Les Inventions de Reliques Dans L'Empire Romain D'Orient (Ive-Vie S.) (Hagiologia) (French Edition) 9782503565101, 2503565107


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Les Inventions de Reliques Dans L'Empire Romain D'Orient (Ive-Vie S.) (Hagiologia) (French Edition)
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Les inventions de reliques dans l’Empire romain d’Orient

HAGIOLOGIA Études sur la Sainteté en Occident – Studies on Western Sainthood

Volume 11

Comité de Rédaction – Editorial Board HAGIOLOGIA Paul Bertrand Gordon Blennemann Jeroen Deploige Anne-Marie Helvétius Xavier Hermand



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FH G 2015

Estelle Cronnier

Les inventions de reliques dans l’Empire romain d’Orient (IVe-VIe s.)

FH G 2015

All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2015/0095/154 ISBN 978-2-503-56510-1 Printed on acid free paper

Avant-propos

Le présent ouvrage est issu d’une thèse de doctorat, préparée sous la direction de M. Michel Kaplan et soutenue le 6 octobre 2012 à l’Université Paris 1 PanthéonSorbonne, devant un jury constitué de  Mme Marie-Hélène Congourdeau et MM. Vincent Déroche, Bernard Flusin, Michel Kaplan et Robert Wiśniewski. En vue de sa publication, cette thèse a dû être allégée, surtout au niveau de son appareil de notes. Les indications bibliographiques y figurent donc systématiquement sous une forme abrégée ; on trouvera les références complètes à la fin de l’ouvrage.

INTRODUCTION Le mot λείψανα, reliquiae, reliques, signifie, étymologiquement, « restes »1. D’abord utilisé dans le domaine courant, le substantif employé seul en vint à signifier la dépouille mortelle. Dans le monde chrétien, généralement accompagné d’un adjectif, ἅγια, sanctae, il prit le sens spécifique de corps saint, puis, par extension, de reliques réelles non corporelles, ou de reliques représentatives, parfois appelées de contact2. C’est le culte des martyrs qui devait, le premier, faire sentir aux communautés chrétiennes le besoin d’entourer les restes des héros de la foi de soins et d’honneurs singuliers3. Il est depuis longtemps admis que celui-ci se présenta tout d’abord comme une forme particulière du culte des morts : les premiers martyrs reçurent une sépulture ordinaire, sans autre caractère rituel que les diverses célébrations anniversaires d’usage au tombeau. La première occurrence connue d’une liste de martyrs à commémorer par une Église provient de Carthage en 2504 ; Rome lui emboîta le pas en 2585. L’Orient offrit également des exemples de cultes précoces, tel celui des Quarante Martyrs de Sébaste. Or, à partir du moment où l’on organisa un culte au sein des communautés,

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Depuis plus d’un demi-siècle, la recherche, surtout pour le monde occidental, s’est intéressée de près aux reliques, dans de nombreux domaines et sous de multiples aspects. Pour un résumé de la question, voir l’introduction du colloque interdisciplinaire Les reliques. On citera, parmi les notices de dictionnaires : D’A LÈS, Reliques ; LECLERCQ, Reliques ; NAZ, Reliques ; A LBRECHT – A MELING, Reliquien. Parmi les livres et articles : GAUTHIER, Reliques ; A NGENENDT, Reliquien et ID., Relics ; LEGNER, Reliquien ; VAN OS, Relic veneration ; MORINI, Culto. Plus spécifiquement, pour l’architecture et l’iconographie : GRABAR, Martyrium. Pour le droit des reliques : HERRMANN-M ASCARD, Reliques. Pour la Croix et les reliques de la Passion : FROLOW, Vraie Croix 1, 2 ; Byzance et les reliques du Christ. Pour la politique des reliques : BOZÓKY, Politique. Pour l’époque moderne : GAGNEUX, Reliques ; Les Reliques modernes. Pour les sanctuaires et pèlerinages : KÖTTING, Peregrinatio ; M ARAVAL, Lieux saints ou ID., Pilgrimage. Enfin, pour les inventions de reliques, objet de notre étude, s’il est impossible de mentionner ici les multiples travaux consacrés à tel ou tel cas particulier, on trouvera, pour l’Orient, une présentation d’ensemble dans M ARAVAL, Lieux saints, p. 36-47. Du côté occidental, pour le genre littéraire des inventions : H EINZELMANN, Translationsberichte. Pour une plus large réflexion sur les implications sociales et politiques du phénomène : HELVÉTIUS, Inventions. Voir encore OTTER, Inventiones et VAN UYTFANGHE, Culte. 2 HERRMANN-M ASCARD, Reliques, p. 42-49. 3 KÖTTING, Reliquienverehrung ; DELEHAYE, Origines. 4 Cyprien, Ep. 12, p. 34. Voir encore Ep. 39, p. 99. 5 HERRMANN-M ASCARD, Reliques, p. 23-24.

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INTRODUCTION

les choses évoluèrent rapidement : Eusèbe rapporte d’abord comment Pamphile et ses compagnons († 310) « obtinrent des funérailles convenables et, selon la coutume, ils furent mis au tombeau » ; dans une seconde version, il précise : « Ils furent déposés dans les splendides demeures des temples, et placés dans les saintes maisons de prières, pour une impérissable mémoire, afin d’y être honorés par le peuple de Dieu6. » La mise au tombeau devenait déposition rituelle dans un espace sacré, cultuel et commémoratif. L’accession au pouvoir de Constantin (306-337) mit fin aux persécutions et inaugura une nouvelle ère : devenu maître de Rome, il aurait pris des mesures pour recueillir les corps des martyrs et leur offrir une digne sépulture, et annoncé aux habitants de Palestine la remise aux Églises des « lieux qui ont été honorés par les corps des martyrs et qui sont définitivement devenus les monuments de leur glorieux trépas7 ». Dès que cela fut possible, on se mit donc à rechercher les saintes dépouilles. Parallèlement, devait se développer le culte des Lieux saints8, c’est-à-dire ceux sanctifiés par la présence du Christ, mais aussi les lieux des théophanies de l’Ancien Testament, où le Verbe s’était manifesté. La dévotion des fidèles se tourna encore vers les tombeaux des saints vétérotestamentaires. Dès le IV e siècle, se multiplient les témoignages, notamment d’évêques, guides et gardiens de leur Église9. Entre Orient et Occident, Jérôme (v. 347420), tout en décrivant le pèlerinage comme une expérience spirituelle, atteste de l’adoration aux lieux saints de Palestine10 : Viendra-t-il donc, ce beau jour, où nous pourrons pénétrer ensemble dans la grotte du Sauveur, puis, dans le sépulcre du Seigneur, pleurer avec notre sœur, pleurer avec notre mère ? baiser ensuite le bois de la Croix ; enfin, au mont des Oliviers, en même temps que le Seigneur monte au ciel, sentir s’élever nos aspirations et notre courage ; voir sortir Lazare encore tout ligoté de bandelettes et contempler les ondes du Jourdain purifiées par le baptême

6 Eusèbe, Mart. Pal., XI, 28, p. 167 (SC). SAUGET, Panfilo, etc. Sur les deux versions, courte (ap. 313 ?) et longue (ap. 324 ?) : MOREAU, Eusèbe, col. 1451-1452. 7 Eusèbe, Vie de Constantin, II, 40, p. 310-311 (SC). Voir encore, Alexandre le Moine, De inventione, col. 4056A ; Théophane, Chron., I, p. 14 (AM 5803 [310/311]) ; GUIDI, Bios, p. 24, l. 10-12. Cf. M ARAVAL, Lieux saints, p. 92, n. 157. 8 WALKER, Holy City ; M ARKUS, Origins ; FLUSIN, Lieux saints. Pour un exemple du processus de christianisation : HOLUM, Christianizing. 9 Ainsi de nombreux Pères, comme les Cappadociens (BERNARDI, Cappadociens ; GIRARDI, Basilio ; LIMBERIS, Cappadocian ; MOSSAY, Grégoire), Jean Chrysostome (SOLER, Antioche) ou, en Occident, Ambroise de Milan (DASSMANN, Ambrosius) et Augustin (infra, p. 20-21). 10 Pour le pèlerinage qu’il fit avec son amie Paula en 385 : Ep. 108, t. V, p. 165-175 ; voir encore Ep. 46, t. IV, p. 109-114. Jérôme défend une pratique alors controversée. Comme sa contemporaine la pèlerine Égérie (381/384), sans doute venue de la lointaine Galice, Paula « contemplait des yeux de la foi » : Ep. 108, 10, t. V, p. 168. POLLASTRI, Paula.

INTRODUCTION

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du Seigneur ? De là, nous diriger vers les bergeries des pasteurs, prier dans le mausolée de David, apercevoir le prophète Amos qui, maintenant encore, sur son rocher, sonne de la trompette des bergers ; nous hâter vers les tentes ou les monuments funèbres d’Abraham, Isaac et Jacob et de leurs trois illustres femmes ; voir la fontaine où Philippe baptisa l’eunuque ? nous rendre à Samarie et y vénérer du même coup les cendres de Jean Baptiste, d’Élisée et Abdias ? pénétrer dans les cavernes où, en temps de persécution et de famine, se nourrissaient les troupes des prophètes ? Nous irons à Nazareth, et (ainsi en effet se traduit son nom) nous verrons la « fleur » de la Galilée. Non loin de là s’apercevra Cana, où l’eau fut changée en vin. Nous nous dirigerons vers le Thabor et les tentes du Sauveur ; mais ce n’est pas avec Moïse et Élie, comme Pierre le souhaita jadis, mais avec le Père et l’Esprit-Saint que nous le contemplerons. De là nous arriverons à la mer de Génésareth et nous verrons cinq, puis quatre mille hommes rassasiés, dans le désert, de cinq ou de sept pains. Le bourg de Naïm apparaîtra, aux portes duquel le fils de la veuve fut ressuscité. On verra les Hermons et le torrent d’Endor, où fut vaincu Sisara. Capharnaüm aussi, coutumier des miracles du Seigneur, sera contemplé, ainsi que toute la Galilée. Enfin, dans la compagnie du Christ, passant par Silo, Béthel et les autres localités, où des églises ont été érigées, comme autant d’étendards des victoires du Christ, nous pourrions rentrer dans notre chère grotte. Ensuite, nos chants seront continuels, nos larmes abondantes, notre prière perpétuelle. Blessées des traits amoureux du Sauveur, nous répéterons en commun : « Je l’ai trouvé, celui qu’a cherché mon âme ; je le garderai et ne le quitterai point. »11

Mais le silence des sources sur le culte des reliques jusqu’au début du IVe siècle est étonnant12. Il existe assez peu de textes apologétiques le visant expressément, et pour recueillir quelques jugements critiques, il faut se tourner le plus souvent vers des réflexions éparses chez certains auteurs chrétiens13. À en croire ce petit nombre de témoignages, on pourrait penser que ce culte ne rencontra pas de résistance majeure et fut vite admis ; ce serait oublier à quel point il contrariait la mentalité antique traditionnelle14.

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Jérôme, Ep. 46, 13, t. IV, p. 113. HERRMANN-M ASCARD, Reliques, p. 24. 13 On cite généralement le Discours sur Babylas de Jean Chrysostome, le Contre Vigilance de Jérôme, le § VIII de la Thérapeutique des maladies helléniques de Théodoret de Cyr, et un discours d’Eustrate de Constantinople sur le statut des âmes après la mort, le De statu animarum post mortem. Voir encore le traité de Cyrille d’Alexandrie, Contre Julien, dédié à l’empereur Théodose II entre 433 et 441. Pour Théodoret : C ANIVET, Histoire ; pour Eustrate : CONSTAS, Apology. La polémique ressurgit au XIIe siècle : GOUILLARD, Léthargie. Sur le sujet : SANSTERRE, Justifications. 14 Pour la lente évolution sur toutes ces conceptions et la notion de taboo : SAMELLAS, Death. 12

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INTRODUCTION

Certes, les païens ne méconnaissaient pas le culte des reliques au sens large, comme au sens plus restreint15, et les restes de leurs héros pouvaient faire office de palladia pour une cité, gages de sécurité, de victoire et de félicité : les Lacédémoniens ne défirent Tégée qu’après la découverte du tombeau et la translation des os d’Oreste chez eux16. Ils obéissaient à la voix de l’oracle, comme le firent les Athéniens chargés de retrouver, de rapporter et d’honorer les reliques (λείψανα) de Thésée17. Semblables révélations, par le biais d’oracles ou de songes, étaient fréquentes dans le monde gréco-romain, sans doute sous l’influence des traditions orientales, en particulier égyptiennes18. On trouverait la même chose dans le monde juif19. En effet, contrairement au Nouveau Testament qui ne connaît qu’un seul intercesseur, le Christ, qui a donné sa vie comme λύτρον, la religion populaire du judaïsme tardif en possédait un grand nombre : figures bibliques, anges, martyrs, etc. Les juifs faisaient de la présence dans la tombe le résultat d’un renoncement volontaire. Dieu aurait alors caché la tombe de Moïse, de peur que le peuple en exil ne parvienne à déjouer le destin en le suppliant d’intercéder en sa faveur20, et les Égyptiens les ossements de Joseph (ils passaient pour procurer la sécurité et l’invincibilité à leurs possesseurs), de crainte que leur sortie d’Égypte ne préfigure la ruine du pays. Quand Siméon eut terminé ses recommandations à ses fils, il s’endormit avec ses pères, âgé de cent vingt ans. Ils le mirent dans un cercueil de bois pour ramener ses ossements à Hébron. Ils les ramenèrent clandestinement pendant la guerre avec les Égyptiens. Car les Égyptiens gardaient les ossements de Joseph dans les tombeaux des rois. Leurs magiciens leur disaient, en effet, que pendant le transport de Joseph, il y aurait, sur tout le pays, des ténèbres, de l’obscurité et un grand fléau sur les Égyptiens, au point qu’on ne pourrait avec une lampe reconnaître son propre frère21.

La protection offerte par les os des saints ne se limitait pas à Israël, mais rayonnait autour d’eux, et les juifs leur reconnaissaient des pouvoirs thaumaturgiques. Un mort déposé à la hâte dans la tombe d’Élisée se reprit à vivre au contact de ses ossements (2/4 R 13, 20-21)22, et son tombeau, que partageaient P FISTER, Reliquienkult. Hérodote, Histoires, I, 67-68, p. 71-72. Plutarque, Vie de Cimon, 8, 5-7, t. VII, p. 24-25 ; cf. Vie de Thésée, 36, 2-6, t. I, p. 46.  18 Sur cette influence, voir notamment SPEYER, Bücherfunde. 19 Pour la croyance en la résurrection chez les juifs et la pratique de l’ossilegum : MEYERS, Ossuaries. 20 JEREMIAS, Heiligengräber, p. 127. 21 Test. Siméon, VIII, p. 23-24. On disait encore qu’ils les avaient mis dans un sarcophage de métal et jetés dans les eaux du Nil. Il existe de semblables croyances sur les héros païens.  22 Pour le développement de la légende dans la littérature juive : JEREMIAS, Heiligengräber, p. 131132. Selon Cyrille de Jérusalem (v. 315-387), l’épisode montre que, même en l’absence de l’âme, 15 16 17

INTRODUCTION

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désormais Jean Baptiste et Abdias, était toujours le théâtre de scènes de thaumaturgie à la fin du IVe siècle23. Selon les Vies des prophètes, Isaïe commandait à la source de Siloé ; la terre qui recouvrait la tombe de Jérémie guérissait les morsures de serpents, et ses ossements avaient totalement chassé d’Alexandrie aspics et crocodiles ; le sépulcre d’Ézéchiel protégeait les pèlerins. Selon Jean Chrysostome, les os des Macchabées faisaient fuir les démons24. Selon Flavius Josèphe, le roi Hérode voulut piller la tombe du roi David, mais deux de ses gardes périrent foudroyés ; pour expier sa faute, il lui érigea un splendide mémorial de marbre blanc25. On pratiquait encore la divination au tombeau (1 S 28 ; Si 46, 20 [23] ; Si 48, 13 [14]). Pourtant, si le culte des reliques n’était pas inconnu du monde antique, les païens, de même que les juifs, devaient rejeter la forme chrétienne de ce culte. Par leur contact avec des restes mortels, les chrétiens, selon eux, contractaient une souillure : Vous riez, vous vous moquez de l’honneur que tout le monde leur accorde, vous considérez comme une souillure (μύσος) d’approcher de leurs tombeaux ! […] Et comment pouvez-vous croire qu’on se souille (ἀνθ’ ὅτου δὲ μολυσμοῦ τινος μεταλαμβάνειν) en approchant du tombeau de nos défunts ? C’est de la sottise et de la dernière ignorance26 !

L’empereur Julien (361-363), attaché à l’observation de rites cathartiques, leur fit reproche d’adorer des morts et de « tout remplir de tombeaux et de sépulcres27 » ; il ordonna à plusieurs reprises l’éviction de cadavres aux abords des temples, et fit promulguer, le 12 février 363, un édit interdisant la célébration des funérailles pendant le jour28. D’autre part, l’inhumation des morts dans l’enceinte des villes était proscrite, et le culte des reliques risquait de bouleverser cet état de fait, d’abord par leur admission à l’intérieur du périmètre urbain, ensuite parce que les morts du commun recherchaient leur proximité.

le corps du saint renferme quelque pouvoir : cf. Cat. 18, 16, col. 1036B-1037A, et le commentaire de WORTLEY, Icons, p. 170-171. On rencontre aussi souvent l’argument suivant : si des vêtements et des linges qui ont touché les saints peuvent chasser le mal, alors sans doute les saints corps eux-mêmes ont le pouvoir de ressusciter les morts. Sur ce point : WALKER BYNUM, Resurrection. Le Siracide (Si 48, 14 [15]) généralise ces miracles d’Élisée. 23 Jérôme, Ep. 108, 13, t. V, p. 174. 24 Jean Chrysostome, In Maccabaeos, I, col. 618. 25 Josèphe, Ant. Jud., 16, 182, p. 280. Pour ce type de prodige, empêchant une entreprise sacrilège, voir le fameux épisode de la reconstruction du Temple sous Julien l’Apostat (Discours 5 de Grégoire de Nazianze, etc.). 26 Théodoret, Thérapeutique, VIII, 11, p. 314 ; 29, p. 320. Cf. Nb 19, 11-22. 27 Julien, Ep. I, 2, p. 129, avec les références en note 4.  28 Pour la lettre 136 : ibid., p. 129-132 ; texte, p. 197-200. Cf. L ABRIOLLE, La réaction, p. 418-420.

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Les empereurs Gratien, Valentinien et Théodose, Augustes, à Pancrace, Préfet de la Ville. Tous les corps, renfermés en des urnes ou des sarcophages de surface (supra terram urnis clausa vel sarcofagis corpora) doivent être déposés hors de la ville. Pour que nul ne mette une industrie trompeuse et rusée à se soustraire aux intentions de la loi en estimant qu’il est permis d’enterrer les morts au siège des apôtres ou des martyrs (apostolorum vel martyrum sedem), qu’on sache et comprenne qu’ils doivent aussi être éloignés de ces lieux comme du reste de la ville. Donné le 3 des calendes d’août, à Héraclée, sous le consulat d’Eucherius et de Syagrius29.

L’interdiction en fut d’ailleurs réitérée plusieurs fois dans la législation des empereurs chrétiens30, et lorsqu’il exhuma les corps de Gervais et Protais en 386, Ambroise agit avec précaution, visiblement soucieux d’écourter leur exposition. Même s’il n’hésita pas à porter atteinte à la tombe des deux martyrs, cet ancien gouverneur n’avait pas enfreint la loi qui l’autorisait à leur procurer une tombe convenable et durable31. Une nouvelle loi était du reste promulguée cette année-là qui, à l’interdiction d’exhumation et de translation des corps, en particulier des martyrs, offrait une exception32. Les païens stigmatisaient encore, avec un mélange d’horreur et de mépris, ce culte rendu à de simples mortels, qui avaient, de plus, péri de façon ignominieuse : Ces moines furent donc installés aussi à Canope ; et là, ils enchaînèrent la race humaine à un culte d’esclaves, je dis d’esclaves malhonnêtes. Recueillant, en effet, les ossements et les têtes de misérables que leurs nombreux crimes avaient fait condamner par les tribunaux des cités, ils les présentaient comme des dieux, ne quittaient plus ces monuments, et s’imaginaient qu’à se vautrer sur des sépulcres ils devenaient meilleurs. Ils les appelaient « martyrs », « diacres », « messagers » des prières envoyés par les dieux, alors qu’ils n’avaient été que des esclaves, sans cesse roués de coups de fouet et tout sillonnés des cicatrices que leurs perversités leur avaient values. […] Et la terre

Cf. CTh IX, 17, 6 (loi du 30 juillet 381), tr. SAXER, Morts, p. 239. Depuis la Loi des XII Tables, transmise par Cicéron, De leg. II, 23, 58 : hominem mortuum in urbe ne sepelito neve urito, et son rappel dans la législation : Dig 47, XII, 3 § 5 (Hadrien) ; CJ III, 44, 12 (Dioclétien et Maximien). Voir DAGRON, Christianisme ; THOMAS, Corpus ; R EBILLARD, Religion. 31 CJ III, 44, 10. Peut-être usa-t-il, en tant qu’évêque, du droit des pontifes païens ou des gouverneurs de province. 32 CTh IX, 17, 7 : Humatum corpus nemo ad alterum locum transferat, nemo martyrem distrahat, nemo mercetur. Habeant vero in potestate, si quolibet in loco sanctorum est aliquis conditus, pro eius veneratione quod martyrium vocandum sit addant quod voluerint fabricarum. 29

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INTRODUCTION

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souffre de pareils dieux ! Antonin avait bien dit que les temples deviendraient des tombeaux 33.

On trouverait de nombreux échos de leur incompréhension34, et, vers 420/423, Théodoret de Cyr répond encore à leurs objections dans un chapitre de sa Thérapeutique des maladies helléniques. Il y explique en quoi les martyrs sont dignes de vénération, précise la nature du culte dont ils sont l’objet, démontre en retour l’impiété et la vacuité des cultes païens, et conclut au triomphe de la vraie religion sur la superstition, reprenant et développant les thèmes de force d’un argumentaire déjà éprouvé. Mais cependant, les écrits des Apôtres qui racontent ces faits et d’autres semblables, ont persuadé tous les hommes que c’est le Fils de Dieu, le Dieu antérieur au temps, créateur et démiurge de l’Univers, qui a revêtu la nature humaine et qui, grâce à elle, a opéré le salut des hommes. Et ils ne les ont pas simplement persuadés. Ils ont implanté chez la plupart une foi si grande, qu’ils ont accepté volontiers la mort pour défendre leurs croyances et en face de ceux qui voulaient les faire renier, ils n’ouvraient pas la bouche, mais tendaient le dos à ceux qui voulaient les fouetter, ils soumettaient leurs côtés aux torches ardentes et aux ongles de fer, leurs têtes aux épées ; ils se laissaient et de bon cœur rouer de coups de bâton, mettre au poteau, brûler même et ils regardaient les bêtes féroces se repaître de leur corps ! C’est pourquoi Celui qui présidait à ces combats leur a donné une gloire immortelle et une mémoire qui triomphe du temps. Car le temps, qui flétrit naturellement toutes choses, a conservé leur gloire sans flétrissure. Et les âmes de ces vaillants triomphateurs parcourent le ciel, entrent dans le chœur des êtres incorporels, tandis que leurs corps qu’un seul tombeau ne garde pas jalousement pour lui seul, les villes et les villages qui se les sont partagés les appellent sauveurs des âmes et médecins des corps, ils les honorent comme les gardiens et les protecteurs de la cité et, les prenant pour ambassadeurs près du Maître de l’Univers, c’est par eux qu’ils obtiennent ses dons divins. Le corps a eu beau être divisé, la grâce demeure entière, et ce tout petit morceau de relique a une puissance égale à celle qu’aurait le martyr si on ne l’avait absolument jamais partagé, car la grâce en s’épanouissant répartit ses dons sur ceux qui prient, avec une libéralité qui est à la mesure de leur foi. […] Dès lors, pourquoi donc vous, qui avez donné à tant de morts le titre de dieux, vous indignez-vous contre nous qui, sans en faire des dieux, honorons nos martyrs comme les témoins et les fidèles serviteurs de Dieu35 ?

Eunape, Vie d’Aedesius, tr. L ABRIOLLE, La réaction, p. 365-366. Cf. Isidore de Péluse, Ep. V, 5 ; Augustin, Civit. Dei VIII, 26, cité par THÉLAMON, Rufin, p. 265-266. 34 Par ex., Isidore de Péluse, Ep. I, 55. 35 Théodoret, Thérapeutique, VIII, 9-11, p. 313-314 ; 29, p. 319-320. 33

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INTRODUCTION

En somme, la supériorité de la religion chrétienne est de n’oublier jamais que le seul culte véritable s’adresse au dieu des martyrs36. Du côté chrétien, peu nombreux étaient ceux qui rejetaient le culte des reliques37, même si l’on désapprouvait parfois tel ou tel de ses aspects38. Les objections rejoignaient celles des païens et des juifs, et l’on parlait d’idolâtrie. En 406, Jérôme rédigea un pamphlet contre un prêtre espagnol du nom de Vigilance, lequel s’en était pris aux pratiques religieuses des chrétiens. Il « niait que les sépulcres des martyrs dussent être vénérés39 », raillant cette coutume d’allumer des cierges en leur honneur et de transporter de la poussière dans un vase, l’entourer de linges précieux, la baiser, l’adorer40. Plein de mépris et de consternation, il condamnait les adorateurs de reliques, restes corporels méprisables à ses yeux, vile matière destinée à la dissolution. Jérôme lui répliqua que personne n’avait jamais adoré les martyrs et confondu un homme avec Dieu41. Pour les anciens Romains, après la séparation de l’âme et du corps, les morts poursuivaient une existence affaiblie par delà le tombeau42. Cette croyance entraîna un ensemble de dispositions juridiques, de comportements sociaux et de rites destinés à délimiter dans la société la place des vivants et des morts43. Si les morts devaient être écartés de la communauté des vivants, ces derniers ne se souciaient pas moins de leur dernière demeure44, où résiderait leur corps, qu’il fût inhumé ou incinéré45. L’âme était supposée partager avec lui le tombeau – conception qui n’excluait pas une géographie de l’au-delà et la vision des morts aux Enfers –, et son existence post mortem restait pro-

36 En particulier, ibid., 34, p. 322 ; 63, p. 333 ; 65, p. 334. Pour la distinction entre latrie et doulie : HERRMANN-M ASCARD, Les reliques, p. 15-16. 37 Ce serait le cas des novatiens d’Alexandrie : Photios, Bibliothèque, II, p. 193 ; GREGORY, Novationism, p. 7. A MANN, Novatien ; DE SIMONE, Novatiens. Ce le serait aussi des eunomiens : Jérôme, C. Vigilance, 8, col. 347A. LE BACHELET, Eunomius. Voir encore le canon 20 du concile de Gangres (v. 360) qui condamna Eustathe de Sébaste : M ANSI, II, col. 1104. Cf. VAN UYTFANGHE, Origine, p. 182. Ce rejet doit toutefois être nuancé (cf. ibid., n. 227), en particulier pour Eustathe de Sébaste, inspirateur du monachisme macédonien lié aux martyria. 38 Les pseudo-Canons de Basile (Canones Basilii, 33, p. 250) prennent position contre la vénération exagérée des châsses des martyrs. Cf. GRAF, Geschichte, p. 606-608. 39 Jérôme, C. Vigilance, col. 339A : Martyrum neget sepulcra veneranda. 40 Ibid., col. 342BC-343A. Sur Vigilance : HUNTER, Vigilantius. 41 Jérôme, C. Vigilance, 5, col. 343A ; de même Augustin, Contra Faustum, XX, 21, col. 384. 42 Cf. par ex., Cicéron, Tusculanes, I, 16, 36 ; Properce, Élégies, IV, 7, 1, p. 149.  43 JOBBÉ-D UVAL, Morts, p. 23, relève notamment, à l’issue de la cérémonie des funérailles, le triple appel en direction de l’âme du mort ainsi que la formule « Que la terre te soit légère » ; les offrandes faites au tombeau ; le temps légal et rituel de deuil, etc. 44 Pétrone, Satiricon, LXXI, p. 71-72. 45 La crémation, longtemps pratique exclusive à Rome, finit par tomber progressivement en désuétude, à partir du Ier siècle de notre ère.

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fondément liée au corps et à son sort46. On attachait donc une grande importance à sa préservation et aux rites de funérailles nécessaires au déroulement d’une existence paisible outre-tombe47. Dans le cas contraire, le mort devenait « malfaisant » et constituait une menace pour la communauté des vivants ; tout dépendait donc du genre de mort qu’avait eu le trépassé. Selon cette conception, combattue par Tertullien dans son De anima, les âmes des morts de mort violente, de ceux qui avaient péri prématurément ou n’avaient pas été ensevelis suivant les rites, devenaient errantes48. C’est pour cela que les condamnés – et les martyrs – subissaient encore, « à titre de peine accessoire49 », la privation de sépulture et la mutilation. On trouverait des conceptions similaires dans le monde grec50. À l’instar des païens, les chrétiens se représentaient la mort comme la séparation de l’âme et du corps. Si quelqu’un se demande comme il put, après la mort (μετὰ νέκρωσιν), crier depuis le tombeau, qu’il écoute la solution à ce problème : il est évident que, à cause de la grande peur qui l’avait atteint, sa misérable âme aussi fut mortifiée (συνενεκρώθη) avec son misérable corps, de sorte qu’aucun ange ne voulut la recueillir, ni les démons n’osèrent approcher de la colère divine. Aussi le corps fut-il enterré avec l’âme. Mais lorsque celle-ci qui est immortelle eut rejeté sa peur dans le silence du tombeau et recouvré ses sens (ἀνανήψασα), elle se mit à crier au travers du corps les paroles que nous avons exposées51.

Le corps se décomposait donc, à l’ombre du tombeau, jusqu’au jour du Jugement52. Mais la croyance en la résurrection des corps heurtait la mentalité antique53, et ce fut un objet de controverse permanent au cours des premiers 46

Un mort apparaissait tel qu’au moment du décès. Les exemples abondent, par exemple Déiphobe, le fils de Priam, affreusement mutilé : Virgile, Énéide, VI, 494s. 47 Pour la découverte par Énée du cadavre de Polydore privé de sépulture : Ibid., III, 67-68. 48 Tertullien, De anima, LVI inf., cité par JOBBÉ-DUVAL, Morts, p. 73. 49 Ibid., p. 76-80, sur la privation de sépulture légalement attachée aux condamnés. Selon la mentalité antique, la mutilation du cadavre permettait d’annihiler les pouvoirs du mort. Dans plusieurs légendes chrétiennes, un corps décapité récupère miraculeusement sa tête, preuve que la croyance traditionnelle n’avait pas complètement disparu. 50 LE BRIS, Mort.  51 Dans son éloge de Gennade (Éloge Genn., 11, p. 228), patriarche de Constantinople (458471), Néophyte le Reclus (1134-1220) raconte comment l’âme de l’empereur ‘hérétique’ Anastase (496-518), foudroyé dans son palais, resta miraculeusement prisonnière du tombeau. Pour les légendes relatives à la mort d’Anastase : notamment, Jean Moschos, Pré, 38, col. 2888. Les chrétiens ont emprunté aux juifs le thème de l’ange psychopompe, ou psychagogue, qui conduit au ciel l’âme des justes : notamment, Grégoire de Nysse, In XL Mart., col. 780A. On trouve encore de nombreux exemples de la croyance populaire en une lutte des forces du bien et du mal pour l’âme au moment de la mort. Cf. L ARCHET, Vie, p. 48-53. 52 Pour le « double » dans la tombe : FÉVRIER, Tombe, p. 163-178. 53 Au IV e siècle, un converti comme Synésios de Cyrène se réservait encore avant d’y adhérer pleinement.

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siècles. Si l’Ancien Testament y fait allusion54, elle était loin de constituer un dogme établi chez les juifs : « Mais ce qu’il faut examiner, c’est si un homme réellement mort est jamais ressuscité avec le même corps55 » déclare, incrédule devant la Résurrection du Christ, le juif du Contre Celse. Les divers courants gnostiques (marcionites, valentiniens, manichéens et autres) constituaient un autre adversaire acharné de la résurrection, méprisant les corps et n’envisageant de salut que pour l’âme. La corruption et la dissolution de la chair paraissaient un obstacle insurmontable et offrir un démenti manifeste. De plus, à supposer que les corps inhumés intègres pussent ressusciter, les corps mutilés et fragmentés avant la mise en terre, les cadavres interdits de sépulture seraient frustrés de cette ultime félicité56. Que devenait en ce cas le témoignage des martyrs au corps brisé, rompu, estropié, s’ils étaient privés de la vie éternelle pour laquelle ils avaient lutté et péri ? Il fallut développer, dans les rangs chrétiens, tout un argumentaire pour remporter l’adhésion sur une question des plus controversées. Très tôt, Ignace d’Antioche († 107), à la veille de son exécution, manifesta combien peu il se souciait de la disparition matérielle de son corps. Mieux, il la souhaitait, d’abord afin de dispenser les fidèles de braver les autorités pour lui rendre les honneurs funèbres, ensuite parce que, complètement ingéré par les bêtes, il se sentait encore plus proche du Royaume : Moi, j’écris à toutes les Églises, et je mande à tous que moi c’est de bon cœur que je vais mourir pour Dieu, si du moins vous, vous ne m’en empêchez pas. Je vous en supplie, n’ayez pas pour moi une bienveillance inopportune. Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ. Flattez plutôt les bêtes, pour qu’elles soient mon tombeau, et qu’elles ne laissent rien de mon corps, pour que dans mon dernier sommeil, je ne sois à charge à personne. C’est alors que je serai vraiment disciple de Jésus-Christ, quand le monde ne verra même plus mon 54 Les exemples sont réunis par D’A LÈS, Résurrection : Jb 19, 23-27 ; Is 26, 19 ; Ez 37 (la vision des ossements desséchés) ; Dn 12, 2 ; 2 M 7, 9-11 et 12, 43-44. 55 Origène, Contre Celse, II, 55, p.  414-415 ; cité par L ODS, Étude, p.  23. Voir encore ID., Croyance. 56 La volonté des chrétiens, sans cesse rappelée, de protéger la sépulture contre toute violation montre combien ils restaient attachés aux croyances traditionnelles. Sur cette question : DUVAL, Ad sanctos, p. 3-50, qui renvoie notamment aux épigrammes funéraires de Grégoire de Nazianze. Sur l’importance de l’intégrité du corps, voir, par exemple, la légende de saint Longin qui ne peut reposer en son tombeau tant que sa tête n’a pas été restituée au reste du corps. Et de fait, Longin apparaît en vision sans sa tête : Pass. Longin 1, 2. Au contraire, Jean Baptiste ne se montre jamais tel, en ses multiples apparitions, ni aux moines de la première invention (du moins, ce n’est pas spécifié), ni plus tard, après que le chef a été retrouvé ; pour des apparitions de Jean, voir les témoignages de Théodoret, H.R., de Jean Rufus, Plér., ou de Jean Moschos, Pré.

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corps. Implorez le Christ pour moi, pour que par l’instrument (des bêtes), je sois une victime offerte à Dieu57. […] Puissé-je jouir des bêtes qui me sont préparées. Je souhaite qu’elles soient promptes pour moi. Et je les flatterai, pour qu’elles me dévorent promptement, non comme certains dont elles ont eu peur, et qu’elles n’ont pas touchés. Et si par mauvaise volonté elles refusent, moi, je les forcerai. Pardonnez-moi ; ce qu’il me faut, je le sais, moi. C’est maintenant que je commence à être un disciple. Que rien, des êtres visibles et invisibles, ne m’empêche par jalousie de trouver le Christ. Feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écartèlements, dislocation des os, mutilation des membres, mouture de tout le corps, que les pires fléaux du diable tombent sur moi, pourvu seulement que je trouve Jésus-Christ58.

Comme l’a montré Caroline Walker-Bynum, l’enjeu principal de son témoignage est précisément contenu, signifié, dans la destruction du corps, et le propre du martyr, du saint, est de se libérer de la prison de son enveloppe charnelle, non plus à la manière platonicienne, mais dans l’idée que ce corps corruptible lui sera rendu incorruptible59. Le martyr accepte tous les tourments, et, après sa mort, la dissolution totale de la matière corporelle. Il n’a en vue que sa vie future, et se désintéresse de ce qui concerne le monde d’ici-bas : privation de sépulture, mutilation des corps, rien ne saurait affecter l’âme. Cependant, l’impassibilité du martyr démontre que le corps du saint possède déjà sur terre une part de la vie éternelle. Peu à peu, il s’éloigne de la corruption générale, se rapproche de la fixité qui caractérise la résurrection, présente un aperçu du corps à venir. Son cadavre échappe au lot commun, ses os sont durs, il resplendit et paraît avoir déjà gagné l’immortalité. Ainsi, Grégoire de Nysse, qui exprime encore combien pour ses contemporains les morts du commun sont objets de dégoût60, offre une image toute différente des corps saints « restes morts au péché et resplendissants de la grâce de l’Esprit-Saint présente en eux61 ». Mieux, vivants, ils sont déjà reliques ; c’est ainsi que, par force d’ascèse, le corps du saint moine, lui aussi, devient incorruptible :

57

Ignace d’Antioche, Ep., Aux Romains, IV, 1-2, p. 110-113. Ibid., V, 2-3, p. 112-115. 59 WALKER BYNUM, Resurrection. 60 Grégoire de Nysse, Vie de Macrine, 35, p. 254-255 ; voir le commentaire de Pierre Maraval : ibid., n. 2, avec renvoi à Grégoire de Nysse, De Theod., col. 737 et Jean Chrysostome, Hom. in Mt 73, col. 676. 61 Grégoire de Nysse, Vie de Macrine, p. 203. On trouve de nombreux témoignages de la parfaite conservation des corps des saints, de leur beauté, leur éclat, leur parfum. A contrario, les pécheurs, les impies, et a fortiori le tyran, le persécuteur (ex. Dioclétien, Maximin, Licinius, Vahrām V, etc.) sont punis en leur corps corrompu, rongé par les vers, etc., et ce dès avant la mort. 58

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La vieillesse ne le fit pas céder au désir d’une nourriture plus délicate, la faiblesse de son corps ne lui fit pas changer sa manière de s’habiller ou ne lui fit pas même se laver les pieds avec de l’eau. Et malgré tout, il était resté absolument indemne. Ses yeux étaient intacts et en bon état : il voyait clair. Il n’avait pas perdu une seule dent. Elles étaient seulement usées près des gencives à cause du grand âge du vieillard. Ses pieds et ses mains étaient restés parfaitement sains. Il paraissait plus brillant de santé, plus fort et plus ardent que ceux qui usent de nourritures variées, de bains et de vêtements divers62.

Athanase écrivit la Vie d’Antoine peu de temps après la mort de son héros (356). Son âme, dit-il, fut emportée au ciel ; quant à son corps, demeuré au tombeau, Antoine le recevrait du Seigneur, incorruptible, au jour de la résurrection. Or, on ignorait où se trouvait la sépulture d’Antoine. Lui-même l’avait voulu ainsi, chargeant deux disciples de l’inhumer en quelque endroit secret. Il y avait une raison à cela : il réprouvait la coutume égyptienne d’exposer les cadavres sur des tréteaux dans les maisons privées. Cet usage, que rien dans la tradition scripturaire ne pouvait soutenir, était à ses yeux illégitime : Jésus était ressuscité depuis son tombeau, les patriarches et les prophètes avaient été portés en terre. Antoine voulut se prémunir contre une dévotion indiscrète. On entrait ici sur le terrain de la polémique : en insistant sur cet épisode, Athanase cherchait sans doute à expliquer pourquoi nul ne savait où se trouvait la sépulture d’Antoine, mais il voulait surtout de cette façon jeter le blâme sur les Mélétiens qui, en usant pour les martyrs de cette coutume ancestrale populaire63, attiraient à eux les fidèles avides d’un contact avec ces précieux morts. La situation était si grave que l’évêque renouvela sa diatribe dans ses lettres festales des années 369 et 37064. Les Mélétiens, semble-t-il, occupaient les cimetières, et, en pratiquant aux tombeaux des martyrs l’exorcisme à des fins de divination, attiraient le peuple. Chenouté d’Atripe (v. 335-450) stigmatisa à son tour les canonisations populaires intempestives faites à la suite de découvertes de reliques, sur la foi de prétendues révélations : En vérité, déraisonnent ceux qui, ivres d’une pseudo-science, disent : « Des martyrs nous sont apparus, et nous ont appris où sont leurs ossements » ; et : « Il s’est fait qu’en creusant le sol, nous avons trouvé des ossements de martyrs » ; et : « Je vais bâtir des topoi pour lui, ou sur lui ». En vérité, si vous avez 62

Athanase, Vie d’Antoine, 93, 1-2, p. 372-375. Cf. A LEXANDRE, Antoine. Sur l’importance de l’Égypte pour la naissance du culte des reliques : BAUMEISTER, Bestattungssitten ; FRANKFURTER, Cult ; WORTLEY, Origins. 64 BRAKKE, Athanasius. On peut comparer avec le schisme donatiste en Afrique vers la même époque. Pour les donatistes : M AIER, Donatisme ; pour l’« affaire Lucille de Carthage » : WIśNIEWSKI, Lucilla. 63

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foi, nombreux sont ceux que les démons abusent aussi par ces artifices, surtout quand c’est dans l’église que sont établis des topoi pour des ossements dont on ignore ce qu’ils sont ; par ces œuvres aussi nous superposons des péchés à nos péchés. Seulement, si ceux qui font cela auront à justifier devant Dieu qu’il s’agissait de martyrs, qu’en est-il des topoi de ceux qui n’apparaissent 〈pas〉 comme de vrais martyrs à y placer ? Que signifie cette provocation à vouloir placer, dans la maison de Dieu et de son Christ, des fragments d’ossements dont on ignore ce qu’ils sont65 !

Une pratique que condamnait sa nouveauté : ni les anciens qui « ordonnèrent de ne pas permettre de trouver leur corps66 » (sans doute pensait-il aux pères du monachisme égyptien, Antoine ou Pachôme), ni la tradition scripturaire relative aux dépouilles des prophètes ou des apôtres, ne la cautionnaient. Des audacieux installaient les corps de ces soi-disant martyrs dans les églises, alors que Chenouté lui-même ne connaissait pour toute l’Égypte aucun « topos dans une église, sauf dans la seule église de Panopolis67 ». Ces charlatans exploitaient la crédulité du peuple en quête de guérisons et de bienfaits, avide de prédictions recueillies aux tombeaux de ces pseudo-saints et incapable de comprendre la vraie source des miracles. On reconnaît les propos d’Antoine et d’Athanase. Chenouté complimenta d’ailleurs un prêtre de Haute-Égypte qui refusa de céder aux sollicitations de ses fidèles en plaçant dans son église l’un de ces corps nouvellement découverts : Eh bien, qui, parmi ceux qui craignent Dieu, dirait : « J’ai vu une lumière au topos bâti dans l’église pour des os de cadavre, et je fus guéri de ma maladie en y dormant » ? Ceux-là n’ont pas dit que c’est dans l’église que se produisait la lumière ; ils ont attribué l’honneur au topos des fragments d’ossements, qui y furent placés dans l’église du Christ, plutôt qu’à l’Église pour laquelle Il est mort et qu’Il a purifiée par son sang. En vérité, de tels individus ne sont pas dignes d’entrer dans la maison de Dieu. Ceux qui dorment dans les tombeaux en vue de rêves, et qui interrogent les morts au sujet des vivants, que font-ils d’autre que ceux qui admettent cela et le pratiquent ? Autrefois il y eut manifestement de pareils μαντεῖα à l’occasion d’os de cadavres trouvés dans la terre ; mais nous avons tancé les imposteurs (?) concernant cet abus, dans lequel furent impliqués les chrétiens et des clercs dans la maison de Dieu68.

Cet exemple n’est pas isolé, et l’hagiographie, tout en le condamnant, se fit l’écho d’un courant d’incrédulité et de scepticisme, touchant notamment

65 66 67 68

LEFORT, Chasse, p. 227. Ibid. Ibid., p. 228. Ibid., p. 230.

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l’authenticité des reliques69. Avait-on vraiment affaire au corps de tel saint plutôt qu’à tel autre, voire d’un homme du commun70 ? Il y avait en effet un commerce autour des corps saints, volontiers entretenu par des moines. C’est ainsi qu’en Afrique, Augustin s’en prit à ces curieux marchands71 ; sous son impulsion, le cinquième concile de Carthage légiféra le 13 septembre 401 : Une décision a été prise aussi au sujet des autels élevés çà et là dans les champs et les chemins comme memoriae des martyrs, dans lesquels il est sûr qu’il n’y a pas de corps saint ni de reliques : ils doivent être détruits, si faire se peut, par l’évêque du lieu. S’il en est empêché par un soulèvement populaire, il doit néanmoins avertir les fidèles de ne pas fréquenter ces lieux. De cette manière, ceux qui sont animés des sentiments de la vraie foi ne se laisseront pas lier par aucune superstition. Absolument aucune memoria de martyr ne doit être approuvée, qu’une tradition fidèle ne mette en rapport dès l’origine avec le corps, les reliques, la maison, la propriété ou la passion du martyr. Quant aux autels érigés à la suite de songes ou de vaines révélations de qui que ce soit, ils seront absolument réprouvés72.

Mais, en l’espace de vingt ans, Augustin évolua lui-même profondément, reconnaissant aux reliques un pouvoir thaumaturgique qu’il leur déniait auparavant. C’était en effet un grand sujet de controverse que cette activité post mortem des saints73. Pour Vigilance, goûtant au séjour céleste, leur âme avait rompu avec le monde des vivants. Jérôme lui répliqua, à coup de références scripturaires : Tu dis en effet que les âmes des apôtres et des martyrs sont établies soit dans le sein d’Abraham, soit à l’endroit du refrigerium, soit sous l’autel de Dieu, et qu’elles ne peuvent quitter leurs tombeaux et se rendre là où elles le voudraient. Elles sont assurément de rang sénatorial et ce n’est pas parmi les meurtriers dans un cachot effroyable mais dans une prison libre et honnête, sur l’île des bienheureux et aux Champs Elysées, qu’elles sont enfermées. Tu donnes des lois à Dieu ? Tu enchaînes les apôtres, afin que, jusqu’au jour du Jugement, ils soient retenus en prison, et ne soient pas avec leur Maître, eux DAGRON, Doute. Une certaine prudence, méfiance, voire une nette hostilité se rencontre, à l’état latent, durant toute la période étudiée. Pour la fin du VIe s. et le début du VIIe s. :  DAL SANTO, Debating. 70 Vie Marcel 1, 29. Pour un exemple similaire : Théodoret, H.R., II, XXI, 19-20, p. 100-105. Pour une critique des collections de (fausses) reliques, on cite souvent le témoignage tardif (XIe s.) de Christophore de Mytilène, poème 114, p. 76-80. 71 Augustin, De opere monachorum, XXVIII, 36. Plus largement sur le commerce des reliques : HUNT, Trafic ; GEARY, Vol. Voir encore AUZÉPY, Miracle, p. 346-348. 72 Reg. Carth., 83, p. 204-205, tr. SAXER, Morts, p. 132. 73 Ce problème, qui engageait encore l’efficacité de la prière pour les morts, devint un des thèmes favoris du genre des questions-réponses ; par ex. Quaestiones (BHG 765). Cf. DAGRON, Recueils. 69

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dont il est écrit : « Ils suivent l’Agneau là où il va. » (Ap 14, 4). Si l’Agneau (va) partout, on doit croire que ceux qui sont avec l’Agneau sont également partout. […] Tu dis dans ton libelle que pendant que nous vivons nous pouvons mutuellement prier pour nous, mais après que nous sommes morts, la prière d’une personne pour une autre ne peut être exaucée, surtout quand les martyrs réclamant la vengeance de leur sang n’ont pu l’obtenir (Ap 6, 9)74.

Cependant, le meilleur argument demeurait la preuve par l’exemple, et l’on a mis l’étonnant revirement d’Augustin – d’abord circonspect et incapable de répondre à certaines interrogations concernant la vie après la mort, il se mit à favoriser le culte des reliques – en relation avec la découverte ou « l’invention » (εὕρεσις ; inventio), au sens étymologique du terme, des martyrs milanais Gervais et Protais, en 386, puis, en 415, du diacre Étienne, dont les reliques accomplirent, peu après, de nombreux miracles à Minorque et en Afrique75. Les miracles post mortem des saints, au premier rang desquels leur invention, allaient désormais se succéder à une rapidité extraordinaire. Après tant de réticences, on se mit donc à vénérer non seulement des martyrs, mais encore des figures de l’Ancienne Alliance, des témoins du Christ et de l’époque apostolique, bientôt des saints moines, vierges, évêques, etc. Les pôles de dévotion se multiplièrent partout dans l’Empire ; un dense réseau de sanctuaires vit le jour. Pierre Maraval a dressé le catalogue des lieux saints d’Orient – entendus au sens large du terme76 –, « des origines à la conquête arabe77 » (IVe-VIIe s.). L’auteur a par ailleurs retracé les étapes et les modalités de la constitution de cette « géographie sacrée78 ». Une question s’impose : comment des reliques jusque-là négligées, oubliées, inconnues, purent-elles (ré)apparaître en si grand nombre ? On l’ignore le plus souvent, mais le chercheur a en quelque sorte démonté le mécanisme de la découverte et montré comment les traditions existantes (en particulier les textes bibliques) avaient été soigneusement ‘épluchées’ et exploitées. À côté de ces « inventions empiriques79 », il y en eut d’autres très remarquables parce qu’elles se produisirent sans recherche préalable, parfois de manière fortuite, le plus souvent à la suite d’une révélation. Ce sont ces 74

Jérôme, C. Vigilance, col. 344AB. Cf. Théodoret, Thérapeutique, VIII, 35, 39, 41, 48, 51-52. SAXER, Reliques ; VAN UYTFANGHE, Controverse. Voir encore DE VOOGHT, Miracles ; COURCELLE, Recherches, p. 141-153. Pour les « livrets de miracles » : DELEHAYE, Libelli et ID., Recueils, sp. p. 7285. Pour la notion de « nouvelle religiosité », cf. les ouvrages de Peter Brown, notamment : BROWN, Culte. Voir encore Z ANGARA, Invento. 76 M ARAVAL, Lieux saints, p. 10 et 28, n. 28. Pour « une définition plus restrictive » des ἅγιοι τόποι : FLUSIN, Lieux saints, sp. p. 119. 77 M ARAVAL, Lieux saints, p. 11-12. 78 Ibid., p. 12, 21, 29, etc. 79 Ibid., p. 36-41. 75

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« inventions inspirées80 » qui seront examinées. On laissera toutefois de côté le dossier écrasant, et déjà l’objet de plusieurs monographies, de la Vraie Croix, comme l’on négligera un phénomène éclos vers la fin du VIe siècle : les découvertes d’images miraculeuses. En effet, même si les inventions de corps saints et autres reliques matérielles ne s’arrêtent pas à cette date, elles semblent se tarir, pour mieux renaître avec ces reliques d’un nouveau genre81. L’étude détaillée des cas les plus notables82 forme le cœur de ce travail. Dans un premier temps, la présentation des dossiers hagiographiques83 fait ressortir un double processus de ‘création’. Les « inventions inspirées » apparaissent comme le reflet inversé des « inventions empiriques » puisque l’on remonte, par le biais de l’invention, à une tradition. Il s’agit donc, au-delà de la relique, d’‘inventer’, dans tous les sens du terme, une mémoire, tandis que l’invention devenue récit se perpétue et engendre sa propre tradition. L’invention suit un schéma prédéterminé : une révélation provoque la découverte de la relique, laquelle est ensuite élevée puis transférée et déposée dans un sanctuaire. Il existe des variantes (découverte fortuite, vol, etc.), mais l’appartenance à un modèle – Pierre Maraval dirait l’observation d’une « méthode » – renforce l’autorité de l’événement (réel ou supposé) et/ou du récit qui le rapporte. On s’intéressera alors aux enjeux de l’invention. Le phénomène demeura, semble-t-il, limité : tout montre que l’on ne découvrait pas n’importe quand ni n’importe où n’importe quelle relique. Si chaque cas est singulier et mérite d’être étudié en lui-même, les motivations se répondent ; les effets aussi. Les exemples choisis doivent servir à éclairer les unes et les autres. Pour cela, il a paru pertinent de faire progresser l’analyse selon deux points de vue : des acteurs (dans la sphère du religieux et du temporel) au milieu (la ville, en tant que siège du pouvoir civil et spirituel) concernés. Dans ce cadre, l’ordre de présentation respecte au mieux la chronologie des événements, dessinant une courbe géographique assez nette, depuis les provinces – à commencer par les lieux saints de Palestine – jusque Constantinople, capitale de l’Empire.

N.B. : Les mots cités en grec ou latin, extraits d’un texte, sont donnés au cas où on les rencontre dans ce texte. 80

Ibid., p. 41-47. SCHMITT, Reliques ; WORTLEY, Icons. 82 Les critères de sélection se sont imposés d’eux-mêmes : les inventions retenues sont les mieux documentées (on peut ajouter : les plus célèbres) et les plus complexes. 83 Par catégorie : saints vétérotestamentaires, saints néotestamentaires ou apocryphes, reliques du Christ et de la Vierge, martyrs. Les moines, vierges, évêques, etc., ne font pas l’objet d’une étude particulière, mais sont brièvement évoqués à la fin de la dernière section. 81

PREMIÈRE PARTIE

Invention et tradition : les principales sources documentaires

Quelle fut la première invention ? La question a-t-elle un sens ? La plus ancienne mention ne concerne pas une relique corporelle, mais le Tombeau du Christ. On la trouve chez Eusèbe de Césarée (v. 265-v. 340) : après le concile de Nicée (325), l’empereur Constantin (306-337) avait décidé de rendre à la vénération des hommes ce « divin monument de l’immortalité » (τὸ θεσπέσιον ἐκεῖνο τῆς ἀθανασίας μνῆμα)1. Est-ce alors que l’on découvrit le bois de la crucifixion ? Eusèbe ne le dit pas, et sans doute la légende ne prit-elle véritablement forme qu’après le milieu du IVe siècle. En tout cas, l’intervention impériale et l’érection de sanctuaires sur les principaux ‘lieux du Christ’ provoquèrent la mise en valeur des Lieux saints, au point que l’on put dire que Constantin les avait construits2. La première mention datée d’une invention de reliques corporelles remonte à l’an 379 : Grégoire de Nazianze nous apprend que le corps du martyr Cyprien, qu’une chrétienne avait caché chez elle afin de le préserver, fut retrouvé par une autre femme, sur la foi d’une révélation (δι’ ἀποκαλύψεως). Puis ce fut une pèlerine venue d’Occident, Égérie, qui recueillit en 384 la légende de l’invention de Job au sanctuaire de Carnéas, en Arabie ; en 386, eut lieu la découverte, à Milan, des martyrs Gervais et Protais ; en 415, celle du protomartyr Étienne, dans un village palestinien. Cette dernière frappa tout particulièrement les esprits, et le récit de l’inventeur, le prêtre Lucien, influença de nombreux hagiographes3. Le miracle pourtant avait des précédents, et, au-delà de son sens profondément chrétien, puisait au plus vieux fonds commun des anciens mythes et croyances ; il devait, sous une forme ou une autre, se renouveler sans cesse. La plupart des inventions nous sont connues par l’intermédiaire d’une source hagiographique (récit indépendant ou intégré à une Passion de martyr, une Vie de saint, une Homélie, un Éloge, etc.), la forme dépendant de la fonction et de l’usage du récit4. Mais la découverte d’une relique touchait la société dans son ensemble, événement aux implications civiles tout autant que

1

Eusèbe, Vie de Constantin, III, 26, 1 p. 95 (GCS) ; p. 384-385 (SC). Alexandre le Moine, De inventione, col. 4061B : Μετὰ ταῦτα ἀπέστειλεν ὁ βασιλεὺς ἑαυτοῦ μητέρα ‘Ελένην […] εἰς Ἱεροσόλυμα […] ἐπὶ ἀναζητήσει τοῦ ζωοποιοῦ ξύλου, καὶ οἰκοδομῇ τῶν ἁγίων τόπων. 3 Voir les inventions de Jacques, Zacharie et Siméon (App. Jac. et al.) – à moins que l’influence ne se soit exercée dans l’autre sens –, de Barnabé (Éloge Barn.), de Corneille (Vie Corn. 1 et 2), etc. Son impact fut profond, jusqu’en Occident : OTTER, Inventiones. 4 Il peut exister plusieurs versions d’une même relation, de longueur, de style et de contenu plus ou moins variables. 2

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PREMIÈRE PARTIE

religieuses, ce dont témoigne volontiers l’historiographie5. Plusieurs inventions ne furent d’ailleurs pas autrement transmises, et, pour notre époque, l’Histoire ecclésiastique de Sozomène (v. 450) apparaît comme une mine d’informations, avec pas moins de cinq notices détaillées6. Les inventions concernent encore d’autres types de sources, comme les relations de pèlerins, qui illustrent la transmission orale de ces légendes à partir des différents lieux saints.

N.B. : Les dossiers suivent l’ordre chronologique (présumé) des inventions, sauf dans le cas des doublets (Jean Baptiste et les Quarante Martyrs) présentés à la suite l’un de l’autre, à la première date. HELVÉTIUS, Inventions.  Habacuc et Michée, Zacharie, le chef du Baptiste, les martyrs de Gaza, les Quarante Martyrs. Aucune de ces inventions ne figure chez son contemporain Socrate, pas plus que chez Théodoret de Cyr. En revanche, Sozomène est la source de plusieurs historiens, comme Théodore le Lecteur. À noter que le Chronicon Paschale connaît une version différente de l’invention du chef du Baptiste ou de celle des Quarante Martyrs. Sozomène relate encore l’invention de la Vraie Croix : VAN NUFFELEN, Sozomen. On ignore s’il a jamais écrit sa notice, pourtant annoncée, sur l’invention d’Étienne. Les inventions du prophète Zacharie et des martyrs de Gaza sont sans doute entrées dans les synaxaires (au moins pour la seconde) directement d’après Sozomène. Ce dernier a généralement vu lui-même ou entendu parler de l’événement, lequel est toujours survenu, soit dans sa patrie, la Palestine, soit à Constantinople, où il réside ; son propos n’est pas neutre, mais s’intègre à l’éloge d’un évêque, d’un empereur, plus largement d’un règne. L’on pourrait en dire autant de Procope de Césarée ou de Jean Malalas, actifs sous le règne de Justinien (527-565). Sur les historiens de la période étudiée : DOWNEY, Church Historians ; TREADGOLD, Historians. 5 6

CHAPITRE PREMIER

Les saints vétérotestamentaires Sans doute l’éventualité de saints antérieurs au Christ posa-t-elle d’abord problème, mais ils furent très vite reconnus par l’Église1. On se mit donc à repérer sur le terrain, à faire surgir de terre, les dernières demeures de ces grandes figures du passé. Plusieurs furent découverts au IV e  siècle et au début du V e siècle. Ce sont Job, Moïse, Joseph, Habacuc et Michée, Zacharie, les Trois Hébreux de la fournaise2. Le premier incarnait l’image du juste souffrant, de la patience, le second avait libéré le peuple hébreu et reçu les Tables de la Loi, le troisième était le dernier des grands patriarches, dont Moïse avait ramené les os en terre promise, les petits prophètes avaient annoncé la venue du Christ et étaient considérés comme des martyrs, de même que les derniers préfiguraient le triomphe des héros de la foi sur l’impiété. Toutes ces inventions eurent lieu dans une unité d’espace (Palestine Première et Arabie)3 et de temps relativement étroite. Les premières localisations appartenaient à la tradition scripturaire : Ashtaroth-Carnaïm, Morasthi, Sichem, le mont Nébo. Mais celle-ci avait ses limites et les lacunes ou l’imprécision du texte sacré furent vite exploitées et comblées (l’onomastique joua un rôle déterminant, tel le Caphar Zacharia de Zacharie) ; des traditions locales plus ou moins fantaisistes virent le jour. Quoi qu’il en soit, il semble que l’on se soit généralement accordé sans trop de difficultés sur toutes ces localisations4.

1 BOTTE, Culte ; M ARROU, Saints ; SIMON, Polémique ; ID., Melchisédech ; ID., Alexandre ; ID., Israël ; WILKINSON, Visits. Cf. encore SCHOEPS, Prophetenmorde ; BERTRAND, Protoplastes. 2 Peut-être redécouvrit-on aussi Samuel (en 406 ?), Isaïe (en 442 ?), d’autres encore, mais la tradition n’en a guère laissé de traces. 3 Excepté les Trois Hébreux (v. 422 ?), en Perse, à Séleucie-Ctésiphon. Mais en tous points cette invention demeure particulière. 4 Jérôme n’hésite cependant pas à dénoncer celles qui lui semblent en désaccord ou en contradiction avec les sources anciennes. Ainsi le tombeau d’Adam au Golgotha ou celui de Jacques, le frère du Seigneur, sur la rampe occidentale du Cédron. Mais ces réflexions érudites paraissent avoir peu influé sur l’implantation des traditions locales. Le silence de Jérôme sur les

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PREMIÈRE PARTIE

S’est encore posée la question de l’utilisation des traditions juives : selon Joachim Jeremias, leurs communautés avaient gardé vivante à travers les siècles et les remous de leur histoire la mémoire de quelques sépulcres5, et l’on a parfois supposé que les chrétiens avaient mis la main, à partir du IVe siècle, sur certains d’entre eux, jusque-là vénérés par les juifs. Il n’existe cependant aucune attestation formelle d’une telle mainmise, sauf pour le tombeau des Macchabées à Antioche, apparemment conservé et vénéré dans une synagogue de la ville6. Le cas d’Hébron est d’ailleurs souvent cité : un dispositif avait été mis en place pour séparer les chrétiens des autres confessions (juifs et païens), mais l’accès au tombeau des patriarches demeurait commun à tous. S’il n’est pas impossible que des traditions juives, passées par le relais de groupes judéo-chrétiens, aient été adoptées, le travail de plusieurs générations d’exégètes chrétiens semble avoir fourni l’aliment principal à l’émergence de traditions locales7. Le cas des Vies des prophètes doit enfin être évoqué : tout en reconnaissant qu’il remontait probablement à diverses traditions juives8, David Satran a montré que le texte devait être en lui-même entendu comme chrétien. On l’aurait par ailleurs peut-être mal interprété en voulant y voir un reflet de cultes locaux des saints et de leurs reliques9.

1. Job La pèlerine Égérie (381-384) se rendit à Carnéas, dans la province d’Arabie, pour voir le tombeau de Job10. Avec ses compagnons, elle avait quitté Jérusalem, pris la direction du nord, puis remonté la vallée du Jourdain en longeant la rive du fleuve. Sans doute à un certain moment l’avaient-ils traversé (une lacune du manuscrit ne permet pas de suivre toutes les étapes de leur itinéraire) pour gagner Carnéas, dans le Hauran occidental11 : inventions contemporaines pourrait d’ailleurs avoir d’autres causes, de nature plus ‘politique’. Voir WILKINSON, Jérôme. 5 JEREMIAS, Heiligengräber. 6 SIMON, Polémique. Il se peut en revanche que les chrétiens aient entrepris le transfert autoritaire de corps inhumés en terre samaritaine : infra, p. 46. 7 STEMBERGER, Jews and Christians, p. 105-114, sp. p. 107. Il existait d’ailleurs de temps en temps au sein même du judaïsme plusieurs traditions concurrentes, et alors que les Samaritains avaient transporté, de manière quasi systématique, en Samarie, les grands lieux de l’Ancien Testament, les chrétiens auraient parfois préféré ‘emprunter’ aux traditions samaritaines, plutôt qu’aux traditions juives. Sur ces localisations érudites : M ARAVAL, Lieux saints, p. 29s. 8 On a souvent posé à la base de cet écrit, rempli d’interpolations chrétiennes, une source juive, antérieure à 135, sinon à 70. SIMON, Pèlerinages, p. 102 ; STEMBERGER, Jews and Christians, p. 107, n. 53, signale l’ouvrage de SCHWEMER, Vitae Prophetarum, tout en précisant que l’auteur ne parvient pas à prouver l’hypothèse selon laquelle le texte sous-jacent serait un ouvrage pharisien du Ier siècle. 9 SATRAN, Prophets.  10 LECLERCQ, Job ; DANIÉLOU, Saints « païens », p. 109-128. 11 LECLERCQ, Haurân.

CHAPITRE PREMIER – LES SAINTS VÉTÉROTESTAMENTAIRES

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L’itinéraire pour aller de Jérusalem à Carnéas comporte huit étapes – on appelle actuellement la ville de Job Carnéas (Gn 14, 5), mais autrefois elle s’est appelée Dennaba ; elle est « dans la terre d’Ausitis » ( Jb 1, 1 et 42, 17b), aux frontières de l’Idumée et de l’Arabie12.

Dès le début du IVe siècle, on associait ce grand village d’Arabie (κώμη μεγίστη τῆς Ἀραβίας) au patriarche13. Même si l’identification entre le Carnaïm de Gn 14, 5 et la Dennaba de Gn 36, 32-33 est le fruit d’une confusion14, rien n’indique que la localisation ait été contestée, ni qu’une autre localité fût entrée en rivalité avec Carnéas15. En tout cas, le Hauran devait s’affirmer comme la patrie de Job, et Égérie apprit, probablement de la bouche même de l’évêque16, comment le sépulcre de « saint Job » avait été miraculeusement découvert en ce lieu : (un) saint moine et ascète dut, après tant d’années de séjour dans le désert, en partir et descendre à la ville de Carnéas, pour avertir l’évêque et les clercs de cette époque, selon ce qui lui avait été révélé, de creuser à l’endroit qui lui avait été montré. Ainsi fut fait. En creusant à l’endroit qui lui avait été montré, ils trouvèrent une grotte. Ils la suivirent durant environ cent pas, et soudain une dalle apparut aux fouilleurs. Lorsqu’ils eurent dégagé cette dalle ils trouvèrent, gravé sur le dessus : IOB17.

Une fois identifiée la ville de Job, où se trouvait jadis sa maison, ce fut donc au tour de son tombeau. La « dalle » du sépulcre s’est conservée à travers les siècles ; il s’agit en réalité d’une stèle couverte de hiéroglyphes, en l’honneur du pharaon Ramsès II18.

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Égérie, Journal, p. 182-183. Carnaïm : Eusèbe, Onom., p. 112 ; Jérôme, ibid., p. 113. Voir encore les rubriques Ous : Eusèbe, ibid., p. 142 ; Jérôme, ibid., p. 143 et Da(n)naba : Eusèbe, ibid., p. 76 ; Jérôme, ibid., p. 77. 14  Identification erronée de Job avec Jobab, roi d’Édom, sans doute d’après LXX, Job 42, 17b : Οὗτος ἑρμηνεύεται ἐκ τῆς Συριακῆς Βίβλου ἐν μὲν γῇ κατοικῶν τῇ Ἀυσίτιδι ἐπὶ τοῖς ὁρίοις τῆς Ἰδουμαίας καὶ Ἀραβίας, προϋπῆρχεν δὲ αὐτῷ ὄνομα Ἰώβαβ. Sur ce point, la tradition locale relative à Job et sa postérité (cf. par ex. al-Mukaddasī, (Xe s.), Répartition, p. 177) jusqu’à nos jours autour du village de Sheikh Sa’ad : PICCIRILLO, Arabie, p. 111-112. Voir encore : M ARAVAL, Lieux saints, p. 286 ; L AMMENS, Dennaba, p. 208. 15 À cette époque, nombre de traditions sont encore ‘flottantes’ ; ainsi, le Pèlerin de Bordeaux (333) a vu « le tombeau d’Ézéchiel, Asaph, Job et Jessé, David, Salomon », non loin de Bethléem : It. Burd., 598, Récits, p. 35. 16 L’épisode est aujourd’hui incomplet, mais Égérie mentionne un évêque qui, le lendemain, fit « l’oblation » à la demande des pèlerins. Le statut épiscopal de Carnéas n’est toutefois pas autrement attesté. Le uel, « ou », du membre de phrase : Episcopum vel clericos temporis ipsius, peut au moins faire peser un doute sur la présence effective d’un évêque au temps de l’invention. DEVREESSE, Antioche, p. 208, postule un doublet Néapolis/Carnéas ; voir A IGRAIN, Arabie, col. 1177. 17 Égérie, Journal, p. 196-197. La lacune du manuscrit a été partiellement comblée – c’est le cas ici – en 1909 : DE BRUYNE, Nouveaux fragments. 18 La Sakhrat Ayyub, conservée dans la mosquée de Sheikh Sa’ad. Pour la description : SCHUMACHER, Hiobstein ; pour l’identification : ERMAN, Hiobstein. 13

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PREMIÈRE PARTIE

On ignore la date exacte de l’invention. L’allusion d’Égérie à l’église « restée inachevée jusqu’à ce jour », a été interprétée comme le signe d’une construction tantôt récente, tantôt ancienne, puisque le nom du fondateur n’est plus exactement connu. Pierre Maraval propose un moyen terme : les années 50 du IV e siècle, c’est-à-dire à peu près à égale distance entre Eusèbe, qui ne connaît pas encore le tombeau, et Égérie, qui rapporte l’événement. Quoi qu’il en soit, en l’espace de quelques décennies, entre ce dernier et la venue de la pèlerine, Carnéas s’était transformé en un véritable lieu saint, avec l’érection d’une église au-dessus du tombeau. À l’endroit où Job était assis sur son fumier, il y a maintenant un emplacement net, clos tout autour de grilles de fer, et une grande lampe de verre y brille d’un soir à l’autre. Quant à la fontaine où il raclait sa sanie d’un tesson, elle change de couleur quatre fois par an : elle a d’abord la couleur du pus, puis celle du sang, puis celle du fiel ; enfin elle devient limpide19.

C’est ce que confirme le témoignage de Jean Chrysostome, contemporain d’Égérie : Votre courage s’est ranimé, je crois, depuis hier que je vous ai montré les trois enfants dans la fournaise et depuis l’histoire de Job et de son fumier, plus vénérable que tous les trônes des rois. Quel profit retirer de la vue d’un trône ? On goûte un instant de plaisir, mais c’est un plaisir absolument stérile. Qui comprendra l’avantage qu’il y a, au contraire, à contempler Job sur son fumier ? Il y a là une grande sagesse, un véritable discours d’exhortation à la patience […] Ainsi, même de nos jours, combien passent les mers pour se rendre en Arabie, pour voir ce fumier-là, pour le contempler, pour baiser cette terre qui a été témoin des victoires et des combats du saint homme, arrosée de ce sang plus précieux que tout l’or du monde […] Représentez-vous donc, vous aussi, cet athlète ; transportez-vous en esprit devant ce fumier, en présence de Job lui-même, assis au milieu, comme une statue d’or ornée de pierreries […]20

Faut-il supposer l’« emplacement net » d’Égérie désormais occupé par un véritable fumier offert à la vénération des pèlerins et abritant une effigie du saint ?

19 Égérie, Journal, p. 194-195. Sur l’importance de cette fontaine, qui aurait pu permettre la localisation du tombeau : LE COUR GRANDMAISON – BILLET, Pèlerinage, p. 461. 20 Jean Chrysostome, Hom. ad. pop. Antioch. 5, 1, col. 69, tr. LE COUR GRANDMAISON – BILLET, Pèlerinage, p. 464. Joachim Jeremias avait conclu du silence de Jean sur le tombeau à l’antériorité de son témoignage sur Égérie. On sait maintenant qu’il n’en est rien. Ce discours fut prononcé à Antioche, aux jours du Carême 387. Jean soutenait un peuple meurtri : en révolte contre un impôt inique, les Antiochiens avaient brisé des statues impériales ; ils furent durement réprimés. Sur Job dans la prédication de Jean Chrysostome : BROTTIER, Job. Début VIe siècle au plus tard, une église Saint-Job se dressait devant une des portes d’Antioche : V. Sym. styl., 72, p. 62.

CHAPITRE PREMIER – LES SAINTS VÉTÉROTESTAMENTAIRES

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Cela est possible, mais le caractère symbolique de ce texte permet d’en douter. Notons enfin que Jean ne dit rien de l’invention miraculeuse, dont la mémoire ne semble pas s’être autrement diffusée. Recueillie directement au lieu même par la pèlerine, on peut retenir le caractère oral de sa transmission, même si rien n’interdit l’existence d’une relation écrite, aujourd’hui disparue. L’événement dut trouver place, sous une forme ou une autre, dans le calendrier local21. Repères chronologiques v. 320 Eusèbe identifie Carnéas comme la patrie de Job v. 350 (?) Invention du tombeau (?) et érection d’un sanctuaire 384 Égérie se rend au tombeau et y entend le récit de l’invention 387 Jean Chrysostome confirme l’importance du pèlerinage à Carnéas

2. Moïse En février 384, la pèlerine Égérie, un prêtre, plusieurs diacres hiérosolymitains et quelques moines s’étaient déjà rendus « jusqu’en Arabie, c’est-à-dire au mont Nébo22 », à la sixième borne milliaire, à l’ouest d’Esbus23, à mi-distance entre Livias et Madaba24, pour voir « l’endroit où Dieu ordonna à Moïse de monter en lui disant : ‘Monte sur la montagne d’Arabot, le mont Nébo, qui est dans la terre de Moab en face de Jéricho, et vois la terre de Chanaan, que je donne en possession aux fils d’Israël ; tu mourras sur la montagne où tu seras monté’25 » (Dt 32, 49-50). Passant le gué du Jourdain, ils avaient gagné la ville de Livias, d’où un prêtre les emmena au prix d’un léger détour « voir l’eau qui coule du rocher, celle que Moïse a donnée aux fils d’Israël assoiffés ». Un grand nombre de moines, « de vrais saints, qu’on appelle ici ascites (ascètes) », établis auprès d’une église, leur avaient offert l’hospitalité, puis certains d’entre eux leur avaient servi d’escorte dans leur ascension du Nébo, dont

21 En tout cas, il n’a pas pris place dans les calendriers et synaxaires byzantins : à Constantinople, au X e siècle, on fêtait la mémoire de Job le 6 mai : Syn. Const., col. 659-662 ; Mén. Basile, col. 439 ; voir Comm. martyr. rom., p. 182, no 3. Pour son dossier hagiographique (grec), voir encore les no BHG 938-939w (p. 36-38, 116-118), avec notamment un Testament apocryphe (BHG 838-839), une Vie inédite (BHG 939a), et plusieurs Éloges ou Discours attribués à Léontios, prêtre de Constantinople, ou à Jean Chrysostome. 22 Égérie, Journal, p. 173-175. Pour la « sainte montagne de Moïse », on trouve plusieurs appellations : Nébo ou Nabau, Abarim, Phasga ou Fasga ou Pisgah. Siyâgha (« le monastère », en araméen) est une dénomination tardive : SALLER, Memorial, p. 348. Pour la localisation : MICHEL, Églises, p. 328. 23 Eusèbe, Onom., p. 16-18. 24 Jean Rufus, Vie de Pierre l’Ibère, 118, p. 172-173. Le pèlerin Théodosius (ap. 518) situe la mort de Moïse à Livias : De situ, 19, Récits, p. 195, et le pèlerin de Plaisance (v. 570) le sanctuaire à huit milles du Jourdain : ibid., 10. 5, p. 212-213. Les similitudes du Pèlerin de Plaisance avec Théodosius ont fait penser qu’il faisait, comme lui, de Livias le lieu où mourut Moïse. 25 Égérie, Journal, p. 170-171.

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le dernier tronçon était à ce point escarpé qu’il leur fallut quitter leur monture. Au sommet, ils avaient découvert une église aux modestes dimensions : À l’intérieur de cette église, à l’endroit où se trouve l’ambon, j’ai vu un emplacement légèrement surélevé ayant les dimensions habituelles des tombeaux. J’ai demandé alors à ces saints ce que c’était ; ils m’ont répondu : « C’est ici que saint Moïse a été déposé par les anges, puisque, comme il est écrit, ‘personne ne connaît sa sépulture’ (Dt 34, 6), et donc qu’il est certain qu’il fut enseveli par les anges. De fait, de tombeau où il fut déposé, on n’en montre pas jusqu’à ce jour ; ce que nous vous montrons, c’est l’endroit qui nous a été montré par les anciens qui ont séjourné ici, et ces anciens aussi disaient eux-mêmes l’avoir ainsi reçu de leurs anciens. »26

De fait, une énigme entourait la sépulture de Moïse. Selon certains, tel Flavius Josèphe, il avait été enlevé au ciel et avait disparu dans une nuée27. Pour d’autres, son âme seule était montée vers Dieu, tandis que sa dépouille restait cachée sur la terre. Quoi qu’il en soit, la tradition voulait que son tombeau demeurât secret, car nul homme n’avait pris part à son inhumation28. De nombreuses sources faisaient valoir que les anges, se chargeant de cet office, l’avaient déposé quelque part « dans la vallée, en face de Beth-Péor », sur le mont Nébo. Ce motif remonte sans doute à un apocryphe, écrit en hébreu ou en araméen au début du Ier siècle, l’Assomption de Moïse, lequel ne nous est plus conservé en entier29. Dans l’Épître de Jude, à dater de la fin du Ier siècle, on peut voir l’archange Michel disputer âprement son corps au diable. Selon une Vie de Moïse intégrée à une version arménienne des Vies des prophètes, l’ange déposa Moïse sur le mont Nébo, loin du regard des hommes, de peur que, ne le considérant comme un dieu, ils ne viennent le prendre pour l’adorer. Vers 350, Aphraate exploitait le mystère de sa sépulture dans un contexte polémique, et, dans un souci didactique, disait que le Seigneur avait fait en sorte que ni ses adversaires ne puissent outrager ses os, ni le peuple d’Israël lui rendre un culte public et lui offrir des sacrifices comme à un dieu30. Pourtant, au cours du IVe siècle, entre Eusèbe de Césarée, qui n’en dit rien, et Égérie, la montagne sainte s’était couverte d’une église, et le « lieu de la mort de Moïse » avait cédé la place à l’espace, bien circonscrit, de sa sépulture : les 26

Ibid., p. 172-175. Josèphe, Ant. Jud., IV, 8, 48. 28 Grégoire de Nysse, dans sa Contemplation sur la Vie de Moïse ou Traité de la perfection en matière de vertu (BHG 2278), un ouvrage à dater d’entre 380 et 390, insiste encore sur le fait que Moïse ne laissa sur terre aucune trace. 29 Assomption de Moïse, 11, p. 20. 30 Sur la question, les sources juives et chrétiennes, et la bibliographie : BITTON-A SHKELONY, Imitatio, p. 62-65. Pour une tradition juive localisant la tombe de Moïse dans la cave de Machpela à Hébron : ibid., p. 66, n. 95. 27

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guides d’Égérie, en lui désignant une petite éminence de la taille d’un tombeau au niveau de l’ambon, lui assurèrent ne pouvoir lui montrer le tombeau du saint, mais l’emplacement traditionnellement désigné par les « anciens » comme étant l’endroit même où celui-ci fut déposé par les anges. La formulation est ambiguë31, mais une chose est claire : le texte saint était respecté, enrichi d’une tradition locale. Selon Félix-Marie Abel, cette tradition pourrait être d’origine juive, puisque dans le Targum d’Onkelos de Nb 32, 3 (IIe s. ?), « Nébo » est désigné comme « la sépulture de Moïse ». Dans une variante postérieure (VIe s.), il est question de « la maison (Beth) de la sépulture de Moïse », peut-être par allusion au mémorial érigé entre les deux versions32. Or, alors même que le tombeau de Job avait été miraculeusement découvert à Carnéas, le témoignage d’Égérie montre que semblable légende ne s’était pas encore formée de son temps au Nébo voisin, peut-être parce que cela aurait trop bousculé la tradition scripturaire. Mais il n’y avait plus guère qu’un pas à franchir, et on le fit au cours du siècle suivant, comme en atteste ce passage de la Vie de Pierre l’Ibère par Jean Rufus (v. 500) : Le jour suivant, nous sommes partis pour Madaba. Lorsque nous fûmes à mi-chemin, nous atteignîmes la sainte montagne de Moïse appelée Abarim ou Pisgah, là où le Seigneur lui dit : « Monte et meurs » (Dt 32, 50). Une église vénérable et très grande est là, qui porte le nom du prophète, et elle est entourée par de nombreux monastères. […] Là, nous apprîmes alors de ceux qui habitaient cette montagne comment ceux qui bâtirent cette église avaient la pleine conviction que le corps de saint Moïse était là, et comment cette église avait été élevée sur lui, comment étaient l’autel et la table, et sous l’autel un récipient plein d’huile et de poussière – bien que la divine Écriture dise clairement que « Moïse, le serviteur de Dieu, mourut dans le pays de Moab, selon la parole du Seigneur, et fut enseveli dans ce pays près de Beth Péor, et personne ne connaît sa tombe à ce jour »33 (Dt 34, 5-6).

L’épisode se situe vers 480-481. Dans sa jeunesse, Pierre l’Ibère (v. 412-491) était déjà venu sur la sainte montagne. Il y avait rencontré « un des grands saints de Scété », « un ascète et un prophète », qui n’avait pas quitté sa cellule « de cinq coudées de large et de cinq de long, peu éclairée », depuis quarante ans34. Mais 31

Elle ne permet pas de préciser s’il y avait effectivement un ambon. Il ne s’agit peut-être ici que d’une simple notation topographique : SALLER, Memorial, p. 339-340. 32 A BEL, Nébo, p. 377 ; Égérie, Journal, p. 175, n. 1. On retrouve cette seconde lecture dans le Targum du pseudo-Jonathan : BITTON-A SHKELONY, Imitatio, p. 65, qui souligne l’intérêt pour un emplacement circonscrit de la sépulture de Moïse dans les écrits juifs. 33 Jean Rufus, Vie de Pierre l’Ibère, 118, p. 172-173 et 120, p. 176-179 ; tr. Récits, p. 165-167. 34 Il avait été chassé du désert de Scété par une incursion de Maziques, sans doute en 408409. Cf. Récits, p. 165, n. 1. La légende se serait donc formée entre les deux voyages de Pierre, c’est-à-dire entre 457 et 480.

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ce n’est que lors de ce second voyage que Pierre apprit avec ses compagnons, « de ceux qui habitaient cette montagne », comment l’église avait été élevée sur le tombeau du saint, à la suite d’une invention miraculeuse : « un berger du village de Nébo (qui se trouve sur le flanc nord de la montagne) » vit un jour en cet endroit, dans une grotte, « un vénérable vieillard, au visage resplendissant et plein de toute grâce, qui était étendu comme sur un lit brillant et éclatant de noblesse et de grâce. » Il comprit qu’il s’agissait de « saint Moïse » et courut en informer les villageois, non sans avoir « marqué l’endroit » au moyen de « petits tas de pierres ». Alors, « comme ils crurent que la vision était vraie, et avec eux beaucoup de saints, tous les habitants de la région apportèrent en hâte des matériaux de construction et cette église fut élevée au nom du grand prophète et législateur. » Un siècle auparavant, Égérie avait vu, au sommet du Nébo, une petite église, à l’intérieur de laquelle se trouvait, à l’emplacement de l’ambon, une éminence de la taille d’un tombeau, que ses hôtes lui présentèrent comme l’endroit où Moïse fut déposé par les anges. Les fouilles archéologiques ont permis de déterminer la taille et la forme de cette église érigée sur un édifice préexistant, dont la nature est discutée35. C’était un petit édifice, triconque à l’intérieur, carré à l’extérieur ; il fut par la suite intégré dans une grande basilique. L’hypothèse de Sylvester Saller suivant laquelle Pierre l’Ibère aurait pu voir cette dernière a été infirmée. Si un premier remaniement intervint sans doute au début du V e siècle, avec aménagement de bâtiments monastiques, l’édifice ne se transforma profondément qu’aux VIe-VIIe siècles36. L’exemple de Job a déjà montré combien, en l’espace de quelques années, un lieu saint pouvait se développer. Depuis le passage d’Égérie, la population monastique avait sans doute encore augmenté sur la sainte montagne devenue plus que jamais un haut lieu de pèlerinage37. Les fidèles pouvaient voir et vénérer alentour de nombreux sites bibliques. Le mont Nébo et ses environs immédiats étaient le théâtre de divers épisodes : l’installation du camp des Israélites (Nb 21, 21s. ; 33, 47s.), l’histoire de Balak et Balaam (Nb 22-24), la vision finale et la mort de Moïse (Dt 34, 1-5) ou la dispute entre l’archange Michel et Satan pour son corps (Épître de Jude, 9). On peut croire qu’on y conservait plusieurs reliques, même si les sources sont à peu près muettes sur ce point38. Le mémo35  Il pourrait s’agir d’un ancien temple juif (voire d’un mausolée d’époque romaine, selon Bellarmino Bagatti) : SALLER, Memorial, p. 351. 36 PICCIRILLO – A LLIATA, Mount Nebo ; PICCIRILLO, Arabie, p. 81s. ; MICHEL, Églises, p. 94-95, 328339 (p. 328-329 : historique et bibliographie des fouilles). 37 Cf. pour le début du VIe siècle, le témoignage du pèlerin Théodosius déjà mentionné. 38 SALLER, Memorial, p. 351, s’interroge sur le tabernacle, l’arche et l’autel à encens : la tradition voulait qu’ils aient été cachés dans une grotte du mont Nébo (cf. 2 M 2, 4-8). On s’attendrait à les retrouver en bonne place auprès du mémorial ; il n’en est rien. Voir P ETIT, Arche.

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rial du Nébo accueillait les fidèles venus demander l’intercession du saint et obtenir ses bienfaits. Quoi qu’il en soit, la légende vit sans doute le jour dans un moment d’agrandissement du sanctuaire (bâtiments conventuels). On peut noter que Jean Rufus présente le lieu comme vierge de toute construction au moment de l’invention, reliant artificiellement cette dernière à la genèse du sanctuaire. Or, on le sait grâce à Égérie, la tradition se fixa peu à peu. Sans doute, à un certain moment, l’absence de certitudes et de données concrètes sur le corps du saint avait-elle, comme à Carnéas, posé problème. Mais alors, pas plus que jadis, n’osa-t-on bouleverser de fond en comble la tradition : on ne découvrit pas un corps tangible, mais une vision devait valider la localisation du tombeau, tout en levant l’ambiguïté sur la présence réelle du saint. En effet, bien qu’elle en restât précisément au stade de la vision, l’invention était en soi parfaite et inattaquable : il y avait eu une révélation de Dieu, et cela suffisait ; d’ailleurs le texte sacré apportait sa caution39. Repères chronologiques 384 Égérie voit, au sommet du Nébo, une église au lieu de la sépulture de Moïse déb. V e s. Aménagement du monastère et formation de la légende de l’invention (?) v. 480 Pierre l’Ibère et ses compagnons entendent le récit de l’invention40 v. 500 Jean Rufus relate l’épisode dans la Vie de Pierre l’Ibère VIe-VIIe s. Agrandissement du sanctuaire

3. Habacuc et Michée Dans son Histoire ecclésiastique, Sozomène (v. 450) rapporte l’invention des prophètes mineurs Habacuc et Michée41, sous le règne de Théodose Ier (379-395) : Il y eut encore la découverte en ce temps-là d’Habacuc et, peu après, de Michée, qui furent les premiers des prophètes. Leurs corps à tous deux, comme je l’ai appris, furent divinement montrés au cours d’une vision de 39

L’invention n’est pas signalée dans les calendriers et synaxaires. La fête de Moïse se célébrait le 4 septembre à Jérusalem (dès le VIIe siècle, à Gethsémani : SALLER, Memorial, p. 350, n. 2) comme à Constantinople : Mén. Basile, col. 29-31. Voir BLANC, Moïse ; GROSJEAN, Moïse. Pour son dossier hagiographique (grec), outre la Vie par Grégoire de Nysse (BHG 2278) déjà mentionnée, cf. BHG 2277 (Narratio de Moyse et Iosue) et 2279 (un discours attribué à Basile de Séleucie) : BHG, p. 51 ; Nov. Auct., p. 250. Pour le tombeau dans l’Islam : SADAN, Moïse. Pour une nouvelle invention au Nébo, au XVIIe siècle : SALLER, Memorial, p. 331-332. 40 Difficilement conciliable avec le témoignage d’Égérie : le sanctuaire (église triconque) préexiste à la formation de la légende. 41 Habacuc (2e moitié du VIIe s. av. J.-C.) : LECLERCQ, Habacuc ; DEJ, p. 451. Michée (2e moitié du VIIIe s. av. J.-C.) : L ECLERCQ, Michée ; DEJ, p. 739. Pour le dossier hagiographique (grec) d’Habacuc, voir dans BHG, p. 242-243, et Nov. Auct., p. 87, les no 741a, b, c, avec, en particulier, un Commentaire par Théodoret de Cyr ; de même pour Michée, dans la BHG, p. 117-118, et Nov. Auct., p. 149, les no 1281, b, c.

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PREMIÈRE PARTIE

songe à Zébennos, qui avait alors la charge de l’Église d’Éleuthéropolis. C’est en effet du nome de cette Église que dépendaient le village de Kéla, antérieurement Keïla, où fut trouvé Habacuc, et Bèrathsatia, lieu distant d’environ dix stades de la ville : près de là était la tombe de Michée que, sans savoir ce qu’ils disent, les indigènes appelaient ‘tombeau fidèle’, en le nommant en leur langue ancestrale Nephsaméémana42.

Le territoire d’Éleuthéropolis, en Palestine Première, revendiquait de nombreux souvenirs vétérotestamentaires43. Ainsi, par exemple, Pierre Diacre (XIIe s.) note-t-il sans doute d’après Égérie (381-384) : À Éleuthéropolis, au lieu dit Bycoyca, se trouve le tombeau du prophète Habacuc. À quinze milles d’Éleuthéropolis, à l’endroit appelé Asoa, se trouve le tombeau du saint prophète Esdras, et au troisième mille, à l’endroit appelé Chariasati, mais autrefois Morasthi, se trouve le tombeau du saint prophète Michée44.

Pour le tombeau (sepulchrum) d’Habacuc, une leçon (conjecturale) de Jérôme, invite au rapprochement : « le monastère du saint pape Épiphane (monasterium […] sancti papae Epiphanii) – qui s’appelle Becos Abacuc [mss. Besos adhuc / Vetus adduci] – […] est situé sur le territoire d’Éleuthéropolis et non pas de Jérusalem45. » Sozomène mentionne, pour sa part, le « village de Besanduc […] dans le nome d’Éleuthéropolis », d’où était originaire Épiphane46. Or, au début du IVe siècle déjà, le tombeau d’Habacuc était visible en deux endroits distincts : près du village (κώμη) de Kèla à sept ou huit milles à l’ouest d’Éleuthéropolis, sur la route d’Hébron47, et au village (κώμη) de Gabatha, à douze milles environ à l’est d’Éleuthéropolis48. Quoi qu’il en soit de cette riva42 Sozomène, H.E., VII, 29, p. 217-219 (SC). Cf. Cassiodore, Histoire tripartite, IX, 49 ; Bède, Chronica minora, p. 300 (il place l’invention sous le règne d’Arcadius) ; Théodore le Lecteur, Epitome 274, p. 85 ; Théophane, Chron., I, p. 73 (AM 5885 [392/393]) ; Michel le Syrien, Chron., I, VII, VIII, p. 319A ou Nicéphore Calliste, H.E., XII, 48, col. 916B. 43 BENZINGER, Eleutheropolis ; BEYER, Eleutheropolis ; JANIN, Éleuthéropolis ; TIR, p. 118-119 ; M ARAVAL, Lieux saints, p. 302. 44 Pierre Diacre, De Locis, V, 8, Récits, p. 66-67. M ARAVAL, Journal, p. 81 : « l’expression de Pierre Diacre, In Eleutheropoli, renvoie à la toparchie dont cette ville est la capitale. » Cf. Ant. Plac., Itin., 32, Récits, p. 225.  45 Jérôme, Ep. 82, 8, t. IV, p. 119 ; note de l’éditeur, p. 168. La lettre est datée de 396/397. M ARAVAL, Journal, p. 81, propose de lire Sekos (σῆκος) Abacuc. 46 Sozomène, H.E., VI, 32, 3, p. 288 (GCS) ; p. 418-421 (SC) : Ἐπιφάνιος δὲ ἀμφὶ Βησανδούκην κώμην ὅθεν ἦν, νομοῦ Ἐλευθεροπόλεως, κτλ. NAUTIN, Épiphane, col. 617 : « Le lieu n’a pas été identifié ; c’était probablement un domaine familial dont il avait hérité. » Cf. TIR, p. 87. 47 Eusèbe, Onom., p. 88 (Ἐχελά), 114 (Κεειλά) ; Jérôme, ibid., p. 89 (Echela), 115 (Ceila).  48 Eusèbe, ibid., p. 70 (Γαβαάς) ; Jérôme, ibid., p. 71 (Gabaath). La tradition de Gabatha est plus ancienne. L’endroit pourrait être mentionné dans les Vies des Prophètes, p. 20-22, avec l’indication (ἐνδόξως) d’un monument funéraire marquant son emplacement. Voir encore ibid., p. 32-33, 57-58, 85-86, 102-103. On trouve les variantes : Βηζζουχάρ, Βηθιτουχάρ, Βιδζουχάρ, Βεθουχάρ. Cf. JEREMIAS, Heiligengräber, p. 81-82.

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lité, avec l’invention survenue sous Théodose Ier (379-395), le village de Kèla s’affirma définitivement comme lieu de sépulture du prophète49. Le second sépulcre, celui du prophète Michée, fut découvert à « Bèrathsatia, lieu (χωρίον) distant d’environ dix stades de la ville 〈d’Éleuthéropolis〉 ». Il reçut sans doute également la visite d’Égérie50. Eusèbe (v. 320) connaissait déjà l’endroit pour la patrie du prophète51, et quoiqu’il ne signale pas de tombeau, son existence a de nouveau été jugée probable, sur la foi des Vies des prophètes, par Joachim Jeremias, qui pense avoir redécouvert le site dans l’actuel Khirbet-elBasal52. L’assimilation constante, tant chez les juifs que les chrétiens, du prophète Michée de Moreset, contemporain d’Isaïe (Mi 1, 1 ; Jr 26, 18), avec le martyr Michée d’Ymla, son cadet d’une génération (1R 22, 8s.)53, est de nature à renforcer cette hypothèse. De fait, si l’on en croit Sozomène, l’invention se porta sur un tombeau encore visible, mais dont on avait perdu l’identité de l’occupant. Une église fut probablement tôt érigée sur le tombeau des deux prophètes. Jérôme en témoigne pour Michée : « Morasthi, autrefois tombeau du prophète Michée, maintenant une église54 ». Si le tombeau d’Habacuc se trouvait au monastère d’Épiphane, on peut penser que l’invention entraîna tout à la fois une mise en valeur du sépulcre et de l’établissement monastique. Quand la double invention eut-elle lieu ? Sans doute après le passage d’Égérie (381-384), qui ne mentionne ici, contrairement à ce qu’elle fait pour Job à Carnéas, ni miracle55 ni église. La date de 385 est généralement avancée, sur la foi du témoignage de Jérôme. Ce dernier a cependant pu actualiser sa relation du pèlerinage qu’il fit, cette année-là, avec la noble dame romaine Paula, au moment de sa rédaction, en 401, et l’invention se produire entre ces deux termes, ou plutôt entre 384 (Égérie) et 395 (terminus ante quem, selon Sozomène). Une nouvelle fois, l’invention des sépultures devait prendre appui sur, et nourrir en retour, une tradition locale forte, puisque Kèla comme Bèrathsatia faisaient déjà figure de patrie et de lieu de sépulture pour l’un et l’autre prophète. Dès le début du siècle, la première montrait le tombeau d’Habacuc, un 49 Il reste à concilier les deux appellations : Bycoyca/Besanduc et Kèla. Le premier serait un lieu-dit dépendant du village de Kèla. 50 Pierre Diacre, De Locis, V, 8, p. 100 ; Récits, p. 66. 51 Eusèbe, Onom., p. 134 (Μωραθεί) ; Jérôme, ibid., p. 135 (Morasthi). 52 Vies des prophètes, p. 81. Voir encore ibid., p. 17-18, 28, 56, 101. Le terme μόνος pourrait s’entendre d’un monument funéraire ; on trouve d’ailleurs, dans l’une des recensions (p. 18), le terme μονώτατος, et l’addition suivante : καὶ ἔστιν ὁ τάφος αὐτοῦ εὔγνωστος ἕως τῆς σήμερον ἡμέρας. Voir JEREMIAS, Moreseth-Gath et ID., Heiligengräber, p. 82-86. Cf. TIR, p. 189. 53 Cf. Ascension d’Isaïe, 2, 12-13, p. 98 ; 16 ; Mt 23, 29s. ; Lc 11, 47. 54 Jérôme, Ep. 108, 14. Cf. ID., Comm. in Mich., p. 421. Saint-Michée est visible sur la Carte de Madaba : GATIER, Inscriptions, p. 167, no 153-194. 55 Sur ce point, le silence de Jérôme ne saurait en revanche intriguer : il ne mentionne aucune des inventions palestiniennes contemporaines.

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honneur qu’elle partageait avec une localité voisine. Était-il temps de trancher entre elles56 ? Bèrathsatia, plus heureuse, n’avait peut-être pas de rivale, mais pouvait-elle encore arborer son trophée ? Un monument, un tombeau, se signalait sans doute à l’attention et attirait les populations indigènes. Les chrétiens, en l’identifiant comme la sépulture de Michée, l’annexèrent. On imagine qu’une révélation inspirée ne fut pas de trop pour valider l’identification. Ce transfert d’autorité passait par l’interprétation d’un vocable, peut-être d’une inscription57. Zébennos, l’interprète visionnaire, extirpait ainsi l’erreur et rendait au monument sa véritable destination58. Mais en faisant l’inventaire des sépultures bibliques de son domaine, l’évêque d’Éleuthéropolis contribuait surtout au prestige et à la puissance de son siège. Repères chronologiques v. 320 Eusèbe mentionne le tombeau d’Habacuc et la patrie de Michée 381/384 Égérie se rend sans doute aux tombeaux des prophètes 385/395 Double invention à Kèla et Bèrathsatia, près d’Éleuthéropolis 385/401 Jérôme témoigne de l’érection d’une église au tombeau de Michée v. 450 Sozomène rapporte la légende de l’invention

4. Zacharie Sozomène (v. 450) raconte comment l’on découvrit non loin d’Éleuthéropolis le tombeau du prophète Zacharie : Dieu agréait le règne de Théodose II et le manifestait non seulement en réglant de manière inespérée les affaires militaires, mais encore en révélant les corps de plusieurs saints, tels le prophète Zacharie et le diacre Étienne. Tous deux furent miraculeusement découverts : le prophète apparut un jour à un certain Chaliméros, un « paysan attaché au domaine » à l’humeur querelleuse ; c’était au village de Caphar Zacharia, près d’Éleuthéropolis. Il devait creuser dans un jardin, à une distance de deux coudées de la clôture, « le long de la route qui mène au village de Bèththérébin » ; il y avait là un cercueil de plomb imbriqué dans un cercueil de bois, un vase plein d’eau et deux serpents inoffensifs. Dans le cercueil, gisait le prophète, vêtu d’habits blancs. À ses pieds, un enfant inhumé comme un prince avec une couronne, des sandales d’or et un vêtement de prix. Nul ne pouvait dire ni qui il était, ni pourquoi il se trouvait là et était ainsi vêtu. Zacharie, higoumène d’un monastère de

56 Parmi les prétendantes, la plus proche de l’évêché l’emporta ; c’était aussi la plus éloignée de Jérusalem, ce qui put avoir son importance. 57 K LEIN, Corpus Inscriptionum, p. 60s. (l’ouvrage ne m’a pas été accessible). 58 L’évêque inventeur, Zébennos d’Éleuthéropolis, est connu. On ignore cependant à quelle date il monta sur son siège, en tout cas après le départ d’Épiphane pour Salamine de Chypre, c’est-à-dire après 366 ; Zébennos est encore actif en 415 au concile de Diospolis.

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Gérara, aurait découvert l’explication dans un vieil écrit en langue hébraïque non usité dans l’Église : sept jours après que Joas, roi de Juda, eut mis à mort le prophète, Dieu lui enleva son fils ; il l’enterra aux pieds de Zacharie, en signe d’expiation. Le prophète, malgré tout le temps qu’il passa sous terre, apparut intact ; il avait les cheveux coupés ras, le nez droit, une courte barbe ; sa tête était assez petite et ses yeux légèrement enfoncés sous les sourcils59. Le miracle se produisit sous le règne de Théodose II (408-450), lorsque l’empereur, précise Sozomène, « était encore jeune ». La critique a souvent retenu la date de 415 pour cet événement qui occupe l’ultime notice de l’Histoire ecclésiastique, alors que, si l’on en croit l’auteur, devait prendre place, immédiatement après, le récit de l’invention d’Étienne survenue en décembre 415. Coïncidence chronologique ou simple regroupement thématique60 ? Il est difficile de trancher. On ne sait presque rien de Zacharie, un autre des petits prophètes61. D’après les Vies des Prophètes, il serait mort en paix dans son grand âge et aurait été inhumé à Jérusalem tout près d’Aggée, son contemporain62. Mais à l’instar de Michée, la tradition, tant juive que chrétienne, fit de lui un martyr, par confusion avec un prêtre homonyme, fils de Yehoyada, que le roi Joas avait fait lapider sur le parvis du Temple (2 Ch 24, 20-22)63. Le Nouveau Testament a gardé mémoire de « Zacharie, fils de Barachie, […] assassiné entre le sanctuaire et l’autel » (Mt 23, 35 ; cf. Lc 11, 51)64. Éleva-t-on dans la Jérusalem du Ier siècle, avec le renouveau du culte des tombeaux, un monument funéraire à sa mémoire ? En tout cas, l’ancien calendrier de la Ville sainte enregistra une fête de déposition du prophète (10 juin). Sa sépulture était alors réputée se trouver, tout comme celle d’Isaïe, non loin de la source de Siloé, même s’il y avait sans doute déjà bien longtemps que son tombeau n’était plus localisé en un point fixe65. 59

Sozomène, H.E., IX, 17, p. 445-449 (SC). Cf. Théophane, Chron., I, p. 86 (AM 5919 [426/427]) : il place la même année l’invention d’Étienne ; Nicéphore Calliste, H.E., XIV, 8, col. 1080C-1081D. 415 : M ARAVAL, Lieux saints, p. 302. C’est encore la date retenue « d’après d’autres témoignages » par BERENDTS, Zacharias, cité par SPEYER, Bücherfunde, p. 86, n. 31, qui propose pour sa part l’année 423, « d’après Sozomène » (!). Il en va de même pour BLANK, Zechariah. VAN PARYS, Silvain, p. 322, avance de son côté la date de 412, ainsi que VERHELST, Apocalypse, p. 96, n. 88, d’après les Chronica minora, p. 160. Aucune date ne semble disposer d’arguments décisifs. 61 Fils de Barachie, petit-fils de Iddo (Ne 12, 16), il fut actif à Jérusalem un peu avant la dédicace du second Temple (515 av. J.-C.), entre novembre-décembre 520 et novembre 518. 62 Vies des prophètes, p. 88. Voir encore ibid., p. 22-23, 35-36, 58-59, 103. 63 Ibid., p. 96-97 ; voir encore, p. 23-24, 53-54, 59. 64 Par ex., Tertullien, Adv. Gnosticos scorpiace 8, col. 137 ; Origène, Comm. in Matth., col. 1631 ; p. 42-43 (GCS). Sur la confusion avec le prêtre Zacharie, père de Jean Baptiste, mis à mort entre le parvis du Temple et l’autel : infra, p. 64 ; avec le Zacharie d’Is 8, 2 : Vies des prophètes, p. 36. Tous cependant ne s’y trompèrent pas, cf. Jérôme, Comm. in Matth., col. 173. 65 R ENOUX, Codex, I, p. 174. Les traditions demeuraient flottantes au début du IV e siècle ; ainsi le Pèlerin de Bordeaux (333) reconnut-il le tombeau d’Isaïe dans le monolithe désigné plus tard comme le Tombeau de Zacharie. 60

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Or, comme pour Habacuc et Michée, ce n’est pas à Jérusalem, mais près d’Éleuthéropolis que l’on redécouvrit miraculeusement, au début du Ve siècle, la tombe de Zacharie. Comme pour le patriarche Joseph, l’invention se produisit dans un champ sans signe extérieur de sépulture66. Mais contrairement aux exemples précédents, il semble que rien n’ait appuyé ici une telle découverte, ni le texte des Écritures, ni même la tradition locale. Si l’on ne peut assurer qu’il la fit naître, un toponyme, Capharzacharia ou village de Zacharie, allait cristalliser une tradition67. Zacharie (encore une fois l’homonymie n’a sans doute rien de fortuit), higoumène d’un monastère à Gérara, une ville de Palestine Première, proche de Gaza, découvrit un « antique écrit hébreu, non de ceux qui sont canoniques », et leva le mystère de la tombe68. Quel était cet écrit apocryphe ? Où et comment avait-il mis la main dessus ? Selon Sheldon Blank, la légende, que l’on trouverait sous des formes diverses, était très prisée des milieux rabbiniques. Cette histoire qui « rendait mesure pour mesure, la vie du fils de Joas en expiation pour la vie du fils de Jehoiada », essai d’explication des malheurs des juifs aux premiers siècles, pourrait avoir été écrite au temps des persécutions d’Hadrien69. Pourtant, l’ouvrage en tant que tel ne semble pas autrement connu : on a parfois avancé que la langue de rédaction avait pu entraver sa diffusion. Une Apocalypse de Zacharie était mentionnée dans la liste des écrits canoniques entre les Apocalypses de Sophonie et d’Esdras ; mais son existence n’a pas été démontrée. Par ailleurs, un autre apocryphe, attribué (sans certitude) au IIe siècle, contenait peut-être une première forme de la légende chrétienne du meurtre du prêtre Zacharie, père de Jean Baptiste, transposée du martyre de Zacharie, lapidé sur le parvis du Temple. Mais, selon Wolfgang Speyer, le genre même de l’ouvrage l’eût sans doute disqualifié – l’ancienneté, tout autant que la langue de l’écrit, lui paraissant d’ailleurs deux artifices destinés à stimuler l’intérêt. Pour le chercheur, l’abbé Zacharie usa de ce prétendu livre en hébreu pour authentifier et légitimer la relique70. Il pour-

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Infra, p. 43. TIR, p. 99-100. Ces constructions étymologiques n’étaient pas rares : SPEYER, Bücherfunde, p. 86. JEREMIAS, Heiligengräber, p. 67-73, sp. p. 73, n. 3. Pour une séquence chronologique différente – attribution du nom de Chaphar Zacharia au village de Bèththérébin après l’invention : Sozomène, H.E., IX, p. 444-445, n. 4 (SC). Pour une hypothèse sur l’identification de Bèththérébin : A BEL, Caphargamala, p. 244. 68 Sozomène, H.E., VI, 32. Sur ce disciple de l’abbé Silvain, qui avait pris la tête de la communauté à la mort de son maître : VAN PARYS, Silvain, p. 324, qui note l’importance de cette information : Zacharie avait accès à des manuscrits juifs (apocryphes) et connaissait lui-même l’hébreu, comme Marc le copiste, le disciple préféré d’abba Silvain, ou encore Épiphane de Salamine, l’abbé d’un monastère d’Éleuthéropolis (Saint-Habacuc ?). 69 BLANK, Zechariah, p. 337, n. 15. 70 SPEYER, Bücherfunde, p. 87, qui étudie le topos du livre miraculeusement découvert, propose de voir en la circonstance la conséquence d’un patriotisme local. 67

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rait s’agir d’une variante de la « garantie juive », assez commune dans les récits d’invention lorsqu’une tradition faisait défaut. D’après le pèlerin Théodosius (ap. 518), six milles séparaient la ville d’Éleuthéropolis du lieu où reposait Zacharie71. La Carte de Madaba permet de juger du caractère imposant du sanctuaire érigé au lieu de l’invention. On y voit une église, sans doute flanquée d’un martyrion72. Le Pèlerin de Plaisance s’y rendit vers 570 : en vertu de la confusion traditionnelle évoquée plus haut, les pèlerins étaient invités à contempler dans cet édifice le lieu de son supplice « entre le Temple et l’autel73 ». La basilique conservait également la scie du martyre du prophète Isaïe, et l’on montrait non loin le lieu où il avait été mis à mort74. La découverte des reliques de Zacharie modifia son culte à Jérusalem. Sans pour autant disparaître, la fête du 10 juin changea d’objet. On n’y célébrait plus la déposition, mais la mémoire du saint, tandis qu’une nouvelle fête de déposition voyait le jour, au 25 août, à Saint-Isaïe bâti par le patriarche Juvénal après 442 pour abriter quelques-unes des reliques du prophète découvertes (?) cette année-là à Panéas. L’introduction de reliques de Zacharie dans ce sanctuaire fit disparaître les dernières traces de l’ancien sépulcre hiérosolymitain75. Égérie (381-384) avait sans doute vu, autour d’Éleuthéropolis, les tombeaux des prophètes Habacuc, Esdras et Michée ; près de deux siècles plus tard, le Pèlerin de Plaisance y vit les tombeaux d’Isaïe et Zacharie. On ne s’étonnera pas du silence de la pèlerine sur ces deux derniers sépulcres, dont la tradition semble avoir pris corps quelque temps après sa visite, pas plus que des circonstances miraculeuses de la découverte du tombeau de Zacharie. Mais alors que ceux d’Habacuc et Michée furent retrouvés dans des lieux déjà consacrés par la tradition, tout comme ceux de Job, Moïse ou Joseph, l’invention de Zacharie montre que, si l’on tâchait de respecter au mieux la tradition scriptu-

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Théodosius, De situ, 3, p. 116 ; Récits, p. 188. Carte de Madaba, p. 68, no 87-88 et pl. 8. Sur le « lieu de saint Zacharie » : GATIER, Inscriptions, p. 166, no 153-191. 73 Ant. Plac., Itin., 32, 2, p. 169 (Rec. alt.) ; Récits, p. 225. Cf. JEREMIAS, Heiligengräber, p. 73, n. 3. 74 Ibid. La tradition associait depuis longtemps (auprès de la source de Siloé, à Jérusalem) les deux prophètes. 75 R ENOUX, Codex, II, p. 190, n. 19. À Constantinople, la mémoire de Zacharie se célébrait le 8 février. Pour la notice (BHG 1880c) du Ménologe impérial de Koutloumous (dédié à Michel IV : 1034-1041), qui « s’inspire principalement de l’Ancien Testament » : H ALKIN, Hagiographica, p. 9-11. Pour l’ensemble du dossier hagiographique (grec) du prophète, voir BHG, p. 318, et Nov. Auct., p. 214, no 1880I et II (un Commentaire par Théodoret de Cyr) ; 1880a, b, c. Le desinit de BHG 1880b est notable : κατετέθη ἐν τοῖς Χαλκοπρατείοις. Il s’agit sans doute d’une confusion avec Zacharie, père du Baptiste. 72

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raire, le développement du culte des saints devait aussi s’accommoder de ses incertitudes et de ses silences. Repères chronologiques déb. V e s. Fête de déposition au calendrier de Jérusalem : 10 juin 415 (?) Invention du tombeau à Caphar Zacharia, près d’Éleuthéropolis ap. 442 Translation de reliques à Saint-Isaïe et nouvelle fête de déposition au calendrier de Jérusalem : 25 août v. 450 Sozomène mentionne l’invention av. 518 Un sanctuaire est érigé au lieu de l’invention

5. Joseph Le 27 juillet 1119, on découvrit miraculeusement en Palestine, dans un prieuré latin d’Hébron, le tombeau des patriarches Abraham, Isaac et Jacob. Un récit fut composé quelques années plus tard, à la demande des chanoines de cet endroit, par un religieux extérieur à la congrégation76. À cette occasion, un certain Jean, moine au Sinaï, et un prêtre syrien, révélèrent à l’auteur un miracle survenu jadis au même endroit : d’une dévotion exemplaire, l’empereur Théodose se mit un jour en peine de faire venir dans sa capitale le plus grand nombre de reliques. Il souhaitait édifier pour elles de splendides basiliques. Désireux d’obtenir les corps des trois patriarches, il dépêcha en Judée des évêques et des clercs. L’« archevêque d’Hébron » fut prié d’apporter son concours. Il désigna aussitôt la grotte double des patriarches, mais l’audace des émissaires impériaux suscita la colère divine. Ils durent renoncer à leur entreprise. Or, l’affaire ne s’arrêta pas là : repentants et soucieux d’assurer le succès de leur mission, les émissaires voulurent se rendre au tombeau de Joseph, fils de Jacob77. L’archevêque d’Hébron les mena au champ de Néapolis, 76 Inv. trois patr. (BHL 9), d’après un manuscrit de Leyde, Voss. Lat. 4°, no 125, du XV e siècle, collationné avec la copie d’un manuscrit de Saint-Martin de Tournai aujourd’hui perdu, et dont des passages avaient déjà été édités dans les Act. Sanct. Oct., IV. Pour un troisième exemplaire : DE SANDOLI, Itinera, p. 332-336, qui en a publié quelques fragments avec une traduction italienne (on n’y trouve pas la partie consacrée à l’invention de Joseph). Il existe encore un abrégé donné en appendice dans le RHC, p. 314-316 ; celui-ci ne dit rien de l’invention des reliques de Joseph. Une autre version de l’invention de 1119, postérieure à BHL 9 et très différente, est également muette sur ce point ; référencée sous le no 11 dans la BHL, elle daterait au plus tard de la seconde moitié du XIIIe siècle. Cf. KOHLER, Invention. Pour la composition de BHL 9, deux dates sont tour à tour avancées comme terminus post quem : 1128, mort du patriarche de Jérusalem Guermond ou Gormond, salué dans le texte comme sanctae recordationis Guermundus, et 1136, date à laquelle on commence à parler de Baudoin de Saint-Abraham, seigneur d’Hébron, auquel il est également fait allusion : Et tribuni assensu, qui eodem tempore ibidem principabatur, nomine Baldevini […] 77 Pour son dossier hagiographique (grec), voir dans BHG, p. 35-37, et Nov. Auct., p. 240-241, les no 2197-2201h, notamment une Narratio (BHG 2197), une Histoire métrique (BHG 2198) et plusieurs discours attribués à Éphrem, Jean Chrysostome ou Basile de Séleucie.

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où la tradition voulait qu’il fût inhumé. Il fallut opérer des sondages dans le sol ; une magnifique cuve de marbre fut exhumée au milieu d’une foule de prodiges. L’archevêque rendit son âme à Dieu, tandis que les émissaires rapportaient leur trésor à l’empereur, qui le déposa dans la « basilique impériale ». Mort en Égypte, Joseph avait ordonné aux siens de ramener ses restes dans la terre de ses pères (Ex 13, 19). Le peuple d’Israël se souvint de ce commandement, et, sous la conduite de Moïse, emporta avec lui les ossements du patriarche : Quant aux ossements de Joseph, que les fils d’Israël avaient emportés d’Égypte, on les ensevelit à Sichem, dans la portion de champ que Jacob avait achetée pour cent pièces d’argent aux fils de Hamor, père de Sichem ; ils firent partie du patrimoine des fils de Joseph. (Jos 24, 32 ; cf. Gn 50, 25 ; Ex 13, 19 ; Jubilés 46, 5-9)

C’est en ce lieu que, plus tard, Jésus s’entretint avec la Samaritaine : « Or il lui fallait traverser la Samarie. C’est ainsi qu’il parvint dans une ville de Samarie appelée Sychar, non loin de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph, là même où se trouve le puits de Jacob » (Jn 4, 4-6). Pas un mot ici du tombeau, et l’on ne trouverait guère plus, ni chez Flavius Josèphe ni dans les textes rabbiniques. Le Père Abel rappelle que « les schismes qui divisèrent les descendants d’Israël au cours des siècles eurent pour répercussion d’englober le champ de Jacob dans la contrée samaritaine d’un accès difficile aux Juifs ou qui leur était odieux78 ». C’est sans doute la raison pour laquelle une autre tradition juive le localisait à Hébron : « Quand les fils d’Israël sortirent d’Égypte, ils emportèrent les ossements de Joseph et les ensevelirent à Hébron avec ses pères79. » Elle n’eut guère d’écho en milieu chrétien80. D’ailleurs, le passage du Seigneur suffisait à distinguer ce lieu à tout jamais. Tout particulièrement apprécié des pèlerins, l’abbé Adomnan nous en a laissé, autour de 680, une description détaillée : Le saint prêtre Arculfe, en circulant dans la région de Samarie, est arrivé à une ville de cette province qu’on appelle en hébreu Sichem, mais qu’on nomme Sicima selon l’usage grec et latin ; on a coutume d’ailleurs de l’appeler, de manière incorrecte, Sichar81. Près de cette ville, hors les murs, il a vu une église A BEL, Jacob, p. 387. Voir encore DONALDSON, Joseph ; WRIGHT, Samaritans. Testament de Josué, 20. Voir JEREMIAS, Heiligengräber, p. 32, n. 1 et 3 ; VINCENT – M ACKAY – A BEL, Hébron, p. 149s. 80 Le Pèlerin de Plaisance (Ant. Plac., Itin., 30, 1, Récits, p. 223-224) situe toutefois le tombeau de Joseph à Hébron (Mambré) : « De Bethléem au chêne de Mambré, vingt-trois milles. En cet endroit reposent Abraham, Isaac, Jacob et Sara, ainsi que les ossements de Joseph. » À noter dans Ac 7, 15-16, une ‘fusion’ entre Hébron et Sichem : « Jacob descendit donc en Égypte, et il y mourut ainsi que nos pères. On les transporta à Sichem et on les déposa dans le sépulcre qu’Abraham avait acheté à prix d’argent aux fils d’Emmor, père de Sichem. ». 81 De même, Jérôme, Ep. 108, 13, Récits, p. 158 : Paula (en 385) « passa à Sichem (non à Sychar comme beaucoup le lisent par erreur), qui s’appelle maintenant Néapolis […] ». Pour une dis78 79

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dont les quatre branches se dirigent vers les quatre points cardinaux, à la manière d’une croix. Son plan est reproduit ci-dessous. Au milieu de celle-ci, la fontaine de Jacob, qu’on a coutume d’appeler son puits, se trouve au centre, regardant les quatre parties. C’est sur lui que le Sauveur, fatigué par l’effort du voyage, s’était assis un jour à la sixième heure, et la femme samaritaine vint y puiser de l’eau à l’heure de midi (Jn 4, 6). C’est à propos de ce puits que cette femme a dit au Seigneur, entre autres choses : « Seigneur, tu n’as pas de quoi puiser et le puits est profond » (Jn 4, 11). Aussi Arculfe, qui a bu de l’eau de ce puits, parle de sa profondeur en ces termes : ce puits que j’ai vu a deux fois vingt brasses, soit quarante coudées – la brasse ou la coudée ont la largeur de deux mains étendues. Sichem, qui est aussi Sicima, autrefois ville sacerdotale et ville de refuge, se trouvait dans la tribu de Manassé et dans la montagne d’Éphraïm ; les ossements de Joseph y sont également inhumés (Jos 24, 32)82.

Avant lui, Théodosius (ap. 518) et l’anonyme de Plaisance (v. 570) devaient confirmer que le lieu était alors avant tout celui du passage du Christ et de sa relique, le puits de Jacob83. Quoi qu’il en soit, dès les premières décennies du IV e siècle, on pouvait voir, à distance du puits, le tombeau de Joseph « dans les faubourgs de Néapolis84 » : Ville de Néapolis, quinze milles. C’est là qu’est le mont Garizim. Les Samaritains disent que c’est là qu’Abraham offrit son sacrifice (Gn 22, 2) ; des marches montent jusqu’au sommet de la montagne, au nombre de 1300. Au pied de cette montagne, se trouve un endroit dont le nom est Sichem. C’est là qu’est le tombeau (monumentum) où fut déposé Joseph, dans le domaine que lui avait donné Jacob son père ( Jos 24, 32 ; Gn 33, 19 ; 48, 22). C’est de là que fut ravie Dina, fille de Jacob, par les Amorrhéens (Gn 34, 2). À mille pas de là, se trouve un endroit dont le nom est Sychar ; la femme samaritaine en descendit, pour y puiser de l’eau, à cet endroit où Jacob avait creusé un puits ( Jn 4, 6-7) et notre Seigneur Jésus-Christ parla avec elle. S’y trouvent aussi les platanes que planta Jacob et le bain qui est alimenté par ce puits85.

De même que le puits, le tombeau du patriarche fut sans doute surmonté d’une église au cours du siècle. Dans sa traduction de l’Onomasticon d’Eusèbe (v. 400), Jérôme ajoute à propos du premier : ubi nunc ecclesia fabricata est86, mais ne

cussion sur la valeur des toponymes Sychar, Sichem : A BEL, Jacob, p. 387-389. 82 Adamnanus, De locis, XXI, 1-6, Récits, p. 271. 83 Théodosius, De situ, 2, ibid., p. 187 ; Ant. Plac., Itin., 6, 4-5, ibid., p. 209. Tous deux confondent Sichem et Samarie (Sébaste), la ville voisine abritant le tombeau du Baptiste. 84 Eusèbe, Onom., p. 54 ; cf. p. 150, 158, 164. 85 It. Burd., 587-588, Récits, p. 29. Le terme monumentum impliquerait un monument funéraire. 86 Jérôme, Onom., p. 165. Cf. ID., Ep. 108, 13, Récits, p. 158. Selon A BEL, Jacob, p. 394, le baptistère pourrait remonter à l’évêque Germain de Néapolis, qui assista aux conciles d’Ancyre (314),

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parle pas de l’église du tombeau. Cependant, sa contemporaine Égérie (381-384) pourrait l’avoir connue : Cette église [du puits de Jacob] est distante de deux milles du village appelé autrefois Sichem. À cinq cents pas de cette église, il y a une église où repose saint Joseph87.

Mais alors, que penser de l’affirmation de l’Invention des trois patriarches selon laquelle ne se trouvait aucun signe de sépulture avant la découverte miraculeuse survenue sous le règne de Théodose ? On serait tenté de rejeter ce témoignage tardif, peut-être avancé dans le seul but de démontrer la supériorité des Latins, inventeurs des trois patriarches, sur les Grecs ; reste toutefois à expliquer cet épisode. La tradition (orale ?) pourrait tout aussi bien s’être conservée en milieu grec ; l’hagiographe ne désigne-t-il pas ses informateurs : le moine Jean du Sinaï et un prêtre syrien88 ? Un passage de l’historien contemporain Socrate doit peut-être retenir l’attention : Il [Théodose  II] était à ce point pieux qu’il vénérait tous ceux qui sont consacrés à Dieu, mais tout particulièrement ceux dont il apprenait qu’ils se distinguaient par la piété. On raconte qu’il envoya chercher le manteau de l’évêque d’Hébron, qui était mort à Constantinople, et qu’il s’en revêtit, bien qu’il fût très sale, car il croyait recevoir quelque chose de la sainteté du mort89.

Mais on a surtout mis cet événement en relation avec deux témoignages bien distincts : selon le Chronicon Paschale, les reliques de Joseph furent transférées à Constantinople le 2 octobre 415, et déposées à la Grande Église90, ce qui nous reporte au règne du second Théodose (408-450). Cette translation se transforma-t-elle, avec le temps, en une invention miraculeuse ? L’ouverture du sépulcre du patriarche donna-t-elle lieu à la légende ? Il semble qu’il y eut plus

Néocésarée (314/319) et Nicée (325), et mena une politique tolérante vis-à-vis des Samaritains ; l’église aurait été érigée vers 380 au plus tard : Jérus. Nouv., II, p. 306. 87 Égérie est sans doute ici la source de Pierre Diacre, De locis, R, Récits, p. 64. Il faut autrement attendre le témoignage de Théodosius au début du VIe siècle. L’église est visible sur la Carte de Madaba, p. 46, no 34 et pl. 6. Voir JEREMIAS, Heiligengräber, p. 31-36. 88 A BEL, Jacob, p. 396, accorde à l’incident une réalité historique.  89 Socrate, H.E., VII,  22,  13-15, p.  86-87 (SC). La présence d’un évêque à Hébron à l’époque byzantine est cependant infirmée par Guillaume de Tyr (XIIe s.) : STIERNON, Hébron, col. 720. 90 Chron. Pasch., col. 788B ; p. 572-573 (CSHB). 2 octobre : infra, p. 292, n. 1. L’église jadis ruinée par le feu fut reconstruite et consacrée par l’évêque Attikos : Marcellinus, Chron., CROKE, p. 11. Voir MÜLLER-WIENER, Bildlexikon, p. 84-85 ; M ARAVAL, Lieux saints, p. 289. Les reliques de Joseph ne restèrent sans doute que peu de temps à la Grande Église ; il n’en est plus fait mention par la suite.

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et qu’un incident éclata, impliquant chrétiens et Samaritains. On peut lire dans les Chroniques samaritaines91 : Sous le pontificat de ce prêtre [Éléazar], les Chrétiens vinrent à Sichem, et de là ils gagnèrent toutes les villes qui sont dans les environs du tombeau de Joseph le Juste, avec dessein de transporter ses ossements dans leurs villes. Mais Dieu fit un miracle : de la tombe de Joseph s’éleva une colonne de feu dont l’extrémité atteignait le ciel. Les Chrétiens, à la vue de ce miracle, s’enfuirent ; après leur fuite, la colonne de feu disparut. Les Samaritains replacèrent ensuite la terre sur la tombe et rendirent le tombeau de Joseph inaccessible jusqu’à nos jours92.

Les Samaritains, qui avaient déplacé, et dédoublé, nombre de lieux saints juifs, avaient fait du Garizim leur montagne sacrée. Étrangement pourtant, alors qu’ils avaient agi de la sorte avec le champ de Jacob93, ils avaient conservé au tombeau de Joseph son emplacement traditionnel. Cela pourrait expliquer les heurts mentionnés dans les sources samaritaines. Ils devaient se reproduire un peu plus tard : Sous son pontificat aussi vivait l’empereur Marcien, sous le règne duquel les Chrétiens voulurent transporter dans leur pays les ossements des prêtres Éléazar, Ithamar et Phinée94. Cette affaire donna lieu à une guerre entre les Samaritains et les Chrétiens. Les Chrétiens ne réussirent point à les enlever par suite de cette guerre, qui est racontée dans les annales95.

Les chrétiens cherchèrent-ils systématiquement à assurer leur mainmise sur les reliques samaritaines ou bien faut-il considérer ces confiscations comme des mesures de représailles96 ? Quoi qu’il en soit, si, dans le dernier cas évoqué, 91 Sept « chroniques » samaritaines ont été recensées : M ACCHI, Samaritains, p. 19-22, avec renvoi à STENHOUSE, Chronicles. Leur rédaction s’étend du Xe /XIe siècle jusqu’à l’époque moderne. La Kitâb al-Ta’rîkh, « livre d’histoire » d’Abû l-Fath, chronique en arabe des origines à Mahomet, est à dater du XIV e siècle, et la Nouvelle Chronique (ou chronique d’Adler, du nom de son éditeur) va des origines à la fin du XIXe siècle. 92 Chronique d’Adler, p. 234. Cf. VILMAR, Annales, p. 169. Selon ce dernier témoignage, le tombeau se recouvrit de lui-même miraculeusement. Voir JEREMIAS, Passahfeier, p. 60 ; MONTGOMERY, Samaritans, p. 107. Sans doute la translation ne fut-elle que partielle, puisque le pèlerin Théodosius pouvait encore vénérer, un siècle plus tard, « les ossements » du patriarche dans leur sépulcre originel. Le miracle de la colonne de feu qui mit en fuite les chrétiens rappelle l’incident survenu au tombeau des trois patriarches à Hébron. Or, ce glissement d’Hébron vers Sichem pourrait n’être pas fortuit, si l’on pense qu’une tradition juive (et le Pèlerin de Plaisance) localisait le tombeau de Joseph à Hébron. 93 A BEL, Jacob, p. 393. 94 Or, comme pour Joseph à Sichem, une église se trouvait sans doute déjà sur le tombeau d’Éléazar et Phinée à la fin du IV e siècle : Pierre Diacre (Égérie), De locis, L 2, Récits, p. 61. Voir encore Jérôme, Ep. 108, 13, Récits, p. 158.  95 Chronique d’Adler, p. 234. 96 En 484, après une révolte samaritaine, les chrétiens s’étaient emparés de leur montagne sacrée. M ARAVAL, Lieux saints, p. 289-290 ; Jérus. Nouv., II, p. 306.

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aucun écho ne nous est parvenu du côté chrétien, on imaginerait aisément un même cri de victoire dans les deux camps. Repères chronologiques v. 320 Eusèbe mentionne le tombeau de Joseph à Sichem fin IV e s. Érection d’une église au tombeau 415 Invention des reliques (?) ; translation à Constantinople et déposition à la Grande Église (2 octobre) peu ap. (?) Déposition dans un prophétéion de la capitale (?) 27 juil. 1119 Invention des trois patriarches à Hébron v. 1136 Composition de l’Inv. trois patr., contenant la légende de l’invention de Joseph sous Théodose (II)

6. Ananias, Azarias et Misaël (les Trois Hébreux) Un récit de l’invention des reliques des Trois Hébreux nous a été conservé en arménien et géorgien : au temps du roi des Perses Vahrām, se trouvait à Babylone, à l’emplacement du palais de Nabuchodonosor 97, la demeure d’un juif ; des malades venaient de partout s’y faire guérir, sans que nul ne connût la source des miracles. À la même époque, vivait en ce pays un chrétien du nom de Malpha ; c’était le préfet du Roi. Cet homme décida de lever le mystère et chargea un juif, converti par ses soins, de soutirer son secret à son ancien coreligionnaire. L’homme enivra son hôte et apprit la présence en ces lieux du sépulcre d’Ananias, Azarias et Misaël. Le princeps Malpha (Maclutha, arm.) en informa l’higoumène Antoine, qui se rendit lui-même sur place avec son diacre Silas ; les deux hommes, par le même subterfuge, gagnèrent la confiance du juif, et apprirent en outre qu’il ne quittait jamais les lieux, sauf pour le sabbat. Aussi, un jour de sabbat, le princeps, l’higoumène, le diacre, le juif converti et une petite troupe de gens en armes munis de divers outils, allèrent recueillir les ossements sacrés. Les juifs portèrent plainte auprès du Roi. Arrêté, le princeps nia tout, et demeura sept mois dans les fers, subissant de terribles supplices. Mais il fut pour finir libéré de ses chaînes – telle était la volonté de Dieu –, recouvrant tout à la fois son rang et les bonnes grâces du Roi. Malpha-Maclutha fit alors édifier pour les reliques un martyrion dans le monastère d’Antoine. De nombreux miracles s’y accomplirent  dont quelques exemples sont donnés en guise d’illustration.

97 L’invention aurait eu lieu au village de Matamasya : SAUGET, Synaxaires, p. 407, n. 5. Cfr JEREMIAS, Drei Heiligengräber, p. 99-101: 48b. Die drei Männer im Feuerofen (Matha Me h. asja), d’après une courte notice insérée dans une chronique nestorienne anonyme.

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Gérard Garitte venait d’éditer le texte géorgien – caractérisé par un « style […] incroyablement fruste, maladroit et sans apprêt, 〈et une〉 langue […] d’allure extrêmement archaïque98 » –, qu’il considérait comme une traduction du syriaque via l’arménien, lorsqu’il mit la main sur une version arménienne lui permettant de vérifier son hypothèse99. Tous deux sont presque identiques, mais assez divergents pour indiquer que le géorgien a été copié sur une recension arménienne plus complète que celle qui nous est parvenue. L’Invention fut sans doute composée au sanctuaire de Séleucie-Ctésiphon, comme l’indiquent les trois courts récits de miracles qui achèvent ce texte. Ce sanctuaire était renommé100. L’empereur Léon Ier (457-474) en obtint des reliques pour la Ville impériale ; elles furent déposées, plus tard, au-dessus de la tombe de Daniel le Stylite († 493)101. Les reliques se diffusèrent également, dès le milieu du Ve siècle, à Jérusalem (fondations de Juvénal et de Flavia), et jusque dans la ville africaine de Calama102. L’Égypte les vénéra tout particulièrement, leur dédiant un certain nombre d’églises103. Selon le livre de Daniel (Dn 3, 1-97), à Babylone, au temps de la captivité, les Trois Hébreux refusèrent d’abandonner la Loi de Dieu. Pour n’avoir pas voulu adorer une statue d’or, le roi Nabuchodonosor les fit jeter dans une fournaise ardente. Mais l’ange de Dieu les protégea, et ils ne subirent aucun dommage. Alors le roi, frappé par ce miracle, leur accorda le pardon et de nombreux honneurs. Le récit biblique fut abondamment repris, développé et illustré dans le monde chrétien104. Dans le récit de l’invention, le juif, gardien du tombeau et unique desservant du sanctuaire incubatoire organisé autour des reliques, mentionne une tradition ininterrompue parmi son peuple, transmise oralement de génération en génération, ainsi que l’existence d’une « chronique105 » retraçant la mort et la déposition d’Ananias, Azarias et Misaël au palais de Nabuchodonosor. On n’en sait pas plus. La tradition grecque en fit de véritables martyrs : d’après une Passion inédite (BHG 484z-484*)106, ils

GARITTE, Invention 1, p. 76. ID., Invention 2. 100 Cf. Vie Macaire, p. 137 ; Isidore de Séville († 639), De ortu, LIX, 100, col. 146C ; Calendrier pal.-géo., p. 364. 101 Vie Dan. st., 92, p. 86-87 et 100, p. 92, tr., p. 159 et 164. M ARAVAL, Lieux saints, p. 268, 403. 102 Calendrier pal.-géo., p. 312, 357-358 (25/24 août) et p. 235, 241 (15 octobre). Pour les reliques de Calama : « Bulletin des publications hagiographiques », AB, 13 (1894), p. 406-407.  103 VAN E SBROECK, Hebrews ; GASCOU, Sanctuaires. 104 LECLERCQ, Hébreux ; C ARLETTI, Tre Giovani ; R ASSART-DEBERGH, Hébreux ; DULAEY, Hébreux. Pour la bibliographie : KULCZAK-RUDIGER, etc., Jünglinge. 105 Inv. géo. Trois Enfants, 14, p. 88. 106 Passion BHG 484z : Pass. trois Enfants. 98

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furent décapités, avec le prophète Daniel, sur l’ordre du « successeur » de Nabuchodonosor, le roi Attikos (sic). L’empereur voulut brûler leurs corps, mais, pendant la nuit, des anges les prirent et les amenèrent sur le mont Gébal pour les cacher. Très vite donc la pierre, qui s’était entrouverte, dissimula les reliques. Puis, après le retour des enfants d’Israël et le rétablissement de Jérusalem, les reliques des saints étaient à Babylone jusqu’à l’époque de la venue du Seigneur en chair. Quand donc les Juifs dressèrent la croix contre notre seigneur Jésus-Christ […], quand […] de nombreux corps de saints décédés s’éveillèrent et, entrés dans la Ville sainte, se montrèrent à de nombreuses personnes (cf. Mt 27, 52-53) […] Les trois enfants sans reproche qui avaient ainsi lutté et étaient gardés sous la pierre depuis 340 ans ressuscitèrent puis retournèrent dans leur tombe107.

Dans la tradition copte, conformément au récit biblique, les Trois Hébreux moururent en paix sous Nabuchodonosor. Selon le Roman de Bakhéos, le miracle de la fournaise leur attira l’admiration et le respect du roi, lequel, après la mort des saints, se mit en devoir de vénérer leurs restes. Lorsqu’il mourut à son tour, on ne put emporter son corps jusqu’au cimetière royal. Et sur l’heure une voix sortit des corps des saints disant : « Placez le corps du roi auprès des nôtres jusqu’au jour du grand jugement de vérité ». C’est ainsi qu’on plaça le corps du roi près de celui des saints, en une même demeure. Et lorsqu’on vint déposer le corps (du roi), ceux des saints se retirèrent et le corps du roi prit place entre eux. Et sur l’heure nous sûmes que c’était la volonté des saints que le corps du roi (fût déposé) près du leur108.

Les fragments coptes conservés s’arrêtent là, mais le récit complet peut être restitué grâce à une traduction arabe109. Le fils et successeur du roi retourne à l’impiété, et « fait déplacer les corps des Trois saints en un lieu inférieur110 » ; son châtiment est annoncé. Selon la même tradition, une église aurait été érigée par l’évêque Théophile (384-412), mais, après une série d’aventures extraordinaires, la quête pour obtenir une relique à Babylone serait demeurée vaine. Le Synaxaire copte raconte comment les saints firent savoir à l’envoyé épiscopal Jean Colobos, qui s’était rendu à Babylone auprès de leur tombeau (il était placé Texte grec dans GARITTE, Invention 1, p. 71. Les synaxaires grecs en donnent un résumé, au 17 décembre : Syn. Const., col. 319 ; Mén. Basile, col. 211-212. 108 Z ANETTI, Bakhéos, p. 747. 109 Pour les fragments coptes d’un codex du Monastère Blanc et les deux versions arabes – qui « rapportent visiblement le même texte, mais dépendant apparemment de deux traductions distinctes » – contenues dans des manuscrits du XVIIIe siècle du monastère de Saint-Macaire : Z ANETTI, Bakhéos, p. 715-716. 110 Ibid., p. 722. 107

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sous l’image de Nabuchodonosor), qu’ils ne pouvaient quitter le sanctuaire, mais apparaîtraient dans les lampes allumées dans l’église de Théophile111. Selon Michel van Esbroeck, les diverses pièces coptes émaneraient d’un milieu anti-chalcédonien désireux de justifier, sur le parti adverse, la priorité du culte alexandrin des Trois Hébreux autour d’une ancienne chapelle, sans doute érigée par Théophile à la fin du IVe siècle. Une tradition grecque voulait, en effet, que le patriarche chalcédonien Apollinaire (551-570) se fût procuré au sanctuaire de Babylone une relique (un bras) pour une église érigée par ses soins à l’emplacement de l’officine (ἐργαστήριον) du martyr Cyr112. Dans le Roman de Bakhéos, la transmission miraculeuse de la Vie des Trois Hébreux est mise en relief : Bakhéos, évêque de la ville perse de Yūsiūs [Suse ?], raconte comment il s’est vu remettre par des chrétiens de Babylone d’anciens écrits en « langue babylonienne », qu’il a emportés en Égypte. Parmi eux se trouvait une Vie des Trois Hébreux par leur serviteur Jéchonias. Bakhéos l’a traduite « en langue égyptienne », ajoutant de sa composition un éloge des saints, ainsi que l’histoire des « frères babyloniens » qui lui ont remis la Vie, après l’avoir reçue, lors d’une apparition, des saints eux-mêmes113. Si l’Invention des Trois Enfants n’eut, comme le pense Gérard Garitte, qu’une faible diffusion114, tout montre que la tradition copte sut compenser une absence de reliques et exploiter à son profit la tradition de Ctésiphon-Babylone. L’analyse de l’Invention a permis à Gérard Garitte d’apprécier sa valeur historique ; il propose de replacer les événements sous le règne de Vahrām V Gor (v. 420-438/439)115 : la religion chrétienne avait gagné l’Empire perse dans la deuxième moitié du IIe siècle, mais ses adeptes, premières victimes des aléas de la politique romano-perse, y connurent bien des heures sombres116. Au début du V e siècle, le règne de Yezdegerd Ier (399-420) avait commencé sous d’heureux hospices : il y eut de nombreuses conversions, notamment chez les dignitaires. Beaucoup appartenaient aux plus nobles familles. Mais les mazdéens, indignés, poussèrent le Roi à user de tous moyens pour faire apostasier les Grands, et l’année 420 inaugura une terrible ESBROECK, Hebrews, p. 2258. Pass. Cyr et Jean 1, 3-5, col. 3677B-3680C (avec une lacune col. 3677C) ; recension métaphrastique : Pass. Cyr et Jean 2, col. 1233D-1237A. Les Trois Hébreux sont médecins, selon les traditions grecque et copte. 113 Z ANETTI, Bakhéos, p. 717-718. 114 On peut cependant noter la ressemblance frappante de cette relation avec la Légende de Galbios et Candidos sur l’invention du maphorion de la Vierge à Jérusalem, un récit qui vit sans doute le jour dans le dernier quart du V e siècle. 115 Le récit ne fournit que le nom de Vahrām, sans plus de précision. ENSSLIN, Wahram V Gor. 116 L ABOURT, Christianisme, p. 110-111. 111

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persécution117 ; elle devait durer deux années. Le fils et successeur de Yezdegerd, Vahrām V Gor, en quête de légitimité, frappa indistinctement clergé, noblesse, hauts fonctionnaires. Il [Bahrâm] ordonna que les grands qui professaient la religion de Dieu fussent expulsés de leur province, que leurs maisons fussent pillées et qu’ils fussent dépouillés de tout ce qu’ils possédaient ; et il les envoyait en des provinces lointaines, afin qu’ils fussent accablés de vexations par suite des malheurs et des guerres, et qu’ainsi fussent persécutés tous ceux qui professaient le christianisme jusqu’à ce qu’ils renient leur religion et qu’ils retournent à la religion du culte de nos autres dieux (c’est-à-dire celui que nous professons)118.

L’Empire romain reçut un afflux massif de réfugiés. Théodose II refusa de les rendre et la guerre éclata entre les deux empires (421)119. Rome prit l’avantage. Elle n’en abusa pas et, dès 422, offrit une paix de cent ans120 : les chrétiens avaient toute liberté de pratiquer leur religion en Perse ; les adeptes du mazdéisme dans l’Empire romain. La libération inattendue du « préfet » – peutêtre l’un de ces Grands impliqués dans la propagation du christianisme au sein de l’Empire perse121 –, après sept mois d’incarcération et de tortures, son retour en grâce inespéré, pourraient donc prendre place vers l’an 422, et s’en trouver éclairés, même s’il y eut encore bien d’autres victimes en Perse après la fin de la persécution officielle122. Pour Gérard Garitte, le mode d’invention des reliques assez original plaide d’ailleurs en faveur du récit123. L’éditeur note encore : en décrivant tout ingénument l’établissement du culte chrétien de ces trois saints comme la confiscation pure et simple d’une tradition juive […] 〈le récit〉 fournit un nouvel exemple, clair et précis à souhait, de l’accaparement par 117 Marcellinus, Chron., CROKE, p. 12 ; Socrate, H.E., VII, 20, p. 74-77 (SC) ; Théodoret, H.E., V, 41 (39), p. 488-500 (SC) ; Vie Euthyme, 10 : les mages tentaient de couper la retraite des chrétiens dans l’Empire romain. Cf. VAN ROMPAY, Martyrs, L’auteur révise l’opinion communément admise selon laquelle le changement d’attitude de Yezdegerd envers les chrétiens serait dû au comportement insolent de ces derniers. 118 Passion de Pērōz, tr. L ABOURT, Christianisme, p. 110-111, n. 5. 119 Marcellinus, Chron., CROKE, p. 13. 120 Ibid. 121 GARITTE, Invention 1, p. 74-75. 122 Mais le sort du préfet de Vahrām n’est-il pas surtout à l’image du destin des Trois Hébreux, ces nobles jeunes gens familiers du roi Nabuchodonosor, symboles du triomphe de la vertu et de la foi sur le vice et l’impiété ? L’hagiographe aurait pu s’inspirer de quelque Passion syriaque du V e siècle, tels les Actes de l’évêque ‘Abdā, au temps de Iazdegerd, père de Vahrām : un prêtre avait détruit un pyrée ; les « adorateurs du feu » se plaignirent au Roi qui dépêcha une enquête. Comme Malpha-Maclutha, ‘Abdā nia tout, mais il n’échappa pas au martyre. Voir L ABOURT, Christianisme, p. 105-106.  123 GARITTE, Invention 1, p. 73. 

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l’Église chrétienne des tombes et reliques vénérées par les Juifs ; cet exemple vient très à propos enrichir le dossier présenté par M. Jeremias dans son récent ouvrage, dont une des conclusions les plus neuves est de marquer l’importance, jusqu’ici sous-estimée, de l’héritage juif dans la constitution du culte des saints124.

S’il est vrai que le rôle prépondérant des juifs, du converti au gardien de la relique, en passant par la communauté tout entière125, est ici remarquable, il faut peut-être rester prudent. Comme l’a montré Gunter Stemberger, il est peu d’exemples concrets de cet « accaparement », et l’on hésitera à verser cette pièce au « dossier ». En revanche, on se demandera dans quelle mesure cette Invention, avec son « pieux larcin », n’a pas elle-même créé une tradition. Repères chronologiques 420-422 Persécution des chrétiens en Perse 422 (?) Invention des Trois Hébreux à Séleucie-Ctésiphon ; déposition dans un martyrion et composition du récit d’invention (?) V e s. Diffusion des reliques, notamment en Afrique, à Jérusalem et à Constantinople V e-VIe s. (?) Traduction arménienne de l’original syriaque de l’Inv. Trois Enfants ; traduction géorgienne via l’arménien

7. Autres Les tombeaux et reliques de plusieurs autres personnages vétérotestamentaires étaient vénérés par les chrétiens126. Il n’est pas impossible que certains aient été l’objet d’inventions miraculeuses ; en voici quelques exemples : Jérémie Si l’on en croit les Vies des prophètes, Alexandre le Grand transféra les reliques du prophète à Alexandrie127. Plus tard, Jean Moschos (fin VIe s.) note dans son Pré spirituel : Le Tétrapyle est pour les Alexandrins un lieu extrêmement vénérable. Ils disent en effet qu’Alexandre, le fondateur de la ville, apportant d’Égypte les reliques du prophète Jérémie, les y déposa128.

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Ibid., p. 75. Sur les juifs dans l’Empire perse : L ABOURT, Christianisme, p. 7-9 ; pour les chrétiens en Perse au V e siècle : NEUSNER, History, p. 43-45. 126 M ARAVAL, Lieux saints, passim. 127 Vies des prophètes, p. 44 ; cf. p. 61-62, 71. 128 Jean Moschos, Pré, 76, col. 2929, tr. SIMON, Israël, p. 125. 125

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Selon Marcel Simon, le but premier des chrétiens visait peut-être à détourner les fidèles du tombeau du prophète vénéré par les Juifs129. Il y a lieu de supposer dans l’élaboration de cette légende, à un stade intermédiaire entre ceux que représentent respectivement le Pseudo-Épiphane ou sa source, d’une part, Moschos, de l’autre, une inventio miraculeuse, consécutive sans doute, selon le schéma habituel, à quelque vision, et qui aurait permis de retrouver ces reliques qu’on savait présentes dans la ville, mais dont l’emplacement exact était jusqu’alors oublié ou ignoré130.

Samuel On a souvent supposé une invention des reliques du prophète, transférées à Constantinople et déposées en 406 à la Grande Église, puis, en 407, dans son prophétéion, près de l’Hebdomon131. Elles provenaient sans doute de Ramatha (Néby Samouîl), à cinq milles au nord de Jérusalem, où se trouvait son tombeau132. Par la suite, Justinien releva les murs du monastère Saint-Samuel et y fit creuser un puits133. Selon les lectionnaires géorgiens, la fête du prophète se célébrait le 20 août In Masephta pago134. Isaïe Plusieurs sources mentionnent la translation de ses reliques à Constantinople : en 442/443, depuis Panéas (Césarée de Philippes), selon Kédrénos (XIIe s.)135 ; sous Marcien (450-457), pour Georges le Moine (IXe s.)136 et Théodose de Mélitène137 ; depuis Jérusalem, selon le Ps.-Codinos138. Il fut déposé à Saint-Laurent, près 129 Ibid. : « La translatio par Alexandre jouerait dans ce cas le même rôle qu’ont joué parfois, en regard des localisations juives, les traditions samaritaines. » 130 Ibid. ; voir encore ID., Alexandre. 131 Jérôme, C. Vigilance, col. 343C ; Chron. Pasch., col. 784A, 785A ; p. 569, 570-571 (CSHB) ; Théodose de Mélitène, Chron., p. 74 ; Nicéphore Calliste, H.E., XIV, 10, col. 1089D. Pour la date de la translation : D VORNIK, Apostolicity, p. 142. Hebdomon : TIB, XII, p. 391-395. 132 Il est mentionné par les pèlerins : Théodosius, De situ, 6, Récits, p.  189 ; Adamnanus, De locis, I, XX, 1, ibid., p. 254, etc. Voir SAVIGNAC – A BEL, Neby Samouil ; VINCENT, Neby Samouil ; A BEL, Recension 2, p. 621, no 47 et ID., Géographie, p. 388-390 ; MILIK, Notes, p. 578 ; JEREMIAS, Heiligengräber, p. 44-46 ; M ARAVAL, Lieux saints, p. 269-271. 133 Procope, De aed., V, 9, p. 169. 134 Grand Lectionnaire, II, p. 28, no 1159. Voir Calendrier pal.-géo., p. 290. La fête est connue des synaxaires grecs : Mén. Basile, col. 591. Une Narratio de vita et miraculis (BHG 2393) est inédite. 135 Kédrénos, Hist. comp., p. 600. 136 Georges le Moine, Chron., col. 756A. Ce passage ne se lit pas dans l’édition DE BOOR. 137 Théodose de Mélitène, Chron., p. 79. Dict. des auteurs, p. 828 : « Doit son existence dans la littérature byzantine à un faux de Syméon Cabasilas (2e moitié du XVIe s.) que l’on a mal lu : celui-ci a placé sous le nom de Théodose une version abrégée de l’Epitomé et la continuation de Georges le Moine par Syméon Métaphraste. » Voir K RESTEN, Phantomgestalten, p. 208-212. 138 P REGER, Patria, III, 71, p. 241. Sur la tradition hiérosolymitaine du tombeau d’Isaïe : A BEL, Isaïe ; Jérus. Nouv., p. 855-860 ; MILIK, Notes, p. 364-366 ; JEREMIAS, Heiligengräber, p. 61-67.

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des Blachernes (à Saint-Isaïe, pour le Ps.-Codinos) ; on y célébrait sa mémoire le 9 mai139. On pratiquait encore l’incubation dans ce sanctuaire comme l’indique un recueil de ses miracles (BHG 958f)140. Une transformation intervient par ailleurs, avant la fin du V e siècle, dans le calendrier hiérosolymitain : la depositio d’Isaïe n’est plus célébrée le 6 juillet, mais le 25 août dans le sanctuaire érigé au bord de la vallée du Cédron par le patriarche Juvénal pour abriter des reliques du prophète141. Une fête d’invention trouve encore place, au 16 juin, dans le Calendrier palestino-géorgien142.

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Syn. Const., col. 667 ; Mén. Basile, col. 443. Voir encore au 25 janvier : Syn. Const., Syn. sel., col. 424. JANIN, Églises, p. 311-315 : à noter que Saint-Laurent ne fut sans doute fondé qu’en 452/453 (Marcellinus, Chron., CROKE, p. 21) par Pulchérie ; la Vie de Pierre l’Ibère atteste toutefois l’existence d’une église de ce nom dès 451 environ. 140 DELEHAYE, Isaïe, à partir du ms. bibliothecae Bodleianae Barocc. 240 (XIIe s.). C’est un ménologe de mai contenant encore un synaxaire ou epitome de obitu Isaiae prophetae (BHG 958d) : ibid., p. 257-258 ; Syn. Const., col. 581-584. 141 R ENOUX, Codex, I, p. 174. Pour la localisation : A BEL, Recension 2, p. 617. « Le sanctuaire de la source de saint Elissaios à Jérusalem » : Procope, De aed., V, 9, 9, tr. ROQUES, p. 367 et comm. p. 388 : il faut peut-être lire « Saint-Isaïe ». 142 D’après le Lectionnaire de Paris, cf. Calendrier pal.-géo., p. 253-254. Le 16 juin était fête de la déposition des reliques d’Isaïe à Saint-Ménas, sanctuaire fondé par Bassa en 444.

CHAPITRE II

Les saints néotestamentaires Même si le Nouveau Testament fournissait moins encore que l’Ancien de données exploitables sur des lieux de sépulture, et que la première Église professait un désintérêt pour le devenir du corps après la mort jusqu’au jour du Jugement, on sait que dès le IIe siècle des traditions ont existé sur les sépulcres de quelques apôtres : Pierre et Paul à Rome, Philippe à Hiérapolis, Jean à Éphèse1. Mais ce n’est qu’au IV e  siècle que commencèrent à se multiplier, en particulier à Jérusalem et dans toute la Palestine, tombeaux et autres témoignages matériels des temps apostoliques. Il fallait retrouver les traces que les communautés chrétiennes encore très minoritaires, peu organisées et persécutées, avaient jadis perdues. De nouveau, ce fut, pour une large part, l’œuvre de plusieurs générations d’exégètes. Certains, tel Jérôme, faisaient preuve d’esprit critique. Mais il n’en alla pas toujours ainsi, et de nouvelles traditions furent alléguées, des étymologies créées : Caphargamala devint le domaine de Gamaliel, le lieu-dit Pankaia devait son nom au miracle survenu sur la tombe d’Onésiphore et Porphyre, le lieu « de la santé » renfermait celle de Barnabé, etc. Les écrits apocryphes prirent de l’importance ; des cycles se formèrent2 : en se perdant dans la légende, les Églises retrouvèrent leurs origines3.

1. Jacques, Zacharie et Siméon Jacques occupe une place importante dans l’Église naissante4 : il est souvent question, dans le Nouveau Testament, de ce « frère du Seigneur » (Ga 1, 19 ; M ARAVAL, Lieux saints, s.v. Des liens, souvent difficiles à interpréter, relient diverses inventions entre elles. Cf.  VAN ESBROECK, Jean II. 3 Avec ces reliques, a été soulevé le problème des origines et traditions judéo-chétiennes : TAYLOR, Christians ; M ANNS, Judéo-christianisme. 4 Notamment, L ECLERCQ, Jacques ; ERMONI, Jacques ; P LOTINO, Giacomo ; GAECHTER, Jakobus ; B ÖHM, Jakobus ; M ANCINI, Jacques ; P RATSCHER, Jakobus ; BERNHEIM, Jacques ; PAINTER, James ; CHILTON – NEUSNER, James ; H ARTIN, James. 1 2

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cf. Mc 6, 3 ; Mt 13, 55) auquel apparut le Christ ressuscité (1 Co 15, 7), et qui possédait une autorité manifeste dans l’Église de Jérusalem5, au point que la tradition devait très tôt le considérer comme le premier évêque de la Ville sainte6. Pourtant, le triomphe du christianisme issu du paganisme semble avoir assez longtemps rejeté dans l’ombre celui qui faisait figure de chef des judéochrétiens7. Lorsqu’elle put enfin panser ses plaies et étouffer ses divisions, l’Église lui rendit justice, et dès le IVe siècle, Jérusalem conservait avec respect le trône de son premier évêque8. Qu’en était-il de sa sépulture ? Dans son Histoire ecclésiastique, Eusèbe relate, d’après les Mémoires d’Hégésippe (v. 180)9, le martyre de Jacques (BHG 763z) survenu au jour de Pâque 6210, lorsque scribes et pharisiens le précipitèrent du haut du pinacle du Temple. Les circonstances de la mort de Jacques ont déjà été précédemment indiquées par les paroles de Clément que nous avons citées : celui-ci rapporte qu’il fut jeté du pinacle du temple et frappé à mort à coups de bâton. Ce qui concerne Jacques, Hégésippe qui appartient à la première succession des apôtres, le raconte de la manière la plus exacte dans le cinquième livre de ses Mémoires, dans les termes suivants. […] Et quelqu’un d’entre eux, un foulon, ayant pris le bâton avec lequel il foulait les étoffes, frappa sur la tête du juste ; et ainsi celui-ci rendit témoignage. Et on l’enterra dans le lieu même, près du Temple et sa stèle demeure encore auprès du Temple (καὶ ἔθαψαν αὐτὸν ἐπὶ τῷ τόπῳ παρὰ τῷ ναῷ, καὶ ἔτι αὐτοῦ ἡ στήλη μένει παρὰ τῷ ναῷ)11.

La tradition littéraire concernant le martyre de Jacques était définitivement fixée12. Cependant, peu après, en 333, le Pèlerin de Bordeaux vit bien des choses aux abords du Temple, mais nulle trace de sa sépulture. 5

Cf. Ac 12, 17 ; 15, 19 ; 20, 16 ; 21, 18 ; Ga 1, 19. AUBINEAU, Hésychius, I, p. 352-353, qui renvoie aux deux Apocalypses de Jacques : FUNK, Apokalypse et ID., Apocalypse ; K ASSER, Apocalypses. 7 NORET, Jacques, p. 5 ; BECHEN, Protévangile, p. 94. Il apparaît dans un certain nombre de légendes et récits apocryphes, comme l’Évangile gnostique de Thomas, l’Évangile des Hébreux ou le Protévangile de Jacques. Sur ces écrits : A MANN, Apocryphes. 8 Eusèbe, H.E., VII, 19, p. 672-674 (SC). 9 PAINTER, James, p. 119-120. Eusèbe a-t-il fidèlement reproduit Hégésippe ? Les avis divergent sur la question depuis SCHWARTZ, Jakobus. Cf. BAUCKHAM, James, p. 200. La fidélité à son modèle tend désormais à prévaloir, par ex. P RATSCHER, Jakobus, p. 104-106, qui a proposé de n’y voir que des interpolations mineures, ou JONES, Martyrdom. Voir encore MYLLYKOSKI, James. 10 Les Juifs mirent à profit l’absence temporaire de toute autorité romaine en Judée entre la mort subite du procurateur Porcius Festus cette année-là et l’arrivée de son remplaçant : Josèphe, Ant. Jud., 20, 9, 1. Jérus. Nouv., p. 845-849, 898. 11 Eusèbe, H.E., II, 23, p. 87-89 (SC). A BEL, Jacques, p. 483. 12 On trouve toutefois quelques variantes isolées, comme, par exemple, chez le Ps.-Clément d’Alexandrie, Recognitiones, I, 70, col. 1245, où Jacques, précipité du haut du Temple par Saül de Tarse, survécut à sa chute et continua à exercer son ministère. Eusèbe est la source principale de la Passion métaphrastique BHG 764 (Pass. Jacques), de la Passion BHG 766m (H ALKIN, 6

CHAPITRE II – LES SAINTS NÉOTESTAMENTAIRES

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À Jérusalem, il y a deux grandes piscines sur les côtés du Temple […] Là se trouve une grotte où Salomon torturait les démons. Là se trouve l’angle de la très haute tour où monta le Seigneur, et celui qui le tentait lui parla, et le Seigneur lui dit : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu, mais tu le serviras lui seul » (Mt 4, 7.10). Là se trouve la pierre angulaire dont il a été dit : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête d’angle » (Ps 118, 22 et Mt 21, 42). Sous le pinacle de cette tour se trouvent de nombreuses pièces où Salomon avait son palais. On y voit aussi la pièce où il siégea et où il écrivit la Sagesse ; cette chambre a un toit fait d’une seule pierre. Là sont aussi de grandes citernes d’eau souterraine et des piscines bâties à grand labeur. Dans le sanctuaire lui-même bâti là où il y eut le Temple que construisit Salomon, sur le marbre devant l’autel est répandu le sang de Zacharie (Mt 23, 35) ; on dirait qu’il l’est d’aujourd’hui. Sont visibles aussi, sur toute la surface, les traces des clous des soldats qui le tuèrent : on les croirait gravés dans la cire. Là sont aussi deux statues d’Hadrien ; c’est non loin de ces statues que se trouve la pierre trouée auprès de laquelle les Juifs viennent chaque année : ils l’oignent, se lamentent en gémissant, déchirent leurs vêtements et enfin se retirent. Là se trouve aussi la maison d’Ézéchias, roi de Juda13.

Avec le temps en effet, la stèle disparut, après 180, si l’on tient compte d’Hégésippe, sous le règne d’Hadrien, d’après Jérôme : (Jacobus) juxta templum ubi et praecipitatus fuerat, sepultus est, titulum usque ad obsidionem Titi, et ultimam Hadriani, notissimum habuit14. Sans doute la fondation de la colonie romaine d’Aelia en 135 et l’élimination du rameau judéo-chrétien de la ville scellèrent-ils le sort du monument15. En tout cas, Rufin n’en parle plus dans sa traduction d’Eusèbe en 403. Or, dès 392, une nouvelle localisation avait pris corps dans certains milieux monastiques locaux : Quidam e nostris in monte Oliveti eum putaverunt conditum, sed falsa eorum opinio est16. En désaccord avec la tradition littéraire, ceux-là pensaient que Jacques avait été inhumé non pas en contrebas du Temple, mais en face, au mont des Oliviers, sur la rampe orientale du Cédron, que séparait du sanctuaire la profonde vallée de Josaphat. Sur quoi fondaientils leur opinion ? Jérôme ne le dit pas.

Inédits, p. 13-19), ou de l’Éloge BHG 766, du Ps.-André de Crète (PAPADOPOULOS-K ERAMEUS, αισ, I, p. 1-14 ; NORET, Jacques). Il existe encore un Éloge BHG 766a par Nicétas le Paphlagonien (LEBRUN, Nicétas, p. 152-175), et plusieurs inédits : une Passion BHG 766d tirée du Ménologe impérial (?), un abrégé BHG 766e ou BHG 766n. Voir BAUCKHAM, Traditions. 13 It. Burd., 589-591, Récits, p. 30-31. 14 Jérôme, De viris ill., 2, col. 613A. 15 Hégésippe n’aurait donc pas actualisé sa source sur ce point : A BEL, Jacques, p. 484. 16 Jérôme, De viris ill., 2, col. 613A. M ARAVAL, Lieux saints, p. 264.

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PREMIÈRE PARTIE

Un récit d’invention conservé en langue latine raconte comment on découvrit les reliques de Jacques, Zacharie et Siméon au mont des Oliviers : un moine du nom d’Épiphane reclus dans une vaste grotte située « entre le saint mont des Oliviers et le pinacle du Temple » vit, une nuit, saint Jacques lui apparaître, lui enjoignant d’annoncer à son évêque, Cyrille, que « les corps de Jacques, le frère du Seigneur, du prêtre Siméon et de Zacharie » étaient enfouis en cet endroit. Épiphane, connaissant les tentations du diable, se montra méfiant et ne bougea pas. La nuit venue, Jacques lui apparut de nouveau. Cette fois-ci, le moine, rassuré, obéit, mais l’aspect du vieillard, pas plus que ses paroles ne persuadèrent Cyrille qui, n’ayant jamais entendu parler d’une sépulture de Jacques en cet endroit, renvoya Épiphane. Pour la troisième fois, Jacques lui apparut dans son sommeil, l’adressant à un certain Paul, « le premier notable de la cité » d’Éleuthéropolis, à qui le saint avait « montré 〈Épiphane〉 en songe comme en plein jour ». Ce dernier reçut un accueil chaleureux de toute la maisonnée, et s’en retourna en compagnie de l’intendant Anastase, auquel son maître avait confié « un vase d’argent de quarante livres » pour couvrir les frais de fouille. De nombreux ouvriers se mirent à l’œuvre. L’évêque Cyrille accourut à l’annonce de la découverte ; il « enleva les corps des saints le 1er décembre et, les ayant enfermés dans un coffre, les déposa dans le lieu qui est appelé mont Sion ». Une violente tempête éclata, qui augmenta la ferveur de tous. Puis, Paul, que l’on avait aussitôt prévenu, érigea « une maison près de la grotte où les saints avaient reposé jusque-là » et y déposa leurs corps, sous l’autel, le 25 mai17. Selon le Père Abel, ce récit – le texte est qualifié par ses éditeurs de « documentum hagiologicum barbaro admodum stylo conscriptum » –, traduction ancienne d’un original grec aujourd’hui perdu, comporte de toute évidence « un résidu historique ». L’événement y est daté avec précision de l’année 351, d’après les noms des consuls Sergius et Nigrinianus, le règne de Constance II (337-361) et l’épiscopat de Cyrille de Jérusalem (v. 348-387), moyennant la correction d’un certain nombre d’erreurs (courantes) de copie18. Jérusalem, en tout cas, ne tarda pas à célébrer et vénérer les reliques et à exalter le miracle de leur redécouverte, en témoigne l’inscription dans le calendrier liturgique de la Ville sainte (entre le Ve et le VIIIe s.) aux jours mentionnés dans l’Apparition, 17 App. Jac. et al. (BHL 4099), tr. A BEL, Jacques, p. 485-487. Voir LIPSIUS, Apostelgeschichten, II, 2, p. 238-257. Le texte édité a été tiré d’un manuscrit du Xe siècle de la bibliothèque de Chartres (lat. 125, fol. 48v-49r), disparu dans un incendie, le 26 juin 1944. On pouvait y lire une note, contemporaine de la copie, signalant son acquisition par les frères du monastère Saint-Pierre de Chartres auprès d’un moine lombard. Le même texte a encore été signalé dans le ms. 27 de la bibliothèque capitulaire de Vérone, fol. 96v-98r (Xe-XIe s.). 18 Consulibus et Flaviae et Sergii atque Netriniani, gloriosissimo procurante Romanorum provinciam Constantino Augusto. Corrections du Père Abel : Constance au lieu de Constantin ; Nigrinianus au lieu de Netrinianus et Flavio Sergio au lieu de Flaviae et Sergii.

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les 1er décembre et 25 mai, des fêtes d’invention et de déposition des trois saints, célébrées dans l’« édifice de Paul » : Mense Maio XXV. In Pauli aedificio, depositio Iacobi fratris Domini. Mense decembri I. In Pauli aedificio, inventio Iacobi apostoli, Symeonis, Zachariae sacerdotis19. Mais, sans s’attarder sur le silence de Jérôme, le témoignage de la pèlerine Égérie (381-384) étonne, s’il faut porter à son crédit les mots de Pierre Diacre sur la sépulture de Jacques à côté du Temple (juxta templum)20. Par ailleurs, les similitudes frappantes avec le fameux récit sur l’invention d’Étienne pourraient faire de l’année 415 un terminus post quem pour la composition de notre texte et jeter le doute sur les circonstances de l’invention21, en dépit du témoignage du Chronicon Paschale sur la translation de reliques de Zacharie, père du Baptiste, à Constantinople, cette même année 41522. Un court extrait d’Hésychius de Jérusalem (1re moitié du Ve s.) « en l’honneur de Jacques, frère du Seigneur, et de David, aïeul de Dieu », conservé par Photios, ne fournit guère d’indices supplémentaires23. Il faut le rapporter à la fête du 25 décembre, célébrée en l’église de la Sainte-Sion24. Celle-ci se maintint après l’introduction des nouvelles entrées relatives à l’invention dans le calendrier. Le pèlerin Théodosius (ap. 518) mentionne clairement, le premier, la memoria du mont des Oliviers : Saint Jacques, que le Seigneur ordonna évêque de sa main, fut précipité après l’ascension du Seigneur du pinacle du Temple ; il n’en fut pas blessé, mais un foulon le tua avec le bâton dont il se servait pour transporter ses affaires ; on l’ensevelit sur le mont des Oliviers. Ce saint Jacques, saint Zacharie et saint Syméon ont été ensevelis dans un seul tombeau (in una memoria positi sunt), tombeau qu’avait édifié saint Jacques lui-même ; il y avait déposé lui-même leurs corps et ordonna d’y être placé avec eux. C’est la vallée de Josaphat : là Judas livra le Seigneur. Là se trouve l’église de dame Marie, mère du Seigneur25.

19 Grand Lectionnaire, II, p. 12 et 54, no 989 et 1393. Au Xe siècle, le Calendrier palestino-géorgien en enregistre une troisième, en date du 18 mai, laquelle, absente de notre texte, pourrait marquer l’octave de la fête du 25 du mois. Tout porte à croire que le récit servait de lecture à l’occasion de ces festivités. Calendrier pal.-géo., p. 232 et 400 ; VERHELST, Lectionnaire, p. 56 et 256. 20 Pierre Diacre, De locis, E, p. 95 ; Récits, p. 60. 21 AUBINEAU, Hésychius, I, p. 355. Pour une comparaison entre les deux textes : A BEL, Légende. 22 Chron. Pasch., col. 788B ; p. 572 (CSHB) : on transféra en même temps des reliques de Jacob, père de Joseph. Sur la translation : WORTLEY, Relics. Un fait cependant doit inviter à la prudence, à savoir la constante confusion entre plusieurs Zacharie, la mention de Ἰακώβ (Jacob / Jacques) n’étant pas ici de nature à faciliter les choses. 23 Hésychius, In Iacobum et David (BHG 766p) ; Photios, Bibliothèque, VIII, cod. 275, p. 116-118. 24 Lectionnaire arménien, II, p. 367. 25 Théodosius, De situ, 9, Récits, p. 191. Voir encore Grégoire de Tours († 594), Mir., I, 27, p. 503.

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PREMIÈRE PARTIE

La tradition littéraire relative à la mort de Jacques a été harmonisée avec la tradition locale de la triple sépulture26. Or, les Synaxaires melkites contiennent une étonnante notice pour la fête de la translation de Jacques, Siméon et Zacharie, au 1er décembre27. L’épisode de l’invention – sans date ni noms propres, mais à peu près tel qu’on peut le lire dans l’Apparitio – y est précédé d’un récit sur la passion des saints28 : Jacques – il n’est fait mention ni de la lapidation ni du foulon – fut jeté « du haut du pinacle du temple dans la vallée qui est à l’est de Jérusalem, du côté du mont des Oliviers ». Il y avait là « deux prêtres vertueux et purs, l’un d’eux s’appelait Syméon et l’autre Zacharie ». Lorsqu’ils virent ce que l’on faisait au saint vieillard, ils en furent affligés et furent pris d’une profonde tristesse, ils désapprouvèrent leur action et ils dirent : « Vous êtes arrivés au comble du péché et avez fait un acte pareil à celui des tueurs et Dieu agira envers vous comme vous le méritez. Quant à nous, nous vous désapprouvons devant Dieu, ainsi que tout ce que vous faites et que vous croyez. Et nous demandons à 〈Dieu〉 qu’il nous réserve part et héritage avec ce juste ». Lorsqu’ils entendirent leurs paroles, leur inclination pour le saint et leur réprobation de la façon d’agir des Juifs, les impies s’emparèrent d’eux aussitôt et les lancèrent dans la vallée aussi, comme saint Jacques, et leur martyre fut achevé ; ils allèrent au paradis, mais leurs corps restèrent abandonnés. Un groupe de fidèles allèrent pendant la nuit et les emportèrent dans la caverne voisine du lieu, ils la fermèrent et ils maintinrent le lieu caché, afin qu’aucun Juif rebelle ne le connût.

Comme le souligne Joseph-Marie Sauget, les deux prêtres ne sont pas autrement identifiés29, ce qui fait peser un doute sur leur identité première30. D’autre part, le silence des Synaxaires arabes sur la déposition du 25 mai pourrait être, selon le chercheur, le signe que « 〈leur〉 relation de dépendance […] par rapport à la source commune supposée avec le récit latin […] se situe à un moment où, dans le développement littéraire de cette source, l’épisode de Paul d’Éleuthéropolis n’avait pas encore été introduit pour expliquer l’origine de la sépulture de saint Jacques au pied du mont des Oliviers, comme en témoignent

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Théodosius ne dit pas un mot sur l’invention des reliques et l’édifice de Paul, ce dont on ne saurait s’émouvoir, sauf à remarquer que l’Apparition ne dit rien à son tour de l’histoire du tombeau. N’avons-nous plus affaire qu’à un abrégé ? Peut-être. Toujours est-il que l’on se devait d’expliquer semblable cohabitation. 27 SAUGET, Synaxaires, p. 323-329. 28 Sur le modèle de la Révélation de saint Étienne. 29 Pas plus d’ailleurs que dans l’App. Jac. et al., p. 123, l. 16-17, tr. A BEL, Jacques, p. 486. 30 SAUGET, Synaxaires, p. 328. Il rapproche l’intervention des prêtres Siméon et Zacharie de celle du prêtre réchabite dans la Passion de Jacques (BHG 766m), 6, éd. H ALKIN, Inédits, p. 1319, l. 23-26.

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indirectement, de leur côté, les calendriers géorgiens31. » On notera, du reste, la finale qui laisse supposer la disparition des reliques. Le patriarche sortit, ayant pris avec lui des hommes qui creusèrent l’endroit. Les corps des saints apparurent lumineux comme des lampes. Le patriarche fut rempli de joie, il envoya chercher un grand nombre de laïcs, et il porta les corps purs en grande pompe et solennité, avec des cierges et de l’encens, et ils les emportèrent dans Sion, et 〈le patriarche〉 les déposa dans un lieu digne comme il leur convenait, mais il maintint le lieu caché afin que personne ne le connût. Cela arriva le premier jour de décembre, et fut établie une fête pour célébrer les saints à Jérusalem et dans toute sa province. Cela et des faits semblables, il les trouve dans les livres, celui qui les lit avec un regard approfondi et fait à propos de 〈toute〉 chose les recherches convenables. Quant à celui qui écrit sans connaissance, tout en croyant qu’il arrivera au but, il se trompe.

Peut-être n’y eut-il d’abord qu’une fête, celle de l’invention (ou plutôt de la translation à Sion), au 1er décembre. Une « Révélation des saints Zacharie, Siméon (et) Jacques premier évêque », conservée en géorgien, se présente comme une lettre adressée « aux pieux et saints pères Épiphane et Pierre, serviteurs du Christ, de la part de Jean, serviteur inutile de Jésus-Christ. »32 Les traducteurs ont divisé le texte en soixante et onze paragraphes distribués entre dix sections : (1) « L’arrivée des reliques » : Des « frères » vinrent de la part de Pierre et Épiphane auprès de Jean pour lui raconter comment la révélation de reliques à Jérusalem avait mis le peuple en joie ; ils en avaient amené avec eux quelques parcelles, que leur avait cédées « un homme craignant-Dieu »33, et attendaient de Jean « une révélation à ce sujet ». (2) « La première apparition nocturne » : Les visiteurs s’en retournèrent, mais « les frères du (monastère) se promirent de ne le raconter à personne, jusqu’à ce qu’elles se soient révélées elles-mêmes. » C’était un dimanche. Jean eut une apparition nocturne qui lui « annonça la venue des frères » ; puis ce fut « une voix de chant sur des nuages » glorifiant

SAUGET, Synaxaires, p. 329. K EKELIDZE, Monuments, 2, p. 74-78 ; tr. fr., résultat d’un travail collectif, dirigé par Bernard Outtier dans le cadre de l’Académie des Langues de Saintes (CNRS), juillet 1996, dans VERHELST, Apocalypse. Le texte est extrait de deux homéliaires : Tiflis A 19 (VIIIe-IXe s.) et Tiflis A 95 (Xe s.). VAN ESBROECK, Homéliaires, p. 49-60, 189 ; Calendrier pal.-géo., p. 228. Dans les deux homéliaires, le texte se trouve entre un Martyre de saint Jacques (26 décembre) et un Martyre de saint Étienne (27 décembre). S’agit-il d’une forme récente du recueil, en remplacement d’une lecture pour le 1er décembre (inventio) ou le 25 mai (depositio) ? Stéphane Verhelst pose la question. Mais précisément ces dates ne figurent pas dans cette version, si différente de l’Apparition latine. Dans le Tiflis A 19, on trouve une troisième lecture : « Sur David et Jacques ». 33 Pour Stéphane Verhelst, « probablement Épiphane ou Pierre ». 31

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les reliques. Jean se réveilla en chantant. (3) « Dimanche matin. La réaction des frères » : C’était l’heure de l’office canonique. Jean sans se souvenir de ce qu’il avait chanté eut la conviction que l’apparition était néanmoins bien réelle, et que le chant concernait « les reliques des saints qui étaient avec nous. » Mais personne n’y comprenait rien. (4) « L’arrivée d’un second lot de reliques » : Pendant que Jean et ses frères commentaient l’apparition, d’autres frères survinrent, rapportant « comment les saints s’étaient révélés » à Jérusalem. Ils étaient venus pour s’informer, sans dire tout d’abord qu’ils avaient amené des reliques avec eux. On leur raconta l’apparition ; ils parlèrent des reliques. Mais un doute s’insinua ; « nous attendions leur révélation complète. » (5) « La deuxième apparition nocturne. Lundi matin ; un miracle ? » : « La nuit étant arrivée, quelqu’un m’apparut à l’aube du lundi et me dit : ‘Si ce n’étaient pas des reliques de saints, elles n’auraient pas pu arriver sous les ailes de la croix !’ Or même de cette façon, nous ne crûmes pas ! » (6) « L’adoration dans la nuit suivante » : Toujours en attente d’une « révélation manifeste et indiscutable », Jean et ses frères se souvinrent de l’apparition de la première nuit et apportant les reliques dans l’église, après la fin de l’office, se mirent à les embrasser ; ils voulaient obtenir une nouvelle apparition et la révélation de leur identité. (7)  « La troisième apparition nocturne » : Jean s’endormit, et vit « trois inconnus […] dans une gloire et une vision surprenante, un grand resplendissement » ; l’un d’eux était plus petit que les autres. Il eut « la révélation que c’était Siméon grand-prêtre, celui qui ‘avait porté notre Seigneur Jésus sur ses propres bras’ (Lc 2, 28), et avait témoigné en sa faveur, qu’il était le vivificateur d’Israël. » Jean n’osa les regarder de face et s’éveilla ; « je les suppliais de voir leurs visages. » (8) « La quatrième apparition, mercredi à l’aube » : Jean s’endormit et vit « à nouveau deux hommes et un petit enfant […] ils étaient vieux. […] Et je fus digne de voir leurs visages. Je me prosternai. (Et) je les raccompagnai, reçus d’eux la bénédiction et me réveillai. » (9) « L’authenticité des reliques de Siméon, derniers arguments » : Jean appelle de nouveau à rejeter tout doute. (10) « Conclusion » : Jean lance une invitation à construire « un temple » pour les reliques et à informer l’évêque. « Et ils parlèrent ainsi (à l’évêque), selon ce qu’il est écrit dans cette lettre ». Doxologie. Comme l’Apparition latine, l’Apocalypse géorgienne aurait été copiée, selon Stéphane Verhelst, sur un modèle grec, « au VIe siècle environ ». Le chercheur pense être en mesure de démontrer, par analyse externe et interne : (1) que ce récit est contemporain d’un événement réel survenu à Jérusalem entre 459 (mort de Syméon le Stylite cité au § 43) et 518 (premier témoignage connu de la memo-

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ria du Cédron par Théodosius) ; (2) que la lettre est, sous sa forme première34, antérieure au modèle grec de l’Apparitio, laquelle ignore, volontairement ou non, l’Apocalypse ; (3) que les deux récits répondent à des buts antagonistes : (a) l’Apparitio est attachée à promouvoir l’édifice de Paul (d’Éleuthéropolis) et pourrait s’inspirer de la Révélation de saint Étienne (415) ainsi que d’un passage de Sozomène (v. 450) sur l’invention du prophète Zacharie, précisément à Éleuthéropolis ; (b) la lettre de Jean a pour fin d’authentiquer de nouvelles reliques (Siméon) venues s’ajouter à un lot préexistant (Jacques et Zacharie), déjà connu à la fin du IVe siècle ; (4) que ce récit pourrait avoir un rapport étroit avec la mystérieuse Apocalypse de Zacharie35 ; (5) que Jean est un moine renommé, en particulier pour ses dons de visionnaire, voire l’abbé d’un monastère palestinien36 (il est question des « frères » et d’une prière nocturne régulière), tandis qu’Épiphane (c’est ainsi que s’appelle le solitaire du Cédron dans l’Apparitio) et Pierre (il pourrait évoquer le Paul de l’Apparitio37) semblent jouer un rôle important dans l’Église hiérosolymitaine ; (6) que l’on ne peut se fonder sur le caractère volontiers judaïsant de cet écrit pour postuler un milieu monophysite. La question est donc de savoir si ceux qui ont enfermé la tombe de Zacharie dans une église, n’ont pas essayé de déplacer un double mémorial de Jacques et Zacharie localisé en fait au pied du Temple détruit. On sait que l’église du Cédron reste jusqu’à l’époque croisée un lieu de pèlerinage sur les reliques de Jacques, Zacharie et Siméon ; mais les croisés vénèrent également le souvenir de Jacques près du Dôme du Rocher. On doit sérieusement se demander s’il n’y a pas, via une tradition araméenne (ou « judéo-chrétienne »), une continuité entre cette tradition et la stèle d’Hégésippe. Les éléments de notre texte qui peuvent être interprétés dans un sens polémique […] donnent à penser que la rédaction des révélations liées à l’invention des reliques répond à la volonté de déplacer le mémorial du premier évêque de Jérusalem en vue de s’en approprier l’héritage, quitte à se trouver sous le feu d’une contestation encore plus radicale, qui expliquerait la rédaction d’une version concurrente dans l’Apocalypse latine38. La finale suggérerait un ajout postérieur. BAUCKHAM, Traditions, p. 73, n. 28, ne voit toutefois pas de raison de postuler une seconde édition de la lettre. 35 Supra, p. 40. 36 En guise de suggestion : l’un des deux Jean impliqués dans une invention de reliques en 452 (infra, p. 300, n. 54). 37 VERHELST, Apocalypse, p. 97, n. 93 : « Tout ce qu’on peut dire sur ce personnage est que la confusion entre ‘édifice de Paul’ et ‘édifice de Pierre’ réalisée par Zosime dans sa copie du X e siècle [Calendrier pal.-géo., p. 67], résulte peut-être d’un vague souvenir de notre Apocalypse. » BAUCKHAM, Traditions, p. 73, se demande si la lettre de Jean n’aurait pas été adressée, à l’origine, à Épiphane et Paul d’Éleuthéropolis, les acteurs de l’Apparitio, proposant que la mention de Syméon stylite ne soit qu’un embellissement ultérieur. 38 VERHELST, Apocalypse, p. 103-104. Pour P UECH – ZIAS, Absalom, p. 161, ce raisonnement est faux, car dans la tradition judéo-chrétienne ancienne, le mont du Temple était un endroit sacré, 34

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PREMIÈRE PARTIE

Les tenants de l’antériorité de cette dernière en jugent autrement. Que s’était-il passé depuis que l’on avait oublié la stèle de Jacques ? Et pourquoi, si la tradition du Cédron précédait l’invention, prétendit-on ne rien savoir de sa sépulture à cet endroit ? On ne peut répondre avec certitude, mais un certain nombre d’éléments viennent apporter un éclairage. On racontait que le père du Baptiste, le prêtre Zacharie, fils de Barachie, frère d’Aggée, le grand-père maternel de Jacques, avait été lapidé dans le Temple, traîné sur le parvis du sanctuaire, puis précipité dans la vallée de Josaphat (Lc 1, 5s.)39. Cette transposition d’un épisode de l’Ancien Testament (2 Ch 24, 20-22) pourrait remonter à un apocryphe du IIe siècle, dont le Protévangile de Jacques, qui réunit les trois personnages, fournirait, au IVe siècle au plus tard, une version légèrement remaniée40. Retenons simplement que, en fait de sépultures, le nom de Zacharie hantait ces parages. Il en allait de même du vieillard Siméon, le « Théodochos » (Lc 2, 25-34)41. Le Pèlerin de Bordeaux (333), qui avait vu « sur le marbre devant l’autel 〈du Temple〉 […] répandu le sang de Zacharie », ainsi que « les traces des clous des soldats qui le tuèrent », était également passé au Cédron : Ensuite, quand on part de Jérusalem par la porte qui regarde l’Orient pour faire l’ascension du mont des Oliviers, il y a une vallée qui est appelée de Josaphat. Sur la gauche, là où sont des vignes, il y a aussi un rocher auprès duquel Judas Iscariote trahit le Christ. Sur la droite, il y a un palmier dont les enfants prirent des rameaux et les répandirent lors de l’entrée du Christ ( Jn 12, 13). Non loin de là, à un jet de pierre environ, se trouvent deux tombeaux faits d’un seul bloc d’une admirable beauté : dans l’un fut déposé le

vide de tombes. On peut toutefois noter la tradition véhiculée par la Passion de Jean Baptiste BHG 832 (VASSILIEV, Anecdota, I, p. 3-4), selon laquelle Zacharie et son fils reposaient ensemble dans une sépulture, destinée à demeurer inconnue des hommes, sous l’autel du Temple de Jérusalem : […] τὴν ταφὴν τοῦ ἀνδρός σου καὶ τοῦ υἱοῦ σου οὐδεὶς ἀνθρώπων γνώσεται. 39 Hippolyte de Thèbes (BHG 766f-766j), éd. DIEKAMP, Hippolytos, p.  30s. A BEL, Jacques ; CHAPMAN, Zacharias, sp. p. 398 ; BLANK, Zechariah ; L UCCHESI, Zacharie ; D UBOIS, Zacharie ; K ALIMI, Zechariah. Voir DENIS, Pseudépigraphes, p. XIII. 293. 40 Prot., 23-24. Origène connaît déjà cette légende avec quelque divergence par rapport à Hippolyte de Thèbes : Zacharie aurait péri, égorgé, entre le Temple et l’autel. A BEL, Jacques, p. 489 : la mention de ce meurtre dans les Évangiles (Mt 23, 35 ; cf. Lc 11, 51) ne contribua sans doute pas peu à en perpétuer la mémoire, sans compter que, parmi les tombeaux élevés en signe d’expiation par les Juifs du siècle hérodien, il en était peut-être un dédié au prophète Zacharie dans la vallée du Cédron. 41 Dans le Protévangile de Jacques (XXIV, 4, p. 187-189), le sort désigne Siméon pour succéder à Zacharie comme grand prêtre (un résidu de l’apocryphe perdu plus haut mentionné ?) Cf. Évangile de Nicodème, 16,  1, 2 ; 17,  1. L’association avec le grand prêtre Siméon du Siracide (Si 50, 1-21), dont les Vies des prophètes indiquent le tombeau à proximité de celui des prêtres, a été évoquée : A BEL, Jacques, p. 490. Le recours à ce personnage ne semble pas nécessaire à BAUCKHAM, Traditions, p. 72, n. 26.

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prophète Isaïe – c’est un véritable monolithe ; dans l’autre Ézéchias, roi des Juifs42.

Il y avait en effet, dans la vallée du Cédron, un ensemble funéraire remarquable43 : (1) Le Tombeau des Benê Hézîr, un complexe de chambres funéraires souterraines taillé dans la roche, attribuable à la deuxième moitié du IIe siècle avant notre ère44, à façade distyle in antis portant, sur son architrave, une inscription en hébreu : Ceci est le tombeau et la néphèŝ (= le mémorial) d’Éléazar, Haniah, Io’azar, Iehoudah, Sime‘ôn, Iohannan –  fils de Joseph, fils d’ ‘Obed, de Joseph et d’Eléazar les fils de Haniah, – prêtres [de la famille] des Benê Hézîr45.

L’épitaphe aurait été gravée dans la première moitié du Ier siècle avant notre ère. (2) Le Tombeau de Zacharie, un monument funéraire sans ouverture, monolithe en forme de chapelle égyptienne, à colonnes ioniques, attribué à la deuxième moitié du Ier siècle avant notre ère (à distinguer de la nefesh mentionnée dans l’inscription et encore visible à côté du Tombeau des Benê Hézîr, pour laquelle on restitue désormais une superstructure en forme de tour). (3) Le Tombeau d’Absalom, un monument haut de vingt mètres, de style hybride (colonnes ioniques, frise dorique), couronné par une corniche égyptienne et constitué de deux parties distinctes : (a) une substructure (chambre funéraire à deux arcosolia) et une structure carrées, ou la tombe proprement dite ; (b) une superstructure ronde, ou la nefesh, le monument sépulcral de la tombe. L’ensemble serait à dater du début du Ier siècle46. (4) Le Tombeau de Josaphat, un complexe de chambres souterraines à large entrée, relié par une volée de marches au Tombeau d’Absalom et de même époque que ce dernier47. Au-devant du Tombeau de Zacharie, ont été mis au jour les restes de cellules monastiques entourant une chapelle byzantine avec crypte ; celle-ci, restaurée au XIe siècle, pourrait remonter au IVe/Ve siècle. On l’a identifiée avec la maison de Paul, élevée devant de la grotte de l’invention48. De ce fait, la sépulture monu42

It. Burd., 594-595, Récits, p. 33. Description d’après AVIGAD, Kidron ; BARAG, Exploration, avec un résumé des fouilles antérieures. 44 Ibid., p. 94 : plutôt à dater d’après 132/131 av. J.-C., avec l’ajout d’une chambre funéraire à trois arcosolia au début de la période romaine, sans doute en usage jusqu’à la guerre juive (66-70). 45 VINCENT, Sépulture. 46 BARAG, Exploration : 31 av. / 68 ap. J.-C. 47 Toutes ces appellations traditionnelles sont tardives. C AILLOU, Tombeaux, p. 30. 48 Jérus. Nouv., p. 845-849 ; MILIK, Notes, p. 561 et ID., Jérusalem, p. 172s. ; STUTCHBURY, Excavations ; CORBO, Jacques, p. 72-75 : bases et troncs de colonnes, restes du sanctuaire primitif. L’église, encore debout en 1187, disparaît, après cette date, des récits de pèlerins : elle fut peutêtre parmi les édifices démantelés après la conquête de Jérusalem par Saladin. P UECH – ZIAS, 43

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mentale de la famille sacerdotale des Benê Hézîr, que prolongeait sur sa droite la pyramide de Zacharie, pourrait avoir été la grotte du moine Épiphane. Il existe, en effet, plusieurs exemples de tombes juives anciennes creusées dans la paroi rocheuse de la vallée transformées en ermitages à partir du IVe siècle. L’examen récent par Émile Puech et Joe Zias de deux inscriptions gravées sur le Tombeau d’Absalom – aménagé de deux arcosolia, l’un à l’ouest, l’autre au nord face à l’entrée – voisin mérite qu’on s’y arrête49 : (1) La première est formée de deux lignes occupant, au-dessus de la porte d’entrée, toute la largeur de la pierre (1,22 m) ; les lettres ont une hauteur moyenne de 6 à 9 cm ; l’écriture en est assez soignée, et les mots non séparés. Après estampage, les chercheurs ont proposé de lire50 : ΤΟΔΕΜΝΕΜΕΙΟΝΖΑΚΚΑΡΙΑCΜΑΡ ΠΡΕ(C)ΒΗΤSΘΕΟCΕΒΕSΠΑΠΠΕ Α(C)ΙΟΑ Tόδε μνεμεῖον Ζακκαρίας μάρ(τυρος) πρεσβήτ(ερου) θεοσεβέ(στατου) παππέα(ς)51 Ἰο(/ω)ά(ννου) « Ceci est le tombeau de Zacharie, martyr, prêtre très pieux, père de Jean » (2) La lecture de la seconde est considérée comme beaucoup moins assurée : à droite de l’entrée, la dimension maximale du panneau inscrit est de 1,40 sur 0,67 m et la hauteur des lettres, de 8 à 12 cm en moyenne : ΟΘΑΦΟCCΥΜΕωΝΟCΗΝ (?) ΔΙΚΑ[Ι]ΟΤΑΤΟCΑΝΘΡωΠ ΚΑΙΓΗΡ[ω]ΝΕΥCΗΒΗCΤΑΤΟC ΚΑΙΠΑΡΑΚΛΗCΙΝ Λ[Α]ΟΥ (?) ΠΡΟCΔΕΧS ὁ θάφος Συμεών ὅς ἦν (?) δικα[ι]ότατος ἄνθρωπ(ος) καὶ γέρ[ω]ν εὐσηβήστατος καὶ παράκλησιν λ[α]οῦ (?) προσδεχ(όμενος) « (Ceci est) le sépulcre de Siméon qui était un homme très juste et un viei[llar]d très religieux et (qui) la consolation du p[eu]ple attendait » (cf. Lc 2, 25)

Tombeau 1, p. 330, n. 25 : au XIV e siècle, Niccolò da Poggibonsi (Voyage, p. 39) « a vu les belles cellules des ermites et les ruines de l’église Saint Jacques, en fait deux églises superposées, l’inférieure avec une abside et à l’est la roche taillée. La tradition qu’il a reçue rapporte que Jacques aurait été mis à mort au tombeau d’Absalom et enseveli là où l’église a été bâtie. » 49 P UECH – ZIAS, Tombeau 1 ; ID., Tombeau 2 et Absalom, sp. p. 163, pour cette appellation. 50 Les propositions de lecture sont ici retranscrites telles qu’elles apparaissent dans les articles cités y compris pour l’accentuation. 51 P UECH – ZIAS, Tombeau 1, p. 325-326 : « παππέας (παππίας), diminutif qui a habituellement le sens de ‘père, papa’, titre donné aussi à un évêque ou à un prêtre à l’époque byzantine ». On

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Reprenant en détail toute la démonstration visant à identifier ici le prêtre Zacharie, père du Baptiste, et le Siméon des Écritures et des Apocryphes, attribuant par analyse paléographique les inscriptions au IV e /V e siècle ainsi qu’à « un milieu culturel sémitique d’un scribe certainement bilingue », constatant qu’aucune inscription ne concerne Jacques, et que le tombeau ne contient que deux arcosolia, les auteurs proposent de faire du Tombeau d’Absalom celui de Zacharie et Siméon, et du Tombeau de Zacharie voisin celui de Jacques. Des moines auraient d’abord occupé le complexe funéraire, puis on aurait réuni les reliques dans la crypte de la chapelle érigée au-devant. Quoi qu’il en soit, l’association des trois saints ne devait plus se perdre, puisqu’on retrouve leurs reliques dans le sanctuaire dédié à Jacques, le frère du Seigneur, par Justin II (565-578)52, dans la capitale impériale (à condition de lire Zacharie, père du Baptiste, en lieu et place du Zacharie prophète des patriographes). Il y avait encore des reliques des saints Innocents, des cheveux du Baptiste et le corps des Myrophores53. Le 23 octobre était jour de la fête de Jacques, ainsi que, d’après certains synaxaires, de Zacharie et Siméon et de la dédicace du sanctuaire54. On y célébrait également le 3 février la mémoire du vieillard Siméon et de la prophétesse Anne55. Doit-on aussi rapporter à ce sanctuaire la fête de l’invention de Zacharie, père du Baptiste, signalée sans notice quelques jours plus tard, au 10 ou 11 février, dans certains synaxaires56 ? Selon le Père Janin, les reliques étaient conservées dans la crypte de l’église voisine Sainte-Marie-des-Chalcoprateia57. Or, Cyril Mango a montré que SaintJacques était en réalité une chapelle du sanctuaire marial, pourvue d’une crypte abritant des reliques liées à l’enfance du Christ58. La présence d’un cycle peint (fin XIIIe ou début XIVe s.) sur ce sujet, incluant un martyre de Zacharie (les fragments ont maintenant disparu), dans la crypte d’un édifice octogonal situé dans la partie nord de l’atrium des Chalcoprateia, l’a amené à identifier ce bâtiment avec ladite chapelle. Les reliques de Jacques, Zacharie et Siméon qu’elle abritait venaient-elles toutes de la maison de Paul ? C’est probable, surtout si l’on songe que la tombe et le sanctuaire des saints à Jérusalem voisine rencontre guère ce dernier sens ; παππίας est en revanche attesté à haute époque comme une adresse à un interlocuteur plus âgé. 52 C AMERON, Justin II, p. 79. 53 P REGER, Patria, III, 148, p. 263.  54 Syn. Const., col. 151, 158. 55 Ibid., col. 439-440. 56 Et que penser de la fête du prophète Zacharie, au 8 février (supra, p. 41, n. 75) ? 57 JANIN, Églises, p. 253-255. 58 M ANGO, Chalkoprateia, qui réinterprète le témoignage du Pèlerin anglais (fin XIIe s.).

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naient avec ceux de la Vierge59. Ce fut, on peut le croire, une de ces translations qui firent de Constantinople une nouvelle Jérusalem. Repères chronologiques v. 180 Mention par Hégésippe du martyre de Jacques et de sa stèle au pied du Temple v. 324 Eusèbe reproduit Hégésippe 351 (?) Invention des reliques au mont des Oliviers ; érection de la « Maison de Paul » et composition du récit d’invention (ou ap. 415 ?) v. 392 Jérôme signale la disparition de la stèle après 135 et condamne la localisation du sépulcre au mont des Oliviers Ve/VIIIe s. Introduction des fêtes d’invention et de translation au calendrier de Jérusalem 2 octobre 415 Translation des reliques de Zacharie, père du Baptiste (?), à Constantinople 459/518 (?) Composition de l’Apocalypse de Zacharie, Siméon et Jacques 518  Première mention de la triple sépulture au mont des Oliviers  565/578  Translation à Constantinople et déposition à Saint-Jacques des Chalcoprateia

2. Jean Baptiste Sozomène consacre, dans son Histoire ecclésiastique (v. 450), une notice à l’invention de la tête du Baptiste : « On dit qu’elle fut découverte par des moines de la secte macédonienne, qui vivaient d’abord à Jérusalem, puis passèrent en Cilicie. » Informé par l’eunuque Mardonios, « qui était le grand chambellan du palais impérial », Valens ordonna la translation de la relique à Constantinople. Mais ses envoyés ne purent la mener plus loin que Panteichion, « un fort de Chalcédoine » ; elle fut déposée à Kosilaoukomê. « C’était un village voisin et qui appartenait à ce Mardonios. » Plus tard, « à l’instigation de Dieu ou du prophète même, l’empereur Théodose vint à ce village », désireux d’emporter la relique. Une certaine Matrona, « qui était une vierge sacrée et qui était attachée à la relique comme servante et gardienne », se montra inflexible, mais un 59 A BEL, Jacques, p. 492 : « Nous constatons également que le quartier de Chalcopratées avait mis à contribution spécialement les sanctuaires de la Vallée de Josaphat. » Par ailleurs, la tradition semble avoir encore évolué au mont des Oliviers, après le départ des reliques pour Constantinople : vers 685, le pèlerin Arculfe y vit les tombeaux de Josaphat, de Siméon et de Joseph : Adamnanus, De locis, I, XIV, Récits, p. 252 ; « tradition reprise par Bède (De Locis sanctis, p. 309) en 702-703 » : P UECH – ZIAS, Tombeau 1, p. 330, n. 27. Le lieu évoque plus que jamais l’enfance de Jésus. Pour le monument d’Absalom devenu tombeau de Josaphat : C AILLOU, Tombeaux, p. 31-34.

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autre desservant du sanctuaire, le hiéromoine Vincent, accepta de se convertir et de suivre l’empereur. Ce dernier « enveloppa de sa pourpre le coffret où était la tête et, le tenant ainsi, il s’en retourna avec lui et il le déposa devant la ville de Constantinople en ce qu’on nomme l’Hebdomon, en un lieu où il éleva à Dieu un temple très grand et très magnifique60. » L’invention, que Sozomène semble rapporter par ouï-dire, serait donc survenue entre 342, date de l’accession à l’épiscopat de Makédonios (342-348 ; 350-360), dont les moines inventeurs tirent leur appellation, et 378, date de la mort de l’empereur Valens (364-378). Il est toutefois raisonnable de retrancher quelques années à ce dernier terme si l’on songe à la série des faits suivante : invention, départ des macédoniens pour la Cilicie, translation avortée vers Constantinople et déposition à Cosilaos, aux abords de Chalcédoine. Sozomène place la translation à l’Hebdomon dans les dernières années du règne de Théodose Ier (379-395), vers le temps où l’empereur allait lutter en Occident contre l’usurpateur Eugène (392). Le Chronicon Pascale (VIIe s.), tout en confirmant la date, donne une version un peu différente de l’événement : l’an 391 (quatrième indiction, treizième année, sous les consuls Tatien et Symmaque), Théodose, ayant trouvé la tête de Jean à Chalcédoine dans la demeure d’une macédonienne, fit construire une église sous le vocable du saint à l’Hebdomon de Constantinople, et l’y déposa, le 18 février. Il n’est rien dit ici des tribulations antérieures du chef61. Le sanctuaire de la déposition était imposant et majestueux (μέγιστον καὶ περικαλλέστατον […] ναόν62). Il fut toutefois reconstruit – avait-il été victime d’un tremblement de terre à la fin du Ve siècle63 ? – par Justinien (527-565), sans que l’on puisse en tirer de conclusion sur son abandon antérieur. Vers 560, Procope de Césarée compare la toute nouvelle église à Saint-Michel de l’Anaplous. Par la description que Procope nous a laissée de celui-ci, 〈commente Raymond Janin〉, nous pouvons nous figurer ce qu’était celui de l’Hebdomon. De

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Sozomène, H.E., VII, 21, p. 178-183 (SC). Théodore le Lecteur, H.E., Epitome 268, p. 83, dépend de Sozomène ; il est reproduit par Georges le Moine, Chron., II, p. 582-583. Voir encore Nicéphore Calliste, H.E., XII, 49, col. 916C-917A. 61 Chron. Pasch., col. 773B-776A ; p. 564 (CSHB). 62 Sozomène, H.E., VII, 21, 5. 63 Il s’agirait plutôt d’une restauration, comme ce fut plus tard le cas, vers 870, à l’initative de Basile Ier (867-886). Selon M ATTHEWS, Churches, p. 55-61, l’église pourrait ensuite avoir très vite disparu, la dernière mention concernant une visite de Basile, en 873 (retour d’une campagne victorieuse contre les pauliciens). La fête de la délivrance des barbares – on ignore à quel événement elle se rapporte exactement – semble être passée, au Xe siècle au plus tard, de Saint-Jean-Baptiste à l’église voisine de Saint-Jean-le-Théologien. JANIN, Précurseur, p. 317.

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forme ronde, l’église était ornée à l’intérieur d’une colonnade circulaire qui s’interrompait vers l’est pour laisser la place au sanctuaire. Elle était surmontée d’un toit de forme ronde et avait des conques, ce qui correspond parfaitement à la description suggérée par Procope64.

En réalité, des restes de piliers ont permis de restituer une forme octogonale à l’église, que Thomas Matthews tend à rapprocher, par son plan et sa date, de Saint-Vital de Ravenne65. Quant à la colonnade circulaire sur trois côtés, elle était à l’extérieur de l’église. Procope signale encore une cour en marbre, et l’on a repéré, sous l’abside, une crypte à double accès extérieur, nord et sud. Y vénérait-on la relique ? Mais que devint justement la relique après sa déposition ? Les seuls témoignages que nous possédions concernent cet événement66, et chose étonnante, celui de Sozomène (v. 450) est quasi contemporain de l’invention du même chef dans la ville d’Émèse (453), en Phénicie Libanaise67. Constantinople avaitelle oublié ou perdu la relique ? Ou bien les deux villes la revendiquaient-elles en même temps ? Il semble bien, en tout cas, que Constantinople ait abandonné ses prétentions : vers 560, Justinien aurait fait venir d’Émèse le chef pour la dédicace de Saint-Jean-Baptiste de l’Hebdomon, avant de l’y renvoyer68. Elle ne regagna définitivement Constantinople que bien plus tard, au IXe siècle,

ID., Précurseur, p. 315. Des fouilles superficielles ont été menées par l’armée française, en 1921-1923, sous la direction de Robert Demangel ; les restes ont été détruits en 1965. Le fouilleur (DEMANGEL, Hebdomon) avait pensé à une réutilisation de l’abside de la première église théodosienne, de plan basilical, ce qui ne paraît pas certain à Thomas Matthews. D’ailleurs, une structure à plan centré était également attribuée à l’église théodosienne par le Ps.-Codinos : P REGER, Patria, III, 145, p. 260. 66 À part Sozomène, qui la mentionne encore deux fois, mais toujours à propos du règne de Théodose Ier (379-395) : Sozomène, H.E., VII, 24, 2 et 8-9. 67 JANIN, Émèse ; CHAD, Émèse ; DECOURT, Émésène ; MUNDELL-M ANGO, Emesa. 68 JANIN, Précurseur, p. 313, semble admettre ce voyage temporaire du chef d’Émèse à Constantinople. L’épisode se lit dans le discours BHG 849, sur la translation de la main du Baptiste, de Théodore Daphnopatès ( Jean Baptiste, p. 25), secrétaire impérial, patrice et préfet de la Ville de 960 à 963. La fête du Prodrome « qui avait accompli le divin baptême » (ὡς τῷ μυστηρίῳ τοῦ θείου βαπτίσματος ὑπουργήσαντος), le 7 janvier, était aussi fête de la translation de sa main droite d’Antioche à Constantinople sous Constantin VII (913-959) et Romain II (952-963). La synaxe se célébrait à Saint-Jean-Baptiste ἐν τοῖς Σφωρακίου : Syn. Const., col. 375-376. L’apôtre Jean aurait lui-même apporté la relique à Antioche, depuis Sébaste. Pourtant, selon la tradition monophysite, transmise par Michel le Syrien (Chron., II, IX, XXXIII, p. 270B), une main du Prodrome parvint à Constantinople, sous Justinien, directement depuis Sébaste : « elle inspira du doute à plusieurs, parce qu’elle avait été envoyée par Marinus de Harran, un homme païen de nom et de fait. Cependant, l’empereur, avec toute la ville, la reçut en grande pompe et la vénéra. Elle fut placée dans un reliquaire d’or. » Le récit BHG 842d sur l’invention de la main droite est inédit. Pour la translation de la tête sous Justinien, le témoignage de Théodore demeure isolé. Quoi qu’il en soit, la tradition du chef de l’Hebdomon, transmise jusqu’au X e siècle (cf. les Patria), ne sait manifestement rien de la relique après le règne de Théodose Ier, et laisse supposer sa ‘disparition’ avant le règne de Justinien. 64 65

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après une nouvelle (la troisième) invention69 ; on la déposa dans une chapelle du palais70. Le chef d’Émèse possède sa propre légende. Le récit anonyme BHG 83971 rapporte que deux moines d’Orient vinrent en pèlerinage à Jérusalem. Jean Baptiste apparut à l’un d’eux : ils devaient emporter sa tête, enfouie dans le palais d’Hérode. Les moines ne crurent pas. La nuit suivante, le saint se montra de nouveau, à chacun d’eux ; cette fois, ils s’exécutèrent, découvrirent la relique, puis se hâtèrent de regagner leur patrie avec ce trésor. Mais leur chemin croisa celui d’un potier éprouvé par le sort. Jean lui apparut et lui ordonna de dérober le sac confié par les moines à sa garde. Obéissant, il s’en retourna chez lui, à Émèse, où il ne connut plus que la félicité et la prospérité. Sur le point de mourir, il révéla son secret à sa sœur, et lui remit la relique, dans un coffre scellé. Celle-ci la vénéra tant qu’elle le put, puis, sentant sa fin proche, se mit en quête d’un nouveau gardien, plein de piété ; et ainsi de suite. Or, par le jeu des successions, le précieux chef tomba, un jour, entre les mains d’un hérétique, le hiéromoine Eustathe. L’homme s’attribuait sans vergogne les miracles de la relique. Démasqué, on le chassa de la ville, tant et si bien que la relique retomba dans l’oubli, cachée dans la grotte d’Eustathe. L’ermitage passa alors de solitaire en solitaire, jusqu’au moment où Dieu jugea bon de révéler le Baptiste : c’était du temps du « très saint archimandrite Marcel ». Lui-même en a laissé un témoignage écrit. Ce texte, qui répond au schéma traditionnel d’une invention, quoique de manière partielle – il ne s’achève pas sur une déposition officielle de la relique, mais au contraire, sur une nouvelle disparition – ne fonctionne pas indépendamment ; il annonce un second récit d’invention (BHG 840)72. La Première invention, qui ne présente pas de vraisemblance historique en soi – en dehors de l’abbé Marcel et de l’hérétique, les personnages n’ont pas de nom, réduits à de simples types : le moine, le potier ; les lieux sont imprécis, etc. –, et dont

69 La troisième invention eut lieu vers 850, sous Théodora et Michel III (842-867), au cours du premier patriarcat d’Ignace (847-854). Transférée de Comane à Constantinople, la relique fut déposée dans la chapelle impériale du Pharos. Par la suite, Euthyme, patriarche de Constantinople (907-912), l’obtint de Léon VI pour le monastère de Stoudios : Vie Euthyme patr., p. 59-61 ; SKYLITZÈS, Synopsis historiarum, p. 368-369. Il existe un Discours sur les trois inventions (BHG 841). On l’a parfois attribué à tort à Théodore Stoudite (759-826), qui est en revanche l’auteur d’un Éloge sur l’invention (BHG 842). H ALKIN, Théodore Studite. Le discours du Ménologe impérial sur la troisième invention (BHG 848k) est encore inédit. 70 Syn. Const., col. 487 (24 février : Syn. sel.) ; 707, 709 (25 mai). Ne serait-ce pas la raison du déclin de l’église de l’Hebdomon, semble-t-il, vers la fin du IXe siècle ? 71 Prem. inv. chef du Bapt. 72 Deux. inv. chef du Bapt. HONIGMANN, Notitia, p. 85, n. 1 : « Vielleicht handelt von dieser inventio capitis Ioannis Bapt. auch ein syrischer Text : Catal. codd. mss. bibl. Bodl. VI, Oxford, 1864, p. 542, cod. 163 nr. 7. »

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la fonction principale est d’expliquer la présence de la relique à Émèse, fut, selon toute vraisemblance, composée après la Seconde – l’absence de toute allusion à BHG 839 dans BHG 840 semble le confirmer –, mais avant 534/540, puisque le moine scythe Denys le Petit (v. 470-540) en fit une traduction latine (BHL 4290)73, et que le comte Marcellin († v. 534) la résuma dans sa Chronique. L’attribution de la Deuxième invention à l’abbé Marcel n’a pas été remise en cause. En revanche, le texte original semble aujourd’hui perdu : la traduction latine par Denys le Petit (BHL 4292) nous permet d’avoir accès à un texte beaucoup plus développé, en particulier s’agissant d’un certain nombre d’indications topographiques, utiles pour l’histoire locale, disparues dans le grec. Le travail d’abréviation ici à l’œuvre n’est pas moins intéressant pour l’histoire du texte, soit qu’il se fût agi d’écourter un texte trop long, peut-être pour l’intégrer à un ménologe, soit qu’il parût inutile de conserver des références devenues incompréhensibles ou obsolètes, parce que beaucoup de temps avait passé, ou que le remaniement du texte se fit en dehors d’Émèse, à Constantinople, par exemple. Seule une étude sur la tradition manuscrite de ce texte pourrait nous en apprendre davantage. Une nuit, Marcel eut une vision : les portes de son monastère étaient ouvertes et un fleuve prêt à envahir les lieux, tandis que des colonnes avançaient au milieu des eaux, psalmodiant dans toutes les langues. Jean Baptiste apparut officiant dans une grande église ; Marcel reçut sa bénédiction, et s’éveilla. Quelques jours plus tard, l’abbé vit encore les portes de son monastère ouvertes, et le Baptiste à l’extérieur, flanqué de deux compagnons. Jean lui donna une eulogie de miel et le baiser de paix, puis tous entrèrent dans le monastère. Dans l’oratoire, Marcel vit une colonne de feu qui précédait le saint. Pris de peur, il se réveilla. Un soir du Carême, un des moines, Isaac, vit du feu s’échapper des portes de la « Caverne », un ermitage abandonné voisin du monastère où se trouvait la relique. Marcel dut rassurer ses frères épouvantés. Cinq jours plus tard, un dimanche soir, deux prêtres et archimandrites, Maxentius et Étienne, obtinrent la permission de l’évêque de réunir au monastère la Caverne y attenant. La remise se fit le lendemain matin [lundi], en présence de témoins. Le prêtre Étienne, constatant la désolation des lieux, ordonna à Marcel et ses frères de les remettre en état, puis il partit visiter les monastères ruraux (ad visitanda monasteria quae erant in villulis constituta). Le même jour, Marcel, avec deux prêtres et archimandrites, Pierre et Étienne, alla visiter le monastère du bienheureux Carterius, en passant par celui de Cyriaque, diacre

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Cette traduction se lit en regard du texte grec dans la PL. R AMBAUD-BUHOT, Denys le Petit.

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et archimandrite. On s’en retourna dans la journée. Pierre et Étienne passèrent la nuit au monastère de Marcel. Cette nuit-là [18 février], Marcel sentit comme la main d’un homme le frapper trois fois au côté droit et une puissante voix lui dire : « Voici que la porte a été ouverte ; apprends donc qui t’en a ouvert l’accès, afin que tu ne le délaisses pas ! » ; il se redressa et vit un astre de feu. L’astre guida Marcel et s’arrêta sur la conque de la Caverne. L’higoumène retourna sur ses pas, prit congé de ses hôtes, fit fermer les portes du monastère, puis revint à la Caverne, creusa et découvrit le vase contenant la relique. Il rencontra ensuite, à la porte de la Caverne, le diacre et archimandrite Gennade venu lui annoncer un songe étonnant : lui-même et Marcel en ce lieu distribuant à une foule innombrable des pains « purs comme le soleil ». Marcel reconnut une vision de Dieu et lui révéla « l’épiphanie » de Jean. Il fut décidé d’en instruire le prêtre Étienne, l’archimandrite τοῦ Δαρωμίου, qui révélerait tout à l’évêque. Mais Étienne se trouvait toujours en tournée d’inspection des monastères ruraux. Marcel dépêcha alors le frère Isaac auprès du diacre et archimandrite Cyriaque. Ce dernier arriva ; il avait eu la même vision que Gennade. On lui fit part de la révélation de Jean. Comme le prêtre Étienne n’était toujours pas revenu, ils l’attendirent. Cinq jours s’écoulèrent. Le samedi après-midi [23 février], Marcel fut soudain frappé de paralysie. Selon Gennade et Cyriaque, il avait trop longuement différé d’informer l’évêque ; ce serait chose faite dès le lendemain matin, ainsi qu’ils venaient de le jurer en son nom au Baptiste. Aussitôt les douleurs de Marcel se dissipèrent. Le lendemain, dimanche [24 février], Marcel, en compagnie du diacre Cyriaque et du moine Julien, partit tout révéler à l’évêque Ouranios. Celui-ci ordonna le silence sur l’invention : personne ne devait porter la main sur la relique ; lui-même viendrait le lendemain. Ouranios arriva [lundi 25 février] avec des prêtres et des diacres ; tous entrèrent dans la Caverne, et adorèrent. Mais l’un de ceux qui avaient accompagné l’évêque, un prêtre du nom de Malchos, douta que ce fût bien là la tête du Prodrome. Sa main se dessécha et resta soudée au vase sur lequel il l’avait impudemment portée, jusqu’à ce qu’une prière commune des assistants lui permît de l’en retirer ; mais elle resta affaiblie. L’évêque prit ensuite le vase avec le trésor qu’il renfermait, et le déposa « dans le diakonikon de la très sainte église », en attendant que fût bâti un sanctuaire au nom du saint. Peu de temps avant sa déposition, le Prodrome se montra en songe au prêtre Malchos : il devait poser sa main sur le vase au cours de la procession ; alors il serait guéri. Ce qui advint. La déposition de la relique dans son église eut lieu le 26 octobre de l’an 763 [453], sixième indiction, sous le règne de Valentinien et de Marcien.

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L’invention est bien datée : Marcel découvrit la relique le lundi 18 février 453 et informa l’évêque Ouranios le dimanche 24 février suivant. Cette indication est en accord avec la datation par l’indiction et le règne des empereurs Valentinien III (425-455) et Marcien (450-457)74. Il en va de même pour l’épiscopat d’Ouranios75. En revanche, c’est en 452 et non en 453 que le « milieu du Carême » tombait un 24 février76. De nombreux commentateurs, à partir de Charles Du Cange, en conclurent que l’invention s’était produite non en 453, mais en 452. Pour certains, la date du 18 février avait été avancée par imitation ou confusion avec la déposition du chef par Théodose Ier à l’Hebdomon le 18 février 391, tel qu’on peut le lire dans le Chronicon Paschale, qui mentionne les deux inventions. Brian Croke inverse les termes du problème : le doublet introduit dans la chronique alexandrine pour les inventions de 391 et 453 serait à corriger en faveur de la seconde. En effet, si l’on écarte la mention problématique du « milieu du Carême », erreur accidentelle ou volontaire77, l’année 453 est étayée par les témoignages du comte Marcellin et du Chronicon Paschale, qui nomment encore les consuls en exercice cette année-là, Vincomalus et Opilio78. Une erreur a toutefois été corrigée par Ernst Honigmann : la Chronique de Théophane (v. 815) relate le transfert de la relique depuis le monastère du Spélaion jusqu’en son église dans la ville d’Émèse79. Mais la notice a été insérée à une mauvaise place, suite à une confusion dans les systèmes de datation. Ce que l’on lit actuellement à l’année 760/761 doit en fait être remonté à l’année 453/45480. La notice du comte Marcellin a intrigué. Brian Croke s’est efforcé d’écarter les soupçons d’interpolation qu’elle a pu soulever, en soulignant qu’on la retrouvait en entier dans les meilleurs manuscrits, et que sa longueur inaccoutumée comme son caractère anormalement détaillé pouvaient être mis au compte de l’intérêt particulier de l’auteur pour l’événement en question. Marcellin aurait

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Deux. inv. chef du Bapt., col. 424CD, 430D ; Deux. inv. chef du Bapt. lat., col. 423CD. L’an 763 de l’ère syromacédonienne ou séleucide : 1er octobre 452 – 30 septembre 453. GRUMEL, Chronologie, p. 243. Sixième indiction (1er septembre 452 au 31 août 453). 75 Sur ce personnage : infra, p. 309-310. 76 Pâques 452 (23 mars) ; Pâques 453 (12 avril). 77 Sur l’importance de ce temps pascal dans le contexte des inventions : infra, p. 195. 78 Marcellinus, Chron., CROKE, p. 21. Le témoignage du comte Marcellin sur la mort de l’impératrice Pulchérie cette même année concorde avec d’autres sources (par ex., Malalas, Théophane ou Kédrénos). Chron. Pasch., col. 813C-816A ; p. 591 (CSHB). Le Chronicon ajoute encore « la 501e année d’Antioche », qui correspond à l’an 452-453. 79  Théophane, Chron., I, p. 431. 80 HONIGMANN, Notitia, p. 85. Théophane a peut-être omis les indications de dates des évêques, empereurs ou consuls, généralement ajoutées après l’indiction, ou ne les a déjà plus trouvées dans sa source ; d’où la confusion.

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eu recours à la version grecque originale. Notons cependant que, chez l’historien, l’abbé Marcel (Marcellus demum presbyter totiusque monasterii praesul) vivait dans la caverne de l’invention une vie irréprochable lorsque Jean se manifesta81, ce qui n’est pas explicitement dit dans la Première invention, et entre en contradiction avec la Deuxième (surtout dans la traduction latine par Denys, que l’on considérera comme un bon reflet de l’original grec), la caverne étant jusque-là fermée et n’appartenant pas encore au monastère de Marcel. Marcellin est par ailleurs le seul à désigner Marcel comme « prêtre » ; enfin, il donne à l’hérétique Eustathe (expressément désigné comme arien) le nom d’Eustochius. Cette notice confirme qu’avant le premier tiers du VIe siècle, les deux inventions formaient un tout. Marcellin s’étend beaucoup plus longuement sur la première, et – contrairement à ce qu’il fait dans sa notice sur l’invention du protomartyr Étienne, dont on remarque, par comparaison, la concision – ne mentionne pas la relation de Marcel. Or, les synaxaires et ménologes devaient aussi, plus tard, s’attacher avant tout au récit explicatif de la venue du chef à Émèse (Première invention), en soi plus conforme à un récit d’invention traditionnel, certes plus impersonnel, mais plus propre à un usage liturgique universel. La Deuxième invention, que caractérisait une rupture de ton, de style et de contenu, était de surcroît trop riche, même dans sa version allégée, en indications topographiques, toponymiques ou prosopographiques, pour favoriser sa diffusion au-delà d’Émèse. Les deux inventions ont donc été réunies dans les synaxaires et ménologes en une lecture unique destinée à une fête unique, en date du 24 février82. On trouve exceptionnellement à la même date, à la suite de la première, l’évocation, non de la deuxième, mais de la troisième invention83, qui possédait pourtant sa propre date de commémoraison, le 25 mai84. La métaphrase (BHG 836-837) par Syméon (2e moitié du Xe s.) des deux premières inventions sert d’appendice à sa Vie de Jean Baptiste, comme lecture pour la fête de la Décollation, le 29 août85. Il est intéressant de voir qu’on n’y retrouve aucun des passages propres à la traduction latine de la Deuxième invention. Un peu plus tard (XIe s.), le Ménologe impérial A abrégea Syméon pour sa notice du 24 février (BHG 858z)86. Un autre ménologe impérial, conservé au monastère athonite de KoutMarcellinus, Chron., CROKE, p. 21.  Syn. Const., col. 485-487, Syn. Sel. Le Synaxaire de Constantinople (Xe s.) annonce la synaxe ἐν τῷ ἁγιωτάτῳ αὐτοῦ προφητείῳ τῷ ὄντι ἐν τοῖς Σφωρακίου. Cinq des six fêtes du Précurseur se célébraient à Constantinople dans l’église du quartier dit τὰ Σφωρακίου : JANIN, Précurseur, p. 328-330. 83 Syn. Const., col. 485-487, Syn. Sel. Cf. Mén. Basile, col. 325. 84 Syn. Const., col. 707 (l’empereur et le patriarche restent ici anonymes), col. 709 (26 mai). 85 Vie Jean Bapt. 86 L ATYŠEV, Ménologe, I, p. 126-131.

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loumous et daté de la fin du XIe ou du début du XIIe siècle, contient également une notice pour le 24 février (BHG 842a)87. L’invention d’Émèse a encore fait l’objet d’interpolations. On trouve l’épisode intégré à la Vie de Matrona de Pergè88 († v. 510/515). Selon les éditeurs de l’Histoire ecclésiastique de Sozomène, « la présence du nom Matrona pourrait indiquer que Sozomène connaissait aussi la tradition d’Émèse, tout en préservant la primauté de celle de Constantinople89. » Il est cependant difficile de croire que la « tradition d’Émèse », non seulement ait existé avant 450, sinon plus tôt pour que Sozomène en ait eu vent, mais ait encore déjà comporté, à quelque titre que ce soit, le nom de Matrona, alors que les témoignages les plus proches, comme le comte Marcellin (à moins d’une interpolation), et surtout la traduction de la Deuxième invention par Denys, n’en soufflent mot. Ajoutons à tout cela que le contenu général de cette Vie de Matrona demeure suspect. Il en va de même de l’Histoire de Gésios et Isidore, que l’on peut lire au travers de quelques fragments coptes (BHO 485-486)90 ou, en continu, dans une homélie arabe, au contenu légèrement divergent91. Comme dans la Vie de Matrona, l’épisode s’écarte résolument de la Deuxième invention. Notons toutefois que, à l’instar de la Première invention, l’histoire se termine sur la dissimulation de la relique : La finale du récit (§ 17) présente une différence sensible : selon le copte, « puisque les gens de cette ville (ms. A : puisque ces gens) étaient hérétiques, ils n’étaient pas dignes de voir ce grand mystère demeurer avec eux, mais il se retira de parmi eux (ms. A : avec son vêtement) », alors que, dans l’arabe, l’évêque cache intentionnellement les reliques « à cause du grand nombre d’hérétiques qu’il y avait en cette ville et qui ne méritaient pas de voir cette grande gloire » (§ 17). L’évêque du récit copte est manifestement lui-même un hérétique, ce qui apparaît d’ailleurs mieux dans le H ALKIN – FESTUGIÈRE, Dix inédits, p. 70-79. Il fut sans doute copié sur un plus ancien ménologe du XIe siècle. Vie ancienne (BHG 1221) : Vie Matrona 1 ; métaphrase (BHG 1222) par Syméon (X e s.) : Vie Matrona 2. Selon Cyril Mango (intro., p. 13-16, à la tr. anglaise), Vie Matrona 1 ne saurait remonter avant le milieu du VIe siècle, mais pourrait avoir emprunté à un écrit plus ancien, constitué de notes prises par une nonne, Eulogia, du vivant même de la sainte. D’accord avec Hippolyte Delehaye (Act. Sanct. Nov., II, p. 789A) pour faire de l’auteur un moine du monastère de Bassianos, Cyril Mango est toutefois davantage enclin à reconnaître à ce récit une valeur historique, en dépit de ses incohérences et anachronismes. C ATAFYGIOTU TOPPING, Matrona : l’auteur serait, au contraire, une femme, sans doute du monastère de Matrona. 89 Sozomène, H.E., VII, p. 181, n. 3 (SC). 90 Les quatre fragments datent de la fin Xe siècle et du début du XIe siècle : STEINDORFF, Gesios und Isidoros ; LUCCHESI, Gesius et Isidorus. 91 Le Caire, Abū Sarğah, Lit. 38 (cat. 41), fol. 198-213. Homéliaire de Carême copié par un diacre du nom de Mercure pour l’église des Saints-Serge-et-Bacchus du Vieux Caire, le 12 (ou 13) février 1703, contenant encore (fol. 186v-199v) une homélie « Sur la vie et la décollation de saint Jean Baptiste, prononcée par saint Jean Chrysostome alors qu’il était en exil dans l’île de Thrace » : Z ANETTI, Gésius et Isidore 1 ; ID., Gésius et Isidore 2 ; ID., Dépouillement. 87

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ms. A, et on prend soin de ne pas invoquer directement son témoignage. […] L’arabe a transformé le passage de manière à préserver l’orthodoxie de l’évêque en question. […] Le récit copte s’achève sur une absence de reliques, contrairement à BHG 840, sans doute parce qu’on ne les possédait pas, justement. Comme l’avait suggéré Steindorff, l’absence de cette précieuse relique à Émèse ouvrait la porte à une nouvelle invention en Égypte. […] Le récit de Gésius et Isidore peut, en quelque sorte, servir de ‘répondant’ à la tradition chalcédonienne représentée par l’inventio (BHG 839-840)92.

Le catalogue des sources iconographiques sur l’invention du chef du Baptiste a été dressé par Angeliki Katsioti en 199893. Il s’agit d’un ensemble de vingt-sept références, du XIe (la plus ancienne représentation se trouve dans le Ménologe de Basile II) au XVe siècle : manuscrits (surtout des ménologes) et, dans une moindre mesure, peintures murales, icônes. Le thème est donc plutôt rare. Auparavant, Christopher Walter, en 1980, puis Athanasios Semoglou, en 1996, en avaient analysé la tradition94. La confusion y règne, sans doute parce que l’invention est triple : la première et la deuxième, fêtées le 24  février ; la troisième, le 25 mai95. Plusieurs sources font mention des trois inventions ; de même, il existe une icône les représentant ensemble, chacune bien distincte96. Mais alors que la liturgie ne sépare (généralement) pas les première et deuxième inventions, l’iconographie est gênée par ce double sujet illustrant une seule fête, et la contamination entre les scènes fréquente. Quoi qu’il en soit, Athanasios Semoglou reconnaît l’existence théorique de trois schémas iconographiques correspondant à chacune des trois légendes, une tripartition attestée par Denys de Fourna au XVIIIe siècle, sur la base de plus anciens modèles97 : (1) Sont représentés deux moines (a) devant un édifice et portant la relique ; (b) en train d’exhumer la relique, de part et d’autre d’un tombeau ouvert. (2) Sont visibles des motifs de la deuxième invention : une grotte, un plat d’airain et une étoile. (3) Sont figurés l’empereur, le patriarche, des chantres, des laïcs, ainsi qu’un plat en argent, un détail présent dans l’hymnologie de la fête de la troisième invention. C’est le schéma le plus fréquent : « L’archétype montre la fouille faite par les deux jeunes ouvriers en Z ANETTI, Gésius et Isidore 1, p. 14-15, 19-20. L’orateur, l’évêque Christodoulos de Bifrā (Tifré en Basse Égypte ?), inconnu par ailleurs, prétend avoir recueilli cette histoire au concile de Nicée où il siégeait. 93 K ATSIOTI, Jean Baptiste.  94 WALTER, Invention ; SEMOGLOU, Inventions. 95 Celle du chef de Constantinople, qui n’a pas d’attestation liturgique, n’est pas représentée. Un seul exemple occidental tardif (XVIe s.) est mentionné par SEMOGLOU, Inventions, p. 27, n. 3 : une tapisserie de Bruxelles datée de 1510, conservée au château de Pau. 96 CHATZIDAKIS, Inventions. 97 Denys de Fourna, Ἑρμηνεία, p. 177-178 ; DIDRON, Manuel, p. 360. 92

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présence du roi, du patriarche et d’autres personnages. » Il est sujet à variations, et quelquefois, l’on voit aussi l’étape suivante de la translation et de la vénération. En fonction des témoins existants, Athanasios  Semoglou formule « l’hypothèse selon laquelle le schéma iconographique de la troisième invention du chef de saint Jean Baptiste se forme avant ceux des deux premières inventions, vers le XIe siècle, dans un atelier constantinopolitain. […] Les deux autres, postérieures, s’élaborent vers la fin du XIIe ou le début du XIIIe siècle dans un centre monastique de la capitale ou de la périphérie, voire celui du Sinaï. » Angeliki Katsioti la conteste : rapprochant une icône du Sinaï du XIIe siècle d’une fresque de Sébaste de peu antérieure, représentante du premier type selon Athanasios Semoglou (dans les deux, un fleuve de feu se trouve au centre de la composition), elle suggère pour l’une et l’autre une provenance commune. Il faudrait davantage penser à l’existence d’un cycle iconographique de la vie du Baptiste, une hypothèse déjà formulée par Christopher Walter. Selon ce dernier, peu nombreuses sont les images qui s’écartent du schéma général : deux personnes en tunique, avec pelle et pioche, déterrant la tête nimbée. Les images des livres liturgiques seraient alors à classer en deux groupes : (1) (a) pour la fête du 24 février (première/deuxième inventions), deux personnages en tunique en train d’exhumer la relique placée dans un vase à deux anses ; (b) pour celle du 25 mai (troisième invention), en outre, plusieurs personnes guidées par un évêque tenant un encensoir, tourné vers un empereur ; ici, la juxtaposition de l’invention du chef et du cortège venu l’accueillir tend à rappeler le caractère ‘historique’ de la translation de Comane à Constantinople. (2) Des images illustrant la Vie du Baptiste par Syméon Métaphraste, faisant pendant à des scènes de la Naissance et de la Décollation de Jean. Sur certaines icônes, la scène de l’invention est parfois ajoutée à un cycle biographique98. Le renforcement de la vénération des images après le triomphe de l’Orthodoxie en 843 a pu entraîner la création de nouveaux cycles iconographiques99.

98 WALTER, Invention, p. 316, s’arrête sur une icône biographique du Sinaï, du XIIe siècle. On y voit le Baptiste debout vêtu de son habit de poils ; au-dessus de sa tête, des médaillons de la Vierge et du Christ ; autour de lui, des épisodes de sa Vie ; à ses pieds, la hache de la Décollation et la tête, dans une cuve baptismale ; enfin, une légende de huit dodécasyllabes : la tête passe de l’obscurité à la lumière, grâce à l’intervention divine, comme le baptême amène de l’obscurité à la lumière. 99 K ATSIOTI, Jean Baptiste : dans la peinture murale et sur les icônes, l’image de l’invention ne se trouve quasiment que dans des cycles de la Vie de Jean. Un cycle avec Salomé et la décollation de Jean est attesté dès le VIe siècle (les Évangiles de Sinope). Il pourrait provenir des provinces orientales et être demeuré inconnu jusqu’assez tard de la capitale. Étrangement, Théodore Stoudite (759-826) décrit, dans une homélie sur la Décollation (BHG 864), une image de son monastère figurant l’inhumation, tête et corps, de Jean par ses disciples : Décollation, 8, col. 768AB.

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Le « vase » de l’invention fut d’abord déposé, avec son précieux dépôt, « dans le diakonikon de la très sainte église 〈d’Émèse〉, jusqu’à ce que fût érigé son martyrion » ; puis, on procéda à « la déposition du saint Prodrome et Baptiste Jean dans son église100 ». Dans l’Émèse actuelle (Homs), a été identifié comme martyrion un édifice de haute époque (début du Ve siècle ?) probablement détruit lors de l’incendie de la ville par Basile II en 999101. Situé dans l’actuel quartier d’Al Fakhoura, c’est-à-dire « celui des potiers » (!), il se trouve à l’est de la grande mosquée al-Nouri, laquelle pourrait occuper l’emplacement de l’église Saint-Jean-Baptiste102 ; il n’est pas permis d’en dire plus103. Tout le ministère de Jean le Baptiste et Précurseur du Christ, fils du prêtre Zacharie et d’Élisabeth, cousine de la sainte Vierge, s’était déroulé sur les rives du Jourdain. Puis ce fut l’arrestation et l’exécution du prophète. En effet, Hérode avait fait arrêter Jean et l’avait enchaîné en prison, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, qu’il avait épousée. Car Jean disait à Hérode : « Il ne t’est pas permis de garder la femme de ton frère ». Aussi, Hérodiade le haïssait et voulait le faire mourir, mais elle ne le pouvait pas, car Hérode craignait Jean, sachant que c’était un homme juste et saint, et il le protégeait. Quant il l’avait entendu, il restait fort perplexe ; cependant il l’écoutait volontiers. Mais un jour propice arriva lorsque Hérode, pour son anniversaire, donna un banquet à ses dignitaires, à ses officiers et aux notables de Galilée. La fille de cette Hérodiade vint exécuter une danse et elle plut à Hérode et à ses convives. Le roi dit à la jeune fille : « Demande ce que tu veux et je te le donnerai. » Et il lui fit ce serment : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, serait-ce la moitié de mon royaume. » Elle sortit et dit à sa mère : « Que vais-je demander ? » Celle-ci répondit : « La tête de Jean le Baptiste. » En toute hâte, elle rentra auprès du roi et lui demanda : « Je veux que tu me donnes tout de suite sur un plat la tête de Jean le Baptiste. » Le roi devint triste, mais, à cause de son serment et des convives, il ne voulut pas lui refuser. Aussitôt le roi envoya un garde avec l’ordre d’apporter la tête de Jean. Le garde alla le décapiter dans sa prison, il apporta la tête sur un plat,

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Deux. inv. chef du Bapt., col. 430C, 430D. Théophane, Chron., I, p. 431, fait mention d’une crypte où les fidèles pouvaient vénérer la relique, et allusion aux guérisons qui s’y opéraient. Cf. Jean Rufus, Plér. (512/518), repris par Michel le Syrien, Chron. II, IX, XXVIII, p. 240B ; Zacharie, Vie de Sévère, p. 92. Le pèlerin de Plaisance (Récits, p. 235) précise que le reliquaire était en verre. Plusieurs virent encore la relique à Émèse, comme Bar Sauma († 491 ; Mir. Bar Sauma, 97, ROC, 19, p. 287) ou le moine perse Jésusdenah (fin VIIIe s. ; CHABOT, Jésusdenah, p. 237, no 23). M ARAVAL, Lieux saints, p. 335. 101 SALIBY – GRIESHEIMER – DUVAL, Martyrium, p. 389 : dans cet édifice sans abside, des reliques occupaient l’absidiole sud, mais les fouilleurs ont supposé que « d’autres, les plus importantes, pouvaient se trouver au centre de l’octogone ». 102 ELISSÉEFF, p. 410, 413-414 ; MUNDELL-M ANGO, Emesa. 103 Pour la relique du chef à Damas et le patronage omeyyade du culte du Baptiste : K HALEK, John the Baptist.

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il la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère. Quand ils l’eurent appris, les disciples de Jean vinrent prendre son cadavre et le déposèrent dans un tombeau. (Mc 6, 17-29 ; cf. Mt 14, 1-12)

D’après Flavius Josèphe, Jean fut exécuté dans la forteresse hérodienne de Machéronte, à environ douze kilomètres à l’est de la mer Morte104. D’autres localisations sont parfois avancées. Selon une tradition, encore inconnue d’Eusèbe de Césarée, mais vite devenue unanime après lui, le tombeau de Jean se trouvait à Sébaste, en Palestine Première105. Il partageait sa sépulture avec les prophètes vétérotestamentaires Élisée et Abdias (ou Obadiah) : Sébaste, autrefois appelé Samarie, contient une église où reposent les corps des saints Jean Baptiste, Élisée et Abdias106. À deux milles de là se trouve une montagne très élevée où sont deux grottes très belles ; dans l’une les prophètes se cachèrent sous Jézabel, dans l’autre résida saint Élie (1 R 18, 4)107.

Semblable association était fréquente, ainsi, Jacques avec Zacharie et Siméon ou Étienne avec Gamaliel, Nicodème et Abibos108. Le tombeau de Sébaste avait été saccagé par les païens, sous le règne de Julien l’Apostat (361-363), les ossements exhumés, mêlés à des carcasses d’animaux, brûlés, puis dispersés aux quatre vents109, mais on n’en continua pas moins à y vénérer les reliques, comme en témoigne Jérôme, lorsqu’il évoque le pèlerinage de son amie Paula, en 385 :

104 Josèphe, Ant. Jud., 18, 5, 2. VÖRÖS, Machaerus, p. 257 : « all support the logical conclusion that the martyrdom of Saint John the Baptist had to be in Machaerus. » Sur la mort du Baptiste : BUZY, Jean Baptiste, sp. p. 221-228 ; LECLERCQ, Jean Baptiste ; CHILTON, John the Baptist. Sur les reliques : DU C ANGE, Traité ; LECLERCQ, Précurseur. 105 Maintenant Shomeron en Israël ; l’ancienne Samarie rebaptisée par Hérode le Grand (73-74). Une tradition arménienne veut que des reliques du Prodrome se soient déjà trouvées à Césarée de Cappadoce au début du IV e siècle. L’Agathange (V e s.) rapporte que Grégoire l’Illuminateur, s’étant rendu depuis l’Arménie jusque Césarée pour se faire ordonner évêque par l’évêque Léonce (314), avait apporté avec lui « quelques ossements du grand prophète, le bienheureux Jean Baptiste, et du saint martyr du Christ, Athénogène ». Sur le chemin du retour, il érigea un martyrion en Anatolie orientale. Plus tard, Zénob de Glag (VIIe-X e s.) rapporte que Jean l’Évangéliste, ayant découvert le corps, l’avait donné à Polycarpe qui l’avait emporté à Éphèse. Sous Trajan (98-117), l’évêque Firmilien l’avait transporté à Césarée. Cf. THIERRY, Prodrome, p. 105-108. 106 Au V e siècle, l’église renfermait les châsses de Jean Baptiste et Élisée – on ne parle plus d’Abdias –, recouvertes d’or et d’argent, dans une petite chapelle clôturée par des grilles : Jean Rufus, Plér., 29, p. 70-71. Sur l’église médiévale reconstruite sur le plan de l’église byzantine : CROWFOOT, Churches, p. 24-39 ; OVADIAH, Corpus, no 158 ; EAEHL, 4, p. 1049s. Pour le sol en mosaïque : BAGATTI, Battista. 107 Égérie (381-384) est sans doute ici la source de Pierre Diacre (XIIe s.), De locis, V, 6, Récits, p. 66 ; Valérius, Ep. 3, 14-16, p. 344. 108 Jérus. Nouv., p. 642. 109 L’épisode est très largement mentionné dans les sources, notamment Grégoire de Nazianze, Disc. 5, 29 ; 6, 61 ; Rufin, H.E., XI, 28, p. 1033-1034 ; Théodoret, H.E., III, 7, 2, p. 118-119 (SC) ; Chron. Pasch., col. 740B ; p. 546 (CSHB) ; Philostorge, H.E., VII, 4, p. 80.

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Partant de là, elle visita les tombeaux des douze patriarches, puis Sébaste (c’est-à-dire : Samarie), qui, en l’honneur d’Auguste fut ainsi nommée par Hérode ; – Sébaste est l’équivalent, en langue grecque, du mot Auguste. Là se trouvent les prophètes Élisée et Abdias, ainsi que Jean Baptiste (nul ne fut plus grand que lui, de ceux qui sont nés des femmes) ; elle y fut effrayée par un grand nombre de faits étonnants. En effet, elle voyait les démons rugir sous l’empire de divers tourments, et devant les tombeaux des saints, des hommes hurler comme des loups, aboyer comme des chiens, gronder comme des lions, siffler comme des serpents, mugir comme des taureaux, les uns la tête retournée, toucher derrière leur dos la terre du sommet de leur crâne, des femmes pendues par les pieds sans que leur robe glisse sur leur visage. Elle les prenait tous en pitié et, répandant des larmes, elle implorait pour chacun d’eux la clémence du Christ. Débile comme elle était, elle gravit à pied la montagne où, dans deux grottes, au temps de la persécution et de la famine, le prophète Abdias nourrit cent prophètes de pain et d’eau110.

Pourtant, les reliques, miraculeusement préservées, avaient été emportées loin de Sébaste, en Égypte, à Alexandrie. Selon Rufin, des moines pèlerins venus de Jérusalem, qui avaient assisté à ce lamentable spectacle et recueilli, au péril de leur vie, les restes du Précurseur – il n’est question que de lui111 –, les avaient adressés à leur abbé, un dénommé Philippe, lequel, se jugeant trop indigne pour conserver un tel dépôt, les fit parvenir à l’évêque d’Alexandrie, Athanase. Celui-ci les mit en sûreté dans le sacrarium de son église. Par la suite, son successeur Théophile les déposa dans un martyrion érigé sur les ruines du fameux temple de Sérapis récemment abattu112. Le Synaxaire éthiopien enregistre l’événement, en date du 27  mai113 : d’étranges manifestations entravaient la reconstruction du Temple de Jérusalem, aussi les Juifs dirent-ils à Julien : « C’est qu’il y a dans ces lieux les corps de grands personnages chrétiens ; ou enlève-les de là, ou l’on n’y construira point ». Sur quoi l’empereur ordonna d’exhumer et de brûler les restes de Jean Baptiste et Élisée (Abdias n’est pas mentionné), mais des fidèles parvinrent à 110

Jérôme, Ep. 108, 13, t. V, p. 174-175 ; Récits, p. 159 ; voir encore Ep. 46, 13, p. 113-114. Le corps d’Élisée fut transféré à Alexandrie sous Léon Ier, et déposé dans le monastère de Paul le Lépreux le 11 mai 463/464 : Théophane, Chron., I, p. 114 (AM 5956). 112 Rufin, H.E., II, 28, p. 1033-1034. THÉLAMON, Rufin, p. 264. GASCOU, Alexandrie, p. 33-36, corrige la vision des faits sur la base de sources alexandrines, en particulier la Storia della Chiesa di Alessandria (I, p. 66-67 et II, p. 61-62). Le martyrion aurait été fondé par Théophile, vers 397, non plus sur les ruines du Serapeum, mais dans « les environs d’un jardin ‘au sud de la ville’, ayant appartenu à Athanase et ayant été légué à l’Église. […] La SCA suggère que l’entreprise de Théophile a eu un grand succès et qu’elle a pu être effectivement perçue comme une sorte de relais de l’ancien culte poliade de Sérapis, ce qui expliquerait les raccourcis enthousiastes de Rufin et de Jérôme. En tout cas, le culte des saints à Alexandrie paraît ‘démarrer’ avec la translation de ces insignes reliques. » VAN L ANDSCHOOT, Fragments, p. 251. 113 Synaxaire éthiopien, p. 533-534. 111

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les racheter à prix d’or, « après que les soldats leur eurent fait jurer de ne point laisser les corps dans cette ville, de peur que l’empereur ne l’apprît et ne les fît périr. » La notice combine trois épisodes célèbres du règne de l’Apostat : le sac de Sébaste, l’échec de la reconstruction du Temple, l’exhumation des reliques de Babylas au faubourg de Daphné, et fait voisiner le sépulcre de Jean et Élisée avec le sanctuaire juif, à Jérusalem, aussi n’est-il guère étonnant de voir le rédacteur du synaxaire passer sous silence l’étape intermédiaire du monastère de l’abbé Philippe, pour ne retenir que la destination finale des reliques : « Quant aux corps de saint Jean Baptiste et d’Élisée, le prophète, ces gens les transportèrent à la ville d’Alexandrie auprès du saint Abbâ Athanase. » Or, ce passage des reliques du Baptiste par Jérusalem pourrait expliquer que la tradition les ait très vite associées avec la Ville sainte ; peut-être même en retint-elle (ce que Rufin ne dit pas) quelque parcelle : en 383, un prêtre latin du nom d’Innocent déposa des reliques de Jean (on en ignore la nature) dans un martyrion au mont des Oliviers114. Si l’on ne peut affirmer que le monastère de Philippe se trouvait dans ces parages, ni qu’il dispensa autour de lui son trésor, tout semble indiquer que des reliques du Précurseur circulèrent précocement dans les cercles monastiques du mont des Oliviers : Paulin de Nole, qui en déposa à Saint-Félix, pourrait les avoir reçues de Mélanie l’Ancienne, laquelle avait justement placé Rufin à la tête de son monastère115. Il ressort de tout cela que des reliques réelles ou supposées du Précurseur ont circulé à Jérusalem, peut-être dès 363, en tout cas vingt ans plus tard116. C’est probablement vers ce temps-là qu’une tradition rattacha le chef du Baptiste à Jérusalem117, faisant parfois de cette ville, contrairement aux Évangiles, le cadre de la décollation118 : si l’on en croit la Première invention, après l’exécution du prisonnier, Hérodiade prit grand soin d’enfouir sa tête au plus profond du palais d’Hérode ; deux moines venus en pèlerinage dans la Ville sainte la retrouvèrent. Nicéphore Calliste (XIVe s.) dit de même qu’Hérodiade 114 Palladios, Hist. Laus., 44, 4. Il est nommé Saint-Jean-le-Haut dans une des versions de la Prise de Jérusalem de Stratégios, Expugn. Hierosol., Rec. Arabica V, XXIII, 31, p. 130. Sur Palladios, qui vécut aux côtés d’Innocent de 386 à 388 : HUNT, Palladios. 115 Mélanie, en route vers Rome, s’arrêta chez Paulin en 402 : HUNT, Holy Land, p. 76, 81-82. 116 Pour l’église Saint-Jean-Baptiste de Jérusalem : Jérus. Nouv., p. 642s. 117 On trouve en général la répartition suivante : le corps à Sébaste et la tête à Jérusalem. Bède (672/673-735), Homil. in Decollatione S. J. B., col. 242B. 118 Ce n’est toutefois pas la tradition de l’Église de Jérusalem au V e siècle. (NAU), Hist. Jean Bapt., p. 525 : « 〈le panégyrique> de Chrysippe, prêtre de Jérusalem († 479), mentionne longuement les bienfaits qui résultent de la découverte du chef de saint Jean Baptiste, mais il ne nous dit ni où ni quand cette découverte a été faite. À la fin cependant il nous apprend qu’il fête sa mémoire ‘dans la quarantaine des saints jeûnes’ et il ajoute que saint Jean vécut trente-deux ans et demi et fut mis à mort dans la ville de Sébaste. »

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fit jeter au dehors le corps du Baptiste, que ses disciples enlevèrent et inhumèrent, mais retint la tête et la dissimula dans un recoin du palais119. Il existe plusieurs rédactions de la Vie de saint Jean Baptiste, dont certaines encore inédites120 ; elles mériteraient une étude approfondie. Notons simplement, en s’appuyant sur les observations maintenant anciennes de François Nau, qu’il en existe une rédaction longue et une courte remaniée par la suite. La plus longue relate la vie du Baptiste, d’abord au mont Carmel, où il s’adjoint pour disciples André et Philippe, plus tard au Jourdain ; vient ensuite le baptême de Jésus, l’arrivée de Jean à Jérusalem et son emprisonnement par Hérode, enfin le banquet et la décollation (29 août). 〈Alors〉, un ange enlève la tête de chez Hérodiade et la cache dans la caverne au mont Carmel εἰς τὸ γαλινικὸν αὐτοῦ κτῆμα. Les « apôtres » avec la sainte Vierge, Élisabeth et Marie, sœur de Lazare, prennent son corps pour l’ensevelir ἐν τῇ ὀρείνῃ εἰς τὸ μνημεῖον Ζαχαρία τοῦ πατρὸς αὐτοῦ. Vient ensuite le récit de la punition d’Hérode, d’Hérodiade et de la fille de celle-ci. La fin seule se trouve dans Nicéphore Calliste, sans doute d’après la rédaction métaphrastique121.

La Passion BHG 832, prétendument écrite par Eurippos, « second disciple de saint Jean », correspond au deuxième état de la version courte122. Il n’y est pas question du sort du chef après l’épisode du banquet, dont rien n’indique qu’il eut lieu à Jérusalem ; quant au corps, les disciples l’avaient rapporté dans sa patrie, à Bethléem, mais il reçut ensuite, sur ordre divin, une sépulture commune avec son père Zacharie, sous le sanctuaire du Temple de Jérusalem. Celle-ci devait rester secrète, inconnue des hommes123. Toutes ces rédactions de la Vie seraient, selon François Nau, postérieures à l’Histoire de saint Jean Baptiste attribuée à saint Marc l’Évangéliste (BHG 834)124, une pièce hagiographique « écrite (ou complétée) à Émèse en Syrie, vers la fin du Ve siècle et remaniée légèrement par la suite », racontant comment les disciples de Jean – dont l’auteur125 prétend faire partie – déposèrent le chef du Baptiste dans une caverne voisine d’Émèse.

119

Nicéphore Calliste, H.E., I, 19, col. 692. MINGANA, John the Baptist. Pour l’ensemble de la tradition manuscrite des récits apocryphes sur Zacharie et le Baptiste : BERENDTS, Überlieferung. 121 (NAU), Hist. Jean Bapt., p. 523 et 525 : « Le métaphraste a amalgamé » la rédaction courte « avec la découverte de la tête à Jérusalem, puis à Émèse ». 122 Pass. Jean Bapt., d’après le ms. du Mont Cassin no 277, fol. 58-60 (XIe s.). Desinit : ταῦτα πάντα ἔγραψα […] ἵνα πάντες οἱ ἀδελφοὶ ἐν Χριστῷ ἑορτάσουσιν τὴν μνήμην καὶ ἀνάπαυσιν τοῦ φιλοχρίστου Ἰωάννου τοῦ Προδρόμου καὶ Βαπτιστοῦ μηνὶ αὐγούστῳ κθ´. L’attribution à Eurippos est secondaire. 123 Supra, p. 64, n. 38. 124 Hist. Jean Bapt., p. 526-541. 125 Comme pour Eurippos, l’attribution à l’évangéliste est secondaire. Comparer au Jean Marc des Act. Barn.  120

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PREMIÈRE PARTIE

Après avoir baptisé Notre-Seigneur Jésus-Christ, Jean alla à Sébaste [Sic VR. GQ portent : à Enaké]. Hérode, l’apprenant, le fit venir près de lui. […] Le satellite partit, coupa la tête de saint Jean, la mit sur un plat et l’apporta à Hérode. Hérode la prit et la donna à la jeune fille. Celle-ci, la recevant, dansa avec elle au milieu de la salle du festin et la donna à sa mère, à Hérodiade. Acholios, l’un des convives d’Hérode, était disciple de saint Jean, d’ailleurs, il était cher à la mère d’Hérodiade ; il quitta donc le repas et alla lui demander la tête de saint Jean. Il la reçut et, comme il avait une aiguière toute neuve dans laquelle il n’avait encore rien mis, il y plaça la tête vénérée, puis y mit un sceau de plomb. Il appela alors certains disciples de saint Jean au nombre de six et leur dit : « Prenez la tête de votre maître, allez loin de cette ville et déposez-la telle qu’elle est dans cette aiguière. Les autres iront à la prison prendre le corps du saint prophète et l’inhumer. » Les six disciples de saint Jean prirent donc sa tête et allèrent à la ville d’Émèse, sise près des Sarrasins ; ils trouvèrent une caverne et y déposèrent l’aiguière dans laquelle était la tête de saint Jean, puis ses six disciples demeurèrent là jusqu’à leur mort. Moi qui ai écrit cela, mes frères, je suis un disciple pécheur de Jean, je l’ai suivi et j’ai appris de lui à croire en Notre-Seigneur Jésus-Christ qui nous délivrera du châtiment futur. Saint Jean, lorsqu’il fut décapité, avait trente-trois ans. Il fut mis à mort le 29 du mois de Dystros126, aussi nous faisons sa mémoire en ce moment afin que nous ayons part avec lui au royaume du ciel par Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.127.

Est-ce le signe qu’une tradition rivale de celle de Jérusalem, illustrée par la Première invention, avait vu le jour en Syrie, ou voulut-on de la sorte combler un vide ? Sévère d’Antioche (512-518), qui alla vénérer la relique à Émèse, semble tout ignorer de l’invention à Jérusalem. 126

Hist. Jean Bapt., p. 540, n. 2 : au mois de mars, donc aux environs de la fête de Pâque, selon l’ancienne tradition. « Les rédactions qui portent ‘le 29 août’ sont plus modernes ou du moins ont été retouchées, car le 29 août est l’anniversaire de la seconde invention de la tête et non de la décollation. » La tradition (on doit la considérer comme apocryphe si l’on songe qu’Eusèbe ne connaissait pas encore la tombe de Sébaste) veut que Constantin ait inauguré l’église SaintJean-Baptiste à Sébaste le 29 août : Act. Sanct. Aug., p. 607 ; R ENOUX, Codex, I, p. 188 : « la célébration, aux dates du 14 juin et du 29 août, de Jean Baptiste et d’Élisée » dans l’ancien calendrier hiérosolymitain « résulte peut-être de l’existence à Sébaste, l’ancienne Samarie, d’une église qui était dédiée aux deux saints et qui conservait leur tombeau. », et la note 3 : « Ces fêtes du calendrier de Jérusalem semblent donc antérieures à la fondation, par le moine Innocent, aux environs de 383, du martyrium de saint Jean Baptiste sur le mont des Oliviers. C’est en ce lieu de culte que les lectionnaires géorgiens placent la célébration des deux saints. » Calendrier pal.-géo., p. 251-252. Selon DU C ANGE, Traité, p. 33-38, le 29 août serait jour de dédicace de l’église SaintJean-Baptiste érigée par l’évêque Théophile (384-412) à Alexandrie. GAUTHIER, Jean Baptiste, II, p. 397s. : le Martyrologe hiéronymien (cf. LECLERCQ, Martyrologe, col. 2530-2572) dont le fonds le plus ancien remonte au milieu du IV e siècle connaît déjà la fête de la décollation au 29 août. Plus tard, les martyrologes relient la fête du 29 août à la seconde invention. Selon l’auteur, il faut en chercher l’origine dans les rites de la nouvelle année ; cf. sp. p. 417. 127 Hist. Jean Bapt, p. 531, 539-540.

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Étant comme la tête et le premier des martyrs, il a livré le membre supérieur de son corps et a donné en témoignage cette tête sacrée. Le Christ nous en a fait don, lui qui donne ce qui est bon à ceux qui demeurent à l’Orient. D’abord elle resta cachée au pays de Samarie, celui où régnait Hérode ; mais maintenant à l’Orient, elle resplendit comme un astre brillant, et cela non sans parole ni jugement128.

Cette tradition n’existait peut-être pas encore, du moins en Orient129. Notons simplement, sans qu’il soit permis d’en tirer argument, que Marcel, l’auteur de la Deuxième invention, dont on ne saurait affirmer qu’il prit part à la rédaction de la Première, interrogeant le Baptiste : « Seigneur saint Jean, d’où es-tu venu vers nous ? », s’attira la réponse suivante : « Je suis venu de Sébaste130 ». Repères chronologiques 363  364/378 

383  391 453  av. 534/540 

128

Viol du sépulcre de Sébaste et translation des reliques à Alexandrie via Jérusalem  Invention du chef à Jérusalem ; translation avortée à Constantinople et déposition à Cosilaos, près de Chalcédoine  Déposition de reliques à Jérusalem, au mont des Oliviers  Translation et déposition du chef à l’Hebdomon de Constantinople Invention du chef à Émèse et déposition dans un martyrion ; composition de la Deux. inv. Composition de la Prem. inv., à Constantinople (?) 

Sévère d’Antioche, Hom. 32, p. 411. La Prem. inv. chef du Bapt. fut composée avant 534, c’est-à-dire avant le témoignage de Marcellin et la traduction par Denys. On pourrait supposer une origine constantinopolitaine à ce récit influencé par la légende de l’invention à Jérusalem transmise par Sozomène. L’invention d’Émèse eut, d’ailleurs, sans doute des répercussions immédiates à Constantinople. On peut penser à la construction de Saint-Jean-Baptiste de Stoudios, mais aussi au choix par Aetios, prêtre de Constantinople, de célébrer la Nativité du Baptiste après son retour en grâce de l’automne 453 : DATEMA – A LLEN, John the Baptist. Le Baptiste n’était-il pas, après la Vierge, le premier intercesseur auprès du Christ ? THIERRY, Prodrome (cf. E AD., Saint-Jean), a mis en relation la place et la fonction du Baptiste dans le décor des églises cappadociennes avec l’importance de son rôle primitif de Précurseur, manifeste dans la tradition syro-palestinienne, notamment dans la liturgie (prière de Zacharie), mais aussi dans des apocryphes comme les Actes de Pilate, où le Baptiste aux Enfers annonce la venue du Christ aux Justes de l’Ancien Testament, un thème sans doute d’origine palestinienne (énoncé des différentes sources, dont Cyrille de Jérusalem. Les Actes de Pilate, condamnés par Eusèbe de Césarée, étaient notamment utilisés par une secte dérivée des montanistes en Cappadoce et en Asie Mineure). Plus tard, ce rôle de Précurseur devait tendre à s’effacer dans la liturgie ; de même dans les images de Cappadoce : après le Xe siècle, le Baptiste « quitte le décor d’abside pour se figer, dans la prothèse ou le diakonikon, dans l’image de la Déisis. » 130 Deux. inv. chef du Bapt. lat., col. 427A. 129

86 v. 560 

PREMIÈRE PARTIE

Translation du chef d’Émèse à Constantinople pour la dédicace de Saint-Jean-Baptiste de l’Hebdomon et retour à Émèse (?)

3. Étienne Si l’on écarte l’épineux dossier de la Vraie Croix, de toutes les inventions de reliques, celle du protomartyr Étienne demeure sans doute la plus célèbre131. On possède encore la relation qu’en fit aussitôt leur inventeur, Lucien, prêtre du village palestinien de Caphargamala ; son authenticité a été reconnue de longue date. Lucien dormait dans le baptistère de son église, lorsqu’il eut une première vision nocturne, le vendredi 3 décembre [415]. Un majestueux vieillard se mit à l’interpeller : il devait transmettre au plus vite à l’évêque de Jérusalem l’ordre de relever des reliques de l’oubli. Lucien s’informa de leur identité : lui-même s’appelait Gamaliel ; ses compagnons étaient le diacre Étienne, Nicodème et son propre fils Abibos. Le vendredi suivant [10 décembre], le même homme lui apparut de nouveau, et lui décrivit au moyen de vases remplis de fleurs l’agencement du tombeau. Enfin, lors d’une troisième apparition, le vendredi d’après [17 décembre], Lucien se vit soudain transporté à Jérusalem, exposant ses visions à l’évêque Jean. Au réveil, il alla trouver ce dernier, qui annonça le transfert à venir des restes d’Étienne dans la Ville sainte, et renvoya le prêtre avec mandat de fouilles. Lucien convoqua pour cela tous les habitants de sa paroisse. Au tombeau, les fouilleurs dégagèrent une stèle, gravée au nom des saints. L’inscription était en caractères grecs, mais en langue hébraïque. Aussitôt, Lucien manda l’évêque à Lydda, où il assistait à un concile. Il arriva avec ses collègues Eutonios de Sébaste et Éleuthérios de Jéricho et fit ouvrir le loculus d’Étienne. Des guérisons miraculeuses se produisirent. Le 26 décembre, Jean procéda au tranfert des reliques du protomartyr à Sion, ne laissant que quelques fragments au prêtre Lucien. Une pluie diluvienne s’abattit sur la terre depuis longtemps asséchée.

131 L AGRANGE, Étienne et ID., Tradition ; WINTERFELD, Revelatio ; A BEL, Légende ; M ARTIN, Revelatio ; HOUÉDARD, Finding. Pour l’ensemble du dossier : BOVON, Stephen. Voir encore MEYERS, Miracles. Parmi les premiers sermons et éloges du saint : Grégoire de Nysse, In Stephanum (BHG 1654) ; Hésychius de Jérusalem, Hom. 9 : DEVOS, Panégyrique ; AUBINEAU, Hésychius, I, p. 289-350 ; Pierre Chrysologue, In Stephanum ; Ps.-Maxime de Turin, Hom. 64 ; Césaire d’Arles, Sermo 219, p. 867-870, etc. De multiples sources se firent le relais de l’invention, par ex., Sozomène, H.E., IX, 17, p. 407 (SC) (l’ouvrage s’achève avant la notice annoncée) ; Marcellinus, Chron., CROKE, p. 11 ; Théodore le Lecteur, Epitome 319, p. 93-94 ; Théophane, Chron., I, p. 86 (AM 5919 [426/427]) ; Chron. Edess., p. 7, no 51 ; Michel le Syrien, Chron. I, VII, VIII, p. 319A et II, VIII, II, p. 14B ; Barhebraeus, Chron., I, 34, p. 142 ; Agapios de Menbidj (Xe s.), Histoire, p. 409 ; Nicéphore Calliste, H.E., XIV, 9, col. 1081-1084, etc. L’invention d’Étienne est encore connue par la tradition indirecte : Eustrate, De statu, p. 75-83, résumé par Photios, Bibliothèque, II, p. 167.

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Témoignent de la très grande popularité de ce récit de multiples traductions et adaptations anciennes (en grec132, latin133, syriaque134, arménien135, géorgien136, etc.137), dont les divergences engagent davantage l’histoire de la tradition textuelle que le contenu général du récit. La tradition manuscrite est très complexe : après avoir longtemps cherché à repérer parmi les différentes versions le texte original de la lettre138, on s’accorde aujourd’hui à penser que, parmi les recensions grecques et orientales connues à ce jour, aucune n’est exempte d’altération139. En revanche, on pourrait encore lire la traduction latine originale du prêtre espagnol Avitus de Braga, lequel, ayant assisté à l’invention, demanda à Lucien d’en faire une relation écrite140. La recension « A représente certainement le texte d’Avit emporté par Orose ; B remonte, indépendamment de A, à un original grec ; B cite la bible dans une version pré-hiéronymienne ; B représente la version officielle de Lucien, faite par ordre de l’évêque Jean141 ». On suppose qu’il y eut peut-être, de la main même de l’inventeur, plusieurs versions à l’adresse de divers commanditaires, comme cet Hymésius dont le nom apparaît parfois (recension latine B)142. À une lettre destinée à l’ensemble des Églises chrétiennes (la version A, traduite par Avitus), pourrait répondre une version B (voire plusieurs autres versions), plus subjective, davantage éloignée du simple exposé des faits. On sait peu de choses de la vie d’Étienne, considéré, avec les six autres premiers diacres de l’Église, comme un « helléniste »143. Célèbres en revanche 132

Rév. Étienne 1 (BHG 1648x) ; Rév. Étienne 2 (BHG 1648y) ; Rév. Étienne 3 (BHG 1649). Voir VON DOBSCHÜTZ, Christusbilder, p. 116*-117*, 28-29**. Il existe plusieurs inédits : BOVON, Stephen. Nicola Franco (Rév. Étienne 2, p. 293) crut mettre la main sur la version originale ; cette vue n’est plus tenable aujourd’hui. Récemment éditée, Rév. Étienne 1, abrégée de plusieurs éléments par rapport à Rév. Étienne 2, avait déjà fait l’objet de quelques citations et d’un bref commentaire de la part de DEVREESSE, Collection, p. 557, sur la base du manuscrit (en onciales) Sinaiticus 493, rédigé au VIIIe siècle. Il notait que notre texte, couvrant les folios 83v à 101 « se présente comme un rapport de Lucien à l’évêque Jean et […] s’arrête au transfert des reliques à Sion ». La version BHG 1649 est plus complexe : l’Invention y est précédée d’une Passion d’Étienne directement tirée des Actes des Apôtres (Ac 7, 8 – 8, 2), et suivie d’un récit de translation de la relique à Constantinople. 133 Rév. Ét. lat. A et B ; la traduction latine par Avitus a été éditée parmi les œuvres d’Augustin, PL 41. 134 BHO 1087a : BEDJAN, Acta, 3, p. 188-199. 135 BHO 1088 : MERCIER, Invention. 136 Synaxaire géorgien, p. 657-670, 713. 137 Pour l’ensemble des sources : BOVON, Stephen, p. 294s. 138 NAU, Invention ; L AGRANGE, Sanctuaire. 139 En dépit de la démonstration de NAU, Notes, visant à faire de la version syriaque le calque de l’original grec. Cf. P EETERS, Notes. 140 Avitus l’adressa, par l’intermédiaire de son compatriote Orose, à son évêque (nommé Balconius dans certains manuscrits) avec quelques parcelles de reliques d’Étienne. Elle est traduite par LECLERCQ, Étienne, col. 641-646. 141 VANDERLINDEN, Revelatio, p. 186. 142 WEBER, Bemerkungen, p. 412. 143 A BEL, Étienne ; AUDET, Étienne ; GORDINI – LIVERANI, Stefano ; NITZ, Stephan. Pour la date de la mort d’Étienne : DOCKX, Étienne. Pour la bibliographie : BOVON, Stephen. Étienne helléniste :

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PREMIÈRE PARTIE

devaient être son dernier discours devant les juifs et son martyre : il fut lapidé en dehors de Jérusalem, conformément à la loi judaïque ; alors « des hommes pieux ensevelirent Étienne et lui firent un grand deuil » (Ac 8, 2). Les sources anciennes ne disent rien de plus144, et l’on perdit, semble-t-il, sa trace, jusqu’à la découverte de ses reliques dans le village palestinien de Caphargamala, en décembre 415. Le récit de l’invention permet de combler ce vide : J’ai découvert, d’autre part, dans ce livre [d’Eustrate] que le maître qui enseigna la loi à saint Paul, Gamaliel, fut croyant et baptisé. Et que Nicodème, l’ami nocturne, devint aussi un ami au grand jour et mourut martyr ; c’était, nous apprend le récit, le cousin de Gamaliel. Tous deux furent baptisés par Jean et Pierre et, en plus d’eux, le fils de Gamaliel, lui aussi, qu’on appelait Abib. Quant au bienheureux Nicodème, lorsque les Juifs apprirent qu’il avait été baptisé, ils l’accablèrent de coups qu’il supporta avec vaillance, mais il mourut peu après. Voilà le récit que contenait le livre145.

Gamaliel, nouveau Joseph d’Arimathie, avait cédé son tombeau, ou plutôt, une place dans son tombeau, au protomartyr146. Reposaient dans la tombe, tout près d’Étienne, Nicodème qui in Evangelio scriptus est147, Gamaliel qui in Actibus Apostolorum nominatur148 et son fils Abibos149. Nicodème apparaît, en effet, dans l’Évangile de Jean comme l’« un des notables juifs », membre influent du Sanhédrin. Après la crucifixion, il est aux côtés de Joseph d’Arimathie, lorsque celui-ci donne la sépulture au corps de Jésus ( Jn 3 ; 7, 50 ; 19, 38-42). Le personnage a laissé son nom à un récit apocryphe, où il occupe du reste une place assez négligeable150. Selon cet Évangile de Nicodème, les Juifs auraient envisagé, à l’instar d’Étienne, de mettre à mort Joseph d’Arimathie et de jeter son corps aux oiseaux pour avoir inhumé Jésus dans son tombeau. La tradition d’un SIMON, Stephen et ID., Stephen. Pour un récit légendaire de l’enfance du protomartyr, et son influence sur l’art occidental : BERGER, Étienne, p. 1380. 144 Pour l’ensemble des sources, des Actes des Apôtres aux Pères du IV e siècle : SAXER, Étienne. Les témoignages sont rares mais se multiplient à la fin de la période, où le culte du protomartyr (fêté le 26 décembre) est bien attesté. 145 Photios, Bibliothèque, II, p. 167. 146 Comme Jean Baptiste ou Jacques, Étienne partageait sa dernière demeure avec d’autres acteurs de l’Histoire sainte. 147 Rév. Ét. lat., A, I, 2, p. 190 ; Rév. Étienne 2, p. 294, l. 12-13.  148 Rév. Ét. lat., A, I, 2, p. 190 ; Rév. Étienne 2, p. 294, l. 13-14.  149 Ibid., p. 294, l. 15-16 : ἔτι δὲ καὶ Ἄβιβον τὸν υἱὸν αὐτοῦ τὸν ἐν Γραφῇ μὲν οὐκ ἐκφερόμενον, ἐν δὲ τοῖς ἀγράφοις μετὰ τῶν Ἁγίων δοξαζόμενον. On retiendra la tradition « non écrite », et l’absence de la mention d’Abibos à cet endroit du latin. Pour ce personnage, VANDERLINDEN, Revelatio, p. 198, n. 13, renvoie à un apocryphe géorgien : (Ps)-Joseph d’Arimathie, Fondation, p. 33. Cf. TCHKHIKVADZÉ, Traduction. 150 On l’a attribué à Ponce-Pilate, procurateur de Judée, une tradition qui pourrait remonter à Justin et Tertullien. L’identification est en tout cas déjà connue de Grégoire de Tours (v. 540594). Rédigé après la clôture du canon au IV e siècle, l’apocryphe est mentionné par Épiphane de Salamine (v. 315-403). Voir GOUNELLE, Nicodème ; LÉMONON, Ponce Pilate.

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Gamaliel crypto-chrétien est ancienne ; elle dérive de son rôle dans le Nouveau Testament, où il tente de modérer la fureur des chefs des juifs contre les chrétiens (Ac 5, 33-39)151. Toutes ces révélations, apparemment nouvelles pour le prêtre Lucien, pourraient provenir d’un apocryphe (grec) de l’Antiquité Tardive. Il existe une Passion de saint Étienne. On la rencontre, dans les manuscrits, soit à l’état indépendant, soit directement suivie de la Révélation, voire du groupe Révélation-Translation. Elle se présente sous plusieurs formes, plus ou moins divergentes selon les versions152. On peut apprécier à travers un exemple – ici, la finale de BHG 1649c –, comment s’effectue la soudure entre les Actes canoniques et la Révélation153 : Il y eut ce jour-là une grande persécution contre l’Église de Jérusalem, et tous, sauf les apôtres, se dispersèrent dans les contrées de la Judée et de la Samarie. [Des hommes pieux ensevelirent Étienne et lui firent de belles funérailles. »] (Ac 7, 8 – 8, 2) Alors, ayant recueilli la dépouille de saint Étienne, premier martyr, des hommes pieux firent un cercueil perséin (ce qui est une variété de bois) et l’ensevelirent au versant de la colline. Ils gravèrent l’inscription en lettres hébraïques : Chilièl, ce qui signifie Étienne (Chilièl vient de la bible syriaque). Puis, ils firent sur lui de grandes lamentations, et se frappant la poitrine ils rentrèrent à Jérusalem. Quant à Gamaliel, le maître de la Loi, quand il eut vu la vaillance de cet homme et dans l’espoir d’avoir part avec lui à sa résurrection, il se leva de nuit et alla se prosterner aux pieds des saints apôtres, en ce temps de deuil de saint Étienne, premier martyr. Il les exhorta avec instance et leur conseilla de rentrer avec lui et de recueillir sa sainte dépouille – et cela à son propre risque – puis de la transporter sur ses terres, dans la propriété qui portait son nom. Ils se laissèrent convaincre par ses paroles et accomplirent pendant quarante jours la coutume imposée par la Loi, si bien que les frais des funérailles furent offerts 151

Ps.-Clément, Recognitiones, I, 65, col. 1242C : qui latenter frater noster erat in fide. Dans la Doctrine d’Addaï, 3, l’envoyé du roi d’Édesse, Abgar, trouve le Christ dans la maison de Gamaliel. HUNT, Holy Land, p. 215-216, pose la question des origines judéo-chrétiennes de cette histoire. Pour l’Évangile de Gamaliel : VAN DEN OUDENRIJN, Gamaliel. 152 Outre Rév. Étienne 3 (BHG 1649), voir notamment les no BHG 1649c (BOVON – BOUVIER, Étienne), 1649d (STRUS, Haggada), 1649h (STRUS, Stefano). 153 BOVON – BOUVIER, Étienne, p. 312, relèvent la « combinaison d’éléments canoniques et apocryphes », et notent : « Tant que le dossier d’Étienne n’aura pas été examiné dans sa totalité, il ne sera pas facile de dater le récit non canonique de la passion, ni de décider de sa relation à la révélation de Caphar Gamala  – STRUS, Origine, s’y est risqué de façon aventureuse à notre sens. Pour y parvenir, il faudra en particulier rechercher les souvenirs que le martyre d’Étienne a laissés dans la littérature chrétienne des IIe et IIIe siècles pour constater si le récit de la passion s’appuie sur des données traditionnelles anciennes. » Pour Andrzej Strus, la Passion, bien antérieure à l’Invention, et provenant de Syrie-Palestine, vers les IIe-IIIe siècles, aurait été connue d’auteurs comme Astérius d’Amasée, le Ps.-Basile de Séleucie, Grégoire de Nysse ou Hésychius de Jérusalem.

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PREMIÈRE PARTIE

par Gamaliel. C’est ainsi qu’ils le déposèrent dans un sépulcre neuf, qui n’était pas encore terminé, à une distance de vingt bornes de la ville. À l’ouïe de cela, Nicodème, le neveu de Gamaliel, qui, de nuit, avait été instruit par Jésus-Christ notre sauveur, de manière à recevoir la nouvelle naissance d’eau et d’esprit, s’en alla pour être illuminé par Pierre et Jean, les disciples du Seigneur. En apprenant la chose, les grands prêtres et les Pharisiens s’irritèrent fort contre lui. Ils songèrent à le faire périr, comme ils avaient fait périr Étienne, le premier martyr. Toutefois, à cause de Gamaliel, ils ne le firent pas, mais ayant jeté sur lui l’anathème et confisqué tous ses biens au profit du Temple, ils le bannirent de la ville, et l’ayant roué de coups d’une rare cruauté, ils l’abandonnèrent à demi-mort. Gamaliel l’ayant recueilli en secret, lui aussi, dans le lieu même où Lucien accomplit son sacerdoce, il l’y fit nourrir et habiller à ses propres frais, jusqu’au jour où, peu de temps après, il s’endormit à son tour, parvenu à la perfection en tant que confesseur du Christ. On le fit déposer aux côtés de saint Étienne, premier martyr et archidiacre, en glorifiant le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Saint Étienne, le premier martyr du Christ et l’archidiacre, parvint à la perfection, le vingt-sept du mois de décembre, sous le règne de notre Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et la puissance, maintenant et à jamais et aux siècles des siècles, amen154.

Parmi ces recensions, il en est qui s’écartent davantage de la tradition scripturaire, telle BHG 1649d, que l’on peut rapprocher d’une Passion slavonne155. Dans ce récit, on voit Pilate refuser d’écouter les Juifs qui lui amenaient Étienne deux ans après la Résurrection du Seigneur, se convertir et recevoir le baptême avec toute sa famille ; Saül, chargé de l’interrogatoire, se disputer avec son ancien maître Gamaliel, disciple d’Étienne ; Gamaliel, Nicodème et Abibos, se tenir aux côtés d’Étienne au moment de la lapidation, et les deux premiers y laisser la vie ; enfin, Pilate placer Étienne dans un cercueil doré, Gamaliel et Nicodème dans un cercueil argenté, et, guidé par Dieu, les déposer à Karsogmata, dans la propriété d’Étienne. Selon Ivan Franko, ce récit formait une unité avec la Révélation : on y retrouve l’association Étienne, Gamaliel, Nicodème et Abibos ; Karsogmata (var. Kapogemata), probable déformation de Caphargamala. Mais que faire de Gamaliel et Nicodème lapidés avec le protomartyr, du domaine de Gamaliel devenu celui d’Étienne156, ou d’Abibos dissocié de ses compagnons157 ? Selon BOVON – BOUVIER, Étienne, p. 328-331, l. 14-32. On notera l’absence d’allusion à Abibos ; cf. supra, p. 88, n. 149. 155 FRANKO, Revelatio. Les deux témoins connus sont tardifs (XVIe-XVIIe s.). 156 Ce genre de texte est sujet à variations ; par un même type de substitution, l’apparition de Gamaliel devient apparition d’Étienne dans les versions les plus récentes de l’Invention. 157 BERGER, Étienne, p. 1382-1388, avait rapproché un cycle de peintures murales dans une église du protomartyr en Italie méridionale (Soleto, en Terre d’Otrante), daté du troisième tiers du XIV e siècle, d’un récit grec de la Passion d’Étienne (BHG 1649h), proche de la version 154

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Dorothea Weber, ces divergences irréconciliables indiqueraient plutôt une source commune, sans doute l’apocryphe mentionné plus haut158. Michel van Esbroeck pensait à son tour avoir repéré la Passion originelle d’Étienne, formant diptyque avec la Révélation159 ; il en attribuait la rédaction à l’évêque Jean de Jérusalem160. Conservée en géorgien, elle diffère du texte slavon : une discussion s’éleva parmi les Juifs à propos de la Résurrection et de l’Incarnation de Jésus. Alors Étienne, « un docteur de la loi », interpella et instruisit le peuple. Ce fut alors la comparution d’Étienne devant Pilate, ensuite devant le centurion Claude, enfin, l’interrogatoire mené par Saül. Celui-ci ordonna la décapitation161, qui échoua, puis la lapidation. Des pierres frappèrent le centurion et le peuple, mais Étienne pria devant son père Zachée162, et ils furent guéri. Quant au corps du martyr, on le laissa exposé aux bêtes sauvages hors « de la ville sur le chemin du côté des cèdres ». Gamaliel, « qui croyait au Christ », vint de nuit « avec de nombreux amis » le retirer en cachette. Pilate et sa femme arrivèrent ensuite « afin de le conserver, mais ne le trouvèrent pas […] La même nuit, saint Étienne apparut et dit à Pilate : ‘Ne sois pas triste à mon sujet, car il y aura, un certain temps, mon Invention, jusqu’à ce que les martyrs qui sont avec moi soient apparus.’ » Pilate et sa femme reçurent le baptême de Pierre, en compagnie de cinq mille autres personnes. « Et saint Étienne s’éteignit le six du mois de surcqnisi163. » Le récit s’achève sur la vision céleste par Pilate de la gloire d’Étienne emporté sur un char de feu (cf. 2/4 R 2, 11). Sans doute la Passion géorgienne entretient-elle un rapport étroit avec la Révélation164, mais on hésitera à admettre leur unité originelle tant que l’étude détaillée de toutes les recensions ne sera pas faite. Il existe, d’autre part, une Translation de saint Étienne ; on la rencontre, dans les manuscrits, à l’état indépendant ou directement précédée de l’Invention, voire du

slavonne, maintenant publié par STRUS, Stefano. À noter toutefois l’absence, dans ce récit, de certains éléments présents à la fois dans les peintures et le slavon, en particulier la mention d’une crucifixion (avortée) d’Étienne avant la lapidation. 158 WEBER, Bemerkungen, p. 416-417. 159 VAN E SBROECK, Jean II, p. 101-107. Les deux textes figurent l’un à la suite de l’autre dans tous les témoins. 160 Remarquant notamment des allusions aux controverses doctrinales du début du V e siècle. 161 On se souvient que les peintures murales et la version slavonne indiquaient une tentative de crucifixion. 162 La présence de Zachée dans l’Invention de la Croix fait partie des éléments qui incitent VAN ESBROECK, Jean II, p. 126, à rapprocher les deux dossiers. 163 Ibid., p. 105, n. 31 : « Pour faire coïncider le 6 surcqnisi avec le 27 décembre, il faut remonter encore jusqu’au milieu du V e siècle. Peut-être la source est-elle le 7 des kalendes de janvier chez Avitus ? » 164 On peut la comparer, sur le plan de sa fonction (introductrice et explicative), à la Première Invention du chef du Baptiste.

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groupe Passion-Invention165. Son contenu ne diffère guère suivant les versions166. Anastase le Bibliothécaire († 897) en a fait une traduction latine167 : après le transfert des reliques d’Étienne à la Sainte-Sion, aux jours de Jean de Jérusalem, le sénateur Alexandre obtint de l’évêque l’autorisation de les déposer dans la maison de prière (oratoriam domum) qu’il venait de faire bâtir dans ce but. C’était sous l’épiscopat de Cyrille de Jérusalem et d’Eusèbe de Constantinople, pendant le dix-huitième consulat de Constantin168 ! Cinq ans plus tard, Alexandre, sur le point de mourir, demanda que l’on déposât son cercueil près du protomartyr, puisqu’il avait érigé la maison (domum) à ses frais. Ainsi fut fait. Huit ans plus tard, sa veuve Juliana, lasse des sollicitations des notables de la ville, voulut retourner à « Byzance », avec le corps de son mari ; l’évêque refusa. Elle écrivit à son père, qui obtint pour elle, le 14 janvier de la troisième indiction, un ordre écrit (sacra) de l’empereur Constantin. Mais Cyrille était incapable de distinguer le cercueil d’Alexandre de celui du saint. Alors, de nuit, Juliana ayant désigné celui qu’elle croyait être le cercueil de son époux, emporta Étienne. Tout au long du chemin, sur terre comme sur mer, se produisirent des miracles, et, lorsque Juliana et ses serviteurs169 débarquèrent à Chalcédoine, toute la ville se porta au devant de la relique. Prévenu par l’évêque Métrophane170, Constantin fit mander Juliana. Alors, la veuve raconta tout, depuis la déposition d’Étienne par l’évêque Jean dans l’oratoire érigé par son époux, jusqu’aux circonstances de la présente translation. Un juif, envoyé avec deux protectores pour déchiffrer l’écriteau rédigé en lettres hébraïques cloué sur le cercueil, confirma ses dires171. L’empereur, plein de joie, ordonna à l’évêque Métrophane de partir en bateau avec le peuple, et de ramener le cercueil au palais, sur un char impérial. Mais les mules, tirées par les anges, s’arrêtèrent à l’endroit dénommé Constantinianus, sans qu’on pût les en arracher172. L’une d’elles, d’une voix BOVON, Stephen, avec renvoi à A BEL, Étienne, col. 1134-1139. Outre Rév. Étienne 3 (BHG 1649), les no BHG 1650 (un extrait publié par BANDURI, Imperium, p. 646-647, d’après le ms. Paris, suppl. gr. 241), 1651 (selon les manuscrits, anonyme ou attribué, tantôt à Nicétas Paphlagon (Xe s. ; LEBRUN, Nicétas, p. 19-20), tantôt à Michel Psellos (10181078) : Trans. Ét.), 1651c (dans le Ménologe impérial A (XIe s.) : L ATYŠEV, Ménologe, II, p. 238-241). Voir encore Syn. Const. (BHG 1651e), col. 861-864 ; Mén. Basile, col. 227. 167 PL 41, col. 817-822. Le récit est résumé par Nicéphore Calliste, H.E., XIV, 9, col. 1084. 168 La datation est fantaisiste : Jean de Jérusalem (387-417) ; Cyrille de Jérusalem (348-387) ; Eusèbe de Constantinople (339-341) et Constantin (306-337) ne sont pas strictement contemporains. Pour la variante « Constantin, fils du grand Constantin » : NAU, Notes, p. 201. 169 Étrangement, le récit passe ici à la première personne du pluriel. Le narrateur se présente donc comme faisant partie de la suite de Juliana. 170 Métrophane (306/307-314) : GRUMEL, Chronologie ; FEDALTO, Hierarchia, I, p. 3. Selon certaines sources, Métrophane aurait été actif jusqu’au concile de Nicée ; il mourut peut-être en 325 ou 327. WORTLEY, Relic-hoard, p. 376, avec renvoi à WINKELMANN, Bischöfe. 171 On trouve un motif similaire dans la Révélation de saint Étienne, comme dans le récit sur l’invention de la Croix par Hélène. 172 L’épisode, bien que courant, semble inspiré d’un passage de la translation du chef du Baptiste à Constantinople, ce qui reporterait la composition de notre texte après 450. 165

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humaine, révéla le prodige. Pris de peur, Métrophane fit prévenir l’empereur, qui envoya douze autres bêtes. Elles restèrent de nouveau immobiles. Enfin, tandis que tous priaient, l’évêque parvint à soulever le cercueil ; il le déposa sur place, cinq mois plus tard, en présence du peuple, dans un oratoire (oratorium) érigé pour l’occasion. Le saint accomplit de nombreuses guérisons et autres merveilles173. Le prêtre Lucien apprit au cours de la révélation que le village de Caphargamala portait le nom du juif Gamaliel, l’ancien propriétaire du domaine174. Le phénomène n’est pas nouveau, et la relique du prophète Zacharie fut découverte vers le même temps au village de Capharzacharia175. Chez les juifs, en effet, la présence d’un tombeau scellant souvent un titre de propriété, il n’y avait rien d’étonnant à découvrir à Caphargamala, dès lors que l’identification semblait admise, la tombe de Gamaliel. Un village voisin, Capharselemias ou Caphar Salamin (Χάφαρ Σαλαμίν), devint, selon le même schéma, le domaine et le lieu de sépulture de Sélémias, fils aîné de Gamaliel et de sa mère Edna : En revanche, mon épouse Edna et mon fils premier-né Sélémias, du fait, continua-t-il, qu’ils n’avaient pas voulu embrasser la foi du Christ, mais nous avaient fait une mauvaise querelle à cause du baptême que nous avions reçu et nous avaient causé mille tracas, ils nous quittèrent et, s’étant retirés dans son village d’origine à elle, ils moururent et y furent enterrés, à Kafar Salamin, le village en question, n’ayant pas été jugés dignes d’être déposés avec nous dans mon tombeau. Quand tu fouilleras le lieu et nous découvriras, tu trouveras inutilisée et vide la tombe préparée pour elle et pour son fils. En fait, c’est bien ce que nous avons trouvé176.

La légende investit les lieux, tandis que les lieux créent l’histoire : il fallait expliquer pourquoi quatre corps dans un tombeau à six places ; il fallait aussi donner une certaine épaisseur au personnage de Gamaliel, un homme riche et puissant. Où se trouvaient les autres membres de la famille ? Sans se demander ici quelle fut la part exacte de chacun dans l’édification de cette légende, tout montre que l’on se plut à entasser les indices. Allaient se multiplier, au fil des révélations, les précisions topographiques : Gamaliel dirigea Lucien vers 173 La compilation contient ici un discours de Métrophane au peuple ; la question des reliques y est simplement effleurée. NAU, Notes, p. 213-214. 174 Rév. Étienne 2, p. 296, l. 61 : τὸ ἐμὸν χωρίον τὸ ἐπ’ ὀνόματί μου κληθέν. A BEL, Caphargamala, p. 236-237 : « Le latin de la lettre du prêtre Lucien explique Caphargamala par Villa Gamalielis. Dans cette hypothèse l’origine du village byzantin […] serait due au démembrement d’une villa juive importante sise sur le territoire d’un bourg voisin et ayant appartenu au sanhédrite Gamaliel ». 175 À moins que le vocable n’ait découlé, en la circonstance, de l’invention, peut-être même sur le modèle de Caphargamala. 176 Rév. Étienne 1, p. 96-97.

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« (le) faubourg qui s’appelle aujourd’hui en langue syriaque Delagabria ou Katalia, ce qui se traduit par domaine des hommes de Dieu, soit des braves177. » Or, ce vocable « paraît avoir égaré les premières investigations178 » : Lucien, qui a remarqué un tertre en plein champ, s’entête à vouloir y pratiquer des fouilles, alors même qu’il reçoit par deux fois la pleine certitude que le tombeau n’est pas là. Il s’agit d’un amas de pierres179 dressé en souvenir du deuil solennel de quarante jours effectué jadis pour le protomartyr : Cependant, nous avons d’abord couru au tertre, et nous avons creusé jusqu’à la troisième heure ; nous avons trouvé une stèle monolithe, écrite en lettres hébraïques. Nous avons mandé un juif qui a lu les inscriptions et nous a dit : « Cette inscription dit ceci. C’est le ‘domaine de la lamentation’ »180.

Le tombeau se trouvait ad Boream181, à 475 (var. 415) coudées du tertre182. Les fouilleurs y découvrirent une autre stèle inscrite : Comme tu m’avais demandé où se trouvait le lieudit Delagabria, je te l’indiquai et tu donnas l’ordre de fouiller l’endroit ; nous y trouvâmes une pierre portant une inscription de cette teneur : Keleliel, Nazoam, Abbibos son fils, en langue hébraïque et en lettres grecques. La traduction de Keleliel est Étienne, celle de Nazoam est Nicodème183.

La boucle était bouclée. Comme le remarque François Nau, « les noms trouvés sur les cercueils et le nom du village ont pu conduire facilement à identifier les corps trouvés avec ceux de saint Étienne, de Nicodème et de Gamaliel, et on comprend qu’il a été facile au prêtre Lucien, quelques années plus tard, de dramatiser cette découverte. […] La traduction de ces inscriptions suffisait donc à elle seule pour affirmer que l’on avait trouvé les corps de saint Étienne et de Nicodème184. » Lorsque Jean emporta les reliques d’Étienne à Jérusalem, le 26 décembre 415, il ne dépouilla pas complètement le lieu de l’invention, Caphargamala, de son trésor, mais y laissa, avec les restes de Nicodème, Gamaliel et Abibos, quelques fragments du protomartyr185. Selon la version syriaque de la Révéla177

Ibid., p. 98-99 ; Rév. Ét. lat., IV, A 16 et B 16, p. 200 ; VII, A 38 et B 38, p. 210. A BEL, Caphargamala, p. 238. 179 Rév. Ét. lat., VI, A 35, p. 208 : acervus minutorum lapidum ; Rév. Étienne 2, p. 303, l. 190-192. 180 Ibid., p. 306, l. 236-239. Cet épisode n’apparaît que dans Rév. Étienne 2 et 3. On peut comparer avec Rév. Ét. lat., VIII, A 42, p. 212 : Nos igitur ivimus ad acervum, et fodientes nihil invenimus. 181 Ibid., VII, A 38, p. 210. Rév. Étienne 2, p. 305, l. 220 : πρὸς βορρᾶν τοῦ χωρίου ; p. 305, l. 227.  182 A BEL, Caphargamala, p. 238-239. 183 Rév. Étienne 1, p. 102-103 ; Rév. Ét. lat., VIII, A 43, p. 212. 184 NAU, Notes, p. 203. 185 Rév. Ét. lat., B, VIII, 48, p. 217 : relinquentes nobis de membris sancti parvos articulos, immo maximas reliquias cum pulvere ubi omnis eius caro absumpta est ; Rév. Étienne 1, p. 104-105 : 178

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tion – notre unique source sur ce point –, l’évêque « promit de bâtir un martyrion où il avait été trouvé et un autre dans la ville où reposeraient les os du saint et du pieux186 », si bien que Lucien aurait immédiatement commencé à collecter des fonds pour son village. On ne sait si l’entreprise fut menée à bien. Caphargamala se trouvait à vingt (vingt-deux) milles de Jérusalem187. Deux sites ont tour à tour été proposés188 : Beit Djimal (Beit-el-Djemâl), dans le district d’Éleuthéropolis, au sud-ouest de Jérusalem, et Jemmala, en Samarie, au nord-ouest de Jérusalem, à environ douze milles à l’est de Diospolis. Le Père Abel a étudié leurs prétentions, et en dépit des arguments avancés par les pères salésiens de Beit Djimal, s’est fait le champion de Jemmala, d’après ces observations : (1) Caphargamala, dont le prêtre se présente lui-même comme presbyter ecclesiae Dei quae est in villa Caphargamala in territorio Hierosolymorum189, est manifestement une paroisse de Jérusalem, non d’Éleuthéropolis. (2) Le village de Caphar Selemia (Selemias était le fils aîné de Gamaliel) se trouvait au nord ouest de Jérusalem, tout comme, voisine de Diospolis, l’Arimathie du juif Joseph, qui inhuma le corps du Christ dans son tombeau190. L’Évangile de Nicodème (ou Actes de Pilate) associait déjà Joseph et Nicodème. Il y avait donc un ensemble de traditions relatives aux origines de l’Église et au rôle qu’y jouèrent des juifs sympathisants convergeant vers une même région de Palestine. (3) Enfin, la proximité de Jemmala avec la ville de Diospolis, là où se tint le synode de 415, achèverait d’emporter l’adhésion. Beit Djimal a bénéficié pour sa part d’arguments archéologiques191, à savoir les restes d’un édifice se présentant comme une basilique de 11,60 sur 8,50 m, à trois nefs délimitées par deux rangées de trois colonnes, précédées d’un double narthex (ou d’un narthex et d’un atrium). Elle était flanquée de salles latérales –  dont peut-être un baptistère  –, et pourvue de quatre salles

ἐάσαντες παρ’ ἡμῖν τὰ μικρὰ αὐτοῦ ἄρθρα μόνον ; Rév. Étienne 2, p. 307, l. 256-257 : ἐάσαντες παρ’ ἡμῖν τὰ μικρὰ λείψανα αὐτοῦ, τὰ ἄρθρα μετὰ τῆς σαρκὸς αὐτοῦ καὶ τοῦ χοός. On ne trouve rien à ce sujet dans le latin A (traduction d’Avitus), mais Avitus lui-même a reçu – secrètement – des reliques de Lucien, et écrit à son évêque : Rév. Ét. lat., 7-8, p. 189 : […] hoc est pulverem carnis atque nervorum et, quod fidelius certiusque credendum est, ossa solida atque manifesta sui sanctitate novis pigmentis vel odoribus pinguiora. 186 NAU, Notes, p. 210, qui considère la version syriaque comme très ancienne et sans doute conforme à l’original de Lucien. 187 Rév. Ét. lat., A, III, 11, p. 196 ; Rév. Étienne 2, p. 297, l. 65-66. 188 A BEL, Caphargamala ; STRUS, Khirbet Fattir-Bet Gemal ; STRUS – GIBSON, Khirbet el-Jiljil. Pour les tenants des deux partis : P UECH, Mausolée, p. 123-124, n. 64. 189 Rév. Ét. lat., A, I, 1, p. 190. 190 TIR, p. 99 (Caphar Salama) ; 67 (Arimathea, Ramathaim, Remphthis). Eusèbe, Onom., p. 144, l. 28-29. 191 Le site a été fouillé au début du XXe siècle. MICHEL, Annexes, I, no 10 : Beit Jimal.

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souterraines – grottes funéraires ? –, avec bains rituels (mikva’ot) et citerne192. Un « autel-reliquaire » (?) à l’extrémité orientale du bas-côté sud (diakonikon ?), a également retenu l’attention des fouilleurs, ainsi que, sur le pavement de mosaïque devant l’entrée du sanctuaire, une inscription de cinq lignes repérables, désormais presque illisible. Le Père Abel, qui restitue à la quatrième ligne le mot ΗΓΟΥΜΕΝΟΥ, suppose qu’elle faisait « mémoire du fondateur de l’église, dont la sépulture se trouvait à proximité193 ». Émile Puech a proposé la restitution suivante194 : [+ | ΚΕIΥΒωΗ]ΘΕ | [CΟΝΛΟΥΚΙΑΝ]ΟΥ | [ΕΥCΕΒΕCΤΑ]ΤΟΥ | [ΠΡΕCΒς ΚΑΙΗΓ] ΟΥΜΕ | [ΝΟΥΜΕΓΕΘΙΟΥΘ]ΕΟ | [CΕΒΕCΤΑΤΟΥ | +] [+ | Κ(ύρι)ε Ἰ(ησο)ῦ βωή]θε | [σον Λουκιάν]ου | [εὐσεβεστά]του | [πρεσβ(υτέρου) καὶ ἡγ]ουμέ | [νου Μεγεθίου θ]εο | [σεβεστάτου] | +] « [+ Seigneur Jésus, pro]tè[ge Lucie]n, [le prêtre t]rès [pieux, et l’hig]oumè[ne très d]év[ot, Mégéthios +] »

Elle a été contestée par Leah Di Segni et Shimon Gibson195. Il en va de même pour sa proposition de lecture d’une seconde inscription, après estampage sur papier mâché. Là où ils ne lisent plus que quelques lettres : ΟΔΙΑΚ _ _ Μ_____ Π_ _ _ +

Émile Puech pense être en mesure de restituer les mots suivants196 : ΤΟΔΙΑΚς[CΤΕ] ΦΑΝΟΥΠ[ΡΟΤΟ] ΜΑΡς + [ ] Τὸ διακ(ονικὸν) [Στε-] φάνου π[ροτο-] μάρ(τυρος) + [ ] « Le diakonikon [d’Éti]enne, p[remier] martyr + »

Il s’agit cette fois d’une inscription sur un élément architectural isolé, sans doute un linteau de porte, retrouvé à Khirbet Jiljil, tout près de Beit Djimal197.

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Pour la construction fréquente en Palestine d’églises byzantines et de monastères au-dessus de grottes, tombes ou bains rituels de l’époque du Second Temple : DI SEGNI – GIBSON, Khirbet el-Jiljil, p. 134. 193 A BEL, Beit el-Djemal, p. 247. 194 P UECH, Mausolée, p. 104. 195 DI SEGNI – GIBSON, Khirbet el-Jiljil, p. 139s. 196 P UECH, Mausolée, p. 109-111. 197 Il mesure actuellement 130 cm de long, 47 cm de large, 58 cm de haut. La tabula ansata contenant l’inscription (en lettres capitales grecques, d’une hauteur moyenne de 10 à 12 cm) est d’une longueur estimée à 70 cm. Le tout est très endommagé, et la partie droite complètement effacée.

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Émile Puech attribue ce linteau à un édifice circulaire (de 13,12 m de diamètre) voisin. Il s’agit d’un pressoir à vin, situé à quelque quarante mètres au nord d’un grand complexe, à destination imprécise. Selon Andrzej Strus, le pressoir aurait pris la place, vers le VIe/VIIe siècle, d’un plus ancien mausolée, datant de la fin du IVe ou du début du Ve siècle, lui-même héritier d’un hypogée d’époque romaine. Pour Émile Puech, « l’abandon du diakonikon du Protomartyr à la fin du Ve siècle à Jiljil semble être la conséquence du Décret gélasien (Gélase, pape de 492 à 496) classant ces légendes d’invention de reliques au rang des livres apocryphes198 ». En repoussant les observations et conclusions d’Émile Puech, Leah Di Segni et Shimon Gibson sont revenus sur l’identification de Beit Djimal avec Caphargamala. Le pressoir, sans doute construit au Ve siècle et abandonné au VIIe siècle, n’aurait, d’après les derniers résultats de fouilles, jamais eu de fonction funéraire ou martyriale antérieure. Par ailleurs, l’absence d’aucun indice dans les inscriptions et le réexamen de la localisation du lieu de l’invention, les ont conduits, après l’élimination définitive de Beit Djimal, à redonner sa chance, quoique sans certitude, à la candidate du Père Abel, Jemmala199. On a longtemps pensé que le protomartyr avait été très vite transféré, après son arrivée à la Sainte-Sion, le 26 décembre 415, dans un sanctuaire de la vallée de Josaphat200. Cette opinion n’a plus cours. Mais que faire en ce cas du martyrion du sénateur Alexandre mentionné dans la Translation ? Certes, le récit est suspect, mais le passage en question mérite attention : Alors sur-le-champ, j’informai l’évêque qui vint pour cette raison avec deux autres évêques : étant arrivés, Jean de Jérusalem, Eutonios de Sébaste et Éleuthérios de Jéricho, les uns et les autres de ces évêques avec tous leurs clercs, enlevèrent les vénérables reliques de saint Étienne, pour les transporter dans le diakonikon de la Sainte-Sion – le sénateur Alexandre s’étant engagé à fonder le martyrion (τὸ μαρτύριον). Le sénateur Alexandre fondant ce martyrion, supplia beaucoup l’évêque Jean d’ 〈y〉 placer la relique de saint Étienne. Alors l’évêque 〈y〉 plaça le cercueil, et après avoir cloué à l’extérieur le titulus, ils déposèrent saint Étienne le protomartyr du Christ avec beaucoup de soin le 14 décembre, la septième indiction, sous le consulat de notre souverain Constantin, la dixième année de son auguste règne. Et cinq ans plus tard, le sénateur Alexandre qui était tombé malade, ayant fait un tesP UECH, Mausolée, p. 123. LECLERCQ, Décret gélasien, col. 744s. Pour le site de Jemmala et la ruine voisine de Kh. Selemya : STRUS – GIBSON, Khirbet el-Jiljil, p. 80 et DI SEGNI – GIBSON, Khirbet el-Jiljil, p. 136. Voir encore TIR, p. 98 ; DAUPHIN, Palestine, III, p. 829-830, 887. 200 NAU, Notes, p. 211. 198

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tament en faveur de l’Église, de sa femme et des pauvres, déclara à Dieu par serment : « Si je meurs, faites-moi un cercueil perséin201 et déposez-moi près du saint protomartyr Étienne, puisque moi j’ai bâti son oratoire (οἶκον) à mes frais »202.

Le martyrion d’Alexandre était-il le diakonikon de la Sainte-Sion ? Le passage, à la vérité fort peu clair, pourrait (en forçant un peu le texte) s’interpréter ainsi, moyennant une équivalence diakonikon-martyrion attestée par ailleurs203. C’est en tout cas ce qu’affirme le géorgien204. Tout paraîtrait alors indiquer le caractère définitif de la déposition. Quoi qu’il en soit, le protomartyr Étienne semble bien avoir quitté Sion quelques années après son arrivée205 ; son sanctuaire principal se situait désormais hors les murs, près de la porte de Néapolis, au nord de Jérusalem206. C’était le lieu présumé de la lapidation207 : on recréait une tradition. Constantinople eut la sienne. Selon la Translation, la veuve d’Alexandre apporta par erreur à Constantinople le corps du protomartyr huit ans après la mort de son époux décédé cinq ans après le transfert du saint à Jérusalem (26 décembre 415), ce qui devrait nous reporter vers l’année 428, si cet étrange récit ne passait soudain de l’épiscopat de Jean de Jérusalem (387-417) à celui de son prédécesseur Cyrille (348-387), puis au règne de Constantin (306-337).

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C’est dans un semblable cercueil que, selon la Passion, Étienne avait été inhumé après la lapidation : Rév. Étienne 3, p. 29, l. 24 ; BHG 1649c : BOVON – BOUVIER, Étienne, p. 328, l. 17-18. 202 Rév. Étienne 3, 9, p. 339, l. 19-21 à p. 340, l. 1-11. 203 La séparation entre l’édifice d’Alexandre et la Sainte-Sion semble toutefois assez nette dans la traduction d’Anastase, PL 41, col. 818-819 : Alexandre bâtit oratoriam domum sancti Stephani et obtient de Jean d’y placer la relique, ou dans BHG 1651c, 4, L ATYŠEV, Ménologe, II, p. 240 : […] ναὸν βάθρων ἐξ αὐτῶν καὶ κρηπίδων οἰκοδομεῖ […] κἀν τούτῳ τὸν ἅγιον πολλὰ τοῦ ἀρχιερέως πρότερον δεηθεὶς μετατίθησιν. 204 Synaxaire géorgien, p. 673. La fête du saint continuera à être célébrée au diakonikon après la déposition à Saint-Étienne en 439 ; dans le Grand Lectionnaire, I, no 42, elle est inscrite au 27 décembre, « au diakonikon de Sion ». On y conservait « la pierre dont fut lapidé saint Étienne » : Breviarius 4, Récits, p. 182-183. P UECH, Mausolée, p. 116, n. 42. 205 Même si la translation des reliques depuis Sion n’est mentionnée nulle part, il n’est plus question, dans les sources, de reliques corporelles du protomartyr dans ce sanctuaire, après la déposition à Saint-Étienne. 206 C’était une basilique à trois nefs. Les reliques d’Étienne furent déposées dans une crypte, sous l’autel (un reliquaire a été retrouvé dans l’abside ; son attribution au protomartyr est incertaine) ; on y plaça aussi le corps de l’impératrice Eudocie, sans doute dans le narthex. MICHEL, Annexes, p. 129-132, pl. 117-118 ; COMTE, Reliquaires, p. 147-148. L’anniversaire de la dédicace de Saint-Étienne se célébrait le 15 juin : Grand Lectionnaire, II, p. 16, no 1031 ; elle devint fête d’invention du protomartyr : Calendrier pal.-géo., p. 252-253 ; MILIK, Notes, p. 566-567. 207 Rév. Ét. lat., A, III, 10, p. 194 ; THÉODOSIUS, De situ, 8, Récits, p. 191 ; Ant. Plac., Itin., 25, 4, Récits, p. 221 ; Ps.-Basile de Séleucie, Sermo 41, col. 470A. L’emplacement – en particulier l’énigmatique « Kédar » de l’Invention – et l’identification du sanctuaire de la lapidation ont suscité de nombreux débats : notamment, VAILHÉ, Saint-Étienne 1 et 2 ; L AGRANGE, Sanctuaire ; P EETERS, Sanctuaire ; Rédaction, Saint-Étienne ; Jérus. Nouv., p. 758-765. Voir le résumé de la controverse dans BOVON, Stephen, p. 313-315. Pour le patronage d’Eudocie : Évagre, H.E., I, 22.

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Or, c’est justement en 428 que, selon Théophane (v. 815), l’évêque Prayle (417422), le successeur de Jean, aurait cédé la main droite d’Étienne à Théodose II et Pulchérie, en contre-don d’une croix précieuse offerte par les souverains pour orner le sommet du Golgotha. L’Augusta aurait alors fait bâtir une église au palais pour l’abriter208. Mais cette notice est isolée et la date avancée de toute évidence erronée. On admet désormais que les premières reliques d’Étienne n’arrivèrent à Constantinople qu’en 438/439. La tradition veut que l’impératrice Eudocie les ait rapportées de Jérusalem ; elles furent déposées à SaintLaurent, par Pulchérie209. On peut toutefois retenir l’indication des Constanti(ni)anae, comme lieu de la déposition. En effet, c’est dans ce quartier qu’un martyrion fut sans doute fondé fin Ve/début VIe siècle par la patricienne Anicia Juliana (la veuve du sénateur Alexandre s’appelle Juliana !) pour déposer les reliques du protomartyr210. La Translation fut peut-être alors composée pour asseoir les prétentions de la capitale à posséder les reliques, affirmant du même coup l’ancienneté de leur acquisition et la possession de l’intégralité du corps. Dorothea Weber, soulignant la manière peu commune dont Jean II, si l’on en croit la Révélation, les réclama au cours d’une vision, s’est toutefois interrogée, sans prendre parti, sur la possibilité d’une arrivée de reliques du protomartyr à Constantinople dès la fin du IV e siècle211. Dans cette optique, le récit de l’invention aurait été forgé au début du Ve siècle pour des raisons de politique ecclésiastique, c’est-à-dire afin d’étayer les revendications de Jérusalem sur les ossements du saint. L’hypothèse est intéressante, mais le contraire demeure plus vraisemblable212. D’ailleurs, s’il est vrai qu’Étienne

208

Théophane, Chron., I, p. 86-87 (AM 5920 [427/428]) ; repris par Kédrénos, Hist. comp., p. 592 et Nicéphore Calliste, H.E., XIV, 9, col. 1084. Marcellinus, Chron., CROKE, p. 17. La basilique Saint-Laurent était située dans les Pulcherianae ; quoique commencée bien avant, elle ne fut achevée que peu de temps avant la mort de Pulchérie (juillet 453). JANIN, Églises, p. 137. On a également allégué une déposition de reliques d’Étienne par Eudocie à Safranbolu, en Paphlagonie : DOUBLET, Inscriptions, p. 294. M ANGO, Inscription, a cependant montré que l’inscription en question n’est pas authentique. 210 PLRE II, p. 635-636 (Anicia Juliana 3) ; JANIN, Églises, p. 490-491. 211 WEBER, Bemerkungen, p. 422, rappelle qu’en 1477, on trouva les os des martyrs Étienne et Laurent à Rome dans le monastère Saint-Laurent-hors-les-murs, et que, à part des traces de lapidation et l’absence d’un bras, le squelette du premier était intact (Act. Sanct. Aug., II, p. 496, no 56 (10 août) ; De recognitione) ; elle en conclut que, puisqu’il n’existe aucun autre récit de translation, le corps fut peut-être effectivement transporté à Constantinople au IV e siècle, et emporté bien plus tard à Rome, devant la menace turque. 212 En revanche, il se peut qu’un projet de transfert dès 415 ou 416 à Constantinople ait échoué : infra, p. 343. On peut à ce propos supposer un lien entre Alexandre, le sénateur de la Translation et Aurélien, le fondateur d’une des plus anciennes églises Saint-Étienne de la capitale. Quoi qu’il en soit, il ne devait s’agir que d’une translation partielle. 209

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PREMIÈRE PARTIE

posséda assez tôt plusieurs églises dans la Ville impériale, aucune ne paraît remonter aussi haut que le IVe siècle213. En 415, le culte du protomartyr était déjà bien établi à Jérusalem, comme partout ailleurs. Or, c’est précisément un 26  décembre, jour anniversaire d’Étienne, que Jean procéda au transfert de la relique, du tombeau de Caphargamala en l’église de la Sainte-Sion214. Ce n’est que plus tard, après sa translation à Saint-Étienne-hors-les-murs (439), que la Ville sainte se mit à célébrer l’invention, le 15 juin, jour de dédicace du sanctuaire (elle eut lieu seulement en 460). La synaxe du 26 décembre (bientôt reculée au 27, après l’introduction de la Nativité au 25 décembre) à Sion conserva toutefois son objet, demeurant une fête de la mémoire du protomartyr. À Constantinople, on se mit à célébrer l’arrivée de la relique dans la Ville impériale le 2 août, et, de même que la Révélation servait de texte introducteur à la Translation215, le 2 août devint aussi une fête de l’invention216. Repères chronologiques 26 déc. 415

415/416  15 mai 439 439 15 juin 460 20 oct. 460

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Invention à Caphargamala et translation à Jérusalem ; déposition dans le diakonikon de la Sainte-Sion ; composition du récit d’invention par le prêtre Lucien Fondation de Saint-Étienne, à Constantinople, par Aurélien Déposition des reliques à Saint-Étienne, hors les murs de Jérusalem Translation à Constantinople et déposition à Saint-Laurent Dédicace de Saint-Étienne de Jérusalem Mort d’Eudocie, fondatrice du sanctuaire ; son inhumation dans le narthex

Parmi les toutes premières, une fondée par Sisinnios, évêque des novatiens à Constantinople (426-427) : Sozomène, H.E., VIII, 4, 2, p. 381 (GCS) ; une autre par Aurélien, consul en 400 : Théodore le Lecteur, H.E., fr. 52a, p. 132, l. 10-11. Sur les églises Saint-Étienne à Constantinople (environ dix sanctuaires connus) : JANIN, Églises, p. 472-478. 214 L’indication n’est donnée que par la traduction d’Avitus : Rév. Ét. lat., A, VIII, 48, p. 214 : VII° kalendas Ianuarias, mais on peut le croire puisque la dernière vision eut lieu le 17 décembre, et que le 26 décembre était déjà jour de la mémoire d’Étienne à la fin du IV e siècle (Éloge du protomartyr par Grégoire de Nysse ; Homélie 12 d’Astérius d’Amasée). Le Breviarium syriaque de la British Library (Add. 12150), copié à Édesse en 411, mais « dont l’original grec fut composé aux environs de l’année 362 » (R ENOUX, Codex, I, p. 176) mentionne la fête d’Étienne le 26 décembre « à Jérusalem ». WRIGHT, Martyrology. 215 Les deux récits tendaient à ne faire plus qu’un, quoique circulant toujours à l’état indépendant. On ne lisait d’ailleurs parfois, ce jour-là, que la seule Révélation. 216 On peut comparer avec les deux (premières) inventions du chef du Baptiste, fêtées ensemble. La Dédicace de la Sainte-Sion au 14 (15, 16) septembre est également devenue fête de l’invention du protomartyr dans les synaxaires grecs.

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fin Ve/déb. VIe s. 

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Translation à Constantinople et déposition aux Constanti(ni) anae ; institution de la fête du 2  août  et composition de la Translatio (?)

4. Corneille La Vie ancienne de saint Corneille est aujourd’hui perdue217, mais son contenu reste accessible au travers d’un abrégé (BHG 370z)218 et d’une métaphrase par Syméon (BHG 371)219. On y apprend comment l’on découvrit son sépulcre à Skepsis, en Hellespont 220 : après sa conversion et son baptême, Corneille avait reçu mission d’évangéliser cette ville. Il baptisa le gouverneur Dèmètrios, sa famille, le prêtre de Zeus Eunomios, et nombre d’habitants, puis, étant mort en paix, il fut déposé dans le tombeau que le gouverneur avait jadis apprêté pour sa femme et son fils, lorsqu’ils étaient restés prisonniers sous les décombres d’un temple de Zeus. Corneille l’avait fait s’écrouler par sa seule prière ; il les en fit sortir sains et saufs de la même façon. Le temps passa. Des miracles se produisaient au tombeau, mais les habitants les attribuaient à la ronce qui le dissimulait. Un jour, Corneille apparut en songe à Silvain, l’évêque de Troas, et de nouveau la nuit suivante. Il lui indiqua sa tombe près du temple de Zeus et lui ordonna la construction d’une « autre maison de prière » au Pandocheion, près du « lieu de Dèmètrios ». Silvain découvrit le tombeau sous la ronce. Quant au saint, il apparut à un certain Eugénios, qu’il chargea de construire son église, lui en imposant la forme et les dimensions. Au jour de la déposition, la châsse se rendit d’elle-même dans le sanctuaire. Devant un tel miracle, les derniers païens se convertirent. Plus tard, Silvain mourut : Athanase devint évêque de Troas, et Philostorgios évêque de Skepsis. Ce dernier fit décorer l’église. Le peintre représenta le saint d’après nature, car Corneille lui était miraculeusement apparu. L’événement aurait donc eu lieu du temps de l’évêque Silvain de Troas, actif dans le premier tiers du Ve siècle221. Il est encore question, dans la Vie, de l’évêque Philostorgios de Skepsis, connu pour sa participation au concile de 217 Albert Ehrhard avait cru la découvrir dans un manuscrit athonite du XIIe siècle ; il ne s’agissait en réalité que d’une version du texte métaphrastique écourté en son début. Cf. H ALKIN, Passion. 218 H ALKIN, Corneille. Le texte peut se lire dans un ménologe prémétaphrastique du mois de juin, le codex no 8 de la bibliothèque athonite de Philothéou (XIe ou XIIe s.). 219 Vie Corn. 2. C’est improprement que la Vie y est appelée Passion. 220 BÜRCHNER, Skapsis ; R AMSEY, Asia Minor, p. 153s., sp. p. 161. 221 Socrate (v. 439), H.E., VII, 37, p. 386-387 ; p. 132-137 (SC), lui a consacré une notice assez longue. Cf. Cassiodore, Histoire tripartite, XII, 8, 18, p. 675 ; Michel le Syrien, Chron., II, VIII, V, p. 23B-24B ; DARROUZÈS, Traité, 13, p. 173 ; Nicéphore Calliste, H.E., XIV, 39, col. 1192B-C. MYSTAKIDÈS, Kατάλογοι, p. 221 ; GRUMEL, Regestes, p. 35-36.

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PREMIÈRE PARTIE

Chalcédoine en 451. Plusieurs indices donnent à penser que ce dernier œuvra au développement du culte de Corneille et commandita la rédaction de sa Vie222. Il ordonna en tout cas la création du portrait du saint pour Saint-Corneille. L’église devait se trouver non loin du lieu de l’invention, puisque la châsse aurait parcouru seule le trajet qui les séparait223. Directement inspirés par la Vie ancienne, les synaxaires byzantins, composés au tournant des IXe-Xe siècles, célèbrent la mémoire de Corneille, évangélisateur de Skepsis, le 20 octobre et le 13 septembre, parfois le 11224. Quoique moins détaillé, le récit BHG 370z possède un épisode supplémentaire : la translation de la main droite du saint à Césarée de Palestine. Pamphile (inconnu par ailleurs), l’évêque de Césarée, « où l’on vénère la maison de saint Corneille », envoya, longtemps après l’invention de Skepsis, son apocrisiaire, le diacre Julien, à Constantinople ; il avait pour mission de s’enquérir de la ville où reposait la relique et d’en obtenir une parcelle pour la déposer dans cette maison. Un certain Jean, diacre de Mytilène, conduisit Julien auprès de l’évêque de Skepsis. Ce dernier, malgré l’ordre de Corneille (il était apparu à plusieurs reprises) d’attendre l’arrivée prochaine du patriarche (de Constantinople) – il devait venir officier dans une grande synaxe – finit par se laisser fléchir, et procéda à la fragmentation. Julien reçut donc de l’évêque de Skepsis la main droite de Corneille. Selon le Père Halkin, ce récit fut écrit à Césarée pour commémorer l’événement ; ceci expliquerait la date anniversaire (9 juin) inconnue par ailleurs. Les Actes des Apôtres (Ac 10, 1-11, 18) ont transmis la mémoire de Corneille, centurion romain de Césarée de Palestine, qui, le premier d’entre les païens, reçut le baptême de Pierre225. Mais rien ne semble avoir rattaché ce personnage 222 Un anachronisme dans la Vie en reporte toutefois la rédaction au plus tôt en 438 : il y est fait mention du Trisagion, lequel, selon la légende, fut miraculeusement révélé à Proclos de Constantinople (434-446), lors du tremblement de terre du 25 septembre 438 (?). CROKE, Earthquakes, p. 127-130. Sa première attestation remonte au concile de Chalcédoine : ACO, II, 1, 1, p. 195. TAFT, Trisagion. 223 Il faut sans doute attribuer au sanctuaire une inscription du IXe ou Xe siècle, commémorant la restauration d’une église Saint-Corneille par Anthime, évêque de Skamandros (L AURENT, Sceaux, p. 259-260, no 364). Il se peut que le siège épiscopal de Skepsis ait pris le nom de Skamandros sous le règne de Jean Tzimiskès (969-976), à moins que ce titre ne lui fût confisqué au profit de Skamandros. GRÉGOIRE, Inscriptions, p. 3, no 1 ; H ALKIN, Inscriptions (1953), p. 75 ; JANIN, Grands centres, p. 205 : « Hagios Kornélios fait son apparition au Xe siècle dans la Notitia de Léon et les Nova Tactica. Les noms de Skepsis et de Skamandros ne furent pas enregistrés dans les listes officielles. » Voir Synekdèmos d’Hiéroklès, p. 23. 224 20 octobre : Syn. Const., col. 151 ; Mén. Basile, col. 117. 13 septembre : Syn. Const., col. 33. H ALKIN, Corneille, p. 252, n. 7 : « la commémoration du gouverneur Démétrius, de sa femme Évanthia et de leur fils Démétrianus, tous convertis par saint Corneille, se rencontre aussi le 11 et le 12 septembre. Dans les légendiers prémétaphrastiques, comme dans le ménologe de Syméon Métaphraste, la Vie de Corneille est toujours inscrite au 13 septembre. » 225 GARCIA DE ORBISO, Cornelio.

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à la ville micrasiatique de Skepsis avant qu’on n’y découvrît son tombeau, peut-être dans le premier tiers du Ve siècle. Contrairement à Skepsis, Césarée pouvait se prévaloir du récit biblique226 : dès 333, le pèlerin de Bordeaux y signalait la présence d’un balneum de Corneille227 ; Jérôme, un peu plus tard, sa maison transformée en église228. La mention du tombeau de Corneille à Césarée, à partir du VIe siècle229, s’explique probablement par la déposition du fragment de la relique de Skepsis dans cette église. La Vie brève BHG 370z témoigne pourtant tout à la fois de ce qu’on s’y accommoda de la tradition de Skepsis – Césarée reçut d’un même coup une relique ainsi qu’une copie du portrait et de la Vie du saint230 –, et de l’autorité que pouvait revêtir une tradition née d’une invention miraculeuse. La Vie de saint Corneille est étonnante à plusieurs égards, à commencer par l’extraordinaire longévité du prêtre de Zeus Eunomios, présent depuis l’évangélisation de Skepsis par Corneille jusqu’à la découverte de sa relique231. En investissant l’espace physique, la légende de Corneille fonde son espace temps et se fait histoire : le saint fut exhumé à proximité immédiate d’un temple de Zeus en ruines, celui-là même que le centurion apôtre avait abattu. Le tombeau était celui de Dèmètrios, gouverneur de Skepsis, nouveau Gamaliel, nouveau Joseph d’Arimathie. Or, Saint-Corneille semble avoir été érigé dans un cimetière (chrétien), le Pandocheion, « près du τόπος de Dèmètrios, le serviteur de Dieu ». Quoi qu’il en soit de l’origine de ce vocable, Dèmètrios allait incarner le gouverneur converti et baptisé par Corneille, le centurion des Écritures, et l’on célébrerait sa mémoire comme tel. Aux abords du temple de Zeus se trouvait une ronce aux vertus magiques, rendez-vous des malades en quête de guérison… et des derniers païens. Continuait-on à y vénérer le dieu en dépit de la ruine de son sanctuaire ? Ce dernier avait-il été victime de l’usure du temps, d’une mesure autoritaire, d’une progressive désaffection ou d’une attaque organisée ? Peu importe. Devant tous, païens et chrétiens réunis, le mystère était soudain levé : la puissance thaumaturgique de ce lieu n’était due qu’au seul Corneille, le premier païen converti. Cette révélation devait avoir,

Selon les Constitutions apostoliques (fin IV e s.), Corneille devint évêque de Césarée. H ALKIN, Corneille, p. 251, précise que l’on retrouve la même tradition dans « les martyrologes latins depuis Adon de Vienne (IXe s.) jusqu’à Baronius (Martyrologe romain, p. 46 : notice du 2 février) ». 227 It. Burd., 585, Récits, p. 28. Voir M ARAVAL, Lieux saints, p. 300. 228 Jérôme, Ep. 108, 8. 229 Selon le pèlerin Théodosius (ap. 518), Corneille y fut même martyrisé : Théodosius, De situ, 4. Ant. Plac. (v. 570), Itin., 46, 4, y voit encore le lit du centurion. 230 D’autant qu’elle reçut la relique d’une manière tout aussi miraculeuse que Skepis, et à la suite de plusieurs apparitions ; il s’agit pour ainsi dire d’une nouvelle invention. 231 Par ailleurs, le notable, qui finance l’église, s’appelle Eugénios, et un peintre à la langue audacieuse, Encratios ! 226

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PREMIÈRE PARTIE

semble-t-il, l’effet de la découverte du signe de la croix dans les soubassements du Serapeum d’Alexandrie : les derniers païens se convertirent. L’intervention énergique, l’autorité de l’évêque, nouveau Cyrille d’Alexandrie, auraient ainsi permis de parfaire la christianisation des lieux ; pas plus que le démon d’Isis, le numen de Skepsis, quel qu’il fût, ne pouvait résister à l’installation à demeure d’un saint chrétien. Repères chronologiques 409/425 Installation de Silvain sur le siège épiscopal de Troas 409/431 (?) Invention de Corneille à Skepsis ; érection de Saint-Corneille et établissement d’un siège épiscopal à Skepis (?) 431/439 (?) Mort de Silvain ; transfert d’Athanase de Skepsis à Troas et accession de Philostorgios au siège de Skepsis (?) v. 451 (?) Embellissement du sanctuaire, création du portrait archétypal du saint et composition de la Vie de Corneille (?)

5. Barnabé On trouve, pour la première fois, mention de l’invention de l’apôtre Barnabé dans une lettre de Sévère d’Antioche à Thomas, évêque de Germanicia232, datée de 519/538 : alors qu’il se trouvait à Constantinople, sous le patriarcat de Makédonios II (495-511), Sévère eut l’occasion de voir au palais impérial un évangile selon Matthieu ; l’objet était des plus vénérables, car, disait-on, il avait été découvert avec la relique de Barnabé dans une ville chypriote, sous le règne de l’empereur Zénon (474-475, 476-491). Théodore le Lecteur (v. 530) évoque à son tour l’événement dans son Histoire ecclésiastique, avec certains détails : la relique se trouvait sous un cerisier ; l’évangile selon Matthieu, écrit de la main même de Barnabé, reposait sur la poitrine du saint ; les Chypriotes obtinrent à cette occasion l’autocéphalie de leur métropole, soustraite de ce fait à l’autorité d’Antioche ; enfin, Zénon déposa l’évangile dans la chapelle Saint-Étienne du palais impérial de Constantinople233. La Chronique de Victor de Tunnuna († 566) consigne l’invention à l’année 488. S’il ne dit mot ni de l’arbre ni des implications de l’incident, on y apprend en revanche que le saint s’était lui-même manifesté234. Théodore fut par ailleurs reproduit, avec plus ou moins d’exactitude, par plusieurs historiens tardifs, au nombre desquels Kédrénos, qui ajoute ce détail assez étonnant : l’Église chypriote passa sous la 232 Lettre 108, PO 14, p. 264-272, ici p. 266. Cf. H ACKETT, Cyprus, p. 25 ; STIERNON, Germanicia, col. 943 : auj. Kahramanmaraş, ancien évêché de la province d’Euphratésie dépendant d’Hiérapolis (patriarcat d’Antioche) ; Thomas : ibid., col. 945. 233 Théodore le Lecteur, Epitome 436, p. 121, l. 19-23. 234 Victor de Tunnuna, Chronique, PL 68, col. 947 ; p. 191, 4-5 (MGH) ; p. 19 (CCL).

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tutelle du siège constantinopolitain235. Et le même historien de situer l’invention la quatrième année du règne de Zénon l’Isaurien, soit en 478, un témoignage qu’il faut, semble-t-il, écarter, puisque Pierre le Foulon, dont on connaît l’implication dans cette affaire, ne paraît pas avoir occupé à ce moment-là le trône antiochien. La chronologie de Baronius, qui faisait mourir Pierre en 486, avait amené John Hackett à rejeter la date de 488236, mais la série des épiscopats de Pierre qui prévaut actuellement est la suivante : 470-471 ; 475-477 ; 485489, et l’on s’accorde à reconnaître comme probable la date avancée par Victor de Tunnuna237. Il faut attendre le milieu du VIe siècle pour trouver un récit détaillé de l’invention de Barnabé survenue un demi-siècle auparavant. L’Éloge de l’apôtre (BHG 226) fut composé par Alexandre, moine de Saint-Barnabé, monastère chypriote proche de Salamine238. Alexandre, à la demande du « prêtre et gardien de la vénérable église » Saint-Barnabé, raconte en détail la vie, le martyre239, puis l’invention de la relique de l’apôtre. Cette dernière partie peut se résumer ainsi : L’empereur Léon Ier (457-474) avait un gendre, un certain Zénon, de race isaurienne – lequel était d’ailleurs appelé à lui succéder. Or, en ce temps-là, un moine, « homme diabolique », qui portait le nom de Pierre et exerçait le métier de foulon, fut chassé du monastère des Acémètes. Cet homme avait rejeté le concile de Chalcédoine et tentait d’imposer les doctrines d’Eutychès. Il parvint à s’insinuer dans les bonnes grâces de Zénon, alors patrice et comte des excubiteurs, si bien que lorsque Zénon monta sur le trône, il obtint de lui, grâce à l’intrigue, le trône antiochien. Aussitôt, il anathématisa le concile de Chalcédoine et imagina de conclure le chant du Trisagion par ces mots : « celui qui a été crucifié pour nous ». Tous les évêques de l’Empire et les Pères s’élevèrent « contre sa doctrine perverse », et l’anathématisèrent. Puis, Zénon ayant été chassé du trône par Basiliskos, le Foulon prit la fuite. Mais lorsque Zénon revint au pouvoir, il rétablit Pierre sur le siège antiochien, sans même lever les anathématismes qui pesaient sur lui, et fit exiler le patriarche Calandion. Kédrénos, Hist. Comp., I, p. 618-619, qui précise pour la déposition : ἐν τῷ ναῷ τοῦ ἁγίου Στεφάνου ἐν τῇ Δάφνῃ. Voir encore, par ex., Joël, Chron., col. 264C. 236 H ACKETT, Cyprus, p. 25. 237 Les indications chronologiques d’Alexandre (Éloge Barn.), c’est-à-dire sous le règne de Zénon (474/475 et 476/491) et l’épiscopat de Pierre le Foulon, ne s’opposent pas à la chronologie des historiens ; si elles ne confirment pas, elles n’infirment pas non plus la date de 488 avancée par Victor de Tunnuna. Nicéphore Calliste (H.E., XVI, 37, col. 200C) place l’invention sous le règne d’Anastase (491-518). Voir encore la Souda, 2, p. 733, 19-21 (s.v. Θύϊνα). 238 Éloge Barn. (BHG 226). L’édition de Peter VAN DEUN a été établie sur la base de 23 manuscrits (collections hagiographiques non-ménologiques pour la plupart), le plus ancien datant du Xe siècle. 239 Il mourut en 61, sous l’empereur Néron (54-68). 235

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PREMIÈRE PARTIE

Pierre, qui avait acheté la bienveillance du souverain et de ses proches, usa de la plus odieuse tyrannie envers ceux qui lui refusaient la communion, confisquant les biens des uns, bannissant les autres. Pire, il s’attaqua encore aux provinces qui ne lui étaient pas soumises. C’est ainsi qu’il s’en prit aux Chypriotes orthodoxes, entreprenant d’assujettir une Église pourtant « dès l’origine et depuis toujours » libre et apostolique. Le Foulon, qui n’ignorait pas le jugement qu’avaient rendu à ce sujet les Pères réunis en concile à Éphèse, trompa Zénon en lui faisant accroire que la parole de Dieu avait été prêchée sur l’île depuis Antioche. C’est pour cela, disait-il, que l’Église chypriote devait être subordonnée au siège antiochien, apostolique et patriarcal. L’évêque de Salamine, Anthémios, fut donc sommé de venir plaider sa cause à Constantinople devant le « patriarche œcuménique ». L’homme était admirable et d’une orthodoxie irréprochable, mais peu disert, il redoutait les intrigues de son adversaire. Or, une nuit, il vit lui apparaître en songe un homme dont la mine comme la tournure indiquaient le caractère divin, qui le rassura, et lui promit le succès de sa mission. Au réveil, l’évêque demanda à Dieu de renouveler pour lui cette vision une deuxième, puis une troisième fois, et, dans le plus grand secret, se prépara à la recevoir. La nuit suivante, lui apparut le même homme, porteur du même message ; même chose la nuit d’après. Anthémios put enfin questionner son visiteur sur son identité. L’homme la lui déclina sans ambages : il s’agissait de Barnabé, disciple du Seigneur et compagnon de Paul. Il fit même mieux : Anthémios voulait-il une preuve, « un signe » ? Qu’il sorte de la ville, en direction de l’Ouest, à cinq stades jusqu’au lieu-dit « La Santé » où, par son entremise, Dieu procurait aux hommes ses bienfaits, et qu’il creuse auprès d’un caroubier240. Alors, il trouverait une grotte, dans la grotte un cercueil, et dans le cercueil, le corps entier de l’apôtre ainsi qu’un Évangile écrit de sa propre main – cet Évangile, disait-il, il l’avait reçu de l’apôtre et évangéliste Matthieu. Puis il conclut avant de disparaître : « Et lorsque tes adversaires utiliseront comme argument le fait que le trône d’Antioche est apostolique, toi aussi, utilise ce même argument contre eux : mon trône est également apostolique et je possède un apôtre dans ma patrie ». Anthémios rassembla son clergé et se rendit solennellement, escorté par tout le peuple des chrétiens, au lieu indiqué. On avait apporté les instruments nécessaires à la fouille dont l’évêque donna le signal de départ. Ce fut d’abord

240 L’arbre marquant le lieu supposé de la sépulture est un élément que l’on retrouve chez les historiens : Kédrénos, Joël et Théodore le Lecteur rapportent que l’arbre, qui avait poussé au lieu de la sépulture était un cerisier, tandis que Nicéphore Calliste le désigne comme un caroubier.

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une grotte, comblée par des pierres qu’on fit rouler, puis, le cercueil, dont on ôta le couvercle, enfin, la relique, qui exhalait « des parfums de grâce spirituelle » et portait, sur sa poitrine, un évangile. Anthémios fit sceller la châsse et se retira, non sans avoir posté en ces lieux des hommes de grande piété chargés de glorifier Dieu soir et matin. Alors, il gagna Constantinople et se présenta à l’épiskopéion. Quelques-uns de ses collègues l’accompagnaient. Sur ordre de l’empereur, les deux parties durent exposer leur cause devant le patriarche et le synode permanent241. D’abord, le plaignant antiochien n’eut pas de peine à convaincre l’assistance : puisque le trône d’Antioche était patriarcal et apostolique, il fallait que les autres provinces lui soient soumises. Mais le Chypriote rétorqua : « Mais mon trône aussi, très chers, leur dit-il, est apostolique depuis l’origine et depuis toujours, doté de liberté, et j’ai dans ma patrie le corps entier d’un apôtre – il s’agit du trois fois heureux Barnabé de sainte renommée ». Il n’y avait plus aucune matière à contestation. L’empereur, qui exultait, voulut connaître l’affaire par le menu. Il chassa l’évêque d’Antioche de sa vue, avec ordre formel de ne plus tourmenter à ce sujet l’évêque de Chypre, et obtint de ce dernier l’Évangile qui avait été découvert sur la relique. La translation à Constantinople de ce petit livre en bois de citrus fut accomplie conjointement par l’un des évêques chypriotes présents dans la capitale et un homme de l’empereur, à la piété éprouvée. L’empereur le revêtit d’ornements en or et le déposa dans une chapelle du palais ; depuis lors, on y fait, à Pâques, les lectures du Jeudi saint. Puis, quand il l’eut comblé d’égards, le souverain prit congé d’Anthémios. Ce dernier repartait avec beaucoup d’argent : il devait élever une église en l’honneur de l’apôtre, là où sa relique avait été découverte. Nombreux aussi furent les dignitaires qui apportèrent une contribution financière. Anthémios ne fut pas plutôt rentré dans sa patrie qu’il ouvrit un gigantesque chantier. Il fit construire une église aux vastes dimensions, en soigna l’agencement. Au sud de l’église, se trouvait une grande cour munie d’un quadruple portique et flanquée de petites habitations destinées aux moines desservants. Il fit tant, se préoccupant de l’alimentation en eau de ce site ou bien encore ménageant de nombreux logements pour les pèlerins, que l’on croyait voir une petite ville, de très grande beauté. Il déposa la sainte châsse de l’apôtre dans l’église, à droite du thusiastèrion. L’endroit était orné d’argent et de marbre. Une fête annuelle fut instituée en l’honneur de Barnabé, le 11 juin.

241

Sur le synode permanent (Synodos endèmousa) de Constantinople : PAPADAKIS, Synodos.

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PREMIÈRE PARTIE

Les commentateurs ont longtemps hésité sur l’époque à laquelle il convenait de situer Alexandre et des hypothèses aussi diverses que la fin du Ve ou le IXe/Xe siècle ont été avancées242. Aujourd’hui, on s’accorde à l’identifier comme l’auteur d’un récit sur l’invention de la Croix, sans doute composé entre 543 et 553243. L’analyse de l’Éloge de saint Barnabé par Peter van Deun vient appuyer cette datation : il faut sans doute l’attribuer à « la seconde moitié avancée du VIe siècle », mais point trop tard puisqu’il eut le temps d’inspirer la notice que Victor de Tunnuna consacre à l’événement dans sa Chronique244. La description fidèle et détaillée de l’église et des bâtiments conventuels annexes par Alexandre montre que l’auteur connaissait bien les lieux. Elle est confirmée par l’archéologie245. Les Actes des Apôtres nous font connaître l’origine chypriote du lévite Joseph, dit Barnabé, qui accomplit deux voyages missionnaires dans son île natale, le premier en compagnie de Paul et de son cousin Jean, dit Marc, l’autre seulement avec le dernier246. Mais alors que les auteurs des premiers siècles chrétiens ne s’écartaient guère des données scripturaires, on vit soudain se développer, vers la fin du Ve siècle, la légende de l’apôtre évangélisateur de Chypre247. Un document hagiographique (BHG 225), dont l’auteur se présente comme Jean Marc, le compagnon de Paul et Barnabé des Actes des Apôtres, retrace l’activité missionnaire de Barnabé à Chypre248 : Jean, le serviteur d’un certain Voir leur examen par SALAVILLE, Alexandre, qui opte pour le VIe siècle. Alexandre le Moine, De inventione. Pour la démonstration de Michel van Esbroeck fondée sur l’analyse de deux anathèmes lancés contre Origène : VAN ESBROECK, Alexandre, p. 106-111 et Homéliaires, p. 271-272. Sur des réticences signalées par Peter van Deun : K AZHDAN, Constantin, p. 199-200. 244 Voir l’ensemble de la démonstration de Peter van Deun (Hag. Cypria, p. 62-76), d’après les témoignages antérieurs (Sévère d’Antioche, Théodore le Lecteur, Act. Barn.), les personnages historiques évoqués, les sources du texte et l’utilisation du titre de patriarche œcuménique à propos d’Acace de Constantinople, tous éléments propres à confirmer la datation proposée. Alexandre a été utilisé à diverses reprises, en particulier : (1) Les Περίοδοι καὶ μαρτύριον τῶν ἁγίων ἀποστόλων Βαρθολομαίου καὶ Βαρνάβα (BHG 2057), édités à la suite de la Laudatio, p. 125-135 ; (2) Les notices des synaxaires et ménologes ; (3) Le mémoire (ὑπόμνημα) BHG 226e, attribué au XIe siècle : VAN DEUN, Barnabé. 245  MURRAY – SMITH – WALTER, Cyprus, p. 3 ; SOTIRIOU, Βαρνάβα ; MEGAW, Cyprus, p. 77-79 ; PALLAS, Monuments, p. 297-298, no 167D ; CHAVANE – YON – C AZEAUX, Salamine, p. 17-20. DELVOYE, Salamine ; Egeria, p. 66-67. M ARAVAL, Lieux saints, p. 358-359, n. 228 : « Le sanctuaire de SaintBarnabé existe toujours : les fouilles modernes ont montré qu’avaient été incorporées à l’église actuelle des parties de la basilique élevée sous Zénon, basilique à trois nefs et deux absides ; le toit en charpente fut remplacé par une voûte après les invasions arabes. » Le patriarche d’Alexandrie Jean l’Aumônier visita le sanctuaire : Vie Jean l’Aum. (BHG 887v), p. 25. 246 Ac 4, 36-37 ; 9, 27 ; 11, 22-26, 30 ; 12, 12, 25 ; 13, 1-13 ; 14, 11-15 ; 15, 1-3, 30-40 ; voir encore 1 Co 9 ; Ga 2, 1, 13 ; Col 4, 10 ; 2 Tm 4, 11 ; Phm 24 ; 1 P 5, 13. 247 Pour les sources anciennes, notamment : Clément d’Alexandrie, Stromates, II, XX, 116, 3 ; V, X, 63 ; Eusèbe, H.E., I, XII, 1 ; II, I, 4 ; II, III, 3-4, etc. DUCHESNE, Barnabé ; DELEHAYE, Chypre, p. 235. 248 Act. Barn. 242 243

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Cyrille, archiprêtre de Zeus, reçut le baptême à Iconium des mains des apôtres Paul, Barnabé et Silas, s’attacha aux deux premiers et eut un songe : son nom serait changé en Marc et grande sa renommée. Les trois compagnons partirent pour l’île de Chypre, mais Jean, s’étant attardé deux mois durant à Pergè de Pamphylie, s’attira la colère de Paul. Paul regagna seul Jérusalem. Suit alors le récit, étape par étape, du voyage maritime qui mène Barnabé et Jean Marc de Laodicée jusqu’à Chypre, où l’apôtre commença son œuvre de conversion. À Chypre, les deux compagnons parcoururent l’île de part en part : Krommuatikè, Lapithos, Lampadistos, la montagne Chionôdes, Paphos, Kourios, Amathonte, Kitieis, Salamine et les Îles. Barnabé prêchait, convertissait et opérait des miracles, grâce à un évangile de Matthieu. Souvent, il se heurtait à l’hostilité des juifs, excités par un certain Bar Jésus. Certaines personnalités se détachent : les hiérodules Timon et Ariston, ainsi qu’Héracleios de Tamasos dont Barnabé avait déjà fait la connaissance à Kitios avec Paul. Barnabé le baptisa et l’ordonna évêque de Chypre, sous le nom d’Héraclide. Ce sont encore Rhodon et Aristiclianos, un lépreux purifié à Antioche et ordonné évêque par Paul et Barnabé. À Salamine, Bar Jésus et ses affidés firent périr l’apôtre dans l’hippodrome, sortirent de la ville pour brûler son corps sur un bûcher, puis, ayant enveloppé dans un linge et enfermé ses cendres dans une urne de plomb, ils résolurent de les jeter à la mer. Mais Jean Marc parvint à s’en emparer à la faveur de la nuit et, avec l’aide de Timon et Rhodon, les déposa, avec l’évangile de Matthieu, dans une cachette ménagée dans une caverne jadis habitée par des Jébuséens, avant de trouver à s’embarquer sur un navire égyptien en partance pour Alexandrie. Jean Marc y demeura pour porter la parole divine et baptiser. Ce texte pose un certain nombre de questions, auxquelles il est très difficile de répondre. Il semble admis que l’auteur était chypriote eu égard aux connaissances qu’il possède sur ce pays. Il est de même aisé de poser le milieu du VIe siècle comme terminus ante quem, puisqu’il est démontré que le moine Alexandre a connu ce texte. Le concile d’Éphèse (431) pourrait fournir un terminus post quem : la légende de Barnabé y est manifestement encore ignorée249. Mais la question reste de savoir si cet écrit est antérieur ou postérieur à l’invention. S’il eût été intéressant de pouvoir montrer que la tradition de l’apostolat et du martyre du saint à Chypre (les Actes apocryphes la formulent pour la première fois), sous une forme déjà élaborée, précède l’invention, il semble impossible de trancher ce débat, en l’état actuel des choses250.

249 250

ACO, I, 1, 7, p. 118-122 ; voir LIPSIUS, Apostelgeschichten, p. 297. MORINI, Apostolicità, p. 32. Pour une proposition de datation : STAROWIEYSKI, Barnabé.

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PREMIÈRE PARTIE

Il existe un autre récit hagiographique se rapportant à la pénétration de la foi chrétienne à Chypre. Les Actes de saint Héraclide (BHG 743), qui relatent les pérégrinations du héros éponyme sur l’île, peuvent se lire dans deux recensions, l’une grecque251, l’autre arménienne252, qui, bien qu’apparentées, présentent entre elles d’assez grandes divergences. François Halkin, éditeur de la version grecque, rappelle qu’Héraclide est mentionné pour la première fois dans les Actes de Barnabé du Ps.-Jean Marc253 : ayant reçu le baptême des mains de Paul et Barnabé, il fut par la suite consacré évêque de Chypre, en résidence à Tamasos, sa patrie, changeant à cette occasion son nom d’Héracléon en Héraclide. À ses côtés demeurait un certain Mnason, chrétien de Chypre cité dans les Actes des Apôtres (Ac 21, 16) pour avoir offert l’hospitalité à Paul en route vers Jérusalem. L’œuvre qui se présente comme un « mélange assez curieux de pérégrinations à travers l’île de Chypre, d’ordinations de diacres, diaconesses, lecteurs et ainsi de suite, de guérisons, résurrections et autres miracles, d’exhortations à des auditeurs païens ou chrétiens, de détails sur les cérémonies liturgiques et de confidences de tel ou tel héros de l’histoire sur son propre passé », aurait été composée par un chypriote dénommé Rhodon, un personnage que l’on rencontre dans les Actes de Barnabé. Il y est question de sa conversion par l’apôtre254. Plus tard, il se serait lié d’amitié avec Héraclide et Mnason, le premier ayant été envoyé en mission évangélisatrice à Paphos par Paul et Barnabé ; il existait d’ailleurs une lettre des deux apôtres, présentée comme autographe, pour en témoigner. François Halkin se livre à une comparaison des deux récits : leurs auteurs auraient l’un et l’autre vécu à l’époque apostolique et directement participé à l’évangélisation de l’île : Rhodon, disciple et second successeur d’Héraclide, Jean Marc connu des Actes des apôtres (Ac 12, 12 et 25 ; 13, 5 et 13 ; 15, 37-39), évangéliste et premier évêque d’Alexandrie255 ; tous deux valorisent Tamasos au détriment des régions de Paphos et Kourion, au sud-ouest de l’île, obstinément sourdes à la prédication 256, et surtout la figure de Barnabé, rendu l’égal de Paul 257 ; enfin, ils exaltent l’instrument de la prédication, le premier, un Évangile de Matthieu copié de la main même de Barnabé, le second, des saints Évangiles placés nuit et jour entre les mains d’Héraclide et Mnason258. Pour le Act. Hér. NAU, Héraclide, p. 137-138, en a édité un extrait. VAN E SBROECK, Héraclide. 253 Act. Barn., 16-17, 22, p. 298. Héraclide, évêque de Tamasos et martyr, est commémoré le 17 septembre dans les synaxaires grecs. H ALKIN, Héraclide, p. 138-139. 254 Act. Barn., 18, p. 298. 255 Ibid., 1, 26, p. 292, 301-302. 256 Ibid., 18-19, p. 298-299 ; Act. Hér., 9, p. 152. 257 Ibid., 7, p. 147 : Παύλου καὶ Βαρνάβα τῶν μαθητῶν τοῦ κυρίου ἡμῶν Ἰησοῦ Χριστοῦ. 258 Act. Barn., 15, 22, 24, p. 297, 300-301 ; Act. Hér., 13, p. 155. 251

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Père Halkin, le Ps.-Rhodon, ayant largement puisé chez Jean Marc, pourrait suivre de peu ce dernier, dans le courant du Ve siècle259. On assiste donc, avec ces deux textes, à la naissance d’une tradition hagiographique chypriote, centrée sur la figure de son apôtre évangélisateur, Barnabé, et à la constitution d’une hiérarchie épiscopale : Barnabé et Marc auraient consacré Héraclide, celui-ci devant établir dans l’île, par la suite, selon les prescriptions de Barnabé, d’autres sièges épiscopaux, et ordonner leurs titulaires respectifs. Alexandre connaît la tradition hagiographique locale, mais semble avoir manifesté une volonté de s’en détacher260. En insistant sur l’intégrité des restes sacrés261, il s’éloigne radicalement des Actes, puisque, selon le Ps.-Jean Marc, le corps de l’apôtre a été brûlé par les juifs et l’urne cinéraire cachée par ses disciples262. Or, cet élément demeure en contradiction frappante avec les données mêmes de l’invention : un corps entier dans un cercueil263. Ce pourrait être la preuve de l’antériorité du récit sur l’événement : Lipsius prétend démontrer que les Actes sont postérieurs à l’invention du corps parce qu’ils racontent que les cendres de l’apôtre furent enterrées avec l’évangile de saint Matthieu qu’il portait toujours avec lui ; or cet évangile fut, de fait, découvert avec les reliques. Donc il s’agissait dans les Actes d’une prophétie post eventum. Le rapport inverse paraît beaucoup plus vraisemblable : si Jean Marc parle avec insistance de l’attachement de Barnabé pour l’évangile qu’il avait reçu personnellement de saint Matthieu, c’est parce que ce détail faisait partie de l’argumentation en faveur de l’apostolicité de son héros. Une fois lancée la légende, il était naturel qu’elle fût confirmée par la découverte du livre reposant intact sur les restes du saint, tout comme il était naturel qu’on finît par trouver le corps de Ste Catherine sur le sommet inaccessible du mont Sinaï, puisque la légende affirmait que les anges l’y avaient déposé. De son côté, Louis Duchesne écrit, sans esquisser l’ombre d’une preuve, que le récit du pseudo-Marc a été « combiné évidemment pour expliquer et illustrer la découverte du temps de Zénon ». Cette « évidence » crèvet-elle les yeux 264 ?

H ALKIN, Héraclide, p. 135. DELEHAYE, Chypre, p. 236 : Alexandre, qui mentionne « l’auteur des Stromates ou d’anciens écrits » (p. 88, l. 135-143), tait ses principales sources, dont les Actes de Barnabé. 261 Éloge Barn., p. 117, l. 786 : ὁλόσωμον. 262 Act. Barn., 23-24, p. 301. 263 Le premier témoignage est fourni vers 530 par la notice de Théodore le Lecteur qui précise que l’évangile de Matthieu se trouvait sur la poitrine du saint, indication qui suggère un corps entier. 264 H ALKIN, Héraclide, p. 136, n. 1, partisan de l’antériorité, contre les tenants de la thèse adverse (notamment Richard Adelbert Lipsius, Louis Duchesne, Hippolyte Delehaye ou Henri Leclercq). 259

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PREMIÈRE PARTIE

A moins que, comme le suggère Enrico Morini, Jean Marc n’ait voulu, en portant l’accent sur la dissimulation des cendres, justifier la ‘perte’ du sépulcre pendant un aussi long temps ; de plus, en l’espace de près d’un siècle, les cendres purent se transformer dans l’imaginaire collectif, et dans le cadre du développement d’un culte de la plus haute valeur pour l’Église locale, en un corps entier parfaitement intègre265. Du reste, en mentionnant une vaine tentative de la part des juifs de brûler le corps de l’apôtre, Alexandre chercha-t-il à harmoniser les circonstances concrètes de l’invention avec le récit de Jean Marc ? N’y aurait-il pas plutôt une réminiscence d’un « premier état de la légende266 » de Barnabé précisément consigné dans les Actes ? Dans l’Éloge par Alexandre, après qu’il a inhumé Barnabé, Marc retourne auprès de Paul, puis s’attache à Pierre ; par la suite, on retrouve l’évangéliste apôtre d’Alexandrie. Dans les Actes de Barnabé, il gagne directement la métropole égyptienne. La tradition byzantine dissociait volontiers l’évangéliste Marc, le Jean Marc des Actes des Apôtres et le Marc des lettres de Pierre et Paul (1 P 5, 13 ; Col 4, 10 ; 2 Tm 4, 11 ; Phm 24) : le premier était fondateur de l’Église d’Alexandrie267 ; le second, Jean dit Marc, devint évêque de Byblos268 ; le troisième, cousin de Barnabé (cf. Col 4, 10), devint évêque d’Apollonias269. La tradition occidentale évolua sur ce point : distinguant d’abord entre Marc, disciple de Pierre, et Jean Marc, disciple de Paul, elle eut ensuite tendance à ne plus voir qu’un seul Marc, cousin de Barnabé, lié d’abord à Paul puis à Pierre, et auteur du second évangile270. On peut donc noter dans ce Marc unique de l’Éloge, tout à la fois cousin de Barnabé, apôtre d’Alexandrie et évangéliste, une volonté marquée de regrouper les diverses traditions existantes271. Loin d’évoquer ces nombreux témoins du glorieux passé de Chypre présents dans les Actes de Barnabé, Alexandre revient ouvertement au récit canonique des Actes des Apôtres. On ne s’en étonnera pas si l’on se souvient qu’Alexandre est aussi l’auteur d’un récit sur l’invention de la Croix, écrit précisément dans le but de débarrasser cette histoire de toute la légende qui l’entoure et revenir à la ‘vérité historique’272.

MORINI, Apostolicità, p. 39, n. 36. DELEHAYE, Chypre, p. 236. 267 Syn. Const., col. 783. 268 Ibid., col. 787.  269 Ibid. JANIN, Apollonias. 270 MORINI, Apostolicità, p. 31-32, n. 19. Voir encore H ALKIN, Marc. 271 MORINI, Apostolicità, p. 32, n. 19, relève toutefois une variante dans la tradition manuscrite des Actes de Barnabé : Marc dit avoir reçu le baptême à Iconium de Pierre, Barnabé et Paul, de manière, selon lui, à laisser entendre qu’il s’agissait du même Marc, tantôt disciple de Paul, tantôt de Pierre. 272 VAN E SBROECK, Alexandre. 265

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Or, il est significatif que la tradition hagiographique chypriote continua de se développer à partir des Actes de Barnabé273 : outre les Actes d’Héraclide, on peut encore y rattacher la Vie de saint Auxibios (BHG 204), un document que son éditeur attribue à la première moitié du VIIe siècle274. Le personnage, inconnu par ailleurs, était originaire de Rome. Il gagna Chypre peu de temps après la disparition de Barnabé, et reçut le baptême des mains de Marc, l’évangéliste, qui l’ordonna évêque de Solia ou Soloi. Auxibios dirigea son troupeau pendant cinquante ans. On y retrouve les mêmes personnages que dans les Actes de Barnabé : Barnabé, Marc, Héraclide, Timon, Rhodon ; s’y ajoutent Themistagoras, le frère du héros éponyme, Tychicos (Ac 20, 4 ; Eph 6, 21, Col 4, 7 etc) et Épaphras (Col 1, 7 ; 4, 12 ; Phm 23), les deux derniers ordonnés évêques par Héraclide, à la demande de Paul, respectivement à Néapolis et Paphos. Paul prescrivit encore à Héraclide, le primat de l’Église chypriote, de placer à la tête de l’Église de Solia Auxibios, que Marc avait déjà ordonné275. Hippolyte Delehaye met l’accent sur les efforts maladroits de l’hagiographe pour concilier deux traditions différentes : « Le rédacteur s’apercevant de la contradiction, imagina de terminer la lettre de l’apôtre par ce post-scriptum : ‘Seulement, gardez-vous d’imposer les mains à Auxibios ; il a déjà reçu le sacerdoce des mains de Marc.’276 » Mais ce qui paraît le plus étonnant est que la constitution de la hiérarchie épiscopale de Chypre soit attribuée à Paul : certes, Barnabé était mort, mais n’était-ce pas là revenir, par-delà la figure de l’apôtre évangélisateur et martyr, à une plus haute autorité277, et le signe d’un antagonisme entre deux traditions ?

DELEHAYE, Chypre, p. 236. Si l’on connaît Alexandre et ses commanditaires (le prêtre gardien (kleidoûchos) de Saint-Barnabé, peut-être le métropolite de Salamine, présent lors de la lecture du texte : Éloge Barn., p. 83, l. 2-4 et 121, l. 879-883), il est plus difficile de savoir qui se cachait derrière les récits pseudépigraphiques (Jean Marc ou Rhodon). 274 Vie Auxibios. Cf. NORET, Auxibe. 275 Vie Auxibios, 8. Selon MORINI, Apostolicità, p. 43, n. 46, ces traditions locales n’auraient que partiellement dépassé les frontières de l’île. Le Synaxaire de Constantinople mentionne parmi les soixante-douze disciples deux Tychicos, respectivement évêques de Colophon et de Chalcédoine, et identifie Épaphras avec l’Épaphroditos de Ph 2, 25-30, évêque d’Adriaki, komè de l’île de Chypre (Syn. Const., col. 787) ; on conservait dans l’île la tombe et le crâne d’Épaphroditos. Mais le même Épaphroditos est considéré par Théodoret de Cyr comme évêque de Philippes, ce qui correspond mieux au texte saint, et par le Ps.-Dorothée, comme évêque d’Adria. SPADAFORA, Epafrodito. 276 DELEHAYE, Chypre, p. 237. 277  Barnabé et Marc avaient pourtant enseigné à Héraclide πῶς κηρύσσειν τὸ τοῦ θεοῦ εὐαγγέλιον καὶ καθιστάναι ἐκκλησίας καὶ λειτουργοὺς ἐν αὐταῖς : Act. Barn., 22, p. 300, l. 13-14 ; Vie Auxibios, 4. 273

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PREMIÈRE PARTIE

Repères chronologiques 431/488 ou ap. 488 Composition des Actes de saint Barnabé (BHG 225) Composition des Actes de saint Héraclide (BHG 743) fin Ve s. (?) 488  Invention de Barnabé à Salamine de Chypre ; érection d’une église et d’un monastère. Translation à Constantinople de l’évangile selon Matthieu et déposition au Palais impérial, à Saint-Étienne v. 550  Composition de l’Éloge de saint Barnabé (BHG 226) par Alexandre VIIe s.  Composition de la Vie de saint Auxibios (BHG 204)

6. André, Luc et Timothée Procope de Césarée (v. 560) raconte dans l’ouvrage qu’il consacre aux constructions de Justinien (527-565) comment les reliques d’André, Luc et Timothée furent redécouvertes à Constantinople, dans l’église des SaintsApôtres : Justinien cherchait par tous moyens à honorer les apôtres. Il y avait à Byzance une église fort ancienne qui leur était consacrée et menaçait ruine. L’empereur la fit raser et érigea à sa place un magnifique sanctuaire. Charmés d’un tel honneur, les apôtres se montrent à tous : gage de félicité et de sécurité, les corps d’André, Luc et Timothée, auparavant cachés, réapparaissent pour récompenser l’empereur. L’empereur Constance avait jadis construit cette église en l’honneur et sous le nom des apôtres ; ce devait être un mausolée pour lui-même et ses successeurs. Il y plaça tout d’abord le corps de son père, Constantin. Or, rien n’indiquait que les apôtres se trouvaient là ; aucun emplacement particulier ne semblait leur avoir été ménagé. C’est donc par hasard que les tailleurs de pierre, en dégageant le sol, découvrirent les trois cercueils de bois qui renfermaient André, Luc et Timothée – on put les identifier grâce à des inscriptions. L’allégresse fut générale, la liesse populaire immense. Justinien, lui-même, exultait, car il était évident que les apôtres le récompensaient de sa pieuse sollicitude envers eux. On fit une procession, puis, on les déposa, cette fois, bien en évidence, dans l’édifice nouvellement consacré278. Le témoignage de Procope est contemporain de l’événement. De même celui de Jean Malalas qui, sans rapporter l’invention, mentionne la dédicace de l’édifice le jeudi 28 juin 550279. Michel le Syrien (XIIe s.) – sans doute d’après

278

Procope, De aed., I, 4, 9-24, p. 23-26. Il y eut, bien plus tard, sous le règne de Constantin VII Porphyrogénète, entre 956 et 959, l’invention de vêtements des apôtres et leur déposition aux Saints-Apôtres : JANIN, Églises, p. 45. 279 Malalas, Chron., XVIII, 109 : 28 juin, troisième indiction, neuvième consulat de Justinien. Le célébrant, le patriarche de Constantinople Ménas (536-552), s’avança vers le sanctuaire, assis dans un char impérial recouvert d’argent et orné de pierres précieuses ; il portait sur ses

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Jean d’Éphèse (VIe s.) – donne des informations supplémentaires280 : les châsses (en plomb !), inscrites, étaient placées l’une contre l’autre dans « les fondements » de l’église ; les corps furent retrouvés entiers avec une croix placée sur chacun d’eux ; la découverte eut lieu au moment de la consolidation de « l’emplacement de l’autel ». Il affirme enfin ce qui n’était que sous-entendu chez Procope, à savoir que l’on ignorait jusqu’à l’existence des corps dans l’église – on aurait pu comprendre chez son devancier que seul l’emplacement avait été oublié281. L’église primitive des Saints-Apôtres est attribuée par de nombreux auteurs, dès le IVe siècle, à Constantin (306-337). Il existe une tradition concurrente en faveur de son fils et successeur Constance II (337-361)282. On peut concilier les deux en supposant que l’église demeura inachevée à la mort du premier, le second terminant les travaux d’édification, probablement avant 356, date à laquelle il fit déposer les reliques de Timothée, puis, l’année suivante, de Luc et d’André. Mais la réalité fut sans doute plus complexe, et tout montre qu’il n’y eut à l’origine qu’un seul édifice, avant la ‘séparation’ des reliques et du tombeau impérial en deux constructions distinctes283. La séquence chronologique proposée par Cyril Mango est désormais bien admise284 : Eusèbe ne connut qu’un monument, le mausolée de Constantin285. Celui-ci, circulaire, peut-être octogonal, suivait le modèle des mausolées impériaux de la fin de la période romaine286. Quant à l’église des Saints-Apôtres, cruciforme, Constance II engagea sa construction en 356 au plus tard, date de la première

genoux les reliques enchâssées dans trois reliquaires. Théophane, Chron., I, p. 227 (AM 6042 : 549/550), suit de près Malalas. 280 Michel le Syrien, Chron., II, IX, XXXIII, p. 269B-270B, situe l’invention la vingt-neuvième année de Justinien, soit en 555/556. Voir encore Nicéphore Calliste, H.E., XVIII, 26, col. 284A. 281  Procope, De aed., I, 4, 20-21, p. 25, l. 13-21. 282  Les études se sont multipliées depuis HEISENBERG, Grabeskirche ; en particulier, DOWNEY, Builder ; K RAUTHEIMER, Apostelkirche ; JANIN, Églises, p. 41-51 ; DAGRON, Naissance, p. 401-409 et ID., Empereur, p. 151-152 et p. 372, n. 43, pour la bibliographie. 283 Sur ce point, notamment DAGRON, Naissance, sp. p. 403, pour un commentaire sur les sources (Eusèbe, Vie de Constantin, IV, 58-60, p. 524-529 et Grégoire de Nazianze, Anastasia, v. 59-60, col. 1258), et p. 404 : « Jean Chrysostome donne une précision supplémentaire : le mausolée où Constance II a choisi de placer le tombeau de son père est une sorte d’‘antichambre extérieure’ du ‘pêcheur’ (= de Pierre, le chef des Apôtres) ; il est situé sans doute à l’Est de l’église, communiquant avec elle par une porte. » Jean Chrysostome, Adv. Judaeos et Gentiles, 9, col. 825 ; Hom. in epist. II ad Cor. 26, 53, col. 582 ; voir encore Philostorge, H.E., III, 2, p. 32-33. 284 M ANGO, Mausoleum. 285 Il pourrait avoir subi des dommages dès 358, dus à un tremblement de terre, et nécessité des réparations. 286 Son emplacement, dans les murs de la ville, avait des précédents. Jusqu’au XIe siècle, les empereurs furent presque tous inhumés aux Saints-Apôtres. GRIERSON, Tombs.

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PREMIÈRE PARTIE

translation de reliques. Les travaux se poursuivirent sans doute jusqu’au règne de Valens (364-378) ; elle fut consacrée le 9 avril 370287. Quoi qu’il en soit, le sanctuaire primitif ne résista guère à l’épreuve du temps : « L’empereur Justinien l’abattit entièrement, avec le désir non seulement de le reconstruire, mais encore de lui donner un plus grand éclat tant en taille qu’en beauté288. » La description de Procope montre que l’église justinienne avait la forme d’une croix grecque, aux bras d’égale longueur, surmontés chacun d’une coupole, ainsi qu’une cinquième à l’intersection des nefs. Il n’y avait pas d’abside ; l’autel était placé au milieu de l’édifice, sous la coupole centrale. Il était en argent et surmonté d’un baldaquin de forme pyramidale en marbre soutenu par quatre colonnes. Une colonnade intérieure, qui courait le long des murs, soutenait les tribunes (κατηχουμενεῖα), auxquelles on accédait par un escalier en colimaçon. L’atrium entourait le bras occidental de la croix 289.

En revanche, Justinien conserva intact le mausolée circulaire, attribué à Constantin. Il était attaché au bras est de la croix, et surmonté d’une coupole. Celui-ci ne pouvait plus accueillir de dépouilles impériales ; Justinien fit ériger pour lui et sa famille, à l’extrémité orientale du bras gauche de l’église, un second mausolée impérial, cruciforme. On possède deux autres descriptions de l’église, par Constantin le Rhodien (931/944)290 et Nicolas Mésaritès (1198/1203)291. On la trouve encore figurée sur des miniatures – en particulier du Ménologe de Basile II (Vaticanus graecus 1613, daté de 1004) : (1) au 22 janvier (fol. 341), le martyre de Timothée et la translation de ses reliques ; (2) au 27 janvier (fol. 353), la réception par le patriarche et l’empereur des reliques de Jean Chrysostome ; (3) au 18 octobre (fol. 121), l’inhumation de Luc l’Évangéliste292. Un examen de ces images ainsi que d’édifices érigés sur le modèle des Saints-Apôtres – Saint-Jean d’Éphèse (VIe s.) ou Saint-Marc de Venise (2e moitié du XIe s.) – a conduit Richard Krautheimer à postuler une modification architecturale du sanctuaire dans la deuxième moitié du Xe siècle. Cette hypothèse a été contestée par Ann Wharton

287

 Jérôme, Chron., p. 245 (anno 370) ; Chron. Pasch., col. 760B ; p. 559 (CSHB) ; Idatius, Descriptio, col. 910C. Procope, De aed., I, 4, 10-11, p. 23, l. 20-23, tr. ROQUES, p. 86. Certains auteurs attribuent encore l’édifice à Théodora, ou aux deux souverains conjointement. 289 JANIN, Églises, p. 43. 290 LEGRAND, Description. 291 DOWNEY, Description, p. 855-924. 292 K RAUTHEIMER, Holy Apostles, p. 265-270. On trouve encore deux miniatures représentant les Saints-Apôtres pour illustrer les homélies mariales de Jacques de Kokkinobaphos (XIIe s. ?), respectivement dans le Vatic. gr. 1162, fol. 2 et le Paris. gr. 1208, fol. 2v. 288

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Epstein, pour qui l’église justinienne survécut telle quelle jusqu’à sa disparition en 1461293. Les translations de 356 et 357 sont bien étayées294. Cependant, pour la venue des reliques de Luc et André, une seconde date, le 22 juin 336, entre en concurrence avec le 3 mars 357295. Un passage de la Passion d’Artémios (BHG 170-171c) – le futur saint († 363) aurait été chargé de la translation – vient encore compliquer l’affaire. Or, Richard Burgess a montré que la chronologie de la Passion ne pouvait être retenue, pas plus que l’implication d’Artémios dans la translation296. Les reliques d’André et Luc auraient été déposées du vivant même de Constantin, le 22 juin 336, dans son mausolée, sans doute la première d’une série de translations destinées à cet édifice et auxquelles la mort de l’empereur aurait mis un terme jusqu’à la translation par son fils Constance, le 1er juin 356, des reliques de Timothée dans l’église des SaintsApôtres, puis, l’année suivante, le 3 mars 357, de celles d’André et Luc, déplacées du martyrion à l’église, consacrant ainsi la séparation définitive de l’empereur défunt et des reliques, déposés dans deux édifices bien distincts. Le souvenir de la première translation, supplantée par la seconde, vingt ans plus tard, aurait presque totalement disparu des sources297. On ignore comment se fit le choix des reliques et les circonstances précises des translations. Selon la Passion d’Artémios, la présence des reliques d’André à Patras et de Luc à Thèbes (il n’y est pas question de Timothée) fut révélée à l’empereur Constance à Andrinople, en Thrace, par un évêque d’Achaïe298. La chronologie faisant difficulté, cette rencontre risque de n’avoir été inventée que plus tard299. Voulut-on masquer le caractère étrange des translations ? C’étaient 293 WHARTON EPSTEIN, Holy Apostles, conteste également l’hypothèse de K ITZINGER, Mosaics, col. 344, relative à une modification du décor au XIIe siècle. La décoration figurée serait, au contraire, à cette date, la même qu’au IXe siècle, c’est-à-dire après réparation des dommages causés par l’iconoclasme sur la décoration primitive du temps de Justin II (565-578). 294 Jérôme, Chron., p. 240 : Reliquiae apostoli Timothei Constantinopolim invectae. ID., C. Vigilance 5, col. 358B ; Chron. Pasch., col. 733AB ; p. 542 (CSHB). Cf. WORTLEY, Relic-importations. 295 M ANGO, Mausoleum, add. 296 BURGESS, Passio. Pour concilier toutes les données, WOODS, Translation, avait proposé de corriger le 3 mars 357 en 3 mars 360, une hypothèse infirmée par l’étude de Richard Burgess. 297 Aucune n’a laissé de trace dans le calendrier de Constantinople. Selon les synaxaires, la mémoire des saints était célébrée aux Saints-Apôtres, respectivement les 18 octobre (Luc), 30 novembre (André) et 22 janvier (Timothée). Dans le Mén. Basile, les notices des 18 octobre et 30 novembre (col. 113, 185) s’achèvent sur la translation de la relique à Constantinople, tandis que la notice du 22 janvier (col. 273) n’en dit rien. 298 Pass. Art., 16, p. 210-211.  299 Même indépendamment de l’hypothèse de Richard Burgess. M ANGO, Mausoleum : selon la Passion, l’empereur Constance II, après la proclamation de Julien comme César (6 nov. 355) alla de Milan à Sirmium, puis mena une expédition sur les rives du Danube, avant de rencon-

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des reliques de provenance obscure et seul André était un authentique apôtre300. Pourquoi ne puisa-t-on pas là où les traditions étaient bien fixées, aux sépulcres de Pierre et Paul à Rome, Jean à Éphèse, Philippe et ses filles à Hiérapolis en Phrygie, Thomas à Édesse, etc.301 ? Ce pourrait être, répond Cyril Mango, pour ne pas s’aliéner trop de gens en un temps où les translations de reliques n’étaient pas courantes et, de toute façon, peu sujettes à la critique302. Lorsque Constance fit transférer et déposer aux Saints-Apôtres les reliques de Timothée, en 356, puis de Luc et André, l’année suivante, il n’existait pas, semble-t-il, de tradition précise sur leur tombeau. Timothée était déjà considéré comme le premier évêque d’Éphèse, métropole de la province d’Asie, au début du IVe siècle303, mais les premiers témoignages sur son tombeau et le sanctuaire qui le surplombait datent au plus tôt du Ve siècle304. Les Actes relatant la mort de Timothée dans cette ville sont également à attribuer au Ve siècle305. La tradition du tombeau de Luc à Thèbes, en Béotie, demeure obscure306, mais des reliques circulaient en Occident dès le début du Ve siècle. Il en allait de même pour André, dont le tombeau se trouvait à Patras, en Achaïe307. Arca, en Phénicie Première, trer l’évêque à Andrinople. Il n’est donc pas possible de placer la rencontre avant la fin de 357. De plus, la présence de l’évêque à Andrinople peut faire penser qu’il s’était déplacé pour un concile, le second concile de Sirmium ou, plus probablement, celui de Nicée en Thrace, en 359. Or, les reliques atteignirent Constantinople le 3 mars 357, ce qui ne coïncide pas. 300 Même si, en Orient, la qualité d’apôtre dépasse les douze. 301 Les tombeaux de Philippe et Jean étaient connus dès le IIe siècle. Voir Translation de Philippe (BHG 1529). Des reliques (représentatives) de Jean ont circulé en Occident dès le IV e siècle, mais la tradition demeure ambiguë sur le sort du corps. La fin du disciple préféré du Seigneur serait à l’image de celle du Christ et de la Vierge. Voir Hippolyte de Thèbes, dans DIEKAMP, Hippolytos, p. 30 : […] ἐκεῖ οὖν θάπτεται παρὰ τῶν μαθητῶν ἔτι ζῶν, καὶ μετὰ τρεῖς ἡμέρας ἀφανὴς ἐγένετο, μᾶλλον δὲ εἰς οὐρανοὺς ἀνελήφθη, καθὼς καὶ οἱ μαθηταὶ ὑποστρέψαντες ἐν τῷ μνημείῳ καὶ ἀνοίξαντες οὐχ εὖρον αὐτόν. On conservait le corps de Thomas aux portes d’Édesse dès le milieu du IIIe siècle : M ARAVAL, Lieux saints, p. 351. 302 M ANGO, Mausoleum, p. 59. 303 Eusèbe, H.E., III, IV, 5. 304  Il est mentionné dans les Actes du brigandage d’Éphèse, p. 161, et la tradition veut que Théodose II se soit rendu sur le tombeau du saint peu de temps avant sa mort (450) : Michel le Syrien, Chron., II, VIII, VIII, p. 34. Le pèlerin Théodosius (De Situ, 26, p. 148 ; Récits, p. 198), au début du VIe siècle, qui pourtant passe sous silence le sanctuaire de Jean, retient de son séjour à Éphèse ceux de Timothée et des Sept Dormants. Saint-Timothée se trouvait à l’ouest de la basilique Saint-Jean : Syn. Const., col. 664. M ARAVAL, Lieux saints, p. 381. 305 Act. Tim. (BHG 1847). DELEHAYE, Timothée ; Z AMAGNI, Timothée. 306 Une légende voulait encore que son tombeau ait été ‘miraculeusement’ retrouvé par ses disciples : Kédrénos, Hist. comp., I, p. 372. 307 M ARAVAL, Lieux saints, p. 398 : « La basilique élevée sur le tombeau de Patras est attestée au VIe siècle (mais elle est vraisemblablement plus ancienne). On connaît des pèlerins occidentaux qui y font étape lorsqu’ils se rendent par mer en Orient (Grégoire de Tours, Mir., I, 30). Ses reliques avaient la réputation d’émettre un effluent parfumé le jour de la fête du saint (ID., Mir. S. Andreae, 37). Il existe toujours à Patras la fontaine de ce sanctuaire, où l’on a retrouvé des monnaies du IV e siècle (PALLAS, Monuments, no 90 : c’est un couloir voûté avec un puits) », avec renvoi à Paulin de Nole, Carm. 19 et 27, Gaudence, Tractatus, XVII, 11, et pour les miracles au tombeau : Passio Andreae, 15, LIPSIUS – BONNET, Acta, II, p. 37, 8-9. On célébrait déjà André au

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en possédait un autre, mais outre qu’il n’est pas mentionné avant la fin du Ve siècle, ce dernier ne paraît pas avoir connu un très grand rayonnement308. Une légende tardive rattacha encore André à l’Église de Constantinople309. Selon la tradition, André prêcha d’abord en Scythie, traversa la Thessalie et l’Hellade, puis subit le martyre en Achaïe. On dit encore que, à Argyropolis de Thrace, il ordonna Stachys évêque de Byzance. Cette histoire est mentionnée pour la première fois, brièvement, à la fin du VIIe ou au début du VIIIe siècle, par le Ps.-Épiphane, dans son Index des apôtres et disciples du Seigneur310. Un peu plus tardif (vers la fin du VIIIe s.), le Catalogue des soixante-dix disciples du Christ du Ps.-Dorothée de Tyr contient une liste des évêques de Byzance, d’André à Métrophane, le premier évêque historique connu, sous Constantin311. Des Actes d’André attribuables au IIIe siècle ont existé, qui faisaient partie d’un corpus de cinq Actes apocryphes des apôtres312 ; quoique souvent considérés d’origine hérétique, le plus souvent gnostique, et condamnés par les Pères, ils circulèrent en Orient comme en Occident313. À la fin du VIe siècle (v. 591 ou 592), Grégoire de Tours s’en inspira pour écrire son Livre des miracles ; on y voit André, ayant reçu mission d’aller prêcher en Achaïe, se rendre en Thrace et à Byzance, une tradition sans doute bien établie en Orient, dès avant le IVe siècle314. Mais une autre tradition, connue d’Origène et transmise par Eusèbe de Césarée, voulait que la Scythie lui ait été assignée pour son activité missionnaire ; on la retrouve, avant 400, dans les Actes (orthodoxes) d’André et Matthias dans la ville des anthropophages (BHG 109)315, qui pourraient être d’origine égyptienne. Il y avait donc deux traditions : la plus ancienne attribuant la Scythie à André ; la plus récente, l’Achaïe. À la fin du IIIe siècle, l’auteur des Actes d’André devait sans doute connaître la tradition de Scythie ; il ne mentionne pourtant que son séjour en Grèce et en Achaïe, où IV e siècle :

Grégoire de Naz., Disc. 4, 65, p. 178-179 ; Ps.-Athanase (Basile de Séleucie), Éloge de saint André. CLUGNET, André. Cf. infra, p. 304, n. 82. 309 Pour les sources de la légende d’André : D VORNIK, Apostolicity, et la reconstitution des Actes d’André : Act. André, I, p. 67-89. 310 D VORNIK, Apostolicity, p. 155 et ID., Idée, p. 324. La datation est celle de SCHERMANN, Vies des prophètes, qui a édité la liste en 1907. François Dolbeau (cf. Listes, p. 462, n. 3) est revenu sur la question ; selon lui, elle serait plus ancienne et l’attribution à Épiphane de Chypre († 403) peut-être valide. 311 Il n’aurait pas circulé avant le milieu du IXe siècle. 312 Act. André. La tradition textuelle est complexe (plus de trente entrées dans la BHG). DVORNIK, Apostolicity, p. 181. 313 Le fait que les Pères témoignent unanimement que ces Actes étaient utilisés et tenus en estime par des hérétiques favorise la conclusion selon laquelle les Actes d’André devaient leur origine aux gnostiques ou aux manichéens (IIe s. ou début IIIe s.). 314 D VORNIK, Apostolicity, p. 196. 315 LIPSIUS – BONNET, Acta, II/1, p. 65-116. Pour un fragment de la version copte (BHO 735) : LUCCHESI – P RIEUR, Fragments. 308

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l’apôtre mourut en martyr, à Patras. Inversement, Origène († v. 253) semble n’avoir rien connu de ses activités en Achaïe et de sa mort à Patras. Il apparaît donc qu’à cette date la tradition d’Achaïe n’existait pas encore. Francis Dvornik note par ailleurs que la description du martyre d’André à Patras ne s’accorde pas avec les faits historiques. Selon une ancienne tradition, Paul et Luc, et non André, se rendirent en Achaïe. Pourtant, alors qu’au IV e siècle, la tradition syriaque de la Doctrine des Apôtres ne sait encore rien de la prédication d’André en Thrace, Macédoine ou Achaïe, dans les pays grecs et en Occident latin, la nouvelle tradition commence à se répandre dès la deuxième moitié du IVe siècle : Grégoire de Nazianze fait encore de Luc l’apôtre d’Achaïe, tandis qu’André s’illustre en Épire ; au milieu du Ve siècle, Théodoret donne l’Hellade à André. En Occident, Gaudence de Brescia, vers 420, connaît déjà la nouvelle tradition. Francis Dvornik souligne le cas de Jérome qui, sans ignorer l’ancienne tradition, est influencé par la nouvelle. De fait, la première ne se perdit pas, et les deux sont combinées chez Basile de Séleucie316 (v. 448v. 468) et plus tard, dans les synaxaires (Xe s.). Or, contrairement à celle de Scythie, la tradition d’Achaïe demeure suspecte, a fortiori celle de l’ordination de Stachys, mentionnée pour première fois par le Ps.-Épiphane, amplifiée par le Ps.-Dorothée. Selon Francis Dvornik, il est probable que l’on substitua à un saint local un autre plus fameux317. Le passage d’André en Thrace et à Byzance avait déjà été consigné dans les Actes originaux à la fin du IIIe siècle, sinon plus tôt, et doit avoir été regardé, à partir du IV e siècle, à Byzance/Constantinople et ailleurs dans le monde chrétien, comme un fait historique. L’histoire de la fondation par André du siège de Byzance aurait donc pu naître dès la fin du IIIe siècle ou au IVe siècle. Mais la reconstitution des Actes originaux permet de voir qu’il n’en fut pas ainsi318 ; pour cela, il fallut, semble-t-il, attendre le VIIe ou la première moitié du VIIIe siècle. Repères chronologiques 336 (?) 356

Translation de Luc et André à Constantinople (?) ; déposition aux Saints-Apôtres (?) Translation de Timothée à Constantinople ; déposition aux Saints-Apôtres

FEDALTO, Hierarchia, p. 861. D VORNIK, Apostolicity, p. 221, citant l’exemple de saint Clément. Act. André, I, p. 88 : « Il est donc impossible d’affirmer que ces précisions se trouvaient dans les Act. Sanct. Selon toute vraisemblance, elles sont plutôt une élaboration tardive suggérée par la présence des reliques à Byzance et par le fait que les Actes rapportaient le passage d’André dans cette cité. ». 316 317

318

CHAPITRE II – LES SAINTS NÉOTESTAMENTAIRES

357 359 370 550 v. 560

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Translation de Luc et André à Constantinople ; déposition aux Saints-Apôtres (ou déplacement du mausolée à l’église ?) Remaniement architectural du sanctuaire (?)  Dédicace des Saints-Apôtres Reconstruction du sanctuaire ; invention des cercueils des apôtres ; dédicace et déposition Procope relate l’invention dans le De Aedificiis

7. Autres Il y eut d’autres inventions de personnages néotestamentaires, apôtres, disciples, et plus généralement « amis319 » du Christ ; en voici quelques exemples : Andronic (apôtre) et Junias (ou Junie ?) Saints romains (Rom 16, 7)320, dont la mémoire trouve place dans les synaxaires grecs au 17 mai321 ; l’invention de leurs reliques, au 22 février322 : on les découvrit dans la Ville impériale ἐν τοῖς Εὐγενίου sous le règne d’Arcadius (395408) et l’épiscopat de Thomas de Constantinople (sic). Elles accomplirent beaucoup de miracles ; des années plus tard, un certain Nicolas, clerc et calligraphe, eut la révélation de leur identité. On peut supposer l’existence d’un récit développé, aujourd’hui disparu. Andronic, l’un des soixante-dix, était encore fêté avec les saints apôtres Silas, Silvanus, Crescens et Epaenetus, le 30 juillet323. Barthélémy, Thaddée et Thomas L’Histoire arménienne de la découverte de l’apôtre Thomas (BHO 1224) est d’époque médiévale, rédigée « au plus tôt, au Xe siècle »324. L’Invention de l’apôtre Thaddée, de Samuel, d’Israyel et des autres (BHO 1145) rapporte la découverte « aux jours du pieux catholicos d’Arménie Yovhannês325 » (478-490) ; l’Invention de Barthélémy (BHO 159)326 désigne pour inventeur l’évêque Maroutha de Martyropolis (IVe-Ve s.). Comme pour Barnabé à Chypre, « la tradition apocryphe de la prédication de Barthélémy et Thaddée ainsi que la présence de leurs reliques en Arménie deviennent donc le fondement même de l’autocéphalie de Selon l’expression de WORTLEY, Relics. GARCIA DE ORBISO, Andronico e Giunia. 321 Syn. Const., col. 689-692 ; Mén. Basile, col. 461. 322 Ibid., col. 483, no 1 ; Typicon, p. 237 ; voir Christophore de Mitylène, Calendrier, I, p. 318. 323 Mén. Basile, col. 565. 324 Écrits apocr. sur les Ap., II, p. 616-631. NAU, Calendrier, p. 117-118 : fête de l’invention de Thomas. 325 C ALZOLARI, Les Apôtres, p. 99. 326 Écrits apocr. sur les Ap., II, p. 525-530. 319

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PREMIÈRE PARTIE

l’Église arménienne, dont la légitimité et l’autorité se trouvent au même niveau que les sièges ecclésiastiques les plus importants d’Orient et d’Occident327. » Le chef de Longin Le centurion qui se tenait devant lui, voyant qu’il avait ainsi expiré, dit : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu » (Mc 15, 39 ; cf. Mt 27, 54 ; Lc 23, 47). Mais un des soldats, d’un coup de lance (λόγχη), le frappa au côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. (Jn 19, 34)

Des Écritures, naquit Longin, centurion de Césarée de Cappadoce converti au pied de la Croix et mort en martyr328. Une Passion grecque, désormais perdue, aurait été composée dans la première moitié du Ve siècle et bientôt traduite en latin, arménien et géorgien. Elle ne dirait rien ni du sanctuaire cappadocien d’Andralès et sa relique329, ni de l’invention du chef du martyr, un épisode que l’on peut lire dans deux homélies Sur la Passion de saint Longin indûment attribuées à Hésychius de Jérusalem. Selon Michel Aubineau, la première (Hom. XIX ; BHG 988), probablement issue d’« un milieu hiérosolymitain, demeuré en contact étroit avec la Cappadoce », tel le scriptorium des Spoudaei du monastère du Saint-Sépulcre, aurait été composée au VIe /VIIe siècle330. Au Xe siècle, Syméon l’a métaphrasée (BHG 989)331 ; trois pièces inédites (BHG 988a, b, c) la résument sans rien ajouter à la légende, sauf à prouver son succès littéraire. L’auteur de la seconde (Hom. XX ; BHG 990) connaît l’homélie XIX 332. Cette pièce, liée « à la province de Cappadoce Seconde et à la métropole épiscopale de Tyane », appartiendrait au VIIe /VIIIe  siècle (un témoin remonte au VIIIe / IX e siècle), « de préférence avant la crise iconoclaste333 ». Les synaxaires grecs (au 16 octobre) dérivent de BHG 988334.

C ALZOLARI, Les Apôtres, p. 120. LUCCHESI, Longino ; ORSOLA, Longino ; JANIN, Césarée de Cappadoce. 329 M ARAVAL, Lieux saints, p. 374. 330 Pass. Longin 1. 331 Pass. Longin 3. 332 Pass. Longin 2. Il existe encore une recension inédite de la Passion métaphrastique BHG 990c : AUBINEAU, Hésychius, II, p. 800-801. 333 Ibid., p. 865, 867. 334 Syn. Const., col. 141-144 ; Mén. Basile, col. 11. On trouve la Passion au 16 mars dans le ménologe métaphrastique. La mémoire de Longin était encore célébrée le 1er novembre et le 17 juillet (Synaxaire arabe jacobite 5, p. 673-675). 327

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CHAPITRE II – LES SAINTS NÉOTESTAMENTAIRES

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Onésiphore et son serviteur Porphyre Onésiphore est l’un des soixante-dix disciples du Seigneur ; Paul vante sa miséricorde (2 Tm 1, 16-18 ; 4, 19)335. Les histoires apocryphes des apôtres ont amplifié considérablement ces maigres données. Les Actes de Paul et de Thècle, dont la rédaction remonte à la fin du IIe siècle (BHG 1710-1715), font d’Onésiphore un riche habitant d’Iconium en Lycaonie, qui reçoit généreusement l’Apôtre, chez qui Thècle vient écouter sa prédication et qui jeûne et prie avec saint Paul pour le salut de la jeune fille. De leur côté, les Actes de Pierre et d’André (BHG 1489) présentent Onésiphore comme un homme riche que les sermons des deux apôtres mettent d’abord en colère, mais qui finit par se convertir. Enfin, les Indices apostolorum du pseudo-Épiphane et du pseudo-Dorothée et les listes qui en dérivent, notamment dans le synaxaire, font de l’ « apôtre » Onésiphore un évêque de Coronée. Reprenant aux Acta Theclae tout ce qu’ils racontaient d’Onésiphore, la Passion 〈BHG 2325〉 […] y ajoute une série d’épisodes aussi peu vraisemblables336.

Selon cette Passion, la tombe d’Onésiphore et de son serviteur Porphyre, martyrisés à Parium, en Hellespont, fut miraculeusement identifiée à quatorze milles de la ville, au lieu-dit Pankaia (en référence au prodige : de la fumée s’échappait de ce lieu). La Passion fut sans doute composée au sanctuaire érigé en cet endroit ; elle servait de lecture pour la fête du 9 novembre et a inspiré les synaxaires (au 16 juillet ; ils ne mentionnent cependant pas le miracle)337. Porphyre n’apparaît ni dans le Nouveau Testament ni dans les apocryphes338. On rencontre toutefois son nom associé à celui d’Onésiphore dès le VIe siècle, dans les mosaïques de Saint-Georges, à Thessalonique339.

SAUGET, Onesiforo e Porfirio. Le même personnage apparaît dans les Actes de sainte Thècle. Voir encore les Actes de Paul, III, 2 (Écrits apocryphes chrétiens, p. 1129, 1142), condamnés par Tertullien, Traité du baptême, XVII, 4, p. 89-91. 336 Pass. Onés. et Porph. (BHG 2325), ici, p. 312 (HALKIN). 337 Syn. Const., col. 823-824 (BHG 2326) ; Mén. Basile, col. 545 et les Ménées, au 9 novembre. Voir encore Mén. Basile, col. 197, au 9 décembre : Commemoratio sanctorum apostolorum ex septuaginta, Sosthenis, Apollo, Cephae, Tychici, Epaphroditi, Caesaris, et Onesiphori. 338 Pass. Onés. et Porph., p. 313, n. 12 : « Le Père Delehaye inclinait à l’identifier avec le mime Porphyre, martyr à Césarée de Cappadoce, dont la fête est parfois marquée au 9 novembre. » 339 DELEHAYE, Origines, p. 231-232. 335

CHAPITRE III

Les vêtements du Christ et de la Vierge Le Christ n’avait pas laissé sur terre de reliques corporelles à proprement parler1, mais de nombreuses traces de son passage et des reliques secondaires2, comme autant de preuves de l’Incarnation essentielles à la piété des fidèles. Parmi celles-ci, le bois de la crucifixion, qui allait prendre une place primordiale dans toute l’histoire de la chrétienté. Ce dossier, extrêmement complexe, a été traité à plusieurs reprises3. Nous n’y reviendrons pas. Il y avait une autre catégorie de reliques que l’absence de corps devait exalter – les vêtements –, parce qu’ils avaient touché au plus près le corps divin4. Les linges funèbres étaient vénérables entre tous, preuve et symbole de 1

Son corps avait été transporté au ciel (Lc 24, 51). La tradition de nombreuses reliques ante mortem (cheveux, dents, cordon ombilical, prépuce, sang, ainsi que le lait de la Vierge) se développa cependant, en particulier en Occident : A NGENENDT, Reliquien, p. 214-229. 2 Ainsi, la lance, l’éponge,  etc.  Leur ‘origine’ est souvent inconnue. Divers lectionnaires et calendriers géorgiens enregistrent la fête de l’invention du calice de la Cène au 3 juillet (Calendrier pal.-géo., p. 268-269 ; voir Jérus. Nouv., p. 191, 226 ; A BEL, Recension 1, p. 458 ; ID., Recension 2, p. 615). La relique est mentionnée dans le Breviarius de Hierosolyma (VIe s.) (GEYER, Itineraria, p. 154, l. 14-16), par le Pèlerin de Plaisance (v. 570) (ibid., p. 173, l. 5-6) – dans le sacrarium du Martyrium –, et par Arculfe (v. 670) (ibid., p. 234, l. 20-21) – entre la « basilique du Golgotha » et le Martyrium, dans une exedra. Elle fut peut-être retrouvée après l’invasion perse. Pour d’autres inventions, en particulier sous la dynastie macédonienne : Byzance et les reliques du Christ. 3 Notamment : DRIJVERS, Helena ; BORGEHAMMAR, Holy Cross. Ses différentes composantes sont résumées par FEIERTAG, Croix, p. 242-243. Il s’agit de : (1) la découverte de la Croix par Hélène, mère de Constantin, dont les sources s’échelonnent de la fin du IV e au troisième quart du V e siècle, avec un premier sous-groupe dépendant de l’Histoire (perdue) de Gélase de Césarée (Rufin d’Aquilée, Socrate, Théodoret de Cyr, Gélase de Cyzique), l’autre n’en dépendant pas (Ambroise de Milan, Paulin de Nole) ; (2) la légende syriaque de Protonikè (BHO 211-212 et 214), intégrée à la Doctrine d’Addaï, un texte originaire d’Édesse (début/1er tiers du V e s.), ou à l’état indépendant ; (3) les récits grecs (BHG 398-409) et latins (BHL 4169-4177) de l’Invention de la Croix faisant intervenir Judas Cyriaque (entre 415, date de l’invention d’Étienne, et le début du VIe siècle). Il y eut sans doute d’abord « différentes traditions orales attribuant la découverte à la mère de Constantin et qui ont circulé parallèlement au cours de la seconde moitié du IV e siècle » ; les importantes divergences entre les différents groupes, mais aussi sousgroupes, témoignent de la complexité de ce dossier. 4 Pour les inventions d’images « acheiropoiètes », en particulier l’image de Camouliana, A et B : VON DOBSCHÜTZ, Christusbilder, p. 40-60, 123*-134* et 3**-27** ; Syn. Const., col. 879-882.

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PREMIÈRE PARTIE

la Résurrection5. Selon l’Évangile de Jean, Marie Madeleine avait trouvé la pierre roulée et le sépulcre vide. Le reste du passage ( Jn 20, 5-8) serait généralement mal traduit, si l’on en croit le bibliste Ariel Alvarez Valdés : Pierre, entré dans le sépulcre, aurait vu, non pas « les linges gisant à terre » et le suaire qui avait couvert le visage de Jésus « plié », mais le « drap aplati, ainsi que le bandeau qui avait entouré la tête de Jésus demeuré roulé à l’endroit où il était avant sous le drap6 ». C’était la preuve que rien n’avait été déplacé ; le corps avait disparu, comme volatilisé : « Alors entra aussi l’autre disciple, arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. » Le parallélisme avec la sainte Vierge est souligné par Jean le Géomètre (2e moitié du Xe s.) : Pour le [Thomas] satisfaire, d’un commun accord, les apôtres se décident à ôter la pierre et à ouvrir le tombeau. Mais le domicile de la vie, le trésor commun ne s’y trouve plus. Et l’on remarque, ô prodige, un nouveau trait de ressemblance avec le Fils jusque dans les vêtements funèbres (τοῖς ἐπιταφίοις) : ceux qui gisent là, seuls, intacts, mais avec les empreintes fraîches du corps qu’ils enveloppaient, véritables messagers du prodige qui s’était accompli, pour écarter, comme au sépulcre du Seigneur, tout soupçon d’enlèvement clandestin, pour démontrer que la translation ne s’était pas produite d’une manière humaine. C’est ainsi que la Vierge est transportée tout entière auprès de son Fils et Dieu, pour vivre et régner avec lui ; et de cette manière, ce n’est pas seulement par son Fils, c’est aussi par elle que notre nature est introduite dans les cieux et règne sur toutes choses les visibles comme les invisibles7.

Mais il y avait aussi les vêtements-reliques de la Passion. On les découvrit à Jérusalem dans la deuxième moitié du Ve siècle, de même que, un peu plus tard, l’on retrouva en Palestine un habit marial. Bien que d’apparence différente, ces deux dossiers illustrent un autre mode d’invention de reliques, par une (prétendue) transmission directe (plus ou moins consentie) des juifs aux chrétiens8.

L’invention ancienne (A), de 560/574, se lit dans une compilation syriaque ; la récente (B), en grec, transmise sous le nom de Grégoire de Nysse, date du VIIe siècle. L’image fut transférée à Constantinople en 574 : Kédrénos, Hist. Comp., I, p. 685. 5 Notamment, pour la légende du suaire telle qu’un pèlerin pouvait l’entendre vers 680 : Adamnanus, De locis, I, IX, 1-15, Récits, p. 247-249. 6 Jn 20, 4-8 : NT gr., p. 315 : […] θεωρεῖ τὰ ὀθόνια κείμενα, καὶ τὸ σουδάριον, ὃ ἦν ἐπὶ τῆς κεφαλῆς αὐτοῦ, οὐ μετὰ τῶν ὀθονίων κείμενον, ἀλλὰ χωρὶς ἐντετυλιγμένον εἰς ἕνα τόπον ; tr. A LVAREZ VALDÉS, Pierre et Jean, qui rappelle que les juifs n’enveloppaient pas tout le corps du défunt de bandelettes, mais seulement les mains et les pieds : Jn 11, 44. 7 Jean le Géomètre, Discours, 41, p. 393. 8 Le ‘consentement’ implique la conversion du juif, sur le modèle de Judas-Cyriaque dans l’histoire de l’Invention de la Croix ; dans les autres cas, il s’agit d’un vol. Voir également l’Invention des Trois Hébreux de la fournaise.

CHAPITRE III – LES VÊTEMENTS DU CHRIST ET DE LA VIERGE

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En effet, on imagina parfois qu’une tradition perdue pour les chrétiens s’était conservée intacte, quoique secrètement, chez les juifs, et que plusieurs reliques se trouvaient entre les mains de ces derniers avant leur invention. La tradition juive pouvait d’ailleurs remplacer une révélation, l’authenticité de la relique étant alors confirmée par des miracles. À défaut de tradition écrite, le personnage du garant juif permettait de remonter aux origines ; bien qu’ignorée du plus grand nombre, la relique était demeurée depuis toujours dans un lieu et un milieu homogènes. C’est ainsi que l’impératrice-mère Hélène retrouva la Vraie Croix par l’intermédiaire du juif Judas, qui tenait de ses ancêtres le secret de son emplacement. Dans le cas du prophète Zacharie, la garantie juive était précisément constituée par l’apocryphe découvert à point nommé pour authentifier la relique et expliciter les éléments de l’invention ; de même, les inscriptions juives abondent dans la légende du protomartyr Étienne. Cependant, la participation directe de juifs à la découverte de reliques vétérotestamentaires, comme les Trois Hébreux (en territoire perse), est rare. Selon Gunter  Stemberger, le danger (opposition, revendications) –  auquel échappaient les reliques néotestamentaires – aurait été trop grand9.

1. Les vêtements du Christ Une lettre en arabe éditée par Michel van Esbroeck relate l’invention de reliques (quelques fragments d’habits) du Christ à Jérusalem, vers la mi-juin 45010. Elle est écrite par un certain Durāt « fondé de pouvoir » à Jérusalem, au service de l’empereur Marcien, à l’adresse des « prêtres et higoumènes des monastères, Marcel et Mari ». Il y expose les événements qui se sont produits à son arrivée dans la Ville sainte : accueilli « avec une grande satisfaction », Durāt s’est vu remettre le commandement de la prison. Y étaient détenus Benjamin, « le chef des juifs », ainsi que son neveu Rubil. Benjamin lui promit pour prix de sa clémence un trésor inestimable, « une part des vêtements du Christ et de sa tunique, de celle dans laquelle l’ont crucifié nos pères les juifs. » Il conduisit alors chez lui la « dizaine de soldats impériaux » et leur chef, les introduisit dans ses appartements et retira de son coffre-fort une urne de plomb scellée. Il en sortit « deux vêtements, l’un petit et l’autre grand », précisant : « le petit morceau vient de sa tunique, et le grand que voici de son manteau ». Durāt s’en empara, et renvoya Benjamin en prison, jusqu’à ce que lui-même ait pu

9 STEMBERGER, Jews and Christians, p. 105s. Pour les judaïsants d’Antioche, le culte des Macchabées et les mises en garde de Jean Chrysostome : SIMON, Polémique. 10 VAN E SBROECK, Lettre. Le texte est édité sur la base de deux manuscrits (X e s. ?) ; on en connaît un troisième.

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PREMIÈRE PARTIE

s’assurer de l’authenticité des deux morceaux, savoir « s’ils étaient des vêtements du Christ ou non ». Deux jours plus tard, Durāt se rendit à l’église. Il y vit un paralytique. Subrepticement, il vint se poster derrière lui tenant en main « quatre des morceaux d’étoffes ». Mais l’homme se retourna et dit : « Tu as avec toi quelque chose des vêtements du Christ. » ; puis, devant l’étonnement de Durāt : « Lorsque tu t’es assis derrière moi, mes jointures ont tressailli trois fois, et tu as mis les deux morceaux sur mon dos. » L’invalide se redressa complètement guéri. La rumeur s’en répandit alors. Quant à Durāt, il retourna à la prison avec ses soldats et libéra Benjamin « avec le plus grand respect ». Ce dernier lui raconta une vision qu’il avait eue et proclama sa repentance et son désir de conversion. Durāt l’emmena chez l’évêque qui le baptisa. Après avoir rapporté tout cela, Durāt conjure Marcel et Mari, « les higoumènes des monastères de Qiriyat Gasa » de bien vouloir recevoir ces « trésors saints qui ont adhéré au corps de Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, le vivificateur du monde entier et de ceux qui croient en lui », trésors qu’il leur fait parvenir par l’intermédiaire de son « serviteur et frère ». Il y joint « le nécessaire pour acheter les lampes et l’huile » destinées au culte de ces reliques. Enfin, il annonce son retour et rappelle qu’on lui a interdit d’« écrire en grec afin que personne n’apprenne cette histoire. » La lettre s’achève sur des éléments de datation très précis : « L’invention de ce trésor célèbre eut lieu l’an 761 des années d’Alexandre (= 450), au milieu de juin, à l’époque de Jean l’ami de Dieu, higoumène du couvent de Mâr Eusèbe, et de Jean de Farnâs, et de tous les prêtres qui s’y trouvent avec lui, les élus, les bien-aimés, et les purs », suivis de protestations sur l’authenticité des faits et de la doxologie usuelle. Michel van Esbroeck reconnaît ici, en dépit de quelques non-dits et travestissements volontaires, un document authentique, sans doute rédigé en syriaque (le grec étant expressément prohibé). L’indication chronologique donnée à la fin de la lettre pose problème : la mi-juin 450 ne peut être la date réelle de rédaction, puisque Marcien ne devint empereur qu’après la disparition de Théodose II, le 28 juillet de cette même année. De plus, la mention de deux higoumènes en lieu et place de l’évêque référent est étonnante. L’éditeur pense pouvoir résoudre ces contradictions, et propose de reporter la rédaction de la lettre un peu avant le rétablissement de l’évêque Juvénal sur son siège, c’est-à-dire en 45211. Si l’on en croit la lettre de Durāt, le juif Benjamin lui remit un morceau du manteau et de la tunique :

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Cf. infra, p. 299-300.

CHAPITRE III – LES VÊTEMENTS DU CHRIST ET DE LA VIERGE

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Lorsque les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements et firent quatre parts, une pour chaque soldat et la tunique. Or la tunique était sans couture, tissée d’une pièce, de haut en bas. Ils se dirent entre eux : « Ne la déchirons pas, mais tirons au sort qui l’aura. » Ainsi s’accomplit l’Écriture : « Ils se sont partagé mes habits ; et mon vêtement ils l’ont tiré au sort (Ps 22, 19). » ( Jn 19, 23-2412)

La tunique ne serait donc pas restée indivise comme le veut la tradition13, ce qui n’est peut-être pas indifférent. En tout cas, la découverte de semblables reliques au plus fort des querelles christologiques, assurément, ne l’était pas14. Repères chronologiques 451/mi-453 mi-juin 452 (?)

Juvénal de Jérusalem chassé de son siège ; Théodose antiévêque Invention des vêtements du Christ à Jérusalem ; lettre de Durāt ; translation des reliques à Constantinople ; déposition dans un ou deux monastères de la capitale

2. Le vêtement de la Vierge Après Martin Jugie, Antoine Wenger a marqué une étape dans l’examen de ce dossier complexe15. Il a identifié deux « types », A et B, de la Légende de Galbios et Candidos, deux frères qui rapportèrent à Constantinople, sous le règne de Léon  Ier (457-474), la précieuse relique mariale ; l’anonyme BHG 1058a, du « type A », serait la plus ancienne forme connue16. Sous le règne de Léon Ier, Galbios et Candidos, deux frères, « généraux illustres […] de la noble famille d’Aspar et d’Ardabourios 〈que〉 l’empereur fit mettre à mort à l’intérieur du palais parce qu’ils étaient de fidèles tenants de la folle doctrine d’Arius […] vinrent à la communion de la sainte Église catho-

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Les autres évangélistes sont moins précis : « Ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort. » (Mt 27, 35 ; cf. Mc 15, 24 ; Lc 23, 34). 13 Sur la symbolique de la tunique sans couture et les reliques de Trèves et d’Argenteuil : COMPAGNONI, Tunique. 14 Plus tard, on retrouve la tunique associée au centurion Longin, qui l’aurait emportée en Géorgie : VAN ESBROECK, Substrat. 15 JUGIE, Vierge, Excursus B. Les reliques mariales byzantines, p. 688-707. 16 Lég. Galb. et Cand. 1. BHG 1058a, éditée d’après trois manuscrits : Paris. gr. 1447 (Xe s.) ; Vatic. Palat. gr. 317 (XIe s.) ; Vatic. Ottob. gr. 402 (XIIe-XIIIe s.). Le texte y sert de lecture pour la fête de la déposition du vêtement aux Blachernes (2 juillet). Il existe encore une version abrégée du « type A », BHG 1058b (Lég. Galb. et Cand. 2), sans doute notablement postérieure à la recension longue. Selon son éditeur, le manuscrit qui la contient, Sinait. gr. 491 (fin VIIIe ou début IXe s.), « fut composé en Palestine pour une église ou un monastère local ». Elle présente de légères divergences avec BHG 1058a ; on n’y trouve surtout aucune mention du devenir de la relique à Constantinople. Le texte sert de lecture pour la fête de l’Assomption (15 août).

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lique, car eux aussi étaient victimes de la folie arienne. » Ils allèrent ensuite vénérer les Lieux saints. Un soir, parvenus en Palestine (τῶν δὲ φθασάντων τὴν Παλαιστινῶν χώραν), ils s’égarèrent et trouvèrent refuge chez une vieille juive. Il y avait là un dortoir plein de malades. Les stratélates invitèrent leur hôtesse à souper « afin de pouvoir la tromper en se jouant d’elle et apprendre d’elle ce qu’il y avait dans ce dortoir et comment les malades obtenaient la guérison. » Ils l’enivrèrent et connurent le « mystère » : « au temps du départ de la chaste vierge Marie, le vêtement (περιβόλαιον)17 fut donné en héritage à une femme juive qui en ce temps-là assistait la Chaste. Cette femme était de la famille de mes ancêtres. » Les stratélates demandèrent alors à passer la nuit dans ce dortoir, notèrent les dimensions du coffret renfermant la relique, et, au matin, s’étant chargés d’une commission pour leur hôtesse, prirent congé d’elle. À Jérusalem, « ils remplirent les devoirs de piété » et firent confectionner un coffret identique à l’autre, ainsi qu’un magnifique « voile en forme de housse ». Ils retournèrent ensuite chez la Juive, soupèrent avec elle, et, la nuit, échangèrent les coffrets ; le voile devait servir à « tromper » la femme et les malades. De retour à Constantinople, ils déposèrent « le précieux coffret » dans leur « villa en dehors du rempart, vers l’extrémité de la mer, appelée la Corne, lieu surnommé les Blachernes », construisant là « une maison de prière (εὐκτήριον οἶκον) dédiée aux saints apôtres du Christ notre Dieu, Pierre et Marc. » Puis, « après leur mort », Léon et Vérine « honorèrent dignement le précieux vêtement (τὴν τιμίαν περιβολήν) de Notre-Dame mère de Dieu », et « appelèrent [le sanctuaire] la vénérable maison de la mère de Dieu. Ils y déposèrent le coffret et son trésor, dans une châsse d’une parfaite beauté en or pur et en pierres précieuses ». Ils firent encore « graver une inscription sur le couvercle de la sainte et précieuse châsse 〈et〉 élever une mosaïque toute en or et en pierres précieuses […] au-dessus de l’autel de la sainte châsse (ἐπάνω τοῦ βήματος τῆς ἁγίας σοροῦ) ». À Jérusalem, la rumeur du vol se répandit – la Juive en mourut –, ainsi que des miracles qui se produisaient aux Blachernes. Quant à Galbios et Candidos, ils avaient également fait élever une splendide « mosaïque (εἰκόνα) », placée « entre les deux diakonika ». Depuis lors, « se célèbre une brillante et illustre synaxe, à savoir la mémoire de la dédicace des saints et glorieux apôtres Pierre et Marc dans la vénérable maison de la mère de Dieu, au mois de novembre ». Ce récit primitif de la Légende pourrait remonter assez haut18. Le pèlerinage de Galbios et Candidos à Jérusalem aurait consacré leur conversion à

17 La relique n’est pas désignée sous le terme de maphorion (μαφόριον) avant le X e  siècle : SHOEMAKER, Relics, p. 63. 18 L’argumentation d’Antoine Wenger a été globalement acceptée par un grand nombre de chercheurs. Pour un réexamen de la question : MIMOUNI, Dormition, p. 609s., avec la bibliographie.

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l’orthodoxie, après le massacre des Ardabour (471). Il faut donc croire que la relique gagna Constantinople entre 471 et 473, puisque Léon Ier mourut le 18 janvier 474. L’empereur fit exécuter une mosaïque d’or et de pierres précieuses : on y voyait, au centre, la Vierge assise sur un trône, avec, à ses côtés, Léon Ier et sa femme, Vérine, portant dans ses bras leur petit-fils, le futur Léon II, enfin, leur fille, Ariane, mère de l’enfant19. Le narrateur précise que Léon II « règne » (βασιλεύει) après la mort de son père (!)20. Selon Antoine Wenger, cette erreur écarte une composition du récit pendant le court règne de Léon II. Elle n’engage cependant pas la mosaïque, au contraire : le portrait de la famille impériale qu’elle représente laisse supposer que le monument remonte vraiment à Léon Ier, parce qu’il offre l’ordre hiérarchique de la maison impériale du vivant de l’empereur : Léon Ier d’un côté, Vérine de l’autre portant l’impérial successeur, ensuite seulement Ariane. Ainsi tout fait croire que la mosaïque est primitive et qu’elle remonte à l’année même de la construction de l’église21.

Les relations du « type B » sont postérieures à celles du « type A ». La première connue est un discours de Théodore, prêtre de la Grande Église et syncelle (BHG 1058), que l’on désigne d’après ses premiers mots Θεῖά τινα καὶ μεγάλα μυστήρια22. Depuis l’étude d’Antoine Wenger, il est établi qu’il a trait au premier siège de la capitale par les Avars sous le règne d’Héraclius, en juin 61923. Les Blachernes se trouvaient hors les murs, sous la menace directe de l’ennemi : des hommes d’armes, dans la hâte dictée par le péril, ouvrirent la sainte châsse, c’est-à-dire l’autel en or et en argent. Ils y trouvèrent un coffret en pierres précieuses et dans ce coffret une boîte plus petite contenant l’habit de la Vierge, enveloppé dans une ceinture de pourpre impériale. On rapporta la relique au 19 Ce passage se lit dans deux manuscrits (P et V) sur trois. WENGER, Assomption, p. 133 : la mosaïque se trouvait « au-dessus de l’autel de la sainte châsse, soit dans l’abside de la rotonde, soit dans un ciborium, à en croire V » ; cf. ID., Notes. 20 Nommé Auguste par son grand-père Léon Ier, en octobre 473, puis monté sur le trône à la mort de ce dernier, le jeune Léon disparut dès le mois de novembre 474 ; son père Zénon, devenu Auguste le 9 février 474, lui succéda. 21 WENGER, Assomption, p. 134. Selon M ANGO, Origins, la représentation de Vérine βασταζοῦσα le jeune Léon, né en 468, orienterait vers une datation plus haute (468/469) de la mosaïque comme du sanctuaire, le terme, s’il faut bien lui donner le sens de « porter », s’entendant plus difficilement d’un jeune enfant (3/5 ans) que d’un bébé. 22 COMBEFIS, Novum Auctarium, col. 751-788. Le texte se lit partiellement dans LOPAREV, Vêtement ; C AMERON, Virgin’s robe. Cf. BAYNES, Finding. 23 Le siège eut lieu après le guet-apens tendu par le Khan des Avars à l’empereur Héraclius : Théophane, Chron., I, p. 301-302 ; en 617, selon BAYNES, Date. L’attentat est daté du 5 juin 623 par le Chronicon Paschale, col. 1000-1001, une indication « probablement correcte », selon Cyril Mango (Chronicle, p. 434) ; cf. M ANGO, Origins, p. 67-68. Quant à WORTLEY, Theodore, il retourne, avec une attribution au IXe siècle, à l’opinion prévalant avant les travaux d’Antoine Wenger.

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patriarche qui en référa à l’empereur. Le patriarche Serge scella le petit coffret et le fit déposer à la sacristie de la Grande Église. Lorsque l’ennemi se fut retiré et que le soleil de la divine clémence luit à nouveau sur la ville, le patriarche convia les évêques, le clergé et les fidèles à un office solennel, au cours duquel la précieuse relique fut rapportée aux Blachernes. La veille au soir, le coffret fut exposé à la vénération des fidèles, dans l’église Saint-Laurent, où la foule rassemblée passa la nuit en prière. Le matin, une procession immense se dirigea vers les Blachernes. Après les litanies, le patriarche brisa les scellés du coffret, ôta la ceinture de pourpre impériale et dégagea le vêtement de la Vierge. O merveille : la ceinture était corrompue tandis que le vêtement, en tissu de laine uni, s’était conservé incorruptible. Pris d’un saint transport, le patriarche montra à tous les assistants le vêtement, auquel la Vierge avait communiqué sa propre incorruptibilité. Puis il l’enveloppa de la même ceinture (elle n’était donc pas entièrement corrompue), le déposa dans le même coffret qu’il plaça dans la cavité nord de l’autel de la sainte châsse ; il célébra sur le même autel les divins mystères et renvoya la foule. Il décréta qu’à l’avenir le jour anniversaire de cette fête serait célébré comme fête la plus solennelle de toutes les fêtes et synaxes qui ont lieu aux Blachernes24.

L’auteur de BHG 1058 a été identifié comme le Théodore mentionné par le Chronicon Paschale en tant que membre d’une ambassade envoyée auprès du Khan des Avars le 2 août 62625. Il aurait rédigé son discours, pour la fête commémorant le miracle du 2 juillet 619, peut-être en 620, en tout cas avant le second siège avar de 62626. Antoine Wenger a par ailleurs montré comment Théodore, s’inspirant de BHG 1058a, « a donné à la légende une perfection littéraire qui surpasse de loin la simplicité du récit primitif. Désormais son discours sera la lecture classique pour la fête du 2 juillet27 ». Plus tard, Syméon Métaphraste (2e moitié du Xe s.) reproduisit, au prix de légers remaniements stylistiques, la portion du discours de Théodore relative à l’invention du maphorion, un arrangement qui prit d’abord place dans sa Vie de la Vierge (lecture pour la fête du 15 août), puis, « comme le Métaphraste ne contenait pas de lecture pour la fête du

24 WENGER, Assomption, p. 120-121, qui renvoie à GRUMEL, Regestes, no 280. Pour ce dernier, la restitution solennelle eut lieu en 620. 25 Chron. Pasch., col. 1009BD ; p. 721 (CSHB). 26 2 juillet : la date est donnée par les sources liturgiques. Lors du siège de 626, on porta en procession, sur les remparts de la ville, l’icône de la Vierge des Blachernes, mais le vêtement marial resta dans son sanctuaire, qui ne subit pas de dommage. JANIN, Églises, p. 163. Un mur de défense fut élevé par Héraclius autour des Blachernes après l’attaque de 626 : Chron. Pasch., col. 1017A ; p. 726 (CSHB). Le sanctuaire abritant la relique miraculeuse, véritable palladium, devait encore occuper pour de longs siècles une place de premier plan dans la vie politique, religieuse et militaire de l’Empire. 27 WENGER, Assomption, p. 124.

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2 juillet, on emprunta pour ce jour l’épilogue de la grande vie mariale. Souvent, en effet, on trouve dans les manuscrits des indications en ce sens28. » De même, pour les fêtes du 15 août et du 2 juillet, une version remaniée et abrégée du Métaphraste fut insérée dans le Ménologe impérial A (1ère moitié du XIe s.)29. On trouve encore, à plusieurs reprises, ce récit interpolé, par exemple dans le Discours pour la Dormition de la Vierge par Jean le Géomètre (Xe s.)30. Selon la Légende de Galbios et Candidos, les deux frères déposèrent la relique aux Saints-Pierre-et-Marc, dans le quartier des Blachernes : Arrivés là, ils ne savaient où déposer le précieux coffret. Ils avaient une villa en dehors du rempart, vers l’extrémité de la mer, appelée la Corne, lieu surnommé les Blachernes. C’est dans cette villa que les vénérables Galbios et Candidos déposèrent le coffret et construisirent une maison de prière dédiée aux saints apôtres du Christ notre Dieu, Pierre et Marc. [...] Après leur mort, Léon le dit empereur et Vérine sa très pieuse épouse honorèrent dignement le précieux vêtement de Notre-Dame mère de Dieu en toute gloire et tout honneur. Ils appelèrent [le sanctuaire] la vénérable maison de la mère de Dieu31.

Dans les récits du « type A », on pourrait croire que les souverains ‘héritèrent’ de la relique – et du sanctuaire – à la mort des patrices. Dans les récits du « type B », en revanche, les deux frères les informèrent eux-mêmes, sur ordre divin. Antoine Wenger évoque une déposition provisoire « en attendant que les empereurs pussent construire un sanctuaire, digne à la fois de la précieuse relique et de la munificence impériale32. » Pour de nombreux chroniqueurs, l’église des Blachernes avait été construite par Pulchérie († 18 février 453), après l’accession au trône de l’empereur Marcien (450)33. Léon  Ier est cité Ibid. ; BHG 1058c, éd. L ATYŠEV, Ménologe, II, p. 345-382. BHG 1058e : Ménologe impérial A, éd. L ATYŠEV, Ménologe, II, p. 127-132. WENGER, Assomption, p. 113, n. 1, renvoie encore au « Typicon de la Grande Église, qui résume la narration du type B, sous forme d’instruction liturgique. Le chapitre consacré à la fête du 2 juillet par le Ménologe de Basile (col. 517) est plus succinct. Il n’est pas possible de le rattacher à un type plutôt qu’à un autre. Le Synaxaire de Constantinople (col. 793-794) contient un résumé du type B. » 30 WENGER, Assomption, p. 394-395. 31 Lég. Galb. et Cand. 1, 11-12, p. 300-301. 32 WENGER, Assomption, p. 134.  33 JANIN, Églises, p. 161, qui cite, n. 11, l’ensemble des sources (Théodore le Lecteur, Théophane, Joël, Théodose de Mélitène, Kédrénos, Zonaras, les Patriographes). Procope, De aed., I, 3, 3-5, attribue la fondation de l’église à Justinien, sous le règne de Justin Ier (518-527). Selon Raymond Janin, Justinien fit peut-être ajouter une coupole à l’église, de forme basilicale, et Justin II (deux épigrammes de l’Anthologie palatine lui attribuent la restauration du sanctuaire) deux bras pour former une croix. L’édifice, incendié en 1070, fut sans doute refait à l’identique. Pour l’histoire ultérieure du sanctuaire, les ornements de Romain II Argyre (1028-1034), la découverte d’une icône de la Vierge, enfin sa destruction définitive par un incendie en 1434 : JANIN, Églises, p. 166. Voir SCHNEIDER, Blachernen. 28 29

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comme bienfaiteur de l’église qu’« il enrichit […] d’ornements précieux, de vases d’or et d’argent et dota d’importantes propriétés34 ». Il aurait encore fait construire un bain impérial35 et, surtout, la chapelle de la Châsse36 : À droite du sanctuaire et du skeuophylakion ou sacristie, se trouvait la chapelle de la Châsse qui renfermait d’abord l’habit de la Vierge et plus tard aussi son voile et une partie de sa ceinture. Cette chapelle, appelée ἁγία σορός était de forme ronde (σφαιροειδῆ νεών)37 et possédait un narthex. Elle devait être assez grande, puisqu’elle avait des tribunes (κατηχουμενεῖα) dans lesquelles était aménagé un appartement impérial ; celui-ci communiquait avec le palais des Blachernes par un passage voûté et un escalier38.

La chapelle possédait encore un autel, ou plutôt la châsse elle-même semble avoir servi d’autel39. Théodore le Syncelle (BHG 1058) évoque une châsse en or et en argent construite par Léon40. Or, au cours du siège avar, on trouva dans la châsse un coffret en pierres précieuses. Il s’agissait, si l’on en croit Antoine Wenger, « d’une cavité ou d’un compartiment à l’intérieur de la sainte châsse, décoré de mosaïques précieuses. C’est dans cette cavité que fut placé le coffret avec le vêtement41 ». Ce coffret était-il celui rapporté de Palestine ? En tout cas, il avait été ouvert, puisque l’on découvrit la relique mariale entourée d’un tissu teint de la pourpre impériale. Après l’attaque avare et la reposition de la relique dans sa chapelle, on institua une fête commémorative annuelle aux Blachernes, le 2 juillet, qui devait être célébrée en présence de l’empereur42. Il peut paraître étrange que la Légende de Galbios et Candidos (BHG 1058a) serve de lecture pour une fête JANIN, Églises, p. 161, qui cite, n. 12, les différentes sources (Georges le Moine, Joël, Zonaras, les Patriographes). 35 Ce bain fut restauré par Basile II (976-1025) : PREGER, Patria, III, 214, p. 283. 36 Pour C AMERON, Policies, p. 66-67, Justin II et Sophie auraient construit la chapelle. S’appuyant sur Procope et l’Anthologie Palatine, M ANGO, Origins, p. 67-68, suggère que l’église (construite sous Justin Ier) n’existait pas encore, la chapelle faisant office de sanctuaire principal, tout en retenant, pour cette dernière (comme pour les Chalcoprateia), le patronage de Vérine. Il est suivi par JAMES, Empress. SHOEMAKER, Relics, p. 60-61, souligne, au contraire, que, dans les deux cas, l’église est antérieure à l’impératrice Vérine. 37 Nicéphore Calliste, H.E., XV, 24, col. 384B-400. 38 JANIN, Églises, p. 168, avec renvoi au De cerimoniis, I, 27, p. 141. 39 Théodore compare la châsse à l’arche d’Alliance : WENGER, Assomption, p. 133. Pour la Vierge comparée à l’arche d’Alliance : VAN ESBROECK, Virgin. 40 Lég. Galb. et Cand. 1 mentionne une châsse en or et pierres précieuses. Elle était constellée d’or (ἐν σηκῷ χρυσοπάστῳ), d’après Théophylacte Simocattas (début VIIe s.), Histoires, VIII, 5 ; d’or et d’argent (σορὸν ἐκ χρυσοῦ καὶ ἀργύρου) d’après Joël, Chron., col. 264A ; p. 42 (CFHB). Pour la mosaïque des deux patrices et celle de Léon, au-dessus de la châsse : supra, p. 129 ; GRUMEL, Episkepsis et ID., Miracle. Elles ne sont plus mentionnées par la suite. Selon WENGER, Assomption, p. 135, toute la décoration disparut sous l’iconoclasme. 41 Ibid., p. 132.  42 Typicon, p. 328-331 ; Syn. Const., col. 793-794 ; Mén. Basile, col. 517. 34

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postérieure à sa composition, et pour un miracle (la protection de Constantinople) dont elle ne parle naturellement pas43. Or, si l’on en croit Théodore le syncelle, Léon Ier avait déjà institué une commémoraison de la déposition du vêtement, de sorte que « la restitution solennelle de la relique, le 2 juillet 619, évinça l’ancienne date, mais hérita de l’objet de la fête44 ». Quelle était cette date ancienne ? On peut lire dans BHG 1058a : Ainsi donc, depuis ces temps jusqu’à maintenant se célèbre une brillante et illustre synaxe, à savoir la mémoire de la dédicace (μνήμη τοῦ ἐγκαινισμοῦ) des saints et glorieux apôtres Pierre et Marc dans la vénérable maison (ἐν τῷ αὐτῆς σεβασμίῳ οἶκῳ) de la mère de Dieu, au mois de novembre45.

La fête du 2 juillet entraîna sans doute la disparition de la fête de novembre. Une Vie de la Vierge, attribuée à Maxime le Confesseur (VIIe s.) et conservée en géorgien, a retenu l’attention de la critique46. Après que l’archange Gabriel vint lui « annoncer son glorieux transfert, comme autrefois sa conception merveilleuse », la Vierge, pleine de joie, organisa tout pour son départ d’ici-bas. Au nombre de ses prescriptions, elle demanda à Jean l’Évangéliste dans la maison duquel, à Sion, elle résidait, « de donner ses deux vêtements aux deux veuves qui la servaient. » Tous les apôtres et disciples furent soudain réunis autour d’elle, tombés « de la superbe nuée comme des gouttes de rosée parfumées ». Elle leur montra un rameau de palme reçu de l’archange, « signe de son trépas », les bénit et « disposa le rite de son embaumement et de sa sépulture ». Puis ce fut « la grandiose et merveilleuse arrivée du Christ Dieu et son fils », ainsi que sa garde céleste. Alors la mère de Dieu « s’endormit d’un sommeil doux et désirable ». Son âme fut menée au paradis ; quant à son corps, les apôtres le portèrent « dans la région de Gethsémani, comme cela avait été préordonné par la sainte Théotokos ». Il y eut de nombreux miracles. Les apôtres restèrent trois jours auprès du tombeau à entendre la psalmodie des anges, jusqu’à ce qu’un apôtre retardataire arrivât ; il « supplia les saints apôtres d’ouvrir le tombeau vénérable, pour rencontrer le corps glorieux de la toute sainte Théotokos. » Mais « le tombeau se trouva vide. Cependant les bandelettes et le linceul dans lequel ils la déposèrent, ils les trouvèrent, et le corps de la Vierge n’y était pas. » Cet apôtre, c’était Thomas.

43 Il en est de même pour Lég. Galb. et Cand. 2, comme lecture pour la fête de l’Assomption au 15 août, instituée par l’empereur Maurice (582-602). 44 WENGER, Assomption, p. 136.  45 Lég. Galb. et Cand. 1,  16, p.  302-303. Identifiée, quoique sans certitude, avec la mosquée Kocamustafapaşa : JANIN, Églises, p. 402. 46 VAN E SBROECK, Maxime.

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Puis Maxime raconte « comment la Théotokos a remis en relique désirable son vêtement incorruptible à la grande ville de Constantinople, et comment elle l’a désigné comme trésor inviolable de l’Église. » Ici est rapportée la légende de Galbios et Candidos, suivie d’une rapide mention de la déposition de la ceinture aux Chalcoprateia : C’est pourquoi est demeuré incorrompu, depuis lors jusqu’à ce jour ce vêtement saint de la toute pure et célébrée Théotokos. De cette manière, la sainte mère immaculée du Christ gratifia la même ville de sa ceinture dont elle se ceignait le corps qui a contenu l’incontenable, le roi de toute chose. Et pour cela a été construite la belle église des rois croyants, à la gloire de la sainte Théotokos qui s’appelle Khalkoprateia, et là est conservée sa ceinture incorruptible, comme couronne de gloire et rempart de la foi solide de la ville, et gage de victoire pour les rois servant Dieu.

Michel van Esbroeck s’est efforcé, en introduction à son édition, d’établir la validité de l’attribution à Maxime. Reprenant la démonstration, Stephen Shoemaker, qui ne peut suivre son prédécesseur sur tous les points, a retenu à tout le moins le VIIe siècle comme date de composition47. La proximité avec Théodore le Syncelle pose la question du rapport de dépendance entre les deux œuvres. Selon Michel van Esbroeck, Théodore dépend de Maxime, ce qui ne paraît pas certain à Stephen Shoemaker, pour qui leurs productions, bien que proches dans le temps (VIIe s.) et l’espace (Constantinople), n’ont pas de lien de dépendance directe l’une envers l’autre. Tous deux auraient eu recours à une version du « type B » en circulation à leur époque et aujourd’hui disparue. Or, il importe de voir que la Vie par Maxime réunit toutes les traditions anciennes sur les reliques des vêtements de la Vierge : (1) deux vêtements légués par la Vierge à deux veuves48 ; (2) les bandelettes et le linceul trouvés dans le tombeau vide par les apôtres49 ; (3) la Légende de Galbios et Candidos ; enfin, (4) la ceinture déposée au sanctuaire des Chalcoprateia.

SHOEMAKER, Relics, p. 53. Liés à la Dormition de la Vierge. La mention de deux vierges légataires de Marie chez Théodore le Syncelle, face à la femme juive de la Légende de Galbios et Candidos, « type A », montrerait, selon Antoine Wenger, une harmonisation délibérée par Théodore de la Légende sur la tradition de la Dormition. Pour Stephen Shoemaker, Théodore reproduit simplement un plus ancien modèle du « type B ». 49 Liés à l’histoire de l’apôtre retardataire. Le plus ancien témoin est une homélie transmise sous le nom de Jean Chrysostome, conservée en arménien, sans doute composée au VIe siècle : SHOEMAKER, Relics, p. 66 ; ID., Traditions, p. 69-70. 47

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On évoquera rapidement deux traditions relatives à des vêtements marials qui entrèrent chacune à leur manière en concurrence avec la Légende de Galbios et Candidos50. La première – interpolée dans la deuxième homélie de Jean Damascène sur la Dormition (v. 750)51, on la trouve aussi à l’état indépendant52 –, qui concerne les linges funèbres, est connue sous le nom d’Histoire euthymiaque. 〈Marcien et Pulchérie〉 avaient appris qu’il existait à Jérusalem un tombeau de la Vierge. Juvénal répondit en évoquant les traits principaux de la légende classique de la dormition, telle qu’on peut la lire dans l’écrit attribué à Jean l’Évangéliste53 : les apôtres furent rassemblés en un instant par les nuées pour assister à la remise de l’âme de la Vierge entre les mains de Dieu. Ensuite son corps fut transporté à Gethsémani. Thomas étant absent lors de la déposition, ils lui ouvrirent le tombeau, mais ne trouvèrent que les vêtements funèbres ; et ils refermèrent le cercueil. Étaient présents à cette scène Timothée d’Éphèse et Denys l’Aréopagite. Et de citer ici le Traité des noms divins de Denys, qui raconte au livre III comment de fait Denys, Timothée et Hiérothée assistèrent à la dormition et à l’invention du tombeau vide54.

Ayant donc reçu de Juvénal les reliques, les souverains les déposèrent aux Blachernes. Le règne de Justinien a paru propice à la naissance de ce récit, issu d’un milieu chalcédonien, sans doute constantinopolitain55. Antoine Wenger a toutefois émis une autre hypothèse :

WORTLEY, Marian relics. Jean Damascène, Hom. Dorm., p. 168-175 et ID., Œuvres, p. 536-539. Elle fut encore résumée dans le quatrième discours de Cosmas Vestitor sur la Dormition (2e moitié du VIIIe s. ?) : WENGER, Assomption, p. 328-333 (version latine ancienne, l’original grec étant perdu). Voir encore au 2 juillet, Syn. Const., col. 794 (Juvénal, patriarche de Jérusalem). Nicéphore Calliste, H.E., XIV, 14, col. 44C-45C ; Syméon Métaphraste, Oratio de sancta Maria, col. 560AC. JUGIE, Histoire euthymiaque et I D., Vierge, p.  159-167. Pour l’ensemble des sources : M IMOUNI, Dormition, p. 552s. 52 Dans le Sinaiticus 491, fol. 246v-251 (VIIIe /IXe s.), qui contient également Lég. Galb. et Cand. 2. 53 BHG 1055 : TISCHENDORF, Acta, p. 95-112. 54 VAN E SBROECK, Histoire Euthymiaque, p. 480. 55 Selon Michel van Esbroeck (Ibid., p. 481), il s’agissait d’étayer les « revendications chalcédoniennes » sur le tombeau hiérosolymitain de la Vierge à Gethsémani, une tradition dont cette histoire fournirait le plus ancien témoignage. Une église y fut sans doute érigée dans la première moitié du V e siècle ; elle renfermait dans une abside, à l’est, le tombeau. M ARAVAL, Lieux saints, p. 264, rappelle que, selon l’Histoire euthymiaque (Jean Damascène, Hom. Dorm., 2, 18, p. 170), l’édifice est antérieur à l’épiscopat de Juvénal. On l’attribue au règne de Théodose Ier (379-395) : Jérus. Nouv., p. 808-810, 825-831 ; OVADIAH, Corpus, no 88, datation appuyée par l’archéologie : BAGATTI, Tomb. Une restauration est sans doute intervenue sous Maurice (582-602). L’édifice, de forme octogonale, était censé se dresser à l’emplacement de la maison de la Vierge : Ant. Plac., Itin., 17, 2 ; voir encore Brev. b, 7 ; Théodosius, De situ, 10 ; Adamnanus, De locis, I, XII, 1-3 ; Sophrone, Anacreont. 20, col. 3824B, l. 99-100. MIMOUNI, Dormition, p. 561-562 : le récit « aurait eu alors pour but de justifier à la fois le sanctuaire du tombeau de Gethsémani et le sanctuaire des reliques des Blachernes à Constantinople. Il symboliserait ainsi une union doctrinale entre Jérusalem et Constantinople. » 50 51

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La légende de Galbios et Candidos n’est pas particulièrement édifiante. Elle ne donne pas des garanties absolument sûres de l’authenticité du vêtement marial. Lorsqu’au cours du VIIe et surtout vers le début du VIIIe siècle, la pensée de l’assomption mariale se posa clairement à la conscience de l’Église, l’auteur de l’Histoire euthymiaque voulut harmoniser la légende du vêtement avec les données apocryphes. Il proposa d’identifier la relique mariale des Blachernes avec les vêtements funèbres, trouvés par les apôtres dans le tombeau vide, comme l’affirme la finale du discours de Jean de Thessalonique fournie par le Vatic. gr. 2072, et considérée comme primitive par le P.  Jugie. Cette identification une fois décidée, l’auteur de l’Histoire euthymiaque inventa le cadre historique qui permit d’expliquer le transfert de la relique à Constantinople. L’Histoire euthymiaque serait donc une explication de l’origine de la relique du vêtement marial aux Blachernes, révisée en fonction de la croyance « assomptioniste », du VIIe-VIIIe siècle. Cette interprétation expliquerait en même temps l’importance que prend dans cette légende la dormition même de la Mère de Dieu. L’hypothèse est fragile ; on pourrait dire avec non moins de vraisemblance que l’épilogue du Vatic. gr. 2072 est inspiré de l’Histoire euthymiaque. Celle-ci garde donc pour nous tout son secret56.

Au début du VIe siècle, le patriarche Timothée Ier (511-518) institua une procession hebdomadaire, le vendredi, entre l’église de la Vierge des Blachernes et celle des Chalcoprateia57 ; l’empereur Maurice (582-602) codifia la cérémonie, à laquelle prenaient part les empereurs58. On ne saurait assez souligner le caractère symbolique et les enjeux ‘politiques’ de cette Πανήγυρις entre deux des principaux sanctuaires marials de la capitale, d’autant que les Chalcoprateia possédaient eux aussi un vêtement de la Vierge, la ceinture. Mais divers récits surgissent qui donnent aux reliques mariales un sens différent dans chaque église. Il y a donc, dans les initiatives mariales des empereurs, plus qu’une simple dévotion personnelle. On n’exagérera pas en parlant d’un acte politique destiné à colmater la faille anti-chalcédonienne, ouverte de manière sanglante à Jérusalem dès 451, avec des martyrs des deux côtés59.

56 WENGER, Assomption, p. 138-139 ; MIMOUNI, Dormition, critique sur plusieurs points sa position. 57 Théodore le Lecteur, H.E., Epitome 493, p. 140. Voir L ATHOUD – PEZAUD, Chalcoprateia ; JUGIE, Chalcopratia. 58 Théophane, Chron., I, p. 265-266 (AM 6080 [587/588]). Voir K NIAZEFF, Théotokos ; JANIN, Processions ; ID., Églises, p. 169-170. 59 VAN ESBROECK, Culte, sp. p. 182-183. Voir encore MIMOUNI, Dormition, p. 603 : les deux reliques « doivent être traitées séparément », car elles « relèvent vraisemblablement de deux milieux doctrinaux différents : la relique du vêtement, des partisans de Chalcédoine, la relique de la ceinture, des opposants. »

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L’origine du sanctuaire des Chalcoprateia est incertaine : dans une de ses Novelles, Justinien met au compte de Vérine, femme de Léon Ier, la construction « de la maison vénérable de la sainte et glorieuse Vierge Marie, Mère de Dieu, située dans le voisinage de la Grande Église60 », alors qu’un témoignage contemporain, Théodore le Lecteur (v. 530), la signale au nombre des « maisons de prière » élevées par l’impératrice Pulchérie61. Théophane copie Théodore le Lecteur, tout en attribuant la conversion de la synagogue des Chalcoprateia en église de la Vierge à la fois à Pulchérie et à Justin II (en 577)62. Le témoignage de Codinos concilie ces informations : Chalcopratia était, à l’époque du grand Constantin, habité par les Juifs, qui y vendaient de la batterie de cuisine (τὰ Χαλκώματα). Ils y restèrent cent trente-deux ans, jusqu’au jour où Théodose le Jeune les expulsa de l’endroit, qu’il fit purifier et où il fit ériger un temple de la Mère de Dieu. Ce temple ayant été renversé par un tremblement de terre, Justin Curopalate le releva et le dota de riches immeubles63.

Les patriographes mettent encore la fondation de la chapelle de la ceinture au compte de Justin II et Sophie64. Cette σορός se trouvait à gauche de l’église et communiquait avec elle65. L’origine de la relique n’est pas plus claire : Martin Jugie a relevé différents témoignages, le plus ancien étant un tropaire de Maxime le Confesseur (VIIe s.) pour la fête de la κατάθεσις τῆς ζώνης66. Vers 888, Euthyme de Contantinople

Novelle 3, citée par JANIN, Églises, p. 241. Théodore le Lecteur, H.E., Epitome 362, p. 102. Nicéphore Calliste, H.E. XIV, 2, col. 1061B ; 49, col. 1233A. Pour JUGIE, Vierge, le « document officiel » doit être préféré, et la fondation attribuée à Vérine ; c’est aussi l’opinion de M ANGO, Origins. JANIN, Églises, p. 241 : « En réalité, il est probable que Pulchérie entreprit le travail, mais que Vérine l’acheva, ce qui permet à Justinien de dire que c’est celle-ci qui en est l’auteur. » 62 Théophane, Chron., I, p. 102 (AM 5942 [449/450]), 248 (AM 6069 [576/477]).  63 De aed. const., col. 560, tr. JUGIE, Chalcopratia ; P REGER, Patria, III, 32, p. 226-227. Cf. encore Ibid., 147, p. 263. C’était, en effet, un phénomène assez courant que des restaurateurs fussent crédités de l’érection originelle d’un édifice. C AMERON, Justin II, p. 77-78. Pour d’autres témoignages concordants et une attribution assez tardive de l’église à Zénon : JANIN, Églises, p. 237. 64 L’église, de forme basilicale (des restes ont été retrouvés), était flanquée de plusieurs chapelles, dont une du Christ et une de Saint-Jacques : supra, p. 67. 65 Il y avait un autel : JANIN, Églises, p. 241, de même que pour les autres reliques qui se trouvaient dans la chapelle ou dans l’église. 66 Conservé en géorgien : K EKELIDZE, Maxime, p. 41. Ce sont encore : (1) un canon de saint Joseph l’Hymnographe (IX e s.), Canon 105, PG 105, col. 1009s. ; (2) un discours anonyme sur l’invention et la déposition de la ceinture de la Vierge : Τίς ὁ φαιδρὸς σύλλογος οὗτος (BHG 1147), éd. COMBEFIS, Novum Auctarium, col. 789-804. On le trouve dans les manuscrits sous diverses attributions ; (3) un discours (BHG 1086) du patriarche de Constantinople Germain (715-729) pour la dédicace des Chalcoprateia, consacré aux reliques qui y sont conservées (langes de Jésus et ceinture de la Vierge) : PG 98, col. 372-384. Il existe de cette homélie une version géorgienne. 60 61

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PREMIÈRE PARTIE

prononça un discours aux Chalcoprateia pour la fête de la ceinture de Marie et des langes de Jésus. Dans la châsse redoutable et toujours entourée de lumières, où cette précieuse ceinture est déposée, nous avons trouvé une inscription portant que ce fut sous le règne de l’orthodoxe Arcadius, fils du grand Théodose, illustre par ses vertus, que cette ceinture fut enfermée ici, le 31 de ce dernier mois (août). Et comme vous pouvez le constater, elle est restée jusqu’à ce jour intacte et sans tache ; elle n’a rien perdu de sa pureté, de son éclat et de sa couleur ; mais elle brille plus belle que la neige, et la fraîcheur de ses teintes écarlates ferait croire qu’elle a été tissée d’hier67.

La découverte sous Léon VI le Sage (886-912) d’une inscription faisant remonter la déposition de la relique au règne de l’empereur Arcadius (395-408) est encore évoquée dans le Ménologe de Basile II68. Martin Jugie s’interroge sur la valeur de l’inscription : Entre Arcadius et Léon le Sage, il y a plus de 410 ans. Le seul moyen de concilier le calcul du Ménologe avec l’histoire serait de faire partir les 410 ans de l’année 477 ou 478. À cette époque, l’impératrice Vérine, fondatrice présumée du sanctuaire de Chalcopratia, était encore de ce monde. Emprisonnée par Zénon en 478, elle ne put guère s’occuper, à partir de cette date, de construire des églises à Constantinople. Si l’on accepte cette hypothèse, il faudra placer la guérison de Zoé en l’année 887 ou 888, date qui s’accorderait bien avec ce que nous avons conjecturé touchant l’époque où Euthyme prononça son discours. On pourra admettre que la ceinture de la Vierge fut apportée à Constantinople sous Arcadius, et que ce prince l’enferma dans la sainte châsse, alors que le sanctuaire de Constantinople n’existait pas encore, mais il faudra dire que le billet trouvé à la fin du IXe siècle ne fut rédigé que vers 477. Si Justin II rebâtit l’église de Constantinople un siècle plus tard comme le dit Codinus, c’est à cette époque vraisemblablement qu’il faut placer l’institution de la fête du 31 août en l’honneur de la ceinture de la Vierge69.

Le Ménologe de Basile II associe par ailleurs la relique de la ceinture à celle du vêtement (découvertes, l’une et l’autre, à Jérusalem, chez une pieuse vierge). À côté du transfert de la relique sous Arcadius, depuis Capharnaüm, en Palestine, le Synaxaire de Constantinople fournit deux autres traditions : (1) translation depuis Zéla, en Cappadoce, sous Justinien70 ; (2) translation depuis Zéla 67 Euthyme de Const., Homilia (BHG 1138). Le discours est à lire dans le contexte de la querelle autour des mariages successifs de Léon VI devant entraîner la déposition du patriarche Nicolas Ier, remplacé par Euthyme (907-912) : DARROUZÈS, Euthyme. 68 Mén. Basile, col. 613. 69 JUGIE, Chalcopratia. 70 Syn. Const., col. 935 (31 août).

CHAPITRE III – LES VÊTEMENTS DU CHRIST ET DE LA VIERGE

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en 942, sous Constantin Porphyrogénète et Romain Lécapène, et déposition, le 31 août, dans la Châsse des Blachernes71. La tradition de la ceinture est donc particulièrement ‘flottante’72. La répartition des reliques entre Blachernes et Chalcoprateia demeure d’ailleurs ambiguë. Selon les patriographes (Xe s.), pour qui l’empereur Justin II et l’impératrice Sophie construisirent la Châsse des Chalcoprateia, cette dernière abritait non seulement la ceinture, mais aussi le vêtement de Marie (ἡ τιμία ζώνη καὶ ἡ ἐσθὴς τῆς ἁγίας Θεοτόκου)73. Pour Nicéphore Calliste (XIVe s.), Pulchérie, l’épouse de Marcien, aurait déposé, avant l’arrivée du vêtement (ἡ τιμία ἐσθής) et la construction de la Châsse sous Léon Ier, des bandelettes funéraires (τὰ ἐντάφια σπάργανα) aux Blachernes74, et la ceinture aux Chalcoprateia75. Notons toutefois que la ceinture emprunte sans doute en partie sa légende à la relique du vêtement : Des hommes venus de Jérusalem […] poussés par une foi ardente, ont volé la précieuse ceinture et l’ont pieusement déposée dans le bourg de Zela : comment s’accomplit cet admirable larcin (τὴν ἐπαινετὴν ταύτην κλοπήν), par suite de quoi, de quelle manière ont-ils procédé, quand cela s’est-il produit, aucune relation écrite de cette histoire ne nous l’a transmis, excepté seulement par tradition non écrite76.

Il faut, enfin, dire un mot sur l’ « admirable larcin ». La tradition voulait donc qu’un vêtement de la Vierge ait été découvert en Palestine et rapporté à Constantinople vers 473, à la fin du règne de Léon Ier. Selon la Vie de saint Daniel le Stylite, le même empereur fit venir dans sa capitale des reliques des Trois Hébreux depuis leur sépulcre de Babylone. Le récit de leur invention nous

71

Ibid., col. 600 (12 avril). Dans la Vie dite de Maxime (VIIe s.), la ceinture semble être l’un des « deux vêtements » ; dans la notice du Synaxaire de Constantinople, c’est un ἐσθής. Selon le Transitus latin du Pseudo-Joseph d’Arimathie, la Vierge, au cours de son transfert au ciel, aurait laissé tomber sa ceinture pour l’apôtre Thomas retardataire. À cela s’ajoute le problème des langes de Jésus. Voir SHOEMAKER, Relics. 73 P REGER, Patria, III, 147, p. 263 : […] Τὸ δὲ ἅγιον ὠμοφόριον ἐν Βλαχέρναις. 74 Nicéphore Calliste, H.E., XIV, 2, col. 1061A et XV, 14, col. 45C ; 24, col. 69D. Il y aurait eu encore aux Blachernes une partie de la ceinture et le voile (μέρος τι τῆς αὐτῆς ἀξιαγάστου ζώνης, καὶ τὸ τῆς κεφαλῆς ἐπικάλυμμα) : ibid., XVIII, 38, col. 401C. JANIN, Églises, p. 168 : « Le vêtement, le voile et le morceau de la ceinture de la Vierge furent certainement sauvés pendant l’occupation latine, puisque les pèlerins russes les signalent aux XIV e et XV e siècles, mais ils se trouvaient alors dans l’église même, enfermés dans un coffre de pierre scellé au-dessus de l’autel. Il est possible que la chapelle de la châsse n’existât plus à cette époque. Les reliques furent sans doute consumées lors de l’incendie de 1434, car on n’en parle plus après cette date comme encore existantes. » 75 Nicéphore Calliste, H.E. XIV, 49, col. 1233AB ; XV, 14, col. 41D. 76 Ménologe impérial A, L ATYŠEV, Ménologe, II, p. 342-344, au 31 août. 72

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PREMIÈRE PARTIE

est parvenu77. Les deux pièces, mises en regard, se ressemblent étrangement : une maison isolée ; le maître de maison est un(e) juif(/ve) ; dans cette maison viennent dormir des malades auprès d’une mystérieuse puissance thaumaturgique ; les miracles attirent l’attention de chrétiens ; ces chrétiens désirent en connaître la source et usent d’un stratagème : ils enivrent leur hôte(sse), s’ensuit le vol de la (des) relique(s), puis la colère ou le chagrin de toute une communauté spoliée, enfin, honneur est rendu aux reliques. Mais le plus caractéristique demeure l’épisode de la révélation78. Or, dans la Légende de Galbios et Candidos, l’ivresse de la Juive n’appartient qu’au groupe ancien, « type A » : Désireux d’apprendre comment ces malades sont guéris, les deux patrices recourent à un stratagème : ils invitent la femme à souper avec eux et ils la forcent à boire ; la femme livre sans difficulté son secret. Le fait n’est pas édifiant, ni de la part des patrices ni de la part de la vieille femme. Théodore ne peut rapporter ce détail dans son sermon. Il maintient l’épisode du repas, mais se garde bien de parler de vin et d’ivresse. Pourtant, dans la pensée du narrateur primitif, le repas était simplement le piège tendu à la vieille, l’occasion pour la faire boire et par ce moyen la forcer à parler. Théodore donne à son récit un caractère noble et religieux : les deux patrices adjurent la juive par le mystère dont elle est dépositaire de leur dire la vérité. Gémissements, soupirs, exclamations, premières révélations partielles, secret enfin livré, constituent toute une mise en scène, parfaitement réussie d’ailleurs, que Théodore substitue au fait brutal de l’ivresse79.

Ceci pourrait confirmer, s’il en était besoin, l’antériorité du « type A » sur le « type B ». Mais s’agissant des deux récits d’invention, dans quel sens s’opéra l’influence ? L’Invention des Trois Enfants parvint-elle à Constantinople sous Léon, en même temps que leurs reliques, avant que ne vît le jour la Légende de Galbios et Candidos ? Ou bien un récit fut-il élaboré après la translation de leurs reliques, sur le modèle de la Légende ? On retiendra la date tardive, dans le règne de Léon, de l’arrivée (présumée) de l’habit marial. La langue de l’Invention pose toutefois problème : les reliques parvinrent-elles avec une traduction grecque de l’original (syriaque)80 ? Traduisit-on sur place ? Si cela est, doit-on

77

Supra, p. 47s. Dans l’Invention des Trois Enfants, l’épisode est double : d’abord un juif converti obtient le secret de son hôte par le vin et la solidarité de religion, puis les chrétiens déguisés en païens, par le vin et l’amitié.  79 WENGER, Assomption, p.  128-129.  Théodore suit peut-être un modèle du « type B », où l’ivresse n’avait plus part. 80 La chose n’a rien d’improbable ; c’est ce que l’on fit avec les Passions des martyrs perses : FOWDEN, Sergius, p. 57. 78

CHAPITRE III – LES VÊTEMENTS DU CHRIST ET DE LA VIERGE

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encore croire, avec Gérard Garitte, que ce texte n’eut qu’une faible diffusion81 ? Devant toutes ces questions, on se bornera à constater la dépendance de nos récits. Repères chronologiques 471/473 (?)

fin Ve s. (?) déb. VIe s. av. VIIe s. VIe/VIIIe s.

81

Invention (‘vol’) du vêtement marial en Palestine et transfert à Constantinople ; déposition aux Blachernes ; construction de la chapelle de la Châsse Composition de la Légende de Galbios et Candidos  Institution d’une procession hebdomadaire entre Blachernes et Chalcoprateia  Naissance de la légende de la ceinture  Naissance de la légende des habits funèbres et composition de l’Histoire euthymiaque 

On peut en tout cas noter la large et précoce diffusion de leurs reliques dans l’Empire romain.

CHAPITRE IV

Les martyrs Même si la tradition fait généralement remonter le culte des martyrs au jour de leur mort et de leur inhumation, ce ne fut pas toujours le cas, loin s’en faut. Les raisons sont multiples : conditions précaires de communautés souvent contraintes à la clandestinité ; réticences premières vis-à-vis du culte des reliques, etc. Mais dès que cela fut possible, chaque Église dressa un bilan des persécutions et recensa ses martyrs ; on se mit alors à rechercher leurs dépouilles1. Ce mouvement fut-il uniforme ? Contrairement aux saints bibliques, il est difficile de repérer des zones privilégiées. Il en va de même concernant le ‘type’ de reliques (re)découvertes2. Une constante toutefois : l’importance de la sépulture. C’est là, en effet, depuis le tombeau, que se diffusa le culte. Mais sur quelle tradition s’était-on appuyé ? Mémoire collective des communautés, mémoire individuelle ? Des lieux susceptibles de receler des parcelles de corps saints furent sans doute explorés, tels les catacombes et les cimetières. Mais quand toute tradition était rompue, quelque chose devait y suppléer : l’invention inspirée servit à combler le hiatus. On rencontre plusieurs cas de figure : (1) La découverte intervient quelquefois juste après le martyre. Plutôt qu’à des inventions au sens strict du terme, on a davantage affaire à des récupérations miraculeuses de corps voués à la destruction (Quarante Martyrs ; Basile d’Amasée ; Eusèbe, Nestabos et Zénon). (2) Le corps a été inhumé en cachette, et seul un petit groupe de gens garde mémoire du tombeau avant qu’il ne soit révélé au plus grand nombre (Cyprien). (3) Les martyrs sont inconnus et présentés comme tels au moment de l’invention (Gervais et Protais ; Cyr et Jean ; Sept Dormants ; Luc, Phocas, Romain). (4) Parfois, ce sont

1 Voir notamment, l’activité de Damase (366-384) à Rome : Liber Pontificalis, I, p. 84 et 212 : Hic multa corpora sanctorum requisivit et invenit, quorum etiam versibus declaravit. Cf. PIETRI, Damase ; ID., Rome, p. 595-624. 2 Recherche de modèles, de génies tutélaires, etc. On peut ainsi considérer, par exemple, l’importance des saints militaires ou des saintes femmes dans le discours des Pères cappadociens.

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PREMIÈRE PARTIE

au contraire des reliques ou, plus souvent, des fragments de reliques de martyrs bien connus, mais dont on avait oublié la présence, tels les Quarante Martyrs de Sébaste découverts dans deux églises de Constantinople.

1. Eusèbe, Nestabos et Zénon Sous le règne de Julien l’Apostat (361-363), le peuple de Gaza, encore majoritairement païen, décida de mener une campagne de représailles contre les chrétiens de la ville. Brossant le tableau des exactions dont ils furent alors victimes, Sozomène en vient à relater le meurtre de trois frères, Eusèbe, Nestabos et Zénon3, immédiatement suivi de la récupération miraculeuse de leurs corps4 : d’abord emprisonnés et fustigés, les trois hommes furent mis à mort de la façon la plus atroce par une foule aveuglée de haine et enivrée de sang, et leurs dépouilles pitoyables, affreusement mutilées et déchiquetées, brûlées aux portes de la ville, puis jetées dans un charnier pour animaux. Mais Dieu, dans un rêve nocturne, intima l’ordre à une habitante, quoique non native de Gaza, de recueillir leurs restes, puis de les remettre à « leur cousin, Zénon » (Ζήνωνι τῷ αὐτῶν ἀνεψιῷ)5. Celui-ci avait échappé de peu à la fureur de ses concitoyens, et se cachait dans le port de la ville, après avoir été cruellement mis à mal et chassé d’Anthédon6 : il avait pensé y trouver son salut, mais là aussi les païens dominaient par le nombre. Zénon reçut les reliques dans une « marmite » (χύτρᾳ), et les conserva précieusement chez lui, jusqu’au temps où, devenu évêque de Maïouma (sous le règne de Théodose), il érigea une maison de prière et un autel aux portes de la ville pour les y déposer. À proximité se trouvait le tombeau de Nestor, qui avait confessé sa foi en même temps que les trois frères. Les émeutiers, émus par la beauté de son corps, n’avaient osé l’achever ; laissé pour mort, il avait rendu son dernier soupir chez Zénon. Né sans doute aux alentours de 380, à proximité de Gaza7, Sozomène livre ici des renseignements de première main, puisqu’il rencontra l’évêque Zénon, alors centenaire, vers 395/400. Il est permis de croire qu’il fréquenta le martyrion8. Les synaxaires grecs enregistrent, au 21 (20 ou 22) septembre, d’après

JANIN, Eusèbe ; ID., Eusebio, Nestabo e Zenone. M ARAVAL, Lieux saints, p. 304. Sozomène, H.E., V, 9, p. 205-206 (GCS) et p. 129-135 (SC). L’épisode est inséré par l’historien latin Cassiodore dans son Histoire tripartite, VI, 11 ; Nicéphore Calliste, H.E., X, 8, col. 460-464. 5 SAUGET, Zenone. Chez Nicéphore, col. 461B, Zénon est le neveu des martyrs : τῷ τῶν μαρτύρων ἀνεψιῷ Ζήνωνι […] Τοῦ γὰρ δήμου περὶ τὴν τῶν θείων αὐτοῦ ἀναίρεσιν ἔχοντος τὴν σπουδήν. 6 À vingt stades de Gaza : BENZINGER, Anthedon.  7 Sozomène vit sans doute le jour dans la komè de Béthéléa : Sozomène, H.E., V, 15, 14 et VI, 32, 5. BENZINGER, Bethelea ; LEVENQ, Béthelia. 8 Le martyrion n’est pas mentionné dans la Vie de Porphyre, ce qui n’est peut-être pas étonnant eu égard à la stricte ‘séparation’ des sanctuaires de Gaza et de Maïouma : infra, p. 369s. 3 4

CHAPITRE IV – LES MARTYRS

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Sozomène, la mémoire des martyrs, avec Nestor le Confesseur et Bousiris9. Ce dernier peut être identifié avec le personnage (un autre confesseur du règne de Julien) mentionné un peu plus loin par le même historien : On dit que Bousiris aussi, à Ancyre de Galatie, soutint, pour la religion, un martyre glorieux et très courageux. Il appartenait alors à la secte de ceux qu’on nomme encratites. Le gouverneur de la province le fit saisir comme déblatérant contre les païens et voulut le torturer. Il le fit conduire en public au bois de torture et prescrivit qu’il y fût suspendu. Bousiris leva les deux mains à sa tête pour découvrir ses côtes ; et il dit au gouverneur que les bourreaux ne devaient pas prendre une peine inutile, à l’amener sur le poteau et à l’en descendre : il était prêt, sans cela, pour autant que le gouverneur le voudrait, à présenter ses côtes aux bourreaux. Étonné de cette promesse, le gouverneur fut plus encore frappé de stupeur par l’événement. Comme en effet on lui lacérait les côtes avec des crochets de fer aussi longtemps qu’il plaisait au gouverneur, il supporta patiemment la chose, les bras levés, acceptant avec empressement les coups. Mis en prison après cela, il fut libéré peu après, à la nouvelle de la mort de Julien. Il survécut jusqu’au règne de Théodose et passa à l’Église catholique, ayant condamné son hérésie antérieure10.

On ne connaît ni Passion ni Éloge consacrés à Eusèbe, Nestabos et Zénon ; il n’y en eut peut-être jamais. Repères chronologiques 361/363 Meurtre des trois frères à Gaza 379/395 Invention des reliques hors les murs de Gaza ; déposition dans un martyrion, dans un cimetière (?), entre Gaza et Maïouma v. 450 Sozomène rapporte le martyre et l’invention

2. Les Sept Dormants Dès le VIe siècle, de nombreuses sources ont rapporté, sous une forme plus ou moins détaillée, une étrange découverte qui eut pour théâtre la ville

9 Syn. Const., col. 61, 66-67, 69 ; Typicon, p. 41 ; cf. Act. Sanct. Sept., III, p. 256-259. Noter encore la mémoire des frères martyrs au 28 avril : Typicon, p. 275 : « Le même jour, les ss. martyrs Vital, Zénon, Eusèbe, Néon et Nestabe, et le s. apôtre Simon le Cananéen, surnommé Jude 〈fils〉 de Cléophas […] ». Selon Gérard Garitte (Calendrier pal.-géo., p. 210), leur introduction dans un autre groupe – Euloge, Eusignius, Néon, Eudocius – est sans doute fortuite. On peut toutefois remarquer que toutes les annonces du 28 avril concernent des inventions de reliques : Basile d’Amasée et Maxime (du groupe Maxime, Dadas et Quintilien). Ils apparaissent encore parfois au 24 et 27 avril. Pour leur introduction, d’après Sozomène, dans le martyrologe romain à la date « arbitraire » du 8 septembre : DE GAIFFIER, Martyrologe, p. 13-14. Voir Comm. martyr. rom., p. 386, no 5. 10 Sozomène, H.E., V, 11, 4-6, p. 144-147 (SC).

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PREMIÈRE PARTIE

micrasiatique d’Éphèse11. La Légende des Sept Dormants, comme on l’appelle communément, demeure en effet une des plus curieuses histoires des premiers siècles de notre ère, qui n’en manqua pourtant pas ; elle suscita en retour bien des débats passionnés. La Passion des Sept Dormants d’Éphèse nous est parvenue sous diverses formes, en grec (BHG 1593-1599d), latin (BHL 2313-2319), syriaque (BHO 1012-1022), etc. Michael Huber a tenté de classer les différentes versions grecques en trois recensions ; ce travail a été invalidé par Ernst Honigmann12. Quoi qu’il en soit, de toutes ressort un fonds commun, et l’on peut prendre appui sur la Passion BHG 1594, improprement attribuée à Syméon Métaphraste, dans le Ménologe duquel elle a été insérée13. Voici à peu près ce que l’on peut y lire : Un jour, l’empereur Dèce (249-251) se rendit à Éphèse, ordonnant à tous les habitants de sacrifier aux dieux. Une terrible persécution s’abattit sur les chrétiens. Beaucoup faillirent ; les autres, subissant mille avanies, périrent dans les plus cruels tourments. C’est alors que sept jeunes nobles, officiers impériaux14, redoublèrent d’ardeur pour leur foi. Prêts au martyre, ils se retirèrent – l’empereur leur avait accordé un temps de réflexion – pour prier dans une grande caverne située à l’Orient de la ville, dans la montagne appelée Mochlos15. C’est là que Dieu, dans sa philanthropie, plongea les jeunes gens dans le sommeil de la mort. Lorsque l’empereur connut le lieu de leur retraite, mû par Dieu, il fit combler la bouche de la caverne par des pierres entre lesquelles deux chrétiens, les cubiculaires Théodore et Barbus, dissimulèrent, dans un étui de fer, « le témoignage des martyrs » gravé sur des tablettes de plomb. Bien du temps passa, puis, soudain, la trente-huitième année de Théodose, des hérétiques combattirent la croyance en la résurrection des morts. Les idolâtres, 11 La plus ancienne mention se trouve chez Jacques de Saroug († 521), Homélie (BHO 10211022). BROCK, Jacob of Serugh. Voir encore Ps.-Zach. Rhet., H.E. (v. 569), I, p. 114s. [79] ; L AND, Anecdota, I, p. 23-24, 109 ; III, p. 87-99 ou un fragment copte saïdique (BHO 1016), éd. GUIDI, Testi, p. 344-349. Parmi les sources syriaques plus tardives : Élie de Nisibe (début XIe s.), Chron., I, p. 113, ou Michel le Syrien (XIIe  S.), Chron., II, VIII, IV, p. 17A-21A, copié par Barhebraeus (XIIIe S.), Chron., I, p. 141-145. Parmi les sources grecques : Théophane, Chron., I, p. 88 (AM 5923 [430/431]) : ἀναστάντων αὐτῶν διὰ ρπβ´ ἐτῶν ; Georges le Moine, Chron., II, p. 604 : μετὰ ἔτη τοβ´ ; Léon le Grammairien, Chron., p. 108 ; Kédrénos, Hist. comp., I, p. 453 ; Photios, Bibliothèque, Cod. 253, t. VII, p. 209 ; Nicéphore Calliste, H.E., XIV, 45, col. 1212D-1216B. Il y a encore les témoignages des pèlerins ; parmi les plus anciens, celui de Théodosius (ap. 518) est néanmoins à prendre avec précaution : HONIGMANN, Stephen, p. 135. Voir encore SAXER, Dormienti ; BONNET, Dormants ; DE P RISCO – AVEZZI, Dormienti ; JOURDAN, Dormants ; Dormienti. 12 HUBER , Beitrag et I D., Wanderlegende ; HONIGMANN, Stephen, p.  132-134. Voir encore VAN E SBROECK, Dormants. 13 Pass. sept Dorm. 14 Maximilien, Jamblique, Martinos, Jean, Dionysios, Exakostodianos et Antoine. Les noms peuvent différer en fonction des versions. 15 Sur ce toponyme : HONIGMANN, Stephen, p. 135, n. 7.

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et, en premier lieu, des évêques, œuvraient au palais impérial, sous la conduite de Théodore d’Aigéai. Mais Dieu, « qui voulait montrer le mystère de sa Résurrection », inspira à un certain Adolios, propriétaire des lieux, le dessein de construire une étable avec les pierres de la caverne, rappelant ainsi à la vie les martyrs, nouveaux Lazare. Inconscients du temps écoulé depuis leur trépas (372 ans !), ces derniers envoyèrent à la ville Jamblique, le plus jeune d’entre eux. Son argent, qui n’avait plus cours, fit croire aux habitants qu’il avait trouvé quelque trésor. Le proconsul accourut avec l’évêque Étienne, lequel comprit aussitôt le mystère. Tous se rendirent à la caverne, où Étienne retrouva les deux tablettes de plomb. Elles furent adressées à l’empereur Théodose, qui se rendit sur-le-champ auprès des saints : ils plongèrent à nouveau dans le sommeil de la mort. L’empereur fit alors confectionner sept cercueils, mais les saints lui apparurent en songe, exigeant de demeurer à l’air libre, dans la caverne. On célébra une grande fête, en présence de nombreux évêques. L’empereur regagna Constantinople. Une église fut érigée au-dessus de la caverne et une fête annuelle instituée pour les Sept Dormants. François Jourdan, qui est récemment revenu sur les trois thèses d’origine de cette légende (latine, grecque et syriaque), a retracé les principales étapes de sa diffusion. Il se range à l’opinion d’Ernst Honigmann, qui voit à l’origine de tout un événement survenu à Éphèse16 en 448, ayant rapidement (449 ?) donné lieu à une première version écrite, en grec. Un siècle plus tard, la légende a déjà beaucoup circulé et évolué ; une version syriaque est connue en 569 (celle du Ps.-Zacharie le Rhéteur). Entre ces deux dates, elle a rayonné, notamment à partir de l’école « des Perses » d’Édesse17. Quoi qu’il en soit, lorsque le pèlerin Théodosius (ap. 518) se rendit à Éphèse, la ville, qui s’était peut-être déjà laissé déposséder de sa légende, conservait avec fierté, gisant à découvert, entourés de soie et de lin fin dans une grotte réaménagée en crypte, les corps des martyrs qui devaient la rendre célèbre jusqu’en Occident, comme en témoigne Grégoire de Tours au VIe siècle18.

LECLERCQ, Éphèse ; JANIN, Éphèse, col. 555-556, 561. HONIGMANN, Stephen, p. 129-130 : le texte syriaque de la légende étant connu des nestoriens comme des monophysites, ce pourrait être l’indice d’une version syriaque antérieure à 489 où l’école d’Édesse émigra à Nisibe, voire à 457 (mort de l’évêque Ibas). L’auteur estime encore hasardeux de fonder un raisonnement sur le silence de certaines sources, tels Prosper Tiro d’Aquitaine († 463), le comte Marcellin († v. 534) et Évagre le Scholastique (qui traite des années 431 à 594), comme on le fait parfois. 18 Grégoire de Tours, Mir. I, 94, p. 552 ; voir encore p. 460, 847-853 et K RUSCH, Passio Septem. Sur l’importante nécropole autour du sanctuaire : MILTNER, Coemeterium ; RBK, Ephesos, p. 192198 ; PILLINGER, Coemeterium. Les reliques de Marie Madeleine étaient également visibles à l’air libre, juste à la sortie de la crypte (grotte) de cette église : Grégoire de Tours, Mir. I, 29, 16 17

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PREMIÈRE PARTIE

Ernst Honigmann a développé son point de vue (une légende née d’un événement identifiable, datable et localisable) dans l’article cité19. Tout d’abord, en pointant le règne de Théodose II (408-450) – le seul des deux Théodose qui régna plus de trente-huit ans –, il rejoint le Père Peeters pour lequel la légende des Sept Dormants, sous sa forme actuelle, ne saurait être antérieure au milieu du Ve siècle20. Notons cependant qu’une nouvelle campagne de fouilles a remonté (d’après un examen des mosaïques) à la seconde moitié du IVe siècle la construction de l’église située dans la périphérie de l’ancien Éphèse, non loin de la petite montagne de Panayir Dagh, identifiée, sans doute à juste titre, comme le sanctuaire des Sept Dormants, et d’abord attribuée au milieu du V e  siècle21. Pierre  Maraval rappelle à ce propos qu’Eutychius d’Alexandrie († 940) place justement l’histoire sous Théodose Ier22. La trente-huitième année du règne de Théodose éclata une nouvelle hérésie dont les adeptes, sous la conduite d’un certain Théodore, évêque d’Aigéai, combattaient la croyance en la résurrection des morts. Il s’agit donc de l’année 445/446 (à partir de l’accession au trône du souverain) ou 440 (à partir de sa naissance). L’indication est précieuse, même si l’on ignore combien de temps séparait cet événement du miracle. Le nom de l’hérésiarque n’apparaît que dans l’une des versions grecques23 ; inconnu par ailleurs, il occupait vraisemblablement le siège d’Aigéai en Cilicie Seconde24. En revanche, un évêque Étienne d’Éphèse est bien connu à cette époque : les conditions ambiguës de son accession au siège de la métropole asiatique furent examinées au concile de Chalcédoine (451). Selon Ernst Honigmann, l’identification est des plus vraisemblables : le miracle, qui aurait permis de détruire l’hérésie, se serait produit dans les premiers temps de l’épiscopat d’Étienne, peut-être en août ou octobre 448, au p. 505 ; Photios, Bibliothèque, 275, t. VIII, p. 118, d’après une homélie de Modeste de Jérusalem. M ARAVAL, Lieux saints, p. 381. 19 Il a fait date et mérite que l’on s’y arrête. DESTEPHEN, Prosopographie, p. 860-877, sp. p. 876877 : « Bien que la démonstration d’Ernst Honigmann soit séduisante, elle reste spéculative et a suscité des réactions mitigées (FOSS, Ephesus, p. 43 et n. 37). […] Néanmoins, deux faits restent troublants. D’une part, le premier récit en grec à donner un nom à l’évêque est celui de Syméon Métaphraste. Or ce dernier emploie des ὑπομνήματα (comme Zacharie Continué) et désigne l’évêque du nom de Stéphanos, nom qu’on ne trouve dans aucune autre version. D’autre part, deux sources traitant du concile de Chalcédoine et sans rapport avec l’histoire des Sept Dormants appellent par erreur l’évêque Stéphanos d’Éphèse Markos (Ps.-Dioskoros d’Alexandrie, Panégyrique de Macaire de Tkow, p. 135 ; Sévère d’Ashmounaïn, Réfutation d’Eutychios, PO 3, 2, p. 171 [51] et 175 [55]). » 20 P EETERS, Bulletin et ID., Dormants. 21 JOBST, Bestattungskirche. 22 Eutychius d’Alexandrie, Annales, col.  1027CD ; p.  151 (CSCO 50) ; p.  71 (CSCO 472). M ARAVAL, Lieux saints, p. 381, n. 138. 23 La version BHG 1594 insérée dans le ménologe métaphrastique : Pass. sept Dorm., 11, col. 437A ; on le trouve encore chez Photios. 24 HONIGMANN, Stephen, p. 143-145, écarte une ville homonyme de la province d’Asie.

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moment où ce dernier avait besoin de conforter sa position25. Le mémoire aurait été écrit, sous sa forme originale, avant la mort de Théodose II (28 juillet 450). On y exalte la figure de l’évêque Étienne, lequel reconnut instantanément le caractère divin de l’événement, découvrit les Actes des martyrs propres à l’authentifier26, et se chargea d’instruire et de solliciter l’empereur. À qui plus qu’à l’évêque Étienne pouvait bénéficier ce miracle, qui lui assurait une légitimité bien fragile jusque-là ? Sans doute lui-même écrivit, ou fit écrire, ce mémoire. Ernst Honigmann va plus loin : certaines incohérences de la légende pourraient prendre sens du fait que le nom d’Étienne n’était plus en faveur après 451 – il était associé au ‘Brigandage’ d’Éphèse (449) et à la honte d’une accusation suivie d’une déposition –, et qu’un tel patronage eût plutôt été de nature à jeter un doute sur le miracle, sinon à le remettre en cause. N’est-ce pas pour cela que l’on remania le mémoire, tantôt omettant tantôt altérant le nom de l’évêque (Mares, Marinus, Maron, etc.) ? On modifia encore la chronologie et plusieurs sources (notamment Théophane) avancent le chiffre étonnant de 182 ans écoulés entre le ‘martyre’ et la résurrection : Dèce accéda au pouvoir en 249 ; 249 + 182 = 431… l’année du premier concile d’Éphèse ! Ernst Honigmann formule l’hypothèse selon laquelle Théodore le Lecteur (la source principale de Théophane pour cette période), qui manifeste une certaine prédilection pour les histoires miraculeuses, aurait, le premier, réadapté l’histoire des Sept afin de mieux l’inclure dans son Histoire ecclésiastique, en lui réimprimant un sceau d’orthodoxie. Mais, par la suite, l’histoire s’altéra de nouveau ; une nouvelle donnée chronologique (372 ans) vint s’insérer dans la trame du récit et acquérir sa légitimité à partir du moment où le miracle quittait définitivement le terrain de l’histoire pour la légende27. La Passion est inscrite dans les ménologes et synaxaires byzantins tantôt au 2, 4 ou 7 août ; tantôt au 17, 22 ou 23 octobre. Le Ménologe de Basile mentionne la fête de « l’apparition » au 23 octobre, et le Syn. Const. au 7 août (Syn. sel., col. 871-872). On trouve encore, dans ce dernier, leur « mémoire » au 4 août (col. 865-866) et leur « combat » au 22 octobre (col. 155-156). 26 Selon la Passion, on ignorait tout de ces martyrs ; mais ici la chose avait en soi peu d’importance puisqu’ils étaient eux-mêmes les témoins vivants de leur propre histoire et d’un passé vieux de 372 années ! Et parce que la providence ne faisait pas les choses à demi, le fil de la tradition devait être réparé par ces tablettes de plomb qui, retrouvées à l’entrée de la grotte, consignaient soigneusement leurs Actes. 27 HONIGMANN, Stephen, p. 141-142 : cette légende a donné naissance aux hypothèses les plus variées. Selon certains, on découvrit un jour effectivement sept corps ou reliques dans une caverne, tandis que d’autres tendent à y reconnaître l’ultime avatar d’une légende païenne qui aurait circulé à Éphèse. On a fait valoir que jamais des païens n’auraient ainsi vénéré des cadavres, tant était grande leur répulsion, d’autant que, mis à part l’Égypte et ses embaumements, il était usuel pour eux de brûler les morts. Mais il faut peut-être se méfier de ce genre de généralisation, car, dans une lettre adressée au clarissimus Hiérax, Isidore de Péluse (Ep., I, 55) parle de certaines reliques que les païens avaient exhumées et vénéraient dans le temple d’Artémis d’Éphèse. Or, Isidore étant mort vers 435, l’exhumation est antérieure de

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152 Repères chronologiques 2e m. du IVe s. 440 ou 445/446 (?) 448 449 451 VIe s.

PREMIÈRE PARTIE

Construction d’une église aux abords d’Éphèse, identifiée comme le sanctuaire des Dormants Déclenchement d’une hérésie niant la résurrection des morts (?) Accession d’Étienne à l’épiscopat d’Éphèse ; invention des Sept Dormants et rédaction du mémoire par Étienne (?) ‘Brigandage’ d’Éphèse  Concile de Chalcédoine et déposition d’Étienne  Premiers témoignages sur le miracle et le sanctuaire des Dormants

3. Les Quarante Martyrs de Sébaste Les Quarante Martyrs de Sébaste avaient laissé un Testament (BHG 1201) où ils demandaient à reposer tous ensemble au village de Sarim-les-Zéla, non loin de Zéla, dans la province d’Hélénopont28. Aucune source n’atteste qu’il en fut jamais ainsi, tandis que toutes s’accordent à reconnaître que les fidèles purent très vite en disposer librement. En revanche, plusieurs traditions existent concernant les premières tribulations de leurs dépouilles : une Passion (BHG 1201) raconte comment, jetées à l’eau, elles furent miraculeusement retrouvées, trois jours plus tard, à la suite d’une révélation, par l’évêque Pierre de Sébaste29. Suivant une autre tradition, illustrée notamment au début du V e siècle par Gaudence de Brescia, « il ne manqua pas de mains religieuses pour les dérober ou acheter une part des cendres30 ». Quoi qu’il en soit, contrairement au vœu que les martyrs purent formuler, leurs reliques furent très tôt dispersées dans tout l’Empire romain, et leur culte se répandit largement, sans doute à partir de Sébaste, métropole d’Arménie Première, où l’on érigea peut-être sur les lieux mêmes du martyre leur premier et principal sanctuaire. Il en existerait

plusieurs années à l’invention présumée des Sept Dormants (sauf, il est vrai, dans le cas où la genèse de cette histoire remonterait, comme la basilique, à la fin du IV e siècle, sous le premier Théodose). À moins que cet exemple exceptionnel de vénération de reliques par les païens n’advînt à l’imitation des chrétiens. Le chercheur relève encore deux influences possibles : les anciennes légendes d’Onias et Abimelech, et une mauvaise interprétation du terme « petite résurrection » introduit par Évagre le Pontique († 399) dans ses écrits spirituels. 28 MUSURILLO, Acts, 1, 15, p. 354. On reconnaît communément l’authenticité du document dont le rédacteur et premier signataire serait un certain Mélétios, originaire du village de Sarim. 29 GEBHARDT, Acta, 13, p. 180. On notera le topos hagiographique de la récupération miraculeuse des corps (par ex., Eusèbe, Mart. Palest., IV, 14-15). La Passion, bien que son auteur ne soit pas un témoin oculaire des faits, n’est sans doute pas très éloignée du martyre survenu en 303 : Comm. martyr. rom., p. 1940 ; DELEHAYE, Passions, p. 91, 312-313 ; K ARLIN-H AYTER, Passio, sp. p. 287-289, pour l’invention des reliques. L’épisode de la révélation et de l’invention par l’évêque Pierre a été considéré comme un ajout tardif. DEVOS, Pierre, p. 354-355. 30 Gaudence, Tractatus, XVII, 34, p. 150.

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bien d’autres dès le IVe siècle, en particulier dans les provinces voisines, et dans le cercle des Cappadociens Basile de Césarée et Grégoire de Nysse : Annisa (Ibora), Césarée, peut-être Nysse. Les causes de ce rapide succès sont multiples, et certaines sont sans doute à chercher dans l’imaginaire collectif de l’époque. Qu’il s’agisse de saints militaires a certainement eu son importance, de même que leur nombre ou le caractère inhabituel de leur supplice, sans parler de raisons de politique ecclésiastique. Je voudrais souligner en terminant le rôle capital qu’a joué dans cette diffusion la famille de Basile de Césarée et de Grégoire de Nysse. Si le rôle d’Eustathe de Sébaste, grand ami de la famille, n’est pas prouvé, on constate du moins qu’Emmélie, la mère des deux Cappadociens, est à l’origine du sanctuaire élevé dans le domaine familial d’Annisa, et ses descendants poursuivront avec constance la promotion de martyrs qu’ils présentent comme des figures protectrices de leur lignée31.

Constantinople, qui vit se multiplier les églises placées sous leur patronage, en eut sa part32. Il semble d’ailleurs que l’introduction de leurs reliques dans la capitale ait précédé toute dédicace : si la première attestation n’est pas parfaitement assurée – Pierre l’Ibère aurait participé à quelque fête en leur honneur présidée par Nestorius (428-431) dans une église Sainte-Marie non identifiée33 –, c’est à Saint-Thyrse que l’on retrouva leur reliquaire vers le milieu du Ve siècle. Sozomène rapporte l’anecdote : Une diaconesse de la secte des Macédoniens, dénommée Eusébia, possédait une propriété aux portes de Constantinople. Elle y conservait des reliques des Quarante Martyrs de Sébaste d’Arménie, ces fameux soldats exécutés sous le règne de Licinius. Au moment de mourir, elle légua son domaine à des moines macédoniens à qui elle avait fait prêter le serment suivant : ils devaient l’inhumer en ce lieu et déposer les reliques auprès d’elle dans une cavité spéciale ménagée dans son propre cercueil, et cela, sans que personne n’en sût jamais rien. Les moines s’acquittèrent consciencieusement de leur devoir. Par la suite, César (un ex-consul et gouverneur) fit inhumer son épouse aux côtés d’Eusébia : les deux femmes, très amies, étaient de la même confession. Il racheta la propriété, prévoyant de s’y faire enterrer quand l’heure serait venue. M ARAVAL, Quarante Martyrs, p. 209, qui regroupe les principales sources, dont Grégoire de Nysse, Ep. 1, 5 ; Theodosius, De situ, 15, p. 144 ; Récits, p. 194 ; Grégoire de Tours, Hist., X, 24, p. 515-516 ; pour Annisa (Hélénopont) : Grégoire de Nysse, In XL mart., col. 784B ; ID., Vie de Macrine, 34, 16, p. 252 ; Césarée (Cappadoce) : Gaudence, Tractatus, XVII, 15, p. 144. 32 JANIN, Églises, p. 156-244, en relève huit. 33 Jean Rufus, Plér., 11-12. M ARAVAL, Quarante Martyrs, p. 201 : « On ne connaît pas d’église de ce nom dans la capitale, et l’on pense qu’il peut y avoir eu confusion avec l’église d’Éphèse. » 31

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PREMIÈRE PARTIE

Les moines partirent, conservant par devers eux le secret sur les reliques. On rasa la demeure et César fit élever une splendide église dédiée au martyr Thyrse. Le temps passa, et les Quarante Martyrs auraient sombré dans un éternel oubli, n’eût été la providence divine… Thyrse apparut trois fois à Pulchérie, sœur de l’empereur Théodose II, l’exhortant à exhumer les reliques et les transférer auprès de lui. À ses côtés, se manifestèrent aussi les martyrs. Un prêtre dénommé Polychronios, qui avait bien connu César, se souvint des anciens occupants de ce lieu, les moines macédoniens. Tous déjà étaient morts, sauf un, qui mentionna le cercueil d’Eusébia, mais ne put en indiquer l’emplacement exact. Polychronios savait que la femme de César gisait quelque part sous l’ambon. L’impératrice donna l’autorisation de pratiquer les fouilles dans l’église. On découvrit le cercueil d’Eusébia : à une extrémité du couvercle, un trou attira les regards ; un homme du palais y introduisit une fine baguette et flaira une odeur de parfum. On ouvrit le cercueil d’Eusébia et l’on découvrit le reliquaire, en présence de l’impératrice et de l’évêque. L’impératrice leur fit élever une châsse splendide et procéda solennellement à leur déposition aux côtés du martyr Thyrse. Sozomène lui-même assista à la cérémonie, et bien des témoins étaient encore en vie au moment de la rédaction de sa notice. Ces événements se produisirent sous l’épiscopat de Proclos (434-446)34. Le même épisode est encore consigné dans le Chronicon Paschale : une vision permit à Pulchérie, femme de l’empereur Marcien, de découvrir des reliques des Quarante Martyrs de Sébaste dissimulées dans « la maison de saint Thyrse », sous l’ambon – ceci en 451. Puis César, consul et préfet (ὕπατος καὶ ἔπαρχος), érigea en leur honneur « une maison en dehors des murs de Troade »35. Les deux récits divergent : Sozomène date d’entre 434 et 446 (contre 451 dans la chronique) une invention survenue à Saint-Thyrse, une église que César avait jadis fait bâtir pour abriter la sépulture de sa femme, et la sienne dans l’avenir, alors que, dans la chronique, César ne l’érigea qu’après l’invention36. L’identification avec un personnage bien connu, actif vers la fin du IVe siècle (il est consul en 397), engage à préférer le témoignage de Sozomène (v. 450), du

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Sozomène, H.E., IX, 2, 7-18, p. 393-394 (GCS) ; p. 379-389 (SC) ; Nicéphore Calliste, H.E., XIV, 10, col. 1085B-1089C. M ARAVAL, Lieux saints, p. 410. 35 Chron. Pasch., col. 813A ; p. 590 (CSHB). 36 Il n’est pas question chez Sozomène de la sépulture de César, mais il est à peu près certain que celui-ci est déjà mort. En revanche, la date de sa disparition ne saurait remonter trop haut, puisque le prêtre desservant, Polychronios, l’a bien connu et a assisté à l’inhumation de sa femme dans l’église. César était-il enseveli à Saint-Thyrse, comme il en avait formé le dessein ? Le silence sur sa sépulture ne prouve pas qu’il ne l’était pas, les recherches se concentrant sur les tombeaux d’Eusébia et son amie, proches l’un de l’autre.

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reste contemporain et témoin oculaire des événements37. En outre, l’église des Quarante Martyrs n’est pas autrement attestée et l’on croira volontiers que les deux églises du Chronicon ne faisaient qu’une : les portiques de Troade (près de la Mésè) se trouvaient à proximité des Helenianae, localisation attestée de Saint-Thyrse38. Un demi-siècle environ sépare donc la disparition du reliquaire de sa redécouverte, demi-siècle au cours duquel les reliques passèrent d’une vénération occulte et privée à un culte public officiel. Les victimes de martyres collectifs, au premier rang desquelles les Quarante Martyrs de Sébaste, furent de celles dont les reliques se diffusèrent le plus abondamment. L’invention d’un reliquaire eut encore lieu à Constantinople sous le règne de Justinien (527-565) ; ce fut au cours des travaux de restauration de l’église Sainte-Irène de Sykae39, comme le rapporte, peu après, l’historien Procope : le coffre qui contenait, d’après une inscription, les restes de ces fameux soldats romains de la douzième légion basée, jadis, à Mélitène d’Arménie, surgit du sous-sol de cette église, située à l’embouchure de la Corne d’or. Dieu récompensait ainsi publiquement le zèle de l’empereur et lui accordait, à cette occasion, une grande faveur : Justinien avait endommagé sa santé par l’extrême frugalité de son régime alimentaire, des veilles excessives et un travail acharné. Or, alors que toute la science des hommes s’était révélée inutile, les reliques calmèrent aussitôt ses douleurs. Dieu rendit encore plus manifeste son action : de l’huile jaillit du coffre et inonda les pieds et le vêtement pourpre de l’empereur. On garde depuis lors au palais la tunique impériale, témoignage de ce miracle et objet de salut contre les maladies incurables à venir40. Le témoignage de Jean Malalas, un autre proche contemporain de l’événement, permet de le dater. Sans mentionner l’invention, il consacre une notice à la dédicace de Sainte-Irène, dans le quartier des Justinianae41, avec déposition de reliques (leur nature n’est pas précisée, mais on suppose qu’il s’agit des Quarante Martyrs) par les patriarches Ménas de Constantinople (536-août 552) et Apollinaire d’Alexandrie (551-570), au mois de septembre, quinzième

37 Sozomène aurait cependant pu chercher à valoriser la figure de Pulchérie sous le règne de son frère Théodose II. 38  Syn. Const., col. 307 (14 décembre). JANIN, Églises, p. 482-483 et ID., Constantinople, p. 93, distingue Saint-Thyrse des Saints-Quarante-Martyrs, suivi par M ARAVAL, Quarante Martyrs, p. 202. Cf. TIFTIXOGLU, Helenianai, p. 57-63. 39 JANIN, Églises, p. 108-109. 40 Procope, De aed., I, 1-15, p. 31-33. 41 JANIN, Constantinople, p. 459-460 (Justinianae), 466-467 (Sykae).

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indiction42. La dédicace eut donc lieu en septembre 551. L’invention s’étant produite durant les travaux de réfection de l’édifice, elle doit être reportée au moins quelques mois avant cette date, peut-être courant 551. Repères chronologiques 434/446 ou 451 Invention du reliquaire des Quarante Martyrs à Saint-Thyrse, Constantinople ; reposition des reliques dans l’église v. 450 Sozomène relate l’invention dans son H.E. 551 Réfection de Sainte-Irène de Sykae, Constantinople ; invention du reliquaire des Quarante Martyrs ; dédicace du sanctuaire et reposition des reliques (?) ; déposition au palais de la tunique impériale imprégnée de l’huile des martyrs v. 560 Procope de Césarée relate l’invention dans son De Aedificiis

4. Luc, Phocas, Romain, etc. Jean Rufus, le biographe de Pierre l’Ibère, relate un miracle survenu dans la ville d’Orthôsias, en Phénicie Première : un jour, les reliques des martyrs Luc, Phocas, Romain et leurs « frères » furent retrouvées dans un « jardin qui servait aux besoins journaliers » de Pierre et ses compagnons, par « le propriétaire de ce jardin […] un homme paisible et très simple, chaste et célibataire. Il eut pendant la nuit une vision, les martyrs lui apparurent et lui dirent : ‘Sais-tu qui nous sommes ?’ Il répondit : ‘Je ne le sais pas’. – Ils lui dirent : ‘Nous sommes tes voisins ; nous demeurons près de toi, nous habitons avec toi, nous te gardons toi et ton jardin.’ – Il reprit : ‘Qui êtes-vous ?’ – Les martyrs lui dirent : ‘Lucas, Phocas, Romanus ; et ceux-ci sont nos frères (une troupe nombreuse lui était, en effet, apparue). Il convient que nous soyons manifestés maintenant ; tu nous trouveras ; tu appelleras l’évêque Pierre qui se trouve ici en exil et tu nous donneras à lui.’43 » L’homme alla trouver Pierre, qui lui dit : « ‘Va, prie-les de se montrer de nouveau à toi et de t’indiquer le lieu où reposent leurs ossements.’ – Il fit ainsi. » Il eut alors une seconde vision, en plein jour : les martyrs lui indiquèrent où creuser. Pierre ne put cependant accéder à la demande des saints, lui, « un pèlerin et un étranger » en ces lieux, et adressa le jardinier à l’évêque d’Orthôsias, un homme « de grande vertu » qui veillerait à leur donner une sépulture digne d’eux. L’évêque se rendit au

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Malalas, Chron., XVIII, 113, p. 414-415 ; voir encore Théophane, Chron., I, p. 228 (AM 6044 [551/552]). Chronicle, p. 333 : selon Margaret Mullet, le premier Kontakion de Romanos sur les Quarante Martyrs aurait été écrit pour l’occasion. D’autre part, l’identification de la scène du fameux Ivoire de Trèves (une impératrice accueillant des reliques) avec cet épisode doit être écartée, puisque Théodora est déjà morte à cette date († 548). 43 Et citations suivantes : Jean Rufus, Vie de Pierre l’Ibère, 142-145, p. 210-217 ; tr. CHABOT, Pierre l’Ibérien, p. 383-385.

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lieu indiqué, avec des clercs. Là, ils découvrirent une urne de plomb avec  « beaucoup d’ossements brûlés déposés dedans. Ils les emportèrent solennellement et allèrent les déposer dans le διακονικόν de l’église. Le bruit de ces choses se répandit dans toute la contrée. Après la fête adorable de la sainte Pâque une grande multitude se réunit des villes et des villages des environs, et le 3 du mois de Yar (mai), ils les déposèrent en grande pompe dans le Martyrion, près de leurs frères, je veux dire des saints Serge et Bacchus, qui étaient vénérés et honorés en ce lieu. » C’était la volonté des saints. Quant à Pierre, il pensa constamment à eux jusqu’à la fin de sa vie. L’auteur se félicite ensuite d’avoir pris part à cette fête et poursuit le fil de son récit : « Après le jour de la sainte Pentecôte, nous allâmes au pays de Tripoli… ». Orthôsias, qui avait reçu son nom de la déesse tutélaire des lieux, ArtémisOrthosia, est brièvement mentionnée dans le premier livre des Macchabées (1 M 15, 37) ; elle était tenue pour les localités bibliques de Semari ou de Sini (Gn 10, 17)44. Mais rien ne semblait indiquer la présence de l’urne cinéraire dans le jardin, et seule la venue en ces lieux de Pierre « l’évêque qui séjourne ici comme pèlerin », Pierre « qui aimait véritablement les martyrs », paraît avoir déclenché la révélation de ces saints totalement inconnus par ailleurs45. La Vie géorgienne de Pierre l’Ibère apporte une précision supplémentaire : ils subirent le martyre sur ordre du roi de Perse, et l’urne retrouvée contenait les restes de leurs corps incinérés46. Les saints apparaissent en grand nombre, si bien que leur multitude pourrait orienter vers l’un de ces martyres collectifs dont l’exemple le plus fameux demeure peut-être celui des Quarante Martyrs de Sébaste. Mais ici, trois personnalités se détachent : Luc, Phocas et Romain. Il y avait bien un saint Phocas, dont le culte, parti d’Asie Mineure, avait rapidement rayonné dans tout le monde romain. Son tombeau se trouvait à Sinope, mais ses reliques furent très tôt diffusées : au début du Ve siècle, l’évêque Astérius d’Amasée prononça dans le martyrion local un panégyrique à la gloire du saint47 ; le même auteur signale qu’à cette date, Rome avait déjà reçu sa tête, et,

Ὀρθωσία ou Ὀρθωσίας. CHABOT, Pierre l’Ibérien, p. 384 : « On voit encore les ruines de cette cité sur la rive gauche du Nahr el-Bârid, à environ treize kilomètres au nord de Tripoli. » HONIGMANN, Orthosia : Artémis-Orthosia est identifiée avec Isis myrionymos, la patronne de Tripoli. 45 L’épisode se produisit vers la fin de la vie de Pierre, après 482 selon Jean-Baptiste Chabot, en 489, selon Ernst Honigmann. 46 CHABOT, Pierre l’Ibérien, p. 384. Ce texte, qui remonterait à un original syriaque de la fin du V e ou du début du VIe siècle, n’aurait pas une grande valeur historique. Le nom des martyrs est romain, mais l’on sait que, jeune garçon, Pierre était venu depuis la Géorgie avec des reliques de martyrs perses, ce qui n’est sans doute pas anodin. L’indication selon laquelle ce sont les restes des corps entiers qui sont retrouvés est par ailleurs notable. 47 La pièce BHG 1539 fut introduite sans remaniement par Syméon Métaphraste dans sa collection. 44

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vers la même époque, Jean Chrysostome prononçait un discours à Constantinople pour célébrer la translation des reliques de Phocas dans la capitale impériale48. Ici tout semble indiquer qu’il ne s’agit pas du jardinier de Sinope, mais on ne peut s’empêcher de penser que la profession de l’inventeur des reliques et la fonction des saints, gardiens et protecteurs du jardin et du jardinier, entretiennent quelque rapport avec la légende de Phocas. L’invention n’entraîna pas l’érection d’un sanctuaire en leur honneur. Les saints demandèrent eux-mêmes à être déposés dans le martyrion de Serge et Bacchus, particulièrement vénérés dans la région. Les « amis » du célèbre évêque monophysite ne purent-ils bénéficier, en terre chalcédonienne, du patronage de quelque notable pour les établir dans leur propre demeure ? Quoi qu’il en soit, plus que les reliques, c’est la sainteté de Pierre qui apparaît en pleine lumière dans cette affaire49. Repères chronologiques v. 489

v. 500

Arrivée de Pierre l’Ibère à Orthôsias, en Phénicie Ière ; invention des reliques dans un domaine agricole ; déposition au martyrion des saints Serge et Bacchus Jean Rufus relate l’invention dans la Vie de Pierre l’Ibère

5. Georges Une inscription s’est conservée jusqu’à nos jours sur le linteau de la porte occidentale d’une église du Hauran, à Ezra (Zorava50), dans la province d’Arabie : Le rendez-vous des démons est devenu la maison du Seigneur ; la lumière du salut éclaire le lieu qu’obscurcissaient les ténèbres ; les sacrifices idolâtriques sont remplacés par les chœurs des anges ; où se célébraient les orgies d’un dieu, se chantent les louanges de Dieu. Un homme qui aime le Christ, le notable Jean, fils de Diomède, a offert à Dieu, de ses deniers, ce magnifique monument dans lequel il a placé la précieuse relique du saint vainqueur martyr Georges, le saint lui étant apparu, à lui, Jean, non en songe, mais en réalité. Dans la neuvième indiction, en l’année 41051. 48

Sur ses deux sanctuaires constantinopolitains, et pour une hypothèse sur l’emplacement de ses reliques : VAN DE VORST, Phocas, p. 257. 49 On peut comparer avec une autre invention attribuée à Sévère d’Antioche (512-518) : le patriarche aurait découvert pendant son exil en Égypte, à Pohé, les reliques du martyr Claude d’Antioche. Il n’est pas impossible que l’invention d’Orthôsias ait ici servi de modèle. 50 BUTLER, Churches, p. 122 : « The name of this place was given as Ezra by the earlier explorers who did not observe that the natives, in repeating the name, placed the article ez before the name Zor’ ah, as they do in many cases. »  51 Corp. inscr. graec., IV, no 8627, tr. L ECLERCQ, Ezra, col. 1056 : le linteau est « décoré à ses deux extrémités, de croix et de pampres assez grossièrement exécutés » ; L ASSUS, Sanctuaires, p. 140-142. Sur l’histoire, l’ancienneté et la prospérité de la ville : SAYBAA, George, p. 373-374.

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La date, donnée selon l’ère de Bostra, correspond à l’année 514/515 ap. J.-C. Georges était l’un des plus fameux saints thaumaturges, et son culte comme ses reliques connurent assez tôt une très large diffusion, tant en Orient (par exemple en Égypte) qu’en Occident (Rome, Venise). Plusieurs de ses Vies nous sont connues : le caractère légendaire de la plus ancienne a été reconnu de longue date ; par la suite, des hagiographes se sont efforcés de rendre les faits historiquement plus plausibles et d’établir l’ancienneté de son culte. Par ailleurs, si les témoignages le concernant suggèrent que peut-être on vénérait sous son nom les reliques de plus d’un martyr, il faut sans doute situer au VIe siècle l’émergence d’une seule personnalité « méta-historique52 » (surtout connue pour ses activités post mortem) bien définie. Le culte de Georges avait son centre à Lydda (devenue Diospolis au début du IIIe siècle) en Palestine53. Théâtre du miracle de l’apôtre Pierre guérissant Énée (Ac 9, 32-35), Diospolis devait avant tout sa célébrité au tombeau du martyr. Il fut surmonté d’une église, peut-être au Ve siècle, en tout cas avant le VIe siècle. Elle abritait une icône achéiropoiète du saint, qui entra en concurrence avec une image de la Vierge, que l’on disait miraculeusement apparue sur le mur d’une autre église de la ville54. Diospolis reçut le nom de Georgioupolis, au début du VIIe siècle55. Vers la même époque, Théodore de Sykéôn, en Galatie Première, fit construire une église en l’honneur du martyr et acquit, par l’entremise d’Aemilianos, évêque de Germia, en Galatie Salutaire, et avec l’aide du saint, plusieurs de ses reliques : un fragment de la tête, un doigt de la main, une dent ainsi qu’une autre parcelle du corps56. Provenaient-elles de Lydda ? d’Ezra ? ou d’ailleurs ? Rien ne permet de le dire. Notons cependant que la première mention du tombeau de Lydda, par le pèlerin Théodosius (ap. 518), est contemporaine de l’inscription d’Ezra57. Cette dernière est trop peu explicite pour se faire une idée de la nature et de la provenance de la relique : le dédicataire (on ignore tout du « notable Jean, fils de Diomède ») ne dit d’ailleurs pas expressément qu’il l’a découverte et l’on

WALTER, George, p. 296. Sur Lydda-Diospolis et l’église Saint-Georges : M ARAVAL, Lieux saints, p. 298-299. Sur l’image achéiropoiète du saint : VON DOBSCHÜTZ, Christusbilder, p. 91-97 ; de la vierge : ibid., p. 146*-147*. La première pourrait remonter au V e siècle : VAN ESBROECK, Homéliaires, p. 278 et ID., Lydda. WALTER, George, p. 319 : la Vie de Théodore de Sykéôn, dévot du saint, montre que son portrait archétypal était déjà fixé au début du VIIe siècle et que des icônes existaient ; il apparut à la grand-mère de Théodore ἑοικότα τῇ ἱστορίᾳ τοῦ ἁγίου μάρτυρος Γεωργίου (Vie Théod. Syk., 32, I, p. 29 ; II, p. 31-32). 55 Georges de Chypre, Descriptio, p. 51 : Διόσπολις ἤτοι Γεωργιούπολις. 56 WALTER, George, p. 315 ; voir encore K APLAN, Théodore. 57 Théodosius, De situ, 4. Cf. Ant. Plac. (v. 570), Itin. 25, 4 et 8 ; Adamnanus (v. 670), De locis, III, IV, 3. DELEHAYE, Sanctus, p. 194. SAYBAA, George, p. 374 : selon un manuscrit du XIe siècle du monastère Sainte-Catherine du Sinaï (Sin., Ar. 417), Georges fut martyrisé et enterré dans le Hauran. 52 53

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pourrait à la rigueur supposer que, le saint lui étant apparu, le dévot se soit mis en quête d’une relique à Lydda ou ailleurs pour sa fondation. D’ailleurs, Jean ne laisse-t-il pas à dessein planer l’ambiguïté ; voulait-il faire croire qu’il avait été miraculeusement mis en possession du corps (entier) de l’athlète ? La chose est possible. Jean précise que Georges lui est apparu non en rêve, mais en réalité. Christopher Walter remarque, à ce propos, que les apparitions des saints étaient plus estimées que les reliques, d’abord parce que tous les sanctuaires n’en étaient pas forcément pourvus, ensuite, parce qu’elles n’étaient pas indispensables pour qu’il y ait apparition, enfin, parce qu’une relique perdait ce lien formel que l’apparition conservait avec le saint58. Ezra était de longue date une cité prospère, siège d’une garnison militaire. C’était aussi un siège épiscopal important, son évêque occupant, dans la province d’Arabie, le second rang après le métropolite de Bostra. On connaît plusieurs évêques : « L’évêque Nonnos participa au concile de Chalcédoine (451). L’évêque Ouaros est mentionné dans l’inscription de l’église Saint-Élie, datée de 542-543. L’évêque Théodore, mentionné par une inscription de Harran, siégea sûrement à Zorava59. » En dépit de la christianisation précoce de la région, l’inscription proclame, au VIe siècle, la victoire du Dieu des martyrs sur celui des idoles60 : Saint-Georges prit la place d’un sanctuaire païen. L’exemple n’est pas unique, et la chose se produisit sans doute une seconde fois à Ezra, vers la même époque, en faveur d’un autre saint très vénéré dans la région, Serge. Et maintenant, si tu considères la puissance du Sauveur Maître Dieu, / rends gloire au saint Souverain, qui a fait périr les œuvres des idoles. / Car cette demeure autrefois avait été bâtie (pour être celle) des démons sculptés, / construite en mauvaises pierres, que la parole du Christ / a dissociées et (d’où cette parole) a suscité, (faite) de pierres bien polies, / la demeure de son serviteur et bon cavalier Serge, / par le zèle et les œuvres des enfants du noble Théodore, / qui ont voulu avoir Serge lui-même comme saint protecteur, / lui qui dédaigna la puissance terrestre et accepta / de cruels supplices, de la tête jusqu’aux pieds ; / car, cloué par les pieds, l’illustre (martyr) ne ménagea pas sa tête / et livra sa personne à la mort, la donnant à son Maître / Sauveur, et pour une vie terrestre il reçut en partage la vie céleste61. 58 WALTER , George, p.  314-315, qui mentionne, en guise d’illustration, une apparition ὀφθαλμοφανῶς dans la Vie Théod. Syk., 7, I, p. 6 ; II, p. 10, et (p. 319, n. 4) une anecdote de la Vie Paul le Jeune (BHG 1474), p. 150-151, où la relique de la Sainte Face à Constantinople doit servir à contrôler l’authenticité d’une vision du Christ. 59 PICCIRILLO, Arabie, p. 79. 60 Il y avait également de nombreuses sectes hérétiques actives en Arabie : ibid., p. 71. 61 MONDÉSERT, Inscriptions, p. 126-130. Il s’agit d’une inscription trouvée à Ezra sur un bloc de basalte (h. : 41 cm ; l. : 33 cm ; ép. : 42 cm ; h. moy. des lettres : 3 cm) ; le texte est dans

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Saint-Georges d’Ezra est encore debout et ouvert au culte62. L’importance du bâtiment en faisait sans doute l’église cathédrale de la ville63. Depuis le XIX e siècle, son architecture a impressionné nombre de voyageurs et archéologues. C’est un édifice à plan centré, annonçant les grandes constructions à coupole de l’époque justinienne : Le plan est d’une extrême simplicité : il se compose de deux octogones réguliers concentriques inscrits dans un carré ; l’octogone central supporte un tambour et une coupole ; contre la face orientale de l’octogone extérieur est bâti le chœur terminé en abside, et flanqué des deux sacristies d’usage ; dans chacun des angles du carré est une absidiole ou exèdre ; trois portes s’ouvrent sur la façade occidentale, une sur chacune des façades latérales. […] Au fond de l’abside règnent trois rangs de gradins en hémicycle destinés aux sièges du clergé. L’autel est placé dans la première travée du sanctuaire qui communique par une porte avec le diakonikon ou sacristie réservée ; la seconde sacristie, prothesis ou paraclision, est au contraire accessible au public par une porte s’ouvrant sur l’exèdre de l’angle sud-est64.

On ignore l’emplacement originel des reliques, toujours montrées, dans une châsse moderne, dans l’une des absidioles65. Repères chronologiques 514/515 ou av. Apparition de Georges à un dénommé Jean ; invention de la relique (?) ; Jean fonde un sanctuaire sous le vocable du saint à Ezra ; déposition des reliques dans le sanctuaire 514/515 Inscription dédicatoire signalant les événements susmentionnés

6. Marinos Dans sa Chronique, Jean Malalas (VIe s.) relate la découverte de la relique du martyr Marinos, en l’an 529, aux portes de Gindaros66, dans la province de Syrie Première. Très souvent, le périodeute du pays avait vu l’endroit dans un cartouche à queue d’aronde. On n’a cependant pas repéré à ce jour d’église Saint-Serge à Ezra. Claude Mondésert propose de la dater de la première moitié du VIe siècle, « mais ce n’est qu’une conjecture ». 62 Pour une histoire de l’édifice et un rapport sur son état alarmant : SAYBAA, George, p. 376-379. 63 K LEINBAUER, Tetraconch, p. 108. 64 LECLERCQ, Ezra, col. 1054-1055. 65 WALTER, George, p. 314. 66 JANIN – AUBERT, Gindaros. Siège épiscopal au concile de Nicée (325), Gindaros est, à la date de l’invention, sous la juridiction du siège d’Antioche, par l’intermédiaire d’un périodeute. Il est qualifié de kômè megistè par Théodoret, H.R., II, II, 9, p. 214-215 et la n. 1. K APLAN, Hommes, p. 94-95 et 102, n. 110. M ARAVAL, Lieux saints, p. 340, 355.

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ses rêves. On trouva le corps du saint fixé à une planche par des clous de fer, dans une tombe taillée à même la roche. La relique fut transférée et déposée à Saint-Julien, aux portes d’Antioche67. Michel le Syrien (XIIe s.) reproduit Malalas et ajoute : « Comme il opérait des miracles et des prodiges, il était honoré par toutes les confessions68. » Selon une Passion abrégée (BHG 1171), Marinos, originaire d’Anazarbe, en Cilicie Seconde, vivait sous le règne de Dioclétien69. Dénoncé comme chrétien militant, traduit devant le gouverneur Lysias à Tarse et supplicié, il persévéra dans sa foi, refusant avec constance de sacrifier aux idoles. Aveuglé, fouetté, brûlé, il fut enfin décapité hors de la ville, et son corps jeté en pâture aux chiens et aux bêtes sauvages sur l’ordre du gouverneur, de peur que les chrétiens ne le dérobent et ne le vénèrent en tant que martyr (ἵνα μὴ κλαπῇ ὑπὸ τῶν Χριστιανῶν, καὶ προσκυνῆσαι ὑπ’ αὐτῶν ὡς μάρτυς). Mais des fidèles, Xanthias et Saprikios, purent récupérer le corps à la faveur d’une intervention céleste, le conduire dans sa patrie et le déposer dans une grotte au pied de la montagne (ἔθεντο ἐν τῷ σπηλαίῳ τῷ πλησιάζοντι τῷ τοῦ ὄρους πρόποδι), à six milles de la ville d’Anazarbe, en un lieu appelé Rhadamnos. Pour prix de leur confession, ils furent jugés dignes de reposer près de lui. Les synaxaires byzantins enregistrent sa mémoire au 18 octobre et au 8 août70. Les similitudes (récupération miraculeuse, inhumation secrète dans une grotte hors de la ville) sont moins nombreuses que les divergences (les compagnons de sépulture et surtout la localisation géographique) entre le martyr d’Anazarbe et le Marinos de Malalas. Or, auprès de Julien d’Anazarbe, à Antioche, allait-on se souvenir longtemps, si un contemporain (Malalas) ne l’avait consigné, que Marinos était de Gindaros ? N’emprunta-t-on pas la légende d’un homonyme, compatriote du célèbre Julien, pour en doter un martyr oublié ? Le phénomène n’était pas rare : la notice de Malalas inspira sans doute un autre hagiographe, qui interpréta comme un type de supplice (le corps transpercé de clous, des pieds jusqu’à la tête) ce qui n’était en fait qu’un mode de sépulture particulier, et l’attribua à son héros, Julien d’Émèse71, qui portait justement le 67

Malalas, Chron., XVIII, 49, p. 379-380. Michel le Syrien, Chon., II, IX, XXIV, p. 206B-207B. 69 Passion abrégée (BHG 1171), Act. Sanct. Aug., II, p. 347-348 (8 août). SAUGET, Marino. VAILHÉ, Anazarbe. Il existait un second Marinos : A MORE, Marino. La Passion BHG 2256 (Pass. Marinos) a inspiré les ménologes et synaxaires byzantins (au 16 décembre) : Syn. Const., col. 313-314 ; Mén. Basile, col. 208CD. Le martyrologe syriaque le mentionne au 24 août ; le hiéronymien et le romain au 26 décembre. Ce Marinos (παῖς) aurait été martyrisé à Rome sous le règne de l’empereur Macrin (217-218). La notice du hiéronymien (Antiochiae Juliani Martiani) permettrait de le rapprocher du Marinos de Malalas, moyennant une confusion entre le nom du martyr et celui de son persécuteur. 70 Syn. Const., col. 875 ; Mén. Basile, col. 575. 71 Infra, p. 165. 68

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même nom que le célèbre martyr d’Anazarbe auprès duquel Marinos devait finalement reposer72. Cette déposition, dans un sanctuaire préexistant, d’un ‘petit’ martyr auprès d’un ‘grand’ ressemble à celle de Luc, Phocas, Romain et leurs compagnons, auprès de Serge et Bacchus73. L’événement eut alors sans doute plus d’importance que l’établissement d’un culte, mais sa portée nous échappe74. Repères chronologiques 529 Invention du martyr aux portes de Gindaros ; déposition à Saint-Julien d’Antioche v. 575 Jean Malalas relate l’invention dans sa Chronique

7. Autres Les inventions de martyrs sont très nombreuses, et l’on ne saurait ici les mentionner toutes75. Il faut cependant distinguer entre les récupérations miraculeuses survenues immédiatement ou peu après le martyre (par ex. Eusèbe, Nestabos et Zénon ; les Quarante Martyrs) et les inventions plus tardives. Parmi les premières, on peut mentionner : Arrianus et les « protecteurs » Les synaxaires grecs enregistrent une fête de l’invention de leurs reliques, au 14 décembre76. On lit d’abord une notice sur la passion de Philémôn, Apollonios et leurs compagnons originaires de Thèbes, en Égypte, qui, sur l’ordre de Dioclétien, furent jetés à la mer dans des sacs, en compagnie d’un notable du nom d’Arrianus. Vient ensuite la notice de l’invention : Dioclétien fit jeter à l’eau Arrianus et « les soldats qui avaient cru avec lui ». Des dauphins rapportèrent les cinq sacs sur le rivage d’Alexandrie. Arrianus fut inhumé avec honneur par ses esclaves. L’invention semble inspirée de la légende d’Arion le citharède77 : Philémôn est décrit comme un joueur de cithare chargé par l’empereur de ramener les païens au culte des idoles par son chant. On reconnaît aussi l’influence du martyre de Lucien d’Antioche. DELEHAYE, Origines, p. 200 : y furent également inhumés les moines Théodose et Aphraate. SOLER, Antioche, p. 201-202. 73 Supra, p. 157. 74 Existerait-il ici, par exemple, quelque rapport avec le tremblement de terre qui ébranla Antioche et sa région en 527 ou avec l’avènement du patriarche Éphrem (avril/mai 527-545), cette même année ? 75 Elles se poursuivirent bien au-delà du VIe siècle, en particulier après (et en rapport avec) l’iconoclasme, notamment sous la dynastie macédonienne (867-1056). Elles sont alors presque toujours liées à Constantinople et à des monastères. 76 Syn. Const., col. 307-308 ; Mén. Basile, col. 205-208. 77 Hérodote, Histoires, I, 23-24. 72

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Basile d’Amasée On possède une Vie et Passion (BHG 239) de cet évêque de la métropole de la province d’Hélénopont en Asie Mineure, martyrisé, si l’on en croit Jérôme, en 32078. Selon l’auteur de la Passion (il se présente comme Jean, prêtre de Nicomédie et témoin oculaire), l’évêque s’était attiré la colère de Licinius pour avoir protégé, contre les ardeurs du souverain, Glaphyra, servante de l’impératrice ; il fut décapité à Nicomédie et ses restes jetés à la mer. Cependant, un miracle permit de retrouver son corps – entier – à Sinope ; il fut transféré et déposé à Amasée, dans l’église qu’il avait lui-même érigée. Selon Ernst Honigmann, le martyre et l’épisode de Glaphyra doivent être resitués dans le contexte de la politique arménienne de l’empereur Constantin, dans les années 314-32079. Quant à la Passion ancienne (une allusion au corps du martyr chassant les Arabes de la ville (§ 20) invite à dater la version BHG 239 du début du VIIIe siècle), elle pourrait être due à l’évêque Astérius d’Amasée (v. 380-410), auquel est attribuée la métaphrase (BHG 240) de Syméon (Xe s.) dans certains manuscrits80. La légende du corps dérivant jusqu’à Sinope aurait néanmoins été ajoutée plus tard, peut-être par l’évêque Séleucus d’Amasée (avant 449)81. Cet épisode est en tout cas déjà connu d’Eustrate, qui suivit le patriarche Eutychios de Constantinople dans son exil à Amasée de janvier 565 à octobre 57782. La Passion métaphrastique BHG 240 est directement inspirée de BHG 239, de même que les synaxaires grecs. La passion du saint y trouve place au 26 avril ; l’invention généralement au 28 (27) ou 30 avril83. Selon les synaxaires, un soldat d’Amasée, Publius, subit le martyre avec Basile84. Julien d’Émèse Pour remonter à la Passion grecque ancienne aujourd’hui perdue85, on peut recourir à deux Passions brèves, indépendantes l’une de l’autre, BHG

Pass. Bas. 1. VAILHÉ, Amasea ; JANIN, Basile ; M ARAVAL, Lieux saints, p. 376-377. HONIGMANN, Basileus. 80 Pass. Bas. 2 (CPG no 3265 dans les Spuria d’Astérius d’Amasée). 81 Pour un rapprochement avec la translation miraculeuse des corps de Lucien d’Antioche et Olympias (Vie Olympias, XI, p. 426-433) : HONIGMANN, Heraclidas, p. 119. 82 Eustrate, De statu, p. 74-77, l. 1802-1856. P EETERS, Golinduch, p. 87. 83 Typicon, p. 276-277 ; Syn. Const., col. 633-634 ; Mén. Basile, col. 424. H ALKIN, Synaxaire, p. 317 (un distique iambique, au 30 avril). Voir encore Calendrier pal.-géo., p. 211 ; Martyrologe hiéronymien (VIe s.), au 29 avril (Comm. Martyr. rom., p. 157, no 3) et le calendrier en marbre de Naples (IXe s.) : C APASSO, Monumenta, I, p. 336 : P(assio) S. BASILEI EP(iscop)I. 84 Syn. Const., col. 629-639, Syn. sel. 85 Les synaxaires grecs la résument au 6 février : Syn. Const., col. 446-447 ; Mén. Basile, col. 297. SAUGET, Julien ; DELEHAYE, Origines, p. 207-208 ; M ARAVAL, Lieux saints, p. 336. 78 79

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2210 86 et BHG 221187, ainsi qu’à deux versions orientales, l’une arabe88, l’autre géorgienne89. Après le martyre (sous Numérien, 283-284), le corps de Julien fut découvert par un potier dans son atelier et déposé dans l’ancienne église d’Émèse. Mais lorsque, plus tard, le chef du Baptiste eut été apporté dans cette ville – par un potier (!) –, Julien lui céda sa place ; on ramena le corps du martyr dans la caverne (!) de l’invention, et l’évêque Paul [Paul Ier d’Émèse (v. 359-v. 367) ; Paul II (v. 431-v. 433)] érigea en ce lieu un sanctuaire90. Si l’histoire est pleine d’étrangetés, une église Saint-Julien existait déjà en 453 – elle est mentionnée dans la traduction latine de la Deuxième invention du chef du Baptiste, à proximité de la grotte du Spélaion (lieu de l’invention de la relique). La légende d’un authentique martyr local (ou importé) fut peut-être façonnée après que l’on eut perdu toute trace de sa réelle identité91 ; selon le Père Peeters, l’hagiographe aurait ‘convoqué’ dans son récit plusieurs figures disparates : l’évêque martyr Silvain d’Émèse (†  311)92,  mais encore Julien d’Anazarbe93, dont le culte s’était largement répandu depuis Antioche (où l’on conservait sa relique). Quant au corps cloué de Julien d’Émèse, il évoque le martyr Marinos découvert à Gindaros en 529 et transféré à Antioche dans l’église Saint-Julien d’Anazarbe94. Peutêtre faut-il, toutefois, nuancer le jugement défavorable du Père Peeters sur la valeur historique de cette pièce, d’autant que la notice de Théophane (translation du chef du Baptiste), sur laquelle il prend appui, doit être remontée de l’an 760 à l’an 45395. Du reste, la traduction géorgienne de la Passion de saint Julien semble bien appartenir « à la haute époque96 ».

H ALKIN, Julien, X e siècle, le codex 86

p. 158-160. Elle appartient à un ménologe prémétaphrastique de février du no 1 de la bibliothèque du patriarcat grec de Jérusalem. 87 Ibid., p. 160-162. Elle fait partie du Ménologe impérial B composé sous le règne de Michel IV (1034-1041). On trouve la même recension dans un ms. d’Athènes (no 982). 88 BHO 552 se trouve dans deux manuscrits du XVIIe siècle. On peut encore lire la Légende de Chresmios à l’état séparé dans un ms. arabe du Xe siècle de la Bibliothèque de l’Université de Louvain. P EETERS, Julien ; SAUGET, Julien. 89 K EKELIDZE, Monuments, I, p. 118-128, tr. lat. P EETERS, Julien. Les deux manuscrits (Iviron 57 et 95) ayant servi de base à l’édition sont antérieurs au Xe siècle. 90 Selon la Passion BHG 2210, BHO 552 et la version géorgienne. La translation de Julien eut lieu un 15 avril. 91 C’est peut-être aussi le cas de Marinos. 92 Eusèbe, H.E., VIII, 13 ; IX, 6. 93 Le culte de Julien d’Anazarbe est ancien. Jean Chrysostome a composé un Éloge du saint (BHG 967). 94 Supra, p. 162-163. 95 P EETERS, Julien, p. 52 : « 〈cette translation〉 fut nécessairement un désastre pour le Spélaion […] Il est assez naturel qu’au Spélaion menacé de décadence, on ait songé à ranimer le culte du martyr, dont la chapelle avait sans doute été un peu mise en oubli par l’éclatante célébrité de la relique du Précurseur. » Supra, p. 74. 96 NASRALLAH, Émèse, p. 225.

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PREMIÈRE PARTIE

Ménas Le dossier de ce martyr égyptien du début du IVe siècle est complexe97. Il n’en sera rien dit ici, mais on peut lire, dans un ménologe de février (au 17 du mois), un récit de l’invention du corps, suivi de quelques-uns de ses miracles (BHG 1254m)98. L’épisode de la navigation du cercueil à travers flots est emprunté à la Passion des saints Ménas, Hermogène et Eugraphus, dont l’auteur se présente comme Athanase d’Alexandrie (BHG 1270)99. Cette Passion (elle servait de lecture pour la fête du 10 décembre) fut sans doute composée, à la fin du IXe siècle ou au début du Xe siècle, pour expliquer la présence des reliques à Constantinople. Syméon Métaphraste l’a remaniée assez profondément (BHG 1271)100. Cirycus et sa mère Julitte La tradition voulait que certains martyrs, cachés pendant les persécutions, aient été redécouverts « après la Paix de l’église »101, tels Cirycus et sa mère Julitte : selon la Passion BHG 314, leurs reliques furent retrouvées à Tarse, sur l’indication de deux témoins du martyre, au début du règne de Constantin (306-337)102. Les éditeurs des Actes latins, publiés dans les Acta Sanctorum, au 16 juin, s’étonnent qu’ils n’aient pas été proscrits au Ve siècle dans le Décret de Gélase, et comptés au nombre des apocryphes. Au contraire, l’éditeur des Actes grecs les tient pour sincères et antérieurs à BHG 315, une lettre de Théodore, évêque d’Iconium (1re moitié du VIe s.)103. Condamnant des Actes apocryphes en circulation, Théodore a mené l’enquête. Il n’a trouvé aucun commentaire, 97 Synaxaire arabe jacobite 1, col. 611-612 : au 15 de Sanê (9 juin) ; pour un éloge copte attribué à Jean (III : 681-689 ou IV : 775-789), patriarche d’Alexandrie : DRESCHER, Apa Mena ; GROSSMANN, Abû Mînâ. 98 DELEHAYE, Ménas. Voir JANIN, Églises, p. 333-335. 99 Inédite, elle est résumée par DELEHAYE, Ménas, p. 138-140. 100 PG 116, col. 368-416, au 10 décembre. Au 17 février, les synaxaires résument sans doute un récit aujourd’hui perdu sur l’invention des reliques survenue à Constantinople sous l’empereur Basile Ier (867-886) : Syn. Const., col. 470. 101 Les exemples sont nombreux, tels les ‘saints maçons’, Florus et Laurus : WORTLEY, Relichoard, p. 370-373, ou Photios et Anicétos, martyrisés sous Dioclétien : Passion anonyme (BHG 1542-3), éd. L ATYŠEV, Inédits, p. 93-113 ; Passion brève anonyme (BHG 1544), Act. Sanct. Aug., II, p. 707-709 ; Passion dans le Ménologe impérial A (BHG 1544c) : L ATYŠEV, Ménologe, II, 269-273 (12 août). Cet abrégé de la Passion ancienne ne mentionne pas explicitement l’invention. Il existe encore une Passion (BHG 1544c) par Luc Adialiptos et un Éloge (BHG 1544f) par Constantin Acropolite : DELEHAYE, Constantin, p. 268-269. 102 Pass. Cyricus et Julitte. Il n’existe cependant aucune mention d’un sanctuaire leur étant dédié à Tarse : M ARAVAL, Lieux saints, p. 356. Sur ces saints très populaires et la diffusion de leur culte : DELEHAYE, Sanctus, p. 167 ; H ALKIN, Inscriptions (1949), p. 99 (Syrie), 106 (Arabie) ; (1951), p. 72 (Palestine) ; (1952), p. 122 (Délos) ; (1953), p. 81 (Asie), 327, 330 (Phrygie), 332 (Pisidie). 103 Pass. Cyricus et Julitte, p. 201-207. Pour Théodore, évêque d’Iconium (av. 527-av. 536 ?), DESTEPHEN, Prosopographie, p. 897-898 : Théodôros 9.

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aucune relation écrite sur leur martyre, mais expose dans sa lettre la tradition orale telle qu’il a pu la recueillir. Les Acta Sanctorum donnent de cette lettre deux versions – latine et grecque – assez différentes, avec une préférence pour la première, dont le modèle grec semble perdu. On possède encore une Passion abrégée dans le Ménologe impérial A104 et un Éloge par Nicétas le Paphlagonien105. Claude d’Antioche D’autres furent redécouverts après un temps plus ou moins long, à l’instar de Claude d’Antioche : selon une homélie conservée en copte et attribuée à Sévère d’Antioche106, l’évêque, après sa fuite en Égypte (518), découvrit à Pohé les reliques du martyr antiochien Claude. C’est « dans le sanctuaire qui avait été bâti pour lui107 et qui est dans le grand palais d’Antioche, tout le peuple étant rassemblé, petits et grands, riches et pauvres, et le préfet avec tous les notables de la ville108 » que Sévère aurait prononcé son Éloge. L’attribution est considérée comme douteuse109. Cyprien Grégoire de Nazianze raconte comment le corps du martyr, qu’une femme avait caché chez elle, fut miraculeusement rendu à la communauté sur la foi d’une révélation faite à une autre femme110. L’Éloge BHG 457 fut écrit et prononcé à Constantinople pour la fête du saint, sans doute en 379111. Sa particularité réside dans une étrange confusion entre l’évêque de Carthage, martyrisé sous Valérien en 258, et un homonoyme d’Antioche de Pisidie, matyrisé en 304 à Nicomédie, sous Dioclétien et Maximien112. On a parlé d’une fusion

BHG 318e : L ATYŠEV, Ménologe, II, p. 173-176. BHG 318 : LEBRUN, Nicétas, p. 330-349. Les saints sont fêtés le 15 juillet : Syn. Const., col. 821 ; Mén. Basile, col. 541. 106 D ELEHAYE, Égypte, p.  105 ; D RESCHER , Encomium ; M AR AVAL , Lieux saints, p.  326 ; PAPACONSTANTINOU, Égypte, p.  245-248. Voir encore D RESCHER , Apa Claudius ; G ARITTE, Constantin ; SAUGET, Claudio. 107 Le martyrion aurait été bâti, sous Constantin, par les proches du saint (martyrisé sous Dioclétien) ; on y aurait déposé son sang, dans une cassette d’argent, sous le chancel du sanctuaire. La relique aurait opéré de nombreuses guérisons. 108 Sévère d’Antioche, Claude, p. 487 [65]. 109  A LPI, Sévère, I, p. 152, et n. 47 : « La valeur documentaire de ce texte demeure extrêmement problématique, infirmée, entre autres invraisemblances, par la mention controuvée d’un retour de Sévère à Antioche. » L’invention de Claude d’Antioche est à rapprocher de celle des martyrs d’Orthôsias. 110 Grégoire de Nazianze, Disc. 24. 111 BERNARDI, Cappadociens, p. 161-164. 112 DELEHAYE, Cyprien.  104 105

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volontaire de la part de Grégoire, peut-être dans une volonté de rapprochement entre Rome et l’Orient113. Or, alors que Cyprien de Carthage est inconnu des ménologes grecs, la mémoire de Cyprien d’Antioche et de Justine était célébrée les 2/4 octobre114. La synaxe avait lieu dans leur martyrion τῷ ὄντι πέραν ἐν τοῖς Σολομῶνος, c’est-à-dire sur les pentes nord de la Corne d’Or115. On ignore si ce martyrion existait au IV e siècle, mais l’allusion au pouvoir des reliques par Grégoire donne à penser que la capitale en possédait déjà sa part. On ignore encore où l’évêque a puisé l’anecdote de l’invention, mentionnée sans plus de précision, en particulier de date. Cyr et Jean Il est impossible de résumer en quelques lignes ce dossier très complexe116. Selon la tradition, Cyrille d’Alexandrie (412-444)117 découvrit à Saint-Marc le tombeau de Cyr et Jean. Ceux-là avaient subi le martyre aux côtés des vierges Théodote, Théoctiste, Eudoxie, et leur mère, Athanasie, dont le « divin puits » se trouvait à proximité du sanctuaire. L’évêque, soucieux de procurer un martyrion aux chrétiens de la région (il semblait redouter l’attrait d’un temple oraculaire voisin), transféra et déposa les reliques à Ménouthis118, dans l’église des Saints-Évangélistes, fondée par son oncle et prédécesseur Théophile (384412). Or, si trois petites homélies (BHG 472-474) relatives à l’invention et à la translation des reliques nous sont effectivement parvenues sous le nom de Cyrille119, cette attribution tout comme le déroulement des faits ont depuis longtemps été mis en doute120. Jean Gascou est récemment revenu sur la question121, avec un examen complet du dossier philologique, lequel se compose,

COMAN, Cyprien. On connaît plusieurs Passions, dont une version métaphrastique  BHG 456 : PG 115, col. 848-881. L’impératrice Eudocie elle-même célébra les martyrs (BHG 458-459). Typicon, p. 58-59 ; Syn. Const., col. 97-100 ; Mén. Basile, col. 83. 115 Syn. Const., col. 100. JANIN, Églises, p. 290-291 : « peut-être sur la hauteur de Galata. » 116 La bibliographie est importante, notamment : LECLERCQ, Alexandrie, col. 1113-1114 et ID., Cyr et Jean ; DUCHESNE, Aboukir ; DELEHAYE, Aboukir et ID., Sanctus, p. 223-224 ; FAIVRE, Canopus, p. 37-56 ; COZZOLINO, Origine ; M ARAVAL, Lieux saints, p. 317-319 ; MONTSERRAT, Pilgrimage ; SANSTERRE, Ménouthis. 117 BARDY, Cyrille d’Alexandrie. 118 C’était un faubourg de Canope situé à quatorze milles à l’est d’Alexandrie (près de l’actuel Aboukir : Apa Kyr[os]). Pour la localisation du site : STOLZ, Kanopos. 119 Cyrille, Orat. 120 Elle a cependant trouvé des défenseurs. Selon MCGUCKIN, Influence, Sophrone de Jérusalem pourrait avoir eu accès à une relation de Cyrille d’Alexandrie plus détaillée conservée dans les archives de la ville. 121 GASCOU, Cyr et Jean. 113 114

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pour l’essentiel, outre les homélies, de deux Passions (BHG 469 et 470122), ainsi que d’un ouvrage (BHG 475-476) en l’honneur des saints rédigé par Sophrone de Jérusalem (v. 550-638/639) après une guérison obtenue au sanctuaire de Ménouthis, entre 610 et 615123. Le culte fut sans doute institué au VIe siècle à Ménouthis, sous l’égide du monastère de la Métanoia de Canope. Le sanctuaire à incubation124 ne survécut pas à la conquête arabe ; les reliques furent emportées à Constantinople, puis à Rome.  On célébrait la passion des saints le 31 janvier125 et leur invention le 28 juin126. Dométios Jean Malalas (peu ap. 575) rapporte que l’empereur Julien, s’en allant combattre les Perses, vit dans la campagne (ἐν τῇ χώρᾳ) de Cyr une foule de malades autour de la caverne de Dométios – le moine avait coutume de les guérir127. Or, parce qu’il avait refusé de les chasser, l’empereur fit murer la caverne. La narration de Malalas est passée telle quelle dans le Chronicon Paschale128. Il existe une Passion du saint (BHG 560)129 : vers la fin de sa vie, Dométios se retira sur une colline non loin de Cyr, à huit milles au nord de la basilique Saints-Côme-et-Damien ; les habitants du domaine voisin de Παρθέν (ou Παρθές) lui creusèrent un abri dans la roche. Dométios y faisait des miracles, jusqu’à ce qu’il subisse le martyre, emmuré sur ordre de l’empereur Julien, le 6 mars 363. Sa relique, découverte le 5 juillet 365, fut transférée et déposée dans l’église de Παρθές. Pas plus la date du 6 mars (passion) que celle du 5 juillet (invention) ne semblent renvoyer à une quelconque réalité. La Passion servait de lecture pour la fête du saint, le 7 août. Il existe encore deux Vies abrégées dans le Ménologe impérial A, BHG 561130 et BHG 561a131, respectivement aux 23 mars et 7 août. BHG 561a, plus proche de BHG 560, s’achève cependant sur la mort du saint. Les synaxaires grecs mentionnent son martyre 122

Pass. Cyr et Jean 1 et 2. La première fut métaphrasée par Syméon au Xe siècle (BHG 471) : Pass. Cyr et Jean 3 (31 janvier). NISSEN, De formis, p. 65-71. 123 Il est composé d’un Éloge précédé d’une préface (Éloge Cyr et Jean) et d’un recueil de miracles (Sophrone, Miracles). VAILHÉ, Sophrone ; SCHÖNBORN, Sophrone. 124 Protégées par des grilles, les reliques se trouvaient dans un cercueil, tout près de l’autel. 125 Calendrier pal.-géo., p. 147 ; Syn. Const., col. 433-435 (avec Théodote, Théoctiste, Eudoxie et Athanasie) ; Mén. Basile, col. 288BC. 126 Syn. Const., col. 775-777, etc. À Jérusalem, la synaxe avait lieu à la Sainte-Anastasis : Calendrier pal.-géo., p. 75. 127 Malalas, Chron., XIII, 20, p. 251-252. 128 Chron. Pasch., col. 745BC ; p. 550 (CSHB). 129 Pass. Dom. 130 Ibid., p. 318-320 ; L ATYŠEV, Ménologe, I, p. 275-278. 131 Ibid., II, p. 253-257.

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au 7 août ; ils s’inspirent de la Passion ou des abrégés (on lit toutefois, dans le Ménologe de Basile II, que Dométios mourut décapité). On célébrait encore le martyr le 4 octobre132. Au Xe siècle, sa synaxe avait lieu, à Constantinople, ἐν τῷ ἁγιωτάτῳ αὐτοῦ μαρτυρείῳ, τῷ ὄντι πέραν ἐν Ἰουστινιαναῖς133. Le martyrion est mentionné au concile de 536134. Spécialisé dans la guérison des fractures135, on y pratiquait l’incubation136. La Passion, remplie d’anachronismes, s’inspire de Théodoret de Cyr e (2  moitié du Ve s.) ; en revanche, la notice de Malalas montre qu’il existait déjà un culte et une légende localement implantés vers le troisième tiers du VIe siècle, sans que l’on puisse dire si les miracles de guérisons mentionnés par Grégoire de Tours s’appliquent au sanctuaire de Cyrrhestique ou à son concurrent, celui de Dométios le Médecin près du mont Qouros, en Mésopotamie, dans le Tur Abdin137. Selon le Père Peeters, la Vie syriaque (BHO 263) de Dométios le Médecin et la Passion BHG 560 de Dométios de Parthes sont « littérairement parlant, deux pièces jumelles », la seconde étant « imitée par transposition de la Vie de saint Dometios le Médecin ». Elle pourrait avoir été traduite du syriaque ou avoir pour auteur « un indigène de Cyrrhestique »138. Gervais et Protais L’invention de ces martyrs eut lieu dans la pars occidentalis de l’Empire, mais elle eut une telle importance pour l’histoire du culte des reliques qu’il convient de la mentionner. Au mois de juin 386, Ambroise de Milan adressa une lettre à sa sœur pour lui faire part d’un événement extraordinaire139 : il venait de découvrir (17 juin) les reliques de deux martyrs dans le martyrium milanais des Saints-Nabor-et-Félix. Le fait se trouva bientôt consigné dans les sources occidentales140, puis, déformé pour entrer dans le cadre traditionnel d’un récit d’invention : leur nom était connu, sans doute grâce à une inscription, et les anciens se souvinrent qu’il y avait là des martyrs, mais ce n’est que

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Syn. Const., col. 103 (4 octobre), 98 (Syn. sel., 2 octobre), 283 (Syn. sel., 7 décembre), 869-871 (7 août) ; Mén. Basile, col. 573 (7 août), 89 (4 octobre) et 341 (7 mars). 133 Syn. Const., col. 871. JANIN, Églises, p. 99-100 : à localiser à Galata. 134 ACO, III, p. 34, etc. 135 Sévère d’Antioche, Hom. 51, p. 372-373. 136 M ARAVAL, Lieux saints, p. 339, 352, 404 ; PARMENTIER, Dometios. 137 Grégoire de Tours, In gloria martyrum, 99. 138 P EETERS, Dometios. 139 Ambroise, Ep. 22. Cf. L ANÉRY, Ambroise, p. 27-43 (je remercie M. Vincent Zarini de m’avoir signalé cette référence). 140 Notamment, Gaudence († 406), Tractatus, XVII, 12, p. 144 ; Paulin de Milan, Vie d’Ambroise, 14, col. 31D-32A ; Augustin, Conf., II, IX, 7, 16, p. 221 ; De Civit. Dei, II, XXII, 8.

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petit à petit que se constitua leur biographie, donnant naissance à une tradition hagiographique locale. On possède la traduction grecque d’une lettre apocryphe sur l’invention (BHG 67a)141 : le texte peut se lire dans un manuscrit du XIe siècle (ménologe de décembre), pour la fête d’Ambroise (le 7 du mois). L’original latin aurait été composé à Ravenne, à la fin du V e  siècle ou pendant le premier quart du VIe siècle, et la traduction grecque citée, vers 729/730, par Jean Damascène, dans le deuxième livre du De imaginibus. Ce texte se présente plus ou moins comme un décalque de la Révélation de saint Étienne par le prêtre Lucien. Hyacinthe On possède une Passion de ce saint martyrisé à Rome, sous le règne de Trajan (BHG 758)142. L’auteur, un certain Aigyptios, se présente comme témoin oculaire du martyre, de deux inventions successives, puis de la translation du corps à Césarée de Cappadoce. Ce texte servant de lecture pour la fête du 3 juillet est préservé dans un manuscrit daté de 1022. Il existe encore une Passion abrégée dans le Ménologe impérial A (BHG 758c)143 et deux autres, inédites (BHG 758b et 758d, la seconde étant identique à BHG 758c, moins la prière pour l’empereur). Le lieu de la déposition, « la maison » de Hyacinthe, se trouvait près de la porte de Sébaste, à l’endroit dénommé Sténadion. Maxime, Dadas et Quintilien Selon leur Passion (BHG 1238)144, ils furent martyrisés à Durostorum, en Mésie Seconde, sous Dioclétien. On retrouva miraculeusement leurs corps. La passion était célébrée le 28 avril145 et l’invention le 2 août146 : « à présent, elles [les reliques] gisent dans la maison de la sainte Théotokos ἐν τοῖς Βιγκλεντίας147 accomplissant de nombreuses guérisons pour ceux qui les approchent. » Il faut encore mentionner, sur le modèle des martyrs, quelques cas de découvertes de saints moines :

AUBINEAU, Jean Damascène ; voir encore Z ANETTI, Nazaire. Pass. Hyac. 143 L ATYŠEV, Ménologe, II, p. 132-135. 144 Act. Sanct. April., II, p. 974-975. 145 Mén. Basile, col. 427B ; Typicon, p. 275. 146 Mén. Basile, col. 569 ; H ALKIN, Synaxaire, p. 325. 147 JANIN, Églises, p. 161 : « Le quartier dit τὰ Βιγλεντίου ou τὰ Βιγλεντίας occupait probablement le sommet de la troisième colline au-dessus du forum Tauri et devait s’étendre sur le versant de la Corne d’Or. » 141

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Antoine Le père des moines († 356) avait lui-même souhaité que son corps demeurât caché, mais, d’après Victor de Tunnuna († peu ap. 566), on le redécouvrit en 561148. Peu après, vers 570, le pèlerin de Plaisance signale, sans plus de précision, les reliques d’Antoine à Alexandrie149. Sa mémoire était communément célébrée le 17 janvier, sans doute dès la mort du saint150. On ne connaît pas de fête d’invention. Anthousa Selon BHG 136151, le corps de cette solitaire, morte aux alentours de l’an 280, fut retrouvé miraculeusement quatre ans plus tard, près de Tarse152. L’abbé d’un monastère voisin l’inhuma dans la grotte de l’invention, et érigea à proximité une église et un monastère. La pièce pourrait provenir du monastère Sainte-Anthousa de Tarse. Composée pour la fête du 22 août (la date figure dans la marge supérieure du plus ancien manuscrit, du IXe siècle), elle est improprement appelée Passion, d’après un appendice consacré aux martyrs Athanase, Néophyte et Charisime, dont l’existence est liée à notre sainte. Hermann Usener a noté une très grande similitude avec la Passion de sainte Pélagie de Tarse (BHG 1480)153, sans pouvoir déterminer avec certitude laquelle dépend de l’autre. On peut encore lire un abrégé de la Vie (BHG 136x, anc. 137*) dans le Ménologe impérial A154. La fête de l’invention est enregistrée au 22 (23/24) août dans les synaxaires grecs, d’après une version légèrement différente155 ; on la célébrait, à Constantinople, aux « Traces-des-Chevaux »156. Gennade On possède de ce patriarche de Constantinople (458-471) un Éloge (BHG 667) par Néophyte le Reclus (1134-1220)157. Venu secrètement à Chypre, Gen148

Victor de Tunnuna, Chronica, p. 205 (MGH). Ant. Plac., Itin., 45, 5, Récits, p. 234. 150 Lectionnaire arménien, II, p. 226-227 ; Calendrier pal.-géo., p. 45 ; Syn. Const., col. 397-398 ; Mén. Basile, col. 263, etc. 151 Vie Anth. 152 JANIN, Anthuse ; ELDOROV, Antusa. 153 Pass. Pélagie. 154 L ATYŠEV, Ménologe, II, p. 312-315. Le même texte sans la prière finale pour l’empereur (BHG 137) est édité dans les Act. Sanct. Aug., IV, p. 502-504. 155 Syn. Const., col. 915-916 (BHG 137e) ; Mén. Basile, col. 595. 156 JANIN, Églises, p. 38-39 ; M ARAVAL, Lieux saints, p. 356. 157 Act. Sanct. Aug., V, p. 148-155 ; DELEHAYE, Chypre, p. 221-228 ; CHATZIJOANNOU, Néophyte, p. 316-324. 149

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nade serait mort dans un village proche de Paphos, puis, son corps s’étant signalé par des miracles, il aurait été inhumé dans un sanctuaire voisin. Ce texte, compilé ἔκ τινων βραχέων ὑπομνημάτων fut rédigé et prononcé pour la fête du saint à Chypre, un 20 novembre158. Il constitue un témoignage unique sur le culte du patriarche dans l’île. Or, Gennade appartient à une catégorie courante, le « serviteur caché »159 mort dans la solitude, voire l’anonymat, tels Marcianos, évoqué par Théodoret de Cyr160 ou Pierre le Brouteur, par Jean Moschos : On commençait à construire l’église de saint Quiricus à Phasaelis, et l’on avait creusé les fondations du temple. Pendant mon sommeil un moine m’apparaît, avec un air d’ascète, portant un froc (κολόβιον) de corde, et sur les épaules un petit surtout de natte ; et il me dit d’une voix douce : « Dis-moi, seigneur abbé Georges, est-ce ainsi que tu as trouvé bon, après tant de peine et d’ascèse, de me laisser hors du temple que tu construis ? » Pour moi, plein de respect pour la dignité du moine, je lui dis : « Au fait, seigneur, qui es-tu donc ? » Il me répondit : « Je suis Pierre, brouteur du saint Jourdain. En me levant ce matin, j’ai agrandi le plan du temple. » Et comme je creusais, j’ai trouvé son corps étendu tel que je l’avais vu en songe. En construisant l’oratoire, j’ai fait un beau monument du côté droit et je l’y ai déposé161.

Le phénomène ne devait pas cesser, touchant aussi bien des ascètes célèbres que des anonymes162. On peut penser que de nombreux sanctuaires revendiquèrent ainsi la possession d’un corps saint : la tradition voulait, par exemple, que Jean, un soldat, ait secrètement aidé quelques chrétiens à s’échapper, sous Julien l’Apostat (361-363). À sa mort, inhumé dans le cimetière des étrangers,

158 Chypre célébrerait un autre Gennade, appartenant au groupe des Treize martyrs tués par les Latins en 1231, fêtés le 19 mai (BHG 1198) : SATHAS, Bibliothèque, p. 20-39. 159 Sur le κρυπτὸς δοῦλος : FLUSIN, Serviteur. Gennade n’est pas découvert en qualité d’évêque. De même, la figure d’Acace de Mélitène, évêque du V e siècle qui participa au concile d’Éphèse (431), s’est confondue, à l’instar de Cyprien, avec celle d’un martyr. Sa mémoire se célébrait le 17 février et l’invention de ses reliques le 15 septembre (Syn. Const., col. 50-51, Syn. sel.). ROUZIÈS, Acace ; BRANDI, Acacio ; H ALKIN, Ménologe : il s’agit d’un ménologe prémétaphrastique pour le mois d’avril de la fin du Xe siècle. On peut noter que, au Xe siècle, une translation de reliques comme celle de Grégoire de Nazianze, à Constantinople, présente encore bien des aspects d’une invention : FLUSIN, Grégoire et ID., Panégyrique. 160 Théodoret, H.R., I, III, 18, p. 280-284. 161 Jean Moschos, Pré, 92, col. 2949CD ; tr. p. 139 (SC). Ce thème de l’invention d’un corps saint occupe plusieurs récits du Pré spirituel (dans le t. XII des SC, les no 84, 87, 89, 92, 120, 121). 162 Par ex., invention du berger chypriote Théosébios : DELEHAYE, Chypre, p. 181-197 ; près de Messine, des anachorètes, Nicandre, Grégoire, Pierre, Dèmètrios et Élisabeth : BHG 1329, Act. Sanct. Sept., VI, p. 88-91 ; C AIETANUS, Vitae, II, p. 37-40 (fêtés le 19 septembre), etc.

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PREMIÈRE PARTIE

il se serait fait connaître à une femme, par une révélation. Entre autres prodiges, il empêchait la fuite des esclaves163. * Du IVe au VIe siècle, on découvrit, dans les provinces orientales de l’Empire romain, un certain nombre de reliques corporelles ou matérielles. Il faut tenir compte du hasard des sources, mais pour les saints vétérotestamentaires, les inventions, précoces et concentrées, semblent avoir diminué au fil du temps, tandis que pour les saints néotestamentaires ou apocryphes et les martyrs, elles s’échelonnent, très diffuses, tout au long de la période. Pour les autres, le phénomène – principalement lié au développement du monachisme – paraît plus tardif. La documentation est inégale : certains dossiers sont riches d’un grand nombre de sources, tandis que d’autres peuvent se réduire à une simple mention. D’ordinaire, l’invention survient longtemps, plusieurs siècles, après la mort du saint ; entre les deux, une tradition mouvante qui tantôt naît, évolue, s’enrichit, s’interrompt, se contredit… Après la découverte, une nouvelle tradition se combine avec elle, la double ou la relaie. Quoi qu’il en soit, peu de reliques étaient localisées avec précision avant leur découverte, ce qui constituerait d’ailleurs une incongruité164. Dans tous les cas, le miracle crée la surprise, et lorsqu’elle existe, la tradition scripturaire, littéraire ou locale, est provisoirement mise entre parenthèse, pour mieux ressurgir par la suite, (re)formée, informée, déformée, afin d’alimenter et valider la découverte.

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Mén. Basile, col. 565B (30 juillet). Les inventions concernent avant tout des sépulcres primitifs. Le tombeau d’Habacuc semble toutefois identifié avant sa (re)découverte, ou plus exactement montrait-on deux tombeaux du prophète. L’invention permit-elle d’en éliminer un ? C’est possible, même si l’on peut croire que d’autres considérations prévalurent. 164

DEUXIÈME PARTIE

Les étapes de l’invention

Dans son ouvrage sur les Lieux saints et pèlerinages d’Orient, Pierre Maraval a montré qu’il existait deux modes d’invention, lorsque la tradition, d’une manière ou d’une autre, faisait défaut : « ce travail d’invention a été fait de deux manières : la première empirique, la seconde inspirée1 ». La première, qui consiste à « partir des textes bibliques et en exploiter au mieux toutes les données topographiques » a cependant vite trouvé ses limites, et « faute sans doute d’autres indices, les inventeurs des lieux saints (et surtout des reliques) ont utilisé une méthode que l’on peut qualifier d’inspirée, car elle présuppose une révélation d’en haut ». Le chercheur a donc pu, à partir des différents récits qui les relatent, « tenter d’en tirer, avec les nuances qui s’imposent, les éléments d’une typologie, les ‘règles’ d’une méthode d’invention ». Il s’agit (1) d’une « révélation d’en haut » ; (2) « le second temps est celui de la fouille » ; enfin, (3)  « une fois la découverte faite, on cherche à lui donner des garanties d’authenticité ». Chacune de ces étapes a sa raison d’être, non seulement pour certifier la véritable nature de la relique, mais aussi assurer le caractère divin de la découverte, le bien-fondé de son ‘acquisition’ et de sa possession, la légitimité du culte. On imagine donc aisément que la répartition des rôles ne se faisait pas au hasard. Une lecture suivie de nos sources nous en convaincra vite.

M AR AVAL , Lieux saints, p.  36. Pour les citations suivantes, du même auteur : ibid., p. 36, 41, 43, 44 et 46.

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CHAPITRE PREMIER

La disparition À lire les récits qui les relatent, on pourrait croire que ces découvertes survenaient de manière imprévue : Cyrille de Jérusalem n’a jamais entendu dire que Jacques ait été enseveli en cet endroit ; Lucien de Caphargamala et Anthémios de Salamine ne savent rien de tout ce que leur racontent Gamaliel et Barnabé, etc. Bref, l’effet de surprise semble total, même lorsqu’une tradition préexiste, sous une forme ou une autre, à l’invention. Pourquoi insister sur l’inattendu de la découverte ? On le comprend ici, dans le cas d’une nouvelle localisation que l’on sait avoir été controversée, ou là, pour assurer une tradition non canonique. Avec un miracle divin, il n’était plus matière à contestation. Mais il y a plus. Parce que, précisément, l’invention est miracle, il était essentiel de montrer que les saints corps avaient disparu à dessein : il fallait que Dieu permît de les redécouvrir. Ce motif était tellement important qu’il allait devenir topos ; la perte devenait nécessaire, ne fût-ce qu’un instant : Ton corps restera caché un peu de temps dans la terre, car, moi aussi, j’ai été dans la tombe trois jours. Ensuite, tu te manifesteras en grande puissance, on placera ton corps dans un reliquaire et je ferai qu’une foule se rassemble sur ton corps pour t’apporter des présents1.

1. Martyre et privation de sépulture Si l’on en croit divers témoignages, et en particulier, la littérature apologétique et hagiographique chrétienne, les corps de nombreux martyrs auraient été systématiquement détruits et soustraits à leurs coreligionnaires. La lettre sur les martyrs de Lyon de l’an 177, transmise par Eusèbe de Césarée, est restée fameuse : 1

Martyre de Claude d’Antioche, p. [59] 481. Même si l’idée n’est presque jamais clairement formulée dans nos récits, on reconnaît, quelle que soit la durée de la ‘disparition’, le triduum christique de la Passion à la Résurrection. Une invention est tout à la fois un modèle et une preuve de la Résurrection à venir.

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DEUXIÈME PARTIE

En effet, ils jetèrent aux chiens ceux qui avaient été asphyxiés dans la prison et ils gardèrent soigneusement leurs cadavres, nuit et jour, pour qu’aucun ne fût enseveli par nous. Alors aussi, ils exposèrent les restes qu’avaient laissés les bêtes et le feu, tantôt déchirés, tantôt carbonisés ; les têtes et les troncs des autres, laissés également sans sépulture, étaient gardés avec soin par des soldats pendant bien des jours. Et les uns frémissaient de rage et grinçaient des dents (cf. Ac 7, 54) devant ces restes en cherchant quel supplice plus grand leur infliger ; les autres riaient et se moquaient, exaltant en même temps leurs idoles à qui ils attribuaient les châtiments de ces gens-là ; d’autres, plus modérés et paraissant compatir dans une certaine mesure, multipliaient les reproches en disant : Où est leur dieu et à quoi a servi le culte qu’ils ont préféré à leur propre vie ? Telles étaient les diverses attitudes des païens. Quant à nous, nous étions dans une grande douleur de ne pouvoir ensevelir leurs corps dans la terre ; car la nuit ne nous servait à rien pour cela ; l’argent ne séduisait pas, la prière ne troublait pas les gardiens ; ils veillaient de toute manière, comme s’ils avaient eu beaucoup à gagner de ce que les corps n’eussent pas de tombeau. Plus loin, après d’autres choses, ils disent : Les corps des martyrs furent donc exposés de toute manière et laissés en plein air durant six jours ; ensuite, ils furent brûlés et réduits en cendres par les pervers qui les jetèrent dans le fleuve du Rhône – ce fleuve coule tout près de là –, afin qu’il n’y eût plus aucun reste d’eux sur la terre. Ils faisaient cela comme s’ils pouvaient vaincre Dieu et priver les morts d’une nouvelle naissance, afin que, comme ils le disaient, les martyrs n’eussent plus d’espoir de résurrection ; car c’est en croyant à la résurrection qu’ils introduisent chez nous un culte étranger et nouveau et qu’ils méprisent les supplices, prêts à aller avec joie jusqu’à la mort. Maintenant, voyons s’ils ressusciteront et si leur Dieu pourra les secourir et les arracher de nos mains2.

On ne compte plus les Passions où les corps, privés de sépulture, sont livrés en pâture aux bêtes de proie, brûlés, engloutis dans les flots et leurs cendres dispersées, tel Étienne, qui « fut lapidé par les Juifs à Jérusalem et […] passa une nuit et un jour jeté à la sortie de la ville qui mène à Kédar, laissé sans sépulture sur l’ordre des grands prêtres impies de l’époque pour être dévoré par les vautours ou les bêtes sauvages3. » Selon la mentalité antique, la privation de sépulture constituait un châtiment des plus terribles, l’âme du mort se voyant irrémédiablement condamnée à l’errance4. Or, pour qu’il y eût inhumation rituelle, il fallait de surcroît 2

Eusèbe, H.E., V, 59-63, p. 22-23. Cf. Martyrs de Lyon (177). Rév. Étienne 1, p. 92-95. 4 Pour les modèles antiques et leurs prolongements chrétiens, cf. JOBBÉ-DUVAL, Morts, p. 6090 : au début du IIIe siècle, dans son traité De Anima, Tertullien en expose le principe, pour 3

CHAPITRE PREMIER – LA DISPARITION

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que le corps fût intègre5. Celui des martyrs était de ce fait souvent mis en pièces6 : 〈Ils〉 les maltraitèrent de la façon la plus cruelle, les traînant tantôt face contre terre, tantôt sur le dos et les fracassant contre le sol, et les frappant de ce qu’ils avaient sous la main, les uns de pierres, les autres d’épieux, d’autres de la première arme venue. J’ai même appris que les femmes aussi, se levant de leurs métiers, les piquaient de leurs navettes et que, parmi les cuisiniers de l’agora, les uns, ayant saisi de dessus les réchauds les chaudrons bouillonnant d’eau chaude, la répandaient sur eux, les autres les perçaient de leurs broches. […] Quand ils les eurent déchirés et qu’ils eurent broyé leurs têtes, au point que le cerveau coulait à terre, ils les portèrent devant la ville, là où ils avaient coutume de jeter les cadavres des bêtes dénuées de raison ; et, ayant allumé un bûcher, ils brûlèrent leurs corps. Ce qui restait de leurs os, tout ce que n’avait pas consumé le feu, ils le mêlèrent aux ossements jetés là des chameaux et des ânes, en sorte qu’on ne pût aisément les retrouver7.

On croyait en effet que les morts de male mort devenaient malfaisants et les cadavres privés de sépulture, source de pollution, dangereux pour la communauté des vivants : on les faisait alors passer par l’eau et le feu, éléments purificateurs8 ; on dispersait leurs cendres au loin. Le gouverneur de Parium fit ficeler les cadavres d’Onésiphore et Porphyre sur une cavale afin qu’il n’y eût plus aucun reste d’eux sur la terre9 et le corps de l’évêque Basile d’Amasée fut jeté à la mer10. Hérodiade conserva la tête de Jean Baptiste, de peur qu’il ne se reprît à vivre, tête et corps miraculeusement rattachés11. Interdire la récupération des corps permettait par ailleurs aux autorités d’entraver la naissance d’un culte rendu à ces martyrs : « s’il reste inébranlable », prescrivit Licinius au bourreau de Basile, « coupe sa tête inflexible par l’épée et jette-la sans honneur à la mer, loin de son misérable corps, afin qu’il n’ait mieux le combattre. Pour qu’un corps pût être inhumé selon les rites, il fallait que la mort parût « conforme à la nature ». En étaient exclus tous ceux qui étaient prématurément disparus ainsi que les trépassés de mort violente. Soit un classement bipartite des genres de mort en concurrence avec un classement tripartite – on trouve les deux chez Tertullien – selon que l’on considère en un tout ou dissociés les morts avant terme (aori, ἀωροί) et les morts de mort violente. Peu importait que le trépas fût juste ou non. Les âmes des suppliciés qui occupaient en bonne place la dernière classe se voyaient privées de repos à tout jamais. 5 THOMAS, Corpus, p. 85-87. 6 LE BLANT, Martyrs.  7 Sozomène, H.E., V, 9, 3-5, p. 130-131 (SC). 8 Tertullien, De Anima, XXXIII : inde in ignem datur, ut et sepultura puniatur. Cf. Eusèbe, H.E., VIII, VI, 7 ; Mart. Pal., IX, 8-11 ; XI, 16-28. 9 Pass. Onés. et Porph., 6, p. 325, l. 21-22. Pour une contrepartie chrétienne, voir, par ex., le meurtre d’Hypatie à Alexandrie, en 415. 10 Pass. Bas. 2, p. 417, l. 294-295. 11 Prem. inv. chef du Bapt., col. 422A.

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DEUXIÈME PARTIE

pas même part à la sépulture usuelle et que les chrétiens ne lui fassent pas l’honneur, l’emportant avec joie, d’une profonde vénération12. » Sans doute le risque était-il grand à braver l’interdit13. En tout cas, la littérature hagiographique se plaît à souligner le danger, à la mesure de la ténacité et de la foi des fidèles : Quant à moi Gamaliel, connaissant la vertu de l’homme et assuré d’avoir part à sa résurrection, je me levai nuitamment et fis venir en secret ceux dont je connaissais la piété et ceux qui avaient cru en Christ en même temps que moi, puis je leur enjoignis avec insistance de suivre mon conseil : « À mes risques et périls, leur dis-je, sans craindre personne, allez recueillir son corps et amenez-le dans mon domaine qui porte mon nom. »14

L’argent, la ruse, souvent les deux, étaient dépensés sans compter pour assouvir ce pieux devoir. De fait, l’interdit visait à atteindre la nouvelle religion en ses fondements : si la destruction des corps devait empêcher le repos des morts, combien plus encore devait-elle frustrer les chrétiens dans leur espoir de résurrection. Même s’ils savaient que leur corps leur serait rendu intégralement au jour du Jugement, cette peur ne leur était pas étrangère. Tant qu’il resta privé de sa tête, Longin ne connut pas le repos au tombeau. Saint Longin sans sa tête lui apparut […] Le saint lui dit : « Va à Jérusalem, informe-toi de la maison du gouverneur Lucius, cherche la tête du centurion Longin, rapporte-la près de mon corps, et tu seras sauvée. Je suis en effet Longin, celui qui paissait les brebis le long de la route, et je n’ai pas trouvé de repos, dans le tombeau où j’ai été enseveli, jusqu’à maintenant ; mais fais cela et tu seras guérie au nom de Jésus-Christ. […] La nuit d’après, saint Longin apparut à Chrestè et lui dit : « J’ai trouvé maintenant mon repos puisque tu m’as procuré ma tête, et toi, tu seras guérie, dès ce jour. »15

Or, nos récits proclament unanimement le triomphe des martyrs qui ont échappé à la destruction et à la disparition intégrale. Même le vœu d’Ignace ne fut pas exaucé, et l’on put déposer bien plus tard ses os à Antioche16. On cite souvent un passage du Martyre de Polycarpe († 155-156 ou 177), qui résume à lui seul tout l’enjeu de la préservation des corps :

12 Pass. Bas. 2, p. 417, l. 271-275. Les exemples peuvent se multiplier, par ex., Pass. Hyac., p. 306, l. 10-14. 13 Il semble cependant hasardeux de généraliser l’interdiction de sépulture pour les chrétiens avant la dernière persécution : HERRMANN-M ASCARD, Reliques, p. 24. 14 Rév. Étienne 1, p. 94-95.  15 Pass. Longin 2, 23, p. 895 ; 26, p. 897. 16 Évagre, H.E., I, 16. Cf. Jérôme, De viris ill., 16, col. 635B ; Jean Chrysostome, In Ignatium.

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Le feu présenta la forme d’une voûte, comme la voile d’un vaisseau gonflée par le vent, qui entourait comme d’un rempart le corps du martyr ; il était au milieu, non comme une chair qui brûle, mais comme un pain qui cuit, ou comme de l’or ou de l’argent brillant dans la fournaise. Et nous sentions un parfum pareil à une bouffée d’encens ou à quelque autre précieux aromate. À la fin, voyant que le feu ne pouvait consumer son corps, les impies ordonnèrent au confector d’aller le percer de son poignard. Quand il le fit, jaillit une quantité de sang qui éteignit le feu, et toute la foule s’étonna de voir une telle différence entre les incroyants et les élus. […] Mais l’envieux, le jaloux, le mauvais, l’adversaire de la race des justes, voyant la grandeur de son témoignage et sa vie irréprochable dès le début, le voyant couronné de la couronne d’immortalité et emportant une récompense incontestée, essaya de nous empêcher d’enlever son corps, bien que beaucoup d’entre nous voulussent le faire pour posséder sa sainte chair. Il suggéra donc à Nicétès, le père d’Hérode, le frère d’Alcè, d’aller trouver le magistrat pour qu’il ne nous livre pas le corps : « Pour qu’ils n’aillent pas, dit-il, abandonner le crucifié et se mettre à rendre un culte à celui-ci. » Il disait cela à la suggestion insistante des Juifs, qui nous avaient surveillés quand nous voulions retirer le corps du feu. Ils ignoraient que nous ne pourrons jamais ni abandonner le Christ qui a souffert pour le salut de tous ceux qui sont sauvés dans le monde, lui l’innocent pour les pécheurs, – ni rendre un culte à un autre. Car lui, nous l’adorons, parce qu’il est le fils de Dieu ; quant aux martyrs, nous les aimons comme disciples et imitateurs du Seigneur, et c’est juste, à cause de leur dévotion incomparable envers leur roi et maître ; puissions-nous, nous aussi, être leurs compagnons et leurs condisciples. Le centurion, voyant la querelle suscitée par les Juifs, exposa le corps au milieu et le fit brûler, comme c’était l’usage. Ainsi, nous pûmes plus tard recueillir ses ossements plus précieux que l’or, pour les déposer en un lieu convenable. C’est là, autant que possible, que le Seigneur nous donnera de nous réunir dans l’allégresse et la joie, pour célébrer l’anniversaire de son martyre, de sa naissance, en mémoire de ceux qui ont combattu avant nous, et pour exercer et préparer ceux qui doivent combattre à l’avenir17.

Pourtant, si les tentatives de destruction des corps des martyrs se soldent par de cuisants échecs, on perdit généralement la trace de leur sépulture. Comment en est-on arrivé là ?

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Martyre de Polycarpe, XV, 2-XVIII, 3, p. 228-233 ; ce texte fournit la première attestation du culte des martyrs.

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DEUXIÈME PARTIE

2. L’oubli de la sépulture S’ils ne sont pas parvenus à détruire les corps, les persécuteurs semblent avoir réussi à les livrer à l’oubli18, ce qui sonne au moins comme une demivictoire : Comme l’impie Maximin venait de se montrer inférieur dans sa lutte contre le martyr, qu’il en avait conçu de la honte et lui avait infligé, après de nombreuses tortures intolérables, la mort par l’épée, et comme il ne supportait pas que cette victoire brillante et éclatante soit divulguée et célébrée en tout lieu, on pouvait voir ce combat acharné 〈continuer〉 pour tous deux, même après la mort. En effet, le tyran combattait et en toute hâte faisait taire et livrer à l’oubli la lutte du martyr par la dissimulation et, croyait-il, la disparition de sa précieuse et sainte relique. Mais Dieu, pour qui il a versé son sang, s’opposant au dessein et à la mauvaise résolution du tyran, par la manière dont celui-ci veillait à faire rapidement disparaître la relique, lui procura par sa puissance une gloire accrue et plus éclatante. Car, lorsque ce tyran brutal, cruel et sauvage apprit le gage du martyr envers les hommes pieux, je veux dire la déposition de sa relique à Byzance, comme s’il soutenait une lutte acharnée contre un vivant et faisant preuve d’une colère plus violente, tel est le raisonnement vicieux qu’il médite et imagine dans son esprit pervers et fourbe : cet homme malfaisant ordonna de préparer un cercueil de fer dans lequel il livra à l’abîme la relique qu’il y avait placée ; puis il retourna le plus vite qu’il le pût au palais19.

L’oubli intervient lorsque le saint n’a pas eu part à la sépulture rituelle, tel Dométios dont la grotte, comblée par les pierres qu’on lui avait jetées, jusqu’à disparaître, devint le tombeau, bientôt recouvert d’une végétation sauvage épineuse20. La grotte des Sept Dormants d’Éphèse, de nouveau volontairement murée, sur l’ordre du tyran, leur servit aussi de tombeau21. L’existence du sépulcre, dérobé à la vue de tous, est durablement cachée. Il en va de même dans les circonstances troublées d’une inhumation furtive : Gamaliel s’offrit à procurer au protomartyr Étienne une digne sépulture, mais dans le plus grand secret. On comprend mieux ainsi la longue éclipse qui s’ensuivit. Même chose pour Barnabé : traîné hors de la ville de Salamine, l’apôtre fut lapidé par les juifs22. Comme l’exécution était illégale, le crime 18

Sur le modèle du Tombeau du Christ : Eusèbe, Vie de Constantin, III,  26, p.  384-389 ; Sozomène, H.E., II, 3, p. 226-229 (SC). Inv. Ménas, 2, p. 146-147. 20 Pass. Dom., 21, p. 315, l. 10-11, 18-20. 21 Pass. sept Dorm., 9, col. 436B. 22 Dans son éloge, le moine Alexandre démarque le martyre de saint Étienne (Ac 8, 6). 19

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devait rester secret ; le tombeau aussi. Marc, sur les instructions de Barnabé, s’en vint l’inhumer avec un petit nombre de fidèles, après quoi tous quittèrent Chypre, et l’on oublia le tombeau de l’apôtre23. On trouverait de nombreux exemples similaires : un pauvre berger découvrit les corps gisant d’Onésiphore et Porphyre et les mit en terre, après avoir accompli les rites d’usage ; ensuite, bien du temps s’écoula et les martyrs tombèrent pour longtemps dans un oubli total24. Or, même dans des conditions favorables, l’oubli intervient avec la disparition des derniers témoins25 : le sépulcre de Corneille, mort en paix, fut délaissé avec le temps ; du reste, à peine inhumé, une ronce avait poussé et caché le monument funéraire, comme celui de Dométios, au point qu’on ne le vit plus26. La sépulture fut parfois volontairement tenue secrète et soustraite au plus grand nombre. C’est ainsi que les premiers pères du désert, Antoine ou Pachôme, des ermites comme Marcianos, en auraient expressément formulé le vœu à leurs plus proches disciples27 : Plusieurs personne lui [Marcianos] élevèrent un peu partout des chapelles mortuaires : son neveu Alypios, à Cyrrhus ; à Chalcis, une certaine Zénobianè de noble origine et de vertu remarquable, riche de grands moyens. D’autres, et assez nombreux, faisaient la même chose, et c’est à qui enlèverait ce victorieux athlète. L’ayant appris, l’homme de Dieu adjurait cet admirable Eusèbe, en l’accablant des serments les plus épouvantables, de déposer son corps en cet endroit et de ne faire connaître sa tombe à personne, sauf à ses deux compagnons les plus intimes, avant qu’il ne s’écoulât un grand nombre d’années. Or, cet homme admirable accomplit ce serment. En effet, quand le vainqueur fut arrivé au terme et que le chœur des anges eut transporté dans les demeures du ciel cette âme sainte et divine, il ne révéla pas sa fin avant d’avoir creusé la tombe avec les deux confidents, d’avoir déposé le corps, et bien aplani la surface du sol. Cinquante ans passèrent, peut-être davantage ; des milliers de gens y étaient accourus, avaient recherché le corps : le tombeau demeurait ignoré. Mais après que chacune des chapelles dont j’ai parlé eut reçu des reliques, l’une des apôtres, l’autre des martyrs, désormais rassurés, les héritiers de la tente et de l’enseignement de Marcianos transférèrent les reliques du précieux 23

Éloge Barn., p. 106, l. 553. Pass. Onés. et Porph., 7, p. 325, l. 39. 25 On sait comment, dans les premiers temps, rien ne distinguait les lieux et modes de sépulture des chrétiens de ceux des non-chrétiens ; souvent, rien ne signalait les tombes des martyrs. D’ailleurs, fort peu de cultes communautaires purent être institués au lendemain de leur mort, à supposer qu’on cherchât à le faire. Il n’est donc pas étonnant qu’en de telles circonstances, la mémoire du sépulcre se soit perdue. 26 Vie Corn. 1, 5, p. 36, l. 54 ; 4, l. 52-53. 27 Pour ne pas susciter un culte indiscret. 24

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DEUXIÈME PARTIE

corps dans un cercueil de pierre qu’ils avaient préparé deux ans auparavant. Un seul homme leur avait indiqué la tombe ; c’était le seul des trois à avoir survécu28.

Certains se trouvèrent (providentiellement) dépossédés de leur trésor, parce qu’ils étaient hérétiques. Une macédonienne avait conservé auprès d’elle quelques parcelles des Quarante Martyrs, par-delà la mort : ses légataires testamentaires, expressément tenus au secret, conçurent un dispositif particulier pour la vénération des reliques, mais ils durent quitter les lieux en les abandonnant29. Le chef du Baptiste était tombé entre les mains d’un hérétique ; il exploitait ses miracles jusqu’à ce que, démasqué, on le chassât de la ville. Il laissa la relique dans son antre, emportant son secret avec lui30. Mais, quelle qu’en soit la cause, l’oubli ne peut se prolonger sans risques : il y a trop longtemps que Jacques, Zacharie et Siméon sont « cachés sous terre et livrés à l’oubli 31 » ; le sépulcre d’Étienne et ses compagnons est « complètement négligé », et Lucien devra s’excuser de ses atermoiements devant Dieu au jour du Jugement32. Comme l’ignorance, il conduit à la faute : les habitants de Skepsis en vinrent, par aveuglement, erreur et superstition, à attribuer une puissance magique à la ronce qui dissimulait le sépulcre de Corneille. Grégoire de Nazianze réprouvait la possession privée d’un corps saint, véritable spoliation, puisqu’elle frustrait l’ensemble des fidèles. La mémoire individuelle ne réparait pas l’oubli collectif, car le corps conservé par un particulier, comme celui de Cyprien, était un corps perdu pour la communauté : Mais son corps avait disparu ; le trésor se trouvait et depuis longtemps, chez une dame, fervente chrétienne. Était-ce que Dieu honorât pour cette raison la pieuse personne qui entourait le martyr de sa dévotion ? Ou qu’il nous dévoilât au grand jour notre regret vu que nous ne supportions pas le préjudice que nous subissions en restant privés des saintes reliques ? Je ne sais. Comme le Dieu des martyrs ne pouvait tolérer de faire du bien de tous la propriété d’une personne particulière, ni de causer un préjudice général par la faveur accordée à cette personne, il met le corps à la disposition du public grâce à une révélation. […] Ainsi arrive au grand jour celui qui mérite de ne

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Théodoret, H.R. I, III, 18, p. 280-285. Sozomène, H.E. IX, 2, 5, p. 382-383 (SC). 30 Prem. inv. chef du Bapt., col. 424A. 31 App. Jac. et al., p. 123, l. 15-16, tr. A BEL, Jacques, p. 486. 32 Rév. Étienne 2, p. 295, l. 46 ; p. 301, l. 165. Les termes employés soulignent volontiers un glissement de l’ignorance (ἀγνοέω et ses dérivés : ἄγνωστος etc.) à l’abandon (ἀμελέω, ἀπαμελέω). Le blâme tombe sur la négligence des hommes (ῥᾳθυμέω, etc.). 29

CHAPITRE PREMIER – LA DISPARITION

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pas rester dans l’oubli et qui n’excuse pas une dévotion furtive, puisque cet illustre personnage dépasse même, et de très haut le culte des reliques33.

Dieu mit donc bon ordre à cette situation, en suscitant l’invention de la relique. Comme la disparition, elle était providentielle : À ce qu’il semble, Dieu voulait qu’il n’y eût plus aucune trace du dit lieu et qu’un si long temps s’écoulât pour rendre plus miraculeuses et plus éclatantes la découverte des martyrs et l’affection divine envers celle qui les aurait trouvés34.

C’est que ces parcelles de sainteté ne disparaissent pas, mais demeurent simplement, pour un temps, cachées. L’invention est passage de l’invisible au visible, de l’inconnu au connu, et lorsqu’il le juge bon, Dieu permet leur redécouverte35. De quelle manière ?

33 34 35

Éloge Cyp., 17, p. 76-79.  Sozomène, H.E., IX, 2, 6, p. 382-383 (SC). Procope, De aed. I, 4, 18, p. 25.

CHAPITRE II

La révélation L’invention est généralement précédée d’une révélation divine, revelatio ou ἀποκάλυψις1 : Dieu intervient régulièrement pour aviser ou avertir, signifier sa volonté, indiquer l’emplacement ou affirmer la sainteté d’un corps, etc. Il « met le corps de Cyprien à la disposition du public grâce à une révélation (δι’ ἀποκαλύψεως)2 » ; le prêtre Lucien, fort soucieux d’obtenir confirmation de la révélation (ἡ ἀποκάλυψις αὕτη) qui venait de lui être faite, pria le Seigneur qu’elle lui fût de nouveau révélée (ἀποκαλύφθῃ), de sorte qu’il allât annoncer en toute confiance la révélation de ses serviteurs (τὴν ἀποκάλυψιν τῶν δούλων σου)3. La révélation divine se distingue de l’échange et de la communication habituels des hommes entre eux, même si l’emploi des termes (information4 ; injonction5 ; prophétie6) peut parfois prêter à confusion7. La révélation est encore synonyme d’apparition8, voire d’invention (εὕρεσις)9. Bref, d’une manière ou d’une autre, la révélation est au cœur de l’invention10 : quelle forme prend-elle ? Et quel est le véritable sens de son message ?

DIDIOT, Révélation. Éloge Cyp., 17, p. 78. 3 Rév. Étienne 2, p. 298, l. 104-107 ; voir encore, p. 299, l. 117 ; p. 301, l. 160 ; p. 302, l. 174 ; p. 303, l. 196 ; p. 304, l. 209.  4 En concurrence, dans nos sources, avec δηλόω ; σημαίνω ; μηνύω / μήνυσις ; καταμηνύω ; δείκνυμι ; ἐπιδείκνυμι ; ἀναδείκνυμι ; ὑποδείκνυμι ; γνωρίζω ; διασαφέω ; φανερόω ; ἀναφαίνω ; ἐπιφαίνω. 5 En concurrence, dans nos sources, avec κελεύω ; προστάσσω, etc. 6 En concurrence, dans nos sources, avec ἀποθεσπίζω ; χράω / χρησμός ; χρηματίζω, etc. 7 C’est ainsi que l’abbé Marcel d’Émèse se fit un devoir de « faire connaître la révélation » (ἀποκάλυπτειν  / γνωρίζειν τὴν ἀποκάλυψιν), c’est-à-dire l’« épiphanie » (τὴν ἐπιφάνειαν  / τὸ μυστήριον τῆς ἐπιφανείας) du Baptiste à son évêque : Deux. inv. chef du Bapt., col. 428C, 428D. 8 Jean Baptiste se révéla (ἀπεκαλύφθη) à Marcel sous la forme d’un astre de feu : Deux. inv. chef du Bapt., col. 424D ; voir encore Vie Corn. 1, 5, 55, p. 36 : ἀπεκάλυψεν ἑαυτὸν ὁ ἅγιος Κορνήλιος. La révélation d’un saint (Éloge Barn., l. 792, 804 ; Rév. Étienne 2, p. 294, 298, 301 ; Deux. inv. chef du Bapt., col. 428D, 430B) ; d’« un grand trésor » (Vie Corn. 2, col. 1308A). 9 Par ex., Éloge Barn., l. 4-5, 854. 10 La Revelatio comme genre littéraire : DINZELBACHER, Revelationes. 1 2

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DEUXIÈME PARTIE

1. Les formes de la révélation Rares sont les inventions nées d’un type particulier de communication, bien représenté dans tout le monde antique, où le divin insuffle directement une pensée, un sentiment, une décision, à un homme qu’il habite alors tout entier et dont il fait son instrument. L’impulsion divine, qui implique un contact pour ainsi dire personnel et privilégié avec Dieu, semble avant tout l’apanage – quoique non exclusif11 – des souverains et des évêques : Constantin ordonna la construction d’une maison de prière au lieu du tombeau du Christ. Or, ce dessein, il ne l’avait pas conçu sans le concours divin, mais il lui avait été soufflé par le Sauveur lui-même12. Théodose alla chercher le chef du Baptiste à l’instigation de Dieu ou du prophète13 ;  Ambroise de Milan, en mal de reliques pour consacrer sa nouvelle basilique, ressentit soudain en lui « comme une ardeur prophétique14 ». Il est néanmoins intéressant de noter que, dans presque tous les cas, la tradition évolue et enregistre une forme de transmission par songe(s) ou vision(s) : pour ses contemporains déjà, l’évêque de Milan avait bénéficié d’une vision15, et si le saint sépulcre ressurgit, (c’est) parce qu’un Juif des régions orientales révéla le lieu d’après un écrit de ses pères, mais comme il est permis de le penser plus justement, c’est parce que Dieu le montra par des miracles et des songes (τοῦ θεοῦ ἐπιδείξαντος διὰ σημείων καὶ ὀνειράτων). […] Car, à mon avis, les choses divines n’ont besoin d’aucune indication de la part des hommes, toutes les fois que Dieu lui-même a décidé de les manifester16.

La révélation peut prendre la forme d’un miracle se produisant généralement au lieu des reliques : un chameau se brisa une patte ; il fut soudain guéri en marchant sur l’ouverture de la grotte (tombeau) du martyr Dométios17. 11 Ainsi Dieu insinua-t-il dans le cœur d’un certain Adolios le désir de bâtir une bergerie pour ses troupeaux, ce qui devait provoquer la réouverture de la grotte des Sept Dormants et leur découverte miraculeuse : Pass. sept Dorm., 12, col. 437C. 12 Eusèbe, Vie de Constantin, III, 26, 1, p. 95. On peut comparer avec Ambroise à propos d’Hélène, mère de Constantin, De Obitu Theodosii, 43, p. 393 : Venit ergo Helena, coepit revisere loca sancta, infudit ei spiritus, ut lignum crucis requireret ; 45, p. 394 et 46, p. 395. 13 Sozomène, H.E., VII, 21, 4.  14 Ambroise, Ep. 22, 1, col. 1019B : Statimque subiit veluti cuiusdam ardor praesagii.  15 Augustin précise que les reliques de Gervais et Protais ont été révélées à Ambroise per visum (Conf., X, 7) ou per visionem (Civit. Dei, 22, 8). Il en va de même chez Paulin de Milan, ou le Ps.-Ambroise (BHG 67a). On raconta encore qu’un ange avait guidé Cyrille d’Alexandrie sur la piste des martyrs Cyr et Jean, alors que rien dans les trop brefs discours transmis sous son nom (Hom. Cyr et Jean 1-3) ne permet a priori d’inférer une quelconque révélation divine. 16 Sozomène, H.E., II, 1, 4, p. 228-229 (SC). De même, selon Rufin (H.E., X, 7, p. 969), Hélène se rendit à Jérusalem, divinis admonita visionibus. 17 Pass. Dom., 22, p. 315-316.

CHAPITRE II – LA RÉVÉLATION

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Un laboureur retourna la terre au-dessus de la tombe d’Onésiphore et Porphyre ; une colonne de fumée en jaillit18. Semblable prodige se produisit avec le chef du Baptiste19. De même, ce sont des miracles inexpliqués qui mirent les chrétiens sur la voie des reliques des Trois Hébreux ou du vêtement de la Vierge20. Ces miracles impliquent le plus souvent des laïcs. Une découverte fortuite est également perçue comme le fruit d’un miracle, ainsi par exemple lors de travaux dans un lieu de culte (Quarante Martyrs ; André, Luc, Timothée, etc.). Dans tous ces cas, il n’est pas rare que l’on assiste alors à l’inversion du schéma traditionnel : une révélation vient lever toute incertitude et apaiser les craintes ; elle intervient après l’invention, sur le mode de la prophétie post eventum (par exemple, dans le cas de Julien d’Émèse). Les songes et les visions demeurent toutefois le mode le plus fréquent de révélation21 ; ils sont tout autant hérités de la mentalité antique22 que nourris de réminiscences bibliques : Le petit Samuel servait le Seigneur en présence d’Éli. La parole du Seigneur était rare en ces jours-là, la vision n’était pas chose courante. Ce jour-là, Éli était couché à sa place habituelle. Ses yeux commençaient à faiblir. Il ne pouvait plus voir. La lampe de Dieu n’était pas encore éteinte et Samuel était couché dans le Temple du Seigneur, où se trouvait l’arche de Dieu. Le Seigneur appela Samuel. Il répondit : « Me voici ! » Il se rendit en courant près d’Éli et lui dit : « Me voici, puisque tu m’as appelé. » Celui-ci répondit : « Je ne t’ai pas appelé. Retourne te coucher. » Il alla se coucher. Le Seigneur appela Samuel encore une fois. Samuel se leva, alla trouver Éli et lui dit : « Me voici puisque tu m’as appelé. » Il répondit : « Je ne t’ai pas appelé, mon fils. Retourne te coucher. » Samuel ne connaissait pas encore le Seigneur. La parole du Seigneur ne s’était pas encore révélée à lui. Le Seigneur appela encore Samuel, pour la troisième fois. Il se leva et alla trouver Éli. Il lui dit : « Me voici, puisque tu m’as appelé. » Éli comprit alors que le Seigneur appelait l’enfant. Éli dit à Samuel : « Retourne te coucher. Et s’il t’appelle, tu lui diras : Parle, Seigneur, ton serviteur écoute. » Et Samuel alla se coucher à sa place habituelle. Le Seigneur vint et se tint présent. Il appela comme les autres fois : « Samuel, Samuel ! » Samuel dit : « Parle, ton serviteur écoute. » […] (1 S 3, 1-10)

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Pass. Onés. et Porph., 7, p. 325-326. Vie Matrona 2, col. 933B. 20 Lég. Galb. et Cand. 1, 3, p. 306-307. Il en existe bien d’autres exemples. 21 DODDS, Païens, p. 53-84, 142-149 et ID., Irrationnel, p. 105-134 ; DINZELBACHER, Vision ; LE GOFF, Rêves ; DAGRON, Rêve ; Apparitions ; BOVON, Rêve ; NÄF, Traum ; ERNY, Rêve. Pour les inventions inspirées : M ARAVAL, Songes. 22 Pour le rêve et la divination dans le monde antique : BOUCHÉ-LECLERCQ, Divination, p. 213s. 19

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Malgré la distinction constante vision diurne (ὕπαρ ; καθ’ ὕπαρ) / rêve nocturne (ὄναρ ; κατ’ ὄναρ), la vision de l’homme éveillé ne se distingue guère, dans les cas qui nous occupent, du songe du dormeur (ὄνειρος ; *ὄνειραρ23), lequel domine toutefois largement en terme de fréquence24 : l’accent y est mis sur le caractère visuel (ὅρασις ; ὅραμα ; τὸ ὁραθέν ; ὀπτασία ; ὄψις), sensible et subit du phénomène25. Le plus souvent, une apparition vient (ἔρχομαι), paraît, se montre (ἐφίστημι ; ἀναδείκνυμαι ; φαίνομαι ; ἐπιφαίνομαι ; ἐμφανίζω), rend visite à tel ou tel (φοιτάω), s’en fait connaître (κατάδηλος). Cette « parousie », « épiphanie », « théophanie » (παρουσία ; ἐπιφάνεια ; θεοφανία / θεοφάνεια ; ἐμφάνεια), diurne ou nocturne, dont la nature n’est pas sans poser problème, semble toujours surgie de nulle part et se volatiliser de même. Loin d’être statique, elle occupe largement l’espace : Gamaliel, sans cesse en mouvement, va et vient, gesticule, manie des objets ; il frappe même Lucien de son bâton26 ; les martyrs d’Orthôsias volent au-dessus des clôtures et des arbustes, etc. De son côté, le visionnaire demeure tantôt pleinement conscient, sans perte de sensibilité, maître de ses facultés intellectuelles et libre de parler ou agir à sa guise, tantôt comme hors de lui, pétrifié, l’esprit inerte, paralysé par la peur27. Généralement, les visions nocturnes se produisent en état de semiconscience, à mi-chemin entre la veille et le sommeil, auquel l’homme finit par succomber au cours de la révélation : Jacques apparut (apparuit) à Épiphane « pris de sommeil » (eum somnum capiente)28 ; Gamaliel à Lucien veillant (γρηγοροῦντος μου)29 et « comme en extase » (ὡς ἐν ἐκστάσει)30. Les visionnaires, qui se sont endormis en présence du saint, s’éveillent après la révélation. Pour autant, nulle passivité absolue, même chez le dormeur : il voit, entend, pense, et dialogue parfois avec son visiteur, quand il ne prend pas directement part à l’action qui se déroule sous ses yeux : s’il se borne, en règle générale, à demander à l’autre son identité, certains, comme Lucien, s’enhardissent, allant jusqu’à 23

Prem. inv. chef du Bapt., col. 422B : Hérodias craignait que des visions nocturnes ne viennent lui faire reproche de ses crimes (ὀνειροπολῶν τοὺς ἐλεγμούς). 24 Les rêves ont généralement lieu la nuit, mais il existe tout de même des rêveurs diurnes. 25 Les autres phénomènes sensibles, notamment sonores, sont plus rares, telle la puissante voix (φωνή ; vocem magnam) de Jean Baptiste qu’entendit soudain l’abbé Marcel : Deux. inv. chef du Bapt., col. 426D ; lat., col. 429B. Le message du latin diverge légèrement. On peut penser, par exemple, au rôle joué par un phénomène sonore semblable dans la conversion d’Augustin : DULAEY, Rêve. 26 De même, l’abbé Marcel d’Émèse reçoit soudain un coup au côté qui le réveille. 27 La paralysie intervient aussi souvent au moment de l’ouverture du sépulcre, par exemple lors des inventions d’Étienne, des Trois Hébreux ou de Joseph. 28 App. Jac. et al., p. 123, l. 10, etc. ; Inv. Gerv. et Prot., II, p. 7 : ὡς μήτε φανερῶς ἀγρυπνεῖν μήτε καθεύδειν τελείως. Καὶ ὁρῶ, τῶν ὀφθαλμῶν μου ἠνεῳγμένων, κτλ. 29 Rév. Étienne 2, p. 295, l. 25, etc. 30 Ibid., p. 295, l. 26, etc. Voir K IRCHMEYER, Extase ; sur la différence entre l’extase et l’enthousiasme qui est une « possession » : GERNET, Anthropologie, p. 16.

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se faire préciser des points demeurés obscurs. Par un étrange phénomène, le prêtre de Caphargamala fut même soudain conduit par Gamaliel à Jérusalem auprès de son évêque, puis ramené en un clin d’œil dans son village (cf. Dn grec 14, 36 ; 14, 39). Comme lui, l’higoumène Marcel d’Émèse est en mesure, au cours de ses visions nocturnes, de se déplacer, de discuter avec Jean Baptiste et d’exercer sur toute la scène son sens critique : il est à la fois acteur et spectateur. Le visionnaire peut encore passer d’un état à un autre, tel l’archevêque de Salamine soudain libéré de son aphasie : à la troisième apparition de Barnabé, « sa bouche s’était ouverte » (τοῦ στόματος αὐτοῦ ἀνεῳχθέντος ; cf. Mt 5, 2 ; Lc 1, 64)31.

2. Le visionnaire Les moines, sans doute en raison de leur existence faite de piété et de solitude, tout entière tournée vers l’ascèse et la prière, qui les rapprochent de Dieu, ont souvent des visions. Ainsi, Gamaliel présente son apparition au prêtre Lucien plutôt qu’à l’un des solitaires comme une chose singulière : Ne vois-tu pas que nous avons abandonné ceux qui se sont retirés du monde (τοὺς ἡσυχαστὰς τοῦ κόσμου) et les moines du désert (τοὺς ἀναχωρητὰς τῆς ἐρήμου) pour nous révéler à toi en te conduisant d’un autre village vers celuici, afin que notre révélation se fasse par ton entremise32 ?

Ce sont généralement des ermites ou des reclus, entièrement coupés du monde : Épiphane, enfermé dans une grotte du Cédron (incessanter adhaerebatur speluncae)33, ou un vir ascitis de Carnéas, vivant depuis fort longtemps in heremum34. Les moines inventeurs du chef du Baptiste sont en pèlerinage à Jérusalem lorsque Jean leur apparaît. Outre leur détachement du monde, c’est aussi leur humilité qui est mise en avant, comme celle de Mégéthios dont la vision devait renforcer celles du prêtre Lucien de Caphargamala. Ces moines vivent parfois en communauté ; ce sont alors volontiers des higoumènes que leur fonction distingue encore par l’autorité qu’elle implique35. Un certain Jean, sans doute l’abbé d’un monastère, fut sollicité après la découverte des reliques de Jacques, Zacharie et Siméon ; on attendait de lui une révélation sur leur identité. Éloge Barn., p. 115, l. 740. Inv. Gerv. et Prot., II, p. 7 : Ἐγὼ δὲ καὶ ταῦτα μηδενὸς ἐπαισθανόμενος βάρους, οὐκ ἠδυνάμην αὐτοῖς λαλεῖν ὅτι, ὡς προεῖπον, ὕπνου μοί τι μέρος ἐπέπεσεν, ὅπερ πρὸς τὸ πυθέσθαι τι αὐτῶν ἢ λόγον με αὐτοῖς προσενεγκεῖν διεκώλυεν. 32 Rév. Étienne 1, p. 100-101, l. 140-143 ; cf. Rév. Étienne 2, p. 301, l. 166.  33 App. Jac. et al., p. 123, l. 9.  34 Égérie, Journal, p. 196-197. 35 L’abbé de Gérara, Zacharie, n’eut pas de vision, mais découvrit un livre permettant d’expliquer le mystère de la sépulture du prophète Zacharie. C’était le successeur de l’abbé Silvain, qui comptait encore parmi ses disciples un « prophète » ; celui-ci vivait en solitaire.

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Ils sont souvent aussi prêtres, comme Marcel d’Émèse (?), ou diacres, comme Gennade et Cyriaque qui jouent pour lui le même rôle que Mégéthios vis-à-vis de Lucien. On rencontre en effet des clercs visionnaires : Lucien de Caphargamala ou le périodeute de la région de Gindaros36. Ce sont encore deux diacres d’Amasée venus chercher la dépouille de l’évêque martyr Basile pour la ramener dans sa patrie. Plus généralement, les évêques apparaissent comme des vecteurs privilégiés de ces révélations, dépositaires d’une autorité morale et spirituelle et investis de charismes, tels Zébennos d’Éleuthéropolis, Silvain de Troas, Anthémios de Salamine, Sévère d’Antioche, etc. Comme pour les moines, leur ‘instrument’ principal est la prière. On raconte qu’à l’endroit même où Ambroise de Milan s’arrêtait pour prier se trouvaient des reliques37. C’est aussi à la suite d’une prière que Cyrille d’Alexandrie aurait découvert les martyrs Cyr et Jean38. Ces évêques sont parfois d’anciens moines, mais la chose ne paraît pas nécessaire ni avoir d’incidence particulière : Pierre l’Ibère, parfait moine, et visionnaire à ses heures, ne vit pas lui-même les martyrs d’Orthôsias, mais un humble et chaste jardinier. Cependant, si le don de visionnaire des moines est généralement admis par les évêques, il semble avoir existé sur ce plan une certaine rivalité. La réaction de Cyrille de Jérusalem est éloquente : au récit de ce vieillard [le moine Épiphane] qui lui était inconnu et à la vue de son accoutrement composé d’un sac et d’un très vieux manteau, l’évêque crut avoir affaire à un imposteur qui venait lui conter de fausses visions en vue d’extorquer une aumône39.

Les laïcs ne sont pas négligés pour autant, souverains, aristocrates ou gens du peuple40 : un notable de Nicomédie (Basile d’Amasée), un riche propriétaire de Parium (Onésiphore et Porphyre), le propriétaire d’un jardin (Luc, Phocas, Romain), un potier (Première invention du chef du Baptiste41), un berger (Moïse), un paysan (Zacharie), etc. Ce sont encore plusieurs femmes : outre

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Malalas, Chron., XVIII, 49, p. 379.  Ambroise découvrit non seulement les martyrs Gervais et Protais à Milan, en 386, mais participa, en 393, à l’invention de Vital et Agricola, à Bologne, puis de nouveau à Milan, en 395, retrouva la tombe de Nazaire et Celse. Il fut encore sans doute impliqué dans l’invention des martyrs d’Agaune. DELEHAYE, Origines, p. 86. 38 Éloge Cyr et Jean, 27, p. 60. 39 App. Jac. et al., p. 124, l. 3-5, tr. A BEL, Jacques, p. 486. 40 Même s’ils apparaissent plus souvent lors d’inventions non ‘inspirées’. On trouve des fonctionnaires impériaux, comme les généraux Dorothée (vêtements du Christ), Galbios et Candidos (vêtement marial) ou le préfet Malpha (Trois Hébreux). Pour l’Occident : BOZÓKY, Inventions. 41 À mettre en relation avec l’invention de Julien d’Émèse, la révélation étant ici postérieure à la découverte du corps. 37

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Pulchérie, fille, sœur et épouse d’empereur, une femme fut chargée de recueillir les restes des martyrs de Gaza, une deuxième de découvrir le corps de Cyprien, une troisième l’image miraculeuse du Christ de Camouliana, etc. A priori, tout un chacun est donc susceptible de « voir » une vision. Mais la révélation, qui instaure un contact avec le divin42, demande généralement de la part de son bénéficiaire certaines (pré-)dispositions. Le visionnaire est d’ordinaire pieux, sage, modeste, vertueux, tempérant43 : le moine Épiphane est « un homme vénérable très pieux et très doux44 » ; Silvain de Troas se distingue par sa piété et sa vertu45, de même que Pulchérie46 ; le fondateur de Saint-Georges d’Ezra est un très bon chrétien47 ; le jardinier d’Orthôsias « un homme paisible et très simple, chaste et célibataire48 ». Il est souvent en prière : Épiphane « priait nuit et jour pour la rémission de ses péchés49 » ; Cyrille, comme Ambroise, avait prié pour trouver des reliques50. Parfois, une véritable préparation était requise sous forme de jeûne, solitude, méditation, prières, et ce qui était pour le moine Épiphane un exercice quotidien devint pour d’autres une épreuve : Lucien, en attente de nouvelles révélations, se mit à jeûner et à se nourrir d’aliments secs comme en période de Carême51, période que l’état physique, psychologique et spirituel qu’il impliquait rendait particulièrement propice aux apparitions52 ; la révélation du Baptiste à Émèse eut lieu « au milieu de la semaine des saints Jeûnes53 » ; quant à la redécouverte du reliquaire des Quarante Martyrs de Sébaste à Sainte-Irène de Constantinople, qui ne fut pourtant pas miraculeusement annoncée, elle se produisit à l’issue et en raison des exploits ascétiques de Justinien en ces mêmes périodes festives. L’empereur

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À ce propos, le lieu n’est pas indifférent. Rév. Étienne 1, p. 90-91 : Lucien eut sa vision alors qu’il dormait « dans la demeure consacrée du baptistère, où se trouve la tourelle des saints trésors » et l’évêque Anthémios de Salamine « dans un lieu solitaire » (Éloge Barn., p. 114, l. 711). On pourrait multiplier les exemples. 43 Le paysan de Caphar Zacharia ne se distingue toutefois ni par sa piété ni par sa bonté d’âme, mais par son autorité sur le village. 44 App. Jac. et al., p. 123, l. 7.  45 Vie Corn. 2, IV, 13, col. 1305C. 46 Sozomène, H.E., IX, 1, 13, p. 392 ; 2, 6, p. 393 (SC). 47 Corp. inscr. graec., IV, no 8627. 48 CHABOT, Pierre l’Ibérien, p. 384. 49 App. Jac. et al., p. 123, l. 8.  50 Éloge Cyr et Jean, 27, p. 60 ; Inv. Gerv. et Prot., II, p. 7 : l’apparition eut lieu au moment où Ambroise priait. 51 Rév. Étienne 2, p. 298, l. 107-108, p. 301, l. 160. Les trois apparitions de Gamaliel à Lucien se produisirent d’ailleurs un vendredi (3, 10 et 17 décembre 415), jour de la Passion. 52 Inv. Gerv. et Prot., II, p. 7. 53  Deux. inv. chef du Bapt., col. 424C. Or, cette notation est sans doute en contradiction avec la réalité, ce qui renforce son importance. 

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avait tant abusé de ses forces, tant veillé, tant jeûné, que son corps en pâtit 54 ; alors on retrouva les reliques, qui seules parvinrent à soulager ses maux. Conformément au modèle antique et biblique, les visions sont souvent multiples, doubles et surtout triples55. Le schéma reste d’ailleurs très souple : Épiphane a déjà « vu » deux apparitions, lorsqu’il va trouver son évêque. Il en verra encore une troisième, car l’évêque ne s’est pas laissé convaincre. L’évêque Silvain voit deux visions, et le fondateur laïc une ; de même, les deux moines inventeurs du chef du Baptiste voient deux visions, le potier d’Émèse une. Gamaliel, déjà apparu trois fois à Lucien, revient une nouvelle et dernière fois, après qu’il a informé son évêque56. Marcel a lui aussi trois visions (deux nocturnes, une diurne) ; trois autres personnages (le diacre Gennade, le diacre Cyriaque, le prêtre Malchos) en auront aussi une chacun, de même que le moine Mégéthios en marge des trois de Lucien, ou le notable d’Éleuthéropolis de celles du moine Épiphane. Toutes les révélations ne reçoivent d’ailleurs pas le même traitement : les deux apparitions des martyrs d’Orthôsias au jardinier (un rêve, une vision éveillée), antérieures à l’invention, sont présentées en détail, tandis que la troisième, postérieure à l’invention, n’est évoquée qu’en passant. En revanche, le rythme régulier des manifestations est volontiers souligné : deux apparitions de Jean Baptiste (Deuxième invention) ou de Corneille ont lieu sur deux journées consécutives, trois pour Jacques et Barnabé ; trois vendredis de suite, à la même heure, pour Gamaliel ; plus rarement, trois fois au cours d’une même nuit57. Parfois le caractère multiple de la vision est simplement affirmé sans plus de précision (Marinos), parfois, il n’en est rien dit (Job, Habacuc et Michée, Georges), ou bien n’est évoquée qu’une seule apparition en songe ou en vision éveillée (Eusèbe, Nestabos et Zénon, Zacharie, Moïse). Il semblerait d’ailleurs que les apparitions diurnes soient plus volontiers uniques. Or, à ces itérations, une explication est souvent donnée : le visionnaire, surtout nocturne, a trop tardé à s’exécuter. Telle négligence est avant tout volontaire. Il désire, mieux, revendique expressément le renouvellement de l’apparition : Lucien pria Dieu que si cette révélation advenait par l’effet de sa 54 Procope, De aed., I, 7, 6-14, p. 32-33, avec notamment une description du régime alimentaire du souverain, pauvre en boisson, sans pain, ni vin, constitué seulement de légumes amers trempés dans la saumure.  55 Jacques apparaît trois fois au moine Épiphane, Gamaliel à Lucien, Thyrse et les Quarante Martyrs à Pulchérie, Barnabé à Anthémios, l’ange à Elpidèphoros (Pass. Bas.), Gervais et Protais au pseudo-Ambroise, etc. Sur ce chiffre symbolique (par ex., Jn 21, 15 ; Ac 11, 5-10 ; Ap 8, 13 ; 4 Esdr 3-6 ; Ap Paul, 1-2 ; Orose, Hist., 7, 36, 7 (triple apparition d’Ambroise après sa mort), etc.) : WEBER, Bemerkungen, p. 415. 56 Ce que Dorothea Weber a appelé le « schéma homérique » : 3 + 1. 57 Pass. Bas. 2, p. 417, l. 302.

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volonté, il veuille bien la répéter une deuxième, puis une troisième fois58 ; Anthémios se réveilla plein de crainte, tomba face contre terre, le visage baigné de larmes, et supplia le Seigneur de bien vouloir redoubler et même tripler la vision afin de l’assurer qu’elle venait bien de lui59. Si la révélation suscite à ce point incrédulité, scepticisme, attentisme60, c’est qu’il est malaisé pour le visionnaire de faire le départ entre vision véritable61 et pure illusion (illusio, phantasma ; φαντασία 62), et toute la question est d’en identifier la source, savoir distinguer une « vision de Dieu » d’une « illusion séductrice », d’une « illusion de l’imagination » ou d’autres « imaginations ou illusions des démons63 », c’està-dire déterminer avec certitude l’expéditeur de la vision, s’assurer que Jacques est bien « le saint de Dieu64 », que l’apparition de Gamaliel se produit ἐκ τοῦ Θεοῦ 65. Plus que la veille, le sommeil, domaine de l’inconscient, provoque quelquefois une méfiance toute particulière : ainsi, dans l’inscription du martyrion d’Ezra, le dédicataire précise que le martyr Georges lui est apparu « non en songe, mais en réalité66 ». C’est peut-être cela qui explique pourquoi la vision diurne est plus souvent unique. La peur d’être victime de quelque mauvais tour de la part des puissances du mal67 invite à la retenue : pour le prêtre Lucien, comme pour le solitaire du mont des Oliviers, ce n’est pas un mince tourment que de savoir si c’est Diable ou Dieu qui se cache derrière l’apparition : Quant à moi, j’étais dans l’embarras, me demandant qui il pouvait bien être, s’il venait de Dieu ou de l’autre puissance. En effet, je n’étais pas sans me souvenir de la parole de l’apôtre qui dit : Ce n’est pas une grande affaire si Satan lui-même se déguise en ange de lumière. Et comme je le contemplais en train de se mouvoir, je songeai en mon cœur que si cet homme venait de Dieu, il m’appellerait trois fois par mon nom ; si au contraire il ne m’appelait qu’une fois, je ne lui donnerais point de réponse68. 58

Rév. Étienne 2, p. 298, l. 105-106. Éloge Barn., p. 114, l. 722-723. 60 Jean Baptiste enjoint aux moines pèlerins, qui ont négligé ses prescriptions, de bannir toute incrédulité : Prem. inv. chef du Bapt., col. 420D, l. 15-17. 61 Inv. Gerv. et Prot., III, p. 7 : εἰ δέ τίς ἐστιν ἀλήθεια, κτλ. 62 Prem. inv. chef du Bapt., col. 420C : après que Jean Baptiste lui apparut en rêve, un moine raconta sa vision (τὴν ὅρασιν) à son compagnon, lequel persuada le spectateur de la vision (τὸν τῆς ὁράσεως θεατήν) que ce n’était qu’illusion (φαντασίαν). 63 App. Jac. et al., p. 123, l. 22, 30, 32. 64 Ibid., p. 123, l. 11 ; cf. l. 30 : « Ce que je dis, c’est la vérité dont je fus le héraut », tr. A BEL, Jacques, p. 486. 65 Rév. Étienne 2, p. 295, l. 31-32.  66 LECLERCQ, Ezra, col. 1056. 67 Inv. Gerv. et Prot., III, p. 7 : ἐμπαιγμός τίς […] δαιμόνων.  68 Rév. Étienne 1, p. 92-93. 59

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Les deuxième et troisième manifestations, susceptibles de lever tout doute, sont donc ardemment attendues, dans la solitude et le recueillement. On peut encore s’ouvrir à de bons conseillers. Et le partage de la vision est accueilli avec faveur. Lucien ne peut que se réjouir de celle du moine Mégéthios, et en reconnaître la véracité69. On voit d’ailleurs souvent des couples de visionnaires, tels les deux moines qui exhument la tête du Baptiste, convaincus par le dédoublement de la vision70. La négligence peut être aussi aveu d’incapacité : Silvain de Troas n’osait construire une église sur une aire cimétériale saturée de tombes et ne savait comment financer l’édifice, deux obstacles tour à tour levés par une nouvelle apparition du saint (Corneille). De même, si le jardinier d’Orthôsias s’exécute, fait remarquable, incontinent, il ne peut se passer d’une seconde manifestation pour complément d’informations (Luc, Phocas, Romain). Mais quelle qu’en soit la cause, perplexité, indécision, etc., l’attente ne saurait se prolonger sans blâme ni péril : Barnabé morigène Anthémios ; Gamaliel, Lucien ; Jacques, Épiphane. Les deux moines visionnaires inventeurs du chef du Baptiste paient fort cher leur premier mouvement d’incrédulité : ils sont très vite dépossédés de leur trésor, au profit d’un sage potier qui ne s’est pas mêlé de discuter la véracité de sa vision. D’autres pèchent par excès de prudence, tel l’abbé Marcel d’Émèse puni de ses atermoiements par une soudaine paralysie. Ce châtiment est fréquent : un notable oublieux de l’ordre du martyr Hyacinthe ne retrouve la vue qu’au prix de son obéissance ; le prêtre incrédule Malchos, l’usage de sa main par un (nouveau) contact avec la relique. Le châtiment est moindre pour qui n’a pas vu par lui-même. Cyrille de Jérusalem, après tout, ne met en doute que la parole du moine Épiphane ; il viendra, comme il se doit, recueillir les reliques de Jacques et ses compagnons.

3. La vision a. L’apparition Un ange apparaît au dormeur comme à l’homme éveillé : sous ces deux modes, tour à tour, « l’ange de Dieu71 » permit la récupération miraculeuse du corps de Basile d’Amasée ; deux anges de Dieu escortèrent le cercueil de Ménas voguant sur les flots, tandis qu’un troisième avertissait l’évêque de Byzance de

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Rév. Étienne 2, p. 305, l. 234-235. De même, l’abbé Marcel, avec les visions des diacres Gennade et Cyriaque, ou Paul, avec les révélations d’Épiphane. 70 Prem. inv. chef du Bapt., col. 420, l. 18.  71 Pass. Bas. 2, p. 417, l. 302. 

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son arrivée72. Malgré leur aspect humain73, l’éclat qui en émane distingue assez ces êtres de lumière, vêtus de blanc et porteurs de luminaires. Mais le messager de Dieu, divin éclaireur menant les inventeurs aux reliques, se rencontre finalement assez peu dans ce registre. La Vie d’Anthousa présente la sainte en dialogue continu avec son ange gardien : à l’heure de la mort, l’ange est toujours là, et l’ange d’apparaître encore à « l’illustre Abramios » après la découverte du corps. Mais entre ces deux termes, c’est un songe, l’image du corps gisant, qui a déclenché l’invention74. De même, après qu’un ange a mené un certain Timothée jusqu’au corps du martyr Hyacinthe, le saint prend le relais, et provoque, plus tard, par un songe, une deuxième découverte de la relique75. Même s’ils apparaissent lorsque la personnalité du ou des saints dont les reliques sont en jeu laisse à désirer – tels ces martyrs Cyr et Jean, dont l’épisode en question pourrait bien appartenir à une élaboration postérieure de la légende –, en matière d’invention, les anges semblent bien en retrait par rapport aux saints76. Le plus souvent, tout débute avec l’apparition nocturne ou diurne d’un saint77. Il s’agit en règle générale de celui, ou de ceux, dont on va découvrir les reliques. On voit néanmoins l’illustre Paul (re)présenter les martyrs Gervais et Protais, alors totalement inconnus et silencieux à ses côtés78, ou Thyrse, titulaire de l’église de l’invention, les Quarante Martyrs de Sébaste. Au sein d’un groupe, soit un seul apparaît, soit ils se manifestent ensemble : dans le premier cas, c’est d’habitude le plus populaire ou le plus ‘significatif’ : Onésiphore, disciple de l’apôtre Paul, sans Porphyre, inconnu par ailleurs ; Jacques, frère du Seigneur et premier évêque de Jérusalem, sans Zacharie ni Siméon ; Gamaliel, jadis propriétaire de la tombe et du village de l’invention, sans Étienne, 72

Inv. Ménas, 3, p. 147, l. 10-11, 15-16. Pass. Hyac., 8, 9, p. 306 : les anges veillaient le corps sans vie du martyr, tandis que l’un d’eux apparaissait, sous l’aspect d’un homme, à un certain prêtre Timothée, et le conduisait à la sainte relique. 74 À noter que, dans la Passion de Pélagie de Tarse, qui présente de grandes similitudes avec la Vie d’Anthousa, c’est le Saint-Esprit qui se manifeste à l’évêque Clinon afin qu’il aille recueillir dans la montagne le corps de la sainte. 75 Pass. Hyac., 11, p. 307.  76 Il y a peut-être des raisons à cela. Sur les anges, leur culte et ses limites : C ANIVET, Michaelion, sp. p. 100s. M ARAVAL, Lieux saints, p. 55 : « La même méthode a été adoptée pour christianiser le culte des anges. Celui-ci, d’origine juive, fut l’objet dans les débuts du christianisme de la suspicion des théologiens et de la hiérarchie ecclésiastique […] La hiérarchie a donc sans doute fini par accepter ce culte en y mettant un correctif : plusieurs témoignages archéologiques et littéraires montrent que dans les sanctuaires dédiés aux anges on plaçait aussi des reliques des martyrs (ou d’autres reliques). » 77 Sur le problème de la présence réelle : K RAUSMÜLLER, Denying et ID., God (cet article ne m’a pas été accessible). 78 Inv. Gerv. et Prot., IV, p. 8. 73

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Nicodème et Abibos79. Dans le second cas, ce sont généralement des compagnons d’un martyre collectif comme les Quarante Martyrs, mais souvent seuls quelques-uns sont individualisés, ainsi, Luc, Phocas, Romain, apparus avec tous les leurs. Comme les anges, un habit brillant, une expression sereine, une allure altière, un visage rayonnant, les désignent habituellement comme des êtres extraordinaires : Je vis un homme âgé d’apparence, haut de taille, à l’allure d’une personne sacrée, à la longue barbe, vêtu d’une robe blanche dont les ornements en forme de gamma étaient d’or avec à l’intérieur de petites croix dorées, tenant à la main un bâton d’or et portant des sandales aux lanières dorées, qui se mouvait devant moi en silence80.

De même, « le visage 〈de Barnabé〉 recelait une grâce divine et brillait d’une lumière éclatante ; il était vêtu hiératiquement d’un habit de lumière81. » Tous ou presque, tels des anges, sont vêtus d’un vêtement à l’immaculée blancheur82. On vit même le Baptiste se révéler sous la forme d’un astre de feu83. Il existait toutefois entre les saints une certaine hiérarchie, reflétée dans leur aspect physique : Je voyais trois inconnus qui se présentèrent à moi, dans une gloire et une vision surprenante, un grand resplendissement. Et deux étaient d’une taille importante et mince et égale (entre eux), et ils se tenaient d’un même côté. Par contre, l’un (des trois) était petit et moins haut que les deux (autres). Et celui qui se tenait entre les deux, le grand comme le petit, me dit : « Vois-tu, frère, que saint Siméon ne peut pas être comme le seigneur Jacques ! ? […] Vois-tu comme saint Siméon est court de taille tandis que nous deux (sommes) égaux et grands de taille ? » […] Mais je méditais et j’étais triste, car je n’avais pas été rendu digne de voir le visage de ces deux, (et de me rendre compte) s’ils étaient vieux ou jeunes. Disant cela, je les suppliais de voir leurs visages. […] Et je vis à nouveau deux hommes et un petit enfant, comme le resplendissement du soleil. Et voici qu’ils venaient vers moi : ils étaient vieux. Ils

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À noter que dans une version tardive, sans doute lorsque l’invention et les circonstances précises de celle-ci ont perdu de leur actualité, c’est Étienne qui apparaît directement à Lucien. 80  Rév. Étienne 1, p. 90-91. Cf. Passion de Perpétue, 4, 8 : vidi […] hominem canum […] grandem. On retrouve le bâton doré, symbole de pouvoir et attribut miraculeux, dans des représentations chrétiennes comme non chrétiennes : attribut d’Hermès, il permet à Énée d’accéder aux Enfers ; le Christ accomplit des miracles avec un bâton ; de même Pierre et Moïse. DULAEY, Baguette. Voir Inv. Gerv. et Prot., II, p. 7. 81 Éloge Barn., p. 114, l. 711-713. 82 Sozomène, H.E., IX, 2, 7 ; Inv. Gerv. et Prot., II, p. 7. 83 Deux. inv. chef du Bapt., col. 424D ; de même, un frère du monastère, Isaac, vit, au moment de la psalmodie, des flammes s’échapper des portes de la caverne où se trouvait la relique.

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étaient vraiment revêtus de lumière divine. Ils étaient pressés de partir. Et je fus digne de voir leurs visages84.

Leur âge est celui du trépas, et si les jeunes gens sont légion parmi les martyrs85, on trouverait bon nombre d’honorables vieillards, tel Corneille, qu’un peintre reçut commande de représenter âgé. Selon un thème fréquent, la vision du saint permet précisément d’en (re)connaître ou d’en reproduire les traits : ainsi, après une apparition de Corneille, un peintre le peignit plus vrai que nature86 ; inversement, le pseudo-Ambroise reconnut immédiatement l’apôtre Paul, tel qu’on le voyait sur ses icônes87 et le jardinier d’Orthôsias le groupe des martyrs déjà vus en songe. Fait remarquable, Longin apparut sans sa tête avant l’invention, intègre après. Enfin, l’apparition vient presque toujours avec le même message : (1) si elle se montre à l’évêque, ordre lui est donné d’aller chercher les reliques ; si c’est à un tiers, de transmettre ce même commandement à l’évêque ; (2) elle fournit un certain nombre d’indications permettant de localiser les reliques ; (3) ou de prescriptions, concernant notamment l’érection, l’emplacement, le financement ou la structure du sanctuaire ; (4) en dernier lieu, surtout, elle décline son identité ou celle des saints dont elle prépare la découverte : « Afin que tu saches à qui tu as affaire, je suis Jacques, frère du Seigneur ; les autres qui sont avec moi sont le prêtre Siméon et Zacharie88 », le plus souvent, à la fin de la première, de la seconde (Corneille), voire de la troisième apparition (Barnabé), généralement à la demande du visionnaire. Elle n’est parfois même connue qu’après l’invention (Julien d’Émèse). b. Les images Les images font partie du message ; elles ont une fonction explicative. Cyrille de Jérusalem avait refusé de croire le moine Épiphane venu lui annoncer la révélation de Jacques, alors, « durant son sommeil, Paul, le premier notable de la ville, avait eu une apparition de saint Jacques qui lui avait dit : ‘Celui que je te montre venant à toi, reçois-le dans ta maison, et tout ce qu’il te dira exécute-le au plus tôt et sans traîner’, et il lui avait montré en songe Épiphane comme en plein jour89. » Il en va de même pour la femme de Gaza qui avait recueilli les reliques d’Eusèbe, Nestabos et Zénon : « Et avant qu’elle 84 85 86 87 88 89

Ap. Zach. et al., 39-55, p. 90-91. Inv. Gerv. et Prot., II, p. 7. Vie Corn. 2, col. 1309D. Inv. Gerv. et Prot., IV, p. 8. App. Jac. et al., p. 123, l. 16-17, tr. A BEL, Jacques, p. 486. Ibid., p. 487.

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ne le [Zénon] vît, Dieu le lui montra, car il lui était inconnu et se cachait car la persécution venait d’être déclenchée90. » Les rêves, comme les visions éveillées, sont peuplés d’images et autres spectacles, parfois imbriqués dans une apparition, le plus souvent immédiatement traduisibles en langage clair : 〈Un berger du Nébo〉 eut une vision et vit une très vaste grotte remplie d’une brillante lumière et exhalant une douce odeur. Tout en s’étonnant – car jamais on n’avait vu en ce lieu quelque chose de semblable –, il eut l’audace, fortifié par la puissance divine, de descendre dans cette grotte ; il y vit un vénérable vieillard, au visage resplendissant et plein de toute grâce, qui était étendu comme sur un lit brillant et éclatant de noblesse et de grâce. Lorsqu’il eut compris que c’était saint Moïse, il courut aussitôt avec grande crainte et joie au village, en se hâtant, pour faire connaître sa vision aux habitants91.

Un périodeute voyait souvent en rêve le lieu où reposait le martyr Marinos ; l’évêque d’Éleuthéropolis vit les corps d’Habacuc et Michée ; une solitaire vit qu’Anthousa avait rendu l’âme dans sa caverne, etc. Mais pour être interprété, ce type de songe, si limpide soit-il, a besoin de sa clef de lecture : comprit-on, comme le berger du Nébo, ce qu’étaient ces corps, parce qu’il ne pouvait en être autrement, ou bien chacun d’entre eux fut-il plus complexe, ou doublé d’une apparition ? « Je te montrerai comment elles sont… » Peu avant l’invention, un moine de Caphargamala vit en songe un tombeau ruiné dans un champ, et dans ce tombeau, quatre hommes étendus sur des lits, deux au sol, couverts de draps d’or, et un autre surélevé, à deux places, couvert d’un drap d’argent92. Or, le prêtre Lucien avait déjà reçu, sous une autre forme, la même révélation. Gamaliel lui avait décrit l’agencement de la tombe de la façon suivante : Il me dit alors : « Nous ne sommes pas comme tu penses, mais chacun de nous a sa propre tombe. Concentre ton esprit et je te montrerai comment elles sont. » Je prêtai attention et le vis étendre les deux bras vers le ciel et en ramener quatre corbeilles (καλάθους), dont les trois étaient d’or et l’une d’argent. Celle-ci était remplie de roses d’un rouge ardent comme le sang, et Gamaliel la déposa à ma droite. Deux autres corbeilles étaient remplies de roses blanches comme des lis, et pourtant c’étaient des roses. La quatrième était remplie de fleurs de safran au parfum délicieux. Il les disposa devant

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Sozomène, H.E., V, 9, p. 205-206 (SC). On peut noter ici l’importance de la vision, qui constitue toute l’invention. Rév. Étienne 2, p. 305, l. 226-232.

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moi en disant : « Vois-tu ces corbeilles ? » Je lui réponds : « Oui, seigneur, que sont-elles ? » Il me répond : « Ce sont nos tombes et les roses que tu vois sont nos reliques. Et de même que tu vois cette corbeille remplie de roses rouges placée à ta droite, de même, lorsque tu dégageras les lieux, tu trouveras la porte du tombeau et, en entrant, tu trouveras la sépulture sise à droite de l’entrée. C’est celle de saint Étienne. N’en doute point, c’est bien elle, car il est le seul martyr parmi nous. Quant à celle qui est en face, vers le nord, c’est celle de sire Nicodème, le nouveau baptisé. Enfin, la haute tombe, elle aussi ornée de roses, c’est la mienne et celle de mon fils, qui sommes nous aussi nouvellement baptisés. » Je lui demandai : « Et pourquoi l’une des corbeilles est-elle en argent ? » Il me répond : « Du fait que mon fils était pur et sans tache, il est apparu sous une forme pure, d’argent. Et ne vois-tu pas sa fleur de safran, combien son parfum est délicieux ? » Ayant dit ces mots, il disparut à nouveau. Là-dessus, je me réveillai, rendis grâce à Dieu et restai à jeûner de plus belle, en attendant d’être jugé digne de la troisième révélation93.

Les symboles sont ici curieusement accompagnés de leur clef de lecture : corbeilles = loculi ; fleurs = reliques ; roses rouges = martyr ; roses blanches = néophytes ; argent et safran = pureté94. Gamaliel apparaît comme la conscience du prêtre Lucien : Puisque tu as un doute en ton cœur en disant : « S’il nous arrive de les trouver tous gisant dans la même tombe, comment pouvons-nous savoir quels sont les restes de saint Étienne le premier martyr ? N’est-ce pas la réflexion que tu faisais ? » Je répondis : « Oui, seigneur, c’est bien ce que j’avais à l’esprit ; tu l’as parfaitement deviné »95.

La reconstruction du tombeau n’est même pas à faire ; elle est déjà explicitement formulée : dans le tombeau, Étienne, le martyr, occupait le mur oriental, en direction du soleil levant ; Nicodème, le confesseur, la paroi septentrionale, face à l’entrée ; en surplomb de ce dernier, au centre du monument, le maître des lieux, Gamaliel, et son fils. Les deux emplacements vides ne sont pas ici rappelés.

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Rév. Étienne 1, p. 99-100. WEBER, Bemerkungen, p. 417-418, fait remarquer que l’usage des récipients doit reposer sur la métaphore biblique Ac 9, 15, p. 346 : « Va, car cet homme m’est un instrument de choix (σκεῦος ἐκλογῆς) pour porter mon nom devant les nations païennes, les rois et les Israélites. », et que le métal précieux souligne la valeur éthique, cf. 2 Tim. 2, 20-21, p. 553 : Ἐν μεγάλῃ δὲ οἰκίᾳ οὔκ ἐστιν μόνον σκεύη χρυσᾶ καὶ ἀργυρᾶ ἀλλὰ καὶ ξύλινα καὶ ὀστράκινα, καὶ ἃ μὲν εἰς τιμὴν ἃ δὲ εἰς ἀτιμίαν· ἐὰν οὖν τις ἐκκαθάρῃ ἑαυτὸν ἀπὸ τούτων, ἔσται σκεῦος εἰς τιμήν, ἡγιασμένον, εὔχρηστον τῷ δεσπότῃ, εἰς πᾶν ἔργον ἀγαθὸν ἡτοιμασμένον. Quant au safran parfumé, il prépare la scène de l’invention où du parfum s’exhale du tombeau. 95 Rév. Étienne 1, p. 98-99. 94

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On trouve un second songe, imbriqué dans la troisième apparition de Gamaliel : Je me vois, comme saisi d’une seconde extase, déjà monté dans cette ville et t’ayant expliqué mes visions à toi mon maître, le très saint archevêque. Et je t’entends me dire : « Si tu as contemplé ces choses, mon cher, et si vraiment le Seigneur te les a révélées en notre temps, c’est moi qui dois retirer de là le bœuf mâle que l’on attelle pour les labours et laisser à toi le domaine avec ce qu’il contient. » Je répliquai : « À quoi me sert le domaine, si je n’ai pas le bœuf qui peine et le travaille ? » Tu me répondis, toi mon maître le très saint archevêque, lors de cette troisième vision : « Il en a été décidé ainsi, mon cher, car notre ville est desservie par des chars. Or, il manque au grand char un bœuf ; celui-ci est entretenu auprès de toi dans le village, alors qu’il vaut mieux que la ville le détienne plutôt que le village. Les deux autres bœufs et le petit veau ne te suffisent-ils pas, avec le matériel du grand bœuf, pour cultiver ton domaine ? » À ces mots, je m’éveillai et m’étant levé je rendis grâce à Dieu, puis je courus tout droit à Votre bienheureuse Seigneurie et rapportai les deux premières visions et une partie de la troisième ; je passai sous silence ce qui concernait le grand bœuf, m’attendant à entendre quelque chose de la part de Votre Sainteté au sujet de messire Étienne, car j’avais compris que c’était lui le grand bœuf, que les chars étaient les saintes églises de Dieu sises aux lieux saints, que le grand char se trouvait être la sainte Sion et que mon seigneur l’archevêque s’apprêtait à me demander saint Étienne. D’où mon silence touchant les paroles relatives au bœuf96.

Il est formé sur le même schéma97 : bœufs = reliques ; grand bœuf = Étienne ; autres bœufs = Gamaliel et Nicodème ; veau = Abibos ; chars = « saintes églises de Dieu sises aux lieux saints » ; grand char = Sainte-Sion ; domaine = village de Caphargamala. Reste à savoir ce qu’est « le matériel du grand bœuf » : les menues reliques et la cendre d’Étienne demeurées à Caphargamala ou le tombeau, par nature intransportable ? Cette fois, Lucien n’a pas reçu la clef du songe, mais nous livre sa propre interprétation, bientôt vérifiée. Les images,

96 Rév. Étienne 1, p. 100-101. Cette version ne diffère que très légèrement (elle est plus brève, comporte une adresse à l’évêque, etc.) du latin B et des versions grecques apparentées (Rév. Étienne 2 ; Rév. Étienne 3). Le latin A en revanche est ici bien plus court, Rév. Ét. lat., A 30-31, p. 208 : Et audio ipsum papam dicentem mihi (sic in ipsa tertia visione) : « Si haec ita vidisti dilectissime, me opportet accipere inde bovem masculum aratorem amaxicon (quod non possumus carri tractorem dicere) operarium, et dimittere tibi agrum ubi sunt fructus ». Et dixi illi : « Domne, ut quid mihi agrum si non habeo bovem laborantem in eo ? » Et ait mihi episcopus : « Sic placuit, ut ego colligam inde bovem masculum aratorem amaxicon operarium ». On se souvient que la version latine B est considérée comme la version officielle de l’Invention, c’est-à-dire la commande de Jean de Jérusalem à Lucien, à l’usage de son Église, et le latin A comme la traduction d’Avitus. 97 Ce qui est évoqué en langage symbolique dans la vision apporte la justification qui manquerait à la conclusion crue de Jean dans la réalité : « il me faut transférer le bienheureux Étienne ».

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en revanche, sont plus étonnantes : des fleurs, des couleurs, du parfum, on le comprend bien, mais des bœufs et des chars98 ! On peut se demander si ces pseudo-symboles ne sont pas là pour mettre sous le signe du divin une réalité quelque peu équivoque : l’accaparement des reliques par Jérusalem. « Un spectacle vraiment divin » On ne rencontre guère ailleurs de pareils songes sitôt expliqués. Si l’on compare, par exemple, avec la Deuxième invention du chef du Baptiste, également écrite par l’inventeur de la relique, la différence est manifeste. On trouve ici, une série de visions à caractère complexe, mais dont l’explication n’est pas autrement fournie que par le déroulement des événements : J’ai eu une vision nocturne, voilà ! Toutes les portes de notre monastère étaient ouvertes ; très troublé, je suis descendu pour les fermer. Et j’ai encore vu un fleuve se précipiter vers la porte du monastère. Et ayant vu cela, soucieux, je me suis demandé d’où provenait tant d’eau. Et tandis que je réfléchissais, 〈lat. levant les yeux, je vis le prêtre Marcel – c’était le second après l’archimandrite Maxentius – venir depuis la partie sud du fleuve et nous entendions〉 j’entendais les voix de nombreuses colonnes venues depuis l’Orient 〈lat. depuis le côté oriental de la basilique du martyr saint Julien〉, qui nous apportaient un grand bruit et 〈lat. la foule progressait〉 qui progressaient 〈vers nous〉 sur les eaux 〈lat. avec un vif élan〉. Et tandis que je me demandais avec étonnement comment ils pouvaient marcher vers nous 〈lat. rapidement〉 au milieu des eaux (chaque colonne avait sa propre langue et psalmodiait), j’ai entendu la voix de gens qui criaient 〈lat. depuis l’Orient〉 : regardez ! Saint Jean qui baptisa notre Sauveur Jésus-Christ apparaît. Et comme je me tenais à la porte sud, aussitôt les portes d’Orient s’ouvrirent, et les colonnes 〈lat. qui psalmodiaient〉 entrèrent. Et après avoir délaissé le spectacle du fleuve, 〈je suis entré en courant〉, et me suis placé au bas de l’échelle99 ; et j’ai vu le saint office qu’ils célébraient au monastère ; et posté sur la même échelle, j’ai vu deux cours ; l’une qui regardait vers l’Occident, Des explications ont été proposées : WEBER, Bemerkungen, p. 419, mentionne à ce propos un commentaire dans un manuscrit inédit du XIIe siècle (CCl 706, fol. 24v), fondé sur l’image du iugum Christi (Mt 11, 29) et la parabole du semeur (Mt 13, 1-9 ; Mc 4, 1-9 ; Lc 8, 4-8) : bovem appellatum in visione Sanctum Stephanum eo, quod in se iugum Christi fideliter et cum mansuetudine suscepit letusque portavit, masculum et operarium pro eo, quod in agro domini, id est in ecclesia, ministerii laborem suscipiens virili animo et constanti fide resistendo inimicis crucis Christi illum explevit ; carri tractorem, id est eo, quia collectas operis sui fruges sive nichilominus persecutionis labore vectans horreis domini consignavit. Et encore, p. 420 : « […] Vielleicht ist in diesem Namen für Stephanus 〈Χελιήλ〉 ein älteres Element wohl orientalischen Ursprungs enthalten. Nun ist aber gerade die Gestalt des Stieres, die in der letzten Vision für Stephanus stand, im orientalischen Raum die Erscheinung des Wettergottes ; es könnte sich also um eine Umdeutung des Himmelsstiers handeln. » 99 τὸ κλιμακίον ; scala : s’agit-il d’un escalier ?

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l’autre vers le midi. Et entre elles, il y avait une grande église. Chaque colonne pénétrait dans la cour qui regardait vers l’Occident, et se prosternait devant l’église ; puis 〈lat. ils entraient〉 dans la cour du midi, et aussitôt ils firent halte. Après que les colonnes eurent fait halte, d’autres 〈lat. ouvraient la marche et〉 criaient 〈et disaient〉 : voici saint Jean ! Et 〈lat. alors que je me tenais à la même place sur l’échelle, saint Jean le Précurseur du Seigneur vint,〉 je l’aperçus dans l’église qui m’avait été montrée ; et il y avait quelqu’un à sa droite et quelqu’un à sa gauche. Aussitôt donc 〈lat. – comme il se trouvait dans l’église –〉 les colonnes commencèrent, entrant en ordre, l’une après l’autre, à obtenir sa bénédiction. 〈lat. Et de même, en psalmodiant, ils se dirigeaient vers la basilique de saint Étienne le Martyr (al. du côté occidental, comme vers la basilique, etc.).〉 Quand les colonnes eurent fini, j’ai pensé moi-même aussi à m’approcher, et à obtenir sa bénédiction. Et j’ai songé à pénétrer par les portes par lesquelles les colonnes étaient entrées. Du fait que je ne voyais personne lui donner le baiser de paix100 sinon sur la poitrine 〈lat. à ses pieds ; al. à la poitrine〉, moi aussi après m’être appoché, devant lui, dans la crainte et l’effroi, tête baissée à terre 〈lat. je m’élançai〉, je lui touchai les pieds. Mais lui 〈me toucha la barbe101〉 〈lat. me prit le menton〉, et me donna le baiser de paix 〈sur sa sainte bouche〉. 〈lat. Et comme je l’avais mérité, je m’éveillai.〉102

Ce passage revêt sans doute une signification particulière dans l’économie du récit, et surtout pour l’événement qu’il rapporte103 ; mais elle nous échappe aujourd’hui pour une large part. Quelle était la portée réelle de ce « saint office » (sanctum officium ; ἁγία ὑπηρεσία) célébré dans l’enceinte du monastère et le sens de ce parcours processionnel si détaillé : entrée des colonnes dans le monastère de Marcel par les portes orientales, passage par la cour orientale, station dans la cour méridionale et entrée dans la « grande église » (templum grande ; ναὸς μέγας) par les portes méridionales ? Marcel projette en esprit, semble-t-il, la venue d’une foule de pèlerins dans une église abritant la relique du Baptiste. Celle-ci (imaginaire), dressée au milieu des deux cours, paraît en tout cas bien distincte de la basilique (réelle) Saint-Étienne appartenant au monastère de Marcel. On ne peut en dire plus, mais il n’est pas anodin que le Spélaion soit précisément situé dans l’axe oriental104 du monastère (c’est une LECLERCQ, Baiser. ID., Barbe. 102 Deux. inv. chef du Bapt., col. 424D-426C ; lat., col. 425AD. Dans le grec, le rêve de Marcel se prolonge ici par ce qui constitue, dans le latin, un deuxième songe survenu quelques jours après (paucis diebus transactis). 103 Tout ici évoque le baptême – le Baptiste, le fleuve (Jourdain ?), les peuples (τὰ τάγματα ; turmae ; populi turmarum) – sans que cela pourtant soit précisé. On sait que l’invention eut lieu en période de Carême, ou du moins est présentée comme telle. 104 Deux. inv. chef du Bapt. lat., col. 427B : ad dexteram. 100 101

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autre vision qui nous l’apprend) ; là, se trouvait Saint-Julien. Or, la tradition en ferait l’église érigée sur la caverne de l’invention du martyr Julien, laquelle allait abriter sa relique après la déposition du chef du Baptiste dans l’« ancienne » église (l’Archaia) d’Émèse. Malgré tant d’obscurité, il semble difficile de dissocier Saint-Julien du Spélaion, la caverne où Marcel découvrit le chef du Baptiste. L’interprétation du rêve se fait progressivement, à la faveur d’autres visions, jusqu’à l’invention. Quelques jours plus tard, Marcel vit de nouveau les portes du monastère ouvertes, et à la porte méridionale se tenir Jean Baptiste, vêtu de blanc, avec ses deux compagnons105. De nouveau, il reçut le baiser de paix du saint qui lui donna une eulogie de miel106. Tous entrèrent au monastère ; Marcel emporta son eulogie dans le triclinium tandis que Jean pénétrait dans l’oratoire (oratorium107). Marcel redescendit et vit qu’une colonne de feu108 précédait le saint. Il se réveilla plein de crainte. Plus tard encore, après que Marcel eut découvert la relique dans la caverne, il trouva devant l’entrée le diacre et higoumène Gennade. Celui-ci avait eu un songe : il s’était vu avec Marcel dans la caverne remplie de pains « purs comme le soleil » ; une foule venait les recevoir, mais, en dépit de la multitude, les pains ne manquaient pas (cf.  Mt 14,  13-21 ; Mc 6, 35-43 ; Lc 9, 10-17 ; Jn 6, 1-14). On reconnaît, sous une forme différente, le songe de Marcel. Les pains, comme le miel, sont des eulogies ; ils évoquent aussi l’eucharistie. Comme cela arrive souvent, les songes viennent se conforter l’un l’autre. Marcel peut ainsi reconnaître l’origine divine de la vision : Et après qu’il a raconté cette vision, je lui dis : « c’est un beau spectacle que tu as vu ». Et après avoir réfléchi, je dis : « que veut dire ce spectacle ? » Et ayant à nouveau 〈réfléchi〉 〈lat. repassé en mémoire ce qui avait eu lieu〉, je dis : « c’est que ce spectacle vient de Dieu »109.

Et s’il en était besoin, un troisième personnage arriva, le diacre Cyriaque : « lui-même nous fit connaître la vision, qu’il avait eue, et qui concordait avec la vision du diacre Gennade. »

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Qui sont-ils ? Élisée et Abdias, ses compagnons de sépulture à Sébaste ? Ou, plutôt, les martyrs Julien et Étienne, titulaires des deux autres églises mentionnées ? 106 LECLERCQ, Miel, col. 941 : « C’est aux seuls néophytes qu’on offrait le lait et le miel, le jour de leur baptême ». 107 Deux. inv. chef du Bapt. lat., col. 427A. 108 Comme la colonne de feu au désert guidant l’arche d’Alliance, ou celle qui précédait Pierre l’Ibère et Jean l’Eunuque, emportant des reliques : infra, p. 301. 109 Deux. inv. chef du Bapt., col. 428C ; lat., col. 431-432. 

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« Une révélation manifeste et indiscutable » Dans l’Apocalypse de Zacharie, Siméon et Jacques, les visions symboliques prennent également une grande place110. Le récit s’apparente sur ce point à la Deuxième invention du chef du Baptiste, sans que l’on puisse dire qu’il en ait subi l’influence directe111. Or moi, Jean, je voyais une apparition nocturne – ma pensée fut (que c’était) comme si je m’étais trouvé dans un temple beau et glorieux et tout-illuminé : des trônes en dedans, glorieux, sur une hauteur du temple, resplendissant de lumière. À cet instant, un jeune homme d’une taille moyenne se mit à apparaître ; il était beau comme la lumière du soleil ; il était nu de corps, sans vêtement. Il me montrait une blessure de lance faite récemment, et dit : « Vois, comme ils m’ont blessé ! » Et en disant cela, il nous annonça la venue des frères, ceux qui allaient venir, et il se cacha de devant moi. Et voici qu’il y eut une voix de chant sur des nuages, une voix forte, et ils disaient : « Grandes sont les reliques des saints martyrs ; Seigneur, par leur prière et intercession, aie pitié de nous ! » Cette voix ayant été (émise), je ne sais pas comment je me suis trouvé là en chantant avec eux. Après mon réveil, je chantais (encore) tout haut le même chant, que je répétais longtemps. Et l’heure de (l’office) canonique arriva ; nous nous levâmes et nous allâmes jusqu’à la fin de la prière que nous avions commencée. Et tandis que nous avions achevé l’office (canonique), j’essayais de me rappeler ce que je venais de chanter avec eux, mais je ne pus pas me le rappeler. Et (bien que) je ne pusse pas me rappeler, je considérais que cette apparition que j’avais eue était quelque chose (de bien réel). Je pensais que les reliques des saints qui étaient avec nous, c’étaient celles-là(-mêmes au sujet desquelles j’entendis le chant). Et je m’étonnais de nouveau de la parole de cet homme qui m’était apparu et m’avait dit : « Vois ! Combien de blessures je porte ! » Mais nous ne pûmes pas comprendre ce qu’était cette apparition112.

Surviennent alors des « frères » venus raconter la « révélation » des saints à Jérusalem, et désireux d’entendre une « révélation » de la part de Jean. Cet échange rappelle celui de Marcel avec Gennade et Cyriaque.

110 On est ici bien loin de l’Apparition de Jacques, Zacharie et Siméon (même si l’on n’en possède peut-être plus qu’une version abrégée), un récit formé sur le même modèle que la Révélation d’Étienne et ses compagnons. 111 La structure du récit avec son alternance de visions et d’offices offre encore un point de rapprochement. Comme Marcel, Jean est sans doute l’abbé d’un monastère, peut-être prêtre. 112 Ap. Zach. et al., 11-23, p. 86-88.

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Par ailleurs, l’insistance, tout au long du récit, sur les effets d’un doute persistant, n’est pas sans rappeler les atermoiements de Marcel : Et nous attendions leur révélation complète, car il y avait encore parmi nous une certaine incrédulité, comme un reste de fièvre. […] nous leur demandions la grâce de nous montrer une révélation manifeste, pour que vous aussi, pères bien-aimés, fidèlement (et) par écrit vous en ayez connaissance de nous, et que pour nous aussi, il y ait foi parfaitement. […] les suppliant de nous faire connaître une apparition plus éclatante (que les deux premières) et de nous dire aussi leurs noms, afin que tout incrédule soit convaincu d’erreur, et que leurs reliques soient adorées avec honneur et dignement. Comme nous disions cela et les avions saisies en mains en silence (pour les déposer), je m’endormis ; je voyais trois inconnus qui se présentèrent à moi, dans une gloire et une vision surprenante, un grand resplendissement113.

Mais ce n’est qu’après avoir été jugé digne de contempler leur visage, que Jean reçut, à propos du compagnon de Jacques et Zacharie, « la révélation que c’était Siméon grand-prêtre, celui qui ‘avait porté notre Seigneur Jésus sur ses propres bras’ (Lc 2,  28), et avait témoigné en sa faveur qu’il était le vivificateur d’Israël114 » : Nous témoignons (donc) nous aussi pécheurs, pauvres et humbles, avec vous de leur révélation comme (d’une chose qui) est digne de foi et véritable et fermement établie. (C’est donc bien) aux saints ci-dessus rappelés (que) sont ce groupe de reliques : aux grands-prêtres de Dieu Jacques le frère du Seigneur et Zacharie le père du Baptiste, le prédécesseur de saint Siméon (dans la charge du souverain sacerdoce), qui est mentionné dans la Bonne Nouvelle, dont l’Évangile dit que c’est lui qui a reçu le message d’un ange qu’ « il ne verrait pas la mort tant qu’il n’aurait pas vu l’oint du Seigneur » (Lc 2, 26). Et (l’Évangile) dit : « Le grand-prêtre Siméon porta l’enfant Jésus et le bénit et dit : ‘Maintenant Seigneur renvoie ton serviteur selon ta parole dans la paix, car mes yeux ont vu ta vivification’ » (Lc 2, 28-30) et coetera115.

Nulle part, mieux qu’ici, n’entraient en parfaite communion le voir et le croire.

113 114 115

Ibid., 29-39, p. 88-90. Ibid., 44, p. 90. Ibid., 57-60, p. 91-92.

CHAPITRE III

L’invention En principe, la localisation de la relique ne pose pas de problème, et son invention ne donne pas matière à revendications ; résultat d’un ordre divin1, cette dernière a du reste été soigneusement préparée par la vision 2. Or, si leur conformité est volontiers mise en avant3, c’est parce que l’invention demeure à son tour la meilleure preuve de l’authenticité de la vision : Καὶ τοῦτο σοι ἐστὶ τὸ σημεῖον, déclare Barnabé à l’évêque Anthémios4.

1. Le tombeau Les reliques (corporelles) sont normalement découvertes au tombeau5. Le monde antique pratiquait les inhumations en dehors des villes, souvent le long des routes6, et l’on ne s’étonnera pas de voir que les inventions ont générale1 Sozomène, H.E., IX, 2, 7 ; Inv. Ménas, 3, l. 11 ; Pass. Bas. 2, p. 417, l. 307 ; Éloge Cyr et Jean, 27, 2 et 8, p. 60 ; Prem. inv. chef du Bapt., col. 420D, l. 20 ; Sozomène, H.E., V, 9, 6 ; Vie Anth., 16, 1. 2 Sozomène, H.E., VII, 29, 3 : la tombe de Zacharie a été découverte « grâce aux indications données plus haut ». Les martyrs d’Orthôsias montrent l’endroit au jardinier ; il arrive même que les fouilleurs soient miraculeusement guidés et conduits sur place : les disciples de Basile d’Amasée par un ange ; l’abbé Marcel par Jean Baptiste sous la forme d’un astre ; la solitaire Polychronia par une panthère (Anthousa). D’ailleurs, la vision peut intervenir ou se renouveler après l’invention pour apporter un complément d’information, mais surtout une garantie, telle la vision de Julien au potier d’Émèse. 3 Rév. Étienne 2, p. 306, l. 241 ; p. 298, l. 97-98.  4 Éloge Barn., p. 115, l. 745. Sur le modèle biblique : Lc 2, 12 ; 1 R 10, 1 ; Is 37, 30 et 38, 7. Le berger du Nébo marqua au moyen de petits cailloux l’emplacement de la grotte funéraire du prophète Moïse « parce qu’il pensa que peut-être, après son départ, l’endroit redeviendrait impossible à reconnaître, ce qui arriva de fait. » (Récits, p. 166). 5 Les corps trouvés gisant à l’air libre sont néanmoins un thème courant des Passions de martyrs (par ex., Julien d’Émèse), des Vies de saints ermites (par ex., Theosébios, ou le patriarche Gennade retrouvé mort dans l’humilité, en étranger, tel un ascète), ou de la littérature édifiante (par ex., Pierre le Brouteur dans le Pré spirituel, etc.). 6 RUSH, Death. Sur les coutumes funéraires des juifs et l’importance du monument élevé à la mémoire du défunt dans la Jérusalem du Ier  siècle : R AHMANI, Funerary Customs ; MEYERS, Ossuaries. Pour les premiers chrétiens : ROUILLARD, Histoire, p. 13. Pour la période byzantine : KOUKOULES, Νεκρικὰ ἔθιμα ; SPYRIDAKIS, Τὰ κατὰ τὴν τελευτὴν ἔθιμα ; KYRIAKAKIS, Customs. Pour une évolution du rituel de la mort en milieu monastique entre la période proto- et mésobyzantine : A BRAHAMSE, Death. Pour les cimetières : R EBILLARD, Assistance.

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ment lieu à la périphérie, dans des villages (κῶμαι), des domaines (χωρία), des faubourgs (προαστία ; proastia), même si l’événement est attribué à la grande ville dont ils dépendent7. Le type d’aménagement (simple fosse ; hypogée ; chambre souterraine ; grotte funéraire ; monument bâti, etc.) est rarement spécifié, les descriptions sont sommaires, et si l’on regarde les mots les plus couramment employés dans nos sources, l’imprécision demeure8 : τάφος, terme générique, désigne aussi bien une tombe taillée dans la roche (Marinos) que le monument (μνῆμα) du prophète Michée ou les nombreuses sépultures du cimetière (Pandocheion) de Skepsis9. Μνῆμα ou μνημεῖον, apparemment interchangeables10, renvoient à des réalités sans doute assez différentes, mais désignent toujours, semble-t-il, une structure en dur, ne fût-ce qu’une grotte naturelle, comme celle de Barnabé11 ; ce peut être un monument funéraire comme les μνήματα d’Habacuc et Michée. Le μνημεῖον de Caphargamala est un hypogée avec porte d’entrée donnant sur une chambre sépulcrale12. Le monument funéraire de Corneille (μνημεῖον ; μνῆμα ; οἶκος « près du temple de Zeus, sous la ronce ») était-il une structure bâtie ou un sarcophage (σορός ; λάρναξ) de taille assez imposante pour pouvoir accueillir deux corps13 ? On peut encore penser à tel monument commémoratif ou telle stèle (comme celle, disparue, de Jacques au pied du Temple) indiquant en surface un tombeau14. Quoi qu’il en soit, alors que l’on se trouve en présence de véritables sépultures, tout montre que le lieu de la découverte n’a pas, en règle générale, conservé un caractère funéraire visible. 7

Sozomène, H.E., VII, 17, 1, p. 407 (SC) (Zacharie) ; VII, 20, 2, p. 345 (Habacuc et Michée). La κώμη de Caphargamala est aussi désignée comme un χωρίον : Rév. Étienne 2, p. 296, l. 61-63. On trouve encore l’équivalence proastion/chôrion : ibid., p. 298, l. 100-103 ; p. 302, l. 185-187. L’invention de Barnabé se produisit à cinq stades de la ville, au lieu-dit « de la santé » : Éloge Barn., p. 115, l. 747. 8 L’archéologie a permis de dresser une typologie des sépultures ; l’épigraphie apporte également de précieux renseignements : notamment, pour la Syrie du Nord, GRIESHEIMER, Cimetières ; pour la Syrie du Sud : SARTRE-FAURIAT, Hauran et ID., Tombeaux, p. 21-37 ; pour les inscriptions funéraires de l’Asie Mineure : KUBINSKA, Monuments. 9  Pass. sept Dorm., 11, col. 437C, cite Ez 37, 12. Avec la même ‘flexibilité’, τόπος, qui appartient volontiers au vocabulaire de l’Égypte ; par exemple, dans Hom. Cyr et Jean 2, col. 1101C, les corps des deux martyrs ont été déposés « dans un tombeau (τόπος) unique ». 10 Vie Corn. 1 : Corneille fut inhumé dans le μνημεῖον (4, p. 36, l. 50) que le gouverneur Dèmètrios avait préparé pour sa femme et son fils ; aussitôt, une ronce poussa et cacha le μνῆμα (4, p. 36, l. 53). Pour la fréquence et l’emploi des termes dans le Hauran comme ailleurs, du IIe au VIIe siècle : SARTRE-FAURIAT, Tombeaux, p. 22. 11 Un μνημεῖον fut encore construit dans l’église des Saints-Évangélistes de Ménouthis pour recevoir les reliques de Cyr et Jean. 12 L’agencement interne est composé de six loculi (θῆκαι). 13 Il devait, selon la légende, abriter la femme et le fils du gouverneur de Skepsis. 14 Pour le complexe funéraire du Cédron : supra, p. 65. Voir MOUTON, Tours. Pour l’emploi du terme nefesh, traduit par μνημεῖον dans une inscription bilingue : SARTRE-FAURIAT, Tombeaux, p. 22. 

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On trouve un certain nombre de tombes isolées, enfouies sous terre, dans des champs (χωρία15), jardins (κῆπα)16, etc., le trait commun semblant être l’absence de trace en surface. L’urne cinéraire des martyrs d’Orthôsias est enterrée dans un jardin, à hauteur d’homme ; de même, la tombe du prophète Zacharie, à une profondeur de deux coudées. Il faut donc parfois sonder le terrain, comme au champ de Néapolis, où l’on ne voit aucun signe de sépulture. Ce sont aussi de nombreuses grottes (spelunca, σπήλαιον), naturelles ou taillées dans la roche à la périphérie des villes et des villages17 : la grotte funéraire du martyr Marinos se trouvait à la sortie de Gindaros ; celle des Sept Dormants d’Éphèse à l’Orient de la ville, dans la montagne appelée Mochlos18 ; celle de Barnabé à cinq stades environ à l’ouest de Salamine. La plupart sont invisibles ou inaccessibles : celle de Moïse n’est vue qu’en vision. La bouche de la caverne est quelquefois obstruée par des pierres (Dométios ; Sept Dormants). D’autres avaient été transformées en ermitage, comme celle de Jacques, Zacharie et Siméon au Cédron, ou le Spélaion d’Émèse19. Dans la grotte, la tombe ellemême n’était généralement pas visible, masquée ou enfouie sous terre. Il existe quelques exceptions : le sarcophage de Barnabé était posé à même le sol, le corps de Moïse étendu sur un lit de roche, le martyr Marinos cloué sur une planche20, de la même façon que l’on découvrit Anthousa sur la pierre qui lui servait habituellement de couche. Plusieurs tombeaux sont retrouvés dans des églises : celui de Gervais et Protais aux Saints-Nabor-et-Félix, ou celui de Cyr et Jean à Saint-Marc d’Alexandrie. Dans les deux cas, les sanctuaires se trouvent hors les murs : le martyrium milanais dans une zone cimétériale, Saint-Marc à l’est de la ville. Il en va de même pour les églises de Constantinople Saint-Thyrse ou Sainte-Irène de Sykae (Quarante Martyrs). En revanche, les châsses d’André, Luc et Timothée avaient été transférées aux Saints-Apôtres, au cœur de Constantinople ; on les y retrouva. On insiste ici aussi sur l’invisibilité de la sépulture : En ce qui concerne ceux [les corps] des Apôtres, l’endroit en question n’en avait pas révélé, de quelque manière que ce fût, la moindre trace, et du reste

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Rév. Étienne 2, p. 303, l. 190-191 ; ou encore à Sichem (Joseph), etc. À Capharzacharia (Zacharie) ; à Orthôsias (Luc, Phocas, Romain), etc. 17 Sur le modèle de la grotte du Christ ; mais celle-ci avait été englobée dans la ville au temps de l’invention : MURPHY-O’ CONNOR, Holy Sepulchre. Les exemples sont nombreux : Anthousa, Dométios, etc. 18 Pass. sept Dorm., 6, col. 432CD ; 17, col. 444D. 19 Le solitaire de Carnéas ne semble pas avoir occupé la grotte de l’invention, puisqu’il faut en dégager l’entrée ; mais une lacune du manuscrit ne permet pas de trancher absolument. Voir encore la grotte présumée de la solitaire Anthousa, l’atelier de potier où vint mourir Julien d’Émèse, etc. 20 Ce mode de sépulture fut pris pour un type de supplice. 16

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aucun emplacement ne paraissait même avoir été consacré en ces lieux à la dépouille mortelle de tel ou tel personnage sacré21.

Ce sont des travaux profonds de restauration de l’édifice qui les font ressurgir. Les tombeaux peuvent encore être découverts dans des demeures privées : il faut exclure la maison de l’hérétique Eusébia, à Constantinople, transformée, entre-temps, en église, mais les Trois Hébreux occupaient une chambre sépulcrale souterraine, au centre de la demeure d’un juif de Babylone. C’est là, diton, que s’élevait jadis le palais de Nabuchodonosor. De même, le chef du Baptiste était enfoui à l’emplacement du palais d’Hérode. Cependant, la maison privée est le lieu de conservation privilégié de reliques non corporelles : une Juive de Palestine gardait dans sa demeure22 – l’endroit était isolé – un vêtement de la Vierge dissimulé dans un coffre. Le juif Benjamin gardait chez lui des morceaux des vêtements du Christ, dans une urne de plomb scellée enfermée dans un coffre-fort. Toutes ces demeures, au caractère ‘historique’ marqué, participent pleinement, à un titre ou à un autre, à la légende de la relique ; leur singularité laisse entendre qu’il ne dut guère y avoir de semblables découvertes chez des particuliers.

2. La fouille Intenter à l’intégrité d’un tombeau n’allait pas de soi et faisait l’objet d’une stricte réglementation, requérant une permission spéciale, un ordre épiscopal ou impérial : Comme, en vertu de ces dires, il fallait faire des fouilles et aller à la recherche des saintes reliques, l’Augusta, l’ayant appris, donna ordre qu’on se mît au travail23.

Le cas est manifeste pour des sépultures dans une église  comme à SaintThyrse ; ce l’était aussi sur une aire cimétériale, ce que montrent les réticences de l’évêque de Troas : Dès l’aube, l’évêque envisagea – en raison des nombreuses tombes creusées de toutes parts au Pandocheion – de bâtir ailleurs l’église. Mais le saint ne le permit pas24.

Procope, De aed., I, 4, 20, p. 25, tr. ROQUES, p. 87. C’était peut-être la maison de la Vierge : infra, p. 349, n. 74. Sozomène, H.E., IX, 2, 12, p. 393-394 (SC). Sur le droit des tombeaux : THOMAS, Corpus ; R EBILLARD, Religion. Pour une interdiction épiscopale levée sur décision impériale, voir la Translation de saint Étienne (supra, p. 92). 24 Vie Corn. 2, IV, 14, col. 1305D. 21

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Il y avait bien sûr des exceptions, en particulier dans le cadre d’une mesure de protection, bientôt lorsque l’honneur d’un saint en dépendait : Gamaliel alerte Lucien du sort des « reliques tantôt, selon la saison, brûlées par le soleil, tantôt mouillées par la pluie et abîmées par des hommes indignes qui marchent sur elles25. » D’ailleurs, l’hagiographie fait le départ entre une pieuse exhumation et un viol de sépulture. Ce dernier était lourdement sanctionné : à l’exemple du sépulcre de David profané par Hérode, l’infraction des émissaires impériaux au tombeau des patriarches devait se solder par un cuisant échec. Mais au-delà des églises et des cimetières (loca religiosa), fouiller dans des domaines privés pouvait poser problème26. La question de la propriété du sol n’est curieusement jamais soulevée dans nos récits27 ; elle est parfois résolue indirectement, lorsque les reliques sont découvertes par le propriétaire du terrain – qui peut devenir, mais pas toujours, le fondateur du sanctuaire –, tel le jardinier d’Orthôsias (Luc, Phocas, Romain) ou le notable de Parium (Onésiphore et Porphyre). La caverne des Sept Dormants semble avoir fait partie des domaines d’un certain Adolios : obéissant à Dieu, l’homme fit retirer les pierres bouchant l’entrée de la grotte pour construire une étable. L’inventeur peut encore être l’administrateur d’un village (ἐπετρόπευε δὲ ταύτην) comme, à Caphar Zacharia, le dénommé Chaliméros, « un fermier attaché au domaine28 ». Le « champ » de l’invention d’Étienne appartenait sans doute à l’Église de Jérusalem ; en tout cas, le prêtre du village y agit en toute liberté, sur ordre de son évêque. C’était aussi le cas du Spélaion d’Émèse, un ermitage désaffecté, que l’évêque fit remettre au monastère de l’abbé Marcel juste avant l’invention du chef du Baptiste. Aussi, en dépit de plusieurs exceptions29, la fouille est généralement menée par l’évêque : Ambroise de Milan (Gervais et Protais), Cyrille d’Alexandrie (Cyr et Jean), l’« archevêque » d’Hébron (Joseph), Silvain de Troas30 (Corneille), Anthémios de Salamine (Barnabé), l’évêque d’Orthôsias (Luc, Phocas, Romain), sans doute Zébennos d’Éleuthéropolis (Habacuc et Michée), bien 25

Rév. Étienne 2, p. 296, l. 47-48. Sur la délimitation du tombeau : THOMAS, Corpus.  27 Le rapprochement avec l’invention de trésors, précisément codifiée (MORRISSON, Découverte), est intéressant à faire. 28 Sozomène, H.E., VII, 17, 1, p. 445, n. 5 (SC) : ὁμόδουλος τῷ ἀγρῷ « correspond exactement à la condition juridique du colonus à l’époque de Sozomène ». 29  Aucun évêque ne semble présent, ou du moins n’est mentionné lors des inventions d’Eusèbe, Nestabos et Zénon, Jean Baptiste, Zacharie, Ananias, Azarias et Misaël, les vêtements du Christ, le maphorion de la Vierge, Moïse, Marinos. 30 Comme on peut s’y attendre, il s’agit toujours de l’évêque local. Le cas de Silvain pourrait constituer une exception, mais Skepsis n’était peut-être pas encore, en ce temps-là, le siège d’un évêché. 26

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d’autres encore. En effet, même s’il n’a pas lui-même bénéficié d’une révélation, l’évêque est régulièrement prévenu par le visionnaire, souvent sur ordre divin. Ainsi Épiphane est-il expressément chargé d’aviser Cyrille de Jérusalem et le prêtre Lucien l’évêque Jean (l’ordre est répété trois fois) ; le solitaire de Carnéas avertit les clercs « ou » l’évêque d’alors ; Dieu ordonne à la chrétienne de Gaza de remettre les reliques des martyrs à leur parent, Zénon, futur évêque de la ville ; les saints d’Orthôsias adressent le jardinier à l’évêque Pierre l’Ibère, etc. C’est à l’évêque qu’incombe la responsabilité de l’invention ; il est l’autorité naturelle vers qui se reporter en des circonstances aussi extraordinaires31 : Et alors, ils m’emmenèrent avec eux et informèrent l’évêque à mon sujet. Celui-ci m’envoya chercher et s’enquit auprès de moi s’il en était bien ainsi32.

Il peut aussi assurer la direction des opérations par personne interposée : Jean de Jérusalem ordonna au prêtre Lucien de le faire prévenir par un courrier dès qu’il aurait localisé le tombeau, et d’y monter lui-même la garde jusqu’à son arrivée33. Gindaros était administré par un périodeute34 lorsqu’eut lieu l’invention du martyr Marinos. Bénéficiaire de la révélation, on peut supposer que l’homme, comme Lucien, n’a pas manqué d’en référer à son supérieur, l’évêque d’Antioche, qui a peut-être dirigé de près ou de loin le déroulement de l’invention35. Il semble en tout cas y avoir une limite jusqu’où l’initiative d’un laïc, moine ou autre, voire même d’un simple clerc, peut aller en matière d’invention : l’ouverture du sépulcre ou du reliquaire36. Ainsi, Cyrille de Jérusalem, qui avait pourtant refusé de croire le moine Épiphane, fut le premier prévenu lorsque l’on découvrit Jacques, Zacharie et Siméon. L’arrivée de l’évêque est généralement soulignée. Jean de Jérusalem fit ouvrir le sépulcre d’Étienne. Les serrures en fer du reliquaire des Quarante Martyrs ne furent ôtées qu’en présence de l’évêque Proclos de Constantinople et de l’impératrice Pulchérie37. Il s’agit de 31 Comme les habitants de Κισσόπτερα, proasteion de l’évêché de Paphos, qui découvrent le corps sans vie du patriarche Gennade, l’abbé Marcel d’Émèse pense immédiatement à tout révéler à son évêque ; il paie d’une attaque de paralysie son retard involontaire. 32 Rév. Étienne 2, p. 303, l. 198-199.  33 Ibid., p. 304, l. 215. 34 Sur les chorévêques et périodeutes : FEISSEL, Évêque, p. 814-818. 35 Dans les deux cas, les reliques furent transférées dans la ville épiscopale. 36 Les inventions où il n’est fait mention que de laïcs sont rares. Ainsi, Sozomène, H.E., VII, 29, 3, ne parle que du paysan de Caphar Zacharia Chaliméros, mais Zacharie, abbé de Gérara, et les « sages » ne sont pas loin qui interviennent pour expliquer le contenu de la sépulture. L’inventeur de Moïse au Nébo est un berger qui va trouver les habitants du village ; or la montagne était peuplée de moines. L’épigraphie montre par ailleurs la présence effective d’un clergé en ces lieux. Au village de Parthen, les fouilleurs s’assurèrent le concours du prêtre local, « afin qu’il priât en ce lieu » (Pass. Dom., 22, p. 316, l. 18-20). 37 Sozomène, H.E., IX, 2, 16, p. 394 (SC). 

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préserver la relique de toute atteinte indiscrète. De même, l’abbé Marcel recouvrit aussitôt la relique et se mit en devoir d’informer son évêque38. L’inventeur doit céder sa place à l’autorité épiscopale : Ouranios d’Émèse interdit à quiconque de toucher la relique du Baptiste avant sa venue39, et lorsque l’évêque de Paphos, qui avait d’abord dépêché sur place un prêtre et un laïc, comprit qu’il avait affaire à un saint, il se déplaça en personne. Avec l’évêque, la fouille prend l’allure d’une cérémonie. Elle a généralement lieu à l’aube, juste après la révélation nocturne40. L’évêque n’arrive pas seul sur place, ayant au préalable réuni son clergé : 〈Silvain de Troas〉 rassembla son clergé et dit : « Mes enfants, un grand trésor m’a été révélé ; allons le chercher ! » Ayant entendu cela, tous s’élancèrent pleins de zèle et suivaient l’évêque avec plaisir41.

Souvent un grand concours de peuple se joint à eux, et le cortège se met en branle vers le lieu de l’invention. On assiste alors à une véritable procession : l’évêque en tête, avec une croix, parfois aussi les Évangiles. Il peut également porter de ces instruments pour creuser, adaptés à la nature du lieu, dont la foule s’est munie42. Il en va de même en l’absence de l’évêque : Et alors se mirent en route le princeps, l’ancien du monastère, le diacre et le fidèle juif, et ils emmenèrent avec eux une troupe nombreuse et bien armée ; et ils emportèrent avec eux une hache, un marteau et des burins de pierre43.

Les villageois de Parthen « emportèrent des pioches et des sarcloirs et creusèrent44. » Quelquefois des fouilleurs ont été expressément recrutés pour l’occasion ; ce peut être les habitants que Lucien fit convoquer à l’aube par des hérauts ou bien des ouvriers recevant salaire : Paul d’Éleuthéropolis remit au « serviteur chargé de l’intendance de la maison » un vase d’argent de quarante livres, dont le prix de vente servirait à « embaucher un bon nombre d’ouvriers45 » pour fouiller la grotte-tombeau de Jacques, Zacharie et Siméon.

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Deux. inv. chef du Bapt., col. 428BC. Ibid., col. 430B. Cf. Rév. Étienne 2, p. 304, l. 213. Au contraire, les fouilles ‘non officielles’ se déroulent volontiers la nuit, par exemple dans la maison du juif de Babylone, de la juive de Jérusalem ; de même, l’invention de la tête du Baptiste par l’abbé Marcel. 41 Vie Corn. 2, IV, 14, col. 1308A. Éloge Barn., p. 116, l. 758-762 ; Éloge Genn., 7, p. 226, l. 4, etc.  42 Rév. Étienne 2, p. 306, l. 237, etc. 43 Inv. géorg. des Trois Enfants, 31, p. 91-92. 44 Pass. Dom., 22, p. 316, l. 20. Deux. inv. chef du Bapt., col. 428A, l. 84 ; lat., col. 429D. 45 App. Jac. et al., p. 124, l. 32-33, tr. A BEL, Jacques, p. 487. 39

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Avant d’entamer le sépulcre, l’évêque prie46. S’il est absent, la prière est dite par un prêtre (Dométios) ou tout autre autorité religieuse, comme l’higoumène Antoine (Trois Hébreux). Elle est souvent ponctuée par un signe miraculeux : Quand ils entrèrent dans la maison, ils adorèrent et commencèrent à creuser le locus, et le locus ne fournit absolument aucune place pour le fer avec lequel ils creusaient ; et ils s’acharnèrent à grand’peine, et n’aboutirent à rien. Alors ils furent ébahis et ne savaient que faire ; alors ils dirent : « Venez et adorons. Le Seigneur Dieu (nous) entendra-t-il ? » Et quand ils eurent adoré, Teranton dit : « Seigneur Dieu de nos pères, écoute notre prière, et reçois cette supplication qui est la nôtre, et rends-nous dignes de la lumière éternelle grâce à saint Ananias et ses compagnons qui foulèrent la flamme, le feu préparé (pour eux) comme la rosée du matin ; si les bienheureux sont déposés en ce locus, qu’ils apparaissent, que lorsque nous frapperons ce lieu de la hache, ce locus s’ouvre. » Et Teranton lui-même souleva la hache dans ses mains et, quand il frappa le locus, à l’instant même les côtés se déchirèrent et le locus s’ouvrit47.

On croyait la ronce qui recouvrait la tombe de Corneille dotée de quelque puissance surnaturelle : L’évêque se mit donc à prier Dieu, ficha sa croix en terre et saisit la ronce avec la main ; il la coupa à la racine. Enhardis, les clercs se mirent aussitôt au travail à leur tour. La ronce était effeuillée comme une tendre plante ; ce n’était plus une ronce. Sitôt après, le tombeau apparut au-dessous et l’évêque creusait encore de plus belle48.

Comme la révélation, le dévoilement du sépulcre se fait généralement par étapes49. Ainsi, après que l’« évêque ou les clercs » de Carnéas eurent trouvé la grotte de Job, « ils la suivirent durant environ cent pas, et soudain une dalle apparut aux fouilleurs. Lorsqu’ils eurent dégagé cette dalle ils trouvèrent, gravé sur le dessus : IOB50. » Les fouilleurs de Néapolis usèrent de poteaux de fer pour localiser le sépulcre du patriarche Joseph. Ayant buté contre un obstacle, ils se mirent à creuser de toutes leurs forces, suant beaucoup, et trouvèrent un grand vase de pierre ; il était vide. L’ayant exhumé, ils découvrirent enfin, sous le premier, un second vase, de marbre, contenant le précieux trésor51.

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Éloge Barn., p. 116, l. 763. Inv. géorg. des Trois Enfants, 32-35, p. 92-93.  Vie Corn. 2, IV, 14, col. 1308B. Éloge Barn., p. 116, l. 763s. Égérie, Journal, p. 196-197. Inv. trois patr., VII-VIII, p. 307-308.

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De même, il fallut un assez long temps à l’abbé Marcel pour dégager, dans la grotte attenante à son monastère, l’hydrie contenant le chef du Baptiste, dissimulée sous plusieurs couches : sable, briques, plaque de marbre52. On eut encore du mal à localiser, sous l’église Saint-Thyrse, le cercueil de la diaconesse Eusébia contenant un reliquaire des Quarante Martyrs, car la physionomie des lieux avait changé. Le prêtre Polychronios calcula, d’après ses souvenirs, qu’elle reposait « près de l’ambon53 ». Quand on eut mis au jour le lieu autour de l’ambon, on découvrit la tombe de la femme de Caesarius, comme l’avait conjecturé Polychronios, et à une petite distance, à l’oblique, un pavé de briques cuites et, de même dimension que la surface délimitée par ces briques, une dalle de marbre : sous cette dalle fut mis au jour le cercueil d’Eusébia elle-même ainsi que l’oratoire qui l’entourait, magnifiquement revêtu de marbres d’un porphyre veiné de blanc ; le couvercle de la tombe avait été taillé comme pour une table sainte ; à l’extrémité, à l’endroit où gisaient les martyrs, parut un petit trou. Un membre de la maison impériale, qui était présent, plongea à travers le trou une petite baguette qu’il se trouvait avoir en mains. Il la retira, l’approcha de son nez et sentit l’odeur d’un parfum. De ce moment, les ouvriers et les assistants eurent bon espoir et, ayant ouvert en hâte le cercueil, ils trouvent Eusébia. La partie prolongée de la tombe, près de la tête, entièrement polie en forme de coffre, avait l’intérieur caché par un couvercle spécial ; et de chaque côté de ce couvercle, sur les bords, était posée une ferrure fixée par du plomb qui le maintenait. Au milieu parut de nouveau le même trou qui prouva de façon plus claire encore qu’à l’intérieur il y avait les martyrs. Quand la chose eut été annoncée, l’Augusta et l’évêque accoururent ensemble au martyrium. Aussitôt, par le moyen d’experts, on enleva sur le pourtour les ferrures ; après quoi on retira facilement le couvercle. Sous celui-ci, on trouva quantité de flacons de parfums et, parmi ces flacons, deux alabastres en argent dans lesquels reposaient les saintes reliques54.

La plupart du temps, les fouilleurs n’ont cependant qu’à suivre les indications de la révélation ; il arrive parfois que le contenu du tombeau ait été, même sommairement, décrit : Et, lui ayant montré un certain jardin, « Va, dit-il, creuse à cet endroit après avoir compté deux coudées depuis le mur de clôture jusqu’au jardin, le long de la route qui mène au village de Bèththérébin. Tu trouveras un double coffre, celui de dedans en bois, placé dans celui de l’extérieur en plomb, et,

52 53 54

Deux. inv. chef du Bapt., col. 428AB, l. 84-92. Sozomène, H.E., IX, 2, 11, p. 384-385 (SC). Ibid., IX, 2, 13-16, p. 386-389. 

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autour du coffre, un récipient de verre plein d’eau avec deux serpents de taille moyenne, doux et inoffensifs, au point de paraître apprivoisés. »55

La découverte a été à ce point préparée par la révélation, qu’il ne doit pas y avoir de surprise : « Quand vous vous lèverez au matin, prenez un instrument pour creuser et creusez du côté Sud : vous trouverez le coffre à la profondeur de la taille d’un homme. Vous trouverez trois urnes de plomb : mon manteau de cuir, le vêtement en poil de chameau et la ceinture de cuir dont je me ceignais dans une des urnes, ma tête dans une autre, et le livre de mon martyre dans une (troisième). » Sur l’heure, il 〈l’évêque〉 prit (avec lui) les fidèles, les prêtres et les diacres, et ils creusèrent la terre en ce lieu sur une profondeur de trois coudées, et ils trouvèrent les urnes de plomb (bien rangées), attachées et scellées d’un signe (indiquant) que ce lieu était (celui) d’une très ancienne église, et qu’y avaient vécu des moines craignant Dieu et cherchant le salut de leur âme. L’évêque et les prêtres trouvèrent dans la première urne le manteau de cuir, le vêtement en poil de chameau et la ceinture de cuir. Voyant cela, ils surent avec certitude que c’était bien la tenue de saint Jean Baptiste. Et ils trouvèrent dans la deuxième urne le texte du récit de son martyre. Et lorsqu’ils ouvrirent la troisième urne, ils trouvèrent la sainte tête du Précurseur saint Jean Baptiste, pleine de gloire et de toute beauté ; et il n’y a pas non plus d’image sur la terre qui ressemble à la sienne, car sa barbe était très grande, entourant son saint visage56.

Les éléments matériels de l’invention sont essentiels pour accréditer son authenticité ; ils sont d’autant plus significatifs qu’ils sont rares. On trouve en effet très peu d’objets dans les tombes57 : sur la poitrine de Barnabé, un Évangile selon Matthieu58 ; sur les corps des trois apôtres, des croix. À côté du double λάρναξ de plomb et de bois du prophète Zacharie, outre le « récipient de verre » (ὑέλινον σκεῦος) mentionné plus haut, gisait le corps d’un enfant vêtu comme un roi. L’interprétation de la tombe se révéla délicate, car le prophète s’était contenté de désigner l’endroit au paysan Chaliméros. L’abbé Zacharie de Gérara découvrit un livre apocryphe de l’Ancien Testament qui expliqua le mystère59. 55 Ibid., IX, 17, p. 445-447 (Zacharie). Pour l’influence possible d’un récit égyptien, l’Histoire du prince Setni Khâemouaset et du livre magique : SPEYER, Bücherfunde, p. 87-88. L’abbé Zacharie était jadis venu avec Silvain et ses moines depuis l’Égypte ; faut-il voir ici quelque relation ? 56 Hist. Gés. et Isid., p. 67-68. Le récit paraît démarquer la notice de Sozomène sur l’invention de Zacharie : la triple sépulture ; le livre du martyre ; la tête au visage parfaitement préservé et glorieux. 57 Sur la pratique : KOUKOULES, Νεκρικὰ ἔθιμα. 58 L’évangile de Matthieu devait revêtir une importance capitale dans la légende de l’apôtre. Cet instrument de la prédication et de la conversion fut transféré à Constantinople, au palais impérial. 59 L’invention de semblables écrits est un motif récurrent depuis l’Antiquité. Il a été étudié par SPEYER, Bücherfunde. Pour un apocryphe néotestamentaire du milieu du IIIe siècle « sur le

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De fait, le rôle de l’écrit est essentiel. Il est d’ailleurs probable que l’inscription sur des stèles, châsses ou reliquaires, bien que topos, ait correspondu parfois à quelque réalité, voire ait pu être l’élément déclencheur de la légende : un monument, un objet, furent alors, plus ou moins arbitrairement, attribués à un saint60. Les sarcophages des apôtres étaient inscrits à leur nom, de même que l’urne des martyrs d’Orthôsias. Les fouilleurs trouvèrent gravé sur la dalle de son sarcophage le nom de Job61. Le tombeau du prophète Michée à Bèrathsatia était probablement pourvu d’une inscription, mais celle-ci n’était plus comprise ; le songe de l’évêque Zébennos permit de l’éclairer. Or, la langue de l’écrit, parce qu’elle n’est pas directement accessible à tous et entraîne un nouveau dévoilement par l’intermédiaire d’un exégète autorisé, contribue généralement au miracle. À Caphargamala, on trouva d’abord une « stèle monolithe, aux caractères hébreux » au tertre de la lamentation funèbre62, puis une seconde pierre inscrite au tombeau. L’inscription était rédigée en langue hébraïque, mais en lettres grecques63. L’évêque Jean, en la traduisant64, se fit l’interprète de l’invention65. La découverte de l’écrit est elle-même providentielle ; on l’a vu avec l’apocryphe de Zacharie par l’abbé de Gérara. De même, les Actes des Sept Dormants, prétendument écrits par des témoins oculaires du « martyre », furent trouvés par l’évêque Étienne à l’entrée de la grotte de l’invention. C’est là, entre les pierres, que les auteurs avaient caché leurs tablettes. C’est un motif récurrent : les Trois Hébreux de Babylone enjoignirent, dans une vision, à leur serviteur Jéchonias, d’écrire le récit de leur vie, puis de cacher l’ouvrage sous une pierre. Le livre fut ensuite remis scellé par des « frères babyloniens » – ils l’avaient eux-mêmes reçu des saints, au cours d’une apparition – au dénommé Bakhéos, évêque de la ville de Yūsiūs (Suse ?) en Perse, lequel le traduisit « en langue égyptienne » et l’emporta en Égypte66. L’une des

destin individuel des âmes après la mort », l’Apocalypse de Paul, soi-disant découvert à Tarse : Sozomène, H.E., VII, 19, 10-11, p. 172-175 (SC). 60 Pour les inscriptions sur les châsses et reliquaires : KOUKOULES, Νεκρικὰ ἔθιμα. 61 Il s’agissait en fait, on l’a vu, de hiéroglyphes sur une stèle dédiée au pharaon Ramsès II. 62 Versions grecques : Rév. Étienne 2 et 3. 63 Rév. Ét. lat., B 43, p. 212. De même les versions grecques apparentées à la version B. 64 P UECH, Mausolée, p. 108, fait remarquer qu’à cette époque, les chrétiens étaient bilingues dans cette région, où l’on a retrouvé des inscriptions en araméen christo-palestinien, et ajoute : « Pour compléter ce dossier, on a retrouvé, à la mosquée des Omayades de Damas, des fragments palimpsestes, en araméen christo-palestinien, de la lettre de Lucien, qui appartiennent à une rédaction différente de tous les textes connus, comme s’il avait été de grande importance que ce document fût localement lu et compris par tous. », avec renvoi à SCHULTHESS, Fragmente. 65 Selon le latin A, c’est-à-dire la traduction d’Avitus, qui ne parle pas des lettres grecques. En revanche, selon les versions grecques, la stèle du tertre avait été traduite par un juif, mandé pour l’occasion. On peut comparer avec le récit de la translation d’Étienne à Constantinople, où le recours au traducteur juif se comprend encore plus aisément : Rév. Étienne 3, p. 46, l. 15-19. 66 Z ANETTI, Bakhéos, p. 717-718.

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trois urnes découvertes au tombeau du Baptiste contenait « le texte du récit de son martyre67 ». La châsse de Gervais et Protais renfermait, posé près de leur tête, le livre de leur passion68. On trouverait bien d’autres exemples. La sépulture ne semble toutefois pas toujours ouverte. On n’osa ainsi porter la main sur celle de Job, qui demeura intacte, inviolée, « sans déplacer cependant la dalle ni le corps en un autre endroit, mais de sorte que le corps reste enseveli là où on l’avait trouvé69 ». Les corps d’Habacuc et Michée apparurent en rêve à Zébennos, mais rien n’indique qu’ils furent exhumés ; on ne sait rien en tout cas d’une diffusion de leurs reliques. Il va de même pour Onésiphore et Porphyre : un autel fut simplement érigé au-dessus de leur sépulture présumée70. La châsse de Corneille se rendit d’elle-même, dit-on, au sanctuaire « sans que personne ne la déplaçât, ne l’approchât ni ne la touchât71 ». Avait-on vraiment un corps à produire72 ? Le simple besoin de réaffirmer la présence effective des saints dans leur sépulcre pourrait expliquer en partie les étranges découvertes de tombeaux déjà connus. Mais de tels exemples sont rares, et l’on eut par la suite plus d’audace, soit que les circonstances l’obligent, soit que la vue, même fugitive, de la relique parût nécessaire. Le culte entrait dans le domaine du donner à voir73.

3. La relique Dans le cas où la sépulture d’origine a été découverte, on s’attend à retrouver le corps entier, généralement séparé voire privé de sa tête pour les martyrs – garantie d’authenticité, à l’instar du sang74 : ID., Gésius et Isidore, p. 68. Selon la lettre apocryphe BHG 67a : supra, p. 171. 69 Égérie, Journal, p. 196-197. 70 Il existe des exemples célèbres de culte (Dèmètrios, Thècle), où l’on ne possédait pas les corps ou dont les corps, supposés présents, demeuraient ‘invisibles’. L’on remédia pourtant d’une manière ou d’une autre à ces manques. Tous assurément ne pouvaient s’appuyer sur le texte saint comme Moïse ; mais ici, le récit de l’invention montre bien ce que l’on cherchait à prouver : la présence réelle du corps au tombeau. JEREMIAS, Heiligengräber, p. 127, avec renvoi à Mt 2, 18, en référence à Jr 31, 15. 71 Vie Corn. 2, IV, 16, col. 1308D. 72 L’appendice de l’abrégé Vie Corn. 1, en relatant l’obtention d’un fragment de la relique par Césarée, ne prouverait-elle pas du même coup sa réalité ? 73 SCHMITT, Reliques ; DIERKENS, Reliquaires, p. 239-252.  74 On ne saurait s’étonner de ce que la plus grande diffusion de reliques corporelles concerne précisément des groupes (de martyrs), aux corps fragmentés dès le décès. Ainsi retrouva-t-on par deux fois, à Constantinople, un reliquaire des Quarante Martyrs. En effet, même si, dans les premiers temps des persécutions à tout le moins, on s’attachait à les recueillir soigneusement et à les inhumer en un lieu unique, l’exemple des Quarante Martyrs montre que la pratique évolua assez vite sur ce point : ils pourraient n’avoir jamais obtenu l’honneur d’un tombeau commun, malgré le vœu exprès formulé dans leur Testament. M ARAVAL, Quarante Martyrs. 67

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Nous avons trouvé deux hommes d’une surprenante grandeur, comme ceux des anciennes légendes. Les ossements étaient intacts et il y avait beaucoup de sang. […] Le tombeau est mouillé par leur sang. Les marques du sang triomphal apparaissent. Les reliques sont retrouvées inviolées en ce lieu, et bien disposées : la tête a été arrachée des épaules75.

On peut lire, dans la Vie géorgienne de Pierre l’Ibère76, que l’urne cinéraire d’Orthôsias contenait la totalité des cendres des martyrs. Quelquefois le doute subsiste, en particulier dans le cas des sépultures secondaires77. Les corps d’André, Luc et Timothée aux Saints-Apôtres étaient-ils entiers ? En tout cas, Patras, Thèbes et Éphèse allaient continuer à en revendiquer la possession, et dès la fin du IVe siècle, des reliques d’André circulaient en Occident. De même, Jean, fils de Diomède, déposa « la précieuse relique du victorieux martyr Georges78 » dans sa fondation d’Ezra. Lydda devait cependant s’affirmer comme lieu de sa sépulture, et bien d’autres recevoir leur part de ses reliques79. Les descriptions concrètes sont exceptionnelles dans nos sources. Aux notations générales, répondent la polysémie et la relative imprécision des termes : σῶμα comme λείψανον ne désignent pas exclusivement un corps saint, une relique80 et leur emploi, pas plus que l’alternance λείψανον / λείψανα, ne paraît recouvrir une réalité définie. Il n’est pas rare que l’un des deux soit employé exclusivement81.

75 Ambroise, Ep. 22, 2, col. 1020A ; 12, col. 1023A. Pour le sang, signe de la passion : ibid., 23, col. 1026 : Melior vox est, quam sanguis emittit ; habet enim sanguis vocem canoram, quae de terris ad caelum pervenit. Legistis dicente Deo : « Sanguis fratris tui clamat ad me » (Gn 4, 10). Et hic sanguis clamat coloris indicio ; sanguis clamat operationis praeconio ; sanguis clamat passionis triumpho. 76 Le détail est absent chez Jean Rufus. 77 L’on n’hésitait pas à considérer de simples fragments, si infimes fussent-ils, comme des corps entiers, ce pourquoi plusieurs sanctuaires déclaraient parfois posséder le même saint. 78 LECLERCQ, Ezra, col. 1056. 79 Si toutes les reliques étaient vénérables, certaines sans doute avaient une valeur supérieure, comme certains saints parmi les saints ; au nombre des plus précieuses, tête et bras/main étaient sans égal.  80 Νεκρός se rencontre peu pour qualifier les restes mortels d’un saint, le terme se rapportant davantage aux morts du commun. Pour son application au « cadavre » hors de la sépulture : THOMAS, Corpus. Néophyte le reclus (Éloge Genn.) l’emploie une première fois pour qualifier la dépouille du patriarche Gennade ; mais dès qu’il y a prise en considération du caractère exceptionnel de ce cadavre, le terme ne lui est plus appliqué. Sur la νέκρωσις d’Anastase : supra, p. 15, n. 51. Procope de Césarée mentionne aux Saints-Apôtres le νεκρός de Constantin, mais les σώματα des saints. Σκῆνος, d’un usage limité, semble davantage employé pour son sens métaphorique : Pass. Bas. 2, p. 415, l. 184, 189 (τὸ ἀθληφορικὸν σκῆνος μου) ; p. 418, l. 322, 335 (τὸ θεῖον σκῆνος). 81 Σῶμα seul : par exemple, Procope, De aed., I, 4, 19-24 ; Hom. Cyr et Jean 1-3 ; Sozomène, H.E., VII, 29 ; IX, 17 ; Vie Corn. 2 (il s’agit des corps des saints frères qui gisent au Pandocheion) ; Vie Anth. ; λείψανον seul : par ex., Éloge Cyr et Jean ; Deux. inv. chef du Bapt. ; Sozomène, H.E. IX, 2, 7-18 ; Inv. Ménas ; Pass. Dom., etc.

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Sozomène n’utilise λείψανα qu’au pluriel et pour désigner des fragments (des Quarante Martyrs, ou des résidus de la crémation des martyrs de Gaza), usant du mot σῶμα pour un corps entier (Zacharie par exemple) ; de même, ce sont les σώματα d’Habacuc et Michée qui apparaissent en rêve à Zébennos. Pourtant, employé avec l’adjectif ἅγιον ou absolument, on a l’impression que λείψανον tend à s’imposer dans le sens de relique : lorsque Barnabé annonce à son condisciple Marc qu’il trouvera son σῶμα, puis se révèle, des siècles plus tard, porteur du même message, à l’évêque de Salamine Anthémios, il use du même terme. L’accent n’est pas mis sur la nature de ce corps, mais sur son identité ; ce que retrouve Anthémios, c’est bien le saint lui-même, ainsi qu’il l’exprime devant le synode permanent de Constantinople chargé de juger sa cause : ἀπόστολον ὁλόσωμον ἔχω ἐν τῇ πατρίδι μου 82. Mais lorsque l’hagiographe reprend la parole, il désigne le corps de Barnabé, au moyen du terme λείψανον, depuis la mort jusqu’à l’invention : c’est la relique que Marc inhume83, tout de suite après le décès de l’apôtre ; c’est elle aussi qui, par la suite, produit des miracles84 et est découverte par Anthémios85. Σῶμα est employé indistinctement pour un corps entier ou une relique corporelle, aussi infime soit-elle. On trouve encore les notations plus concrètes des os (ὀστέον-οῦν, ὀστέα-ᾶ), de la chair (σάρξ), de la cendre (κόνις)86. Les os sont la partie dure du corps qui demeure après la dissolution de la chair, soit par corruption naturelle, soit après la crémation, tels les ὀστεᾶ des martyrs de Gaza (Sozomène emploie le terme en alternance avec λείψανα) ; assez curieusement ce sont ces ὀστεᾶ qui sont déposés par l’évêque Zénon au martyrion. La conservation des corps saints demeure un des lieux communs les plus constants : « Dieu, comme il est écrit (Ps 33 [34], 21), préserve tous les os de ceux qui ont lutté en son nom87 ». L’hagiographie le repète à l’envie : leurs adver82

Éloge Barn., p. 117, l. 786-787. Ibid., p. 106, l. 54. 84 Ibid., p. 107, l. 573. 85 Ibid., p. 116, 119, l. 765, 822. 86 Éloge Cyp., 18, p. 80, l. 9.  87 Inv. Euph., 3, l. 23-26. La croyance en l’imputrescibilité des saints est déjà bien affirmée dans l’exégèse rabbinique, cf. Ps 16 (15), 9-10 : « Aussi mon cœur se réjouit, mon âme exulte et ma chair demeure en sûreté, car tu ne m’abandonnes pas aux enfers, tu ne laisses pas ton fidèle voir la fosse. » JEREMIAS, Heiligengräber, p. 128, a mis en relation l’histoire de la découverte des patriarches Abraham, Isaac et Jacob par Élie avec la légende chrétienne de l’invention de la tombe de Moïse. Le même auteur dresse encore une liste de personnages préservés de la corruption. Sur les étapes de la décomposition des corps, en relation avec les rites des funérailles : DAGRON, Temps chrétien. Sur le processus de « sanctification » : K APLAN, Relique. Voir encore A NGENENDT, Corpus. Il existe a contrario une tradition voulant que la non-décomposition soit un châtiment, mais elle concerne le cadavre commun : les corps doivent se décomposer pour ressusciter avec une chair purifiée. Seul le saint échappe à cette loi, lui qui a gardé sa chair pure dès 83

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saires ne peuvent les détruire ; renversant les lois naturelles, ils ne subissent aucune des atteintes escomptées88 : « Par la providence de Dieu, le corps de l’apôtre demeura intact et le bûcher ne lui causa aucun dommage89 ». Plus extraordinaire, le corps de Basile d’Amasée fut rendu entier à ses disciples, tête et corps ressoudés90 : Là, le vénérable martyr était enfoncé sous l’eau comme une pierre précieuse, et, avec foi, ayant lancé leur filet, ils retirèrent le saint de l’abîme, en parfait état, intact, entier – ô prodige extraordinaire ! –, comme s’il était simplement endormi, rempli de grâce divine, avec sa tête sacrée ajustée au corps victorieux – la marque de la décapitation apparaissait comme une petite corde d’un rouge éclatant. Un indiscible parfum emplissait tout, bien plus odorant que des fragrances et des aromates précieux, et toutes les autres essences que comporte la région de l’Inde et de l’Arabie heureuse. Et ce alors que pendant vingt-cinq jours le corps de l’athlète avait été confronté à la mer, la décomposition et les bêtes marines. Mais elles sont respectueuses les heures, la mer et les bêtes sauvages, quand elles ont commerce avec les serviteurs de Dieu qui servent des réalités qui dépassent la nature91.

Fortifié par l’ascèse, le corps du moine est prêt, à son tour, à lutter contre la corruption naturelle de la matière, lui qui, vivant, est déjà relique : La plus grande partie de ce corps [de Syméon] a été gardée jusqu’à nous, et j’ai vu moi-même, en compagnie de beaucoup d’évêques, la sainte tête […] Et, ô merveille, les cheveux qui couvraient la tête n’avaient pas été endommagés, mais s’étaient conservés comme ils le sont sur un être vivant et commerçant avec les hommes. La peau sur le front s’était sans doute ridée et desséchée, elle ne s’en était pas moins conservée, ainsi que la plupart des dents, sauf celles qui avaient été brutalement arrachées par les mains des fidèles : ces dents proclament par leur aspect quel fut, combien grand, combien admirable, l’homme de Dieu Syméon. Là est placé aussi, à côté du corps, ici-bas ; pourtant, telle n’était pas la conception des premiers penseurs chrétiens qui, comme Tertullien, affirmaient la dissolution de la chair pour tous. WALKER BYNUM, Resurrection. Il en va de même des reliques non corporelles, par exemple, la ceinture et le vêtement de la Vierge. 88 Ce ne sont plus des cadavres, ils ne portent plus la mort, mais la vie. Et pourtant, le risque de corruption des corps existe bel et bien ; il dépend en ce cas, non pas de leur sainteté, mais de la foi des hommes : Rév. Étienne 2, p. 295-296, l. 44-49. 89 Éloge Barn., p. 106, l. 541-545. 90 La reconstitution des corps mutilés se produit toujours peu de temps après le décès. On peut aussi songer aux nombreux supplices infligés aux martyrs, avec restauration de l’intégrité du corps ; un avant-goût de ce qui va se produire au jour de la résurrection. 91 Pass. Bas. 2, p. 417-418, l. 311-322. Cf. Pass. Golinduch, p. 355 : Καὶ μὴ ξένον, ἀκροατά, νομισθῇ τὸ ῥηθέν· τὸ βασιλέως γὰρ Ἀμασείας μαρτύριον ἐπιὼν εὑρήσεις, πῶς τμηθείσης τῆς αὐτοῦ κεφαλῆς ἡ συνέλευσις αὐτῆς τῷ λοιπῷ γέγονε σώματι καὶ πῶς ἡ τομὴ σπαρτίον καθαπερεὶ τῷ τραχήλῳ πεφοινιγμένον διέκειτο. Pour un autre exemple de ce miracle, voir le chef de Longin. Hérodiade craignait de même que la tête et le corps de Jean Baptiste ne se ressoudent.

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le carcan fait de fer avec lequel ce très illustre corps, qui a lutté jusqu’au bout, donne part aux dons de Dieu : car même une fois Syméon mort, ce fer qui le chérissait ne l’a pas quitté92.

Le caractère extra-ordinaire d’un cadavre révèle parfois un saint qui, sans cela, serait resté ignoré : c’est le « serviteur caché de Dieu93 ». Les corps saints « incorrompus » sont découverts dans des délais très variables : le corps d’Anthousa, rayonnant94, demeura quatre ans dans une caverne, veillé par « des lions et d’autres animaux sauvages95 ». Et « quant au prophète 〈Zacharie〉, bien qu’il eût reposé sous terre depuis un très grand nombre de générations, il apparut intact (σῶος). Il avait les cheveux ras, le nez droit, une barbe moyennement longue, la tête assez étroite, les yeux un peu enfoncés et cachés par les sourcils96. » Il existe pourtant peu d’exemples de conservation intégrale, au sens strict. L’exemple des Sept Dormants d’Éphèse plongés dans un sommeil de plusieurs siècles est, à cet égard, un cas limite : Alors sur l’ordre de notre seigneur Jésus-Christ, la vie fut donnée aux saints qui étaient dans la caverne, et la voix qui avait appelé Lazare hors du tombeau et lui avait fait don de la vie, c’est ce même Seigneur qui fournit à ces saints le souffle de vie. Et ils se levèrent et s’assirent dans l’allégresse, comme chaque jour, pensaient-ils. Ils s’embrassèrent les uns les autres, parce que l’aspect cadavérique ne paraissait pas sur eux. En effet, ils étaient recouverts de leurs habits comme s’ils les avaient revêtus avant de s’endormir et de ressusciter (ἀναστῆναι). Et leurs corps étaient resplendissants et brillants comme s’ils avaient dormi de la veille et s’étaient éveillés au matin97.

Autre cas particulier, celui de Moïse, « vénérable vieillard, au visage resplendissant et plein de toute grâce, qui était étendu comme sur un lit brillant et éclatant de noblesse et de grâce98 ». Mais il s’agit d’une vision, le corps restant caché à tout jamais99. 92

Évagre, H.E., I, 13, tr. FESTUGIÈRE, p. 220 ; voir encore p. 166-169 (SC). Éloge Genn., 8, p. 226, l. 33 : τὸν κρυπτὸν δοῦλον αὐτοῦ. Vie Anth., 15, 4. 95 Ibid., 15, 6-12 ; de même, un animal se prosterne devant les corps d’Onésiphore et Porphyre : Pass. Onés. et Porph., 6, 22, ; 6, 27. 96 Sozomène, H.E., VII, 29, 6. 97 Pass. sept Dorm., 12, col. 437D-440A. 98 Jean Rufus, Vie de Pierre l’Ibère, 120, Récits, p. 166. 99 Comme les dieux ou les morts chez les païens, le saint, lorsqu’il apparaît aux hommes en songe ou vision, le fait sous sa forme incarnée, avec l’image qu’il avait de son vivant. Voir au contraire le songe de Grégoire de Nysse, avant la mort de Macrine (Vie de Macrine, 15, p. 192193) : « Il me semblait tenir en mains des reliques de martyrs, et il sortait d’elles un éclat semblable à celui d’un brillant miroir placé face au soleil, si bien que mes yeux étaient aveuglés par l’éclat de ce rayonnement. » 93

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Souvent, la description ne laisse pas de doute sur la dissolution de la chair. La Passion de Dométios ne précise pas l’état du corps retrouvé deux ans après le décès, mais, si l’on n’y avait mis bon ordre, la foule l’aurait mis en pièces au jour de la déposition. On trouverait bon nombre d’épisodes de ce type100 : n’est-ce pas le signe que le corps était déjà morcelé ? Jean de Jérusalem avait emporté avec lui « les grandes reliques de saint Étienne » et laissé à Caphargamala « ses petites reliques, les articulations avec de sa chair et de la poussière » ; Avitus adresse à Braga « des reliques du corps du bienheureux Étienne le premier martyr, c’est-à-dire de la poussière de la chair et des nerfs, et ce qu’il faut croire plus certainement et plus fermement, des os solides et manifestes de sa sainteté plus riches en couleurs ou odeurs singulières101. » Le mot est dit ; la chair s’est dissoute, et ce sont les parties dures, en particulier têtes, bras, jambes, que l’on recherche avec ardeur : Et ils trouvèrent les têtes des bienheureux en bon état, ainsi que leurs bras et jambes, et tout le reste s’était mué en cendres, car il y avait bien longtemps qu’ils étaient morts (et loin) de ce monde102.

Quel que soit son état, la relique est pure, comme l’était le corps du saint vivant. Gamaliel apparut au prêtre Lucien et lui montra des récipients remplis de fleurs : Le récipient d’argent est celui de mon fils, parce que son corps était pur et que son âme resplendissait comme de l’argent. Il fut élevé dans le temple de Dieu et n’a jamais vu de femme hormis sa mère ; à cause de cela, il est apparu sous la forme d’un (réceptacle) de pureté103.

Les sept jeunes nobles d’Éphèse « qui portaient les passions du Christ dans leur corps », se préparant au martyre, refusèrent de « souiller la pureté de leur âme et de leur corps » avec l’« odeur souillée de la fumée des sacrifices » païens104. A contrario, le corps de l’impie est un « corps impur » ; à ce titre, destiné au châtiment éternel, c’est lui qui mérite d’être la proie des bêtes sauvages, tel le proconsul qui mit à mort le disciple de l’apôtre Paul, Onésiphore, et son serviteur Porphyre. Il fut condamné à la lapidation par les stratèges de la ville : « Et ils firent de son corps impur (μιαρόν) une pâture pour les bêtes sauvages et les oiseaux de proie105. » 100

Les exemples manifestes de partage des reliques sont cependant plus tardifs. Rév. Ét. lat., 8, p. 189 ; cité supra, p. 95, n. 185. 102 Inv. géo. Trois Enfants, 39, p. 93. 103 Rév. Étienne 2, p. 301, l. 154-157. 104 Pass. sept Dorm., 3, col. 429C et 5, col. 432B. 105 Pass. Onés. et Porph., 6, p. 325, l. 37-38. Sur « la mort du tyran » : SCHEID, Tyran. Sur la sépulture refusée aux impies, cf. Pass. Jean Bapt., p. 4. 101

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La relique se caractérise par sa fragrance, preuve qu’elle ne connaît pas la décomposition106. Le parfum des reliques s’oppose à la puanteur des cadavres comme à l’odeur pestilentielle des sacrifices païens107 : Voici qu’il y eut un grand tremblement de terre et un prodigieux parfum (μεγάλη εὐωδία) se dégagea de sa tombe qui nous plongea tous comme dans un sommeil. Car la senteur (ἡ ὄσφρασις) ne venait pas de ce siècle, mais des délices du paradis (ἐκ παραδείσου τρυφῆς)108.

De même, lorsqu’un attelage de bœufs vint retourner la terre au-dessus du sépulcre d’Onésiphore et Porphyre, « tout à coup, se répandit une odeur parfumée qui emplit tout le lieu109. » L’évêque d’Hébron ouvrit le sépulcre (sepulchrum) de Joseph, « il en sortit une odeur d’un très doux parfum, comme si toutes les variétés de sucs et d’aromates y avaient été répandues110. » Dans son cercueil, « la précieuse relique du saint apôtre Barnabé répandait des parfums de grâce spirituelle111. » On repéra encore le reliquaire des Quarante Martyrs, enfoui dans le sépulcre fétide d’une hérétique, au doux parfum qui s’en échappait112. Or, non seulement les reliques étaient-elles baignées d’huiles et de parfums113, mais encore exsudaient-elles spontanément de ces baumes et onguents miraculeux : Justinien fut guéri par un contact avec les reliques tout juste découvertes des Quarante Martyrs : Sur ce point Dieu ne nous permet pas de douter, et il nous a montré une belle preuve de ce qui se produisit. On vit en effet de l’huile suinter soudainement à la surface des saintes reliques dont j’ai justement parlé et déborder du coffre, puis venir inonder les pieds tout comme le vêtement –  entièrement pourpre – de l’Empereur. Voilà précisément pourquoi aussi la tunique qui fut imprégnée de la sorte est conservée dans le Palais impérial, à la fois pour prouver la réalité des événements alors intervenus et pour sauver toute personne qui, dans l’avenir, tomberait sous le coup de telle ou telle maladie incurable114.

106 Par ex., Pass. Bas. 2, p. 417, l. 311s. Les restes d’Abibos, au corps pur, sont semblables au « crocus parfumé » : Rév. Étienne 2, p. 301, l. 158. 107 Pass. sept Dorm., 2, col. 428B. 108 Rév. Étienne 1, p. 104-105. 109 Pass. Onés. et Porph., 7, 5-6, p. 326. 110 Inv. trois patr., VIII, p. 308. 111 Éloge Barn., p. 116, l. 765-767. 112 Sozomène, H.E., IX, 2, 14, p. 386-387 (SC) : μύρων εὐωδίας ὠσφράνθη […] ὑπὸ δὲ τοῦτο μύρα πολλὰ καὶ ἐν τοῖς μύροις ἀλαβαστροθῆκαι ἀργυραῖ δύο ηὑρέθησαν ; cité supra, p. 219. 113 RUGGIERI, απομυριζων. 114 Procope, De aed., I, 7, 14-15, p. 33, tr. ROQUES, p. 91. Pour des exemples du Bois de la Vraie Croix exsudant de l’huile, et sur les pratiques de dévotion : PITARAKIS, Croix-reliquaires, p. 117s.

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Ce sont parfois d’autres effluves, en particulier du sang ; ce qui se produisait au moment de l’invention pouvait, d’ailleurs, devenir miracle récurrent : Les miracles qu’accomplit la très sainte [Euphémie] à certains moments sont bien connus de tous les chrétiens. Souvent, en effet, elle apparaît en songe soit à ceux qui pour l’instant sont évêques de cette ville (Chalcédoine), soit à d’autres personnages distingués sous le rapport de leur condition de vie et leur donne l’ordre de se rendre auprès d’elle en son sanctuaire et de « faire la vendange » (τρυγᾶν). Quand nouvelle en a été donnée aux Empereurs, au patriarche et à la capitale, arrivent en foule à l’église et les souverains et le patriarche avec son clergé et les hauts fonctionnaires et tout le reste de la cour, dans le désir de participer aux rites. Ainsi donc, à la vue de tous, le patriarche de Constantinople avec les évêques de sa suite pénètre dans la chapelle où, comme j’ai dit, est déposé le très saint corps. Il y a, dans cette châsse, du côté gauche, une petite fenêtre fermée par des portes, à travers laquelle ils font descendre vers les très saintes reliques une éponge qu’ils ont suspendue à un long fer, et, faisant tourner l’éponge autour de la relique, ils retirent vers eux le fer rempli de sang et de nombreux caillots. Quand le peuple a vu cela, aussitôt il se prosterne glorifiant Dieu. Si grande est la masse du sang retiré que les pieux Empereurs et tout le clergé rassemblé, voire tout le peuple qui est là réuni, ont riche part à la distribution, et que même on en envoie des parcelles par toute la terre à ceux des fidèles qui le désirent : au surplus ces caillots et ce très saint sang restent toujours intacts, sans nullement changer d’aspect. Tout cela s’accomplit d’une manière digne de Dieu, non à un moment fixe du temps, mais selon que le genre de vie de l’évêque en place et la gravité des mœurs le réclament. On dit en tout cas que, quand le siège épiscopal est tenu par quelqu’un d’honorable et qui se distingue par ses vertus, ce miracle a lieu très souvent ; quand en revanche l’évêque n’est pas de cette nature, les prodiges de ce genre paraissent plus rarement115.

Sang, myron, poussière jaillissant des reliques, sont autant de signes de l’activité, du souffle, qui continuent à animer les reliques, preuves de la ‘vie’ qui traverse encore le corps. Celui-ci est même, à l’occasion, doué de mouvement. Étienne fit un bond au moment de l’ouverture de son loculus. L’épisode du Tome de Chalcédoine (451) est demeuré célèbre : Au moment où ils approchaient leur ouvrage de sa précieuse relique, le Seigneur qui produit les miracles fit un grand et extraordinaire (prodige). En Évagre, H.E., II, 3, tr. FESTUGIÈRE, p. 244-245 ; voir encore p. 228-231 (SC). Au VIIe siècle, après la destruction par le feu du monastère Saint-Thomas, l’abbesse Sergia alla recueillir les reliques d’Olympias ; elles les découvrit baignées de sang : Trans. Olympia, 5, p. 46. Le miracle se renouvela lors de la déposition : ibid., 7, p. 47. Il arriva la même chose à l’un des clercs qui avait reçu les reliques des mains du prêtre ; alors tous furent saisis de crainte et dirent n’avoir jamais vu un tel miracle.

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effet, il réanima et étendit la main morte et sans vie de la martyre. Aussi, la très illustre martyre du Christ ayant saisi l’ouvrage dans sa main, et l’ayant embrassé, elle rendit de nouveau pieusement la définition de la foi aux serviteurs de la foi orthodoxe116.

Le patriarche d’Alexandrie, Apollinaire (551-570), rédigea une supplique à l’intention des Trois Hébreux, « comme s’il s’adressait à des vivants », en vue d’obtenir une relique pour sa nouvelle église. L’un d’eux, comme éveillé, tendit sa main droite et saisit la lettre117. Mais la résurrection n’est que temporaire. En effet, même si l’hagiographie ne méconnaît pas les miracles de résurrection, sur le modèle biblique118, on ne trouverait guère de nouveau Lazare, dont la chair était déjà entrée en putréfaction lorsque le Christ le rappela à la vie. D’ordinaire, les cadavres ne se réveillent qu’un instant, par exemple le temps de châtier leur agresseur ; ils retournent ensuite sommeiller dans la tombe, dans l’attente de la résurrection finale qui les en tirera à jamais. La mort est nécessaire à la résurrection. Le Christ descendit au royaume d’Hadès et en brisa les portes. Sur terre, l’on vit les morts sortir de leurs tombeaux, mais ils y reprirent bientôt place, jusqu’à la Seconde Venue (Mt 27, 52-53). De même les saints, lorsqu’ils sont (re)découverts, peuvent se mouvoir ; ils ne ressuscitent jamais. On pourrait mettre à part le cas des Dormants d’Éphèse. Toutefois ceux-là avaient connu, non la mort, mais un sommeil prolongé de 372 ans. D’ailleurs, comme les ressuscités de la Passion du Seigneur, leur réveil fut de courte durée : sitôt revenus à la vie, ils rendirent l’âme. Le caractère singulier d’un corps saint se manifeste par les miracles qui se multiplient autour de lui et dont il est porteur (σημειοφόρος)119 : Je trouvai les signes voulus. On fit venir quelques possédés à qui nous devions imposer les mains, et le pouvoir des saints martyrs devint si manifeste qu’avant même que nous n’eussions dit un mot, une femme fut saisie et jetée à terre devant le saint sépulcre120.

116 Inv. Euph., 9, p. 94, l. 16-23. Voir le commentaire de H ALKIN, Euphémie, p. 95, n. 1 : « […] et le patronage spirituel de la sainte s’est transformé en une intervention matérielle et prodigieuse. » 117 Pass. Cyr et Jean, col. 1236A. 118 À l’image de l’homme qui, déposé sur les os du prophète Élisée, se reprit aussitôt à vivre (2/4 R 13, 20-21), un(e) mort(e) revint du royaume d’Hadès au contact de la Croix tout juste découverte, etc. 119 C’est l’un des principaux points de désaccord entre les défenseurs du culte des reliques et leurs adversaires que cette insistance sur la puissance active des saints après la mort. Il fallait encore démontrer la présence réelle au tombeau. Il en allait de même des reliques non corporelles ; ainsi, l’authenticité des vêtements du Christ est éprouvée par un miracle. 120 Ambroise, Ep. 22, 2, col. 1019C-1020A, tr. L ABRIOLLE, Ambroise, p. 93-94, et la n. 1 : « La correction una, pour urna que donnent les manuscrits, semble exigée par le sens et le contexte. »

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Le contact avec la relique ne va pas de soi ; il bouleverse le corps et l’esprit : l’envoyé de l’évêque auprès du cadavre de Gennade resta « frappé d’effroi121 », et plus tard, quand ils apprirent l’identité du mort, « l’évêque et tout le peuple furent frappés de stupeur122 » ; le laboureur dont la charrue buta sur le tombeau d’Onésiphore et Porphyre, provoquant une émission continue de fumée, fut « pris de peur123 » ; l’évêque d’Émèse, à l’annonce de l’invention du chef du Baptiste, « demeura stupéfait124 ». De fait, il n’est pas sans risque de toucher la relique. Elle est, d’ailleurs, souvent brûlante125, et l’ouverture du sépulcre fait jaillir une lumière qui paralyse126 : Une lumière effrayante émana de saint Ananias et de ses compagnons, et toute la maison fut illuminée, tant qu’à la fin, la violence de la lumière qui resplendit des saints éteignit la lumière de leurs lampes. Et sur tous tomba une grande terreur, au point que tous défaillirent sous le coup de la véhémence de la lumière qui resplendit des bienheureux. Pour finir donc, ils recouvrèrent leurs esprits, et adorèrent ; et ensuite, ils rallumèrent les lampes qui s’étaient éteintes et entrèrent dans le locus127.

Les envoyés de Théodose, comme jadis ceux d’Hérode, avaient été foudroyés sur place pour avoir voulu forcer l’entrée du tombeau des trois patriarches (Joseph). Comme Ozée, qui porta sa main téméraire sur l’Arche d’Alliance (2 S, 6, 7), le prêtre incrédule Malchos reçut le châtiment de sa faute ; sa main se dessécha128. Le même miracle s’était produit lors de la translation de la Vierge au tombeau129, au point que les apôtres eux-mêmes en avaient ressenti un effroi sacré : Il n’est pas juste de passer sous silence le fait caractéristique et tout à fait beau qui se passa lors de la mise au tombeau : tous les disciples, hommes aussi bien que femmes, étaient dans une grande crainte et tremblement, bien justifiés d’ailleurs, et n’osaient toucher le corps très sacré, redoutable aux anges eux-mêmes, surtout qu’ils avaient tout près d’eux l’exemple de celui qui s’était avancé vers la civière. Et pourtant, le fait de prendre une parcelle des linges funèbres leur eût paru être une parcelle du ciel, un gain inviolable et précieux, 121

Éloge Genn., 6, p. 225, l. 22. Ibid., 8, p. 226, l. 31-32. 123 Pass. Onés. et Porph., 7, p. 326, l. 6. 124 Deux. inv. chef du Bapt., col. 430B, l. 154. 125 Inv. trois patr., VIII, p. 308. Non seulement Jean Baptiste se manifesta sous la forme d’un astre de feu, mais un moine vit s’embraser la porte de la caverne où se trouvait le chef. Deux. inv. chef du Bapt., col. 426C ; lat., col. 427B. 126 BOZÓKY, Lumière. 127 Inv. géo. Trois Enfants, 36-38, p. 93. On peut comparer avec Inv. trois patr., VIII, p. 308 : […] Illi autem, videntes quod factum est signum, nimio terrore ceciderunt in terra, ubi tamdiu exanimas jacuerunt, quamdiu lux illa, divinitus emissa, ibidem consedit ; qua discedente, surrexerunt etiam ipsi. 128 Voir encore l’épisode du châtiment de Salomé dans le Protévangile de Jacques (XX, p. 159-167). 129 Maxime le Confesseur, Vie de la Vierge, 113-114, p. 98-100. 122

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une sauvegarde invincible de l’âme et du corps. Même le premier chœur, celui des apôtres, craignait de toucher directement avec les mains ce corps incorruptible, surtout en voyant la lumière qui l’environnait et qui montrait clairement à tous que cette chair théophore avait reçu en échange la grâce et était comme divinisée130.

On le voit, les miracles punitifs côtoient les miracles salutaires (guérisons, fin de sécheresse ou d’épidémie, etc.) et surviennent dès l’ouverture du sépulcre. Les reliques sont l’instrument de la colère divine, comme de sa miséricorde. La guérison de Malchos se produisit par un nouveau contact avec le chef du Baptiste. De même, le patriarche Gennade de Constantinople était mort de froid dans un petit bourg chypriote parce qu’une femme avait refusé de lui ouvrir sa porte. Aussitôt la sanction tomba sur l’hôtesse indigne et ses enfants. Ce miracle, d’autres encore, intriguèrent tant que l’évêque diligenta une enquête qui aboutit au dévoilement de son identité. La femme obtint alors le pardon de sa faute et la guérison. Entre les deux, la repentance : l’invention est gage de conversion131. La puissance des reliques est avant tout au service du christianisme, symbolisant son triomphe sur l’impiété ; sa première victime n’est autre que l’ancienne religion. La toute puissance du Sauveur et les grandes ressources de sa providence sont vraiment admirables : sans faire pleuvoir de soufre ou de feu, il foudroya ce démon criminel, comme autrefois Sodome et Gomorrhe […] Non, c’est par des corps morts étendus dans un tombeau qu’il renversa la témérité de ce personnage et assoupit sa folie et qu’il couvrit de honte l’arrogance de ceux qui se vantaient de lui. Il voulait montrer, je crois, aux gens avisés et sensés, à quel point est grand le pouvoir de ses martyrs, même après leur mort, à quel point est grande la faiblesse des dieux païens et combien ceux qui ont la prétention d’être qualifiés de dieux sont vaincus par des corps de saints sans mouvement, morts, qui ne respirent pas132.

Eusèbe raconte comment, au temps d’Hadrien, le sépulcre du Seigneur avait disparu sous un remblai artificiellement ménagé par les païens, surmonté d’un temple d’Aphrodite133. L’empereur Constantin, divinement inspiré, le fit ressurgir134. Les sanctuaires païens étaient associés aux ténèbres, leurs cérémonies et mystères aux forces obscures du mal. En témoigne l’inscription de Saint130

Jean le Géomètre, Discours, 38, p. 390-391. Le saint allait désormais soigner les maladies de l’hiver (Éloge Genn., p. 227, l. 8-12). 132 Sophrone à propos des saints Cyr et Jean : Éloge Cyr et Jean, p. 60-63. 133 Eusèbe, Vie de Constantin, 26, 3, p. 95. Jérôme, Ep. 58, 2, parle de statues de Jupiter et de Vénus. 134 M ARAVAL, Lieux saints, p. 52 : « Il semble même que l’on ait cherché à faire coïncider la date de la dédicace de la basilique du tombeau avec celle de la dédicace du temple de Jupiter capitolin, comme pour mieux marquer le triomphe de la nouvelle religion. C’est bien une intention 131

CHAPITRE III – L’INVENTION

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Georges d’Ezra135 : la magie était condamnée ; on lui opposait le culte des saints. Un temple de Zeus était ruiné depuis fort longtemps à Skepsis, en Hellespont, mais on croyait encore qu’une ronce qui avait poussé sur les ruines possédait des pouvoirs magiques ; il fallut l’invention du tombeau de Corneille pour expliquer les nombreuses guérisons qui s’y produisaient et lever la superstition136. Plusieurs reliques furent, du reste, découvertes en un lieu où s’opéraient des miracles dont on ignorait la source. Dans le cas des Trois Hébreux, la présence de leurs corps dans la maison d’un juif, à Ctésiphon, en faisait un sanctuaire incubatoire fréquenté par tous137 ; même chose, en Palestine, autour de l’habit marial. Le tombeau de Barnabé fut retrouvé à Salamine de Chypre : Longtemps après, alors que le christianisme s’était accru et que des empereurs chrétiens gouvernaient chez les Romains, Dieu accomplissait des merveilles peu communes (Ac 19, 11) au lieu où gisait la relique du saint apôtre et noble martyr Barnabé. Beaucoup d’esprits impurs en effet, répandus en ce lieu, sortaient, en poussant de grands cris, de ceux qui en étaient possédés et beaucoup de paralysés et d’infirmes (Ac 8, 7) et de gens en proie à toutes sortes de maladies et de tourments (Mt 4, 24) venaient coucher en ce lieu et étaient tous guéris. Une grande joie régnait dans la ville (Ac 8, 7-8) de Salamine. On savait que quelque puissance divine agissait en ce lieu, mais on ignorait la cause de cette grâce inépuisable. Les habitants appelaient cet endroit le lieu de la santé138.

Était-ce un lieu de l’ancienne religion ? Le caroubier qui ombrageait la sépulture de l’apôtre intervenait-il dans la croyance en sa puissance, comme la ronce de Skepsis ? Mais la défaite ne suffit pas, et l’invention entraîne la conversion des païens. Il en va de même pour les juifs139 et les hérétiques140 : à Skepsis, les derniers païens furent amenés à la conversion après avoir vu le sépulcre de Corneille, le premier païen converti, ressurgir sous la ronce ‘magique’ et la châsse

apologétique, en tout cas, qui anime Constantin dans cette entreprise de la remise en valeur du tombeau du Christ, et ce n’est pas un exemple isolé. » 135 Pour une autre inscription similaire à Ezra : supra, p. 160. 136 Vie Corn. 2, IV, 14, col. 1308A. 137 DEUBNER, De incubatione. 138 Éloge Barn., p. 107-108, l. 570-583. 139 Le thème dépasse, bien sûr, le cadre des inventions ; ainsi, lors de la translation de la Vierge. Voir Jean le Géomètre, Discours, 36, p. 390-391 : « Cette punition et cette guérison instantanées et dont tous furent témoins, qui se produisirent au moment de l’insurrection de la multitude, fortifièrent dans la foi beaucoup de ceux qui étaient hésitants ; quant aux juifs, elles les frappèrent non seulement d’étonnement, mais encore – chose étonnante et qu’on aurait crue presque impossible avant l’événement – leur firent confesser que Marie était la mère de Dieu et que son Fils crucifié par eux était Dieu. ». 140 VAN E SBROECK, Substrat, p. 339, relève le schéma : invention de reliques ; conversion ; controverse avec les juifs ; destruction (lieu de culte païen, etc.) ; déchiffrement d’une inscription.

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du saint se déplacer d’elle-même141. La légende d’Étienne est liée à la controverse avec les juifs et leur conversion, de même que le baptême du juif Benjamin (vêtements du Christ) évoque celui de Judas Cyriaque après l’invention de la Croix142 : Quand tu m’as fait retourner en prison et que tu as placé les gendarmes près de moi, je me suis repenti, et j’ai vu dans mon sommeil un lion énorme dont la couleur ressemblait au feu, à la gueule grand ouverte d’où sortaient des étincelles et une fumée dense. Et de sa cavité surgissaient des cris comme le tonnerre, et il s’adressa à moi en disant : « O Benjamin, tu as livré à Durat un cadeau auquel les anges ne sont pas capables de s’initier, après quoi tu as voulu être délivré de mes mains pour toujours ». Et je t’ai vu, mon Seigneur, alors que tu le vainquais avec la lance et le terrassais. Mais moi je te demande de me prendre en pitié : prie l’évêque qu’il me baptise, pour que je sois sauvé de la main de l’ennemi ! Et je le pris et l’accompagnai chez l’évêque, lequel le baptisa, et il communia aux mystères de notre Seigneur et Dieu Jésus Christ143.

Lorsque l’empereur Théodose Ier se rendit au monastère (?) de Cosilaos pour emporter le chef du Baptiste, un prêtre macédonien, du nom de Vincent, déclara qu’il se convertirait et suivrait la relique si celle-ci consentait à la translation. Ce qui se produisit144. Les deux généraux, Galbios et Candidos, tout juste convertis de l’arianisme, découvrirent l’habit de la Vierge à Jérusalem au cours d’un pèlerinage d’expiation145. La conversion, qui implique le baptême, préfigure la résurrection146 ; il en va de même de l’invention147. Par l’étrange miracle des Sept Dormants d’Éphèse, 141

On peut comparer avec l’interprétation du signe de la croix par les païens d’Égypte : Rufin, H.E., II, 29, p. 1034-1035 ; THÉLAMON, Rufin, p. 267. 142 On peut encore penser à la vision de la croix et la conversion de Constantin. 143 VAN E SBROECK, Lettre, p. 159. 144 En revanche, l’empereur se heurta au refus catégorique de la diaconesse Matrona, également macédonienne. De même, selon Inv. chef du Bapt., p. 74-75, le miracle eut lieu sous l’épiscopat d’Ouranios d’Émèse « un homme remarquable pour sa vie et sa doctrine ». Le texte se termine, p. 76-77, avant la prière pour l’empereur, sur ces mots : « Par cela a été révélé au susdit évêque et, comme il a été déjà indiqué, à l’Église d’Émèse une sorte de trésor très riche, et il est gardé précieusement sans qu’on puisse l’enlever ; et il est demeuré toujours faisant jaillir des sources de miracles pour ceux qui s’en approchent avec foi, dissipant le nuage des maladies et l’erreur hérétique des mauvais pères. » 145 Sans doute sur le modèle des impératrices Hélène et Eudocie. 146 D’A LÈS, Résurrection ; VAN EIJK, Résurrection ; WALKER BYNUM, Resurrection. Pour l’iconographie, et en particulier les reliquaires historiés : K ARTSONIS, Anastasis, p. 94-125. 147 Du reste, l’invention est déjà une résurrection, cf. Ambroise, Ep. 22, 8-9, col. 1021D-1022A : Non immerito autem plerique hanc martyrum resurrectionem appellant ; videro tamen utrum sibi, nobis certe martyres resurrexerint. Cognovistis, immo vidistis ipsi multos a daemoniis purgatos : plurimos etiam, ubi vestem sanctorum manibus contigerunt, iis quibus laborabant, debilitatibus absolutos : reparata vetusti temporis miracula, quo se per adventum Domini Jesu gratia terris major infuderat,

CHAPITRE III – L’INVENTION

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« Dieu miséricordieux » voulait simplement « montrer le mystère de sa Résurrection148 ». La naissance du Baptiste avait annoncé celle du Christ et son martyre la Passion du Seigneur, victoire sur la mort ; désormais l’invention de son chef proclamait sa résurrection149 : Le jour d’aujourd’hui comportant désormais la troisième fête et panégyrie du divin précurseur et baptiste Jean nous invite à la célébrer, ô amis des fêtes. La fête de sa naissance ressemble en quelque manière à la naissance du soleil, qui a montré merveilleusement au monde le lever à partir des flancs maternels de l’étoile du matin spirituelle. La fête de sa décapitation représente le couchant. Elle exprime en effet que le flambeau, la lampe, le précurseur du Christ le soleil de justice est descendu sous terre comme s’il voulait proclamer aussi aux habitants de l’Hadès la venue salutaire du Christ. Quant à la fête actuelle, elle exprime pour ainsi dire son admirable résurrection. Il s’est levé en effet de nouveau et il a repris une vie nouvelle par la découverte et la manifestation de sa sainte tête150.

On trouve, par ailleurs, au nombre des inventeurs du chef du Baptiste, deux frères, dont la légende porte tout entière sur la question de la rétribution céleste après la mort. De fait, Gésios et Isidore, dont toutes les actions sont tendues vers ce seul but, obtiennent de s’endormir en paix, à l’issue de l’invention : Quand Gésius et Isidore virent cette grande gloire (resplendir) sur le visage de saint Jean, ils s’étonnèrent et furent remplis d’une grande crainte. Ils s’adressèrent au Père évêque et parlèrent ainsi : « Nous te demandons, saint Père, de demander pour nous au Seigneur qu’Il nous pardonne nos péchés et nous reçoive auprès de Lui en ce saint jour ». Et les saints inclinèrent les genoux et s’adressèrent au Seigneur en parlant ainsi : « Nous te demandons, Seigneur Dieu Tout-puissant : comme Tu nous as fait la grâce de ce grand honneur que nous ne méritons pas, reçois-nous auprès de Toi en ce jour et reprends nos âmes auprès de Toi, à cause de ta compassion ». Et les saints s’adressèrent à saint Jean en disant : « Nous te demandons, saint martyr du Christ Jean le Baptiste, de demander au Seigneur pour nous, (toi qui es) en Sa présence, de nous faire passer (hors) de ce vain monde et de recevoir auprès de Lui nos âmes, à l’heure opportune, et d’avoir pitié de nous à cause de son abondante compassion, quand nous Le rencontrerons ». Après avoir dit cela, ces deux saints, Gésius et son frère

umbra quadam sanctorum corporum plerosque sanatos cernitis. Quanta oraria jactitantur ! quanta indumenta super reliquias sacratissimas et tactu ipso medicabilia reposcuntur ! Gaudent omnes extrema linea contingere ; et qui contigerit, salvus erit. 148 Pass. sept Dorm., 12, col. 437C. 149 Théodore Stoudite, Éloge. Cf. SEMOGLOU, Inventions, p. 28. 150 Inv. chef du Bapt., p. 70-71. Prologue de la notice pour la fête de l’invention du chef, au 24 février, dans le Ménologe impérial de Koutloumous. La naissance du Baptiste était fêtée le 24 juin et la Décollation, le 29 août.

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Isidore, se couchèrent sur le sol et remirent leur âme entre les mains du Seigneur dans la paix, le douze du mois de Barmoudah. Ceux qui l’ont vu de leurs yeux nous en ont rendu témoignage alors que nous étions rassemblés au concile de Nicée ; ils disaient : « Nous vîmes le chef de saint Jean s’élever par deux fois du temple et (venir) embrasser avec joie la personne de ces deux saints jeunes gens. Et l’évêque porta le chef de saint Jean sur l’autel afin que tout le peuple le vît ». Et ils dirent encore : « Nous entendîmes une voix crier et dire : ‘En vérité, ces jeunes gens ont été couronnés comme les apôtres, les prophètes et les martyrs’ »151.

Les deux frères, désireux d’obtenir la vie éternelle, avaient gardé leur corps pur et vierge ; ils n’en craignaient pas moins de gâter leur âme, un embarras que seule la mort pouvait leur ôter : Monseigneur, le Seigneur Dieu connaît notre histoire. Mon frère et moi n’avons jamais couché avec une femme. Mais nous te demandons, Père saint, de demander au Seigneur de garder nos âmes pures de toute souillure, tout comme Il a gardé nos corps jusqu’à présent152 .

Gésios et Isidore avaient choisi la voie du sacrifice : renonçant à tous leurs biens, ils s’étaient faits les esclaves d’un infirme. Or, le corps de ce dernier était putréfié, tel un cadavre en décomposition, parce que son âme était mauvaise. Auparavant, Gésios s’était mis en devoir de rendre les derniers honneurs à un corps sans vie découvert sur la grève : Les marins lui dirent : « Et tu restes assis ici ! Que fais-tu (là) ? Cet homme peut-il ressusciter ? Lève-toi à présent, enterre-le… » Gésius leur dit : « Mes frères, vivant est le Seigneur, le Dieu éternel ! Je ne vais pas enterrer mon défunt ici, puis m’en aller et l’abandonner, mais je le prendrai avec moi là où je me rends, je l’ensevelirai dans ma maison et je continuerai à pleurer sur lui jusqu’au jour de ma mort. »153

Ce corps était dur et, immaculé, ne portait pas les marques de la mort : « Il vit que sa tête, ses mains et ses pieds étaient desséchés, et qu’il n’y avait plus sur eux ni cheveux ni peau, car (ils étaient devenus) comme l’ivoire, par suite du

151 Hist. Gés. et Isid., XVI-XVII, p. 68-69. On trouverait un épisode similaire à propos de Longin (Hom. 19 et 20).  152 Hist. Gés. et Isid., XIV, p. 66. 153 Ibid., III, p. 52. Marcien, économe de la Grande Église, avait l’habitude d’inhumer à ses frais les pauvres gens privés de sépulture ; mais avant, le saint homme les ramenait un instant à la vie.

CHAPITRE III – L’INVENTION

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temps très long et de l’assaut des vagues154. » C’est qu’il n’était pas commun. Le mort était le ressuscité de Paul (Ac 20, 9), un témoin de l’époque apostolique155 : Pendant que saint Gésius dormait avec les ossements entre les bras, voici qu’une voix s’éleva des ossements au milieu de la nuit et dit : « En vérité, ce que tu as fait pour moi sans le savoir, tu en recevras le prix de la part du Seigneur. […] « À présent, sache que je suis Eutyque, celui que Paul a ressuscité des morts. Mon corps que tu vois à présent fut (celui d’un) adorateur du Seigneur Dieu ; au temps où les apôtres furent persécutés par le roi d’Italie, on prit mon corps et on le jeta dans la mer en disant : ‘La main des apôtres l’a touché, ne le laissons donc pas sur terre !’. Le Seigneur a gardé mon corps depuis ces jours-là jusqu’à présent ; quant à mon esprit, il est auprès de Lui dans les cieux. À présent donc, Gésius, voici que Dieu est avec toi, et que toutes tes actions (se tiennent) prêtes devant Lui. » […] Gésius se mit alors à tenir la tête du mort, à la couvrir de baisers et à se prosterner devant elle comme (devant) un martyr en parlant ainsi : « Je te salue, Eutyque, mon frère, et je te prie de demander à Dieu à mon propos qu’Il me conduise par Sa justice »156.

Eutyque est désormais un intercesseur privilégié pour les hommes auprès de Dieu. Le corps du ressuscité, comme toutes les reliques des saints, est venu ici-bas proclamer et enseigner le mystère de la Résurrection.

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Ibid., II, p. 51. Dans les Actes des Apôtres, le jeune homme est de Troas, en Hellespont ; ici, il est de Lycaonie, comme les deux frères. 156 Hist. Gés. et Isid., VI, p. 56 et VI bis, p. 58. 155

CHAPITRE IV

La déposition Un récit d’invention se clôt généralement par la déposition de la relique. Mais tout ce qui fait suite à l’invention proprement dite est souvent traité de manière sommaire, faisant toutefois corps avec elle, comme sa conclusion naturelle : C’est ainsi que votre Béatitude s’étant fait accompagner des très saints archevêques Eutonios de Sébaste et Éleuthérios de Jéricho avec tous les clercs très aimés de Dieu, vous avez recueilli (ἀνελάβετε) les saintes reliques de saint Étienne et les avez déposées avec grande gloire et honneur (ἀπέθεσθε μετὰ πολλῆς δόξης καὶ τιμῆς) dans la sainte Sion1.

La relique est donc recueillie (ἀναλαμβάνω ; ἐπιλαμβάνω ; λαμβάνω ; συλλαμβάνω ; ἀναλέγω ; ἐπαίρω), puis transférée2 (μετάγω ; ἀνάγω ; κομίζω ; ἀνακομίζω / ἀνακομιδή ; διακομίζω ; ἀποκομίζω ; μετακομίζω ; φέρω ; μεθίστημι ; μετατίθημι) et enfin déposée (τίθημι ; κατατίθημι / κατάθεσις ; ἀποτίθημι ; ἐναποτίθημι ; συγκατατίθημι) dans un sanctuaire.

1. La fête La déposition prend place dans un ensemble de festivités présentées comme d’usage en de telles circonstances, le plus souvent désignées sous le terme général ἑορτή, ἑορτάζω3 (la « fête publique4 » organisée pour la déposition des 1

Rév. Étienne 1, p. 104-105. Les translations de reliques ont été souvent étudiées, en particulier pour l’Occident : notamment HEINZELMANN, Translationsberichte ; SIGAL, Translations. Pour le De Laude Sanctorum de Victrice de Rouen (396) : HERVAL, Origines ; CLARK, Relics. La cérémonie, au caractère triomphal marqué, est calquée sur le modèle de l’adventus impérial : MACCORMACK, Adventus, sp. p. 747-748. La symbolique y est très forte : (1) transfert des os de Joseph ; (2) transfert de l’arche d’alliance : lors de la translation de Cyr et Jean à Ménouthis (Éloge Cyr et Jean, p. 60-61), Cyrille d’Alexandrie, dans son immense joie, ressemblait à David dansant devant l’arche du Seigneur ; (3) entrée du Christ à Jérusalem (Mt 21, 1-11 ; Mc 11, 1-10 ; Lc 19, 28-40 ; Jn 12, 12-19). Voir encore K APLAN, Ensevelissement. 3 On trouve le même terme pour les réjouissances et célébrations païennes : par ex., Pass. sept Dorm., 2, col. 428B. Pour la perception de la fête : H ARL, Dénonciation ; SOLER, Antioche, p. 189-214. 4 Sozomène, H.E., IX, 2, 17-18. 2

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Quarante Martyrs « aux côtés du divin Thyrse », celle célébrée par les évêques à Éphèse en l’honneur des Sept Dormants5, etc.), ou sous le terme πανήγυρις6, telle la fête, assortie d’une procession (πομπή7) ponctuant l’invention des apôtres. Les réjouissances peuvent se prolonger sur plusieurs jours : Les amis des saints prirent les reliques (de Dométios) et les déposèrent dans la sainte maison le cinquième jour du mois de Panémos en présence de tous, prêtres, clercs, moines et archimandrites, laïcs, hommes et femmes, pour procéder à une grande fête jusqu’au quinzième jour du mois de Panémos8.

Ce temps de joie, de rassemblement, de concorde, est aussi temps de parole et d’enseignement ; des discours sont prononcés9. Il peut encore donner lieu à des libéralités de la part des souverains : après l’invention des Sept Dormants, Théodose II « donna de nombreuses demeures aux pauvres de ce lieu et libéra les prisonniers10 ». C’est, enfin, un moment propice aux manifestations de la puissance et de la grâce divines : un aveugle de Milan recouvra la vue lors de la translation des reliques de Gervais et Protais. Ces miracles révèlent aux yeux de tous le pouvoir de la relique et son authenticité. Un temps plus ou moins long sépare l’invention de la déposition des reliques. Il est parfois question de reliques cachées par mesure de protection, comme le corps de Ménas secrètement conservé dans une église de « Byzance », en attendant que des circonstances favorables, en l’occurrence la disparition de l’empereur persécuteur, autorisent sa vénération en plein jour ; il aurait alors été transféré et déposé dans un martyrion érigé au lieu de l’invention. De même, les troubles de l’Église auraient retardé la déposition des reliques du Baptiste à Alexandrie, tandis que Zénon de Maïouma attendit d’être évêque, sous Théodose Ier, pour déposer les restes de ses parents, martyrs sous Julien l’Apostat. D’après le récit de sa Passion, le corps de Julien aurait d’abord été inhumé dans l’église d’Émèse ; il aurait dû, par la suite, céder sa place au chef du Baptiste. L’évêque Paul l’aurait alors transféré dans un martyrion érigé à l’emplacement 5

Pass. sept Dorm., 19, col. 448A. Pour la panegyris, en particulier sur son caractère économique (tenue d’une foire) : VRYONIS, Panēgyris. 7 Procope, De aed. I, 4, 22, p. 25, l. 22. Le terme « procession » est ambigu ; bien que, ici, à caractère religieux marqué, la pompè est à distinguer de la procession liturgique ou litè. 8 Pass. Dom., 22, p. 316, l. 24-28.  9 Voir en part. l’Ep. 22 d’Ambroise contenant son discours aux fidèles milanais après l’invention des saints Gervais et Protais, ou les homélies (BHG 472-474) attribuées à Cyrille d’Alexandrie et son discours aux moines tabennésiotes de Ménouthis après l’invention des saints Cyr et Jean. Plus largement, pour la prédication de Jean Chrysostome lors des fêtes des martyrs : SOLER, Antioche. 10 Pass. sept Dorm., 19, col. 448A. 6

CHAPITRE IV – LA DÉPOSITION

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de l’atelier de potier où avait été découverte la relique longtemps auparavant. On peut néanmoins considérer la première déposition comme provisoire, puisqu’effectuée subrepticement, la seconde seule rendant justice à ce martyr oublié. Le plus souvent, ce sont des considérations pratiques qui expliquent ce délai et la déposition provisoire : les restes de Jacques, Zacharie et Siméon furent déposés à la Sainte-Sion le 1er décembre jusqu’à l’achèvement de l’oratoire édifié au lieu de l’invention, le 25 mai suivant ; le chef du Baptiste dans l’église de la ville, le 24 février, puis dans son martyrion, le 26 octobre suivant. Le 28 juin 550, les reliques d’André, Luc et Timothée quittèrent la Grande Église ; elles y avaient donc été apportées avant de retourner aux SaintsApôtres, lieu de l’invention. Il en alla de même, l’année suivante, pour le reliquaire des Quarante Martyrs découvert à Sainte-Irène. Dans l’un et l’autre cas, les reliques séjournèrent-elles dans la Grande Église jusqu’à l’achèvement des travaux de l’église de la déposition ? Ou bien seulement le temps d’une vigile11 ? Quant aux restes des martyrs d’Orthôsias, ils furent placés dans le diakonikon de l’église locale avant leur déposition dans un martyrion voisin. Il semble que ce soient les cérémonies pascales qui, cette fois, aient retardé la déposition définitive. Encore plus qu’aux autres étapes d’une invention, c’est ici le domaine de l’évêque12. Son rôle est volontiers souligné : à titre d’exemple, Cyrille de Jérusalem déposant Jacques, Zacharie et Siméon, Jean de Jérusalem Étienne, Silvain de Troas Corneille, Anthémios de Salamine Barnabé, etc. Pour autant, sa présence n’est pas toujours signalée. Ainsi, pour la déposition définitive de Jacques et ses compagnons au mont des Oliviers, Cyrille n’est plus mentionné, de même qu’Ouranios d’Émèse pour celle du chef du Baptiste dans son martyrion. Étant donné la nature des églises de départ – la Sainte-Sion de Jérusalem et l’église épiscopale (?) d’Émèse –, on suppose que l’évêque y prit part. De la même façon, on peut tenir pour assurée la présence de Proclos de Constantinople au 11 Cf. Ambroise, Ep. 22, 1, col. 1020A. Les reliques des martyrs Gervais et Protais, découvertes le 17 juin, furent présentées au peuple, le lendemain, au cours d’une vigile dans la Basilique Fausta, chapelle cimétériale sise à proximité immédiate de la Basilique Ambrosienne sans doute choisie à dessein, étape transitoire entre le sanctuaire de l’invention (Saints-Nabor-et-Félix) et celui de la déposition. Celle-ci eut lieu le jour suivant, 19 juin. 12 L’évêque est compétent en matière de déposition de reliques et de consécration d’église de quelque type que ce soit, épiscopal, paroissial, monastique ou privé. Le caractère ritualisé et liturgique de l’ensemble de l’invention est souligné par OUKHANOVA, Invention : « […] The rite of relics invention, according to the ceremonial of the Great Church, did not include any canons as well as other hymnographic texts. The most chants in the Sermon of Constantine the Philosopher on the invention of St Clement’s relics 〈(861)〉 are psalms, only a few of them are troparia and kontakion. » On trouverait déjà tous les éléments d’un semblable rituel à la haute époque.

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jour de la déposition des Quarante Martyrs à Saint-Thyrse, puisqu’il avait assisté avec l’Augusta Pulchérie à l’ouverture du reliquaire. En dépit du silence de Procope de Césarée, on sait que Ménas de Constantinople procéda à la déposition d’André, Luc et Timothée aux Saints-Apôtres et à la dédicace de Sainte-Irène, ponctuée par la déposition du reliquaire des Quarante Martyrs nouvellement découvert. On pourrait multiplier les exemples13. Pour la déposition, l’évêque est flanqué de son clergé et parfois accompagné d’un ou plusieurs collègues, tel Jean de Jérusalem d’Eutonios de Sébaste et Éleuthérios de Jéricho. Mais la cérémonie ne serait rien sans la foule des assistants14 : Le bruit de ces choses se répandit dans toute la contrée. Après la fête adorable de la sainte Pâque une grande multitude se réunit des villes et des villages des environs, et le 3 du mois de Yar (mai), ils les déposèrent en grande pompe dans le martyrium15.

La procession (πομπή, προπομπή) à travers la ville jusqu’au lieu de déposition était un moment solennel, avec, en tête du peuple, des personnages de haut rang escortant les reliques16 : ainsi, à Constantinople, lorsque la relique venait de l’extérieur, c’est-à-dire lorsqu’il avait fallu l’accueillir solennellement aux portes de la ville, la procession était généralement présidée par le préfet de la Ville, accompagné d’autres dignitaires et du Sénat. On peut supposer que le fondateur, généralement un laïc, devait figurer en bonne place dans le cortège, de même que, bien souvent, le ou les souverain(s). Jean Chrysostome a ainsi souligné la présence, au milieu du peuple, de l’impératrice Eudoxie, l’épouse d’Arcadius (395-408), lors d’une procession nocturne menant des martyrs (inconnus) de la Grande Église au martyrion Saint-Thomas, au faubourg de Drypia, à neuf milles de la Ville :

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L’évêque de Constantinople n’est pas mentionné par Sozomène lors de la déposition du chef du Baptiste à l’Hebdomon par Théodose Ier ; on se gardera d’en induire qu’il n’était pas là. 14 Jean Chrysostome insiste, par exemple, à plusieurs reprises, sur son caractère public et communautaire. Noter cependant que la présence des moines n’est guère soulignée dans nos récits d’invention, où ils jouent pourtant un si grand rôle au moment de la révélation. 15 CHABOT, Pierre l’Ibérien, p. 385. Il s’agit des martyrs d’Orthôsias. 16 La translation est en soi une cérémonie qui comporte ses règles propres. HOLUM – VIKAN, Ivory, en ont dégagé trois étapes : (1) la synantesis (hypantesis ; apantesis), ou la réception joyeuse et triomphale des reliques aux portes des villes, à la lumière des lampes, dans les vapeurs de l’encens, au bruit des acclamations, au chant des psaumes, etc. Le peuple tout entier est sorti les accueillir, tenant en main des croix ou des branches de palmier, sur le modèle de l’entrée du Christ à Jérusalem. Quelle que soit la longueur du trajet, on voit des scènes de joie et de dévotion populaire d’une intense ferveur, et si la relique passe de ville en ville, alors les mêmes scènes se renouvellent partout (par ex., Jérôme, C. Vigilance, 5, col. 343C) ; (2) la procession ; (3) la déposition.

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Des femmes toujours enfermées dans leurs chambres, plus molles que la cire, ont quitté leurs demeures et rivalisé de force avec les hommes pour faire à pied cette longue route. Ni la faiblesse naturelle, ni l’habitude d’une vie délicate, ni l’aspect de cette foule, rien n’a pu les arrêter. Les chefs de la cité ont laissé leurs chars, leurs licteurs, leurs valets et se sont mêlés au peuple. Pourquoi parler de femmes et de grands, quand celle qui porte le diadème et la pourpre ne s’est pas un instant séparée des autres dans ce trajet, et que, telle qu’une servante, elle a suivi les saints corps, touchant de la main le cercueil et le voile qui le recouvre, foulant aux pieds tout faste humain, et se laissant approcher de tous dans cette multitude, elle que les eunuques, dans son palais, n’ont pas tous la permission de voir. La flamme de la charité lui a fait rejeter comme des masques les insignes de sa grandeur, afin de montrer à découvert sa profonde vénération et son zèle pour les martyrs. Elle s’est souvenue de David qui portait aussi la pourpre et régnait sur les Hébreux. Dans la translation de l’arche, il dépouilla la pourpre empruntée du rang suprême, il dansa, il exprima son bonheur par de vifs transports. Et si dans l’ombre et la figure tant de ferveur était possible, que doit-ce être au temps de la vérité et de la grâce ? Car l’arche transportée ici est plus précieuse que celle du prophète-roi. L’une ne renfermait que des tables de pierre ; l’autre renferme des tables spirituelles, la fleur et la splendeur des dons sacrés, des ossements dont l’éclat fait pâlir les rayons de l’astre du jour : les démons ne peuvent le soutenir ; éblouis, ils prennent la fuite, ils vont se cacher au loin, et telle est la vertu qui s’exhale de la cendre des Saints, qu’elle chasse les puissances impures et sanctifie tous ceux qui s’en approchent avec foi. C’est pour cela que l’impératrice, amie du Christ, suivait les reliques et les touchait fréquemment pour attirer sur elle les célestes bénédictions, encourageant les autres à ce beau commerce spirituel, c’est-à-dire à puiser à cette source qu’on ne tarit jamais. […] Avec quel respect et quelle ferveur elle a accompagné ces cendres bénies, se mêlant à la foule, sans gardes, sans suite, en cela non moins utile au peuple que les martyrs ! Personne, en effet, ne pouvait regarder les saintes reliques, sans la voir elle-même debout à côté du cercueil, dont, malgré la fatigue d’une longue course, elle ne s’est pas éloignée un instant. C’est pourquoi nous te proclamons heureuse, Eudoxie, et non pas nous seulement, mais les futures générations avec nous […] Heureuse, parce que tu exerces l’hospitalité envers les Saints, parce que tu protèges les églises, que tu imites le zèle des Apôtres et te sers de ta royauté terrestre pour obtenir la royauté éternelle ! Je ne crois pas me tromper en plaçant ton nom entre les noms des Phœbé, des Priscilla, de ces femmes illustres louées par saint Paul, dont la mémoire est impérissable17.

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Jean Chrysostome, Homilia dicta postquam (BHG 1191p ; CPG 4441, 2), col. 468-471 ; tr. de l’abbé Martin, dans Jean Chrysostome, Œuvres complètes, I, 27, p. 323-324. Le lendemain, la fête prit un tour plus militaire, en présence de l’empereur. Il se rendit avec sa garde au

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Par la pompe qui était déployée, par la présence de tous, des plus humbles aux puissants, la cérémonie pouvait se transformer en une véritable démonstration de force, et l’évêque comme le souverain, tour à tour, chacun dans son rôle, faire montre de prestige et d’autorité. Comme toute cérémonie, la procession était codifiée ; on y rencontre donc toujours les mêmes éléments : chars18, chants, cierges, etc. Selon le Chronicon Paschale, les évêques Attikos de Constantinople et Moïse d’Antarados, assis sur des chars d’apparat, apportèrent à la Grande Église les reliquaires de Joseph et Zacharie19 ; Ménas et Apollinaire firent de même avec les Quarante Martyrs20. Les deux évêques allèrent jusqu’au Perama, passèrent sur l’autre rive où les attendait l’empereur, puis procédèrent à la déposition21. La Vie de saint Corneille restitue bien le caractère liturgique de la cérémonie : Quand donc l’église de Dieu, le thaumaturge, fut apprêtée au plus vite, les architectes, se rendant en un lieu appelé Trigôna (c’est là que l’évêque Silvain fêtait le bienheureux apôtre André), lui font savoir l’achèvement de la construction. « C’est le moment, disent-ils, de transférer la châsse. Elle y entrera plus facilement22. » Aussitôt donc, l’évêque, avec le pieux Eugénios, prend le saint évangile ; il fait une prière et l’on commence à chanter le Trisagion 23. Tous chantaient l’hymne avec lui ; sortant en procession

sanctuaire ; tous déposèrent les insignes de leur puissance et de leur force devant le tombeau des martyrs. Voir encore ID., Homilia dicta praesente imp. (BHG 1191q ; CPG 4495, 26). HOLUM, Empresses, p. 56-58. 18 Plus tard, les reliques seront volontiers portées à bras d’hommes. 19 Chron. Pasch., col. 788B ; p. 572 (CSHB). 20 Théophane, Chron., I, p. 228. Apollinaire déposa plus tard une relique des Trois Hébreux dans sa ville épiscopale, à l’emplacement de l’ergastèrion du martyr Cyr : Pass. Cyr et Jean, col. 1233Bs. 21  On peut s’en faire une idée plus précise grâce au célèbre ivoire de Trèves (une plaque de reliquaire ?, de 13,1 × 26,1 × 2,3 cm, attribuée à un atelier de la partie orientale de l’Empire, d’époque pré-iconoclaste). Celui-ci a été diversement interprété, mais son iconographie ne laisse guère de doute sur le type de scène représenté : deux évêques s’avancent assis sur un char d’apparat ; ils portent un coffret sur les genoux. Le char triomphal vient de passer les portes (de la ville, généralement identifiée comme Constantinople ; du palais impérial ?), sous l’acclamation ou au chant de spectateurs, massés sur les trois étages d’un édifice (arcades ?), et encensant le cortège mené par quatre chlamydati porteurs de cierges ; le premier d’entre eux est un empereur. Plus loin, une impératrice attend la procession devant une église de forme basilicale encore inachevée (des ouvriers s’activent sur le toit) ; elle tient une longue croix. La bibliographie est importante, notamment : HOLUM – VIKAN, Ivory, avec la bibliographie antérieure ; SPAIN, Ivory ; WORTLEY, Ivory ; BRUBAKER, Chalke. 22 La traduction latine dans la PG précise : priusquam ingressui imponatur superliminare. 23 Trisagion : M ATEOS, Célébration, p. 122-126 ; BALDOVIN, Liturgy, p. 218-219 ; JANERAS, Trisagion. Ce chant processionnel deviendra, au VIe siècle, chant d’entrée dans la liturgie eucharistique. Il est explicitement mentionné pour la première fois au concile de Chalcédoine (451). On notera toutefois que le « Saint, saint, saint », cité quelques lignes plus bas, renvoie directement au trisagion angélique (Is 6, 3) plutôt qu’au trisagion liturgique. Dans l’Hist. Gés. et Isid., p. 66-67, c’est la révélation qui est introduite par le trisagion.

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(λιτανεύοντες)24, ils se mirent en route. Puis la châsse (combien tes miracles sont grands, Seigneur !) comme un être animé suivait d’elle-même, sans que personne ne la déplaçât, ne l’approchât ni ne la touchât. Tous étaient ébahis, ne pouvant en croire leurs yeux. Stupéfaits, ils criaient, « Saint, saint, saint, Seigneur, Sabaoth ; toi qui nous as manifesté par ton serviteur Corneille, tes miracles et ta puissance. » À partir de là, ceux qui étaient encore païens crurent. Et de nouveau la litè (λιτή25) se dirigeait vers l’église et la châsse suivait. Quand ils parvinrent à l’église, chacun s’arrêta ici et là, cherchant à voir où irait la châsse et où elle s’arrêterait. Celle-ci fendit la presse et entra par la porte latérale de droite. Elle s’immobilisa près du thusiastèrion et l’on employa tous les moyens pour la transférer à l’intérieur du thusiastèrion. Mais elle resta inébranlable – elle l’est encore – trésor indéfectible de miracles, prodigue en bienfaits et grâce spirituels26.

Bien que ce ne soit pas toujours le cas, c’est lorsque la déposition des reliques s’intègre au rituel d’une dédicace qu’elle se laisse le mieux saisir27. Même si, pour la haute époque, les sources nous font défaut28, il a sans doute peu évolué sur ce point, et très tôt la déposition sous l’autel (les reliques pouvaient, bien sûr, occuper d’autres emplacements) semble en être devenue une partie essentielle29. L’ensemble de la cérémonie se décompose en une série de rites que l’on peut ainsi énumérer : (1) préparation des reliques ; (2) prières générales de dédicace et préparation immédiate de la table d’autel ; (3)  lustration de l’autel ; BALDOVIN, Liturgy, p. 206-207. On ne rencontre guère dans nos sources ce terme technique désignant une procession liturgique. Cf. ibid., p. 207-209 ; LOSSKY, Litie. 26 Vie Corn. 2, 15 col. 1308C. 27 En réalité, la déposition proprement dite des reliques dans l’église n’est jamais vraiment décrite dans nos textes ; il en va de même dans les représentations figurées. WALTER, Art and Ritual, p. 146, a montré que l’on revient au modèle du saint inhumé par les fidèles dans son sarcophage. Il décrit une miniature du Xe siècle (Vatopedi, cod. 456, fol. 253r), représentant la translation du chef de saint Abibos : se détachant du reste de la procession en arrêt devant l’église, un personnage en marche. Il tend vers elle, dans ses mains, le reliquaire. Mais ici, comme ailleurs, on ne passe pas les portes du sanctuaire. 28 Le premier rituel de consécration se trouve conservé dans l’Eucologe Barberini. D’origine constantinopolitaine, il est daté de la deuxième moitié du VIIIe siècle par ses éditeurs. 29 Sur la question depuis Ap 6, 9 jusqu’à Syméon de Thessalonique (XV e s.) : GAGÉ, Membra. La pratique, érigée en règle pour la première fois à Nicée II (787), canon 7, est ancienne (cf. déjà le 5e concile de Carthage (401), où l’on décide qu’aucun nouvel autel ne sera érigé sans dépôt de reliques : supra, p. 20). EBERSOLT, Sanctuaires, p. 106 (distinction entre consécration et dédicace) ; P UNIET, Dédicaces ; GETCHA, Dédicace. L’Eucologe Barberini contient une double cérémonie, de consécration puis de dédicace (enkainia). Voir RUGGIERI, Consacrazione. Pour AUZÉPY, Isauriens, p. 18 et Iconoclastes, p. 346, la première serait d’époque iconoclaste et la seconde d’après 787, mais « il va de soi que les prières des deux cérémonies n’étaient sans doute pas entièrement nouvelles et qu’elles devaient être en partie reprises de la liturgie du VIIe siècle. » Pour l’autel : BRAUN, Altar ; BRANDENBURG, Altar ; DUVAL, Autel ; P ESCHLOW, Altar ; PALAZZO, Autel. Voir encore MICHAUD, Épigraphie, p. 199-212. 24

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(4) onction de l’autel avec le saint chrême ; (5) procession pour le transfert et la déposition des reliques ; (6) célébration de la Messe. […] La veille du jour où doit avoir lieu la dédicace, le soir, à l’heure des Vêpres, l’évêque vient à la nouvelle église disposer les reliques en trois petits sachets. Ceux-ci sont placés sur une patène et recouverts d’un voile. S’il y a à proximité une chapelle, c’est à cette chapelle que sont alors transportées les reliques, au chant des tropaires ou antiennes des Martyrs. Sinon, les reliques sont déposées sur une petite table devant l’iconostase. Un cierge doit y brûler toute la nuit. Dans l’antiquité, la pannychis ou veillée nocturne complète était l’usage général30.

Des commentaires de la divine liturgie nous sont parvenus ; ils sont tous tardifs, mais la fixité des traditions et des rites était de règle en la matière31. Nicolas Cabasilas (XIVe s.) décrit ainsi la cérémonie de déposition des reliques sous l’autel : Tout d’abord, le pontife se ceint de linges blancs et se les noue autour des poignets et du reste du corps ; puis il se prosterne devant Dieu, agenouillé mais pas sur le sol nu, et après avoir prié pour que sa ferveur lui obtienne l’effet demandé, il se relève pour sa tâche ; ayant soulevé la table posée à terre, il la fonde et la fixe, sans se contenter de donner des ordres mais en y mettant la main. Une fois la table posée, il la lave avec de l’eau chaude, après avoir prié pour que cette eau ait la vertu de purifier non seulement de la souillure visible, mais aussi de la malédiction des démons ; puis il l’oint en versant sur elle du vin le meilleur et un chrême fait, je pense, d’une essence de roses ; après cela, il apporte le saint chrême et l’en oint, en traçant trois fois sur elle le signe de la croix, et en chantant à Dieu le chant prophétique bien connu ; puis, l’ayant recouverte d’une nappe blanche, il la pare en outre de voiles précieux et déploie par-dessus d’autres nappes ointes du saint chrême comme la table ; ces nappes, que l’on pose en dernier sur la table, devront se trouver immédiatement sous les vases sacrés. Ayant ainsi fait, il dénoue et quitte ses linges, et revêtu de ses ornements sacerdotaux il se rend dans un lieu voisin de la sainte demeure. Là il prend les ossements des saints martyrs qu’il a préparés dans ce but ; il les dépose sur l’un des deux vases sacrés qui sont sur l’autel, celui sur lequel il dépose le très saint don, il les recouvre du voile même dont il le recouvre, il les élève très pieusement et, les portant au-dessus de sa tête, il s’avance vers le sanctuaire à consacrer, et de nombreux fidèles rehaussent la beauté de sa marche par des cierges, des chants, de l’encens et des parfums. S’avançant ainsi, quand il atteint l’église et qu’il se trouve devant elle, il se tient devant les portes fermées et ordonne à ceux qui sont à l’intérieur d’ouvrir les SALAVILLE, Cérémonial, p. 16 et 17. GAGÉ, Membra, p. 144 : « la symbolique de l’autel de Syméon de Thessalonique (XV e s.) ressemble encore à celle qui s’ébauchait au temps de saint Augustin. »

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portes « au roi de gloire » ; après avoir prononcé lui-même et écouté de ceux qui sont à l’intérieur les paroles même que David prête aux anges qui se répondent au moment où le Sauveur monte vers le ciel, quand les portes s’ouvrent, il entre en portant au-dessus de la tête cette patène recouverte du voile. Quand il se trouve à l’intérieur du sanctuaire et devant la table elle-même, il dépose la patène sur l’autel et la dévoile ; puis il en ôte le trésor qui y était contenu et le place dans un reliquaire dont la taille est adaptée à ce qu’il doit contenir ; après cela, répandant sur ces reliques le très saint chrême, il les dépose sous la sainte table. Une fois ces actes accomplis, cette maison est une maison de prières, la table est préparée pour le sacrifice et est réellement un autel32.

Le commentaire qui suit est particulièrement significatif : Parce que la vertu de l’autel vient du chrême, il fallait que la matière qui le reçoit fût aussi accordée à cette vertu ; il pourrait ainsi mieux agir, comme le feu et la lumière, je pense, à travers les corps appopriés, de même que le nom même du Sauveur, qui pouvait tout quand on l’invoquait, ne manifestait pas également sa force sur toutes les lèvres. Ayant donc cherché quel corps serait le plus approprié pour recevoir le chrême, le célébrant a trouvé que rien ne conviendrait mieux que les ossements des martyrs ; et après les avoir oints et ajoutés, ainsi parfumés, à la table, il achève l’autel. Car rien n’est plus apparenté aux mystères du Christ que les martyrs, qui ont en commun avec le Christ lui-même et le corps, et l’esprit, et le genre de mort, et tout ; lui quand ils vivaient était avec eux et, une fois morts, il n’abandonne pas leurs dépouilles, mais il est uni à leurs âmes de telle sorte qu’il est présent et mêlé même à cette poussière insensible ; et s’il est possible de trouver et de posséder le Sauveur en quelqu’une des choses visibles, c’est dans ces ossements qu’on le peut. C’est pourquoi, une fois que l’évêque est devant l’église, comme il doit y introduire ces ossements, il leur ouvre les portes en employant les paroles mêmes avec lesquelles il ferait entrer le Christ en personne, et pour tout le reste il les honore exactement comme il honorerait les saints dons. Au reste, ces ossements sont le temple véritable et l’autel de Dieu, tandis que le temple que voici, fait de main d’homme, est l’image du véritable. Il convenait donc d’ajouter la réalité à l’image, de même que l’ancienne loi est achevée par la nouvelle33.

La question de savoir si une déposition de reliques était nécessaire à la consécration d’un sanctuaire a été longuement débattue. Ambroise de Milan aurait innové en la matière, créant un usage qui allait se généraliser : le premier, il aurait introduit des reliques de martyrs sous l’autel, dans les églises destinées 32 33

Nicolas Cabasilas, La vie en Christ, V, 3-7, p. 14-19. Ibid., V, 24-26, p. 32-35.

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aux synaxes eucharistiques. On a souvent commenté cette phrase de la Correspondance : Quand j’eus fait la dédicace de la basilique, beaucoup m’interpellèrent comme une seule voix pour me prier de la consacrer comme j’avais fait pour la basilique romaine. Volontiers, répondis-je, mais à condition que je trouve des reliques de martyrs34.

La nouvelle basilique était construite sur une aire cimétériale, certes prestigieuse, puisque non loin de la memoria qui abritait le tombeau du martyr Victor, mais dont rien ne laisse penser a priori qu’elle ait eu vocation à accueillir des reliques. Or, en juin 386, les Milanais étaient apparemment désireux d’ériger en coutume ce qui semble avoir fait figure d’innovation au printemps de cette année-là35. Le souhait du peuple suggère qu’une translation et déposition de reliques pour une dédicace d’église n’était pas encore nécessaire ni courante. De fait, Ambroise s’apprêtait à consacrer sa basilique selon le rite habituel, c’est-à-dire sans déposition de reliques, même s’il s’était réservé pour lui-même une place sous l’autel, sous le prétexte que le pasteur devait reposer là où il officiait. Que les victimes triomphales accèdent à l’endroit où le Christ est une victime. Mais celui-ci est au-dessus de l’autel – car il est mort pour tous. Quant aux (martyrs), ils sont sous l’autel – car ils ont été rachetés par sa passion. Pour ma part, je m’étais destiné cette place ; car il est juste que le prêtre repose là où il avait l’habitude d’officier. Mais je cède la bonne part aux victimes

Ambroise, Ep. 22, 1, col. 1019B, tr. L ABRIOLLE, Ambroise, p. 93. P UNIET, Dédicaces, p. 381-382 : « Il serait intéressant de pouvoir traduire, sicut romanam basilicam ‘comme une basilique romaine’, c’est-à-dire, selon le rite romain, ainsi que les anciens auteurs le faisaient d’ordinaire. On traduit plutôt aujourd’hui : ‘Faites comme pour la basilique romaine’. Paulin nous apprend en effet dans sa biographie (32, col. 38B) que saint Ambroise avait déjà consacré à Milan la basilicam apostolorum, ubi pridem sanctorum apostolorum reliquiae […] depositae fuerant, qu’on appelait aussi basilicam apostolorum, quae est in Romana, à cause sans doute de sa proximité de la porte romaine. » Une notice du Martyrologe hiéronymien (Act. Sanct. Nov., II, I, p. 57), selon laquelle Ambroise aurait déposé des reliques de Jean, André et Thomas, le 9 mai (386) dans la basilique romaine, pourrait se rapporter à cet événement. L’origine orientale et l’identité des saints laisserait entendre qu’il s’agissait de reliques corporelles : Thomas se trouvait aux portes d’Édesse dès le milieu du IIIe siècle ; les reliques d’André furent transférées en 356 à Constantinople, en même temps que celles de Timothée, le tombeau de ce dernier se trouvant à proximité de celui de Jean à Éphèse, connu de longue date. Cependant, on peut s’interroger sur la présence effective du corps de Jean dans son tombeau. De plus, bien plus tard, en 395, Ambroise fit transférer les restes du martyr Nazaire, tout juste découverts, dans l’abside de cette basilique. Était-ce pour pallier un manque ? Comme le souligne SPIESER, Fondations, p. 30, il s’agissait encore « peut-être de Pierre et de Paul, comme le veut la tradition médiévale. De toute manière, il ne pouvait s’agir que de brandea, de reliques de contact qui ont bien été placées sous l’autel au moment de la dédicace. Le rappel de ce fait par la multitude et l’invitation à recommencer pour la nouvelle église prouve bien que ce n’était pas un rite habituel. »  34 35

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sacrées. Ce lieu était dû aux martyrs. Enfermons donc les reliques sacrosaintes, transportons-les dans une demeure digne d’elles, et tout le jour, célébrons-les avec une dévotion fidèle36.

On a beaucoup glosé sur cette affirmation. Toujours est-il qu’Ambroise en cédant « sa » place aux martyrs, expose les raisons théologiques de leur présence sous l’autel. Bien plus tard, Syméon de Thessalonique (XVe s.) revient sur la portée symbolique de la déposition : Étant donc retourné à l’ancien temple, où les reliques avaient été déposées, et ayant fait deux oraisons, pour rendre grâce à Dieu du don des reliques des martyrs, (le prêtre) les porte sur sa tête. Et une fois arrivé, il les dépose suivant le rite. Car il n’est pas permis de faire de consécration sans reliques de martyrs ou de saints, parce que les martyrs sont les fondements de l’Église, construits par-dessus le fondement qu’est le Sauveur ; et il convient que dans l’église ils soient sous l’autel, puisqu’il est aussi l’Église, puisqu’il est à la fois le trône de Dieu et le tombeau du Christ : de là vient qu’on l’oint de myrrhe, et qu’il porte les Évangiles ; et il est bien que les reliques des saints soient au-dessous de lui, et sans reliques il n’est pas de consécration possible, ainsi que les saints l’ont révélé. Or, si l’on commence par déposer les reliques dans le temple, c’est parce que, sanctifiées, elles sont devenues les membres du Christ et ses autels, ayant été immolées pour lui. Et on les place sur la très sainte patène, parce qu’ils (les martyrs) jouissent du même honneur que le Seigneur, ayant supporté pour lui le combat. Et on les dépose sur la table consacrée, puisqu’ils ont partagé la mort du Christ, et qu’ils ont mérité de s’asseoir auprès de lui sur le trône de sa gloire. C’est aussi pourquoi le prêtre les élève sur sa tête avec la patène, pour les honorer comme les divins mystères eux-mêmes, le corps et le sang du Seigneur. Et, en effet, si Paul dit en s’adressant à tous les fidèles : Vous êtes le corps du Christ et les membres de ses membres, ceux-là seront bien plus encore le corps et les membres du Christ, qui ont combattu pour sa gloire et ont imité sa mort37.

Or, ce besoin de reliques pour la dédicace des églises a sans doute contribué à leur invention, à leur diffusion, peut-être aussi à leur fragmentation 38. En 356-357, les translations d’André, Luc et Timothée aux Saints-Apôtres pourraient avoir créé un précédent39. Avait-on pris des morceaux de chacun d’entre 36

Ambroise, Ep. 22, 13, col. 1023B. Syméon de Thessalonique, De sacro templo, 126, col. 320, tr. GAGÉ, Membra, p. 144-145. 38 C’est un problème complexe, qu’une distinction trop radicale entre pratique orientale et coutume romaine a contribué à obscurcir. Sur la question : MCCULLOH, Relics. Dès le milieu du e IV  siècle, des reliques corporelles circulaient aussi en Occident, fussent-elles de provenance orientale. Après une invention, il est souvent précisé que la châsse est très vite scellée (Barnabé ; Jean-Baptiste ; l’habit marial, etc.) ; on imagine pourquoi. 39 C’est la date traditionnellement admise ; pour une datation plus haute : supra, p. 117. 37

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DEUXIÈME PARTIE

eux en leur sépulcre originel ? En 415, des reliques de Zacharie et de Joseph gagnent la capitale. Il n’est plus question des secondes, mais les premières furent très vite largement distribuées. Avec l’invention d’Étienne la même année, la chose est claire. Jean n’emporta que les « grandes reliques », laissant les « petites » à Caphargamala. On connaît des exemples de translation assurée d’une force armée – comme celle de Syméon stylite en 45940 –, ce qui en dit long sur l’agitation et la ferveur qui pouvaient alors régner. Il n’était pas rare, en effet, que la foule essayât de s’emparer soit des reliques, soit des étoffes les recouvrant. Cependant, la critique faite aux trop zélés dévots du martyr Dométios montre que la chose n’était pas admise : Une grande foule accourut sur le point de mettre en pièces les reliques. Les séditieux furent blâmés41.

On peut penser que l’on dispersait plus volontiers des restes de corps déjà morcelés. La fragmentation (licite) était en tout cas réservée à l’évêque et requérait beaucoup de prudence et de solennité. Le patriarche d’Alexandrie Apollinaire, désireux d’obtenir une relique pour sa nouvelle église, dépêcha un émissaire au sépulcre des Trois Hébreux de Babylone, muni d’une lettre qui formulait sa requête, directement adressée aux saints. Après quelques péripéties, son souhait fut exaucé42. L’insistance sur le consentement nécessaire du saint vaut avertissement : l’obtention d’une relique est soumise à des règles strictes. Il fallut encore une série de visions divines pour qu’un diacre de l’église de Césarée fût autorisé à ramener un fragment de Corneille dans sa patrie. Le prélèvement donna lieu à une cérémonie : 〈Alors〉 l’évêque, ayant encore accordé 〈la requête〉, revêtit un habit blanc et son omophorion et prit dans sa main gauche le saint évangile, dans la droite un levier de fer ; Julien se ceignit de l’orarion du diacre, prit un encensoir et un cierge. On commença à entamer le couvercle de la châsse. Aussitôt elle s’ouvrit. L’évêque mit sa main dans le cercueil, mais ne pouvant rien attraper, il recula. Tous se remirent à prier avec crainte ; il se pencha de nouveau. Le bras droit de saint Corneille lui fut donné imperceptiblement du tronc jusqu’à l’articulation de la main, au point qu’il se mît à crier et à dire : « Ma main brûle. Prends ce qui m’est donné, veille à ce que le récipient dans lequel tu FLUSIN, Syméon, p. 22-23. Le cas d’Anastase le Perse, dont les reliques sont peu à peu dispersées, pour ainsi dire confisquées, tout au long du trajet qui les conduit au lieu de la déposition, est intéressant. Cf. Retour des reliques du saint martyr Anastase de Perse à son monastère (BHG 88) : FLUSIN, Anastase, I, p. 99-107 ; II, p. 330-352. 41 Pass. Dom., 22, p. 316, l. 22-24. Pour l’exemple d’Auxence : infra, p. 324. On devait ainsi inhumer les papes à couvert pour éviter les rapts de reliques. IVANOV, Pious dismemberment. 42 Pass. Cyr et Jean, col. 1236D. 40

CHAPITRE IV – LA DÉPOSITION

251

le déposes ne soit pas brûlé. » Et ainsi, Julien reçoit dans un voile43 la précieuse et sainte relique du bienheureux Corneille44.

Toute ouverture de châsse devait ressembler, à s’y méprendre, à une invention.

2. Le sanctuaire Dans tous les cas, la relique nouvellement découverte trouve sa place dans un lieu consacré. Ce peut être un martyrion (μαρτύριον ; μνημεῖον ; μεμόρι(ο)ν), mais encore une église –  épiscopale, paroissiale, monastique ou privée  – (ἐκκλησία ; σηκός ; ναός ; τέμενος ; σκηνή ; μάγαρον) ou une chapelle (εὐκτήριον/ εὐκτήριος οἶκος), les termes servant aux lieux du culte ordinaire pouvant être appliqués aux sanctuaires des lieux saints et autres martyria45. L’édifice n’est qu’assez rarement décrit dans nos sources, mais on imagine une très grande disparité, eu égard à la renommée du sanctuaire, son emplacement, sa fonction, la fortune des fondateurs, éventuellement l’implication impériale, etc.46 : L’empereur ayant grandement honoré l’évêque, le renvoya à Chypre avec beaucoup d’argent et un ordre (écrit) ; il lui avait enjoint d’ériger une église au saint apôtre Barnabé au lieu où sa précieuse relique avait été découverte. Beaucoup parmi les grands lui donnèrent aussi de l’argent pour la construction de l’église. Quand il gagna Chypre, ayant rassemblé une foule d’artisans et d’ouvriers, il s’attaqua à cette construction non pas avec négligence, mais il érigea une très grande église à l’apôtre, éclatante dans son agencement, plus éclatante par la diversité de son ordonnance, ceinte à l’extérieur de colonnades. Du côté de l’église, au sud (Ex 27, 9), il fit une grande cour qui comportait quatre portiques. Ayant construit de petites maisonnettes çà et là dans la cour, il ordonna d’y placer les moines qui accomplissaient les divines liturgies à l’église. Ayant apporté de loin une conduite d’eau, il fit en sorte qu’elle fît τὸ δισκοκάλυμμα : il s’agit du voile couvrant la patène (diskos). Vie Corn. 1, 7, p. 258-259, l. 107-118. 45 Pour les dénominations : M ARAVAL, Lieux saints, p. 193-195 ; SALAVILLE, Εὐκτήριον ; PALLAS, Sanctuaire ; BARTELINK, Maison de prière ; MOHRMANN, Église ; WIPSZYCKA, Katholikè ; MICHEL, Églises, p. 88-102. La distinction entre les églises de la liturgie quotidienne, et les martyria, réceptacles des reliques, où seules les fêtes des saints étaient célébrées, n’est pas toujours aisée à saisir, d’autant qu’elle devait tendre à s’estomper, à mesure que s’effaçait aussi la distinction architecturale entre les deux types d’édifices cultuels (les églises bâties sur un plan basilical et les martyria généralement à plan centré, issu des formes d’édifices funéraires antiques). Peu à peu, on se mit à introduire des reliques dans les églises et à y célébrer le culte des saints, ce qui entraîna parfois des modifications architecturales, voire une combinaison des formes. Cf. GRABAR , Martyrium ; L ASSUS, Sanctuaires ; WARD -P ERKINS, Memoria ; D EICHMAN, Märtyrerbasilika ; SPIESER, Fondations ; TSAFIR, Loca sancta ; OUSTERHOUT, Architecture ; H ADJITRYPHONOS, Monument. 46 Théodoret, Thérapeutique, VIII, 62, p. 333 : « Par contre, les sanctuaires de nos glorieux martyrs sont splendides, ils attirent tous les regards, ils sont imposants par leur grandeur, décorés avec richesse et éblouissants. » 43

44

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DEUXIÈME PARTIE

jaillir beaucoup d’eau, ayant bâti au milieu de la cour une très belle citerne, afin que ceux qui habitent en ce lieu ainsi que les étrangers aient en abondance la jouissance de cette eau. Il construisit encore beaucoup d’autres (logements) pour étrangers pour le repos des étrangers qui venaient y séjourner. Et l’on pouvait voir cet endroit, imitant par sa beauté une petite ville très belle47.

Il était souvent érigé au lieu de l’invention, c’est-à-dire, en règle générale, auprès du tombeau du saint, volontiers, on l’a vu, dans des zones rurales ou extra-urbaines : Moïse au sommet du Nébo, Job dans une grotte de Carnéas, les Sept Dormants sur une montagne à l’ouest de la ville, Jacques au mont des Oliviers, « près de la grotte où les saints avaient reposé jusque-là48 », Barnabé à cinq stades de Salamine, Habacuc et Michée en périphérie d’Éleuthéropolis, de même que Zacharie, etc. Lorsque la relique se trouvait déjà dans une église, elle y était, bien sûr, replacée : les Quarante Martyrs à Saint-Thyrse, aux portes de Constantinople, les mêmes, à Sainte-Irène, mais aussi André, Luc et Timothée aux Saints-Apôtres, au cœur de la ville. La relique n’était cependant pas toujours laissée sur place. On avait ainsi l’habitude de transférer le corps des évêques dans leur ville épiscopale lorsque ceux-ci étaient morts à l’extérieur ; c’est ce que l’on fit avec Basile d’Amasée. Néophyte le Reclus (1134-1220) semble, pour sa part, avoir éprouvé le besoin de justifier la présence du corps de Gennade de Constantinople († 471) à Chypre : Il me semble juste de se demander pourquoi aucun des empereurs ou des patriarches n’a décidé de transférer la relique du saint dans la reine des Villes, quand la plupart des autres reliques de saints ont été transférées. Il me semble que le saint n’y a pas consenti, mais a préféré s’établir en terre étrangère : il avait toujours fui la vaine gloire, afin de dire comme David (Ps 118, 19) : « Je suis un étranger et simple voyageur en cette île de Chypre » et afin que, lorsque le fils de l’homme enverra ses anges rassembler ses élus des confins de la terre – emporté non depuis la Ville impériale et le trône, mais de quelque confin et pays étranger –, il s’élève selon la parole divine (Mt 23, 12), puisqu’il s’est lui-même abaissé. Car celui qui est mort dans la vertu et la piété, même s’il subit cela en terre barbare, n’est en rien lésé ; de même que celui qui meurt dans la faute et l’impiété, même s’il meurt dans une chambre impériale, n’en tire aucun profit49.

Les reliques transférées étaient parfois déposées dans un sanctuaire préexistant, tel Basile dans l’église qu’il avait lui-même bâtie. Les martyrs milanais Gervais et Protais quittèrent les Saints-Nabor-et-Félix pour Saint-Ambroise et 47 48 49

Éloge Barn., p. 118-119, l. 818-841. A BEL, Jacques, p. 124. Éloge Genn., 9, p. 227, l. 17-29.

CHAPITRE IV – LA DÉPOSITION

253

Cyr et Jean, Saint-Marc d’Alexandrie pour les Saints-Évangélistes de Ménouthis, deux sanctuaires ‘en attente’ de reliques. En alla-t-il de même pour l’église du village de Parthen, qui accueillit le martyr Dométios découvert dans une grotte voisine ? Parfois, au contraire, le sanctuaire de la déposition abritait déjà des reliques : le martyr Marinos fut découvert gisant dans une grotte aux portes de Gindaros ; « on enleva sa relique. Elle fut transférée et déposée aux portes de la ville d’Antioche, à Saint-Julien50 », un martyrion qui abritait, en plus de celles du titulaire, les sépultures et les reliques de nombreux saints51. Les cendres des martyrs Luc, Phocas, Romain et compagnie furent, de même, déposées, à leur demande, dans le martyrion et à l’ombre des célèbres martyrs Serge et Bacchus. Plus souvent, la relique, transportée plus ou moins loin du lieu de l’invention, était déposée dans un sanctuaire spécialement bâti pour la recevoir. Les restes des martyrs de Gaza avaient été privés de sépulture ; l’évêque Zénon les déposa dans un martyrion qu’il érigea devant la ville. Les Trois Hébreux ne pouvaient rester en leur sépulcre, la demeure d’un juif ; le préfet Malpha « édifia aux bienheureux un martyrion de sainteté dans le monastère du bienheureux Antoine, et les déposa en ce lieu avec grand honneur52 ». On éleva une église pour le chef du Baptiste ; rien n’indique que ce fut au Spélaion : par sa nature, la relique n’était pas attachée à un tombeau, et le lieu de l’invention, un ancien ermitage hérétique, pourrait avoir eu une valeur négative. Théodose avait jadis transporté la même relique dans une église érigée par ses soins à l’Hebdomon aux portes de Constantinople, depuis le monastère macédonien (?) de Cosilaos. Les patrices Galbios et Candidos déposèrent le vêtement marial, qu’ils avaient dérobé, dans leur « villa (προάστειον) en dehors du rempart, vers l’extrémité de la mer, appelée la Corne, au lieu surnommé les Blachernes », et construisirent pour elle une chapelle dédiée aux apôtres Pierre et Marc, plus tard ‘embellie’ par Léon Ier et son épouse Vérine. Les transferts, semble-t-il, se devaient d’être justifiés, d’une manière ou d’une autre. C’est ainsi que, pour la relique d’Étienne, déplacée du village de l’invention, Caphargamala, à la Sainte-Sion de Jérusalem, on rappela opportunément que le protomartyr y avait été désigné comme l’un des sept diacres (Ac 6, 5). Le cas de Joseph est un peu différent, car la translation à la Grande Église n’impliqua sans doute qu’une partie des reliques, le tombeau principal

50

Malalas, Chron., XVIII, 49, p. 380. L’accumulation de reliques dans un même sanctuaire est courante ; pour les inhumations de moines près des reliques, et en particulier à Saint-Julien d’Antioche : DUVAL, Ad sanctos, p. 73-82. 52 Inv. géo. Trois Enfants, 49, p. 95. 51

254

DEUXIÈME PARTIE

demeurant à Sichem53. Or, lorsque le lieu de la déposition n’était pas le lieu de l’invention, il était souvent déterminé par un miracle : Lorsqu’ils furent arrivés à Panteichion – c’est un fort de Chalcédoine –, les mules qui tiraient la voiture refusèrent d’aller plus loin, et ce malgré les menaces des muletiers et les violents coups de fouet du cocher. Comme ils n’aboutissaient à rien – la chose paraissait à tous et à l’empereur même avoir un caractère miraculeux et divin –, ils déposèrent cette sainte tête [du Baptiste] à Kosilaoukômé54.

La chose se reproduisit plusieurs fois : ainsi, pendant la translation d’Étienne à Constantinople, les mules s’immobilisèrent avant de parvenir à destination ; on dut déposer la relique55. Le miracle prit encore d’autres formes56, mais le résultat était le même : l’abandon du choix initial du lieu de la déposition. Ensuite, l’évêque ordonne de fabriquer un nouveau cercueil, dans lequel fut déposée la sainte relique avec pompe, hymnes et beaucoup d’encens. Puis ils l’enlèvent avec des lampes, une grande et nombreuse escorte, avec des renforts, pour la transférer et l’inhumer dans la très sainte église [ville ?] épiscopale. Parvenus au lieu où à présent se dresse son église, les porteurs de la châsse 〈du patriarche Gennade〉 commencèrent à fatiguer sous le poids de leur fardeau, et la déposèrent par terre pour se reposer. Mais ils ne purent l’enlever de ce lieu ; elle était immuable, comme fixée 〈en terre〉 par de profondes racines. Ils comprirent alors, finalement, que le saint voulait être inhumé en ce lieu. C’est pourquoi ils l’enterrent avec honneur en ce même lieu57.

Or, après une invention, il fallait des sanctuaires à la hauteur de l’événement et des reliques qu’ils allaient abriter, et ces édifices avaient un prix que l’Église locale, si aisée fût-elle, ne pouvait pas toujours assumer58. L’identité du fonda53

Malgré le symbole que ce transfert dut alors représenter, on peut s’étonner de n’avoir plus aucune information sur les reliques du patriarche parvenues à Constantinople. Sozomène, H.E., VII, 21, p. 180-181 (SC). 55 Selon un schéma inversé, lorsque les envoyés impériaux vinrent chercher le moine Auxence pour le mener à Constantinople, les mules refusèrent obstinément de se mettre en route ; le saint leva l’obstacle : infra, p. 324. 56 On pense, par exemple, à la translation miraculeuse de la châsse de Corneille, qui choisit son emplacement dans l’église : supra, p. 245 ; voir encore Vie Corn. 1, 5, p. 37, l. 59-71. C’était aussi souvent un cercueil naviguant sur les flots : « un des lieux communs dont les hagiographes ont le plus abusé dans les histoires de translation de reliques » (DELEHAYE, Sanctus, p. 144), tel celui de Ménas qui dériva pendant vingt jours, jusqu’à Byzance. Il n’y avait parfois pas d’autre embarcation que le corps lui-même : Basile d’Amasée navigua, tête et corps miraculeusement rattachés, de Nicomédie, lieu du martyre, jusque Sinope, lieu de l’invention. 57 Éloge Genn., 8, p. 226, l. 33-35 à p. 227, l. 1-7. 58 Ainsi, Justinien acheva la Néa de Jérusalem, dont le patriarcat, qui l’avait initiée, ne pouvait terminer à lui seul la construction ; l’église mariale n’avait pas de reliques, mais sa grandeur et sa dédicace devaient en faire un centre religieux de premier plan. Le patronage impérial l’en assurait. 54

CHAPITRE IV – LA DÉPOSITION

255

teur n’est pas systématiquement précisée dans nos sources. Quand elle l’est, ce n’est que rarement un évêque, ou alors, à titre privé59 : Zénon de Maïouma déposa ses propres parents dans un martyrion, qui acquérait de ce fait des allures de chapelle familiale ; il y avait encore quelque chose d’une implication personnelle dans la déposition de Gervais et Protais par Ambroise de Milan60. Pourtant, si les évêques ne sont pas en général les fondateurs de l’édifice, ils n’en avaient pas moins souvent la charge de veiller à sa construction, à l’exemple du Martyrium de Jérusalem, et la responsabilité d’honorer dignement la relique incombait au chef de l’Église61. Mais une invention était un si grand événement qu’elle attirait l’attention et la générosité des donateurs. L’édifice est donc à lire en terme de diversité des implications et des responsabilités : Tous donc sans traîner, construisez leur temple et en grande gloire et foi, déposez(-y) leurs reliques. Heureux est le pontife de la sainte ville du Christ Jérusalem, car en ses jours ces perles se sont révélées pour rendre témoignage à son souverain sacerdoce et l’affermir. (Je vous demande) de le lui faire savoir, et il pourra bâtir leur temple prestement et dans la foi, et y dresser des images62.

Le financement de l’édifice, on l’imagine, posa parfois problème. L’évêque Silvain de Troas était dans l’embarras : Corneille apparut à un notable bien nommé (Eugénios), dont on ne sait même pas s’il prit part à l’invention, et le chargea de la construction. Le choix du fondateur se fit aussi miraculeusement dans le cas de Jacques et ses compagnons, par une apparition du saint. Quelquefois, il s’agit du propriétaire du terrain comme le notable de Parium pour le sanctuaire d’Onésiphore et Porphyre. Un « tribun » (tribunus) fit édifier l’église Saint-Job à Carnéas, le préfet Malpha le martyrion des Trois Hébreux à  C AILLET, Évergétisme : on peut « se demander si l’évêque s’est toujours trouvé à l’origine de l’entreprise, ou s’il a simplement donné son aval à un projet conçu par d’autres ». Dans cette étude locale, fondée sur le matériel épigraphique et les textes, l’auteur constate que « son nom apparaît presque systématiquement dans les inscriptions de dédicace ». AVRAMÉA, Constructions ; FEISSEL, Évêque, p. 820-825. Pour l’implication financière des clercs, voir le cas de Marcien, économe de la Grande Église et peut-être dernier évêque des novatiens de Constantinople : WORTLEY, Marcien. Cf. WIPSZYCKA, Clercs. Pour l’Occident : SOTINEL, Personnel, p. 121. 60 Il est possible que Jean de Jérusalem ait restauré la Sainte-Sion avant d’y transférer les reliques d’Étienne ; mais cela n’est pas dit dans le récit et il se pourrait aussi que la translation ait fait naître l’idée qu’il avait construit l’édifice : HUNT, Holy Land, p. 217-218. On peut lire dans un sermon attribué à Basile de Séleucie (Sermo 41, col. 469A) que Juvénal érigea Saint-Étienne, à Jérusalem, une fondation généralement attribuée à l’impératrice Eudocie. 61 Éloge Barn., p. 119, l. 824-827. Il est intéressant de lire dans la Vie Corn. 2, IV, 18, col. 1309B, que l’évêque Philostorgios ne s’occupa d’orner l’église qu’après la mort du fondateur. Pour l’Occident et « la délégation aux clercs des travaux de construction » : SOTINEL, Personnel, p. 117. 62 Ap. Zach. et al., 10, 67, p. 92. La fondation est cependant très rarement présentée, à l’instar de Jean Rufus, Vie de Pierre l’Ibère, 121, Récits, p. 167, comme collective : « Et ainsi, comme ils crurent que la vision était vraie, et avec eux beaucoup de saints, tous les habitants de la région apportèrent en hâte des matériaux de construction et cette église fut élevée au nom du grand prophète et législateur. » 59

256

DEUXIÈME PARTIE

Séleucie-Ctésiphon, le sénateur Alexandre celui d’Étienne à Jérusalem, les patrices Galbios et Candidos déposèrent la relique du vêtement marial dans leur villa des Blachernes et érigèrent pour elle « une maison de prière » dédiée aux apôtres Pierre et Marc63, etc. Les fondations d’Aurélien et du patrice Stoudios eurent peut-être pour but d’abriter respectivement les reliques tout juste découvertes d’Étienne et Jean Baptiste, mais sans succès64. La fondation peut encore être impériale ou partiellement financée par l’empereur, comme SaintBarnabé bâti par l’évêque Anthémios de Salamine sur ordre et avec une dotation de Zénon ainsi que de nombreux dignitaires65.  Théodose  Ier érigea à l’Hebdomon une église pour y déposer le chef du Baptiste. 〈Léon Ier et Vérine〉 honorèrent dignement le précieux vêtement de NotreDame mère de Dieu en toute gloire et tout honneur. Ils appelèrent [le sanctuaire] la vénérable maison de la mère de Dieu (σεβάσμιον αὐτῆς οἶκον ἐπωνόμασαν)66. Ils firent faire une châsse d’une parfaite beauté en or pur et en pierres précieuses. Et en toute gloire et tout honneur ils y déposèrent le dit coffret avec le glorieux et vénérable trésor67.

Les inventions des Apôtres et des Quarante Martyrs eurent lieu dans deux églises, les Saints-Apôtres et Sainte-Irène, reconstruites ou restaurées par Justinien. Cependant, excepté la manifestation de leur piété, très peu de motifs sont avancés dans nos récits pour l’implication des laïcs dans la fondation. Il n’est pour ainsi dire jamais fait mention de l’investissement patrimonial engagé dans ces constructions au-delà de la mise en avant de la libéralité du fondateur ou donateur68. En revanche, la volonté de reposer à côté des reliques, suivant la pratique de l’inhumation ad sanctos, est plusieurs fois soulignée69. C’était le privilège des empereurs que d’être enterrés auprès des apôtres ; bien des fon-

63 Lég. Galb. et Cand. 1, 11, p. 300-301, l. 16-19. Sur les fondations privées : THOMAS, Foundations ; pour le sens exact de « fondateur » : K AMBOUROVA, Ktitor. 64 Plusieurs sanctuaires constantinopolitains ont été fondés par des fonctionnaires impériaux, souvent des préfets du prétoire, généralement des consuls – le titre, quoique purement honoraire supposait d’engager de grandes dépenses, notamment des jeux, ainsi que des constructions, civiles et religieuses : Rufin (cons. 392), César (cons. 397), Aurélien (cons. 400), Sphorakios (cons. 452), Stoudios (cons. 454), Anthémios (cons. 455), fondèrent des sanctuaires dédiés respectivement à Pierre et Paul, Thyrse, Étienne, Théodore, Jean Baptiste, Thomas. 65 Les contributions étaient variables ; cf., par exemple, la donation du magister militum Anatolius d’un reliquaire d’argent pour les os de l’apôtre Thomas (442) : PLRE II, p. 85 (Anatolius 10). 66  Il ne s’agirait donc pas d’une fondation, mais d’une nouvelle dédicace à la mère de Dieu des Saints-Pierre-et-Marc érigés par Galbios et Candidos. 67 Lég. Galb. et Cand. 1, 12, p. 300-301. 68 Pour un exemple un peu développé, on peut lire la Vie de saint Marcien, économe de la Grande Église : WORTLEY, Marcien. 69 LECLERCQ, Ad sanctos ; DUVAL, Ad sanctos ; SODINI, Tombes, p. 235.

257

CHAPITRE IV – LA DÉPOSITION

dateurs eurent le même dessein70, une hérétique – elle avait légué sa demeure à des moines moyennant le respect de ses volontés – poussant l’audace jusqu’à vouloir conserver un reliquaire des Quarante Martyrs dans son cercueil. Le consul César construisit plus tard une église sur la maison de cette dernière, désireux d’y reposer avec son épouse : ignorait-il la présence des reliques ? En tout cas, il semble avoir obtenu pour sa fondation des reliques du martyr Thyrse. Quant au sénateur Alexandre, il fit valoir ses droits de fondateur et prit place, dans la mort, auprès du diacre Étienne. Si l’on peut s’interroger sur la véracité de ce récit, il ne fait aucun doute que, plus tard, l’impératrice Eudocie, fondatrice de Saint-Étienne, obtint pour elle cette faveur. Les fondateurs assuraient ainsi le repos de leur âme71, et comme Gamaliel, livraient avec confiance leur corps au sommeil de la mort, à l’ombre des reliques, dans l’attente de la résurrection72. Tableau abrégé de la répartition des reliques Lieu de l’invention / de la déposition

Nouveau sanctuaire

Sanctuaire Monastère préexistant voisin

C

Jacques, etc.

Jérusalem (mont des Oliviers)

+

+

C

Job

Carnéas

+

+

C

Eusèbe, Nestabos et Zénon

Gaza/Maïouma

+

C

Habacuc

près d’Éleuthéropolis

+

C

Michée

près d’Éleuthéropolis

+

C

Zacharie

près d’Éleuthéropolis

+

(?)

C

Trois Hébreux

Séleucie-Ctésiphon

+

+

C

Moïse

Mont Nébo

C

Corneille

Skepsis

+

C

Sept Dormants

Éphèse

+

F

Le chef du Baptiste

Émèse

+

(?)

C

Barnabé

Salamine

+

+

C

Luc, Phocas, Romain

Orthôsias > ?

70

(?)

+

+

+

Par exemple, le préfet du prétoire Rufin avait prévu sa sépulture près de reliques des apôtres, et érigé à cette fin une église et un monastère. Sa chute empêcha l’exécution de ses dernières volontés. 71 Des prières étaient prononcées pour le salut de leur âme, de leur vivant comme après leur mort. 72 Supra, p. 89.

258

DEUXIÈME PARTIE Lieu de l’invention / de la déposition

Nouveau sanctuaire

Sanctuaire Monastère préexistant voisin

(?)

Georges

Ezra

+

C

Marinos

Gindaros > Antioche

+

F

Le chef du Baptiste

Jérusalem > près de Chalcédoine

+

F

Le chef du Baptiste

près de Chalcédoine > Constantinople (Hebdomon)

(?)

+

F72bis Joseph

Sichem > Constantinople

+

F

Quarante Martyrs

Constantinople

+

F

Vêtements du Christ

Jérusalem > Constantinople

+

F

Vêtement de la Vierge

Palestine > Constantinople (Blachernes)

F

André, Luc, Timothée

Constantinople

+

F

Quarante Martyrs

Constantinople

+

+

+

C : corps entier ; F : fragment ou relique secondaire (habits)

3. La place de la relique Même s’il était parfois malaisé de rassembler les restes, en particulier lorsqu’ils avaient été dispersés comme ceux des martyrs de Gaza73, il était nécessaire de ne rien oublier sur place, surtout en des lieux indus – chez le juif de Babylone, les chrétiens « recueillirent tout avec la cendre, et ne laissèrent rien du tout dans le lieu74 » –, d’offrir même honneur aux petites comme aux grandes reliques, si infimes soient-elles. Donner une sépulture au corps, enchâsser les reliques est une nécessité : l’higoumène Abramios procéda au plus vite à la mise au tombeau d’Anthousa, pourtant demeurée quatre ans à l’air libre sans dommage ; les deux diacres d’Amasée firent de même avec le corps de leur évêque ou l’évêque de Paphos avec celui du patriarche Gennade ; Théodose II fit tout de suite préparer sept cercueils pour les Dormants d’Éphèse. Or, fait

72bis

La légende du corps entier transféré à Constantinople ne correspond guère à la réalité des faits. Voir encore le sauvetage miraculeux des reliques du Baptiste à Sébaste. 74 Inv. géo. Trois Enfants, 40, p. 93. Cyrille d’Alexandrie, ne pouvant différencier les martyrs Cyr et Jean, les emporta tous deux et les déposa ensemble : Hom. Cyr et Jean 2, col. 1101C. 73

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extraordinaire, ils demandèrent expressément à reposer à l’air libre dans la caverne, couverts de leurs seuls linceuls75. Les reliques ou la châsse qui les contient sont, d’habitude, enroulées dans des étoffes propres et précieuses76. Une femme, dit-on, découvrit l’image du Seigneur imprimée sur un linge dans un puits de son jardin. Elle l’en retira avec les plus extrêmes précautions et l’entoura d’une étoffe77. Les souverains usaient pour cela de la pourpre impériale, tel Léon Ier pour le vêtement marial ou Théodose Ier pour la châsse du Baptiste. Quoi qu’il en soit, le corps sans sépulture est une anomalie : on a fait remarquer l’empressement d’Ambroise de Milan à inhumer les corps des martyrs Gervais et Protais tout juste exhumés et sa réticence à prolonger leur exposition, en dépit du désir des fidèles. La manipulation des corps est chose délicate. L’opération requérait de la solennité et possédait ses règles78 : « Nous disposâmes ces restes dans l’ordre convenable79 », rapporte Ambroise. Les reliques recueillies sont placées dans un réceptacle. Lorsqu’elles se trouvaient déjà dans un sarcophage80 ou, plus rarement, un reliquaire81, on peut se demander si celui-ci était conservé82. L’évêque Anthémios, s’étant mis à la recherche de la grotte contenant la λάρναξ de Barnabé, y découvrit une

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Les reliques sont rarement exposées à l’air libre, ni même visibles à travers le reliquaire comme en Occident. On pense cependant au « vase de verre » du chef du Baptiste : Ant. Plac., 46, 7, Récits, p. 235. 76 Inv. trois patr., VIII, p. 308. Vigilance dénonce cette pratique comme une impiété, voir Jérôme, C. Vigilance, 5, col. 343A, 343C. Sur les reliques et les tissus : METZGER, Tissus. 77 Il s’agit de l’image de Camouliana. 78 Vie Corn. 2, 14, col. 1308B : dès le jour de l’invention, Silvain de Troas avait « ordonné au clergé d’effectuer une pannychie et une psalmodie, et d’honorer le sarcophage pendant toute la nuit par des hymnes, des lumières et de l’encens. » De même, selon Éloge Barn., p. 116-117, l. 770-772 : « l’évêque 〈Anthémios〉 avait institué en ce lieu des hommes pieux chargés de rendre gloire à Dieu par des hymnes soir et matin. » 79 Ambroise, Ep. 22, 2, col. 1020A, tr. L ABRIOLLE, Ambroise, p. 94. 80 DUVAL, Sarcophage. 81 BRAUN, Reliquiare ; COMTE, Les reliquaires (Proche-Orient, Chypre). Les distinctions régionales sont importantes : taille, matériau, emplacement, etc. Les reliquaires en pierre étaient assez rarement décorés ou inscrits. On le comprend pour ceux qui étaient enfouis sous terre, mais qu’en était-il des autres, visibles aux yeux de tous ? Pour les reliquaires en argent historiés : NOGA-BANAI, Trophies, ici p. 132 : « The rise of the cult of local martyrs within the church and its relevance to the local community may explain the images of the local martyrs on the caskets. » Voir encore les catalogues d’expositions ; parmi les plus récentes : Treasures of Heaven ; Cradle of Christianity, p. 77-79. 82 La relique, transmettant sa puissance à l’objet qui la renferme, celui-ci demeurait parfois, même vidé de son contenu, digne de vénération, et au besoin opérait des miracles. Selon ce principe, on imagine que le cercueil, le reliquaire de l’invention, avaient un statut particulier. On ne saurait pourtant affirmer que ce fut toujours le cas, faute de connaître leur sort. Si l’on offrait souvent à la relique un nouveau réceptacle de plus grande valeur, rien n’indique que l’on mettait l’ancien au rebut ; connaissait-il alors une seconde vie ? DIERKENS, Reliquaires, p. 248s.

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σορός munie d’un couvercle, qu’il prit soin de sceller avec du plomb jusqu’à son retour de mission dans la capitale ; alors, il construisit une église dans laquelle il déposa la sainte θήκη. Des miracles en jaillissaient chaque jour. S’agit-il du cercueil (λάρναξ ; σορός) découvert préalablement, ou bien le corps a-t-il été placé dans un plus digne réceptacle ? On observera en tout cas le changement de vocable : de la λάρναξ / σορός à la sainte θήκη ; à partir de la déposition dans le sanctuaire de Salamine, le cercueil ou la châsse renfermant la relique n’est plus désigné que sous ce seul terme, toujours accompagné de l’épithète qui le caractérise. Dans la Révélation de saint Étienne, si l’on ne rencontre jamais les termes σορός  / λάρναξ  / γλωσσόκομον 83, on trouve fréquemment θήκη : le tombeau (μνημεῖον) de Gamaliel en abrite six, dont une double, surélevée, munie d’une petite porte ; lorsqu’on ouvre la θήκη d’Étienne, elle laisse échapper un doux parfum. Il s’agit plutôt de loculi, seule la dernière occurence pouvant se référer à un sarcophage. Sozomène s’attarde assez longuement sur le dispositif funéraire et liturgique clandestin mis au jour dans le sous-sol de Saint-Thyrse (c’était jadis la demeure d’une hérétique) : dans un petit oratoire (on retrouva l’accès de la crypte près de l’ambon), la θήκη ou la σορός de l’ancienne propriétaire des lieux, dont le couvercle servait de table d’autel ; non loin, une seconde θήκη, contenant le corps d’une autre femme. Dans la première σορός, au niveau de la tête de la défunte, une cavité spéciale, en forme de coffre scellé et formant renflement, abritait des reliques ; le coffre et le couvercle de la σορός étaient percés d’un petit trou. Après l’invention, l’impératrice Pulchérie déposa les reliques dans une magnifique θήκη (châsse ; reliquaire ?) « aux côtés du divin Thyrse ». La dépouille de Zacharie est dans une double λάρναξ (plomb à l’extérieur, bois à l’intérieur). Σορός est utilisé en alternance avec λάρναξ pour désigner les sarcophages de Barnabé et Corneille. Cependant Syméon Métaphraste, dans sa Vie de Corneille, emploie le terme σορός à l’exclusion de tout autre pour désigner la tombe ou le sarcophage du saint (d’abord prévu(e) pour la femme et le fils de Dèmètrios). C’est la même σορός qui va trouver place, d’elle-même, dans l’église. Pour sa part, l’auteur de l’abrégé use toujours du terme λάρναξ, sauf en une occurence : « sa σορός ou bien sa λάρναξ les suivait sans qu’elle fût (por-

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Le terme peut avoir de nombreuses significations dérivées de son sens premier d’« étui ». Des témoins oculaires écrivent les Actes des Sept Dormants sur des tablettes de plomb qu’ils placent dans un γλωσσόκομον en fer, scellé de deux sceaux d’argent : Pass. sept Dorm., 10, col. 436D ; il est retrouvé plus tard : 17, col. 445A. À noter que le γλωσσόκομον en fer contenant le corps du martyr Ménas, jeté à la mer, navigua miraculeusement sur les flots. Il n’est alors plus désigné que comme une σορός.

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tée) à bras d’hommes ni tirée par des liens84. » Le corps est parfois directement déposé dans une λάρναξ (Zacharie ; Barnabé ; Corneille), qui peut aussi renfermer un γλωσσόκομον85. On glanerait dans nos sources fort peu d’informations sur les formes et matières du sarcophage : outre la double λάρναξ (plomb et bois) de Zacharie, le γλωσσόκομον περσεινόν d’Étienne, les θῆκαι en bois des Apôtres ou la σορός d’Eusébia avec cavité interne autonome pour les reliques et trou pour écoulement de fluide vers les reliques, on rencontre plusieurs mentions de couvercles, sur le sarcophage (λάρναξ ; σορός) de Barnabé, (lapis) de Job86, etc. Σορός et θήκη peuvent encore désigner des reliquaires, en alternance avec κιβώτιον, comme celui des Quarante Martyrs à Sainte-Irène87. Une urne cinéraire en plomb était frappée d’une inscription aux noms des martyrs Luc, Phocas, Romain et compagnie. Deux boîtes à parfums en argent (ἀλαβαστροθῆκαι ἀργυραῖ) contenant les reliques des Quarante Martyrs furent trouvées dans la cavité en forme de coffre-reliquaire (εἰς κιβωτοῦ σχῆμα περιεξεσμένον) ménagée dans le sarcophage d’Eusébia et munie d’un couvercle fermé par des liens de fer88. Les reliquaires ne sont guère décrits dans nos sources, même si les formes de boîte ou de vase semblent dominer89 : les deux moines inventeurs de la tête du Baptiste « la mirent dans un sac en poils de chameau (ἐκ τριχῶν καμήλου 84

Vie Corn. 1, 5, p. 37, l. 63-64. Nicéphore Calliste (H.E., XIV, col. 1084A) précise que le sénateur Alexandre fut déposé dans une λάρναξ semblable à celle d’Étienne ; dans sa hâte, sa veuve emporta le γλωσσόκομον du saint. Les deux termes sont-ils ici synonymes, ou bien le premier n’était-il que ‘l’enveloppe’ du second ? Il est difficile de le dire. Le titulus (τίτλον) était cloué à l’extérieur (ἔξωθεν) du γλωσσόκομον. À Saint-Marc d’Alexandrie, les corps des martyrs Cyr et Jean furent découverts dans τὸ σεπτὸν σορίδιον (mss. : σπιρίδιον ou στωρίδιον, sans doute « une forme altérée de σορίδιον, diminitif de σορός attesté par ailleurs » : Éloge Cyr et Jean, 27, 11, p. 60-61, n. 55 (PO)). 86 Égérie, Journal, p. 197 : adparuit lapis : quem lapidem cum perdiscoperuissent, inuenerunt sculptum in coperculo ipsius Iob. Le passage ainsi traduit par Pierre Maraval : « une dalle apparut aux fouilleurs. Lorsqu’ils eurent dégagé cette dalle, ils trouvèrent, gravé sur le dessus : IOB. », est compris de manière un peu différente par PICCIRILLO, Arabie, p. 112 : « un sarcophage dont le couvercle, une fois bien nettoyé, révéla une sculpture de Job. » Pour les sarcophages sculptés : C AILLET – LOOSE, Sculpture. 87 On redécouvrit aux Saints-Apôtres, renfermant la θήκη de Constantin et de ses successeurs, les trois θῆκαι d’André, Luc et Timothée, enfouies sous le sol de l’église. Étaient-ce des cercueils à taille humaine ? Cela est peu probable si l’on considère qu’ils furent portés dans un char impérial par le patriarche Ménas. Mais l’emploi de θήκη par Procope pourrait vouloir en donner l’illusion, ou du moins signaler les restes de corps entiers. Pour contenir les fragments des reliques des Quarante Martyrs, retrouvés peu après et dans les mêmes circonstances, Procope emploie le terme κιβώτιον : Procope, De aed., I, 7, 4, 14. 88 Sozomène, H.E., IX, 2, 16.  89 Le cercueil en bois de Gennade (Éloge Genn., 8, p. 227, l. 3) est qualifié de κιβώτιον. L’emploi de ce terme est symbolique dans le contexte d’une translation de relique, en référence au transfert de l’arche d’alliance. S’ils adoptaient volontiers la forme d’un cercueil, les reliquaires étaient toujours de taille plus réduite. Il faut donc distinguer entre un véritable cercueil (γλωσσόκομον), pour une première sépulture (par ex., celui de Gennade), et un reliquaire. Vase : cf. Ac 9, 15. Les « vases » sont volontiers enfermés dans des reliquaires en forme de boîte. 85

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κατεσκευασμένοις μαρσίποις) […] comme jadis au désert le vêtement en poils de chameau qui entourait son corps90 ». Un potier s’en empara et la conserva dans un κιβώτιον91 qu’il remit, scellé, à sa sœur ; puis la précieuse tête échut à plusieurs personnes, renfermée dans une ὑδρία92, celle-là même que devait finir par découvrir l’abbé Marcel. Les fidèles venaient vénérer la relique dans un « vase de verre93 ». Une femme de Gaza enferma les restes des trois frères martyrs dans une « marmite » (χύτρα) ; l’évêque Zénon la déposa-t-il dans le martyrion94 ? Cyrille de Jérusalem mit les os de Jacques, Zacharie et Siméon dans un coffre (in locello95) ; rien n’indique un changement de réceptacle lors de la déposition définitive. La relique n’occupait pas une place fixe dans l’église ; parfois même n’étaitelle pas intégrée à l’édifice proprement dit, mais déposée à proximité immédiate, soit à l’air libre, par exemple circonscrite et protégée par un enclos, soit dans quelque bâtiment annexe, édicule ou martyrion96. Mais lorsqu’elle se trouvait dans l’église, la volonté de l’y disposer ou de lui accorder tel emplacement bien défini put entraîner des problèmes de construction ou d’aménagement. Cela pourrait expliquer, à Carnéas, l’inachèvement de Saint-Job érigé directement au-dessus du tombeau97 : en l’honneur de Job, on construisit à cet endroit l’église que vous voyez, sans déplacer cependant la dalle ni le corps en un autre endroit, mais de sorte que le corps reste enseveli là où on l’avait trouvé et qu’il repose sous l’autel. Cette église, que faisait construire je ne sais quel tribun, est restée inachevée jusqu’à ce jour98.

Le tombeau de Moïse était invisible, mais on montrait, à la fin du IVe siècle, son emplacement dans une petite église, au niveau de l’ambon ; un siècle plus tard, Jean Rufus raconte comment « cette église avait été élevée sur lui, comment étaient l’autel et la table, et sous l’autel un récipient plein d’huile et de poussière99 ». Il n’y est plus question de l’éminence que vit Égérie.

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Prem. inv. chef du Bapt., col. 420D, l. 23. Ibid., col. 422C, l. 61, 67. Ibid., col. 424A, l. 88. 93 Ant. Plac., Itin., 46, 7, Récits, p. 235.  94 Sozomène, H.E., V, 9, 6.  95 App. Jac. et al., p. 124, l. 36, tr. A BEL, Jacques, p. 487. 96 La relique de la Croix se trouvait, par exemple, dans une pièce séparée du Martyrium. Cyrille d’Alexandrie déposa les reliques de Cyr et Jean aux Saints-Évangélistes de Ménouthis dans « le tombeau d’usage pour les martyrs » (τὸ συνήθες, ὡς μαρτυροῦσιν, μνημεῖον) » : Hom. Cyr et Jean 2, col. 1101C, tr. GASCOU, Cyr et Jean, p. 253. 97 Ce fut peut-être aussi le cas pour le prophète Michée. Les premiers martyria : GRABAR, Martyrium. 98 Égérie, Journal, p. 196-197. 99 Jean Rufus, Vie de Pierre l’Ibère, 120, Récits, p. 166. 91

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Une église pouvait abriter des reliques en plus ou moins grand nombre et plus ou moins importantes, à des emplacements variés, plus ou moins ouverts aux fidèles100 : sous l’autel, dans une crypte accessible par un escalier101, dans le diakonikon ou telle chapelle annexe, dans la nef centrale, les collatéraux, voire disséminées par tout l’édifice, sous le sol, dans les murs, les piliers, les colonnes102, etc. Il reste que leur emplacement privilégié se fixa très tôt à proximité du sanctuaire. Dans nos récits d’invention, le lieu exact de la déposition n’est guère spécifié ; on trouve toutefois plusieurs mentions de déposition sous ou près de l’autel, ou dans un diakonikon. La place qu’il s’était, semble-t-il, réservée à lui-même sous l’autel (sub altari), Ambroise la céda « aux victimes sacrées », c’est-à-dire aux reliques de Gervais et Protais, non sans préciser que ce lieu était « dû aux martyrs ». On déposa « sous l’autel » (sub altarium)103 de la fondation de Paul à Jérusalem les reliques de Jacques, Zacharie et Siméon ; sous celui des Saints-Apôtres, les châsses d’André, Luc et Timothée104. Dans un oratoire secret, la tombe de la macédonienne Eusébia contenait un reliquaire des Quarante Martyrs de Sébaste ; « son couvercle avait été taillé comme pour une table sainte » (εἰς ἱερὰν […] τράπεζαν)105. Il y a encore ces châsses déposées à droite du thusiastèrion (ἐκ δεξιῶν τοῦ θυσιαστηρίου), comme celle de Barnabé106 : M. Sotiriou a pu retrouver récemment la partie de ce sanctuaire qui servit de martyrium à saint Barnabé : c’est une petite salle à absidiole qui flanque du côté Sud l’abside du chœur de l’église. Elle a pour pendant un local de même largeur, mais dépourvu d’absidiole, de sorte que dans son ensemble le chevet

Notamment : DUVAL, Architecture, p. 79-92 ; MICHEL, Reliques et ID., Églises, p. 72-81 ; SODINI, Liturgie, p. 240-241. 101 SODINI, Cryptes. Les fidèles allaient vénérer le chef du Baptiste dans la crypte de son église d’Émèse (Théophane, Chron., I, p. 431). La crypte secrète d’Eusébia : supra, p. 260. 102 TETERIATNIKOV, Crosses et E AD., Relics, p. 77-84. 103 App. Jac. et al., p. 124, l. 41 (correction des éditeurs ; dans le manuscrit : altario), tr. A BEL, Jacques, p. 487. 104 La déposition de reliques de martyrs sous l’autel devint, on l’a vu, assez vite une règle. Le monde syriaque fait alors exception : on n’y dépose jamais de reliques sous l’autel, mais un emplacement leur est réservé dans la partie orientale de l’église, au chevet triparti, au nord (Antiochène) ou au sud (Apamène) de l’abside. Cette pièce prend le nom de martyrion, tandis que l’autre pièce est le diakonikon. D’autre part, l’autel n’est pas toujours fixe aux premiers siècles, ainsi, par exemple, ne le devient-il, en Arabie, qu’au début du VIIe siècle. Pour la distinction entre dépôt de reliques et sépulture de saint, cf. DONCEEL-VOÛTE, Chapelle, p. 191 : « […] il y a bien ce ‘dépôt’ de reliques sous l’autel, mais il n’a pas le sens d’une sépulture. Les textes pertinents sont clairs : ce dépôt fait partie du rituel de fondation. […] » ; et la n. 38 : « Pour ce qui est de la tombe du saint homme Job située sous l’autel dans l’église du diocèse de Carnéas, dont parle Égérie, il s’agit en fait d’une église élevée par après au-dessus d’un lieu saint en profondeur […] Ce n’est donc pas d’un ‘tombeau d’autel’ ad hoc qu’il s’agit. […] » 105 Sozomène, H.E., IX, 2, 13, p. 386-387 (SC). 106 Éloge Barn., p. 119, l. 841-843. 100

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du monument est asymétrique, et cela depuis sa fondation. Son architecte n’a certainement pas été libre de choisir l’emplacement pour le corps saint qu’il s’agissait d’héberger dans le sanctuaire nouveau. Ne pouvant ni éviter l’absidiole du côté Sud (celui du martyrium) ni en construire une deuxième, symétrique, de l’autre côté du chevet (où il n’y avait pas de relique), il obéissait évidemment à un programme précis d’architecture sacrée, dont il n’avait pas à modifier les dispositifs107.

ou encore celle de Corneille, alors que les architectes lui avaient, selon les vœux du fondateur, ménagé une place dans le thusiastèrion (εἴσω τοῦ θυσιαστηρίου) de l’église108. On peut hésiter ici sur le sens exact de ce terme, qui désigne tantôt le sanctuaire, tantôt l’autel109, mais il reste que le saint devait finalement reposer à droite de l’autel110 ou dans la partie droite du sanctuaire111. Le diakonikon, dont l’emplacement pouvait varier, était une pièce à fonctions multiples. D’après les textes et les inscriptions de la région [la Palestine], le diakonikon servait donc non seulement de baptistère ou de salle des reliques, mais encore de salle du trésor et des aumônes, de salle de rangement des vêtements liturgiques, de la vaisselle sacrée et des livres saints ou « sacristie », de salle d’archives avec ses placards, ou même de « salle du chapitre » dans des cenobia. […] Dans le récit de l’invention des reliques de saint Étienne, le prêtre Lucien de Caphargamala écrit qu’il eut ses visions nocturnes « dans le saint lieu du baptistère » (baptisterii = phôtisteriou ?), où il avait l’habitude de coucher pour garder les objets servant au ministère. Le récit s’inscrit pleinement dans le sens du mot « baptistère » à l’usage plus large qu’il n’y paraît à première vue112.

Vincent Michel souligne qu’il servait couramment de lieu de conservation pour les reliques, dans des armoires. Elles étaient apportées dans l’église pour être vénérées, soit à l’autel, soit sur des tables préparées à cet effet, généralement d’un côté ou de l’autre de l’abside. On a en effet retrouvé beaucoup de ces tables secondaires, liées ou non à un dépôt de reliques ; leur interprétation reste GRABAR, Martyrium, I, p. 342-343. Vie Corn. 2, 15 col. 1308C. 109  Constantin de Tios (796/806) raconte (Inv. Euph., 3, p. 86-87, l. 8-11) comment l’« on fit du cercueil 〈de la martyre Euphémie〉 l’autel (τὸ θυσιαστήριον) divin : au-dessous se trouvait la relique sacrée ; au-dessus s’accomplissait la mystagogie non sanglante du corps immaculé et du sang de notre Seigneur et Dieu le Christ. » 110 Ambroise, en déposant les martyrs Gervais et Protais sous l’autel, leur céda la dexteram portionem ; faut-il entendre ici, au sens propre, la « partie droite » de l’autel ? 111 H ALKIN, Corneille, p. 33, considérait l’anecdote de la châsse de Corneille se déplaçant toute seule comme une justification pour un emplacement inaccoutumé. Pourtant de nombreux corps trouvèrent leur place, tel Isaac à Saint-Étienne, « à droite de la sainte table, à l’intérieur du chœur » : supra, p. 343. 112 PUECH, Mausolée, p. 111-118. Pour l’usage liturgique des chapelles annexes : BABIċ, Chapelles. 107

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discutée113. Dans nos sources, le diakonikon est généralement un lieu de déposition provisoire, ainsi, pour les martyrs d’Orthôsias ou le chef du Baptiste à Émèse114. Jean de Jérusalem avait-il, pour sa part, conçu le diakonikon de la Sainte-Sion comme l’emplacement définitif des reliques du protomartyr Étienne ? Quoi qu’il en soit, après le départ du corps, s’y trouvaient encore les pierres de la lapidation et d’autres reliques. Un passage obscur de l’Apocalypse de Zacharie, Siméon et Jacques retient l’attention : des reliques furent apportées à l’higoumène (?) Jean, mais un doute pesait sur leur identité. « Nous les déposâmes », écrit-il, « dans le diakonikon de l’église, non avec les autres reliques, mais sur le coffre du saint vase du culte115. » Et un peu plus loin : « nous apportâmes les reliques des saints (dans l’église) après la fin de l’office, et nous les embrassions116. » L’obscurité vient d’un redoublement, sans doute involontaire117. Enfin, après avoir eu la révélation attendue, Jean ajoute : « nous nous prosternâmes devant elles et les déposâmes au premier endroit118. » Les reliques avaient donc été placées dans le diakonikon, apportées dans l’église pour être vénérées, puis rapportées au lieu de leur conservation, le diakonikon119. Ce passage pourrait fournir un témoignage sur la déposition non pas provisoire, mais bien permanente, des reliques au diakonikon. Concernant leur fonction et leur usage120, ces reliques se distinguaient-elles vraiment de celles qui, déposées sous l’autel, servaient au rite de consécration de l’édifice121 ? Et comment s’organisait la répartition ? Nos sources sont muettes sur ce point. On déposait de préférence sous l’autel les reliques du titulaire de MICHEL, Annexes, I, p. 289s. Deux. inv. chef du Bapt., col. 430C, l. 169-172 ; Deux. inv. chef du Bapt. lat., col. 431-432, qui précise : in diaconico, id est in secretario ecclesiae. Pour le skeuophylakion de Sainte-Sophie, séparé du corps de l’église, comme lieu de déposition provisoire : TAFT, Quaestiones 1 et 2 ; WORTLEY, Great Church, p. 638. 115 Inv. géo. Jacques, etc., 30, p. 88. La nuit-même, Jean entendit une voix qui disait (32, p. 89) : « Si ce n’étaient pas des reliques de saints, elles n’auraient pas pu arriver sous les ailes de la croix ! » VERHELST, Apocalypse, p. 89, n. 48 : « Il semble donc que les reliques du second lot se soient déplacées d’elles-mêmes, du moins de l’avis de Jean. Les ‘ailes de la croix’ désignent sans doute la croix de procession, le diakonikon étant le lieu de conservation normal des objets précieux. » 116 Inv. géo. Jacques, etc., 35, p. 89. 117 Ibid., 37, p. 89. 118 Ibid., 47, p. 90. 119 Ce serait lui « le premier endroit ». VERHELST, Apocalypse, p. 90, n. 57 : « On peut comprendre que l’on dépose dans le diakonikon le second lot ensemble avec le premier, et non plus ‘sur le coffre du saint vase du culte’. La déposition du § 37 est donc une déposition temporaire pour l’adoration. Cela étant dit, il est très probable que le monastère de Jean conservera les reliques qui lui ont été apportées, ce qui se fait en principe dans l’église et non pas dans le diakonikon. » 120 DONCEEL-VOÛTE, Reliquaires ; E AD., Fonctionnement, p. 121-132 ; YASIN, Spaces, p. 151-189. 121 Pour la distinction entre reliquaire de vénération et reliquaire de consécration : MICHEL, Annexes ; COMTE, Reliquaires. 113 114

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l’église122, mais rien n’indique que l’on procédât de la sorte dans chacun des sanctuaires érigés après une invention123. D’autre part, même si le reliquaire perdait sans doute sa fonction première de reliquaire de vénération lorsque la fosse était hermétiquement scellée, il restait parfois aisément accessible entre les pieds de la table d’autel, voire dans une fosse maçonnée pourvue d’un système de trappe. Le reliquaire en était-il ôté et porté sur une table annexe pour sa vénération ? Ou bien, en retirait-on sur place une sanctification124 ? Dans la châsse d’Euphémie, qui servait de table d’autel, « se trouvait un petit trou […] permettant d’y pénétrer à hauteur d’une main humaine125 ». Quoi qu’il en soit, les fidèles ne pouvaient pas toujours approcher librement la relique, que le reliquaire fût sous l’autel ou ailleurs126. La mise en place d’un chancel devant le martyrion souligne bien cette limitation de l’accès. Dans tous les cas, la relique faisait corps avec son véritable écrin, le sanctuaire, et demeurait sous contrôle.

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On pouvait cependant y placer des reliques d’autres saints, voire de plusieurs saints. Ou lorsqu’elles étaient (re)déposées dans la même église, comme les apôtres que l’on « ensevelit de nouveau en terre » : Procope, De aed., I, 4, 22, p. 25, l. 25.  124 Sur les reliquaires à huile : L ASSUS, Sanctuaires, p. 163-167. De nombreux reliquaires retrouvés sous l’autel comportaient un « système de sanctification » : COMTE, Reliquaires. 125 Inv. Euph., 3, p. 87, l. 12-14. Ce « trou », « de forme sphérique », résultat de l’attentat des Perses contre la sainte châsse, avait donc une origine ‘divine’, cf. l. 26-30. 126 Sur les aménagements propres à la vénération des reliques (déambulatoire, etc.), ainsi que sur les rites, incubation et autres : M ARAVAL, Lieux saints, p. 196-197. 123

CHAPITRE V

Le culte Après sa déposition dans un sanctuaire, la relique se trouvait au centre des « pratiques » dévotionnelles « organisées » comme « privées » des chrétiens1 : Et nous n’y allons pas qu’une ou deux fois, ni même seulement cinq fois par an ; mais souvent nous y célébrons des panégyries et souvent, c’est tous les jours que nous offrons nos chants au Maître des martyrs2.

L’autel eucharistique se dressait au-dessus des corps saints, mais les fidèles venaient aussi chercher directement auprès d’eux guérison, réconfort, ou simplement prier ; heureux étaient ceux qui pouvaient y demeurer dans le sommeil de la mort. Les récits d’invention ne s’aventurent guère au-delà de la déposition, sauf à relater parfois quelques-uns des miracles accomplis par les reliques. On se demandera toutefois de quelle manière l’événement prenait place dans ces pratiques, par la perpétuation de sa mémoire.

1. La fête d’invention À la fête ponctuelle du jour de la déposition répond l’inscription d’une célébration annuelle (ἐτήσιος μνήμη3) au calendrier de l’Église. Évagre évoque le retour solennel, toujours renouvelé, d’un saint dans sa patrie : […] le divin Ignace qui, selon son désir, avait acquis comme tombeau l’estomac des bêtes féroces dans l’amphithéâtre de Rome et avait été ramené à Antioche, en ce qu’on nomme le cimetière, sous la forme de ceux de ses os, plus épais, qui avaient subsisté, Ignace donc fut transféré longtemps après, car le Dieu très bon avait réservé à Théodose d’honorer Théophore d’honneurs plus grands et d’offrir au martyr athlophore un endroit jadis consacré aux démons, endroit que les gens du lieu avaient dénommé Tychéon. Ainsi ce Tychéon d’autrefois devint pour Ignace un lieu pur de sépulture et un saint 1 2 3

M ARAVAL, Lieux saints, p. 212-243. TAFT, Veneration ; DALMAIS, Mémoire, p. 79-91. Théodoret, Thérapeutique, VIII, 63, p. 333. Éloge Genn., 1, p. 221, l. 24. 

268

DEUXIÈME PARTIE

enclos, après que ses restes sacrés eurent été transportés sur un char à travers la ville avec une pompe sacrée et déposés dans le téménos. D’où vient que, jusqu’à nous, on célèbre ce jour-là une réjouissance aux frais de la ville et un banquet public, depuis que l’évêque Grégoire a élevé la fête à une plus grande magnificence. Cela s’est fait parce que Dieu, dès le temps actuel, honore les pieuses mémoires de ses saints4.

Le jour de la déposition peut du reste avoir été soigneusement choisi. On a souvent insisté sur le caractère non fortuit de certaines dates commémoratives, qui correspondaient à telle ou telle saison particulière, coïncidaient avec telle ou telle fête païenne, etc.5. Les reliques d’Étienne furent ainsi transférées et déposées à la Sainte-Sion le 26 décembre 415, jour de la fête du saint. La perte de la plupart des calendriers locaux ne permet pas de se faire une idée précise du nombre des fêtes d’invention, mais il est intéressant de constater que le calendrier de Constantinople (Xe siècle) en contient assez peu6. 14 septembre (la Croix) 15 septembre (Étienne) 15 septembre (Acace de Mélitène) 11 février (Zacharie, père de Jean Baptiste) 22 février (Andronic et Junias) 24 février (première et deuxième inventions du chef du Baptiste) 28 avril (Basile d’Amasée) 6 mars (la Croix) 15 mai (l’image de Camouliana) 25 mai (troisième invention du chef du Baptiste) 28 juin (Cyr et Jean) 2 août (Maxime, Dadas, Quintilien) 20 août (Photine)7.

On relève encore8 : 23 octobre (mémoire de Jacques, Zacharie, Siméon et dédicace de Saint-Jacques) 2 juillet (déposition de l’habit de la Théotokos) 2 août (translation d’Étienne) 31 août (déposition de la ceinture de la Théotokos).

4 Évagre, H.E., I, 16, tr. FESTUGIÈRE, p. 224-225 ; voir encore p. 176-179 (SC). Théophore (τὸν Θεοφόρον) : pour le maintien de la majuscule et le choix de la traduction « de ce qui a été, à l’origine, pur cognomen », ibid., p. 224-225, n. 68. 5 DOIGNON, Perspectives, p. 332 : « Il ne me paraît pas invraisemblable qu’en conformité avec ces rites païens, S. Ambroise ait voulu, dans la liturgie chrétienne également, faire coïncider une dédicace d’église avec la célébration d’une naissance. » 6 La relative rareté des représentations figurées de l’invention renforce ce sentiment. 7 Sa synaxe avait lieu « hors des portes » : Typicon, p. 378-379. La sainte est identifiée par les Byzantins comme la Samaritaine au puits de Jacob ( Jn 4, 8-26) – le Christ lui aurait donné ce nom après sa conversion. Pour le dossier hagiographique de Photine : TALBOT, Miracles ; TALBOT – K AZHDAN, Photeine. 8 Ce sont plus généralement des fêtes de la mémoire. L’invention peut toutefois être signalée dans les synaxaires comme un épisode de la Vie du saint : 20 octobre (Corneille), 11 juin (Bar-

CHAPITRE V – LE CULTE

269

Une fête instituée au lendemain de l’invention n’était pas toujours consacrée en propre à cet événement ; elle pouvait commémorer le dies natalis du saint, en particulier lorsqu’aucune célébration ne lui était encore dédiée : après la découverte de la relique de Barnabé à Salamine de Chypre, on décréta que le jour de la célèbre mémoire du trois fois heureux et noble apôtre et martyr Barnabé se ferait chaque année, d’après 〈le calendrier des〉 Romains, le troisième jour avant les ides de Juin [11 juin] ; d’après celui des Chypriotes de Constantia, le dixième jour du dixième mois de Mesôri ; d’après celui des Asiates ou des gens de Paphos, le neuvième jour du dixneuvième mois de Plèthupatos, en se rassemblant et en célébrant les liturgies spirituelles9.

L’objet de la fête pouvait être encore la déposition de la relique ou la dédicace du sanctuaire érigé pour la recevoir. Mais si le miracle n’était pas systématiquement célébré en tant que tel, la ‘venue’ d’une relique influait, plus ou moins profondément, sur la vie liturgique locale. On peut apprécier le phénomène à Jérusalem, après l’invention d’Étienne : Toutefois entre les indications liturgiques de la pèlerine Égérie à la fin du IV e-début du V e siècle où il n’est pas encore question d’un martyrion de saint Étienne à Jérusalem et celles d’Hésychius de Jérusalem de la première moitié du V e siècle qui prêchait près des reliques du martyr au diakonikon de la Sainte-Sion, se sont produits des changements dans l’organisation stationnale de la liturgie hiérosolymitaine, changements attestés aussi par les lectionnaires arméniens. Ces changements liturgiques avec la suppression d’une des cinq Catéchèses mystagogiques de Cyrille au lieu des cinq de l’Itinéraire d’Égérie doivent découler de l’invention des reliques du protomartyr à Caphargamala entraînant des changements dans les stations de la liturgie hagiopolite10.

De même, pour les prophètes Zacharie et Isaïe : l’ancienne fête de déposition se transporta à une autre date, dans un autre sanctuaire, tandis que l’ancien conservait sa commémoration annuelle, devenue fête de la mémoire du saint. L’introduction au calendrier de trois fêtes consacrées à Jacques, Zacharie et Siméon – 1er mai (invention), 18 mai (déposition), 25 mai (octave ?) –, célébrées

nabé, Barthélémy), etc. Parfois, il n’en est rien dit : 4 septembre (Moïse), 2 décembre (Habacuc), 17 décembre (Ananie, Asarie, Misaël et Daniel le prophète : leur synaxe a lieu à la Grande Église), 8 février (Zacharie), 6 mai (Job), 14 août (Michée), etc. On ne s’en étonnera pas dans les cas où il ne semble pas y avoir eu de récit hagiographique – en particulier pour les saints vétérotestamentaires (le récit de l’invention des Trois Hébreux n’a sans doute pas été traduit en grec). 9 Éloge Barn., p. 119-120, l. 844-853. Au Xe siècle, à Constantinople, on célébrait le 11 juin la fête des apôtres Barnabé et Barthélémy. Typicon, p. 310-311 : « […] Leur synaxe a lieu à SaintPierre-Apôtre, à côté de la Grande Église ». 10 P UECH, Mausolée, p. 118. Pour la liturgie stationnale : BALDOVIN, Liturgy.

270

DEUXIÈME PARTIE

à la « maison de Paul », ne fit pas disparaître l’ancienne fête du frère du Seigneur à Sion le 25 décembre : leur objet était différent. À Constantinople, l’invention survenue en un temps et en un lieu précis pouvait ne plus avoir d’actualité. Ainsi, après le transfert dans la capitale impériale, sous Justin II, de Jacques, Zacharie et Siméon, on n’y célébra pas comme à Jérusalem l’invention et la déposition des reliques, mais la mémoire des trois saints, le 23 octobre, jour de la dédicace de (la chapelle) Saint-Jacques, érigé(e) pour les recevoir : Le s. martyr Jacques, frère du Seigneur […]. S. Zacharie le prêtre et Syméon le Juste. Leur synaxe a lieu à Saint-Jacques, dans l’enceinte du sanctuaire de la Théotocos aux Chalcoprateia ; en même temps on célèbre la Dédicace11.

En revanche, on commémorait l’invention d’Étienne le 14 (15) septembre, jour de dédicace du premier sanctuaire hiérosolymitain – la Sainte-Sion – qui avait accueilli la relique du protomartyr12. L’invention était également célébrée le 2 août, jour présumé de la translation de la relique à Constantinople. La translation des reliques de saint Étienne protomartyr. Sa synaxe a lieu à son martyrion, près du quartier de Constantin. À l’aurore, on se rassemble pour la procession dans son martyrion, au lieu dit de l’Attelage, et de là elle se rend à la synaxe mentionnée, où l’on célèbre la divine Liturgie mystagogique13.

On peut noter ici l’attirance des fêtes14 : le 2 août était encore consacré à l’invention des martyrs Maxime, Dadas et Quintilien : Le même jour, l’invention, par intervention d’un ange, des reliques des 〈ss.〉 Maxime, Dadas et Quintilien […]. Elles sont déposées maintenant dans l’oratoire de la Théotocos dans le quartier de la Vigie. C’est là que la synaxe a lieu15.

11 Typicon, p. 74-75. On notera l’importance de ces reliques liées à l’enfance du Christ et à la Vierge dont on célébrait la nativité le 8 septembre aux Chalcoprateia : ibid., p. 18-21. Le 9 septembre était le jour de la fête de Joachim et Anne aux Chalcoprateia : ibid., p. 22-23, et p. 35 : « Dimanche après l’Exaltation 〈de la Croix〉. Le saint hiéromartyr Syméon, parent du Seigneur selon la chair, archevêque de Jérusalem, le deuxième successeur de Jacques et son cousin, car Cléophas et Joseph, celui qui était appelé selon la chair père du Seigneur, étaient frères. Sa synaxe a lieu à la Grande Église. » ; voir également au 18 septembre : ibid., p. 38-39. À noter cependant la fête de l’invention de Zacharie, père du Baptiste, au 11 février, sans doute à rapprocher de la fête de la mémoire du prophète Zacharie le 8 février. 12 À Jérusalem, on célébrait l’invention d’Étienne le 15 juin, jour de la dédicace de SaintÉtienne. 13 Typicon, p. 358-359. 14 On ne gardait sans doute qu’assez rarement les dates des calendriers locaux. 15 Typicon, p. 358-359. Le 2 août était encore (avec le 23 octobre) fête de la mémoire des Sept Dormants, sans doute, cette fois, sans relation avec la fête d’Étienne.

CHAPITRE V – LE CULTE

271

tandis que le 28 avril l’était non seulement à leur mémoire, mais aussi aux martyrs Vital, Zénon, Eusèbe, Néon et Nestabos16, ainsi qu’à l’invention de Basile d’Amasée17. Pour le chef du Baptiste, on célébrait les deux premières inventions en un tout, le 24 février, jour de la seconde : L’invention du précieux Chef de s. Jean Baptiste […]. Cette synaxe a lieu à son prophétéion dans le quartier de Sphorace. La procession s’y rend, partant de la Grande Église. ACOLOUTHIE : Au ps 50 〈de l’orthros〉, tropaire, mode 2 : Le souvenir du juste s’accompagne d’éloges. […] 〈À la Liturgie〉, etc. P donne cet autre tropaire : Comme un trésor divin caché en terre, le Christ nous a découvert ton chef, Prophète et Précurseur. Rassemblés donc tous pour 〈fêter〉 sa découverte, nous chantons, par des cantiques de louange divine, le Sauveur, qui, par tes supplications, sauve notre vie. Ox : C’est un trésor de miracles et une source de guérisons que nous avons trouvés aujourd’hui, ô Précurseur, par la découverte de ton chef vénérable. Toi donc, qui peux parler hardiment devant le Christ, ne cesse pas de prier pour nous tous18 !

Selon la Légende de Galbios et Candidos (BHG 1058a), on commémorait la dédicace des Saints-Pierre-et-Marc, c’est-à-dire le sanctuaire primitif réceptacle de l’habit marial aux Blachernes, « dans la vénérable maison de la mère de Dieu, au mois de novembre ». Plus tard, après l’attaque des Avars survenue en 619, on déplaça la fête de la déposition de l’habit au 2 juillet, c’est-à-dire au jour de la reposition de la relique dans sa châsse. La Déposition aux Blachernes du saint Habit de la Théotocos […]. La synaxe a lieu aux Blachernes. ACOLOUTHIE : Le patriarche se rend à Saint-Laurent et l’on dit la prière du trisagion. Tandis que la procession sort, les psaltes entonnent le tropaire, mode 4 pl. : Ô Mère de Dieu, toujours Vierge, protection des hommes, tu as donné à ta ville ton Habit et ta Ceinture comme un sûr abri, qui par ton enfantement virginal sont restés incorruptibles ; car en toi la nature et le temps sont entrés dans une voie nouvelle. C’est pourquoi nous te supplions : Donne la paix à notre empire, et à nos âmes la grande miséricorde ! La procession se rend

16 Eusèbe, Nestabos et Zénon étaient les trois frères de Gaza, tués sous Julien. Leur mémoire se célébrait encore le 21 septembre avec Nestor et Bousiris. 17 Au cours de sa synaxe du 26 avril, à la Grande Église, un tropaire évoquait le miracle. Typicon, p. 274-275 : « ACOLOUTHIE : Au ps 50 〈de l’orthros〉, tropaire, mode 1 : Les reliques du vainqueur ont troublé même l’abîme, mais moi, ô Sauveur, c’est le péché qui sans cesse agite mon âme. Accorde-moi donc, Seigneur, par ses prières, la maîtrise de mes pensées, et, je t’en prie, sauve-moi ! ». Basile n’avait sans doute pas de sanctuaire (ni de reliques) à Constantinople. 18 Typicon, p. 238-239. La troisième invention était célébrée le 25 mai. La liturgie n’a pas gardé trace de la translation et de la déposition de la relique à Constantinople sous Théodose Ier. La fête a cependant pu disparaître lors de la nouvelle dédicace de l’Hebodomon sous Justinien, vers 560.

272

DEUXIÈME PARTIE

aux Blachernes et entre à 〈la chapelle de〉 la Sainte Châsse, où les psaltes disent le Gloria patri19.

Le miracle de la redécouverte d’André, Luc et Timothée en 550 ne donna pas lieu à une célébration particulière autre que la dédicace des Saints-Apôtres20. Chacun possédait sa propre fête, les 18 octobre, 30 novembre et 22 janvier. Le s. Apôtre et évangéliste Luc […]. Sa synaxe a lieu aux Saints-Apôtres. À l’aurore, la procession (λιτή) va de la Grande Église au Forum, et, après les prières qu’on y récite habituellement, elle se rend à la synaxe mentionnée. Le s. apôtre André, frère de Pierre, le coryphée des apôtres […]. 〈Son corps〉 fut finalement transféré à Constantinople et déposé avec Luc l’évangéliste et Timothée l’apôtre aux Saints-Apôtres. C’est là que sa synaxe a lieu. La procession va de la Grande Église au Forum, et, après les prières habituelles, elle se rend aux Saints-Apôtres. S. Timothée apôtre, évêque d’Éphèse […]. Il fut déposé aux Saints-Apôtres, à l’intérieur de la Sainte-Table, avec les apôtres André et Luc. C’est là qu’a lieu sa synaxe. À l’aurore, la procession va de la Grande Église au Forum, et après les prières qu’on y fait habituellement, elle se rend à la synaxe mentionnée21.

Le plus souvent, les sources demeurent trop incomplètes pour déterminer l’origine des dates de commémoraison. On ne saurait toutefois négliger le poids des accommodements conjoncturels.

19 Ibid., p. 328-331. On peut comparer ibid., p. 386-387, au 31 août : « Mémoire de la déposition de la ceinture de la très sainte Théotocos dans la châsse des Chalcoprateia. ACOLOUTHIE : comme le 2 juillet ». Au VIe siècle, les deux sanctuaires furent réunis dans une procession hebdomadaire. 20 Elle eut lieu le 28 juin. On retrouva de même par deux fois des reliques des Quarante Martyrs à Constantinople ; l’événement ne prit sans doute pas autrement place, dans le calendrier de la Ville, que par la dédicace des sanctuaires (Saint-Thyrse et Sainte-Irène de Sykae), où l’on replaça solennellement les reliques. Du reste, dans les deux cas, les martyrs n’étaient pas titulaires du sanctuaire. Constantinople les célébrait dans leur propre édifice, le 9 mars. Typicon, p. 244-245 : « Les ss. quarante martyrs de la ville de Sébastée […]. Leur synaxe a lieu à leur martyrion, près de l’Arc de Bronze ; elle commence le soir par la célébration de la pannychis. Le patriarche y célèbre la Liturgie. […] » 21 Ibid., p. 70-71, 116-119, 206-207.

Étienne

Acace de Mélitène

15 septembre

15 septembre

1

Cal. Pal.-géo. + av. Joseph Fondation de Flavia _

+

Typicon de la Gr. Égl. + av. Aaron, Samuel

Syn. Const. +

+ av. Démétrios, sa femme et son fils 13 septembre 10/13 septembre 12/13 septembre Dedicatio sanctarum Adoration du saint Bois Adoration des précieux Bois ecclesiarum, quam Grande Église dicunt Encaenias Anastasis 14 septembre 14 septembre 14 septembre Crucum elevatio Exaltation de la Croix Invention, exaltation des préciSynaxis in [Martyrio, Grande Église eux Bois visio Crucis ; Synaxis in Sion, dedicatio crucis]1 (Dédicace de la _ + + Sainte-Sion ?) 16 septembre Grande Église ? sans notice Synaxis in Sion, dedicatio _ + + Grande Église sans notice Eusèbe, Nestabos, _ + + Zénon, Nestor, Bousiris

Corneille

Mémoire Moïse

Mentions ajoutées après coup : Calendrier pal.-géo., p. 329-330.

Légende: grisé = invention

21 septembre

La Croix

Fête d’invention

12/14 septembre

13 septembre

Dates 4 septembre

CHAPITRE V – LE CULTE

273

Jacques, Zacharie, Siméon ; dédicace de Saint-Jacques André (trans.)

23 octobre

30 novembre

6 février

+ 21, 22 janvier +

Timothée (déposition) Julien d’Émèse

22 janvier

27 décembre

Ananias, Azarias + et Misaël ; Daniel 17 ; 15, 18 décembre Étienne +

17 décembre

+

Habacuc

+ Anastasis +

_ 22 octobre

_

+ 17 octobre +

Cal. Pal.-géo. + 15 octobre

2 décembre

Jacques, Zacharie et Siméon

Sept Dormants

22 octobre

1er décembre

Corneille

20 octobre

Mémoire Longin

Luc

Fête d’invention

18 octobre

Dates 16 octobre

+ Saint-Étienne, près des Constanti(ni)anae + Saints-Apôtres +

+ Grande Église

+

+ 23 octobre + Saint-Jacques, dans la Théotokos des Chalcoprateia + Saints-Apôtres _

Typicon de la Gr. Égl. + Saint-Longin, près du pont de Justinien ; Saint-Georges, dans la Cyprière + Saints-Apôtres +

+ Saint-Étienne, près des Constanti(ni)anae + Saints-Apôtres +

+ 18, 20 décembre

+

+ Saints-Apôtres _

+ Saint-Jacques, dans la Théotokos des Chalcoprateia

+ sans notice +

+

Syn. Const. + Saint-Longin ; Saint-Georges

274 DEUXIÈME PARTIE

Invention de la Croix

6 mars

28 avril

28 avril Vital, Zénon, Eusèbe, Néon et Nestabe

Ceinture de la Vierge (translation) Basile d’Amasée

12 avril

26 avril

Quarante Martyrs

Mémoire Zacharie, prophète

9 mars

Basile d’Amasée

Ménas Andronique et Junie Jean Baptiste (1re et 2e inv. du chef)

17 février 22 février 

24 février 

Zacharie, père du Baptiste

Fête d’invention

11 février

Dates 8 février

+ Euloge, Zénon, Nestabos, Eusignios, Néon, Eudocios

+ 16, 27, 28 avril +

_

+

_

+

_ _

+ 10 février

Cal. Pal.-géo. _

+ Saint-Jean-Baptiste tou Sphorakiou

+ sans notice Syn. sel. : inv. du chef de saint Zacharie) + +

Syn. Const. +

+

+ Grande Église +

+ Grande Église + sans notice + (Martyrs originaires de Corfou)

+ sans notice + + martyrion, près de l’Arc martyrion, près de l’Arc de Bronze de Bronze _ + (Théotokos des Chalcoprateia)

+

+ + 23 février + Saint-Jean-Baptiste tou Sphorakiou

+

Typicon de la Gr. Égl. +

CHAPITRE V – LE CULTE

275

15 juin

11 juin

10 juin

25 mai

25 mai

Étienne

(dédicace de Saint-Étienne)

+ Saint-Étienne

Jacques, Zacharie, + Siméon « Maison de Paul » Jacques, Zacharie, + Siméon (déposi« Maison de Paul » tion) Jean-Baptiste (3e in_ vention du chef) Zacharie, proph. + In Sabini presbyteri aedificio, in secundo miliario Barnabé, + Barthélémy 10, 11 juin

+

_

Cal. Pal.-géo. _ Maxime 27 avril Nestabos +

18 mai

Job

Mémoire Maxime, Dadas et Quintilien

Zacharie, proph.

Image acheiropoiète (révélation à Camouliana)

Fête d’invention

16 mai

15 mai

6 mai

Dates 28 avril

+

Syn. Const. + Théotokos ἐν τοῖς Βιγλεντίου

+ Saint-Pierre-Apôtre, à côté de la Grande Église _

_

+

_

_

+ Saint-Pierre-Apôtre, à côté de la Grande Église

_

+

_

+ 16 mai sans notice + + Saint-Zacharie, dans le Saint-Zacharie, dans le quartier quartier d’Aréobindos d’Aréobindos _ _

+

+

Typicon de la Gr. Égl. +

276 DEUXIÈME PARTIE

Vêtements des Apôtres Cyr et Jean

20 juin

31 août

14 août 20 août

Photine

Image de Camouliana

Ceinture de la vierge (déposition)

Michée

Sept Dormants

2 août

9 août

Étienne (translation)

Maxime, Dadas, Quintilien

2 août 

Voile de la Vierge (déposition)

Mémoire

2 août 

Calice

3 juillet

2 juillet

28 juin 

Fête d’invention Isaïe

Dates 16 juin

+ Deiparae

_ _

_

+

+ Saint-Théodore + Quintilien et Adalios + invention

+

+ Anastasis

Cal. Pal.-géo. + « Fondation de Bassa », SaintMénas _

+ + hors des portes (des Blachernes) + Théotokos des Chalkoprateia

_

+ Saint-Étienne des Constanti(ni)anae +

+ Théotokos de la Vigie

+ Blachernes _

+

_

Typicon de la Gr. Égl. _

+ Saint-Étienne des Constanti(ni)anae + sans notice + Syn. sel. + + hors des portes des Blachernes sans notice + Théotokos des Chalkoprateia

+ Théotokos de la Vigie

+ (Saints-Apôtres) + dans le quartier dit τὰ Σφωρακίου et Arcadianae + Blachernes _

Syn. Const. _

CHAPITRE V – LE CULTE

277

278

DEUXIÈME PARTIE

2. Le récit d’invention Si l’on considère les principales inventions survenues en l’espace de deux siècles (v. 350-v. 550), la diversité des sources frappe immédiatement. Le miracle, on l’a vu, est un objet historique22, même si la mémoire de l’événement a plus souvent (ce que le tableau ci-dessous ne montre guère) été transmise par un récit de type hagiographique, c’est-à-dire destiné à la promotion du culte du saint et de sa relique23. Certaines inventions ne donnèrent sans doute jamais matière à un tel récit24, mais, lorsqu’il existe, celui-ci se présente sous diverses formes, soit à l’état indépendant soit intégré à une Passion, une Vie, un Éloge. Lorsqu’il n’a pas été directement écrit après l’événement, ce texte, que les ménologes et synaxaires ont coutume de remanier et d’abréger25, a souvent été composé pour la fête annuelle du saint ou de son invention26. Il n’est pas toujours facile d’en saisir la genèse, tandis que son ‘usage’ demeure largement méconnu. Sources historiques Job Moïse

22

Sources hagiographiques Vie Pierre l’Ib27 Inv. trois patr.

Joseph Habacuc Michée Zacharie Trois Hébreux Jacques, etc.

Autres Égérie

Sozomène Sozomène Sozomène Inv. Trois Enfants App. Jac. et al.

Si le sujet est le même, on notera, dans les sources historiques, y compris dans les Histoires ecclésiastiques, le rôle relativement ténu des évêques et, plus encore, des moines, au profit des laïcs, et, au premier chef, de l’Empereur, quasiment absent des sources hagiographiques. 23 On pense aux « coordonnées hagiographiques » de temps et de lieu. DELEHAYE, Leçons, p. 7-17 ; A IGRAIN, Hagiographie, p. 256-272. 24 C’est notamment le cas des figures vétérotestamentaires – parce que la tradition était ici plus forte ? Deux exceptions apparentes : l’invention arméno-géorgienne des Trois Hébreux, qui n’appartient pas à la tradition grecque, et l’invention latine (tardive) des trois patriarches, qui rapporte l’invention en guise de digression. 25 Ils semblent parfois avoir directement puisé dans une notice historique comme chez Sozomène pour Eusèbe, Nestabos et Zénon, voire Zacharie prophète. 26 Par ex., Néophyte le Reclus (Éloge Genn., 1, p. 221, l. 24) prononce son panégyrique de Gennade à l’occasion de la fête annuelle du saint : τὴν ἐτήσιον μνήμην γεραίρειν. 27 Pour le mode de transmission de la légende, la Vie de Pierre l’Ibère s’apparente ici (de même pour les Quarante Martyrs de Sébaste) à un récit de pèlerinage. La promotion du culte des saints n’est pas directement en cause.

279

CHAPITRE V – LE CULTE

Le chef du Baptiste Le chef du Baptiste Le chef du Baptiste Corneille Barnabé André, Luc, Timothée Vêtements du Christ Vêtement de la Vierge Eusèbe, Nestabos, Zénon Sept Dormants Quarante Martyrs Quarante Martyrs Luc, Phocas, Romain Georges Marinos

Sources historiques Sozomène

Autres

Sources hagiographiques

Prem. inv. chef du Bapt. Deux. inv. chef du Bapt. Vie Corn. Éloge Barn. Procope Lettre de Durāt Lég. Galb. et Cand. Sozomène Pass. sept Dorm. Sozomène Procope Vie Pierre l’Ib. Inscription Malalas

Après la découverte d’Étienne et ses compagnons en décembre 415 au village de Caphargamala, un témoin, le prêtre Avitus de Braga, demanda au prêtre Lucien, leur inventeur, de consigner les faits par écrit. On sait que plusieurs versions ont circulé, dont une, suppose-t-on, commanditée par l’évêque Jean de Jérusalem, venu recueillir et emporter les restes du protomartyr28. Un autre récit fut composé en 453 par l’inventeur d’une relique, l’higoumène Marcel d’Émèse. L’évêque Ouranios vint, lui aussi, élever le chef du Baptiste,

28 Sur le transfert ‘autoritaire’ de la relique : infra, p. 359-361. On aimerait en savoir plus sur les circonstances de la nomination de Lucien au village de Caphargamala, et son rapport avec l’invention : Rév. Ét. lat., V, B 27, p. 207 : « Ne considères-tu pas qu’il y a au désert de saints hommes (per eremum sancti viri) bien meilleurs que toi que nous avons laissés de côté pour avoir voulu nous faire connaître par ton entremise. C’est pour cela en effet que nous avons voulu que tu quittes une autre villa pour devenir prêtre dans celle-ci (ex alia in hac villa voluimus esse sacerdotem), afin de nous manifester par ton entremise. » Cf. p. 189.

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ce qui pourrait laisser penser qu’il commandita à son tour (du moins, supervisa) le récit de l’événement, à l’usage de son Église29. Quelles que furent les raisons (cultuelles ou politiques) de leur élaboration, le caractère ‘officiel’ des deux relations peut expliquer leur large diffusion ; elles n’en illustrent pas moins la nature mouvante de ces textes, toujours susceptibles de transformations et d’amplifications. Toutes deux furent étroitement associées à d’autres textes (pour Étienne, une Passion et une Translation ; pour le Baptiste, une ‘première’ Invention), au point de paraître former une unité – un aménagement cependant effectué (ce qui est manifeste pour le premier30, est sans doute vrai aussi pour le second31) par et pour une autre Église : Constantinople. L’original grec de l’Apparition de Jacques, Zacharie et Siméon est perdu. Pour sa composition et sa destination, ce récit anonyme (à la troisième personne ; il prétend relater un événement survenu en 351, à Jérusalem) doit être rapporté au monastère attenant à la « maison de Paul », qui abritait les reliques, et aux fêtes d’invention, de déposition et de mémoire qui s’y déroulaient. Une commande épiscopale est moins probable à en juger par le portrait mitigé de l’évêque (Cyrille de Jérusalem) qu’on peut y lire32. Le récit de la translation à Constantinople (v. 473) de l’habit marial fut sans doute écrit à la fin du Ve ou au début du VIe siècle – sur ordre impérial (?) – à l’usage de la Théotokos des Blachernes, pour la fête de dédicace du sanctuaire. Une seconde version, au 29

Sur les relations peut-être conflictuelles entre les deux hommes : infra, p. 312-313. Étienne : Evénements Fêtes 15 septembre 394 Dédicace de la Sainte-Sion 16 septembre Jérusalem : fête de la dédicace de la Sainte-Sion 15 septembre Constantinople : fête de l’invention 26 décembre 415 (Invention) translation 26 décembre Général : fête d’Étienne à la Sainte-Sion 15 juin 460 Dédicace de Saint-Étienne 15 juin Jérusalem : fête de l’invention à Jérusalem 2 août (324/327) Translation à Constantinople 2 août Constantinople : fête de l’(invention) – translation 31 La Prem. inv. chef du Bapt. et la Deux. inv. chef du Bapt. semblent avoir circulé ensemble avant le milieu du VIe siècle. Mais le foyer d’origine de la première pourrait être Constantinople. Pour expliquer la venue de la relique dans la ville, la tradition d’Émèse forgea sans doute plutôt une Vie du Baptiste. 32 Même si l’on y revendique sans ambiguïté le caractère officiel de l’invention, puis de la fondation, sous contrôle épiscopal. Ce premier récit fut, on l’a vu, peut-être concurrencé par un second, composé (après 459) sous la forme d’une lettre à la première personne – il s’agit d’un certain Jean, higoumène (?) aux environs de Jérusalem. Jean paraît avoir été célèbre pour ses dons visionnaires, et consulté à ce titre sur l’authenticité des reliques. Des arguments ont été avancés par les traducteurs de ce texte conservé en géorgien pour lui donner l’antériorité sur le latin, mais la question reste ouverte. Il est peu probable que l’original du géorgien ait servi de lecture pour une fête de l’invention des trois saints. 30

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langage comme au style plus soutenus, extraite d’un discours de Théodore le Syncelle, devint, vers 620, la lecture officielle pour la célébration d’un miracle récent lié à la relique. Il fallait plus que jamais remonter aux origines : la venue de l’habit dans la capitale et la fondation du sanctuaire33. Mais les récits indépendants (comme les fêtes) d’invention sont assez rares. On trouve plus souvent l’épisode contenu dans un texte plus long. La Vie de saint Corneille pourrait ainsi avoir vu le jour vers 450, soit près de vingt ans après la date présumée du miracle (av. 431 ?), sous l’impulsion de l’évêque Philostorgios de Skepsis, désireux de souligner les origines apostoliques de son Église. Une tradition hagiographique existait-elle déjà au moment de la rédaction ? On l’ignore. L’Éloge de Barnabé par Alexandre, moine à Saint-Barnabé de Salamine, fut écrit plus d’un demi-siècle (v. 543/553) après l’invention (488), commandité par le prêtre gardien du monastère et prononcé devant le métropolite de Salamine, au jour de la fête du saint34. Cet écrit, qui retrace toute la geste de l’apôtre évangélisateur de Chypre jusqu’à son martyre et son inhumation, pourrait prendre le contre-pied d’une tradition hagiographique d’Actes apocryphes et pseudépigraphiques (les pseudo-Jean Marc et Rhodon, etc.) circulant sur l’île. Récits des origines destinés à créer, raviver ou diffuser un culte, garantir l’authenticité d’une relique ou assurer les droits d’un sanctuaire, récits didactiques et fonctionnels35, ces textes appartiennent aussi à l’actualité. Il est d’autant plus malaisé d’en bien comprendre les enjeux que celle-ci nous échappe. On mesure, inversement, combien il est difficile, pour l’éclairer, de se fonder sur des écrits qui ne sauraient s’être soustraits à une forme de sélection et de

33 La première légende paraît avoir un lien de parenté, difficile à déterminer, avec un autre récit d’invention, celui des Trois Hébreux de la fournaise, rédigé en syriaque, peu après 422 (?). Le récit d’invention de l’habit marial fut plus tard concurrencé par un autre récit de translation, d’origine incertaine, l’Histoire euthymiaque, que l’on attribue généralement soit au règne de Justinien (527-565), soit au VIIe /VIIIe siècle. 34 Supra, p. 113, n. 273. Les synaxaires et ménologes dépendent directement d’Alexandre pour la partie relative à l’invention. 35 Curieusement, un certain nombre de récits s’achèvent sur une nouvelle disparition de la relique, apparemment volontaire, du moins providentielle : par exemple, Jacques, Zacharie et Siméon, selon les Synaxaires melkites, ou le chef du Baptiste, selon l’Hist. Gés. et Isid. Alors que la tradition de Sébaste s’était largement imposée, on faisait lecture le 29 août (cf. Pass. Jean Bapt.), pour la fête de la décollation du Baptiste, d’un récit selon lequel son corps se trouvait, dès l’origine, dissimulé à tout jamais, auprès de son père, sous l’autel du Temple, lieu du martyre de Zacharie. Bref, on sait où se trouve la relique, ce qui, en principe, permet l’exercice du culte, mais on ne peut ni l’atteindre, ni la voir. Sans doute certains de ces récits étaient-ils destinés à pallier l’absence concrète de relique (il existait pourtant des cultes sans reliques, et l’on cite souvent les cas de Dèmètrios et Thècle, même si l’on finit, dans les deux cas, par compenser cette absence). Mais il se peut aussi que l’on ait emprunté la légende, sans chercher à revendiquer la relique.

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censure36, plus ou moins obscurcis, altérés par l’action spontanée ou maligne du temps et des hommes. Il reste à dire un mot sur la réception de ces écrits. On ne possède guère de renseignements sur ce point. Pourtant, malgré une approbation, semble-til, assez générale, on peut lire dans le Décret dit de Gélase (492-496), un document probablement rédigé en Gaule au début du VIe siècle, une mise en garde à l’encontre de divers textes, parmi lesquels des récits d’invention. Enfin, à la suite des livres recommandés sans aucune restriction, se place la liste des écrits plus ou moins sujets à caution soit à raison de leur contenu plus ou moins vraisemblable (Actes des martyrs, Invention de la sainte Croix, Invention de la tête de Jean Baptiste), soit à raison des doutes qui planent, en quelques endroits tout au moins, sur l’orthodoxie de leurs auteurs37.

Le doute subsiste concernant une Revelatio quae appellatur Stephani, apocrypha. S’agit-il de la lettre de Lucien, le prêtre de Caphargamala ? Certains, tel Émile Puech, l’ont pensé, d’autant que le titre de Revelatio est bien attesté pour ce texte38. Dorothea Weber a réfuté, pour sa part, une telle hypothèse, rappelant qu’ici, revelatio était synonyme d’inventio, et revelari employé comme équivalent sémantique d’inveniri. Mais parmi ces ouvrages, il y avait aussi une Invention de la Croix et une autre du chef du Baptiste39, désignant bien, cette fois, la traduction de la Première invention (BHL 4292) par Denys le Petit. La préface, adressée à l’abbé Gaudentius, fait ressortir que ce récit est à la gloire des moines, car ce sont des moines qui ont découvert la sainte relique et l’ont préservée. Saint Jean Baptiste lui-même est considéré comme l’ancêtre du monachisme et son patronage est utile pour légitimer l’institution que trop de contemporains, quoique chrétiens, s’obstinent à mépriser. Duchesne40 est le premier à faire remarquer que ce texte figure à l’index pseudo-gélasien et, sans aller jusqu’à attribuer à Denys les Acta Silvestri et la Scriptura de inventione Crucis dominicae qui figurent aussi dans l’index, il pense que ces textes ont pu sortir d’un cercle littéraire analogue à celui où travaillait le moine scythe41. 36

Voir, à cet égard, le sort réservé à la Légende des Sept Dormants et à la figure de son probable ‘promoteur’, l’évêque Étienne d’Éphèse. 37 LECLERCQ, Décret gélasien, col. 733. 38 VANDERLINDEN, Revelatio, p. 191 : « Cette opinion avait cours au Moyen-Âge, puisque le scribe de 14a accumule pour la réfuter les citations de saint Augustin et de Gennade. Cette condamnation explique-t-elle la rareté, pour ne pas dire l’absence, de la Revelatio dans les collections de manuscrits du Sud de la France ? » 39 Decretum Gelasianum, IV, 4, p. 43-44 : Item scriptura de inventione crucis Dominicae et alia scriptura de inventione capitis beati Iohannis Baptistae, novellae quidem relationes sunt, et nonnulli eas catholici legunt. Sed cum haec ad catholicorum manus advenerint, beati Pauli apostoli praecedat sententia : ‘Omnia probate, quod bonum est, tenete’. 40 DUCHESNE, Liber Pontificalis, I, p. CXIV. 41 R AMBAUD-BUHOT, Denys le Petit, col. 1133. Cf. Cassiodore, Inst. I, 23.

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De toute évidence, certains réprouvèrent tout ou partie de ces récits ; comment ne pas croire que le blâme s’attachait, au-delà, au miracle même ? Les hagiographes prirent les devants, montrant les douteurs condamnés, châtiés… puis convertis.

3. Les images de l’invention Nos récits nous révèlent peu de choses sur une éventuelle représentation figurée de l’invention dans le sanctuaire de la déposition, scène isolée ou élément d’un cycle d’images, tel qu’il en exista sans doute assez tôt dans de nombreux martyria, par exemple, à Sainte-Euphémie de Chalcédoine, SainteThècle de Séleucie d’Isaurie ou Saint-Théodore d’Euchaïta, en Cappadoce. On sait encore que la première église de Moïse au mont Nébo était décorée de mosaïques, au moins dans l’abside orientale. Le Père Saller suppose qu’y était figurée la mort de Moïse ou l’apparition du saint au berger42. Les scènes d’invention semblent cependant avoir été plutôt rares dans l’art byzantin43. Ainsi, même pour la plus illustre, la Vraie Croix, ne connaît-on qu’un seul exemple, dans un manuscrit des homélies de Grégoire de Nazianze de la fin du IXe siècle (codex Parisinus graecus 510, fol. 440r)44 : le juif Judas est en train de creuser le sol ; à côté de lui, se tiennent l’impératrice Hélène et d’autres personnages, tous laïcs. On rencontre en revanche assez souvent la scène de l’élévation de la Croix. Athanasios Semoglou note à ce propos : « le miniaturiste fait une fusion iconographique de l’événement historique de l’exaltation à Jérusalem dans une composition qui illustre un acte liturgique et commémoratif qui se déroulait à Constantinople le jour de la fête45. » L’invention du chef du Baptiste est plus fréquente, mais, comme on l’a vu précédemment, la multiplicité des traditions littéraires et liturgiques a de nouveau entraîné une confusion dans l’iconographie. Christopher Walter a signalé plusieurs autres scènes d’invention, illustrant toutes une fête liturgique46, et s’est attardé sur l’une d’elles ; apparue au XIe siècle, elle illustre une homélie de Basile de Césarée en l’honneur des Quarante Martyrs de Sébaste47 : on y voit un évêque (Pierre de Sébaste), flanqué de deux SALLER, Memorial, p. 351, qui renvoie aux mosaïques « plus ou moins contemporaines » de Sainte-Marie-Majeure, à Rome. 43 WALTER, Art and Ritual, p. 148-150. 44 Elle est en revanche fréquente dans l’art occidental. 45 SEMOGLOU, Reliques, p. 219. La plus ancienne représentation se trouve dans le Ménologe de Basile II : Vatic. gr. 1613 (v. 1000) ; Il Menologio, p. 35. 46 Par exemple, dans le Mén. Basile, p. 391, au 11 février la découverte du prophète Zacharie dans un sarcophage ; sur le calendrier mural de l’église de Cozia (Roumanie), Cyr et Jean, au 28 juin et Barthélémy, au 25 août ; de même, dans l’église de Staro Nagoričino (Macédoine), l’invention d’Étienne, au 2 août. WALTER, Invention, p. 309, cite encore l’illustration d’une homélie de Grégoire de Nazianze, pour la fête du martyr Cyprien : le saint apparaît en songe à une femme étendue sur un lit. 47 Basile de Césarée, In XL Mart. (BHG 1205), col. 521. 42

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prêtres et d’un diacre, en train d’extraire les reliques de l’eau. Son iconographie se réfère directement à la Passion métaphrastique (BHG 1202), lue le 9 mars48. Si la scène de l’invention n’était sans doute pas toujours figurée dans le sanctuaire de la déposition, on peut penser que s’y trouvait une représentation du saint. Une anecdote relative au centurion Corneille montre d’ailleurs comment la découverte d’une relique pouvait entraîner, outre la fête du saint, la création de son portrait. 〈L’évêque〉 Philostorgios mande un peintre pour qu’il réalise la décoration de toute l’église et y modèle au plus vite l’image de Corneille arrangée avec le plus de soin possible ; il devait le peindre déjà âgé et de la manière la plus ressemblante qui fût49. Mais Encratios (tel était le nom du peintre) ne pouvait se faire une idée exacte du saint pour le peindre comme il convenait et avec exactitude, et il s’irritait contre l’ordre de l’évêque, et s’en prenait au saint, car il était dans l’embarras le plus complet puisqu’il ne connaissait pas son image et ne pouvait représenter ses traits. Un jour qu’il était tombé de l’échelle sur laquelle il était monté, il avait des vers qui sortaient de sa bouche ; d’autres y entraient. Il sembla que c’était le fruit des imprécations que le peintre avait lancées : « Viens donc, Corneille. Toi qui as rendu sa femme et son fils à Dèmètrios qui fulminait contre toi, n’abandonne pas plus le peintre à son châtiment ». Étant apparu le lendemain et le prenant de sa main droite, il le releva comme s’il dormait. Et il châtia ainsi sa langue intempérante et le guérit de la peine et de la colère que lui procurait son embarras pour peindre, non par quelque représentation similaire mais en venant lui-même ; il lui montra sa propre apparence et de nouveau le peintre recouvra la santé et fut libéré des vers, et apte à reprendre son travail. De là, il le peignit comme il l’avait vu, mettant en plus de son art une grande vérité dans sa peinture50.

48 L ATYŠEV, Ménologe, I, p. 337-347 (var. lect., ibid., II, p. 426-427) (BHG 1202) ; voir encore la Passion brève BHG 1202a : ibid., I, p. 209-215. De même, Christopher Walter insiste sur le fait que la Vie métaphrastique du martyr Auxence est sans doute la source d’une scène figurée : la tête dans un arbre, surmontée d’un oiseau. Dans la Passion des saints Eustratios, Auxentios, etc. (BHG 646), insérée par Syméon Métaphraste dans son Ménologe (PG 116, col. 468-505) pour le 13 décembre, on peut lire que la tête du saint fut apportée dans un arbre par un oiseau. C’est là qu’on la retrouva. Cf. col. 488D-489A. Pour les scènes de translation et de déposition : WALTER, Art and Ritual, p. 150-156. Dans ces scènes, qui figurent une procession, le cortège d’accueil par la cour et les ecclésiastiques apparaît rarement. 49 Cf. Vie Corn. 1, 6, p. 37 : Philostorgios avait demandé à Encratios de ἱστορῆσαι τὸ ἅγιον κατὰ τὸ ἀρχέτυπον εἶδος. 50 Vie Corn. 2, IV, 18, col. 1309BD. L’histoire se rencontre ailleurs. H ALKIN, Corneille, p. 34 : « […] Si ces historiettes manifestement légendaires peuvent prouver quelque chose, c’est le souci qu’avait le public byzantin de posséder une image authentique et non conventionnelle de ses saints protecteurs. » Voir encore WALTER, George, p. 319, n. 4, sur l’importance de la vision : « […] Great confidence seems to have been placed in the fidelity of the image to the prototype, and the image served as a means of controlling the authenticity of the vision or the apparition. ».

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À ce qu’il semble, Corneille n’avait jamais été représenté auparavant, ni à Skepsis ni ailleurs. En tout cas, c’est cette icône (peinte ‘d’après nature’, tel le portrait de la Vierge par Luc l’Évangéliste) qui allait s’imposer comme le portrait archétypal de l’apôtre, puisque l’Église de Césarée de Palestine se fit plus tard octroyer, avec une parcelle de la relique, une copie fidèle de l’image ‘miraculeuse’. La Légende de Galbios et Candidos apporte, de son côté, un renseignement sur le portrait des fondateurs51 : Dans le ciborium même de la sainte châsse, les mêmes empereurs aimés de Dieu et du Christ firent élever une mosaïque toute en or et en pierres précieuses. Sur cette mosaïque figurent, assise sur un trône, la très pure NotreDame mère de Dieu ; de part et d’autre, Léon et Vérine portant son propre fils Léon le jeune empereur, prosternés devant Notre-Dame, et Ariane leur fille. Depuis lors, cette image demeure placée au-dessus de l’autel de la sainte châsse52. […] Montrons encore ceci pour la confirmation des fidèles qui viennent vénérer le don de la merveille qui nous occupe. En ces temps-là, les deux illustres susdits Galbios et Candidos firent élever une mosaïque d’une gloire et d’un prix considérable de la toute digne de louange et très pure Notre-Dame mère de Dieu. À droite et à gauche de Notre-Dame figurent deux anges et de part et d’autre saint Jean Baptiste et saint Conon ; Galbios et Candidos se tiennent aux extrémités sur la même mosaïque, priant et remerciant Dieu et Notre-Dame. Cette image se trouve dans la vénérable maison entre les deux diaconica, à la louange et à la gloire de son saint nom et pour la guérison des âmes et des corps, par l’entremise de son don précieux accordé à tous les hommes53.

Galbios et Candidos jouent dans la légende un double rôle – inventeurs du vêtement de la Vierge et ‘premiers’ fondateurs du sanctuaire : en construisant la chapelle de la Châsse pour abriter la relique, les souverains (re)consacrèrent les Saints-Pierre-et-Marc à la mère de Dieu. On peut s’interroger sur l’existence réelle des deux frères, mais leur représentation dans le sanctuaire « entre les deux diakonika », en regard de l’image des empereurs dans la chapelle de la Châsse, pourrait bien, d’une manière ou d’une autre, leur redonner un peu de l’épaisseur que l’histoire leur a perdue. *

K AMBOUROVA, Ktitor. Lég. Galb. et Cand. 1, 13, p. 300-303. Ces représentations ont sans doute disparu à la période iconoclaste. 53 Ibid., 15, p. 302-303. 51

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Le souvenir de l’invention nous a été transmis par des sources écrites, de nature diverse, historique, hagiographique, liturgique, récit de pèlerinage54, etc. Si leur genèse, leur usage, leur but, ne sont pas les mêmes, une lecture suivie de ces textes permet de constater l’homogénéité de leur propos, qui vise à décrire, de manière plus ou moins détaillée, les circonstances de la découverte d’une relique. Les inventions se conforment toutes, plus ou moins fidèlement, à un ou plusieurs schéma(s) préétabli(s). Sans entamer la singularité de chacune, cette régularité possède sa raison d’être. L’événement, dont il ne s’agit pas ici d’interroger l’authenticité, passe par le moule d’une tradition et se fige en autant de séquences obligées. Le corps disparaît et réapparaît relique ; entretemps, une révélation a annoncé et préparé sa ‘venue’ ; elle est ensuite honorée comme il se doit et enchâssée dans un sanctuaire-écrin. On imagine la suite plus qu’on ne la connaît : fidèles et pèlerins accourus pour la vénérer aux jours de fêtes et à tout moment, poussés par leur foi, animés d’espérance. Au travers d’un ensemble de croyances et de pratiques, c’est la société tardo-antique ou protobyzantine qui se donne à lire. Semblables manifestations existaient déjà chez les juifs et les païens, mais elles prirent avec le christianisme une autre signification, reflet de nouvelles aspirations. La découverte est un miracle de Dieu qui récompense les justes et châtie les impies, et les reliques, indestructibles, incorruptibles, sont l’instrument de sa colère ou de sa miséricorde. S’ils ont part au séjour céleste, les saints n’ont cessé ni ne cesseront d’habiter leur corps, jusqu’au Jugement dernier. On retiendra la dimension eschatologique de l’invention : en témoignant de la Résurrection du Christ, celle-ci soutient la foi, mais surtout annonce et proclame la résurrection générale à venir. Tout semble tendu vers un seul but, symbolisé par un mot d’ordre : se préparer ici-bas à la vie éternelle. Les acteurs de l’invention, quelle que soit leur individualité propre, prennent l’allure de types, agents positifs ou négatifs de l’invention. Tandis qu’évêques et empereurs se distinguent parmi les premiers, symboles d’autorité, de pouvoir et de légalité, les juifs, païens et hérétiques incarnent les seconds. Ici, le doute  intervient fréquemment comme un procédé narratif : repoussé, condamné, il se transforme en preuve. Tout contribue à la reconnaissance du miracle. Pourtant, si celui-ci se veut bienfait commun et que chacun joue sa partie sous le regard vigilant de Dieu et de ses saints, comment ne pas penser que certains ont un intérêt plus grand à sa réalisation ou sa proclamation ?

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Ce dernier cas témoigne de la circulation orale de telles légendes.

TROISIÈME PARTIE

Les enjeux de l’invention

Les reliques constituaient un formidable enjeu de pouvoir spirituel et temporel dans le monde protobyzantin. Parcelles de divin laissées sur terre, promesse de salut à venir, c’étaient aussi une source inépuisable de bienfaits dans le monde d’ici-bas. Et lorsqu’elles se manifestaient du fond des âges et de la terre, la société, dans son ensemble, des plus humbles aux plus puissants, s’en trouvait bouleversée. À quel moment, où et pourquoi cela advenait-il ? Et surtout qui étaient les véritables agents du miracle ? Le récit de l’invention offre de la société où il prend place une image à la fois harmonieuse et strictement hiérarchisée1. Jusqu’à quel point s’ajuste-t-elle à la réalité ? L’analyse, en contexte, des plus ‘célèbres’ inventions permettra de s’en faire une idée.

M ARAVAL, Lieux saints, p. 47 : « tout ceci montre déjà que l’inventaire des lieux saints est un élément de la politique ecclésiastique de l’époque : la hiérarchie favorise l’intérêt porté aux lieux saints, mais elle tient à le canaliser, ou du moins à le garder sous contrôle ».

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CHAPITRE PREMIER

Les évêques et les moines Si l’on en croit nos sources, alors que, bien souvent, des moines se trouvaient à l’origine de l’invention et que le sanctuaire de la déposition était en relation avec un monastère, la personnalité dominante, la figure d’autorité, demeurait sans conteste l’évêque. Mais il faut peut-être se défier de cette parfaite répartition des rôles. En effet, lorsque le dernier était en position difficile, en quête de légitimité, l’attitude des moines pouvait paraître ambivalente, parfois sûr atout et plus souvent menace pour le chef d’une Église ; quelle place occupait alors la découverte d’une relique dans le jeu des uns et de l’autre ?

1. La Palestine : hiérarchie et monastères Lorsqu’eut lieu l’invention du protomartyr Étienne, la position de Jean de Jérusalem était délicate. Il put vouloir de la sorte à la fois se disculper face aux accusations d’origénisme et de pélagianisme qui pesaient sur lui et rivaliser avec son collègue d’Éleuthéropolis. Le lieu choisi pour la démonstration fut précisément le concile de la province. Mais chacune des parties en présence était soutenue par une communauté monastique : le mont des Oliviers du côté de Jean ; Bethléem et Éleuthéropolis, contre lui. Plus tard, avec le successeur de Jean, le monachisme dans son entier (ou presque) se ligua contre son évêque. Juvénal, hérétique et renégat, n’avait plus de légitimité. C’est alors, semble-t-il, qu’une invention de reliques prouva que le pouvoir impérial pouvait encore s’appuyer sur un groupe de moines lorsque l’autorité épiscopale faisait défaut. Mais le parti adverse montra qu’il maniait aussi bien l’argument. L’évêque Pierre, parfait moine, était l’ami des saints ; il découvrit à son tour des reliques. a. L’année 415 En 406, l’arrivée, depuis la Palestine, des reliques du prophète Samuel à Constantinople eut un grand retentissement. Or, quelques années plus tard,

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TROISIÈME PARTIE

le 2 octobre 415, on déposa de même, dans la Grande Église, les reliques de Joseph, le fils de Jacob, et de Zacharie, le père du Baptiste1. L’édifice avait été endommagé par un incendie le 20  juin 404, au moment de l’exil de Jean Chrysostome2, mais les travaux de reconstruction ne s’achevèrent que vingt ans plus tard3. La dédicace eut lieu le dimanche 10 octobre 415 ; on peut penser que les reliques servirent à sa consécration4. Sans doute n’y restèrent-elles qu’un temps limité, cependant, l’événement dut, cette fois encore, prendre un certain relief5. D’où venaient les reliques ? On s’est interrogé sur la présence, aux côtés d’Attikos de Constantinople, de l’évêque Moïse d’Antarados, Phénicie Première, au jour de la déposition6. Les traducteurs du Chronicon Paschale ont suggéré que les reliques de Joseph avaient été découvertes à Antarados. Pourtant, si le choix d’un nouveau Moïse conduisant les os du patriarche Joseph vers la Grande Église ne fut probablement pas fortuit, rien ne permet a priori de faire semblable hypothèse7. Plus probablement, les reliques de Joseph furent transférées depuis Sichem, en Palestine8. La provenance des reliques de Zacharie est plus problématique : s’agit-il ici vraiment du père de Jean, dont on aurait découvert les restes à Jérusalem en 351 ? Ne s’agit-il pas plutôt du prophète vétérotestamentaire homonyme, dont le corps aurait été exhumé non loin d’Éleuthéropolis, peut-être précisément cette même année

Chron. Pasch., col. 788B ; p. 572 (CSHB). La date (μηνὶ Γορπιαίῳ πρὸ ς´ Νωνῶν Σεπτεμβρίων ἡμέρᾳ Σαββάτῳ) pose problème. En effet, « le sixième jour avant les nones de septembre » ne tombait pas un samedi cette année-là. On a donc supposé qu’une erreur s’était glissée dans le Chronicon. SCHNEIDER, Sophienkirche, ne retient pas la proposition de Du Cange de lire dans les manuscrits εʹ au lieu de ςʹ, mais corrige septembre en octobre, plaçant ainsi la translation le samedi 2 octobre 415. Kédrénos, Hist. Comp., p. 592. 2 Marcellinus, Chron., CROKE, p. 9. 3 La première Sainte-Sophie (la « Sagesse de Dieu ») fut érigée par Constance II et consacrée en 360. La tradition imagina par la suite que l’on y avait déposé les reliques de Pamphile et de ses compagnons de martyre. La seconde Sainte-Sophie fut détruite lors de la révolte Nika en 532 ; elle fut reconstruite par Justinien et consacrée en 537. On y déposa le puits de la Samaritaine et les trompettes de Jéricho. 4 SCHNEIDER, Sophienkirche, note que l’on ne trouve aucun écho de cette consécration dans les synaxaires, sauf à supposer que les ἐγκαίνια de Jacob (Jacques), fils de Joseph, et de Zacharie, dans l’église voisine des Chalcoprateia, le 23 octobre (Syn. Const., col. 155), concernent les reliques déposées à la Grande Église en 415, plus tard transférées aux Chalcoprateia. Mais cela est douteux, et il est plus probable que la fête du 23 octobre remonte au règne de Justin II. 5 L’église reçut beaucoup de reliques, mais toujours comme lieu de déposition provisoire, ainsi, outre les exemples déjà mentionnés, la lance et l’éponge en 614 ou la Croix en 635. WORTLEY, Great Church. 6 JANIN, Antarados (act. Tartus, en Syrie). Moïse : FEDALTO, Hierarchia, II, p. 710 ; DEVREESSE, Antioche, p. 196. Il s’agit sûrement du même Moïse qui, à Éphèse (431), signa comme évêque d’Arados et Antarados avec les partisans de l’évêque Jean d’Antioche contre Cyrille d’Alexandrie, avant de se rétracter : Cyrille d’Alexandrie, Ep. 65, PG 77, col. 329-330. 7 On sait en revanche, mais sans pouvoir établir de lien formel, que la Phénicie possédait des reliques de Jean Baptiste, fils de Zacharie, au début du V e siècle. 8 Supra, p. 42-47. 1

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415 ? La confusion était fréquente. Or, aucune des deux dates n’est assurée. La question n’est cependant pas indifférente, si l’on pense à la gloire qu’un tel événement devait procurer à l’Église donatrice9. Les territoires de Jérusalem et d’Éleuthéropolis étaient suffisamment proches pour que la première, forte de son prestige, n’ait pas ressenti durement, si tel était le cas, semblable honneur fait à sa voisine. Selon l’Apparition de Jacques, Zacharie et Siméon, leurs reliques furent découvertes à Jérusalem, sur le mont des Oliviers, le 1er décembre 351. L’évêque Cyrille (348-387) se montra incrédule et renvoya Épiphane, le moine venu lui annoncer la révélation, bredouille, « navré de la réponse épiscopale ». Comment interpréter une telle défection, qui eût bien pu tourner à la confusion du douteur ? Le nom de Cyrille ne fut-il avancé que pour donner à tout cela un air d’ancienneté et de légitimité ? Et qui était ce Paul, « le premier notable de la ville » d’Éleuthéropolis, fondateur de l’oratoire du mont des Oliviers10 ? Les calendriers de la Ville sainte ont retenu son nom ; mais était-il vraiment un contemporain de Cyrille ? Était-il même d’Éleuthéropolis ? Celle-ci, particulièrement fertile en inventions de reliques à la fin du IV e siècle et au début du Ve siècle, aurait pu surgir, plus tard, sous la plume d’un hagiographe désireux d’étoffer son récit11. On demeure cependant surpris du portrait peu élogieux de l’évêque de Jérusalem brossé dans l’Apparition. L’épiscopat de Cyrille fut mouvementé, ponctué de plusieurs dépositions12. La crise arienne ayant créé une scission dans l’Église palestinienne, il rompit très tôt avec son métropolitain, l’homéen Acace de Césarée13. Il se rapprocha ensuite des semi-ariens14, en particulier de Silvain de Tarse, chez qui il trouva

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Le don impliquait sans doute un échange : la tradition (l’événement est maintenant contesté) voulait que l’évêque Prayle ait adressé à Théodose II et Pulchérie le bras droit du protomartyr Étienne en échange d’une croix précieuse envoyée par les souverains pour orner le Golgotha ; de même, Zénon reçut l’évangile selon Matthieu découvert sur la relique de Barnabé (en 488), et distribua de grandes richesses à l’évêque de Salamine pour sa nouvelle fondation. 10 Dans le Calendrier pal.-géo. (18 mai, p. 67 et comment. p. 227-228), il porte le nom de « Pierre ». N’aurait-il pas gardé la bonne leçon ? On se souvient que la vision de Paul d’Éleuthéropolis (App. Jac. et al.) s’inspire manifestement de la vision de l’apôtre Pierre (Ac 10, 17-23), et qu’un Pierre apparaît dans l’Ap. Zach. et al., aux côtés d’un Épiphane, homonyme du solitaire de l’App. Jac. et al. 11 AUBINEAU, Hésychius, I, p. 355, dénonce les similitudes avec l’invention d’Étienne survenue en 415. Mais l’argument est-il suffisant ? La triple apparition, le regroupement de plusieurs figures bibliques ou apocryphes en un même tombeau sont des topoi du genre ; quant à la présence de l’évêque, la déposition provisoire à Sion, il n’y a rien là d’étonnant. La Sainte-Sion était la plus ancienne église de la communauté ; on y conservait le trône du protoévêque dès le début du IV e siècle, on y célébrait sa fête au V e siècle au plus tard, et au VIe siècle, l’église fut considérée comme sa maison : Ant. Plac., Itin., 22, 2. 12 BARDY, Cyrille de Jérusalem. 13 SIMONETTI, Acace ; ID., Arius, Arianisme ; ID., Homéens. 14 ID., Semi-ariens.

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pour un temps refuge15 ; puis il partagea leur sort16 : en 360, au concile homéen de Constantinople, on accusa notamment Silvain d’avoir procédé, avec l’aide de Cyrille, au transfert de Théophile, évêque d’Éleuthéropolis, au siège de Castabala, en Cilicie, au mépris de la loi17 et des droits métropolitains d’Acace18. Ils furent déposés avec le reste des semi-ariens. Le siège d’Éleuthéropolis échut alors à un prêtre dénommé Eutychios, loyal supporter d’Acace19. Selon Épiphane de Salamine, originaire d’Éleuthéropolis et fervent nicéen, Eutychios était « catholique en secret, mais devenu, en haine de saint Cyrille, partisan déclaré de l’arianisme20 ». À la mort de l’empereur arien Valens (378), et l’arrivée au pouvoir de Théodose Ier, Cyrille recouvra définitivement son siège, mais il demeura longtemps une figure contestée, même lorsque sa participation active au concile de Constantinople, en 381, l’eut en principe absous de tout patronage ou alliance équivoques. Il semble que l’on se soit toujours méfié de lui, tant du côté des nicéens que des ariens. Même ses anciens amis, les macédoniens21, devenus pneumatomaques22, étaient sur la réserve : Mélanie l’Ancienne se fit conciliatrice et s’efforça de les lui rallier. […] (Mélanie l’Ancienne) ayant fondé à Jérusalem un monastère, elle y passa vingt-sept ans, ayant là un couvent de vierges. Avec elle vécut le très noble Rufin d’Italie, de la ville d’Aquilée, ayant le même caractère et plein de fermeté, plus tard jugé digne de la prêtrise. Il ne se trouvait pas parmi les hommes un plus instruit et plus modeste que lui. Tous deux accueillant durant ces vingt-sept ans, ceux qui, dans un but de prière, étaient de passage à Jérusalem, évêques, moines, vierges, ils édifièrent, aux frais de leur maison, tous ceux qui étaient de passage, et ils ramenèrent à l’unité le schisme selon Paulin, d’environ quatre cents hommes vivant en solitaires, puis ayant convaincu tout hérétique pneumatomaqué, ils l’introduisirent dans l’Église ; 15

Théodoret, H.E., II, 22. Socrate, H.E., II, 40. Bien que pratiqués (cf. Silvain de Troas), les transferts étaient interdits. 18 Sozomène, H.E., IV, 13, 13. Silvain de Tarse : Ibid., IV, 9. Par la suite, vers 365-366, Silvain conduisit une ambassade à Rome et, comme Cyrille, se rallia aux nicéens. Théophile de Castabala : Ammien Marcellin, Histoire, XIV, 8, 11 ; Sozomène, H.E., VI, 10, 4 ; VI, 11, 1 (il est le coauteur avec Eustathe de Sébaste et Silvain d’une lettre à Libère) ; VII, 7, 4. Voir encore Ibid., IV, 24. 19 NAUTIN, Eutychius. Le personnage est présent aux côtés d’Acace aux conciles de Séleucie (359), Antioche (363) et Lampsaque (364). Si l’on en croit Jérôme, il aurait occupé le siège de Jérusalem pendant l’exil de Cyrille. La chose a été contestée. RUBIN, Eleutheropolis. 20 COURET, Palestine, p. 52, avec renvoi à Épiphane, Panarion, III, Haer. 73, no 23. Cf. Jérôme, C. Jean, col. 358. Pierre Nautin avait d’abord supposé qu’Épiphane avait émigré pour échapper à la vindicte de l’homéen Eutychios ; il est finalement revenu sur une telle hypotèse. C’est au contraire son échec à la succession d’Eutychios qui l’aurait poussé à l’exil : NAUTIN, Eutychius et ID., Épiphane. Voir encore, R APP, Epiphanius ; SCHNEEMELCHER, Epiphanius. 21 SIMONETTI, Macedonius. 22 ID., Pneumatomaques. Sur Silvain de Tarse et le Saint-Esprit : H AYKIN, Silvanus. 16 17

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honorant les clercs de l’endroit de dons et d’aliments, ils allèrent ainsi jusqu’au bout, sans avoir scandalisé personne23.

C’était un soutien de poids que cette grande dame du mont des Oliviers, haut lieu d’implantation monastique24. On imagine assez le rôle des sanctuaires, des saints tombeaux et des reliques dans ces jeux d’alliances ; ainsi, par exemple, la tradition du tombeau de Jacques au mont des Oliviers, quelle que fût la forme qu’elle prit alors, vit le jour avant 392, élaborée, en tout cas entretenue et véhiculée dans les milieux monastiques ; il est permis de penser qu’elle avait déjà cours du temps de Cyrille, au moins vers la fin de son épiscopat. Or, cela ne fut pas du goût de tous : Jérôme en contesta la nouveauté. Il entra bientôt, depuis Bethléem, en conflit ouvert avec l’évêque de Jérusalem et les monastères de Mélanie l’Ancienne25. À la fin du IVe siècle, Épiphane de Salamine était revenu en Palestine jeter le discrédit sur les doctrines d’Origène26. La question divisa : Jérôme, qui n’avait jamais parlé que favorablement du docteur alexandrin, le condamnait désormais ; Rufin d’Aquilée, à la tête du monastère des hommes de Mélanie l’Ancienne, s’y refusait ; Jean, le nouvel évêque de Jérusalem (387-419)27, en rapport étroit avec les monastères du mont des Oliviers28, ne devait jamais consentir à anathématiser Origène. Jérôme attaqua Jean et rompit avec son ami Rufin29. Quant à Épiphane, au terme de quelques escarmouches publiques, il se retira dans son monastère de Besanduc. Épiphane avait, en effet, fondé un monastère dans sa patrie avant d’aller occuper le siège métropolitain de Chypre (en 366). De là, le vieil homme entretenait la discorde, et animait la résistance à Jean de Jérusalem, sous l’œil bienveillant, est-il permis de penser, de l’évêque d’Éleuthéropolis, Zébennos30. Or, ce dernier pourrait avoir découvert le tom-

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Palladios, Hist. Laus., 46, p. 31. Il devait y avoir au moins une vingtaine de sanctuaires sur le mont des Oliviers : MILIK, Notes, p. 364-367, 550-566. STORME, Mont des Oliviers. 25 HUNT, Holy Land, p. 173, 184. 26 Son combat remontait aux années 375/377. Dans le Panarion, où il réfute les hérésies une à une, Origène arrive en 64e position. FRITZ, Origénisme, col. 1568 : « Il critique notamment la tendance d’Origène à ‘intellectualiser’ des doctrines comme la résurrection des corps, menaçant ainsi le fondement de la foi chrétienne. » HUNT, Holy Land, p. 182 ; CLARK, Controversy ; DECHOW, Dogma. 27 STIERNON, Jean de Jérusalem et ID., Jean II. 28 Jérôme, Ep. 82, 7. Voir le prologue de la traduction par Rufin de l’Ap. pour Origène par Pamphile et Eusèbe de Césarée, et l’Ap. contre Jérôme, I, 13. Ces liens entre le mont des Oliviers et l’épiscopat ont des causes multiples que l’on trouvera exposées dans HUNT, Holy Land, p. 182s. Rufin appartenait au clergé de la Ville sainte : Palladios, Hist. Laus., 46 ; Jérôme, Ep. 51, 6, 4. 29 Sur les rapports entre Jean et Jérôme : DUVAL, Insinuations. 30 Ainsi en 396/397, au mépris des droits de Jean, Épiphane ordonna prêtre le frère de Jérôme pour les moines de Bethléem en rupture avec leur évêque : Jérôme, Ep. 82, 8. 24

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beau du prophète Habacuc au monastère d’Épiphane31. La date de l’invention (384/395 ?) n’est pas assurée, mais l’on se plairait à croire que ce fut dans un moment de tension entre les Églises d’Éleuthéropolis et de Jérusalem. Par la suite, Jean fit intervenir Théophile, l’évêque d’Alexandrie, en grand crédit auprès des moines32 : en sa personne, les anti-origénistes trouvèrent un nouveau champion. En 400, il fit condamner les erreurs d’Origène33, puis chassa des moines du désert de Nitrie pour leur adhésion aux doctrines origénistes34. On sait quel tribut Jean Chrysostome dut payer à la haine de Théophile pour avoir accueilli à Constantinople le prêtre Isidore, le fidèle serviteur désormais honni, ainsi que les fameux ‘Longs Frères’. Ces derniers étaient en communication avec le mont des Oliviers35, mais le théâtre des opérations s’était bel et bien déplacé, et avec le départ de Jérusalem de cette première génération d’Occidentaux, les choses s’apaisèrent en Palestine. L’épiscopat de Jean fut pourtant ébranlé par une seconde crise. Au début du Ve siècle, l’Occident subit une vague d’invasions charriant un flot de réfugiés vers les Lieux saints. Pélage, un moine originaire des Îles Britanniques, avait fui Rome, traversé la Sicile et l’Afrique du Nord – il y rencontra Augustin en 411 –, puis gagné Jérusalem. C’était l’initiateur d’une nouvelle hérésie36. Elle avait trouvé des adeptes un peu partout dans l’Empire (parmi les plus connus, Caelestius et Julien d’Éclane), mais aussi de puissants contradicteurs, en particulier Augustin, lequel devait finir par en triompher au terme d’un combat particulièrement long et acharné. Augustin s’assura de précieux concours, et c’est en adversaire résolu du pélagianisme qu’il adressa à Jérôme l’Espagnol Paul Orose, venu en Afrique du Nord pour combattre le priscillianisme et l’origénisme qui sévissaient dans sa patrie. Mais alors que Jérôme n’avait pas attendu pour le condamner la venue de Pélage aux Lieux saints37 – s’y trou-

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Supra, p. 36. NAUTIN, Lettre. 33 Théophile n’obtint toutefois qu’un accord de façade de la part de l’épiscopat palestinien. La lettre des évêques de Palestine a été traduite par Jérôme (Ep. 93). Que penser de l’attitude de Denys de Lydda – où se déroulerait le synode de décembre 415 – qui écrivit personnellement à Théophile pour lui faire part de son adhésion (la lettre est traduite par Jérôme : Ep. 94) ? 34 Sur Théophile, les ‘Longs frères’ et la controverse origéniste : HUNT, Palladios et K ELLY, Jerome, p. 243-246, 259-263. 35 Mélanie et Rufin avaient jadis porté secours aux moines de Nitrie opprimés par les ariens. Le moine galate Palladios, qui devait s’illustrer parmi les fidèles de Jean Chrysostome, se rendit en Égypte en tant que membre du cercle du mont des Oliviers auprès des grandes figures de la controverse, tels le prêtre Isidore, Ammonios (chef des ‘Longs frères’) ou bien encore Évagre le Pontique, lequel semble avoir épousé certaines doctrines d’Origène. 36 HEDDÉ – AMANN, Pélagianisme, sp. col. 691-694 : le pélagianisme, « partant d’une exagération des forces du libre arbitre, aboutissait à nier la nécessité de la grâce divine, la transmission du péché originel, la distinction entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel. » 37 C ARUSO, Girolamo. 32

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vaient déjà réunis plusieurs de ses accusateurs, tous occidentaux –, Jean de Jérusalem s’était montré enclin à l’accueillir et même à lui assurer sa protection. Il n’eut pourtant d’autre choix que de réunir un synode (en juillet 415) pour examiner l’affaire. Orose fut consulté ; certains occidentaux lui servaient d’interprètes, parmi lesquels le prêtre de Braga Avitus, le commanditaire de la lettre de Lucien sur l’invention d’Étienne le protomartyr38. L’affaire prit de l’ampleur, et quatorze évêques de Palestine première se réunirent en concile à Diospolis (20 décembre 415) sous la direction de leur métropolitain, Eulogios de Césarée39. Jean maintint son soutien à Pélage ; ses accusateurs ne se présentèrent pas : le concile reconnut Pélage en communion avec l’Église40. Que s’était-il passé ? Le prêtre Lucien de Caphargamala, l’inventeur des reliques d’Étienne et ses compagnons, nous le fait savoir : « aussitôt donc j’envoyai avertir l’évêque alors qu’il prenait part à un synode à Lydda (c’est Diospolis)41 ». Il est difficile d’imaginer une pure coïncidence42. En tout cas, si l’on en croit Lucien, ce ne fut pas une surprise pour Jean de Jérusalem prévenu de la révélation (le 18 décembre) avant l’ouverture du concile43. Mais on peut supposer que l’inattendu de la découverte suscita chez les autres un profond émoi. Jean se rendit à Caphargamala, le 26 décembre, avec deux collègues de Palestine Première, Eutonios de Sébaste et Éleuthérios de Jéricho. Faut-il s’étonner de l’absence des autres évêques conciliaires ? En tout cas, ni le métropolitain de Palestine ni l’évêque d’Éleuthéropolis ne firent le déplacement. Le dernier n’était autre que Zébennos44, qui avait découvert, une vingtaine d’anHUNT, Holy Land, p. 207-209. Orose était espagnol, peut-être était-il même le concitoyen d’Avitus de Braga (au nord-ouest de l’Espagne). Sans doute Avitus résidait-il depuis un certain temps en Palestine et n’avait-il plus revu sa patrie depuis au moins 409, date à laquelle débutèrent des incursions, à travers les Pyrénées, de Suèbes, Vandales et Alains, qu’il paraît méconnaître. L AMBERT, Avit de Braga. 39 Diospolis est la Lydda des Actes des Apôtres (Ac 9, 32). Pour le concile : M ANSI, IV, col. 312320. Augustin nous en fournit les renseignements les plus détaillés dans le De gestis Pelagii. 40 Sur la rupture entre Orose et Jean de Jérusalem : Apol. 7, 1. Les deux principaux accusateurs, les évêques gaulois Héros d’Arles et Lazare d’Aix, furent sans doute ébranlés par le ralliement ostensible de Jean et ses collègues aux côtés de Pélage : Augustin, De Gest. Pelag., 9, 2. Pour la sentence : ibid., 20, 44, col. 346. HEDDÉ – A MANN, Pélagianisme, col. 690-691 : « On peut regretter ce non-lieu, mais il serait faux d’en conclure que l’Église de Jérusalem fût gagnée aux erreurs pélagiennes. La doctrine opposée par Jean à Pélage est incontestablement orthodoxe. » 41 Rév. Ét. lat., A, VIII, 44, p. 214. Noter l’absence de cette indication dans le latin B et les versions grecques, c’est-à-dire sa présence dans la seule traduction d’Avitus. Si le latin B représente la version officielle de Jean, on peut comprendre qu’il n’ait pas voulu insister de manière trop apparente sur son triomphe. 42 HUNT, Holy Land, p. 220 : « As it is, neither Augustine nor Jerome alludes to the appearance of the relics at the moment so crucial to the question of Pelagius – a silence which might in itself suggest that St Stephen had been seen not to be impartial. » 43 Lucien était alors monté à Jérusalem avertir son évêque. 44 Pour la présence d’Eutonios de Sébaste, Éleuthérios de Jéricho et Zébennos d’Éleuthéropolis au concile de Diospolis : M ANSI, IV, col. 315. 38

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nées plus tôt, les reliques des prophètes Habacuc et Michée. Il venait peut-être encore de découvrir le corps du prophète Zacharie dans sa circonscription. On imagine que sa position devait être assez enviable. Celle de Jean, en revanche, ne l’était guère. Généralement considérée comme une mise en scène soigneusement organisée de main de maître par son principal bénéficiaire – on la compare, à cet égard, à l’invention des martyrs Gervais et Protais par Ambroise de Milan, en 386 –, la découverte des reliques arrivait fort à propos pour renforcer sa position45 : mis en difficulté par l’affaire Pélage, Jean soutenait l’accusé dans un concile présidé par un métropolitain qu’indisposaient les prétentions de son suffragant46 ; un jugement en défaveur de son protégé lui eût été préjudiciable. Avec l’invention, il triomphait. On conçoit alors que son succès n’ait pas été pour plaire à tous, surtout si l’évêque de Jérusalem reprenait à son compte une recette de son collègue d’Éleuthéropolis. Quoi qu’il en soit, au moment où l’évêque Attikos (406-425) couronnait à Constantinople, avec la dédicace de Sainte-Sophie, son œuvre de réconciliation des Johannites, Jean de Jérusalem avait risqué de voir à nouveau stigmatisé par ses ennemis d’hier son « origénisme excessif »47. L’invention apportait à ses accusateurs un démenti éclatant48.

HUNT, Holy Land, p. 219. Jean « se vante d’occuper une chaire apostolique » : Jérôme, Ep. 82, 10, t. IV, p. 122. 47 Si l’on en croit Michel van Esbroeck, l’invention était de nature à balayer d’un revers de main tous les soupçons, présents comme passés, pesant sur Jean (VAN ESBROECK, Jean II, p. 107). L’évêque aurait écrit une Passion de saint Étienne, première pièce d’un diptyque, dont la seconde ne serait autre que le récit de l’invention. Dans cette Passion, « l’insistance sur la naissance charnelle du Christ n’est sans doute pas étrangère à la question de la résurrection des corps, très discutée aux alentours de 400 et où l’on a reproché à Jean de Jérusalem un origénisme excessif. En mettant le témoignage dans la bouche de saint Étienne parlant contre les Juifs, Jean II dissipe tous les doutes de ses contradicteurs. » (ibid., p. 108-109 ; pour le texte, sp. p. 102-103). 48 Il n’est pas indifférent de retrouver aussitôt les Occidentaux au plus près des reliques (sur le caractère ‘ré-conciliateur’ des reliques, voir la Deux. inv. chef du Bapt.). Cf. Bède, Chronica minora, p. 300-301. Le prêtre Avitus exhorta Lucien à relater les faits par écrit et reçut de lui quelques parcelles des reliques du protomartyr (un peu de poussière et des éclats d’ossements), probablement de celles que Jean laissa au lieu de l’invention. La ‘transaction’ eut-elle lieu en secret ? Pas forcément. D’ailleurs, dans la version latine A, Avitus dit avoir entendu l’évêque traduire la stèle découverte au tombeau. Rien ne prouve que le prêtre latin, présent de longue date aux Lieux saints, épousât la cause d’Orose, et ce dernier quitta au plus vite Jérusalem (sans doute dès le tout début de 416). Mais il se chargea de porter, pour Avitus, aux fidèles de Braga et leur évêque Balconius les reliques ainsi que sa traduction de l’Invention. On sait que le sort en décida autrement. Un éloge du protomartyr attribué à Basile de Séleucie (Sermo 41, col. 469) atteste du renom de la découverte et de la rapide distribution des reliques. Les péripéties subies par le précieux chargement sont bien connues : d’abord retourné en Afrique du Nord auprès d’Augustin pour lui relater les derniers éléments de l’affaire Pélage, Orose embarqua enfin pour l’Espagne ; la menace barbare l’arrêta sans doute à Minorque ; il n’alla pas plus loin, et laissa dans l’île la plus grande partie des reliques, qui furent déposées dans l’église de Mago. L’Afrique reçut son lot, sans doute aussi par son intermédiaire : Augustin, Serm. 317-318 ; Civ. Dei, 22, 8 et le De Mirac. Steph. DELEHAYE, Libelli ; ID., Recueils ; GAUGE, Orose ; HUNT, Trafic. 45

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b. Les divisions de Chalcédoine Le concile de Chalcédoine (451) fut largement rejeté en Palestine, en particulier dans la population monastique. À Jérusalem, on porta sur le siège épiscopal le moine Théodose, dont le rapport alarmant avait provoqué une rébellion ouverte, tandis que Juvénal « le renégat » repartait pour Constantinople49 ; la confusion était extrême : un évêque, Sévérien de Scythopolis, assassiné ; d’autres, partout, chassés et remplacés par des anti-chalcédoniens, dont Pierre l’Ibère à Maïouma50. Présente dans la Ville sainte, Eudocie, la veuve de Théodose II, soutenait les rebelles ; l’empereur Marcien (450-457) riposta : Dorothée, qui s’était vu confier la Palestine par l’empereur, pour l’heure occupé à une guerre contre les Barbares51 dans la région de Moab, arriva aussitôt avec une armée solide pour sauver la situation. Mais les défenseurs de Théodose et d’Eudocie lui fermèrent les portes, et ne l’acceptèrent qu’il n’eût au préalable donné sa parole de se joindre avec eux au parti des apostats. Pendant vingt mois, l’usurpateur Théodose tyrannisa le siège (de Jérusalem), et quand Marcien l’apprit, il en fut rejeté par Dorothée, qui ne put cependant le saisir52.

Avec la fuite de Théodose à la mi-453, Juvénal pouvait remonter sur son siège. C’est dans ces temps troublés qu’aurait eu lieu, à Jérusalem, la découverte de vêtements du Christ. Le document qui la relate, une lettre d’un certain Durāt, « chargé de mission » de l’empereur Marcien, a été considéré comme authentique par son éditeur, Michel van Esbroeck. Durāt ne serait autre que le comte de Palestine Dorothée. À son arrivée dans la Ville sainte, Durāt reçut les reliques des mains de Benjamin, « le chef des juifs », pour prix de sa libération53. Premier prévenu, l’empereur donna des instructions à Durāt : il devait envoyer les reliques à deux higoumènes de la capitale, dans le plus grand secret. L’événement est curieusement daté de « l’époque de Jean l’ami de Dieu, higoumène du couvent de Mâr Eusèbe, et de Jean de Farnâs ». Or, l’évêque n’était pas loin, puisqu’il procéda au baptême de Benjamin. C’est bien la preuve, 49 GRILLMEIER, Christ, p. 143-154. Les orthodoxes, réunis autour du moine Euthyme, partirent au désert de Rouba. HONIGMANN, Juvenal. 50 Ps.-Zach. Rhet., H.E., III, 4. 51 Il s’agit d’une révolte samaritaine. 52 Nicéphore Calliste, H.E., XV, col. 32CD, tr. VAN ESBROECK, Lettre, p. 147. Voir Michel le Syrien, II, VIII, XII, p. 89. Dorothée, comte de Palestine : il est mentionné dans une lettre de l’empereur Marcien : ACO, II, 1, 3, p. 127 [486], 129 [488] ; voir SEECK, Dorotheos. 53 Pour d’autres vêtements du Christ conservés dans un coffre, dans la maison d’un juif, à Alexandrie, puis déposés au monastère des Tabennésiotes sous Héraclius : Jean de Nikiou, Chron., p. 159. Voir Photios, Bibliothèque, VIII, p. 18. Benjamin : l’homme était détenu en prison, ainsi que son neveu Rubil. Pourquoi ? La lettre ne le dit pas, mais on imagine que les juifs avaient soutenu les rebelles.

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pour Michel van Esbroeck, que l’autorité de l’évêque, c’est-à-dire Juvénal, n’avait pas été encore totalement rétablie : Il paraît donc très vraisemblable qu’au moment d’envoyer une relique, Dorothée ait songé en 452 à se référer, plutôt qu’à Juvénal, à des archimandrites fidèles à Marcien. Il révélait par le fait même qu’il existait un parti religieux fidèle à l’empereur dans l’entourage de Jérusalem. Telles sont les coordonnées qui font bien augurer de l’authenticité du document, car si un faussaire plus tardif avait voulu justifier la relique, il n’aurait certes pas pensé à restituer des autorités ecclésiastiques mineures à témoin de la datation54.

L’opposition des moines persista encore longtemps après le rétablissement de Juvénal. Des poches de résistance se créèrent : le territoire d’Éleuthéropolis, tout comme celui de Gaza, hauts lieux du monachisme, servirent de refuge aux hétérodoxes ; aux alentours de 456/457, le célèbre moine Romain désireux d’échapper à l’autorité de Juvénal demeura quelque temps à Thécoa55, puis fonda, sur les terres et avec le concours de l’impératrice Eudocie, au village de Kafar Tourban, à deux milles de Saint-Zacharie, un monastère qui devait illustrer la résistance à Chalcédoine56. La proximité du sanctuaire n’est sans doute pas fortuite. Celui-ci avait été établi (en 415 ?) au lieu de l’invention des reliques du prophète, sous le patronage de l’higoumène Zacharie, successeur d’abba Silvain, à Gérara, près de Gaza57. On ne sera pas étonné de retrouver cet établissement parmi les adversaires de Chalcédoine58. Zacharie semble, en effet, avoir entretenu des rapports étroits avec les monastères de Mélanie la Jeune au mont des Oliviers59. Le cercle de Mélanie fut du reste associé plus largement aux disciples de Silvain, et parmi eux, Zénon dit le prophète. L’homme, qui vivait en solitaire, devint le père spirituel de Pierre l’Ibère (v. 417-491) et de Jean l’eunuque60. Selon Michel van Parys, ils furent mis en relation par Mélanie

54 VAN E SBROECK, Lettre, p. 148, qui formule une hypothèse sur leur identité. Le premier Jean, higoumène du couvent de Mâr Eusèbe, pourrait appartenir à un monastère des environs de Lydda (Diospolis) : OVADIAH, Corpus, p. 101-102. Le second, Jean de Farnâs, au monastère de Pharan, une fondation de Saint-Chariton, « bastion du chalcédonisme », non loin de Jérusalem. 55 C’était la patrie du prophète Amos (Am 1, 1). 56 VAILHÉ, Palestine, no 102. 57 La ville de Gérara était « à vingt-cinq milles d’Éleuthéropolis, vers le Sud » : Eusèbe, Onom., p. 60. C’était sans doute un siège épiscopal, connu sous le nom de Σάλτον Γερατικόν : Georges de Chypre, Descriptio, p. 52 et 193, no 1027 ; Théodoret, Quaestiones in 2 Paralipomenon, p. 268. FEDALTO, Hierarchia, p. 1023 ; STIERNON, Gerara : « Selon Jean de Beth Rufina le monastère de Silvain, ‘le père des moines’, était près d’Aphta, un village de Salton (τοῦ Σάλτους). » Jean Rufus, Plér., 48, p. 100, 178-180. Voir encore Sozomène, H.E., VI, 32 ; IX, 17. 58 VAN PARYS, Silvain, p. 476. 59 C’est sans doute par son intermédiaire que Mélanie la Jeune reçut les reliques du prophète Zacharie qu’elle fit déposer, en 431 ou 432, au mont des Oliviers, dans l’oratoire de son couvent. 60 Jean Rufus, Vie de Pierre l’Ibère, 68-75, p. 98-107.

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et Gérontios61. Gérontios comme Pierre l’Ibère ou son disciple et biographe, Jean Rufus, s’opposèrent à Chalcédoine. Pierre l’Ibère est bien connu62 : Nabarnougios, prince ibérien envoyé comme otage à Constantinople vers l’âge de douze ans, fut élevé au palais impérial dans l’intimité des souverains, Théodose II (408-450) et Eudocie. En 437 ou 438, il gagna secrètement Jérusalem avec son compagnon, le laze Mithridate63. Mélanie la Jeune leur fit prendre l’habit monastique sous les noms de Pierre et Jean. Plus tard, Pierre qui avait été consacré évêque au siège de Maïouma de Gaza par l’anti-évêque Théodose, prit volontairement la route de l’exil avec les anti-chalcédoniens, dont il devint l’un des principaux leaders, en Égypte64, puis en Palestine : partout considéré comme un saint homme, il jouissait d’une très grande célébrité. Aryeh Kofsky a bien montré comment Pierre, l’éternel exilé, avait fait de sa vie un pèlerinage65 ; c’est du moins ainsi que le présente son biographe Jean Rufus. Les reliques prennent, dans ce parcours initiatique, une très grande place. De Constantinople à Jérusalem, la fuite de Pierre et Jean en est déjà un bon exemple : Pierre y apparaît sous les traits de Moïse guidant le peuple d’Israël dans son exode. Outre un Évangile selon saint Jean, dans lequel était inséré un fragment de la Vraie Croix, ils emportaient des reliques de martyrs perses dans une boîte dorée, telle l’arche de Dieu avec les chérubins accompagnant Moïse ; les reliques les protégeaient, comme la colonne de feu et de nuée les enfants d’Israël au désert (Ex 14, 19-20) ; en tous endroits, régions, villes, villages, aux portes et aux entrées se rassemblaient hommes, femmes et enfants avec rameaux et flambeaux, venus accueillir les martyrs66. La Croix tient une grande place dans ces années formatrices de Pierre : jeune garçon au palais de Théodose, il en avait reçu une parcelle de clercs venus de Jérusalem, « selon la coutume », pour bénir l’empereur. Il l’avait couverte de cire, et enroulée d’un linge propre, puis enfermée dans une boîte dorée, d’où il ne la sortait que le dimanche, « et surtout aux fêtes solennelles », pour en tirer bénédiction et la baiser. Mais un jour qu’il voulait ainsi faire vénérer la relique à l’un des serviteurs, et que ce dernier s’apprêtait à la baiser, elle devint soudain une blanche colombe. Pierre voulut la rattraper, mais elle, se frayant une issue s’échappa par une fenêtre et disparut à jamais. 61 BUNDY – GORCE, Gérontios. Il mourut après 485, après avoir dirigé pendant 45 ans, sur le mont des Oliviers, le monastère de Mélanie dont il composa la Vie, avant 452. 62 Pour la bibliographie : HORN, Asceticism. 63 Pour la date : DEVOS, Pierre l’Ibère, p. 346. 64 Il fut notamment impliqué dans la consécration de Timothée Élure, évêque anti-chalcédonien d’Alexandrie (457-460 ; 475-477). 65 KOFSKY, Pilgrimage. 66 Jean Rufus, Vie de Pierre l’Ibère, 32, p. 44-45 ; 34-35, p. 44-49.

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Pierre comprit que le serviteur s’était rendu impur et indigne de la vénérer67. Plus tard, par la Croix, Dieu réconforta Pierre et Jean en route vers la Ville sainte : du fragment qu’ils avaient emporté se mit à jaillir sans interruption, une semaine durant, assez d’huile pour leur permettre de s’en oindre à tout moment le visage et le corps68. On ignore ce que devint le fragment de la Croix inséré dans l’Évangile de Jean, mais Pierre remit les reliques des martyrs perses à Mélanie la Jeune, qui les fit déposer par Cyrille d’Alexandrie le 16 mai 439, avec des reliques d’Étienne, dans son martyrion du mont des Oliviers. La veille, avait eu lieu la déposition des reliques du protomartyr dans la basilique d’Eudocie, nouvelle Hélène, venue en pèlerinage aux Lieux saints. À la fin de sa vie, Pierre l’Ibère, dont le corps était affaibli par un régime ascétique particulièrement rigoureux, se rendit en Arabie pour se soigner aux sources chaudes de Livias « appelées d’après saint Moïse69 ». Puis il se rendit sur le mont Nébo, la montagne de Moïse. Pierre y était déjà venu, au temps de sa jeunesse ; il y avait rencontré un vieil ascète, reclus dans sa cellule depuis quarante ans, qui lui avait prédit sa future ordination. Brouria Bitton-Ashkelony a souligné l’habileté avec laquelle Jean Rufus a intégré cet épisode – tout entier calqué sur l’élection de Moïse par Dieu au mont Sinaï (Ex 20, 19-20), de même que celui de la mort de Pierre le sera sur la lutte menée par l’ange pour le corps de Moïse – au dessein général de son œuvre, visant à affirmer et affermir la foi des anti-chalcédoniens et la position de Pierre, leur chef charismatique, et comment la figure de Moïse – Pierre étant un nouveau Moïse, comme le saint apôtre dont il porte le nom – y revêtait dans ce but une importance toute particulière70. Pourtant ce ‘pèlerinage’ pose problème : après le concile de Chalcédoine (451) et l’expulsion des principaux leaders monophysites, les chalcédoniens avaient pris possession des lieux saints à Jérusalem et dans le reste du pays. Du côté chalcédonien, « les lieux saints acquirent une importance théologique comme preuves de la doctrine de Chalcédoine des deux natures71 » ; du côté monophysite, en revanche, le rejet de Chalcédoine et des chalcédoniens, au premier rang desquels le patriarche Juvénal, provoqua contre eux la naissance d’une véritable propagande. L’ouvrage de Jean Rufus, les Plérophories, diffuse le message de la faction monophysite radicale de Palestine : une attitude de rupture totale, un refus absolu de communion avec les hérétiques (un risque que faisait peser leur fréquentation). Les anecdotes relatées par Jean Rufus prouvent assez que la 67

Ibid., 57-58, p. 82-85. Ibid., 34, p. 46-47. Ibid., 116, p. 168-169. 70 BITTON-A SHKELONY, Imitatio. 71 KOFSKY, Pilgrimage, p. 218, et plus largement sur le problème du culte des reliques et de l’appartenance à un parti religieux. P ERRONE, Holy Places ; BITTON-A SHKELONY, Pilgrimage. 68 69

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tentation restait grande dans la population de concilier foi et fidélité aux lieux saints : après Chalcédoine, le Baptiste lui-même exhorta le hiéromoine gardien de son sépulcre de Sébaste à quitter la place72 ; un autre moine reçut, à Béthel, le même message du patriarche Jacob73 ; à Jérusalem, ce fut une femme que rassura le protomartyr Étienne74 : « nous sommes partout avec toi », tel est le message que ne cessent de répéter, souvent par des apparitions, les saints aux adversaires de Chalcédoine. Aryeh Kofsky remarque que, suivant cette logique, le pèlerinage de Pierre et ses compagnons au Nébo montre, d’une part, que ce lieu n’était pas aux mains de chalcédoniens militants, et, d’autre part, que le concile de 451, avec la scission profonde qu’il entraîna entre les deux confessions, ne provoqua nullement chez les monophysites une opposition de principe à la pratique du pèlerinage ; seule la mainmise des chalcédoniens était en cause. Plus tard, en effet, s’éleva une dispute parmi les disciples de Pierre, parce qu’il était demeuré tout un été à faible distance de Jérusalem, sans jamais s’y risquer, pas même à la faveur de la nuit. Mais l’un des moines mit fin à la querelle, car il avait eu une vision ; il avait vu Pierre prier en esprit, en chacun des lieux saints, tous les jours et à toute heure : La nuit dernière, j’ai eu une vision stupéfiante, car je croyais voir notre père, l’évêque Pierre, qui me disait : ‘Frère, peux-tu me donner la main ?’ Et m’ayant conduit, dans cette vision, à la Ville sainte, durant la nuit de son départ, il entra d’abord dans l’église du martyre de saint Étienne, qu’il rencontra en premier ; descendant dans la grotte, il en vénéra l’urne. De là, il se rendit en hâte au saint Golgotha et à la sainte tombe. De là, il descendit à l’église qui s’appelle de Pilate, de là dans celle du Paralytique, et après elle à Gethsémani. Après avoir visité aussi les lieux saints de cette région, il monta au Cénacle des disciples et à la sainte Ascension, et de là à l’église de Lazare [Lazarium]. Après cela, il prit la route qui conduit de là à la sainte Bethléem. Après avoir prié là, il se rendit à la tombe de Rachel. Lorsqu’il eut prié là et dans les autres églises et maisons de prière qui sont sur le chemin, il descendit à Siloé. Après être monté de là à la sainte Sion et avoir achevé la sainte course et en tous lieux prié le Seigneur, il revint enfin au village de Beth Tafsa, partout soutenu par moi. Et le jour qui suivit cette vision, notre père fit son voyage. » Cela arriva pour convaincre ceux qui s’étaient indignés que le bienheureux, dans chaque lieu saint, chaque jour, et peut-être même chaque heure, offrait spirituellement sa prière au Seigneur. Car il est écrit : « Le spirituel juge de tout, mais il n’est jugé par personne (1 Co 2, 15)75.

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Jean Rufus, Plér. 29. Ibid. 30. Ibid. 79. Jean Rufus, Vie de Pierre l’Ibère, 134, p. 194-199 ; tr. Récits, p. 168. 

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Adorer en esprit, voilà qui offrait une solution aux difficultés a priori insurmontables rencontrées par les anti-chalcédoniens76. Or, c’est précisément en esprit que le berger du Nébo eut sa vision de Moïse ; le sépulcre redevint ensuite invisible aux yeux de tous. Plus tard, au soir de sa vie, Pierre fut au cœur d’une autre invention de reliques : il séjournait depuis trois ans au « village appelé Magdal Thouta, situé au sud de Gaza, auprès du temple de saint Hilarion, le grand religieux, le prophète, le père des moines77 », dans la résidence de Denys, un « scholastique » d’obédience monophysite, non loin de son ami Isaïe l’Égyptien, ermite « au village appelé Beit Dalta, à quatre milles du bienheureux Pierre78 », lorsque l’empereur Zénon (474496), parce qu’il avait beaucoup entendu parler des deux ascètes, leur dépêcha l’eunuque Cosmas79, muni de lettres à leur adresse, et chargé de les amener auprès de lui. Pierre prit la fuite. Ces événements doivent sans doute être placés après la promulgation de l’Hénotique (482), auquel Pierre ne pouvait souscrire80. À cette époque donc, il partit pour la Phénicie. Il parvint à une ville nommée Arqa81, à douze milles de la mer, à quinze milles au-dessus de Tripoli. Un homme nommé Maximus, un des notables de cette ville, homme chaste, pacifique et riche, nous reçut dans sa maison de campagne, à la suite d’une révélation de saint André, l’apôtre, qui repose là et est très honoré des habitants de ce lieu82 […] Nous fûmes reçus par lui amicalement, et nous goûtions près de lui les charmes du repos, quand celui qui se disait évêque de cette ville, homme impie […] et scélérat, envoya dire à Pierre : « Ou bien communique avec nous, ou bien va-t-en. La ville ne peut avoir deux évêques. » En entendant cela, le bienheureux partit aussitôt et sortit de cette ville. Il ne voulut pas même rester un jour de plus dans la propriété de Maximus, qui nous avait si bien accueillis83.

L’épisode est d’importance, d’abord parce qu’il s’inscrit pleinement dans l’entreprise propagandiste et apologétique de Pierre et son biographe, ensuite parce KOFSKY, Pilgrimage, p. 221. CHABOT, Pierre l’Ibérien, 20, p. 382 ; pour la localisation : ibid., n. 2.  78 Ibid., 21, p. 383, et la n. 1 : Beit Dalta. 79 PLRE II, p. 326-327 (Cosmas 3). Il est praepositus sacri cubiculi de 488 à 491. 80  HONIGMANN, Orthosia, propose l’année 489, renvoyant à SCHWARTZ, Johannes Rufus, p. 20-22. 81 JANIN, Arca ou Arce. 82 A noter, de nouveau, l’importance de la vision : l’apôtre apparut trois fois, la nuit, au paramonarios de l’endroit, lui enjoignant d’aller annoncer l’arrivée de Pierre, envoyé de Dieu et « protecteur » (Jean Rufus, Vie de Pierre l’Ibère, 141, p. 206-207). Cette venue est annoncée telle une invention de reliques (on peut comparer avec l’App. Jac. et al.), ce qui souligne sa sainteté. Cf. ibid., n. 8, pour les liens entre l’apôtre et la Géorgie, d’où venait Pierre, avec renvoi à LICHELI, Andrew, pour ses ‘traces’ archéologiques dans ce pays. Par ailleurs, on ne sait rien de plus sur le tombeau de l’apôtre André à Arca ni dans quelle mesure il entrait en concurrence avec la tradition de Patras. DELEHAYE, Sanctus, p. 180, parle d’une invention de la relique d’André à Arca, sur la foi de ce passage. Il n’est rien dit de tel. 83 CHABOT, Pierre l’Ibérien, 22, p. 383. 76

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qu’il prépare l’invention de reliques à Orthôsias : déjà l’apôtre André apportait sa caution à l’évêque en exil ; déjà le notable Maximos manifestait combien, en dépit des persécutions de la part des chalcédoniens, le réseau monophysite demeurait profondément ancré et vivace dans ces parages. Un événement extraordinaire vint encore bouleverser le cours des choses : Pierre, victime de la vindicte de l’évêque d’Arca, alla aussitôt à la ville de Ortôsiada, sur le rivage de la mer. Il fut en bons termes avec l’évêque de la ville qui l’aimait et lui témoignait de l’affection, plus que tous les autres qui occupaient des églises. Celui-ci nous donna pour habiter et passer l’hiver un magasin à sel qui était sur le bord de la mer ; car il n’y avait point d’autre endroit convenable dans la ville, qui était petite et comptait un petit nombre d’habitants. Et, bien que nous fussions, pour ainsi dire, dans une prison, nous étions comme si nous habitions dans un palais. Nous jouissions d’une tranquillité parfaite84.

L’évêque d’Orthôsias faisait profession de chalcédonisme85, mais contrairement à son collègue d’Arca, c’était un homme « de grande vertu » qui chercha à assurer dans la mesure de ses modestes moyens le meilleur traitement pour ceux qu’il considérait comme des hôtes de marque. Certes, aucun d’entre eux ne put amener l’autre à sa foi, mais Pierre, qui agissait dans ce diocèse en toute liberté – il convertit le gardien du magasin à sel, où l’évêque l’avait installé avec ses compagnons, ainsi que le frère de cet homme –, ne se montra pas ingrat, et laissa sur place son inestimable trésor, s’effaçant même devant son collègue au jour de l’invention. Son statut d’exilé l’empêchait d’ailleurs d’emporter avec lui les reliques : « Qui suis-je, moi l’indigne et le premier des pécheurs pour que les saints me témoignent un si grand amour ; comment puis-je les recevoir et les emmener avec moi, car je suis un pèlerin et un étranger et n’ai nul endroit où les déposer et les honorer comme il convient ? » Comme il obtenait l’assurance de NotreSeigneur, il dit au jardinier : « N’aie pas peur ! Fais ce que je te dis, car j’agis pour l’amour et l’honneur des saints. C’est que je suis un pèlerin et voyage de place en place ; je ne peux pas emporter les saints et les mener avec moi86. »

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Ibid., p. 384. Le siège épiscopal d’Orthôsias dépendait de Tyr, métropole de Phénicie Première. HONIGMANN, Orthosia : quelques évêques nous sont connus – Phosphoros (mentionné en 444 et 451), Nonnos (en 458), Stéphanos (en 536), Neilos (dans la 1ère moitié du VIe s.). L’évêque en question ne fait probablement pas partie de cette liste. 86 Jean Rufus, Vie de Pierre l’Ibère, 114, HORN-PHENIX, p. 212-215 et p. 213, n. 4 : l’errance volontaire ou non des anti-chalcédoniens entrait en conflit avec la nécessité de lieux fixes pour la vénération des saints ; ils auraient, non sans difficulté, tâché de les remplacer par des reliques transportables, avec renvoi à HORN, Asceticism, p. 260-270 et E AD., Portable Relics (communication) ; ce qui amène les éditeurs à préférer, pour la dernière phrase, la traduction suivante : « I cannot bear them and carry them around to the saints. » (ibid., p. 214, n. 1). 85

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L’invention servait à merveille à renforcer la position de Pierre, chef de file monophysite : l’évêque itinérant était véritablement l’ami des martyrs, l’élu de Dieu87. Et ce n’est pas un hasard si le miracle, sommet de la mission évangélisatrice de Pierre, se produisit en marge des célébrations pascales, temps privilégié de la conversion et du baptême, du jeûne et de l’introspection88.

2. La Syrie et l’Asie Mineure : du ‘Brigandage’ à Chalcédoine La reconnaissance d’un évêque, sa légitimité, tel serait encore l’enjeu principal d’un singulier miracle survenu à Éphèse, vers le milieu du Ve siècle – un exemple rappelant, s’il en était besoin, que manier l’argument de l’invention en ce temps-là revenait à se faire le champion de la lutte contre l’hérésie. Et l’on trouverait une situation similaire, quelques années plus tard, à Émèse : l’évêque Ouranios, nouveau Juvénal, reçut, par le biais d’une invention, la sanction divine de son orthodoxie. Le pasteur put reprendre la direction de son troupeau, et l’évêque la haute main sur les monastères de la cité. a. L’exemple d’Éphèse On apprend dans la Passion des Sept Dormants qu’une hérésie éclata la trente-huitième année de l’empereur Théodose  II (408-450), en 440 ou 445/446. Un certain Théodore, évêque d’Aigéai89, avait initié une nouvelle hérésie : agissant au palais, en présence de l’empereur, lui et ses affidés, des évêques « idolâtres » (οἱ εἰδωλολάτραι οἱ στρατευόμενοι ἐν τῷ παλατίῳ 90), s’en prenaient à la croyance en la résurrection des corps91. 87 De même, Sévère d’Antioche aurait découvert les restes du martyr Claude d’Antioche en Égypte ; l’histoire est probablement inspirée du récit de Jean Rufus. On ne s’en étonnera guère, si l’on songe que Sévère se fit moine à Maïouma, juste après la mort de Pierre l’Ibère (491). A LPI, Sévère, I, p. 43.  88 Pierre et ses compagnons passèrent à Orthôsias « le jour de la sainte Épiphanie et la sainte Pâque, jusqu’à la sainte Pentecôte » : CHABOT, Pierre l’Ibérien, 22, p. 384. 89 L’hérésiarque est inconnu par ailleurs. Son nom apparaît dans l’une des versions grecques : Pass. sept Dorm., 11, col. 437A, ainsi que chez Photios, Bibliothèque, VII, cod. 253, p. 211. Aigéai : il existait deux cités de ce nom, l’une en Asie (?), l’autre en Cilicie Seconde. P ÉTRIDÈS, Aegae ou Aegeae 1 et 2. Selon Ernst Honigmann, il s’agirait plutôt de la seconde. Cf. TIB, V, 1, p. 160-164. 90 Pass. sept Dorm., 11, col. 437A. HONIGMANN, Stephen, p. 149 : l’emploi particulièrement étrange de ce terme, si mal approprié au palais de Théodose II souvent comparé à un monastère, serait le fruit d’une erreur. Le texte original se référait sans doute plutôt à la doctrine d’Origène selon laquelle ce n’est pas notre corps, sujet aux changements, mais « la forme distinctive de ce corps » (εἶδος τὸ χαρακτηρίζον τὸ σῶμα), qui ressuscite d’entre les morts. L’auteur de cette histoire miraculeuse, peu versé dans les subtilités de la terminologie origénistico-aristotélicienne, pourrait avoir confondu εἶδος avec εἴδωλον. 91 Socrate, H.E., VII, 22, 9-10, p. 84-85 (SC) : « Un jour, comme un de ses familiers [de Théodose II] lui demandait : ‘Pourquoi n’as-tu pas condamné à mort aucun malfaiteur ?’ : ‘Si seulement il était possible, dit-il, de rappeler à la vie ceux qui sont morts !’ À un autre qui l’interrogeait sur le même sujet, il dit : ‘Cela n’a rien de grand ni de difficile de mettre à mort un

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En effet, certains disaient qu’il n’y a pas de consolation pour les morts. D’autres disaient que le corps, une fois aboli, disparu et détruit, ne sera pas restauré, mais que l’âme seule participe au mystère de l’incorruptibilité et de la vie. Et ils erraient en ces vaines pensées, et ne réfléchissaient pas que le nourrisson n’est jamais enfanté dans le sein de sa mère sans la chair, et que la chair ne sort pas de la matrice sans l’âme vivifiante. Et ils obstruaient les oreilles de leur esprit pour ne pas entendre la parole du Seigneur qui dit : « Ceux qui gisent dans les tombeaux entendront la voix du fils de l’homme » (Jn 5, 28) ; et il dit encore : « Beaucoup de ceux qui dorment s’éveilleront de la poussière de la terre » (Dn12, 2), et il est encore écrit : « voici que j’ouvrirai vos tombeaux, et je vous mènerai hors des tombes, mon peuple » (Ez 37, 12). Les hérétiques errèrent hors de la route de la vie, et tournèrent en amertume pour leur âme la douceur de la foi92.

Ce débat, qui plongeait ses racines au cœur même de la doctrine chrétienne, était ancien ; il avait été au centre de la première crise origéniste, qui avait éclaté en Palestine à la fin du IVe siècle. Or, bien que passée inaperçue en ces années où les questions christologiques monopolisaient tous les débats, Ernst Honigmann a cru déceler la trace d’une résurgence de ces controverses dans une remarque de Socrate sur le retour des reliques de Jean Chrysostome à Constantinople, le 27 janvier 438 : Il m’arrive de m’étonner de ce que la malveillance ait atteint Origène après sa mort par Théophile, alors qu’elle a épargné Jean. Le premier a été excommunié environ deux cents ans après sa mort par Théophile, alors que Jean, la trente-cinquième année après sa mort, a été reçu dans la communion par Proclos. Tant il y avait de différence de caractère entre Proclos et Théophile93 !

Une telle liberté de ton serait en accord avec l’émergence d’un mouvement favorable à une réhabilitation d’Origène. Le chercheur propose ainsi de voir derrière Théodore, le « saint homme de Dieu94 » dédicataire et commanditaire de la deuxième édition de l’Histoire ecclésiastique de Socrate, le Théodore de la homme mortel, mais il n’est pas possible à personne, sinon à Dieu seul, de rappeler à la vie, s’il a fait pénitence, celui qui était mort’. » Cette phrase doit en fait être attribuée au premier Théodose (379-395) : Jean Chrysostome, Sur le retour de Flavien, tr. TALBOT, Choix de discours, p. 171. Notons à ce sujet que, si le fond de l’histoire des Dormants semble bien appartenir en propre au V e siècle, de nouveaux éléments archéologiques pourraient remonter la construction du sanctuaire à la fin du IV e siècle. 92 Pass. sept Dorm., 11, col. 437BC. 93 Socrate, H.E., VII, 45, 5, 6, p. 150-151 (SC). Il défend encore Origène en trois autres passages : H.E., III, 23, 28 ; IV, 26, 8-9 ; VI, 13. Jean Chrysostome s’était vu reprocher ses fréquentations de divers origénistes comme Héraclide d’Éphèse, Palladios d’Hélénopolis ou les ‘Longs frères’ ; cf. Photios, Bibliothèque, cod. 59. On a déjà vu un lien entre la réconciliation des Johannites en 415 et l’affaire pélagienne, résurgence de la première crise origéniste en Palestine. 94 Socrate, H.E., II, 1, 6, p. 20-21 (SC).

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Passion. Le miracle de la résurrection des Sept Dormants devait bientôt se produire et le confondre. La découverte des saints eut lieu à Éphèse, sous l’épiscopat d’Étienne95. Avec de solides arguments – quoique non admis par tous –, Ernst Honigmann l’a identifié comme Étienne d’Éphèse, l’accusé de Chalcédoine (451). On lui reprochait la manière dont il en avait usé pour accéder au siège de la métropole asiatique96 : quatre ans avant le concile, il avait fait arrêter de vive force son prédécesseur Bassianos, et obtenu sa propre consécration des évêques de la province97. Il arguait maintenant que Bassianos avait déjà été déposé par le pape Léon (440-461), Flavien de Constantinople (446-449), l’évêque d’Alexandrie et celui d’Antioche98. Étienne ne convainquit pas, tant était criante l’illégalité de son action, car la déposition n’avait en réalité été prononcée par les quatre patriarches que plus tard99. Or, en avril 449, ses prétentions avaient été reconnues par décret impérial. Le miracle de l’invention n’y fut-il pas pour quelque chose ? En tout cas, la tenue d’un concile à Éphèse, la même année, pourrait bien témoigner du prestige que son évêque s’était alors acquis. Les Actes font, en effet, allusion à « un grand rassemblement d’évêques », lesquels « célébrèrent une très grande fête et honorèrent dignement les saints dans leur repos100. » Pour quelle autre occasion que le ‘Brigandage’ (8-22 août 449), Éphèse se vit-elle investie, vers ce temps-là, par une multitude d’évêques ? La présence de l’empereur, il est vrai, est intriguante : Théodose II n’assista pas au concile, et aucune source ne vient corroborer son déplacement auprès des Dormants. Il n’en demeure pas moins qu’il se rendit effectivement à Éphèse à l’extrême fin de sa vie (il mourut le 28 juin 450), ce qui pourrait correspondre à l’époque du concile101. Or, son ouverture, prévue pour le 1er août, fut retardée jusqu’au 8. La coïncidence avec les fêtes des Sept Dormants des 2 et 7 août est soulignée par Ernst Honigmann,

L’évêque est parfois appelé autrement. HONIGMANN, Stephen, p. 149-150, 166. Actio XII, 39, ACO, II, 1, 3, p. 50 [409]. La douzième session eut lieu le 29 octobre 451.  97 Actio XII, 13, ibid., p. 46 [405]. Bassianos occupa également le siège d’Éphèse pendant quatre ans (Actio XXII, 38, 41). Or, de 444 à 451 trois archevêques se sont succédé à Éphèse : Basilios, ordonné par Proclos de Constantinople et Cyrille d’Alexandrie peu avant la mort de ce dernier le 27 juin 444 ; Bassianos (quatre ans) ; Étienne (quatre ans). Il faut donc considérer ces durées de quatre années comme arrondies à l’unité supérieure. La consécration d’Étienne eut sans doute lieu le 15 avril 448. BATTIFOL, Bassianos. 98 Étienne prit soin de ne pas prononcer les noms de Dioscore d’Alexandrie (444-451) et Domnos d’Antioche (441/442-450), déjà déposés : Actio XII, 17. 99 L’empereur avait dépêché Eustathe, Primicerius Silentiariorum, pour enquêter sur place ; il rendit son verdict trois mois plus tard, vers le 15 juillet 448 : Actio XII, 17, 37. 100 Pass. sept Dorm., 19, col. 448A. Cf. Ps.-Zach. Rhet, H.E., II, I. 101 Selon Malalas, Chron., XIV, 27, p. 288, Théodose serait allé prier à Saint-Jean pour connaître le nom de son successeur ; il aurait reçu une réponse en vision. Cf. Kédrénos, Hist. comp., I, p. 602. Sur cette « version officielle » de l’approbation de Marcien comme successeur de Théodose : ENSSLIN, Marcianus, col. 1515. 95

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d’autant que les évêques avaient coutume, lorsque s’ouvrait un concile, d’aller honorer les saints locaux. À propos des remaniements que le texte a subis, le chercheur note encore : ne leur doit-on pas ce curieux enchaînement où le rassemblement paraît n’avoir d’autre but que d’honorer les saints, juste après le miracle, alors que l’empereur est encore à Éphèse ? Il semble en effet plus probable que l’invention se soit produite dès les premiers temps de l’épiscopat d’Étienne, pour conforter sa position, c’est-à-dire au mois d’août ou d’octobre (dates de commémoraison) 448. Une variante de la Passion est à considérer : lorsque l’empereur arriva à Éphèse, la cité tout entière vint l’accueillir : πᾶσα ἡ πόλις μετὰ τῶν ἐπισκόπων καὶ τῶν πρώτων τῆς πόλεως102. Mais qui étaient ces évêques ? Après trois mois d’internement, Bassianos avait recouvré la liberté ; il demeurait évêque, aux côtés d’Étienne, tant que la sentence des quatre patriarches n’était pas officiellement tombée. Si l’identification est valide103, cet exemple montre comment un évêque en manque de légitimité pouvait se défendre et s’imposer au moyen d’une invention miraculeuse104. Certes, elle prit cette fois une forme pour le moins originale, mais l’homme non plus n’avait rien de conventionnel. b. L’exemple d’Émèse Les querelles dogmatiques, les grandes questions doctrinales qui agitèrent l’Empire aux IV e et V e siècles n’épargnèrent pas Émèse, et les représentants d’une hiérarchie ballottée entre courants de pensée contraires et coteries diverses, objets de cabales ou d’inimitiés, eurent parfois du mal à s’imposer. L’évêque Ouranios fut de ceux-là. Domnos d’Antioche et Théodoret de Cyr auraient d’abord porté sur le trône épiscopal d’Émèse Pompéianos (ou Pompéios), contre un certain Pierre, le can-

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Pass. sept Dorm., 18, col. 445C. HONIGMANN, Stephen, p. 152, retient au nombre des indices d’identification un épisode du concile de Chalcédoine : Cécropius de Sébastopolis lança à Étienne un curieux avertissement, celui de se garder du pouvoir de l’évêque Flavien, même après sa mort (Actio XII, 43, 44). Il se peut (p. 164) qu’un autre membre ait encore fait allusion, avec ironie, au ‘miracle’ (Actio XII, 56) – preuve que les turbulences politiques étaient de nature à soulever un vent d’incrédulité. 104 Comme le souligne Ernst Honigmann (p. 162), rien ne permet cependant de faire d’Étienne « un monophysite convaincu ». Certes, il avait approuvé toutes les résolutions du ‘Brigandage’ et reconnu l’orthodoxie d’Eutychès lors du synode permanent de la capitale du 8 novembre 448. Mais ce jour-là, il s’était surtout opposé à Flavien de Constantinople. Étienne était venu défendre ses droits outrepassés par le patriarche, qui avait joué le rôle d’arbitre entre deux évêques de Lydie, une province du diocèse d’Asie. Selon les canons, il incombait à l’archevêque d’Éphèse de régler le différend. Étienne passa, de l’ouverture à la clôture du concile, de la sixième à la quatrième place parmi tous les évêques. D’ailleurs, s’il fut déposé le 29 octobre 451, l’on ne rétablit pas pour autant Bassianos sur son siège, et tous deux conservaient la dignité épiscopale. 103

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didat des évêques cyrilliens de la province105 ; puis, Pompéianos étant mort peu après, ils auraient réitéré avec Ouranios, écartant Pierre de nouveau106. Quoi qu’il en soit, Ouranios eut beaucoup de mal à prendre ses fonctions et dut trouver refuge pour un temps auprès de Théodoret à Cyr107. À cause de ce patronage, l’évêque d’Émèse fut accusé de nestorianisme au ‘Brigandage’ d’Éphèse (822 août 449) : lorsqu’on passa à l’examen des différents chefs d’accusation contre Domnos d’Antioche (441/442-450), un certain Marcel, prêtre et higoumène, présenta devant le concile une supplique au nom de son couvent et de lui-même. Ouranios y est dépeint comme un usurpateur et un nestorien. Cette page est particulièrement éclairante sur le climat d’hostilité qui régnait alors en Orient. Au saint et grand Synode œcuménique, rassemblé ici par la grâce de Dieu et par le pieux zèle de nos miséricordieux Empereurs, amis du Christ, prière et supplique offerte par moi, Marcellus, prêtre, par mon couvent et par les frères qui sont avec moi. Une grande tempête a fondu sur les Églises saintes de l’Orient, ô [Pères] saints ! et une seule étincelle a suffi pour allumer un incendie immense et presque inextinguible [mot à mot, sans loi]. Peu à peu le mal s’est glissé dans les Églises et y a introduit une maladie pernicieuse ; car les chefs de l’Église, qui adhèrent à la perverse doctrine de Nestorius, persécutent les docteurs orthodoxes et vexent les peuples bien pensants, en prêchant parmi eux les opinions de cette bête féroce. Or, voici quelle est la cause de tous ces maux et de la perte de l’Orient : c’est le pieux Domnus, évêque d’Antioche, qui a ordonné ces hommes, et c’est, en outre, Théodoret, lequel est tout plein de l’impiété qu’il a reçue, en quelque sorte, de Domnus, par tradition. Semblable à un sanglier furieux, [Théodoret] disperse les brebis du Christ ; mais Dieu, que [ces hommes] persécutent, ne patientera pas éternellement. Aussi a-t-il excité, par son zèle divin, notre miséricordieux Empereur, ami du Christ, à réunir ici votre saint et grand Synode œcuménique. Il faut que vous rameniez la tempête au calme et que vous consoliez, maintenant, les Églises d’Orient qui ont souffert, en chassant ceux qui pensent comme Nestorius et qui sont comme ses rejetons. Votre religion doit, en effet, rendre, avec l’aide de l’Esprit-Saint, la paix aux docteurs

105 Pompéianos : il est cité dans la correspondance de Théodoret, épître 36 (il recommande à la générosité de son collègue un certain Celestiacus, un occidental qui a fui la menace barbare). La lettre est à dater de 443 selon son éditeur : Théodoret, Correspondance, I, p. 34. Pierre : LE QUIEN, Oriens, II, col. 834. Sur « un dédoublement de la hiérarchie dans certains diocèses » : NASRALLAH, Émèse, p. 225, n. 62. 106 Pompéianos serait mort peu de temps après 445, date où il assiste au concile d’Antioche : M ANSI, VII, col. 325, 344D ; ACO, II, 1, 2, p. 145 [341], no 124 ; LE QUIEN, Oriens, II, col. 829B. 107 On a conservé deux lettres à Ouranios dans la correspondance de Théodoret (Ep. 122 et 123) ; elles témoignent de la profondeur de leur amitié. Antérieures à juillet 450, il y est peutêtre fait allusion à l’hospitalité de Théodoret aux heures critiques d’Ouranios, mais surtout à un malentendu vite dissipé entre les deux amis. Cf. NASRALLAH, Émèse, p. 225-226. Ouranios eut, à son tour, l’occasion d’aider matériellement Théodoret lorsque celui-ci dut se réfugier en Apamène, dans le couvent de Nikerta. Sur l’emplacement de ce monastère : ibid., p. 225, n. 67.

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orthodoxes persécutés. Le religieux évêque Domnus a, en outre, bouleversé l’Église d’Émèse et livré ses possessions au fisc. En effet, les évêques, amis de Dieu, de la Phénicie libanique ayant imposé canoniquement les mains au pieux évêque Pierre, un homme de mœurs corrompues et souvent réprimandé publiquement pour sa conduite relâchée, [un certain] Uranius a osé s’emparer, contre les canons, de l’Église déjà nommée. Il n’y a pas eu de prière ni d’invocation de la grâce divine [à son ordination] ; on lui a placé simplement le saint évangile sur la tête ; et ce sont des juifs, des païens, des mimes accourus à son aide qui ont forcé les pieux évêques de la province [à agir ainsi] ; mais ces évêques, une fois partis, ont envoyé, de leur route, à tout le clergé, un ordre écrit de ne pas communiquer avec Uranius, et de ne pas le tenir pour évêque. Ils ont même décrété une peine, au cas où [Uranius] voudrait faire croire qu’il a été fait évêque ; ils ont écrit encore à l’évêque de Laodicée, Valérius, qui est nestorien, de prendre garde de communiquer avec lui ; mais cet évêque n’en a rien voulu faire. Enfin, ils ont aussi fait connaître la même chose au clergé et adressé un ordre au peuple de la ville. Les choses allant ainsi, tous les couvents de ces parages, beaucoup de clercs et autant de laïques se sont séparés d’Uranius. Celui-ci s’est réfugié alors auprès de Théodoret, a forcé son frère, encore enfant, à recevoir l’imposition des mains pour le diaconat et a dissipé les trésors de l’Église. Ensuite, il est allé trouver Domnus, évêque d’Antioche et celui-ci, vaincu, pour ainsi dire, par les sortilèges de Théodoret, a cru pouvoir, par de simples lettres, faire un évêque de l’homme qui était ainsi méprisé. Les couvents et la ville en ont été scandalisés, parce qu’ils connaissent la vile éducation [d’Uranius]. C’est pourquoi, ayant présente à mes yeux la crainte du Seigneur et voyant, avec la dévastation de cette Église, la transgression des canons des bienheureux pères, j’ai abandonné mon couvent à l’âge où vous me voyez, avec mes frères, et j’ai couru [me jeter] aux pieds de votre Sainteté. Tous les moines orthodoxes, qui sont très nombreux, prient, par mon intermédiaire, Votre Religion de faire lire les lettres des évêques de la province. Du reste, leur métropolitain, le pieux Théodore de Damas, est ici ; il pourra vous dire lui-même ce qu’il a écrit et confirmer ce que nous avons dit. Votre Religion, connaissant ainsi sommairement les actions illégales dont se sont rendus coupables le pieux évêque Domnus et Théodoret, délivrera enfin du nestorien Uranius le troupeau du Christ. [Cet Uranius] a, d’ailleurs, signé la déposition illégitime du pieux prêtre et archimandrite Eutychès, quoiqu’il ne fût pas évêque. Il impose les mains d’après son bon plaisir, pour la forme et remplit l’Église de trouble ; il a livré aussi à la curie Stratège, lecteur de son Église pendant vingt-deux ans, pour avoir adhéré aux lettres des évêques de la province contre lui. De même encore [Domnus] a-t-il établi dans la ville d’Arkaï, située dans une autre province, le pieux Timothée, qui devait être prochainement ordonné par notre saint père, Juvénal, évêque de Psalton108 en Palestine. [Timo108 Actes du brigandage d’Ephèse, M ARTIN, p. 148, n. (b) : « Psalton n’existe point en Palestine, mais on trouve deux villes du nom de Salton dans la Palestine première. » Cf. supra, p. 300, n. 57.

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thée] a été transféré, contrairement aux canons, à Arkaï, par le pieux évêque Domnus, et Uranius a reçu ordre de ne faire que lui imposer les mains. Moi, Marcellus, prêtre et moine, j’ai présenté ces libelles au saint et grand synode œcuménique, qui, par la grâce de Dieu et par le zèle pieux de nos miséricordieux Empereurs, amis du Christ, a été réuni dans la métropole d’Éphèse. Prière et supplique du diacre Héliodore, des moines Simon, Abraham et Gérontius. Les Églises de Dieu, répandues en Orient, jouissaient de la paix et de la tranquillité aux jours de Jean, de religieuse mémoire, et des bienheureux pères ses prédécesseurs ; mais depuis que le révérend Domnus est devenu évêque par les soins du païen Isocacius et d’autres personnes attachées aux théâtres [mot-àmot aux danseurs, ὄρχησται], sans le concours des évêques, qui, suivant la coutume, se réunissaient [à Antioche] pour élire et pour imposer les mains à l’élu ; [depuis que Domnus] a été ainsi sacré contrairement aux lois et aux canons, à la dixième heure, en dehors de l’office, et sans communion sacramentelle, ce qui prouve bien le désordre d’une pareille ordination ; [depuis lors, disons-nous], tout est plein de tumulte et de confusion ; car, précisément parce qu’il a commencé de la sorte, Domnus bouleverse toutes les Églises d’Orient. Il les a livrées à un blasphémateur, à un nestorien, à un homme avide, à Théodoret [enfin], lequel a établi de nombreux évêques nestoriens pensant comme lui. Mais ce qui est bien pis, c’est que, au grand détriment des peuples fidèles, Domnus a fait évêque d’Émèse Pompéianus et Uranius, et évêque d’Antaradus, Paul, par de simples lettres, sans l’invocation de la grâce divine, montrant par tout cela qu’il n’avait été ordonné que pour abolir sans danger les canons des pères109.

Ernst Honigmann a suggéré de voir derrière le prêtre et higoumène Marcel, accusateur d’Ouranios, l’archimandrite Marcel, qui découvrit la relique du chef du Baptiste, le 24 février 453110. L’identification, certes non assurée, demeure possible. Dans la Deuxième invention (traduction latine), on remarquerait aisément des signes de réticence, sinon de défiance, entre l’abbé et son évêque. Ce dernier fut prévenu cinq jours après l’événement, un retard qui se serait prolongé si Marcel n’avait été victime d’une attaque de paralysie. Bien que ce motif ait tout l’air d’un classique des inventions, il pourrait refléter des relations tendues entre le monastère et la hiérarchie épiscopale. Ouranios, tel Cyrille de Jérusalem (Apparition de Jacques, Zacharie et Siméon) eut-il du mal à se laisser persuader ? Rien ne l’indique, bien au contraire. Cependant, l’élévation de la relique fut troublée par un incident : un prêtre du nom de Malchos, venu dans la suite de l’évêque, affirma ouvertement son incrédulité et, comble de sacrilège, porta sa main impie sur le vase contenant le précieux chef ; elle se dessécha111. Or, comme Jean de Actes du brigandage d’Ephèse, tr. M ARTIN, p. 146-148. HONIGMANN, Juvenal, p. 235. ENSSLIN, Marcellus. 111 Sa guérison ultérieure mit en pleine lumière l’authenticité de la relique, et sa force active, mais on voit surtout ici une allusion à peine voilée à Malchos, le serviteur du grand prêtre juif ; 109 110

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Jérusalem, jadis, Ouranios, ce jour-là, après avoir proclamé ses droits de pontife sur la relique, l’ôtait du monastère de Marcel, lieu de l’invention. Il la transféra provisoirement dans l’église (épiscopale), pendant qu’on érigeait un sanctuaire au Baptiste112. D’autre part, si l’identification est valide, la rencontre, à peine quelques mois après l’affaire des Sept Dormants, de Marcel et d’Étienne, l’évêque qui présidait le ‘Brigandage’, eut peut-être une influence sur l’invention du chef. Éphèse devait en être encore bouleversée et son évêque, hier contesté, auréolé de gloire. Marcel pourrait aussi avoir pris connaissance de la relation écrite ou commanditée par Étienne, être allé contempler les gisants dans la grotte de l’invention, ou avoir eu, plus tard, l’occasion de méditer cette histoire qui commençait par l’ouverture miraculeuse d’une caverne113. Quoi qu’il en soit, Chalcédoine étant passé par là, l’invention ne pouvait être pour Marcel qu’une excellente occasion de se réconcilier avec son évêque. En effet, alors qu’Étienne d’Éphèse, tombé sous le coup d’une accusation, était déposé à Chalcédoine, l’accusé d’hier, Ouranios d’Émèse, se trouvait cette fois du bon côté. Il avait souscrit à la déposition d’Eutychès lors d’un synode tenu à Constantinople, le 8 novembre 448, sous la présidence de Flavien, ou plus tard, du 8 au 13 avril 449. Par la suite, il approuva les décisions du concile de Chalcédoine (451), où il se fit représenter par l’archidiacre Porphyre114. Il figure encore parmi les évêques de Phénicie Libanaise signataires de la lettre de protestation adressée à l’empereur Léon Ier, après le meurtre de Protérios d’Alexandrie (451-457)115. La date exacte de la mort d’Ouranios n’est pas connue116. Selon la Première invention du chef du Baptiste, le dernier à hériter de la relique, avant qu’elle ne retombe dans l’oubli, fut un hiéromoine hérétique du nom d’Eustathe. Comme il avait été chassé d’Émèse de manière impromptue, la tête

lors de l’arrestation de Jésus, Pierre lui coupa l’oreille : Jn 10, 18. On se souvient du libelle de Marcel : « Uranius a osé s’emparer, contre les canons, de l’Église déjà nommée. Il n’y a pas eu de prière ni d’invocation de la grâce divine [à son ordination] ; on lui a placé simplement le saint évangile sur la tête ; et ce sont des juifs, des païens, des mimes accourus à son aide qui ont forcé les pieux évêques de la province [à agir ainsi]. » 112 Il n’est pas dit expressément que le sanctuaire définitif ne fut pas érigé dans le monastère de Marcel. Mais si tel était le cas, le silence sur la destination finale serait étonnant, d’autant que le premier rêve de l’higoumène, avec son église imaginaire au beau milieu du monastère, montre bien qu’il l’avait espéré. Si l’on en croit la Passion de saint Julien d’Émèse, le chef du Baptiste aurait pris place dans la plus ancienne église de la ville (l’Archaia). 113 Le monastère de Marcel semble avoir abrité une église Saint-Étienne, la seule mentionnée aussi bien dans le grec que dans la traduction de Denys. Cela aurait-il pu avoir une influence ? 114 ACO, II, 1, 2, p. 145 [341], no 124 ; M ANSI, VI, col. 944D, 981A ; VII, col. 402D. 115 Ibid., VII, col. 559A. 116 NASRALLAH, Émèse, p. 226 : « Peut-on conclure qu’il mourut entre 457 et 459, du fait qu’il ne signa pas les décisions du concile de Constantinople de 459 (PG 85, col. 1620-1621) ? Pas nécessairement puisque la liste des participants ne porte que neuf signataires du patriarcat d’Antioche, dont aucun n’appartient à la Phénicie Seconde. »

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resta cachée dans son ermitage. Celui-ci, après avoir abrité une succession de solitaires, se trouvait désaffecté au temps où Marcel dirigeait le monastère attenant. Plusieurs décennies séparent donc Marcel d’Eustathe. Dans ce récit manifestement fictif, sans doute ne faut-il pas attacher trop d’importance à ce personnage dont l’hérésie, mise en avant, n’a peut-être d’autre raison que d’expliquer comment la relique disparut de nouveau à Émèse, et de faire ressortir par comparaison l’orthodoxie de son inventeur, l’abbé Marcel. L’hagiographe aurait cependant pris soin de fournir une identité au seul hérétique, face au groupe des anonymes, moines, potier, etc., et cela est déjà notable. Si la prudence s’impose, le nom même d’Eustathe paraît évocateur. On pense au célèbre évêque de Sébaste (v. 356-380), lequel, proche des macédoniens (semi-ariens homéousiens), plus tard des pneumatomaques, pratiquait un monachisme peu conformiste, suspect aux autorités, qui marqua profondément de son influence le monachisme macédonien ; on pense aussi à l’invention de la même relique en 391, et son extirpation d’entre les mains de macédoniens. Il y a encore Sébaste l’Arménienne qui rappelle Sébaste la Palestinienne, d’où d’autres moines emportèrent les reliques du Baptiste après le viol de son sépulcre sous Julien l’Apostat (363), au moment de l’arianisme triomphant117. Le récit de l’invention, tel qu’il nous est parvenu, ne cite pas nommément l’hérésie de « celui qui, en paraissant l’honorer, insultait le père en amoindrissant le fils »118. Mais le comte Marcellin († v. 534), s’il en était besoin, lève toute ambiguïté : l’homme était arien (occultus Arrianae fidei presbyter)119. Quelque part entre 344 et 350, le nicéen Paul, adversaire malheureux de Makédonios au siège constantinopolitain, fut momentanément exilé à Émèse, avant d’être emmené prisonnier à Cucuse, Arménie, et exécuté. Sans vouloir pousser trop loin l’argument, cette affaire Eustathe ne puiserait-elle pas sa substance dans l’histoire politico-ecclésiastique émésienne de la seconde moitié du IVe siècle ? Eusèbe d’Émèse (341-359), « disciple de Patrophile de Scythopolis et d’Eusèbe de Césarée, protégé par Eusèbe de Nicomédie, arianisant,

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Émèse figure avec Sébaste au nombre des villes où la ‘réaction païenne’ fut des plus violentes : l’église-mère (il s’agit probablement de l’Archaia) fut profanée, des tombes saccagées, des reliques brûlées : Théodoret, H.E., III, 7, 5, p. 118-119 ; Chron. Pasch., col. 741B ; p. 547 (CSHB) ; Théophane, Chron., I, p. 48. 118 Prem. inv. chef du Bapt. lat., col. 424A : Ὀψὲ δέ ποτε τοῖς ὀρθῶς καὶ ἀσυγχύτως καὶ ὁμοουσίως τὴν πανεύφημον δοξολογοῦσι Τριάδα γνώριμος καταστὰς ὁ προσχήματι τιμῆς τὸν Πατέρα διὰ τῆς τοῦ Υἱοῦ μειώσεως καθυβρίζων, ἀρχόντων συνεργείᾳ τῶν Ἐμεσινῶν ἀπελαύνεται. 119 Supra, p. 75. On se rappelle toutefois que Marcellin lui donne le nom d’Eustochius. VAN ESBROECK, Homéliaires, p. 101 et 284, fait remarquer que l’on s’attendrait davantage, aux alentours de 453, à une charge dirigée contre les monophysites. Mais l’arianisme n’avait pas disparu totalement au V e siècle. Théodoret témoigne de la persistance de la croyance dans la région d’Antioche, qui fut un centre de l’arianisme sous Valens. Par ailleurs, l’arien Ardabour, qui servit à Antioche comme magister militum per Orientem de 453 à 466 et possédait une propriété à Daphné, fit don de vaisselle liturgique à une église de la région : infra, p. 347, n. 67.

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précurseur des homéousiens120 », fut accusé de « pratiquer cette partie de l’astrologie qu’on nomme apotélésmatique » ; on le chassa. Ayant par la suite recouvré son siège, et quoique très apprécié de l’empereur pro-arien Constance II (337-361), « il n’échappa pas à la jalousie des gens naturellement disposés à se chagriner des vertus des autres. On le blâma lui aussi de partager les idées de Sabellius121 ». L’homme passait encore pour un thaumaturge, comme en témoigne Sozomène, d’après Georges de Laodicée (v. 280-v. 370) : « On dit que la Divinité opéra par lui beaucoup de miracles122 ». Y-a-t-il quelque chose d’Eusèbe derrière le hiéromoine Eustathe, hérétique et trafiquant de miracles ? La question mérite au moins d’être posée. Mais que l’invention ait eu pour cadre la remise en service du Spélaion (le Monastère de la Grotte) et son rattachement au monastère de Marcel, cela assurément n’est sans doute pas fortuit. On n’en saurait plus rien sans la traduction de Denys le Petit : Or, cinq jours après, Maxentius et Étienne, les vénérables prêtres et archimandrites, venant auprès du saint évêque un dimanche soir lui apportèrent toutes les informations au sujet de la caverne qui était attenante à notre monastère afin qu’il unisse l’une et l’autre. Et l’évêque ordonna que cela se fît. Le prêtre Étienne lui dit : « conformément à notre recommandation, demain, de bonne heure, je remets la caverne au frère Marcel ». Et, au matin, il vint et nous remit ce monastère en présence des prêtres Palladios, Pierre, Gennade et Étienne, l’archimandrite du monastère Bethgalorum [Bethgaalorum]. Et ouvrant la porte qui était verrouillée, nous entrâmes ensemble et vénérâmes [priâmes]. Or, voyant que le lieu avait été extrêmement délaissé, il ordonna que nous en prenions soin. Et le même prêtre Étienne partit visiter les monastères qui étaient établis dans les villages. Mais moi, Marcel, prenant les frères avec moi, je commençai à consacrer mes soins [me consacrer avec zèle] au monastère qui nous avait été donné123. SIMONETTI, Homéousiens. Le monde byzantin, I, p. 58 : « Pour le sabellianisme (ainsi nommé d’après Sabellius, au IIIe siècle) – bien représenté en Orient – les trois personnes de la Trinité (Père, Fils et Esprit) sont seulement des modalités d’une divinité unique. » ; SIMONETTI, Sabellius – Sabelliens. 122 Sozomène, H.E., III, 6, 1-7, p. 76-79 (SC) ; voir encore III, 14, 14 ; 18, 2 ; 19, 2 ; Socrate, H.E., II, 9. Jérôme célèbre l’écrivain Eusèbe d’Émèse dans son De viris ill., 91, col. 695AB. SMULDERS, Eusèbe. 123 Deux. inv. chef du Bapt. lat., col. 427C. On remarque une ferveur teintée de vénération (adoravimus) de la part des entrants, tous prêtres. Peut-on penser que la caverne était un (ancien) lieu consacré (avec abside : la conque), voire un martyrion du Baptiste ? L’Histoire de Gésios et Isidore est suspecte ; on notera toutefois le passage suivant : les deux frères, désireux de se rendre dans un monastère, « arrivèrent aux confins d’Émèse, et descendirent en un endroit isolé, où il n’y avait personne. Il se trouvait en cet endroit une colonne de pierre recouverte de peintures comme les peintures des anciens. » Les frères craignaient « que ce lieu ne fût consacré aux idoles anciennes », mais la représentation du signe de la croix les rassura. Selon l’arabe, ils trouvent l’urne scellée 120 121

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TROISIÈME PARTIE

La grotte contenant la relique constituait ou appartenait à un petit ermitage désaffecté, attenant au monastère de l’abbé Marcel et pourvu d’une clôture extérieure124 ; il est fait plusieurs fois mention de l’ouverture de la porte du monastère ou de la Grotte (monasterii vel speluncae apertum est ostium125). La remise officielle du Spélaion à l’abbé Marcel, le 18 février 453, était le résultat d’une transaction négociée, la veille au soir, auprès d’Ouranios d’Emèse, par les prêtres et archimandrites Maxentius (infra, no 2)126 et Étienne (infra, no 3), le représentant officiel de l’évêque en charge de la surveillance des monastères. La traduction de Denys évoque un véritable réseau monastique (les toponymes n’ont pas été identifiés) : outre le monastère de Marcel et le Spélaion (1), plusieurs établissements sont mentionnés127, désignés sous le nom de leur supérieur (archimandrita, ἀρχιμανδρίτης)128, prêtre ou diacre129. 2 Maxentius 3 Étienne 4 Pierre 5 Étienne 6 Carterius – plutôt ici le saint ou « bienheureux » titulaire ? 7 Cyriaque 8 Gennade

presbyter archimandrita presbyter et archimandrita monasterii quod appellatur Claramnium [al., Daramnium] presbyter loci Bethmamatis archimandrita monasterii Bethgalorum [al. Bethgaalorum]129 monasterium beati Carterii diaconus et archimandrita ; διάκονος Κυριακὸς ἀρχιμανδρίτης τῶν ἐν τῷ ἱερῷ diaconus et archimandrita… « de Capereto monasterio meo […] adveni »

« d’un signe (indiquant) que ce lieu était (celui) d’une très ancienne église, et qu’y avaient vécu des moines craignant Dieu et cherchant le salut de leur âme. » : Z ANETTI, Gésius et Isidore 1, p. 19-20. 124 Les deux monastères étaient assez proches l’un de l’autre pour que les moines pussent aisément voir la clôture et la porte de la Grotte, vers la droite, depuis leur couvent. Ne faisaient-ils pas déjà partie d’un même ensemble avant l’abandon du Spélaion ? Quand celui-ci était-il survenu ? Peut-être depuis moins de temps qu’il n’y paraît : la variante de Marcellinus, CROKE, p. 21 (Marcellus demum presbyter totiusque monasterii praesul dum in eodem specu vita inreprehensibili habitat), pourrait ici prendre sens. 125 Deux. inv. chef du Bapt. lat., col. 429B, etc. Tous ces passages sont absents du grec ; il n’y est jamais question que de la (porte de la) « caverne » : col. 426D, etc. ; dans les passages parallèles, le σπήλαιον du grec est toujours traduit par spelunca. 126 Il s’agit peut-être de l’archimandrite Maxentius nommé dans la première vision : Deux. inv. chef du Bapt. lat., col. 425A : levans oculos meos vidi Marcellum presbyterum, qui erat secundus post Maxentium archimandritam, a meridiana parte flumen venientem. Dans ce rêve, Marcel se tient à la porte de son monastère ; on peut penser que le monastère de Maxentius se trouvait à proximité. 127 Il est également question de plusieurs églises et martyria : Saint-Julien, qui pourrait avoir entretenu un rapport étroit avec le Spélaion ; Saint-Étienne, qui semble appartenir au monastère de Marcel ; une grande église, qui apparaît en rêve à Marcel, au monastère. Ce sont encore l’église épiscopale d’Émèse et Saint-Jean-Baptiste érigé pour y déposer la relique. 128 PARGOIRE, Archimandrite. 129 HONIGMANN, Topographie 1, p. 149 (n° 111) et 2, p. 1 (n° 112) ; DUSSAUD, Syrie, p. 111.

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Ils sont situés à faible distance les uns des autres : le jour de la remise de la caverne, Pierre (no 4) et Étienne (no 5) viennent chercher Marcel pour aller « saluer les frères » et régler quelques affaires au monastère du « bienheureux » Carterius (no 6), ils font un détour, sur avis de Marcel, par le monastère de Cyriaque (no 7), après quoi, Pierre et Étienne passent la nuit dans le couvent de Marcel, avant de regagner, le lendemain matin, « leurs cellules130 ». Le jour de l’invention, Cyriaque (no 7) – il a eu une vision – se rend auprès de Marcel, qui lui révèle le miracle, puis mande Gennade (no 8), qui arrive aussitôt. Les deux hommes tiennent ensuite compagnie à Marcel pendant cinq jours, le contraignant enfin à prévenir l’évêque131. Tous ces établissements paraissent peu éloignés de la ville, distincts des « monastères ruraux » que le prêtre Étienne part visiter : sa tournée le retient plus de cinq jours. Même si le nom de Spélaion, la « caverne »-ermitage de l’invention, l’indique plutôt hors du périmètre urbain, la distance entre celle-ci et la résidence épiscopale est peu importante : la petite délégation a tôt fait de quitter le monastère et d’informer l’évêque, qui s’en revient de l’église « après les prières du matin132 ». Le monastère de Marcel est encore ouvert sur l’extérieur, avec un va-et-vient constant d’archimandrites et le déplacement non moins libre de l’higoumène chez ses voisins. Il accueille, le samedi après-midi, une autre sorte de visiteurs : Sallus, receveur du fisc et le marchand (?) Maris (Sallus [Salius] collectarius et Maris [al., Marius] Linopola Lechtarius)133. Parmi les familiers du monastère, on compte encore un prêtre, du nom de Palladios, peut-être le même qui assiste à la remise du Spélaion : accoutumé à venir y lire l’Évangile, il se voit, en raison du prodige, refuser le même jour, par trois fois, l’entrée du monastère134. Mais à plusieurs reprises, Marcel ordonne la fermeture des portes sur ce monde 130

Deux. inv. chef du Bapt. lat., col. 429D. L’affinité manifeste de Marcel avec Gennade et surtout Cyriaque, tous deux diacres – les seuls du récit – ne veut sans doute pas dire que Marcel était diacre, ce qui s’opposerait à une identification avec le Marcel du Brigandage. Marcellin (CROKE, Chronicle, p. 21) affirme qu’il était prêtre (presbyter). Il est diacre dans la Vie de sainte Matrona, mais il est difficile de se fonder sur un récit rempli de travestissements. 132 Deux. inv. chef du Bapt., col. 430B ; lat., col. 431-432. La veille, pendant l’office de vêpres, Gennade et Cyriaque avaient fait vœu au Baptiste que l’évêque serait informé « avant le lever du soleil ». 133 Ibid., col. 431-432. 134 Ibid., col. 429C : […] tunc ei fratres aditum negaverunt, affirmantes id quod erat, quod Evangelium quoque sub clave archimandritae sit, et excusatum est illi. Si l’on ne peut en induire l’existence d’une bibliothèque au monastère de Marcel, comme dans celui de Zacharie de Gérara, la mention est intéressante. S’y trouvait sans doute une église (Saint-Étienne ?), et l’évangéliaire faisait partie des livres nécessaires à la liturgie. Mais pourquoi le prêtre Palladios venait-il lire ici l’Évangile ? Avait-il l’habitude d’y officier ? Marcel, on l’a vu, était peut-être lui-même prêtre. Si l’identification est valide, il parlait déjà en 449, soit quatre ans avant l’invention, de son grand âge, et semblait posséder – sa démarche le montre – une certaine autorité parmi ses moines et d’autres frères, mais aussi une partie du clergé hostile à l’évêque Ouranios. 131

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TROISIÈME PARTIE

clos135, et le récit n’est qu’un jeu constant d’ouverture et de fermeture des portes, symboles de la clôture monastique. L’organisation de ces monastères, leurs relations les uns avec les autres, apparaissent hiérarchisées136, et pourtant, l’épisode de la paralysie de Marcel, qui met fin à l’attente du retour du prêtre Étienne, représentant épiscopal, pourrait masquer un manquement à ces règles, de même que l’on est frappé de la façon presque grossière (voire comique) dont l’abbé se débarrasse, le jour de l’invention, des prêtres Pierre et Étienne, qu’il avait lui-même retenus137. Quoi qu’il en soit, tout commence avec l’ouverture de la porte de la caverne. On aimerait savoir quand et pourquoi elle fut fermée, verrouillée, son accès condamné, le lieu abandonné. On sait seulement qu’après le départ brusqué de l’hérétique Eustathe, elle aurait successivement échu à plusieurs ascètes. En tout cas, le Spélaion se trouvait dans un état de déréliction avancé lorsqu’il fut officiellement rattaché au couvent voisin. En avait-il auparavant déjà fait partie ? Ouranios ne l’avait-il pas lui-même fermé par mesure de rétorsion ? Sans doute cet évêque pouvait-il faire preuve de fermeté, lui qui avait « livré aussi à la curie Stratège, lecteur de son Église pendant vingt-deux ans, pour avoir adhéré aux lettres des évêques de la province contre lui138 ».

3. Constantinople et sa périphérie Jean, le Baptiste et Précurseur du Christ, était le symbole par excellence du monachisme oriental ; à Constantinople, son chef pourrait avoir constitué un enjeu important pour les macédoniens, puis, après que le pouvoir impérial eut veillé à le leur ôter, pour leurs ‘héritiers’ dans une forme de monachisme insoumis aux règles de l’Église. Les Acémètes étaient eux aussi des moines peu conventionnels, volontiers en conflit avec la hiérarchie. Leur troisième abbé, Marcel, pourrait avoir contribué au prestige de sa communauté par la constitution d’un trésor de reliques, et incarné l’orthodoxie aux yeux d’un empereur soucieux de leur faire parvenir une relique du Christ providentiellement découverte et, de ce fait, soustraite aux ‘hérétiques’ qui contrôlaient alors Jérusalem.

135 On ignore l’importance de la communauté. On voit les frères se rassembler, un soir, autour de leur higoumène, mais seuls sont individualisés Julien, qui se rendit avec Marcel auprès d’Ouranios, et Isaac qui eut, avant l’invention, une vision de la porte de la caverne embrasée. Le même fut chargé par son abbé d’aller chercher Gennade, et plus tard, de veiller à la fermeture des portes du monastère. 136 L’invention eut lieu deux ans après le concile de Chalcédoine (451) qui s’efforça de réglementer et renforcer le contrôle épiscopal sur les monastères. 137 Deux. inv. chef du Bapt. lat., col. 429. 138 Supra, p. 311.

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a. Les macédoniens Successeur de l’arien Eusèbe de Nicomédie et heureux compétiteur du nicéen Paul139, Makédonios140, représentant du parti homéousien, l’une des formes du semi-arianisme, fonda, dès les premiers temps de son épiscopat, de nombreux monastères à Constantinople. C’est sur eux qu’il s’appuya pour asseoir son autorité141. Il comptait plusieurs fidèles à ses côtés, dont Éleusios et Marathônios : Macédonius jetait le trouble à Constantinople et dans les villes à l’entour, aidé par Éleusios et Marathonius. L’un des deux, qui déjà auparavant était diacre en son Église et intendant zélé des hospices et monastères d’hommes et de femmes (σπουδαῖος ἐπίτροπος πτωχείων τε καὶ μοναχικῶν συνοικιῶν ἀνδρῶν τε καὶ γυναικῶν), il l’établit évêque de Nicomédie, et Éleusios, qui avait fait une carrière distinguée au palais, il l’établit évêque de Cyzique. Ces deux, dit-on, étaient de vie méritante, mais zélés à nuire aux partisans de l’homoousie du Père et du Fils, pourtant pas de manière aussi absolue que Macédonius142. […] Et en effet, par leur façon de vivre, ce à quoi porte principalement attention la foule, ils n’étaient pas sans valeur : leur démarche était digne, leur règle de vie semblable à celle des moines, leur langage non sans élégance et leur caractère propre à persuader. Tel fut alors, dit-on, Marathonius. Ancien comptable du bureau des préfets du prétoire, il avait amassé une grande fortune ; puis, ayant renoncé au service, il avait pris soin d’une communauté de malades et de pauvres et après cela, sur la persuasion d’Eustathe évêque de Sébaste, il s’était adonné à la vie d’ascèse et avait fondé à Constantinople une communauté de moines qui s’est conservée depuis cette époque jusqu’à ce jour par une succession d’higoumènes. Il avait si bien contribué à cette hérésie par son zèle et sa fortune personnelle que les partisans de Macédonius sont par certains nommés marathoniens, non sans raison, à mon avis. Car il apparaît, lui et sa communauté, comme ayant été la seule cause de ce que cette hérésie ne se soit pas complètement éteinte à Constantinople143.

TELFER, Paul ; SIMONETTI, Paul. GRUMEL, Makédonios ; BARDY, Makédonios ; SIMONETTI, Macedonius ; BÖHM, Makedonios ; DAGRON, Naissance, p. 423, 433. 141 Sozomène, H.E., IV, 2, 3, p. 194-195 (SC) : καὶ τὴν ἐκκλησίαν κατέσχε Μακεδόνιος, μοναστηρίοις πολλοῖς ἃ συνεστήσατο κατὰ τὴν Κωνσταντινούπολιν περιφράξας ἑαυτόν. 142 Ibid., IV, 20, 1-2, p. 292-293. 143 Ibid., IV, 27, 3-5, p. 342-343. Pour la politique de Makédonios visant à placer ses fidèles sur des sièges épiscopaux situés en dehors de son ressort, Marathônios à Nicomédie dès 342, Éleusios à Cyzique vers 358, ou encore Sophronios à Pompéiopolis : DAGRON, Naissance, p. 438442 ; SIMONETTI, Marathonius ; ID., Sophrone. 139 140

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Sozomène nous apprend que des moines « de l’hérésie de Makédonios » trouvèrent à Jérusalem le chef du Baptiste ; ensuite, ils partirent pour la Cilicie144. Les inventeurs étaient-ils issus de l’une des fondations historiques macédoniennes ou marathoniennes145 ? Rien ne permet de l’affirmer, d’autant que l’hérésie en question désigne communément une doctrine hétérodoxe née dans les rangs des homéousiens après la disparition de leur chef de file146. Makédonios se muait en véritable hérésiarque après 370, au moment où des macédoniens de la première heure tels Marathônios ou Eustathe de Sébaste147, qui refusaient d’admettre la divinité du Saint-Esprit, faisaient désormais figure de « pneumatomaques » : En effet, après que Makédonios eut été dépossédé de l’Église de Constantinople, il cessa d’avoir les mêmes opinions qu’Acace et Eudoxe. Il introduisit la doctrine que le Fils était Dieu et en tout et quant à l’essence semblable au Père, mais il déclarait que le Saint-Esprit ne jouissait pas des mêmes privilèges, lui donnant les noms de serviteur et de valet et tous autres noms qu’on appliquerait aux saints anges sans se tromper. S’associaient à lui en cette doctrine Éleusios, Eustathe et tous ceux qui, alors, avaient été déposés à Constantinople par la secte adverse, et ils étaient suivis aussi par une partie non négligeable du peuple fidèle à Constantinople, en Bithynie, en Thrace, dans l’Hellespont et les provinces à l’entour148.

On hésitera donc, des années 340 aux années 370, à poser un terminus post quem pour l’invention. Sans doute faut-il cependant reporter l’événement après le pillage de Sébaste en 362, où des reliques du Précurseur semblent avoir

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Le Chron. Pasch., col. 773B-776A ; p. 564 (CSHB), propose une version des faits assez différente de Sozomène : la relique fut découverte par l’empereur Théodose Ier (379-395) chez une macédonienne de Cyzique. S’agit-il de la diaconesse Matrona ? On peut le supposer. En tout cas, il n’y est plus question ni d’invention à Jérusalem, ni de moines, ni de translation avortée, mais apparaît un seul inventeur, l’empereur, ôtant la relique d’entre des mains hérétiques. Avant de rejeter ce témoignage, songeons que la ville de Cyzique était aussi un fief macédonien : Makédonios y ordonna Éleusios, vers 358.  145 Marathônios était toujours plein de « zèle à fonder des monastères d’hommes et de femmes » : Sozomène, H.E., IV, 38. 146 Makédonios fut condamné avec ses complices au concile de Constantinople (360), à l’instigation de l’arien Acace de Césarée qui tâcha d’imposer la formule homéenne à tous ses adversaires, ariens comme ‘orthodoxes’ ; il fut déposé et remplacé par Eudoxe (360-370). Si les macédoniens restaient à cette date dominants à Constantinople, en Bithynie, Thrace, Hellespont, Paphlagonie et Pont, la persécution exercée contre eux fut particulièrement soutenue, en dépit de la disparition de Constance II dès 361. Valens (364-378) se posa en défenseur de la formule homéenne des acaciens : Socrate, H.E., IV, 1, 5-6. Après la déposition des homéousiens, une députation se rendit à Rome et fit lever l’accusation d’hérésie qui pesait sur les partisans de Makédonios : Socrate, H.E., IV, 12 ; Sozomène, H.E., VI, 10. 147 GRIBOMONT, Eustathe de Sébaste. 148 Sozomène, H.E., IV, 27, 1, p. 340-341 (SC). 

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gagné Jérusalem. C’était au temps de l’évêque Cyrille (348-387). Sans revenir sur les tribulations de ce dernier, on se rappelle qu’il rejoignit très tôt les rangs des semi-ariens, c’est-à-dire Makédonios et ses amis, ce qui lui valut plusieurs années d’exil, de 357 à 358, de 360 à 362, de 367 à 378. La présence de moines macédoniens à Jérusalem se comprendrait assez bien au moment où le sort de Cyrille était en grande partie lié à celui des homéousiens149. On se souvient encore que Cyrille se réfugia auprès de Silvain de Tarse, en Cilicie, où précisément, d’après Sozomène, les inventeurs emportèrent le chef de Jean. Nos macédoniens découvrirent-ils la relique à Jérusalem quelque part entre 362 (le sac de Sébaste) et 367 (l’exil de Cyrille) ? Suivirent-ils Cyrille en Cilicie après que la ville fut tombée entre les mains des ariens ? On ne peut le dire. Quoi qu’il en soit, on retrouve la relique vers 391 à Cosilaos, près de Chalcédoine150 : c’est là, dans la propriété de l’eunuque Mardonios, qu’un miracle aurait imposé sa déposition sous le règne de Valens (364-378). Sozomène ne nous éclaire guère sur cet établissement. L’empereur Théodose Ier (379-395) y trouva un personnel d’obédience macédonienne spécialement attaché à l’entretien et à la garde de la relique : une diaconesse151, Matrona, et un hiéromoine, Vincent. La première resta sur place, après le départ de la relique, à la tête d’« un couvent de vierges consacrées », sans que l’on puisse affirmer qu’un monastère de femmes, où aurait officié le prêtre Vincent, ait existé avant la translation. Le monachisme macédonien recelait, semble-t-il, un caractère bien spécifique, où l’on a reconnu l’influence d’Eustathe de Sébaste. Celui-ci fut condamné dès 340 (concile de Gangres). La critique visait en particulier son aspect libertaire et son inaptitude à entrer dans un cadre trop réglementé, sous contrôle des autorités ecclésiastiques152. On associait volontiers les eustathiens aux messaliens, qui, pour pratiquer une forme d’ascétisme au caractère jugé extrémiste, firent, à leur tour, l’objet de plusieurs mesures de rétorsion. La controverse dite messalienne prit sous Valens une ampleur toute particulière153. 149

Il est souvent cité aux côtés d’Éleusios de Cyzique, Eustathe de Sébaste et surtout Silvain de Tarse. Une délégation conduite par Silvain, Théophile de Castabala, (ex-évêque d’Éleuthéropolis) et Eustathe de Sébaste se rendit à Rome au nom des évêques orientaux (dont Cyrille) qui se jugeaient injustement déposés : cf. supra, n. 146. 150 Il devait se trouver, autour de Chalcédoine, un grand nombre d’établissements monastiques : on peut citer Hypatios et ses disciples à Rufinianes, les Acémètes ou encore Auxence sur les monts Oxéia puis Skopa. 151 M ARTIMORT, Diaconesses. 152 DAGRON, Monachisme, p. 249s. (= Idées, II, p. 129s.) : les adeptes du monachisme eustathien s’opposaient à une institutionnalisation trop marquée, à un lien trop étroit avec la hiérarchie et les clercs. Ils formaient une population marginale vivant dans les quartiers pauvres, autour des hospices, des chapelles des martyrs ; la cohabitation des ascètes, hommes et femmes, persistait chez eux. Cf. Socrate, H.E., II, 43 et Sozomène, H.E., III, 14, 30-37. 153 GRIBOMONT, Monachisme. Voir encore ID., Messalianisme et Messaliens ; DAGRON, Monachisme, p. 251 (= Idées, I, p. 131-132).

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Vers le milieu du IVe siècle, en effet, nombreux étaient ceux qui, en Égypte, en Syrie, comme à Constantinople, représentaient une voie médiane entre érémitisme et cénobitisme, et dont l’existence, dégagée des règles et des convenances sociales, s’adaptait particulièrement bien au milieu urbain ; elle était la cible de critiques acerbes, d’autant que ces moines, parfois désignés du nom d’« apotactites », tendaient à être associés au semi-arianisme. Or, une certaine forme de monachisme héritée des macédoniens devait longtemps perdurer. Particulièrement intéressant, pour nous, le cas du saint moine Auxence154, car il pourrait être apparenté au hiéromoine Vincent, gardien de la relique du Baptiste : Toutefois, le prêtre Vincent, qui partageait son [Matrona] opinion, qui était chargé également de veiller sur la châsse du prophète et célébrait la messe sur cette châsse, la suivit sur-le-champ et il entra en communion avec les catholiques ; bien qu’il eût fait serment, à ce que disent les partisans de Macédonius, de n’abandonner jamais leur doctrine, à la fin il prit ouvertement cette décision que, si le Baptiste choisissait de suivre l’empereur, il entrerait lui aussi dans sa communion sans plus aucun différend. Il était né perse, et lorsque la persécution sévit contre les chrétiens de Perse sous le règne de Constance, il fuit avec son cousin (ἀνεψιός) Addâs et alla chez les Romains. Il fut inscrit dans le clergé et arriva au rang de prêtre. Addâs, lui, se maria, rendit de très grands services à l’Église et laissa un fils, Auxence. Celui-ci fut très fidèle à la divinité, zélé (spoudaios) envers ses amis, bien réglé dans sa vie, ami des lettres, instruit des ouvrages tant des païens que des écrivains ecclésiastiques, modeste de caractère, familier de l’empereur et de son entourage et exerçant une brillante fonction (strateia). Sa réputation est grande chez les moines les plus en renom et les hommes vertueux (spoudaioi) qui ont eu affaire à lui155.

Marie-France Auzépy a admis l’identification d’après plusieurs observations : (1) La concordance chronologique : (a) (saint) Auxence arriva jeune homme à Constantinople sous le règne de Théodose II (408-450) ; après une carrière militaire, il abandonna le siècle et se retira sur le mont Oxéia, à dix milles de Chalcédoine ; dix ans plus tard, au moins, il fut convoqué, par l’empereur Marcien, au concile de Chalcédoine (451). Il mourut sous Léon Ier (457-474). Ces quelques indications suffisent à indiquer qu’il vit sans doute le jour au début du Ve siècle ; (b) Vincent suivit la relique du Baptiste à Constantinople en 391 ; il Pour les six Vies qui lui sont consacrées : AUZÉPY, Auxence. La plus ancienne, sans doute écrite dans l’ambiance du monastère tou Hypatiou, à Rufinianes, en un temps relativement proche de la mort du saint (un 14 février), a été insérée sans retouches dans le corpus métaphrastique (BHG 199). La Vie Aux. 5 (BHG 203) est attribuée à Michel Psellos. Auxence a laissé son nom au mont Skopa (act. Kaişdağ), à dix kilomètres environ de Chalcédoine : JANIN, Grands centres, p. 43-45. 155 Sozomène, H.E., VII, 21, p. 182-183 (SC). 154

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avait gagné l’Empire romain depuis la Perse, avec son « neveu156 » Addâs, le père d’Auxence, sous le règne de Constance II (337-361)157. Sur le plan chronologique, il n’y a donc pas d’impossibilité notable. (2) L’origine orientale : (a) le saint était originaire de Syrie ; (b) Vincent et Addâs venaient de Perse ; la relique fut découverte (par Vincent ?) à Jérusalem. (3) La « brillante fonction » : Auxence gagna la capitale pour rejoindre un oncle, bucellaire au Palais158. À son arrivée, l’oncle n’était déjà plus, mais il intégra tout de même la prestigieuse garde des Scholes159, évoluant avec grâce dans l’ambiance du Palais, tel un grand Seigneur entouré d’amis distingués, comme Anthime « homme grand et prodigieux, qui pour lors était decanus ordinaire du divin palais, puis devint diacre, et ensuite prêtre », ou encore Marcien, futur économe de la Grande Église160. Si l’on ignore tout de l’oncle bucellaire, on imagine assez ce que l’affaire de la relique aurait pu valoir à la famille de promotion auprès du pouvoir impérial. (4) Les spoudées : auprès des deux Auxence, se trouvaient des hommes dévots, « zélés » ; ils formaient, dans le cas du saint, une sorte de confrérie liée au sanctuaire Sainte-Irène près de la mer161. (5) L’Hebdomon : il semble avoir eu une certaine importance dans la carrière de (saint) Auxence, mais justement en dehors du contexte militaire attendu chez un officier162 : il y rendait de fréquentes visites à un certain moine Jean (!) le reclus163, et rencontra là, pour la première fois, l’empereur Marcien, qui assistait à une fête du Baptiste164. (6) Le Baptiste : si aucune des Vies d’Auxence ne mentionne la relique, toutes fourmillent d’allusions plus ou moins voilées165. Au-delà de ses rapports avec l’Hebdomon ou de sa réclusion (forcée) au monas156 Le terme ἀνεψιός est ambigu, et l’on préférera voir en Addâs, avec Marie-France Auzépy (Auxence, p. 231), le « neveu » plutôt que le « cousin » de Vincent. 157 Pour la persécution des chrétiens de Perse sous Constance II : BLOCKLEY, Constantius II ; Sozomène, H.E., VII, p. 182-183, n. 2 (SC), avec renvoi à PIETRI, dans Hist. du Christianisme, II, p. 940. 158 GASCOU, Bucellaires. 159 Vie Aux., 2, col. 1380A. Sur les scholes : DELMAIRE, Soldats. 160 Vie Aux., 2, col. 1380B. PLRE II, p. 99-100 (Anthimus 1). WORTLEY, Marcien. Pour la synaxe d’Auxence célébrée à l’Anastasis de Constantinople « fondée, du moins reconstruite et embellie par Marcien » : AUZÉPY, Auxence, p. 234-235. 161 Vie Aux., 2, col. 1380C : τὸν κύριν Αὐξέντιον σὺν τοῖς λοιποῖς σπουδαίοις. P ÉTRIDÈS, Spoudaei, p. 229-230 : il y avait des Spoudées à Jérusalem, sorte de confrérie attachée à l’Anastasis, sans doute dès le IV e siècle. Faut-il voir un lien entre l’Anastasis de Jérusalem et l’Anastasia de Constantinople ? DAGRON, Inhumations, p. 176-178 (= dans Idées, p. 586). Sainte-Irène près de la mer : JANIN, Églises, p. 106. 162 L’Hebdomon était le lieu de stationnement des troupes autour de la capitale. 163 Vie Aux., 2, col. 1380B ; 4, col. 1381C. 164 Ibid., 38, col. 1405D. AUZÉPY, Auxence, p. 231, n. 104 : la précision selon laquelle il s’agissait de la fête du Baptiste est donnée dans la Vie d’Auxence 4. Sur les fêtes du Baptiste à Constantinople : JANIN, Précurseur, p. 312. 165 Marcien, l’ancien spoudée, aurait choisi d’être enseveli dans le prophétéion Saint-Jean-Baptiste ἐν τοῖς Δανιήλ, près de la citerne de Mocius – il avait lui-même bâti ce monastère ; on y célébrait sa mémoire le 10 janvier : Vie Marcien, 12, p. 750-751. JANIN, Précurseur, p. 330-331, no 5.

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tère du Baptiste ἐν τῇ Φιλίῳ166, l’existence, voire la personne du saint moine, ne sont pas sans évoquer le prototype et illustre précurseur de la vie érémitique : sur sa montagne, « vêtu d’un habit de poils et de peaux en émule de Jean Baptiste167 », il partageait son temps entre vie contemplative et direction spirituelle, donnant à quiconque le souhaitait l’habit de poils. Par ailleurs, l’épisode du transfert d’Auxence à Constantinople sur ordre impérial rappelle, avec l’épisode du char immobilisé, la translation du chef du Baptiste168, même si l’hagiographe reste prudent : l’homme de Dieu n’était pas – ou pas encore – une relique. Il était tout entier affaibli dans son corps et diminué par l’ascèse, et surtout les mortifications, au point que du pus en sortait avec des vers. Alors, un certain Théophile, poussé par l’ardeur de sa foi, lorsqu’il vit l’ongle du gros orteil de son pied droit en train de tomber, l’arracha. Le saint qui avait eu mal lui dit : « Moi aussi je suis un homme qui souffre comme tout le monde, ne me faites pas mal »169.

Les auteurs de la Vie ancienne (les moines de Rufinianes ?) ont peut-être voulu gommer tout ce qui pouvait prêter matière à soupçon concernant leur héros170. D’ailleurs, pourquoi s’encombrer, après 453, d’une relique devenue obsolète : n’avait-on pas découvert à Émèse cet insigne trophée, gage d’orthodoxie ? Mais Auxence était-il lui-même hérétique171 ? La question ne doit sans doute pas être posée en ces termes même si la Vie souligne, parmi les spoudées de Sainte-Irène et les familiers du saint homme172, des ralliements tardifs au concile de Chalcédoine, à l’instar du hiéromoine Vincent, jadis converti pour suivre le Baptiste. En revanche, par sa pratique libérée de toute tutelle ecclésiastique, il est apparu comme l’un des derniers représentants du monachisme macédonien173 : à l’Hebdomon, Jean le Reclus prodiguait aux spoudées, après les exercices réguliers du culte de la confrérie dans l’église Sainte-Irène, une sorte d’enseignement spirituel hors de tout cadre officiel, préfigurant les acti166

Vie Aux., 33, col. 1404A. Sur ce monastère situé sur la côte asiatique de la banlieue de Constantinople, JANIN, Précurseur, p. 349, no 34. Vie Aux., 10, col. 1385A. 168 Ibid., 25, col. 1397D. À noter que semblable aventure se reproduisit lorsque son ami Marcien voulut transférer des reliques d’Isidore de Chio à Sainte-Irène, l’église des spoudaioi. On trouve encore un épisode similaire dans la Translation d’Étienne à Constantinople, sans doute également imité de Sozomène. 169 Vie Aux., 25, col. 1397CD. 170 AUZÉPY, Auxence, p. 219. Ils n’y ont, semble-t-il, qu’imparfaitement réussi. 171 La Vie montre Auxence en rapport avec l’empereur Marcien et approuvant publiquement le concile de Chalcédoine. 172 Vie Aux., 2, col. 1380B. La Vie présente Marcien comme un adepte de l’hérésie novatienne, plus tard converti à l’orthodoxie. 173 DAGRON, Monachisme, p. 250-253. 167

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vités didactiques d’Auxence sur le mont Oxéia, puis surtout sur le mont Skopa. Là, il scanda la vie religieuse en toute indépendance, recevant hommes et femmes de toute condition, pratiquant l’assistance aux plus pauvres, distribuant généreusement l’habit d’ermite autour de lui. S’il n’adhérait pas formellement, en ce milieu du Ve siècle, à un dogme hétérodoxe particulier174, c’est ainsi que la Vie trahit de sa part une opposition au concile de Chalcédoine – position défensive, expression de rejet vis-à-vis d’une politique de contrôle et de normalisation du monachisme. Celle-ci ne s’opéra d’ailleurs pas de si tôt, et la renommée d’Auxence prouve que l’on tolérait encore de telles pratiques. Même tempérée, la biographie écrite par ou pour le monastère tou Hypatiou, « un monastère d’hommes, normalement constitué175 », ainsi que le portrait flatteur du personnage par Sozomène, le montrent bien. Or, Sozomène fait encore l’éloge de l’‘abbesse’ macédonienne Matrona. Pourtant, contrairement à Vincent, la diaconesse176 gardienne de la relique du Baptiste avait persisté dans l’erreur, inflexible aux sollicitations de l’empereur Théodose Ier : Quant à Matrona, elle demeura jusqu’à sa mort à Kosilaoukomê. Elle y vécut très saintement et dirigea sagement un couvent de vierges consacrées : à ce que j’ai appris, beaucoup d’entre elles vivent aujourd’hui encore, avec un comportement digne de l’éducation reçue sous la conduite de Matrona177.

Les femmes pourraient d’ailleurs avoir joué un rôle important dans le monachisme de tradition macédonienne (ou eustathienne) : un jour, une femme de la maison de Pulchérie178 apporta des reliques au mont Skopa et obtint d’Auxence la fondation d’un couvent – ce qu’il s’était pourtant toujours refusé à faire – à un mille de sa cellule, au proasteion Γυρῆτα. Ce sont ces moniales Auxence doit se disculper à plusieurs reprises.  Vie Aux., 29, col.  1400CD : […] Ἐγὼ χριστεμπαίκτης οὐκ εἰμί, ἀλλὰ δοῦλος τοῦ Θεοῦ, πιστεύων εἰς τὴν ἁγίαν καὶ ἀδιαίρετον Τριάδα καὶ ὁμολογῶν Θεοτόκον τὴν ἁγίαν ἄφθαρτον Παρθένον. On peut comparer avec l’Eustathe de la Première Invention du chef du Baptiste. À ceux qui sollicitent son adhésion à Chalcédoine, Auxence répond (Vie Aux., 34, col. 1404B) : « que la volonté de Dieu soit faite », cité par AUZÉPY, Auxence, p. 221 ; voir encore p. 233 : « Dans la Vie Aux. 1, le texte qui est présenté comme l’horos du concile, et qui est lu à Auxence à Sainte-Sophie sur ordre de l’empereur Marcien, cite, après le concile de Nicée, le concile des 150 qui s’est tenu à Constantinople contre Makédonios (41, col. 1409C). Or l’horos véritable n’y fait pas allusion (ACO, II, 1, 2, p. 128 [324] – 130 [326]). Mais Psellos reprend l’allusion, dans le discours dogmatique qu’il fait prononcer à Auxence devant ses visiteurs (Vie Aux. 5, 25, p. 108-109). Il pourrait y avoir là, de la part de la Vie Aux. 1 et de Psellos, comme le rappel discret de ce qui s’était réellement joué. » 175 AUZÉPY, Auxence, p. 234.  176 Pour le rôle des diaconesses, dont la Vita prima de Matrona confirme l’importance aux V e et VIe siècles dans la chrétienté orientale, voir encore le cas d’Eusébia (invention des Quarante martyrs). 177 Sozomène, H.E., VII, 21, p. 182-183 (SC). 178 Éleuthera Stephanis, cubicularia de Pulchérie : HOLUM, Empresses, p. 132, n. 87 ; PLRE II, p. 389. L’épisode est à situer après la mort de l’impératrice (453). 174

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(dites Trichinaréai, parce qu’elles portaient l’habit de poils) qui remportèrent, contre « l’oikos de Saint-Zacharie179 » et le monastère d’Hypatios, la dépouille d’Auxence. Or, alors que l’on ne sait rien, ni de ce couvent ni de celui de la diaconesse, une autre moniale et abbesse allait, par-delà Chalcédoine, incarner dans le monde monastique une nouvelle forme de marginalité… une chalcédonienne du nom de Matrona ! Selon Théophane le Confesseur, cette dernière refusa d’adhérer à la politique anti-chalcédonienne de l’empereur Anastase (496-518), en dépit des sollicitations du patriarche Makédonios (!) II (496-511)180. Comme Auxence, elle reçut un culte et l’on écrivit sa Vie : née à Pergè, Pamphylie, vers 430 [425]181, Matrona s’établit à Constantinople vers 455 [450]. Elle entra peu après, déguisée en eunuque sous le nom de Babylas, au monastère de Bassianos. Démasquée trois ans plus tard, commencèrent pour elle des années d’errance en Orient, en premier lieu à Émèse, au couvent de Sainte-Hilaria182. Puis, elle retourna à Constantinople en 472/474 [457] et y fonda, avec l’aide de Bassianos, un couvent183, dont elle assura la direction jusqu’à sa mort en 510/515 [524]. Or, en bouleversant lois et convenances pour suivre sa vocation religieuse184, Matrona apparaît comme un double féminin d’Auxence : (1) Le séjour au monastère de Bassianos185 suggère une suppression des frontières entre les sexes réprouvée par l’Église186. (2) Elle reçut sa première direction spirituelle d’une dévote non mariée, sans statut défini ni fonction régulière dans l’Église187, à l’instar du reclus de l’Hebdomon ; puis, se forma un cercle de trois amies « zélées » se réunissant aux offices religieux, aux fêtes et pannychies, en par-

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Non identifié. Il est sans doute hasardeux de supposer un lien avec le père du Baptiste ! Théophane, Chron., I, p. 141-142 (AM 5991 [498/499]) : Ματρῶνα δὲ ἡ ὁσία ἔτι ζῶσα καὶ μὴ κοινωνοῦσα σὺν ταῖς σὺν αὐτῇ ἀσκητρίαις διὰ τὸ ἑνωτικὸν Ζήνωνος παράδοξα πολλὰ ἐνεδείξατο, Χρυσαορίου, διακόνου τῆς ἐκκλησίας, αὐτὴν ἀναγκάζοντος. 181 D’après la chronologie de Cyril Mango (intro. à la tr. angl. de Vie Matrona 1). Les dates entre crochets sont celles proposées par BENNASSER, Gender, p. 107-112, et retenues par C ATAFYGIOTU TOPPING, Matrona. 182 Vie Matrona 1, col. 796A. Le nom du couvent est omis dans la métaphrase de Syméon. Sainte Hilaria (fête : 19 mars), martyrisée sous le règne de Numérien, était, comme Matrona, une femme déguisée en moine. 183 JANIN, Églises, p. 329. 184 Bien que son attitude soit ici justifiée par la nécessité de fuir un époux cruel et impie. 185 On ne possède pas de Vie de Bassianos, mais une notice du Synaxaire (Syn. Const., col. 127128) le fait vivre sous le règne de Marcien (450-457), qui a bâti le monastère ; Bassianos y accomplit des miracles post-mortem. Il y est question de Matrona. 186 Même si, bien sûr, Matrona n’entra pas en femme chez Bassianos. D’ailleurs, le cercle constitué autour de Matrona demeura toujours féminin. 187 Nestorius (428-431), qui s’était attaqué aux macédoniens, avait voulu ordonner par force diaconesse la sœur de l’empereur, Pulchérie. 180

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ticulier dans les martyria de la ville, à l’image des spoudées de Sainte-Irène. (3) Elle côtoya des femmes de toutes origines et conditions, depuis les impératrices Vérine et Euphémie, épouses de Léon Ier (457-474) et Anthémius (467472), jusqu’à des esclaves et prostituées. En une succession de brèves notices, Théodore le Lecteur (v. 530) dresse le tableau de la vie spirituelle constantinopolitaine dans les années 450/460188 : Stoudios, fondateur de Saint-Jean-Baptiste, où il établit des Acémètes ; le préposite Gratissime, fondateur de Saint-Cyriaque, où il prit l’habit sans négliger ses fonctions auliques189 ; Daniel, de la mandra de Syméon, stylite ἐν τῷ Ἀνάπλῳ. Beaucoup « recherchaient la discipline monastique », dont « celle qui », après avoir abandonné maison, argent, mari, vécut dans un monastère déguisée en eunuque. Il y avait encore l’illustre Bassianos, qui accueillit dans son monastère le consul Jean, surnommé Vincomalus, lequel continuait à exercer sa charge de sénateur au palais ; Anthime et Timochlès enfin, qui composaient des tropaires respectivement pour les amis et les ennemis de Chalcédoine190. Or, un tel catalogue d’expériences religieuses menées dans les années qui suivirent le concile ne peut que frapper. Mais surtout, le biographe de Matrona pourrait s’en être inspiré pour enrichir la Vie de son héroïne : chez Théodore, ce n’est pas Matrona, mais Jean Vincomalus191 qui réside au monastère de Bassianos. Or, Jean était consul en 453, l’année de l’invention du chef du Baptiste à Émèse192. Ce détail, tout autant que l’homonymie avec la diaconesse de Sozomène et la ‘référence’ au saint moine Auxence193, entraîna peutêtre l’insertion du miracle d’Émèse dans la Vie de sainte Matrona. La découverte de son véritable sexe avait mis Bassianos dans l’embarras, lorsque Marcel, diacre au monastère, suggéra de l’envoyer à Émèse. Originaire de la cité, il connaissait là-bas un ἀσκητήριον de femmes, le couvent d’Hilaria, où sa sœur résidait. Matrona s’y rendit et devint un modèle de vertu et de piété. On envisagea même de lui confier le monastère à la mort de l’higoumène. Mais « un agriculteur qui travaillait un petit domaine » vit, plusieurs jours durant, 188 Théodore le Lecteur, H.E., Epitome 384-388, p. 108-109. Théophane, Chron., I, p. 114 (AM 5957 [464/465]), semble s’en être inspiré.  189 PLRE II, p. 519 (Gratissimus). 190 Anthime : l’ancien spoudée de Sainte-Irène (Vie Aux., col. 1380B), ex-decurio sacri palatii, était devenu prêtre et défenseur de Chalcédoine. Ps.-Zach. Rhet., H.E., IV, 11, p. 128. 191 Jean Vincomalus est présent au concile de Chalcédoine comme magister officiorum : ACO, II, 6 Index, p. 3 ; il est consul en 453 : ENSSLIN, Vincomalus ; PLRE II, p. 1169-1170 (Ioannes Vincomalus). 192 Il est d’ailleurs question, quelques lignes plus haut, de la fondation de Saint-Jean-Baptiste par le consul Stoudios : M ANGO, Studius. 193 On notera encore ceci : lorsque Matrona revint à Constantinople, elle se rendit à SainteIrène – celle d’Auxence et de Marcien l’économe – et là, révéla son identité au diacre Marcel. Vie Matrona 2, 27, col. 944D-945A.

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de la lumière sortir de terre en émission continue. Étant paysan, il ne pouvait saisir les réalités célestes… Il alla donc trouver l’évêque. Celui-ci reconnut un miracle et se rendit sur place avec son clergé. Après la prière d’usage, il ordonna de creuser la terre. On trouva une cruche (στάμνος) ; elle ne contenait ni or ni objet de la sorte capable d’ensorceler l’âme par son éclat, mais un bien plus précieux : la vénérable tête du Baptiste. La rumeur se propagea, et la relique fut introduite dans l’église avec des acclamations et des hymnes de louange. Chacun voulait recueillir du myron qu’elle exsudait. Matrona, présente avec toutes les moniales, en reçut plus que les autres ; entraînée parmi la foule – c’était la volonté de Dieu –, elle se trouva dans l’obligation de distribuer autour d’elle le précieux baume, et, à quelques pas des prêtres chargés de cet office, oignit les yeux d’un aveugle de naissance qui la pressait de ses prières ; sur-le-champ, il recouvra la vue. Ce miracle la signala aux yeux de tous, mais fit découvrir son identité ; elle dut de nouveau s’enfuir. La forme a de quoi étonner si l’on compare avec le récit de l’abbé Marcel d’Émèse (BHG 840, BHL 4292). L’artifice se trahit d’ailleurs par un décalage chronologique194 : au moment de l’invention, Matrona séjourne à Sainte-Hilaria depuis un temps indéterminé ; or, elle avait au préalable passé trois ans dans le monastère de Bassianos, lequel fut fondé sous le règne de Marcien (450-457). Comment insérer dans un laps de temps si bref tous les faits sus-mentionnés ? Mais s’agissait-il seulement, comme le suppose Hippolyte Delehaye, de rapporter un miracle à la sainte ? Trop d’éléments ici sont imbriqués pour ne pas en douter. La Vie ancienne de Matrona est attribuée à un milieu monastique constantinopolitain aux alentours de 550, soit près d’un siècle après l’invention. Son auteur avait-il vraiment lu le récit de Marcel ? Se serait-il permis de le transformer de manière aussi grossière195 quand lui-même et son public s’en faisaient une idée des plus claires ? D’autre part, avait-il lu Sozomène ? Il est permis de le croire, même si le sort de la relique de l’Hebdomon paraît avoir été scellé à cette époque196. D’ailleurs, les gaucheries du premier biographe d’Auxence donnent aussi à penser que l’on s’en souvenait encore. Quoi qu’il en soit, avec la Vie de Matrona, vers le milieu du VIe siècle, une chose est claire : sous quelque forme que ce soit, la tradition d’Émèse a désormais seule droit de cité, en tout cas pour qui veut exalter concile de Chalcédoine et triomphe de l’orthodoxie.

DELEHAYE, Act. Sanct. Nov., II, p. 789. Le miracle d’Émèse devait, sous sa plume, intégrer un schéma d’invention des plus classiques. Pour une autre interpolation de la même invention : supra, p. 76-77. 196 On peut cependant penser à la double notice du Chronicon paschale au siècle suivant. 194 195

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b. Les Acémètes Dès la deuxième moitié du IVe siècle, Constantinople regorgeait, en plus de ses monastères urbains et extra-urbains, de moines solitaires ou en petits groupes, établis le plus souvent aux abords des lieux de culte, souvent affectés au service ou à la surveillance de fondations pieuses et charitables ; en bonne place, d’innombrables martyria aux dimensions habituellement fort modestes, dont les reliques constituaient de puissants attraits. Le personnel peu nombreux, moines, plus rarement prêtres, s’était implanté spontanément ou bien à l’initiative de quelque laïc, qui en assurait l’entretien, le plus souvent en marge de l’autorité épiscopale197. Une pétition […] en faveur d’Eutychès et signée par dix-huit « archimandrites » fait l’objet d’une enquête de la part du concile. Après examen, ne sont reconnus comme véritables archimandrites, c’est-à-dire comme chefs de véritables monastères, que Karôsos, Dôrothéos et Maximos ; les quinze autres signataires sont considérés comme des vagabonds, des imposteurs, de simples gardiens de chapelles ou de martyria. […] En dehors des trois « vrais » archimandrites et de quelques signataires déclarés inconnus, on compte : un « ancien montreur d’ours » (ἀπὸ ἀρκοτρόφων) dont la situation monastique n’est pas autrement précisée ; un moine qui « habite le martyrion Kélérinè » (ἐν ματρυρίῳ Κελερίνης ἐστίν). Tous les autres, six au total gardent ou desservent avec quelques compagnons (jusqu’à dix) de petites chapelles de quartiers (μεμοροφύλαξ τῶν Προκοπίου, μεμορίτης εἰς τὸ Ξυλόκρινον, μεμορίτης εἰς τὰ Φιλίππου) ; dans la suite on les appelle : οἱ ἐν μεμορίοις οἰκοῦντες. Le terme τὸ μεμόριν désigne sans aucun doute un petit martyrion, une petite chapelle contenant quelques reliques d’un saint ou d’un martyr198.

Au nombre de ces petites communautés monastiques marginales groupées autour d’un sanctuaire à reliques, celle d’Hypatios († 446) : le saint avait investi aux alentours de 406, en compagnie d’un tout petit nombre de disciples, un monastère désaffecté depuis la mort tragique (en 395) de son fondateur, le patrice Rufin, et attenant à une église des Saints-Apôtres qui abritait des reliques de Pierre et Paul. De même, Alexandre l’Acémète s’était tout d’abord établi à Constantinople avec ses vingt-quatre frères auprès du sanctuaire SaintMénas. Sans doute le concile de Chalcédoine (451) s’efforça-t-il d’apporter les conditions législatives propres à l’émergence d’un monachisme « plus

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Les relations de ces moines avec la hiérarchie ecclésiastique étaient souvent conflictuelles : Alexandre l’Acémète dut, par exemple, quitter précipitamment la capitale – on l’accusa sans doute de messalianisme –, tandis que Nestorius s’en prenait ouvertement aux macédoniens : Socrate, H.E., VII, 31 ; GRUMEL, Regestes, I, p. 25-26, no 51. 198 DAGRON, Monachisme, p. 243 et la n. 80. Voir encore GRANIć, Fondation.

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respectueux de la hiérarchie »199, mais – on l’a vu avec Auxence –, la normalisation ne s’opéra pas de sitôt. Ainsi, alors qu’Hypatios devait refuser que ses moines ne desservent des martyria, le nouvel abbé des Acémètes, Marcel († v. 485), adopta une position contraire : Tous ceux qui, dans un élan de piété, y [à Constantinople] construisaient des sanctuaires (οἴκους εὐκτηρίους), ou y fondaient de pieuses communautés monastiques (ἀνδρῶν εὐλαβῶν ἀσκητήρια), recevaient de Marcel des chefs pour le troupeau, des surveillants pour les sanctuaires du clergé, des maîtres à penser pour les moines […] Ainsi Marcel était, par l’intermédiaire de ses disciples, le fondateur commun de monastères disséminés partout200.

C’est ainsi que, lorsque le patrice Stoudios fit bâtir à Constantinople, sur sa propriété, une église consacrée au Baptiste et voulut y établir des moines acémètes, Marcel accéda à sa demande201. On a supposé un lien entre la construction de l’église et la découverte du chef du Baptiste à Émèse en février 453 : le fondateur espérait peut-être obtenir (une parcelle de) la relique202. Un tel désir montrerait à tout le moins que la relation entre les moines et les reliques ne s’était pas perdue, loin de là. Marcel aimait les reliques, et en acquit pour son propre monastère une véritable collection. Pourtant, un jour, le doute le saisit. L’épisode est demeuré célèbre : Mais encore, si nous voulions parler en détail de toutes les maladies que Marcel a soignées, de tous les démons qu’il a chassés, de tous les prodiges supérieurs à la parole qu’il a accomplis chaque jour, je ne trouverais pas de

DAGRON, Monachisme, p. 272-273 : « Canon 8. Les clercs des hospices, des monastères, et des martyria doivent rester sous la juridiction de l’évêque de la ville où ils se trouvent […] Les hospices (on pense à Eustathe et à Marathônios) et les martyria avaient donc tendance à se constituer en communautés monastiques. Il fallait à ces communautés, comme aux couvents eux-mêmes, un prêtre ; c’était le plus souvent un moine, désigné contre son gré (ainsi Paulinien, frère de Jérôme, Ep. 51, 1) ou l’archimandrite lui-même. L’intervention de l’évêque se limitait à l’ordination ; le hiéromoine ne reconnaissait pas pour autant l’autorité épiscopale. » 200 Vie Marcel, 13 et 14, p. 298, tr. DAGRON, Monachisme, p. 236. 201 PARGOIRE, Acémète ; VAILHÉ, Acémètes ; GRUMEL, Acémètes ; BAGUENARD, Acémètes, p. 123-142. Voir Vie Alex. (BHG 47) ; Vie Marcel 1 (BHG 1027z) ; Vie Marcel 2 (BHG 1028). Gilbert Dagron attribue la Vie Marcel 1 à un moine du monastère des Acémètes, vers le milieu du VIe siècle, peutêtre dans une période où les empereurs tâchaient de réconcilier chalcédoniens et monophysites (il n’y est pas question du conflit qui opposa Marcel à Eutychès (448-451)). DÉROCHE – LESIEUR, Hagiographie, p. 290-291, ont proposé de la remonter à la période 482/518 (de l’Hénotique à la mort d’Anastase), où s’explique aisément semblable silence sur le concile de Chalcédoine. 202 Sur la question : DELOUIS, Stoudios, I, p. 22s., sp. p. 34 : « Si l’événement [l’invention d’Émèse] a pu pousser Stoudios à dédier à ce saint une basilique dans l’espoir éventuel d’obtenir cette relique – cette idée est moderne, et nous n’en avons aucun commencement de preuve –, il paraît une fois de plus hors de question qu’il ait pu mettre la dernière pierre à son église avant son consulat de 454. » 199

CHAPITRE PREMIER – LES ÉVÊQUES ET LES MOINES

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paroles ou de temps qui satisfassent au nombre et à la grandeur des faits. L’homme, pratiquant toute forme de piété et faisant tout continuellement pour servir le Christ, prenait un soin remarquable et empressé envers les reliques des saints martyrs, et si quelqu’un lui confiait une parcelle d’un corps saint, il la recevait comme un don du ciel. Ce qui l’était en vérité. Cependant, Dieu, l’assistant dans son beau désir, amenait de partout beaucoup de gens qui lui apportaient des parcelles de corps saints – et même de Perse et d’Illyrie –, et celui-ci les recevait avec le soin et l’honneur qui leur convenaient, car il savait bien et croyait que les corps aussi avaient part à la sanctification des âmes, et que l’instrument qui fut au service de l’âme façonnée communie à sa sanctification et à la royauté ; aussi ceux qui le reçoivent avec foi sont sanctifiés par lui. Souvent l’Esprit vivifique montra à Marcel que, en ce jour, quelqu’un allait arriver lui apportant des saintes reliques. C’est pourquoi aussi lui-même était prêt et préparait les frères à recevoir les saints qui arrivaient, et allait assez loin à leur rencontre et les recevait, si bien que ceux qui les apportaient étaient fort frappés de sa prescience. Aussi un jour quelqu’un alla-t-il le trouver apportant des reliques qu’il disait être 〈celles〉 du saint martyr Ursicinus. Et Marcel les reçut aussitôt et accomplit pour elles la fête habituelle, mais pendant la liturgie nocturne il se dit que peut-être ce n’étaient pas les reliques de ce martyr. Au moment où il doutait en sa pensée, accourt vers lui l’un des coparticipants à la liturgie nocturne en criant très fort, « Ne doute pas, dit-il, de la vérité. Car les reliques qui t’ont été apportées sont 〈bien celles〉 du martyr Ursicinus. » Tout en disant cela, celui-ci tomba lui-même la tête inclinée aux pieds du saint, et Marcel ne douta plus jamais, mais il reçut toutes les reliques de saints qui lui étaient apportées avec le même honneur et le même soin203.

À l’instar de Malchos dans la Deuxième invention du chef du Baptiste, une vision le guérit à jamais de son péché d’incrédulité. Mais il y a loin du prêtre sacrilège à l’abbé des Acémètes204. On rapprocherait plutôt cet épisode d’un passage de l’Histoire des moines de Syrie de Théodoret de Cyr (v. 444). Ce dernier raconte comment, un jour, le démon funeste du doute s’empara du grand ascète Jacques de Cyrrhestique ; c’était envers des reliques du Baptiste205. Or, moine et oriental (il était originaire d’Apamée, en Syrie Seconde), Marcel devait être, lui aussi, un dévot du Baptiste : ne peut-on penser qu’il suggéra au patrice Stoudios de faire venir à Constantinople, pour sa nouvelle fondation, en tout ou partie, le chef du Baptiste206 ? 203

Vie Marcel 1, 29, p. 312-313. Cette fois l’homonymie avec l’abbé du Spélaion d’Émèse semble tout à fait fortuite ! 205 Théodoret, H.R. II, XXI, 20, p. 100-105. 206 Il entretint des relations épistolaires avec Théodoret, lui-même ami d’Ouranios d’Émèse ; Marcel engagea-t-il une démarche qui échoua ? 204

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TROISIÈME PARTIE

Quoi qu’il en soit, l’épisode nous apprend que le monastère de Marcel regorgeait de reliques. Un document arabe, déjà rencontré (la lettre de Durāt), pourrait indiquer qu’il bénéficia peu de temps avant la construction de SaintJean-Baptiste, sur l’ordre de l’empereur Marcien (450-457), d’une translation de reliques insignes (vêtements du Christ) récemment découvertes à Jérusalem207. C’est du moins ce qu’a tenté de démontrer Michel van Esbroeck, l’éditeur du document, qui a identifié « Marcel et Mari, les higoumènes des monastères de Qiriyat Gasa », les destinataires de la lettre et des reliques, comme les chefs des Acémètes. Le chercheur s’est appuyé sur les observations suivantes : (1) l’usage du grec est défendu à l’auteur de la missive, « afin que personne n’apprenne cette histoire » ; il faut donc que les destinataires résident en pays hellénophone. (2) Durāt, l’auteur de la lettre, leur annonce son arrivée prochaine, à l’issue de sa mission ; il ne peut s’agir, étant donné sa fonction, que de Constantinople. (3) Ce sont « des archimandrites fidèles à Marcien ». (4) L’un des destinataires s’appelle Marcel. Ce serait le fameux abbé des Acémètes, un chalcédonien convaincu, proche du pape Léon (440-461) et de l’empereur Marcien. (5) Le Qiriyat Gasa de la lettre (syriaque ?) serait une translittération de Gômon208, le village situé sur la côte asiatique du Bosphore, où les Acémètes allèrent s’établir, du temps de leur premier abbé Alexandre209. Cependant, à la mort de ce dernier (v. 430), les Acémètes s’étaient déplacés non loin, à Irénaion210 ; c’est là que Marcel devint le deuxième successeur d’Alexandre, avant 448211. Selon Michel van Esbroeck, la difficulté se lèverait aisément en considérant que le premier couvent acémète continua de fonctionner avec un higoumène à sa tête, les deux monastères occupant l’un et l’autre l’endroit appelé Gômon. Le Mari de la lettre serait donc un second abbé acémète, derrière lequel le chercheur propose de voir Maris de Beth Ardashir, « ou plus simplement Maris le Persan, devenu fameux dans la querelle des trois chapitres, à cause de la lettre qu’Ibas, évêque d’Édesse, lui envoya212. » On restera prudent devant cette double identification, mais l’histoire est en elle-même crédible après Chalcédoine, tant les reliques constituaient, dans les deux camps, un enjeu important. On se rappellera Pierre l’Ibère, le chef de file anti-chalcédonien, et son même amour des reliques, sans « l’ombre d’un doute ». VAN E SBROECK, Lettre, p. 147, rapporte l’événement à l’année 452. L’auteur serait le comte de Palestine Dorothée, chargé de réprimer la révolte monophysite et de rétablir l’évêque Juvénal sur son siège. Pour un possible argument en faveur de la possession des vêtements du Christ par les Acémètes : Cf. infra, p. 347, n. 60. 208 VAN E SBROECK, Lettre, p. 153.  209 Accusé de messalianisme, Alexandre dut s’éloigner. 210 JANIN, Églises, p. 16-17 ; Grands centres, p. 13-14. 211 Date à laquelle il signa comme higoumène contre Eutychès. 212 VAN E SBROECK, Lettre, p. 149. 207

CHAPITRE II

L’empereur et ses ministres En matière d’invention de reliques, il n’est que devant l’empereur que l’évêque semble s’effacer, jusqu’à disparaître. Sans doute faut-il tenir compte ici de la nature plus historique des sources considérées, mais on peut regarder comme effective, en ce domaine, l’autorité du souverain sans cesse réaffirmée, même s’il paraît difficile d’en déterminer les limites précises1. La personnalité écrasante de l’empereur (du moins dans le propos des historiographes) pourrait encore masquer le rôle joué par les laïcs gravitant autour de lui dans le développement du culte des reliques et, partant, dans le miracle récurrent de leur (re)découverte.

1. La dynastie théodosienne et ses préfets Avec l’invention du chef du Baptiste, l’empereur Théodose Ier reçut une sanction divine : son orthodoxie se trouvait récompensée de la plus haute façon puisqu’il installait aux portes de sa capitale le premier intercesseur auprès du Christ. Et la victoire de ses armées, signe manifeste, ne se fit pas attendre. Mais derrière cette entreprise impériale se profilent des intermédiaires, dont il faudrait peut-être interroger les motivations. Ces fonctionnaires de la cour, bâtisseurs d’églises et de monastères, n’avaient-ils pas ainsi davantage œuvré à leur propre prestige et au salut de leur âme qu’à la gloire impériale ? Une partie de l’historiographie devait encore dépeindre Pulchérie, petitefille de Théodose Ier et sœur de Théodose II, comme la digne héritière du fondateur de la dynastie. Cette image se construisit notamment autour d’une invention de reliques. L’histoire pourrait, ici, de nouveau s’être écrite à plusieurs.

1

L’empereur, lorsqu’il voulut acquérir des reliques à Rome ou Thessalonique, se heurta toutefois à des refus.

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a. Le fondateur Selon Sozomène, l’empereur Valens (364-378)2 ordonna la translation à Constantinople du chef du Baptiste demeuré entre les mains des moines macédoniens qui l’avaient découvert ; l’initiative en revint à Mardonios, chef des eunuques de la maison impériale (τῆς βασιλικῆς οἰκίας μείζων […] εὐνοῦχος). Or, un miracle imposa la déposition de la relique dans une propriété de ce personnage, près du village de Panteichion, au bourg de Cosilaos, non loin de Chalcédoine3. Les macédoniens (un hiéromoine et une diaconesse) demeurèrent auprès d’elle. Mardonios, dont le nom indique l’origine orientale, est très probablement le destinataire de trois lettres de Libanios, datées de 388, et adressées à Mardonios, primicerius sacri cubiculi du jeune Auguste (couronné en 383) Arcadius (395-408)4. Était-il macédonien ? La chose est peu probable sous Valens, favorable aux homéens5. Elle ne l’est pas plus sous les Théodosiens. Et pourtant, il se peut qu’il s’en fît le protecteur : Du jour où Makédonios fut déposé, les macédoniens n’eurent plus ni Églises ni évêques jusqu’au règne d’Arcadius. Car les ariens ne le permettaient pas, en chassant des Églises et en punissant cruellement tous ceux qui s’opposaient à leur doctrine6.

Quoi qu’il en soit, l’empereur Théodose Ier (379-395)7 porta sans doute un coup à l’hérésie macédonienne en ôtant d’entre leurs mains la relique du Baptiste8. Selon Sozomène, il alla lui-même la chercher à Cosilaos, et la déposa dans une église spécialement érigée par ses soins aux portes de Constantinople, au faubourg de l’Hebdomon. Lieu-dit, situé au septième mille de Constantinople, qui fut d’abord, avec son « champ de Mars », un lieu d’exercice, de parade et de concentration des NAGL, Valens. L’endroit est plusieurs fois mentionné, par exemple, par les Pèlerins de Bordeaux et de Plaisance. JANIN, Banlieue, p. 196-198 : « […] Le mot Panteichion (παντείχιον, tout en murs) donne à penser que cette bourgade devait être une forteresse puissante et bien organisée. » Le chercheur précise encore qu’à moins d’un kilomètre de Pendik, les orthodoxes célébraient encore, au début du XXe siècle, auprès d’un hagiasma ou fontaine sacrée, la décollation du Précurseur, le 29 août ; d’importantes ruines d’époque byzantine pourraient être celles d’un monastère. Eutrope y fut condamné à mort en 400 (Philostorge, H.E., II, 6 ; Zosime, Histoire Nouvelle, V, 18 ; Nicéphore Calliste, H.E., XIII, 4, col. 940-941). Bélisaire y possédera une grande propriété. DÖRNER, Pantichion. 4 Libanios, Ep. 845, 853, 908 ; PLRE I, p. 558 (Mardonius 2). Sur l’image souvent négative des eunuques, et l’accusation d’arianisme prononcée à leur encontre : SIDÉRIS, Eunuchs. Voir encore TOUGHER, Eunuch. 5 LENSKI, Valens. 6 Sozomène, H.E., IV, 27, 6, p. 342-345 (SC).  7 LIPPOLD, Theodosius I. 8 ESCRIBANO PAÑO, Teodosio. 2 3

CHAPITRE II – L’EMPEREUR ET SES MINISTRES

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troupes impériales, puis, avec cette connotation militaire, le point de départ d’un cérémonial (l’adventus) conduisant le général triomphateur ou l’empereur qui va être couronné de l’extérieur à l’intérieur de la ville9.

La version du Chronicon Paschale, qui date l’événement de 391, le fait partir de Cyzique. L’accord demeure cependant sur un dépôt provisoire à Chalcédoine, définitif à l’Hebdomon. En tout cas, le caractère privé de la translation est remarquable. En effet, lors de la tentative avortée sous Valens, c’est publiquement, sur un char d’apparat (on imagine assez les étapes d’un adventus) que progressa le cortège jusqu’aux abords de Chalcédoine, lieu habituel de réception des reliques. Nectaire de Constantinople (381-397) et l’évêque de Chalcédoine n’eurent-ils, quelques années plus tard, aucun rôle à jouer ? Et le peuple ; et la ville ? Lorsque Théodose érigea son église à l’Hebdomon10, aucune n’était encore, semble-t-il, consacrée au Baptiste à Constantinople11. Ce faubourg était à une distance respectable (au septième mille, depuis le Milliaire d’or de la place de l’Augustéon) de la capitale, où rien n’indique que la relique ait jamais pénétré. Le choix d’un tel emplacement ne dut manifestement rien au hasard : l’Hebdomon étant le lieu où séjournaient les troupes, c’était, symboliquement, la venue et l’installation à demeure d’un protecteur céleste pour la ville et l’Empire. Le pouvoir impérial était en jeu, et la bénédiction divine étant une qualité inhérente au pouvoir suprême, on en consignait avec soin tous les signes révélateurs. Or, Théodose avait réussi là où Valens, l’empereur hérétique, avait échoué. L’empereur s’appuyait auparavant sur ses armées ; il s’appuierait désormais sur son saint patron. Le 15  mai 392, l’empereur d’Occident Valentinien  II périt assassiné. Théodose eut alors à lutter contre un usurpateur, un certain Eugène, magister scrinii et ancien professeur de rhétorique latine, proclamé Auguste par l’armée, le 22 août 39212. Quoique chrétien, c’était la créature d’un païen, le magister militum d’origine franque Arbogast13. Or, Théodose venait de mettre en place contre les païens une politique particulièrement offensive, destinée à détruire ou dévitaliser les centres cultuels les plus actifs. La législation fournissait de

DAGRON, Empereur, p. 335. JANIN, Précurseur, p. 317 : « Nous voyons cet empereur [Léon Ier], proclamé au Κάμπος τοῦ τριβουναλίου de l’Hebdomon, le 7 février 457, se rendre à l’église du Précurseur. Là il dépose sa couronne sur l’autel, prie, allume des cierges, reprend sa couronne et sort après avoir fait une offrande. De même Phocas est proclamé empereur à Saint-JeanBaptiste de l’Hebdomon, le 23 novembre 602 (Théophylacte Simocattas, Histoire², p. 303). » 10 THIBAUT, Hebdomon, p. 37-38 ; LECLERCQ, Hebdomon ; JANIN, Précurseur, p. 318. 11 JANIN, Précurseur, p. 313 et ID., Églises, p. 267-269. 12 PLRE I, p. 293 (Fl. Eugenius 6). 13 Ibid., p. 95-97 (Arbogastes). 9

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nouvelles armes aux chrétiens14 : visant d’abord Rome (loi du 24 février 391)15, puis l’Égypte (16 juin 391)16, les mesures ne tardèrent pas à s’étendre à tout l’Empire (8 novembre 392)17. Sur le point d’aller combattre Eugène, Théodose, si l’on en croit Rufin d’Aquilée (403), se prosterna devant les reliquaires des martyrs et des apôtres18. Sozomène est plus précis : On dit qu’alors, au sortir de Constantinople, parvenu au septième mille, il pria Dieu dans l’église du lieu qu’il avait bâtie en l’honneur de Jean Baptiste, demandant que le résultat de la guerre lui fût favorable, à lui, à l’armée et à tous les Romains, et qu’il invoqua l’alliance du Baptiste. Après cette prière, il partit vers l’Italie. […] On raconte que, à l’heure où les deux armées se heurtaient, dans le temple de Dieu sis à l’Hebdomon où l’empereur avait prié à son départ, un démoniaque transporté en l’air avait injurié Jean Baptiste, s’était moqué de sa tête coupée et avait crié : « C’est toi qui me vaincs, qui conspires contre mon armée. » Les gens qui se trouvaient là étant, comme de juste, en grand désir de nouvelles au sujet de la guerre et d’en parler, stupéfaits ils mirent par écrit le jour : c’était précisément celui où eut lieu le combat, ainsi qu’ils l’apprirent, peu de temps après, de ceux qui avaient pris part à la bataille. Voilà comment, dit-on, eut lieu l’affaire19.

Chose étonnante pourtant, si l’on se fie au témoignage de Rufin, à la veille de la bataille, lui seraient apparus en songe Jean l’Évangéliste et l’apôtre Philippe20. Or, selon le Ps.-Codinos, Théodose aurait déposé provisoirement le précieux chef dans l’église voisine Saint-Jean-l’Évangéliste, jusqu’à l’érection de SaintJean-Baptiste21. Il ajoute que la construction se fit à l’instigation du préfet du prétoire Rufin. On peut encore lire dans certains manuscrits la variante suivante : « plus tard, l’église du Précurseur fut bâtie par le patrice Rufin. » Ce dernier, connu pour son attachement quasi fanatique à l’orthodoxie nicéenne, et initiateur des lois anti-païennes de 391-392, était justement consul pour

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On pensera, par exemple, à l’influence d’Ambroise de Milan sur l’empereur après les affaires de Callinicum (388) et Thessalonique (390) : STEIN, Bas-Empire, I, p. 208s.  15 Interdiction de pénétrer dans les temples païens de la ville : CTh XVI, 10, 10. 16 Interdiction totale du culte païen : ibid., 10, 11. La destruction du Serapeum d’Alexandrie en reste le meilleur exemple ; on sait le rôle que, selon Jérôme et Rufin, les reliques du Baptiste jouèrent dans la ruine du culte de Sérapis. 17 Ibid., 10, 12. 18 Rufin, H.E., II, 33, p. 1037. On notera une nouvelle fois que Rufin, le résident du mont des Oliviers, ne parle pas de la relique du chef. 19 Sozomène, H.E., VII, 24, 2, p. 192-195 ; 8-9, p. 196-197 (SC). Cf. Ambroise entouré de ses protecteurs célestes, Gervais et Protais, milice invisible mais infaillible. 20 Rufin, H.E., I, 8. 21 P REGER, Patria, III, 145, p. 260 ; De aed. const., col. 592B. Sur l’emplacement de Saint-Jeanl’Évangéliste à proximité immédiate de Saint-Jean-Baptiste : JANIN, Précurseur, p. 318. On a pensé qu’il pouvait s’agir d’une seule et même église.

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l’année 392. Quel rôle joua-t-il exactement dans la venue du chef à Constantinople ? Peut-être plus qu’il n’y paraît. Les laïcs, en particulier hauts fonctionnaires et gens de cour, s’appopriaient volontiers des reliques : on se souvient que le cubiculaire Mardonios, que son office désignait comme l’un des hommes les plus influents de l’Empire, avait accueilli, semble-t-il, par nécessité, dans son domaine privé, le chef du Baptiste et le personnel (macédonien) attaché à son service. Le tout puissant Rufin fit construire sur sa propriété du Chêne un palais, un monastère et une église dédiée aux apôtres et destinée à abriter sa propre sépulture22. Au cours d’une cérémonie de dédicace particulièrement éclatante, où lui-même reçut le baptême, il fit déposer dans l’église des reliques de Pierre et Paul obtenues de Rome. Si Hypatios et les siens trouvèrent, vers 406, un monastère entièrement désaffecté depuis la mort de son fondateur (27 novembre 395), des clercs officiaient toujours aux Saints-Apôtres et les reliques, dont le voisinage retint les nouveaux occupants, continuaient à y être vénérées23. Les biens du préfet avaient alors été confisqués et son palais était devenu résidence impériale : peut-on croire qu’il en fut de même avec Saint-Jean-Baptiste de l’Hebdomon24 ? b. Les successeurs Kenneth Holum avait proposé de faire remonter de 428 à 421 une notice de Théophane sur la translation du bras droit du protomartyr Étienne à Constantinople et sa déposition au palais impérial, un événement lié, selon lui, à la guerre romano-perse des années 420/422. À cette époque, on commença à frapper une nouvelle monnaie dans la capitale, solidus à longue croix, sur le modèle de la croix processionnelle de Constantin, laquelle, réservée aux cérémonies du couronnement, aurait alors été déposée au palais. À l’image de cette croix, symbole de la victoire du Christ sur la mort, la relique du protomartyr serait donc arrivée au palais comme un nouveau palladium, promesse de victoire, un épisode à replacer dans une politique plus large et concertée25 : depuis la disparition de Théodose Ier (395), l’image de la famille impériale avait perdu JANIN, Grands centres, p. 36-40. La sépulture de Rufin : Claudien, In Rufinum, l. 448-449. L’évêque de Chalcédoine avait probablement désigné ces clercs comme successeurs des moines égyptiens retournés dans leur patrie après la disparition de Rufin. Le 7 avril 399 Jean Chrysostome était venu honorer les reliques et prêcha dans l’église : Jean Chrysostome, Hom. adv. ludos et theatra, 1, col. 265. 24 PLRE I, p. 778-781 (Flavius Rufinus 18) : praefectus praetorio Orientis en 392-395, consul en 392. Ses biens furent confisqués (CTh IX, 42, 14, le 13 février 396). Eutrope en aurait acquis la plupart (Zosime, Histoire Nouvelle, V, 8, 2, p. 15), mais les siens connurent bientôt le même sort : CTh IX, 17 (17 août 399). Les sœurs de Théodose II, Pulchérie, Arcadia et Marina résidant au palais de Rufin : Vie Hypatios, 37, 3, p. 228-229. 25 HOLUM, Pulcheria ; voir également HOLUM – VIKAN, Ivory. 22

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de son lustre ; ses successeurs, retranchés au palais, avaient délaissé les champs de bataille ; maintenant, une femme, Pulchérie, la sœur du jeune Théodose II (408-450), dirigeait l’Empire26. Le génie de cette dernière consista à assurer le triomphe d’une idéologie nouvelle du pouvoir et de la victoire : il fallait à tout prix se concilier le Dieu protecteur, car là seul désormais résidaient la force, la fortune et l’invincibilité du souverain27. Si l’hypothèse du chercheur concernant le bras du protomartyr ne semble pas devoir être retenue28, il n’en va pas de même du principe sur lequel elle est fondée. La diffusion, sinon la construction de cette nouvelle image du pouvoir, doit beaucoup à Sozomène29, et il est significatif de voir que Socrate, son prédecesseur, tait jusqu’au nom de Pulchérie. Ce n’est donc pas un hasard si le dernier chapitre de l’Histoire ecclésiastique de Sozomène s’ouvre sur la mort d’Arcadius, immédiatement suivie d’un éloge, non du nouveau souverain, mais de la sœur de ce dernier : Comme donc la Puissance divine qui veille sur l’univers prévoyait que l’empereur serait très pieux, elle établit sa sœur Pulchérie gardienne de lui-même et de l’Empire. Avant même d’avoir atteint quinze ans, elle eut, au-dessus de son âge, un esprit très sage et divin. Tout d’abord, elle voua à Dieu sa virginité et elle instruisit ses sœurs dans le même genre de vie, pour n’introduire au palais aucun autre homme et supprimer ainsi toute occasion de rivalité et d’intrigue30. Pour confirmer sa décision et prendre à témoin de ses résolutions Dieu lui-même, les prêtres et tous les sujets, elle fit faire, d’or et de pierres précieuses, un ouvrage admirable et le plus beau à voir, une table sainte qu’elle offrit à l’église de Constantinople pour sa virginité et le règne de son frère ; et elle fit graver ces mots mêmes sur le front de la table, pour que cela fût bien clair à tous. Lorsqu’elle eut assumé le soin de l’Empire, elle administra excellemment et avec beaucoup d’ordre le monde romain : elle délibérait avec justesse et était prompte à accomplir et à mettre par écrit les mesures à prendre ; elle excellait en effet à parler et à écrire correctement en latin et en grec. Cependant elle faisait remonter à son frère la gloire de ses actions ; et elle avait soin qu’il reçût 26 Théodose II : LIPPOLD, Theodosius II ; NAU, Episodes ; DEMOUGEOT, Politique ; LUIBHEID, Theodosius II ; WESSEL, Theodosius II ; H ARRIES, Theodosius II, p. 35-44 ; PLRE II, p. 1100. Pulchérie : ENSSLIN, Pulcheria ; PLRE II, p. 929-930 ; HOLUM, Empresses ; A NGELIDI, Pulcheria ; JAMES, Empresses. 27 Sozomène, H.E., IX, 3, 3. 28 Elle a été écartée avec de solides arguments par M ANGO, Inscription, et l’on s’accorde désormais à dire que la capitale impériale n’acquit ses premières reliques du protomartyr qu’au retour du pèlerinage d’Eudocie en Terre Sainte en 439. Il n’en demeure pas moins que l’invention d’Étienne en Palestine en 415 eut sans doute des répercussions immédiates à Constantinople dans les cercles palatins. Pour la croix du Golgotha : MILNER, Golgotha. 29 N’oublions pas que c’est lui qui rapporte la translation du Baptiste à Constantinople sous Théodose Ier. 30 Le vœu de virginité de Pulchérie et de ses trois sœurs fut prononcé en 412 ou 413.

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le plus possible une éducation impériale, élevé dans les disciplines qui étaient de son âge. Il était instruit par des experts de l’équitation, le maniement des armes, les exercices oratoires ; pour ses sorties en public, il était formé aux bonnes manières et à une tenue impériale par sa sœur qui lui apprenait à revêtir un vêtement comme il fallait et à la façon de s’asseoir, de marcher, de maîtriser le rire, à être, selon l’occasion, doux ou terrible, à écouter avec bonne grâce ceux qui lui adressaient une supplique. C’est surtout vers la piété qu’elle le portait, l’accoutumant à une prière continuelle, à fréquenter les églises, à combler les maisons de prières d’offrandes et de vases sacrés, à honorer les prêtres, les hommes de bien en général et ceux qui menaient la vie d’ascèse selon la règle des chrétiens. Au surplus, comme la religion risquait d’être bouleversée par des dogmes bâtards, elle fit face avec zèle et prudence. Que de nouvelles sectes ne l’aient pas emporté de notre temps, nous trouverons que c’est à elle surtout qu’on le doit, comme on le verra plus loin. Comme elle révérait la divinité en grande crainte, il serait trop long de dire en quels lieux et combien elle bâtit de maisons de prières somptueuses, combien elle fonda d’hospices de mendiants et d’étrangers et de communautés monastiques, ayant fixé pour tout cela des ressources à perpétuité et des allocations de vivres pour ceux qui les habitaient. Si l’on veut avoir la preuve de la vérité d’après les faits mêmes et ne pas m’en croire sur parole, on verra que je n’écris pas cela mensongèrement ni par faveur si l’on parcourt le compte rendu de ces choses qu’ont écrit les intendants de sa maison et si l’on apprend de ces documents si les faits s’accordent avec mon ouvrage. Et si même tout cela ne suffit pas pour qu’on croie, que Dieu en personne garantisse mes dires, lui qui de toute façon la chérit pour sa conduite, au point qu’il exauce promptement sa prière et que souvent il lui apparaît pour lui dire ce qu’il faut faire. Car jamais je ne dirais que Dieu donne son affection aux hommes, s’ils ne s’en rendent pas euxmêmes dignes par leurs actes. Mais tout ce qui nous est parvenu comme preuve parmi les témoignages particuliers de l’affection de Dieu pour la sœur de l’empereur, je le laisse pour l’instant de côté, de peur qu’on ne me reproche de traiter d’un autre sujet et d’avoir été entraîné au mode des panégyriques. Mais il est un fait qui me paraît tout à la fois appartenir à l’Histoire ecclésiastique et être la preuve manifeste de l’affection de Dieu pour elle : je vais le raconter de suite bien qu’il se soit passé plus tard. C’est le suivant. […]31

Les souverains furent parfois directement l’objet de révélations inspirées conduisant à la découverte de reliques : après Constantin et sa mère Hélène, après Théodose Ier, ce fut donc au tour de Pulchérie. Le miracle se produisit sous l’épiscopat de Proclos (434-446)32. 31 32

Sozomène, H.E., IX, 2-13, p. 370-379 (SC). Ou en 451, selon le Chronicon Paschale.

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Eusébia, une diaconesse de l’hérésie macédonienne33, voulut conserver des reliques des Quarante Martyrs auprès d’elle jusque dans la mort, alors même que la chose n’était pas permise, et scella dans ce but un pacte avec des moines de la même confession : ils lui assurèrent le respect de ses dernières volontés contre le legs de sa maison, sise aux portes de Constantinople, avec le terrain alentour. Quand, où et comment se les était-elle procurées ? On l’ignore. Notons simplement que le culte des Quarante Martyrs rayonna à partir de Sébaste où siégea Eustathe, étroitement associé aux macédoniens34. Diaconesse, étaitelle attachée à un sanctuaire des Quarante Martyrs ? La question reste ouverte. Après cela, Caesarius, l’un des grands d’alors, qui était parvenu à la dignité de consul et de préfet du prétoire, fit enterrer sa femme décédée près du cercueil d’Eusébia : elles en étaient convenues de leur vivant, car elles s’aimaient extrêmement et elles étaient de même sentiment quant au dogme et à la religion. Caesarius en prit occasion pour acquérir ce lieu, afin de pouvoir lui-même y être enterré près de sa femme. Les moines en question se transportèrent ailleurs sans avoir rien dit au sujet des martyrs. Après cela, comme l’édifice était tombé et avait été recouvert de terre et de déblais, tout le lieu fut aplani, attendu que Caesarius lui-même éleva là pour Dieu un très beau temple en l’honneur du martyr Thyrse. À ce qu’il semble, Dieu voulait qu’un si long temps s’écoulât pour rendre plus miraculeuses et plus éclatantes la découverte des martyrs et l’affection divine envers celle qui les aurait trouvés : ce fut l’Augusta Pulchérie, la sœur de l’empereur35.

Le consul (en 397) et préfet du prétoire César est connu par ailleurs36. Or, dans le De providentia, écrit au retour d’une ambassade de son auteur à Constantinople, Synésios de Cyrène dépeint deux préfets du prétoire sous les traits du dieu égyptien Osiris et de son frère, l’ignoble Typhon. L’identification du premier ne pose pas de problème : il s’agit d’Aurélien37. Le second pourrait être

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Comparer avec la diaconesse Matrona, gardienne du chef du Baptiste. Sozomène, H.E., IV, 27, 2 ; V, 14, 1. 35 Ibid., IX, 2, 4-6, p. 380-383 (SC) et la n. 2 : « Thyrse, martyr et saint, célébré le 28 janvier, est associé à Leuce et Callinique, martyrs probablement pendant la persécution de Dèce ca. 250. Thyrse était à Césarée de Bithynie un athlète très célèbre. Il suivit l’exemple de Leuce qui avait refusé de sacrifier aux idoles, il fut longuement supplicié, conduit à Apamée, puis à Apollonie. Ses reliques furent peut-être transférées d’abord à Nicomédie, puis, de façon certaine, à Constantinople. » C ARAFFA, Tirso, Leucio et Callinico. 36 PLRE I, p. 171 (Caesarius 6) et II, p. 249 (Caesarius 1) : il est maître des offices en 386 (une inscription honorifique de Tralles le désigne comme « sôter » et « évergétis » : LE BAS – WADDING TON, Inscriptions, p. 391-392, no 1652d) ; de nouveau en 387, où il mène à Antioche, une enquête après une émeute contre les taxes ; Libanios le remercie par un discours ; il y est question de son futur consulat (Disc. 21, 29 ; voir également Disc. 22). 37 PLRE I, p. 128-129 (Aurelianus 3). Proconsul d’Asie en 395, consul en 400, préfet du Prétoire d’Orient pour la seconde fois en 414-416. 34

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César38, comme l’a montré Alan Cameron39, qui date l’ambassade de Synésios de septembre 397 au printemps 401 et voit en César et Aurélien deux frères dans la vie, fils du consul (361) arien Taurus40. Si tel est bien le cas, retenons, aux alentours de 400, un César d’âge moyen, avec sa femme à ses côtés. On ne peut toutefois repousser de beaucoup la construction de Saint-Thyrse puisque, au moment de l’invention (434/446, selon Sozomène), on ne retrouva plus qu’un témoin vivant ; c’était un « tout jeune garçon » à la mort d’Eusébia. César aurait donc érigé l’église au tout début du Ve siècle. La carrière de César s’était brutalement interrompue avec l’ascension du très religieux et ‘orthodoxe’ Rufin, dans les années 388-395, tandis que montait l’étoile d’Aurélien. Ce dernier succéda à son patron comme maître des offices en 392 et accéda à la préfecture de la Ville en 393-394. Mais le vent tourna et, le 18 novembre 395, les troupes du Goth Gaïnas massacrèrent Rufin, alors préfet du prétoire. Aurélien s’effaça jusqu’à la chute du primicerius Eutrope que la révolte d’un autre barbare, Tribigild, avait entraînée en 399. Il revint en faveur brièvement, mais fut arrêté avec Saturninus et Jean lors de la rébellion de Gaïnas en 400. César reçut alors la préfecture du prétoire. On connaît la suite : massacre des Goths et mort de Gaïnas. Constantinople était sauvée. On pourrait s’étonner de ce que la communauté gothe (arienne) ait été aussi florissante à Constantinople41, et l’on a souvent présenté César dirigeant un parti barbarophile fidèle à la politique de Théodose Ier visant à remplir les légions de barbares ; face à lui, Aurélien et les ‘nationalistes’, soucieux de briser cette dangereuse dépendance. Selon cette vue, le coup de force de Gaïnas aurait été planifié par César comme une revanche sur Aurélien choisi pour occuper la préfecture. Mais le massacre de juillet 400 aurait révélé les sentiments profondément romains du peuple. Ainsi vengé, Aurélien aurait été rappelé au pouvoir ; se serait ensuivie une purge générale des barbares. Alan Cameron a montré qu’une telle représentation, associée à l’idée d’un parti helléniste sympathisant du paganisme, était fondée sur une interprétation et une datation erronées du De regno de Synésios (adressé à l’empereur Arcadius, le discours 38

On y reconnaissait jusqu’alors plutôt Eutychianos : ibid., p. 319-321 (Flavius Eutychianus 5). C AMERON – LONG, Barbarians : il faudrait prendre en compte le caractère parodique et partisan de ce discours – si on l’en croit, les deux frères étaient opposés en tous points, Typhon (César) réunissant sur sa personne tous les vices, Osiris (Aurélien) les plus grandes qualités – et faire la part de tout ce que cette appréciation doit à la réussite de la mission de Synésios sous la préfecture de l’un, de son échec sous celle de l’autre. On possède du reste un discours élogieux de Libanios envers César, tandis que Jean Chrysostome avait dénoncé l’avarice d’Aurélien et Saturninus, les disciples du moine Isaac. PLRE I, p. 807-808 (Flavius Saturninus 10) ; II, p. 593-594 (Ioannes 1). 40 Taurus, consul en 361 : ibid., I, p. 879-880 (Taurus 3) ; sur l’arianisme de Taurus : VOGLER, Constance II. 41 Après la défaite de Valens contre les Wisigoths, à Andrinople, en 378, un traité avait autorisé les Goths à s’établir sur le territoire romain sous leurs propres lois et chefs. PLRE I, p. 379-380 (Gainas). 39

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critique la sujétion aux barbares) comme du De providentia (le récit allégorique du coup de force de Gaïnas). Il faudrait donc revenir sur le prétendu hellénisme de Synésios et d’Aurélien : malgré son enthousiasme pour la philosophie et la culture grecques, le premier était un chrétien orthodoxe ; le second, un disciple du moine Isaac, persécuteur des hérétiques. Quant à César, s’il soutint la demande de Gaïnas d’obtenir une église arienne dans les murs de Constantinople42, ce n’était ni un pro-barbare ni un arien ; l’homme faisait simplement preuve de tolérance, reportant les lois coercitives de Rufin, en particulier l’interdiction faite aux ariens de tester43. Du reste, il resta peut-être à la tête de la préfecture du prétoire jusqu’en 403, et sa politique fut poursuivie par Anthémios, qui l’occupa de juillet 405 à avril 41444. L’historien Socrate a vanté la prudence et la sagesse de ce dernier : Après la mort de l’empereur Arcadios le 1er mai, sous le consulat de Bassos et Philippe, son frère Honorius gouvernait les régions d’Occident, tandis que les affaires de l’Orient étaient placées sous la direction de son fils, le jeune Théodose, alors âgé de huit ans, le préfet du prétoire Anthémios assurant l’administration de l’ensemble des affaires ; c’était le petit-fils de ce Philippe qui, sous Constance, avait chassé de l’église l’évêque Paul et l’avait remplacé par Macédonios45. Cet homme fit élever les grands remparts de l’enceinte de Constantinople. Il passait pour être – et il était – le plus sage des hommes de ce temps. Il ne faisait rien sans réflexion, mais discutait avec beaucoup de ses familiers sur ce qu’il avait à faire, surtout avec le sophiste Troïlos, qui avec la sagesse qui était sienne rivalisait également avec Anthémios sur le plan de l’intelligence politique : aussi presque tout était-il fait sur le conseil de Troïlos46.

Or, la fin du mandat (sa mort ?) d’Anthémios coïncide avec l’apparition de Pulchérie sur le devant de la scène, qui marque un tournant politique radical. C’est aussi le retour d’Aurélien comme préfet du prétoire (du 30 décembre 414 au 10 mai 416), un homme qui avait déjà su, par le passé, se ménager de puis-

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Gaïnas revendiqua une église dans la ville : Socrate, H.E., VI,  5,  8 ; Sozomène, H.E., VIII, 4, 7-9 ; Théodoret, H.E., V, 33 (32), p. 462-467 et p. 465, n. 4 (SC) : « L’église de Paul, que Jean 〈Chrysostome〉 avait réservée aux Goths orthodoxes passerait donc aux Goths ariens, entraînant l’expulsion des premiers, ce qui, selon le raisonnement de Jean, n’est pas acceptable. » 43 CTh XVI, 5, 27. 44 PLRE I, p. 93 (Anthemius 1) : préfet du Prétoire d’Orient en 405-414, consul en 405, maître des offices en 404, patrice et eparchos praitôriôn kai apo upatôn en 406. Il doit être identifié avec le magistros qui, à Pâques 404, ordonna le rassemblement dans la Grande Église, qui permit à l’empereur de connaître la force du sentiment populaire envers Jean Chrysostome (Palladios, Dial., p. 56-57). 45 Peut-être un détail à relever, si l’on songe aux ‘relations’ privilégiées des macédoniens avec les reliques. PLRE I, p. 696-697 (Flavius Philippus 7). 46 Socrate, H.E., VII, I, 1-3, p. 20-23 (SC). L’éloge ne surprend guère chez cet historien, élève de Troïle. Pour un autre exemple (Silvain de Troas), voir l’invention de Corneille.

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sants protecteurs : il avait obtenu la préfecture de la Ville grâce à Rufin, puis la préfecture du prétoire (399) grâce à l’impératrice Eudoxie, épouse d’Arcadius, proclamée Augusta le 9 janvier 400. L’année 415 fut alors une année d’intense activité religieuse, avec une série de lois promulguées contre les juifs, les païens et les hérétiques47. Ce pourrait être aussi à ce moment qu’Aurélien fit ériger, à Constantinople, une église consacrée au protomartyr Étienne. François Nau a repéré dans une Vie d’Isaac un passage (signalé entre crochets) qui ne se lit pas dans deux autres Vies48. Même si son authenticité n’est guère assurée, il mérite attention. À la mort du moine, Théodose Ier (379-395) ordonna la tenue d’une veillée funèbre à la Grande Église, après quoi, l’évêque Nectaire (381-397), le clergé et le peuple, l’escortèrent en procession jusqu’à son tombeau. Mais un homme illustre, nommé Aurélianos, avait construit en face et au sud du monastère d’Isaac un martyrion sous le vocable du saint premier martyr Étienne [pour y déposer son saint corps apporté de Jérusalem, puis, ne l’ayant pas obtenu – car, par la permission divine, il fut placé ἐν Κωνσταντιαναῖς – il forma le projet de mettre à sa place le corps du bienheureux Isaac]. Au moment où on l’enterrait, il plaça donc une troupe (βοήθειαν), un grand nombre d’hommes, près du chemin qui conduisait au monastère, afin d’enlever le corps au moment où il passerait et de le porter dans l’oratoire susdit ; ce qu’ils firent avec la permission du Christ notre Dieu qui dirige tout. Ainsi son saint corps dut être placé dans le temple du saint premier martyr Étienne, à droite de la sainte table, à l’intérieur du chœur49.

Selon la Vie, Isaac mourut en 383, une date (volontairement) erronée, puisque le moine disparut au plus tôt en 40550. Alan Cameron propose l’année 416. En effet, il est probable que la construction de Saint-Étienne par Aurélien, attestée par ailleurs, eut lieu pendant sa préfecture ; la dédicace lui fut sans doute inspirée par le miracle de l’invention des reliques du protomartyr, survenue en décembre 415 dans le village palestinien de Caphargamala. Quoi de plus naturel qu’il ait alors voulu obtenir la (ou plutôt des) relique(s) du protomartyr ? On imagine assez le prestige qu’il se serait acquis : son adversaire, le préfet du Prétoire Anthémios, avait jadis (en 406) reçu solennellement, aux côtés de 47 Toutes les lois anti-hérétiques, anti-païennes et anti-juives de 415, dont il est sans doute l’auteur, lui sont adressées. 48 Vie d’Isaac (Parisinus graecus 1453 ; fol. 225r-226) : Act. Sanct. Maii, VII, p. 247-260. NAU, Notes, p. 201 : « ce récit, s’il était du premier biographe d’Isaac aurait bien des chances d’être exact, car les traditions purent se conserver assez facilement au monastère de Dalmate ; mais il est à craindre qu’il ait été interpolé sous l’influence d’un ancien récit antérieur à Métaphraste, qui raconte, avec divers anachronismes, la translation de saint Étienne à Constantinople sous Constantin, fils du grand Constantin. » 49 Tr. NAU, Notes, p. 200. 50 DAGRON, Monachisme, p. 233.

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l’ex-consul et préfet de la Ville, Aemilianos, les reliques du prophète Samuel qu’avait fait venir l’empereur Arcadius. Tout récemment, en octobre 415, il avait sans doute lui-même conduit, avec le préfet de la Ville Oursos, la propompe de Joseph et Zacharie. Les reliques devaient servir à la dédicace de la Grande Église qu’un incendie avait jadis endommagée au moment de l’exil de Jean Chrysostome (398-404). Or, on consacra dans le même temps la réconciliation des Johannites. La veillée du corps d’Isaac dans la Grande Église joua-t-elle à son tour un rôle d’apaisement ? Même si la Vie fait effort pour le taire, Isaac s’était illustré comme un adversaire farouche de Jean Chrysostome, dont il avait précipité la chute. Quoi qu’il en soit, de la part d’Aurélien, le choix d’Isaac pour reposer dans sa fondation s’explique aisément, tant l’on connaît l’attachement des autres membres de la faction anti-germanique pour le saint moine. Saturninus et Jean l’avaient établi, de son vivant, à Constantinople ; Aurélien allait au-delà : mort, il obtint sa dépouille, et s’il dut se contenter d’élever un monument commémoratif à la gloire du protomartyr (comme le consul Stoudios le ferait peut-être plus tard, après la découverte du chef du Baptiste, en février 453), cela était déjà beaucoup. Or, si l’on retient l’identification et l’idée qu’il n’y avait pas d’animosité entre les deux frères, sauf sous la plume de Synésios, les relations de Pulchérie et Aurélien peuvent avoir créé un lien entre la fondation de César, Saint-Thyrse, et l’Augusta. D’après Sozomène, elle y aurait fait rechercher les reliques sur la foi d’une révélation, donnant même l’ordre d’exhumer et d’ouvrir un sarcophage – celui de l’hérétique Eusébia –, pour en extraire le reliquaire. Elle fit plus et, avec le patriarche Proclos (434-446), assista à l’opération, avant de déposer les reliques en grande pompe dans l’église, auprès du martyr Thyrse. En ce tempslà, César n’était plus de ce monde. Bien qu’il ne soit fait aucune mention de sa sépulture, il avait peut-être trouvé place dans le sanctuaire, selon ses vœux. Avait-il des héritiers à qui appartenait désormais sa fondation ; quel était le statut de cette dernière ? On ne saurait répondre, mais l’implication de Pulchérie peut donner à penser que l’église était tombée dans le domaine impérial, soit par confiscation, après la disgrâce (?) de César, soit par reprise d’une fondation mal dotée, après la mort du fondateur. Quoi qu’il en soit, alors que rien ne prouve que le préfet ait jamais adhéré à l’hérésie semi-arienne, Saint-Thyrse semblait avoir déjà perdu tout lien avec elle au moment de l’invention. Son prêtre, Polychronios, jadis familier de César, faisait preuve d’une parfaite orthodoxie, même s’il existait encore, en ce milieu du Ve siècle, une hiérarchie macédonienne51. En

51

Sozomène signale une fondation marathônienne en exercice vers le même temps dans la capitale.

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somme, on pourrait se demander si le seul but de l’affaire n’était pas d’ajouter un chapitre à la légende de Pulchérie, digne héritière du fondateur de la dynastie, qui arracha jadis le chef du Baptiste des mains des hérétiques macédoniens, et ce, au moment où, avec l’arrivée de l’eunuque Chrysaphios52, elle se trouvait évincée du pouvoir. En tout cas, en la personne de l’historien Sozomène, l’Augusta avait trouvé un fidèle allié ; son image de piété allait traverser les siècles53.

2. Léon et ses généraux On a déjà évoqué la découverte de reliques (vêtements) du Christ à Jérusalem par un certain Durāt, « chargé de mission » de l’empereur Marcien (450457). Sans lui ôter sa part d’hypothèse, la lecture qu’en faite Michel van Esbroeck offre un bel exemple de l’enjeu que constituaient les reliques dans les querelles politiques et dogmatiques post-chalcédoniennes. Un événement similaire, aussi mystérieux, mais mieux documenté, survint vingt ans plus tard (v. 473) : l’invention d’un habit marial. Ce seraient encore une fois des officiers militaires qui l’auraient rapporté à Constantinople, les « stratélates » Galbios et Candidos, deux frères ariens convertis à l’orthodoxie, venus accomplir un pèlerinage d’expiation aux Lieux saints. Si la survie de l’arianisme en Orient, après sa condamnation au concile de Constantinople (381), demeure une question assez peu étudiée, on ne peut nier que le parti arien subit un très net déclin, jusqu’à sembler disparaître54. Cependant, un noyau fort persistait au sein de la population gothe, en particulier dans les rangs de l’armée55. Or, 52 Il devint grand chambellan de la cour en 441. PLRE II, p. 295-297 (Chrysaphius qui et Ztummas). 53 Au XIV e siècle, chez Nicéphore, presque toutes les inventions de reliques de ce temps, avec les légendes qui les entourent, sont liées à la princesse. Et en particulier, la plus importante d’entre elles, l’invention d’Étienne. On y retrouve, mises bout à bout, les diverses traditions déjà exposées : après la passion, l’inhumation du saint par Gamaliel dans la ville (πόλις) de Caphargamala ; sous Constantin, la translation à Constantinople et la déposition aux Constanti(ni)anae. Mais quelques-unes de ses reliques avaient été cachées (pour une raison inconnue de l’auteur) par des fidèles. Lorsque l’impératrice Pulchérie vit le jour – sous l’épiscopat de Jean de Jérusalem –, elles apparurent en Palestine (il s’agit de l’invention de 415. On notera ce nouvel anachronisme) : le martyr se montra au prêtre Lucien. Aussi, lorsqu’elle apprit que le protodiacre avait ressurgi des entrailles de la terre au temps de sa naissance, laissant libre cours à son amour envers le saint, Pulchérie s’efforça d’obtenir une partie de ses ossements, car le lieu de sa déposition aux Constanti(ni)anae était « incertain ». Suit alors l’envoi de la main d’Étienne par Prayle, en contre-don de la croix, ornée d’or et sertie de pierres précieuses, adressée par les souverains pour le « lieu du Crâne ». Pulchérie érigea à cette occasion au palais une église somptueuse. Et Nicéphore de conclure : « Voilà ce que je sais sur cela ». Nicéphore Calliste, H.E., XIV, col. 1081D-1085A. On notera encore, ibid., col. 1089C : Ναὶ μὴν καὶ τὰ λείψανα Λαυρεντίου τοῦ μάρτυρος καὶ Ἀγνῆς εὑροῦσα, ἐν τῇ Κωνσταντίνου κατέθετο· 54 KOPEčEK, Neo-Arianism. 55 Ce n’est qu’en 524 que Justin Ier (518-527) exclut les ariens des fonctions civiles et militaires. Sous Justinien (527-565), et même jusque sous Tibère II (698-705), certains servaient encore comme fédérés.

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nos deux frères, qui possédaient la dignité de patrices, étaient parents des célèbres ariens, d’origine alano-gothe, Aspar et Ardabour56. Cette puissante famille domina l’histoire politique et militaire des deux parties de l’Empire romain pendant près d’un demi-siècle57. Pourtant, elle perdit peu à peu de son influence, et Aspar fut supplanté auprès de Léon Ier (457-474) par un autre chef militaire, l’Isaurien et futur empereur Zénon (474475 ; 476-491) : celui-ci accusa d’intelligence avec la Perse Ardabour le Jeune, qui fut destitué de son poste de magister militum per Orientem. L’empereur ne cessa par la suite d’écarter son ancien mentor, Aspar, des principaux commandements militaires, refusant d’écouter ses avis et lui imputant un certain nombre de revers58, tandis que l’Isaurien devenait en 466, comte des domestiques ; en 467, magister militum per Thraciam et époux d’Ariane, la fille de l’empereur ; en 468, père d’un petit Léon et magister militum per Orientem ; en 469, consul pour l’Orient. C’est alors que la situation sembla s’inverser : fort de ses troupes de Goths, Aspar, magister militum praesentalis, contraignit Zénon à quitter Constantinople. L’empereur parut même désigner son successeur en la personne de Patricius, un fils d’Aspar, qu’il proclama César et fiança à sa seconde fille, Léontia59. Mais, si l’on en croit la Vie de Marcel, le patriarche Gennade (458-471) et l’abbé des Acémètes60 prirent la tête du peuple, qui Vie Marcel 1, 34, p. 317 : Καὶ γὰρ ὁ Ἄσπαρ καὶ οἱ παῖδες αὐτοῦ καὶ πᾶς ὁ οἶκος αὐτοῦ ἐνόσουν τὴν ἑλληνικὴν δυσσεβεστάτην Ἀρείου μανίαν. Sur l’arianisme d’Ardabour et Aspar, voir encore Théophane, Chron., I, p.  104. Fl. Plinta, sans doute beau-père d’Aspar, serait intervenu pour mettre fin à une controverse divisant les ariens : PLRE II, p. 892-893 (Fl. Plinta). SNEE, Anastasia, p. 175. 57 Les principaux membres de la famille furent : Ardabour l’Ancien, qui mena notamment une campagne contre la Perse en 421-422, lutta comme magister militum contre l’usurpateur Jean en 424 (DEMANDT, Magister Militum, col. 769-772), et obtint le consulat en Occident en 427. Son fils Aspar, qui l’aida à défaire Jean en 425, dirigea plusieurs expéditions (contre les Vandales en 431, contre les Huns en 441 comme magister militum praesentalis), obtint le consulat en Occident en 434 (un bouclier d’argent commémore l’événement), et assura l’accession au pouvoir de deux empereurs, Marcien (450-457) et Léon Ier (457-474), qui avaient tous deux servi à l’armée sous ses ordres. Les fils d’Aspar, et au premier chef, Ardabour le Jeune, consul en Orient en 447, nommé magister militum per Orientem par l’empereur Marcien ; puis, Patricius et Hermineric, qui obtinrent respectivement le consulat en 459 et en 465. PLRE II, p. 135-137 (Ardabur Junior) ; p. 137-138 (Fl. Ardabur) ; p. 164-169 (Fl. Ardabur Aspar) ; p. 842 (Iulius Patricius 15) ; p. 549 (Herminericus). Cf. BACHRACH, Alans, p. 41-51, 76, 98. Pour Aspar, voir encore la correspondance de Théodoret. 58 Aspar mis en cause, en particulier en 468 après l’échec de l’expédition contre les Vandales (ariens) d’Afrique du Nord ou la révolte d’Anagastes, magister militum per Thraciam, qui fut sans doute une des principales causes de l’assassinat des Ardabour : SNEE, Anastasia, p. 182. Cf. PLRE II, p. 75-76 (Anagastes). 59 Les sources disent que Léon essaya ainsi d’amener Aspar à rester loyal, tandis que les modernes attribuent l’élévation de Patricius à des pressions d’Aspar : SNEE, Anastasia, p. 182-183.  60 DAGRON, Marcel, p. 276 : le récit (BHG 1027z) insiste de manière démesurée sur le rôle que Marcel joua dans la lutte contre les Ardabour. Dans un rêve, Marcel vit un lion avaler le serpent qui le harcelait ; il prédit la chute d’Ardabour et son père (Vie Marcel 1, 33, p. 316). En 447 (JANIN, Grands centres, p. 14), un dénommé Jean, qui s’était attiré la colère d’Ardabour, alla 56

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manifesta sa colère à l’hippodrome, devant la tribune impériale. L’empereur leur donna satisfaction (καὶ ἡμεῖς τὰ αὐτὰ ὑμῖν συμβουλευόμεθα)61. Pourtant, comme l’a montré Rochelle Snee, rien ne prouve que Léon se soit vraiment réconcilié avec les Ardabour. Il travaillait depuis longtemps à se débarrasser d’eux, se préparant même, s’il le fallait, à mater la révolte des Goths. D’ailleurs, Zénon, toujours magister militum per Orientem, stationnait avec ses troupes à Chalcédoine, non loin de la capitale, prêt à intervenir. Il reste que le plus sûr atout de l’empereur pour les éliminer demeurait leur arianisme62. Or, au contraire d’Aspar, dont la puissance militaire reposait sur les peuples germains, rien n’empêchait son fils de se convertir à l’orthodoxie chalcédonienne63. Il fallait donc agir vite d’autant qu’Aspar avait su se rendre populaire64, à l’inverse de Zénon et de ses soldats isauriens, dont l’impopularité risquait d’atteindre l’empereur. Accusations et rumeurs de trahison (à propos des récentes défaites militaires) se succédèrent alors, alimentant l’exaspération du peuple contre les ariens. Ardabour et son père Aspar furent mis à mort en 47165. L’arianisme des Ardabour ne les empêchait pas d’intervenir dans les affaires ecclésiastiques66, et leur nom est resté attaché à plusieurs offrandes67, trouver refuge auprès des Acémètes. Comme Marcel refusait de livrer le fugitif, son adversaire mit le siège devant le monastère ; un miracle (l’apparition dans le ciel, au-dessus du couvent, d’une croix dans une couronne de feu) fit céder l’assaillant (Vie Marcel 1, 32, p. 314-315). Le monastère, qui abritait de nombreuses reliques, reçut peut-être encore, en 452, des vêtements du Christ découverts à Jérusalem par Dorothée, comte de Palestine (supra, p. 332). Ce dernier, agent du transfert à Constantinople de reliques, gage d’orthodoxie et soutien de la politique impériale, évoque curieusement pour nous les généraux Galbios et Candidos. 61 Vie Marcel 1, 34, p. 318.  62 SNEE, Anastasia, p. 185, n. 211 : on peut lire chez Malalas que Léon interdit les églises et les réunions des ariens « exakionites » après l’exécution d’Aspar et Ardabour ; ce terme d’« exakionite » semble être un terme de dérision pour les ariens eudoxiens, dans cette période, essentiellement des Goths. Pour « l’Exokionion ou Colonne extérieure, dont le nom se déforma en Exakionion et ensuite en Exi Marmara, toponyme qui existe toujours dans sa version turque d’Altı Mermer » : M ANGO, Constantinople, p. 47. 63 SNEE, Anastasia, p. 185, sur les précédents, en particulier Jordanès, successeur d’Ardabour comme magister militum per Orientem. Il n’existe cependant pas d’autre témoignage sur la conversion de Patricius.  64  Notamment dans son énergie à combattre le grand incendie qui ravagea Constantinople en 465 – alors qu’il recrutait à ses frais parmi les citoyens une brigade pour lutter contre le feu, l’empereur avait fui la capitale pendant six mois : ibid., p. 183. 65 Deux fils d’Aspar, Patricius et Hermineric, échappèrent au massacre. 66 SNEE, Anastasia, p. 180, qui cite la lettre 140 (datée de 450) de Théodoret de Cyr à Aspar qu’il remercie de son intervention pour l’abrogation des Actes du ‘Brigandage’ d’Éphèse (449) ou le pape Léon sollicitant l’aide d’Aspar contre l’évêque monophysite Timothée Élure (Ep. 153, 1, datée de 458). 67 Sur deux pièces de vaisselle liturgique inscrites au nom d’Ardabour, un gobelet d’argent et un candélabre en bronze, dons d’Ardabour le Jeune à une église d’Antioche ou des environs : DEMANDT, Kelch ; SCHARF, Kelch. Voir encore PAINTER, Dish. Ardabour avait servi à Antioche comme magister militum per Orientem (453-466) et possédait une propriété à Daphné. Théodoret, on l’a vu, témoigne encore de la persistance de la croyance arienne dans la région.

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voire à des reliques68. Selon la Vie de Marcien, Aspar et Ardabour le Jeune avaient offert de la vaisselle liturgique à l’Anastasia de Constantinople, l’église de Grégoire de Nazianze reconstruite ἐν τοῖς Δομνίνου ἐμβόλοις par Marcien, en retour de quoi, le prêtre et économe de Sainte-Sophie (v. 450-472) y avait institué la lecture des Évangiles en langue gothe, aux jours de fêtes69. Or, l’Anastasia, dont le nom commémorait la résurrection (anastasis) de la foi nicéenne (379-381) dans la capitale, était un symbole d’orthodoxie et de lutte contre l’arianisme. Les Ardabour ne pouvaient l’ignorer. Cependant, en procédant à la déposition dans l’église des reliques de la martyre Anastasia70, Marcien contribua à faire perdre de vue la signification première de l’édifice71 ; on y vit même une église dédiée à la Résurrection du Christ. Rochelle Snee formule alors une hypothèse intéressante : du fait de leurs liens avec la Pannonie, région peuplée de Goths ariens, les Ardabour auraient pu jouer un rôle actif dans la translation des reliques de la martyre depuis Sirmium72. Quoi qu’il en soit, il ne serait pas étonnant de les voir s’associer à ces réjouissances populaires. Or, on apporta encore à Constantinople, sous le règne de Léon Ier, des reliques des Trois Hébreux. Leur découverte à Séleucie-Ctésiphon a été mise en relation avec la guerre romano-perse des années 421-422, une campagne-éclair menée par Ardabour l’Ancien. On sait encore comment Zénon accusa bien plus tard (en 466) Ardabour le Jeune de collusion avec la Perse. Quels étaient exactement les liens des Ardabour avec le grand voisin oriental ? Eurent-ils un rôle à jouer dans la translation ? L’étrange parenté de l’Invention des Trois Enfants avec la Légende de Galbios et Candidos invite à se poser la question, même s’il paraît impossible d’y répondre, pas plus d’ailleurs que l’on ne peut lever le voile de mystère entourant la légende des deux frères. Est-il besoin de se demander si ceux-là ont existé ? Plus important sans doute est ce nom des Ardabour qui vient se mêler à l’histoire : les deux frères auraient fait construire dans leur palais des Blachernes une église pour l’habit marial rapporté de leur pèlerinage aux Lieux saints, gage de repentance et de conversion après le meurtre des Ardabour. Mais le palais, l’église (Saints-Pierre-etMarc), sinon la relique –  bientôt ‘confisqués’ par l’empereur  –, 68 En 459, Ardabour le Jeune, magister militum per Orientem, fut chargé de protéger les restes de Syméon Stylite l’Ancien des pilleurs de reliques lors de la translation de son corps à Antioche : Évagre, H.E., I, 13 ; Vie Dan. st., 22.  69 Vie Marcien, 16, p. 753, tr. p. 769. Socrate, H.E., V, 7, 1. 70 BRANDI – ORIENTI, Anastasia. 71 Vie Marcien, 3b, p. 737-739, tr. p. 758-760 ; Théodore le Lecteur, Epitome 228, p. 77. 72 SNEE, Anastasia, p. 179-180 : rien de tel n’est cependant dit dans la Vie de saint Marcien qui explique le don par la proximité de la résidence des Ardabour avec l’église de l’Anastasia. Il est vraisemblable que tout au long du V e siècle, le quartier fut peuplé de Goths ; une période d’accalmie relative entre Romains et Goths entre 459 et 469 pourrait aller dans ce sens.

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n’appartenaient-ils pas plutôt à ces derniers73 ? L’hypothèse est fragile. Il semble toutefois difficile de séparer la construction de la chapelle de la Châsse de la mise à mort des deux ariens et de tous les soubresauts politiques (désignation de l’héritier au trône, émeutes populaires,  etc.) entourant cette affaire74 : l’Empire avait tremblé, mais l’empereur avait triomphé. Il se présentait, avec ce meurtre, comme le défenseur de l’orthodoxie, tandis que l’inscription de la châsse rappelait à tous que les souverains terrestres étaient les garants de la sécurité et de la grandeur de l’Empire, grâce aux souverains célestes75. 〈Léon et Vérine〉 firent faire une châsse d’une parfaite beauté en or pur et en pierres précieuses. Et en toute gloire et tout honneur ils y déposèrent le dit coffret avec le glorieux et vénérable trésor. Ils firent graver une inscription sur le couvercle de la sainte et précieuse châsse : « En consacrant ce sanctuaire à la Mère de Dieu, ils ont affermi la puissance de l’Empire. »76

En tout cas, la tradition a gardé de Léon Ier une image positive, et l’on portait au compte du couple impérial77 plusieurs constructions pieuses et charitables ainsi que des translations de reliques, derrière lesquelles se profile, d’une manière ou d’une autre, l’ombre des Ardabour.

3. Justinien, nouveau Constantin Alors que nombre de ses prédécesseurs avaient été de grands bâtisseurs et donateurs, l’empereur Justinien (527-565) reprit cette tradition et engagea un 73

La dédicace de l’église à Pierre et Marc est étonnante. On peut se demander si elle n’abritait pas, à l’origine, des reliques des apôtres auprès desquelles les Ardabour auraient envisagé de reposer après leur mort, à l’instar des empereurs ou du préfet du prétoire Rufin. 74 M ANGO, Origins, fait de cette histoire une tout autre lecture. Selon le chercheur, la Soros fut érigée en 468-469 par l’impératrice Vérine, bien avant l’église des Blachernes, construite sous Justin Ier (518-527). On se serait alors efforcé, après le règne de deux empereurs monophysites, Zénon et Anastase (494-518), époux successifs d’Ariane, fille de Vérine, sœur de l’usurpateur monophysite Basiliscus (très liée à sa fondation, elle s’y réfugia en 475 pour fuir la colère de son frère), de récupérer la relique au profit des chalcédoniens. On aurait de ce fait transformé les frères – isauriens – de la Légende, Galbios et Candidos (inconnus), en Goths convertis à l’orthodoxie, leurs adversaires. À l’appui de cette hypothèse, la mosaïque figurant les deux patrices en présence de la Vierge, de Jean Baptiste et de Conon. Conon était, en effet, le saint patron des Isauriens (H ALKIN, Conon ; ID., Conon 2). Cyril Mango fait cependant remarquer qu’il existait plusieurs homonymes, dont un saint jardinier († 251), originaire de Nazareth et martyrisé à Magydos, en Pamphylie, fêté le 5 mars, comme le Conon des Isauriens. La Légende voulait justement que l’invention ait eu lieu dans un village de Galilée (quoique l’indication ne se rencontre pas expressément dans les récits du « type A », mais chez Théodore le Syncelle (VIIe siècle) ; cf. Syn. Const., col. 793 (2 juillet) : Γενόμενοι δὲ ἐν τοῖς Γαλιλαίοις τόποις). Ant. Plac., 5, Récits, p. 208 : « Ensuite, nous sommes allés dans la ville de Nazareth, où les merveilles sont nombreuses. […] La maison de sainte Marie est une basilique ; ses vêtements y procurent de nombreux bienfaits. » 75 GRABAR, Iconoclasme, p. 27. 76 Lég. Galb. et Cand. 1, 12, p. 300-301. 77 L’image de Vérine se brouille cependant après la mort de son époux ; cf. MANGO, Origins, p. 64s.

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vaste programme de constructions, civiles et religieuses. On n’a pas manqué de le comparer dans cette activité à l’empereur Constantin. Cependant, en Orient, la scission entre constructions civiles à Constantinople, capitale administrative de l’Empire, et religieuses aux Lieux saints78, n’a plus de réalité sous Justinien. Désormais, la capitale impériale est aussi un centre religieux. Or, il n’est pas indifférent que l’on redécouvrit, en ce temps-là, des reliques à Constantinople79, dans les fondements de deux églises rebâties par l’empereur. Le règne de Justinien se voulait une période de reprise en main, sur le plan militaire, par la reconquête des territoires perdus, mais aussi politique. Le pouvoir avait faibli ; les ennemis de l’intérieur avaient gagné du terrain et risquaient de désunir l’Empire. Le souverain s’efforça donc pendant tout son règne, tantôt par la force, tantôt par la douceur, d’établir la concorde80. Il s’attaqua notamment aux différentes formes d’hérésie, parmi lesquelles le manichéisme81 ou le montanisme82. Dans son Histoire secrète, un ouvrage polémique à charge contre Justinien, Procope raconte comment il ordonna aux hérétiques « d’abandonner leurs opinions anciennes : et à ceux qui désobéiraient, il adressa, entre autres menaces, celle de leur infliger l’incapacité de transmission de leurs biens à leurs enfants ou à leurs parents83. » Il énumère ensuite les spoliations perpétrées par le pouvoir dans leurs sanctuaires : « L’empereur Justinien confisqua au bénéfice du trésor tous les biens et il les en dépouilla subitement84 », puis les missions de conversion envoyées « de tous côtés85 », avant de conclure : Des Montanistes qui habitaient en Phrygie s’enfermèrent dans leurs propres églises ; ils y mirent le feu et s’y brûlèrent avec elles, action insensée ! Grâce à Justinien, tout l’Empire romain fut plein de meurtres et d’exils86. K RAUTHEIMER, Building Policy, p. 509-549. Les reliques sont également primordiales dans le reste de l’Empire. Pour un exemple suggestif à Tibériade : HIRSCHFELD, Building activity. 80 Constantin avait ordonné la découverte du Tombeau du Christ après le concile de Nicée (325), concile de concorde, où l’on avait défini la vraie foi. Voir encore, WESSEL, Theodosius II, p. 287 : « […] Theodosius believed himself to be the mediator between providence and humankind who had been appointed by God to govern the Empire. His duty was therefore to serve providence for the betterment of the State by ensuring that his subjects subscribed to orthodox doctrine. The potential conflict was more than simply an internal ecclesiastical matter, because it threatened to disrupt the very foundations of his imperial reign, which rested on divine sanction. » M ARAVAL, Justinien. 81 R IGGI – DI BERARDINO, Mani – Manichéisme. 82 L ABRIOLLE, Crise, p. 532-536 et ID., Montanisme, p. 230-238, no 188-191, 193, 195. A LAND, Montan – Montanisme. 83 Procope, Hist. secr., XI, 15, tr. L ABRIOLLE, Montanisme, p. 237, no 193. CJ I, V, 18-21 : interdiction du droit de réunion et de tester, expulsion du clergé de Constantinople, incapacité de témoigner en justice. 84 Procope, Hist. secr., XI, 20, tr. L ABRIOLLE, Montanisme, p. 237, no 193. 85 Ibid., XI, 21, tr. L ABRIOLLE, ibid. 86 Ibid., XI, 23, tr. L ABRIOLLE, ibid. 78 79

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La fin des montanistes est encore évoquée par Jean d’Éphèse ; la tonalité est très différente : À cette époque fut renversée et déracinée l’hérésie funeste de Montan, dont l’histoire nous est décrite au temps des Apôtres, comment elle se forma. Mais maintenant par le soin de saint Jean, évêque d’Asie, les ossements de Montan furent trouvés – celui qui disait de lui qu’il était l’Esprit Paraclet – et ceux de Crâtis (?) et de Maximilina et de Prisquila, prophétesses ; et il les brûla par le feu ainsi que leurs temples jusqu’à leurs fondements87.

L’événement peut être daté de 550 ; on en connaît, par Michel le Syrien (XIIe s.), une version plus détaillée : Dans le pays de Phrygie, il y a un lieu, appelé Pépouza, où les Montanistes avaient un évêque et des clercs ; ils l’appelaient Jérusalem, et ils y tuaient les chrétiens. Jean d’Asie s’y rendit et fit brûler leur synagogue, sur l’ordre de l’empereur. On trouva dans cette maison un grand reliquaire de marbre scellé avec du plomb et lié par des garnitures de fer. Sur le dessus était écrit : « De Montanus et de ses femmes. » On l’ouvrit et on y trouva Montanus et ses deux femmes, Maximilla et Priscilla, qui avaient des lames d’or sur la bouche. Ils furent couverts de confusion en voyant les ossements fétides qu’ils appelaient l’Esprit. On leur dit : « N’avez-vous pas honte de vous être laissé séduire par cet impudique, et de l’appeler Esprit ? Un esprit n’a ni chair ni os. » Et on brûla les ossements. – Les Montanistes firent entendre des gémissements et des pleurs. « Maintenant, disaient-ils, le monde est ruiné et va périr. » – On trouva aussi leurs livres honteux et on les brûla. La maison fut purifiée et devint une église. Auparavant, du temps de Justinianus Ier (Justin), quelques personnes avaient informé l’empereur que Montanus, au moment de sa mort avait ordonné à ses ensevelisseurs de le placer à cinquante coudées sous terre « parce que, disait-il, le feu doit me découvrir, et dévorer toute la face de la terre. » Ses partisans, par l’opération pernicieuse des démons, répandaient faussement le bruit que ses ossements chassaient les démons ; ils avaient suborné quelques individus qui, moyennant le pain de leur bouche, affirmaient qu’il les avait guéris. – L’empereur écrivit à l’évêque de l’endroit. Celui-ci fit creuser profondément et retirer les ossements de Montanus et ceux de ses femmes, pour les brûler. Alors, les Montanistes vinrent trouver l’évêque pendant la nuit, et lui donnèrent cinq cents dariques d’or ; ils emportèrent les ossements et en apportèrent d’autres ; et au matin, sans que personne s’aperçût du mystère, l’évêque brûla ces ossements comme étant ceux de Montanus et de Crites (?) son associé. Mais ensuite, l’archidiacre dénonça l’évêque qui fut envoyé en exil. Apollon, le compagnon de Paul, écrit que ce Jean d’Éphèse, H.E., tr. L ABRIOLLE, Montanisme, p. 238, no 195 ; d’après le Ps.-Denys, Chron. anon., II, p. 94.

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Montanus était fils de Simon le mage ; que quand son père périt, par la prière de Pierre, il s’enfuit de Rome, et se mit à troubler l’univers. Alors Apollon, (poussé) par l’Esprit, alla où il était, et le vit assis et prêchant l’erreur. Il commença à l’invectiver en disant : « O ennemi de Dieu, que le Seigneur te châtie ! » Montanus se mit à le reprendre, et dit : « Qu’y a t-il entre toi et moi, Apollon ? Si tu prophétises : moi aussi ; si tu es apôtre : moi aussi ; si tu es docteur : moi aussi. » Apollon lui dit : « Que ta bouche soit fermée, au nom du Seigneur ! » Aussitôt il se tut et ne put jamais plus parler. Le peuple crut en Notre-Seigneur et reçut le baptême. Ils renversèrent le siège de Montanus qui prit la fuite et s’échappa. – Ce récit est fini, ainsi que l’autre88.

On reconnaît ici une invention de reliques inversée. En ce temps-là, les montanistes avaient presque disparu, ou du moins se trouvaient repliés dans leur berceau, la Phrygie89. Selon Cosmas Indicopleustès (v. 557), ils niaient, comme les Samaritains, la résurrection des corps90 ; surtout, c’était une secte prophétique. Existe-t-il un lien entre cet épisode et le nouveau mode d’invention des reliques sans révélation préalable par songes ou miracles inauguré dans la capitale sous Justinien ? En tout cas, ce n’est sans doute pas un hasard si, cette même année 550 où disparaissait, avec la destruction des os de ses fondateurs, une secte née aux temps apostoliques, ressurgissaient des fondements de l’église des Saints-Apôtres de Constantinople les reliques d’André, Luc et Timothée91. Que le souvenir de l’invention se soit transmis en milieu monophysite, à partir de Jean d’Éphèse, le pourfendeur des montanistes, montre que les diverses factions pouvaient se réunir dans un même élan autour d’un tel événement. Justinien, en effet, n’usait pas seulement de la force : dans le temps même où il éradiquait les anciennes hérésies, il tentait de trouver un accord entre partisans et adversaires de Chalcédoine, dont les divisions ébranlaient son Empire. Les Saints-Apôtres sont ici comparables à la Sainte-Sion de Jérusalem, lors de la réunification de l’Église, ou à la Grande Église de Constantinople, au moment de la réconciliation des Johannites : l’édifice, symbole de concorde, autour duquel tous se rassemblent. Or, l’invention des apôtres permettait à Justinien de manifester son orthodoxie et sa piété : il réparait une terrible injustice92, comme jadis Constantin, qui fit dégager le Tombeau du Christ93. Nouvel Eusèbe, Procope, témoin de l’événement, se fit cette fois le panégyriste de l’empereur, dépeignant le miracle

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Michel le Syrien, Chron., II, IX, XXXIII, p. 269A-271A.  L AMPE, Pepouza et Tymion. L ABRIOLLE, Montanisme, p. 236. La déposition eut lieu le 28 juin 550. Procope, De aed., I, 4, 17-21, p. 24-25. Eusèbe, Vie de Constantin, III, 26.

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comme une consécration pour le souverain qui obtenait aux yeux de tous un véritable satisfecit de la part de Dieu. De plus, de la même façon que Sozomène avait opposé l’orthodoxe Théodose Ier à l’arien Valens, à propos de la translation du chef du Baptiste, Justinien sortait grandi de la comparaison avec Constance II, le fils de Constantin, qui avait jadis fait transférer les reliques des apôtres94, mais dont l’historiographie véhiculait depuis longtemps une image négative, en raison de son arianisme. Or, non seulement Justinien rendait à la lumière ce que Constance avait laissé dans l’obscurité, mais encore avait-il fait table rase du passé : l’édifice fut rebâti depuis les fondations. Justinien conserva le mausolée impérial, mais il en érigea un second (le premier était plein) pour lui-même et ses successeurs. Comme Constantin, il devenait le fondateur d’une nouvelle lignée d’empereurs95, le restaurateur de l’Empire. Par cette invention, Dieu avait donc montré que son règne lui agréait ; les apôtres allaient maintenant le soutenir, lui apportant cette aide surnaturelle tant convoitée, et sanctifiant du même coup la Ville impériale. L’année suivante, un autre miracle se produisit à Sainte-Irène de Sykae que Justinien avait également décidé de reconstruire depuis les fondations. La dédicace de l’église eut sans doute lieu en septembre 551. Justinien, qui observait au quotidien un régime ascétique, dormant et mangeant peu, avait présumé de ses forces. Dieu suscita pour sa guérison l’invention d’un reliquaire des Quarante Martyrs de Sébaste. En produisant au jour ce coffret, dont on avait jusqu’alors méconnu l’existence, Dieu agissait de façon délibérée : en garantissant à tout le monde qu’il éprouvait un très vif plaisir à recevoir les présents de l’Empereur, il mettait simultanément tout en œuvre pour répondre à l’action bienfaisante du personnage par une plus grande marque de faveur. Il se trouve en effet que l’empereur Justinien connaissait de très graves soucis sur le plan physique parce qu’il avait eu brusquement une fluxion fort pénible au genou et qu’il en était perclus de douleurs. De cette situation il était lui-même le principal responsable car pendant tous les jours qui précédaient la fête de Pâques et qu’on appelle « les jours de jeûne », il avait adopté un régime de vie austère, fort étrange je ne dis même pas pour un empereur, mais déjà pour quiconque s’occupe, d’une manière ou d’une autre, des affaires publiques. Deux jours durant en effet, il n’avait cessé de refuser en permanence toute alimentation, et cela alors qu’il quittait régulièrement ses couvertures aux premières lueurs de l’aube pour se lever et exercer une vigilance préalable sur le sort de l’État et que, de la voix et du geste, il n’arrêtait pas de diriger les affaires politiques,

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DAGRON, Naissance, p. 388-409. Justinien n’avait pas d’héritier direct, mais son neveu Justin II lui succéda.

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que ce fût dès l’aube, à la mi-journée ou, tout autant, de nuit. De fait, bien qu’il allât se coucher à une heure fort avancée de la nuit, il se relevait incontinent comme s’il était mal sous ses couvertures. Et quand par hasard il s’alimentait, il s’abstenait à chaque fois d’absorber vin, pain ou autres produits comestibles pour se borner à manger des herbes sauvages du reste et longuement conservées dans de la saumure et du vinaigre, et se borner à prendre, comme boisson, de l’eau. Au demeurant, ce régime-là ne le contentait même jamais et à chaque fois qu’il prenait un repas, il goûtait aux mets qu’on lui présentait, évidemment, puis il les renvoyait avant même d’en avoir mangé une quantité suffisante. Cela entraîna donc des conséquences : le mal dont il souffrait, parvenu à son comble, triomphait des secours que pouvaient lui apporter les médecins, et pendant très longtemps l’Empereur fut brisé par les douleurs que j’évoquais. Mais sur ces entrefaites, il entendit parler des événements relatifs à la découverte des reliques. Renonçant alors à l’art des hommes, il s’en remit à elles pour traiter son cas et chercha à recouvrer la santé en ayant foi en elles. Dans ces circonstances critiques il tira bénéfice de la Vraie croyance, car, quand les prêtres eurent appliqué la patène sur le genou de l’Empereur, le mal disparut immédiatement, sous la contrainte qu’exercèrent les corps des serviteurs de Dieu96.

La déposition des reliques fut conduite par les patriarches Ménas de Constantinople (536-août 552) et Apollinaire d’Alexandrie (551-570). La présence de ce dernier en tête du cortège n’est pas anodine. Tout juste nommé à la place de Zoïle (540-juillet 551) destitué pour avoir refusé de condamner les Trois Chapitres97, il n’avait pas encore gagné son siège. En Apollinaire, l’empereur et le patriarche de Constantinople attendaient un allié fidèle. L’enjeu était grand : obtenir le ralliement des monophysites grâce à la condamnation des Trois Chapitres98. C’est donc dans un moment intense de la politique impériale que, grâce à une invention de reliques, la piété du souverain, c’est-à-dire son orthodoxie, éclata par deux fois aux yeux de tous.

Procope, De aed., I, 7, 5-14, p. 32-33, tr. ROQUES, p. 91. De l’huile, jaillie des reliques, vint alors inonder la tunique impériale, nouvelle relique conservée au Palais : supra, p. 228.  97 P RICE, Chapters. 98 A IGRAIN, Apollinaire, col. 993 : de fait, Apollinaire « signa avec Eutychius de Constantinople et d’autres évêques une lettre (L E QUIEN, Oriens, II, col. 436-437, 439) où on demandait au pape de présider le concile pour régler l’affaire des Trois Chapitres. » On parlait tantôt de la cruauté (Eutychius, Annales, col. 1069), tantôt de la charité d’Apollinaire : « il avait un frère Agathon, abbé, qui fit mettre en prison pour mauvaise administration le moine Eustochius, économe de son église. Eustochius s’évada et parvint à supplanter le patriarche Macaire de Jérusalem. Là, il persécuta pour crime d’origénisme les moines de la Grande Laure, et cela, dit Théophane, en haine de Macaire, d’Agathon et d’Apollinaire, ce qui semble prouver que le patriarche d’Alexandrie n’appartenait pas au parti anti-origéniste. » Cf. Théophane, Chron., I, p. 242 (AM 6059 [566/567]). Sur ce personnage, voir encore l’invention des Trois Hébreux. 96

CHAPITRE III

La ville et ses sanctuaires Au-delà des individus qui y ont pris part, quelles répercussions l’invention des reliques a-t-elle sur l’espace qui les reçoit, la ville et ses sanctuaires ? Jérusalem offre un premier exemple intéressant : alors qu’elle avait pour centre épiscopal et dévotionnel le complexe du Martyrium-Anastasis, lieux du Tombeau du Christ et de la Vraie Croix, découverts sous le premier empereur chrétien, Constantin, et fondation impériale, la ville accueillit dans ses murs, en 415, les reliques du protomartyr Étienne. L’église de la Sainte-Sion, le lieu de la déposition, était la plus ancienne église de la communauté, d’époque apostolique. Quel fut le dessein de l’évêque Jean, responsable de la translation ? Chercha-t-il à faire rivaliser les deux centres ? Quoi qu’il en soit, la relique quitta Sion deux décennies plus tard pour son propre martyrion, fondation impériale située hors les murs.

1. Jérusalem, la Ville sainte Cyrille de Jérusalem (v. 348-387) revendiqua le premier certains privilèges pour son siège1 fondés sur le prestige de la Ville sainte, terre de l’Évangile, où le passé biblique était encore visible et tangible2. Jan Willem Drijvers a montré comment il plaçait la Croix au sommet de son « système théologique » – le lieu de la crucifixion, le Golgotha, étant le « centre du monde » –, et comment elle

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Le concile de Nicée (325), tout en reconnaissant au siège de Jérusalem une place d’honneur légitimée par la tradition, avait maintenu, en Palestine Première, tous ses droits métropolitains à l’Église de Césarée. 2 Cyrille, Cat. 14, 16 ; 17, 22, 31. Cf. WALKER, Holy City. Avec la multiplication des lieux saints, le paysage urbain avait été savamment organisé en réseaux : DRIJVERS, Cyril, p. 120, n. 42 : « The development of Jerusalem’s stational liturgy is perhaps to be attributed to Cyril. In this liturgy story, ritual and place were inextricably bound up with each other », avec renvoi à SMITH, To Take Place, chap. 4. Cf. BALDOVIN, Liturgy.

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devint un enjeu majeur dans le conflit qui l’opposa très tôt au siège de Césarée3. Quelle part prit Cyrille dans la légende de l’invention de la Vraie Croix, « le parfait mythe pour promouvoir la cause de Jérusalem » ? L’évêque fut-il luimême à l’origine de son élaboration ? Ce serait un geste significatif, surtout si l’on admet que la première version écrite fut insérée dans l’Histoire ecclésiastique de Gélase de Césarée4, son neveu, qui allait, grâce à lui, occuper le siège métropolitain à partir de 3675. En tout cas, Cyrille agit en fin politique lorsqu’il adressa à l’empereur Constance II (337-361) une lettre demeurée fameuse sur la vision de la croix. Le 7 mai 351, Jérusalem fut le théâtre d’un étrange phénomène céleste ; on cria au miracle : En ce temps-là, alors que Cyrille, après Maxime, gouvernait l’Église de Jérusalem, le signe d’une croix parut dans le ciel ; il brillait avec éclat, et ne s’écoulait pas en laissant une traînée lumineuse comme une comète, mais se présentait avec la consistance d’une forte lumière passablement dense et transparente. En longueur, il allait depuis le Calvaire jusqu’au Mont des Oliviers, occupant sur environ quinze stades la partie du ciel au-dessus de ce terrain ; sa largeur était analogue à la longueur. En raison de l’étrangeté du prodige survenu, tout le monde avait été saisi d’étonnement et de crainte : ayant quitté maisons, marchés, et le travail qu’ils faisaient, tous s’étaient réunis avec enfants et femmes à l’église, et louaient en commun le Christ et faisaient avec ardeur des professions de foi à Dieu. Considérable aussi fut dans l’Empire romain tout entier la stupeur à la nouvelle de cet événement ; et cela se produisit en très peu de temps. Venus en effet comme d’habitude de la terre entière, si l’on peut dire, pour prier et visiter les Lieux saints de Jérusalem, des gens qui avaient été témoins de ce spectacle en firent part à leurs proches. L’empereur aussi apprit la chose, beaucoup la lui ayant rapportée et, entre autres, l’évêque Cyrille par une lettre. Les gens compétents en ces matières disaient que cela avait été annoncé à l’avance en vertu d’une prophétie divine dans les saints Livres. Et l’événement survenu entraîna un grand nombre de païens et de Juifs vers la religion chrétienne6.

3 Cyrille, Cat. 10, 19 ; 13, 28, 39. DRIJVERS, Jerusalem, p. 86-87 ; LEBON, Cyrille de Jérusalem ; RUBIN, Holy Sepulchre et ID., Caesarea. 4 L’ouvrage de Gélase est désormais perdu. 5 DRIJVERS, Cyril, p. 124 : le nom de Cyrille apparaît avant celui de Gélase au concile de 381 ; sous la dynastie théodosienne, il y eut un regain d’intérêt pour Jérusalem et les Lieux saints.  6 Sozomène, H.E., IV, 5, 1-5. Voir encore Socrate, H.E., II, 28 ; Théodoret, H.E., III, 20 (qui fait le lien entre la reconstruction du Temple sous Julien et l’apparition de la croix) ; Philostorge, H.E., III, 26 ; Théophane, Chron., I, p. 42 (AM 5847 [355]). La date du 7 mai se lit dans la lettre de Cyrille à l’empereur (CPG 3587) : BIHAIN, Vie. Existent plusieurs versions orientales, en syriaque, arménien, géorgien, etc. Pour la version syriaque attribuée au V e siècle : COAKLEY, Letter. Sur la très grande diffusion de cet événement dans l’historiographie et sur l’année de l’apparition (351) : BIHAIN, Épître, p. 266-267. SEECK, Regesten, a. 351. Pour la date de la vision : CHANTRAINE, Kreuzesvision ; VOGT, Berichte ; GRÉGOIRE – ORGELS, Gallicanus, p. 596-599. Pour

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Constance était exalté : il dépassait en gloire son père Constantin ; la vision de la croix surpassait en grâce l’invention du saint bois ; au signe terrestre succédait celui des cieux. Mais la cause du conflit de Cyrille avec son métropolitain semble avoir été tout autre : En effet, après que lui avait été confié l’évêché de Jérusalem, il avait été en désaccord, sur les droits métropolitains, avec Acace de Césarée, alléguant qu’il gouvernait un siège apostolique. De ce fait, ils étaient entrés en une haine réciproque et ils s’accusaient mutuellement de n’avoir pas d’opinions théologiques saines : en effet, auparavant déjà, l’un et l’autre avaient été l’objet de soupçons, l’un comme professant la doctrine d’Arius, Cyrille comme suivant ceux qui enseignaient que le Fils est consubstantiel au Père. Telles étant ses dispositions, Acace, avec les évêques de la province qui pensaient comme lui, avait pris les devants en déposant Cyrille sous le prétexte que voici : une famine ayant saisi la région de Jérusalem, comme la masse des indigents, manquant du nécessaire, s’était tournée vers l’évêque, celui-ci faute d’argent pour leur venir en aide, avait vendu le trésor et les courtines sacrées de l’Église. À la suite de cela, dit-on, quelqu’un avait reconnu sa propre offrande sur le dos d’une actrice de théâtre ; il avait recherché d’où elle l’avait et avait trouvé qu’un marchand le lui avait vendu, et que l’évêque l’avait vendu au marchand. Mettant ce motif en avant, Acace avait déposé Cyrille7.

L’autorité apostolique avait pris corps à Jérusalem et Jacques avait été le premier à revêtir la dignité épiscopale (Lc 24, 49 ; Ac 5, 15-16 et 15, 6-29)8. Or, selon l’Apparition de Jacques, Zacharie et Siméon, ses reliques furent redécouvertes dans un ermitage du mont des Oliviers le 1er décembre 351, l’année même de la vision de la croix qui « allait depuis le Calvaire jusqu’au mont des Oliviers ». La transmission de la croix par Jacques, frère du Seigneur, à Syméon, à Zacchée, puis à Judas, est connue par la version latine de l’histoire de l’icône du Christ à Beyrouth9. […] 〈la première Invention de la Vraie Croix〉 procède surtout d’une volonté de situer le précieux bois dans la continuité directe de l’église judéo-chrétienne de Jérusalem, dépendante de Jacques, frère du Seigneur. […] Il faut insister sur les quinze évêques judéo-chrétiens. N’est-il pas possible de concevoir une hiérarchie parallèle, qui se rattache à Jacques de Jérusalem chaque fois que l’insertion dans la grande Église s’avère plus dif-

la fête de l’invention au 7 mai : Syn. Const., col. 661-662, directement d’après la lettre de Cyrille ; Grand Lectionnaire, II, p. 9, no 957-963. Voir IRSHAI, Cyril of Jerusalem. Pour la vision de Constantin : Eusèbe, Vie de Constantin, I, 27-32 ; Sozomène, H.E., I, 3. 7 Ibid., IV, 25, 2, p. 332-335.  8 Jacques prototype de tous les évêques : Cyrille, Cat. 4, 28 ; 14, 21. 9 Ps.-Athanase d’Alexandrie, De passione imaginis JC, IV, col. 818.

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ficile ? Il ne manque pas d’époques de contestations sur le siège de Jérusalem : les alternances et les vacances se constatent à chaque  siècle. […] Entre Cyriaque et Cyrille règne le même type de confusion qu’entre Juste de Jérusalem et Eustochius au milieu du VIe siècle. Les deux évêques, déposés plus d’une fois, ont une doublure judéo-chrétienne10.

Cyrille chercha-t-il, par l’invention de Jacques, à asseoir ses revendications ? Si la tradition du tombeau de l’apôtre au Cédron était ancienne (antérieure à l’an 392) et sans doute déjà formée dans les dernières années de son épiscopat11, il est plus probable que l’on revendiqua plus tard son patronage, sous une forme d’ailleurs ambiguë. Les reliques furent déposées au lieu de l’invention. Pendant l’érection du sanctuaire (la « Maison de Paul », du nom du fondateur), Cyrille transporta, dit-on, les reliques à la Sainte-Sion12 considérée comme la chambre haute des apôtres (Ac 1, 3), la « mère de toutes les églises13 », le lieu de réunion de l’Église primitive, où avait présidé le premier évêque, Jacques le Mineur14. Dès le début du IV e siècle, on y conservait le trône de ce dernier15, et l’on y célébrait sa mémoire : Le 25 décembre, de Jacques et de David16. On s’assemble à la Sainte-Sion. Pendant ce jour, en d’autres villes, on fait la Nativité du Christ17.

ESBROECK, Alexandre, p. 118-119. Voir encore ID., Homéliaires, p. 340. On a pu la situer dans le cercle des monastères du mont des Oliviers, proche de l’évêque. 12 La colline de Sion se dressait au sud-est de la Ville sainte. Plusieurs épisodes néotestamentaires étaient réputés s’y être déroulés : apparition du Christ ressuscité ( Jn 20, 19, 26), élection de Matthias, descente du Saint-Esprit au jour de la Pentecôte (Ac 2, 1) : Égérie, Journal, 39, 5 ; 43, 3 ; Jérôme, Ep. 108, 9. M ARAVAL, Lieux saints, p. 257-258. Il se peut que la plus ancienne église de la communauté ait déjà occupé cet emplacement. Première mention : Cyrille, Cat. 16, 4. La « basilique » est qualifiée de « très grande » dans l’Abrégé de Jérusalem 4, forme a, Récits, p. 182 ; Carte de Madaba, no 52-53 et pl. 7. 13 P ERRONE, Sion. 14 La tradition en faisait encore sa maison (Ant. Plac., Itin., 22,  2) ou celle de Jean Marc (Théodosius, De situ, 7 ; Éloge Barn., p. 91-93, l. 201-237). On y localiserait au VIIe siècle la dernière Cène (la tradition apparaît dès le V e siècle) et la Dormition de la Vierge (Sophrone, Anacreont., 20, col. 3821A, l. 64-65). BIEBERSTEIN, Sion. 15 Le témoignage d’Eusèbe (H.E., VII, 19) est à compléter par celui de Pierre Diacre, De locis, E, p. 95 ; Récits, p. 60. M ARAVAL, Lieux saints, p. 257-258. Il y aurait bien d’autres reliques à la Sainte-Sion : la colonne de la flagellation, la couronne d’épines, la sainte lance, la colonne qui retint la croix de l’apôtre Pierre, le calice des apôtres, la tête de la martyre Théodote, etc. Après le départ des reliques d’Étienne, elle conserva également une ou plusieurs pierres de la lapidation d’Étienne dans le diakonikon : Ant. Plac., Itin., 22, 8, Récits, p. 219.  16 On localisa à la Sainte-Sion la tombe de David (cf. Ac 2, 29). BAGATTI, Sion, p. 20 ; C AILLOU, Tombeaux, p. 23-29. La première attestation date du X e siècle : dans la Vie de Constantin et Hélène, le tombeau est situé dans le diakonikon. Cf. P UECH, Mausolée, p. 113, avec renvoi à GUIDI, Bios, p. 51. 17 Lectionnaire arménien, II, p. 367. 10

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L’Église a ordonné que l’Épiphanie de notre Seigneur Jésus-Christ ait lieu douze jours après sa Nativité. Seuls les Jérusalémites, guidés par des considérations vraisemblables mais inexactes, célèbrent (la Nativité) le jour de l’Épiphanie. Au jour de la Nativité, par contre, ils commémorent David et l’apôtre Jacques ; pas du tout parce que les deux personnages sont morts ce même jour ; c’est, comme je le crois, pour ne pas rester, eux non plus, en dehors de la fête, qu’ils célèbrent tous la mémoire des parents du Christ, selon la chair18.

L’anomalie dans l’ordre des titulaires a été expliquée par Anton Baumstark, comme le rappelle Michel Aubineau : On sait que depuis longtemps se célébrait à Hébron, le 25 ou le 26 décembre, une fête juive en l’honneur du patriarche Jacob. Vers l’an 570, on décèle encore une trace de cette fête – assumée par les chrétiens –, dans l’Itinerarium Antonini Placentini (rec. altera), no  30. Sur les tombeaux des patriarches Abraham, Isaac, Jacob et Joseph, une basilique se dressait à Hébron, ouverte aux chrétiens et aux juifs : Ex uno latere intrant Christiani, ex alio vero Iudaei, incensa facientes multa. Nam depositio Iacob et David in terra illa, die primo post natale Domini, devotissime ab omnibus celebratur, ita ut ex omni terra Iudaeorum conveniat innumerabilis multitudo, incensa ferentes vel luminaria et dantes munera ac servientes ibidem. Bien avant cette date et dès l’époque d’Hésychius, la substitution au patriarche Jacob de son presque homonyme, l’évêque Jacques, était donc chose faite, dans la liturgie hiérosolymitaine. On comprend dès lors pourquoi le nom de Jacques précédait anormalement celui de David, en attendant que les Lectionnaires tardifs, plus soucieux de chronologie, rétablissent l’ordre. Jacques est ainsi venu s’insérer dans une fête des patriarches, christianisée en une fête des ancêtres du Christ19.

Quoi qu’il en soit, pour les reliques de Jacques, Zacharie et Siméon, le lieu de la déposition s’imposa20 : celui de l’invention, le mont des Oliviers, une terre monastique marquée du signe de la Croix21. Il en alla différemment pour les restes d’Étienne, le premier martyr : Jean de Jérusalem, qui les avait arrachés à leur sépulcre primitif, au village de Caphargamala, les transféra à Jérusalem et les déposa à la Sainte-Sion, le

Cosmas Indicopleustès (1ère moitié du VIe s.), Topographie, V, 11-12, p. 24 (SC, 159). AUBINEAU, Hésychius, I, p. 357. La fête fut ensuite reportée au 26 décembre. 19 AUBINEAU, Hésychius, I, p. 359-360, d’après BAUMSTARK, Liturgie, p. 205. 20 D’autant qu’il était monumentalisé par d’anciens tombeaux juifs taillés dans la roche de la vallée du Cédron. 21 Cf. le miracle de 351 ; pour un « signe » similaire apparu, plus tard, au-dessus du couvent des Acémètes (supra, p. 347, n. 60). 18

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26 décembre (!) 415, jour de la fête du saint. Il en avait ainsi décidé avant même l’invention du corps : Dès qu’il eut entendu cela, l’évêque pleura de joie, et il dit : « Béni Seigneur Dieu Fils du Dieu Vivant ! Si tu as bien vu comme tu le dis, mon fils, et que Dieu s’est révélé à toi, il me faut transférer de là le bienheureux Étienne, premier martyr et archidiacre du Christ, qui le premier contre les Juifs a mené la guerre du Seigneur, et alors qu’il se trouvait sur la terre a vu Dieu qui se tenait au Ciel, et homme est apparu à l’assemblée comme un ange. »22

On s’efforça de justifier le lieu de la déposition : Étienne avait reçu l’archidiaconat à la Sainte-Sion (Ac 6, 5)23. Or, il se peut que l’évêque ait surtout cherché, par cette déposition, à valoriser un sanctuaire qu’il avait lui-même bâti, ou plutôt restauré, quelque temps auparavant. Le codex parisien du grand Lectionnaire de Jérusalem en géorgien écrit en effet, au 29 mars : « Mémoire de Jean, archevêque de Jérusalem, qui le premier édifia Sion, et de Modeste, qui la reconstruisit après l’incendie ». Comme Gérard Garitte l’observait grâce au recoupement avec les témoignages arméniens au 29 mars, il ne peut s’agir que du successeur de saint Cyrille, Jean II de Jérusalem24.

Selon Michel van Esbroeck, on pourrait encore lire dans une traduction arménienne l’homélie prononcée par Jean de Jérusalem le 15 septembre 394, à l’occasion de la dédicace du sanctuaire25. Quoi qu’il en soit de cette attribution, la Révélation de saint Étienne contient, on l’a vu, un épisode étonnant, dans lequel le prêtre Lucien de Caphargamala s’entretient en songe avec Jean de Jérusalem. Il concerne la répartition et l’usage des reliques26, ici symboliquement représentées par des bœufs labourant un

22 Rév. Étienne 2, p. 304, l. 207-211. On se souvient que le miracle de la croix dans le ciel « entraîna un grand nombre de païens et de Juifs vers la religion chrétienne » : supra, p. 356. 23  Latin B (Rév. Ét. lat., VIII, B 48, p. 217) et versions grecques apparentées (cf. Rév. Étienne 2, p. 307, l. 256-258). P EETERS, Sanctuaire, p. 361 : « L’intention parfaitement transparente de ces mots est de faire remarquer qu’on s’avisa de chercher une église qui eût un titre historique à posséder ce dépôt. Il semble de plus qu’on fut en peine de la trouver et qu’il fallut, sur le moment, évoquer la mémoire de saint Étienne dans un sanctuaire étranger, au prix d’une réminiscence assez artificielle. » 24 VAN E SBROECK, Jean II, p. 107 : l’église fut transformée, avant la fin du VI e siècle, en une imposante basilique à cinq nefs. Jean II a peut-être « ajouté un sanctuaire octogonal incluant la chambre haute traditionnelle citée par les évangélistes », avec renvoi à Calendrier pal.-géo., p. 180 et 187. 25 Pour l’édition : VAN E SBROECK, Homélie. Pour la traduction : ID., Jean II, qui interprète le diptyque Passion – Invention mentionné plus haut à la lumière de ce texte ; et p. 109, pour l’inscription de ce texte dans la « tradition judéo-chrétienne ». Cf. ID., Homéliaires, p. 312s. 26 Jean de Jérusalem œuvra plus largement au développement du culte des reliques à Jérusalem et dans ses environs. Pour les empreintes des pas de Jésus au lieu de l’Ascension : FEIERTAG,

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champ. Plus le champ est grand, plus la charrue et son bœuf doivent être grands. Aussi, les deux petits bœufs (Gamaliel et Nicodème), le veau (Abibos) et l’attirail du grand bœuf (les petites reliques et les cendres d’Étienne) suffisent au village (Caphargamala), d’autant que Lucien garde la possessio (la tombe), un terrain fructifère : agrum ubi sunt fructus27. Plus surprenant demeure le rôle des charrues. Ce sont les églises, et l’une d’elles attend le bœuf qui pourra la tirer : il s’agit de la plus grande de toutes, la Sainte-Sion. On peut comparer ce texte avec le passage de l’homélie de Jean de Bolnisi (IXe s. ?) sur les Dédicaces célébrées à Jérusalem les 13, 14 et 15 septembre, cité par Michel van Esbroeck à l’appui de sa démonstration : Aujourd’hui se réjouit la sainte église de la Résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ, et avec elle se réjouissent toutes les églises saintes, car en ce mois de septembre, le 13, ont été célébrées les Encénies de cette sainte église de la Résurrection. Le 14 du même mois ont été accomplies les Encénies de la sainte église catholique et apostolique qu’a construite le roi Constantin ; et le même jour, au même endroit, la vision et l’adoration de la vénérable Croix sur laquelle a été suspendu notre Seigneur Jésus-Christ pour notre salut. Et le 15 du même mois sont accomplies les Encénies de la sainte et glorieuse Sion, qui est la mère de toutes les églises, qui a été fondée par les saints apôtres, que le roi Théodose le Grand a construite, agrandie et glorifiée, et dans laquelle le Saint-Esprit est descendu le jour saint de la Pentecôte28.

Ce triduum était successivement consacré à l’Anastasis, au Martyrium, puis à la Sainte-Sion. Ici, les trois sanctuaires paraissent complémentaires29 : leur sainteté, leur prestige, leur fondateur, tout y est égal, et la succession des fêtes répond à celle des fondations. Dans la Révélation, au contraire, tout est mis sous le signe de la hiérarchie, et la Sainte-Sion occupe la première place ; mais faute d’une « grande » relique, celle qui primait par son ancienneté et son prestige demeurait ‘inactive’. On se rappelle de quelle façon, en 386, Ambroise de Milan avait vu couronnés de succès ses efforts pour trouver des reliques pour sa nouvelle fondation et comment, quelques semaines plus tôt, on avait fait venir à Constantinople, depuis la Palestine, les restes de Joseph et Zacharie pour consacrer la Grande Église. Si Jean avait célébré la dédicace de la SainteCroix, p. 258, n. 67 ; on peut encore penser à la localisation des reliques de Samuel à Nebi Samwil, à environ dix kilomètres de Jérusalem. 27 Ce qui paraît confirmer l’existence, du moins le projet de construction, d’un sanctuaire à Caphargamala, preuve que l’on ne délaissait pas pour autant le lieu de l’invention. 28 VAN E SBROECK, Jean II, p. 107-108. 29 Il y avait vingt stations à la Sainte-Sion au cours de l’année liturgique. R ENOUX, Codex, II, p. 205 : stations du mercredi et du vendredi pendant le Carême, sans doute en raison de la présence de la colonne de la flagellation dans l’église (Égérie, Journal, 37, 1, p. 284-285). Jérus. Nouv., p. 455.

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Sion le 15 septembre 394, l’église se trouvait en attente d’un tel événement depuis plus de vingt ans : l’image prenait tout son sens30. On hésitera donc à penser, avec le Père Peeters, que « l’église du mont Sion fut choisie à défaut d’autre et provisoirement31 » pour la déposition du protomartyr. La fin de l’année 415 avait été très riche sur le plan de la législation religieuse : outre des lois promulguées en octobre-novembre contre les hérétiques32, en décembre contre les païens33, elle vit aussi, en octobre, la dégradation du patriarche juif Gamaliel : Les mêmes Augustes à Aurélien, préfet du prétoire. Puisque Gamaliel a cru qu’il pouvait impunément mal agir, et cela d’autant plus qu’il a été élevé au faîte des honneurs, ton illustre autorité doit savoir que Notre sérénité a envoyé des ordres à l’illustre maître des offices, pour qu’il lui retire les codicilles de la préfecture honoraire. Qu’ainsi Gamaliel jouisse de l’honneur dans lequel il avait été établi avant de recevoir la préfecture. Qu’à l’avenir, il ne fonde plus de synagogues, et s’il s’en trouvait une à l’abandon que l’on puisse mettre à bas sans causer d’émeute, qu’il la détruise. Qu’il n’ait aucune possibilité de juger les chrétiens, et, s’il s’élevait une contestation entre eux et les Juifs, il appartiendra aux gouverneurs de provinces de la trancher. Si lui-même ou un Juif osait souiller par la marque juive un chrétien, un homme libre ou un asservi de quelque secte qu’il soit, il sera soumis à la sévérité des lois. Quant aux asservis de sainte communion chrétienne, s’il en détient, qu’ils soient rattachés à l’Église selon la loi de Constantin (au cas où il les aurait circoncis). Donnée le 13 des calendes de novembre, à Constantinople, sous le dixième consulat d’Honorius et le sixième de Théodose, Augustes34.

S’il est difficile de préciser le lien entre cet événement et l’invention de Caphargamala, survenue quelques semaines plus tard, la coïncidence est trop forte pour ne pas s’y arrêter35. Le patriarcat avait été créé sous Hadrien (117-138), au lendemain de la guerre des Juifs : c’était un office héréditaire, qui conférait à son titulaire une autorité religieuse et civile sur tous les Juifs de Palestine et de la diaspora36. Le patriarche tirait un important revenu de l’or coronaire 30 Les années qui avaient suivi avaient été tourmentées pour l’évêque. Les paroles de Gamaliel pourraient s’en trouver expliquées, lorsqu’il souligne l’urgence de l’invention, car le monde est sur le point de périr du fait de ses péchés : Rév. Ét. lat., II, A 7-8, p. 194 : […] Periclitatur enim saeculum ex multis casibus qui fiunt in eo cotidie. ; B 7-8, p. 195 : […] Instat enim tempus ut hic mundus intereat prae multitudine iniquitatum suarum quas quotidie faciunt. Rév. Étienne 2, p. 295, l. 39-44 : κινδυνεύει γὰρ ὁ κόσμος ἀπολέσθαι ἀπὸ τῶν ἀνομιῶν τῶν ἐφ’ ἑκάστης ἡμέρας γενομένων· 31 Supra, p. 360, n. 23. 32 CTh XVI, 5, 57 ; 5, 58. 33 Ibid., 10, 21. 34 Ibid., 8, 22, p. 346-349 (loi du 20 octobre 415).  35 Notament, HUNT, Holy Land, p. 215-216. PLRE I, p. 385 (Gamalielus). 36 SYME, Patriarcha, p. 21.

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(aurum coronarium) collecté chaque année auprès des communautés juives. Il jouissait en outre de grands privilèges. Ainsi, en dépit de deux épisodes tristement célèbres37, Théodose Ier (379-395) continua à protéger les juifs et affirmer la légalité de leur religion jusqu’à la fin de son règne, accordant au patriarche la préfecture honoraire (praefectura honoraria) et le rang d’illustris38. Il subit cependant, par la suite, une rapide déchéance : dès 399, une loi le vilipendait pour ses déprédations, et confisquait l’or coronaire39. Une restauration de ses privilèges en 404, encore qu’il ne soit plus que vir spectabilis, ne fit que retarder sa chute40. Gamaliel – le nom du patriarche apparaît pour la première fois dans une loi – perdit donc la préfecture honoraire en octobre 415 ; on lui interdit également de construire des synagogues. Ce Gamaliel était-il le tout puissant patriarche actif sous Théodose Ier ? L’un de ses successeurs ? La chronologie des patriarches reste discutée. Quoi qu’il en soit, leur richesse, leur puissance, voire leur jeunesse, suscitaient bien des critiques dans les rangs chrétiens41. Cette mesure disciplinaire répondait, dit-on, à de nombreux abus et autres infractions ; on ignore lesquelles42. En tout cas, le coup était rude, et le patriarcat n’y résista pas : il disparut quelques années plus tard. Les premiers des Juifs qui sont désignés dans les Sanhédrins des deux Palestines, ou vivent dans d’autres provinces, seront contraints de verser les sommes reçues au titre de l’impôt après l’extinction des Patriarches (post excessum patriarcharum). Mais à l’avenir, sous leur responsabilité, la contribution annuelle sera exigée de toutes les synagogues, sous la contrainte des palatins, selon le modèle de ce que réclamaient jadis les Patriarches au titre d’or coronaire. Il faudra pourtant que Tu en établisses la quantité par une enquête approfondie. Quant au montant versé habituellement par les régions occidentales aux patriarches, il sera versé à Nos largesses43.

37 La destruction de la synagogue de Callinicum (388) et le massacre de Thessalonique (390), qui révélèrent l’influence d’Ambroise de Milan (Ep. 40, 6s., PL 16, col. 1103s.) sur l’empereur Théodose. 38 CTh XVI, 8, 8 ; 8, 9 ; 11 ; 13. SYME, Patriarcha, p. 23-24, relève trois occurences illustrant le prestige du patriarche à cette époque. Cf. par ex., Jérôme, Ep. 57, 3 (395/396) : dudum Hesychium, virum consularem, contra quem patriarcha Gamalihel gravissimas exercuit inimicitias, Theodosius princeps capite damnavit quod sollicitato notario chartas invasisset. 39 CTh XVI, 8, 14. 40 Ibid., 8, 15. 41 Jérôme, Comm. in Is., II, 5, col. 86 (409). L’accession au patriarcat était de fait héréditaire, et Jérôme pourrait faire allusion à des événements contemporains. SYME, Patriarcha, p. 22. 42 CTh XVI, 8, 22 : quoniam Gamalielus existimavit se posse impune derelinquere, quo magis est erectus fastigio dignitatum […] 43 Ibid., 8, 29, p. 356-357, une loi du 30 mai 429, adressée à Jean, comte des largesses sacrées. SYME, Patriarcha, p. 23.

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Or, le Gamaliel de 415 portait justement le nom de son illustre ancêtre, dont le tombeau fut découvert cette année-là. Rappeler que le premier Gamaliel fut un crypto-chrétien consacra-t-il la défaite du judaïsme44 ? Ou bien, comme le suggère Michel van Esbroeck, Jean de Jérusalem chercha-t-il, par la récupération des traditions judéo-chrétiennes, à unifier son Église45 ? Cela aurait pu se faire autour d’un sanctuaire : l’église de la Sainte-Sion. Quelques années plus tard cependant, Étienne quitta Sion pour un martyrion hors les murs. À qui revint l’initiative d’élever ce sanctuaire ? Il est probable que la décision fut arrêtée entre Juvénal de Jérusalem46 et la cour lors d’un séjour de l’évêque à Constantinople, peut-être en marge du concile d’Éphèse (431)47. Mais les sources monophysites ont obscurci l’affaire, en taisant le nom exécré de Juvénal et en insistant sur la présence de l’évêque Cyrille d’Alexandrie aux côtés d’Eudocie au jour de la déposition : 〈Cyrille d’Alexandrie〉 avait été invité par la fidèle et orthodoxe reine Eudocie à venir pour la déposition des os vénérés de l’illustre et très glorieux Étienne, […] et pour accomplir la dédicace du beau temple qu’elle avait bâti en dehors des portes septentrionales de la Ville sainte, et il accepta volontiers cet appel. Et lorsqu’il eut accompli avec honneur la déposition des saints os du premier des martyrs, le quinzième jour du mois de Iyar (= mai) […]48

44 Les reliques d’Étienne entraînèrent la conversion en masse des juifs de Minorque. Pour la bibliographie : HUNT, Stephen. L AMBERT, Baléares ; GAUGE, Orose. L’authenticité du récit de Sévère de Minorque sur les miracles opérés par les reliques (Severus, De virtutibus. Cf. SEGUÍ VIDAL, Carta-encíclica ; voir encore Mir. Étienne) a parfois été mise en doute. Par ailleurs, les Samaritains semblent avoir violemment réagi vers ce temps-là à une série de translations de reliques (supra, p. 46). Le fait que des églises aient déjà été érigées sur les tombeaux impliqués dans ces incidents n’empêchait pas forcément les Samaritains de continuer à les vénérer, comme le Pèlerin de Plaisance l’atteste encore pour les Juifs à Hébron. Mais l’exhumation des corps, si contraire à leur usage, et leur départ, même partiel, pour la capitale, ne pouvaient qu’entraîner leur réprobation et soulever leur colère. 45 VAN E SBROECK, Jean II, p. 107 : la Croix serait demeurée jusqu’alors aux mains de la communauté judéo-chrétienne, et Jean II aurait joué un rôle dans l’élaboration des textes touchant son invention. Sa démonstration n’a pas reçu l’approbation de tous. 46 Le Ps.-Basile de Séleucie, Sermo 41, col. 469A, en attribue la construction à Juvénal. 47 Jérus. Nouv., p. 748. Juvénal pourrait alors avoir obtenu des reliques de Zacharie pour sa fondation du mont des Oliviers de la part de la famille impériale théodosienne, laquelle semble avoir développé assez tôt le culte du prophète : GRABAR, Martyrium, II, p. 200-201. Sur le prophétéion Saint-Zacharie (père du Baptiste) au Katabolos, dans les parages de Sôsthénion, attesté au VIe siècle : Vie Dan. st., 64, p. 63 ; pour ce sanctuaire et un autre dédié à l’un des deux Zacharie ἐν τῷ Παραδεισίῳ : JANIN, Églises, p. 133. On ignore quand ces reliques étaient parvenues à Constantinople ; seule la translation des reliques du père du Baptiste, en octobre 415, a laissé des traces. Il est probable que Juvénal obtint aussi de la capitale des reliques d’Isaïe, transférées depuis Panéas en 442. Quant aux reliques des Trois Hébreux, peut-être découvertes vers 422, Jérusalem en reçut sans doute avant Constantinople. 48 Vie de Pierre l’Ibère, 49, p. 66-67, tr. Jérus. Nouv., p. 761-762 ; DEVOS, Pierre l’Ibère, p. 258. Sur la présence de Cyrille à Jérusalem, voir encore une lettre de Cyrille adressée au prêtre Lampon (Ep. 70, PG 77, col. 341) ; Jean de Nikiou, Chron., p. 470.

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Celle-ci eut lieu le 15 mai 438 ou 43949. Il faut préférer la seconde date puisque Mélanie la Jeune, qui accompagnait Eudocie, mourut peu après, le 31 décembre 43950. L’édifice était inachevé et ne reçut sa dédicace que le 15 juin 460, quatre mois avant la mort de sa fondatrice, qui s’y fit inhumer51. L’église Saint-Étienne, flanquée d’un monastère, devint mausolée impérial.

2. Les cités de l’Orient romain et leurs saints (1) : les martyrs Étienne avait, le premier, imité le Christ et ouvert la voie du salut par le martyre. Le court règne de l’Apostat avait un peu prolongé le temps du sacrifice, que rappelaient encore les persécutions des chrétiens en Perse, mais depuis que celles-ci avaient pris fin dans l’Empire, chaque Église avait à cœur de retrouver et de brandir ses trophées52, qui lui assuraient gloire et protection. Ambroise découvrit et déposa aux portes de sa ville les reliques de deux martyrs indigènes, qui allaient devenir les patrons de Milan, arrivant à point nommé pour défendre leur Église menacée et répondre à la requête ardente des fidèles : sentir plus concrètement la présence supraterrestre des saints. À Maïouma, d’autres martyrs autochtones, victimes de la fureur païenne sous l’empereur Julien, furent déposés, sous le règne de Théodose Ier, par leur parent, l’évêque Zénon, comme un rempart inébranlable entre Maïouma et Gaza, la ville qui les avait tués. Les martyrs étaient encore, plus largement, les défenseurs et les garants de l’Empire ; une ville bâtie de pierres et de reliques allait en offrir la meilleure illustration. a. Les martyrs autochtones Milan Alors que, dès les premières années du règne de Théodose Ier (379-395), triomphait dans tout l’Orient l’Église nicéenne, en Occident, les efforts acharnés d’un petit nombre d’ariens firent encore de Milan le théâtre d’un conflit ouvert entre ariens et nicéens. La mort de l’évêque Auxence, en 374, avait porté un grand coup à la résistance arienne. On élut à sa place, bien que néophyte, 49 Marcellinus, Chron., CROKE, p. 17. STEIN, Histoire, I, p. 297 et 569, n. 55. Le lendemain, 16 mai, Cyrille procède, en présence de la souveraine, à la déposition de reliques, notamment du protomartyr, dans le martyrion tout juste érigé par Mélanie la Jeune dans le monastère des hommes situé à l’intérieur de la colonnade de l’Imbomon : Vie Mélanie, 57 et 64, p. 240 et 258. Selon le biographe de Pierre l’Ibère, il y avait aussi des reliques des Quarante Martyrs. Sur ce martyrion : Vie Mélanie, 48, p. 218 ; Pierre Diacre, De locis sanctis, I, Récits, p. 60-61. Voir L AURENCE, Mélanie ; CLARK, Stephen. 50 Vie Mélanie, 68, p. 268. DEVOS, Dédicace. 51 Vie Euthyme 35, p. 54, tr. p. 108 ; Ant. Plac., Itin., 25, 2-3, Récits, p. 221. 52 MOHRMANN, Tropaeum – Nomen.

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le gouverneur de Ligurie, Ambroise. Les ariens bénéficièrent bientôt de l’appui de la cour impériale, installée à Milan en 378. Valentinien II était alors très jeune, et la réalité du pouvoir exercée par sa mère, Justine, d’obédience homéenne. La disparition de l’empereur Gratien (375-383) lui permit de laisser libre cours à sa foi, et au printemps 385, ordre fut donné à Ambroise de céder une basilique aux ariens milanais53. C’étaient pour l’essentiel des officiers goths de la garde impériale et des familiers de la cour. Leur chef était un autre Auxence, disciple d’Ulfilas (l’évangélisateur des Goths)54 ; ancien évêque de Durostorum, en Mésie Inférieure, il avait été chassé d’Orient par l’empereur Théodose Ier, en 383. Ambroise, fort du soutien populaire, refusa. C’est alors que, en janvier 386, Justine fit promulguer, au nom de son fils, une loi accordant la liberté de culte aux ariens (tenants de la foi du concile de Rimini, 359) ; on menaça de mort les contrevenants55. Pourtant, Ambroise brava l’autorité impériale ; enfermé avec des fidèles dans la basilique Portienne que l’on s’apprêtait à réquisitionner, il soutint un siège de plusieurs semaines. La tension atteignit son comble au cours de la Semaine Sainte ; au matin du Vendredi, la cour capitula56. Or, le triomphe des nicéens devint encore plus éclatant quelques semaines plus tard, lorsque, le 17 mai 386, Ambroise découvrit aux Saints-Nabor-etFélix les corps de deux martyrs locaux, Gervais et Protais57. Ambroise s’apprêtait à inaugurer une nouvelle église bâtie par ses soins quand survint une difficulté : les fidèles exigeaient que leur évêque accomplisse les cérémonies de consécration comme il l’avait fait pour la basilique romaine58. Il fallait pour cela des reliques de martyrs ; Ambroise n’en avait pas. C’est alors que se produisit l’invention. Au-delà du remarquable « coup de théâtre », on a commenté l’« innovation » d’Ambroise et ses implications59. Ambroise n’inventait pas le lien relique-autel ; il s’agissait pour lui non plus de dresser un autel sur le sépulcre d’un saint, mais au contraire d’introduire la relique dans une église, sous l’autel, dans une volonté de communion entre culte des reliques et sacrifice eucharistique. Il faisait ainsi de la vénération adressée aux martyrs une cérémonie publique, replacée dans le cadre du service divin : les fidèles devaient approcher l’autel pour vénérer la relique ; leur piété s’adressait avant tout au Christ dont on célébrait le sacrifice sur l’autel. En transférant les corps des 53

Ambroise, Sermo c. Auxentium, 29, col. 1016. M ARAVAL, Christianisme, p. 95. 55 CTh XVI, 1, 4. 56 Tous ces événements sont consignés dans une lettre d’Ambroise à sa sœur Marcelline : Ep. 76 ; voir NAUROY, Ambroise. 57 On possède la relation de ces événements dans une autre lettre d’Ambroise à sa sœur : Ep. 22. 58 Supra, p. 248, n. 35. 59 DASSMANN, Ambrosius. Voir encore SPIESER, Fondations. 54

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martyrs depuis les chapelles, voire les tombeaux privés (Nazaire et Celse, découverts dans un jardin) dans de grandes églises élevées dans les cimetières pour les exercices du culte quotidien, Ambroise donnait aux actes de dévotion privée une dimension communautaire. La basilique ambrosienne devait ainsi servir au service divin de la communauté tout entière : là, le pasteur officiait devant les fidèles rassemblés sous un même toit et unis dans une même ferveur ; là, l’évêque instruisait et dirigeait son peuple. L’église, quoique destinée à la synaxe eucharistique, se trouvait sur une aire cimétériale ; c’était assurer le contrôle de l’évêque sur des zones ‘à risque’ de déviance, païenne60, hérétique surtout. Ambroise ne niait pas la puissance des martyrs et de leurs reliques61 (il rapporte la guérison d’un aveugle pendant la translation de Gervais et Protais), mais faisait preuve de retenue face aux miracles. Ceux-ci tiennent peu de place dans ses discours, et s’il reconnaît leur intervention dans la vie des hommes, il insiste sur le fait que Dieu seul dispense tous les bienfaits. Les martyrs, eux, intercèdent pour les vivants, et, par leur témoignage, se rattachent au Christ62. Leur corps est une offrande qui prolonge la Passion rédemptrice du Seigneur. Or, l’Église s’est nourrie du martyre de ses saints, qui, à côté des Écritures et de la célébration des mystères, relient, par leurs miracles, le temps présent à l’époque apostolique63. La puissance des reliques est une preuve du statut des martyrs auprès de Dieu : par leur passion, ils ont obtenu la vie éternelle. Ce sont donc des modèles, nécessaires à l’édification et l’instruction de la communauté : don de Dieu fait aux hommes, ils encouragent les fidèles et dénoncent l’hérésie. Durement éprouvés en cette année 386, les Milanais avaient grand besoin du réconfort de martyrs qui les guident et les protègent, leur donnant courage, renforçant leur foi.

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On peut ici convoquer un exemple célèbre, mais controversé, celui des martyrs Cyr et Jean déposés aux Saints-Évangélistes de Ménouthis. Quoi qu’il en soit de l’époque de rédaction des petites homélies attribuées à Cyrille d’Alexandrie, le texte laisse entendre que, en l’absence de martyrion suffisamment proche, les fidèles ont fauté et se sont rendus dans un temple païen : Hom. Cyr et Jean 2 : […] ἀπῄεισαν γὰρ οὐκ ἔχοντες μαρτύριον εἰς ἑτέρους τινὰς τόπους, καὶ Χριστιανοὶ ὄντες ἐσφάλλοντο, διὰ τοῦτο ἀναγκαίως ἐζητήσαμεν ἁγίων μαρτύρων λείψανα. ; tr. GASCOU, Cyr et Jean, p. 253. 61 Ambroise avait inhumé son propre frère, Satyrus, auprès du martyr Victor, dans la Basilique Fausta, voisine de Saint-Ambroise. Mais, dans le même temps, le pasteur mit fin aux fêtes, jugées exubérantes et aux refrigeria aux tombeaux des martyrs. Sur la place des martyrs dans l’œuvre et la vie d’Ambroise : DASSMANN, Ambrosius. 62 En effectuant la déposition des martyrs Gervais et Protais sous l’autel de sa nouvelle basilique, Ambroise justifiait la pratique par le fait qu’ils devaient reposer là où était célébré le sacrifice du Christ. 63 Ambroise, Ep. 22, 9, col. 1022A : reparata vetusti temporis miracula, quo se per adventum Domini Jesu gratia terris major infuderat.

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À la même époque, les catholiques milanais donnent l’impression d’avoir été en quête d’un martyr indigène qui leur accorde sa protection : en 373, peu de temps après l’élection d’Ambroise au siège de Milan, ses délégués étaient partis en Cappadoce chercher la dépouille de l’évêque Denys, mort en exil pour avoir soutenu, à l’égal des martyrs, le combat de la foi contre l’hérésie arienne. Saint Basile relate, dans une lettre à Ambroise64, que « les prêtres milanais ont persuadé de toute leur énergie les fidèles gardiens du bienheureux corps de leur livrer le phylactère de leur vie ». Basile continue : « Il (Denys) est le lutteur invincible » dont l’appui permettra à l’évêque de Milan de « mener le bon combat, si jamais la démence arienne tente de marcher sur les traces anciennes de ses pères »65.

Dieu entendit leur détresse : Un autre psaume a été lu, il dit : « Qui ressemble au Seigneur Notre Dieu ? Il siège tout en haut et regarde tout en bas les cieux et la terre » (Ps 112, 5). Dieu a réellement regardé tout en bas, lui qui a révélé les reliques des saints martyrs de son Église cachées dans une terre obscure, eux dont l’âme est au ciel et le corps sur la terre : « Il relève le faible de la poussière, il tire le pauvre du tas d’ordures » (Ps 112, 7). Quant à eux, vous voyez comme il les a installés avec les princes de son peuple. Car les princes du peuple, qui sont-ils, estimeronsnous, sinon les saints martyrs au nombre desquels se manifestent depuis longtemps, bien qu’ignorés, Gervais et Protais, qui font la joie, par leur passion, de l’Église de Milan stérile en martyrs, quoique déjà mère de très nombreux enfants, et lui servent de modèles et d’exemples66 ? […] Nous te rendons grâces, Seigneur Jésus, de ce que tu as éveillé pour nous l’esprit des saints martyrs au moment où ton Église désire de plus grands secours. Que tous sachent quels défenseurs, moi, je demande – de ceux qui peuvent défendre alors qu’ils n’ont pas l’habitude d’attaquer. Moi, c’est de toi que je les ai reçus – peuple saint qui vient en aide à tout le monde, mais ne nuit à personne. Ce sont de tels défenseurs que je sollicite, ce sont de tels soldats que j’ai : c’est-à-dire, non pas des soldats du siècle, mais des soldats du Christ. Je ne crains aucune hostilité quand il s’agit de telles gens dont plus grand est leur patronage, plus sûr il est. De leur part, j’espère un appui contre ceux-là mêmes qui me les envient. Qu’ils viennent donc et qu’ils voient mon escorte. Je ne refuse pas d’être entouré par une telle troupe : aux uns les chars, aux autres les chevaux, mais à nous, le nom du Seigneur, Notre Dieu ; c’est lui que nous invoquons (Ps 19, 8).

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ID., Ep. 197, PG 32, col. 712. DOIGNON, Perspectives, p. 323-324. Ambroise, Ep. 22, 7, col. 1021C.

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Un passage de la Divine Écriture rapporte que, lorsqu’il fut assiégé par l’armée syrienne, Élisée dit à son serviteur qui avait peur : « Ne crains rien, dit-il. Ceux qui sont avec nous sont plus nombreux que ceux qui sont avec eux» (2 R 6, 16). Et pour le prouver, il demanda que les yeux de Guéhazi s’ouvrissent ; ses yeux s’ouvrirent et il vit que de nombreuses troupes d’anges se trouvaient autour du prophète. Pour nous, même si nous ne pouvons pas les voir, nous les sentons cependant. Ces yeux étaient fermés aussi longtemps que les corps des saints recouverts se tenaient cachés. Le Seigneur a ouvert nos yeux. Nous avons vu les aides par lesquelles souvent nous avons été défendus. Nous ne les voyions pas, mais nous les avions cependant. Aussi, telles sont à peu près les paroles que le Seigneur nous aurait dites, à nous qui nous agitions de peur : « Regardez quels grands martyrs je vous ai donnés » : ainsi, les yeux ouverts, nous guettons la gloire du Seigneur qui fut jadis dans la passion des martyrs, et à présent dans leurs œuvres. Ce n’est pas à un petit fardeau de honte que nous avons échappé, mes frères ; nous avions des patrons et nous ne le savions pas. Nous avons trouvé cela seul par quoi nous paraissons l’emporter sur nos aïeux. La connaissance des saints martyrs que, eux, ils avaient perdue, nous, nous l’avons recouvrée67.

Milan se croyait donc « stérile en martyrs » ; l’invention, qui est « résurrection », révéla soudain aux Milanais la gloire de ceux qui avaient jadis versé leur sang pour leur Église68, et du même coup, leurs « patrons » célestes69. Maïouma Sous le règne de Julien l’Apostat (361-363), trois frères chrétiens, Eusèbe, Nestabos et Zénon, avaient été massacrés par les païens de Gaza. On les accusait d’« avoir profané les temples et profité de l’époque précédente pour ruiner et outrager le paganisme70. » De tels règlements de comptes avaient déjà coûté la vie à plusieurs chrétiens, qui s’étaient signalés par leur fureur contre l’an-

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Ibid., 10-11, col. 1022B-1023A. Elle honorait en revanche un certain nombre de martyrs étrangers dans des martyria, telle la basilique Fausta abritant le corps de Victor, et la basilique des saints Nabor et Félix (originaires de Mauritanie) où furent trouvées les sépultures de Gervais et Protais. Ibid. 22, 12, col. 1023B : Et quia ipse martyr esse non mereor, hos vobis martyres acquisivi : Ambroise, a-t-il, un moment songé à être lui-même un martyr ‘autochtone’ ? 69   DOIGNON, Perspectives, p.  322s. : cette conception des saints martyrs comme patrons doit beaucoup à l’influence des Cappadociens. De plus, leur ‘acquisition’ s’apparente à la tutelle des génies du paganisme romain sur les cités. Le culte des saints prit de l’importance chez Ambroise de Milan à partir de la controverse avec Symmaque sur l’autel de la Victoire, dans l’été 384 (ibid., p. 324). L’auteur relève encore (p. 328) un passage d’Ammien Marcellin (Histoire, XX, 5, 10) sur le genius publicus, qui, dans une apparition nocturne, menace l’empereur Julien de l’abandonner, avec renvoi à DELEHAYE, Origines, p. 74 ; SCHMIDT, Kultübertragungen, p. 102-103. Doignon compare ce praesagium aux traditions profanes des apparitions de dieux ou de héros surgissant dans le sommeil des mortels pour les admonester. 70 Sozomène, H.E., V, 9, 2, p. 131 (SC). 68

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cienne religion, et pour cela, avaient attiré la haine des populations. Les Gazéens furent pris de crainte, mais l’empereur laissa ce nouveau crime impuni. Il priva alors de sa charge le gouverneur de la province et il le tint en suspicion. Et l’ayant fait comparaître en jugement, il considéra comme un acte d’humanité de ne l’avoir pas condamné à mort. Il se plaignait de lui, de ce qu’il s’était saisi de certains Gazéens, qui passaient pour avoir mis le branle au soulèvement et aux meurtres, et les tenait en prison, comme devant rendre des comptes selon les lois : « Quel besoin, dit-il, qu’ils soient emmenés en prison, pour s’être vengés d’un petit nombre de Galiléens, en retour des nombreux outrages qu’ils leur ont fait subir, à eux et aux dieux ? »71

Victimes de la fureur populaire, étaient-ils pour autant d’authentiques martyrs ? N’avaient-ils pas cherché à christianiser par la force et la violence, comme Georges d’Alexandrie72 (356-361), l’évêque arien honni de tous ? Avaient-ils de ce fait une entière légitimité à recevoir un culte public ? Sans doute étaient-ils morts pour leur foi, mais ils restaient avant tout les malheureuses victimes de soulèvements populaires, non d’une authentique persécution. Après la parenthèse de Julien, dans un empire définitivement chrétien, on n’exaltait plus aussi facilement les fossoyeurs d’une religion condamnée, pour vivace qu’elle pût encore paraître. Quoi qu’il en soit, l’Église de Maïouma dressa à la fin du IVe siècle, aux portes de Gaza, un monument à la mémoire et à la gloire de ses nouveaux martyrs. Contrairement à son port de Maïouma, Gaza demeurait encore, à la fin du IV e siècle, majoritairement païenne73 : les chrétiens n’auraient pas dépassé les 280 lors de l’entrée en fonction de l’évêque Porphyre en 395, avec huit temples en exercice, dont le célèbre Marneion74. Or, le christianisme de l’une face au paganisme de l’autre entraîna pour les deux villes une étrange situation : Cette Constantia, comme nous le savons par ce que j’ai dit plus haut, est un mouillage des Gazéens et se nommait Maïoumas ; lorsque Constantin eut appris qu’elle épousait au plus haut point la religion chrétienne, il l’honora du rang de cité, lui donna le nom de son fils Constance et prescrivit qu’elle eût son propre gouvernement, considérant qu’il était injuste qu’elle fût sous la dépendance des Gazéens, qui étaient extrêmement païens. Quand Julien fut parvenu au trône, les Gazéens intentèrent un procès aux gens de Constantia.

71 Ibid., V, 9, 13, p. 135. Sur le consulaire de Palestine destitué : PLRE, I, p. 237-238 (Cyrillus 1). Il s’agit sans doute de l’affaire signalée par Grégoire de Nazianze, Disc. 4, 93, p. 234-235 : le gouverneur fut exilé. 72 GORCE, Georges de Cappadoce. 73 Maïouma (aujourd’hui El Mina). MEYER, Gaza ; LECLERCQ, Gaza ; STIERNON, Gaza ; GLUCKER, Gaza ; HUMBERT, Gaza. Pour les inscriptions de la région et une bibliographie complémentaire : SALIOU, Gaza. 74 M ARC LE DIACRE, Vie de Porphyre, 19 et 41, p. 16 et 50-51.

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Julien lui-même, siégeant comme juge, attribua Constantia à Gaza : la distance entre elles est d’environ vingt stades. Depuis ce temps, privée de sa précédente dénomination, Constantia n’est plus nommée que le quartier maritime de Gaza (παραθαλάττιον μέρος τῆς Γαζαίων πόλεως). Tout est en commun pour eux, autorités civiles, magistrats municipaux, affaires publiques. Seules les affaires ecclésiastiques maintiennent jusqu’à ce jour la dualité des villes : chacune en effet a en particulier évêque, clergé, fêtes des martyrs, mémoire des évêques que chacune a eus, limites des champs à l’entour, au moyen desquelles elles séparent les sanctuaires qui reviennent à chaque évêché. Un évêque de Gaza de notre temps, le chef de l’église de Maïoumas étant mort, s’employa à réunir sous sa juridiction les deux clergés, disant qu’il n’était pas permis que deux évêques fussent à la tête d’une seule ville75. Sur la protestation des Maïoumites, le synode de la province rendit une décision et ordonna un autre évêque ; il estimait absolument convenable que des gens qui, par leur piété, avaient obtenu les droits d’une cité, puis avaient eu un sort contraire par la sentence d’un empereur païen, ne dussent pas être privés des privilèges qui leur avaient été donnés dans les sacerdoces et le rang des églises76.

Maïouma avait une importance vitale pour l’économie de Gaza77 ; celle-ci ne pouvait donc accepter leur séparation civile. On comprend qu’elle ait aussi cherché à obtenir la réunification de leurs Églises. Elle n’y parvint pas. Le martyrion des trois frères ne se dressait-il pas comme un rempart entre la ville et son mouillage ? Celui-ci avait ses martyrs, symboles de la lutte contre l’impiété qui régnait à Gaza ; ces martyrs avaient leur légende : ils avaient été miraculeusement sauvés de la destruction, pour que leur témoignage ne se perdît pas. Si l’on en croit Sozomène, les corps avaient été providentiellement découverts, recueillis, puis remis à leur « cousin » Zénon qui les garda chez lui, jusqu’à ce que, sous le règne de Théodose Ier (379-395), il devînt évêque de Maïouma78. Il fit alors construire une « maison de prière » (εὐκτήριον οἶκον) « devant la ville » (πρὸ τοῦ ἄστεως), et les y déposa, auprès (πλησίον) du confesseur Nestor : compagnon de martyre des trois frères, abandonné à demi mort par ses assaillants émus par la beauté de son corps, il avait été conduit par des fidèles chez Zénon, où il avait

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Sozomène écrit vers 450 ; de quel évêque parle-t-il ? La liste des évêques de Gaza et de Maïouma aux IV e et V e siècles est trop incomplète pour formuler une hypothèse. On pourrait songer à Porphyre de Gaza (395-420), personnage charismatique et thaumaturge, qui n’aurait eu de cesse, si l’on en croit sa Vie, de vouloir déraciner le paganisme dans sa cité. Voulut-il du même coup recouvrer les anciens droits de son Église sur Maïouma ? Le martyrion des trois frères n’est pas mentionné (à dessein ?) dans sa Vie. 76 Sozomène, H.E., V, 3, 6-9, p. 104-107 (SC). Pour Constantia : ibid., II, 5, 7-8 ; Eusèbe, Vie de Constantin, IV, 37-39, p. 134-135. 77 En particulier ses exportations de vin : GATIER, Gaza. 78 FEDALTO, Hierarchia, II, p. 1027.

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rendu le dernier souffle. Sa tombe était peut-être déjà célèbre et vénérée par la population chrétienne lorsque Zénon déposa ses parents auprès d’elle. Sozomène a dressé le portrait de l’évêque Zénon de Maïouma et de son frère Aias, évêque de Bitoulion79 : En ce temps-là se faisaient remarquer aussi Zénon et Aias, deux frères. Ils commencèrent par mener la vie d’ascèse, non pas dans les déserts, mais à Gaza, au bord de la mer, au lieu qu’on nomme précisément Maïoumas. Tous deux furent très fermes dans la foi et confessèrent Dieu avec courage, au point d’être souvent maltraités par les païens. Aias, dit-on, épousa une femme très belle, n’eut que trois fois commerce avec elle durant tout son mariage, et procréa trois fils. Plus tard, en ce qui regarde les rapports de ce genre, il se sépara de sa femme et vécut en moine. De ses fils, il en éduqua deux pour le service divin et le célibat, l’autre pour le mariage. Il gouverna avec compétence et grand renom l’église de Bitoulion. Zénon, dès sa jeunesse, renonça au mariage et à la vie du siècle pour se dévouer avec grande ferveur au service de Dieu. En tout cas, on dit ou plutôt nous l’avons vu nous-même quand il était évêque de l’église de Maïoumas, que très vieux déjà, âgé d’environ cent ans, il ne délaissa jamais les offices du matin et du soir ou le reste de l’office divin, à moins qu’il ne fût malade. Menant sa vie dans l’ascèse monastique, il tissait sur un seul métier de la toile de lin, il tirait de là ses ressources et de quoi donner à d’autres, et il ne cessa pas jusqu’à sa mort d’accomplir cet ouvrage, bien qu’il eût par l’ancienneté préséance sur tous les évêques de la province, et qu’il présidât à une église très considérable par le nombre de fidèles et les richesses. J’ai fait mention de ces évêques-là pour montrer ce que furent les évêques d’alors. Les décrire tous serait une affaire, car ils furent pour la plupart hommes de mérite, et la divinité portait témoignage de leur vie, en exauçant promptement leurs prières et en faisant beaucoup de miracles80.

Outre la confession courageuse qu’ils avaient adressée à Dieu, les deux hommes s’étaient donc encore illustrés par leur ascèse, en particulier Zénon, demeuré chaste et célibataire, engagé tout entier au service de Dieu, et qui, fait exceptionnel, même à la tête de son Église, et en dépit de son grand âge, ne se départit jamais d’une stricte discipline monastique. Avec l’instauration de ce culte, le moine évêque allait encore plus loin et ménageait sa propre gloire ; il dressait aux portes de la ville un monument commémoratif à ses « cousins »81, lesquels Betilion, Betylion, Béthelia, auj. Hirbat aš-Šayh-Zuwayd ; MONTMASSON, Ajax ; FEDALTO, Hierarchia, II, p. 1018 (Aias). C’était la patrie de Sozomène. Sozomène, H.E., VII, 28, 1-8, p. 214-217 (SC). 81 On aimerait reconnaître, derrière les trois frères martyrs, les fils d’Aias, évêque de Bitoulion, partant, les neveux de Zénon. Curieusement, Nicéphore Calliste fait de Zénon le neveu des martyrs : supra, p. 146, n. 5. 79

80

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avaient soutenu jusqu’au bout le saint combat. Il y avait longtemps sans doute que l’homme faisait office de chef de la communauté chrétienne locale : n’avaiton pas porté chez lui, jadis, au plus fort des persécutions, Nestor agonisant ? Lui-même, d’ailleurs, n’avait pas démérité : De fait, il faillit lui aussi à ce moment être saisi et tué par les Gazéens. Mais tandis que la populace était occupée au massacre de ses cousins, profitant de l’occasion, il avait fui à Anthédon, ville au bord de la mer, distante de Gaza d’environ vingt stades, qui alors, comme Gaza, était attachée au paganisme et adonnée au culte des idoles. Il avait été là dénoncé comme chrétien, cruellement flagellé sur le dos par les Anthédoniens et chassé de la ville ; il était allé alors au mouillage des Gazéens et s’y tenait caché à l’insu de tous82.

L’Église de Maïouma était donc dirigée par un homme de grande vertu, ascète, mais encore confesseur de la foi, presque martyr. À l’instar d’Ambroise de Milan, il avait offert des saints patrons à ses fidèles, et Dieu ne l’avait peut-être soustrait à une mort certaine que pour cela. b. La ville des martyrs Mais lorsqu’une ville était privée de martyrs indigènes, il y avait les martyrs étrangers venus s’installer à demeure ; l’enjeu que constituaient leurs reliques et leurs sanctuaires n’en était pas moins grand : Tels furent la vie, les paroles, les combats, les luttes, la fin bienheureuse du divin Basile. Ainsi la terre et la mer de l’Euxin et la Propontide furent sanctifiées par lui, et deux villes ont diversement eu part à sa sanctification – Sinope qui a reçu le vainqueur après une navigation extraordinaire et effrayante, comme ceinte de la pourpre et d’un ornement impériaux, fortifiée par sa protection pacifique ; Amasée, qui l’a porté et nourri, dont il fut le pasteur et qui a joui de son activité pastorale, elle qui recèle en son sein son divin cadavre (τὸ θεῖον σκῆνος), riche de ce très grand hiérarque qui la protège, gardien toujours éveillé, astre du lot oriental intelligible, qui éclaire et illumine les âmes beaucoup plus qu’un astre sensible […]83

Les saints étaient les gardiens de la cité84, protégeant des assaillants et défaisant les ennemis85.

82

Sozomène, H.E., V, 9, 7, p. 133 (SC). Pass. Bas. 2, p. 418, l. 328-338 : Sinope voulut-elle conserver la relique de l’évêque martyr et dut-elle s’incliner devant la patrie du saint ? 84 Théodoret, Thérapeutique, VIII, 10-11, p. 313-314. 85 Pour Constantinople : BAYNES, Defenders. 83

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Après le départ d’ici-bas de Syméon, son très saint corps fut apporté à Antioche, alors que Léon tenait le sceptre, que Martyrius était évêque d’Antioche (459), qu’Artaburius commandait les troupes d’Orient. Quand Artaburius avec les troupes de sa suite et le reste des magistrats fut arrivé à la mandra du saint, on mit à l’abri le très sacré cadavre du bienheureux Syméon, pour que les villes voisines, qui s’étaient rassemblées, ne le missent pas en pièces. Le très saint corps de Syméon est donc conduit à Antioche, non sans que des miracles très considérables se fussent produits aussi durant le voyage. Mais les suppliques qu’Antioche lui adressa en retour s’expriment en ces termes : « Puisqu’il n’y a plus de rempart pour la ville – il est tombé, en effet, durant la Colère –, nous avons amené ici le très saint corps, pour qu’il nous serve de rempart et de fortification. » Léon se laissa persuader et, ayant cédé aux suppliques, leur permit de conserver le saint corps86.

Les empereurs, leurs généraux, s’ils partaient en campagne, emportaient avec eux des reliques : « Philippicus avait demandé que les précieux restes 〈de Syméon〉 lui fussent envoyés pour servir de protection aux corps expéditionnaires d’Orient87 », et ce sont elles, tout autant que leurs murailles, qui protégeaient les postes frontières et les villes de garnison, essentiels à la défense de l’Empire. La possession de corps saints entraînait des privilèges pour ces villes nouvelles. Ce fut le cas de Dara, à l’ouest de Nisibe en territoire perse : en 507, la translation de reliques de Barthélémy dans ce village fortifié par l’empereur Anastase (491-518) fit de Dara88, rebaptisé Anastasioupolis, un siège métropolitain89. Anastase fit encore venir à Constantinople (v. 510) le pouce du martyr Serge, en compensation de quoi la cité de Sergioupolis, également rebaptisée pour l’occasion Anastasioupolis, devint métropole90. D’abord un « grand village », Martyropolis91, principale ville de Sophanène aux marges de l’Empire romain, se trouvait en position liminale entre ce dernier, la Perse, l’Arménie et les terres arabes. Or, sous l’égide de son évêque Maroutha, Évagre, H.E., I, 13, tr. FESTUGIÈRE, p. 219-220; voir encore p. 164-167 (SC). Ibid., 1, 13, p. 220. PLRE IIIB, p. 1022-1026 (Philippicus 3) : magister militum Orientis 584587/588. 88 Barthélémy était apparu en rêve à l’empereur Anastase, lui promettant d’accorder sa protection à la ville de Dara nouvellement fondée ; aussi envoya-t-il une relique de l’apôtre pour l’y déposer : Jean Diacrinomenos (Théodore le Lecteur), Fragment 2, Epitome 558, p. 157. Cf. R IST, Dara. 89 HONIGMANN, Notitia, p. 60-61. Notons que Dara était proche de Martyropolis, où, selon la tradition arménienne, l’évêque Maroutha, l’inventeur des reliques de Barthélémy, aurait apporté les reliques de l’apôtre. 90 Ibid., p. 66 ; ID., Sergiupolis ; P EETERS, Khosrau ; FOWDEN, Sergius (mentionne un reliquaire en argent au nord-est de la basilique) ; E AD., Serge ; GATIER, Résafa ; VAN DER Z ANDE, Sergius. Il est intéressant de constater que, ici, le privilège fut obtenu lorsque Constantinople reçut pour elle une parcelle de la relique. 91 C’est la moderne Silvan : MUNDELL-M ANGO, Martyropolis. 86 87

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cette ville frontière fut aussi, au début du Ve siècle, une importante « forteresse sacrée », dépositaire d’innombrables reliques de martyrs92. La cour envoya par deux fois Maroutha en ambassade à Ctésiphon93 : en 399 – il aurait guéri le fils de Yezdegerd Ier possédé du démon, ainsi que le Roi atteint de céphalée –, puis, en 408, avec l’évêque Acace d’Amida, sans doute pour annoncer l’accession au pouvoir de Théodose II (408-450) et renouveler les appels en faveur de la paix et des chrétiens. De fait, le sort de ces derniers s’améliora pour un temps. Yezdegerd les autorisa à pratiquer leur religion et à construire des églises. Une telle politique permettait au Roi de maintenir, à l’extérieur, la paix avec les Romains, et de contrebalancer, à l’intérieur, l’influence de la noblesse iranienne. Maroutha joua sans doute alors un rôle important. Le Roi voulut le couvrir d’or ; il refusa, mais demanda de pouvoir recueillir et emporter les restes de tous les martyrs de Perse. Yezdegerd accepta, peut-être surtout, commente Elizabeth Key Fowden, pour éviter les heurts avec les Zoroastriens rebutés par les pratiques funéraires des chrétiens. Théodose II, pour sa part, lui apporta son soutien financier : Martyropolis, « ville des martyrs » et siège épiscopal, fut fortifiée, tandis qu’on y élevait des églises pour abriter les reliques, sous les autels ou dans les murs94. Selon la Vie arménienne de Maroutha, l’évêque reçut encore de Théodose II la permission de collecter des reliques dans tout l’Empire romain95, portant leur nombre à un total impressionant96. Elizabeth Key Fowden a commenté, à ce sujet, le silence des sources grecques (la Vie grecque ne parle que des martyrs de Perse97) et montré comment les sources arméniennes et arabes soulignaient de la sorte le point de vue universaliste de Maroutha : en rassemblant toutes ces reliques en temps de paix, « l’évêque des confins » entendait proclamer l’unité des martyrs et, à travers eux, des fidèles, au-delà des frontières des Empires. Du côté de Rome, une telle conception n’était pas tenable, qui minorait son 92 Sur ce dossier et l’ensemble des sources grecques, arméniennes et arabes : FOWDEN, Sergius, p. 49-52. Deux Vies grecques nous sont parvenues : une Vie ancienne BHG 2265, peut-être de la fin du V e siècle et BHG 2266, du XIe siècle, directement influencée par BHG 2265. Elles ont été éditées et traduites par NORET, Marūtā. La Vie grecque ancienne dépendrait d’un original syriaque perdu ; il existe encore une Vie arménienne traduite du syriaque (après le VIe s. ?) : M ARCUS, Marutha, avec tr. angl., p. 55-70. 93 FOWDEN, Sergius, p. 50 : les deux ambassades de Maroutha auprès de Yezdegerd sont relatées par Socrate, H.E., VII, 8 ; Théophane, Chron., I, p. 82 (AM 5906 [413/414]), 85 (AM 5916 [423/424]). 94 FOWDEN, Sergius, p. 55, n. 45 : trois de ces reliquaires ont peut-être été photographiés en 1906 par Gertrude Bell à Silvan, avec renvoi au commentaire de Marlia Mundell Mango dans BELL, Tûr’Abdîn, p. 129, et à M ANGO, Études, I, p. 91-104. 95 Vit. arm., 29, tr. M ARCUS, p. 67-68. Voir encore l’Invention des reliques de Barthélémy (BHO 159 ; supra, p. 121) et le commentaire de FOWDEN, Sergius, p. 55, n. 46. 96 120 000 de l’Empire Romain ; 20 000 de l’Asorestan (Beth ‘Arbaya, région du centre-nord de la Syrie-Mésopotamie), 80 000 de l’Empire perse, 60 000 de l’Arménie, soit un total de 280 000 reliques. 97 Pour le culte des martyrs perses dans l’Empire romain : FOWDEN, Sergius, p. 56, n. 47.

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patronage sur les chrétiens hors de son territoire. Pour elle, les martyrs témoignaient des persécutions en Perse ; leur ‘récupération’ exaltait la défense surnaturelle de l’Empire contre un ennemi toujours menaçant. Selon la Vie arménienne de Maroutha, Yezdegerd riposta et, sous la forme d’une offrande (une coupe en or), apporta ostensiblement sa contribution à la construction de Martyropolis, et peut-être, au-delà, à l’union des chrétiens des deux Empires98. Quoi qu’il en soit de la composition de la collection, Théodose II, en soutenant le projet de construction de cette ville des martyrs, dont il ne put que reconnaître la position stratégique, proclamait le rôle désormais attribué aux reliques : les murailles de pierre étaient subordonnées aux remparts des saints corps.

3. Les cités de l’Orient romain et leurs saints (2) : le Précurseur et les apôtres Au cours du Ve siècle, de nombreuses Églises se parèrent non plus seulement de la gloire de leurs « enfants », ces vaillants soldats du Christ, mais de celle de leurs fondateurs. À cette quête des origines, bientôt légitimée par des inventions miraculeuses, devait être liée la revendication de droits et l’octroi de pouvoirs spéciaux pour les sièges concernés et leurs représentants. a. La création d’un siège ? Le cas de Skepsis Selon la Vie de saint Corneille (BHG 370z ; 371), le sépulcre du centurion fut découvert par l’évêque de Troas, Silvain, dans la ville voisine de Skepsis, en Hellespont. On peut penser qu’il s’agit du Silvain de Troas mentionné par l’historien Socrate (v. 439)99 : Silvanos avait été tout d’abord rhéteur de l’école de Troïlos le sophiste, mais parce qu’il avait le désir d’être parfaitement chrétien et qu’il s’exerçait à la vie ascétique, il choisissait de ne pas porter le manteau de rhéteur. Après cela, l’évêque Attikos l’établit évêque de Philippoupolis. Celui-ci passa trois ans en Thrace, mais comme il ne supportait pas le froid, car il était de complexion

98 Ibid., p. 57, sur la circulation des Actes des martyrs iraniens dès le V e siècle en syriaque ou en traductions grecques et arméniennes. TER-P ETROSSIAN, Attribution. 99 PLRE II, p.  1011 (Silvanus 2) ; D ESTEPHEN, Prosopographie, p.  428-431 (Silvanos) :  « Un autre saint Silvanos de Troas est connu. Après la seconde déposition et l’exil définitif de Jean Chrysostome, le 20 juin 404, ses adversaires s’en prennent à ses fidèles. Palladios précise que certains se cachent à Constantinople, d’autres retournent dans leur patrie, et il écrit : ‘Quant à Silvanos, le saint évêque, il est à Troas, vivant de la pêche’ (Palladios, Dial., p. 400, l. 82-83). Il ne peut s’agir du même personnage. Si l’existence de deux saints évêques homonymes dans la même cité à une époque voisine semble difficile à croire, l’identification de Silvanos connu par Socrate et Syméon avec celui connu par Palladios se heurte à des problèmes de chronologie insolubles. »

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délicate et fragile, il demanda à Attikos d’ordonner quelqu’un d’autre à sa place, en disant qu’il refusait de vivre en Thrace à cause du froid, mais de rien d’autre. Donc, pour cette raison, un autre fut mis à sa place, et Silvanos resta à Constantinople, menant parfaitement la vie ascétique. Il était si dénué d’orgueil que la plupart du temps, il se promenait au milieu de la foule d’une si grande ville avec des sandales de corde. Après quelque temps, celui qui présidait l’Église de Troas mourut ; aussi les habitants de Troas vinrent demander un évêque. Comme Attikos se demandait qui il allait ordonner, il arriva que Silvanos vînt le voir. Lorsqu’il le vit, il fut aussitôt libéré de sa préoccupation et dit à Silvanos : « Tu n’as plus de prétexte pour fuir le souci d’une Église, car Troas ignore le froid. Voici qu’est préparé pour toi un endroit qui convient à la faiblesse de ton corps. Ne tarde pas, frère, mais pars pour Troas. » Silvanos s’y rendit donc. Je vais raconter un prodige opéré par ses mains. Un très grand navire de transport, chargé de grandes colonnes – on l’appelle platè – avait été monté, peu de temps auparavant, sur le rivage de Troas, et il fallait le tirer dans la mer. Mais bien que quantité de câbles et une multitude d’hommes le tirassent, le navire ne bougeait absolument pas. Comme cela se produisait pendant plusieurs jours, ils pensèrent qu’un démon retenait le navire. Ils vinrent donc auprès de l’évêque Silvanos et lui demandaient de faire une prière sur les lieux, car c’est seulement ainsi, croyaient-ils, que le navire pourrait être mis à flot. Celui-ci, plein de modestie, se déclarait pécheur et disait que c’était là l’affaire d’un juste, pas la sienne. Mais comme ils le pressaient vivement, il se rendit sur le rivage. Après avoir fait une prière, il toucha un des cordages et les exhorta à se mettre à l’ouvrage. À peine eurentils fait une brève poussée que le navire partait, rapide, vers la mer. Ce prodige opéré par les mains de Silvanos conduisait à la piété tous les habitants de la province. Silvanos était par ailleurs un homme bon. Ainsi, comme il avait remarqué que les clercs tiraient profit des querelles de ceux qui étaient en procès, il ne désignait jamais aucun membre du clergé comme juge, mais quand il avait reçu les libelles des plaignants, il appelait un de ses fidèles laïcs dont il savait qu’il aimait la justice ; en lui confiant le procès, il libérait les plaignants de leurs querelles. Grâce à cela, il avait acquis auprès de tous un très grand renom. Ce qui concerne Silvanos, même si c’est rapporté comme une digression, je pense qu’il n’était pas inutile qu’il en soit fait mention100.

S’écartant de son objet, le transfert d’évêques d’un siège à un autre, la notice se révèle particulièrement longue, peut-être parce que l’homme, son condisciple à l’‘école’ du sophiste Troïle101, n’était pas inconnu de Socrate. On y apprend que

100

Socrate, H.E., VII, 37, 1-18, p. 386-387 (GCS) ; p. 132-137 (SC). PLRE II, p. 1128 (Troilus 1). Troïle est souvent considéré, sans doute à tort, comme païen, d’autant qu’un prêtre semble lui avoir été apparenté : Socrate, H.E., VII, 27, 1. Parmi ses élèves, Socrate cite encore un évêque novatien de Nicée, Ablabios. Il entretint une correspondance 101

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Silvain avait fait profession de rhétorique avant d’être ordonné évêque par Attikos de Constantinople (406-425), sans doute contre son gré102. Il ne put se maintenir à Philippoupolis de Thrace103, mais pour sa deuxième affectation, Attikos prit les devants, et Silvain n’eut d’autre choix que de se rendre à Troas. Là, il se révéla, dans l’exercice de sa charge, un modèle du genre, débordant d’humilité et de piété. Il était encore épris de justice et doué de charismes, ce qui devait suffire à lui assurer le respect et l’admiration des fidèles104. On remarque l’allusion aux clercs prévaricateurs et sa relation privilégiée avec les laïcs105 : Silvain fut-il contesté dans les rangs de son clergé ? On ne saurait répondre. Quoi qu’il en soit, son transfert le distinguait encore, même si, comme le montre Socrate, la pratique, bien que prohibée106, n’en était pas moins courante. Or, si l’historien ne dit rien de l’invention, ni l’hagiographe de l’homme, un miracle les unit107. Chez Socrate, Silvain délivra par une prière un navire retenu à quai par un démon, à Troas. Dans la Vie, il dégagea, à Skepsis, près d’un temple en ruines, le tombeau de Corneille, la vraie source de miracles attribués à une ronce. Il pria, et « la ronce fut effeuillée comme une plante tendre ». Plus tard, la châsse du saint, « comme un être animé », alla se fixer dans l’église, à jamais inébranlable. La châsse paraît le reflet inversé du navire de Socrate, même si l’immobilité n’est pas, ici, de nature démoniaque, mais divine. Or, le miracle étonna tant qu’« à partir de là, ceux qui étaient encore païens crurent », tandis que, chez l’historien, le « prodige opéré par les mains de Silvanos conduisait à la piété tous les habitants de la province » (τοῦτο τὸ θαῦμα ἐν ταῖς χερσὶ Σιλβανοῦ γενόμενον πάντας τοὺς κατὰ τὴν ἐπαρχίαν εἰς εὐλάβειαν ἦγεν). Cependant, si un lien de dépendance entre les deux récits ne fait guère de doute, il y a loin de l’un à l’autre : le miracle est différent, ses conséquences aussi. Chez Socrate, l’intervenassez soutenue avec Synésios de Cyrène, et exerça une profonde influence sur le tout puissant préfet Anthémios : Socrate, H.E., VII, 1, 1-3 ; ibid., VII, 12, 10-11. 102 Sylvain Destephen souligne à ce sujet le terme συλλαβών utilisé par Socrate. La chose était fréquente. On peut songer à Grégoire de Nazianze, à propos de son élection au siège de Sasimes. Ep. 48, 8, I, p. 63 : « Pourquoi faut-il donc que je me batte pour des cochons de lait et des volatiles qui ne sont même pas à moi, comme s’il s’agissait d’âmes et de règles canoniques ? » 103 TIB, VI, p. 399-404. Il s’agit de l’actuel Plovdiv. 104 Il faut peut-être se méfier de la présentation enthousiaste de Socrate ; aucune mémoire de Silvain n’est enregistrée avant son entrée au Martyrologe romain (2 décembre, p. 559, n. 9). DELEHAYE, Silvanus, p. 160 ; SAUGET, Silvano. 105 Socrate, H.E., VII, 37, p. 136-137, n. 1 (SC) : « L’évêque se décharge ainsi du poids de l’audientia episcopalis instaurée par Constantin, sur laquelle légifère aussi Valentinien Ier (CTh XVI, 2, 23). On connaît de nombreux cas où il le fait sur des clercs (ainsi Augustin sur son prêtre Eraclius) ; Silvanos le fait sur un laïc, ce qui est plus rare. »  106 Canon 15 du concile de Nicée.  107 Par ailleurs, il est fait mention, dans la Vie, des embarras financiers de l’Église, ainsi que des réticences de l’évêque à construire, sur l’ordre du saint, une (seconde) église sur une aire cimétériale saturée de tombes : ces allusions, désormais obscures, masqueraient-elles certaines critiques, sinon une opposition à la politique édilitaire de l’évêque de Troas ?

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tion de l’évêque thaumaturge apporta-t-elle autre chose qu’un redressement moral de la population ? Quant au Silvain de la Vie, s’il obtint un grand prestige en parachevant la christianisation des lieux, tout montre qu’il agissait avant tout sous les ordres et le contrôle du saint. Silvain fut donc ordonné évêque à Troas entre 409 et 425. Il est visiblement décédé lorsque Socrate écrit sa notice, vers 439. La Vie précise : L’évêque Silvain étant mort, Athanase se charge de l’épiscopat de Troas et Philostorgios de celui de Skepsis108.

Or, parmi les titulaires du siège de Skepsis, on trouve un Athanase au concile d’Éphèse (431)109 et un Philostorgios / Eustorgios110 à Chalcédoine (451). Sylvain Destephen rejette l’hypothèse d’une confusion de sièges dans la Vie, et postule la séquence suivante : (1) Après la mort de Silvain, Philostorgios devient évêque de Skepsis, « détachée de Troas pour former un nouvel évêché », et Athanase, évêque de Troas111 ; (2) un autre (?) Athanase monte sur le siège de Skepsis, en 431 au plus tard ; (3) Eustorgios lui succède avant 451. Pour cela, il distingue l’Eustorgios du concile112 du Philostorgios de la Vie113. Mais si l’on considère qu’il s’agit d’un seul et même personnage114, sa reconstruction n’est plus tenable. Plusieurs de ses devanciers (François Halkin ou William Mitchell Ramsay) ont proposé la séquence suivante : (1) Silvain monte sur le trône de Troas entre 409 et 425 ; (2) À sa mort, Athanase est transféré au siège de Troas et remplacé par Philostorgios, le signataire de Chalcédoine, c’est-à-dire quelque part après 431 (Athanase est encore évêque de Skepsis au concile d’Ephèse) et avant 439 environ (notice de Socrate). Si l’on veut bien croire qu’Athanase occupa deux sièges, l’ordre de succession – de Skepsis à Troas ou de Troas à Skepsis – pose problème. Autre point : Skepsis était-il déjà un siège épiscopal avant l’invention ? L’absence d’allusion à un évêque de Skepsis dans la Vie incline à admettre l’opinion de Sylvain Destephen selon laquelle « jusque-là, Skepsis se trouvait dans le ressort de Troas », mais rien n’empêche de penser que la création du siège intervint du vivant même de Silvain, et qu’Athanase, premier évêque de Skepsis, passa ensuite à 108

Vie Corn. 2, IV, 18, col. 1309B. ACO, I, 1, 2, p. 62 ; I, 1, 7, p. 116. DESTEPHEN, Prosopographie, p. 178 (Athanasios 3). 110 Eustorgios : ACO, II, 1, 2, p. 151 [347] et ibid., II, 3, 2, p. 170 [429] ; Philostorgios : ibid., II, 1, 3, p. 94 [453] et ibid., II, 3, 3, p. 108 [547]. 111 DESTEPHEN, Prosopographie, p. 803 ; ibid., p. 177 (Athanasios 1). 112 Ibid., p. 391 (Eustorgios 2). 113 Ibid., p. 803 (Philostorgios). 114 Philostorgios/Eustorgios n’assista pas en personne au concile de Chalcédoine – à cause de son âge ? –, mais se fit représenter par son métropolitain, Diogène de Cyzique. S’il s’agit du Philostorgios de la Vie, il aurait été entre sa douxième et sa vingtième année d’épiscopat, ce qui est assez long, mais pas exceptionnel. 109

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Troas. Il reste que l’on voit mal l’invention par Silvain se retourner contre son Église de Troas, à moins que la création d’un nouvel évêché n’ait été obtenue par les ennemis de Silvain, en lui ôtant ce qui lui avait fourni renommée et légitimité. D’ailleurs, dans le cas d’un transfert d’Athanase de Skepsis à Troas, il faut sans doute, comme le suggère William Mitchell Ramsay, que le siège de Troas ait été, en dépit de la relique, plus « désirable115 » que celui de Skepsis, et, ajoutons, que le patronage de Troas ait continué de peser sur Skepsis. Mais y eut-il vraiment transfert ? C’était une pratique courante, mais l’auteur de la Vie avait probablement lu Socrate, et le transfert de Silvain de Philippoupolis à Troas a pu en fournir le modèle. Du reste, la Vie ne parle pas de transfert. En tout cas, on préférera l’imaginer dans le sens Skepsis – Troas. Comme le suggère le Père Halkin, la Vie ancienne fut probablement composée sous l’épiscopat de Philostorgios de Skepsis (ap. 431/439-ap. 451), le dernier évêque mentionné. Bien que l’on s’explique finalement assez mal quel était l’intérêt pour cet évêque de Skepsis de revendiquer le patronage de Troas par le biais de Silvain – certes, une figure originale et populaire –, la mise en valeur du caractère apostolique d’un siège épiscopal conviendrait assez bien aux abords du concile de Chalcédoine116. Si l’invention et, partant, la tradition de Corneille remontaient au-delà de 431, on peut toutefois se demander dans quelle mesure la dernière existait déjà sous la forme élaborée consignée dans la Vie117 ? Reste à savoir pourquoi l’on fit de Corneille l’évangélisateur de Skepsis118. Il semble impossible de répondre : la découverte d’une inscription, d’un récit apocryphe aujourd’hui disparu, bien d’autres choses encore purent intervenir119, mais peut-être aussi voulut-on récupérer les charismes et l’action bienfaisante du pieux Silvain, l’étrange évêque de Troas, au profit d’un authentique saint biblique, dont la ville de Skepsis allait revendiquer la précieuse dépouille. Le prédécesseur de Philostorgios avait peut-être quitté trop vite la proie pour l’ombre.

R AMSEY, Asia Minor, p. 161. Sur ce principe naissant d’apostolicité : infra, p. 383s. On possède sans doute un cas similaire dans une ville voisine d’Hellespont, Parium, avec la figure d’Onésiphore, disciple de l’apôtre Paul. On peut, en effet, supposer un rapport entre l’invention d’Onésiphore (la tradition semble remonter assez haut) et l’autocéphalie du siège de Parium, attestée vers 640. L’évêque Onésiphore d’Iconium (449-451) – le saint étant originaire de cette ville – eut-il ici un rôle à jouer ? DESTEPHEN, Prosopographie, p. 737-740 (Onésiphoros 1). Quant à Corneille, contrairement à ce que dit M ARAVAL, Lieux saints, p. 379, rien n’indique qu’il était « tenu pour le premier évêque de la ville ». 117 Le concile d’Éphèse joua sans doute un rôle dans le désir d’émancipation et d’affirmation des Églises. Voir le cas de Chypre : infra, p. 385. 118 La conversion des derniers païens de la ville par le premier païen converti ne semble pas l’enjeu principal de l’invention. 119 Ce Corneille fut-il même, dès le départ, le centurion des Écritures ; et ne peut-on supposer un homonyme, évêque, martyr, etc. ? 115 116

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b. Inventions de reliques et promotion de métropoles : l’exemple d’Émèse Pourquoi découvrit-on, en 453, à Émèse, dans la province de Phénicie Libanaise, le chef de Jean Baptiste ? Certes, ce saint était très vénéré en Orient120, et l’on n’imaginerait guère de relique plus précieuse. Jean était le modèle des moines ; c’était aussi le Précurseur du Seigneur et le premier intercesseur après la Vierge. Mais qu’avait-il affaire avec Émèse ? De plus, la relique se trouvait déjà depuis plus d’un demi-siècle aux portes de la capitale impériale. L’abbé Marcel et l’évêque Ouranios ne le savaient-ils pas ? Quoi qu’il en soit, non contestée, la découverte du chef, suivie de sa déposition, assura à la ville et son siège un prestige sans pareil, sanctionné par l’obtention d’un nouveau statut ecclésiastique. Au début du règne de Théodose Ier (379-395), la province de Phénicie Libanaise ou Seconde avait été divisée, avec Émèse pour métropole civile121 et Damas pour métropole ecclésiastique122. Au cours du temps, il y eut encore des remaniements dans le patriarcat d’Antioche. Ainsi, en Phénicie Première, Béryte, suffragant de Tyr, obtint l’autocéphalie au début du Ve siècle123. Émèse devint bientôt métropole ecclésiastique. Ce titre lui est donné plusieurs fois par Sévère d’Antioche dans sa correspondance, par Cyrille de Scythopolis, au milieu du VIe siècle dans sa Vie d’Abraamios, évêque de Krateia, dans une mosaïque d’al-‘Auja, datée du 7 septembre 601 et évidemment dans d’autres monuments postérieurs, comme une inscription syriaque de la fin du VIIIe siècle124.

D’abord autocéphale, elle eut plus tard quatre suffragants (Arca, Gausithai, Palmyre et Stéphanopolis ou Bénéthala), comme l’indique la Notitia Antiochena, une liste officielle établie dans son état originel en août 570, sous le patriarche 120

C’est ainsi, par exemple, que Cyr en avait reçu une parcelle avant 431. Théodoret, H.R. II, XXI, 20, p. 102-103 : « Lorsqu’ils arrivèrent de Phénicie et de Palestine, dit-il, ces fameux gardiens de la cité […] » ; ibid., 10, p. 101. Sur la construction du martyrion et sa dédicace, voir ID., Correspondance, I, Ep. 26, p. 100s. ; II, Ep. 66, 67, 68, p. 146-148. Il s’agit de lettres festales antérieures à 431 : A ZÉMA, Chronologie. Le plus important du groupe est manifestement Jean Baptiste, si l’on en croit l’anecdote de l’H.R. (supra, p. 331). Ses reliques venaient-elles de Phénicie ou de Palestine ? Dans le premier cas, la chose serait intéressante à une date aussi précoce, antérieure à l’épiscopat d’Ouranios d’Emèse (on connaît les rapports étroits entre les deux hommes) et l’invention de 453. Pour une époque bien postérieure : CHEYNET, Jean Baptiste. 121 Malalas, Chron., XIII, 37, p. 267. NASRALLAH, Émèse, p. 214 : « Il y avait encore un archôn d’Émèse à la fin du VIe siècle. » 122 Même si Paul d’Émèse signa à Éphèse (Actes d’Éphèse, Synodicon, p. 37), en 431, du titre alors sans doute purement honoraire Paulus episcopus Emesinus metropolitanus. NASRALLAH, Émèse, p. 228, n. 78 : « Cette anomalie n’est pas unique dans les annales de l’Église d’Orient. » 123 HONIGMANN, Notitia, p. 61 : Eustathe de Béryte avait fait proclamer son siège métropole ecclésiastique, sous Théodose II. Cette décision fut annulée au concile de Chalcédoine ; Béryte resta cependant métropole autocéphale. Voir, de même, Laodicée, sans doute en 459. 124 NASRALLAH, Émèse, p. 228. Sur l’inscription, mentionnant Théodoret, patriarche d’Antioche, et Léon, métropolite d’Émèse, son frère : DEVREESSE, Antioche, p. 121-122.

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Anastase Ier125. La promotion d’Émèse, antérieure à 458, apparaît comme une conséquence de la découverte du chef du Baptiste, en 453126. Il existe à Beyrouth une copie moderne (ce manuscrit est conservé à la Bibliothèque orientale de l’Université catholique des Pères Jésuites) d’une compilation faite par Macaire III d’Antioche, patriarche melchite de 1648 à 1672, et dans laquelle se trouve la délimitation des treize diocèses qui relevaient, à l’origine, de Tyr. Au sujet de l’évêché d’Arca, le document copié par Macaire disait ceci : « Le saint Concile a attribué Arca au siège de Homs (Émèse), lorsqu’on a trouvé à Homs la tête de saint Jean Baptiste. »127

Tel était le pouvoir des reliques : alors qu’au ‘Brigandage’ (449), le prêtre Marcel, accusateur d’Ouranios, prenant à témoin « le pieux Théodore de Damas, métropolitain de la région », avait exposé le scandale de l’ordination, par Domnus d’Antioche, au siège d’Arca – futur suffragant d’Émèse –, d’un certain Timothée que Juvénal allait ordonner évêque de Psalton, en Palestine128, en 453, avec l’invention du chef du Baptiste, le même Marcel pourrait avoir offert à Ouranios, son ennemi d’hier, une reconnaissance extraordinaire pour son siège. Mais la question demeure : qu’avait donc affaire le chef du Baptiste avec Émèse, ou plutôt, pourquoi fonder de tels droits sur une relique qui n’était arrivée que secondairement dans la ville ? On doit à une autre pièce hagiographique, la Passion de saint Julien, un martyr local, de connaître les premiers temps du christianisme à Émèse129 : alors qu’ils passaient par là, Pierre et Jean furent accueillis par un certain Chresmios. L’homme avait déjà rencontré le Christ et obtenu de lui la guérison d’une tumeur au visage ; les apôtres le baptisèrent et l’ordonnèrent évêque. Par la suite, ayant soulevé la fureur des L’interprétation de VAILHÉ, Notitia, p. 96 (elle s’appuie notamment sur la notice de Théophane insérée à une mauvaise place dans la Chronique) selon laquelle Émèse, devenue autocéphale à la suite de l’invention, n’aurait évolué en une grande métropole ecclésiastique que vers la fin du VIIIe siècle, a été infirmée par HONIGMANN, Notitia, p. 84. Voir encore ID., Antioch ; L AURENT, Notitia. 126 HONIGMANN, Notitia, p. 64-66, a montré que l’ordre de souscription des évêques dans la lettre pour la défense de Chalcédoine, adressée en 458 par les évêques de Phénicie Seconde à l’empereur Léon, était comparable à l’ordre des évêchés dans la Notitia Antiochena de 570. 127 VAILHÉ, Notitia, p. 99, qui signale cependant qu’Arca est encore suffragant de Tyr en 458 et entre 512 et 518, avec renvoi à LE QUIEN, Oriens, II, col. 826. Pour d’autres sources orientales se référant à l’événement : HONIGMANN, Notitia, p. 84. Arca : supra, p. 304. 128 Supra, p. 311. Juvénal avait alors obtenu juridiction sur l’Arabie et les deux Phénicies ; il la reperdit à Chalcédoine. 129 La Passion : supra, p. 164-165. Le premier évêque historique d’Émèse dont nous ayons trace, Silvain, fut martyrisé, si l’on en croit Eusèbe de Césarée, sous l’empereur Maximin, en 311 ; il périt, après quarante années d’épiscopat, dans l’amphithéâtre de sa ville, en compagnie de trois autres martyrs (Eusèbe, H.E., VII, 13 ; IX, 6 ; cf. Chron. Pasch., col. 696 ; p. 520 (CSHB) ; voir A LLARD, Persécution, II, p. 97, 140-142). C’étaient, selon la Passion, Luc, diacre, Mocimos, lecteur et Julien lui-même, médecin. 125

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païens, il trouva refuge chez la mère de l’hémorroïsse (Mt 9, 20-22 ; Mc 5, 2534 ; Lc 8, 40-48). Celle-ci se convertit, tandis que sa maison devenait la première église de la ville, l’Archaia d’Émèse130. Or, la Passion est étroitement liée à la relique du Baptiste : tandis que SaintJulien est mentionné dans la Deuxième invention du chef (version latine), aux abords du Spélaion, la Passion raconte comment le martyr dut, après l’arrivée de la précieuse tête à Émèse (avant le règne de l’Apostat, 361-363), lui céder sa place dans l’Archaia et regagner la caverne (le Spélaion ?) où son corps avait jadis été découvert. Le martyrion Saint-Julien aurait été fondé par l’évêque Paul (apparemment le second du nom, v. 431-v. 433), soit quelque vingt ans au moins avant l’invention du chef131. En dépit de ses invraisemblances, la Passion mérite attention, ce que souligne Joseph Nasrallah : Comme toutes les grandes villes de Syrie, la cité veut se donner une origine apostolique. […] Ce récit n’est évidemment qu’une légende qui se forma à Homs, lorsque la ville était encore sous la domination byzantine, probablement après qu’on y eut découvert le chef de saint Jean Baptiste et que son siège épiscopal fut promu au rang de métropole. Il fallait prouver que la cité était digne de ce double honneur. Les détails et les renseignements topographiques qui y sont donnés révèlent un hagiographe du cru. Malgré les inexactitudes, malgré le merveilleux qui côtoie parfois l’incongruité, la légende n’est pas à rejeter de parti pris, comme le fait le P. Peeters132.

Quoi qu’il en soit de son rapport avec la relique du Baptiste, la Passion de saint Julien montre à tout le moins qu’en dépit, ou plutôt en raison de son précieux dépôt, l’Église d’Émèse ne put laisser dans l’obscurité ses origines. c. Chypre, ou l’argument apostolique Cyrille de Jérusalem (v. 348-387) avait revendiqué l’indépendance vis-à-vis de son métropolitain au nom de l’apostolicité de son siège133. Il ne l’obtint pas ; cela, sans doute, était-il trop précoce. Dans le même temps, Éphèse, qui pos130 En 363, elle fut profanée et transformée en temple païen (une statue de Bacchus y aurait même été placée). L’empereur Julien (361-363) félicite Émèse au nombre des villes qui ont détruit des reliques. Cf. JANIN, Émèse. Cette longue digression ne se lit plus que dans la version arabe. 131 FEDALTO, Hierarchia, p. 736 ; NASRALLAH, Émèse, p. 222-223. Il n’est reste pas moins que les circonstances de l’arrivée de la relique du Baptiste à Émèse, ainsi que sa ‘place’ dans la ville jusqu’au temps de l’invention, demeurent obscures. Cf. supra, p. 313-318. 132 NASRALLAH, Émèse, p. 215-216. Le jugement du Père Peeters (PEETERS, Julien, sp. p. 47) vis-à-vis de cette pièce s’appuie en partie sur une donnée erronée, la translation du chef de Jean depuis le Spélaion jusqu’à son martyrion, rajeunie, on l’a vu, de trois siècles dans la Chronique de Théophane. 133 Son successeur, Jean II, fit de même. Jérusalem était mère de tous les apôtres ; Jacques, le frère du Seigneur, le premier évêque. Pourtant, même par la suite, pour gagner enfin cette

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sédait les tombeaux de Jean l’Évangéliste et de Timothée, avait vu ses droits ancestraux peu à peu disparaître au profit de Constantinople. Cette dernière se prévalait alors de son statut de Ville impériale. Mais l’idée fit son chemin, et de plus en plus d’Églises allaient revendiquer des honneurs spéciaux au nom de leur apostolicité134. Le cas le plus célèbre demeure celui de Chypre. Dans le dernier quart du Ve siècle, on y redécouvrit le corps de Barnabé, à Salamine (Constantia135), le siège métropolitain de l’île136. Sous Dioclétien (284-305), l’Empire fut découpé administrativement en douze diocèses, et le premier d’entre eux, le diocèse d’Orient (cap. Antioche), en quinze provinces ou éparchies, parmi lesquelles Chypre, qui se vit alors privée de l’autonomie politique dont elle avait joui depuis Auguste. Il est cependant douteux que le statut de son Église en ait été modifié : le christianisme y avait pénétré dès le Ier siècle (v. 45), et si les divisions ecclésiastiques de l’Empire coïncidaient le plus souvent avec les divisions civiles, il était contraire à la coutume de les altérer à la suite de réorganisations politico-administratives137. Mais la tendance était à l’accroissement des prérogatives des plus grands sièges ; parfois même, le pouvoir civil y aidait. C’est ainsi que Jean d’Antioche (428441/442) décida d’étendre ou de recouvrer ses droits patriarcaux sur l’île138 : indépendance tant désirée (451), Juvénal (422-458), fort de l’héritage sacré de sa ville, ne semble pas avoir mis particulièrement en avant la figure de Jacques. 134 Il ne s’agissait pas seulement des douze, mais des soixante-dix (ou soixante-douze) disciples (Lc 10, 1-24). Dans la province micrasiatique d’Hellespont, la ville de Parium retrouva miraculeusement les reliques de son apôtre, Onésiphore, disciple de l’apôtre Paul, et Skepsis celles du centurion Corneille. 135 La ville, détruite par un tremblement de terre au IV e siècle, avait reçu ce nom après sa reconstruction (en 342). Alexandre dans son Éloge de saint Barnabé emploie presque toujours l’ancienne appellation à une exception près, à propos de la fête du saint : p. 120, l. 847-848. 136 Pour la bibliographie : MORINI, Apostolicità, p. 26, n. 5. Voir encore ENGLEZAKIS, Cyprus. Pour l’histoire religieuse de l’île : PALMIERI, Chypre ; VAILHÉ, Chypre ; L ECLERCQ, Chypre ; L AURENT, Chypre ; JANIN, Chypre.  137 Pour la lettre d’Innocent Ier (401-417) à Alexandre d’Antioche (413-424), réaffirmant le principe selon lequel l’Église ne suit pas les changements du pouvoir temporel : H ACKETT, Cyprus, p. 23. Pour le douxième canon de Chalcédoine tentant de freiner l’intrusion grandissante de l’État dans les affaires ecclésiastiques : ibid., p. 29. 138 Alexandre d’Antioche avait adressé une lettre au pape Innocent Ier, réclamant la restitution de droits anciens, disparus au cours du schisme eustathien. Le pape écrivit aux Chypriotes, les exhortant à se conformer aux canons et à retourner sous l’obédience d’Antioche. Si l’on en croit le trente-septième des canons arabes du premier concile œcuménique de Nicée (325), l’Église chypriote était alors soumise au siège antiochien (consécration du métropolite de Chypre par le patriarche) : Concilii Nicaeni LXXX Canones Arabici, Can. 37, M ANSI, I, col. 964. Mais outre le fait que l’on a reconnu le caractère apocryphe de la collection (elle aurait été formée en milieu syro-melkite, au V e siècle), on pense communément que ce canon a été créé de toutes pièces pour étayer les prétendus droits d’Antioche sur l’Église chypriote. Il n’en est en tout cas pas fait mention à Éphèse. Cf. H ACKETT, Cyprus, p. 14-15. Le canon met cependant l’accent sur une caractéristique de Chypre : étant une île, s’y posait le problème des communications. Son existence montre qu’Antioche cherchait à étayer ses prétentions sur des documents inattaquables et l’autorité du concile de Nicée.

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en 431, la nomination d’un nouvel évêque au siège métropolitain de Salamine, par suite du décès de son titulaire, Théodore, lui en fournit l’occasion139. Le comte d’Orient Flavius Dionysius, en résidence à Antioche, avait, à la demande de Jean, ordonné au consulaire de Chypre, Théodore, de retarder la tenue de l’élection du nouveau métropolite jusqu’à ce que la question de la soumission de l’Église chypriote au siège patriarcal fût tranchée par le concile œcuménique réuni cette année-là à Éphèse140, ou, à tout le moins, contraindre le nouvel élu et ses collègues à venir s’expliquer devant les pères conciliaires. Une lettre comminatoire fut adressée aux intéressés, et deux officiers militaires ainsi qu’un diacre de l’Église d’Antioche envoyés sur l’île. Les évêques chypriotes n’en élurent pas moins leur métropolite, Rhéginos141, lequel gagna ensuite Éphèse avec les évêques Saprikios de Paphos, Zénon de Kurion, Évagre de Solia, ainsi que le protopapas Caesarios ; l’affaire fut examinée au cours de la septième session. Le patriarcat d’Antioche se trouvait en difficulté142. Les chypriotes ajoutèrent le lot de leurs doléances143 : les anciens métropolites de Salamine, Troïlos et Théodore144, avaient jadis été contraints de reconnaître la suprématie du siège patriarcal, et, à présent, le comte d’Orient s’était immiscé, poussé par Jean, dans l’élection du nouveau métropolite. Bref, ils attestaient, preuves à l’appui, qu’Antioche agissait en toute illégalité, contrairement aux canons et à la coutume. Le 31 août (ou 31 juillet), l’assemblée conciliaire rendit un jugement (huitième canon d’Éphèse) destiné à protéger l’Église de Chypre contre toute nouvelle attaque de la part d’Antioche145. Or, outre que ce canon a suscité beaucoup de commentaires et des divergences d’interprétation, Antioche ne cessa pas de revendiquer des droits patriarcaux sur Chypre146. Pierre le Foulon, qui relança l’offensive, usa, si l’on en croit le moine Alexandre (Éloge de saint Barnabé), d’un nouvel argument, non plus d’ordre géographico-administratif, mais purement ecclésiastique : puisque la foi chrétienne s’était répandue dans l’île à partir d’Antioche, fondation apos-

M ANSI, IV, col. 1465-1468. Lettre datée du 21 mai 431 : H ACKETT, Cyprus, p. 16. IRMSCHER, Reginus. 142 C’était le moment où les doctrines de Nestorius, patriarche de Constantinople, divisaient l’Église d’Orient. 143 On se souvient de l’abbé Marcel accusant son évêque Ouranios au ‘Brigandage’ d’Éphèse (449). 144 LE QUIEN, Oriens, II, col. 1039-1042. 145 H ACKETT, Cyprus, p. 16. 146 Les décisions conciliaires demeuraient ambiguës. Elles reconnaissaient à l’Église chypriote une pleine autonomie vis-à-vis d’Antioche, mais laissaient au siège patriarcal la possibilité de reprendre ses prérogatives au cas où il démontrerait l’exercice de sa juridiction sur l’île avant l’épiscopat d’Épiphane. Certains chercheurs ont pensé que les revendications d’Antioche étaient justifiées. Ibid., p. 18-19 ; MORINI, Apostolicità, p. 33. 139 140 141

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tolique, son Église dépendait du siège patriarcal. Le coup paraissait décisif, d’autant que Pierre jouissait de l’appui impérial. C’était au temps de l’Hénotique147. 〈Pierre le Foulon〉 introdui[si]t dans la liturgie la récitation du Credo de NicéeConstantinople (pour protester contre la formule de Chalcédoine, qui lui était jugée infidèle) ; d’autre part il ajouta au Trisagion (« Dieu saint, Saint fort, Saint immortel ») la formule qui deviendrait le cri de ralliement du parti, bien qu’elle soit parfaitement compatible avec la définition de Chalcédoine : « Lui qui a été crucifié pour nous »148.

Il n’est pas étonnant de voir Chypre s’opposer au patriarche, soutenir la foi de Chalcédoine et refuser de telles innovations149. Et pourtant, dans l’île même, certains évêques avaient failli ; c’était, nous dit Alexandre, par pure ignorance150. Ne serait-ce pas cependant le signe d’une division dans l’épiscopat chypriote151 ? Y avait-il, dans ses rangs, des partisans de la soumission au patriarcat ? Quoi qu’il en soit, en 488 (?), l’invention de l’apôtre Barnabé intervint à point nommé. Pour trancher la question du statut de l’île vis-à-vis du siège antiochien, Pierre avait obtenu de l’empereur Zénon la convocation du métropolite Anthémios de Salamine devant le synode permanent de Constantinople. Anthémios se présenta avec quelques évêques chypriotes, n’ayant, selon le moine Alexandre, que sa seule probité à opposer à son adversaire :

147 FRITZ, Pierre le Foulon. Les provinces orientales de l’Empire rejetèrent très largement les décisions de Chalcédoine et la Syrie adhérait massivement aux croyances monophysites, en particulier au sein des populations monastiques. Pierre le Foulon monta sur le trône antiochien en 470, à la place de l’évêque Martyrios, ne s’y tint que peu de temps, connut l’exil, puis recouvra son siège en 475 ; il fut de nouveau déposé en 477, mais les monophysites firent périr deux ans plus tard son remplaçant, le chalcédonien Étienne. Pour lui succéder, Acace, patriarche de Constantinople, consacra le chalcédonien Calandion, lequel dut être imposé par les armes. En 484, Pierre le Foulon signa l’édit d’union, l’Hénotique, de Zénon. Ce geste entraîna sa reconnaissance par Acace ; il retrouva son siège et l’on exila Calandion, accusé d’avoir soutenu l’usurpateur Léonce. En 488, date probable de l’invention, Pierre avait donc recouvré son siège et était en bons termes avec le patriarche de Constantinople et l’empereur, et en accord avec leur politique ecclésiastique. Pierre et Acace se retrouvaient ensemble sous la menace d’excommunication du pape Felix III (483-492). 148 M ARAVAL, Christianisme, p. 397. 149 Il en était déjà allé ainsi après le concile de Nicée (325) ou à Éphèse (431). 150 Alexandre fait-il allusion à Philoxène de Salamine ? Il est difficile de croire qu’il prononça son discours devant cet archevêque, mais, vers le milieu du VIe siècle, le siège était sans doute occupé par Philoxène, neveu de Philoxène de Mabboug et ancien évêque de Doliché (Euphratésie) ; d’abord anti-chalcédonien, il avait gagné le rang des orthodoxes après 532. Une inscription datée de 540/553 a été découverte près du monastère Saint-Barnabé : H ADJIPSALTIS, Philoxénos ; A LPI, Sévère, II, p. 55. 151 Sophrone, Lettre à Arcadius (634/637) ; il y évoque l’existence de Chypriotes partisans de la version ‘foulonienne’ du Trisagion.

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Comme l’évêque de Salamine avait reçu l’ordre de se rendre dans la capitale afin d’être jugé contre les Antiochiens devant le patriarche œcuménique, il fut engourdi par la peur, craignant les intrigues du foulon. Anthémios était un homme admirable, tout à fait orthodoxe et que sa vie sans tache avait rendu célèbre (cf. Sg 4, 9) ; cependant, il était peu fait pour réfuter ses adversaires. C’est donc en pleine détresse et dans la tourmente au sujet de ce voyage qu’un homme lui apparaît de nuit, alors qu’il dormait dans un lieu solitaire. […]152

Par ce miracle, Chypre allait pouvoir retourner en sa faveur l’argument d’Antioche et apporter la preuve de l’origine apostolique de son Église. Le principe d’apostolicité avait en effet acquis en Orient une telle importance qu’il était capable de renverser une alliance comme celle de l’évêque d’Antioche avec l’empereur Zénon et le patriarche Acace153. Apparu en Orient vers le milieu du Ve siècle, l’argument allait vite peser lourd, beaucoup d’Églises orientales revendiquant une origine apostolique et l’exercice de plein droit des prérogatives y afférant154. Ce furent avant tout de grands sièges épiscopaux, tels Alexandrie, Antioche, Jérusalem ou Éphèse, dont la puissance, le prestige et surtout le poids des traditions répondaient assez de leurs exigences. Or, en fournissant la preuve de son origine apostolique, l’Église chypriote obtint la reconnaissance ou la proclamation de son autocéphalie, comprise ici comme l’indépendance complète d’une Église à l’égard de tous les sièges patriarcaux155. L’empereur Zénon la proclama156 ; Justinien la lui confima157.

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Éloge Barn., 702-711, p. 113-114. La situation fut peut-être plus complexe qu’Alexandre ne le laisse entendre. L’empereur Zénon obtint à cette occasion, pour la chapelle palatine Saint-Étienne, l’instrument de la prédication, un évangile selon Matthieu, écrit de la main même de Barnabé. L’enjeu de l’invention pourrait s’être davantage concentré autour de cette relique secondaire, qui semble avoir joué un rôle important pour le parti anti-chalcédonien. Sévère d’Antioche eut l’occasion de voir l’évangile au palais sous Zénon ou Anastase entre 495 et 511. Il s’en souvenait encore en 519/538 et le mentionne dans une lettre à Thomas de Germanicia (supra, p. 104), un évêque sévérien, déposé par l’empereur Justin en 519. 154 MORINI, Apostolicità, p. 41 : l’Orient chrétien, en particulier sous l’influence de Rome, qui fondait la prééminence de son siège sur sa dignité apostolique, vit apparaître et rapidement s’affirmer au cours des V e et VIe siècles le principe selon lequel une Église pouvait, en se réclamant de la fondation d’un apôtre (au sens large), revendiquer un statut juridictionnel particulier. Sur la question, voir D VORNIK, Apostolicity, sp. p. 64-92 ; ID., Byzance. 155 HERMANN, Autocéphale ; JUGIE, Autocefalia. 156 Zénon conféra par la même occasion un certain nombre de privilèges au primat de Chypre : droit de signer à l’encre rouge, comme les empereurs, de porter un habit pourpre lors des fêtes religieuses, ainsi qu’un sceptre impérial en lieu et place du simple bâton pastoral. 157 Nicéphore Calliste, H.E., XIV, 37, col. 200C. Sur le rôle de l’empereur en ce domaine, cf. H ACKETT, Cyprus, p. 29s. : malgré les tentatives visant à freiner l’intrusion grandissante de l’État dans les affaires ecclésiastiques, le pouvoir impérial, en accordant des privilèges à certaines villes, notamment en assurant leur promotion au rang d’évêché, de métropole, voire de patriarcat, entrava l’application générale du huitième canon du concile d’Éphèse et du 153

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Tandis que Théodore le Lecteur (v. 530) et ceux qui en dépendent font de la découverte du corps de Barnabé la cause directe de son autocéphalie158, Alexandre, qui n’emploie pas le terme, affirme dans son Éloge de saint Barnabé, que Chypre fut ἐξ ἀρχῆς καὶ ἄνωθεν […] ἐλεύθερον159. Après l’invention, il n’y aurait pas eu acquisition, mais confirmation d’une autonomie fondée en droit et en fait160. Du reste, le concile d’Éphèse avait, dit-il, déjà réaffirmé ce principe, et Pierre le Foulon ne l’ignorait pas161  lorsqu’il entreprit de priver l’Église chypriote de droits dont elle avait joui depuis toujours. Mais quelque chose restait en suspens. L’argument décisif serait celui-là : l’Église de Chypre était indépendante depuis les origines parce qu’elle était d’ascendance apostolique. Or, si l’on en croit Alexandre, cette vérité ne serait apparue clairement aux yeux des Chypriotes eux-mêmes qu’à l’occasion de l’invention, et l’évêque Anthémios serait demeuré coi devant son contradicteur, si une révélation de Barnabé ne lui avait auparavant soufflé sa réplique : À tes adversaires, qui disputent avec toi de toutes les manières, affirmant que le trône d’Antioche est apostolique, alors toi, réponds-leur : « mon trône aussi est apostolique et j’ai un apôtre dans ma patrie »162.

Quoi qu’il en soit du statut réel de Chypre avant ces événements, ce témoignage rejoint celui des historiens et laisse entendre que la formulation d’une origine apostolique de cette Église fut une réponse conjoncturelle à une nouvelle offensive du patriarcat. Il n’est pas impossible qu’Antioche ait ouvert les hostilités en mettant en avant l’origine apostolique de son siège : « Le trône d’Antioche est patriarcal et apostolique et les autres éparchies doivent lui être soumises163 », douxième canon du concile de Chalcédoine ; parmi les évêques de ce temps promus à la dignité de métropolitains par décrets impériaux se trouvaient ceux de Constantinople et Jérusalem. 158  Voir encore Syn. Const., col. 746. H ACKETT, Cyprus, p. 26-27 : l’affirmation de Kédrénos, selon laquelle Chypre ne devint métropole, affranchie de la tutelle antiochienne, que pour retomber sous celle de Constantinople, est écartée par Allatius, comme résultant d’une erreur de copie, une abréviation mal comprise transformant indûment Constantia en Constantinople. 159 Éloge Barn., p. 113, l. 691. 160 Le texte du document synodal ou impérial dont parle Alexandre n’étant plus connu, il semble difficile d’apprécier à sa juste valeur le privilège accordé à l’Église chypriote, et les avis divergent profondément sur ce point : MORINI, Apostolicità, p. 40. Cf. VAN ESBROECK, Alexandre, p. 109 : « Dans le cas de l’éloge de Barnabé, il s’agit précisément de flatter l’autorité montante de Constantinople, et de se faire pardonner une autonomie acquise par rapport à Antioche à la faveur de Zénon, l’empereur partisan de l’Hénotique récusée par Justinien. Le pieux empereur Léon y est largement loué par-dessus Zénon auquel aucun qualificatif louangeur n’est attribué. C’est bien le même homme qui travaille à réfuter les légendes de la Croix utilisées par d’autres partis à Jérusalem, face à Constantinople. » ; l’auteur parle encore, p. 110, d’une « présentation hyper-orthodoxe des faits », et conclut : « Le procédé est bien digne de Justinien. » 161 Alexandre cite le huitième canon d’Éphèse : Éloge Barn., p. 113, l. 691-693. 162 Ibid., p. 116, l. 752-757. L’évêque Anthémios n’est pas connu par ailleurs : FEDALTO, Hierarchia, II, p. 875 ; pour une bibliographie : Hag. Cypria, p. 17, n. 11. 163 Éloge Barn., p. 117, l. 780-782 ; voir encore, p. 113, l. 696.

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et que l’Église chypriote ait alors cherché à lui opposer un argument de même poids, à se placer sur le même terrain que son adversaire164 : Mais mon trône aussi, très chers, est apostolique depuis l’origine et depuis toujours (Conc. Eph., Can. VIII), doté de liberté, et j’ai dans ma patrie le corps entier d’un apôtre – il s’agit du trois fois heureux Barnabé de sainte renommée. Quand il eut dit cela, il n’y avait plus matière à contestation, les évêques ayant confirmé ses paroles par leur silence. La partie adverse resta elle aussi muette de honte (cf. Ac 9, 7), frappée par l’à-propos de la réponse165.

La découverte du corps de l’apôtre ne se produisit donc pas au hasard, mais à point nommé pour défendre l’autonomie de l’île menacée166. La présence ininterrompue de l’apôtre devait conférer à son Église un statut particulier167. Selon Kédrénos, Chypre, autrement dit Salamine (Constantia), devint à cette occasion une métropole. L’idée est séduisante (on se souvient d’Émèse), mais il faut l’écarter, car Salamine est déjà siège métropolitain de Chypre à Éphèse (431)168. Il reste qu’elle s’affirmait comme le lieu où reposait l’apôtre évangélisateur, le saint patron de l’île, son évêque devenant le successeur direct de l’apôtre. Le développement d’une littérature hagiographique tendant à minorer le rôle de Salamine dans les origines de l’Église a retenu l’attention : selon les Actes de Barnabé (BHG 225), Barnabé et Marc n’auraient ordonné évêque pour Chypre que le seul Héraclide, établi à Tamasos – il avait été préalablement converti et baptisé par Paul et Barnabé, au cours d’un premier voyage mission-

164 Si tel est le cas, il peut sembler préférable de reporter après ces événements la composition des Actes apocryphes de Barnabé, que tous les commentateurs s’accordent à mettre en rapport avec les aspirations de l’île à l’autonomie dans le domaine ecclésiastique. 165 Éloge Barn., p. 117, l. 784-791. 166 MORINI, Apostolicità, p. 40 : la découverte des reliques présumées de l’apôtre n’est plus, comme dans la notice de Théodore, un fait casuel aux conséquences juridictionnelles ; elle est au contraire présentée, par Alexandre, comme un événement providentiel déterminé par la seule nécessité pour l’archevêque de Chypre de prouver l’apostolicité de son Église. 167 Le même chercheur (ibid., p. 40, n. 37) rapporte un témoignage plus tardif, indice, selon lui, d’une conception différente en vertu de laquelle toute relique d’apôtre – même en l’absence de lien historique ou légendaire – pourrait garantir à une Église une certaine autonomie à l’égard d’un siège patriarcal. Il s’agit de Ravenne, proche par la liturgie et la théologie de l’Occident chrétien, mais influencée par l’Orient dans le domaine de la discipline ecclésiastique. Au IX e siècle, l’historien Agnellus (Liber Pontificalis, 76, p. 329 ; p. 244 (CCM)) commente ainsi l’échec de la tentative de l’archevêque Maximien (546-556) d’apporter de Constantinople à Ravenne les reliques de l’apôtre André : « Re vera fratres, qui si corpus beati Andreae, germani Petri principis, hic humasset, nequaquam nos Romani pontifices sic subiugassent ». 168 Selon H ACKETT, Cyprus, p. 26, la fausseté de ces affirmations est prouvée par les lettres de Flavius Dionysius écrites en 431, où Constantia est dépeinte en métropole, et par le fait que son évêque, au ‘Brigandage’ de 449 (M ANSI, IV, col. 1126), signe indifféremment comme évêque de Constantia ou évêque de la métropole de Chypre. Cependant, Paul d’Émèse signe déjà comme évêque métropolitain en 431 : supra, p. 381, n. 122.

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naire dans l’île169. De même, dans les Actes d’Héraclide (BHG 743), un peu postérieurs, on ne trouve mention d’aucun autre évêque chypriote qu’Héraclide de Tamasos. François Halkin a supposé que Tamasos avait été pendant un certain temps l’unique siège épiscopal de l’île : On a l’impression très nette bien que cela ne soit dit explicitement nulle part, qu’aux origines l’île entière ne formait qu’un vaste diocèse dont le siège était fixé, non à Paphos ni à Salamine (la future Constantia), mais à Tamasos, au cœur même de Chypre. Toute la Vie d’Héraclide prend ainsi l’allure d’un plaidoyer discret en faveur de l’ancienneté et de la primauté de l’Église de Tamasos170.

Pourtant, Salamine prit très vite la première place, et dans les Actes de Barnabé, Barnabé et Marc rencontrent à nouveau Héraclide, cette fois à Salamine. Enrico Morini remarque que ce passage est repris avec quelque insistance dans un récit hagiographique de la première moitié du VIIe siècle, la Vie de saint Auxibios (BHG 204), de sorte que l’on voulut peut-être suggérer une translation d’Héraclide du siège de Tamasos à celui de Salamine171. Quoi qu’il en soit, Héraclide est d’abord apparu comme le protoévêque de Chypre (et non d’un siège déterminé), premier successeur de l’apôtre qui l’avait consacré, la distinction entre l’apôtre fondateur d’une Église et son protoévêque172 illustrant l’acception alors en vigueur dans la chrétienté orientale du principe d’apostolicité173.

169 Act. Barn., 17, p. 298. H ALKIN, Héraclide, p. 134, n. 2 : « Plus loin, au § 20 on cite pourtant un Aristoclianos qui aurait été guéri de la lèpre à Antioche et que Paul et Barnabé auraient ordonné évêque et renvoyé dans son village de Chypre pour y convertir les païens. Mais le nom de ce village n’est même pas indiqué. » 170 Ibid., p. 134. 171 MORINI, Apostolicità, p. 43-44. La Vie Auxibios (§ 8) attribue à Paul et Barnabé la consécration épiscopale d’Héraclide. 172 MORINI, Apostolicità, p. 23-24, n. 2, en a soigneusement relevé les premières mentions dans l’H.E. d’Eusèbe : Marc, évangélisant Alexandrie (II, 16, 1) et Annianus, πρῶτος μετὰ Μάρκον τὸν εὐαγγελιστήν (II, 24, 1) ; à Antioche, Pierre, puis Évode, protoévêque (III, 22), et Ignace, second dans la succession de Pierre (τῆς κατὰ Ἀντιόχειαν Πέτρου διαδοχῆς : III, 36, 2) ; Jacques à Jérusalem, choisi comme évêque par Pierre, Jacques et Jean (II, I, 2-3 ; IV, V, 3 ; VII, XIX), et Siméon, son successeur et second évêque de la Ville sainte (IV, V, 3) ; Éphèse fondée par Paul et « sanctifiée par la présence de l’apôtre Jean » (III, XXIII, 4, d’après Irénée de Lyon) ; Timothée, protoévêque (III, IV, 5), auquel, selon les Act. Tim. (p. 7-13), l’apôtre Jean aurait succédé. 173 Plus tard, ils se confondront et Barnabé deviendra protoévêque de Salamine, Héraclide lui-même tendant à n’être plus que le second successeur de l’apôtre sur ce siège, après Ariston. Selon Act. Barn., p. 297, Ariston fut converti par Barnabé et Marc. MORINI, Apostolicità, p. 44, n. 51, cite les listes épiscopales où Barnabé apparaît comme protoévêque de Salamine : Synodikon de l’Église chypriote pour le Dimanche de l’Orthodoxie (XIIe s.), Léon Machéras (XV e s.), Florius Boustronius (XVIe s.) ; tous passent ensuite directement à Épiphane. H ACKETT, Cyprus, p. 304, propose la série : Barnabé, Ariston, Héraclide. Mais l’on continue parfois à retenir Héraclide comme le successeur immédiat de l’apôtre.

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4. Constantinople, la Ville impériale Il y eut peu d’inventions de reliques à Constantinople. En revanche, cœur de l’Empire, la Ville impériale s’en constitua, à partir du Ve siècle, un trésor, issu de toutes les provinces. De même, elle ne s’attacha que tard à légitimer, au nom de l’apôtre fondateur de son Église – dont elle retrouva le corps –, des droits déjà acquis au nom de l’empereur fondateur de ses murs, et de ses successeurs, tous inhumés auprès de cet apôtre. a. La collecte des reliques Comme les autres villes d’Orient, Constantinople éprouva très tôt le besoin de posséder et de bénéficier de la protection des saintes reliques, mais à l’instar de Milan avant l’invention de Gervais et Protais, elle était privée, ou à peu près, de martyrs autochtones174. Sans passé martyrial, elle n’avait pas non plus de passé biblique175 ; bref, elle était quasiment vierge de toute relique. Or, partout la situation eût parue intenable, mais plus encore dans la Ville impériale. Elle se mit donc à importer des reliques des quatre coins de l’Empire : martyrs, saints bibliques, reliques du Christ et de la Vierge, etc.176. Avec le temps, on attribua de nombreuses translations à Constantin (306-337), le premier empereur chrétien, fondateur de la ville177. Paulin de Nole évoque, en 405, le désir du souverain de faire rivaliser sa nouvelle capitale avec Rome, et assurer la défense de ses murs par les corps des apôtres : il aurait fait venir André d’Achaïe et Timothée d’Asie pour offrir à Constantinople une protection aussi forte que Pierre et Paul à Rome, l’un étant disciple de Paul, l’autre frère de Pierre178. Mais que cette première translation ait eu lieu sous Constantin179 ou vingt ans plus tard, sous son fils Constance II (337-361), elle semble être restée tout d’abord sans lendemain. Les remous de la politique civile et religieuse, les guerres incessantes, l’absence fréquente des souverains n’y incitaient guère. Le règne de Théodose Ier (379-395) offrit des conditions meilleures. L’empereur lui-même aurait apporté aux portes de la ville le chef du Baptiste (en 391). Les translations ne commencèrent pour-

WORTLEY, Relic-hoard.  Pour ces mêmes raisons, il n’y eut pas à proprement parler d’invention à Constantinople, mais des re-découvertes secondaires ; elles se produisirent généralement dans des édifices de culte. Il faudrait se demander si et comment on les y oublia ; pourquoi on les y retrouva. 176 M ARAVAL, Lieux saints, p. 92-101, 401-410 ; K LEIN, Relics ; plus tard : FLUSIN, Constantinople. 177 Hélène envoya à son fils un morceau de la Croix ainsi que des clous de la crucifixion. D’après l’historien Socrate, ils furent déposés dans la colonne impériale au forum de Constantin. WORTLEY, Constantine. 178 Paulin de Nole, Carm. 19, v. 329-342, p. 129-130. 179 Pour la possibilité d’une translation par Constantin en 336 : M ANGO, Mausoleum, addendum, p. 434. Cf. supra, p. 117. 174

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tant à un rythme régulier que sous le règne de son fils Arcadius (395-408)180, et surtout de son petit-fils, Théodose II (408-450)181. Plusieurs sources évoquent l’amour de ce souverain envers les reliques, et son nom est lié aux premières collectes à grande échelle. Il aurait ainsi permis à Maroutha, « l’évêque des confins », de rassembler par tout l’Empire romain un trésor de corps saints (120 000) pour sa « ville des martyrs »182. Pourtant, les rapports de Théodose II avec les reliques apparaissent ailleurs sous un jour ambigu. L’épisode suivant est rapporté par l’historien Barhebraeus (XIIIe s.) : S. Mar Abhaeus dans la région de Mardîn, qui, en raison de sa renommée, avait été mandé par l’empereur Théodose, fut en outre consacré métropolite de Nicée. Vers ce temps-là, une vision effrayante apparut à l’empereur, sans doute un ange du Seigneur lui disant : « Toi, tu honores en vain des os de morts, qui n’appartiennent pas tous à des saints » ; l’empereur, troublé, fit part de ce qu’il avait vu à Mar Abhaeus ; de là, ce saint homme, sur l’ordre de l’empereur, rassembla toutes les reliques dans l’Empire des Romains, les plaça sur un tas de bois et les soumit au feu et au soufre ; ainsi trente mille de ces reliques furent brûlées, mais huit mille sortirent indemnes, exhalant des éclairs ; ravi de cela, l’empereur rendit publiquement honneur aux saints, et ordonna que Mar Abhaeus leur rende un culte sacré dans un temple élevé par ses soins. Après la mort de l’empereur, Mar Abhaeus prit avec lui cinq mille reliques et alla s’établir au-delà du fleuve Euphrate, au monastère Scalarum ; alors Andronic, son disciple, fut donné comme évêque à Nicée183.

On aurait tendance à ne voir ici qu’une légende forgée en milieu anti-chalcédonien184, si l’histoire n’évoquait un passage de la Passion des Sept Dormants, déjà rencontré : dans les années quarante du Ve siècle, une hérésie avait éclaté à Constantinople185 ; niant la résurrection des morts, elle prit la forme d’une 180

Jean Chrysostome, patriarche venu d’Orient, joua sans doute un rôle important. Elles ne devaient plus cesser : JAMES, Bearing gifts. Supra, p. 375. 183 Barhebraeus, Chron., I, p. 133-136. 184 La Vie de saint Abhaeus, attribuée à Michel le Syrien, se lit dans BEDJAN, Acta VI, p. 557-614 (BHO 10). Le départ de Mar Abhaeus à la mort de l’empereur (450) indique sans doute un désaccord avec la nouvelle politique religieuse de l’Empire, même si son disciple, dit-on, lui succéda au siège de Nicée. La Sophanène et Martyropolis, où avaient été rassemblés des milliers de reliques de martyrs par Maroutha, servit de même, au V e siècle, de refuge pour les moines anti-chalcédoniens. Voir la n. 1, p. 135-136, du passage cité supra : Jam vero conjicit Assemanus eum aut commentitium esse, aut ex iis fuisse episcopis, concilio Chalcedonense infensis, quos sedibus suis imperator Marcianus ejecit. Utra conjectura verisimilior sit, nostrum non est dijudicare ; commentitium tamen eum hominem aegre dixerim, qui a Jacobitis in Kalendariis, teste eodem doctissimo P. Matagne, celebratur, et cujus nomine exstabat monasterium toto Oriente celeberrimum. Quippe monasterium illud pluries a Barhebraeo in decursu Chronici laudatur ; situm erat ad ripas Euphratis, prope Samosatam, Syriae Comagenae urbem notissimam. 185 Peut-être à mettre en rapport avec une résurgence de l’origénisme. Le transfert du corps de Jean Chrysostome en 438 aux Saints-Apôtres y fut-il pour quelque chose ? 181

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véritable persécution, perpétrée au palais, sous les yeux de l’empereur, lequel, accablé, s’en remettait à Dieu. Sa réponse prit la forme d’un miracle : la résurrection et l’invention des Dormants. Une controverse autour des reliques avait-elle vu le jour à la cour en ce temps-là ? Théodose II voulut-il assurer, vers la fin de son règne, un plus grand contrôle sur leur culte ? Si tel est le cas, la mort ne lui en laissa guère le loisir, et la tradition a gardé de lui l’image d’un ‘collecteur’, voire d’un ‘collectionneur’ de reliques. En effet, on racontait encore, au début du XIIe siècle, qu’il « commença à rechercher les corps des saints martyrs qui avaient été tués par les iniques empereurs ses prédécesseurs, ou leurs satellites, en diverses parties du monde, et surtout en Orient, puis à les transférer à Constantinople, et à édifier des basiliques en leur honneur186. » Théodose II, nouveau Constantin, aurait même eu un dessein plus personnel : acquérir pour son trésor les corps des patriarches Abraham, Isaac et Jacob. Il envoya une troupe nombreuse en Judée avec des évêques et des clercs chargés de rechercher avec le plus grand soin les os sacro-saints des saints patriarches, et, s’ils le pouvaient en quelque manière, les lui rapporter avec honneur à Constantinople […] Que l’on pense combien il se tourmentait, lui qui désirait avoir un si grand trésor ; car il passait la nuit en prière, pleurant abondamment, et brûlant de l’ardent désir de leurs saintes reliques, et dans les prières dont il inondait souvent le Seigneur, il demandait surtout ceci, à savoir que Dieu juge bon d’assouvir son désir. Ou bien ne lui suffisaient pas des reliques en si grand nombre et aussi saintes – les corps de six apôtres et du bienheureux Luc l’Évangéliste, encore du bienheureux Étienne le protomartyr et de nombreux autres, tant martyrs que confesseurs et vierges, que la bienheureuse Hélène avait placés avec honneur dans sa basilique : « Cela ne me suffit pas », disait-il, « si je n’ai pas les corps des saints patriarches ». Mais il fut trompé dans son désir. Cependant, parce que Dieu ne voulait pas que ses prières demeurent vaines, il lui donna un précieux trésor, à savoir le corps du bienheureux Joseph, fils d’Israël, comme la suite va le raconter187.

Ici, la collecte devient véritablement collection, réunie pour la « basilique impériale ». S’agit-il d’une église palatine188 ? On ne peut fonder d’hypothèse sur ce récit tardif, qui évoque une collection (fictive) déjà initiée par l’impératrice 186

Inv. trois patr., IV, p. 305. Ibid., p. 305-306. 188 Les reliques de Joseph et Zacharie (sûrement partielles) furent apportées pour la dédicace de la Grande Église en octobre 415, mais tout indique qu’elles n’y restèrent pas, à l’instar de Samuel, qui n’y séjourna que cinq ans, de 406 à 411, date à laquelle il gagna son prophétéion. WORTLEY, Great Church, a en effet montré que la Grande Église, longtemps réceptacle de la Vraie Croix, ne devait pas abriter de reliques corporelles de façon permanente. Alors que l’on a gardé trace d’un prophétéion de Zacharie, on ne sait plus rien de Joseph après cette translation. 187

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Hélène189. Quoi qu’il en soit, Constantinople finit par recevoir d’innombrables reliques, qui furent réparties à l’extérieur ou à l’intérieur des murailles, dans des martyria ou des églises épiscopales, monastiques ou privées190. C’est là, au sein de ses sanctuaires, qu’elle en découvrit, ou plutôt, redécouvrit à son tour quelques autres191. b. Les Saints-Apôtres et la légende d’André Tout distinguait, dès l’origine, les Saints-Apôtres, destinés à abriter, au cœur de la ville, les reliques des apôtres et les dépouilles impériales. Or, quoi qu’il en soit de la nature première de l’édifice, la séparation entre l’église, réceptacle des apôtres, et le mausolée des empereurs, semble n’avoir été que secondaire, à la faveur d’un remaniement architectural. Les travaux furent sans doute initiés avant l’arrivée des reliques de Timothée, en 356. Mais, en 359, l’évêque semi-arien Makédonios fit transférer provisoirement à Saint-Akakios le corps de Constantin († 337). Ce geste, quelles qu’en furent les motivations réelles, provoqua une émeute dans le peuple, très vite suivie de la disgrâce, puis de la chute de l’évêque192. Il fut remplacé le 27 janvier 360 par l’arien Eudoxe d’Antioche193, lequel reçut plus tard, en 370, sa sépulture aux SaintsApôtres, au moment où l’on célébrait la dédicace de l’édifice194. Les ariens en firent peut-être leur église cathédrale dans le troisième quart du IVe siècle195. Wendy Mayer a, par ailleurs, supposé, dans sa mise en valeur, une volonté de renforcer le second axe cérémoniel de Constantinople196. On connaît l’importance du premier qui menait de l’extérieur à l’intérieur de la ville, voie triomphale des adventus impériaux comme des translations de re-

189 Les six apôtres et Luc évoquent les Saints-Apôtres. Luc est ici bien distingué des « apôtres », ce qui correspond à l’usage occidental plus restreint de ce terme. Il est cependant intéressant de voir que Robert de Clari (v. 1216) mentionne à son tour les corps de sept apôtres aux SaintsApôtres : WORTLEY, Great Church, p. 632, n. 7. Le protomartyr suggère plutôt Saint-Étienne du palais. 190 DAGRON, Constantinople. 191 Les Quarante Martyrs (deux fois) ; André, Luc et Timothée. 192 Socrate, H.E., II, 38 ; Sozomène, H.E., IV, 21. 193 Le concile de Séleucie, qui condamna les macédoniens, s’acheva, le 15 février 360, par l’inauguration de la Grande Église. 194 DAGRON, Naissance, p. 446, n. 1. 195 M AYER, Cathedral. La Grande Église, qui avait remplacé Sainte-Irène dans ce rôle, en 360, n’avait pas cessé de symboliser le pouvoir épiscopal et le parti nicéen. Sainte-Irène préexistait à la fondation de Constantinople ; elle fut seulement agrandie par Constantin. Sainte-Irène et Sainte-Sophie avaient par ailleurs le même clergé. 196 Ibid., p. 64 : « […] the choice of site for the mausoleum and later the Church of the Apostles can perhaps be seen to reflect the desire of Constantine and his successors to provide a second focus for imperial and ecclesiastical ceremonial, which would give equal weight to the two axes. »

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liques. C’est là, en son départ, au faubourg de l’Hebdomon, que l’empereur Théodose Ier déposa, en février 391, le chef du Baptiste. En 364, la cérémonie de proclamation de l’empereur arien Valens (il aurait eu le premier l’idée de faire venir le chef à Constantinople) à l’Hebdomon avait fondé une tradition ; désormais, le sanctuaire théodosien servirait au couronnement des empereurs. Quoi qu’il en soit, selon John Wortley, le lieu de la déposition s’expliquerait avant tout par l’impossibilité pour Théodose d’aller plus loin et de faire entrer la relique au-delà des murailles de la ville, par respect pour la coutume qui voulait que les morts restent hors du périmètre urbain197. Les Saints-Apôtres, mausolée impérial et sainte châsse, révélaient encore leur caractère d’exception. Étrangement, si l’on en croit Procope de Césarée, Saint-Jean-Baptiste comme les Saints-Apôtres étaient tombés dans un état de grande déréliction au temps de Justinien (527-565), qui les reconstruisit entièrement. Mais alors que le premier ne paraît plus avoir revendiqué sa relique198, on vit ressurgir de terre les apôtres au cours des travaux de réédification du second. C’est sur eux que l’Église de Constantinople et la Ville impériale allaient bâtir leur légende fondatrice : l’invention rappela que les Saints-Apôtres, l’une des plus anciennes et prestigieuses églises de Constantinople, abritait depuis longtemps déjà la dépouille d’André199. Vers cette époque, commença à prendre corps la légende de son apostolat à Constantinople. Jusqu’au début du IVe siècle, l’Église s’était volontiers moulée dans les structures administratives de l’Empire. Or, tandis que la position privilégiée de Constantinople, comme résidence impériale, assurait à son évêque un rang prédominant, on vit naître et se développer à Rome et en Occident la notion d’apostolicité. Elle devint par la suite si forte qu’elle s’imposa même en Orient. Francis Dvornik en a retracé les étapes, et montré comment elle façonna la légende de l’apostolat d’André en Thrace200. Ce dernier aurait ordonné le premier évêque de Byzance, Stachys. Constantinople, Nouvelle Rome, devenait fondation apostolique ; son apôtre était le premier appelé, le frère de Pierre, fondateur du siège romain. La montée en puissance de Constantinople avait donc troublé le cours normal des choses : Éphèse, Césarée de Cappadoce et Héraclée, capitales diocésaines d’Asie, du Pont et de Thrace, au lieu de devenir des patriarcats autoWORTLEY, Relic-importations, p. 222-225 ; BURGESS, Passio, p. 31, n. 97 : la loi de janvier 357 (CTh IX, 17, 4) qui formule cette interdiction renforce l’opinion de l’auteur selon laquelle Luc et André se trouvaient déjà aux Saints-Apôtres, depuis 336. 198 Au jour de la consécration du sanctuaire, Justinien aurait fait venir le chef d’Émèse. 199 MCCULLOH, Relics : sous le règne de son oncle Justin (518-527), Justinien réclama au pape Hormisdas des reliques des apôtres Pierre et Paul. On lui refusa des reliques corporelles au nom de la ‘coutume romaine’ ; il reçut des limailles de la chaîne de Pierre. 200 D VORNIK, Apostolicity. 197

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nomes, se virent soumises au siège constantinopolitain. La mise en place, puis la reconnaissance de son statut patriarcal, se firent peu à peu, au rythme des grandes assemblées conciliaires des IVe et Ve siècles201. Le vingt-huitième canon de Chalcédoine (451) suscita une opposition farouche en Occident. Le principe d’apostolicité y ayant acquis force de loi, Rome revendiquait la primauté de son siège, celui de Pierre, sur lequel était bâtie l’Église tout entière (Mt 16, 18) ; venaient ensuite Alexandrie, le siège de Marc, disciple de Pierre, puis celui d’Antioche, fondé par Pierre. Mais à Rome, Pierre n’avait pas seulement fondé l’Église ; il en avait été le premier évêque. Constantinople, on le voit, n’avait pas sa place dans un tel schéma, et le pape Gélase (492-496) ne lui reconnut pas la dignité métropolitaine. Une rupture intervint entre Orient et Occident, connue sous le nom de schisme acacien (484-519). Acace de Constantinople (471-489) avait favorisé la politique de l’empereur Zénon (474-496) visant à apaiser les monophysites. Autour de l’Hénotique (482), il avait fait alliance avec Pierre Monge à Alexandrie et Pierre le Foulon à Antioche. L’Occident réagit et brandit le principe d’apostolicité. Or, lorsque la voie s’ouvrit à la réconciliation, en particulier à la mort de l’empereur Anastase (491-518), l’arrivée sur le trône de Justin (518-527), secondé par son neveu Justinien, et à Rome d’un nouveau pape moins intransigeant, Hormisdas (514523), cette idée avait fait son chemin en Orient202. La situation fit que Rome fut contrainte de traiter Constantinople en partenaire. Mais une lettre de Justinien au pape (29 juin 519), mentionnant les reliques des apôtres à Constantinople, montre que n’était pas loin le temps où l’on allait revendiquer aussi pour la Ville impériale une origine apostolique203. Si sa pleine formulation demanda, semble-t-il, encore un peu de temps, la redécouverte des reliques d’André, Luc et Timothée aux Saints-Apôtres vers 550, considérée alors comme un miracle, y contribua. 201

Pour les étapes de la montée en puissance du siège de Constantinople, depuis Nicée, 325 (sixième canon), Constantinople, 381 (troisième canon), jusque Chalcédoine, 451 (vingt-huitième canon) : ibid. Pour l’empiètement progressif de l’évêque de Constantinople, voir déjà l’activité de Makédonios, qui fit de Constantinople « le centre religieux d’une vaste région » (supra, p. 319, n. 143), ou les accusations portées contre Jean Chrysostome au concile du Chêne. On voit par exemple l’Église de Troas, Hellespont, demander son chef à Attikos de Constantinople (406-425), ou Étienne d’Éphèse dénoncer ses droits de métropolitain bafoués. Dans le dernier cas, une invention de reliques redonna du prestige à un siège en perte de puissance. 202 D VORNIK, Apostolicity, p. 134-136 : la situation aurait été différente si l’orthodoxie avait été fermement restaurée à Alexandrie et Antioche ; la première, en tout cas, aurait soutenu Rome dans son opposition au vingt-huitième canon. Un discours du monophysite alexandrin Philopon contre le principe d’apostolicité montre bien ce qui se jouait alors. 203 Ibid., p. 137. Pour VAILHÉ, Constantinople, p. 293 : « la supercherie [l’origine apostolique du siège de Constantinople] ne peut avoir été commise qu’au moment où la rivalité pour la préséance religieuse entre Rome et Constantinople commençait à se dessiner, c’est-à-dire pendant le schisme d’Acace, 484-519. » – cité par P RIEUR, Acta Andreae, p. 88.

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La translation des reliques aux Saints-Apôtres avait été sans conséquence pour le statut de l’Église de Constantinople204. Il semble que Constance II (337-361) ait ainsi voulu souligner le caractère sacerdotal de la fonction impériale205. Or, l’attitude de Jean Chrysostome (398-404), qui ne considérait encore les Saints-Apôtres que comme le lieu d’inhumation des empereurs206, est significative. L’évêque préférait évoquer la figure de Pierre ou de Timothée, et s’il savait André inhumé aux Saints-Apôtres, tout indique qu’il n’en allait pas de même de la tradition sur la prédication d’André à Byzance. On ne se souciait pas encore de donner une origine apostolique au siège de Constantinople207. On pourrait multiplier les exemples témoignant que la légende d’André n’était pas encore connue au Ve siècle208, et aussi de l’importance prise à cette époque par le culte de l’apôtre en Occident, à Rome en particulier209. Mais au temps du schisme acacien, Constantinople prit conscience de son désavantage face à cette dernière. Il y eut peut-être un autre catalyseur. Francis Dvornik remarque qu’un événement modifia le cours des choses : le 27 janvier 438, Théodose II (408-450), soucieux d’obtenir le pardon pour ses parents, fit déposer aux Saints-Apôtres la dépouille de Jean Chrysostome mort en exil210. L’idée fut alors répandue que Constantin avait voulu faire de l’église des Saints-Apôtres un lieu d’inhumation pour les empereurs et les patriarches.

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La lettre de Justinien mentionnée précédemment montre cependant que, de son temps, si on les avait perdues de vue, on ne les avait pas oubliées. 205 D VORNIK, Apostolicity, p. 139, qui cite Socrate, H.E., I, 40. 206 Supra, p. 115, n. 283. 207 D VORNIK, Apostolicity, p. 144 : dans Hom. in epist. ad Hebr. 26, col. 179, Jean Chrysostome déclare que seules les tombes de Pierre, Paul, Jean et Thomas étaient connues, ce qui pourrait faire peser un doute sur l’authenticité des reliques d’André. Un peu plus tard, Arcadia, fille d’Arcadius (395-408), construisit une église en l’honneur d’André : Chron. Pasch., col. 777B ; p. 566 (CSHB). 208 Paulin de Nole, Carm. 19, v. 329-342, p. 129-130, qui obtint des reliques d’André et Luc pour ses basiliques de Nole et Fondi ; Gaudence de Brescia († v. 410) ou encore Victrice de Rouen, qui en reçurent sans doute par l’intermédiaire d’Ambroise de Milan. Ce dernier, qui les tenait de Constantinople, fut l’initiateur du culte des apôtres en Italie du Nord. Jusqu’à Grégoire le Grand au moins (590-604), qui reçut de Constantinople le bras d’André et la tête de Luc, on ne savait apparemment rien, ni à Rome, ni à Constantinople, de l’origine apostolique de Byzance. 209 Pour Ravenne, l’anecdote mentionnée supra (p. 389, n. 167) est significative : après l’invention survenue à Constantinople, l’évêque Maximien aurait désiré emporter le corps d’André. Justinien le lui refusa ; il n’obtint – par ruse – que la barbe de l’apôtre. Agnellus (IXe s.) conclut son récit en déclarant que Ravenne aurait gagné sur Rome son autonomie si la translation du corps avait eu lieu. 210 Cf. par exemple, la Translation de Jean Chrysostome, dans le Sabaiticus 242 (BHG 877h), 6, éd. H ALKIN, Jean Chrysostome, p. 494. En 451, Pulchérie y fit transporter la dépouille de Flavien (446-449). On continua à y inhumer des évêques, ainsi Eutychios de Constantinople (552-565 ; 577-v. 582) ou Domitien de Mélitène, un familier de l’empereur, en 602, etc.

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Depuis ce temps, comme si une coutume avait pris là son commencement, les empereurs chrétiens aussi, qui après cela sont morts à Constantinople, reposent là, et pareillement des évêques, attendu que le sacerdoce a même rang, je pense, que la royauté, ou plutôt tient même le premier rang dans les lieux sacrés211.

Avec la reconnaissance des droits de son Église, Constantinople devint plus que jamais la tête de l’Empire. On n’oublia plus qu’elle était bâtie sur des reliques installées au cœur de la ville, et à l’ombre desquelles empereurs comme évêques sommeillaient, jusqu’au Jugement dernier. * Les inventions étudiées dans cette partie s’inscrivent dans l’histoire ; elles mentionnent des faits, des lieux précis, mettent en scène des personnages souvent connus par ailleurs. Pourtant, le chercheur désireux de reconstruire l’événement doit prendre une distance critique vis-à-vis de sa source, qui, à des degrés divers et plus ou moins sciemment, par son discours ou ses silences, altère son objet ; il est, de son côté, amené à formuler un certain nombre d’hypothèses, parfois fragiles. Or, si notre vision du phénomène demeure nécessairement partielle, les exemples retenus n’en sont pas moins ‘éloquents’, parce qu’ils touchent au cœur même des institutions de l’Empire. Les enjeux de l’invention peuvent se lire sur plusieurs plans, que l’on qualifiera globalement de politique, économique et spirituel. Si les trois vont souvent de pair, les deux derniers sont pour nous plus difficiles à saisir. Les reliques sont un objet de dévotion collective ou privée, les fondateurs espèrent bénéficier d’une inhumation ad sanctos ou du moins de prières pour le repos de leur âme, tel trésor apporte richesse et renommée au sanctuaire qui l’abrite, mais les inventions des IVe-VIe siècles apparaissent avant tout comme un instrument de pouvoir entre les mains des autorités religieuses et civiles de l’Empire : la relique – ou sa légende, ce qui est tout un – procure légitimité, prestige et puissance à qui la trouve et la possède.

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Sozomène, H.E., II, 34, 6, p. 384-385 (SC). Cf. D VORNIK, Apostolicity, p. 161 : la question des origines apostoliques dans l’organisation de l’Église ne révéla que plus tard toute son importance. Pendant la période iconoclaste, ce devint une arme puissante pour les défenseurs du culte des images, jaloux de protéger l’Église des interventions impériales dans le champ doctrinal.

Conclusion Le culte des reliques est inconnu durant les trois premiers siècles de l’ère chrétienne et ne voit un véritable essor qu’après la Paix de l’Église (313) et la naissance de l’Empire chrétien. La tradition a retenu l’impulsion donnée par Constantin (306-337), qui aurait ordonné une recherche systématique des martyrs à vénérer et fondé les Lieux saints du Christ. Si le rôle de ce dernier n’est ici rien moins qu’assuré, Pierre Maraval a montré en quel sens on pouvait effectivement parler, pour cette époque, de la naissance d’un véritable « inventaire ». Le chercheur a encore déterminé les bases sur lesquelles il fut mené. Le petit nombre de traditions anciennes existantes nécessita la mise en œuvre d’une méthode d’invention, avec, on s’en souvient, d’un côté, des « inventions empiriques », de l’autre, des « inventions inspirées » ou, plus largement, miraculeuses ; c’est cette dernière catégorie que nous avons étudiée. L’examen a été conduit sur une période restreinte (deux siècles environ : v. 350-v. 550), mais homogène, couvrant la partie orientale de l’Empire1, depuis les découvertes de reliques bibliques en Arabie et Palestine2, jusqu’aux redécouvertes constantinopolitaines du règne de Justinien. Le tableau (non exhaustif) ci-après rend compte de la situation. Mais il n’a, en fait, que peu de réalité, d’abord parce que l’on ne connaît pas l’étendue exacte du phénomène, ensuite parce que n’ont pas été mentionnés les nombreux cas de récupération miraculeuse de martyrs, et leurs pendants, les découvertes de « serviteurs cachés ». Peut-on vraiment dissocier les uns des autres ? La réponse doit sans doute être nuancée. On aurait tendance à vouloir distinguer des découvertes ‘réelles’, ancrées dans un temps historique, de découvertes ‘fictives’, anhistoriques. Si l’on compare, par exemple, les inventions du chef du Baptiste et du martyr Julien à Émèse, la première peut se lire à la lumière d’un événement survenu en 453, tandis que la deuxième appartient uniquement à la construction légendaire du personnage, reportée au temps lointain de la passion. De même, la découverte

1 2

Ainsi que les martyrs milanais et l’invention des Trois Hébreux en territoire perse. À l’exception notable du Tombeau du Christ et de la Vraie Croix.

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CONCLUSION

miraculeuse du corps ‘reconstitué’ de l’évêque Basile d’Amasée, quelques heures seulement après son martyre (320), semble appartenir à un développement secondaire de la légende (v. 449 ?). On pourrait multiplier les exemples. Il reste que l’invention est souvent présentée comme « le premier des miracles » post mortem du saint, qui permet de combler le hiatus entre le temps (réel ou présumé) de son existence terrestre et celui de la proclamation ici-bas de son existence céleste (le temps du culte et des miracles). On peut penser que ces inventions servirent à masquer une absence ou une rupture de tradition, étayer les prétentions des Églises, accompagner la mise en place d’un culte. Si tel est assurément le cas, cela ne suffit pas à expliquer le phénomène dans son entier, d’abord parce que la plupart des reliques ‘apparurent’ sans le secours d’une invention, ensuite parce que le rapport tradition-invention est plus complexe qu’il n’y paraît. On constate, au fil du temps, un éloignement de plus en plus net par rapport à la tradition écrite, au profit d’une construction hagiographique, qui s’institue en tradition locale3. L’invention est avant tout la détermination d’un lieu. Or, celle-ci n’est rien moins qu’arbitraire : le saint repose dans sa patrie, son nom est inscrit sur la pierre, le contenu du tombeau révèle son identité. L’invention est l’occasion de se constituer une tradition. Les sources sont de nature diverse, historique, hagiographique ou récit de pèlerinage, pour l’essentiel. Si leur point de vue (partant, leur fonction) diffère, leur contenu demeure étonnamment semblable. C’est assez dire que l’invention suit plus ou moins un schéma prédéterminé : révélation, fouille, élévation, translation et déposition de la relique. Bien sûr, dans ce cadre, les variantes abondent : la révélation est généralement synonyme de vision, mais ce peut être un miracle, voire une découverte apparemment fortuite ; la fouille est parfois clandestine et se transforme en « pieux larcin » ; surtout, des détails, des éléments d’actualité sont introduits, qui en modifient la lecture. Dans l’historiographie, l’empereur (ou l’impératrice) incarne volontiers à lui seul l’agent et le bénéficiaire de l’invention, tandis qu’il n’apparaît guère dans les sources hagiographiques. Dans celles-ci, on observe souvent une harmonieuse répartition des rôles : le moine (ou un évêque, un laïc, semblable à un moine) visionnaire, l’évêque inventeur, le laïc fondateur. Le caractère récurrent de l’invention en souligne l’origine divine. Le doute n’est pas permis et la mise

3 On mesure ici la place de la littérature apocryphe, avec la création de cycles (autour d’Étienne, Barnabé, André, etc.).

CONCLUSION

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en scène prend l’allure d’un rituel. S’il n’existe pas de réelle procédure d’authentification, le miracle, relayé par de nombreux signes, se mue en preuve4. On comprend dès lors que la plupart des relations insistent sur l’inattendu de la découverte. En principe, la relique ne se cherche pas ; elle se donne. Deux exceptions, mais apparentes seulement, puisque, dans l’un et l’autre cas, l’on ne fait rien d’autre pour trouver que prier, ce qui est, du reste, la meilleure façon, sinon la seule, d’aboutir. Ambroise de Milan avait besoin d’acquérir des reliques de martyrs afin d’accomplir, selon les vœux du peuple, la dédicace de son église. Quant au (pseudo)-Cyrille d’Alexandrie, c’était pour établir un martyrion qui pût rivaliser avec un temple païen, et empêcher la ‘perte’ des chrétiens. De fait, plus ou moins visible, la relique, qui a sa place près de l’autel divin, et dont on reconnaît le pouvoir thaumaturgique, affermit la foi et attire l’hommage des fidèles. La relique est le saint qui intercède auprès de Dieu ; il jouit assurément du séjour divin, mais repose ici-bas. Les inventions de reliques firent-elles partie d’une politique concertée ? L’exemple alexandrin le laisse entendre, contre l’ancienne religion. Quoique demeurée licite jusqu’au règne de Justinien, les empereurs légiférèrent contre elle à plusieurs reprises. Des inventions se produisirent dans ou aux abords d’éléments naturels : végétation, sources, montagnes, et surtout grottes. Étaientce des lieux sacrés du paganisme reconvertis, réinvestis et réinterprétés par les chrétiens ? La question fait débat5. Les fidèles se rendaient-ils vraiment, à défaut de martyrion, à l’Isiacum de Ménouthis6 ? Ce dossier demeure ambigu, et l’on ne trouverait guère par ailleurs d’attestation formelle d’une invention de reliques dirigée contre un sanctuaire païen7. D’autre part, si l’on racontait volontiers que des reliques, gardées par des juifs, avaient été volées par des 4 C’est du moins le message véhiculé par les sources, semblable assurance masquant peut-être un vent d’incrédulité, assez malaisé à évaluer, mais bien perceptible dans la deuxième moitié du V e siècle. 5 On ne peut toutefois attribuer au seul hasard le fait que les basiliques constantininennes du Martyrium et de l’Éléona, à Jérusalem, et de la Nativité, à Bethléem, furent toutes trois érigées sur des grottes ; le sommet du Nébo, lieu du tombeau de Moïse, abritait un sanctuaire avant l’installation des chrétiens, etc. M ARAVAL, Lieux saints, p. 52. 6 C’était en effet la supériorité des cultes païens que de procurer à leurs dévots la présence continue du divin, par la démultiplication de leurs dieux et sanctuaires. L’Isis de Ménouthis était une figure concrète, accessible et protectrice, et les chrétiens d’Égypte pourraient avoir recouru à ses bons soins. En 351 déjà, le César Gallus avait transféré les reliques de Babylas à Daphné, faubourg d’Antioche, pour contrecarrer l’oracle d’Apollon : Sozomène, H.E., V, 19, 1214. Plusieurs saints eurent cependant difficilement raison de l’Artémis d’Éphèse. 7 Sauf à considérer quelques remarques allusives concernant Corneille (le temple de Zeus à Skepsis écroulé jadis sur une prière du saint, la ronce magique ‘démasquée’ et la conversion des derniers païens lors de l’invention) ou Barnabé (l’invention au « lieu de la santé »), mais l’enjeu principal, manifestement, est autre. Quant à Saint-Georges d’Ezra, s’il a bien remplacé un ancien temple, l’invention reste incertaine.

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chrétiens8, il est maintenant admis qu’il n’y eut pas de mainmise systématique sur les lieux saints juifs. La question, il est vrai, reste ouverte concernant les Samaritains, mais le rôle des inventions, s’il était avéré, risque fort, ici, de n’avoir été que marginal9. On ne saurait en revanche nier que les inventions eurent un rôle à jouer dans les conflits doctrinaux. Dans nos sources, la place des ariens est particulièrement frappante, mais ambiguë : à plusieurs reprises, la relique passe des ariens aux ‘orthodoxes’, sans pour autant que la transmission soit directe. Le hiéromoine Eustathe avait été contraint d’abandonner le chef du Baptiste dans son ermitage d’Émèse, et des moines macédoniens un reliquaire des Quarante Martyrs enfoui dans une demeure privée, bientôt transformée en église, aux portes de Constantinople. De même, si un personnel macédonien gardait encore la tête du Précurseur, c’était sur les domaines du primicerius Mardonios, dont rien ne prouve qu’il épousait leur doctrine. Les deux frères Galbios et Candidos, inventeurs de l’habit marial, étaient, pour leur part, des ariens convertis à l’orthodoxie. L’arianisme assurément perdura longtemps (sous des formes spécifiques : semi-arianisme, populations gothes), mais il faut faire ici la part du topos hagiographique (triomphe sur l’hérésie10, appel à la conversion11). Plus tard, les inventions mettent l’accent, quoique plus discrètement, sur une rivalité entre chalcédoniens et monophysites, et si nos sources ne nous donnent guère que le point de vue des premiers, tout montre qu’elle joua dans les deux camps. Ainsi Pierre l’Ibère fut-il associé à deux inventions de reliques. On a prêté semblable aventure à Sévère d’Antioche. Y avait-il alors des reliques hérétiques ? On n’en trouverait guère d’exemples en Orient12, mais un parti pouvait se mettre sous la protection de tel ou tel saint, revendiquer son patronage ; son aura, sa puissance devenaient les leurs. La possession d’une relique était en ce cas primordiale et l’on imagine quel appui inestimable offrait une invention. Les cas étudiés mettent volontiers en scène de grands sièges épiscopaux (patriarcats, métropoles, Églises autocéphales13), qui sont aussi de grandes cités, sièges du pouvoir civil, voire résidences impériales (Milan, Constanti8

Les Trois Hébreux, l’habit marial ou les vêtements du Christ. Sans parler d’une véritable politique, la récurrence de rébellions samaritaines semble avoir entraîné une appropriation de leurs lieux saints. 10 Dès 386, l’invention de Gervais et Protais à Milan consacra la défaite des ariens. 11 Comme Galbios et Candidos, inventeurs de l’habit marial, Vincent, le gardien du chef du Baptiste se convertit ; la diaconesse Matrona, en revanche, persista dans l’erreur. 12 À Antioche, les méléciens écartèrent seulement les corps des saints de ceux des ‘hérétiques’ (ariens) : SOLER, Antioche, p. 203-205. 13 Jérusalem, Éphèse, Salamine de Chypre, Émèse, Constantinople, etc. En revanche, Gindaros a perdu son statut d’évêché au temps de l’invention de Marinos. 9

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nople). En principe, le chef de ces Églises, même s’il n’en avait pas l’initiative, prenait part à l’invention, sa présence étant requise au jour de l’élévation et de la déposition14. Ces évêques pouvaient retirer de l’événement un profit personnel, et surtout conforter leur position, assurer leur légitimité. Les exemples sont nombreux, depuis Ambroise de Milan en conflit avec la cour, jusque Jean de Jérusalem embarrassé par l’affaire Pélage, ou Anthémios de Salamine sommé de se justifier15. Leur accession même pouvait être contestée, qu’il s’agisse de Silvain de Troas, d’Étienne d’Éphèse, d’Ouranios d’Émèse, voire de Zénon de Maïouma. Mais il leur importait aussi et avant tout de défendre leur siège, accroître son prestige, assurer sa puissance. L’invention devait rendre vaines les prétentions des uns (Éleuthéropolis, Gaza, Antioche), contribuant à briser la tutelle qui pesait sur les autres (Jérusalem, Émèse, Chypre). Le cadre n’est d’ailleurs pas anodin, et l’invention coïncide souvent avec une réunion conciliaire : la découverte du Tombeau du Christ apparaît comme une suite naturelle de Nicée (325), les premières revendications d’autonomie, en particulier pour Chypre, sont clairement formulées à Éphèse (431), Étienne d’Éphèse triomphe au ‘Brigandage’ (449), tandis qu’Ouranios d’Émèse y figure en accusé. À Chalcédoine (451), les rôles sont inversés. Il en va de même au niveau local, et l’on ne peut dissocier la réunion de Diospolis (415) de l’invention d’Étienne, tandis que le sort de Chypre se joue, à Constantinople (488), devant le synode permanent, etc. Les moines desservaient un grand nombre de lieux saints et autres martyria16, s’implantant souvent à proximité des reliques, y compris en milieu urbain. S’ils s’opposèrent parfois à la hiérarchie ecclésiastique et constituèrent des foyers de résistance à la politique religieuse des empereurs, ce pouvait être également de puissants soutiens. Aussi, leur relatif effacement17 dans nos récits d’invention, leur portrait en demi-teinte, demeurent-ils frappants. Leur place se situe aux deux bouts de la chaîne : les moines sont visionnaires et gardiens des reliques. Cas exceptionnel, à en croire Jean Rufus, la hiérarchie locale ne prit aucune part à la construction de l’église du Nébo, menée à bien par les 14 Plusieurs relations ne le mentionnent pas. Ce silence peut être volontaire, en particulier pour exalter la figure de l’empereur. De même, Sozomène, qui a déjà relaté la découverte d’Habacuc et Michée par l’évêque Zébennos, ne dit rien de son rôle dans l’invention du prophète Zacharie, tandis qu’il souligne celui de l’higoumène Zacharie de Gérara. Le monophysite Jean Rufus évite de mentionner le nom de l’évêque (chalcédonien) de Madaba, etc. 15 Il y a encore ces évêques en exil comme Pierre de Maïouma ou Sévère d’Antioche. L’absence de toute mention de l’évêque Juvénal dans la lettre de Dorothée sur l’invention des vêtements du Christ s’expliquerait par son éviction momentanée du trône hiérosolymitain après le concile de Chalcédoine. 16 Ajoutons qu’ils entretenaient et alimentaient les traditions locales. 17 On pourrait en revanche s’étonner de l’importance prise par les moines dans les deux versions de l’invention de Jacques – premier évêque de Jérusalem ! –, Zacharie et Siméon.

404

CONCLUSION

seuls habitants et « saints » qui peuplaient la sainte montagne. Pourtant, tout montre que, dans les grands centres de pèlerinage comme ailleurs, les lieux d’exercice du culte et de conservation des reliques n’échappaient guère au contrôle épiscopal, qui s’exerçait au plus tôt, dès la fondation du sanctuaire et la déposition des reliques. L’église de Moïse était entourée d’ermitages, mais clercs et moines rivalisaient de prévenance pour guider les pèlerins. C’est ainsi que, dès la fin du IVe siècle, Égérie visita les lieux sous la conduite du prêtre de Livias. Que penser, en ce cas, du témoignage de Jean Rufus, à un siècle de distance ? La vigilance épiscopale s’était-elle relâchée ? On penserait plutôt le contraire après le concile de Chalcédoine (451), en dépit des inimitiés et rivalités entre moines et autorités ecclésiastiques que le concile provoqua. D’ailleurs, de nombreuses inscriptions dans la région du Nébo invitent à réviser notre vision des choses concernant les maîtres d’œuvre et fondateurs de l’édifice, et du même coup, les relations des uns avec les autres18. Avec Constantinople et l’historiographie, c’est la figure de l’empereur qui est mise en avant. À l’exception de Julien (361-363)19, aucun souverain ne se montra ouvertement hostile au culte des reliques, et l’on pourrait aisément lier le nom de chacun à un ou plusieurs saint(s), sanctuaire(s) et relique(s)20. Mais une invention miraculeuse allait au-delà et sanctionnait le règne sous lequel elle se produisait, même s’il y eut peu d’inventeurs au sens strict du terme (si l’on écarte le couple Constantin-Hélène : Théodose Ier et sa petite-fille Pulchérie). Dieu récompensait de la sorte la piété personnelle du souverain et surtout, validait sa politique religieuse, qui visait à la félicité de son Empire par la concorde et l’union dans la foi. Mais la personnalité écrasante de l’empereur informe, et peut-être déforme, notre vision des choses. De fait, une lecture plus fine permet d’entrevoir une forte implication des laïcs21 : si, à Constantinople, PICCIRILLO, Arabie, p. 95s. Il fit détruire de nombreuses reliques et ‘créa’ de nouveaux martyrs. À cet égard, le règne de Théodose II peut apparaître comme un âge d’or. Certes, son exceptionnelle longueur expliquerait à elle seule le grand nombre des inventions, mais ce demisiècle jeta les bases des réflexions christologiques, comme des dissensions futures. Il faut toutefois prendre en compte le rôle de l’historien Sozomène (v. 450), qui rapporte à lui seul cinq cas, et participe à la valorisation de l’image de l’Augusta Pulchérie. Celle-ci se vit par la suite attribuer de nombreuses fondations sans doute postérieures. Paradoxalement, le culte des reliques fut peut-être remis en question à cette époque et pourrait avoir suscité des doutes chez l’empereur même. 21 Nos sources, fruit d’un discours ‘officiel’, risquent fort d’occulter l’ampleur du phénomène et le rôle réel des laïcs, depuis le petit peuple, quasi absent (cf. cependant le discours de Chenouté : supra, p. 18-19), jusqu’aux notables. Grégoire de Nazianze déjà réprouvait la possession privée d’un corps saint (Éloge Cyp., 17), et une certaine reprise en main par les autorités a dû, sur ce plan, intervenir ; la méfiance du clergé envers le don visionnaire des moines peut aller dans ce sens. Or, comme l’a fait remarquer Bernard Flusin, cette ‘politique’ fournit sans doute une clef de lecture importante, en particulier pour ce qui est de l’insistance sur l’hérésie des premiers possesseurs, moines ou puissants, des reliques, et leur récupération par les ‘orthodoxes’. 18

19

20

CONCLUSION

405

les grands sanctuaires de la déposition sont impériaux (Hebdomon, Blachernes, Saints-Apôtres), on peut s’interroger, plus largement, sur ce que la constitution du ‘trésor’ de la ville dut aux ‘puissants’, fonctionnaires palatins, officiers impériaux 22 : les inventions résonnent des noms de consuls, de généraux (Rufin, Aurélien, César, Stoudios, les Ardabour, Galbios et Candidos, Dorothée, etc.). Elles suscitèrent la mise en place de nombreux chantiers, plus ou moins grands, plus ou moins coûteux, mais il est peu probable que l’on ait toujours assuré un revenu pérenne à ces fondations privées, et nombre d’entre elles tombèrent sans doute assez vite dans le domaine impérial23. Plus tard, il y eut un essai de réglementation, et l’on encouragea les refondations, car les demeures des saints devaient être embellies ou relevées. Mais avec Justinien, toute l’œuvre édilitaire semble bien concentrée entre les mains de l’empereur. En fouillant son sol, le fondateur impérial réinventa la Ville : Constantinople chrétienne avait désormais un passé, construit sur des reliques. Que devinrent toutes ces reliques après leur invention ? En principe, elles étaient précieusement conservées par des Églises soucieuses de veiller sur les restes des patriarches et des prophètes qui les avaient annoncées, des apôtres qui les avaient fondées, des martyrs qui avaient versé leur sang pour elles, bientôt des moines qui œuvraient à leur salut. Mais leur destin fut variable : dispersées, beaucoup gagnèrent Constantinople. Le souvenir de l’invention, produit d’un lieu et d’un temps définis, n’était guère transportable. Il tomba souvent en désuétude. Pourtant, le culte que le miracle avait suscité était assez fort pour survivre à cet oubli et même à la disparition de la relique, éventuellement suppléée par des images.

22

Au-delà des motivations spirituelles ou temporelles (prestige) qui animaient les fondateurs, on ne saurait négliger le facteur économique, peu visible dans nos sources. 23 On peut encore penser à la disgrâce de certains fondateurs, suivie de la confiscation de leurs biens.

Habacuc, Michée

Gervais et Protais

385 / 395

386

Jean Baptiste / chef Cyprien

Égypte

Palestine Ière / près d’Éleuthéropolis

Palestine Ière / Jérusalem

Palestine Ière / Gaza

Palestine Ière / Jérusalem Palestine Ière / Jérusalem Arabie / Carnéas Palestine Ière / Jérusalem

Palestine – Arabie1

Syrie

Asie Mineure

Constantinople

Milan

?

Autres

1 MARAVAL, Lieux saints, p. 330 : « Quelques lieux saints situés dans la province d’Arabie ont été inclus dans l’inventaire de ceux de Palestine, parce que c’était généralement à partir de cette province qu’ils étaient visités par les pèlerins ; il en est ainsi du mont Nébo, avec le tombeau de Moïse, et de Carnéas, avec celui de Job. »

Théodose

avant 379

362 / 378

Valens 

Jacques, Zacharie, Siméon Eusèbe, Nestabos, Zénon

351

361 / 363

Job

Tombeau du Christ La Croix

Saint / Relique

vers 350 

après 325

Date (présumée) de l’invention vers 325

Julien

Constance II

Constantin

Règnes

Tableau des principales inventions de reliques dans l’Empire byzantin (IVe-VIe s.)

406 CONCLUSION

Théodose II

Arcadius

Règnes

Andronic et Junias Samuel

Saint / Relique

Joseph

Zacharie

Étienne, etc.

Cyr et Jean

Ananias, Azarias, Misaël

415

415 (?)

415

415 (?)

422 (?)

début du Ve s. Barthélémy

début du Ve s. Moïse

406

Date (présumée) de l’invention 395 / 408

Aegyptus / Alexandrie

Égypte

Palestine Ière / Sichem Palestine Ière / près d’Éleuthéropolis Palestine Ière / près de Diospolis

Palestine Ière / près de Jérusalem Arabie / Mont Nébo

Palestine – Arabie1

Syrie

Asie Mineure

Constantinople

Constantinople

Perse / Séleucie-Ctésiphon

Arménie

Autres

CONCLUSION

407

Corneille

Saint / Relique

Thaddée, etc.

Barnabé

Luc, Phocas, Romain

478 / 490

488

489

Zénon

Vêtement marial

Sept Dormants Vêtements du Christ Jean Baptiste / chef

473

453

452

448

434 / 446 ou Quarante 451 Martyrs 442 Isaïe

Date (présumée) de l’invention 425 / 431

Léon

Marcien

Règnes Égypte

Palestine Ière / Jérusalem

Palestine Ière / Jérusalem

Palestine – Arabie1

Chypre / Salamine Phénicie Ière / Orthôsias

Phénicie Libanaise / Émèse

Phénicie Ière / Panéas – Césarée de Philippes

Syrie

Asie / Éphèse

Hellespont / Skepsis

Asie Mineure

Constantinople

Constantinople

Arménie

Autres

408 CONCLUSION

550

Justinien

André, Luc, Timothée Quarante Martyrs Antoine

Marinos

Claude d’Antioche Georges

Saint / Relique

avant VIe s. (?) Onésiphore et Porphyre

561

551

525

515

Date (présumée) de l’invention 512 / 518

Justin

Anastase

Règnes

?

Thébaïde Ière / Pohé

Égypte

Palestine – Arabie1

Syrie Ière / Gindaros

Arabie / Ezra

Syrie

Hellespont  / Parium

Asie Mineure

Constantinople Constantinople

Constantinople

Autres

CONCLUSION

409

Épilogue Je suis le saint martyr Rafaíl. Je veux sortir librement, mais je n’en ai pas le droit si l’évêque ne me l’accorde pas. Jusqu’à quand vais-je rester inconnu ? Je veux mon icône et mon service liturgique1.

En 1959, sur l’île de Lesbos, une famille du village de Thermi, situé à environ quinze kilomètres au nord de Mytilène, entreprit, à la suite d’un vœu, de construire sur ses terres une chapelle dédiée à la Théotokos. Lorsque les ouvriers commencèrent à creuser, ils trouvèrent les restes d’une église ainsi qu’une tombe contenant un squelette bien conservé et exhalant une douce odeur. Plusieurs villageois eurent alors, en rêve, d’étranges révélations, bientôt relayées par de nouvelles découvertes. L’histoire du lieu ressurgit : après la chute de Constantinople, les Turcs s’étaient emparés de l’île et avaient massacré moines et habitants, un mardi de Pâques 1463. En 1962, fut construit, au lieu de l’invention, un monastère (féminin) pour célébrer dignement le culte des néomartyrs (l’higoumène Raphaël, le diacre Nicolas et la petite Irène), abriter les précieux restes et accueillir les pèlerins près des saints thaumaturges. Dans une étude récente, Séverine Rey a analysé le processus de « la fabrication de la sainteté » et dégagé l’existence de deux « registres » (populaire et ecclésiastique) complémentaires quoiqu’irréductibles l’un à l’autre : rêves et inventions furent le fait de villageois jadis réfugiés d’Asie Mineure (1921) qui s’identifièrent à leurs nouveaux patrons, puis, l’Église locale, d’abord réticente, « a rattrapé cette dévotion naissante pour la canaliser et l’utiliser à ses propres fins2 », si bien qu’« une partie des personnes qui ont joué un rôle clé dans la fabrication de la sainteté [pour l’essentiel, les villageois] se sont progressivement vues dépossédées de leur histoire, laquelle a été accaparée par l’institution et sa représentante [l’higoumène du monastère]3. » KONDOGLOU, Σημεῖον μέγα, p. 60, cité par R EY, Saints, p. 93. Ibid., p. 23. 3 Ibid., p. 288. La phase d’institutionnalisation du culte n’était plus centrée sur le martyre, mais sur le pouvoir thaumaturgique des saints. 1 2

412

ÉPILOGUE

Sans chercher à entrer dans les détails de ce dossier complexe4, on se plaira à reconnaître, dans ce miracle des temps modernes, l’héritage pleinement assumé d’une double tradition : l’Empire chrétien de Byzance5 et les inventions de reliques.

4

L’analyse en est d’autant plus précieuse que ce dossier offrait au chercheur l’occasion unique de pouvoir s’entretenir avec les principaux acteurs du drame et recueillir la vox populi condamnée au silence. 5 Ibid., p. 226-227 : « Les reliques des saints de Thermi sont restées enfouies dans la terre durant toute la durée de cet assujettissement […] Le fait que les événements sont situés au début de l’occupation [ottomane] met en scène l’idée d’‘éternité naturelle de la nation’. […] Dans le discours ecclésiastique, cette idée d’éternité prend une connotation divine : la nation ne peut être détruite, tout au plus va-t-elle ‘s’effacer’ (se cacher dans les entrailles de la terre) un temps. Le fait qu’elle puisse sortir victorieuse de cette épreuve, qu’elle ressuscite, donne une image de nation bénie par Dieu, voire sainte ».

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Cartes*

* Cartes de l’UMR 8167 « Orient et Méditerranée » et de l’UMR 7572 « Centre d’histoire et de civilisation de Byzance » (Collège de France).

Carte 1 : Les divisions administratives de l’Empire selon la Notitia Dignitatum

Carte 2 : La Palestine

Carte 3 : Jérusalem au VIe siècle

Carte 4 : La Syrie(-Palestine)

Carte 5 : Chypre

Carte 6 : La frontière orientale de l’Empire

Carte 7 : L’Égypte

Carte 8 : L’Asie Mineure

Carte 9 : Constantinople au VIe siècle

Carte 10 : L’Illyricum oriental

Index

Index des principaux noms de personnes mentionnées*

‘Abdā, évêque de Perse, 51 Abdias (Obadiah), prophète, 9, 11, 8081, 207 Abgar, roi d’Édesse, 89 Abhaeus (Mâr), évêque de Nicée, 392 Abibos, fils puîné de Gamaliel, 80, 86, 88, 90, 94, 200, 204, 218, 245, 361 Abimelech, personnage de l’A.T., 152 Abraamios, évêque de Krateia, 381 Abraham, moine, 312 Abraham, patriarche, 9, 20, 42-44, 224, 359, 393 Abramios, higoumène près de Tarse, 199, 258 Absalom, personnage de l’A.T., 65-68 ABÛ L-FATH, 46 Acace, évêque d’Amida, 375 Acace, évêque de Césarée, 293-294, 320, 357 Acace, évêque de Mélitène, martyr, 173, 268, 273 Acace, patriarche de Constantinople, 108, 386-387, 396 Adam, personnage de l’A.T., 27 Addâs, père d’Auxence, 322-323 Adolios, habitant d’Éphèse, 149, 190, 215 ADOMNAN / ADAMNANUS (ARCULFE), 43-44, 53, 68, 125-126, 137, 159 Aemilianos, évêque de Germia, 159 Aemilianos, préfet de la Ville, 344 AGATHANGE, 80 Agathon, abbé, 354 Aggée, prophète, 39, 64

AGNELLUS, 389, 397 Agricola, martyr, 194 Aias, évêque de Bitoulion, 372 AIGYPTIOS, 171 Alexandre le Grand, 52, 128 ALEXANDRE LE MOINE, 8, 25, 105, 108109, 111-114, 184, 281, 384-389 Alexandre, évêque d’Antioche, 384 Alexandre, fondateur des Acémètes, 329, 332 Alexandre, sénateur, 92, 97-99, 256257, 261 Alypios, neveu de Marcianos, 185 AMBROISE DE MILAN, 8, 12, 125, 170-171, 190, 194-196, 201, 215, 223, 230, 234, 240-241, 247-249, 255, 259, 263-264, 268, 298, 336, 361, 363, 365-369, 373, 397, 401, 403 AMMIEN MARCELLIN, 294, 369 Ammonios, chef des ‘Longs frères’, 296 Amos, prophète, 9, 300 Anagastes, magister militum, 346 Anastase Ier, patriarche de Constantinople, 382 ANASTASE LE BIBLIOTHÉCAIRE, 92, 98 Anastase le Perse, martyr, 250 Anastase, empereur byzantin, 15, 105, 223, 326, 330, 349, 374, 387, 396, 409 Anastase, intendant, 58 Anastasia, martyre, 348 ANDRÉ DE CRÈTE (PS.), 57 André, apôtre, 83, 114-121, 191, 244, 248, 252, 258, 272, 274, 279, 304305, 389, 391, 394-395, 397, 400, 409

* Petites majuscules = auteur (y compris lorsque ce dernier est ‘acteur’ de l’Histoire ou d’une invention)

500

INDEX

Andronic et Junie / Junias, disciples de Paul, 121, 268, 407 Andronic, évêque de Nicée, 392 Anicia Juliana, aristocrate romaine, 99 Anne, prophétesse, 67, 270 Annianus, évêque d’Alexandrie, 390 Anthémios, évêque de Salamine, 106107, 179, 194-197, 211, 215, 224, 241, 256, 259, 386-388, 403 Anthémios, préfet du prétoire d’Orient, 256, 342-343, 378 Anthémius, empereur d’Occident, 327 Anthime, évêque de Skamandros, 102 Anthime, prêtre et hymnographe, 323, 327 Anthousa, vierge, 172, 199, 202, 211, 213, 226, 258 Antoine, higoumène de Perse, 47, 218, 253 Antoine, père des moines, 18-19, 172, 185, 409 Antonin, philosophe, 13 APHRAATE, 32 Aphraate, moine, 163 Apollinaire, patriarche d’Alexandrie, 50, 155, 230, 244, 250, 354 Apollon, divinité, 401 Apollon, personnage du N.T., 351-352 Arbogast, magister militum, 335 Arcadia, fille d’Arcadius, 337, 397 Arcadius / Arcadios, empereur d’Orient, 36, 121, 140, 242, 334, 338, 341-344, 392, 397, 407 Ardabour / Ardabourios l’Ancien, 346, 348 Ardabour / Ardabourios le Jeune, fils d’Aspar, 129, 314, 346-348 Ardabour (Les), 131, 346-349, 405 Ariane, fille de Léon Ier, 131, 285, 346, 349 Arion le Citharède, 163 Aristoclianos, évêque chypriote, 390 Ariston, évêque de Salamine, 390

Arrianus, martyr, 163 Artémis, divinité, 151, 157, 401 Asaph, prophète, 29 Aspar, magister militum praesentalis, 129, 346-348 ASTÉRIUS D’AMASÉE, 89, 100, 157, 164 Athanase / Athanasios, évêque de Skepsis et Troas, 101, 104, 379-380 ATHANASE D’ALEXANDRIE (PS.), 119, 166, 357 ATHANASE D’ALEXANDRIE, 18-19, 81-82 Athanase, Néophyte et Charisime, martyrs, 172 Athénogène, martyr, 80 Attikos, patriarche de Constantinople, 45, 244, 292, 298, 376-378, 396 Attikos, roi de Babyone, 49 AUGUSTIN D’HIPPONE, 8, 13-14, 20-21, 87, 170, 190, 192, 246, 282, 296-298, 378 Aurélien / Aurélianos, préfet du prétoire d’Orient, 99-100, 256, 340-344, 362, 405 Auxence / Auxentios, martyr, 284 Auxence, évêque de Durostorum, 366 Auxence, évêque de Milan, 365 Auxence, moine, 250, 254, 322-328, 330 Auxence, neveu de Vincent, 322-323 Auxibios, évêque de Solia (Soloi), 113114, 390 Avitus, prêtre de Braga, 87, 95, 100, 204, 221, 227, 279, 297-298 Babylas (Matrona), moine, 326 Babylas, martyr, 9, 82, 401 Bakhéos, évêque de Suse (?), 49-50, 221 Balak et Balaam, personnages de l’A.T., 34 Bar Jésus, magicien, 109 Bar Sauma, évêque de Nisibe, 79 Barachie, père de Zacharie, 39, 61, 64 Barbus, cubiculaire, 148

INDEX

BARHEBRAEUS, 86, 148, 392 Barnabé, apôtre, 25, 55, 104-114, 121, 179, 184-185, 193, 196, 198, 200201, 211-213, 215, 220, 224, 228, 233, 241, 249, 251-252, 257, 259261, 263, 268-269, 276, 279, 281, 293, 384-390, 400-401, 408 Barthélémy, apôtre, 121-122, 268-269, 276, 283, 374-375, 407 Basile / Basilios, évêque d’Éphèse, 308 BASILE DE CÉSARÉE, 153, 283, 368 BASILE DE SÉLEUCIE, 35, 42, 89, 98, 119120, 255, 298, 364 Basile Ier, empereur byzantin, 69 Basile II, empereur byzantin, 79, 134, 166 Basile, évêque d’Amasée, martyr, 145, 147, 164, 181, 194, 198, 211, 225, 252, 254, 268, 271, 275, 373, 400 Basiliscus, usurpateur, 349 Bassa, fondatrice, 54, 277 Bassianos, évêque d’Éphèse, 308-309 Bassianos, higoumène à Constantinople, 76, 326-328 Bassos, consul, 342 Baudoin, seigneur d’Hébron, 42 BÈDE, 36, 68, 82, 298 Bélisaire, général byzantin, 334 Benê Hézîr, famille sacerdotale, 65 Benjamin, « chef des Juifs », 127-128, 214, 234, 299 Bousiris, confesseur, 147, 271, 273 Caelestius, disciple de Pélage, 296 Caesarios, protopapas, 385 Calandion, patriarche d’Antioche, 105, 386 CASSIODORE, 36, 101, 146, 282 Cécropius, évêque de Sébastopolis, 309 Celestiacus, 310 César / Caesarius, préfet du prétoire d’Orient, 153-154, 219, 256-257, 340-342, 344, 405

501

Chaliméros, paysan, 38, 215-216, 220 CHENOUTÉ D’ATRIPE, 18-19, 404 Chresmios, habitant d’Émèse, 88, 382 Christodoulos, évêque de Bifrā, 77 CHRISTOPHORE DE MYTILÈNE, 20, 121 Chrysaphios, préposite, 345 CHRYSIPPE DE JÉRUSALEM, 82 CICÉRON, 12, 14 Cirycus et Julitte, martyrs, 166 Claude d’Antioche, martyr, 158, 167, 179, 306, 409 Claude, centurion romain, 91 CLÉMENT D’ALEXANDRIE (PS.), 56, 89 CLÉMENT D’ALEXANDRIE, 108 Clément, martyr, 120, 241 Cléophas, père de Simon Jude, 147, 270 CODINOS (PS.), 54, 70, 336 Conon, martyr, 285, 349 Constance II, empereur romain, 58, 114-115, 117-118, 292, 315, 320, 322-323, 342, 353, 356-357, 370, 391, 397, 406 CONSTANTIN ACROPOLITE, 166 CONSTANTIN DE TIOS, 264 Constantin Ier, empereur romain, 8, 25, 58, 84 92, 98-99, 114-117, 125, 139, 164, 166-167, 184, 190, 223, 232234, 261, 270, 337, 339, 343, 349350, 352-353, 355, 357-358, 361362, 370-371, 378, 391, 393-394, 397, 399, 404, 406 CONSTANTIN LE RHODIEN, 116 Constantin VII Porphyrogénète, empereur byzantin, 70, 114, 141 Corneille, apôtre, 25, 101-104, 185186, 196, 198, 201, 212, 215, 218, 222, 233, 241, 244-245, 250, 254, 255, 257, 260-261, 264, 268, 273274, 279, 281, 284-285, 342, 376, 378, 380, 384, 401, 408 COSMAS INDICOPLEUSTÈS, 352, 359 COSMAS VESTITOR, 137 Cosmas, préposite, 304

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INDEX

Cyprien et Justine, martyrs, 167-168 CYPRIEN DE CARTHAGE, 7, 168, 173 Cyprien, martyr, 25, 145, 167-168, 186, 189, 195, 283, 406 Cyr, martyr, 50, avec Jean, martyr, 145, 168-169, 190, 194, 199, 211-213, 215, 223, 230, 232, 239-240, 244, 250, 253, 261-262, 268, 277, 283, 367, 407 Cyriaque, higoumène à Émèse, 72-73 Cyrille / Cyrillus, consulaire de Palestine, 370 CYRILLE D’ALEXANDRIE, 9, 104, 168, 190, 194-195, 215, 239-240, 258, 262, 292, 302, 308, 364-365, 367, 401 CYRILLE DE JÉRUSALEM, 10, 11, 58, 85, 92, 99, 179, 194, 198, 201, 216, 241, 262, 269, 280, 293-295, 312, 321, 355-358, 360, 383 CYRILLE DE SCYTHOPOLIS, 381 Cyrille, archiprêtre de Zeus, 109 Damase, pape, 145 Daniel le Stylite, moine, 48, 141, 327 Daniel, prophète, 48-49, 269, 274 David, roi d’Israël, 9, 11, 29, 59, 61, 215, 239, 243, 247, 252, 358, 359 Dèce, empereur romain, 148, 151, 340 Déiphobe, fils de Priam, 15 Démétrius / Dèmètrios, gouverneur de Skepsis, 101-103, 212, 260, 273, 284 Dèmètrios, martyr, 222, 281 DENYS DE FOURNA, 77 Denys l’Aréopagite, 137 DENYS LE PETIT, 72, 75-76, 282, 315 Denys, évêque de Lydda, 296 Denys, évêque de Milan, 368 Denys, scholastique, 304 Dina, fille du patriache Jacob, 44 Dioclétien, empereur romain, 12, 17, 162-163, 166-167, 171, 384 Diogène, évêque de Cyzique, 379 Dioscore, patriarche d’Alexandrie, 308

DIOSKOROS D’ALEXANDRIE (PS.), 150 Dométios le Médecin, thaumaturge, 170 Dométios, martyr, 169-170, 184-185, 190, 213, 218, 227, 240, 250, 253 Domitien, évêque de Mélitène, 397 Domnus / Domnos, patriarche d’Antioche, 308-312, 382 Dorothée (Dūrat), comte de Palestine, 127-129, 194, 234, 279, 299-300, 332, 345, 347, 403, 405 Dorothéos, higoumène, 329 Edna, femme de Gamaliel, 93 ÉGÉRIE, 8, 25, 28-35, 36-38, 41, 45-46, 59, 80 Éléazar, Ithamar et Phinée, personnages de l’A.T., 46 Éléazar, prêtre juif, 46 Éleusios, évêque de Cyzique, 319-321 Éleuthera Stephanis, cubiculaire, 325 Éleuthérios, évêque de Jéricho, 86, 97, 239, 242, 297 Éli, personnage de l’A.T., 191 Élie, prophète, 9, 80, 224 Élisabeth, mère du Baptiste, 79, 83 Élisée, prophète, 9,-11, 80-82, 84, 207, 230, 369 Elpidèphoros, chrétien de Nicomédie, 196 Emmélie, mère de Basile de Césarée et Grégoire de Nysse, 153 Énée, héros antique, 15, 200 Énée, personnage du N.T., 159 Épaphras, personnage du N.T., 113 Épaphroditos, personnage du N.T., 113 Éphrem patriarche d’Antioche, 163 ÉPHREM, 42 ÉPIPHANE DE SALAMINE, 36-38, 40, 88, 119-120, 123, 294-296, 385, 390 Épiphane, clerc de Jérusalem, 61-63, 293 Épiphane, reclus au Cédron, 58, 63, 66, 192-196, 198, 201, 216, 293 Eraclius, prêtre, 378 Esdras, prophète, 36, 40-41

INDEX

Étienne, évêque d’Éphèse, 149-152, 221, 282, 308-309, 313, 396, 403 Étienne 1, higoumène d’Émèse, 72, 73, 315-318 Étienne 2, higoumène d’Émèse, 72, 73, 315-318 Étienne, patriarche d’Antioche, 386 Étienne, protomartyr, 21, 25-26, 3839, 59-61, 63, 75, 80, 86-101, 125, 127, 171, 180, 184, 186, 192, 199, 200, 203-204, 206-208, 214-216, 221, 227, 229, 234, 239, 241, 250, 253-257, 260-261, 264-265, 268-270, 273-274, 276-277, 279-280, 283, 291, 293, 297-298, 302-303, 324, 337-338, 343-345, 355, 358-362, 364-365, 393-394, 400, 403, 407 Eucherius, consul, 12 Eudocie, épouse de Théodose II, 98100, 168, 234, 255, 257, 299-302, 338, 364-365 Eudoxe, patriarche de Constantinople, 320, 394 Eudoxie, épouse d’Arcadius, 242-243, 343 Eugène, usurpateur, 69, 335-336 Eugenios, notable de Skepsis, 101, 103, 224, 255 Euloge, Eusignius, Néon, Eudocius, martyrs, 147, 275 Eulogia, nonne, 76 Eulogios, évêque de Césarée, 297 EUNAPE DE SARDES, 13 Eunomios, prêtre de Zeus, 101, 103 Euphémie, épouse d’Anthémius, 327 Euphémie, martyre, 230, 264, 266 Eurippos, « second disciple de Jean », 83 Eusèbe (Mâr), higoumène de Jérusalem, 128, 299-300 EUSÈBE DE CÉSARÉE, 8, 25, 30-32, 36-38, 44, 47, 56-57, 68, 80, 84-85, 95, 108, 115, 118-119, 152, 165, 179-181, 184, 190, 232, 295, 300, 352, 357358, 371, 382, 390

503

Eusèbe, disciple des Marcianos 185 Eusèbe, évêque d’Émèse, 314-315 Eusèbe, évêque de Constantinople, 92 Eusèbe, évêque de Nicomédie, 315, 319 Eusèbe, Nestabos et Zénon, martyrs de Gaza, 26, 145, 146-147, 163, 195196, 201, 215, 224, 253, 257, 271, 273, 275, 278-279, 369, 406 Eusébia, diaconesse, 153-154, 214, 219, 261, 263, 325, 340-341, 344 Eustathe, évêque de Béryte, 381 Eustathe, évêque de Sébaste, 14, 153, 294, 314, 319- 321, 330, 340 Eustathe, hiéromoine hérétique, 71, 75, 313-315, 318, 325, 402 Eustathe, primicerius silentiariorum, 308 Eustochius (Eustathe), hiéromoine hérétique, 75, 314 Eustochius, patriarche de Jérusalem, 354, 358 Eustorgios, évêque de Skepsis, 379 EUSTRATE DE CONSTANTINOPLE, 9, 86, 88, 164 EUTHYME DE CONSTANTINOPLE, 71, 139-140 Euthyme, higoumène, 299 Eutonios, évêque de Sébaste, 86, 97, 239, 242, 297 Eutrope, préposite, 334, 337, 341 Eutychès, hérésiarque, 105, 309, 311, 313, 329-330, 332 Eutychianos, préfet du prétoire d’Orient, 341 Eutychius / Eutychios, patriarche de Constantinople, 164, 354, 397 Eutychios, évêque d’Éleuthéropolis, 294 EUTYCHIUS D’ALEXANDRIE, 150, 354 Eutyque, personnage du N.T., 237 ÉVAGRE LE PONTIQUE, 152, 296 ÉVAGRE LE SCHOLASTIQUE, 98, 149, 182, 226, 229, 267-268, 348, 374 Évagre, évêque de Solia (Soloi), 385 Ézéchias, roi de Juda, 57, 65 Ézéchiel, prophète, 11, 29

504

INDEX

Firmilien, évêque de Césarée de Cappadoce, 80 Flavien, patriarche de Constantinople, 308-309, 313, 397 Flavius Dionysius, comte d’Orient, 385, 389 FLAVIUS JOSÈPHE, 11, 32, 43, 56, 80 FLORIUS BOUSTRONIUS, 390 Gabriel, archange, 135 Gaïnas, général goth, 341-342 Galbios et Candidos, stratélates, 50, 129-130, 133, 135-138, 142-143, 194, 234, 253, 256, 271, 285, 345, 347-349, 402, 405 Gallus, César, 401 Gamaliel, patriarche juif, 362-364 Gamaliel, pharisien, 55, 80, 86, 88-91, 93-95, 103, 179, 182, 184, 192-193, 195-199, 202-204, 215, 227, 257, 260, 345, 361-362, 364 GAUDENCE DE BRESCIA, 118, 120, 152-153, 170, 397 GÉLASE DE CÉSARÉE, 125, 356 GÉLASE DE CYZIQUE, 125 Gélase, pape, 97, 166, 282, 396 Gennade, higoumène d’Émèse, 73, 194, 196, 198, 207-208, 315-318 Gennade, martyr, 173 Gennade, patriarche de Constantinople, 15, 172-173, 211, 216, 223, 231-232, 252, 254, 258, 261, 278, 346 GEORGES DE CHYPRE, 159, 300 GEORGES DE LAODICÉE, 315 GEORGES LE MOINE, 53, 69, 134, 148 Georges, abbé, 173 Georges, patriarche d’Alexandrie, 370 Georges, martyr, 158-161, 196-197, 223, 258, 279, 409 GERMAIN DE CONSTANTINOPLE, 139 Germain, évêque de Néapolis, 44 Gérontios, higoumène de Jérusalem, 301 Gérontius, moine, 312 Gervais et Protais, martyrs, 12, 21, 25,

145, 170-171, 190, 194, 196, 199, 213, 215, 222, 240-241, 252, 255, 259, 263-264, 298, 336, 366-369, 391, 402, 407 Gésius / Gésios et Isidore, 76-77, 222, 235-237, 315-316 Glaphyra, servante au palais de Licinius, 164 Gratien, empereur d’Occident, 12, 366 Gratissime, préposite, 327 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, 11, 16, 25, 80, 115, 120, 167, 173, 186, 283, 348, 370, 378, 404 GRÉGOIRE DE NYSSE, 15, 17, 32, 35, 86, 89, 100, 126, 153, 226 GRÉGOIRE DE TOURS, 59, 88, 118-119, 149, 153, 170 Grégoire l’Illuminateur, apôtre de l’Arménie, 80 Grégoire le Grand, pape, 397 Guéhazi, serviteur d’Élisée, 369 Guermond / Gormond, patriarche latin de Jérusalem, 42 GUILLAUME DE TYR, 45 Habacuc, prophète, 26-27, 35-38, 4041, 174, 196, 202, 212, 215, 222, 224, 252, 257, 268, 274, 278, 296, 298, 403, 407 Hadrien, empereur romain, 12, 40, 57, 232, 362 HÉGÉSIPPE, 56-57, 63, 68 Hélène, mère de Constantin, 92, 125, 127, 190, 234, 283, 302, 339, 358, 391, 393-394, 404 Héliodore, diacre, 312 Héraclide, évêque d’Éphèse, 307 Héraclide, évêque de Tamasos, 109-111, 113-114, 389-390 Héraclius, empereur byzantin, 131-132, 299 Hermineric / Herminericus, fils d’Aspar, 346, 347

INDEX

Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, 71, 79, 82-85, 214-215 Hérode le Grand, roi de Judée, 11, 8081, 231 Hérodiade, épouse d’Hérode Antipas, 79, 82-84, 181, 225 HÉRODOTE, 10, 163 Héros, archevêque d’Arles, 297 HÉSYCHIUS DE JÉRUSALEM, 59, 86, 89, 122, 269, 359 Hiérax, clarissime, 151 Hiérothée, évêque d’Athènes, 137 Hilaria, martyre, 326-328 Hilarion, moine, 304 HIPPOLYTE DE THÈBES, 64, 118 Honorius, empereur d’Occident, 342, 362 Hormisdas, pape, 395-396 Hyacinthe, martyr, 171, 198-199 Hypatie, mathématicienne et philosophe, 181 Hypatios, higoumène de Rufinianes, 321, 326, 329, 330, 337 Ibas, évêque d’Édesse, 149, 332 IGNACE D’ANTIOCHE, 16, 17, 182, 267, 390 Ignace, patriarche de Constantinople, 71 Innocent Ier, pape, 384 Innocent, hiéromoine, 82, 84 Innocents (Saints), 67 Irène, néomartyre, 410-411 IRÉNÉE DE LYON, 390 Isaac, moine d’Émèse, 72-73, 200, 318 Isaac, moine de Constantinople, 264, 341-344 Isaac, patriarche, 9, 42-43, 224, 359, 393 Isaïe l’Égyptien, moine, 304 Isaïe, prophète, 11, 27, 37, 39, 41, 5354, 65, 269, 277, 364, 408 Isidore de Chio, martyr, 324 ISIDORE DE PÉLUSE, 13, 151 ISIDORE DE SÉVILLE, 48 Isidore, prêtre, 296

505

Jacob, patriarche, 9, 42-44, 46, 59, 224, 268, 292, 303, 359, 393 Jacques de Cyrrhestique, moine, 331 Jacques le Mineur, apôtre, 25, 27, 5568, 80, 88, 179, 186, 192-194, 196201, 208, 209, 212, 213, 216, 217, 231, 241, 252, 255, 257, 262, 263, 265, 268-270, 274, 276, 278, 280, 281, 293, 295, 312, 357-359, 383, 390, 403, 406 Jamblique (l’un des Sept Dormants, avec Maximilien, Martinos, Jean, Dionysios, Exakostodianos, et Antoine), martyr, 148-149 Jean Baptiste, le Précurseur, 9, 11, 16, 26, 39, 40, 44, 64, 66, 68-86, 88, 181, 189, 192, 193, 196, 197, 205-207, 211, 215, 220, 225, 231, 235, 236, 249, 256, 265, 268, 271, 275, 276, 282, 285, 292, 318, 321, 324, 336, 349, 381-383, 406, 408 JEAN CHRYSOSTOME, 30-31, 42, 116, 158, 292, 296, 307, 337, 341-342, 344, 376, 392, 396-397 Jean Colobos, moine, 49 JEAN D’ÉPHÈSE, 351-352 JEAN DAMASCÈNE, 137, 171 JEAN DE BOLNISI, 361 JEAN DIACRINOMENOS, 374 Jean dit Marc, cousin de Barnabé, 83, 108-113, 281, 358 Jean dit Vincomalus, consul, 327 Jean II, évêque de Jérusalem, 86-87, 9192, 94, 97-100, 204, 216, 221, 227, 241-242, 250, 255, 279, 291, 295-298, 312, 345, 355, 359-361, 364, 403 Jean l’Aumônier, patriarche d’Alexandrie, 108 Jean l’Eunuque (Mithridate), compagnon de Pierre l’Ibère, 207, 300-302 JEAN MALALAS, 26, 74, 114-115, 155-156, 161-163, 169-170, 194, 253, 279, 308, 347, 381

506

INDEX

JEAN MOSCHOS, 15, 16, 52-53, 173 JEAN PHILOPON, 396 JEAN RUFUS, 16, 31, 33, 35, 79-80, 153, 156, 158, 223, 226, 255, 262, 300306, 403-404 Jean Tzimiskès, empereur byzantin, 102 JEAN ZOSIME, 63 Jean, apôtre et évangéliste, 55, 70, 80, 88, 90, 118, 126, 135, 137, 248, 301302, 336, 382, 384, 390, 397 Jean, comte des largesses sacrées, 363 Jean, diacre de Mitylène, 102 Jean, disciple du moine Isaac, 341, 344 Jean, fils de Diomède, 158-161, 223 Jean, higoumène (?) près de Jérusalem, 61-63, 193, 208-209, 265, 280 Jean, higoumène de Farnâs, 63, 128, 299-300 Jean, higoumène de Mâr Eusèbe, 63, 128, 299-300 Jean, moine au Sinaï, 42, 45 Jean, patriarche d’Antioche, 292, 312, 384-385 Jean, pourchassé par Ardabour, 346 Jean, prêtre de Nicomédie, 164 Jean, reclus de l’Hebdomon, 323-324 Jean, soldat, 173 Jean, usurpateur, 346 Jéchonias, serviteur des Trois Hébreux, 50, 221 Jérémie, prophète, 11, 52-53 JÉRÔME, 8, 14, 20, 27, 36-38, 44, 46, 53, 55, 57, 59, 68, 80-81, 103, 120, 164, 295 Jessé, père du roi David, 29 Jésus, le Christ, le Seigneur, 7-10, 1618, 19, 21-22, 25, 27, 43-44, 49, 55-59, 61-62, 64, 67-68, 78-81, 8385, 88-91, 93, 95-97, 106, 118-119, 121-122, 125-126, 127-129, 130, 133, 135-136, 139-141, 158, 160, 182-184, 190, 194-195, 199-201, 205-206, 208-209, 213-215, 226-227,

230, 232-235, 239, 242-243, 247249, 255, 258-259, 264, 268, 270271, 279, 285-286, 298-299, 307, 310-313, 318, 331-333, 337, 343, 345, 347-348, 350, 352, 355-361, 365-368, 376, 381-383, 391, 399, 402-403, 406, 408 Jésusdenah, évêque perse, 79 Jézabel, personnage de l’A.T., 80 Joas, roi de Juda, 39, 40 Job, personnage de l’A.T., 25, 27, 28-31, 33-34, 37, 41, 196, 218, 221-222, 252, 257, 261-263, 269, 276, 278, 406 Jobab, roi d’Édom, 29 JOËL, 105-106, 133-134 Jordanès, magister militum per Orientem, 347 Josaphat, roi de Juda, 65, 68 Joseph (Barnabé), 108 JOSEPH D’ARIMATHIE (PS.), 88, 141 Joseph d’Arimathie, personnage du N.T., 88, 95, 103 Joseph, patriarche, 10, 27, 40, 41, 4247, 59, 68, 192, 213, 215, 218, 228, 231, 239, 244, 250, 253, 258, 273, 278, 292, 344, 359, 361, 393, 407 Joseph, père nourricier de Jésus, 68, 270 Judas (Cyriaque), évêque de Jérusalem, 125-127, 234, 283, 357 Judas Iscariote, 59, 64 Juliana, veuve d’Alexandre, 92, 99 Julien d’Anazarbe, martyr, 162-163, 165 Julien d’Éclane, disciple de Pélage, 296 Julien d’Émèse, martyr, 162, 164-165, 191, 194, 201, 205, 207, 211, 213, 240, 274, 313, 382-383, 399, 406 JULIEN L’APOSTAT, 9, 11, 80-82, 117, 146147, 169, 173, 240, 271, 314, 356, 365, 369-371, 383, 404 Julien, diacre de Césarée, 102, 250-251 Julien, moine d’Émèse, 73, 318 Juste, évêque judéo-chrétien de Jérusalem, 358

INDEX

Justin Ier, empereur byzantin, 133, 345, 349, 351, 387, 395-396, 409 Justin II, empereur byzantin, 67, 117, 133-134, 139-141, 270, 292, 353 JUSTIN MARTYR, 88 Justine, martyre, 168 Justine, mère de Valentinien II, 366 Justinien Ier, empereur byzantin, 26, 53, 69-70, 114-116, 133, 137, 139-140, 155, 195, 228, 254, 256, 271, 274, 281, 292, 345, 349-353, 387-388, 395-397, 399, 401, 405, 409 Juvénal, patriarche de Jérusalem, 41, 48, 54, 128-129, 137, 255, 291, 299-300, 302, 306, 311, 332, 364, 382-383, 403 Karosos, higoumène, 329 KÉDRÉNOS, 53, 74, 99, 104-106, 118, 126, 133, 148, 292, 308, 388-389 Lampon, prêtre, 364 Lazare, évêque d’Aix, 297 Lazare, personnage du N.T., 8, 83, 149, 226, 230, 303 Léon Ier, empereur byzantin, 48, 81, 105, 129-131, 133-135, 139, 141142, 253, 256, 259, 285, 313, 322, 327, 335, 345-349, 374, 382, 388, 408 Léon II, empereur byzantin, 131, 285, 346 LÉON MACHÉRAS, 390 Léon VI le Sage, empereur byzantin, 71, 140 Léon, métropolite d’Émèse, 381 Léon, pape, 308, 332, 347 Léonce, évêque de Césarée de Cappadoce, 80 Léonce, usurpateur, 386 Léontia, fille cadette de Léon Ier, 346 LÉONTIOS, 31 Leuce et Callinique, martyrs, 340 Licinius, empereur romain, 17, 153, 164, 181

507

Longin le Centurion, martyr, 16, 122, 129, 182, 201, 225, 236, 274 ‘Longs Frères’ (Les), 296, 307 Luc, évangéliste, 114-121, 191, 213, 223, 241-242, 249, 252, 258, 261, 263, 272, 274, 279, 285, 352, 393397, 409 Luc, martyr, 382 Luc, Phocas, Romains, martyrs, 145, 156-158, 163, 194, 198, 200, 213, 215, 253, 258, 261, 279, 408 Lucien d’Antioche, martyr, 163-164 Lucien, prêtre de Caphargamala, 25, 86-87, 89-90, 93-96, 100, 171, 179, 186, 189, 192-198, 200, 202-204, 215-217, 221, 227, 264, 279, 282, 297-298, 345, 360, 361 Lucille, donatiste, 19 Lucius, gouverneur de Jérusalem, 182 Lysias, gouverneur de Tarse, 162 Macaire, patriarche de Jérusalem, 354 Macchabées, fondateurs de la dynastie hasmonéenne, martyrs, 11, 28 Macédonius / Makédonios Ier, patriarche de Constantinople, 69, 314, 319-322, 325, 334, 394, 396 Macrin, empereur romain, 162 Macrine, sœur de Basile de Césarée et Grégoire de Nysse, 226 Makédonios II, patriarche de Constantinople, 104, 326 Malchos, prêtre d’Émèse, 73, 196, 198, 231-232, 312, 331 Malchos, serviteur du Grand prêtre, 312 Malpha / Maclutha, préfet du Roi, 47, 51, 194, 253, 255 Marathônius / Marathonios, évêque de Nicomédie, 319-320, 330 Marc (Jean Marc et Ps.-Marc), évangéliste, 83, 108-113, 130, 135, 185, 224, 253, 281, 349, 358, 389390, 396

508

INDEX

Marc, moine copiste, disciple de l’abbé Silvain, 40 Marcel / Marcellus, higoumène et prêtre d’Émèse, 310, 312-313, 382, 385 Marcel l’Acémète, 318, 330-332, 346 Marcel, diacre originaire d’Émèse, 327 Marcel, higoumène de Qiriyat Gasa, 127-128, 332 Marcel, higoumène du Spélaion, 71-75, 85, 189, 192-194, 196, 198, 206-209, 211, 215-217, 219, 262, 279, 312318, 328, 381 Marcel, prêtre d’Émèse, 205, 316 Marcelline, sœur d’Ambroise de Milan, 366 MARCELLIN / MARCELLINUS COMES, 45, 51, 54, 72, 74-76, 85-86, 99, 149, 292, 314, 316-317, 365 Marcianos, moine, 173 , 185 Marcien, économe de la Grande Église, 236, 255-256, 323-324, 327, 348 Marcien, empereur byzantin, 46, 53, 73-74, 127, 128, 133, 137, 141, 154, 299-300, 308, 322-326, 328, 332, 345-346, 392, 408 Mardonius / Mardonios, préposite, 68, 321, 334, 337, 402 Mares / Marinus / Maron (Étienne d’Éphèse), 151 Mari, higoumène de Qiriyat Gasa, 127128, 332 Marie Madeleine, 126, 149 Marie, la Vierge, mère de Dieu, Théotokos, 22, 50, 59, 68, 78-79, 83, 85, 118, 125-126, 129-143, 159, 171, 191, 214-215, 225, 231, 233-234, 249, 258, 268, 270-271, 274-277, 279-280, 285, 349, 358, 381, 391, 411 Marie, sœur de Lazare, 83 Marina, fille d’Arcadius, 337 Marinos, martyr, 161-163, 165, 196, 202, 212-213, 215-216, 253, 258, 279, 402, 409 Marinus de Harran, 70

Maris, évêque de Beth Ardashir, 332 Maris, marchand (?) d’Émèse, 317 Maroutha, évêque de Martyropolis, 121, 374-376, 392 Martyrius / Martyrios, patriarche d’Antioche, 374 Martyrs d’Orthôsias (Luc, Phocas, Romain), 192, 196, 211, 213, 265 Martyrs de Lyon, 179-180 Matrona, abbesse, 76, 191, 317, 325-328 Matrona, diaconesse, 68, 76, 234, 320322, 325, 340, 402 Matthias, apôtre, 119, 358 Matthieu, évangéliste, 104, 106, 109111, 114, 220, 293, 387 Maurice, empereur byzantin, 135, 137-138 Maxentius, higoumène d’Émèse, 72, 205, 315-316 MAXIME LE CONFESSEUR, 135, 139, 231 Maxime, Dadas, Quintilien, martyrs, 147, 171, 268, 270, 276-277 Maxime, patriarche de Jérusalem, 356 Maximien Hercule, empereur romain, 12, 167 Maximien, archevêque de Ravenne, 389, 397 Maximilla / Maximilina, prophétesse montaniste, 351 Maximin, empereur romain, 17, 166, 171, 184, 382 Maximos, higoumène, 329 Maximus / Maximos, notable d’Arca, 304-305 Mégéthios, moine de Caphargamala, 96, 193-194, 196, 198, 202 Mélanie l’Ancienne, 82, 294-296 Mélanie la Jeune, 300-302, 365 Mélétios, l’un des Quarante Martyrs, 152 Ménas, Hermogène et Eugraphus, martyrs, 166 Ménas, martyr, 166, 184, 198-199, 211, 223, 240, 254, 260, 275

INDEX

Ménas, patriarche de Constantinople, 114, 155, 242, 244, 261, 354 Métrophane, évêque de Constantinople, 92-93, 119 Michée, prophète, 26-27, 35-38, 39-41, 196, 202, 212, 215, 221-222, 224, 252, 257, 262, 269, 277-278, 298, 403, 407 Michel III, empereur byzantin, 70-71 Michel IV, empereur byzantin, 41, 165 MICHEL LE SYRIEN, 36, 70, 79, 86, 101, 114-115, 118, 148, 162, 299, 351352, 392 MICHEL PSELLOS, 92, 322 Michel, archange, 32, 34 Mithridate (Jean l’eunuque), 301 Mnason, personnage du N.T., 110 Mocimos, lecteur, 382 MODESTE DE JÉRUSALEM, 150, 360 Moïse, évêque d’Antarados, 244, 292 Moïse, patriarche, 9-10, 27, 31-35, 41, 43, 194, 196, 200, 202, 211, 213, 215-216, 222, 224, 226, 252, 257, 262, 268, 273, 278, 283, 292, 301302, 304, 401, 404, 406-407 Montan / Montanus, hérésiarque, 351352 AL-MUKADDASī, 29 Myrophores (Saintes), 67 Nabarnougios (Pierre l’Ibère), 301 Nabor et Félix, martyrs, 170, 213, 241, 252, 366, 369 Nabuchodonosor, roi de Babylone, 4751, 214 Nazaire, martyr, 248, avec Celse, martyr, 194, 367 Nectaire, patriarche de Constantinople, 335, 343 Neilos, évêque d’Orthôsias, 305 Néon, martyr, avec Eusèbe, Nestabos et Zénon, 147, 271, 275, avec Euloge, Eusignius et Eudocius, 147

509

NÉOPHYTE LE RECLUS, 15, 172, 223, 252, 278 Nestor, confesseur, 146-147, 271, 273, 371, 373 Nestorius, patriarche de Constantinople, 153, 310, 326, 329, 385 Nicandre, Grégoire, Pierre, Dèmètrios et Élisabeth, anachorètes, 173 NICCOLÒ DA POGGIBONSI, 66 NICÉPHORE CALLISTE, 36, 39, 53, 69, 8283, 86, 92, 99, 101, 105-106, 115, 134, 137, 139, 141, 146, 148, 154, 261, 299, 334, 345, 372, 387 NICÉTAS LE PAPHLAGONIEN, 57, 92, 167 Nicodème, cousin de Gamaliel, 64, 80, 86, 88, 90, 94-95, 200, 203-204, 361 NICOLAS CABASILAS, 246-247 Nicolas Ier, patriarche de Constantinople, 140 NICOLAS MÉSARITÈS, 116 Nicolas, clerc et calligraphe, 121 Nicolas, néomartyr, 411 Nigrinianus, consul, 58 Numérien, empereur romain, 326 Olympias, diaconesse, 164, 229 Onésiphore, apôtre, 380, 384, avec Porphyre, son serviteur, 55, 122-123, 181, 185, 191, 194, 199, 215, 222, 226-228, 231, 255, 409, avec les apôtres Sosthène, Apollon, Cephas, Tychique, Epaphrodite et Caesarios, 123 Onias, peronnage de l’A.T., 152 Opilio, consul, 74 Oreste, héros antique, 10 ORIGÈNE, 16, 39, 64, 108, 119-120, 295296, 306-307 Osiris (Aurélien), 340-341 Ouranios / Uranius, évêque d’Émèse, 73-74, 217, 234, 241, 279, 306, 309313, 316-318, 331, 381, 382, 385, 403

510

INDEX

Oursos, préfet de la Ville, 344 Ozée, personnage de l’A.T., 231 Pachôme, moine, 19, 185 PALLADIOS D’HÉLÉNOPOLIS, 82, 295-296, 307, 342, 376 Palladios, prêtre d’Émèse, 315, 317 Pamphile, évêque de Césarée de Palestine, 102 Pamphile, martyr, 8, 292, 295 Pancrace, préfet de la Ville, 12 Patricius, fils d’Aspar, 346-347 Patrophile, évêque de Scythopolis, 314 PAUL OROSE, 87, 196, 296-298 Paul, apôtre, 55, 88, 106, 108-110, 112113, 118, 120, 122-123, 199, 201, 221, 227, 237, 243, 248-249, 256, 282, 329, 337, 351, 380, 384, 389391, 395, 397 Paul, évêque d’Antarados, 312 Paul, évêque d’Émèse, 165, 240, 381, 383, 389 Paul, patriarche de Constantinople, 314, 319, 342 Paul, notable d’Éleuthéropolis, 58-60, 63, 65, 67-68, 198, 201, 217, 263, 270, 276, 280, 293, 358 Paula, aristocrate romaine, 8, 37, 43, 80 PAULIN DE MILAN, 170, 190 PAULIN DE NOLE, 82, 118, 125, 391, 397 Paulin, patriarche d’Antioche, 294 Paulinien, frère de Jérôme, 330 Pélage, hérétique, 296-298, 403 Pélagie, martyre, 172, 199 PÈLERIN ANGLAIS, 67 PÈLERIN DE BORDEAUX, 29, 39, 44, 56-57, 64-65, 103, 334 PÈLERIN DE PLAISANCE, 31, 36, 41, 43-44, 46, 79, 98, 103, 125, 137, 159, 172, 259, 262, 293, 334, 349, 358, 364365 PÉTRONE, 14 Philémôn, Apollonios, etc., martyrs, 163

Philippe, apôtre, 9, 55, 83, 118, 336 Philippe, consul, 342 Philippe, frère d’Hérode, 79 Philippe, higoumène de Jérusalem, 8182 Philippe, préfet du prétoire d’Orient, 342 Philippicus, magister militum Orientis, 374 PHILOSTORGE, 80, 115, 334, 356 Philostorgios, évêque de Skepsis, 101, 104, 205, 255, 281, 284, 379-380 Philoxène de Mabboug, 386 Philoxène, évêque de Doliché puis de Salamine, 386 Phinée, personnage de l’A.T., 46 Phocas, empereur byzantin, 335 Phocas, martyr, 157-158 Phosphoros, évêque d’Orthôsias, 305 Photine la Samaritaine, martyre, 268, 277 Photios et Anicétos, martyrs, 166 PHOTIOS, 14, 59, 86, 88, 148, 150, 299, 306-307 Pierre (Paul d’Éleuthéropolis), 293 PIERRE DIACRE, 36-37, 45-46, 59, 80, 358, 365 Pierre l’Ibère, évêque de Maïouma, 3335, 153, 156-158, 194, 207, 216, 223, 278-279, 291, 299-306, 332, 402-403 Pierre le Brouteur, anachorète, 173, 211 Pierre le Foulon, patriarche d’Antioche, 105-106, 385-386, 388, 396 Pierre Monge, patriarche d’Alexandrie, 396 Pierre, apôtre, 9, 55, 88, 90-91, 102, 112, 115, 118, 123, 126, 130, 133, 135, 159, 200, 248, 253, 256, 269, 271-272, 276, 285, 293, 313, 329, 337, 348-349, 352, 358, 382, 390391, 395-397 Pierre, candidat au siège d’Émèse, 309311 Pierre, clerc de Jérusalem, 61, 63, 293

INDEX

Pierre, évêque de Sébaste, 152, 283 Pierre, higoumène et prêtre d’Émèse, 72-73, 315-318 Pilate, procurateur romain, 85, 88, 9091, 95, 303 PLUTARQUE, 10 Polycarpe de Smyrne, martyr, 80, 182183 Polychronia, solitaire, 211 Polychronios, prêtre de Saint-Thyrse, 154, 219, 344 Polydore, prince troyen fils de Priam, 15 Pompéianus / Pompéianos / Pompéios, évêque d’Émèse, 309-310, 312 Porcius Festus, procurateur romain, 56 Porphyre, archidiacre d’Émèse, 313 Porphyre, évêque de Gaza, 370-371 Porphyre, martyr, 123 Prayle, évêque de Jérusalem, 99, 293, 345 Priscilla / Prisquila, prophétesse montaniste, 351 Proclos, patriarche de Constantinople, 102, 154, 216, 241, 307-308, 339, 344 PROCOPE DE CÉSARÉE, 26, 53-54, 69-70, 114-116, 121, 133-134, 155-156, 187, 196, 214, 223, 228, 240, 242, 261, 266, 279, 350, 352, 354, 395 PROPERCE, 14 PROSPER TIRO D’AQUITAINE, 149 Protérios, patriarche d’Alexandrie, 313 Publius, martyr, 164 Pulchérie, sœur de Théodose II, épouse de Marcien, 54, 74, 99, 133, 137, 139, 141, 154-155, 195-196, 216, 242, 260, 293, 325-326, 333, 337-340, 342, 344-345, 397, 404 Quarante Martyrs, 7, 26, 145-146, 152156, 157, 163, 186, 191, 195-196, 199-200, 213, 216, 219, 222, 224, 228, 240-242, 244, 252, 256-258,

511 261, 263, 272, 275, 278-279, 283, 325, 340, 353, 365, 394, 402, 408409

Rafaël / Rafaíl, néomartyr, 410 Ramsès II, pharaon, 29, 221 Rhéginos, évêque de Salamine, 385 Rhodon, évêque de Chypre, 109-111, 113, 281 Romain II Argyre, empereur byzantin, 70, 134 Romain Lécapène, empereur byzantin, 141 Romain, moine, 300 Rubil, neveu de Benjamin, 127, 299 RUFIN D’AQUILÉE, 57, 80-82, 125, 294296, 336 Rufin, préfet du prétoire d’Orient, 256257, 321, 329, 336-337, 341-343, 349, 405 Sabellius, théologien, 315 Saladin, 65 Sallus, receveur du fisc, 317 Salomé, fille d’Hérodiade, 78, 83, 231 Salomon, roi d’Israël, 29, 57 Samaritaine (La), personnage du N.T., 43-44, 268, 292 Samuel, prophète, 27, 53, 191, 273, 291, 344, 361, 393, 407 Saprikios, chrétien de Tarse, 162 Saprikios, évêque de Paphos, 385 Sara, personnage de l’A.T., 43 Satan, 34, 197 Saturninus, magister militum, 341, 344 Satyrus, frère d’Ambroise de Milan, 367 Saül de Tarse (Paul), 56, 90-91 Sélémias, fils aîné de Gamaliel, 93, 95 Séleucus, évêque d’Amasée, 164 Sept Dormants, martyrs, 118, 145, 147152, 184, 190, 213, 215, 221, 226, 234, 240, 252, 257, 260, 270, 274, 277, 279, 282, 306, 308, 313, 392, 408

512

INDEX

Sérapis, divinité, 81, 336 Serge, martyr, 160-161, 374, avec Bacchus, martyr, 76, 157-158, 163, 253 Serge, patriarche de Constantinople, 132 Sergia, abbesse, 229 Sergius, consul, 58 SÉVÈRE D’ANTIOCHE, 84-85, 104, 108, 158, 167, 170, 194, 306, 381, 387, 402-403 SÉVÈRE D’ASHMOUNAÏN, 150 SÉVÈRE DE MINORQUE, 364 Sévérien, évêque de Scythopolis, 299 Silas, apôtre, 109, avec Andronic, Silvanus, Crescens et Epaenetus, 121 Silas, diacre perse, 47 Silvain / Silvanos, évêque de Troas, 101, 104, 194-196, 198, 215, 217, 241, 244, 255, 259, 294, 342, 376-380, 403 Silvain, évêque d’Émèse et martyr, 165, 382 Silvain, évêque de Tarse, 293-294, 321 Silvain, higoumène du Sinaï et de Gérara, 40, 193, 220, 300 Silvanos, évêque de Troas, 376 Simon le Cananéen (Jude), apôtre, 147 Simon le Mage, 352 Simon, moine, 312 SKYLITZÈS, 71 SOCRATE, 26, 45, 51, 101, 125, 294, 306307, 315, 320-321, 329, 338, 342, 348, 356, 375-380, 391, 394, 397 Sophie, épouse de Justin II, 134, 139, 141 SOPHRONE DE JÉRUSALEM, 168-169, 232, 386 Sophronios, évêque de Pompéiopolis, 319 SOZOMÈNE, 25-26, 35-40, 42, 63, 68-70, 76, 85-86, 100, 146-147, 153-156, 181, 184, 186-187, 190, 195, 200, 202, 211-212, 214-216, 219-221, 223-224, 226, 228, 239, 242, 254, 260-263, 278-279, 294, 300, 315, 319-325, 327-328, 334, 336, 338342, 344-345, 353, 356-357, 369, 371-373, 394, 398, 401, 403-404

Sphorakios, consul, 256 Stachys, évêque de Byzance, 119, 395 Stéphanos (Étienne), évêque d’Éphèse, 150 Stéphanos, évêque d’Orthôsias, 305 Stoudios, consul, 256, 327, 330-331, 344, 405 Stratège, lecteur d’Émèse, 311, 318 STRATÉGIOS, 82 Syagrius, consul, 12 Syméon / Siméon le Théodochos, personnage du N.T., 25, 55-68, 80, 186, 193, 199-201, 208-209, 213, 216-217, 241, 262-263, 265, 268270, 274, 276, 280-281, 293, 313, 359, 403, 406 Syméon / Siméon Stylite l’Ancien, 62-63, 225, 250, 327, 348, 374 Syméon / Siméon, évêque de Jérusalem, 270, 357, 390 Syméon / Siméon, grand prêtre, 64 Syméon / Siméon, patriarche, 10 SYMÉON CABASILAS, 53 SYMÉON DE THESSALONIQUE, 245-246, 249 SYMÉON LE MÉTAPHRASTE, 53, 75-76, 78, 101-102, 122, 132, 137, 148, 150, 157, 164, 166, 169, 260, 284, 326 Symmaque, aristocrate romain et consul, 69, 369 SYNÉSIOS DE CYRÈNE, 15, 340-342, 344, 378 Tatien, consul, 69 Taurus, consul, 341 TERTULLIEN, 15, 39, 88, 123, 180-181, 225 Thaddée, apôtre, 121, 408 Thècle, martyre, 122-123, 222, 281, 283 Thémistagoras, frère de Tychicos, 113 Théodora, épouse de Justinien, 116, 156 Théodora, mère de Michel III, 71 THÉODORE DAPHNOPATÈS, 70 Théodore de Sykéôn, moine et évêque, 159

INDEX

THÉODORE LE LECTEUR, 26, 36, 69, 86, 100, 104, 106, 108, 111, 133, 138139, 151, 327, 348, 374, 388 THÉODORE LE SYNCELLE, 131-136, 142, 281, 349 THÉODORE STOUDITE, 71, 78, 235 Théodore, consulaire de Chypre, 385 Théodore, cubiculaire, 148 Théodore, dédicataire de l’H.E. de Socrate, 307 Théodore, évêque d’Aigéai, 149, 150, 306-307 Théodore, évêque d’Ezra, 160 Théodore, évêque d’Iconium, 166 Théodore, évêque de Damas, 311, 382 Théodore, évêque de Salamine, 385 Théodore, martyr, 256, 283 Théodore, notable d’Ezra, 160 THÉODORET DE CYR, 9, 13, 41, 51, 80, 309-312, 331, 347 Théodoret, patriarche d’Antioche, 381 THÉODOSE DE MÉLITÈNE, 53, 133 Théodose Ier, empereur romain, 12, 35, 37, 68-70, 74, 140, 146-147, 150, 152, 190, 234, 240, 242, 253, 256, 259, 271, 294, 307, 320-321, 325, 333-338, 341, 343, 353, 361, 363, 365-366, 371, 381, 391, 395, 404, 407 Théodose II, empereur d’Orient, 9, 3839, 42, 45, 47, 51, 99, 118, 128, 139, 148-151, 154-155, 231, 240, 258, 267, 293, 299, 301, 306, 308, 322, 333, 337-339, 342, 350, 362, 375376, 381, 392-393, 397, 404, 407 Théodose, anti-évêque de Jérusalem, 129, 299 Théodose, moine, 163 THÉODOSIUS, 31, 34, 41, 44-46, 53, 5960, 63, 103, 118, 137, 148-149, 153, 159, 358 Théodote, martyre, 358 Théodote, Théoctiste, Eudoxie, et leur mère Athanasie, martyres, 168-169

513

THÉOPHANE LE CONFESSEUR, 8, 36, 39, 74, 79, 81, 86, 99, 115, 131, 133, 138139, 148, 151, 156, 165, 244, 263, 314, 326-327, 337, 346, 354, 356, 375, 382-383 Théophile, dévot d’Auxence, 324 Théophile, évêque d’Éleuthéropolis et de Castabala, 294, 321 Théophile, patriarche d’Alexandrie, 4950, 81, 84, 168, 296, 307 THÉOPHYLACTE SIMOCATTAS, 134, 335 Théosébios, berger, 211 Thésée, héros grec, 10 Thomas, apôtre, 56, 118, 121, 136-137, 141, 229, 242, 248, 256, 397 Thomas, évêque de Germanicia, 104, 387 Thomas, évêque de Constantinople, 121 Thyrse, martyr, 153-156, 196, 199, 213214, 219, 240, 242, 252, 256-257, 260, 272, 340-341, 344 Tibère II, empereur byzantin, 345 Timochlès, hymnographe, 327 Timon, hiérodule, 109, 113 Timothée d’Éphèse, disciple de Paul, 114-121, 137, 191, 213, 223, 241242, 248-249, 252, 258, 261, 263, 272, 274, 279, 352, 384, 390-391, 394, 396-397, 409 Timothée Élure, patriarche d’Alexandrie, 301, 347 Timothée Ier, patriarche de Constantinople, 138 Timothée, évêque d’Arca, 311, 382 Timothée, parent du martyr Hyacinthe, 199 Trajan, empereur romain, 80, 171 Tribigild, général ostrogoth, 391 Troïle / Troïlos, sophiste, 342, 376-377 Troïlos, évêque de Salamine, 385 Trois Hébreux (Ananias, Azarias, Misaël), 27, 47-52, 126-127, 141, 191-192, 194, 214-215, 218, 221, 230-231, 233, 244, 250, 253, 255,

514

INDEX

257, 269, 274, 278, 281, 348, 354, 364, 399, 402, 407 Tychicos, personnage du N.T., 113, 123 Typhon, frère d’Osiris (César), 340-341 Ulfilas, évangélisateur des Goths, 366 Ursicinus, martyr, 331 Vahrām V, roi de Perse, 17, 47, 50-51 Valens, empereur d’Orient, 68-69, 116, 294, 314, 320-321, 334-335, 341, 353, 395, 406 Valentinien Ier, empereur d’Occident, 12, 378 Valentinien II, empereur d’Occident, 335, 366 Valentinien III, empereur d’Occident, 73, 74 Valérien, empereur romain, 167 VALÉRIUS DU BIERZO, 80 Valérius, évêque de Laodicée, 311 Vérine, épouse de Léon Ier, 130-131, 133-134, 139-140, 253, 256, 285, 327, 349 VICTOR DE TUNNUNA, 104-105, 108, 172 Victor, martyr, 248, 367, 369 VICTRICE DE ROUEN, 239, 397 Vigilance, prêtre, 9, 14, 20, 259 Vincent, hiéromoine, 69, 234, 321-325, 402 Vincomalus (Jean), consul, 74, 327 VIRGILE, 15 Vital, martyr, 70, 147, 194, 271, 275 Xanthias et Saprikios, fidèles, 162 Yezdegerd Ier, roi de Perse, 50-51, 375-376

Yovhannês, catholicos d’Arménie, 121 ZACHARIE LE RHÉTEUR (PS.), 149 ZACHARIE LE RHÉTEUR, 79 Zacharie, higoumène de Gérara, 38, 40, 193, 216, 220-221, 300, 317, 403 Zacharie, père du Baptiste, 25, 39-41, 55-68, 79-80, 83, 85, 186, 193, 199, 201, 208-209, 213, 216-217, 241, 244, 250, 262-263, 265, 268-270, 274-276, 280-281, 292-293, 312, 344, 357, 359, 361, 364, 393, 403, 406 Zacharie, personnage de l’A.T., martyr, 39-40, 64 Zacharie, prophète, 26-27, 38-42, 6364, 67, 93, 127, 194, 196, 211-213, 215, 220-221, 224, 226, 252, 257, 260-261, 269-270, 275-276, 278, 283, 292, 298, 300, 364, 403, 407 Zachée, personnage du N.T., 91, 357 Zébennos, évêque d’Éleuthéropolis, 36, 38, 194, 215, 221-222, 224, 295, 297, 403 ZÉNOB DE GLAG, 80 Zénobianè, chrétienne de Chalcis, 185 Zénon, dit le prophète, moine, 300 Zénon, empereur byzantin, 104-106, 108, 111, 131, 139-140, 256, 293, 304, 346-349, 386-388, 396, 408 Zénon, évêque de Kurion, 385 Zénon, évêque de Maïouma, 146, 202, 216, 224, 240, 253, 255, 262, 365, 371-372, 403 Zoïle, évêque d’Alexandrie, 354 ZONARAS, 133-134 ZOSIME, 334, 337

Index des principaux lieux et sanctuaires mentionnés

Aigéai, 150, 306 Aelia (Jérusalem), 57 Afrique, 19-21, 52, 296, 298, 346 Alexandrie, 11, 14, 52, 81-82, 84-85, 109, 112, 163, 168, 172, 181, 240, 299, 387, 390, 396, 407 Amasée, 164, 194, 258, 373 Ambrosienne (basilique, SaintAmbroise), 241, 252, 367 Anastasia (église de l’), 323, 348 Anastasis, 169, 273-274, 277, 323, 355, 361 Anastasioupolis (Dara), 374 Anazarbe, 162 Ancyre, 44, 147 Andralès, 122 Andrinople, 117-118, 341 Annisa, 153 Antarados, 292 Anthédon, 146, 373 Antioche de Pisidie, 167 Antioche de Syrie, 28, 30, 70, 74, 104, 106-107, 109, 127, 161-163, 165, 167, 182, 216, 253, 258, 267, 294, 310, 312-314, 340, 347-348, 374, 381, 384-388, 390, 396, 401-403 Antiochène, 263 Apamée de Bithynie, 340 Apamée de Syrie Seconde, 331 Apamène, 263, 310 Apollonias de Bithynie, 112, 340 Arca, 118, 304-305, 381-382 Archaia (église), 207, 313-314, 383 Arimathie, 95 Argyropolis, 119 Arménie, 80, 152-153, 155, 314, 374375, 407-408 Ashtaroth-Carnaïm (Carnéas), 27, 29

Asie, 118, 150, 166, 306, 309, 340, 351, 391, 395, 408 Asie Mineure, 85, 157, 164, 212, 306, 408-409, 411 Asoa, 36 Asorestan, 375 Augustéon (place de l’), 335 Babylone, 47-50, 141, 214, 217, 221, 250, 258 Bassianos (monastère de), 76, 326-328 Becos Abacuc (Besanduc ?), 36 Beit Dalta, 304 Beit Djimal, Beit-el-Djemâl (Caphargamala ?), 95, 97 Bénéthala, 381 Bèrathsatia, 36-38, 221 Béryte, 381-382 Besanduc, 36-37, 295 Beth-Péor, 32, 33 Béthel, 9, 303 Béthéléa (Bitoulion), 146, 372 Bethgalorum (monastère de), 315-316 Bethléem, 29, 43, 83, 291, 295, 303, 401 Bethmamatis, 316 Beth Tafsa, 303 Bèththérébin, 38, 40, 219 Beyrouth (Béryte), 357 Bithynie, 320 Bitoulion (Béthéléa), 372 Blachernes, 54, 129-134, 137-138, 141, 143, 253, 256, 258, 271-272, 277, 280, 285, 348-349, 405 Bostra, 159-160 Braga, 227, 297-298 Bycoyca (Besanduc ?), 36-37 Byzance, 92, 114, 119-120, 184, 198, 240, 254, 395, 397, 412

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INDEX

Calama, 48 Camouliana, 125, 195, 259, 268, 276277 Cana, 9 Canope, 12, 168-169 Caperetus (monastère de), 316 Caphar Gamala, Caphargamala, 40, 55, 86, 88-90, 93-95, 97, 100, 204, 212, 221, 227, 250, 253, 269, 279, 297, 343, 345, 359, 361-362 Caphar Salamin, Caphar Salama, Caphar Selemia, Capharselemia, 93, 95 Caphar Zacharia, Capharzacharia, 27, 38, 40, 42, 93, 195, 213, 215-216 Capharnaüm, 9, 140 Cappadoce, 85, 122, 140, 283, 368 Carmel (mont), 83 Carnéas, 25, 28-31, 33, 35, 37, 193, 213, 216, 218, 252, 255, 257, 262263, 406 Carterius (monastère du « bienheureux »), 72, 316-317 Carthage, 7, 19, 20, 245 Castabala, 294 Cédron (vallée du), 27, 54, 57, 63-65, 193, 212-213, 358-359 Césarée de Bithynie, 340 Césarée de Cappadoce, 80, 122-123, 153, 171, 395 Césarée de Palestine, 102-103, 222, 250, 285, 355-356 Césarée de Philippes (Panéas), 53, 408 Chalcédoine, 68-69, 85, 92, 113, 229, 254, 258, 283, 321-322, 334-335, 337, 347 ; concile de, 102, 105, 138, 150, 152, 160, 244, 299-303, 306, 308-309, 313, 318, 322, 324-330, 332, 352, 379-382, 384, 386, 388, 392, 396, 403-404 Chalcis, 185 Chalcoprateia / Chalkoprateia / Chalcopratia / Chacopratées, 67-68,

134, 136, 138-141, 143, 270, 272, 274-275, 277, 292 Chalkè, 244 Chariasati (Morasthi), 36 Châsse (chapelle de la), 134, 141, 143, 272, 285, 349 Chêne, 337, 396 Chypre, 108-110, 112-113, 121, 172173, 185, 251-252, 259, 281, 295, 380, 383-390, 403, 498 Cilicie, 68-69, 150, 162, 294, 306, 320321 Claramnium (monastère de), 316 Comane, 71, 78 Constantia (Salamine de Chypre), 269, 384, 388-390 Constantia (Maïouma de Gaza), 370-371 Constanti(ni)anae, 99, 101, 274, 277, 345 ; Constantinianus, 92 Constantinople, 22, 26, 31, 35, 41, 45, 47, 52-53, 59, 68-72, 75-78, 85-87, 92, 98-102, 104, 106-107, 114, 117121, 126, 129-131, 135-143, 146, 149, 153, 155-156, 158, 160, 163, 166-167, 169-170, 172-173, 195, 213-214, 220-222, 224, 229, 244, 248, 252-254, 258, 268-272, 280, 283, 291, 294, 296, 298-299, 301, 307, 313, 318-320, 322-327, 329332, 334-338, 340-348, 350, 352, 361-362, 364, 373-374, 376-377, 384, 386, 388-389, 391-398, 402409, 411 Corne d’or, 155, 168, 171 Coronée, 123 Cosilaos (Kosilaoukomê), 68-69, 85, 234, 253-254, 321, 325, 334 Ctésiphon (Babylone), 27, 48, 50, 52, 233, 255, 257, 348, 375, 407 Cucuse, 314 Cyrrhestique, 170, 331 Cyr / Cyrrhus, 169, 185, 310, 381 Cyrène, 15, 340, 378

INDEX

Cyzique, 319-320, 335 Dalmate (monastère de), 343 Damas, 79, 221, 381 Daphné, faubourg d’Antioche, 82, 119, 347, 401 Dara, 374 Delagabria, 94 Délos, 166 Dennaba, 29 Diospolis (Lydda), 38, 95, 159, 297, 300, 403, 407 Dôme du Rocher, 63 Drypia (faubourg de), 242 Durostorum, 171, 366 Édesse, 89, 100, 118, 125, 149, 248 Édom, 29 Éléona, 401 Éleuthéropolis, 36-38, 40-42, 58, 63, 95, 202, 252, 257, 291-294, 296-298, 300, 403, 407 Émèse, 70-72, 74-77, 79, 83-86, 165, 195-196, 207, 213, 215, 234, 240241, 257, 263, 265, 280, 306, 309310, 313-315, 324, 326-328, 330, 381-383, 389, 395, 399, 402-403, 408 Épiphane (monastère d’), 36-37, 295 Endor, 9 Éphèse, 55, 80, 106, 109, 115, 118, 148-153, 173, 223, 240, 248, 257, 292, 306-309, 310, 312-313, 347, 364, 379-381, 384-390, 395, 401403, 408 Esbus, 31 Euchaïta, 283 Euphratésie, 386 Exakionion, 347 Ezra, 158-161, 195, 197, 223, 233, 258, 401, 409 Fausta (basilique de), 241, 367, 369

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Flavia (fondation de), 48, 273 Fondi, 397 Gabatha, 36 Galilée, 9, 79, 349 Galatie, 159 Gangres, 14, 321 Gausithai, 381 Garizim (mont), 44, 46 Gaza, 40, 146-147, 201, 216, 257, 262, 300-301, 304, 365, 369-373, 403, 406 Gébal (mont), 49 Génésareth (mer de), 9 Gérara, 39, 40, 300 Gethsémani, 35, 135, 137, 303 Gindaros, 161-163, 165, 194, 213, 216, 253, 258, 402, 409 Golgotha, 27, 99, 125, 293, 303, 338, 355 Gômon, 332 Grande Église (Sainte-Sophie), 45, 47, 53, 131-132, 133, 139, 236, 241-242, 244, 253, 255-256, 269-276, 292, 323, 342-344, 352, 361, 393-394 Hauran, 28-29, 158-159, 212 Hebdomon, 53, 69-71, 74, 85-86, 242, 253, 256, 258, 323-324, 326, 328, 334-337, 395, 405 Hébron, 10, 28, 32, 36, 42-43, 45-47, 215, 228, 359, 364 Helenianae, 155 Hélénopont, 152-153, 164 Hellespont, 101, 123, 233, 237, 320, 376, 380, 384, 396, 408-409 Héraclée, 12, 395 Hermons, 9 Hiérapolis, 55, 104, 118 Iconium, 109, 112, 123, 166 Imbomon, 365 Irénaion, 332 Isiacum de Ménouthis, 401

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INDEX

Jemmala (Caphargamala ?), 95, 97 Jéricho, 31, 239, 292 Jérusalem, 28-29, 35-36, 38-42, 48-50, 52-59, 60-65, 67-68, 71, 81-86, 8889, 94-95, 98-100, 109-110, 126-127, 129-130, 137-138, 140-141, 169, 180, 182, 190, 193, 199, 205, 208, 211, 215, 217, 234, 239, 241-242, 253-258, 263, 269-270, 280, 283, 292-303, 318, 320-321, 323, 332, 343, 345, 347, 351-352, 355-361, 364, 383, 387-388, 390, 401-403, 406-408 Josaphat (vallée de), 57, 59, 64, 68, 97 Jourdain, 8, 28, 31, 79, 83, 173, 206 Justinianae, 155 Juvénal (fondation de ; Saint-Isaïe), 48, 54 Kafar Tourban, 300 Karsogmata (Caphargamala), 90 Katabolos, 364 Katalia, 94 Kédar, 98, 180 Kèla (Keïla), 36-38 Kourion, 110 Lampsaque, 294 Laodicée, 109, 381 Lesbos, 411 Ligurie, 366 Livias, 31, 302, 404 Lycaonie, 123, 237 Lydda (Diospolis), 86, 159-160, 223, 296-297, 300 Machéronte, 80 Machpela, 32 Madaba, 31, 33, 403 ; (carte de) Madaba, 37, 41, 45, 358 Magdal Thouta, 304 Magydos, 349 Maïouma / Maïoumas, 146-147, 257, 299, 301, 306, 365, 369-373

Mambré, 43 Marneion, 370 Martyrium, 125, 255, 262, 273, 355, 361, 401 Martyropolis, 374-376, 392 Masephta, 53 Mélitène, 155 Ménouthis, 168-169, 212, 239-240, 253, 262, 367, 401 Mésè, 155 Mésie, 171, 366 Mésopotamie, 170, 375 Messine, 173 Métanoia (monastère de la), 169 Milan, 25, 117, 194, 240, 248, 365-369, 391, 402, 407 Milliaire, 335 Minorque, 21, 298, 364 Mochlos (montagne), 148, 213 Morasthi (Chariasati), 27, 36-37 Mytilène, 102, 411 Naïm, 9 Néapolis de Chypre, 113 Néapolis (Carnéas ?), 29 Néapolis (Naplouse), 42-44, 98, 213, 218 Néocésarée, 45 Nazareth, 9, 349 Nébo (mont), 27, 31-35, 202, 211, 216, 252, 257, 283, 302-304, 401, 403404, 406-407 Nicée, 377, 392 ; (concile de) Nicée I, 25, 45, 77, 92, 118, 161, 236, 325, 350, 355, 378, 384-386, 396, 403 ; (concile de) Nicée II, 245 Nicomédie, 164, 167, 194, 254, 319, 340 Nikerta (couvent de), 310 Nisibe, 149, 374 Nitrie (désert de), 296 Nole, 397 Oliviers (mont des), 8, 57-60, 64, 68, 82, 84-85, 197, 241, 252, 257, 291,

INDEX

293, 295-296, 300-302, 336, 356359, 364 Orthôsias, 156-158, 195, 201, 213, 215, 223, 258, 305-306, 408 Oxéia (mont), 322, 325 Palestine, 8, 22, 26, 42, 55, 89, 126, 129-130, 134, 140-141, 143, 159, 166, 214, 233, 258, 264, 291-292, 295-297, 299, 301-302, 307, 311, 338, 345, 361-363, 370, 381-382, 399, 406-408 ; Palestine Ière, 27, 36, 40, 80, 95-96, 297, 311, 355 Palmyre, 381 Pamphylie, 109, 326, 349 Pandocheion, 101, 103, 212, 214, 223 Panéas (Césarée de Philippes), 41, 53, 364, 408 Pankaia, 55, 123 Panopolis, 19 Panteichion, 68, 254, 334 Paphlagonie, 99, 320 Paphos, 109-110, 113, 173, 216-217, 258, 269, 390 Parium, 123, 181, 194, 215, 255, 380, 384, 409 Patras, 117-118, 120, 223, 304 Paul le Lépreux (monastère de), 81 Perama, 244 Pépouza, 351 Pergè, 76, 109, 326 Perse, 27, 47, 51-52, 157, 221, 322-323, 331, 346, 348, 365, 374-376, 407 Phasaelis, 173 Phénicie, 292, 304 ; Phénicie Ière, 118, 156, 158, 292, 305, 381, 408 ; Phénicie IIe ou Libanaise, 70, 311, 313, 381-382, 408 Philippe (monastère de l’abbé), 81-82 Philippoupolis, 376, 378, 380 Phrygie, 118, 166, 350-352 Pisidie, 166 Pohé, 158, 167, 409

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Pompéiopolis, 319 Pont, 320, 395 Portienne (basilique), 366 Psalton, 311, 382 Qiriyat Gasa, 128, 332 Qouros (mont), 170 Ramatha, 53 Ravenne, 70, 171, 389, 397 Rhadamnos, 162 Rimini, 366 Rome, 7, 55, 162, 168-169, 171, 267, 283, 294, 296, 320-321, 333-332, 337, 352, 387, 391, 395-397 Rufinianes, 321-322, 324 Saint-Akakios (Constantinople), 394 Saint-Ambroise (basilique Ambrosienne, Milan), 252, 367 Saint-Auxence (mont), 321 Saint-Barnabé (Salamine), 105, 108, 113, 256, 281, 386 Saint-Chariton (monastère de), 300 Saint-Corneille (Césarée), 102 Saint-Corneille (Skepsis), 102-104 Saint-Cyriaque (Constantinople), 327 Sainte-Anthousa (monastère de Tarse), 172 Sainte-Euphémie (Chalcédoine), 283 Sainte-Hilaria (Émèse), 326, 328 Sainte-Irène (Constantinople), 394 Sainte-Irène de Sykae, 155-156, 195, 213, 241, 242, 252, 256, 261, 272, 353 Sainte-Irène près de la mer, 323-324, 327 Sainte-Marie (Jérusalem), 59 Sainte-Marie (Constantinople), 153 Sainte-Marie des Blachernes, 285 Sainte-Marie (Théotokos) des Chalcoprateia, 67 Sainte-Marie-Majeure, 283 Sainte-Sophie, 292, 298, 325, 348, 394

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INDEX

Sainte-Thècle (Séleucie), 283 Saint-Élie, 160 Saint-Étienne (église d’Aurélien, Constantinople), 99, 264, 274, 277, 343 Saint-Étienne (Émèse), 207, 313, 316317 Saint-Étienne du Palais, 104, 114, 387, 394 Saint-Étienne-hors-les-murs (Jérusalem), 98, 100, 255, 257, 279-280, 365 Saint-Félix (Nole), 82 Saint-Georges (Constantinople), 274 Saint-Georges (Ezra), 160-161, 195, 233, 401 Saint-Georges (Lydda), 159 Saint-Georges (Thessalonique), 123 Saint-Isaïe (Constantinople), 54 Saint-Isaïe (fondation de Juvénal), 4142, 54 Saint-Jacques (Maison de Paul), 58-60, 63, 65, 67, 68 Saint-Jacques des Chalcoprateia, 67-68, 139, 268, 270, 274 Saint-Jean (Éphèse), 116, 118, 308 Saint-Jean-Baptiste (Émèse), 79, 316 Saint-Jean-Baptiste (église de Stoudios), 71, 85, 327, 332 Saint-Jean-Baptiste (Alexandrie), 84 Saint-Jean-Baptiste de l’Hebdomon, 6970, 86, 335-337, 395 Saint-Jean-Baptiste en tois Daniel, 323 Saint-Jean-Baptiste en tois Sphorakiou, 70, 75, 275 Saint-Jean-Baptiste (Sébaste), 84 Saint-Jean-le-Haut (Jérusalem), 82 Saint-Jean-le-Théologien / Saint-Jean l’Évangéliste de l’Hebdomon, 69, 336 Saint-Job (Antioche), 30, 255, 262 Saint-Julien d’Anazarbe (Antioche), 162163, 165, 253 Saint-Julien (Émèse), 165, 207, 316, 383

Saint-Laurent (Constantinople), 54, 99100, 132, 271 Saint-Laurent-hors-les-murs (Rome), 99 Saint-Longin (Constantinople), 274 Saint-Marc (Alexandrie), 168, 213, 253, 261 Saint-Marc (Venise), 116 Saint-Ménas (Constantinople), 329 Saint-Ménas (Jérusalem), 54, 277 Saint-Michée (Morasthi), 37 Saint-Michel de l’Anaplous, 69 Saint-Samuel (Constantinople), 53 Saint-Samuel (Ramatha), 53 Saint-Sépulcre, 122 Saints-Apôtres, 114-118, 120-121, 213, 223, 241-242, 249, 252, 256, 261, 263, 272, 274, 277, 352, 392, 394397, 405 Saints-Apôtres (église de Rufin), 329, 337 Saints-Côme-et-Damien (Cyr), 169 Saints-Nabor-et-Félix (Milan), 170, 213, 241, 252, 366 Saints-Pierre-et-Marc (Constantinople), 133, 256, 271, 285, 348 Saints-Quarante-Martyrs (Constantinople), 155 Saint-Quiricus (Phasaelis), 173 Saints-Serge-et-Bacchus (Orthôsias), 157-158, 163, 253 Saint-Timothée (Éphèse), 118 Saint-Théodore (Euchaïta), 283 Saint-Théodore (Jérusalem), 277 Saint-Thomas de Brochtoi, 229 Saint-Thomas de Drypia, 242 Saint-Thyrse (Constantinople), 153-156, 213-214, 219, 242, 252, 260, 272, 341, 344 Saint-Vital (Ravenne), 70 Saint-Zacharie (Constantinople), 276 Saint-Zacharie (Constantinople), 364 Saint-Zacharie (Palestine Ière), 300 Saint-Zacharie (maison de), 326

INDEX

Salamine de Chypre, 38, 105, 109, 114, 184, 213, 233, 252, 257, 260, 269, 384, 389-390, 402, 408 Salton (Psalton), 300, 311 Samarie, 28, 43, 85, 89, 95 Samarie (Sébaste), 9, 44, 80-81, 84 Sarim-les-Zéla, 152 Scalarum (monastère), 392 Scété (désert de), 33 Sébaste d’Arménie, 152, 171, 314, 340 Sébaste (Samarie), 44, 70, 78, 80-82, 84-85, 207, 258, 281, 303, 314, 320321 Séleucie-Ctésiphon (Babylone), 27, 48, 52, 255-257, 348, 407 Séleucie d’Isaurie, 283, 294, 394 Serapeum d’Alexandrie, 81, 104, 336 Sergioupolis, 374 Sichem, 27, 43-47, 213, 254, 258, 292, 407 Sicima (Sichem), 43-44 Silo, 9 Siloé (source de), 11, 39, 41, 303 Sinaï (mont), 42, 78, 111, 302 Sinope, 157-158, 164, 254, 373 Sion ou Sainte-Sion, 58-59, 61, 8687, 92, 97-98, 100, 135, 204, 239, 241, 253, 255, 265, 268-270, 273, 280, 293, 303, 352, 355, 358-362, 364 Sirmium, 117-118, 348 Sisara, 9 Skamandros, 102 Skepsis, 101-104, 212, 215, 233, 257, 285, 376, 378-380, 384, 401, 408 Skopa (mont), 321-322, 325 Solia (Soloi), 113 Sôsthénion, 364

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Spélaion (monastère du), 72-74, 165, 207, 213, 215, 253, 315-318, 331, 383 Sphorace / Sphorakios (quartier de), 271, 275 Sténadion (lieu-dit), 171 Stéphanopolis, 381 Sychar (Sichar), 43-44 Syrie, 84, 89, 166, 212, 306, 322-323, 375, 383, 386, 408-409 ; Syrie Ière, 161 ; Syrie IIe, 331, Syrie IIIe, 104 Tamasos, 110, 389-390 Tarse, 162, 166, 172, 221 Tégée, 10 Temple de Jérusalem, 56-60, 63, 64, 68, 81-83 Tétrapyle, 52 Thébaïde, 409 Thèbes de Béotie, 117-118, 223 Thèbes d’Égypte, 163 Théophile (église de), 50 Thermi, 411-412 Thessalonique, 123, 333, 336, 363 Thécoa, 300 Thabor, 9 Thrace, 117-120, 320, 376-378, 395 Troas, 101, 104, 237, 376-380, 396 Troade (portique de), 154-155 Tou Hypatiou (monastère de Rufinianes), 322, 325 Tur Abdin, 170 Tyane, 122 Tychéon, 267 Tyr, 305, 381-382 Yūsiūs (Suse ?), 50, 221 Zéla, 140-141, 152

Table des matières Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 PREMIÈRE PARTIE

Invention et tradition : les principales sources documentaires CHAPITRE PREMIER :

Les saints vétérotestamentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Job . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Moïse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Habacuc et Michée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Zacharie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Joseph . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. Ananias, Azarias et Misaël (les Trois Hébreux) . . . . . . . . . . . . . . . . . 7. Autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

27 28 31 35 38 42 47 52

CHAPITRE II :

Les saints néotestamentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 1. Jacques, Zacharie et Siméon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 2. Jean Baptiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 3. Étienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 4. Corneille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 5. Barnabé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 6. André, Luc et Timothée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .114 7. Autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .121

CHAPITRE III :

Les vêtements du Christ et de la Vierge . . . . . . . . . . . . . . . . 125 1. Les vêtements du Christ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 2. Le vêtement de la Vierge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129

CHAPITRE IV :

Les martyrs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Eusèbe, Nestabos et Zénon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les Sept Dormants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Les Quarante Martyrs de Sébaste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

145 146 147 152

524

TABLE DES MATIÈRES

4. Luc, Phocas, Romain, etc. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Georges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. Marinos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7. Autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

156 158 161 163

DEUXIÈME PARTIE

Les étapes de l’invention CHAPITRE PREMIER :

La disparition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179 1. Martyre et privation de sépulture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179 2. L’oubli de la sépulture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184

CHAPITRE II :

La révélation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Les formes de la révélation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Le visionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. La vision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

189 190 193 198

CHAPITRE III :

211 211 214 222

CHAPITRE IV :

239 239 251 258

L’invention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Le tombeau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. La fouille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. La relique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La déposition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La fête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Le sanctuaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. La place de la relique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE V :

Le culte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267 1. La fête d’invention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .267 2. Le récit d’invention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278 3. Les images de l’invention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283 TROISIÈME PARTIE

Les enjeux de l’invention CHAPITRE PREMIER :

Les évêques et les moines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La Palestine : hiérarchie et monastères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. La Syrie et l’Asie Mineure : du ‘Brigandage’ à Chalcédoine . . . . . . . 3. Constantinople et sa périphérie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

291 291 306 318

TABLE DES MATIÈRES

L’empereur et ses ministres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La dynastie théodosienne et ses préfets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Léon et ses généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Justinien, nouveau Constantin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

525

CHAPITRE II :

333 333 345 349

CHAPITRE III :

355 365 376

La ville et ses sanctuaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Jérusalem, la Ville sainte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les cités de l’Orient romain et leurs saints (1) : les martyrs . . . . . . . 3. Les cités de l’Orient romain et leurs saints (2) : le Précurseur et les apôtres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Constantinople, la Ville impériale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

376 391

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 399 Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 411 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ouvrages et articles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

413 413 416 435

Cartes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 485 Index Index des principaux noms de personnes mentionnées . . . . . . . . . . . . 499 Index des principaux lieux et sanctuaires mentionnées . . . . . . . . . . . . 515