarder pour sauvegarder la paix » (17, 1) 4 6. Mais la portée de ce passage dépend de l’interprétation que l’on donne de « summus sacerdos, si qui est, episcopus ». Faut-il comprendre : « le grand prêtre, c’est-à-dire l’évêque, s’il est là », ou « le grand prêtre, s’il peut être ainsi appelé, c’està-dire l’évêque », ou encore « le grand prêtre, si une telle chose existe, je 41. Voir M. Bévenot, « Tertullian’s thoughts about the christian “prieshood” », dans Corona gratiarum. Miscellanea patristica, historica et liturgica Eligio Dekkers O.S.B. XII lustra complenti oblata, Brugge – La Haye, 1975, p. 125-137 ; voir E. Cattaneo, I ministeri nella Chiesa antica. Testi patristici dei primi tre secoli, Milan, 1997, p. 473-497. 42. Nous adoptons la chronologie de R. Braun, Deus Christianorum. Recherches sur le vocabulaire doctrinal de Tertullien, Paris, 1977, p. 563-577 et 720-721. 43. De pudicitia 20, 10, C. M icaelli – C. Munier , Tertullien. La Pudicité (De pudicitia). I, Paris, 1993, p. 266. 44. De monogamia 7, 8, P. M attei, Tertullien. Le mariage unique (De monogamia), Paris, 1988, p. 162. 45. De monogamia 7, 8, éd. et trad. P. M attei, Tertullien. Le mariage unique (De monogamia), Paris, 1988, p. 162 ; voir aussi De oratione 28, 3 : « Nos sumus ueri adoratores et ueri sacerdotes, qui spiritu orantes spiritu sacrificamus orationem hostiam Dei propriam et acceptabilem, quam scilicet requisiuit, quam sibi prospexit », G.F. Diercks (ed.), « Q. S. Fl. Tertulliani De oratione », dans Quinti Septimi Florentis Tertulliani Opera. I, Turnhout, 1954, p. 273. 46. F. R efoulé – M. Drouzy, Tertullien. Traité du baptême, Paris, 2002, p. 89-90 ; voir l’apparat de J.W.P. Borleffs , « Q. S. Fl. Tertulliani De baptismo », dans Quinti Septimi Florentis Tertulliani Opera. I, Turnhout, 1954, p. 291.
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veux dire l’évêque » 47 ? Quoi qu’il en soit du sens de l’incise, il reste que l’évêque n’est nulle part ailleurs chez Tertullien appelé «grand prêtre» et que le titre de sacerdos ne lui est formellement attribué qu’à deux reprises, tout d’abord dans un écrit de la période semimontaniste, l’Exhortation à la chasteté, où l’auteur s’en prend au digame : « Tu te présenteras donc devant le Seigneur avec autant d’épouses que tu en rappelles le souvenir dans ta prière ? et tu offriras le saint sacrifice pour deux épouses ? tu les recommanderas toutes deux par l’intermédiaire du prêtre (per sacerdotem) dont la monogamie a permis l’ordination ? » (11, 2) 48, puis dans le De pudicitia, de la période montaniste : « L’Église remettra bien les péchés, mais l’Église de l’Esprit, par l’intermédiaire d’un homme spirituel, et non l’Église constitué par des évêques en nombre (non ecclesia numerus episcoporum). Il s’agit en effet d’un droit et d’une décision qui appartiennent au Seigneur et non au serviteur, à Dieu lui-même et non au prêtre (Dei ipsius, non sacerdotis) » (21, 17) 49. Le terme sacerdos, utilisé ici avec Deus, semble l’être pour des raisons largement stylistiques, pour correspondre au couple dominus – famulus. Il est donc permis d’affirmer que Tertullien ne recourt pas normalement au vocabulaire sacerdotal pour qualifier l’évêque en tant que présidant au baptême ou à l’eucharistie 50. Il en va tout autrement pour Cyprien de Carthage. Celui-ci utilise sept termes pour désigner l’évêque : sacerdos, episcopus, praepositus, pastor, antistes, iudex et gubernator, mais avec une nette préférence pour les deux premiers, attestés presque à égalité (122 occurrences pour sacerdos et 123 pour episcopus) 51. Parmi les attestations de sacerdos, on pense généralement qu’un petit nombre d’entre elles – cinq, pour être exact – s’appliquerait au « prêtre » stricto sensu, c’est-à-dire au presbyter, le deuxième membre 47. La première traduction est celle de F. R efoulé – M. Drouzy, Tertullien. Traité du baptême, Paris, 2002, p. 90, la deuxième et la troisième, de M. Bévenot, « Tertullian’s thoughts about the christian “prieshood” », dans Corona gratiarum. Miscellanea patristica, historica et liturgica Eligio Dekkers O.S.B. XII lustra complenti oblata, Brugge – La Haye, 1975, p. 129. André De Halleux, « Ministère et sacerdoce », Revue théologique de Louvain 18 (1987), p. 451, n. 258, endosse le sens restrictif de la traduction de Bévenot. 48. C. Moreschini – J.-C. Fredouille , Tertullien. Exhortation à la chasteté, Paris, 1985, p. 106-107 ; qu’il s’agisse ici de l’évêque et non du presbytre ressort de l’expression « per sacerdotem de monogamia ordinatum » ; voir C. Moreschini – J.-C. Fredouille , Tertullien. Exhortation à la chasteté, Paris, 1985, p. 182. 49. C. M icaelli – C. Munier , Tertullien. La Pudicité (De pudicitia). I, Paris, 1993, p. 274-275. 50. Voir M. Bévenot, « Tertullian’s thoughts about the christian “prieshood” », dans Corona gratiarum. Miscellanea patristica, historica et liturgica Eligio Dekkers O.S.B. XII lustra complenti oblata, Brugge – La Haye, 1975, p. 132. 51. Nous empruntons ces données à R. Seagraves , Pascentes cum disciplina. A Lexical Study of the Clergy in the Cyprianic Correspondence, Fribourg (Suisse), 1993, p. 40.
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de la triade ministérielle 52 . Cependant, l’examen de ces passages effectué par Richard Seagraves montre à l’évidence qu’aucun d’eux ne concerne le presbyter, même lorsqu’on trouve la formule episcopi et sacerdotes (Lettre 67, 4, 3), qui apparaît plutôt comme une amplification rhétorique ou un hendiadys 53. De même, des vingt-cinq occurrences de l’adjectif sacerdotalis dans le recueil des lettres de Cyprien, toutes visent l’évêque, sauf quatre qui qualifient les prêtres juifs de l’Ancien Testament 54 . On peut donc conclure avec Maurice Bévenot que, lorsque Cyprien parle des sacerdotes chrétiens, il entend toujours et exclusivement les episcopi, les évêques 55. Cyprien devient ainsi le premier témoin d’une appropriation massive et régulière du terme sacerdos pour l’episcopus. S’interrogeant sur les motifs d’une telle préférence, Greame Clarke, le traducteur et commentateur des Lettres de l’évêque de Carthage, estime que « Cyprian is inclined to use sacerdos/sacerdotium (in preference to episcopus/episcopatus, words fundamentally associated with administration) in order to exploit their sacral and hierophantic connotations – and in order to equate the New Testament bishop with the Old Testament high priest » 56. Et Clarke cite en ce sens la Lettre 43, 7, 1, dans laquelle Cyprien exhorte les lapsi à ne pas se séparer de leurs évêques (a sacerdotibus Domini non recedatis) en citant Dt 17, 12, qui menace de mort l’arrogant qui refuse d’obéir au prêtre (ut non exaudiat sacerdotem …) 57. Passons maintenant de l’Afrique du Nord à Alexandrie et Césarée de Palestine, pour considérer le témoignage d’Origène. Dans son livre sur La condition collégiale des prêtres au IIIe siècle, Albano Vilela a dressé un inventaire de la plupart des textes dans lesquels Origène traite de l’évêque ou des prêtres (c’est-à-dire des presbytres) en termes sacerdotaux 58. Il ressort de cet inventaire, qui rassemble vingt-six textes et auxquels on pourrait ajouter l’une ou l’autre référence 59, que c’est surtout dans ses Homélies 52. Opinio communis pour presque un siècle, depuis E.W. Watson, « The Style and Language of St. Cyprian », dans Studia Biblica et ecclesiastica, IV, Oxford, 1896, p. 258, n. 1, jusqu’à J.D. L aurance , “Priest” as Type of Christ. The Leader of the Eucharist in Salvation History according to Cyprian of Carthage, New York, 1984, p. 198-200. 53. Voir la note de G. Clarke , The Letters of St. Cyprian of Carthage. IV, New York, 1989, p. 148. 54. R. Seagraves , Pascentes cum disciplina. A Lexical Study of the Clergy in the Cyprianic Correspondence, Fribourg, 1993, p. 47 et n. 30. 55. M. Bévenot, « “Sacerdos” as Understood by Cyprian », The Journal of Theological Studies 30 (1979), p. 423. 56. G. Clarke , The Letters of St. Cyprian of Carthage. II, New York, p. 217, note sur Lettre 43, 2, 2. 57. L. Bayard (ed.), Saint Cyprien. Correspondance. II, Paris, 1925, p. 109. 58. A. Vilela, La condition collégiale des prêtres au IIIe siècle, Paris, 1971. 59. Voir E. Cattaneo, I ministeri nella Chiesa antica. Testi patristici dei primi tre secoli, Milan, 1997, p. 357-446, et J. L écuyer , « Sacerdoce des fidèles et sacer-
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sur l ’Hexateuque (de la Genèse à Josué) qu’Origène aborde ce thème. Ce qui s’explique, comme le note Vilela, par le fait que l’Hexateuque renferme de nombreux passages où il est question des prêtres, qui incitaient Origène à en faire une application allégorisante aux évêques et prêtres chrétiens 60. Mais il ne fait pas de doute que, pour opérer un tel transfert, Origène pouvait prendre appui sur une appropriation chrétienne déjà bien établie du vocabulaire sacerdotal vétérotestamentaire. Par ailleurs, étant donné que les Homélies sur l ’Hexateuque sont conservées presque exclusivement dans les traductions latines de Rufin, on peut se demander, avec Vilela, si certaines occurrences des mots sacerdos ou sacerdotes ne sont pas dues au traducteur latin 61. Mais, puisque la plupart des textes d’Origène où ces termes apparaissent commentent des passages de la Bible grecque où figurent ἱερεύς ou ἱερεῖς, on peut raisonnablement conclure qu’Origène reprend les mêmes vocables. Vilela a classé les textes qu’il a répertoriés selon que le mot sacerdotes est appliqué aux seuls prêtres ou simultanément à l’évêque et aux prêtres, ou que le binôme sacerdotes – leuitae équivaut à prêtres – diacres, ou la triade leuitae – sacerdotes – pontifex, à diacres – prêtres – évêque. Je ne pense pas qu’on puisse être aussi précis. Je me contenterai donc de signaler quelques textes qui illustrent la manière dont Origène applique le vocabulaire sacerdotal aux ministres de l’Église. Citons tout d’abord un passage tiré de la deuxième Homélie sur les Nombres qui montre qu’Origène connaissait bien la triade évêque – prêtre – diacre. Commentant Nb 2, 2 (ἄνθρωπος ἐχόμενος αὐτοῦ κατὰ τάγμα, « chacun homme gardant son rang »), il écrit : « Crois-tu que ceux qui s’acquittent du sacerdoce (sacerdotio funguntur), qui se font gloire d’appartenir à l’ordre sacerdotal (sacerdotali ordine), marchent selon leur ordre et font tout ce qui convient à leur ordre ? De même, crois-tu que les diacres marchent selon l’ordre de leur ministère (ministerii sui) ? Et d’où vient qu’on entende souvent les gens blasphémer et dire : Voyez cet évêque, ce prêtre (presbyter), ce diacre ? Est-ce que tout cela ne se dit pas, quand on voit le prêtre ou le ministre de Dieu (sacerdos vel minister Dei) manquer aux devoirs de son ordre et contrevenir à l’ordre sacerdotal et lévitique (sacerdotalem vel leviticum ordinem) ? » (2, 1) 62 . On voit bien dans ce texte avec quelle facilité Origène passe du registre presbytéral au registre sacerdotal. doce ministériel chez Origène », Vetera Christianorum 7 (1970), p. 253-264 ; en revanche, malgré son titre, T. Schäfer , Das Priester-Bild im Leben und Werk des Origenes, Francfort-sur-le-Main – Berne – Las Vegas, 1977, traite peu de la thématique proprement sacerdotale chez Origène. 60. A. Vilela, La condition collégiale des prêtres au IIIe siècle, Paris, 1971, p. 86-87. 61. A. Vilela, La condition collégiale des prêtres au IIIe siècle, Paris, 1971, p. 87. 62. W. A. Baehrens (ed.), Origenes Werke. Siebenter Band. Zweiter Teil, Leipzig, 1921, p. 10, 6-14 ; trad. (modifiée) A. M éhat, Origène. Homélies sur les Nombres, Paris, 1951, p. 83 ; pour une autre attestation de la triade ἐπίσκοπος, πρεσβύτε-
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Origène affirme également, dans la ligne de la Prima Petri (2, 5) que l’ensemble des chrétiens, dans la mesure où ils le sont en vérité, sont appelés à être des sacerdotes : « Tous ceux en effet, écrit-il dans les Homélies sur Josué, qui vivent leur religion d’une manière sainte et sacerdotale (sacerdotali religione et sanctitate), pas seulement ceux qu’on voit siéger dans les assemblées des prêtres (in consessu sacerdotali), mais plutôt ceux qui se conduisent dans un esprit sacerdotal (sacerdotaliter), ceux dont le Seigneur est l’unique part et qui ne possèdent rien sur la terre, ceux-là sont vraiment les prêtres et les lévites du Seigneur (sacerdotes et levitae Domini), qui portent sur leurs épaules la loi de Dieu, car ils réalisent et ils accomplissent dans leurs œuvres ce qui est écrit dans la loi » (9, 5) 63. Toujours dans les Homélies sur Josué, en commentant le début du livre de Josué (1, 2 : Μωυσῆς ὁ θεράπων μου τετελεύτηκεν, « Moïse, mon serviteur, est mort »), Origène souligne fortement le passage d’un culte à l’autre et d’un sacerdoce à l’autre : « Si tu considères Jérusalem détruite […], dis que Moïse, le serviteur de Dieu, est mort. Si tu ne vois personne venir trois fois l’an devant la face du Seigneur […], dis que Moïse, le serviteur de Dieu, est mort. Mais lorsque tu vois les nations entrer dans la foi, les églises s’édifier, les autels non plus trempés du sang des animaux, mais consacrés par le précieux sang du Christ, lorsque tu vois les prêtres et les lévites (sacerdotes et levitas) ne plus administrer le sang des taureaux et des boucs, mais la parole de Dieu par la grâce de l’Esprit-Saint, dis alors que Jésus a pris la place de Moïse et qu’il possède le principat, non pas le Jésus, fils de Navé, mais Jésus, Fils de Dieu » (2, 1) 6 4 . À plusieurs reprises, Origène interpelle les pasteurs en les désignant comme Domini sacerdotes 65 ou sacerdotes Ecclesiae, revêtus d’un sacerdoce donné à l’Église par le Christ lui-même 66. On ne saurait dire s’il désigne par là les seuls évêques ou les évêques et les presbytres. En revanche, quand il parle des sacerdotes qui (Ecclesiae/Ecclesiis) praesunt 67 ou qui populo praesunt 68, on est bien tenté d’y voir une référence exclusive aux évêques, nonobstant les réserves de Vilela 69. ρος, διάκονος, voir l’Entretien avec Héraclide 5, 1-5, J. Scherer (ed.), Entretien d ’Origène avec Héraclide, Paris, 1960, p. 64. 63. A. Jaubert, Origène. Homélies sur Josué, Paris, 1960, p. 254-255. 64. A. Jaubert, Origène. Homélies sur Josué, Paris, 1960, p. 116-117. 65. Par exemple, Homélies sur le Lévitique 5, 8, 35, M. Borret (ed.), Origène. Homélies sur le Lévitique. I. Homélies I-VII, Paris, 1981, p. 242. 66. Homélies sur le Lévitique 5, 3, 57-61, M. Borret (ed.), Origène. Homélies sur le Lévitique. I. Homélies I-VII, Paris, 1981, p. 218. 67. Homélies sur le Lévitique 5, 4, 43-44, M. Borret (ed.), Origène. Homélies sur le Lévitique. I. Homélies I-VII, Paris, 1981, p. 224. 68. Homélies sur Josué, 7, 6, A. Jaubert (ed.), Origène. Homélies sur Josué, Paris, 1960, p. 208. 69. A. Vilela, La condition collégiale des prêtres au IIIe siècle, Paris, 1971, p. 88-89.
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Comme on le voit, et on pourrait multiplier les références, Origène passe aisément du sacerdoce lévitique au sacerdoce chrétien 70. Sa pratique de l’allégorie des textes de l’Ancien Testament y est sûrement pour quelque chose, mais aussi le fait qu’à son époque et dans le milieu (ou les milieux) où il a vécu, on devait depuis longtemps parler des ministères en termes proprement sacerdotaux. La documentation canonico-liturgique On ne saurait clore cet examen de la sacerdotalisation des ministères sans considérer la documentation canonico-liturgique. Il s’agit d’un dossier complexe, dont les travaux d’Alexandre Faivre et de Marcel Metzger, entre autres, ont contribué à démêler l’écheveau 71. De cet ensemble, nous ne retiendrons que la compilation pseudépigraphique des Constitutions apostoliques, qui, selon son plus récent éditeur, se situe « à l’apogée de l’ancienne littérature canonique » 72 . Comme on le sait, ce volumineux ouvrage intègre dans sa trame des documents plus anciens, en particulier trois écrits qui forme ce que Metzger appelle la « Collection tripartite » 73 et dont le premier et le dernier figure dans le palimpseste latin de la bibliothèque capitulaire de Vérone 74 . Ces trois écrits sont : pour les livres I-VI des Constitutions apostoliques, la Didascalie des apôtres 75, ouvrage com70. Voir, A. Vilela, La condition collégiale des prêtres au IIIe siècle, Paris, 1971, p. 87. 71. Voir A. Faivre , « La documentation canonico-liturgique de l’Église ancienne », Revue des sciences religieuses 54 (1980), p. 204-219, A. Faivre , « La documentation canonico-liturgique de l’Église ancienne (Suite) », Revue des sciences religieuses 54 (1980), p. 273-297, et M. M etzger , Les Constitutions apostoliques. I. I-II, Paris, 1985, p. 14-32, ainsi que P.F. Bradshaw, The Search for the Origins of Christian Worship. Sources and Methods for the Study of Early Liturgy, Oxford – New York, 2002, p. 73-97. 72. M. M etzger , Les Constitutions apostoliques. I. I-II, Paris, 1985, p. 39. Voir maintenant l’édition critique de M. M etzger , Les Constitutions apostoliques. I. I-II, Paris, 1985 ; II. III-VI, 1986 ; III. VII-VIII, 1987, ainsi que M. M etzger , Les Constitutions apostoliques, Paris, 1992 (traduction seule) ; l’édition des Sources chrétiennes remplace pour le grec celle de F.X. Funk , Didascalia et Constitutiones apostolorum. I, Paderborn, 1905, qui, par sa présentation synoptique des textes, rend encore de grands services. 73. M. M etzger , Les Constitutions apostoliques. I. I-II, Paris, 1985, p. 24. 74. Il s’agit du Veronese LV (53); voir CPG 1731 ; E. H auler (ed.), Didascaliae Apostolorum fragmenta Veronensia latina. Accedunt canonum qui dicuntur Apostolorum et Aegyptiorum reliquiae. Fasciculus prior, Leipzig, 1900 et E. Tidner , Didascaliae apostolorum, Canonum ecclesiasticorum, Traditionis apostolicae versiones latinae, Berlin, 1975 ; pour la répartition des pièces de la collection tripartite dans les Constitutions, voir M. M etzger , Les Constitutions apostoliques. I. I-II, Paris, 1985, p. 24 et 41. 75. Col. I-LXIV du Veronese (E. Tidner [ed.], Didascaliae Apostolorum fragmenta Veronensia latina).
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posé en grec en Syrie, dans la première moitié du IIIe siècle, mais qui, sauf pour quelques fragments 76, ne nous est plus connu que par des traductions latine, syriaque, arabe et éthiopienne 77; pour le livre VII, 1-32, la Doctrine des douze apôtres ou Didachè 78; et, pour le livre VIII, 3-45, un ouvrage connu sous l’appellation de Tradition apostolique 79. Composé en grec, dont seuls quatre fragments ont survécu dans cette langue 80, ce dernier écrit, qui a suscité de vives controverses 81, est connu dans la traduction latine du palimpseste de Vérone et par des traductions sahidique, arabe, éthiopienne et bohaïrique, ainsi que par des parallèles dans des textes canonico-liturgiques (le livre VIII des Constitutions apostoliques mentionné ci-dessus; les Canons d’Hippolyte et le Testamentum Domini) 82 . Dès le début du XXe siècle, on a voulu voir dans cet écrit une Ἀποστολικὴ παράδοσις attribuable à Hippolyte de Rome et composée dans la deuxième décennie du deuxième siècle (sous le pontificat de Zéphyrin, donc antérieure à 217), ce qui en faisait un témoin privilégié de la discipline ecclésiastique et de la liturgie dans 76. J.V. Bartlet (ed.), « Fragments of the Didascalia apostolorum in Greek », The Journal of Theological Studies 18 (1917), p. 301-309. 77. CPG 1738; éd. du latin : E. H auler , Didascaliae Apostolorum fragmenta Veronensia latina, et E. Tidner , Didascaliae apostolorum; du syriaque : A. Vööbus , The Didascalia Apostolorum in Syriac. I. Chapters I-X, Louvai, 1979 et A. Vööbus , The Didascalia Apostolorum in Syriac. II. Chapters XI-XXVI, Louvain, 1979. Traduction française F. Nau, La Didascalie des douze apôtres traduite du syriaque pour la première fois, Paris, 1912 (sur les éditions de P. De L agarde , Didascalia apostolorum syriace, Leipzig, 1854 et de M.D. Gibson, The Didascalia Apostolorum in Syriac Edited from a Mesopotamian Manuscript with Various Readings and Collations of Other Mss. [Horae semiticae, 1], Londres, 1903) ; voir maintenant la trad. anglaise de A. Stewart-Sykes , The Didascalia Apostolorum. An English Version, Turnhout, 2009. 78. W. Rordorf, A. Tuilier , La Doctrine des Douze Apôtres (Didachè). 79. Col. LXVII, 31-LXXX du Veronese (E. Tidner (ed.), Didascaliae Apostolorum fragmenta Veronensia latina). Éditions les plus courantes : G. Dix, Ἀποστολικὴ παράδοσις. The Treatise on the Apostolic Tradition of St Hippolytus of Rome, Bishop and Martyr, Londres, 1968 (mise à jour de G. Dix, The Treatise on the Apostolic Tradition of St. Hippolytus of Rome, Bishop and Martyr, Londres, 1937) ; B. Botte , La tradition apostolique de saint Hippolyte. Essai de reconstitution. 5. Verbesserte Auflage, Münster, 1989 (1963) et B. Botte , Hippolyte de Rome. La Tradition apostolique d ’après les anciennes versions, Paris, 1968 (1re édition, 1946). 80. Références dans P.F. Bradshaw – M.E. Johnson – L.E. Philipps , The Apostolic Tradition. A Commentary, Minneapolis, 2002, p. 6-7. 81. Bon état de la question dans J. F. Baldovin, « Hippolytus of Rome and the Apostolic Tradition: Recent Research and Commentary », Theological Studies 64 (2003), p. 520-542 et G.A.M. Rouwhorst, Compte rendu de P.F. Brad shaw – M.E. Johnson – L.E. P hilipps , The Apostolic Tradition. A Commentary, Vigiliae Christianae 59 (2005), p. 337-340. 82. Sur ces différents témoins, voir P.F. Bradshaw – M.E. Johnson – L.E. Philipps , The Apostolic Tradition. A Commentary, Minneapolis, 2002, p. 6-11.
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la Ville au début du IIIe siècle 83. Très tôt et sans cesse contestée 84 , cette attribution a été définitivement réfutée par les travaux précurseurs de Jean Magne, suivis par ceux de Paul Bradshaw, Christoph Markschies et Marcel Metzger 85. Ce « texte » ou « document fantôme »,
83. Thèse orchestrée par E. Schwartz , Über die pseudoapostolischen Kirchenordungen, Strasbourg, 1910, et surtout par R.H. Connolly, The So-Called Egyptian Church Order and Derived Documents, Cambridge, 1916, avant d’être reprise par Gregory Dix (G. Dix, The Treatise on the Apostolic Tradition of St. Hippolytus of Rome, Bishop and Martyr, Londres, 1937) et par Dom Bernard Botte (B. Botte , La tradition apostolique de saint Hippolyte. Essai de reconstitution. 5. Verbesserte Auflage, Münster, 1989 [1963]). Comme l’écrit A. Salles, « La “Tradition apostolique” est-elle un témoin de la liturgie romaine ? », Revue de l ’histoire des religions 148 (1955), p. 182, « cette identification [proposée par Richard H. Connolly] conduisait à un résultat remarquable : les anciennes formes de la liturgie romaine, fort mal connues jusqu’alors, s’éclairaient soudain d’une lumière incomparable, car la Tradition apostolique fournit le document le plus précis et le plus complet que nous ayons parmi toutes les liturgies antiques ». 84. Notamment par R. L orentz , De egyptische Kerkordening en Hippolytus van Rome, Haarlem, 1929 (sur cette thèse, voir la réplique d’H. Elfers , Die Kirchen ordnung Hippolyts von Rom. Neue Untersuchungen unter besonderer Berücksichtigung des Buches von R. Lorentz. De Egyptische Kerkordening en Hippolytus van Rome, Paderborn, 1938), A. H amel , « Über das kirchenrechtliche Schrifttum Hippolyts », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche 36 (1937), p. 238-250, H. E ngberding, « Das angebliche Dokument römischer Liturgie aus dem Beginn des dritten Jahrhunderts », dans Miscellanea liturgica in honorem L. Cuniberti Mohlberg. I, Rome, 1948, p. 47-71, A. Salles , « La “Tradition apostolique” est-elle un témoin de la liturgie romaine ? », Revue de l ’histoire des religions 148 (1955), p. 181-213 (pour la liturgie baptismale) et J.M. H anssens , La Liturgie d ’Hippolyte. Ses documents – son titulaire – ses origines et son caractère, Rome, 1965. 85. Voir J. M agne , Tradition apostolique sur les charismes et Diataxeis des saints apôtres. Identification des documents et Analyse du rituel des ordinations, Paris, 1975 ; J. M agne , « En finir avec la “Tradition” d’Hippolyte », Bulletin de littérature ecclésiastique 89 (1988), p. 5-22 ; P.F. Bradshaw, « Redating the Apostolic Tradition: Some Preliminary Steps », dans J.F. Baldovin – N. M itchell (ed.), Rule of Prayer, Rule of Faith. Essays in Honor of Aidan Kavanagh, OSB, Collegeville (Minnesota), 1996, p. 3-17 ; C. M arkschies , « Wer schrieb die sogenannte “Traditio Apostolica”? Neue Beobachtungen und Hypothesen zu einer kaum lösbaren Frage aus der altkirchlichen Literaturgeschichte », dans W. K inzig – C. M arkschies – M. Vinzent (ed.), Tauffragen und Bekenntnis. Studien zur sogenannten “Traditio apostolica”, zu den “Interrogationes de fide” und zum “Römischen Glaubensbekenntnis”, Berlin –New York, 1999, p. 1-74 ; C. M arkschies , « Neue Forschungen zur sogenannten “Traditio apostolica” », dans R.F. Taft – G. Winkler (ed.), Acts of the International Congress Comparative Liturgy Fifty Years After Anton Baumstark (1872-1948). Rome, 25-29 September 1998, Rome, 2001, p. 583-598 ; M. M etzger , « Nouvelles perspectives pour la prétendue Tradition apostolique », Ecclesia Orans 5 (1988), p. 241-259; M. M etzger , « Enquête autour de la prétendue “Tradition apostolique” », Ecclesia Orans 9 (1992), p. 7-36.
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comme le qualifie Metzger 86, est plutôt « une compilation anonyme contenant des éléments d’âge différent », dont certains du IVe siècle avancé, comme le montre un récent commentaire 87. On ne peut donc invoquer cet écrit en faveur d’une sacerdotalisation hâtive (et romaine) des fonctions épiscopale ou presbytérale 88. Pour ce qui est du titre de l’œuvre, il s’agit fort probablement non pas de celui de Tradition apostolique (Ἀποστολικὴ παράδοσις), mais de celui que donnent un florilège analysé par Marcel Richard et l’Épitomé du livre VIII des Constitutions apostoliques : Αἱ διατάξεις τῶν ἀγίων ἀποστόλων, « Les dispositions (ou : ordonnances) des saints apôtres » 89. Revenons aux Constitutions apostoliques. Deux sections nous intéresseront particulièrement, les livres II (« Évêques, presbytres, diacres ») et VIII (« Les charismes, les ordinations et les canons ecclésiastiques »), spécialement les paragraphes 3-46. Ces deux livres témoignent éloquemment d’une conception sacerdotalisante aboutie des ministères chrétiens 90. Les 86. M. M etzger , « Nouvelles perspectives pour la prétendue Tradition apostolique », Ecclesia Orans 5 (1988), p. 244 ; M. M etzger , « Enquête autour de la prétendue “Tradition apostolique” », Ecclesia Orans 9 (1992), p. 22. 87. P.F. Bradshaw – M.E. Johnson – L.E. Philipps , The Apostolic Tradition. A Commentary, Minneapolis, 2002. Paul Bradshaw, The Search for the Origins of Christian Worship. Sources and Methods for the Study of Early Liturgy, Oxford – New York, 2002, p. 83, résume ainsi la perspective adoptée par luimême et ses collaborateurs dans cet ouvrage : « We judge it to be an aggregation of material from different sources, quite probably arising from different geographical regions and almost certainly from different historical periods, from perhaps as early as the middle of the second century to as late as the middle of the fourth, since none of the textual witnesses to it can be dated with any certainty before the last quarter of that century. We therefore think that it is most improbable that it represents the actual practice of any single Christian community, and that it is best understood by attempting to discern the various individual elements and layers of which it is made up. Moreover, the composite character which the document displays extends also the individual ritual units within the text, such as ordination, baptism, and even the Eucharist itself, which appear to be artificial literary creations, made up of elements drawn from different local traditions rather than comprising a single authentic rite that was ever celebrated in that particular form anywhere in the world ». 88. Voir à ce sujet R. M essner , « Die priesterliche Dimension des Bischofsamtes nach dem Zeugnis der liturgischen Tradition », dans S. H ell – A. Vonach (ed.), Priestertum und Priesteramt. Historische Entwicklungen und gesellschaftlichsoziale Implikationen, Vienne – Berlin, 2012, p. 240-257. 89. M. R ichard, « Quelques nouveaux fragments des Pères anténicéens et nicéens », Symbolae Osloenses 38 (1963), p. 76-83, 79, et, pour l’Épitomé, F.X. Funk , Didascalia et Constitutiones apostolorum. II, Paderborn, 1905, p. 77 ; voir J. M agne , Tradition apostolique sur les charismes et Diataxeis des saints apôtres. Identification des documents et Analyse du rituel des ordinations, Paris, 1975, p. 74-86. 90. Analyse des passages pertinents dans M. M etzger , Les Constitutions apostoliques. II. III-VI, Paris,, 1986, p. 40-66.
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listes des degrés de la hiérarchie que l’on trouve dans les Constitutions 91 montrent que le compilateur connaît la triade évêque – presbytre – diacre, qu’il place en tête, ainsi en II, 26, 2-4. Le même passage établit une nette équivalence, dans une perspective cultuelle, entre les degrés du clergé et ceux de l’ordre lévitique : « Les sacrifices de jadis (αἱ τότε θυσίαι) […], ce sont à présent les oblations (προσφοραὶ) que les saints évêques (ἐπισκόπων) offrent au Seigneur Dieu, par Jésus-Christ, qui est mort pour eux. Car ce sont eux vos grands prêtres (ἀρχιερεῖς); vos prêtres (ἱερεῖς), ce sont les presbytres (πρεσβύτεροι), et vos lévites (λευῖται), ce sont à présent les diacres, ce sont vos lecteurs, chantres et portiers, ce sont vos diaconesses, vos veuves, vos vierges et vos orphelins. Mais le plus élevé parmi eux tous, c’est le grand prêtre (ὁ ἀρχιερεύς), l’évêque » 92 . Quant au terme ἱερεύς, attesté à de nombreuses reprises 93, il désigne tantôt les seuls évêques, tantôt les seuls presbytres, tantôt les évêques et les presbytres 94 . Pour ce qui est du terme ἀρχιερεύς, dont on relève onze attestations où il équivaut à ἐπίσκοπος 95, il va de soi qu’il est réservé à l’évêque, comme dans le passage cité ci-dessus ainsi que dans le suivant : « Quant au pasteur qui est bon, que le laïc le respecte, l’aime, le craigne en tant que père, seigneur, chef, grand prêtre de Dieu (ὡς ἀρχιερέα Θεοῦ), maître de foi » (II, 20, 1) 96. Il y a là une différenciation voulue, dont le compilateur s’explique par ailleurs : « S’il n’y avait ni législation, ni distinction des ordres (τάξεων διαφορά), il aurait suffi de grouper le tout sous une seule dénomination; mais instruits par le Seigneur de la hiérarchie des fonctions (ἀκολουθίαν πραγμάτων), nous avons attribué aux évêques (ἐπισκόποις) celle de la grande prêtrise (τῆς ἀρχιερωσύνης), aux presbytres (πρεσβυτέροις) celle du sacerdoce (ἱερωσύνης) et aux diacres, le service (διακονίας) des deux fonctions précédentes, pour que le culte (θρησκείας) soit célébré correctement » (VIII, 46, 10) 97. Avec les Constitutions apostoliques, on observe donc une généralisation du recours au vocabulaire sacerdotal et lévitique vétérotestamentaire pour qualifier les degrés supérieurs de la hiérarchie ecclésiale. Mais là comme ailleurs, ce phénomène est largement commandé par la fonction cultuelle 91. Pour les références, voir M. M etzger , Les Constitutions apostoliques. II. IIIVI, Paris, 1986, p. 44. 92. Éd. et trad. (légèrement modifiée) M. M etzger , Les Constitutions apostoliques. II. III-VI, Paris, 1986, p. 236-239. 93. Voir l’index vocabulorum de F.X. Funk , Didascalia et Constitutiones apostolorum. I, Paderborn, 190, p. 668b. 94. Occurrences données et classées dans M. M etzger , Les Constitutions apostoliques. II. III-VI, Paris,, 1986, p. 45. 95. D’après F.X. Funk , Didascalia et Constitutiones apostolorum. I, Paderborn, 1905, p. 649a. 96. Éd. et trad. (légèrement modifiée) M. M etzger , Les Constitutions apostoliques. I. I-II, Paris, 1985, p. 196-197. 97. Éd. et trad. (légèrement modifiée), M. M etzger , Les Constitutions apostoliques. III. VII-VIII, Paris, 1987, p. 268-271.
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des ministres et elle vaut à titre analogique comme le montre le passage de II, 20, 1 cité précédemment (ὡς ἀρχιερέα Θεοῦ). Pour conclure Si on en discerne nettement les prodromes dès la fin du Ier siècle 98, la sacerdotalisation des ministères – ou peut-être devrions-nous parler plus spécifiquement de sacerdotalisation du vocabulaire des ministères – est un phénomène qui ne se manifeste clairement qu’à partir du IIIe siècle, comme le montrent les témoignages de Tertullien, de Cyprien et d’Origène, et qui ira s’accentuant par la suite 99. Dans la mise en branle de ce processus, plusieurs facteurs ont sans doute joué; il faut donc, sous peine de succomber au « péché capital » qu’est le monisme explicatif 100, résister à la tentation de vouloir mettre le doigt sur celui qui aurait été décisif. Outre la perspective cultuelle qu’adopte Paul lorsqu’il parle, dans la lettre aux Romains (15, 16), de son activité d’évangélisateur comme d’« un service sacerdotal qui a pour but l’offrande sainte et spirituelle de ceux auxquels il est envoyé » 101, il faut invoquer la valeur exemplaire que conservait l’appareil sacerdotal juif pour les premiers chrétiens et qui perdurera bien au-delà de la destruction du Temple. À cela s’ajoute l’importance, dont il est toutefois difficile de mesurer la portée effective, que prendra le thème de la grande prêtrise de Jésus dont témoigne la lettre aux Hébreux, ainsi que le fait que le repas eucharistique sera vite compris comme étant la θυσία καθαρά annoncée par Malachie (1, 11) 102 . Mais cette appropriation du vocabulaire sacerdotal juif demeura, pourrait-on dire, davantage typologique ou fonctionnelle que substan98. Comme l’écrit John Baldovin, « Hippolytus of Rome and the Apostolic Tradition: Recent Research and Commentary », Theological Studies 64 (2003), p. 537, « such language, it is true, is not used of Christian ministers in the New Testament, but it does hover in the background waiting to be applied to the ordained not long after ». 99. John Baldovin, « Hippolytus of Rome and the Apostolic Tradition: Recent Research and Commentary », Theological Studies 64 (2003), p. 537 :« […] the midthird century when sacerdotal language has been adopted for ordained ministers ». 100. Voir P. Favre , Compte rendu de R.-G. Schwartzenberg, L’État spectacle. Essai sur et contre le star système en politique, Paris, 1977, dans Revue française de sociologie 19 (1978), p. 624, qui utilise cette expression pour désigner une grave faute méthodologique en science politique, mais elle s’applique tout aussi bien à l’histoire des origines chrétiennes. 101. B. Sesboüé , « Interrogations actuelles. C. Ministère et sacerdoce », dans J. Delorme (ed.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament. Dossier exégétique et réflexion théologique, Paris, 1974, p. 476. 102. Voir A. De H alleux, « Ministère et sacerdoce », Revue théologique de Louvain 18 (1987), p. 306 ; J. de Watteville , Le Sacrifice dans les textes eucharistiques des premiers siècles, Neuchâtel, 1961, ainsi que M. H asitschka, « Bedeutung des Priestertums im Neuen Testament und Entwicklung des Priesteramtes in der frühen Kirche », dans S. H ell – A. Vonach (ed.), Priestertum und Priesteramt.
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tielle 103. Une telle appropriation relève en effet davantage d’une métaphorisation 104 que d’une adoption pure et simple des catégories sacerdotales. Ce processus doit, à notre avis, être replacé dans un contexte plus large, que d’aucuns ont appelé « Templisierung » 105 ou « Israelitisierung » 106. Mais, pour métaphorique qu’elle ait été au départ, la sacerdotalisation des fonctions pastorales chrétiennes se réifiera et exercera, dans l’Église latine ‒ y compris au concile Vatican II et après 107 ‒ et dans les Églises épiscopaliennes non romaines, une influence durable sur la théologie, la spiritualité et les rituels d’ordination. Historische Entwicklungen und gesellschaftlich-soziale Implikationen, Vienne – Berlin, 2012, p. 9-26. 103. Voir V. Gäckle , Allgemeines Priestertum. Zur Metaphorisierung des Priestertitels im Frühjudentum und Neuen Testament, Tübingen, 2014, p. 596 : « In der nachapostolischen Zeit entwikelte sich im Kontrast zum relationsontologischen Verständnis des Priesterbegriffs sowohl in Ex 19,6 als auch in 1Petr 2,5.9 und Apk 1,6; 5,10; 20,6 eine funktionale Interpretation ». 104. Sur le concept de métaphorisation, voir V. Gäckle , Allgemeines Priestertum. Zur Metaphorisierung des Priestertitels im Frühjudentum und Neuen Testament, Tübingen, 2014, p. 9-17. Même s’il n’entre pas dans la période que nous considérons, nous pouvons citer, comme témoignage éloquent d’un interprétation symbolique ou métaphorique de la fonction liturgique de l’évêque, ce qu’écrit Théodore de Mopsueste vers la fin du IVe siècle : « Et puisque Notre-Seigneur le Christ s’est offert lui-même pour nous en sacrifice, et ainsi devint effectivement pour nous un grand-prêtre, c’est une image de ce pontife-là qu’il nous faut penser que représente celui-ci, et qui maintenant est proche de cet autel. Ce n’est pas son propre sacrifice qu’il offre là, où ce n’est pas lui non plus qui est véritablement le grand-prêtre; mais c’est comme en une sorte d’image qu’il accomplit la liturgie de ce sacrifice ineffable, ‒ (image) au moyen de laquelle c’est une représentation de ces ineffables réalités célestes que, comme en des phantasmes, il esquisse pour toi, ‒ et (une représentation) des puissances intelligibles et sans corps. » Homélies catéchétiques 15, 21, éd. et trad. R. Tonneau – R. Devreesse , Les Homélies catéchétiques de Théodore de Mopsueste. Reproduction phototypique du ms. Mingana syr. 561 (Selly Oak Colleges Library, Birmingham), Cité du Vatican, 1949, p. 496-497. 105. Voir D. Stökl Ben Ezra, « Templisierung: Die Rückkehr des Tempels in die jüdische und christliche Liturgie der Spätantike », dans J. Scheid (ed.), Rites et croyances dans les religions du monde romain, Vandœuvres – Genève, 2007, p. 231278, spéc. 266-273; d’après l’auteur (p. 233, n. 4), le terme « Templisierung » serait emprunté à S. Fine , This Holy Place. On the Sanctity of the Synagogue during the Greco-Roman Period, Notre Dame (Indiana), 1997. 106. Ainsi V. Gäckle , Allgemeines Priestertum. Zur Metaphorisierung des Priestertitels im Frühjudentum und Neuen Testament, Tübingen, 2014, p. 596-604. 107. Même si on observe une « désacerdotalisation » progressive du langage dans les intitulés des différents « schémas » qui ont abouti au décret sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum ordinis de Vatican II (7 décembre 1965) : « De clericis » (mars 1963), « De sacerdotibus » (novembre 1963), « De vita et ministerio sacerdotali » (octobre 1964), « De ministerio et vita presbyterorum » (novembre 1964, avril et octobre 1965) ; voir G. Routhier , « L’écho de l’enseignement de Vatican II sur le presbytérat dans la situation actuelle », Revue théologique de Louvain 41 (2010), p. 91.
SACERDOCE ET LITURGIE DANS LES L IVRES DE I ÉOU (MS BRUCE 96) Eric Crégheur Université Laval, Québec
Abstract Neglected by scholarship for more than a century, the “two Books of Jeû” of the Bruce codex (MS Bruce 96) are nonetheless famous for their description of complex ritual practices. To explain the images and symbols of these practices, scholars have, until now, only made parallels to the magical rituals of the Greek papyri. After a brief presentation of the treatise at the heart of this study and a description of the rituals it contains, we will attempt to determine the existence of links between the procedures for the exercise of priesthood in Judaism and the rituals described in the Books of Jeû. Following the inauguration ritual of Levi in the Testaments of the Twelve Patriarchs, we will see how most of the elements of this ritual, like the anointing, the washing with pure water, the consumption of bread and wine, the linen garments, the olive branch, the crowning and the incense – practices that have almost all a counterpart in the exercise of Jewish worship –, are also part, in some form or another, of the initiation rituals of the Books of Jeû. Résumé Négligés depuis plus d’un siècle par la recherche, les « deux Livres de Iéou » du codex Bruce (MS Bruce 96) s’illustrent pourtant par leur description de pratiques rituelles fort complexes. Pour expliquer les images et les symboles de ces pratiques, la recherche s’est jusqu’ à maintenant exclusivement contentée de renvoyer aux rituels magiques des papyri grecs. Or, après une brève présentation du traité à l ’étude et une description des rituels qu’on y trouve, nous tenterons de déterminer l ’existence de liens entre les modalités de l ’exercice du sacerdoce dans le judaïsme et les rituels décrits dans les Livres de Iéou. En suivant le rituel d’investiture de Lévi dans les Testaments des douze Patriarches, nous verrons comment la plupart des éléments de cette investiture, comme l ’onction d’huile, le lavement à l ’eau pure, la consommation de pain et de vin, le vêtement de lin, le rameau d’olivier, le couronnement et l ’encens – pratiques qui ont presque toutes leurs pendants dans l ’exercice du culte juif –, font également partie, sous une forme ou une autre, des rituels initiatiques des Livres de Iéou.
La thématique de ce colloque, la question de la « sacerdotalisation » dans le judaïsme chrétien, le judaïsme synagogal et le judaïsme rabbinique, La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 271-293. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115534 ©
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nous fournit l’occasion de revenir sur un texte trop souvent négligé par la recherche moderne sur le christianisme ancien en général, et la littérature gnostique en particulier, à savoir les « deux Livres de Iéou » du codex Bruce. Avec la Pistis Sophia du codex Askew et le traité anonyme qui les accompagne dans le codex Bruce, les Livres de Iéou font partie des traités gnostiques coptes parvenus en Europe au dix-huitième siècle. Figurant parmi les premiers, et les plus importants, témoins directs du gnosticisme, ces textes ont initialement suscité l’intérêt des chercheurs, qui leur ont consacré un certain nombre d’études à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle. Puis, en 1945, une découverte majeure allait radicalement renouveler la recherche sur le « gnosticisme ». Près de la ville moderne de Nag Hammadi, en Haute-Égypte, furent retrouvés fortuitement treize codices de papyrus renfermant quarante-six écrits distincts, la plupart gnostiques 1. Si la communauté scientifique a assisté à un développement considérable des études gnostiques depuis cette découverte, celle-ci eut cependant pour effet de reléguer dans l’ombre, encore jusqu’aujourd’hui, les textes gnostiques coptes connus depuis la fin du dix-huitième siècle. A priori, on peut se demander comment le phénomène de la « sacerdotalisation » peut trouver écho dans un texte chrétien gnostique relativement tardif comme les Livres de Iéou 2 . Or, il se trouve que les Livres de Iéou renferment la description de nombreuses pratiques rituelles complexes. Ces pratiques, qui ont été très peu considérées par la recherche, seront à la base de notre étude des pratiques liturgiques des Livres de Iéou et de leurs liens avec des éléments caractéristiques du sacerdoce juif. Après une brève présentation des Livres de Iéou, nous nous pencherons en détail sur la sacramentaire du traité et la description des rituels qu’on y trouve, en vue de déterminer l’existence de liens entre les modalités de l’exercice du sacerdoce dans le judaïsme et les rituels décrits dans les Livres de Iéou. 1. Présentation des Livres de Iéou Le texte sur lequel porte cette étude est connu comme les « deux Livres de Iéou ». Il s’agit d’un traité chrétien gnostique incomplet conservé en copte dans un manuscrit de papyrus aujourd’hui à la Bibliothèque bodléienne d’Oxford (MS Bruce 96). Les Livres de Iéou mettent en scène un dialogue postrésurrectionnel entre Jésus et ses disciples, au cours duquel 1. Sur cette découverte, voir J.M. Robinson, « The Discovery of the Nag Hammadi Codices », Journal of Coptic Studies 11, (2009), p. 1-21. 2. Nous avons en effet daté la version copte préservée dans le codex Bruce entre le milieu du quatrième et le début du cinquième siècle de notre ère; voir E. Crégheur, Édition critique, traduction et introduction des « deux Livres de Iéou » (MS Bruce 96), avec des notes philologiques et textuelles, Ph.D., Sciences des religions, Université Laval, 2013, p. 161.
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Jésus révèle la configuration des sphères célestes et donne les moyens nécessaires pour que les âmes puissent traverser ces mondes. Une fois qu’elles ont traversé tous les lieux et surmonté toutes les embûches dressées par les puissances hostiles qui les habitent, les âmes parviennent au lieu supérieur où elles peuvent rendre gloire au Dieu inaccessible. Ces révélations de Jésus sont accompagnées par plusieurs diagrammes et figures, qui illustrent les mondes célestes et les sceaux dont les âmes doivent se marquer pour les franchir. Comme nous l’avons déjà brièvement mentionné, nous datons la version copte du texte entre le milieu du quatrième et le milieu du cinquième siècle 3. Pour ce qui est de la date de composition originale en grec, au plus tôt pourrait-on la placer dans la seconde moitié du troisième siècle 4 . 1.1. Les problèmes du texte et notre projet doctoral Acquis au dix-huitième siècle par l’explorateur et géographe écossais James Bruce 5, les Livres de Iéou sont une des plus anciennes sources directes du gnosticisme connues des chercheurs. Paradoxalement, ils figurent encore aujourd’hui parmi les textes les plus méconnus de la littérature gnostique et c’est en partie la raison pour laquelle nous leur avons consacré notre thèse de doctorat 6. Les problèmes entourant l’étude de ce texte étaient alors nombreux. La dernière édition critique du texte copte des Livres de Iéou remontait à 1892 7; la première et dernière traduction française datait de 1891 et avait été produite à partir d’un texte copte déficient 8; enfin, les Livres de Iéou n’avait jamais fait l’objet d’une étude littéraire, philologique et historique détaillée, une grave lacune qu’il fallait pallier à la suite des 3. Voir E. Crégheur , Édition critique, traduction et introduction des « deux Livres de Iéou » (MS Bruce 96), avec des notes philologiques et textuelles, Ph.D., Sciences des religions, Université Laval, 2013, p. 161. 4. Cette datation nous a été suggérée par ce qui nous est apparu comme le caractère relativement tardif de la pensée gnostique exprimée par le texte, voir E. Crégheur , Édition critique, traduction et introduction des « deux Livres de Iéou » (MS Bruce 96), avec des notes philologiques et textuelles, Ph.D., Sciences des religions, Université Laval, 2013, p. 169-170. 5. Pour plus de détails sur la première histoire du codex, voir E. Crégheur , « Pour une nouvelle histoire de la découverte et de l’état primitif du codex Bruce (1769-1794) », Journal of Coptic Studies 16 (2014), p. 47-68. 6. E. Crégheur , Édition critique, traduction et introduction des « deux Livres de Iéou » (MS Bruce 96), avec des notes philologiques et textuelles, Ph.D., Sciences des religions, Université Laval, 2013, bientôt publiée comme trente-huitième volume de la série « Textes » de la collection « Bibliothèque copte de Nag Hammadi » (Presses de l’Université Laval – Édition Peeters). 7. C. Schmidt, Gnostische Schriften in koptischer Sprache aus dem Codex Brucianus, Leipzig, 1892. 8. É. A mélineau, « Notice sur le papyrus gnostique Bruce », Notice et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale 29,1 (1891), p. 65-305.
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quelque soixante années d’études consacrées aux textes gnostiques coptes de Nag Hammadi. Face à ces problèmes, notre projet s’était fixé plusieurs objectifs. Nous avons d’abord réalisé une nouvelle édition critique du texte copte des « deux Livres de Iéou », fondée sur le manuscrit original et sur une copie du manuscrit réalisée en 1776 par le chercheur Charles Godfrey Woide, le premier scientifique à avoir eu accès au codex Bruce. Nous avons accompagné cette nouvelle édition critique du texte copte d’une traduction française et de notes philologiques et textuelles. Notre édition critique et notre traduction des Livres de Iéou sont précédées d’une introduction, qui avait comme objectif de décrire en détail et d’analyser toutes, ou presque, les facettes du texte : tant externes, le manuscrit qu’internes, le texte et son contenu. 1.1.1. Le manuscrit Dans le chapitre consacré au manuscrit, nous nous sommes principalement penché sur l’organisation du traité. Voici comment se présentent les Livres de Iéou depuis l’intervention de Carl Schmidt, le dernier éditeur du traité en 1892, et le grand réorganisateur du manuscrit. Comme les pages du manuscrit ne sont pas numérotées 9, Schmidt a, très justement, identifié dans ce qui reste du texte six unités distinctes, qui sont séparées les unes des autres par un nombre indéterminé de pages aujourd’hui disparues. Il considère que cinq de ces six unités appartiennent à un seul et même traité, auquel il donne le titre de « Livres de Iéou » 10 et qu’il ordonne les unes par rapport aux autres non pas selon des critères matériels, mais en fonction de leur contenu. Au fil de notre fréquentation du texte, cet ordonnancement a cependant fini par nous apparaître comme arbitraire et problématique : comment, en effet, être sûr d’un tel arrangement lorsque le texte est incomplet? Même s’il repose sur l’analyse du contenu, un tel ordonnancement ne finit-il pas par être forcément subjectif? Fort heureusement, la progression de nos connaissances en codicologie et en papyrologie permet aujourd’hui de reconstruire matériellement un manuscrit ancien et d’en ordonner les unités selon leur place originale. En soumettant les six unités identifiées par Carl Schmidt en 1892 à une analyse codicologique et papyrologique, nous avons isolé, dans ce que Schmidt appelait les « Livres de Iéou », trois traités distincts, provenant fort probablement d’au moins trois manuscrits eux aussi différents. On trouve d’abord le plus important traité conservé, que nous avons renommé 9. À une exception près : un folio porte la trace d’un ⲅ sur le recto et d’un ⲇ sur le verso. 10. Ce titre ne se trouve en effet nulle part dans le traité lui-même. Carl Schmidt a cru reconnaître dans notre traité les « deux Livres de Iéou » ou « Livres de Iéou » mentionnés par la Pistis Sophia (chapitre 99 et 134 [ter]).
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selon le titre d’une de ses parties : les Livres du grand discours mystérique. Il s’agit pour l’essentiel des Livres de Iéou de Schmidt, amputés de leur introduction et réordonnés. Pour des raisons codicologiques sur lesquelles nous ne nous étendrons pas, ce qu’on considérait comme l’introduction des Livres de Iéou ne peut appartenir au dernier traité intitulé par nous Livres du grand discours mystérique. C’est pourquoi nous en avons fait l’introduction d’un tout autre texte, provenant probablement d’un tout autre manuscrit. Nous l’avons renommé du titre qui figure dans son prologue, à savoir le Livre des connaissances du Dieu invisible. Tout comme Schmidt, nous considérons que le fragment de deux pages placé traditionnellement à la fin des Livres de Iéou provient lui aussi d’un autre traité et même d’un autre manuscrit. Nous avons cependant inversé le recto et le verso de Schmidt et, ce faisant, nous considérons qu’il est possible, en supposant qu’une ou deux lignes manquent aujourd’hui au bas de ces pages, que ce fragment est issu d’un texte suivi et qu’il provienne d’un unique traité. Nous nous référons maintenant à ces deux pages comme « Fragment d’un traité sur le passage de l’âme » 11. 1.1.2. Le contenu Concentrons-nous maintenant sur le contenu du traité, que nous continuerons à désigner comme les Livres de Iéou pour des raisons pratiques. Comme nous l’avons déjà mentionné, les Livres de Iéou sont un dialogue de révélation de type gnostique entre Jésus et ses disciples. Ce dialogue est certainement « révélatoire », dans la mesure où Jésus y livre un enseignement caché sur la nature des sphères célestes et sur leurs habitants, qui ne doit pas être divulgué à tous (B17 [55],3–B18 [56],11). Les connaissances contenues dans cet enseignement sont d’autant plus importantes qu’elles permettent à l’âme de remonter les sphères célestes jusqu’à la plus haute, où elle peut rendre gloire au Dieu inaccessible. L’analyse et la description en profondeur du système, de la sotériologie et de la sacramentaire du traité n’est certainement pas une chose facile 12 . Il est en effet difficile de dégager des Livres de Iéou un système complet et cohérent : le fait que nous n’avons plus aujourd’hui que la moitié du traité y est certainement pour quelque chose. Il nous est cependant clairement apparu que l’essence de la révélation de Jésus dans les Livres de Iéou est didactique et sa portée sotériologique, c’est-à-dire qu’elle se préoccupe principalement du salut 11. Pour les détails de notre enquête papyrologique et codicologique, voir E. Crégheur , Édition critique, traduction et introduction des « deux Livres de Iéou » (MS Bruce 96), avec des notes philologiques et textuelles, Ph.D., Sciences des religions, Université Laval, 2013, p. 59-76. 12. Voir le chapitre de notre thèse consacré au contenu du traité dans E. Crégheur, Édition critique, traduction et introduction des « deux Livres de Iéou » (MS Bruce 96), avec des notes philologiques et textuelles, Ph.D., Sciences des religions, Université Laval, 2013, p. 97-158.
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de l’âme. On peut voir ce texte comme une sorte de guide pratique, qui fait l’inventaire de toutes les informations et pratiques rituelles nécessaires pour que l’âme puisse remonter vers l’être suprême du traité, à savoir le Dieu inaccessible. Pour l’auteur, l’âme qui quitte le corps est successivement confrontée à trois types de sphères, peuplées d’entités célestes qui chercheront à en empêcher la progression. Il y a d’abord les quatorze éons, habités par des archontes hostiles qui tentent de retenir l’âme. Une fois le quatorzième éon franchi, l’âme arrive au lieu des trois archontes, une sorte de lieu intermédiaire entre les éons, en bas, et les trésors, en haut. Après le lieu des trois archontes, presque au terme de son périple, l’âme atteint les soixante trésors, habités chacun par un Iéou. Une fois arrivée dans les trésors, l’âme semble rencontrer beaucoup moins d’hostilité que dans les lieux qui précèdent. Mais, même si on n’y fait aucune mention d’entités désirant saisir l’âme ou empêcher sa progression, celle-ci doit tout de même avoir en main les outils nécessaires à sa remontée. Au-dessus des trésors, dans le lieu le plus élevé de ces sphères, se trouve le trésor de la lumière. Une fois arrivée au trésor de la lumière, l’âme doit traverser une série de rangs, au terme desquels elle atteint le grand IÉOU, aussi appelé le dieu de la vérité, qui est le roi et le père du trésor de la lumière. Elle ne peut pas accéder directement au Dieu inaccessible, mais, du lieu le plus élevé, peut lui rendre gloire. Pour traverser chacune des sphères, l’âme doit connaître un sceau, c’est-à-dire une figure avec laquelle elle doit se marquer le front, doit tenir un chiffre dans ses mains et doit prononcer une formule de défense précise. Elle doit aussi avoir préalablement reçu des sacrements, décrits avec beaucoup de détails. Ce sont à ces rituels que nous nous intéresserons maintenant. 2. La sacramentaire du traité et la description des rituels Les Livres de Iéou développent une sacramentaire 13 assez précise. Comme nous venons de le préciser, la visée du traité est en soi sotériologique : Jésus livre à ses disciples, et indirectement aux lecteurs du texte, tout ce qui est nécessaire pour que leurs âmes puissent remonter jusqu’au Dieu inaccessible. Bien qu’elles ne puissent l’atteindre directement au terme de leur voyage céleste, elles peuvent en revanche lui rendre gloire du lieu le plus élevé de la topographie céleste du traité. Mais cette remontée, qui compte certaines étapes terrestres, n’est pas facile : après s’être sépa-
13. Pour les fins de cette étude, nous entendons « sacramentaire » dans un sens très large, à savoir « toute pratique rituelle qui entretient un rapport avec l’accès au salut ou sa manifestation. » Voir, J.‑M. Sevrin, Le dossier baptismal séthien. Études sur la sacramentaire gnostique, Québec, 1986, p. 2.
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rée du corps, l’âme 14 doit d’abord franchir les quatorze éons et le lieu des trois archontes, des sphères hostiles peuplées d’archontes qui tentent de la retenir, puis passer les soixante trésors, pour remonter jusqu’au premier. Traverser tous ces lieux ne se fait pas sans préparation ni initiation, et c’est ici qu’entre en jeu la sacramentaire du traité. La sacramentaire des Livres de Iéou a une double fonction. Dans un premier temps, certains rites sont préalables à la révélation de mystères qu’il est nécessaire de connaître avant l’ascension. Ces sacrements servent ainsi à initier le disciple, qui sera par la suite digne de se faire révéler les secrets nécessaires à sa remontée. Cette préparation terrestre, ce sont les sacrements que nous qualifions d’« initiatiques » 15. Dans un deuxième temps, d’autres sacrements sont requis pour l’ascension elle-même, c’est-àdire que les puissances célestes ne se retireront que si les disciples les ont préalablement reçus. Aux fins de notre enquête, nous ne nous intéresserons qu’aux premiers sacrements, à savoir les sacrements initiatiques préalables à la révélation de mystères. 2.1. Les sacrements initiatiques, préalables à la révélation de mystères Le parcours de l’initié des Livres de Iéou commence alors que son âme est toujours attachée à son corps physique. Avant de se faire dévoiler les mystères des douze éons divins et ceux du dieu invisible, les disciples doivent recevoir trois baptêmes, le mystère qui a pour but d’écarter d’eux la malice de l’archonte et le mystère de l’onction spirituelle. Incidemment, ce n’est qu’après avoir donné ces sacrements à ses disciples que Jésus leur révèle comment franchir les éons et le lieu des trois archontes. 2.1.1. Les trois baptêmes (B21 [59],26–B28 [66],30) Les premiers sacrements que le fidèle doit recevoir sont les trois baptêmes, de l’eau, du feu et de l’Esprit Saint 16. Les rituels entourant les trois baptêmes sont tous plus ou moins identiques les uns par rapport aux autres, à l’exception des espèces végétales et des formules employées. Reprenons tout de même en détail le déroulement de chacun de ceux-ci.
14. Il n’est pas clair, d’après ce qui reste du traité, si cette ascension pouvait être entreprise uniquement post-mortem, où s’il s’agissait d’une sorte de ravissement caractéristique des apocalypses. Dans leur état actuel, les Livres de Iéou ne disent rien non plus sur l’origine de l’âme ou sur sa nature. Nous sommes renseignés uniquement sur l’ascension de l’âme, l’itinéraire de son parcours mystique, et encore faut-il reconstituer le tout à partir d’éléments pris ici et là dans le texte. 15. Les rituels d’initiation qui figurent dans notre traité furent l’objet d’un mémoire de maîtrise réalisé à Bergen, en Norvège. M. Rognstad, Gnostiske initiasjonsritualer. En studie av initiasjonsritualene i 2. Jeubok i Codex Brucianus, Mémoire de maîtrise en religion comparative, Université de Bergen, 2006. 16. Il s’agit probablement d’une référence à Mt 3,11.
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2.1.1.1. Prolégomènes aux baptêmes (B21 [59],26–B22 [60],10) Préalablement aux baptêmes, Jésus invite ses disciples à venir auprès de lui. Il leur enjoint alors de se rendre en Galilée et d’y trouver « un [homme] ou une femme dans lesquels la plupart du mal est mort – que ce soit un homme qui n’a pas de relations sexuelles ou que ce soit une femme dont ont cessé les menstruations et qui n’a pas de relations sexuelles » (B21 [59],33–B22 [60],5) et de recevoir « deux vases de vin des mains de telles personnes » (B22 [60],5-6). Les disciples doivent alors les lui apporter, avec des sarments. 2.1.1.2. Le baptême de l’eau (B22 [60],10–B24 [62],12) Une fois les deux vases de vin et les sarments apportés, le rituel du baptême de l’eau se met en branle. Jésus fait d’abord monter une offrande, à la gauche et à la droite de laquelle il place les vases de vin. Il ajoute ensuite à l’offrande des baies de genièvre, avec du kasdalanthos (?) et du nard. Il fait se vêtir tous les disciples de vêtements de lin, place du muflier dans leurs bouches, en plus de placer dans leurs deux mains le chiffre des sept voyelles (9879) et l’héliotrope. Après avoir placé ses disciples devant l’offrande, alors qu’il se tient lui-même au-dessus d’elle, Jésus dresse un endroit d’un tissu de lin, y dépose une coupe de vin et des pains selon le nombre des disciples. Il dépose aussi des rameaux d’olivier sur l’endroit de l’offrande et couronne ses disciples avec ceux-ci. Jésus marque alors ses disciples d’un sceau et ces derniers se tournent vers les quatre coins du monde, les pieds collés les uns aux autres. Jésus dit une prière, dans laquelle il invoque son Père pour que viennent les quinze assistants – qui servent sous les ordres des sept vierges de la lumière qui elles-mêmes président au baptême de la vie –, pour qu’ils baptisent les disciples dans l’eau de la vie des sept vierges de la lumière, qu’ils pardonnent leurs péchés, qu’ils purifient leurs iniquités et qu’ils les comptent parmi le lot du royaume de la lumière. Si le Père l’a entendu, Jésus demande que se produise un signe, que vienne Zorokothora et qu’il apporte l’eau du baptême de la vie dans un des vases de vin. À ce moment, le signe dont Jésus avait parlé se produit et le vin qui était à la droite de l’offrande devient de l’eau. Puis les disciples viennent auprès de Jésus, qui les baptise, leur donne de l’offrande et les marque d’un sceau. Les disciples se réjouissent alors d’une très grande joie 17. 17. On trouve dans la Pistis Sophia un rituel très semblable au baptême de l’eau des Livres de Iéou, appelé « le baptême de la première offrande » (ⲡⲃⲁⲡⲧⲓⲥⲙⲁ ⲛ ̄ⲧϣⲟⲣ̄ⲡ ⲙ ̄ ⲡⲣⲟⲥⲫⲟⲣⲁ), dont voici le déroulement. Jésus demande à ses disciples du feu et des sarments pour une offrande. Il place deux vases de vin, à la gauche et l’autre à la droite de l’offrande. Il place ensuite une coupe d’eau devant le vase de droite et une coupe de vin devant le vase de gauche. Puis, au milieu des coupes, il dépose des pains selon le nombre des disciples et place une nouvelle coupe d’eau
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2.1.1.3. Le baptême du feu (B24 [62],12–B27 [65],4) Après le baptême de l’eau, Jésus invite les disciples à lui apporter des sarments pour recevoir le baptême du feu. Jésus offre alors de l’encens et dépose des baies de genièvre, de la myrrhe, de l’encens, de la gomme de lentisque, du nard, du kasdalanthos (?), de la térébinthe et de l’huile parfumée de myrrhe à l’offrande. À nouveau, il dresse pour l’offrande un endroit d’un tissu de lin et y dépose une coupe de vin et des pains selon le nombre des disciples. Il fait ensuite se vêtir tous ses disciples de vêtements de lin, les couronnes de verveine sacrée, place du muflier dans leurs bouches, place le chiffre des sept voyelles (9879) et de l’immortelle d’Orient dans leurs deux mains, et place de la renouée sous leurs pieds. Il les place devant l’encens qu’il avait offert et il leur fait se coller les pieds les uns aux autres. Jésus vient ensuite derrière l’encens et marque les disciples d’un sceau. Jésus se tourne vers les quatre coins du monde avec ses disciples et prononce une prière dans laquelle il demande à son Père que ses disciples soient dignes de recevoir le baptême de feu, qu’on leur remette leurs péchés, qu’ils soient purifiés de leurs iniquités, ceux qu’ils ont commis consciemment et inconsciemment, de même que ceux qu’ils ont commis depuis leur enfance jusqu’aujourd’hui 18. Il demande à son Père que vienne Zorokothora Melchisédech et qu’il apporte l’eau du baptême de feu de la vierge de la lumière, la juge, afin qu’elle baptise ses disciples du baptême de feu. Si le Père a pardonné les péchés des disciples, s’il a effacé leurs iniquités et a fait qu’ils soient comptés dans le royaume de la lumière, Jésus demande un signe dans le feu des encens parfumés. C’est à ce moment que se produit dans le feu le signe dont Jésus avait parlé. Et Jésus baptise ses disciples, leur donne de l’offrande et il les marque sur leur front du sceau de la vierge de la lumière. Alors les disciples se réjouissent. 2.1.1.4. Le baptême de l’Esprit Saint (B27 [65],5–B28 [66],30) Après le baptême de l’eau et du feu, Jésus invite ses disciples à recevoir le baptême de l’Esprit Saint. Il offre de l’encens et dépose sur l’offrande derrière les pains. Alors qu’il se tient devant l’offrande et que ses disciples, vêtus de lin, avec le chiffre du Père du trésor de la lumière dans les mains, sont placés derrière lui, Jésus invoque son Père pour qu’il pardonne leurs péchés, purifie leurs iniquités et les compte parmi le royaume de la lumière. Jésus demande à son Père un signe dans l’offrande et le signe se produit. Les disciples se réjouissent alors d’une grande joie (chap. 142). Si, après ce mystère, les disciples de Jésus lui demandent de leur révéler le baptême de feu, le baptême de l’Esprit Saint de la lumière et l’onction spirituelle (chap. 143), Jésus n’en fait cependant aucune mention dans la suite du traité. 18. Le texte précise même : « Et leurs dénonciations, leurs malédictions, leurs faux serments, leurs vols, leurs mensonges, leurs calomnies de fausseté, leurs fornications, leurs adultères, leurs désirs, leurs cupidités et ces choses qu’ils ont commises depuis leur enfance jusqu’aujourd’hui, efface-les toutes et -les tous » (B25 [63],19-26).
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des sarments, des baies de genièvre, du kasdalanthos (?), du marc de safran, de la gomme du lentisque, de la cannelle, de la myrrhe, de la résine et du miel. Puis, il place deux vases de vin, un à la droite de l’encens qu’il avait offert, et l’autre à la gauche. Il dépose des pains selon le nombre des disciples et Jésus marque ensuite les disciples d’un sceau. Alors que Jésus se tient au-dessus de l’encens offert et que ses disciples se trouvent devant, vêtus de vêtements de lin, avec le chiffre des sept voyelles dans leurs deux mains (9879), Jésus invoque encore une fois son Père pour qu’il pardonne les péchés de ses disciples et efface leurs iniquités, ceux qu’ils ont commis consciemment et inconsciemment, depuis leur enfance jusqu’aujourd’hui, et qu’ils soient comptés dans le lot du royaume de la lumière. Si le Père a pardonné les péchés de ses disciples, a purifié leurs iniquités et a fait qu’ils soient comptés dans le lot du royaume de la lumière, Jésus demande une fois de plus un signe dans l’offrande. Le signe dont Jésus avait parlé se produit, puis il baptise tous ses disciples du baptême de l’Esprit Saint et il leur donne de l’offrande. Il marque leur front du sceau des sept vierges de la lumière et les disciples se réjouissent. Le texte précise à la toute fin que Jésus accomplit ce mystère alors que tous ses disciples étaient vêtus de vêtements de lin, qu’ils étaient couronnés de myrte, que du muflier était dans leurs bouches, qu’une branche d’armoise était dans leurs mains, que leurs pieds étaient collés les uns aux autres et qu’ils étaient tournés vers les quatre coins du monde. 2.1.1.5. Le rituel pour enlever des disciples la malice des archontes (B28 [66],30–B30 [68],6) Aux trois baptêmes succède le rituel qui a pour but d’extirper des disciples la malice des archontes. Ce sacrement se déroule grosso modo comme les baptêmes. Jésus offre d’abord de l’encens et fait construire par ses disciples « un autel sur le bord de la mer ». Il y dépose des sarments, des baies de genièvre, du malabathrum, du costus, de l’amiante, de l’agate et de l’encens. Jésus revêt encore une fois ses disciples de vêtements de lin, les couronne avec de l’armoise et place de l’encens dans leurs bouches. Il dépose le chiffre du premier amen dans leurs mains (530). Pieds joints et placés devant l’encens que Jésus a offert, les disciples sont marqués d’un sceau, puis Jésus prie son Père de contraindre Sabaōth, l’Adamas, et tous ses princes à venir et à emporter leur malice hors de ses disciples. Après avoir dit cette prière, alors que Jésus et ses disciples étaient tournés vers les quatre coins du monde, il les marque du sceau du second amen et les archontes emportent toute leur malice. Les disciples deviennent immortels et peuvent ainsi suivre Jésus. 2.1.1.6. L’onction spirituelle remplacée par la formule de défense (B30 [68],6–B39 [77],5) Dans ce qu’annonce Jésus à ses disciples à la page B18 (56) du manuscrit, le rituel de l’onction spirituelle est censé succéder à celui qui enlève
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des disciples la malice des archontes. Or, après avoir complété ce dernier, nous y trouvons plutôt Jésus proposant à ses disciples de leur donner la formule de défense – ⲁⲡⲟⲗⲟⲅⲓⲁ – pour tous les lieux dont il a révélé le mystère. La mention de l’onction spirituelle de la page B18 (56) est d’ailleurs la seule et unique de tout le traité, tel que nous l’avons conservé aujourd’hui 19. Ce à quoi Jésus fait référence avec ces « formules de défense » est particulièrement obscur. Tout de suite après avoir dit à ses disciples qu’il leur donnerait « la formule de défense », il enchaîne plutôt avec un discours sur la sortie de leur âme. Il insiste alors sur l’importance de recevoir « le mystère du pardon des péchés » et se lance dans une longue énumération des rangs du trésor de la lumière (B31 [69],27–B38 [76],9). Puis, après que ses disciples l’eurent prié de les initier au mystère du pardon des péchés, Jésus leur répond qui le leur donnera en temps opportun. Il leur révèlera d’abord le mystère des douze éons, c’est-à-dire toutes les informations requises pour que l’âme puisse traverser ces sphères lors de sa remontée. Les formules de défense dont Jésus parle à la page B30 (68) pourraient bien être ce rituel de la traversée des éons. 3. Le Testament de Lévi et la symbolique sacerdotale des rituels baptismaux des Livres de Iéou Quoi qu’il en soit de cette mystérieuse onction spirituelle, on ne peut reprocher à l’auteur du traité de lésiner sur les détails des rituels qu’il présente, que ce soit sur leur déroulement ou sur ce qui est requis pour les accomplir. Or, malgré cette manne d’information – rarement, en effet, sinon jamais, un rituel « gnostique » est-il décrit autant en profondeur –, les chercheurs qui se sont intéressés aux Livres de Iéou n’ont jamais vraiment traité de manière spécifique de ces rituels, dont l’importance est pourtant capitale pour le traité. Si les images qu’évoquent les rituels sont très riches et peuvent pointer dans plusieurs directions, la recherche s’est plutôt le plus souvent contentée de renvois aux rituels préservés dans les papyri magiques grecs. En effet, les chercheurs qui se sont intéressés aux Livres de Iéou ont rarement manqué l’occasion de souligner la parenté de celui-ci avec les textes magiques grecs de l’Égypte ancienne 20. Le déroulement des trois baptêmes et du mystère qui a pour but d’enlever des 19. L’onction spirituelle est aussi mentionnée, mais jamais décrite, dans la Pistis Sophia (au chapitre 143 : ⲧⲱϩ̄ⲥ ⲧⲓⲕⲟⲛ). 20. Pour les papyrus magiques grecs, voir K. P reisendanz – A. H enrichs , Papyri graecae magicae. Die griechischen Zauberpapyri. Zweite, verbesserte Auflage. I, Stuttgart, 1973, et H.D. Betz , The Greek Magical Papyri in Translation, Including the Demotic Spells, Chicago, 1985. Il existe aussi un recueil de textes magiques coptes; voir A.M. K ropp, Ausgewählte koptische Zaubertexte, Bruxelles, 1930-1931.
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disciples la malice des archontes, surtout en raison de l’emploi d’espèces végétales et d’invocations, est la source principale de ce rapprochement. Est-ce à dire que notre traité est un texte magique ou qu’il doit beaucoup à cette littérature? Ou bien certains éléments de ces rituels pourraient-ils aussi évoquer une symbolique et des images dont l’origine est à chercher ailleurs, notamment au sein des pratiques sacerdotales juives? C’est cette dernière hypothèse que nous entendons défendre avec notre enquête, une hypothèse qui est née d’une lecture du chapitre 8 du Testament de Lévi. En 8,2-10, où il est question de l’investiture de Lévi, on lit : Je (sc. Lévi) vis sept hommes en blanc qui me disaient : « Lève-toi et revêts la robe du sacerdoce, la couronne de justice, le pectoral d’intelligence, la tunique de la vérité, la plaque de la foi, le diadème du miracle et l’éphod de la prophétie. » Chacun de ces hommes me remit ce dont il était chargé, en ces mots : « Dorénavant, sois prêtre du Seigneur, toi et ta descendance, à jamais. » Le premier m’oignit d’une huile sainte et me donna le sceptre du jugement. Le deuxième me lava d’une eau pure, me nourrit de pain et de vin, aliments suprêmement saints, et me revêtit d’une robe sainte glorieuse. Le troisième me revêtit d’un vêtement de lin, semblable à un éphod. Le quatrième me passa une ceinture semblable à la pourpre. Le cinquième me donna un rameau d’olivier plein de sève. Le sixième me mit une couronne sur la tête. Le septième me mit le diadème du sacerdoce et remplit mes mains d’encens, pour que je puisse être prêtre du Seigneur Dieu 21.
Ce qui rend cette investiture intéressante pour nous, c’est que plusieurs des éléments du rituel d’intronisation de Lévi, à savoir l’onction d’huile, le lavement à l’eau, la consommation de pain et de vin, le vêtement de lin, la remise du rameau d’olivier, le couronnement et l’encens, se retrouvent aussi, sous une forme proche ou éloignée, dans les rituels baptismaux des Livres de Iéou. Pour notre enquête, nous reprendrons donc un à un les éléments communs au rituel d’investiture de Lévi et aux baptêmes des Livres de Iéou, pour en retracer la symbolique sacerdotale juive 22 . Pour chacun 21. La traduction est celle de M. Philonenko, « III. Testaments des douze Patriarches. Texte traduit, présenté et annoté par Mar Philonenko », dans A. Dupont-S ommer – M. P hilonenko (ed.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 843-844. Comme notre étude se situe chronologiquement aux troisième et quatrième siècles de notre ère, période où les Livres de Iéou furent vraisemblablement rédigés et copiés en grec, puis traduits et copiés en copte, nous ne tenons pas compte des problèmes engendrés par la découverte de fragments araméens du Testament de Lévi à Qumrân. Les fragments furent d’abord signalés par D. Barthélemy – J.T. M ilik , Discoveries in the Judaean Desert, 1. Qumran Cave I, Oxford, 1955, n° 21; et J.T. M ilik , « Le Testament de Lévi en araméen : Fragment de la grotte 4 de Qumrân (Pl. IV.) », Revue biblique 62 (1955), p. 398-406. 22. Pour une excellente analyse du Testament de Lévi, voir le chapitre qui lui est consacré dans H.W. Hollander – M. de Jonge , The Testaments of the Twelve Patriarchs. A Commentary, Leiden, 1985, p. 129-183.
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de ces éléments, nous contrôlerons également leur présence – de manière non exhaustive – dans les rituels décrits par les papyri magiques grecs, par souci de comparaison et pour nous aider dans notre conclusion. L’ordre de présentation des éléments est basé sur le rituel du baptême de l’eau des Livres de Iéou. 3.1. L’offrande initiale d’encens, auquel des épices et des aromates sont ajoutés Les quatre rituels des Livres de Iéou que nous avons décrits s’amorcent tous par une offrande sacrificielle (ⲑⲩⲥⲓⲁ). Pour le baptême de l’eau, cette offrande n’est pas spécifiée, mais pour le baptême du feu et de l’Esprit Saint, de même que pour le mystère qui enlève des disciples la malice des archontes, on mentionne de l’encens (ϣⲟⲩϩⲏⲛⲉ). Il ne s’agit donc pas d’un sacrifice sanglant, dont il ne sera d’ailleurs jamais question dans nos rituels. À cette offrande initiale d’encens, sont presque immédiatement ajoutés d’autres épices, aromates ou espèces végétales : des baies de genièvre, du kasdalanthos (?) et du nard pour le baptême de l’eau; des baies de genièvre, de la myrrhe, de l’encens, de la gomme de lentisque, du nard, du kasdalanthos (?), de la térébinthe et de l’huile parfumée de myrrhe pour le baptême de feu; des baies de genièvre, du kasdalanthos (?), du marc de safran, de la gomme du lentisque, de la cannelle, de la myrrhe, de la résine et du miel pour le baptême de l’Esprit Saint; et des sarments, des baies de genièvre, du malabathrum, du costus, de l’amiante, de l’agate et de l’encens pour le rituel pour enlever la malice des archontes hors des disciples. L’offrande d’encens jouait un rôle très important dans le rituel juif. Dans la législation sacrificielle du pentateuque, l’offrande d’encens est mentionnée à la fois comme concomitante à d’autres offrandes, telles que l’offrande végétale, qui devaient s’accompagner d’encens (voir Lev 2,1; 6,78), et comme offrande à part entière. L’encens était offert indépendamment deux fois par jour, le matin et le soir, sur un autel qui lui était propre, à savoir l’autel des parfums. En Exode 30, on lit : « Puis tu feras un autel où faire fumer le parfum (…). Tu le placeras devant le voile qui abrite l’arche de la charte – devant le propitiatoire qui est sur la charte – là où je te rencontrerai. Aaron y fera fumer le parfum à brûler; matin après matin, quand il arrangera les lampes, il le fera fumer; et quand Aaron allumera les lampes au crépuscule, il le fera fumer. C’est un parfum perpétuel devant le Seigneur d’âge en âge. Vous n’y offrirez pas de parfum profane ni d’holocauste ni d’offrande, vous n’y verserez pas de libation » 23 (Ex 30,1; 6-9). Une offrande d’encens était aussi prescrite pour le Jour du Grand Pardon. Le Grand Prêtre devait alors entrer dans le Saint des Saints avec un encen23. Toutes les traductions de la Bible que nous citons proviennent de la Traduction œcuménique de la Bible, 1979.
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soir et « recouvrir le propitiatoire qui est sur la charte » d’une nuée de parfum (Lev 16,12). Réservée aux prêtres, l’offrande d’encens avait un caractère sacré dont l’importance était manifeste dans les pratiques cultuelles 24 . Dans la Loi, offrir l’encens sacré pour d’autres fins que pour celles prescrites, ou même tenter de fabriquer de l’encens avec la recette réservée à l’encens sacré, était puni par l’exil ou la mort (Ex 30,34-38). Ce dont se composait l’encens consacré au Seigneur est trouvé en Exode 30,34-36 : « Le Seigneur dit à Moïse : “Procure-toi des essences parfumées : storax, ambre, galbanum parfumé, encens pur, en parties égales. Tu en feras un parfum mélangé – travail de parfumeur – salé, pur, sacré. Tu en réduiras un morceau en poudre pour en mettre un peu devant la charte dans la tente de la rencontre, là où je te rencontrerai. Pour vous, il sera très saint” ». Dans la tradition plus tardive, ces quatre ingrédients n’étant plus considérés comme suffisants, sept autres épices ou espèces végétales semblent avoir été autorisées : de la myrrhe, du cassia, de la fleur de nard, du safran, du costus, de la cannelle et de l’écorce de cannelle (Talmud de Babylone, Kodashim, Keritot 6,a-b). L’offrande d’encens, d’épices et d’aromates n’était pas, bien entendu, une pratique réservée au culte juif ou aux baptêmes des Livres de Iéou. La combustion d’encens, et le parfum qui s’en dégage, était en effet un élément important dans plusieurs cultes orientaux, particulièrement celui d’Égypte. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans les papyri magiques plusieurs références à l’offrande d’encens, d’épices et de plantes aromatiques identiques à celle des Livres de Iéou 25. Ce qu’on peut néanmoins maintenant contester, c’est le renvoi exclusif aux papyri magiques pour cette pratique. On peut en effet constater que, non seulement l’offrande d’encens joue un rôle important tant dans les rituels des Livres de Iéou et les pratiques magiques égyptiennes, que dans l’exercice du sacerdoce juif, mais aussi que plusieurs des mystérieuses plantes « magiques » que les Livres de Iéou ajoutent à l’offrande d’encens, comme la fleur de nard, le safran, le costus et la cannelle, se retrouvent aussi associées, quoique plus tardivement, à l’offrande d’encens du culte juif. 3.2. Le vêtement de lin Dans tous les rituels que nous avons décrits, Jésus fait revêtir ses disciples de vêtements de lin. Dans le culte juif, le lin était employé, de
24. Ne pas avoir offert l’encens selon les prescriptions requises a notamment entrainé la mort de deux des fils d’Aaron, Nadav et Avihou (Lev 10,1-2). Ils avaient en effet offert l’encens en l’allumant d’un feu profane, qui ne provenait pas de l’autel de l’holocauste. 25. Les références seraient trop nombreuses.
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manière générale, pour les vêtements des prêtres. En Exode 28,39-43, à propos des vêtements et des insignes des prêtres, on lit : Puis, tu broderas la tunique de lin, tu feras un turban de lin; et tu feras une ceinture – travail de brocheur. Pour les fils d’Aaron, tu feras des tuniques; tu leur feras des ceintures, et puis tu leur feras des tiares, en signe de gloire et de majesté. Tu en revêtiras ton frère Aaron et ses fils avec lui, tu les oindras, tu leur conféreras l’investiture, tu les consacreras et ils exerceront mon sacerdoce. Fais-leur des caleçons de lin pour couvrir leur nudité; ils iront des reins aux cuisses. Aaron et ses fils les prendront quand ils entreront dans la tente de la rencontre ou quand ils approcheront de l’autel pour officier dans le sanctuaire, afin de ne pas se charger d’une faute et mourir 26.
Le revêtement des vêtements de lin décrit ci-dessus faisait également partie du rituel de consécration des prêtres, tel que décrit en Exode 29,4-9 : Tu présenteras Aaron et ses fils à l’entrée de la tente de la rencontre et tu les laveras dans l’eau. Tu prendras les vêtements, tu revêtiras Aaron de la tunique, de la robe de l’éphod, de l’éphod et du pectoral, tu le draperas dans l’écharpe de l’éphod, tu poseras le turban sur sa tête, tu mettras l’insigne de consécration sur le turban; puis tu prendras l’huile d’onction, tu la lui verseras sur la tête et tu l’oindras. Ayant présenté ses fils, tu les ceindras d’une ceinture – Aaron et ses fils – tu les coifferas de tiares et le sacerdoce leur appartiendra en vertu d’une loi immuable. Tu conféreras l’investiture à Aaron et à ses fils.
Bien évidemment, il n’y avait pas que les prêtres du temple qui revêtaient le vêtement de lin. Dans un article paru en 1985 27, Michel Tardieu a souligné comment le lin caractérisait la tenue des magiciens d’Égypte, contribuant du même coup au rapprochement entre notre traité et les textes magiques de l’Égypte ancienne. Il faut cependant se garder de sauter trop rapidement aux conclusions sur cette question. Il est vrai que des pièces de tissu de lin étaient fréquemment employées dans les recettes qu’ont conservées les papyri magiques. Cependant, deux rituels seulement exigent du mystagogue qu’il soit revêtu de lin : PGM IV 3095-3096, où l’on enjoint le mystagogue de se vêtir de lin pur, dans le costume d’un prêtre d’Isis 28, et
26. Voir aussi Ex 39,27-29. La description des vêtements que portaient les prêtres et le grand-prêtre nous est en outre fournie par Flavius Josèphe dans les Antiquités juives 3,153. 27. Voir M. Tardieu, « Les vêtements de lin », Le temps de la réflexion 3 (1982), p. 47-58. 28. En grec : ἴσθι δὲ σινδόνα καθαρὰν περιβεβλημένος Ἰσιακῷ σχήματι (texte tiré de K. Preisendanz – A. H enrichs , Papyri graecae magicae. Die griechischen Zauberpapyri. Zweite, verbesserte Auflage. I, Stuttgart, 1973, p. 172).
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PGM XIII 96.650-651 29. Pour ce qui est des nombreuses autres références données dans l’article de Michel Tardieu, elles sont loin d’être toutes également pertinentes. Parmi les plus importantes figures un extrait de Lucien de Samosate qui, aux chapitres 11 à 13 de son Alexander sive pseudomentis, parle d’un certain Alexandre d’Abônoteichos, que Michel Tardieu identifie comme un magicien parce qu’il « prononçait des oracles et des incantations “en bredouillant des paroles indistinctes, comme s’il parlait hébreu ou phénicien” » 30. Michel Tardieu affirme que cet Alexandre avait comme traits « distinctifs la longue chevelure et le manteau de lin blanc » 31. Or on ne trouve, dans le texte grec, aucune référence explicite au lin 32 . Le chapitre 34 du Philopseudes sive incredulus de Lucien de Samosate, que cite encore Michel Tardieu, met en scène deux hommes discutant d’un certain « Pancratès », rasé et vêtu de lin, ayant passé 23 ans sous terre dans les sanctuaires où Isis lui enseigna à devenir magicien. Dans ce passage, on peut cependant argumenter que Pancratès porte le vêtement de lin non pas tant parce qu’il est magicien, mais bien parce qu’il est prêtre d’Isis. En PGM III 692, dans un passage lacuneux, on demande au mystagogue de se baigner et de se revêtir de vêtements purs, sans qu’il n’y soit question explicite de lin 33. Dans tous les autres passages cités par Michel Tardieu, PGM IV 80-81.1073-1074.3002-3003.2248, VII 338.541-542, XII 121134, XIII 313-314.1010-1011 et XXXVI 237, jamais n’y est-il question de vêtements de lin à proprement parler, mais plutôt de pièces de tissus de lin. Dans la tradition égyptienne, les vêtements de lin apparaissent plutôt être associés à la tenue des prêtres d’Isis, tel que le rapportent non seulement Hérodote (Histoires II,37 et 81) et Plutarque (Sur Isis et Osiris 352c-d), mais aussi, de manière éloquente, le papyrus magique que nous venons tout juste de citer (PGM IV 3095-3096).
29. « Et toi, sois vêtu dans du lin pur, couronné d’une couronne d’olivier »; en grec : σὺ δὲ ἐν λίθοις ἴσθι καθαροῖς ἐστεμένος ἐλαῖνῳ στεφάνῳ (texte tiré de K. P reisendanz – A. H enrichs , Papyri graecae magicae. Die griechischen Zauberpapyri. Zweite, verbesserte Auflage. II, Stuttgart, 1974, p. 91-92). 30. M. Tardieu, « Les vêtements de lin », Le temps de la réflexion 3 (1982), p. 51. 31. M. Tardieu, « Les vêtements de lin », Le temps de la réflexion 3 (1982), p. 51. 32. En grec : προεισπέμπεται δὲ ὁ Ἀλέξανδρος, κομῶν ἤδη καὶ πλοκάμους καθειμέος καὶ μεσόλευκον χιτῶνα πορφυροῦν ἐνδεδυκὼς καὶ ἱμάτιον ὑπὲρ αὐτοῦ λευκὸν ἀναβεβλημένος… (texte tiré de Lucien de Samosate, Lucian, with an English Translation by A. M. Harmon of Yale University, in Eight Volumes. IV, Londres – Cambridge [Massachussetts], 1961, p. 188). 33. Peut-être le lin était-il mentionné dans la lacune ?
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3.3. Jésus place une espèce végétale dans les mains des disciples et les couronnes d’une autre espèce végétale Au cours des trois baptêmes que nous avons décrits, Jésus place une espèce végétale dans les mains des disciples : de l’héliotrope pour le baptême de l’eau, de l'immortelle d’Orient pour le baptême de feu et une branche d’armoise pour le baptême de l’Esprit Saint. Dans tous les rituels que nous avons présentés, ils sont également couronnés, de rameaux d’olivier pour le baptême de l’eau, de verveine sacrée pour le baptême de feu, de myrte pour le baptême de l’Esprit Saint et d’armoise pour le rituel qui enlève la malice des archontes. La symbolique sous-jacente à ces éléments est plus difficile à circonscrire et n’est pas à proprement parler à trouver dans les rituels d’investiture et de consécration des prêtres du temple ou dans leur exercice du sacerdoce. Ces deux éléments évoquent en effet davantage l’investiture royale. Or sacerdoce et royauté ne sont pas nécessairement des catégories qui s’excluent l’une et l’autre, comme en témoigne notamment le Testament de Lévi, sur la base duquel se fonde notre enquête. Lors de ce qui est convenu d’appeler la « seconde investiture de Lévi », aux versets 4 à 10 du chapitre 8, Lévi se fait remettre par des hommes vêtus de blanc un rameau d’olivier et, sur la tête, une couronne. Geo Widengren a déjà bien démontré comment le chapitre 8 du Testament de Lévi décrit l’investiture du patriarche à l’aide d’un rituel d’intronisation royale 3 4 . Pour André Caquot, qui est revenu en 1972 sur la double investiture de Lévi, « les insignes reçus par “Lévi” dans sa deuxième investiture sont destinés à manifester la précellence de son sacerdoce sur celui des usurpateurs et à lui conférer un pouvoir temporel égal, sinon supérieur, à celui des rois de la terre » 35. Daté de la seconde moitié du premier siècle avant notre ère 36 , le Testament de Lévi illustre bien l’importance et le prestige croissants des prêtres et de la tribu de Lévi. Nul doute que l’arrivée au pouvoir des Hasmonéens et la concentration du pouvoir royal dans les mains des prêtres aux deuxième et premier siècles avant notre ère aient contribué à cette situation.
34. En premier dans G. Widengren, Till det sakrala kungadömets historia i Israel. Den himmelska intronisationen i judisk-hellnistik tid, Stockholm, 1947 ; puis dans G. Widengren, Sakrales Königtum im alten Testament und im Judentum. Franz Delitzsch-Vorlesungen 1952, Stuttgart, 1955, p. 49-53. 35. A. Caquot, « La double investiture de Lévi (Brèves remarques sur Testament de Lévi, VIII) », dans Ex orbe religionum. Studia Geo Widengren, XXIV mense apr. MCMLXXII quo die lustra tredecim feliciter explevit oblata ab collegis, discipulis, amicis, collegae magistro amico congratulantibus, Leyde, 1972, p. 160. 36. Voir A. Caquot – M. Philonenko, « Introduction générale », dans A. Dupont-Sommer – M. Philonenko (ed.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. lxxx-lxxxi.
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D’autres Testaments appuient d’ailleurs l’autorité accordée à Lévi, comme celui de Ruben : « C’est pourquoi vous jalouserez les fils de Lévi et vous chercherez à vous élever au-dessus d’eux, mais vous ne le pourrez pas » (Testament de Ruben VI,5) 37 et « C’est pourquoi je vous ordonne d’écouter Lévi, car c’est lui qui connaît la Loi de Dieu, règle la justice et sacrifie pour Israël jusqu’à l’achèvement des temps du grand prêtre oint dont a parlé le Seigneur » (Testament de Ruben VI,8) 38; Juda : « Et maintenant, mes enfants, je vous ordonne d’aimer Lévi, afin de subsister, et de ne pas vous dresser contre lui, de peur d’être exterminés. Car c’est à moi que le Seigneur a donné la royauté, et à Lévi le sacerdoce. C’est à moi qu’il a donné ce qui est sur la terre, et à lui ce qui est dans les cieux » (Testament de Juda XXI,1-3) 39; Issachar : « Mais Lévi et Juda ont été distingués par le Seigneur d’entre les fils de Jacob. Le Seigneur les a faits ses héritiers et a donné à Lévi, le sacerdoce, et à Juda, la royauté » (Testament d’Issachar V,7) 4 0; Nephtali : « Nous nous élançâmes tous ensemble, Lévi saisit le soleil, Juda fut le premier à prendre la lune, et tous deux s’élevèrent avec ces astres » (Testament de Nephtali V,3) 41; et Joseph : « Vous donc, mes enfants, gardez les commandements du Seigneur et honorez Lévi et Juda, car c’est de leur descendance que se lèvera pour vous l’agneau de Dieu qui, par grâce, sauvera toutes les nations et Israël » (Testament de Joseph XIX,11) 42 . Pour cet élément du rituel, les papyri magiques fournissent de meilleurs points de comparaison. On y trouve en effet plusieurs rituels où un mystagogue doit tenir dans ses mains une espèce végétale (myrte [PGM I 72], laurier [PGM I 264-265; II 23.30; VI 15 en lacune]; armoise [PGM III 703-704]), ou s’en couronner (laurier [PGM III 306; VII 805-806.845846.1015-1016]; fleurs [PGM III 381]; lierre [PGM IV 173-174.199437. M. Philonenko, « III. Testaments des présenté et annoté par Mar Philonenko », dans nenko (ed.), La Bible. Écrits intertestamentaires, 38. M. Philonenko, « III. Testaments des présenté et annoté par Mar Philonenko », dans nenko (ed.), La Bible. Écrits intertestamentaires, 39. M. Philonenko, « III. Testaments des présenté et annoté par Mar Philonenko », dans nenko (ed.), La Bible. Écrits intertestamentaires, 40. M. Philonenko, « III. Testaments des présenté et annoté par Mar Philonenko », dans nenko (ed.), La Bible. Écrits intertestamentaires, 41. M. Philonenko, « III. Testaments des présenté et annoté par Mar Philonenko », dans nenko (ed.), La Bible. Écrits intertestamentaires, 42. M. Philonenko, « III. Testaments des présenté et annoté par Mar Philonenko », dans nenko (ed.), La Bible. Écrits intertestamentaires,
douze Patriarches. Texte traduit, A. Dupont-Sommer – M. Philo Paris, 1987, p. 824. douze Patriarches. Texte traduit, A. Dupont-Sommer – M. Philo Paris, 1987, p. 824-825. douze Patriarches. Texte traduit, A. Dupont-Sommer – M. Philo Paris, 1987, p. 870. douze Patriarches. Texte traduit, A. Dupont-Sommer – M. Philo Paris, 1987, p. 880. douze Patriarches. Texte traduit, A. Dupont-Sommer – M. Philo Paris, 1987, p. 904. douze Patriarches. Texte traduit, A. Dupont-Sommer – M. Philo Paris, 1987, p. 933.
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1995]; armoise [PGM IV 915-916]; rameaux d’olivier [PGM IV 935936.956-957.3199; XIII 96.650-651]; marjolaine [PGM VII 728]). 3.4. Jésus dresse un endroit d’un tissu de lin et y dépose une coupe de vin de même que des pains selon le nombre des disciples; une fois les disciples baptisés, Jésus leur donne à manger de l ’offrande Cette partie du rituel évoque bien sûr le repas eucharistique, d’autant plus que les disciples ne se font donner de l’offrande qu’après avoir été baptisés. Mais la symbolique du vin et du pain pourrait aussi faire écho au rituel d’intronisation des prêtres du Temple. En effet, le pain, offrande et repas, jouait un rôle dans la consécration des prêtres. En Exode 29, on lit : « Voici comment tu feras pour les consacrer à mon sacerdoce : prends un taurillon et deux béliers sans défaut, puis du pain sans levain, des gâteaux sans levain pétris à l’huile et des crêpes sans levain frottées à l’huile; tu les feras avec de la farine de froment. Tu les mettras dans une corbeille et tu présenteras la corbeille, en même temps que le taurillon et les deux béliers » (Ex 29,1-3). Un peu plus loin, en Exode 29,22-25, une partie de ce qui a été préparé sera offerte au Seigneur : Tu prendras les parties grasses du bélier – la queue, la graisse qui enveloppe les entrailles, le lobe du foie, les deux rognons et la graisse qui y adhère – et aussi le gigot droit, car c’est un bélier d’investiture; et puis une couronne de pain, un gâteau à l’huile et une crêpe, dans la corbeille des pains sans levain qui est devant le Seigneur. Tu placeras le tout sur les mains d’Aaron et sur les mains de ses fils, tu le feras offrir avec le geste de présentation devant le Seigneur, tu le reprendras de leurs mains et tu le feras fumer à l’autel, avec l’holocauste, en parfum apaisant devant le Seigneur. C’est un mets consumé pour le Seigneur.
Enfin, en Exode 29,32-33, on lit : « Aaron et ses fils mangeront, à l’entrée de la tente de la rencontre, la chair du bélier et le pain qui est dans la corbeille. Ils mangeront ce qui a servi au rite de l’absolution, pour leur investiture et pour leur consécration. Nul profane n’en mangera, car c’est sacré » 43. On peut noter que, comme dans les Livres de Iéou, ceux qui participent au rituel ne consomment de l’offrande qu’une fois le rituel achevé. On peut enfin signaler que le pain (ou le grain) et le vin font partie des premiers fruits qui devaient être offerts aux prêtres : « Le meilleur de l’huile fraîche, le meilleur du vin nouveau et du blé, les prémices qu’on offre au Seigneur, je te (sc. Aaron) les donne (…) Tous ceux qui, dans ta maison, seront en état de pureté en mangeront » (Nb 18,12-13) 4 4 .
43. On trouve grosso modo la même chose en Lev 8,26-32. 44. Voir Aussi Dt 18,4, de même que Philon d’Alexandrie, De specialibus legibus I 132.
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Dans les papyri magiques, le pain n’intervient que très rarement (PGM III 383.412; IV 1316.1440; XIII 1012), et encore, il n’est pas explicitement dit que le mystagogue doive en consommer. Pour ce qui est du vin, les références sont beaucoup plus nombreuses (PGM I 10.23.102.111.171.286; II 59, etc.). 3.5. Jésus marque les disciples d’un sceau Avant et après l’acte même des baptêmes que décrivent les Livres de Iéou, Jésus marque ses disciples d’un sceau (ⲥⲫⲣⲁⲅⲓⲥ) sur le front. Bien que le tracé de plusieurs de ces sceaux ait été préservé dans le manuscrit, rien d’autre n’est précisé sur cette marque. Il aurait été intéressant, en outre, de savoir avec quoi le front des disciples était marqué. En l’absence de toute indication, est-il raisonnable de croire que le sceau était marqué avec une onction l’huile? Nous ne voyons pas de raison d’en douter, d’autant plus qu’on trouve déjà, chez Paul, l’association entre onction et sceau: « Celui qui nous affermit avec vous en Christ et qui nous donne l’onction, c’est Dieu, Lui qui nous a marqués de son sceau et a mis dans nos cœurs les arrhes de l’Esprit » (2 Cor 1,21-22). Si c’est bien avec de l’huile que les sceaux des Livres de Iéou étaient marqués, les deux onctions des rituels, pré- et postbaptismales, pourraient peut-être même renvoyer à ce qui semble avoir été pratiqué dans l’Église syriaque 45. L’huile sainte joue un rôle important pour l’exercice du sacerdoce juif. Elle fait en effet partie de la consécration non seulement du grand prêtre, mais aussi des prêtres : « Tu prendras du sang qui est sur l’autel et de l’huile d’onction, et tu feras l’aspersion d’Aaron et de ses vêtements et, avec lui, de ses fils et de ses vêtements; ainsi seront-ils saints, Aaron et ses vêtements ainsi que ses fils et leurs vêtements » (Ex 29,21). Après une description de la composition de l’huile en Exode 30,22-24, on lit encore : Tu en feras l’huile d’onction sainte, mélange parfumé, travail de parfumeur; ce sera l’huile d’onction sainte. Tu en oindras la tente de la rencontre, l’arche de la charte, la table et tous ses accessoires, le chandelier et ses accessoires, l’autel du parfum, l’autel de l’holocauste et tous ses accessoires, la cuve et son support. Tu les consacreras et ils seront très saints;
45. Sur le sujet, voir G. Winkler , « The History of the Syriac Prebaptismal Anointing in the Light of the Earliest Armenian Sources », dans Symposium Syriacum 1976, célébré du 13 au 17 septembre 1976 au Centre Culturel « Les Fontaines » de Chantilly (France), Rome, 1978, p. 317-324 ; G. Winkler , « The Original Meaning of the Prebaptismal Anointing and its Implications », Worship 52,1 (1978), p 24-25 ; B. Varghese , Les onctions baptismales dans la tradition syrienne, Louvain, 1989 ; et S.P. Brock , « Anointing in the Syriac Tradition », dans M. Dudley – G. Rowell (ed.), The Oil of Gladness: Anointing in the Christian Tradition, Londres – Collegeville (Minnesota), 1993, p. 92-100.
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tout ce qui y touchera sera saint. Aaron et ses fils, tu les oindras aussi et tu les consacreras pour qu’ils exercent mon sacerdoce » (Ex 30,25-30).
Un peu plus loin, on lit : « Tu présenteras Aaron et ses fils à l’entrée de la tente de la rencontre, tu les laveras dans l’eau, tu revêtiras Aaron des vêtements sacrés, tu l’oindras et tu le consacreras pour qu’il exerce mon sacerdoce. Ayant présenté ses fils, tu les revêtiras de tuniques, tu les oindras comme leur père pour qu’ils exercent mon sacerdoce. Ainsi leur onction leur conférera un sacerdoce perpétuel, d’âge en âge » (Ex 40,1215) 4 6. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le fait de se marquer d’un sceau n’apparaît pas dans les papyri magiques 47. L’onction d’huile y est, pour sa part, davantage présente. On trouve une référence à la pratique de l’onction de soi-même en PGM II 75; IV 746; V 235-236; Va 2; VII 878-879.996; XIV 335; XXXVI 212-213; XCVII 7; CXXII 28. Il n’est toutefois pas toujours clair si l’onction doit se faire avec de l’huile.
3.6. Jésus baptise les disciples Les baptêmes sont le but ultime des rituels que nous avons décrits. Pour les trois baptêmes, celui de l’eau, du feu et de l’Esprit Saint, Jésus semble baptiser ses disciples avec l’eau obtenue par la transformation du vin en eau. Bien entendu, le contexte chrétien dans lequel se situe le texte n’inviterait pas à aller plus loin dans le symbolisme de cet élément. Le baptême d’eau pourrait néanmoins évoquer une partie du rituel d’initiation et de purification des prêtres, qu’on trouve notamment en Exode 29,4 : « Tu présenteras Aaron et ses fils à l’entrée de la tente de la rencontre et tu les laveras dans l’eau »; et en Exode 40,12-13 : « Tu présenteras Aaron et ses fils à l’entrée de la tente de la rencontre, tu les laveras dans l’eau, tu revêtiras Aaron des vêtements sacrés, tu l’oindras et tu le consacreras pour qu’il exerce mon sacerdoce » 48. * * * Et maintenant, que retenir de cette enquête? D’abord et avant tout, nous espérons avoir présenté toute la richesse des images et des symboles apparaissant dans les rituels baptismaux décrits dans les Livres de Iéou. Pour expliquer ces images et ces symboles, la recherche a longtemps, et quasi exclusivement, renvoyé aux rituels magiques des papyri grecs. Or, en suivant le rituel d’investiture de Lévi des Testaments des douze Patriarches, 46. Aussi en Nb 3,3 : « Tels sont les noms des fils d’Aaron, prêtres consacrés par l’onction et investis de la fonction sacerdotale ». 47. La seule exception est, peut-être, PGM XXXVI 37. 48. On trouve la même chose en Lev 8,6.
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nous avons vu comment la plupart des éléments, comme l’onction d’huile, le lavement à l’eau pure, la consommation de pain et de vin, le revêtement de lin, le rameau d’olivier, le couronnement et l’encens, pratiques qui ont toutes, ou presque, leurs pendants dans l’exercice du culte juif, font également partie, sous une forme ou une autre, des rituels initiatiques des Livres de Iéou. Bien entendu, les rituels des baptêmes figurant dans les Livres de Iéou ne sont pas pour autant les calques parfaits de l’investiture de Lévi dans le testament qui porte son nom : l’ordre du rituel est significativement différent, quelques éléments de l’investiture de Lévi sont absents des baptêmes, comme le sceptre, la robe sainte, la ceinture et le diadème, alors que plusieurs éléments des baptêmes sont propres aux Livres de Iéou, comme les deux vases de vin, l’espèce végétale sous les pieds et dans la bouche des disciples, le chiffre dans leurs mains ou la prière prononcée aux quatre coins du monde avec les pieds joints 49. On peut toutefois faire remarquer que ces derniers éléments paraissent absents des rituels magiques tels qu’ils nous sont parvenus. Nous n’avons certes pas la prétention d’affirmer que les images et les symboles des pratiques sacerdotales juives sauraient, en tout, fournir le seul arrière-plan aux rituels figurant dans les Livres de Iéou. Cela n’empêche pas, en revanche, que nous trouvons plus probant le rapprochement entre la symbolique sacerdotale juive et les baptêmes des Livres de Iéou, que celui établi entre les baptêmes des Livres de Iéou et la magie égyptienne. La principale raison touche au rôle intrinsèque des pratiques liturgiques préservées par les Livres de Iéou. En effet, nous avons beaucoup de difficulté à relever, entre les Livres de Iéou et les textes magiques anciens, des points de contact significatifs. Il est vrai que les deux partagent l’emploi de certains végétaux ou les noms de certaines entités célestes, et que certains rituels se ressemblent. Mais à vrai dire, la fonction de ces rituels est tout autre. Les rituels des textes magiques ont une fonction qu’on pourrait qualifier d’intramondaine : filtres d’amour, protection contre les sorts, guérison de maux les plus divers, etc. Ces rituels doivent, en outre, être accomplis de manière active par le mystagogue, qui a intérêt à ce que se réalise ce que la formule promet. Ces textes n’ont donc guère comme souci la remontée de l’âme et son salut auprès de la divinité suprême. Les rituels des Livres de Iéou, en dépit des éléments matériels, des formules auxquels ils recourent ou de leurs déroulements, ont une fonction initiatique et purificatrice. Ils sont les prérequis des révélations qui permettent à l’âme non seulement
49. Comme autre différence, on peut aussi signaler l’usage de miel (ⲉⲃⲓⲱ) lors de l’offrande du baptême de l’Esprit Saint (B27 [65],13-14). Le Lévitique proscrit en effet l’ajout de miel à l’offrande végétale : « Nulle offrande que vous présenterez au Seigneur ne sera préparée en pâte levée; en effet, vous ne ferez jamais fumer de levain ni de miel à titre de mets consumé pour le Seigneur » (Lev 2,11).
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d’échapper aux puissances hostiles des mondes inférieurs, mais aussi d’atteindre le terme de son salut auprès du Dieu inaccessible 50. En cela, les baptêmes des Livres de Iéou ressemblent beaucoup plus au rituel d’investiture sacerdotale juif, comme celui de Lévi ou des prêtres du temple. À l’image de Moïse qui, dans l’Exode, consacre et intronise son frère Aaron et ses fils à l’aide d’un rituel qui sera perpétué dans l’exercice du sacerdoce des prêtres, Jésus initie lui aussi au sacerdoce des disciples passifs, qui ne jouent aucun rôle actif dans la cérémonie, si ce n’est celui de se réjouir. Comme les prêtres qui, une fois investis, peuvent accéder librement aux différentes cours et chambres du Temple, ce n’est qu’une fois qu’ils ont été initiés au sacerdoce que les disciples sont libres de suivre Jésus à travers les éons et les trésors, demeures célestes des entités qui habitent les sphères supérieures du traité, et sont dignes de se faire révéler les mystères qui leur permettront de pratiquer une liturgie céleste dont l’objectif final est la glorification du Père.
50. Nous avons peut-être même repéré une condamnation de la magie en B19 (57),7-9.
ENTRER DANS LE « REPOS » : DE L’ACCÈS AU TEMPLE CÉLESTE (ÉPÎTRE AU H ÉBREUX) AU RETOUR AU LIEU DU PLÉRÔME (É VANGILE SELON T HOMAS). André Gagné Concordia University, Montréal
Abstract This article provides a comparative analysis of the notion of “rest” in the Letter to the Hebrews and the Gospel according to Thomas. This idea helps one understand how the recipients adopted certain Judean identity markers, while sharing a similar socio-religious experience, even if both texts are dated at different time periods and independent from each other. Résumé Cet article fait un examen comparatif de l ’idée du « repos » dans l ’Épître aux Hébreux et l ’Évangile selon Thomas. L’étude de ce concept montre que les destinataires s’approprient certains marqueurs de l ’identité judéenne et partagent une situation socioreligieuse similaire, nonobstant une datation différente et l ’absence de dépendance littéraire entre les deux textes.
Tirée de l’histoire du peuple juif racontée dans la Bible hébraïque, l’idée du « repos » (κατάπαυσις) désigne l’entrée des croyants dans le sanctuaire céleste, maintenant rendue possible par la mort du sacrificateur Jésus (Épître aux Hébreux). L’Évangile selon Thomas spiritualise davantage la notion du « repos » (ⲁⲛⲁⲡⲁⲩⲥⲓⲥ), en lui conférant un caractère sotériologique et eschatologique 1. Le « repos » est dépouillé de toute référence à l’histoire du peuple juif, au temple et au sacrificateur. Il représente plutôt le moment de la connaissance menant au salut.
1. Il y a près de soixante ans, P. Vielhauer , « ANAPAUSIS, zum gnostischen Hintergrund des Thomasevangeliums », dans W. Eltester (éd.), Apophoreta, Festschrift für Ernst Haenchen, Berlin, 1964, p. 281-299, étudiait le terme anapausis dans l’Évangile selon Thomas et la littérature gnostique en générale. La perspective du présent article est quelque peu différente. La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 295-303. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115535 ©
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Il importe de signaler d’emblée que je m’adonne ici à une approche comparative et ne défends aucunement l’idée d’une parenté littéraire entre ces deux textes. L’intérêt réside plutôt du côté de l’emploi et de l’interprétation d’un terme analogue, dans le contexte d’une situation socioreligieuse similaire. I. Introduction À plusieurs reprises, l’auteur de l’Épître aux Hébreux fait appel au thème du « repos » en invoquant l’histoire de l’Exode et l’entrée dans la terre promise 2 . En effet, le substantif « repos » (κατάπαυσις) se retrouve à certaines reprises aux chapitres 3 et 4 de la lettre (He 3, 11.18; 4, 1.3.5.10.11), et il en est de même pour le verbe « se reposer » (He 4, 4.8.10). On constate que le repos est toujours mentionné dans le contexte de la sortie d’Égypte. Harold W. Attridge, dans son important commentaire sur l’Épître aux Hébreux 3, a très bien démontré la manière dont l’auteur de cette homélie interprète ce concept à partir de l’image du sabbat et des lieux de repos de la terre promise et du temple. D’ailleurs, il a clairement identifié les sources littéraires à caractère apocalyptique faisant référence à un repos eschatologique établi dans un nouveau lieu, sous les traits d’une terre ou d’une cité nouvelle ; le tout placé dans le cadre d’une nouvelle création (Test Dan 5,12 ; 4 Esdras 8,52 ; 2 Baruch 78-86 ; 1 Hénoch 45,3-6 ; Test Lévi 18,9 ; 4Q florilège 1,7-8). Harold W. Attridge a aussi constaté que certains textes décrivent le « repos » comme étant l’état des âmes dans les lieux célestes, attendant la résurrection des morts, ou, dans certains cas, vivant simplement dans un état de repos continuel (par ex. 4 Esdras 7,75.91.95 ; Ap. 7,1-10 ; 14,3 ; 20,4). Le terme κατάπαυσις peut décrire un état ou un lieu de « repos ». Le repos est aussi parfois décrit sous des traits festifs ou joyeux. L’emploi métaphorique de ce concept se retrouve aussi dans les textes judéo-grecs où il s’apparente à l’image d’un monde céleste ou spirituel. Par exemple, Philon emploie ἀνάπαυσις – qui est essentiellement synonyme de κατάπαυσις – en s’inspirant de la métaphysique platonicienne. Le monde sensible ou matériel est éphémère, passager, ou transitoire, tandis que le monde spirituel est le lieu de repos permanent des êtres divins. Pour Philon, cet endroit représente la terre véritable; l’héritage des justes (voir Migr Abr 30 ; Rev. div. her. 75-76; 313-315). En somme, Philon s’adonne possiblement à une interprétation beaucoup plus allégorique que celle proposée par l’auteur de l’Épître au Hébreux. 2. Pour une analyse de l’histoire de l’Exode dans l’Épître aux Hébreux, voir M. Thiessen, « Hebrews 12.5-13, the Wilderness Period, and Israel’s Discipline », New Testament Studies 55 (2009), p. 366-379. 3. Plusieurs des éléments suivants figurent dans l’excellente analyse de H.W. Attridge , dans son commentaire, The Epistle to the Hebrews, Philadephie/Pennsyl vanie, 1989.
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Toujours selon Harold W. Attridge, les textes à caractère gnostique présentent certaines similitudes avec la littérature gréco-juive de cette époque, en ce qui a trait à l’interprétation du motif. Il remarque avec raison que l’expression « repos » semble parfois décrire ce qu’on appelle le plérôme, ou la plénitude divine. Ce lieu est la destination finale des gnostiques, l’endroit de leur repos céleste (voir EvTh 50; EvPhil 72,23-24; AcPhil 148; AcTh 10). Mais cela s’apparente-t-il à l’usage qu’en fait l’Épître aux Hébreux ? II. Contexte littéraire et condition socioreligieuse du « repos » dans l’Épître au Hébreux Il importe de comprendre ce motif à la lumière de la sotériologie présentée par l’auteur de cette homélie. À première vue, l’auteur semble établir un lien entre sa conception du salut et sa christologie. De ce fait, il y a une correspondance entre l’entrée du Christ dans le sanctuaire céleste et l’entrée des croyants dans le repos divin 4 . Le repos des croyants n’est guère possible sans l’accès fourni par le Christ à travers le voile (He 10,20). Le repos représente tout le processus sotériologique déployé par l’auteur, et cela en vue d’instruire ses destinataires sur le sens profond de leur engagement dans cette nouvelle voie de salut. C’est pour l’auteur une expérience qui commence au baptême (He 10,22), le rite symbolisant l’accès à la présence de Dieu, lieu de la cité céleste (He 11,16), et l’obtention d’un royaume inébranlable (He 12,28), dont la manifestation eschatologique est attendue (He 10,25.37-38; 12,26-29). Cette épître semble aussi exhiber une tension entre une dimension « personnelle » et « corporative » du repos; c’est-à-dire que l’appel et l’expérience de cet état peuvent être individuels et collectifs. On y trouve également la présence d’une autre tension, celle d’une eschatologie « réalisée » et « future », très semblable à ce qu’on peut retrouver dans la littérature chrétienne de l’époque. L’accès au « repos » s’effectue au moyen de la voie nouvelle inaugurée par le Christ et son sacrifice pour les péchés. Cependant, le « repos » n’est pas donné à tous ! Il faut professer sa foi au Christ pour hériter ce repos et maintenir sa conviction avec fermeté jusqu’à la fin ! À l’instar de l’histoire de l’Exode, c’est l’incrédulité qui risque d’empêcher les destinataires de l’épître d’entrer dans cette « terre promise » qui est le « repos de Dieu » 5.
4. Pour un regard éclairant de l’influence de la mystique juive de l’élévation du Christ dans le sanctuaire céleste, voir S.D. M ackie , « Ancient Jewish Motifs in Hebrew’s Theology of Access and Entry Exhortations », New Testament Studies 58 (2012), p. 88-104. 5. M. Thiessen, « Hebrews and the End of Exodus », Novum Testamentum 49 (2007), p. 353-369.
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Avant de poursuivre l’analyse, il est important de savoir à qui s’adressait cette homélie. Trouve-t-on des indices pouvant jeter un éclairage sur la situation de communication de l’épître en question, ainsi que le contexte socioreligieux des destinataires ? Le texte fut-il écrit avant la destruction du Temple en l’an 70 de notre ère ? Certains estiment que oui, car il est difficile d’expliquer les multiples références aux prêtres, culte et rites du Temple. L’auteur écrit comme si les lieux étaient encore opérationnels. Selon cette perspective, l’épître aurait pour but de convertir les Judéens à la foi au Christ. Par ailleurs, d’autres sont plutôt d’avis qu’il s’agit d’un texte visant des Judéens déjà « convertis », mais tentés d’abandonner leur foi. Ce point de vue favorise l’idée que l’auteur compose une homélie pour mettre en garde certains Judéens de ne pas abandonner l’espérance qu’ils ont professée, par crainte qu’ils ne puissent pas « entrer dans le repos ». Il semble assez clair que plusieurs textes favorisent une telle interprétation du contexte socioreligieux des destinataires 6. Par exemple, aux chapitres 2 et 3 de l’Épître aux Hébreux, l’auteur met en garde son auditoire en ces termes 7 : 2 1 Il s’ensuit que nous devons prendre plus au sérieux le message entendu, si nous ne voulons pas aller à la dérive. 2 Car si la parole annoncée par des anges entra en vigueur et si toute transgression et toute désobéissance reçurent une juste rétribution, 3 comment nous-mêmes échapperons-nous, si nous négligeons un pareil salut […] 3 12 Prenez garde, frères, qu’aucun de vous n’ait un cœur mauvais que l’incrédulité détache du Dieu vivant, 13 mais encouragez-vous les uns les autres, jour après jour, tant que dure la proclamation de l ’aujourd’hui, afin qu’aucun d’entre vous ne s’endurcisse, trompé par le péché. 14 Nous voici devenus, en effet, les compagnons du Christ, pourvu que nous tenions fermement jusqu’à la fin notre position initiale…
Il est difficile de ne pas comprendre ces paroles comme une mise en garde dirigée vers un groupe ayant déjà fait une profession de foi au Christ. L’auteur estime que les destinataires étaient devenus « compagnons du Christ », une situation qui allait perdurer à condition de retenir leur engagement jusqu’à la fin (on voit bien ici la tension « réalisée » et « futur » d’un salut eschatologique). Et que dire de l’imprécation d’He 6,4-11 où l’auteur ne ménage guère ses mots :
6. L’article de B.J. Oropeza, « The Warning Passages in Hebrews: Revised Theologies and New Methods of Interpretation », Currents in Biblical Research 10 (2011), p. 81-100, répertorie les diverses interprétations des passages qui traitent des mises en garde adressées aux destinataires. 7. À moins d’indications contraires, les citations bibliques sont tirées de la Traduction Œcuménique de la Bible.
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6 4 Il est impossible, en effet, que des hommes qui un jour ont reçu la lumière, ont goûté au don céleste, ont eu part à l’Esprit Saint, 5 ont savouré la parole excellente de Dieu et les forces du monde à venir, 6 et qui pourtant sont retombés, – il est impossible qu’ils trouvent une seconde fois le renouveau, en remettant sur la croix le Fils de Dieu pour leur conversion et en l’exposant aux injures. 7 Lorsqu’une terre boit les fréquentes ondées qui tombent sur elle et produit une végétation utile à ceux qui la font cultiver, elle reçoit de Dieu sa part de bénédiction. 8 Mais produit-elle épines et chardons, elle est jugée sans valeur, bien près d’être maudite, et finira par être brûlée. 9 Quant à vous, bien-aimés, nous sommes convaincus, tout en parlant ainsi, que vous êtes du bon côté, celui du salut. 10 Dieu, en effet, n’est pas injuste ; il ne peut oublier votre activité et l’amour que vous avez montré à l’égard de son nom en vous mettant au service des saints dans le passé, et encore dans le présent. 11 Mais notre désir est que chacun de vous montre la même ardeur à porter l’espérance à son épanouissement jusqu’à la fin, 12 sans ralentir votre effort, mais en imitant ceux qui, par la foi et la persévérance, reçoivent l’héritage des promesses.
Encore une fois, on met en garde les destinataires contre « un retour en arrière ». Le contexte montre bien qu’il s’agit d’un groupe déjà initié aux enseignements élémentaires de la foi au Christ (voir He 6,1-3). L’auteur ne souhaite donc pas revenir sur de tels principes, mais confirme qu’il est impossible de se convertir à nouveau après être retombé, c’est-à-dire, retourné en arrière. La métaphore tirée de l’agriculture, celle des épines et chardons, parle d’un jugement qui s’abattra sur la terre qui ne produit pas de « bons fruits ». Il s’agit ici d’une représentation communautaire, possiblement celle de deux communautés judéennes; une strictement attachée à la loi et au culte, l’autre ayant foi au Christ. En conclusion, l’auteur est tout de même confiant que les destinataires sont du « bon côté, celui du salut ». Il les exhorte donc à ne pas se relâcher afin d’obtenir l’héritage qui a été promis. Mais quelles sont les raisons pour lesquelles ces Judéens étaient tentés d’abandonner leur espérance initiale ? Pourquoi souhaitent-ils « retourner en arrière » ? Un élément de la réponse semble être fourni dans un très long passage au chapitre 10 (He 10,23-39). D’abord, suite à leur baptême (He 10,22), les destinataires ont dû « endurer un lourd et douloureux combat » (He 10,32). Il s’ensuivit des multiples injures et persécutions, allant jusqu’à la confiscation de leurs biens (He 10,33-34). Un tel mépris social est ce qui semble être la cause de leur remise en question. Ces Judéens se demandaient s’il ne fallait pas tout simplement « retourner en arrière », et c’est d’ailleurs ce qui explique les nombreux avertissements de l’auteur tels, « ne négligez pas un si grand salut » (He 2,3), « [tenez] fermement jusqu’à la fin notre position initiale » (He 3,14), « [montrez] la même ardeur à porter l’espérance à son épanouissement jusqu’à la fin, sans ralentir votre effort » (He 6,11-12), « ne désertons pas nos assemblées » (He
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10,25), « ne perdez pas votre assurance » (He 10,35), car il conclut en ces mots : « Nous, nous ne sommes pas de ceux à faire défection pour notre perte, mais de ceux qui ont la foi pour le salut de nos âmes » (He 10, 39). Ces références s’alignent mieux avec l’idée que les destinataires étaient aux prises avec un choix douloureux : retourner en arrière en reniant leur engagement initial en raison de persécutions, provenant possiblement d’un autre groupe judéen ou demeurer dans la foi au Christ, malgré la stigmatisation sociale qui s’ensuivit. Mais une question demeure : Que signifie « retourner en arrière » ? Il semble s’agir d’un retour à une pratique conforme à la loi de Moïse. Or, il n’est pas surprenant que l’auteur présente la figure du Christ comme étant supérieure aux prophètes et aux anges (He 1,1-11 ; 2,5-18), supérieure à Moïse et Josué (He 3, 1-6 ; 4,1-11), supérieure au sacerdoce juif (He 4,14 – 5,10 ; 7,1-29), ministre d’une alliance supérieure (He 8,1-13), prêtre d’un sanctuaire supérieur (He 9,1-28), et offrant un sacrifice supérieur en vue du pardon des péchés (He 10,1-18). Il est facile d’y voir une critique virulente contre la tradition juive, même si l’auteur et ses destinataires étaient très vraisemblablement judéens. Pourquoi aborder de telles questions si l’auditoire n’est pas enclin à retourner à un judaïsme sans la foi au Christ ? C’est dans un tel contexte que l’auteur fait appel à la notion du « repos ». L’homélie sert de mise en garde : il y a un danger à négliger l’appel de Dieu. Les destinataires ne doivent pas mépriser le repos offert comme ce fut le cas pour Israël au temps de l’Exode. Qu’en est-il du « repos » dans la l’Évangile selon Thomas ? Il importe maintenant de jeter un coup d’œil sur le sens que donne cette collection de paroles à cette idée tirée de l’histoire de l’Exode. III. Le « repos » dans l’Évangile selon Thomas Il est intéressant de constater que le « repos » figure dans des textes qui partagent certains éléments communs sur le plan socioreligieux. D’abord, il importe de mentionner que la version copte de l’Évangile selon Thomas contient quatre mentions du terme gréco-copte ⲁⲛⲁⲡⲁⲩⲥⲓⲥ . Les logia 50-51 semblent former une unité de sens, où ⲁⲛⲁⲡⲁⲩⲥⲓⲥ sert de mot-crochet entre les deux paroles. Au logion 50, le « repos » appartient à ceux qui sont fils de la lumière, c’est-à-dire les élus du Père vivant 8. Ils proviennent également de la lumière, qui, selon le contexte immédiat du logion en question, pourrait correspondre au Royaume, puisqu’il s’agit aussi du lieu d’origine des solitaires-élus. De plus, le logion 49 précise que les élus retourne8. A. Gagné , « Des étrangers issus du Royaume et de la lumière (EvTh 49-50). Les solitaires dans l’Évangile selon Thomas », Laval théologique et philosophique 70 (2014), p. 105-117.
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ront au Royaume, l’endroit d’où ils sont issus. Il importe aussi de constater que le logion 50 décrit le signe ou la marque des fils de la lumière comme « un mouvement et un repos » – ici le signe ou la marque des véritables élus est opposé à la circoncision, la marque physique des élus dans la chair au logion 53. L’idée d’un « mouvement » et d’un « repos » s’apparente à l’énoncé précédant au sujet du retour au point d’origine. Il est donc possible que le « mouvement » et « repos » du logion 50 parlent en fait du retour au Royaume des solitaires-élus 9. Au logion 51, les disciples font mention d’un « repos des morts » (ⲁⲛⲁⲡⲁⲩⲥⲓⲥ ⲛⲉⲧⲙⲟⲟⲩⲧ). Certains spécialistes 10 estiment qu’il s’agit ici d’une erreur de copiste et que le texte devrait se lire comme une question concernant la « résurrection des morts »; on devrait corriger ⲁⲛⲁⲡⲁⲩⲥⲓⲥ par ⲁⲛⲁⲥⲧⲁⲥⲓⲥ . Mais pourquoi devrait-on faire une telle correction ? L’idée d’un repos des morts n’est certes pas étrangère à certains textes de la tradition chrétienne, ainsi, par exemple, en Ap 14,13, on y lit : Et j’entendis une voix qui, du ciel, disait : Écris : Heureux dès à présent ceux qui sont morts dans le Seigneur ! Oui, dit l’Esprit, qu’ils se reposent de leurs labeurs, car leurs œuvres les suivent.
De retour au texte thomasien, l’emploie d’ⲁⲛⲁⲡⲁⲩⲥⲓⲥ semble être plutôt compris dans une perspective d’eschatologie réalisée, et non pas comme ce à quoi les disciples s’attendaient, c’est-à-dire, à un événement futur. Il y a donc une certaine tension entre le présent et le futur, à l’instar de l’Épître aux Hébreux. L’idée d’une perspective eschatologique future dans l’Évangile selon Thomas va certes à l’encontre de certaines études favorisant l’évacuation de toute eschatologie futuriste 11. Pour ce qui est des deux autres mentions d’ⲁⲛⲁⲡⲁⲩⲥⲓⲥ aux logia 60 et 90, le contexte semble suggérer la quête d’un repos spirituel immédiat. Il y a, cependant, au logion 2 de la version grecque de l’Évangile selon Thomas, un élément d’un intérêt certain pour notre propos. La version grecque de cette parole de Jésus diffère de la version copte. Dans le logion attesté à Nag Hammadi, on insiste que « celui qui cherchera, trouvera et sera troublé, règnera sur le Tout » (ⲡⲧⲏⲣ). Il y a des divergentes opinions sur le sens de ⲡⲧⲏⲣ , et pour certains, il est possible qu’il s’agisse d’une référence au plérôme; pour d’autres, simplement d’une manière générale 9. Voir A. Gagné , « Structure and Meaning in Gos. Thom. 49-53. An Erotapokritic Teaching on Identity and Eschatology », dans J. Schröter (éd.), The Apocryphal Gospels within the Context of Early Christian Theology, Louvain, 2013, p. 529-537. 10. Par exemple, U.-K. Plisch, The Gospel of Thomas. Original Text with Commentary, Stuttgart, 2008, p. 132. 11. Il importe de consulter l’analyse récente de S. Patterson, « Apocalypticism or Prophecy and the Problem of Polyvalence: Lessons from the Gospel of Thomas » Journal of Biblical Literature 130 (2011), p. 795-817 à cet effet.
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pour désigner « toutes choses » 12 . Quoi qu’il en soit, l’expression « toutes choses » peut aussi inclure tant le monde matériel que spirituel ou divin. La version grecque, quant à elle, ne fait aucune mention du « Tout », mais parle plutôt d’ⲁⲛⲁⲡⲁⲩⲥⲓⲥ – c’est d’ailleurs le verbe ἀναπαήσεται (il se reposera) qui est utilisé. Dans la version grecque, le règne a donc pour conséquence le repos. Cela étant dit, on peut se demander comment le texte copte est passé du « Repos » au « Tout », si ce n’est que le scribe a interprété ⲡⲧⲏⲣ comme le lieu d’ⲁⲛⲁⲡⲁⲩⲥⲓⲥ ? Le repos dans ce contexte est au futur, possiblement du même ordre que l’idée mentionnée aux logia 49 et 50, d’un retour au lieu d’origine, c’est-à-dire, au Royaume et à la lumière. IV. Conclusion La différence entre Évangile selon Thomas et l’Épître aux Hébreux est l’absence d’un lieu d’origine décrit en termes de « repos ». Pour l’auteur de l’homélie, le repos est vu comme une destinée finale, la cité céleste des élus. Il y a pourtant une similitude entre les deux textes : une remise en question de la tradition juive. Il est claire que l’Épître aux Hébreux conserve le langage de la tradition judéenne (le temple, les prêtres, les sacrifices, etc.), tout en considérant le Christ comme supérieur à loi de Moïse. Le groupe se situe toujours au sein du judaïsme, mais se distingue de certains aspects par sa foi au Christ, et la pratique cultuelle est dorénavant spiritualisée. L’auteur critique la tradition et lui donne une nouvelle signification. Qu’en est-il de l’Évangile selon Thomas ? Claudio Gianotto 13 a bien démontré que la tradition thomasienne à des propos polémiques à l’égard de certaines pratiques et croyances juives – on polémique entre autres choses contre le sabbat (ÉvTh 27), les aumônes et la prière (ÉvTh 7 et 14), la circoncision (ÉvTh 53), les prophètes et la tradition (ÉvTh 52), les scribes et pharisiens (ÉvTh 39), les Juifs (ÉvTh 43), et la pureté rituelle (ÉvTh 89). Mais comme l’Épître aux Hébreux, le texte de l’Évangile selon Thomas s’approprie le langage de cette même tradition. Les croyants sont des élus 12. Voir par exemple, A.B. L ogan, « The Meaning of the Term, ‘the All’, in Gnostic Thought », dans E.A. Livingstone , éd., Studia Patristaica. XIV. Papers presented to the Sixth International Conference on Patristic Studies held in Oxford 1971. III. Tertullian, Origenism, Cappadocian Fathers, Augustiniana, Berlin, 1976, p. 203-208, ainsi que L. Painchaud – M.-P. Bussières – M. K aler , « Le syntagme ⲡⲙⲁ ⲧⲏⲣ dans quelques textes de Nag Hammadi », dans L. Painchaud – P.-H. Poirier (éd.), Coptica – Gnostica – Manichaica. Mélanges offerts à Wolf-Peter Funk, Québec – Louvain – Paris, 2006, p. 619-645. 13. C. Gianotto, « Quelques aspects de la polémique anti-juive dans l’Évangile selon Thomas », dans L. Painchaud – P.-H. Poirier (éd.), Colloque international ‘L’Évangile selon Thomas’ et les textes de Nag Hammadi, Québec, 29-31 mai 2003, Québec – Louvain – Paris, 2007, p. 157-173.
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(ÉvTh 49 et 50); ils doivent être circoncis dans l’esprit (ÉvTh 53) et ils sont aussi appelés au « repos » (ÉvTh 50 et 51). Les deux textes semblent exhiber une condition socioreligieuse quelque peu similaire. Peut-il s’agir dans les deux cas de judéens tiraillés entre deux conceptions ou interprétations de la tradition ? Il est intéressant de noter que la notion du « repos » est utilisée dans deux textes ayant des préoccupations analogues quant à la tradition juive. Cela peut-il nous fournir un éclairage sur la date de composition de ces écrits, ou peut-on dire que cette situation d’ambiguïté est présente pendant une longue période allant du premier au quatrième siècle de notre ère ? Avons-nous suffisamment d’information pour risquer une réponse ? On remarque également que le « repos » est aussi peut-être présenté à des groupes se trouvant en contexte de persécution ou de tension sociale. Cela semble assez clair du côté de l’Épître aux Hébreux, mais qu’en est-il des destinataires de l’Évangile selon Thomas ? Certains chercheurs estiment que Thomas est un texte destiné à une communauté en mouvance; un groupe de chrétiens nomades 14 . Il n’est donc pas surprenant d’y retrouver l’injonction « Soyez passants » (ÉvTh 42) 15, et les recommandations à suivre lorsqu’ils errent de lieu en lieu (ÉvTh 14). On pourrait certainement y voir une résonance avec les pérégrinations des Hébreux en quête de repos, suite aux épreuves encourues à la sortie d’Égypte. Il est possible que les tensions et/ou persécutions vécues par les destinataires aient eu pour résultat de nourrir leur réflexion sur le « repos », un repos possible que par l’accès du Christ au temple céleste (Épître aux Hébreux), ou le retour des solitaires-élus dans le plérôme (Évangile selon Thomas). C’est ainsi que certaines traces des marqueurs de l’identité judéenne et de son histoire ont été conservées.
14. Le groupe thomasien est d’abord vu par S.J. Patterson, The Gospel of Thomas and Jesus, Sonoma/Californie, 1993, comme des itinérants radicaux ; ensuite, A.D. DeConick , Recovering the Original Gospel of Thomas. A History of the Gospel and Its Growth, Londres, 2005, tente de dégager l’histoire d’un groupe judéo-chrétien de Jérusalem, forcé à se relocaliser de lieu en lieu, suite à une série de crises communautaires. 15. Voir J.-D. Dubois , « ‘Soyez passants’, ou l’interprétation du logion 42 de l’Évangile selon Thomas. » Colloque international ‘L’Évangile selon Thomas’ et les textes de Nag Hammadi, Québec, 29-31 mai 2003, dans L. Painchaud – P.-H. Poirier (éd.), Colloque international ‘L’Évangile selon Thomas’ et les textes de Nag Hammadi, Québec, 29-31 mai 2003, Québec – Louvain – Paris, 2007, p. 93-105, sur les différents sens de ce court logion.
L A FIGURE DE M ELCHISÉDEK ENTRE L’ÉPÎTRE AUX H ÉBREUX ET LE TRAITÉ NHC IX, 1 : LA MÉTAMORPHOSE DU SACRIFICE Claudio Gianotto Université de Turin
Abstract The paper discusses the transformations of the concept of sacrificial cult during early Christianity through the analysis of two important writings, focusing on the figure of Melchisedek: the Epistle to the Hebrews and the homonymous tractate of NHC IX, 1. The Epistle to the Hebrews acknowledges that, with the coming of Jesus, a new priesthood has been inaugurated, replacing once and for all the ancient Levitical priesthood; Jesus is priest according to the order of Melchisedek and the bloody sacrifice, by which Jesus has offered himself to the Father in the heavenly temple, has produced effectively the salvation of mankind and inaugurated a new alliance between God and humans. Tractate Melchisedek of NHC IX, 1 seems to be familiar with the themes developed within Hebr.; in particular, it continues the parallelism between Melchisedek and Jesus: both are manifestations of the heavenly Father and practise their priesthood by offering themselves as an oblation to the Father of the All together with the descendants of the chosen race of Seth, scattered in the material world. But if Hebrews still accepts the idea that bloody sacrifice can play a role in the salvific process, for the tractate Melchisedek this possibility is ruled out: here the sacrifice is completely spiritualised. Résumé L’article étudie les transformations que subit la conception du culte sacrificiel dans le christianisme naissant à travers l ’analyse de deux écrits importants, centrés autour du personnage de Melchisédek : l ’Épître aux Hébreux et le traité homonyme de NHC IX, 1. L’Épître aux Hébreux reconnaît que, avec l ’avènement de Jésus, un nouveau sacerdoce a été inauguré, qui remplace définitivement l ’ancien sacerdoce lévitique; Jésus est prêtre selon l ’ordre de Melchisédek et le sacrifice sanglant, par lequel Jésus s’est offert lui-même, victime innocente, au Père dans le temple céleste, a opéré, une fois pour toutes, la rédemption définitive et inauguré une alliance nouvelle entre Dieu et les humains, où il n’y aura plus de transgression possible. Le traité NHC IX, 1 semble connaître les thèmes et motifs développés dans Hébreux; en particulier, il reprend le parallélisme entre Melchisédek et Jésus : étant tous les deux des manifestations du Grand Prêtre céleste, Melchisédek et Jésus exercent leur sacerdoce en s’offrant La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 305-317. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115536 ©
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eux-mêmes en oblation au Père du tout avec les descendants de la race élue de Seth, dispersés dans le monde et à la merci des puissances archontiques. Mais, si Hébreux accepte encore l ’idée que le sacrifice sanglant puisse exercer une fonction salvifique, même si elle ne reconnaît en effet cette fonction qu’ à l ’unique sacrifice offert par Jésus, pour le traité Melchisédek aucun sacrifice sanglant ne pourrait jouer un rôle dans le processus salvifique : ici le sacrifice est désormais complètement spiritualisé.
I. Introduction L’Épître aux Hébreux, dont la datation peut être fixée dans la dernière décennie du Ier siècle, sous Domitien 1, est le premier écrit produit, pour m’en tenir à la terminologie adoptée par les organisateurs de ce colloque, par des judéens chrétiens, qui propose et développe une nouvelle interprétation de la mort de Jésus en termes sacerdotaux. Il est vrai que l’on peut trouver déjà chez Paul (Rm 3, 25 : « C’est lui [Jésus Christ] que Dieu a destiné à servir, par le moyen de la foi, d’expiation [ἱλαστῆριον] par son sang… ») une référence encore plus ancienne à ce thème ; mais, nous savons que Paul ne le développera pas et préférera aborder le problème de la mort de Jésus selon d’autres perspectives 2 . De toute façon, l’allusion de Paul, bien que passagère, témoigne de l’existence, déjà dans les années 50 du Ier siècle, de tentatives, peut-être encore embryonnaires, d’interpréter la mort de Jésus en termes cultuels. Le traité gnostique Melchisédek (NH IX, 1) appartient aux écrits qu’on peut désigner comme séthiens, en raison du rôle qu’y joue le personnage de Seth. Comme dans le cas de tous les écrits de Nag Hammadi, il est très difficile d’en établir une datation précise; mais, pour ce qui concerne la littérature dite séthienne, on croit avoir quelques éléments en plus pour essayer de fixer au moins une datation relative des différents traités 3; une circonstance qui n’est pas sans importance quand on veut avancer des hypothèses pour la datation absolue; quant au traité Melchisédek, on pense qu’il peut vraisemblablement remonter à la fin du IIe ou au début du IIIe siècle 4 . À la différence de Hébreux, le texte gnostique ne manifeste aucun intérêt pour la recherche d’un sens à donner à la mort de Jésus; il s’agit 1. Pour ce qui concerne l’Épître aux Hébreux, je fais référence au commentaire de C. M archeselli Casale , Lettera agli Ebrei, Milan, 2005. 2. Rm 3, 25 est la seule attestation chez Paul d’une terminologie expiatoire appliquée à la mort de Jésus, faisant référence au culte et au sacerdoce. 3. Pour le problème de la datation des écrits séthiens, je renvoie à l’importante étude de J.D. Turner , Sethian Gnosticism and the Platonic Tradition, Québec – Louvain, 2001. 4. Voir Melchisédek (NH IX, 1). Oblation, baptême et vision dans la gnose séthienne, texte établi par W.‑P. Funk , traduit et présenté par J.-P. M ahé , commenté par C. Gianotto, Québec – Louvain, 2001, p. 55-61.
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plutôt d’interpréter en termes sacerdotaux sa mission salvifique, et c’est dans ce contexte que le personnage de Melchisédek est évoqué. Les deux écrits développent leur discours autour de la notion d’oblation sacrificielle, qu’ils interprètent d’une façon assez différente. II. L’Épître aux Hébreux A. L’origine du sacerdoce de Jésus Dès le début, Hébreux présente la mission de Jésus, le Fils, en termes cultuels : il est venu pour purifier les péchés (καθαρισμὸν τῶν ἁμαρτιῶν ποιησάμενος : 1, 3); après quoi, il s’est assis à la droite de Dieu dans les hauteurs. Après cette annonce initiale, l’auteur introduit le thème du sacerdoce de Jésus d’une façon progressive : Jésus, le Fils, s’est fait semblable et solidaire à ses frères humains, afin de devenir un grand prêtre (ἀρχιερεύς : 2, 17 ; 3, 1) miséricordieux et accrédité auprès de Dieu, pour expier les péchés du peuple (εἰς τὸ ἱλάσκεσθαι τὰς ἁμαρτίας τοῦ λαοῦ : 2, 17). Et il dit clairement quelle est la fonction d’un grand prêtre en 5, 1 : tout grand prêtre est établi en faveur des hommes pour leurs rapports avec Dieu ; son rôle est d’offrir des dons et des sacrifices pour les péchés (ἵνα προσφέρῃ δῶρά τε καὶ θυσίας ὑπὲρ ἁμαρτιῶν). Mais comment Jésus a-t-il pu devenir grand prêtre, s’il n’était pas de descendance sacerdotale ? La réponse de Hébreux est : par une investiture directe de la part de Dieu. Ainsi qu’Aaron avait été établi prêtre par un appel et une disposition explicites de Dieu (Ex 28-29 ; Lv 8), parce que l’on ne s’attribue pas à soi-même cet honneur, de la même façon Jésus a été établi grand prêtre par l’oracle de Dieu du Ps 110, 4 : « Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisedek » (5,6.10). Le v. 1 du même Psaume avait été cité en 1, 13 comme preuve scripturaire de l’intronisation du Fils à la droite de Dieu; ici le v. 4 fournit la preuve de l’investiture sacerdotale du même Fils. Deux petites allusions (4, 14 ; 6, 20) au ministère sacerdotal de Jésus nous révèlent qu’il ne s’exerce plus dans le temple terrestre de Jérusalem, vraisemblablement déjà détruit au moment de la rédaction de l’épître, mais dans le temple céleste, dont il sera question dans le ch. 9, 24-28. B. Les caractéristiques du sacerdoce de Jésus Après avoir rattaché l’origine du sacerdoce de Jésus à un serment de Dieu, qui de cette façon aurait sanctionné sa décision irrévocable, exactement comme dans le cas de la promesse faite à Abraham (6, 13-20 ; voir Gn 22, 16), l’auteur s’applique à nous décrire les caractéristiques de ce sacerdoce de Jésus, et il le fait, cette fois, en renvoyant à l’autre passage de la bible hébraïque qui mentionne Melchisédek, c’est-à-dire Gn 14, 18-20. À travers une sorte de commentaire midrashique du texte biblique, il présente les traits principaux du sacerdoce de Melchisédek, qui sont aussi
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ceux du sacerdoce de Jésus, établi prêtre selon l’ordre de Melchisédek par le serment divin; et il s’engage dans une comparaison détaillée du sacerdoce nouveau et ancien, celui qui avait été remis en place après l’exil à la suite des réformes d’Esdras et Néhémie et qui avait été actif à Jérusalem pendant toute la période du Deuxième Temple. Sur la base d’un principe exégétique assez connu dans le judaïsme ancien, qui reconnaissait un sens non seulement à ce que l’Écriture dit, mais aussi à ce qu’elle ne dit pas, l’auteur constate que, de Melchisédek, l’Écriture ne mentionne ni la paternité ni la maternité, le laissant ainsi sans généalogie; en plus, l’indétermination à propos de sa naissance et de sa mort amène à conclure que son sacerdoce dure pour toujours, comme d’ailleurs le confirme aussi l’oracle de Ps 110, 4 (He 7, 3). Voilà les deux premières caractéristiques du sacerdoce nouveau : tout d’abord, l’absence des références généalogiques, explicitement requises dans le cas du sacerdoce lévitique (Esd 2, 61-63; Ne 7, 63-65); ce qui légitime l’investiture sacerdotale de Jésus, qui, étant issu de la tribu de Judas, et non pas de celle de Lévi, n’aurait eu aucun droit de servir à l’autel (He 7, 13-14); et deuxièmement, sa durée ininterrompue, face à celle du sacerdoce lévitique, qui était lié à la durée de la vie de celui qui l’exerçait (He 7, 23-24). Le sacerdoce nouveau, d’autre part, est supérieur à l’ancien, et cela pour deux raisons : premièrement, parce que, dans l’épisode de Gn 14, 18-20, Melchisédek a béni Abraham, le dépositaire des promesses, et Abraham lui a payé la dîme; et il n’y a aucun doute que celui qui bénit est supérieur à celui qui est béni, et celui qui paye la dîme adopte une attitude de soumission face à celui qui la reçoit; or en Abraham c’est aussi son descendant Lévi, l’ancêtre de la tribu des prêtres, qui a été béni et a payé la dîme (He 7, 4-10); deuxièmement, le nouveau sacerdoce, à la différence de l’ancien, a été établi par un serment, ce qui fait de Jésus le garant d’une alliance meilleure (He 7, 20-22). Les versets conclusifs du ch. 7 esquissent une dernière comparaison entre le grand prêtre Jésus et les grands prêtres du système lévitique : Jésus est saint, innocent, sans péché, élevé au-dessus des cieux ; à la différence des autres grands prêtres, il n’a pas besoin d’offrir tous les jours des sacrifices, d’abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple, parce qu’il s’est offert lui-même une fois pour toutes (ἐφάπαξ). Ici l’auteur semble concentrer en une seule activité expiatoire les rites de Yom ha-kippurim, d’un côté, réservés au seul grand-prêtre une seule fois par an et, de l’autre, les sacrifices quotidiens (tamid), célébrés par plusieurs prêtres, le matin et le soir (Sir 45, 14 ; Philo, Spec. Leg. 3, 131), pour les opposer à l’unique sacrifice de Jésus 5. De cette comparaison entre les deux sacerdoces l’auteur tire des conclusions d’une portée très vaste : l’institu5. Voir C. M archeselli Casale , Lettera agli Ebrei, Milan, 2005, p. 295-337 ; C. Gianotto, Melchisedek e la sua tipologia. Tradizioni giudaiche, cristiane e gnostiche (sec. II a.C. – sec. III d.C.), Brescia, 1984, p. 122-134.
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tion du sacerdoce nouveau selon l’ordre de Melchisédek comporte l’abrogation du sacerdoce ancien selon l’ordre d’Aaron, qui s’était révélé tout à fait inefficace et inutile. Avec cette référence à Jésus qui s’est offert lui-même une fois pour toutes, l’auteur marque la transition à la discussion du thème central de son épître : le sacrifice de Jésus et le culte dans le temple céleste (He 8, 1-10, 18). À partir de ce moment, le personnage de Melchisédek, qui avait joué un rôle central dans la comparaison entre les deux sacerdoces, n’est plus explicitement mentionné. C. Le sacrifice de Jésus et le culte dans le temple céleste À la comparaison entre les deux sacerdoces fait suite une comparaison entre deux cultes et deux temples : le culte dans temple terrestre et le culte dans le temple céleste, ce qui entraîne une autre comparaison entre deux économies : l’ancienne et la nouvelle alliance (He 8-9). Les réalités terrestres ne sont qu’une image, une esquisse des réalités célestes; donc le nouveau culte, le nouveau temple et, par conséquent, la nouvelle alliance à l’intérieur de laquelle ils se situent, sont bien meilleurs que les anciens (He 8, 6). Jésus exerce son sacerdoce dans le temple céleste, en tant qu’exalté à la droite de Dieu après sa résurrection (on répète qu’il n’aurait aucun titre pour officier dans le temple terrestre, réglé par la loi, n’étant pas de descendance lévitique : He 7, 13-14 ; 8, 4). Or, tout grand prêtre étant établi pour offrir des dons et des sacrifices (He 5, 1 ; 8, 3), Jésus aussi doit avoir quelque chose à offrir dans le sanctuaire céleste. On renvoie encore aux rites de Yom ha-kippurim (Lv 16) : le grand prêtre du temple terrestre entrait, une fois par an, dans la deuxième tente, le Saint des Saints, et y apportait du sang de victimes animales pour opérer l’expiation pour ses propres péchés et ceux du peuple; Jésus, au contraire, entre dans le sanctuaire une fois (ἐφάπαξ) pour toutes, en offrant son propre sang et obtient un rachat définitif (He 9, 12 : αἰωνίαν λύτρωσιν). Jésus, donc, s’est offert lui-même en véritable sacrifice (θυσία) sanglant, parce que c’est le sang qui purifie et sans effusion de sang il n’y a pas de pardon des péchés (He 9, 22). Mais il s’agit d’un sacrifice tout à fait particulier, d’un sacrifice ἐφάπαξ, qui, dès son accomplissement, abolit de facto le sacrifice tout court : les sacrifices d’animaux sont inefficaces et donc inutiles ; le sacrifice de Jésus a opéré une rédemption efficace et définitive (He 9, 26 : « pour abolir le péché [εἰς ἀθέτησιν τῆς ἁμαρτίας] par son propre sacrifice » ; He 9, 28 : « pour enlever le péché de la multitude [εἰς τὸ πολλῶν ἀνενεγκεῖν ἁμαρτίας] ») et, par conséquent, il n’y aura plus besoin de sacrifices ultérieurs : là où il y a eu pardon (des péchés), on ne fait plus d’offrande pour le péché (He 10, 18). Si, après le rachat définitif opéré par Jésus, il n’est plus besoin d’offrir des sacrifices pour les péchés, c’est parce que, dans la perspective de la nouvelle alliance, il n’y aura plus de péché, puisque la loi
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sera inscrite dans les cœurs et les pensées des humains, et donc il n’y aura plus de transgression possible 6. Après le sacrifice de Jésus, qui a racheté toutes les transgressions commises sous la première alliance (He 9, 15), il n’y aura plus de rémission possible pour ceux qui pécheront délibérément, mais seulement une attente terrible du jugement (He 10, 26-27). Dans la perspective de Hébreux, donc, le grand prêtre Jésus, loin d’inaugurer une nouvelle ligne sacerdotale « selon l’ordre de Melchisédek » qui remplacerait l’ancienne « selon l’ordre d’Aaron », finit par accomplir, désormais dans le temple céleste, un seul et unique acte sacerdotal : l’oblation sanglante de lui-même, qui finalement réussit là où l’ancien sacerdoce avait échoué, c’est-à-dire dans la rémission et le pardon définitif des péchés ; le sacerdoce de Jésus est donc un sacerdoce exclusif, qui ne passe à aucun autre (He 7, 25 : ἀπαράβατον ἔχει τὴν ἱεροσύνην). La nouvelle alliance a remplacé l’ancienne : il n’y a plus de place pour un temple fait des mains d’homme (He 8, 11) ; il n’est plus besoin de sacrifices ; il n’est plus besoin d’autres prêtres, parce qu’un seul sacrifice efficace a été offert une fois pour toutes par Jésus. La fonction qu’il exerce en tant que grand prêtre dans le temple céleste, est d’intercéder (He 7, 25 : εἰς τὸ ἐντυγχάνειν ὑπὲρ αὐτῶν) pour ceux qui, par lui, s’approchent de Dieu. Bien que le sacrifice que Jésus fait de lui-même soit décrit sur l’arrièreplan des rites du Yom ha-kippurim, la terminologie technique utilisée n’est pas celle de Lv 16. Le verbe ἱλάσχομαι, qui traduit la racine hébraïque כפר, n’est employé qu’une fois, en He 2, 9 (à cette occurrence il faut ajouter ἱλαστήριον en He 9, 5). L’auteur préfère d’autres termes : purifier/ purification (καθαρίζω : 4x; καθαρισμός : 1x; καθαρότης : 1x); rachat, rédemption (ἀπολύτρωσις : 2x; λύτρωσις : 1x); pardon (ἄφεσις : 2x); sauver/salut (σῷζω : 2x; σωτηρία : 7x); sanctifier/sanctification (ἁγιάζω : 6x; ἁγιασμός : 1x); termes auxquels il faudrait peut-être ajouter aussi les expressions ἀθέτησις τῆς ἁμαρτίας de He 9, 26 ; εἰς τὸ άνενεγκεῖν ἁμαρτίας du verset suivant (He 9, 27) ; ἀφαιρεῖν ἁμαρτίας de He 10, 4. Dans tout cela il me semble qu’on puisse voir un indice des difficultés que l’auteur de Hébreux a rencontrées dans son effort de décrire et d’interpréter la mort de Jésus en termes strictement cultuels. Le sens de cette mort ne peut pas s’exprimer, pour lui, de façon complète à l’intérieur du système sacrificiel tel qu’il est réglé par le Lévitique. La mort de Jésus semble faire plus que l’expiation pour les péchés qu’opéraient les sacrifices du temple; et plus même que l’expiation opérée par le bouc sacrifié pendant le Yom ha-kippurim par le grand prêtre. Mais il ne faut pas oublier que pendant le Yom ha-kippurim les rites prévoyaient la présence de deux boucs : un bouc expiatoire, qui était sacrifié et dont le sang était aspergé dans le sanctuaire par le grand prêtre; et puis un bouc émissaire, qui était chargé de tous les 6. Renvoi à Jr 31, 33-34, cité en He 10, 16-17.
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péchés du peuple et envoyé dans le désert. Hébreux ne fait référence qu’à l’aspersion du sang du premier, sans mentionner le second. La référence absente au bouc émissaire du Yom ha-kippurim est remplacée, me semble-til, par le renvoi à un autre contexte, celui de la mort rédemptrice des martyrs de la tradition maccabéenne. L’insistance sur l’innocence de la victime qu’est Jésus 7, sur le fait qu’il ne s’est pas offert en sacrifice pour ses propres péchés, comme le faisaient les grands prêtres dans le temple de l’ancienne alliance, mais uniquement pour les péchés des autres 8, me semblent rappeler le langage de la tradition des martyrs maccabéens, surtout celle de 4 Maccabées, peut-être aussi avec quelques allusions au quatrième chant du Serviteur de Is 52-53 9. Dans son interprétation de la mort de Jésus, l’auteur de Hébreux aurait opéré une espèce de fusion entre deux motifs : celui du sacrifice expiatoire, d’un côté, et celui du sacrifice vicaire des martyrs maccabéens, victimes innocentes qui ont offert leur vie pour les autres. III. Melchisedek (NHC IX, 1) A. Le personnage de Melchisédek Melchisédek est ici un personnage plus complexe que dans Hébreux. Il se présente tout au début comme le destinataire d’une révélation de Gamaliel, concernant la semence de Seth. Le cadre de cette révélation est placé dans un lieu tout à fait indéfini et dans un temps aussi indéterminé; il est dit qu’il exerce le sacerdoce (20, 10-11) et est nommé grand prêtre (5, 15-16 : ἀρχιερεύς) et prêtre (ἱερεύς) du Dieu Très Haut (12, 10 ; 19, 13-14), comme dans Gn 14, 18. Sans affirmer explicitement, comme en He 7, 3, qu’il est sans père, sans mère et sans généalogie et que sa vie est sans commencement et sans fin, notre texte ne lui reconnaît autre ascendance que celle du Grand Prêtre céleste (15, 11-13). Mais, à la différence de Hébreux, sa fonction n’est pas de légitimer le sacerdoce de Jésus, le plaçant dans un ordre différent de celui d’Aaron. Melchisédek et Jésus sont, tous
7. Voir He 7, 26 : « Et tel est bien le grand prêtre qui nous convenait, saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs » ; He 9, 14 : « s’est offert lui-même à Dieu comme victime sans tache ». 8. Voir He 7, 27 : « Il n’a pas besoin, comme les autres grand prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses propres péchés, puis pour ceux du peuple » ; He 9,7 : « Mais dans la seconde tente, une seule fois par an, seul entre le grand prêtre, et encore, ce n’est pas sans offrir du sang pour ses manquements et pour ceux du peuple ». 9. Voir C. Gianotto, « “Morto per i nostri peccati secondo le Scritture” (1Cor 15,3). All’origine dell’interpretazione della morte di Gesù come evento salvifico », dans M.B. Durante M angoni – D. Garribba – M. Vitelli (éd.), Gesù e la storia. Percorsi sulle origini del cristianesimo. Studi in onore di Giorgio Jossa, Trapani, 2015, p. 101-111.
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les deux, comme des manifestations du seul grand prêtre véritable, qui est une entité pléromatique et céleste. B. Le sacerdoce de Jésus et celui de Melchisédek Jésus est descendu sur terre pour y accomplir sa mission salvifique 10. Cette mission est annoncée dans la révélation que Gamaliel transmet à Melchisédek : il enseignera la vérité et annoncera la fin de la domination des puissances archontiques qui gouvernent ce monde; les puissances s’irriteront contre lui et le feront mettre à mort; mais il ressuscitera et délivrera d’autres enseignements secrets à ses disciples; en tant que Sauveur, il révélera le logos qui vivifie le Tout; de faux disciples adviendront, qui répandront à propos de lui une doctrine d’erreur; la mission de Melchisédek sera de redresser cette doctrine et d’enseigner la vérité, l’espérance parfaite et les dons de la vie (1, 2-5, 17). Jusque-là, nous avons un résumé de la mission terrestre de Jésus, telle que nous la connaissons surtout à travers les évangiles canoniques. Mais tout de suite après, Gamaliel énonce la mission de Jésus en termes sacerdotaux : il est de la race du Grand Prêtre céleste; il s’est offert lui-même en oblation vivante au Tout, avec les rejetons de Melchisédek. Les verbes sont ici au passé, tandis que, dans l’annonce de la mission terrestre de Jésus, ils étaient au futur : il y a donc un changement de perspective, probablement dû au fait qu’ici le sujet n’est plus le Jésus terrestre, mais Jésus Christ, Fils de Dieu, entité céleste désormais réintégrée dans le Plérome. Son acte sacerdotal, qui a une valeur paradigmatique, consiste dans l’oblation au Père du Tout de ceux qui sont nommés les rejetons de Melchisédek, à identifier très vraisemblablement avec les élus séthiens. Dans cette oblation, le Christ céleste s’est inclus lui-même : il a donc été en même temps ministre et partie de l’oblation au Père du Tout. Ce qui est énoncé ici, dans un langage très condensé qui reste un peu énigmatique, c’est le sens profond de la mission sacerdotale de Jésus, c’est-à-dire ramener dans le Plérome céleste, dont ils sont issus, les descendants de la race élue de Seth, dispersés dans le monde de la matière, à la merci de puissances archontiques mauvaises; cette opération est présentée comme une oblation au Père du Tout, dans laquelle Jésus lui-même s’inclut, en tant que provenant du même Plérome céleste. Melchisédek est invité à se conformer à cet acte paradigmatique par une exhortation (passage brusque de la troisième à la deuxième personne) à abandonner les sacrifices d’animaux. L’arrière-plan de cette conception de l’oblation sacerdotale de Jésus ainsi que le parallélisme Jésus-Melchisédek est sans doute représenté par 10. Pour ce qui concerne l’interprétation du traité gnostique, je renvoie à Melchisédek (NH IX, 1). Oblation, baptême et vision dans la gnose séthienne, texte établi par W.-P. Funk , traduit et présenté par J.-P. M ahé , commenté par C. Gianotto, Québec – Louvain, 2001, surtout l’introduction et le commentaire.
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Hébreux. Mais les différences sont nombreuses et profondes. Premièrement, pour Hébreux l’auto-oblation présentée par le grand prêtre Jésus est un véritable sacrifice sanglant, en tant qu’elle est identifiée avec sa mort violente; et donc elle expie, libère, rachète, sauve, efface le péché. Ici, la mort violente de Jésus, bien que décrite très réalistement dans tous les détails (25, 1-9), ne saurait avoir aucune valeur salvifique, puisqu’elle est le résultat d’une agression archontique, visant justement à empêcher l’accomplissement de sa mission véritable, qui consiste dans la transmission de la connaissance de la vérité au moyen de révélations particulières; dans cette perspective, notre traité n’utilise jamais la terminologie sacrificielle spécifique, par ex. θυσία, ἱλάσχομαι, ἱλαστῆριον, que nous trouvons, bien que dans une modeste mesure, dans Hébreux, mais se limite à προσφορά/ προσφέρειν [copte : ⲧⲁⲗⲟ ⲉϩⲣⲁ], termes réservés plutôt aux offrandes non sanglantes. Deuxièmement, quand Hébreux parle de l’auto-oblation de Jésus, elle ne mentionne nul autre que Jésus aurait inclus dans son propre sacrifice : Jésus est la seule victime sacrificielle, capable d’une action efficace en vue du salut. En revanche, ici l’objet de l’oblation au Tout est tout d’abord la descendance de Melchisédek, c’est-à-dire les rejetons de Seth dispersés dans le monde de la matière, auxquels Jésus s’ajoute lui-même, dans son effort de les réintégrer au monde pléromatique dont ils sont tous issus. Et enfin, Hébreux insiste à plusieurs reprises sur l’unicité et le caractère définitif de l’auto-oblation de Jésus, et cela en opposition à la pluralité et au caractère répétitif des sacrifices du sacerdoce lévitique, qui sont interprétés comme un signe de leur inefficacité et de leur inutilité. Ici, au contraire, l’oblation sacrificielle de Jésus qui offre au Père du Tout les élus séthiens et qui s’offre lui-même, loin d’être un acte unique, assume plutôt la valeur d’un modèle, et Melchisédek est invité par l’ange révélateur Gamaliel à s’y conformer, c’est-à-dire à le répéter. C. Melchisédek et le baptême En effet, dans la deuxième partie du traité, lorsque Melchisédek prend la parole après avoir reçu la révélation de Gamaliel, il s’exprime exactement dans les mêmes termes que Jésus : « Je me suis présenté à toi en oblation avec ceux qui sont miens, toi, unique Père du Tout… » (16,7-9). Cela veut dire que l’acte sacerdotal primordial se perpétue et l’oblation par le grand prêtre Melchisédek des descendants de la race élue de Seth au Père du Tout continue. La mission de Jésus sur terre, avec son enseignement public, la réaction des puissances archontiques, sa mise à mort, sa descente aux enfers, sa résurrection et son enseignement ésotérique aux disciples dans la période suivante, s’est conclue avec sa réintégration dans le monde céleste dont il était descendu ; à ce moment, il a accompli un acte sacerdotal paradigmatique, où il offrait au Père du Tout les descendants de la race élue de Seth ainsi qu’il s’offrait lui-même ; cet acte d’oblation indiquait
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que le ministère sacerdotal, dont Melchisédek est l’archétype intemporel, a comme fonction principale celle d’arracher au monde de la matière les membres de la race élue des séthiens et de les ramener au Plérome céleste, dont ils sont issus. La scène de l’auto-oblation de Melchisédek au Père du Tout avec les siens (16, 7-11) est doublée d’une autre scène, celle d’un baptême (16, 11-16). Dans la première, le verbe est au passé, dans la seconde au futur. Les deux scènes semblent renvoyer à un contexte rituel précis, où un baptême va être administré 11. La première scène a comme protagoniste Melchisédek, l’ancêtre archétype de l’initié; elle a déjà été accomplie dans le passé mythique, et acquiert pour l’initié une valeur exemplaire, puisqu’il se sait inclus dans cette oblation originelle (16, 7-8 : « Je me suis présenté à toi en oblation avec ceux qui sont miens »). L’auto-oblation de Melchisédek, en outre, trouve un parallèle étroit dans l’oblation vivante présentée au Père du Tout par Jésus Christ, Fils de Dieu. Les deux personnages de Jésus et de Melchisédek, dans leur dimension mythique et intemporelle, se présentent, donc, d’une certaine façon comme interchangeables, étant deux manifestations du Grand Prêtre céleste. Cette oblation primordiale, présentée par Jésus Christ et par Melchisédek, a donc une valeur exemplaire et paradigmatique pour tous les membres de la race élue qui, en recevant le baptême participeront de la mission sacerdotale des archétypes. À la différence des oblations de Jésus et de Melchisédek, qui sont situées dans un temps hors du temps propre du mythe, l’action rituelle du baptême va se réaliser dans le présent; l’initié, en recevant le baptême, acquiert le nom de Melchisédek et la fonction sacerdotale, à l’image de l’archétype de sa race. Le baptême fonctionnerait, donc, comme une sorte d’investiture, qui sanctionne d’une façon solennelle l’appartenance de l’initié à l’église de Seth et sa participation au ministère d’une lignée sacerdotale particulière, celle de Melchisédek et de Jésus (6, 17 : « la race du Grand Prêtre »). Le rite baptismal proprement dit n’est pas décrit en détail, mais simplement évoqué d’une façon sommaire; cependant, plusieurs indices nous renvoient à une pratique rituelle effective. Ce baptême, qui se réalise dans les eaux (16, 15), comporte la prononciation du nom (16, 12-13) et est célébré une fois pour toutes (16, 13-14). Le nom de Melchisédek est prononcé et reçu par l’initié dans le rite qui, de cette façon, l’assimile à l’archétype; en plus, le nom de Melchisédek est prononcé « parmi les noms vivants et saints » (16, 14), qui sont sans doute ceux des entités célestes invoquées dans la prière qui suit (16, 16-18, 7); ce qui implique l’inclusion de l’initié, identifié à l’archétype, dans le monde de la lumière, assurée et d’une certaine façon anticipée par le rite baptismal, qui devient donc garant du salut. Le baptême, donc, investit tous les membres de la race élue de Seth 11. Sur le baptême chez les séthiens, voir J.-M. Sevrin, Le dossier baptismal séthien. Études sur la sacramentaire gnostique, Québec – Louvain, 1986.
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de la mission sacerdotale qui était celle de Jésus et de Melchisédek : présenter en oblation au Père du Tout les descendants de Seth, c’est-à-dire coopérer à leur libération des liens de ce monde matériel et de l’emprise des puissances mauvaises qui le gouvernent pour permettre leur réintégration dans le monde céleste dont ils sont issus. IV. Pour une contextualisation historique L’interprétation de la mort de Jésus en termes sacerdotaux opérée par Hébreux s’inscrit dans les nombreux efforts accomplis par les différents groupes du mouvement de Jésus pour donner un sens à cet événement choquant qui, en l’absence d’une explication convaincante et rassurante, menaçait l’effondrement du mouvement même. Il se peut que des suggestions en ce sens soient venues des traditions sur la mort des martyrs maccabéens, qui, sous la domination d’Antiochus IV (IIe siècle avant notre ère), avaient été mis à mort pour leur refus d’abandonner l’observance de la Torah et d’accepter les nouvelles pratiques imposées par les Séleucides. Cette théologie, amorcée déjà dans 2 Mac, avait été pleinement développée dans 4 Mac au cours du Ier siècle de notre ère (j’accepte la datation proposée par E. Bickerman 12 et reprise par beaucoup d’autres savants). Ici la terminologie utilisée est explicitement cultuelle : on parle de la purification opérée par le sang (καθάρσιον αὐτῶν ποίησον τὸ ἐμὸν αἵμα: 4 M 6, 29), de l’expiation opérée par la mort (διὰ […] τοῦ ἱλαστήριου τοῦ θανάτου αὐτῶν : 4 M 17, 22), si bien que la mort de ces martyrs se charge d’une valence salvifique, capable d’apaiser la colère de Dieu et de la détourner du peuple d’Israël. La théologie du martyre de 4 Mac fournissait une clef herméneutique importante pour comprendre le sens de la mort de Jésus, et surtout pour lui reconnaître une valeur salvifique : c’est ce que feront Paul, d’abord, et plus tard les auteurs des évangiles canoniques. Hébreux reprend cette suggestion de 4 Mac et la développe, en exploitant surtout ses éléments cultuels. De cette façon, la mort violente de Jésus deviendra, dans l’élaboration théologique de Hébreux, un véritable acte sacrificiel, où le crucifié joue en même temps le double rôle de ministre et de victime. Mais Jésus n’étant pas de descendance sacerdotale, il fallait légitimer autrement son sacerdoce. C’est pour résoudre ce problème qu’on a recours au personnage de Melchisédek. Les deux passages bibliques qui le mentionnent sont évoqués : d’abord, l’oracle du Ps 110, 4, où par un serment solennel Dieu établit un sacerdoce « selon l’ordre de Melchisédek », est appliqué à Jésus, qui se voit donc investi d’un sacerdoce nouveau; ensuite Gn 14, 12. Voir E. Bickerman, « The Date of IV Maccabees », dans E. Bickerman, Studies in Jewish and Christian History, Leyde, 1976, I, p. 275-280.
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18-20, d’où on peut faire ressortir les caractéristiques de ce sacerdoce nouveau : indifférence par rapport à la généalogie, durée sans fin, supériorité par rapport au sacerdoce lévitique. L’institution de ce nouveau sacerdoce « selon l’ordre de Melchisédek » implique l’abrogation du sacerdoce lévitique, qui s’est révélé inefficace et inutile. En raison de sa durée sans fin, le nouveau sacerdoce n’affecte qu’un seul grand prêtre, Jésus, qui, de son côté, n’a accompli qu’un seul acte sacerdotal : l’oblation de sa propre vie. Et ce sacrifice sanglant, offert dans le temple céleste, a opéré, une fois pour toutes, la rédemption définitive et inauguré une alliance nouvelle entre Dieu et les humains, où il n’y aura plus de transgression possible. Le grand prêtre Jésus reste actif dans le sanctuaire céleste comme intercesseur et médiateur entre les humains et Dieu. Le traité NHC IX, 1 semble connaître les thèmes et motifs développés dans Hébreux ; en particulier, il reprend le parallélisme entre Melchisédek et Jésus, qui joue un rôle très important à l’intérieur de l’épître. Étant tous les deux des manifestations du Grand Prêtre céleste, Melchisédek et Jésus exercent leur sacerdoce en s’offrant eux-mêmes en oblation au Père du tout avec les descendants de la race élue de Seth, dispersés dans le monde et à la merci des puissances archontiques. Mais, à la différence de Hébreux, l’oblation présentée au Père du Tout ne pourrait pas être sanglante, parce que, dans la conception gnostique, ni la chair immolée ni le sang versé, en tant que produits du monde de la matière, sont susceptibles d’avoir une efficace salvifique. En plus, ni le sacerdoce ni l’offrande sacrificielle ne sont uniques, mais ils assument plutôt une valeur paradigmatique, et doivent être continués : par le rite d’un baptême d’eau, les membres de l’église de Seth sont invités à s’identifier avec Melchisédek et à participer de sa mission sacerdotale, en coopérant à l’oblation au Père du Tout des membres de la race élue de Seth, oblation qui consiste en les aider à se libérer de l’emprise des archontes de ce monde et à réintégrer le Plérome céleste, dont ils sont issus. L’extension de la fonction sacerdotale aux descendants de Seth qui reçoivent le baptême semble renvoyer à une sorte de sacerdoce universel, qui rappelle celui de 1 P 2, 5.9. L’exercice du sacerdoce est ici imaginé à l’intérieur de la conception gnostique du processus de salut, qui consiste dans le rassemblement des étincelles de lumière dispersées dans le monde de la matière, dans leur purification et leur intégration finale dans le monde céleste 13. Dans l’Apocryphon de Jean nous apprenons que les âmes de la génération inébranlable 13. Voir Melchisédek (NH IX, 1). Oblation, baptême et vision dans la gnose séthienne, texte établi par W.‑P. Funk , traduit et présenté par J.-P. M ahé , commenté par C. Gianotto, Québec – Louvain, 2001, p. 19-24 ; C. Gianotto, Melchisedek e la sua tipologia. Tradizioni giudaiche, cristiane e gnostiche (sec. II a.C. – sec. III d.C.), Brescia, 1984, p. 187-235 ; F. Horton, The Melchizedek Tradition. A Criti-
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des fils de Seth « seront reçues par les receveurs (παραλήμπτωρ) dans la dignité de la vie éternelle et impérissable » (NHC III, 1 : 33, 17-19). Le terme « receveur » a ici une valeur technique et indique, si l’on peut s’exprimer ainsi, une espèce de fonctionnaires du processus de récupération de la lumière dispersée dans le monde de la matière. Nous retrouvons le personnage de Melchisédek exerçant la même fonction dans la Pistis Sophia, un écrit un peu plus tardif que notre traité 14 , où il est censé recueillir et verser au Trésor de Lumière « les lumières qui ont été purifiées parmi les archontes » (PS IV, 139). L’oblation de soi-même et des leurs, opérée par Jésus et Melchisédek dans notre traité, oblation que sont invités à multiplier et prolonger les initiés qui reçoivent le baptême, semble bien s’inscrire dans ce processus, très complexe et laborieux, de la purification de la lumière et de la remontée des âmes vers le lieu du repos dans le monde céleste. L’oblation des membres de l’église de Seth au Père du Tout, qui dans notre traité relève de la fonction sacerdotale que représentent d’une façon paradigmatique les archétypes Melchisédek et Jésus, dans les écrits gnostiques plus tardifs se bureaucratise de plus en plus et devient l’apanage de fonctionnaires célestes spécialisés, dont Melchisédek fait partie. Quant au problème du sacrifice, l’un et l’autre écrit refusent d’une façon très nette les sacrifices d’animaux : Hébreux en tant qu’inefficaces, et par conséquent, inutiles, comme le système sacerdotal et l’alliance à l’intérieur de laquelle ils sont inscrits; le traité Melchisédek en tant que typiques du culte rendu aux puissances archontiques qui gouvernent le monde de la matière. Mais, si Hébreux accepte encore l’idée que le sacrifice sanglant puisse exercer une fonction salvifique, même si elle ne reconnaît en effet cette fonction qu’à l’unique sacrifice offert par Jésus, pour le traité Melchisédek aucun sacrifice sanglant ne pourrait jouer un rôle dans le processus salvifique : ici le sacrifice est désormais complètement spiritualisé. Et enfin, pour ce qui concerne l’exercice du sacerdoce, ni Hébreux ni le traité gnostique ne semblent tirer du parallélisme entre Melchisédek et Jésus l’idée d’un sacerdoce ministériel particulier, qui remplacerait ou continuerait le sacerdoce lévitique, dont l’exercice était devenu impossible après la destruction du temple de Jérusalem en 70 ; l’établissement d’un sacerdoce institutionnel n’y est pas du tout envisagé. cal Examination of the Sources to the Fifth Century A.D. and in the Epistle to the Hebrews, Cambridge 1976, p. 131-151. 14. Voir Koptisch-gnostische Schriften, Erster Band: Die Pistis Sophia – Die beiden Bücher des Jeû – Unbekanntes altgnostisches Werk, herausgegeben von C. Schmidt, 4. um das Vorwort erweiterte Auflage herausgegeben von H.-M. Schenke , Berlin, 1981, p. xxiii-xxv : Carl Schmidt, suivant Adolph von Harnack, datait la Pistis Sophia au IIIe siècle ; plus récemment, la composition de l’ouvrage a été placée un peu plus en avant, au début du IVe siècle. Voir M. Tardieu – J.-D. Dubois , Introduction à la littérature gnostique. I, Paris, 1986, p. 80-81 ; B.A. Pearson, Gnosticism and Christianity in Roman and Coptic Egypt, Londres, 2004, p. 74.
L’UTILISATION DE LA FIGURE DE
M ELCHISÉDECH DANS LA POLÉMIQUE SACERDOTALE ENTRE LE IIe SIÈCLE AVANT NOTRE ÈRE ET LE Ier SIÈCLE DE NOTRE ÈRE 1 Steeve Bélanger Université Laval, Québec et École pratique des Hautes études, Paris
Abstract Between the second century BCE and the end of the first century CE, sacerdotal institutions and their functions underwent numerous upheavals and transformations. In several different Judean and Christian communities in the Second Temple period, this situation gave rise to a noteworthy and distinctive approach to priestly polemics. This approach can be seen particularly clearly in a number of Judean and Christian texts in which the figure of Melchizedek was used as a means of critiquing the contemporary sacerdotal institutions and functions, presenting them as impure, out of date, or even illegitimate. Résumé Entre le IIe siècle avant notre ère et la fin du Ier siècle de notre ère, les fonctions et les institutions sacerdotales ont subi de nombreux bouleversements et plusieurs transformations. Cette situation a engendré une importante polémique sacerdotale à laquelle ont participé diverses communautés judéennes et chrétiennes de la période du Second Temple. Cette polémique se révèle particulièrement dans un certain nombre de textes judéens et chrétiens qui ont eu recours à la figure de Melchisédech afin de contester les fonctions et les institutions sacerdotales de leur temps, les considérant souillées, désuètes, voire illégitimes.
I. Introduction La figure de Melchisédech, qui cumule les fonctions royale et sacerdotale, apparaît pour la première fois – du moins dans l’histoire du peuple judéen, mais pas nécessairement au niveau de l’histoire de la rédaction des 1. Cette contribution reprend certains éléments de S. Bélanger , « L’Épître aux Hébreux dans le contexte spéculatif sur la figure de Melchisédech durant la période du Second Temple de Jérusalem (IIe siècle avant notre ère – Ier siècle de notre ère) », Annali di storia dell ’esegesi 33 (2016), p. 31-77. La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 319-347. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115537 ©
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livres de la Torah – dans le récit de la Genèse 2 , « surgissant abruptement dans le texte biblique le temps d’une brève rencontre avec Abram pour disparaître aussitôt. On ne sait rien de lui, et il disparaît aussitôt. Son nom resurgit dans un psaume 3, pour s’effacer – cette fois à jamais 4 ». Ces deux mentions de la figure de Melchisédech, qui ne totalisent que quelques versets, sont d’interprétation complexe et surtout de datation difficile 5. La rareté des informations que fournissent ces textes sur la figure de Melchisédech et l’aspect secondaire de cette figure par rapport à d’autres figures bibliques plus importantes, telles qu’Abraham, n’ont pas empêché de nombreuses reprises et réactualisations dans des traditions ultérieures. Ainsi, comme l’a judicieusement souligné D. Cerbelaud, « tel un météore, Melchisédech surgit et disparaît. On ne sait rien de lui mais il a marqué les esprits 6. » Il est vrai que la figure de Melchisédech a été interpelée dans diverses traditions – tant judéennes que chrétiennes 7, tant samaritaines 8 qu’ismaéliennes 9 – qui ont circulé dans des communautés tout aussi
2. Gn 14, 18-20. 3. Ps 110 (selon le texte hébraïque) ou Ps 109 (selon le texte de la Septante). 4. D. Cerbelaud, « D’un Testament à l’Autre », Cahiers Évangile, Supplément 136 (2006), p. 3-5. 5. Sur ces passages, voir nos remarques S. Bélanger , « L’Épître aux Hébreux dans le contexte spéculatif sur la figure de Melchisédech durant la période du Second Temple de Jérusalem (IIe siècle avant notre ère – Ier siècle de notre ère) », Annali di storia dell ’esegesi 33 (2016), p. 31-77. 6. D. Cerbelaud, « D’un Testament à l’Autre », Cahiers Évangile, Supplément 136 (2006), p. 3-5. 7. Sur ces traditions, voir les articles fondateurs de M. Simon, « Melchisédech dans la polémique entre Juifs et chrétiens et dans la légende », Revue d ’histoire et de philosophie religieuse 17 (1937), p. 58-93 (= M. Simon, « Melchisédech dans la polémique entre Juifs et chrétiens et dans la légende », dans M. Simon, Recherches d ’histoire judéo-chrétienne, Paris – La Haye, 1962, p. 101-126) ; G. Bardy, « Melchisédech dans la tradition patristique », Revue biblique 35 (1926), p. 496-509 ; G. Bardy, « Melchisédech dans la tradition patristique (suite) », Revue biblique 36 (1927), p. 25-45. 8. On connaît une tradition samaritaine rapportée par le Pseudo-Eupolémos, cité par Eusèbe de Césarée dans sa Préparation évangélique (9,17.5-6), qui situe la rencontre entre Abraham et Melchisédech sur le Mont Garizim en Samarie. B.A. Pearson, « Melchizedek in Early Judaism, Christianity and Gnosticism », dans M.E. Stone – T.A. Bergren (éd.), Biblical Figures Outside the Bible, Harrisburg (Pensylvanie), 1998, p. 183. Toutefois, l’existence de cette tradition a été remise en question par K. Dalgaard, A Priest for All Generations. An Investigation into the Use of Melchizedek Figure from Genesis to the Cave of Treasures [Thèse], Department of Biblical Studies, Faculty of Theology, University of Copenhagen, Copenhague, 2013, p. 31-40 et par M. K artveit, The Origin of the Samaritans, Leyde – Boston, 2009, p. 257. 9. G. Vajda, « Melchisédech dans la mythologique ismaélienne », Journal asiatique 234 (1943/45), p. 173-183.
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diverses : judéennes 10, judéo-hellénistiques 11, qumrâniennes / esséniennes 12 , samaritaines, rabbiniques 13, synagogales, gnostiques 14 et bien évidemment chrétiennes (de langue et de culture grecques, latines, syriaques 15 et même slavonnes), pour ne nommer que les principales 16. L’intérêt pour la figure de Melchisédech ne s’est point tari, ni dans l’Antiquité, ni à la période médiévale 17, perdurant même jusqu’à nos jours. Durant la période antique, la figure de Melchisédech est mentionnée dans une variété de textes dont les dates de rédaction se concentrent entre le IIe siècle avant notre ère et la fin du Ier siècle de notre ère. Soulignons que cette époque – qui s’étale grosso modo de l’instauration de la dynastie hasmonéenne (167 avant notre ère – 37 avant notre ère) jusqu’à la première révolte judéenne et la destruction du Second Temple de Jérusalem (66-70 de notre ère), voire au-delà, jusqu’à la seconde révolte judéenne (132-135 de notre ère) – correspond à une période de bouleversements et de contestations des institutions et des fonctions sacerdotales. Peut-on alors considérer que la figure de Melchisédech a été invoquée et revendiquée par les rédacteurs de ces textes judéens afin d’alimenter une polémique sacerdotale à l’encontre du Temple de Jérusalem et de son personnel ? Si Philon d’Alexandrie (20 avant notre ère – 50 de notre ère), Flavius Josèphe (37 avant notre ère – 100 de notre ère), le Pseudo-Eupolémos 18 et certains auteurs de la communauté de Qumrân abordent la figure de Melchisédech dans leurs œuvres, ceux-ci ne semblent toutefois pas participer 10. Flavius Josèphe, Bellum judaicum 6,438 ; Antiquitates judaicae 1,180-181. 11. Philon d’Alexandrie, De Congressu Eruditionis Gratia (98-99) ; Legum Allegoriae (3,79-82) ; De Abrahamo (235), Quaestiones in Genesim (fragment). 12. Y. Yadin, « The Dead Sea Scrolls and the Epistle to the Hebrews », Scripta Hierosolymitana 4 (1958), p. 36-55 ; Y. Yadin, « A Note on Melchizedek and Qumran », Israel Exploration Journal 15/3 (1965), p. 152-154. 13. M. McNamara, « Melchizedek: Gen 14,17-20 in the Targums, in Rabbinic and Early Christian Literature », Biblica 81 (2000), p. 9-10. 14. Voir, dans ce volume, la contribution de C. Gianotto, « La figure de Melchisédech entre l’Épître aux Hébreux et le traité NCH IX,1 : la métamorphose du sacrifice » ; B. Barc , « L’exaltation de Melchisédech dans les littératures juive, chrétienne et gnostique », Cahiers Évangile, Supplément 136 (2006), p. 28-38. 15. A.H. Becker , « The Discourse on Priesthood (BL ADD 18295, FF. 137B140B): An Anti-Jewish Text on the Abrogation of the Israelite Priesthood », Journal of Semitic Studies LI/1 (2006), p. 85-115. 16. Pour un survol de ces traditions, voir S. Bélanger , « L’Épître aux Hébreux dans le contexte spéculatif sur la figure de Melchisédech durant la période du Second Temple de Jérusalem (IIe siècle avant notre ère – Ier siècle de notre ère) », Annali di storia dell ’esegesi 33 (2016), p. 33-77. 17. G. Dahan, « Melchisédech dans l’exégèse médiévale », Cahiers Évangile, Supplément 136 (2006), p. 39-54. 18. Sur le Pseudo-Eupolémos, voir A.M. Denis , Introduction aux pseudépigraphes grecs de l ’Ancien Testament, Leyde, 1970, p. 252-255 ; M. K artveit, The Origin of the Samaritans, Leyde – Boston, 2009, p. 243-257.
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à la polémique sacerdotale qui a marqué leur époque, mais représentent néanmoins de précieux témoins des discussions et des spéculations qui circulaient alors sur cette figure. Certains manuscrits retrouvés à Qumrân, l’Épître aux Hébreux de même que le 2e Livre d’Enoch semblent, pour leur part, participer davantage à cette polémique sacerdotale qui a divisé les communautés judéennes et chrétiennes. C’est donc sur cette deuxième catégorie de textes que nous porterons notre attention. Toutefois, avant d’entamer notre enquête sur la figure de Melchisédech et sur l’importance qu’elle revêt dans la polémique sacerdotale interne au judaïsme de la période du Second Temple, à une époque où le christianisme n’est encore qu’une tendance minoritaire dans la polyphonie du judaïsme ancien, il convient d’effectuer quelques remarques sur le cadre et les catégories que nous utiliserons dans cette contribution pour éviter une mécompréhension anachronique de la polémique à laquelle participaient diverses communautés judéennes. II. Quelques remarques sur le judaïsme de la période du Second Temple En premier lieu, soulignons qu’il ne convient pas de confondre dans le judaïsme ancien fonction et tribu (ou classe) sacerdotales. Si les fonctions sacerdotales relèvent des institutions et des pratiques cultuelles et sacrificielles – notamment celles pratiquées au Temple de Jérusalem, mais également celles pratiquées dans les autres temples judéens et samaritains de l’époque, tels que le Temple du Mont Garizim (Samarie) 19, le Temple d’Éléphantine (Égypte) 20 ou le Temple de Léontopolis (Égypte) 21, et possiblement dans certains milieux synagogaux 22 –, la tribu sacerdotale relève pour sa part de la généalogie et de l’hérédité, soit de la descendance de la 19. Sur le Temple du Mont Garizim et la question samaritaine, voir O. A rtus , « Ancien Testament », Recherches de science religieuse 97 (2009), p. 593-604 ; H. Hjelm, The Samaritans and Early Judaism. A Literary Analysis, Sheffield, 2000 ; H. Hjelm, Jerusalem’s Rise to Sovereignty. Zion and Gerizim in Competition, Londres – New York, 2004 ; S.C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 569-595. 20. Sur le Temple d’Éléphantine et la communauté judéenne de l’Île d’Éléphantine, voir S.C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 674-676. 21. Sur le Temple de Léontopolis et la famille des Oniades et leur conflit avec les Tobiades, voir S.C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 293-304 et p. 683685. 22. Sur le judaïsme synagogal, voir S.C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 553-563 ; J. Costa, « Qu’est-ce que le “judaïsme synagogal” ? », Judaïsme ancien / Ancient Judaism 3 (2015), p. 63-218.
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tribu de Lévi. Par conséquent, « si tous les prêtres et les grands prêtres judéens appartiennent, par hérédité [réelle ou fictive], à la tribu lévitique et sont [du moins pour les kohanim] d’ascendance aaronide, tous les membres de la tribu […] sacerdotale n’assument pas des fonctions sacerdotales et n’accomplissent pas des pratiques cultuelles et sacrificielles dans les institutions reconnues comme officielles » ou considérées comme non officielles 23. En second lieu, il ne convient pas, comme l’ont bien montré J.-M.-R. Tillard 24 , C. Perrot, B. Sesboüé et, dans le présent volume, P.‑H. Poirier 25, de confondre « sacerdoce » et « ministère », car ils appartiennent à « deux vocabulaires, deux mondes de significations [qui] se sont […] contaminés puis recouverts l’un l’autre 26 », mais qui étaient à l’origine – et continueront de l’être durant longtemps – distincts l’un de l’autre avant que les chrétiens ne procèdent à une « sacerdotalisation » du vocabulaire des ministères chrétiens à partir du IIIe siècle de notre ère 27. Pour simplifier grandement, nous pourrions résumer en disant que « sacerdoce » et « sacerdotal », « qui ont leur étymologie dans les mots latins sacerdotium et sacerdotalis (correspondant aux termes grecs hierateuma, hiereus et archihiereus) 28 », relèvent des fonctions sacrificielles liées au culte et revêtent un caractère sacré alors que « prêtre » et « presbytéral », « qui remontent étymologiquement au latin presbyter (en grec presbyteros) 29 », relèvent d’abord de fonctions communautaires et du service cultuel, de la parole, institutionnel ou divin 30 sans nécessairement revêtir un caractère 23. Voir S.C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 543-545 et 550-551. 24. J.‑M.‑R. Tillard, « La “ qualité sacerdotale ” du ministère chrétien », Nouvelle revue théologique 95 (1973), p. 481-514. 25. Voir, dans ce volume, la contribution de P.-H. Poirier , « La sacerdotalisation des ministères chrétiens (Ier ‒ IIIe siècles) ». Voir également, M. Jourjon, « La sacerdotalisation du ministère aux premières siècles », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 72-83. 26. C. Perrot, « L’Épître aux Hébreux », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 118-137 ; B. Sesboüé , « Ministère et sacerdoce », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 474-483. 27. Voir, dans ce volume, la contribution de P.-H. Poirier , « La sacerdotalisation des ministères chrétiens (Ier ‒ IIIe siècles) ». 28. B. Sesboüé , « Ministère et sacerdoce », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 475. 29. B. Sesboüé , « Ministère et sacerdoce », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 475. 30. Dans l’Ancien Testament, on peut considérer comme « ministres » tous ceux qui « officient » dans le sanctuaire (Esd 7,24 ; Is 61,6 ; Ps 103,21) et tous ceux qui assument le service du culte, de la parole (par exemple les prophètes qui donnent des prescriptions en ce qui concerne le culte) ou de Dieu, mais sans obligatoirement
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sacré ou impliquer des fonctions sacrificielles 31. Comme le précise B. Sesboüé, dans le Nouveau Testament, la plupart des auteurs ont évité d’utiliser le vocabulaire sacerdotal pour désigner les ministres et les ministères chrétiens en empruntant divers termes à la vie des communautés civiles et religieuses dans lesquelles ne s’exerçait aucun sacerdoce 32 . En troisième lieu, il convient, à la suite de S.C. Mimouni, de distinguer polémique (d’ordre interne) et controverse (d’ordre externe). Ainsi, en considérant que les textes retrouvés à Qumrân, le 2e Livre d’Énoch et l’Épître aux Hébreux constituent des écrits « intra-frontaliers », c’est-à-dire des œuvres s’insérant à l’intérieur des frontières du judaïsme de la période du Second Temple, et non comme des écrits « frontaliers », c’est-à-dire des écrits permettant d’établir une frontière entre un « judaïsme orthodoxe » et un « judaïsme non orthodoxe » ou entre le « judaïsme » et le « christianisme », les débats qu’ils renferment relèvent plutôt de la polémique que de la controverse 33. Précisons également que la polémique entre, d’une part, les premiers chrétiens d’origine judéenne et les autres mouvements judéens et, d’autre part, entre les divers mouvements judéens, a d’abord concerné le conflit des interprétations textuelles de la Torah et des institutions / fonctions sacerdotales, alors que celle entre les chrétiens d’origine judéenne et les chrétiens d’origine grecque a plutôt porté sur le conflit des observances des prescriptions de la Torah 3 4 . accomplir de geste sacerdotal. M. L ods , « Ministère », dans P.-M. Bogaert et al. (éd.), Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Turnhout, 1987, p. 831. Ainsi, dans l’Ancien Testament, « the secular uses show that the Hebrew word was not in itself a priestly term. Ministry was not necessarily a priestly thing, though priesthood was one form of ministry. » J.C. L ambert – G. Johnston, « Minister », dans J. H astings (éd.), Dictionary of the Bible, revised ed. by F.C. Grant – H.H. Rowley, New York, 1963, p. 661-662. 31. Ainsi, « par ses origines, le terme presbyteroi, christianisé, n’a donc pas de lien direct avec une activité sacerdotale au sens strict. » J.-M.-R. Tillard, « La “ qualité sacerdotale ” du ministère chrétien », Nouvelle revue théologique 95 (1973), p. 500. Voir également, B. Sesboüé , « Ministère et sacerdoce », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 475 ; M. L ods , « Ministère », dans P.‑M. Bogaert et al. (éd.), Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Turnhout, 1987, p. 831-832. 32. B. Sesboüé , « Ministère et sacerdoce », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 475. Sur le vocabulaire ministériel, voir, dans ce volume, la contribution de P.‑H. Poirier , « La sacerdotalisation des ministères chrétiens (Ier ‒ IIIe siècles) ». 33. Sur l’Épître aux Hébreux comme écrit « intra-frontalier », voir nos remarques conclusives dans S. Bélanger , « L’Épître aux Hébreux dans le contexte spéculatif sur la figure de Melchisédech durant la période du Second Temple de Jérusalem (IIe siècle avant notre ère – Ier siècle de notre ère) », Annali di storia dell ’esegesi 33 (2016), p. 75-77. 34. Sur la distinction entre polémique et controverse, nous reprenons, avec quelques modifications et nuances importantes, la présentation de S.C. M imouni,
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Finalement, soulignons que dans le judaïsme de la période du Second Temple, si ce n’est antérieurement, ont coexisté deux principales formes d’attente messianique 35 : l’attente d’une messianité royale (ou davidique) et l’attente d’une messianité sacerdotale (ou aaronide). Cette seconde forme de messianité semble s’être instaurée en lien avec la fonction de grand prêtre et sa prééminence qui n’est survenue qu’au retour de l’Exil. Ces attentes messianiques – comme le montrent notamment le Testament des XII patriarches, certains écrits de Qumrân de même que l’Épître aux Hébreux, l’Évangile selon Jean, l’Apocalypse de Jean 36 et certains passages des Évangiles synoptiques 37 – ont été combinées de manières diverses donnant parfois préséance à l’aspect royal sur l’aspect sacerdotal, d’autres fois à l’aspect sacerdotal sur l’aspect royal et d’autres fois encore à une figure messianique « bicéphale » de « roi-prêtre » 38. « Pour une compréhension de la séparation entre les communautés “ chrétiennes ” et les communautés “ pharisiennes ” (CA. 70-135 de notre ère) », Henoch 26 (2004), p. 147-148. 35. P. Piovanelli, « Les figures des leaders “ qui doivent venir ”. Genèse et théorisation du messianisme juif à l’époque du Second Temple », dans J.‑C. Attias – P. Gisel – L. K aennel (éd.), Messianismes. Variations sur une figure juive, Genève, 2000, p. 31-58, souligne l’existence d’une troisième forme de leader messianique, soit le « Prophète eschatologique » appelé à précéder les deux autres formes de messie. 36. Sur l’aspect sacerdotal dans l’Apocalypse de Jean, voir A. Vanhoye , Prêtres anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, Paris, 1980, p. 307-340 et, dans ce volume, la contribution de L. Painchaud, « Temple et sacerdoce dans l’Apocalypse de Jean. Zorobabel et Josué, témoins de Jésus, messie royal et sacerdotal (Ap 11, 3-14) ». 37. Sur la double dimension de la messianité de Jésus, voir les remarques de S.C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 556559. 38. Sur les différentes formes de messianité à l’époque du Second Temple, voir T. Römer , « Origines des messianismes juifs et chrétiens », dans J.-C. Attias – P. Gisel – L. K aennel (éd.), Messianismes. Variations sur une figure juive, Genève, 2000, p. 13-29, particulièrement 27-29 sur le messianisme à Qumrân ; P. P iovanelli, « Les figures des leaders “ qui doivent venir ”. Genèse et théorisation du messianisme juif à l’époque du Second Temple », dans J.-C. Attias – P. Gisel – L. K aennel (éd.), Messianismes. Variations sur une figure juive, Genève, 2000, p. 31-58, particulièrement 35-36 et 44-52 ; S.C. M imouni, « Jésus Messie ‘ fils de David ’ et Messie ‘ fils d’Aaron ’ », dans D. H amidović (éd.), Aux origines des messianismes juifs. Actes du colloque international tenu en Sorbonne, à Paris, les 8 et 9 juin 2010, Leyde – Boston, 2013, p. 145-172 ; W. Horbury, « The Aaronic Priesthood in the Epistle to the Hebrews », Journal for the Study of the New Testament 19 (1983), p. 43-71 (= Messianism among Jews and Christians. Twelve Biblical and Historical Studies, Londres – New York, 2003, p. 227-254) ; E.F. M ason, ‘You are a Priest Forever’. Second Temple Jewish Messianism and the Priestly Christology of the Epistle to the Hebrews, Leyde – Boston, 2008, p. 64-137 ; B. Gosse , « Melchisédech et le messianisme sacerdotal », Bibbia e Oriente 38 (1996), p. 80-89 ; C.H.T. Fletcher-L ouis ,
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III. Quelques remarques sur la crise des fonctions et des institutions sacerdotales judéennes entre la période hasmonéenne et la fin du Ier siècle de notre ère Sans pouvoir aborder de manière détaillée l’histoire des fonctions et des institutions sacerdotales et les différents bouleversements qu’elles ont subis entre l’instauration de la dynastie hasmonéenne et la fin du Ier siècle de notre ère, il convient cependant de s’y arrêter rapidement pour comprendre dans quel contexte de crise et de contestation s’inscrivent les principaux textes qui abordent la figure de Melchisédech au tournant de l’ère chrétienne. En premier lieu, soulignons qu’après la révolte maccabéenne (175 avant notre ère – 140 avant notre ère), la dynastie hasmonéenne a ressenti le besoin de légitimer et d’assoir son autorité et son pouvoir, ce qui lui permit, pour la première fois de l’histoire du peuple judéen 39, de cumuler les fonctions royale et sacerdotale. Certains spécialistes estiment qu’afin d’y parvenir, les Hasmonéens n’ont pas hésité à bouleverser les institutions et les fonctions sacerdotales en procédant « à un curieux mixage, pour ne pas dire tripatouillage, des traditions généalogiques sacerdotales 4 0 », voire plus largement des traditions scripturaires. Quoi qu’il en soit de cette « Jesus as the High Priest Messiah. Part I », Journal for the Study of the Historical Jesus 4 (2006), p. 155-175 ; C.H.T. Fletcher‑L ouis , « Jesus as the High Priest Messiah. Part II », Journal for the Study of the Historical Jesus 5 (2007), p. 57-79 ; D.I. K ang, « The Royal Components of Melchizedek in Hebrews 7 », Perichoresis 10 (2012), p. 95-124. 39. Comme le mentionne M. Bodinger, « L’énigme de Melkisédeq », Revue de l ’histoire des religions 211 (1994), p. 303, « si des roi-prêtres ont existé chez les Égyptiens, ou même chez des peuples sémitiques, cela ne s’applique pas aux Hébreux avant l’exil. » Par ailleurs, poursuit-il, note 18, « l’existence de roi-prêtre en Canaan n’est pas attestée » et même si l’hypothèse du cumul des fonctions royales et sacerdotales des rois d’Israël est possible il était très occasionnel. « Booij reconnaît qu’il y a peu de chances qu’un titre de prêtre ait été conféré au roi avant l’exil (cf. Th. Booij, Psalm CX, p. 406) ». T. Römer, « Origines des messianismes juifs et chrétiens », dans J.‑C. Attias – P. Gisel – L. K aennel (éd.), Messianismes. Variations sur une figure juive, Genève, 2000, p. 16, souligne toutefois que, dans la Bible hébraïque, « le roi est également le prêtre suprême, médiateur culturel entre les dieux et les hommes. Il exerce des fonctions rituelles importantes lors des grandes fêtes. » Pour M. Bodinger, « L’énigme de Melkisédeq », Revue de l ’histoire des religions 211 (1994), p. 303, il est vrai que « les rois juifs remplissaient, parfois, des fonctions sacerdotales, mais cela ne prouve rien. Pendant toute la période monarchique et avant elle, on trouve des juges, des prophètes et des gens du peuple qui font office de prêtres; avant l’Exil cette fonction n’avait pas l’importance qu’on lui attribua après. » 40. S.C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 554-556.
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hypothèse, qui fait l’objet d’un débat sur lequel il est inutile de s’arrêter, il apparaît qu’après la mort de Simon Maccabée (143 avant notre ère) – le fondateur de la dynastie hasmonéenne qui appartenait à la tribu sacerdotale et qui avait été proclamé « grand prêtre à jamais jusqu’à ce que se lève un prophète fidèle 41 », chef militaire et ethnarque des Judéens 42 par le peuple et par les prêtres –, son fils, Jean Hyrcan (134 avant notre ère – 104 avant notre ère), a été à son tour immédiatement proclamé grand prêtre comme le montrent les premières monnaies frappées par cette dynastie, qui portent l’inscription « Yehohanan le grand prêtre et la communauté de Jérusalem 43 ». Si la dynastie hasmonéenne a réussi à s’accaparer la grande prêtrise, ce n’est que sous le règne des fils de Jean Hyrcan, soit celui d’Aristobule Ier (104 avant notre ère – 103 avant notre ère), soit celui d’Alexandre Jannée (103 avant notre ère – 76 avant notre ère), que les fonctions royale et sacerdotale ont été cumulées par une même personne 4 4 , cumul qui était toujours effectif sous le règne d’Hyrcan II qui est désigné par Flavius Josèphe 45 comme « prêtre du Très-Haut », désignation qui se rapproche de celle de Melchisédech dans le récit de la Genèse (14,18-20). Ce cumul des fonctions royale et sacerdotale semble avoir été désapprouvé par un certain nombre de Judéens, notamment en raison du conflit qui a opposé, d’une part, la dynastie hasmonéenne et ses partisans sadducéens et, d’autre part, le mouvement pharisien. Il semble également que les membres de la communauté de Qumrân, dont l’hypothèse d’une appartenance à la tribu sacerdotale n’est pas à négliger, auraient été d’une certaine manière en conflit avec le Temple et les membres du personnel sacerdotal alors en fonction, notamment avec le grand prêtre, qui incarnait la plus prestigieuse et la plus sacrée des fonctions sacerdotales, car ils considéraient que celles-ci étaient souillées depuis l’arrivée au pouvoir de la dynastie hasmonéenne, voire depuis l’accession illégitime, selon eux, à la grande prêtrise de Jonathan (161 avant notre ère – 143 avant notre ère) qui y avait été nommé par les auto41. 1 M 14,41. 42. 1 M 15,1. 43. S.C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 358-362. 44. Les sources divergent en ce qui concerne le premier dirigeant hasmonéen à prendre véritablement le titre de roi (Βασιλεύς). Selon Flavius Josèphe (Antiquitates judaicae 13,301 ; Bellum judaicum 1,70), c’est Aristobule Ier qui a été le premier à détenir le pouvoir royal alors que selon Strabon, cette dignité a d’abord été celle d’Alexandre Jannée (Géographie XVI,2,40). Comme le précise S.C. Mimouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 363, Alexandre Jannée sera le premier roi hasmonéen à battre monnaie sur laquelle est inscrit son titre royal. 45. Flavius Josèphe, Antiquitates judaicae 16,6,2. Sur la dynastie hasmonéenne, voir S.C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 353-386.
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rités séleucides 4 6. Sans devoir considérer que la communauté de Qumrân se situait en « rupture » avec Jérusalem, le Temple et les membres de la tribu sacerdotale en fonction – les études récentes montrent qu’elle n’a pas vécu dans une réclusion totale, mais qu’elle a plutôt continué de fréquenter Jérusalem et d’être en interaction avec les autres tendances / communautés judéennes de la période du Second Temple 47 – il convient d’admettre, selon l’avis d’une majorité de spécialistes, que plusieurs des textes émanant de cette communauté comportent de nombreux aspects polémiques à l’encontre du Temple et de son personnel 48. En second lieu, mentionnons qu’entre la période hasmonéenne et la destruction du Second Temple en 70 de notre ère, la fonction de grand prêtre a continué à souffrir d’une perte de prestige et d’une contestation de sa légitimité par certains mouvements judéens, « notamment [en raison de] la montée en puissance de deux nouveaux groupes, celui des pharisiens et celui des scribes qui ont contesté son expertise en matière de droit religieux, [de] tensions internes aussi entre les riches familles sacerdotales dont les chefs résident en permanence à Jérusalem, fournissant les grands prêtres, et les prêtres les plus pauvres qui vivent difficilement à la campagne 49. » Durant cette période, la fonction de grand prêtre s’est également transformée en instrument politique contrôlé, à l’instar des Séleucides, d’abord par les Hérodiens 50, puis par les gouverneurs romains qui n’ont pas hésité à nommer et à destituer les grands prêtres déstabilisant et affaiblissant ainsi durablement cette haute fonction sacerdotale. C’est dans ce contexte d’une perte de prestige et de légitimité de la grande prêtrise et dans ce contexte de contestation des institutions et des fonctions sacerdotales que semble s’être 46. S.C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 240-241. 47. C. H empel , « Qumran Communities: Beyond the Fringes of Second Temple Society », dans S.E. Porter – C.A. Evans (éd.), The Scrolls and the Scriptures. Qumran Fifty Years After, Sheffield, 1997, p. 43-53. 48. S.C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 240. 49. S.C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 548. 50. Par exemple, afin de légitimer son pouvoir, Hérode le Grand a d’abord nommé Ananel, descendant d’une famille sacerdotale de Babylonie, puis en raison des pressions d’Alexandra, il le remplaça par Aristobule qu’il finit par faire assassiner en raison d’une trop grande marque d’affection de la part du peuple. Dès lors, la succession du grand pontificat dans la famille hasmonéenne prit fin. Cette fonction allait perdre de plus en plus de son prestige et son détenteur devenir ainsi un simple fonctionnaire du culte officiel. Hérode continua de nommer et de destituer le grand prêtre, qui venait majoritairement de la diaspora pour empêcher son octroi aux vieilles familles sadducéennes qui avaient appuyé les Hasmonéens, au gré de sa politique. Hérode contribua donc à affaiblir à la fois la grande prêtrise et le sanhédrin. P. Schäfer , Histoire des Juifs dans l ’Antiquité, Paris, 1989, p. 114-115 et 120-121.
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instaurée une véritable polémique sacerdotale opposant les détenteurs des fonctions sacerdotales à Jérusalem et les autres communautés judéennes, telles que les premières communautés chrétiennes – comme le montrent, entre autres, le discours d’Étienne dans les Actes des apôtres (7,2-53) et l’Épître aux Hébreux –, la communauté qumrânienne et la communauté hénochienne. Cette polémique sacerdotale semble avoir coïncidé avec la montée de la croyance en une messianité sacerdotale 51. Cette croyance n’est peut-être pas étrangère à la revendication de certains membres d’une des trois délégations judéennes qui ont demandé audience à Pompée pour l’inviter à régler la crise intestine qui a opposé Hyrkan II et son conseiller Antipater, stratège d’Idumée, à Aristobule II. Cette dernière aurait alors demandé l’abolition de la royauté pour un retour à un gouvernement dirigé uniquement par un grand prêtre comme la tradition le voulait 52 . Il n’est donc pas impossible que cette requête ait été dictée par une croyance en une messianité sacerdotale. Finalement, il convient de rappeler que, dans l’histoire du judaïsme ancien, la contestation des fonctions et des institutions sacerdotales a engendré de nombreuses divisions qui ont conduit à la « marginalisation » ou à l’« éloignement » de certaines communautés et de leurs représentants. Mentionnons, parmi d’autres exemples, la communauté de Qumrân ou l’exil d’un certain nombre de familles sacerdotales, telles que les Oniades en Égypte, ou d’une communauté plus importante, telle que les Samaritains, sans parler du conflit qui a opposé, dès l’époque hasmonéenne, les léviim et les kohanim 53. Ces divers conflits ont résulté en la construction d’autres sanctuaires tels que celui du Mont Garizim en Samarie, demeuré en fonction jusqu’en 108 avant notre ère, et celui de Léontopolis en Égypte, demeuré en fonction jusqu’en 73 de notre ère. Cependant, tout comme cela a été le cas lors de la destruction du Second Temple de Jérusalem (70 de notre ère), il apparaît de plus en plus évident que les membres des familles sacerdotales qui officiaient dans chacun de ces temples ont survécu à la destruction de ceux-ci et ont continué à revendiquer leur légi-
51. Voir les remarques de C.H.T. Fletcher-L ouis , « Jesus as the High Priest Messiah. Part I », Journal for the Study of the Historical Jesus 4 (2006), p. 155-175 ; C.H.T. Fletcher-L ouis , « Jesus as the High Priest Messiah. Part I », Journal for the Study of the Historical Jesus 5 (2007), p. 57-79. 52. E.-M. Laperrousaz , « Palestine », dans F. A rmengaud – R. Goestschel – M. Garel (éd.), Dictionnaire du judaïsme, préf. de C. Baladier , Paris, 1998, p. 560 ; C. Saulnier – C. Perrot, Histoire d ’Israël, III. De la conquête d ’Alexandre à la destruction du temple (331 a. C. – 135 a. D.), Paris, 1985, p. 165-177 ; A. Paul , Le monde des Juifs à l ’heure de Jésus. Histoire politique, Paris, 1981, p. 41 et 180. 53. Sur le conflit entre les léviim et les kohanim, voir S.C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 546.
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timité face aux autres formes d’autorité judéenne qui émergeaient, notamment l’autorité rabbinique. À partir de ces quelques considérations, et pour compléter sans redoubler les éléments mentionnés dans la contribution de C. Gianotto dans le présent volume 54, nous tenterons de montrer par une étude de la réception et de la réutilisation de la figure de Melchisédech dans les traditions judéennes et chrétiennes du IIe siècle avant notre ère au Ier siècle de notre ère que cette dernière a été au centre, du moins pour certaines de ces communautés, d’une importante polémique sacerdotale contre le Temple, les rites qui y sont pratiqués et son personnel. Pour comprendre cette polémique, étroitement liée à des questions de légitimation et probablement de pureté, il convient de reprendre brièvement en amont les enjeux complexes entourant la figure des plus énigmatiques de Melchisédech et de son sacerdoce éternel. IV. Quelques remarques sur la figure de Melchisédech dans la Bible hébraïque et dans la Septante (Gn 14,18-20 et Ps 110[109],4) Dans la Bible hébraïque et la Septante, la figure de Melchisédech apparaît dans le récit de la Genèse (14,18-20) et au verset 4 du Psaume 110 (109). Sans pouvoir reprendre ici l’ensemble des études consacrées à cette figure et les diverses hypothèses avancées sur la datation et l’interprétation de ces deux textes, nous nous limiterons à présenter quelques remarques de synthèse sur la figure de Melchisédech dans la Bible hébraïque et la Septante en faisant abstraction des variations qui existent entre la version hébraïque et la version grecque. Soulignons tout d’abord que ces deux textes sont considérés par certains spécialistes comme appartenant ou remontant à une tradition commune, car, dans chacun d’eux, une figure détient à la fois les offices royal et sacerdotal. Cependant, rappelle E.F. Mason, il est difficile d’établir la nature exacte de la relation qui unit ces deux textes 55. La manière dont la recherche les a interprétés, surtout la figure de Melchisédech et le cumul de sa dignité royale et sacerdotale, dépend de la datation – qui oscille entre la période pré-exilique et la période hasmonéenne – qu’on en a proposée, du Sitz im Leben dans lequel on a tenté de situer leur rédaction et des objectifs – majoritairement liés à des questions de légitimation (légitimation monarchique, légitimation sacerdotale, légitimation du cumul des 54. Voir, dans ce volume, les remarques de C. Gianotto, « La figure de Melchisédek entre l’Épître aux Hébreux et le traité NHC IX,1 : la métamorphose du sacrifice ». 55. E.F. M ason, « Melchizedek Traditions in Second Temple Judaism », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perpectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 343-345.
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fonctions monarchique et sacerdotale) 56 – qu’on leur a attribués de même que les nombreuses hypothèses qu’on a avancées en ce qui concerne les problèmes textuels. Malgré les discussions qui ont cours sur ces questions, souvent insolubles et reposant sur des présomptions qui manquent de preuves suffisantes, il est possible de dégager certains éléments communément admis par une majorité de spécialistes. La rédaction finale du récit de la Genèse, qui varie sensiblement entre sa version hébraïque et sa version grecque, témoigne d’un épisode, considéré comme un ajout secondaire, racontant une rencontre entre Abram, le patriarche, et un roi, nommé Melchisédech, qui semble également assumer des fonctions sacerdotales pour une divinité nommée El ‘Elyon. Au cours de cette rencontre, Melchisédech bénit Abram et El ‘Elyon et une dîme est remise, sans qu’on puisse établir, du moins dans le texte hébraïque, qui de Melchisédech ou d’Abram effectue son paiement, une ambiguïté qui est levée dans le texte de la Septante. Dans le Psaume 110 (109), qui reflète un caractère royal, le destinataire est présenté comme possédant à la fois le sceptre du pouvoir royal et un sacerdoce éternel différent du sacerdoce lévitique. Finalement, ce qu’il convient de retenir, c’est que les deux textes présentent une figure, que ce soit Melchisédech lui-même ou une autre figure difficilement identifiable dans le cas du Psaume 110 (109), qui détient à la fois les offices royal et sacerdotal et dont le sacerdoce est généralement compris comme distinct du sacerdoce lévitique. Il semble donc évident pour une majorité de commentateurs que ces deux textes mettent en jeu des liens étroits unissant pouvoirs royal et sacerdotal. L’ambiguïté de ces textes et le caractère plurivoque de la figure de Melchisédech ont contribué, dès l’Antiquité, aux diverses spéculations sur cette figure qui semblent ressurgir de manière significative au tournant de l’ère chrétienne. Certains commentateurs ont également souligné que l’union des pouvoirs royal et sacerdotal a ouvert sur les possibilités d’une messianité « bicéphale », l’attente d’un roi davidique et d’un Messie sacerdotal 57. Rappelons que deux des attributs du Messie attendu sont ceux de 56. Il n’est pas à exclure cependant que ces problèmes de légitimation se soient superposés les uns aux autres de manière plus ou moins concomitante ou qu’ils aient été réactualisés à différentes époques. 57. E. Cothenet, « Melchisédech dans la tradition chrétienne », dans A. Chehwan – A. K assis (éd.), Études bibliques et Proche-Orient ancien. Mélanges offerts au Rvd. Père Paul Feghali, Beyrouth, 2002, p. 145, note 4. Voir également S.C. M imouni, « Jésus Messie ‘ fils de David ’ et Messie ‘ fils d’Aaron ’ », dans D. H amidović (éd.), Aux origines des messianismes juifs. Actes du colloque international tenu en Sorbonne, à Paris, les 8 et 9 juin 2010, Leyde – Boston, 2013, p. 145172. Pour B. Gosse, « Melchisédech et le messianisme sacerdotal », Bibbia e Oriente 38 (1996), p. 80-89, particulièrement 85, « au retour de l’Exil, l’espérance d’une restauration de la dynastie davidique a rapidement disparu. Par contre, il y avait le grand prêtre qui a hérité d’un certain nombre de prérogatives royales, à commencer par l’onction, cf. Is 61,1. En Gn 14,18-20, celui-ci pourrait donc être l’archétype
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« justice » et de « paix » 58, attributs, on ne manquera pas de le remarquer, qui ne sont donc pas sans lien avec la figure même de Melchisédech dont le nom signifierait « roi de justice » et qui, en tant que roi de Salem, était également considéré comme un « roi de paix ». V. Les deux catégories de traditions judéennes sur la figure de Melchisédech entre le IIe siècle avant notre ère et la fin du Ier siècle de notre ère : entre une figure « humaine » et « suprahumaine » La figure de Melchisédech entre le IIe siècle avant notre ère et la fin du Ier siècle de notre ère, une période très marquée par les attentes messianiques, apocalyptiques et eschatologiques, mais, également, nous l’avons souligné, une période de forts bouleversements des fonctions et des institutions sacerdotales, est mentionnée par certains auteurs judéens de cette époque qui lui ont accordé un intérêt plus ou moins soutenu. Elle est mentionnée de manière concise, mais importante, par Flavius Josèphe, Philon d’Alexandrie et par le Pseudo-Eupolémos, alors que certains auteurs de la communauté judéenne de Qumrân et de la communauté chrétienne lui ont accordé une attention soutenue. Cependant, à la suite de H.W. Attridge et surtout de D. Dimant, il convient de considérer que les traditions sur Melchisédech au tournant de l’ère chrétienne doivent être séparées en deux catégories, soit, d’une part, les traditions élaborées à partir du récit de la Genèse (14,18-20) et qui présentent Melchisédech comme une figure « humaine » et, d’autre part, les traditions élaborées à partir du Psaume 110 (109) et qui présentent Melchisédech comme une figure « suprahumaine » 59. Les traditions judéennes présentant une figure « humaine » de Melchisédech Pour D. Dimant, les traditions qui présentent une figure « humaine » de Melchisédech mettent surtout en lumière la fonction royale ou sacerdotale de Melchisédech, ou parfois les deux, et décrivent Melchisédech dans les mêmes termes que l’épisode biblique, mais de manière très différente et selon des perspectives qui correspondent aux préoccupations des commuproposé des relations entre le peuple d’Israël, symbolisé par Abraham, et le Grand Prêtre, héritier de prérogatives royales, symbolisé par Melchisédech, au retour de l’Exil. Le rappel de la nécessité du paiement de la dîme n’aurait rien d’étrange dans ce contexte. » 58. Is 9,6 ; Jr 23,5 ; 33,15 ; Za 9,9-10 ; Ps 72,7 ; Ps 97,2. 59. H.W. Attridge , « Melchizedek in Some Early Christian Texts and 2 Enoch », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 390 ; D. Dimant, « Melchizedek at Qumran and in Judaism: A Response », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perpectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 362.
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nautés dans lesquelles elles ont été rédigées et ont circulé 60. Ces traditions tentent d’apporter certaines réponses au mystère qui entoure la figure de Melchisédech et son cumul des fonctions royale et sacerdotale, son origine ethnique, l’identité du Dieu dont il est prêtre, considéré comme étant le Dieu d’Israël, la remise et la nature de la dîme qui y est mentionnée, de même que l’identité de la ville (Salem / Shalem), habituellement identifiée à Jérusalem, dont il est roi et du temple auquel il est parfois associé, souvent identifié avec le Temple de Jérusalem. Nous retrouvons dans cette catégorie le Traité sur les Judéens du PseudoEupolémos, les œuvres de Flavius Josèphe et de Philon d’Alexandrie de même que deux textes retrouvés à Qumrân, soit le Livre des Jubilées et l’Apocryphe de la Genèse, qui sont considérés par une majorité de commentateurs comme des textes « non sectaires », c’est-à-dire n’émanant pas de la communauté de Qumrân, mais qui étaient reçus par cette dernière 61. Ces textes, dont la rédaction se situe entre le IIe siècle avant notre ère et le Ier siècle de notre ère, prennent appui sur le récit de Gn 14,18-20 ou ils en effectuent une réécriture, mais il n’est pas impossible qu’ils aient aussi pris appui sur le Psaume 110 (109) pour établir la correspondance entre Salem / Shalem et Jérusalem. Sans devoir considérer que, pour ces auteurs, Melchisédech représente un personnage de premier plan, ce qui ne semble d’ailleurs pas le cas, il n’en demeure pas moins que leurs témoignages montrent que cette figure était connue dans différents milieux judéens de la période du Second Temple et qu’elle faisait l’objet de spéculations. À la lumière de la diversité des éléments qui circulaient sur la figure de Melchisédech, on peut considérer que, pour ces auteurs, celle-ci faisait déjà l’objet de discussions, mais ils ne s’y réfèrent pas pour aborder la polémique sacerdotale qui existait à leur époque, du moins si l’on considère que l’hypothèse d’une tradition samaritaine attribuée au Pseudo-Eupolémos est erronée ou exagérée. Les traditions judéennes présentant une figure « suprahumaine » de Melchisédech Les autres traditions judéennes sur la figure de Melchisédech qui nous ont été préservées montrent que les spéculations sur cette figure ont atteint 60. D. Dimant, « Melchizedek at Qumran and in Judaism: A Response », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perpectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 362. 61. Sur la question de la distinction entre textes « sectaires » et « non sectaires » découverts à Qumrân, voir les remarques de D. Dimant, « The Qumran Manuscripts: Contents and Significance », dans D. Dimant – L.H. Schiffman (éd.), Time to Prepare the Way in the Wilderness. Papers on the Qumran Scrolls by Fellows of the Institute for Advanced Studies of the Hebrew University, Jerusalem (1989-1990), Leyde – New York – Cologne, 1995, p. 23-58.
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un stade avancé 62 . Ces traditions tendent à présenter cette figure sous une forme « suprahumaine ». Nous retrouvons dans cette catégorie divers manuscrits découverts à Qumrân – 4QShirot ‘Olat Ha-Shabbat qui a aussi été retrouvé à Massada (Mas 1K) 63, la Vision d’Amram 6 4 (4Q‘Amram), les manuscrits 4Q280 et 4Q246 65 et surtout le pesher sur Melchisédech (11Q13 Melchisédech) – de même que l’Épître aux Hébreux et le 2e Livre d’Enoch. Pour la majorité des textes retrouvés à Qumrân, la reconstruction du nom de Melchisédech est souvent spéculative et peut difficilement être exploitée pour développer d’autres théories 66. Nous ne retiendrons que les témoignages dans lesquels la figure de Melchisédech est identifiable, soit le pesher sur Melchisédech (11Q13 Melchisédech) qui, malgré son caractère fragmentaire, nous permet de mieux comprendre certaines spéculations sur
62. B.A. Pearson, « Melchizedek in Early Judaism, Christianity and Gnosticism », dans M.E. Stone – T.A. Bergren (éd.), Biblical Figures Outside the Bible, Harrisburg, 1998, p. 182. 63. Sur ce document, voir P.J. Kobelski, Melchizedek and Melchiresa‘, Washington, 1981, p. 24-36 ; K. Dalgaard, A Priest for All Generations. An Investigation into the Use of Melchizedek Figure from Genesis to the Cave of Treasures [Thèse], Department of Biblical Studies, Faculty of Theology, University of Copenhagen, Copenhague, 2013, p. 47-56. 64. Sur ce document, voir P.J. Kobelski, Melchizedek and Melchiresa‘, Washington, 1981, p. 24-36 ; K. Dalgaard, A Priest for All Generations. An Investigation into the Use of Melchizedek Figure from Genesis to the Cave of Treasures [Thèse], Department of Biblical Studies, Faculty of Theology, University of Copenhagen, Copenhague, 2013, p. 57-60. 65. Sur ces deux manuscrits, voir P.J. Kobelski, Melchizedek and Melchiresa‘, Washington, 1981, p. 37-48 ; K. Dalgaard, A Priest for All Generations. An Investigation into the Use of Melchizedek Figure from Genesis to the Cave of Treasures [Thèse], Department of Biblical Studies, Faculty of Theology, University of Copenhagen, Copenhague, 2013, p. 60-61. 66. D. Dimant, « Melchizedek at Qumran and in Judaism: A Response », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perpectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 366. Sur les textes découverts à Qumrân qui mentionnent la figure de Melchisédech, voir K. Dalgaard, A Priest for All Generations. An Investigation into the Use of Melchizedek Figure from Genesis to the Cave of Treasures [Thèse], Department of Biblical Studies, Faculty of Theology, University of Copenhagen, Copenhague, 2013, p. 47-61 ; E.F. M ason, « Melchizedek Traditions in Second Temple Judaism », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perpectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 353-356, 360 ; E.F. M ason, « Hebrews 7:3 and the Relationship between Melchizedek and Jesus », Biblical Research 50 (2005), p. 52-53, 61 ; E.F. M ason, « The Identification of Mlky Sdq in 11QMelchizedek: A Survey of Recent Scholarship », The Qumran Chronicle 17/2-4 (2009), p. 56 ; B.A. Pearson, « Melchizedek in Early Judaism, Christianity and Gnosticism », dans M.E. Stone – T.A. Bergren (éd.), Biblical Figures Outside the Bible, Harrisburg, 1998, p. 182 ; M. R eiss , « The Melchizedek Traditions », Scandinavian Journal of the Old Testament 26 (2012), p. 262-263.
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cette figure qui circulaient dans la communauté de Qumrân 67, l’Épître aux Hébreux, seul témoignage néotestamentaire se référant à la figure de Melchisédech, et le 2e Livre d’Enoch. Il sera impossible d’aborder dans le détail l’ensemble de ces textes et leurs Sitz im Leben respectifs, qui continuent de faire l’objet de débats entre spécialistes. Mentionnons d’emblée que ces divers témoignages, rédigés entre le IIe siècle avant notre ère et la fin du Ier siècle de notre ère, ont principalement, mais non exclusivement, pris appui sur le Psaume 110 (109) afin de présenter une figure « suprahumaine » de Melchisédech selon des perspectives et des objectifs qui leur sont propres. Contrairement aux témoignages appartenant à la première catégorie de traditions sur la figure de Melchisédech, ceux de la deuxième catégorie semblent avoir eu recours à cette figure afin d’alimenter une polémique sacerdotale qui avait cours à leur époque. VI. La figure de Melchisédech dans la polémique sacerdotale entre le IIe siècle avant notre ère et la fin du Ier siècle de notre ère La figure « suprahumaine » de Melchisédech dans la communauté de Qumrân Sans entrer dans les discussions qui divisent la recherche sur la figure de Melchisédech dans le manuscrit 11Q13 Melchisédech 68, un document apocalyptique reconnu comme étant de type « sectaire », c’est-à-dire propre à la communauté de Qumrân 69, une majorité de spécialistes s’entendent sur le fait que dans ce texte, Melchisédech apparaît comme une figure « suprahumaine » analogue à d’autres figures célestes – par exemple l’archange Michael, le Prince de Lumière ou l’ange qui intercède pour le peuple d’Israël 70 – que l’on retrouve dans certains manuscrits de Qumrân et qui 67. F.G. M artinez , « La figure de Melki-Sedeq et le messianisme qumrânien », dans D. D ługosz – H. R atajczak (éd.), Józef Tadeusz Milik et cinquantenaire de la découverte des manuscrits de la Mer morte de Qumrân, Varsovie, 2000, p. 45-50, particulièrement 47 ; D. Dimant, « Melchizedek at Qumran and in Judaism: A Response », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 361. 68. Pour une histoire de la recherche, voir E.F. M ason, « The Identification of Mlky Sdq in 11QMelchizedek: A Survey of Recent Scholarship », The Qumran Chronicle 17/2-4 (2009), p. 51-61. Pour une traduction française de 11Q13 Melchisédech, voir D. H amidović , Les traditions du jubilé à Qumrân, Paris, 2007, p. 82-84. 69. Voir note 61. 70. E.F. M ason, « Melchizedek Traditions in Second Temple Judaism », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 356. D. Dimant, « Melchizedek at Qumran and in Judaism: A Response », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 366, souligne que « the eschatological functions of Melchizedek in the pesher are similar to the activities of the archangel Michael in other texts, some scholars have suggested that the two are indeed identical […]
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accomplissent, tout comme Melchisédech, des fonctions eschatologiques et / ou judiciaires. Il est toutefois impossible, en raison de l’état lacunaire du document dont ne subsistent que trois colonnes, d’établir une équivalence entre Melchisédech et ces autres figures célestes 71. De plus, l’avis des spécialistes diverge en ce qui concerne la nature et les fonctions qu’assume la figure de Melchisédech dans ce pesher. Le rédacteur de 11Q13 Melchisédech « utilise une série de passages et de thèmes bibliques qui lui permettent de connecter la figure de Melchisédech avec le jour de l’expiation, le sabbat et les périodes des jubilés » 72 . La figure de Melchisédech prend ainsi place dans un contexte eschatologique – plus précisément à la fin du dixième et dernier jubilé – lié à des thématiques sacerdotales, prophétiques, de jugement et de rédemption 73. Il est présenté comme « siégeant dans l’assemblée divine au milieu des elohim » (ligne 10) 74 , ce qui tend à lui conférer une nature « suprahumaine ». Si les fonctions attribuées à Melchisédech correspondent à des fonctions messianiques – jugement final, expiation pour les hommes de son patrimoine (ligne 5) ou de son lot (lignes 8 et 13) 75, destruction des armées de Bélial, bataille eschatologique, restauration de la paix éternelle, salut final des élus –, il n’est toutefois pas qualifié de Messie, les termes « messie » et « oint » étant absents du texte conservé. Melchisédech apparaît néanmoins comme une figure « messianique », voire même, en tant que figure céleste, comme un « messie céleste » qui pourrait s’apparenter aux but no definite conclusion may be drawn because of the diversity of the evidence. » Voir également C.A. Gieschen, « Enoch and Melchizedek: The Concern for Supra-Human Priestly Mediators in 2 Enoch », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 378 ; H.W. Attridge , « Melchizedek in Some Early Christian Texts and 2 Enoch », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 390 ; F.G. M artinez , « La figure de Melki-Sedeq et le messianisme qumrânien », dans D. D ługosz – H. R atajczak (éd.), Józef Tadeusz Milik et cinquantenaire de la découverte des manuscrits de la Mer morte de Qumrân, Varsovie, 2000, p. 46. 71. D. H amidović , Les traditions du jubilé à Qumrân, Paris, 2007, p. 82 et 93 ; D. Dimant, « Melchizedek at Qumran and in Judaism: A Response », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 366. 72. J.C. Vanderkam, « Sabbatical Chronologies in the Dead Sea Scrolls and Related Literature », dans T.H. Lim et al. (éd.), The Dead Sea Scrolls in Their Historical Context, Édimbourg, 2000, p. 176. 73. D. H amidović , Les traditions du jubilé à Qumrân, Paris, 2007, p. 81. 74. Sur l’expression « siégeant dans l’assemblée divine au milieu des elohim », voir les remarques de D. H amidović , Les traditions du jubilé à Qumrân, Paris, 2007, p. 90-91. 75. Sur les expressions « patrimoine de Melchisédech » et « hommes du lot de Melchisédech », voir les remarques de D. H amidović , Les traditions du jubilé à Qumrân, Paris, 2007, p. 87-89.
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figures messianiques que l’on retrouve dans Les paraboles d’Hénoch et dans le Quatrième livre d’Esdras, qui font référence à une figure préexistante, transcendante et d’origine céleste. Ainsi, ce texte « permet de prouver que dans le judaïsme pré-chrétien l’idée d’un agent eschatologique de salut de caractère “ suprahumain ” était déjà développée. À Qumrân, à côté d’un “ messie-roi ” descendant de David et d’un “ messie-prêtre ” descendant d’Aaron, on attendait aussi l’intervention d’un agent de salut eschatologique céleste […] 76. » De même, s’il n’est pas désigné comme prêtre ou comme grand prêtre, les deux termes étant absents du document, on reconnaît généralement que le pesher attribue à Melchisédech des fonctions sacerdotales, notamment en lien avec le Jour de l’expiation qui terminera le dixième et dernier cycle jubilaire 77. Ces fonctions sont étroitement liées à de juge eschatologique qu’il accomplit à l’égard des hommes et des anges, le thème de la justice étant prédominant dans les documents retrouvés à Qumrân, une fonction qui renvoie à l’étymologie du nom de Melchisédech, qui signifie « roi de justice » pour une majorité d’auteurs judéens qui appartiennent à la première catégorie de traditions 78. De même, la figure de Melchisédech est mise en relation avec la purification de Sion, la cité mentionnée dans 76. F.G. M artinez , « La figure de Melki-Sedeq et le messianisme qumrânien », dans D. D ługosz – H. R atajczak (éd.), Józef Tadeusz Milik et cinquantenaire de la découverte des manuscrits de la Mer Morte de Qumrân. Varsovie, 2000, p. 45-50. Voir également, S.C. M imouni, « Jésus Messie ‘ fils de David ’ et Messie ‘ fils d’Aaron ’ », dans D. H amidović (éd.), Aux origines des messianismes juifs. Actes du colloque international tenu en Sorbonne, à Paris, les 8 et 9 juin 2010, Leyde – Boston, 2013, p. 145-172. 77. D. Hamidović, Les traditions du jubilé à Qumrân, Paris, 2007, p. 89. D. Dimant, « Mel c hizedek at Qumr an and in Judaism: A Response », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perpectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 366, note cependant que « Melchizedek’s task is certainly to atone ( )לכפרfor the sins of the Sons of Light, but this function may stem from his judicial role rather than his priestly function. » 78. D. Dimant, « Melchizedek at Qumran and in Judaism: A Response », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perpectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 366. Pour C.A. Gieschen, « Enoch and Melchizedek: The Concern for Supra-Human Priestly Mediators in 2 Enoch », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 378, « le rôle de Melchisédech comme grand prêtre est clair dans le contexte du Jour de l’Expiation ». F.G. Martinez, « La figure de Melki-Sedeq et le messianisme qumrânien », dans D. D ługosz – H. R atajczak (éd.), Józef Tadeusz Milik et cinquantenaire de la découverte des manuscrits de la Mer morte de Qumrân, Varsovie, 2000, p. 46, considère que Melchisédech est « présenté comme le prêtre qui officie dans la liturgie céleste du Yom Kippur qui marque la fin des dix jubilés de l’histoire » et « comme un grand prêtre céleste de l’ère eschatologique […], le penchant [sic] céleste le grand prêtre terrestre de la même époque que d’autres textes qumrâniens appellent le “messie d’Aaron”. »
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le Psaume 110 (109), ce qui permet au pesher d'établir un lien avec Jérusalem qu’il semble considérer comme étant souillée 79. Melchisédech est ainsi présenté comme le « grand prêtre » qui officiera dans la liturgie céleste du Yom Kippur 80 qui marquera la fin des dix jubilés de l’histoire, donc un grand prêtre, mais également un juge de l’ère eschatologique qui, à la fin des jours, « fera la justice (qu’il porte dans son nom) tant sur les anges que sur les hommes 81 ». Il est clair que, dans le manuscrit 11Q13 Melchisédech, la figure de Melchisédech revêt un caractère « suprahumain » de type eschatologique. Inscrite dans un contexte eschatologique et apocalyptique, elle apparaît dans ce pesher comme un agent « suprahumain » au service de YHWH qui assume à la fois des fonctions sacerdotales, royales, prophétiques, guerrières, judiciaires et rédemptrices. Ainsi, pour D. Dimant, « viewed in context of the Qumran library, the passage about Melchizedek integrates well into the particular dualistic ideology and self-understanding of the Qumran community 82 . » Le manuscrit 11Q13 Melchisédech renferme certains indices permettant de considérer que son auteur polémique à l’encontre des fonctions et des institutions sacerdotales qui sont peut-être considérées, tout comme Sion / Jérusalem, comme étant souillées et devant être purifiées par un 79. D. H amidović , Les traditions du jubilé à Qumrân, Paris, 2007, p. 92-93. Pour certains spécialistes, la tradition qui identifie Jérusalem à Sion semble ancienne, car on retrouve une même équation entre les deux villes dans le Psaume 76,3 : « sa tente est à Salem, et sa demeure à Sion ». Ainsi, ces derniers considèrent qu’« au temps de la rédaction finale de Gn 14, Salem devait être identifiée avec Jérusalem ». J.C. McCullough, « Melchizedek’s Varied Role in Early Exegetical Tradition », Theological Review 1 (1978), p. 54. Voir également E. Starobinski‑Safran, « La figure de Melchisédek et ses interprétations », dans L.-J. Bord –D. H amido vić (éd.), De Jérusalem à Rome. Mélanges offerts à Jean Riaud par ses amis, ses collègues et ses anciens élèves, Paris, 2000, p. 14 ; J.A. Fitzmyer , « Melchizedek in the MT, LXX, and the NT », Biblica 81 (2000), p. 65. Sur l’équation entre la « cité du Très-Haut » et Jérusalem, voir M. K artveit, The Origin of the Samaritans, Leyde, 2009, p. 255; S.C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 559. 80. D. Stoekl , « Yom Kippur in the Apocalyptic Imaginaire and the Roots of Jesus’ High Priesthood: Yom Kippur in Zechariah 3,1, Enoch 10, 11QMelkizedeq, Hebrews and the Apocalypse of Abraham 13 », dans J. A ssmann – G.G. Stroumsa (éd.), Transformations of the Inner Self in Ancient Religions, Leyde – Boston – Cologne, 1999, p. 349-366. 81. F.G. M artinez , « La figure de Melki-Sedeq et le messianisme qumrânien », dans D. D ługosz – H. R atajczak (éd.), Józef Tadeusz Milik et cinquantenaire de la découverte des manuscrits de la Mer morte de Qumrân, Varsovie, 2000, p. 46. 82. D. Dimant, « Melchizedek at Qumran and in Judaism: A Response », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 366.
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agent eschatologique de nature « suprahumaine ». Il ne convient cependant pas de considérer que cette polémique impliquait le rejet du sacerdoce lévitique, des fonctions sacerdotales, notamment celle de grand prêtre, et du Temple de Jérusalem par la communauté de Qumrân, mais qu’elle concernait plutôt la question de la légitimité et de la pureté des fonctions et des institutions sacerdotales. Malheureusement, l’état lacunaire du document ne permet pas d’apporter plus de précisions sur les divers aspects de cette polémique. La figure de Melchisédech dans le 2e Livre d’Enoch La figure de Melchisédech est de nouveau invoquée dans le 2e Livre d’Enoch, un autre texte apocalyptique daté du Ier siècle de notre ère, possiblement avant la chute du Second Temple, qui n’est pas sans poser de nombreux problèmes qu’il sera impossible d’aborder dans cette contribution 83. Ce texte reflète des attentes eschatologiques centrées sur des figures médiatrices exaltées et non sur la Loi comme moyen de délivrance. La majorité des commentateurs reconnaissent que 2 Enoch reflète également une polémique sacerdotale à l’encontre du sacerdoce lévitique, considéré, tout comme le peuple placé sous son autorité, comme impur et souillé,
83. Pour C.A. Gieschen, « Enoch and Melchizedek: The Concern for Supra-Human Priestly Mediators in 2 Enoch », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 370, il n’y a pas de raison de considérer que la version longue soit plus ancienne que la version courte et que le récit sur Melchisédech (chapitres 68-73) soit un ajout secondaire n’appartenant pas au récit principal. On reconnaît généralement que les interpolations chrétiennes, limitées aux passages 71,32-37 et 72,6-7, sont tardives, datant possiblement entre le IVe et le VIIe siècle de notre ère, et qu’elles seraient l’œuvre d’un exégète chrétien ayant voulu adapter cette tradition à celle qu’on retrouve dans l’Épître aux Hébreux, sans toutefois considérer ce texte comme émanant d’une communauté chrétienne. K. Dalgaard, A Priest for All Generations. An Investigation into the Use of Melchizedek Figure from Genesis to the Cave of Treasures [Thèse], Department of Biblical Studies, Faculty of Theology, University of Copenhagen, Copenhague, 2013, p. 97-110 ; B.A. Pearson, « Melchizedek in Early Judaism, Christianity and Gnosticism », dans M.E. Stone –T.A. Bergren (éd.), Biblical Figures Outside the Bible, Harrisburg, 1998, p. 184. H.W. Attridge , « Melchizedek in Some Early Christian Texts and 2 Enoch », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 387410, considère que certains éléments rédactionnels ont été ajoutés en réponse à la tradition instaurée par l’auteur de l’Épître aux Hébreux, hypothèse rejetée par C.A. Gieschen, et que la version longue est secondaire par rapport à la tradition courte. Voir également. A. Caquot, « La pérennité du sacerdoce », dans A. Benoit – M. Philonenko – C. Vogel (éd.), Paganisme, judaïsme, christianisme. Influences et affrontements dans le monde antique. Mélanges offerts à Marcel Simon, Paris, 1978, p. 110-111.
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mais pas nécessairement à l’encontre des fonctions sacerdotales en soi, qui ne semblent pas rejetées 84 . L’auteur du 2e Livre d’Enoch, qui prend surtout appui sur le Psaume 110 (109), présente une figure « suprahumaine » de Melchisédech appelée à donner naissance à une « autre race 85 » et à être, à jamais, le « prêtre des prêtres 86 » placé à « la tête des prêtres 87 » dans cette « autre race » qui sanctifiera Dieu. Cette formulation particulière, répétée à trois reprises 88, illustre bien une des dimensions de la polémique sacerdotale à laquelle semble participer l’auteur de ce texte. Le 2e Livre d’Enoch apporte également des précisions en ce qui concerne la naissance de Melchisédech, annoncée à Nêr par l’archange Michael comme étant de conception divine 89. À sa naissance, Melchisédech – d’« aspect glorieux », « achevé 84. Selon C.A. Gieschen, « Enoch and Melchizedek: The Concern for Supra-Human Priestly Mediators in 2 Enoch », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyde – Boston, 2012, p. 375, « le groupe responsable de la rédaction de 2 Enoch désire clairement quitter entièrement le lignage de la prêtrise lévitique, mais pas la prêtrise en soi ». Voir également K. Dalgaard, A Priest for All Generations. An Investigation into the Use of Melchizedek Figure from Genesis to the Cave of Treasures [Thèse], Department of Biblical Studies, Faculty of Theology, University of Copenhagen, Copenhague, 2013, p. 105-108. 85. 2 Enoch, 70,29 ; 71,2. Le texte est cité à partir de « Livre des secrets d ’Hénoch, texte traduit, présenté et annoté par A. Vaillant – M. Philonenko », dans A. Dupont-Sommer – M. Philonenko (éd.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p 1167-1223. 86. 2 Enoch, 70,26. 87. 2 Enoch, 70,29 ; 71,2. 88. « […] il sera mon prêtre des prêtres, à jamais Melchisédech et je le sanctifierai, et je le changerai en un grand peuple qui me sanctifiera. » (2 Enoch, 70,26); « Melchisédech sera la tête des prêtres dans une autre race. Je sais en effet que cette race-ci finira dans la confusion et que tous périront, et Noé, mon frère, sera conservé en ce jour pour la plantation et de sa race se lèvera un peuple nombreux, et Melchisédech deviendra la tête des prêtres dans un peuple que sert ton pouvoir monarchique, Seigneur. » (2 Enoch, 70,29); « je le restaurerai en une autre race, et Melchisédech sera la tête des prêtres dans cette race » (2 Enoch, 71,2). 89. En situant le récit à la période antédiluvienne, 2 Enoch apporte une réponse à l’origine de Melchisédech et de son sacerdoce éternel, considéré comme supérieur aux sacerdoces enochien et noachique et appelé à les remplacer, tout en permettant de l’inscrire dans la généalogie de Nêr, qui le considérait « comme son fils », possiblement en réponse au récit de Gn 14,18-20 sans que ce dernier ne soit, implicitement ou explicitement, mentionné. Melchisédech est ainsi présenté comme étant divinement conçu par la Parole dans la matrice de Sophime, la femme stérile de Nêr, le frère de Noé, qui était prêtre, après que celle-ci ait trépassé. Plusieurs commentateurs, tels que A. Caquot, « La pérennité du sacerdoce », dans A. Benoit – M. Philonenko – C. Vogel (éd.), Paganisme, judaïsme, christianisme. Influences et affrontements dans le monde antique. Mélanges offerts à Marcel Simon, Paris, 1978, p. 109-116, ont tenté de voir dans cette naissance miraculeuse une imitation flagrante de Jésus, mais, comme le souligne K. Dalgaard, A Priest for All
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de corps » et portant sur sa poitrine le « sceau sacerdotal » –, était assis, « parlait par sa bouche et bénissait le Seigneur » 90. Le récit mentionne aussi son élévation par l’archange Michael dans le paradis de l’Éden quarante jours après sa naissance avant que les eaux ne soient libérées par Dieu sur la terre afin de détruire le peuple « devenu méchant » et « multipliant les iniquités ». 2 Enoch représente donc une tradition apocalyptique circulant au Ier siècle de notre ère au sein d’une communauté enochienne qui présente la figure exaltée de Melchisédech comme un prêtre médiateur d’origine « suprahumaine » qui doit apporter la délivrance du péché à la fin des temps et instaurer une nouvelle « race ». Ces divers éléments montrent bien que le récit de 2 Enoch participe à la polémique sacerdotale à l’encontre du sacerdoce lévitique qui existait toujours au Ier siècle de notre ère. La figure de Melchisédech dans l ’Épître aux Hébreux : une préfiguration du « messianisme sacerdotal » de Jésus Rédigée au Ier siècle de notre ère, peu de temps avant ou après la destruction du Temple de Jérusalem 91, l’Épître aux Hébreux prend à la fois appui sur le récit de la Genèse (14,18-20) et sur le Psaume 110 (109) pour présenter une figure « surprahumaine » de Melchisédech 92 , qui est menGenerations. An Investigation into the Use of Melchizedek Figure from Genesis to the Cave of Treasures [Thèse], Department of Biblical Studies, Faculty of Theology, University of Copenhagen, Copenhagen, 2013, p. 104-109, la naissance de Melchisédech en 2 Enoch ne ressemble en rien aux autres récits de naissance miraculeuse qui nous sont parvenus. Ainsi, précise-t-il, « the concept of the child delivering itself from the corpse of its dead mother is, as far as I know, entirely unprecedented. » Comparant les fonctions d’Enoch et de Melchisédech, C.A. Gieschen, « Enoch and Melchizedek: The Concern for Supra-Human Priestly Mediators in 2 Enoch », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J.M. Zurawski (éd.), New Perspectives on 2 Enoch. No Longer Slavonic Only, Leyden – Boston, 2012, p. 382-385, souligne que, contrairement à l’ascension transformative d’Enoch dans son rôle de prêtre « suprahumain » dans le ciel, Melchisédech est conçu miraculeusement, né suprahumain et prêtre sur terre. Ainsi, ajoute-t-il, si Enoch et Melchisédech sont décrits comme deux prêtres médiateurs de nature « suprahumaine », c’est cependant ce dernier qui assume le « rôle d’un prêtre eschatologique et sauveur ». 90. 2 Enoch, 70,15-18. 91. Dans sa contribution à ce volume, C. Gianotto, « La figure de Melchisédech entre l’Épître aux Hébreux et le traité NCH IX,1 : la métamorphose du sacrifice », situe la rédaction de l’Épître aux Hébreux durant la dernière décennie du Ier siècle, soit sous le règne de Domitien, mais très peu d’indices permettent de situer avec certitude le moment et le lieu exact de sa rédaction. Sur le contexte de rédaction et la fixation sous forme de lettre de l’Épître aux Hébreux, voir les remarques de R. Burnet, « La finale de l’Épître aux Hébreux : une addition alexandrine du IIe siècle », Revue biblique 120 (2013), p. 423-440. 92. Les spécialistes sont divisés sur la nature ontologique de la figure de Melchisédech dans l’Épître aux Hébreux, les uns considérant qu’elle renvoie à une figure « humaine », les autres à une figure « suprahumaine ». Cependant, nous partageons l’avis de ceux qui considèrent que, même si l’auteur de l’Épître ne mentionne
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tionnée à dix reprises : deux fois au chapitre 5 93, une fois au chapitre 6 94 puis sept fois au chapitre 7 95. D’une part, l’auteur de l’Épître aux Hébreux « employs Psalm 110 to further define the relationship between Christ and Melchizedek and between the priesthood of Melchizedek and the Levitical 96 ». L’auteur précise que ce Psaume constitue le serment divin par lequel Jésus est devenu « grand prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech 97 ». D’autre part, il se réfère au récit de la Genèse (14,18-20) pour apporter certaines précisions et surtout pour appuyer sa démonstration qui s’inscrit dans une polémique sacerdotale à l’encontre du sacerdoce lévitique. En reprenant sous un angle polémique ce récit, le chapitre 7 vise à pas explicitement le caractère « suprahumain » de Melchisédech, plusieurs éléments du chapitre 7 le laissent entendre. Melchisédech est présenté comme étant « sans père, sans mère et sans généalogie, dont les jours n’ont pas de commencement ni fin de vie », comme étant « assimilé / rendu semblable (ἀφωμοιωμένος) au Fils de Dieu » demeurant ainsi « prêtre pour toujours » (7,3), ce qui semble lui conférer un caractère divin ou semi-divin, céleste ou angélique selon les diverses hypothèses proposées tout en lui permettant de justifier pourquoi il est « prêtre pour l’éternité », selon un sacerdoce intransmissible. Plus loin, il est présenté en comparaison aux « hommes mortels qui perçoivent les dîmes », c’est-à-dire les prêtres lévitiques, comme ἐκεῖ δὲ μαρτυρούμενος ὅτι ζῇ, « quelqu’un dont on atteste qu’il vit » (7,8), soulignant ici sa nature éternelle ou immortelle, donc son caractère « suprahumain ». Ces divers éléments suffisent, à notre avis, pour considérer que la figure de Melchisédech transcende une figure strictement humaine, sans permettre de préciser quelle est la nature exacte de son caractère « suprahumain ». De plus, si l’on considère que les autres traditions qui ont eu recours au Psaume 110 (109) ont surtout accentué la nature « suprahumaine » du personnage, il apparaît vraisemblable que l’auteur de l’Épître aux Hébreux s’inscrit dans une compréhension similaire de la figure de Melchisédech. Cependant, il convient d’être prudent avec cette comparaison, car, dans le cadre de l’Épître aux Hébreux, le Psaume 110 (109) est présenté comme un serment divin concernant Jésus et non Melchisédech. On ne peut pas considérer comme un argument valable le fait que Jérôme mentionne que la figure de Melchisédech est de nature « humaine », car cette précision montre par elle-même qu’elle cohabitait avec la compréhension que Melchisédech avait une nature « suprahumaine » : « c’est un saint homme et un prêtre de Dieu… un type du Christ – mais un type seulement auquel le Christ correspond comme la réalité; car un type est comme l’ombre de la réalité » (Jérome, Épître 73). Pour un résumé du débat, voir E.F. M ason, « Hebrews 7:3 and the Relationship between Melchizedek and Jesus », Biblical Research 50 (2005), p. 45-49. Voir également P.J. Kobelski, Melchizedek and Melchiresa‘, Washington, 1981, p. 123-129. 93. He 5,6.10. 94. He 6,20. 95. He 7,1.3.10.11.15.17.21. 96. K. Dalgaard, A Priest for All Generations. An Investigation into the Use of Melchizedek Figure from Genesis to the Cave of Treasures [Thèse], Department of Biblical Studies, Faculty of Theology, University of Copenhagen, Copenhague, 2013, p. 116. 97. […] κατὰ τὴν τάξιν Μελχισέδεκ ἀρχιερεὺς γενόμενος εἰς τὸν αἰῶνα, « grand prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech » (He 6,20).
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montrer la supériorité de Melchisédech sur Abraham et de son sacerdoce sur le sacerdoce lévitique, et, par conséquent, la supériorité de Jésus et de son sacerdoce sur le sacerdoce lévitique 98. L’Épître aux Hébreux est le seul texte du Nouveau Testament qui fait référence à la figure de Melchisédech. Cependant, il ne représente pas le personnage central de cette homélie qui est d’abord et avant tout de type christologique 99. En effet, Melchisédech y apparaît certes comme un personnage important, mais à l’intérieur d’un argumentaire qui est centré sur l’exaltation de la figure de Jésus, présenté à plusieurs reprises comme étant le « Fils de Dieu », supérieur aux anges (1,5-14) et détenteur, par serment divin, d’un sacerdoce. Ce sacerdoce, selon l’ordre de Melchisédech, est défini comme éternel, intransmissible (7,20.24) et distinct du sacerdoce lévitique, « selon l’ordre d’Aaron », considéré pour sa part comme temporaire. Melchisédech, le type, est considéré par l’auteur de l’Épître aux Hébreux comme la préfiguration du Christ, l’antitype, ce dernier ne peut donc que lui être supérieur. Le sacerdoce lévitique est pour sa part présenté comme imparfait et composé de « prêtres mortels » et « pécheurs », il ne peut qu’être devenu désuet après avoir été remplacé par un « grand prêtre » immortel qui est « saint, innocent, sans souillure, séparé des pécheurs et élevé au-dessus des cieux » (7,6), qui a offert « une fois pour toutes » le sacrifice « en s’offrant lui-même » (7,27), rendant dès lors inutiles les sacrifices pratiqués par les prêtres lévitiques. Comme l’a souligné C. Gianotto, tout au long de l’Épître, la Loi, l’alliance, le Temple et les 98. Une majorité des spécialistes considèrent que le chapitre 7 constitue un véritable midrash sur la figure de Melchisédech, sur sa figure et sur son sacerdoce qu’il tente d’expliquer à partir du récit de la Genèse qui est cité de manière quelque peu modifiée. Pour W.L. L ane , Hebrews 1-8, Dallas, 1991, p. cxii, « the forms of exposition he adopts were those with which he had become familiar from a life enriched by synagogue preaching. » L’hypothèse midrashique est également partagée par G.W. Buchanan, To the Hebrews, New York, 1972. Dans ce passage, l’auteur de l’Épître aux Hébreux interprète également la dîme d’Abraham à Melchisédech et la bénédiction d’Abraham par Melchisédech comme les signes d’une supériorité de Melchisédech sur Abraham, et, par le fait même, sur sa descendance, ce qui implique au final la supériorité de son sacerdoce sur le sacerdoce lévitique. D’autant plus que pour l’auteur de l’Épître aux Hébreux, « la succession temporelle est signe d’infériorité, tandis que la permanence marque la valeur définitive : “ Lui, puisqu’il demeure pour l’éternité (eis ton aiôna) possède un sacerdoce exclusif (aparabaton) ” ». E. Cothenet, « Melchisédech dans la tradition chrétienne », dans A. Chehwan – A. K assis (éd.), Études bibliques et Proche-Orient ancien. Mélanges offerts au Rvd. Père Paul Feghali, Beyrouth, 2002, p. 150. 99. Sur la figure de Melchisédech dans l’Épître aux Hébreux, voir C. Spicq, L’Épître aux Hébreux. II, Paris, 1953, p. 179-214 ; A. Vanhoye , Prêtres anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, Paris, 1980, p. 79-263 ; F.L. Horton Jr., The Melchizedek Tradition. A Critical Examination of the Sources of the Fifth Century A.D. and in the Epistle to the Hebrews, Cambridge, 1976, p. 152-172 ; P.J. Kobelski, Melchizedek and Melchiresa‘, Washington, 1981, p. 115 et 129.
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sacrifices sanglants sont également mis en relation avec le Christ dans une même perspective comparative de supériorité / infériorité et de perfection / imperfection 100. L’Épître aux Hébreux est également l’écrit néotestamentaire qui a le plus abondamment recours au vocabulaire sacerdotal. Bien que le vocabulaire ministériel n’y soit pas totalement absent 101, l’objectif visé par l’auteur est d’ordre christologique et non ecclésiologique, ce qui explique pourquoi « les allusions aux ministères sont rares et sans lien apparent avec le thème sacerdotal 102 » qui prédomine l’Épître. D’une part, le terme « hiéreus » (« prêtre ») est mentionné à quatorze reprises et celui d’« archiéreus » (« grand prêtre ») revient dix-sept fois. D’autre part, le terme « hierôsynè » (« la qualité de qui est prêtre » ou « la qualité sacerdotale ») est mentionné à trois reprises et celui de « hiératéia » (« fonction de prêtre » ou « fonction sacerdotale ») est utilisé une fois. Si on ne retient que le vocabulaire sacerdotal qui est appliqué au Christ ou aux chrétiens, on constate que le terme « hiéreus » est employé à sept reprises, celui d’« archiéreus » à dix reprises et celui de « hierôsynè » une seule fois. En comparant l’utilisation du vocabulaire sacerdotal appliqué au Christ ou aux chrétiens que l’on retrouve dans le Nouveau Testament, on constate que sur les vingt-quatre occurrences recensées, dix-huit se trouvent dans l’Épître aux Hébreux, trois dans l’Apocalypse de Jean de Patmos, deux dans la Première Épître de Pierre et une dans les Épîtres pauliniennes. De ces quatre textes, l’Épître aux Hébreux est le seul qui applique au Christ le titre de « prêtre » et de « grand prêtre » et lui attribue la « qualité sacerdotale » alors que l’Apocalypse de Jean de Patmos et la Première Épître de Pierre utilisent le vocabulaire sacerdotal pour désigner uniquement les chrétiens 103. L’auteur de l’Épître aux Hébreux ne mentionne jamais le terme « hiéron » (« Temple ») pour parler du Temple de Jérusalem, mais seulement celui de la Tente (8,2 ; 9,1) qu’il associe étroitement à la fête du Yom Kip100. Voir, dans ce volume, la contribution de C. Gianotto, « La figure de Melchisédech entre l’Épître aux Hébreux et le traité NCH IX,1 : la métamorphose du sacrifice ». 101. Le vocabulaire ministériel est peu fréquent et se retrouve dans la finale de l’Épître, soit au chapitre 13 (13,7.17.24), une finale qui n’est pas sans poser de nombreux problèmes d’ordre philologique. Le seul titre qui est employé est celui de « guides » (« hègoumenoi ») qui est d’interprétation difficile et d’utilisation moins fréquente que les titres de « presbytres » ou d’« épiscopes » que l’on retrouve dans les autres écrits néotestamentaires pour désigner les ministres chrétiens. Sur cette question, voir les précisions de C. Perrot, « L’Épître aux Hébreux », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 118-137, en particulier, 123-128. 102. C. Perrot, « L’Épître aux Hébreux », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 118. 103. Sur l’utilisation du vocabulaire sacerdotal dans le Nouveau Testament, voir les tableaux synoptiques de A. Vanhoye , Prêtres anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, Paris, 1980, p. 79-80.
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pur 104 et qui renvoie à la Tente d’avant l’époque de Salomon, le constructeur du Premier Temple, comme le fait Étienne dans son discours contre le Temple (Ac 7), qui s’arrête brusquement à Salomon 105. Ainsi, dans l’Épître aux Hébreux (1,5), Salomon est complètement évacué, mais « avant le Temple salomonien, l’auteur accepte la validité du sacerdoce et du culte, figure terrestre et ombre des réalités célestes (8,5) 106 », ce qui ne semble plus être le cas pour son époque. Cette abondance du vocabulaire sacerdotal montre bien que la thématique sacerdotale est au cœur de l’argumentation de l’auteur. Cependant, comme le fait remarquer, entre autres, E. Cothenet, le terme « basileus » revient avec insistance au début du chapitre 7 107, ce qui pourrait indiquer le caractère « bicéphale » du messianisme proposé par l’auteur de l’Épître aux Hébreux. Les deux thèmes, qui sont étroitement liés à la figure de Melchisédech, apparaissent donc dans l’Épître aux Hébreux, bien que le thème sacerdotal demeure prédominant, laissant ainsi penser que la messianité à laquelle renvoie l’auteur de l’Épître est à prédominance sacerdotale tout en possédant un certain caractère royal. La démonstration de l’auteur de l’Épître aux Hébreux, de même que l’importance qu’il accorde au vocabulaire et à la thématique sacerdotaux, permet de considérer que cette œuvre constitue une polémique à l’encontre du sacerdoce lévitique, de ses rites et de ses institutions considérés comme désuets depuis la venue du Christ. Cette polémique sacerdotale pourrait également être un indicateur que son auteur, et possiblement ses destinataires, appartiennent à la tribu (ou à la classe) sacerdotale et qu’ils ont peut-être occupé des fonctions sacerdotales, comme le pensent, entre autres, C. Spicq 108 et, plus récemment, J. Massonnet 109 et S.C. Mimouni 110. On peut également penser à un groupe encore très attaché au sacerdoce lévitique, à ses rites, notamment aux sacrifices sanglants, et à ses institu104. Sur cette question, voir les remarques de C. Perrot, « L’Épître aux Hébreux », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 118-137. 105. Sur la comparaison entre le discours d’Étienne et l’Épître aux Hébreux, voir les remarques instructives de C. Perrot, « L’Épître aux Hébreux », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 133-135. 106. C. Perrot, « L’Épître aux Hébreux », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 135. 107. E. Cothenet, « Melchisédech dans la tradition chrétienne », dans A. Chehwan – A. K assis (éd.), Études bibliques et Proche-Orient ancien. Mélanges offerts au Rvd. Père Paul Feghali, Beyrouth, 2002, p. 146 ; D.I. K ang, « The Royal Components of Melchizedek in Hebrews 7 », Perichoresis 10 (2012), p. 95-124. 108. C. Spicq, L’Épître aux Hébreux. 2. Commentaire, Paris, 1977, p. 29-31. 109. J. M assonnet, « Le Christ, Grand prêtre “ selon l’ordre de Melkisédeq ”, Sens. Juifs et chrétiens dans le monde aujourd ’hui 367 (2012), p. 223. 110. S.C. M imouni, « Qui est l’auteur de l’Épître aux Hébreux ? Retour sur un éternel problème », Annali di storia dell ’esegesi 33 (2016), p. 79-105.
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tions, et qui s’est récemment « converti » à la foi chrétienne, hypothèse toutefois rejetée par R.E. Brown 111. Bien que certains ministères soient présentés dans l’Épître aux Hébreux dans une perspective de transmission des fonctions ministérielles, le vocabulaire sacerdotal est strictement réservé au Christ. Pour l’auteur de l’Épître aux Hébreux, « le Christ est l ’unique grand prêtre (pontifex) de la nouvelle alliance, le prêtre toujours vivant qui continue inlassablement d’intercéder pour nous 112 . » Prêtre de la nouvelle alliance, le Christ marque, par son sacrifice ultime et parfait, la fin des sacrifices sanglants, et par son sacerdoce éternel et intransmissible, la fin du sacerdoce terrestre tel qu’il est connu, en d’autres termes, la fin du sacerdoce lévitique. Ainsi, l’auteur de l’Épître aux Hébreux ne semble pas proposer que le sacerdoce lévitique soit remplacé par une autre forme de sacerdoce « chrétien », ou, dans une conception supersessioniste, que le sacerdoce « chrétien » doive succéder au sacerdoce lévitique, idée qui aurait été logiquement contraire au sacerdoce messianique dont il revêt le Christ, car celui-ci n’est pas, comme le sacerdoce lévitique, transmissible ni héréditaire 113. On peut alors se demander, avec C. Perrot, « jusqu’à quel point il est possible de réintégrer dans la nouvelle alliance l’ancienne idéologie sacerdotale 114 . » VIII. Conclusion Au terme de ce survol, on doit constater que les mentions de la figure de Melchisédech dans le récit de la Genèse 14,18-20 et dans le Psaume 110 (109) sont équivoques, ce qui a certainement contribué au développement de diverses traditions au sein du judaïsme de la période du Second Temple, traditions dont les rédactions semblent s’être principalement concentrées entre le IIe siècle avant notre ère et le Ier siècle de notre ère, une période marquée par de grands bouleversements du contexte politique et religieux judéen. Par son caractère plurivoque, la figure de Melchisédech a ainsi prêté à des interprétations multiples qui se sont développées selon deux perspectives spéculatives extrêmement différentes, mais qui sont apparues de manière plus ou moins concomitante dans diverses communautés judéennes et se sont certainement rencontrées de manière directe ou indirecte. La première, reposant principalement sur le récit Gn 14,18-20, a insisté sur la dimension « humaine » de la figure de Melchisédech, alors 111. R.E. Brown – J.P. M eier , Antioche et Rome : berceaux du christianisme, Paris, 1988, p. 143. 112. C. Perrot, « L’Épître aux Hébreux », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 136. 113. J.‑M.‑R. Tillard, « La “ qualité sacerdotale ” du ministère chrétien », Nouvelle revue théologique 95 (1973), p. 489. 114. C. Perrot, « L’Épître aux Hébreux », dans J. Delorme (éd.), Le ministère et les ministères selon le Nouveau Testament, Paris, 1974, p. 136.
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que la seconde s’est plutôt inspirée du Psaume 110 (109) pour élaborer sa dimension « suprahumaine ». Sans qu’on puisse établir des liens textuels directs entre les différents témoins des traditions sur la figure de Melchisédech, il n’en demeure pas moins qu’ils témoignent tous d’un partage de ces traditions bibliques et surtout d’une figure et d’un vocabulaire plus ou moins communs, figure et vocabulaire que devaient obligatoirement connaître les destinataires de ces textes. On constate également qu’entre le IIe siècle avant notre ère et le Ier siècle de notre ère, la figure de Melchisédech semble avoir été utilisée par diverses communautés pour alimenter une polémique sacerdotale – mais pas nécessairement une polémique anti-sacerdotale – qui s’inscrit dans un contexte où les fonctions et les institutions sacerdotales connaissent diverses déstabilisations et contestations. Ces dernières ont ainsi été considérées par ces communautés comme étant souillées, illégitimes ou désuètes. Il est vrai qu’entre la période hasmonéenne et la fin du Ier siècle de notre ère, les fonctions et les institutions sacerdotales ont subi les effets des transformations politiques qui ont affecté la Judée. Ces transformations ont finalement conduit à la destruction du Second Temple, mais pas nécessairement à la disparation des prêtres qui semblent avoir continué d’exercer une certaine influence dans les milieux synagogaux 115. À cette situation de fait s’ajoutent les diverses crises intestines qui ont divisé les communautés judéennes, notamment le conflit opposant les Oniades et les Tobiades de même que celui opposant les léviim et les kohanim. Ainsi, depuis l’instauration de la dynastie hasmonéenne qui s’est approprié la grande prêtrise, la légitimité des autorités sacerdotales a été contestée par certaines communautés judéennes et chrétiennes, comme cela se constate, notamment, dans les traditions qui ont développé une figure « suprahumaine » de Melchisédech. C’est également durant cette période que semble s’être développée la croyance en une messianité sacerdotale, voire en une messianité « bicéphale » et que certains mouvements judéens et chrétiens ont tenté de légitimer le fait que, « dorénavant, les grands prêtres ne sont plus considérés comme issus uniquement de la tribu de Lévi, mais comme issus également de la tribu de Judas » 116. À partir du IIe siècle de notre ère, l’intérêt pour la figure de Melchisédech semble s’être atténué, celle-ci étant invoquée tout au long de l’Antiquité par certains auteurs chrétiens et rabbiniques non plus dans le cadre d’une polémique, mais dans celui d’une controverse. 115. S.C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 550 et 554. 116. S.C. M imouni, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth et l ’histoire de la communauté nazoréenne / chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, Paris, 2015, p. 550 et 554.
T EMPLE ET PRÊTRISE CHEZ CLÉMENT D’A LEXANDRIE. QUESTIONS SUR LES TRADITIONS APOCALYPTIQUES EN ÉGYPTE Anne Pasquier Université Laval, Québec
Abstract In several passages of the Stromata, but also of the Excerpts from Theodotus, Eclogae Propheticae and Adumbrations, Clement of Alexandria offers an allegorical interpretation of the biblical texts on the temple and its worship. For this teaching on the temple, its liturgy and the various classes of angels who inhabit the heavenly world, Clement borrows an abundant apocalyptic imagery, although his writings cannot be classified under the literary genre of the apocalypses. After a description of these clementine doctrines, my intention is to ask some questions and to suggest hypotheses about the traditions that preceded them, Jewish and Christian. This going back in time allows me to conclude with a few issues related to the form of Christianity that appears in Egypt in the second century of our era. In Egypt, one can indeed discern the continuous composition of Apocrypha reflecting a culture rooted in apocalypticism and its speculations about the temple. Résumé En plusieurs passages des Stromates, mais également des Extraits de Théodote, des Extraits prophétiques et des Adumbrationes, Clément d’Alexandrie propose une interprétation allégorique des textes bibliques sur le temple et son culte. Alors que le temple de Jérusalem et celui de Léontopolis ont été détruits, le sanctuaire et les fonctions sacerdotales sont transposés dans le monde supérieur. Ce qui apparaissait, en Exode 25, 9.40 et 26, 30, comme un archétype céleste montré à Moïse ou une forme idéale, devient un lieu en lequel il est possible aux humains de pénétrer. Pour élaborer sa doctrine, Clément dit suivre un enseignement traditionnel des anciens, presbyteroi, des « traditions non écrites de ce qui est écrit » 1 , et qu’il retravaille. La thèse de sources littéraires, juives et chrétiennes, chez Clément semble également solidement établie. Clément indique aussi qu’il a pour informateurs un cercle de savants ou de sages 1. Clément d’Alexandrie, Stromate VI,XV,131,4. Voir aussi sur cet enseignement des presbyteroi : Extraits prophétiques 11 et 27,1. Sur les maîtres de Clément, Stromate I,I,11. La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 349-370. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115538 ©
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religieux qu’il dénomme mustai, les initiés, vraisemblablement des exégètes allégoristes d’Alexandrie 2 .
Pour son enseignement sur le temple, sa liturgie et les diverses classes d’anges qui habitent le monde céleste, Clément emprunte une abondante imagerie apocalyptique, sans que pour autant ses écrits puissent être classés sous le genre littéraire des apocalypses. Après une description de ces doctrines clémentines, mon intention est de poser quelques questions et de suggérer des hypothèses à propos des traditions qui les ont précédées, juives et chrétiennes. L’influence de la philosophie grecque chez Clément a fait l’objet de plusieurs excellentes études, comme celles d’Alain Le Boulluec, Salvatore Lilla, André Méhat, Eric Osborn, Laura Rizzerio et d’autres. Philon d’Alexandrie, au carrefour de deux cultures, est également une source incontestable. En revanche, les études mettant en lumière l’influence sur Clément des traditions apocalyptiques sur le temple et des spéculations sur les hiérarchies angéliques, comme celles que l’on trouve en 1 et 2 Hénoch, l ’Apocalypse d’Abraham, 4 Esdras, ou certains textes de Qumrân, sont plus limitées. Ici, il ne faut tout de même pas oublier de citer les écrits de Jean Daniélou, un précurseur en la matière 3. Cette remontée dans le temps me permettra de conclure avec quelques questions touchant la forme de christianisme qui apparaît en Égypte au cours du second siècle de notre ère. En Égypte, on peut en effet discerner la composition continue d’apocryphes reflétant une culture ancrée dans l’apocalyptique et ses spéculations sur le temple 4 .
2. Clément d’Alexandrie, Stromate I,XXIII,153,1 ;154,1 (selon ces initiés, le véritable nom de Moïse est « Melchi »). En Stromate XXI,101,2, Clément cite, comme l’une de ses sources, le premier livre d’exégèse de Cassien, sans doute un valentinien. 3. On peut citer S.R.C. Lilla, Clement of Alexandria. A Study in Christian Platonism and Gnosticism, Eugene (Oregon), 2005 ; G.G. Stroumsa, « Clement, Origen, and Jewish Esoteric Traditions », dans G.G. Stroumsa, Hidden Wisdom. Esoteric Traditions and the Roots of Christian Mysticism, Leyde – New York – Cologne, 1996. Lire aussi l’étude de B.G. Bucur , Angelomorphic Pneumatology. Clement of Alexandria and Other Early Christian Witnesses, Leyde – Boston, 2009, p. 87-110, sur l’Esprit chez Clément, qui souligne l’influence sur lui des spéculations sur les anges dans littérature juive, Notons également que, dans ses éditions des textes de Clément, Alain Le Boulluec offre de nombreuses notes soulignant l’apport du monde judéen. 4. Une approche régionale à propos de l’utilisation de ces traditions apocalyptiques semble préférable, plutôt que l’utilisation de catégories trop générales.
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I. Temple et degrés angéliques chez Clément d’Alexandrie L’allégorie étant à la source d’une expérience de montée vers Dieu en vue d’une connaissance mystique, Clément envisage une sorte d’échelle cosmique conduisant à travers les demeures célestes, ainsi que la participation au « service » saint pour le juste ou le gnostique 5. Celui-ci « s’entraîne au moyen des commandements, afin de plaire en tout au Seigneur » (Stromate VII,XIII,83,1-2). Ayant suivi les voies de Dieu, « il avance vers la sainte récompense de l’enlèvement » (Stromate VII,XIII,83,4). Cette allusion à l’enlèvement d’Hénoch, selon Genèse 5,24, est un motif important chez Clément 6. L’ascension à travers les « hiérarchies » célestes implique le passage devant les pouvoirs de droite et de gauche lorsque le gnostique a été purifié 7 : « s’étant avancé à travers les êtres spirituels et toute principauté et puissance, il atteint les trônes les plus élevés…» (Stromate VII,XIII,82,5) 8. Dans les Extraits prophétiques 51-64, un commentaire allégorique du Psaume 18 décrit l’ascension céleste de l’âme des justes dans les cieux identifiés aux hiérarchies angéliques. Comme plusieurs l’ont noté, ces différentes classes d’anges sont d’origine juive 9. De haut en bas se trouvent d’abord les protoctistes, anges premiers créés : un chœur angélique composé des sept anges de la Face, qui contemplent Dieu face-à-face, ce qui fait surgir à l’esprit l’image de la divinité sur le trône. Les protoctistes portent le nom divin et peuvent donc recevoir l’appellation de « dieux » et de « seigneurs ». Ils « ont reçu ensemble à la fois leur existence et leur perfection, commune est leur ‘liturgie’ et indivisible » (Extraits de Théodote 11,4) 10. Ils exercent aussi une diaconie (diakonia) dans le monde à travers les diverses alliances successives entre Dieu et les humains (les patriarches, Moïse, les 5. Voir par exemple Clément d’Alexandrie, Stromate IV,VI,36,4. 6. Motif inspiré de Hébr 11,5, cf. A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 255, note 8 et 256, note 3. Aussi : Clément d’Alexandrie, Stromate IV,VI,27,1 ; 28,2 ; IV,XVII,105,3 ; VI,VI,47,1. 7. Ces dunameis sont mentionnées en Clément d’Alexandrie, Stromate V,VI,36,4, cf. A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate V, Paris, 1981, p. 85, note p. 151-152 : un fragment arménien (Fragmente, t. III, p. 229, 1,14-26 Stählin) indique leur rôle au jour du jugement : les uns punissent les hommes qui persévèrent dans le mal, les autres secourent et entrainent dans la joie et les actions de grâce ceux qui ont fait pénitence, un thème que l’on retrouve dans l’enseignement rabbinique. 8. Traduction d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 255, 257 et 253. 9. H. Bietenhard, Die himmlische Welt im Urchristentum und Spätjudentum, Tübingen, 1951. Voir C. Nardi, Clemente Alessandrino. Estratti Profetici, Florence, 1985, p. 134. 10. Traduction de F. Sagnard, Clément d ’Alexandrie. Extraits de Théodote, Paris, 1948, p. 83.
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prophètes et les apôtres, les figures d’Adam, de Noé ainsi que d’Abraham étant extrêmement importantes aux yeux de Clément). Au-dessous des anges premiers créés, se situent les archanges et les anges, sans qu’il y ait de séparation nette avec le monde des humains. Clément établit une distinction venue de l’apocalyptique entre les cieux supérieurs, habitation des anges qui forment le sanctuaire de Dieu, et les cieux inférieurs dont les anges ont des fonctions terrestres 11. Les astres sont des corps spirituels gouvernés par des anges 12 . En sens inverse, de bas en haut, l’ascension céleste de l’âme des justes, à travers les cieux identifiés aux degrés angéliques 13, produit une « angélisation », l’homme se transformant en ange ou prenant une forme angélique 14 . L’ange est en quelque sorte le modèle ou le symbole de la destinée des élus. Ainsi dans les Extraits de Théodote 11,1 : « tel est le modèle [ = les Anges], tels seront les ‘élus’ [ = les petits], après qu’ils auront reçu l’avancement (prokopè) parfait » 15. Il y aurait beaucoup à dire sur les liens entre Clément et les « gnostiques », à propos de cette doctrine. Par exemple, selon les Extraits de Théodote 21,3, qui rappellent une doctrine valentinienne, l’Église d’ici-bas se transforme en anges. Selon les Extraits prophétiques 57, chacun des élus poursuit son propre mouvement en progressant dans la connaissance de Dieu et ce, grâce à l’enseignement angélique qu’il reçoit. Ceux qui d’humains sont appelés à se transformer en anges deviennent d’abord disciples des anges. Puis les humains devenus anges, grâce à cet enseignement, instruisent à leur tour d’autres humains, tandis que les anges qui leur avaient enseigné se transforment en archanges. Les archanges à leur tour enseignent aux anges, les archanges étant eux-mêmes instruits par les protoctistes, appelés aussi « trônes 11. Voir C. Nardi, Clemente Alessandrino. Estratti Profetici, Florence, 1985, p. 132-140 pour le commentaire des chapitres 51-64. Voir Ascension d ’Isaïe 8,16-18. 12. Cf. Clément d’Alexandrie, Stromate VI,XVI,148 ; Extraits prophétiques 56,4. 13. Les cieux désignent également le Seigneur ainsi que les hommes saints, le terme « jours » représentant aussi l’Église spirituelle. Voir C. Nardi, Clemente Alessandrino. Estratti Profetici, Florence, 1985, p. 137, qui souligne les parallèles chez Clément : Extraits prophétiques 56,4 ; Pédagogue I,6,36 ; Stromates IV,XXV,155,4 ; VI,XIII,105,1 ;VII,XII,78,6 ; Extraits de Théodote 22,3. 14. J’emprunte à Crispin Fletcher-Louis, Luke-Acts. Angels, Christology and Soteriology, Tübingen, 1997, p. 14-15 sa définition de l’angélomorphie : « wherever there are signs that an individual or community possesses specifically angelic characteristics or status, though for whom identity cannot be reduced to that of an angel ». Cf. B.G. Bucur , Angelomorphic Pneumatology. Clement of Alexandria and Other Early Christian Witnesses, Leyde – Boston, 2009, p. xxvi, qui cite Jean Daniélou selon qui le mot ange connote un être surnaturel se manifestant lui-même, la nature de cet être n’étant pas déterminée par le mot, mais par le contexte. 15. Traduction de F. Sagnard, Clément d ’Alexandrie. Extraits de Théodote, Paris, 1948, p. 81.
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en qui Dieu se repose », suppose Clément. Cet enseignement est inspiré par l’Esprit, l’Esprit prophétique, qui se transmet d’un degré à l’autre 16. Un passage en particulier exprime ce processus qui a vraisemblablement inspiré le Pseudo-Denys l’Aréopagite : Tous les êtres sont tendus « vers le premier gouverneur de l’univers qui, par la volonté du Père, dirige le salut de tous, les rangs différents étant subordonnés les uns aux autres, et cela jusqu’à ce qu’on parvienne au grand-prêtre. D’un seul principe supérieur en effet, qui agit selon la volonté (du Père), dépendent les premières réalités, les secondes et les troisièmes; ensuite, à la limite supérieure du visible se trouve la bienheureuse position des anges, et jusqu’à nous-mêmes les êtres sont rangés les uns au-dessous des autres, à la fois sauvés et sauveurs à l’initiative et par l’intermédiaire d’un seul » (Stromate VII,II,9,2-3) 17.
Grâce à cet enseignement en lequel chacun est instruit par le degré supérieur, l’âme du gnostique, dans son ascension morale et ontologique, s’identifie finalement au troisième et dernier degré de la hiérarchie. Le stade ultime est le salut eschatologique, qui consiste en la cessation de tout service et le repos dans la contemplation 18. Le troisième degré conduit ainsi au quatrième : tandis que le troisième décrit une entité œuvrant à l’enseignement et au salut, le quatrième évoque son repos dans la contemplation 19. Le but est de parvenir au Bien lui-même (Platon, Philèbe 64 c) et d’arriver dans le vestibule, tout près du grand prêtre éminent (Hébr 4,14). Cela se réalise lorsque l’âme a « dépassé toute sorte de purification et de service » (Stromate VII,X,57,1-2) 20. Les étapes du progrès vers la contemplation sont indissociables d’une cosmologie, de révolutions célestes, faisait remarquer Alain Le Boulluec 21. Au Stromate IV,XXV,158,4, Clément utilise le symbolisme des nombres pour décrire l’entrée du grand prêtre et des prêtres dans le temple : les véritables prêtres de Dieu sont ceux qui suivent l’exemple des Lévites qui « se purifient eux aussi pendant sept jours, période durant laquelle s’est ache16. Voir B.G. Bucur , Angelomorphic Pneumatology. Clement of Alexandria and Other Early Christian Witnesses, Leyde – Boston, 2009, p. 87-110. 17. Traduction d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 59 et 61. 18. Aussi Stromate VII,X,56 ; Extraits prophétiques 51,1 ; 56,6s. ; 57,1.4 ; Extraits de Théodote 27,3. 19. Voir Stromate II,XVIII,96,2. 20. Traduction d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 187. Cette mutation va de pair avec un changement de vie et de connaissance : une première mutation va du paganisme à la foi, la seconde, de la foi à la connaissance, selon les trois parties du temple : le parvis, le Saint, et le Saint des saints (Clément d’Alexandrie, Stromate VII,X,57,4). 21. Traduction A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 63, note 6, à propos de Stromate VII,II,10,2.
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vée la création, car le septième jour on observe le repos, et le huitième, le prêtre offre un sacrifice d’expiation, comme il est écrit dans Ézéchiel […] » (Ez 44,25-27) 22 . Les sept périodes de purification sont assimilées au passage à travers l’hebdomade, ou sept cieux, et s’achèvent dans la demeure du Seigneur où le juste est appelé à contempler sa face dans l’ogdoade (Stromate VII,X,57,5). Clément établit une analogie entre les périodes de purification de l’âme, les jours de la création du monde et la disposition des cieux 23. Il s’inspire, pour cette montée vers Dieu, du rituel lévitique concernant la propitiation et l’expiation, le Jour du Yom Kippour, le huitième, commencement d’une nouvelle année 24 . Selon Ezéchiel 44,9 et 25-27, après sept jours passés à purifier l’autel à l’intérieur du tabernacle, le grand prêtre effectuait cette propitiation le huitième jour, à la fin des dix jours que durait ce festival. Clément fait ainsi le lien entre les rites de propitiation juifs (ilasmos) et l’idée grecque d’apocatastase, le retour du temps sur lui-même qui donne naissance à la Grande année ou à l’année nouvelle 25. 22. Traduction de C. Mondésert, Clément d ’Alexandrie. Stromate IV. Introduction, texte critique et note, A. Van Den Hoek , Paris, 2001, p. 321. Voir aussi Stromate XXV,159,2-3, p. 323 : « le temps qui, par les sept périodes qu’on compte, ramène le repos complet; qu’il y ait là une allusion aux sept cieux que quelques-uns énumèrent suivant une progression; ou qu’on désigne ainsi sous le nom de huitième l’espace fixe qui avoisine le monde intelligible; bref, l’expression dénote que le gnostique doit s’élever au-dessus de la création et du péché. En tout cas, après les sept jours on immole les victimes pour les péchés, car la crainte d’un changement s’attache encore à la septième sphère ». 23. Clément d’Alexandrie, Stromate VII,X,57,5, traduction et commentaire d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 187.189 : « Et peut-être un tel homme possède-t-il dès ici-bas par anticipation l’égalité avec les anges. En tout cas, après avoir atteint dans la chair la situation finale la plus éminente, il ne cesse de passer, comme il se doit, à un état supérieur, et il se hâte vers la maison du Père pour atteindre la véritable demeure du Seigneur, à travers l’hebdomade sainte, afin d’y devenir, en quelque sorte, une lumière stable ». Voir Stromate V,XIV,106,2-4 ; IV,XXV,159,3 ; VI,XIV,108,1 ; VI,XVI,140,3. Le gnostique parvient ainsi dans l’ogdoade qui est le chiffre de la demeure du Seigneur. Ceux-là, écrit Clément « ‘reposeront sur la montagne sainte de Dieu’, l’Église d’en haut, [...] les Israélites véritables [...]. Ils n’en sont pas restés au repos du septième jour, mais…. se sont haussés jusqu’à l’héritage de la perfection du huitième jour, se vouant par une vision toute pure à une contemplation exempte de satiété ». Traduction de P. Descourtieux, Clément d ’Alexandrie. Stromate VI, Paris, 1997, p. 277. 24. Voir D. Stökl Ben Ezra, The Impact of Yom Kippur on Early Christianity. The Day of Atonement from Second Temple Judaism to the fifth century, Tubingen, 2003, p. 240-243 ; A.C. Itter , Esoteric Teachings in the Stromateis of Clement of Alexandria, Leyde – Boston, 2009, p. 39. 25. Clément se réfère ici au thème de la restauration de toutes choses lorsque les planètes se sont complètement réalignées l’une par rapport à l’autre (voir Platon, Timée 39 d). Selon Stromate VI,XVI,140,2, traduction de P. Descourtieux, Clément d ’Alexandrie. Stromate VI, Paris, 1997, p. 341 : « Le nombre huit […] s’ob-
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Il existe un lien étroit entre espace et temps sacrés chez les juifs et les chrétiens, observait Jared C. Calaway 26. On le discerne dans leur manière de traiter le sabbat et le sanctuaire : le temps sacré donne accès à l’espace sacré. C’est ainsi que les septième et huitième jours acquièrent une dimension spatiale tandis que le temple ou le sanctuaire acquiert une dimension temporelle : hebdomade et ogdoade sont tout autant des termes indiquant un temps qu’un espace sacré, cultuel, les deux fusionnant en une unique réalité céleste signifiant la proximité de la présence divine. Selon Clément, c’est dans le temple, dans le Saint puis dans le Saint des saints que le juste pénètre, le temple étant entouré de sept enceintes ou de sept cieux servant d’enceintes. Clément indique que « chez les Hébreux on attribuait un sens à la présence autour de l’ancien temple des sept enceintes (periboloi) (Stromate V,VI,32,2) 27. Comme chez Philon d’Alexandrie et d’autres auteurs, tout le cosmos est devenu un temple. Il existe donc trois étapes conduisant l’âme du gnostique à la quatrième, la tétrade des vertus, c’est-à-dire à l’Homme parfait (Éphés 4,13), son lot éternel, sommet à la fois de la connaissance et de l’héritage (Stromate VII,II,10,1). On retrouve ici un motif central de plusieurs écrits « gnostiques », celui d’une figure humaine céleste, véritable image de Dieu, associée au Logos : « Alors l’âme nue, [...] pénètre dans le monde ‘pneumatique’. Elle est devenue réellement douée de ‘logos’ (logikè) et dans l’état de Grand Prêtre (archieratikè) : car elle est désormais directement (prosekôs) ‘animée’, pour ainsi dire, par le Logos, de même que les Archanges sont devenus les grands prêtres des Anges, et les protoctistes les grands prêtres des Archanges » (Extraits de Théodote 27,3) 28. L’âme est assimilée au grand prêtre qui est le Logos, atteignant ainsi le sommet de la hiérarchie 29. Dans cette allégorie mystique, le but ultime est la contemplation de la face du Seigneur dans l’office de grand prêtre, tient par addition de la sphère immobile aux sept sphères planétaires qui donnent naissance à la grande année », année d’accomplissement des promesses, suivant Isaïe 61,1-2. Le Stromate IV,XVII,109,2-3 donne un autre exemple du nombre sept en lien avec la purification et les épreuves qui attendent l’homme juste (dikaios). On trouve la même doctrine en Stromate V,XIV,106,2-108,3. 26. J.C. Calaway, The Sabbath and the Sanctuary. Access to God in the Letter to the Hebrews and its Priestly Context, Tübingen, 2013, p. 1-2. 27. Traduction d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 77. Selon lui, il faut sans doute mettre cette tradition en relation avec les cieux divers de l’apocalyptique juive, demeures des anges serviteurs (Testament de Lévi 3 ; Ascension d ’Isaie 3 ; 7,13s ; Hénoch slave 3s.). Voir son commentaire du Stromate V,VI, 32-40, 1981, p. 134-166. Voir également Stromate VI,XVI,138-141. 28. Traduction de F. Sagnard, Clément d ’Alexandrie. Extraits de Théodote, Paris, 1948, p. 115. 29. Extraits de Théodote 27,1-6. Chez Clément, le grand prêtre figure aussi le Logos médiateur en Stromate II,IX,45,7 et VII,III,13,2. On peut noter en tous ces passages l’influence de l’Épître aux Hébreux.
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en une liturgie commune avec les anges 30. Clément insiste sur le fait que seront alors dépassées toutes formes de purification et de service, si saints soient-ils, les justes acquérant alors le nom de « dieux » car ils seront intronisés avec les autres « dieux », une autre désignation des êtres angéliques tirée du Psaume 81,6 31. Dans cet état, il n’est plus besoin pour l’âme de redressement par l’Écriture ni d’instruction progressive, plus de didaskalia angélique : « dépassant donc ‘l’enseignement angélique’ et le Nom enseigné par l’Écriture, elle en vient à la ‘Connaissance’ et à la saisie des réalités, n’étant plus fiancée, mais déjà devenue Logos et demeurant chez l’Époux avec les ‘Premiers-Appelés’ et les ‘Premiers-Créés’….fils, en raison de ‘l’enseignement’ et de l’obéissance; frères, par la communauté de naissance » (Extraits de Théodote 27,5) 32 . Le recours à la métaphore de la chambre nuptiale et le motif du repos des spirituels dans l’ogdoade, jour du Seigneur, manifestent une communauté d’idées avec les valentiniens, chez qui les spirituels deviennent « éoniques » ou angéliques, selon les Extraits de Théodote 63 et d’autres textes les concernant. À l’instar des valentiniens, Clément repense cette allégorie cosmique en fonction du kérygme chrétien : « Mais rien de tel que d’écouter le Logos lui-même, qui par l’Écriture donne une intelligence plus pleine. Il parle ainsi : ‘Il quittera la robe de lin qu’il avait revêtue pour entrer dans le sanctuaire, et il la déposera là. Et il lavera son corps avec de l’eau dans un lieu saint, et il revêtira sa robe’ (Lév 16,23-24). Dans un sens, je pense, le Seigneur quitte et reprend un vêtement quand il descend pour être perçu et, dans un autre sens, celui qui par lui a cru se dépouille et prend, comme l’Apôtre aussi l’a indiqué, la robe sanctifiée » (Stromate V,VI,40,1-3) 33. Je reprends ici l’interprétation profonde d’Alain Le Boulluec, selon qui Clément interprète le texte du Lévitique 16 sur le jour des Expiations en décrivant dans l’ordre inverse les gestes du grand prêtre, Lévitique 16,2324 précédant Lévitique 16,4 : parce que le Logos s’est départi de sa première robe pour revêtir une forme sensible en venant en ce monde, comme le grand prêtre se dépouillait de sa robe de lin sanctifiée, en sortant du Saint des saints, le croyant, lui, est sanctifié en retour et revêt la tunique 30. Cf. Stromate VII,III,13,1-2, traduction d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 69 : « ces âmes gnostiques, qui dépassent par la magnificence de la contemplation le régime de chaque rang de sainteté, et entre lesquelles ont été réparties les différentes demeures bienheureuses des dieux ». Voir aussi Stromate VII,VII,3. 31. Stromate VII,X,56,3-57,2 ; XIII,1 et 56,6. Le gnostique devient cohéritier des seigneurs et des dieux : Stromate VI,XV,114, 6. 32. Traduction de F. Sagnard, Clément d ’Alexandrie. Extraits de Théodote, Paris, 1948, p. 117. 33. Traduction d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 91. Cf. 2 Cor 5,2-4 ; Éphés 4,22-24.
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nouvelle, ce qui permet le passage de l’autre côté du voile, comme le grand Prêtre le jour des Expiations. L’interprétation chrétienne rejoint l’allégorie cosmique : la tunique sanctifiée que revêt de nouveau le Logos à la résurrection est « le monde et la création dans le monde », sanctifiés par lui 3 4 . Le changement de vêtement signale une transition, un changement de nature, l’humaine devenant angélique et spirituelle. Or le service sacré dans les espaces et les temps célestes se répercute icibas. Il ne s’agit pas seulement d’une montée future mais d’une expérience actuelle qui a lieu à la fois sur terre et dans les cieux. Le gnostique « prie même avec les anges, comme déjà égal aux anges, ….même s’il prie seul, il reste associé au chœur des saints » (Stromate VII,XII,78,6) 35. « Ainsi ses offrandes consistent-elles en prières et louanges, en lectures des Écritures avant le repas, et aussi en psaumes et en hymnes pendant le repas et avant le coucher, et de nouveau en prières même la nuit. Par là il se fait un avec le chœur divin; sa pensée continuelle l’a placé au rang de la contemplation éternellement présente à la pensée » (Stromate VII,VII,49,4) 36. Clément ajoute : « Notre autel des sacrifices est donc ici-bas le rassemblement terrestre des dons dédiés par nos prières ». Doté d’une seul voix et d’une seule pensée, le « sacrifice de l’Église est en effet le Logos qui s’exhale des âmes saintes, quand sa pensée se découvre tout entière à Dieu au moment même du sacrifice » (Stromate VII,VI,31,8; 32,4). Les sacrifices conformes à la Loi désignent la purification de l’âme en un sacrifice agréable à Dieu
34. A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 158166. 35. Pour les citations du Stromate VII qui suivent, A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 241, 243, 167, 117, 119, 121, 253. Voir aussi Stromate VII,XII,80,2, traduction d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 247 : « en compagnie de ceux qui sont comme lui », le gnostique vit « par l’esprit au milieu des chœurs des saints, même s’il est encore retenu sur terre ». Voir en VII,VII,36,2, le lien entre prêtrise et royauté qui rappelle 1 Pierre 2,9 : le gnostique est vraiment l’homme royal et il est prêtre de Dieu. Selon Stromate VI,XIV,113,3, traduction P. Descourtieux, Clément d ’Alexandrie. Stromate VI, Paris, 1997, p. 287 : « L’âme qui a ainsi reçu une force ‘seigneuriale’ s’exerce à être Dieu [...] et toujours elle rend grâce à Dieu en toute circonstance par une écoute juste et une lecture de la parole divine, par une recherche véritable, par une sainte offrande, par une prière heureuse, dans les chants, les hymnes, les bénédictions et les psaumes ». 36. Voir Stromate VII,VII,40,1-2, traduction d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 141.143, sur la tension vers le haut par la prière : « C’est alors que nous levons la tête, tendons les mains vers le ciel, et que nous nous dressons sur la pointe des pieds en prononçant l’acclamation qui conclut la prière : nous suivons l’emportement de l’esprit vers l’essence intelligible. Essayant de détacher, par la parole, le corps de la terre, après avoir rendu aérienne l’âme ailée, par le désir des réalités supérieures, nous forçons le passage vers le lieu saint [...]. »
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(Stromate VII,VI,32,6), l’âme du juste étant un autel vraiment saint 37. Certains spécialistes ont mis en évidence une tradition qumrânique qui remplace les sacrifices par la prière, la véritable expiation et la véritable offrande étant une immolation spirituelle, celle que les membres offrent par leur vie et leur conduite 38. Car le temple est à la fois céleste et de chair, il désigne le Logos et la communauté, de même que chacun de ses membres : « Comme temple, il y a le grand, à savoir l’Église, et le petit, c’est-à-dire l’homme qui conserve la semence d’Abraham » (Stromate VII,XIII,82,4). Selon un fragment du traité Contre les judaïsants de Clément, le temple véritable n’est pas seulement supracéleste, mais il concerne la chair que devait édifier le fils de David, le Seigneur 39. Dans ce temple, les élus, qui cherchent la connaissance, sont ceux qui se consacrent au ministère sacerdotal (ieratikè diakonia). Ce ministère se cache à l’intérieur, derrière le rideau, et sépare de ceux qui sont à l’extérieur (Stromate V,VI,34,3) 4 0. Alors que le Temple matériel est détruit, on trouve donc chez Clément, comme dans la première Épître de Pierre (1 Pi 2,9-10; 2,5), l’image de la communauté considérée comme temple nouveau, le temple eschatologique. La communauté constitue en même temps une royauté de prêtres et de grands prêtres. Clément propose une représentation collective du grand prêtre, qui n’est pas seulement identifié au Logos, mais également aux élus qui se sont unis à lui. Ce thème du prêtre comme peuple de Dieu se trouve aussi en 2 Enoch où, en conclusion, est affirmé : « il sera mon prêtre des prêtres, à jamais Melchisédech et je le sanctifierai, et je le changerai en un grand peuple qui me sanctifiera » (2 Hénoch LXX, 26) 41. Le temple est à la fois en haut et en bas. De tels enseignements de nature céleste ont toujours pour but de produire un effet dans le monde. Si le gnostique quitte toute entrave et méprise la matière, s’il fend le ciel et s’avance à travers toute principauté et puissance, et atteint les trônes les plus élevés (Stromate VII,XIII, 82,5), c’est pour mieux agir sur le terrestre. 37. Sur la thématique rituelle, voir par exemple Stromate VII,III,14,5, traduction d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 73 : « C’est pourquoi, à bon escient, nous ne sacrifions pas à Dieu, qui est exempt de besoin, [...] mais nous rendons gloire à celui qui a été immolé pour nous en nous immolant nous-mêmes par l’absence de besoin [...] et par l’absence de passions ». Suit une critique du culte grec et de ses exhalaisons de fumée. 38. B. Nitzan, Qumran Prayer and Religious Poetry, Leyde, 1994, p. 47-49. 39. Référence fournie par A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate V, 1981, p. 145-146 : Fragmente, t. III, p. 218, 24-219,11 Stählin. Voir aussi Stromate VII,V,29,4. 40. On peut comprendre pourquoi il est question de trônes, au pluriel, en fonction de la vision de la communauté comme temple. 41. Traduction d’A. Vaillant – M. Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 1221.
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Le gnostique, écrit Clément, « devient dès ici-bas égal aux anges. Déjà lumineux et resplendissant comme le soleil par ses bonnes actions, il se hâte vers la sainte demeure avec la connaissance juste grâce à l’amour de Dieu » (Stromate VI,XIII,105) 42 . Ayant accès à la connaissance, à la lumière du premier jour (ou du huitième) par le baptême, le parfait gnostique est déjà divinisé : « Voici donc l’activité du gnostique devenu parfait : converser avec Dieu par l’intermédiaire du grand prêtre, devenu semblable autant que possible au Seigneur au moyen de tout le culte rendu à Dieu,[...] c’est-à-dire par le service [sacré : leitourgian], l’enseignement et la charité en acte. Oui, le gnostique se crée et se fabrique [ktizô et dêmiourgô] lui-même et, de plus, il forme ceux qui l’écoutent, en devenant semblable à Dieu [...] » (Stromate VII,III,13,2-3) 43.
La connaissance produisant une transformation et une illumination de tout l’être, on peut sans doute comprendre que le gnostique, quand il est rendu au sommet, se crée et se forme lui-même, en termes de connaissance, c’est-à-dire qu’il n’a plus besoin de recevoir l’instruction d’un autre : plus de redressement ni d’instruction progressive, plus de didaskalia angélique 4 4 . Le gnostique coopère ainsi à la tâche divine du salut 45. En une apocalypse intériorisée, dès ici-bas, il effectue sa montée, ce qui lui permet en retour d’enseigner. Ce qui est en jeu est non seulement une expérience mystique mais aussi l’autorité que confère une telle expérience. On peut comprendre pourquoi un tel enseignement débouche sur une polémique. II. Les « hiérarchies » ecclésiales dans le monde C’est dans le Stromate VI que Clément s’inspire du symbolisme du temple et de ses degrés angéliques, pour entrer directement en polémique contre les ministères chrétiens existants qui peu à peu se hiérarchisent. Ces 42. Traduction de P. Descourtieux, Clément d ’Alexandrie. Stromate VI, Paris, 1997, p. 271. Sur la sainte demeure, voir aussi XI,86,3 ; XIV,109,3 ; XIV,114,1.3. 43. Traduction d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate VII, Paris, 1997, p. 69.71. 44. Y a-t-il un lien entre le thème du grand prêtre autodidacte (autodidakton ierôsune) et l’idée du gnostique qui se crée et se forme lui-même ? Sur le gnostique coryphée, maître du chœur parvenu au sommet, cf. Stromate VII,VII,45,1 et IV,XXV,155,4. En Stromate VI,VI,52,3, Valentin est décrit comme le coryphée des anciens (presbeuontôn) de la communauté (koinoteta). 45. Stromate VI,XIV,114,1-2, traduction P. Descourtieux, Clément d ’Alexandrie. Stromate VI, Paris, 1997, p. 287.289 : « il y a [...] une variété de demeures en fonction de la dignité des croyants [...]. Le comparatif montre sans doute qu’il existe des lieux inférieurs dans le Temple de Dieu, qui est l’Église toute entière, mais il permet également d’imaginer le lieu supérieur où se tient le Seigneur ». Bref, il y a autant de demeures que de degrés dans la hiérarchie ecclésiale.
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passages sont connus et ont fait l’objet d’études sérieuses, par exemple de la part d’Attila Jakab 4 6 : « Un homme est réellement prêtre (presbuteros) de l’Église et diacre véritable de la volonté de Dieu s’il fait et enseigne ce que dit le Seigneur. Il n’est pas choisi par un vote humain ni considéré comme juste parce qu’il est prêtre, mais il est mis au nombre des prêtres (en presbuteriô) parce qu’il est juste. Même si, sur cette terre, il ne reçoit pas l’honneur d’être au premier rang (prôtokathedria), il siègera sur l’un des vingt-quatre trônes pour juger le peuple, comme le dit Jean dans l’Apocalypse » (Stromate VI,XIII,106, 2).
Clément poursuit dans le même sens : « Parmi les élus, certains, est-il dit, bénéficient d’une élection particulière, car ils ont été cueillis pour leur connaissance parfaite comme les fleurs de l’Église elle-même, et ils sont honorés de la gloire la plus prestigieuse : je veux parler des juges et des intendants (kritai te kai dioikètai), pris à égalité chez les Juifs et les Grecs, au nombre de vingt-quatre, la grâce ayant redoublé. Les rangs progressifs d’évêques, de prêtres et de diacres qui existent ici-bas dans l’Église reproduisent, d’après moi, la gloire des anges (prokopai episcopôn, presbuterôn, diakonôn mimèmata […] aggelikès doxès) et ce régime attendu, d’après les Écritures, par ceux qui ont vécu en marchant sur les pas des Apôtres, avec une justice parfaite selon l’Évangile. Lorsqu’ils auront été emportés sur les nuées, écrit l’Apôtre, ils commenceront par être diacres, puis ils seront mis au rang des prêtres par un progrès en gloire – chaque gloire est différente – jusqu’à ce qu’ils parviennent à l’homme parfait » (Stromate VI,XIII,107,2-3).
Premièrement, ainsi que l’avait déjà noté Jean Daniélou, les divers degrés ne sont pas des natures immuables mais des échelons dans une ascension spirituelle de telle sorte qu’il est possible de passer d’un ordre à l’autre. Les rangs angéliques sont fonctionnels, ce sont des niveaux de montée vers Dieu 47. À la fin, ne restera pour le gnostique que le rang ultime, le quatrième, dans l’égalité de liturgie avec les protoctistes. Selon le passage du Stromate VI,XIII,107,2, cité plus haut, les élus seront « honorés de la gloire la plus prestigieuse : je veux parler des juges et des intendants (kritai te kai dioikètai) ». Ils seront juges au milieu des autres « dieux » ou des « elohim », une autre désignation des êtres angéliques tirée du Psaume 81,6 48. 46. A. Jakab , Ecclesia Alexandrina. Évolution sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin (IIe et IIIe siècles), 2 e éd. corrigée, Berne, 2004, p. 179-188. 47. J. Daniélou, Théologie du Judéo-christianisme, Paris, 1991. 48. Sur l’importance du Psaume 82,1 voir P. P iovanelli, « Much to Say and Hard to Explain. Melchizedek in Early Christian Literature, Theology, and Controversy », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J. Zurawski, New Perspectives on 2 Enoch. No longer Slavonic only, Leyde – Boston, 2012, p. 411-429.
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Deuxièmement, Clément s’inspire du symbolisme du temple, non pas pour une polémique contre le judaïsme, mais contre d’autres chrétiens. Il relativise la valeur des ministères qui se mettent en place, par rapport à la véritable hiérarchie céleste, qui devrait, elle, avoir une autorité dans l’Église, une polémique qui se poursuivra chez Origène (voir par exemple Homélie sur Jérémie 11,3). Les études de Martiniano Roncaglia, d’Albano Vilela et d’autres spécialistes de l’Égypte chrétienne des premiers siècles montrent qu’à l’époque de Clément la fonction d’épiscope est plutôt une préséance (protokathedria), une présidence entre égaux dans un collège de presbytres où tous ont les mêmes pouvoirs, une position d’honneur plutôt que d’autorité 49. Cela explique sans doute pourquoi Clément parle généralement d’un double ministère et qu’il voit dans ces deux charges un double genre d’assistance dont les diacres et les presbytres en ce monde sont le reflet. Ce double ministère est exercé tant par les anges que par les gnostiques, l’un relevant de la soumission à Dieu afin de l’assister dans le service des hommes, l’autre de l’amélioration qui consiste à éduquer les humains pour les conduire à la contemplation de Dieu (Stromate VII,I,3,2-4) 50. Clément évoque très peu la fonction d’épiscope. Ainsi que le font remarquer Attila Jakab et d’autres spécialistes, la polémique chez Clément montre bien qu’une mutation est en cours dans le christianisme alexandrin, une transformation de l’organisation de l’Église, la préséance au sein du presbyterium commençant à émerger pour évoluer au cours du IIIe siècle vers la fonction spécifique de l’épiscopat. Mais, à l’époque de Clément, les gens désignés pour les ministères ne sont pas distingués du reste de la communauté. On peut discerner une polémique similaire en certains textes du codex VII de Nag Hammadi : dans le Deuxième traité du Grand Seth (NH VII, 2) et dans l’Apocalypse de Pierre (NH VII, 3). Dans ce dernier texte, que l’on peut situer au cours du IIe ou du IIIe siècle de notre ère, le révélateur s’exprime à partir d’un temple qui sert de cadre à la révélation, se tenant « en harmonie avec la dizaine de colonnes » (70,15-16). Selon 49. M. Roncaglia, Histoire de l ’Église copte. I. Les origines du christianisme en Égypte. Du judéo-christianisme au christianisme hellénistique (Ier et IIe siècles), Beyrouth, 1966, p. 25 ; A. Vilela, La condition collégiale des prêtres, Paris, 1971 ; A. M artin R itter , « De Polycarpe à Clément. Aux origines d’Alexandrie chrétienne », dans Alexandrina. Hellénisme, judaïsme et christianisme à Alexandrie. Mélanges offerts au P. Claude Mondésert, Paris, Cerf, 1987, p. 151-172. 50. En un autre passage, Clément nomme les épiscopes (Pédagogue III,97,2-3) : sur l’interprétation que l’on peut en donner en fonction du contexte, voir A. Jakab , Ecclesia Alexandrina. Évolution sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin (IIe et IIIe siècles), 2 e éd. corrigée, Berne, 2004, p. 184-185 et A. Faivre , Chrétiens et Églises, des identités en construction. Acteurs, structures, frontières du champ religieux chrétien, Paris, 2011, p. 278-292.
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Jean‑Daniel Dubois, il ne s’agit pas du temple de Jérusalem, mais d’un temple spiritualisé représenté par la communauté des gnostiques. Les adversaires sont dénigrés pour leur arrogance, eux qui se vantent de ce « qu’à eux seuls appartient le mystère de la vérité, ils ont aussi un penchant pour les premières places, celles d’évêque et de diacre » (70, 26-31) 51. Il y a là un différend entre chrétiens à propos de l’organisation de l’Église et la notion de révélation ainsi que la référence à un temple spirituel montrent que ce qui est en jeu est l’autorité à enseigner 52 . Les écrits apocalyptiques et les textes de révélation fournissent un modèle d’autorité, une autorité révélée. On peut donc comprendre que de tels textes aient pu recevoir un accueil favorable dans des communautés chrétiennes contestant le modèle d’autorité institutionnelle qui se développait au cours des IIe et IIIe siècles. Ce cadre de révélation était susceptible de donner de la crédibilité à l’autorité du prophète, sa capacité à enseigner dans l’Église. Ce sera l’évêque qui peu à peu deviendra l’interprète qualifié des Écritures dans les Églises chrétiennes. Or, il existait des maîtres, comme Clément et Origène, à qui certains déniaient ou mettaient en doute le droit d’interpréter les Écritures et d’enseigner 53. Ce manque de reconnaissance officielle pourrait avoir suscité chez Clément, le thème du gnostique qui se situe au-dessus des ministères de ce monde, lui qui reçoit un enseignement angélique et atteint le sommet de la connaissance. Troisièmement, Clément applique la typologie lévitique à la communauté, jamais aux ministères ecclésiaux du monde. Selon Alexandre Faivre, dans ses travaux sur la naissance de la hiérarchie ecclésiale et l’émergence de la laïcité dans l’Église ancienne, c’est dans les premières décennies du IIIe siècle que l’on rencontre des textes qualifiant explicitement l’évêque de « grand prêtre ». Ce processus de sacerdotalisation, qui commence au IIe siècle, se concrétise au cours du IIIe siècle. Aux deux premiers siècles, « la notion de sacerdoce ministériel ne vient pas concurrencer l’idée du
51. Je suis ici l’analyse qui en est donnée par J.-D. Dubois , « “ L’Apocalypse de Pierre ” , introduction, traduction, annotation », dans J.-P. M ahé – P.-H. Poirier (ed.), Écrits gnostiques. La Bibliothèque de Nag Hammadi, Paris, 2007, p. 11431166. 52. Il semble exister une relation très étroite entre le prophétisme, l’autorité religieuse et le symbolisme apocalyptique. La prophétie chrétienne à ses débuts s’exprime en des formes inspirées des traditions apocalyptiques, et les premières apocalypses chrétiennes sont le fait de prophètes chrétiens. 53. Sur Origène, cf. A. Jakab , Ecclesia Alexandrina. Évolution sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin (IIe et IIIe siècles), 2e éd. corrigée, Berne, 2004, p. 189-214. Dans le passage du Stromate VI,XIII,107,2-3 cité plus haut, le silence de Clément à propos des évêques me semble éloquent. Voir cependant Extraits de Théodote 10,3 et Stromate V,XIV,91,3-4 où est mise en lumière la fonction de sollicitude (d’épiscopes) des anges.
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sacerdoce universel des chrétiens » 54 . Tous sont prêtres, même si, comme Irénée de Lyon par exemple, on respecte et vénère le presbyterium. Au milieu du IIIe siècle, le « sacerdoce ministériel impliquera à la fois une relation privilégiée au culte, une dissociation à l’intérieur du groupe social chrétien, la précision de la notion de pouvoir pénitentiel et eucharistique, la notion d’élection et de mise à part ». Ce processus sera consolidé par l’exploitation de la typologie lévitique appliquée aux clercs, l’ère constantinienne conduisant durant le IVe siècle à la création d’une hiérarchisation de plus en plus stricte des fonctions cléricales. En cette sacerdotalisation des ministères, on appliquera peu à peu les termes hiereus et archiereus. Sera alors établie une distinction entre ministres et peuple, par l’ordination en vue du service liturgique et par le rôle purificateur du grand prêtre juif, capable de remettre les péchés 55. Aux tout premiers siècles de notre ère, le fait que les membres de la communauté représentent les prêtres du temple explique ce fait étonnant que les ministères d’autorité dans l’Église ancienne ont été désignés par des termes non reliés à la prêtrise et au culte : presbyteros, ancien, episcopos, surveillant, et diakonos, assistant. Cependant, la polémique montre qu’une telle sacerdotalisation des ministères commençait à s’élaborer au temps de Clément et d’Origène. Alors qu’évolue l’image des structures qui vont peu à peu garantir l’identité institutionnelle de la communauté, Clément transpose donc la symbolique juive du temple ainsi que les fonctions de grand prêtre, de prêtre et de lévite, pour les attribuer à tous les membres de l’Église, ajoutant aux rituels sacrificiels les rites du baptême. À propos de l’entrée du grand prêtre dans le Saint des saints, il explique que : « le lévite est aussi le gnostique en tant qu’il peut être au-dessus des autres prêtres (tôn allôn iereôn arxonta) : ceux-ci ont été lavés par l’eau, se sont revêtus de la foi seule et reçoivent la demeure qui leur est propre, mais lui, qui discerne les choses intelligibles des sensibles, qui se hâte, en dépassant les autres prêtres, dans son ascension vers l’entrée du monde spirituel, est lavé des choses d’ici-bas non plus par l’eau, comme auparavant lorsqu’il 54. En ces premiers temps « où tous étaient saints et élus, où l’unité de la race des chrétiens primait la diversité des attributions, où les ministres, même s’ils commencèrent à constituer au cours du IIe siècle un groupe fonctionnellement distinct, n’introduisirent pas encore parmi les baptisés une frontière qui serait justifiée par un discours théologique nommant et normant ces groupes » : A. Faivre , Chrétiens et Églises, des identités en construction. Acteurs, structures, frontières du champ religieux chrétien, Paris, 2011, p. 279, voir p. 278-292. Cf. aussi, A. Faivre , Ordonner la fraternité. Pouvoir d ’innover et retour à l ’ordre dans l ’Église ancienne, Paris, 1992. 55. A. Faivre , Chrétiens et Églises, des identités en construction. Acteurs, structures, frontières du champ religieux chrétien, Paris, 2011, p. 172-173 et 279-280.
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était purifié à son admission dans la tribu lévitique (Lév 16,4), mais déjà par le Logos de connaissance » (Stromate V,VI,39,4) 56.
Pour Clément, on le sait, une différence réside entre les croyants dont la foi est simple, qui demeureront à la fin dans une partie du temple, le Saint, et le gnostique, qui, lui, grandit au-delà de la taille du simple prêtre, et atteint la contemplation face-à-face dans le Saint des saints 57. Clément le décrit à la fois comme « royal » et comme prêtre, peut-être en rappel du nom « melchizedek » qu’il ne semble pas interpréter comme un nom propre mais comme une double désignation : melchi et zadok, le roi-prêtre, titre qui désigne d’abord le Sauveur 58. On peut souligner la proximité de cet enseignement avec celui d’Héracléon sur la distinction entre psychiques et pneumatiques, selon ce que rapporte Origène : après avoir distingué le sanctuaire (hieron) du temple (naos), Origène ajoute ceci : « Héracléon suppose […]que le hiéron, c’est le saint des saints, où ne pénétrait que le grand prêtre et où, me semble-t-il, il fait entrer les spirituels. Le vestibule (pronaos), où se trouvent aussi les lévites, serait le symbole des psychiques, qui ne font pas partie du plérôme et qui cependant seront sauvés » (sur Jn 2,13-16 = Origène, Commentaire sur S. Jean X,33) 59. Clément semble bien enseigner un double baptême pour parvenir au temple-Église et ses demeures, un baptême d’eau pour ceux dont la foi est simple et un baptême spirituel, dans le Logos ou dans la Parole de connaissance. Les Extraits prophétiques, qui se terminent sur le thème de l’ascension céleste de l’âme des justes dans les cieux identifiés aux degrés angéliques (51-64), débutent par un enseignement sur le baptême. Évoquant au tout début la figure d’Hénoch qui lors de ses ascensions « vit toute la matière », et notant que les termes « matière » et « abysse » sont désignés allégoriquement par l’eau, Clément fait la distinction entre l’eau matérielle, susceptible de purifier le corps, un baptême pour la rémission des péchés, et l’eau « au-dessus du ciel », eau supracéleste qui peut purifier les réalités invisibles car elle correspond à l’Esprit (1,5 et 8 = Gn 1,6-7). Le baptême, étant un signe de régénération, est une sortie de la matière grâce à l’enseignement du Seigneur qui nous conduit à la lumière 56. Traduction d’A. L e Boulluec , Clément d ’Alexandrie. Stromate V, 1981, p. 89. 57. Selon Stromate VI,XIV,114,2, il existe des lieux inférieurs dans le temple de Dieu, qui est l’Église tout entière. Aussi Stromate VI,XIV,108,2-109,6. 58. Stromate II,V,21,4. Voir J.G. M athews , Melchizedek’s Alternative Priestly Order. A Compositional Analysis of Genesis 14 : 18-20, Winona Lake (Indiana), 2013. 59. Traduction C. Blanc , Origène. Commentaire sur S. Jean, Paris, 1970, p. 511 cité par A. Jakab , Ecclesia Alexandrina. Évolution sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin (IIe et IIIe siècles), 2 e éd. corrigée, Berne, 2004, p. 187.
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sans ombre et non plus matérielle (Extraits prophétiques 8,1-2;25,1-26,5). L’enseignement de Clément sur le baptême, associé à un double feu, est proche de celui que l’on trouve dans les sources valentiniennes, chez Théodote et Héracléon en particulier 60. III. Questions et hypothèses sur les traditions apocalyptiques en Égypte Il existe donc en Égypte des traditions orales transmises par les anciens, selon Clément qui s’inspire sans doute aussi de sources écrites 61. Ces traditions lui viennent de cercles chrétiens et de sages initiés. D’après certains spécialistes, Clément ne semble pas avoir eu de contacts vivants avec des savants juifs, contrairement à Origène. Pourtant, cet enseignement traditionnel dont parle Clément concerne entre autres les mystères du monde céleste, un savoir réservé 62 . Or, celui-ci est issu de l’apocalyptique juive. D’où a-t-il puisé ce savoir qu’on peut vraiment désigner par le nom de « connaissance » ou de « gnose » ? Clément a pu aussi être influencé par la littérature égyptienne sacerdotale dont les copistes ont préservé et recopié des textes de la période ptolémaïque ou romaine, comme l’Oracle du Potier, l’Oracle de l ’agneau et la Chronique démotique, qui montrent une attirance pour l’autorité révélée des oracles, une littérature de prêtrise et du temple qui va influer sur certains textes hermétiques, comme l’Asclépius. Mais avant tout, dans son interprétation du temple céleste, Clément reprend des traditions que l’on trouve en 1 et 2 Hénoch, 4 Esdras, 2 Baruch et d’autres apocalypses. Ces traditions de l’apocalyptique juive, on les retrouve également en plusieurs textes de la Bibliothèque de Nag Hammadi et d’autres collections « gnostiques ». La question de l’influence 60. Voir par exemple Extraits de Théodote 81. 61. Sur l’influence de sources écrites chez Clément, P. Collomp, « Une source de Clément d’Alexandrie et des Homélies Pseudo-Clémentines », Revue de philologie, de littérature et d ’histoire anciennes, 37 (1913), p. 19-46 ; W. Bousset, Jüdisch-christlicher Schulbetrieb in Alexandria und Rom. Literarische Untersuchungen zu Philo und Clemens von Alexandria, Justin und Irenäus, Göttingen, 1915 ; G. K retschmar , Studien zur frühchristlichen Trinitättheologie, Tübingen, 1956, p. 68, note 3. 62. En Stromate I,I,11, Clément évoque un de ses maîtres de Palestine, Juif de naissance. Selon G.G. Stroumsa, « ‘Paradosis’ : Esoteric Traditions in Early Christianity », dans G.G. Stroumsa, Hidden Wisdom. Esoteric Traditions and the Roots of Christian Mysticism, Leyde – New York – Cologne, 1996, Clément présente un enseignement s’apparentant à la tradition secrète que l’on trouve dans les cercles rabbiniques (Mishna Hagiga 2.1) : une initiation aux réalités concernant la création (ma’asse bereshıt) ainsi que les mystères du char ou du trône divin (ma’asse merkavah), sur la base d’une exégèse mystique de passages clés de Genèse et d’Ézéchiel. Il y a fusion de l’époptie grecque et des interprétations (δευτερώσεις) juives.
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importante de l’apocalyptique sur les textes gnostiques mériterait d’ailleurs qu’on s’y attarde et pourrait faire l’objet de plusieurs articles. Voici, en résumé, quelques traits marquants. L’un des traits distinctifs de cette littérature est l’idée que l’homme véritable, créé à l’image de Dieu, peut recevoir de lui des révélations directes, sur notre cosmos et sur le monde divin. S’y ajoute le thème de « l’angélisation » de certains humains, parfois conçue comme un retour à l’état paradisiaque, à la perfection d’Adam avant la chute, comme on peut le voir en 4 Esdras 10,51 ; 10,54 ; 10,27; 7,26. On peut ainsi comprendre pourquoi apparaît en certains textes une figure humaine céleste jugeant sur un trône, ou sur des trônes quand c’est la communauté des élus qui est ainsi distinguée. Ces textes apocalyptiques révèlent l’existence de différentes classes d’anges ainsi que leurs dénominations, dieux, seigneurs, archanges et anges. Ils sont répartis dans les cieux ou se tiennent devant Dieu, comme le font les anges du Trône, au nombre de sept ou de quatre, parfois appelés eux-mêmes « trônes » ou encore « dieux » (1 Hénoch 20,1ss ; 71,11 ; 2 Hénoch 28,11 ; Testament de Lévi, 3, etc.). Ce sont des anges intermédiaires qui conduisent à la vision divine grâce à une ascension à travers les multiples cieux, sept parfois, les humains ayant ainsi accès au sanctuaire céleste. Non seulement ces textes expriment-ils une profonde identification avec les anges 63, mais ils envisagent un culte céleste de prêtres angéliques dans la contemplation de la Face de Dieu, celle-ci prenant souvent une ressemblance humaine (Ezéchiel 1,26) 6 4 . C’est pourquoi, dans les apocalypses, on donne souvent un statut très élevé aux lecteurs, vus comme des sages ou des parfaits au milieu des autres humains. Autre trait important à souligner : la structure du cosmos, ses divisions et ses régions, visibles et invisibles, prend la forme du temple et de son culte 65. La division des espaces en plusieurs textes gnostiques s’explique bien si on la met en relation avec les trois zones du temple de Salomon : espace intérieur du plérôme, ogdoade du milieu et hebdomade céleste, de nombreuses demeures à l’intérieur de ces espaces principaux pouvant s’y trouver. Crispin Fletcher-Louis a fait remarquer que, d’après Flavius Josèphe, le temple était divisé en sept zones de sainteté, ce qui est peut-être 63. Sur la profonde identification avec les anges chez les qumranites, voir R. Elior, The Three Temples. On the Emergence of Jewish Mysticism, trad. D. L ouvish, Oxford – Portland (Oregon), 2004. 64. La « Face » de Dieu est un thème omniprésent dans la littérature apocalyptique, par exemple en 2 et 3 Hénoch, ainsi que dans le christianisme : voir A. Orlov, The Enoch-Metatron Tradition, Tübingen, 2005, p. 153 et 279. 65. Cf. C.H.T. Fletcher-L ouis , « 2 Enoch and the New Perspective on Apocalyptic », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J. Zurawski, New Perspectives on 2 Enoch. No longer Slavonic only, Leyde – Boston, 2012, p. 127-148.
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à la source de la cosmologie des sept cieux 66. À cette caractéristique, on peut ajouter la définition du service sacerdotal divin en termes d’ascension à travers les cieux, comme en 1 et 2 Hénoch 67 et le thème de la sacerdotalisation du peuple. Même si, dans les textes gnostiques influencés par l’apocalyptique, le temple n’est pas toujours explicitement décrit, on ne peut comprendre autrement la vision qu’ils présentent. Par exemple, le Livre sacré du Grand Esprit invisible, aussi appelé Évangile égyptien, montre le trône divin entouré d’une multitude de puissances, de gloires et d’incorruptibilités qui chantent la gloire divine. Sur le trône, apparaît une figure anthropomorphe, identifiée au Christ ou à Seth (NH III 43,15-20 = IV 53,13-19). Le texte nommé Eugnoste représente les myriades innombrables au service de l’Homme céleste. À travers le « service » sacré de ces armées d’anges, c’est le Nom du « Seigneur des puissances » (LXX) ou du « Dieu des armées » qui transparaît. Il existe des demeures célestes pour les élus, motif constant dans le Livre des Paraboles d’Hénoch, ainsi que des trônes pour eux. Les membres de l’Église sont conçus comme des luminaires spirituels (1 Henoch XLIII,1-4). Il existe aussi des anges qui contemplent Dieu face-à-face, autogènes et autocréés, comme le gnostique chez Clément, stade que peuvent atteindre les spirituels 68. En plusieurs de ces textes gnostiques de révélation, le contexte est liturgique, ce qui signale un autre lien avec les apocalypses juives : c’est le cas dans l’Évangile égyptien, Eugnoste, les Livres de Iéou, la Pistis Sophia avec ses nombreux hymnes (Pistis Sophia qui attribue à Hénoch les Livres de Jeu). Cette liturgie, céleste et angélique, est associée à un culte terrestre, comme en 2 Hénoch 8-9. Ces écrits montrent qu’il existe un lien cosmique entre le temps cyclique immuable de l’éternité et le rituel en ce monde, qui en reproduit la stabilité, d’où la spécificité des nombres qui y sont présentés, comme 360, 12, 7 et 8. C’est dans ce contexte du temple qu’on devrait sans doute replacer le thème du Nom divin, comme le montre Clément dans le Stromate V 69. 66. Flavius Josèphe, Guerre des Juifs 1,26 ; 5,227-237 ; Contre Apion 2,102-104 et m. Kelim 1,8-9 : C.H.T. Fletcher-L ouis , « 2 Enoch and the New Perspective on Apocalyptic », dans A.A. Orlov – G. Boccaccini – J. Zurawski, New Perspectives on 2 Enoch. No longer Slavonic only, Leyde – Boston, 2012, p. 132. 67. Sur ces spéculations, M. Himmelfarb , Ascent to Heaven in Jewish and Christian Apocalypses, New York – Oxford, 1993. 68. On peut déceler des liens entre Eugnoste et Clément d’Alexandrie à propos des dénominations angéliques (dieux, seigneurs, archanges et anges), associées aux spirituels, le niveau supérieur étant celui des « autogènes », qui contemplent Dieu face-à-face, autogènes signifiant dans ce contexte qu’ils s’enfantent spirituellement par eux-mêmes, sans degré supérieur à eux, une génération sans roi. 69. Le Nom divin était prononcé par le grand prêtre dans le temple le jour du Yom Kippour.
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Selon David Frankfurter, l’idéalisation de la liturgie céleste que l’on trouve dans l’apocalyptique juive pourrait bien être une des principales sources de la littérature gnostique avec ses rituels. Et à l’inverse, selon lui, les écrits gnostiques qui présentent une liturgie céleste sont de nature à éclairer l’étude des apocalypses juives 70. La question est donc : si on peut déceler chez les gnostiques et chez Clément d’Alexandrie un ensemble important de traditions apocalyptiques 71, quelles formes de christianisme trouve-t-on en Égypte au cours du second siècle de notre ère ? Pour y répondre, il faut évidemment prendre en compte l’histoire mouvementée de l’Égypte à cette époque (ainsi que celle de la Palestine, aux deux premiers siècles). Plusieurs chercheurs affirment qu’après la révolte qui eut lieu en Égypte entre 115 et 117 et son écrasement par l’armée romaine sous Trajan, il y eut alors diminution significative, voire quasi-disparition des juifs d’Égypte et d’Alexandrie 72 . Selon d’autres, c’est avant tout la vie communautaire qui
70. D. Frankfurter , « The Legacy of Jewish Apocalypses in Early Christianity. Regional Trajectories », dans J.C. Vander K am – W. A dler (ed.), The Jewish Apocalyptic Heritage, Vangorcum – Minneapolis, 1996, p. 129-200. A. De Conick , « Heavenly Temple Traditions and Valentinian Worship. A Case for First-Century Christology in the Second Century », dans C.C. Newman – J.R. Davila – J.S. Lewis, The Jewish Roots of Christological Monotheism, Leyde, 1999, p. 308-341, avance l’idée que les structures théologiques valentiniennes se sont développées à partir des traditions juives du premier siècle sur le temple céleste. 71. Les liens entre Clément d’Alexandrie et certains textes gnostiques sont si nombreux que le sujet peut faire l’objet de plusieurs articles. Certains aspects, en particulier les formes d’exégèse, ont été abordés par J.L. Kovacs , « Concealment and Gnostic Exegesis. Clement of Alexandria’s Interpretation of the Tabernacle », dans E.A. Livingstone (ed.), Studia Patristica. 31, Leuven, 1997, p. 414-437 ; J.L. Kovacs , « Clement of Alexandria and Valentinian Exegesis in the Excerpts from Theodotus », dans F. Young – M. Edwards – P. Parvis (ed), Studia Patristica. 41, Leuven, 2006, p. 187-200. S.R.C. Lilla, Clement of Alexandria. A Study in Christian Platonism and Gnosticism, Eugene (Oregon), 2005, p. 173-187, a bien souligné l’importance de la tradition de l’apocalyptique tant chez Clément que chez les gnostiques. 72. Les raisons du soulèvement de 115-117 sont mal connues : on peut penser à l’existence de désaccords et de luttes de plus en plus nombreuses avec les Grecs, à l’anéantissement progressif de tout espoir d’assimilation et d’accès à la citoyenneté pour un plus grand nombre, à l’augmentation d’un esprit nationaliste après la destruction du temple de Jérusalem, aux espérances religieuses de type messianique. On sait que la révolte a dégénéré en une véritable guerre à laquelle ont pris part les Juifs d’Alexandrie, du reste de l’Égypte, de Cyrène et de Chypre. Marcius Turbo fut envoyé par l’Empereur à la tête d’importants contingents militaires et finit par vaincre la révolte : voir J. M élèze-Modrzejewski, Les Juifs d ’Égypte de Ramsès II à Hadrien, Paris, 1997, p. 271-283 ; E. Starobinsky-Safran, « La communauté juive d’Alexandrie à l’époque de Philon », Alexandrina. Hellénisme, judaïsme et christianisme à Alexandrie. Mélanges offerts au P. Claude Mondésert, Paris, 1987, p. 70-71.
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fut sérieusement ébranlée 73. Colin H. Roberts confirme cette diminution de la communauté par l’analyse des manuscrits, à partir de 117. Il constate également que c’est précisément alors que les témoignages papyrologiques sur le judaïsme en Égypte se font rares que le christianisme commence à apparaître et à émerger 74 . La communauté juive d’Alexandrie ne se reconstituera que très lentement. S’il y eut à cette époque des massacres au sein de la communauté juive, on peut raisonnablement penser que plusieurs chrétiens ont également péri, puisqu’ils se situaient au sein de cette communauté et que les Romains n’ont vraisemblablement pas pu faire la différence entre eux. Pourtant, on voit peu à peu émerger une forme de christianisme, qui existait auparavant, mais non manifestée comme telle, par exemple celle des gnostiques valentiniens, basilidiens et autres. Les études de Henry A. Green sur le sujet ont incité Annick Martin et Attila Jakab à émettre l’idée que « c’est parmi les juifs d’éducation et de culture hellénistique […] soucieux d’une meilleure intégration dans la société alexandrine et héritiers spirituels de Philon, que les premiers chrétiens ont dû apparaître », au sein d’un groupe « un peu à la marge d’une communauté juive dont le statut se détériore et qui se replie progressivement sur elle-même » 75. Ce serait donc un christianisme héritier d’une grande tradition de pensée juive, dont Philon est le meilleur représentant, qui émerge après les événements malheureux de 115-117. Tout en reprenant cette vision des choses, peut-on émettre d’autres hypothèses ? Sans aller jusqu’à penser que le christianisme est directement et uniquement issu des milieux apocalyptiques juifs, milieux qu’on connaît fort mal d’ailleurs, on peut penser qu’il a été fortement influencé par eux et cela dès le départ. Si l’on revient en Égypte, à l’époque qui nous occupe, en considérant la forme de christianisme hybride qui apparaît en certains textes gnostiques (celle qu’on peut discerner par exemple dans un texte comme Eugnoste dont la doctrine peut également être acceptée par un Juif hellénisé), ou 73. Pour un résumé des arguments en faveur de la diminution ou de la quasi-disparition des Juifs à Alexandrie, voir A. Jakab , Ecclesia Alexandrina. Évolution sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin (IIe et IIIe siècles), 2 e éd. corrigée, Berne, 2004, p. 33-34. 74. C.H. Roberts , Manuscript, Society, and Belief in Early Christian Egypt, Oxford, 1979, p. 58. 75. H.A. Green, The Economic and Social Origins of Gnosticism, Atlanta, 1985 ; A. Jakab , Ecclesia Alexandrina. Évolution sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin (IIe et IIIe siècles), 2 e éd. corrigée, Berne, 2004, p. 54 ; A. M artin, « Aux origines de l’Église copte. L’implantation et le développement du christianisme en Égypte (Ier-IVe siècles) », Revue des études anciennes, 83 (1981), p. 36, qui ajoute que ce ne sera plus le cas à partir de 180, les chrétiens se recrutant en grande partie parmi les « païens ».
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encore celle que prend l’enseignement de Clément d’Alexandrie, ne peuton pas penser que ces événements malheureux ont pu inciter une partie de la communauté juive en Égypte à prolonger son existence dans la communauté chrétienne, la première apportant avec elle son bagage culturel, sa révérence pour les textes apocalyptiques, ainsi que le charisme ou l’autorité de certains 76 ? Je trouve convaincantes les réflexions de David Frankfurter à propos de l’utilisation des apocalypses juives au sein du premier christianisme et d’une possible continuité entre ces apocalypses et le gnosticisme : on ne peut en effet parler d’un héritage de l’apocalyptique juive au sens où des milieux chrétiens auraient adopté ses motifs, ses idées ainsi que les textes, mais plutôt dans le sens d’une continuation, certains groupes ou certaines communautés s’étant transformées peu à peu en conservant les mêmes textes et, parfois, en écrivant de nouvelles révélations 77. Enfin, pourrait-on également suggérer l’arrivée dans les communautés chrétiennes de groupes sacerdotaux ou lévitiques juifs qui soit seraient passés au christianisme après la chute du temple, soit se seraient intégrés plus tard à cause des événements tragiques de 115-117 et auraient influencé la forme de christianisme qui émerge à cette époque (tout en continuant peutêtre à briguer certaines prérogatives qu’ils exerçaient dans le judaïsme) ?
76. Il se peut pourtant que certains types de christianisme, judéo-chrétiens par exemple, aient disparu lors de ces événements qui touchèrent la communauté juive. C’est l’avis de J. M élèze-Modrzejewski, Les Juifs d ’Égypte de Ramsès II à Hadrien, Paris, 1997, p. 309-310. 77. D. Frankfurter , « The Legacy of Jewish Apocalypses in Early Christianity. Regional Trajectories », dans J.C. Vander K am – W. A dler (ed.), The Jewish Apocalyptic Heritage, Vangorcum – Minneapolis, 1996, p. 129-200. Il est très difficile de préciser le milieu dans lequel une apocalypse était lue : juif ou chrétien.
T EMPLE AND SACERDOTAL I MAGERY IN VALENTINIAN GNOSTICISM Einar Thomassen University of Bergen
Résumé Les chrétiens valentiniens s’intéressaient à certaines traditions cultuelles juives, surtout le temple de Jérusalem, les sacrifices, la figure du grand prêtre, le Saint des Saints, le voile qui le cachait et sa déchirure pendant la résurrection de Jésus. L’article collige la documentation concernant ces thèmes figurant dans diverses sources valentiniennes et discute leur interprétation. Une attention particulière est prêtée à l ’Évangile de Philippe, qui traite ce sujet d’une manière plus approfondie. Il en résulte que les valentiniens ont adopté de l ’Épître aux Hébreux l ’interprétation de Jésus comme le grand prêtre et qu’ils l ’ont accommodée à leurs propres idées du salut comme l ’entrée dans le monde transcendant du Plérôme. Le plan du temple de Jérusalem est vu comme une image du rituel d’initiation qui mène au salut. Les valentiniens illustrent la tendance générale du christianisme à remplacer et en même temps réinterpréter le culte traditionnel et ses institutions, mais ils l ’ont fait conformément à leur propre théorie caractéristique de l ’image et du modèle. En tant qu’image du salut le culte traditionnel possédait une valeur temporaire, mais il est dépassé dès que le salut est devenu réalité. Abstract The Valentinian Christians had an interest in certain Jewish cultic traditions, specifically the Jerusalem temple, sacrifices, the figure of the High Priest, the Holy of the Holies, the veil in front of it and the renting of the veil during the resurrection of Jesus. The article brings together the evidence regarding these themes from various Valentinian sources and discusses their interpretation. Special attention is given to the Gospel of Philip, which provides the most extensive treatment of the topic. It emerges that the Valentinians adopted from the Epistle to the Hebrews the interpretation of Jesus the Saviour as the High Priest and adapted it to their own ideas about salvation as an entry into the transcendent world of the Pleroma. The layout of the Jerusalem temple is seen as an image of the initiation ritual leading to salvation. The Valentinians exemplify the general trend in Christianity of both replacing and reinterpreting the traditional cult and its institutions, but did so in accordance with their own characteristic theory of image and model. As an image of salvation the traditional cult had temporary validity, but was superseded once salvation became a reality. La question de la « sacerdotalisation » dans le Judaïsme Synagogal, le Christianisme et le Rabbinisme, éd. par Simon C. Mimouni et Louis Painchaud (JAOC 9), Turnhout 2018, p. 371-390. DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.115539 ©
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The religious movement commonly, but vaguely, referred to as “Gnosticism” is usually thought to have been hostile to the god of the Old Testament and to the religion of the Jews in general. It would therefore hardly be surprising if gnostic sources appear to take little interest in Jewish institutions such as the temple cult and priestly offices. On the other hand one might also expect the opposite to have been the case, that precisely because they objected so strongly to the deity worshipped by the Jews, Gnostics were motivated to denounce the manner in which this deity was worshipped as well. After all, Gnostics spent considerable energy refuting the Jewish Scriptures and ridiculing the god represented in them, so why should they not have wanted to attack Jewish cult practices as well for being useless or even harmful? Such attacks are, however, relatively rare. The harsh remarks about sacrifice in the Gospel of Judas are a notable example of such polemics, but not really typical. A few remarks about sacrifice in the Gospel of Philip may also be registered, and I will return to them towards the end of this paper. Apart from these few instances, Gnostics do not show much interest in Jewish ritual traditions. This is an indication, it seems to me, that socalled gnostic anti-Judaism had little to do with attitudes towards actual Jews and their religious practices. Rather, what was at stake for them was the interpretation of the Scriptures and their authority, in the context of a debate that seems to have taken place primarily with other Christians. In that context, Jewish cult practices are a thing of the past; debates about rituals, when they occur, are about Christian rituals, which are rituals of a different kind from those of the Jews. Gnostic interest in Jewish cultic traditions, in so far as it exists, appears primarily in the context of scriptural interpretation, and not as part of a debate with contemporary Jews or in a polemic against Judaism. This is also the case with the few examples of such an interest that occur in Valentinian texts. These texts discuss a limited range of themes, namely the figure of the High Priest and the temple of Jerusalem, in particular the inner sanctuary, the Holy of the Holies, and the curtain separating it from the rest of the temple building. These themes and the efforts to interpret them from a Valentinian theological point of view will be the main subject matter of this paper. Before we look at the texts themselves, however, I wish to consider for a moment the wider historical context for the topic under discussion. The later part of antiquity saw a dramatic transformation of the religious sphere from temple religion to community religion, a process that led to the creation of a new type of religion, taking the form of Christianity, rabbinic Judaism, and, somewhat later, Islam. New ideas about deity, faith, doctrine and morality were introduced, but also new styles of worship, new ways of organising religion, new types of religious buildings
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and new forms of religious office. It is this last element, religious offices, which is at the centre of interest for us here. The period of transition marked not only “the end of sacrifice,” but also the end of priesthood in the traditional sense. At the end of Antiquity the hiereis, the sacerdotes and the kohanim had been replaced by the presbyteroi, the episkopoi and the rabanim; sacrificial priests had given way to ministers of the word. This development was not, however, just a matter of replacing one form of cult with another, or one ideology of interaction between humans and divinity with an entirely different one. There also took place a process of reinterpretation by which the legacy of the old ways of communicating with divinity was reassessed and conceptually reintegrated into the new forms of worship. Thus, the concept of sacrifice comes to be appropriated by Christian theology, in a transmuted form, and the same happens with the concept of priesthood, traditionally associated with the performance of sacrifice. The Epistle to the Hebrews carries out a Christological reinterpretation of the temple cult, with Christ himself cast in the roles both of High Priest and of sacrificial victim. This theological reinterpretation set the terms for subsequent thinking about these themes among Christians. Institutionally, however, the titles sacerdos and hiereus also found their way back into the nomenclature used for the Christian clergy from about 200 onwards, apparently because the Christian liturgy itself by then had begun to appropriate sacrificial ideas, in particular in the context of the Eucharist. Where, then, does the Valentinian evidence fit into this trajectory of theological reinterpretation of the temple cult and the institutional reapplication of its features in a new context? Does the Valentinian interest in the temple cult perhaps represent an independent line of tradition, or does it presuppose and rely on the reinterpretation of the temple cult that had already taken place in early mainstream Christianity, especially in the Epistle to the Hebrews? It is notable that the themes relating to the temple cult taken up in the Valentinian texts are the figure of the High Priest, the layout of the Jerusalem temple and the curtain separating the Holy of Holies from the other parts of the temple. These are all themes that are at the centre of attention in the Epistle to the Hebrews as well, so a plausible initial hypothesis would be that Valentinian theologians relied on that text as the main point of departure for their own interpretations of the temple and the figure of the High Priest. But before we answer this question definitively we shall take a closer look at the evidence. Jesus the High Priest προβέβλητο ὁ κοινὸς τοῦ πληρώματος καρπός, ὁ Ἰησοῦς – τοῦτο γὰρ ὄνομα αὐτῷ – « ὁ ἀρχιερεὺς ὁ μέγας ».
The joint fruit of the Pleroma was brought forth, Jesus – for that is its name – “the great high priest. ([Hipp.] Ref. 6.32.2)
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EINAR THOMASSEN
The context is the episode in the Valentinian myth where the aeons of the Pleroma get together and bring forth, as their “joint fruit,” Jesus the Saviour, who will be sent out to help Sophia. In the various Valentinian texts describing the generation of the Saviour, he is given a series of titles, such as Redeemer, Paraclete, Light and Logos, 1 the version of the Refutatio, however, is alone in calling him “High Priest.” What may lie behind the choice of this epithet in this context? The text does not tell us, so we are left to conjecture. As will be shown in further detail later, the figure of the High Priest was used in other contexts by the Valentinians as a type of the Saviour, so it is quite possible that it appears in the present text just to form a general allusion to the salvific mission of the Saviour Jesus. However, a more specific reference as well seems likely in this particular instance: the text probably alludes to Heb 4:14, where Jesus is called ἀρχιερέα μέγαν διεληλυθότα τοὺς οὐρανούς. Passing through the heavens is precisely what the Valentinian Saviour is sent out to do, in order to redeem Sophia and her offspring. It is not unlikely that a more extensive Valentinian exegesis of this particular phrase from the Epistle to the Hebrews was in circulation and is vaguely hinted at in the present text. The Son as the High Priest [ⲟ]ⲩⲁⲧ[ϣⲉϫ]ⲉ ⲁⲣⲁ[ϥ ⲡ]ⲉ [ⲁ]ⲡⲧⲏ[ⲣϥ] ̅ⲡⲧⲏⲣϥ ⲁⲩⲱ ⲡⲧⲁϫⲣ[ⲟ] ⲙⲛ [ⲧϩⲩ]ⲡⲟⲥⲧⲁⲥⲓⲥ ̅ⲙⲡⲧⲏⲣϥ ⲡⲕ[ⲁ]ⲧⲁⲡ[ⲉⲧⲁⲥ]ⲙⲁ ̅ⲛⲥⲓⲅ[ⲏ]· ⲡⲁⲣⲭⲓⲉⲣⲉⲩ[ⲥ ⲡⲉ ̅ⲙⲏ]ⲉ ⲡ[ⲉⲧⲉⲟⲩⲛⲧⲉ]ϥ ̅ ]ⲙⲉⲩ ̅ⲛⲧⲉⲝⲟⲩⲥⲓⲁ [ ] ̅ⲙ ⲃⲱⲕ ⲁϩⲟⲩⲛ ⲁⲛⲉⲧⲟⲩⲁⲁϥ ̅ⲛⲛⲉⲧⲟⲩⲁⲁϥ ̅· ⲉϥⲟⲩ[ⲱ]ⲛϩ ̅ⲙⲉⲛ ⲁϩⲟⲩⲛ ̅ⲡⲉⲁⲩ ̅ⲛ[ⲛ]ⲁⲓⲱⲛ ⲉϥⲉⲓⲛⲉ ̅ⲛⲇⲉ ⲁⲃⲁⲗ ̅ⲛⲧⲭⲟⲣⲏⲅⲓⲁ ⲁⲩϯⲥⲛⲟⲩⲃⲉ· ⲧⲁⲛⲁⲧⲟⲗⲏ
[He is] entirely [ineffable] to the All, and he is the confirmation and [the] foundation (ὑπόστασις) of the All, the curtain (καταπέτασμα) of silence, the [true] High Priest (ἀρχιερεύς), [the one who has] the authority (ἐξουσία) to enter the Holies of Holies, revealing on the one hand the glory of the aeons and on the other hand bringing provisions (χορηγία) for