Poco a poco. L’apport de l’édition italienne dans la culture francophone: Actes du LXe Colloque international d'études humanistes (CESR, 27-30 juin 2017) 9782503590288, 2503590284

La notion d'italianisme est, depuis plus d'un siècle, une étiquette prête à l'emploi sous laquelle la cri

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Poco a poco. L’apport de l’édition italienne dans la culture francophone: Actes du LXe Colloque international d'études humanistes (CESR, 27-30 juin 2017)
 9782503590288, 2503590284

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Poco a poco L'apport de l'édition italienne dans la culture francophone

Poco a poco L'apport de l'édition italienne dans la culture francophone Actes du LXe Colloque international d'études humanistes (CESR, 27-30 juin 2017)

Textes réunis par

Chiara Lastraioli & Massimo Scandola

Collection | Études Renaissantes Dirigée par Philippe Vendrix & Benoist Pierre

2020

centre d'études supérieures de la renaissance Université de Tours - Centre National de la Recherche Scientifique

Relecture, conception graphique et mise en page Alice Nué - CESR

© 2020, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. ISBN 978-2-503-59028-8 E-ISBN978-2-503-59029-5 DOI 10.1484/M.ER-EB.5.120748 ISSN 1783-0389 E-ISSN 2565-9529 All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. Printed in the E.U. on acid-free paper

D/2020/0095/261

En couverture : Marque de Bastien Honorat figurant dans Figures de la Bible declarees par stances, par G. C. T. Augmantees de grand Nombre de figures aux Actes des Apostres, A Lyon, Par Barathelemi Honorati. 1582, f. ã1, page de titre, CESR, Tours (SR 21B / 10213) (Crédits : BVH-Centre d'Études Supérieures de la Renaissance Tours)

avant-propos « Poco a poco » ou des pérégrinations d’une devise Chiara Lastraioli

CESR – UMR 7323 du CNRS- Université de Tours

Les études recueillies dans ce volume sont le fruit des enquêtes de plusieurs chercheurs européens qui ont collaboré, parfois de façon épisodique, parfois pendant plusieurs années, à des recherches portant sur la diffusion de la culture imprimée en italien dans les aires francophones, de la première modernité jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Ces recherches ont été coordonnées au sein d’un projet financé par l’Agence nationale pour la recherche (ANR) de 2013 à 20171 et vont se poursuivre dans les années à venir, car de vastes territoires restent encore à défricher et nombreux sont les questionnements qui n’ont pas encore trouvé de réponses. Le LXe colloque d’études humanistes, organisé au Centre d’études supérieures de la Renaissance en juin 2017, a permis de mettre l’accent sur des résultats marquants obtenus lors des quatre premières années de recherche, tout en sachant qu’au fil du temps d’autres études issues de la même équipe-projet avaient été divulgués lors de conférences et de journées d’études, donnant lieu à des publications sur différents supports2. Le titre du colloque, «  Poco a poco  ». L’apport de l’édition italienne dans la culture francophone avait suscité des interrogations qui méritent aujourd’hui une réponse articulée. Le titre de la manifestation mettait en exergue les modalités d’une compénétration progressive de la culture éditoriale italienne dans différents milieux culturels francophones, qui se fit peu à peu, poco a poco, non sans quelques résistances, parfois une certaine réciprocité ou encore une « mise en concurrence » 1 2

Il s’agit du projet ANR-13-BSH3-0010-01 intitulé L’Édition Italienne dans l’Espace Francophone à la première modernité (EDITEF). Voir à ce propos les volumes Itinéraires du livre italien à la Renaissance Suisse romande, anciens Pays-Bas et Liège, éd. par R.  Adam et Ch.  Lastraioli, Paris, Classiques Garnier, «  Travaux du Centre d’études supérieures de la Renaissance  », no  3), 2019 ; Traduire et collectionner le livre en italien à la Renaissance, éd. par É.  Boillet, B.  Conconi, Ch.  Lastraioli, M.  Scandola, Paris, Champion « Le savoir de Mantice », no 29, 2020 et la section Publications et Marginalia du site institutionnel du projet EDITEF (, consulté le 27/03/2020).

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des deux cultures transalpines. Quant à la peinture du xixe siècle qui illustrait l’affiche (fig. 1), représentant une jeune femme qui, debout dans une bibliothèque privée, feuillette avidement un volume, elle rappelait la longue durée de la circulation et de l’appropriation de la culture italienne de la Renaissance à des époques postérieures, comme l’attestent les nombreux inventaires des fonds de bibliothèques prérévolutionnaires. De fait, la volonté de mieux préciser les modalités d’acclimatation de la culture italienne de la première modernité non seulement dans les lettres françaises, mais aussi par rapport aux moyens de production, de commercialisation et de conservation des livres dans des collections privées et publiques, nous a permis de mieux interpréter l’évolution des goûts et des pratiques culturelles. De même, nous avons tenu à rappeler comment la France a pu incarner, pour des polygraphes et des imprimeurs italiens, non seulement un territoire favorable à une expansion commerciale ou, parfois, un lieu de refuge, mais également une occasion propice pour solliciter de nouveaux mécènes ou bien pour toucher un public friand des nouveautés en provenance de la Péninsule. Certains chercheurs ont aiguisé leur attention sur des cas exemplaires : lors de sa lectio inauguralis sur la diffusion de la Civil conversation de Stefano Guazzo en France, Jean Balsamo a offert une magistrale leçon de méthode : la fortune de cet ouvrage sur le commerce des hommes se fit autant en italien que dans les trois traductions françaises de la fin du xvie siècle, mais son influence réelle dans les lettres françaises ne peut être appréciée qu’après avoir pris connaissance des milieux de circulation, des exemplaires annotés et, éventuellement, de sa présence – ou plutôt de son absence – dans les inventaires des grandes collections privées de la fin du xvie  et du xviie  siècles. On en arrive ainsi à nuancer, voire à réviser totalement, les acquis de la critique – y compris la plus récente – à ce sujet, ainsi que d’autres le feront à propos de l’influence (modérée) exercée par les innovations typographiques italiennes dans les ateliers parisiens (Rémi Jimenes) ou sur les enjeux propres à la diffusion du « libro di lettere » à la lumière des appréciations apparemment contradictoires de Montaigne (Paolo Procaccioli). Or il est bien connu que les traductions en français d’ouvrages en italien ont joué un rôle primordial dans l’« accommodation » des genres transalpins aux usages français, surtout lorsqu’il a été question de diffuser des formes rédactionnelles nouvelles, tel que le livre de lettres, dont la fortune reste pourtant limité en-deçà des Alpes, malgré les tentatives de Pierre Vidal –  illustré dans l’essai de Riccardo Benedettini – ou d’Étienne du Tronchet. Que reste-t-il donc de l’italianisme patiemment cultivé par la critique depuis plus d’un siècle ? Poco ? Cela dépend des régions et des milieux d’acclimatation des savoirs transmis par les livres en italien : si l’on prend le cas de la ville de Liège étudié par Renaud Adam (et plus en général les Pays-Bas wallons), la diffusion de la culture 8

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fig. 1 - Affiche du 60e Colloque international d’études humanistes (CESR, 27-30 juin 2017).

imprimée en langue italienne reste un phénomène quantitativement marginal aussi bien pour ce qui relève de la commercialisation que de la présence d’ouvrages dans les collections anciennes3. Il en va de tout autre manière à Lyon et à Paris (que l’on voie à ce propos les études de Lorenzo Baldacchini, Amélie Ferrigno et Monique Hulvey), où des communautés de lecteurs et des entreprises éditoriales facilitent la circulation d’ouvrages littéraires, historiques, géographiques, religieux et techniques. Poco a poco, au cours du xvie et du xviie siècle, les vers de Pétrarque, les écrits historiographiques, les dialogues érudits en prose, les traités architectoniques et techniques, les Écritures saintes et les opuscules dévotionnels peuplent les bibliothèques des robins, des ecclésiastiques, des membres de la cour ; ils deviennent également les lectures préférées de marchands, de médecins, de rares artisans et de quelques femmes (surtout issues de l’aristocratie), parfois dans la double version

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Voir à ce propos le volume de Nicole Bingen et Renaud Adam, Lectures italiennes dans les pays wallons à la première modernité (1500-1630) avec des appendices sur les livres en langue italienne et sur les traductions de l’italien en français, Turnhout, Brepols, « Études renaissantes », 2015.

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italienne et française4. Ainsi, revenir sur des bibliothèques bien connues comme celles des Bourbon au tournant du xve siècle, selon une approche renouvelée, a permis à Alessandro Turbil de faire émerger l’hypothèse d’un réseau d’italianisants à Montbrison, se réunissant autour de Jean et de François Robertet. Ces derniers étaient à l’origine d’une adaptation des Triumphi, l’une des œuvres les plus indociles de Pétrarque, du moins du point de vue du lecteur francophone qui devait se confronter aux difficultés intrinsèques aux contenus et à une forme poétique n’ayant pas d’égal dans la tradition française. D’autres genres textuels italiens auront une plus grande fortune, aussi bien en langue originale qu’en français, comme le rappelle l’enquête éclairante menée par Bruna Conconi sur les traductions de l’italien répertoriées par La Croix du Maine et Du Verdier dans leurs Bibliothèques françoises. Certes, bon nombre de traductions restent fantomatiques, en raison de l’incurie du temps qui détruit tous les exemplaires en circulation ou à cause des aléas propres à toute entreprise éditoriale, dont l’état d’avancement peut être au stade du « bon à tirer », sans pourtant jamais arriver sous les presses de l’imprimeur ou sur les étalages des libraires. Quoi qu’il en soit, même si la présence consistante de traductions d’auteurs contemporains ou antérieurs à la rédaction de ces bibliographies ne confirme pas une appréciation inconditionnelle pour la culture italienne – déjà perçue à cette époque comme concurrente –, il est certain que cette présence témoigne de stratégies éditoriales réfléchies, visant un marché exigeant et concurrentiel, qui s’approprie les œuvres indépendamment de leurs origines pour les faire propres. Suivant les cas, les enjeux, les exigences argumentatives et les pratiques, d’autres auteurs puiseront dans ce vaste répertoire de formes, histoires, personnages, compilations, mécanismes rhétoriques, images, décidant ainsi de leur postérité, une postérité qui évolue suivant les époques, les modes, les contingences politiques et sociales. L’étude de la présence de certains auteurs italiens sur une longue période permet d’apprécier la permanence des goûts littéraires et de contenus qui alimentent une culture toute française et pourtant sensible au charme d’une langue qu’on apprend encore avec application tout au long du xviiie  siècle, comme nous le rappelle Massimo Scandola. Sans une fascination réelle avant tout pour la langue des « Tre Corone », l’essor d’une production poétique en toscan, à la lisière du xvie et du xviie siècle, sous la plume des auteurs français étudiés par Elisa Gregori, serait tout simplement impensable. Par ailleurs, ce n’est que grâce à une analyse des modalités de lecture sur une périodisation étendue que l’on peut tenter de 4

Pour un aperçu sociologique des lecteurs des ouvrages en italien dans l’espace francophone on renvoie à la base de données EDITEF (, consulté le 27/03/2020).

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discerner ce qui relève de la lecture érudite de ce qui appartient plutôt à une attitude bibliophilique. Le cas de la conservation des impressions aldine en France, illustré par Dorit Raines, tout en relevant de l’hapax en raison de l’engouement précoce des érudits pour la beauté inégalée des publications de Manuce – et cela indépendamment de la qualité philologique apportée à chaque édition –, permet de mieux percevoir le glissement d’une partie du public vers une attitude bibliophilique qui n’est pas sans rappeler l’influence que les modèles typographiques italiens ont pu exercer au nord des Alpes. Quant au monopole de la production éditoriale en langue italienne, il échappe poco a poco aux ressortissants de la péninsule qui, une fois installés en France ou sur les rives du Léman, préfèrent viser un vaste public et publier principalement en latin et/ou en français (c’est les cas des Honorat, des Gabiano et de Jean Girard à Genève), ou encore devenir des grands libraires d’envergure internationale, tels que les Giunta, grâce aux comptoirs installés dans plusieurs pays. L’étude de Natalia Maillard-Álvarez sur les imprimeurs et libraires italiens établis dans la péninsule ibérique, qui d’un premier abord pourrait paraître en dehors du périmètre géographique que nous nous sommes fixés, permet justement de reconstituer un vaste réseau professionnel et commercial qui se déploie à l’est et à l’ouest du royaume de France et trouve son barycentre dans les grandes firmes établies à Lyon (les Portonariis, naturellement les Giunta, et l’italianisant Guillaume Rouillé). En même temps, érudits, exégètes et imprimeurs-libraires installés en Italie regardent vers la France avec un intérêt grandissant, quoique touché, parfois, d’une certaine myopie. Si, comme le rappelle Edoardo Barbieri, pour Antonio Brucioli la France a représenté le lieu où son projet éditorial biblique a pris forme grâce au réseau humaniste lyonnais et aux relations avec les milieux de l’édition, le royaume représentait également un moyen de parvenir, un lieu où dénicher des protecteurs de marque, tel que François Ier et, plus tard, Renée de France, Marguerite de Navarre et sa fille Anne d’Este5. De même, pour l’imprimeur-libraire Comino Ventura, étudié par Roberta Frigeni, la France fut à la fois un territoire de formation, un marché dans lequel écouler des stocks et une source intarissable de documentation sur l’actualité savamment collectée dans sa Raccolta di scritture di Francia, un ouvrage destiné au public italien de la fin du xvie siècle friand de nouvelles venant d’outre-monts, surtout lorsque celles-ci portaient sur les affaires politiques et religieuses à l’aube du renouvellement dynastique incarné par Henri IV. 5

Voir à ce propos Chiara Lastraioli, « Brucioli sconosciuto : de certaines traductions françaises des Dialogi et d’un manuscrit inconnu », dans Antonio Brucioli. Humanisme et évangélisme entre Réforme et Contre-Réforme, Actes du colloque de Tours, 20-21 mai 2005, éd. par É. Boillet, Paris, Champion, 2005, p. 147-173.

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Mais revenons brièvement sur ce poco a poco qui dénote, en italien, aussi bien une modalité temporelle que quantitative, dont nous nous sommes servis pour représenter l’irrigation goutte à goutte de la culture française de l’Ancien Régime par l’édition en italien. Cette forme adverbiale est aussi une devise récurrente dans les marques typographiques de certains imprimeurs italiens et français du xvie siècle, une sorte de motto voire de sceau, qui rappelle sans cesse le travail méticuleux et patient de toute œuvre de l’esprit, qui naît frêle et incertaine et grandit grâce à la patience et au dévouement de ceux qui la chérissent. Or cette devise et les ornements typographiques qu’elle accompagne symbolisent de façon éloquente ce que les contributions de ce volume ont, chacune à leur manière, mis en exergue, à savoir le dialogue constant, laborieux, jamais univoque, jamais acquis, souvent concurrentiel, des deux cultures. La première apparition du motto poco a poco dans une marque typographique est attestée en France, chez un libraire italien : Sébastien Honorat. L’une des premières versions de cette marque figure dans une édition de 1555 de l’œuvre d’Antonio Musa Brasavola, Examen omnium trochiscorum, unguentorum, ceratorum, emplastrorum, cataplasmatum, & collyriorum, quorum frequens usus est apud Ferrarienses pharmacopôlas. Omnium sedulo castigata, & indice illustrata, imprimée à Lyon par Jacques Favre pour un jeune Sebastiano Onorati, alors âgé de vingt-ans, fraichement débarqué de Florence. À l’évidence, Sébastien pouvait déjà compter sur d’importants moyens lui permettant de confier à un imprimeur lyonnais une des éditions médicales de prix, ornée d’une toute nouvelle marque (fig. 2) représentant un vase arrosant une petite plante fleurie, accompagné de la devise6. On connaît plusieurs versions de cette marque d’Honorat qui, au fil du temps, évolue en s’enrichissant d’un encadrement parfois ovale, parfois à l’antica, et d’un élément iconographique particulièrement parlant qui sera conservé dans toutes les versions postérieures, à savoir la représentation du souffle divin émanant d’un nuage (fig. 3)7. Or la référence explicite au Saint-Esprit, le pneuma de l’Ancien Testament, mais aussi le vent qui insuffle aux Apôtres, le jour de la Pentecôte, le don des langues, évoque probablement la conversion au protestantisme de Sébastien qui, pen-

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Sur Sébastien Honorat et Barthélemy III (son neveu) voir Julien Baudrier, Bibliographie lyonnaise. Recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres à Lyon au xvie siècle, IVe série, Lyon-Paris, Louis Brun et A. Picard et Fils, 1899, p. 113-193. Pour les marques utilisées à Lyon par les deux Honorat, voir ibid., p. 115-119, 169, 175, 184. Voir aussi l’édition du Furioso imprimé à Lyon, par Sébastien Honoré, 1558 ; [in fine] Imprimé par Iaques Fore ; in-8o.

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fig. 2 - Marque de Bastien Honorat Tractatus de muneribus patrimonialibus, seu collectis, noua ac incognita discussione in compendium redactus, Authore Ægidio Thomato, Iureconsulto Cuniense, Cæsareo auditore, Lyon, Sébastien Honorat, 1559, Madrid, Bibliothèque de l’université Complutense (BH DER 2418).

fig. 3 - Marque de Bastien Honorat Cornucopiae Ioannis Ravisii Textoris epitome : quaeres, quibus orbis locis abundè proueniant, alphabetico ordine complectens, [Lyon], Sébastien Honorat, 1559, Madrid, Bibliothèque de l’université Complutense (BH FLL 21610(2)).

dant plusieurs années, finança des éditions aussi bien à Lyon qu’à Genève, où il fut reçu bourgeois en février 1572, quelques mois avant son décès. Si à Lyon son activité portait majoritairement sur l’édition de textes en latin, surtout à caractère médical, philosophique et religieux (notamment les œuvres de Jean Tauler et d’Augustin), les éditions en langue vernaculaire sont pour l’essentiel en français et ouvertement réformées : entre 1558 et 1566, sa librairie lyonnaise fait publier La sainte Bible en françois (1558, puis en 1562, 1565 et 1566), les commentaires de Jean Calvin sur […] la Concordance, ou Harmonie composée de trois Evangelistes (1562), […] sur toutes les Epistres de l’Apostre Sainct Paul, Item, sur les les Epistres canoniques de sainct Pierre, sainct Jean, sainct Jaques, et sainct Jude, autrement appelées Catholiques… (1562), […]sur les Actes des Apostres (1562) , […] sur toutes les Epîtres de St Paul et sur les Epîtres canoniques de St Pierre, St Jean … , le Nouveau Testament, c’est-à-dire la Nouvelle Alliance de Nostre Seigneur Jésus Christ, reveu et corrigé de nouveau sur le grec par l’advis des ministres de Genève, avec annotations reveues et augmentées par M. Augustin Marlorat (1563), la Paraphrase ou Briefve Explication sur le catéchisme, qui est le formulaire d’instruire les enfans en la religion chrestienne […] par François Bourgoing… (1563) et, du même auteur, L’histoire ecclésiastique, ainsi que les Leçons et expositions familières sur les douze petits prophètes de Calvin (1565). On ne connaît qu’une dérogation à cette règle de la spécialisation des langues suivant les contenus 13

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des ouvrages : il s’agit d’une édition de Bartole, les Institutes de droit civil avec additions, par Ferrendat de Nevers (1559). Il en va de même pour la filière genevoise de la librairie de Sébastien Honorat : entre 1570 et 1572, seules les œuvres d’Augustin sont publiées en latin, tandis que le reste de la production réformée est en français ou en version bilingue (c’est le cas de la Biblia latinogallica en 1572)8. Lorsque son neveu, Barthélémy III, reprend l’activité lyonnaise de Sébastien, avant de trouver refuge à son tour à Genève en 1572, le vase d’or figure sur l’enseigne de la boutique et naturellement sur toutes les marques utilisées, parfois accompagné du souffle et de la main de dieu soutenant le vase (fig. 4)9. La diffusion de cet ornement typographique, emblème du travail patient et précieux soutenu par la foi en dieu et la probité des hommes, fut plus large de ce que l’on pourrait croire au premier abord. Une copie presque fidèle de la marque « à la main de dieu » utilisée par Barthélemy fut adoptée en 1598, à Paris, par Nicolas du Fossé qui en modifie les armes en haut de l’encadrement et traduit la devise en « Petit à petit » (fig. 5). Ce même libraire avait déjà tenté de s’approprier la marque en 1597, mais de façon bien plus gauche et en introduisant un personnage aux traits mal agencés remplissant par un petit vase une plus grande amphore (fig. 6)10. Or du Fossé, qui ne publiera que des ouvrages on ne peut plus orthodoxes, ne pouvait pas ignorer la nature confessionnelle de la production des Honorat, dont les éditions circulent pendant longtemps en France et en Suisse. De l’autre côté des Alpes, le libraire et typographe Giorgio Angelieri, actif à Vicence et à Venise entre 1562 et 1602, imite à plusieurs reprises, et toujours assez fidèlement, les motifs décoratifs et le motto de la marque de Sébastien Honorat (fig. 7), dont il fournit au moins cinq variantes, auxquelles s’ajoutent une version

On remarque une autre édition bilingue –  et pour cause  –le Dictionarium latinogallicum de Robert Estienne, paru en 1570 et en 1571. Sur les éditions genevoises d’Honorat, voir la base GLN 15-16 (, consulté le 27/03/2020). 9 Voir à ce propos J. Baudrier, Bibliographie lyonnaise, op. cit., p. 115. Bien que réfugié à Genève à son tour en 1577 Barthélémy sera naturalisé français par le roi Henri III. 10 Les libraires parisiens Jean Petit I et Jean Petit II utiliseront, dans un tout autre contexte, la devise « Petit à petit » qui renvoyait directement à leur nom plutôt qu’aux éléments iconographiques de leurs marques (voir à ce propos la base de données BaTyR. Base de Typographie de la Renaissance conçue par Rémi Jimenes  (, consulté le 27/03/2020). Quelques décennies plus tard, nous retrouvons la même représentation de l’homme qui, avec un vase, remplit une amphore dans la marque typographique d’Aemilius Spinneker, actif à Groningen entre 1668-1676 ; voir par exemple son édition de Gerhard Feltmann, Gerh. Feltman ic. Tractatus de juramento perhorrescentiae vulgò sic dicto; sive de ejeratione bonae spei ex variis causarum figuris. Cum alterplice indice, Groningae, prostant apud Aemil. Spinneker, bibliopolam, 1669 (cf. reprod. numérique de l’exempalire de la Bibliothèque nationale de la République tchèque : , consulté le 27/03/2020). 8

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fig. 4 - Marque de Bastien Honorat Figures de la Bible declarees par stances, par G. C. T. Augmantees de grand Nombre de figures aux Actes des Apostres, Lyon, Sébastien Honorat, 1582, Tours, Centre d'études supérieures de la Renaissance (SR 21B / 10213) (Numérisation BVH-CESR).

fig. 5 - Marque de Nicolas du Fossé (Base BaTyR, no 27701, BVH-CESR).

fig. 6 - Marque Nicolas du Fossé, (Base BaTyR no 2700 , BVH-CESR).

fig. 7 - Marque de Giorgio Angelieri Arnold Wion, Brieve dechiaratione dell'arbore monastico benedittino, intitolato Legno della vita, cavata da i cinque libri dechiarativi di detto arbore Composti per il R.P.D. Arnoldo Vuion..., in Venetia, 1594 (appresso Giorgio Angelieri), Lyon, Bibliothèque municipale (SJ V 127/101).

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ultérieure de Giorgio Angelieri e compagni, qui font figurer le vase d’or également dans quelques bandeaux typographiques11. On ne connaît que peu de choses sur la biographie de cet imprimeur-libraire que certains pensent originaire de Vicence, tandis que d’autres soupçonnent en lien de parentèle – à notre connaissance non documentée – avec les libraires parisiens Angelier12. Ce qui est certain est que, en quarante ans, Giorgio Angelieri publia un nombre considérable d’éditions (280 environ dont un tiers en latin) à son compte ou pour d’autres libraires, dont quelques ouvrages d’auteurs français rédigés en latin ou en traduction italienne13. Quant au modèle iconographique ayant servi pour la gravure des marques et des bandeaux représentant le vase arrosant une jeune plante, il est peu probable qu’il soit à rechercher, comme l’affirme Zironda, dans l’atelier du peintre de Vicence Giambattista Maganza junior qui aurait représenté une cruche semblable dans une peinture du dernier quart du xvie siècle, car les analogies avec les gravures des Honorat sont bien plus évidentes14. La curieuse fortune de l’image au vase irrigant le frêle surgeon, peu à peu et à l’aide de dieu, devient ainsi une sorte d’emblème de l’activté à la fois culturelle et spirituelle des plusieurs imprimeurs-libraires en-deçà et au-delà des Alpes. L’adoption du message légué par un jeune libraire florentin exerçant à Lyon et Genève par Nicolas du Fossé, en France, et Giorgio Angelieri en Italie, ne relève ni de la contrefaçon, ni de l’acquisition de matériaux typographiques pure et simple, ni d’un héritage réel ou intellectuel. Il s’agit plutôt d’une sorte d’appropriation sciemment affichée qui renvoie à la revendication d’un rôle central, celui de passeur de connais-

11 Angelieri utilisera dix versions différentes de cette marque ; voir à ce propos EDIT16 ad vocem Angelieri Giorgio (, consulté le 27/03/2020). 12 Sur l’activité d’Angelieri voir surtout Renato Zironda, « Angelieri Giorgio », dans Dizionario dei tipografi e degli editori italiani. Il Cinquecento, éd. par M. Menato, E. Sandal, G. Zappella, Milano, Editrice Bibliografica, 1997-, p. 30-32. La notice figurant sur Wikipedia fait état d’une probable parentèle avec Abel et Arnoul Angelier sans mentionner des sources précises (cf. , consulté le 27/03/2020). Sur les Angelier voir surtout Jean Balsamo et Michel Simonin, Abel L’Angelier et Françoise de Louvain (1574-1620), suivi du Catalogue des ouvrages publiés par Abel L’Angelier (1574-1610) et la veuve L’Angelier (16101620), Genève, Droz, 2002. 13 Cf. Iacobi Hollerii Stempani, medici Parisiensis celeberrimi De morborum internorum curatione liber I illustratus eruditissimis Ludouici Dureti rei medicae apud Parisios Regi interpretis dignis. adversarijs opera Ant. Valerij Iunianensi selectis, suisque locis digestis. Eiusdem Hollerii, De febribus, De peste, De remediis kata topous in Galeni libros. De materia chirurgica…, Venetiis, apud Georgium Angelerium, 1562 [réédité en 1572]; Louis Le Roy, La vicissitudine ò mutabile varietà delle cose, nell’vniuerso […] tradotta dal sig. caualier Hercole Cato, in Vinetia, presso Aldo, 1585 ; Jean Tagaut, Institutione di cirugia di Giouanni Tagaultio medico illustre, distinta in libri cinque…, in Venetia, 1570; Louis de Blois, Specchio de’ monaci dell’abbate Dacriano dell’ordine di san Benedetto…, in Venetia, 1570. 14 Que l’on voie à ce propos R. Zironda, « Angelieri Giorgio », art. cit., p. 30-31.

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sances, dans un espace géographique de plus en plus perméable aux savoirs venant d’autres cultures. Naturellement, cela ne fut pas l’apanage exclusif des « gens du livre », car d’autres producteurs et d’autres médiateurs contribuèrent à façonner et à transmettre, pendant tout l’Ancien Régime, une culture renaissante foisonnante et partagée bien au-delà des frontières politiques et linguistiques de la première modernité. Les études recueillies dans ce volume font état des trajectoires, parfois linéraires parfois sinueuses, empruntées par les savoirs italiens dans les aires francophones ; elles illustrent également les acquis les plus récents, les contradictions qui semblent émerger de l’analyse fine de phénomènes complexes, et la compénétration voire la dissolution – au sens technique du terme – d’une culture dans l’autre.

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I Aux origines d’une enquête : le livre italien dans les fonds des bibliothèques

Une Civile conversation entre l’Italie et la France (1574-1648) Jean Balsamo

Université de Reims

Comme toute conversation, celle dont je vais traiter repose sur certains malentendus, qui feront l’objet même de cette conférence. Le terme de conversation désigne aujourd’hui un entretien choisi. Il a été diffusé à la fin du xvie siècle par l’ouvrage de Stefano Guazzo, La Civil conversazione. Dans cet ouvrage et à son époque, le terme désigne le commerce des hommes, les relations sociales en général, dont la conversation au sens étroit n’est qu’un aspect dans le cadre d’une humanité fondée sur la parole. Le premier malentendu consiste ainsi à privilégier cet aspect et à faire de l’ouvrage de Guazzo un traité de l’art de parler au détriment de la conception plus ambitieuse de la civilité qui lui donne sens. Dans sa Bibliothèque françoise, Charles Sorel mentionne les livres dont un jeune homme pouvait faire son profit : Étant plus élevé dans les connaissances, on peut voir la Conversation Civile d’Estienne Guazzo, la Vie civile de Matthieu Palmier ; celle de Fabrice Campani, et les Dialogues Philosophiques de la Vie Civile de Baptiste Geralds [sic pour Giraldi], tous les livres Italiens qui sont faits pour enseigner ce que c’est que la Vie Civille et la pratique du Monde1.

Un second malentendu vient du classement de la Civil conversazione parmi les ouvrages de civilité, les « courtly books », avec le Galateo de Giovanni della Casa. Et dans ce même contexte, dont la référence reste le Libro del cortegiano de Baldassar Castiglione, un troisième malentendu a conduit à considérer le livre de Guazzo comme un simple avatar de celui-ci, alors qu’il s’en distingue dans ses enjeux, moraux, sociaux et rhétoriques. Né vers 1530 à Casale dans le Montferrat, ancienne possession des Paléologue passée par mariage aux Gonzague de Mantoue, Stefano Guazzo fit ses études de 1

Charles Sorel, La Bibliothèque française (1667), éd. par P. d’Angelo et alii, Paris, H. Champion, 2015, p. 126.

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droit à Pavie, sous l’illustre Alciat, et composa à la mort de son maître une élégie funèbre en latin, sa première œuvre connue2. Il entra ensuite au service de la famille des Gonzague, ducs de Mantoue et de Montferrat, pour lesquels il exerça des fonctions de conseiller et de juriste chargé des affaires patrimoniales. Il suivit Louis de Gonzague en France, où il séjourna de 1554 à 1561. De retour en Italie, il entra au service de Marguerite Paléologue et accomplit d’autres missions pour le duc de Mantoue, en France en 1564 et à Rome en 1566, tout en se consacrant à une ambitieuse activité lettrée3. En 1561, il fonda l’Académie degli Illustri, dont il fut membre sous le nom de l’Elevato. C’est dans ce contexte qu’il procura l’édition des Lettere volgari di diversi gentilhuomini del Monferrato (Brescia, 1565 et 1566), dédiée à Isabelle Gonzague, marquise de Pescara, et fit paraître en 1574 sa Civil conversazione, dédiée à Vespasien Gonzague, duc de Sabbioneta. En 1589, il s’établit à Pavie, où il participa aux travaux de l’Académie degli Affidati, avant de mourir en décembre 1593. Guazzo est surtout connu pour sa Civil conversazione. On évoquera pour mémoire ses autres œuvres : l’anthologie des lettres de 1565, les Dialoghi piacevoli (Venise, 1586), un recueil de ses Lettere (Venise, 1590), qui réunit plus de 400 missives écrites de 1559 à 1590, plusieurs recueils poétiques, dont la Nuova scielta di rime (Bergame, 1592). Ces ouvrages, en dépit de leur intérêt et de leurs succès éditoriaux respectifs, semblent être restés inscrits dans le cadre de la seule culture italienne, même si quelques missives avaient été adressées à des Français4, et si, à la suite d’une indication de Jean Chapelain, on a voulu faire de la Ghirlanda della contessa Angela Bianca Beccaria, un recueil composé de 66 madrigaux, dont cinq figuraient déjà dans la Civil conversazione, le modèle de la célèbre Guirlande de Julie, le chefd’œuvre le plus raffiné de la culture mondaine en France au xviie siècle5. Le grand ouvrage de Guazzo, cette Civil conversazione, a la forme d’un dialogue, en quatre parties. Il est situé à Saluces, au début des années 1570, dans une biblio-

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Stefano Guazzo, « Elegia de morte D. Andreae Alciati », dans Andrea Grimaldi, Oratio funebris in funere D. Andreae Alciati Mediolani, Pavie, Francesco Mosceni & G.B. Nigri, 1550, f. B-B2v. Voir Ariane Boltanski, Les Ducs de Nevers et l’État royal. Genèse d’un compromis (ca. 1550-ca 1600), Genève, Droz, 2006, en particulier, p. 198-200. Stefano Guazzo, Lettere, Venise, Barezzi, 1596 : le roi de France, p. 351, César de Nemours, 21 mars 1591, p. 426, Monsignor di Coclè ou Couquelay, consigliero del parlamento di Parigi, 12 mars et 18 juin 1589, p. 389 et 438 ; il s’agit probablement de Lazare Coquelay, lié à Girolamo Frachetta, à Gênes, voir Enzo Baldini, « Girolamo Frachetta : vicissitudini e percorsi culturali di un pensatore politico dell’Italia della Controriforma », Annali di storia moderna e contemporanea, II, 2, 1996, p. 241-264, en part. 252. Voir Jean Chapelain, Lettere inedite a corrispondenti italiani, éd. par P.  Ciureanu, Genova, Di Stefano Editore, 1964, p. xxvii. Le recueil de Guazzo a été publié après la mort de celui-ci, en 1595, à Gênes.

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thèque, refugium animi, un lieu symbolique de la culture européenne de Pétrarque à Descartes, permettant une subtile variation sur la topique de la solitude lettrée qui parcourt celle-ci. Chez Guazzo, la « librairie » est le cadre d’une utopie heureuse, celle de la sociabilité entre amis et âmes d’élite. L’auteur rapporte les entretiens entre son frère, le Chevalier, malade, atteint de mélancolie après un pénible service à la cour, et un médecin lettré, Hannibal Magnocavalli, qui se propose de le guérir par la pratique de la conversation civile, art de rendre bonnes et plaisantes les relations entre les hommes. La première journée porte sur la fréquentation des hommes en général et approfondit l’opposition entre vie solitaire et vie sociale par la manière de distinguer les bonnes fréquentations des mauvaises ; la deuxième journée est consacrée aux « conversations » publiques ou en compagnie ; la troisième, aux relations domestiques entre pères et enfants, mari et femme, maître et domestiques. La quatrième enfin relate un banquet à Casale, réunissant dix convives, dont le dédicataire de l’ouvrage. Cette réunion et les divers entretiens et divertissements auxquels elle a donné lieu représentent la forme parfaite de la civilité, formulée par un art de la parole naturelle. Une œuvre et sa critique La Civil conversazione a été à peu près négligée par la critique et en particulier les premiers historiens de l’italianisme jusqu’au début du xxe siècle. Ce désintérêt a été particulièrement net en Italie. Il reposait sur le dédain qui entourait la Renaissance tardive et tout ce qui pouvait correspondre à la culture de cour dans le cadre d’une Italie espagnole et tridentine. L’initiative de sa redécouverte, sur un mode littéraire, revenait à Jules Josserand, en 1899, qui en fit un long résumé dans une chronique de la Revue de Paris consacrée à Vespasien Gonzague, le fondateur de Sabbioneta6. Mais en 1912, la Civil conversazione n’était pas encore mentionnée dans l’anthologie établie par Pierre Villey, consacrée aux Sources d’idées au xvie siècle7. La véritable redécouverte et la valorisation de l’œuvre de Guazzo furent dues à la critique universitaire anglo-saxonne, qui voyait en elle une source de Shakespeare. La réception de l’auteur italien par l’Angleterre élisabéthaine fut éclairée par une suite de travaux, inaugurés en 1916 par les Elizabethan Translations from the Italian de Mary Scott et qui culminèrent en 1966 sur une synthèse due à John L. Lievsay. En 1925, sir Edward Sullivan procura une belle édition de la première traduction anglaise de George Pettie (1581)8, qui donnait à lire un ouvrage auquel un savant de Yale, T.F. 6 7 8

Jules Josserand, « Un duc et sa ville. Vespasien Gonzague, duc de Sabbioneta », Revue de Paris, juillet 1899, p. 372-399. Pierre Villey (éd.), Les Sources d’idées au xvie siècle, Paris, Plon-Nourrit, 1912. The Civile Conversation of M. Steven Guazzo […] with an introduction by Sir Edward Sullivan,

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Crane, quelques années plus tôt, avait accordé une place centrale dans une étude fondatrice, destinée à mettre en évidence la part de la civilité italienne dans les littératures européennes9. En relation à ces premiers travaux, Maurice Magendie, en France, insista sur l’apport de Guazzo dans le développement de la préciosité, à laquelle il consacra une thèse10. On savait déjà que la célèbre Guirlande de Julie avait eu pour prototype un recueil de poèmes de l’écrivain italien11, on voulut faire de la Civil conversazione, parmi d’autres œuvres, une source de la conception française de l’honnêteté, et du banquet de Casale, un modèle des salons et de la civilité mondaine. Enfin, l’ouvrage de Guazzo se vit reconnaître une importance anthropologique en relation aux thèses du grand sociologue allemand Norbert Elias portant sur le processus de civilisation et le modèle de cour ; j’ignore toutefois si Elias le connaissait directement et lui avait accordé une place dans ses propres travaux. C’est dans ce contexte et sur ces bases que je me suis moi-même intéressé à Guazzo, en préparant ma thèse consacrée aux relations entre la France et l’Italie, menée sous la direction de Marc Fumaroli. En 1982, à l’invitation de celui-ci, dans le séminaire qu’il tenait encore à la Sorbonne, je présentai une première communication portant sur la Civil conversazione ; elle se proposait de mettre en évidence deux aspects complémentaires, d’une part, la relation à la mélancolie, d’autre part, la question du style. La mélancolie, considérée dans sa relation à la culture lettrée, était alors dans l’air du temps. Marc Fumaroli lui-même préparait une étude où il allait développer sa conception du génie français du xviie siècle, considéré comme le résultat d’un effort conscient contre les maladies de l’âme12. Le dialogue de Guazzo, lui-même une réponse à la mélancolie, pouvait apparaître comme une étape préparatoire à cette victoire : il cherchait en effet à instaurer la civilité dans son ensemble, et non pas réduite aux seules formes de la conversation, contre la grossièreté et la violence inhérentes à toute société, mais aussi contre les forces destructrices de la mélancolie13. Cette humeur noire, que Guazzo jugeait contraire au naturel des Français, gens « faciles et sans gravité14 », était à l’origine de l’« esprit

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Bart, London, Constable & Co – New-York, A. Knopf, 1925. Thomas Frederik Crane, Italian Social Customs of the Sixteenth Century and their Influence on the Literature of Europe, New Haven, Yale University Press, 1920. Maurice Magendie, La Politesse mondaine et les théories de l’honnêteté en France au xviie siècle, de 1660 à 1660, Paris, PUF, 1925. T. F. Crane, Italian Social Customs of the Sixteenth Century, op. cit., p. 499. Marc Fumaroli, «  ‘Nous serons guéris si nous le voulons’. Classicisme français et maladie de l’âme », Le Débat, 29, mars 1984, p. 92-114. Jean Balsamo, «  Il cortigiano malinconico. Alcune osservazioni sulla Civil conversazione di Stefano Guazzo », dans Malinconia ed alllegrezza nel Rinascimento, éd. par L. Rotondi Secchi Tarugi, Milan, Nuovi Orizzonti, 1999, p. 19-29. La Civile conversation, trad. Fr. de Belleforest, Paris [1579], 1582, f. 87.

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plus éveillé », généralement reconnu comme un trait caractérisant les Italiens, ainsi que Montaigne en avait eu l’intuition15. Cette mélancolie italienne était incarnée sur des modes divers par Vespasien Gonzague, le dédicataire de la Civil conversazione, par le musicien Carlo Gesualdo, et surtout par le Tasse, avec qui Guazzo était en relation et à qui Montaigne consacra un développement bien connu dans l’«  Apologie de Raymond Sebon  ». Les hommes de cette époque ne croyaient pas encore à la convivialité facile que notre époque attribue aux peuples dits latins. C’est ainsi que peut aussi se comprendre la différence des comportements sociaux et mondains qui distinguaient les élites de France et celles d’Italie. Or dans les études consacrées à la mélancolie, la Civil conversazione restait négligée. La typologie des relations sociales qu’elle établit occulte à la fois son éthos et l’analyse précise de la maladie de l’âme, à laquelle elle prétend pourtant donner un remède à la fois rhétorique et social : la civilité, conçue comme un exercice spirituel. François de Sales allait s’en souvenir. Il avait lu le dialogue de Guazzo au cours de ses études à Padoue, en 1599, et c’est sur sa leçon qu’il rédigea alors, pour son propre usage, un mémorandum portant sur les Règles pour les conversations et rencontres, dans lequel il lui reprenait exactement la taxinomie des rapports sociaux élaborée par Guazzo16. Il s’appropria surtout la forma christiana qui en découle. Le futur prélat sut réunir les termes de civilité et d’honnêteté pour accentuer le caractère éthique de la régulation sociale. Plus tard dans l’Introduction à la vie dévote, le chapitre « Des conversations et de la solitude » renvoie directement au sujet traité par Guazzo. La dévotion civile définie dans l’Introduction s’appuie sur les règles formelles de la conversation, qu’elle complète par l’amour du prochain : la civilité peut elle-même être transformée au point de devenir le terrain d’exercice de la vertu chrétienne de la charité, sous la forme de la condescendance17. En ce qui concerne les questions de style, si Marc Fumaroli n’avait pas cité l’ouvrage de Guazzo dans son Âge de l’Éloquence, il y revint plus tard à l’occasion de ses travaux sur la conversation, qu’il concevait comme l’art français par excellence. Il notait en particulier que le sens moderne du mot avait été emprunté à la traduction française du dialogue de Guazzo, et qu’il était entré en usage dans la langue française, sous Louis XIII18, pour caractériser un art de la parole privée. Dans les 15 Michel de Montaigne, Les Essais, I, 51, éd. par J. Balsamo, M. Magnien et C. Magnien-Simonin, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2007, 52017, p. 327. 16 Voir Viviane Mellinghoff-Bourgerie, François de Sales. Un homme de lettres spirituelles, Genève, Droz, 1999, p. 55, 64-68. 17 Sur cette notion, voir Hélène Bordes, «  La condescendance chez François de Sales  », dans Mélanges de poétique et d’histoire littéraire du xvie  siècle offerts à Louis Terreaux, Paris, H. Champion, 1994, p. 493-504. 18 Marc Fumaroli, « La conversation », dans Les Lieux de mémoire, III. Les Frances [1992], éd. par

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deux cas, Guazzo, qui lui-même avait entretenu des relations privilégiées avec la France, éclairait comme un précurseur des choix français : le contrôle des passions mauvaises par la sociabilité, la maîtrise de la parole par la modération du style, définissant les bases d’un véritable atticisme, bien éloigné du « clinquant » que l’on attribue d’ordinaire aux Lettres italiennes. La critique italienne de son côté n’a véritablement retrouvé Guazzo, après l’initiative inaboutie de Gaudenzio Boccazzi, qu’au début des années 1990, dans le cadre des recherches sur la culture de cour. Giorgio Patrizi puis Amedeo Quondam jouèrent dans cette redécouverte un rôle déterminant, par la publication du premier volume monographique consacré au personnage19 et l’édition critique de la Civil conversazione, prélude à sa mise en perspectives dans de nombreuses publications consacrées au modèle de cour, au courtisan et plus généralement à la culture italienne moderne20. Ces travaux, que poursuivit Nicola Panichi dans une perspective philosophique21, eurent pour conséquence une meilleure connaissance de l’œuvre de Guazzo et sa plus juste appréciation dans le cadre des Lettres italiennes du xvie siècle. Ils eurent peut-être aussi pour conséquence une certaine exagération de sa portée réelle, dans le cadre de la littérature et d’une civilité élargies à l’Europe (pour ne pas dire la civilisation européenne dans son ensemble), afin de célébrer, à travers l’œuvre d’un moraliste, l’universalité d’un modèle aulique italien capable de faire pièce à une prétendue suprématie française dans ce domaine. Ce débat, opposant Marc Fumaroli et Amedeo Quondam, a lui-même été représenté par deux chercheurs danois sous la forme d’une fiction de « civile conversation22 ». Les formes éditoriales d’une réception L’ouvrage de Guazzo, cette Civil conversazione qui nous occupe, a été publié en 1574 à Brescia. On ignore s’il y a eu des exemplaires de présentation adressés par Guazzo à ses patrons, ses protecteurs ou ses amis. Après plusieurs réimpressions, il a fait l’objet d’une édition revue et augmentée, publiée en 1579, qui propose en particulier une P. Nora, Paris, Gallimard, 1997, p. 3717-3676, p. 3630. 19 Giorgio Patrizi (éd.), Stefano Guazzo e la Civil conversazione, Rome, Bulzoni, 1990; voir également D. Ferrari (éd.), Stefano Guazzo e Casale tra Cinque e Seicento (Actes du colloque, Casale Monferrato), 1994, Rome, Bulzoni, 1997. 20 Stefano Guazzo, La civil conversazione, éd. par A. Quondam, Ferrare, Panini Editore, 1993; Amedeo Quondam, La Conversazione, Rome, Donzelli, 2007, en part. p. 185-196; id., Forma del vivere. L’etica del gentilhuomo e I moralisti italiani, Bologne, Il Mulino, 2010. 21 Nicola Panichi, La Virtù eloquente. La ‘Civil conversazione’ nel Rinascimento, Urbino, Editrice Montefeltro, 1994. 22 Michael Høxbro Andersen et Anders Toftgaard, «  Entretien sur le sujet “Dialogue & conversation” », dans Dialogo & conversazione. I luoghi di una socialità ideale dal Rinascimento all’illuminismo, Firenze, L. S. Olschki, 2012, p. 1-37.

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amplification de l’argumentation portant sur les relations entre le courtisan et le prince, traitée avec beaucoup de réserve dans la première version23. De surcroît, le texte semble avoir été retouché dans les éditions du début du siècle suivant ; le relevé d’ensemble des variantes attend encore d’être établi. L’ouvrage connut un grand succès. Les bibliographes ne mentionnent pas moins de 42 éditions publiées entre 1574 et 1631, dont au moins 27 sont attestées par des exemplaires conservés24. À l’exception de la première, toutes ces éditions ont été imprimées à Venise et ressortissent à la dynamique commerciale des éditeurs vénitiens et de leurs réseaux européens. L’ouvrage de Guazzo a immédiatement été traduit : en français, en anglais, en latin, et semble avoir connu une réelle notoriété à travers ces traductions. Il existe trois versions françaises du dialogue. Les deux premières ont paru presque simultanément, la même année 157925. Elles illustrent la concurrence que se livraient alors les libraires de Paris et de Lyon sur le marché du livre en langue française traitant des usages et des mœurs26. Ces éditions ont été établies sur le premier état du texte, probablement d’après l’édition vénitienne de 157527. La première de ces traductions est due à Gabriel Chappuys. Procurée par Pierre de La Rivière28, qui signe l’avis au lecteur célébrant le livre, elle a été publiée à Lyon, par Jean Béraud, en 1579, avec un privilège du 31 janvier de la même année. Elle précède la version du Courtisan de Castiglione par le même traducteur, achevée à la fin de l’année et publiée en 1580 par Louis Cloquemin en une édition bilingue. La Civile conversation est dédiée, par une épître du 15 juillet 1580, à un Italien de Lyon, Jean Pierre Duszo ou Duccio, sous le prétexte paradoxal, précise Chappuys, que par ses origines, celui-ci serait plus à même d’apprécier la traduction d’un livre italien. Cette traduction a fait l’objet d’une seconde émission en 1580, suivie d’une nouvelle édition en 1582, en format réduit29. La version de Chappuys fut immédiatement connue en 23 Pour les variantes entre 1574 et 1579, voir La Civil conversazione, éd. A. Quondam, cit., p. 327-340. Les variantes postérieures ne semblent pas avoir été recensées. 24 John L. Lievsay, Stefano Guazzo and the English Renaissance (1575-1675), Chapell Hill, The University of North Carolina Press, 1961, p. 277-303. 25 Voir sur ce point Marie-Luce Demonet, «  La parole civile chez Chappuys et Belleforest, traducteurs de Guazzo », Réforme, Humanisme, Renaissance, t. LXXXV, 2017, p. 247-289. 26 Voir Gaudenzio Bocazzi, « I traduttori francesi di Stefano Guazzo », Bulletin du Centre d’Études franco-italien, t. IV, 1979, p. 44-55. 27 Selon une note du Bulletin du bibliophile (1863, p.  194-195), l’édition lyonnaise de 1592 ferait mention (f. 398v) d’un tournoi qui aurait eu lieu à Casale le 15 mai 1577, indiquant par-là que la traduction aurait été fondée sur une version postérieure à cette date. Il s’agit en réalité d’une erreur de la traduction, toutes les éditions italiennes portant la date de 1567. Cette indication confirme en revanche que l’édition lyonnaise reproduit l’édition parisienne de 1582. 28 Le personnage n’est pas connu. Son identification avec Pierre de Larivey est une simple conjecture, voir Marie-Luce Demonet, « La parole civile… », art. cit., p. 267-268. 29 La traduction de Chappuys est connue par l’édition de 1579 (exemplaires conservés : Bordeaux ;

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Angleterre. Dès le 11 novembre 1579, mentionnée dans le Stationers’ Register, elle était destinée à servir de base à une traduction anglaise, confiée à George Pettie. Celui-ci se servit également du texte italien pour corriger Chappuys, et il semble avoir également fait usage de la version de Belleforest30. Sa traduction fut publiée en 1581 pour les livres i-iii. La version du livre iv, due à Bartolomew Young, ne fut publiée qu’en 1586. On a pu noter l’infléchissement aulique donné par la version anglaise31. La Civil conversazione, traduite par Pettie constitue l’intertexte qui relie Montaigne et Shakespeare, et en particulier le chapitre « De l’affection des enfans aux Pères » et le Roi Lear32. La deuxième traduction française est due à François de Belleforest. Elle fut publiée à Paris, chez Pierre Cavellat, en 1579, avec un privilège du 4 août. Selon Michel Simonin, cette version constituait un ouvrage de commande qui n’aurait pas demandé « un profond investissement au Comingeois », un travail alimentaire certes, mais pour lequel il s’était efforcé de faire une œuvre de qualité33. L’ouvrage est à mettre en relation avec la formation italianisante du dédicataire, Charles de Villeroy-Neufville, le fils du secrétaire d’État Villeroy et de la célèbre Madeleine de L’Aubespine, dans le cadre de la culture de cour la plus raffinée, mais aussi dans une perspective catholique, liée à la personnalité du traducteur et que confirme une approbation des docteurs de la Sorbonne datée du 1er août. La version est enrichie d’une abondante table, établie par Pierre Moreau, de Tours, un collaborateur habituel du libraire34. Elle a connu plusieurs éditions ou de nouvelles émissions, en 1582, en 1592, à Lyon, chez Benoît Rigaud, et peut-être en 159535. La troisième version est une révision de la version de Belleforest, due à Jacques Esprinchard, un érudit originaire de La Rochelle. Celui-ci achevait sa peregrinatio

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Paris, BnF ; Mazarine; Sainte-Geneviève), une émission à la date de 1580  (BnF ; Montpellier ; Tours BM), une édition de 1582 (Dijon BM ; Paris : Sorbonne). La mention d’une édition à la date de 1586, d’après Taschereau, no 1801 semble être une confusion avec 1580. Voir Jean-Marc Dechaud, Bibliographie critique des ouvrages et traductions de Gabriel Chappuys, Genève, Droz, 2014, p. 179-182. Voir sir Edward Sullivan, introduction à The Civile Conversation, op. cit., 1925, p. xxxvii. Voir Michael Wyatt, The Italian Encounter with Tudor England. A Cultural Politics of Translation, Cambridge, Cambridge Universiy Press, 2005, p. 181. Voir Wiliam H. Hamlin, «  Montaigne and Shakespeare  », dans The Oxford Handbook of Montaigne, éd. par P. Desan, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 334 note. Voir Michel Simonin, Vivre de sa plume au xvie siècle ou la carrière de François de Belleforest, Genève, Droz, 1992, p. 16. Sur le personnage, voir François de La Croix du Maine, La Bibliothèque, Paris, L’Angelier, 1584, p. 405. La traduction de Belleforest est connue par les éditions de 1579 (Paris, BnF ; Sainte-Geneviève ; Sorbonne : RR6, reliure à la fanfare, Mery de Vic ; Versailles), de 1582 (Paris, BnF ; Marseille BM ; collection privée), de 1592 (Loches BM ; Nancy BM). L’édition à la date de 1595 est mentionnée sans localisation par Baudrier, Bibliographie lyonnaise, III, 436.

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academica à Genève, où, durant neuf mois, il fut l’hôte de Simon Goulart36. Durant ce séjour, il se livra à des travaux d’édition, parmi lesquels cette nouvelle édition de la Civile conversation (Genève, Stoer, 1598 et 1609). Esprinchard justifia son travail en prétendant avoir complété la version de son prédécesseur sur la base de la version complète du texte italien : Or bien qu’au commencement je fusse en doute si je debvois faire une seconde traduction du livre entier, si est-ce qu’ayant enfin considéré que le premier translateur l’avoit assez dextrement manié, je me suis contenté d’y adjouster tous les beaux discours dont l’Autheur l’a naguere augmenté et enrichi […]. J’ay entrelassé et translaté en nostre langue une infinité de choses belles, plaisantes et fort utiles que l’Autheur italien y a nouvellement mis.

L’édition porte une seconde dédicace, adressée à Corneille van der Myle, de Dordrecht, un correspondant de Scaliger. Esprinchard l’avait connu à Leyde au cours de ses études et l’avait retrouvé à Genève chez Goulart ; il avait prévu de faire en sa compagnie un voyage d’Italie, qu’il ne put accomplir. La version d’Esprinchard échappe ainsi au domaine français au sens strict ; les exemplaires du reste sont rarissimes en France37. En revanche, elle élargit la portée de l’œuvre de Guazzo aux Pays-Bas, en doublant les traductions latines qui circulaient déjà et en l’inscrivant également dans les échanges de la nouvelle République des Lettres à laquelle appartenaient l’éditeur, son dédicataire et son hôte, en enrichissant les usages de celles-ci des formes civiles héritées de la culture de cour. Les écrivains français et la Civile conversation En Angleterre l’œuvre de Guazzo a été étudiée comme une source du théâtre de Shakespeare. En France et pour les lettres de langue françaises, sa réception directe reste encore à préciser38. La Civil conversazione, semble avoir donné lieu à une seule véritable utilisation littéraire, sur un mode ponctuel en tant que source, mais aussi d’un point de vue générique, par Guillaume Bouchet. Celui-ci, un imprimeurlibraire de Poitiers, qui avait accès aux nouveautés éditoriales, en l’occurrence la version de Belleforest, cite Guazzo à propos du mariage dans les Sérées, un recueil de conversations plaisantes et utilise son texte comme une source d’innombrables

36 Voir Léopold Chatenay, Vie de Jacques Esprinchard Rochelais et Journal de ses voyages au xvie siècle, Paris, SEVPEN, 1957, p. 73. 37 La révision d’Esprinchard a été publiée en, 1598 (exemplaires recensés : Clermont-Ferrand BM ; Versailles BM ; Bruxelles BR) et en 1609 (La Rochelle). 38 Pour plus de précisions, on se reportera à Helga Hübner, Stefano Guazzo. La Civil Conversatione in der französischen Kultur des 16. und 17. Jahrhunterts, Bern, Peter Lang, 2012.

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exemples et anecdotes39. La référence au livre IV de La Civile conversation apparaît précisément sur le titre même du recueil : Où sous une gentille invention de banquets ou convis faits au soir entre Seigneurs et Dames voisins, sont contenus plusieurs et divers beaux discours, non moins utiles, que remplis d’honnestes recréations. ET NVGÆ SERIA DVCVNT.

De façon plus générale, la Civil conversazione apporte une leçon ponctuelle sur les relations au sein de la société. Elle s’inscrit dans la longue tradition italienne du dialogue moral. En tant que telle, elle ne propose pas un modèle formel novateur. Dès les années 1580, le dialogue académique à l’italienne, comme forme de perfection du discours lettré en langue vernaculaire, était reçu avec réticence en France dans les milieux lettrés. Cette obsolescence explique sans doute pourquoi les Dialoghi piacevoli (1586)40 de Guazzo n’ont jamais été traduits en français, en dépit de l’intérêt de certains des sujets débattus et de leur relation à la France, via Louis de Gonzague, duc de Nevers, à la fois dédicataire de l’ouvrage, objet d’une célébration particulière dans le dialogue « Della voce fedeltà » et d’une représentation en tant qu’interlocuteur dans le dialogue « Dell’onore delle donne ». En effet, une œuvre française contemporaine rendait inutile le recours direct à ces œuvres italiennes : les Essais (1580) de Montaigne, qui tout en célébrant la conversation et la civilité, proposaient une autre forme, moins artificielle que le dialogue. Montaigne et Guazzo ont souvent été rapprochés. Ce sont d’exacts contemporains, qui partageaient de surcroît une même formation juridique et lettrée et de nombreuses similitudes en termes de sociologie historique et surtout en termes littéraires, voire philosophiques. Pierre Villey considérait que « le livre [de Guazzo] est très intéressant à consulter lorsqu’on veut rechercher l’influence que l’Italie a pu avoir sur lui [Montaigne]41 ». Pendant longtemps pourtant, l’étude des usages que Montaigne avait pu faire de l’ouvrage de Guazzo et les rapports qui liaient les Essais à la Civil conversazione à travers une riche intertextualité fondée sur une culture commune et une même conception du style, s’est bornée au commentaire des trois citations italiennes (des vers de Properce, de Pétrarque et de Dante) que Montaigne avait manifestement tirées de son exemplaire42. Elle s’est parfois élargie

39 Voir André Janier, Les Sérées (1584-1597-1598) du libraire-imprimeur Guillaume Bouchet (15141594), éd. par J.-C. Arnould, Paris, H. Champion, 2006, p. 522-525. 40 Voir Giorgio Patrizi, « I Dialoghi piacevoli di Stefano Guazzo », dans Stefano Guazzo, op. cit., p. 273-285. 41 Pierre Villey, Les Sources et l’évolution des Essais de Montaigne, I. Les sources et la chronologie des Essais, Paris, Hachette, 1933, p. 154-155. 42 Voir M.-L. Demonet, « La parole civile », art. cit., p. 271-278.

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à un discours général sur l’art de la conversation43. De ce point de vue, le chapitre «  De l’art de conférer  » (III, 8) a pu sembler «  guazzien44  », à la suite d’une assimilation abusive de la «  conférence  » montaignienne à la conversation, au sens moderne du terme, et à l’oubli des enjeux éthique du chapitre. En réalité, la critique que fait Montaigne de son propre mode de converser, « in punta di forchetta » trouve son expression chez Benedetto Varchi et non pas chez Guazzo45. D’autres chapitres mériteraient autant d’être éclairés par un rapprochement avec la Civil conversazione, par leur objet, leur argument, des références communes et de nombreux points de détail, faisant parfois matière à discussion : « De trois commerces », dans lequel Montaigne évoque la fréquentation des amis, des dames et des livres, «  Sur des vers de Virgile  », consacré à la conversation des Dames, et plus anciens encore dans l’ordre des rédactions, « De l’institution des enfants », et « De l’affection des pères aux enfans », consacré aux relations familiales. Dans « De la solitude », Montaigne développe un lieu commun pris de Sénèque, qui constitue aussi l’exorde du discours de Guazzo ; sur ce lieu, les deux auteurs développent le paradoxe de la « conversation avec les méchants » (I, 38, p. 242). Selon Villey, Montaigne aurait acquis l’ouvrage de Guazzo en Italie, en 15801582. C’est dans les éditions postérieures à son retour qu’il introduisit les emprunts les plus visibles et en particulier l’expression même de « civile conversation » et toutes les occurrences de la notion de civilité. Dans le chapitre « De la moderation », Montaigne allègue Platon pour rappeler que la philosophie peut être bonne, mais que son excès a des effets néfastes : Elle rend un homme sauvage et vicieux : desdaigneux des religions, et loix communes : ennemy de la conversation civile : ennemy des voluptez humaines : incapable de toute administration politique, et de secourir autruy, et de se secourir soy-mesme. (I, 29, p. 204)

Le passage ne provient pas directement de Guazzo ; il est adapté du Gorgias, ou plus exactement de la traduction qu’en avait donnée Marsile Ficin. Mais Montaigne remplace l’expression « consuetudine cœtuque hominum », en la réactualisant à la

43 Voir Marcel Tetel, «  Montaigne et Stefano Guazzo : de deux conversations  », Études Montaignistes, 1984, repris dans Présences italiennes dans les Essais de Montaigne, Paris, H. Champion, 1992, p. 11-27 ; Gaudenzio Bocazzi, « La civil conversazione : Montaigne e Stefano Guazzo », dans Montaigne e l’Italia, éd. par E. Balmas, Genève, Slatkine, 1991, p. 295-305 ; Nicola Panichi, « ‘Filosofare conversando’. Montaigne lettore di Stefano Guazzo », Studi umanistici Piceni, t. XVIII, 1998, p. 115-128. 44 L’expression est de Nicola Panichi, notice « Guazzo », dans Dictionnaire de Michel de Montaigne, éd. par P. Desan, Paris, H. Champion, 2004, p. 448-449. 45 Voir sur ce point, Jean Balsamo, «  Montaigne et quelques Italiens : la conversation dans la bibliothèque », Studi francesi, t. CLXIII, 2011, p. 3-15, ici, p. 10.

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lumière de la notion moderne empruntée à Guazzo, chez lequel on trouve à la fois l’éloge de la « philosophie morale » et une critique de l’excès philosophique. La même argumentation est reprise dans le chapitre « De l’institution des enfants », développant le paradoxe selon lequel l’étude dans des conditions scolaires et la pratique trop intensive des livres par les jeunes gens, « les rend ineptes à la conversation civile, et les destourne de meilleures occupations » (I, 25, p. 170). Cette « conversation civile » est empêchée par la « complexion solitaire et mélancolique » qui se complaît dans l’étude et qui l’encourage. La même opposition fondait l’argumentation de Guazzo. Celui-ci faisait de la civile conversation dans ce qu’elle a de plus exquis le remède de la mélancolie. Les derniers Essais en revanche, rédigés dans la solitude et en « pays barbare » reposent sur la nostalgie des conversations passées. C’est au contraire l’écriture personnelle, celle de la volonté vertueuse qui offre ce remède, en un combat de tout instant contre les forces de la tristesse. Dans les Essais, Montaigne emploie le terme de conversation à une trentaine d’occasions. Il lui donne presque toujours son sens premier de commerce avec autrui, élargissant la notion jusqu’aux relations avec les animaux. Au début du chapitre « Du repentir », il combine toutefois en un chiasme habile, les écrits, sots ou savants, à la conversation, honnête ou faible (III, 2, p. 846). Ailleurs, dans le cas de Socrate, cette conversation désigne précisément un enseignement par la parole (III, 12, p. 1100). Les Essais s’achèvent sur une évocation des banquets et de la conversation comme pratique conviviale, à travers une allégation de Varron : Que c’est un usage d’hommes populaires, d’appeler des joueurs d’instruments et des chantres aux festins, à faute de bons discours et aggreables entretiens, dequoy les gens d’entendement sçavent s’entrefestoyer. Varro demande cecy au convive : l’assemblée de personnes belles de presence et aggreables de conversation, qui ne soient ni muets ny bavarts : netteté et delicatesse aux vivres et au lieu : et le temps serein. (III, 13, p. 1156).

L’évocation s’inscrit dans une longue tradition, illustrée par Platon et Cicéron et elle rejoint celle du banquet de Casale, qui fait la matière du livre IV de La Civil conversazione. Mais Montaigne n’évoque cette réunion qui couronne l’ensemble des pratiques quotidiennes de la fréquentation des hommes que pour en constater l’impossibilité pour lui, dans sa situation provinciale et menacée, de trouver les conditions d’une telle civilité. La relation que Montaigne a entretenue dans ses Essais avec la Civil conversazione a été féconde pour lui, qui en a été le bénéficiaire. En revanche, il n’a pas été un médiateur de celle-ci. Montaigne a contribué par son œuvre à l’assimilation de tout ce que l’ouvrage de Guazzo, qui lui-même était édifié sur la mise en forme d’un savoir vulgarisé pris de l’Antiquité via les humanistes italiens, pouvait offrir 32

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à des lecteurs français ; mais en même temps, par sa forme qui mettait en lumière l’obsolescence du dialogue à l’italienne, par l’éthos d’une parole personnelle et par la qualité de son style, il vouait à l’oubli à la fois l’œuvre italienne et les versions françaises de Chappuys et de Belleforest. Un livre et ses exemplaires en France Dans les études consacrées à la Civile conversazione ou celles qui se bornent à la mentionner, la réception de l’ouvrage de Guazzo est présentée comme un fait acquis. Cette réception a d’abord été définie en termes d’influence et de fortune, sans véritablement avoir été analysée et nuancée comme un « transfert culturel », avec toutes les transformations que cela suppose. Elle repose sur un élément factuel établi par Lievsay : l’apparent succès éditorial du texte italien, complété par un certain nombre de traductions, qui attesteraient d’innombrables lectures et de l’utilisation, lettrée ou pratique de l’ouvrage. La réalité que révèle une enquête bibliographique apparaîtra plus nuancée. En 1985 eut lieu à Tours, le premier grand colloque du CESR consacré à l’histoire du livre à la Renaissance, organisé par Pierre Aquilon. Ce colloque consacrait la reconnaissance universitaire de cette discipline. La plupart des communications, à l’exception d’une petite section consacrée aux bibliothèques et collections, portaient sur des questions éditoriales. Ni la Civile conversation ni même Guazzo n’y étaient mentionnés. Cet apparent oubli n’était pas dû à l’état de la critique, qui avait déjà attiré l’attention sur le livre et son auteur. À sa manière, il illustre un problème, que l’on peut aujourd’hui poser comme un problème critique, dans le cadre de notre colloque d’histoire du livre, consacré à l’apport de l’édition italienne : les liens entre les éditions d’un ouvrage, sa réception attestée en termes littéraires et la réalité des données bibliographiques liées aux exemplaires et aux provenances. Une communication du regretté André Stegman rappelait déjà la nécessaire prudence qui s’impose à l’historien quand il cherche à tirer les leçons des bibliothèques réelles ou reconstituées. En dépit de sa célébrité aujourd’hui et du nombre des éditions italiennes publiées durant plus de cinquante ans à partir 1574, l’ouvrage de Guazzo n’est pas très courant, même en Italie, à quelques exceptions près46. En France, non seulement toutes les éditions italiennes ne sont pas conservées, mais ces mêmes éditions italiennes ne sont connues que par un nombre assez restreint d’exemplaires, dans quelques bibliothèques ; une enquête déjà ancienne ne recensait aucun exemplaire parmi les nombreux livres italiens des bibliothèques de l’ex-région Basse 46 La bibliothèque de la Fondazione Luigi Firpo à Turin conserve une belle collection d’œuvres de Guazzo, comprenant les éditions de la Civil conversazione de 1574, 1579, 1586, 1600, les Dialoghi piacevoli (1587), les Lettere (1590, 1599).

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Normandie47. Sur les 27  éditions attestées recensées par Lievsay, on en compte seulement 19 en France, représentées par une cinquantaine d’exemplaires, dont la moitié correspond à des éditions du xviie siècle. Cette situation vaut pour les bibliothèques publiques et les collections privées : seuls de rares exemplaires des différentes éditions sont passés ou passent sur le marché du livre, rarement dans de véritables conditions bibliophiliques. Cette rareté relative correspond également aux bibliothèques des années 15801650, telles qu’elles ont pu être reconstituées ou telles qu’elles sont connues par des inventaires. Dans le premier cas, il peut s’agir d’un simple hasard, lié à la conservation des exemplaires. Montaigne avait lu la Civil conversazione. Pourtant on ne connaît pas l’exemplaire qu’il avait à sa disposition et qu’il avait peut-être annoté. Le bel exemplaire de l’édition de 1574 conservé à Bordeaux ne porte pas de marque de possession et ne peut pas lui être attribué. On ne connaît pas non plus l’exemplaire de François de Sales. On recense tout au plus un exemplaire de la traduction de Belleforest dans une reliure à grand décor ayant appartenu à Méry de Vic48. La version italienne de l’ouvrage ne figure pas davantage dans d’autres bibliothèques reconstituées à partir de leurs membra disjecta, parmi les livres connus d’autres italianisants tels que François Rasse des Neux49, le poète Desportes50, François d’Amboise, Nicolas Moreau d’Auteuil51, Honoré d’Urfé52, François Maynard. Mais elle manque aussi dans des inventaires qui donnent le détail complet et relativement fiable des collections : pour ne garder que des exemples d’italianisants, on ne trouve mention de l’ouvrage de Guazzo ni dans les bibliothèques d’Antoine Ébrard de Saint-Suplice53, de Jean Piochet de Salin54, de Pontus de Tyard55, de Nicolas Colin56, 47 Alain René Girard, Livres imprimés en Italie de 1470 à 1600 conservés dans les bibliothèques publiques de la région Basse Normandie, Caen, Association des Amis des Bibliothèques de Caen, 1982. 48 Bibliothèque de la Sorbonne (Rés. RR6/M). 49 Jeanne Veyrin-Forrer, «  Provenances italiennes dans la bibliothèque de François Rasse des Neux », dans Libri, Tipografi, Biblioteche. Ricerche storiche dedicate a Luigi Balsamo, Firenze, L.S. Olschki, 1997, p. 385-398. 50 Isabelle de Conihout, « Du nouveau sur la bibliothèque de Desportes et sur sa dispersion », dans Philippe Desportes (1546-1606). Un poète presque parfait entre Renaissance et Classicisme, éd par J. Balsamo, Paris, Klincksieck, 2000, p. 120-160, à compléter par François Rouget, « Les livres italiens de Desportes », Italique, t. X, 2007, p. 85-104. 51 Anna Shapovalova, « Nicolas Moreaux d’Auteuil et ses livres », Bulletin du Bibliophile, t. I, 2014, p. 7-61. 52 Nicolas Ducimetière, «  La bibliothèque d’Honoré d’Urfé : histoire de sa formation et de sa dispersion à travers quelques exemplaires retrouvés », xviie siècle, t. CCXLIX, 2010, p. 747-773. 53 Voir Nicole Marzac, The Library of a French Bishop in the Late xvith Century, Paris, CNRS, 1974. 54 Francesca Maria Crasta et Renzo Ragghianti, «  La biblioteca di Jehan Piochet de Salins e il seigneur de La Montaigne », Rinascimento, t. XLVI, 2007, 408-477. 55 Silvio F. Baridon, Inventaire de la bibliothèque de Pontus de Tyard, Genève, Droz, 1950 ; François Roudaut, La Bibliothèque de Pontus de Tyard, Paris, H. Champion, 2008. 56 Voir Henri Jadart, Inventaire du mobilier et de la bibliothèque de Nicolas Colin, Arcis-sur-Aube,

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de Gabriel Naudé57. Jacques-Auguste de Thou lui-même, s’il possédait la rare édition des Lettere volgari (Brescia, 1565)58, ne semble pas avoir recueilli la Civil conversazione dans sa bibliothèque. Elle n’est pas mentionnée non plus dans la correspondance entre Gian Vincenzo Pinelli et Claude Dupuy, consacrée principalement aux échanges de livres entre Paris et Venise à la fin du xvie siècle59. Ailleurs en Europe, on ne la trouve pas souvent, et moins encore là où l’on se serait attendu à la trouver. Elle manque ainsi dans la riche bibliothèque du marquis Del Carretto, un feudataire italien établi à Vienne auprès de la cour impériale, dont le catalogue vient d’être établi60. Or Del Carretto était aussi un membre de l’Academia degli Affidati de Pavie, à laquelle appartenait Guazzo. En revanche, comme De Thou, il possédait un exemplaire de Lettere volgari (1565). Au xviiie siècle, et en particulier en France, le livre de Guazzo, suivant l’indication qu’avait donnée Sorel, a été rangé comme un traité de la société civile dans la classification des libraires parisiens et il a parfois été recherché en tant que tel. Il figure ainsi dans la collection réunie par l’avocat Floncel, mais en un seul exemplaire, d’une édition tardive61, au même titre que les autres ouvrages de l’auteur et dans la mesure où la collection de Floncel était une « bibliothèque italienne ». Sauf en Angleterre et dans le cas de la version anglaise, la Civil conversazione, en italien ou en français, n’a pas été considérée comme un véritable objet bibliophilique, faisant l’objet d’une valorisation particulière, à la manière d’autres ouvrages italiens de la même époque. Elle ne figure guère dans les cabinets des grands curieux ni même des simples amateurs62. On ne connaît pas d’exemplaires soigneusement reliés ou dans des reliures aux armes ; ni le comte d’Hoym ni Girardot de Préfond ni le duc de La Vallière n’en possédaient un exemplaire. Aux xixe et xxe  siècles, l’ouvrage ne semble pas avoir été mieux considéré, ni dans sa langue originale ni dans les tra-

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1892. La bibliothèque de Colin est riche de 1062 titres, parmi lesquels 70 en italien et au moins 60 traductions de l’italien. Estelle Bœuf, La Bibliothèque parisienne de Gabriel Naudé en 1630, Genève, Droz, 2007. Le volume a figuré ensuite dans la vente du comte Mac Carthy Reagh, Paris, De Bure, 1815, no 3847. Voir Anna Maria Raugei, Gian Vincenzo Pinelli et Claude Dupuy. Une correspondance entre deux humanistes, Florence Olschki, 2001. Voir Anna Giulia Cavagna, La biblioteca di Alfonso II Del Carretto marchese di Finale. Libri tra Vienna e la Liguria nel XVI secolo, Finale Ligure 2012; les Lettere volgari sont recensées sous le no 205/ 319. Libreria Floncel, Paris, 1774, no 543, ainsi que les Dialoghi piacevoli (1586 et 1610), no 4991-4992, les Lettere (1599), no 5168, les Lettere volgari (1565), no 5265. On recense quelques rares exemplaires dans les bibliothèques Giraud (Paris, 1707, no 2061 : édition de Venise, 1599) ; Glucq (Paris, 1742, no  1617 : édition de Venise, 1616) ; Bleu (no  232 : édition de 1579) ; duc d’Estrées (Paris, 1740, no  11998 : édition de Venise, 1609). Je remercie Massimo Scandola qui m’a aimablement transmis ces précisions tirées de sa documentation consacrée au livre italien dans les collections françaises du xviiie siècle.

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ductions françaises, alors que certaines des traductions faites par Chappuys et par Belleforest étaient recherchées63. Il ne figure pas même dans l’exceptionnel fonds italien réuni par Auguste Boulier, conservé à la Bibliothèque de Roanne64. Il n’a pas non plus été intégré à la catégorie bibliophilique nouvelle des livres de gastronomie ou dans les collections bachiques, alors que le récit du banquet de Casale constitue un des premiers textes italiens traitant de l’art de boire65. La leçon des provenances Il sera ainsi plus facile de recenser les quelques exemplaires recensés dans les inventaires anciens ou conservés dans les bibliothèques, que de citer les collections desquelles la Civil conversazione est absente. Ceux-ci et les éventuelles mentions qu’ils portent sont ainsi d’autant plus intéressants qu’ils sont variés et contradictoires : le même ouvrage peut avoir été reçu en France comme un livre de cour, un livre de lettré, un livre lié à l’expérience du voyage d’Italie et sans doute à une initiation linguistique, parfois en toute indépendance d’un milieu italianisant, tout comme sa présence en France peut avoir été le fait de ces hasards auxquels tout livre est voué, ainsi l’exemplaire de la bibliothèque municipale de Besançon, acquis en 1594 à Padoue par un étudiant allemand. On trouve une rare mention de la “Civil conversation” parmi les « libri compacti  » dans le catalogue des livres du libraire François Modius, à Francfort, en 1585-1587, récemment édité par Nicole Bingen et Renaud Adam66. La mention toutefois est imprécise. Il pouvait s’agir en effet d’une édition italienne, mais aussi de la traduction française de l’ouvrage. Un exemplaire en italien est mentionné sans autre précision dans la bibliothèque de Peiresc ; il correspond peut-être à celui qui est conservé à la bibliothèque Inguimbertine67. Une des rares mentions au livre se trouve dans l’inventaire des livres de la reine Marguerite, la première épouse d’Henri IV, décédée en 1615. La bibliothèque de la reine, réunie en partie à l’occasion de son exil à Usson était riche d’ouvrages religieux, de textes philosophiques et 63 Un exemplaire dans la vente Pixérécourt (1839). Un exemplaire de la version de Belleforest (Lyon, Rigaud, 1592) dans la vente Rodocanachi, Paris, Andrieux, 1934, no  49 (reliure de Noulhac ; probablement le même, vente, Paris, Drouot, 17 janvier 2018, no  96 ; l’exemplaire porte une mention sur le titre « acheté à Tours 1614 »). 64 Marie-Françoise Viallon, Catalogue du Fonds italien Auguste Boullier de la Bibliothèque municipale de Roanne, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne. xvie siècle, 1993 ; xviie siècle, 1995. 65 Voir Marina Beer, « In margine al convito di Casale. Dieta, vino e cultura del bere nel IV libro della Civil conversazione », dans Stefano Guazzo, op. cit., p. 323-356. 66 Nicole Bingen et Renaud Adam, Lectures italiennes dans les pays wallons à la première modernité (1500-1630), Turnhout, Brepols, 2015, p. 175, no 21. 67 Voir Cecilia Rizza, Peiresc et l’Italia, Turin, Giappichelli, 1965, p. 306.

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de littérature68. La Civil conversazione est rangée dans les livres de format in-quarto et parmi ceux-ci s’inscrit dans une série de 17 livres en langue italienne69 : 122 Rolland le furieux en Itallien couvert de veau rouge 123 Les nouvelles de Bandel en italien couvert de parchemin 125 Le Pétrarque commenté de Jesualde en itallien couvert de maroquin rouge argenté 126 La comedye de Danbte commanté en itallien couvert de maroquin rouge argenté 127 La civille conversation de Gazo couvert de maroquin rouge argenté70 128 Les metamorphoses de Languilare couvert de maroquin rouge argenté 130 Les œuvres de Piccolominy en itallien en quatre volumes couverts de maroquin rouge prisés 4 l. 10 132 La fabrique du monde en itallien couvert de parchemin 133 Les sermons de Boitoule [Panigarole ?] en ytallien en deux volumes couverts de maroquin rouge doré par filletz en champ 134 Deux mesmes livres couverts en velin prisez ensemble3 l 135 Les éthiques d’Aristote en itallien couvert de vélin prisez 10 s. 136 Les lettres de Guevara en italien en parchemin 139 L’art de l’escripture par Baptiste Palatin en itallien couvert de veau noir 142 Hospidale de pazy en itallien couvert de parchemin 144 La delivrance de Hierusalem en itallien couvert en veau jaulne 145 Le rozaire de la Vierge en itallien couvert de velin 151 Les propos de Pittaquet [Epictète] en italien couvert de marroquin jaulne argenté semé de chiffres et d’armes, prisé 30 s.

D’après le format indiqué, il s’agit, en ce qui concerne la Civil conversazione, de l’édition publiée en 1574. Plusieurs des volumes ayant appartenu à la reine, identifiables par leur reliure, ont été récemment mis au jour71. Dans la cadre du projet editef, il m’a été donné d’identifier l’exemplaire du Pétrarque commenté par Vellutello mentionné dans l’inventaire (ci-dessus, no 125), conservé à la bibliothèque municipale de Boulogne-sur-Mer. Mais le Guazzo n’a pas été retrouvé. S’il a figuré parmi les livres d’une princesse, cette appartenance ne fait pas de lui un « livre de 68 Voir Marie-Noëlle Maruszek, «  La bibliothèque de Marguerite de Valois  », dans Henri III mécène des arts, des sciences et des lettres, éd. par I. de Conihout et alii, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne , 2006, p. 272-292. 69 L’inventaire recense trois livres en italien de format in-folio (Vettori, Pétrarque, Castiglione), et 14 livres de format in-8, parmi lesquels plusieurs recueils de lettres ; voir inventaire, nos 60, 64-65 et 224, 226-233, 236-237, 239-242, 253. 70 Nous soulignons. 71 Ainsi l’exemplaire des Métamorphoses d’Ovide dans la traduction de Giovanni Andrea dell’Anguillara (Venise, 1571), conservé au musée du château de Pau, le Dante (Venise, Giolito da Trino, 1536, in-8o), dans le Catalogue de la Librairie Valette, Paris, 2005, no 5, auquel s’ajoute le Dante en français dans la traduction de Balthazar Grangier (Paris, Gesselin, 1597), de la Bibliothèque Marie C[hèvre], vente, Paris, 17 novembre 2011, no 69.

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cour » stricto sensu, mais un livre de méditation destiné à un loisir forcé qu’elle savait remplir par une pratique lettrée. Trente ans après le décès de la reine Marguerite, en 1647, un chanoine de Notre-Dame, Claude Joly (1607-1700), se trouvait à Münster en Westphalie, où il accompagnait le duc de Longeville en qualité de secrétaire pour les négociations qui préparaient le traité mettant fin à la guerre de Trente Ans. Ancien avocat au parlement, Joly était un historien et un érudit, héritier de l’ancienne tradition gallicane la moins suspecte d’italianisme. Connu pour son hostilité à Mazarin, il était l’auteur de Mémoires concernant le cardinal de Retz et d’un Recueil de maximes pour l’institution du roi (Amsterdam, 1653). À Münster, il acheta un lot de livres, ainsi qu’il le mentionne dans le récit du voyage qu’il rédigea à cette occasion et qu’il publia dès son retour : Pendant le séjour que je fis à Munster, il y vint quelques Libraires de dehors (car dans la ville il n’y en a que deux ou trois) chez lesquels je trouvay d’assez bons livres, et j’en acheptay quelques uns lesquels avec ceux que j’y avois apportez de Leyden m’emplirent un coffre, qu’on eut la bonté de me faire tenir à Paris avec le bagage de nos princesses72.

Un des ces volumes, conservé dans une collection privée, est un exemplaire de la dernière édition de la Civil conversatione, publiée à Venise en 1628. Relié en vélin rigide à petits rabats, il porte sur le premier contreplat une inscription manuscrite donnant le nom du possesseur et la mention «  M. jun. 1647/ Empt. Monasterii Westphaliae Ann. 1647. ». Joly, de surcroît, avait noté qu’il avait fait relier le volume à Paris la même année (« compact. Lutetia A. eodem »). Cette indication intéressera les spécialistes de la reliure, elle permet de dater et d’identifier avec précision une simple reliure en vélin rigide à petits recouvrements comme une reliure parisienne. Sur un autre feuillet de garde, il avait porté une brève table des « lieux » qu’il avait relevés dans l’ouvrage et qui doublait les index imprimés73. Cet exemplaire ainsi annoté est un des rares et des derniers témoignages concrets de la réception française du dialogue de Guazzo. Les notes de Joly confirment ses compétences d’italianisant, utiles dans ses fonctions diplomatiques, et en même temps une pratique de lecture érudite, courante dans les milieux savants jusqu’à Peiresc, mais qui était en voie de raréfaction après 1640. Elles ne permettent pas en

72 Claude Joly, Voyage fait à Munster en Westphalie et autres lieux voisins en 1646 et 1647, Paris, Aubouïn, 1647, p. 269. 73 Un autre ouvrage que Joly avait acquis en octobre 1649, Les Nouvelles Œuvres (s.d., [1582]) de Du Monin, porte une table analogue, mais signée L.M. et datée janvier 1650 ; voir Vérène de Diesbach-Soultrait, Six Siècles de Littérature française. xvie siècle, Genève, Droz, 2017, I, p. 142, no 119.

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revanche d’éclairer l’intérêt pris à la lecture du livre, par Joly qui se situait par ses fonctions au point de rencontre de la haute érudition parisienne et des cercles de cour. Un élément toutefois est à noter, la table manuscrite néglige le livre IV du dialogue et l’épisode du banquet de Casale, comme si toute la dimension mondaine de la leçon de Guazzo, celle que soulignent les théoriciens de la préciosité et de la politesse était négligée au profit de la philosophie morale des trois premiers livres et du discours sur les relations sociales, celle précisément que connaissait Montaigne, peut-être simplement aussi d’une approche plus linguistique, sensible à un beau style bas. Le seul élément significatif qui puisse être retenu de l’ensemble des exemplaires consultés, est la fréquence des provenances ecclésiastiques sous l’Ancien régime : outre Claude Joly, les Bénédictins d’Amiens (Abbeville), les Oratoriens (La Rochelle), le couvent de Nazareth à Paris, un prêtre de la Doctrine chrétienne (Arsenal), les Feuillants de Paris pour la traduction de Chappuys (BnF). Un exemplaire de l’édition italienne de 1588, conservé à Toulouse conjugue de façon exceptionnelle cette réception ecclésiastique et la bibliophilie : relié en maroquin rouge, il porte le chiffre de Charles-Gaspard de Vintimille du Luc (1655-1746), alors évêque de Marseille. Une reliure identique recouvre un exemplaire des Œuvres de Rabelais (Lyon, 1599)74. Cette fréquence des provenances ecclésiastiques s’éclaire par l’histoire même des collections publiques françaises. Elle rappelle surtout le rôle central des religieux, séculiers ou réguliers dans la culture civile d’ancien régime. Elle ne contribue pas moins à mettre l’accent sur la composante chrétienne du processus de civilisation dont le livre de Guazzo est le représentant. Peut-être enfin éclaire-t-elle aussi les conditions de sa réception : une réception sans trace, à la mesure à la fois de la capacité d’assimilation que la Civile conversazione avait su faire de l’humanisme civil des anciens et de la morale chrétienne, et de la leçon de discrétion et de tact qu’elle donnait.

74 Catalogue de la librairie Amélie Sourget, Paris, 2013, no 19, reproduit.

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Appendice

Les éditions de La Civil conversazione et leur localisation en France75 —1574, Brescia, Vincenzo Sabbio pour Tommaso Bozzola. In-4o [236] feuillets signés aa4 aa6 A-Z8 AA-DD8 EE10 chiffrés [x] 225 [I bl.]. Bordeaux* (S.1318 ; veau brun, double encadrement à froid, fleurons dorés, reliure de l’époque) ; Paris: Arsenal* (4o S 506: vélin rigide, dos recouvert de m. r. à décor de feuillage, reliure du xviiie s.; anciennes tranches portant l’inscription « 148/ converdel-gvazzo » ; Cat. Nyon 11981) ; BnF. Lievsay 9. —1574, Venise, Enea de Alarise, In-8o paginé [xxxii] 503 [sic pour 560]. Abbeville (FA 16 E 171 : parchemin ; ex dono François Masclef, chanoine d’Amiens aux Bénédictins de Saint-Riquier, 1729). Lievsay, 11. —1575, Venise, A. Salicato, « Di nuovo ristampata, & con somma diligenza corretta ». in-8o paginé [xxxii]-580. Lievsay, 12. —1575, Venise, Bartolomeo Robino. In-8o paginé [XXXII]-576. Carpentras Inguimbertine; Genève (vélin: Revilliod; Guérin) Lievsay 13. —1577, Venise, Salicato. Lievsay, 14. —1579, Venise, Altobello Salicato, «Nuovamente dall’istesso auttore corretta, & […] ampliata ». In-4o [184] feuillets signés a-b8 A-X8 chiffrés [xvi]-168. L’édition est augmentée en outre de l’épître de Gabriello Frascati et de la Tavola de’ proverbi. Lyon (302575); Paris, Sainte-Geneviève (Questo sia il libro di Josepo Mont ; Sainte Geneviève 1753) ; Saint-Mihiel (PQ 542) ; Troyes* (d.g. 7334: parchemin souple à rabats, liens; Des Guerrois). Lievsay, 16. —1580, Venise A. Salicato. in-8o [336] feuillets chiffrés [xx]-316. Lievsay, 17. —1580, Venise, G.B. Somasco. 75 Voir La civil conversazione, éd. par A. Quondam, I, p. lxx-lxxi, d’après Lievsay, p. 277-303, ainsi que Suzanne Paul Michel et Paul-Henri Michel, Répertoire des ouvrages imprimés en langue italienne au xviie siècle conservés dans les bibliothèques de France, Paris, CNRS, 1972, t. IV, p. 97-98.

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une civile conversation In-8o. Lyon, Jésuites Fontaines (BE 742/12) ; Paris : BnF  (Z.16984); Strasbourg BNU (CD 104 516). Lievsay, 18. —1581, Venise, G. Perchacino, in-8o chiffré 280. Paris: BnF. Lievsay, 19. —1583, Venise, A. Salicato. In-8o [336] feuillets signés a-b8 c4 A-Qq8 Rr4 chiffrés [xx]-316 feuillets. Belle édition, bien imprimée. Troyes* (v.14.2854: v.b. xviie s.). Lievsay, 20. —1584, Venise, A. Salicato « Alla Libraria della Fortezza ». In-8o [336] feuillets signés a-b8 c4 A-Qq8 Rr4 chiffrés [xx]-316. Paris: Arsenal* (8o S. 2355: parchemin à recouvrements; Car:Renart/ prestr. della/dõttr. xnã). Lievsay, 21. —1586, Venise, A. Salicato, « Alla libraria della Fortezza ». In-8o [336] feuillets signés a-b8 c4 A-Qq8 Rr4 chiffrés [xx]-316 feuillets. Impression soignée, différant de celle de 1584. Paris: Arsenal* (8o S 2356: veau brun, dos à la grotesque, fin xviie s. ; note en italien ; mention de prix : 2# ; 3#10) ; BnF. Lievsay, 22. —1588, Venise, A. Salicato. In-8o [336] feuillets chiffrés [xx]-316. Avignon (2584) ; Toulouse (FaD 2647: maroquin rouge xviie s., au chiffre de Vintimille du Luc). Lievsay, 24. —1589, Venise, Domenico Imberti. Lyon. Lievsay, 25. —1590, Venise [A. Salicato]. Biblioteca Floncel: 543. Lievsay, 26. —1593, Venise, Paulo Ugolino. In-8 [336] feuillets chiffré [xx] 316. Besançon (246 868; parchemin; Melchior Ostermair die 16 november anno 1594 Patavii; J.-B. Boisot); Paris: BnF (Z.16985); Porrentruy BM (carton xixe; F.C. d’Eberstein; J.I. Froissard de Broissia). Lievsay, 27. 41

jean balsamo —1596, Venise, D. Imberti. In-8o [336] feuillets chiffrés [xx] 316. Nantes (32870); Paris: BnF (R.37873). Lievsay, 30. —1599, Venise, D. Imberti. In-8o. Lievsay, 31. —1600, Venise, D. Imberti. In-8o [336] feuillets signés a-b8 c4 A-Qq8 Rr4 chiffrés [xx]-316. Lyon; Paris : Ste Geneviève. Lievsay, 32. —1603, Venise, D. Imberti. Lievsay, 33. —1604, Venise, D. Imberti. In-8o [336] feuillets signés a-b8 c4 A-Qq8 Rr4 chiffrés [xx]-316 feuillets; 315 non chiffér ; 316v chiffré par erreur 315. La Rochelle (Oratorii Rupellensis) ; Paris : Arsenal* (8o S 2357 : parchemin xviie s. ; Du couvent de nazaret à Paris) ; BnF ; Ste Geneviève; Sorbonne ; Tours* CESR (SR 17A-20 ; vélin, tranches dorées ; inscription sur le dernier feuillet « fratello et sorella non sono ») ; Troyes* (M.1216: parchemin; signatures Bertrandi 1663 ; Grosley ; A. Picard ; Millard, avec une table de sa main). Lievsay, 34. —1607, Venise, D. Imberti. In-8o. Amiens; Sorbonne (di don Giovanni de Zosca in Genova 1610; ad usum Petri Regis Agrigentini; Pietro lo Re). Lievsay, 35. —1609, Venise, Nicolò Moretti. In-8o [336] feuillets chiffrés [xx] 316. La dédicace est signée « Huazo » (sic). Besançon ; Grenoble; La Flèche Prytanée; Nevers (AS 3529). Lievsay, 36. —1611, Venise, G. Rizzardo. In-8o [336] feuillets signés a-b8 c4 A-Qq8 Rr4 chiffrés [xx] 1-316. Grenoble ; Paris : BnF (Z.50030); Mazarine* (45000: veau brun fin xviie s.). Lievsay, 37. —1616, Venise, Giovanni Antonio Giuliani. In-8o [336] feuillets signés a-b8 c4 A-Qq8 Rr4 chiffrés [xx]-316. Nouvelle édition avec une dédicace de l’éditeur à Fr. Paolino Berti, de Lucques, datée du 15 décembre 1616, et sur le titre, la mention « Fr. Andrea Berna Vinitiano, Min. Conv. Correttore Approvato ». Sans les pièces de vers liminaires. Dijon ; Paris : Arsenal* (S 8o 2359 : parchemin xviie s.). Lievsay, 38. 42

une civile conversation —1621, Venise, Giuliani. Lievsay, 40. —1628, Venise, Giuliani. In-8o [284] feuillets a8 A-Z8 Aa-Mm8 paginés [xvi]-540-[xx] ; armoiries sur le titre ; p. 540, mention de l’approbation du Fr. Andrea Bernia. Paris : BnF (Z.16986). Collection privée Paris (vélin ; exemplaire Claude Joly, 1649). Lievsay, 41.

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Tra i fili della rete. Libri e tipografi italiani nelle biblioteche francesi Lorenzo Baldacchini Università di Bologna

Il tema della circolazione del libro italiano in Francia durante il Rinascimento si presta ad essere affrontato da diversi punti vista. C’è quello legato alla presenza di tipografi e librai italiani Oltralpe, sul quale i contributi sono numerosi. Basti pensare a quelli riguardanti la presenza di operatori del libro italiano a Lione. Dallo studio ormai classico di Enea Balmas1 fino a quello più recente di Ugo Rozzo2. Ci sono – ad esempio – figure, come quella del dalmata italianizzato Bonino Bonini,3 in realtà si chiamava Dobrisa Dobric, che sono state coinvolte non solo nel commercio di libri, ma anche in vere e proprie attività di spionaggio. Una monografia specifica sul tema imprimeurs et libraires italiens en France, come quella progettata da Émile Picot4 non è mai stata realizzata, ma i lavori – come detto – non mancano. In generale il soggetto si lega proprio al tema dei legami Italia-Francia in rapporto al Rinascimento. Perseguendo questo obiettivo è nato il progetto editef5, al quale questo mio intervento si collega e del quale questo convegno rappresenta un importante approdo. Un altro aspetto particolare è quello legato alla presenza del libro rinascimentale italiano nelle collezioni delle biblioteche francesi. Ed è su questo punto che vorrei soffermarmi.

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Enea Balmas, «Librai italiani a Lione», in Il Rinascimento a Lione (Atti del Congresso Internazionale, Macerata, 6-11 maggio 1985), a cura di A. Possenti, G. Mastrangelo, Roma, Edizioni dell’Ateneo, 1988, p. 61-82; id. e Diego Valeri, L’età del Rinascimento in Francia. Letteratura e storia, Firenze-Milano, Sansoni-Accademia, 1969. Ugo Rozzo, «Autori, editori e librai italiani a Lione nel Cinquecento», in Il libro e le sue reti. La circolazione dell’edizione italiana nello spazio della francofonia (sec. xvi-xvii), a cura di L. Baldacchini, Bologna, Bononia University Press, 2015, p. 45-71. Alfredo Cioni, «Bonino Bonini», in Dizionario Biografico degli italiani, Roma, Istituto della Enciclopedia Italiana, t. XII, 1971, p. 215-219. Nuccio Ordine, «Introduction», in Émile Picot, Les italiens en France au xvie siècle, Manziana (Roma), Vecchiarelli, 1995, p. XXXV. L’édition italienne dans l’espace francophone à la première modernité (, consulté le 31/03/2020).

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Gli strumenti per realizzare adeguatamente questa indagine non sono tutti quelli che ci piacerebbe avere, ma dobbiamo fare – come si dice – di necessità virtù e abbozzare un primo quadro di riferimento sfruttando al meglio le risorse delle quali disponiamo. Per prima cosa ho selezionato la componente in lingua volgare delle edizioni italiane, in particolare del xvi secolo. È noto che ci sono almeno tre aziende che nel corso del Cinquecento si sono distinte nella scelta di stampare libri in volgare. Si tratta dei Giolito, di Nicolò Zoppino e di Francesco Marcolini. La prima occupa con la sua produzione tutto il secolo, le altre due si concentrano nella prima parte. Naturalmente queste tre imprese non rappresentano tutto il libro volgare italiano, tuttavia ne sono un segmento particolarmente significativo. Giolito, Marcolini e Zoppino sono inoltre stati oggetto sia di lavori ormai storici (Bongi, Casali, Servolini)6 sia di contributi più recenti (Nuovo-Coppens, Baldacchini, Severi, Procaccioli)7. Inoltre su Marcolini sono in lavorazione nuovi annali da parte di Paolo Temeroli. Vorrei prendere come ipotesi iniziale che la produzione di questi tre soggetti sia particolarmente significativa nella rappresentazione della cultura italiana in lingua volgare nel xvi secolo. Ne consegue che la presenza delle loro edizioni nelle biblioteche (anche in quelle francesi) sia un possibile punto di partenza per un’indagine sulla circolazione del libro italiano nella Francia del Rinascimento e non solo del Rinascimento. Si potrà obiettare legittimamente infatti che la presenza di una cinquecentina italiana in una collezione francese oggi non significhi affatto che tale libro sia in quella biblioteca o comunque in Francia sin dal xvi secolo o poco dopo. Il collezionismo e la bibliofilia del Sette e Ottocento hanno arricchito le collezioni non solo di manoscritti e incunaboli, ma anche di libri del xvi secolo. Per questo ho cercato, là dove possibile, di indagare sui possessori, in particolare francesi, di quei libri. Il quadro che ne scaturisce è sicuramente per ora

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Salvatore Bongi, Annali di Gabriel Giolito de’ Ferrari da Trino di Monferrato, Roma, presso i principali librai, 1890-1897; Scipione Casali, Gli Annali della tipografia veneziana di Francesco Marcolini, Forlì, Casali, 1861-1865; Luigi Servolini, Supplemento agli Annali della tipografia veneziana di Francesco Marcolini compilati da Scipione Casali, Bologna, Alfredo Gerace, 1958. Angela Nuovo e Christian Coppens, I Giolito e la stampa nell’Italia del xvi secolo, Genève, Droz, 2005; Lorenzo Baldacchini, Alle origini dell’editoria in Volgare. Niccolò Zoppino da Ferrara a Venezia. Annali (1503-1544), nota di Amedeo Quondam, Manziana (Roma), Vecchiarelli, «Cinquecento. Testi e studi di letteratura italiana. Studi, 40, n. s., 4», 2011; Luigi Severi, Sitibondo nel stampar de’ libri. Niccolò Zoppino tra libro volgare, letteratura cortigiana e questione della lingua, Manziana (Roma), Vecchiarelli, «Cinquecento. Testi e studi di letteratura italiana. Studi, 30», 2009; Un giardino per le arti. «Francesco Marcolino da Forlì». La vita, l’opera, il catalogo (Atti del Convegno internazionale di studi, Forlì, 11-13 ottobre 2007), a cura di P. Procaccioli, P. Temeroli, V. Tesei, Bologna, Editrice Compositori, 2009; Francesco Marcolini, Scritti. Lettere, dediche, avvisi ai lettori, a cura di P. Procaccioli, Manziana (Roma), Vecchiarelli, «Cinquecento. Testi e studi di letteratura italiana. Testi, 22, n. s., 8», 2013.

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quantomeno frammentario, ma credo possa fornire più di qualche spunto per future indagini che vadano maggiormente in profondità. Un limite che per il momento non è stato possibile valicare è rappresentato dal fatto che non sempre i cataloghi on-line registrano le provenienze e i possessori. Questo rende il panorama ancora più precario, ma proprio per questo suscettibile di significativi approfondimenti. Le due basi dati che ho per ora interrogato sono quelle della Bibliothèque nationale de France (= BnF) e del Système Universitaire de Documentation (= SUDOC8). Dalla prima sono risultate 477 notizie relative ad edizioni giolitine, comprese quelle del Seicento, 90 di Zoppino e 71 di Marcolini. Devo avvertire che, come sempre capita quando si interrogano basi-dati di cataloghi collettivi, alcune di queste notizie risultano duplicate. Della seconda i dati sono naturalmente più bassi: di Giolito abbiamo 180 edizioni, 27 di Marcolini e solo 13 di Zoppino. Notevole questa differenza di graduatoria nelle posizioni di Zoppino e Marcolini. Per capirne qualcosa di più occorre fare una riflessione riguardante il tasso di rappresentatività di queste collezioni. Per l’azienda di Zoppino ad esempio, che è quella sulla quale possediamo lavori di annali molto recenti, le 90 notizie targate BnF rappresentano, sulle 439 a noi note, una percentuale del 20,5 %. Percentuale che diminuisce leggermente se teniamo conto delle duplicazioni presenti nel data-base. Molto più bassa è quella di SUDOC: le 13 notizie sono meno del 3%. Va detto che le edizioni di Zoppino segnalate dalla più importante fonte italiana, Edit16.9, sono 388. Questa differenza, rispetto agli annali, che riscontriamo anche per altre aziende, si può spiegare con le seguenti ragioni: 1) il censimento delle cinquecentine italiane non è ancora completato; 2) l’assenza totale di alcune edizioni nelle biblioteche italiane; 3) negli annali ho registrato edizioni segnalate dalla tradizione bibliografica, ma forse interamente perdute. Alcune potrebbero perfino essere bibliographical ghosts. Anche per quanto riguarda Giolito, possiamo disporre di due dati: quello degli Annali di Salvatore Bongi e quello ricavabile da Edit 16. Negli Annali sono registrate 1484 edizioni. Il posseduto BnF tocca, come ho detto, 477 edizioni, cioè il 32%. Un po’ meno considerando le duplicazioni. SUDOC ne annovera 180, che rappresentano poco più del 12%. Edit16 segnala 1769 edizioni di Giolito fino all’anno 1600 compreso. La BnF ne possiederebbe quasi il 27%, ma, essendovi comprese anche quelle dei primi anni del Seicento, tale percentuale si abbassa un po’. SUDOC 8 9

Bibliothèque nationale de France, BnF (, consulté le 31/03/2020); Système Universitaire de Documentation, SUDOC (, consulté le 31/03/2020). Censimento nazionale delle edizioni italiane del xvi secolo (, consulté le 31/03/2020).

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invece ne registra poco più del 10%, sempre tenendo conto della precisazione fatta a proposito del posseduto da BnF. E veniamo a Marcolini. Mettendo insieme i dati di Casali e Servolini avremmo un totale di 193 edizioni, ma Edit16 ne registra soltanto 131. Se prendiamo come riferimento il dato del Censimento Nazionale, la BnF arriva ad un 54% del totale e SUDOC ad un 20,7. Se ci basiamo sugli Annali il dato è appena sotto il 37% per BnF e al 14% per SUDOC. Il discorso si fa più interessante se ci soffermiamo sui possessori. Bisogna anzitutto notare che, mentre i cataloghi presenti in SUDOC registrano spesso – non sono in grado dire se lo facciano sempre – provenienze e possessori, non altrettanto fa BnF, almeno non sistematicamente. Questo al momento riduce molto le possibilità di indagini basate esclusivamente sui cataloghi e ci costringerà ancora per un certo tempo ad analizzare direttamente gli esemplari. Ma questo fatto non è poi così negativo: l’esame autoptico può sempre rivelare elementi non registrati anche dalla catalogazione più analitica. Proviamo comunque a soffermarci sulle notizie ricavabili da SUDOC. Anzitutto notiamo che tre sono le biblioteche presenti nella base-dati che registrano note di possesso e provenienze che ci possono interessare: la Mazarine e quelle di Sainte Geneviève e dell’Institut de France. Alcune di queste note ci presentano libri appartenuti a figure più o meno conosciute: una copia della terza impressione de Le trasformationi di Ludovico Dolce (versione delle Metamorfosi di Ovidio ripresa da quella del 1553) stampate da Giolito a Venezia nel 155510, oggi alla Mazarine, presenta ancora la legatura lionese originale con le armi di Benoit Le Court11, noto giurista fiorito tra 1530 e 1559, autore di un commento agli Arrets d’amour di Martial d’Auvergne, ma soprattutto definito bibliofilo «d’eccezione», creatore di una delle biblioteche più importanti del Cinquecento lionese. In essa si trovavano opere che riflettono i suoi molteplici interessi: autori classici, astronomia, testi legati alla Riforma che furono più tardi messi all’Indice. L’interesse per l’umanesimo italiano è testimoniato dalle frequenti citazioni nelle sue opere, tutte pubblicate a Lione, di autori come Pietro Bembo e Lorenzo Valla. In tutto 32 opere riunite in 24 volumi, a lui appartenuti, sono oggi alla Bibliothèque municipale de Lyon, mentre molte altre sono disperse in varie raccolte. Interessanti sono le note di acquisto. Sia la sua biblioteca che l’insieme delle sue opere ci fanno intravedere i circoli umanistici da lui frequentati, le personalità di passaggio a Lyon che ebbe modo di incontrare e i 10 Edit16 CNCE 27107. 11 Monique Hulvey, «Un bibliophile d’exception: Benoît Le Court (14..-1559)», Numelyo. Bibliothèque numerique de Lyon, (, consulté le 31/03/2020).

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legami familiari e amicali tessuti tra Saint-Symphorien le chateau, la cura di Coise e il mondo dei letterati lionesi. La sua biblioteca inoltre poté servire ad altri scrittori lionesi, come suo nipote Jean des Gouttes. Per inciso notiamo che l’edizione del 1555 presenta interventi del Dolce rispetto alla prima del 27 maggio 155312, a seguito delle critiche di Girolamo Ruscelli. Per rimanere in ambito di possessori del Cinquecento, alla Bibliothèque di Sainte-Geneviève si trova una copia de La Comedia di Dante Aligieri con la Nova espositione di Alessandro Vellutello, stampata a Venezia dal Marcolini nel 154413. È contrassegnata dall’ex-libris di Charles Salmon detto Macrin14 figlio del più famoso poeta Jean (1490-1557), che fu valletto di Camera di Francesco I, considerato l’unico poeta lirico della sua generazione, che trasse ispirazione dai latini e dagli italiani del Rinascimento. Charles morì nel 1572. Questa edizione fu la prima del Vellutello. Infine La vita di Carlo V di Ludovico Dolce stampata da Giolito nel 156715 è presente in un esemplare a Sainte Geneviève nel fondo dell’umanista Antoine de La Val (1550-1631)16. Costui, valletto di Camera e geografo del re Enrico II, fu signore di Belair. Dopo l’assassinio del Duca di Guisa, Enrico III lo inviò in provincia per difendere la causa reale. Alla fine del 1592 Enrico IV gli affidò l’amministrazione di Mantes. Ma le presenze più cospicue sono quelle che rimandano ad importanti collezioni del secolo successivo. Un Petrarca pure col commento del Vellutello (Catalogo Mazarine 1535, ma probabilmente: 1545), le Rime di diversi curate da Ludovico Domenichi (1545) e le Attioni morali di Giulio Landi (1564, legato in marocchino rosso à la fanfare da Thomas Mahieu)17 sono tre esemplari giolitini nella Mazarine, appartenuti a Henri Du Bouchet, (1593-1654), che fu consigliere al Parlamento e Abate di S. Victor, del quale ci rimane un ritratto a matita su carta nel museo Condé di Chantilly18. Mentre a Charles Maurice Le Tellier19, Arcivescovo Duca di Reims e primo pari di Francia, figlio di un ministro di Luigi XIV, appartenne una biblioteca ricca di 12 Edit16 CNCE 27046. 13 Edit16 CNCE 1163. 14 George Soubeille, «La découverte du chaînon manquant, les Carmina de Salmon Macrin», in Renaissance de l’ode: l’ode française au tournant des années 1550, a cura di N. Dauvois, Paris, Champion, 2007, p. 13-18. 15 Edit16 CNCE 17399. 16 , consulté le 31/03/2020. 17 Edit16 CNCE 26035; CNCE 26043; CNCE 27589. 18 Dominique Varry, «Être bibliothécaire à Saint-Victor», Cahiers de recherches médiévales et humanistes, t. XVII, 2009, p. 257-270. Nella base dati della BnF figura come possessore di una decina di disegni: , consulté le 31/03/2020. 19 Joseph Sollier, «Charles-Maurice Le Tellier», The Catholic Encyclopedia, t. IX. New York, Robert Appleton Company, 1910. (, consulté le 31/03/2020).

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50000 volumi, con provenienze importanti, quali Jean Grolier, Enrico VIII d’Inghilterra, Jacques-August de Thou. Nella Bibliotheque Sainte Geneviève di questa collezione si trovano i Decreti generali di Alessandro Andreasi (Giolito, 1578) e l’Architettura di Vitruvio (Marcolini, 1556)20. Figura di spicco è anche Claude du Molinet, il quale, nato a Chalons-surMarne nel 1620, entrò nei canonici regolari di S. Agostino del monastero di Sainte Geneviève di Parigi del quale creò il museo. Fu incaricato anche di gestirne la biblioteca21. Morì nel 1687. Nella sua biblioteca troviamo il Boccaccio pubblicato dal Dolce (Giolito, 1552, già pubblicato nel ‘38)22 recante il suo ex-libris. Torniamo alla Mazarine. Qui abbiamo uno dei due volumi dei Discorsi della guerra di Ascanio Centorio degli Ortensi (Giolito, 1559-1566)23, quello del ’66 appartenuto a Léon de Bouthillier Conte di Chavigny e di Besançon (1608-1652)24, come si evince dalla legatura, in tutto simile a quella del secondo volume delle Historie di Cipriano Manente (Giolito, 1561) 25 che si trova nella stessa biblioteca. Il Bouthillier divenne segretario di stato nel 1632. Fedele a Richelieu, fu anche amico di Mazzarino, anche se questo legame si incrinò durante il periodo della Reggenza. L’edizione appena citata dei Discorsi di Ascanio Centorio la ritroviamo, questa volta completa di entrambi i volumi, a Sainte Geneviève, in un esemplare rilegato con le armi di Antoine de Sève (1636-1678), Abate de Lisle du Barrois, Signore de la Forest, già proprietario dell’edificio che poi ospiterà il Seminario di Saint-Sulpice. Mise insieme una importante biblioteca i cui libri furono in prevalenza legati da Rivette o Le Gascon. A Jean Emmanuel de Rieux (1605?-1657) marchese d’Asserac, letterato «bien verse dans les sciences26» nonché bibliofilo, è appartenuto il prezioso fondo conservato alla Bibliothèque Sainte Geneviève, citato anche nel Traicté des plus belles bibliothèques dell’Abate Jacob27. Qui troviamo l’edizione Marcolini (1552), 20 Edit16 CNCE 60850; CNCE 28623. 21 Vedi il suo Le cabinet de la Bibliothèque de Sainte Geneviève divisé en deux parties Contenant les antiquitez de la religion des chrétiens, des egyptiens & des romains; des tombeaux, des poids & des médailles; des monnoyes, des pierres antiques gravées, & des minéraux; des talismans, des lampes antiques, des animaux les plus rare & les plus singuliers, des coquilles les plus considérables, des fruits étrangers, & quelques plantes exquises, A Paris, chez Antoine Dezallier rue Saint Jacques, a la Couronne d’or, 1692, su cui Dominique Moncond’huy, «Le cabinet de la Bibliothèque Sainte Geneviève du pere du Molinet. Un exemple du livre “de cabinet”», Camenae, 15, Mai 2013 p. 1-8. 22 Edit16 CNCE 6327-6328. 23 Edit16 CNCE 10795. 24 «Léon Bouthillier, comte de Chavigny», in François Bluche (ed.), Dictionnaire du Grand-Siècle, Paris, Fayard 1990, p. 318. 25 Edit16 CNCE 26318. 26 Jean Luc Deuffi, «Jean-Emmanuel de Rieux, marquis d’Assérac († 1657): un lettré “bien versé dans les science”, in Pecia. Le livre et l’écrit (, consulté le 31/03/2020). 27 Louis Jacob, Traicté des plus belles bibliotheques publiques et particulieres, qui ont esté, & qui sont à

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dei Marmi del Doni28. Infine le armi di Philippe Nicolas d’Aumale, marchese di Haucourt (1620-76) figurano nell’esemplare de Le vite dei principi di Vinegia di Pietro Marcello, stampata dal Marcolini a Venezia nel 155829. Le note di possesso rilevabili sono naturalmente molte di più, ma – come detto – ci limitiamo a quelle di personaggi vissuti più vicino all’epoca rinascimentale (in Francia tale periodo si spinge fino alla metà del Seicento e infatti questo è il termine adottato anche dal progetto editef). Tra i possessori più recenti troviamo anche nomi assai famosi (ad esempio quello di Vittorio Alfieri). Ma per il momento questo esula dal focus sulla circolazione del libro italiano nello spazio francofono all’inizio dell’età moderna. Un ruolo particolarmente significativo sembrano invece giocare alcune figure del xvii secolo, che in Francia, ricordiamolo, è l’epoca di Gabriel Naudè e di Louis Jacob. Questa età e molti personaggi che l’hanno contraddistinta hanno sicuramente contribuito a creare, anche con il loro collezionismo librario, con la ricerca dei libri del Cinquecento, quel mito del Rinascimento italiano che ancora resiste. Per quanto riguarda poi le collezioni della Nazionale di Parigi, per ora è necessario ricorrere, come già detto, all’esame autoptico degli esemplari. Questo approccio naturalmente offre più garanzie sull’esattezza dell’indagine, rispetto a quella realizzata sui cataloghi, ma richiede ovviamente molto più tempo. Non ho preso in esame tutte e tre le aziende di cui sopra. Mi sono limitato pertanto ad esaminare i libri di Zoppino della sola BnF, ma – per ragioni di tempo – solo quelli collocate Rez de jardin, quindi con l’esclusione di quelli che si trovano a rue Richelieu e all’Arsenal. Sono poco più di una cinquantina, ma essendoci numerose miscellanee o comunque più pezzi all’interno della medesima legatura, il numero di edizioni in realtà è un po’ più alto. La maggior parte, come era prevedibile, non reca tracce che possano rimandare ad una circolazione in territorio francofono in epoca non troppo lontana da quella in cui furono stampati. Tutte presentano uno o più timbri della raccolta che si succedono e non di rado convivono: «Bibliothèque Royale» «Bibliothèque Impériale» o più semplicemente «République Française». Tutti comunque sempre rigorosamente in inchiostro rosso. Ci sono spesso antiche segnature nei fogli di guardia, che non di rado sono molti, perfino sei tra anteriori e posteriori. Leggiamo «A 1282 B» nel verso del secondo anteriore del Viaggio da Venezia al sancto sepolchro et al monte Synai che Zoppino e il suo socio Vincenzo di Polo stamparono il 7 settembre 151930. La legatura in pergamena floscia, comune present dans le monde, Paris, Rolet Le Duc, 1644. 28 Edit16 CNCE 17692. 29 Edit16 CNCE 28635. 30 Edit16 CNCE 77545; L. Baldacchini, Alle origini dell’editoria in volgare, op. cit., n. 76.

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anche ad altre edizioni, è troppo dozzinale per poterci suggerire una provenienza. Piuttosto, a conferma di quanto detto, il Viaggio è legato insieme a due opere dell’Aretino: Il Genesi e La Passione di Giesu Christo, entrambe stampate a Venezia senza nome del tipografo/editore, rispettivamente nel 1541 e nel ’4531. Qui si imporrebbe una piccola digressione sul tema di queste unioni fattizie, che meriterebbero davvero un’indagine approfondita32. Il momento della loro realizzazione può essere significativo per la storia del (degli) esemplari: a cura e a spese di chi avvenne questo assemblaggio? Libraio, primo acquirente, collezionista antiquario? E inoltre chi ha deciso di riunire diverse edizioni in uno corpore, con quale criterio lo ha fatto? Tematico, autoriale, editoriale, fisico? Nel caso del Viaggio con le due opere di Aretino c’è sicuramente un legame tematico, anche se piuttosto sottile, ma il committente della legatura aveva forse qualche idea su chi poteva aver stampato i due testi aretiniani o sull’autore del Viaggio? Alcune legature sono piuttosto recenti e talvolta recano la vera e propria firma della bottega come quel Bauzonnet che compare stampato in caratteri minuscoli sul verso del primo foglio di guardia della Comedia de Jacob e de Joseph di Pandolfo Collenuccio che Zoppino stampa insieme a Vincenzo il 14 agosto del ’2333. Sul frontespizio un timbro rosso denuncia l’appartenenza alla collezione di Eugene Piot. Dalla medesima raccolta proviene anche la zoppiniana dei Suppositi di Ariosto del 153834. Raccolta fattizia, ma con una legatura originale del xvi secolo sulla quale campeggiano le lettere S.P.V.D. con sotto una F nel piatto anteriore e T.D.A. (=Tempio d’amore?) su quello posteriore, è quella che raccoglie la Comedia nova intitulata Tempio de amore, di Galeotto Del Carretto (Zoppino e Vincenzo, 4 marzo 1524) insieme a L’opere d’amore di Antonio Tebaldeo, (Zoppino, 1530) e alle Opere di Serafino Aquilano, Sessa, novembre 152635. Altre tracce sono, sul frontespizio il timbro con la dicitura “F. Liechtenstein Bibliothek” e la nota ms.: “Dom. Baldinotti” sulla controguardia anteriore. Sono diversi i Domenico di questa antica famiglia fiorentina e non è facile capire di quale si tratti. 31 Edit16 CNCE 2437; CNCE 2456. 32 Su questo tema, mi permetto di rinviare a Lorenzo Baldacchini, «In uno corpore continentur. Le miscellanee. Per un approccio unitario a un problema biblioteconomico del libro antico», Bollettino AIB. Rivista italiana di biblioteconomia e scienze dell’informazione, t. XLV, 2, 2005, p. 203-210. 33 Edit16 CNCE 14858; L. Baldacchini, Alle origini dell’editoria in volgare, op. cit., n. 136. 34 Edit16 CNCE 2605; L. Baldacchini, Alle origini dell’editoria in volgare, op. cit., n. 381. Bibliothèque nationale de France, Catalogue des livres provenant des collections d’Eugène Piot, vendues à Paris en 1891, Paris, Imprimerie Nationale, 1892. 35 Edit16 CNCE 16400; CNCE 41113; CNCE 53861; L. Baldacchini, Alle origini dell’editoria in volgare, op. cit., n. 141, 266.

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tra i fili della rete

Ci sono poi almeno due libri che recano la legatura di Francesco I, con i tre gigli di Francia sopra la salamandra in fiamme e ai lati le due F. Si tratta del Lamento d’amore mendicante di Antonio Fregoso del 1528, anch’esso legato con le Stanze del Poliziano (Zoppino, 1537) e con Amore di Girolamo Benivieni del ’35, stampato da Vittore Ravani & Compagno36. L’altro è il Nuovo lume libro di arithmetica di Giovanni Sfortunati pubblicato nel 153437. Anche questo ha, diciamo così, un convivente: la Nuova scientia inventa di Nicolò Tartaglia, stampato nel ’37 da Stefano Niccolini da Sabbio38. Per entrambi (e forse ciò non è casuale) il terminus post quem è il 1537, data del Poliziano e del Tartaglia ed in entrambi i casi il legame è tematico, la poesia d’amore nel primo e la scienza, in particolare la matematica, nel secondo. Un’altra coperta certamente cinquecentesca è quella del Philocolo di Boccaccio (1530)39, ma in questo caso pare difficile ipotizzare una realizzazione in area francofona, che sembra invece italiana. Piuttosto qui vediamo delle note manoscritte sul frontespizio di non facile interpretazione. In alto: «Ex… Ihs…» In basso: «Maria». Pure probabilmente italiana è quella, molto appariscente, della serie dei Libri di Orlando innamorato, del Boiardo continuato da Nicolò degli Agostini. Una delle miscellanee più ricche è quella che contiene una serie di commedie. Infatti sul dorso di una legatura che reca il giglio di Francia e un monogramma con due G intrecciate (una rovesciata), che denuncia l’appartenenza a Gaston d’Orléans, abbiamo la scritta in oro «Comedies italiennes». Per la verità l’unica commedia del tutto italiana è la prima: l’Eutichia di Nicola Grasso, mentre le altre sono tutte di Plauto tradotte in volgare: Cassina, Mustellaria, Amphitrione, Asinaria, Menechini, Penolo, tutte stampate, come l’Eutichia, da Zoppino nel 153040. Altre tracce di possesso sono quelle manoscritte lasciate su un volume che contiene i Tre primi canti di Marfisa dell’Aretino (Zoppino, 1535) insieme con Il Negromante dell’Ariosto (idem), Edera di Bartolomeo Carli Piccolomini (Zoppino 1544) e il Liside de l’amicitia di Platone (In Vinegia [Bartolomeo Cesano], 1548)41. Sul recto del primo foglio di guardia anteriore e sul frontespizio di Marfisa leggiamo «Ex libris P. Valadij». Un’esemplare del Vitruvio del marzo 1535 presenta una

36 Edit16 CNCE 19855; CNCE 41210; CNCE 5328; L. Baldacchini, Alle origini dell’editoria in volgare, op. cit., n. 217, 367. 37 Edit16 CNCE 41145; L. Baldacchini, Alle origini dell’editoria in volgare, op. cit., n. 331. 38 Edit16 CNCE 32915. 39 Edit16 CNCE 6283; L. Baldacchini, Alle origini dell’editoria in volgare, op. cit., n. 247. 40 Edit16 CNCE 21635; CNCE 41087; CNCE 41099; CNCE 41081; CNCE 52491; CNCE 41095; CNCE 41103; L. Baldacchini, Alle origini dell’editoria in volgare, op. cit., n. 255, 259, 261, 257, 258, 260, 262. 41 Edit16 CNCE 65118; CNCE 2581; CNCE 9541; CNCE 47450; L. Baldacchini, Alle origini dell’editoria in volgare, op. cit., n. 337, 339, 428.

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legatura di Ottmann, 1841. Ma anche tracce di piatti perduti anteriore e posteriore incollati sulle controguardie con i gigli e le due F. (quindi di François Ier). Per quanto riguarda i conventi, si può ricordare l’altra edizione (del 1538) del Viaggio da Vinegia al santo Sepolchro et al monte Sinai42 che, a fronte di una delle numerose legature in pergamena floscia, presenta sul frontespizio la nota ms. «Collegij Innocentis (?) Sanctorum Re… et Pauli», purtroppo in buona parte coperta da un timbro circolare con la scritta «Barnabitarum S. Eligij Paris». Mentre a c. A2r si legge in basso la nota ms.: «Collegij Paris. S. Eligij … Reg. S. Pauli» al di sotto della quale vi è un piccolo segno di croce. Come ho già detto, non ho voluto fare altro che un primo sondaggio molto parziale. È veramente meno di quello che gli archeologi chiamerebbero un «carotaggio». Ne risultano solo alcune piccole tessere di un mosaico. Ma penso che valga la pena di continuare. I mosaicisti infatti ci insegnano che tutte le tessere sono ugualmente importanti.

42 Edit16 CNCE 41211; L. Baldacchini, Alle origini dell’editoria in volgare, op. cit., n. 383.

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L’Italie au miroir des bibliothèques lyonnaises de la Renaissance Monique Hulvey

Bibliothèque municipale de Lyon

De passage à Lyon en 1549, le vénitien Andrea Minucci fut frappé par le nombre d’habitants qui étaient habillés à l’italienne et de plus parlaient sa propre langue. Il notera d’ailleurs dans ses carnets à propos de son passage à Lyon : « on croit arriver dans une ville d’Italie1 ». L’influence italienne sur le monde politique, économique ou culturel lyonnais à la Renaissance a donné lieu à de multiples études qui analysent cette influence à travers des prismes divers : les pouvoirs financiers, celui des banquiers florentins qui ont financé l’entreprise guerrière des rois de France en Italie, ou le monde des arts, la musique ou la littérature, comme celui de la librairie et de la production imprimée. La situation géographique stratégique de la ville ainsi que les foires qui s’y tenaient quatre fois par an ont fait de Lyon un pôle européen de grand commerce dès le dernier quart du xve siècle. Grâce à une activité particulièrement florissante, alors qu’elle ne possédait ni université ni parlement qui auraient garanti la présence sur place d’une clientèle lettrée2, la cité marchande s’était très vite transformée en un centre important de production et de vente de livres. Arrière poste idéal des guerres de conquête, elle est alors naturellement devenue le réceptacle direct des courants de pensée venus d’Italie. Au retour de leurs voyages dans la suite des rois de France ou de leurs études dans les universités de Pavie, Bologne, Padoue, ou Turin, médecins et juristes, lyonnais ou de passage, ont su insuffler à Lyon l’esprit d’aventure intellectuelle et l’enthousiasme de leur propre découverte humaniste de la péninsule3. 1 2 3

Giuseppe Iacono et Salvatore Ennio Furone, Les marchands banquiers italiens et l’architecture à Lyon au xvie siècle, Paris, Publisud, 1999, p. 90. En 1527, le consulat lyonnais va d’ailleurs créer un collège municipal, le Collège de la Trinité, pour tenter de répondre aux besoins éducatifs de la ville. Comme Claude Bellièvre (1487?-1557) qui a étudié le droit à Pavie. Après avoir étudié les humanités à Paris, le médecin Symphorien Champier (1472?-1539?) a reçu son doctorat de médecine à Montpellier. Il sera plus tard «  agrégé  » au Collège des docteurs en médecine de Pavie en

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Parallèlement aux choix éditoriaux du monde de l’imprimé au xvie siècle, les collections assemblées dans la ville constituent par leur amplitude et leur richesse une importante source d’information sur l’espace-temps culturel lyonnais à la Renaissance. Vu la rareté des catalogues de bibliothèques à cette période4, il est essentiel de documenter les volumes eux-mêmes et les marques qu’ils portent, une collecte qui a son parallèle dans la plupart des institutions dépositaires du patrimoine imprimé de la période moderne. À Lyon, ce travail entrepris dès les années soixante, a permis au cours des vingt dernières années de reconstituer un ensemble de bibliothèques perdues ou oubliées, non documentées dans les documents d’archives. Ces collections révèlent un foisonnement d’influences venues d’Italie. Les multiples correspondances entre les volumes, leurs contenus et les noms de leurs anciens propriétaires permettent de reconstruire les réseaux érudits qui rayonnaient à travers la région lyonnaise et au-delà, ceux des élites qui se partagaient le pouvoir municipal à Lyon ou dans les villes voisines, ainsi que leur participation à la République des lettres. Les remarques qui suivent vont donc tenter d’évoquer l’espace culturel italien à Lyon à travers quelques facettes des courants de pensée venus d’Italie dès la fin du xve siècle, tels qu’ils se reflètent à travers les bibliothèques lyonnaises imprégnées d’humanisme néoplatonicien5 : la redécouverte de l’antiquité, la philologie ou la quête de l’occulte. Ces dernières années ont été riches en découvertes dans les collections anciennes, révélant un ensemble de noms d’italianisants, acheteurs et lecteurs de livres italiens, en italien, en latin ou en français, mais aussi en grec et en hébreu, érudits dont les livres personnels incarnent la péninsule, son dynamisme, sa langue et ses grands auteurs.

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octobre 1515. Je remercie Nicole Bingen de m’avoir communiqué ces précisions, alors à paraître dans « Aux escholles d’outre-monts », étudiants de langue française dans les universités italiennes (1480-1599) : Français, Francs-Comtois, Savoyards, Genève, Droz, 2018. L’écrivain Antoine du Verdier (1544-1600) qui avait séjourné à Rome dans sa jeunesse comme serviteur du Cardinal Jean Du Bellay, a été influencé de façon durable et profonde par l’Italie. En plus de sa célèbre Bibliothèque, il envisagea même de dresser le catalogue d’une bibliothèque italienne. Cf. Claude Longeon, Écrivains foréziens du xvie siècle, Répertoire bio-bibliographique, Saint-Étienne, Centre d’études foréziennes, 1970, p. 298. Le catalogue de la bibliothèque de Claude Bellièvre, rédigé de sa main, fait exception. Il ne décrit toutefois que les titres qu’il possédait en 1530, vingt-sept ans avant sa mort et ajoute qu’il a acquis depuis cette date, quantité d’autres volumes « infiniti libri et libelli »… Lucien Auvray, « La Bibliothèque de Claude Bellièvre (1530) », dans Mélanges offerts à M. Émile Picot … par ses amis et élèves, Paris, Rahir, 1913. Dès la fin du xve siècle, le courant humaniste néoplatonicien a été introduit à Lyon par la publication de certains de ses classiques, comme les œuvres de Filippo Beroaldo par l’humaniste Josse Bade, alors correcteur chez l’imprimeur Jean Trechsel, ou l’interprétation des travaux de Marsilio Ficino par Symphorien Champier. Cf. James Wadsworth, Lyons 1473-1503, the beginnings of cosmopolitanism, Cambridge, MA, The Mediaeval Academy of America, 1962, p. 116-117, 158, et al.

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La redécouverte humaniste de l’antiquité à Rome et dans les autres grandes villes italiennes s’est largement retransmise à Lyon par les publications et les récits rapportés d’Italie par ses habitants ou par d’autres visiteurs qui devaient traverser la ville. De même que Pierre Sala ou Jean Lemaire de Belges, Bellièvre va se servir d’œuvres d’auteurs comme Giovanni Nanni6, dont il a eu les livres très tôt dans sa bibliothèque, pour écrire son Lugdunum priscum7. Comme Bellièvre, Sala avait dans sa collection8 ou celles de ses amis et relations, en plus des auteurs classiques, les recueils d’inscriptions romaines indispensables pour rédiger son manuscrit des Antiquités de Lyon9. Sans s’être lui-même rendu à Rome, le juriste Guillaume Du Choul, le plus célèbre des «  antiquaires  » lyonnais, disposait d’une abondante documentation apportée d’Italie et rassemblée dans une bibliothèque qui a suscité l’éloge de ses contemporains10. Les monnaies et médailles, le recensement des inscriptions antiques, souvent sur des pierres de réemploi qui affleuraient encore alors sur les ponts ou les bâtiments, constituaient autant de documentation et d’incitation à cette redécouverte de l’antiquité de la ville. Dans son ouvrage sur la religion des Romains, qui allait être successivement publié en français et en italien chez Guillaume Rouillé dans les années 155011, Du Choul a décrit comment il avait découvert certaines de ses médailles sous les fondations de l’une des tours de sa maison, à Fourvière, sur le site de l’antique Lugdunum. De même Claude Bellièvre a assemblé un « jardin des antiques » en contrebas, au bord de la Saône, une collection d’objets qui allait demeurer sur place bien au-delà du xvie siècle. Pierre Sala a fait bâtir sa maison surnommée l’Anticaille 6

Giovanni Nanni (ou Annius de Viterbe, 1432?-1502) est l’auteur d’un recueil d’« Antiquités », constitué de fragments d’auteurs anciens, qui a connu un grand succès. Ces fragments seraient en fait l’œuvre de faussaires ou auraient été créés de toute pièce par Giovanni Nanni, Annio da Viterbo : documenti e richerche, éd. par G. Baffioni, Rome, Multigrafica Editrice for CNR, 1981. 7 Claude Bellièvre, Lugdunum priscum par le président Claude Bellièvre, éd. J.B.M. (Montfalcon), Lyon, Impr. Dumoulin et Ronet, 1846. 8 Sala fait état d’une centaine de livres dans le dizain dédicatoire de son manuscrit Régime contre la pestillance. Voir Philippe Fabia, Pierre Sala, sa vie et son œuvre, Lyon, Audin, 1934, p. 30. 9 Pierre Sala, Les Antiquités de Lyon, manuscrit de 73 f., conservé à la Bibliothèque nationale de France (cote : Fr 5447). 10 Cette bibliothèque est notamment connue par le témoignage de Jean-Aimé de Chavigny (1524?-1604?). Bernard Chevignard, «  Jean-Aimé de Chavigny : une esquisse bio-bibliographique  », Mémoires de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, t.  CXXXV, 19951996, p. 176. Sur la documentation dont disposait Du Choul, voir les travaux de Jean Guillemain, dont « Recherches sur l’antiquaire Guillaume Du Choul (v. 1496-1560) », École nationale des chartes, positions des thèses…, Paris, École des Chartes, 2002, p. 81-89.  11 Guillaume Du Choul, Discours sur la castrametation et discipline militaire des Romains. Des bains et antiques exercitations grecques et romaines. De la religion des anciens Romains, Lyon, Guillaume Rouillé, 1557, nouvelle émission de l’éd. de 1555.

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aux alentours de 1510 sur un ancien mur de soutènement romain, au flanc de la colline de Fourvière. Les antiquités lyonnaises ont aussi été décrites et illustrées par Gabriele Simeoni, florentin, ami de Du Choul qui a séjourné plusieurs fois à Lyon et fait de ce sujet l’une de ses spécialités12. Cette quête de l’antiquité des cercles érudits lyonnais a forcément laissé une empreinte forte sur leurs contemporains. La collection de médailles assemblée par Guillaume Du Choul, dont la renommée dépassait le cadre de la région lyonnaise, a servi à illustrer ses propres écrits ainsi que d’autres éditions imprimées à Lyon. En 1556, lorsque le libraire Jean Temporal cherche une représentation de l’Afrique pour sa « La fameuse description de l’Afrique » de Léon l’Africain dans sa propre traduction du texte de Ramusio13, c’est une médaille du « bailli Du Choul », « une médaille de l’empereur Adrien, en bronze » qui sera utilisée par le graveur pour évoquer ce continent encore très peu connu des Européens, une Afrique à l’image de l’Europe. Comme la mise en lumière des vestiges enfouis grâce à l’archéologie française naissante qui faisait ses premiers pas à Lyon, la redécouverte des textes anciens a peuplé l’imaginaire lyonnais et stimulé l’entreprise humaniste sur place. Rome à Lyon, ce programme qui sublimait la grandeur retrouvée de la Rome antique trouvait un écho considérable dans la magnification de la longue histoire de la ville par les familles qui détenaient le pouvoir municipal. Récits, textes classiques et autre documentation sont donc très présents dans l’ensemble des bibliothèques des érudits, eux-mêmes liés ou issus des milieux du pouvoir au cours du premier xvie siècle lyonnais. Malgré la notoriété de Guillaume Du Choul et les témoignages sur l’importance de sa bibliothèque, peu d’exemplaires portant son ex-libris et ses annotations ont pu être identifiés dans les collections anciennes à ce jour, parmi lesquels : un recueil de plusieurs pièces sur l’histoire de l’Empire romain, donné par Du  Choul à Benoît Le Court, une de ses proches relations qui partageait son intérêt pour les antiquités romaines14 ; un autre ouvrage illustrant l’intérêt 12 Gabriele Simeoni. Illustratione de gli epitaffi et medaglie antiche… In Lione, per Giovan di Tournes, 1558, et L’origine e le antichità di Lione, manuscrit copié par Costanzo Gazzera (cote BmL, ms Coste 41), publié sans les illustrations par Claude-Gaspard Bachet, Mélanges sur l’histoire ancienne de Lyon, 1846 (cote BmL, 317935), p. 52. 13 Historiale description de l’Afrique, tierce partie du monde, contenant les royaumes, régions, viles… : escrite de nôtre tems par Jean Leon, African, premierement en langue arabesque, puis en toscane, & à present mise en françois. Plus cinq navigations au païs des noirs, avec les discours sur icelles… A Lyon, par Jean Temporal, 1556. D’après le privilège, Temporal aurait fait traduire ces récits. Jean Balsamo, Les traductions de l’italien en français au xvie siècle, Fasano, Schena editore, Paris, Hermann, 2009, p. 348-349. Oumelbanine Zhiri, L’Afrique au miroir de l’Europe, fortunes de Jean Léon l’Africain à la Renaissance, Genève, Droz, 1991, p. 64. 14 Plusieurs fragments donnés par Guillaume Du Choul au bibliophile Benoît Le Court, dans une reliure aux armes de ce dernier, sont conservés au Musée de l’imprimerie et de la communication graphique de Lyon (Cote : Inv. 490). Pour une description détaillée de ce volume, voir Monique

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de Du Choul, évident à travers ses écrits, pour les œuvres de Platon et ses disciples15 ; un volume utilisé par Du Choul pour ses propres travaux sur les antiquités romaines, Scriptores rei rusticae dans l’édition de Bologne de 150216. Comme l’ensemble des humanistes investis dans la recherche des textes anciens, le numismate lyonnais cherchait à se procurer les premières éditions imprimées en Italie qu’il considérait comme plus authentiques car plus proches du texte d’origine. Alors qu’il a passé peu de temps dans sa ville de naissance, au cours de ses années en Italie, le célèbre bibliophile d’origine lyonnaise Jean Grolier, lui-même collectionneur d’objets antiques, a certainement stimulé le goût de l’antiquité chez ses compatriotes qui possédaient comme lui, les ouvrages de Giovanni Nanni ou de Flavio Biondo. Parmi les quelques volumes conservés à Lyon qui portent les marques de Grolier, son exemplaire des Antiquarum lectionum « réparées » par Lodovico Ricchieri, est significatif à cet égard. S’il ne porte plus l’une des reliures qui ont fait la gloire du bibliophile, l’importance de son contenu est authentifiée par l’envoi de l’auteur au célèbre mécène qui a commandité et financé cette édition publiée par les presses aldines en 151617. Le goût de l’antique va perdurer, se perpétuer au cours du siècle à travers d’autres cercles d’érudits dans la région lyonnaise. La même passion se retrouve en effet dans les bibliothèques du Forez, notamment celles de deux fidèles du cercle des d’Urfé : Antoine Du Verdier et le médecin de Montbrison Giovanni Francesco Gambaldi, originaire du Piémont, qui a lui aussi assemblé une bibliothèque humaniste remarquable18.

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Hulvey, « Le livre italien dans les collections particulières à Lyon à la Renaissance », dans Le savoir italien sous les presses lyonnaises à la Renaissance, éd. par S. D’Amico et S. Gambino Longo, Genève, Droz, 2017, p. 160. Iamblichus de mysteriis Ægyptiorum, Chaldæorum, Assyriorum, Proclus in Platonicum Alcibiadem de anima atque dæmone… Venetiis, In aedibus Aldi, 1497, conservé à la Bibliothèque royale du Danemark (Cote: Inc. Haun. 2229). Scriptores rei rusticae, Bologne, Benedetto Faelli, 1504. Le volume a été récemment identifié dans les collections de la Bibliothèque municipale de Lyon (cote : Rès. 107332). Sicuti antiquarum lectionum commentarios concinnarat olim vindex Ceselius, ita nunc eosdem per incuram interceptos reparavit Lodovicus Caelius Rhodiginus … Venetiis, in aedibus Aldi et Andreae soceri, mense Februario 1516. (Cote : Rés 106878) : au verso du titre, envoi de l’auteur à Jean Grolier. Plus de cent cinquante volumes permettent de reconstituer une partie de la bibliothèque de Gambaldi à travers les collections conservées à la Bibliothèque municipale de Lyon. Cette bibliothèque est surtout constituée d’ouvrages de philosophie, de médecine, d’architecture, de philologie et de littérature classique en grec ou en latin. Elle a pu être transportée à Lyon, au moins en partie, par le gendre de Gambaldi, le médecin Pancrace Marcellin, doyen du Collège de médecine en 1635. Six autres livres de la bibliothèque de Gambaldi se trouvent toujours à Montbrison. Voir Bibliothèque de la Diana, Catalogue des livres du xvie siècle, 1501-1600 conservés dans le fonds ancien municipal de Montbrison, notices établies par Alain Collet, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1994, p. 6, 7, 134, 185-185, 239.

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Issu de la passion pour les choses antiques, un fort intérêt pour l’architecture se manifeste à travers les collections assemblées au cours de la Renaissance. Pourtant, en l’absence de princes ou de grands prélats qui auraient pu faire construire à Lyon des palais à l’italienne, seuls quelques motifs architecturaux liés à la présence et l’action des banquiers florentins comme Gondi ou Guadagni allaient fleurir dans la ville elle-même. En effet, Lyon est demeurée largement gothique par manque de moyens ou d’ambitions architecturales de grande ampleur. C’est donc plutôt intellectuellement que les Lyonnais ont intégré l’architecture italienne en publiant et en lisant Vitruve qui incarnait pour les humanistes français l’harmonie des proportions idéales19. Vitruve semble avoir été particulièrement populaire à Lyon dans l’édition et avec les commentaires de Guillaume Philandrier, un élève de Sebastiano Serlio. Un ecclésiastique également architecte, Philandrier fit partie de la suite de l’ambassadeur Georges d’Armagnac à Rome20. Alors que Serlio allait connaître le succès grâce à la publication de son « Libro extraordinario » chez De Tournes en 1551, Vitruve a dominé à la fin du siècle dans les bibliothèques du Forez voisin. Gambaldi et Du Verdier ont d’ailleurs possédé plusieurs éditions de Vitruve21, ce goût pour l’architecture étant peut-être en partie inspiré par leur fréquentation du château de la Bâtie d’Urfé qui avait été transformé en chef-d’œuvre de la Renaissance italienne par son propriétaire Claude d’Urfé au retour de ses séjours en Italie22. Du Verdier possédait également un exemplaire du Vitruve publié à Lyon par Luxembourg  I de Gabiano en 1523, pour la première fois en dehors de la péninsule (fig. 1). Une contrefaçon de l’édition de Giunta de 152223, l’édition lyonnaise aurait été préparée 19 Unique texte d’architecture qui nous soit parvenu de l’Antiquité, Vitruve occupe à ce titre une place prééminente dans le fondement de l’architecture occidentale à la Renaissance. 20 Richard Cooper, Roman antiquities in Renaissance France, 1515-1565, Farnham, Ashgate, 2013, p. 52-56. 21 Gambaldi possédait au moins deux éditions de Vitruve : celle de Gottardo Da Ponte en italien (Como, 1521) et celle de Jean de Tournes en latin (Lyon, 1552). Il a probablement reçu l’exemplaire de cette dernière édition de Du Verdier car le volume porte leurs deux ex-libris (Cote BML : 104203). 22 Claude d’Urfé (1501-1558) avait assemblé une bibliothèque de plusieurs milliers de volumes au château de la Bâtie d’Urfé dans lequel ont grandi ses petits-fils Honoré, Antoine et Anne d’Urfé. Au bas de la rampe d’accès, près d’une grotte de fraicheur à l’italienne, un sphinx incarnait la connaissance des textes anciens. Cette riche bibliothèque aurait inspiré l’auteur de l’Astrée et ses frères pour la constitution de leurs propres collections. Sur l’importance des éditions italiennes dans la bibliothèque d’Honoré d’Urfé, voir Nicolas Ducimetière, « La bibliothèque d’Honoré d’Urfé : histoire de sa formation et de sa dispersion à travers quelques exemplaires retrouvés », Dix-septième siècle, t. CCXLIX, 2010, p. 747-773. Dans sa thèse de l’université Paris IV (2 février 1974), Claude Longeon consacre un chapitre entier à l’influence italienne dans le Forez. Claude Longeon, Une province française à la Renaissance : la vie intellectuelle en Forez au xvie siècle, SaintÉtienne, Centre d’études foréziennes, 1975. 23 Antoine Auguste Renouard, Annales de l’imprimerie des Alde, ou Histoire des trois Manuce et de leurs éditions, Paris, Renouard, 1834, p. 315, no 59.

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fig. 1 - Vitruve, M. Vitruvvii De Architectura libri decem, summa diligentia recogniti, atque excusi, Lyon, Luxembourg de Gabiano, 1523, Lyon, Bibliothèque municipale (Rés 357549), Au titre, l’ex-libris manuscrit biffé d’Antoine Du Verdier.

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en collaboration directe avec les intellectuels de la ville. Toutefois, la décision de publier ce texte provenait de la maison-mère de Venise d’après les lettres échangées entre Luxembourg de Gabiano et son oncle Giovanni Bartolomeo, un exemple significatif de l’intégration du commerce du livre entre Venise où se prenaient les décisions et les succursales comme Lyon qui servait aussi de relais pour conquérir les marchés du Nord de l’Europe24. Alors que l’influence architecturale italienne s’est bornée à Lyon-même à quelques exemples comme Bellièvre dont la maison s’efforçait de ressembler au palais des Médicis à Florence, une de ses proches relations à Grenoble avait fait de l’architecture un de ses passe-temps favoris. Le juriste Pierre Bûcher (1502-1576) qui a été à l’origine de la création de l’université de Grenoble en 1542 puis procureur général au Parlement du Dauphiné, en a lui-même dessiné la façade ainsi que les plans de son propre hôtel. Il était également un sculpteur accompli. Reflet de sa forte personnalité25, c’est son exemplaire de la Généalogie des dieux de Boccace, plaidoyer fervent et violent pour la poésie, manifeste d’un nouvel humanisme26, que Bucher s’est choisi comme livre de raison pour écrire sa propre généalogie, soit vingt et une entrées décrivant ses trois mariages et la naissance, parfois suivie de la mort, de ses nombreux enfants. Parmi les noms de leurs parrains et marraines, pour la plupart grenoblois et comme lui de robe, apparait le nom du lyonnais Claude Bellièvre. Au vu de son exemplaire de Boccace et pour avoir intégré les éléments de l’architecture de la Renaissance, née en Italie, Bucher devait posséder une bibliothèque « italienne » remarquable qui reste encore à découvrir et analyser. Si la langue italienne était très utilisée à Lyon au quotidien, on peut se demander qui, parmi les élites lettrées, connaissait le grec ou qui incarne le mieux l’introduction du grec dans la ville. Combien des célèbres éditions grecques imprimées à Venise par Alde Manuce circulaient entre l’Italie et la France, entre l’Italie et Lyon en particulier au cours du premier xvie siècle ? Qui lisait le grec à Lyon ? Si l’œuvre imprimée du toscan Sante Pagnini, arrivé à Lyon en 1526, illustre son rôle de précurseur pour la connaissance et l’enseignement du grec et de l’hébreu, c’est la recons24 Angela Nuovo, «  Selling Books in the Italian Renaissance: the correspondence of Giovanni Francesco Gabiano (1522)  », dans International exchange in the Early-Modern book world, Leiden, Koninklijke Brill NV, 2016, p.  59-79. (Brill online books and journals , consulté le 31/03/2020). 25 Haut en couleur, Pierre Bucher était enclin à la polémique. Cf. Nicolas Chorrier, Histoire generale de Dauphine depuis l’an M. de N.S. jusques à nos jours, Lyon, Jean Thioly, 1672, p. 607 et René Fonvieille, Le palais du Parlement de Dauphiné et son extraordinaire architecte Pierre Bucher, Grenoble, Didier-Richard, 1965. 26 Jean Boccace, Genealogia deorum, Paris, Denis Roce, 1511 (Cote BML : Rés 105525).

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truction de sa bibliothèque de travail qui révèle les textes qu’il a introduits dans la ville. En plus de manuscrits grecs maintenant disparus, il y a apporté avec lui son exemplaire de l’édition princeps d’Homère (Florence, 1488) ainsi que des éditions aldines des plus prestigieuses, comme les œuvres complètes des auteurs grecs (14951498) et les Rhetores Graeci de 1508. Il s’était également procuré à Rome les Scholies sur l’Iliade, publiées par le Gimnasio Mediceo, le collège grec qui avait été créé par le pape Léon X sur le Quirinal : une formidable somme de culture grecque antique importée d’Italie, dans les bagages d’un seul voyageur27 . Cependant, au cours de la même période, les aldines grecques avaient d’autres lecteurs à Lyon. Bartolommeo Panciatichi, qui était né en France en 1507 et descendait d’une longue lignée de banquiers florentins28 a joué un rôle important au cœur des réseaux diplomatiques tissés entre Lyon, Paris et Florence. Il possédait notamment de précieuses éditions grecques issues des presses aldines comme l’édition par Marco Musuro chez Alde des Epistolae Basilii Magni en 1499. Humaniste établi à Lyon jusqu’en 1538, attiré par la poésie, il s’est lié avec Jean de Vauzelles à qui il a servi d’intermédiaire avec Pietro Aretino pour la traduction par Vauzelles de L’umanità di Cristo et La passione di Cristo, publiées à Paris en 1539. L’un des premiers membres de l’Académie florentine, alors Académie degli Umidi, consacrée à la poésie, à la philosophie, puis aux sciences, il a fait de nombreux voyages entre l’Italie et la France servant aussi d’ambassadeur de la Réforme protestante entre Florence et la cour d’Henri II et Catherine de Médicis. L’intérêt pour le grec et pour l’hébreu, va mûrir et se développer tout au long du xvie  siècle lyonnais à travers les recherches philologiques des intellectuels de la ville. Ces études diverses apparaissent dans les volumes annotés des juristes Pierre Bullioud et Claude Mitalier ou ceux du célèbre imprimeur humaniste Henri Estienne, mort de maladie à Lyon en 1598 alors qu’il travaillait pour le libraire Horace Cardon, ce qui pourrait expliquer la présence de plusieurs de ses recueils personnels dans les collections lyonnaises. L’un des favoris d’Estienne était sans conteste son Démosthène publié par Alde en 1504, une édition des plus prestigieuses. L’auteur des annotations qui couvrent l’ensemble du volume est très identifiable, malgré l’absence de son ex-libris, grâce à l’écriture distincte et au style de ses nombreuses interventions sur le texte. Estienne avait probablement acquis ce vo27 À sa mort en 1536, la plupart des livres de Sante Pagnini sont demeurés au couvent des dominicains de Lyon jusqu’à la Révolution. 28 Le fils adultérin du banquier Bartolomeo Panciatichi, il sera reconnu par son père en 1531. Sur son exemplaire des Epistolae Basilii Magni, Venise, 1499 (Cote BML : Rés Inc 519), son ex-libris manuscrit apparaît sous la forme « B.D.B. [i.e. Bartolomeo [figlio] di Bartolomeo] Panciatichy » suivi de la devise « La vertu faict lhome » tirée d’Aristote. Cf. Giorgio Caravale, « Panciatichi, Bartolomeo », dans Dizionario Biografico degli Italiani, t. LXXX, Rome, Treccani, 2014.

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lume à Rome29 au cours d’un de ses séjours pendant lesquels il se procurait nombre de manuscrits ou éditions grâce à « son nayf et comme naturel langage italien », comme il le qualifiait lui-même. Le texte de Démosthène et ses traductions représentant un véritable enjeu à la Renaissance, l’exemplaire d’Estienne a dû lui servir à préparer une éventuelle publication, car il n’était pas inclus dans sa publication en 1575 des Oratorum veterum orationes, en grec, qu’il avait dédiée au procureur du roi Pierre Bullioud, helléniste et hébraïsant lyonnais. Pour l’humaniste qui a publié en 1565 le Traité de la conformité du langage français avec le grec, il faut se séparer du latin et de l’Italie et des nombreux emprunts à l’italien, une bataille qui a trouvé un écho certain à Lyon30. Parmi les ouvrages personnels d’Henri Estienne demeurés dans les collections lyonnaises, un autre recueil également couvert de ses annotations contient les œuvres de Joachim Du Bellay, en particulier La Defense et illustration de la langue francoise31. La publication de multiples traductions32 dénote une connaissance approfondie de l’italien et des langues anciennes chez les érudits de la région lyonnaise. Toutefois, les volumes qui portent l’ex-libris du juriste de Vienne Claude Mitalier, philologue, auteur de commentaires sur Valère Maxime, révèlent une prédilection particulière pour ces langues (fig. 2), ainsi qu’une pratique spécifique de l’étymologie33. Mitalier correspondait en grec avec Jacques Cujas qui lui avait enseigné le

29 Démosthène, Orationes duae et sexaginta, Venise, Alde Manuce, 1504. (Cote BM: Rés 125794 (1)). L’ouvrage est relié avec les commentaires d’Ulpien sur Démosthène, édités par Alde en 1503. Ce livre provient du monastère de Santa Maria dell’Orto dont il porte l’ex-libris. 30 Notamment auprès d’érudits comme le juriste Jérôme de Châtillon (15..-1587). Une vague d’italophobie a même touché Lyon vers 1577. Cf. Jean Balsamo, Les rencontres des Muses, italianisme et anti-italianisme dans les Lettres françaises de la fin du xvie siècle, Genève, Slatkine, 1992, p. 47-52. 31 Joachim Du Bellay, La Defense et illustration de la langue francoise, auec l’Oliue de nouueau augmentee, etc… Le tout par Ioach. Du Bellay Ang., A Paris, De l’Imprimerie de Federic Morel, 1561 (Cote BML : Rés 321831-832). Le volume contient dix autres œuvres de Du Bellay annotées par Henri Estienne. 32 Dès les années 1540, les traductions de l’italien en français ont suscité l’intérêt des libraires, à Lyon comme à Paris. Jean Balsamo, « Traduction de l’italien et transmission des savoirs : le débat des années 1575 », dans Lire, choisir, écrire. La vulgarisation des savoirs du Moyen-Âge à la Renaissance, éd. par V. Giacomotto-Charra et C. Silvi, Paris, École des chartes, 2014, p. [98]. À Lyon, à la suite des nombreuses recherches déjà effectuées sur les auteurs classiques, nombre d’érudits se sont mis à les traduire en langue française. Par leurs traductions de l’italien, mais aussi du latin ou du grec, Pierre Tamisier juriste des états de Bourgogne, le forézien Antoine Du Verdier, les poètes mâconnais Philibert Bugnyon et Guillaume de La Tayssonnière ont contribué à ce courant de l’édition lyonnaise. 33 La bibliothèque municipale de Lyon possède actuellement une quinzaine d’ouvrages qui ont appartenu à Claude Mitalier et portent ses annotations en grec, hébreu ou latin, ainsi qu’une édition italienne annotée en italien : le Dioscoride de Pierandrea Mattioli, dans l’édition de Venise de 1548.

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fig. 2 - Xénophon, Paralipomena, Venetiis, in Aldi Neacademia, 1503, dernier f. verso, Lyon, Bibliothèque municipale, Rés 106103 (2). Relié à la suite de Thucydide (Venise, Alde Manuce, 1502). Ex-libris de Claude Mitalier avec ses annotations en grec ou hébreu.

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droit à l’université de Valence34. Il cherchait par ailleurs à effectuer des parallèles entre le français et l’hébreu et même à l’occasion, avec le syriaque. Cette recherche de l’étymologie qui puisait aux sources hébraïques l’origine des mots français est significative du courant humaniste venu d’Italie qui considérait que l’hébreu était la langue mère de toutes les autres. Comme d’autres hébraïsants chrétiens de son temps, Joseph-Juste Scaliger, à qui Claude Mitalier a donné deux livres hébreux, pratiquait l’étymologie de la même façon35. Une lettre adressée par ce dernier au juriste Jérôme de Châtillon sur la question de l’origine du français a aussi été publiée par Henri Estienne dans son Hypomneses de Gallica lingua, de 158236. Comme les autres grandes villes d’Europe, Lyon a vu la publication de nombreux traités d’occultisme reprenant les œuvres des auteurs médiévaux ou des anciens. Magie, astrologie et alchimie, le goût de l’occulte et des arts divinatoires comme la physionomie ou la géomancie était omniprésent chez la plupart des érudits de la Renaissance. Mais il s’agissait surtout, pour Symphorien Champier, de divination néoplatonicienne, apprise de l’astrologie de Ficino dont le programme essayait d’unir médecine, astrologie et théologie, avec en particulier la divination par les rêves37. Malgré la dénonciation par Champier de l’emploi de la magie en médecine, l’astrologie est demeurée au cœur de sa pratique de médecin humaniste38. Il avait pour amis Corneille Agrippa à la réputation sulfureuse de mage et astrologue, spécialiste de philosophie occulte, le médecin André Briau, Pierre Sala, le peintre Jean Perréal ou le franciscain Jean de La Grène pour qui humanisme et astrologie faisaient bon ménage39. Cet héritage néoplatonicien de l’interprétation des classiques se retrouve dans la bibliothèque de Du Choul et ses contemporains. Il se maintiendra tout au long du xvie siècle lyonnais. Les livres de médecins du

34 Le 8 avril 1573 Claude Mitalier a été reçu docteur en droit à l’université de Valence sous le professorat de Jacques Cujas et Claude Rogier. Cf. Joseph Cyprien Nadal, Histoire de l’université de Valence, Valence, Marc Aurel, 1861, p. 383. 35 Dans une lettre à Scévole de Sainte-Marthe (12 août 1590), Scaliger aurait même vanté les qualités de Mitalier, l’« un des plus doctes es langues et antiquité romaine de nostre age ». Voir Kasper van Ommen, «’Hebraea dictio est’, two books from the library of Claudius Mitalerius », Omslag, Bulletin van de Universiteitsbibliotheek Leiden en het Scaliger Instituut, t. III, 2010, p. 12. 36 Henri Estienne, Hypomneses de Gall. lingua, peregrinis eam discentibus necessariae…t. Cl. Mitalerii Epist. de vocabulis quae Iudaei in Galliam introduxerunt, Genève, Henri Estienne, 1582. 37 Malgré un rapport parfois ambigu avec l’Italie, notamment au cours de la bataille culturelle entre l’Italie et la France, Champier s’est constamment réclamé de la culture transalpine, des auteurs classiques et de l’humanisme qu’il a contribué à insuffler à Lyon. Cf. Richard Cooper, Litteræ in tempore belli. Études sur les relations littéraires italo-françaises pendant les guerres d’Italie, Genève, Droz, 1997, p. 287-302. 38 Brian P. Copenhaver, Symphorien Champier the reception of the occultist tradition in Renaissance France, Paris-The Hague-New York, Mouton Publishers, 1978, p. 213-216. 39 Ibid., p. 74.

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Forez comme Gambaldi, dénotent leur recherche de recettes pour guérir, à michemin entre approche scientifique et pratique magique de la médecine. Quelques auteurs sont particulièrement bien représentés dans ces bibliothèques : Hermès Trismégiste, dans plusieurs traductions, en particulier celle de Ficino, le Traité de divination par les rêves d’Aristote traduit par Nicolo Leonico Tomeo, ou encore les œuvres du médecin, mathématicien et philosophe Gerolamo Cardano qui pratiquait une magie naturelle en utilisant les astres, les songes, et la physionomie. Le florentin Gabriele Simeoni, ami de Guillaume Du Choul avait lui-même exploré ces domaines pendant qu’il était encore en Italie, probablement inspiré par l’autorité dont jouissait Nostradamus, avec d’ailleurs assez peu de succès40. Présages, divination, ou géomancie41, l’édition lyonnaise reflète ces mêmes préoccupations à travers de nombreuses publications. Parmi d’autres éditions, Jean de Tournes a notamment publié en 1550 une Fisionomia, héritée des « philosophes antiques » traduite du latin en italien par Paolo Pinzio, dans l’édition d’Antoine Du Moulin42. Puis, la même année, de Tournes a également édité avec Antoine Du Moulin, l’Astronomia de Marcus Manilius, une édition dédiée à Pontus de Tyard dont la passion pour l’astrologie était bien connue de tous43. Alors que Claude Bellièvre ne semble pas avoir exprimé d’intérêt particulier pour l’occulte à travers ses nombreuses notes et carnets, sa bibliothèque montre qu’il s’était cependant procuré au moins un traité de physionomie, peut-être le Liber compilationis phisionomiae du médecin et philosophe italien Pietro de Abano, ainsi que celui sur la pratique des maléfices d’Angelo Gambilione. Par goût de l’ésotérisme ou simple curiosité aux tous débuts de l’égyptologie, Bellièvre a également lu les Hiéroglyphica d’Horapollon qui, au ve siècle de notre ère, avait interprété les glyphes provenant de monuments égyptiens, comme autant d’allégories44. Mais un autre courant essentiel de l’espace-temps de la Renaissance, sa fascination pour l’occulte et les significations cachées, trouve un écho particulièrement

40 R. Cooper, Litteræ in tempore belli, op. cit., p. 325-345. 41 Venue d’orient par l’Italie et pratiquée dès le xvie siècle à Lyon, la géomancie est une technique de  divination  fondée sur l’analyse de figures composées par la combinaison de quatre  traits simples ou doubles, sur le sol, dont Corneille Agrippa, venu à Lyon en 1524 pratiquer la médecine, avait fait une de ses spécialités. 42 Fisionomia con grandissima brevità raccolta da i libri di antichi filosofi, nuovamente fatta volgare per Paolo Pinzio. Et per la diligenza di M. Antonio del Moulin messa in luce. In Lione, per Giovan di Tournes, 1550. 43 Marcus Manilius, Astronomicon … Lugduni : Apud J. Tornaesium, 1551. 44 Le traité d’Horapollon a été édité pour la première fois à Venise en 1505 par Alde Manuce. Bellèvre aurait pu se procurer les nombreux ouvrages italiens de sa bibliothèque au cours de ses longs séjours en Italie. Voir Lucien Auvray « La Bibliothèque de Claude Bellièvre (1530) », art. cit., p. 4 et respectivement nos 108, 28 et 102 de sa bibliothèque.

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fort à travers les bibliothèques humanistes lyonnaises, c’est la kabbale chrétienne. Alors que la quête de la sagesse des anciens, une passion pour la philologie et la poursuite religieuse de la « vérité hébraïque » ont stimulé les recherches de Sante Pagnini et de nombre de ses contemporains, l’autre facette majeure de l’utilisation de l’hébreu par les Chrétiens à Lyon reposait sur les techniques d’interprétation de la kabbale, un ensemble de méthodes dont Pic de la Mirandole avait été l’initiateur. C’est par la croyance, comme dans la tradition juive, que le nom divin pouvait revêtir des significations et un pouvoir spécial, que la kabbale a fait son entrée dans le monde chrétien. Symphorien Champier aurait été le premier français, dans son De triplici disciplina publié à Lyon en 1508, à tenter d’en expliquer les fondements45. La recherche de ses secrets a incité le procureur du roi Pierre Bullioud à assembler une remarquable collection de livres de kabbale pendant le dernier quart du xvie  siècle. Dans ses Expositions et remarques sur les Évangiles publiées par Jean Pillehotte en 1596, il a d’ailleurs évoqué une double doctrine46 en citant le « Traité des Pères » Pirkei avot, du Talmud47. Bullioud possédait la plupart des grands traités de kabbale, notamment le De arcanis, Des secrets de la vérité catholique de Pietro Galatino48. Sa bibliothèque renfermait aussi le Zohar ou livre de la Splendeur dans l’édition qui avait été saisie et avait failli disparaître dans les flammes du bûcher à Crémone au moment de sa publication en 1560 et le Shaare Orah, porte de la lumière imprimé sur les rives du lac de Garde pendant le déroulement du Concile qui se tenait tout près de là. Ces éditions ainsi que beaucoup d’autres avaient été mises à l’index de Rome mais semblaient pourtant circuler sans trop de problème entre l’Italie et Lyon. Parmi les amateurs de littérature kabbalistique, le célèbre pasteur franc-comtois Antoine Du Pinet de Noroy, installé à Lyon en 1548, possédait notamment un exemplaire de la première édition de Galatino, publiée à Ortona par l’imprimeur juif Gershom Soncino en 1518. Sensible au symbolisme de la kabbale, Pontus de Tyard, traducteur en 1551 des Dialogues d’amour de Léon l’Hébreu, avait dans sa bibliothèque les œuvres de Pic de La Mirandole, Galatino, Postel, Francesco Giorgio,

45 B. P. Copenhaver, Symphorien Champier, op. cit., p. 229-235. 46 Dieu aurait donc aussi laissé à Moïse une double loi, « l’une par escrit, l’autre de bouche », l’une découverte et l’autre cachée car certains préceptes mystérieux ne sont pas communicables à tous. Cf. François Secret, Les kabbalistes chrétiens de la Renaissance, Paris, Dunod, 1964, p. 259. 47 Bullioud s’était procuré la plupart des traités du Talmud babylonien (Venise, Bomberg, 15201548). Il en traduisait certains au moment de sa mort d’après le manuscrit autographe de son fils Pierre (1588-1661), le Lugdunum Sacro-profanum (Cote BML : Ms Coste 949-950). 48 Le livre avait été commandité par Léon X en soutien de Reuchlin, lui-même défenseur du talmud et de l’enseignement de l’hébreu aux chrétiens.

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fig. 3 - Teseo Ambrogio Albonesi, Introductio in Chaldaicam linguam, Syriacam, atque Armenicam, & decem alias linguas, Papiae, excudebat Ioan. Maria Simoneta Cremonensis, sumptibus et typis auctoris libri, 1 Martij 1539, Lyon, Bibliothèque municipale, Rés 398050. L’ex-libris de Jean I de Tournes face au titre suit celui d’Antoine Du Moulin (au contreplat supérieur). Au titre, l’inscription au catalogue de la bibliothèque des Jésuites du Collège de la Trinité de Lyon, daté 1589.

tous les grands noms de la kabbale chrétienne49. Si le lien intrinsèque entre hébreu et kabbale n’était pas reconnu par tous de la même façon50, les livres de ses défenseurs abondaient à Lyon où une population certainement plus large connaissait l’hébreu. Enfin, un volume important pour la transmission de la connaissance de l’hébreu, l’exemplaire de L’Introductio in Chaldaicam linguam, Syriacam, atque Armenicam de Teseo Ambrogio, chanoine de Saint Jean de Latran et orientaliste, « avec nombre de considérations mystiques et cabalistiques », porte en page de

49 F. Secret, Les kabbalistes, op. cit., p. 316. 50 Marie-Luce Demonet-Launay, « La désacralisation de l’hébreu au xvie siècle », dans L’hébreu au temps de la renaissance, éd. par I. Zinguer, Leiden, Brill, 1992, p. 160-161.

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garde l’ex-libris biffé de Jean de Tournes ainsi que celui d’Antoine Du  Moulin51 (fig. 3). Ce livre personnel aura à n’en pas douter, servi aux éditions par de Tournes de l’ouvrage de Reuchlin De Verbo mirifico, pierre de voute de l’art kabbalistique particulièrement prisé au xvie siècle à Lyon, une ville sans collège royal et sans parlement mais imprégnée des multiples facettes de la riche culture italienne.

51 Cote BML : Rés 398050. Le livre porte aussi au titre l’ex-libris manuscrit des Jésuites de Lyon daté de 1589 comme d’autres ouvrages qui ont personnellement appartenu à Jean II de Tournes ou à son père, maintenant conservés à la Bibliothèque municipale de Lyon. Comme d’autres livres personnels des de Tournes, le volume aura probablement été acquis par les Jésuites suite à la vente publique des livres et des meubles de Jean II de Tournes, organisée par le consulat lyonnais en 1589, quatre ans après le départ forcé de l’imprimeur pour Genève. Cette vente est mentionnée dans Antoine Péricaud, Notes et documents pour servir à l’histoire de Lyon pendant la Ligue, Lyon Mougin-Rusand, 1844, p. 46 et par une annotation du juriste Pierre Bullioud au titre de l’un des ouvrages qu’il y a acquis.

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« Et a questo disiderio d’imparare detta lingua mi hanno indotto essi vostri scritti ». La diffusion du livre italien à Liège à la première Modernité (1500-1630)* Renaud Adam

Université de Liège

La phrase mise en exergue dans ce titre est tirée d’une lettre écrite par l’humaniste liégeois Dominique Lampson au célèbre Giorgio Vasari, en 1567, dans laquelle il lui fait part de toute son admiration pour ses travaux. Flatté par cet hommage, le Toscan l’a intégrée dans la seconde édition de ses Vite parue à Florence en 15681. Au-delà de l’anecdote, ce passage nous fournit un bel indice sur l’écho reçu par les écrits de Vasari à Liège et, plus largement, sur la circulation de livres italiens en bord de Meuse. La figure de Dominique Lampson sera le point de départ de cette contribution dédiée à la réception des lettres italiennes à Liège. Cette ville, aux marches de la francophonie et au carrefour des influences latines et germaniques, est la capitale d’une principauté épiscopale d’Empire et le siège d’un important diocèse enclavé dans la *

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Abréviation : HPB = Heritage of the Printed Book Database (, consulté le 31/03/2020) ; STCN = Short-Title Catalogue, Netherlands (, consulté le 31/03/2020)) ; USTC = Universal Short Title Catalogue (, consulté le 31/03/2020) ; Voet = Léon Voet, The Plantin Press (1555-1589). A Bibliography of the Works Printed and Published by Christopher Plantin at Antwerp and Leiden, 6 t., Amsterdam, Van Hoeve, 1980-1983. Giorgio Vasari, Le vite de’ piu eccellenti pittori, scultori e architettori. Scritte da m. Giorgio Vasari pittore et architetto aretino. Di nuovo dal medesimo riuiste et ampliate con i ritratti loro et con l’aggiunta delle vite de’ vivi, & de’ morti dall’anno mdl infino al mdlxvii, Florence, héritiers de Bernardo I Giunta, 1568, 4o, p. 860-861 (USTC 862081). On peut trouver une traduction française de la lettre de Lampson dans : Godelieve Denhaene, Lambert Lombard. Renaissance et humanisme à Liège, Anvers, Fonds Mercator, 1990, p. 318-319. Sur les rapports entre Lampson et Vasari, on lira : Sandra Tullio Cataldo, « Vasari et Lampson : nouveaux aspects de la réception de Vasari dans les Flandres », dans La réception des Vite de Giorgio Vasari dans l’Europe des xvie-xviiie siècles, éd. par C. Lucas Fiorato et P. Dubus, Genève, Droz, 2017, p. 347-372 ; Dominique Allart, Paola Moreno, « Échanges d’informations sur les artistes flamands et hollandais. Giorgio Vasari, plagiaire occulte de Lodovico Guicciardini », dans Itinéraires du livre italien à la Renaissance : regards sur la Suisse romande, les anciens Pays-Bas et la Principauté de Liège, éd. par R. Adam, C. Lastraioli, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 171-189.

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partie orientale des Pays-Bas méridionaux2. Le voyageur Pierre Bergeron n’hésite pas à comparer Liège à Paris dans la description – pittoresque – qu’il en donne dans la relation de sa traversée de la partie romane des anciens Pays-Bas en 1615 : Comme nous approchions Liége de plus près, nous commençasmes à sentir le mesme air que l’on sent approchant de Paris, sçavoir grossier et puant à cause des fanges que le charroy des houilles y suscite et entretient. A l’entrée, nous ne trouvasmes aucunes gardes ains estoient les portes toutes ouvertes à tous venants, chose qui nous sembla estrange en une saison de peste telle qu’estoit celle où nous estions. Estans entrez, nous trouvasmes ceste ville fort semblable à celle de Paris, tant par la salleté de ces ruës couvertes de fanges puantes et noires, comme pour leur estroiteur, car il y en a fort peu de larges, comme aussi pour la hauteur excessive des édifices particuliers, la pluspart dressez de charpentage et de plastre, où demeurent en chascun cinq et six mesnages ou plus, comme nous avions veu à Paris. Elle lui ressemble encore au nombre des églises et lieux pieux, qui est très grand au nombre du peuple, qui est certes fort grand pour ce qu’elle contient en l’estendue de ses remparts, qui sont bien pourpris. La rivière de Seine sépare Paris en deux, celle de Meuse la divise en deux parts : Paris est capitale d’un royaume, Liége l’est d’un bon païs : et sainct Lambert est à Liége ce que Nostre-Dame à Paris, et le palais du prince Liégeois qui se veoid joignant sainct Lambert est plus accomply que ne l’est le Louvre et que ne sont les Tuilleries à Paris : Liége est une ville montueuse et mal applanie par tout, Paris luy ressemble du cartier de l’Université : le peuple de Paris emporte le nom de badaut et de novice parmy tous les peuples de France, celuy de Liége porte les mesmes marques parmy le sien : les Parisiens sont séditieux à merveille, les Liégeois sont les plus mutins de tous les peuples de l’Occident, exceptez les Gantois seulement ; de sorte que ces deux villes, qui sont des plus grandes de l’Europe, s’entre-ressemblent et en assiete et structure, et aux humeurs et inclinations de leurs habitants3.

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Sur l’histoire de Liège à la première Modernité, lire notamment : Jean Puraye, La renaissance des études au pays de Liège au xvie siècle, Liège, Imprimeries nationales des militaires mutilés et invalides de la guerre, 1949 ; Bruno Demoulin, Jean-Louis Kupper, Histoire de la principauté de Liège : de l’an mille à la Révolution, Toulouse, Privat, 2002 ; Franz Bierlaire, « Humanisme, humanistes et humanités à Liège », dans Lambert Lombard, peintre de la Renaissance, Liège 1505/061566. Essais interdisciplinaires et catalogue de l’exposition (Liège, Musée de l’art wallon, 21 avril-6 août 2006), éd. par G. Denhaene, Bruxelles, I.R.P.A., 2006, p. 17-24 ; Robert Halleux, Geneviève Xhayet, Ernest de Bavière (1554-1612) et son temps. L’automne flamboyant de la Renaissance entre Meuse et Rhin, Turnhout, Brepols, 2011. Un panorama de la situation de l’économie du livre à la période moderne est disponible dans : Florilège du livre en Principauté de Liège du ixe au xviiie siècle, éd. par P. Bruyère, A. Marchandisse, Liège, Société des bibliophiles liégeois, 2009 (voir les contributions de : R. Adam, O. Donneaux, D. Droixhe, P.-M. Gason, M.-H. Henneau, D. Jozic, C. Opsomer). Voyage de Philippe de Hurges à Liège et à Maestrect en 1615, éd. par H. Michelant, Liège, Société des bibliophiles liégeois, 1872, p. 62-63.

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Si le commerce du livre italien bénéficia à Paris de conditions particulièrement favorables au xvie et au xviie siècle4, qu’en est-il de la situation liégeoise ? Le parallèle entre les deux villes, proposé par Philippe de Hurges, trouve-t-il une résonance dans le domaine culturel et, plus particulièrement, dans celui de la diffusion des lettres en langue italienne ? L’exploration de plusieurs pistes – d’origines diverses, mais complémentaires – permettra d’apporter des éléments de réponses à ces interrogations. Il conviendra en premier lieu d’évoquer la pratique de la langue italienne à Liège au départ du groupe de lettrés réuni par Dominique Lampson autour de lui ; dont faisait notamment partie Philippe de Maldeghem, auteur d’une traduction en français des Rime et des Trionfi de Pétrarque. Ce point nous permettra ensuite de revenir sur le marché du livre italien – en langue originale ou en traduction – à Liège en nous appuyant non seulement sur la production imprimée locale, mais aussi sur la circulation effective d’ouvrages italiens par le truchement des archives relatives au commerce des livres ainsi que par l’étude de plusieurs bibliothèques liégeoises, tant privées que conventuelles. Né à Bruges en 1542, Dominique Lampson entra au service du prince-évêque de Liège Robert de Berghe en qualité de secrétaire privé à la fin de l’année 1558 après avoir servi pendant quatre années, à cette même fonction, le grand cardinal anglais Reginald Pole, archevêque de Cantorbéry et président du Conseil de la couronne5. Il fut recommandé au prélat liégeois par Christophe d’Assonleville, membre de l’appareil étatique des Pays-Bas. Les talents de Lampson étaient tels qu’il fut maintenu à son poste par les différents prélats qui se succédèrent à la tête de la principauté de Liège jusqu’à son décès survenu le 17 juillet 1599. Il intégra également le Conseil privé de la principauté, siège central du gouvernement temporel de cet état. Toutefois, ce n’est pas tant son habileté politique qui permit à son nom de traverser l’histoire, mais bien ses talents de poète et d’historien de l’art. On retiendra en premier lieu la biographie de son maître, le peintre liégeois Lambert Lombard, intitulée Lamberti Lombardi apud Eburones pictoris celeberrimi vita, pictoribus, sculptoribus, architectis, aliisque id genus artificibus utilis et necessaria et sortie des presses bru-

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Sur ce sujet, voir notamment : Jean Balsamo, Les rencontres des Muses. Italianisme et anti-italianisme dans les Lettres françaises de la fin du xvie siècle, Genève, Slatkine, 1992 ; id., ‘L’amorevolezza verso le cose Italiche’. Le livre italien à Paris au xvie siècle, Genève, Droz, 2015. Sur Lampson, lire : Jean Puraye, Dominique Lampson, humaniste, 1532-1599, Paris, Desclée de Brouwer, 1950 ; id., « Lampson (Dominique) », dans Biographie nationale [de Belgique], t. 39, Bruxelles, É. Bruylant, 1976, col. 590-597 ; Thomas F. Mayer, Reginald Pole. Prince and Prophet, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 348-354 ; Da Van Eyck a Brueghel. Scritti sulle arti di Domenico Lampsonio. Introd. et notes de G.C. Sciolla et C. Volpi, trad. de M.T. Sciolla, Turin, UTET, 2001 ; S. Tullio Cataldo, « Vasari et Lampson », art. cit., p. 347-372.

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geoises d’Hubert Goltzius en 15656. On lui doit également un traité sur les peintres célèbres de Liège et des anciens Pays-Bas qui constituent, selon Dominique Allart, un « jalon important dans l’historiographie et les réflexions théoriques sur l’art à la Renaissance7 ». L’ouvrage parut sous le titre Pictorum aliquot celebrium Germaniae inferioris effigies en 1572 à Anvers chez la veuve de Hieronymus Cock8. Polyglotte de talent, Lampson pratiquait le néerlandais (sa langue natale), le français, le latin, le grec, l’espagnol ainsi que l’italien, la seule langue qui sera évoquée ici. À ce propos, dans le long portrait qu’il dresse de Lampson à Vasari en avril 1565, Lambert Lombard n’hésite pas à préciser à propos de son élève que « el toscano parla et scrive che pare habbia pratticato l’Italia toutta la vita sua9 ». Cette maîtrise parfaite de la langue italienne nous est confirmée par le Vénitien Alvise Priuli, membre de l’entourage de l’archevêque Pole, dans une lettre adressée à l’un de ses amis vers 1555 à l’intérieur de laquelle il précise que Lampson possédait un « maturo et bel ingegno italiano10 ». À son grand désespoir, Lampson ne fit pas le voyage d’Italie. Il s’en plaignit même à Vasari, dans une lettre du 25 avril 1565, avec ces mots « struggo di desiderio di veder un dì l’Italia11 ». A-t-il vraiment appris l’italien par la fréquentation des écrits de Vasari, comme il le prétend ? L’anecdote est séduisante, mais elle s’apparente à de la vile flatterie à l’adresse du maître italien. Il est plus vraisemblable que Lampson se soit familiarisé avec la pratique de l’italien au Lambeth Palace de Londres, résidence de l’archevêque Reginald Pole qui avait vécu de nombreuses années à Rome, avait fréquenté des personnalités comme Pietro Bembo et était retourné dans ses terres natales accompagné par plusieurs Italiens entrés à son service, dont Alvise Priuli cité plus haut12. 6

USTC 401240. Notons que le titre fournit par l’USTC escamote les deux premiers mots du titre Lamberti Lombardi (page consultée le 13/03/2018). 7 Dominique Allart, «  Les jugements de Dominique Lampson sur Jan Gossart et Lambert Lombard  », dans Écrire, lire et éduquer à la Renaissance, Hommage en l’honneur de Franz Bierlaire, éd. par A. Delfosse et Th. Glesener, Bruxelles, Archives et Bibliothèques de Belgique, 2013, p. 229. 8 USTC 401537. L’USTC attribue erronément la paternité de ce livre à Hieronymus Cock (page consultée le 13/03/2018). 9 Lettre du 27 avril 1565 (Florence, Archivio di Stato, Cart. Art. II, V, no 3, f. 162r-164r). Elle a été publiée par Giovanni Gaye dans : Carteggio inedito d’artisti dei secoli xiv, xv, xvi, t. 3, Florence, G. Molini, 1840, p. 173-178, no 157 (citation p. 175). Traduction française de cette lettre par Godelieve Denhaene dans son ouvrage Lambert Lombard, op. cit., p. 318. 10 Citation empruntée à : S. Tullio Cataldo, « Vasari et Lampson », art. cit., p. 348. 11 La lettre est conservée aux Archives de l’État à Florence (Cart. Art. II, V, 2, Lettere da/a Giorgio Vasari dal 1554 al 1573, f. 158r-160v). Elle a été éditée dans : Karl Frey, Der literarische Nachlass Giorgio Vasaris, t. 2, Munich, Georg Müller, 1939, no xdii, p. 158-162 ; Da Van Eyck a Brueghel, op.  cit., p.  36-40. Traduction française de cette lettre par Jean Puraye (Dominique Lampson, op. cit., p. 84-89). 12 J. Puraye, Dominique Lampson, op. cit., p. 42-43 ; T. F. Mayer, Reginald Pole, op. cit., passim.

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Lampson ne fut pas le seul membre de l’appareil étatique liégeois à maîtriser la langue italienne. On peut ainsi pointer le vicaire général, et futur évêque d’Anvers, Liévin Torrentius ainsi que le chanoine de la cathédrale Saint-Lambert Charles de Langhe, qui complétèrent leur formation universitaire en Italie, obtenant un doctorat en droit à Bologne en 1552 avant de rejoindre Rome et fréquenter les entourages des cardinaux Charles Borromée, Pietro Carafa, futur Paul IV, ou encore celui de Cesare Baronio, élevé au rang de cardinal par Clément VIII quelques années plus tard13. Lampson, Torrentius et Langhe partageaient d’ailleurs une grande amitié avec l’humaniste Juste Lipse, dont le De Constantia –  traité néo-stoïcien qui connut un immense succès  – a pour cadre le jardin du chanoine14. D’autres Liégeois se formèrent également en Italie, à l’instar du clerc Jean Paell, étudiant en droit à Sienne en 1512 ; Jean Sohet, reçu docteur ès arts et médecine à Pise le 4 juin 1553 ; Laurent Fabricius documenté à Pavie en 1573 ; ainsi que le chanoine Guillaume Rochus de Pontegonio, qui se rendit à Bologne et Padoue à l’extrême fin du xvie  siècle et dont la bibliothèque est évoquée ci-dessous15. Le chancelier Nicolas de Woestenraedt, diplomate de haute valeur, s’exprimait avec aisance non seulement en italien, mais aussi en latin, grec, français, allemand et espagnol16. En outre, le prince-évêque Ernest de Bavière s’était choisi comme historiographe Jean Polit qui nous a laissé deux poésies italiennes, publiées dans un recueil de sonnets et d’épigrammes sorti de l’atelier de Christian Ouwerx en 159217. Cet auteur, qui pratiquait également le français, le latin et le grec, avait fait ses études à Louvain, mais ne semble pas avoir franchi les Alpes18. Notons enfin que le Conseil privé pos13 Joseph Roulez, « Delanghe (Charles) », dans Biographie nationale [de Belgique], t. 5, Bruxelles, Bruylant – Christiophe & Cie, 1876, col. 307 ; Alphonse Roersch, « Torentius (Laevinus) », dans Biographie nationale [de Belgique], t. 25, Bruxelles, É. Bruylant, 1930-1932, col. 463-464. 14 Juste Lipse, De constantia libri duo, Leyde, Christophe Plantin, 1584, 4o (USTC 422275). Une traduction française a paru en 2016 : Juste Lipse, La Constance, éd. par J. Lagrée, Paris, Classiques Garnier, 2016. Dominique Lampson interviendra également dans un autre traité de Lipse, le Poliorceticôn paru en 1596, dans lequel l’auteur relate une discussion autour des machines de guerres qui se serait déroulée à Liège chez le chanoine Jean Furius en 1591 avec d’autres membres de l’establishment liégeois : Juste Lipse, Poliorceticôn, sive, de machinis, tormentis, telis libri quinque, Anvers, Veuve de Christophe Plantin et Jan Moretus, 1596, 4o (USTC 402382). 15 Giovanni Minnucci, Le lauree dello studio senese all’inizio del secolo xvi, 1507-1514, Milan, A. Giuffrè, 1985, no 89, no 90 ; Acta Graduum Academiæ Pisanæ, t. I : 1543-1599, éd. par R. Del Gratta, Pise, Università di Pisa, 1980, document dactylographié, no P00099 et passim ; Émile Picot, « Les professeurs et les étudiants de langue française à l’Université de Pavie au xve et au xvie siècle », Bulletin philologique et historique du Comité des travaux scientifiques, 1915, no 182 ; Renaud Adam, Nicole Bingen, Lectures italiennes dans les pays wallons à la première Modernité, Turnhout, Brepols, 2015, p. 57, note 163. 16 Eugène Polain, La vie à Liège sous Ernest de Bavière, t. 1, Tongres, G. Michiels-Broeders, 1938, p. 373. 17 Jean Polit, Sonets et epigrammes, Liège, Christian Ouwerx, 1592, 4o, f. F1r-F2r (USTC 44400). 18 Hyacinthe Kuborn, « Poëtes du xvie siècle en Belgique. Jean Polit », Revue trimestrielle, t. VI,

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sédait des secrétaires capables de correspondre en italien tout en adoptant l’écriture typique de la Péninsule19. Il convient ensuite de citer Philippe de Maldeghem, auteur d’une traduction en français des Rime et des Trionfi de Pétrarque publiée à Bruxelles en 160020. Né en 1547, sur le littoral belge, Philippe de Maldeghem est le descendant d’une famille noble de Flandre. Son père, Josse de Maldeghem, fut échevin du Franc de Bruges. Il lui succède en 1574 avant de devenir bourgmestre du Franc de Bruges quatre ans plus tard. La prise de la ville par les troupes protestantes et son refus de se soumettre le conduisent en prison puis sur les chemins de l’exil. Après un séjour à Boulogne et à Calais, il se rend à Liège et intègre la cour d’Ernest de Bavière. Il y occupe les charges de gentilhomme-servant et de maître d’hôtel et se vit assigner de nombreuses missions de confiance. À l’invitation de Lampson et de Polit, il poursuit la traduction de Pétrarque entreprise pendant le loisir forcé consécutif à une blessure reçue lors des campagnes de Westphalie, victime d’une chute de cheval (1586). Lampson l’aida même de ses conseils lors ce labeur. Malheureusement, les années de formation de Philippe de Maldeghem sont mal connues. Elles nous auraient donné de précieuses informations sur l’état de l’enseignement de l’italien dans les anciens Pays-Bas et en principauté de Liège21. Maldeghem déplorait d’ailleurs de ne pas avoir effectué le voyage d’Italie. Philippe de Maldeghem, à l’instar des poètes français qui, à partir de Pétrarque – considéré comme modèle et rival –, avaient œuvré pour l’illustration de leur langue et de leur littérature, souhaitait «  illustrer » le français des Flandres au sens large du terme, afin d’y favoriser l’avènement d’une littérature moderne. Il partagea ensuite sa vie entre Liège et Bruges, dont il fut plusieurs fois le bourgmestre. Il meurt en 1611. Maldeghem achève son texte le 1er août 1597, date de la dédicace à Maximilien de Wittelsbach, duc de Bavière et parent du prince-évêque de Liège. L’ouvrage paraît 1859, p. 199-227. 19 E. Polain, La vie à Liège sous Ernest de Bavière, t. 1, op. cit., p. 391. 20 François Pétrarque, Le Petrarque en rime francoise (trad. Pierre de Maldeghem), Bruxelles, Rutgerus Velpius, 1600, 8o (USTC 37523). Sur ceci, lire : Émile de Borchgrave, « Maldeghem (Philippe de) », dans Biographie nationale [de Belgique], t. 13, Bruxelles, É. Bruylant, 1894-1895, col. 210-212 ; Jean Balsamo, « Philippe de Maldeghem ou Pétrarque en Flandre », dans Les poètes français de la Renaissance et Pétrarque, éd. par id., Genève, Droz, 2004, p. 491-505 ; R. Adam, N. Bingen, Lectures italiennes, op. cit., p. 56-59 ; Renaud Adam, « François Pétrarque, Le Petrarque en rime francoise avec ses commentaires (trad. Ph. de Maldeghem), Douai, François Fabry, 1606, 8o (Liège, Bibliothèque Alpha, XVIII.169.21 [16o]) », in Arm@rium Universitatis Leodiensis. La bibliothèque virtuelle du Moyen Âge et de la première Modernité de l’Université de Liège, janvier 2017 (, consulté le 31/03/2020). 21 Sur l’enseignement de l’italien dans les anciens Pays-Bas au xvie  siècle, voir : Nicole Bingen, « L’insegnamento dell’italiano nel Belgio cinquecentesco », dans Varia. Linguistique, philologie, traduction, éd. par J. Lemaire, Bruxelles, G.E.R.E.F.A., 1992, p. 73-89.

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à Bruxelles en 1600 au format in-octavo, chez Rutger Velpius, l’imprimeur de la cour, et non chez un imprimeur liégeois qui n’aurait certainement pas pu offrir au Pétrarque en rime françoise le rayonnement que son auteur souhaitait. D’ailleurs, il joua un rôle très actif dans la diffusion de son œuvre par l’envoi de copies d’hommage à diverses personnalités de haut rang, dont le dédicataire, son protecteur Ernest de Bavière ou encore le Grand-duc de Toscane, Ferdinand de Médicis. Moins de trente années séparent le Pétrarque en rime françoise de la première impression d’un livre en langue italienne à Liège, le Racconto dell’elezzione di Giorgio Federico Greiffenclao d’Antonio Abbondanti sorti de l’atelier de Jean Ouwerx en 1626 et qui revient sur l’élection, cette année-là, de Georg Friedrich von Greiffenclau à l’archevêché de Mayence22. Abbondanti, originaire d’Imola, était le secrétaire de Pier Luigi Carafa, évêque de Tricarico et nonce à Cologne23. Il vécut avec son maître plusieurs années à Liège, où il obtint notamment une prébende de chanoine de la collégiale Saint-Paul. Il publie chez le même imprimeur, quatre ans plus tard, deux recueils de poésies L’Ercole cristiano [panegerico di] Giovanni di Tilli, panégyrique de Jean t’Serclaes, comte de Tilly, et La Giuditta e le Rime Sacre24. Il convient également de citer un livret anonyme, Il Colosso, ritratto di T. Caraffa, peut-être dû aussi à Abbondanti. L’attribution repose sur la proximité avec le dédicataire de ce panégyrique, Tiberio Carafa, prince de Bisignano et frère du protecteur d’Abbondanti, Pier Luigi Carafa25. Sur les quelque 540 livres imprimés à Liège avant 1630, la proportion d’ouvrages en langue italienne sortis d’ateliers liégeois est donc quasiment négligeable26. On peut également pointer les neuf traductions en langue française parues avant cette 22 Antonio Abbondanti, Racconto dell’elezzione di Giorgio Federico Greiffenclao, Liège, Jean Ouwerx, 1626, 4o (Nicole Bingen, Philausone (1500-1660), Répertoire des ouvrages en langue italienne publiés dans les pays de langue française de 1500 à 1660, Genève, Droz, 1994, p. 33, no 1 ; R. Adam, N. Bingen, Lectures italiennes, op.  cit., p.  128, no  8 ; Pas dans USTC ; page consultée le 29/06/2018). 23 Sur Abbondanti, voir : Albert Maquet, « Abbondanti, Antonio », dans Nouvelle biographie nationale [de Belgique], t. 5, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1999, p. 11-13. 24 Antonio Abbondanti, L’Ercole cristiano rappresentante l’illustrissimo… signor conte Giovanni di Tilli, generale dell’armi Cesaree e della Lega cattolica, panagirico [à la suite de : Adrien de Fléron, Promulsis elogii Tilliani, Liège, Jean Ouwerx, 1630, 4o] ; id., La Giuditta et le Rime sacre, morali e varie [et : L’Ercole cristiano], Liège, Jean Ouwerx, 1630, 8o (N. Bingen, Philausone, op. cit., p. 3334, no 2-3 ; R. Adam, N. Bingen, Lectures italiennes, op. cit., p. 129, no 11-12 ; Pas dans USTC ; page consultée le 29/06/2018). 25 Il Colosso, ritratto di T. Caraffa, Liège, [s.n., 1626?], 12o (Nicole Bingen, Philausone, op. cit., p. 140, no 208 ; R. Adam, N. Bingen, Lectures italiennes, op. cit., p. 129, no 9 ; USTC 1121189). 26 Le constat vaut également pour les anciens Pays-Bas, à l’exception de l’édition musicale. Sur ce sujet, voir : Nicole Bingen, « Les éditions d’œuvres en langue italienne à Anvers », dans Lodovico Guicciardini (1521-1589). Actes du Colloque international des 28, 29 et 30 mars 1990, éd. par P. Jodogne, Louvain, Peeters, 1991, p. 179-202.

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date, dont la première, en 1579 chez Henri Hovius, les Remèdes souverains contre les sept péchez mortels, contre le blasphème, et le ieu du jésuite Gaspard Loarte, traduits par Michel Coyssard, le très répandu Bastiment des receptes, en 1597 chez Gautier Morberius, transposé en français par Quillery de Passebreve, ou encore l’Abrégé de la Vie de la B. Ange, première fondatrice de la compagnie de S. Ursule, sorti des presses de Jean Tournay en 1626-162727. Toute étude consacrée à la diffusion du livre italien, que ce soit à Liège ou dans un autre espace géographique, ne peut se limiter à un simple relevé des ouvrages imprimés sur place. Il est nécessaire d’élargir ses horizons de recherches à la question de la circulation effective des livres afin d’éviter d’appréhender ce phénomène de manière totalement biaisée. Il convient dès lors de centrer son analyse sur deux autres types de sources : les archives de marchands de livres et les inventaires de bibliothèques, tant privées qu’institutionnelles. Hélas, pour le cas liégeois, cette étude croisée, si prometteuse, est entravée par la pauvreté du matériel documentaire disponible. En effet, l’historien peine à franchir les portes des librairies installées au cœur de la cité en cette première Modernité : aucune archive commerciale ou autre inventaire après décès listant les livres entreposés chez un libraire n’est parvenu jusqu’à nous, tout du moins à notre connaissance. Il reste toutefois une piste qui n’a pas encore été exploitée, celle des archives de la firme Plantin-Moretus qui reprennent, pour le xvie siècle, le détail de la nature des transactions effectuées avec 18 familles de libraires liégeois ainsi que la liste des ouvrages qui leur ont été envoyés28. Précisons au passage que Christophe Plantin et ses successeurs ne limitèrent pas leurs activités à la vente de leurs propres livres, ils assuraient également la diffusion de la production de leurs confrères29. On le devine aisément, ces documents sont d’une richesse inouïe pour toute tentative de reconstitution de la nature des lectures à Liège en cette fin de xvie  siècle. Aucun livre en langue italienne n’est malheureusement 27 Gaspar de Loarte, Remèdes souverains contre les sept péchez mortels, contre le blasphème, et le ieu, (trad. par M. Coyssard), Liège, Henri Hovius, 1579, 12o (R. Adam, N. Bingen, Lectures italiennes, op. cit., p. 127, no 1 ; pas dans USTC ; page consultée le 29/06/2018) ; Le Bastiment des receptes… Avec certains remèdes contre la peste… Item Le Plaisant Iardin des receptes (trad. par Q. de Passebreve), [suivis de La Médecine de maistre Grimache], Liège, Gérard du Rieu, 1597, 12o (R. Adam, N. Bingen, Lectures italiennes, op. cit., p. 127, no 3 ; USTC 95277) ; Abrégé de la Vie de la B. Ange, première fondatrice de la compagnie de S. Ursule. Nouvellement traduit d’italien en françois en faveur des vierges religieuses ursulines de la cité de Liége. Avec un autre Abbrégé d’une fort substantieuse Practique de la perfection chrestienne, Liège, Jean Tournay, 1626-1627, 12o (R. Adam, N. Bingen, Lectures italiennes, op. cit., p. 129, no 10 ; USTC 95277). 28 Marc Lefèvre, «  Libraires belges en relations commerciales avec Christophe Plantin et Jean Moretus », De Gulden Passer, t. XLI, 1963, p. 24-28. 29 Sur Plantin, lire l’incontournable synthèse de Léon Voet : The Golden Compasses. A History and Evaluation of the Printing and Publishing Activities of the ‘Officina Plantiniana’ at Antwerp, 2 t., Amsterdam – Londres – New York, Vangendt, 1969-1972.

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renseigné dans ces documents. On rencontre principalement des livres liturgiques et des textes bibliques – Plantin bénéficiait d’un monopole sur les ouvrages liturgiques –, des corpus juridiques, des auteurs anciens, tels Plaute, Cicéron, Homère ou Juvénal, des ouvrages pour parfaire sa maîtrise du latin, à l’instar des écrits de Textor et des Adages d’Érasme, ou encore des textes de médecine, Galien en tête. Du côté des traductions italiennes vers le français, nous pouvons notamment pointer cette livraison au libraire Paul de Beaufeu, le 7 juillet 1567, de trois exemplaires des fameux Secrets d’Alexis Piémontais, ce réceptaire traditionnellement attribué à l’humaniste vénitien Girolamo Ruscelli qui fut largement diffusé en langues vernaculaires dans toute l’Europe30. On pourrait de prime abord constater une forme de désintérêt dans le chef des libraires liégeois pour la littérature en langue italienne. L’hypothèse d’une autre piste d’approvisionnement ne doit pas être négligée. Plantin n’est pas le seul marchand d’envergure internationale. Depuis le xve siècle, la ville de Cologne et ses libraires jouent le rôle de « plaque tournante » pour la diffusion des impressions vénitiennes à destination des anciens Pays-Bas, voire même du sud de l’Angleterre31. Notons aussi que des imprimeurs et des libraires liégeois, ou leurs représentants, se rendaient chaque année à la célèbre foire de Francfort, grande messe du commerce européen du livre où des milliers de livres en langue italienne étaient proposés à la vente32.

30 Anvers, Musée Plantin Moretus, Archives, no 40, Libraires 1566-1569, f. 256. Cinq éditions en version française, connues en sept émissions différentes, sortirent des presses de Plantin entre 1557 et 1564 (Voet 33, 34A, 34B, 35A, 35B, 36A, 36B ; USTC 30186, 30196, 92500, 415615, 30789, 30790, 60355). L’existence de l’édition de 1567 (USTC 95199), sans exemplaire connu, est remise en cause par Voet (Voet 37). Sur les Secrets d’Alexis Piémontais, lire : Zbigniew Bela, « Information About a Recently Published Book Concerning the 16th Century Italian Collection of Prescriptions Entitled the Secrets of Alex of Piemonts », dans 34e Congrès international d’histoire de la pharmacie : Florence, 20-23 octobre 1999, Plaisance, Accademia italiana di storia della farmacia, 2001, p. 241-243. L’auteur émet des doutes sur l’attribution à Ruscelli. 31 Severin Corsten, « Kölner Drucker und Verleger in Antwerpen (15. und 16. Jahrhundert) », dans Liber amicorum Léon Voet, éd. par F. de Nave, Anvers, Vereeniging der Antwerpsche bibliophielen, 1985, p. 189-204 ; Renaud Adam, Vivre et imprimer dans les Pays-Bas méridionaux (des origines à la Réforme), t. 1, Turnhout, Brepols, 2018, p. 62-63. 32 Gustav Schwetschke, Codex Nundinarius Germaniae literatae bisecularis : Mess-Jahrbücher des deutschen Buchhandels von dem Erscheinen des ersten Mess-Kataloges im Jahre 1564 bis zu der Gründung des ersten Buchhändler-Vereins im Jahre 1765, Halle, Schwetschke, 1850, passim ; Friedrich Lorenz Hoffman, « Tableau statistique des livres, sortis des presses belges et hollandaises, portés sur les catalogues de foire (Mess-Kataloge) de l’Allemagne (1564-1600) », Bulletin du Bibliophile Belge, t. VIII, 1851, p. 209-219. Pour la période 1564-1592, le libraire Georg Willer a compilé l’ensemble des titres nouveaux en langue italienne proposés annuellement à Francfort : Collectio in unum corpus, librorum Italice, Hispanice et Gallice, Francfort, Nicolaus Basse, 1592, 4o. La diffusion du livre francophone a été étudiée, à partir de cette source, dans : Andrew Pettegree, « French Books At The Frankfurt Fair », dans The French Book and the European Book World, éd. par id., Leyde, Brill, 2007, p. 129-176.

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Il ne faut pas perdre de vue que les lettrés liégeois italophiles pouvaient également avoir recourt à des intermédiaires pour leurs achats, voire même s’adresser directement à un libraire actif en dehors de la principauté. La correspondance de Dominique Lampson nous renseigne ainsi sur ses démarches pour acquérir des estampes directement depuis l’Italie33. Il n’est pas impossible qu’il se soit également servi d’un tiers pour alimenter sa bibliothèque en livres italiens34. À d’autres occasions, Dominique Lampson s’adressa directement à des marchands de livres, anversois notamment. On peut ainsi pointer les dons faits par Christophe Plantin à Lampson en 1570 d’un exemplaire de la seconde édition des Vite de Giorgio Vasari et de la première édition du Theatrus Orbis Terrarum, imprimée par Gilles Coppens van Dienst en 157035. Quelques années plus tard, le 2 novembre 1587, Lampson fit part à Abraham Ortelius de la joie qu’il éprouva à la réception de ces ouvrages36. Ce point permet de faire une transition sur les contenus des bibliothèques de locuteurs italiens. Notre connaissance des lectures de Dominique Lampson est malheureusement fragmentaire et repose sur les rares livres parvenus jusqu’à nous ainsi que sur des mentions faites par lui dans sa correspondance. La Bibliothèque royale de Bruxelles possède ainsi deux de ses livres : l’édition latin-grec des œuvres d’Archimède, imprimée à Bâle par Johannes I Herwagen en 1544, ainsi que celles de l’humaniste napolitain Giovanni Pontano parues à Venise chez les héritiers d’Alde Manuce et Andrea  I Torresano en 153337. Notons que ces deux volumes portent aussi des ex-libris des jésuites de Gand et des franciscains Louvain. Peut-être est-ce une piste pour une tentative de reconstitution de la bibliothèque de l’humaniste liégeois ? Jusqu’à présent, nos investigations n’ont hélas rien donné. La correspondance conservée, par contre, est plus précieuse puisque Lampson fait çà et là état ses 33 J. Puraye, Dominique Lampson, op. cit., p. 86-87, 90. 34 L’analyse de la correspondance de Frans van Cranevelt, président du Grand Conseil de Malines – sorte de cour de cassation des anciens Pays-Bas – a permis de décrire le rôle de commissionnaire de librairie avant la lettre joué par un professeur louvaniste, tenant Cranevelt au courant de l’actualité littéraire et passant commande de livres pour lui, notamment, auprès de libraires louvanistes (Renaud Adam, « Recherches sur la bibliothèque de Frans van Cranevelt (1485-1564) », De Gulden Passer, t. XC (2), 2012, p. 127-142). 35 J. Puraye, Dominique Lampson, op. cit., p. 48. Selon Puraye, l’exemplaire des Vite conservé à la Bibliothèque royale de Belgique (VH 22345 A) aurait appartenu à Lampson. Cette hypothèse vient d’être réfutée par Stefania Tullio Cataldo qui estime, avec raison, que cet exemplaire aurait préalablement circulé en Italie avant d’arriver en Belgique. Voir : Stefania Tullio Cataldo, « Vasari et Lampson », art. cit., p. 347-372. L’exemplaire du Theatrus Orbis Terrarum, accompagné d’un ex-dono autographe de Plantin, a été proposé à la vente le 30 mars 2019 par la firme Arenberg Auctions à Bruxelles. Voir : Arenberg Auctions : veiling boeken & prenten = vente publique livres & estampes = auction books & prints 29 & 30.03.2019, Bruxelles, Arenberg Auctions, 2019, lot 590. 36 Maurice Van Durme, Supplément à la correspondance de Christophe Plantin, Anvers, De Nederlandsche Boekhandel, 1955, p. 207. 37 Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, VB 4998 A, Inc A 1227 (USTC 612734, 850320).

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lectures italiennes. Il nous apprend ainsi qu’il a lu, en langue originale, les traités de Benvenuto Cellini ainsi que les Due Lezzioni de Benedetto Varchi dont l’une porte sur Michel-Ange ; confirmant au passage de son grand intérêt pour l’art italien38. La recherche d’informations sur les bibliothèques de contemporains de Lampson s’est heurtée aux mêmes difficultés que celles évoquées pour le commerce de livres : une carence documentaire. La Bibliothèque Jagellonne de Cracovie possède toutefois une pièce exceptionnelle, retrouvée à l’intérieur d’un coutumier liégeois : un inventaire autographe de la bibliothèque d’un juriste liégeois, datée du 26 août 153639. Ce document, à notre connaissance, est le seul témoignage de la culture urbaine laïque des débuts de la Renaissance à Liège. Hélas, pour notre thématique, aucun livre en italien n’y figure. C’est un témoignage en soi : l’époque n’est pas encore aux lectures italiennes, mais bien à la culture humaniste latine. Cette bibliothèque témoigne en effet d’un réel intérêt pour les lettres classiques et les œuvres d’humanistes contemporains. Ainsi, aux côtés des nombreux textes juridiques nécessaires à la pratique de sa profession, ce juriste possédait en nombre des textes de Tite Live, Ovide, Valère Maxime, Érasme, Reuchlin, Platina, Marot ou encore Latomus ; la bibliothèque typique d’un homme de loi séduit par les idéaux de la Renaissance40. Du côté des chanoines, même s’il est régulièrement fait mention de legs de livres dans leur testament, rares sont les documents précis quant au contenu des bibliothèques. Le chercheur est souvent confronté à des formules telles que « relin38 J. Puraye, Dominique Lampson, op. cit., p. 48. 39 Cracovie, Biblioteka Jagiellońska, Ms. Gall. Qu. 104, f. 3v-4v. Sur ce manuscrit, lire : Michel Huisman, «  Inventaire des nouveaux manuscrits concernant l’histoire de la Belgique, acquis par la Bibliothèque royale de Berlin », Bulletin de la Commission royale d’histoire, 5e série, t. IX, 1899, p. 371-377 ; Guillaume des Marez, « Le pawilhar Giffou conservé à la Bibliothèque royale de Berlin », Bulletin de la Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique, t. IX, 1912, p.  349-362 ; Dominique Stutzmann, Piotr Tylus, Les manuscrits médiévaux français et occitans de la Preussische Staatsbibliothek et de la Staasbibliothek zu Berlin Preussischer Kulturbesitz, Wiesbaden, Harrassowitz, 2007, p. 106-110. Ce dernier ouvrage signale que le volume a appartenu à « Guy de Will… esquin de Liege et A present a Guilheaume son filz 1584 », selon une note retrouvée au recto du folio 5 (p. 108). Nous ne sommes pas parvenu à identifier ces possesseurs. Leur nom n’est pas repris dans la liste des échevins (esquin) donnée dans : Camille De Borman, Les échevins de la souveraine justice de Liège, t. 2 : Âge moderne, Liège, D. Cormaux, 1899. 40 Sur cette thématique, voir pour les anciens Pays-Bas : Henk W. de Kooker, Bert van Selm, Boekcultuur in de lage Landen 1500-1800. Bibliografie van publikaties over particulier boekenbezit in Noord- en Zuidnederland, verschenen voor 1991, Utrecht, Hes, 1993 ; Gilbert Tournoy, Michel Oosterboch, « The Library of Pieter Gillis », dans Les humanistes et leurs bibliothèques – Humanists and their Libraries. Actes du Colloque international – Proceedings of the International Conference. Bruxelles, 26-28 août 1999, éd. par R. De Smet, Louvain – Paris – Sterling (Virginia), Peeters, 2002, p.  143-158 ; Renaud Adam, «  Sum Petri Aegidii. Kanttekeningen bij een recent opgedoken boek uit de bibliotheek van Pieter Gillis (1486-1533) », De Gulden Passer. Jaarboek van de Vereniging der Antwerpse Bibliofilen, t. LXXXI, 2003, p. 171-181 ; id., « Recherches sur la bibliothèque de Frans van Cranevelt (1485-1564) », op. cit., p. 127-142.

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quo meam bibliothecam » ou encore « lego meam bibliothecam41 ». La frustration fut de mise à la lecture des dernières volontés d’Adrien Conrad de Bourgogne, datées du 30 septembre 1650, où ce chanoine de Saint-Lambert avait consigné son souhait de céder «  fratri suo domino de Froidmont suos libros tam Hispanicos quam Italicos », sans autre précision42. La description par le menu du contenu de ce don aurait été un précieux indicateur de l’état de la culture d’expression italienne en principauté de Liège au milieu du xviie siècle. Heureusement, certains testaments viennent contredire ce constat désolant, à l’image de celui du chanoine Guillaume de Ponteggonio, étudié dans notre ouvrage Lectures italiennes avec Nicole Bingen43. Sa biographie a pu être reconstruite grâce aux données fournies par les Registres aux réceptions des chanoines. Fils de Guillaume de Pontegonio, commissaire de la Cité de Liège, et de Marie Brictius, il fit ses humanités et sa philosophie à Louvain, en 1585-1586, avant d’entreprendre des études de droit en France, qu’il poursuivit en Italie. Il étudia à Bologne (octobre 1590mai 1591), sous la direction de Giovanni Battista Salimbeni, Annibale Marescotti et Girolamo Boccadiferro, et à Padoue (juin 1591-juillet 1592), sous celle de Guido Panciroli et Sebastiano Monticolo. Il allait y obtenir son doctorat, lorsque la nou-

41 Formules provenant des testaments des chanoines de la cathédrale Saint-Lambert Nicolas Rave (20 janvier 1627) et François d’Anthine (30 janvier 1637) (Liège, Archives de l’État, Archive de la cathédrale Saint-Lambert, Secrétariat, Testaments des chanoines, no 275, f. 188v, no 276, f. 84v). Seigneur de Fraiture, Nicolas Rave reçut la tonsure le 18 avril 1574. Il fut chanoine de la collégiale Saint-Jean avant d’entrer au chapitre cathédral le 26 juin 1591 et d’être nommé écolâtre le 13 mars 1613. Il résigne son canonicat le 4 mars 1626 en faveur de François d’Anthine. Son décès intervient le 7 avril 1627 ( Joseph de Theux de Montjardin, Le chapitre de Saint Lambert à Liège, t. 3, Bruxelles, F. Gobbaerts, 1871, p. 189). Pourvu de la prébende de Nicolas Rave, licencié en droit romain obtenu à Reims, François d’Anthine fut élevé au canonicat de Saint-Lambert le 9 juin 1627. Il devient official de Liège le 30 juillet 1630 et meurt moins de sept ans plus tard, le 13 février 1637 ( J. de Theux de Montjardin, Le chapitre de Saint Lambert à Liège, op. cit., t. 3, p. 263). Sur le chapitre Saint-Lambert au xviie siècle, lire : Alice Dubois, Le chapitre cathédral de Saint-Lambert à Liège au xviie siècle, Liège, Faculté de Philosophie et Lettres, 1949 42 Liège, Archives de l’État, Archive de la cathédrale Saint-Lambert, Secrétariat, Testaments des chanoines, no 277, f. 90v. Seigneur de Bredam, Adrien Conrad de Bourgogne fut désigné, le 3 novembre 1617, au canonicat de la cathédrale, prenant la succession de Jean Chapeaville. Il meurt le 2 octobre 1650 (J. de Theux de Montjardin, Le chapitre de Saint Lambert à Liège, op. cit., t. 3, p. 237). 43 R. Adam, N. Bingen, Lectures italiennes, op. cit., p. 83-85. Voir également : Émile Fairon, « La bibliothèque d’un chanoine liégeois en 1614 », Revue des bibliothèques et archives de Belgique, t. IV, 1906, p. 1-19, 94-106, 230-245 ; Pierre Guérin, « Descendance de l’échevin de Jupille Guillaume de Pontegonio », Cercle historique de Fléron, t. IV, 1992, p. 2-5 ; Stanislas de Moffarts d’Houchenée, Les commissaires de la Cité de Liège (1424-1794), selon les manuscrits d’Abry et d’après les Actes, t. 2, Liège, Société des Bibliophiles de Liège, 2010, p. 318 ; Renaud Adam, « Catalogue de bibliothèque privée. Catalogue de la bibliothèque de Guillaume de Pontegonio (avant 1612) », dans L’historien dans son atelier. Anthologie de documents pour servir à l’histoire du Pays de Liège du viiie au xviiie siècle, éd. par M.-G. Boutier, P. Bruyère, Liège, Snel – Société des Bibliophiles de Liège, 2017, p. 65-68.

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velle de la mauvaise santé de son père l’obligea à revenir. Il reçut ce titre à Dole, sous Jean Colard et Mongeot de Boisset. Malgré quelques difficultés (il lui manquait quatre ou cinq mois sur les cinq années juridiques complètes requises pour être reçu), il fut enfin admis, le 20 septembre 1596, à rejoindre le chapitre cathédral de Saint-Lambert. Il mena alors une existence retirée et studieuse, jusqu’à sa mort, survenue le 6 juillet 1614. Pontegonio avait réuni une belle collection de près de 270 ouvrages, dont il rédigea lui-même le catalogue après 1609, qu’il compléta de quelques unités après 1612. Dans ce catalogue, ajouté à son testament, les livres ont été classés en quatre grandes matières : jurisprudence, lettres et philosophie (qui reprend différentes disciplines scientifiques), théologie et histoire44. Les travaux et les goûts intellectuels du chanoine l’ont porté à acquérir en majorité des ouvrages concernant le droit, presque tous relatifs au droit civil. On rencontre les grandes compilations juridiques, comme l’édition complète du Corpus iuris civilis imprimée à Lyon en 1551, et leurs commentaires par les grands juristes de l’époque médiévale, des compilations de droit coutumier, des dictionnaires ainsi que des traités rédigés par d’éminents représentants de l’humanisme juridique, tels Guillaume Budé et Jacques Cujas, auprès de qui Pontegonio s’était formé lors de son séjour à Bourges. La forte présence d’ouvrages juridiques dans une bibliothèque d’un chanoine ne surprend pas45. Par contre, le taux de livres religieux semble étonnamment faible, une petite vingtaine d’ouvrages. Les savoirs profanes semblaient plus l’attirer. Ainsi, Pontegonio s’est également intéressé aux mathématiques, à la géographie et à l’histoire, avec une attention toute particulière pour l’histoire de France (il ambitionnait d’écrire une généalogie complète des rois de France). Il possédait également les grands auteurs de l’Antiquité que sont Cicéron, Virgile, Juvénal ou encore Ovide dans le domaine des lettres, ainsi qu’Aristote en philosophie. Les œuvres d’humanistes sont également présentes en nombre. On peut notamment citer les noms de Boccace, d’Érasme, de Niccolò Perotto et de Jean Despautère. Notons, enfin, la mention des Gesta pontificum leodiensium du vicaire général Jean Chapeaville, ouvrage pour lequel Pontegonio avait été chargé le 12 avril 1612 d’examiner l’orthodoxie46. La quasi-totalité de la bibliothèque de Pontegonio est en latin (85 %). Rien ne montre de l’intérêt dans son chef pour la langue grecque. Vingt-sept titres, soit un

44 Liège, Archives de l’État, Archive de la cathédrale Saint-Lambert, Secrétariat, Testaments des chanoines, no 274, f. 202r-214r. 45 Sur ce sujet, voir : Raoul Van der Made, « Testaments liégeois et legs de livres de droit au moyen âge », La Vie wallonne, 1959, p. 81-94. 46 Jean Chapeaville, Qui gesta pontificum tungrensium, traeiectensium, et leodiensium…, 3 t., Liège, Christian II Ouwerx, 1612-1616, 4o (USTC 1507548).

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dixième, sont en français. On relève, en outre, trois livres qui concernent l’espagnol. Guillaume de Pontegonio connaissait la langue italienne et possédait cinq livres en italien et quatre traductions de l’italien vers le français47. Le premier livre, et le plus intéressant, est sans conteste ce recueil d’ouvrages, surtout grammaticaux, sur la langue italienne Le osservationi della lingua volgare di diversi huomini illustri (Venise, 1562), dont Pontegonio s’est certainement servi pour apprendre cette langue au cours de son voyage d’Italie. Il possédait aussi, en italien, un Nouveau Testament ainsi que les Lettioni de Francesco Panigarola. En histoire, il avait fait l’acquisition de l’ouvrage de Pandolfo Collenuccio sur le royaume de Naples ainsi que l’Histoire d’Italie de Francesco Guicciardini, en langue italienne, mais aussi en traduction française. En version française, il possédait La perfettione della vita politica de Paolo Paruta et, de façon assez surprenante, deux livres sur l’art militaire traduits par François de Belleforest : le Imprese militari de Bernardino Rocca et les Harangues militaires, tirées de deux recueils de Remigio Nannini. Il importe de préciser que son exemplaire de la Storia d’Italia de Guicciardini figure dans une édition postérieure à la nomination de Pontegonio au canonicat, celle imprimée à Venise par Girolamo Polo en 159948. Ce n’est donc pas un livre qu’il avait ramené d’Italie. L’ouvrage a dû arriver à Liège par d’autres voies. Dans sa description de Liège – citée en introduction –, Pierre Bergeron insiste sur la forte présence d’institutions ecclésiastiques. Nombreuses étaient celles qui possédaient une riche bibliothèque49. La présence de livres en langue italienne au sein des maisons religieuses liégeoises sera examinée au travers de la collection livresque de l’abbaye bénédictine de Saint-Jacques, fondée au xie siècle, et de celle du collège des jésuites, instituée en 1582. Ce choix s’explique par la qualité des sources disponibles et leur vitalité en cette première Modernité. La bibliothèque de l’abbaye de Saint-Jacques renfermait alors de nombreux trésors50. Au xive  siècle, l’humaniste Pétrarque, dans sa quête de manuscrits antiques, y aurait vraisemblablement redécouvert le texte du Pro Archia de Cicéron que l’on pensait perdu51. Dans la rela47 Identification des titres dans : R. Adam, N. Bingen, Lectures italiennes, op. cit., p. 167-168. 48 Francesco Guicciardini, La historia d’Italia, Venise, Girolamo Polo, 1599, 4o (USTC 835422). 49 Pour un panorama des bibliothèques conventuelles liégeoises à l’époque moderne, lire : Carmélia Opsomer, Pierre-Marie Gason, Daniel Jozic, «  Les bibliothèques d’Ancien Régime  », dans Florilège du livre en principauté de Liège, op. cit., p. 498-503. 50 Renaud Adam, Tjemke Snijders, « La bibliothèque de Saint-Jacques, arsenal du savoir », dans L’église Saint-Jacques à Liège. Templum pulcherrimum. Une histoire, un patrimoine, éd. par D. Allart et alii, Namur, Institut de Patrimoine Wallon, 2016, p. 79-91. 51 Edmond Marchal, « François Pétrarque à Gand et à Liège, en 1333 », Bulletins de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques et de la Classe des Beaux-Arts, 1904, p. 485-487 ; Georges Monchamp, « Pétrarque et le pays liégeois », Leodium, t. IV, 1905, p. 2-6 ; Marc Dykmans, « Les premiers rapports de Pétrarque avec les Pays-Bas », Bulletin de l’Institut historique belge de Rome,

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tion de sa trouvaille à un ami, le Toscan n’hésite d’ailleurs pas à railler la pingrerie des moines liégeois : « dans cette bonne ville barbare, j’eus toutes les peines à trouver de l’encre noire, et qui, de plus, rappelait de près le safran52 ». Au xviie siècle, la bibliothèque bénédictine force encore l’admiration. Pierre Le Gallois la range parmi les plus illustres des Pays-Bas dans son Traitté des plus belles bibliothèques de l’Europe paru en 168053. Suite à sa sécularisation en 1785, la bibliothèque sera mise en vente publique en 178854. Le catalogue de cette vente, réalisé par l’historien JeanNoël Paquot, décrit 1834 lots séparés entre manuscrits (584 lots, 581 manuscrits après correction) et imprimés (1250 lots) ; tous classés par disciplines. La lecture de ce catalogue montre clairement que les xvie et xviie siècles s’apparentent à une période faste pour la bibliothèque de Saint-Jacques. Les impressions réalisées au cours de ces deux siècles représentent plus de 70 % de la collection d’imprimés décrite dans le catalogue. Parmi celles-ci, très peu de titres en italien. La section « Histoire profane, ancienne et moderne » compte une petite trentaine d’ouvrages traitant de l’histoire antique et moderne de l’Italie, dont un seul en italien, le traité sur la Rome antique de Pompilio Totti décrit comme suit : « Ritratto di Roma Antica, In Roma, 1645, fig. in-12o 55 ». Les moines de Saint-Jacques ne prirent ainsi connaissance de l’histoire italienne que par le truchement du latin ou du français, à l’image de cette traduction française des Historie fiorentine de Machiavel : « N. Machiavel, Histoire de Florence. Amst. 1694, 2 vol. in-1256 ». La bibliothèque de Saint-Jacques contenait toutefois une édition du Dittionario Toscano d’Adriano Politi, datant de 1655, qui aura certainement pu satisfaire la curiosité d’un des bénédictins liégeois pour la langue italienne57.

t. XX, 1939, p. 56-63. 52 François Pétrarque, Lettres de la vieillesse = Rerum senilium libri, éd. par E. Nota, trad. de J.-Y. Boriaud et P. Laurens. Présentation, notices et notes de U. Dotti, mises en français par F. La Brasca, t. 5, Paris, Belles lettres, p. 30 (version latine p. 31). 53 Pierre Le Gallois, Traitté des plus belles bibliothèques de l’Europe, Paris, Estienne Michallet, 1680, p. 116. 54 [ Jean-Noël Paquot], Catalogue des livres de la bibliothèque de la célèbre ex-abbaye de St. Jacques à Liège, Liège, [s.l.], 1788, 8o. 55 Catalogue des livres de la bibliothèque de la célèbre ex-abbaye de St. Jacques, op. cit., p. 252 (873). Référence de l’ouvrage : Pompilio Totti, Ritratto di Roma antica, Rome, Francesco Moneta pour Filippo De Rossi, 1645, 8o (USTC 401779). 56 Catalogue des livres de la bibliothèque de la célèbre ex-abbaye de St. Jacques, op.  cit., p.  255 (901). Référence de l’édition : Nicolas Machiavel, Histoire de Florence, 2 t., Amsterdam, Henri Desbordes, 1694, 12o (STCN 843592230). 57 Catalogue des livres de la bibliothèque de la célèbre ex-abbaye de St. Jacques, op. cit., p. 255 (901). Référence de l’édition : Adriano Politi, Dittionario Toscano, Venise, Francesco Barezzi, 1655, 8o (HPB IT-ICCU.RMSE.003813).

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Le collège des jésuites est le second foyer culturel pris en compte pour cette étude sur la réception des lettres italiennes à Liège58. Sa fondation remonte à l’année 1582 sous le règne d’Ernest de Bavière. Toutefois, les autorités liégeoises étaient désireuses d’accueillir des membres la Compagnie de Jésus dans leur cité depuis de nombreuses années, mais s’étaient heurtées à de nombreux refus. Quoi qu’il en soit, après des débuts hésitants, le nombre d’étudiants fréquentant le nouveau collège ne cessera de croître pour atteindre, au début du xviie siècle, une population forte d’un millier d’adolescents. La bibliothèque – véritable relais de la pédagogie jésuitique – se forma progressivement par l’entremise d’achats ainsi que par de nombreux dons, dont la trace est encore conservée dans un registre des bienfaiteurs commencé en 1637 et détenu aujourd’hui par l’Université de Liège59. Lors de sa liquidation en 1779, après la suppression de l’ordre, la collection de livres des jésuites était riche de plusieurs milliers de livres60. Pour la période qui nous intéresse, nous bénéficions de plusieurs catalogues, dont le très précieux Catalogus cognominum alphabeticus bibliothecae maioris Societatis Jesu Leodii, datant de la fin du xviie siècle61. La consultation du registre des bienfaiteurs ainsi que celle de ce catalogue de la Bibliotheca Maior du collège n’ont hélas donné aucun résultat probant pour notre enquête. L’environnement intellectuel des jésuites liégeois était essentiellement latin, avec toutefois des déclinaisons françaises. Les auteurs italiens rencontrés au fil des pages de ces deux documents sont présents uniquement en latin, tels les Opera de Pétrarque, la traduction latine de la Descrittione di tutti i Paesi Bassi de Lodovico Guicciardini ou encore les Historiarum sui temporis, libri xlv de Paolo Giòvio62. Notons toutefois la présence de quelques dictionnaires, dont l’incontournable Dictionarium octo linguarum d’Ambrogio Calepino63.

58 Sur ce collège, lire : Léon Halkin, « Les origines du collège des Jésuites et du séminaire de Liège », Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, t. LI, 1926, p. 83-191 ; Pierre Guérin, Les jésuites du collège wallon de Liège, 2 t., Liège, Société des bibliophiles liégeois, 1999. 59 Liège, Bibliothèque Alpha, Nomina benefactorum bibliothecae Collegii Societatis Jesu Leodiensis. Anno 1637, Ms. 93 C. 60 Aucune étude complète et approfondie n’a encore été faite sur la bibliothèque des jésuites. En attendant, voir : Frédérick Vanhoorne, À propos de la bibliothèque des jésuites en isle, Université de Liège, Mémoire de DEA, 1993 ; Pierre Guérin, Les jésuites du collège wallon de Liège, t. 1, op. cit., p. 26-28 ; Laetitia Desaive, L’histoire à travers les catalogues de la bibliothèque du collège jésuite en Isle de Liège, Université de Liège, Mémoire de licence, 2007 ; C. Opsomer, P.-M. Gason, D. Jozic, « Les bibliothèques d’Ancien Régime », art. cit., p. 501-502. 61 Liège, Bibliothèque Alpha, Catalogus cognominum alphabeticus bibliothecae maioris societatis Jesu Leodii…, Ms. 90 C. 62 Ibid., f. 96r, 117r, 182v. 63 Ibid., f. 29v.

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* En conclusion, on retiendra que, dans l’état actuel de nos connaissances, la circulation du livre italien à Liège s’apparente à un phénomène relativement marginal, en témoigne l’accueil pour le moins frileux réservé par les libraires et les imprimeurs locaux. La pratique même de la langue semble se limiter à un groupe restreint d’individus, proches des hautes sphères du pouvoir. D’ailleurs, Lodovico Guicciardini ne dit-il pas dans sa Description de tout le Païs-Bas parue à Anvers en 1567 que les Liégeois parlent « communement le langaige François », mais il n’insiste pas sur le multilinguisme des habitants de la cité, à l’inverse d’Anvers, par exemple64. Il convient pour l’heure de poursuivre et d’approfondir ces recherches, avec une attention toute particulière sur la circulation effective des livres, que ce soit à la recherche d’exemplaires encore conservés ou des mentions de la présence de livres en langue italienne dans des sources d’archives, émanant soit de librairies soit d’inventaires de bibliothèques.

64 Lodovico Guicciardini, Description de tout le Païs Bas autrement dict la Germanie inferieure, ou Basse-Allemagne, Anvers, Willem Silvius, 1567, 2o p. 147, 374 (USTC 27799).

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II Transferts culturels : traductions, imitations et formes du livre en italien

« Demonstrer ce qui est plus clair que le plein midy » : italianisme et traduction d’après les inventaires de la Croix du Maine et Du Verdier Bruna Conconi

Université de Bologne

La traduction « a été en France le véritable mode privilégié de la relation à l’Italie », affirme Jean Balsamo dans son dernier volume consacré au livre italien à Paris au xvie siècle1. L’autorité du spécialiste de « cose Italiche » nous exempte de prouver l’importance du rôle joué par la traduction dans la diffusion de l’italianisme audelà des Alpes. Mais comment mesurer l’impact de ces traductions sur la production littéraire du temps ? Il est rare que les auteurs renvoient explicitement le lecteur au texte intermédiaire qui sous-tend leur œuvre, et c’est seulement après une étude très pointue – donc très lente – des variantes, qu’il serait possible de comprendre si c’est à une traduction et non pas à la version originale que l’on a eu recours. Comment savoir alors quelles traductions circulaient, étaient connues des lecteurs et des auteurs de la Renaissance ? Les correspondances érudites, certes, pourraient nous en dire beaucoup. C’est pour cette raison que nous attendons avec impatience la parution de l’édition de la correspondance Corbinelli/Pinelli par Maria Grazia Bianchi et Marisa Gazzotti2, après l’édition Raugei de la correspondance Dupuy/ Pinelli3. Les traces manuscrites laissées par les lecteurs sur les exemplaires conservés dans les fonds de nos bibliothèques pourraient également se révéler parlantes. Mais il a fallu quelques années pour que nous mesurions la « vertu migratoire », comme

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Jean Balsamo, L’amorevolezza verso le cose Italiche. Le livre italien à Paris au xvie siècle, Genève, Droz, 2015, p. 12. Maria Grazia Bianchi, Il codice Ambrosiano B 9 inf. e le lettere di Jacopo Corbinelli a Gian Vincenzo Pinelli. Interessi eruditi e storici tra Italia e Francia (1566-1578), Lausanne, s.n., 2016 ; Marisa Gazzotti, Scambi culturali tra Italia e Francia nel xvi secolo : le lettere di Jacopo Corbinelli a Gian Vincenzo Pinelli (1579-1587) nel codice Ambrosiano T 167 sup., Lausanne, s.n., 2017. Les deux thèses ont été soutenues à l’Université de Lausanne (Section d’Italien de la Faculté des Lettres), sous la direction d’Alberto Roncaccia. Gian Vincenzo Pinelli et Claude Dupuy, Une correspondance entre deux humanistes, éd. par A. M. Raugei, Firenze, Olschki, 2001.

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l’a définie Jean Viardot4, des seules traductions de Pierre l’Arétin en France5… Des signes, pour ainsi dire, plus immédiats se sont alors révélés nécessaires. Nous avons cru les trouver dans le travail de deux bibliographes, celui des deux bibliographes français les plus célèbres du xvie siècle, François Grudé de La Croix du Maine et Antoine Du Verdier, dont le but déclaré, avec leurs Bibliotheques françoises (Paris, Abel L’Angelier, 1584 et Lyon, Barthélemy Honorat, 1585) avait été justement celui de sauvegarder et promouvoir le patrimoine français, mais aussi « de monstrer quels livres se trouvent en nostre langue6  » –  «  ecrit[s], ou traduit[s] en François, et autres Dialectes de ce Royaume », précise Du Verdier dès la page de titre –, d’informer donc ces lecteurs – c’est cette fois La Croix du Maine qui parle – « qui desireroient voir ceux qui auroient ja entrepris des subjects, tant des inventions que de traductions des choses, qu’ils avoient envie de traicter, ou tourner en nostre langue7 ». Certes, il ne s’agit pas d’un scoop bibliographique. Tôt ou tard tout seiziémiste est destiné à tomber sur leurs lourds in-folios et à y avoir ensuite recours, de façon plus ou moins systématique, malgré le malaise justement évoqué par Alain Cuillière :

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Jean Viardot, « La curiosité en fait de livres : phénomène européen ou singularité française ? », dans Le livre voyageur. Constitution et dissémination des collections livresques dans l’Europe moderne (1450-1830) (Actes du Colloque international, Lyon 23-24 mai 1997), éd. par D. BougéGrandon, Paris, Klincksieck, 2000, p. 195. Bruna Conconi, 1539-1618 : tempi, luoghi, protagosti della traduzione di Pietro Aretino in Francia. Con un primo repertorio, dans Dynamic Translations in the European Renaissance / La traduzione del moderno nel Cinquecento europeo (Atti del Convegno internazionale, Groningen 21-22 ottobre 2010), éd. par Ph. Bossier, H. Hendrix, P. Procaccioli, Manziana (Roma), Vecchiarelli Editore, 2011, p. 101-167. « Preface d’Antoine Du Verdier sur sa Bibliothèque », dans La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, seigneur de Vauprivas, Contenant le Catalogue de tous ceux qui ont escrit, ou traduict en François, et autres Dialectes de ce Royaume, ensemble leurs œuvres imprimées et non imprimées, l’argument de la matiere y traictée, quelque bon propos, sentence, doctrine, phrase, proverbe, comparaison, ou autre chose notable tirée d’aucunes d’icelles œuvres, le lieu, forme, nom, et datte, où, comment, et de qui elles ont esté mises en lumiere. Aussi y sont contenus les livres dont les autheurs sont incertains. Avec un discours sur les bonnes lettres servant de Preface. Et à la fin un supplement de l’Epitome de la Bibliotheque de Gesner, À Lyon, Par Barthelemy Honorat, M.D.LXXXXV., Avec Privilege du Roy, p. XXVI. « Preface, ou Advertissement du sieur La Croix du Maine à ceux qui liront cette Bibliotheque Françoise », dans Premier volume de la Bibliotheque du sieur de la Croix-Du Maine. Qui est vn catalogue general de toutes sortes d’Autheurs, qui ont escrit en François depuis cinq cents ans et plus, jusques à ce jourd’huy : avec un Discours des vies des plus illustres et renommez entre les trois mille qui sont compris en cet œuvre, ensemble un recit de leurs compositions, tant imprimées qu’autrement. Dedié et presenté au Roy. Sur la fin de ce livre se voyent les desseins et projects dudit sieur de la Croix, lesquels il presenta au Roy l’an 1583. pour dresser une Bibliotheque parfaite et accomplie en toutes sortes. Davantage se voit le Discours de ses œuvres et compositions, imprimé derechef sur la copie qu’il fist mettre en lumiere l’an 1579., À Paris, Chez Abel l’Angelier, Libraire Juré tenant sa boutique au premier pillier de la grand Salle du Palais., M.D.LXXXIIII., Avec Privilege du Roy, f. a8v.

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« le fait de s’y reporter paraît à peine avouable8 ». Un malaise qui est le résultat d’une prévention dont on trouve les premières traces déjà chez les contemporains des deux bibliographes d’ailleurs9, et qui fait que, mêmes dans les jugements des critiques qui ont pourtant décidé de se consacrer à leur étude, les limites ont souvent le dessus sur les mérites. Or, ces mêmes limites, sur lesquelles nous allons quelque peu nous arrêter, nous voudrions les transformer en opportunités. Faute de temps, concentrons-nous un instant sur ce qui pourrait constituer, même aux yeux d’un lecteur moderne, un sérieux problème, à savoir l’exhaustivité et la fiabilité des données inventoriées ; deux limites qui vont apparemment de pair chez nos deux bibliographes. Quand il est question du matériel recensé en effet, ce ne sont pas tellement des lacunes significatives qu’on leur a le plus souvent reprochées ; au contraire, «  la somme de part et d’autre  » peut paraître encore aujourd’hui «  impressionnante10  ». Les critiques portent plutôt sur le manque de sélection de la part de quelqu’un dont le « principal dessein » déclaré est de 8

Alain Cullière, «  Pour une pré-histoire littéraire. La Croix du Maine et la rumeur  », dans L’histoire littéraire : ses méthodes et ses résultats. Mélanges offerts à Madeleine Bertaud, éd. par L. Fraisse, Genève, Droz, 2001, p. 82. 9 Comme Catherine Magnien-Simonin le montre par exemple, à partir de la correspondance d’Étienne Pasquier ou de Claude Dupuy, ou encore à partir des notes manuscrites présentes dans l’exemplaire de la Bibliotheque françoise de la Croix du Maine appartenu au marquis de Paulmy et aujourd’hui conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal (Fol H 4704) : « Scaliger en dit beaucoup de mal ». Cf. Catherine Magnien-Simonin, « François Grudé de La Croix du Maine (1552-1592) bibliographe visionnaire », dans Les instruments de travail à la Renaissance, éd. par J.-F. Gilmont et A. Vanautgaerden,Turnhout, Brepols, 2010, p. 178-179 et p. 158. Catherine Magnien-Simonin a récemment consacré un autre article aux deux bibliographes, même si d’un point de vue plus spécifique : « Les bibliographes François Grudé dit La Croix du Maine (1552-1592) et Antoine Du  Verdier (1544-1600) autobiographes et autoportraitistes  », dans L’autoportrait dans la littérature française. Du Moyen Âge au xviie  siècle, éd. par É. Gaucher-Rémond et J. Garapon, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 85-101. 10 François Rouget, « La Bibliotheque (1585) d’Antoine Du Verdier et la question poétique : vers une première réception de “La Pléiade” à la fin du xvie siècle », Revue d’Histoire littéraire de la France, t. IV, 2002, p. 533. Ce qui a poussé Pierre Demarolle à s’interroger sur le phénomène inverse, observé à l’occasion d’une confrontation entre les données enregistrées par la Bibliotheque françoise de La Croix du Maine et le Manuel bibliographique de la littérature française du Moyen Âge de Robert Bossuat (1951) : « les noms mentionnés par les deux auteurs sont au nombre de 63 ; 138 noms (soit 68  % des noms donnés par Robert Bossuat) manquent chez La Croix du Maine, ce qui ne surprend pas, compte tenu de l’efficacité de l’érudition moderne. En revanche le phénomène inverse est plus troublant : 47 noms relevés par La Croix du Maine (soit 42 %) manquent chez Robert Bossuat  ». Pierre Demarolle, «  Présence de la littérature en moyen français dans deux éditions de la Bibliothèque française de La Croix du Maine (1584 et 1772) », dans L’analisi linguistica e letteraria. (Actes du IIIe Colloque International sur la littérature en Moyen Français, Milan, 21-23 mai 2003), éd. par S. Cigada, A. Slerca, G. Bellati, M. Barsi, t. XII, 1-2, 2004, p. 295. Le spécialiste est revenu sur la question dans un autre article, où les informations présentes dans la Bibliographie de la littérature française du seizième siècle d’Alexandre Cioranescu (1959) sont également prises en compte : Pierre Demarolle, « Traductions et traducteurs chez La Croix du Maine », dans « Pour acquerir honneur et pris ». Mélanges de Moyen Français offerts

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« nommer toute sorte d’Autheurs », « car – écrit La Croix du Maine – nous recitons seulement leurs œuvres et compositions11 » (ce qui nous fait penser évidemment au « je ne forme pas l’homme, je le récite » de Montaigne…). Prise de distance à laquelle fait écho Du Verdier – « indifferemment ay mis bons, mediocres et mauvais12 » – ; Du Verdier qui justifie ainsi sa non-lecture de tous les volumes recensés : «  et qu’aucun ne die icy que je les devois tous bien lire, avant que les coucher en ma Bibliotheque, car je ne prens icy la charge de dire quel est bon à lire, quel mauvais13  »… Une abstention de jugement qui paraît en vérité encore plus condamnable – et nous en venons ainsi à la question de la fiabilité – chez le premier des deux bibliographes. La Croix du Maine est accusé en effet par son rival Du Verdier – qui dit ne recenser, lui, aucun auteur sans preuve, sans qu’ils ne lui fassent « voir aucun eschantillon de ce qu’ils promettent » – d’avoir inventé des notices « afin de rendre son volume plus gros et ample14 ». Il est bien exact que La Croix du Maine ne se limite pas, comme Du Verdier, à attribuer la même importance à un témoin manuscrit et à un imprimé, mais qu’il enregistre également, en leur attribuant le même statut, des projets en cours dont il a entendu parler, des œuvres virtuelles en somme : Jean Avril […] a traduit de Latin en vers François, les deux premiers livres de Marcel Palingene Italien, le plus excellent Poëte de nostre temps etc. il ne les a encores mis en lumiere. Je ne sçay si ce qui l’a empesché de ce faire, a esté qu’il a veu les imitations de Scevole de Sainte-Marthe, sur ledit Palingene, si heureusement et doctement traduites, que cela l’ayt retardé de faire imprimer les siennes. […] S’il a composé d’autres œuvres, je n’en ay pas cognoissance15.

Et quelque deux cent cinquante pages plus bas : Ce seigneur de Saincte Marthe […] a traduit avec tant de grace, que celà a detourné plusieurs d’y mettre la main, qui auparavant s’estoient deliberez de le tourner en nostre langue. Il promet de continuer toute la version entiere du Zodiaque dudit Palingene, mais il n’en a fait imprimer encores qu’une partie16.

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à Giuseppe Di Stefano, éd. par M. Colombo Timelli et C. Galderisi, Montréal, CERES, 2004, p. 101-110. « Preface, ou Advertissement du sieur La Croix du Maine », op. cit., f. a7v. « Preface d’Antoine Du Verdier sur sa Bibliothèque », op. cit., p. xxiv. Ibid., p. xxvi. La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 1034 et 1035. Premier volume de la Bibliotheque du sieur de la Croix-Du Maine, op. cit., p. 201-202. Ibid., p. 453. Comme le signale le répertoire de Paul Chavy (Traducteurs d’autrefois. Moyen Âge et Renaissance. Dictionnaire des traducteurs et de la littérature traduite en ancien et moyen français (842-1600), Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1988, p. 1056), la traduction partielle du Zodiacus vitæ de Palingenio Stellato fait partie des Premieres œuvres de Scevole de Sainte-Marthe […] qui

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Or, même si l’on ne tenait pas compte du jeu rhétorique qui sous-tend le fait d’admettre d’avoir seulement entendu parler de ces traductions –  d’être donc à un niveau intermédiaire de la hiérarchie visa, audita, lecta, à laquelle les historiens anciens et les voyageurs modernes avaient eu recours dans leurs discours de vérité –, admission qui, avec l’aveu d’ignorance ou d’un trou de mémoire a évidemment le but de souligner par exclusion que toute autre affirmation est par contre absolument sûre et certaine ; même si l’on ne tenait pas compte du jeu rhétorique, disionsnous, ces limites pourraient être considérées comme le prix à payer pour quelque chose qui, tout compte fait, vaut davantage pour nous qu’une garantie totale de fiabilité ou d’exhaustivité. Nul hasard en effet, si Michel Simonin, en mettant à jour la notice consacrée à La Croix du Maine dans le Dictionnaire des Lettres Françaises, renvoie le lecteur à deux études qu’il venait de publier : « Poétiques des éditions “à l’essai” au xvie siècle » et « Des projets littéraires et de leurs réalisations éditoriales à la Renaissance17 » ; deux études qui ne destinaient apparemment qu’un espace très réduit à nos répertoires, mais qui, de fait, en mettant en pleine lumière deux pratiques en vigueur à la Renaissance, dirigeaient le regard du lecteur sur les fruits les plus sous-estimés de la récolte des deux bibliographes : nous nous référons à la pratique plus étudiée, surtout par les historiens du livre – nous pensons notamment aux travaux de Roger Chartier – de la circulation du manuscrit à une époque que l’on aurait tendance à croire définitivement gagnée à l’imprimerie18, ainsi qu’à la pratique de la circulation de ce « quelque chose qui n’était plus tout à fait un manuscrit sans toutefois encore atteindre au titre de titre de plein droit19 ». Une « formule de commodité », comme la définit Jean Balsamo, qui dans son dernier livre n’a pas manqué d’en souligner l’importance : « l’impression d’un ouvrage à quelques exemplaires était simplement une formule de commodité, plus rapide et moins onéreuse que le même

contiennent ses Imitations et Traductions, parues à Paris, chez Fédéric Morel, en 1569. Elle est contenue aux f. 1r-34v. 17 Robert Barroux et Michel Simonin, «  François Grudé, sieur de La Croix du Maine  », dans Dictionnaire des Lettres Françaises publié sous la direction du cardinal Georges Grente. Le xvie siècle, éd. par M. Simonin, Paris, Fayard, 2001, p. 661-662 ; Michel Simonin, « Poétique des éditions “à l’essai” au xvie  siècle  », dans Riflessioni teoriche e trattati di poetica tra Francia e Italia nel Cinquecento (Atti del Convegno Internazionale di Studio, Castello di Malcesine, 22-24 maggio 1997), éd. par E. Mosele, Fasano, Schena, 1999, p. 17-33 ; id., « Des projets littéraires et de leurs réalisations éditoriales à la Renaissance  », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, t. LI, 1999, p. 183-203. 18 Roger Chartier, « Pouvoirs de l’imprimé », dans La main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur. xvie-xviiie siècle, Paris, Gallimard, 2015, p. 21- 44. 19 M. Simonin, « Poétique des éditions », art. cit., p. 23.

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nombre de copies faites la main, sans pour autant que l’impression fût destinée à entrer dans un circuit éditorial et encore moins à une diffusion commerciale20 ». C’est ainsi qu’un ensemble d’éléments, auxquels seul l’œil apparemment myope de nos bibliographes avait garanti la survie, gagne en visibilité : des textes dont nous n’aurions autrement aucun témoignage, ou bien des livres fantômes dont l’existence avait été mise plus ou moins ouvertement en doute : « combien de fois – remarque Michel Simonin – n’avons-nous été conduits à douter de l’existence d’une édition, voire d’un ouvrage, quoique dûment signalé à l’époque, au prétexte qu’il ne s’en retrouvait pas d’exemplaire ! […] Il a existé beaucoup plus d’éditions à l’essai qu’il ne nous en est parvenu21 ». La Croix du Maine annonce alors comme tout à fait imminente la publication de la traduction, que Jérôme d’Avost a mise au point, d’une comédie, ‘article’ précieux à nos yeux vu son appartenance à un domaine négligé par les traducteurs22 : il s’agit des Due cortigiane de Lodovico Domenichi (1563), dont la version française serait d’après lui (ainsi qu’un recueil des œuvres de Louis de Grenade) «  toutes mises au net » et « prestes à imprimer, et mettre en lumiere : Ce que j’ai opinion qu’il fera – écrit-il – ces prochains jours23 ». Ainsi Du Verdier signale-t-il une traduction de la Jérusalem délivrée du même d’Avost, texte «  prest à imprimer à Lyon chez Barthelemy Honnorat » – son éditeur ! – où il assure en avoir « veu la copie escrite en main contenant 20 chants24 ». Malheureusement aucun des deux exemplaires n’a encore été localisé. De même, au moins une quinzaine de textes simplement « non imprimés » d’après Du Verdier (donc pas forcément destinés à la publication) ou « non encore imprimés » d’après La Croix du Maine (des dossiers en attente d’être traités, donc) étaient à disposition des lecteurs et auraient pu en principe circuler d’une manière ou d’une autre parmi leurs contemporains. Et il y en a pour tous les goûts : des traductions réalisées par de simples amateurs comme l’Idée de théâtre de Giulio Camillo25, aux textes des professionnels, telle La vie de Jesus Christ de Saint 20 J. Balsamo, L’amorevolezza verso le cose Italiche, op. cit., p. 32. 21 M. Simonin, « Poétique des éditions », art. cit., p. 26. 22 «  Tout n’était pas traduit : des recueils de lettres ou de nouvelles, la majorité des pièces de théâtre, les traités de poétique étaient négligés ». Jean Balsamo, « Les traductions de l’italien au xvie siècle », dans Les traductions de l’italien en français au xvie siècle, éd. par J. Balsamo, V. Castiglione Minischetti, G. Dotoli, Fasano-Paris, Schena-Hermann, 2009, p. 20. 23 Premier volume de la Bibliotheque du sieur de la Croix-Du Maine, op. cit., p. 488. L’information est enregistrée dans le répertoire de Chavy : « c. 1580 Les Deux Courtisanes (selon LCdM). Jérôme d’AVOST. / ITAL. Le due cortegiane (version ital. des Bacchides de Plaute) » (op. cit., p. 454). 24 La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 1198. 25 «  Pierre de Raoul sieur de Bourgues, natif de Tolose, homme docte és Mathematiques, et sur tout tressçavant pour dresser les nativitez et horoscopes. Il a traduit de Latin en François l’Idée du Theatre de Jules Camille Italien, non encore imprimée. Il florist à Paris cette année 1584 ». Premier volume de la Bibliotheque du sieur de la Croix-Du Maine, op. cit., p. 411.

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Bonaventure traduite par Gabriel Chappuys26 ; des travaux de nature politique comme ceux de Francesco Patrizi27, aux nombreux ouvrages historiques, comme l’Histoire d’Angleterre de Polidore Virgile28, La vie de Charles V de Ludovico Dolce29, ou le Dell’origine de Cavalieri de Francesco Sansovino30. Mais aussi des œuvres plus strictement littéraires comme l’Aminta31, le Novellino32 ou les Églogues de Baptiste Mantouan33. Tous, d’après ce que nous savons, restés à l’état manuscrit. À leur côté il faudrait accorder une place particulière à deux livres fantômes dont on ne trouve trace en réalité que dans l’un des deux bibliographes, Antoine 26 « Gabriel Chapuis, natif d’Amboise en Touraine, homme docte et des plus diligents escrivains de nostre temps, comme il monstre par le grand nombre de ses œuvres tant de son invention, qu’en ses traductions de livres Latins, Italiens et Espagnols etc. Il a traduit […] La vie de Jesus-christ, escrite par Sainct Bonaventure, non encores imprimée. La copie en est à Lyon chez Jean Stratius […]. Il florist à Paris cette année 1584. » Ibid., 109-111. Il s’agit de l’éditeur-libraire Jean Stratius, actif à Lyon, rue Mercière, de 1575 à 1586. 27 Bernard de La Roche Tolosain, Conseiller du Roy au Parlement de Paris, et maintenant premier President aux requestes du Palais à Tolose […] a traduit de Latin en François, les doctes livres de la republique, et de l’institution du Prince, de François Patrice de Siene en Italie, non encores imprimez. […] Il florist à Tolose cette année 1584. ». Ibid., p. 476-477. 28 « Gabriel de Collange, natif de Tours en Auvergne, qui est une autre ville que celle de Tours sur Loire etc. valet de chambre du Roy Charles neufiesme, autrefois precepteur et gouverneur de monsieur le Duc d’Atry l’an 1566. homme for grand ingenieur, et doüé d’un esprit esmerveillable etc. […] Il a traduit de Latin en François les vingtsept livres de l’histoire d’Angleterre, descrite bien au long, par Polydore Virgile, non encores imprimée. […] Il fut tué à Paris l’an 1572. au Mois d’Aoust, ayant esté pris pour Huguenot ». Ibid., p. 111-112. 29 « Jean de La Baulme Seigneur de Martorey a traduit […] de l’Italien de Ludovico Dolce, la vie de l’Empereur Charles cinquiesme, qu’il a dedié au Baron de Monfalconnet son oncle, maistre d’hostel dudit Empereur escrite aussi de sa main et non imprimée ». La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 638. 30 « Jean Le Roy, natif d’Amiens en Picardie. Il a traduit d’Italien en François, le livre des divers ordres de Chevalerie escrit par Sansovin, lequel n’est encore imprimé en François, il est aprez pour le mettre en lumiere. Il florist à Paris cette année 1584. ». Premier volume de la Bibliotheque du sieur de la Croix-Du Maine, op. cit., p. 263. 31 « Madame Henriette de Cleves, fille et heritiere de messire François de Cleves, Duc de Nevers, Conte d’Eu et de Rhetelois, etc. femme de Messire Ludovic de Gonzague, Prince de Mantouë, etc. […] a traduit en nostre langue Françoise : L’Aminta du Seigneur Tasso, l’un des plus renommez Poëtes modernes de toute l’Italie. Elle n’est encore imprimée, j’entens de sa traduction : Car celle qui se voit mise en lumiere est d’autre version que celle de la susdite dame. […] Elle florist cette année, 1584. ». Ibid., p. 487. L’autre traduction à laquelle on fait référence est celle de Pierre de Brach, parue en 1584, outre qu’à Bordeaux chez Simon Millanges, à Paris chez Abel L’Angelier, l’éditeur de la Bibliothèque françoise de La Croix du Maine. Cf.  J. Balsamo, V. Castiglione Minischetti, G. Dotoli, op. cit., p. 142. 32 « Jean Quinerit de Mousne a escrit […] Le Novellin ou cinquante nouvelles traduites de l’Italien de Mazuccio Salernitain par ledit Jean Quinerit, non imprimé  ». La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 750. 33 « Pierre Goueslier, sieur de la Goueslerie au Maine, duquel lieu il est natif. Enquesteur du Roy au siege presidial et Seneschaussée du Maine […]. Il a traduit quelques Eglogues de Baptiste Mantuan, non encores imprimées. Il florist au Mains cette année 1584. ». Premier volume de la Bibliotheque du sieur de la Croix-Du Maine, op. cit., p. 399.

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Du Verdier : il s’agit des lettres de Bernardo Tasso traduites d’italien par un gentilhomme normand et parues à Paris in 8o en 155434 et du Traité de l’amitié tiré du livre IX de l’Institution de Piccolomini et publié avec le traité de la nature d’amour de Flaminio Nobili, tous les deux traduits par A. de Saint-André Parisien et publiés dans la capitale chez Nicolas Bonfons, in 16o, en 157935. Ces deux livres appartiennent aussi en fait à un groupe restreint de publications (presque une trentaine pour ce qui est des traductions d’auteurs italiens, c’est-à-dire de textes originairement écrits en vulgaire ou en latin) sur lesquelles Du Verdier a voulu attirer l’attention du lecteur en accompagnant la notice qui les concerne d’un extrait du texte (un extrait qui peut aller de quelques lignes seulement aux vingt pages du Dialogue des langues de Speroni)36. La pratique n’a pas été toujours appréciée : Reure a jugé les passages « prolixes, ordinairement inutiles, choisis avec un goût médiocre37 » ; pour Claude Longeon ils ne seraient pas « un témoignage ni du bon goût ni du souci documentaire » et tout se présenterait comme si le bibliographe « avait ouvert au hasard le livre qu’il souhaitait citer38 », de sorte qu’il a fallu attendre le xxie siècle pour que François Rouget relève en leur sein la présence d’un principe de sélection qui aurait conduit Du Verdier à privilégier par exemple chez Du Bellay « les vers didactiques et sentencieux qui humilient la créature humaine et la ramènent à ses devoirs39 ». Pourtant il est évident que cette sorte d’anthologie constitue une ressource potentielle importante si l’on considère, en général déjà, la fonction d’aperçus que ces extraits ont pu jouer à une époque où la lecture intensive – la consommation d’un corpus limité et fermé de livres, lus et relus – prévalait encore sur l’extensive. Pour ce qui est des deux livres que nous avons cités, en outre, comme pour la traduction de la Jérusalem délivrée par d’Avost dont il a été question plus haut –  des livres publiés ou que l’éditeur est en train d’imprimer, mais dont aucun exemplaire ne 34 « Bernardo Tasso. Les lettres de M. Bernardo Tasso Secretaire du Prince de Salerne, traduites d’Italien par un gentilhomme Normand de la maison et famille de sainct Luc, entre lesquelles il y en a une que l’auteur escrit à sa femme Portia, luy enseignant le moyen qu’elle doit tenir au gouvernement, education et nourriture de ses enfans, [impr. à Paris 8o. l’an 1554. Ceste Epistre estant belle, je la mettray icy tout au long ». La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 121. 35 « A. de Saint André Parisien a traduict de l’Italien d’Alexandre Piccolomini tres-docte Evesque de Sienne Traicté de l’Amitié, auquel est discouru de la distinction qui est entre l’amour et l’Amitié : la cause ou commencement, et de la diffinition ou de ses especes, contenant 14 chap. pris du 9. livre de l’institution du mesme Piccolomini. Plus un traicté de la nature d’amour traduict aussi de l’Italien de Flaminio Nobili. [le tout impr. à Paris 16o. par Nicolas Bonfons 1579. ». Ibid., p. 97. 36 Ibid., p. 1149-1167. 37 [Claude-Odon] Reure, «  Le bibliographe Antoine Du  Verdier (1544-1600)  », Revue du Lyonnais, t. II, 1897, p. 118. 38 Claude Longeon, « Antoine Du Verdier et François Grudé de la Croix du Maine », dans Actes du colloque Renaissance-Classicisme du Maine (Le Mans 1971), Paris, Nizet, 1975, p. 230. 39 F. Rouget, « La Bibliotheque (1585) d’Antoine Du Verdier », art. cit., p. 537.

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s’avère localisé en ce moment – les passages reproduits représentent quelque chose d’encore plus précieux, voire tout ce qui reste d’une opération de médiation qui a demandé de l’énergie, donc une volonté précise pour être mise en œuvre, que l’on a donc crue importante40. Mais le fait d’« entrelarder » le texte, comme Alfredo Serrai l’a écrit, d’extraits des livres recensés41, ne constitue pas le seul choix de Du Verdier dont il faudra tenir compte au moment de mesurer les pour et les contre de ces proto-répertoires. En effet la décision d’attribuer une notice non seulement aux traducteurs, mais aussi aux auteurs des livres traduits, et de terminer chaque section – chaque lettre de l’alphabet – par une liste de livres anonymes ou dont l’attribution est incertaine, aura des retombées positives sur le nombre de volumes qui finissent par entrer dans le filet du bibliographe. Ce qui s’avère particulièrement significatif pour un domaine spécifique, auquel il faudrait en vérité accorder beaucoup plus de place et sur lequel nous comptons revenir dans une prochaine étude : celui de la littérature hétérodoxe. Il est vrai que souvent la double mention peut avoir pour seul résultat le fait que l’information n’échappe probablement pas au lecteur. C’est le cas de la littérature hétérodoxe justement, d’un volume que l’on a longuement cru – jusqu’il y a une dizaine d’années – un livre fantôme ; un livre fantôme dont Du Verdier est resté jusqu’au xxe siècle un témoin d’exception: le Dialogue des deux natures de Christ de Pietro Martire Vermigli traduit par Claude de Kerkefinen et paru in 4o à Lyon chez Senneton en 156542. 40 L’Epistre de Bernardo Tasso occupe trois pages et demie (p. 121-124), et les deux extraits tirés des chapitres I et XII du Traicté de Piccolomini une page et demie (p. 97-98). Quant à la traduction de la Jérusalem délivrée par d’Avost, Du Verdier dit en avoir « extraict et mis icy le troisiesme [chant] tout du long – soit 17 pages ! – pour [lui] avoir semblé l’un des bons » (p. 1198-1214). Les traductions partielles de Piccolomini et Torquato Tasso sont signalées dans le répertoire de Jean Balsamo, Vito Castiglione Minischetti et Giovanni Dotoli, op. cit., aux p. 311 et 389. 41 « L’estensione del prontuario di Du Verdier è quasi doppia rispetto a quella del prontuario di La Croix du Maine, ma ciò dipende dall’avere il primo lardellato il volume con estratti dalle opere, con ampie citazioni poetiche, e con digressioni che spesso non posseggono alcun rapporto di necessità con le funzioni documentarie ed informative del repertorio ». Alfredo Serrai, Storia della bibliografia. III. Vicende ed ammaestramenti della ‘Historia literaria’, éd. par M. Cochetti, Roma, Bulzoni, 1991, p. 216. 42 «  Le Dialogue des deux natures de Christ, nous est demeuré jusqu’ici introuvable dans la traduction française de Kerquefinen. Nous donnons la référence d’après Du Verdier (I, 350) et Baudrier (Bibl. lyonnaise, VII, 436) ». Silvio F. Baridon, Claude de Kerquefinen italianisant et hérétique, Genève, Droz, 1954, p. 16. L’ouvrage était enregistré encore comme introuvable dans la plus récente bibliographie de Vermigli par John Patrick Donnelly (« There was almost certainly a French translation […] but it is not listed in the bibliography because no copy seems to have survived », A Bibliography of the Works of Peter Martyr Vermigli, Kirksville (Missouri), Sixteenth Century Journal Publishr Inc., 1990, p. XII), alors qu’on en trouve une référence dans l’article que Jason Zuidema a consacré à « Vermigli and French Reform » : « Until recently rediscovered in the Médiathèque of La Rochelle, France, Vermigli scholars had not found an existing copy of the

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La notice consacrée à l’auteur ne fait que reprendre très succinctement les trois données principales (auteur, titre, traducteur : « Pierre Martyr Vermilien Florentin […] Dialogue des deux natures de Christ traduit par Claude de Kerquifinen »)43, pour renvoyer ensuite à la notice principale, consacrée au traducteur : Claude de Kequifinen [sic] Parisien a traduit […] du latin de Pierre Martyr Dialogue des deux natures de Christ, auquel en premier lieu est enseigné comment elles s’assemblent et joignent en une seule personne inseparable de Christ, sans qu’elles perdent cependant leurs proprietez : et consequemment est prouvé que l’union personnelle ne fait point que la nature humaine de Christ soit par tout. [impr. à Lyon 4.o par Sennetons à la Salamandre 1565. Calvinique44.

Certes, le fait de déclarer ouvertement qu’il s’agit d’un livre qui a attiré l’attention de la censure, permet à Du Verdier de « mettre au rang des autres », comme il le dit, les livres contraires à la religion catholique. L’escamotage, d’ailleurs, n’est pas nouveau : quelques uns pourroyent dire, Pourquoy donques ont esté mis en ceste Bibliotheque les livres des Lutheriens et Calvinistes ja condamnez de la sainte mere Eglise catholique ? je leur demanderoye aussi volontiers, pourquoy sont imprimez les catalogues des livres defendus ? Ils me diront, À fin que les personnes sachent de quels livres ils se devront garder. Je les paieray de semblable raison et diray que je mentionne tels auteurs et livres, à fin que les Catholiques soyent advertis quels livres sont reprouvez et censurez pour les fuir : veu que plusieurs pour ne scavoir cecy inadvertamment achettent tels livres, pour les beaux tiltres qu’ils portent au front, dont ils se trouvent deceuz : mais lisans ceste Bibliotheque, ils scauront que sera de faire, estans tousjours par moy advertis quel est censuré45.

Or en réalité les livres ou les auteurs potentiellement dangereux ne sont pas tous signalés de manière tout à fait explicite : tel est le cas par exemple des Cent et une Considerations de Jean de Valdès (traduites par ailleurs à partir de la version italienne et non pas de l’original espagnol comme Du Verdier le déclare)46 ;

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French translation of Martyr’s dialogus. A French translation was known to have existed, but no copy had been found » (dans A Companion to Peter Martyr Vermigli, éd. par T. Kirby, E. Campi, F.A. James III, Leiden-Boston, Brill, 2009, p. 474). La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 1024. Ibid., p. 182-183. « Preface d’Antoine Du Verdier sur sa Bibliothèque », op. cit., p. xxvi. « Jean de Valdesso Secretaire du Roy de Naples, Cent considerations. Voyez Claude de Kerquifine. Charon et Mercure, Dialogues dudit Valdesso mis en françois par traducteur incertain  ». La Bibliotheque d’Antoine Du  Verdier, op.  cit., p.  759. «  Claude de Kequifinen Parisien a traduit d’Espaignol Cent et dix considerations divines. Autheur Jean de Valdesso. [impr. à Lyon 8o par Charles Pesnot, et à Paris 16. par Mathurin Prevost 1565. ». Ibid., p. 182. Le Dialogue de Mercure

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ou de Marcantonio Flaminio47 et d’Aonio Paleario48 ; ou encore d’auteurs comme Guglielmo Grataroli49, Antonio Brucioli50 e Gasparo Contarini51, qui, sans être for-

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et de Caron, que l’on a attribué à Jean De Valdès, a en réalité été écrit par son frère Alfonso. Ni Silvio F.  Baridon (op.  cit., p.  16), ni les répertoires de Paul Chavy (op.  cit., p.  1402) ou de Jean Balsamo, Vito Castiglione Minischetti et Giovanni Dotoli, (op. cit., p. 421-422) ne citent l’édition des Considerations par Charles Pesnot, mais, pour ce qui est des éditions lyonnaises, une édition par Claude Senneton de 1563 (qui, d’après le dernier répertoire, porte à la fin le nom de Jean d’Ogerolles), une édition par Jean Martin de 1565 et une dernière par Pierre Picard de 1601 (signalée seulement par Baridon). La Croix du Maine consacre une notice à Kerquefinen (erronément appelé Charles de Kinfernand, p.  45), mais il ne rappelle que sa traduction de I capricci del bottaio de Giovan Battista Gelli. « Anne de Marquets Religieuse à Poissy a traduit de Latin en vers François, Les diverses poësies de Marc Antoine Flamminius, contenans diverses prieres, meditations, hymnes, et actions de graces à Dieu. Plus l’hymne de S. Ambroise, et de S. Augustin. Avec plusieurs Sonnets et Cantiques ou Chansons spirituelles pour louer Dieu. [Impr. à Paris 8o. par Nicolas Chesneau 1569. ». La Bibliotheque d’Antoine Du  Verdier, op.  cit., p.  43. La Croix du Maine consacre également une notice à la religieuse : « Damoiselle tres-docte en Grec, Latin et François, natifve du Conté d’Eu au Vexin François, religieuse à Poissy, près S. Germain en Laye à 6. lieües de Paris. Elle a traduit de Latin en vers François, les poëmes sacrez du Poëte Flaminius imprimez à Paris. […] Elle florist à Poissy l’an 1584. ». Premier volume de la Bibliotheque du sieur de la Croix-Du Maine, op. cit., p. 10. Cf. P. Chavy, op. cit., p. 557. « Aonius Palearius, Voyez aux œuvres de Scevole de Saincte Marthe un chant de la providence de Dieu, tiré du Latin de cest autheur, et mis en beaux vers François ». La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 86. Le Chant premier de la Providence de Dieu. Tiré du Latin d’Aonien Paleare se trouve aux f. 56v-65r des Premieres œuvres de Scevole de Sainte-Marthe dont il a été déjà question à la note 16. Cf. P. Chavy, op. cit., p. 1056. « Guillaume Gratarol. Voyez Estienne Coppé » (La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p.  480) ; «  Estienne Coppé a traduict du latin de Guillaume Gratarol medecin de Bergamo, Deux livres des preceptes et moyens de recouvrer, augmenter et contregarder la memoire. Avec un œuvre singulier qui demonstre à facilement juger des mœurs et nature des hommes, selon la consideration des parties du corps. [impri. à Lyon 16. par Eustace Barricat, 1556 » (ibid., p. 278). Cf. P. Chavy, op. cit., p. 631. « Antoine Brucioli. Dialogues (en nombre 25.) sur certains poincts de la Philosophie naturelle, et choses Metheorologiques, traduits de l’Italien d’Antonio Brucioli en François par traducteur incertain. [Impr. à Lyon 4o par Guillaume Roville 1556. De l’office d’un capitaine. Voyez Trajan Paradin » (La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 51-52) ; « Trajan Paradin Secretaire de madame de Xainthes a traduit de l’Italien de Anthoine Bracioli [sic], Dialogue de l’office d’un Capitaine et chef d’armes. [imp. à Poitiers par Jean de Marnef 1551 » (ibid., p. 1184). La traduction du premier texte est due à Jean Poldo d’Albenas, comme les répertoires de Paul Chavy (p. 270) et de Jean Balsamo, Vito Castiglione Minischetti et Giovanni Dotoli, l’indiquent (p. 145). «  Gaspar Contarin. Des Magistrats et Republique de Venise. Voyez Jean Charrier  » (La Bibliotheque d’Antoine Du  Verdier, op.  cit., p.  440) ; «  Jean Charrier natif d’Apt en Provence, Secretaire de Monsieur Bertrand conseiller du Roy François premier en son privé conseil a traduict, Les cinq livres des Magistrats et Republique de Venise escripts en latin par Gaspar Contarin Gentil’homme Venitien, et despuis Cardinal. [impr. à Paris 8o. par Galiot du Pré 1544. » (ibid., p. 671). La Croix du Maine consacre aussi une notice au traducteur : « Jean Carrier ou Charrier natif d’Apt en Provence, Advocat du Roy au Parlement d’Aix en Provence, jadis secretaire de Monsieur Bertrand Conseiller du Roy en son privé Conseil, et President en sa Cour de Parlement à Paris, etc. Il a traduit de Latin en François les cinq livres de Gaspar Contaren ou Contarin gentilhomme Venitien, touchant les Magistrats et Republique des Venitiens, imprimez

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cément cités pour les œuvres qu’on a traditionnellement considérées comme les plus dangereuses, ne manquaient pas moins de sentir le fagot52. La présence, plus importante par rapport à La Croix du Maine, de textes ou d’auteurs hétérodoxes, est dans ce cas-là plutôt garantie, comme nous le disions, par le fait que Du Verdier attribue une notice tant aux traducteurs français qu’aux auteurs italiens traduits, ce qui fait que des livres d’écrivains censurés, comme L’image de l’Antechrist de Bernardino Ochino, dont le traducteur est inconnu, sont aussi englobés53. Par ailleurs, une mention est également garantie dans une section spécifique aux textes anonymes ou dont l’auteur est incertain. Et là en-

à Paris par Galiot du Pré l’an 1544. ». Premier volume de la Bibliotheque du sieur de la Croix-Du Maine, op. cit., p. 213-214. Cf. P. Chavy, op. cit., p. 381-382. 52 Pour quelques-uns d’entre eux la nature hétérodoxe ou sa négation émergeront d’ailleurs dans les notes qui accompagneront les textes des deux bibliographes dans la réédition mise au point au xviiie siècle par Rigoley de Juvigny : Les Bibliothéques Françoises de La Croix du Maine et de Du Verdier sieur de Vauprivas ; nouvelle édition, dédiée au Roi, Revue, corrigée et augmentée d’un Discours sur le Progrès des Lettres en France, et des Remarques Historiques, Critiques et Littéraires de M. de la Monnoye et de M. le Président Bouhier, de l’Académie Françoise ; de M. Falconet, de l’Académie des Belles-Lettres. Par M. Rigoley de Juvigny, Conseiller Honoraire au Parlement de Metz, À Paris, Chez Saillant et Nyon-Michel Lambert, M.DCC.LXXII.-M.DCC.LXXIII. Voilà quelques exemples : «  Jean de Valdesso […]. Ses Œuvres ont été condamnées non-seulement par les Catholiques, mais par les Protestans, à quelques-uns près, qui penchoient vers le parti des Anabaptistes et des Anti-Trinitaires. La lecture de ses Considérations, au sentiment de Bèze, Épîtres 4 et 59, est très-dangereuse  »  (t. IV, p.  527) ; «  Aonius Palearius […] Son Poëme, De l’Immortalité de l’ame, mérita les justes éloges de tous ses contemporains, mais ne le sauva pas des traits de l’envie et des persécutions de ses ennemis. On ne sait s’il avoit déplu à Pie V, mais ce Pape le fit arrêter à Milan, et conduire aux prisons de l’Inquisition de Rome, où, sur l’accusation intentée contre lui, d’avoir mal parlé de ce Tribunal, et dit du bien des Luthériens, il fut condamné à être brûlé, ce qui fut exécuté à Rome, en 1570  »  (t.  III, p.  150) ; «  Guillaume Gratarol […] quitta sa patrie pour suivre plus librement les nouvelles opinions, auxquelles il s’étoit livré, vint à Basle, d’où il passa à Marpourg, où il avoit été appelé pour professer la Médecine ; il n’y resta qu’un an, et revint à Basle, où il mourut, le 16 Avril 1568 » (t. IV, p. 85-86) ; « Gaspar Contarin […] Ce qu’on a dit d’un entretien que, peu de temps avant sa mort, il eut avec Bernardin Ochin, n’est fondé que sur ce qu’en a écrit Ochin lui-même, convaincu en cela de mensonge par Jérôme Muzio, f. 22, delle mentite Ochiniane, et par le Casa, p. 126 et 127 Vitæ Gasparis Contareni. Voy. les Mémoires de Niceron, Tom. XXII » (t. IV, p. 18-19). Voir, au sujet de la réédition de Rigoley de Juvigny, Hervé Campangne, « L’image de la Renaissance dans les Bibliothèques françoises “revues et corrigées” (1772-1773) », dans Les représentations du xvie siècle et de la Renaissance aux xviiie et xixe siècles, éd. par D. Masseau et J.-J. Tatin-Gourier, Cahiers d’histoire culturelle, t. XI, 2002, p.  9-19 et Bruna Conconi, «  Sulla riedizione settecentesca delle Bibliothèques françoises di La Croix du Maine et Du Verdier », dans Alla conquista della modernità. Studi sul Settecento in onore di Daniela Gallingani, éd. par R. Campi et A. Soncini, Bologne, I libri di Emil, 2018, p. 71-85. 53 «  Bernardin Occhin. L’image de l’Antechrist, composé en langue Italienne par Bernardin Occhin de Siene, translaté en François. Censuré ». La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 120. Le répertoire de Jean Balsamo, Vito Castiglione Minischetti et Giovanni Dotoli en signale trois éditions, toutes genevoises, toutes parues sans indication de lieu et d’éditeur : les deux premières chez Jean Girard en 1544 et 1545, la troisième chez Eustache Vignon en 1578, à la suite de l’Antithese des faicts de Jesus Christ et du Pape de Simon Du Rosier (op. cit., p. 314-315).

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core il s’agit de textes importants comme le Traité du Benefice du Christ54 ou la Tragedie du Roy franc-arbitre55. Sans compter les titres d’ouvrages dont l’identification est rendue plus difficile par le manque d’exemplaires localisés, comme des petits livrets in-16o, tels l’Epistre d’un Gentil-homme à un sien amy, contenant la perfection Chrestienne translatée de l’Italien en François par une dame qui ne se nomme point, « Censurée » et « impr[imée] à Tholose 16o par Thomas du Fert 1546. et à Lyon par Thibaut Payen 154956 ». Un butin significatif, tout compte fait, qui est loin de restituer fidèlement la spécificité et la complexité de l’univers hétérodoxe italien, certes, mais qui finissait quand même par informer en quelque sorte le lecteur français des ‘mouvements’ qui étaient en cours au-delà des Alpes, et par certifier ainsi l’existence d’une Réforme italienne destinée à survivre à l’échec incontestable de la Réforme en Italie. Or – et nous revenons ici à des considérations plus générales, qui touchent à toute la production italienne envisagée  – les retombées pour ainsi dire positives dues à la double présence, dans le catalogue de Du Verdier, de notices consacrées au traducteur et à l’auteur traduit, ne doivent pas nous conduire à des conclusions trop optimistes quant aux rapports de force liant France et Italie : attribuer une visibilité majeure à la culture italienne ne signifie pas forcément admettre de façon plus évidente son apport à la littérature française par le biais de la traduction. Le nombre d’œuvres enregistrées est une chose, leur considération en est une autre. Jamais, dans le texte de Du Verdier pas plus que dans celui de La Croix du Maine, il ne peut arriver au lecteur de douter de ce que Jean Balsamo nous a enseigné du temps des Rencontres des Muses :

54 « Traicté du Benefice de Jesus-Christ crucifié, envers les Chrestiens, traduict d’Italien. Ensemble la 16. homelie de S. Jean Chrysostome de la femme Cananée, traduicte de Grec. [Impr. à Lyon 16o. par Jean de Tournes. Censuré ». La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 135. « 1545 […] Première traduction française par Claude Le Maistre, du Trattato utilissimo del beneficio di Gieso Christo crocifisso, verso i Christiani (Venise, 1543) attribué à Benedetto da Mantova et revu par Marco Antonio Flaminio. […] Cette édition a subi la condamnation de la Faculté de Théologie de Paris, en 1547, tout comme l’édition italienne qui avait été condamnée en 1544, notamment par le frère Antonio Catarino Politi et en 1546, par le Concile de Trente ». J. Balsamo, V. Castiglione Minischetti, G. Dotoli, op.  cit., p.  125. Le même répertoire signale six autres éditions : Paris, Antoine Jurien, 1548 ; s.l., s.n., 1552 ; [Genève], [ Jacques Ier Berjon], 1552 ; Paris, Claude Micard, 1576 et 1577 ; Genève, Jacob Stoer, 1588. Cf. aussi le répertoire de Paul Chavy, op. cit., p. 164-165. 55 « Tragedie du Roy Franc Arbitre traduicte d’Italien. [Imp. par Jean Crespin 1558. Calvinique ». La Bibliotheque d’Antoine Du  Verdier, op.  cit., p.  1186. Le répertoire de Jean Balsamo, Vito Castiglione Minischetti et Giovanni Dotoli cite également une « contrefaçon normande de la marque à l’ancre de Crespin » de la pièce de Francesco Negri, parue à « Villefranche » l’année suivante (op. cit., p. 310). Cf. P. Chavy, op. cit., p. 1016. 56 La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 328. Cf. J. Balsamo, V. Castiglione Minischetti, G. Dotoli, op. cit., p. 201.

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bruna conconi les traductions ne reflétaient pas un désir d’Italie. L’élan qui les animait était certes fondé sur la conscience d’un manque et sans doute sur celui d’une faiblesse. Mais ne nous trompons pas : pour les contemporains de Henri III et de Henri IV, cette faiblesse n’était jamais conçue comme une faiblesse face à l’Italie, et s’ils comparaient le français à son rival italien, cette comparaison ne tournait jamais au désavantage de la France. Ils voulaient s’enrichir aux dépens de la nation voisine, non pas en suivre les modes. Lieu par excellence de l’italianisme, la traduction ne se justifiait pourtant que par l’œuvre française qu’elle proposait57.

Le ton général est d’ailleurs bien autre : Ce Gentilhomme Poictevin [ Jacques Yver] s’estant trouvé davanture en familier devis avec quelques Italiens lesquels mesprisans les esprits des François disoyent qu’ils ne vivoyent que d’emprunts couvans les œufs pondus par les autres, et se contentans bien d’aller mendier la mercerie d’autruy pour la raptasser et en faire après quelque monstre à leur nation, comme si affamez ils amassoyent les miettes qui tombent soubs la sumptueuse table de ces magnifiques : sentit son esprit si offencé que […] le sincere zele qu’il portoit à l’honneur de sa patrie luy donna envie et hardiesse de monstrer que nous ne sommes point plus steriles en belles inventions que les estrangers, et que nous avons bien dequoy recreer et soulager l’ennuy qu’apporte l’oysiveté par des discours naiz en France et habillez à la Françoise58.

Les preuves de la supériorité française sont avancées dès le début et elles sont tout d’abord d’ordre numérique. D’après La Croix du Maine, il y aurait plus de trois mille «  hommes doctes […] qui ont composé en icelle langue Françoise  » par rapport aux trois cents Italiens – « lesquels j’ay mis plustost en avant que les autres, pource qu’ils ont de tout temps flory aux lettres et aux armes » – qu’Anton Francesco Doni avait sélectionnés dans sa Libraria « depuis le temps que ces trois doctes hommes Florentins, Dante, Petrarque, et Bocace, florissoient (il y a 300. ans et plus) ». Et, continue-t-il toujours dans son Epistre au roi Henri III : si quelques-uns veulent dire, qu’il [Doni] n’a voulu faire mention que des plus excellents escrivains, et qu’il n’a pas parlé de ceux qui ont peu de reputation, je veux bien accorder qu’il en a passé beaucoup soubs silence. Mais prenons le cas que le nombre de ceux qu’il a obmis fust deux fois aussi grand que ceux dont il a parlé, le tout ne serait que de neuf cens, et c’est bien loing de trois mille, comme nous avons entre les nostres59.

57 Jean Balsamo, Les rencontres de Muses. Italianisme et anti-italianisme dans les Lettres françaises de la fin du xvie siècle, Genève-Paris, Slatkine, 1992, p. 94. 58 La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 628-629. 59 « Epistre au Tres-Chrestien Roy de France et de Polongne Henry III. du nom », dans Premier volume de la Bibliotheque du sieur de la Croix-Du Maine, op. cit., f. a2v-a3r.

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Mais ce n’est évidemment pas tout : la seule quantité ne peut suffire, vu l’importance de l’enjeu. D’un côté l’accent est alors mis sur ce qu’on appellerait aujourd’hui l’extrême contemporain, sur ces auteurs qui ont constitué pour la génération de La Croix du Maine et Du Verdier la preuve vivante du détrônement de l’Italie par la France en tant que « modèle d’une culture moderne, s’exprimant en une langue vernaculaire dont l’usage s’est imposé dans tous les domaines du savoir  ». Sur Ronsard, Belleau et Baïf par exemple : tous sortis presques en un mesme temps de l’escole de Jean Dorat comme du cheval Troyen (qu’on dit) et nez et donnez des cieux pour rendre nostre langue riche en termes, inventions et composition autant que pas une des autres vulgaires, voire plus que l’Italienne et l’Espaignole maintenant moindres que la nostre, qui les surpasse de beaucoup en grace, abondance de vocables, pluralité d’excellens Poëtes et diverses sortes de vers mesmes mesurez, que ce Bayf a courageusement osé approprier à icelle : que les Italiens ny les Espaignols ny autres vulgaires n’ont sceu parfaire. Mais afin que je ne semble vouloir icy faire office de harengueur et demonstrer ce qui est plus clair que le plein midy, Voicy le catalogue60…

D’un autre côté, avec la même systématicité, c’est au passé que l’on a recours pour prouver sa supériorité, comme le montre le passage tiré par Du Verdier du Proesme au Lecteur d’une source qu’aussi bien lui que son rival déclarent avoir exploitée, Les vies des plus célèbres et anciens Poètes Provençaux de Jean de Nostre-Dame (1577) : Le Cardinal Bembe en ses proses a escrit que les premiers poëtes rimeurs qui ont escrit en langue vulgaire, ont esté les Provençaux, et après eux les Tuscans : dit aussi qu’il n’est à douter que la langue Tuscane n’aye plustost pris la façon de rimer des Provençaux que de nulle autre nation. […] Mais dequoy ont enrichy leur langage, et pris leur[s] inventions Dante, Petrarque, Boccace et autres anciens Poëtes Tuscans, fors que des œuvres des poëtes Provençaux61 ?

Dans un bel article consacré au Moyen Âge d’Antoine Du  Verdier, Jean-Claude Arnould a récemment expliqué la présence significativement plus importante de la littérature d’oc par rapport au reste de la production médiévale comme une tentative de la part du bibliographe d’établir « une forme de continuité entre les textes médiévaux et les sources italiennes de la modernité littéraire  », ce qui aurait eu pour but d’atténuer l’opposition entre les ténèbres du Moyen Âge et les lumières du présent62. Les passages qu’il cite montrent toutefois, nous semble-t-il, que c’est 60 La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 638-639. 61 Ibid., p. 733-734. 62 Jean-Claude Arnould, « Le Moyen Âge d’Antoine Du Verdier », dans Accès aux textes médiévaux de la fin du Moyen Âge au xviiie siècle, éd. par M. Guéret-Laferté et C. Poulouin, Paris, Champion,

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à la lueur de la rivalité franco-italienne qu’il faudrait avant tout, et surtout, lire des affirmations telles que : « Petrarque a veu les œuvres de ce poete [Giraut de Bornelh], et en a bien faict son proffit63 ». Il y a pourtant un passage de l’étude de Jean-Claude Arnould qui nous semble aller dans la même direction, pour ainsi dire, que celle où nous mène l’analyse de la présence de la littérature italienne dans les Bibliothèques françoises. C’est lorsqu’il interprète le renvoi systématique aux éditions contemporaines des textes médiévaux de la part de Du Verdier comme une « opération d’apprivoisement » : « le caractère ancien des œuvres – écrit-il – est éclipsé par la mention de leur seule édition contemporaine. Recenser un texte à ce titre, c’est en quelque sorte occulter son appartenance aux temps obscurs et l’attirer vers la modernité humaniste du simple fait de son accession à la technique moderne de communication64 ». Or, une stratégie analogue nous semble concerner les traductions italiennes à propos desquelles il s’agit également de trouver un équilibre entre présent et passé, un équilibre entre deux forces opposées qui est peut-être atteint grâce à la politique éditoriale de la retraduction. Si la décision d’investir dans un produit déjà exploité indique, en effet, son succès « et surtout l’évolution même de la langue française, qui fait qu’en 1580, on ne peut plus lire une traduction rédigée avant 154065 », il est vrai aussi que cette pratique permet de ne pas effacer la tradition – le travail de ces auteurs « anciens de soixante ou septante ans auparavant, au quel temps les nostres estoyent assez lourds en leurs escrits66 » – tout en soulignant à la fois la supériorité des traductions contemporaines sur celles du passé. Ce qui constitue certes un trait distinctif par rapport au répertoire de Doni, à l’intérieur duquel « non c’è posto per tanta parte della produzione di libro volgare quattrocentesco67 » :

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2012, p. 169. La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 463. J.-C. Arnould, « Le Moyen Âge d’Antoine Du Verdier », art. cit., p. 168. J. Balsamo, « Les traductions de l’italien au xvie siècle », art. cit., p. 45. « Preface d’Antoine Du Verdier sur sa Bibliothèque », op. cit., p. XXIV. Amedeo Quondam, « La letteratura in tipografia », dans Letteratura italiana. Vol. II. Produzione e consumo, éd. par A. Asor Rosa, Torino, Einaudi, 1983, p. 623. Un trait distinctif sur lequel la critique n’a pas encore suffisamment réfléchi, exactement comme celui qui concerne la présence des auteurs « veduti a penna », aux ouvrages non encore imprimés, dans la Seconda Libraria del Doni – « un colossale nonsense bibliografico » regroupant « molti […] autori inventati, moltissimi […] titoli fittizi, ironici, paradossali » (ibid., p. 628) –, même si Jonathan David Bradbury a récemment remis en question la légitimité de l’opposition nette, traditionnellement avancée par la critique, entre la première Libraria (Venise, Giolito, 1550), « usually considered as a faithful guide », et la seconde (Venise, Marcolini, 1551), « characterised as a fiendish almanac, replete with falsehoods and red herrings ». Jonathan David Bradbury, « Anton Francesco Doni and His Librarie : Bibliographical Friend or Fiend », Forum for Modern Language Studies, t. XLV, 1, 2009, p. 90. Les points en commun et les écarts existant entre la Libraria et les deux Bibliothèques françaises ont été pris en examen par

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italianisme et traduction Antoine Le Maçon […] a traduit de Tuscan Le Decameron de Jean Boccace Florentin […]. Le mesme Decameron avoit esté traduit long temps au-paravant par un nommé Laurens de premier faict, mais telle traduction du vieil temps est de si peu de merite, que je croy que nul homme de bon esprit ne voudroit maintenant la regarder seulement par le tiltre : aussi qu’elle a pris telle fin que l’on pouvoit attendre d’elle, par ceste-cy qu’un tres-expert Maçon a si bien fondée et bastie, qu’elle n’est point pour se demolir ou ruiner à jamais. Les neuf livres de Jean Boccace traictans des nobles hommes et femmes malheureux et infortunez translatez de latin. [impr. à Paris f. par Michel le Noir 1515. Claude Witard en a fait une nouvelle version en bon langage […]. Boccace des dames de renom [impr. 4.o en vielle lettres et mauvais langage, et despuis bien traduicts à Lyon chez Guil. Roville 8o. Jean Chaperon dict le Lassé de Repos a reduit de langue Italique en François, Le Courtisan du comte Balthasar de Castigl[i]one auquel œuvre ordonné en quatre livres est conceuë l’Idée du parfait courtisan et les conditions d’iceluy vivement representées. [impr. à Paris 8. par Vincent Sertenas 1537. Gabr. Chapuis l’a traduit aussi de nouveau en meilleur langage68.

Ou s’agit-il d’un hasard si tant d’attention, donc tant d’espace est accordé aux traducteurs de la dernière génération, comme François de Belleforest, dont les œuvres et les traductions ont droit à environ 45 pages dans la Bibliothèque de Du Verdier ? Certes, des traducteurs comme Belleforest, Chappuys ou Jérôme d’Avost rentrent parmi les amitiés littéraires du bibliographe que Longeon est arrivé à établir à partir des pièces liminaires69 ; et ce sont La Croix du Maine et Du Verdier eux-mêmes qui admettent que les libraires figurent parmi les destinataires de leurs Bibliotheques françoises ; des libraires pour qui ces répertoires auraient pu bien s’avérer une forme de publicité des publications récentes ou annoncées. «  Ceux qui avoient des livres en leurs boutiques sans les pouvoir vendre, […] seront contraincts de les amasser bien soigneusement pour satisfaire à tant de personnes curieuses qui en demanderont », remarque La Croix du Maine, qui ne manque pas de faire référence au « profit que les Libraires resentiront pour la publication de ce [s]ien livre70  », alors que Du  Verdier arrive même à suggérer d’éventuelles traductions Roger Chartier dans un article consacré aux “Libraries without walls”, auquel nous renvoyons le lecteur (Representations, t. XLII, 1993, p. 38-52). 68 La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 72, 653, 671. 69 Claude Longeon, Les écrivains foréziens du xvie  siècle. Répertoire bio-bibliographique, SaintÉtienne, Centre d’études foréziennes, 1970, p. 306. 70 « Preface, ou Advertissement du sieur La Croix du Maine », op. cit., f. a8r. Ce qui a été justement souligné par Jean Balsamo et Michel Simonin dans l’introduction à leur édition du catalogue L’Angelier : « avec la Bibliothèque de La Croix du Maine, Abel L’Angelier, en même temps qu’il rivalisait avec Mamert Patisson, chez qui Fauchet avait édité son Recueil de l’origine de la langue et poésie françoise, inaugurait un domaine nouveau, l’inventaire de la production contemporaine, et il ajoutait ce que l’on pourrait assimiler à de la publicité rédactionnelle, servant à présenter les

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à mettre en lumière : « Je desireroy que quelque gentil esprit se meist à traduire les Comedies de Parabosco, qui sont belles, la Progné Tragedie, et le temple de la Renommée  » ; «  Innocent Ringhier […] Cinquante jeux divers […]. Il en reste encores autres cinquante à traduire : car il en a escrit cent. Le mesme Ringhier a escrit aussi un fort docte livre intitulé Il Sole, qui merite bien d’estre veu et mis en François » ; « Claude Gruget […] avoit desja bien avancé la traduction de ce grand œuvre de Blond Flave de Forly, comme aussi il avoit commencé de traduire par certaines heures desrobées l’institution des filles de Loys Domenichi […] et autres traductions, qui sont demeurées imparfaictes et partant inutiles si quelque gentil esprit de loisir n’y met la main71 ». Il n’y a aucune preuve démontrant que la Croix du Maine et Du Verdier aient agi pour le compte des libraires, si les éditeurs constituent pour eux « quegli che l[i] possono comandare », comme cela avait été le cas pour La Libraria d’Anton Francesco Doni72 ; il est pourtant indéniable que de nouveaux rapports entre auteur et éditeur émergent entre les lignes des deux Bibliotheques françoises73. Pour Claude Longeon, d’ailleurs, la médiocrité « admirablement partagée » des deux biblio-

premières richesses de son fonds ». Jean Balsamo et Michel Simonin, Abel L’Angelier et Françoise Louvain (1574-1620). Suivi du Catalogue des ouvrages publiés par Abel L’Angelier (1574-1610) et la veuve L’Angelier (1610-1620), Genève, Droz, 2002, p. 103-104. 71 La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 463, 762, 180-181. 72 «  A i lettori  », dans La Libraria del Doni fiorentino ; Nella quale sono scritti tutti gli Autori volgari, con cento discorsi sopra quelli ; Tutte le tradottioni fatte dall’altre lingue, nella nostra, et una tavola generale, come si costuma fra Librari. Opera utile à ciascuno che si diletta della lingua volgare, et che desidera fornire uno studio di libri, composti in essa lingua ; Di nuovo ristampata, et aggiuntivi tutti i libri volgari posti in luce da trenta anni in quà, et levatone fuori tutti gli Autori, et libri prohibiti, In Vinegia, Presso Altobello Salicato, MDLXXX, f. 6v. C’est bien l’édition que La Croix du Maine dit avoir eue entre les mains, alors qu’il semble ignorer les éditions qui s’étaient succédé depuis 1550 : « Antoine François Dony Florentin, lequel a mis en lumiere un sien œuvre qu’il a intitulé la Librarie, c’est à dire le Catalogue des livres Italiens, anciens et modernes, qu’il a fait imprimer depuis quatre ans en çà, sçavoir est en l’an de salut 1580 ». « Epistre au TresChrestien Roy de France et de Polongne Henry III. du nom », op. cit., f. a2v. À partir des études d’Amedeo Quondam sur la Libraria – « costruita in rapporto diretto (per conto, probabilmente) di due degli editori di più forte spicco culturale, nel panorama di metà Cinquecento » (op. cit., p. 623) – la critique a beaucoup insisté sur les rapports très étroits liant le répertoire italien aux libraires Giolito e Marcolini. Cf. par exemple Patrizia Pellizzari, « “Per dar cognizione di tutti i libri stampati vulgari” : La Libraria del Doni », dans Nascita della storiografia e organizzazione dei saperi (Atti del Convegno internazionale di studi, Torino, 20-22 maggio 2009), éd. par E. Mattioda, Firenze, Olschki, 2010, p. 47 et Giordano Castellani, « “Non tutto ma di tutto” : La Libraria del Doni », La Bibliofilia, t. CXIV, 3, 2012, p. 329. 73 Sur la « prégnance du langage et des conceptions économiques dans le discours qu’il [Du Verdier] tient sur les livres », voir Jean-Claude Arnould, « L’imaginaire du livre et de la bibliothèque dans les Bibliothèques françaises de Du Verdier et de La Croix du Maine », Littératures classiques, t. LXVI, 2008, p. 56 et suiv.

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graphes ne serait que le reflet d’un rang social subordonné : « leur condition les condamnait à la médiocrité74 ». Or, encore une fois – et nous en venons ainsi aux conclusions – nous voudrions considérer cette limite comme une opportunité. C’est justement le lien ‘mercenaire’ qui les unit aux libraires, qui permet à La Croix du Maine et Du  Verdier non seulement de saisir – au-delà des rapports de force franco-italiens dont il a été question plus haut – l’existence de nouveaux rapports de force liant les acteurs principaux du marché libraire, mais surtout de les légitimer : comme cela arrive pour le grand Belleforest, « caressé des Princes comme aussi aymé de la Noblesse, et porté de tous les vertueux de ce Royaume : mais si bas de fortune, qu’il n’y a eu que le contentement de l’estude qui l’aye nourri et le travail de sa main et de son esprit, benys et soubstenus de la grace divine, qui ont porté les affaires de sa maison75 ». Belleforest, « qui de ses doctes labeurs a eu bien peu ou rien : aussi ne suyvoit-il point importunement les talons des grands seigneurs, demeurant sans intermission occupé à l’escriture, comme fait Chapuis qui n’en bouge76 ». « Vivre de sa plume au xvie siècle77 » : une nouvelle génération de passeurs de textes, « attachés aux libraires et rémunérés à la tâche », pour qui la traduction n’est ni « un loisir lettré » ni « des exercices préparatoires à une écriture personnelle » – on aura reconnu dans ces mots le portrait-robot que Jean Balsamo a dressé de ces nouveaux professionnels des lettres dans son introduction au répertoire des traductions de l’italien en français au xvie siècle paru en 200978 – une nouvelle génération de passeurs de textes fait son apparition… Il y a presque vingt ans, Francesco Erspamer, dans son introduction au deuxième livre des Lettres de Pierre l’Arétin, réfléchissait sur le rôle joué par un autre type de répertoires – ceux d’Érasme, Jean Tixier de Révisy, Henri Corneille Agrippa ou Antonio de Guevara – ; des répertoires grâce auxquels une récupération parallèle, indirecte, fragmentaire et souvent non déclarée des Anciens avait eu lieu. En faisant alors référence aux nombreux polygraphes qui avaient fait un usage systématique de telles « scorciatoie » (de tels raccourcis), Erspamer observait que, bien qu’énormes, les effets d’une telle approche, non seulement sur

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C. Longeon, « Antoine Du Verdier et François Grudé de la Croix du Maine », art. cit., p. 214-215. La Bibliotheque d’Antoine Du Verdier, op. cit., p. 367. Ibid., p. 430. Michel Simonin, Vivre de sa plume au xvie siècle ou la carrière de François de Belleforest, Genève, Droz, 1992. 78 J. Balsamo, « Les traductions de l’italien au xvie siècle », art. cit., p. 35 et 37.

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les producteurs de la littérature, mais aussi sur ses consommateurs, restaient un domaine important à défricher79. Certes, au cours des vingt dernières années beaucoup a été fait sur cette nouvelle figure d’intellectuel qu’est le polygraphe : une preuve en est le beau volume consacré à Gabriel Simeoni paru dans le cadre d’editef à la fin de 2016 sous la direction de Silvia D’Amico et de Catherine Magnien-Simonin80. Le bibliographe reste, quant à lui, «  une source primordiale d’information –  à manipuler avec les précautions d’usage  », selon l’heureuse formule de JeanClaude Arnould81. Voilà pourquoi il nous a semblé qu’il valait la peine d’y consacrer quelques réflexions.

79 « È uno dei maggiori meriti della recente ricerca storica e letteraria italiana sul Rinascimento quello di aver individuato un “secondo Umanesimo” cinquecentesco, che attraverso scorciatoie quali i repertori di Erasmo, Jean Tixier de Révisy, Cornelio Agrippa di Nettesheim, Antonio de Guevara, consentì a numerosi autori, per lo più poligrafi strettamente legati all’industria tipografica, un recupero indiretto, antologico e spesso non dichiarato, della classicità. Gli effetti di un simile approccio, non solo sui produttori di letteratura ma anche sui suoi fruitori, furono enormi, e non sono stati ancora sufficientemente studiati  », Francesco Erspamer, « Introduzione », dans Pietro Aretino, Lettere. Libro secondo, Parma, Ugo Guanda Editore, 1998, p. xxi-xxii. 80 Gabriele Simeoni (1509-1570 ?). Un Florentin en France entre princes et libraires, éd. par S. D’Amico et C. Magnien-Simonin, Genève, Droz, 2016. 81 J.-C. Arnould, « Le Moyen Âge d’Antoine Du Verdier », art. cit., p. 156.

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« Una lingua che gli italiani riuscirono a imporre » L’amour pour la langue italienne : imitation, traduction, autotraduction Elisa Gregori

Université de Padoue

Si d’une part, l’intérêt et la diffusion de la langue, de la littérature et de la culture italiennes dans la France de la Renaissance sont désormais des éléments acquis dans l’histoire littéraire, il s’agit, d’autre part, de phénomènes riches et complexes qui nous réservent encore de nombreux sujets à exploiter. La diffusion du livre italien, l’amour pour la langue italienne, se déclinent à travers l’admiration et l’imitation des poètes italiens, l’écriture en italien, la traduction et l’autotraduction. La diffusion du livre italien en France et en Europe au xvie siècle est surprenante et la critique a déjà souligné les causes historiques, politiques, culturelles, sociales et littéraires qui sont à la base de cet intérêt. Lionello Sozzi1 a retracé toute une lignée d’érudits qui ont détaillé l’histoire de cette attitude, de Picot2 à Franco Simone3 en passant par Jean Balsamo4 qui parle d’une « France malade d’Italie » où « la langue italienne était un signe de distinction »5, comme l’écrit Sozzi : un siècle qui a connu la pénétration la plus large, en France, des mœurs italiennes, de la culture italienne […] qui a admiré la poésie de Pétrarque ou la

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Lionello Sozzi, Rome n’est plus Rome : la polémique anti-italienne et autres essais sur la Renaissance. Suivis de « La dignité de l’homme », Paris, Champion, 2002. Émile Picot, Les Français italianisants, Paris, Champion, 1906-1907. Voir du même auteur Les Italiens en France au xvie siècle, Bordeaux, Imprimerie Gouhouillon, 1918, réimprimé en 1995 par N. Ordine, Manziana, Vecchiarelli. Franco Simone, « Il Petrarca e la cultura francese », Studi francesi, t. XIV, 1970, p. 201-205 et 403417. Jean Balsamo, Les rencontres des Muses. Italianisme et anti-italianisme en France dans les Lettres française de la fin du xvie siècle, Genève-Paris, Slatkine, 1992. Jean Balsamo nous rappelle que « célébré en termes pétrarquiens par Alamanni, François Ier avait lui-même lu et traduit Pétrarque. Son exemplaire, relié pour sa bibliothèque personnelle, est connu », id.,« Note sur le Pétrarque de Henri III », dans Henri III mécène des arts, des sciences et des lettres, éd. par I. de Conihout, J.-F. Maillard, G. Poirier, Paris, Presses de l’université ParisSorbonne, 2006, p. 249-253, ici p. 252. Je signale le livre de Joseph Vianey, Le pétrarquisme en France au xvie siècle, Genève, Slatkine Reprints, 1969.

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elisa gregori prose de Boccace comme des modèles dignes d’être suivis, qui s’est ouvert aux courants de pensées venant de Padoue ou de Florence.6

Carlo Dionisotti, à qui j’ai emprunté une partie du titre de mon intervention, rappelle que se è vero che per virtù propria i grandi scrittori italiani, da Dante, Petrarca e Boccaccio a Machiavelli, Ariosto e Tasso, imposero le loro opere all’attenzione dell’Europa umanistica, è però anche vero che al successo contribuì in modo decisivo il fatto che le loro opere erano scritte in una lingua che ai primi del Cinquecento gli Italiani riuscirono a imporre, dopo lunga discussione e con uno sforzo critico ponderoso e nuovo, a se stessi prima e all’Europa poi, come lingua letteraria, nell’umanistico senso della parola, terza accanto alle due lingue classiche, il latino e il greco. […] la diffusione larga e la sorprendente efficacia che durante il Cinquecento ebbero in Europa anche libri italiani di mediocre e men che mediocre valore, è segno che il difetto individuale era compensato dal pregio generale in cui era tenuta ormai qualunque cosa fosse scritta in lingua italiana7.

L’envers de cette médaille est bien connu : « la haine suit l’amour »8. Les moyens de diffusion des livres italiens sont nombreux, les textes peuvent circuler en langue italienne ou traduits grâce à des traducteurs prolifiques comme Gabriel Chappuys9 6 7 8 9

L. Sozzi, « La polémique anti-italienne en France au xvie siècle », Atti dell’Accademia di Scienze di Torino, 106, 1972, p. 99-160, ici p. 198. Carlo Dionisotti, «  La lingua italiana da Venezia all’Europa  », dans Rinascimento europeo e Rinascimento veneziano, éd. par V. Branca, Florence, Sansoni, 1967, p. 1-10, ici p. 9. L. Sozzi, Rome n’est plus Rome, op.cit., p. 17. Gabriel Chappuys est un des traducteurs les plus productifs de la Renaissance. Je voudrais ici signaler ses traductions d’ouvrages religieux italiens qui nous font comprendre la rapide diffusion de ces textes. « Grâce aux traducteurs, le trésor de savoir légué par les Anciens ou transmis par les modernes italiens a réussi à atteindre […] un public qui se recrute dans de couches sociales fort diverses  », en effet, un des champs d’activité majeur est celui des traductions de textes bibliques, mystiques et religieux. Jean Delumeau affirme que le succès du livre religieux est une des caractéristiques de l’époque et Massimo Firpo écrit que « È noto che la serrata discussione sulla questione della lingua e il definitivo affermarsi del volgare nell’Italia della prima metà del Cinquecento si verificarono sullo sfondo della crisi religiosa che al di qua delle Alpi vide una larga diffusione delle dottrine protestanti. Tra le prime istanze dei riformatori figurava la rievangelizzazione e l’esigenza di rendere la parola di Dio accessibile a tutti anche agli umili e agli incolti come teorizzò apertamente Brucioli nel presentare a François Ier il suo volgarizzamento edito a Venezia nel 1532 ». Dans ce domaine deux figures sont les plus représentatives : Francesco Panigarola et Cornelio Musso que Fleury dans son Histoire écclesiastique définit comme « l’un des plus grands prédicateurs de son siècle ». Jean Balsamo qui nous rappelle que « après 1600, ce furent les ouvrages religieux, les manuels de spiritualité pratique, l’éloquence sacrée, les relations des missionnaires jésuites en Orient qui formèrent l’essentiel de ce que l’on importait d’Italie. Dans une abondante littérature de prédication, les œuvres de Panigarola, largement diffusées par les traductions de Chappuys dans les années 1585, restaient le point cardinal d’un modèle d’éloquence tridentine enrichie par la subtile variété des œuvres d’Inchino, Caracciolo, de Mazzarini  ». Si «  la littérature spirituelle d’importation a, de fait, la part du lion  » comme

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et d’autres, ou à des Italiens qui, en raison d’événements politiques ou économiques, se trouvent au-delà des Alpes et traduisent, écrivent en italien ; c’est le cas de Gabriello Simeoni qui affirme que La purità e la dolcezza della lingua Toscana pare che sia di presente salita in tanto pregio [che] i letterari stranieri l’ammirano, et […] ne i loro scritti cercano d’imitarla et in somma non si trova natione a cui non piaccia quasi ogni opera composta più tosto in Toscano, che in altra lingua: la quale cosa cognosco io essere ogni dì più vera nel fare stampare et mandare fuora i miei libri.

a écrit Michel de Certau – en effet elle a été diffusé en traduction par le même Chappuys, par Matthieu, Frizon et Jacques Berson peu après la publication italienne de ces livres – elle circulait aussi en langue italienne. L’un des plus célèbres prédicateurs de l’époque Francesco Panigarola, prêchait à Paris en italien et un grand nombre de personnes accourait, preuve tangible que le but de la rhétorique tridentine (comme nous le rappelle Balsamo « les traductions n’introduisaient pas en France, telle quelle, la spiritualité tridentine, reçue avec réticence, mais elles donnaient des modèles d’éloquence sacrée adaptée en termes nationaux ») était le movere plus que le docere. Dans son livre au sujet de Cicéron et Sénèque dans la rhétorique de la Renaissance, Christian Mouchel compare cet effet au sublime dont le but « n’est pas de persuader mais de jeter l’auditeur hors de lui-même dans un irrésistible rapport d’admiration […]. C’était l’éloquence de Cicéron, qui entraînait progressivement mais non moins irrésistiblement son auditoire par les effets conjugués de l’abondance et de l’ornementation  ». Georges Pacard dans son invective contre Panigarola (L’Antipanigarole ou la réponse à la première partie des leçons de François Panigarole milanois de 1597) affirme qu’il est si bon rhétoricien qu’il peut «  persuader que le noir est blanc, et que le mensonge est vérité ». En ce qui concerne la diffusion de ses livres, Panigarola rapporte dans une lettre de 1591 une observation très intéressante « vengo di Francia ove non solo per tutte le librerie ho trovato tradotto questo mio libro [il s’agit de Leçons catholiques sur les doctrines de l’Église] in francese, inglese, tedesco ma per quello che spetta al francese l’ho trovato il più frequente libro che sia colà in somiglianti materie  ». Le corpus de sermons, de traités et de livres religieux qui circulaient en italien et en traduction (de l’italien mais aussi de l’espagnol et certaines fois de l’espagnol via l’italien) représente un patrimoine riche, un genre littéraire à part. Giovanni Pozzi qualifiait cet ensemble « uno dei generi letterari più insidiosi per la complessità ed eterogeneità dei suoi aspetti come per la fissità della sua tradizione  » qui n’a pas été encore été exploré dans sa totalité et qui nous fera comprendre les implications politiques et religieuses derrière sa diffusion. Il faudrait étudier ces traductions religieuses à côté des traductions des traités politiques (d’ailleurs Chappuys traduit dans un même temps la Ragion di Stato de Botero et la Méthode de servir Dieu d’Alfonse de Madrid) et examiner les implications littéraires et linguistiques, les italianismes et l’influence de ces textes sur la littérature et la poésie religieuse contemporaine (je pense par exemple aux Théorèmes spirituels de Jean de La Ceppède). Comme l’a écrit Gianfranco Folena, ab origine, « lo sviluppo delle lingue e letterature romanze e prediche volgari sono elementi fortemente intrecciati ». En ce qui concerne Chappuys traducteur d’ouvrages religieux – celui que Tiraboschi dans son Storia della Letteratura italiana définit comme « il più gran traduttore/volgarizzatore della spiritualità » – il se donne la tâche de n’être que « le truchement » de « l’élégance, la clarté d’expression et le style oratoire des grands prédicateurs italiens qui pouvaient servir de modèle hors de leur frontière » et il contribue à la diffusion de tout ce patrimoine qui correspond à l’intérêt politique de la Cour en ce moment (c’est encore Balsamo qui nous rappelle qu’ « Homme à tout faire des lettres, Chappuys avait su se plier au service qu’on lui demandait. Ses goûts personnels étaient de peu d’importance »). Tout ceci nous permet de comprendre qu’il existe une diffusion à double voie de ce genre de livres italiens qui circulaient en traduction et en langue originale à l’écrit et à l’oral.

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Si, comme nous le rappelle Jean Balsamo, « la traduction fut le moyen par excellence du rapport qu’ils [les Français] entretenait avec l’Italie »,10, nous avons aussi de précieux témoignages en langue italienne. À côté des translations et d’une florissante production en langue française inspirée de la poésie de Pétrarque et de ses émules, on découvre une riche création en langue italienne (il s’agit de brèves compositions, stances, sonnets, pièces liminaires ou des recueils) de compositions qui répondent au désir d’apprendre une langue qui véhicule des modèles littéraires et culturels, ayant une valeur politique et symbolique. Je n’évoquerai ici que trois écrivains, mais à partir des études d’Émile Picot, nous savons très bien que la production en langue italienne fut très riche, aussi bien en vers – de Gilles Ménage à Claude de Pontoux, de Pierre de Mesmes à Claude Turin, de Marguerite de Navarre à Louise Labé – qu’en prose, l’exemple le plus célèbre étant le Journal de voyage en Italie de Montaigne11 ; ces témoignages nous permettent de comprendre la diffusion de certains livres et auteurs italiens en 10 Jean Balsamo, « Traduire de l’italien. Ambitions sociales et contraintes éditoriales à la fin du xvie siècle », dans Traduire et adapter à la Renaissance, éd. par D. de Courcelles, Paris, École des chartes, 1998, p. 89-98, ici p. 89. 11 Le livre de Jean Zuallart Le Devotissimo viaggio di Ierusalemme, (Rome, 1587) – récit de voyage écrit en italien, moins connu que le journal de Montaigne  – témoigne de la conscience de l’importance de cette langue à la Renaissance dans tous les secteurs : de la littérature à la culture, de la politique au commerce. Dans la lettre de dédicace à Duarte Farnèse, fils d’Alessandro, duc de Parme, Zuallart (d’Ath en Hainaut), déclare avoir écrit cette relation en italien: « un sì nobile sogetto trattata con pochissima eloquenza, ardire di metterla in luce, massimamente questa ch’è stata accelerata in sì poco tempo et in grandissime incommodità, e quel che più mi preme, che habbi preso la penna per scrivere in una lingua della quale sono al tutto novo, non essendo a pena dieciotto mesi che son venuto in Italia per impararla. Nondimeno mi son lasciato addurre da chi m’amava di mandarla così per servitio d’altrui e per essere, la lingua più commune che si parla in questo santo viaggio ». Donc notre voyageur-pèlerin choisit l’italien en tant qu’instrument préférentiel de transmission. Il arrive en Italie à Rome en tant que précepteur de Philippe de Mérode, baron de Frentzen qui décide de faire le pèlerinage de terre Sainte. Ils partent en 1586 et le récit de voyage sera publié en 1587 par Francesco Zanetti et Giovanni Ruffinelli à Rome. La fortune éditoriale du livre est due en grande partie aux illustrations qui l’accompagnent. Le pèlerinage aura une réimpression en 1595 chez Domenico Basa, vénitien transplanté à Rome et qui avait travaillé avec Zanetti. Notre auteur a même été accusé d’avoir plagié le récit d’un voyageur qui était avec eux et qui était mort pendant le retour. Polémique mise-à-part, le livre de Zuallart en langue italienne a circulé et a été lu attentivement de certains voyageurs comme le moine toulousain Henri Castela qui utilise des passages du récit de Zuallart, ou Nicolas de Hault qui déclare ouvertement avoir profité de l’ouvrage de Zuallart (d’ailleurs la reprise plus ou moins avouée est une des caractéristique de la littérature de voyage) ; c’est Zuallart lui-même qui en propose une édition française qu’il publie à Anvers en 1608, toutefois des traductions latines et allemandes ont déjà paru en 1606. Le récit est mentionné dans l’édition de Feyerabend Reyssenbuch dess heyligen Lands […] de 1609. L’autotraduction française qui a transformé le livre « d’un baedeker avant la lettre à un ouvrage lourd » comme l’écrit Luigia Zilli, (« Un voyage en Terre Sainte : Jean Zuallart et Natale Bonifacio », Perspectives. Revue de l’Université Hébraïque de Jérusalem, t. II, 1995, p. 170-188, ici p. 170), a contribué à la disparition de la connaissance de son auteur.

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France. L’assimilation d’ouvrages de Pétrarque et des pétrarquistes, comme l’écrit Gisèle Matthieu-Castellani, décroît au cours des années12 et nous permet de suivre le succès de ces œuvres imitées de célèbres modèles italiens ainsi que leur parabole et le changement du rapport avec la langue et la culture italienne. Le témoignage le plus remarquable de l’amour porté à la langue italienne, est incarné par trois chansonniers, emblématiques de périodes différentes pour la diffusion de la langue italienne en France. Odet de La Noue13, Pierre Bricard et Claude-Gaspard Bachet ont écrit de véritables Canzonieri. Ces textes nous permettent d’étudier la complexité du phénomène de l’écriture en langue italienne en raison d’intérêts et de besoins différents, une culture qui est inspirée par Pétrarque mais qui puise ses sources dans toute la tradition littéraire italienne. On retrouve, en lisant ces textes, des topoï et des images récurrentes (un amour à première vue, une série d’obstacles interposés, un poète qui souffre et se désespère) ; l’usage compétent (jeux sémantiques, hyperboles, oxymorons) d’une « lingua altra », expression de sentiments, de thématiques et de motivations différentes. Ces recueils s’inspirent du grand modèle italien du pétrarquisme mais l’assument de manière différente. À propos du canzoniere de Bricard – qui était à Padoue à la fin du xvie siècle (1590) et qui en chantant son amour pour une jeune et noble padouane nous restitue l’atmosphère du moment et la vie des étudiants étrangers à Padoue –, Balsamo écrit qu’« il illustrait dans la Floridea, une sorte de pétrarquisme absolu, et en italien ; mais son recueil datant des années padouanes de l’auteur et tardivement publié à Paris, était totalement étranger à son expérience »14. L’érudit Bachet écrit son chansonnier en suivant les pas de Pétrarque, mais à côté des stances et des sonnets inspirés par le poète italien et son séjour à Vaucluse, il insère des pièces religieuses, une églogue pour la Nativité, des sonnets dédiés à San Lorenzo et des traductions-imitations des premiers livres de l’Énéide en faussant donc le code primaire du Canzoniere comme recueil des vers d’amour dédié à une seule femme. Le cas du soldat Odet de La Noue est différent puisqu’il écrit son ouvrage, Le prime rime di Odetto della Nua, pendant sa captivité à Tournai. 12 « Pétrarque s’éloigne progressivement, et avec lui le pétrarquisme authentique, puisé à la source, tandis que ne subsistent plus que des traces communes, de “manières de dire”, des clichés : thèmes, motifs, schèmes rhétoriques, stéréotypes lexicaux sont alors plus pétrarquistes que pétrarquiens  » ; Gisèle Matthieu-Castellani, «  Les enfants de Pétrarque  », dans Dynamique d’une expansion culturelle : Pétrarque en Europe xive-xxe siècle, éd. par P. Blanc, Paris, Champion, 2001, p. 623-642. 13 Je me permets de renvoyer à mes éditions : Elisa Gregori, Scrittori francesi in lingua italiana. i. Odet de La Noue, Padova, Cleup, 2012 ; ead., Scrittori francesi in lingua italiana. ii. Pierre Bricard, Padoue, Cleup, 2013 ; ead., Scrittori francesi in lingua italiana. ii. Claude-Gaspard Bachet, Padova, Cleup, 2013. 14 La citation est tirée de J. Balsamo, Les rencontres des Muses., op. cit., p. 245.

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Le chansonnier de Pierre Bricard15 publié à Paris en 1601, est le plus volumineux de notre corpus et comprend 156 sonnets, 8 madrigaux, 2 chansons, des épigrammes en latin et un sonnet en langue française. Il est conservé en plusieurs exemplaires à la Bibliothèque Mazarine à Paris, à Dijon et Lyon, une copie se trouve à la British Library et un autre exemplaire à la Newberry Library de Chicago. Ce qu’on comprend en lisant ce recueil divisé en deux parties – la Floridea se présente avec en soustitre « Prima parte »16, qui fait revivre l’amour non partagé du poète, du narrateur le fedele ardo17 et de la belle Flori – est que la composition est sûrement padouane, que le sujet, les thématiques sont pétrarquistes et que l’édition et la diffusion du livre sont françaises. Bricard démontre qu’il a bien lu son Pétrarque, il en utilise les thématiques. Les sujets empruntés sont ceux de la poésie italienne qui a déjà été assimilée par les poètes français et la langue18, ses choix stylistiques et lexicaux, rappellent un écrivain qui tient son Pétrarque ouvert sous les yeux, sur sa table pendant l’écriture du recueil. Son ami, François de Louvencourt, juge digne de Pétrarque l’épreuve de Bricard, car il a parfaitement imité son modèle en peignant son amie aux « occhi belli […] al biondo crine ». Le jeune Ardo est esclave de cet amour et en subit « le strale », « i dardi ». Le « je » lyrique est tourmenté par l’amour et la mort, il vit entre le désir et la défaite « l’hore, li mesi et l’anni ». L’écriture de ce chansonnier en italien est un très bon exercice linguistique19 et un moyen de guérir ses souffrances, de « portar la pena del vostro errore » ; l’écrivain est toujours à la merci de ses sentiments, déchiré entre l’amour et la haine, la résignation et la colère, la douleur et l’espérance, ces émotions contradictoires lui permettent de supporter le « duro giogo » de l’amour non partagé.

15 La plupart de notices biographiques sur Bricard sont déduites de ses œuvres. Il est né en Bourgogne en 1570 et il arrive à Padoue, étape incontournable pour les études en droit, en 1587, il reste en Italie dix ans. Voir Giuliana Toso Rodinis, Il petrarchismo di Pierre Bricard, scolaro francese a Padova, Venise, Istituto Veneto di Scienze, Lettere e Arti, 1972 ; Marzia Malinverni, « Pierre Bricard e Petrarca », dans Les poètes de la Renaissance et Pétrarque, éd. par J. Balsamo, Genève, Droz, 2004, p. 471-490 et Claude-Enoch Virey, Vers itineraires Allant de France en Italie. 1592. Allant de Venise à Rome. 1593, éd. par A. Bettoni, Paris, Société des Textes Français modernes, 1999. 16 L’auteur voulait peut-être écrire une seconde partie, en France, en imitant la division entre poèmes en vie et poèmes en mort comme dans le Canzoniere. 17 Ardo est le diminutif de Bricardo, le poète écrit son nom en acrostiche au sonnet LXIIII du recueil. 18 Ce recueil de Bricard est le moins correct de notre corpus pour ce qui concerne la métrique et la syntaxe. Il accentue de manière irrégulière des vers et il a des difficultés avec les accents des mots en rime, par exemple il utilise « allori/ morì », « cantò / pianto » et on note des irrégularités dans l’utilisation de la morphologie verbale, on lit « tienni/ tienne » ou « nasciuto », « puniendo/ scacciendo » et de gallicismes « vienne / mettra ». 19 Ce chansonnier est le plus vaste du corpus et le moins correctement écrit, Bricard a des difficultés à maîtriser les vers italiens, les accents et la morphologie verbale.

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À partir du sonnet qui ouvre le recueil, où on lit « raccolgo mie’ sospiri al vento sparsi », les pas du poète français suivent de près ceux de Pétrarque ; on trouve par exemple des expressions comme « fatto schiavo di madonna », « chi me vede solo, pensoso e stanco » ou encore « Zefiri lenti spiravanle intorno » ; « benedetto il giorno » devient dans les vers de Bricard « maledico il giorno ». Souvent Bricard compare sa plume au « penel roto » et se compare lui-même au peintre qui décrit le « biondo crine » et le « costume onesto ». L’auteur utilise d’autres allégories du chansonnier de Pétrarque comme celle du cerf ou du « porto del desire ». Comme l’a écrit Marzia Malinverni, l’ouvrage de Bricard représente un témoignage important « il poeta borgognone ha letto Petrarca, lo ha imitato, acclimatato in un secolo e in una moda letteraria, quella dei canzonieri francesi […] difficilmente in Bricard si coglie la separazione tra materia biografica, stilizzazione poetica e prestiti dal Canzoniere20 ». Le fidèle Bricard, à travers son désir plus charnel que spirituel, son souhait de réaliser et vivre cet amour, sa volonté de cueillir la rose se révèle plus disciple de Ronsard que de Pétrarque lorsqu’il écrit : Se miro una rosa bella et fiorita al spuntar del sole s’aprir il seno, poi nel suo calar sfarsi qual fieno secco et su la siepe restar sfiorita, un subito pensier mirar m’invita coe sono sparte dal viso sereno le rose et gli gigli et venuta meno in un volger d’occhi beltà infinita, all’hor dico tra me, ch’amar me giova? Che strugermi amando poi ch’è sì frale la rosa ch’è chiusa di tante spine? Pur penso già che vien in posta il fien oscuro di questa vita mortale, felice chi la morte amando trova21.

Claude-Gaspard Bachet est né à Bourg-en-Bresse en 1581. Il étudie en Italie et séjourne à Rome avec Claude de Vaugelas. Hommes de lettres (il écrit avec son frère Guillaume des poésies en latins et en français)22, il est aussi traducteur. Estimé par 20 M. Malinverni, « Pierre Bricard e Petrarca », art. cit., p. 489-490. 21 Pierre Bricard, sonnet XXXI, éd. par E. Gregori, op. cit., p. 49. Voir aussi les sonnets XLII et XLVIII. 22 Chansons spirituelles et dévotes sur toute les principales fêtes de l’année, et sur autres divers sujets, composées nouvellement par Guillaume et Claude-Gaspard Bachet, frères, Lyon, Jean Lautret, 1618.

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Descartes et ami de François de Sales, il a été un des premiers membres de la naissante Académie française ; son discours d’acceptation, lu par Vaugelas, est un traité De la traduction23 encore très actuel. Bachet publie ses Rime toscane en 1616 (une réimpression paraîtra en 1626 ; en 1716 le chansonnier est édité avec le Commentaire sur les epistres d’Ovide du même auteur). Il s’agit d’un recueil bref, composé de 24 sonnets, trois chansons et d’imitations des vers de l’Énéide, un livre qui ressemble plus à un recueil d’exercices dans une autre langue qu’à un chansonnier « inteso come aggregazione coordinata e coerente di rime per mano dell’autore su una trama a volte appena accennata, altre più sviluppata24 ». On est sans doute en présence d’un hommage au poète italien du Canzoniere et des Trionfi. L’ouvrage est divisé en trois sections : dans la première partie, le poète nous raconte son histoire d’amour, son désir, l’amour non partagé et la sublimation de son immense douleur ; la seconde partie s’ouvre sur une églogue pour la Nativité de Jésus et trois chapitres inspirés par les visions des Trionfi. Le trait d’union entre les deux parties est constitué de stances sur la vanité du monde, redevables des vers du poète d’Arezzo et de sa chanson à l’Italie25. Dans le troisième volet, Bachet insère des traductions, des imitations de l’Éneide de Virgile. Ce recueil n’est donc pas un hommage exclusif au Canzoniere, même si Bachet dédie explicitement certains sonnets à la chambre de Pétrarque à Vaucluse «  O gentile cameretta, ove più volte / con sommo moi piacer mi fu concesso / mirar colei che m’invola a me stesso / e tien dal ciel tutte le gratie accolte26 » et « al fonte aventuroso ». C’est un ouvrage très correct où l’on retrouve un imaginaire pétrarquiste riche et des citations explicites comme « lento e tardo » ou « la dura sorte », ou encore « Zefiro dolce, al cui spirar io sento » ; des expressions comme « il mirar l’altero viso », les yeux comme « porte fallaci del suo cuore », un cœur esclave d’une femme aux cheveux d’or, « le labra apersi /Per isfogare il moi acerbo

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Bachet de Méziriac publie en 1612 Problèmes plaisants et délectables, qui se font par les nombres : partie recueillie de divers auteurs, et inventés de nouveau avec leur démonstration, par Claude gaspard Bachet, sieur de Méziriac. Très utiles pour toutes sortes de personnages curieuses, qui se servent d’Arithmètique, Lyon, chez Pierre Rigaud. En 1621 il publie les Diophanti Alexandrini Arithmeticorum libri Sex […] ; une Vie d’Æsope, l’Amaltheum poeticum, Les epistres d’Ovide et les Commentaires sur Plutarque. Édition moderne de Claude-Gaspard Bachet, De la traduction, Arras, Artois Presses Université, 1998, tiré de la publication Menagiana de Gilles Ménage, Paris, F. Delaulne, 1715, I, p. 411-460. Stefano Carrai, « Tra Canzoniere e “Liber Carminum”: due modelli per la raccolta di rime in età rinascimentale », dans Liber, Fragmenta, Libellus prima e dopo Petrarca. In ricordo di D’Arco Silvio Avalle, éd. par F. Lo Monaco, L. C. Rossi, N. Scaffai, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2006, p. 251-260, ici p. 251. Francesco Petrarca, Rerum vulgarium fragmenta 128, op. cit., p. 616-630. Bachet dédie une chanson à sa patrie « Tu, Francia mia », in E. Gregori, op. cit., p. 40. Ibid., p. 25 et p. 33.

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dolore » mais aussi des indications temporaires : « I’vo contando spesso i giorni e l’hore/ E parmi ogni momento mesi e anni ». Un divertissement qui témoigne d’un amour pour la poésie et la langue italienne, une anthologie, celle de Bachet, où on peut lire : Poiché ’l destino, e la mia dura sorte mi condusse a mirar l’altero viso e le due luci nate in Paradiso, dolci de miei pensier fedeli scorte, per gl’occhi del mio cor fallaci porte, entrò nell’alma amore, ove si fiso scolpì ’l bel volto e l’angelico riso, che torre non potralli indi la morte; però se non mi manca ingegno od arte potrò ritrarre (o donna mia gentile) questa alta idea con dir polito e bello e adoprar, pingendo in queste carte, invece di colori, un vago stile e la mia penna in guisa di pennello27.

Le cas le plus intéressant est le recueil d’Odet de La Noue28. Jeune soldat aux côtés de son père, le plus célèbre François, ayant échappé à la captivité à Ingelmoster, Odet est finalement arrêté le 21 décembre 1584, emmené à Gand, puis à Tournai, par les troupes au service d’Alessandro Farnèse. Pendant sa captivité, qui s’achève en 1591, outre Le prime Rime di Odetto della Nua, il écrit un Paradoxe que les adversitez sont plus necessaires que les prosperitez et qu’entre toute l’estat d’une estroitte prison est le plus doux et le plus proffitable, par le seigneur de Téligny, ouvrage qui serait publié à Lyon en 1588, ainsi que L’Uranie, ou nouveau recueil des Chansons spirituelles et chrestiennes29 et les Poésies chrestiennes de Messire Odet de La Noue. L’écriture était l’un des moyens pour passer le temps dont ses lettres témoignent : « Je passe le temps ou plûtost le temps me passe en estudiant, qui est mon seul, 27 Voir E. Gregori, Claude-Gaspard Bachet, op. cit., p. 4. 28 De nombreuses études ont été dédiées à François et Odet de La Noue, je ne signale ici que l’article de Pierre Marechegay, « Deux lettres d’Odet de La Noue à Henri IV (1596) » Bulletin Société de l’Histoire du Protestantisme français, 1883, p. 401-407 et Gustave Cohen, Écrivains français en Hollande dans la première moitié du xviie siècle, Paris, Champion, 1920 et Émile Haag, La France protestante, Paris, Joël Charbuliez, 1856. Voir aussi l’article de Guy Pourtalès, « Odet de La Noue, poète et soldat huguenot de la fin du xvie siècle », Bulletin Société de l’Histoire du Protestantisme français, 1918, p. 81-111 et p. 280-305. 29 Genève, 1591.

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mais suffisant plaisir ». C’est son père qui lui suggère d’étudier l’italien : « Mon père me mande que j’apprenne la langue italienne », peut-être parce que son fils se trouvait prisonnier des troupes italiennes au service du Duc de Parme, ou dans l’espoir que cet exercice devienne un agréable passe-temps (Stendhal écrira plus tard « Quand je parle milanais, j’oublie que les hommes sont méchants »)30. Flamini écrit que « difficilmente La Noue si sarebbe indotto a comporre tutto un canzoniere in italiano, se non fosse vissuto al tempo di Enrico III, in mezzo al fanatismo che conosciamo, per tutto cià che venisse dalla nostra nazione31 ». Le gouverneur du château de Tournay32 est l’italien Matteo Corvini33, excellent soldat et amateur d’art, autour duquel se réunit une cour de soldats-poètes qui aiment les arts, les lettres et la musique. Antonio Corvini, frère présumé de Matteo, devient le mentor de notre poète-prisonnier et lui apprend la langue italienne en échangeant avec lui des vers en italien. Une fois de plus, le Canzoniere de Pétrarque devient, comme écrit Balsamo, un « simple manuel de bien dire », un recueil qu’on utilise pour apprendre la langue et pour la conception an-historique dans laquelle étaient alors considérées les lettres italiennes, fondées sur une langue de convention, dont l’apprentissage passait par la lecture des Rime et l’exercice de la poésie […] Pétrarque à cet égard était le meilleur des modèles, mais il fallait imiter son langage et non sa poésie, surtout au moment où les prestiges du pétrarquisme étaient remis en question en France même34.

30 La citation est tirée de Stendhal, Voyage en Italie, éd. par V. Del Litto, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1973, p. 375. 31 Voir Francesco Flamini, « Le prime Rime di Odetto della Nua e l’italianismo in Francia al tempo di Enrico III », id., Studi di storia e letteratura straniera, Livourne, Tipografia Giusti, 1895, p. 341381, ici p. 381. 32 Fils de Marguerite de Parme, demi-sœur de Philippe II, nommé gouverneur des Pays-Bas en 1578 jusqu’à sa mort en 1592 est : « prince de Parme, est une des grandes figures dans l’histoire du xvie siècle. Tant par son génie militaire que par son habilité diplomatique, il dépasse de loin la plupart de ses contemporains. Dans l’histoire des Pays-Bas, il fut le gouverneur général meilleur et le plus sympathique que Philippe  II envoya en ces provinces  », dans Léon van der Essen, Alexandre Farnèse, prince de Parme, gouverneur général des Pays-Bas, Bruxelles, Librairie national d’art et d’histoire, 1933, t. I-V, ici t. I, p. XIII. Il « honora Tournai de sa résidence ordinaire » liton dans Jean-Baptiste Christyn, Les délices des Pays-Bas contenant la description de xvii provinces, Bruxelles, chez François Foppens, 1770, t. I-III. 33 « Ce seigneur étoit d’un mérite particulier; il excelloit dans les Beaux-Arts, possédoit la musique, étoit fort éloquent et aimoit la poésie. Ses belles qualités lui acquirent beaucoup de réputation et d’estime en plusieurs ambassades qu’il fit pour le roi et pour leurs altesses l’Archiduc Albert et l’Infante Isabelle […] envoié par Philippe II pour féliciter le roi de France pour son mariage, il le fit par un discours si poli que le roi en fut charmé », Histoire de la ville de Tournai, capitale des Nerviens et premier siège de la monarchie françoyse, La Haye, Moetjens Libraire, 1750, 2 vol., ici vol. 2, p. 686. On n’a pas de notices biographiques précises, il mourut à la fin de 1611. 34 J. Balsamo, Les poètes français de la Renaissance et Pétrarque, Genève, Droz, 2004, p. 14-15.

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Le manuscrit de notre soldat « contiene un gruzzolo di poesie toscane recanti la didascalia in fronte Le prime Rime di Odetto della Nua; alle quali ne tengon dietro parecchie del Corvini, o su diversi argomenti o al signor Téligny35 ». Il s’agit en effet d’un petit manuscrit de 140  folios, conservé aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France (ms 1640), réparti en trois sections. Il inclut les poésies d’Odet, celles d’Antonio Corvini, et des vers de Corvini dédiés à Monsieur de Téligny. Odet de La Noue écrit 30 sonnets, 6 chapitres, 2 madrigaux et des stances, « l’histoire de la poésie amoureuse se confond presque avec celle de la petite société polie et mondaine, pour laquelle elle est composée »36. Dans l’ensemble du chansonnier d’Odet on retrouve des sujets et des expressions récurrentes dans la poésie amoureuse ainsi que des expressions et des vers qui renvoient à Pétrarque, telle la femme qui « in beltà l’altre avanza », a « begl’occhi », « occhi albergo dell’amore », une femme qu’il rêve « di servirla beato fin ch’io muoia » ; ou encore « disiato frutto », « parole accorte », « felice giogo », « dolce pena [ou] dolci pene », « dolce sguardo », « dolce pregione ». Il possède des dettes linguistiques et stylistiques avec le Rerum vulgarium fragmenta37, le « rime petrose » et la Commedia de Dante38. De La Noue connaît donc la poésie amoureuse et la poésie protestante de son temps ; il écrit des « capitoli », il a donc vraisemblablement lu le poème d’Arioste, ses Satire et le Tasse39. Est-ce qu’Odet possédait une copie du Canzoniere ? On ne peut pas l’affirmer40, mais on peut supposer qu’il y avait au moins une copie du chansonnier de Pétrarque en italien au château41. Si Corvini lui avait donné un Pétrarque pour apprendre la langue ita35 Les citations sont tirées de F. Flamini, « Le prime Rime di Odetto della Nua… », art.cit., p. 371. 36 Voir Gisèle Mathieu-Castellani, Les thèmes amoureux dans la poésie française (1570-1600), Paris, Klincksieck, 1975, p. 210. En lisant ce chansonnier, on se rend compte que les deux auteurs se réfèrent parfois à des personnages connus et à des événements impliquant la vie de la petite cour au château. Voir le sonnet Già fu una lancia incantata qui est à mon avis dédié à Philippe de Maldeghem, traducteur de Pétrarque en rime françoise (1600), voir E. Gregori, Odet de La Noue, op. cit., p. XXXVIII-XXXIX et p. 69. 37 Francesco Petrarca, Canzonierei, éd. par M. Santagata, Milano, Mondadori, 1996. 38 Dante Alighieri, Commedia, éd. par A. M. Chiavacci-Leonardi, Milano, Mondadori, 1991 et Dante Alighieri, Rime, éd. par C. Giunta, dans Opere, Milano, Mondadori, 2011, p. 5-740. 39 Voir L’Arioste et le Tasse en France au xvie siècle, éd. par R. Gorris Camos, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 2003. 40 Malheureusement nous n’avons pas la liste de livres qu’Odet possédait à Tournay. 41 Henri Hauser nous rappelle que François de La Noue possédait dans sa bibliothèque l’Évangile, les Pères de l’Église (Paul et Augustin), il a lu Calvin, Xénophon, Thucydide, Salluste, Tite-Live et Plutarque ; il lisait les italiens : « J’ay autrefois prins un singulier plaisir à lire les discours et le Prince de Machiavel ». À ce propos il faudrait accomplir une étude qui pourrait être complémentaire au volume très intéressant : Nicole Bingen et Renaud Adam, Lectures italiennes dans les pays wallons à la première modernité (1530-1600), Turnhout, Brepols, 2015, sur les bibliothèques des troupes d’Alessandro Farnèse. Il serait intéressant de retrouver dans des lettres, des inventaires ou des archives privées des listes d’objets que les soldats portaient avec eux, afin de comprendre

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lienne, il n’avait certainement pas donné à Odet les anthologies pétrarquisantes qu’il utilisait. En effet le canzoniere de Corvini est composé par des pièces qui appartiennent à d’autres auteurs italiens, par exemple Varchi, Gradenigo, Tansillo, Amalteo, Molza, Ariosto, ainsi qu’à Annibal Caro dont Corvini change l’interjection d’un sonnet dédié à Molza : « Ô illustre Odetto »42. Il copie également un sonnet de Domenico Venier « Non punse, arse, ò legò stral, fiamma o laccio » qui inspire à Odet les vers « Per forza, per inganno, in guerra, in pace43 ». Corvini possède et utilise l’une des nombreuses anthologies de poésie amoureuse qu’on publiait à l’époque et qui circulaient en France. L’admiration qu’Odet lui témoigne en le traitant de maître sublime, à qui vont toutes ses louanges pour ses beaux vers, nous fait comprendre que notre prisonnier ne reconnaît pas les vers plagiés. Ce chansonnier oblige le lecteur à des allées et venues entre les poèmes d’Odet et ceux de Corvini. La Noue détaille des faits biographiques44 comme son arrestation, il divague sur son amour malheureux pour Marie « Io sono degli amanti il più infelice »45 et sur la fin de sa captivité ; il est le seul de nos trois auteurs qui réfléchit sur la langue italienne et sur sa difficulté : Ben che qualcun con raggione m’accusa che in versi io son troppo intricato e duro e uso parole che giamai non furo io penso ancora esser degno di scusa. Quel primo honor della Toscana Musa, chi nel sermone è stimato più puro, si vede spesso difficile e oscuro e voci puoco usate assai volte usa, Ma egli ‘l fa bene e in tempo e con dissegno, io’l fo pur male e ancor per ignoranza, si che tal scusa non mi giova niente. In tutto anor non ne son però indegno che perdonare a quello ogn’un’ha usanza, chi pensando far bene, fa altramente46.

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s’il y avait des livres et lesquels ; cette recherche à côté des études déjà entrepris, ferait avancer notre connaissance de la diffusion du livre et de l’édition italienne dans les pays francophones à l’époque. Voir E. Gregori, Odet de La Noue, op. cit., p. 221, il s’agit du sonnet italien Non punse, arse, legò stral, fiamma o laccio et p. 119 le sonnet de Caro Qui giace il Molza, a sì gran nome sorga. Ibid., p. 22. Ibid., p. 38 et 42. Ibid., p. 88. Ibid., p. 18.

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Son chansonnier, même si en le lisant « sorridi degli sforzi che fa l’autore per riprodurre il suono della lira amorosa del Petrarca »47, témoigne d’un moment historique précis durant lequel la langue italienne et ses modèles littéraires ont une valeur immense. On peut penser que pour Odet écrire en italien représente plus qu’une occasion d’apprendre une langue ; le répertoire pétrarquiste lui fournit une certaine liberté, la possibilité d’écrire en vers et de raconter dans une langue autre l’exubérance de sa jeunesse, l’insouciance, la prison d’amour avec ses douces peines, ce qu’il ne peut pas exprimer dans ses poésies chrétiennes. L’amour peut être raconté seulement à travers la langue italienne, « la lingua di cui si vanta Amore » comme disait Milton, ou comme a l’écrit Philippe Berthier à propos de l’italien de Stendhal, la langue des « convocations de l’érotique »48. Pour Claude-Gaspard Bachet, au contraire, il s’agit de s’exercer dans une langue qui est encore à la page ; il écrit un divertissement en langue italienne pour se mesurer à lui-même et à ses amis, peut-être même à François de Sales, qui, à propos de l’usage de la langue italienne, dans une lettre, priait d’« escusar il nostro italiano francesato, francese italianato49 ». Pierre Bricard était convaincu que la composition en langue italienne pouvait apporter la gloire en approchant son nom de celui du grand poète italien qu’il imagine « Felice à l’ombra assiso ». Ces chansonniers représentent donc le témoignage de l’influence durable de Pétrarque et de toute la poésie italienne à partir du Stil Novo, une poétique diffusée et assimilée avec ses thèmes, ses termes, ses situations figées et parfois paradoxales, un patrimoine d’images qui atteste de la survivance d’une tradition, réelle ou littéraire (je pense à la réflexion de Folena au sujet du « pallor della viola50 »), qui se perpétue. Folena souligne que le petrarchismo, come fatto non solo formale e non solo letterario, ma morale, religioso, politico, sia un fenomeno non soltanto italiano ma europeo e mondiale, e che esso abbia le sue radici nella lettura e nella translatio e imitatio Petrarcae, e particolarmente nelle Rime e nei Trionfi, è un fatto ben noto a tutti. Tutta la storia della poesia europea è intersecata sempre, sia pure in momenti diversi per le lingue poetiche, da questa traiettoria, e gli inizi di molte letterature nazionali son legati proprio alla trasmissione interlinguistica di questi elementi metrici e stilistici e di modelli sentimentali e morali. Dopo l’alba trobadorica, il Petrarca rappresenta probabilmente il momento e il legame più unitario nella formazione e nello svolgimento di 47 48 49 50

M. Malinverni, « Pierre Bricard e Petrarca », art. cit., p. 489. Philippe Berthier, Stendhal et la Sainte famille, Genève, Droz, 1983, p. 176. Œuvres de Saint François de Sales… : Lettres, vol. 11, Annecy, J. Niérat, 1900, p. 2. Gianfranco Folena, « Il pallor della viola », Lingua Nostra, t. X, 4, 1949. Pour l’édition moderne voir : Ivano Paccagnella, Lingua nostra, Rome, Carocci, 2015, p. 42-47.

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elisa gregori tutte le lingue poetiche europee, oltre che in quello della cultura letteraria e filologica latina. È una storia che comincia già prima della morte di Petrarca e si continua ininterrotta fino a oggi51.

En lisant ces exercices d’écriture en italien, on peut alors retracer la diffusion de certains auteurs et de leurs ouvrages en France. On peut encore une fois faire appel à Stendhal, pour qui l’utilisation d’une langue différente de la sienne est liée au moment, aux « vingt-quatre heures », à la contingence, au besoin de l’instant afin de « pénétrer une identité inconnue, s’absenter de la sienne. Ouvrir des horizons et brouiller les pistes » ; Suivre ces éditions italiennes et leurs sources nous aidera probablement à rassembler tous les morceaux et en trouver de nouveaux pour comprendre « un disegno più ampio e complesso52 ».

51 Gianfranco Folena, « Premessa », dans Traduzione e tradizione letteraria del Petrarca (Atti del terzo convegno sui problemi della traduzione letteraria), Padoue, Antenore, 1975, p. 1-3, ici p. 2. 52 Furio Brugnolo, La lingua di cui si vanta Amore, Scrittori stranieri in lingua italiana dal Medioevo al Novecento, Rome, Carocci, 2009, p. 10.

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Les Lettere de Claudio Tolomei dans la traduction « argentée » de Pierre Vidal Riccardo Benedettini Université de Vérone

Le 12 mai 1544 l’humaniste et diplomate siennois Claudio Tolomei évoque, dans une lettre à son ami Giovanni Battista Grimaldi (qu’il avait connu à Rome en 1543 et auquel il va dédier, en 1544, ses Due orazioni in lingua toscana. Accusa contra Leon Secretario, di secreti riuelati. Difesa, un ouvrage édité à Parma, chez Seth Viotti, en 1547), sa crainte envers les imprimeurs qui, alléchés par de tous petits gains, mettent sous presse toute œuvre qui tombe entre leurs mains : « questa ingordigia de gli stampatori mi fa paura ; perché non prima s’allarga cosa alcuna o bella o sozza ch’ella sia, ch’essi allettati da ogni picciol guadagno, la pongono in istampa ». Cette lettre est présentée au début du recueil De le Lettere di Claudio Tolomei, chef-d’œuvre du genre épistolaire et dont la première édition paraît à Venise, chez Giolito, en 15471. Cette œuvre –  qui veut sans doute fournir un modèle normatif du genre épistolaire et une réflexion sur le style à adopter –, repose sur une construction en sept livres, à l’intérieur desquels la disposition des lettres change selon les éditions, va-et-vient interne redoublé par des bouleversements chronologiques radicaux, des oscillations qui ne concerneront jamais ce début adressé au cardinal Grimaldi. La critique aux imprimeurs était déjà au centre d’une lettre adressée par Tolomei au même destinataire, lettre datée du 25 mai 1543, mais placée bien avant dans la 1

Notre édition de référence est fournie par l’exemplaire de la bibliothèque de la Scuola normale Superiore de Pise, De le lettere di M. Claudio Tolomei lib. sette, con una breve dichiarazione in fine di tutto l’ordin de l’ortografia di questa opera. Con privilegio del Sommo Pontefice de la Cesarea Maf. del Senato Veneto e del Duca di Fiorenza, in Vinegia appresso Gabriel Giolito de Ferrari, MDXLVII (coll. 730 Cicognara T653). Nous avons aussi consulté les exemplaires (éd. 1549, 1554, 1558, 1566) de la Bibliothèque d’État de Lucques (coll. BIC29 ; BID17 ; BID19). Sur Claudio Tolomei, voir Luigi Sbaragli, Claudio Tolomei, umanista senese del Cinquecento. La vita e le opere, Sienne, Accademia per le arti e per le lettere, 1939 (réimpression anastatique, introduction de Luigi Oliveto, avec une note de Vittorio Sgarbi, Florence, Olschki, 2016). Voir aussi Benedetto Croce, Claudio Tolomei. Le lettere, dans Poeti e scrittori del pieno e del tardo Rinascimento, 2 tomes, Bari, Laterza, 1958², t. II, p. 65-73.

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perspective du recueil, exemple de rupture de la continuité narrative d’un texte qui déstructure le temps : « Eccola [une lettre] hora in man de li stampatori li quali io fuggo come la mala ventura » (f. 28v ; « Voici une lettre maintenant entre les mains des imprimeurs que je fuis comme un malheur »). Dans ce cas, l’intérêt de Tolomei est celui d’une divulgation au seul usage du destinataire : « Se l’havevate cara, era ben, che come cosa cara, non si divolgasse. Se vi dispiaceva, era gran cortesia, per non mi disonorar, tenerla non pur segreta, ma sepolta ». À l’origine de la lettre est le secret, avec sa double fonction de mise à l’écart – l’écriture d’une lettre est comparée aux douleurs de l’enfantement, « Questo parto m’ha dato maggior fastidio, che non fanno i figliuoli a le madri, quando elle gli partoriscono » –, et de volonté de voir clair, de distinguer (au sens étymologique de séparer, diviser) le couple écrivain/lecteur du peuple : Che se ben son cose volgari, non vorrei già per ciò farmi favola del volgo, il qual con vanità disidera, loda con sciocchezza, saziasi con fastidio, vitupera con furore, e in nissuna parte mostra mai né saldo giudizio, né risoluta fermezza.

D’ailleurs, c’est la nature secrète de la lettre qui permet une liberté d’expression que l’on peut aisément repérer dans le proverbe « che la lettera non s’arrossisce, né si vergogna  » (ce qui signifie en proverbe commun «  que la lettre ne rougit point, ni à honte »), comme le noble Tolomei l’écrit de Rome le 20 août 1543 à Frate Sebastiano Luciano. La lettre en soi, et la lettre comme élément constitutif du recueil épistolaire qui en est issu, répond à un ensemble de codes : elle appelle une lecture isolée qui seulement dans un deuxième temps favorise le regroupement et sa diffusion, sous la forme d’un corpus unifiant (ce qui au xviiie siècle, siècle épistolier par excellence, fera état de romans et de romanesque)2. Une prudence toute particulière s’impose donc pour l’évêque Tolomei quant à la diffusion de ses lettres vulgaires, prudence que nous saisissons déjà à partir de la première lettre que l’on a mentionnée et dans laquelle le secrétaire du cardinal Hippolyte de Médicis décrit la motivation qui l’a poussé à dénier ses lettres au génois Grimaldi (« c’havendomi con tanta gentilezza domandate alcune de le mie lettere 2

Sur le genre épistolaire, voir : Luc Vaillancourt, La Lettre familière au xvie  siècle. Rhétorique humaniste de l’épistolaire, Paris, Champion, 2003 ; Françoise Simonet-Tenant, « Aperçu historique de l’écriture épistolaire : du social à l’intime », Le français aujourd’hui, t. CXLVII, 2004, p. 3542 ; Magda Campanini, In forma di lettere. La finzione epistolare in Francia dal Rinascimento al Classicismo, Venise, Supernova, 2011. Voir aussi le projet Archilet - Reti epistolari (Archivio delle corrispondenze letterarie di età moderna. Secoli XVI-XVII), en ligne sur : , consulté le 02/04/2020. Sur l’art des secrétaires, voir « Il segretario è come un angelo ». Trattati, raccolte epistolari, vite paradigmatiche, ovvero come essere un buon segretario nel Rinascimento, éd. par R. Gorris Camos, Fasano, Schena editore, 2008.

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volgari, […] sono stato così villano, che ve l’ho negate », 8nn.) et qui l’a retardé à mettre ses œuvres en lumière (« ne la luce del mondo ») : « … tra molte cagioni la principale è stata il conoscer la debilezza mia, e’l merito vostro » (8nn.). De même, Tolomei rappelle au vertueux Grimaldi (les deux sont membres de l’« Accademia della Virtù » et, comme Tolomei l’écrit dans une lettre du 23 mai 1543, « la voie de la vertu. Laquelle seule est connue et exercée par vous ») la nécessité de ne pas montrer ses écrits (qu’il définit comme sciocchezze, ciancie, c’est-à-dire des sottises, des potins) à la vue des hommes, en les gardant en une perpetuelle obscurité (« elle son più degne di tenebre, che di lume », 9nn.) : son écriture doit être polie, corrigée, ornée car sa mise en page a été pénible comme, écrit-il, l’accouchement difficile d’une ourse (« In tal guisa, che se alcun parto mai si vede di me uscire, non altro par certamente, che quel de l’orsa, scomposto, imperfetto, senza grazia, senza forma. Ma l’orsa leccando il suo a poco a poco lo riduce a la sua natural perfezzione. Io per lo contrario abbandonando il mio, e schifandolo, lo lasso sempre non sol senza forma, ma senza spirito e senza vita ») ou, et c’est ici une image que l’on retrouvera à propos des imitations ou traductions, comme la peinture d’un tableau ou les architectures des maisons. C’est pourquoi Tolomei critique les imprimeurs qui trop souvent éditent des œuvres contre le consentement et le vouloir de leurs auteurs : « E certamente è cosa mal fatta, e degna d’esser corretta, che si stampino l’opere altrui senza il consentimento, e spesso contra il voler de loro autori ». Dans cette optique, cette communication se concentrera sur deux thèmes. Le premier concerne le recueil de Tolomei et sa traduction française en tant qu’objet textuel : le livre, ses réalisateurs, sa réception. Le second concerne la réflexion de Tolomei sur la traduction, qui a aussi une valeur de formation, un cadre dans lequel il faut situer cette version française et qui permettra de s’interroger sur le rapport entre connaissances italiennes et informations présentées en France par le traducteur et ses éditeurs. Les espitres vulgaires Cette dimension esthétique de l’écriture n’est certes pas à négliger, et nous verrons qu’elle constituera une importante matrice stylistique même pour la traduction d’un recueil épistolaire qui est loin de rester secret, comme sa fortune éditoriale le prouve : 18  éditions entre 1547 et 1829 (parmi les imprimeurs, je rappelle la princeps de Giolito en 1547 et ses nombreuses rééditions en 1549, 1550, 1553, 1554, 1555, 1558, 1565 ; Venezia, Giordano Ziletti, 1556 ; Venezia, de’ Nicolini 1559, 1560 ; Nicolo Bevilacqua 1563 ; Venezia, Fabio e Agostino Zoppini, 1581 ; Domenico Giglio, 1558, 1566 ; Venezia, Altobello Salicato, 1572 ; Venezia, Stamperia del Bonelli, 1575, 1576 ; Venezia, Iacomo Cornetti, 1585 ; Venezia, Giovanni Griffio, 1589 ; Venezia, appresso 127

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i Guerra, 1596 ; Venezia, Giovanni Alberti, 1607 ; Fermo, per Giuseppe Alessandro Paccasassi, 1781 ; Napoli, tipi del R. Albergo de’ Poveri, 1829, par les soins de Paolo Sanchez, à Naples en deux volumes ; Bari, Petruzzelli, 1844 ; Siena, Lazzeri, 1868). Mais surtout, c’est la nature volgare (au sens de langue vernaculaire) que l’on peut aisément repérer dans cette anthologie organisée par Tolomei, où l’index selon le destinataire et l’argument est sans aucun doute établi pour favoriser la consultation de la part du lecteur. D’une part, ces lettres – écrites de Rome, de Saint Silvestre aux monts Tusculans, de Bologne, de Parme, de Plaisance, entre 1531 et 1547 – ont des destinataires différenciés, aussi bien des personnages de familles considérées, de nobles, voire des rois et des reines – François Ier, Henri II3, le duc d’Orléans, la Sérénissime Reine de France, Madame la Dauphine de France, Madame Marguerite d’Autriche, Giulia Gonzaga, Côme de Médicis duc de Florence, le Cardinal de Lorraine, le Cardinal du Bellay –, que d’autres qui le sont beaucoup moins, mais qui appartiennent en général à un milieu intellectuel. D’autre part, elles profitent d’un marché du livre en pleine expansion et dont l’importance de ces recueils – initiée par la publication des lettres de l’Arétin en 1538 – va devenir bientôt une mode littéraire, favorisée par le succès des traductions en France qui ne sont produites qu’à une époque relativement tardive, à partir de la fin des années soixante. Un succès tardif, limité dans le temps et qui a intéressé seulement une douzaine d’ouvrages (les Lettres amoureuses de Girolamo Parabosco, les lettres de Matteo Aldrovandi en 1580 et de Cesare Rao en 1584 et, parmi les anthologies, les Lettere di principi de Girolamo Ruscelli en 1572). La raison de ce fait n’est pas difficile à donner, comme plusieurs l’ont déjà constaté4 : d’une part, les Français connaissaient généralement l’italien et pouvaient comprendre facilement le texte original de ces lettres ; d’autre part, en Italie aussi les destinataires de ces textes étaient des gens cultivés, qui prenaient plaisir à entendre une langue vernaculaire mais de niveau soutenu. Ce qui a pu motiver la traduction en langue française des Lettere de Claudio Tolomei et le fait que cette traduction ne sera plus reproduite après les deux éditions de 1572 qui nous sont parvenues sous le nom d’Epistres argentées ou de traduction de Pierre Vidal. Nous avons consulté deux éditions de cette traduction de Vidal : les || epistres ar- || gentees ov recveil des || principalles lettres des || Sept liures de Messer Claude Tolomeï, Gen || tilhomme Sienois : Choysiés & traduittes || d’Italien. Par Pierre Vidal Tolozain. Et 3

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Cf. la lettre écrite de Plaisance le 25 avril 1547 ; le roi de France possédait sans doute un exemplaire des Lettere de 1547, comme le montreraient les fers d’angle dorés et fer qui lui sont attribués – O.H.R., pl. 2488, fer no 7 – et qui paraissent sur les plats de la reliure en veau brun de l’exemplaire de la Bibliothèque Mazarine, 4o 11408 2e ex. Res. Voir Jeannine Basso, « Les traductions en français de la littérature épistolaire italienne aux xvie et xviie siècles », Revue d’histoire littéraire de la France, t. LXXVIII, 1978, p. 906-918.

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les lettere de claudio tolomei par || luy mesmes dediees. || A Tres Reuerend Pere en Dieu, Messire Charles Descars, || Euesque, Duc de Langres, Pair de France. || (marque avec devise : ne qvid nimis) || a paris. || Pour Gilles Robinot, Libraire, tenant sa bou|| tique au Palais, en la gallerie par ou l’on va à || la Chancellerie. 1572. || avec privilege dv roy. (BnF Tolbiac Z-15925). les || epistres ar- || gentees ov recveil des || principalles lettres des || Sept liures de Messer Claude Tolomeï, Gen || tilhomme Sienois : Choysiés & traduittes || d’Italien. Par Pierre Vidal Tolozain. Et par || luy mesmes dediees. || A Tres Reuerend Pere en Dieu, Messire Charles Descars, || Euesque, Duc de Langres, Pair de France. || [Devise qui représente une colonne soutenue de deux mains qui se croisent ; au-dessus un cœur ardent, que gardent la Foi et la Charité ; le Père éternel tenant une banderole où se lit : Proba me, Deus, et scito cor meum, qui est un passage des Psaumes, 138, 23] || A PARIS. || Par Nicolas Bonfons, Libraire demeurant rue Sainct || Iaques, à l’enseigne de la Charité. || 1572. || avec privilege dv roy. (Bnf Tolbiac Z-15926 ; Arsenal 8-BL-32142).

Nous connaissons d’autres copies de cette édition Bonfons : l’édition de la National Library of Scotland d’Edinburg (Tyn 60), de la British Library de Londres (10910 aa 6), de la Médiathèque du Pontiffroy de Metz (I 1095) et de la Bayerische Staatsbibliothek de München. Les deux éditions de 1572, qui n’ont bénéficié que d’un seul tirage, sont identiques et elles comptent 200 feuillets chacune. Elles portent une dédicace à Charles de Pérusse des Cars, évêque de Poitiers, puis évêque-duc de Langres, ainsi qu’une épître du «  Traducteur au Lecteur  ». L’édition Bonfons présente aussi des éléments paratextuels dont la numérotation n’est pas indiquée : • une « table des noms || propres de cevx avx- || quels les lettres furent adressees, qui se trou- || ueront en tel feuillet qui sera marque cy a- || pres. » (f. e-e ii v), dont l’achevé d’imprimer date du 26 septembre 1572, c’est-à-dire juste un mois après la nuit de la Saint-Barthélemy ; • un Sonnet, signé par la sigle P.D.L. : Que tu dois Tolomee à la muse divine De ce docte Vidal dont l’obstiné labeur Retire de l’oubly ta plus rare grandeur Qui caduque desja tresbuchoit en ruyne. Et qui comme un bouton dont morte est la racine Se fleftrit sur sa branche & pert vie & couleur Te perdois tout ainsi, si sa douce faveur Ne se fust point monstree envers toy si benigne.

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riccardo benedettini Car cest luy qui te tire auiourd’huy du Tombeau Et te faisant parler un langage nouveau Te rend emerveillable aux yeux de nostre France Qui fera qu’a iamais en immortel renom Le beau nom de Vidal (Tolomee) & ton nom Vivront maugré la mort l’envie & l’ignorance. P.D.L.

• et l’« Extraict du privilège du Roy » : Il est permis à Gilles Robinot, & Nicolas Bonfons, Libraires demeurans à Paris, d’Imprimer, ou faire imprimer, en telle marge que bon leur semblera, mettre & exposer en vente, par tous ses pays, terres & seigneuries : un livre intitulé, les Epistres Argentees, ou recueil des principalles lettres de Messer Claude Tolomeï, gentilhomme Siennois choisies & traduictes d’Italien. Par Pierre Vidal Tolozain, lesquelles ont esté veues & visitees par Messieurs les Docteurs de la faculté de Theologie, ou n’a esté trouvé chose desrogant à l’Eglise Catholique, & Apostolique & Romaine, comme il appert par les lettres plus amplement. Et sont faict deffences à tous libraires, Imprimeurs, & autres de quelque qualité, ou condition, qu’ils soient de n’imprimer, ou faire imprimer, vendre, ny distribuer ledict livre sans le congé expres desdits dessus nommez & iusques au temps & terme de dix ans consecutifz & accomplis à compter du iour & dacte qu’il sera achevé d’imprimer le tout sur les peines y contenuees audict privilege qui est de confiscation desdits livres qui pourroient estre trouves & d’amende arbitraire ainsi que plus à plain est declaré esdites signees. Par le Roy M. Gilles de Riant M. des Requestes ordinaires de l’hoste. Present Nicolas.

Le traducteur : « le beau nom de Vidal » Si l’on se tient aux vers du sonnet, c’est par la traduction de l’œuvre de Tolomei que Pierre Vidal, toulousain, – qui voulut sans doute faire connaître à ses contemporains tous les trésors d’érudition contenus dans ces lettres –, arrache à l’oubli cette grande figure du lettré italien et célèbre son propre rôle d’homme docte. En réalité, Vidal reste très peu connu en dehors de cette traduction : les informations biographiques que l’on retrouve par exemple dans le Dictionnaire des lettres du xvie siècle sont minimales : « Vidal (Pierre), traducteur des Epistres argentées5 ». On a donc un traducteur mal identifié, mais qui a une connaissance approfondie de la langue italienne, une bonne sensibilité linguistique de la langue maternelle, et qui n’appar-

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Dictionnaire des lettres françaises. Le xvie siècle, éd. revue et mise à jour par M. Simonin, Paris, Fayard, 2001, ad vocem, p. 1180.

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tient pas à une classe de traducteurs qui travaillent pour survivre ou ne considèrent pas leur travail comme un travail d’écrivain. On sait que Vidal réunit sa sélection de « lettres missives » sans respecter la division en sept livres de Tolomei ; il introduit des changements dans l’ordre des lettres, sans respecter dans ce choix un critère chronologique ou thématique. Le texte des lettres est précédé de quelques mots qui résument les matières principales avec la finalité d’en expliquer le contenu : ce désir, qui vise à instruire, nous semble confirmé par la place que tient la traduction des citations en latin ou en grec présentes dans la version originale, ainsi que la mise en français de tous les vers italiens (les lettres abondent de citations ariostesques, comme l’a montré récemment Francesco Lucioli, de renvois à Dante, Pétrarque, etc.)6 ou la mise en prose d’un texte en vers, qui simplifie le travail du traducteur mais qui sert aussi à donner de la vraisemblance au texte vulgarisé. Par un corpus retenu, le traducteur voulut mettre à la portée des Français un modèle d’écriture réalisé sous la forme épistolaire et qui peut bien s’adresser aux grands princes de la chrétienté, comme Tolomei l’écrit à Francesco Monterchi de Rome le 6 décembre 1543 : « perché i Principi, a cui si scriven queste lettere, l’importanza de la materia di che si scrive, l’util grande che ne potrebbe seguire a Christiani ». L’épître liminaire est adressée à Charles de Pérusse des Cars, évêque-duc de Langres, patron et mécène de Vidal depuis seize ans, sous la protection et l’autorité duquel il désire placer son œuvre. Dans l’épître au lecteur, Vidal donne les motivations qui l’ont poussé à entreprendre ce labeur : combattre l’« oisiveté » et se distraire « de plusieurs passions, auxquelles le maniement des affaires du monde, (& aucunesfois nostre propre affection) nous rendent subiectz ». Vidal invite le lecteur à pardonner les fautes qui se trouveront dans cette traduction, « mienne petite, & debile traduction » (il utilise donc le mot traduction), à lui passer les « fautes, en la ponctuation, & ortographe, comme ainsi à quelque petit nombre de vers », à essayer de comprendre « qu’elle difficulté intervient, en la traduction d’une langue, en une autre ». Ce qui importe, c’est la « bonne affection d’esprit » qu’il offre avec cette traduction. Il annonce aussi l’intention où il est de faire « françoises les plus belles » et « par la lecture, & doux stille desquelles », il se dit « tellement lesché, attiré, & transporté » qu’il s’y employait « bien souvent la plus grande partie de la nuict » : et qu’il lui « servoit d’un grand soulas & consolation ». Voici en quels termes il s’exprime :

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Francesco Lucioli, Citazioni ariostesche e poesia cavalleresca nelle lettere di Claudio Tolomei, dans Per uno studio delle corrispondenze letterarie di età moderna, éd. par C. Carminati, P. Procaccioli, E. Russo, C. Viola, Vérone, Edizioni QuiEdit, 2016, p. 163-178.

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riccardo benedettini Pour autant que par telle occupation i’estois distrait, de plusieurs passions, auxquelles le maniement des affaires du monde, (& aucunesfois nostre propre affection) nous rendent subiectz. […] ie me suis enhardy de mettre ce mien premier coup d’essay devant les yeux de tous. Combien qu’il face tant plus apparamment veoir mon imperfection. Vous asseurant toutes fois que ceux qui considereront exactement ce livre recevront grande delectation, & profict lisant les discours y contenus, ou ils pourront veoir & cognoistre une tres belle forme d’escrire par lettre (f. a iiii r-v).

Cette traduction partielle est faite avec plaisir, les lettres les plus belles ont été choisies, en essayant de respecter le style familier et intime, mais toujours dans un registre soutenu, de l’auteur italien. La langue de Vidal est pure et correcte, quoiqu’il se reproche le manque d’une relecture de son texte : « ie suis infiniement marry, & de plus que ie n’ay pas presque eu le loisir de les reveoir, & que, ce, que i’ay mis entre les mains de l’Imprimeur, est le premier traict que i’en ay iamais faict ». Notre traducteur a travaillé avec plaisir mais sans respecter ce principe fondamental de toute traduction bien faite, ce poco a poco qui donne aussi le titre à notre colloque. Si le traducteur cherche à rendre la beauté de l’italien, il ne peut donc reprocher à sa traduction qu’un excès de vitesse, un élément que nous allons retrouver parmi quelques éditions de Bonfons, par exemple dans celle de Corrozet. Un index selon l’auteur et l’argument permet au lecteur de retrouver facilement la place où ces noms paraissent. La présence d’annotations en marge, ainsi que les brefs résumés du contenu de la lettre après l’adresse, indique à quel texte l’auteur a emprunté la matière de ce qui va suivre ou explique le contenu du message. Les éditeurs : Gilles Robinot et Nicolas Bonfons Si le nom du traducteur ne semble pas avoir joui d’une grande vogue, les deux marchands libraires et imprimeurs sont en revanche beaucoup plus connus. Gilles Robinot (15??-1627 ; activité à Paris entre 1554 et 1584) – avec Jean Longis, Robert Le Mangnier et Étienne Groulleau – fait partie du groupe de libraires réunis autour de Vincent Sertenas, dont il était le gendre. Mais Robinot, qui était le fils de Gilles I Robinot, était aussi le cousin germain de Nicolas Bonfons7, fils de Jean (tuteur des enfants mineurs de feu Vincent Sertenas et de Jeanne Bruneau8). C’est justement en 1572 que Nicolas Bonfons relève l’activité de son père et qu’il commence une très

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Il n’existe pas encore de travail consacré au seul Nicolas mais on lira avec attention Michel Simonin, «  Histoire des genres narratifs : Mort de Jean Bergier et publication des Nouveaux récits ou Comptes moralisez », Bulletin de l’Association d’étude sur l’humanisme, la Réforme et la Renaissance, t. XII, 1980, p. 42-44. Voir Imprimeurs & libraires parisiens du xvie  siècle, Ouvrage publié d’après les manuscrits de Philippe Renouard, t. V, Paris, Bocard-Bonamy, 1991, p. 249-250.

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longue carrière qui ne s’achèvera qu’au siècle suivant, en 1623 : la marque de Nicolas Bonfons était constituée des « quatre Vertus, la Foy, l’Esperance, la Charité & la Force », avec un cœur au milieu, qui fait allusion à son nom, en signifiant ainsi qu’un cœur soûtenu de ces quatre vertus à un bon fond, avec ce Passage de David, Proba me Deus & Scito cor meum : « Scrutami, Dio, e conosci il mio cuore, // provami e conosci i miei pensieri ». La production des deux imprimeurs parisiens est très riche et elle s’intéresse aussi aux textes d’origine étrangère, souvent de langue italienne. Dans les catalogues des deux libraires, on trouve beaucoup de titres. Chez les Robinot, il convient de remarquer la traduction du Dixième livre d’Amadis de Gaule, réalisée de l’original espagnol par Jacques Gohory en 1557, et la publication des Histoires tragiques de Matteo Bandello, mises en langue française par Pierre Boaistuau en 1559 et réédités en 15669. La production des Bonfons, Jean et Nicolas, est plus riche en textes italiens. Nous remarquons un intérêt précis pour les œuvres de narration et en particulier pour les poèmes chevaleresques : L’Hystoire de Morgant le géant, lequel avec ses frères persécutoient tousjours les chrestiens et serviteurs de Dieu, mais finablement furent ces deux frères occis par le comte Roland, et le tiers fut chrestien qui depuis ayda a augmenter la saincte foy catholique, comme orrez cy après…, sans date ; L’hystoire du noble et vaillant roy Alixandre le grand jadis roy et seigneur de tout le monde et des grandes prouesses qu’il a faictz d’en son temps ; Les merveilleux faictz du preux et vaillant chevalier Artus de Bertaigne. Et les grandes adventures ou il sest trouve en son temps ; Ogier le dannoys duc de Dannemarche qui fut l’ung des douze pers de France lequel avec le secours et ayde du Roy Charlemaigne chassa les Payens hors de Rome et remist le Pape en son siege et fut long temps en France puis revint comme vous pourres lire cy apres. On connaît aussi l’intérêt pour les Noëls gothiques et l’édition de Maistre Pierre Pathelin. Entre 1543 et 1566, l’édition de Pétrarque, Le mystère de Grisélidis, marquis de Saluses, par personnaiges ; en 1572, l’Histoire pitoyable du prince Erastus, fils de Dioclétien, empereur de Rommé, contenant exemples et notables discours, Traduit d’italien en françois ; toujours en 1572, la réedition de L’Histoire de Chelidonius tigurinus sur l’institution des princes chres-

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Le Dixiesme livre d’Amadis de Gaule, trad. par J. Gohory, du livre X, IIe partie, de l’éd. originale espagnole, due à Feliciano de Silva, à l’achevé d’impr. 15 fév. 1557, marque de Gilles I Robinot, gendre de V. Sertenas ; Le théatre du monde où il est fait un ample discours des misères humaines, composé en latin par Pierre Boaystuau, surnommé Launay, puis traduit par luy même en français, Paris, Gilles Robinot, 1565 ; Le Miroir politique, contenant diverses manieres de gouverner & policer les republiques, qui sont, & ont esté par cy devant… par M. Guillaume de La Perriere, 1567 ; Des recherches de la France, livre premier et second, plus Un pourparler du prince et quelques dialogues, le tout par Estienne Pasquier,…1581 ; Discours sur l’attentat à la personne du roy par Nicole Mignon, Dedié à sa Majesté, Par le sieur Du Souhait 1600 ; Traicté des libertez de l’Église gallicane, Laquelle composition monstre la pure & sincère intelligence de ces libertez 1608 ; les Amadis n. 23 et 24, 1615.

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tiens, & origine des royaumes, traduite de latin en françoys, par Pierre Boistuau, surnommé Launay, natif de Bretaigne / A Paris, pour Gilles Robinot libraire, tenant sa boutique en la gallerie par ou on va à la chancellerie, 1572 ; en 1574, Les comptes facecieux, et joyeuses recreations de Poge Florentin, Augmentez de plusieurs choses ; en 1575, Les joyeuses adventures et nouvelles récréations… par Bonaventure Des Périers, Jacques Pelletier et Nicolas Denisot, et une ultérieure traduction de l’italien, Les Louanges de la folie, traicté fort plaisant en forme de paradoxe, traduict d’italien en françoys par feu Messire Jean du Thier, chevalier, conseiller du roy, & secretaire d’Estat & des finances dudict seigneur ; en 1576, Les Antiquitez, histoires, chroniques et singularitez de… Paris… Auteur en partie, Gilles Corrozet,… mais beaucoup plus augmentées par N. B. [Nicolas Bonfons] ; en 1577, la Comedie des amours de Theseus et Dianira, Composé par Gerard de Vivre Gantois, maistre d’escole à Colongne10 ; en 1579, Ovide de l’Art d’aymer, auec la Clef d’amours, et les Sept Arts liberaux, Le Remede d’Amours, auec les additions de Mantuan, Plus un Discours faict à l’honneur de l’amour chaste pudique, au mespris de l’impudique. Cet intérêt pour le genre narratif s’accompagne de celui pour les épîtres, ou de toute façon pour la civil conversatione, ce qui continue pendant les années ‘80 : en 1581, avec Nouveau stile et maniere de composer, diter et escrire toutes sortes d’epistres ou lettres missives ; en 1583, avec les Lettres missiues et familieres d’Estienne du Tronchet. Secretaire de la royne mer du roy. Auec le monologue de la prouidence diuina au peuple Francois. … Reueuës, corrìgees & augmentees de plusieurs lettres amoureuses, tirees tant de l’Italien du Bembe que de plusieurs autres autheurs, A Paris, par Nicolas Bonfons, rue neuue nostre Dame, à l’enseigne Sainct Nicolas, 1583 (1569 ; éd. princeps Paris, BnF, Rés. Z 801)11 et, en 1585, Le parfait courtisan du comte Baltasar Castillonois, es deux langues, respondans par deux colomnes, l’vne a l’autre, pour ceux qui veulent auoir l’intelligence de l’vne d’icelles, de la traduction de Gabriel Chapuis tourangeau. Évidemment les deux éditeurs, qui collaborent et qui sont aussi, de temps en temps, des traducteurs, trouvent un grand intérêt pour les œuvres italiennes, ce qui a sans doute influencé le travail de Vidal qui choisit pour cette œuvre un titre bien original : Epistres argentées. Si l’on s’en tient au titre du recueil, nous avons affaire à 10 Gérard de Vivre est aussi l’auteur de Lettres missives familieres entremeslées de certaines confabulations non moins utiles que recreatives. Ensemble deux livres du train de marchandise, le tout composé par G. de V., Anvers, 1576, 2 vol. (plusieurs éd. dont 1591, 1597). Voir Les amours de Théseus et Dianire (1577), éd. par M. Miotti et F. Bacoccoli, dans II, 7, vol. VII du Théâtre français de la Renaissance, La comédie à l’époque d’Henri III (1576-1578), Florence, Olschki, 2017. 11 L’édition princeps des Lettres missives et familieres de du Tronchet date de 1569. Du Tronchet signe également un manuel d’épistolographie, Finances et Thresor de la plume françoise (1572) qui contient deux cent quarante-neuf modèles, et des Lettres amoureuses (1572) : ces deux recueils sont réunis dans l’édition de 1582.

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des épîtres dont le style rappelle l’éclat ou la blancheur de l’argent. C’est aussi par ce trait particulier que Vidal et ses éditeurs comptent captiver les lecteurs : ils ont traduit les lettres les plus belles – les plus riches d’esprit, de douceur et de doctrine – et choisi un titre rare qui montre la volonté de donner plus de singularité aux faits qu’ils jugent les plus beaux à intéresser et à émouvouir leur public. En somme, la traduction de Vidal est une œuvre destinée à enseigner et à charmer : « ceux qui considereront exactement ce livre recevront grande delectation, et profict lisant les discours y contenus, ou ils pourront veoir et cognoistre une tres belle forme d’escrire par lettre » (préface aux lecteurs). Pensées sur la traduction Passons à l’analyse d’un aspect de ces lettres : la traduction. Tolomei écrit en tant que « gentilhomme, vivant entre les loix des hommes, & de la nature, & qui se gouverne par la raison humaine & les ordonnances civiles » (lettre à Ierosme Begliarmati, f. 30r). Il est sûr que l’on peut s’interroger sur la façon de traduire de Vidal, mais il nous semble plus important de noter les réflexions sur la traduction avancées par Tolomei car son écriture claire et lucide, qui n’a pas besoin d’un vrai travail de re-création de la part de Vidal, nous rappelle la manière d’envisager la langue et l’écriture propres de l’auteur italien. Comme on l’a dit, le traducteur réalise une traduction très proche du texte italien, malgré les modifications sémantiques et la différente disposition de l’ordre des lettres, mais, cela faisant, Vidal garde les lettres qui peuvent clarifier l’opinion de Tolomei sur la traduction, qui devient une opération linguistique complexe. Parmi ces lettres, je veux maintenant mentionner celle où Tolomei juge la traduction de Marc Antoine Cimuzi des trois livres du poème mythologique de Claudien (sur le Ravissement de Proserpine, f. 17v-18r éd. Robinot, d’une manière positive : Car si Claudian nasquit en un temps grossier, & lors que la fleur de la Langue latine estoit presque fletrie. Ce neantmoins il fut plain desprit & de grandeur & surmonta par la force de son gentil esprit la debilité de ces siens temps. […] Mais vous les avés tant bien immitez & depeincts, que ie ne scay si vo’ aurez faict plaisir, ou desplaisir à Claudian : Ie pense veritablement qu’il aura fort aggreable de se veoir lire, & se sentir loüer en une nouvelle langue par les bouches dautruy pour autant que ce n’est pas une moindre louange à ceux qui escripvent que leurs œuvres soient, traduites, & leues en diverses langues, qu’aux Roys & aux empereurs de joindre à leur estat nouvelles provinces. Paradventure aussi le trouvera il mauvais, parce que vostre traduction, ou immitation sera parangonee par plusieurs à son premier exemples & sen trouvera beaucoup qui estimeroient vostre œuvre esgallement, & possible plus que la sienne (R. f. 17v-18r).

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La mise en français de Claudien nous introduit au cœur de la conception de la traduction par Tolomei. Selon une attitude de pensée qui doit plaire à Vidal et aux deux éditeurs, la traduction a, parmi ses vocations, celle d’enrichir une langue. Si Cimuzi a su donner de la renommée au texte original en le traduisant, les conséquences d’une telle attitude, cet agrément de se voir lu par des étrangers, entraînent des rapports évidents avec la traduction française du texte italien, une œuvre qui veut charmer les lecteurs. Or, il est intéressant de remarquer que la notion de traduction est rapprochée de celle d’imitation, comme on peut le voir dans beaucoup d’autres lettres (« Ie me suis employé à escrire de l’imitation, ou ie vous introduis pour parler, & my suis mis, non que i’espere d’en bien escrire, sinon de tant qu’en escrivant mal i’enflammeray possible quelqu’un pour en mieux escrire, & feray […] du bien aux bonnes lettres par les mauvaises. La matiere est belle ample, profitable, & frequente, de peu en quelque partie traittee, & de nul exactement disputee », R. f. 46r). Une autre caractéristique du traducteur mis en place par le discours de Tolomei est sa capacité de peindre une nouvelle image du texte original : A cause que comme les sages peintres qui veulent naifvement portraire ou hommes, ou femmes, en vie ne les representent pas ainsi qu’ilz sont, mais les aydent & embellissent quelque peu, sans toutesfois se departir de leurs cogneué & naturelle semblance de mesmes, en ne vous eslognant de Claudian, vous l’avez en quelque partie soustenu, embelly, & haussé, aydant son art avec la vostre. Et pourra advenir que quelques uns contempleront plus volontiers cestuy vostre portraict, que la premiere forme dont il à este prins & traduict (R. f. 18r).

En s’autorisant un rapprochement avec le modèle ancien –  Tolomei mentionne la traduction de Loys Alamanni de l’épithalame de Pelée et Thétis de Catulle, celle de Luigi Martelli du quatrième livre de l’Enéide de Virgile, celle du cardinal Hippolyte de Médicis du second et l’œuvre de Giorgio Trissino, mais aussi Aristote, Héraclite, Cicéron, César, Dante et Pétrarque pour l’utilisation de la tierce rime, Bernardo Tasso –, le Toscan exprime l’exigence d’un langage clair, facilement compréhensible : le traducteur doit élaborer des images qui ne s’éloignent pas du texte de départ mais l’embellir aussi, pour le rendre plus clair au public. Ainsi, lorsqu’il parle de l’exigence de sortir de l’obscurité de l’écriture, il choisit de mettre en question une image agreste, sans aucun doute très répandue, et sur laquelle il va revenir souvent : Et plusieurs ont labouré en ce beau champ de louange dont ils ont tire & recueilly un tresriche fruict de gloire (f. 20r-20v). Ie ne niray pas qu’il ny aye certains mots qui se pourroient changer, & possible accommoder avec quelque meilleur lustre. Mais cela se trouvé en si peu d’endroicts, que comme un tresbeau pré qui est peinct de diverses couleurs,

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les lettere de claudio tolomei ne se gasté pas pour un petit nombre despines, ou d’herbes qui y sont, aspres & venimeuses, tout ainsi ceste noble vostre poesie comblee de tant d’ornemens, & de beautez, ne se tache poinct pour quelque petit festu, qui se peut veoir en la regardant (f. 22r).

D’ailleurs, Vidal reprend ce topos botanique et, dans sa préface au lecteur, écrit : Lesquels [les discours de Tolomei] espars en plusieurs endroictz de ce recueuil : le rendent tout ainsi aggreable à l’esprit en le lisant comme la diversite de plusieurs belles & bien coloree fleurs, qui se voyent en quelque belle & plaisante prairie, delectant ordinairement les yeux des regardans (f.  a iii).

Image sans doute stéréotypée mais que Tolomei ne manque pas de rendre moderne. Dans la même lettre, Tolomei fait d’ailleurs appel à la traduction de textes poétiques, dans des remarques comme : Ceste façon de traduire les pœtes d’une langue en autre ne m’a iamais esté trop aggreable, encores que Ciceron, & Germanique traduisirent de Grec en latin l’astrologie Darate, parce qu’il me semble que l’on osté au poete l’invention qui est la principalle partie de l’art pœtique, singulierement, quant l’on la traduict avec tant d’obligation qu’il faille selon la coustume de nostre temps suivre de mot à mot la trace du premier autheur. Et me souvient de ce que dict Aristophane à Tolomee, que ceux la estoient seulement pœtes, qui reçitoient les choses inventees par eux & les autres non (f.  23r).

Cette critique envers la traduction des poètes – et c’est là un aspect que l’on retrouvera aussi dans la Deffence et illustration de la langue françoise de Joachim Du Bellay, qui rappelle le cas de Pétrarque et la nayfveté qu’il a dans son vulgaire toscan – ne peut qu’intéresser le public français. Et que penser finalement du topos botanique qui, de la traduction, revient à propos de la formation du prince et des cités par lui administrées (il ne faut pas oublier non plus l’aspect architectural de ces lettres et l’intérêt de Tolomei pour la création d’une ville) ? Dans une lettre à Luca Contile (de Rome, le 30 juin 1543), les enseignements des Anciens supportent l’éducation du prince. Les discours des seigneurs engendreroient & produiroient à toute heure, des fleurs, & fruicts convenables a une tant vertueuse plante, & alors pourrions nous dire avec Platon, que ces citez seroient veritablement heureuses, là ou les princes philosopheroient, ou que les philosophes seroient princes (f. 24v).

Finalement, la préoccupation morale, affichée comme première dans l’avis du vertueux Tolomei, se trouve sensiblement déplacée vers une réflexion esthétique sur l’écriture et, en ce qui nous concerne aujourd’hui, sur la traduction : la clareté, la précision et l’habileté sont, nous l’avons vu, les catégories stylistiques prépondérantes de ces épîtres argentées. Le style épistolaire de Tolomei, dit vulgaire ou fami137

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lier, relève beaucoup de la passion pour la langue de l’auteur toscan ; son épistolier – qui s’adresse à des parents, à des amis, mais aussi à des gens de rang très élevé, voire des rois et des reines – nécessite donc un régistre plus élevé qu’à l’ordinaire. Au confluent de plusieurs traditions, les lettere de Tolomei relèvent des renvois constants aux Anciens et au modus epistolaris d’un passé glorieux : c’est peut-être là une explication possible de ce titre radieux d’épîtres argentées, comme une sorte de clin d’œil à un âge d’argent désormais passé.

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Da modello a stereotipo. Henri III, Corbinelli, Montaigne e i libri di lettere italiani in Francia Paolo Procaccioli

Università della Tuscia, Viterbo

1. Premetto, a sgombrare il terreno da ogni ambiguità, che le considerazioni che seguono non riguardano la lettera propriamente detta, pratica vitalissima in ogni contesto, in ogni stagione e in ogni lingua1, ma quel particolare esito che è il libro di lettere volgari a stampa. Per quest’ultimo si dovrà parlare di una specificità tutta moderna, che è soprattutto cinquecentesca in Italia e secentesca in Francia, e che provocò il noto sfogo di Montaigne – del Montaigne della Consideration sur Cicéron – sulla cui genesi e destinazione mi proverò a riflettere in questa circostanza. Di quel saggio, del quale non è sfuggita l’importanza2, per quanto qui interessa sono particolarmente significative le considerazioni iniziali e la pagina conclusiva. L’avvio svolgeva un’accusa a Cicerone e a Plinio il Giovane epistolografi. Non per il loro scrivere lettere quanto piuttosto per la loro decisione di raccoglierle in un libro. Gesto che Montaigne riconduceva all’ambizione e che non riteneva consono a uomini di governo: Sied-il pas bien à deux consuls Romains, souverains magistrats de la chose publique emperiere du monde, d’employer leur loisir, à ordonner et fagotter gentiment une belle missive, pour en tirer la reputation, de bien entendre le langage de leur nourrisse3?

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Per intenderci, quello descritto da Armando Petrucci nel suo Scrivere lettere. Una storia plurimillenaria, Roma-Bari, Laterza, 2008. Ricordo solo il suggerimento di Marc Fumaroli, secondo il quale «tout le chapitre XL du livre I, Considérations sur Cicéron est à lire comme autant de libres réflexions en marge du De conscribendis epistolis et au Ciceronianus d’Érasme. […] La leçon du De conscribendis epistolis de Vives va dans le même sens, à rencontre des “lettres cerimonieuses” qui, à l’imitation de Cicéron et de Pline, masquent sous une persona officielle le je privé et la vérité humaine» (Marc Fumaroli, «Genèse de l’épistolographie classique: rhétorique humaniste de la lettre, de Pétrarque à Juste Lipse», Revue d’histoire littéraire de la France, t. LXXVIII, 1978, p. 886-900, a p. 893, n. 25). Michel de Montaigne, Les Essais, édition de 1595, texte établi et annoté par J. Balsamo, M. Magnien et C. Magnien-Simonin, Paris, Gallimard, 2007, p. 254 (Consideration sur Cicéron, alle p. 253-258;

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Il tema e il problema non sono dunque le lettere ma i libri di lettere. Libri che nell’Italia del Cinquecento insieme agli entusiasmi dei lettori e all’attivismo di autori e editori avevano suscitato anche qualche dubbio e alcune reazioni stizzite, e che nel 1607 sarebbero stati argomento di un pamphlet di Angelo Ingegneri4. Ma a essere soprattutto interessante è la parte finale del saggio. Nella princeps del 1580 quella che sarebbe diventata la sua pagina conclusiva, e che riporto qui di seguito, non c’era, venne infatti inserita solo nell’edizione del 1588. Per capire le ragioni di quella giunta conviene partire dalle sue parole: Ce sont grands imprimeurs de lettres, que les Italiens, j’en ay, ce crois-je, cent divers volumes: Celles de Annibale Caro me semblent les meilleures. Si tout le papier que j’ay autresfois barbouillé pour les dames, estoit en nature, lors que ma main estoit veritablement emportée par ma passion, il s’en trouveroit à l’adventure quelque page digne d’estre communiquée à la jeunesse oysive, embabouinée de cette fureur. J’escris mes lettres tousjours en poste, et si precipiteusement, que quoy que je peigne insupportablement mal, j’ayme mieux escrire de ma main, que d’y en employer un’autre, car je n’en trouve point qui me puisse suivre, et ne les transcrits jamais: J’ay accoustumé les grands, qui me cognoissent, à y supporter des litures et des trasseures, et un papier sans plieure et sans marge. Celles qui me coustent le plus, sont celles qui valent le moins: Depuis que je les traine, c’est signe que je n’y suis pas. Je commence volontiers sans project; le premier traict produit le second. Les lettres de ce temps, sont plus en bordures et prefaces, qu’en matiere: Comme j’ayme mieux composer deux lettres, que d’en clorre et plier une; et resigne tousjours cette commission à quelque autre: de mesme, quand la matiere est achevée, je donrois volontiers à quelqu’un la charge d’y adjouster ces longues harengues, offres, et prieres, que nous logeons sur la fin, et desire que quelque nouvel usage nous en descharge: Comme aussi de les inscrire d’une legende de qualitez et tiltres, pour ausquels ne broncher, j’ay maintesfois laissé d’escrire, et notamment à gens de justice et de finance. Tant d’innovations d’offices, une si difficile dispensation et ordonnance de divers noms d’honneur; lesquels, estans si cherement achetez, ne peuvent estre eschangez, ou oubliez sans offense. Je trouve pareillement de mauvaise grace, d’en charger le front et inscription des livres, que nous faisons imprimer5.

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preciso che diversamente dalle altre edizioni, nelle quali è indicato come 40 del primo libro, in questa il saggio è il 39 dello stesso libro). Angelo Ingegneri, Delle lettere famigliari, Viterbo, Discepolo, 1607. Sull’argomento vd. Paolo Procaccioli, Pro e contra l’imitazione in materia epistolare. Bartolomeo Zucchi e Angelo Ingegneri, in stampa. M. Montaigne, Les Essais, op.  cit., p.  257-258. Sul passo nella prospettiva che qui soprattutto interessa è d’obbligo il rinvio alle considerazioni di Amedeo Quondam, «Dal “formulario” al “formulario”: cento anni di “libri di lettere”», in Le «carte messaggiere». Retorica e modelli di comunicazione epistolare: per un indice dei libri di lettere del Cinquecento, a cura di A. Quondam, Roma, Bulzoni, 1981, p. 13-157, alle p. 13-14.

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La scrittura al solito accattivante non nasconde, mi pare, gli slittamenti dell’argomentazione. Al contrario, la rapidità li enfatizza. Il punto di partenza è il richiamo della mania epistolare degli italiani, ma poi entra in scena l’io. Prima coll’indicazione di un posseduto materiale («j’en ay, ce crois-je, cent divers volumes6») che diventa insieme documentazione del primo assunto e legittimazione di quelli che seguiranno (insomma, “parlo per esperienza diretta”), poi con la dichiarazione di una preferenza (che porta all’affermazione della primazia di Annibal Caro). Segue il riferimento a un proprio pregresso di scrittore di lettere. Con una particolarità: con una certa sorpresa a essere evocato è il Montaigne scrittore di lettere amorose. Ma è solo un flash; a quel rapidissimo richiamo fa seguito un altro slittamento: dalle lettere d’amore alla pratica epistolare tout court, con la contrapposizione netta della propria alla lettera corrente. Una successione di temi e di piani di cui l’autore si serve per introdurre la denuncia di quella che ai suoi occhi appare una degenerazione in atto. Inevitabile chiedersi come mai questa pagina, e con questa particolare scansione (libri italiani/lettere amorose/denuncia), appaia solo nella seconda edizione. Era successo qualcosa tra il 1580 e il 1588 che ne poteva spiegare la genesi? L’autore non lo dice e dunque il ragionamento dovrà procedere inevitabilmente per via indiziaria. Potrei sbagliarmi, e da non familiare di quegli studi mi appello alla clemenza dei montaignistes, ma mi pare che il luogo non sia stato percepito come meritevole di un indugio particolare. Il che di fatto ha finito per privare queste parole proprio della loro problematicità, coll’effetto di indurre il lettore a derubricarle a divagazione, a sfogo tutto personale. Forse, sembrerebbe naturale supporre, proprio in conseguenza del viaggio in Italia. Ma è altrettanto logico pensare che se si fosse trattato solo di una divagazione o di uno sfogo non ci sarebbe stata ragione di ritardarle al 1588, tanto più che l’autore contrappone a una prassi corrente e generalizzata una sua consuetudine altrettanto consolidata («j’escris mes lettres tousjours...»). A fronte del silenzio dell’autore converrà alzare l’occhio dalla pagina e indugiare sulla materia e sulla stagione in cerca di eventuali indizi di un qualche rapporto tra le problematiche introdotte.

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Ricordo che la biblioteca di Montaigne contava circa mille volumi (tale il computo dichiarato dallo stesso scrittore). Tra i cento superstiti finora censiti (catalogati in Barbara Pistilli-Marco Sgattoni, La biblioteca di Montaigne, Pisa-Firenze, Edizioni della Normale-Istituto di Studi sul Rinascimento, 2014) di argomento epistolare figura solo l’In epistolas apostolicas paraphrasis di Erasmo (al num. 31) e, ma la nota di possesso è un falso, Les epistres dorees et discours de don Antoine de Guevare (Lyon, Benoist Rigaud, 1588), dunque nessun libro di lettere italiano, neanche le Lettere familiari a diversi delle quali l’autrice, Veronica Franco, fece dono a Montaigne il 6 novembre 1580.

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2. La prima di quelle problematiche è il riferimento all’Italia. Dato che dell’epistolografia italiana si parla solo nelle due righe iniziali, e se ne parla per produrre due dati di fatto («ce sont grands imprimeurs de lettres, que les Italiens» e «j’en ay, ce crois-je, cent divers volumes») e un giudizio («celles de Annibale Caro me semblent les meilleures») senza che questo abbia uno sviluppo né un seguito apparente, nel lettore rimane un’impressione di pretestuosità. Lo stesso per quanto riguarda la seconda tematica, enunciata («si tout le papier que j’ay autresfois barbouillé pour les dames…») ma subito abbandonata perché sembra più urgente passare a parlare della scrittura delle lettere in sé, senza che compaiano più riferimenti a quelle amorose. Tutto sembra confermare che l’interesse vero dell’autore è concentrato su quanto segue, la denuncia delle degenerazioni in atto nella scrittura delle lettere. Dubito, lo anticipo, che le cose stiano in questi termini; dubito molto che quella particolare denuncia possa rappresentare lo scopo ultimo della pagina. Lo è diventato solo col tempo, quando si sono attenuate fino a venire meno del tutto le ragioni dell’urgenza della giunta, un testo che probabilmente il lettore del 1588 poteva leggere sì come presa di posizione polemica, ma rispetto a altri discorsi e dunque con altre finalità. I fatti allora, a cominciare da quelli dichiarati dagli annali tipografici. I quali dicono che la tradizione editoriale relativa ai libri di lettere in Francia era soprattutto concentrata sulla pubblicazione di trattati di materia epistolare (su tutti Le stile et manière7) e invece per quanto riguarda i libri di lettere propriamente detti era se non proprio inesistente almeno limitata a pochi titoli8. Un quadro non molto diverso a guardare alle altre realtà europee, salvo naturalmente la Spagna (ma limitatamente al Guevara). Nessun dubbio che fino al 1580 la materia fosse percepita come italiana; prevalentemente, se non proprio esclusivamente, italiana. Il che giustificava il fatto che agli occhi di Montaigne fosse legittimo considerare quella degli 7

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Le stile et maniere de composer, dicter, et escrire toute sortes d’epistres, ou lettres missives, tant par response que autrement avec epitome de la ponctuation, & accentz de la langue Françoise liure tres vtile & proufitable, Lyon, Iean Temporal, 1553. Sull’opera Claude La Charité, «Le Stile et manière de composer, dicter et escrire toutes sortes d’epistres ou lettres missives (1553). De la division tripartite de Pierre Fabri au poulpe épistolaire d’Érasme», in L’épistolaire au xvie siècle, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2001, p. 17-32; Cécile Lignereux, «L’art épistolaire de l’âge classique comme champ d’application du savoir rhétorique», Exercices de rhétorique, t. VI, 2016 (en ligne: , consulté le 07/04/2020). Uno stato di cose illustrato con lucidità da Roger Duchêne, che apre il secondo capitolo della sua monografia su Madame de Sévigné affermando che «le genre épistolaire n’est pas né dans les salons du xviie siècle. Bien avant cette époque, il y avait eu des périodes de brillante vie mondaine, favorables elles aussi à l’épanouissement de cette forme littéraire. Mais les lettres n’avaient pas alors paru dignes d’être publiées et élevées à la noblesse d’un genre» (Roger Duchêne, Madame de Sevigné et la lettre d’amour, Nouvelle édition augmentée, Bibliographie revue et mise à jour par G. Haroche-Bouzinac, Paris, Klincksieck, 1992, p. 67).

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italiani non solo una passione ma un’infatuazione, un’esagerazione tale da suscitare meraviglia. Ma, ripeto, se si trattasse solo di questo, sarebbe difficile rispondere a chi si chiedesse perché abbia ritardato lo sfogo al 1588: cosa mai gli impediva di svolgere quelle considerazioni nel 1580 all’interno della meditazione sui – ai suoi occhi, ripeto – poco onorevoli comportamenti di Cicerone e di Plinio il Giovane? In effetti gli anni che intercorrono tra la prima e la seconda edizione erano stati anni di grande fermento per l’epistolografia francese, e i termini esatti di quanto era in ballo non dovettero sfuggire a un osservatore attento, attento e interessato, come era senz’altro Montaigne. Che approfittò dell’occasione della riedizione per dire la sua su un argomento che era diventato di stretta attualità. Il fatto però che abbia deciso di intervenire scegliendo un obiettivo obliquo – i libri di lettere italiani – col tempo ha fatto sì che la connessione finisse per sfuggire. Un po’ di dati e di date. Il libro di lettere francese nasce nel 1543 se si considerano le tredici lettere familiari e le cinque invettive proposte nelle Epîtres familières et invectives di Helisenne de Crenne, cioè di Marguerite Briet, e invece dieci anni dopo se si guarda alla pubblicazione delle ventiquattro lettere di Gabriele Simeoni (1553). Le prime avevano genesi e destinazione tutte letterarie (si trattava di lettere costruite direttamente sulla base dei modelli retorici classici), le seconde invece erano vere lettere9. Quello del fiorentino era un piccolo corpus che di fatto inaugurava il genere importando in terra di Francia una tradizione che in Italia era nata solo qualche anno prima, nel 1538. Era dunque una tradizione giovane ma dagli sviluppi sensazionali. Nei quindici anni che vanno dal ’38 al ’53 aveva visto pubblicate 38 raccolte (26 d’autore, 12 collettive), per un totale di 8095 lettere. Questo senza considerare le riedizioni, con le quali si andava ben oltre le 20000 lettere. Un materiale che rischiava di essere fuori controllo, al punto che nel ’54 la ditta Giolito-Dolce si incaricò di allestire un’antologia delle raccolte10. Ma anche se si vuole far data dal ’43 delle Epîtres di Helisenne de Crenne il computo rimane comunque significativo: a quell’altezza in Italia erano nella disponibilità del lettore 1481 lettere, con 4 raccolte d’autore e 3 collettive (come si diceva allora, raccolte di «lettere di diversi»).

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Lettere «sans aucun doute authentiques même si elles ont été remaniées ou traduites pour la publication» (Silvia D’Amico et Catherine Magnien-Simonin, «L’Epitomé de 1553, ou Gabriele Simeoni premier épistolier français», in Gabriele Simeoni (1509-1570?). Un Florentin en France entre princes et libraires, éd. par S. D’Amico et C. Magnien-Simonin, Genève, Droz, 2016, p. 457469, a p. 460). 10 Lettere di diversi eccellentiss. huomini, raccolte da diversi libri tra le quali se ne leggono molte, non piu stampate. Con gli argomenti per ciascuna delle materie, di che elle trattano, e nel fine annotationi e tavole, Venezia, Giolito, 1554.

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Sono numeri che richiamo per dar conto non tanto della primogenitura quanto del peso che il nuovo genere si era visto subito riconosciuto in Italia. A ragione Jean Balsamo poteva concludere recentemente che le lettere stampate nel ’53 «constituent la véritable contribution de Simeoni aux lettres françaises, une contribution d’une certaine importance pour la création et le développement du genre épistolaire en français, suivant un modèle italien, et plus précisément arétinesque11». Seguendolo, sì, quel modello, ma anche adattandolo. La mise en page del 1553, sovrabbondante com’è di notazioni marginali, maiuscoli, maiuscoletti, corsivi, infratesti, finiva per conferire alle Epistres una fisionomia – tra l’edizione di un classico, un commento e un trattato – che a quell’altezza era del tutto ignota agli standard del libro di lettere italiano. Che invece rimaneva fedele all’immagine di un libro di lettere reali. Lettere che si facevano modello in grazia della loro efficacia (attraverso di esse gli autori avevano avuto successo [Aretino] o lo inseguivano [Nicolò Franco, Anton Francesco Doni]) o come riprova di una competenza professionale riconosciuta e celebrata (i grandi segretari: Tolomei, Bernardo Tasso…). In Francia evidentemente i tempi non erano maturi per uno svolgimento così fortemente personalizzato, tanto che ai testi di Simeoni venne riconosciuta sì un’esemplarità ma senza nessun riferimento esplicito all’autore. Figurarono infatti nell’edizione 1566 della silloge Le stile et maniere però in forma anonima. Non serve qui una ricostruzione dell’epistolografia francese del secondo Cinquecento. Né del versante latino, per il quale permane tuttora valido nei suoi tratti di fondo il panorama tracciato da Fumaroli nel 197812, né per quello volgare, per il quale si dispone ora del lavoro ottimo di Luc Vaillancourt sulla lettera familiare, al quale rinvio13. L’uno e l’altro rispondono al meglio alla bisogna e mi esimono da ogni balbettamento in materia. Se a questi appena richiamati si aggiungono le pagine nelle quali Jeannine Basso, intervenendo sulla materia nella stessa occasione di Fumaroli, si interrogava sulle traduzioni francesi dei libri di lettere italiani tra Cinque e Settecento14, e quelle, recentissime, di Cécile Lignereux e di Maria Cristina Panzera sulla riflessione teorica coeva15, possiamo contare su una ricostru-

11 Jean Balsamo, «Gabriel Syméoni, figure de l’italianisme français», in Gabriele Simeoni (15091570?). Un Florentin en France, op. cit., p. 71-90, a p. 80. 12 M. Fumaroli, «Genèse de l’épistolographie classique», art. cit. 13 Luc Vaillancourt, La lettre familière au xvie siècle. Rhétorique humaniste de l’épistolaire, Paris, Champion, 2003. 14 Jeannine Basso, «Les traductions en français de la littérature épistolaire italienne aux xvie et xviie siècles», Revue d’histoire littéraire de la France, t. LXXVIII, 1978, p. 906-918. 15 C. Lignereux, «L’art épistolaire de l’âge classique», art. cit.; Maria Cristina Panzera, De l’orator au secrétaire: modèles épistolaires dans l’Europe de la Renaissance, Genève, Droz, 2018.

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zione rigorosa del dibattito cinquecentesco in materia epistolare e su una rassegna esauriente degli esiti proposti. Sarebbe logico pensare a una proliferazione di iniziative editoriali finalizzate a colmare il gap tra i due contesti nazionali. E questo anche tenendo presente l’attenzione sempre viva che gli editori francesi, a cominciare da quelli lionesi, riservavano al libro italiano16. Ne sarebbe dovuto derivare un recupero significativo di quella produzione, eppure i dati smentiscono la supposizione, al punto che nel ’78 la Basso, forte della sua padronanza dell’argomento, poteva concludere che «sur plusieurs centaines d’ouvrages édités en Italie, une douzaine seulement semble avoir intéressé les traducteurs. Même si l’on tient compte d’omissions involontaires inévitables, on peut gager sans risque que le nombre exact, total, des traductions resterait très réduit». Dove per di più bisognava prendere atto del fatto che «les absents sont nombreux et non des moindres17». Alla luce di tutto ciò torniamo a Montaigne e alla sua giunta. Per cogliere le implicazioni delle prime parole bisogna interrogarsi sul senso di quelle immediatamente successive: «si tout le papier que j’ay autresfois barbouillé pour les dames, estoit en nature, lors que ma main estoit veritablement emportée par ma passion, il s’en trouveroit à l’adventure quelque page digne d’estre communiquée à la jeunesse oysive, embabouinée de cette fureur». E chiedersi per esempio come mai in un saggio sulla lettera in generale spunti il riferimento alle lettere indirizzate in gioventù alle signore. Che è una limitazione fortissima, e una doppia limitazione: nel tempo («autresfois») e nel tema. Che le lettere amorose fossero un prodotto degli anni giovanili era probabilmente un topos. Lo ritroviamo negli stessi termini per esempio nell’epistolario di Sebastiano Erizzo, allestito ma rimasto inedito, il cui terzo libro, destinato a raccogliere le amorose, è intitolato Lettere giovenili e comprende «forse quaranta lettere giovanili overo amorose, le quali, per essere state da me scritte nei primi anni della mia giovanezza et a donna onorata et gentile et di chiaro intelletto, in sé contengono un florido stile et sono piene di buoni, et alti concetti, convenevoli alla persona a cui furono scritte, ma però onestissime et gravi18». Così come lo ritroviamo dichiarato nei titoli di raccolte di lettere giovanili di Bembo allestite per una destinazione

16 Attenzione della quale le acquisizioni di Editef ci consentono ora di cogliere portata e natura. 17 J. Basso, «Les traductions en français», art. cit., p. 906. 18 Lettera a Pier Antonio Tollentini, dell’8 febbr. 1566, compresa nei Libri tre delle lettere di M. Sebastiano Erizzo, ms. 277 (già G 387) della Biblioteca Bertoliana di Vicenza, alle cc. 143r-145v, a c. 145r (testo edito in Claudia Marconato, Edizione critica dell’epistolario di Sebastiano Erizzo, letterato veneziano del secondo Cinquecento, Tesi di dottorato in cotutela, Padova-Liège, 2017; la lettera alle p. 169-171, il passo a p. 170).

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popolare19. Del resto il genere lettera amorosa sembrerebbe essere per definizione (una definizione legittimata dall’autore allora per eccellenza: Petrarca e il «giovenile errore») un genere “giovanile”. Topica a parte, la conclusione dell’88 è tutt’altro che casuale. Il senso delle prime righe della giunta credo che possa essere penetrato a pieno, e confermato nel suo valore letterale, solo che vadano connesse all’attività dell’Académie du Palais. E in particolare alla richiesta che nel 1579, nel suo «projet de l’éloquence royale20», Henri III aveva fatto a quei letterati di approntare delle trattazioni che proponessero esempi di scrittura improntati alle nuove idealità insieme di poetica e, diremmo oggi, di politica culturale. Dove una delle tipologie richieste riguardava la scrittura epistolare nella sua accezione familiare, pratica nella quale, è noto, il re era solito indulgere con compiacimento21. Ma, possiamo ora precisare sulla base di uno spezzone del carteggio di Jacopo Corbinelli recuperato da Marisa Gazzotti, più che sulla lettera familiare generalmente intesa, l’interesse della corte era concentrato proprio sulla lettera amorosa22. Nella stagione la ricaduta più significativa furono le Lettres amoureuses di Desportes, certo23, ma a renderci edotti del senso dell’iniziativa e delle modalità nelle quali venne condotta sono soprattutto le parole di un testimone privilegiato come appunto Corbinelli. Parole lucide che è opportuno valorizzare e alla luce 19 Concetti amorosi cioe, lettere, giovenili et amorose, di M. Pietro Bembo, et altri eccelenti auttori, a diversi propositi acommodate. Et etiam, lettere scritte a suoi congiunti, et famigliari amici, et altre qualità di persone. Con alcune piacevoli, et ridiculose lettere, in lingua venetiana scritte a una cortigiana, opera tanto utile, quanto piacevole, et diletosa. Novamente stampata, del 1553, In Modena, ad instantia di Mafeo Tagietti, detto il Verginio, et Ieronimo da Vinetia compagni, [1553]; non meraviglierà che le Lettere giovenili di M. Pietro Bembo (Milano 1558) qualche anno dopo diventino le Lettere amorose. Con alcune altre di nuovo aggionte da diversi autori, In Bressa, appresso gli heredi di Lodovico Britanico, 1563. 20 Progetto tratteggiato in Jacques Amyot, Projet de l’eloquence royale, rimasto manoscritto e edito solo nel 1805 (Versailles, Pierres). All’argomento è stato dedicato un numero di Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme, t. XXXI, 2008, 4, curato da Claude La Charité con saggi di François Rouget, John Nassichuk, Roxanne Roy, Luc Vaillancourt e dello stesso curatore. 21 L. Vaillancourt, «Henri III épistolier; rhétorique royale de la lettre familière», Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme, t. XXXI, 2008, 4, p. 97-113. 22 Presupposto ideale di quella tipologia epistolare era il riferimento all’Italia: «dans le genre épistolaire, tel que vont l’enseigner les secrétaires et auteurs de manuels qui succéderont à Du Tronchet et à sa génération, l’italianisme va paraître un ingrédient normal, et même artistiquement nécessaire. Or l’italianisme, dans ce cas, c’est l’artifice» (Bernard A. Bray, L’art de la lettre amoureuse. Des manuels aux romans (1550-1700), La Haye-Paris, Mouton, 1967, p. 9), tenendo presente che quella tipologia epistolare non era ‘la’ lettera italiana, ma una particolare tipologia di quella lettera. 23 Riedite di recente in Philippe Desportes, ‘Phraséologie oratoire’ suivi des ‘Lettres amoureuses’, éd. par F. Rouget, Paris, Classiques Garnier, 2012.

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delle quali leggere la vicenda. Sono consegnate alla corrispondenza con Giovan Vincenzo Pinelli, un corpus epistolare prezioso che da qualche anno, in vista di un’edizione complessiva, è oggetto delle cure della stessa Gazzotti e di Maria Grazia Bianchi. Il 25 settembre 1579 il fuoruscito fiorentino anticipava al dotto amico padovano che con altra vi ragionerà d’un’opera che vorrebbe che io facessi un Franzese S.re che mi può comandar, che è quello che hoggi desiderano i franzesi et nelli scritti loro et in quei d’altri, certi sali et tratti et χαριεντισμοὶ λόγοι καὶ ἱλαροί per servirsene nelle lettere. n stimano altro, né intendono altro della lingua che il salso; l’altre virtù non sentono né conoscono, et questo per che poco la loro lingua le riceve. Vorrebbe che da tutti gl’autori che hanno scritto lettere cavassi le argutie et le riducessi a qualche metodo; io harei poca fatica, per che ho tutto notato et fregato; basterebbe andar sfogliettando et facendo scrivere. Io un’altra volta manderò a V.S. il disegno, et come io disegnavo di fabricar, ma, per che la cosa harebbe una certa infinitudine, io harei caro di sapere da V.S. come io potessi circumscrivere di qualche metà questo campo lato et spacioso. Prima gli vorrei dar loro circumscritione d’ἐπιστολικά, per che a questa intentione son fatti et che non vi fusse detto che non potessi essere ἐπιστολικόν; di poi vorrei far qualche ordine et metodo. V.S. pensi un po’ a disegnarmi questo ossame, come diceva il Giannotti24.

L’«altra» lì annunciata arrivò quasi tre mesi dopo. Solo il 12 dicembre Corbinelli tornò sull’argomento, ma questa volta non si limitò a annunciare il progetto. Il rilievo delle affermazioni mi auguro giustifichi la lunghezza della citazione: L’Argutie epistolari mi sono uscite del capo; pure V.S. ha da sapere che hoggi in Francia et spetialmente da questi Mignoni et dal capo loro corre l’omore delle lettere bene scritte. Et questo bene scrivere non consiste più in una certa purità, chiarità, né finalmente, come noi diremo, in quella bellezza che porton seco quelle del Caro o d’un solo che è a Roma, di cui non mi ricordo il nome25, ma n’ho visto qua al Nuntio forse cento sopra tutte l’altre perfettissime, né io nominerei nessuno nel mio Demetrio che questi dua, parendomi che la lor forma e ’l loro stile sia assolutamente ἐπιστολικός. Or questo scrivere non piace, ma studiasi a mere affettationi così di concetti come di locutioni, talmente che né Sidonio Apollinare, né Simmaco o Cassiodoro, né tutto lo stile panegirico ci son per nulla. Vi parrebbe un dire

24 Milano, Biblioteca Ambrosiana, T 167 sup., c. 41r; per questa e per la lettera che segue do il testo nella trascrizione di Marisa Gazzotti, che ne ha approntato l’edizione e che ringrazio (thèse de doctorat, Scambi culturali tra Italia e Francia nel xvi secolo: le lettere di Jacopo Corbinelli a Gian Vincenzo Pinelli (1579-1587) nel codice ambrosiano T 167 sup., Université de Lausanne, 2017). 25 Ricordo che tra gli epistolografi attivi a Roma nel periodo comprendente i papati di Pio IV e Gregorio  XIII era stato particolarmente acclamato il cardinale Tolomeo Gallio, in grazia del quale si era venuta a «stabilire per tutta la Corte una maniera di dire, soda, breve, chiara, e facile, priva d’ogni fuco, e d’ogni soprabondanza, in guisa, che meglio non credo si sapesse desiderare» (A. Ingegneri, discorso Delle lettere famigliari, op. cit., p. 11).

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paolo procaccioli da Calmo et simili iperbolici di costà, però sono argutie et ingegnosità et questo credo che venga per che, essendo poco capace o nulla la lingua loro di certi naturali artifitii et più stimati, cercon le stravagantie per darli sapore in qualche modo più apparente, et questo è solo quello che è in pregio. Hora il Re non solamente scrive et si compiace di scrivere lettere a donne di corte per suo conto, ma ancora le scrive per altri, et in questo sono impiegati i più belli spiriti et i più favoriti, et ha dato carica a Deportes di far questa colletta d’Argutie o come voi le volete chiamare; io me ne rido del fatto suo. A questa concorrenza un altro signore ricercò me che io intraprendessi questo affare, il quale pensavo di potermene facilmente acquistare con l’andare sfogliettando tutte l’epistole scritte da latini, le quali io credo haver viste et marchativi questi luoghi. Talmente che in 4 dì io penserei d’havere scorporato un libro. Non vorrei pigliare altri libri per circumscrivermi in un termine, parendomi che questo possi bastare, che, essendo questa fatica per fine di Pistole, fussi assai haver tolto da tutte l’Epistole26. Di ridurre poi questi charientismi, et ἱλαροὶ λόγοι a qualche metodo, (et di titolare in qualche modo questa fatica) così per l’uso di chi se n’havessi poi a servire, come per commodità et contento di chi la fa, di aver posto tutti quei capi sotto i quali posson cadere la diversità di queste osservanze: a questo ho pensato molto, ma non mi sodisfo ancora. Et quel poco che havevo schizzato, s’io lo ridurrò in meglio, lo manderò a veder a V.S., la quale intanto penserà a questo che penso io, et se la me ne potrà dare spiraglio alcuno intanto, me ne farà piacere, per che io leggo le pistole di s. Gregorio a questo effetto, se ben anco per altro le vengo a godere, lineo tutto quel che trovo per servirsene da costoro. Verbigratia quivi dove dice: meror, Petre, quem cotidie patior et semper mihi per usum vetus est et semper per augumentum novus27. Questa gratia è ella nella dianea o pur nella syntesi o pur nell’acribologia? Perché io non ho speculato sin qui che le habbino a potere haver altre sede et altri strati che 4: o dianea sola, o syntesi sola, sotto la quale si potrebbe forse comprendere l’α;κριβολογὶα qualche volta, et per quarta nel metafoneo il quale farem di più sorte, et quello dove più par che riseggino le materie di queste gratie massime alla franzese, per che porton con seco non so più che davantaggio. Vorrei sapere se questa divisione è completa; farei un libro diviso in 4 parti et in 4 libri, a ciascuno assegnando quella parte sotto la quale farei cadere altri capi che servirebbon per le materie. Verbigratia nel libro che comprende la dianea sola (cioè quella bellezza che è nel senso solo et dove la compositione non aggiungon per se stesse gratia alcuna) metterei i capi d’Amore, di Stato, di religione, Principi, Sudditi et simili, Liberalità, Iustitie etc. et sic de singulis. Né so anco se tutto questo fatto fusse cosa che portasse il pregio. So bene che intendere la complessione et la distintione delle gratie l’una dall’altra, è quello che dianea sola, o sola compositione di parola, o pur l’una et l’altra etc. non è opera se non da chi ha speculato assai le forze dell’hermeneia, et per conseguentia è opera da altri che da me se già non bastassi a costoro di fare una cosa ῴς ἑν τύπω28. 26 Evidente il gioco di parole (con “pistole” = moneta). 27 Gregorio Magno, Dial. IV, 1, Prol. 3. 28 Milano, Biblioteca Ambrosiana, T 167 sup., c. 51r-v (ed. Gazzotti).

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Una lettera densa, della quale qui si metteranno a frutto solo alcuni riferimenti ma che la prossima editrice approfondirà come merita. Qui vale notare come Corbinelli dica a Pinelli e a noi che la materia epistolare era argomento di grande attualità che coinvolgeva l’intera corte, dai dotti dell’accademia palatina al re. Poi, almeno a vedere le cose dal punto di vista di chi la scriveva, la precisazione che non si trattava di una ricerca di «purità» di lingua ma di «sali», cioè di trovate a effetto degne della migliore prosa barocca («arguzie», «ingegnosità», «artifitii», «stravagantie»), cosa che non poteva entusiasmare un classicista come il fiorentino. Il tutto si era tradotto in un incarico ufficiale assegnato dal re a Desportes ma anche in un altro, parallelo se non proprio alternativo, proposto allo stesso Corbinelli da un non meglio precisato «signore»; un signore al quale, chiarisce a sua giustificazione, nonostante la sua freddezza per la materia, non poteva dire di no. Seguono poi le ipotesi dell’impianto della sua personale raccolta di Arguzie epistolari, ipotesi destinate a non avere seguito. Ma al di là degli esiti è interessante interrogarsi sul perché di quegli incarichi. Quello a Desportes era giustificato dal suo essere il poeta di corte, ma quello a Corbinelli è motivo di sorpresa. Probabilmente venne coinvolto in quanto italiano, di certo non lo fu in grazia di una competenza o di un interesse riconosciuti. Niente, né in Italia né in Francia, parlava di Corbinelli epistolografo o cultore di scrittura epistolare. Ma, dicono nel ’79 le sue parole a Pinelli e qualche anno dopo quelle di Montaigne, in ballo c’era soprattutto la teoria e la pratica delle lettere amorose (una pratica, sottolinea Corbinelli, nella quale indulgeva lo stesso re, e lo faceva anche … per conto terzi). Che rappresentavano uno dei filoni più fortunati – almeno in terra di Francia – della tradizione epistolare italiana29. Corbinelli conosceva bene tutto questo (racconta a Pinelli dell’infatuazione del re in persona per questa pratica) e anche se aveva ribadito la sua scarsa congenialità per la materia e si era ritagliato una tematica anch’essa d’attualità ma più convenzionale30 come una riflessione sui capi (ne proponeva una loro strutturazione «in 4 parti et in 4 libri»), non aveva potuto sottrarsi all’incombenza. Tra l’altro, precisava nell’agosto, per il fatto che l’iniziativa gli poteva garantire qualche introito sup-

29 E basti il rinvio al saggio ormai classico di Roger Duchêne, Madame de Sévigné et la lettre d’amour, Paris, Klincksieck, 19922; sulla tradizione italiana si veda ora Ida Caiazza, L’epistolografia amorosa del Cinquecento e del Seicento. Parabola di un genere letterario, tesi di dottorato, Università di PisaHelsingin Yliopisto, 2017. 30 Sullo svolgimento in terra di Francia della riflessione teorica di materia epistolare si vedano l’accurata ricostruzione svolta in C. Lignereux, «L’art épistolaire de l’âge classique», art. cit., e la folta bibliografia lì richiamata.

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plementare con cui mantenere la famiglia31. L’ottobre successivo mentre ringraziava il Pinelli per l’invio «di quelle lettere di diversi et spetialmente di quelle amorose», richiestissime dal momento che «qua non corre altro homore, né nel Re, né ne’ Mignoni et in tutti costoro, che far lettere d’amore32», concludeva rassegnato: «se tutti quei libri che mi havete mandato fussero state lettere amorose, buon per me. Sic vivitur ubi non bene vivitur33». A novembre la disponibilità era venuta meno del tutto: «quanto a quelle conceptioni epistolice è cosa per servire l’homore della corte et del Re; ma io penso di non c’entrare, per che vo’ riseguitare i miei studi principali et andar disoppilandomi il cervello delle troppe confusioni34». Quella che piaceva al re e ai suoi favoriti non era, è chiaro, la lettera che piaceva a Corbinelli e a Montaigne, tutti e due attestati su un modello più controllato incarnato da Annibal Caro, ma non si può neanche dire che quella per le lettere amoureuses fosse una mania recente imposta dal capriccio di quella particolare corte. Se di capriccio si trattava, era il capriccio di una nazione. Dalla princeps francese delle Amorose del Parabosco (del 1556, con riedizioni nello stesso anno, nel ’70 e nell’86, oltre a un’edizione senza data), alle Amoureuses del Du Tronchet (una silloge allestita a Roma nel ’72 ma a stampa nel ’95 nella quale su 72 lettere 69 sono traduzioni dall’italiano35) e a quelle dell’Aldrovandi (del 1568), sono soprattutto queste le lettere italiane che hanno corso in Francia, dove evidentemente non si tiene nessun conto delle riserve fortissime delle autorità religiose italiane36. Le inizia31 «Come il Villani è stampato, io non desidero cosa più, ma più presto spender 3 o 4 scudi in porto che star 40 o 45 mesi a haverli, che può morire tutta la mia progenia; che, se io havessi havuto quelle lettere amorose, mi sarebber profittate assai» (lettera del 15 agosto 1579, Milano, Biblioteca Ambrosiana, B 9 inf., c. 254r; è la lettera 19 dell’edizione Gazzotti). 32 Già in precedenza l’erudito aveva chiesto «queste lettere di diversi e non so che lettere d’amore, volume a parte, stampato costì, d’un gentilomo venitiano» (ms. B 9 inf. cc. 208r-209v del luglio 1578), poiché doveva raccogliere, per desiderio del re, le arguzie epistolari che servivano a corte per comporre lettere d’amore (si vedano inoltre qui anche le lett. 19, 22, 29). A partire dalla metà del secolo si susseguirono a Venezia diverse edizioni di lettere amorose, come quelle di Girolamo Parabosco, Alvise Pasqualigo o le raccolte collettive pubblicate da Francesco Sansovino, per le quali si rimanda a Jeannine Basso, Le genre épistolaire en langue italienne (1538-1662). Répertoire chronologique et analytique, Nancy-Roma, Presses Universitaires de Nancy-Bulzoni, 1990, t. I, p. 223-230. 33 Lett. 25 (Parigi, 15 ottobre 1579), nel ms. Ambrosiano T 167 sup., c. 44r. 34 Così nella lettera 28, scritta da Parigi il 21 novembre 1579 (ms. Ambrosiano T 167 sup., c. 50r). 35 Magda Campanini, In forma di lettere. La finzione epistolare in Francia dal Rinascimento al Classicismo, Venezia Lido, Supernova, 2011, p. 34 n. 42 (ricava il dato dalla tesi di Mary Saint Francis Sullivan, Étienne Du Tronchet: auteur forézien du xvie siècle. Étude biographique et littéraire, Washington DC, Université Catholique d’Amérique, 1931, p. 67-69). 36 Ricordo che il 22 maggio 1574 il Blado aveva pubblicato un Aviso alli librari nel quale erano indicate alcune opere da non stampare. Tra le altre vi figuravano «Lettere amorose di nessuna sorte» (l’avviso è riprodotto in Ugo Rozzo, La letteratura italiana negli ‘Indici’ del Cinquecento, Udine, Forum, 2005, p.  52), divieto poi ripreso nell’indice di Parma del 1580 e destinato a

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tive editoriali dicono insomma che da tempo quella tipologia epistolare e libraria era la preferita dal lettore francese, e dunque bisognerà vedere nelle richieste del ’79 almeno la convergenza di un interesse preesistente e di una passione del momento. In ogni caso mi pare non ci siano dubbi sul fatto che le ragioni della giunta al saggio Sur Cicéron debbano essere cercate non tanto nel proliferare delle edizioni (fenomeno già documentato prima del 1580) quanto piuttosto nelle infatuazioni della corte. Una corte però che a osservatori come Montaigne e Corbinelli doveva apparire troppo tentata dagli eccessi e dal cattivo gusto. E se il fiorentino si limitò a uno sfogo epistolare destinato al confidente padovano, il bordolese decise di rendere pubblica la sua insofferenza e affidò la sua presa di distacco proprio a quelle righe aggiunte. Alla giunta allora, cioè ai libri di lettere e al merito delle considerazioni che la chiudono. Che sono di fatto una risposta. Una risposta duplice: quella di un francese davanti al tema ‘gli italiani e le lettere’; quella di uno scrittore davanti all’alternativa ‘la lettera mia e quella degli altri’. Gli italiani: tra la corte e Bordeaux si consuma il passaggio dalla lettera come modello alla lettera come stereotipo. Per il re il libro di lettere italiano nella sua tipologia amorosa è un paradigma valido; e dunque da promuovere, utile per elevare il tono della corte e attraverso di essa della nazione. Per Montaigne ormai quel modello – che pure lo aveva incuriosito al punto di riempirne prima le casse e poi, si suppone, più di un palco della sua biblioteca – è diventato qualcosa di improponibile. Col risultato che dal 1588 in poi i lettori degli Essais guarderanno quei libri con gli stessi occhi con i quali sessant’anni prima i lettori del Ciceronianus avevano imparato a guardare con diffidenza alla degenerazione italiana – segnata a fondo dalla retorica – delle idealità umanistiche. Non si trattava solo di tecnica, diceva Montaigne nel saggio; insieme c’erano in ballo questioni di stile e di sostanza, le regole della scrittura stessa e prima ancora quelle del ben vivere. Da una parte lettere «vuides et descharnées, qui ne se soustiennent que par un delicat chois de mots, entassez et rangez à une juste cadence», dall’altra lettere «farcies et pleines de beaux discours de sapience, par lesquelles on se rend non plus eloquent, mais plus sage, et qui nous apprennent non à bien dire, mais à bien faire37». essere ribadito ancora nell’800 (cfr. Maria Iolanda Palazzolo, «I “Segretari galanti” tra norme prescrittive e trasgressioni letterarie», in Scrivere d’amore. Lettere di uomini e donne tra Cinque e Novecento, a cura di M. I. Venzo, Roma, Viella, 2015, p. 25-43, a p. 31 n. 14). Sulla censura delle lettere amorose si veda ora Gigliola Fragnito, Rinascimento perduto. La letteratura italiana sotto gli occhi dei censori (secoli xv-xvii), Bologna, il Mulino, 2019, cap. II (“Dietro gli indici: liste semiufficiali e «regole»”). 37 M. Montaigne, Essais, op. cit., p. 256.

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Lo scrittore: l’autore parlava con cognizione di causa, e ci teneva a precisarlo. Come epistolografo sapeva di avere le carte in regola e di godere di grande reputazione nel giro di quelli che per lui contavano («sur ce subject de lettres, je veux dire ce mot, que c’est un ouvrage, auquel mes amys tiennent, que je puis quelque chose») al punto che, confessa, in un primo tempo aveva anche pensato di scrivere i suoi saggi in forma di lettere. Due cose lo avevano distolto dal progetto, l’incapacità di rivolgersi a un interlocutore fittizio e generico e l’insofferenza nei confronti dell’«usage present». Un uso inaccettabile, marcato da una «abjecte et servile prostitution de presentations38». Il lessico è netto e duro, a segnare una presa di distanza totale. La chiusa è tutta all’insegna della contrapposizione e di fatto replica, ma questa volta a partire dalla propria scrittura, la distinzione tra lettere vuote e lettere piene. E allora, di nuovo, da una parte le lettere della convenzione, amate dalla «jeunesse oysive, embabouinée de cette fureur», dall’altra le sue. È un capitolato vero e proprio, e naturalmente di guerra. Si comincia dal tempo e dalla grafia, che sono all’insegna della rapidità (si legga, del vero contro il falso e dell’essenziale contro il superfluo). In un genere nel quale era d’uso dedicare la cura massima al confezionamento della pagina, e in una stagione nella quale i manuali di scrittura erano finalizzati soprattutto a offrire un modello di grafia e di mise en page della scrittura epistolare, Montaigne sostiene le ragioni dell’urgenza contro quelle del decoro: scrivo in fretta, con cancellature e freghi, non trascrivo mai, ignoro i margini, non seguo uno schema. Il che vuol dire un rifiuto totale dei modelli, tanto a livello di forma esteriore che, e ancora di più, di contenuti. L’insofferenza massima è per il formulario d’apertura e per quello di congedo, cosa che gli fa dire che «les lettres de ce temps, sont plus en bordures et prefaces, qu’en matiere39». Parole e immagini non dissimili da quelle di Corbinelli, che proprio a proposito dello stile epistolare nel 1571 aveva scritto al suo corrispondente padovano che «l’essere condotti all’extremo d’ogn’adulatione ci fa cercare et operare di queste minutie che, non ci sendo più panno, si fa co’ ritagli et co’ rimbrencioli»,

38 Ibid., p. 256. 39 Sul luogo e sulla sua topicità, a partire almeno da Erasmo, richiama opportunamente l’attenzione Alberto Frigo in Montaigne e le “carte messaggiere”, saggio introduttivo a Michel de Montaigne, Lettere. Con testo originale e traduzione a fronte, a cura di A. Frigo, Firenze, Le Monnier, 2010, p.  5-62, in partic. alle p.  5-10. Ricordo qui lo sfogo di un altro campione di insofferenza per i vincoli posti dalla cultura dell’imitazione, l’Aretino, che giocando sull’ambivalenza della parola «arte» aveva dichiarato con altrettanta fermezza la propria autonomia di scrittura: «non ho arte, per non essere bergamasco» (lett. II 151) e «ho visto, letto, e riposto l’epistole di Cicerone. Holle viste per grado di chi l’ha tradotte; holle lette per riverenza del loro celeste auttore; holle riposte perché chi si pensa farsi eloquente con le fatiche d’altri, diventa inculto nel sudor de le sue» (in Pietro Aretino, Lettere, a cura di P. Procaccioli, Roma, Salerno Editrice, rispettivamente libro II, 1998, p. 172 [lett. 151, del 6 febbr. 1540, a Vincenzo Fedeli], e libro III, 1999, p. 169 [lett. 164, del marzo 1545, a Francesco Sansovino]).

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per finire coll’enunciazione della regola generale: «ogni allungamento, in qualunque cosa, [risulta] più bello et più notabile40». Naturalmente tutto questo poteva essere rovesciato e trovare riscontro, un riscontro invece positivo, nella vivacità di una trattatistica che rispondeva alle esigenze di lettori sempre più appassionati. E che non erano necessariamente identificabili in un mittente come Montaigne. Al di là del caso dell’epistola amorosa – dopo il cenno iniziale il saggio parla di lettere scritte a corrispondenti generici – per buona parte dei libri di lettere italiani e della trattatistica relativa si trattava di corrispondenze professionali. Del resto la lettera del Cinquecento italiano dopo l’esordio degli scrittori (Aretino, Franco, Doni) era diventata soprattutto la lettera dei segretari. Nella quale, quale che fosse la latitudine e la lingua, il rispetto di regole e convenzioni era un tratto costitutivo da sempre, da Alberico di Montecassino, e come tale irrinunciabile. Non che Montaigne non fosse consapevole di questo. Ma forse qui gli faceva gioco accomunare tipologie epistolari diverse e codificate ab antiquo come erano le lettere familiari e quelle di negozio, così come quelle amorose e quelle, tutte puntualmente richiamate, di raccomandazione, di augurio, di benvenuto, di congedo, di ringraziamento. Lo scopo della giunta sembrerebbe una contrapposizione al costume italiano, in particolare all’infatuazione per il libro di lettere a stampa. In realtà il suo obiettivo polemico potrebbe essere la corte francese. Il gioco vuoto/ pieno che ne risulta (il vuoto della parola degli altri e il pieno della sua, tutta cose) aveva l’apparenza di uno sfogo ma poteva essere anche un bilancio e addirittura un programma. Quello destinato a marcare il profilo professionale di un Montaigne che sappiamo essere stato in corsa per un incarico diplomatico, e per questo massimamente interessato a sottolineare il peso delle sue parole. Non diversi sarebbero stati, qualche anno dopo, gli argomenti ai quali avrebbe fatto ricorso Angelo Ingegneri intenzionato a giocare la carta di una segreteria romana. Ma nell’uno e nell’altro caso le strategie si rivelarono perdenti: ancora per molto tempo si sarebbe entrati nelle cancellerie sulla base delle competenze certificate dal libro di lettere di negozio così come era stato codificato da Francesco Sansovino qualche decennio prima e adattato dai suoi continuatori e emuli italiani e francesi41. Alla base c’era il legame strettissimo che univa da sempre la materia epistolare e la diplomazia, per cui credo che non sarebbe del tutto fuori luogo provare a connettere 40 Milano, Biblioteca Ambrosiana, ms. B 9 inf., c. 134v, lettera del 16 gennaio 1571 (edita in Maria Grazia Bianchi, Il codice Ambrosiano B 9 inf. e le lettere di Jacopo Corbinelli a Gian Vincenzo Pinelli. Interessi eruditi e storici tra Italia e Francia (1566-1578), Thèse de doctorat présentée à la Faculté des lettres de l’Université de Lausanne, 2016, t. II, p. 176 [lett. 66]). 41 Per questi ultimi in Francia soprattutto lo Chappuys, la cui traduzione è stata edita di recente (Gabriel Chappuys, Le Secrettaire (1588), édition critique, présentée et annotée par V. MellinghoffBourgerie, Genève, Droz, 2014).

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paolo procaccioli

la giunta con la mancata nomina a ambasciatore a Roma. Nomina che sfumò proprio nel corso di quello che, e concordo con Philippe Desan, sarebbe anacronistico e in ogni caso fuorviante definire solo un voyage en Italie42. La giunta quindi come uno sfogo e la lettera come uno schermo. Uno schermo allora sottile data la prossimità delle materie, e dove il nome del Caro e le lettere amorose chiarivano a sufficienza sia l’orizzonte di riferimento sia la polarizzazione neanche tanto sottintesa. Era un modo per prendere le distanze da una realtà sociale e culturale, e chissà che occhi più acuti dei miei indagando la pagina non sappiano cogliere implicazioni politiche in una presa di posizione che nel pieno della stagione della ligue metteva in discussione idee e comportamenti del re e dei suoi mignons. Qui in ogni caso, in linea con quanto proposto, basti aver richiamato l’attenzione su quel passaggio.

42 All’argomento è dedicato il capitolo VII (“L’appel de Rome ou comment Montaigne ne devint jamais ambassadeur, 1580-1581”) della biografia di Philippe Desan, Montaigne. Une biographie politique, Paris, Odile Jacob, 2014, p. 317-394.

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III Une approche comparée au livre et à la typographie : Italie, France et Espagne

Gli «immortali sudori del Brucciolo». Le dediche a Francesco I di Francia nella Bibbia di Antonio Brucioli (1532) Edoardo Barbieri

Università Cattolica di Milano

À la mémoire de Denise Hillard

L’avventura umana e intellettuale di Antonio Brucioli gode, ormai da quasi ottant’anni, di un libro e un articolo scritti da un maestro della storia moderna, Giorgio Spini (1916-20061). Se infatti col denso volumetto l’allora giovane studioso riuscì a fornire un completo profilo del Brucioli collocato, sin dal titolo, in una posizione ambigua tra Rinascimento italiano e spinte verso la Riforma d’Oltralpe, con l’articolo per «La Bibliofilia» propose una ancor oggi sostanzialmente valida bibliografia delle edizioni antiche dei suoi scritti2. Tale posizione di storiografico privilegio conquistata dal Brucioli tra la selva degli uomini che nel xvi secolo animarono il dibattito culturale e religioso italiano ha favorito una lunga serie di studi incentrati su di lui, o in cui la sua figura risulta comunque preminente, almeno dalle pagine a lui dedicate da Carlo Dionisotti3 fino al convegno organizzato a Tours da Élise Boillet4 o al recente profilo proposto da Davide Dalmas per i Fratelli d’Italia di Claudiana5. La fortuna di cui ha goduto e gode Antonio Brucioli ha portato però a fissare in modo forse troppo netto alcune linee interpretative che a una disamina più attenta dei dati a disposizione

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Adriano Prosperi, «Giorgio Spini: gli studi sull’età della Riforma e della Controriforma», Quaderni del circolo Rosselli, t. XCIV, n.s., 3, 2006, p. 131-138. Giorgio Spini, Tra Rinascimento e Riforma: Antonio Brucioli, Firenze, La nuova Italia, 1940 e id., «Bibliografia delle opere di Antonio Brucioli», La Bibliofilia, t. XL, 1940, p. 120-180. Carlo Dionisotti, «La testimonianza del Brucioli», Rivista Storica Italiana, t. XCI, 1979, p. 2651, poi in id., Machiavellerie. Storia e fortuna di Machiavelli, Torino, Einaudi, 1980, p. 193-226. Antonio Brucioli. Humanisme et évangélisme entre réforme et contre-réforme (Actes du colloque de Tours, 20-21 mai 2005), a cura di É. Boillet, Paris, Champion, 2008. Fratelli d’Italia. Riformatori italiani nel Cinquecento, a cura di M. Biagioni, M. Duni, L. Felici, Torino, Claudiana, 2011, p. 19-26.

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edoardo barbieri

possono essere utilmente messe in discussione6. In tale prospettiva si pone anche questo intervento, che ha il solo fine di spingere a una rilettura delle due dediche che il fiorentino volle premettere rispettivamente alla prima e alla seconda parte dell’editio princeps della sua traduzione italiana della intera Bibbia7. La Bibbia italiana a stampa nasce assai presto, nel 1471 con addirittura due edizioni quasi contemporanee: una, che non verrà più ripubblicata sino all’Ottocento, basata sulla tradizione manoscritta consolidatasi nel tempo, pubblicata sine nomine ma da attribuire alla tipografia di Adam de Ambergau con la data del I ottobre8, l’altra sottoscritta da Wendelin da Speyr con la data del I agosto9. La Bibbia dell’agosto riporta la traduzione – basata sul latino della Vulgata – sottoscritta dal monaco camaldolese Niccolò Malerbi, che pochi anni più tardi, nel 1475, pubblicò anche la Legenda aurea volgarizzata10. La Bibbia del Malerbi nasce però dotata di un’importante epistola dedicatoria indirizzata al francescano Lorenzo da Venezia (che rispose a sua volta con una breve lettera in latino rivolta al traduttore11): la nuncupatoria, per lungo tempo ignorata o sottovalutata12, costituisce in realtà un 6

Edoardo Barbieri, «Giovanni Della Casa e il primo processo veneziano contro Antonio Brucioli», in Giovanni Della Casa, ecclesiastico e scrittore (Atti del convegno, Firenze-Borgo San Lorenzo, 20-22 novembre 2003), a cura di S. Carrai, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2007, p.  31-70; id., La tipografia dei fratelli Brucioli, l’attività editoriale di Antonio e il Cabasilas di Gentien Hervet, in Antonio Brucioli, op. cit., a cura di É. Boillet, p. 53-76. 7 Spero di tenere qui nel debito conto le lucide osservazioni scaturite dopo la mia relazione durante in convegno di Tours “A poco a poco”: ringrazio perciò in modo particolare Chiara Lastraioli, Paolo Procaccioli, Jean Balsamo, Rosanna Gorris Camos, Alessandro Turbil, Dorit Raines e Lorenzo Baldacchini. 8 ISTC ib00639000; Edoardo Barbieri, Le Bibbie italiane del Quattrocento e del Cinquecento. Storia e bibliografia ragionata delle edizioni in lingua italiana dal 1471 al 1600, Milano, Editrice Bibliografica, 1992, I, no 2. 9 ISTC ib00640000; E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., no 1. 10 ISTC ij00174000; Martin Lowry, Nicolas Jenson e le origini dell’editoria veneziana nell’Europa del Rinascimento, Roma, Il veltro, 2002, p. 372 no 40. Sul Malerbi e l’ambiente camaldolese di San Mattia di Murano si vedano: E. Barbieri, Le Bibbie italiane, I, p. 15-106; id., «Produrre, conservare, distruggere: per una storia dei libri e della biblioteca di S. Mattia di Murano», Ateneo veneto, t. XXV, 1997, p. 13-55; id., «Morfologie del libro in un monastero camaldolese del Quattrocento: il caso di S. Mattia di Murano», in Il libro nella storia. Tre percorsi, a cura di id., Milano, CUSL, 2000, p. 1-115; id., «Malerbi (Malermi, Manermi), Nicolò», in Dizionario Biografico degli italiani, Roma, Treccani, t. LXVIII, 2007, p. 149-151; id. e Alessandro Tedesco, «La vita di san Romualdo secondo il “Legendario di sancti” di Nicolò Malerbi (1475)», in Le fusa del gatto. Libri, librai e molto altro, [Torrita di Siena], Società Bibliografica Toscana, 2012, p. 53-66. 11 Lorenzo sarà a sua volta protagonista, pochi anni dopo, di una particolare avventura tipograficoeditoriale: Martin Lowry, «“Nel beretin convento”. The Franciscans and the Venetian press (1474-1478)», La Bibliofilia, t. LXXXV, 1983, p. 27-40. 12 Venne ristampata solo nella edizione della Bibbia volgare Venezia, Miscomini, 1477-78 (E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., no 5) e in Jacopo M. Paitoni, Biblioteca degli autori antichi greci e latini volgarizzati, V, Volgarizzamenti della Bibbia e delle cose spettanti al Breviario, Venezia, [Simone Occhi], 1767, p. 6-10.

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gli «immortali sudori del brucciolo»

interessante trattatello sul tradurre e sulla lettura laicale della Bibbia13. Tutto ciò per dire che in questo modo la Bibbia a stampa in volgare italiano nacque dotata di una acuta autogiustificazione: perché vengano messe a stampa delle glosse in volgare capaci di costituire in nuce un commento integrale occorrerà invece attendere diversi anni14. Non stupirà dunque che anche l’opera del Brucioli, di oltre mezzo secolo successiva alla fatica di Malerbi, sia sin da subito dotata di un tentativo di rendere ragione appunto del lavoro di traduzione proposto. Brucioli, nato a Firenze sul finire del Quattrocento, di solida formazione classica, dopo una serie di travagliate vicende e un periodo di esilio all’estero, nel quale si presume si avvicinasse alle idee dei novatores in campo religioso, nel 1529 lasciò in modo precipitoso e definitivo la Toscana per approdare a Venezia, dove nel 1526 aveva già pubblicato alcuni suoi Dialogi filosofici presso Gregorio de’ Gregori15, ampliati tra ’28 e ’29 in un’edizione in tre volumi presso Giovann’Antonio e fratelli Nicolini da Sabbio16. Da poco giunto nella città lagunare, entrato in contatto con un illustre emigré fiorentino come l’editore Lucantonio Giunta specializzato in pubblicazioni religiose e liturgiche17, nel 1530 diede fuori la sua traduzione del Nuovo Testamento18 condotta, probabilmente già a Firenze, sul testo greco allestito da Erasmo da Rotterdam fin dal 1516 e più volte rivisto e pubblicato19. Purtroppo

13 Vedi E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., p. 37-70 e L’italiano nelle regioni, II, Testi e documenti, a cura di F. Bruni, Torino, UTET, 19972, p.  266-272. Una recente rilettura è proposta in Edoardo Barbieri, «La ‘magna e salutiffera utilità’. Appunti sulla Bibbia in italiano fra Quattro e Seicento», Liber annuus. Annual of the Studium Biblicum Franciscanum Jerusalem, t. LXVII, 2018, p. 225-250, articolo che fa parte di un dossier dedicato alla Bibbia nell’Italia tra Medioevo ed Età moderna (con altri interventi di Franco Pierno, Michele Colombo, Yaakov Mascetti). 14 Byblia in vulgar ultimamente impressa ornata intorno de moral postille et figure, [Venetia, per Lazaro de Soardi & Bernardino Benalio 1517 a di X de Luio]: E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op.  cit., no  18; Edit16 CNCE 5756; Franco Pierno, Postille Spiritual et Moral (Venise, 1517). Édition, introduction historique, analyse linguistique et glossaire du premier commentaire biblique imprimé en langue vulgaire italienne, Strasbourg, Société de Linguistique Romane, 2008. Per un commento integrale all’intera Bibbia si veda invece l’edizione brucioliana in sette volumi uscita a Venezia tra il 1540 e il ’44 (Edit16 CNCE 5765; G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no 35 e 36). 15 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no 1; Edit16 CNCE 7627. L’opera gode di una (perfettibile) edizione moderna: Antonio Brucioli, Dialogi, a cura di A. Landi, Napoli-Chicago, PrismiNewberry Library, 1982. 16 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no 2; Edit16 CNCE 7628. 17 Edoardo Barbieri, «II giglio e la Bibbia. I Giunti di Venezia editori della Sacra Scrittura», in Religion et littérature à la Renaissance: mélanges en l’honneur de Franco Giacone, a cura di F. Roudaut, Paris, Garnier, 2012, p. 223-242. 18 E. Barbieri, Le Bibbie italiane, art. cit., no 21; Edit16 CNCE 5938. 19 Alexandre Vanautgaerden, Érasme typographe. Humanisme et imprimerie au début du xvie siècle, Genève, Droz, 2012, ad indicem. Non si scordi che durante il sequestro dei beni fiorentini del Brucioli venne appunto ritrovato uno scartafaccio con la traduzione neotestamentaria (E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., I, p. 110).

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per lungo tempo la scheda proposta da Spini nella sua bibliografia brucioliana20, basata sull’esemplare di tale opera appartenente alla raccolta dedicata alla riforma religiosa messa insieme dal conte Piero Guicciardini e conservata presso la Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze, esemplare mancante del secondo volume21, ha generato alquanti equivoci. Il primo volume contiene infatti una dedica al card. Ercole Gonzaga, ma anche il secondo ha un’altra nuncupatoria allo stesso, che la vecchia storiografia conosceva però solo tramite la curiosa ristampa dell’opera del Brucioli pubblicata ad Anversa nel 1538, probabilmente collegata al mondo dei mercanti italiani all’estero, dal tipografo Johannes Grapheus22. Si deve ritenere che il Brucioli non avesse alcuna parte nell’edizione di Anversa, che è una semplice ristampa della princeps di cui riprende entrambe le dediche23. Quindi, il Nuovo Testamento del 1530 era già dotato di due lettere dedicatorie (una ai Vangeli, l’altra ad Atti, Lettere, Apocalisse) indirizzate al card. Ercole Gonzaga24. Il contenuto di tali dedicatorie confluì poi sostanzialmente nelle lettere a Francesco I di cui qui ci si occupa. Su sollecitazione (e probabilmente col contributo finanziario) dei Giunta, sembra che a questo punto, sotto la guida del grande ebraista Elia Levita25, Brucioli si mettesse a studiare l’ebraico per dedicarsi alla traduzione anche dell’Antico Testamento: ecco infatti comparire nel 1531 i Salmi con una dedica a Guido Rangoni26, nella quale viene esplicitamente dichiarato il debito di riconoscenza verso «Elia Levita tanto famoso grammatico nelle sante letere della ebraica lingua». Naturalmente, in uno o due anni di studio Brucioli non può aver appreso 20 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no 16. 21 Il fondo Guicciardini nella Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze, II, Bibbie, a cura di A. Landi, Firenze-Milano, Giunta Regionale Toscana-Bibliografica, 1991, no 179; La Bibbia. Edizioni del xvi secolo, a cura di A. Lumini, Firenze, Olschki, 2000, no 260 e Le cinquecentine del Fondo Piero Guicciardini nella Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze, a cura di M. Fratini e L. Venturi, Torino, Centro Culturale Valdese, 2017, p. 184, no 69. Ma il problema si ripropone anche oggi: l’unico esemplare digitalizzato italiano (altri due completi sono a Bologna e Perugia) è proprio quello mutilo della Nazionale di Firenze (!): (, consulté le 08/04/2020) 22 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no 17; E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., no 31; La Bibbia, a cura di A. Lumini, no 262; Edit16 CNCE 5941. Sull’editore vedi Anne Rouzet, Dictionnaire des imprimeurs, libraires et éditeurs des xve et xvie siècles dans les limites géographiques de la Belgique actuelle, Nieuwkoop, B. De Graaf, 1975, p. 79-80. 23 E. Barbieri, «Alcune precisazioni circa le due più antiche edizioni del Nuovo Testamento tradotto in italiano da Antonio Brucioli», Rivista Miscellanea Marciana, t. V, 1990, p. 223-232. 24 Voce di Giampiero Brunelli, «Gonzaga, Ercole», in Dizionario Biografico degli Italiani, t. LVII, 2001, p. 711-722. 25 Da ultimo Bovo d’Antona by Elye Bokher. A Yiddish Romance. A Critical Edition with Commentary, a cura di C. Rosenzweig, Leiden, Brill, 2015 con la bibliografia indicata. 26 G. Spini, «Bibliografia», art.cit., no  29; E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op.  cit., no  22; Edit16 CNCE 5839. Sul nobile modenese si veda da ultimo (anche se assai imperfetto) Gian Carlo Montanari, Guido Rangoni. Un condottiero fra Evo Medio e Moderno, Modena, Il Fiorino, 2005.

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l’ebraico sino al punto di essere in grado di tradurre i libri dell’Antico Testamento. Esisteva disponibile (e rimarrà per secoli lo strumento indispensabile per il lavoro degli ebraisti – non solo cristiani – applicati alla Bibbia) la traduzione latina della Sacra Scrittura approntata dal domenicano lucchese Sante Pagnini e proprio nel 1528 pubblicata a Lione da Antoine du Ry per un gruppo di librai italiani tra i quali spicca, a fianco di Francesco Turchi e Domenico Berticino anch’essi originari di Lucca, il rappresentante in loco del clan Giunta, Giacomo27. Si trattava, come è noto, di una preziosa traduzione letterale, realizzata parola per parola sul testo ebraico così da permettere di seguire verbatim l’organizzazione del discorso28. Già nel 1532 Brucioli pubblica l’intera Bibbia, per la prima volta tradotta in italiano dagli originali ebraico e greco: «La Bibbia quale contiene i sacri libri del Vecchio Testamento tradotti nuovamente da la hebraica verità in lingua toscana per Antonio Brucioli co’ divini libri del Nuovo Testamento di Christo Gesù signore e salvatore nostro tradotti di greco in lingua toscana pel medesimo29». L’edizione segna il culmine della collaborazione coi Giunta, celebrata nella dedica a Giovan Maria (figlio di Lucantonio, che nel 1538, alla morte del padre, assumerà col fratello Tommaso la conduzione dell’azienda30) di un’opera minore del Brucioli, la traduzione italiana del Somnium Scipionis pubblicata sine notis, ma attribuibile ad Aurelio Pinzi tra 1532 e ’3331. Di lì a poco sorgeranno gravi dissensi nel rapporto tra il Brucioli e i Giunti, sostanzialmente basati su tematiche economiche, ma in parte connessi anche alle posizioni religiose del Brucioli. L’edizione del ’32 è in effetti un magnifico volume in folio suddiviso in due parti (Antico e Nuovo Testamento) di rispettivamente 328 e 92 carte, la seconda dotata di un titolo autonomo decorato come il frontespizio. L’edizione è infatti arricchita di due importanti elementi illustrativi. Innanzitutto una splendida e celebre cornice a cassettoni al frontespizio (riprodotta al titolo della seconda parte): si trattava di una tavola integrale (non forata nel mezzo per contenere il testo né costituita da più blocchi componibili, il che implicava un doppio passaggio del foglio sotto il 27 SBN IT\ICCU\RMLE\000324. 28 Saverio Campanini, «Pagnini, Antonio Baldino (in religione Sante)», in Dizionario Biografico degli Italiani, t. LXXX, 2015 (la voce è disponibile solo online: , consultato il 07/04/2020). 29 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no 8; E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., no 23; Edit16 CNCE 5759. 30 Massimo Ceresa, «Giunti (Giunta), Tommaso», in Dizionario Biografico degli Italiani, t. LVII, 2001, p. 101-104. 31 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no  37; Edit16 CNCE 14583; E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., p. 113-114; Simona Brambilla, «Antonio Brucioli traduttore del “Somnium Scipionis”: origini e fortuna di un volgarizzamento ciceroniano nel Cinquecento e oltre», in Antonio Brucioli, a cura di É. Boillet, op. cit., p. 99-129.

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torchio) che ebbe parecchia fortuna, sia nella versione originale rimasta in possesso dei Giunta e riutilizzata diverse volte32, sia in copie realizzate vuoi dal Brucioli per le sue edizioni posteriori alla collaborazione coi Giunti, sia a esempio nella Milano borromaica33. Circa l’interpretazione della cornice, probabilmente realizzata a partire da un disegno di Lorenzo Lotto, le opinioni divergono, anche se pare certo che, quantomeno i contemporanei, vi cogliessero lo stretto legame col testo biblico, ma nessuna influenza protestante34. Si può aggiungere che, come apparirà evidente, essa riprende direttamente le tematiche teologiche (e persino le citazioni scritturistiche) espresse proprio dalla dedicatoria. Diverso il caso delle uniche illustrazioni inserite nel testo, collocate nell’Apocalisse: realizzate da un incisore italiano, Matteo da Treviso, dipendono però da una ben precisa tradizione iconografica35. Se all’inizio si pone infatti la serie delle magnifiche silografie realizzate da Albrecht Dürer per la Apocalypsis cum figuris del 151136, il modello qui impiegato è costituito dalle illustrazioni di Lucas Cranach inserite nel Nuovo Testamento tradotto da Lutero e uscito a Wittenberg presso Melchior Lotter jr. nel 152237. Sta di fatto che alcune delle silografie mostrano chiari segni della polemica anticattolica, con la magna meretrice che porta il triregno o la Babilonia caratterizzata da Castel Sant’Angelo. In effetti, dopo questa loro prima comparsa, le matrici vennero probabilmente distrutte, visto che non saranno più impiegate38. A ribadire l’intenzione e l’opera del Brucioli compare, al verso del frontespizio della prima parte (P. I, c. +1v), la premessa Al lettore salute, di cui si può leggere qualche riga: 32 Edoardo Barbieri, «Le edizioni della Bibbia latina di Isidoro da Chiari», in L’antiche e le moderne carte. Studi in memoria di Giuseppe Billanovich, a cura di C. M. Monti e A. Manfredi, RomaPadova, Antenore, 2007, p. 97-134. 33 Id., «La lettura e lo studio della Bibbia nella Milano Borromaica: prime schede», in Milano borromaica atelier culturale della Controriforma. Atti delle giornate di studio 24-25 novembre 2006, a cura di D. Zardin e M. L. Frosio, Milano-Roma, Biblioteca Ambrosiana-Bulzoni, 2007, p. 41-71. 34 Franco Giacone, «Du “vulgaire illustre” à l’illustration de la Parole: La Bible de Brucioli (1532)», in La Bible imprimée dans l’Europe moderne, a cura di B. E. Schwarzbach, Paris, Bibliothèque Nationale, 2000, p. 260-287; Massimo Firpo, Artisti, gioiellieri, eretici. Il mondo di Lorenzo Lotto tra Riforma e Controriforma, Roma-Bari, Laterza, 2001 ; Matteo Giro, «Di alcune cornici figurate nei frontespizi giuntini degli anni Trenta del xvi secolo», La Bibliofilia, t. CXXII, 2020, pp. 373-392. 35 Matteo Giro, «Le illustrazioni xilografiche per l’Apocalisse del Brucioli», in Visibile teologia: il libro sacro figurato in Italia tra Cinquecento e Seicento, a cura di E. Ardissino ed E. Selmi, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2012, p. 39-58. 36 VD16 B 5248. 37 VD16 B 4318. Sulla strategia editoriale e iconografica del luteranesimo delle origini si veda da ultimo Andrew Pettegree, Brand Luther: 1517, printing, and the making of the Reformation, New York, Penguin Press, 2015. 38 Ancora preziosa la scheda proposta da Giulio O. Bravi, Bibbie a Bergamo. Edizioni dal xv al xvii  secolo, Bergamo, Centro culturale S. Bartolomeo, 15 gennaio-13 febbraio 1983, Bergamo, Comune, Assessorato cultura, 1983, no 102.

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gli «immortali sudori del brucciolo» E horamai questi sacri e divinissimi libri con sicuro animo a léggere prendi, perché da le oscurissime tenebre, ne le quali infino a qui sono ne la italica lingua nostra stati39, in tale luce e perfettione, con lo aiuto di Iddio, senza il quale nulla si puote e il quale de la lingua hebraica per tale opere ne ha dato cognitione, sono di tanto ne’ loro proprio lume ridotti40. […] Neanche in questo di tanto mi sono di me medesimo fidato che consigliato non mi sia con tutte le altre traduttione latine e greche41, sapendo che sempre il parere di più giova in tutte le cose; e con tutto questo non di piccolo aiuto mi è stato quel grandissimo rabbi Elia Levita, il quale, come tutti gli altri rabbi hebrei de’ nostri tempi, passa ne la grammatica di questa santa lingua hebraica così ancora passa tutti gli altri ne l’amore e ne la fedeltà del dichiare e il quale voglia Iddio da la cecità ricondurre a la vera via de la luce42.

La Bibbia del 1532 offre però anche le due ampie dedicatorie cui si è fatto cenno, entrambe indirizzate a Francesco I di Francia (parte prima cc. +4r-6v e parte seconda cc. ++3r-4v). Il testo di tali nuncupatorie viene qui pubblicato in appendice, accompagnato da un esile apparato di note. Il testo brucioliano, sia pur magmaticamente lussureggiante, se letto con attenzione costituisce uno dei più lucidi interventi – si direbbe un vero e proprio “manifesto programmatico” – nel campo della discussione religiosa di quegli anni, proponendo importanti riflessioni su tematiche storico-culturali e linguistiche di tale pregnanza da rendere difficile credere che non sia stato fin qui modernamente pubblicato43! Al di là della riflessione sulle fonti (ovviamente innanzitutto bibliche, ma anche erasmiane) che si vedranno affiorare, è il testo in sé a meritare di essere inteso con attenzione per la sua forza

39 Evidente il polemico riferimento alla traduzione del Malerbi, ormai vecchia di una sessantina d’anni, condotta sul latino della Vulgata e scritta in una koiné settentrionale cui si contrapponeva il fiorentino del Brucioli. 40 Sulle scelte linguistiche del Brucioli si rimanda ora alle osservazioni di Franco Pierno, Le parole in fuga. Lingua italiana ed esilio religioso nel Cinquecento, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2018, ad indicem. 41 Oltre alla traduzione del Pagnini e alla traduzione erasmiana del Nuovo Testamento, il Brucioli fa qui riferimento a quella dei Settanta, pubblicata in editio princeps da Andrea Torresano nel 1518, portando a compimento un preciso progetto editoriale di Aldo Manuzio che, fallita l’idea di pubblicare la prima poliglotta biblica, a quello si era voltato. Intanto dai primi anni ’20 era anche disponibile la Poliglotta Complutense voluta dal card. Cisneros (Antonio Castillo Gomez, «Cisneros, Alcalá y la cultura escrita en el alba de la Edad Moderna», La Bibliofilia, t. CXIX, 2017, p. 239-268). 42 Sulla polemica antiebraica in Brucioli rimando allo studio di Ugo Rozzo, «L’ “Epistola sul Messia” di Antonio Brucioli e la letteratura antiebraica», in Antonio Brucioli, op.  cit. p.  21-51. In realtà, nelle pagine delle dediche qui pubblicate, Brucioli, pur condannando la pervicacia e la “perfidia” di chi non accetta di riconoscere in Gesù di Nazaret il Messia, non usa toni violenti o diffamatori nei confronti degli ebrei, anche se si pone sempre dal punto di vista di una loro, sia pur sempre senziente, conversione al cristianesimo. 43 Si veda per esempio la bella antologia costituita da Emidio Campi, Protestantesimo nei secoli. Fonti e documenti, I, Cinquecento e Seicento, Torino, Claudiana, 1991.

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di dimostrazione del valore della lettura della Bibbia come indispensabile via alla conoscenza della fede cristiana. Risulta invece difficile individuare una chiara strategia perseguita nella dedica delle edizioni degli anni ’30 dal Brucioli, che anzi pare abbastanza ondivago tra i nomi chiaramente di parte francese e quelli filoimperiali (come Alfonso d’Avalos): sembra dunque prevalere l’esigenza di barcamenarsi tra diversi possibili mecenati44. Si dovranno però ricordare due iniziative di chiaro segno, entrambe del 1536: la dedica a Margherita di Navarra, cioè Margherita d’Angoulême (1492-1549), sorella di Francesco  I45, del commento al Cantico dei Cantici pubblicato dal Brucioli presso Bartolomeo Zanetti46 e quella al vescovo George d’Armagnac, da quell’anno ambasciatore della Francia presso la Repubblica di Venezia e successivamente assai vicino a Francesco I47, del commento all’Ecclesiaste (Qohelet) con gli stessi dati editoriali48. Del 1539 è invece la dedica a Girolamo Arsago, vescovo di Nizza e poi cortigiano di Francesco I, delle tre curiose edizioni savonaroliane curate dal Brucioli per Brandino e Ottaviano Scoto49. Il tessuto del discorso delle dediche a Francesco I può essere forse più facilmente seguito grazie a una arbitraria divisione in paragrafi qui inserita e di cui si propone ora un semplice sommario. Si inizia con la dedica del Vecchio Testamento: I.§i Dedica a Francesco I tutta giocata sulla attribuzione del titolo di “christianissimo” come vero unto del Signore. Si insiste sulla novità della dedica dei libri biblici resi disponibili ai “vulgari” perché «nuovamente ne la nostra materna lingua toscana traslatati», nonché sui tesori che in essa si trovano. I.§ii Viene esposta sinteticamente la storia della salvezza così come si legge nel Vecchio Testamento, cioè la creazione, la vocazione del popolo d’Israele e le figurae Christi che si possono individuare in tale vicenda. I.§iii Tramite una fitta rete di citazioni neotestamentarie si sostiene 44 Per le buone relazioni di Brucioli con la corte francese negli anni ’40 e il tentativo di catturare la simpatia di Cosimo de’ Medici si veda Edoardo Barbieri, «Tre schede per Antonio Brucioli e alcuni suoi libri», Aevum, t. LXXIV, 2000, p. 709-719: 710-714. 45 Patricia Francis Cholakian, Rouben Charles Cholakian, Marguerite de Navarre. Mother of the Renaissance, New York, Columbia University Press, 2006. 46 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no 43; Edit16 CNCE 5926; SBN IT\ICCU\CNCE\005926. 47 Eugène Gabriel Ledos, «Armagnac (Georges, cardinal d’)», in Dictionnaire biographique Française, t. III, 1939, col. 677-679. 48 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no 42; Edit16 CNCE 5924; SBN IT\ICCU\CNCE\005924. 49 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no  70, 72 e 73; Edoardo Barbieri, «Episodi della fortuna editoriale di Girolamo Savonarola (secc. xv-xvi)», in Girolamo Savonarola, da Ferrara all’Europa, a cura di G. Fragnito e M. Miegge, Firenze, SISMEL Edizioni del Galluzzo, 2001, p. 195-237; Stefano Dall’Aglio, Savonarola in Francia. Circolazione di un’eredità politico-religiosa nell’Europa del Cinquecento, Torino, Nino Aragno, 2006, ad indicem; Guillaume Alonge e Nicolas Balzamo, «Savonarole en Picardie autour de Girolamo Arsagi (1485-1542)», Revue d’Histoire de l’Église de France, t. CIII, 2017, p. 27-43.

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il valore per i cristiani della conoscenza dell’antico patto, che è una «serena aurora che il divino sole ne dimostra, il quale con immenso splendore è apparso al nostro orizzonte, Christo Gesù». I.§iv In effetti la lettura del Vecchio Testamento mostrerà il compiersi in Cristo di tutte le promesse fatte in questi libri. I.§v Per questo sono tanto più inescusabili gli ebrei che non sanno riconoscere Cristo come adempimento della Legge. I.§vi In particolare le profezie, come quelle di Isaia, mostrano di compiersi esattamente nella persona di Cristo. I.§vii È anzi proprio la Passione redentrice di Cristo il punto focale nel quale si può riconoscere il pieno compimento delle Scritture veterotestamentarie. I.§viii Davvero la conoscenza del Vecchio Testamento, resa possibile da questa traduzione, concede conforto ai cristiani che vedono il pieno sviluppo del piano divino, fornendo loro materia per discutere, direttamente sul loro terreno, con gli stessi ebrei. I.§ix Infatti è infinito il numero delle auctoritates, delle espressioni autorevoli capaci di dimostrare la verità di Cristo, cioè il compiersi in Lui delle promesse antiche. I.§x Dagli esempi prodotti si può chiaramente ricavare con «quanta luce risplendino questi divinissimi libri ne le menti de’ christiani». I.§xi Quindi la conoscenza delle Sacre Scritture è sia utilissima sia di grande conforto per i cristiani: se anzi chi ha responsabilità del potere politico intendesse questo, favorirebbe in ogni modo che essa si diffondesse tra il popolo che, educato a seguire non più desideri mondani ma spirituali, potrebbe così essere assai meglio governato50. I.§xii Occorre quindi che i cristiani, abbandonando o almeno lasciando in secondo piano le dottrine umane, si immergano tutti nella philosophia Christi (o evangelica come in II.§vii51) che, basata proprio sulle Sacre Scritture, sola permette una conoscenza vera. I.§xiii Molti cristiani o vogliono sapere più di quello che occorra sapere52, o restano come «statue senza senso». Ovvero si accontentano di una concezione fideistica della fede, ignorando che il loro credere sia «in chi, e come, e in che modo, e a quello che tenda esso credere, quello che ci sia comandato a conseguire la vita, essendo la fede morta senza le opere». I.§xiv Un dono così prezioso come la traduzione italiana della Bibbia non poteva che essere dedicato a 50 L’ampio paragrafo ha una sua serrata coerenza interna e quindi deriva forse da una fonte particolare che però non riesco a individuare. Il tono è anche curiosamente ispirato da una specie di spiritualismo irenista che predica la lettura della Bibbia e la vita spirituale come via per la sottomissione al potere politico… Che derivi dalle prese di posizione di Lutero contro Thomas Müntzer? Vedi Heinz Schillin, Martin Lutero. Ribelle in un’epoca di cambiamenti radicali, Torino, Claudiana, 2012, ad indicem. 51 Non si scordi che questa è una tipica espressione di Erasmo da Rotterdam, sviluppata in particolare nella Paraclesis, id est adhortatio ad sanctissimum ac saluberrimum Christianae philosophiae studium, Basel, Froben, 1529, come si vedrà uno dei testi citati nella dedicatoria. 52 Sull’argomento, avvalorato da un’interpretazione leggermente fuorviante di un passo paolino, si veda ancora Carlo Ginzburg, «L’alto e il basso. Il tema della conoscenza proibita nel Cinquecento e Seicento», in id., Miti emblemi spie. Morfologia e storia, Torino, Einaudi, 1986, p. 107-132.

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Francesco I, che lo potrà porre tra i tesori della corona. Segue la dedica del Nuovo Testamento: II.§i Dopo il Vecchio Testamento, ecco la dedica del Nuovo, dove trovano esplicitazione tutte le promesse di Cristo. II.§ii Il Vangelo è «una promissione della gratia di Iddio» perché ci mostra «Christo pieno di gratia e di verità». Se infatti il Vecchio Testamento è la Legge, il Vangelo è «annunciatione di gratia e dono di Spirito Santo». II.§iii Occorre ora però difendere la traduzione in volgare perché c’è chi sostiene «non essere ben fatto che essa sacra e divina Scrittura fusse in altra lingua che ne le letterali naturalmente da nessun popolo parlate». E di ciò fa fede san Gerolamo che tradusse in paleoslavo la Bibbia53. II.§iv Sia dal Vecchio sia dal Nuovo Testamento è facile ricavare indicazioni circa il fatto che tutto il popolo e tutti i popoli devono accedere alla predicazione della salvezza. II.§v Errano perciò coloro che sostengono che «è cosa pericolosa a mettere questa luce avanti agli occhi de’ vulgari per esservi cose difficili e oscure», visto che le eresie hanno invece tutte un’origine intellettuale. II.§vi Di fronte alla parola annunciata non c’è più differenza all’interno del popolo di Dio, e anzi tutti sono chiamati a intenderla nella loro lingua. II.§vii Non corrisponde alla stessa predicazione di Gesù il fatto che ci si rivolga a ogni strato della popolazione senza differenza tra dotti e indotti? Sarebbe sicuramente da preferire «se in tutte le lingue di tutti i generi degli uomini fusse celebrato questo santissimo Evangelio e tutte l’altre lettere sacre, che vedere che a la maggior parte degli homini, e forse più pii, si rimanessino occulte». II.§viii Per questo la Bibbia viene dedicata a Francesco I. Naturalmente ci si aspetterebbe di trovare chissà quanti riferimenti, più o meno espliciti, alle dottrine luterane. In realtà solo un paio di paragrafi, dalla fortissima impronta paolina, possono richiamare alle mente il più proprio pensiero del riformatore: [II.§i] Ma come la Legge è quella, per la quale si comandano le rette cose e per la quale si dimostra il peccato, così l’Evangelio è promissione di gratia, o de la misericordia di Iddio verso di noi, e una remissione del peccato e testimonio de la benivolentia di quello… [II.§ii] La propria opera de la Legge è dimostrare il peccato, dicendo Paulo a’ Romani, «perché per la legge è la cognitione del peccato», e l’Evangelio dimostra a’ la conscientia, che conosce il peccato, Christo pieno di gratia e di verità.

53 La leggenda che vede in Gerolamo l’artefice della traduzione paleoslava (“schiava”, “schiavona” o “dalmatica”) della Bibbia ha una lunga tradizione e nel xvi secolo venne largamente usata a sostegno della traduzione della Sacra Scrittura nelle lingue parlate: Eugene F. Rice, Saint Jerome in the Renaissance, Baltimore, London, The Johns Hopkins University Press, 1985, ad indicem. Lo cita anche Erasmo in un altro testo poi usato nella nuncupatoria del Brucioli, il Pio lectori, in Parafrases in Novum Testamentum, Basel, Froben, 1524, c. a6r.

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Se di per sé la fonte citata è semplicemente la Lettera ai Romani, la reiterata insistenza sul tema legge/grazia e l’ampia presenza di citazioni paoline fanno sospettare una qualche dipendenza da Lutero. Occorre però non essere neppure ingenui, perché l’attenzione alla riflessione teologica paolina era ben attestata sin dal xv secolo, e basti qui ricordare una preziosa raccolta come il Monopanton ovvero Adunatio materiarum epistolarum Pauli apostoli di Dionigi il Certosino, riproposta in questi anni a stampa anche in Italia54. Inutile invece cercare riferimenti sia alla riflessione sviluppata da Lutero sul tema della traduzione55, sia sulla pratica della traduzione dei diversi libri biblici56: non solo spesso le date non consentono tali raffronti, ma occorre tener presente che quando Lutero traduce, scrive ovviamente in tedesco, lingua che Brucioli non sembra praticasse57. Occorre anzi osservare che alla data del 1532 ben pochi erano i testi luterani disponibili in traduzione italiana58. Stante che si spera che altri, rileggendo le dediche del Brucioli qui trascritte, possa individuare fonti (anche luterane) fin qui non rilevate, è agli studi di Silvana Seidel Mechi che occorre guardare per la messa in rilievo di un fitto reticolo di rimandi di chiara ascendenza erasmiana59. Ecco allora un paradosso eclatante: la presenza più evidente nei testi di apertura della Bibbia del Brucioli non è tanto Lutero, ma Erasmo da Rotterdam, di cui si possono individuare precise citazioni, tratte proprio da testi particolarmente perspicui, in quanto collegati al tema dell’accesso alla lettura della Bibbia. Si vedano affiancati il testo di Eramo e quello del Brucioli.

54 E. Barbieri, «Fra tradizione e cambiamento: note sul libro spirituale del xvi secolo», in Libri, biblioteche e cultura nell’Italia del Cinque e Seicento, a cura di E. Barbieri e Danilo Zardin, Milano, Vita e pensiero, 2002, p. 3-61: 41, da aggiornare con Edit16 on line che riporta notizie di edizioni veneziane negli anni 1526, 1534, 1538 (2 emissioni), 1540 e 1556. Sull’importanza di Dionigi il Certosino basti ricordare l’ampio impiego fattone da Johan Huizinga nel suo L’autunno del Medioevo, Firenze, Sansoni, 1978. 55 La celebre Epistola sull’arte del tradurre e sulla intercessione dei santi (1530) è leggibile in italiano in Martin Lutero, Scritti religiosi, a cura di V. Vinay, Torino, UTET, 1967, p. 701-721. 56 Preziose in tale prospettiva le premesse all’edizione dei singoli libri biblici raccolte (in traduzione italiana) nell’utile volume Martin Lutero, Prefazioni alla Bibbia, a cura di M. Vannini, Genova, Marietti, 1987. Su tutto ciò di grande interesse il sintetico ma precisissimo profilo disegnato da Franco Buzzi, La Bibbia di Lutero, Torino-Bologna, Claudiana-EMI, 2016. 57 L’edizione dell’intera Bibbia di Lutero uscì peraltro a Wittenberg presso Hans Luft nel 1534 (VD16 B2694): se ne veda ora l’anastatica di Köln, Taschen, 2016. 58 Silvana Seidel Menchi, «Le traduzioni italiane di Lutero nella prima metà del Cinquecento», Rinascimento, t. XVII, 1977, p.  31-108; Gian Albino Ravalli Modoni, «Edizioni religiose zoppiniane di Martin Lutero e di Bernardino Ochino», in “Il bibliotecario inattuale”. Miscellanea di studi di amici per Giorgio Emanuele Ferrari bibliotecario e bibliografo marciano, a cura di S. Rossi Minutelli, II, Padova, Novacharta, 2007, p. 215-232; Lorenzo Baldacchini, Alle origini dell’editoria in volgare. Niccolò Zoppino da Ferrara a Venezia: annali (1503-1544), Manziana, Vecchiarelli, 2011, ad indicem. 59 Silvana Seidel Menchi, Erasmo in Italia, 1520-1580, Torino, Bollati Boringhieri, 1987, ad indicem.

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edoardo barbieri Platonici, Pythagorici, Academici, Stoici, Cynici, Peripatetici, Epicurei, suae quisque sectae dogmata, tum penitus habent cognita, tum memoriter tenent, pro his digladiantur illi, vel emorituri citius, quam auctoris sui patrocinium deserant. At cur non multo magis tales animos praestamus autori nostro principique Christo? Quis non vehementer foedum censeat Aristotelicam profitenti philosophiam, nescire quid vir senserit de causis fulminum, de prima materia, de infinito? Quae nec cognita felicem, nec ignorata reddunt infelicem. Et nos tot modis initiati, tot sacramentis adacti Christo, non foedum ac turpe putamus illius nescire dogmata, quae certissimam omnibus praestent felicitatem? (Erasmo, Paraclesis, p. 6)

Non si ved’egli manifestamente i Platonici, i Pittagorici, gli Academici, gli Stoici, i Cinici, i Peripatetici, gli Epicuri, conoscere i fondamenti de le loro sette e benissimo ritenergli ne la memoria e per quelle acerbamente combattere? Come se più tosto elegessino di morire, che di cedere a un altro il patrocinio del suo autore. O perché non dobbiamo maggiormente dare tali animi al nostro autore e principe, Christo? Che sia cosa turpe a uno philosopho non sapere i fondamenti de la sua setta e noi in tanti modi eletti e congiunti a Christo, non pensiamo che sia mal fatto, non sapere quali sieno i fondamenti de l’Evangelio e le intentioni di Christo, le quali danno certissima felicità a tutti? [I.§xiii]

Si noti la capacità di Brucioli, che pure sta citando non certo a memoria ma col “libro in mano”, di scegliere il materiale utile al suo discorso, abbandonando una parte della fonte ritenuta non funzionale. Nullum hominum genus a se repellit servator omnium, omnes invitat ad refrigerium: quia nullus est, qui non aliqua molestia laboret hoc mundo. Non discernit virum a foemina, non puerum, non servum a libero, non privatum a rege, non divitem a paupere, non Iudaeum ab ethnico, non sacerdote a laico, non monachum a non monachum. «Quicunque estis, si refrigerium quaeritis, ad me venite». (Erasmo, Nova praefatio, in Novum Testamentum latine, Basel 1520, c. a2r)

E così non è onde in questa communicatione di verità ci possa essere opposto alcuna defferentia di persone, o di età, o di corpo, o di fortuna, le quali cose non possono escludere il dono di Iddio. Dove non è vecchio né giovane, non è riccho né povero, non è noto né oscuro, “non è Iudeo né gentile, non è servo né libero, non è maschio né femina, perché noi tutti siamo uno in Christo Gesù” [Gal 3,28]. E se tutti uno in Christo, perché non tutti dobbiamo mangiare di esso pane evangelico in modo che tutti satiamo la mente a la nostra edificatione? [II.§vi]

Alla già osservata selettività si aggiungano qui altre due caratteristiche del metodo citatorio del Brucioli. Innanzitutto la capacità di incastonare citazioni dentro le citazioni, in questo caso recuperando esplicitamente quella che era una fonte neotestamentaria del pensiero erasmiano (ma si noti anche l’abilità nel volgere una citazione esplicita addirittura delle parole di Gesù, in una affermazione indiretta). In secondo luogo si noti l’astensione dalla polemica antifratesca innescata da Erasmo, visto che Brucioli sceglie invece di volgere in questo caso la sua penna più che altro contro la teologia scolastica e le sue pretese intellettuali (I.xi-xii e II.v).

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gli «immortali sudori del brucciolo» Quur indecorum videtur, si quisque sonet Evangelium ea lingua qua natus est, et quum intelligit, Gallus gallica, Britannus britannica, Germanus germanica, Indus indica? Mihi magis indecorum vel ridicolum potius videtur quod idiotae et mulierculae, psitaci exemplo, psalmos suos et precationem dominicam latine murmurant, quum ipsae quod sonant non intelligant. (Erasmo, Pio lectori, c. a6v)

E perché adunque non dee parere ben fatto che ciascuno pronuntii l’Evangelio in quella lingua ne la quale egli è nato? Come l’italiano ne la italiana, il franzese ne la franzese, l’inghilese ne la inghilese, il tedesco ne la tedesca e l’indiano ne la indiana? Né so come non paia a ciascuno cosa ridicula che le donne e gli huomini a guisa di papagalli bisbiglino i loro psalmi e le loro preci in lingua latina, o greca, e niente intendino di quello che si dichino, onde edificare ne possino di cosa alcuna la mente, la quale allhora edificheranno che ne le proprie lingue loro scritte fieno. [II.§vii]

Ego cum divo Hieronymo sentiens, citius gratuletur gloriae crucis, magnificumque cum primis ac triumphale duxerim, si linguis omnibus ab omni hominum genere celebretur. Si stivam tenens arator aliquid sua lingua decantet e salmis mysticis. Si textor assidens telae, nonnihil ex Evangelio modulans soletur laborem. Hinc nauclerus affixus clavo cantillet aliquid. Denique ad colum sedenti matronae, sodalis aut cognata hinc recitet aliquid. (Erasmo, Pio lectori, c. a6v)

E poi se con pio e christiano occhio si considera il vero, non parrebbe cosa laudabilissima e santa, se anchora esso aratore, governando l’aratro, alcuna cosa ne la sua materna lingua cantasse de’ psalmi? Se il tessitore stando intento a la tela, riandando qual cosa, con lo Evangelio consolasse la sua fatica? E se il nocchiere intento al timone, ne cantasse qualche cosa? E così se gli altri simili, intenti a le loro fatiche, l’andassino alleviando con la santissima laude di Dio e parola de lo Evangelio? E se la reverenda matrona, a servigi de la casa intenta, o “a la roccha tirando la chioma, più tosto che favollegiare con la sua famiglia de Troiani, di Fiesole e di Roma” [Inf. XV, 124126], recitasse alcuna cosa de lo Evangelio a le picciole nipote e figliuole? [II.§vii]

I due passi della Pio lectori sono di per sé contigui, ma Brucioli mette in atto un’abile dissimulatio attraverso la frammentazione della fonte in due passaggi distanti fra loro di parecchie righe, pur se inseriti in una stessa sezione interamente dedicata al tema della possibilità di accesso alla Bibbia. Ciò può essere allo stesso tempo letto però anche come una intelligente forma di amplificatio perché Brucioli, che avrebbe potuto usare più lungamente della pagina erasmiana che prosegue con l’esempio dell’eunuco etiope cui l’apostolo Filippo spiega le profezie cristologiche di Isaia (Atti 8,26-40), preferisce organizzare più coerentemente la propria ampia perorazione della lettura “diffusa” della Sacra Scrittura. È in tale contesto che Brucioli mette in atto uno dei suoi più tipici espedienti retorici: attirata dall’immagine della “reverenda matrona” ecco sbucar fuori la citazione dantesca che esplicita un pensiero già espresso dal fiorentino poche righe prima, quando aveva insinuato che, in assenza di traduzioni bibliche nella lingua parlata, il lettore “popolare” non poteva che nutrirsi delle fabulae vulgares (narrazioni «che ne le proprie lingue loro scritte fieno»).

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I brani erasmiani vanno a sostenere proprio i passi più intensamente dedicati a giustificare il valore delle traduzioni bibliche in volgare. Detto ciò, il nome di Erasmo non è mai fatto, come avviene sempre nell’uso brucioliano che vede nel tacito utilizzo (fino al limite del plagio) delle sue fonti, soprattutto latine (Erasmo in particolare nei Dialoghi, Martin Butzer nei commenti biblici60) il modo comune di costruzione del discorso61. Se però le citazioni erasmiane, sia pur occulte, rivestono evidentemente una assai significativa rilevanza culturale, non sarà inutile ricordare che di lì a qualche anno sarà un’altra edizione biblica italiana, questa volta neotestamentaria, a porsi esplicitamente sotto il segno di Erasmo. Infatti, il Nuovo Testamento nella traduzione brucioliana rivista per opera di un anonimo redattore, uscita a Venezia, al Segno della Speranza, nel 1545-1546 (e poi ripubblicata una prima volta nel ’48, ben quattro volte nel ’51, e uno infine nel ’66), porta in apertura, con l’attribuzione esplicita al dotto olandese, la versione italiana della Nova praefatio di Erasmo62. Nonostante uno studio recente sull’ambiente delle versioni neotestamentarie messe a stampa per l’impresa editoriale della Speranza, resta ancora ignoto chi si celasse dietro tali iniziative editoriali63. Il discorso però non si chiude qui, o quantomeno non si arresta al 1532. L’esistenza di due lettere di Pietro Aretino datate tra fine 1537 e inizi ’38, entrambe direttamente inerenti alla vicenda della dedica a Francesco I della Bibbia brucioliana, costringe infatti a spingere l’attenzione sino a quella data. Nella prima, infatti, rivolta direttamente ad Antonio Brucioli in data 7 novembre 1537, l’Aretino consola il nostro per una serie di attacchi ricevuti dal mondo fratesco: A che fine, compare, darvi fastidio del chiacchiarar dei frati, essendo proprio de la lor natura l’odiare chi sa che essi non sanno se non abbaiare e mordere […] A pena la loro arroganza sente l’odore de l’opere e de le dottrine altrui, che, vergognandosi che altri faccia quel che essi per professione e per sacramento sono obligati di fare, tentano di vendicare la naturale ignoranzia, col tassare la vita, il nome e i libri dei casti interpreti de l’uno e de l’altro Testamento. E per essere invecchiati dietro ai maestri e ai baccalari, perduta la speranza di potere, né per ingegno né per istudio, camminare con nuovi

60 C. Dionisotti, «La testimonianza del Brucioli»; S. Seidel Menchi, Erasmo in Italia, ad indicem; ead., «Les relations de Martin Bucer avec l’Italie», in Martin Bucer and Sixteenth Century Europe. Actes du colloque de Strasbourg (28-31 août 1991), a cura di Ch. Krieger e M. Lienhard, II, Leiden, Brill, 1993, ad indicem. 61 Frequente è anche il ricorso al Dante della Commedia, evidentemente assorbito nel vocabolario personale del Brucioli, così come tipico è l’uso (qui attestato in almeno un paio di casi) di inserire più citazioni l’una nell’altra. 62 E. Barbieri, Le Bibbie italiane, p. 133-134 e no 43, 46, 52, 56-59, 77. L’ultima edizione del 1566 elimina però per opera dell’inquisitore Valerio Faenzi il testo di Erasmo, condannato nell’Index romano del 1559 (S. Seidel Menchi, Erasmo in Italia, op. cit., p. 307-321. 63 E. Barbieri, «Oltre la censura. Domande aperte su un compendio neotestamentario italiano del xvi secolo», Titivillus, t. I, 2015, p. 185-210.

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gli «immortali sudori del brucciolo» piedi ne le strade vere de la Scrittura di Dio, molestano con la calunnia di luterano i più giusti e i più cristiani. […] Si ché lasciategli pur disperare nei volumi sacri, donati al mondo da la sincerità del vostro profondo sapere: perché la Bibbia, i Salmi e gli altri immortali sudori del Brucciolo non son cibi dal gusto di tali. […] E d’ogni male è cagione il voler trasapere di quegli64, che si farebber più onore a comendarvi e a inchinarvi che a lacerarvi e a ingiuriarvi, perché voi sète uomo senza pare ne l’intelligenzia de la lingua ebraica, greca, latina e caldea, e cotanto buono, che più tosto cercate insegnare a coloro che proverbiano i vostri scritti, che vendicarvi65.

Il momento a cui si riferisce l’Aretino è il delicato passaggio nel quale i Giunta di Venezia, dopo la frattura col Brucioli databile al 1533 e motivata, a mio parere, innanzitutto da ragioni economiche di sfruttamento della proprietà intellettuale dell’opera del fiorentino, acconsentono alla polemica iniziativa domenicana di una drastica revisione della versione del Brucioli col completo oblio del suo nome66. Infatti, nell’aprile del 1536 viene pubblicato il Nuovo Testamento che va sotto il nome del domenicano Zaccheria da Firenze, un savonaroliano di cui si fatica a delineare con chiarezza la personalità67. L’operazione risultava evidentemente in polemica con la recente edizione delle Sacre Scritture tradotte dal Brucioli che, probabilmente, sarà stato in questo caso oggetto di attacchi da parte dei domenicani. Con la data dell’aprile 1538 esce invece l’intera Bibbia rivista e dotata di diverse tavole e un testo storico di raccordo tra Antico e Nuovo Testamento curata da Santi Marmochino, un domenicano la cui figura è stata di recente oggetto di un attento studio68. Si noti che l’edizione della Bibbia del Marmochino viene dedicata a Georges d’Armagnac, che si è già visto destinatario due anni prima di una dedica brucioliana. Si pratica cioè in questo caso una arguta manovra di accerchiamento, tentando di avvicinarsi al Re di Francia, ma astenendosi da una dedica diretta che

64 È questo il punto più interessante della lettera, perché Aretino mette in relazione la presunzione della teologia scolastica “moderna” di voler penetrare i mysteria Dei con quella del popolo illetterato che interpreta la Sacra Scrittura «come gli detta la fantasia», cioè fuori della tradizione esegetica. Sullo sfondo l’immagine invece positiva di una lettura/ruminatio della Bibbia non si sa se più di tipo patristico, monastico o umanistico, o forse tutti e tre insieme. 65 Pietro Aretino, Il primo libro delle lettere, a cura di F. Nicolini, Bari, Laterza, 1913, p. 267-269. 66 E. Barbieri, II giglio e la Bibbia, op. cit. 67 E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., no 27; La Bibbia, a cura di A. Lumini, no 261; Edit16 CNCE 5940. Sul traduttore un cenno in E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., I, p. 130-131. 68 Ibid., no 29; La Bibbia, a cura di A. Lumini, no 72; Edit16 CNCE 5762. Sul domenicano si vedano i contributi offerti da Lisa Saracco, «Aspetti eterodossi della “Bibbia nuovamente tradotta dalla hebraica verità in lingua thoscana” di Santi Marmochino: risultati di una ricerca», Dimensioni e problemi della ricerca storica, t. VI, 2003, 2, p. 81-108; ead., «Un’apologia della «Hebraica veritas» nella Firenze di Cosimo I: il “Dialogo in defensione della lingua thoscana” di Santi Marmochino», Rivista di storia e letteratura religiosa, t. XLII, 2006, p. 215-246; ead., «Marmochino, Santi», in Dizionario Biografico degli Italiani, t. LXX, Roma, Treccani, 2008, p. 631-633.

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sarebbe risultata scandalosa, andando direttamente a sovrapporsi polemicamente a quella del Brucioli69. La seconda lettera dell’Aretino è invece indirizzata a Vittoria Colonna marchesa di Pescara con la data del 9 gennaio 1538, quindi a un paio di mesi dalla precedente. Vi si legge tra l’altro: Ecco: il mio compar Bruciolo intitola la Bibia al re, che è pur cristianissmo, e in cinque anni non ha avuto risposta. E forse che il libro non era ben tradutto e ben legato? Onde la mia Cortigiana, che ritrasse da lui la gran catena70, non si rise del suo Testamento vecchio, perché non è onesto71.

Nella missiva l’Aretino si scusa del suo impegno nella letteratura profana motivandolo con la richiesta che ne fanno i mecenati, poiché «se i principi fussero tanto chietini72 quanto io bisognoso, non ritrarei con la penna se non Misereri». L’esempio del trattamento subito dal Brucioli costituisce dunque una prova della bontà del suo dire, religiosa non dant panem. Stupiscono però due cose. Innanzitutto che l’esempio si riferisca tutto sommato a un evento così lontano nel tempo come la dedica dell’editio princeps del ’32. In secondo luogo che tiri in ballo proprio la legatura del libro. In effetti, se il contesto permette di attualizzare il riferimento, si può osservare che il Brucioli ripubblicò la Bibbia proprio in quegli anni, e sempre dedicandola a re Francesco! La prima edizione è quella pubblicata da Francesco Bindoni e Maffeo Pasini nel luglio 1538, in 4o, iniziativa che, se mostra, per quanto riguarda i testi tradotti, di voler parare l’attacco del Marmochino, si presenta (sin dalla cornice, copia rimpicciolita di quella del ’32) come una edizione “economica” della princeps, di cui riprende appunto integralmente anche le due dediche a Francesco I73. Stessa cosa accade l’anno successivo con una nuova riedizione, sempre in 4o, realizzata da Bartolomeo Zanetti probabilmente per Federico Torresano, dove compare ancora

69 Per un panorama complessivo delle traduzioni bibliche si veda il prezioso contributo di Andrea Del Col, Appunti per una indagine sulle traduzioni in volgare della Bibbia nel Cinquecento italiano, in Libri, idee e sentimenti religiosi nel Cinquecento italiano, a cura di A. Biondi e A. Prosperi, Ferrara-Modena, Istituto di Studi Rinascimentali-Panini, 1987, p. 165-188 ; Lucia Felici, «Leggere il Nuovo Testamento nell’Italia del primo Cinquecento: le edizioni di Erasmo e di Antonio Brucioli», in Verso la Riforma. Criticare la chiesa, riformare la chiesa (xv-xvi secolo), a cura di S. Peyronel Rambaldi, Torino, Claudiana, 2019, pp. 295-314. 70 Sul dono della catena d’oro si veda Paul Larivaille, Pietro Aretino, Roma, Salerno, 1997, p. 171. 71 Pietro Aretino, Il secondo libro delle lettere, a cura di F. Nicolini, I, Bari, Laterza, 1916, p. 9-10. 72 Bigotti: con riferimento ai chierici teatini, dal nome latino della città di Chieti (Theate) di cui era vescovo Gian Pietro Carafa, primo preposto dell’ordine e poi papa Paolo IV (Salvatore Battaglia, Grande dizionario della Lingua Italiana, diretto da G. Bàrberi-Squarotti. III, Torino, UTET, 1964, p. 74). 73 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no 9; E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., no 30; La Bibbia, op. cit., a cura di A. Lumini, no 73; Edit16 CNCE 5763.

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gli «immortali sudori del brucciolo»

la dedica a Francesco I, ma non più la cornice biblica74. Le cose cambieranno con l’edizione 1541, la prima realizzata dalla società tipografico-editoriale dei fratelli Brucioli alla marca della vigna75, che non solo ritorna al formato in folio, ma propone un testo che dovrebbe costituire l’unica versione autorizzata dall’autore. Qui compare una nuova, breve dedica al card. Ippolito d’Este (1509-1572) nonché un curioso riassunto della dedica al re di Francia76. Naturalmente ci si può chiedere se tali dediche, oltre che attentamente calibrate col destinatario, o meglio coi suoi rappresentanti a Venezia, corrispondessero a un vero e proprio invio del libro alla Corte di Francia77. In prospettiva, certo la Bibbia del Brucioli era ben nota a Parigi e proprio negli ambienti cortigiani di Caterina de’ Medici: come è stato dimostrato, il libro dei Salmi usato per le orazioni di un gruppo di dame e più volte ristampato non è altro che il testo del Brucioli mutato solamente all’inizio78. Ma quel caso si colloca diverso tempo dopo, tra gli inizi degli anni ’60 e la fine degli ’8079. L’uso di uno strumento di grande valore come le Bibles imprimées uscito a cura di Martine Delaveau e Denise Hillard permette di spingere più avanti l’osservazione80. In effetti, a Parigi si possono tutt’oggi reperire esemplari delle tre Bibbie brucioliane del ’32, ’38 e ’39 (rispettivamente no 647, 649 e 651). Incrociando i dati del catalogo collettivo moderno con quelli del settecentesco catalogo della Biblioteca Reale si ha la certezza che in antico la collezione del Re possedesse copia sia dell’edizione 1532, sia di quella 153981. Oggi salta agli occhi l’esemplare 1539 della Bibliothèque 74 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no 11; E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., no 32; La Bibbia, op. cit., a cura di A. Lumini, no 74; Edit16 CNCE 5764. 75 E. Barbieri, «Alessandro, Antonio e Francesco Brucioli», in Dizionario dei tipografi e degli editori italiani. Il Cinquecento, I, Milano, Bibliografica, 1997, p. 209-211 con le correzioni di E. Barbieri, La tipografia dei fratelli Brucioli, op. cit. 76 G. Spini, «Bibliografia», art. cit., no 12; E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., no 35; La Bibbia, op. cit., a cura di A. Lumini, no 76; Edit16 CNCE 5766. 77 Non si scordi che, dopo la raccolta libraria messa insieme a Blois, questi sono i primi anni di vita di una vera biblioteca reale moderna, stabilita invece a Fontainebleau: Simone Balayé, «La naissance de la Bibliothèque du Roi 1490-1664», in Histoire des bibliothèques françaises, II, Les Bibliothèques sous l’Ancien Régime, a cura di C. Jolly, Paris, Promodis, 1988, p. 77-83 e, più nel dettaglio, ead., La Bibliothèque nationale des origines à 1800, Genève, Droz, 1988, p. 25-43 con la bibliografia indicata. 78 François Dupuigrenet Desroussilles, «Réécritures de l’Écriture: cinq éditions parisiennes des Psaumes en italien (1562-1588)», in Scritture di scritture. Testi, generi, modelli del Rinascimento, a cura di G. Mazzacurati e M. Plaisance, Roma, Bulzoni, 1987, p. 45-52. 79 E. Barbieri, Le Bibbie italiane, op. cit., no 73, 80, 82, 84 e 85. 80 Bibles imprimées du xve au xviiie  siècle conservées à Paris. Bibliothèque nationale de France. Bibliothèque Sainte-Geneviève. Bibliothèque de la Sorbonne. Bibliothèque Mazarine. Bibliothèque de la Société de l’histoire du protestantisme français. Bibliothèque de la Société biblique, a cura di M. Delaveau et D. Hillard, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2002, p. 116 (si veda la mia recensione in La Bibliofilia, t. CVI, 2004, p. 109-111). 81 Catalogue des livres imprimez de la Bibliothèque du Roy, Theologie, I, Paris, Imprimerie Royale, 1739, p. 23, no 195 e 196.

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edoardo barbieri

Nationale de France, Rés.A.2441, che risulta conservare una legatura alle armi proprio di Francesco I. Si tratta però, come mi scrive Carlo Alberto Girotto che ha controllato per me l’esemplare, di una legatura francese in marocchino nero, con il che non si deve escludere che non sia proprio quello l’esemplare di dedica, anche se fu con ogni evidenza rilegato in loco82. Assai interessante anche l’esemplare 1532 oggi Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, Fol. T-147, che, come mi suggerisce sempre Girotto, ha legatura antica italiana, ma proviene dai gesuiti delle Fiandre83. Termino con un’osservazione. Sarà solo nel 1535 che uscirà dai torchi di Pierre de Vingle a Neuchâtel la prima Bibbia francese integrale tradotta dall’ebraico e dal greco (non dal latino, come quella di Lefèvre d’Etaples), preceduta in realtà l’anno precedente dal Nuovo Testamento84. L’edizione dell’intera Sacra Scrittura, finanziata con una complessa operazione economica dalle comunità Valdesi del Piemonte, offre la traduzione di Robert Olivetan e una prefazione di Jean Calvin85. Impressa nei cantoni svizzeri, fuori quindi dall’autorità della monarchia, la prima vera Bibbia francese si presenta come un monumentale in folio scritto in civilité su due colonne, davvero molto più simile a un incunabolo che a un libro moderno86. Solo allora però, ben tre anni dopo la dedica di Brucioli a Francesco I, la Francia poteva dire di avere una propria traduzione moderna della Bibbia nella lingua parlata87.

82 Paris, Bibliothèque nationale de France, Rés. A.2441. Legatura coeva in marocchino nero, con ogni evidenza francese, restaurata nella seconda metà del Novecento con risarcimento delle parti più esposte. I piatti recano cornice dorata a triplo filetto, decorata tra il filetto più interno e quello contiguo con palmette dorate e, agli angoli, un fiorellino. Agli angoli esterni quattro ferri floreali stilizzati. Al centro del piatto armi di François Ier: tre gigli di Francia coronati, affiancati da due “F” coronate e, sul margine inferiore, la salamandra tra le fiamme (ferro affine per tipologia a quello del ms. Grec 1827 della BnF: si veda Marie-Pierre Laffitte, Reliures royales (1515-1559), Paris, BnF, 2001, tav. 9). Dorso rifatto, a imitazione di quello originale. Tagli dorati; al piede e in testa tracce di goffratura ora non ben visibile, in ragione del restauro che ne ha verosimilmente alterato la conformazione primitiva. 83 Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, Fol. T-147. Legatura italiana probabilmente della metà del Cinquecento, in piena pelle bruna con impressioni a secco su piatti e dorso. Ai piatti elaborata cornice a filetti a secco con numerosi ferri vegetali intercalati. Al dorso quattro nervi a vista, con tripla filettatura a secco sopra e sotto. Due fermagli in ferro ai piatti. Capitelli a due colori giallo e blu, verosimilmente di restauro. Proviene dal fondo antico dell’Arsenal, e in particolare dalla raccolta del Marquis de Paulmy. Precedenti note di possesso dei collegi gesuitici di Bois-le-Duc (1627) e poi Gent (1630). 84 Bettye T. Chambers, Bibliography of French Bibles, I, Fifteenth-and sixteenth-century Frenchlanguage editions of the Scriptures, Genève, Droz, 1983 no 64; GLN on line 4722. 85 B. T. Chambers, Bibliography, op. cit., I, no 66; SBN IT\ICCU\BVEE\059893; GLN on line 3. 86 Guy Bechtel, Catalogue des gothiques français 1476-1560, II ed., Paris, Giraud-Badin, 2010, B-175. L’esemplare della Biblioteca Nazionale di Brera (E.XI.29), a oggi (6 agosto 2018) ignoto a SBN ma non a GLN, misura mm. 380x265x85 e pesa circa 5 kg. 87 Ringrazio in fine i primi lettori di questo testo, Giuseppe Frasso, Luca Rivali, Alessandro Tedesco e Fabrizio Fossati, che mi ha anche aiutato con la sua redazione.

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gli «immortali sudori del brucciolo» La trascrizione proposta è sostanzialmente conservativa, anche se sono stati adeguati all’uso moderno i segni diacritici, le maiuscole e la punteggiatura. Si sono inserite a testo, ma tra quadre e in corsivo, le indicazioni marginali coi rimandi ai passi biblici: alla data del 1532 non era ancora stata adottata la suddivisione in versetti, per cui il rimando è semplicemente al capitolo. In nota, oltre a rare spiegazioni lessicali, si sono posti i riferimenti alle fonti quando individuate, soprattutto quelle bibliche (talvolta correggendo i marginalia a stampa), evidenziate a testo con l’uso delle virgolette basse. Le due dediche sono rispettivamente pubblicate nella Bibbia del Brucioli del 1532 alla P. I cc. +4r-6v e P. II cc. ++3r-4v: si indica tra quadre il passaggio da una pagina all’altra. Si è usato l’esemplare della Biblioteca Nazionale Centrale Vittorio Emanuele II di Roma segnato 68.11.F.24, di cui è disponibile on line una riproduzione digitale88. AL CHRISTIANISSIMO RE FRANCESCO PRIMO RE DI FRANCIA, ANTONIO BRUCIOLI SALUTE E PACE IN CHRISTO GESÙ SIGNORE E SALVATORE NOSTRO [I.§i] Christianissimi misterii, con evangelice promissioni, piene di gratia e di verità, apporto al christianissimo christo del Signore, christianissimo re Francesco, aggiugnendo a’ thesori di V. M. que’ ricchissimi thesori pieni di pretiose margherite, i quali sono que’ duoi celesti lumi, anzi divinissimi soli del Vecchio e Nuovo Testamento. I quali, l’uno da l’hebraico e l’altro dal greco idioma, ho nuovamente ne la nostra materna lingua toscana traslatati, e col nome di V. M. christianissimo re, come con sereno cielo girandosi, mando a dare luce a’ vulgari, non sapendo a chi meglio si convengha un tanto libro divino, pieno di luce e verità christiana, che a quello che come christo del Signore, il nome di christianissimo tiene, e al quale nel vero convenendo i fatti al christianissimo nome, altri doni non si convengono, potendosi solamente da questo santissimo libro cavare quelle pretiose gioie celesti, che fanno tenere a vile il mondo, e che necessarie sono a la vita. [I.§ii] Questo dono, forse povero e abietto per chi lo manda, ma ricchissimo e alto sopra modo per se stesso, porta seco con che ordine e modo creassi il Creatore di tutte le cose tutta questa universa macchina89, e come tutti i cieli di giro in giro90 disponesse, come fusse da lui primieramente formato l’huomo a la vita, il quale poi pel suo peccato incorse ne la morte. Quale fusse il popolo eletto da Iddio, del quale dovesse nascere a le genti la luce de la loro salvatione. Questo darà cognitione de le santissime leggi di Iddio, date da lui a Mosè, de’ santi precetti e divini sacrificii che la salute nostra e la grande hostia, che haveva a essere sacrificata, e patire per la universa carne figuravano. Questo di poi mostrerrà insieme con le gran battaglie fatte da Iosua e dagli altri rettori e giudici di Israel, quanto Iddio operassi in questo suo popolo e quanto possa facilmente fare vittoriosi con pochi contro a le gran mol-

88 < h t t p s : / / b o o k s .g o o g l e .i t / b o o k s ? i d = c 5 Z 8 L oA 4 HnE C & h l = i t & s o ur c e = g b s _ book_other_versions>, lien consulté le 07/04/2020. L’esemplare digitalizzato della British Library consente anche la ricerca full text: , lien consulté le 07/04/2020. 89 L’espressione “universa macchina” è nel capitolo O voi che sete nel verace lume tradizionalmente attribuito vuoi a Pietro, vuoi a Jacopo di Dante. 90 “Di giro in giro” è in Dante, Par. XXXII, 36.

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edoardo barbieri titudini quegli che l’amono, temono e le sante sue leggi e precetti custodiscono. Mostrerrà questo anchora quanto fussino prosperati da Iddio que’ re, che ne le sante vie e precetti suoi caminavano, e quanto soggiogati e dispersi tutte le volte che essi prevaricando ne uscieno. Questo apporta seco anchora come si debbe laudare e venerare Iddio ne’ santissimi psalmi e hymni di David e degli altri santi propheti suoi. [I.§iii] E quello anchora che più charo e più grato fia che tutte le altre cose insieme e che io penso che sopra modo habbia a essere di grandissima consolatione a ciascuno vero christiano, il vedere per tutto questo divinissimo libro esserci promessa la salute e la salvatione de le anime nostre e terminarsi in Christo Gesù signore e salvatore nostro. Per la quale cosa non penso che da udire sieno quegli che i sacri libri del Vecchio Testamento pensono che solamente sieno stati scritti a’ Iudei e picciolo o nessuno essere il frutto di quegli al christiano, avvegna che Christo senta altrimenti dicendo: «Cercate le scritture, perché quelle danno testimone di me» [Matth. 591]. E Paulo comanda a Timotheo che sia assiduo lettore de le sacre lettere92, e scrivendo a’ Romani si gloria che l’evangelio sia promesso ne la scrittura da Iddio. Il medesimo dice anchora: «Christo, come è predetto ne la scrittura, nato del seme di David, essere morto e essere risuscitato» [Cor. 1593]. E Pietro anchora sovente rimette il lettore a le scritture94. E così ciascuno di questi luoghi per sé e tutti insieme ci dimostrano con quanta attentione si debbino ricerchare i sacri libri del Vecchio Testamento e con quanto studio sieno da esser letti, trovandosi in essi una serena aurora che il divino sole ne dimostra, il quale con immenso splendore è apparso al nostro orizonte, Christo Gesù. E che necessarii sieno è manifesto, avvegna che gli Apostoli da questi sempre ne cavassino i testimoni de la loro dottrina e con la autorità di quegli confermassino l’evangelio, come scrive Luca che i Thessalonicensi tutto il giorno ricercassino le scritture, se convenissino con la dottrina di Paulo [Fatti 1595]. [I.§iv] E come non si debbono tenere in sommo pregio, essendo come un certo fondamento sopra il quale si appoggia la nuova dottrina evengelica? E donde si possono cavare indubitabili argumenti del Nuovo Testamento, il quale in un certo modo niente altro è che una certa aperta predicatione di sententie e promesse fatteci da lo Spirito Santo per gli antichi padri del Vecchio Testamento, le quali sono adempiute per Christo? E come non sarà questa santissima letione di gran tranquillità e conforto di animo al christiano, quando vedrà tutte le promesse [c. +4v] che ci sono state fatte in questi libri verificarsi in Christo? Questa è quella sola scientia che fortifica l’anima con indubitata e stabilissima fede, veggendo per quella primieramente essersi rotto il capo di quello anticho serpente che messe il peccato e la morte nel mondo, dicendo Iddio: «E porrò inimicitie fra te e la donna e fra il seme tuo e il seme suo. Esso ti percoterà il capo e tu gli percoterai il calcagno» [Gen. 396]. Per la quale scrittura si conosce essersi promessa la liberatione del peccato che si fece a la morte, e quel seme essere benedetto, per il quale a la vita si havieno a benedire tutte le genti, le quali con non picciolo nostro conforto vedreno essersi benedette in Christo Gesù, che 91 92 93 94 95 96

Vedi Mt 5,17-19. 2Tm 3,14-15. 1Cor 15,3b. Si veda a es. 1Pt 1,10-12 At 17,2-3, ma per gli abitanti di Berea 17,11. Gen 3,15.

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gli «immortali sudori del brucciolo» fu quel vero santo seme che haveva a vivificare la carne e tirare tutti i popoli e tutte le genti a Iddio. Il quale disse a Abraham: «Risguarda il cielo e numera le stelle se tu potrai numerare quelle e dissegli, così sarà il seme tuo97», la quale promessa, e quella anchora dove dice «benedirannosi nel seme tuo tutte le genti de la terra98», si vede per questi santissimi libri essere verificata nel nostro Christo, al quale è venuta la plenitudine de le genti [Gen. 15. 22. 26 e 2899]. E imparerà da questi il christiano, non tanto per sua edificatione, quanto anchora in confusione del Iudeo, a dimostrare agli increduli non potere essere altro che il nostro Christo quel vero Messia che doveva venire, quando con vivaci ragioni sarà manifesto non si potere più d’altro Messia verificare quel detto de la scrittura che dice: «Non si partirà la virga da Iuda, né il datore di legge da’ piedi suoi infino a tanto che venga il Messia, e a lui sarà congregatione di popoli» [Gen. 49100], havendo perso i Iudei il Re loro ne la venuta del Messia Christo Gesù come dice la Scrittura, manifestandolo anchora l’essere venuto a questo le congregationi de’ popoli e a quello i sommi re inclinarsi. E potrà facilmente il christiano, se essere vorrà buono operaio ne la vigna del Signore, e con questi divini strumenti zapparla, mostrare in Christo verificarsi la Scrittura che per la bocca di Bilam101 dice: «Ha caminato una stella di Iacob e rizossi uno scettro di Israel. E taglierà i termini di Moab e distruggerà tutti i figliuoli di Seth e sarà Edom heredità» [Num. 24102], essendo Christo quella stella che ha hereditato e vinto il mondo e dato luce a tutte le genti. E con che ardire produrrà103 la scrittura dove di Christo parla, dicendo: «Io susciterò a quegli un propheta dal mezo de’ frategli loro simile a te e porrò la parola mia ne la bocca di quello, e parlerà a quegli tutte le cose che io gli comanderò. E sarà l’huomo che non ubidirà a le parole mie, quali parlerà nel nome mio io ricercherò da quello» [Deut. 18104]. [I.§v] E così anchora manifestamente si vede per questo luogo quanta e quale sia la perfidia de’ Iudei che non vogliono che il Messia niente altro habbia a addure al mondo fuor di quello che scrisse e comandò Mosè, e non per altro che per negare tutto quello che è scritto ne l’evangelio, acciò che nieghino il nostro Re de la gloria, verificandosi in quegli il detto di Iesaia dove parlando il Signore: «E disse va’ e dirai a questo popolo: “Udite udendo e non intendiate e vedete vedendo et non conosciate”. Ingrassa il cuore di questo popolo e aggrava gli orecchi suoi e chiudi gli occhi suoi, acciò che non vegga e oda con gli orecchi suoi e intenda col cuore suo, e convertasi e sani quello» [Iesa. 6105]. E chi sarà colui leggendo che non vegga tutto Christo e la vita sua predirsi da questo tanto propheta, il quale tanta luce apporta seco a chi legge che espressamente vede in esso parlare lo spirito di Paulo e in Paulo il suo? [I.§vi] Questo tanto manifestamente del nostro Christo parla, che altro più non ne fa uno degli apostoli che seco in vita si trovorno. Questo grandissimo lume dà a’ fedeli che per questi libri lo vanno ricercando. Questo con l’evangelista dice: «Ecco una vergine ingra97 Gen 15,5. 98 Gen 22,18. 99 Gen 26,4 e 28,14b. 100 Gen 49,10. 101 Si intenda il profeta Balaam. 102 Nm 24,17b-18a. 103 Da producěre. 104 Dt 18,18-19 105 Is 6,9-10.

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edoardo barbieri viderà e partorirà un figliuolo, e chiamerà il nome di quello Himmanuel» [Iesa. 7106], non volendo dire altro Iddio per la bocca del propheta che il parto di Maria Vergine, essendo grandissimo segno che questi fussi il Messia, quando per inusitato modo, senza commistione di seme fu conceputo tanto figliuolo, dove segno nessuno stato sarebbe di alcuna gran cosa nuova l’essere generato nel medesimo modo che gli altri, dicendo dipoi il medesimo propheta: «Perché il fanciullo è nato a noi, il figliuolo è dato a noi, e fu il principato sopra la spalla sua e chiamò il nome di quello il Mirabile, Consigliere, Iddio forte, Padre in eterno, Principe di pace» [Iesa. 9]107, dimostrando quella divinità che haveva a portare seco tanto Messia, tanto banditore degli arcani divini dal Padre suo, tanta celeste luce che a tutto il mondo haveva a rendere lume, onde dice il medesimo: «Il popolo che camina ne le tenebre vidde gran luce. A quegli che habitano ne la terra de la ombra de la morte, splendé la luce sopra quegli» [Iesa. 9108]. Apparendo qui manifestamente dire la Scrittura di Christo, il quale ne ha tutto il mondo illuminato de la sua divinissima dottrina, perché noi eravamo quelle genti che «caminavamo ne le tenebre e ombra de la morte109», essendo il popolo hebraico solo eletto dal Signore, infino a tanto che venisse quel santissimo Messia che a Iddio chiamasse anche le genti, dicendo questo medesimo propheta anzi Apostolo di Christo: «Perché quegli a’ quali non si è narrato loro veddono, e quegli che non udirno, intesono» [Iesa. 52110]. E di poi dice: «Ecco la gente che non conosci, chiamerai, e le genti che non conobbono te correranno a te per il Signore Iddio tuo e il santo di Israel» [& 55111], essendo noi quelle genti le quali siamo corse a questa legge evangelica di Christo, del quale dice il medesimo: «E uscirà una virga de la stirpe di Isai, e ramo crescerà de le radici sue, e poserassi sopra quello lo spirito del Signore, spirito di sapientia e di intelligentia, spirito di consiglio e di fortezza, spirito di scientia e di timore del Signore, e percoterà la terra con la virga de la bocca sua e con lo spirito de le labra sue ammazerà l’impio» [Iesa. 11112]. Le quali cose portò tut [c. +5r] te seco di cielo in terra Christo Gesù, sopra del quale tanto abondevolmente si posò lo spirito del Signore che tutto il mondo empie de la sua santità, dichiarandosi poi il propheta dicendo: «E sarà in quel dì la radice di Isai che sta come bandiera a’ popoli: le genti cercheranno quella e sarà la requie di quella in gloria» [Iesa. 11113]. La qual prophetia di nessuno altro può parlare che di Christo, il quale percotendo col santo verbo evangelico la terra, ha suscitate le genti che vadino a lui, al quale come a uno segno di tranquilla pace sono con grandissimo zelo corse, laudando Iddio e rallegrandosi di quello che dice esso propheta: «Ecco il servo mio, sostenterò quello, eletto mio, compiacimento de l’anima mia, detti lo spirito sopra quello, farà uscire il giudicio a le genti. Io Signore chiamai te in giustitia e pigliai la mano tua, e cusodirò te, e darò te in patto di popolo, in luce a le genti, per aprire gli occhi de’ ciechi, per cavare di carcere il legato, e de la casa de la prigione quegli

106 Is 7,14 e Mt 1,23. 107 Is 9,5. 108 Is 9,1. 109 Lc 1,79a. 110 Is 52,15b. 111 Is 55,5a. 112 Is 11,1-2.4b. 113 Is 11,10.

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gli «immortali sudori del brucciolo» che seggono ne le tenebre» [Iesa. 42114]. E come non si vede chiaramente Christo essere stato quello che portò tale giudicio a noi genti, e che fu nuovo patto a tutti i popoli de la terra e in luce a le genti? O non aprì questo gli occhi de’ ciechi, cavandogli da le tenebre de la idolatria e indirizzandogli al vero culto d’uno solo Iddio creatore de l’universo, il che prima, alcuno altro non potette mai fare? [I.§vii] Questo fu quello Agnello che propitiò fra la creatura e il Creatore, e sciolse dal peccato quegli che per quello «sedevano ne la ombra de la morte115», legati da’ mortiferi lacci suoi, apportando loro la gloria e la libertà da quello. E che dice più qual si voglia evangelista di quello che dice questo propheta de la Sua passione e humiltà esclamando: «Non forma ha quello, né decoro. E vedemmo quello e non è aspetto, né desiderammo quello. È disprezato e abietto da gli huomini, e huomo di dolori, e che sa le infermità, disprezato, e non reputammo quello, percosso da Iddio, e humiliato. Et esso è ferito pe’ nostri peccati, è percosso per le nostre iniquità. La gastigatione per la pace nostra sopra quello, e con il livido suo fu sanità a noi. Tutti noi come pecore erramo, e il Signore fece pervenire a quello il peccato di tutti noi, è oppresso, è afflitto, e non aprirrà la bocca sua» [Iesa. 59116]. Dicendo seco Zecharia: «Esulta grandemente figliuola di Sion, giubila figliuola Ierusalem. Ecco il Re tuo verrà a te giusto e Salvatore, sarà povero e cavalcante sopra l’asino e sopra il puledro figliuolo de l’asine» [Zech. 9117]. [I.§viii] E così questi tali testimoni, christianissimo Re, letti ne’ sacri libri del Vecchio Testamento, apportano gran conforto a la mente, gran luce a lo intelletto, e grandissima delettatione a l’anima. In questi anchora si vede rendere testimonianza de le divine acque del santo battesimo, che havieno a lavare i peccati del mondo, dicendo Iesaia: «Non temere, servo mio Iacob e rettissimo che io elessi, perché spargerò l’acque sopra l’assetato e acque fluenti sopra la terra. Spargerò lo spirito mio sopra il seme tuo e la beneditione mia sopra i discendenti tuoi» [Iesa. 44118]. E Iehezchel prophetando dice: «E spargerò sopra voi acqua monda, e monderavvi da tutte le contaminationi vostre e da tutti gli idoli vostri monderò voi e uno spirito nuovo porrò nel mezzo di voi» [Iehez.119]. E come può fare che il christiano leggendo tutte queste divine promesse e manifesti segni de la gratia, che havea a venire a le genti in questi santissimi libri, che tutto in tale letione non si reconforti e fortifichi ne lo spirito? E come potrà mai dire alcuno che necessarii non sieno al christiano e che leggere non si debbano sempre? Perché, oltre a’ infiniti beni che seco apportano questi, atti a mostrarci la luce de la vita, quello è pure non picciolo che noi co’ Iudei potreno120 arditamente di tanta salute parlare e facilmente con le loro medesime Scritture, fatte nostre, convincere la loro perfidia, quando mostrare potremo tutti i segni, i tempi e le attioni di questo Messia figurato da lo Spirito Santo in questa scrittura, convenirsi e concorrere in Christo Gesù, facendo loro vedere, contro a quello che sentono, il nuovo patto che questo Messia haveva a portare al mondo, dicendo Ieremia: «Ecco giorni

114 Is 42,1.6-7. 115 Sal 107 (106),10; Lc 1,79. 116 Is 53,2b-4.6b-7a. 117 Zc 9,9 da confrontare con Gv 12,14-15. 118 Is 44,2b-3. 119 Ez 36,25-26a. 120 In Brucioli anche nei Dialogi de la moral philosophia del 1537, c. CIII linea 8.

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edoardo barbieri vengono – disse il Signore – e pattovirò121 con la casa di Israel e con la casa di Iuda patto nuovo, non secondo il patto che io pattovì co’ padri vostri nel dì che io presi la mano di quegli per cavargli de la terra di Egytto. Ma questo sarà che io pottovirò co’ figliuoli di Israel. Dopo essi giorni – disse il Signore –, darò la legge mia nel mezzo di loro, e scriveranno quella nel cuore loro e sarò a quegli in Dio e essi mi saranno in popolo» [Iere. 31122], predicendo qui il propheta quell’huomo interiore e spirituale descritto da Giovanni e da Paulo in assai luoghi, il quale predicò al mondo il nostro santissimo Salvatore. Soggiungendo il propheta: «E non insegneranno più ciascuno al prossimo suo e ciascuno al fratello suo dicendo: “Conoscete il Signore”, perché tutti conosceranno me dal minimo di quegli, infino al maggiore di quegli – disse il Signore – perché propitierò le iniquità loro e non mi ricorderò più del peccato loro» [Iere. 31123], il quale a tutti i credenti fu scancellato per Christo, il quale salva ogni carne che a lui ricorre, di nuovo spirito empiendo quella, essendo quel celeste David che dice Ieremia: «E serviranno al Signore Iddio loro e a David Re loro quale susciterò a quegli» [Iere. 30124], la quale prophetia è come si vede in Christo adempiuta, non si potendo intendere di esso David, dicendo quello: «Disse il Signore al Signore mio siedi da le destre mie» [David. Psal. 109125], parlando del nostro Christo, il quale vinto l’ago126 de la morte, ne salì al cielo e quivi siede da le destre del padre suo eterno. [I.§ix] E quale sì semplice christiano fia quello che queste altissime prophetie legga e vadia127 i detti e i segni di questi computando ne la mente, non ritrovi tutto convenire con Christo, onde facilmente possa resistere nel capo [c. +5v] di qual si voglia hebreo? E chi fia quello che facilissimamente non convinca la perfidia loro, e ardisca prontamente de la verità de la fede christiana parlare? E tanto più, se si va quello che la prophetia di Daniel ne dimostri bene ponderando, quando dice: «Le settanta settimane sono decise sopra il popolo tuo e sopra la citta de la tua santità a consumare la prevaricatione, a finire il peccato e a purgare la iniquità e a condurre la giustitia da secoli e finire la visione e il propheta e ungere la santità de la santità. E fortificherà il patto a molti una settimana, e la meza settimana farà cessare il sacrificio e l’offerta e sopra l’alia128, abominationi di desolatione, e infino a la consumatione et esterminatione, stillerà sopra il desolante» [Daniel. 9129]. Da la qual prophetia si veggono manifestamente restare convinti gli hebrei, non havendo da potere indurre alcuna autorità che settimana si pigli se non o per numero di sette dì, o per numero di sette anni, il che conferma il propheta trattando di sopra de settanta anni che prophetò Ieremia, che doveva durare la cattività Babylonica, la quale computatione di anni appunto in Christo conviene, ne la quale si vede come ne la settuagesima e ultima settimana fu confermato il testamento a’ molti, cioè a universe genti, il quale fu che noi crediamo per Christo esserci rimessi i peccati, il che non conosce la carne e il sangue, ma 121 Qui e a seguire si noti l’uso del verbo pattovire variante di pattuire. 122 Ger 31,31-33. 123 Ger 31,34. 124 Ger 30,9. 125 Sal 110 (109),1. 126 “Pungiglione” come in Purg. XXXII, 133: vedi 1Cor 15,56. 127 Vada… computando ne la mente. 128 Per “ala” (del Tempio): GDLI, I, p. 279 Ala1. 129 Dn 9,24.27.

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gli «immortali sudori del brucciolo» per lo spirito. E così come queste, infinite altre autorità ne sono, sì de la incarnatione, sì de la humiltà, sì de lo Spirito discendente in esso, sì de la passione, sì de la morte e sì de la resurrettione da morti per la quale ha dato la vita a tutti noi. [I.§x] Ma da queste poche adotte da me per non essere troppo lungo nel dire, consideri ogni christiano, con quanta utilità, con quanto profitto e con quanta luce risplendino questi divinissimi libri ne le menti de’ christiani, ne’ quali debbono attentamente tutto il giorno riguardare, per riconoscervi la santa gratia evangelica, in loro confermamento, e in confusione degli hebrei. Tutte le qualità degli huomini, che del nome christiano si vogliono gloriare, sono tenuti correre a questi, come a lucido specchio nel quale solo vegga la sua divina felicità e come a uno proprio e unico bene, in modo che niente altro pensino, niente altro abbraccino, niente altro desiderino che i santi libri di questa Sacra Scrittura. [I.§xi] E se questi fruttiferi campi de’ sacri libri saranno con ogni studio da voi che havete il freno in mano de’ popoli e che reggete le terre, messi avanti come celesti paschi a le pecore vostre, con tranquilla pace sempre reggerete quelle, pure che ogni opera facciate che in questi soli venghino per cibarsi, e vedrete che lo spirito che è in essa Scrittura farà spogliare a quegli il loro huomo carnale, infondendosi con divino modo ne’ cuori di quegli. La qual cosa tanto dolce e chiara diverrà loro che niente altro di più cercando poi che di servire a Dio in spirito di verità, vivranno in somma pace, niente curando del regno mondano, havendo che da Iddio sieno eletti quegli che ne hanno la briga, a loro stando suggetti. E tenga per fermo V. M. che i maggiori nostri in quella primitiva chiesa fondata dal santissimo Figliuolo di Iddio, niente altro maggiormente cercorno di sapere quanto la dottrina di questa Santa Scrittura, niente de la humana scientia curando. E di qui venne che sapendo gli ascosi misterii de le Scritture, le interpretationi de’ propheti, lo spirito infuso in quegli e i luoghi e i segni che ne mostravano il nostro Christo essere quel Messia che doveva venire, hebbono forza di tirare tutto il mondo a la evangelica fede, dove tosto che l’humane scientie, gonfiate di ampullose parole e vote di spirito, essendo sola lettera che uccide130, entrorno fra’ christiani, non che di nuovo venuto sia alcuno a questa luce, ma essendosi precipitati ne le tenebre di quelle coloro che altri illuminare dovieno, grandissimo detrimento ha patito la christiana repubblica e di gran lunga si è diminuito il christiano nome, dove que’ primi tanto l’accrebbero, che infino agli ultimi termini de la terra la condussono, perché pensavano – e rettamente certo pensavano – che sapere questa sola Scrittura, fussi sapere tutte le cose, né altro fusse più santo, né più fruttifero sapere. [I.§xii] Per la qual cosa, a loro immitatione, in questi oscuri secoli, i quali penso che Iddio voglia alluminare, tutto lo sforzo e lo intento di ciascuno debbe tendere a questi santissimi libri divini, a questi oltre a modo splendidi soli, che danno l’anima e la vita a ciascuno che guarda in essi, e la vita che sempre vive, e felicemente fa l’huomo beato pure che con pio occhio in quegli rimirare voglia. In quegli, dico, che hanno il vero lume del dì e il vero respirare a la vita. Perché non senza pericolo certamente si intrica il christiano ne le altrui discipline, che solamente hanno vanità di voci e apparentie di scientia, dicendo Paulo: «E dico questo, acciò che nessuno vi inganni ne la persuasione de le parole. Habbiate cura che alcuno non vi predi131 per la philosophia e vana fallacia secondo la constitutione degli huomini e non se-

130 2Cor 3,6 citata più esattamente più sotto. 131 Da predare.

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edoardo barbieri condo Christo132», soggiungendo: «Non toccherai né gusterai, né palperai tutte le cose che sono a la corrutione per la abusione133 secondo i precetti e dottrine degli huomini, le quali hanno certamente parole di sapientia in superstitione et humiltà di animo» [Colo. 2134]. La sola parola di Iddio (credetemi christiani) è quella la quale, in questi amplissimi campi de la Scrittura Sacra seminata, produce grandissimo frutto ne le menti degli huomini che in quegli si pascono, perché questi sono unica regola e maestri de la vita. Questa sola scientia è veramente quella che è necessaria a ogni carne, se salva di venire vuole a fruire in cielo le eterne letitie, non essendo nel vero l’altre scientie, ne le quali non riluce la parola di Iddio, necessarie a la vita. E non tanto certamente [c. +6r] non sono necessarie, ma e superflue, niente utili a la edificatione de l’anima. Vinchino adunque vinchino, appresso di noi christiani «genere eletto, reale sacerdotio, gente santa, popolo di guadagno» [Pietro135], le cose sacre e divine, e partinsi le humane, le quali non possano guardare in questi santissimi lumi de la divina scrittura, quantunque sapientia e pietà mostrino quelle per sé. Dove in questa alta dottrina de’ sacri parlari divini, spogliati tutti gli affetti de la carne, lo Spirito solo ci è guida, dicendo Paulo: «Perché la prudentia de la carne è morte et la prudentia de lo spirito vita e pace, per questo la prudentia de la carne è nimica a Iddio136» [Rom. 9]. E questo dice l’Apostolo, perché sempre furno contrarie l’humana e la divina sapientia. Quella è fondata ne la carne, questa ne lo spirito, quella corruttibile e mortale, e questa incorruttibile e eterna. Quella piena di tenebre e di inresolute quistioni, questa piena di luce e di indubitata certezza. Quella ne le forze de la carne e in sé stessa sola si fida, questa in Dio pose ogni suo potere e confidentia. Sienosi adunque infino a qui a bastanza usati i philosophi e le gonfiate parole loro, e le scientie, e sette piene di oppugnationi, perché questa sola Scrittura ci dimostra e da quella vera immortalità dietro a la quale si sono tanto affaticati i philosophi per trovarla e toccandola, come dice Paulo, «fidatisi ne la carne loro, non hanno conosciuta né trovata137». Perché questa santissima dottrina non si acquista da lo spirito sophista, o dal pertinace dialetico, o dal versuto philosopho, ma dal puro e semplice animo del christiano, sublime in Christo e humile in sé stesso. Questa vera philosophia adunque dobbiamo abbracciare noi che confessiamo esso nome christiano e in quello ci gloriamo, a fin che noi non diciamo di essere christiani e non sappiamo quello che sia Christo, né da chi, né perché promesso ci fussi, né quella gratia che seco apportò al mondo. [I.§xiii] E ignorando i precetti suoi e come predetti fussino, non diciamo di credere, e non sappiamo in che, conciò sia cosa che come molti sono, i quali vogliono sapere più di quello che bisogna sapere, altri sieno anchora, non altrimenti che statue senza senso, che sotto questa parola de l’Apostolo che dice «non bisogna sapere, più di quello che è necessario sapere138», si fanno a credere, che il non sapere cosa alcuna, sia la vera scientia christiana, e come stolidi tronchi di legno non sanno balbutire se non questa parola, “Io credo”, e in 132 Col 2,4.8. 133 Abuso, cosa sconveniente. 134 Col 2,21-23a. 135 1Pt 2,9. 136 Rm 8,6-7a. 137 Fil 3,3-4. 138 Rm 12,3, ma si veda il testo latino: «non plus sapere quam oportet sapere, sed sapere ad sobrietatem».

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gli «immortali sudori del brucciolo» chi, e come, e in che modo, e a quello che tenda esso credere, e quello che ci sia comandato a conseguire la vita – essendo la fede morta senza le opere139 –, non sanno, né cercano di sapere, non considerando quello che soggiugne Paulo, «ma bisogna sapere a sobrietà140». Ma questi tali non sanno che male in verità credere si puote, se quello che si ha da credere non si conosce, né conoscer si puote, se non si sa quello che si ha da conoscere, né sapere si può, se lo Spirito non ce lo rivela. E dove maggiormente habita lo Spirito, che in essa sua Sacra Scrittura, essendo tutta spirito e vita? E quando si danna la sapientia del mondo, come quella che sola senza spirito è lettera che uccide141, non si danna ogni sapientia, ma si magnifica quella di Dio, de la quale può essere troppo bene capace ogni pio cuore, che cerca Christo in via di verità e non di parole finte, bisognando sempre essere intento a questa santissima scientia. «Non si ved’egli manifestamente i Platonici, i Pittagorici, gli Academici, gli Stoici, i Cinici, i Peripatetici, gli Epicuri, conoscere i fondamenti de le loro sette e benissimo ritenergli ne la memoria e per quelle acerbamente combattere? Come se più tosto elegessino di morire, che di cedere a un altro il patrocinio del suo autore. O perché non dobbiamo maggiormente dare tali animi al nostro autore e principe, Christo? Che sia cosa turpe a uno philosopho non sapere i fondamenti de la sua setta e noi in tanti modi eletti e congiunti a Christo, non pensiamo che sia mal fatto, non sapere quali sieno i fondamenti de l’Evangelio e le intentioni di Christo, le quali danno certissima felicità a tutti142?». Dove d’ogni altra dottrina bisogna confessare che avvegna tutto il contrario, dicendo Paulo, «Non vogliate trasferirvi a le dottrine varie e peregrine, perché è ben confermarsi il cuore di gratia» [Hebr. 13143], la quale da nessun’altra scientia viene che da la evangelica, perché questa santa philosophia, da sapienti del mondo sprezzata, solo Christo insegna, il quale vuole che da tutti sia presa, da tutti cerca, da tutti amata. Questa sola predicano gli Apostoli, tirando tutte le conditioni de le persone a quella, con questa venne Pietro pescatore degli huomini144. [I.§xiv] E io non per altro ho hora, christianissimo re, questi celesti lumi del mondo, da la hebraica verità, quegli che ne la hebraica lingua si truovano e da la greca, quegli che ne la greca furno scritti, traslatati ne la nostra vulgare toscana, a la univesale utilità di quegli che di tale lingua hanno cognitione, e non de le litterali che fra popoli non si parlono. E questo ricchissimo tesoro invio a V. M. e sotto i reali tetti di quella, pongo sopra la mensa del Re de lo universo avanti a’ christiani, questi duoi santissimi pani spirituali, mandanti da quello di cielo, desiderando una cosa tanto sacra e divina appresso di tale locarla, che conveniente fusse, a chi commettere si dovesse un tanto dono. Perché non con picciolo biasimo si mandono i ricchi presenti a quegli che degni non ne sono. E a chi meglio si debbono mandare le cose christiane, che al christianissimo christo del Signore, re Francesco? E rendasi certa V. M. che altro non ha indotto me italiano, e che in lingua italiana scrivo, a mandare questo tanto libro al dominatore de’ popoli Gallici e per natione Franzese, avvegnia che di questa e di altre lingue habbia cognitione, che il non havere veduto in tut [c. +6v] ta la christiana repubblica subietto appresso del quale più degnamente locare si potesse. Sì che né a me ha 139 Gc 2,26b. 140 Vedi n. 137. 141 2Cor 3,6. 142 Erasmo, Paraclesis, Basel, Froben, 1529, p. 6. 143 Eb 13,9. 144 Mc 1,17.

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edoardo barbieri da essere in cosa alcuna tenuta V. M. che io più presto che a nessuno altro tanto presente gli mandi. Perché se più degno di quella alcuno altro ne giudicassi, a quel tale, e non mai a essa mandato l’harei. Né anche si glorii V. M. di essere di tante alte doti e celesti gratie dotata, che in quella risguardi ogni christiano e sopra modo reverisca, ma dia laude al Signore dal quale son tutti i doni, che di tante gratie l’ha fatto partecipe, e primieramente eletto per il suo christianissimo christo, ponendolo per re sopra gran parte de la sua repubblica e pel quale, voltandogli più benigna la mano sua, la quale i ciechi del mondo chiamano fortuna, grandissime cose penso che di fare si apparecchi nel popolo suo. Né io, V. M., pregherrò altrimenti che questo celeste libro legga, o charo tenga, havendo per certo che se Alessandro Magno locò le Eliade di Homero in uno forziere ricchissimo, mirabile, d’oro e di gioie145, che V. M. non di minore animo di quello, habbia a locare questo in molto più riccho tesoro del suo, quale sarà ne la christianissima mente sua, tanto più riccho tesoro di quello di Alessandro, quanto più arricchisce le menti de’ lettori questa divina letione beatificandole, che quella ornata poesia che solo il senso diletta. E così spero che in questo lume santo, guardando, come sempre guardò V. M. bene e beatamente sé e i popoli suoi, habbia a reggere, a honore di quello che ne la gloria de’ cieli ci aspetta, Christo Gesù Signore e Salvatore nostro, al quale sia sempre honore e gloria ne’ secoli de’ secoli, Amen. AL CHRISTIANISSIMO RE FRANCESCO PRIMO RE DI FRANCIA, ANTONIO BRUCIOLI SALUTE E PACE IN CHRISTO GESÙ SIGNORE E SALVATORE NOSTRO [II.§i] Essendomi, christianissimo re, da’ christianissimi mysterii del Vecchio Testamento espedito, con la gratia di Quello senza il quale niente potiamo operare, ho voluto che a V. christianissima Maestà si rapresenti in compagnia del santo Evangelio del nostro Signore Christo Gesù, il quale è segno fisso dove terminano le leggi e i propheti. Ma come la Legge è quella, per la quale si comandono le rette cose e per la quale si dimostra il peccato, così l’Evangelio è promissione di gratia146, o de la misericordia di Iddio verso di noi, e una remissione del peccato e testimonio de la benivolentia di quello. Per il quale testimonio l’animo nostro certo de la benivolentia di Iddio, ami e laudi quello, e confortisi et esulti in Dio, sapendo che il pegno di tutte quelle promessioni è Christo. E questo è quello che scrive Paulo a’ Romani: «Ne l’Evangelio del suo figliuolo che già inanzi promisse per i propheti ne la Scrittura Santa del suo Figliuolo» [Ro. 1147]. [II.§ii] E le sacre lettere de’ nostri evangelisti niente altro fanno se non che rendano testimonianza che le promesse ci sono state date. E questo è la causa che così comincia Mattheo: «Libro de la generatione di Gesù Christo figliuolo di David, figliuolo di Abraham» [Matt. 1148]. E chiamo l’Evangelio promissione di gratia, di beneditione e di benevolentia di Iddio per Christo, perché tale gratia niente altro è che benevolentia di Iddio verso di noi, o volon145 Plinius, Nat, Hist., VII, 30 (29). 146 Si veda Gv 1,17, ma soprattutto Rm 7: nell’edizione 1541 il Brucioli titola questo capitolo La legge dimostra il peccato (II p., c. 60v). 147 Rm 1,1. 148 Mt 1,1.

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gli «immortali sudori del brucciolo» tà di Iddio che habbia avuto misericordia di noi, dicendo Paulo a’ Romani: «Se pel delitto d’uno molti sono morti, molto maggiormente la gratia di Iddio e il dono de la gratia, quella che è d’uno huomo Gesù Christo, abbondò in molti» [Ro. 2149], chiamando gratia una certa benevolentia e favore di Iddio, per il quale esso abbracciò Christo e in Christo e per Christo tutti i santi. Dipoi, perché Iddio favorisce con la sua benevolentia, manda i doni suoi in quegli de’ quali ha havuto misericordia. E il dono di Iddio è esso Spirito Santo, il quale versa Iddio nel cuore de’ suoi fedeli, come dice Giovanni: «Soffiò e disse: “Pigliate lo Spirito Santo”» [Gio 20150] e Paulo a’ Romani: «Ma ricevesti lo Spirito de l’adottare, nel quale noi clamiamo “Abba, Padre”» [Ro. 8151]. «E le opere de lo Spirito Santo sono – ne’ cuori de’ santi – fede, pace, gaudio e charità152», come dice Paulo a’ Galati. E così la Legge è una dottrina che prescrive quelle cose che sono da fare e quelle che sono da evitare, e l’Evangelio una promissione de la gratia di Iddio. La propria opera de la legge è dimostrare il peccato, dicendo Paulo a’ Romani: «perché per la legge è la cognitione del peccato» [Ro. 3153], e l’Evangelio dimostra a’ la conscientia, che conosce il peccato, Christo pieno di gratia e di verità. E così Giovanni quando predica la penitentia insieme dimostra Christo dicendo: «Ecco l’Agnello di Iddio, il quale toglie i peccati del mondo» [Gio. 1154], e la fede per la quale si crede a l’Evangelio dimostra Christo, e per la quale si piglia Christo per quello che placassi il Padre, per il quale si dava la gratia, onde dice Giovanni: «A tanti quanti riceverno Quello dette loro potestà di farsi figliuoli di Iddio» [Gio. 1155]. E questa fede de lo Evangelio in Christo pacifica il cuore e rallegralo, dicendo Paulo a’ Romani: «giustificati per la fede habbiamo pace156». E fa questa fede che maggiormente ci vergogniamo di offendere tanto benigno e tanto liberale Padre, e fa che noi abominiamo la carne nostra con le sue concupiscentie. Per la qual cosa propriamente il Vecchio Testamento è Legge, che così lo chiama Mosè ne l’Esodo quando vuole che Israel pattovisca il patto con Iddio d’havere a fare tutto quello che leggerà Mosè [Mose 24157]. Chiama anchora Ieremia il Testamento Legge o patto, e Paulo a’ Chorinthi manifestamente chiama Legge il Vecchio Testamento. Ma il Nuovo Testamento è Evangelio, cioè annuntiatione di gratia e dono di Spirito Santo, che così lo chiama Christo dicendo: «Questo è il sangue mio del nuovo testamento che per molti si spargierà ne la remissione de peccati» [Matt. 26158], dove diffinisce il Nuovo Testamento, dicendo essere “remissione de’ peccati”. E come fu asperso Israel da Mosè col sangue del vitello, quando dedicò il Vecchio Testamento, come si segnassi159, così il sangue di Christo è segnacolo del Nuovo Testamento. Queste poche cose sotto brevità ho voluto toccare, chri-

149 Rm 5,15b. 150 Gv 20,22. 151 Rm 8,15b. 152 Gal 5,22a. 153 Rm 3,20. 154 Gv 1,29b. 155 Gv 1,12. 156 Rm 5,1. 157 Es 24,7-8. 158 Mt 26,28. 159 Es 24,8.

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edoardo barbieri stianissimo re, acciochè così per i capi trascorrendo, dicessi quello che Nuovo Testamento, quel [c. ++3v] lo che Evangelio, quello che gratia e quello che fede sia. [II.§iii] E qui harebbe havuto fine la epistola nostra, la quale sono costretto a tirarla più in lungo, per rispondere a quegli che con un sottile spirito hypocrito, mosso da Satan, malignando contro a la christiana charità dicono non essere ben fatto che essa sacra e divina Scrittura fusse in altra lingua che ne le litterali naturalmente da nessuno popolo parlate. E questa impia parola dico non tanto essere priva de la charità christiana, ma anchora contro a quello che ne dice lo Spirito Santo per la bocca de’ suoi propheti e apostoli. Ma questi tali prima che dannino l’essere tradotta la Sacra Scrittura e la parola di Iddio ne la nostra lingua, a la universale utilità di quegli che le litterali lingue non sanno, dannino anchora san Hieronymo che ne la lingua stiava volse, e pussimamente fatto gli parve, che per la sua traduttione si potesse leggere e essere intesa, o mostrino che la stiavona lingua sia da tenersi in maggiore veneratione che la nostra italiana, quasi in tutta l’Europa parlata e havuta in pregio e da più quantità di anime intesa che alcuna altra de le litterali a non dire tutte insieme. Dannino dipoi con Hyeronymo tutti quegli che, da pia charità christiana mossi, ne le lingue che naturalmente si parlino, hanno voluto mettere essa Scrittura, essendo stata manifestata questa luce a tutto il mondo. [II.§iv] Ma se bene havessino letto questi tali Mosè, e visto lo intendimento de le sue parole, non mai se non con diabolica malignità tanto sarieno contrarii a la charità christiana. Perché quello dice: «E ponete queste parole mie nel cuore vostro e ne l’animo vostro, e legate quelle insegne160 a la mano vostra, e sieno come frontali fra gli occhi vostri. E insegnate quale a’ figliuoli vostri, acciò che parlino di esse quando sederai ne la casa tua e quando caminerai per la via, e quando giacerai e quando ti rizzerai. E scriverrai quelle ne gli stipiti de la casa e ne le porte tue, accioché si multiplichino i giorni vostri» [Deut. 11161]. Dal quale Mosè si vede che nessuno è escluso da la letione de la Scrittura, la quale in quella lingua fu primieramente scritta che allhora si parlava e la quale si comanda che da tutti si faccia leggere. E se questa divina scientia de l’uno e l’altro Testamento, e la Platonica, e l’Aristotelica, e tutte le altre, in quelle lingue furno scritte, che allhora si parlavono, se hora più naturalmente non si parlono, perché non si debbe leggere questa verità in quelle lingue che sono in uso e da’ più intese, essendo uno bene tanto maggiore quanto da più è participato? E poi, che altro sono le parole de le lingue che segni de’ concetti de l’animo? E se la mente e l’animo è quello che ricercha Iddio, non debbe quella con que’ segni esprimersi, e co’ medesimi edificarsi che notti gli sono? Se già non dicessino questi tali, con nuova superstitione, che i caratteri hebraici, greci e latini, e non i sentimenti havessino gran virtù, la qual cosa così ridicula come superstitiosa sarebbe. Ma vegghino questi tali quello che vuole dimostrare Christo dicendo: «Andate ne l’universo mondo e predicate l’Evangelio a ogni creatura, quello che crederrà e sarà battezzato fia salvo» [Mar. 16162]. Dimostrando che esso voleva che questa luce risplendesse a ciascuno in qualunque lingua si fusse, dandone manifesto segno quando mandò lo Spirito Santo a’ discepoli. E «apparsono a quegli lingue spartite come di fuoco, e sedorno sopra ciascuno di quegli e tutti furno ripieni di Spirito Santo e cominciorno a

160 A stampa insegno. 161 Dt 11,18-21a. 162 Mc 16,15-16a.

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gli «immortali sudori del brucciolo» parlare in varie lingue163». E questa gratia che dette qui lo Spirito Santo, che si potesse parlare in varie lingue, a che altro tende se non che la parola di Iddio havesse a essere intesa in tutte le regioni del mondo e ne le lingue di quelle? Intendendo «Parti e Medi, Elemiti, e quegli che habitano la Mesopotamia, la Iudea, e Capadocia, Ponto e Asia, e Pamphilia, Egytto, e le parti di Lybia, Romani, Creti e Arabi» [Fatti. 2164]. Chi sarà adunque quello che dica Christo non volere essere inteso da tutte le lingue, poi che mandò lo Spirito Santo che facesse parlare gli huomini idioti in tutte e in tutte essere intesi? Ricevino adunque i popoli la dolce e cara vicitatione di Gesù Christo nel celeste lume de lo Evangelio, il quale è la vera regola de’ Christiani, regola de la vita, regola de la salute. Seguitiamo adunque la sapientia di Iddio, dove non può essere alcuno mancamento di intelligentia, sapendo che gli huomini e le loro dottrine non sono alcuna cosa se non in quanto che confermamento e fortificamento sono de la parola di Iddio. [II.§v] E a quegli che dicono, sotto specie di pietà, ch’egli è cosa pericolosa a mettere questa luce avanti agli occhi de’ vulgari per esservi cose difficili e oscure, le quali le semplici genti idiote non possono così bene comprendere, e che potrieno essere causa di fargli errare, dico primieramente che questi tali contendino con lo Spirito Santo che volle a’ semplici e idioti manifestare quegli alti secreti, giudicandone quegli più degni, non havendo le menti gonfiate di mondana sapientia. E rispondendo a quello che dicono de le difficultà che sono in esso Evangelio, dico che poche sono e di nessuno pericolo a le semplici menti, le quali facilmente si rimettono ad altri in quelle cose che esse non intendono, ma bene di maggiore e più grave pericolo sono state sempre agli huomini greci e latini, che hanno, malignando, voluto sapere più di quello che bisogna sapere, perché que’ luoghi che allegheranno questi di difficultà e pericolo non si truova che conducessino a mala via, se non quegli che per le lingue e scientie hanno pensato di essere qualche cosa, e da quegli presa la occasione volsono mostrare di sapere più che gli altri, e caddono in manifeste tenebre, come Basilide, Menandro e Saturnio, che da altro non causorno la loro heresia che de la scientia Platonica165. Carpocra, Cerintho, Hebbion e Valentino, ingannati da la setta Pitthagorica. Heracleon, Marco, Cerdon, Marcione, Sabellio, Photino, Atrio, Eumonio, i quali [c. ++4r] ne le loro lingue e sette philosophice errorno, senza molti altri i quali l’Aristotelica scientia ha fatti deviare da Christo. Le quali tutte heresie e scandoli ne la fede evangelica procedute sono da quegli a’ quali parrebbe che solamente fusse creduto l’Evangelio, severo fusse che a que’ soli si dovesse palesare che de le litterali lingue hanno cognitione. In modo che anchora secondo le medesime ragioni loro, più tosto harebbe a essere ne le lingue de gli idioti che in quelle de’ sapienti. E questo è certamente quello che dice Paulo: «Perché quello che parla per le lingue, non parla agli huomini, ma a Dio, perché nessuno ode, ma con lo spirito parla i mysterii, e quello che propheta, parla agli huomini la edificatione e la esortatione e la consolatione. Quello che parla per le lingue edifica sé stesso, ma quello che 163 At 2,3-4a. 164 At 2,9-11a. 165 Qui e di seguito il Brucioli usa probabilmente un trattato di eresiologia come Ireneo da Lione, Opus eruditissimum … in quinque libros digestum, in quibus mire retegit & confutat ueterum haereseon impias ac portentosas opiniones, Basel, Froben, 1526, pubblicato per le cure proprio di Erasmo (Valentina Sebastiani, Johann Froben, Printer of Basel. A Biographical Profile and Catalogue of His Editions, Leiden-Boston, Brill, 2018, p. 666-668 no 305).

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edoardo barbieri propheta edifica la chiesa166». Poco dipoi sogiugnendo: «E hora frategli, se io verrò a voi parlando ne le lingue, che cosa ragionerò, se io non vi parlo o in rivelatione o in cognitione o in prophetia? Similmente le cose inanimate che non danno fuori la voce, o il fiuto167, o la cetra, se non hanno dato distintione a’ suoni, come si conoscerà quello che canti il fiuto, o la cetra? Perché se la tromba ha data la voce incerta, chi si apparecchierà a la battaglia? Così anchora voi, se non date ne le lingue parlare che significhi, in che modo fia conosciuto quello che si dice? Perché parlerete in aria» [Cor. 14168]. Ecco che Paulo vuole che ciascuno parli in modo che sia inteso a la edificatione de le menti. E che altro è il leggere la Scrittura, che udire lo Spirito Santo che parli per la bocca de’ santi apostoli di Christo, i quali non mai parlorno in modo che non fussino intesi? E di nuovo dice: «Tanti generi di voce, come accade, sono al mondo, e nessuno di quegli è muto. Se adunque io non saperò la forza de la voce, sarò barbaro169 a quello che parla e quello che parla barbaro appresso a me» [Cor. 14170]. Onde le lingue appresso di quegli che non le intendono altro non fieno che barbare, e barbari quegli appresso di loro, che in esse parleranno e non sono intesi. [II.§vi] «E così non è onde in questa communicatione di verità ci possa essere opposto alcuna defferentia di persone, o di età, o di corpo, o di fortuna, le quali cose non possono escludere il dono di Iddio. Dove non è vecchio né giovane, non è riccho né povero, non è noto né oscuro, “non è Iudeo né gentile, non è servo né libero, non è maschio né femina, perché noi tutti siamo uno in Christo Gesù” [Gala. 3171]. E se tutti uno in Christo, perché non tutti dobbiamo mangiare di esso pane evangelico in modo che tutti satiamo la mente a la nostra edificatione172?». Onde dice Paulo: «Se adunque la chiesa tutta parimenti si aduni e tutti parlino ne le lingue et entrino idioti infedeli, oh non diranno che voi divenire matti? Ma se tutti prophetiate et entri alcuno infedele, o idiota è convinto da tutti, è giudicato da tutti e così le cose occulte del suo cuore sono manifeste, e così cadendo col volto a la terra adorerà Iddio, confessando che Iddio è veramente in voi» [Cor. 14173]. Ecco che ad altro non tende Paulo, che a voler che ciascuno possa intendere quello che egli ode, e niente altro è leggere le Sacre Lettere che udire parlare lo Spirito Santo per la bocca de gli apostoli e de’ propheti. Onde se udire si debbe l’Evangelio, accioché per quello ci congiugniamo a Christo, bisogna che in quella lingua si oda, ne la quale chi ode, possa edificare la mente e non nel fasto de le lingue e talmente, che anchora inteso sia da i semplici e idioti, che con purità di cuore lo cercono di ricevere, quando più per questi che per quegli che vanno gonfiati da la humana sapientia, fu manifestato questo lume evangelico, dicendo esso Christo: «Io ti confesso padre, Signore del cielo e de la terra, che tu hai nascoste queste cose da sapienti e intelligenti, e rivelastili a’ piccioli» [Gio174]. Sì che io non veggo per modo alcuno come gli idioti sieno da essere levati da le evangelice lettere, come prophani, essendo state 166 1Cor 14,2-3. 167 Per “flauto”: S. Battaglia, Grande Dizionario della Lingua Italiana, op. cit., t. VI, p. 55 Fiuto2. 168 1Cor 14,6-9. 169 Nel senso proprio di “colui che parla una lingua non comprensibile”. 170 1Cor 14,10-11 171 Gal 3,28. 172 Erasmo, Nova praefatio, in Novum Testamentum latine, Basel, Froben, 1520, c. a2r. 173 1Cor 14,23-25. 174 Mt 11,25.

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gli «immortali sudori del brucciolo» date parimenti a tutti, e in modo date, che più tosto sieno intese dal pio e modesto idiota che da lo arrogante philosopho. Il popolo de’ Iudei haveva il celare i suoi mysterii, come quegli che dimoravano ne la ombra, ma l’evangelica luce non sostiene di stare ascosa175. [II.§vii] Esclameranno forse alcuni essere indegna cosa che una donna, o uno calzolaio, parli de le Sacre Lettere e quelle intenda leggendo, quando meglio è intenderle in simplicità di cuore, che in elevatione di scientia, e udire parlare a simili anime semplici idiote de la virtu de lo spirito, che certi somari maestri, che con la loro non sana philosophia maculano la parola di Dio. E non riprese il Signore i discepoli suoi che prohibivano andare i fanciugli a lui176? «Perché di tali – disse – è il regno dei cieli177». E che noi, come se ne intendessimo o volessimo più di Christo, vogliamo ascondere questa luce evangelica a le devote e semplici menti che desiderano di vederla? Come se per i soli litterati fusse mandata dal cielo, e non per tutti quegli che – lasciata la confusa sapientia del mondo – cercono Iddio in verità e semplicità di cuore, la quale non più per le lettere latine che per i vulgari, non più per le grece che per le barbare si truova, ma per lo audito solo de l’Evangelio, in qualunque lingua intendere si possa. Consideriamo pure quali auditori havesse esso Christo. Oh, non una mescolata moltitudine, e in questa ciechi, zoppi, mendici, publicani, centurioni, artefici, donne e fanciugli? Oh, fia hora gravato Christo d’essere letto da quegli da’ quali volse essere udito? E perché non potrà venire al pasco di quel nostro gran pastore Gesù Christo, il mercatante, il fabro, il contadino, il muratore, il pescatore, i publicani e tutte le conditioni degli huomini e de le donne, che furno fatte degne d’udirle da la bocca di esso Christo? E non confesserà ciascuno che più capaci saranno gli huomini de le evangelice predicationi, ogni volta che possino in casa loro fra loro stessi considerare essa Scrittura, e doppo la dichiaratione de la predicatione, tornare a leggerla [c. ++4v] che se altro non facessino, questo frutto fia pure assai che più pronti verranno audire esso celeste verbo di Iddio? E meglio lo intenderanno, avvegna che ne’ libri evangelici la divina sapientia mirabilmente, e sopra modo infonda anchora negli infimi talmente che nessuno possa essere tanto indotto, che non sia docibile a la evangelica philosophia, pure che per sé vi sia l’animo pronto e puro e vacuo da queste intricate cure del mondo e da queste cupidità e vaneglorie, le quali rendono indocibili a Christo i bene dottissimi. «E perché adunque non dee parere ben fatto che ciascuno pronuntii l’Evangelio in quella lingua ne la quale egli è nato? Come l’italiano ne la italiana, il franzese ne la franzese, l’inghilese ne la inghilese, il tedesco ne la tedesca e l’indiano ne la indiana? Né so come non paia a ciascuno cosa ridicula che le donne e gli huomini a guisa di papagalli bisbiglino i loro psalmi e le loro preci in lingua latina, o greca, e niente indendino di quello che si dichino178», onde edificare ne possino di cosa alcuna la mente, la quale allhora edificheranno che ne le proprie lingue loro scritte fieno. E non per altro dice Pavolo: «Per la qual cosa quello che parla ne le lingue ori che sia interpretato, perché oro ne la lingua, lo spirito mio ora e la mente mia è senza frutto. Che cosa adunque, io orerò con lo spirito e orerò anchora con la mente, io canterò con lo spirito e canterò con la mente, perché se tu bene dirai con lo spirito, questo il quale tiene il luogo de lo idiota, come risponderà

175 Vedi Mc 4,21-22. 176 Vedi Mc 10,13-14. 177 Mc 10,14b. 178 Erasmo, Pio lectori, in Praraphrases in Novum Testamentum, Basel, Froben, 1524, c. a6v.

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edoardo barbieri “Amen” al tuo rendere le gratie, poiché non sa quello che tu dica? Perché tu nel vero rendi bene le gratie ma l’altro non è edificato, io rendo gratie a lo Iddio mio, che maggiormente di voi tutti parlo ne le lingue, ma ne la chiesa voglio parlare ne la mente cinque parole, accioché anchora instituisca gli altri, più tosto che diecimila parole ne la lingua» [Cor. 14179]. E perché dice queste cose tanto apostolo, se non perché voleva che le menti intendessino bene quello che udivano, poi che esso dotato di tante lingue, di tante scientie, a le lingue e parlari di quegli, sempre si voleva accomodare, co’ quali parlava e a’ quali scriveva. Sì che convenendo con tale apostolo, insieme con Hieronymo, meglio mi rallegrei con la gloria de la croce, e cosa triomphale penserei che fosse, se in tutte le lingue, di tutti i generi degli huomini, fusse celebrato questo santissimo Evangelio e tutte l’altre lettere sacre, che vedere che a la maggiore parte degli huomini, e forse ’ più pii, si rimanessino occulte. «E poi se con pio e christiano occhio si considera il vero, non parrebbe cosa laudabilissima e santa, se anchora esso aratore, governando l’aratro, alcuna cosa ne la sua materna lingua cantasse de’ psalmi? Se il tessitore stando intento a la tela, riandando qual cosa, con lo Evangelio consolasse la sua fatica? E se il nocchiere intento al timone, ne cantasse qualche cosa? E così se gli altri simili, intenti a le loro fatiche, l’andassino alleviando180 con la santissima laude di Dio e parola de lo Evangelio? E se la reverenda matrona, a servigi de la casa intenta, o “a la roccha tirando la chioma, più tosto che favollegiare con la sua famiglia de Troiani, di Fiesole e di Roma181”, recitasse alcuna cosa de lo Evangelio a le picciole nipote e figliuole182?». Ma chi non sa, se perfidiare non vuole, che tutte l’opere insegnateci da le lettere sacre riguardono a la charità fraterna? E come non sia charità soplire a le menti di quegli che altra lingua non sanno, ne’ loro difetti accioché leghino e intendino e divenghino salve: da la quale lettura chi gli idioti christiani segregare vuole, non veggo come la charità di Christo sia in esso, volendo alienargli da quel bene che Iddio con larga mano concede loro. [II.§viii] Io tutte queste ragioni – secondo che occorse mi sono – christianissimo re, ho volute in questa seconda epistola scrivere a confermatione de le pie menti christiane, in confusione e vergogna di quegli che i semplici idioti vorrieno privare del santo pane evangelico pieno di gratia e di verità, il quale fu mandato di cielo per la salute de le universe genti e popoli. E questo a la christianissima maestà del re Francesco mando insieme con la Legge del Vecchio Testamento e promissioni de lo Spirito Santo per la mano de’ suoi propheti, non havendo maggiore pegno a dimostrare quanta affettione e reverentia porti al christianissimo nome suo. Mandolo dico come a ricchissimo tesoro, che e questo e quello habbia sempre a conservare incontaminato, e da quelle tignuole guardarlo che rodere lo vorrieno. E tengo per certo che niente più charo e niente più accetto gli habbia a essere di questo divinissimo libro, come vero christo del Signore Christo Gesù, al quale honore e gloria nel secolo de’ secoli. Amen.

179 1Cor. 14,13-19. 180 Se alleviassero le fatiche con la Parola di Dio. 181 Dante, Inf. XV, 124-126. 182 Erasmo, Pio lectori, c. a6v.

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La Francia vista dall’Italia. Il caso delle Scritture di Francia di Comino Ventura (1593-1594) Roberta Frigeni

Museo delle storie di Bergamo

Esiste un preciso legame che unisce Comino Ventura, tipografo attivo a Bergamo tra 1579 e 1617, alla terra francese: per tracciarne le linee essenziali dovremo ripercorrere la vivace biografia dello stampatore bresciano e indagare i titoli della sua articolata produzione editoriale. Ma cosa rappresenta la Francia agli occhi del Ventura e come viene delineata dalle sue pagine? Il presente contributo cercherà di rispondere a questa domanda, evidenziando come la Francia sia stata per Comino, oltre che luogo di formazione e apprendimento, un prezioso centro nevralgico di approvvigionamento di informazioni, utili non solo a coltivare un interesse commerciale ma soprattutto a soddisfare curiosità legate all’attualità geopolitica del pubblico di fine Cinquecento. Dall’Italia alla Francia: la formazione di Comino Ventura Il primo filo della trama di rapporti che lega il Ventura alla Francia è senz’altro quello biografico1. Brescia, Venezia, Lione, Bergamo: non conosciamo tutti i dettagli del percorso di formazione professionale del Ventura; sappiamo solo che si trattò di un viaggio lungo, che forse ebbe tappe europee più articolate, ma che certamente toccò la terra francese. Figlio di Venturino de’ Venturetti, Comino nacque a Sabbio, piccolo paese della Val Sabbia, attraversato dal fiume Chiese e appartenente alla Comunità della Riviera di Salò, intorno al 15502, e morì a Bergamo, il 7 gennaio 1617. La localizzazione della 1

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Per un quadro dettagliato della biografia del Ventura si rimanda a Roberta Frigeni, «Il ‘curriculum vitae’ di un tipografo del ‘500», in Annali tipografici dello stampatore Comino Ventura (15781617), a cura di G. Savoldelli, Firenze, Olschki, «Biblioteca di bibliografia italiana», 191, 2011, p. IX-LXXII. Così è possibile ipotizzare – non avendo trovato riscontri positivi presso l’archivio parrocchiale di Sabbio  – a partire da alcuni dati biografici, che andremo esponendo, relativi al tirocinio tipografico del Ventura.

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provenienza del Ventura è assai importante in ordine alla professione che sceglierà di esercitare, per nulla atipica per la zona: una sorta di enclave di tipografi operanti nel dominio veneziano ebbe origine proprio nei territori della Valle Sabbia3. Dopo aver terminato la propria formazione e il proprio apprendistato, nel 1566 Comino lasciava Venezia, insieme ad altri cinque compagni lavoranti presso la bottega del libraio Bartolomeo Gabbiano, per un biennio di specializzazione professionale a Lione, dove avrebbe prestato la propria opera presso le locali officine tipografiche. Che fosse lo spirito d’avventura o la sollecitazione di un nuovo mercato ad attirarlo in Francia, «Cominus de Venturetis de Sabio» si impegnava, insieme ai compagni, a trasferirsi Oltralpe con la dotazione di quattro soldi d’oro per il viaggio e la prospettiva di un impiego di due anni retribuito secondo le condizioni salariali del luogo di destinazione4. L’esperienza lionese permette al Ventura di stringere un rapporto con la realtà francese che – in futuro – avrà modo di maturare e confermare, stimolato dall’interesse per quel contesto geopolitico. È ragionevole pensare che il tirocinio tipografico fuori dall’Italia non si limitò a Lione: è lo stesso Comino, in una sorta di autobiografia redatta molti anni dopo, il Museum epistolarum nuncuptoriarum, a raccontare la propria formazione professionale dicendo di aver peregrinato, prima di arrivare a Bergamo, per «le più grandi città d’Europa5». Plausibile pensare – ma restiamo nel campo delle ipotesi – anche ad una trasferta in Spagna: i Gabbiano del resto, come molte altre aziende italiane, come i Giunti e i Portonari con sede a Lione, avevano succursali importanti a Salamanca, Toledo, Medina. Arrivò comunque a Bergamo, ormai quasi trentenne, forse in qualità di aiutante di bottega di Vincenzo da Sabbio, tipografo bresciano della importante famiglia dei Nicolini. Da garzone, il Ventura subentrò all’attività del conterraneo Vincenzo e nel 1578 divenne tipografo ufficiale della Città. Trentotto anni di attività in terra bergamasca, in regime di monopolio, con più di 500 titoli all’attivo6: tra questi, come vedremo, diversi sono dedicati all’attualità politica e coinvolgono, più o meno direttamente, la Francia.

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Il mestier de le stamperie de i libri. Le vicende e i percorsi dei tipografi di Sabbio Chiese tra Cinquecento e Seicento e l’opera dei Nicolini, a cura di E. Sandal, Brescia, Grafo, 2002, p. 10. L’atto, citato e analizzato da Sandal in ibid., p. 44-45 e 69, si conserva presso l’Archivio di Stato di Venezia, Notarile, Atti 400, notaio Giovanni Battista Benzoni, 20 ottobre 1566. Museum epistolarum nuncupatoriarum, Bergamo, Comin Ventura, 1603: «quin potius Europae urbes fere amplissimas quasque peragravi». Per l’intera produzione del Ventura si rimanda a G. Savoldelli, Annali tipografici dello stampatore Comino Ventura, op. cit., d’ora in poi l’opera sarà citata come «Annali» seguita dal numero arabo con cui ciascuna edizione è stata censita.

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Comino Ventura, in effetti, pur prestando il proprio servizio per le autorità tanto civili che religiose della Città di Bergamo, non si limitò ad un repertorio di pubblicazioni legato alla dimensione municipale, bensì riuscì a creare un proprio catalogo editoriale ben caratterizzato, come ricorda Sandal: La sensibilità di Comin Ventura, una certa qual sua predisposizione a non limitarsi solamente al ruolo di abile tipografo ma di proporsi anche in quello di uomo attento e pronto a cogliere le esigenze del proprio tempo, gli suggerirono alcune importanti iniziative editoriali, a cui collaborò nel lavoro intellettuale di scrittura: si ricordino qui i quattro volumi, da lui curati e che conobbero la fortuna di una duplice edizione nel giro del biennio 1593-1594, della Raccolta d’alcune scritture pubblicate in Francia de i moti di quel Regno e alcune sillogi di poesie e di lettere, che uscirono sullo scorcio del secolo e sul versante di quello successivo, dalla sua stamperia7.

Tra il 1593 e il 1594, in due edizioni, Comino pubblicò dunque un’importante Raccolta d’alcune scritture pubblicate in Francia de i moti di quel regno, distinta in quattro parti. Oltre ad offrire una significativa testimonianza dell’interesse per l’argomento storico-politico, con una particolare attenzione al contemporaneo scenario europeo (le guerre di religione, gli scontri tra Enrico di Guisa a capo della Lega Cattolica – assassinato nel 1585 – e il re di Francia Enrico III - ucciso nel 1589 - fino alla successione di Enrico di Borbone, re di Navarra, asceso al trono francese con il nome di Enrico IV), questa Raccolta denuncia il ruolo di spicco del Ventura come editore, mediatore, non solo di cultura ma anche di informazione, dai grandi centri politici alla periferia. L’iniziativa editoriale della Raccolta non costituisce un esperimento isolato, bensì inserito entro un periodo – dal 1592 al 1596 – cui risale un cospicuo numero di stampe indicative di un vivo interesse per l’attualità politica d’Oltralpe, che doveva percorrere molti centri editoriali del Nord Italia8. Un interesse maturato da Comino fin dal 1592, con la pubblicazione dell’opera del giurista e secretario Giovanni Andrea Viscardi, dedicata alla Cononatione d’Enrico duca d’Angiò a re di Polonia con la sua partita in Francia l’anno 1575 [ma 1574]. La linea editoriale del Ventura doveva riscuotere un certo successo ed intercettare il gusto del pubblico se,

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Ennio Sandal, I centri editoriali della Lombardia, in La stampa in Italia nel Cinquecento (Atti del convegno, Roma, 17-21 ottobre 1989), a cura di M. Santoro, Roma, Bulzoni, 1992, 2 v., p. 277-306, p. 302. Per una dettagliata analisi dei titoli dedicati da Comino allo scenario storico-politico internazionale si rimanda al contributo di Pier Maria Soglian, Un editore di confine e i Troubles de France (On line: , consultato il 26/05/2020).

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a Vicenza, la tipografia Greco ristampava nel 1594, a pochi mesi dalla sua uscita, la Raccolta d’alcune scritture pubblicate in Francia9. Dalla Francia all’Italia: la Raccolta di scritture di Francia Abbiamo una puntuale ricostruzione della struttura dell’opera, divisa in quattro parti, grazie all’analisi di Pier Maria Soglian, che nel 2006 dedicò pagine molto interessanti alla redazione della Raccolta di scritture di Francia e alle sue fonti nel contesto della libellistica politica dell’epoca10. Nella prima parte sono raccolti documenti del 1585 e del 1588, «dalla presa d’armi leghista fino alla notizia della morte dei Guisa». Nella seconda parte invece sono compresi manifesti delle fazioni in causa, realisti e leghisti, cui si aggiunge la Breve descrittione del Regno di Francia, tolta dalle relazioni universali di Gio.Botero Benese, diligentissimo e moderno scrittore. La terza parte accoglie documenti del 1593 relativi alla successione di Enrico III, da gennaio a luglio – come ricorda Soglian –, ma non in ordine cronologico. A questi seguono quattro documenti attinenti ai cosiddetti Troubles de Lyon del Settembre-Ottobre dello stesso anno. La quarta ed ultima parte, stampata nel 1594, è dedicata alla Conferenza di Suresnes, dal 27 Gennaio all’8 Agosto 1593. Come rilevato da Soglian, quella appena esposta doveva essere, rispetto alla prima edizione, «la forma riordinata in cui le “scritture (dopo essere) uscite confusamente senza ordine di tempo, sì come alle mani mi capitavano, (ora) haveranno forma di continuata Historia”11». Così scriveva il Ventura in apertura alla prima parte della seconda edizione della Raccolta, rivolgendosi al dedicatario Marc’Antonio Martinengo di Villachiara. Siamo nel 1594, solo un anno dopo l’uscita della prima edizione. Due edizioni della stessa opera in un lasso di tempo tanto breve si spiegano alla luce non soltanto della pressante richiesta di pubblico, denunciata – come vedremo – dallo stesso Ventura, ma anche e soprattutto in connessione alla necessità di rimodulare la forma editoriale della Raccolta con una diversa scansione degli argomenti, che rispettasse più fedelmente l’ordine temporale degli eventi. Conferire alla documentazione della Raccolta la forma di «continuata Historia» – organica e ordinata cronologicamente – pare essere la principale preoccupazione dell’editore che tuttavia cede davanti alle pressanti richieste di pubbliSoglian, in ibid. rileva come la ristampa sia integrale ma il testo dei Troubles de Lyon (su cui torneremo) sia «tradotto dallo storico Cesare Campana, che nella dedica metteva in guardia dall’accettare acriticamente le ragioni dei Lionesi». Il testo titola infatti Discorso veridico, e senza passione sopra la presa d’arme e mutamento avvenuto nella città di Lione. 10 Pier Maria Soglian, «Tra historia e politica: Comino Ventura e i Troubles de France (1593)», Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. LXVIII, 2006, n. 2, p. 307-319, p. 307 11 Ibid., p. 308. 9

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co («sollecitato, e quasi importunato dalla curiosità di molti troppo impatienti»), e modifica la propria politica editoriale («hebbi necessità di lasciare quel mio pensiero») con “uscite” anzitempo («con poco ordine darle alla Stampa, come senza ordine mi venivano alla mano»). Così infatti il Ventura apre la terza parte della prima edizione della Raccolta, dedicata in data 19 Novembre 1593 al gentiluomo cremasco Muzio Vimercati: Da che cominciarono a capitarmi alle mani (Ill. Sig. mio) le nuove di que’ successi; per li quali gli anni passati andò sossopra il Regno di Francia, e tuttavia pericolosamente ondeggia; entrai in pensiero di restrignerle (abbonacciate che fussero quelle turbolenti tempeste) tutte insieme in un corpo, e ridotte a forma e testura di continuata Historia, darle poi alla luce. Ma sollecitato, e quasi importunato dalla curiosità di molti troppo impatienti di cotal prolunga, hebbi necessità di lasciare quel mio pensiero: e così con poco ordine darle alla Stampa, come senza ordine mi venivano alla mano. Havendone adunque date fuori due Parti, e ritrovandomi haverne molt’altre, dopo sopragiunte, che bastavano a dar corpo alla Terza, stimolato più che mai da mille, ch’io non le tenessi nascoste, ho voluto, co’l sodisfar a questi, che le bramavano, abbracciar la occasione, che mi si porge di far più bella e autorevole questa Terza co’l nobilissimo nome di V. S. Ill.12.

Comino rammenta l’iter della realizzazione editoriale della Raccolta, confessando di aver dovuto necessariamente mediare le proprie velleità professionali –  aveva infatti l’ambizione di costruire una vera e propria «historia dei moti» e delle vicende politiche francesi, lavorando sui materiali documentari che gli «capitavano alle mani» – con le esigenze di mercato, generate dalle incalzanti richieste di un pubblico che aspettava con ansia di poter leggere le novità di Francia. L’intento di pubblicare una raccolta di documenti organicamente organizzata non sarà raggiunto nemmeno entro il riordino della seconda edizione, datata 1594, dove sopravvivono vuoti di informazioni per due archi temporali (tra 1585 e 1588 e tra 1589 e 1593) e dove resta disarmonica dal punto di vista cronologico la posizione dei Troubles di Lione (posti prima della conferenza di Suresnes e dopo i «manifesti» della successione, contemporanei alla Conferenza13). Per comprendere le ragioni di queste disomogeneità occorre indagare nel suo complesso l’iniziativa editoriale della Raccolta anche alla luce dell’intera produzione del Ventura.

12 Terza parte della Raccolta di scritture pubblicate in Francia De’ moti di quel Regno, Bergamo, Comino Ventura, 1593 (Annali 158). La lettera è censita da Roberta Frigeni, Gianmaria Savoldelli, Comino Ventura tra lettere e libri di lettere (1579-1617), Firenze, Olschki, «Biblioteca di bibliografiaDocuments and Studies in Book and Library History», 201, 2017, al numero XXXII. L’opera sarà d’ora in poi citata come ‘Dedicatorie’ seguita dal numero romano di riferimento. 13 Cfr. P. Soglian, «Tra historia e politica», art. cit., p. 308.

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Caratteri della Raccolta di scritture di Francia: finalità e lettori Con quale finalità fu composta la Raccolta, a quale pubblico era rivolta e come si colloca entro il quadro editoriale dell’intera produzione del Ventura? È possibile rispondere a tutte queste domande attraverso un canale privilegiato, quello delle lettere di dedica poste ad incipit dell’opera, specchio delle politiche dell’editore, della cognizione che egli aveva del contesto di produzione e delle relazioni con i lettori. La finalità di redazione parrebbe chiara: informare per tempo coloro che, in Italia, chiedevano conto allo stampatore degli eventi di Francia, ossia di «que’ successi per li quali gli anni passati andò sossopra il Regno di Francia, e tuttavia pericolosamente ondeggia14». L’edizione costituisce dunque una risposta ad una richiesta di mercato generata dall’attualità geopolitica. Ma oltre alla finalità commerciale perseguita rispondenedo alla richiesta di «amici et patroni15», sopravvive anche un’esigenza editoriale: quell’anelito – rimasto tuttavia insoddisfatto – a costruire una «continuata Historia», una raccolta organica di documenti relativi ad eventi cronologicamente ordinati. La rapida ed affastellata ricezione delle informazioni dalla Francia da una parte, e le urgenti pretese dei lettori italiani dall’altra, spingono tuttavia l’editore ad adottare una soluzione di compromesso: una stampa continua delle notizie raccolte, disordinata ma capace di soddisfare le curiosità dei committenti, dotata tuttavia di dispositivi informativi – le lettere di dedica – in cui l’editore potesse dichiarare le proprie intenzioni. Entro lo spazio semantico delle lettere di dedica il Ventura, pur confessando il rammarico di non aver composto l’opera secondo un criterio integralmente organico, ha comunque la possibilità di illustrare la bontà e le ragioni del proprio metodo editoriale. Il lavoro del Ventura prevedeva operazioni distinte. Dapprima la raccolta dei documenti in lingua originale o in latino, poi la loro traduzione, in seguito la loro restituzione editoriale in modo che emergano chiaramente le posizioni teoriche delle «parti» in causa: re, principi, nunzi pontifici, cattolici o ugonotti, realisti o leghisti. Ventura chiama questi elementi le «pretensioni» delle parti, i «manifesti» dei partiti e personaggi in causa: si tratta degli argomenti elaborati dai protagonisti della storia, la giustificazione delle azioni più che le azioni stesse, sottolinea Soglian. Da queste riflessioni dipende l’ultimo carattere proprio del metodo editoriale del Ventura: l’emendamento dei testi laddove ritenuto necessario per garantire 14 Terza parte della Raccolta di scritture pubblicate in Francia De’ moti di quel Regno, Bergamo, Comino Ventura, 1593 (Annali 158; Dedicatorie XXXII). 15 L’espressione ricorre in numerose lettere dedicatorie di mano del Ventura, tra queste si vedano: Annali 353, Dedicatorie CXLIV; Annali 379, Dedicatorie CLIX; Annali 74, Dedicatorie VI; Annali 226a, Dedicatorie LXIX.

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la pubblicazione. Scrive infatti il Ventura nella dedicatoria “ai Lettori” che apre la prima parte della Raccolta nell’edizione del 1593: Ho raccolte alcune scritture publicate in Francia nei primi anni di questi ultimi moti, dalle quali si scoprono le vere cause delle discordie di quel Regno: e per farne cosa grata a tanti, che avidamente le desideravano, le ho fatte tradurre dalla lingua francese nella nostra, e donate alla Stampa. Ma perché elle sono state scritte da persone interessate per giustificare le loro attioni, e pretesti, quali essi si fossero, simili anzi a manifesti, che ad una vera, e continuata historia; e perciò in molti luoghi ripiene di mordacità contra persone eminentissime; mi è convenuto dovendolo mandar in luce co’l consenso de’ Superiori, alcune cose tralasciare, altre mutare, senza però guastare quanto si è potuto la bellezza de i Discorsi nei veri significati loro16.

Ecco l’elenco puntuale delle operazioni editoriali: selezione («raccolta»), traduzione («dalla lingua francese nella nostra») e revisione («alcune cose tralasciare, altre mutare») che non infici la comprensione dei testi («senza guastare la bellezza dei Discorsi nei veri significati loro»). L’editore anticipa le riserve dei lettori, chiedendo di interpretare le operazioni di emendamento alla luce del contesto, e aggiunge: Potranno però i giuditiosi Lettori, dello stato, ove hora si trova il mondo, facilmente indovinare quel che sia stato necessario tacersi, o dirsi più modestamente: iscusarne il Stampatore, che non potendo darvi tutto quel che vorreste, vi dona almeno quanto è in suo potere17.

Il pubblico, avido e impaziente di notizie, piuttosto che attendere l’intera restituzione della storia, chiede all’editore che almeno «gli trattenessi con le pretensioni dell’una e dell’altra parte introdotte e opposte18». Si tratta dunque di lettori cui doveva risultare già nota la storia evenemenziale, quella costituita dai “fatti”. Come rileva Soglian, la «cosa non era difficile in Italia, grazie all’abbondanza di Avisi provenienti dalla Francia o dalle copisterie attive specialmente a Venezia e Roma, che oltre ad informazioni e relazioni su di una guerra ormai assai lunga e tragica, potevano recare documenti confezionati da singoli soggetti di diverso rilievo: predicatori, diplomatici, spie, truffatri interessati in vario modo alle manovre delle corti, come ai falsi, ai pettegolezzi, a vere e proprie

16 «Comino Ventura ai Benigni Lettori», in Prima parte della Raccolta delle scritture di Francia, Bergamo, Comino Ventura, 1593, (Annali 156, Dedicatorie XXIX). 17 Ibid. 18 «Comino Ventura ai Lettori Benigni», in Seconda parte della Raccolta delle scritture di Francia, Bergamo, Comino Ventura, 1593 (Annali 157, Dedicatorie XXXI).

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provocazioni politiche. Anche a Bergamo questo flusso di notizie non poteva mancare, passando attraverso il mondo dei letterati e dei secretari19». Entro questo quadro, il criterio originale della raccolta è il vero dato interessante dell’opera, al netto della sopravvivenza di quel «gioco di giustapposizione o contrapposizione di manifesti anche in contrasto con l’esigenza di riordino cronologico20». La selezione è guidata da una fonte cronachistica cui il Ventura si ispira, ben individuata dallo studio di Soglian, ossia il Mercurius Gallo-belgicus di Michel Isselt, indicato dall’editore con lo pseudonimo di «Jansonius Dovomensis frigius». La cronaca di matrice cattolica garantiva al Ventura un’ossatura obiettiva, capace di dare conto degli argomenti delle parti e delle loro rispettive fonti. Tra quelle di parte francese, il Premier recueil contenant les choses plus mémorables advenues sous la Ligue fu molto utile all’editore bergamasco che vi trovava «un’ampia scelta di manifesti dei partiti attualmente in lotta, leghisti e realisti, che gli ugonotti contrapponevano per denunciarne le ragioni politiche21». La Raccolta entro la produzione editoriale del Ventura: una questione di metodo L’intenzione denunciata dallo stampatore di «restrignere in un corpo» i molti documenti che gli «venivano alla mano» per poi «ridurli22» in forma di continuata Historia racconta in modo chiaro l’attività del Ventura, per nulla riducibile ad un semplice «dare alle stampe», bensì composta da decisioni e operatività proprie di un un tipografo-editore. La Raccolta in effetti è particolarmente interessante per rilevare il multiforme profilo di Comino Ventura: stampatore, collettore, autore, editore delle proprie pubblicazioni. Analizzato il quadro di produzione e i caratteri propri della Raccolta di scritture di Francia, quest’opera si conferma come una sorta di antecedente metodologico rispetto all’operazione editoriale forse più impegnativa dell’intera carriera del Ventura, ossia quella Raccolta di lettere dedicatorie di diversi23, pubblicata in ben 30 volumi dal 1601 al 1607, entro la quale saranno comprese anche le lettere d’apertura delle Scritture di Francia. Comino Ventura tentò con quest’opera un’impresa 19 20 21 22

P. Soglian, «Tra historia e politica», art. cit., p. 309. Ibid., p. 309. Ibid., p. 311. «Comino Ventura All’Ill. Sig. Mutio Vimercato Mio Signore Osservandissimo», in Terza parte della Raccolta delle scritture di Francia, Bergamo, Comino Ventura, 1593 (Annali 158, Dedicatorie XXXII). 23 Per un quadro dell’opera si veda R. Frigeni, «Comino Ventura tra lettere e libri di lettere. Lessico e semantica del dono nelle dedicatorie di un tipografo del Cinquecento», in Comino Ventura tra lettere e libri di lettere, op. cit., p. 1-65.

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editoriale che restò unica nel suo genere entro il contesto editoriale del secondo Cinquecento: costruì una raccolta di sole lettere di dedica, fornendo ai propri lettori un articolato dossier di modelli, una sorta di prontuario per ogni occasione. L’operazione conferma l’importanza della lettera di dedica come strumento non solo di comunicazione ma anche e soprattutto di patronage. Le lettere, parola dello stesso Ventura, sono «quasi porte» che permettono al tipografo di avvicinare gli uomini più illustri e di accedere alla loro «amicizia». La consapevolezza del valore dello strumento epistolare è sorretta da un accorto uso del linguaggio da parte del Ventura, autore – egli stesso – di lettere, entro le quali adotta un vero e proprio lessico tecnico della dedica, con una metaforologia e una topica ricorrenti. Le dediche, infine, permettono di intessere un rapporto diretto con un interlocutore privilegiato, il lettore: è questo lo spazio testuale in cui Comino illustra il significato e la funzione del proprio lavoro di raccoglitore, correttore, autore, stampatore ed editore di lettere e libri di lettere. Questi stessi meccanismi sono ben evidenti fin dalle dedicatorie delle due edizioni della Raccolta di scritture di Francia, che condividono con la successiva Raccolta di lettere dedicatorie di Diversi alcuni aspetti chiave, che indagheremo qui di seguito. Le due raccolte, in primo luogo, confermano l’uso di un lessico specifico. L’operato del tipografo/editore è caratterizzato da due motivi particolari, ossia il «venire alla mano» e il «raccogliere» (quest’ultimo declinato in diverse forme), capaci di tradurre icasticamente la prassi e insieme la strategia teorica che stanno alla base del lavoro del Ventura. Da una parte, infatti, i materiali da dare alle stampe «vengono alla mano» – come nel caso delle Scritture di Francia – o «escono dalle mani», dall’altra, tuttavia, ciò che definisce qualitativamente l’operato dell’editore è la scelta, la collazione. La parola “raccolta” registra un’alta frequenza relativa entro i testi delle dediche di mano del Ventura. Essa non ne caratterizza soltanto genericamente l’operato delineandosi quale criterio empirico di riferimento, ma assume valore teorico e significato normativo, comparendo in molti titoli delle stesse edizioni del Ventura: l’operazione di raccolta presiede alla pubblicazione di opere morali e storiche (i Sommari storico-biblici e quelli di sentenze), politiche (la Raccolta delle Scritture di Francia), o poetiche (La Raccolta di Lagrime o di componimenti per nozze). Almeno due tratti accomunano i volumi costruiti e identificati come Raccolte o Sommari: la forte impronta autoriale dello stampatore e il tema della realizzazione tipografica come dono nuovo, utile per la collettività. Le dedicatorie di questi volumi, infatti, mostrano un forte accento personale legato all’iniziativa professionale del tipografo, imprescindibile per formare l’opera. Così nella dedicatoria a Gio. Francesco Mageni, in apertura al Sommario historico, Comino scrive:

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roberta frigeni A beneficio commune adunque feci questi mesi adietro ridurre in breve et ristretto volume, sotto titolo di Sommario Historico, tutto ciò di più degno e misterioso, che dal principio del Mondo fino all’ultima distruttione di Gierusalemme, è avvenuto al popolo Hebreo; togliendo dalla Sacra Bibbia, ciò che da quella prender si poteva, e’l rimanente dal Flauio, Egesippo,et altri degni Scrittori; e poi di belle e vaghe figure ornato, et arrichito per tutto là, ove pareano meglio ricercarlo i misterii dell’opera. E fu di tanto amica la sorte a quest’historia, quando io disegnai di farla così ridurre, che m’offerse per questo carico il Sig. Chrisostomo Miliani, gentilhuomo giudicioso, et di nobilissimi studii, et che ha molto bene sodisfatto a questa impresa, come in ogni altra cosa si fa conoscere di pellegrino ingegno, et di bella letteratura. Così dunque ridotti questi sacri Libri, gli mando hora in luce a beneficio universale24.

L’operazione di “riduzione” è esposta al singolare: «feci ridurre», «io disegnai di farla così ridurre», «gli mando hora in luce», configurata quale esito di una decisione ed iniziativa del solo editore, finendo così con il “ridurre” anche il ruolo di Miliani, che dal frontespizio risulta autore dell’opera, ma che la dedicatoria presenta quale esecutore materiale della realizzazione di un disegno ideato dall’editore in ogni sua fase: dalla metodologia di raccolta delle fonti («togliendo dalla Sacra Bibbia, ciò che da quella prender si poteva, e’l rimanente dal Flavio, Egesippo, et altri degni Scrittori»), fino all’apposizione del corredo iconografico («e poi di belle e vaghe figure ornato, et arrichito»). Analogamente, per le Storie di Francia, Comino attesta: «le ho raccolte, ho fatte tradurre», ammettendo di averle dovute emendare («ho dovuto tralasciare») di alcuni tratti sgraditi alle autorità di controllo. Se ne scusa con il pubblico di lettori, addebitando a questa operazione censoria il differimento della pubblicazione dell’opera, ma insieme stringendo un occhio complice al proprio lettore, che da solo potrà riconoscere l’entità dei tagli e delle correzioni25. L’operazione editoriale delle Scritture di Francia è forse quella che meglio di altre permette all’editore di dare prova delle proprie competenze e di rendere nota la complessità del proprio profilo, in cui si sovrappongono i ruoli di collettore, autore e tipografo insieme. Così il Ventura può denunciare la consapevolezza dell’esito del proprio operato: «io ordinata et nobile historia vado tessendo26», dove il “tessere” allude ad un’operazione autoriale-editoriale, ricordata anche in sede di riedizione 24 «Comino Ventura a Gio. Francesco Mageni» (Bergamo, 1 Luglio 1590), in Crisostomo Miliani, Sommario historico raccolto dalla Sacra Bibbia, Bergamo, Comino Ventura, 1590 (Annali 93, Dedicatorie X). 25 «Comino Ventura a Marcantonio Martinengo» (Bergamo, 5 giugno 1593), in Raccolta di scritture pubblicate in Francia, Bergamo, Comino Ventura, 1593 (Annali 156, Dedicatorie XXVIII). 26 «Comino Ventura a Mutio Vimercato» (Bergamo, 19 novembre 1593), in Terza parte della Raccolta di scritture pubblicate in Francia, Bergamo, Comino Ventura, 1593 (Annali 158, Dedicatorie XXXII).

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dell’opera: «entrai in pensiero di restringnerle in un corpo et ridotte a testura di continuata historia darle alla luce27». Un ulteriore aspetto contraddistingue infine tanto la Raccolta di scritture di Francia che la successiva Raccolta di lettere dedicatorie: si tratta del rapporto che unisce “a distanza” il tipografo ai propri lettori. È significativa per qualità e quantità la presenza di lettere rivolte ai lettori entro il complesso delle dedicatorie del Ventura: non soltanto esse sono numerose, ma rivelatrici di un particolare legame con il fruitore delle opere. Le dediche ai lettori costituiscono, con l’adozione della stampa, lo spazio concettuale entro il quale si assiste al mutamento dello statuto comunicazionale dell’epistola dedicatoria «da espressione di rapporto interpersonale» a «lettera aperta rivolta al pubblico28», da una dimensione “cortigiana” a una “imprenditoriale29”. La lettera dedicatoria infatti registra il mutamento socioculturale legato al consolidamento della produzione tipografica: con l’aumento delle tirature dei libri, l’abbassamento del costo del prodotto finale, la crescita del pubblico di lettori, insieme al numero di autori e di imprese tipografiche, l’editoria vede accrescere il proprio impatto e la propria incisività sulla società, e la lettera aperta al pubblico diviene strumento di comunicazione riconosciuto, con proprie funzioni30. È già stato rilevato come – entro l’epistolografia in volgare – la presenza di epistole ai lettori conosca un incremento solo con la seconda metà del Cinquecento, e come la loro presenza sia da ascrivere per lo più all’intervento di curatori ed editori31. Il Ventura si colloca senz’altro entro questa tradizione, giunta a piena maturità tra la fine del xvi e l’inizio del secolo successivo, quando la dedica ai lettori ha una propria riconosciuta autonomia e una funzione comunicazionale ben delineata. Ad essa si affidano informazioni relative alla strategia editoriale e di marketing, entro un registro a partita doppia in cui si fondono considerazioni teoriche sul complessivo fenomeno delle dediche, dettagli tecnici sulla formazione e modalità di composizione dell’edizione e infine notizie di natura – potremmo dire – commerciale, ispirate da un più schietto pragmatismo32. 27 «Comino Ventura a Marcantonio Martinengo» (Bergamo, 5 aprile 1594), in Prima parte della Raccolta di scritture publicata in Francia, Bergamo, Comino Ventura, 1594 (Annali 183, Dedicatorie XLIII). 28 Si veda id., «Il sistema delle dediche e le sue regole», in La dedica, op. cit., p. 17. 29 Si veda Paola Farenga, «Il sistema delle dediche nella prima editoria romana del Quattrocento», in Il libro a Corte, a cura di A. Quondam, Roma, Bulzoni, 1994, p. 57-70, in part. p. 70. 30 Si veda M. Paoli, «Il sistema delle dediche e le sue regole», art. cit., p. 19. 31 Si veda Chiara Schiavon, Una via d’accesso agli epistolari. Le dediche dei libri di lettere d’autore nel Cinquecento, Padova, Cleup, 2010, p. 138. 32 Si veda Marco Paoli, «Due libri di solo paratesto: la Raccolta di Lettere dedicatorie di Comin Ventura da Bergamo (1601-1602; 1605-1607)», in La dedica. Storia di una strategia editoriale,

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In queste lettere, dunque, smessi i panni del “devoto servitore”, Comino si mostra quale operatore consapevole del proprio operato e denuncia gli intenti della propria missione, il ruolo professionale, le strategie editoriali. Da queste dediche, meno ridondanti e scevre da giochi retorici, raccogliamo non solo molte informazioni sull’attività del Ventura, ma anche le idee che sono alla base della sua produzione. Attraverso la dedica ai propri lettori, Comino fornisce un’anteprima del proprio lavoro, promettendo nuove uscite33, e illustra al pubblico il carattere di novità dell’opera34. Il tipografo non si limita a pubblicizzare le edizioni, ma arriva ad orientarne le modalità di fruizione, invitando il lettore a riordinare a suo piacimento i materiali che il tipografo ha stampato separatamente (218a), confermando quella capacità «ingiuntiva» del paratesto già rilevata da Genette35: Vero è, che non le havendo io hora tutte alle mani, non posso ancho a Voi donarle con l’ordine de’ tempi, si come parrebbe convenevole. Ma non potendo neanche ritardare lo stampar di quelle che io ho, senza troppa passione di chi le aspetta, ho io eletto di presentarvi separatemente Discorso per Discorso, secondo ch’a me arriva, ma con ordine et forma tale, che volendosene alcun formar volume, possa egli agevolmente ogni cosa riordinare al proprio luogo con la antepositione, o pospositione nella sola cucitura, et alla gratia vostra mi raccomando36.

Il rapporto di complicità e vicinanza con i lettori non riguarda solo l’aspetto promozionale, ma si traduce anche in un racconto del lavoro editoriale37. Il Ventura infatti spesso ricostruisce le vicende che hanno reso possibile la stampa dell’opera38, e informa il lettore sulle difficoltà materiali della propria professione, come comporre senza errori un’opera sulla base di un manoscritto inviato da un autore che vive lontano39.

Lucca, Maria Pacini Fazzi editore, 2009, p. 167. 33 Si vedano le lettere del Ventura entro le edizioni censite negli Annali ai numeri 36, 78, 217, 270, 407. 34 Si vedano le dedicatorie alle edizioni Annali 155 (Dedicatorie XXVI), 217 (Dedicatorie LXIV), 218a (Dedicatorie LXVI). 35 Gérard Genette, Soglie. I dintorni del testo, a cura di C. Maria Cederna, Torino, Einaudi, 1998, p. 13. 36 «Comino Ventura ai Lettori» (s.d.), in Louis Gonzaga, Ragioni et essempi allegate alla Santità, Bergamo, Comino Ventura, 1596 (Annali 218a, Dedicatoria LXV). 37 «Comino Ventura a Mutio Vimercato» (Bergamo, 19 novembre 1593), in Annali 158 (Dedicatoria XXXII). 38 «Comino Ventura al Cavalier Lodovico Rota» (Bergamo, 29 settembre 1600), in Leonardo Maniaco, La prima parte delle historie del suo tempo, Bergamo, Comino Ventura, 1600 (Annali 272, Dedicatoria LXXXVII). 39 «Comino Ventura ai Lettori» (s.d.), in Leonardo Maniaco, La prima parte delle Historie, Bergamo, Comino Ventura, 1597 (Annali 238, Dedicatoria LXXVII).

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La Raccolta di scritture di Francia attraverso le lettere di dedica I profili dei dedicatari attestano la duplice natura della Raccolta: da una parte opera che si colloca entro il filone di comunicazioni politiche tra Francia e Italia, richiesta da interlocutori che avevano familiarità con il mondo francese; dall’altra, opera che rivendica l’autonomia e il carattere di originalità della politica editoriale del Ventura. Ecco il quadro dei dedicatari, identici nella prima e seconda edizione della Raccolta. Raccolta delle scritture di Francia

Prima edizione, 1593

Prima parte

All’ill.mo Sig. Marcantonio Martinengo Conte di Villa Chiara40

5 giugno 1593

Annali 156; Dedicatorie XXVIII

Seconda parte

Al molto Ill. Signor Conte Galeazzo Soardo

21 Agosto 1593

Annali 157; Dedicatorie XXX

Terza parte

All’Ill. Sig. Mutio Vimercato

19 Novembre 1593

Annali 158; Dedicatorie XXXII

Quarta parte

Al molto ill. Signore il Cavalier Bartholomeo Fino

Seconda edizione, 1594

5 aprile 1594

16 aprile 1594

Annali 183; Dedicatorie, XLIII Annali 184; Dedicatorie XLV

18 aprile 1594

Annali 185; Dedicatorie XLVI

10 febbraio 1594

Annali 186; Dedicatorie XLVII

Dedicatari della prima e seconda edizione della Raccolta delle scritture di Francia.

Nel caso della prima parte della Raccolta, la dedicatoria a Marcantonio Martinengo Conte di Villa Chiara è pubblicata identica sia nella prima che nella seconda edizione dell’opera. La dedica doveva arrivare al destinatario mentre questi ricopriva la carica di governatore delle truppe di presidio e supervisore generale degli iniziati lavori alla fortificazione di Palma, di cui fu il principale responsabile dalla fine del 1593 a metà, circa, del 1594. In suo onore uno dei nove baluardi della fortificazione si chiamò proprio Villachiara, come la terra di cui divenne conte per eredità del nonno. Il Martinengo fu uomo d’arme al servizio di Venezia, dei Farnese e poi del 40 Nello stesso anno, Comino Ventura dedicò al Martinengo anche le Asserte ragioni d’incerto Inglese.

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Duca di Savoia Emanuele Filiberto, in nome del quale fu mandato in Francia a combattere gli ugonotti. Il legame del dedicatario con l’opera si stringe attorno alla Francia, terra di impegno d’arme e di virtù cristiana per il Martinengo, cui il Ventura si rivolge infatti con queste parole: Percioché e sono i Successi di quel Regno, ove Ella per la Santa Sede, e per la Maestà Chritianissima ha tenuto Supremi gradi: e versano fra Prencipi peraventura non ad altri più ch’a Lei o noti, o (parlando de’ buoni) anco amici: e portano con seco moti di guerra, di cui Ella ne sa tutte l’arti: e sorgono da controverse ragioni di Stato, del che pur Essa è così intendente, che s’ha chi l’aggiunga, non ha chi l’avanzi: e sono quei Successi alla fine, che coperti sotto riguardevoli manti di honesti pretesti, tengono, già ha tanto tempo, sospeso il giudicio del mondo, ch’ora forse da Lei, che con la Christianissima vita sua congiunge una singolar prudenza, e dottrina, imparerà che sentirne.

Il dedicatario conosce non soltanto il regno, ma i protagonisti della storia, gli accadimenti e le ragioni di stato. Il suo profilo conferma quanto già detto: il pubblico della Raccolta è al corrente degli eventi, ma vuole conoscerne i «pretesti» e le ragioni. Nel caso della seconda e terza parte della Raccolta, le dediche – pur rivolte al medesimo destinatario – vedono mutare in maniera significativa il tenore del dettato, e sono entrambe costruite intorno al tema dell’ordine del lavoro editoriale, giustificato in nome di una maggiore intelliggibilità della materia. La seconda parte della Raccolta è dedicata a Galeazzo Suardi, esponente di una famiglia tra le più «chiare» in Italia, in «giovanile» età al momento della ricezione dell’opera, come sottolinea il Ventura entro la dedica della prima edizione dell’opera. Si tratta probabilmente di Galeazzo, figlio di Pietro Secco Suardo e della veneziana Maria Bon, nato a Venezia intorno al 1570 e morto a Bergamo nel 1641. Il dedicatario della terza parte, anch’egli in giovanile età al momento della composizione della dedica da parte del Ventura, era esponente di una illustre famiglia di Crema. Muzio Vimercati era nipote di Leandro, dottore in entrambe le leggi e arcidiacono del Duomo di Crema, acclamato nel 1580 primo vicario capitolare di Crema, da poco sottratta alla giurisdizione dei vescovi di Piacenza e Cremona. Entrambe le lettere, come detto, servono al Ventura per giustificare la «ristampa» dell’opera a rimedio del disordine con cui la materia si presentava entro la prima edizione della Raccolta: Holla ristampata, col leuarne alcune delle cose che v’erano, & altre fra poruene, che non v’hauea; affine di dar loro quell’ordine con che nacquero, essendo egli il vero, & il più accommodato per la intelligenza de lettori. Non gliele potei dar nella prima Editione; percioche di Prouintia cosi à a noi remota, i

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la francia vista dall’italia riporti non mi veniuano continuati; & il desiderio, anzi l’importunità di chi voleua leggere era tale, che non comportò dilatione41.

Nella dedica alla terza parte il Ventura ribadisce la modalità operativa della ristampa, sottolineando le differenze dall’edizione precedente: Ho ristampato l’Historia mia delle contese Francesi, nello interregno di quella gran Prouincia, con differenza da questa seconda Editione alla prima; che oue allhora stampaua io le cose, secondo ch’a me veniuano portate, senza niun riguardo hauere a i tempi, in che succedeuano; in questa le sono io ite regolando in modo che con quell’ordine si leggeranno, che furono fatte. Diligenza, la quale non hauerei anche dianzi tralasciata, quando ò mi fussero venuti ordinatamente gli auisi, ò tutti almeno ad vn tempo, sì che io l’hauessi vsar potuta: però che gioua assai & alla intelligenza loro, & al mantenersele alla memoria42.

In entrambe le dediche è chiara una cosa: l’ordine delle materie, frutto di una selezione mirata dell’editore, facilita la comprensione del pubblico, l’«intelligenza de lettori». Analoghe indicazioni provengono dall’analisi delle dediche ai lettori di entrambi le edizioni della Raccolta. Raccolta delle scritture di Francia

Prima edizione 1593

Seconda edizione 1594

Prima parte

Benigni Lettori

Annali 156, Dedicatorie XXIX

Benigni Lettori

Seconda parte

A’ Lettori benigni

Annali 157, Dedicatorie XXXI

[Non ha dedica]

Terza parte

[Non ha dedica]

[Non ha dedica]

[Non ha dedica]

Quarta parte

Benigni Lettori

Annali 183, Dedicatorie XLIV

Annali 186, Dedicatorie XLVIII

Dediche ai Lettori nella prima e seconda edizione della Raccolta.

Soltanto la prima parte della Raccolta consta di una dedica ai lettori in entrambe le edizioni. Il testo delle due lettere, benchè costruite con diverse strutture, presenta alcune sovrapposizioni tematiche e brani ripetuti. Nella prima lo stampatore illu41 Seconda parte della Raccolta delle scritture di Francia, Bergamo, Comino Ventura, 1594. 42 Terza parte della Raccolta delle scritture di Francia, Bergamo, Comino Ventura, 1594.

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stra l’intera filiera del lavoro editoriale – come abbiamo già detto – dal reperimento delle fonti, alla traduzione fino alla loro revisione ed emendamento, e specifica come grazie alla lettura della propria opera il pubblico comprenderà «le vere cause delle discordie di quel Regno». Nella seconda invece il Ventura, che a seguito della prima stampa ha continuato a ricevere materiale relativo alle seditioni di Francia, «hora con la presente seconda Editione» dichiara di volerlo «regolare» in modo che i materiali «haueranno forma di continuata Historia», pur ribadendo la necessità di intervenire sulle fonti per ammorbidire quelle parti contenenti «mordacità» contro persone illustrissime ed ottenre il permesso di pubblicare. La dedica ai Lettori della seconda parte della Raccolta aggiunge qualche informazioni in più rispetto alla tipologia di fonti frequentate dall’editore: parte in lingua Latina, parte in lingua francese. In entrambi i casi il Ventura ha proceduto a tradurre i materiali. Una nota molto interessante riguarda anche la modalità di approvvigionamento delle informazioni da parte dell’editore. Definita come giornaliera43, doveva dunque essere relativamente agevole e sicuramente abbondante: al punto che il pubblico, informato, è avido di ricevere informazioni e incalza l’editore, che cede alla richiesta di pubblicare, prima di aver completato la raccolta ordinata di tutta la documentazione, porzioni della stessa relative alle «posizioni» di alcuni partiti. La Raccolta di scritture di Francia può considerarsi a tutti gli effetti una palestra, un esercizio preparatorio del metodo che il Ventura mette a punto, raffinandolo, in occasione della pubblicazione della Raccolta di lettere dedicatorie. Si tratta di un antecedente non soltanto dal punto di vista della modalità empirica di lavoro – la raccolta come collatio e non collectio, la selezione e riduzione delle fonti – ma anche e soprattutto dal punto di vista della costruzione della propria identità autoriale da parte dell’editore. Il ricorso marcato alla prima persona, la volontà costante di riferire le proprie scelte editoriali emancipano lo stampatore dal profilo di tipografo facendolo emergere come autore di quella «continuata historia» citata nelle dedicatorie fin dalla prima parte della Raccolta francese. La lettera si conferma così lo strumento semantico d’eccellenza nelle mani dell’editore per poter affermare il proprio profilo personale e le proprie velleità professionali, intessendo così un rapporto privilegiato con i propri «amici e patroni».

43 «Comino Ventura ai Lettori Benigni», in Seconda parte della Raccolta delle scritture di Francia, Bergamo, Comino Ventura, 1593 (Annali 157, Dedicatorie XXXI).

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Imprimeurs et libraires italiens dans le monde ibérique (xvie siècle)* Natalia Maillard-Álvarez Université Pablo de Olavide

En 1570 était publié à Séville le Vocabulaire des deux langues toscane et castillane, premier dictionnaire italien-espagnol écrit par Cristóbal de las Casas1. Dans les remerciements, l’auteur assurait qu’il n’y avait pas d’homme qui ne prétendait pas, ou du moins ne désirait pas, apprendre la langue toscane2, et cela pour deux raisons : en premier lieu, « à cause de la relation continue avec les gens d’Italie » et en deuxième lieu, parce que les Italiens « n’ont point laissé de choses en grec, en latin, ou dans d’autres langues qu’ils ne traduisirent à la leur. Et de même, nombre d’extraordinaires génies et des gens doctes de cette nation ont écrit et écrivent toujours dans leur langue toscane », de telle forme qu’en connaissant seulement l’italien, on pouvait accéder à une infinité de connaissances. Cette citation nous montre l’intensité des relations économiques et culturelles entre les péninsules ibérique et italique au cours du xvie siècle, lesquelles se sont vues favorisées par l’intégration à la monarchie hispanique du royaume de Naples et du duché de Milan, ainsi que par les étroites relations diplomatiques et commerciales avec le reste des territoires italiens3. L’importante communauté d’Italiens installés ou de passage en Espagne (parmi lesquels beaucoup ont fini en Amérique) va être l’un des points de connexion le plus * 1 2

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Ce travail fait partie du projet de recherche « Las redes internacionales del comercio de libros en la Monarquía Hispánica (1501-1648) », HAR2017-82382P, del Ministerio de Ciencia, Innovación y Universidades. Cristóbal de las Casas, Vocabulario de las dos lenguas toscana y castellana, Madrid, Ediciones Istmo, 1988. L’imitation de la culture italienne a été particulièrement forte en Espagne, où les liens politiques et économiques ont été favorisés par les similitudes linguistiques et religieuses. Il convient de consulter Natalia Maillard Álvarez, « Italian Literature in the Hispanic World during the Early Modern Period (Seville and Mexico City) », dans Books in the Catholic World during the Early Modern Period, éd. par N. Maillard Álvarez, Leiden, Brill, 2014, p. 115-144. Voir Génova y la Monarquía Hispánica (1528-1713), éd. par M. Herrero Sánchez, Y.R. Ben Yessef Garfia, C. Bitossi, D. Puncuh, Gènes, Società Ligure di Storia Patria, 2011 ; Roma y España. Un crisol de la cultura europea en la Edad Moderna, éd. par C. J. Hernando Sánchez, Madrid, SEACEX, 2007.

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important entre les deux péninsules. Selon l’historien Antonio Dominguez Ortiz, les Italiens, avec les Flamands, « formaient une immigration “d’élite ” de par leur formation » et de plus, « on pouvait à peine les désigner comme étrangers étant donné qu’ils étaient natifs de pays vassaux ou alliés de l’Empire4 ». L’un des domaines de la culture et de l’économie dans la monarchie hispanique au sein duquel les Italiens ont eu une importance particulière au cours du xvie siècle a été celui de la production et du commerce de livres, phénomène dont l’analyse fait l’objet du présent travail. Quand les premiers imprimeurs sont arrivés dans la péninsule ibérique, aux alentours de 1470, celle-ci se trouvait divisée en plusieurs royaumes indépendants, dont quatre étaient chrétiens (royaumes du Portugal, de Castille, de Navarre et la Couronne d’Aragon) et un musulman (Grenade) ; mais en un peu plus de trente ans le panorama politique et religieux a été complètement transformé. En 1469, les princes héritiers de Castille et d’Aragon, Isabelle et Ferdinand, se sont épousés. Un fois leur pouvoir consolidé dans leurs fiefs respectifs, les monarques, connus comme les Rois catholiques, ont débuté une politique d’expansion qui les a menés à conquérir le royaume de Grenade en 1492, celui de Naples en 1504 et celui de Navarre en 1512. L’unité longuement désirée avec le Portugal ne s’est en revanche pas produite avant 1580. Entre-temps, une expédition soutenue par les rois, et avec à sa tête le Génois Christophe Colomb, avait ouvert la route de navigation avec l’Amérique. Après la mort des Rois catholiques, le reste du xvie siècle a été marqué par les règnes de l’empereur Charles Quint et de Philippe II, sous lesquels la monarchie hispanique a atteint sa plus grande expansion territoriale, mais qui sonne également le début de son déclin. Toutes ces circonstances vont avoir une influence décisive sur l’histoire de l’imprimerie et du livre en Espagne et sur l’importance réservée aux étrangers sur son territoire. Les couronnes de Castille, d’Aragon et de Navarre ont conservé, par exemple, leurs frontières, malgré le fait de partager le même monarque, et les privilèges et les licences accordées pour un livre dans l’un des territoires n’étaient pas valables dans les autres5. En revanche, l’Inquisition espagnole, d’une importance primordiale dans le contrôle de la circulation des livres, était une institution commune aux trois royaumes mentionnés ainsi qu’aux vice-royautés américaines et aux îles Philippines.

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La citation est tirée d’Antonio Domínguez Ortiz, Orto y Ocaso de Sevilla, Séville, Universidad de Sevilla, 1991, p. 78. Cf. Jaime Moll, « Para el estudio de la edición española del siglo de oro », dans Livres et libraires en Espagne et au Portugal (xvie-xxe siècles), Paris, CNRS, 1989, p. 15-25.

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Les premiers libraires et imprimeurs italiens L’imprimerie s’était déjà diffusée dans de nombreuses localités de la péninsule ibérique au cours du xve siècle, dans des villes comme Salamanque, Burgos, Séville et Barcelone se différenciant par l’importance de leur production, classement auquel s’est rapidement ajoutée la ville d’Alcalá de Henares6. La majorité des premiers imprimeurs étaient d’origine étrangère, principalement allemands, même si certains d’entre eux arrivaient d’Italie, comme l’Allemand Meinardo Ungunt et son associé Stanislao Polono, qui se sont installés en 1490 à Séville après avoir quitté Naples7. En plus des Allemands, les Italiens, les Français et les Flamands ont constitué les trois communautés étrangères les plus importantes dans le monde du livre espagnol tout au long du xvie siècle même si toutes n’ont pas connu le même essor. Parmi les Français, on compte d’importants marchands de livres comme Benito Boyer8 ; mais également un grand nombre d’imprimeurs et d’ouvriers-imprimeurs, dont certains très modestes, attirés en Espagne par les salaires plus élevés qu’ils pouvaient y trouver9. À l’époque de l’incunable, les Italiens impliqués dans le monde du livre en Espagne optent surtout pour le commerce et l’édition, sans être eux-mêmes imprimeurs, une situation qui, nous le verrons, évoluera au cours du xvie siècle. L’arrivée des Flamands en Espagne a, quant à elle, été plus tardive et ils n’ont pas revêtu beaucoup d’importance avant la seconde moitié du xvie siècle10. L’arrivée de libraires italiens dans la péninsule ibérique a été très précoce. Les premières traces de leurs installations dans plusieurs villes remontent aux alentours de 1480-1490, où ils se dédiaient à l’importation de livres venant de Venise, pour laquelle l’Espagne constituait alors un excellent marché11. On peut noter une concentration plus importante dans les centres de commerce principaux en Castille comme en Aragon. C’est ainsi que les Génois Guido de Labezaris et Nicoloso Monardis étaient

Cf. Julián Martín Abad, Los primeros tiempos de la imprenta en España, Madrid, Laberinto, 2003. Id. et Isabel Moyano Andrés, Estanislao Polono, Alcalá de Henares, Centro Internacional de Estudios Históricos Cisneros, D. L. 2002 8 Cf. Vicente Bécares Botas, La librería de Benito Boyer. Medina del Campo, 1592, Salamanque, Junta de Castilla y León, 1992. 9 Voir Clive Griffin, Oficiales de imprenta, herejía e Inquisición en la España del siglo xvi, Madrid, Ollero y Ramos, 2009, p. 113-133. 10 Cf. El comercio del libro entre los Países Bajos y España durante los siglos xvi y xvii, éd. par A. Sánchez del Barrio, Valladolid, Universidad de Valladolid, 2016. Les Flamands Antonio Sajet ou Juan Bellero, par exemple, se sont installés à Séville dans la décennie de 1580. Carmen Álvarez Márquez, Impresores, libreros y mercaderes de libros en la Sevilla del Quinientos, Zaragoza, Pórtico, 2009, t. II-1, 78-79 et t. II-2, p. 243-245. 11 Angela Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, Leiden, Brill, 2013, p. 270.

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installés à Séville et importaient des livres et du papier d’Italie depuis au moins 149112. À Séville se trouvait également le Piémontais Lazaro de Gazanis. La situation avantageuse des Italiens sur le marché espagnol se reflète dans la demande faite en 1492 par Nicoloso de Monardis, « marchand de livres de moulage », pour que lui soient accordés les mêmes privilèges que ceux détenus par les autres Italiens de la ville. Nous savons qu’en plus de faire commerce des livres, il importait du papier de Gênes et qu’en 1501 il a obtenu des Rois catholiques le privilège d’imprimer et de vendre pendant trois ans les ordonnances royales sur les tissus. Ces Italiens disposaient d’une position privilégiée pour profiter du commerce naissant avec le Nouveau Monde, en particulier à partir de 1503 quand Séville est devenue la seule porte de sortie de marchandises et de passagers en direction de l’Amérique. En 1512, Monardis a reçu six ducats d’or pour six missels qu’il avait vendus à un groupe de Franciscains qui voyageaient à Tierra Firme13. Les descendants de Monardis et Labezaris ont fait partie de la bourgeoisie marchande sévillane et ont été très liés au commerce des livres ainsi qu’à l’Amérique14. À Barcelone, Manuel Peña parle d’un « processus d’italianisation de la culture catalane » dans la première moitié du xvie siècle, favorisé principalement par l’importation de livres italiens, encore une fois, venant de Venise15. Dans le domaine de l’importation, plusieurs libraires italiens ont eu un rôle important, comme Francesco de Asula ou Marco de Prada16. Valence a été un port d’entrée important de livres vénitiens, ce qui explique l’installation dans la ville de plusieurs libraires italiens, et même d’un négociant du vénitien Paganino de Paganinis à la fin du

12 Enrique Otte, Sevilla y sus mercaderes a fines de la Edad Media, Séville, Universidad de Sevilla, 1996, p. 157-158. 13 Joaquín Hazañas y la Rua, La imprenta en Sevilla. Noticias inéditas de sus impresores desde la introducción del arte tipográfico en esta ciudad hasta el siglo xix, Séville, Diputación Provincial, 1945-1949, t. 1, p. 94. 14 Le fils de Guido de Labezarius et son petit-fils (aussi appelé Guido) ont continué à travailler dans le commerce de livres. Le second a été un négociant de l’imprimeur Juan Cromberger en NouvelleEspagne en 1536 et, après beaucoup de revers, a fini par être gouverneur des Philippines. Klaus Wagner, « Guido de Lavezaris, genovés (1512-1582). De librero a gobernador de Filipinas », dans Tra Siviglia e Genova: notaio, documento e commercio nell´età colombiana, éd. par V. Piergiovanni, Milan, Giuffrè, 1994. p. 378-391. 15 Manuel Peña Díaz, « El comercio, la circulación y la geografía del libro », dans Historia de la Edición y de la Lectura en España. 1472-1914, éd. par V. Infantes, F. López, J.-F. Botrel, Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez, 2003, p. 85-93. 16 Id., Cataluña en el Renacimiento: libros y lenguas (Barcelona, 1473-1600), Lleida, Editorial Milenio, 1996, p. 83-84. Il se peut que ce Francesco de Asula ait été en relation avec Juan Francisco de Asula, courtier de Giovanni de Giunti et Alejandro de Canova à Valladolid pendant plusieurs années. Marta de la Mano González, Mercaderes e impresores de libros en la Salamanca del siglo xvi, Salamanque, Universidad de Salamanca, 1998, p.  87-88 et V. Bécares Botas, La librería, op. cit., p. 72.

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xve siècle17. Philippe Berger signale une différenciation entre les étrangers impliqués dans le commerce du livre dans cette ville méditerranéenne : tandis que les Allemands et les Italiens s’intéressaient principalement au commerce de gros et aux transactions internationales, les Français se sont orientés plus vers la vente de livres au détail18. La demande de la République de Venise auprès du vice-roi de Valence pour qu’il vienne en aide au négociant du libraire Ottaviano Scoto, qui s’était rendu dans cette ville pour encaisser les dettes de son employeur, prouve bien l’importance du marché hispanique pour les imprimeurs et les libraires vénitiens19. Les activités des Italiens reflètent une forte mobilité géographique et même l’existence d’un réseau international naissant qui permettait la distribution de livres à travers toute l’Espagne. Lazaro de Gazanis, déjà mentionné, en était un bon exemple : à Séville, il n’a pas seulement vendu des livres mais il a également financé l’impression de plusieurs œuvres (seul ou en association avec Guido de Labezaris) à partir de 1498. Il a également fait des affaires à Medina del Campo, à Salamanque, à Saragosse et il a fondé une compagnie à Lyon avec le libraire Juan de Paris20. Il semble que la ville de Saragosse ait joué un rôle de connecteur important entre les marchés internationaux et les marchés ibériques, déjà à l’époque de l’incunable. Cela n’est pas tellement dû à la forte demande interne mais plutôt à sa position géographique privilégiée, qui rendait facile son accès depuis les grands centres de production européens21. Cela explique la présence de livres étrangers à Saragosse, la majorité d’entre eux au xve siècle étant allemands ou italiens. À Salamanque, on trouve le Milanais Bernardino de Castronovo à partir de 150222, bien que les libraires et les imprimeurs italiens n’y revêtent une véritable importance qu’un peu plus tard. Au cours de ces premières décennies, lorsque les libraires italiens consolidaient leur pouvoir dans la péninsule ibérique, les Rois catholiques vont favoriser le commerce de livres à l’aide d’importantes exemptions d’impôts, qui se sont concrétisées dans la célèbre pragmatique de Tolède, octroyée en 1480. Cela se basait sur la conviction que les livres, apportés par les marchands nationaux ou étrangers,

17 Philippe Berger, Libros y lecturas en la Valencia del Renacimiento, Valence, Edicions Alfons el Magnànim, 1987, p. 272. 18 Ibid., p. 216. 19 A. Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op. cit., p. 270. 20 Cf. Manuel José Pedraza Gracia, « La librería zaragozana a finales del siglo xv », Aragón en la Edad Media, t. XIV-XV, 1999, p. 1243-1256. 21 Miguel Ángel Pallarés Jiménez, La imprenta de los incunables en Zaragoza y el comercio internacional del libro a finales del siglo xv, Zaragoza, Institución Fernando el Católico, 2003, p. 307-323. 22 Cf. Vicente Bécares Botas, Guía documental del mundo del libro salmantino del siglo xvi, Salamanque, Instituto Castellano y Leonés de la Lengua, 2006, p. 102.

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étaient un avantage pour le bien commun du royaume23. Mais avec la généralisation de l’imprimerie surgit également le désir des autorités d’exercer un contrôle. En 1502, une nouvelle pragmatique exigeait une licence pour l’impression et l’importation de livres dans Castille24. D’autre part, les monarques vont développer une politique basée en grande mesure sur la concession de privilèges d’impression qui octroyaient à leur propriétaire un monopole dans le but de produire une œuvre sur une période de temps déterminée et ont ainsi favorisé plusieurs typographes installés dans leurs royaumes25. Les principaux bénéficiaires de ces privilèges ont été, de fait, les imprimeurs les plus puissants d’Espagne, comme Jacob Cromberger à Séville et Arnao Guillén de Brocar à Alcalá de Henares. Le privilège est devenu l’instrument de prédilection de la Couronne et des imprimeurs pour contrôler le commerce du livre, étant donné qu’il s’agissait d’une stratégie qui satisfaisait tout le monde : les imprimeurs avaient la garantie de produire en exclusivité certaines œuvres et la Couronne obtenait en échange leur loyauté et un contrôle plus poussé de la production. Comme l’a souligné Gonzalo Sánchez-Molero, les imprimeurs ont joué un rôle déterminant dans la politique de propagande des Rois catholiques, en Espagne comme en Italie, et ils sont restés du côté de Charles Quint pendant la révolte des Communautés en 1520-152226. L’utilisation de licence et de privilège visait à freiner la concurrence des libraires étrangers, en grande partie italiens, qui commençaient déjà entre le xve et le xvie siècle à accaparer le marché hispanique27, avec des conséquences négatives sur la balance commerciale du royaume. On ne peut cependant pas dire que cette tentative ait été couronnée de succès. À certaines occasions, il était même préférable d’imprimer des livres espagnols à l’étranger, dans l’optique d’obtenir un produit de meilleure qualité, et la présence précoce dans la péninsule ibérique de marchands et de libraires italiens a favorisé ce phénomène : Guido de Labezaris a financé en 1501 l’édition de Las Siete Partidas, un des plus importants livres de droit espagnol, dans

23 Fermín de los Reyes Gómez, El libro en España y América. Legislación y censura (siglos xv-xviii), Madrid, Arco Libros, 2000, vol. I, p. 25, vol. II, p. 771-772. À partir de 1548, ces privilèges fiscaux s’appliqueront également aux livres exportés en Amérique. Ibid., t. I, p. 171, t. II, p. 790-791. 24 Ibid., t. I, p. 96-98. 25 Fermín de los Reyes, « Con privilegio: La exclusiva de edición del libro antiguo español », Revista General de Información y Documentación, t. XI, p. 163-200. 26 José Luis Gonzalo Sánchez-Molero, « Los impresores ante el Consejo Real: el problema de la licencia y del privilegio (1502-1540) », dans Actas XIII y XIV Jornadas bibliográficas Bartolomé J. Gallardo. 2006. Agustín Sánchez Rodrigo (1870-1933). 2007. Dos pinceladas sobre mercaderes de libros en el siglo xvi, Badajoz, Unión de Bibliófilos Extremeños, 2009, p. 119-184. 27 Voir Clive Griffin, Los Cromberger: la historia de una imprenta el siglo xvi en Sevilla y Méjico, Madrid, Ediciones de Cultura Hispánica, 1991. p. 55.

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l’atelier vénitien de Luc’Antonio Giunti28, qui recevait également des commandes venant de Barcelone29. Du fait de la place secondaire de l’Espagne dans l’industrie typographique européenne, et ce malgré la présence d’ateliers d’imprimerie dans beaucoup de villes, ces pays dépendaient des importations pour pouvoir répondre à la demande de livres30. Ainsi, il était de plus en plus rentable d’acheter des livres dans d’autres endroits de l’Europe et de les importer en Espagne et dans les vice-royautés américaines. L’Espagne moderne a été « un puissant aimant à étrangers31 », et il est vrai que les professionnels du livre n’ont pas fait exception. Les problèmes de l’imprimerie espagnole, assez similaires à ceux d’autres secteurs de production, ont été soulignés par les chercheurs : au manque chronique de financement s’ajoutaient la mauvaise qualité du papier et une distribution inadaptée des ateliers locaux32. Dans ce sens, les mots du testament du grand bibliophile Hernando Colón sont sans appel : « à se fournir toujours en livres à Séville ou à Salamanque, il y aura une infinité de livres dont vous n’entendrez jamais parler et que nous ne verrez jamais en librairie car ils n’atteignent jamais ces contrées33 ». De fait, la grande partie des livres européens datant de l’époque moderne proviennent des presses d’une douzaine de villes comme Venise, Lyon, ou Anvers, entre autres34. Dans ces capitales de l’imprimerie européenne, le commerce était contrôlé en grande partie par de grandes compagnies d’imprimeurs-éditeurs, souvent d’origine familiale, qui disposaient d’un réseau de négociants capables d’opérer sur différents marchés en voyageant dans toute l’Europe et même en Amérique35. Les 28 C. Álvarez Márquez, Impresores, libreros y mercaderes de libros en la Sevilla del Quinientos, op. cit., t. II-1, p. 292-293. 29 M. Peña Díaz, Cataluña en el Renacimiento: libros y lenguas, op.  cit., p.  82-83. Y compris des projets éditoriaux protégés et financés par les monarques, comme l’édition des œuvres d’Alonso Fernández de Madrigal, qui a été réalisée à Venise. Luisa Cuesta, « La edición de las obras del Tostado, empresa de la Corona española », Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, t. LVI, 1950, p. 321-334. 30 Il convient de consulter Klaus Wagner, « Les libraires espagnols au xvie siècle », dans L’Europe et le livre. Résaux et pratiques du négoce de librairie xvie-xixe siècles, Paris, Klincksieck, 1996, p. 31-42 31 La citation est tirée de Francisco Morales Padrón, La ciudad del Quinientos, Séville, Universidad de Sevilla, p. 78. 32 Cf. Jaime Moll Roqueta, « El impresor y el librero en el Siglo de Oro », dans Mundo del libro antiguo, Madrid, Editorial Complutense, 1996. p. 27-41. 33 La citation est tirée de Klaus Wagner, « La presenza del libro italiano nella Spagna della prima metà del secolo xvi attraverso le annotazioni di Ferdinando Colombo : l’esemplio delle tipografie di Roma e Venezia », dans Rapporti e scambi tra umanesimo italiano ed umanesimo europeo, éd. par L. Rotondi Secchi Tarugi, Milan, Nuovi Orizzonti, 2001, p. 599-619. 34 Cf. Andrew Pettegree, « Centre and Periphery in the European Book World », Transactions of the Royal Historical Society, Sixth Series, t. XVIII, 2008, p.101-128. 35 Un bon exemple de la complexité mais également du conflit que supposaient les affaires de ces grandes multinationales du livre peut être trouvé dans Ian MacLean, « Murder, Debt and

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compagnies italiennes ont été les premières à connaître le succès en Europe et l’Espagne avait très tôt attiré leur attention. Sous le règne de Charles Quint, la politique de privilèges a été durement attaquée : la pression de beaucoup d’imprimeurs et des grandes compagnies européennes, désireuses d’introduire plus facilement leurs livres en Espagne, a fini par avoir des répercussions, ouvrant le chemin à partir de 1525 à un marché beaucoup plus libre du point de vue commercial. La capacité d’investissement des compagnies étrangères et les nouvelles pratiques mercantiles qu’elles ont apportées leur ont permis de s’emparer de la plus grande partie du marché espagnol pendant tout le xvie siècle36. Les marchands de livres italiens qui faisaient office de négociants pour les compagnies vénitiennes ou lyonnaises (dont beaucoup étaient également d’origine italienne) avaient alors pour eux  «un espace franc pour leurs investissements et pour l’introduction d’éditions publiées ou financées par leurs maisons mères37  ». Ce phénomène était tellement important qu’un pourcentage significatif des livres lus en Espagne étaient produits en dehors de la péninsule, même quand il s’agissait de livres en espagnol38. La situation de dépendance s’est trouvée aggravée lors des décennies suivantes, à mesure que l’inflation et le contrôle idéologique augmentaient, un contrôle dans lequel l’Inquisition jouait un rôle de plus en plus prédominant39. Cette nouvelle situation se reflète également dans le changement de l’axe géographique du commerce de livres : si lors des premières décennies du xvie siècle

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Retribution in Italo-Franco-Book Trade: the Beraud-Michel-Ruiz Affari, 1586-1591  », dans Learning and the Market Place. Essays in the History of the Early Modern Book, Leiden, Brill, 2009, p. 227-272. Pedro Rueda Ramírez, « La venta de libros en Madrid en tiempos de Felipe II : el catálogo de Simone Vassalini (1597) », JLIS.it-Italian Journal of Library and Information Science, t. IX, 2, 2018, p. 280-209 La citation est tirée de José Luis Gonzalo Sánchez-Molero, Los impresores ante el Consejo Real: el problema de la licencia y del privilegio (1502-1540), op. cit., p. 35. Cf. Julián Martín Abad, « La edición española fuera de España », dans Historia de la edición y de la lectura en España. 1472-1914, éd. par V. Infantes, F. Lopez, J.-F. Botrel, N. Baranda, Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez, 2003, p. 105-111. Il convient de consulter Klaus Wagner, « La Spagna dei Secoli d’Oro nella tipografia europea », dans L’Europa del libro nell’età dell’Umanesimo, éd. par L. Secchi Tarugi, Florence, Cesati, 2004, p. 645-651. Quand l’Inquisition a été créée à la fin du xve siècle à la demande des Rois catholiques, elle ne disposait d’aucune responsabilité spécifique concernant les livres et la censure. Les débuts de la Réforme protestante et la diffusion précoce d’œuvres de Luther dans toute l’Europe ont poussé le Saint-Office à essayer de s’attribuer, avec succès, les compétences les plus étendues dans ce domaine, ce qui s’est reflété fondamentalement dans deux nouvelles responsabilités : l’élaboration d’index de livres interdits (et également plus tard de livres expurgés) et les visites de librairies et de bibliothèques à la recherche de livres pernicieux. Les inquisiteurs ont également été responsables des inspections des livres entrant en Espagne par les ports, ainsi que de donner leur accord pour les livres qui étaient exportés dans le Nouveau Monde. Voir Virgilio Pinto Crespo, Inquisición y control ideológico en la España del siglo xvi, Madrid, Taurus, 1993 ; et Manuel Peña Díaz, Escribir y prohibir. Inquisición y censura en los Siglos de Oro, Madrid, Cátedra, 2015.

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les grandes capitales du livre avaient été Séville et Salamanque, à partir des années 1530 c’est Medina del Campo qui prend de plus en plus d’importance. À Medina, l’imprimerie est arrivée relativement tard et la production n’a jamais été très importante40, mais il y existait deux foires annuelles et les grandes compagnies internationales avaient décidé d’y ouvrir boutique afin que leurs négociants puissent fournir toute l’Espagne, le Portugal et l’Amérique41. Medina del Campo et ses foires ont occupé une place centrale dans un marché contrôlé en bonne partie par des libraires étrangers spécialisés dans les importations depuis l’Europe42. La consolidation des grandes compagnies italiennes en Espagne Dans le testament de Nicoloso de Monardis, rédigé à Séville en 1515, se trouve une référence intéressante qui nous permet de pister l’arrivée de ces compagnies internationales dans la péninsule : Tommaso, fils de Luc’Antonio de Giunti, avait été à Séville six mois auparavant pour négocier au nom de son père les comptes que ce dernier avait avec Monardis43. C’est précisément à partir de la seconde décennie du xvie siècle que nous trouvons une présence plus importante des grandes firmes italiennes sur le marché espagnol. Ils ne se limitent désormais plus à négocier à travers d’autres marchands italiens installés en Espagne ou à envoyer des négociants de façon ponctuelle, mais ils installent de manière permanente des courtiers dans différentes villes qui, une fois leur position consolidée dans le territoire, vont agir comme des entreprises certes indépendantes mais toujours en contact étroit avec la maison mère. Deux familles vont se distinguer parmi les marchands de livres et les imprimeurs italiens en Espagne : les Giunti et les Portonariis. Les Giunti, aussi connus en Espagne comme les Junta, sont sûrement ceux qui ont attiré l’attention des chercheurs44. Luc’Antonio de Giunti, le fondateur de la firme, appartenait à une famille florentine de marchands de laine, mais une fois installé à Venise, il a tenté sa chance, à partir de 1489, comme éditeur puis en tant qu’imprimeur faisant preuve d’une grande habileté pour les affaires. Son entreprise 40 Cf. Cristóbal Pérez Pastor, La imprenta en Medina del Campo, Madrid, Sucesores de Ryvadeneyra, 1895. 41 Voir Libro y ferias: El primer comercio del libro impreso. Quinto centenario de la imprenta en Medina del Campo. 1511-2011, éd. par A. Sánchez del Barrio, Valladolid, Fundación Museo de las Ferias, 2011. De plus, il convient de consulter : Fairs, Markets and the Itinerant Book Trade, éd. par R. Myers, M. Harris, G. Mandelbrote, Londres, Oak Knoll Press, 2007. 42 Cf. Anastasio Rojo Vega, «  El negocio del libro en Medina del Campo  », Investigaciones históricas : Época moderna y contemporánea, t.  VII, 1987, p.  17-26 [1992] ; id., «  Los grandes libreros españoles del siglo xvi y América », Cuadernos Hispanoamericanos, t. D, 1992, p. 115-132. 43 J. Hazañas y la Rúa, La imprenta en Sevilla, op. cit., t. 2, p. 24-25. 44 William Pettas, A History & Bibliography of the Giunti (Junta) Printing Family in Spain. 15261628, New Castle, Oak Knoll Press, 2005. Pour revenir sur l’histoire des Giunti vous pouvez consulter Angela Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op. cit., p. 51-71.

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s’est spécialisée dans la production de livres liturgiques et, comme évoqué plus haut, il a produit très tôt des œuvres pour le marché hispanique. De plus, Luc’Antonio a fondé la Grande Compagnie de Libraires de Venise, sans doute la première société de ce type45. Pour étendre ses réseaux d’affaires, Luc’Antonio a utilisé des membres de sa propre famille : son frère Felipe (Filippo) a ouvert une succursale de la firme à Florence tandis que son neveu Giacomo a été envoyé à Lyon. Tomás (Tommaso), fils de Luc’Antonio, et surtout son neveu Juan (Giovanni) ont été quant à eux choisis pour s’établir sur le marché hispanique. Le plus ancien témoignage existant de la présence de Juan en Espagne remonte à 1514, quand il s’est présenté au port de Cadix pour réclamer dix-sept caisses de livres envoyées depuis Florence et qui avaient été embarquées. Selon Marta de la Mano, c’est à partir de 1516 qu’on peut parler de l’implantation d’une boutique appartenant aux Giunti à Salamanque, dirigée par Juan et son compagnon, le Bourguignon Alejandro de Cánova46. En parallèle du siège situé à Salamanque, les associés ont ouvert une boutique à Medina del Campo, à la tête de laquelle s’est retrouvé Cánova. Cette succursale, qui est restée en fonctionnement jusqu’en 1529, a été la première boutique de livres ouverte de manière permanente dans la ville, ce qui montre à nouveau le talent des Giunti pour s’associer aux bonnes personnes47. Juan devenait ainsi le responsable des entreprises familiales en Espagne et choisissait pour siège un centre intellectuel de premier ordre avec des ateliers d’imprimerie plutôt modestes48. En 1523, la bonne gestion des affaires portait ses fruits et la fabrique était devenue une entreprise autonome qui n’avait cependant pas abandonné les liens étroits qu’elle entretenait avec la maison mère de Venise et les branches lyonnaises de la firme. Juan de Junta et Alejandro de Cánova se sont focalisés sur le commerce de livres, lorsqu’en 1526 Juan épouse Isabel de Basilea, fille et veuve d’imprimeurs. Ensemble, ils montent un atelier d’imprimerie situé à Burgos, en lançant une production typographique qui, en 1532, comprenait déjà près de 100 titres. Selon William Pettas, ce mariage a permis à Juan d’augmenter le modeste patrimoine avec lequel il était arrivé en Espagne49. À partir de 1529, ils disposaient également d’une succursale à Valladolid. À l’image des Compagnies de libraires de Venise et de Lyon, Juan

45 Marta de la Mano définit cette compagnie comme « l’une des stratégies les plus ambitieuses et habilement calculées pour obtenir le contrôle du marché européen du livre », voir Marta de la Mano, Mercaderes e impresores de libros en la Salamanca del siglo xvi, op. cit., p.179. 46 Cf. Ibid., p. 47. 47 Anastasio Rojo Vega, « Comercio e industria del libro en el noroeste peninsular. Siglo xvi », El libro antiguo español : Actas del Segundo Coloquio Internacional, éd par P. Cátedra et M. L. LópezVidriero, t. 2, Salamanque, Universidad de Salamanca, 1992, p. 425-430. 48 Lorenzo Ruiz Fidalgo, La imprenta en Salamanca (1501-1600), Madrid, Arco Libros, 1994. 49 W. Pettas, A History & Bibliography of the Giunti (Junta)…, op. cit., P. 21.

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de Junta a été impliqué en 1530 dans la création d’une compagnie avec d’autres libraires de Salamanque pour importer des livres, compagnie dont il sera le comptable50. Les succursales de Venise, Lyon et Salamanque appartenant aux Giunti ont de plus utilisé un important réseau de négociants pour atteindre les autres villes d’Espagne, du Portugal et d’Amérique. Les Florentins Leonardo Nicolozi et Juan María de Terranova faisaient partie de ces négociants. Le premier, neveu de Luc’Antonio de Giunti, a servi de négociant pour la branche vénitienne en Espagne à partir de 1542, s’installant à Salamanque en 154751. Terranova, pour sa part, a été le premier courtier envoyé en Espagne par la branche lyonnaise des Giunti, afin d’ouvrir des boutiques à Medina et à Salamanque, des villes dans lesquelles il a aussi travaillé comme typographe52. Un des domestiques de Juan María de Terranova, le Florentin Andrea Pescioni, s’est installé à Séville, où en 1560 il a vendu la moitié d’une balle de livres au Sévillan Diego Mexía pour 13 300 maravédis au nom de Leonardo Nicolozi53. L’année suivante, Pescioni a apporté dans cette ville 25  caisses de livres vénitiens que plusieurs libraires avaient achetés à Salamanque à travers le même Nicolozi54. Jácome de Learcari, Pedro Serrano, Josepe Padellario, Esteban Palazuelo, Domingo de Saragay font également partie des négociants des Giunti en Espagne55. Les contacts entre les représentants et les négociants des différentes branches ont été constants et, de fait, à la mort de Luc’Antonio en 1538, Juan de Junta a abandonné Salamanque et sa famille pour rejoindre Venise, où il est resté près de vingt ans afin de liquider l’héritage de son oncle, retournant en Espagne en 1557 pour y décéder peu de temps après. Son fils Felipe a pris en charge l’imprimerie à Burgos, mais celui qui a véritablement suivi les pas de Juan a été son gendre, l’imprimeur flamand Matías Gast. Dans la décennie de 1570, de nouveaux négociants de la famille Giunti sont arrivés d’Italie pour représenter les intérêts de l’entreprise et agir comme intermédiaires entre les sièges d’Italie, de France et d’Espagne. Au sein de cette nouvelle génération s’est distingué Julio de Junta (neuve de Juan de Junta), qui avait bénéficié des opportunités commerciales engendrées par le renouvellement des textes liturgiques imposé par le Concile de Trente. Le réseau tissé

50 M. de la Mano, Mercaderes e impresores de libros en la Salamanca del siglo xvi, op. cit., p. 108. 51 V. Bécares Botas, Guía documental, op. cit., p. 196-197. 52 Voir Anastasio Rojo Vega, «  Letras humanas en una de las mejores librerías de la España de Carlos  V : Liarcari-Terranova (Salamanca, 1557)  », dans Bibliotecas y librerías en la España de Carlos V, éd. par J. M. Díez Borque, Barcelona, Calambur, 2015, p. 258. Il convient de consulter V. Bécares Botas, Guía documental, op. cit., p. 257-258. 53 Archives Historiques Provinciales de Séville (AHPSe), Leg. 3047, f. 119. 54 AHPSe, Leg. 3410. f. 774. 55 M. de la Mano, Mercaderes e impresores de libros en la Salamanca del siglo xvi, op. cit., p. 89, 93.

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au cours des décennies antérieures par les membres de sa famille a continué à être fonctionnel : en 1575, par exemple, Julio a envoyé son frère Lucas à Séville pour recevoir d’Andrea Pescioni quinze caisses de livres latins imprimés à Venise qui étaient arrivés au port de Cadix56. Sur demande de Philippe II, Julio de Junta a déménagé à Madrid à la fin du xvie siècle et a fini par obtenir le titre d’Imprimeur Royal. De même que les Junta, les Portonariis ont choisi Salamanque et Medina del Campo comme leurs principaux axes d’entrée sur le marché hispanique. Malgré son rôle déterminant dans la culture européenne, l’histoire des Portonariis n’a pas suscité une grande attention de la part des chercheurs57. Originaires de Trino de Monferrato, une localité située sur les routes qui connectaient le nord de l’Italie avec la France et notamment Lyon, Vicenzo de Portonariis s’était installé au début du xvie siècle dans la ville française pour travailler comme courtier d’autres libraires et imprimeurs italiens. Une fois installé à son compte, Vincenzo a envoyé comme courtier en Espagne son frère Domenico. En 1547, après la mort de Vincenzo, Domenico est retourné à Lyon pour s’occuper de l’entreprise familiale, laissant en Espagne son fils Andrea de Portonariis, qui allait devenir dans la péninsule ibérique l’un des marchands de livre et l’un des imprimeurs les plus importants du siècle. Andrea était arrivé à Medina del Campo en 1545 mais il a vite déménagé à Salamanque. Les similarités entre les personnages d’Andrea de Portonariis et de Juan de Junta sont évidentes : de pair avec leurs activités de marchands de livres, Andrea s’est rapidement lancé dans une fructueuse carrière d’imprimeur, ce qui lui a permis d’obtenir le titre de Typographe Royal58. Il s’est marié avec Beatriz de Maldonado qui, comme l’épouse de Juan de Junta, était fille et veuve d’imprimeurs. Comme cela s’était produit avec d’autres marchands étrangers, les libraires italiens, sans toutefois oublier leurs origines, se sont intégrés à la vie de villes ibériques et ont fréquemment épousé des femmes locales, ce qui pouvait faciliter l’entrée dans un cercle social et leur permettre d’acquérir la nationalité. Cependant, ils n’ont 56 AHPSe, Leg. 3485. f. 894v-898r. Finalement en août 1580, Lucas de Junta et Andrea Pescioni ont liquidé tous leurs comptes et contrats qu’ils avaient eus jusque-là. AHPSe, Leg. 14290. f. 540r-541r. 57 Cristina Misiti, «  Una porta aperta sull’Europa : i de Portonariis tra Trino,Venezia e Lione. Ricerche preliminari per l’avvio degli annali », Il Bibliotecario, s. III, t. I-II, 2008, p. 55-91. Les mots de Vicente Bécares écrits en 2004 sont encore d’actualité : «  Le chapitre espagnol de l’histoire des Portonariis, ces libraires et imprimeurs lyonnais qui vinrent s’installer en terre castillane, reste à écrire, même si nous disposons de bases solides pour en entreprendre le récit ». Consulter Vicente Bécares, « Le testament de Gaspard de Portonariis (1591) », Revue Française d’histoire du livre, t. CXXII-CXXV, 2004, p.  107-120 ; Natalia Maillard Álvarez, «  Pedro de Portonariis y las redes internacionales del libro en Sevilla », Mercaderes y redes mercantiles en la Península Ibérica, siglos xv-xviii, éd. par M. Fernández Chaves, R. M. García Pérez et B. Pérez, Séville, Universidad de Sevilla, 2019, p. 155-178. 58 L. Ruiz Fidalgo, La imprenta en Salamanca (1501-1600), op. cit., t. I, p. 66-67.

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pas tous rencontré le même succès. Les mariages de Juan de Junta et Andrea de Portonariis leur ont apporté non seulement d’importantes dots mais également un accès aux réseaux commerciaux qui existaient déjà dans la péninsule. Dans le cas des Portonariis, la position stratégique est très claire : trois des quatre frères installés en Espagne se sont mariés avec des femmes de la famille Maldonado-Le Carón, ce qui a sûrement permis au quatrième de s’intégrer plus facilement à la bourgeoisie marchande sévillane. Un autre témoignage concerne Micael Doria, un libraire originaire de Rivoli, dans le Piémont. Dans son testament, rédigé à Séville en août 155659, Doria déclare qu’il avait épousé une espagnole, Leonor de Vergara. Cependant, le mariage n’a pas été heureux ni du point de vue des affaires (quand il est devenu veuf, son capital avait diminué de 50 % par rapport à ce qu’il possédait auparavant), ni au niveau personnel (il affirme que sa femme s’était absentée pendant 40 jours en emportant une partie de leur fortune, et sa belle-mère lui avait également pris certains de ses biens, quand bien même elle avait vécu à ses dépens pendant deux ans). L’inventaire de sa librairie nous dépeint un commerce plutôt modeste, très différent des grands marchands de livres venant de Venise et de Lyon60. Andrea de Portonariis est décédé aux alentours de 1568. Ses frères, Gaspar, Vicente et Pedro, ont également travaillé dans le commerce de livres en Espagne, tout en ayant moins de chance : Gaspar et Vicente se sont installés à Salamanque, étendant leurs réseaux commerciaux depuis Lyon (ils travaillaient en Espagne comme courtiers pour leur beau-frère, le célèbre imprimeur Guillaume Rouillé) jusqu’au Mexique et au Pérou. En effet, il semble que ce soit le marché américain en plein essor qui a poussé Andrea à envoyer à Séville en 1560 son frère cadet, Pedro, comme représentant de l’entreprise. Pedro a développé ses activités dans le commerce de livres et d’autres produits en Andalousie et en Amérique, il a même obtenu un permis pour s’y rendre (bien qu’il ne s’y soit finalement jamais rendu). Des problèmes économiques, en revanche, lui ont fait abandonner la ville en 1570. Au cours des dernières décennies du xvie siècle, une nouvelle génération de la famille prend les rênes du négoce, bien qu’ils n’atteignent pas les mêmes sommets : les carrières de Domingo de Portonariis d’Ursino (fils d’Andrea), d’Andrea (fils de Vicente), et de Simón de Portonariis (fils de Pedro) se sont principalement partagées entre Salamanque et Saragosse61, sans perdre le contact avec l’Amérique62. 59 AHPSe, Leg. 12357, f. 1263r-1364v. 60 AHPSe, 12362. f. 1683r-1692v et 12369. f. 415r-417v. Ces documents ont été transcrits par C. Álvarez, Impresores, libreros y mercaderes de libros en la Sevilla del Quinientos, op. cit., t. II-1, p. 182-198. 61 Voir Ángel San Vicente, Apuntes sobre libreros, impresores y libros en Zaragoza entre 1545 y 1599. Vol. 1. Los libreros, Saragosse, Gobierno de Aragón, 2003. 62 En 1581, le maître en théologie frère Alonso de Veracruz donnait depuis le Mexique le pouvoir à Simón de Portonariis d’imprimer de nouveau son livre Speculum Conjugorum. México, 11 de

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De même que pour les marchés espagnols, les italiens vont également très tôt s’intéresser au commerce avec l’Amérique, mais leur arrivée dans celui-ci a été plus complexe : les obstacles bureaucratiques, la faible demande à ce moment-là et le risque du commerce transatlantique expliquent le fait que, durant la première moitié du xvie siècle, on ne trouvait pas beaucoup de libraires ou d’imprimeurs impliqués dans le commerce américain et que ceux qui l’étaient, comme l’imprimeur sévillan Juan Cromberger, avaient décidé de recourir à l’utilisation de privilèges commerciaux pour s’assurer la mainmise sur le marché. En effet, Juan avait obtenu un monopole pour l’exportation de livres et de carnets en Nouvelle-Espagne qui a duré jusqu’en 155063. Malgré ces difficultés, il y a également eu quelques Italiens impliqués dans la production et le commerce de livres en Amérique et ce très tôt. Le premier dont on conserve une trace est Andrea de Leondedei, imprimeur de Pesaro installé à Salamanque et disposant de contacts importants à Venise64. En 1511, il avait envoyé à Saint-Domingue le marchand sévillan Diego de Pedrosa pour qu’il serve de courtier et, 15 ans plus tard, une fois Andrea décédé, son fils lui réclamait encore le paiement des dettes provenant des grandes quantités de livres que son père lui avait remis afin qu’il les vende65. Une fois le monopole des Cromberger terminé, on observe à Séville une augmentation des affaires relatives à l’exportation de livres en Amérique66. Nous pensons que l’arrivée dans cette ville de courtiers permanents appartenant aux grandes firmes de marchands de livres, comme Andrea Pescioni ou Pedro de Portonariis, doit être mise en relation avec la libéralisation du marché américain. Toutefois, cela supposait des problèmes, comme nous l’avons vu, lorsque les critères de sélection des négociants se basaient sur les liens de parenté ou de nationalité, puisque a priori les étrangers ne pouvaient pas participer au commerce transatlantique. L’un des moyens les plus efficaces pour éviter cet écueil était d’avoir recours, de nouveau, au mariage avec des femmes natives du royaume. Cela est devenu un phénomène

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julio de 1581, CPAGNCMXVI En ligne : Ivonne Mijares (coord.), Seminario de Documentación e Historia Novohispana, México, UNAM-Instituto de Investigaciones Históricas, 2014 (, consulté le 06/04/2020). C. Griffin, Los Cromberger, op.  cit., p.  165, 119. Natalia Maillard Álvarez, «  Aproximación a la creación de las redes de distribución de libros en América a través de las fuentes españolas (segunda mitad del siglo xvi) », Anuario de Estudios Americanos, t. LXXI, 2014, p. 479-503. A. Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op.  cit., p.  270; V. Bécares Botas, Guía documental, op. cit., 165. Archives Générales des Indes (AGI), Indiferente, 421, L.11, f. 88v-89r. Cf. Natalia Maillard Álvarez, « Aproximación a la creación de las redes de distribución de libros en América a través de las fuentes españolas (segunda mitad del siglo xvi) », art. cit., p. 479-503.

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courant parmi les marchands étrangers à Séville afin d’obtenir la naturalisation et ainsi avoir accès au commerce avec l’Amérique67. Il subsiste aussi des témoignages de libraires et d’imprimeurs italiens qui se sont installés au Nouveau Monde. De fait, l’imprimerie est arrivée en Amérique grâce aux travailleurs italiens : Giovanni Paoli (connu comme Juan Pablos) était l’employé choisi par Juan Cromberger pour diriger son imprimerie mexicaine et vendre les livres qu’il lui envoyait à partir de 1539, tandis qu’Antonio Ricciardi (Ricardo dans les sources espagnoles) a installé à Lima la première imprimerie connue en Amérique du sud68. Ricardo, originaire du Piémont, était arrivé en Espagne dans les années 1560, avec Gaspar Treschel en tant que courtier de l’imprimeur lyonnais Guillaume Rouillé69. Une fois en Espagne, Ricardo s’est marié avec Catalina Agudo, veuve de Melchior Treschel70. Autour de 1570, L’Italien a voyagé au Mexique, où il a travaillé plusieurs années avant de déménager à Lima. Établi au Pérou, où il a passé le reste de sa vie, Antonio Ricardo a continué à faire partie des réseaux internationaux de commerce de livres. C’est pour cette raison que, le 10 mai 1622, le marchand français Pedro de la Farja présentait au notaire de Séville un acte rédigé à Lyon avec laquelle Sébastien Gryphe, le petit-fils du célèbre imprimeur lyonnais, le nommait son mandataire pour qu’il reçoive en son nom l’argent qu’Antonio Ricardo devait à son père71. C’est précisément l’axe commercial italiano-francoespagnol, qui va en grande mesure structurer et canaliser le commerce de livres dans la monarchie hispanique, qui aura permis de mieux comprendre le cas d’Antonio Ricardo et la dimension véritablement mondiale qu’avait acquis le commerce de livres au cours du xvie siècle.

67 José Manuel Díaz Blanco et Natalia Maillard Álvarez, « ¿Una intimidad supeditada a la ley? Las estrategias matrimoniales de los cargadores a Indias extranjeros en Sevilla (siglos xvi-xvii) », Nuevo Mundo Mundos Nuevos (En ligne : , consulté le 06/04/2020). 68 Alberto Tauro, « Antonio Ricardo. Primer impresor », dans Incunables peruanos en la Biblioteca Nacional de Perú. 1584-1619, éd. par I. García Gayoso, D. Morales de la Cruz, S. Salazar Ayllón, Lima, Biblioteca Nacional del Perú, 1996, p. xxi-xxxii. 69 Cf. Henri Baudrier, Bibliographie Lyonnaise. Recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon au xvie siècle, Paris, F. de Nobele, 1964-1965, t. V, p. 377-378. 70 AGI. Contratación, 5225A, N.2, R.19 et AGI. Pasajeros, L.5, E. 4008. 71 AHPSe, Leg.10070, f. 136r-137r et f. 811r-813v.

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Défense et illustration de la typographie française* Le romain, l’italique et le maniérisme sous les presses parisiennes à la fin du règne de François Ier Rémi Jimenes

CESR UMR 7323 – Université de Tours

Au début de l’année 1538, à Lyon, François Juste s’apprête à mettre sous presse ce qu’il croit être la première version française du Courtisan de Castiglione, dont il confie la préparation à Étienne Dolet. Mais, alors que l’atelier est en pleins préparatifs, le libraire apprend l’existence d’une édition publiée quelques mois plus tôt à Paris par Vincent Sertenas et Jean Longis (fig. 1)1. D’abord découragé, il envisage de renoncer, mais la vue de l’impression parisienne l’incite finalement à concrétiser son projet : Cestoit d’une aultre traduction encore quasi inelegante et mal correcte […], procedant non du traducteur, mais par la faulte, comme il est aisé a veoir, de l’impression qui est de lours et gros caracteres, desquels desja a long temps on n’use plus aux bons auteurs imprimer2.

À l’en croire, ce sont des considérations d’ordre typographique qui décident François Juste à mettre sous presse son édition. Aux yeux de l’imprimeur lyonnais, la vieille gothique bâtarde employée par ses concurrents ne sied plus aux « bons auteurs  » ; faite de «  lours et gros caractères  », elle est depuis «  long temps  » dépassée et hors d’usage3. C’est désormais en romain qu’il convient d’imprimer les meilleurs textes et le Courtisan lyonnais, enrichi d’élégantes bordures à l’italienne gravées sur bois, offre au lecteur un spécimen du nouvel art du livre (fig. 2). * 1 2

3

Cet article a bénéficié des remarques précieuses de Hendrik Vervliet, William Kemp, Marc Smith, Guillaume Berthon et Stephen Rawles. La troisième partie doit beaucoup aux commentaires d’Anna Baydova. Je leur adresse à tous mes plus vifs remerciements. Le Courtisan Nouvellement traduict de langue ytalicque en Francoys, Paris, Jean Longis et Vincent Sertenas, [1537], in-8o. Épître de François Juste à Jean du Peirat, dans Castiglione, Le Courtisan, Lyon, François Juste, 1538, f. 59v (numérisation et transcription disponible sur le site des Bibliothèques Virtuelles Humanistes, , consulté le 29/04/2020). François Juste vient pourtant de donner une édition du Pantagruel composée en bâtarde. Mais il s’agit sans doute d’un jeu sur l’esthétique traditionnelle du roman de chevalerie que parodie Rabelais.

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fig. 1 - Castiglione, Le Courtisan, Paris, J. Longis et V. Sertenas, [1537], in-8o, Paris, Bibliothèque nationale de France.

L’influence de la culture italienne sur la typographie française de la Renaissance constitue un phénomène évident, maintes fois décrit et commenté. On sait comment les écritures romaines et italiques, portées par le modèle humaniste, en sont venues à s’imposer au détriment de la tradition gothique. Si l’on en croit les spécialistes, c’est vers 1530 que se situe le point de bascule qui assure leur triomphe définitif. Les formes qui l’emportent alors s’inspirent largement de celles introduites à Venise par Alde

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fig. 2 - Castiglione, Le Courtisan, Lyon, F. Juste, 1538, in-8o, page de titre, Tours, Centre d’études supérieures de la Renaissance, SR 10B / 1263 (Numérisation Bibliothèque Virtuelles Humanistes, BVH-CESR).

Manuce trente ans auparavant4. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Dans la décennie 1540, Claude Garamont, Robert Granjon et Pierre Haultin – trois graveurs appartenant à une même génération – perfectionnent le dessin des caractères romains et italiques : les nouveaux poinçons qu’ils élaborent connaîtront un succès tel que, jusqu’à 4

Nicolas Barker, «  The Aldine Roman in Paris, 1530-1534  », The Library, s. 5, t. XXIX, 1974, p. 5-20.

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la fin du xviiie siècle, les fontes d’origine française domineront largement la production imprimée dans toute l’Europe catholique, y compris en Italie. Ce paradoxe illustre la complexité des rapports que la France a entretenus avec la culture italienne. Au-delà du constat d’une « italianisation » massive de la typographie, il convient de s’interroger sur le statut des modèles importés d’outremonts, afin de comprendre les raisons pour lesquelles les artisans français éprouvèrent finalement le besoin de les réinterpréter. Formulé en ces termes, le problème apparaît comme classique. Les historiens de l’art et de la littérature se sont depuis longtemps attelés à sa résolution. En se penchant sur les courants italianisants et anti-italianisants qui parcourent les lettres françaises à la fin du xvie siècle, Jean Balsamo a mis en évidence le caractère dynamique d’une relation franco-italienne d’abord pensée en termes de rivalité5. Dans le domaine artistique, Henri Zerner a fait un constat similaire en étudiant la façon dont les créateurs français s’étaient émancipés des formes importées en les réinterprétant selon des sensibilités et des usages locaux6. Pourtant, le rôle de l’italianisme dans la typographie française a jusqu’à présent été décrit de manière relativement statique, sous l’angle de sa seule réception, sans que soit toujours bien perçue la portée des innovations introduites par les artisans français. Henri-Jean Martin est l’un des rares chercheurs à s’être intéressés à la dimension idéologique de la « modernisation » du livre français. Les hypothèses qu’il a formulées à la fin des années 1990 ont en partie inspiré cet article7. S’il semble pertinent de rouvrir le dossier de l’histoire politique de la typographie, c’est parce que nous disposons désormais d’instruments de travail qui n’étaient pas encore disponibles au moment où Martin effectua ses recherches. Le Conspectus d’Hendrik Vervliet consacré aux caractères français de la Renaissance nous permet aujourd’hui d’avancer sur un terrain plus ferme8. Dans l’attente d’une synthèse d’ensemble (qui reste à écrire), le présent article ne vise qu’à explorer les pistes offertes par l’examen d’une part relativement réduite 5 6 7

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Jean Balsamo, Les rencontres des Muses. Italianisme et anti-italianisme dans les lettres françaises de la fin du xvie siècle, Genève, Slatkine, 1992. Henri Zerner, L’art de la Renaissance en France. L’invention du classicisme, Paris, Flammarion, 1996. Sur ces questions voir Henri-Jean Martin, La naissance du livre moderne. Mise en page et mise en texte du livre français (xive-xviie siècles), Paris, Cercle de la librairie, 2000 ; id., « Politique et typographie à la Renaissance », Revue française d’histoire du livre, t. CVI-CIX, 2000, p. 71-91 ; ainsi qu’un article trop méconnu : id., « Les débuts d’une révolution typographique », dans Le livre et l’art. Études offertes en hommage à Pierre Lelièvre, éd. par Th. Kleindienst, Paris - Villeurbanne, Somogy, ENSSIB, 2000, p. 151-159. Hendrik Vervliet, French Renaissance Printing Types : a Conspectus, New Castle (Del.), Oak Knoll Press, 2010.

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de la production parisienne9. Paris constitue en effet un observatoire privilégié en la matière. Ce n’est pas seulement la principale ville d’imprimerie en Europe ; c’est aussi l’espace de l’innovation typographique puisque 82 % des polices italiques et romaines gravées en France au xvie siècle sont l’œuvre d’artisans qui y ont appris leur métier10. Paris est surtout la capitale politique du royaume, ce qui n’est pas sans importance pour l’étude de phénomènes sur lesquels la cour a exercé, comme nous le verrons, une influence souvent décisive. La romanisation de la typographie française (1527-1536) Le projet royal Revenons d’abord sur des faits bien connus. Malgré l’illustre précédent que constitue l’emploi du romain sous les presses dites de la Sorbonne en 1470, le gothique domine quasi exclusivement la production parisienne au xve  siècle. C’est seulement à partir de la fin des années 1490 que les imprimeurs parisiens commencent à utiliser régulièrement des caractères italiens. Leur usage est d’abord réservé à la composition de textes classiques ou néo-latins destinés à un public lettré. L’Éneide de Virgile (1498), la première édition des Adages d’Érasme (1500) ou le Quincuplex psalterium de Lefèvre d’Étaples (1509) comptent ainsi parmi les premières publications parisiennes en caractères romains. La connotation idéologique de cette typographie est alors très nette : le romain est l’écriture humanistique par excellence, réservée aux livres savants. Jusqu’aux années 1530, les textes en langue vulgaire sont, eux, principalement composés dans le caractère gothique national, la bâtarde. Prolongeant une hypothèse formulée par Harry Carter en 1969, Henri-Jean Martin a bien montré que l’utilisation du romain pour la diffusion d’ouvrages en langue française avait été non seulement soutenue, mais même initiée par le pouvoir royal11. On sait le rôle joué dans cette histoire par François de Moulins de

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Pour le cas lyonnais, voir Guillaume Berthon et William Kemp, « Le renouveau de la typographie lyonnaise, romaine et italique, pendant les années 1540 », dans Gens du livre & gens de lettres à la Renaissance, éd. par Chr. Bénévent, I. Diu et Ch. Lastraioli, Turnhout, Brepols, 2014, p. 341-355. 10 Chiffres établis d’après les données du Conspectus d’Hendrik Vervliet : 60 % des polices romaines et italiques gravées en France font leur première apparition à Paris ; mais ce chiffre, qui semble déjà élevé, sous-estime la place réelle de la capitale dans la production : il faut en effet tenir compte du fait que beaucoup de polices apparues à Genève, Lyon, Anvers, Venise ou La Rochelle sont l’œuvre de graveurs formés à Paris dans les années 1540. Si les attributions proposées par Hendrik Vervliet sont justes, Robert Granjon et Pierre Haultin, artisans gyrovagues, tous deux originaires de Paris, ont produit à eux seuls 25 % des caractères français. 11 Harry Carter, A View of Early Typography up to about 1600 (1969), rééd. Londres, Hyphen Press, 2002, p. 79-80. H.-J. Martin, La Naissance du livre moderne, op. cit. (voir notamment « Politique et typographie sous François Ier : l’avènement de la lettre romaine », p. 180-209).

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Rochefort, précepteur de François d’Angoulême, qui contribua à familiariser dès son enfance le futur monarque avec les formes italiennes12. Ce n’est donc pas un hasard si les premières éditions de textes français imprimées en caractères romains sont toutes étroitement liées à l’appareil monarchique : • La première est la traduction par Jean Beaufils des Genealogies, faitz et gestes des sainctz peres papes, empereurs et roys de France de Platina (1519)13. Cette édition in-folio, imprimée par Pierre Vidoue pour Galliot du Pré, est dédiée à Marguerite d’Angoulême et protégée par un privilège royal14. • La seconde est le Sommaire ou Epitome du livre De Asse de Guillaume Budé (1522), dont la traduction est réalisée « par le commandement du Roy ». Elle est également due à Pierre Vidoue et Galliot Du Pré et protégée par un privilège15 (fig. 3). • En 1527, une étape décisive est franchie, avec le lancement du programme de publication des traductions des historiens classiques par Claude de Seyssel. Cette opération, conduite par Jacques Colin, secrétaire de la chambre du roi, est financée sur le trésor royal16. Thucydide paraît en 1527 chez Josse Bade, la Cyropédie de Xénophon en 1529 chez Galliot du Pré, l’Histoire de Diodore de Sicile en 1530 chez Bade et l’Histoire ecclesiastique d’Eusèbe en 1532 chez Geoffroy Tory. Toutes ces éditions in-folio sont protégées par des privilèges royaux. Rapidement, les libraires s’approprient ce choix typographique : en 1529, Galliot du Pré fait composer en caractères romains pour son propre compte les Oeuvres d’Alain Chartier17 et le Rommant de la Rose. La publication des traductions 12 H.-J. Martin La naissance du livre moderne, op. cit. et « Les débuts d’une révolution typographique », art. cit. 13 Brigitte Moreau et al., Inventaire chronologique des éditions parisiennes, t. II, Paris, Imprimerie municipale, 1992, no 2175. La BnF conserve un exemplaire imprimé sur parchemin et enluminé (Réserve, Vélins 686). Sur cet ouvrage, voir notamment Jennifer Britnell et Christine Shaw, « A French Life of Pope Julius II, 1519 : Jean Beaufils and his Translation of Platina », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. LXII, 2000, p. 103-118. 14 Dans l’épître dédicatoire qu’il adresse à Marguerite d’Angoulême, le traducteur évoque l’action de Charles V de France, qui « pour acquerir scavoir & comprendre ce qu’il avait perdu [en ne recevant pas d’éducation] fit translater plusieurs beaulx livres de latin en langaige Francoys : au moyen desquelz & par la lecture d’iceulx livres, il sceut & congneut les hystoyres & autres sciences » (Platina, Geneologies, Paris, Galliot du Pré, 1519, f. aa3) 15 B. Moreau et al., Inventaire chronologique des éditions parisiennes, op. cit., t. III, no 285. 16 Ernest Coyecque, « Josse Bade et les traductions de Claude de Seyssel », Bibliothèque de l’école des Chartes, t. LV, 1894, p. 509-514. Sur le soutien accordé plus généralement par le pouvoir royal à la publication des traductions, voir Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, Genève, Droz, 1997, p. 257-259, et Toshinori Uetani, « La naissance d’un métier : traducteur. Jalons chronologiques » dans Gens du livre, op. cit., p. 33-61. 17 B. Moreau et al., Inventaire chronologique des éditions parisiennes, op. cit., t. III, no 1698.

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fig. 3 - G. Budé, Sommaire ou Epitome du livre De Asse, Paris, Galliot du Pré, 1522, in-8o, Paris, Bibliothèque nationale de France, RES P-Z-2031.

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de Seyssel inspire d’autres initiatives : en 1531 paraissent chez Poncet Le Preux les Commentaires de Jules César traduits par Estienne de Laigue, dont le texte imprimé en romain est également protégé par un privilège du roi. Il ne fait donc aucun doute que le soutien royal joua un grand rôle dans l’acceptation par les lecteurs français de l’écriture romaine. Il convient cependant de ne pas se méprendre sur la portée de ce choix : François Ier ne s’engage pas tant en faveur de la typographie (le romain est déjà estimé par les lettrés français) que pour le développement de la langue vernaculaire, dont il s’agit désormais de défendre l’usage auprès des élites du royaume. Dans cette perspective, l’utilisation du caractère humanistique pour la composition de traductions en français apparaît comme un acte militant, qui vise à conférer au français une dignité égale à celle dont jouit le latin. Il ne s’agit pas tant de suivre un modèle italien que de développer une culture nationale. L’anti-italianisme du Champ fleury L’œuvre de Geoffroy Tory répond parfaitement aux ambitions royales. Cet humaniste connaît intimement la production imprimée italienne, notamment aldine, pour laquelle il éprouve une réelle admiration. Installé comme libraire au retour d’un séjour outre-monts, il s’emploie à défendre une vision « totale » du livre inspirée par le modèle aldin, se souciant autant de la qualité du texte que de sa mise en page, de son ornementation ou de sa reliure18. Les Heures de 1525, imprimées en caractères romains et ornées de bordures « à l’antique » très nouvelles, constituent, de ce point de vue, un véritable chef-d’œuvre. À partir de 1529, Tory se fait également le champion de la langue vernaculaire. Il traduit en français des œuvres historiques ou classiques19 : le Summaire de chroniques d’Egnazio (1529), la Table de Cebes (1529), les Politiques de Plutarque (1530), l’Economic de Xénophon (1531) et La mouche de Lucien (1533) paraissent tour à tour dans des éditions qui sont toutes composées en caractères romains et protégées par des privilèges royaux. Au-delà de ces travaux pratiques de traduction, Tory se fait également théoricien de la langue française. Le privilège du Summaire de chronicques nous apprend qu’il est l’auteur de Reigles generales de l’orthographe du

18 Sur Geoffroy Tory, voir les catalogues de deux expositions récentes : Geoffroy Tory. Imprimeur de François Ier, graphiste avant la lettre, éd. par S. Deprouw, O. Halévy, M. Vène et F. Le Bars, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2011 ; Geoffroy Tory de Bourges. Humanisme et arts du livre à la Renaissance, éd. par R. Jimenes, Bourges, Bibliothèque municipale, 2019. 19 Voir Magali Vène, « Imprimeur du Roi, une consécration au service du français », dans Geoffroy Tory, op. cit., p. 108-121 et Guillaume Berthon, « Geoffroy Tory traducteur » dans Geoffroy Tory de Bourges, op. cit., p. 127-129.

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langaige francoys dont le texte ne nous est, hélas, pas parvenu20. Dans le Champ fleury, Tory promeut l’usage des accents et prône ouvertement une réforme orthographique21. Il se justifie d’ailleurs de ne pas écrire en latin, expliquant vouloir « décorer quelque peu nostre langue Francoise22 ». L’objet principal du Champ fleury n’est pourtant pas linguistique. Le sous-titre indique qu’il s’agit d’enseigner L’art et science de la deue et vraye proportion des lettres Attiques, qu’on dit autrement Lettres Antiques, & vulgairement Lettres romaines. On a souvent vu dans cette œuvre le témoignage de la grande influence exercée par l’Italie sur la culture graphique française. Mais il convient aussi d’insister sur l’ambiguïté des sentiments que semble éprouver Tory à l’égard de son modèle23. Remarquons d’abord que l’imprimeur prend soin de ménager la tradition française. Il reconnaît la légitimité de la bâtarde « de laquelle on a tousjours par cy devant imprimé livres en Francois24 ». Dès l’ouverture de son livre, il prétend vouloir consacrer un traité au dessin des lettres gothiques, mais, faute de temps et de modèle, il repousse ce projet à « une aultre fois25 ». On peut ne pas croire à la véracité de cette déclaration et n’y voir qu’une captatio benevolentiae destinée à amadouer le lecteur attaché aux formes traditionnelles. Mais, en ménageant ainsi les susceptibilités, l’auteur n’en réaffirme pas moins la légitimité de la culture nationale. Remarquons également que, s’il entend promouvoir l’usage des caractères romains, l’auteur du Champ fleury témoigne d’une volonté paradoxale de tenir l’Italie (qu’il connaît bien) à distance. De ce point de vue, le choix de désigner la capitale latine comme une lettre attique est tout sauf anodin. Tory s’en explique dans le premier livre du Champ fleury. Citant Budé et Gaguin, il commence par affirmer l’étroite parenté de la langue française avec la grecque avant d’aborder l’histoire de l’écriture et notamment celle de la capitale26. Il indique que c’est « vulgairement » et « abusivement » qu’elle est nommée « romaine » :

20 Mention repérée par Nina Catach, L’orthographe française à l’époque de la Renaissance, Genève, Droz, 1968, p. 36, note 15. 21 Geoffroy Tory, Champ fleury, Paris, 1529, in-fol., f. LIIr : « En nostre langage Francois n’avons point d’accent figure en escripture, et ce pour le default que nostre langue n’est encores mise ne ordonnee a certaines Reigles comme les Hebraique, Greque, et Latine. Je vouldrois qu’elle y fust ainsi que on le porroit bien faire. » 22 G. Tory, op. cit., f. Ir. 23 Rémi Jimenes, « L’aiguillon italien », dans Geoffroy Tory de Bourges, op. cit. 24 G. Tory, op. cit., f. 72v. 25 Ibid., f. 1r : « Je traicterois aussi de la lettre de Forme et de la Bastarde ». Et f. 7r : « Si j’eusse peu trouver mention par escript de noz susdictes lettres de Forme et Bastarde, ou comme j’ay cy devant dict, si j’en eusse peu trouver homme qui m’en eust volu et peu enseigner, je les eusse mises en ordre selon leur deue proportion, mais aidant nostre seigneur se sera pour une aultre fois. » 26 Ibid., f.6v.

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rémi jimenes Lesdictes lettres Attiques sont deuement nommees Attiques, & non Antiques, ne Romaines : pource que les Atheniens en ont usé avant les Romains, ne homme de leur Italie […]. Je veulx icy dire une chose incogneue a beaucoup de gens destude […] Cest que ceste presente & dicte lettre Attique a esté inventée en ung pais de Grece nommé Ionie […]. Mais les Atheniens qui ont esté seigneurs & dominateurs de toute Grece, lont mise en usage et honneur, si bien quelle en a & retient encores le nom27.

De tels propos illustrent parfaitement le phénomène de « grécomanie française » dans lequel Braudel voyait « une forme d’hostilité voilée à l’égard de l’Italie28 » : dès l’ouverture de son traité, Tory se livre à une réinterprétation de l’histoire linguistique et paléographique qui s’attache à valoriser la Grèce aux dépens de l’Italie. Lorsqu’il s’agit de commenter la forme même de ces lettres «  attiques  », Tory pinaille sur des détails. Évoquant les théoriciens italiens dont il s’inspire de manière évidente, il mentionne le De Divina proportione de Lucas Pacioli – mais c’est pour mieux accuser cet auteur d’avoir « desrobé sesdictes lettres & prinses de Messire Leonard Vince (de Vinci) qui est trespassé a Amboise29 ». Et lorsqu’il s’agit d’élire un modèle, ce n’est pas vers les Italiens que Tory se tourne, mais vers Simon Hayneufve, un Manceau qu’il présente comme le meilleur dessinateur de capitales : « Il les faict si bien & de proportion competente, qu’il en contente l’oeuil aussi bien & mieulx que maistre Italien qui soit decza ne dela les Mons30 » (fig. 4). Le Champ Fleury n’est donc pas une œuvre aussi italianophile qu’on a pu le prétendre. Il s’agit au contraire d’une défense explicite de la culture française. S’il illustre la volonté des humanistes francophones de réformer leurs pratiques d’écriture, ce traité s’attache surtout à présenter comme naturelle l’association de la langue française et du caractère romain. De ce point de vue, il entre en parfaite résonance avec la politique royale. On comprend donc mieux la portée de la décision prise par François Ier de créer spécialement pour Tory à la fin de l’année 1531 un office d’imprimeur du roi. En le lui attribuant, le monarque récompense les services rendus par l’imprimeur à sa politique culturelle. Robert Estienne et la « révolution aldine » Les lettres romaines employées à Paris jusqu’au milieu des années 1520 s’inspirent presque toutes du modèle créé à Venise en 1470 par Nicolas Jenson. Elles se caractérisent par des formes très proches de la calligraphie humanistique : doubles empattements au sommet du M, forme losangée des signes de ponctuation et barre très 27 28 29 30

Ibid., f. VIIr. Fernand Braudel, Le modèle italien, Paris, Arthaud, 1989, p. 84. G. Tory, op. cit., f. XIIIr. L’anecdote est encore rapportée au f. XXXV. Ibid., f. XIIIIr.

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fig. 4 - Inscription sculptée sur le buffet d'orgue de la cathédrale du Mans, réalisé sur le plan de Simon Hayneufve vers 1525-1530 (photo : Jean Beuvier).

oblique du e minuscule – ces deux derniers traits reproduisant directement l’effet obtenu par une plume plate tenue avec un angle oblique31. En 1530, tout change32. Nicolas Barker, William Kemp et Hendrik Vervliet ont tour à tour mis en évidence l’importance de la « révolution aldine » qui touche 31 Les fontes parisiennes témoignent aussi très fortement de l’influence bâloise : si la structure de lettre reproduit celle du romain dessiné par Nicolas Jenson, la graisse des caractères est, en moyenne, relativement épaisse. « The specialist literature has mostly viewed this as an exercise in the rapid absorption of Italian influence, particularly that of the Venetian scholar-printer Aldus Manutius. Careful analysis of the romans produced in Paris suggests something else: a fusion of styles that included the Italian but also incorporated elements from the punchcutting traditions of Strasbourg and Basel, the sources of supply of romans earlier used in Paris, along with uniquely Parisian features. The result was a new and inherently international model for the roman, first seen in Paris in the mid 1520s, ubiquitous in French printing by 1550, and used and imitated abroad from the 1540s » (Kay Ameert, « Establishing an international idiom », dans The Scythe and the Rabbit : Simon de Colines and the Culture of the Book in Renaissance Paris, éd. par R. Bringhurst, New-York, Cary Graphic Art Press, 2012, p. 47). 32 Cet événement fut précédé de quelques signes annonciateurs : en 1522, Pierre Vidoue introduisit par exemple à Paris des caractères assez proches des romains aldins. Au milieu des années 1520, Simon de Colines grava des caractères d’un genre assez nouveau, dont les lettres capitales s’inspirent plus directement des modèles antiques, avec un m à simples empattements extérieurs.

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Paris en septembre 1530, lorsque Robert Estienne introduit simultanément trois corps d’un caractère extrêmement moderne (fig. 5)33. Ces fontes reprennent la forme générale du romain qu’Alde Manuce avait employé à Venise à partir de la fin du xve siècle. Physiquement, elles se caractérisent par un e à barre horizontale, des empattements extérieurs du M, des points ronds (et non plus losangés)34. La rupture avec la tradition calligraphique est nette. Le dessin frappe également par une légèreté et une délicatesse très nouvelles, avec un contraste plus marqué entre les pleins et les déliés. Les lettres sont sveltes et très habilement gravées. Le « gros canon » introduit en 1530 constitue à lui seul une petite révolution : pour la première fois, les imprimeurs disposent d’un caractère de titrage possédant des lettres minuscules et non plus seulement des capitales35. Mais au-delà des propriétés formelles de chaque fonte, c’est dans leur articulation que réside la principale innovation. L’introduction simultanée de trois corps de caractères possédant les mêmes particularités visuelles traduit une nouvelle conception de la lettre : pour la première fois, un designer semble avoir élaboré une véritable famille de caractères déclinés en plusieurs tailles et destinés à être employés conjointement36. On a longtemps attribué ces polices à Claude Garamont, mais on sait aujourd’hui que ce dernier n’était pas encore actif en 1530. Hendrik Vervliet a proposé d’en donner la paternité à un mystérieux « maître Constantin » cité au xviie siècle par le Mémorandum de Le Bé37. Quel qu’en soit le créateur, le succès des nouvelles fontes introduites par Robert Estienne est considérable : en moins d’une décennie, toutes les presses parisiennes abandonnent les anciennes polices pour se convertir aux formes aldines. Dans les années 1530-1536, des graveurs comme Antoine Augereau et François Gryphe vont ainsi produire quantité de nouveaux caractères imitant le modèle aldin. Nicolas Barker résume la situation : «  Le nouveau style de romain apparu au début des

33 Nicolas Barker, « The Aldine Roman in Paris, 1530-1534 », The Library, s. 5, t. XXIX, 1, p. 5-20 ; William Kemp, « Latomus, F. Gryphe, Augereau and the Aldine Romans in Paris, 1531-1533 », The Library, s. 6, t. XIII, 1, 1991, p. 23-47 ; Hendrik Vervliet, « Robert Estienne’s printing types », dans The Palaeotypography of the French Renaissance, op. cit., p. 105 et suiv. 34 Sur la distinction entre «  Jenson Roman  » et «  Old-face roman  » voir l’introduction de H. Vervliet, Conspectus, op. cit., p. 54-56. 35 H. Vervliet, «  Robert Estienne printing types  », dans The Palaeotypography of the French Renaissance, op. cit., t. I. 36 « The three types were clearly designed by the same hand. They inaugurate a new era of Romans in an elegant, light, Italianate style as advocated by Geoffroy Tory » (H. Vervliet, « Garamont’s canons : Roman Type design in sixteenth-century France  », dans The Palaeotypography of the French Renaissance, op. cit., t. II, p. 153). 37 H. Vervliet, «  The young Garamont : Roman Types made in Paris in the 1530s  », dans The Palaeotypography of the French Renaissance, op. cit., t. I, p. 165.

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fig. 5 - Les trois romains introduits par Robert Estienne, dans De figuris sententiarum ac verborum, Paris, Estienne, 1530, in-4o, Librairie Svoboda, Moscou.

années 1530 se répandit dans Paris avec la force d’une révolution. C’est un tournant dans l’histoire de la typographie38 ». Un hiatus chronologique Le Conspectus d’Hendrik Vervliet, qui recense tous les caractères romains et italiques gravés en France au xvie siècle et qui date précisément leur première utilisa-

38 N. Barker, « The Aldine Roman in Paris, 1530-1534 », art. cit., p. 6 : « The new style of roman face which came in at the beginning of the 1530s with the almost simultaneous appearance of several similar gros romain letters swept through Paris with the force of a revolution. It was a turning point in the history of typography ».

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graphique 1 - Répartition chronologique des polices romaines ou italiques conçues en France entre 1470 et 1580.

tion, nous permet aujourd’hui d’avoir une vue globale d’ensemble39. Il nous offre, pour la première fois, la possibilité de mettre en œuvre une approche quantitative de la typographie française. Le graphique 1 montre la répartition chronologique des polices romaines ou italiques conçues en France entre 1470 et 1580 (graphique 1). Il confirme qu’à partir du milieu des années 1520, le royaume entre dans une phase très intense de production. On y repère l’accélération très nette qui suit la publication en 1527 de la première traduction de Claude de Seyssel avec le soutien du pouvoir royal. La production culmine en 1536 avec 9 nouveaux caractères romains et italiques gravés au cours de l’année. Mais on constate également que, loin de représenter un processus continu, l’introduction des fontes romaines et italiques s’effectue en deux étapes bien distinctes : une première phase de production qui court du milieu des années 1520 jusqu’en 1536 et qui correspond au développement et à la diffusion du romain aldin puis, après cinq années de net ralentissement, une seconde période de floraison qui débute en 1542 et ne s’interrompt que vers 1557. La progression régulière de la présence du romain et de l’italique sous les presses françaises entre les années 39 H. Vervliet, Conspectus, op. cit. Tous les chiffres et graphiques qui figurent dans la suite de cette étude sont établis à partir des données du Conspectus d’Hendrik Vervliet. Par souci de dégager les grandes évolutions chronologiques qui transcendent les éventuelles disparités annuelles, tous ces chiffres sont calculés sous la forme d’une moyenne mobile sur deux ans. Ce choix nous a semblé justifié par le fait que la gravure d’une police complète (comprenant capitales, bas de casse, caractères accentués, abréviations, chiffres, etc.) pouvait occuper un graveur sur une période relativement longue et que la première apparition d’un caractère dans un livre atteste d’un travail débuté souvent plusieurs mois auparavant.

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1520 et 1550 masque donc en réalité deux phases distinctes dans la fabrication et l’introduction des nouveaux caractères. La révolution typographique française du xvie siècle, que l’on décrit habituellement comme un processus continu, se serait finalement accomplie en deux temps. Pour comprendre et expliquer ce hiatus chronologique, l’approche quantitative ne suffit évidemment pas ; il convient d’examiner dans le détail la forme des caractères et les usages auxquels ils sont destinés. L’histoire du romain à Paris ayant déjà été largement étudiée, il paraît légitime de se tourner vers celle d’une autre écriture aldine par excellence : l’italique. Franciser l’italique (1533-1547) L’italique pour la langue française On s’est généralement contenté de décrire l’italique comme une typographie dérivée du romain et qui témoignerait du même italianisme. Les choses ne sont pourtant pas aussi simples. Ce n’est probablement pas en raison de son « italianisme » que le romain fut prisé par la cour et l’entourage du roi dans les années 1520 : bien que personne n’ignore son origine italienne, le romain reste d’abord, dans l’esprit des humanistes, une écriture impériale, antique, qui correspond parfaitement à l’image que souhaite renvoyer le monarque40. L’italique, elle, ne bénéficie pas de ce prestige d’antiquité. Elle est reçue pour ce qu’elle est : une lettre moderne et propre à la culture italienne, dans laquelle elle surtout employée pour la composition de textes poétiques. L’idée d’employer l’italique pour l’impression d’œuvres françaises est donc loin d’être évidente aux yeux des hommes du xvie  siècle. Il est dès lors légitime de se demander quels ont pu en être les premiers usages pour l’impression de textes en langue française41. Des sondages assez réduits dans la production parisienne m’ont permis de dégager des résultats partiels, nécessairement provisoires, mais qui rendent compte des grands mouvements de cette histoire. Les deux plus anciens textes français composés en italique que j’ai pu repérer sortent tous deux des presses de Simon de Colines, qui semble avoir joué dans ce domaine un rôle pionnier42. Dès le mois de janvier 1533 (n. st.), Colines imprime 40 Anne-Marie Lecoq, François Ier imaginaire, Paris, Macula, 1987. 41 Insistons ici sur le fait que nous n’avons pas tenu compte des pièces isolées (préface, poèmes encomiastiques, épîtres dédicatoires) en italique lorsqu’elles composent le péritexte. Nous avons cherché à identifier des éditions de textes français dans lesquelles le texte principal est intégralement composé en italiques. 42 Il était déjà à l’origine de l’utilisation de l’italique pour les textes latins : « The occurrences of Italic in France were rare and sporadic until Simon de Colines sponsored it in 1528 » (Harry Carter, A view of Early Typography up to 1600 (1969), rééd. Londres, Hyphen Press, 2002, p. 117).

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en italiques la traduction du Recueil des isles nouvellement trouvées de Pierre Martyr (fig. 6)43. Cette édition est d’autant plus remarquable que l’italique de corps grosromain employée ici semble avoir été gravée spécialement pour sa publication44. Elle deviendra immédiatement populaire et sera rapidement copiée. Un peu plus tard, Simon de Colines récidive et donne un second texte français composé avec le même caractère : la traduction du traité de Diego de Sagredo, publiée sous le titre Raison d’architecture antique ; l’édition n’est pas datée, mais les spécialistes la situent vers 153645 (fig. 7). On trouve à Lyon, en 1539 chez Nicolas Petit, une version française des Presaiges, previsions et prognostiques d’Hippocrate composée en italique. La diffusion de la cursive s’accélère à partir de 1540. Cette année-là, on voit paraître à Poitiers, à l’enseigne des Marnef, le Bastiments des receptes traduit de l’italien et composé en italique46. Deux ans plus tard, on rencontre à Paris chez Chrétien Wechel une édition de l’Estat de la cour du grand turc d’Antoine Geoffroy également composée en cursive. L’utilisation de l’italique pour des textes en langue française, qui semble donc exceptionnelle dans les années 1530, émerge véritablement au début des années 1540. On peut cependant remarquer que, comme le romain auparavant, c’est souvent par l’intermédiaire de traductions que l’italique est acclimaté à la prose française. Pour ce qui est de la poésie, c’est seulement à partir de 1541 que l’italique semble faire son apparition47. Les minutieux relevés établis par Guillaume Berthon lui ont permis de déterminer que la première œuvre marotique à avoir bénéficié d’une composition en italique était l’édition originale des Estreines imprimées par Guillaume de Bossozel pour Jean du Pré en 154148. Le typographe emploie là un caractère dont Vervliet attribue la gravure à Claude Garamont49. 43 B. Moreau et al., Inventaire chronologique des éditions parisiennes du xvie siècle, op. cit., t. IV, no 325. 44 N. Barker, « The Aldine roman in Paris », art. cit., p. 17 ; H. Vervliet, Conspectus, op. cit., no 285. 45 Frédérique Lemerle et Yves Pauwels, Architectures de papier. La France et l’Europe (xviexviie  siècles), Turnhout, Brepols, 2013, p.  14-16. Sur la datation de cette édition, voir surtout Jeanne Veyrin-Forrer, «  Introduction  », dans Simon de Colines, éd. par Fr. Schreiber, Provo (Utah), Friends of the Brigham Young University Library, 1995, p. XXVIII. 46 L’année suivante, toujours à Poitiers, on voit paraître une édition composée en italique du Livre des propriétés du vinaigre de Giovanni Battista Cavigioli également composée en italique. 47 I. Pantin a bien pressenti l’importance de l’italique dans l’édition poétique française (« Innovation poétique, innovation typographique : comment penser un synchronisme ? La page du livre de poésie en français dans la première moitié du xvie siècle », dans Les poètes français et leurs libraires, éd. par D. Bjiai et Fr. Rouget, Genève, Droz, 2015, p. 55-75). Toutefois, en se concentrant sur l’activité des libraires lyonnais pour le début des années 1540, elle n’a pu qu’apercevoir les modifications importantes initiées par les libraires parisiens. 48 Guillaume Berthon, «  Le recueil des étrennes de Marot (1541) : une œuvre de libraire ?  », Seizième siècle, t. X, 2014, p. 199-211, notamment p. 203-204. 49 Conspectus, no 286. Ce matériel servira encore au même imprimeur pour composer, la même année, la traduction marotique des Amours de Leander et Hero.

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fig. 6 - Pierre Martyr, Extraict ou recueil des isles, Paris, Colines, 1533, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek.

fig. 7 - D. de Sagredo, Raison d’architecture antique, Paris, Colines, [ca. 1536], page de titre, Orléans, Bibliothèque municipale (C3374) (Numérisation BVH-CESR).

Nous rencontrons ce caractère au même moment sous les presses de Denis Janot, qui semble avoir joué un rôle décisif dans la diffusion de l’italique pour la poésie francophone50. En 1541, Janot utilise la cursive pour composer la traduction en vers d’un colloque d’Érasme sous le titre Comédie ou dialogue matrimonial de paix en mariage51. Visiblement satisfait par cette première tentative, en 1542, il publie entiè50 Sur la production de Denis Janot, on dispose désormais d’une très précieuse bibliographie, extrêmement précise sur le plan de la description matérielle : Stephen Rawles, Denis Janot ( fl. 15291544), parisian printer and bookseller, Leyden, Brill, 2017. 51 Paris, D. Janot pour J. Longis et V. Sertenas, 1541 (S. Rawles, op. cit., no 143) ; la même année, Janot utilise le même caractère de façon ponctuelle dans la traduction du Second livre de l’Amadis de Gaule par Herberay des Essars (S. Rawles, op. cit., no 128) et pour l’impression de Marsile Ficin, La diffinition et perfection d’amour (S. Rawles, op. cit., no 145).

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graphique 2 - Répartition chronologique des polices italiques gravées en France entre 1470 et 1580.

rement en italique quatre œuvres de François Habert52, ainsi que L’Amie de court de Bertrand de La Borderie53 et la Définition et perfection d’amour de Ficin (en prose). À partir de 1543-1544, il multipliera les éditions composées en cursive54. En 1544, l’usage de l’italique devient courant pour l’impression de textes poétiques français sous les presses des libraires parisiens, y compris chez les plus savants : Robert Estienne la choisit par exemple pour la traduction en vers de l’Hécube d’Euripide par Guillaume Bochetel. C’est donc bien en 1541-1544 que l’italique se diffuse dans l’édition poétique francophone. Ce phénomène se traduit dans les données rassemblées par le Conspectus d’Hendrik Vervliet, qui attestent clairement une explosion du nombre des caractères disponibles à partir de 1543 (graphique 2). 1543 : l’italique réinventée Au moment où le public francophone commence à se familiariser avec les formes de l’italique aldine, Robert Granjon introduit une innovation importante dans la

52 Le livre des visions fantastiques (S. Rawles, op. cit., no 175) ; Le philosophe parfaict (S. Rawles, op. cit., no 177) ; Le Premier livre des visions d’Oger le Dannoys (S. Rawles, op. cit., no 178) ; Le Temple de vertu (S. Rawles, op. cit., no 179). 53 S. Rawles, op. cit., no 181. Ce texte semble avoir entraîné une réaction : en 1543, Charles Fontaine fera imprimer par Adam Saulnier une Contr’amye de Court également composée en italique. 54 Cette année-là, Janot donne une Apologye en defense pour le Roy par François Sagon (S. Rawles, op. cit., no 221) et Le fondement et origine des tiltres de noblesse de Symphorien Champier (S. Rawles, op. cit., no 205), La manière de bien et heureusement instituer et composer sa vie d’Isocrate (trad. De Calvy de La Fontaine ; S. Rawles, op. cit., no 212), une épître envoyée par Clément Marot à Monsieur d’Anguyen (S. Rawles, op. cit., no 215), tous composés en italique.

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fig. 8 - Caractères italiques de Robert Granjon (1543) à capitales inclinées, Marguerites de la marguerite des princesses, Lyon, Jean de Tournes, 1547, Paris, Bibliothèque nationale de France.

production française. On voit paraître en 1543 chez une poignée d’imprimeurs parisiens un caractère très nouveau, beaucoup plus incliné que l’italique aldine55. Il est doté de capitales penchées, rupture radicale avec le modèle aldin original (fig. 8). Granjon n’est certes pas le premier à avoir eu cette idée : en 1537 était déjà apparue à Lyon une italique à capitales penchées, qui fut souvent employée à Bâle et qui devint très populaire dans toute l’Europe56. Pour autant, par sa souplesse et par sa régularité, l’italique gravée par Granjon en 1543 surpasse de très loin ce modèle57. L’italique de Granjon rencontre immédiatement un succès considérable. Vervliet la repère en 1543 chez Jean Loys et Louis Grandin ; l’année suivante sous les presses de François Gryphe et à Lyon chez Jean de Tournes ; dans les années qui suivent, elle se diffusera dans toute l’Europe, y compris en Flandres, en Espagne, en Italie ou en Allemagne58… Ce nouveau modèle va rapidement faire des émules : dès 1545, Claude Garamont et François Gryphe donnent chacun une italique imitant la cursive de Granjon59. Durant sa carrière, Granjon gravera à lui seul 30 caractères italiques60. Le graphique 3 présente le nombre respectif d’italiques à capitales droites et penchées créées en France entre 1500 et 1575 ; il montre l’écrasante domination de la cursive de Granjon en France à partir de 1545 (graphique 3). 55 56 57 58 59 60

H. Vervliet, Conspectus, op. cit., no 278. Alberto Tinto, Il Corsivo nella tipografia del cinquecento, Milan, Il Polifilo, 1972, p. 50-56. Ibid., p. 65-66. H. Vervliet, The Palaeotypography of the French Renaissance, op. cit, t. II, p. 125. H. Vervliet, Conspectus nos 237 (Garamont) et 239 (Gryphe). Hendrik D.  L. Vervliet, «  The italics of Robert Granjon  » dans The Palaeotypography of the French Renaissance, op. cit, t. II. Liste complétée dans le Conspectus.

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graphique 3 - Nombre respectif d’italiques à capitales droites et penchées créées en France entre 1500 et 1575 (en ligne pointillée, les italiques à capitales romaines ; en ligne continue les italiques à capitales penchées).

La résistance du modèle aldin Pour autant, le modèle aldin ne se laisse pas évacuer sans résistance. Les éditions de textes poétiques imprimées à Paris dans années 1540 semblent même témoigner d’une tension entre les innovations introduites par Granjon et le modèle traditionnel aldin. Tandis que leurs confrères adoptent rapidement la nouvelle italique, les imprimeurs humanistes les plus savants conservent l’attachement aux formes originales. Michel de Vascosan en offre un excellent exemple. Conscient des qualités graphiques de la cursive introduite par Granjon l’année précédente, il en acquiert une fonte dès 1544. Mais il en rejette les capitales : pour composer l’Arcadie de Sannazaro, traduite par Jean Martin, il utilise les caractères minuscules de Robert Granjon, auxquels il associe des capitales romaines61. La fidélité à la tradition vénitienne est ici flagrante ; la disposition en retrait des capitales à l’initiale des vers se rattache directement au modèle aldin (fig. 9). Vascosan adoptera l’année suivante la même mise en page pour la traduction des Azolains de Bembo et le Premier livre de l’honneste exercice du prince de Jean Brèche ; en 1547, il procédera de la même façon pour mettre en page les œuvres poétiques de Jacques Peletier du Mans. Cette résistance du modèle aldin est aussi le fait des grands bibliophiles. Le cas de Jean de Gagny l’illustre parfaitement. Docteur du collège de Navarre, aumônier et bibliothécaire de François Ier, Gagny collectionne les livres italiens qu’il fait revêtir de somptueuses reliures en maroquin doré. Cela lui est d’autant plus facile que son neveu, le libraire Nicolas Le Riche, dirige la succursale parisienne de la

61 H. Vervliet, Conspectus, op. cit., no 279.

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fig. 9 - J. Sannazaro, L’Arcadie (trad. J. Martin), Paris, Vascosan, 1544, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek.

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firme aldine62. Gagny va plus loin encore : passionné de typographie, il patronne, entre 1540 et 1545 la carrière de Claude Garamont et tente peut-être de l’établir comme imprimeur du futur Collège royal63. Mais le théologien semble déçu par les libertés que prennent alors à Paris les meilleurs graveurs de caractères à l’égard du modèle aldin. Lorsqu’il décide d’installer sa propre imprimerie en 1547, ce n’est plus à Garamont qu’il s’adresse, mais à un orfèvre totalement inconnu, Charles Chiffin, originaire de Tours, auquel il commande explicitement des caractères « à l’imitation d’Alde Manuce64 ». L’italique réalisée par Chiffin ne comporte plus de capitales penchées, mais des majuscules droites, romaines, fidèles au modèle original. Dans la préface qu’il rédige en tête de l’édition des Psaumes la même année Nicolas Le Riche, s’adressant au lecteur, vante le rôle de Gagny dans ce retour aux sources : « À son seul crédit tu dois porter le fait que les caractères aldins, morts, ou longtemps cachés en Italie, aient ressuscité en Gaule65 ». Il semble donc bien que la forme et l’usage de l’italique ont été un objet de débats et de tensions dans le monde du livre parisien des années 1540. L’italique, écriture royale ? L’utilisation du romain pour la composition de textes en langue française dans les années 1520 avait été largement promue par le pouvoir royal ; la question se pose donc de savoir s’il en va de même pour l’adoption de l’italique dans les années 1540. Plusieurs éléments incitent à le penser. Remarquons d’abord qu’à notre connaissance, l’édition des Estreines de Marot donnée par Guillaume de Bossozel et Jean du Pré en 1541 et repérée par Guillaume Berthon constitue le cas le plus anciens de livre poétique français composé en cursive. Or, il s’agit d’un ouvrage courtisan par excellence, puisqu’il rassemble une collection de 41 poèmes de circonstance offerts aux principales dames de la cour à l’occasion du Nouvel An à Fontainebleau66.

62 André Jammes, « Un bibliophile à découvrir, Jean de Gagny », Bulletin du bibliophile, t. I, 1996, p. 35-81. Sur la biographie de J. de Gagny et son rôle dans l’édition parisienne, voir également Rémi Jimenes, Charlotte Guillard. Une femme imprimeur à la Renaissance, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2017, p. 85-107. 63 Rémi Jimenes, « « ‘Il feit lever en ceste ville une imprimerie’ : possibles prémices d’une imprimerie royale sous François Ier », à paraître. 64 On s’est longtemps interrogé sur l’identité de Charles Chiffin et son origine tourangelle, son activité n’étant connue que par la mention qu’en fait Gagny dans son testament. Il semble que cet artisan a bien effectué une partie de sa carrière à Paris : les registres d’insinuation du Châtelet enregistre une donation mutuelle entre Charles Chiffin, « maître orfèvre à Paris » et sa femme Jeanne Poincte le 18 novembre 1569 (Arch. nat., Y 110, f. 95v). 65 Trad. A. Jammes, « Un bibliophile à découvrir », art. cit., p. 49. 66 G. Berthon, « Le recueil des étrennes de Marot », art. cit.

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Nous avons vu que c’est ensuite Denis Janot qui prend le relais dans le domaine de la publication en italiques. On connaît le rôle joué par ce dernier dans la diffusion de la littérature en langue française. Mais on sait aussi que l’éditeur des Amadis est très proche de la cour. Parmi les premiers textes qu’il compose en caractères cursifs figurent plusieurs œuvres de François Habert, poète courtisan, ainsi qu’une Apologye en defense pour François Ier rédigée par François de Sagon. Cette carrière de grand promoteur de la langue française et de soutien du pouvoir royal vaut à Janot d’être nommé le 12 avril 1543 imprimeur du roi, comme l’annonce fièrement l’année suivante le texte du privilège royal reproduit en tête d’une compilation des Loix et status du royaume : Nous ayant esté bien et deuement advertis de la grande dexterité et experience que nostre cher et bien aimé Denys Ianot, a en l’art d’imprimerie, et es choses qui en dependent, dont il a ordinairement faict grande profession : Et mesmement en la langue Françoyse. Et considerants que nous avons ia retenu, & faict deux noz imprimeurs, l’un en la langue Grecques, & l’aultre en la Latine : Ne voulants moins faire d’honneur à la nostre, qu’ausdictes deux aultres langues, & en commettre l’impression à personnage qui s’en saiche acquicter, ainsi que nous esperons que sçaura tresbien faire ledict Ianot. Icelluy pour ces causes & aultres à ce nous mouvants, avons retenu & retenons, par ces presentes, nostre imprimeur en ladicte langue Françoyse : pour doresnavant imprimer bien et deument en bon caractere, & le plus correctement que faire se pourra, les livres qui sont et seront composez et qu’il pourra recouvrer en ladicte langue67.

Le parallèle s’impose ici avec Geoffroy Tory : comme Tory, Janot a su associer l’innovation typographique au combat pour la langue française, ce qui lui vaut la même récompense. Un fait supplémentaire semble digne d’être remarqué : Hendrik Vervliet date de 1543 l’apparition de l’italique à capitales penchées de Robert Granjon, et il la recense pour la première fois chez Jean Loys et de Louis Grandin68. Or, nous trouvons l’italique de Granjon sous les presses de Janot au titre de L’Hecatongraphie de Corrozet datée, elle aussi, de 1543 (fig. 10). La nouvelle cursive, qui s’émancipe du modèle traditionnel aldin, apparaît donc pour la première fois chez Janot, et ce au moment précis où le libraire se voit attribuer un office d’imprimeur du roi. Il est dès lors légitime de se demander si l’on peut établir une corrélation entre ces deux événements concomitants.

67 Les loix, statuts et ordonnances royaulx faictes par les feuz roys de France, Paris, Janot, 1544, in-fol. (S. Rawles, op. cit., no 213). 68 H. Vervliet, Conspectus, op. cit., no 278. Voir aussi « The italics of Robert Granjon » dans The Palaeotypography of the French Renaissance, op. cit, t. II, p. 321-364, no 1.

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fig. 10 - G. Corrozet, Hecatongraphie, Paris, Janot, 1543, Paris, Bibliothèque nationale de France.

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Le souverain aimait-il l’italique ? On peut supposer que son italianisme l’y poussait, mais les manuscrits en cursive italienne semblent minoritaires dans sa bibliothèque. François Ier possède quelques manuscrits latins ou italiens calligraphiés en cursive69 et il a fait copier pour son propre usage en 1531 un petit livre d’heures latines en italique70. Peut-on imaginer qu’en accordant à Janot l’office d’imprimeur du roi le souverain ait volontairement soutenu une entreprise consistant à promouvoir une italique « française », coupée du modèle traditionnel aldin ? L’hypothèse est séduisante, mais les preuves formelles manquent encore. On peut néanmoins signaler que, très tôt, des textes de François Ier furent composés dans la cursive de Granjon. En 1544, Janot réimprime en italique le Recueil de vraye poesie Françoyse prinse de plusieurs poetes les plus excellens de ce regne qu’il avait donné l’année précédente en romain. Cette réédition, intégralement composée dans les caractères de Robert Granjon, se clôt sur un dizain anonyme qui vante l’attitude religieuse du roi et s’achève sur ces deux vers : O nous heureux aultant qu’on le peult estre D’avoir un Roy qui nous monstre à bien faire.

La formule est tout indiquée car on trouve précisément dans cette anthologie trois poèmes de François Ier (présentés comme anonymes), qui paraissent revêtus ici des habits de Granjon71. Mais un autre document, le manuscrit 520 de Chantilly, nous permet d’établir un lien peut-être plus significatif encore entre le monarque et l’italique de Granjon. Il s’agit d’un recueil des poèmes de François Ier. Relié en velours, il est copié sur parchemin dans une écriture cursive pour le moins surprenante : les œuvres du roi sont ici rendues dans une calligraphie imitant servilement les caractères italiques de Robert Granjon. La proportion des lettres, la forme des capitales, la construction des ligatures et des variantes graphiques, l’esprit général de la mise en page ne laissent aucun doute sur cette filiation. Ce manuscrit n’est pas daté, mais l’examen de l’écriture et des lettrines semblent situer sa fabrication au plus tôt dans la seconde moitié de la décennie 1540. Dans son édition critique des œuvres du monarque, Kane ne fait aucun commentaire sur cette calligraphie, mais elle se fonde 69 Par exemple BnF, latin 3620 (Giogio Benigno dei Salviati, Vexillum christianae victoriae, ca 15161517 ; voir Trésors royaux, éd. par. M. Hermant, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015, no 60 p. 149) et latin 6866 (Guido Guidi, Chirurgia e Graeco in Latinum conversa, ca. 1541-1542 ; voir M. Hermant (dir.), ibid., no 137 p. 305). 70 BnF, NAL 82. 71 « Toujous le feu cherche à se faire veoir… » (f. E6) ; « A Menelas & Paris je pardonne… » (f. 6v) ; « Amour a fait son trophée eriger… » (f. G6v). Sur l’attribution et la datation de ces textes voir François Ier, Oeuvres poétiques, éd. critique par J. E. Kane, Genève, Slatkine, 1984.

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sur la présence d’une reliure en velours pour suggérer que le manuscrit a pu être copié du vivant de François Ier « pour être offert à un ami du roi72 ». Si cette hypothèse (hélas invérifiable) s’avérait exacte, cet ouvrage constituerait pour nous une pièce décisive : le fait que François Ier ait pu lui-même commanditer la réalisation d’un manuscrit imitant l’imprimé – et plus précisément cette forme d’imprimé – indiquerait de façon claire l’attachement du souverain à la nouvelle cursive introduite par Robert Granjon. Il est cependant parfaitement possible que ce manuscrit soit postérieur, le dessin des lettres semblant se rapprocher de fontes produites par Granjon au milieu du règne de Henri II. Dans l’attente d’éléments décisifs qui viendraient éclairer plus précisément le rôle éventuel de la cour dans cet épisode, il semble intéressant de remarquer qu’au moment où l’italique envahit la poésie française, une autre révolution esthétique liée au pouvoir royal est à l’œuvre dans le livre parisien. Un art français du livre : le décor bellifontain Premières manifestations On sait l’importance de l’« école de Fontainebleau » dans l’évolution artistique de la Renaissance française. Dans les années 1530, François Ier installe au château un groupe de jeunes peintres italiens appelés à renouveler les modes tout en formant leurs confrères français. Dans le domaine ornemental, ils bouleversent intégralement les pratiques. Ils entourent notamment leurs compositions de spectaculaires encadrements en stuc, associant des figures animées à des éléments liants dans un décor très fourni… Mascarons, putti, guirlandes de fleurs, corbeilles de fruits et de légumes, personnages mythologiques, empruntés à l’art italien, ne sont certes pas entièrement nouveaux, mais leur regroupement dans des compositions dynamiques, chargées et foisonnantes, entraînant un surdéveloppement du décor encadrant, est, lui, extrêmement original. Il appartient aux historiens de l’art et de l’estampe d’examiner en détail la genèse et le développement du nouveau style ornemental dans le livre73, mais on peut néanmoins tenter d’en résumer ici les principales étapes.

72 François Ier, Oeuvres poétiques, éd. critique par J. E. Kane, Genève, Slatkine, 1984, p. 16. 73 Sur ces questions, outre les monographies consacrées aux principaux artistes de l’époque (Rosso, Primatice, Luca Penni, Jean Cousin, Baptiste Pellerin…), on consultera avec profit La Gravure française à la Renaissance à la Bibliothèque nationale de France, Los Angeles, Grunwald Center/ UCLA, 1995 et le livre d’Anna Baydova, Illustrer le livre. Peintres et enlumineurs dans l'édition parisienne de la Renaissance (1540-1585) (en préparation).

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fig. 11 - Encadrement bellifontain dans Dion Cassius, Des faictz et gestes des romains, Paris, Langelier, 1542, in-fol., f. 27, Paris, Bibliothèque nationale de France.

Henri Zerner a bien mis en valeur le rôle de l’estampe dans la circulation de l’ornement bellifontain à partir de 154274. En quelques années, il se répand dans tous les domaines des arts décoratifs – mobilier sculpté, tapisserie, orfèvrerie ou, de façon encore plus flagrante, ornementation des armures d’apparat75. Dans le livre, où les traditions sont fortement ancrées, le nouveau style ne se diffuse pas immédiatement. La présence dès 1542 d’un encadrement bellifontain dans une traduction de Dion Cassius publiée par les frères Langelier semble très exceptionnelle (fig. 11). Cet encadrement apparaît à vingt-quatre reprises dans l’ouvrage, en tête de chaque livre. En son centre sont placées des vignettes gravées illustrant le contenu des chapitres. L’effet de profusion ornementale ainsi engendré reproduit aussi fidèlement que possible celui obtenu par les artistes dans la galerie de Fontainebleau. L’examen des lettrines permet d’attribuer cette impression aux presses d’Estienne Caveiller, 74 Henri Zerner, L’art de la Renaissance en France, Paris, Flammarion, 1996 ; et surtout id., L’École de Fontainebleau. Gravures, Paris, Arts et métiers graphiques, 1969. 75 Voir par exemple le superbe catalogue de l’exposition Sous l’égide de Mars. Armures des princes d’Europe, éd. par. O. Renaudeau, J.-P.  Reverseau et J.-P.  Sage-Frénay, Paris, Musée de l’armée, 2011.

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recruté pour l’occasion par les frères L’Angelier. Mais ce n’est sans doute ni aux libraires, ni à l’imprimeur que revient le mérite de cette innovation. Le traducteur Claude Desrosier adresse en effet ce livre au troisième fils de François Ier, Charles, duc d’Orléans. L’encadrement bellifontain se retrouve en tête de l’épître dédicatoire, où il cerne un écu gravé aux armes royales. L’argumentaire détaillé dans le privilège nous incite à penser que cette édition a pu être encouragée par l’entourage du monarque : le libraire prétend en effet offrir « une œuvre fort recreative, auquel plusieurs gentilz hommes pourront prendre grande recreation » ; l’ouvrage aurait été mis sous presse « a la requeste de plusieurs gens notables […] pour donner consolation & passetemps aux gens notables, d’honneur et de bien de nostre royaulme ». Traduction française d’un texte historique, dédiée à un proche du roi, confiée à l’éditeur par une personnalité « notable » qui favorise son impression, le tout formant un projet destiné à l’éducation et au loisir de la noblesse française : nous sommes ici dans la filiation directe du programme éditorial de Jacques Colin, qui avait entrepris en 1527-1532 la publication en caractères romains des traductions de Claude de Seyssel pour des raisons identiques. Tout porte donc à croire que des membres de la cour sont à l’origine de cette publication, ce qui expliquerait la présence de cet encadrement très nouveau à une date aussi précoce. Marques et frontispices C’est surtout par l’intermédiaire des pages de titre que l’ornement bellifontain gagne le livre et les marques employées par les libraires jouent de ce point de vue un rôle déterminant. Jusqu’au milieu des années 1540, la plupart des marques parisiennes sont strictement quadrangulaires ; elles sont le plus souvent bordées d’un filet noir circonscrivant leur contour. Au cours de la décennie 1540, ces rectangles noirs sont progressivement remplacés par un cadre bellifontain délimitant un cartouche de forme généralement ovale au sein duquel est figuré l’emblème du libraire. C’est Jacques Gazeau qui semble lancer cette mode lorsque, pour l’impression de traités médicaux de Jacques Silvius (Dubois) en 1542, il se dote de deux marques placées au centre d’un décor qui reprend le nouveau vocabulaire ornemental (fig. 12)76. Cette initiative fera rapidement des émules. En 1544, Jacques Kerver s’équipe d’une marque représentant son enseigne, les « deux cochetz », placés au centre d’un encadrement bellifontain77. En 1545, Jean Barbé et Michel Fezandat lui emboîtent 76 P. Renouard, Marques typographiques, Paris, Honoré Champion, 1926-1928 nos 356 et 357. Voir Base de Typographie de la Renaissance, nos 27797 et 27795 (en ligne : , consulté le 26/05/2020). 77 Ibid., no 512 (BaTyR no 27932). Philippe Renouard ne reproduit pas fidèlement la marque originale et semble avoir repris le fac-similé donné en 1867 par L.-C. Silvestre (Marques typographiques,

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fig. 12 - Marque de Jacques Gazeau, dans J. Silvius, In Hippocratis elementa […] commentarius, Paris, 1542, in-fol. (d’après Ph. Renouard, Marques, op. cit., no 357).

le pas (fig.  13)78, suivis l’année suivante par Nicolas Du Chemin et Thielman  II Kerver79. Ce dernier tente une audacieuse synthèse en intégrant l’encadrement bellifontain en lieu et place de l’écu suspendu à un arbre au centre d’une marque dont la composition est par ailleurs en tous points conforme au modèle traditionnel (fig. 14). En 1547, Vincent Sertenas, Mathieu David et Charlotte Guillard feront à leur tour graver des marques à encadrement bellifontain80. Signe de la mode qui gagne alors Paris, le traducteur Jacques Gohory se dote en 1544 d'une marque personnelle bellifontaine qui apparaît au titre du Premier livre des discours de paix et de guerre de Machiavel chez Denis Janot, et qui sera reprise quatre ans plus tard dans la réédition de Vincent Sertenas (fig. 15). Paris, 1867, t. II, no 805). Renouard recense cette marque pour la première fois dans une édition in-folio d’un commentaire latin d’Ammonios sur Aristote ; mais son format nous incite à penser qu’elle a pu être plutôt gravée pour la page de titre de la traduction in-quarto du Dialogue des armes et des lettres de Brucioli qui paraît la même année. 78 Ibid., no 32 (BaTyR no 27509) et no 321 (BaTyR no 27763). 79 Ibid., no 242 (BaTyR no 27691) et no 522 (BaTyR no 27943). 80 Ibid., no 1038 (BaTyR no 28405), no 225 (BaTyR no 27675), no 180 (BaTyR no 27635). Sur la foi d’éléments stylistiques, A. Baydova, Le rôle des peintres dans l’illustration du livre parisien, op. cit., attribue le dessin des marques de Mathieu David et Charlotte Guillard à Jean Cousin père.

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fig. 14 - Marque de Thielman II Kerver, dans Psalterium Davidicum, Paris, 1546, in-8o (d’après Ph. Renouard, Marques, op. cit., no 522).

fig. 13 - Marque de Jean Barbé, dans S. Serlio, Il primo libro di architettura, Paris, 1545, in-fol. (d’après Ph. Renouard, Marques, op. cit., no 32).

fig. 15 - Marque personnelle du traducteur Jacques Gohory dans Machiavel, Discours de l’estat de paix et de guerre, Paris, Sertenas, 1548, in-fol, page de titre, Orléans, Bibliothèque municipale (Rés. E1777) (Numérisation BVH-CESR).

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Décliné en petit format dans les marques de libraire, le nouveau décor peut aussi être transposé à une autre échelle et venir occuper l’intégralité de la page de titre, qui se transforme alors en véritable frontispice. Celui du Songe de Poliphile publié par Jacques Kerver en 1546 en est l’un des exemples les plus précoces et les plus éclatants81 (fig. 16). À partir du règne de Henri II et jusqu’à la fin du siècle, l’encadrement bellifontain s’imposera comme une norme incontournable pour les marques et les frontispices des libraires parisiens. Lettrines et bandeaux : l’ornementation des « Grecs du Roi » Malgré le précédent exceptionnel que constitue l’encadrement du Dion Cassius de 1542, et en dépit de l’apparition des premières marques bellifontaines sur les pages de titre, jusqu’au milieu des années 1540 l’ornementation du livre parisien se compose quasi exclusivement de lettrines à fond criblé ou azuré. Dans ce paysage assez uniforme se démarquent quelques libraires comme Denis Janot, qui dispose de petites lettrines romaines à fond et rinceaux blancs (les fameuses « lettres fleuries » présentées par Geoffroy Tory dans la section finale du Champ Fleury en 1529) ; on trouve des lettres ornées très proches de ce modèle sous les presses d’Étienne Caveiller qui travaille régulièrement pour le compte des Langelier au début des années 1540. Mais ce matériel de petites dimensions est toujours associé aux grandes capitales à fond criblé ou azuré qui dominent encore la production. La donne change en 1544, lorsque Robert Estienne, nommé imprimeur du roi pour le grec en 1542, publie sa célèbre édition de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée. Ce livre n’est que le premier titre d’une collection de textes publiés d’après les manuscrits de la bibliothèque du roi et regroupés sous la mention « ex bibliotheca regia82  ». Pour ces publications très officielles, encouragées par le pouvoir, Estienne introduit un caractère grec magnifique : les fameux « Grecs du Roi » gravés par Claude Garamont83. Alde Manuce avait introduit, en 1495, un caractère grec très cursif, employant un grand nombre de ligatures pour imiter la 81 Un dessin ayant servi à la préparation de ce frontispice est aujourd’hui conservé à Chantilly (Musée Condé, n. inv. DE 366-1). Son attribution récente à Baptiste Pellerin, dans le catalogue de l’exposition Le siècle de François Ier à Chantilly semble erronée. Pour une discussion sur les hypothèses successives d’attribution, voir A. Baydova, Le rôle des peintres dans l’illustration du livre parisien (1530-1580), thèse de doctorat de l’EPHE (dir. G.-M. Leproux) soutenue le 9 décembre 2017, vol. 1, p. 166, note 8. 82 Elizabeth Armstrong, Robert Estienne. Royal Printer, Cambridge, Cambridge University Press, 1954. 83 Annie Charron-Parent, «  Humanisme et typographie : les Grecs du Roi et l’étude du monde antique » dans L’art du livre à l’imprimerie nationale, Paris, 1973, p. 55-67 Sur les Grecs du Roi, voir également H. D. L. Vervliet, « Greek Printing Types of the French Renaissance. The ‘Grecs

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fig. 16 - Frontispice de Francesco Colonna, Le Songe de Poliphile (trad. J. Martin), Paris, Kerver, 1546 (rééd. 1561), page de titre, Orléans, Bibliothèque municipale (Rés. D2421) (Numérisation BVH-CESR).

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fig. 17 - Lettres ornées de Eusebius, Evangelicae praeparationis libri XV, Paris, R. Estienne, 1544, Tours, CESR (Numérisation BVH-CESR).

cursive byzantine84. Imités de l’écriture du calligraphe crétois Ange Vergèce, les « Grecs du Roi » reprennent les principales caractéristiques du grec aldin, en en perfectionnant le dessin : le contraste des pleins et des déliés est nettement plus marqué ; l’effet de cursivité est considérablement accentué par une augmentation du nombre de ligatures. Ces caractères partagent avec l’italique de Granjon un goût prononcé pour la cursivité. Mais c’est surtout par leur décor que ces éditions exerceront une influence décisive. Robert Estienne y délaisse les lettrines à fond criblé au profit d’ornements d’un style très nouveau : dépourvues de cadre, les lettrines sont ornées de rinceaux blancs extrêmement fournis, disposés sur un fond également blanc (fig. 17). Ce décor de rinceaux couvrants trouve sans doute son origine dans le développement foisonnant des rinceaux clairs issus du premier italianisme parisien (celui des heures de Tory en 1525). Mais les lettrines des « Grecs du Roi » sont agrémentées de motifs grotesques inhabituels (termes, mascarons, faunes…) directement tirés du vocabulaire bellifontain. À côté de ces lettrines, Estienne introduit un élément nouveau, le bandeau, jusqu’alors totalement absent des presses parisiennes. Les bandeaux des « Grecs du Roi » présentent les mêmes caractéristiques que les lettrines, mais la présence des du Roy’ and Their Successors », dans The Palaeotypography of the French Renaissance, op. cit., t. II, p. 383-425. 84 Nicolas Barker, Aldus Manutius and the development of Greek script & type in the fifteenth century, New York, Fordham University Press, 1992.

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motifs décoratifs empruntés aux stucs de la galerie de Fontainebleau y est encore plus flagrante (fig. 18 a et b). L’introduction de ces matériels décoratifs dans l’édition d’Eusèbe témoigne donc d’une volonté évidente d’accorder la mise en page de cette édition « ex bibliotheca regia » avec la nouvelle esthétique royale. Fait symptomatique, Robert Estienne fait graver en 1544 une marque dans laquelle les représentations de l’olivier et du personnage à son pied subissent un étirement vertical caractéristique du maniérisme bellifontain85. Les choix qui président à la mise en page de l’édition d’Eusèbe témoignent d’une volonté de dépasser le modèle aldin, dont ils s’inspirent de manière flagrante : caractères grecs cursifs, bandeaux et lettrines à fond clair avaient été employés par Alde Manuce dans la célèbre princeps grecque des œuvres d’Aristote publiée à Venise en 1495 (fig. 19). Mais Robert Estienne et Claude Garamont poussent à l’extrême le soin apporté au dessin des caractères et des ornements choisis. La traduction française du Songe de Poliphile publiée par Jacques Kerver en 1546 s’inscrit dans une dynamique comparable. S’inspirant directement de l’illustration et de la mise en page de l’édition aldine de 1499, Jacques Kerver en accentue toutes les caractéristiques. Les procédés de composition en cul-de-lampe, en sablier ou en médaillon sont beaucoup plus nombreux dans l’édition parisienne que dans l’original vénitien. Son illustration, très maniériste, témoigne de l’influence directe de l’École de Fontainebleau. Elle n’est pas seulement plus soignée que celle de l’édition aldine, elle est aussi plus copieuse : Jacques Kerver ajoute de nouvelles planches et, en réduisant le nombre de pages du volume en composant le texte dans un corps plus petit, il accentue proportionnellement la place occupée par l’illustration. Ainsi, si l’Eusèbe de 1544 et le Poliphile de 1546 s’inspirent directement des pratiques de mise en page de la firme vénitienne, ils poussent à l’extrême les procédés de leurs modèles. L’Eusèbe de 1544 aura une influence décisive sur les pratiques ornementales. Les années qui suivent sa parution seront, à Paris, une période d’intense renouvellement des matériels typographiques : le nouveau vocabulaire ornemental balaie tout sur son passage. En moins de dix ans, les capitales à fonds criblé, qui dominaient la production depuis le début du xvie siècle, disparaissent presque intégralement au profit de lettrines latines inspirées de celles qui accompagnaient les « Grecs du Roi ».

85 P. Renouard, Marques, op. cit., no 2864. Cette marque, qui fait son apparition dans une édition de Guillaume Budé, n’est pas celle qui orne le titre de l’édition d’Eusèbe en 1544 (où Estienne emploie la marque des imprimeurs du roi pour le grec) ; mais elle apparaît l’année suivante au colophon de l’édition grecque des Démonstrations évangéliques d’Eusèbe de Césarée, souvent reliée à la suite de la Préparation évangélique.

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fig. 18a et b - Bandeaux de Eusebius, Evangelicae praeparationis libri XV, Paris, R. Estienne, 1544, Tours, CESR (Numérisation BVH-CESR).

fig. 19 - Aristote, Opera, Venise, Alde Manuce, 1495, in-fol., Lyon, Bibliothèque municipale.

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Épilogue La fin de cette histoire est connue. Elle se joue sous le règne de Henri II, lorsque les poètes de la Pléiade s’emparent des innovations typographiques du règne précédent. Geneviève Guilleminot a mis en évidence, dans un article éclairant, le rôle de l’imprimeur Mathieu David dans la diffusion du nouveau style ornemental à Paris86. David fut le premier à employer les bandeaux et les lettrines issus des Grecs du Roi, conçus pour l’édition savante, dans la publication de textes en langue française : il imprime par exemple pour le compte de Guillaume Cavellat en 1550 une traduction française de La Sphère du monde d’Alexandre Piccolomini, ornée de deux bandeaux in-octavo et d’une série de petites lettres claires. Notons que l’ouvrage est entièrement composé dans les nouveaux caractères italiques à capitales penchées. La même année, Cavellat publie le premier ouvrage de Pierre de Ronsard, Les quatre premiers livres des Odes, dont le texte, dépourvu de décor, emploie le même caractère. Geneviève Guilleminot a bien montré qu’à partir de 1552 Maurice de La Porte et Mathieu David fixent la présentation définitive du recueil poétique français en faisant paraître simultanément des éditions de Ronsard, Baïf et MarcAntoine Muret qui associent l’italique à capitales penchées avec des ornements inspirés de ceux des Grecs du Roi (fig. 20). Cette mise en page s'impose dès lors comme une norme durable. Inaugurée avec Geoffroy Tory et les premiers réformateurs de l’orthographe, l’appropriation du modèle italien et son détournement typographique s’achèvent donc avec la Pléiade. Au mitan du siècle, la rupture est ainsi définitivement entérinée avec le modèle aldin. Conclusion Les dernières années du règne de François Ier semblent attester un renforcement des liens entre la cour et le monde du livre parisien. L’installation définitive du roi à Fontainebleau à compter de 1539 n’y est évidemment pas étrangère. Le regain d’intérêt de la monarchie à l’égard du livre se manifeste autant dans le domaine du manuscrit que dans celui de l’imprimé. Les missions de Girolamo Fondulo et de Guillaume Pellicier en Italie pour rechercher des textes inédits en 1539-1540 sont à mettre en relation avec la nomination de nouveaux imprimeurs du roi, tous parisiens. Sont ainsi distingués Conrad Néobar pour le grec en janvier 153987, Robert 86 G. Guilleminot, « Ronsard, Baïf et la veuve Maurice de La Porte : une nouvelle présentation du recueil poétique » dans Les poètes français de la Renaissance et leurs libraires. Actes du Colloque international de l’Université d’Orléans (5-7 juin 2013), éd. par D. Bjaï et Fr. Rouget, Genève, Droz, p. 123-134. 87 Philippe Renouard, Imprimeurs et libraires parisiens du xvie siècle, t. V, Paris, [s. e.], 1991, p. 82-115.

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fig. 20 - Ronsard, Les amours, Paris, Veuve Maurice de La Porte, 1553, in-8o, [p. 1], Paris, Bibliothèque nationale de France.

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Estienne pour l’hébreu et le latin le 24 juin 153988. La désignation d’Olivier Mallard (1538) puis de Denis Janot (1543) comme imprimeur du roi en langue française s’inscrit dans une politique qui favorise le « dynamisme naissant de la traduction89 ». L’année 1544, qui voit le déménagement de la bibliothèque royale à Fontainebleau, apparaît comme un apogée dans le monde du livre parisien, qui voit alors éclore une mode ornementale directement inspirée du décor du palais royal, cependant que se répandent de nouvelles formes de caractères romains et italiques. L’objectif de cette étude était d’interroger le statut du modèle aldin dans l’imprimerie parisienne sous le règne de François Ier. J’ai tâché de montrer que les événements s’étaient organisés en deux phases : après être apparu comme un idéal à imiter dans les années 1530, le modèle aldin devient en quelque sorte une norme à dépasser dans la décennie suivante. Durant toute cette période, la question typographique est étroitement liée au développement de la littérature en langue vernaculaire. On peut légitimement s’interroger sur le rôle que le pouvoir royal a joué dans le vaste mouvement de renouvellement du matériel (caractères et ornements) qui touche toute l’imprimerie parisienne dans les années 1540. Quelques indices semblent indiquer que le monarque a pu favoriser certaines des initiatives prises par ses imprimeurs, mais, en dehors de l’épisode exceptionnel des « Grecs du Roi », aucune preuve formelle ne vient encore étayer cette hypothèse. Pour suivre précisément les canaux par lesquels se diffusent les nouvelles modes, il conviendrait de mieux connaître les liens qu’ont entretenus les typographes avec les artistes de la cour. On peut par exemple évoquer ceux qui unissent Jean Barbé et Claude Garamont avec les architectes Jean Goujon et Sebastiano Serlio90. On sait par ailleurs qu’en janvier 1549, Garamont « tailleur de caractères pour le roi », sera également désigné comme compère de François Clouet, « peintre du roi », à l’occasion du baptême du fils d’Eustache Le Conte91… Mais plutôt que d’insister sur les responsabilités individuelles des acteurs en présence, il convient surtout de rappeler qu’en l’espace d’une décennie, c’est toute une génération d’hommes et de femmes du livre qui semble s’être collectivement mobilisée pour fournir au royaume de France une typographie digne de la place à laquelle il prétendait. De Denis Janot à la Pléiade, le moteur de ce mouvement semble avoir été le patriotisme culturel d’une foule de jeunes auteurs et typographes. Après avoir cherché à

88 E. Armstrong, Robert Estienne, royal printer, op. cit., p. 117-123. 89 Toshinori Uetani, « La naissance d’un métier : traducteur », dans Gens du livre, gens de lettres à la Renaissance, op. cit., p. 33-61. 90 Sur ce point, voir R. Jimenes, « ‘Il feit lever en ceste ville une imprimerie’ : possibles prémices d’une imprimerie royale sous François Ier », à paraître. 91 29 janvier 1549 (n. st.), voir Fichier Laborde, BnF, ms. fr. 12134, no 39669.

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égaler le modèle aldin qui les avait tant fait rêver dans les premières décennies du xvie siècle, les humanistes français veulent désormais construire leur propre identité graphique. Ces réflexions rejoignent finalement le constat que formulait André Chastel en 1989. Désireux de « faire entrer en ligne de compte le souci d’originalité, la prétention, la fierté, l’amour-propre national », dans lesquels il voyait des moteurs de la création artistique, l’historien concluait : L’art français a toujours pratiqué une ‘assimilation sélective’. Trait de comportement qui suppose un solide quant-à-soi et explique la désinvolture ou, si l’on préfère, l’ingratitude avec laquelle on traitait alors ses sources. On ne se laisse jamais dicter entièrement la marche à suivre92.

De la même façon qu’ils ont défendu et illustré la langue française, les hommes du livre parisien semblent ainsi avoir développé une conception nationale des arts du livre. Leur dette à l’égard de l’Italie était si considérable qu’ils ont tenté de la faire oublier.

92 André Chastel, Culture et demeures en France au xvie siècle, Paris, Julliard, 1989, p. 9.

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IV Lecteurs, bibliophiles et collectionneurs au fil des siècles

Les Tre Corone dans la bibliothèque des Bourbons et l’affaire Pétrarque au tournant du xvie siècle : Moulins-Montbrison l’espace d’un réseau d’italianisants ? Alessandro Turbil Université de Tours

Avec ses 170 volumes attestés en 1507 dans la résidence comtale d’Aigueperse et ses 302  volumes inventoriés au château ducal de Moulins en 1523, la famille de Bourbon possédait, au tournant du xvie siècle, un ensemble de livres « important pour l’époque et original1 ». Héritée entre 1503 et 1505 par Charles III, comte de Montpensier, duc de Bourbon et d’Auvergne, cette collection ne pouvait certainement pas soutenir la comparaison avec la bibliothèque royale de Blois –  qui comptait 1600 volumes en 1518 –, mais elle surclassait nettement d’autres bibliothèques de l’époque, comme celle de la famille d’Angoulême à Cognac2. Toutefois, 1 2

Marie-Pierre Laffitte, «  Les ducs de Bourbon et leurs livres d’après les inventaires  », dans Le duché de Bourbon des origines au Connétable (Actes du colloque des 5 et 6 octobre 2000), éd. par le Musée Anne-de-Beaujeu de Moulins, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu autour, 2001, p. 170. Ibid., p.  170-174. On a estimé que la collection de livres des ducs commença véritablement à s’accroitre à partir de l’époque de Louis II de Bourbon (1337-1410), prince mécène et ami des arts. Au xve siècle, cette croissance devait également bénéficier des apports venant des familles des épouses des ducs. Marie de Berry, femme de Jean Ier de Bourbon (1381-1434), enrichit la librairie d’une quarantaine de manuscrits ayant appartenu à son père Jean, duc de Berry et comte de Montpensier, mort en 1416. La bibliothèque de Moulins était redevable à Agnès de Bourgogne, sœur du duc Philippe III de Bourgogne et femme du duc Charles Ier de Bourbon (1401-1456), pour l’apport d’ouvrages provenant de la librairie de son père, Jean sans Peur (cf. Olivier Mattéoni, Servir le Prince : les officiers des ducs de Bourbon à la fin du Moyen Âge (1356-1523), Paris, Publications de la Sorbonne, 1988, p. 121). Anne de France, dame de Beaujeu, devait-elle aussi verser à la bibliothèque de Moulins les livres qu’elle avait hérités de sa mère, Charlotte de Savoie, dont une grande partie était constituée de livres pieux : Le livre de Catherine de Sienne, les Sermons de Gerson, Le livre des trois vertus, La complainte de l’homme et son âme. Vers 1480 furent copiés pour Jean II l’Abuzé en cour et La danse aux aveugles, don de René d’Anjou (l’inventaire des biens de Charlotte de Savoie, dressé en 1484, mentionne « le livre que le roi de Secille envoya au duc de Bourbon, avec la Dance aux aveugles » (voir Léopold Victor Delisle, Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque Impériale, t. 1, Paris, Imprimerie Impériale, 1868, p. 168 n. 10 ; cf. Claude Longeon, Une province française à la Renaissance : la vie intellectuelle en Forez au xvie siècle, Saint-Étienne, Centre d’études foréziennes, 1975, p. 380). Il s’agit probablement du ms. BnF, fr. 1989. Il est important de rappeler que le texte de Pierre Michault figure aussi dans le ms. BnF, fr. 1119, l’un des plus anciens témoins de la traduction en prose brève des Triumphi attribuée au poète bourbonnais Georges de la Forge. En outre, un

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en l’absence d’inventaires échelonnés pendant tout le xve siècle, seules quelques rares données permettent de proposer une reconstruction approximative des lignes de force qui devaient caractériser cette importante collection de manuscrits et d’imprimés en latin, français et italien, avant la saisie des biens du Connétable de Bourbon par la Couronne en 1523. Parmi ces rares données, il y en a certainement une qui peut surprendre. Comme l’avait déjà remarqué Gianni Mombello dans son travail consacré à la présence d’ouvrages des Trois Couronnes dans les libraires françaises du Moyen Âge tardif et de la Renaissance, l’une des spécificités de la collection confisquée par le roi François Ier au Connétable de Bourbon était de ne pas contenir d’œuvres en italien de Pétrarque3. Tout à fait commune à de nombreuses collections de l’époque, cette absence ne serait pas surprenante si elle ne se heurtait avec d’autres données provenant de sources externes, nous informant que les Triumphi – le poème allégorique de Pétrarque, dont le rôle joué dans l’introduction et la propagation du pétrarquisme en France a attiré l’intérêt de la critique depuis les études de pionnier de Franco Simone4 – devaient circuler dans les milieux culturels gravitant autour de cette famille princière au cours de la seconde moitié du xve siècle.

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autre ouvrage qui accompagne cette mise en prose dans le manuscrit Paris, BnF, fr. 1119, à savoir Le livre de Bonnes meurs de Jacques le Grand, figure dans l’inventaire de 1523 en deux exemplaires, correspondant aux no 47 et no 273, qui devaient être déjà à la disposition des Bourbons avant 1490 (cf. Michel Arthur de Boislisle et M. le duc de la Trémoïlle, « Inventaire des bijoux, vêtements, manuscrits et objets précieux appartenant à la comtesse de Montpensier (1474)  », AnnuaireBulletin de la Société de l’histoire de France, t. XVII, 2, 1880, p. 269-309, en particulier p. 304). Parmi les livres d’Anne de France, on dénombre encore une Vie de saint Jérôme, une Histoire des Trois Maries, un exemplaire de La conformité des prophètes et des sibylles aux douze articles de la Foi, une Nef des femmes vertueuses, ou encore Le livre d’heures de Louis de Laval (voir O. Mattéoni, Servir le Prince, op. cit., p. 124). Le codex que Louis de Laval légua en 1489, à sa mort, à Anne de Beaujeu, en tout cas, ne devait pas figurer dans l’inventaire du château de Moulins. Il entra plus tard dans la bibliothèque de François Ier (no 225). Les livres de la duchesse devaient donc être conservés ailleurs qu’à Moulins ou au château de Gien. Il serait donc très intéressant de retrouver les inventaires des bibliothèques de Pierre et Anne de Beaujeu, puisque Jean Robertet, François Robertet et Florimond Robertet furent en relation stricte avec ce couple princière. Gianni Mombello, I Manoscritti delle opere di Dante, Petrarca e Boccaccio nelle principali librerie francesi del secolo xv, Florence, Olschki, p. 150. Franco Simone, Il Rinascimento Francese : Studi e Ricerche, Turin, Società Editrice Internazionale, 1961; Paola Cifarelli, « Su alcuni personaggi del mito in una traduzione francese tardomedievale dei Triumphi di Petrarca  » dans Elaborazioni poetiche e percorsi di genere. Miti, personaggi e storie letterarie. Studi in onore di Dario Cecchetti, éd. par M. Mastroianni, Alessandria, Edizioni dell’Orso, p. 251-277 ; Gabriella Parussa et Elina Suomela-Härmä, « Le triomphe des Triomphes : la réception de Pétrarque en France entre Moyen Âge et Renaissance » dans La bibliothèque de Pétrarque. Livres et auteurs autour d’un humaniste (Actes du IIe congrès international sciences et arts, philologie et politique à la Renaissance, 27-29 novembre 2003), éd. par M. Brock, F. Furlan, F. La Brasca, Turnhout, Brepols, 2001, p. 283-310 ; Jean Balsamo, « ‘Nous l’avons tous admiré, et imité : non sans cause’, Pétrarque en France à la Renaissance : un livre, un modèle, un mythe », dans Les poètes français de la Renaissance et Pétrarque, éd. par J. Balsamo. Genève, Droz, 2004,

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Les librairies des Bourbons au tournant du xvie siècle Même si un certain nombre d’ouvrages décrits dans les inventaires d’Aigueperse en 1474 et en 1507 se trouvent inventoriés en 1523 dans la bibliothèque de Moulins, ces deux librairies ont toujours gardé une certaine indépendance et ont connu des destins divergents en raison d’origines dynastiques différentes. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de rappeler brièvement d’où proviennent les informations concernant ces deux collections dont Charles  III de Bourbon-Montpensier se trouva en possession, après la mort de son père (1503) et une fois devenu duc de Bourbon suite au mariage avec Suzanne de Bourbon (1505). La plus ancienne attestation d’un catalogue relatif aux livres des Bourbons correspond à l’inventaire dressé au château d’Aigueperse en Limagne, résidence de la branche comtale de la famille, où Louis Ier de Montpensier et Gabrielle de la Tour d’Auvergne conservaient leur splendide bibliothèque. Cet inventaire fut dressé entre le 9 et le 10 septembre 1474 et il fait état de 208  livres manuscrits, dont 166 en français et 42 en latin, que le comte et la comtesse, une princesse extrêmement cultivée, avaient enrichi considérablement et dont une partie avait été héritée de la librairie de Béraud III, père de Jeanne Dauphine, première épouse du comte. Il s’agissait pour la plupart de livres de droit et de textes antiques5. Plus détaillé, l’inventaire réalisé à Aigueperse entre le 18  novembre et le 11  décembre 1507 enregistre les livres qui devaient se trouver dans le château comtal au début du xvie siècle. Cet inventaire fut réalisé par Jean de Maumont, Antoine de Riom et Guillaume de Marillac, trésorier de Montpensier, à l’ordre de la duchesse Suzanne de Bourbon, femme du connétable Charles III de Bourbon-Montpensier, en prévision d’en transférer une partie à la résidence ducale6. L’inventaire de 1507 a été

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p.  13-32 ; Alessandro Turbil, Pétrarquiser : pour un corpus numérisé du lexique pétrarquiste des origines (thèse de doctorat), Università di Torino – Paris 3 Sorbonne Nouvelle, 2018. Cf. M. A. de Boislisle, « Inventaire des bijoux […] de Montpensier », art. cit., p. 279 ; N. DupontPierrart, Claire de Gonzague, op. cit., p. 130. L’inventaire se trouve dans le ms. Paris, BnF, fr. 20598, f. 350-361 ; cf. Marie-Pierre Laffitte, « Les ducs de Bourbon et leurs livres d’après les inventaires », dans Le duché de Bourbon : des origines au connétable (Actes du colloque des 5 et 6 octobre 2000 organisé par le Musée Anne de Beaujeu de Moulins), Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu autour, 2001, p. 170-178 ; Jacques Corrocher, « La Librairie du château d’Aigueperse d’après les inventaires de 1474 et 1507  », Sparsae, t. LIII, 2004, p. 5-14 ; Geneviève Hasenohr, « L’essor des bibliothèques privées aux xive et xve siècles », dans Histoire des bibliothèques françaises, t. I, éd. par A. Vernet, [Les bibliothèques médiévales : du vie siècle à 1530], Paris, Promodis, p. 215-263, en particulier p. 249 ; Anne-Marie Chazaud, «  Inventaire des Meubles estans en la maison de Monseigneur le duc de Bourbonnais et d’Auvergne, estant en sa ville d’Aiguesperce, le dit inventaire commencé le jeudi xviiie jour de Novembre l’an mil cinq cens et sept » suivi de « Inventaire des Livres qui sont en la librairie du chasteau de Molins » dans Anne de France, Les enseignements d’Anne de France, duchesse de Bourbonnais et d’Auvergne à sa fille, Suzanne de Bourbon, d’après le manuscrit unique de Saint Peters, éd. par A.-M. Chazaud, Moulins, Desrosiers, 1878, p. 213-320, en particulier 211-258.

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dressé au même endroit que le précédent et fournit la description d’une librairie qui est restée presque dans le même ordre ; cela laisserait entendre qu’il s’agit du même contenu, bien que la bibliothèque semble avoir été privée d’une quarantaine de volumes au cours d’une trentaine d’années7. Le seul inventaire qui nous est parvenu portant sur la résidence ducale de Moulins ne date, en revanche, que du xvie  siècle. Il fut dressé le 9  septembre 1523 par le commissaire du roi Pierre Antoine à la présence de Mathieu Espinete, chanoine de Moulins et garde des livres du duc de Bourbon en exil. L’inventaire décrit 302 volumes, dont 36 sont des imprimés, auxquels s’ajoutent cinq autres livres sous la catégorie des livres qui ont esté restituéz et aportéz de Paris l’an VC X, suivis de dix derniers ouvrages contenus dans une layette. Cet inventaire s’imposa évidemment en vue de la saisie par François Ier des biens du connétable Charles III de Bourbon-Montpensier8. Maxence Hermant remarque que les archives restent muettes sur ce qu’il advint de la librairie ducale après cette date et rien ne permet d’affirmer que les livres furent déplacés dès 15239. Il paraît vraisemblable qu’ils devinrent la propriété de la mère du roi, Louise de Savoie, qui, depuis la mort de Suzanne de Bourbon en 1521, avait nourri l’ambition de devenir duchesse de Bourbon10. En tout cas, François Ier ne semble avoir intégré ces livres à sa bibliothèque personnelle qu’après 1531, lors de l’héritage d’Angoulême11. Comme dans la bibliothèque du roi ne figuraient 7

Selon Évelyne Berriot-Salvadore au moins une partie des volumes disparus du château comtal d’Aigueperse a pu intégrer la collection de Gabrielle de Bourbon (1447-1516), sœur de Gilbert de Montpensier, mariée depuis 1485 à Louis II de la Trémoïlle. Il reste à définir une liste précise et la date d’arrivée de ces volumes à Thouars, où sa librairie était conservée. L’inventaire de cette bibliothèque fut dressé en 1516 (Paris, A.N. 1 AP 219, f. 31-35) et fait état d’une trentaine de volumes (romans, ouvrages historiques, recueils de poésies), dont un livre intitulé Les triumphes de Pétrarque. Un autre exemplaire appelé Les triumphes devait peut-être aussi figurer parmi les livres qui étaient « en l’escolle de monsieur le prince », son fils, Charles de la Trémoïlle (Paris, A.N. 1 AP 219, f. 89v). Il reste encore à déterminer si ces derniers volumes proviennent également d’Aigueperse ou furent acquis plus tard directement par Gabrielle de Bourbon. Cf. Évelyne Berriot-Salvadore (éd. par), Gabrielle de Bourbon, Œuvres spirituelles 1510-1516, Paris, Garnier, 1999, p. 18-20. 8 L’original se trouve sous la cote Paris, BnF, Dupuy 488, f. 210-221. Les autres deux copies se trouvent dans le ms. Carpentras, Bibliothèque municipale, ms. 1769, f. 16r-17v et dans le ms. Paris, BnF, lat. 17917, f. 178-192, copié du précèdent ; cf. A.-M. Chazaud, Les enseignements d’Anne de France, op. cit., p. 231-258 ; Nicole Dupont-Pierrart, Claire de Gonzague, Comtesse de Bourbon Montpensier (1464-1503). Une princesse italienne à la cour de France, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2017, p. 132 ; Ernest Quentin-Bauchart, La Bibliothèque de Fontainebleau et les livres des derniers Valois à la Bibliothèque nationale (1515-1589), Genève, Slatkine, 1971, p.  12, n. 1 ; Maxence Hermant, « Les livres des Bourbons », dans Trésors royaux. La bibliothèque de François Ier, éd. par. M. Hermant, avec la collab. de M.-P. Laffitte, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 179. 9 Ibid., p. 181. 10 Ibid., p. 179. 11 Ibid., 181.

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que 150 volumes parmi ceux qui avaient été inventoriés en 1523 à Moulins (près de 130 titres), il semblerait finalement que la Couronne n’ait prélevé qu’un peu moins de la moitié des ouvrages conservés au château ducal12. Entre la librairie de Moulins et celle d’Aigueperse devaient, en tout cas, exister des différences notables. Si à Aigueperse la littérature médiévale occupe une place importante (avec un nombre d’ouvrages deux fois plus grand qu’à Moulins), les études d’Olivier Mattéoni, Marie-Pierre Laffitte et Maxence Hermant ont permis d’estimer que dans la bibliothèque du château ducal on attribue une plus grande importance à la littérature historique, morale et religieuse13. Il a été observé que la librairie ducale devait essentiellement correspondre à « un lieu de détente et de culture pour le prince et quelques officiers supérieurs14 ». La première caractéristique de la bibliothèque du Connétable résidait donc dans la part non négligeable occupée par les ouvrages historiques, politiques et par les textes littéraires de genre historique (correspondant à plus de 71  % des volumes15). De toutes les librairies princières du temps, seule celle de Philippe le Bon  présenterait  une proportion similaire  et,  à Moulins comme en Bourgogne, les œuvres en langue vernaculaire étaient mieux représentées que celles en latin16. À côté de ce premier groupe d’ou-

12 Ibid., 181. Ces volumes portent encore parfois les cotes caractéristiques. On a pu établir parmi les quelques constantes une préférence marquée pour « les manuscrits sur parchemin, enluminés ou portant des ex libris ; à quelques exceptions près, les manuscrits sur papier furent exclus » ; enfin, pour ce qui est des imprimés, « on retint quelques éditions luxueuses, en particulier celles qui avaient été fournies par Antoine Vérard ». Pour plus de détails par rapport aux livres qui furent prélevés au profit de Louise de Savoie, nous renvoyons à l’étude de M. Hermant (M. Hermant, « Les livres des Bourbons », art. cit., p. 181). Pour ce qui est des livres « non sélectionnés » pour entrer dans la bibliothèque des Angoulême, leur sort fut probablement de rester à Moulins, qui devint la propriété du Grand Condé en 1661 ; certainement, aucun livre de la bibliothèque d’Aigueperse ne « suivit le chemin de ceux de Moulins après 1523 » (M. Hermant, « Les livres des Bourbons », art. cit., p. 181 note 4. Cf. M.-P. Laffitte, « Les ducs de Bourbon et leurs livres d’après les inventaires », art. cit., p. 170-172. 13 Ibid., p. 123. 14 O. Mattéoni, Servir le Prince, op. cit., p. 124 et 125 et 125, n. 173. 15 Ibid., p. 124. 16 Ibid., p. 249. Par rapport à la forte présence de textes issus de la culture bourguignonne qui se trouvaient dans la collection des Bourbons, nous savons que juste après la mort du duc Philippe le Bon, survenue en 1467, le troisième enfant de Charles Ier de Bourbon et d’Agnès de Bourgogne, Pierre, sans avoir encore ni le titre de sieur de Beaujeu ni celui de duc de Bourbon, sut obtenir « quelques manuscrits de la fameuse bibliothèque que ce prince avait formée à Bruges », (E. Quentin-Bauchart, La Bibliothèque de Fontainebleau, op.  cit., p.  12, n.  1). Cela témoigne d’un très vif intérêt pour la bibliophilie chez ce jeune seigneur qui, à partir de 1488, suivit l’exemple de Jean II et de sa première épouse, Jeanne de France ; avec sa femme Anne de France, dame de Beaujeu, il contribua à faire de la bibliothèque de Moulins l’une des plus importantes librairies de l’époque ; cf. O. Mattéoni, Servir le Prince, op. cit., p. 121 ; Henry de Surirey de St-Remy, Jean II duc, de Bourbonnais et d’Auvergne, 1426-1488, Paris, Les Belles Lettres, 1944, p.  66-67 ; G. Mombello, I Manoscritti, op. cit., p. 155-156.

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vrages, la littérature morale et religieuse occupait une place importante, surtout si on dénombre également les Bibles et les volumes ayant trait à la liturgie17. Les Trois Couronnes dans la collection des Bourbons D’après les inventaires qui nous sont parvenus, on remarque un intérêt prépondérant pour les ouvrages des Trois Couronnes. L’inventaire le plus ancien de la librairie d’Aigueperse enregistrait déjà un nombre important d’ouvrages de Boccace en latin et en français. Parmi les textes en latin, on peut rappeler ung livre sur la genelogie des dieux gentilz, qui commence : ‘Se satis ex relatis’, et y a une peau noire dessus, attestés dès 1474 et qui semblerait avoir appartenu à Louis II de Bourbon (cet exemplaire sur papier, aujourd’hui disparu, est encore attesté dans l’inventaire de 1507 au no 117 : La genealogie des dieux gentilz, escripte a la main, en pappier, couverte de cuyr noir18). En ce qui concerne les ouvrages de Boccace traduits en français, l’inventaire de 1474 témoigne d’un livre de Boucasse (identifiable, selon Mombello, avec le ms. Paris, BnF, fr. 16995 contenant une traduction du De Casibus et confectionné pour Béraud  III de Clermont, père de Jeanne d’Auvergne19), d’un exemplaire du livre de Cent nouveles (identifié toujours par Mombello dans une copie du Decameron) et d’un exemplaire du Troyle et Briseyda, traduction du Filostrato. Toutefois, entre 1474 et 1507, la disparition de quelques manuscrits de la collection des comtes de Montpensier a pour conséquence l’absence du nouvel inventaire de la traduction française du Filostrato (Troyle et Briseyda) et du codex contenant, fort probablement, la traduction du Decameron (livre de Cent nouveles). En revanche, un deuxième exemplaire du De casibus en français devait intégrer la collection comtale avant 1507, car l’inventaire en question signale la présence de deux témoins à Aigueperse, l’un escript à la main en parchemyn, couvert de veloux cramoisi et l’autre en proze, couvert de cuyr vert, dont l’un des deux est assurément l’exemplaire BnF, fr. 16995 évoqué plus haut20. Quant aux ouvrages de Pétrarque conservés au château des comtes de Montpensier, l’inventaire de 1474 atteste seulement la présence d’un exemplaire de la traduction française du De remediis par Jean Daudin (Remede de toute fortune) que l’on serait tenté d’identifier avec le no 23 de l’inventaire de 1507 (Le remede de fortune bonne ou 17 O. Mattéoni, Servir le Prince, op. cit., p. 123. 18 G. Mombello, I Manoscritti, op. cit., p. 148. Il ne peut pas être identifié avec les manuscrits sur parchemin : BnF, lat. 7877 et 7878. Quant au ms. sur papier Paris, BnF, lat. 8168, provenant de la collection du cardinal Mazarin, on ne dispose pas d’informations suffisantes pour supposer une possible identification avec le témoin en question. 19 G. Mombello, I Manoscritti, op. cit., p. 147. 20 Cf. Ibid., p. 148. Cf. M. A. de Boislisle, « Inventaire des bijoux […] de Montpensier », art. cit., p 308. Cf. A.-M. Chazaud, Les enseignements d’Anne de France, op. cit., p. 217 et 225.

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mauvaise, couvert de cuyr blanc, livre en papier, plus petit21). Un imprimé d’un ouvrage de Pétrarque, dont le contenu n’est pas connu et qui constitue évidemment une acquisition plus récente, est mentionné seulement dans l’inventaire de 1507 (no 279 – Ung autre livre appellé Patrarque, en impression, couvert de cuyr rouge) et ne semblerait pas avoir été transféré à Moulins après cette date22. Quant aux livres conservés à Moulins, qui devinrent la propriété de Charles III de Bourbon-Montpensier en 1505, après son mariage avec Suzanne de Bourbon, l’inventaire dressé en 1523 fait état d’une librairie beaucoup plus riche, qui avait entre-temps été étoffée par un certain nombre d`ouvrages transférés du château comtal au château ducal. Voici la liste des œuvres qui nous intéressent : no 1 – Le livre de Boucasse Des nobles malheureux, du duc de Berry23 (correspondant peut-être au ms. Paris, BnF, fr. 230) ; no 3 – Le livre de Jehan Boucace Des nobles hommes et femmes malheureux, à deux fermans d’argent doré (correspondant, d’après Mombello, au ms. fr. 16995 ou à un exemplaire provenant de Charlotte de Savoie, mère d’Anne de France, décrit comme ung livre de Boucasse, de nobles hommes malheureux, fermé à deux fermouers24) ; no 154 – Le livre de Dante ; no 171 – Le livre de Bocace De nobles hommes malheureux (correspondant peut-être au ms. Paris, BnF, fr. 230) ; no 172 – Le livre de Jehan Bocace Des nobles femmes malereuses (identifié par Mombello avec le ms. Paris, BnF, fr. 598) ; no 243 – Le livre de Dante, en molle, en papier ; no 283 – Le livre de Theseus, en papier, à la main25 ; no 304 – Le premier volume nommé Cameron autrement dit les cent nouvelles fait par Bocace de Certalde, en papier, à la main. Si l’inventaire est plus renseigné quant à la présence d’ouvrages de Boccace et un peu moins détaillé sur la présence d’œuvres de Dante, à propos de Pétrarque il ne rapporte aucune information utile ; et pourtant, d’autres sources nous informent que, autour de 1523, un recueil sur vélin couvert de velours cramoisi, commençant par les adaptations en français des Six Triomphes de Pétrarque par Jean Robertet, devait bien circuler à la cour du Connétable de Bourbon qui posséda peut-être ce volume.

21 M. A. de Boislisle, « Inventaire des bijoux […] de Montpensier », art. cit., p. 302 ; A.-J.-V. Le Roux de Lincy, Catalogue de la Bibliothèque, op. cit., p. 79. 22 G. Mombello, I Manoscritti, op.  cit., p.  149. Cf. A.-J.-V. Le Roux de Lincy, Catalogue de la Bibliothèque, op. cit., p. 87. 23 D’après G. Mombello, ce codex ne peut pas correspondre au ms. BnF, fr. 227 comme il fut proposé par A.-M. Chazaud, car ce codex fut confectionné non pas par le duc de Berry mais par Jeanne de France, première épouse du duc Jean II de Bourbon. Pour plus d’informations par rapport à ce probable lapsus calami de la part du rédacteur de l’inventaire voir G. Mombello, I Manoscritti, op. cit., p. 150-151. 24 G. Mombello, I Manoscritti, op. cit., p. 151 et 169. 25 Ce manuscrit ne peut pas correspondre à l’exemplaire sur parchemin Chantilly, Musée Condé, 601, passé en 1476 de la librairie de Jacques de Nemours à celle de Pierre de Beaujeu, futur duc de Bourbon. Voir pour plus de détails G. Mombello, I Manoscritti, op. cit., p. 153.

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Identifié avec l’exemplaire Paris, BnF, fr. 24461, ce codex couvert de velours cramoisi contient les huitains de Robertet père figurant sous les dessins préparatoires de panneaux de tapisserie représentant les Triumphi, qui devaient fort probablement être réalisés pour le château de Moulins26. L’exemplaire en question fut sans doute commandité par François Robertet, fils de Jean, qui lui succéda dans la charge de secrétaire des ducs de Bourbon, puisqu’on reconnait son écriture. Comme son père, François Robertet était également l’auteur d’adaptations en rondeaux du poème pétrarquien, tout comme Jean Molinet. Les deux adaptations sont toutefois destinées à une moindre fortune que celle du secrétaire de Jean II de Bourbon et de Louis XI, si l’on considère le nombre de tapisseries qui arborent les vers de Jean Robertet, aujourd’hui conservées en Angleterre et aux Pays Bas27. Par-delà la question concernant l’origine de ce volume, à savoir s’il a pu appartenir en premier lieu à François Robertet avant de revenir au Connétable Charles III ou plutôt s’il a été commandité par Robertet pour en faire don à son maître28, son absence dans la bibliothèque de Moulins nous permet de formuler une hypothèse à ne pas écarter trop rapidement. Il est possible que ce codex ait pu faire partie d’un

26 Pour une étude générale sur les différentes tapisseries reproduisant les Triumphi, voir Adolfo Salvatore Cavallo, Medieval Tapestries in The Metropolitan Museum of Art, New York, Metropolitan Museum of Art, 1993 aussi bien que Guy Delmarcel, La tapisserie flamande du xve au xviiie siècle, Paris, Imprimerie nationale, 1999. 27 Pour une liste exhaustive voir surtout Claude Albert Mayer, Dana Bentley-Cranch, « François Robertet : French sixteenth-century civil servant, poet, and artist », Renaissance Studies, t. XI, 3, 1997, p. 210-211. 28 Cf. Florence Buttay-Jutier, Fortuna. Usages politiques d’une allégorie morale à la Renaissance, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2008, p. 330. On a cru que ce livre avait pu appartenir à Charles III de Bourbon-Montpensier en raison de la présence d’un portrait du Connétable au f. 139r. Sur la présence de ce portrait se fonde d’ailleurs l’hypothèse d’attribution formulée par Le Roux de Lincy (Antoine-Jean-Victor Le Roux de Lincy, Catalogue de la Bibliothèque des ducs de Bourbon en 1507 et en 1523, précédé d’une notice sur les anciens seigneurs de ce noms, Paris, Crapelet, 1850, p. 89 ; Anne-Marie Lecoq, François Ier. Imaginaire symbolique et politique à l’aube de la Renaissance française, Paris, Macula, 1987, p. 217). On constate également que les armes des Robertet figurent au f. 115 du manuscrit en question. Sa confection remonterait à 1500-1505 et il semblerait avoir été commandité à la même occasion que l’exemplaire Paris, Arsenal 5066, contenant également les dessins des triomphes et les vers de Jean Robertet (cf. F. Buttay-Jutier, Fortuna, op. cit., p. 330-332). Ces deux témoins sont connus pour contenir l’une des premières illustrations des Triumphi de Pétrarque. Le codex de la BnF est connu comme « le plus beau et le plus complet » (F. Buttay-Jutier, Fortuna, op. cit., p. 325). Il est peut-être utile de rappeler que, dans sa bibliothèque de Chantilly, le Grand Condé possédait en 1654 deux manuscrits des Triumphi de Pétrarque. Le premier manuscrit figure sous le titre les triomphes de maistre François Pétrarque, fol, manuscrit sur du papier (peut-être le ms. Musée Condé 510 [635] qui contient aux f. 12r-13r Les six triomphes de Pétrarque de Jean Robertet ; ce manuscrit a dû être exécuté entre 1535 et 1540 pour le connétable Anne de Montmorency. L’autre codex possédé par le Grand Condé avait pour titre le triomphe Petrarque, 4o, manuscrits sur vélin ; or cet exemplaire pourrait correspondre au ms. Musée Condé 600 (1322), retrouvé à Séville en 1856 par le duc de Montpensier, il fut offert par celui-ci à son frère le duc d’Aumale (†1879) ; cf. Elizabeth Pellegrin, Manuscrits de Pétrarque dans les bibliothèques de France, Padoue, Antenore, 1966, p. 314.

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groupe de manuscrits qui ne se trouvait pas au château ducal au moment de la saisie des biens du Connétable, car il ne figure pas dans l’inventaire dressé à Moulins en 1523, ni dans les inventaires de la librairie du château d’Aigueperse de 1474 et 1507. Malheureusement, nous ne disposons pas des instruments nécessaires nous permettant de reconstituer l’histoire moins récente de ce codex. Nous savons, toutefois, que le Connétable possédait au moins deux autres librairies : l’une se trouvait dans l’hôtel parisien de sa famille29 et l’autre dans son château d’Aigueperse (dont l’inventaire de 1507 fait état d’une librairie qui, peu de temps après, sera dispersée30). Combien de livres se trouvant dans ces deux résidences furent concernés par la saisie de 1523, entrant ainsi dans la collection des Angoulême ? Rien ne permet de le savoir avec certitude31. Il apparaît, en revanche, « qu’un peu moins de la moitié des volumes furent finalement prélevés32 », d’où l’absence gênante de « livres pétrarquiens » qui nous intéressent. On remarque toutefois que le silence des inventaires du xve siècle quant à la présence d’ouvrages en italien de Pétrarque à Moulins ou à Aigueperse se heurte à la fréquentation que certains personnages gravitant autour des ducs de Bourbons avaient de son poème allégorique, les Triumphi. La Collégiale de Notre-Dame de Montbrison : l’espace d’un réseau d’Italianisants ? On a déjà évoqué le nom des deux Robertet, Jean33 et François34, connus pour avoir été parmi les premiers à adapter en français – respectivement en huitains et en ron29 AN, P 13631. Cf. Simone Roux, «  Résidences princières parisiennes : l’exemple de l’hôtel de Bourbon, fin xive-milieu xve siècle », dans Fürstliche Residenzen im spätmittelalterlichen Europa, éd. par H. Patze et W. Paravicini, Sigmaringen, Thorbecke. 1991, p. 75-103, en particulier 91. 30 M.-P. Laffitte, « Les ducs de Bourbon et leurs livres d’après les inventaires », art. cit., p. 172, n. 18. 31 E. Quentin-Bauchart, La Bibliothèque de Fontainebleau, op.  cit., p.  12-13. Quentin-Bauchart signale que 76 manuscrits ont été identifiés par L. Delisle à la Bibliothèque nationale de France comme ayant appartenu aux anciens ducs de Bourbon. 32 M. Hermant, « Les livres des Bourbons », art. cit., p. 181. 33 Jean Robertet fut au service du duc Jean II de Bourbon en tant que premier secrétaire à partir de 1461, avant de passer au service du roi Louis XI, dont il fut premier greffier de l’ordre de SaintMichel à partir de 1469 jusqu’au moment où l’office passa à son fils Florimond (Paris, BnF, fr. 22299, f. 28 ; Paris, BnF, Pièces Originales 2501, no 95, 3e registre 1465-76 ; Cf. Margaret Zsuppán, « Jean Robertet’s Life and Career : a reassessment », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 31, 1969, p. 333-342, en particulier p. 335). Ses qualités littéraires étaient reconnues à la cour des Bourbons, bien plus qu’elles ne le seront à la cour de Louis XI, que Robertet rencontra la première fois en 1463 à l’occasion d’une mission diplomatique pour le compte de son seigneur, Jean II de Bourbon (cf. Jean Robertet, Œuvres, éd. par M. Zsuppán, Genève, Droz, 1970, p. 10). À la fin des années 1460, Louis XI nomma Robertet notaire et secrétaire du Roi, lui conférant ainsi un rôle d’intermédiaire auprès des Bourbons (cf. M. Zsuppán, « Jean Robertet’s Life and Career », art. cit., p. 337-338 ; Olivier Mattéoni, Un prince face à Louis XI. Paris, Presses Universitaires de France., 2012, p. 76, n. 1). 34 François Robertet fut secrétaire et bibliothécaire du seigneur et de la dame de Beaujeu à partir de 1492. Trésorier général du Bourbonnais en 1494, il devint quelques années plus tard secrétaire du

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deaux – les Triumphi de Pétrarque35. On peut ajouter que ces adaptations étaient proches d’un point de vue chronologique de la plus ancienne traduction française de ce texte, qui est une mise en prose attribuée à un poète bourbonnais nommé Georges de la Forge36. Si presque rien n’est connu à propos de ce traducteur, les Robertet ont déjà fait l’objet de plusieurs études37. Ces officiers ducaux et royaux, originaires de Montbrison, furent au service des ducs de Bourbon et des rois de France depuis le temps de Jean II Robertet. Secrétaire du duc Jean II de Bourbon avant de passer au service du roi Louis XI, Jean Robertet était un humaniste ayant perfectionné sa formation juridique en Italie38, mais aussi un poète estimé par ses contemporains, indubitablement un « témoin actif » de la lumière venant d’Italie qui commençait à transformer « la vie intellectuelle de la France39 ». Rhétoriqueur de premier plan à la cour de Moulins, Jean Robertet fut aussi l’un des premiers à composer des rondeaux, des ballades et des épîtres faisant preuve d’une sensibilité pour « cette nouvelle beauté païenne que magnifiaient les poètes et les artistes italiens40 ». Ces mérites devaient même lui valoir d’être défini Tresor du Bourbonnois par Georges Chastellain dans l’une des enseignes des Douze dames de Rhétorique41.

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roi Louis XII ; cf. C. A. Mayer, D. Bentley-Cranch, « François […] and artist », art. cit., p. 208. Cf. C. Longeon, Une province française, op. cit., p. 380. Fort probablement destinées à orner des tapisseries à Moulins, ces réductions en huitains et en rondeaux sont comptées parmi les premières attestations de la diffusion de l’œuvre vernaculaire de Pétrarque en France, plus particulièrement de son poème allégorique en terza rima. Cf. supra n. 4. La datation de cette première mise en français du poème, qui est une mise en prose, peut être fixée d’après E. Suomela-Härmä aux trente dernières annnées du xve siècle ; toutefois, d’après l’étude des témoins, un certain nombre de données codicologiques nous suggèrent de considérer comme plus probable la période 1470-1480 ; voir Elina Suomela-Härmä, « Note sulla prima traduzione francese dei ‘Trionfi’ di Petrarca  », Studi Francesi, t. CXXIX, 1999, p.  545-553, 546 et 553 ; Suomela-Härmä Elina Suomela-Härmä, « ‘Les heures, les ans vollent et passent treslegierement les jours et les moys’. Sur les premières traductions françaises des Triomphes de Pétrarque » dans Il Tempo, i tempi : omaggio a Lorenzo Renzi, éd. par R. Brusegan e M. A. Cortelazzo, Padoue, Esedra, 199, p. 265-277 ; G. Parussa, E. Suomela-Härmä, « Le triomphe des Triomphes… », art. cit., p. 283-310 ; pour l’étude codicologique des témoins voir A. Turbil, Pétrarquiser, op. cit., ch. II. Depuis Jean I Robertet, clerc de notaire à Montbrison en 1406, (cf. Paris, AN, O 494, n. 1286.) jusqu’à Florimond Robertet, trésorier de France en 1508, les membres de cette famille issue de la bourgeoisie de Montbrison devaient s’élever à des postes importants dans l’administration des Bourbons et du royaume de France ; cf. C. Longeon, Une province française, op. cit., p. 263 ; Cf. Margaret Zsuppán (éd.), J. Robertet, Œuvres. Genève, Droz, 1970, p. 179-186 ; C. A. Mayer, D. Bentley-Cranch, « François […] and artist », art. cit., p. 208-222. Le séjour italien de Robertet a été situé récemment par O. Mattéoni autour de 1450. Cf. O. Mattéoni, Servir le Prince, op. cit., p. 447. Cl. Longeon, Une province française, op. cit., p. 264. Cf. M. Zsuppán, J. Robertet, Œuvres, op. cit., p. 179-186. Ibid., 264. Voir à ce propos George Chastelain, Jean Robertet et Jean de Montferrant, Les Douze Dames de Rhétorique, éd. par D. Cowling. Genève, Droz, 2002, p. 123.

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Les réductions en huitains du poème pétrarquien dont il fut l’auteur vers 147642, furent élaborées sur le modèle de certains distiques latins anonymes qui circulaient à l’époque de façon autonome par rapport au texte des Triumphi, permettant de résumer l’enseignement de chaque triomphe (Triumphus Cupidinis, Triumphus Pudicitiæ, Triumphus Mortis, Triumphus Famæ, Triumphus Temporis, Triumphus Eternitatis43). Même si Jean Robertet s’est inspiré apparemment beaucoup plus de ces distiques latins que du texte pétrarquien44pour ses adaptations en français des Triumphi, il fait preuve, dans sa Complainte sur la mort de maistre Georges Chastellain, d’une connaissance du poème bien plus approfondie que celle de Regnaud le Queux, auteur de l’Exclamacion en la mort de Marie d’Anjou, composée en 1463, dans laquelle les Triumphi avaient déjà été cités45. L’hypothèse que Robertet ait pu connaître cette composition avant la rédaction de la Complainte pour Chastellain nous semble envisageable. En effet, l’arrivée de manuscrits et d’incunables contenant les œuvres vulgaires de Pétrarque lors de la première Guerre d’Italie (1494-1497) est un phénomène qui a déjà fait l’objet de plusieurs études et on sait maintenant qu’« alcuni manoscritti approdarono per altre vie nelle collezioni di personaggi altolocati, prima e dopo le spedizioni italiane46 ». En outre, surtout pour les domaines bourguignon et bourbonnais, des recherches récentes sur les lectures de la noblesse et sur la composition des différentes librairies permettent de fonder l’analyse sur des données plus abondantes et plus précises que celles disponibles dans les années soixante47. De plus, l’intérêt 42 G. Bianciotto, Le Roman de Troyle, op. cit., p. 20. 43 Cf. Cl. Longeon, Une province française, op. cit., p. 380. 44 Cf. Paris, Bnf, fr. 24461, f. 2v-7r. Voir Zsuppán, J. Robertet, Œuvres, op. cit., p. 179-186 ; le même texte se trouve également dans les mss. Paris, BnF, fr. 1717 et naf. 10262. 45 Paris, BnF, fr. 1642, v. 345-459 : Fame est sur toy triumphante monarque/ Qui fait tous vis les enfeblis revivre/ Et tu n’en sces ce qu’en chante Petrarque/ Si va tourner les fueilletz de son livre/ De Triumphes ou te trouveras yvr / Considere que tu mors toutes choses/ Tant animaulx arbustes fleurs que roses/ Et elle te tient le pié sur la gorge […]. Cf. Gabriel Bianciotto, Le Roman de Troyle, t. I, Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 1994, p. 29, n. 50. 46 Gabriella Parussa, « I Trionfi di Petrarca tra l’Italia e la Francia : le metamorfosi di un testo », dans Atti VII congresso degli Italianisti Scandinavi, éd. par E. Garavelli, E. Suomela-Härmä, Helsinki, Mémoires de la Société Néophilologique de Helsinki, 2005, p.  71-87, en particulier p. 73. 47 Pour le domaine Bourguignon : Patrick M. de Winter, La bibliothèque de Philippe Le Hardi, duc de Bourgogne, 1364-1404 : étude sur les manuscrits à peintures d’une collection princière à l’époque du style gothique international, Paris, Éditions du CNRS, 1985 ; Hanno Wijsman, « La librairie des ducs de Bourgogne et les bibliothèques de la noblesse dans les Pays-Bas (1400-1550) », dans La Librairie des ducs de Bourgogne : manuscrits conservés à la Bibliothèque Royale de Belgique, éd. par B. Bousmanne, T. Van Hemelryck et C. Van Hoorebeeck, t. 2 [Textes didactiques], Turnhout, Brepols, 2003 p. 19-38 ; Céline Van Hoorebeeck, « Les librairies des fonctionnaires bourguignons : le cas des livres de Martin Steenberch, secrétaire ducal (†1491) » dans Du métier des armes à la vie de cour, de la forteresse au château de séjour : familles et demeures aux xive-xvie siècles, éd. par J.-M.

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manifesté pour les ouvrages de Boccace et de Pétrarque portant sur des questions historiques et morales est parfaitement compatible avec la passion pour l’histoire ancienne qui avait pris de l’ampleur au cours des années 1440-1460 au sein de certains milieux culturels qui étaient en train de renouveler leurs fonds historiographiques48. Cette attitude culturelle est témoignée aussi par Jean Robertet, selon laquelle Pétrarque était avant tout celui qui d’hystoires reciter fut monarque – pour citer l’un des vers de la Complainte –, car il possédait, seul, et au plus haut point, une compétence dans l’histoire des hommes illustres du passé (maint homme de renom49). Si dans son adaptation en huitains l’auteur ne retint que les idées morales des Triumphi, cet ouvrage lui fournit aussi les noms des poètes, des philosophes et des orateurs illustres mentionnés dans le Triumphus Famæ, « ainsi que les thèmes, encore inexploités en France, de l’immortalité poétique et de l’inspiration divine50 ». À propos de ce dernier thème, dans la Complainte Robertet cache des citations tirées de Boccace et de Pétrarque, ainsi que de Tite Live et de Justin51. Or, même si selon Margaret Zsuppán, Robertet eut l’occasion de lire le De casibus illustrium virorum (peut-être dans la version de Laurent de Premierfait), le De claris mulieribus et la Genealogiæ deorum gentilium – trois ouvrages de Boccace attestés dans la collection des Bourbons au tournant du xvie siècle –, aucune de ces sources n’est, à son avis, plus importante que les Triumphi de Pétrarque, dont on a vu qu’aucune trace ne figure dans les inventaires52.

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Cauchies et J. Guisset. Turnhout, Brepols, 2005, p. 241-247 ; Céline Van Hoorebeeck « Item, ung petit livre en franchois : La littérature française dans les librairies des fonctionnaires des ducs de Bourgogne », Le Moyen Français, t. LVII-LVIII, p. 381-413. Pour le domaine bourbonnais : O. Mattéoni, Servir le Prince, op. cit. ; Simone Roux, « Résidences princières parisiennes », art. cit. ; Marie-Pierre Laffitte, « Les ducs de Bourbon », art. cit. ; O. Mattéoni, Un prince, op. cit. ; M. Hermant, « Les livres des Bourbons », art. cit. ; C. Longeon, Une province française, op. cit. O. Mattéoni, Servir le Prince, op.  cit., p.  123. Par rapport aux milieux culturels en train de renouveler le fond historiographique ancien voir Frédéric Duval, La traduction du ‘Romuleon’ par Sébastien Mamerot. Étude sur la diffusion de l’histoire romaine en langue vernaculaire à la fin du Moyen Âge, Genève, Droz, 2001, p. 241. Cet appellatif pourrait bien se référer au milieu universitaire. Voir à ce propos Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) : monarque, subst. masc. [T-L : monarche1 ; GDC : monarque ; FEW VI-3, 71b : monarchia ; TLF XI, 991a : monarque]. Au fig. : « Celui qui possède seul et au plus haut point une compétence, celui qui est souverain en qqc. » Cl. Longeon, Une province française, op. cit., p. 380. Le texte se trouve dans le manuscrit Paris, BnF, fr. 24461, f. 2v-7r ; le même texte se trouve également dans les mss. Paris, BnF, fr. 1717 et n.a.f. 10262. Margaret Zsuppán, «  An early exmple of the renaissance themes of immortality and divine inspiration: the work of Jean Robertet », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. XXVIII, 3, 1966, p. 553-563, en particulier p. 558. M. Zsuppán, J. Robertet, Œuvres, op. cit., p. 74. La rime monarque : Pétrarque est déjà attesté une fois dans l’Exclamacion en la mors pour Marie d’Anjou de Regnaud le Queux évoquée plus haut.

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Il suffit de lire les vers suivants, tirés de la Complainte, pour s’apercevoir de l’influence “directe” exercée par le texte pétrarquien sur le rhétoriqueur Jean Robertet autour de 1476 : Demostenes il alla conduisant Et Eschines de vertu reluisant Solon d’Athenes et les Saiges de Grece, Varron, romain, de langaige cuisant53 Les vicieux rudement accusant Louant les bons chascun en son espece Les chevalliers de force et de prouesse Selon son cas à chascun donnant tiltre Comme il appert par mainte sienne epistre. […] Plus curieux que Dicerarque54, et meur Comme ung Cathon où il n’a riens d’obscur […] J’ay regardé es Triumphes Petrarque Qui d’hystoires reciter fut monarque Où j’ay trouvé maint homme de renom […] Georges peult bien estre loué de mesme55.

Les vers 287-290, en particulier, contiennent la mention de personnages figurant dans la même séquence aux vers 22-36 de Triumphus Famæ II, tandis qu’au vers 306, le personnage de Dicéarque, qualifié de curieux,  correspond à la description que Pétrarque en fait au vers 88 du même chapitre des Triumphi. Un dernier élément renforce cette hypothèse. Comme on le sait, Jean Robertet fut inhumé en 1502 ou, au plus tard, au début de 1503, dans la Collégiale de NotreDame, où son épitaphe est encore lisible aujourd’hui dans la chapelle Saint-Michel, qu’il avait fait construire vers 149056. La Collégiale de Montbrison avait fait l’objet d’un intérêt particulier de la part des ducs de Bourbons depuis sa fondation57 et l’attachement que le maître de Jean Robertet, le duc Jean II de Bourbon, nourris-

53 Voir Francesco Petrarca, Trionfi, Rime estravaganti, Codice degli abbozzi, éd. par V. Pacca et L. Paolino, Milan, Mondadori, 1996. TF II, 22-36. 54 Voir F. Petrarca, Trionfi, op. cit. . TF II, 88 : « Ivi era il curioso Dicearco ». 55 M. Zsuppán, J. Robertet, Œuvres, op. cit., p. 171-174 (voir les v. 278-331). 56 Ibid., p. 111, n. 4. Margaret Zsuppán estime que le décès de Jean Robertet doit se situer entre 1502 et le 3 mai 1503, date à laquelle Jean Molinet évoque la mort du père de Florimond Robertet dans une dans épîtres destinées à ce dernier (Paris, BnF, Pièces Originales 2501, dossier Robertet, no XCIII et XCVI ; cf. Harsgor 1980, 2104). Le souhait de Jean Robertet de consacrer sa chapelle à saint Michel s’explique fort probablement par la charge, qui lui fut confiée par Louis XI, de premier greffier de l’ordre royal de Saint-Michel. 57 O. Mattéoni, Un prince, op. cit., p. 172 et 175.

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sait pour cette institution religieuse demeura grand pendant toute sa vie58. Or, les Robertet semblent se situer au centre d’un réseau de relations qui mérite d’être mieux étudié et qui semble avoir comme centre névralgique cette institution religieuse59. En particulier, on a pu identifier trois personnages qui, autour des années 1460, étaient engagés dans plusieurs activités liées à la Collégiale de Notre-Dame de Montbrison en tant que membres du Chapitre, et dont le nom de famille a attiré immédiatement notre attention : un chantre nommé Louis de la Vernade, un sacristain nommé Jacques Robertet et encore un chanoine nommé Florimond de la Forge, seigneur de Genétines60. Pour ce qui est de Louis de la Vernade, celui-ci fut docteur ès droit et protonotaire apostolique, chantre et puis doyen de la Collégiale de Montbrison. Nous savons qu’il décéda le 30 janvier 1499 et qu’il fit édifier l’ancienne chapelle SainteCatherine et Saint-Roch à la fin du xve siècle61. Ses réseaux familiaux le reliaient à la cour des Bourbons, où son père avait exercé l’office de conseiller et de chancelier du Bourbonnais entre 1467 et 1473. Lettré distingué, Louis de la Vernade père possédait un exemplaire de la Commedia qui lui fut offert en 1453 par Jean II de Bourbon, lorsqu’il était encore comte de Clermont62. Ce manuscrit est conservé aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France sous la cote Italien 1470. Cette donnée est un indice important pour témoigner de la présence, chez les Bourbons, d’un manus58 Cf. Ibid., p. 176-177. 59 L’importance et le rôle joué par la Collégiale nous paraît confirmé par le fait que Jacques de Vitry, chancelier de Bourbonnais, fut aussi doyen du Chapitre de Notre-Dame de Montbrison. Cf. C. Longeon, Une province française, op. cit., p. 264. 60 Voir François Renon, Chronique de Notre-Dame d’Espérance de Montbrison. Roanne, A. Farine, 1847, p. 146. À cette époque, les membres du Chapitre étaient : Étienne Gon, doyen ; Louis de la Vernade, chantre ; Jacques Robertet, sacristain ; Henry de Changy, maître de chœur ; Guillaume de Vinolz ; Florimond de La Forge, seigneur de Genétines (fondateur d’une chapelle dédiée à Saint-Antoine) ; Ennemond Baronat ; Antoine Bretonneau ; Pierre Rapail ; Maurice de Vanes ; Jean Gardin ; et enfin Jean Rabineau (juge et auditeur des testaments du comté de Forez). 61 Archives départementales de la Loire. Archives de l’Architecte des Monuments Historiques 1111VT129/76 Monument funéraire de Jean Robertet, en pierre et en marbre (vers 1500-1510) ; Gilbert Gardes (éd. par), Grande encyclopédie du Forez et des monuments de la Loire. Montbrison et sa région. Horvath, Le coteau, 1985. Cf. F. Renon, Chronique de Notre-Dame, op. cit. ; Claude Latta, L’église Notre-Dame d’Espérance de Montbrison, Montbrison, Village de Forez, 1986, p. 48 ; Christophe Mathevot, Salle Héraldique de la Diana, Montbrison, la Diana, Société Historique et Archéologique du Forez, 2004, p. 32. 62 Cf. G. Mombello, I Manoscritti, op. cit., p. 152, n. 327 ; C. Longeon, Une province française, op. cit., p. 263. Voici l’ex-libris au f. 90r : Iste liber est domini Johannis de Bourbonnio comitis Clarimontis. Et encore, suivi d’une autre main, on lit : Et preffatus dominus meus comes ipsum librum dedit mihi Ludovico de La Vernade, militi et presidenti forensi Turonis in mense aprilis, anno domini MCCCCLIII ante Pascha. Le manuscrit a par la suite appartenu à la famille de Villequier (f. 1r : à mon tres honnouré filz André, sieur de Vilequier), ainsi qu’à Jean Debue (f. 66v : Jehan Debue), avant d’intégrer les collections de la bibliothèque du Collège de Navarre (ancienne cote : Navarre 42), pour entrer enfin à la Bibliothèque nationale de France au cours de la période révolutionnaire.

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crit italien de l’une des Trois Couronnes ; jamais attesté dans les collections ducale et comtale de cette famille, cet exemplaire devait appartenir à l’un de ses membres vers la moitié du siècle. Pour ce qui est du second personnage de la liste, le sacristain Jacques Robertet, celui-ci est fort probablement l’un des frères de Jean, puisqu’il est désigné comme «  oncle et parrain du sacristain de ce nom [ Jacques Robertet], qui fut depuis évêque d’Alby63 ». Ce Jacques Robertet évêque d’Albi, qui avait été chanoine et sacristain à Montbrison en 1483 et qui fut défini par Symphorien Champier comme litterarum amantissimus64, n’est autre que le fils de Jean II Robertet, secrétaire de Jean  II de Bourbon et de Louis  XI. Lui aussi prénommé Jacques, il fut nommé au diocèse d’Albi en 1515, raison pour laquelle on trouve les armes des Robertet aussi bien sculptées dans l’église Notre-Dame de Montbrison que peintes en maints endroits dans la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi65. Il semblerait aussi qu’un Pierre Robertet, frère de Jean, ait endossé au xve siècle la charge de maître de chœur dans l’église de Montbrison et de chanoine dans la cathédrale du Puy66. Pour ce qui est du dernier personnage de cette liste, Florimond de la Forge, seigneur de Genétines, il était un chanoine de la Collégiale de Montbrison appartenant à une famille de toute récente élévation. La seigneurie de Genétines, petite localité située dans le Forez à 10 km de Moulins, fut vendue en 1455 par Robert de la Merlée, un gentilhomme de Noirétable, « à Guillaume de la Forge, notaire de Cervière, lequel acquitta 46 écus au duc-comte pour quint denier et amortissement du fief67 ». Si Jean-Marie de La Mure attribue la fondation de la chapelle en l’honneur de Saint-Antoine et Saint Claude à Jean Manillier, bourgeois de Montbrison, Gabriel Brassart attribue la fondation de la prébende de Saint-Antoine à un certain Jean de

63 F. Renon, Chronique de Notre-Dame, op. cit., p. 146. 64 C. Longeon, Une province française, op. cit., p. 265. 65 Avant de devenir évêque d’Albi, il fut encore prieur de Saint-Rambert-en-Forez et chanoine à Notre-Dame de Paris et à Saint-Paul de Lyon, outre que protonotaire du Saint-Siège. Cf. Claude Le Laboureur, Les mazures de l’abbaye royale de l’Isle-Barbe lez Lyon, t. I, Paris, J. Couterot, 1681, p.  503-504 ; Louis-Pierre, Répertoire héraldique ou Armoriai général du Forez. Paris, BachelinDeflorenne, 1874, p.  225 ; Albert de Remacle, Dictionnaire des fiefs de la Basse-Auvergne, t.  I, Clermont-Ferrand, Imprimerie de Bussac, 1941-1943, col. 880. 66 Charles Malo Quincarnon, La fondation et les antiquités de la basilique collégiale, canoniale et curiale de St-Paul de Lyon, Louis Perrin, 1846, p. 71 ; F. Renon, Chronique de Notre-Dame, op. cit., p. 577. 67 Edourard Perroy, Les familles nobles du Forez au xiiie siècle : essais de filiation, t. I, Saint-Étienne, Centre d’études foréziennes, 1976, p.  361. D’autres informations à propos des seigneurs de Genétines se trouvent dans Borel D’Hauterive 1846, 192-195. Cependant, nous avons pu constater que parfois les sources sont en contradiction flagrante par rapport à l’histoire de cette famille dans la seconde moitié du xve siècle. Des recherches plus poussées seront donc nécessaires pour corriger ces incohérences.

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la Forge, chanoine sacristain dans les années 1370, ce qui témoignerait de l’existence d’un lien durable entre cette famille et la Collégiale68. Bien qu’il soit difficile de se renseigner sur les réseaux sociaux des de la Forge, la Chronique de Notre-Damed’Espérance témoigne qu’au seigneur de Genétines revenait un rôle d’une certaine importance à l’intérieur du Chapitre mais aussi, pour ainsi dire, à l’extérieur, ce qui est souligné par une anecdote remontant à 1478 ou 147969. En effet, cette source relate que lorsque Jean II de Bourbon « vint à Montbrison pour l’assemblée des trois états », il logea non pas au château comtal, comme l’on pouvait s’y attendre, mais bien « au cloître » et plus précisément « dans l’hôtel de messire Florimond de La Forge, chanoine » et seigneur de Genétines70. Ce duc étant un bibliophile et un amateur d’art particulièrement généreux, qui comblait de faveurs les savants et les poètes qui fréquentaient sa cour71, nous serions tentés d’imaginer que cette rencontre, ainsi que les liens unissant ce Florimond de La Forge avec les Robertet, ne soient pas dépourvus d’intérêt, car ils se situent à l’époque où la plus ancienne traduction des Triumphi, attribuée à un certain Georges de la Forge, poète bourbonnais, a vu le jour72. L’hypothèse selon laquelle ce poète bourbonnais pourrait être l’un des poètes, des clercs ou des officiers gravitant autour de la figure de Jean II de Bourbon, serait donc moins invraisemblable73. Malheureusement, à l’état actuel, 68 F. Renon, Chronique de Notre-Dame, op.  cit., p.  156. Cf. Jean-Marie de La Mure, Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, en forme d’annales, sur preuves authentiques, Paris, Potier, 1860-1869, t.  2, p.  214 ; Gabriel Brassart, Le «  Vieux Clocher  » de Notre-Dame-d’Espérance à Montbrison, Montbrison, impr. Eleuthère Brassart, 1926. 69 F. Renon, Chronique de Notre-Dame, op. cit., p. 149. Cf. J.-M. de La Mure, Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, op. cit., p. 316. 70 F. Renon, Chronique de Notre-Dame, op. cit., p. 149. 71 Parmi les quelques personnages passés par Moulins au temps des ducs Jean  II et Pierre  II de Bourbon on peut rappeler Philippe de Commynes, François Villon, Jean Lemaire de Belges, Henri Baude et Symphorien Champier. Cf. C. Longeon, Une province française, op. cit., p. 264. 72 Les plus anciens témoins sur papier de cette première traduction du poème, à savoir les mss Paris, BnF, fr 1119 et Naf 10867, sont tous les deux datables aux années 1470. Le plus ancien témoin sur parchemin arrivé jusqu’à nous, à savoir l’exemplaire Munich, BSB, Gall. 14, a été daté au début des années 1490 ou peu avant. 73 Après l’étude pionnière d’Ilya Nikolaevich Golenishchev-Kutuzov, parue en 1934, ce n’est qu’occasionnellement que la critique s’est interrogée à propos de l’attribution de la plus ancienne traduction des Triumphi à un poète bourbonnais, Georges de la Forge. La note qui fait mention du nom de l’auteur de cette mise en prose se trouve dans le ms. Arsenal 3068. À propos de ce témoin, Golenishchev-Kutuzov a signalé qu’un titre très proche de l’annotation contenue dans l’exemplaire de l’Arsenal devait figurer aussi dans l’un des manuscrits du Château d’Anet catalogués en 1724, aujourd’hui perdu, où l’on pouvait lire : « 89. Les Triomphes de Petrarque translatez en prose de langue toscane, par Georges de la Forge, Bourbonois, avec les Complaintes d’Alain Chartier, in-folio, Ms. sur vélin, dans lequel se trouve une miniature de la grandeur du volume, qui est d’une très grande beauté. » Le savant russe se demandait donc très opportunément si le Marquis de Paulmy ou l’un de ses bibliothécaires, ne s’en était pas inspiré au moment de rédiger la note du manuscrit de l’Arsenal. Orné d’une miniature en pleine page, l’exemplaire du

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cette hypothèse ne peut être confirmée ; seules des recherches dans les archives pourront fournir des informations plus précises à propos de la famille de La Forge qui fut titulaire de la seigneurie de Genétines en Forez74. Même si nous ignorons encore tout détail à propos de ce poète bourbonnais – auquel une note manuscrite dans le ms. Arsenal 3086 attribue la première mise en français des Triumphi75 –, la présence d’une famille de La Forge dans un milieu proche de la famille Robertet, de la famille de la Vernade et du duc de Bourbon ne semblerait pas anodine. Peut-être ce faisceau de données et de suppositions devrait nous inviter à mieux réfléchir sur une circulation du poème pétrarquien non recensée par les inventaires, ce qui pourrait servir de point de départ pour l’étude de la toute première réception française de l’œuvre vernaculaire de Pétrarque, ainsi que pour mieux établir l’intérêt que les Bourbons portaient à la littérature italienne depuis la fin du Moyen Âge.

Château d’Anet ne peut pas être confondu avec l’exemplaire de l’Arsenal, qui n’est pas décoré et ne conserve pas non plus l’œuvre d’Alain Chartier ; de plus, il ne correspond à aucun des autres manuscrits répertoriés par E. Pellegrin, l’exemplaire de Munich étant orné d’une miniature en pleine page mais dépourvu des Complaintes ainsi que de la mention à Georges de la Forge dans le titre. Cf. Ernest Quentin-Bauchart, Les femmes bibliophiles de France (xvie, xviie, & xviiie siècles), t. 1. Paris, Morgand, 1886, p. 346 no 89 ; Ilya Nikolaevich Golenishchev-Kutuzov, « La première traduction des Triomphes de Pétrarque en France », dans Melanges de philologie, d’histoire et de littérature offerts à Henri Hauvette, Paris, Les presses Françaises, 1934, p. 107-112 ; F. Simone, Il Rinascimento francese, op. cit. ; E. Pellegrin, Manuscrits de Pétrarque, op. cit. 74 Nous transcrivons ici les références présentes dans l’étude de E. Perroy sur la seigneurie de Genétines (E. Perroy, Les familles nobles, op. cit., p. 361) : « Chartes du Forez, nos 231, 431, 506, 520, 547, 621, 657, 741, 830, 903, p. 4-75 (sic), 906 p. 39 et 43, 1197 p. 4-18 ; t. XIX, p. 207, 212, 228 ; Testaments foréziens, no 8 ; Bibl. nat. ms. lat. 10034, f. 7, 10, 12, 17 ; Arch. Loire, B 1837, f. 69v ; B 1853, f. 109 ; B 1855, f. 49 ; B 1857, f. 123v ; B 1861, f. 97 ; B 1862, f. 87v et 92v ; B 1865, f. 5v ; B 1868, f. 87v ; B 1869, f. 21v ; B 1892, f. 23v ; B 1877, f. 122 ; B 1882, f. 12v ; B 1883, f. 149 ; B 1903, f. 24 ; B 1904, f. 1 ; B 2001, f. 50v ; Arch. Rhône, 4 G 51, f. 90v ; Bibl. Montbrison, ms. 4, f. 67v) ». 75 Il est peut-être significatif de rappeler qu’avant de devenir la propriété de la famille de Condé, le château d’Anet appartenait à la famille de Bourbon-Vendôme, qui depuis 1527 était à la tête de la Maison de Bourbon. L’inventaire des livres appartenus à Marie-Anne de Bourbon-Condé (1678-1718), duchesse de Vendôme par mariage, fut dressé en 1724 au Château d’Anet qui avait appartenu depuis le début du xviie siècle à la maison de Bourbon-Vendôme. Voir E. QuentinBauchart, Les femmes, op. cit., , p. 12, n. 1.

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L’« italianisme bibliophilique » dans le fonds de la Bibliothèque Mazarine Amélie Ferrigno

CESR UMR 7323 Tours - Bibliothèque Mazarine

L’examen du fonds italien de la Bibliothèque Mazarine (plus de 4 000 ouvrages imprimés en langue italienne des débuts de l’imprimerie jusqu’à 16301) a mis en évidence les diverses voies par lesquelles ce corpus s’est constitué, révélant les routes empruntées par le livre italien durant la première modernité et retraçant une chronologie des divers possesseurs français ou italiens. Le collectionnisme, privé ou institutionnel, apparaît comme une des voies du développement de l’italianisme littéraire et participe à l’essor de la production et de la diffusion intellectuelle et éditoriale du livre italien dans les milieux francophones. Les données collectées à la Bibliothèque Mazarine et l’étude des nombreuses marques de provenance ont mis en lumière différents profils de possesseurs. Leur identification et une première observation de leur goût, à partir d’une reconstitution partielle de leur bibliothèque (ou d’un simple échantillon), témoignent des principales caractéristiques des collections en langue italienne. Qui étaient ces possesseurs ? Quels livres possédaient-ils ? Ces données viendront ainsi apporter un complément d’information au phénomène culturel qualifié d’« italianisme bibliophilique » et à la reconstitution des intérêts des possesseurs et lecteurs de livres italiens des xvie et xviie siècles. Les données collectées Constitution du fonds et principaux circuits La constitution du fonds italien de la Bibliothèque Mazarine est bien évidemment liée à l’histoire de la bibliothèque du cardinal Mazarin, principalement aux achats effectués par son bibliothécaire Gabriel Naudé, puis aux nombreux legs et récupérations révolutionnaires d’autres bibliothèques qui ont enrichi la collection.

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Cf. Amélie Ferrigno, « Le fonds italien de la Bibliothèque Mazarine : méthodologie, premières données », dans Actes journées d’étude EDITEF (à paraître).

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Mazarin et Gabriel Naudé : les inventaires de 1661-1662 et de 1690 On sait que Mazarin possédait une bibliothèque à Rome, dans son palais du Quirinal, avant son installation à Paris en 1639, mais l’hypothèse d’un transfert de ces livres dans sa bibliothèque parisienne reste encore une énigme2. La composition de la bibliothèque parisienne du cardinal par les achats de son bibliothécaire Gabriel Naudé3, dont les livres en langue italienne, constitue la base la plus solide des origines de notre corpus. L’enquête menée au sein de la Bibliothèque Mazarine a montré qu’une grande partie du fonds italien se trouvait déjà dans l’inventaire de 16904 (plus de 1500 pièces), grâce au numéro qui est presque toujours reporté au contreplat supérieur (ou inférieur, et parfois au titre) des ouvrages. Nous avons également pu constater qu’une partie de ces ouvrages est présente dans l’inventaire après décès de la bibliothèque de Mazarin, rédigé en 1661-1662. L’enquête a permis de repérer environ 700 exemplaires en italien. Essentiellement de format in-quarto et in-octavo, la plupart de ces ouvrages composent des recueils factices dits de « l’époque Naudé », c’est-à-dire de l’époque où Gabriel Naudé est bibliothécaire de Mazarin, entre 1643 et 1653. Ces recueils sont identifiables grâce à des caractéristiques matérielles précises que l’on retrouve aussi sur des monographies reliées individuellement. En plus du numéro de l’inventaire de 1690, ces monographies et recueils ont pour point commun un même type de reliure uniforme de parchemin semi-rigide, avec une tranchefile bleue, un système de piéçage alphanumérique caractéristique5, probablement initié à l’époque de Naudé, et manifestement repris par François de La Poterie entre 1653-1661, voire au-delà6. La majeure partie de ces livres provient très certainement des achats effectués par Gabriel Naudé auprès des libraires parisiens, mais également en Italie au cours du séjour qui eut lieu entre avril 1645 et mars 1646, durant lequel ce dernier se rendit dans les principales villes italiennes afin d’acquérir le maximum de livres grâce à son réseau de libraires, agents, et amis7. 2 3

4 5 6 7

Cf. Amélie Ferrigno, « La bibliothèque italienne de Mazarin », dans Mazarin, Rome et l’Italie (Actes du colloque), éd. par Y. Loskoutoff (à paraître). La première acquisition de Gabriel Naudé pour Mazarin est la bibliothèque du chanoine Jean Descordes, composée de 6 000 volumes, dont 562 livres en langue italienne (relevés d’après les titres, dans le catalogue de la Bibliothèque de Jean Descordes : Bibliothecae Cordesianae catalogus, cum indice titulorum, Paris, Antonius Vitray, 1643). L’inventaire de 1690 correspond à l’époque de la réouverture de la bibliothèque, quai de Conti (Bibliothèque Mazarine, ms. 4109). On peut également observer un titrage de dos avec au-dessous le nombre total de pièces indiqué. Successeur de Gabriel Naudé comme bibliothécaire de Mazarin, François de la Poterie dut reconstituer la collection dispersée pendant la Fronde (références bibliographiques ?). Pour les séjours de Gabriel Naudé en Italie, son réseau libraires et les acquisitions, voir les travaux de Fabienne Queyroux, Recherches sur Gabriel Naudé, érudit et bibliothécaire (1600-1653), Thèse, École nationale des chartes (Paris), 1990.

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le fonds de la bibliothèque mazarine

Parmi ces pièces caractéristiques, peu d’entre elles portent des marques de provenance et l’on remarque que la plupart des ex-libris relevés sont italiens et non identifiés. On observe également que les pièces éditées durant le début du XVIIe siècle, contenues dans ces recueils, ne portent quasiment aucune provenance, laissant supposer un achat récent par rapport à la date de publication, qui n’a pas laissé le temps d’acquisitions antérieures, à moins que les premiers possesseurs n’aient tout simplement pas marqué leur livre. Ces observations confirment ce que les spécialistes de Naudé supposent du circuit des livres provenant des achats du bibliothécaire en Italie et corroborent ainsi la thèse d’un premier possesseur italien, puis/ou d’un achat par un libraire en Italie, avant l’acquisition de l’ouvrage par Naudé8. Legs, échanges, circuits révolutionnaires Une autre partie du corpus provient des récupérations révolutionnaires de bibliothèques d’établissements ecclésiastiques parisiens confisquées, ayant elles-mêmes été enrichies par l’apport de collections domestiques privées, de legs, de dons, ou d’achats. Nombreux sont les ouvrages qui portent9 des marques d’appartenance, ex-libris de possesseurs antérieurs ou cachets de bibliothèques. 42 marques de bibliothèques10 (cachets, numéros d’inventaires, ex-libris ou inscriptions manuscrites…) ont été relevées lors de l’enquête environ 1000 exemplaires. 8

Cependant, nous devons également garder à l’esprit que parmi ces ouvrages figurent probablement un certain nombre de livres italiens provenant de la bibliothèque personnelle de Gabriel Naudé, qui fut rachetée aux héritiers par Mazarin, parmi lesquels sans doute un nombre important de livres de science et de médecine. Il existe un premier inventaire des livres de la bibliothèque personnelle de Naudé, dressé à Paris en 1630, et publié par Estelle Bœuf. Ce catalogue ne donne qu’une idée partielle des livres possédés par Naudé, intégrés ensuite dans les collections de Mazarin. Estelle Bœuf affirme qu’un peu plus de 20 % des lieux d’impression se situe en Italie et que la langue italienne, même si elle est en retrait par rapport au latin et au français, occupe néanmoins une place non négligeable avec 6 % des éditions (cf. Estelle Bœuf, La bibliothèque parisienne de Gabriel Naudé en 1630 : les lectures d’un “libertin érudit’, Genève, Droz, 2007). 9 On retrouve, dans nombre de ces ouvrages, un signet au contreplat inférieur collé lors des dépôts littéraires ou lors de leur traitement signalétique à la Bibliothèque Mazarine au XIXe siècle. 10 Liste des principales bibliothèques relevées au cours de l’examen  des marques de provenance. Bibliothèques parisiennes : Bibliothèque de Sorbonne, Bibliothèque de l’Oratoire de France, Bibliothèque de l’Abbaye Saint Germain des Près, Bibliothèque du couvent des Augustins déchaussés, Bibliothèque de l’Abbaye de Saint-Victor, Bibliothèque du couvent des Minimes, Bibliothèque du Séminaire de Saint-Sulpice, Bibliothèque du couvent de Notre-Dame de Grâce des pénitents réformés du tiers-ordre de Saint-François, Bibliothèque du couvent Notre-Dame-des-Victoires, Bibliothèque du Prieuré Saint-Eloi des Barnabites (1631-1791), Bibliothèque du Séminaire SaintMagloire, Bibliothèque du Séminaire des Missions étrangères de Paris, Bibliothèque du Monastère royal de Saint-Bernard des Feuillants, Bibliothèque des « Teatini », Bibliothèque du Monastère des Blancs-Manteaux, Bibliothèque de la Maison de Saint-Lazare, Bibliothèque des Pères de la doctrine chrétienne (Saint-Charles), Bibliothèque du Séminaire du Saint-Esprit (1703-1790), Bibliothèque du Monastère Saint-Martin-des-Champs, Bibliothèque du Collège de Navarre, Bibliothèque

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On peut également y trouver, en plus du cachet, d’un ex-libris, ou d’un numéro d’inventaire de la bibliothèque d’origine, des marques de provenances d’autres possesseurs antérieurs (un grand nombre d’ex-libris français se trouve parmi ces livres). Parmi les autres voies de constitution du fonds italien, on a pu remarquer qu’une partie du corpus provient également d’échanges avec la bibliothèque royale (166811). Plus de 600 titres en italien ont été relevés dans le « Catalogue des livres doubles donnéz et eschangéz par le Roy avec d’autres de la bibliothèque de feu Monseigneur le cardinal Mazarin […]  » parmi lesquels figurent de nombreux livres d’histoire, quelques traités de géographie, des récits de voyages, des traités d’architecture, notamment Il primo libro d’architettura di Serlio (Paris 1545), un exemplaire des Macchine di Ramelli, et de nombreux autres ouvrages de culture contemporaine. Certains livres du corpus comprennent ainsi des traces d’anciennes cotes, des cachets ou autres marques de provenance de bibliothèques institutionnelles ou privées identifiées,  mais on retrouve également des séries de cotes redondantes dont l’origine demeure encore mystérieuse. Enfin, une partie du corpus reste sans marque apparente de provenance. Des livres… et des possesseurs Le chantier exploratoire a permis de relever 764 possesseurs. Ces possesseurs remontent en grande majorité au xvie et au xviie siècles (une vingtaine seulement vivent aux xviiie et xixe siècles) ; 224 personnes ont été identifiées, pour 43 possesseurs l’identification reste incertaine (nous possédons des données biographiques incomplètes ou insuffisantes pour identifier le propriétaire), tandis que 330  personnes n’ont pu être identifiées (les ex-libris ont bien été déchiffrés, mais nous ne possédons pas de données bio-bliographiques permettant une identification). Dans

du Collège de Louis le Grand de la Compagnie de Jésus, Bibliothèque du Noviciat général des Dominicains réformés de France, Bibliothèque du Couvent des Capucins (Marais), Bibliothèque de la Congrégation de la Mission, Bibliothèque du Monastère des Célestins, Bibliothèque de l’Abbaye de Saint-Denis, Bibliothèque du Couvent des Grands-Carmes, Bibliothèque du Couvent de l’Annonciation (rue Saint-Honoré ; 1611-1792), Bibliothèque du Prieuré de la Sainte-Trinité des PetitsAugustins, Bibliothèque de l’Eglise Sainte-Marguerite, Bibliothèque du Couvent Notre-Dame de Nazareth des pénitents réformés du tiers-ordre de Saint-François, Bibliothèque de la Maison professe Saint-Louis, Bibliothèque de la Chartreuse de Vauvert, Bibliothèque de Notre-Dame et de son chapitre cathédral, Bibliothèque des missionnaires anglais de l’église Notre-Dame des Vertus. Autres bibliothèques : Bibliothèque du couvent de la basilique Saint-Jacques majeur (Bologne), Bibliothèque du Collège de la Compagnie de Jésus (Plaisance), Bibliothèque du Château de Compiègne (Oise, 18..-1888), Bibliothèque du Collège anglican (Liège), Bibliothèque du collège des jésuites (Caen), Bibliothèque du couvent de Galdo Cattaneo, Bibliothèque de la préceptorie de Saint Antoine de Florence. 11 Une partie de ces livres provient également de la bibliothèque de Gaston d’Orléans et ils peuvent contenir d’autres provenances antérieures. Cf. l’inventaire est visible sur Gallica (adresse précis).

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ce dernier cas, nous observons également la présence de séries d’initiales, de chiffres ou de monogrammes inconnus. Enfin, 167 marques n’ont pas pu être déchiffrées, notamment des armoiries ne figurant dans aucun des répertoires d’héraldiques, ou lorsque les cachets sont inconnus ou illisibles, les ex-libris raturés, surchargés ou recouverts12). Sur les 471 personnes dont on a déchiffré le nom, 257 sont français et 214 italiens. Des 224 provenances identifiées, on dénombre 138 Français (dont une majorité de possesseurs appartenant au xviie siècle) et 54 Italiens (appartenant en large majorité au xvie siècle, puisque seulement 4 possesseurs italiens identifiés ont été relevés pour le xviie siècle13). Ces chiffres laissent transparaître une chronologie de la circulation de ces exemplaires, car les possesseurs italiens –  moins importants en nombre  – datent du xvie siècle, les possesseurs français appartiennent majoritairement au xviie siècle, même si nombre de leurs homologues français du xvie siècle est également important, démontrant une diffusion assez rapide du livre italien. Nous pouvons voir se dessiner au moins trois grands profils parmi les 138 possesseurs français identifiés et émettre quelques hypothèses sur leur intérêt à partir des livres marqués. En plus de provenances royales des souverains et membres de familles princières, comme François Ier, Henri II, Henri III, Catherine de Médicis, Gaston duc d’Orléans…, sont également présents beaucoup de représentants de la noblesse d’épée ou de la noblesse de robe, comme Léon Bouthillier comte de Chavigny14 (1608-1652), diplomate français et figure importante de la Fronde. On relève essentiellement des grands dignitaires du Royaume de France et de la Maison du roi, des officiers et gens de finances, des juristes, des diplomates ou des membres de l’entourage de la cour comme Jean Franscique de Selve (?-1547) seigneur de Duisans, panetier ordinaire du roi15 ; Thomas Mahieu16 (vers 1515-après 1588) 12 Nous fournissons les données collectées au moment où l’enquête au sein du fonds italien de la Bibliothèque Mazarine a pris fin en février 2017. Les chiffres donnent donc une estimation provisoire et seront à ajuster en fonction des avancées de la recherche et des données mises en communs (notamment grâce à la base editef) permettant de poursuivre l’identification des possesseurs non déchiffrés ou non identifiés. 13 Possesseurs français identifiés : XVIe = 51 / XVIIe = 61 / XVIIIe = 12 / XIXe = 3. Possesseurs italiens identifiés : XVIe = 35 / XVIIe = 4 / XVIIIe = 4/ XIXe = 2. 14 Voir la provenance dans les exemplaires suivants : Giovanni Botero, Relationi universali, Brescia, la Compagnia bresciana, 1599. (4o 16261 Bibliothèque Mazarine). Ascanio Centorio degli Hortensi, Discorsi di guerra del signor Ascanio Centorio diuisi in cinque libri […], Venise, Gabriel Giolito de’ Ferrari, 1566. (4o A 11641 Bibliothèque Mazarine). 15 Voir la provenance dans l’exemplaire  suivant : Girolamo Benivieni, Opere di Girolamo Benivieni Firentino [!]. Novissimamente rivedute et da molti errori espurgate con una canzona dello amor celeste et divino, col commento dello ill.s. conte Giovanni Pico Mirandolano… (8o 21876 Bibliothèque Mazarine). 16 Voir la provenance dans les exemplaires suivants : Giulio Landi, Le attioni morali dell’illust. sig. conte Giulio Landi, Venise, Gabriel Giolito de’ Ferrari, 1564. (4o A 11774 [Res]  Bibliothèque Mazarine). Giovanni Villani, Croniche di messer Giovanni Villani Cittadino Fiorentino, nelle

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conseiller du roi, secrétaire des finances de Catherine de Médicis et propriétaire d’une célèbre bibliothèque ; Guillaume Marescot17 (1567-1643), bibliophile, avocat général de la reine Catherine de Médicis, maître des requêtes ordinaire de l’Hôtel du roi et propriétaire d’une bibliothèque de plus de 6 000 volumes concernant particulièrement l’histoire de France, d’Espagne et d’Italie ; Nicolas Moreau seigneur d’Auteuil18 (vers 1544-1619) trésorier et collectionneur italianisant, grand officier de finances de l’administration royale, trésorier du duc d’Anjou (futur Henri III) et de France jusqu’en 1586 et propriétaire d’une importante bibliothèque particulièrement riche en romans courtois et en livres italiens (18 livres imprimés en langue italienne) ; Achille III de Harlay comte de Beaumont19 (1639-1712), homme politique, ambassadeur. Il s’agit du groupe le plus important qui s’inscrit manifestement dans les cercles italianisants de la cour et de l’administration royale et contribue à œuvrer au développement de l’apprentissage de la langue italienne et d’un italianisme littéraire en se procurant des livres qui relèvent en grande majorité, de l’histoire, de la littérature et de la poésie. Beaucoup de volumes de notre corpus sont, en effet, des livres de littérature ou d’histoire, employés également comme de véritables manuels de langue aux côtés d’ouvrages de grammaire, de vocabulaires, ainsi que de nombreux « libri da imparare la lingua toscana », et des éditions bilingues, qui reflètent des préoccupations et des thématiques similaires à celles du corpus des livres italiens imprimés à Paris dans l’entourage des cercles italianisants de la cour20. Le second profil de possesseurs est celui des érudits, savants, hommes de lettres, ou artistes. Parmi les ex-libris collectés, on retrouve par exemple, ceux de Raphaël Trichet Du Fresne21 (1611-1661), dessinateur, historien de l’art, bibliophile et numis-

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quali si tratta dell’origine di Firenze, & di tutti e fatti & guerre state fatte da Fiorentini nella Italia, Venise, Bartholomeo Zanetti Casterzagense, 1537. (2o 5738 2e ex [Res] Bibliothèque Mazarine). Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Cristóbal de las Casas, Vocabulario de las dos lenguas toscana y castellana, Venise, Damian Zenaro, 1587. (8o 45942 Bibliothèque Mazarine). Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Giovanni Battista Pittoni, Imprese di diversi principi duchi, signori, e d’altri personaggi et huomini illustri. Libro secondo. Con alcune stanze, sonetti di M. Lodovico Dolce, Venise, 1566. (4o 11205 A Bibliothèque Mazarine). Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Gio. Antonio Campano, Giouambattista Poggio, L’Historie et vite di Braccio Fortebracci detto da Montone, et di Nicolo Piccinino perugini […], In Vinegia, appresso Francesco Ziletti, 1572. (4o A 10722-3 Bibliothèque Mazarine). Cf. Jean Balsamo, L’amorevolezza verso le cose italiche : le livre italien à Paris au xvie siècle, Genève, Librairie Droz, 2015, 282 p. Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Agostino Ramelli, Le diverse et artificiose machine del capitano Agostino Ramelli dal Ponte della Tresia ingegniero del christianissimo re di Francia et di Pollonia […] composte in lingua italiana et francese, A Parigi, in casa del’autore, 1588. (2o 4767 [Res] Bibliothèque Mazarine).

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mate qui a aussi écrit en italien ; de Pierre Dumonstier22 (1545?-1610?) ; de Daniel Dumonstier23 (1574-1646) ; des écrivains et poètes Pierre de Ronsard24 (1524 -1585), François de Belleforest25 (1530-1583), Pierre Le Loyer26 (1550-1634) auteur dramaturge et poète ; ou encore ceux de Nicolas Fabri de Peiresc27 (1580-1637) conseiller au Parlement de Provence, érudit, scientifique et collectionneur aixois dont la bibliothèque fut estimée à environ 6 000 volumes parmi lesquels les livres italiens tenaient une part importante ; ou encore de Louis Emeric Bigot28 (1626-1689), érudit et collectionneur. Officiers, érudits et homme de lettres de l’époque possédaient tous dans leur bibliothèque une part de livres en italien, reflétant le goût et l’intérêt pour l’Italie et servant, pour certains, aussi bien à leur formation qu’à leurs travaux29. Au vu de l’échantillon examiné à la Mazarine, on ne relève pas vraiment de grandes différences dans le genre de livres acquis par ces catégories de possesseurs.

22 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Lodovico Ariosto, Orlando furioso di m. Lodouico Ariosto, & le dichiarationi di Girolamo Ruscelli, […] Venetia, Vincenzo Valgrisi, 1560. (4o 10953 E [Res] Bibliothèque Mazarine) 23 Voir la provenance dans l’exemplaire  suivant : Torquato Tasso, Gioie di rime, et prose del sig. Torquato Tasso, In Venetia : ad instanza di Giulio Vasalini libraro in Ferrara, 1586. (8o 422614/1 Bibliothèque Mazarine). 24 Voir la provenance dans l’exemplaire  suivant : Alessandro Piccolomini, Annotationi di M. Alessandro Piccolomini, nel libro della Poetica d’Aristotele ; con la traduttione del medesimo libro, in lingua volgare, In Vinegia : presso Giovanni Guarisco, 1575. (4o 10388 [Res] Bibliothèque Mazarine). 25 Voir la provenance dans l’exemplaire  suivant : Ottone Lupano, Torricella, dialogo di Otho Lupano, nel quale si ragiona delle statue & miracoli, In Milano, dal Calvo, 1540. (4o 14964-10 [Res] Bibliothèque Mazarine). 26 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Lodovico Dolce, Didone tragedia di M. Lodovico Dolce, Venezia, Domenico Farri, 1566. (8o 21927-1 Bibliothèque Mazarine). 27 Voir la provenance dans les exemplaires  suivants : Scipione Ammirato, Delle Famiglie nobili fiorentine. Florence, Gio. Donato e Bernardino Giunti, 1615. (2o 6449 A [Res] Bibliothèque Mazarine). Giovanni Rossi, Rolo, ouero Cento imprese de gl’illustri sig.ri huomini d’arme sanesi, militanti sotto’l reale, e felicissimo stendardo del serenissimo Ferdinando de’ Medici, gran duca III di Toscana, Bologna, 1591 (4o A 15224-3 Bibliothèque Mazarine). Sforza d’Oddi, Prigione d’amore commedia nuova dell’eccellentissimo signor Sforza Oddi, Venetia, Gio. Battista Bonfadino, 1596. (8o 45085 Bibliothèque Mazarine). 28 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Lodovico Ariosto, Satire di cinque poeti illustri, di nuouo raccolte e poste a luce. Con vna lettera del Paterno, doue si discorre della latina, et thoscana satira: et s’insegnano alcuni auuertimenti necessarij intorno allo scriuere delle moderne satire, In Venetia, per Gio. Andrea Valuassori, 1565. (8o 21890 B x Bibliothèque Mazarine). 29 R. Doucet, Les bibliothèques parisiennes au xvie siècle, Paris, Picard, 1956, p. 52 : « L’italianisme était envahissant, avec tous les grands noms de la littérature, depuis Dante, dont les textes sont, il est vrai, peu nombreux, réservés à quelques bibliothèques bien choisies, celle du marchand J. Turquam, de J. le Féron, d’Antoine du Prat. Par contre, nous voyons foisonner Pétrarque et Boccace, dont les imprimeurs parisiens ont dès l’origine multiplié les éditions, originales ou traduites ».

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La troisième catégorie de lecteurs est celle des bibliothécaires et des religieux : parmi eux figurent, entre autres, Maurice Hyllaret30 (1539-1591) religieux cordelier, prédicateur entraînant, ligueur ; Philippe Gourreau de La Proustière31 (1611-1694) chanoine de l’abbaye Saint-Victor de Paris (1627-1629), Pierre de La Planche32 (16101684) bibliothécaire de l’Oratoire ; Abel-Louis de Sainte-Marthe33 (1621-1697) prêtre de l’oratoire de Jésus ; Charles-François d’Anglure de Bourlemont34 (16051669) évêque de Castres, puis archevêque de Toulouse de 1662 à 1669, conseiller du roi en ses conseils d’État et Privé ; ou encore Jacques Quétif35 (1618-1698) dominicain, érudit et bibliothécaire du couvent de la rue Saint-Honoré en 1652 ; le prêtre Pierre-Jean Gentil36 (16..-17..?) ; Gabriel Naudé (1600-1653) ; Philippe Despont (1623-1700) professeur de théologie à la Sorbonne ; Marin Mersenne37 (1588-1648) de l’ordre des minimes, philosophe, mathématicien, auteur de plusieurs traités scientifiques et de musique ; François Rapine38 (15..-16..?) prieur de Saint-Pierre-leMoûtier, aumônier de la reine Marie de Médicis. À en juger par l’échantillon des livres se référant à ce groupe, on note, sans surprise et en cohérence avec leur profil sociologique, un intérêt quelque peu différent par rapport aux profils évoqués précédemment ; on observe une présence moins forte de la littérature classique et contemporaine italienne, au profit de la littérature religieuse, de dévotion, ou des ouvrages d’histoire, parfois de science, comme 30 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Cornelio Musso, Il primo [-terzo] libro delle prediche del reuerendissimo mons. Cornelio Musso, Vinegia, Gabriel Giolito de’ Ferrari, 1566. (4o A 13319 Bibliothèque Mazarine). 31 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Francesco Sansovino, Del governo de regni et delle republiche antiche et moderne, Venetia, 1567. (4o A 14552 Bibliothèque Mazarine). 32 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Antonio Ciccarelli, Le vite degli imperatori romani di Antonio Ciccarelli, Roma, Domenico Basa, 1590. (4o 19554 Bibliothèque Mazarine). 33 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Giovanni Matteo Cicogna, Il primo libro del trattato militare di Giovan Mattheo Cigogna Venetia, Camillo Castelli, 1593. (4o A 10733-1 Bibliothèque Mazarine). 34 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Zefiriele Tommaso Bovio, Flagello contro de’medici communi, detti rationali …, Verona, Francesco dalle Donne, 1601. (4o A 11648  Bibliothèque Mazarine). 35 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Girolamo Catena, Vita del gloriosissimo papa Pio quinto scritta da Girolamo Catena, Roma, stamperia de Vincenzo Accolti, 1586. (4o A 13878 Bibliothèque Mazarine). 36 Voir la provenance dans l’exemplaire  suivant: Aliprando Capriolo, Ritratti di cento capitani illvstri con li lor fatti in guerra breuemente scritti intagliati da Aliprando Capriolo, et dati in luce da Filippo Thomassino, et Giouan Turpino …, Roma, Per Domenico Gigliotti, 1596. (4o 16032 2e ex Bibliothèque Mazarine). 37 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant: Luigi Dentice, Duo dialoghi della musica del signor Luigi Dentice, Rome, Vincenzo Lucrino, 1553. (4o A 12300 Bibliothèque Mazarine). 38 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Luigi Contarini, Il vago e diletteuole giardino, oue si leggono gli infelici fini di molti huomini illustri …, Vicenza, appresso gli heredi di Perin libraro, 1597. (4o A 13835-1 Bibliothèque Mazarine).

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le démontre une provenance de Marin Mersenne. Ces livres proviennent, pour la plupart, des bibliothèques institutionnelles auxquelles étaient évidemment liés les possesseurs qui les avaient donnés ou légués à l’institution en question (ils sont ensuite parvenus à la Bibliothèque Mazarine par confiscations révolutionnaires). Parmi les possesseurs italiens, on trouve également quelques noms de grandes familles appartenant à la noblesse, comme Monaldo Monaldeschi (1522 ou 1530?1589) ou le cardinal et collectionneur Francesco Maria Bourbon Del Monte (15491627), qui fut, entre autres, un des principaux commanditaires de Caravage. Mais la grande majorité des possesseurs italiens sont surtout des auteurs, des professeurs, des hommes de lettres, des artistes ou des musiciens dont certains étaient présents à la cour de France, comme Corbinelli39 ou Giambattista Marino40 (1569-1625). Il convient de citer également les ex-libris d’Agostino Bentivoglio41, auteur et poète italien connu pour ses études de la langue toscane ; de Pierantonio Anselmi42, orateur et membre de l’Accademia fiorentina ; de Giovanni Lodovico Catari43 (1593-?) professeur de médecine et de philosophie ; d’Adriano Politi44 (1542-1625) philologue et homme de lettres ; de Domenico Benigni45 (1596-1653) poète et librettiste ; d’Alfonso Cambi Importuni46 (1535-1570) homme de lettres et politique ; ou encore les poètes et

39 Voir la provenance dans les exemplaires suivants : Pierfrancesco Giambullari, Historia dell’Europa, Venise, Francesco Senese, 1566. (4o 16288 2e Bibliothèque Mazarine). Laurent De Medicis, Poesie volgari. Venise : Fils d’Aldo Manuzio, 1554. (8o 44852 Bibliothèque Mazarine). 40 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Giovan Battista Pigna, Duello di M. Giovan Battista Pigna… diviso in tre libri, ne quali dell’honore, & dell’ordine della cavalleria con nuovo modo si trata…, In Vinegia : appresso Vincenzo Valgrisi, 1554 (4o 14453-1 Bibliothèque Mazarine). 41 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Nicolo Liburnio, Le Tre fontane di Messer Nicolo Liburnio, sopra la grammatica et eloquenza di Dante, Petrarcha et Boccaccio… Vinegia, Gregorio de Gregorii, 1526. (4o 10183 Bibliothèque Mazarine). 42 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Claudio Tolommei (pseud. Adriano Franci), De le Lettere nuovamente aggiunte, libro di Adriano Franci da Siena, intitolato il Polito Tolommei, Claudio, Roma, Lodovico Vicentino et Lautitio Perugino, 1525. (4o 10197-1  Bibliothèque Mazarine). 43 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Statuti della honoranda Vniuersita’ de mercatanti della inclita citta’ di Bologna, Bologna, Anselmo Giaccarello, 1550. (2o 3340-1  Bibliothèque Mazarine). 44 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Laura Battiferri degli Ammannati, Il Primo libro dell’opere toscane di M. Laura Battiferra degli Ammannati, Firenze, J. Giunti, 1560. (4o 10972 Bibliothèque Mazarine). 45 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Battista Guarini, Il Verato secondo ouuero replica dell’Attizzato accademico ferrarese in difesa del Pastorfido, contra la seconda scrittura di messer Giason De Nores intitolata Apologia. Firenze, Giunti, 1593. (4o 11167 Bibliothèque Mazarine). 46 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Vittoria Colonna, Le rime spirituali della signora Vittoria Colonna marchesana di Pescara.Venezia, 1548. (8o 21902-2 Bibliothèque Mazarine).

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écrivains Francesco Mondella47 (15..?-15..?) ; de Critoforo Bronzini48 (1580?-1640?) ; de Luca Antonio Ridolfi49 (1510-1570) ; de Jacobi Ansaldi50 (15..-15..?)… La plupart de ces possesseurs italiens sont également à rapprocher de l’entourage des courtisans et des hommes de lettres de la cour de France. Les volumes qui portent leurs ex-libris dévoilent nettement des intérêts communs aux gens de lettres et de cour et une attention particulière pour la littérature et la langue italienne ; il s’agit le plus souvent d’ouvrages de poésie, de littérature et d’histoire. On peut même y trouver, parfois, en marge du texte ou sur les gardes, les traces d’un apprentissage de la langue italienne, comme par exemple lorsqu’on lit des mots traduits en marge, des annotations manuscrites portant sur la langue ou sur la grammaire italienne51. Enfin, nous retrouvons parmi les possesseurs italiens, les noms de quelques religieux également auteurs comme le frère Ignazio Alberici (dominicain), Scipione Calandrini, et des ambassadeurs, tels que Giovanni Delfino ou Giovanni Corraro (15..-15..?). Toutefois, la majeure partie des possesseurs italiens relevés n’a pas encore pu être identifiée (environ 15052) et nécessite des recherches bio-bibliographiques supplémentaires. Le groupe de possesseurs italiens se distingue donc en tant que porteur d’un matériau culturel significatif de l’italianisme littéraire, artistique ou scientifique, confirmant leur rôle de professeurs, érudits, auteurs, ayant séjourné auprès de courtisans français et contribuant au développement de l’italianisme.

47 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Lorenzo Capelloni, Vita del prencipe Andrea Doria descritta da m. Lorenzo Capelloni. Vinetia, Gabriel Giolito di Ferrarii, 1569. (4o A 10722-4 Bibliothèque Mazarine). 48 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : Celso Cittadini, Rime platoniche del sign. Celso Cittadini dell’Angiolieri, Venezia, 1585. (8o 21939 Bibliothèque Mazarine). 49 Voir la provenance dans l’exemplaire suivant : L’epistole di Seneca. Ridotte nella lingua toscana, per il Doni Sénèque, Vinegia, Anton Francesco Doni, 1549. (8o 22934 Bibliothèque Mazarine). 50 Voir l’exemplaire suivant : Angelica Paola Antonia Negri, Lettere spirituali della deuota religiosa Angelica Paola Antonia de’ Negri milanese. Vita della medesima raccolta da Gio. Battista Fontana de’ Conti, Roma, 1576 (8o 24936 Bibliothèque Mazarine). 51 Par exemple, une déclinaison manuscrite des pronoms compléments italiens dans l’ouvrage appartenant à Agostino Bentivoglio, Le Tre fontane di Messer Nicolo Liburnio, sopra la grammatica e eloquenza di Dante, Petrarcha et Boccaccio, imprimé à Venise en 1526 (4o 10183 Bibliothèque Mazarine). 52 Il est possible de retrouver leur trace dans des bases de données telles que le Thésaurus du Cerl ou dans VIAF, qui indiquent seulement la période à laquelle ils appartiennent (la plupart au XVIe siècle), mais n’offrent pas encore d’indications biographiques précises.

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Les grands corpus du « fonds italien » de la Bibliothèque Mazarine Le cas « Mazarin » : collectionnisme privé ou public ? Notre enquête visant à étudier les divers acteurs ayant participé à la diffusion du livre italien en France ne peut se soustraire à l’évocation de Mazarin et du travail de son bibliothécaire Gabriel Naudé. Ne serait-ce que parce qu’ils sont à l’origine de la constitution d’une grande partie de la collection italienne aujourd’hui présente dans le fonds de la bibliothèque Mazarine, et qu’ils ont permis une diffusion du livre italien en France à une échelle sans égal au xviie siècle. Par l’intermédiaire de Gabriel Naudé, Mazarin rassemble la plus grande bibliothèque de France de son temps, plus de 40 000 ouvrages en 1651. 2 867 titres italiens ont pu être repérés dans les trois volumes de l’inventaire après décès de la bibliothèque de Mazarin rédigé en 1661-1662 (sur environ 38 415 références de l’inventaire53), soit 7 % de la totalité des livres. Ce corpus considérable ne peut être assimilé à un collectionnisme privé ordinaire, puisque Gabriel Naudé n’applique pour Mazarin aucune politique d’acquisition, si ce n’est celle d’acheter le plus possible54 pour une bibliothèque vouée au statut de bibliothèque publique (dès 1643), prévoyant une ouverture hebdomadaire à destination des érudits parisiens et des savants de passage. Ainsi, bien qu’à l’origine de la bibliothèque la plus riche de France et sans doute d’une des plus grandes collections de livres italiens du sol français à cette époque, Mazarin n’est pas à considérer comme une figure de « l’italianisme bibliophilique ». Le contexte du développement d’un humanisme scientifique – auquel participe d’ailleurs Naudé et son réseau d’amis savants – et d’un italianisme qui se développe en France et à la cour depuis le xvie siècle dans tous les secteurs55, favorisant la réception et la dif53 Ces statistiques sont provisoires. L’inventaire de 1661-1662, actuellement en cours d’édition électronique, ne permet pas encore une vérification systématique. On compte un peu moins de 40 000 références, mais les recueils factices contenaient probablement beaucoup plus de titres qui n’ont pas été systématiquement indiqués dans l’inventaire. L’édition électronique de l’inventaire après décès de la bibliothèque de Mazarin sera publiée dans la collection de textes Thecae mise en œuvre par l’Equipex Biblissima en collaboration avec l’IRHT et la MRSH de l’université de Caen. Le fac-similé numérique est déjà présent dans Mazarinum, bibliothèque numérique de la Bibliothèque Mazarine (voir les trois tomes) : , consulté le 08/04/2020. 54 La politique d’acquisition menée par Naudé pour la constitution de la bibliothèque de son maître Jules Mazarin est celle élaborée dans son Advis pour dresser une bibliothèque : « avoir de tout », justifiant ainsi ses achats frénétiques, en gros, et sans se soucier réellement des titres. Cf. Gabriel Naudé, Advis pour dresser une bibliothèque, Presenté à monseigneur le président de Mesme, Paris, François Targa, 1627. 55 À la Cour, l’apprentissage de la langue italienne, jugée aussi agréable qu’« utile », s’inscrivait dans un fort héritage culturel et littéraire  (la tradition de protection accordée par les rois de

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fusion du livre italien à Paris, ne semble pas jouer directement dans la constitution du fonds italien de la bibliothèque de Mazarin, en tout cas pas dans sa bibliothèque parisienne créée dès 1642 et constituée par Naudé ; car l’objectif du bibliothécaire est alors simplement de constituer la plus grande bibliothèque et d’avoir le plus de livres possible (y compris des livres en italien). La constitution d’un fonds italien, parmi l’ensemble des livres qui composent la bibliothèque, répond donc certainement, comme dans la plupart des grandes bibliothèques, à une tradition, un héritage littéraire, mais ne semble pas liée à une recherche spécifique d’éditions italiennes qui a pu, en revanche, motiver les acquisitions d’autres collectionneurs. Elle ne relève pas non plus d’un projet de bibliothèque personnelle, ni de stratégies pédagogiques ou idéologiques qu’on pourrait retrouver par exemple dans d’autres bibliothèques de communautés religieuses, académiques ou universitaires. Le fonds italien de la bibliothèque de Mazarin fait partie d’un projet culturel, celui de Naudé et du cardinal, une bibliothèque idéale conçue dans une vision humaniste de l’accès au savoir, et ouverte au public56. L’examen du corpus italien a d’ailleurs confirmé l’absence de « Mazarin57 ». Ce n’est que par des croisements des données que l’on peut repérer les livres italiens ayant appartenu à Mazarin, notamment grâce à l’analyse des inventaires des différentes bibliothèques du cardinal et leur confrontation avec les marques caractéristiques évoquées plus haut. Les livres italiens dans les collections privées de Du Bouchet et Richelieu Parmi les possesseurs identifiés de façon récurrente dans le fonds italien de la bibliothèque Mazarine58, se dégagent deux grandes personnalités possédant des collections privées conséquentes, Henri Du Bouchet et le cardinal de Richelieu. France aux lettres italiennes, la célébration des classiques de la littérature italienne et la translatio studii) et recouvrait également plusieurs fonctions : il était nécessaire aux conversations, aux échanges intellectuels, aux relations commerciales, à la célébration de la monarchie et de la cour, au divertissement des Princes… Cf. J. Balsamo, L’amorevolezza verso le cose italiche, op. cit. 56 La présence de textes en italien dans la bibliothèque de Mazarin est due à la fois à la conception de la bibliothèque, selon le « modèle italien » suivi par Naudé, et au « fonds italien » lui-même, qui bien qu’il ne puisse à lui seul refléter l’italianité de la bibliothèque, offre sans doute, par le nombre de titres et les acquisitions colossales du bibliothécaire, la première « bibliothèque italienne » de France. Cf. Amélie Ferrigno, « La bibliothèque italienne de Mazarin », dans Mazarin, Rome et l’Italie, op. cit. (à paraître). Cf. Yann Sordet, « D’un palais (1643) l’autre (1668) : Les bibliothèques Mazarine(s) et leur décor », Journal des savants, janv. juin, 2015, Paris diffusion de Boccard, p. 80. 57 Nous n’avons trouvé, au cours de l’enquête, aucune provenance directe de Mazarin, à l’exception de l’“ex Bibliotheca Mazarinaea” qui se trouve au verso du dernier folio de la troisième pièce d’un recueil factice (Oratio Petrobelli, Specchio di verita comprobato con la Sacra Scrittura, con l’autorità degli rabbini e con ragioni efficacissime, Venetia, Ghirardo e Iseppo Imberti, 1626. 4o 13004-3 Bibliothèque Mazarine). 58 Nous avons pu également identifier des livres italiens ayant appartenu à Jean Nicolas De Tralage (5) ; Jean D’Estrées (20) ; Michel Le Masle (6) ; Eusèbe Renaudot (10) ; aux princes de Condé (29) ; aux frères Dupuy (5)… On pourrait encore prolonger cette liste avec Colbert (9), Léonor

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Conseiller au parlement de Paris et bibliophile, Henri Du Bouchet (1593-1654) fut le propriétaire d’une vaste bibliothèque, riche de 8 000 volumes, sur lesquels il apposa systématiquement, sur la page de titre, son ex-libris manuscrit composé de sa signature, de la date et du prix d’acquisition du volume. Du Bouchet légua sa bibliothèque à l’abbaye de Saint-Victor de Paris en 165259 ; en 1791, la bibliothèque abbatiale fut répartie entre les bibliothèques publiques de Paris, dont la bibliothèque Mazarine qui compte plus de 400 livres en langue italienne ayant appartenu à Henri Du Bouchet. Cette enquête a permis de déterminer que la collection de livres en langue italienne de Henri Du Bouchet comprenait tous les genres, spécialement des livres d’histoire, quelques livres de sciences, mais surtout des livres de langue, de linguistique, beaucoup de poésie, les incontournables classiques de la littérature italienne (Boccace, Pétrarque, Machiavel), conformément à l’italianisme que l’on a vu se développer quelques décennies auparavant, et manifestement, dans une approche qui répond à l’intérêt décrit précédemment pour la langue et l’humanisme italien. La Bibliothèque Mazarine possède également environ 150 livres en langue italienne ayant appartenu au cardinal de Richelieu60. L’inventaire des livres du cardinal Richelieu par moy Thomas. Blaise, qui fait actuellement l’objet d’un projet d’édition électronique61, à l’instar de l’inventaire de la bibliothèque de Mazarin, est composé de deux tomes et contient plus de 6 000 titres, parmi lesquels ont été relevés plus de 600 ouvrages en italien, soit 10,6 % de la bibliothèque du cardinal. On dénombre une majorité de livres d’histoire et de littérature : parmi les ouvrages d’histoire, des grands auteurs tels que Guichardin ou Villani sont présents. On trouve également plusieurs ouvrages sur des cités ou des régions italiennes, comme l’histoire de Venise, l’histoire de la Sicile, l’histoire du Piémont…, (Storia degli uomini illustri, La guerra contra i Turchi, La guerra d’Italia, Historia delle Indie occidentali…), suivis d’ouvrages de géographie (Viaggi e navigationi del Estampes de Valençay (4), Balthasar Henry Fourcy (6), Jacques Auguste de Thou (2), Louis Aubery (3), Gaston d’Orléans via la Bibliothèque royale (22), Jacques Quétif (3), etc. 59 Du Bouchet laissa également une « rente pour l’entretien du bibliothécaire et de la bibliothèque sous réserve que celle-ci soit rendue publique et que les religieux de Saint-Victor fassent frapper ses armes sur les volumes qui lui avaient appartenu ». […] « Par esprit d’économie, les religieux firent frapper les armoiries sur des petits carrés de cuir et n’hésitèrent pas à couper sur le dos d’une foule de volumes la place nécessaire pour y introduire ces carrés ». Cf. Notice de la Bibliothèque de l’Institut de France : , consulté le 08/04/2020. 60 Les volumes du cardinal Richelieu sont ensuite passés par legs à la bibliothèque de Sorbonne. 61 651 titres ont été relevés dans l’inventaire (consultable sur le site de la Bibliothèque Mazarine : , consulté le 26/05/2020). Sauf rares cas, les livres italiens sont souvent mélangés avec des livres en espagnol ou rédigés en latin.

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Ramusio, Le Isole di Porcacchi…), puis de littérature, parmi lesquels des grands classiques italiens (Tarquato Tasso, La Gerusalemme ; Boccace ; Pétrarque ; L’Arioste, Orlando furioso… ; Guarini, Il pastor fido ; Traiano Bocalini, Ragguagli di Parnasso ; il cavalier Marino ; Girolamo Ruscelli ; Erotilla di Strozzi, … ou encore Il catalogo degli illustri scrittori…). Nous retrouvons également quelques dictionnaires, auxquels s’ajoutent des livres de littérature religieuse, de dévotion, la vie des saints et de la Vierge, (par exemple, La sacra corona) et des ouvrages politiques (Vita politica, Introduzione alla politica, Trattato di guerre…). On observe que les ouvrages de science ont retenu une attention particulière auprès du cardinal, ce qui distingue sa bibliothèque d’autres inventaires de la même époque. On note, en effet, plusieurs traités d’architecture ou de perspective d’auteurs italiens (Barozzi, Barbaro, Sirigatti, Ramelli, Serlio), des traités de mathématiques, des ouvrages de musique, de fortifications, d’art militaire, d’art équestre, d’agriculture, de médecine… Ou encore La fisionomia naturale Della Porta, la Pirotechnia di Vanuccio Biringucci. Cela donne l’impression d’intérêts plus diversifiés et axés sur les spécificités de l’édition italienne qui n’apparaît pas aussi clairement au sein d’autres corpus étudiés, à partir des inventaires de la bibliothèque du chanoine Jean Descordes, par exemple (comprenant lui aussi 6 000 volumes) ou de la collection de Du Bouchet. Identifié à une sorte de mode, pratiquée depuis les Guerres d’Italie, renforcée et encouragée par les « Italiens français » séjournant à la Cour et faisant partie des milieux d’affaires, dès le début du xvie siècle, le goût pour l’Italie et l’édition en langue italienne évoluent et revêtent plusieurs aspects, dont les subtilités et nuances resteraient à préciser par une reconstitution et un examen systématique des bibliothèques de chaque possesseur. L’enquête menée au sein de la bibliothèque Mazarine montre que l’«  italianisme bibliophilique », notion à manier avec prudence pour l’étude des possesseurs de l’époque, reste difficile à interpréter. Ce phénomène, qui débute au xvie siècle, s’accroit durant le xviie siècle – une période de grande expansion pour l’édition italienne – auprès de possesseurs variés : officiers, gens de finances, érudits. En effet, les données collectées confirment que le rapprochement intellectuel, cet intérêt pour « le cose italiche62 », s’accentue avec un nombre croissant de possesseurs français du xviie siècle relevé au cours de l’examen. L’italianisme s’est particulièrement illustré à Paris, à la cour, et le fonds de la Mazarine en témoigne grâce aux diverses 62 Cf. Le titre de l’ouvrage de Jean Balsamo consacré à l’édition de livres italiens à Paris et à l’attrait des français pour la culture italienne : L’amorevolezza verso le cose italiche, op. cit.

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marques d’appartenance de possesseurs français issus de la noblesse, ou celles de possesseurs italiens qui ont séjourné à la cour afin d’encourager le développement de l’apprentissage de la langue, et de l’italianisme artistique et littéraire. La majeure partie des possesseurs français identifiés, ainsi que les livres rassemblés issus de collections privées montrent divers profils de bibliophiles, dont les pratiques de lecture mériteraient une étude approfondie à effectuer en relation étroite avec les statuts, les professions et les époques propres à chaque possesseur. Néanmoins, l’examen du corpus de la bibliothèque Mazarine, par la quantité des exemplaires rassemblés et le nombre de marques de provenance relevées, offre une certaine vue d’ensemble permettant d’établir un constat global sur les pratiques de lecture du xvie et xviie siècles. À en juger par les livres qui contiennent leur marque de provenance, il apparaît indéniable que l’apprentissage de la langue destiné à des besoins pratiques, à des fins diplomatiques ou répondant simplement aux besoins et critères d’un contexte culturel particulier, restent une préoccupation commune aux divers possesseurs. La culture italienne figure dans toutes les bibliothèques françaises, avec les grands noms de la littérature, des livres de grammaire, des livres d’histoire, mais aussi des genres plus spécialisés (manuels de comptabilités commerciales, traités scientifiques, livres de divertissement, de culture contemporaine…). Plusieurs études consacrées aux bibliothèques françaises du xvie siècle ont démontré la difficulté à déterminer la place du livre italien au sein de ces bibliothèques et n’ont pu que constater une présence assez faible à partir des inventaires publiés63. Nous pouvons néanmoins estimer à 10 %, en moyenne, la présence italienne dans les grandes bibliothèques de bibliophiles ou d’érudits français appartenant à la fin du xvie et début xviie siècle.

63 Cf. Isabelle de Conihout, «  À propos de la bibliothèque aux cotes brunes des LaubespineVilleroy : les livres italiens chez les secrétaires du roi dans la seconde moitié du XVIe  siècle  », Italique. Poésie italienne de la Renaissance, t. VII, 2004, p.  152. «  Curieusement, les études dont on dispose sur les bibliothèques françaises du xvie  siècle ne permettent pas d’avoir une idée très claire de la place qu’y tient le livre italien, même s’il semble communément admis que cette place –  que personne n’a tenté véritablement de mesurer  – est plutôt faible  ». Études sur le sujet : Alexandre H. Schutz, Vernacular books in Parisian private libraries of the Sixteenth Century, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1955. Roger Doucet, Les bibliothèques parisiennes au xvie  siècle, Paris, Picard, 1956 ; Claude Jolly, Histoire des bibliothèques françaises, T.2, Les bibliothèques sous l’Ancien Régime, 1530-1789, Paris, 1988 ; Jean Balsamo, Les Rencontres des Muses : italianisme et anti-italianisme dans les lettres françaises de la fin du xvie siècle, Genève / Paris, Slatkine, 1992 ; et id. « Quelques remarques sur les collections d’éditions anciennes de Pétrarque conservées en France », dans Pétrarque en Europe, xive-xxe siècle (Actes du xxvie congrès international du CEFI, 1995), éd. par P. Blanc, Paris, Champion, 2001, p. 87-97.

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15  % de la bibliothèque de Nicolas Peiresc (1580-1637) sur 6 000 volumes64. 9,3  % de la bibliothèque de Jean Descordes (1570-1642), sur 6 000 volumes65. 10,6 % de la bibliothèque du cardinal de Richelieu (1585-1642) sur environ 6 000 volumes66. 6 % de la bibliothèque de Claude Dupuy (1545-1594)67. 6 % de la célèbre bibliothèque de Jacques-Auguste de Thou68 (1553-1617), sur 6 000 volumes69. 10 %, soit une cinquantaine de livres parmi les 500 titres reliés pour Grolier70. 25  % des 120  titres recensés appartenant à Thomas Mahieu71 (1515-1588) (soit une trentaine).

Le livre italien apparaît ainsi comme une constante dans les bibliothèques françaises des xvie et xviie siècles, et témoigne de l’empreinte culturelle italienne qui pénétra la France durant ces années.

64 Cf. E. Bayle, A. Bresson, J-F. Maillard, La bibliothèque de Peiresc, Philosophie, Éditions du CNRS, 1990, p. 5-7. 65 Cf. Bibliothecae Cordesianae catalogus, cum indice titulorum, Paris, Antonius Vitray, 1643, p. 542. 66 Cf. Inventaire des livres de feu Monseigneur le cardinal duc de Richelieu, fait par moy T. Blaise. Tome I et II. (, consulté le 08/04/2020). 67 Cf. Jérôme Delatour, Une bibliothèque humaniste au temps des guerres de religion, les Livres de Claude Dupuy, Lyon / Paris, Enssib / École des chartes, 1998, p. IX : « 2 000 volumes environ », « 6 % d’italien » p. 96. 68 I. de Conihout , « À propos de la bibliothèque aux cotes brunes des Laubespine- Villeroy : les livres italiens chez les secrétaires du roi dans la seconde moitié du xvie siècle », Italique. Poésie italienne de la Renaissance, t. VII, 2004. 69 E. Bœuf, La bibliothèque parisienne de Gabriel Naudé en 1630, op. cit., p. 15. 70 I. de Conihout , « À propos de la bibliothèque aux cotes brunes des Laubespine- Villeroy », art. cit. 71 Ibid.

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Bibliographie Balsamo, Jean, L’amorevolezza verso le cose italiche : le livre italien à Paris au xvie siècle, Genève, Librairie Droz, 2015, 282 p. Bianchi, Lorenzo, Érudition, critique et histoire chez Gabriel Naudé, 1600-1653, Tübingen, M. Niemeyer, 2001, p. 35-55. Bœuf, Estelle, Une bibliothèque d’érudit au xviie siècle : les livres de Gabriel Naudé conservés à la Mazarine, Mémoire d’étude Diplôme de conservateur des bibliothèques Villeurbanne, ENSSIB, 1998, p. 150. —, La bibliothèque parisienne de Gabriel Naudé en 1630 : les lectures d’un “libertin érudit’, Genève, Droz, 2007, p. 439. Bragaglia, Egisto, Gli Ex libris italiani : dalle origini alla fine dell’Ottocento. 2-3. Repertorio, Milano, Ed. bibliografica, 1993, 2 vol., p. 448. Cavallini, Concetta, L’italianisme de Michel de Montaigne, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2016, p. 366. Daubert, Françoise Charles, «  Gabriel Naudé entre la France et l’Italie au temps de Mazarin », dans Jean Serroy, La France et l’Italie au temps de Mazarin, PUG, Grenoble, 1986, p. 101. Conihout, Isabelle de, Michel, Patrick (éd.), Mazarin : les lettres et les arts, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2006, p. 479. —, « À propos de la bibliothèque aux cotes brunes des Laubespine-Villeroy : les livres italiens chez les secrétaires du roi dans la seconde moitié du xvie siècle », Italique, Poésie italienne de la Renaissance, VII, 2004, Varia, p. 138-159. Doucet [R], Les bibliothèques parisiennes au xvie siècle, Paris, Picard, 1956, p. 20. Franklin, Alfred, Histoire de la bibliothèque Mazarine et du palais de l’institut, Paris, H. Welter, 1901, p. 7. Hermal de Roton, Olivier Georges, Manuel de l’amateur de reliures armoriées françaises, Paris, Ch. Bosse, 1924-1938. Jacob, L., Traicté des plus belles bibliothèques publiques et particulières, Paris, Rolet Le Duc, 1644, p 95. Jolly, Claude, Histoire des bibliothèques françaises, [2], Les bibliothèques sous l’Ancien Régime, 1530-1789, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 2008, 746 p. Meyer-Noirel, Laget, Répertoire général des ex-libris français des origines à l’époque moderne : 1496-1920, Tomblaine, 1991. Palmirani, Remo, Manuale dell’amatore di ex libris : guida illustrata alla storia, alla cultura ed al collezionismo degli ex libris dal xvi secolo ai giorni nostri, Strumenti di collezionismo, Ravenna, Essegi, 1999, p. 63. Péligry, Christian, « La présence italienne dans les collections de la bibliothèque Mazarine principalement au xviie siècle », dans Le livre italien hors d’Italie au XVIIe siècle (Actes du colloque), éd. par D. Montoliu, Université Toulouse-Le Mirail, 2010, p. 249.

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amélie ferrigno Popoff, Michel, Répertoires d’héraldique italienne, 1, Florence : 1302-1700, Orsini De Marzo, 2009. —, Répertoires d’héraldique italienne. 2, Toscane : hors Florence : Arezzo, Borgo San Sepolcro, Fiesole…, Paris, le Léopard d’or, 2009. —, Répertoires d’héraldique italienne. 3, Royaume de Naples, Paris, le Léopard d’or, 2010. Queyroux, Fabienne, Recherches sur Gabriel Naudé, érudit et bibliothécaire (1600-1653), Mémoire ou thèse (version d’origine), École nationale des chartes (Paris), 1990. Rozzo, Ugo, Seidel Menchi, Silvana, « Livre et Réforme en Italie », dans La Réforme et le livre. L’Europe de l’imprimé (1517-v. 1570), J.-F. Gilmont(éd.), Paris, Éd. du Cerf, 1990. Schutz, A. H., Vernacular books in Parisian private libraries of the Sixteenth Century, Chapel Hill, 1955, p. 88. Serroy, Jean, La France et l’Italie au temps de Mazarin (15e Colloque du Centre méridional de rencontres sur le xviie siècle), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1986, p. 419. Sordet, Yann, D’un palais (1643) l’autre (1668) : les bibliothèques Mazarine(s) et leur décor, Journal des savants fondé en 1665, Paris diffusion de Boccard, janv.-juin, 2015, p. 80.

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Le collectionnisme des Aldine en France aux xviie-xviiie siècles Dorit Raines

Université Ca’ Foscari de Venise

En 1761 Louis Bollioud de Mermet, membre de l’Académie des Sciences et des BellesLettres et auteur de l’œuvre De la Bibliomanie, déclarait que les livres : « sont maintenant des meubles de pure curiosité, qu’on achète à grands frais, qu’on montre avec ostentation, qu’on garde sans en tirer aucune utilité ». Il ajoutait ensuite : Entrons dans le cabinet d’un de ces Bibliomanes du bel air, et l’on exposera à notre admiration tout ce que la presse a produit de plus rare et de plus exquis ; les belles éditions des Aldes, de Plantin, de Vascozan, d’Elzévir, de Vitré, de Mabre-Cramoisy1.

Bien qu’on puisse douter qu’à l’époque de Bollioud de Mermet les hommes de lettres considéraient tous les livres de cette manière, il est clair qu’au moins une partie de la production libraire de trois siècles, de l’invention de Gutenberg jusqu’aux jours de Bollioud, était désormais devenue « antiquaire ». Les grandes bibliothèques privées avec leurs milliers des titres, les catalogues des ventes et les ventes aux enchères : leur présence massive nous indique l’essor – à partir du xviie siècle, comme on le verra – d’un grand marché caractérisé par le profit et non par l’échange d’un objet de culture et où le prix fixé dépendait d’une série de paramètres tels que la rareté, l’état de l’objet, la reliure et de moins en moins le texte même lorsqu’il s’agissait d’une édition philologiquement et typographiquement remarquable. Ce dernier élément était apprécié par les collectionneurs des xviie-xviiie  siècles seulement pour les œuvres de quelques imprimeurs-libraires dont l’un des plus célèbres était Alde Manuce. Les innovations d’Alde sont bien connues : les livres de poche, l’habileté à utiliser des caractères de grandeurs différentes lors de la mise en page et, enfin, le caractère « italique ». Les éditions issues de l’imprimerie d’Alde étaient le fruit d’un important travail philologique fourni par des intellectuels de renom, accompagné

1

[Louis Bollioud de Mermet], De la Bibliomanie, La Haye, s.t., 1761, p. 9, et 44.

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dorit raines

d’une exécution presque maniaque des différentes phases de l’impression du texte2. Mais c’est surtout la stratégie commerciale qui transforme assez vite ses produits en un « brand », d’abord à l’aide d’une marque imprimée sur la page de titre : un dauphin s’enroulant autour d’une ancre, accompagné de la phrase festina lente ; ensuite grâce à la définition préalable et ciblée de son public et, enfin, par la promotion de ses œuvres à travers des catalogues bibliographiques3. En effet, en Italie la diffusion des livres d’Alde était immédiate et capillaire. Dans un autre article sur le collectionnisme des éditions d’Alde à Venise, j’ai déjà identifié les humanistes de renom possesseurs des Aldine conservées aujourd’hui à la Biblioteca Nazionale Marciana : Niccolò Leonico Tomeo ; le géographe et secrétaire du doge Alvise Mocenigo, Giovanni Battista Ramusio ; le professeur de grec Vettor Fausto. Plus tard, des savants du xvie siècle et des membres de l’élite politique vénitienne figurent parmi les possesseurs : l’érudit de Padoue Gianfrancesco Mussato ; le patricien et ambassadeur vénitien Marino Cavalli ; le médecin et professeur de botanique à Padoue Melchior Wieland ou Guilandino ; le professeur de grec dans les universités de Padoue et de Salerne Matteo Macigni et son père Ruberto ; le professeur de philosophie naturelle à l’université de Padoue Federico Pendasio ; le romancier, poète et traducteur Giovanni Brevio, archidiacre de Ceneda et ami du cardinal vénitien Pietro Bembo. Le fait que les éditions d’Alde étaient déjà considérées comme faisant partie d’une catégorie à part est démontré par le legs que, en 1535, le chef de la chancellerie vénitienne (Cancellier Grande) Andrea Franceschi (†1552) a fait à l’un de ses amis les plus proches, le savant Giambattista Egnazio : son testament précise orgueilleusement le nom de l’éditeur du volume : « il mio Homero greco picolo a stampa de Aldo ligato tuto a la Damaschina doro » (« mon petit Homère en grec imprimé par Alde et relié en damasquin d’or »)4. En Italie les livres issus de l’atelier d’Alde étaient recherchés aussi par des lecteurs ou des lectrices illustres : c’est le cas, par exemple, de trois femmes connues pour leurs cercles intellectuels, telles que Felice della Rovere, fille illégitime du pape Jules II, ou Isabella d’Este, marquise de Mantoue. Ils étaient aussi offerts comme des dons précieux à la comtesse Lucrezia Gonzaga di Novellara, deuxième femme

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Martin Lowry, Il mondo di Aldo Manuzio : affari e cultura nella Venezia del Rinascimento, Rome, Veltro editrice, 1984, p. 137-143. Ursula Rautenberg, « The Title-Pages from the Printing Shop of Aldus Manutius (1495-1515) », dans Aldo Manuzio. La costruzione del mito, éd. par M. Infelise, Venise, Marsilio, 2016, p. 163-181. Dorit Raines, « Becoming collectable : collecting and selling Aldines in early-modern Venice », dans Five centuries later. Aldus Manutius : culture, typography and philology, éd. par N. Vacalebre, Florence, Olschki editore-Biblioteca Ambrosiana, t. CCVI, p. 106-110.

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le collectionnisme des aldine en france

d’Andrea Malatesta, seigneur de Cesena, ou encore à l’homme de lettres et soldat aux ordres de Charles Quint, Raffaele Vitali de Naples5. De même, comme l’a déjà démontrée Shanti Graheli6, les éditions Aldines furent bientôt présentes dans les plus prestigieuses bibliothèques de la Renaissance française : celle du trésorier Jean Grolier, un ami personnel de Gian Francesco Torresano, qui fut un mécène des arts ; celles de hauts fonctionnaires tels que Gaston Olivier ou Jacques-Auguste de Thou (ce dernier avait probablement acheté des Aldine lors de ses nombreux séjours à Venise aux années 15707) ; celles de savants tels que Claude Dupuy, ou de prélats comme Jean Du Bellay, et en général des fonctionnaires de la cour. Les ambassadeurs français à Rome et à Venise ont été particulièrement actifs lorsqu’ils recherchaient des volumes pour la collection de François Ier (1515-1547), ce projet grandiose d’une nouvelle bibliothèque royale de Fontainebleau réalisé grâce à l’habile direction de Guillaume Budé. Des sommes considérables ont été dépensées afin de rassembler cette collection ; la plupart des livres destinés à Fontainebleau étaient des manuscrits de grande valeur, mais on compte aussi, parmi les imprimés acquis, un grand nombre d’éditions Aldines8. La distribution ainsi que le réseau des connaissances se révélaient être un facteur fondamental dans la propagation du renom des éditions Aldines. Toutefois, le marché parisien était géré par des agents de la famille d’Alde, qui ont empêché la vente en grand nombre des volumes car les prix fixés pour les Aldine étaient bien plus élevés qu’en Italie, où leurs éditions étaient déjà plus chères que celles de leurs concurrents. Graheli résume l’histoire presque rocambolesque des agents de l’imprimerie des Aldes à Paris : Nel momento in cui Bernardo Torresani rilevò la bottega parigina [de 1554 jusqu’à 1571], la storia della circolazione delle aldine a Parigi annoverava un primo venditore truffaldino [Zanpietro, jusqu’à 1508, puis Girolamo Aleandro

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Shanti Graheli, « Aldo, i suoi lettori e il mercato internazionale del libro », dans Aldo al lettore. Viaggio intorno al mondo del libro e della stampa in occasione del V centenario della morte di Aldo Manuzio, éd. par T. Plebani, Milan, Unicopli, 2016, p. 151-172 ; Alessandra Villa, « Le mécénat d’Isabella d’Este entre art et littérature : le rôle du Libro de natura de amore de Mariio Equicola », dans Livres et lectures de femmes en Europe entre Moyen Âge et Renaissance, éd. par A. M. Legaré, Turnhout, Brepols, 2017, p. 325-331. Shanti Graheli, « Aldo Manuzio e il Rinascimento francese », dans Aldo Manuzio. La costruzione del mito, op. cit., p. 259-274. Antoine Coron, « “Ut prosint aliis”. Jacques-Auguste de Thou et sa bibliothèque », dans Histoire des bibliothèques françaises. Les bibliothèques sous l’ancien régime, 1530–1789, t. II, éd. par C. Jolly, Paris, Electre, 2008, p. 119. Trésors royaux : la bibliothèque de François Ier, éd. par M. Hermant, Blois [Paris] Rennes, Château royal de Blois ; BnF, 2015 ; Magali Vène, « Des livres et un roi », dans François 1er. Pouvoir et image, éd. par B. Petey-Girard et M. Vène, Paris, BnF, 2015, p. 220-231.

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dorit raines jusqu’à 1513], un libraio morto tra i debiti [Jean de Varade, mort en 1540], e un terzo che a causa di debiti era, invece, fuggito, [Jean Picard, en 1547]9.

Le prix élevé fixé au départ par les agents de la maison des Manuce et l’élégance des éditions ont contribué également à la propagation de contrefaçons, surtout à partir des années 1510-1512, et à l’achat de la part de savants français des éditions contrefaites (même Jean Grolier possédait une édition lyonnaise de Catulle-TibulleProperce)10. Le Monitum lancé par Alde, en 1503, contre les imprimeurs lyonnais11 visait surtout les Gabiano qui, à partir de 1502, avaient su imiter les éditions Aldines de Virgile d’abord, d’Horace, Perse et Juvénal, Catulle-Tibulle-Properce, Martial et Lucain ensuite12. Un troisième facteur qui avait contribué à une circulation limitée des éditions Aldines en France, était le fait que les caractères italiques n’étaient pas assez appréciés – au moins au début de siècle – et ne correspondaient pas aux goûts des lecteurs de l’époque, surtout lorsqu’ils les avaient connus à travers des éditions contrefaites qui ne possédaient pas la qualité des éditions d’Alde13. Même si on peut supposer que ces circonstances dans les deux capitales de l’imprimerie française ont été défavorables à la circulation des Aldine, il existe néanmoins un autre facteur qui, à long terme, se révéla crucial pour la propagation de la célébrité de ces éditions et la création progressive d’un marché dédié qui les transformerait en pièces de collection. C’est suite à la disponibilité croissante de différentes éditions du même texte, ainsi qu’au déclin du mouvement de la Renaissance, et par conséquent de la recherche frénétique de textes des classiques, que les éditions Aldines ont cessé de jouer, au cours du xviie siècle, un rôle savant. La naissance de l’incunable en tant que secteur bibliographique distinct et la diversité croissante de l’offre du marché du livre ont contribué à l’émergence d’un marché de collections14. C’est à ce moment-là que la renommée du soin philologique apporté aux éditions des Aldes a ouvert la voie du succès et les a rendues « collectable » par rapport à

9 S. Graheli, « Aldo Manuzio e il Rinascimento francese », art. cit., p. 264. 10 William Kemp, « Counterfeit Aldines and italic-letter editions printed in Lyons 1502-1510 : early diffusion in Italy and France », Papers of the Bibliographical Society of Canada, t. XXV, 1, 1997, p. 79-85. 11 Aldo Manuzio tipografo 1494-1515, éd. par L. Bigliazzi, Florence, Octavo-Franco Cantini, 1994, p. 115-116. 12 W. Kemp, « Counterfeit Aldines », art. cit., p. 75-100 ; S. Graheli, « Aldo Manuzio e il Rinascimento francese », art. cit., p. 259-260. Les Lyonnais ont aussi publié en italique une édition de Térence, pour laquelle Alde avait eu un privilège pour la durée de dix ans de la République de Venise. 13 W. Kemp, « Counterfeit Aldines », art. cit., p. 78-85. 14 Yann Sordet, « Les incunables chez quelques collectionneurs français des xviie et xviiie siècles : élection, distinction, manipulations », dans Le Berceau du livre imprimé. Autour des incunables, éd. par P. Aquilon et T. Claerr, Turnhout, Brepols, 2010, p. 267-286.

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le collectionnisme des aldine en france

des éditions d’autres imprimeurs. La figure d’Alde devient alors fondamentale pour distinguer ses éditions de celles d’autres imprimeurs. Déjà en 1548 Nicolas Le Riche, directeur de l’agence de Gian Francesco Torresano et neveu de l’imprimeur Jean de Gagny, publia un catalogue de vente sous le titre : Index librorum tam Græca et Latina, quam vulgari Italorum lingua, ex officina Aldi, et aliunde ex Italia advectorum15, même si le catalogue énumérait peu d’Aldine. Mais c’est surtout le débat sur l’histoire de l’imprimerie qui avait attribué à Alde une place d’honneur parmi les premiers imprimeurs. Un intellectuel européen du calibre de Matthias Richter nommait, dans son De typographiæ inventione publié à Copenhague en 1566, parmi les « illustres imprimeurs » Johann Fust, Peter Schöffer, Johann Gutenberg, Alde Manuce et Daniel Bomberg16. La fortune de l’œuvre d’Alde Manuce le Jeune L’Eleganze della lingua toscana e latina, une sorte de manuel scolaire, démontre aussi de façon éloquente le renom d’Alde : publié pour la première fois par Paul Manuce en 1556, il a été réédité en 1574 à Cologne par Johann Gumnich, à Lausanne par François Le Preux et à Augsbourg par Michael Manger. Ces trois imprimeurs ont cité sur la page de titre l’auteur sous la forme « Aldo Manutio Pauli filio ». Pourtant, Alde l’Ancien remplace son petit-fils en tant qu’auteur de l’Eleganze aux premières années du xviie siècle ; les préfaces parues dans l’adaptation latine de cet ouvrage (Elegantiæ Aldi Manutii) et dans celle en allemand, rédigées par le professeur de grammaire Johann Büchler (Thesaurus elegantiarum Aldi Manutii, Coloniae Agrippinae, Sumptibus Bernardi Gualtheri, 1604), jugeaient la renommée d’Alde l’Ancien plus solide que celle de son petit-fils17. L’apothéose, pour ainsi dire, apparaît dans l’œuvre de Bernhard von Mallinckrodt : De ortu et progressu artis typographicæ, publiée en 1639 : Inter Typographos rarioris eruditionis laude praestantes, ætate primas fere aufert Aldus Manutius Romanus, qui Venetijs ante annum millesimum quincentesimum (1500) celeberrimam instituit Officinam, e’ qua plurimi egregij auctores prodierunt, isque primus, ni fallor, est qui Græcos libros excudit18.

15 S. Graheli, « Aldo Manuzio e il Rinascimento francese », art. cit., p. 263. 16 Voir Matthaeus Iudex [Richter], De typographiæ invention et de Praelorum legitim a inspectione, libellus brevis et utilis, Coppenhagii, Excudebat Ioannes Zimmerman, 1566, p. 29, 31, qui nomme les « illustres éditeurs » suivants : Johann Fust, Peter Schöffer, Johann Gutenberg, Aldus, Daniel Bomberg etc. Cf. Robert Kolb, «  Condamnation de la croyance princière des publications théologiennes par Matthaeus Judex », Histoire de l’église, t. LX, 4, 1981, p. 401-414. 17 D. Raines, « Becoming collectable », art. cit., p. 110-111, note 33. 18 Bernhard von Mallinckrodt, De ortu ac progressu artis typographicæ dissertatio historica, in qua praeter alia pleraque ad calcographices negocium spectantia de auctoribus et loco inuentionis praecipuè inquiritur, proque Moguntinis contra Harlemenses concluditur : a Bernardo a Mallinkrot decano

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Les savants français étaient encore plus enthousiastes : Pierre Le Gallois dans son Traitté des belles bibliothèques de l’Europe, publié en 1680, considérait Alde comme un savant-imprimeur, le premier à publier des textes anciens19 ; de son côté, en 1689, le libraire parisien Jean de La Caille faisait référence au « célèbre Alde Manuce » à propos de sa marque festina lente et déclarait qu’elle était déjà connue dans les cercles des collectionneurs20. Pour évaluer la présence des éditions Aldines dans les bibliothèques privées françaises à l’âge du collectionnisme, et donc aux xviie-xviiie siècles – et je rappelle que notre étude se réfère seulement aux éditions d’Alde l’Ancien et non pas à celles de ses héritiers Paul et Alde le Jeune – et connaître les usages des propriétaires, je propose de suivre les traces laissées par les anciens possesseurs à l’aide de la base de données EDITEF, celle des incunables MEI et à partir des catalogues de ventes des bibliothèques françaises. Les données présentées ici sont indicatives, car non seulement il existe des livres qui ne portent pas de traces des propriétaires (leur nombre est en réalité plutôt bas pour les xvie-xviie siècles), mais également parce que les données sont actuellement partielles ; il sera possible seulement après la saisie des données de propriété de toutes les bibliothèques, en France et ailleurs, de vérifier la vraie pénétration des éditions d’Alde dans les bibliothèques privées françaises de l’Ancien Régime et de déchiffrer les contours de leur accueil. En outre, on constate qu’il faut être très prudent quant aux conclusions qu’on peut tirer d’un inventaire d’une bibliothèque française des années 1620. Au premier regard, on peut constater que la plupart de propriétaires des xviexviie  siècles qui avaient laissé des traces sur des livres21 sont soit des hauts fonctionnaires de la monarchie française ( Jean Grolier, trésorier de France, 1489/90156522 ; Thomas Mahieu, secrétaire de la reine Catherine de Médicis, 1520-158923 ;

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monasteriensi ac C. Mindensi, Coloniæ Agrippinae, apud Ioannem Kinchium, sub Monocerote veteri, 1640, p. 21, 91. Pierre Le Gallois, Traitté des plus belles bibliothèques de l’Europe, des premiers livres qui ont été faits. De l’invention de l’Imprimerie. Des Imprimeurs. De plusieurs livres qui ont été perdus et recouvrez par les soins des Sçavans, avec une Méthode pour dresser une Bibliothèque, Paris, Estienne Michallet, 1680, p. 162-163. Jean de la Caille, Histoire de l’imprimerie et de la librairie : où l’on voit son origine et son progrès, jusqu’en 1689, Paris, Jean de la Caille, 1689, p. 137. Sources : pour les notes 22-24, 26-33, 40-42 : Material Evidence in Incunabula (MEI) (, consulté le 02/04/2020) ; pour les notes 25, 34-39 : Bibliothèque municipale de Lyon (Numelyo :