Judaisme Et Christianisme Au Moyen Age (Judaisme Ancien Et Origines Du Christianisme, 17) (French and English Edition) 9782503584218, 2503584217


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Judaisme Et Christianisme Au Moyen Age (Judaisme Ancien Et Origines Du Christianisme, 17) (French and English Edition)
 9782503584218, 2503584217

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JUDAÏSME ET CHRISTIANISME AU MOYEN ÂGE

Judaïsme ancien et origines du christianisme Collection dirigée par Simon Claude Mimouni (EPHE, Paris) Équipe éditoriale : José Costa (Université de Paris-III) David Hamidovic (Université de Lausanne) Pierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa)

JUDAÏSME ET CHRISTIANISME AU MOYEN ÂGE

sous la direction de

Marie-Anne Va n nier

F 2019

Ouvrage publié avec le concours de la Maison des Sciences de l’Homme, Lorraine, USR 3261, avec le concours de la Fondation de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres pour le développement des recherches en histoire religieuse du Moyen Âge (André Vauchez, Prix 2013) et de l’IUF.

© 2019, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-58421-8 E-ISBN 978-2-503-58422-5 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.117086 ISSN 2565-8492 E-ISSN 2565-960X Printed in the EU on acid-free paper. D/2019/0095/60

P RÉFACE Sylvie Camet Université de Lorraine, Directrice de la Maison des sciences de l ’homme Lorraine

C’est un honneur autant qu’une grande responsabilité que de préfacer un ouvrage collectif, en ce que celui-ci dans sa conception même, témoigne d’une étape décisive dans l’avancée d’une recherche et que la nécessité de sa rédaction suppose d’en être parvenu à une nouvelle étape de la pensée. La préoccupation d’ensemble consiste à élucider un point important, qui nourrit la critique depuis quelques années, les rapports entre judaïsme et christianisme au Moyen Âge. Pour ce faire, le professeur Marie-Anne Vannier a su rassembler des chercheurs de première importance dont les noms sont associés à des travaux menés sur ces questions, nous pouvons mentionner de manière non exhaustive, Daniel Boyarin avec Le Christ juif ou La partition du judaïsme et du christianisme, Gilbert Dahan La polémique chrétienne contre le judaïsme au Moyen Age ou Les juifs en France médiévale, Israël Jacob Yuval Deux peuples en ton sein, juifs et chrétiens au Moyen Age, cela pour ne reprendre que les titres explicitement liés à la thématique présente. Cependant, comme une partie des collaborateurs scien­ tifiques s’est antérieurement vouée à l’intelligence des travaux de Maître Eckhart, l’un des intellectuels majeurs du xiv e siècle, cette interrogation relative au judaïsme recevra un éclairage original du fait de cette expertise particulière. En somme, les plus grands spécialistes en matière théologique et religieuse sont réunis ici, le mot de réunion revêtant un sens très concret, puisque les pays d’appartenance sont nombreux, et un sens symbo­ lique bien entendu, puisque l’on peut souligner la diversité des obédiences, une pluralité qui garantit le vif intérêt de ce volume. La Maison des Sciences de l’Homme Lorraine se félicite de ce bel exemple de collaboration intellectuelle dont elle a pu accompagner la démarche. Si, au Moyen Âge, le dialogue entre judaïsme et christianisme s’est effectué sur le plan de la mystique, laissons cet objet aux articles du recueil, notre contribution n’étant d’aucun prix en cette matière, mieux vaut prendre un biais où notre compétence s’avère plus manifeste, celui du littéraire. Il va de soi que la présence des juifs dans la littérature européenne médiévale est très forte, objet souvent de présentations caricaturales ou dérisoires. Un article de Danièle Frison intitulé « Le thème de l’aveugle-

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SYLVIE CAMET

ment. Les Juifs dans la littérature anglaise du Moyen Âge et de la Renaissance 1 », souligne le fait que parmi les créations littéraires qui comportent des personnages juifs, les œuvres hostiles sont les plus nombreuses : elles forment près de soixante-dix pour cent du corpus, précise l’auteure. Si la production littéraire revêt un caractère généralement hostile, qui relève bien plus de l’antijudaïsme que de l’antisémitisme, elle est une consignation assez fidèle des aléas de l’histoire, puisque la tonalité change dès lors que les conditions changent, après l’expulsion des juifs d’Angleterre en 1290, les créations, comme n’ayant plus à stigmatiser l’ennemi sur la place, adoptent du coup une perspective favorable. Mais plutôt que d’accorder place à ces stéréotypes, notre idée a été de rechercher surtout comment les récits font écho aux grands débats d’époque : deux grands moments des relations entre judaïsme et christianisme font l’objet du commentaire littéraire, celui de la disputatio et celui de la conversion. L’ Altercatio Aecclesie contra Synagogam, composée au milieu du x e siècle relate par exemple une disputatio entre Église et Synagogue, utilisant ainsi les modalités rhétoriques des théologiens au sein d’une œuvre littéraire. Dialogus inter Philosophum, Christianum et Iudaeum, sive Collationes de Pierre Abélard, composé aux alentours de 1125-1126, présente trois personnages, un philosophe, face à deux interlocuteurs incarnant les deux monothéismes ; par citations bibliques, antiques et patristiques, le dialogue progresse selon des conventions qui sont à la fois propres à la dispute théologique, et propres au débat philosophique. Le motif de la conversion apparaît quant à lui comme une sorte de topos privilégié, la plupart des œuvres se terminant non par le châtiment des juifs considérés comme coupables d’aveuglement, mais plus aisément par leur métamorphose, cette espèce de victoire ultime étant évidemment facilitée par le ressort même d’une intrigue qui peut s’autoriser fictivement toutes les torsions ou tous les rebondissements. Dans la Gesta Romanorum, ou Actes des Romains, à la charnière des xiii e et xiv e siècles, l’un des prodiges accomplis dans une section au titre significatif : Of a miracle performed on certain Jews, consiste dans ce qu’un chanoine, séduit par la fille d’un juif, entraîné par elle à pécher contre le vœu de chasteté le soir du Vendredi Saint, est malencontreusement surpris par le père de la dulcinée. Menacé de mort, il n’est finalement victime que d’une dénonciation par ce père, soutenu par la communauté juive, venu conter le forfait à l’évêque lors de la messe du Samedi Saint. Repenti de sa faute, le chanoine est pris en pitié par Dieu qui prive en représailles les « méchants juifs » de l’usage de la parole. Son salut assuré, le chanoine parvient à convertir la jeune fille à la foi chrétienne, une conversion facilitée parce que celle-ci a assisté au 1.  J.-C. Attias – P. Gisel , De la Bible à la littérature, Genève, 2003.

PRÉFACE

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miracle de cette salvation. Par ce moyen, le pécheur ou l’incroyant, qu’il s’agisse du tenant d’une autre religion ou de celui ou celle qui n’a envers sa propre religion qu’une adhésion tiède, est convaincu de la toute-puissance divine. Ce passage à la foi constitue une fin heureuse aux péripéties, une conclusion simultanément satisfaisante et encourageante, qui s’harmonise parfaitement avec le statut toujours partiellement imaginaire de la narration. La mémoire d’une conversion tout aussi prodigieuse est en outre attachée au Décameron de Boccace, ouvrage pourtant associé de préférence à l’hérésie qu’à l’orthodoxie. Il est question dans la deuxième nouvelle, racontée par Pamphile, d’un marchand juif lié d’amitié à un chrétien, ce dernier entêté à convertir le premier. Bien que réfractaire à un tel changement, le juif décide de se rendre à Rome : « Rome est le siège de la Chrétienté, la source de la religion elle-même ; si je ne me convertis pas à Rome, où me convertirai-je ? » s’enquiert le marchand. La perspective, qui eût dû réjouir son interlocuteur, le consterne au contraire, sachant que la ville ne peut constituer qu’un contre-modèle du fait de la dépravation qui y règne. C’est donc avec beaucoup d’inquiétude qu’il s’enquiert du résultat de ce voyage, à peine son ami est-il de retour à Paris : « J’ai vu qu’il n’y avait à Rome aucune piété, aucune dévotion, aucune bonne œuvre dans aucun prêtre ; que l’avarice, la gourmandise, la fraude, l’envie, la débauche, l’orgueil et des choses pires encore, s’il se peut, étaient toutes en faveur, et que c’était plutôt l’officine du Diable que le temple de Dieu. Il m’a semblé que le souverain pasteur et ceux qui l’entouraient faisaient tout pour détruire le christianisme. Cependant, je vois que le christianisme prospère et s’agrandit, qu’il s’élève chaque jour. J’en ai conclu que votre religion était vraie, puisque la cour de Rome et les cardinaux ne pouvaient pas la détruire. J’en ai conclu qu’à défaut de ces hommes qui devraient en être les appuis, et qui en sont les fléaux, il faut que ce soit l’Esprit Saint lui-même, la main de Dieu qui soutienne le christianisme. Ainsi, allons à l’église ; et là, selon les usages de votre sainte foi, faites-moi vite baptiser. »

Stupéfait de ce paradoxe, le chrétien conduit donc le juif à NotreDame-de-Paris, où ce dernier reçoit le baptême, ainsi que le nom de Jean. La conclusion, brève mais sans appel, stipule que dès lors, Jean vécut « en homme bon et juste, menant sainte vie ». Si la drôlerie de ce retournement de situation n’échappe à personne, et si l’histoire est construite comme toutes les autres du recueil autour d’un palpitant ricochet, il n’empêche que Boccace y témoigne d’une véritable volonté démonstrative et analyse ce faisant le contenu de la sagesse : « Pamphile nous a montré dans sa nouvelle la bonté que Dieu avait de ne point regarder à nos erreurs, lorsque nous nous appuyons sur des choses que nous ne pouvons pas voir par nous-mêmes » commente Néiphile. L’in-

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dignité des représentants religieux a fait accéder à une vérité immatérielle : les clercs, dans la mesure où ils sont des hommes, corrompus par le pouvoir, le profit et l’hypocrisie, ne sauraient incarner une spiritualité authentique qui ne peut être jugée à travers des critères étroitement moraux ou rationalistes. Ces détours par l’humour et l’anecdotique traduisent néanmoins les préoccupations d’auteurs qui introduisent par des formes divertissantes ou légères des thématiques savantes que le Moyen Âge se soucie d’aborder. La version réflexive et sérieuse est celle que glose ce livre, laissons-lui dès à présent cette autorité.

P RÉSENTATION Marie-Anne Vannier Université de Lorraine, Institut Universitaire de France

En prolongement du projet MSH-JECP (Judaïsme et christianisme chez les Pères, JAOC 8, Turnhout, 2015), réalisé à partir de trois corpus : La Genèse, les Psaumes et les Prophètes, le projet MSH-JECMA (Judaïsme et christianisme au Moyen Âge) étudie un sujet à la fois plus facile (car les documents sont plus nombreux) et plus difficile (en raison des préjugés qui ont amené à méconnaître l’apport du Judaïsme). Envisager en effet ce rapport entre Judaïsme et christianisme au Moyen Âge relève du défi, d’autant qu’à l’époque, le terme même de Judaïsme faisait difficulté, comme le montre Daniel Boyarin, à partir d’une étude précise et originale de ce classique de la philosophie juive médiévale qu’est le Kuzari de Juda Halevi, qui, avant Abélard, met en scène un dialogue entre un juif, un chrétien et un musulman 1. De plus, les rapports entre les deux communautés juive et chrétienne étaient souvent conflictuels. Cependant, dans le Haut Moyen-Âge 2 , et même plus tard dans certaines régions, le climat était plutôt serein. Nous nous situerons dans cette perspective, d’autant que la question de l’antijudaïsme a fait l’objet de quelques publications récentes 3. Pour mieux cerner le sujet, nous centrerons la recherche autour de trois points : l’exégèse, la Pâque, ainsi que le dialogue de maître Eckhart et de Nicolas de Cues avec le Judaïsme. C’est, tout d’abord, Gilbert Dahan, spécialiste de l’exégèse médiévale, qui recherche le motif de la présence de l’exégèse juive dans les commentaires chrétiens et qui souligne l’orientation analogue vers une exégèse messianique, interprétée différemment par les deux groupes. Puis, Annie Noblesse-Rocher nous fait connaître une dispute originale, celle d’Ingetus, 1.  J. Halevi, Kuzari. Apologie de la religion méprisée, Louvain-Paris, 1994. 2 .  Voir I. Aulisa, Les Juifs dans les récits chrétiens du Haut Moyen Âge, Paris, 2015. 3 .  S. Morlet – O. Munnich – B. Pouderon (éd.), Les Dialogues Adversus Judaeos. Permanence et mutations d ’une tradition polémique, Turnhout, 2013 ; D. Cohen L evinas – A. Gouggenheim (éd.), L’antijudaïsme à l ’épreuve de la philosophie, Paris, 2016 ; J.-M. Auwers – R. Burnet – D. Luciani (éd.), L’antijudaïsme des Pères : mythe et/ou réalité ? Paris, 2017.

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un marchand génois avec la communauté juive de Palma de Majorque, où ce marchand reprend les différents « procédés interprétatifs juifs » (p. 64). David Lemler revisite, ensuite, la question de l’exégèse allégorique et montre comment elle est passée des commentateurs chrétiens aux commentateurs juifs, soulignant ainsi l’interaction entre les deux groupes. Il précise également l’influence de Maïmonide sur les auteurs chrétiens. Avec Israël Yuval, c’est un autre point de convergence et de divergence qui apparaît, cette fois, entre la Pâque juive et la Pâque chrétienne avec l’Afikoman, qui en reprend le sens tout en le détournant. Viennent finalement quatre contributions sur le rapport entre Maître Eckhart et le Judaïsme, ainsi que sa réception : celle de Markus Vinzent, qui montre à quel point Eckhart a été marqué par le Judaïsme, la nôtre qui précise les trois plans du dialogue que le Thuringien a mené avec le Judaïsme : biblique, mystique et anthropologique, celle de Jean-Claude Lagarrigue, qui s’attache plus précisément au rapport entre Eckhart et Maïmonide, à partir de la mise en œuvre de la parabole pour faire ressortir le sens de l’Écriture. Finalement, Harald Schwaetzer montre, à partir des Sermons C et CXXIV que Nicolas de Cues lit l’Ancien Testament, dans la dynamique de la création et comment « la Sagesse y descend dans sa maison ». Nous remercions la MSH Lorraine qui, dans le cadre du projet JECMA : Judaïsme et christianisme au Moyen Âge a permis la recherche qui a amené à ce colloque, ouvert et préfacé par sa Directrice, Sylvie Camet. Nous remercions Silvia Bara Bancel qui a largement contribué à la mise en forme de l’ouvrage. Nos remerciements vont également à la Fondation Vauchez-Balzan et à son Président André Vauchez qui nous ont aidé pour la mise en œuvre de ce projet de recherche. Nous remercions aussi Désirée Mayer qui a complété le colloque par un concert de musique juive médiévale et par deux expositions, dans le cadre des journées européennes de culture juive. Nous remercions également Simon Claude Mimouni qui accueille l’ouvrage dans sa collection.

M EDIEVAL JEWS WITHOUT JUDAISM The Case of the Kuzari Daniel Boyarin University of Berkeley

Résumé « Y a-t-il eu un quelconque Judaïsme juif au Moyen Âge? » Dans cette communication, je montrerai que les Juifs n’ont jamais utilisé un mot apparenté à Ioudaismos ou Iudaismus pour désigner leur présumée « religion » ou même tout leur système culturel au Moyen Âge. D’après mes recherches, c’est là un usage purement chrétien. Abstract In this paper, I shall argue that Jews did not use a word cognate to Ioudaismos or Iudaismus to refer to their alleged “religion” or even their entire cultural system in the Middle Ages. According to my research, this was a purely Christian usage.

The book known in Hebrew as the Kuzari from twelfth-century Sefardic Spain and one of its iconic texts was written by Rabbi Yehuda Halevi (c. 10751141) in Judaeo-Arabic under the title ‫כתאב אלרד ואלדליל‬ ‫פי אלדין אלד'ליל‬: “The Book of Refutation and Defense of the Despised Din”. Hebrew translators from the time of Yehuda Halevi’s slightly junior contemporary Yehuda ibn Tibbon to the present usually give dat for Arabic din 1. But we must not hasten to translate dat or din, especially not as “religion” or “faith”,! or we shall have proposed as a premise precisely what we are trying to interrogate (begging the question). In the text below, I shall refer to this text simply as the Kuzari. What did the author 1. There has been extensive research and scholarly comment and analysis of this book and its translations for a century now. My task here is to study the language and translation language of a small, limited semantic field. It would not surprise me at all were more sophisticated philology to bring further nuance and even corrections of my views here. Very useful and important is the short essay by D. J. Lasker , Translations of Rabbi Yehudah Halevis Kuzari, sur http://seforim. blogspot.com/2017/06/translations-of-rabbi-judah-halevis.html. Judaïsme et christianisme au Moyen Âge, éd. par Marie-Anne Vannier, Turnhout : Brepols, 2019, (Judaïsme ancien et origines du christianisme, 17), p. 13-27 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.117472 © F  H  G

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of the Kuzari and his contemporaneous translator, Rabbi Yehuda ibn Tibbon (1120-1190) mean when they used the Arabic term dīn or medieval Hebrew dat, or better put, how did they use those words? Did either of them understand dīn or dat in the way modern English means “religion”? or “faith”? We simply dare not read back from modern usages to interpret these medieval texts without risking burying their linguistic-cultural world under the rubble of a modern one, the very opposite of an archaeology. My hypothesis to be developed in the rest of this communique is that Judeo-Arabic (at least) dīn corresponds best to nomos as used by Josephus and (with a very important mutatis mutandis qualification) to Torah as well. This would render it untranslatable into English, for nomos, as I have shown in the book manuscript from which this article is extracted, covers both more and less territory than “religion” or “law”, as does Torah itself as well. Some powerful evidence for this claim comes from ibn Tibbon’s translation of Halevi’s Arabic into Hebrew 2. Let me emphasize again a crucial point: the argument is not that these words don’t mean “religion” but something else, law, custom, etc., which would still presuppose that in the medieval Judaeo-Arabic and Hebrew, there was “religion”, just it wasn’t called dat or din. Nor am I suggesting that these words sometimes mean religion and at other times law or custom. I remind of the very useful formulation of C. P. Jones to the effect that when we say that a given word has two meanings in some foreign language, all we are saying is that English has no word that matches the semantic range of that foreign tongue 3. In this case, turnabout is fair play, and it means as well that the “foreign” tongue has no word that matches English “religion” either, even if parts of things that we call “religion” are embedded in the usage of the word along with many other things that we don’t call “religion” or even call “not religion.”

2. For ibn Tibbon’s Hebrew, I have used Yehudah Halevi, The Kuzari: In Defense of the Despised Faith, newly translated and annotated by N. D. Korobkin, Jerusalem, 2009 ; Judah ha-Levi, translated by H. Hirschfeld, Judah Hallevi’s Kitab al Khazari (The Semitic Series), London, 1905. For the Arabic, I have consulted Yehudah Halevi, Sefer Hakuzari: Maqor Wetargum, edited and translanted by Y.b.D Qafih, Kiryat Ono, 1996. I have also had the great privilege of being able to consult the (as yet unpublished) translation of the Arabic by Prof. B. S. Kogan, for which privilege I thank him. My translations given here of the Arabic text follow Kogan’s renderings except for when I feel that he has used terminology that is anachronistic, such as “religion,” which is, of course, the whole novellum of my research here. 3. See C. P. Jones , « Ἔθνος and γένος In Herodotus », in Classical Quarterly 46 (1996), p. 316, who, in an exemplary study, makes this point compellingly.

MEDIEVAL JEWS WITHOUT JUDAISM

I. I s

dī n

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“R e l igion ”?

Dīn (plural adyān) (generally equal to Hebrew dat, because the words have evolved semantically together) is one of the words in Arabic most often translated as “religion”. As shown by recent research, however, its usage in late-ancient and early medieval Islamic texts suggests rather normative customs or traditions (which may or may not be conceived as divine in origin). The term is loosely associated with religion, but in the Qurʾan, it means the way of life which righteous Muslims must adopt to comply with divine law (Qurʾan and sunnah), or shariʿa, and to the divine judgment or recompense to which all humanity must inevitably face without intercessors before God 4 . Note that as with nomos for Josephus, dīn incorporates the whole of prescribed human practice, including what we might divide into ritual prescriptions and civil law. Its usage in the Kuzari and in ibn Tibbon’s Hebrew rendering of same also indicate a much more complex semantics than the reduction to “religion” or “law” would betoken. One term that I will introduce in this discussion is the term “doings,” a term, drawn from native American usage, that certain archaeologists are using to indicate all of the practices, verbal and corporeal, that mark the form of life of a given human collective 5. The virtue of this term is its relative colorlessness and oddness with respect to contemporary categories, as opposed to terms like “religion,” “ethnicity,” and the like.

4. Cf. R. Glei – S. Reichmuth, « Religion Between Last Judgement, Law and Faith: Koranic Dīn and Its Rendering in Latin Translations of the Koran », in Religion 42 (2012), 247-271, an important article in its own right, but, I think not sufficiently attentive to the nuances of the usage of religio in ancient Latin. See now C. Barton, Imagine No Religion. I am certainly not clear on what they base their statement that, “Contrary to widespread assumptions, the emergence of a generalized uncountable notion (‘Kollektivsingular’) ‘Religion’ could be traced here for Latin already to the first century bce” (R. Glei – S. Reichmuth, « Religion Between Last Judgement, Law and Faith: Koranic Dīn and Its Rendering in Latin Translations of the Koran », in Religion 42 (2012), p. 268. Moreover, it must be said that simply giving passages of Arabic and translating din as “religion” hardly constitutes an argument that indeed that is its usage. See for example, R. Glei – S. Reichmuth, « Religion Between Last Judgement, Law and Faith: Koranic Dīn and Its Rendering in Latin Translations of the Koran », in Religion 42 (2012), p. 256. Aside from these quibbles, it does seem instructive that, according to R. Glei and S. Reichmuth, a decisive turn in the usage/translation of din does seem to occur in early modernity (R. Glei – S. Reichmuth, « Religion Between Last Judgement, Law and Faith: Koranic Dīn and Its Rendering in Latin Translations of the Koran », in Religion 42 (2012), p. 265-266). 5.  For this term, see S. M. Fowles , An Archaeology of Doings: Secularism and the Study of Pueblo Religion, Santa Fe: School for Advanced Research Press, 2013.

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Let us begin the semantic investigation: “They have asked me what I have to say to refute and answer those who dissent from us of the philosophers and the men of the torot [Arabic ‫אלאדיאן‬, (al-adyān)] and the minim who dissent from the majority of Israel. And I remembered that which I had heard of the arguments that the sage, who was with the King of the Khazars, who entered the dat [Ar. dīn] of the Jews four-hundred years ago today, as is recorded and known from the Chronicles”. [1:1].

Ibn Tibbon’s translation here is fascinating. For ‫אלאדיאן‬, [al-adyān], the plural of dīn, ibn Tibbon translates in the first instance torot. My suggestion is that when Halevi contrasts philosophers to adherents of al-adyān, ibn Tibbon understands him to mean the adherents of revealed dīn or Scriptures, thus torot. Torot must, at least, mean revealed Scriptures in this context. Moreover, at Kuzari IV,3 ibn Tibbon gives once again torot for this word, when Halevi refers to the philosophers among the adherents of al-adyān. When Halevi is referring specifically to Christians and Muslims [al-naṣārá wa al-muslimūn], then ibn Tibbon translates this word as the People of Torot. On the other hand, when the King enters into ‫דין אליהוד‬ [dīn al-yahud], where even ibn Tibbon translates as dat, it seems most plausible to suggest that for ibn Tibbon dat means what dīn means in the Qur’an, referring to the entire way of life, the “doings” of a people, of a sort that all peoples have whether right or wrong. In other words, I suggest that for ibn Tibbon, since both dat and torah can translate dīn they are close to being synonyms in his language with the proviso that Torah must be used when contrasting a dat that is revealed to a dat that purports to be the product of reason. The translation “religion” from either the Arabic or the Hebrew of ibn Tibbon quite obscures this point. There is further an absolutely determining text for the meaning of “People of Torot.” In response to the Kuzari’s claim that the Indians have buildings that are hundreds of thousands of years old and that, therefore, the claim of the Jews to a recent creation is falsified, the Rabbi remarks: “This would damage my belief if this were founded on reliable opinion or in a book [Ar. kitāb] that has won general agreement without controversy according to an agreed-upon chronology, but this is not the case. This [The Indians] is an undisciplined people and they have no clear chronicles and they anger the people of Torot [Ar. ‫ אהל אלאדיאן‬ahl al-adyān] with such matters, just as they anger them with their statues, their idols, and their tricks. And they claim that they aid them and they ridicule those who say they have a book from God.They have written on this few books; individuals wrote them. The feeble minded will be seduced by them like a few astrological books that claim dates going back ten-thousand years [and other nonsensical books of the Nabateans]”. [1:61].

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Here the sense of ibn Tibbon’s “people of Torot” for Halevi’s ahl al-adyān is absolutely clear, since we have its precise antonym, the “pagans” of India. It must mean, therefore, at least in extension, something like Ahl al-Kitāb. The next text here rather complicates this suggestion, however: “For he had the same dream many times, as if an angel spoke to him and said to him: “Your intention is pleasing to the creator but your deed is not.” And he was very devoted to the liturgy of the Torah [Ar. dīn] of the Khazars, to the extent that he used to serve in the temple himself and serve the sacrifices himself with a whole heart”.

It is quite mysterious to me why suddenly here ibn Tibbon has given Torah for dīn rather than dat. In contrast to the texts that we have observed until now where Torot at any rate, the plural of Torah, seems always to have referred to Christians and Muslims, as opposed to “pagans”, here the devotion of the King of Khazars is also to a Torah (once again, in Arabic, dīn). Being perhaps overly subtle, I am tempted to claim that this is a sign of respect for the Khazar King who, although nominally a pagan as well, certainly seems to be a monotheist, one who listens to the words of God as communicated to him in dreams, where the message he has received is that his intentions are desirable but not his actions, so perhaps those intentions are dignified with the name Torah by the translator. In the sequel to this passage we read: “And however he used to devote himself in those acts, the angel would come to him at night and say “Your intention is pleasing to the creator but your deed is not”. And this caused him to investigate the ʾemunot and the datot [Arabic al-adyān waʾal-nihāl] and in the end he Judaized [Ar. wa tahwwad] 6 , he and most of the nation of the Khazars”. [1:1].

Perhaps, as I suggest, this text provides some support for the notion that when ibn Tibbon wrote “Torah” for the Kuzari’s former devotion, it is this very simultaneous devotion to the Creator and desire to find out the truth of the desired practice that, paradoxically perhaps, renders it a Torah. An illuminating point here is ibn Tibbon’s translation of Halevi’s ‫[ אלאדיאן ואלנחל‬al-adyān wa’al-nihāl] as “the ʾemunot and the datot”. It seems clear that datot here is a rendering, as it is most frequently, of adyān, while ʾemunot is nihāl [the change in the order of the terms from the Arabic to the Hebrew is a mystery to me], which normally means something like “sects” in Arabic, and presumably in Halevi here as well. It can only mean here the doings of Jews, Christians, and Muslims. Ibn Tibbon, it would seem, did not wish to use (or lacked in his Hebrew lexicon) a word meaning “sects” and chose, therefore, ʾemunot, not to be understood here 6.  .‫ותהוד‬

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as individual tenets, as in, say Sa‘dya Gaon, but systems of belief that form groups, oddly analogous to modern English “faiths.” I’m not sure what to make of this but it suggests perhaps a somewhat Christianizing understanding of division by dogma on the part of ibn Tibbon which may have further significance as we continue our study [see below]. In any case, in the next passage the semantics of Torah for ibn Tibbon seem again quite clear, since he, quite typically for Jewish writers of Arabic and translators from Arabic into Hebrew, uses Torah for Arabic shariʿah as well: “The [Ishma‘elite] sage responded: “There have indeed appeared by his [the Prophet] agency miracles, but they are not a necessary sign for acceptance of his Torah. [shariʿateh]” 7 ”.

The Kuzari responds that it is not logical that people would accept the words of a Prophet as genuinely from God without miracles, to which the Ishma‘elite Sage replies: “Behold, the book of our Torah [Ar. kitābana] is full of the words of Moses and the Children of Israel, and no one denies what He did to Pharaoh and that he split the sea and rescued his chosen ones and drowned those with whom he was angry and brought down for them the Manna and the quail which he fed them for forty years in the desert and that he spoke with Moses at Mt. Sinai…, all of this is well known and famous, and no one imagines that this was done with tricks or that it was imaginary”. [1:9].

To which the Kuzari replies: “I see that I need to ask the Yehudim for they are the remnant of the Children of Israel, because I see that they are the argument and the proof for any baʿal dat 8 that the creator has a Torah [shariʿah] in the world”. [1:10].

Ibn Tibbon translates two different Arabic terms here as “Torah,” ‫ שריעה‬and ‫[ כתאבנא‬shariʿa, kitābana “our Torah [in the mouth of the Islamic sage],” viz the Qur’an. Even though the Kuzari quite logically comes to the conclusion that if the evidence for the divine nature of the Qur’an comes from the fact that it refers to Moses and his miracles which no one denies, then he should go straight to the source, the Yehudim and their Torah directly, nonetheless ibn Tibbon has translated both of these Muslim Arabic terms as Torah in his Hebrew, suggesting that they are close to being synonyms for him. His sometime translation of dīn as Torah, when it refers to the revealed Scripture of the Peoples of the Book, suggests 7.  It is interesting to observe that when H alevi actually cites a verse from the Torah, he refers to it in his Arabic as ‫[ אלתוראה‬al-tawrah] (1:99). 8.  This seems to lack an Arabic Vorlage, according to Qafih’s text at any rate, but probably attests to a variant reading. The term seems to mean “possessor of a divine law” or something of that sort.

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strongly that that word too belongs to the widest meaning of Torah as nomos, the whole way of life of a people, in the case of Torah, specifically, for ibn Tibbon, a way of life revealed by Allah. The expectations of the Kuzari to be richly rewarded for his pains in asking a Yehudi seem, however, to be quickly dashed: “When one of the Sages of the Yehudim came, the Kuzari asked him about his ʾemuna [‫ אעתקאדה‬itikādah]. The Sage began, “We believe in the God of Abraham, Isaac, and Jacob [‫ ]אסראיל‬who took the Children of Israel out of Egypt with wonders and signs and journeys fed them in the desert and gave them the Land of Canaan after passing them through the Sea and the Jordan with great miracles and sent Moses with his Torah [shariʿateh] and thousands of prophets after him who warned them about his Torah [shariʿateh] and the good reward for him who keeps it and the harsh punishment for him who denies it, and we believe everything that is written in the Torah, and the matters are lengthy”.”

Then the Kuzari replies: “I was right when I decided not to ask a Yehudi, because I knew that their memory [tradition] was lost and their wisdom diminished, for the degradation and poverty have not left them any good character. You should have said, O Yehudi that you believe in the creator of the world who organizes and conducts it, and who created you and sustains you and discourses similar to this which are common to anyone who has dat, and for which he pursues truth and the desire to emulate the creator in his righteousness and wisdom”. [1:11-12].

The shift from ‫[ אעתקאדה‬itikādah] in the Arabic, opinions, to the singular ʾemuna in the Hebrew seems again to signify a notion for ibn Tibbon-who spent the bulk of his life in Southern France and hence among Christians-that tends toward the Christian usage of a “faith”. The Arabic term here translated by ibn Tibbon as dat is again dīn, which seems here to be semantically marked as distinct from ‫שריעה‬, Torah, as perhaps the particular(ist) Torah over-against the genus/universal dīn (Hebrew dat). The Rabbi is using the latter term clearly to refer to the Torah revealed by Moses and the Kuzari seems to consider this some kind of particularism that actually contradicts that which a possessor of dat has, a kind of universal desire for truth and imitatio dei. The Rabbi immediately rejoins in the name of the Revealed Torah: “What you speak of is the logical dat [ʾal-dīn ʾal-qiāsī ʾal-siāsī] 9 to which speculation leads and into which enter many ambiguities. For if you ask 9. Kogan: “the syllogistic, governmental religion.” One wonders why ibn Tibbon did not translate ʾal-siāsi at all, unless it was a simple error, a kind of homoteleuton.

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the philosophers about it, you will find that they do not agree on one practice and one opinion…” [1:13].

and, therefore, are clearly in need of revelation, Torah. Torah is, then, a special case of dat. The next text that I cite illustrates this interplay between dat and Torah [dīn and shariʿa] even more complexly from the point of those philosophers: “The philosopher said: Once you have internalized this kind of ʾemuna, 10 do not worry which Torah [shariʿah] you should observe [‫תשרעתשרע‬ ‫ ]תשרעת‬or which dat [dīn] or which practice or in which speech or which language you exalt; or invent for yourself a dat [dīn] for the sake of submission, and to exalt and to praise and for conduct of your personal behaviors and those of your family and those of your city, provided they trust you and listen to you. Or take for yourself as a dat the rational nimmusim which the philosophers invented. But put your direction and intention on the purity of your soul” [1:1].

From the ibn Tibbon text alone, it would seem as if Torah [shariʿah] and dat [dīn] were indeed two different things: the first indeed seems again to refer to revealed Scripture (although the philosopher would apparently reject this claim on the very grounds that he is advancing here) and the second to that which is logical, for you can invent for yourself a dat or take the one that the philosophers have already invented 11. Now dat in all of these cases is the Hebrew rendering of ibn Tibbon of dīn in Arabic. I would argue that this paragraph precludes the translation of dat as “religion,” for whatever we mean by “religion”, it is not understood (except in the New Age) as something that one simply makes for oneself or derives from philosophical logic. Even a philosopher must use language that his interlocutors understand. A discipline or set of practices seems a much more plausible rendering here. An interesting further semantic riddle has been introduced here, namely the term nimmusim (representing the Greek nomos in the Hebrew plural) that has been used here in the philosopher’s jargon to indicate rules, manners, ways of living. This is, of course, a word with a past, cognate, as it is with nomos as used in both the Septuagint and Josephus (as well as other writers of Judeo-Greek, e.g., Paul) to translate Torah into Greek. The word has now returned from Greek into Hebrew and (Christian and Jewish) Arabic as well. In contrast to its use in Judeo-Greek as Torah, in 10.  Once again, the Arabic has ‫[ אעתקאדה‬itikādah]. 11.  See the distinction in Kalām (Islamic rational theology) between “intellectual obligations” and “traditional obligations,” as explored by E. K rinis , « The Arabic Background of the Kuzari », in Journal of Jewish Thought and Philosophy 21 (2013), p. 20-22.

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its Judeo-Arabic echoes it seems most often to mean norms of conduct established by human beings (as, incidentally it does in modern Hebrew) and stands in contrast to Torah. We find this word again several times in the Kuzari and inter alia in the language of our Rabbi himself. Let’s try now to get a sense for its usage: “Said the Rabbi: “This is how people were before Moses. Except for a very few, they were seduced by the nimmusim [Ar. nawāmis] of the stars and natures, and went from nimmus to nimmus [min nāmūs ilā nāmūs], and from god to god, and it is even possible that they held many of them [the nimmusim], and they forgot their leader and manager who had put those [nimmusim] as a cause for their benefit, but they believed that themselves (the nimmusim) cause benefit, but in fact they cause harm depending on the preparation and the timing. The benefit comes from the Word of God, and the damage from its absence”.” [1:79].

Halevi (or rather his character, the Rabbi) is trying to persuade that without revelation, sacrifice and other cultic acts are useless. At the beginning of the section he produces an elaborate parable about a fool who breaks into a doctor’s medicine cabinet and proceeds to distribute drugs to various and sundry without knowing which drugs are for which disease, how much to give, etc., so that in the end many of the patients die. Some, moreover, observing that a certain drug is very efficacious to a particular patient now want it for themselves, little knowing how specific its efficacy is. Halevi then compares the folks before revelation to these patients and their foolish priests. They, observing that certain folks succeeded, thought it must be their nawāmis (Hebrew nimmusim) that caused their prosperity and were accordingly seduced to follow it but then transferred their loyalties from one nimmus to another and even from one god to another, and forgetting the creator of these nimmusim, the user of them (the doctor), they thought the practices themselves were the cause of the benefits, but they themselves (the nimmusim) cause damage when they are misapplied. The benefit comes from the Word of God not from the practices alone, and the damage from its absence. This analogy, as opposed to certain others that Halevi invents, is very strong and revealing. He is arguing that the sincerity of the Kuzari in his cult, in many particulars seemingly identical to Israelite cult, can, nonetheless have inimical effects, just as efficacious medicaments, when not prescribed correctly, can cause great damage to the body. Now, while in the beginning of the passage, it seems as if he is referring to institutions, call them “religions” if you like, by the end it is absolutely clear that nimmusim are not institutions but particular practices, analogous to individual drugs and therapies. Nimmusim will clearly not map its usage onto “religions” either.

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The next passage both expands and somewhat complicates this usage: “Said the Kuzari: “Let’s go back to our main subject. Instruct me, how did your Torah [dīnukum in the Arabic] begin and spread and become accepted, and how did the opinions which were initially divided become unified? And how many years did it take for the ʾemuna [al-dīn] 12 to become founded and built up until it became completely strong? For the beginnings of datot 13 , without doubt, are by individuals, who fortify themselves to disseminate that which God wants to be shown; they get bigger, either helped by their own power or because a king arises who helps them and forces the masses with respect to that matter”. Said the Rabbi: “Only the rational nimmusim [al-nawāmis] which began with people have arisen and grown in this fashion, and when it is a success, he will say that he was helped and taught by the creator and such like that, but the nimmus [al-nāmūs] whose beginning is from the creator arises suddenly, when he says ‘Be!’, as he said ‘Let there be!’ at the creation of the world”.” [1:80-81].

The Kuzari himself gives a perfectly rational, historical, one might say nearly modern account of the origin and development of datot. Note again that ibn Tibbon is reluctant (not more than that apparently) to translate Arabic dīn as anything but Torah, when referring to that of the Jews. The Rabbi, predictably enough by now, argues that that narrative of how a dīn comes into being, becomes widespread and powerful, only applies to the sort of logically derived, rational form of a nimmus, but revealed nimmus simply comes into being with the very creation itself. It is neither invented by a human being nor does it require any historical processes to explain its advent or success. Whatever way we would wish to gloss here ‫ נאמוס\נימוס‬here, since it refers once to the rationally derived practices of the philosophers and once to the Torah, it does not seem to match in usage any modern European term, including “religion.” It seems rather to be the covering term which includes both nimussim on the one hand and Torah on the other for the entire way of life, the doings, of a given people with the former generally marked as logically derived by humans and the latter as revealed by God. The final example of the usage of nimmusim in this work will further illumine its usage. After an elaborate (and not particularly illuminating parable) about a group of people lost in the desert one of whose number finds his way to India where he is recognized by the King and the rest of 12.  Here again we see ibn Tibbon’s reluctance to use dat with reference to Jewry. 13.  ‫[ לאן מבאדי אלמלל‬leanna mabādi’a al-milal ]. Which means something like, “the beginnings of communities.” Qafih gives here Hebrew ‫עמים‬, something like peoples or nations. It is significant that ibn Tibbon chose datot for this but I don’t yet have all the implications clear.

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the folk are invited to come as well on condition that they all observe the King of India’s rules, the H­aver goes on to say: “The (people of the) other nimmusim 14 didn’t see any of this but they said to them: ‘Receive the service of the King of India just as those associates had, and after death you will arrive to the King, and if you don’t do it, he will distance you and torture you after your death’. Some of them said, ‘No one has ever come to us to tell us that after his death he has been to Paradise or Hell’, but most of them preferred an orderly and harmonious society and accepted the service. Their hope of the reward was secretly weak but outwardly strong and faithful, and they magnify and glorify themselves over the ignorant among them with their faith”. [1:109].

In the solution to the parable, such as it is, we are informed that the King of India is God and the wanderer who found him Moses, and the associates the Hebrew prophets, those associates come to other folks and tell them the story, upon which hearing they accept the nimmus of the Israelites and abandon their other nimmusim. It is fascinating to note that according to Halevi their acceptance does not mean a turn of faith in the sense of transferring from one set of beliefs to another such as we would expect under the western regime of “religion” but rather a preference for the orderly society that the Torah presages. All of this surely militates against the anachronistic translation, endemic in the literature of any of these terms as “religion.” I feel, without being able to prove it, that Hebrew dat here is closer to its meaning in the Book of Esther where we are informed of the Judeans that they “their datim 15 are different from all peoples, and they do not do/perform the datim of the king” [Esther 3: 8], i.e. the rules and regulations or laws of the king 16, not very close indeed to any version of the usage of the word “religion” today. II. Th e N a m e s

of t h e

P eopl e s

A further way of getting at the question of whether or not Halevi/ibn Tibbon possess a “religion”-like concept or a concept of “Judaism” (without a name) is to observe closely the terminologies they use to refer to different human collectives in their world 17. In the following passage, we 14.  The Arabic has only ‫[ ותלך אלנואמיס אלאכ‬wa tilka al-nawāmis al-akar]. Ibn Tibbon translates quite naturally, “the possessors of the other nimmusim.” 15.  I have back-formed this non-existent biblical form from date to distinguish it from medieval Hebrew datot. 16.  See too Esther 9:10, where a “dat is given in Shushan, the capitol, and the ten sons of Haman were hanged.”. 17.  See R. Glei – S. Reichmuth, « Religion Between Last Judgement, Law and Faith: Koranic Dīn and Its Rendering in Latin Translations of the Koran », in Religion 42 (2012), p. 254: “For the respective ethnic or religious groups (both of which

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will observe a gap between the terminology of the Arabic and that of ibn Tibbon’s Hebrew, a gap that is instructive: “Said the Kuzari [to the philosopher]: I find your words compelling, but they don’t really answer my question, as I know of myself that my soul is pure and my practices are appropriate according to the desire of the Creator. And with all this, I still was told [by an angel in a dream] that my intention is desirable and not my practice. It follows ineluctably that there is action that is desirable in itself and not by logical deduction. If this were not the case, why are Edom and Ishma‘el who divided the world between them fighting with each other? Each one of them is pure in soul and his intention is towards God, and they are modest and ascetic and fast and pray, yet each goes on killing each other and believes that his killing is great righteousness and coming close to the Creator, may he be blessed. And each one believes that he will go to Paradise, and to believe both of them is logically impossible”. [1:2-3].

The Kuzari argues that the philosopher cannot possibly be correct that actions are a matter of indifference and only “character” matters, since, although he himself knows that his heart is pure, he nonetheless has repeatedly been informed in a dream that there is something deficient in his practice and that he must discover what it is. Clearly there is some desirable practice, desirable in itself, but not discoverable through logic or philosophy. If the correct way to practice, moreover, were indifferent or could be logically derived (and not from revelation) why would Christians and Muslims be fighting to the death over it? The significance of this passage is that ibn Tibbon seems to have no Hebrew terminology to name Christians and Muslims and uses the ethnonyms “Edom” and “Ishma‘el” instead 18. This is all the more striking since in the Arabic text that he translated, we find al-naṣārá wa al-muslimūn  = “Christians and Muslims”!

are very difficult to distinguish in the Koran in any case) terms such as umma or milla (‘people, community’) are used.” 18.  It has been suggested to me that the reason for this is entirely extraneous to my query, since these are used as “code” terms, so as not to arouse the ire of Christians and Muslims who would not find themselves in Edom and Ishmaʿel. I find this explanation not at all attractive, at the least because it would require an uncommon level of incomprehension on the part of those Gentiles (Christian or Muslim) in not recognizing these millennium-old terms. A further alternative suggestions is that it was precisely the deep-time (even biblical, of course) associations of those very ethnonyms that made them so attractive to Hebrew writers. In a sense, however, this can be seen as a notational variant of the thesis advanced here, that in those climes and times “religious” categories had not replaced the traditional “ethnic” ones!

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The significance of this point is underlined when we find the gesture precisely repeated in the sequel with a further addition: “Afterwards the Kuzari said to himself, “I will ask Edom and Ishma‘el, for one of the two practices must doubtlessly be the desired one. But as for the Yehudim, sufficient is what is obvious me from their downtrodden state and small number and the fact that everyone despises them”.” [1:4].

Once again, the Arabic has “the Christians and the Muslims [al-naṣārá wa al-muslimūn]”, which would entitle one to see the Yehudim as the name of a religious group but, once again, ibn Tibbon has only the ethnonyms for the two other groups, suggesting that for him Yehudim is an ethnonym as well. It is even more surprising to find ibn Tibbon not using the term “Islam,” when it is given in Halevi’s text. At 1:5, we read, “Afterwards he called upon a certain scholar of Islam,” [Ar. al-Islam] but ibn Tibbon’s Hebrew gives us “one of the Sages of Ishma‘el”! ibn Tibbon seems to be resisting (or rather his language resists) an abstraction that seems, even inchoately, to name what will even potentially issue in a name for a “religion”. In the next passage, ibn Tibbon seems satisfied to refer to the Christians as Notzrim, after, once again identifying their sage as a Sage of Edom. I reckon that this is owing to the fact that here even Halevi refers to the Christians as the ʾumma of the Christians, following the Muslim fashion of styling themselves also, as well as other collectives, as an ʾumma, a people or political society. As remarked to me by Dr Lena Salaymeh, “When the Prophet moved to Medina, he entered into a non-belligerency agreement (a document that is often called the ‘Constitution of Medina’) with the Jewish and other tribes and this document identified all the signers as one ummah. This implies that ummah refers to a political community” 19. This makes it all the more striking, in my opinion, that Halevi here refers to Christians and Jews, as well as Muslims, as ʾummot: “[The Edomite Sage said]: And even though we are not of the Children of Israel, we are more worthy to be called “The Children of Israel,” for we follow the words of the Messiah, and his friends from among the Children of Israel were twelve, in place of the tribes. And afterwards a large number of the Children of Israel followed after those twelve, and they were like yeast for the ʾumma of the Notzrim. We have become worthy of the greatness of The Children of Israel, and there came to us, strength and might in the lands, and all of the ʾummot [wa gamīʿ al-ʾumam] are called to this ʾemuna [al-dīn] and commanded to cleave to it, to exalt the Messiah, and to elevate the tree upon which he was hung and all that is similar to this”. [1:4]. 19.  Salaymeh, personal communication, September, 2016.

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On the face of it, if all of the ʾummot are called to this ʾemuna [“faith”], Christianity – the Arabic has dīn-, then the “faith” itself can hardly be called an ʾumma, and yet it is. It is the ʾumma made up of all of the other ʾummot who join it in belief; hence it is an ʾumma for ibn Tibbon and also an ʾemuna. The “Christian” speaker speaks against ethnicity and insists that it is faith that justifies the name “Children of Israel.” It is just possible that ibn Tibbon here reveals greater awareness of the peculiarities of “Christianity” over against Judaic or Islamic thought, namely that Christians consider themselves a “faith,” so this particular ʾumma can be defined as an ʾemuna, a faith. In the Christian context, where it is the explicit ideology that right belief is what constitutes both membership and salvation, one must struggle for a distinction between something like “religion” and “nation,” but this distinction is so unnatural for the Jewish writer(s) that they enter into self-contradiction and incoherence to represent it. I will close my discussion in this section (without claiming completeness of treatment), perhaps appropriately, with a short text on heaven and hell: “As for the coming rewards which are so pleasant to you, Our sages already preceded to describe Paradise and Hell, and measured them in breadth and length, and narrated the pleasures and the tortures, more than the other ʾummot qrovot [Arabic al-milal al-qarībah] 20 have narrated”. [1:115].

The terminology adopted here by Halevi leaves, it seems, little room for doubt. The Jews, the Christians, and the Muslims are all considered by him folks who belong to ʾummot not to datot. They have datot, but as we have seen above, that hardly adds up to “religion” either; actually the best translation for datot, as well as nimmusim, might be “doings” after all. One must conclude that not only is there no word in Halevi’s Arabic or ibn Tibbon’s Hebrew that means “Judaism,” the very concept is also absent from their conceptual frameworks which are much more complex and nuanced than that term would indicate, and this is the payoff of this research, not the negative result of the denial of the existence of “Judaism.” As hard as Halevi is reaching for some ways to name that which he is talking about, the vacillations between dat, shariʿa, nimmus (and the even more complex nuances of usage in ibn Tibbon) do not allow for simplex ways of speaking about Jews, Christians, Muslims, philosophers, and Indians; sometimes ethnic groups, sometimes groups characterized by certain “doings.” Although I am not in a position here to conduct a full and complete study of Arabic and Judaeo-Arabic-and such will have to remain a desideratum-, the evidence presented here from the analysis 20.  Here ibn Tibbon gives ʾummot for Halevi’s milal while elsewhere he gave datot. The terminology is not solidified at all.

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of the Kuzari suggests strongly that the concept of “Judaism” remained foreign at least to this key Judaeo-Arabic writer of the high middle ages. B i bl iogr a ph i e Sources Yehudah Halevi, The Kuzari: In Defense of the Despised Faith, newly translated and annotated by N. D. Korobkin, Jerusalem, 2009. Yehudah Halevi, Sefer Hakuzari: Maqor Wetargum, edited and translanted by Y. b. D. Qafih, Kiryat Ono, 1996.  Études S. M. Fowles, An Archaeology of Doings: Secularism and the Study of Pueblo Religion, Santa Fem, 2013. R. Glei – S. Reichmuth, « Religion Between Last Judgement, Law and Faith: Koranic Dīn and Its Rendering in Latin Translations of the Koran », in Religion 42 (2012), 247-271. H. Hirschfeld (trans.), Judah Hallevi’s Kitab al Khazari (The Semitic Series), London, 1905. C. P. Jones, « Ἔθνος and γένος In Herodotus », in Classical Quarterly 46 (1996), p. 315-320. E. K rinis, « The Arabic Background of the Kuzari », in Journal of Jewish Thought and Philosophy 21 (2013), p. 1-56. D. J. Lasker, Translations of Rabbi Yehuda Halevis Kuzari, sur http://seforim. blogspot.com/2017/06/translations-of-rabbi-judah-halevis.html.

L’UTILISATION DE L’EXÉGÈSE JUIVE CHEZ LES EXÉGÈTES CHRÉTIENS Gilbert Dahan Centre nationale de la Recherche Scientifique – École pratique des Hautes Études, Section des sciences religieuses

Résumé Malgré les divergences profondes entre exégèse chrétienne et exégèse juive, malgré la détérioration des conditions de vie des communautés juives en Occident au xiii e siècle, les échanges intellectuels entre chrétiens et juifs continuent à être féconds et les commentateurs chrétiens de la Bible ne cessent de faire appel aux interprétations juives, approuvant certaines, condamnant d’autres. On essaiera de faire le point sur cette question en étudiant successivement l’apport de l’exégèse juive au niveau de l’hébreu et de la lettre, le recours aux textes midrashiques et l’utilisation des philosophes, notamment Maïmonide. On examinera également les réflexions des exégètes chrétiens sur l’herméneutique juive et sur les raisons du désaccord. Abstract Although there were serious divergences between Christian and Jewish exegesis of the Bible, although the conditions of the life of the Jewish communities were worsening in the Occident during the thirteenth century, the intellectual encounters between Christians and Jews kept being fruitful ; the Christian exegetes of the Bible were always making use of the Jewish interpretations, agreeing with some, and condemning others. We will try to expose this question, by studying the contribution of the Jewish exegesis on the level of literal interpretation and of the Hebrew language, the use of midrashic texts and the quotations of philosophers, especially Maimonides. We will examine the thoughts of the Christian exegetes on Jewish hermeneutics and the reasons of the disagreement.

À vrai dire, j’ai été assez embarrassé pour préparer cette étude : il s’agit d’un thème sur lequel j’ai beaucoup travaillé autrefois et auquel je ne consacre plus de recherches spécifiques. Mais, étudiant l’exégèse chrétienne au Moyen Âge, je ne cesse de rencontrer des mentions d’interprétations attribuées aux Iudaei ou aux Hebraei. Peut-être convient-il qu’en guise d’introduction je résume mes positions récentes sur le sujet, telle Judaïsme et christianisme au Moyen Âge, éd. par Marie-Anne Vannier, Turnhout : Brepols, 2019, (Judaïsme ancien et origines du christianisme, 17), p. 29-49 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.117473 © F  H  G

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qu’elles sont exposées notamment dans deux études 1 et dans l’introduction à mon recueil d’études sur l’exégèse de l’Ancien Testament au Moyen Âge 2 . Le premier constat à faire est évidemment celui de la divergence fondamentale entre exégèse juive et exégèse chrétienne. Je dis bien « fondamentale » : quelles que soient les rencontres, quels que soient les points communs, les deux textes fondateurs de l’exégèse chrétienne impliquent cette différence radicale. Je veux parler de Ga 4, 24-26, qui pose l’allégorie comme trait essentiel de l’exégèse chrétienne, et de Lc 24, 25-27, qui oriente toute l’Écriture (c’est-à-dire l’Ancien Testament) vers le Christ Jésus. Différence radicale, donc, dans la mesure où l’exégèse juive semble mettre au premier plan une attention soutenue envers le sens historique des textes et où, bien sûr, l’orientation christique (telle du moins qu’elle s’applique au Jésus de l’histoire) est a priori absolument rejetée par elle. De la sorte, j’ai posé la question politiquement incorrecte de savoir si, par essence, l’exégèse chrétienne ne peut être qu’antijuive – c’est-à-dire ne peut que bannir une interprétation qui ne soit pas christique. Parallèlement, je me suis interrogé sur le motif que j’appelle le Verus Iudaeus : alors que le thème bien plus courant du Verus Israel impliquait la communauté chrétienne dans son ensemble, reportant sur elle les prérogatives attribuées au peuple hébreu puis au peuple juif par les Écritures 3, le thème du Verus Iudaeus concerne l’individu qui réalise les exigences énoncées par la Loi de Dieu – le moine étant le modèle de cet idéal 4 . Bien entendu, le thème du Verus Iudaeus, tout comme celui du Verus Israel, peut confirmer l’aspect antijuif de l’exégèse ou de la théologie chrétienne, dans la mesure où il s’accompagne d’une dépossession du peuple juif et du juif individuel, même si on peut aussi l’interpréter comme une valorisation extrême (mais idéelle) du judaïsme. Voilà. On peut partir de ce constat d’une différence essentielle et s’amuser à relever ici et là, d’une manière objective (et scientifique, bien sûr), les mentions d’interprétations juives dans les commentaires chrétiens

1.  « Les questions d’exégèse dans les dialogues contre les juifs, xii e-xiii e siècles », dans S. Morlet – O. Munnich – B. Pouderon (éd.), Les dialogues Aduersus Iudaeos. Permanence et mutations d ’une tradition polémique, Paris, 2013, p. 319337 ; « Exégèse chrétienne de la Bible au moyen âge et antijudaïsme ? », dans D.  Cohen-L evinas – A. Guggenheim (éd.), L’antijudaïsme à l ’épreuve de la philosophie et de la théologie, Paris, 2016, p. 57-76. 2. G. Dahan , Études d ’exégèse médiévale. Ancien Testament, Strasbourg, 2016, p. 5-19 : « L’exégèse de l’Ancien Testament au Moyen Âge en Occident ». 3. M. Simon, Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l ’Empire romain (135-424), Paris, 1964 2 . 4.  Voir « Exégèse chrétienne … et antijudaïsme ? », p. 73-76, ainsi que « Herméneutique et procédures de l’exégèse monastique », dans L’exégèse monastique au moyen âge (xi e-xiv e s.), éd. G. Dahan et A. Noblesse-Rocher , Paris, 2014, p. 115142 (notamment, p. 122-123, où je n’emploie pas encore l’expression Verus Iudaeus).

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– ce que j’ai fait pendant de nombreuses années 5. Vous me permettrez de vouloir dépasser ce point de vue et de tenter d’aller plus au fond des choses. Ce qu’on constate, historiquement, c’est, à côté de la détérioration constante de la condition des juifs en Occident chrétien (je me demande si la date de 1096 constitue un tournant – mais il est sûr que celle de 1215, Latran IV, est emblématique), une permanence des échanges intellectuels : certes, dans les disciplines scientifiques – astronomie, médecine notamment – mais également dans le domaine de la théologie et de l’étude de la Bible – les échanges sont à double sens et pas seulement, comme on le croit souvent, dans celui d’une présence de la pensée ou de l’exégèse juives sur les penseurs et exégètes chrétiens – comme le montrent les travaux récents sur le thomisme juif de la fin du Moyen Âge 6 ou sur des motifs chrétiens dans l’exégèse juive (ceux-là beaucoup plus difficiles à déceler, du fait d’une double censure – interne et externe). Du point de vue de l’exégèse biblique, qui seule nous intéressera désormais, les témoignages de contacts entre chrétiens et juifs sont multiples jusqu’au xiii e siècle ; par la suite, les convertis au christianisme prennent le relais et apportent leurs connaissances, avant que les chrétiens ne se mettent à lire directement les textes hébreux – Raymond Martin et Nicolas de Lyre étant les plus connus mais pas les seuls. Comment peut-on expliquer cela, si l’on part du constat d’une exégèse chrétienne fondamentalement antijuive et de celui d’une conception du judaïsme comme obsolète et n’ayant plus rien à offrir ? J’ai toujours été très intrigué par la présence d’interprétations juives chez Albert le Grand : il a beau les rejeter ou les condamner, il les cite assez 5.  Voir par exemple « La connaissance de l’exégèse juive par les chrétiens, du xii e au xiv e siècle », dans Rashi et la culture juive en France du Nord au moyen âge, éd. G. Dahan, G. Nahon et E. Nicolas , Louvain-Paris, 1997, p. 343-359. Voir également les travaux de R. Berndt, notamment « Les interprétations juives dans le commentaire de l’Heptateuque d’André de Saint-Victor », Recherches augustiniennes 24 (1989), p. 199-240 ; « Pierre le Mangeur et André de Saint-Victor. Contribution à l’étude de leurs sources », Rech. de théol. anc. et médiévale 6 (1994), p. 88-114. Et, pour la période précédente, B. Blumenkranz , Juifs et Chrétiens dans le monde occidental (430-1096), Paris-La Haye, 1960. 6.  Voir J. Sermoneta, « Pour une histoire du thomisme juif », dans G. Verbeke – D. Verhelst (éd.), Aquinas and Problems of his Time, Louvain-La Haye, 1946, p. 130-135 ; C. Sirat, La philosophie juive médiévale en pays de chrétienté, Paris, 1988 (voir index : Thomas d’Aquin) ; M. Z onta, « The Knowledge of Latin Philosophical Literature among Jewish Philosophers in the Fifteenth Century Italy. Scholastic Sources in Yehudah Messer Leon’s Commentary on Aristotle Physics », dans G.  Busi (éd.), Hebrew to Latin, Latin to Hebrew. The Mirroring of two Cultures in the Age of Humanism, Turin, 2006, p. 133-166 ; J.-P. Rothschild, « Quelques philosophes juifs du Moyen Âge tardif, traducteurs ou lecteurs de saint Thomas d’Aquin », dans E. H. Füllenbach – G. M iletto (éd.), Dominikaner und Juden, Berlin, 2015, p. 29-67.

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souvent. Précisément, Albert le Grand nous servira de guide, même si cet exposé ne lui est pas spécifiquement consacré. La question à laquelle je voudrais répondre ici est : pourquoi cette présence persistante de l’exégèse juive dans les commentaires chrétiens – étant entendu que je ne saurai maintenant me satisfaire d’une explication reposant sur des convergences culturelles, voire sur les présupposés herméneutiques communs. Encore qu’il faille tout de même prendre en compte que dans le contexte des xii exiv e siècles, pour les chrétiens comme pour les juifs, l’Écriture sainte est Parole de Dieu – exprimant donc des vérités essentielles et permanentes, ce qui explique déjà aussi bien la profondeur du désaccord que la possibilité de convergences. Bien entendu, je n’aurai pas le temps de faire des démonstrations complètes : et, pour que l’exposé ne parte pas dans tous les sens, je me limiterai à deux livres bibliques, Isaïe et Zacharie, en choisissant pour chaque point un ou deux exemples. I. L a

cr i t iqu e t e x t u e l l e

Je commencerai par un point qui, à première vue, ne met pas en cause ces engagements herméneutiques, la critique textuelle. J’espère qu’on ne sera pas étonné que je recoure à cette démarche, dont on a cru qu’elle naissait au xvi e siècle. J’ai maintes fois montré que la critique textuelle du Moyen Âge était beaucoup plus précise que celle de la Renaissance 7 – quels que fussent les progrès philologiques accomplis alors. Je disais qu’à première vue les engagements herméneutiques n’étaient pas en cause : à première vue seulement, mais pas quand on met en parallèle l’histoire de la critique textuelle au Moyen Âge et celle de la Renaissance. On se rappelle, au début du xvi e siècle, les querelles incessantes autour des travaux d’Erasme mais aussi de Lefèvre d’Étaples ou de Robert Estienne. On se rappelle aussi que le concile de Trente devait intervenir énergiquement pour établir que la Vulgate était le seul texte authentique de la Bible pour l’Église occidentale. Au Moyen Âge, pas de querelle de ce genre – certes, au xiv e siècle, après le traité de Nicolas de Lyre sur les différences entre le texte latin reçu et l’hébreu original, des voix s’élèvent pour affirmer la supériorité de la traduction de saint Jérôme 8. Mais, de l’époque carolingienne au xiii e siècle, 7.  Voir notamment G. Dahan L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, xii e-xiv e siècles, Paris, 1999, p. 161-238 ; G. Dahan « Les correctoires du livre d’Esther du xiii e siècle », dans J. Elfassi – C. L anéry – A.-M. Turcan-Verkerk (éd.), Amicorum societas. Mélanges offerts à François Dolbeau, Florence, 2013, p. 165-187. 8.  G. Dahan « Critique et défense de la Vulgate au xiv e siècle », dans D. Delmaire – G. G obillot (éd.), Exégèse et critique des textes sacrés, Paris, 2007, p. 119136.

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un travail important et remarquable est accompli, qui ne suscite aucune réprobation – peut-être l’amertume d’un Roger Bacon, qui ne souligne pas moins la nécessité d’un bon texte, établi grâce à une connaissance sûre des langues bibliques, la corruption du texte biblique étant pour lui l’un des péchés fondamentaux de la théologie 9. Nous laisserons de côté les récriminations justifiées mais sans doute stériles du penseur franciscain pour nous occuper de ceux qui se sont véritablement livrés à ce travail de critique textuelle. Et, au début de notre période, c’est un moine que nous trouvons, Étienne Harding, constructeur de Cîteaux. Son histoire est bien connue : voulant doter l’église de son abbaye d’une Bible, il en fait copier un texte mais se rend compte vite des divergences entre divers manuscrits. Pour lui, pas de grandes hésitations : le texte latin est une traduction, il faut donc recourir à l’original hébraïque ; mais ne connaissant pas l’hébreu, il fait venir des juifs instruits de son entourage : nous sommes en Champagne, Troyes est tout près. Des séances de travail réunissent donc chrétiens et juifs, qui traduisent le texte hébreu en langue romane – Étienne Harding supprimant les passages ou les mots absents de l’hébreu et considérés comme des interpolations 10. Je me suis un peu attardé sur cette entreprise, car elle me paraît instructive à plusieurs égards. Tout d’abord, il n’y a pas de blocage sur un texte donné de la Bible : il est vrai que l’Église ne décide qu’à Trente que la Vulgate est le seul texte authentique. Mais Charlemagne avait déjà imposé à son Empire le texte de ce que nous appelons la Vulgate revu par Alcuin. Là encore, pas de diktat, pas de respect exclusif pour un texte donné : nous ne sommes pas du tout dans la même perspective que dans le monde juif, qui a adopté (lentement mais sûrement) un texte précis, que nous appelons le texte massorétique, avec sa vocalisation, ses signes de cantillation et ses divisions 11. Il n’en demeure pas moins qu’on a en tête un texte idéal de la Vulgate, qui subsisterait dans sa pureté originelle dans des manuscrits conservés à Rome. On ne sait pas lesquels et cette opinion 9. Voir par exemple « Opus minus », J. S. Brewer , Fr. Rogeri Bacon Opera quaedam hactenus inedita, t. I, Londres, 1859, p. 330-333. D’une manière générale, voir F. A. Gasquet, « Roger Bacon and the Latin Vulgate », dans A. G. Little (éd.), Roger Bacon Essays, Oxford, 1914, p. 89-100 ; L. Light, « Roger Bacon and the Origin of the Paris Bible », dans Revue bénédictine 111 (2001), p. 483-507. 10. Voir Y.  Z aluska, L’enluminure et le scriptorium de Cîteaux, Cîteaux, 1989, p. 63-111 (donne le texte du Monitum, p. 274-275) ; M. Cauwe , « La Bible d’Étienne Harding. Principes de critique textuelle mis en œuvre aux livres de Samuel », dans Revue bénédictine 103 (1993), p. 414-444 ; G. Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, xii e-xiv e siècle, Paris, 1999, p. 168-171 (exemples de corrections). 11.  Voir notamment M. J. Mulder , « The Transmission of the Biblical Text », dans M. J. Mulder – H. Sysling (éd.), Mikra. Text, Translation and Interpretation of the Hebrew Bible in Ancient Judaism and Early Christianity, Philadelphie, 1988, p. 87-135 ; S. Z. L eiman, The Canon and Masorah of the Hebrew Bible. An Introductory Reader, New York, 1974 (recueil d’études).

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ne bride en rien les efforts critiques. Du reste, en même temps qu’Alcuin, mais avec des moyens philologiques plus sérieux, Théodulfe procède lui aussi à une révision ; il fait certainement appel à des juifs ou à des convertis dans la démarche de collation avec le texte hébreu 12 . Autre enseignement de l’histoire d’Étienne Harding : nous ne sommes pas dans un milieu scientifique mais dans un monastère ; ce travail de critique textuelle n’est pas le lot de savants spécialisés mais s’adresse à tous ; au xiii e siècle, j’ai relevé ici et là, dans des commentaires à teneur plutôt spirituelle ou même, dans des sermons, des références aux variae lectiones. Enfin, on ne constate aucune réticence dans le recours à des juifs ; les textes nous parlent de « juifs instruits » ou « lettrés » ; il n’y a aucune appréciation négative et, surtout, on ne trouve pas le thème, fréquent dans la polémique, des juifs qui ont falsifié les textes bibliques ; au contraire, ils sont une caution, dans la mesure où ils comprennent l’original hébraïque de l’Ancien Testament. C’est au xiii e siècle que ce travail sur le texte de l’Écriture connaît son apogée, avec la littérature des correctoires, consécutive à la diffusion de textes peu fiables par les « libraires », à un moment où le besoin de livres s’est largement accru, du fait de la naissance des universités. Dans une étude ancienne, j’ai montré la fréquence du recours à l’hébreu dans ces correctoires 13. Il semblerait qu’alors les convertis aient pris la place des juifs comme informateurs (le plus célèbre étant Thibaud de Sézanne, à Paris, par ailleurs traducteur des extraits de la littérature rabbinique autour de la controverse de Paris 1240 sur le Talmud 14) mais, dans un troisième temps, ce sont les chrétiens eux-mêmes qui lisent l’hébreu (c’est sans doute le cas du franciscain Guillaume de Mara). Mais, en dehors de ces notations objectives, que nous dit cette littérature critique à propos des juifs et de l’exégèse biblique ? On commencera par quelques notes des correctoires. Ils recourent constamment aux textes hébraïques – à tel point que j’ai pu repérer quelques rares leçons non massorétiques (mais sur ce point la recherche serait à poursuivre). Je donnerai des exemples plutôt tirés du correctoire que j’appelle Sorbonne II, qui doit être d’origine dominicaine et a été réalisé probablement à Saint-Jacques à Paris aux environs de 1280 ; il utilise les travaux antérieurs des dominicains. Je commencerai cependant par une note prise dans 12.  Voir S. Berger , Histoire de la Vulgate pendant les premiers siècles du moyen âge, Paris, 1893, p. 154-184 ; E. Power , « Corrections from the Hebrew in the Theodulfian Manuscripts of the Vulgate », dans Biblica 5 (1924), p. 233-258 ; G.  Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, xii e-xiv e siècle, Paris, 1999, p. 166-167 (exemples de notes). 13.  « La connaissance de l’hébreu dans les correctoires de la Bible du xiii e siècle. Notes préliminaires », dans Revue théologique de Louvain 23 (1992), p. 178-190. 14. « Les traductions latines de Thibaud de Sézanne », dans G. Dahan – E.  Nicolas (éd.), Le Brûlement du Talmud à Paris, 1242-1244, Paris, 1999, p. 95-120.

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le premier correctoire, celui de Hugues de Saint-Cher ; sa brièveté (c’est toujours le cas chez Hugues) pourrait nous la faire négliger mais elle est d’un intérêt extrême. Nous sommes en Za 12, 8 ; le texte massorétique a ‫ובית דויד כאלהים כמלאך יי לפניהם‬, traduit 15 BR « et ceux de la maison de David paraîtront à leurs yeux comme des êtres divins, comme des anges de l’Éternel », NBS « et la maison de David sera comme Dieu, comme le messager du Seigneur devant eux », TOB (2010) « et la maison de David sera là comme Dieu, comme l’ange du Seigneur devant eux ». Le texte de la Vulgate a et domus David quasi Dei sicut angelus Domini in conspectu eius. La note de Hugues de Saint-Cher remarque simplement : « et domus dauid quasi dei. Dei est hic nominativus pluralis ».

Évidemment, on pourrait dire qu’il est banal d’observer que Elohim, l’un des noms qui désignent la divinité, a une forme de pluriel (ainsi traduit la Septante : ὁ δὲ οἶκος Δαυιδ ὡς οἶκος θεοῦ. Mais la remarque de Hugues nous situe dans la tradition juive qui fait de elohim un nom commun désignant des êtres supérieurs, juges, princes ou anges, ce que la BR conserve et ce qui trouve son illustration dans le commentaire de Rashi, qui se fonde sur le targum Jonathan qui traduisait ke-ravrevin, « comme des héros, comme des anges ». Un autre exemple, également simple, nous montre comment le recours à l’hébreu peut résoudre une ambiguïté (d’origine paléographique dans ce cas) ; il s’agit de la note de Sorbonne II sur Is 40, 13 : « Quis adiuuit spiritum Domini. Ier sic. In aliquibus : Quis audiuit. In he neutrum. LXX quis cognouit mentem Domini. TM : ‫מי תכן את רוח יי‬

LXX : τίς ἔγνω νοῦν κυρίου La leçon audiuit est n’est pas très courante 16 ; la remarque concernant l’hébreu, qui n’a ni « a aidé » ni « a entendu » est juste, elle permet de confirmer la forme adiuvit. Je signalerai encore l’intérêt de certaines remarques à propos de la ponctuation et, surtout, de la division des textes sacrés. Plusieurs fois, les correctoires renvoient à des découpages différents dans l’hébreu (ils parlent de versus, il s’agit en fait d’ensembles sémantiques qui peuvent être plus larges ou moins larges qu’un verset) et qui se fondent sur les signes de cantillation (notamment l’atnah) ou sur le système des petuhot et setumot (bien 15.  Nous utilisons la Bible du Rabbinat, Paris, 1899 [abrégé BR] ; la Nouvelle Bible Segond, Villers-le-Bel, 2002 [NBS], la Traduction Œcuménique de la Bible, Paris, 2010 [TOB]. 16.  Voir l’apparat critique de Biblia sacra iuxta Latinam vulgatam versionem, éd. des Moines de Saint-Jérôme, t. XIII, Liber Isaiae, Rome, 1969.

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entendu, aucun de ces termes techniques n’est utilisé dans les correctoires). Je l’ai montré dans deux études récentes 17. II. L a

di ffé r e nce e n t r e l a

V u lg at e

et l e t e x t e m a s sor ét iqu e

Aussi bien dans les correctoires que dans les commentaires bibliques apparaissent des observations portant sur les différences entre l’hébreu (ou le grec) originel et la traduction attribuée à saint Jérôme – on parlera de « Vulgate » pour simplifier. Si les discussions de la controverse trouvent parfois un écho dans les commentaires, la plupart du temps les remarques de cette catégorie sont ici totalement dépourvues d’intention polémique et l’on se contente d’un constat pur et simple des différences. C’est le franciscain Nicolas de Lyre qui devait recueillir (en 1333) l’ensemble de ces données, dans son remarquable Tractatus de differentia littere hebraice et nostre translationis – je me limiterai ici à ce texte. Nicolas connaît bien la littérature rabbinique, notamment le commentaire de Rashi (mais pas seulement) et il utilise abondamment le targum (qu’il cite comme glossa). C’est un hébraïsant (sans doute « passif ») et ses remarques sont à la fois justes et judicieuses – même si on peut parfois regretter qu’il ne comprenne pas totalement les choix herméneutiques qui président à la traduction ou à l’interprétation de tel ou tel passage 18. Malgré l’abondance de la matière, il faudra se contenter de quelques exemples, choisis pour leurs rapports avec l’exégèse juive. Un exemple portant sur une question de vocabulaire pour commencer, sur Is 22, 6, texte massorétique : ‫וקיר ערה מגן‬, BR « et Kir a mis à découvert son bouclier », NBS « Qir met à nu le bouclier », TOB « et Qir sort le bouclier » (la LXX est très différente : καὶ συναγωγὴ παρατάξεως, « rassemblement d’une armée rangée ») : « Le bouclier a mis à découvert la muraille. En hébreu : Quir a mis à découvert le bouclier, en se préparant à combattre. Bien que quir soit en hébreu un nom commun et signifie « muraille », cependant ici c’est le nom propre d’une nation belliqueuse, comme le disent les Hébreux 19 ».

17. « La ponctuation de la Bible aux xii e et xiii e siècles », dans V. Fasseur – C.  Rochelois (éd.), Ponctuer l ’œuvre médiévale. Des signes au sens, Genève, 2016, p. 29-56 ; « Les divisions des bibles latines médiévales », dans G. Bady, Les divisions anciennes du Premier Testament, (sous presse). 18. Voir notamment Ph. K rey – L. Smith, Nicholas of Lyra. The Senses of Scripture, Leyde-Boston-Cologne, 2000 ; G. Dahan, Nicolas de Lyre, franciscain du xiv e siècle, exégète et théologien, Paris, 2011. 19.  Nous utilisons le ms. BnF lat. 3359, fol. 25ra-53vb, ici fol. 46va : « et parietem nudavit clipeus. Heb. et Quir discoperuit clipeum, se preparans ad bellandum.

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En effet, qyr est un nom commun en hébreu, « mur, paroi » et c’est ainsi que le comprend le targum Jonathan, cité par Rashi, qui observe qu’on peut aussi comprendre Q yr comme le nom d’une ville, la phrase signifiant que les habitants de Qir ont découvert leurs boucliers contre Jérusalem. Un autre exemple utilise une interprétation midrashique, Is 51, 1, texte massorétique : ‫ואל מקבת בור נקרתם‬, BR « sur le puits de carrière d’où vous êtes extraits », NBS « sur le creux de la tranchée d’où vous avez été tirés », TOB « sur le fond de la tranchée d’où vous avez été tirés » (LXX : καὶ εἰς τὸν βόθυνον τοῦ λάκκου ὃν ὠρύξατε, « sur la fosse du puits que vous avez creusé ») : « [Faites attention…] et à la caverne du lac d’où vous avez été tirés. En hébreu : et au marteau de la fosse d’où vous avez été tirés. Et cela semble un texte plus exact. En effet, on ne tire pas de pierres du lac, qui est un lieu aquatique, mais des fosses creusées dans la terre sèche. Et par le marteau, qui a une force active dans le forage, on comprend Abraham, par la fosse ou caverne Sara, parce que le mâle a un rôle actif dans la génération, la femme un rôle passif » 20.

L’hébreu maqava ou maqevet est bien le nom du marteau. On observe la mise en valeur du texte hébreu (littera verior), l’interprétation midrashique (fondée sur le verset suivant) et rappelée par Rashi : « Quel est ce rocher ? c’est Abraham votre père, quelle est cette citerne ? Sara, qui vous a engendrés 21 ». Les notes de Nicolas sur Zacharie sont toutes passionnantes, y compris dans leur utilisation des interprétations juives, midrashiques (comme en Za 11, 7, appliqué à Jéroboam et Roboam) ou littérales ; Rashi est cité nommément une fois mais souvent utilisé. Je donnerai deux exemples. Sur Za 1, 8, la vision de l’homme monté sur un cheval roux (TM : ‫על סוס אדם‬ ‫)איש רכב‬, c’est la couleur du cheval qui est en question : en latin, nous avons rufus, en hébreu adom ; voici la note de Nicolas de Lyre : « Et voici, un homme monté sur un cheval roux. En hébreu : et voici, un homme monté sur un cheval rouge, par quoi est désignée l’effusion de sang qui devait frapper les peuples ayant injustement affligé le peuple juif  22 ». Licet autem quir uno modo sit nomen appellativum in hebreo et significet ‘parietem’, tamen hic est nomen proprium cuiusdam gentis bellicose, ut dicunt hebrei ». 20.  Ms. cité, fol. 47ra : « Et ad cavernam laci unde [Weber : de qua] precisi estis. Heb.  et ad martellum fovee unde precisi estis. Et videtur hec littera verior. Non enim prescinduntur lapides de lacu, qui est locus aquarum, sed de foveis in terra sicca factis. Et per martellum, qui habet virtutem activam in precisione, intelligitur Abraham et per foveam seu cavernam Sara, quia masculus habet rationem activi in generatione, femina passivi ». 21.  Pour Rashi, nous utilisons les éditions courantes des Miqra’ot gedolot. 22.  Ms. cité, fol. 53ra : « Et ecce vir ascendens super equum rufum. Heb. et ecce vir ascendens super equum rubeum, per quod designabatur effusio sanguis futura populorum qui iniuste afflixerunt populum iudaicum ».

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C’est précisément ce que comprend Rashi : « Cela indique le châtiment contre les Chaldéens, les Mèdes et les Perses, par l’épée et le sang ». Le dernier exemple sera plus complexe et nous ramène aux divergences entre exégèse juive et exégèse chrétienne, puisqu’il s’agit de Za 11, 13, utilisé comme le sait en Mt 27, 9-10, à propos de la somme reçue par Judas pour prix de sa trahison. Sorbonne II a sur ce verset une longue note 23 mais je m’en tiens ici au texte de Nicolas de Lyre : « Jette-les [les trente pièces d’argent] au sculpteur. En hébreu : Jette-les au trésorier ou au potier. Le mot hébreu placé ici signifie les deux. Ce verset parle de l’argent que le traître Judas a rapporté aux prêtres et a même jeté dans le Temple, comme on l’a au chapitre xxvii de Matthieu. Or les prêtres étaient les trésoriers et avec cet argent ils ont acheté le champ du potier. C’est pourquoi il est dit ici que cet argent doit être jeté au trésorier, c’est-àdire aux prêtres, le singulier étant mis pour le pluriel, ce qui se fait souvent dans l’Écriture sainte, et au potier, parce qu’avec lui devait être acheté le champ du potier 24 ».

Le texte hébreu a el ha-yotser ; le terme désigne principalement un « potier » (de la racine ytsr, « créer ») ; mais on peut le rattacher à la racine ’tsr, « amasser », d’où la signification « trésorier ». La longue note de Rashi semble témoigner des difficultés consécutives à l’interprétation chrétienne ; en tous cas, il comprend yotser comme signifiant « trésorier », le trésor étant la justice des sages ou la magnificence de la gloire divine. Nicolas de Lyre, qui s’appuie peut-être sur Rashi pour le sens de « trésorier », s’en tient à l’interprétation chrétienne. Cela nous permet sans doute une transition avec un autre point : l’utilisation des interprétations juives dans les commentaires.

23.  Ms. BnF lat. 15554, fol. 224v° : « Proice eos ad statuarium, et ideo secundum ultimam correctionem [que] in textu debet esse ad fictorem et hic et infra, quia Ieronimus suam translationem correxit, sicut in Ys. xix [17] quod dixerat in festiuitate, retractans dixit in pauorem. Unde Ieronimus : “pro plaste atque fictore statuarium olim interpretatus sum, uerbi ambiguitate compulsus, quod statuarium fictoremque uno sermone significat” » ; voir Jérôme , In Esaiam, éd. M. A driaen, Turnhout, 1963 (CCSL 73), p. 283 ; In Zach., éd. M. A driaen, Turnhout, 1970 (CCSL 76A), p. 857. 24.  Ms. cité, fol. 53rb : « Proice illos [= triginta argenteos] ad statuarium. Hebre. Proice illos ad thesaurarium vel ad figulum. Dictio enim hebraica hic posita est ad utrumque equivoca. Hec autem scriptura loquitur de pecunia quam Iudas proditor retulit sacerdotibus et eciam proiecit in templum, ut habetur Mt. xxvii. Sacerdotes autem erant thesaurarii et ex illa pecunia emerunt agrum figuli. Propter quod hec pecunia hic predicitur proicienda ad thesaurum, id est ad sacerdotes, accipiendo singulare pro plurali, quod frequenter fit in sacra Scriptura, et ad figulum, eo quod ex ea emendus erat ager figuli ».

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III. I n t e r pr état ions j u i v e s da ns l e s com m e n ta i r e s  : l’ e x e m pl e d ’A l be rt l e G r a n d Comme je le faisais remarquer plus haut, j’ai toujours été frappé par la présence d’interprétations juives dans les commentaires des livres d’Ancien Testament d’Albert le Grand. Certes, il s’insère dans toute une tradition dominicaine, dont Hugues de Saint-Cher ou Thomas d’Aquin sont des représentants majeurs 25. Mais il semble apparemment très mal disposé à l’égard de ces exégèses juives et emploie souvent des formules méprisantes à leur égard – en dehors même du terme de fabula sur lequel on reviendra. Je me suis toujours demandé pourquoi, tout en condamnant ces interprétations, Albert y recourait fréquemment. L’explication que j’ai donnée naguère me paraît juste : malgré son allure de plus en plus scientifique au xiii e siècle, l’exégèse chrétienne ne cesse pas d’être une exégèse traditionnelle, partant du principe que l’Écriture sainte transmet la Parole divine ; or, j’ai essayé de montrer que toute exégèse traditionnelle a besoin des deux éléments fondamentaux que sont l’approche rationnelle et ce que j’appelle l’approche « mythique » ; l’exégèse chrétienne, en se plaçant délibérément sous le signe d’une exégèse rationnelle (ce qu’est l’exégèse allégorique – même si cette vue peut sembler surprenante), a banni l’approche mythique, représentée éminemment par l’exégèse midrashique des juifs. Mais, au fil des siècles, le besoin de cette approche mythique s’est fait sentir (je parle uniquement du christianisme occidental). Au xii e siècle, la fabula platonicienne semble apporter une solution ; au xiii e siècle, c’est l’exégèse midrashique qui joue ce rôle 26. Quelles que soient les condamnations dans la foulée de la controverse de Paris sur le Talmud et quels que soient également les efforts des exégètes juifs pour un retour au peshat dégagé du midrash, l’exégèse midrashique est présente dans les commentaires chrétiens. Cela montre bien que les choses ne sont pas simples, d’un côté comme de l’autre. En préparant mon article, j’ai commencé par vouloir séparer les interprétations littérales des exégèses midrashiques – les premières étant introduites par Hebraei dicunt, les secondes par Iudaei fabulantur. Or, réflexion faite, et quoi que j’aie pu dire à ce sujet précédemment, cette séparation n’est pas totalement satisfaisante, même si, apparemment, les formules Hebraei dicunt et Iudaei fabulantur semblent la conforter. Au niveau de 25.  Pour une introduction générale, voir Dominique et ses frères lecteurs de la Bible au xiii e siècle, Paris, 2016 (Supplément aux Cahiers Évangile 177). 26.  Voir G. Dahan , Études d ’exégèse médiévale. Ancien Testament, Strasbourg, 2016, p. 386-387 ; G. Dahan, « Fabula between mythos and aggada. Concerning Christian Exegesis in the Middle Ages », dans D. A. Green – S. L. Lieber (éd.), Scriptural Exegesis : The Shapes of Culture and the Religious Imagination. Essays in Honour of Michael Fishbane, Oxford, 2009, p. 268-280.

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l’exégèse juive d’abord, dans les échanges autour de la Bible, il ne semble pas que les informateurs des chrétiens soient des juifs à la pointe de la réflexion herméneutique, qui auraient réalisé le souhait d’un Rashi qui, selon son petit-fils, regrettait à la fin de sa vie de n’avoir pas composé un commentaire uniquement selon le peshat. De la sorte, les informateurs juifs livrent des interprétations brutes, mêlant peshat et derash ; mon hypothèse est que les juifs d’Occident au Moyen Âge sont incapables de comprendre l’exégèse de type mythique que fournit le midrash ; or, ces interprétations sont reçues comme autoritatives par les chrétiens, sans distinction entre ce qui serait exégèse littérale et exégèse mythique. Du côté chrétien, l’hypothèse des quatre sens, même si elle est une affirmation théorique rigoureusement étayée par la réflexion des meilleurs esprits, n’est pas opératoire dans la pratique exégétique 27 et les chercheurs qui se sont intéressés à l’exégèse médiévale ont été obnubilés par les quatre sens et par le titre du livre d’Henri de Lubac 28 (bien plus nuancé que son application brutale par certains). Il me semble que la distinction fondamentale est tout simplement la plus classique (paulinienne) entre la lettre et l’esprit – le passage de l’une à l’autre, que j’appelle le « saut herméneutique », étant l’élément le plus caractéristique de l’exégèse chrétienne. Mais mes recherches actuelles me portent à minorer encore cette distinction. Un point très simple est précisément l’interprétation christique de l’Écriture : un regard superficiel pourrait laisser penser que nous sommes dans le domaine de l’interprétation spirituelle – et cela est certainement vrai pour tout ce qui est typologie, c’est-à-dire application des figures de l’Ancien Testament au Christ, qu’il s’agisse des patriarches, de Joseph ou de David. Mais ce n’est pas le cas pour l’interprétation des prophéties messianiques – et ici le modèle de l’exégèse des hébraïsants chrétiens du xvi e siècle est tout à fait éclairant : ils recherchent les interprétations messianiques des exégètes juifs et y trouvent une confirmation de leurs options herméneutiques 29. Or, ici, nous ne sommes pas dans le domaine de l’exégèse spirituelle mais bien dans celui de l’exégèse littérale (encore une fois, j’adopte les options confessantes des auteurs médiévaux). Ce qui est remarquable dans ce type d’exégèse au xvi e siècle est que le côté polémique, présent dans la controverse médiévale et aussi dans celle du xvi e siècle, n’a pas de place. Cela peut nous inciter à 27.  G. Dahan, « Les quatre sens de l’Écriture dans l’exégèse médiévale », dans M.  A rnold (éd.), Annoncer l ’évangile (xv e- xvii e s.). Permanences et mutations de la prédication, Paris, 2006, p. 17-40 [repris dans Lire la Bible au Moyen Âge. Essais d ’herméneutique médiévale, Genève, 2009, p. 199-224]. 28.  H. de Lubac , Exégèse médiévale. Les quatre sens de l ’Écriture, 4 vol., Paris, 1959-1964. 29. Voir par exemple la préface de la Bible hébraïque de Sébastien Münster, Bâle, 1534-1535 (sur l’utilisation des commentaires juifs).

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nous interroger aussi sur l’exégèse juive et à trouver une convergence inattendue avec l’exégèse chrétienne – mais il s’agit encore d’un point à approfondir sur un plan doctrinal. Quoi qu’il en soit, je prendrai quelques exemples chez Albert le Grand. Je relève dans son commentaire d’Isaïe 30 13 mentions d’interprétations des Hebraei ou des Iudaei, la plupart (9) identifiées comme provenant de Jérôme, une de la Glossa et une de Hugues de Saint-Cher ; deux semblent nouvelles mais ont également pour source des commentaires antérieurs. La première de ces interprétations « nouvelles » nous montrera la complexité de la question et confirmera qu’il n’est pas évident de classer ces mentions en exégèse littérale et exégèse spirituelle ; il s’agit d’Is 16, 1, ‫שלחו כר משל ארץ‬, BR « Le troupeau dû au maître du pays, envoyezle… » ; NBS « Envoyez un jeune bélier à celui qui est maître du pays » ; TOB « Envoyez l’agneau du souverain du pays » ; la Vulgate a emitte agnum dominatorem terrae (notons pour mémoire la LXX, assez éloignée : ἀποστελῶ ὡς ἑρπητὰ ἐπὶ τὴν γῆν « j’enverrai comme des reptiles contre le pays »). La difficulté apparaît dans les traductions françaises ; quelle est la fonction du mot moshel, traduit par un accusatif dans la Vulgate ? Voici la note d’Albert : « Les Hébreux disent qu’il y a ici une caractéristique de la langue hébraïque, un accusatif notant le terme d’un mouvement est mis sans préposition et est cependant compris une préposition. C’est pourquoi maître du pays équivaut à « vers le maître du pays ». En IV Rois 3 [4-5] : Mesa, roi de Moab, nourrissait de nombreux troupeaux et il s’acquittait au roi d’Israël de cent mille agneaux, cent mille béliers avec leurs toisons ; quand le roi Achab fut mort, il rompit le traité qu’il avait avec Israël… C’est le roi de Juda qui est appelé « maître de la terre » 31.

Le commentaire commence par une remarque grammaticale : Albert fait référence (maladroitement) à l’utilisation du locatif de mouvement, qui en fait équivaudrait ici à un datif ; c’est bien ce que comprenait Jérôme : « Ce que nous avons traduit de l’hébreu envoie l ’agneau maître peut être lu ainsi : Envoie l ’agneau au maître de la terre, de façon que ce ne soit pas

30. Albert le Grand, Postilla super Isaiam, éd. F. Siepmann, Münster W., 1952 (A lberti M agni Opera omnia. Editio coloniensis, t. XIX). 31. Albert le Grand, édition citée, p. 221 : « Dicunt Hebraei quod haec consuetudo Hebraici idiomatis, quod accusativus notans motus terminum sine praepositione ponitur, et tamen cum praepositione intelligitur. Unde dominatorem terrae tantum valet quantum ad dominatorem terrae. IV Reg. iii [4-5] Mesa, rex Moab, nutriebat pecora multa et solvebat regi Israel centum milia agnorum et centum milia arietum cum velleribus suis ; cumque mortuus esset rex Achab, praevaricatus est foedus quod habuit cum Israel… Dominator terrae dicitur rex Iuda… ».

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l’agneau qui est le maître de la terre, comme nous l’avons traduit selon le texte même, mais que l’agneau soit immolé au maître de la terre… » 32 .

En fait, il semble bien qu’ici Hugues de Saint-Cher soit le relais : il donne également l’explication avec ad dominatorem terrae et note aussi que les Hébreux disent que souvent la préposition fait défaut 33. De la sorte, Albert livre l’interprétation historique, que retiennent les exégètes contemporains  3 4 et qui figure également chez Rashi : « Ne vous élevez pas dans votre orgueil, ne savez-vous pas que le dominateur de votre terre, Mesha‘roi de Moab, a été redevable selon le deuxième livre des Rois et a livré au roi d’Israël cent mille agneaux… ».

Il est intéressant de noter que Jérôme fournit aussi une explication que l’on qualifierait volontiers de spirituelle, puisque cet agneau, qui ou bien est le maître de la terre, ou bien est sacrifié au maître de la terre, et qui vient de Moab, signifie Ruth la Moabite 35. Thomas d’Aquin donne d’emblée cette interprétation mais relève que d’autres commentateurs exposent cela selon le sens littéral, bien que, nous dit-il, ce soit d’une manière forcée, en comprenant qu’il s’agit du tribut d’agneaux que le roi de Moab envoyait au roi d’Israël 36. Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin et relevons encore le targum, qui traduit : « Ils enverront des tributs au messie 32.  Jerôme , In Isaiam, éd. M. A driaen (CCSL 73), p. 259 : « Hoc quod de Hebraeo interpretati sumus emitte agnum dominatorem potest ita legi : Emitte agnum dominatori terrae, quo scilicet non ipse agnus dominator sit terrae, ut iuxta historiam interpretati sumus, sed dominatori terrae agnus sit immolandus ». 33. Hugues de Saint-Cher , Opera omnia (Postilla), t. IV, édition de Lyon, 1645, fol. 39rb : « Emitte agnum, Domine, etc. id est fac ut Moabitae mittant agnos sive agnorum tributum Iudaeis, ut solent. Agnum, dico, dominatorem, id est qui dabatur in signum dominii terrae, quod habebant Iudaei super Moab. Vel dominatorem, id est ad dominatorem terrae, id est ad Ezechiam Regem, sic habent Hebraei, qui dicunt praepositionem saepe deficere apud eos ». 34.  La plupart soulignent le caractère problématique du verset ; voir D. Barthélemy, Critique textuelle de l ’Ancien Testament, t. II, Isaïe, Jérémie, Lamentations, Fribourg-Göttingen, 1986, p. 118-122. Voir P.  Auvray, Isaïe 1-39, Paris, 1972, p.  171 ; J. Blenkinsopp, Isaiah 1-39, New York-Londres, 2000, p. 118-122 (Anchor Bible 19). 35.  Jerôme , In Isaiam, éd. M. A driaen (CCSL 73), p. 259 : «  significat Ruth, de qua generatus est Christus, quam vocat petram deserti, quia iuxta praeceptum Dei Moabitae et Ammonitae usque ad decimam generationem et usque in aeternum non ingrediuntur Ecclesiam Dei ». 36. Thomas d’Aquin, Expositio super Isaiam ad litteram, édition léonine, Rome, 1974 (Opera omnia, t. XXVIII), p. 96 : « Et ideo dicit : O, Domine, Pater, agnum, Christum, Io. i [29], de petra deserti, de Ruth gentili, cuius populus lapideus est […]. Alii hoc uolunt, licet extorte, ad litteram exponere de tributo agnorum quod rex Moab subtraxerat a rege Israel, sicut dicitur IV Reg. xv, quod per prophetam predicitur restituendum regi Ierusalem : dominatorem, in signum dominii ; de Petra deserti, locus in quo nutriebantur oues ».

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d’Israël… », ‫יהון מסקי למשיחא דישראל‬, ce qui confirme que le moshel est compris comme un datif et ce qui ouvre la possibilité d’une interprétation messianique identique à celle des exégètes chrétiens ; Hugues de SaintCher, par exemple, disait (dans la partie mystice de son commentaire) « le prophète parle ici du premier avènement du Christ pour la consolation de tous… » 37. La seconde « nouvelle » interprétation juive sera plus simple. Elle porte sur Is 20, 3, qui rappelle la prestation du prophète, « nu et déchaussé ». Voici la note d’Albert : « Les Hébreux rapportent en effet que le beau-père d’Isaïe était Manassé, fils d’Ezéchias, roi de Juda : ayant enlevé un sac affreux, il se montra nu » 38.

Là encore, cette interprétation est donnée anonymement mais elle remonte aussi à la Postille de Hugues de Saint-Cher, qui (reprenant la Glossa ordinaria) souligne que, aux dires des Hébreux, le prophète était un homme de haute noblesse, dont le roi Manassès prit la fille pour épouse 39. C’est en effet une tradition, que l’on trouve notamment dans le traité talmudique Berakhot, fol. 10a. On notera que ces deux interprétations ne s’accompagnent d’aucun commentaire dévalorisant pour l’exégèse juive. Ce n’est pas le cas pour les trois mentions du commentaire de Zacharie  4 0, sur lesquelles je serai plus bref. On retrouve le texte de Za 11, 13-14 (cité en Mt 27, 9-10, à propos du salaire de Judas) : « Les juifs et certains judaïsants chrétiens, qui pervertissent tout ce qui est droit, expliquent cela autrement, en disant que par les trente pièces d’argent sont compris les trente commandements de la Loi qui doivent être exécutés : ce sont les commandements positifs contenus dans l’Exode, du chapitre 20 au chapitre 24. Et il y a encore 36 commandements qui contiennent des interdictions. Et ils disent qu’en observant les commandements, ils donnent un digne salaire au pasteur ; mais, en cas contraire, ils doivent être rejetés. Mais cela est faux : il y a beaucoup plus que 30 commandements positifs et

37. Hugues de Saint Cher , édition citée, fol. 39rb : « Loquitur hic Propheta de primo adventu Christi ad consolationem omnium, sed specialiter Moabitarum… ». 38. Albert le Grand, édition citée, p. 250 : « Tradunt enim Hebraei Isaiam socerum fuisse Manasse, filii Ezechiae, regis Iuda, qui deposito etiam sacco vilissimo in nuditate se videndum exhibuit ». 39. Hugues de Saint Cher , édition citée, fol. 46vb : « Et fecit sic, etc. tribus diebus. Ieron. Mira obedientia, solo cilicio induebatur vir nobilissimus, ut Hebraei tradunt, cuius filiam rex Manasses accepit in coniugem » ; le commentaire de Jérôme, édition citée, p. 288-289, ne contient pas cela. Voir L. Ginzberg, The Legends of the Jews, t. IV, Philadelphie, 1913, p. 273, et t. VI, Philadelphie, 1928, p. 370-371. 40. Albert le Grand, Opera omnia, ed. A.  Borgnet, t. XIX, Enarrationes in XII prophetas minores, Paris, 1892, p. 517-612.

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beaucoup plus que 36 commandements négatifs… C’est pourquoi, rejetant cela comme autant de fables, envisageons la suite » 41.

La distinction entre commandements positifs et négatifs est fondamentale dans le judaïsme, mais, comme le note justement Albert, il y a bien plus de commandements que les 30 et 36 dont il est question ici – la liste la plus autoritative faisant état de 613 mizvot, 365 négatives et 248 positives. J’ignore quelle est l’origine de 30 et 36 42 . En tous cas, la source d’Albert est la Glossa ordinaria, qui rappelle cette interprétation malveillante des juifs 43. Nicolas de Lyre, qui, on l’a vu, a une note intéressante d’un point de vue philologique, se contente de l’application aux trente talents de Judas. À propos de Za 12, 7, « Le Seigneur sauvera en premier lieu les tentes de Juda, afin que la fierté de la maison de David et la fierté de l’habitant de Jérusalem ne s’exaltent pas au détriment de Juda » (TOB), Albert fait le commentaire suivant : « La gloire des habitants de Jérusalem, c’est-à-dire des clercs et des religieux, contre Juda, c’est-à-dire le peuple. […] Les juifs impies, faussant cela, disent que l’on doit comprendre cela des chefs des juifs qui se jetant à droite et à gauche ont terrassé leurs ennemis, comme un feu dévorant, alors que les historiens Hégésippe et Josèphe ne racontent rien de tel, mais plutôt qu’ils étaient pris comme des rats dans leurs trous et, si l’un d’entre eux apparaissait comme se cachant pour se sauver, aussitôt il était éventré par les Romains, pour rechercher de l’or dans ses entrailles. […] Laissant de côté cela comme autant de mensonges, poursuivons la suite de notre commentaire assuré »  4 4 . 41. Albert le Grand, éd. Borgnet, p. 589 : « Iudaei et quidam christiani iudaizantes, qui omnia recta pervertunt, aliter hoc exponunt, dicentes quod per triginta argenteos triginta mandata legis intelliguntur quae facere iubentur, et haec sunt affirmativa mandata, quae Exod. xx et usque ad cap. xxiv continentur. Et rursum alia triginta sex sunt quae prohibebantur, et dicunt quod, si reddant obedientiam mandatorum, tunc dignam mercedem reddant pastori ; sin autem, proiiciendi sunt. Sed hoc falsum est, multo enim plura sunt mandata in lege affirmativa quam triginta et multo plura negativa quam triginta sex… Ideo, his tanquam fabulis abiectis, sequentia prosequamur ». 42.  Je n’ai pas trouvé la source de l’indication des 30 et 36 commandements ; il n’en est pas question dans l’article de A. Hirsch R abinowitz , « Commandments, The 613 », dans Encyclopaedia Judaica V, Jérusalem, 1971, col. 760-783. 43.  Édition citée, t. IV, col. 2144 (glose marginale) : « Et appenderunt. Iudaei maliciosi interpretantur per triginta argenteos triginta mandata Legis quae facere iubebantur et rursum 36 alia quae prohibebantur, et dicitur eis ut argentum mandatorum domini reddant Deo suo plastae et factori, quod, quia facere noluerunt, proiecti sunt ». 44. Albert le Grand, éd. Borgnet, p. 595 : « Gloria habitantium Ierusalem, hoc est clericorum et religiosorum, contra Iudam, hoc est communem plebem. […] Impii Iudaei haec pervertentes dicunt quod haec intelliguntur de principibus Iudaeorum,

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Apparemment, Albert met sur le même plan deux périodes de l’histoire : il lui semble que les juifs appliquent cela au siège de Jérusalem par les Romains, alors que cela concernerait plutôt l’époque du premier Temple. Le recours aux sources de l’histoire juive, Hégésippe et Flavius Josèphe, ne manque pas d’intérêt. Enfin, sur Za 14, 11, le commentaire d’Albert est très significatif : il s’agit de l’« instauration définitive du règne de Dieu », où Jérusalem demeurera en sécurité ; Albert cite comme verset concordant Is 32, 18 et note ceci : « Les juifs impies, faussant cela, disent que cela doit s’accomplir après les guerres de Gog et de Magog, dans la Jérusalem d’or, quand il seront installés en paix avec leur roi David, fables dont nous n’avons cure » 45.

Pour Albert, il est question du triomphe de l’Église. Mais l’interprétation juive est également eschatologique : la guerre de Gog et Magog implique la fin des temps. Elle figure par exemple dans le commentaire d’Abraham Ibn ‘Ezra. Je n’ai pas trouvé l’origine de l’expression « Jérusalem d’or », qu’Albert emploie plusieurs fois. Mais ce qui est intéressant est, dans l’ensemble de ces citations, le jugement négatif porté par Albert sur les « fables » des juifs, notamment dans l’interprétation de Za 14, 11, qui nous mène au problème des interprétations messianiques ou eschatologiques. En fait, le sujet devrait être approfondi. Comme le montreront les exégètes du xvie siècle, il y a dans le fond accord sur le type d’interprétation choisi : une interprétation messianique – réalisée dans le temps de l’histoire selon les chrétiens, à réaliser dans le temps de l’eschaton selon les juifs. Mais la démarche est la même : l’interprétation historique liée à l’époque des Prophètes (qui est l’approche actuelle) est abandonnée, au profit d’une application messianique, liée au messie Jésus ou à un messie à venir. Les choses se compliquent quand les juifs veulent mettre les prophéties en relation avec l’époque de la fin du second Temple – et réjoignent ainsi l’interprétation historique des chrétiens : d’où le danger que combat Albert, comme on l’a vu avec Za 12, 7. Le plus significatif est certainement la présence de ces « fables » des juifs ; même si elles paraissent rejetées avec dédain ou mépris, elles sont néanmoins intégrées au commentaire (dans plusieurs passages, Nicolas de Lyre qui, on l’a dit connaît fort bien qui pro tempore prorumpentes a dextris et a sinistris prostraverunt hostes, quasi ignis devorantes, cum Egesippus et Iosephus historiographi nihil talium narrent, sed potius quod conclusi erant quasi mures in antris et, si quis eorum quasi fugiens latenter apparuit, statim a Romanis exenterabatur, ut aurum in visceribus eius quaereretur. […] Et propter hoc tamquam mendosa relinquentes, certam prosequamur expositionem ». 45. Albert le Grand, éd. Borgnet, p. 608 : « Haec impii Iudaei pervertentes dicunt implenda esse post bella og et Magog, in aurea Ierusalem, quando cum rege suo David in pace sedebunt mille annis, de quorum fabulis nihil curamus ».

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l’exégèse midrashique, ne fait pas mention des interprétations messianiques juives). Il semble bien qu’il y ait ici un thème auquel il conviendrait d’accorder toute l’attention qu’il mérite. Je ne parlerai pas d’un autre aspect du sujet, la présence des philosophes juifs dans l’exégèse chrétienne. J’ai eu l’occasion d’en traiter certains points  4 6. Je me contenterai ici de noter que la lecture du Guide des égarés de Maïmonide provoque une mutation capitale dans l’interprétation du livre de Job, dès les années 1250. Les penseurs juifs apparaissent ici et là dans les commentaires de la Bible : plusieurs articles seront ici-même consacrées à Maître Eckhart, dont les commentaires sont irrigués par des thèmes maïmonidiens. Ce qu’il convient de relever est l’absence totale, je crois, de considérations négatives à propos des penseurs juifs, dont les opinions sont utilisées parfois à l’appui de thèses chrétiennes, notamment par opposition à des dogmes aristotéliciens. Ce qui me paraît le plus significatif est, au-delà d’oppositions dont il ne faut évidemment pas minorer l’importance, c’est la convergence, non pas sur des thèmes communs (ce qui est d’un intérêt moindre) que sur des options herméneutiques qui vont plus loin que l’affirmation de l’origine divine des Écritures et mettent en cause des attitudes semblables, à la recherche de la vérité. B i bl iogr a ph i e Sources A lbert le Grand, Postilla super Isaiam (Opera omnia, editio Coloniensis, t. XIX), éd. F. Siepmann, Münster W., 1952.` A lbert le Grand, Opera omnia, ed. A. Borgnet, t. XIX, Enarrationes in XII prophetas minores, Paris, 1892. Bible du Rabbinat, Paris, 1899 [abrégé BR] ; Nouvelle Bible Segond, Villersle-Bel, 2002 [NBS]; Traduction Œcuménique de la Bible, Paris, 2010 [TOB] ; Biblia sacra iuxta Latinam vulgatam versionem, éd. des Moines de Saint-Jérôme, Rome, 1969. Hugues

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L’UTILISATION DE L’EXÉGÈSE JUIVE

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M. J. Mulder, « The Transmission of the Biblical Text », dans M. J. Mulder – H.  Sysling (éd.), Mikra. Text, Translation and Interpretation of the Hebrew Bible in Ancient Judaism and Early Christianity, Philadelphie, 1988, p. 87-135. E.  Power , « Corrections from the Hebrew in the Theodulfian Manuscripts of the Vulgate », dans Biblica 5 (1924), p. 233-258. J.-P. Rothschild, « Quelques philosophes juifs du Moyen Âge tardif, traducteurs ou lecteurs de saint Thomas d’Aquin », dans E. H. Füllenbach – G.  M iletto (éd.), Dominikaner und Juden, Berlin, 2015, p. 29-67. J.  Sermoneta, « Pour une histoire du thomisme juif », dans G. Verbeke – D.  Verhelst (éd.), Aquinas and Problems of his Time, Louvain-La Haye, 1946, p. 130-135. M.  Simon, Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l ’Empire romain (135-424), Paris, 1964 2 . C.  Sirat, La philosophie juive médiévale en pays de chrétienté, Paris, 1988. Y. Z aluska, L’enluminure et le scriptorium de Cîteaux, Cîteaux, 1989. M. Z onta, « The Knowledge of Latin Philosophical Literature among Jewish Philosophers in the Fifteenth Century Italy. Scholastic Sources in Yehudah Messer Leon’s Commentary on Aristotle Physics », dans G. Busi (éd.), Hebrew to Latin, Latin to Hebrew. The Mirroring of two Cultures in the Age of Humanism, Turin, 2006, p. 133-166.

QUELQUES REMARQUES SUR L’EXÉGÈSE D’I NGETUS CONTARDUS DANS LA DISPUTE DE PALMA DE M AJORQUE (1286) Annie Noblesse-Rocher Université de Strasbourg, Faculté de Théologie Protestante

Résumé Notre contribution porte sur la Disputatio contra Iudaeos d’Ingetus Contardus. Le 1er mai 1286 se déroule, à Palma, le premier d’une série de débats entre un marchand génois, Ingetus Contardus, et des Juifs éminents de l’île de Majorque. Relatées sous forme de dialogue, ces journées de disputationes abordent dans un premier temps la question des lois alimentaires et la juste compréhension de Lévitique 11, puis lors des discussions suivantes les thèmes majeurs de la polémique entre Juifs et chrétiens à l’époque médiévale : la restauration promise par les prophètes, la toute-puissance divine, l’interprétation d’Isaïe 7, 14, la divinité du Messie. Ces six débats recèlent aussi des apports originaux comme le rôle du Diable, thème absent généralement des controverses. Notre contribution s’attache à évaluer l’exégèse biblique à l’œuvre de part et d’autre : débat sur l’interprétation sipiritualiter seu temporaliter, sur la clarté de l’Ecriture, sur l’utilisation des principes exégétiques rabbiniques ou sur le sens historique par le chrétien Ingetus. Les débats révèlent une utilisation de l’exégèse plus complexe qu’on ne pourrait l’imaginer, comme le montre l’utilisation du sens littéral par exemple utilisé à des fins herméneutiques différentes de part et d’autre. Abstract Our contribution concerns the Disputatio contra Iudaeos by Ingetus Contardus. On the May 1., 1286 takes place the first in a serie of debates in Palma between a Genoese merchant, Ingetus Contardus, and prominent Jews from the island of Mallorca. Released in the form of dialogue, these disputationes concern the question of dietary laws and the proper understanding of Leviticus 11, then in the following discussions the major themes of the controversy between Jews and Christians in medieval times : the promised restoration by the prophets, the divine omnipotence, the interpretation of Isaiah 7, 14, the divinity of the Messiah. These six debates also contain original contributions such as the role of the Devil, theme usually absent in the controversies. Our contribution attempts to evaluate the biblical exegesis at work on both sides : debate on the interpretation spiritualiter seu temporaliter, on the clarity of Judaïsme et christianisme au Moyen Âge, éd. par Marie-Anne Vannier, Turnhout : Brepols, 2019, (Judaïsme ancien et origines du christianisme, 17), p. 51-61 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.117474 © F  H  G

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Scripture, on the use of rabbinic exegetical principles or on the meaning historical by the Christian Ingetus. The debates reveal a use of exegesis more complex than one could imagine, as shown the use of literal meaning for example used for hermeneutic purposes different from each other.

Les controverses et débats entre juifs et chrétiens au Moyen Âge ont suscité des études fondatrices 1, mais peu d’entre elles se sont attachées à l’exégèse mise en oeuvre au cours de ces débats. Trop rapidement, les historiens s’en tiennent à une opposition binaire en présentant l’exégèse juive attachée au sens littéral et l’exégèse chrétienne revendiquant une lecture spirituelle de l’Écriture. La Disputatio contra Iudaeos de Palma de Majorque montre que la relation à la Bible et à la tradition interprétative est beaucoup complexe et que cette opposition doit être analysée à nouveau. Dans cette perspective, nous nous proposons ici d’examiner, en quelques remarques, la stratégie exégétique d’Ingetus Contardus. La Disputatio contra Iudaeos d’Ingetus Contardus 2 est une série de discussions qui se sont déroulées à Palma de Majorque entre un marchand génois et un groupe de membres de la communauté juive de l’île, à partir du 1er mai 1286. Dans la typologie des controverses, entre juifs et chrétiens, cette Disputatio appartient au genre des dialogues, débats à but de conversion 3, mettant en jeu des arguments bibliques, issus de la tradition rabbinique et de la théologie chrétienne, reflétant sans doute une série de conversations réelles 4 , sans qu’il soit possible de confirmer absolument la 1. La bibliographie concernant ce sujet est trop abondante pour être citée ici en exhaustivité. Les études suivantes ont marqué la discipline : B. Blumenkranz , Juifs et chrétiens dans le monde occidental, 430-1096, nouvelle réimpression avec une préface de Gilbert Dahan, Paris-Louvain, 2006 ; le lecteur se référera à l’ouvrage fondamental : G. Dahan, Les intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Âge, Paris, 19901, 19992 ; voir aussi G. Dahan, « Les questions d’exégèse dans les dialogues contre les juifs, xii e-xiii e siècles », dans S. Morlet – O. Munnich – B.  Pouderon (éd.), Les dialogues Aduersus Iudaeos. Permanence et mutations d ’une tradition polémique, Paris, 2013, p. 319-337 ; G. Dahan, « Judaïsme et christianisme : le débat au Moyen Âge. Cadre et méthodes de la Disputation », dans Juifs et chrétiens : un vis-à- vis permanent, Bruxelles, 1988, p. 27-53 ; G. Dahan, La polémique chrétienne contre le judaïsme au Moyen Âge, Paris, (Présences du judaïsme), 1991 ; G. Dahan, « L’usage de la ratio dans la polémique contre les juifs. xii e-xiv e s. », dans H. Santiago -O tero (éd.), Dialogo filosófico-religioso entre cristianismo, judaismo e islamismo durante la Edad Media en la Peninsula Ibérica, Turnhout, 1994, p. 289-308. 2.  Les deux éditions de références sont : Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos. Controverse avec les juifs, éd. Gibert Dahan, Paris, (Auteurs latins du Moyen Âge), 1993 ; Die Disputationen zu Ceuta (1179) und Mallorca (1286). Zwei antijüdische Schriften aus dem mittelalterlichen Genua, éd. Ora Limor , Munich, Monumenta Germaniae Historica (Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters, vol. 15), 1994, p. 167-300. 3.  G. Dahan, Les intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Âge, Paris, 19901, 19992 , p. 361-422. 4.  Bien qu’il soit difficile d’identifier certains interlocuteurs juifs d’Ingetus, il est fort probable que des personnages réels aient été retenus comme interlocuteurs

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réalité de ces échanges. Toujours est-il que la Disputatio est conservée en 18 manuscrits, sur lesquels une traduction en italien fut faite ; il semble que trois manuscrits aient été perdus, le tout datant des xiv e et xv e siècles. Deux éditions vénitiennes portent la date de 1524 et 1672 5. Par ailleurs, il est probable que le débat de Majorque soit fort redevable d’une autre Disputatio, celle de Sebta (Ceuta), dans l’actuel Maroc, haute place commerciale au Moyen Âge, qui eut lieu en 1179, sous la dynastie des Almohades, entre un autre marchand génois, Guglielmo Alfachino et un érudit juif, Mo Abraham (Moïse ou Maître Abraham) 6. I. L a

pe r son na l i t é d ’I ng et us

Ingetus n’est pas un théologien, ni un polémiste de renom, comme on en trouve en action dans les sources de la polémique judéo-chrétienne, mais c’est un marchand 7 (mercator ianuensis), issu d’une ancienne famille génoise très active en Orient et en Occident, les Contardi s’étant consacrés, selon les actes notariés, au commerce d’étoffes. Majorque est en effet un comptoir important pour le commerce génois et Palma comporte une loge, un lieu de rassemblement, dans le cas présent, qui est aussi un lieu de discussion pour les échanges commerciaux et intercommunautaires. La communauté juive exerce sur l’île l’artisanat, le commerce, mais aussi l’agriculture grâce à la concession de terres, ainsi que la médecine et le prêt à intérêt, professions mentionnées par Ingetus lui-même 8. Si l’on doit à Agostino Giustiniani et à son Histoire de la République de Gênes d’avoir fait sortir Ingetus de l’oubli 9, les sources notariales 10 le mentionnent déjà actif à Montpellier, le 9 septembre 1278 pour une opération de change ; en juillet 1288 un acte notarié le mentionne à Gênes 11, mais aussi en 1269, 1272, 1278 et 1279 12 . Il est signalé aussi de passage à La Rochelle en 1288 13. Il dit avoir sillonné la Provence, l’Egypte où se trouvaient précisément des communautés juives importantes 14 . Ingetus a été formé, comme pour la polémique, qui ne semble pas, a priori, une fiction littéraire, voir : Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 14-16. 5.  Die Disputationen zu Ceuta (1179) und Mallorca (1286), p. 12. 6.  Die Disputationen zu Ceuta (1179) und Mallorca (1286), p. 3. La Disputatio de Ceuta est conservée en un seul manuscrit (Ms A III 19) à la bibliothèque de l’Université de Gênes, Ibidem, p. 2. 7. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 3. 8. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 18-19. 9.  Die Disputationen zu Ceuta (1179) und Mallorca (1286), p. 20. 10.  Die Disputationen zu Ceuta (1179) und Mallorca (1286), p. 20. 11. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 5. 12.  Die Disputationen zu Ceuta (1179) und Mallorca (1286), p. 24. 13.  Die Disputationen zu Ceuta (1179) und Mallorca (1286), p. 20. 14. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 4.

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ses compatriotes, à la littérature didactique pour laïcs en langue vernaculaire génoise (et par les sermons et discussions avec les clercs rencontrés au cours des déplacements). De ce fait les débats ont certainement eu lieu en catalan majorquin, comme le laisse penser la traduction latine, en latin correct mais sans génie, farcie d’idiomatismes catalans 15. Parmi ses interlocuteurs probables, Ingetus mentionne deux membres de la communauté juive de l’île : Balaafeç de Babylone et Angelo dit « roi de Jérusalem », qui restent difficiles à identifier réellement. Il faut encore mentionner un second Astrug de Marseille, un des secrétaires de la communauté de Majorque en 1247 16. II. L a D ispu tat io

de

Pa l m a

de

M ajorqu e

Pour Ora Limor, la Disputatio de Majorque s’apparenterait à un drame en quatre actes 17, mais il est difficile de retenir cette hypothèse qui n’est aucunement justifiée dans le texte de la controverse. Gilbert Dahan, de façon judicieuse, nous semble-t-il, en se fondant sur les thèmes évoqués, structure cette Disputatio en six discussions et deux intermèdes. Un premier débat 18 met face à face, le 1er mai 1286, Ingetus et un rabbin, à la Loge des Génois et porte sur les Lois alimentaires (Lévitique 11) et la restauration promise par les prophètes 19. La deuxième discussion 20 oppose Ingetus à un « maître des Juifs », Moïse David, auquel s’ajoute un autre juif non nommé. Il est question du baptême, de l’humilité des saints, de la Toute-Puissance divine, de la conception virginale (Isaïe, 7, 14) de la divinité du Messie 21. Une interruption des débats permet d’aborder l’interprétation de Proverbes 30, 18-20. La troisième discussion se déroule chez un maître juif et évoque la venue du Messie annoncé dans l’Ancien Testament, le sens de almah, les annonces de la venue du Messie (Genèse 49, 10 ; Daniel 9, 24-27), la personne du Fils, le sens des sacrifices 22 . À l’issue d’un intermède arrive Astruc Isaïe qui se convertira à l’issue de la quatrième discussion portant sur les deux captivités d’Israël, les 1290 jours de Daniel, les prophéties sur la Passion 23. La cinquième discussion a pour thèmes la personne du Fils et les prophéties. La dernière discussion aborde le culte des images et la Trinité 24 En arrière-fond de cette contro15. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 10-12. 16. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 14-18. 17.  Disputationen zu Ceuta (1179) und Mallorca (1286), p. 13. 18. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 169 à 264. 19. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 89-107. 20.  Die Disputationen zu Ceuta (1179) und Mallorca (1286), p. 264 à 284. 21. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 107-153. 22. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 153-241. 23. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 141-273. 24. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 275-299.

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verse de Palma de Majorque, il faut mentionner bien sûr la Dispute de Barcelone de 1263, qui partage avec notre recueil la plupart de ces thèmes traditionnels comme la Trinité, la venue du Messie, son humano-divinité, l’accomplissement des prophéties messianiques 25. Mais il semble aussi que la Dispute de Sebta ait été l’un des modèles retenus par Ingetus 26. Cependant, la Disputatio de Palma possède un thème original : l’intermède consacré à Proverbes 30, 18-20 est l’occasion d’un développement consacré au diable 27. Ce thème n’apparaît pas dans les controverses dont a pu s’inspirer Ingetus, comme celle de Barcelone par exemple 28. Les controverses débattent généralement des versets 18-20 de Proverbes 30 en les rapportant à la naissance virginale 29. L’Écriture est bien sûr la première source des protagonistes. Son interprétation est l’objet de déclarations d’intention de la part d’Ingetus et des débatteurs juifs, mais on constate tout au long des débats une certaine plasticité des positions, une herméneutique sans cesse en mouvement dans les deux communautés. Ainsi, Ingetus se déclare partisan d’une lecture spirituelle de l’Ecriture, nous le verrons. Pour autant, il n’hésite pas à revendiquer une lecture selon le sens historique quand il s’agit de contester l’élection du peuple juif. De même, un principe d’interprétation rabbinique, comme le pikuah nefesh, peut être compris de façon spirituelle ou littérale par les protagonistes III. L e s

s t r at égi e s e x égét iqu e s d ’I ng et us

Ingetus semble ne pas avoir une connaissance très approfondie de l’hébreu : il commet des erreurs grammaticales grossières sur les articles, les méconnaissant au point d’affirmer qu’il existe un genre neutre en hébreu, comme il en existe en latin 30. La Disputatio ne révèle aucune discussion philologique sur la traduction latine, la Vulgate n’étant d’ailleurs pas contestée par les Juifs. C’est dans la troisième discussion, dans le cadre du 25. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 46. 26.  Disputationen zu Ceuta (1179) und Mallorca (1286), p. 33. 27. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 144-148. 28.  Sur la Dispute de Barcelone, voir É. Smilevitch, Naḥmanide, La Dispute de Barcelone. Suivi du commentaire sur Esaïe 52-53, Lagrasse, 1984 ; R. Chazan, « The Barcelona ‘Disputation’ of 1263 : Christian Missionizing and Jewish Response », dans Speculum 52 (1977), p. 824-842. 29. Voir Guillaume de Bourges , Livre des Guerres du Seigneur et deux homélies, éd. G. Dahan (introd., texte critique, trad. et notes), Paris, (Sources chrétiennes, 288), 1981, p. 94-96 ; voir Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 145, note 61. 30. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 205, voir aussi la note 114 qui évoque une probable discussion sur le grec permettant d’expliquer cette faute grossière.

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débat sur la divinité du Messie 31 (p. 181) et des annonces de sa venue, que cette question grammaticale se pose, à propos de l’interprétation des sept semaines annoncées, en Daniel 4, 7-15, entre la destruction du Temple et la venue du Messie 32 . Les Juifs comprennent la destruction comme étant celle du Temple 33 et non l’annonce de la Passion du Messie, en la personne de Jésus. C’est ici qu’Ingetus affirme que « le mot ‘temple’ est du genre neutre et le prophète parle au masculin  3 4 », après avoir affirmé à ses interlocuteurs juifs : « Vous avez des pronoms masculins, féminins et neutres, comme nous ! Répondez s’il en est ainsi ». De plus, il fait endosser aux Juifs eux-mêmes cette faute grammaticale, car les Juifs répondent : « C’est vrai [nous avons trois genres pour nos pronoms] 35 ». Un autre indice de la méconnaissance de l’hébreu par Ingetus est la confusion qu’il opère par exemple sur le sens du mot garar dans le cadre de la première discussion sur les lois alimentaires prescrites par Lévitique 11. Ingetus attribue à tort à  garar (Lév. 11, 7) le double de sens de « ruminer » et de « distinguer », en se fondant sans doute sur le commentaire de Raoul de Flay sur le Lévitique (VIII, 1) 36. Ingetus place délibérément la Disputatio dans le cadre de la distinction entre le sens littéral et le sens spirituel. Mais nous verrons ci-après que ce cadre se complexifie au cours des discussions. Ingetus affirme d’une manière générale la primauté du sens spirituel. Dès la première discussion, à propos des lois alimentaires, s’engage cette question fondamentale. Astrug hésite à se faire baptiser en raison des interdits alimentaires : la Loi interdit de consommer cochon (non ruminant sans sabots fendus), oiseaux aux ongles recourbés et poissons sans écailles 37. Or les chrétiens se permettent de consommer ces animaux interdits. Pour Ingetus ce commandement est à comprendre spirituellement, selon l’esprit et non selon la chair 38. Les Juifs sont pour lui plongés dans l’obscurité depuis la venue du Christ et leur intelligence de l’Ecriture est aveuglée 39. Ce topos de la cécité herméneutique des Juifs est renforcée par d’autres thèmes connexes, 31. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 181. 32. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 203. 33. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 203, note 113 où est cité le Sefer ha-berit de Joseph Qimhi. 34. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 205. 35. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 205. 36. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 94-95. 37. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 88-89. 38.  « Non dubito quod spiritualiter omnia a propheta dicta debent intelligi et non temporaliter », Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 90. 39. Sur ce thème traditionnel, voir Barthélémy d’Exeter : « Causam principalem soli Deo cognitam credo, cuius iudicio iustissimo quamuis occulto facta est ex maxima parte cecitas in Israel, ut plenitudo gentium intraret ad fidem… », cité par G. Dahan, Les intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Âge, Paris, 19901, 19992 , p. 473, note 1 (d’autres auteurs sont cités page 476).

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comme celui de la coquille de noix, intervenant dans le cadre du débat sur Isaïe 7, 14 et de la signification du terme ‘almah ; traduit par virgo dans la Vulgate et par o parthenos dans la Septante, ‘almah, pour les Juifs, comme le rappelle Jérôme dans son Commentaire d’Isaïe, signifie « jeune fille » (iuvencula vel puella), ou bien « cachée », le nom hébreu de la vierge étant betulah  4 0. Dans la Disputatio de Majorque, les Juifs contestent cette interprétation ; pour eux le contexte du verset est historique et son interprétation également, il s’agit de l’annonce de la naissance du fils d’Achaz 41. Pour Ingetus, cette interprétation historique est superficielle : les Juifs ne gardent que la coquille et jettent la noix 42 . Dans ce cadre, Ingetus pratique le plus souvent l’exégèse allégorique et si l’on souhaitait préciser davantage encore il privilégie une allegoria in verbis selon la distinction du De schematibus et tropis de Bède le Vénérable 43. C’est le cas par exemple dans cette première discussion consacrée aux lois alimentaires. En se fondant sur la fausse signification de l’expression ma‘alat gerah (ruminer et distinguer) en Lévitique 11, 3, Ingetus donne une correspondance allégorique pour chacun des animaux : les porcs sont ceux qui savent distinguer le bien du mal, mais laissent de côté le bien ; ce sont les hommes qui s’adonnent aux délices charnels en cette vie : adultère, envie, bavardage stérile, etc.  4 4 . Les lièvres et lapins, ruminant (sachant donc « distinguer »), mais sans sabots fendus, habitant des cavités, sont les hommes ou savants menant une vie solitaire et retirée 45. Enfin les lions, sans sabots fendus et non ruminants, représentent les voleurs, les assassins qui n’ont peur ni de Dieu ni du monde  4 6. Le célèbre verset du psaume 2, 7 (je suis un ver, non un homme) est l’occasion d’une exégèse allégorique plus complexe. L’interlocuteur juif d’Ingetus conteste le fait que ce verset puisse concerner le Messie ; il s’agit de David lui-même exprimant sa détresse. Le Messie exercera, bien au contraire, une domination totale 47. C’est à partir d’éléments naturalistes empruntés au De Universo de Raban Maur qu’Ingetus construit sa réponse. Ce verset du Psaume 2, 7, pour lui, concerne bien le Messie que reconnaissent les chrétiens, à savoir Jésus le Christ. Le ver en effet n’est pas 40.  Commentarii in Isaiam, éd. M. Adriaen, Turnhout, (CCSL 73/1), 1963, p. 102-103, voir G. Dahan, Les intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Âge, Paris, 19901, 19992 , p. 481. 41. « Dixerunt Iudei : Nos tibi diximus quod hoc venit, nato filio Achaz », Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 172-173. 42.  « Accipitis corticem nucum et que intus sunt dimittis », Ibidem, p. 174. 43. Voir G. Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, xii e - xiv e siècle, Paris, 1999, p. 305. 44. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 96-97. 45. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos. 46. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 98-99. 47. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 127.

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conçu d’une substance humaine, mais de la terre quand elle reçoit de l’eau, sans relations charnelles 48. Jésus-Christ lui aussi, pour Ingetus, fut conçu de la terre sans semence masculine. La Vierge Marie est l’allégorie de la terre 49 et elle a reçu l’eau de l’Esprit saint. Ingetus conjugue ici une exégèse allégorique (la Vierge-terre) et une exégèse théologique selon laquelle l’eau est comprise implicitement comme celle du baptême. Une réalité archéologique peut aussi introduire à une lecture théologique. La deuxième discussion débute ainsi par le thème de la restauration d’Israël annoncée par les prophètes. Pour son interlocuteur, Ingetus lit Zacharie 13, v. 1 à 3 : « En ce jour-là, il y aura une fontaine ouverte à la maison de David et aux habitants de Jérusalem, pour y absoudre les souillures du pécheur et de la femme impure… » 50. La première interprétation littérale est exclue : il n’y a jamais eu de source à Jérusalem. Pour cette raison l’interprétation ne peut être que christologique : le Messie, c’est-à-dire le Christ, fut une véritable source pour ceux qui croient en lui. Cette source est le baptême qui permet aux femmes de recevoir le salut, elles qui ne connaissent pas la circoncision. A. L’utilisation des procédés rabbiniques Cette exégèse traditionnelle, qui n’est guère innovante, le lecteur en conviendra, est cependant soutenue parfois par l’emploi de principes herméneutiques issus de la tradition rabbinique, comme le piquah nefesh, qui signifie la possibilité de transgresser un commandement pour sauver une vie (Lévitique 19, 16 ; Yoma 85a ; Ḥulin 10a) 51. Ingetus utilise lui-même cet argument en posant la question à son interlocuteur juif, pour savoir si le commandement de ne pas manger d’animaux interdits a été donné avec ou sans condition. Le Génois prend le cas d’école d’un Juif malade, qui pour guérir devrait manger de la viande de porc. L’interlocuteur juif lui confirme qu’en un tel cas la consommation d’un animal interdit serait possible ; dès lors pour Ingetus, le commandement interdisant la consommation de tels animaux ne doit pas être compris de façon littérale mais spirituelle 52 . Le Génois utilise aussi le raisonnement qal wahomèr ou a fortiori 53 pour l’interprétation de Juges 9, 8-15. Il s’agit de l’épisode des arbres 48.  Ingetus construit sa réponse à partir d’éléments naturalistes assez répandus au Moyen Âge, que l’on trouve par exemple dans le De universo de Raban Maur, cité par G. Dahan dans Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 127. 49.  Sur ce thème voir. 50. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 115. 51.  [Ed.] « Pikku’aḥ nefesh », Encyclopaedia Judaica, vol. 13, P-Rec, Jérusalem, 1971, col. 509-510. 52. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 92-93. 53.  Voir H. L. Strack – G. Stemberger , Introduction au Talmud et au Midrash, Paris, 1986, p. 41 et 48, qui évoque ce procédé dans les Trente-deux Middot et les Sept règles de Hillel.

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qui voulaient un roi. Dans la suite des discussions sur les lois alimentaires, Ingetus a amené la question de la création divine et de la mise à disposition de l’homme de tous les créations végétales, exception faite du fruit de l’abre défendu 54 . Si Dieu a tout permis en terme de consommation (mis à part le fruit de cet arbre), il est par conséquent permis à tout un chacun de manger de tout. Selon le principe de piquah nefesh pourtant, Ingetus s’assure bien auprès de son interlocuteur que la consommation du fruit peut être soumise à condition. B. Enjeux de l’utilisation du sens littéral Ce sens obvie, littéral, est revendiqué constamment par les débatteurs juifs dans la controverse. Dans la première discussion sur les lois alimentaires, pour l’interlocuteur d’Ingetus « hoc apertum est et aperte preceptum est 55 ». Il n’y a aucune ambiguïté dans l’Ecriture. Ainsi, le commandement de ne pas manger de viande de porc, de lapin, ni d’autres bêtes qui ne ruminent pas et n’ont pas de sabot 56 est à prendre au sens littéral. Pour autant ce sens obvie n’est pas sans dimension interprétative. Cet aperte signifie aussi que le commandement s’actualise de génération en génération et que ce sens litétral possède aussi une dimension d’actualisation. C’est le cas quand il s’agit d’évoquer la restauration d’Israël promise par les prophètes, un thème récurrent des controverses. Mais ici l’interprétation littérale d’Ingetus se veut strictement historique, celle du Juif a une dimension actualisante. En effet, quand il s’agit de contester au peuple juif son statut de peuple élu, Ingetus interprète l’Ecriture selon le sens historique. Au cours de la première discussion, c’est l’interlocuteur juif qui rappelle que les « Juifs [sont] la race élue » à laquelle « Dieu a donné les prophètes et les patriarches » 57, en s’appuyant sur Jérémie 31, 41-43 et Ezéchiel 34, 12-13. Implicitement cette affirmation est actualisée : les Juifs, en discussion avec Ingetus, sont toujours le peuple élu. Pour contester cette interprétation, Ingetus ramène au sens strictement historique les paroles de Jérémie : « ce n’est pas de la présente captivité qu’il a parlé, mais de celle de Nabuchodonosor ». C’est le verset 43 de Jérémie 31 mentionnant des Chaldéens (araméens) qui permet à Ingetus de refuser l’interprétation juive. Jérémie et Ezéchiel ont vécu à l’époque de Nabuchodonosor et la restauration promise a eu lieu sous Esdras et « Ananias » (comprenons :

54. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 90-91. 55. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 92. 56.  « Carnes porcinas non comedetis neque leporum et aliarum omnium bestiarum que non ruminant aut que fissas », Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 91-93. 57. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 101.

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ANNIE NOBLESSE-ROCHER

Néhémias) grâce à la faveur de Cyrus 58. Ingetus ici refuse « le saut herméneutique 59 » de l’actualisation et s’en tient à un sens historique qu’il considère comme le sens obvie. Ces remarques permettent d’affirmer que, dans ce contexte polémique, un certain dialogue exégétique s’est instauré à Palma de Majorque. Bien sûr la controverse est orientée, comme elles le sont toutes à cette époque, en faveur des débatteurs chrétiens. Mais l’aspect le plus positif est certainement cette prise en compte de l’altérité exégétique par Ingetus. Même s’il utilise, voire manipule, si l’on peut dire, les procédés interprétatifs juifs, il les prend en compte dans les discussions sur un plan d’égalité avec ses propres principes. B i bl iogr a ph i e Sources Guillaume de Bourges, Livre des Guerres du Seigneur et deux homélies, éd. G.  Dahan (introd., texte critique, trad. et notes), Paris, (Sources chrétiennes, 288), 1981. Hieronymus, Commentarii in Isaiam, éd. M. Adriaen, Turnhout, (CCSL 73/1), 1963. Ingetus Contardus, Disputatio contra Iudeos. Controverse avec les juifs, éd. Gibert Dahan, Paris, (Auteurs latins du Moyen Âge), 1993. Tertullianus, De carne Christi, PL 2, 797-838. Études B.  Blumenkranz , Juifs et chrétiens dans le monde occidental, 430-1096, nouvelle réimpression avec une préface de Gilbert Dahan, Paris-Louvain, 2006.  R.  Chazan, « The Barcelona ‘Disputation’ of 1263 : Christian Missionizing and Jewish Response », dans Speculum 52 (1977), p. 824-842. G.  Dahan, « Judaïsme et christianisme : le débat au Moyen Âge. Cadre et méthodes de la Disputation », dans Juifs et chrétiens : un vis-à- vis permanent, Bruxelles, 1988, p. 27-53. G.  Dahan, La polémique chrétienne contre le judaïsme au Moyen Âge, Paris, (Présences du judaïsme), 1991. G. Dahan, Les intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Âge, Paris, 19901, 19992 . 

58. Ingetus Contardus , Disputatio contra Iudeos, p. 102-103. 59. G. Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, siècle, Paris, 1999, p. 435.

xii e - xiv e

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G.  Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, siècle, Paris, 1999.

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xii e -xiv e

G.  Dahan, « L’usage de la ratio dans la polémique contre les juifs. xii e-xiv e s. », dans H. Santiago -Otero (éd.), Dialogo filosófico-religioso entre cristianismo, judaismo e islamismo durante la Edad Media en la Peninsula Ibérica, Turnhout, 1994, p. 289-308. Encyclopaedia Judaica, vol. 13, P-Rec, Jérusalem, 1971. O. Limor (éd.), Die Disputationen zu Ceuta (1179) und Mallorca (1286). Zwei antijüdische Schriften aus dem mittelalterlichen Genua, Munich, Monumenta Germaniae Historica (Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters, vol. 15), 1994, p. 167-300. É.  Smilevitch, Naḥmanide, La Dispute de Barcelone. Suivi du commentaire sur Esaïe 52-53, Lagrasse, 1984. H. L. Strack – G. Stemberger , Introduction au Talmud et au Midrash, Paris, 1986.

L ES RATIONALISTES JUIFS FACE À L’ALLÉGORISME CHRÉTIEN (XIIe -XIIIe SIÈCLE) David Lemler Université de Strasbourg

Résumé Les philosophes juifs médiévaux emploient une méthode d’exégèse allégoriquepostulant un accord entre d’une part la Bible et les textes de la tradition rabbinique et d’autre part la science aristotélicienne. Cela constitue une innovation importante au sein de l’exégèse rabbinique, dont la méthode classique – le midrash – se distingue précisément de l’interprétation allégorique (christologique) qui caractérise l’herméneutique chrétienne. Cette étude explore la manière dont ces philosophes situent leur propre méthode d’interprétation par rapport à l’allégorisme chrétien. Alors que la méthode allégorique s’introduit dans le judaïsme rabbinique par l’intermédiaire de l’exégèse islamique au x e siècle, les auteurs reconnaissent une parenté entre leur approche des textes bibliques et rabbiniques et l’exégèse chrétienne à partir des xii e et xiii e siècles, lorsque le centre de l’activité philosophique juive se déplace vers l’Europe latine. Cette parenté est tantôt présentée comme une rivalité, tantôt comme le fruit d’une collaboration active entre interprètes juifs et chrétiens. Abstract The medieval Jewish philosophers used an allegorical exegetical method, based on the assumption that the Bible and the rabbinic teachings harmonize with the Aristotlian sciences. This consituted an important innovation within rabbinic hermeneutics, since its classical method of interpretation – the midrash – was precisely distinct from the allegorical (i.e. christological) interpretation characterising Christian hermeneutics. The present paper explores the ways these philosophers envisaged the relationship of their own method of interpretation to Christian hermeneutics. While the allegorical method appeared in rabbinic Judaism through the influence of Islamic exegesis as soon as the tenth century, the authors started to recognise an affinity between their approach to Biblical and rabbinic texts and Christian exegesis only in the twelfth and thirteenth centuries, when the main center of Jewish philosophy moved to Christian Europe. This affinity is sometimes presented as a rivalry and sometimes as the fruit of an active collaboration between Jewish and Christian scholars. Judaïsme et christianisme au Moyen Âge, éd. par Marie-Anne Vannier, Turnhout : Brepols, 2019, (Judaïsme ancien et origines du christianisme, 17), p. 63-77 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.117475 © F  H  G

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L’influence réciproque des juifs et des chrétiens dans le développement d’un intérêt renouvelé pour le sens littéral à partir du xi e siècle au Nord de la France est aujourd’hui bien documentée. Ainsi, l’exégèse de l’école de Saint Victor est nourrie de références aux commentaires de Rachi et de son école, tandis que les motivations de ce dernier dans la production d’un commentaire orienté vers le sens littéral (pešaṭ) pourraient être liées à l’influence de son environnement chrétien et au contexte de la polémique judéo-chrétienne 1. L’impact des interactions judéo-chrétiennes demeure à étudier s’agissant d’un autre type d’exégèse, l’exégèse dite « allégorique ». Dès le x e siècle, une méthode d’exégèse radicalement nouvelle fait son apparition au sein du judaïsme rabbinique. Cette méthode repose sur la postulation d’un sens « intérieur » de l’écriture qu’il s’agirait de découvrir derrière le sens « extérieur » ou apparent. Cette notion d’une dualité sémantique, issue de l’environnement islamique des Gueonim en Orient, n’est pourtant pas sans rappeler l’opposition de la lettre et de l’esprit, tirant ses sources dans les écrits pauliniens (en particulier 2 Co 3, 6), et au fondement de l’exégèse spirituelle chrétienne. Les études modernes en caractérisant l’exégèse pratiquée par les rationalistes juifs du Moyen Âge « d’allégorique » induisent du reste un rapprochement avec le second des « quatre sens de l’Écriture » de la doctrine exégétique de la chrétienté médiévale en Occident. Ce rapprochement, pour être suggestif, paraît de prime abord purement nominal, puisque l’exégèse « allégorique » correspond dans la typologie de de Lubac 2 à une exégèse figurative, abordant la Bible hébraïque comme une annonce de l’avènement du Christ et de sa vie. Il est néanmoins remarquable que la voie de l’exégèse « allégorique » juive, initiée à l’époque des Gueonim, reprise ensuite par les philosophes issus de la péninsule Ibérique au xii e siècle, trouve son apogée précisément en Provence, Espagne et Italie aux xiii e et xiv e siècles, chez des philosophes juifs écrivant dans un environnement chrétien. Dans son ouvrage fondamental sur l’exégèse chrétienne en Occident médiéval, Gilbert Dahan notait que « la résurgence de l’allégorie [dans le monde juif aux xiii e et xiv e siècles] sembl[ait] le résultat de contacts avec le monde chrétien », mais que « l’influence de l’exégèse chrétienne sur l’exégèse juive rest[ait] à étudier » 3. Ce sont quelques jalons de cette étude que 1.  Pour une synthèse sur cette question débattue, voir D. Schoenfeld, Isaac on Jewish and Christian Altars : Polemic and Exegesis in Rashi and the Glossa Ordinaria, New York, 2013, p. 22-26. 2. H. de Lubac , Exégèse médiévale. Les Quatre sens de l ’Écriture, Paris, 1959. Il y a un espace entre les notes et non dans les autres articles, unifier, merci. 3. G. Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, xii e-xiv e siècle, Paris, 1999, p. 376.

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nous nous proposons de poser en nous penchant sur le regard que les rationalistes juifs pratiquant l’exégèse allégorique ont porté sur l’exégèse chrétienne entre le xii e et le xiii e siècle – période de transition où le centre de l’activité philosophique s’est déplacé d’Al-Andalous vers la Provence tandis que le recours à l’exégèse allégorique s’y est amplifié. I. L’av è n e m e n t

m é di éva l d ’ u n e e x ég è se a l l ég or iqu e

au se i n du j u da ï sm e r a bbi n iqu e

Il convient au préalable de remonter plus avant pour cerner l’extrême originalité de cette méthode d’exégèse allégorique médiévale au sein du judaïsme rabbinique. Dans l’ouvrage précité, Gilbert Dahan 4 situe l’un des points de divergence anciens entre judaïsme et christianisme précisément au niveau du type d’exégèse. L’exégèse chrétienne se greffe sur la méthode d’exégèse biblique pratiquée au sein du judaïsme hellénistique, dont l’œuvre de Philon d’Alexandrie a conservé abondamment la trace. S’inspirant des interprétations stoïciennes proposées des mythes homériques, le judaïsme hellénistique pratique l’exégèse allégorique de la Bible, dans la traduction de la Septante. « On appelle allégorie – écrivait déjà Héraclite – une figure qui consiste à parler d’une chose alors qu’on veut en désigner une seconde toute différente » 5. Philon accommode ainsi les textes prophétiques juifs à une doctrine philosophique mêlant néo-platonisme et stoïcisme. En lisant les textes de la Bible hébraïque à travers un prisme christologique, l’exégèse chrétienne dans ses diverses formes emboîte le pas à l’allégorisme du judaïsme hellénistique. Le judaïsme rabbinique se caractérise quant à lui par une méthode d’exégèse tout à fait différente, le midrash. Cette méthode se distingue de l’allégorisation en ne dissociant pas le plan de l’interprétation et celui du texte interprété, qui ne constituent pas dès lors deux registres de significations hétérogènes et séparables. Le midrash, tirant parfois des versets des enseignements fort éloignés du sens littéral (c’est-à-dire ici premier et contextuel), considère, sauf mention explicite, que ces enseignements sont portés par la lettre du texte et surtout impensables indépendamment de lui. C’est également d’un point de vue formel que le midrash se distingue de l’allégorie, se présentant tantôt sous la forme d’une explicitation

4. G. Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, xii e-xiv e siècle, Paris, 1999, p. 369-375. 5.  H éraclite , Allégorie d ’Homère, 5, 1, éd. F. Buffière , Paris, Les Belles Lettres, 1962, p. 4, cité par G. Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, xii e-xiv e siècle, Paris, 1999, p. 370.

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juridique (midrash halakha), tantôt sous celle de « récits expliquant » (midrash aggada) 6. Philon d’Alexandrie, référence centrale de la patristique, n’a eu aucune influence dans la tradition rabbinique et n’y a été redécouvert qu’à la Renaissance 7. Or, avec l’apparition d’une exégèse allégorique chez des rabbins de premier plan dès le x e siècle, se produit comme une incursion de la marque de fabrique du judaïsme hellénistique. Cette « incursion » s’opère sous la plume d’auteurs fortement immergés dans un environnement islamique et en important certains modes d’exégèse coranique. Les premiers siècles de l’hégire voient schématiquement se développer deux formes d’exégèse distinctes : le tafsīr, exégèse littéraliste reposant sur la philologie, et le taʾwīl qui vise selon son sens étymologique à « remonter » d’un sens extérieur ou manifeste (ẓāhir) à un sens intérieur, caché et profond (bāṭin) 8. Or la dualité sémantique au principe de ce second type d’exégèse, trouvant ses développements les plus spectaculaires dans l’ismaélisme, pourrait trouver son origine dans l’école patristique d’Alexandrie, elle-même directement influencée par les allégoristes juifs. Si cette hypothèse 9 s’avère correcte, l’exégèse allégorique se trouve au cœur d’une série de transferts entre les trois grands monothéismes, par laquelle le judaïsme hellénistique fait indirectement retour au sein du judaïsme rabbinique. Ces préliminaires étant posés, nous nous proposons à présent de suivre différentes étapes de cette incursion de l’allégorie au sein du judaïsme rabbinique et du rapport qu’elle institue pour les exégètes juifs avec l’exégèse chrétienne. II. D e s

fon de m e n ts de l’a l l ég or i sm e j u i f da ns l a sph è r e

i sl a m iqu e à son a pogé e e n t e r r e de ch r ét i e n t é

Au moment de son apparition chez des auteurs rabbiniques, l’allégorie n’est pas associée à l’exégèse chrétienne. Saadia Gaon (882-942), le « père du rationalisme » au sein du judaïsme rabbinique, fortement influencé sur le plan doctrinal par le kalām, est le premier grand auteur à employer une exégèse de type allégorique, en important dans la tradition rabbinique 6.  Pour une présentation d’ensemble, voir R. K asher , « The Interpretation of Scripture in Rabbinic Literature », dans M. J. Mulder (éd.), Mikra : Text, Translation, Reading and Interpretation of the Hebrew Bible in Ancient Judaism and Early Christianity, Assen, 1988, p. 547-594. Voir aussi notre article, D. L emler , « Pieds de nez à la lettre. La liberté exégétique dans le judaïsme rabbinique classique et médiéval », Revue des Sciences Religieuses 91 (2017), p. 379-398. 7.  Le premier auteur à le mentionner est Azaria de Rossi, en Italie au xvi e siècle. 8.  Voir notamment, I. Poonawala, « Taʾwīl », dans Encyclopédie de l ’Islam. 9.  Hypothèse formulée dans L. Gardet – M. M. A nawati, Introduction à la théologie musulmane, Paris, 1970, p. 210-219.

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les modes majeurs de l’exégèse islamique. Dans divers endroits de sa vaste œuvre exégétique, Saadia expose les règles herméneutiques qu’il suit. Le texte biblique doit, en règle générale, être compris selon son sens littéral ou obvie (ʿalā ẓāhirihi). Le commentaire de Saadia accompagnant sa traduction arabe de la Bible hébraïque est d’ailleurs dénommé « Tafsīr », ce qui indique l’approche essentiellement philologique qu’il y adopte. Une interprétation « allégorique » (taʾwīl) n’est autorisée que s’il y a une contradiction entre ce sens littéral et 1) la perception sensible, 2) l’intuition de l’intellect (les intelligibles premiers), 3) d’autres textes bibliques, 4) la tradition 10. Dans un tel cas, le sens littéral est rejeté au profit d’un autre sens car il est rendu impossible par sa contradiction avec ce qui constitue selon Saadia, l’une des quatre sources fiables de connaissance. Toutefois, dans le Commentaire sur les Proverbes, une autre approche exégétique est présentée. Là, Saadia y distingue deux sens concomitants : l’un extérieur et manifeste, l’autre intérieur et profond. Ainsi, les versets Pr 5, 7-13 se réfèrent à la fois au dirigeant politique en ce monde, selon le sens manifeste (alā ẓāhirihā), et à Dieu de manière cachée (alā khafiyihā) 11. La tradition rationaliste se poursuit en Al-Andalous, pendant les siècles de « l’Âge d’Or » (x e-xii e siècles), subissant une inflexion majeure : la falsafa, l’aristotélisme arabe, se substitue au kalām sur le plan doctrinal. En conséquence, l’exégèse allégorique tend désormais à harmoniser le texte biblique avec les sciences aristotéliciennes. Alors que le bāṭin relevait chez Saadia essentiellement du domaine moral et théologique, la méthode du taʾwīl se trouve désormais appliquée aux « secrets de la Tora », en particulier l’Œuvre du Commencement (Maʿaseh Be-reʾšit) et l’Œuvre du Char divin (Maʿaseh Merkava) 12 et leur « sens intérieur » identifié respectivement à la physique et la métaphysique aristotéliciennes. On trouve déjà cette identification chez le philosophe et mathématicien catalan Abraham Bar Ḥiyya (à la croisée des xi e et xii e siècles), puis chez le philosophe et savant andalou Abraham Ibn Dāʾūd (1110-1180) 13. C’est toutefois Maïmonide (1135/8-1204) qui proposera une théorisation de l’allégorie de type philosophico-scientifique, tout en la pratiquant lui-même de manière prudente et parcimonieuse. Dans l’introduction de son Guide des égarés, il définit les « parabole[s] bien construite[s] » (al10.  Saadia Gaon, Tafsīr Be-reʾšit (Com. Gn), éd. M. Zucker , New York, Jewish Theological Seminary of America, 1984, p. 18, Kitāb al-Amanāt wal-Iʿtiqādāt (Livre des croyances et des opinions), éd. Y. K afih, New York, 1970, p. 190. 11.  Saadia Gaon, Tafsīr Mišlei (Com. Pr), éd. J. Derenbourg – M. L ambert, Paris, 1894, p. 35. Sur tout ceci, voir G. H egedus , Saadya Gaon : The Double Path of the Mystic and the Rationalist, Leyde-Boston, 2013, p. 154-155. 12. Voir Mishna, Ḥagiga, II, 1. 13. Abraham Bar Hiyya, La obra : Yĕsodé ha-tĕbuná u-migdal ha-ĕmuná, éd. J. M. M illás Vallicrosa, Madrid, 1952, p. 49. Abraham I bn Dāʾūd, Emuna Rama, I, 8, Francfort, 1854, p. 43.

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mathal al-muḥkam) 14 en référence aux « pommes d’or dans des filets d’argent » de Pr 25, 11. Leurs paroles extérieures (āhir) (renferment) une sagesse utile pour beaucoup de choses, et entre autres pour l’amélioration de l’état des sociétés humaines […] ; mais leur (sens) intérieur est une sagesse utile pour les croyances ayant pour objet le vrai dans toute sa réalité 15.

On peut ainsi observer dans le rationalisme juif médiéval et particulièrement dans ses développements sur la péninsule Ibérique entre les x e et xii e siècles, un double mouvement de mise à distance du midrash. Un intérêt nouveau apparaît au sein de la tradition rabbinique pour l’exégèse littérale, tandis l’allégorisation philosophique se développe. Cette distance se traduit chez Maïmonide par une critique de certains types d’interprétations rabbiniques, qualifiées de « fantaisies poétiques » (III, 43) ne reflétant pas la « véritable intention » des versets 16. Maïmonide propose lui-même des interprétations allégoriques de quelques paraboles prophétiques, en particulier le récit de la création du monde (surtout en Guide, II, 30) et la description du Char divin (en Guide, III, 1-7), lus à la lumière de la science aristotélicienne. Il n’associe nullement cette méthode d’exégèse au christianisme, mais révèle qu’il la puise de l’islam en condamnant ses excès chez les exégètes ismaéliens, dont l’allégorisation systématique des miracles leur vaut d’être taxés sous la plume de Maïmonide d’une sorte de « folie » 17. Certes dans une de ses responsa, il autorise d’enseigner la Tora aux chrétiens qui en reconnaissent la véridicité, mais interdit de l’enseigner aux musulmans car ils considèrent que les juifs l’ont falsifiée 18. Toutefois, les méthodes de l’exégèse chrétienne auxquelles il n’est pas confronté directement l’intéressent assez peu 19, tandis qu’il est bien influencé par celles pratiquées en Islam. Cette situation est évidemment différente chez des auteurs évoluant dans un environnement chrétien. 14. S. Munk traduit « l’allégorie en règle ». M aïmonide , Le Guide des égarés, Paris, 2003, p. 19. 15.  M aïmonide , Le Guide des égarés, Paris, 2003. 16.  Guide, III, 43, M aïmonide , Le Guide des égarés, Paris, 200., p. 345. Sur l’attitude critique de Maïmonide vis-à-vis du midrash, voir Y. L orberbaum, « Changes in Maimonides’ Approach to Aggadah » (en hébreu], Tarbiz 79 (2008), p. 81-122. 17.  Guide, II, 25, M aïmonide , Le Guide des égarés, Paris, 2003, p. 197. 18.  M aïmonide , Responsa, éd. J. Blau, Jérusalem, Mekize Nirdamim, 2014, vol. 1, p. 284-285. 19.  Voir toutefois, la version non censurée de Mishneh Tora, Melakhim, XI, 4 où il écrit à propos des chrétiens : « ils affirment que [les commandements] contiennent des choses cachées (nistarot) et ne doivent pas être entendus selon leur sens apparent (peshutan), que le Messie est déjà venu et en a dévoilé les secrets (nistreihem). »

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III. L’a l l ég or i sm e

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ch r ét i e n e n v i sagé pa r l e s t e na n ts

j u i fs de l’ e x égè se a l l ég or iqu e

A. Abraham Ibn Ezra (1089/92-1167) Un premier auteur significatif se situe en amont de Maïmonide. Abraham Ibn Ezra, son aîné de quelques décennies, est célèbre en tant qu’exégète pour sa méthode d’interprétation littéraliste. Il est pourtant un jalon important de notre histoire car, d’une part, il lui arrive d’employer une exégèse allégorique 20 et, d’autre part, le périple qu’il entame dès 1140 en Europe latine, en fait l’un des premiers auteurs à confronter les modes de l’exégèse pratiquée dans la péninsule Ibérique à l’exégèse chrétienne. Dans les introductions des deux versions de son commentaire sur le Pentateuque 21, Abraham Ibn Ezra situe l’exégèse littérale qu’il pratique en regard de quatre autres méthodes d’interprétation : l’exégèse midrashique qui s’éloigne délibérément du sens littéral, celle des Gueonim faisant un usage jugé mal informé des savoirs scientifiques dans leurs commentaires bibliques, celle des karaïtes qui refusent les interprétations traditionnelles même en matière de commandements, celle des chrétiens critiqués dans les termes suivants (version du Commentaire courant). Troisième méthode [d’interprétation] […]. Il s’agit de ceux qui inventent de leur propre cœur à toute parole des secrets (sodot). Selon leur foi, toutes les lois (torot) et tous les jugements sont des paraboles (ḥiddot) […]. Toutefois, ils ont raison sur un point (bilti davar eḥad ṣadqu). C’est que tout terme concernant un commandement petit ou grand doit être pesé sur la balance du cœur. […] Si l’intellect (daʿat) ne peut l’accepter […], il faut y chercher un sens profond (sod). […] En revanche, toute parole que l’intellect ne réfute pas, nous l’interprétons selon son sens littéral et régulier (mišpaṭo). […] Pourquoi transformer les choses manifestes (nirʾim) en choses cachées (nistarim). […] Parfois les deux [sens] sont liés en vérité, étant tout autant clair et crédible […] comme la circoncision de la chair, le prépuce du cœur et l’arbre de la connaissance : leur sens profond (sod) est délectable, mais les choses sont également vraies selon leur sens littéral (mašmaʿam) 22 . 20.  Sur ceci, U. Simon, « “Bound by Grammar and Approved by Reason” – Two Basic Principles of Ibn Ezra’s Torah Commentary » (en hébreu), dans The Ear Discerns Words : Studies in Ibn Ezra’s Exegetical Methodology, Ramat Gan, 2016, p. 13-30. 21. Au cours de ses pérégrinations, Abraham Ibn Ezra a été amené à rédiger plusieurs commentaires de certains livres bibliques. C’est le cas notamment du commentaire sur la Genèse dont deux versions nous sont parvenues (ainsi que le fragment d’un troisième), précédées chacune d’une introduction : le commentaire « court » (ou courant) écrit à Lucques, en 1142-45, et le commentaire « long », écrit à Rouen en 1155-56. 22. Abraham I bn Ezra, Introduction au Commentaire courant sur Gn, nous soulignons.

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Écrivant en Italie, entre 1142 et 1145, Abraham Ibn Ezra reprend à son compte les règles herméneutiques que nous avons rencontrées chez Saadia Gaon, en les transposant en hébreu et dans un nouveau contexte culturel 23. Le couple ẓāhir et bāṭin du taʾwīl est rendu par les termes hébraïques nirʾe (visible) et nistar (caché), tandis que la notion même d’allégorie est ici dénommée ḥidda (énigme) 24 . L’exégèse chrétienne se caractérise par la systématisation de l’allégorie, la postulation d’un secret (sod), enfoui sous tout verset de la Bible hébraïque, allant de paire avec le rejet du sens littéral. Il ressort des quelques exemples qu’en donne Ibn Ezra dans la version de l’introduction du « Commentaire long » sur la Genèse (entre autres : « Le nombre des tribus est une allusion (remez) au nombre des apôtres » 25) qu’il se réfère à des exégèses figuratives. Ces introductions d’Ibn Ezra sont des textes polémiques et, de surcroît poétiques (écrits dans une prose rimée). Mais il est notable qu’Ibn Ezra fasse de l’allégorie le propre de l’exégèse chrétienne. Alors que Saadia Gaon exposait cette règle au nom de la cohérence épistémologique, c’est au contraire – rhétoriquement du moins – aux chrétiens qu’Ibn Ezra concède la nécessité de rechercher un sens caché lorsque le sens littéral d’un verset est incompatible avec la raison. Leur erreur aura été d’accorder au secret le privilège, tandis qu’il convient de conserver autant que possible le sens littéral, notamment s’agissant des commandements et y compris en association avec un sens allégorique. B. Samuel Ibn Tibbon (1150-1232)

1. L’exégèse allégorique et l’apologie du judaïsme C’est, nous l’annoncions chez les successeurs de Maïmonide que l’allégorisme s’est abondamment développé. Dès les premières années du xiii e siècle, à la suite de la diffusion rapide de la traduction par Samuel Ibn Tibbon de l’arabe vers l’hébreu de son Guide des égarés (achevée à Lunel en 1204), on voit se développer chez les disciples de Maïmonide, en Provence, Italie et dans le Nord de l’Espagne, un vaste corpus de textes proposant une exégèse allégorique des paraboles prophétiques et des homélies rabbiniques (aggadot). Si ces auteurs postmaïmonidens sont fortement influencés par Averroès chez qui l’on trouve une théorisation comparable 23. Les introductions d’Ibn Ezra reflètent ainsi son nouvel environnement, puisque l’allégorisation chrétienne n’était pas une cible notable des juifs dans les pays musulmans (M. Z. Cohen, Three Approaches to Biblical Metaphor : From Abraham Ibn Ezra and Maimonides to David Kimhi, Leyde-Boston, 2008, p. 37, n. 12). 24.   Ibid., sur ce point de terminologie. 25. M. Friedländer , Essays on the Writings of Abraham Ibn Ezra, Londres, 1877, annexe « šiṭṭa aḥeret », p. 1.

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de l’exégèse allégorique, il est remarquable qu’ils fassent fi de la prudence préconisée tant par lui 26 que par Maïmonide s’agissant de la diffusion de telles exégèses. Ceci s’explique évidemment par des considérations internes au monde juif dans les régions concernées : la réaction de défiance vis-à-vis de la philosophie des milieux traditionalistes impose de montrer au moyen d’une exégèse accommodante l’accord de la révélation et des sciences. Mais il n’est sans doute pas anodin que le mouvement d’allégorisation qui nous occupe ait atteint son apogée dans un environnement chrétien. Le rôle de Samuel Ibn Tibbon a été déterminant dans l’histoire de la philosophie juive médiévale, puisqu’à travers sa traduction a été fixé le lexique philosophique hébraïque. Il marque, au-delà de ce tournant linguistique de la philosophie juive de l’arabe vers l’hébreu au début du xiii e siècle, un tournant formel avec sa propre œuvre philosophique, qu’il expose dans un commentaire biblique consacré au livre de Qohelet et dans un traité exégético-scientifique, le Maʾamar Yiqqawu ha-Mayim (Traité sur le Rassemblement des eaux). Cet ouvrage, écrit en 1221 ou 1231, aborde une série de questions philosophiques et scientifiques à travers l’exégèse allégorique de divers passages bibliques. Dans un chapitre conclusif, Ibn Tibbon justifie sa méthode d’exposition, en donnant une importance déterminante à son environnement chrétien. [Il me faut également] justifier le fait que j’ai dévoilé à de maintes occasions (yoter mi-day) des choses que les Sages (de mémoire bénie) ont prescrit de cacher. Je prends à témoin le ciel et la terre que je ne l’ai fait qu’au nom du Ciel et [en vertu du verset] C’est le moment d’agir pour Dieu (Ps 119, 126). J’ai constaté en effet que les vérités qui ont été cachées depuis l’époque de nos prophètes et celle des Sages de notre Tora, sont toutes répandues aujourd’hui parmi les Nations du monde. Celles-ci expliquent conformément à ces vérités (u-mefaršim kefi ha-amittot ha-hem) les secrets qui se trouvent dans la Tora et les propos des prophètes et des hommes inspirés, en de nombreux endroits. En comparaison, notre nation fait montre d’une ignorance complète. Cette ignorance nous vaut d’être, dans leur bouche, un objet de ridicule. Ils en sont venus à considérer que nous n’avons des dires des prophètes que l’écorce (qelippot) 27.

Maïmonide expliquait dans l’introduction du Guide avoir abandonné un projet antérieur de composer deux traités exégétiques : l’un consacré aux paraboles prophétiques, l’autre aux aggadot rabbiniques. Un tel projet lui semblait contradictoire, puisqu’il revenait à divulguer ce que les prophètes 26.  Averroès , Discours décisif, Paris, Flammarion, 1996, § 45, p. 147. 27. Samuel I bn Tibbon, Maʾamar Yiqqawu ha-Mayim, chap. xx, éd. R. K nellerRowe , Samuel Ibn Tibbon’s Maʾamar Yiqqawu ha-Mayim, A Philosophical and Exegetical Treatise, 2012, vol. 2, p. 652, § § 1289-1290 (Thèse de l’Université de Tel Aviv).

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et les sages avaient considéré devoir dissimuler par une écriture allusive 28. Samuel Ibn Tibbon est le premier d’une lignée d’auteurs postmaïmonidiens à reprendre à son compte le projet abandonné par le maître. Il le justifie en employant précisément l’argument que Maïmonide invoquait pour justifier sa propre transgression de l’interdit d’aborder publiquement les « secrets de la Tora » 29 : C’est le moment d’agir pour Dieu (Ps 119, 126). Autrement dit, les circonstances historiques et politiques rendent nécessaire la transgression d’un interdit – en l’occurrence celui de dévoiler le sens caché de certains textes biblico-rabbiniques – car le judaïsme lui-même se trouve en péril 30. Le péril en question est constitué par l’humiliation des juifs, dans un contexte de développement des savoirs scientifiques dans le monde chrétien. De fait, l’entreprise de Samuel Ibn Tibbon et de nombre de philosophes postmaïmonidiens a visé à introduire les connaissances scientifiques auprès des juifs non-arabophones en particulier en Provence. Il s’agit des répercussions de la fin d’Al-Andalous, occasionnée pour les juifs par l’arrivée des Almohades au milieu du xii e siècle. L’œuvre des tibbonides participe d’une tentative d’exporter la culture philosophique du sud de la péninsule Ibérique au sein de communautés juives qui n’avaient pas eu de contact avec les disciplines et corpus scientifiques véhiculés en langue arabe. Le xiii e siècle philosophique est ainsi marqué dans le monde juif, outre la traduction vers l’hébreu d’importants textes philosophiques, par la rédaction d’encyclopédies des sciences philosophiques 31. Alors que les sciences et la philosophie aristotéliciennes se répandent dans le monde latin, il était d’autant plus urgent aux yeux de Samuel Ibn Tibbon de les introduire également dans les communautés juives établies en son sein. Dans notre extrait, il fait de l’exégèse un moyen pédagogique de diffusion des savoirs philosophiques, à même de rétablir la dignité intellectuelle des juifs auprès de leurs voisins chrétiens. Ce motif apologétique de la défense de la valeur du judaïsme aux yeux des chrétiens, nécessitant le recours à une exégèse allégorique, est amplifié après Samuel Ibn Tibbon par son fils Moïse (195-1274), actif en Provence également. Celui-ci est le premier à appliquer la méthode d’interprétation allégorique de manière systématique non pas uniquement à la Bible, 28.  Guide, Intro, p. 15. 29. Voir supra, à la note 12. 30.  Ce même verset est employé dans le Talmud (TB Giṭṭin, 60a-b ; Temurot, 14b) pour justifier la transgression de l’interdit d’écrire la Tora Orale, au motif que les circonstances rendent nécessaire une telle enfreinte pour que la tradition ne sombre pas dans l’oubli. 31. Sur ceci, G. Freudenthal , « Les sciences dans les communautés juives médiévales de Provence », Revue des études juives 152 (1993), p. 29-136 et notre introduction à Shem Tov Falaquera, L’accord de la Torah et de la philosophie (l ’Épître de la controverse), Paris, 2014.

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mais également aux aggadot rabbiniques. Certaines d’entre elles, écrit-il, « paraissent défier l’intelligence (zarot min ha-sekhel) et sont impossibles selon la nature » et suscitent donc les moqueries des non-juifs, « tandis que la plupart d’entre elles ont un sens pour ceux qui comprennent leur secret » 32 . Pour rétablir l’honneur du judaïsme aux yeux des chrétiens, l’allégorie supplante le midrash en montrant que ce dernier constitue un moyen de transmettre des savoirs scientifiques réservés jadis à une élite intellectuelle, mais devenus désormais accessibles à un public plus large dans un contexte de diffusion de la culture scientifique.

2. Une exégèse allégorique chrétienne comme source de l’exégèse philosophique juive ? La citation que nous donnons plus haut de son père Samuel affirme toutefois une nécessité proprement exégétique de l’allégorie, à côté de son rôle pédagogique et apologétique. Il fait référence à des commentaires chrétiens, interprétant les textes de la Bible hébraïque en montrant qu’ils contiennent des secrets philosophiques, tandis que les juifs n’en auraient conservé, selon une image topique, « que l’écorce ». L’image supposant l’écart entre un sens intérieur et un sens extérieur des versets 33 implique que les exégèses en question sont bien de type allégorique, les juifs devant selon Samuel Ibn Tibbon se réapproprier la chair du fruit. Juifs et chrétiens, selon ce modèle, pourraient s’accorder sur une méthode d’exégèse, voire sur l’identification du sens profond et caché des versets bibliques. La méthode de lecture allégorique, classiquement employée par les lecteurs chrétiens pour lire à travers les versets de la Bible hébraïque une annonce de la vie du Christ, devient partageable par les juifs à partir du moment où le sens allégorique est identifié à des « vérités » scientifiques. À quel commentaire chrétien Samuel Ibn Tibbon se réfère-t-il ? Il n’en donne lui-même pas d’indice au sein de son traité. Il est notoire qu’à partir de la seconde moitié du xiii e siècles la référence à Aristote, voire Averroès, est répandue dans l’exégèse chrétienne  3 4 . Or c’est précisément Maïmonide qui a joué à cet égard un rôle pionnier en offrant une exégèse accordant le texte biblique à la science aristotélicienne 35. Les propos de Samuel Ibn 32. Moïse I bn Tibbon, Introduction du Sefer Peʾa (écrit entre 1244 et 1274), dans Kitvei Mosheh Ibn Tibbon, éd. H. K reisel et C. Sirat, Ben Gurion University Press, Beer Sheva, 2010, p. 83 (trad. C. Sirat dans, « Les déraisons des Aggadot du Talmud et leur explication rationnelle : le Sefer Péa et la Rhétorique d’Aristote », Bulletin de Philosophie Médiévale 47 (2005), p. 78). 33. TB, Ḥagiga, 15b. 34.  Voir B. Smalley, The Study of the Bible in the Middle Ages, Oxford, 1983, p. 292-328 et G. Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, xii e -xiv e siècle, Paris, 1999, p. 295-297. 35.  Ce rôle a toutefois été transitoire : « Le Guide répondait à un besoin précis, à un moment donné ; au monde chrétien qui se sent brusquement submergé

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Tibbon suggèrent au contraire qu’en amont de la diffusion du Guide des égarés dans le monde latin, des exégètes-philosophes chrétiens auraient inspiré les philosophes-exégètes juifs disciples de Maïmonide. Samuel Ibn Tibbon ne saurait faire référence aux exégèses, harmonisant certains passages avec les sciences naturelles, proposées au xii e siècle au sein de l’école cathédrale de Chartres 36 car il ne les a probablement pas connues et leur orientation platonicienne ne plaide pas en faveur d’une identification par notre auteur de leur doctrine avec les « secrets de la Tora ». L’écart entre le caractère péremptoire de l’affirmation de Samuel Ibn Tibbon, quant à la profusion des exégèses chrétiennes conciliant Écritures et sciences aristotéliciennes, et la difficulté à en identifier dans le monde chrétien au début du xiii e siècle manifeste la part de rhétorique d’un tel énoncé. Il s’agit somme toute de justifier une approche nouvelle des textes de la tradition juive, dans un milieu non-familiarisé avec l’exégèse allégorique. Toutefois, il est possible que Samuel Ibn Tibbon ait eu connaissance d’exégèses de ce type lors d’un séjour qu’il fit à Tolède entre 1204 et 1210, pour obtenir des manuscrits de la Météorologie d’Aristote en vue de sa traduction (achevée en 1210) 37. Depuis le xii e siècle, Tolède était un laboratoire de traductions qui contribuèrent à la diffusion de la philosophie d’Aristote. Dans la première décennie du xiii e siècle, il a pu notamment y croiser le traducteur de nombreux traités de sciences naturelles, Alfred de Shareshel et peut-être son collègue traducteur et savant Michael Scot, dont la présence est attestée en 1217 38 mais qui a pu y résider quelques années avant. Samuel Ibn Tibbon a pu prendre connaissance de l’intense activité scientifique de l’époque et peut-être d’exégèses de type philosophique pratiquées par ces philosophes-traducteurs 39. Nous avons du reste un témoignage que Michael Scot a bien pratiqué, quelques années plus tard, une allégorisation philosophico-scientifique de certains versets bibliques.

par l’aristotélisme, il apporte une série de solutions pour fonder un équilibre entre la philosophie et la foi. Mais, un fois la synthèse thomiste achevée et acceptée, le recours paraît moins nécessaire » (G. Dahan, Les intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Âge, Paris, 1990, p. 321, voir aussi G. Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, xii e-xiv e siècle, Paris, 1999 p. 296-297). 36.  Thierry de Chartres se proposait ainsi dans son In Hexaemeron d’expliquer la première partie de la Genèse, « selon la physique et à la lettre » (secundum physicam et ad litteram). 37.  Voir J. T. Robinson, « Samuel Ibn Tibbon », dans The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Summer 2014 Edition), éd. E. N. Z alta, URL = . 38. E. R enan, Averroès et l ’averroïsme, Paris, 2002, p. 156. 39. C’est l’hypothèse formulée par R. K neller-Rowe , Samuel Ibn Tibbon’s Maʾamar Yiqqawu ha-Mayim, A Philosophical and Exegetical Treatise, 2012, vol. 1, p. 19-20 (Thèse de l’Université de Tel Aviv).

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3. Jacob Anatoli (1195-1256) et Michael Scot (1175-1232) Jacob Anatoli, le gendre de Samuel Ibn Tibbon, fournit en effet un témoignage de sa propre collaboration avec Michael Scot, à la cour de Frederic II Hohenstaufen à Naples à partir de la fin des années 1220. Dans son recueil d’homélies philosophiques, Malmad ha-Talmidim (L’aiguillon des étudiants), Anatoli avoue avoir appris le peu qu’il sait en matière de sciences de son beau-père et de Michael Scot, qu’il désigne constamment par la périphrase « le sage avec lequel je me suis lié d’amitié (ou avec lequel j’ai collaboré) » (he-ḥakham ašer hitḥabbarti ʿimo)  4 0. Scot est mentionné tout au long de cet ouvrage massif, à un peu moins d’une vingtaine de reprises. Il y apparaît en effet comme instruisant Anatoli en matière de sciences naturelles et d’astronomie. À l’inverse, Anatoli rapporte avoir renseigné Scot sur la signification de certains termes hébraïques 41. Le Guide des égarés de Maïmonide, qu’ils ont manifestement étudié ensemble, est au cœur de leurs discussions. Décrivant ces échanges intellectuels, Anatoli indique qu’ils portaient parfois sur l’interprétation de passages de la Bible hébraïque : Lorsqu’un verset se présentait à nous et que [Scot] en proposait un commentaire de type philosophique (devar ḥokhma), je le recueillais et l’écrivais en son nom. Mon but, en effet, n’est pas de me glorifier avec des objets d’emprunt pour me faire passer pour un sage. Nul sage ne saurait m’en blâmer, ni dénigrer les choses écrites en son nom du fait qu’il ne fait pas partie de notre peuple. Car un énoncé ne doit être examiné qu’en fonction de lui-même, non de celui qui l ’énonce 42 .

Cette dernière phrase constitue un intéressant déplacement d’une idée popularisée par Maïmonide. Dans l’introduction de son traité dit « des huit chapitres », il motive son recours à l’éthique aristotélicienne pour commenter les Pirqei Avot (« chapitres des pères », l’un des traités de la mishna), en enjoignant son lecteur « à accepter la vérité de quiconque l’a énoncée » 43. Maïmonide invoquait ce principe à propos de la vérité philosophique (d’ordre scientifique ou éthique) ; Anatoli l’emploie à propos de l’interprétation de l’Écriture, une exégèse comportant une valeur propre indépendamment de la religion de son auteur. Plusieurs interprétations bibliques proposées par Scot sont ainsi citées élogieusement, parfois comme des alternatives à celles de commentateurs

40. Jacob A natoli, Malmad ha-Talmidim, Lyck, 1866, Introduction, in fine. 41. Jacob A natoli, Malmad ha-Talmidim, Lyck, 1866, fol. 170a. 42. Jacob A natoli, Malmad ha-Talmidim, Lyck, 1866, Introduction, in fine, nous soulignons. 43.  M aïmonide , Traité d ’éthique (« Huit chapitres »), Paris, 2001, p. 32. Voir ad. loc. la n. 25 de R. Brague sur les sources de la formule.

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juifs autorisés comme Abraham Ibn Ezra  4 4 . Ces commentaires de Scot cités par Anatoli concernent notamment l’apologie de l’étude de la science. Le « cyprès verdoyant » d’Os 14, 9 est ainsi expliqué comme une allégorie (mašal) des sciences, belles par elles-mêmes, mais dont le véritable but est la connaissance de Dieu, « le fruit » dont parle le verset 45. D’autres commentaires de Scot font des versets bibliques des allégories de savoirs relevant des sciences naturelles. La « vanité des vanités » de l’Ecclésiaste renverrait ainsi à la corruptibilité des corps physiques : « vanité » désignant au singulier la matière première – vaine car informe – et au pluriel les corps composés, vains car destinés à la destruction  4 6. À propos d’un principe attribué à Aristote selon lequel la matière est « semblable à un corps mort », Scot indique qu’elle n’est toutefois pas « morte » car en puissance de toutes les formes. C’est ce qu’enseignent selon lui les versets Dieu fit sortir de la terre tout arbre (Gn 2, 9) ou encore qui révèle des choses profondes depuis l ’obscurité (Jb 21, 22) 47. Il ressort encore d’autres commentaires que Scot admet des éléments essentiels de la pensée de Maïmonide, allant jusqu’à les confirmer par des commentaires bibliques de son cru. Par exemple, si le récit de la création du monde comporte la mention « selon son espèce » (le-mino) à propos des plantes et des animaux et non à propos de l’homme, c’est pour indiquer que la Providence individuelle ne s’exerce que sur ce dernier tandis qu’elle est générale pour les autres espèces 48. Is 1, 3 comparant Israël à un bœuf confirme la doctrine maïmonidienne selon laquelle la Tora viserait à écarter le peuple d’Israël des pratiques idolâtres qu’il partageait avec les Sabatéens (le bœuf faisant référence à leurs anciens sages) 49. Cette collaboration n’empêche pas Anatoli de critiquer les doctrines et les pratiques du christianisme en tant que telles 50. Elle n’en repose pas moins sur une profonde amitié intellectuelle, fondée sur des échanges scientifiques et exégétiques et rendue possible par l’atmosphère particulière de la cour de Frédéric II. Malgré le caractère exceptionnel de cet exemple, il témoigne d’un moment où exégèses philosophiques juives et chrétiennes se développent en regard l’une de l’autre en se nourrissant mutuellement. Aux xii e et xiii e siècles, dans les milieux scientifiques – où l’on sait le rôle qu’a joué la collaboration de traducteurs juifs et chrétiens –, il semble 44. Jacob A natoli, Malmad ha-Talmidim, fol. 83a. 45. Jacob A natoli, Malmad ha-Talmidim, fol. 28a, cité dans E. R enan – A.  Neubauer , Les Rabbins français du commencement du quatorzième siècle, Paris, 1877, p. 584. 46. Jacob A natoli, Malmad ha-Talmidim, Introduction, au début. 47. Jacob A natoli, Malmad ha-Talmidim, fol. 5b. 48. Jacob A natoli, Malmad ha-Talmidim, fol. 65a. Voir Guide, III, 17. 49. Jacob A natoli, Malmad ha-Talmidim, 154b. Voir Guide, III, 29. 50. M. Saperstein, « Christians and Christianity in the Sermons of Jacob Anatoli », Jewish History 6 (1992), p. 225-242.

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donc que se soient développées dans les mondes chrétien et juif au contact l’un de l’autre, des exégèses harmonisant savoirs scientifiques et donné révélé. L’exégèse allégorique remontant à l’époque patristique avait préparé le terrain pour les chrétiens. Pour les juifs, une exégèse de type allégorique est apparue dans la sphère islamique, sous l’influence de la méthode du taʾwīl, assignant à l’exégète la tâche de remonter du sens manifeste au sens intérieur des versets. Ce type d’exégèse, importé d’Orient vers l’Espagne entre le x e et le xii e siècle, a prospéré aux deux siècles suivants chez les philosophes juifs en Provence, Italie et Espagne, qui l’appliquèrent non seulement à la Bible, mais aussi à des textes rabbiniques. L’incidence de l’environnement chrétien de ces auteurs y a, de leur propre témoignage, fortement contribué. Dans le monde chrétien, c’est à l’inverse Maïmonide qui a, un temps, inspiré certains auteurs des xiii e et xiv e siècles dans leurs commentaires harmonisant la Bible et l’aristotélisme. Sur une certaine affinité entre exégèse philosophique juive et exégèse allégorique chrétienne, les adversaires de la philosophie lors de la controverse « maïmonidienne », qui a violemment divisé le monde juif tout au long du xiii e et jusqu’aux premières années du xiv e siècle ne se sont pas trompés. Dans son décret de 1305, concluant la polémique par l’interdiction de l’étude de la philosophie avant l’âge de 25 ans, Rabbi Salomon ben Aderet de Barcelone écrit ainsi : [Les allégoristes juifs] ont même employé leur langue contre nos saints patriarches, chose que même les idolâtres n’ont pas faite. Alléguant d’Abraham et de Sarah, qu’ils sont matière et forme, des douze tribus d’Israël qu’elles sont les douze constellations 51

51.  Salomon ben Aderet, Responsa (en hébreu), éd. H. Z. Dimitrovski, Jérusalem, Mekhon Tiferet Israel, 1990, p. 726 (nous soulignons).

L A MATSA DE P ESSACH ET L’HOSTIE DE PÂQUES AU MOYEN ÂGE Relations reconsiderées Israël  J. Yuval The Hebrew University of Jerusalem

Résumé Au Moyen Âge, les mystères chrétiens de Pâques étaient joués devant les cathédrales pour évoquer la Passion du Christ (sa crucifixion et sa résurrection). La cérémonie juive du Séder comporte elle aussi des éléments théâtraux. Mais, pour les Juifs, le seul espace accessible était privé et ils réalisaients leur geste dans l’espace familial. Un élément important de cette pièce est l’afikoman. L’afikoman (un demi-morceau de pain azyme) a eu un rôle important dans l’histoire messianique du Seder et son histoire fournit un épisode instructif dans le développement du discours sur le rapport entre le Seder juif et Pâques. Selon la coutume médiévale, au début du Seder, on prend la matzah du milieu de la pile de trois, on la casse en deux, on enveloppe une des moitiés dans un chiffon et on la cache (tzafun). À la fin du Seder, cette matzah est ramenée à table et on la mange comme afikoman. Cette coutume présente des analogies avec les rituels de l’eucharistie dans la liturgie chrétienne. L’afikoman sert de parallèle juif à l’hôte chrétien, que ce soit une parodie ou une rivalité. Alors que l’eucharistie symbolise le corps de Jésus, l’afikoman symbolise le Messie. Abstract In the Middle Ages, the Christian mysteries of Easter were played before the cathedrals to evoke the Passion of Christ (his crucifixion and his resurrection). The Jewish Seder ceremony also has theatrical elements. But for the Jews, the only possible space was private. An important element of the performance is the afikoman. The afikoman (a half-piece of unleavened bread) has had an important role in the messianic history of the Seder. Its history provides an instructive episode in the development of the discourse on the relationship between the Jewish Seder and Easter. According to medieval custom, at the beginning of the Seder, one takes the matzah from the middle of the pile of three, breaks it in two, wraps one of the halves in a cloth and hides it (tzafun). At the end of the Seder, this matzah is brought back to the table and eaten as afikoman. This custom presents analogies with the rituals of the Eucharist in the Catholic liturgy. The afikoman serves as a Jewish parallel to the Christian host, be it a parody or a rivalry. While the Eucharist symbolizes the body of Jesus, the afikoman symbolizes the Messiah. Judaïsme et christianisme au Moyen Âge, éd. par Marie-Anne Vannier, Turnhout : Brepols, 2019, (Judaïsme ancien et origines du christianisme, 17), p. 79-92 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.117476 © F  H  G

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ISR AËL J. YUVAL

La recherche sur l’histoire du rapport entre le Judaisme et le christianisme s’est concentrée, jusque dans les années 1980, sur l’étude de la littérature polémique. Elle la caractérisait comme le fer de lance d’une lutte pour préserver l’identité juive face au défi que représentait pour elle la nouvelle religion. La tendance était, chez les historiens, à débattre de la question du public ciblé par cette littérature : s’adressait-elle à des lecteurs chrétiens ou était elle écrite que pour le public juif afin de lui permettre de faire face à la critique chrétienne en lui renforçant dans ses convictions ? Le fait de se concentrer sur les écrits explicitement polémiques a conduit de nombreux historiens à conclure que la controverse juive contre le christianisme n’aurait commencé qu’au Moyen Âge. En effet, c’est au ix e siècle qu’apparaît le premier livre polémique juif 1, alors que la littérature chrétienne s’était lancée dans la contestation dès son origine et déjà dans le Nouveau Testament. Le Talmud et le Midrach restaient en dehors du champ de la recherche polémique, car ils n’évoquent quasiment pas les chrétiens et ils comportent que peu de mention du christianisme comme objet de critique 2 . Les historiens expliquaient ce silence du fait que les Sages ne s’intéressaient pas à ceux qui s’étaient éloignés du judaïsme 3. Un renversement de perspective s’est produit dans les années 1990 : de plus en plus de chercheurs ont commencé à élargir le champ de leur investigation en y incluant même des allusions sans mention explicite du christianisme 4 . L’idée s’est développée, qu’il n’était pas raisonnable, historiquement parlant, d’envisager que les Sages seraient restés indifférents à la religion nouvelle qui s’était appropriée l’Écriture sainte, le concept d’Élection et les lieux saints des Juifs. En parallèle, s’est accrue la liberté d’interprétation pour relever, dans les textes rabbiniques, des allusions et des significations cachées.

1.  D. L askar – S. Stroumsa, The Polemic of Nestor the Priest, Jérusalem, 1996. 2.  Une exception : R. T. H erford, Christianity in Talmud and Midrash, Londres, 1903. 3. Sur l’intérêt limité dans le contexte historique chrétien de la littérature du Midrash et Talmud dans la seconde moitié du xx e siècle, voir O. I rshai, « Ephraim E. Urbach and the Study of Judeo-Christian Dialogue in Late Antiquity. Some Preliminary Observations », dans M. K raus (éd.), How Should Rabbinic Literature Be Read in the Modern World ?, Piscataway NJ, 2006, p. 167-197. 4. Les études pionnières semblent être celles de Y. L eibes , « Mazmiah Qeren Yeshu’ah », dans Jerusalem Studies in Jewish Though 3 (1983), p. 313-348 ; « Christian Influences in the Zohar », dans Immanuel : A Journal of Religious Thought and Research in Israel 17 (1983-1984), p. 43-67. Un representant important de la nouvelle approche est Daniel Boyarin, notamment : Dying for God : Martyrdom and the making of Christianity and Judaism, Stanford, 1999.

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Au milieu des années 1990, j’ai écrit moi-même un article sur la Haggadah de Pessah 5. Bien que le texte de la Haggadah ne comporte aucune référence explicite au christianisme ni à la Pâque chrétienne, je proposais d’y trouver une polémique voilée à l’encontre du christianisme. Mon point de départ était historique, et c’est seulement de ce point de vue qu’a pu émerger une nouvelle lecture du texte. Il ne me semblait pas possible que les croyants des deux religions sœurs puissent célébrer, à la même date, deux fêtes analogues, sans que la chose ne provoque une concurrence sévère entre elles. C’est ainsi que surgit un paradoxe méthodologique : il y avait, d’un côté, la réalité historique d’une confrontation continue entre les deux religions ; de l’autre, l’absence, du côté juif, de propositions manifestes à l’encontre du christianisme 6. La solution s’est trouvée en supposant que la polémique juive avait été menée de façon implicite au moyen d’allusions textuelles et de rites alternatifs dont l’intention était dissimulée. L’historien de la polémique devint une sorte de psychanalyste ou d’anthropologue qui propose des explications qui ne sont pas nécessairement évidentes pour les lecteurs des textes ni pour les participants aux rites 7. L’approche qui consiste à dévoiler une polémique dissimulée dans des textes qui ne s’annoncent pas explicitement comme tels, contient un paradoxe supplémentaire. Il y a des cas où se révèle la tendance à nier l’autre côté, alors que de nombreux autres cas manifestent la tendance inverse qui consiste à adopter et à judaïser des idées chrétiennes 8. Ce paradoxe ne doit pas nous étonner. En effet, des contacts culturels provoquent tout à la fois 5.  I.  J. Yuval , « La croisée des chemins : La Hagadah de la Pāque juive et les Pques chrétiennes », dans M. Abitbol – F. Heymann (éd.), L’historiographie israélienne aujourd ’hui, Paris, 1998, p. 47-78 ; I.  J. Yuval , « Deux peuples en ton sein ». Juifs et Chrétiens au Moyen Âge, Paris, 2012, chapitre 2. 6.  Les deux représentants de l’approche « minimale » sont : A. Goshen-Gottstein, «  Polemomania : Methodological Reflections on the Study of the JudeoChristian Controversy between the Talmudic Sages and Origen over the Interpretation of the Song of Songs », dans Jewish Studies 42 (2003-2004), p. 119-190 ; A. Schremer , Brothers Estranged : Heresy, Christianity, and Jewish identity in Late Antiquity, Oxford, 2010. Voir ma réponse : « Christianity in the Talmud : Parallelomania or Palallelophobia ? », dans Transforming Relations. Essays on Jews and Christians Throughout History in Honor of Michael A. Signer, Notre Dame, 2010, p. 50-74. 7.  Une approche similaire, bien que dans divers contextes littéraires, a déjà été proposée par L. Strauss , Persecution and the Art of Writing, Chicago, 1988. 8.  Les historiens de l’art et de la littérature populaire (notamment Joseph Gutmann et Moritz Güdemann) ont précédé les historiens en identifiant les éléments chrétiens dans la culture juive du Moyen Âge. Sur la tendance de la répression de l’influence chrétienne parmi les historiens de la génération précédente voir mon article « Yizhak Baer and the Search for Authentic Judaism », dans David N. Myers – David B. Ruderman (éd.), The Jewish Past Revisited. Reflections on Modern Jewish Historians, New Haven-Londres, 1998, p. 77-87. Parmi les études novatrices des historiens du Moyen Âge il faut noter : I. Marcus , Rituals of Childhood : Jewish accul-

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refus et assimilation. Je me propose de revenir sur le lien entre Pessah et la Pâque chrétienne, en me concentrant, cette fois-ci, sur un rite particulier : l’Afikoman. À partir de ce cas particulier, je veux montrer que la tendance à repousser et à refuser des idées et des rites chrétiens est beaucoup plus répandue dans la littérature juive de l’Antiquité. En revanche, plus on avance dans le Moyen Âge – et encore plus lorsqu’on entre dans l’espace franco-ashkénaze, plus la tendance à l’adoption d’idées chrétiennes augmente. Mon exposé comporte deux parties. Je commencerai par une présentation historique rapide de l’Afikoman, telle qu’elle est décrite par la littérature halakhique et d’un point de vue interne au judaïsme. Ensuite, je l’examinerai en le comparant à des textes et coutumes chrétiens parallèles. Ce faisant, se révélera le fossé entre une interprétation se basant uniquement sur les affirmations explicites du débat halakhique, et une interprétation fondée aussi sur l’observation de deux phénomènes parallèles, existant l’un à côté de l’autre, sans conscience explicite ni attestée de ce parallélisme. Telle est la différence entre les explications que donnent les créateurs du rite et les participants, et les explications données par celui qui observe le rite de l’extérieur. Qu’est-ce que l’Afikoman ? Il accompagne la nuit du Seder du début jusqu’à la fin. Au début de la soirée, trois matsot sont disposées sur la table. La première est consommée au début du repas, afin d’accomplir la mitsva (le commandement) de manger de la matsa en mémoire du départ précipité d’Égypte. La deuxième matsa sert à la consommation du « Korekh » (sandwich). Il s’agit de faire mémoire de l’usage datant de la période du Second Temple et attribué à Hillel, qui enveloppait un morceau d’agneau pascal avec de la matsa et des herbes amères pour les manger ensemble. Entre ces deux matsot, se trouve une troisième matsa. Au début du seder, le chef de famille la prend et la brise en deux. Il laisse un morceau entre les deux autres matsot et il enveloppe le second dans un linge et le dépose dans un endroit caché. De là vient que ce rite est appelé « Tsafoun » : caché, mis au secret. C’est ce morceau de matsa qui est appelé « Afikoman ». La coutume veut que pendant le seder, les enfants essaient de découvrir la cachette où il a été déposé pour le « voler ». À la fin du repas du seder l’Afikoman est ramené sur la table et il est mangé avant la « birkat haMazon », l’action de grâces après le repas. Si les enfants ont réussi à « voler » l’Afikoman, ils demanderont un cadeau en échange de sa restitution. Au moment de le consommer, les participants disent : « ceci en mémoire du sacrifice pascal qui est mangé lorsqu’on est rassasié ». Une

turation in Medieval Europe. New Haven, 1996 et A. Green, « Shekhina, the Virgin Mary and the Song of Songs », dans AJS Review 26 (2002), p. 1-52.

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fois l’Afikoman est consommé, il est interdit de manger quoi que ce soit d’autre de toute la nuit 9. Pour comprendre la portée symbolique de l’Afikoman, il nous faut réaliser le but principal du seder centré sur le récit de la sortie d’Égypte. Le récit et les rites qui l’accompagnent n’ont pas vocation à nous enseigner l’histoire ni à développer en nous une conscience historique. Ils visent à donner une signification typologique à la sortie d’Égypte, en tant que modèle du salut à venir. Les rites du Seder comportent des gestes mis en scène pour manifester le passage du passé – la libération d’Égypte au début du Seder – à l’espérance en la redemption messianique à venir, à la fin du Seder. Celle-ci atteint son apogée au moment où l’on boit le troisième verre. On récite alors les versets « ‫ » ךתמח ךופש‬: « Déverse ta colère » (Ps 79, 6-7) qui décrivent le châtiment à venir des Nations. Et l’on ouvre la porte de la maison pour exprimer l’espérance en la venue du prophète Élie, celui qui annonce la venue du Messie. Il était même convenu, autrefois, que le chef de famille se déguise en Élie et mette en scène son apparition 10. L’Afikoman, qui avait été caché tout le temps du Seder et réapparaît à la fin, symbolise le Messie, qui d’après la Aggada juive, est né le jour de la destruction du Temple et attend caché jusqu’à sa révélation à venir 11. La nuit se termine par la récitation de Piyyutim, gorgés d’espérance messianique. Le rôle de l’Afikoman en tant que symbole messianique est né au Moyen Âge, et il nous accompagne jusqu’à aujourd’hui. Il est totalement différent du rôle que lui attribuait la littérature talmudique. La Michna affirme : « on ne finit pas par l’Afikoman après Pessach (= l’agneau pascal) » qui a été interprété comme « on ne mange pas l’Afikoman à la fin du repas » 12 , alors que depuis le Moyen Âge il est obligatoire de terminer le repas en consommant l’Afikoman. Comment est-ce arrivé que ce qui était interdit à la consommation soit devenu obligatoire ? Néanmoins, il nous faut d’abord préciser la nature de cet Afikoman ancien, interdit à la consommation. Rav, le disciple de R. Yehuda Hanasi et l’un des premiers Amoraïm (les savants du Talmud), pensait que le mot « Afikoman » était araméen et venait de « Afiku », « faire sortir ». 9.  Sur l’histoire de l’afikoman voir M. M. K asher , Hagadah Shlema, Jerusalem, 1955 ; D. Goldschmidt, The Passover Haggadah : Its sources and History. Jerusalem, 1960 ; B. M. Bokser , The Origins of the Seder : The Passover Rite and Early Rabbinic Judaism, Berkeley, 1984 ; Y. Tabory, The Passover Ritual Throughout the Generations, Tel Aviv, 1996 ; D. Henshke , “Mah Nishtanah”. The Passover Night in the Sages’ Discourse, Jerusalem, 2016. 10.  J. Hahn Nördlinger , Yosif Omeẓ, Frankfurt, 1928, paragraphe 788, p. 172 ; J. (Juspa) Schammes , Wormser Minhagbuch, ed. B. S. Hamburger – E. Zimmer , Jerusalem, 1988, I, p. 87. 11. TP Berakhot 2, 4 ; Lamentations Rabbah 1, 16. 12.  Michnah Pessahim 10 :8.

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Selon lui, les mots de la Michna “on ne finit pas par l’Afikoman” interdisait de sortir de la maison et de passer d’un groupe à l’autre de célébrants. D’autres Amoraïm, au iiie siècle de notre ère, ont supposé que l’interdiction portait sur le fait de « faire sortir » à la fin du repas des douceurs ou des fruits de qualité pour dessert. Le Talmud de Jérusalem présente une troisième explication : l’Afikoman serait « ‫ » מיני זמר‬des sortes de chants, autrement dit il était interdit de chanter après le repas. Le point commun aux trois interprétations tient à l’interdiction de continuer la célébration après la consommation du sacrifice pascal 13. Apparemment, l’interdiction de manger l’Afikoman remonte à la période du Second Temple, lorsqu’on y sacrifiait l’agneau pascal. Pourtant il se peut que le terme « Pessah » (sacrifice pascal) inclue aussi l’usage ultérieur de consommer de l’agneau grillé en mémoire du sacrifice pascal, coutume dont nous avons des attestations aux premiers siècles de notre ère 14 . Au début de l’époque des Amoraïms, cet usage de manger de l’agneau grillé a été supprimé. En conséquence, le Talmud affirme que le repas doit se terminer par la matsa 15. On ne sait rien de la caractéristique de la matsa consommée à la fin du repas, jusqu’au xi e siècle 16. Rachi, disciple de Rabbi Yaaqov ben Yaqar de Worms, et son petit-fils, Rabbi Shmuel ben Méïr, sont les premiers à expliquer que cette matsa est « en mémoire de la matsa qui est mangée avec l’agneau pascal » selon Rachi ou « en mémoire de la matsa consommée avec l’agneau pascal en sandwich » selon Rabbi Shmuel ben Méïr 17. Ils veulent parler du « Korekh », attribué à Hillel, tel qu’il en est question dans la Haggadah de Pessah : « en mémoire du Temple d’après la coutume d’Hillel, car, à l’époque du Temple, Hillel faisait un sandwich avec un morceau d’agneau pascal, de matsa et de maror (herbes amères) et les mangeait ensemble ». Rachi signale aussi que « c’est la matsa que nous mangeons en dernier (c’est-à-dire, à la fin du repas), en raison du commandement de manger de la matsa ». Ceci est contraire à notre coutume de manger la matsa de Korekh à la fin de la Haggadah et avant le repas. À leur suite, R. Judah ben Yakar, l’un des sages français du début du xiii e siècle, déclare que la matsa consommée au début du repas n’était pas destinée à accomplir la mitsva de manger de la matsah, mais plutôt à satisfaire la faim des célébrants. Matza mangé à la fin du repas a une double fonction : accomplir la mitsva de manger matza et servir de substitut au sacrifice de la Pâque. C’est pourquoi elle est mangée à la fin du repas, 13.  Tossefta Pessahim X, 8 ; TB Pessahim 119b-120a ; TB Pessahim 71a. 14. TB Pessahim 74a. 15. TB Pessahim 119b-120a. 16.  I. M. Ta-Shma, « The Third Mazzah of the Seder and Its Function », dans Early Franco-German Ritual and Custom, Jerusalem, 1992, p. 260-270. 17.  Leurs commentaires sur TB Pessahim 119b.

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car selon le Talmud (TB Pessa’him 65a) le sacrifice de la Pâque doit être mangé “sur la satiété” (= sur le ventre plein) 18. Rachi est aussi le premier à utiliser le mot « Afikoman » pour désigner la matsa consommée à la fin du repas. Un de ses disciples raconte de lui : « une fois, Rabbi a oublié de manger la matsa de l’Afikoman » 19. Si Rachi a oublié, cela signifie que la reconnaissance de l’importance de l’Afikoman était encore mal établie. Mon hypothèse est que l’Afikoman est apparu comme coutume populaire qui a imposé d’ajouter une troisième matsa à la table du seder et de créer une distinction claire entre les trois fonctions différentes de la matsa : l’accomplissement du commandement de manger de la matsa ; la consommation du Korekh ; et enfin, (fonction nouvelle), faire mémoire du sacrifice pascal. C’est ainsi que l’Afikoman, qui avait été interdit à la consommation par la Michna, est devenu, au Moyen Âge, obligatoire à consommer à la fin du Seder, et il était interdit de manger quoi que ce soit ensuite. Tous les témoignages sur la transformation de l’Afikoman en matsa que l’on mange à la fin du repas en mémoire du sacrifice pascal viennent de Rachi et de son cercle – de son maître, de son petit-fils Rachbam et de son disciple, Rabbi Simha ben Shmuel, l’éditeur du “Mahzor de Vitry” 20. Rachi luimême attribue la signification des trois matzos à Rabbi Ya’akov ben Yakar de Worms, qui l’a dit au nom de son père. La nouvelle coutume est passée de France en Allemagne, comme l’atteste Rabbi Eliezer ben Nathan de Mayence, dans la première moitié du xii e siècle. Il est le premier à avoir consacré une discussion complète à la question : pourquoi prépare-t-on trois matsot au début du Seder ? Et voici ce qu’il en dit 21 : « Pourquoi singularise-t-on les matsot, en les nommant, première, deuxième et troisième ? Parce que chaque matsa correspond à l’accomplissement d’un commandement (particulier). La première sert à faire mémoire de l’agneau pascal ; elle est donc partagée en deux, et l’une des moitiés est l’Afikoman, destinée à la commémoration de l’agneau pascal que l’on mangeait lorsqu’on était rassasié. En ce qui concerne la deuxième, (nous faisons la bénédiction) « (Béni sois-Tu, Seigneur notre Dieu qui nous a ordonné) de manger de la matsa », car c’est un commandement, comme il est dit « au soir vous mangerez des matsot » (Ex 12, 18). Et la troisième sert à faire mémoire de Hillel qui enveloppait un morceau d’agneau pascal, avec de la matsa et des herbes amères (pour les manger ensemble), ici aussi on fait un « Korekh » de matsa et d’herbes amères… donc on a la coutume de prendre trois matsot, correspondant aux trois mitswot (commandements) ». 18.  Son commentaire « Ma’ayan Ganim » cité par Torat Chayim – Commentaire sur la Haggadah, Ed. Mordechai Leib Katzenellenbogen, Jerusalem, 1998, p. 18-19. 19.  Responsa Rachi, ed. Israel E lfenbein, New York, 1942, Paragraph 304. 20.  S. Hurwitz , Mahzor Vitry, Jerusalem, 1963, p. 271. 21.  E. b. Nathan, Sefer Ra’avan, Șimleu, 1927, paragraph 41, fol.  30b.

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De ses propos, il découle que chacune des trois matsot est destinée à accomplir un commandement précis et défini. La première matsa sert à accomplir le commandement de la Tora, à savoir manger de la matsa (tous les jours de la fête de) Pessah. La deuxième matsa sert à commémorer la coutume du Korekh attribuée à Hillel. La troisème matsa (la nouvelle), à savoir l’Afikoman, est devenue un substitut à l’agneau pascal, imposée comme une nouvelle mitsva (un nouveau commandement). Rabbi Eliezer ben Nathan ne connaît pas encore (ou ne rappelle pas) la coutume de la déposer dans une cachette. Voilà pour ce qu’il en est du processus halakhique. Les détails de la halakha se caractérisent par une cohérence interne en réaction à la disparition du Temple. Le discours halakhique dévoile la signification messianique du rite – rompre la matsa au début du Seder, en cacher la moitié appelée Afikoman, et la manger en mémoire de l’agneau pascal à la fin du repas. Il n’est fait aucune mention d’une confrontation avec le christianisme. Pourtant, il y a un narratif supplémentaire concernant l’Afikoman. Certains chercheurs sont d’avis que le mot « Afikoman », tel qu’il apparaît dans la Michna ne viendrait pas de l’araméen mais du grec epikomion, dans le sens de « festivités » (voire de « débauche »). Sigfried Stein pensait qu’il était question de ces beuveries dont on avait l’habitude après les banquets grecs, et ce, bien que la Michna date de plusieurs siècles après « Le banquet » de Platon et la pratique du symposion 22 . Pour David Daube, il s’agirait d’autre chose. Il pensait que le mot « Afikoman » venait de aphikomenos, un terme qui apparaît trois fois dans l’Homélie de Pâques de l’évêque Méliton de Sardes 23. Cela signifie : « Celui qui vient », et chez Méliton il désigne l’incarnation de Jésus. Il se peut que Méliton, qui a visité la terre d’Israël au cours de la seconde moitié du ii e siècle, ait eu connaissance de l’Afikoman juif, interdit à la consommation, et aurait interprété ce nom comme une allusion à Jésus. C’est d’autant plus probable que Méliton célébrait la Pâque chrétienne le 14 Nissan, selon la coutume des chrétiens orientaux quartodécimans pendant les premiers siècles de l’ère commune. Ils avaient l’habitude de jeûner le 14 Nissan jusqu’à minuit, pendant le temps où Jésus, crucifié, était descendu au Shéol. Au même moment – douloureux pour les chrétiens – les Juifs célébraient le Seder 24 . À minuit, les Juifs terminaient leur célébration, et alors les chrétiens commençaient à 22.  S. Stein, « The Influence of Symposia Literature on the Literary Form of the Pesah Haggadah », dans Journal of Jewish Studies 8 (1957), p. 13-44. 23.  D. Daube , He That Cometh, Londres, 1966. Voir aussi : D. Bleicher Carmichael , « David Daube on the Eucharist and the Passover Seder », dans Journal for the Study of the New Testament 42 (1991), p. 45-67. L’homélie de Méliton : S. G. Hal , Melito of Sardis. On Pascha and Fragments, Oxford, 1979. 24. G. Rouwhorst, Les hymnes Pascales d ’Ephrem de Nisibe, I, Leyde, 1989, p. 128-205.

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se réjouir en fêtant la résurrection. De là, un contraste frappant entre ceux qui célébraient, et ceux qui étaient en deuil. En fonction de cel, il est possible de comprendre les choses en sens inverse. Ce ne serait pas Méliton qui aurait fait passer le mot « Afikoman » de la Michna dans le langage chrétien, mais le contraire : la Michna (si elle) connaissait la célébration de la Pâque chrétienne selon la coutume des Quartodécimans aurait interdit aux participants au Seder de participer à la célébration chrétienne qui commençait juste après la fin du Seder. De fait, deux des trois explications données par le Talmud à cet interdit –– l’interdiction d’aller d’un groupe à un autre et l’interdiction de terminer la célébration par des chants – vont de pair avec la possibilité que le « subtext » de ces interdits aurait été la volonté d’empêcher de passer de la célébration juive à la célébration chrétienne, et ce le soir où les deux communautés célébraient Pâque, l’une jusqu’à minuit et l’autre à partir de minuit jusqu’au matin. Cette interprétation de l’interdiction par la Michna de consommer l’Afikoman éclaire le paragraphe de la Haggadah parlant des “Quatre fils”, et où est présentée la question du fils sage : “Quels sont les témoignages, les lois et les décrets que le Seigneur notre Dieu vous a ordonnés ?” La réponse qui lui est donnée est : « Tu lui expliqueras les normes du sacrifice pascal : on ne termine pas par l’Afikoman après l’agneau pascal ». Pourquoi choisir cette halakha spécifique parmi toutes les halakhot de Pessah, sur lesquelles s’interroge le fils sage ? Je propose de voir dans cet interdit la réponse destinée à tenir le fils sage à l’écart des chrétiens. Dans mon livre, Deux peuples en ton sein, j’avais déjà supposé que le fils « méchant » de la Haggadah, celui qui refuse les commandements de la Tora et demande : « que signifie pour vous ce rite ? », serait un chrétien ou un Juif chrétien 25. Dans cet esprit, on peut affirmer que la réponse au fils sage a pour but de l’éloigner aussi des coutumes chrétiennes, ceci en raison du besoin pressant pour les Juifs de se séparer d’eux. Cette lutte ne se déroulait pas seulement à l’extérieur, mais tout d’abord à l’intérieur même de la famille. De là découle la centralité de l’éducation des enfants pendant la nuit du Seder, à cette date partagée par les deux communautés, et grosse de danger en raison de la concurrence entre le judaïsme et le christianisme aux premiers siècles de notre ère. En fonction de cela, l’interdit de manger l’Afikoman, prescrit par la Michna et le Talmud, a pour but d’éloigner et de séparer les Juifs des chrétiens. Une tendance différente se fait jour au Moyen Âge en France et en Allemagne. En identifiant la matsa de l’Afikoman avec l’agneau pascal, celle-ci devenait d’autant plus analogue à l’hostie des chrétiens, elle aussi faite de pain azyme, et au rôle qui est le sien dans la Dernière Cène et à la 25.  I.  J. Yuval , « Deux peuples en ton sein ». Juifs et Chrétiens au Moyen Âge, Paris, 2012, p. 107-108.

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messe. Il faut rappeler que dans la Tora, la consommation du sacrifice pascal et celle de la matsa sont deux commandements différents. Jésus est le premier à avoir identifié les deux commandements. Jésus rompit le pain et déclare : « Ceci est mon corps, livré pour vous. Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19). D’après Paul, il dit : « Prenez et mangez. Ceci est mon corps rompu pour vous. Faites ceci en mémoire de moi » (I Co 11, 24). L’hostie représente Jésus qui va à la croix, Agnus Dei, l’agneau du sacrifice pascal. Notez que Rabbi Éliézer ben Nathan emploie une expression semblable lorsqu’il écrit que l’Afikoman est « en mémoire du sacrifice pascal ». La similitude quant au fond explique aussi la ressemblance entre les deux rites. Comme Jésus, le président du Seder rompt la matsa et lui donne une fonction de représentation double – celle du Messie et celle du sacrifice pascal. Dans la liturgie romaine, il n’y a pas de consécration de l’hostie le Vendredi Saint, jour de la Crucifixion. En revanche, on consacre une quantité double d’hosties le Jeudi Saint, et on en conserve la moitié pour la célébration du Vendredi Saint 26. La “conservation” des hosties du jour au lendemain s’accompagne d’un rite spécial de dépôt des hosties « sous bonne garde ». Un texte liturgique du xi e-xii e siècle le décrit ainsi : reserventur tamen oblatae integrae de Corpore Domini et cette réserve est déposée en un lieu appelé secretarium 27. Le Vendredi Saint, jour de la crucifixion, a lieu une cérémonie à l’imitation du « dépôt sous bonne garde » du Jeudi Saint. Ce rite s’appelle depositio, au cours duquel on enveloppe l’hostie qui représente le corps crucifié du Messie – Corpus Christi – enveloppé dans le sudarium, le suaire, et on la dépose dans un sepulchrum. Au cours de la messe du dimanche, celui de la résurrection de Jésus, on sort l’hostie du sepulchrum et on l’amène à l’autel dans un rite appelé elevatio. La ressemblance entre la “reservation” de l’hostie et le concept juif parallèle de la “matsa shmura” – matsa préservée, sous bonne garde – saute aux yeux, de même que la ressemblance entre le dépôt de l’Afikoman dans une cachette au début du Seder lors du rite du Tsafoun, et la depositio de l’hostie au secretarium le jeudi Saint et dans le sepulchrum, le lendemain. Et aussi le fait de ramener l’hostie sur l’autel, le dimanche, pour signifier la résurrection de Jésus, rappelle le fait de replacer l’Afikoman sur la table et sa consommation à la fin du repas comme l’expression de l’espérance en la venue du Messie qui signe la fin du Seder. Le témoignage le plus ancien du rite de depositio et elevatio date de 973 et apparaît dans un écrit sur la vie de Saint Udalricus, évêque d’Augs-

26.  I.  J. Yuval , « Deux peuples en ton sein ». Juifs et Chrétiens au Moyen Âge, Paris, 2012, p. 314-324. 27. K. Young, The Dramatic Associations of the Easter Sepulchre, Madison, 1920, p. 11 (citation de l’Ordo Romanus X).

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bourg 28. Quelques dizaines d’années seulement séparent la première apparition du rite chrétien de la mise en œuvre du rite parallèle dans la célébration juive, et quelques centaines de kilomètres seulement séparent Augsbourg de Worms, la ville de Rabbi Yaaqov ben Yaqar où Rachi a étudié. Cela fait l’effet, qu’un usage populaire juif est ce qui a imposé l’insertion dans le Seder d’un rite parallèle et analogue à ceux de la Pâque chrétienne, avec le commandement central de manger la matsa sainte, représentant à la fois le sacrifice pascal et le Messie. Il se peut que le fait de placer cette matsa au milieu, entre les deux autres matsot, a quelque chose à voir avec la crucifixion de Jésus entre deux autres crucifiés. La ressemblance entre les célébrations ne s’arrête pas là. Au Moyen Âge, ont été créées des représentations théâtrales pour le temps pascal, et qui évoquaient la Passion – la crucifixion et la résurrection de Jésus. L’une d’elles existe encore aujourd’hui, en Allemagne, et elle est donnée une fois tous les dix ans, à Oberammergau, en Bavière. Ces représentations publiques avaient lieu au centre de la ville 29. Les Juifs, quant à eux, ne disposaient que de l’espace privé et familial pour la « représentation » de la nuit du Seder. Le caractère théâtral de la nuit du Seder peut expliquer la coutume juive instaurée en Allemagne (Ashkénaze), au xvi e siècle et qui consistait à encourager les enfants à « voler » l’Afikoman 30. Cette pratique est habituellement expliquée comme ayant eu pour but de tenir les enfants éveillés jusqu’à la fin du Seder. Je propose une interprétation supplémentaire. D’après le Nouveau Testament, Jésus est mort juste avant l’entrée du shabbat, et il n’y avait pas de temps pour l’enterrer. Son corps a été déposé temporairement dans une grotte et les Juifs ont demandé d’en sceller l’entrée « de peur que ses disciples ne viennent pendant la nuit le dérober » (Mt 27, 64) et qu’ils ne prétendent ensuite qu’il serait ressuscité. De fait, dans Toldot Yeshu, une version juive de l’Évangile, on raconte que Judas Iscarioth aurait volé la dépouille de Jésus et l’aurait enterrée dans son jardin, en sorte d’être en mesure de récuser l’affirmation, par les croyants en Jésus, qu’il serait ressuscité 31. Les enfants qui volent l’Afikoman participent à la représentation juive qui est une sorte de réponse à la version chrétienne de la Passion. Mais pourquoi les enfants en particulier ? Peutêtre pour atténuer l’impression négative que cette façon de tourner en ridicule (leur croyance) aurait pu susciter chez les chrétiens. 28. K. Young, The Dramatic Associations of the Easter Sepulchre, Madison, 1920, p. 17. 29.  K. Young, The Drama of the Medieval Church, I, Oxford, 1933, p. 112-148 ; M. Rubin, Corpus Christi. The Eucharist in Late Medieval Church, Cambridge, 1991, p. 294-97. 30. Ya’ir Bacherach, rabbin à Worms en xvii e siècle, dans son livre Mekor Hayaim, Ed. Eliyahu Dov Pines, Jerusalem, 1982, ainsi que J. Reicher , rabbin à Metz, dans Hok Le Ya’akov, paragraph 472.2. 31.  S. K raus , Das Leben Jesu nach jüdischen Quellen, Hildesheim, 1994, p. 129.

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J’ai présenté deux processus parallèles : l’un a trait au narratif halakhique regardant l’Afikoman, l’autre en expose le narratif symbolique inter-religieux. Est-ce que le premier est redondant par rapport au second ? Bien sûr que non. Le langage des rites recèle nécessairement des significations nombreuses que l’anthropologue Victor Turner avait surnommé « la forêt des symboles » 32 . L’historien, comme l’anthropologue, cherche à trouver en eux les strates cachées les plus anciennes, et même de celles qui n’apparaissent pas toujours clairement aux yeux de ceux qui prennent part à ces rites, ni alors, ni bien sûr aujourd’hui. L’histoire de l’Afikoman, en ses deux étapes, celle de l’Antiquité et celle du Moyen Âge, représente un processus étendu qui renseigne sur deux tendances de la polémique juive à l’encontre du christianisme. Vers la fin de l’Antiquité, la tendance dominante est à repousser et éloigner le narratif chrétien, tandis qu’au Moyen Âge, en particulier dans le monde français/ ashkénaze, se renforce la tendance à l’« assimiler » pour le « judaïser ». L’histoire de l’Afikoman n’est qu’un exemple d’un phénomène beaucoup plus large. B i bl iogr a ph i e Sources Elfenbein (ed.), Responsa Rachi, New York, 1942. S. G. Hal , Melito of Sardis. On Pascha and Fragments, Oxford, 1979. M. M. K asher , Hagadah Shlema, Jerusalem, 1955. D. Henshke , “Mah Nishtanah”. The Passover Night in the Sages’ Discourse, Jerusalem, 2016. E. b. Nathan, Sefer Ra’avan, Șimleu, 1927. G. Rouwhorst, Les hymnes Pascales d’Ephrem de Nisibe, I, Leyde, 1989. Études Y. Bacherach, Mekor Hayaim, Jerusalem, 1982. D. Bleicher Carmichael , « David Daube on the Eucharist and the Passover Seder », dans Journal for the Study of the New Testament 42 (1991), p. 45-67. B. M. Bokser , The Origins of the Seder : The Passover Rite and Early Rabbinic Judaism, Berkeley, 1984.  D. Daube , He That Cometh, Londres, 1966. 32.  V. Turner , The Forest of Symbols. Aspects of Ndembu Ritual, Ithaca, 1967, p. 19-47.

LA MATSA DE PESSACH

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P RESBYTERON K REITTON ? The Re-evaluation of Tradition by Jewish and Christian Teachers of the Thirteenth and Fourteenth Centuries Markus Vinzent Université d ’Erfurt et King’s College, Londres

Résumé Depuis très longtemps – ce qui est plus ancien est meilleur –, presbyteron kreitton synthétise la compréhension populaire de la tradition et de l’autorité, que ce soit en latin, en arabe, en hébreu, en grec ou encore en chinois ou dans d’autres langues asiatiques. Et pourtant, au xi e au xiv e siècle, quelques penseurs ont osé penser le contraire, tant en Orient qu’en Occident: que ce soit Chu XI en Chine, Asher ben Yechiel, Maître Eckhart… Cette communication étudiera comment, presbyteron kreitton a été repensé, en particulier dans les milieux universitaires d’Erfurt, en précisant, non seulement quelles en ont été les implications extérieures, mais aussi en dégageant ce qui rapproche ces penseurs. Abstract For a very long time, presbyteron kreitton – what is older is better – summarized people’s grasp of tradition and authority, be it in the Latin, Arabic, Hebrew, or Greek speaking traditions, be it in Chinese or in other Asian areas. And yet, some teachers during the eleventh to the fourteenth century in both East and West dared to think the opposite. Be it Chu Xi in China (1130-1200) 1, be it Asher ben Yechiel (1250/1259–1327), be it Meister Eckhart (ca. 1250-1328). This article will discuss how, particularly in the academic circles of the city of Erfurt, presbyteron kreitton was reconceptualised by Jewish and Christian thinkers with wide implications, suggesting that they were in closer relations than previously thought of.

1.  S. Zheng, Zhu Xi and Meister Eckhart : Two Intellectual Profiles (Eckhart : Texts and Studies 3), Leuven, 2016. Judaïsme et christianisme au Moyen Âge, éd. par Marie-Anne Vannier, Turnhout : Brepols, 2019, (Judaïsme ancien et origines du christianisme, 17), p. 93-106 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.117477 © F  H  G

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MARKUS VINZENT

I. M u lt i pl e R e a di ng

of

N a r r at i v e s

When it comes to the question of ambiguities and definiteness, texts seem to be preferable to art works. For example, we can compare Ex. 30:7-8 with the mention of Aaron and a depiction of him in the Jewish manuscript Hébreu 5 BNF Paris, fol. 118r 2 . Hébreu 5 BNF Paris, fol. 118r « 7  Aaron is to burn sweet incense on it morning by morning; when he attends to the lamps he is to burn incense. 8  When Aaron sets up the lamps around sundown he is to burn incense on it; it is to be a regular incense offering before the Lord throughout your generations » 3. Although the depiction of the sacrificing person illustrates the scene of this quote from Ex. 30:7-8, the artist needs to add explicitly in writing the name of the figure, as the micrographic depiction itself seems to have been not explicit enough for the scribe. Nevertheless, we should neither trust this scribe nor our own assumption too quickly. Biblical as well as other texts, just like the mentioned verses from Exodus have been read and understood at several levels for a very long time. It was not only the allegorical reading of them, but also a very literal one that still referenced texts and pictures in multiple ways. Simply take the quoted passage from Exodus. When Aaron is said to have not only sacrificed at the time of dawn, but that his sacrifice was a constant one in front of the Lord that lasted from generation to generation, Aaron is no longer the singular historical figure, but has been advanced to be a transcendant authority. More complex readings have been suggested by readers and interpreters of Scripture in the High Middle Ages in Erfurt, Jews and Christians alike, as I would like to show in what follows. For Eckhart, Aaron is not primarily the brother of Moses, but Aaron stands for the person who according to Heb. 5:4 does not act out of her- or himself, or their own authority, but who follows God’s command 4 . Aaron, therefore, represents for Eckhart one of the typical ‘examples’ (similitudo), of which Scripture is full 5. Eckhart recognises in Aaron not Aaron per se, but an Aaron seen from the perspective of a Dominican of the early fourteenth century. Such actualising reading is, of course, nothing new in the history of hermeneutics, but belongs to the typical repertoire of an 2. The depiction is being discussed by J. Casteigt – D. M ieth – J. Rüpke , « Der Träger der Erfurter Riesenthorarolle: Eine religionsgeschichtliche Hypothese zu einem übersehenen Judaicum », in Zeitschrift für Religion und Geistesgeschichte 68 (2016), p. 97-118 (the image on p. 99). 3.  Trans. NET Bible. 4. Vgl. Eckhart, In Ex. n. 25 (LW II, p. 231,1-2). 5. Vgl. Eckhart, In Gen. II n. 25 (LW I/1, p. 495,6-8).

PRESBYTERON KREITTON ?

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exegete. Already in the Jewish Scriptures, authors were used to deploy the prosopographical method, when, for example, about half of the Psalms are attributed to David. Finally, it became standard practice for Christian authors to read Jewish texts in the light of Christian authorities, when the Scriptures mention Moses, Aaron, David or other people. Such sayings were attributed to the divine Logos, identified with the Jesus of Nazareth 6. How nuanced such prosopographical reading became developed we can see from Eckhart’s teacher, the Dominican master Albert the Great in his Commentary on John, when he introduces John the Baptist and writes about his mission by interpreting his name. To Albert, the following two verses explain John’s name: Is. 49:1 7, and Jer. 1:5 8. The Baptist’s mission he sees as derived from God (a Deo dicitur) according to Gal. 1:11-12 9. To this Albert adds Jer. 1:7 10. There is nothing exceptional with Albert to use prophetic texts and to mix them with Paul’s statement, but it is noteworthy that he uses prophetic statements that have a long christological tradition. They were key authorities for the prophetic pre-announcements that Christians found in their Old Testament. Albert, therefore, must have known that he altered the reference from Christ by referring the passages to John. Similarly explicit is his reading of Galatians. What Paul had said about himself in these verses Albert takes to be said about John, namely that the gospel that he preaches does not derive from a human authority, but is received through an apocalypse by Christ. Now we know from the Gospels that the Baptist preached in the desert, but that he was preaching the gospel is said nowhere in the Christian Scriptures. Albert clearly broadens the interpretation of Scriptures by extending and sharpening the portrayal of the Baptist, in projecting Paul upon John, the Gospelwriter onto John the Baptist. This kind of copying and projecting is supported by the verse from Jeremiah according to which God Himself commanded him to preach – hence we see a second layer of projection placed upon the other Pauline one. This kind of superimposition of different people’s profiles does not make disappear the individual profiles of the Prophets or of Paul, but these are used to blend with that of John and to produce a merger that is both intentional and powerful. 6. Vgl. V. S. Hovhanessian, « A Medieval Armenian Scholion on the Catholic Epistles », in V. S. Hovhanessian (ed.), Exegesis and Hermeneutics in the Churches of the East. Select Papers from the SBL Meeting in San Diego 2007, New York, 2009, p. 121-132; here, p. 131. 7.  « The Lord summoned me from birth ». 8.  « Before I formed you in your mother’s womb I chose you ». 9. « 11 Now I want you to know, brothers and sisters, that the gospel I preached is not of human origin. 12 For I did not receive it or learn it from any human source; instead I received it by a revelation of Jesus Christ ». 10. « 7 The Lord said to me, “Do not say, ‘I am too young.’ But go to whomever I send you and say whatever I tell you” ».

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MARKUS VINZENT

II. M e i s t e r E ck h a rt

on t h e

S t r etch i ng

of t h e

L i t e r a l S e nse

Such interpretative and literary freedom seems to have encouraged Albert’s student Eckhart, to take this method even further, so that he reformulated the idea of the literal sense of Scripture which he had adopted from Albert and Thomas Aquinas, his other teacher. Emphatically Eckhart formulates that « every true sense is the literal sense » of Scriptures 11. With this wide understanding of the literal sense, Eckhart naturally opened the door for any kind of prosopographical blending technique, which pushed him into another extremist position. Because what is even less common than Albert’s technique of superimposition and stretching of the literal sense, is Eckhart’s anthropological turn when interpreting Scriptures. In the vernacular Homily 89 he says: « Moses had composed four books that are of use. Then he produced the fifth. This was the smallest and the best, and it has been called the truth of the entire Scripture. This, God and Moses ordered 12 to put it down into the ark. Augustine, too, produced many books. At last, he also produced a small booklet 13, in which was written everything that one was unable to understand in the others. This he always carried with and close to him, and it was the dearest to him. So it is also with man : God has made him His notebook, to look into it, play with him and have pleasure of him. That is why man commits a gross sin, when he destroys such holy order. As on the day of judgement all creatures must cry ‘halt!’ to the one who does this » 14 .

Meister Eckhart, here, first refers to the size and length of books, and according to him the fifth book of Mose, hence Deuteronomium, is « the smallest and the best ». This indication is, as we know, not an entirely wrong guess, if we compare the length of the book of Deuteronomium to the other books of the Torah, Genesis, Exodus, and Numeri. Deuteronomium is, indeed the smaller book, even if Leviticus is even slightly smaller 11.  Eckhart, Par. Gen. II n. 2 (LW I, p. 449,5-8) : « Cum ergo sit ‘sensus’ etiam ‘ litteralis, quem auctor scripturae intendit, deus autem sit auctor sacrae scripturae’, ut dictum est, omnis sensus qui verus est sensus litteralis est ». 12.  Deut. 31:26. 13. « ein kleinez buochelîn », see Augustinus , Retractationes. 14.  Eckhart, Pr. 89 (DW IV/1, p. 40,17-41,24): « Moyses hâte gemachet vier buoch, diu nütze wâren. Dar nâch mahte er daz vünfte. Daz was daz / minste und daz beste, und hiez ez die wârheit von aller der schrift. Daz gebôt got und Moyses ze legenne in die arche. Sant Augustînus machete ouch vil büecher. Ze leste machete er ouch ein kleinez buochelîn, in dem was geschriben allez, daz man in den andern niht verstân enkunde. Daz hâte er alle zît mit im und bî im und was im daz liebeste. Alsô ist ez zemâle umbe den menschen: den hât got gemachet als ein hantbuoch, dâ er în sihet und dâ er mite spilet und lust ane hât ».

PRESBYTERON KREITTON ?

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– but Leviticus was a book that Eckhart had not on his radar, as has been shown in the Index Biblicus to Eckhart’s Latin and German Works 15. With regards to him qualifying Deuteronomium as the ‘best’ book, he takes this one step further, by praising it, based on Deut. 31:26 as « the truth of the entire Scripture », when it is said in this verse: « Take this scroll of the law and place it beside the ark of the covenant of the Lord your God ». With the added example of Augustine who also had composed a booklet, « in which was written everything that one was unable to understand in the others », a reference to his Retractationes, Eckhart enhances the value of the youngest and smallest opus, by adding that Augustine had « always carried [this booklet] with and close to him, and [that] it was the dearest to him » 16. From here, Eckhart draws the conclusion that this example also illustrates the relation between God’s handwriting, documented in the Bible, and human beings. Not the Scriptures, but human beings are God’s ‘handbook’, the latest, smallest and his best work, the truth of the entire Scriptures, the book that God always carries with him and which gives pleasure to him, more important than Scriptures, the work which he uses to play with. On this basis, we understand, why Eckhart in his commentaries on scriptural books and in his homilie integrates a wide range of stories about and examples of human beings, and why he often uses people and their stories to blend them over the profiles of biblical figures, and also why biblical figures rarely stand for themselves, but as in Albert are combined and blended over with these. This anthropological reading of Scriptures is radicalised in Eckhart by taking the life of people, of actually lived experience in the now as the true, condensed Scriptures and, in reverse, Scriptures as immediate speaking into the now that addresses everybody. III. E ck h a rt, M odi sm

and

J ew i sh I nspi r at ions

Of course, we might be interested to know which inspiration Eckhart had that took him to go beyond Albert and Thomas in his anthropological understanding of Scriptures. And here, as far as I was able to establish, Eckhart was not receiving ideas from Christian sources alone, but may have also been inspired by Jewish ones. Interestingly, this time, these are not the usual suspects that Eckhart uses for his exegetical or metaphysical explanations, like Maimonides, but presumably Rabbinic traditions. 15.  See L. Sturlese – M. Vinzent, Index Eckhardianus: Meister Eckhart und seine Quellen I Die Bibel (Meister Eckhart, Die deutschen und lateinischen Werke. Die lateinischen Werke VI, 1.-6. Lieferung), Stuttgart, 2015. 16.  See M. F. E ller , « The “Retractationes” of Saint Augustine », in Church History 18 (1949), p. 172-183: here, p. 182, pointing out that Augustinus highlights that his later works were more reliable.

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For example, we find that Mose on Mount Sinai was not only given the written Torah, but also the oral Torah (Meg. 19b; Sifra Beḥukotai 8:12). If, therefore, the interpretation of the Torah by later scholars is seen as already given to Mose, then the general principle is laid down that Scriptures is an open book. Even when in the Rabbinic tradition, from what I understand, written and oral Torah have always been differentiated (Avot 1:1; ARN1 1:1; Maim., Yad, Mamrim 1:1-2), and scholars from late antiquity through the Middle Ages distinguished between the commandments that were given to Mose on Mount Sinai (Ex. R. 41:6) and the work of their interpreters, as for example spelled out by Joseph Albo (ca. 1380– 1444) 17, it is astonishing how some rabbis have insisted time and again on the « exclusive authority of the halachic teacher, to reformulate and reform the halacha » 18. Hence despite the importance of the belief into the principle of presbyteron kreitton shared by scholars within a GrecoRoman, Patristic and Jewish environment, already in the Geonic times, in the early and high Middle Ages, Jewish teachers developed the idea, that the interpretation of Scriptures supersedes the interpretations that were developed by older interpretors and scholars. One of the important representatives who insisted on the higher authority of later scholars was a direct contemporary of Eckhart, Asher ben Yechiel (1250/1259–1327) 19. He was presumably born in Cologne and studied with the famous Rabbi Meir von Rothenburg (1215-1293) in Worms. Although Meir was rather conservative, rejected any non-Jewish Philosophy, he nevertheless was a great admiror of Maimonides, and formulated the independence of rabbinic authority with regards the tradition. He notes: « Everything that is not explained by the Talmud and has not been gathered by Rav Ashi and Ravina, can be disputed and reformulated, even if one moves away from the opinions of the Geonim … The opinions of later scholars have higher authority, because they know both the reasonings of the older scholars as

17.  J. A lbo, Ikkarim, 3:23. 18.  So Menachem Elon, « art. Authority, Rabbinical », in Encyclopaedia Judaica, New York, 2008, (online version: https://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/ judaica/ejud_0002_0002_0_01625.html, 24.08.2016) : « A study of the statements of the halakhic scholars reveals that just as they emphasized in unequivocal terms the supra-human and divine nature of the source of halakhah, so too – and with the same degree of emphasis – they insisted upon the human element, the exclusive authority of the halakhic scholars to continue to develop and shape the halakhah ». 19.  He is reckoned to have been the most eminent student of Rabbi Meir ben Baruch von Rothenburg, so B. Barslai, « Meir Ben Baruch von Rothenburg », in H. M erz a.o. (eds), Zur Geschichte der mittelalterlichen jüdischen Gemeinde in Rothenburg ob der Tauber (Schriftenreihe des Reichsstadtmuseums Rothenburg ob der Tauber 2), Rothenburg o.d.T., 1993, p. 249.

PRESBYTERON KREITTON ?

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well as their own, and in making their own judgements, they will have taken into account the older ones » 20. This, of course, is an enormously important, if not explosive principle – based on the reasonable argument of the growth of knowledge in legal affairs. The principle itself of personal responsibility and independence he seems to have learned already from his teacher Rabbi Meir, who deployed this principle not only in the relation between teacher and leader of the community 21, but also with regards to the relation between teacher and student 22 . Meir himself seems to have been informed in this through his studies in Mainz and Paris, where also traces of his influence can be discovered, as they can in another university city, Erfurt, as shown by Joseph Lifshitz only very recently. Lifshitz’ findings are of importance for our reading of Eckhart, as he showed us that key students of Meir were based in Erfurt at the time when Eckhart was prior of the Dominicans there towards the end of the thirteenth century. Meirs’ students in Erfurt were David b. Abraham 23, Baruch b. Yechiel, the Levit R. Asher b. r. Yechiel (ca. 1250-1327) 24 , who is probably to be identified with Meir’s master student HaRosh 25. All of them signed Meir’s Responsum, from which the given quotation about the independence of students with regards to their teachers and tradition has been taken 26. In addition, we find the singer of the synagogue, Samuel, in Erfurt who was connected to Meir, too, and who has left us halachic Piyyutim com-

20. So A. b. Jehiel , Piskei ha-Rosh, Sanhedrin 4:6; Sanhedrin 55:9; see also Piskei ha-Rosh, BM 3:10; 4:21; Shabbat 23:1. 21. « The Tora is free for everybody who can make a sound jugement », so quoted in B. Barslai, « Meir ben Baruch von Rothenburg », in H. M erz a.o. (eds), Zur Geschichte der mittelalterlichen jüdischen Gemeinde in Rothenburg ob der Tauber (Schriftenreihe des Reichsstadtmuseums Rothenburg ob der Tauber 2), Rothenburg o.d.T., 1993, p. 249. 22.  R. Meir , Resp. Maharik, 84; in his Tosafists Responsa n. 62 he writes: « The Torah belongs to no one and is free for anyone to hold up as long as he rules in accordance with halakha », quoted after J. I. Lifshitz , Rabbi Meir of Rothenburg and the Foundation of Jewish Political Thought, New York, 2016, p. 50. 23.  According to L. Zunz , Zur Geschichte und Literatur I, Berlin, 1845, p. 165 he originates from France and wrote about The Existence and Unity of God. 24. See The Talmud of the Land of Israel: A Preliminary Translation and Explanation, Volume: Shebiit, trans. Alan J. Avery-Peck , Chicago and London, 1991, p. 429, according to which A. b. Yehiel wrote commentaries on the Babylonian Talmud. 25. See G. S. L abovitz , Marriage and Metaphor: Constructions of Gender in Rabbinic Literature, Lanham u.a., 2009, p. 92, n. 27 and the reference to his work, the Tosafot ha-Rosh. 26.  See J. I. Lifshitz , Rabbi Meir of Rothenburg and the Foundation of Jewish Political Thought, New York, 2016, p. 96.

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mentaries 27. From this we can draw the conclusion that in the times of Eckhart as prior of the Dominicans at Erfurt, a number of key Jewish thinkers of Erfurt followed the ideas developed in Cologne and Worms and that these thinkers had formed at Erfurt a major center for progressive hermeneutics with regards the interpretation of Scriptures and the critical stance towards tradition, in which a marked difference to older hermeneutical principles had been developed. Hence, Eckhart has not only walked further on the way that Albert and Thomas had paved, but he also stepped into the shoes of teachers of his immediate Jewish environment that blossomed in and around the Jewish Jeshiwa of Erfurt. Even though we have only few indications about the mutual relation of Jewish and Christian intellectuals of the time, and can mostly only guess about the inter-religious discourse amongst the scholars of this city, their shared use of the same manuscript binders and workshops seems to point to more direct connections than we hitherto thought. One example of sharing not only the same workshop, but also for the exchange of ideas between Latin and Hebrew writing scholars, is a Hebrew fragment that has been used for the binding of an early fourteenth century codex, comprising the works of the Modists Petrus de Dacia and Thomas of Erfurt. Though the fragment has already been discovered by specialists of Hebrew writings in medieval manuscripts, its nature of being a witness for the proximity of Jewish and Christian teachers at Erfurt has not 28. Though many Hebrew fragments in Christian codices and libraries derive from Jewish works that had been misused after libraries were pillored during anti-Jewish pogroms, this extraordinary fragment from the Midrasch Bereshit Rabba (Parasha 1,15-2,3, ed. Theodor/Albeck, 13-15) 29 dates from before the first pogrom of 1349 at Erfurt and its content relates directly with the work which is contained in the codex, as will be seen here.

27. E. Hollender , Piyyut Commentary in Medieval Ashkenaz, Berlin, 2008, p. 53. 28.  See on this fragment the preliminary assessment by A. L ehnardt, « “Chartulae Hebraicae” : Mittelalterliche jüdische Handschriftenfragmente in Erfurter Bibliotheken », in Erfurter Schriften zur jüdischen Geschichte III, Jena, 2015, p. 157159. 29.  Erfurt, Amploniana, CA 4 o 281, the text has been transcribed and translated into German by A. L ehnardt, « “Chartulae Hebraicae” : Mittelalterliche jüdische Handschriftenfragmente in Erfurter Bibliotheken », in Erfurter Schriften zur jüdischen Geschichte III, Jena, 2015, p. 164-165.

PRESBYTERON KREITTON ?

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Erfurt, Universitäts und Forschungsbibliothek, Amploniana, CA 4o 281

The Midrasch text discusses the verse Gen. 2:4 30 and reports the question of Rabbi El‘azar bar Shim‘on: « If Rabbi Abba were right in his opinion, why then in some places “earth” is placed in front of “heaven” and in others “heaven” in front of “earth”? » The question of word-order in a grammatical system and the interpretative perspectivity related to it was paramount not only for Jewish grammarians and interpreters, but also for the Christian Modists of the time. For them grammar was a reflection of ontology, hence a key for getting an inside into what the principles of this world were, and also for unlocking the meaning of Scriptures. One of the prominent centres for Modist thinking was Erfurt, and the most influential of these Modist philosophers of grammar was Thomas of Erfurt. Some of his works – not that of Thomas Aquinas, as has been thought 31 – are contained in this codex that also preserves the Hebrew fragment. Thomas of Erfurt was closely related to his contemporary Erfurt fellow Meister Eckhart who himself was deeply informed by Modist ideas, as has already been noted by others and will be shown in more detail in a forthcoming volume 32 . Moreover, the midraschic reference to Rabbi El‘azar bar Shim‘on 30. « 4 This is the account of the heavens and the earth when they were created – when the Lord God made the earth and heavens ». 31. A. L ehnardt, « “Chartulae Hebraicae” : Mittelalterliche jüdische Handschriftenfragmente in Erfurter Bibliotheken », in Erfurter Schriften zur jüdischen Geschichte  III, Jena, 2015, p. 157-159 thought that the codex comprised writings of Thomas Aquinas. 32.  See on this D. M ieth – M. Vinzent – C. M. Wojtulewicz , Thomas of Erfurt and Meister Eckhart (Eckhart: Texts and Studies), Leuven, (forthcoming), with further lit.

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and Rabbi Abba point to a further link between this Jewish fragment and Meister Eckhart, as these Mishnaic Rabbis belonged to the circle of disciples of the famous Rabbi Shim‘on bar Yoḥai. He, Rabbi Abba, « the most senior of the disciples », and Rabbi El‘azar bar Shim‘on are portrayed « on nearly every page’ of the mystical work of the Zohar « as complex figures whose personality and viewpoints are broadly discernable » 33. They therefore share not only the Modist approach to Scriptures, but also their interest in forms of mystical readings of it. Without going into much further details, I would only like to outline a little more Eckhart’s anthropological hermeneutical focus, his critical reading of Scriptures with regards tradition and the blending technique. If Scriptures and tradition are no longer read per se or in light of each other, but predominantly in the light of the time of the interpreter, and figures like Moses, Aaron, John and Paul become translucent screen films for actual interpretations, which are constantly changing and are open to future meanings, then any fixed interpretation and any identification with something being either solely ‘Christian’ or ‘Jewish’ or ‘Islamic’ and alike is anachronistic. IV. A a ron

in

E ck h a rt

How does Eckhart interpret the figure of ‘Aaron’? As July Casteigt has shown, Aaron is only mentioned thrice in Eckhart. Of these passages, two are directly linked and also contribute to our topic here. The first one we find in Eckhart’s Commentary on Exodus: Eckhart, In Exodum n. 24

Translated:

◊24◊ Praemissis alludit quod Damascenus l. I c. 12 ait: « principalius eorum, quae in deo dicuntur nominibus, est esse, quod est », secundum illud: ‘qui est, misit me’ [Ex. 3:14b]. « Totum enim in se ipso comprehendit esse velut quoddam pelagus substantiae infinitum » . Notavi de hoc plenius in Libro quaestionum, ubi agitur de nominibus dei.

◊24◊ What Damascenus said in Book  I, chapter 12 refers to the premisses : « The more fundamental of what is called names in God, is being, because it is », according to that verse : “the one who is, he has sent me” [Ex. 3:14b]. « Because he encompasses in himself all bein like an infinite sea of substance ». I have noted about this more broadly in the Book of Questions where it is dealt with the titles of God.

◊25◊ Sequitur postremo et hoc notandum quod ait: ‘qui est, misit me’. Nemo debet sibi usurpare iudicium, doctrinam et praedicationem, nisi missus a superiori, qui locum tenet dei ‘qui est’,

◊25◊ Finally, it follows, and one has to note it that he said: “the one who is, he has sent me” [Ex. 3:14b]. Nobody is allowed to usurpe the judgement, the teaching and preaching, unless he is sent

33. M. Hellner-E shed, A River Flows from Eden: The Language of Mystical Experience in the Zohar, Stanford, 2009, p. 11-12.

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Hebr. 5: ‘nec quisquam sibi sumit honorem, sed qui vocatur a deo, tamquam Aaron’; Matth. 26: ‘omnes, qui acceperint gladium, gladio peribunt’. Accipiendo enim et usurpando non sibi datum a superiori peccant et peccando pereunt exercendi. Mach. 15: ‘accipe sanctum gladium’; Gen. 37: ‘veni, mittam te’; hic supra: ‘mittam te ad Pharaonem’; Is. 6: ‘ecce, ego mittam te’; et 48: ‘ dominus misit me et spiritus eius’; Ier. 23: ‘non mittebam prophetas, et ipsi currebant’; Rom. 10: ‘quomodo praedicabunt, nisi mittantur?’

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by a superior who holds the place of God “who is” Heb. 5[:4] : “And no one assumes this honor on his own initiative, but only when called to it by God, as in fact Aaron was”; Matth. 26[:52] “For all who take hold of the sword will die by the sword”. The one, namely, who accepts and usurps what has not been given to him by a superior, sins and exercising [power] will be lost in sinning ; [2] Macc. 15[:16] : “Take this holy sword”; Gen. 37[:13] : “Come, and I will send you”; and this before [Ex. 3:10] : “I will send you to Pharao”; Is. 6[:8] : “See, I will send you” and 48[:16] : “The Lord sends me, and his Spirit”; Ier. 23[:21] : “I have not sent prophets, and yet, they were running”; Rom. 10[:15] : “And how will they preach, if they are not sent?”

As so often with Eckhart, he pulls a string of Scriptural references, because he wants to make a particularly idiosyncratic and novel statement, just like here. What is at stake? The entire section, as the opening of our quote underlines, is concerned with the divine transcendentals, or as Eckhart says here, with « God’s names ». On this topic, Eckhart had not only given a series of Parisian Questions, both in his first stay as Master at Paris University in the years 1302/1303, but also in his second stay in 1311/1313. Moreover, as he himself stated in his Latin Homily  II, he had published these Questions with the title « On the attributes [of God] »  3 4 , and, as he says, included these Questions to be part of his famous Opus Tripartitum 35 which unfortunately is either mostly lost, or had not been finished by Eckhart. The part of the Questions on the attributes or names of God, however, he also used when writing a long digression in his Commentary on Exodus, particularly dealing with Ex. 3:14, from which this quote is taken. Fortunately, in the year 2010, I was able to re-discover Eckhart’s four key Questions on which this digression was based in a Vatican Codex – and those questions have now been published in Eckhart’s critical edition 36. So we have now a clearer picture of what he 34. See Eckhart, Sermo  II/1 n. 8 (LW IV, p. 10,5) : « Vide Quaestiones de attributis infra ». 35. See Eckhart, In Sap. n. 125 (LW II 463,7-9) : « Omnis enim motus necessario est ab immobili. Ab immobili quidem est omnis motus, etiam secundum triplex genus causae, sicut notavi in Libro quaestionum de immutabilitate dei ». 36.  See more on this M. Vinzent, « Questions on the attributes (of God): Four Rediscovered Parisian Questions of Eckhart », in Journal of Theological Studies 63

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meant by the reference in our quotation. As God ‘is’, ‘being’ is the ‘most fundamental’ of his attributes. What ‘being’ is, however, Eckhart details further, as he does not want to have the name misunderstood in a purely Neo-Platonic ontological sense. ‘Being’ for Eckhart, as he explains in ◊25◊ is a dynamic being, one that goes beyond itself and acts, hence, the addition in Ex. 3:14b that « he has sent me ». What follows in this note can superficially be understood as a plea for subordination to the superiors or even to tradition. At first sight, it sounds just like Eckhart advocating the opposite of what has been discussed before in this article. A closer look, however, reveals a different message. First, Eckhart warns that « nobody is allowed to usurp judgement, teaching or preaching », hence legal and ethical interpretation, doctrinal debates, and homiletics are nothing that can be done « on his own initiative, but only when called to it by God » – a state of calling which Eckhart sees symbolized by the figure of Aaron. That such calling by a superior « who holds the place of God » is not a reference to an institutional hierarchy, is expressed by God’s name ‘who is’ – because, the one who can be a superior and hold God’s place also has ‘to be’. How dangerous it even is for anybody to usurp the place of God, to judge and to pronounce doctrinal statements or to preach without being what God ‘is’, can be seen by the result of such usurpation: This person will ‘die’ and ‘be lost’ by what he or she is doing, and sins « by exercising [power] ». The only one, who can send, therefore, and be a superior, is God Himself – a statement that Eckhart cements by five scriptural references: The « holy sword » of 2Macc. 15:16, the « I will send you » of Gen. 37:13, Ex. 3:10, Is. 6:8 and « the Lord sends me, and his Spirit » of Is. 48:16. To this Eckhart adds two verses who prove that the contrary is true as well – prophets do exist, despite them not being sent, and people do preach, although they are not sent by God. The entire passage, therefore, endorses Eckhart’s view that only those are entitled to judge, teach and preach who have God’s own mission. To be sent by God, and to send others to work in God’s mission, to hold God’s place and be a superior, presupposes that one shares in God’s name, that one is what God is. Such intimacy and divine being, the carrying of God’s name clarifies that Eckhart makes a statement that is otherwise found in traditions like the Indian Bakhti of his time, in Sufi circles, but also in Jewish mystics, ideas, as indicated above, shared by Erfurt students of R. Meir. To explore such links further, I need to ask for the help of colleagues more knowledgable than me in Jewish studies.

(2012) p. 156-186.

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B i bl iogr a ph i e Sources Meister Eckhart, Die deutschen und lateinischen Werke, hg. im Auftrag der Deutschen Forschungsgemeinschaft (= DW, LW), 11 vol., Stuttgart, 1936 sq. Asher ben. Jehiel , Piskei ha-Rosh. Joseph A lbo, Ikkarim Études J. A lbo, Ikkarim B. Barslai, « Meir Ben Baruch von Rothenburg », in H. M erz a.o. (eds), Zur Geschichte der mittelalterlichen jüdischen Gemeinde in Rothenburg ob der Tauber (Schriftenreihe des Reichsstadtmuseums Rothenburg ob der Tauber 2), Rothenburg o.d.T., 1993, p. 245-252. J. Casteigt – D. Mieth – J. Rüpke , « Der Träger der Erfurter Riesenthorarolle: Eine religionsgeschichtliche Hypothese zu einem übersehenen Judaicum », in Zeitschrift für Religion und Geistesgeschichte 68 (2016), p. 97-118. M. F. E ller , « The “Retractationes” of Saint Augustine », in Church History 18 (1949), p. 172-183. M. Elon, « art. Authority, Rabbinical », in Encyclopaedia Judaica, New York, 2008. V. S. Hovhanessian, « A Medieval Armenian Scholion on the Catholic Epistles », in V. S. Hovhanessian (ed.), Exegesis and Hermeneutics in the Churches of the East. Select Papers from the SBL Meeting in San Diego 2007, New York, 2009, p. 121-132. E. Hollender , Piyyut Commentary in Medieval Ashkenaz, Berlin, 2008. G. S. Labovitz , Marriage and Metaphor: Constructions of Gender in Rabbinic Literature, Lanham u.a., 2009. A. L ehnardt, « “Chartulae Hebraicae” : Mittelalterliche jüdische Handschriftenfragmente in Erfurter Bibliotheken », in Erfurter Schriften zur jüdischen Geschichte III, Jena, 2015. J. I. Lifshitz , Rabbi Meir of Rothenburg and the Foundation of Jewish Political Thought, New York, 2016. D. Mieth – M. Vinzent – C. M. Wojtulewicz , Thomas of Erfurt and Meister Eckhart (Eckhart: Texts and Studies), Leuven, (forthcoming). L. Sturlese – M. Vinzent, Index Eckhardianus: Meister Eckhart und seine Quellen I Die Bibel (Meister Eckhart, Die deutschen und lateinischen Werke. Die lateinischen Werke VI, 1.-6. Lieferung), Stuttgart, 2015.

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The Talmud of the Land of Israel: A Preliminary Translation and Explanation, Volume: Shebiit, trans. Alan J. Avery-Peck, Chicago and London, 1991. M. Vinzent, « Questions on the attributes (of God) : Four Rediscovered Parisian Questions of Eckhart », in Journal of Theological Studies 63 (2012) p. 156-186. S. Zheng, Zhu Xi and Meister Eckhart : Two Intellectual Profiles (Eckhart : Texts and Studies 3), Leuven, 2016. L. Zunz , Zur Geschichte und Literatur I, Berlin, 1845.

M AÎTRE ECKHART ET LE JUDAÏSME Marie-Anne Vannier Université de Lorraine, Institut Universitaire de France, ERMR

Résumé Le rapport d’Eckhart au Judaïsme est étudié depuis peu. Or, il s’avère qu’il fut important et qu’il ne se limita pas au dialogue, par-delà les siècles, avec Maïmonide. Aussi l’envisagerons-nous à partir de trois domaines : l’exégèse, la mystique et l’anthropologie, ce qui nous amènera à déterminer si Eckhart a eu un rôle de pionnier dans le domaine. Abstract The relaionships between Eckhart and Judaism have recently been studied. However, it turns out that they were important and not limited to dialogue, beyond the centuries, with Maimonides. So we will consider them from three areas : exegesis, mysticism and anthropology, which will lead us to determine whether Eckhart was a pioneer for the question.

Le rapport de Maître Eckhart au Judaïsme fait partie du non-dit de son œuvre 1. Au Moyen Âge, en effet, les rapports entre Juifs et chrétiens n’allaient pas toujours de soi, même si à Erfurt où Eckhart a passé un demi-siècle, comme en Espagne à la même époque, il semblait y avoir une bonne entente et beaucoup d’échanges entre la communauté juive et les Dominicains, bien que les documents en rendant compte fassent défaut aujourd’hui. D’autre part, Eckhart était, au xiv e siècle, l’intellectuel de référence, il avait suivi tout le cursus dominicain et avait de hautes responsabilités dans son Ordre, dont il était le numéro Deux, en tant que Vicaire général. On ne penserait pas immédiatement qu’il ait été marqué par le Judaïsme et qu’il ait entamé un dialogue avec les communautés juives des villes où il a séjourné : depuis Erfurt jusqu’à Cologne, en passant par Paris et Strasbourg. Or, il ressort de son œuvre que non seulement il a été influencé par Maïmonide, comme le fut avant lui Thomas d’Aquin 2 et même davantage, 1. É. Zum Brunn, Voici maître Eckhart, Grenoble, 1998, Introduction. 2.  Voir A. Wohlman, Thomas d ’Aquin et Maïmonide. Un dialogue exemplaire, Paris, 1988. Judaïsme et christianisme au Moyen Âge, éd. par Marie-Anne Vannier, Turnhout : Brepols, 2019, (Judaïsme ancien et origines du christianisme, 17), p. 107-118 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.117478 © F  H  G

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mais que, de plus, il a voulu approfondir l’apport du Judaïsme, qu’il a peutêtre appris l’hébreu et qu’il a pris en compte l’apport de l’exégèse juive, en particulier dans le Livre des Paraboles de la Genèse. En d’autres termes, il connaissait le Judaïsme de l’intérieur, il a dû avoir accès aux textes majeurs (tant le Talmud que la Kabbale), il a dialogué avec les intellectuels juifs de son temps et plus largement avec les communautés, même s’il ne le dit pas explicitement, ce qui n’a pas été sans infléchir l’une ou l’autre de ses réflexions. Il a véritablement été l’un des pionniers du dialogue interreligieux, ce qui n’a pas été sans incidence sur son procès, comme on le verra. En revanche, la difficulté pour nous est de savoir comment et jusqu’où il a mené le dialogue, dans la mesure où nous ne disposons pas des documents qui en rendent compte et que de plus, on se situe dans le cadre de la tradition orale. Nous sommes donc renvoyés à des hypothèses. Pour élucider la question, nous envisagerons trois domaines où Eckhart a ouvert le dialogue avec le Judaïsme : celui de la lecture de l’Écriture, le dialogue qu’il a mené avec Maïmonide par delà les siècles et celui qu’il n’a cessé de reprendre avec la mystique juive. I. L e M agi s t e r

in

S acr a Pagi n a ,

e n qu êt e de l’H e br a ic a v e r i tas

Si Eckhart a choisi d’entreprendre le dialogue avec le Judaïsme, c’est en fonction de son statut de Magister in Sacra Pagina. Sans doute le Thuringien ne vit-il plus au temps des Pères de l’Église, où il importait, comme pour Origène par exemple, d’établir le texte biblique. Au Moyen Âge, le Canon des Écritures est défini depuis longtemps, et le texte de la Vulgate est la référence. Cependant, Eckhart qui, dans la Troisième Partie de son Œuvre tripartite, a commenté presque tous les textes bibliques, ne se contente pas du texte dont il disposait, mais il essaie, comme S. Jérôme, de trouver l’hebraica veritas. Pour ce faire, il a recours, comme il le dit dans le Commentaire du Livre de la Sagesse, à « beaucoup de Bibles, parce que cela paraît donner une version littéralement plus vraie au texte » 3. Quelles sont ces Bibles ? 4 Il est possible d’en identifier quelques-unes : La dernière version de la Vulgate, mise à jour à son époque dans le milieu dominicain, appelée Bible de Paris, s’y ajoute la Bible de Sens 5. Il devait également disposer d’un certain nombre d’autres Bibles, existant à son époque, ainsi que de l’ouvrage de Nicolas de Lyre (1333), intitulé : Tractatus de differentia 3.  Maître E ckhart, Commentaire du Livre de la Sagesse, Paris, 2015, p. 152. 4.  M. A. Vannier , « Eckhart et la Bible », dans La Bible dans les littératures du monde, Paris, 2016, p. 709-711. 5.  M. Vinzent – L. Sturlese Index Eckhardianus. Meister Eckhart und seine Quellen. I. Die Bibel, Stuttgart, p. 3-5.

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littere hebraice et nostre translationis, qui part du texte massorétique ainsi que des travaux d’Hugues de saint Cher et des commentaires de Rashi, sans oublier les Gloses. Eckhart a peut-être appris l’hébreu au Couvent d’Erfurt pour lire plus directement le texte de l’Écriture mais il n’en dit rien. Certaines de ses expressions le laisseraient, cependant, entendre. En tout cas, il a pris en compte les commentaires juifs de l’Écriture, peut-être le Talmud de Jérusalem, pour ses commentaires de la Genèse, il disposait également du commentaire juif de référence : Genèse Rabba, qui a ensuite servi, à Erfurt, à relier les ouvrages de Pierre de Dacie et de Thomas d’Erfurt 6, soit parce qu’il n’était plus utilisé, soit parce qu’il servait de référence. Quelques décennies avant Eckhart, le Dominicain Raymond Martin avait été critiqué pour avoir cité Genèse Rabba. Le Thuringien le mentionne dans le Livre des Paraboles de la Genèse. Son optique est différente, il reprend l’esprit de Genèse Rabba, mais en transpose les interprétations sous forme de Quaestiones, visant à comprendre le sens de la création, l’image de Dieu en l’homme… Pour mieux pénétrer le texte biblique, Eckhart a également recours à la mystique juive, certainement à partir du Zohar. Dans le Commentaire de la Sagesse, au n. 48, par exemple, il se réfère à un arbre qui a des racines « hautes, i.e. profondes », précise-t-il. Qu’est-ce à dire si ce n’est qu’il relit le texte de la Sagesse, en fonction de l’arbre des Sefirots qui a ses racines dans le ciel, comme le montre la mystique juive ? Il met en œuvre toutes les ressources qui lui sont accessibles pour trouver le véritable sens de cet héritage commun du Judaïsme et du christianisme, qu’est l’Écriture de l’Ancienne Alliance, dont il recherche le sens « sous l’écorce de la lettre ». L’influence de l’exégèse juive De plus, il semble que le Turingien ait été initié à l’exégèse juive à Erfurt par Asher ben Yechiel, Baruch ben Yechiel et David ben Abraham, disciples du Rabbi Meir de Rothenburg 7, le plus grand talmudiste de l’époque. Il est vrai qu’à Erfurt, le couvent des Dominicains était proche de la synagogue et les échanges ont dû être importants. Eckhart entra en 1275 ou 1278 au Couvent d’Erfurt, qui venait d’être construit, alors que la Synagogue était la plus ancienne d’Europe, elle a été réalisée en 1094. On comprend qu’il y ait eu une interaction entre les deux communautés et que les Dominicains aient bénéficié d’une formation complémentaire à l’Écriture par les Talmudistes de l’époque, ce qui a été pour eux une chance. Peut-être y avait-il des petits groupes bibliques interreligieux, sur 6.  Voir M. Vinzent, infra, p. 100. 7.  Voir M. Vinzent, infra, p. 98 ; J. I. Lifshitz , Rabbi Meir of Rothenburg and the Foundation of Jewish Political Thought, New York-Cambridge, 2016.

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lesquels on n’a malheureusement pas d’information. De plus, les textes étaient disponibles et Eckhart a pu les lire. On en trouve un écho dans le Livre des Paraboles de la Genèse d’E­ckhart. Comme Augustin, Eckhart essaie de trouver le sens exact du récit de la Genèse. Aussi reprend-il son commentaire par deux fois et non par cinq fois, comme l’évêque d’Hippone, en passant du sens littéral au sens parabolique. De l’un à l’autre, l’influence de l’exégèse juive semble plus importante. Avec son aide, Eckhart recherche dans le texte de l’Écriture, selon l’image de Proverbes 25, 11, « des pommes d’or dans des filets d’argent ». Pour les trouver, il met en œuvre l’exégèse parabolique. La parabole L’étymologie grecque du terme parabole : para ballein signifie : jeter à côté, comparer. Or, « si, dans la parabole, on se situe ‘à côté’ de ce qu’on voudrait dire, c’est parce qu’on ne peut le dire qu’indirectement, par des jeux de comparaisons et d’analogies. On projette de la lumière à côté, sur quelque chose de comparable qu’on arrive plus facilement à mettre en langage » 8. « À l’encontre du concept qui enferme dans la réalité » immédiate, la parabole 9, en hébreu le MaChaL, permet d’aller plus loin, de « déployer l’image en récit » 10, de mettre en œuvre l’exégèse haggadique, narrative, qui prend en compte les relations et dénoue les différents fils de l’intrigue. En effet, « une parabole n’a jamais de sens en elle-même. Constituant l’un des deux termes d’une comparaison, elle tire son sens du rapport qui l’unit à l’autre terme (..). Ainsi une parabole ne peut être signifiante qu’en vertu de sa relation à un au-delà d’elle-même, et le problème de l’interprétation consistera à déterminer ‘l’au-delà’ adéquat, le point de référence grâce auquel la parabole devient intelligible comme parabole » 11. Souvent, « elle permet de voir les choses sous l’aspect de l’éternité » 12 , ce qui est fondamental pour Eckhart, comme Tauler l’a souligné 13. Avec la parabole, ce n’est pas tant son expérience que la vérité de l’Écriture que le Thuringien s’attache à dégager dans son œuvre latine et, en particulier dans le Livre des paraboles de la Genèse. Mais, dans le même temps, il objective et universalise peut-être son expérience au miroir de l’Écriture, comme l’avait fait Augustin. D’autre part, il ne reprend pas le sens du terme de parabola

8. J. Delorme – J.-Y. Thériault, Pour lire les paraboles, Paris, 2012, p. 11. 9.  Voir A. Jülicher , Die Gleichnisreden Jesu, t. I et II, Freiburg, 1899. 10. D. M arguerat, Le Dieu des chrétiens, Genève, 20114 , p. 19. 11. J. Dupont, Pourquoi des paraboles ? Paris, 1977, p. 7. 12. M. M affesoli, La parole du silence, Paris, 2016, p. 15. 13. Jean Tauler , Sermon 15.

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qui existait dans la scolastique 14 , mais il opte pour le sens maïmonidien qui lui permet de mettre en évidence l’unité des deux Testaments. Il s’en explique dès le Prologue de l’ouvrage, où il précise qu’avec les paraboles, il cherche, comme Origène, « le sens caché » de l’Écriture, ce qui est « sous l’écorce de la lettre » 15, le Christ caché dans l’Écriture, le mystère trinitaire, dont il a eu une expérience forte, mais dont il parle peu, et qu’il s’attache à faire connaître, de cette manière, aux autres. Pour ce faire, il va plus loin qu’Origène et reprend, sur un plan méthodologique, l’acquis de la réflexion de Maïmonide, comme il le dit dans le Prologue au Livre des Paraboles de la Genèse, ce qui est exceptionnel pour son époque 16 et dont on prend la mesure aujourd’hui 17. Il y rappelle, en effet, avec les termes mêmes de Maïmonide, que « ‘toute parabole a deux visages. Le visage extérieur doit certes être beau’ pour attirer à lui, ‘mais le visage intérieur doit encore être plus beau, de façon à être, comparé à l’extérieur, comme l’or vis-à-vis de l’argent’. La vérité de l’Écriture est donc ‘comme une pomme d’or recouverte d’un filet d’argent. Car lorsqu’on le voit de loin, ou lorsqu’on le regarde sans intelligence, on croit que c’est seulement de l’argent ; mais si l’on est un homme au regard perçant, ce qui se cache à l’intérieur est révélé au grand jour et l’on sait alors que c’est de l’or’ (…). Quand nous arrivons à extraire, de ce que nous lisons, l’intelligence de quelque signification mystique, c’est comme si nous retirions en quelque sorte du miel des alvéoles cachées des rayons » 18. Pour recueillir ce miel ou trouver « les pommes d’or, recouvertes d’un filet d’argent », Eckhart, en tant que Magister in Sacra Pagina, se met dans la mouvance de l’Esprit Saint qui est le maître-d’œuvre de l’Écriture et en fait ressortir la vérité 19, et il réalise aussi tout un travail de nouveau commentaire de l’Écriture. En utilisant la méthode parabolique, Eckhart fait ressortir l’apport de l’exégèse juive, en même temps, il trouve une clef herméneutique. On pour14. H. Liebeschütz , « Meister Eckhart und Moses Maimonides », Archiv für Kulturgeschichte 54 (1972), p. 70. 15. Maître E ckhart, Livre des Paraboles de la Genèse, Prologue n. 1, trad. J.-C. Lagarrigue, Paris, 2016, p. 61. 16. Y. Schwartz , « Maître Eckhart et Moïse Maïmonide. Du rationalisme judéo-arabe à la théologie vernaculaire chrétienne », dans J. Casteigt (éd.), Maître Eckhart, Paris, 2012, p. 232. 17. Le premier à avoir souligné l’importance de Maïmonide est Joseph Koch, voir « Meister Eckhart und Moses Maimonides », Archiv für Kulturgeschichte 54 (1972), p. 64. 18.  Maître E ckhart, Livre des Paraboles de la Genèse. p. 62. 19.  Voir M. E nders , « Die Heilige Schrift – Das Wort der Wahrheit. Meister Eckharts Verständnis der Bibel als eines bildhaften Ausdrucks des göttlichen Wissens », dans Meister-Eckhart-Jahrbuch 5 (2011), p. 90-96.

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rait, en effet, se demander pourquoi il recourt à la parabole. Il sait, en fait, que « la parabole participait déjà au grand dessein rabbinique, qui était de mettre la Torah à la portée de tous (…), car elle est comme une mèche, dont la lueur fait retrouver des merveilles » 20. Lui aussi entend rendre l’Écriture accessible à tous, en la commentant en langue vernaculaire, en faisant ressortir son sens par la parabole, ce qui manifeste une convergence en profondeur du Judaïsme et du christianisme sur le plan de la méthode. C’est une même clef herméneutique que l’on y trouve avec la parabole et, Eckhart va très loin dans son usage, à tel point qu’il voudrait commenter toute l’Écriture, de manière parabolique, ce qui lui a été reproché par les censeurs de Cologne 21, conscients du danger impliqué par une telle interprétation, mais sans comprendre le sens du dialogue interreligieux qui sous-tend la perspective eckhartienne. Dans la Préface au Livre des Paraboles de la Genèse (n. 2), le Thuringien dit clairement : « Pour nous, le livre du Cantique des Cantiques et celui de l’Apocalypse de Jean indiquent la même chose [à savoir que la parole de Dieu se voile intentionnellement de paraboles], ainsi que le nom même des Proverbes de Salomon, souvent intitulés « Paraboles 22 ». De là vient qu’il est dit, dans ce même livre, en Proverbes 1, (6) : Il fera attention aux paraboles et à leur interprétation, aux paroles des sages et à leurs énigmes ». Il importe de les déchiffrer. Mais, le résultat auquel il arrive est spécifiquement chrétien. C’est le Christ qu’il découvre comme clef des Écritures. Le texte des Écritures, souligne-t-il, en effet, « parle du Christ par images » (n. 3), car « personne ne doit s’imaginer comprendre les Écritures s’il ne sait pas en trouver la moelle (medullam), à savoir le Christ, qui est la Vérité, qui se cache en elles ». Mais, là encore, Eckhart ne s’éloigne guère du dialogue interreligieux. Il prolonge, par-delà les siècles, un autre dialogue encore avec Maïmonide, auquel il se réfère quelque 267 fois dans son Œuvre latine. II. U n

di a logu e i n t e l l ect u e l et m ys t iqu e av ec

M a ï mon i de

Dans l’Introduction au Guide des perplexes, qu’Eckhart a dû lire sans sa version latine au Couvent d’Erfurt, le Cordouan explique, en effet, que “le but de son Traité est double. D’une part, c’est la science de la Loi dans sa réalité, ou plutôt il a pour but de donner l’éveil à l’homme religieux chez lequel la vérité de notre Loi est établie dans l’âme et devenue un objet de croyance, qui est parfait dans sa religion et dans ses mœurs, qui a étudié la science des philosophes et en connaît les divers sujets, et que la raison 20. D. M arguerat, Le Dieu des chrétiens, Genève, 20114 . 21.  Première liste d’articles censurés à Cologne, n. 32 (LW V, p. 210). 22.  En référence à l’incipit du livre ans la Vg : Parabolae Salomonis filii David, regis Israel (1, 1).

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humaine a attiré et guide pour le faire entrer dans son domaine mais qui est embarrassé par le sens extérieur (littéral) de la Loi et par ce qu’il a toujours compris ou qu’on lui a fait comprendre de ces noms homonymes ou métaphoriques ou amphibologiques, de sorte qu’il reste dans l’agitation et dans le trouble (…). Ce Traité a un deuxième but : c’est celui d’expliquer les allégories obscures” 23. Si Eckhart reprend le premier point, le Ma’ asé Bershit pour sa compréhension de Dieu, de la création…, c’est sur ce second point, celui de la parabole, qu’il entame plus spécifiquement le dialogue avec Maïmonide, comme on vient de le voir. Or, ce point correspond chez Maïmonide au Ma’ asé mercabâ, à la science métaphysique, voire mystique 24 . C’est sur le plan de la mystique qu’Eckhart mène le dialogue le plus fécond avec Maïmonide. Nous n’en retiendrons qu’un point ici : la manière dont les deux auteurs évoquent l’essence de Dieu, sa nature même. Dans le Guide des perplexes, Maïmonide explique que « l’essence de Dieu ne peut recevoir aucun attribut. Il est en effet évident que l’attribut n’est pas l’essence de la chose qui est décrite par cet attribut, mais une chose qui vient s’ajouter à l’essence de ce qui est décrit par lui, donc un accident. En effet si l’attribut était l’être de ce qui est décrit par elle, il ne serait qu’une tautologie » 25. De manière analogue, et à la différence de ses contemporains, Eckhart ne dit pas que Dieu est l’être, mais que « L’être est Dieu » 26. Ce n’est pas là un jeu de mots, mais un renversement constitutif visant à montrer qu’on ne peut enfermer Dieu dans un concept, même le plus élevé. L’être n’est qu’un attribut de Dieu, qu’Eckhart va rapidement dépasser pour montrer que Dieu est bien davantage, qu’il est, au-delà de ses attributs, la puritas essendi, ce qui constitue le quatrième point de son programme de prédication, son point d’orgue, tel qu’il le présente dans le Sermon 53. Cependant, Eckhart n’en vient pas plus à une négation de l’être qu’à une assimilation de Dieu au néant, comme pourrait induire à le penser le Sermon 71, il joue du paradoxe pour passer de l’être à l’intellect 27 et à l’Un 28, qui est « la négation de la négation, ce qui est la forme la plus pure

23.  M aïmonide , Guide des égarés, Paris, éd. C. Mopsik, 1979, p. 11. 24. Voir « Meister Eckhart und Moses Maimonides », Archiv für Kulturgeschichte 54 (1972), p. 71 ; A. H. Friedlander , « Maître Eckhart et la tradition juive : Maïmonide et Paul Celan », dans E. Zum Brunn (éd.), Voici maître Eckhart, Grenoble, 1994, p. 388. 25. K. Ruh,  Geschichte der abendländischen Mystik, München, Beck, 1993, .t. I, p. 156. 26.  Prologue à l ’œuvre tripartite. 27.  Sermon 9. 28.  Sermon latin XXIX.

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de l’affirmation et l’accomplissement du terme affirmé » 29. C’est l’expression de la puritas essendi, de Dieu qui est insaisissable. Eckhart a-t-il ici une perspective analogue à Maïmonide qui disait : « Nous pouvons seulement reconnaître que Dieu existe, mais nous ne pouvons savoir ce qu’il est, c’est pourquoi il est impensable qu’il puisse avoir un attribut positif, parce qu’il n’a pas d’existence qui soit différente de son essence. Ainsi Dieu ne peut recevoir aucun attribut positif. Et ce sont effectivement des négations dont nous devons nous servir pour diriger la pensée vers ce que nous devons croire sur Dieu car ces négations ne pourront jamais produire, de quelque manière que ce soit, la conception d’une multiplicité en Dieu parce qu’elles conduisent la pensée jusqu’au point extrême de ce qui est possible à l’homme pour comprendre Dieu » (I 58-P. 198s). Sans doute, avant lui Denys, qu’Eckhart a également lu, préconisait aussi la voie négative, mais sans la définir avec autant de précision. De plus, Eckhart est aussi marqué, semble-t-il, par la réflexion sur la forme mystique de Dieu, exprimée par la Shi’ur Qoma. Son questionnement est analogue à celui de la mystique juive : « Dieu, origine de toutes les formes, en a-t-il lui-même une ? » 30. Pour y répondre, Eckhart développe toute sa dialectique autour du terme d’image : Bild et invite au dépassement des images, à l’Entbildung pour atteindre la puritas essendi, la pureté de l’essence, de la forme. Sa différence avec la mystique juive vient de ce qu’il explique que la forme de Dieu se fait connaître par son Fils qui est la Bild, son Image par excellence. La question du nom de Dieu est l’une des plus difficiles : elle renvoie à ce qu’Étienne Gilson appelait : « la métaphysique de l’Exode ». Eckhart lui donne une place importante, en particulier dans son Commentaire de l ’Exode. Pour l’élaborer, il se réfère très fréquemment à Maïmonide, il résume même sa pensée (n. 175-177), et il souligne, comme lui, que Dieu est « ineffable, innommable, admirable » 31. Il est également très proche de la pensée d’un des disciples de Maïmonide : Abraham Aboulafia, qui disait : « Je t’informe que la vraie connaissance du Nom ne peut être apprise ni du Sefer Yetsira seul, même si tu connais tous les commentaires sur lui, ni également du Guide des égarés seul, même si tu connais tous les commentaires à son sujet. Mais quand les deux sortes de connaissance seront liées ensemble » 32 . Eckhart puise aussi à sa manière à ces deux sources. Il tient ensemble l’affirmation du Dieu créateur et la nécessité de la voie négative, qui met en évidence la pureté de son essence.

29.  Maître E ckhart, Commentaire de l ’Exode n. 147, LW II, p. 485. 30.  G. Scholem, La mystique juive, Paris, 1985, p. 38. 31.  Maître E ckhart, Commentaire de l ’Exode, n. 298-300. 32.  A. Aboulafia, Otsar Eden Ganouz, ms. Oxford, 1580, fol. 16b-17a.

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De plus, Eckhart et la mystique juive poursuivent un but analogue : en fonction du Eye asher eye de Ex 3, 14, il s’agit de rendre compte de la vie en Dieu, mais cette fois, Eckhart s’éloigne de Maïmonide 33. Il semble plus proche de la mystique juive de la kabbale : les termes sont différents, mais non la réalité : c’est la distinction entre l’en-sof et les séfirots dans la mystique juive, et la bullitio, le bouillonnement, chez Eckhart, qui implique le refus de nommer Dieu, mais en même temps, cette bullitio exprime la vie de la Trinité. « La vie trinitaire devient la vie de l’Être », elle est complétée par l’ebullitio de la création, ce sont les deux fontaines dont parle Eckhart dans le Sermon 38. À la différence de la mystique juive, Eckhart complète « la métaphysique de l’Exode » par une métaphysique du Verbe, comme en témoigne, en particulier, son Commentaire de l ’Évangile de Saint Jean, et ce, en raison d’une expérience profonde de la vie trinitaire, qui l’amène à comprendre la naissance de Dieu dans l’âme, dont il rend compte principalement dans les Sermons 101 à 104. III. U n

di a logu e su r l e pl a n a n t h ropologiqu e

À partir de là, Eckhart propose des figures anthropologiques et non des modèles de sainteté. Parmi ces figures, celle du juste a une place déterminante, comme il le dit lui-même dans le Sermon 6 (AH I, p. 21) : « Celui qui comprend l’enseignement sur la Justice et le juste comprend tout ce que je dis dit ». Là encore, il mène un dialogue avec le Judaïsme. Le juste eckhartien correspond-il davantage au Tsaddiq ou au Hassid ? Il semblerait que ce soit au Hassid, en raison de l’influence importante du hassidisme rhénan sur sa pensée, et ce dès l’époque d’Erfurt, mais en fait les deux figures sont présentes  3 4 et celle du Tsaddiq semble même prédominer. Dans le Commentaire de la Sagesse, où le juste a une place centrale, celui-ci est envisagé ‘formellement’, ce qui n’est pas sans faire penser, une nouvelle fois, à la Shi’ur Qoma. « En effet, il est au-dessus de l’homme, mais aussi de toute créature, écrit Eckhart, il est divin de se conformer par la forme ‘à Dieu seul’ et d’être transformé en lui, selon lui et par lui (…). De plus, il faut remarquer que le juste, en tant que tel, tient et reçoit tout son être de la seule justice et est le rejeton et le fils proprement engendré par la justice, la justice elle-même et elle seule enfante ou bien est le père qui engendre le juste » (n. 64). Ce denier serait-il celui qui laisse actualiser 33. Y. Schwartz , « Maître Eckhart et Moïse Maïmonide. Du rationalisme judéo-arabe à la théologie vernaculaire chrétienne », dans J. Casteigt (éd), Maître Eckhart, Paris, 2012, p. 249-254. 34. D’après G. Scholem, La mystique juive, Paris, 1985, p. 103-149, le juste eckhartien serait plus proche du Tsaddiq.

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en lui la petite étincelle de l’âme, qui est introduit à la puritas essendi ? Il le semble. Sur ce plan, Eckhart passe l’Ancienne à la Nouvelle Alliance, il identifie le Juste au Christ et il ajoute que chaque juste devient un autre Christ, en lui étant conformé. Un peu plus loin, au n. 201 de son Commentaire, Eckhart exhorte à devenir amator formae Sapientiae. Il précise que la forme, et elle seule, donne l’être par elle-même (n. 202). Elle fait du sage (n. 203 sq.) une autre figure de l’homme accompli par l’action de l’Esprit Saint (n. 209), comme il l’avait déjà souligné dans le Sermon XXV. Eckhart rappelle, en effet au n. 274, que « la grâce surnaturelle rendant gracieux se tient dans la puissance intellective, dans la mesure où l’intellect participe et goûte la nature divine, s’il est image ou bien à l’image de Dieu », ce qui est tout à fait le cas pour le sage ou le juste. Il vit déjà la filiation divine, comme Eckhart l’explique dans le Sermon 39, où il dit : « la nature du Père est d’engendrer le Fils et la nature du Fils est que je naisse en lui et selon lui ; la nature de l’Esprit Saint est que je sois consumé en lui, et totalement fondu en lui, et que je devienne totalement amour » 35. En d’autres termes, le juste, le sage sont introduits dans la vie trinitaire, ils vivent la filiation divine de l’intérieur, dans la communion trinitaire. En fait, cet homme, présenté en Sagesse 5, 16, n’est autre pour Eckhart que l’asumptus homo de la patristique, le juste par excellence, le Verbe incarné, et c’est à la conformatio au Christ qu’Eckhart invite, comme il le dit dans le Sermon 9 : “L’homme qui veut parvenir à ce qui a été dit ci-dessus – c’est à quoi tend le discours tout entier – doit être comme une étoile du matin : toujours présent à Dieu et toujours près de lui, également proche, élevé au-dessus de toutes les choses terrestres et être un adverbe (un quasi), près du Verbe”, ce qui montre une nouvelle fois que le cœur de l’œuvre d’Eckhart ne se situe pas dans le détachement, mais dans la filiation divine, le juste étant appelé à être fils de Dieu. En raison de l’Incarnation, de la réalisation de la figure du juste dans le Messie injustement condamné, Eckhart va plus loin que la mystique juive dans sa compréhension du juste, comme cela ressort non seulement de son Commentaire de la Sagesse, mais aussi de ses Sermons. En revanche, dans sa compréhension de l’homme noble, il serait peutêtre plus proche de la mystique juive, de la figure du Tsaddiq. Eckhart part de la définition de l’homme (p. 4) et fait ressortir qu’en latin, homo vient de humus, le sol (voir aussi S. XXII, p. 2), et que, par extension, la principale caractéristique de l’homme est l’humilité. Eckhart identifie donc l’homme noble et l’homme humble. L’homme est, dit-il, « quelqu’un qui se soumet entièrement à Dieu ». Dans le même temps, il souligne que l’homme est capax Dei, par l’intellect (S. XXII, n. 214), sans dire encore 35.  AH I, p. 116.

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qu’il est créé à l’image de Dieu, mais en le sous-entendant, comme il le développera dans la suite du texte. Voilà simplement quelques exemples du dialogue qu’Eckhart mène avec le Judaïsme sur un plan anthropologique, il serait possible de les multiplier. Il en ressort qu’Eckhart a été un pionnier du dialogue interreligieux avec le Judaïsme qu’il connaissait de l’intérieur et dont il a montré l’apport tant sur le plan exégétique que mystique et anthropologique, tout en faisant ressortir les analogies et les différences avec le christianisme. Par ce dialogue, Eckhart est à la fois de son époque, en raison des échanges entre intellectuels juifs et chrétiens en ce début du xiv e siècle. En même temps, il fait figure de novateur, car il ne se contente pas de reprendre Maïmonide, mais il pense à partir de ses catégories, tant pour la méthode parabolique que pour le rapport foi-raison, tout en le réinterprétant. B i bl iogr a ph i e Sources Meister Eckhart, Die lateinischen Werke, t. II (= LW II), hg. im Auftrag der Deutschen Forschungsgemeinschaft, Stuttgart-Berlin-Köln, 1992. Maître Eckhart, Commentaire du Livre de la Sagesse, Paris, 2015. Maître E ckhart, Livre des Paraboles de la Genèse, Paris, 2016. Maître Eckhart, Sermons 1-30, éd. J. Ancelet-Hustache (= AH I), Paris, 1974. Maître Eckhart, L’œuvre des Sermons. Erfurt-Paris-Strasbourg-Cologne, éd. Jean Devriendt, Paris, 2010. M aïmonide , Guide des égarés, Paris, éd. C. Mopsik, 1979. Jean Tauler , Sermons, Paris, 1991. Études J.  Casteigt (éd.), Maître Eckhart, Paris, 2012. J.  Delorme – J.-Y. Thériault, Pour lire les paraboles, Paris, 2012. J.  Dupont, Pourquoi des paraboles ? Paris, 1977. M.  Enders, « Die Heilige Schrift – Das Wort der Wahrheit. Meister Eckharts Verständnis der Bibel als eines bildhaften Ausdrucks des göttlichen Wissens », dans Meister Eckhart Jahrbuch 5 (2011), p. 90-96. A. H. Friedlander , « Maître Eckhart et la tradition juive : Maïmonide et Paul Celan », dans E. Zum Brunn (éd.), Voici Maître Eckhart, Grenoble, 1994, p. 385-400. A.  Jülicher , Die Gleichnisreden Jesu, t. I et II, Freiburg, 1899.

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L’INFLUENCE DE L’EXÉGÈSE PARABOLIQUE DE M AÏMONIDE SUR M AÎTRE ECKHART Jean-Claude L agarrigue ERMR, EA 3943

Résumé Maître Eckhart justifie l’existence d’un deuxième commentaire de la Genèse, en évoquant le besoin de passer à une exégèse atteignant le sens intime du texte, caché sous la coque du sens extérieur. Il serait faux pourtant de croire que le premier commentaire est consacré au sens littéral et le second au sens parabolique. Tout lecteur d’Eckhart le sait : son style est aussi peu littéraliste que possible. Son exégèse est donc en réalité parabolique depuis toujours. La différence est donc ailleurs. Mais où ? Une piste à suivre est l’absence du nom de Moïse dans les Paraboles de la Genèse, remplacé désormais par le Christ comme auteur du texte. Abstract Master Eckhart explains there is a second commentary on the book of Genesis because of the need to pass to another exegesis, wich reachs the intimate sense of the text, hidden under the cockle of the external sense. But it would be wrong to think simply that the first commentary is dedicated to the litteral sense and the second one to the parabolic sense. Every Eckhart’s reader knows that his style is realy as few litteralist as possible. His exegesis is therefore realy parabolic always. The difference is somewhere else. But where ? A track is the absence of the name of Moses in the Parables of Genesis, substitued by the Christ as author of the text.

Maître Eckhart écrivit deux commentaires du Livre de la Genèse : il fit le premier à Erfurt entre 1303 et 1311, et le second à Strasbourg entre 1313 et 1324. Ce deuxième ouvrage a toutefois la particularité de s’intituler Paraboles de la Genèse, et non pas, derechef, Commentaire de la Genèse, comme la première fois et comme c’était jusque-là l’habitude d’Eckhart. Le Commentaire de l ’Evangile de Jean, qui a été rédigé probablement après 1, revient en quelque sorte à la mode ancienne. 1.  Il contient en effet un renvoi aux Paraboles de la Genèse ainsi qu’un résumé succinct de la préface (n. 174-176). Eckhart a pu, il est vrai, rédiger d’abord le Commentaire de Jean, avant de le remanier en introduisant ensuite ce renvoi. Judaïsme et christianisme au Moyen Âge, éd. par Marie-Anne Vannier, Turnhout : Brepols, 2019, (Judaïsme ancien et origines du christianisme, 17), p. 119-132 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.117479 © F  H  G

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L’ajout du mot « parabole » a troublé et continue de troubler les commentateurs. Certains se sont imaginé par exemple que cet ouvrage marquait un « nouveau départ 2 » pour Eckhart, qui tournerait ici la page de l’exégèse littérale pour entamer enfin le chapitre d’une exégèse spirituelle, maîtresse dans l’art de décrypter les paraboles 3. On a cependant du mal à concevoir qu’Eckhart ait pu mettre au niveau de l’exégèse littérale ses précédents commentaires si profonds sur la Genèse, l’Exode et la Sagesse. Quelqu’un a-t-il d’ailleurs déjà lu un texte d’Eckhart qui en reste au niveau vulgaire de la lettre ? Manifestement, ce n’est pas le cas, et certainement pas le premier commentaire de la Genèse. Le style d’Eckhart est toujours le même, d’un commentaire à l’autre. On le reconnaîtrait facilement à l’aveugle, et bien malin celui qui serait capable de distinguer une première manière, dans le style des années 1300, et une autre dans le style des années 1310. Eckhart nous avertit d’ailleurs lui-même dès 1305, dans le prologue du Commentaire de la Sagesse de ne pas confondre le respect du texte avec le littéralisme : « il faut faire attention, écrit-il, au fait que l’on cite souvent les autorités de ce genre à l’encontre du sens premier de ce qui est écrit ; c’est néanmoins à dessein qu’on le fait, et suivant la vérité et le sens propre de ce qui est écrit 4 ». L’écart par rapport au sens littéral n’autorise pas, on le voit, de s’écarter du sens propre, de la vérité du texte. D’autres commentateurs, plus récents, considèrent que le terme de « parabole » est une manière d’avouer l’influence de Maïmonide, laquelle est volontiers confessée dès la Préface de l’ouvrage. Ils ont certainement raison. Les difficultés commencent après, quand il s’agit de préciser cette influence. Certains considèrent en effet qu’il faut situer durant le second séjour parisien entre 1311 et 1313 cette influence décisive de Maïmonide sur Eckhart. Julie Casteigt écrit ainsi, en accord avec Yossef Schwartz, que « la lecture de Maïmonide (…) entraîne Maître Eckhart à écrire un second commentaire de la Genèse qu’il intitule précisément Livre des Paraboles de la Genèse 5 ». Elle relève ainsi que Maître Eckhart consacre une grande par2. K. Flash, Maitre Eckhart. Philosophe du christianisme, Paris, 2011, p. 142. 3. H. Bascour (1900-1990, bénédictin de l’abbaye du Mont-César à Louvain), « La double rédaction du premier commentaire de Maître Eckhart sur la Genèse », Recherches de Théologie ancienne et médiévale, Louvain, 1935, p. 295 : « Maître Eckhart a commenté à deux reprises le livre de la Genèse. Une première fois en s’en tenant d’ordinaire au sens littéral, suivant le dessein et la méthode annoncés pour tout l’Ancien et le Nouveau testament dans le Prologue général de l’Opus expositionum : c’est la prima editio, l’Expositio Genesis. Une seconde fois pour en exposer le sens profond, allégorique, caché sous l’écorce de la lettre. » ; C. Spicq reprend cet avis dans son Esquisse d ’une histoire de l ’exégèse latine au Moyen Âge, Paris, 1944, p. 332. 4.  Prologue II du Livre des expositions, n. 3. 5. J. Casteigt, « Sous l’écorce de la lettre. De la parabola, comme procédé rhétorique et herméneutique héritée de Maimonide, à l’opérateur métaphysique

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tie de son introduction à reprendre l’analyse du Guide des égarés consacrée aux différentes espèces de paraboles. Maïmonide regroupe en effet sous le même nom de parabole deux espèces de figure ou image, à savoir celle qui a un sens figuré dans le détail, motif par motif, et celle qui fonctionne globalement, selon une pointe d’ensemble, qui fait fi du détail. On peut relever aussi que l’exemple donné dans la préface du Guide de l’échelle de Jacob est longuement repris par Eckhart au moment de commenter ce passage (chap. 28 des Paraboles). Cela suffit-il cependant pour dire que c’est la lecture de Maïmonide qui a « entraîné » Eckhart à refaire son commentaire ? N’y a-t-il pas d’autres facteurs qui l’ont poussé à faire cela, internes à son œuvre ou bien externes ? Il y a en effet de quoi être dubitatif ou perplexe, pour de nombreuses raisons. La première est qu’Eckhart connaît Maïmonide depuis longtemps. Il cite en effet le Guide des égarés dès sa leçon inaugurale de son commentaire des Sentences. A cette époque, il cite le chapitre 14 du livre III, à propos de la dimension de la sphère des fixes, dont l’immensité contraste avec la modestie de la taille de l’homme. C’est un chapitre que l’on remarque rarement, sauf à lire l’ouvrage complètement et précisément. On retrouve Maïmonide ensuite dans tous ses commentaires bibliques, avec un choix de références assez larges, qui excède très largement la seule introduction de l’ouvrage. Cela fait au total rien moins que 267 occurrences dans l’œuvre latine 6 ! Cette présence massive est particulièrement sensible, en particulier, dans le premier Commentaire de la Genèse, qui contient une trentaine de références. Il paraît donc raisonnable de penser qu’Eckhart a lu Maïmonide très tôt, dans les années 1290 sans doute, durant sa période de formation en théologie, et qu’il a repris cet ouvrage au moment des Paraboles de la Genèse. A cet instant, il n’a guère relu, probablement, que l’introduction. Ajoutons que l’ouvrage était bien connu des dominicains (comme Albert le Grand ou Thomas d’Aquin) depuis longtemps déjà, au moins la traduction latine complète faite au début des années 1240 d’après l’une des versions en hébreu 7. qu’est l’imago dans le Livre des paraboles de la Genèse de Maître Eckhart », dans J.  Casteigt (éd.), Maître Eckhart, Paris, 2012, p. 257-297. Y. Schwartz , « Maître Eckhart et Maïmonide : Du rationalisme judéo-arabe à la théologie vernaculaire chrétienne », dans J. Casteigt (éd.), Maître Eckhart, Paris, 2012, p. 232. 6.  Je dois cette précision à Marie-Anne Vannier , « Eckhart et la mystique juive », dans D. Cohen-L evinas – A. Gouggenheim (éd.), L’antijudaïsme à l ’épreuve de la philosophie et de la théologie, Paris, 2016, p. 105-121 (sur https://media.collegedesbernardins.fr/content/pdf/Recherche/5/recherche-2012-2013/2013_04_18_ jc_cr_ eckhart.pdf). 7. Le Guide des égarés, écrit en arabe en 1190, a été traduit en hébreu une première fois en 1204 en Provence par S. Ibn Tibbon de Lunel. Une seconde traduction en hébreu, plus littéraire, fut faite en 1210 par J. A l-Harizi. C’est cette dernière traduction qui servit de base à la traduction latine, connue sous le titre de Dux neutrorum, et élaborée entre 1240 et 46, sans doute par un juif converti comme

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Cela ne veut certes pas dire qu’il n’y a rien de nouveau dans les Paraboles ; mais cela restreint certainement la portée de l’innovation. Qu’y a-t-il donc dans la compréhension maïmonidienne de la parabole qui intéressait tant Eckhart ? En quoi l’introduction du Guide des égarés est-elle utile à Eckhart pour préciser la méthode de sa pensée ? Car s’il s’agissait seulement d’opposer le sens littéral manifeste au sens figuré caché, était-il besoin pour lui d’invoquer Maïmonide ? I. U n

t e x t e , deu x au t eu r s

L’intention du prologue des Paraboles de la Genèse était sans doute de lever toute perplexité chez le lecteur. C’est là probablement le sens de la référence à Maïmonide, qui entendait répondre au désarroi de ses coreligionnaires les plus savants découvrant l’ineptie de certains passages de la Bible pris à la lettre. Le résultat fut cependant contrasté aussi bien chez les lecteurs de Maïmonide que chez ceux d’Eckhart. Le paradoxe veut en effet que rares sont les livres qui aient suscité autant de perplexité chez ses lecteurs dans le monde israëlite que le Guide des perplexes de Maïmonide. Certains d’entre eux se demandent même, avec un brin d’humour, si le remède ne s’est pas révélé pire que le mal, tant les doutes nouveaux créés par cet ouvrage sont plus profonds que les anciens 8. Et on retrouve le même désarroi chez les lecteurs d’Eckhart, parfois dissimulé il est vrai sous une certaine suffisance doctorale ; mais il ne suffit pas d’avoir l’air de tout comprendre : il vaut mieux parfois reconnaître sa perplexité. Ainsi donc, après avoir produit de nombreux commentaires bibliques reconnaissables entre tous pour leur style allégorisant, Eckhart nous avertit qu’il est temps désormais pour lui de reprendre son commentaire de la Genèse pour déccouvrir « ce qui se cache derrière la figure et la surface du sens littéral », pour « faire ressortir ce qui est contenu et recouvert de façon parabolique sous l’écorce de la lettre » (n. 1). Le mot d’ordre est clair : « on doit expliquer l’Écriture sacrée de façon parabolique 9 », et Nicholas Donin ou Thibaud de Sézanne . Il a existé auparavant deux traductions partielles du Guide des égarés faites à partir de la version en hébreu d’I bn Tibbon : le Liber de parabola (III, 29-30, 32-49), vers 1224/5, transmis anonymement, connu de Guillaume d’Auvergne et Jean de la Rochelle ; et le Liber de uno Deo benedicto (II, préf., chap. 1), sous le nom de Maïmonide, rédigé peut-être à Paris à la fin des années 1230 ou au début des années 1240 et connu surtout des dominicains Moneta de Crémone et Albert le Grand, peut-être aussi de Saint T homas . Mais ce dernier a plus probablement recouru à la traduction intégrale faite à Paris entre 1240 et 1246. 8. M. I del , « Les sitré arayot dans la pensée de Maïmonide », dans Maïmonide et la mystique juive, Paris, 1991, p. 91. 9.  Paraboles, n. 135.

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donc de façon non littérale. Mais on ne comprend pas bien : n’est-ce pas précisément ce qu’il a toujours fait jusque-là ? Les censeurs de Cologne, remarquons-le, n’ont pas manqué de relever cette phrase, enjoignant de tout expliquer paraboliquement 10. On comprend l’émoi des censeurs : dire cela c’est ouvrir la porte à l’arbitraire de l’interprétation. C’est retomber dans l’ornière de l’origénisme, remplaçant la révélation scripturaire par la spéculation philosophique. La réponse d’Eckhart est instructive. Il commence tout d’abord par déclarer qu’il ne retire rien à ce qu’il a écrit, car « c’est vrai tel que c’est formulé » (dicendum quod verum est sicut iacet) ; mais il ajoute ensuite que l’Écriture « n’est pas pour autant moins vraie lorsqu’elle expliquée littéralement et paraboliquement » (nec tamen propter hoc minus vera est et exponenda litteraliter et historice) 11. Cette précision a de quoi susciter là encore notre perplexité. Il faudrait savoir, en effet ! Voilà qu’Eckhart remet le sens littéral dans le jeu après l’avoir rejeté ! Il opte désormais pour une exégèse qui recherche le sens parabolique en plus du sens littéral, et non contre le sens littéral. Une lecture plus attentive de la Préface des Paraboles peut cependant nous aider à avancer : Eckhart compare en effet les autorités extraites de la Bible à des pommes d’or dans des filets d’argent, selon l’image de Proverbes 25, 11. Il y joint le commentaire de Maïmonide qui compare l’ambiguïté du sens de la parabole à deux visages, l’un extérieur, beau comme l’argent, et l’autre intérieur, encore plus beau et plus précieux, tout comme l’or visà-vis de l’argent 12 . On se presse en général de repérer la pointe de la parabole, à savoir l’éloge du sens parabolique ; mais il se pourrait aussi que les détails aient ici leur importance. Toutes les paraboles ne doivent pas être interprétées globalement, nous apprend en effet Maïmonide, car certaines d’entre elles doivent l’être dans le détail. Et c’est probablement le cas ici : il faut reconnaître que l’argent n’est pas de la paille ni du carton-pâte, c’est déjà un métal précieux, même s’il vaut moins que l’or. Cela signifie, en d’autres termes, que le sens littéral et le sens parabolique sont tous deux précieux ; le sens littéral est déjà une parole chargée de sagesse, même si elle vaut moins que l’autre. Ni Eckhart ni Maïmonide n’enseignent donc de dédaigner le sens littéral, jugé méprisable. Disons plutôt qu’ils considèrent le sens littéral comme un obstacle sur le chemin du sens vrai, mais aussi comme un moyen si l’on sait s’y prendre. Car le sens vrai n’est pas seulement ce qui se cache derrière la lettre comme le sens figuré derrière le sens littéral, c’est aussi ce qui donne à la parole transcrite d’être une parole de vérité, une autorité pleine de sagesse. Josef Stern aboutit à une conclusion similaire dans ses 10.  Première liste d ’articles censurés à Cologne, n. 32 (LW V, 210). 11.  Réponse aux articles censurés, IV, n. 113 (LW V, 288). 12.  Paraboles, Préface, n. 1.

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derniers travaux sur Maïmonide 13. Avec raison, ce dernier note une sorte de progression dans les ouvrages de Maïmonide, qui dépasse progressivement l’opposition du sens exotérique et esotérique. Aussi propose-t-il de distinguer trois niveaux de sens, avec tout d’abord le sens vulgaire extérieur, puis le sens parabolique, qu’il conçoit de façon double, avec un sens intérieur et un sens extérieur. Pour aller dans le sens de Josef Stern, je dirais pour ma part que quand Eckhart reprend l’image du Livre des Proverbes des pommes d’or sur des filets d’argent, il ne faut pas opposer l’or à l’argent comme un métal précieux à un métal vil, mais comme un métal de très grande valeur à un autre de valeur moindre. S’il s’agissait seulement d’opposer le sens intérieur vrai au sens extérieur faux, il aurait utilisé sans doute une autre image, accentuant davantage le contraste, comme la statue de silène par exemple, à laquelle Alcibiade compare Socrate dans Le Banquet de Platon, et qui cache une statue de Dieu en son sein (215 b). Cette image, reprise par Rabelais, dans le prologue du Gargantua (1534), oppose l’apparence grossière et bariolée à la réalité intime précieuse, le récit comique et épique des géants et l’enseignement de l’humaniste. Mais telle n’est pas tout à fait la nature de la parabole chez Maïmonide, qui sur ce point se distingue quelque peu des interprétations allégoriques des mythes pratiquées par les philosophes païens comme Platon. Eckhart, il est vrai, rapproche le style de Platon et « des anciens, théologiens comme poètes », avec le style de l’Écriture sainte : « c’est intentionnellement, écrit-il, que les poètes ont enseigné sous la métaphore des fables, d’une manière tout à fait douce et propre, les propriétés naturelles des réalités divines naturelles et morales 14 ». Mais comparaison n’est pas raison ici : la parabole grecque, comprise comme un mythe, n’est pas tout à fait la même chose que la parabole juive comprise comme une parole de sagesse. Le sens obvie de la Bible a un sens respectable, qui ne prête pas à sourire avec ironie. Un fait mérite ici d’être relevé, qui nous permettra sans doute de faire un pas de plus : le premier Commentaire cite Moïse à trois reprises en se demandant à chaque fois ce qu’il a voulu dire dans l’autorité citée. En clair, il est cité comme l’auteur dont on scrute l’intention. Le second ne le convoque qu’incidemment, au milieu d’une ou deux citations. Ainsi, on a au § 96 : « il est dit à Moïse en Exode 33, (19) : Je te ferai voir toutes sortes de biens » ; et plus plus rien dans tout le livre, si ce n’est une allusion dans une citation de Jean (5, 46) au § 3 : Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez en moi, car c’est à mon sujet qu’il a écrit. On le voit, la présence de Moïse est d’une discrétion parfaite, puisqu’ il n’est jamais présenté comme l’auteur du texte. Dans le premier commentaire, au contraire, on trouve au 13.  J. Stern, The Matter and Form of Maimonide Guide, Cambridge/Massachusetts, 2013. 14.  Paraboles, Préface, n. 2.

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§ 30 : « Il faut remarquer que dans le verset précédent, Moïse a d’abord nommé le ciel puis la terre » ; au § 73 : « Mais que signifie le fait qu’en parlant plus haut de la création du ciel et de la terre, Moïse n’ait rien dit des temps, c’est-à-dire des jours (…) ? », et enfin au § 225, Eckhart relève que « selon Origène, Moïse parlait de coudée géométrique équivalant à six de nos coudées », ce qui expliquerait, d’après lui, pourquoi l’arche de Noé décrite était de taille à embarquer autant d’animaux. Là, Moïse est manifestement cité comme auteur des autorités, et l’explication vise à rendre compte de ce qu’il a voulu dire, tout simplement. Mais c’est précisément, ce qui disparaît dans le second commentaire. Car le sens du texte biblique excède désormais l’intention de l’auteur humain pour rechercher ce qu’a voulu dire Dieu, qu’Eckhart définit désormais, après Thomas d’Aquin qu’il cite, comme « l’auteur de l’Ecriture sainte 15 ». Le texte signifie audelà de Moïse, en annonçant ou révélant la Sagesse de Dieu. Il est donc double, fait d’argent lorsqu’il vient de Moïse, et fait d’or quand il vient de Dieu. II. L a

pa r a bol e   com m e

M ach a l  :

l a pa rol e di v i n e

Cette manière d’assumer l’ambiguïté, l’amphibologie de l’explication trouve sa source très certainement dans la culture juive de Maïmonide. Impossible en effet pour ce dernier de penser la parabole comme un ornement du discours seulement, inventé par un orateur ; car la parabole est également inscrite dans le texte sacré. L’hébreu appelle la parabole MaChaL, l’arabe : MaTHaL, ce que l’on traduit habituellement en français par parabole ou proverbe. Le Livre des Proverbes se dit ainsi en hébreu SePHeR MiChLé. Eckhart souligne d’ailleurs lui-même cette référence : « Pour nous, le livre du Cantique des Cantiques et celui de l’Apocalypse de Jean indiquent la même chose [à savoir que la parole de Dieu se voile intentionnellement de paraboles], ainsi que le nom même des Proverbes de Salomon, souvent intitulés « Paraboles 16 ». De là vient qu’il est dit, dans ce même livre, en Proverbes 1, (6) : Il fera attention aux paraboles et à leur interprétation, aux paroles des sages et à leurs énigmes. » (Préface de Paraboles de la Genèse, n. 2)

On a, hélas, perdu le commentaire du Livre des Proverbes, auquel Eckhart renvoie parfois (n. 195 du Comm. Jn par exemple). Sans doute Eckhart a-t-il dû interroger, à cette occasion, le sens des mots du titre. Traduire en effet par Livre des proverbes est un peu faible, car cela laisse croire qu’on 15.  Ibid. Voir Thomas d’Aquin, Somme théol., p. i, q. 1, art. 10. 16.  En référence à l’incipit du livre dans la Vulgate : Parabolae Salomonis filii David, regis Israel (1, 1).

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a un recueil de dictons pleins de la sagesse des anciens ; traduire par Livre des paraboles ne colle pas non plus, car cela incite à croire qu’on a affaire à des récits à prendre au deuxième degré, ce qui n’est pas toujours le cas. Une troisième solution serait de traduire par Livre des Paroles (avec un P majuscule), mais c’est un peu plat. Car la parole, en français, même si le mot vient historiquement de parabola, a perdu tout rapport avec un sens caché : une parole est porteuse de sens, tout simplement 17. Bref, il n’y a pas de bonne solution, qui serait meilleure que les traductions habituelles. Retenons que le MaCHaL biblique est une parole de sagesse, que l’on traduit parfois par proverbe lorsque le MaChaL est condensé en une phrase, et parfois traduit par parabole, lorsqu’il est développé en un récit. En tout cas, le sens hébraïque du mot parabole est l’une des clefs de la compréhension de l’exégèse de Maïmonide et d’Eckhart, car elle permet de comprendre l’usage finalement assez particulier du mot chez l’un et l’autre Car Maïmonide passe avec beaucoup de désinvolture sur toutes les distinctions rhétoriques, venues des orateurs grecs et romains. Pas question pour lui de se perdre dans les espèces et sous-espèces de tropes, en séparant par exemple l’allégorie et la parabole, en faisant remarquer que la signification figurée de l’allégorie se décompose élément par élément, motif par motif, tandis que la seconde serait globale (ce qu’on appelle habituellement aussi sa « pointe »). Or, justement, Maïmonide préfère parler de deux espèces de parabole, ce qui engloutit pratiquement l’allégorie dans la parabole. Une autre surprise attend plus loin le lecteur, quand il est question des visions prophétiques. Maïmonide explique en effet à cet instant que les prophètes voient en paraboles : il n’est pas vrai, explique-t-il, que Daniel soit allé dans le désert contempler seulement des squelettes blanchis se redresser et renaître ; c’est une manière de voir, à interpréter paraboliquement 18. On dirait probablement aujourd’hui : « symboliquement », car, pour nous, le symbole se distingue de la parabole par l’absence de tout caractère intentionnel : un orateur veut faire un effet sur son auditoire lorsqu’il fait un trope, tandis qu’un rêveur ou un visionnaire ne fait que subir ce qu’il ressent. Mais Maïmonide et à sa suite Eckhart, n’use pas de cette distinction (qui peut nous sembler évidente pourtant), car ce qu’il a en tête, au fond, c’est le sens hébraïque du mot parabole comme parole de sagesse. Ce qui lui importe, ce n’est pas qu’il y ait un sens figuré, c’est qu’il 17.  On trouve dans la Bible quelques versets, où l’on traduit MaChaL simplement par parole et non par proverbe ou parabole. C’est le cas, par exemple, en Job 21, 1, où il est dit : ‫ ִא ּיֹוב וַּי ֹ ֶס ף‬, ‫ ; וַּי ֹא ַמ ר ְמ ׁשָ לֹו ׂשְ ֵא ת‬WaYoSePH (et il continua) iYoB (Job), Se’eTH (en élevant) MeSHaLo (la parole-parabole de lui) WaYoMaR (et il dit). Cela donne en latin : addidit quoque Job, assumens parabolam suam, et dixit. Les traducteurs français s’accordent pour dire que Job prit encore la parole. 18.  Guide des égarés, II, 46.

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y ait un sens profond. Ainsi, quand une « parabole » est facilement interprétée, elle ne cesse pas d’être une parole de sagesse. Certaines paraboles, tirées du Livre de la Sagesse ou du Livre des Proverbes, n’ont pas besoin d’une exégèse très savante. L’essentiel n’est pas d’avoir un sens figuré subtil, caché derrière une obscurité littérale, c’est d’avoir un sens profond, divin, derrière le texte écrit de main d’homme. Cette profondeur de sens est ici plus qu’un fondement : elle est profusion. D’elle jaillit en effet non pas une seule mais une multitude d’interprétations. Car la multiplicité n’est pas signe d’erreur mais de vérité. Disons que le fondumentum (ground, Grund) est aussi un fundus ( fund), un riche terroir, un sol fécond où s’enracinent les plantations. Il importe toujours de semer dans le sol approprié, rappelle le Livre de la Sagesse, sans quoi le vent balaye tout 19. Ce sol c’est le fundus – le fond et le fonds – de la vérité propre 20. En ce socle l’homme trouve en effet sa ressource. Dire cela ne veut certes pas dire que la lettre soit insignifiante. On aurait tort de rejeter ce niveau de sens comme une écorce sans vie : Moïse a livré ainsi de judicieuses règles morales, qui ont formé le socle de la vie collective de son peuple. Mais son message va au-delà de son peuple. D’accord là encore avec Maïmonide, Eckhart considère ainsi, par exemple, que la circoncision est certes une observance typique des peuples sémitiques, mais elle a aussi un sens universel, qui recommande de couper le désir de tout attachement superflu, engendré par le plaisir 21. Dit autrement, la parabole forme une espèce d’union sémantique entre la sagesse commune et la sagesse divine, l’une adressée à un peuple particulier l’autre à l’humanité universelle. Elle unit ainsi ce qu’on pourrait appeler les préceptes et les principes, le local et le fondamental, le particularisme et l’universalisme. Le recours à Aristote s’explique par cette volonté d’accéder à l’universel, à tous les niveaux : en dépassant la morale pour l’éthique, la cosmologie pour la physique, le Dieu d’Isaac et de Jacob pour la Déité. Opposer ici les deux faces de la parabole comme la Loi et l’Évangile est certes tentant, à la manière de Luther 22 , mais il faut y renoncer. Car le texte 19. Sg 4, 3 : Les plantations adultérines ne donneront pas de hautes racines. Eckhart rapproche (Parab., n. 51) cette citation de Mt 15, 13 : Toute plantation que mon Père céleste n’a pas plantée, sera déracinée. 20.  Comm. Sag., chap. 4, n. 51 : « cette plantation est adultère, dont Dieu n’est pas les racines, le principe et le fond. Toute chose a en effet un fond, étant donné qu’il a une nature propre. » (omnis illa plantatio adulterina est, cuius radix, principium et fundus non est deus. Omnis enim res iuxta proprietatem suae naturae proprium habet fundum.) 21.  Comm. Gen. I, n. 242-247. 22.  Retenons par exemple ce célèbre Propos de table, le n° 5518 de 1542 (WA TR 5, 210, 12-16) : « Auparavant, je ne manquais de rien, hormis que je ne distinguais pas la Loi de l’Évangile. Les deux pour moi ne faisaient qu’un et je pensais que le Christ ne se différenciait de Moïse que par le degré de perfection et l’époque où il

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des Paraboles ne parle pas ainsi. Eckhart, en effet, n’annonce pas la Bonne nouvelle du Royaume de Dieu à venir, mais parle en se plaçant du côté de l’éternité, comme dit Tauler 23. On ne trouve nulle part chez lui l’idée de l’imminence du Royaume, obligeant chacun à arrêter de remettre à plus tard la décision dramatique de la conversion. Pas d’instant décisif chez lui, où l’on est mis par Dieu devant l’alternative drastique : ou bien la vie, ou bien la mort, ou bien Dieu ou bien Satan ou Mammon. Il élimine ainsi totalement ce qu’on pourrait appeler « l’impératif disjonctif », ou bien ou bien – qui fait d’ailleurs défaut dans l’œuvre de Kant, qui ne reconnaît que l’impératif catégorique et hypothétique. Il délaisse ainsi totalement ce que Max Weber appelle « le schéma deutéronomique du choix 24 », qu’on retrouve ensuite chez Amos 25 et dans l’Evangile 26. C’est que le discours d’Eckhart, comme celui de Maïmonide, ne vise pas à inquiéter son lecteur en abattant les fausses assurances de ceux qui croient « avoir toujours le temps » et disposer à jamais de la sécurité pérenne du monde, mais à rassurer ceux qui sont égarés et désorientés, et qui ont besoin de retrouver un monde ordonné où le supérieur commande à l’inférieur. Son discours se détourne de l’existentiel pour revenir à l’essentiel.

avait vécu. Mais lorsque je trouvai la véritable différence et compris que la Loi est une chose et l’Évangile une autre, j’y vis clair. » 23.  Jean Tauler , Sermon 15, éd. Hugueny – Théry – Corin, Paris, 1991, p. 112113 : « un aimable maître nous a instruits et a parlé sur ce sujet et vous ne l’avez pas compris. Il parlait du point de vue de l’éternité, et vous l’avez entendu du point de vue du temps ». 24. M. Weber , Le Judaïsme antique, Paris, 1998, p. 405-406 (1920) : « D’autre part, il existe chez presque tous les prophètes une alternative (…) qui est caracté­ ristique du Deutéronome : le peuple connaîtra le salut ou le malheur selon son comportement. » Voir aussi p. 276. 25. A. Neher , Amos. Contribution à l ’étude du prophétisme, Paris, 19501, 19812 (Thèse de doctorat de l’Université de Strasbourg, 1947), p. 112 : « Nous pensons, avec Weber, que la première complainte d’Amos est traitée selon ce schéma deutéronomique. L’espérance eschatologique ne s’y évade point vers des horizons lointains, elle ne se sublime point dans un clair-obscur imprécis. Elle se manifeste dans la journée concrète et actuelle où Amos adressa son message au peuple. Elle appelle ce peuple à l’écoute et lui propose un choix. » Je me demande si Neher n’a pas reculé ici devant l’oxymore « impose un choix ». 26. Mt 6, 24 : Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou bien il haïra l ’un, et aimera l ’autre ; ou bien il s’attachera à l ’un, et méprisera l ’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. K. Jaspers écrit, dans la lignée de Kierkegaard, à propos de Jésus, dans Les Grands philosophes, 1957 (Paris, coll. « Agora », 1989, t. I, p. 257), que « chaque homme est placé devant cette redoutable alternative d’être reçu dans le royaume des cieux ou d’être rejeté. Il y a Dieu et le diable, les anges et les démons, le bien et le mal. Chacun doit savoir dans quelle direction il doit aller. Un aut, aut s’impose à chaque individu. »

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III. L e C h r i s t

au cœu r de s

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É cr i t u r e s

On comprend mieux, à ce stade, le lien effectué par Eckhart avec le Christ, dans la suite de la préface des Paraboles de la Genèse. Le texte biblique, explique-t-il, « parle en effet du Christ par images » (n. 3), car « personne ne doit s’imaginer comprendre les Écritures, s’il ne sait pas en trouver la moelle (medullam), à savoir le Christ, qui est la Vérité qui se cache en elles. » (ibid.) Cette manière de christocentrisme de l’interprétation va au-delà de la référence : il ne s’agit pas simplement de dire que l’Ancien Testament parle aussi du Christ de façon anticipée, mais d’évoquer la réalité même du texte dans sa substance même. Car la signification même du texte biblique retrouve l’union hypostatique du Christ, vrai homme et vrai Dieu. Impossible par conséquent de ne pas dire aussi : vrai sens littéral et vrai sens figuré. Considérer le sens littéral comme un sens faux ou absurde serait une espèce de docétisme exégétique, et en rester, à l’inverse, au sens littéral une espèce d’humanitarisme positif. Notre thèse est donc que le second commentaire de la Genèse se caractérise par une certaine façon d’opter pour une exégèse qui unit le sens littéral et le sens figuré. Cela s’oppose donc au littéralisme de principe, qui ne passe au sens figuré que contraint et forcé par l’absurdité de la lettre, et à l’allégorisme de principe, qui force le texte sans cesse. On trouve ce qui pourrait bien être une preuve de cette thèse dans le commentaire de Genèse 2, 8 : Or le Seigneur avait planté, dès le commencement, un jardin délicieux. Eckhart nous dit alors qu’il existe trois grandes opinions : l’une qui en reste au sens littéral, qui se rapproche de Jérôme, l’autre qui opte pour le sens figuré, et qui correspond peu ou prou à Origène, et la troisième, qui réunit les deux, et qui correspond à Saint Augustin. Or ce passage du deuxième commentaire, le § 76 exactement, se retrouve aussi dans le premier commentaire, au § 186. On a d’abord cru qu’il s’agissait dans les Paraboles de la Genèse d’une reprise d’Eckhart qui aurait oublié de reformuler son recopiage ; mais certains commentateurs avisés, Loris Sturlese en l’occurrence 27, ont fait remarquer que le texte contient un renvoi à un passage du chapitre 3, parlant de la tentation et du péché, qui est développé essentiellement et longuement dans le deuxième commentaire et non dans le premier. Ce passage se trouve donc dans le second Commentaire, et a été recopié dans le remier. Or il est particulièrement symptomatique que ce texte « 2e version » soit justement un texte qui dépasse le littéralisme et l’allégorisme, pour défendre une exégèse parabolique, recherchant l’esprit sous la lettre sans renier celui-ci, ce que nous pourrions appeler - pourquoi pas ? - le « parabolisme ». Il n’y a pas 27. L. Sturlese , « Les eckhartiens de Cologne », dans E. Zum Brunn (éd.), Voici Maître Eckhart, Grenoble, 1994, p. 366.

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par conséquent de révolution stylistique, tout au plus Eckhart entreprendil d’aller chercher au-delà du sens humain jusqu’au sens divin. Il unit, ce faisant, le goût pour la spéculation et le respect de la lettre dans la recherche du sens vrai. N’est-ce pas une sorte de réponse d’ailleurs au problème posé par les déviations de certaines béguines, trop enclines à suivre des spéculations dans le genre de celles d’Amaury de Bène, plutôt que la révélation biblique et la doctrine de l’Eglise ? Car le cas des béguines est fort instructif pour Eckhart, puisqu’elles lui tendent un miroir. L’évêque de Strasbourg leur reproche, dans la lettre qu’il adresse à ses paroissiens en 1317, leur insoumission, au sens pratique et ecclésiastique mais aussi au sens théorique et intellectuel, car elles croient faussement « qu’on trouve dans l’Évangile beaucoup de choses poétiques qui ne sont pas vraies », et que donc « les hommes doivent croire davantage les pensées humaines qui procèdent d’un cœur pur, que la doctrine évangélique 28 ». On retrouve là l’idée que le chrétien peut se libérer de la lettre de l’Écriture, du moment qu’il se sent investi directement par l’Esprit, sans la médiation de la lettre. Le danger évident de cette attitude « illuministe » a sans doute contribué à inciter Eckhart à recentrer son exégèse parabolique, lui permettant (insuffisamment au goût de ses censeurs) de se démarquer des béguines et de les ramener vers l’orthodoxie. Ses prédications strasbourgeoises montrent assez sa capacité à ne pas enfermer la théologie mystique dans l’ésotérisme 29. En fin de compte, il ne paraît pas que Maître Eckhart ait subitement pris le pari de se lancer dans une exégèse allégorisante sur le tard, après avoir longtemps collé au sens littéral. Disons plutôt qu’il a entrepris de préciser sa méthode en donnant à la parabole une définition inclusive et non exclusive de la lettre. Ce qu’il vise en effet dans le texte biblique va d’ailleurs au-delà de la simple opposition du littéral et du figuré : c’est plutôt le particulier et l’universel, le temporel et l’éternel, qui sont ici distingués et unis. Une manière de clarifier les choses serait peut-être d’ajouter des majuscules pour décrire le type d’exégèse utilisé par Eckhart dans les Paraboles de la Genèse. Car il ne s’agit pas simplement de repérer l’intention de l’auteur en recherchant parfois l’esprit sous la lettre, mais de révéler cette foisci l’Esprit divin sous la Lettre de la Bible.

28. E. M angin, « La Lettre du 13 août 1317 écrite par l’évêque de Strasbourg contre les disciples du libre esprit », Revue des sciences religieuses 74 (2001), p. 522538. 29. M.-A. Vannier , « Maître Eckhart à Strasbourg », dans E. Zum Brunn (éd.), Voici Maître Eckhart, Grenoble, 1994, p. 341-353.

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DER H ERABSTIEG DER WEISHEIT IN IHR H AUS Nikolaus von Kues und das Alte Testament Harald Schwaetzer Kueser Akademie, Bernkastel-Kues

Résumé Comme on le sait, l’œuvre de Nicolas de Cues comprend près de 300 sermons, qu’il a lui-même préparés pour la publication. On ne peut séparer le prédicateur du philosophe en Nicolas de Cues. Bien que la plupart de ses sermons soient en lien avec le Nouveau Testament et que la christologie constitue le cœur des sermons du Cusain, on y trouve, également, une réflexion solide sur l’Ancien Testament. Nous dégagerons, dans cette communication, le sens de cette exégèse, à partir d’exemples précis. Abstract The actual work of Nicholas of Cusa includes nearly 300 sermons, which he himself has prepared for publication. The preacher Cusanus is from not to be separated from the philosopher Cusanus. Although most of the Sermons are dedicated to a New Testament context and the Christology forms the centerpiece of the Cusan sermons, it is found in the sermons also a well-founded discussion with the Old Testament. The philosophical meaning of this exegesis is said in the lecture exemplified.

Man kennt Nikolaus von Kues als Philosophen und Theologen. Er hat auch als Politiker, Kirchenmann, Jurist, Humanist, Naturwissenschaftler, Mathematiker und Geograph, Erfinder von Spielen und Gesprächspartner von Künstlern gewirkt. Er war Bischof von Brixen und Kardinal von St.Peter in Ketten. Seine Ideen einer „docta ignorantia“, einer „coincidentia oppositorum“, einer „coniectura“, sein Globus-Spiel – all dieses verbindet man mit seinem Namen. Doch sind alle diese Positionen und Gedanken vor allem aus seinem philosophischen Werk bekannt. Gerne vergisst man, dass Nikolaus von Kues als einer der wenigen Kardinäle seiner Zeit gerne und viel selbst gepredigt hat, ja, dass er sogar seine Predigten edieren wollte. Insgesamt sind fast 300 seiner Predigten erhalJudaïsme et christianisme au Moyen Âge, éd. par Marie-Anne Vannier, Turnhout : Brepols, 2019, (Judaïsme ancien et origines du christianisme, 17), p. 133-144 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.117480 © F  H  G

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ten 1. Sie alle dokumentieren nicht nur eine Einheit von Philosophie und Theologie, sondern weisen einen unglaublichen Reichtum an Themen auf, der von theologischen Spezialfragen über philosophische Problemstellungen zu mystischen und alchimistischen Fragen reicht. Naturgemäß liegt ein Schwerpunkt auf Predigten zu einem neutestamentlichen Bibelwort. Diejenigen Texte, die als Predigttexte Verwendung finden, sind zumeist durch Feste im Kirchenjahr bedingt. So predigt natürlich auch Cusanus am Sonntag von Trinitatis zu Jesaja 6. Quer durch die Predigten lässt sich freilich ein nicht immer breit, aber doch meist implizit vorhandener Schwerpunkt ausmachen, der bei einem Denker wie Cusanus nicht verwundert. Er konzentriert sich in seinen Überlegungen zum Alten Testament stark auf die Weisheitstradition in ihrer Verbindung mit der Christologie 2 . Insbesondere steht im Zentrum seiner Überlegungen der Begriff der Weisheit selbst. An zwei exemplarischen Predigten, die dieses Verhältnis explizieren, sei dieser Ansatz im Folgenden aufgewiesen : Untersucht werden zwei Predigten aus der Brixener Zeit : Sermo C vom 8. September 1451 und Sermo CXXIV vom 31. Juli 1452. I. S e r mo C Sermo C hat als Grundtext den Vers zum Ruhetag der Schöpfungsgeschichte : „Complevitque Deus die sexto opus suum, quod fecerat, et requievit die septimo, etc.“ (n. 1). Das ist ein Text, über den Cusanus selten spricht und noch seltener predigt 3. Bemerkenswert ist, dass Cusanus unmittelbar mit einem Bezug zur Inkarnation Christi einsetzt. Die Predigt beginnt mit dem Satz : „Joseph fuit faber lignarius, etc.“ (n. 2). Dieser Anfang erlaubt es Cusanus, durch 1. Zum Predigtwerk des Cusanus vgl. die beiden ihm gewidmeten Bände 30 und 31 der MFCG. Eine Übersicht zur Cusanus-Literatur zum Predigtwerk bietet: P. Casarella, Word as Bread. Language and Theology in Nicholas of Cusa, Münster, 2017, p. 305 ff. 2. Vgl. dazu A. H aas , « Nikolaus von Kues in der traditio sapientiae », in A.  H aas , Mystik im Kontext, München, 2004, p. 248-261. Zur Christologie bei Eckhart und Cusanus vgl.: M.-A. Vannier (éd.), La Christologie chez les mystiques Rhénans et Nicolas de Cues, Paris, 2012. 3.  Cusanus zitiert den Vers noch in folgenden Predigten: Sermo IX n. 1, n. 2, n. 9, n. 18, n. 20, n. 32, Sermo XXII n. 45, CXXXII n. 6. Insgesamt gibt es also neben Sermo C nur noch Sermo IX, in dem der Vers als Predigtvers von zentraler Bedeutung ist; daneben finden sich sonst nur zwei Zitationen in Sermo XXII und in Sermo CXXXII. Da Sermo IX zu den ganz frühen Predigten des jungen Cusanus gehört, gehalten noch vor dem Besuch des Basler Konzils – die Predigt ist vermutlich am 8. September 1431 in Koblenz gehalten, vgl. die Praenotanda in h XVI, 175 –, bietet Sermo C die einzige systematische Auslegung des Cusanus zu diesem Vers.

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den Rückgriff auf den Zimmermann das Bild der Weisheit vorzubereiten. Dabei darf man nicht vergessen, dass der Begriff „Holz“ von Cusanus nicht nur als „lignum“ gedacht wird, sondern dass er im Hintergrund auch „materia“ hört – das Bauholz, aus dem ein Haus gebaut wird. Dadurch wird der Bezug zur schöpferischen Weisheit nochmals stärker grundiert. Das bildhafte Argument wird von Cusanus folgendermaßen aufgebaut : „Nota, sicut faber lignarius, qui vult sibi facere locum requiei, facit per sex dies domum et in sexta die complet cameram, in qua die septimo quiescit, sic Deus creator suae Sapientiae aeternae, quae et Filius dicitur, aedificavit domum via creationis per gradus“ (n. 2).

Das Bild des Zimmermanns wird mit dem Bild des Schöpfers verflochten, indem die Tätigkeit des Zimmermanns auf das sechstägige Bauen einer Kammer für sich selbst bezogen wird. Diese Wendung ist ein wenig überraschend, da man zunächst denken würde, dass der Zimmermann für jemanden anders ein Haus baut. Der selbstreflexive Bezug, den Cusanus hier wählt, variiert damit ein bekanntes Bild aus „De mente“ : dasjenige des Malers, der sich selbst malt. „Ein jeder Maler malt sich selbst“ lautet ein bekanntes italienisches Sprichwort der Zeit 4 . Dass Nikolaus von Kues in einem intensiven Austausch mit den Flämischen Malern gestanden hat, bedarf keiner weiteren Diskussion 5. Dass Cusanus Rogier 1453 in De visione Dei „pictor maximus“ nennt, ist gleichfalls hinlänglich bekannt 6. Auch ist belegt, dass Nikolaus von Kues auf seiner Legationsreise 1451/52 einen Abstecher nach Brüssel machte, mit dem Ziel, die Gerechtigkeitsbilder Rogier van der Weydens im dortigen Rathaus zu sehen. Fragt man sich, warum Nikolaus ein solch auffälliges Interesse für Rogier äußert, wird man auf den Sommer 1450 verwiesen, eben jenen Sommer, in dem die Idiota-Dialoge entstehen. Im Sommer 1450 sind Rogier und Nikolaus in Italien, und es ist, stellt man alle Umstände in Rechnung, wahrscheinlich, dass sie sich bei dieser Gelegenheit getroffen haben 7. 4.  Zu den theologischen Implikationen, insbesondere mit Blick auf die Malerei bei Klee und Malewitsch, vgl. V. Rühle , Der Blick des Bildes und das geistige Sehen, in I. Bocken -. T. Borsche (Hg.), Kann das Denken malen? Philosophie und Malerei in der Renaissance, München, 2010, p. 19-44. 5.  Vgl. W. C. Schneider – H. Schwaetzer – M. de Mey – I. Bocken (Hg.), „videre et videri coincidunt“. Theorien des Sehens in der ersten Hälfte des 15. Jahrhunderts, Münster, 2011; E. Filippi – H. Schwaetzer (Hg.), Spiegel der Seele. Reflexionen in Mystik und Malerei, Münster, 2012. Ferner die wichtigen Arbeiten von Belting, hier vor allem: H. Belting, Spiegel der Welt. Die Erfindung des Gemäldes in den Niederlanden, München, 2010. 6.  De visione Dei: praefatio (h VI n. 2). 7. Vgl. dazu H Schwaetzer , « Das lebendige Selbstporträt bei Nikolaus von Kues und Rogier van der Weyden », in H. Schwaetzer – E. Filippi (Hg.), Spiegel der Seele. Reflexionen in Mystik und Malerei, Münster, 2012, p. 161-176.

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Will man den Zeitraum des Sommers noch weiter eingrenzen, so ist der Aufenthalt in Rom und Umgebung von Rogier van der Weyden wohl für August anzusetzen ; Rogier van der Weyden reiste, wie es scheint, in dieser Zeit von Florenz nach Neapel 8. Nikolaus von Kues vollendet am 23. August 1450 De mente. Er schreibt den Dialog – wie auch die anderen Idiota-Dialoge – sehr schnell und nahezu in einem Zug. De sapientia I ist am 15. Juli fertig gestellt ; De sapientia II wird am 8. August abgeschlossen 9. Demnach ist De mente zwischen dem 8. und 23. August 1450 geschrieben, also genau in der Zeit, in welche die wahrscheinliche Begegnung mit Rogier fällt. In diesem Kontext steht das zentrale Aenigma des Malers, der sich selbst malt ; Nikolaus kombiniert dazu die theologische Metapher der imago mit derjenigen der Malerei 10. Es heißt : „Das ist so, wie wenn ein Maler zwei Bilder malte, von denen das eine, tote, ihm in Wirklichkeit ähnlicher schiene, das andere aber, das weniger ähnliche, lebendig wäre, nämlich ein solches, das, durch seinen Gegenstand in Bewegung gesetzt, sich selbst immer gleichförmiger machen könnte. Niemand zweifelt daran, daß das zweite vollkommener ist, weil es gleichsam die Malkunst mehr nachahmt“ 11.

Was Nikolaus hier vorschlägt, ist 1450 sehr ungewöhnlich. Er beschreibt den Prozess der Entstehung eines Selbstbildnisses. Die Idee eines Autoporträts um 1450 ist sicherlich selbst schon ziemlich modern. Aus dieser Zeit existiert zumindest noch kein signiertes Selbstbildnis 12 . Über derartige Bilder bei van Eyck kann man freilich spekulieren 13. Hier wird nun aber noch der Prozess des Malens eines Autoporträts reflektiert. Und nicht genug damit, das Bild wird derart aufgebrochen, dass Cusanus vorschlägt, 8.  Vgl. L. Castelfranchi  Vegas , Italien und Flandern. Die Geburt der Renaissance, Stuttgart-Zürich, 1984, p. 54 f. 9.  Vgl. dazu die praefatio in h ²V, p. x . 10.  Zum Verhältnis der Idee des Menschen einer „viva imago Dei“ bei Cusanus zu Meister Eckhart vgl. H. Schwaetzer , « L’importance d’Eckhart dans la genèse du concept cuséen de ‘filiatio Dei’ », in M.-A. Vannier (éd.), La naissance de Dieu dans l ’ âme chez Eckart et Nicolas de Cues, Paris, 2006, p. 101-120. 11.  De mente c. 13 (h V² n. 149): „quasi si pictor duas imagines faceret, quarum una mortua videretur actu sibi similior, alia autem minus similis viva, scilicet talis, quae se ipsam ex obiecto eius ad motum incitata conformiorem semper facere posset, nemo haesitat secundam perfectiorem quasi artem pictoris magis imitantem“. Zum Kontext vgl. den genannten Art. Miroir. 12.  Vgl. dazu z.B. N. Schneider , Porträtmalerei. Hauptwerke europäischer Bildkunst 1420-1670, Köln, 1994. 13. Zu van Eyck und seinen Darstellungsformen einer Regeneratio in diesem Sinne vgl. H. Schwaetzer , « Die Verkündigung der Gottesgeburt: Meister Eckhart, Cusanus und Jan van Eyck », in H. Schwaetzer – G. Steer (Hg.), Meister Eckhart und Nikolaus von Kues, Meister-Eckhart-Jahrbuch 4 (2011), p. 1-18.

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das Bild auf der Leinwand male sich selbst weiter, unabhängig von seinem Maler und Schöpfer. Dem Bild wird also eine Selbständigkeit gegenüber dem Wesen zugesprochen, und es ist das Bild, welches die Freiheit der Selbständigkeit erlangt 14 . Dieser kleine Exkurs wurde hier eingefügt, um deutlich zu machen, welche Implikationen in der Idee eines Zimmermanns, der sich sein Haus zimmert, liegen. Sermo C beschreibt damit den Parallelvorgang in der Schöpfung, um ihn zugleich bezüglich der Inkarnation auf die Figur Josephs zu beziehen. Auf diese Weise wird deutlich, dass der ewigen Weisheit, verstanden als Christus, durch Joseph ein Haus bereitet ist, nämlich der Mensch, in dem er einziehen kann und soll, um in ihm seine Ruhe zu finden. Bestätigend fügt Sermo C hinzu : „et quia propria domus sapientiae est rationalis anima, quae sola est capax sapientiae, ideo, antequam illam faceret, non potuit habere, ubi quiesceret“ (n. 2). Es geht also im Bild nicht einfach nur um die Bereitung eines Leibes, sondern die Struktur dieser Leiblichkeit erstreckt sich bis zur „anima rationalis“. Vorbereitet durch die Schöpfung ist ein seiendes, lebendes, beseeltes und vernünftiges Geschöpf, in dem allein die Weisheit selbst ruhen kann. Im letzten Schritt wird diese Haus der Weisheit, welches bislang dem Menschen überhaupt galt, auf ein einzelnes Individuum spezifiziert, in das die Weisheit sich dann inkarnieren kann : „Unde inter omnia rationabilia, quae creavit in sexto die, unam propriam cameram filio suo creavit seu aedificavit et hanc eodem die complevit. Et tunc cessavit aedificare. Descenditque filius et inhabitavit illam cameram et benedixit, etc.“ (n. 2). Damit ist der erste Gedankenschritt von Sermo C abgeschlossen. Ein zentraler Punkt ist für Cusanus offenbar der Gedanke, dass die „anima rationalis“ nicht die Weisheit ist oder hat, sondern allein den Ort bildet, an dem die Weisheit ruhen kann. Wir werden auf diesen Gedanken zurückkommen. Zunächst einmal entwickelt Cusanus den systematischen Gedanken, dass zwischen zwei Geburten zu unterscheiden ist : der aus Eva und der aus Christus : „Generatio ex Eva est animalis per concupiscentiam, generatio ex Christo est spiritualis per caritatem. Et prima generatio vocatur nativitas, ut ait Christus : « Non meminit pressurae, quia natus est homo » etc. Secunda vocatur regeneratio“ (n. 4) Bezogen auf die Frage nach Weisheit wird damit ersichtlich, dass die Seele zwar die Fähigkeit zur Aufnahme der Weisheit hat, aber dass sie diese in der irdischen Geburt gerade nicht ausübt. Die irdische Geburt 14.  Vgl. dazu H. Schwaetzer , « Il San Luca ritrae la Vergine di Rogier : una visione intellettuale », in S. Castri (éd.), Apocrifi. Memorie e leggende oltre i Vangeli, Milano, 2009, p. 97-103. Ferner: Ders., « Das lebendige Selbstporträt bei Nikolaus von Kues und Rogier van der Weyden », in H. Schwaetzer – E. Filippi (Hg.), Spiegel der Seele. Reflexionen in Mystik und Malerei, Münster, 2012, p. 161-176.

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meint, bezogen auf die Erkenntnisfähigkeit des Menschen, die gewöhnliche Reflexivität des denkenden Subjekts. Das reflektierende Denken findet keine Weisheit, sondern nur „ignorantia“, im besten Falle kann es zu einer „docta ignorantia“ gelangen. Erst in der “regeneratio“, der spirituellen Wiedergeburt, vermag die Seele aus dem Geborenwerden aus dem Geiste heraus, im eigentlichen Sinne ein Ort der Aufnahme der Weisheit zu werden. Nur knapp deutet der Text an, dass es dabei um einen Vorgang der Reinigung in sechs Stufen geht, wie Cusanus ihn etwa von Bonaventura kannte : „Et quievit Deus a purificando die sexto, quia ad gradum supremum terra elevata fuit in Maria“ (n. 4). Die Reinigung in sechs Tagen, also sechs Graden, ist die Bedingung der Erleuchtung und Wiedergeburt in der Ruhe des siebten Tages. Hinter ihr steht bei Cusanus die Idee einer „christiformitas“ in einer Adaption der platonischen „Homoiosis to theo“ und der „Gotteskindschaft“ 15. Die Geburt der Weisheit in der menschlichen Seele ist damit die Erleuchtung, die hier gemeint ist. Dieser ganze Gedanke ist Meister Eckharts Gottesgeburt in der Seele systematisch verwandt ; er wird hier freilich schöpfungstheologisch fundiert. II. S e r mo CXXIV Sermo CXXIV liegt als Predigttext die Perikope nach Lukas 19, 1-10 zugrunde. Zachäus möchte Jesus sehen ; er ist aber klein. Deswegen steigt er auf einen Maulbeerfeigenbaum. Jesus erblickt ihn und heißt ihn herunterzusteigen ; er lässt sich in das Haus des Zächaus führen. Dann folgt das Herrenwort, welches im Zentrum steht : Jesus komme zu suchen und zu retten, was verloren sei. Cusanus weist auf diesen Punkt gleich eingangs hin : „Evangelium ostendit coincidentiam, quo modo quaerere sit quaeri“ (n. 2). An dieser Predigt ist bemerkenswert, dass Nikolaus nur dieses eine Mal über die Gestalt des Zachäus predigt. Dieses geistige ‚hapax legomenon‘ist indes eine der wichtigsten Selbstvergewisserungen des Cusanus über sein Verhältnis und Verständnis bezüglich des Alten Testaments. Die Geschichte ist in vielerlei Hinsicht eine typische wie exemplarische Perikope. Der Aufstieg auf den Feigenbaum symbolisiert die vorchristliche mystische Tradition. Der Feigenbaum wird in Variationen gerne als Baumsymbol einer Einweihung oder Erleuchtung verstanden. Das Hinaufsteigen

15.  Vgl. dazu H. Schwaetzer , « La conformation au Christ d’après Nicolas de Cues », in M.-A. Vannier (ed.), La prédication et l ’Église chez Eckhart et Nicolas de Cues, Paris, 2008, p. 119-130. Zum Begriff der Christiformitas : Ders. : « La christiformitas chez Nicolas de Cues », in M.-A. Vannier (ed.), La christologie chez les mystiques rhénans et Nicolas de Cues, Paris, 2012, p. 201-206.

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auf ihn deutet die unterschiedlichen Schritte oder Grade von Reinigung und Erleuchtung an. Bemerkenswert ist jetzt die Umdeutung dieses Schemas durch das Evangelium. Das Hinaufsteigen wird zwar keineswegs als unnötig beschrieben, aber es ist vergebens. Denn erst wenn man wieder herabsteigt und in sein Haus zurückgeht, kommt es zur eigentlichen Begegnung mit dem Herrn. Nikolaus kennzeichnet das als „Ineinsfall von Suchen und Gesuchtwerden“. Der erste Punkt, den Nikolaus verdeutlicht, ist, dass Suchen nur möglich ist, wo man schon gesucht wird. „Quaerere autem eius, quid est, nisi, ut quaeratur ?“ (n. 3). In einer Paraphrase des Textes entwickelt Nikolaus diesen Gedanken : „ « videre Christum, quis esset ». Sed Zachaeus, nisi a Christo fuisset quaesitus, non ipsum. Ipse enim est, dicit textus, et « perambulabat Jericho », ut , « quod perierat ». Et sic prior , et dum , quaesitus est. Nisi enim ipse praeveniret , eum ignorans quo modo  ?“ (n. 2). Diese Haltung fußt aber offenkundig auf einer bestimmten Einsicht : Wer sucht und glaubt, er könne aus sich finden, der vermeint, er könne aus eigener Erkenntnis aufsteigen. Aber man muss wissen, dass man da aus eigenen Kräften nichts findet. Das Bild deutet Cusanus also an erster Stelle als einen Ausdruck der „docta ignorantia“. Er verleiht dem auch direkten Ausdruck mit der Schlusswendung des zitierten Textes, die mit dem „ignorans“ terminologisch deutlich ist. Im Folgenden kehrt sich diese Einsicht überraschenderweise um. Das Nicht-Wissen wird in der Deutung des Nikolaus in der Kleinheit des Zachäus aufgriffen. Die Predigt fährt, das Evangelium zitierend, fort : „« Ascendit » igitur, « quia statura pusillus erat »“ (n. 3). Gerade weil Zachäus klein ist, also nichts weiß, muss er sich mit allen Kräften darum bemühen aufzusteigen. Aber das Ergebnis dieses Mühens ist nicht der gelungene Aufstieg, sondern die Erfahrung, Christus zu sehen, der einen bittet, herabzusteigen. Diese Geste verweist auf die eigentliche Demut, die im Verzicht auf die im Heraufsteigen erworbenen Kräfte besteht 16, weil sie nicht die eigentlichen sind 17. Nikolaus formuliert kurz : „Sed quanto plus

16. Vgl. H. Schwaetzer , « haec reserare solent multis obscura legendi. Demut als Erkenntnisform der Wissenschaft », in M.-A. Vannier (Hg.), L’humilité chez les mystiques rhénans et Nicolas de Cues – Demut in Eckhart und Cusanus, Paris, 2016, p. 113-123. 17. Einen weiteren methodischen Hintergrund bildet die Idee der doppelten Partizipation, vgl. dazu K. Yamaki, « Die doppelte Struktur der Subjektivität im Denken des Nikolaus von Kues – unter besonderer Berücksichtigung des Sehens (videre) », in Ders., Anregung und Übung. Zur Laienphilosophie des Nikolaus von Kues, Münster, 2017, p. 183-198; H. Schwaetzer , « La teoría cusana de la visión como participación doble », in J. M. M achetta – C. D’A mico (ed.), Identidad y alteridad. Pensamiento y diálogo, Buenos Aires, 2010, p. 261-272.

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ascendit per vires proprias sursum, tantum minus invenit. Oportet enim, quod ad humiliationem per fidem“ (n. 5). Mit dem nun folgenden Gedanken greift die Predigt CXXIV die Gedankenführung von Sermo C auf. Das Herabsteigen führt in das eigene Haus, die Kammer, die vom Zimmermann bereitet ist. Sie stellt das eigentliche Haus der Seele und der Weisheit dar. Die Predigt CXXIV wählt folgenden Übergang : „Christus deinde ostendit, quo modo venit – ut Jesus ad salvandum – non in « domum » tantum « manufactam » ex lapidibus, sed in animam Zacchei“ (n. 7). Es geht nicht nur um das von Menschenhand gemachte Haus, sondern um die Seele des Zachäus ; sie ist, so denkt man schon mit, das Haus der Weisheit. Und die Vermutung wird sogleich bestätigt : „Ad propositum quaerit “ (n. 7). Damit steht die vorliegende Predigt ebenfalls wiederum im gedanklichen Kontext von Sermo C. Die Idee der schöpferischen Weisheit erweist sich für Cusanus als hermeneutischer Schlüssel, um Schöpfung, Inkarnation und Menschsein zu verstehen. Gleich mit dem nächsten Satz schließt Nikolaus diesen Gedanken an seine zentrale Figur der „docta ignorantia“ an : „Visitat illam, quae « perierat » ignorantia“ (n. 7). Auf dieser Grundlage nun kann die Predigt ein umfassendes Bild der Weisheitstheologie auf knappem Raum entfalten. „Attende , et quia nihil erat, ex quo posset aedificari . Non enim est Sapientia in aliquo, quod sit ex alio quam Sapientia, quo modo scilicet anima capax Sapientiae, ex nihilo est. Et quia oportet, quod sit immarcescibilis. enim et “ (n. 7). Eingeleitet mit einem „attende“ gibt die Passage die Erklärung, dass die Weisheit kein anderes Haus haben kann als eines, das von ihr selbst und aus eigener Substanz gebaut ist. Daraus folgt, dass die menschliche Seele aufnahmefähig für die Weisheit sein muss. Sie ist gleichartig mit ihr, aber muss diese Gleichartigkeit erst wieder zur Erscheinung bringen. Aus dieser Konfiguration ergibt sich für Cusanus der Adel der Seele : „Et nota, quae est nobilitas rationalis spiritus ! Nam oportet, quod in ea sit Sapientiae, quae alibi manere non potest. Veritas non habet mansionem nisi in intellectu. Reperimus in nobis lumen, in quo experimur in nobis habitare Sapientiam“ (n. 8). Terminologisch genauer beschreibt die Stelle nun den „intellectus“ als den eigentlichen Ort, also das Vermögen geistiger Wahrnehmung, dessen Tätigkeit von Hause aus den Engeln zu eigen ist : „motus intellectualis, qui est motus angelicus“, heißt es in Sermo XLVII n. 11 kurz 18. Das „Hinaufsteigen“ ist also ein Reinigen der Seele, hin auf 18.  Vgl. H. Schwaetzer , « Der Intellekt als Künstler. Geist als Ichlichkeit bei Nikolaus von Kues », in H. Schwaetzer – M.-A.  Vannier (Hg.), Zum Intellektverständnis bei Meister Eckhart und Nikolaus von Kues, Münster, 2012, p. 107-116.

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ein Freilegen des Intellectus. Dieser Intellekt steigt dann aber nicht in rein geistige Höhen auf, wie der Engel, sondern er wendet sich zurück in das Haus, also in den Leib, ins konkrete Leben, indem er so der Bewegung des sich inkarnierenden Logos folgt. Nikolaus schließt eine Betrachtung der Wandlung des Hauses an : „Et nota, quod sicut domus, quae est locus habitationis creaturarum, transfertur a sua prophanatione, ut sit « domus Dei », sic anima rationalis per Sapientiam aedificata demum transfertur, ut sit “ (n. 8). Wenngleich er hier das Verb „transferre“ verwendet, wird doch deutlich, dass hier eine Substanzverwandlung stattfindet : Die eigentliche Substanz des menschlichen Hauses wird im Sinne einer regeneratio von Sermo C wiederhergestellt. Das sich vollziehende Geschehen ist also ein substanzielles, bis ins Leibliche gehendes. Die Begegnung mit dem Herrn als Geschehen der Einweihung hat eine Verwandlung bis in den Leib zur Folge, insofern sie auch auf einer Wahrnehmung Jesu im Haus, also auch im Leib, beruht. Aus dieser Idee heraus entwickelt Nikolaus eine kleine Philosophie des Ortes : „Considera bene, quo modo sine loco nihil esse potest, et quo modo unumquodque quiescit in loco suo. Et hic ordo rerum venit ex Sapientia incomprehensibili. Sapientia igitur, , omnia ordinavit ad se, ut in omnibus reluceat. Si igitur omnia non aliter quiescere possunt nisi in locis suis, erunt omnia loca mansiones quietis. Unde formae omnes quietes sunt quaedam, quia cum res perveniunt ad suas formas, quiescunt. Sunt igitur loci formales. Sed « locus » omnium formalium locorum seu « specierum » est anima intellectiva, ut patet. Locus igitur Sapientiae, ubi Sapientia quiescit, est anima intellectiva“ (n. 9).

Der Argumentationsgang zeigt, dass der Ort der Weisheit die Intellektseele ist. Das ist aus dem bisher Entwickelten deutlich und klar. Der Abschnitt lässt ersichtlich werden, dass die Seele nicht Subjekt, sondern Ort der Weisheit ist. Auf diesen zentralen Gedanken waren wir schon in Sermo C gestoßen. Hier ist er nochmals in aller Klarheit formuliert. Es besteht wohl kein Zweifel, dass Nikolaus hier eine Position Meister Eckharts aufgreift, die dieser in der zweiten Pariser Quaestio formuliert hat : „Wenn das Erkenntnisbild etwa ein Seiendes ist, so ist es ein Akzidens ; denn es ist nicht Substanz. Nun ist aber das Erkenntnisbild kein Akzidens, weil das Akzidens ein Subjekt hat, welches ihm das Sein gibt. Das Erkenntnisbild aber hat ein Objekt und kein Subjekt, weil Ort und Subjekt etwas Verschiedenes sind. Nun ist das Erkenntnisbild in der Seele nicht als seinem Subjekt, sondern als seinem Ort. Denn die Seele ist der Ort der Erkenntnisbilder, das heißt nicht die Seele als Ganzes, sondern der Intellekt. Es steht aber fest, daß, wenn das Erkenntnisbild überhaupt

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ein Subjekt hätte, nur die Seele dieses Subjekt sein könnte. Daher ist das Erkenntnisbild kein Seiendes“ 19.

Nikolaus von Kues liest, so haben die Ausführungen zu zeigen versucht, das Alte Testament von einer schöpferisch-dynamisch verstandenen Idee der Weisheit her, verknüpft mit der Christologie. Schöpfungsgeschehen, Inkarnation Christi und Gottwerdung des Menschen sind ihm, im Sinne der drei Geburten des Logos, ein aufeinander bezogenes Ganzes 20. Auf diese Weise wird auf der einen Seite eine philosophisch-weisheitliche Kontinuität erzeugt, auf der anderen Seite wird auch der fundamentale Wandel sichtbar : Die alte Form der Weisheit, das Hinaufsteigen auf den Feigenbaum als Aufstieg nach oben, wird aus der Schöpfungs- wie Inkarnationsbewegung der Weisheit selbst umgewandelt, indem aus dem Gedanken der „docta ignorantia“ heraus eine „devotio“ zugefügt wird, welche wiederum den Abstieg als notwendig ergänzt. Die sprachliche und philosophische Metapher dazu fußt auf dem Bibelwort, dass die Weisheit sich ein Haus gebaut hat, in dem sie wohnen kann. Diese Idee wird mit der Inkarnation Christi zusammengedacht. Dadurch entsteht eine Nähe zur Idee der Gottesgeburt in der Mystik. Die Weisheit baut sich ihr Haus als die menschliche Intellektseele, die bis ins konkrete Leben hinein wirksam wird. B i bl iogr a ph i e Sources Nikolai de Cusa, Opera omnia. Vol. 5: Idiota de sapiente, De mente, Hamburg, 1983; vol. 6: De visione Dei, Hamburg, 2000; vol. 16-19: Sermones I-IV, Hamburg, 1991-2009.

19. Magister Echardus , Quaestio Parisiensis II n. 5 (LW V, p. 51): „Si species sit ens, est accidens; non enim est substantia. Sed species non est accidens, quia accidens habet subiectum, a quo habet esse. Species autem habet obiectum et non subiectum, quia differunt locus et subiectum. Species autem est in anima non sicut in subiecto, sed sicut in loco. Anima enim est locus specierum, non tota, sed intellectus. Constat autem, si haberet subiectum species, quod anima esset eius subiectum. Quare species non est ens.“ Zu: „Anima enim est locus specierum, non tota, sed intellectus“ vgl. A ristoteles , De anima III c. 4 (429a 27). Der Begriff des Seins wird in dieser Passage im Sinne der ersten Kategorie bzw. des Verhältnispaares Substanz – Akzidenz gebraucht; das ist wichtig zu notieren, damit man nicht denkt, das Sein der Ideen wäre in Frage gestellt. Zur Diskussion vgl. Vannier: Eckhart und die Frage nach dem Subjekt. 20.  Vgl. H. Schwaetzer , « Sujet, intellect, image chez Nicholas de Cues », in M.-A.  Vannier (ed.), Sujet, intellect, image chez Eckhart et Nicholas de Cues, Paris, 2016, p. 83-110.

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144

HAR ALD SCHWAETZER

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I NDEX

I n de x A u t eu r s I n de x

t h é m at iqu e

I n de x A u t eu r s Albert le Grand, 31-32, 39, 41, 43-46, 95-100, 121-122 Aristote, 31, 73-74, 76, 127 Augustin, 96-97, 110, 129 Averroès, 70, 73 Eckhart, 7, 11-12, 46, 93-104, 107-118, 119-130, 134, 136, 138-139, 140142 Halevi, 11, 13-14, 16-18, 21, 23, 25-26 Hillel, 58, 82, 84-86 Hugues de Saint Cher, 34, 39, 41-43, 109 Jérôme, 32, 36, 41-42, 57, 108, 129 Maïmonide, 12, 29, 46, 67-77, 107-108, 111-117, 119-128

Méliton de Sardes, 86, 87 Michael Scot, 74-75 Moïse, 18-19, 21, 23, 53-54, 72-73, 94-96, 102, 111, 113, 115, 119, 124125, 127 Nicolas de Cues, 11-12, 133-134, 136, 138-139 Origène, 81, 108, 111, 125, 129 Philon d’Alexandrie, 65-66 Platon, 86, 124 Rashi, 31, 33, 36-40, 42, 64, 109 Thomas d’Aquin, 31, 39, 42, 96, 101, 107, 121, 125

I n de x

t h é m at iqu e

Ashkénaze, 89, 90, 100 Allégorie, 30, 58, 64, 65, 66, 67, 68, 70, 73, 76, 113, 126 Bible – Écriture, 12, 16, 18, 20, 29, 30, 31-33, 34, 38, 39, 40, 46, 52, 55-56, 59, 63-65, 70, 72-75, 77, 80, 94-98, 100-102, 108-112, 122-125, 129-130 Bible hébraïque, 64-65, 67, 70, 73, 75 Création, 12, 16, 22, 59, 68, 76, 109, 113, 115, 125, 135 Dialogue, 7, 8, 11, 12, 30, 48, 51, 52, 60, 80, 91, 107, 108, 112, 113, 115, 117, 118 Dieu/Elohim, 8-9, 15-18, 21-24, 30, 32, 35, 45, 57, 59, 67, 71-72, 76, 85, 87, 94, 95, 96, 97, 99, 102=104, 109, 112-117, 124-125, 127-129 École de Saint Victor, 64 Église, 8-9, 32-33, 45, 108, 130 Exégèse, 11-12, 29-32, 34, 36, 38-41, 43, 46, 51-52, 57-58, 63-77, 107-111, 119-121, 123, 123, 126, 129-130, 133 Fond, 31, 37, 45, 88, 126, 127 Haggadah, 81, 84, 87 Halakha, 66, 86, 87 Judaïsme rabbinique, 63-66 Kabbale, 108, 115

Littérature rabbinique, 34, 36, 63, 66, 70, 72, 77, 80, 99 Machal, 110, 125, 126 Midrash, 29, 37, 39, 40, 46, 63, 65, 66, 68, 69, 73, 80, 100, 101 Michna - Mishna, 75, 83-87, 102 Mystique, 7, 12, 102, 104, 107-109, 111-117, 130 Pâques/Pessach, 79, 83, 86 Parabole, 12, 21-23, 67-71, 108-113, 119-130 Philosophie, 11, 24, 63, 71-74, 77, 98, 134, 141 Religion, 9, 13-26, 75, 80, 81, 112 Septante (LXX), 20, 35, 57, 65 Synagogue, 8, 99, 109 Séder, 79, 82, 83, 85, 86-89 Targum, 35-37, 42 Talmud, 34, 39, 72, 73, 80, 83-85, 87, 98, 99, 108, 109 Théologie, 20, 30, 31, 33, 52, 121, 130, 134, 140 Tradition, 15, 19, 20, 35, 39, 43, 52, 58, 63, 66-68, 72, 74, 93-104, 134, 138 Torah - Tora, 14, 16-23, 67-69, 71-72, 74, 76, 86-88, 96, 98, 99, 112 Vulgate, 32-36, 41, 55, 57, 108, 125 Zohar, 80, 102, 109

TABLE DES MATIÈRES Sylvie Camet Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Marie-Anne Vannier Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Daniel Boyarin Medieval Jews without Judaism : The case of the Kuzari . . . . 13 Gilbert Dahan L’utilisation de l’exégèse juive chez les exégètes chrétiens . . . . 29 Annie Noblesse-Rocher Quelques remarques sur l’exégèse d’Ingetus Contardus dans la dis   pute de Palma de Majorque (1286) . . . . . . . . . . 51 David L emler Les rationalistes juifs face à l’allégorisme chrétien (xii e-xiii e siècle) . 63 Israël Yuval La matsa de Pessach et l’hostie de Pâques en Moyen Âge : Rela  tions reconsiderées . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Markus Vinzent Presbyteron kreitton ? The re-evaluation of Tradition by Jewish    and Christian teachers of the thirteenth and fourteenth   centuries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Marie-Anne Vannier Maître Eckhart et le Judaïsme . . . . . . . . . . . . . . 107 Jean-Claude Lagarrigue L’influence de l’exégèse parabolique de Maïmonide sur maître   Eckhart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Harald Schwaetzer Der Herabstieg der Weisheit in ihr Haus. Nikolaus von Kues und    das Alte Testament . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Index Auteurs - Index Thématique . . . . . . . . . . . . 145