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COLLECTION D’ÉTUDES CLASSIQUES Le combat de cavalerie dans le monde romain Maxime Petitjean
PEETERS
LE COMBAT DE CAVALERIE DANS LE MONDE ROMAIN
COLLECTION D’ÉTUDES CLASSIQUES ————–—— Volume 30 ———–———
LE COMBAT DE CAVALERIE DANS LE MONDE ROMAIN
Maxime PETITJEAN
ÉDITIONS PEETERS / SOCIÉTÉ DES ÉTUDES CLASSIQUES LOUVAIN — NAMUR — PARIS — BRISTOL, CT 2022
A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. ©2022 – Société des Études Classiques a.s.b.l. 61, rue de Bruxelles, B-5000 Namur (Belgium) All rights reserved, including the rights to translate or reproduce this book or parts thereof in any form. Dépot légal: D/2022/0602/127 ISBN 978-90-429-4445-9 eISBN 978-90-429-4446-6
Table des matières REMERCIEMENTS.................................................................................
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INTRODUCTION.................................................................................... I – Une réticence naturelle des Romains pour le combat de cavalerie ? .......................................................................... II – La centralité de la bataille : une erreur de perspective ? III – Définition du sujet et objectifs de l’enquête ................... IV – Sources et méthode .........................................................
3 4 7 12 17
PREMIÈRE PARTIE La cavalerie, la cité et l’empire à la fin de l’époque républicaine CHAPITRE 1 – LES EQUITES ROMANI ET LA MILITIA EQUESTRIS............. I – Ordo equester, combat de cavalerie et rang social ........... II – Le nouveau visage de la cavalerie civique au Ier s. av. J.-C. ....................................................................................
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CHAPITRE 2 – L’ESSOR DE LA CAVALERIE AUXILIAIRE ........................ I – L’intégration des forces de cavalerie extra-italiques dans l’appareil militaire romain ................................................. II – La cavalerie auxiliaire dans l’armée tardo-républicaine : organisation et équipement ................................................
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CHAPITRE 3 – LA CAVALERIE DANS LES GUERRES TARDO-RÉPUBLICAINES ........................................................................................ I – La cavalerie républicaine en campagne ............................. II – La guérilla de cavalerie .................................................... III – La grande tactique ........................................................... IV – La tactique des unités...................................................... Conclusion : la cavalerie décisive? ..........................................
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72 92 105 106 121 145 163 179
VI
TABLE DES MATIÈRES
DEUXIÈME PARTIE Cavaliers et combat de cavalerie sous le Haut-Empire romain (Ier-IIe s. ap. J.-C.) CHAPITRE 1 – LA
CONSTRUCTION D’UNE CAVALERIE PERMANENTE ET
MULTIÉTHNIQUE ...........................................................................
185 I – La place de l’equitatus dans la nouvelle res publica monarchique ....................................................................... 186 II – L’incorporation de la cavalerie auxiliaire et des ressources provinciales ........................................................... 196
CHAPITRE 2 – LA PLACE DE LA CAVALERIE DANS LA « GRANDE STRATÉGIE IMPÉRIALE » ...................................................................... I – Évolution des effectifs et répartition des corps de troupes ................................................................................ II – La cavalerie aux frontières et la défense des confins impériaux ............................................................................ III – La mobilisation de la cavalerie pour les opérations de grande envergure et les guerres offensives........................ CHAPITRE 3 – LA DOCTRINE D’EMPLOI DE LA CAVALERIE IMPÉRIALE .. I – L’equitatus en campagne ................................................... II – La grande tactique ............................................................ III – La tactique des unités ...................................................... Conclusion : conservatisme, innovations et adaptions tactiques ..................................................................................
221 223 244 255 277 277 294 317 353
TROISIÈME PARTIE Crises et transitions (IIIe-IVe s. ap. J.-C.) CHAPITRE 1 – PEUT-ON PARLER D’« ESSOR » DE LA CAVALERIE SOUS LE BAS-EMPIRE ? ........................................................................ I – L’évolution des effectifs de la cavalerie ............................ II – L’origine des nouveaux corps de cavalerie du IIIe s. ........ III – La refondation de la cavalerie impériale ........................
359 360 369 382
TABLE DES MATIÈRES
VII
CHAPITRE 2 – LE MYTHE DU RITTERHEER ET LA « GRANDE STRATÉGIE » DE L’EMPIRE TARDIF .......................................................... 399 I – Cavalerie et défense mobile ............................................... 400 II – Cavalerie et « grande stratégie » ..................................... 413 CHAPITRE 3 – PEUT-ON
PARLER D’UN
« RENOUVEAU » DE L’ARME ? ..................................................... I – La cavalerie dans la conduite des campagnes ................... II – Les évolutions tactiques.................................................... Conclusion : vers une revalorisation symbolique du combat de cavalerie .............................................................................
ÉQUESTRE AUX IIIE ET IVE S.
437 438 446 477
QUATRIÈME PARTIE L’âge d’or de la cavalerie (Ve-VIe s. ap. J.-C.) CHAPITRE 1 – UNE CIVILISATION MILITAIRE ÉQUESTRE ....................... I – L’évolution du contexte géostratégique et ses conséquences ............................................................................... II – La centaurisation de l’outil militaire impérial ................. III – Les progrès des savoirs hippologiques et des techniques de harnachement.................................................................
483 484 518 545
CHAPITRE 2 – LA CAVALERIE DANS L’ART DE LA GUERRE À L’ÉPOQUE PROTO-BYZANTINE ....................................................................... 565 I – La mobilisation des ressources militaires .......................... 566 II – La place de la cavalerie dans la conduite des opérations militaires ............................................................................. 589 CHAPITRE 3 – L’ANATOMIE DU COMBAT DE CAVALERIE ...................... I – La grande tactique ou la bataille du général ..................... II – L’échelon de l’escadron .................................................... III – L’expérience combattante ................................................ Conclusion : l’homérisation du cavalier ...................................
617 618 647 675 691
CONCLUSION GÉNÉRALE...................................................................... 697
VIII
TABLE DES MATIÈRES
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................... I – Abréviations ....................................................................... II – Sources textuelles ............................................................. III – Sources épigraphiques ..................................................... IV – Sources papyrologiques et ostracologiques .................... V – Sources numismatiques .................................................... VI – Sources archéologiques ................................................... VII – Références modernes .....................................................
703 703 704 711 712 714 714 714
INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM ............................................ 779
REMERCIEMENTS
Ce livre est le produit remanié d’une thèse de doctorat soutenue en décembre 2017 à Sorbonne Université. Il n’aurait pu voir le jour sans les conseils et les encouragements de Yann Le Bohec, qui m’a communiqué sa passion pour l’histoire militaire et qui a dirigé mes premières recherches sur la cavalerie romaine. Qu’il en soit remercié de tout cœur. Je tiens aussi à remercier très vivement mon directeur de thèse Giusto Traina, qui a assuré avec autant d’efficacité l’encadrement de mes recherches entre 2011 et 2017. Ses nombreuses recommandations et ses amicales critiques ont corrigé bien des imperfections. Durant ces années, l’École doctorale 1 de Sorbonne Université, le laboratoire Monde byzantin de l’UMR 8167 et l’École française de Rome m’ont permis d’accomplir de nombreux voyages d’étude, en Italie, en Écosse, en Angleterre, au Mexique, en Serbie, qui ont grandement bénéficié à mes recherches. Ma profonde reconnaissance va à ces institutions et aux professeurs qui en assuraient alors la direction, Paul Demont, Vincent Déroche et Catherine Virlouvet. En 2018, j’ai été très honoré de voir ma thèse récompensée du Prix Corvisier. Que la publication de cet ouvrage, facilitée par cette distinction, témoigne une nouvelle fois de ma gratitude envers le Bureau exécutif de la Comission internationale d’histoire militaire. Les nombreuses illustrations figurant dans cet ouvrage doivent beaucoup à la générosité des institutions et chercheurs qui ont accepté de nous en céder les droits de reproduction. Nous tenons tout particulièrement à remercier : la Fondation Calvet (Avignon), les éditions Vita e Pensiero, le Dr Fabrizio Burchianti (Museo Etrusco Guarnacci di Volterra), le Prof. Jacques Vanschoonwinkel (Université de Nice Sophia-Antipolis), le Prof. Jean-Pierre Laporte, le Prof. Jona Lendering (Livius.org), Michaela R. Reisinger et The Silk Road House, Chris Rowlin (National Trust) et Richard Figuier (École Française de Rome). D’autres remerciements vont aux professeurs et chercheurs passionnés qui m’ont aidé dans mes investigations et sans lesquels ce livre ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. D’une liste interminable, qu’il me soit permis d’extraire les noms de Mike Bishop, Alexandre Blaineau, Caroline Blonce, Peter Brennan, François Cadiou, Marie-Thérèse Cam, Frédéric
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REMERCIEMENTS
Chauviré, Michèle Coltelloni-Trannoy, Jon Coulston, Jean-Christophe Couvenhes, Ross Cowan, Dan Dana, Anne-Marie Doyen, Patrice Faure, Geoffrey Greatrex, Sylvain Janniard, Ted Lendon, Patrick Marchetti, Nigel Mills, Anne-Valérie Pont, Ivan Radman, Philip Rance, Nick Sekunda, Michael Alexander Speidel, Ilkka Syvänne, Conor Whately, Everett Wheeler et Catherine Wolff. Je voudrais enfin exprimer toute mon affection à mes parents, Marianne et Thierry, ainsi qu’à Sarah et Hector. Ce travail leur est dédié.
INTRODUCTION1
Dans sa monumentale Geschichte der Kriegskunst im Rahmen der politischen Geschichte, dont le premier tome est paru en 1900, Hans Delbrück, l’un des pères fondateurs de l’histoire militaire scientifique, appelle de ses vœux la réalisation d’une étude systématique de l’évolution des tactiques de cavalerie dans l’Antiquité : « une histoire parallèle de la cavalerie devrait avoir été entreprise depuis le début en plus de celle du développement des tactiques d’infanterie. Dès les guerres médiques, avec Philippe et Alexandre, puis au cours de l’histoire romaine à partir d’Hannibal, [la cavalerie] s’est révélée d’une très grande efficacité, quand elle ne garantissait pas tout simplement la décision. Dans le cas de l’infanterie, nous avons observé un développement organique des formes de combat ; n’y aurait-il pas quelque chose de similaire à identifier pour la cavalerie2 ? » Durant sa longue carrière d’universitaire, Delbrück s’est en effet essentiellement consacré à l’étude des mécanismes du combat d’infanterie, dans une série de travaux où ses vues sur la phalange macédonienne et la légion romaine se sont opposées à celles de son contemporain Johannes Kromayer. Il voyait pourtant dans la cavalerie antique une force d’une importance majeure, contre l’avis de nombreux érudits de son époque qui considéraient qu’elle était techniquement déficiente3. Près d’un siècle après sa mort, force est de constater qu’une telle étude n’a toujours pas vu le jour. La négligence d’un aspect si important de la guerre antique est en elle-même intéressante, car elle révèle les préjugés
1 Les traductions de textes grecs et latins présentées dans cet ouvrage sont de l’auteur, sauf indication contraire. Pour la citation des auteurs anciens, nous suivons généralement le système d’abréviations utilisé par l’Oxford Classical Dictionary et le Greek-English Lexicon. Les références complètes, éditions critiques et traductions existantes, sont données en fin de ce volume. Les grands corpus de référence (CIL, RIC, PIR…) sont cités d’après leurs abréviations usuelles. 2 DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), I, 457 : « neben der Entwicklung der Infanterietaktik hätte von Anfang an eine parallele Geschichte der Kavallerie gehen müssen. Schon in den Perserkriegen, bei Philipp und Alexander, von Hannibal an in der römischen Geschichte macht sie sich aufs stärkste geltend oder gibt geradezu die Entscheidung. Bei der Infanterie haben wir eine organische Entwicklung der Kampfesformen beobachtet, sollte bei der Kavallerie nichts ähnliches festzustellen sein? ». 3 ID. (1910).
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INTRODUCTION
profonds qui sous-tendent notre perception de la civilisation romaine et les limites d’un courant historiographique récent, qui fait de la bataille l’objet d’analyse par excellence du fait militaire. I – UNE RÉTICENCE NATURELLE DES ROMAINS POUR LE COMBAT DE CAVALERIE ? Une tradition historiographique remontant à la Renaissance considère la Rome antique comme une civilisation « piétonne » et va jusqu’à faire de cette particularité une marque essentielle de l’art militaire des Romains, liée à l’importance du modèle civique républicain. Pour Machiavel, qui cherche à réconcilier institutions politiques et militaires dans une Italie ravagée par les condottieri, « l’autorité des Romains et l’exemple de l’armée antique démontrent que l’on doit préférer l’infanterie à la cavalerie ». Afin de garantir l’indépendance et la croissance de l’État florentin, Machiavel en appelle au développement de milices civiques, à l’image des légions romaines, qui furent selon lui la cause directe de l’expansion de l’imperium populi Romani4. Dans ce système de pensée reléguant la chevalerie médiévale au rang d’institution obsolète, l’utilisation d’une infanterie bien organisée est perçue comme la marque d’un État « policé ». Montesquieu écrit ainsi dans ses Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains : « Plus une nation se rend savante en l’art militaire, plus elle agit par son infanterie ; moins elle le connaît, plus elle multiplie sa cavalerie »5. Les grands érudits de la période des Lumières sont également convaincus que le génie des Romains s’incarne dans l’infanterie légionnaire, à commencer par Charles Le Beau, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dont les Mémoires sur la légion romaine ont longtemps fait autorité6. 4
Machiavel, Discours sur Tite-Live, II, 18. Voir aussi L’art de la guerre, II, 4 et 5. Concernant l’influence du modèle romain sur l’« humanisme militaire » florentin, cf. BAYLEY (1961), 210-15, 219-28, 256-8. 5 MONTESQUIEU (1734, 1843), 134. 6 LE BEAU (1761), 64-5 (graphie et orthographe modernisées) : « Ce peuple vraiment né pour l’art de la guerre, et qui par un instinct naturel, en avait d’abord pénétré tous les principes, sentit que la principale force des armées consiste dans l’infanterie, et qu’une cavalerie très nombreuse devient plus embarrassante qu’utile. La cavalerie multipliée fit perdre aux Romains, dans le déclin de l’Empire, ce qu’ils avaient conquis par leur infanterie, dans les temps de la République et des premiers empereurs. » Voir aussi FOLARD (1726), 41 et GUISCHARDT (1758), 84-5. Seul le lieutenant-colonel C.-L. d’Authville des Amourettes, dans son Essai sur la cavalerie tant ancienne que moderne (AUTHVILLE DES
INTRODUCTION
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C’est cette vision négative de la cavalerie antique qui a été transmise à l’historiographie moderne par l’intermédiaire d’Edward Gibbon et de sa très influente Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain7. À quelques exceptions près, le mythe d’une armée romaine presque entièrement tournée vers le combat d’infanterie se retrouve chez la plupart des historiens de la fin du XIXe et du XXe s. Pour George Denison, auteur d’une histoire de la cavalerie publiée en 1877 : « The infantry was the most important portion of the Roman armies. It was with their infantry that the Roman conquered the world, and to it that the greatest care was devoted in order that it might be always maintained in the highest state of efficiency. […] The Romans, like the Spartans, were not naturally a cavalry nation, although their highest order in the state served in that force »8. L’expansion impériale et l’abandon progressif du recrutement des citoyens-soldats au profit de sujets barbares auraient conduit à l’essor tardif de la cavalerie et à la décadence du sentiment patriotique, directement à l’origine de la chute de l’Empire romain9. Un jugement comparable se retrouve chez Frank Ezra Adcock qui, dans son essai sur l’art de la guerre sous la République, publié en 1940, pointe l’infériorité de la cavalerie censitaire, qu’il lie au tempérament national des Romains, « in a literal sense pedestrian »10. On pourrait encore dérouler ce réquisitoire en citant bien d’autres travaux11, y compris ceux de savants renommés AMOURETTES [1746], 1-9), œuvre d’une érudition remarquable, dépasse ce postulat et souligne que les Romains, s’ils ont pu être pénalisés en termes de cavalerie à haute époque, notamment durant les guerres puniques, ont très vite rattrapé leur retard et ont fait de cette arme un avantage décisif dans leurs guerres ultérieures. 7 Cf. GIBBON (1776, 1891), 14, et le commentaire de F.A.W. Wenck, intégré dans cette même édition : « The strength of the Roman army, like those of all nations that have understood the art of war, consisted in its infantry. In the decline of the empire, more reliance was placed on the cavalry, and miles often denoted a horse-soldier. This was the case from the fourth through all succeeding centuries ». 8 DENISON (1877), 46. 9 Ibid., 110 et s. 10 ADCOCK (1940), 25. 11 Pour ne citer que quelques études influentes : FULLER (1965), 74 (« Throughout Roman history the astonishing thing is that, although fond of horses and horse racing, they never attempted to develop an efficient cavalry arm as the complement of their infantry. ») ; CAGNIART (1992), 84 (« The Roman army was an infantry army. The Romans conquered their Mediterranean empire and ruled the Ancient World with their legions. They never developed an effective cavalry, and Julius Caesar was no exception. ») ; DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 21 (« Roman citizens undoubtedly made excellent infantrymen, but as cavalrymen, an arm in which there was seemingly no native tradition, they were apparently less effective. ») ; LAZARIS (2010), 486 (« une certaine répugnance des Romains envers la cavalerie ») ; HAYNES (2013), 274 (« mounted troops stood outside the Roman tradition of combat and were seen as of less interest »).
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INTRODUCTION
qui ont pu contribuer à populariser l’idée d’une défaillance congénitale de la cavalerie romaine auprès d’un public universitaire plus large12. Il y a cependant dans ce discours une pétition de principe sur laquelle il convient de s’interroger avec la plus grande circonspection. Qu’est-ce qu’une nation au « tempérament pédestre » ? Un État moderne et organisé relègue-t-il nécessairement la cavalerie au second plan pour privilégier l’infanterie lourde ? L’infanterie romaine était-elle véritablement la « reine des batailles », si tant est que cette expression sentencieuse, qui écarte de façon trop commode tout critère d’analyse objectif, puisse être considérée comme scientifiquement valable ? Nombre d’études ont montré depuis plusieurs décennies la place majeure qu’occupe le cheval de guerre – et même le cheval tout court – dans la culture romaine13 et le rôle crucial du combat de cavalerie dans la définition de l’ethos aristocratique romain, qui fait office de représentation dominante de la valeur martiale à Rome. Les travaux de Claude Nicolet et Natacha Lubtchansky ont mis en évidence l’existence d’une valorisation ancienne du cheval dans les cités de l’Italie tyrrhénienne, où de fortes cultures oligarchiques empêchaient le développement d’un système de valeur favorable au primat des hoplites, comme à Athènes14. Ceux de Myles McDonnell et de Jeremiah McCall ont insisté sur le lien étroit existant entre combat de cavalerie et uirtus, ainsi que sur l’efficacité tactique des equites Romani à l’époque républicaine15. On ne saurait donc invoquer un préjugé culturel ou un trait de tempérament « national » pour rendre compte d’une hypothétique infériorité de l’armée romaine en matière de cavalerie. La période impériale a également fait l’objet de nombreuses contributions, dont plusieurs ont conduit à bousculer les idées reçues. Si la synthèse publiée en 1992 par Karen Dixon et Pat Southern se concentre essentiellement sur la cavalerie auxiliaire et privilégie la documentation archéologique16, les trois volumes consacrés par l’historien et reconstituteur allemand Marcus Junkelmann aux différents aspects de l’équitation militaire dans le monde romain offrent un panorama historique plus 12 NICOLET (2001), 324 : « Si l’on veut s’en tenir aux très grandes généralités, utiles cependant au plan d’une histoire générale du fait militaire, on définira essentiellement l’armée romaine de cette période comme une armée de fantassins, les combats décisifs, sur terre, étant en fin de compte dus à l’infanterie, ce qui explique par exemple la victoire finale de Rome contre une armée de type alexandrin comme celle d’Hannibal. » 13 On se reportera ici à la thèse inédite d’H. Devys sur Le symbolisme du cheval dans la civilisation romaine : DEVYS (1981). 14 NICOLET (1962) ; LUBTCHANSKY (2005). 15 MCCALL (2002) ; MCDONNELL (2005). 16 DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.).
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INTRODUCTION
complet17. Ils constituent à ce jour l’étude de référence sur la question et fournissent une réévaluation très positive des capacités de la cavalerie romaine, aussi bien du point de vue de l’équipement que de la doctrine d’emploi. En marge de ces grandes synthèses, certains travaux plus spécialisés, comme ceux de David Breeze ou de Massimo Biancardi se sont attachés à souligner l’importance de la cavalerie dans la défense des confins impériaux18. D’autres, comme ceux d’Emilio Gabba, John Eadie ou Jon Coulston, ont attiré l’attention sur la capacité des Romains à adopter des techniques de combat étrangères, issues des civilisations steppiques ou proche-orientales19. En outre, les études de Peter Connolly et d’Ann Hyland, par une approche fondée sur l’archéologie expérimentale, ont bien montré la grande qualité des instruments hippiques employés par les Romains, balayant définitivement les considérations traditionnelles sur les limitations techniques du combat de cavalerie dans l’Antiquité20. II – LA
CENTRALITÉ DE LA BATAILLE
UNE ERREUR DE PERSPECTIVE
?
:
Malgré toutes ces avancées récentes, il manque encore en 2022 une étude systématique sur le combat de cavalerie dans le monde romain. Cette lacune historiographique peut sembler curieuse dans la mesure où les études militaires portant sur les aspects les plus concrets du combat ont connu un net renouveau depuis la publication du best-seller de John Keegan, The Face of Battle, en 197621. Dans le sillage de cet ouvrage, de nombreux spécialistes de l’Antiquité se sont intéressés à l’expérience de la guerre dans le monde gréco-romain, en délaissant la perspective du général pour adopter le point de vue des unités combattantes. Cette approche a permis d’enrichir notre compréhension du combat d’infanterie. Les travaux de Victor Davis Hanson, Philip Sabin et Adrian Goldsworthy ont notamment montré que la bataille de l’hoplite et du légionnaire ne se résume pas au choc mécanique de deux masses compactes de fantassins, capables de réagir immédiatement et de façon JUNKELMANN (1990/1992). BREEZE (1993) ; BIANCARDI (2004). Également BARTLE (1961) (qu’il est malheureusement impossible de consulter aujourd’hui en raison d’une restriction d’accès voulue par l’auteur). 19 GABBA (1966) ; EADIE (1967) ; COULSTON (1986). 20 CONNOLLY (1987) et (1988) ; HYLAND (1990) et (1993). 21 Cf. KEEGAN (1976, 2013 trad. fr.). 17 18
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INTRODUCTION
uniforme aux ordres du haut commandement : l’issue de l’affrontement est plus souvent déterminée par des facteurs d’ordre psychologique, qui conditionnent la capacité des unités à maintenir leur cohésion22. En usant de la peur qu’elles inspiraient aux fantassins et de l’avantage tactique que leur conférait leur mobilité, les troupes montées étaient susceptibles de précipiter la rupture des lignes adverses : de Cannes (216 av. J.-C.) à Andrinople (378 ap. J.-C.), bien des engagements furent ainsi décidés par une charge de cavalerie23. Pourtant, campés sur le préjugé du primat tactique absolu de l’infanterie lourde, les tenants de la « nouvelle histoire militaire » n’ont pas jugé utile de s’intéresser aux modalités du combat de cavalerie24. Cette négligence s’explique dans la mesure où les face of battle studies privilégient très nettement la bataille rangée comme angle d’analyse du phénomène guerrier. Si ce parti pris peut sembler cohérent au regard d’une tradition historiographique présentant la guerre comme un fait social et les armées comme des sociétés en armes, se déplaçant sur le champ de bataille avec leurs hiérarchies, leurs représentations, leurs coutumes, pour s’affronter dans un cadre quasi rituel, il véhicule aussi une vision fortement biaisée de l’art de la guerre. Durant l’Antiquité romaine comme au Moyen Âge et à l’Époque moderne, la bataille constitue en effet l’exception plutôt que la règle, les belligérants préférant le plus souvent recourir à des formes d’affrontement indirectes25. Or, c’est précisément dans ce type d’opérations (manœuvres, embuscades, escarmouches), nécessitant mobilité et réactivité, que la cavalerie joue un rôle prépondérant, occultant complètement celui de l’infanterie et à plus forte
HANSON (1989) ; GOLDSWORTHY (1996) ; SABIN (2000). Voir sur ce point les remarques de JUNKELMANN, s.v. « Cavalry: Republic », dans ERA, I, 168 : « Though the infantry was the most numerous part and the solid core of the army on the battlefield and, even more so, during sieges, the manifold functions of the cavalry must not be underrated. The horsemen repeatedly delivered decisive charges against the flanks and rear of the enemy and it dominated small-scale warfare. » 24 Dans son article sur « le visage de la bataille romaine », P. Sabin renonce explicitement à traiter de la cavalerie car selon lui « [it] has already received significant attention from other scholars » (SABIN [2000], 2). Et l’auteur de citer DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), HYLAND (1990) et (1992), GOLDSWORTHY (1996), mais tous ces ouvrages ne prêtent qu’une attention très limitée au déploiement tactique de la cavalerie et ne constituent en aucun cas des études aussi détaillées que celles qui avaient déjà été entreprises pour l’infanterie romaine avant la vogue des face of battle studies. À notre connaissance, seul un article se propose d’explorer cette problématique pour la cavalerie tardo-antique, mais de manière très brève et en paraphrasant pour l’essentiel les œuvres de Procope et de Maurice : ELTON (2007). 25 FRANCE (2005). 22 23
INTRODUCTION
9
raison de l’infanterie lourde26. On ne s’étonnera donc pas de constater que les études récentes sur la cavalerie romaine soient restées à l’écart du courant keeganien, en se contentant de traiter des problématiques relativement classiques (organisation, armement, hiérarchie, déploiement…). Par ailleurs, il existe encore aujourd’hui une tendance, chez les historiens, à considérer que la « petite guerre » était perçue négativement par les Romains, et qu’il s’agissait surtout d’une forme de combat pratiquée par les populations barbares27. Ce préjugé tenace, parfaitement injustifié comme nous aurons l’occasion de le voir à de multiples reprises, porte sa part de responsabilité dans la place secondaire qui a été attribuée par l’historiographie à la cavalerie romaine28. Au demeurant, le caractère novateur de la « nouvelle histoire militaire » mérite d’être relativisé. Outre le fait que les études de Goldsworthy et Sabin reviennent souvent à poser les mêmes questions que celles qui avaient été soulevées un siècle plus tôt par Delbrück et Kromayer (espacement des soldats, des unités tactiques, modalités du choc, existence éventuelle de temps morts durant l’affrontement), la méthode de Keegan n’est pas si éloignée de l’approche traditionnelle des batailles anciennes consistant à articuler analyse des textes, critique des faits « objectifs » (ce que Delbrück appelle la Sachkritik29) et étude des institutions et des pratiques militaires propres aux sociétés qui se confrontent sur le champ de bataille (ce que les érudits allemands appellent Heerwesen et Kriegskunst), en complétant éventuellement par des remarques de « bon sens » fondées sur des expériences militaires plus proches. Cette méthode avait notamment été théorisée par Noah Whatley dans un articlemanifeste publié en 1964 et apparaît encore aujourd’hui comme la plus adaptée à l’analyse des sources anciennes30. Quant à la volonté de 26 On se reportera ici à l’analyse du rôle opérationnel et tactique de la cavalerie selon AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 10-8, qui offre un panorama synthétique valable pour l’Époque moderne comme pour l’Antiquité. 27 Bibliographie et discussion infra. 28 Une étude très récente a été consacrée au « visage du combat d’escarmouche dans le monde romain », mais elle ne tient compte de la cavalerie que dans la mesure où celle-ci opère en coordination étroite avec l’infanterie légère, cette dernière composante constituant le sujet principal de l’article : ANDERS (2015). 29 DELBRÜCK (1904). L’historien militaire prussien estime notamment qu’une connaissance approfondie des réalités anciennes et modernes du combat peut permettre de reconstituer, mieux que n’importe quelle approche philologique, le cadre matériel des batailles antiques, de distinguer dans les sources les informations fiables de celles qui ne le sont pas. Voir également KROMAYER (1905), qui privilégie l’examen serré des textes mais ne renonce pas à la Sachkritik. 30 WHATLEY (1964). L’auteur invoque cinq Aids, ou cinq méthodes auxiliaires pour reconstituer les batailles anciennes : l’étude des réalités topographiques ; l’utilisation de
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INTRODUCTION
restituer à l’événement-bataille sa dimension historique intrinsèque, en recourant aux outils heuristiques de la sociologie, de l’anthropologie et de l’ethnologie, elle n’est pas d’une complète nouveauté. La « nouvelle histoire militaire », fortement influencée par l’école des Annales, et dont Keegan n’est que le représentant le plus célèbre, s’est construite sur la diabolisation de l’historiographie antérieure, considérée comme « clausewitzienne », « positiviste » et inattentive aux réalités sociales de la guerre31. C’est oublier qu’un historien comme Delbrück prétendait justement se démarquer de l’histoire militaire académique en réinscrivant toujours les institutions et les pratiques militaires anciennes dans un contexte politique et social plus large, l’auteur allant jusqu’à proclamer que la Kriegsgeschichte est une expression de la Kulturgeschichte32.
la science militaire moderne pour combler les lacunes de la documentation ancienne ; la critique des données littéraires à la lumière de la logique, du « bon sens », ou d’une expertise technique (Sachkritik) ; l’évaluation de la fiabilité des sources écrites (Sherlock Holmes method) ; l’étude générique des institutions militaires et des pratiques militaires d’une société. 31 Voir notamment GARLAN (1972), 7 : « De cette critique “factuelle” prônée par des historiens comme H. Delbrück, il y a certes beaucoup à retenir : on peut même dire qu’en l’absence de nouveaux documents d’origine archéologique il est rare que nous puissions pousser plus avant sur cette voie, qu’empruntèrent en dernier lieu des érudits aussi qualifiés que J. Kromayer, G. Veith ou Fr. Lammert. Mais cette conception traditionnelle de l’histoire militaire, qui triompha jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, – dans l’ignorance des analyses prémonitoires de penseurs tels que Fr. Engels ou K. von Clausewitz, et sans tenir compte des apports de l’ethnologie ou de la sociologie, – ne laisse pas de nous paraître aujourd’hui très étriquée, très limitative. Elle se cantonne en effet dans des problèmes techniques d’armement, d’organisation et de tactique qui, traités de façon autonome, semblent posséder en eux-mêmes le principe de leur développement ; elle tend à réduire l’histoire de la guerre à celle des opérations militaires, à l’histoire-bataille, qui s’insère mécaniquement, comme une pièce rajoutée, dans l’histoire globale des sociétés antiques. » De son côté, Keegan prétend rompre avec la tradition du strategocentric narrative et a des propos très durs pour les écoles d’histoire militaire continentales, cf. KEEGAN (1976, 2013), 48 : « circumscription, over-technicality, bombast, personal vilification, narrow xenophobia and inelegant style which, separately or in combination, disfigure – to our eyes – the work of French, German and Russian writers »). Ce procès semble particulièrement déplacé pour peu que l’on réalise l’ampleur de la dette contractée par Keegan à l’égard du colonel Ardant du Picq et de ses considérations sur la psychologie des combattants : ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.). 32 DELBRÜCK (1900-1908, 1990 trad. angl.), I, pref. (« Alle Einzel-Geschichten fliessen zusammen in der Universal-Geschichte und befruchten sich gegenseitig. ») et IV, pref. (« Ich würde sogar nichts dagegen haben, wenn man dieses Werk, das den Krieg behandelt und noch dazu ausdrücklich im Rahmen der politischen Geschichte, doch in die Kategorie der kulturgeschichtlichen Werke einordnen wollte. »). Sur Delbrück et sa pensée : PARET (1966). Pour une réhabilitation de Clausewitz et de son œuvre, contre laquelle Keegan a établi sa notoriété : BASSFORD (1994).
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Malgré les mises en garde qui ont été émises par une partie de la communauté scientifique depuis une vingtaine d’années33, l’histoire militaire la plus récente a prospéré sur le terreau laissé par Keegan et Hanson, en prêtant une grande attention à la psychologie des combattants et en faisant de la culture un déterminant essentiel des activités guerrières34. Considérant qu’il est nécessaire de rendre leur variance historique aux expériences militaires anciennes, en privilégiant les représentations des sociétés qui les produisent au détriment des catégories analytiques modernes, des auteurs tels que John Carman, John Lynn, Ted Lendon ou Giovanni Brizzi se sont attachés à démontrer que le discours d’une société sur la guerre est porteur de valeurs qui orientent la matérialité même du combat35. Cette perspective peut sembler très intéressante dans le cadre du sujet qui nous intéresse, car la cavalerie est, dans l’Antiquité classique, l’objet de discours contradictoires à forte tonalité identitaire. Nous aurons ainsi l’occasion de voir que les sources écrites conservent la trace de controverses répétées sur la place relative que l’infanterie et la cavalerie doivent occuper au sein de l’outil militaire romain, et que le sujet implique la conception profonde que les auteurs anciens ont de la haute histoire romaine. Cependant, le rejet légitime du déterminisme technique et l’importance attribuée à la culture ne doivent pas amener à occulter la capacité d’adaptation « rationnelle » des sociétés anciennes. Il nous semble en particulier que certaines positions défendues par des spécialistes actuels de la guerre antique s’apparentent à une forme d’essentialisme ethnico-culturel, aboutissant parfois à la distinction d’un modèle « occidental » de la guerre, radicalement différencié d’un modèle « oriental » purement imaginaire36.
WHEELER (1998) ; KAGAN (2006), part i ; LORETO (2006), 191-218. Voir notamment KEEGAN (1993), 12 : « war embraces much more than politics : […] it is always an expression of culture, often a determinant of cultural forms, in some societies culture itself ». 35 CARMAN (1999) ; BRIZZI (2002, 2004 trad. fr) ; LYNN (2003) ; LENDON (2005). Sur ce courant historiographique, voir LEE (2011). 36 Nous faisons bien sûr allusion à la célèbre théorie de V.D. Hanson : voir notamment HANSON (2001) et les critiques de LYNN (2003), 12-20, BLACK (2004), ECKSTEIN (2005), FRANCE (2005), AUDOIN-ROUZEAU (2008), 205-8, HEUSER & PORTER (2014). Cette essentialisation culturelle du fait militaire se retrouve à un degré moindre chez BRIZZI (2002, 2004 trad. fr.) (notamment p. 253-6) et BRECCIA (2004), 76-8. 33
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III – DÉFINITION DU
SUJET
ET OBJECTIFS DE L’ENQUÊTE
L’objet du présent travail est de combler le vide historiographique mis en évidence par Hans Delbrück au début du XXe s., en centrant l’analyse du combat de cavalerie sur le monde romain, pour lequel nous disposons d’une vaste documentation, autorisant une étude de temps long. Le terminus post quem, situé au Ier s. av. J.-C., est justifié par le déclin de la cavalerie censitaire, l’affirmation d’une cavalerie auxiliaire aux modes de combat diversifiés et l’émergence progressive d’une armée professionnelle et permanente, qui demeurera une caractéristique essentielle de l’outil militaire romain jusqu’à la fin de l’Antiquité37. Quant au terminus ante quem, nous avons choisi de le fixer au début du VIIe s. pour deux raisons : tout d’abord parce qu’une source aussi essentielle que le Stratêgikon de l’empereur Maurice (années 590) ne saurait être exclue de cette recherche sur la cavalerie romaine38 ; deuxièmement parce que la conquête islamique et les prémisses de la « réforme thématique » ont profondément modifié l’organisation militaire romano-byzantine39. L’expression retenue pour la formulation du sujet ne doit pas induire en erreur. Il ne s’agit pas de traiter uniquement les aspects tactiques de l’utilisation des forces montées par les Romains : « combat de cavalerie » est ici entendu au sens large, à défaut d’une expression qui pourrait mieux correspondre à ce que la littérature anglo-saxonne désigne sous l’appellation de cavalry warfare, c’est-à-dire l’ensemble des activités militaires auxquelles participent les cavaliers, de la reconnaissance opérationnelle au combat proprement dit40. Nous entendons ainsi faire l’analyse COSME (2007b), chap. iv ; SPEIDEL (2016). L’historiographie actuelle renonce à associer ces évolutions aux supposées « réformes de Marius » et propose d’attacher plus d’importance à la guerre sociale et aux guerres civiles de la fin de la période républicaine. Cf. GAUTHIER (2016). Pour CADIOU (2018), il n’y eut pas de service militaire continu ni de soldats romains professionnels avant les réformes d’Auguste. Notre point de vue dans PETITJEAN (2019). 38 Des travaux récents ont bien montré l’importance de ce traité militaire tardif pour la compréhension des réalités d’époque impériale. Voir notamment SPEIDEL (2000). 39 HALDON (1990), chap. 6 et ID. (1999), 107-15. La datation des thèmes byzantins a fait l’objet de très longues discussions qu’il serait impossible de résumer ici. Pour une mise au point récente, on se reportera à CARRIÉ & JANNIARD (2000), 336-8. 40 MORILLO & PAVKOVIČ (2006), 3. Sur ce qu’il convient d’entendre par « cavalerie », cf. MORILLO (1999), 47 (italiques de l’auteur) : « cavalry are soldiers fighting on horseback on the battlefield; infantry are soldiers fighting on foot on the battlefield. In this view, it does not matter how the soldiers got to the battlefield. There were a number of reasons for a soldier to use a horse, and fighting on the battlefield was only one of them. Mobility on campaign favored the use of horses, for example, as did display of social 37
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de tous les paramètres régissant l’utilisation de la cavalerie comme force de combat dans le cadre des guerres romaines. Cela suppose de s’intéresser principalement à l’armement et à la tactique des unités, mais aussi à la stratégie et aux opérations, aux structures sociales et aux présupposés culturels qui conditionnent leur emploi. En amont, c’est donc le rôle et la place de la cavalerie dans le monde romain qui sont questionnés au moyen d’une approche insistant aussi bien sur la réalité des faits militaires que sur la représentation de ces pratiques. La première perspective s’intègre dans le cadre traditionnel de la Kriegsgeschichte et a pour vocation de répondre à des questions qui n’intéressent pas seulement les spécialistes de Rome. L’objectif est de rendre compte de l’évolution de l’art de la guerre durant l’Antiquité en analysant spécifiquement les enjeux liés au développement et à l’utilisation de la cavalerie dans le monde romain. L’importance croissante des troupes montées dans la stratégie impériale marque en effet une rupture importante dans l’histoire de l’armée romaine, qui avait été identifiée de longue date par les érudits de l’Époque moderne41 avant d’être intégrée dans un schéma explicatif cohérent par l’historien militaire Charles Oman42. Au primat des guerres offensives, de la bataille rangée et de
status. My definitions maintain the important but much neglected distinction between horses as strategic transport and horses as battlefield “weapons” […]. Thus, soldiers who rode to battle but fought on foot fought as infantry, not as “dismounted cavalry” or as “mounted infantry” ». Voir aussi GAEBEL (2002), 14-5 (qui rappelle les principales caractéristiques distinguant le combat de cavalerie du combat d’infanterie). Il existe dans l’Antiquité plusieurs types de cavalerie, la distinction principale étant établie par Asclépiodote le tacticien entre « celle qui combat de près (τὸ μὲν τὸ ἐγγύθεν μαχόμενον), celle qui combat de loin (τὸ δὲ πόρρωθεν), et l’intermédiaire (τὸ δὲ μέσον) » (Asclep., 1, 3). Élien et Arrien insistent pour leur part davantage sur la distinction entre cavalerie « lourde » – les ἱππεῖς κατάφρακτοι – et cavalerie « non-lourde » – les ἱππεῖς ἄφρακτοι – au sein de laquelle ils établissent plusieurs sous-catégories : « lanciers » (δορατοφόροι), « piquiers » (κοντοφόροι), « javeliniers » (λογχοφόροι) et « escarmoucheurs » (ἀκροβολισταί). Cf. Ael., Tact., 2, 11-3 et Arr., Tact., 4. Ces catégories peuvent parfois sembler rigides au regard de la polyvalence de la plupart des corps de troupes de l’armée romaine, formés au combat de ligne comme au combat à distance. 41 LE BEAU (1761), 64 estime qu’au temps de Justinien, l’armée romaine était presque exclusivement constituée de cavaliers. Mais il rattache encore cette évolution à une explication d’ordre moral, mettant en cause la décadence de la discipline romaine et la barbarisation de l’armée impériale. 42 OMAN (1924), 3-21, notamment p. 3 : « In A.D. 250 it was still the heavy-armed infantry of the empire which formed the core of battle, and was the hope and stay of the general. By A.D. 450 the cavalry was all in all, the foot-soldiery had fallen into disrepute, and the very name of legion was almost forgotten. » Oman définit la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Âge comme un age of cavalry, qu’il fait commencer avec la bataille d’Andrinople (378 ap. J.-C.) : « the first great victory won by that heavy cavalry which
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l’infanterie lourde succède progressivement celui de la temporisation, de la guérilla frontalière et des cavaliers-archers. Ces changements, dont il conviendra de nuancer l’ampleur en attirant aussi l’attention sur certaines continuités, sont pleinement visibles à l’époque des guerres de Justinien, mais nécessitent encore d’être situés dans le temps long de l’Antiquité romaine. L’autre grande thématique abordée dans cette thèse concerne la représentation, aussi bien iconographique qu’idéelle, du combat de cavalerie : il s’agit d’analyser les présupposés et les valeurs que les Romains associent à la figure du cavalier, tout en tâchant d’en comprendre l’évolution. L’abandon du service militaire des jeunes aristocrates dans la cavalerie légionnaire à la fin de la période républicaine marque un point de départ important. C’est à cette date qu’un discours hostile à la cavalerie, fortement influencé par la littérature grecque antérieure, émerge dans les sources : le recours massif aux populations « barbares » et la création des premières ailes auxiliaires font que le cavalier est de plus en plus perçu comme un « autre guerrier », pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de François Lissarrague43. Il faut attendre la fin de l’Antiquité pour que les cavaliers réintègrent pleinement le discours identitaire des Romains sur l’art de la guerre et finissent par détrôner le fantassin légionnaire comme idéal dominant. L’objectif est alors de voir dans quelle mesure les pesanteurs de la culture classique ont freiné la pleine exploitation du potentiel tactique et opérationnel de la cavalerie sous la République finissante et le Haut-Empire. Cette question avait été posée en 1968 par Paul Vigneron, dans sa monographie sur le cheval dans l’Antiquité gréco-romaine. L’historien français suggérait que l’attachement des Romains à un modèle militaire fondé sur l’imitation des exempla conditionnait les généraux à fuir les solutions « révolutionnaires », notamment celle qui aurait consisté à imiter en profondeur les pratiques des États orientaux et des peuples nomades44. Nous aurons l’occasion de voir en quoi cette explication doit être écartée. Au croisement de ces problématiques militaires et culturelles, la question de l’affirmation de la cavalerie dans l’Antiquité tardive doit être reposée à l’aune des réflexions récentes sur le concept de « révolution dans
had now shown its ability to supplant the heavy infantry of Rome as the ruling power of the war » (ibid., 14). 43 LISSARRAGUE (1990). 44 VIGNERON (1968), I, 297 et 313-4.
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les affaires militaires » (ou RMA)45. Comme le souligne John Keegan dans son History of Warfare, la cavalerie est en effet « l’une des deux révolutions majeures de l’art de la guerre »46 et son influence sur les sociétés anciennes fut durable. Évidemment, la domestication du cheval et l’apparition des premières forces de cavalerie précèdent de plusieurs siècles l’émergence de la puissance romaine47, mais le rôle croissant de la cavalerie durant l’Antiquité tardive fut incontestablement un facteur de changement. Ce fut une « petite révolution » ou une « révolution lente », dont les déterminants sont encore débattus. Si l’on exclut les thèses héritées de la Renaissance, qui associent l’essor de la cavalerie au déclin moral des Romains, et auxquelles plus personne n’accorde le moindre crédit, l’historiographie actuelle propose deux régimes d’explication difficilement conciliables. Pour la plupart des spécialistes de l’armée impériale, les Romains se seraient adaptés à leurs ennemis, qui étaient plus avancés dans la sphère du combat de cavalerie ; on parle ici d’un processus d’appropriation rationnel, conscient, reposant sur des considérations tactiques (la nécessité de remporter des victoires contre de nouveaux peuples cavaliers) et/ou stratégiques (la nécessité d’acquérir une plus grande mobilité opérationnelle pour lutter contre des menaces frontalières devenues ubiquistes)48. Pour d’autres, plus minoritaires, le 45 La bibliographie sur la question est pléthorique. Voir en dernier lieu ROGERS (1995) et MORILLO & PAVKOVIČ (2006), chap. 4 (notamment p. 77) : « A “military revolution”, broadly speaking, is a period of rapid change in how warfare is conducted with results so significant that they change the course of historical development far beyond the military sphere. » Initialement employée en 1956 par l’historien moderniste M. Roberts pour donner un cadre conceptuel aux changements que connurent les sociétés occidentales dans les années 1550-1650 à la suite de l’adoption du mousquet, l’expression a été reprise par certains historiens de l’Antiquité pour désigner des ruptures dans la pratique de la guerre qui eurent des conséquences sociales profondes, par exemple la « révolution hoplitique », dont on a pu dire qu’elle fut à l’origine de la démocratie athénienne (SNODGRASS [1980], 101-9). Un point de contention essentiel des débats portant sur ces questions est de savoir si les bouleversements militaires précèdent les évolutions sociales ou si elles ne sont pas conditionnées en amont par elles. Pour LYNN (2003), 18, avant la révolution industrielle, les changements technologiques dans l’art de la guerre ont été mineurs, ce qui explique que les facteurs politiques, sociaux et culturels aient pu jouer un rôle moteur. E. Wheeler (dans SABIN ET AL. [2007], I, 186-7 ; 197-202 ; 215 ; 221-3) conteste également l’utilisation de la notion de révolution militaire pour l’Antiquité, préférant parler d’incremental changes. 46 KEEGAN (1993), 47. 47 Le point dans notre récente synthèse sur la cavalerie dans le monde antique : PETITJEAN (2018), cap. 1. 48 CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 642-3 ; WHEELER (2004a), 319 ; SPEIDEL dans JOHNE (2008), 677 ; LUTTWAK (2010), 287 ; RANCE dans ERA, I, 179. Seul E. Luttwak n’hésite pas à parler de « révolution stratégique », estimant que les nouvelles menaces qui pesaient sur l’Empire romain d’Orient à l’époque protobyzantine impliquait le développement
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déclin de l’idéal de l’infanterie classique serait lié à la « décadence » de la cité : c’est la disparition de la cellule de vie élémentaire du monde méditerranéen classique qui aurait entraîné avec elle la fin d’une forme de guerre indissociable de l’organisation poliade49. Notre approche n’exclura aucune possibilité et tiendra compte des réflexions d’Everett Rogers sur la notion d’innovation technique (qui ont largement imprégné l’ensemble des sciences humaines et ont contribué à façonner les contours des discussions actuelles sur les RMA)50 ainsi que des travaux récents sur l’attitude ambiguë des populations de l’Antiquité classique vis-à-vis du changement et de la nouveauté51. Nous entretenons cependant la conviction que les Romains étaient capables de penser le progrès dans un domaine aussi technique que la guerre et que leur attitude face aux questions militaires était très largement conditionnée par des observations rationnelles, sans que la référence au passé soit un préalable systématique52.
d’une cavalerie plus puissante. E. Wheeler insiste au contraire sur les racines anciennes de ce phénomène. Cf. WHEELER (2004a), 319 : « Thus the case can be made that new tactical trends emerged in the era of “Marian reforms” and that these trends, reflecting conflicts with barbarians, de-emphasized pitched battles of heavy infantry and stressed light infantry, cavalry, and missiles. Indeed the stimulus for change appears (initially at least) to have been western rather than eastern (Parthian). “Revolution”, denoting sudden, drastic change, would be inappropriate characterization, for these trends represent longterm processes, which would eventually produce the cavalry-dominated forces of early Byzantine armies. » 49 Cf. GABBA (1974), 34 et surtout BRIZZI (2002, 2004 trad. fr.), 253 : « On a souvent affirmé que le choix des Romains de se fier de plus en plus aux forces de cavalerie, obéissait essentiellement à des motifs d’ordre tactique et stratégique, et qu’un nouveau rapport, fonctionnel et de prestige, s’était établi entre cavaliers et fantassins ; les Romains auraient admis que des cavaliers possédaient une plus grande efficacité pour répondre aux nouveaux besoins de l’empire. Personnellement, je ne le crois pas. Quand elle était bien commandée et suffisamment entraînée, l’infanterie est restée, jusqu’à une époque tardive, supérieure à n’importe quel corps de cavalerie. Je crois donc que les regrets de Végèce concernant l’antiqua legio sont plus que justifiés. Mais désormais, à son époque, les conditions, culturelles et politiques, idéologiques et sociales, sur lesquelles se fondait ce genre d’armée, avaient disparu. » 50 ROGERS (1962). L’auteur s’intéresse particulièrement aux mécanismes qui régissent la propagation des innovations et la résistance au changement. Il montre que l’adoption d’une technologie ou d’une pratique nouvelle ne dépend pas seulement de son efficacité, de son utilité inhérente (contra Clausewitz, De la guerre, II, 4 [éd. Naville p. 172]) : une innovation est acceptée dans la mesure où elle est compatible avec les valeurs du groupe social qui l’adopte ; elle doit être portée par des individus jouissant d’un prestige social suffisant (social carriers) pour la faire accepter du reste de la population. Il convient toutefois de s’interroger sur les limites de ce modèle dans l’environnement de la guerre, qui se caractérise par une pression accrue des facteurs d’efficacité sur les choix opérés par les décideurs politiques et militaires. Voir sur ce point PETERSEN (2013), 16. 51 Voir en dernier lieu ECHEVERRÍA REY (2010). 52 Contra LENDON (2005), 11-3, 36-8 et 156-61.
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IV – SOURCES ET MÉTHODE Durant la première phase de réalisation de ce travail, nous nous sommes efforcé de rassembler l’ensemble des témoignages, aussi bien textuels qu’archéologiques, épigraphiques, papyrologiques et numismatiques, susceptibles de nous renseigner sur le combat de cavalerie. Sans détailler ici le contenu de ce corpus, dont la présentation se fera au fil de l’étude, nous nous contenterons d’esquisser quelques pistes de réflexion méthodologique. Il convient tout d’abord d’insister sur le caractère très inégal de la couverture documentaire pour les sept siècles qui séparent la guerre de Jugurtha (112-105 av. J.-C.) du règne de l’empereur Maurice (582-602 ap. J.-C.). Si la fin de la période républicaine comporte des œuvres narratives de première main, fournissant des informations précises et très utiles sur la conduite des guerres (on pense en particulier aux auteurs du corpus césarien), elle n’a livré que peu de documents épigraphiques53. Il existe ainsi un fort décalage entre la précision des données dont nous disposons sur l’art militaire et le manque d’informations concernant l’organisation institutionnelle de l’armée. À l’inverse, le Haut-Empire apparaît de loin comme la période la mieux documentée du point de vue de l’épigraphie et de l’archéologie. Les trois siècles du Principat sont aussi couverts par des œuvres narratives de première importance, Flavius Josèphe, Tacite et Cassius Dion comptant parmi les auteurs phares de cette période. Le fil des récits militaires fiables s’interrompt dans la seconde moitié du IIIe s. pour ne reprendre que dans les années 350 avec les Res gestae d’Ammien Marcellin. Les représentations iconographiques de combattants montés sont nombreuses durant toute la période impériale, bien qu’il faille se méfier des conventions artistiques qui idéalisent l’armée dans l’art officiel et sont moins perceptibles sur les monuments privés54. Alors que les inscriptions militaires deviennent beaucoup plus rares dans l’Antiquité tardive, une source documentaire inestimable, la Notitia dignitatum, nous renseigne sur le déploiement et la nomenclature des différentes unités de l’armée romaine dans le premier quart du Ve s. Enfin, les guerres du VIe s. sont bien connues grâce aux œuvres narratives de trois historiens (Procope de Césarée, Agathias et Théophylacte Simocatta), et l’organisation des armées de campagne
53 Exception faite du bronze d’Asculum (ILS, 8888), dont nous aurons l’occasion d’apprécier la singularité en temps voulu. Pour un survol des inscriptions militaires tardorépublicaines : cf. KEPPIE (1997). 54 Sur ces questions, cf. COULSTON (1989) et WAURICK (1989).
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protobyzantines jouit d’un éclairage exceptionnel grâce au Stratêgikon attribué à l’empereur Maurice. Chaque type de sources nous renseigne sur des aspects particuliers de la doctrine d’emploi de la cavalerie et doit faire l’objet d’un traitement méthodologique approprié. Les récits de guerre fournissent des exemples concrets d’engagements, mais les auteurs les moins avisés ont souvent tendance à faire usage de lieux communs puisés chez des classiques antérieurs ou acquis dans le cadre d’une formation rhétorique accordant une large place aux poncifs de la poésie épique55. Il convient aussi de tenir compte des principes narratifs suivis par chaque auteur. Un historien tel que Tacite s’intéresse principalement aux grandes batailles d’infanterie et n’a que mépris pour les rencontres entre éclaireurs, impliquant des cavaliers auxiliaires qu’il considère avec dédain56. À l’inverse, Procope est très attentif aux escamourches de petite envergure, qui mettent aux prises des combattants d’élite appartenant à un milieu d’officiers qu’il a lui-même fréquenté en tant qu’assessor de Bélisaire57. De fait, le premier donne l’impression que la cavalerie ne joue qu’un rôle mineur dans les guerres du Ier s. ap. J.-C. alors que les troupes montées sont omniprésentes dans l’œuvre du second, marquée par un préjugé plutôt hostile à l’infanterie. L’une des méthodes les plus fréquemment utilisées dans ce travail consiste à croiser les données fournies par les sources narratives avec les prescriptions contenues dans les traités militaires, en particulier ceux d’Onasandre, Arrien, Julius Africanus, Végèce, Syrianus Magister et Maurice, qui contiennent le plus de données historiques sur la cavalerie romaine58. Dans un registre similaire, l’étude de l’architecture des camps romains, couplée avec les informations dont nous disposons sur l’organisation interne des unités, fournit des indications utiles sur le mode de déploiement des unités et permet de compléter le manque de données techniques pour les périodes antérieures au VIe s. Étant donné le caractère très lacunaire de ce corpus documentaire et l’absence de témoignages directs provenant de soldats ayant participé personnellement à des engagements de cavalerie, il va sans dire qu’une approche « keeganienne » est inenvisageable pour l’ensemble des sept Pour des pistes de réflexion : ASH (2002) ; LENDON (1999) ; FOUCHER (2000). Tac., Hist., II, 24, 1. Sur l’attitude de Tacite à l’égard de l’armée romaine et de la guerre en général : WELLESLEY (1969) et KAJANTO (1970). 57 Sur ce point, voir les remarques de RANCE (2005), 428-9. 58 Sur le volet grec de cette littérature, DAIN (1967) constitue toujours un point de départ obligé. Sur la tradition latine spécifiquement : LENOIR (1995). Voir aussi CAMPBELL (1987), LORETO (1995) et TRAINA (2002) pour une mise en perspective plus large des littératures techniques portant sur la guerre dans le monde romain. 55 56
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siècles dont traite cette étude. Aucune bataille n’est suffisamment documentée pour permettre un tel exercice de reconstitution événementielle et nous en sommes le plus souvent réduit à esquisser, de façon synchronique, les contours d’une doctrine d’emploi archétypale, oscillant entre les réalités décrites par les sources narratives et les données prescriptives issues de la littérature technique. La nature de la documentation ancienne rend aussi très difficile toute tentative d’approcher la réalité anthropologique du combat de cavalerie. Comme le résume très bien Jean-Michel Carrié, nous sommes « essentiellement tributaire[s] de deux sources peu propices aux recoupements : un discours civil, fondamentalement idéologique, où seuls d’immuables topoi tentent de configurer un référent évanescent, et des représentations figurées de soldats accompagnées d’un rare discours, lapidaire dans tous les sens du terme »59. Notre objet d’étude se limite donc le plus souvent aux questions d’ordre tactique, même si nous nous autorisons, lorsque les sources le permettent, quelques incursions dans des champs épistémologiques moins classiques. Nous avons également eu recours à deux approches auxiliaires pour compenser le mutisme des sources sur des points techniques, relatifs à l’utilisation de l’équipement militaire ou à la logistique des armées. Les traités de cavalerie rédigés à l’Époque moderne, tels que ceux de Charles-Louis d’Authville des Amourettes ou d’Augustin Mottin de la Balme, nous ont fourni un matériel de comparaison fort utile, notamment dans la mesure où les contraintes matérielles qui conditionnent l’utilisation de la cavalerie n’ont que peu changé entre l’Antiquité et le XVIIIe s.60. En outre, nous avons pu prendre part à un programme d’archéologie expérimentale portant sur la cavalerie romaine à l’époque d’Hadrien. Ce projet nous a permis de confirmer ou d’infirmer certaines hypothèses de recherche. Les résultats de ces journées d’expérimentations ont été publiés dans le Journal of Roman Military Equipment Studies61. Il va de soi qu’une étude dont l’objectif ultime est de mettre en évidence les permanences et les mutations relatives à l’emploi des forces de cavalerie dans le monde romain ne peut se concevoir que dans le cadre d’une progression chronologique. Notre développement se subdivise ainsi en quatre parties correspondant chacune à une période dont la cohérence nous semble justifiée par le contexte plus large de l’évolution des institutions politiques et militaires. La première partie traite de la fin de 59 60 61
CARRIÉ (1989, 1992 trad. fr.), 128. Cf. AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756) et MOTTIN DE LA BALME (1776). PETITJEAN, BISHOP & GRIFFITHS (2019).
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la période républicaine jusqu’à la fondation du Principat ; la seconde du Haut-Empire, jusqu’à la période sévérienne ; la troisième de la seconde moitié du IIIe s. et du IVe s. ; la quatrième des Ve et VIe s. Dans chacun de ces développements, il nous a semblé utile de commencer par présenter les facteurs historiques qui induisent une évolution des réalités militaires : la redéfinition des rapports entre aristocratie et activité militaire à la fin de l’époque républicaine ; l’institutionnalisation de l’armée professionnelle et permanente sous le Principat ; les effets produits par le développement d’une véritable armée d’accompagnement impériale au IIIe s. ; les confrontations répétées avec des peuples nomades proto-turcs aux Ve et VIe s. C’est à partir de ces réalités que sont abordés, dans le détail, le recrutement, l’organisation des corps de troupes, leur armement, leur déploiement, leur style de combat. Les chapitres portant sur les questions tactiques sont accompagnés de diagrammes explicatifs lorsque la complexité du propos rend la chose nécessaire. Ces diagrammes n’ont pas vocation à représenter fidèlement des faits historiques, mais visent avant tout à clarifier de façon schématique l’interprétation que nous faisons de certains récits de bataille.
PREMIÈRE PARTIE LA CAVALERIE, LA CITÉ ET L’EMPIRE À LA FIN DE L’ÉPOQUE RÉPUBLICAINE
CHAPITRE 1 LES EQUITES ROMANI ET LA MILITIA EQUESTRIS
Les auteurs du Ier s. av. J.-C. et du début de l’époque impériale présentent l’equitatus Romanus comme la fine fleur de l’armée républicaine et le vivier de son aristocratie. Une tradition rapportée par Tite-Live fait remonter sa formation aux temps reculés de Romulus, et les récits historiques ne tarissent pas d’éloges sur son rôle dans les campagnes militaires que les Romains ont remportées durant les premiers siècles de l’expansion de l’Urbs. Si bien que, lorsque l’on s’intéresse aux guerres de la fin de l’époque républicaine, on ne peut qu’être surpris par la rareté des témoignages qui se rapportent à ce vénérable corps de troupe. Dans les Commentaires sur la guerre des Gaules et les récits consacrés aux guerres civiles du Ier s. av. J.-C., les forces de cavalerie citoyenne sont quelque peu occultées par l’omniprésence des troupes auxiliaires. L’historiographie moderne a considéré que cette inadvertance était le signe d’un déclin du service militaire que l’État attendait des membres des centuries équestres. Rome, nation de paysans-soldats, aurait renoncé à une institution coûteuse et obsolète pour recourir exclusivement aux services de populations dites « cavalières » (Numides, Celtes, Thraces…)1. Cette vision caricaturale doit être entièrement rejetée. Imprégné par une forte idéologie guerrière, l’ordre équestre ne semble pas avoir abandonné la militia au Ier s. av. J.-C. et, au lendemain de la guerre sociale, l’État romain pouvait incorporer à sa cavalerie légionnaire une multitude de combattants fraîchement intégrés dans la ciuitas Romana. Pour comprendre le rapport des equites Romani à la guerre, il importe de revenir sur les étapes importantes qui ont marqué l’évolution de l’ordo equester sous la République et sur les implications nouvelles du service militaire pour les aristocrates au lendemain des guerres puniques.
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Voir notamment HYLAND (1990), 170-8 et DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 22.
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I – ORDO EQUESTER, COMBAT DE CAVALERIE ET RANG SOCIAL
A. La genèse de la cavalerie romaine et le mirage des « hoplites montés » Il est très difficile d’obtenir des informations fiables sur la cavalerie romaine avant le milieu du IIe s. av. J.-C.2 Les textes anciens nous renseignent surtout sur la perception que les auteurs de la fin de la République et du début de l’Empire avaient de l’histoire de ce corps d’élite qui constituait à l’époque archaïque un ordo, c’est-à-dire un « rang à l’armée »3. Un discours visiblement élaboré à la fin du IIe s. av. J.-C. soutenait que les equites descendaient des Celeres, l’antique cavalerie romuléenne4. Comme l’a bien montré Robert Ogilvie, il n’est pas étonnant que cette généalogie douteuse ait été forgée au moment où les chevaliers commençaient, du fait de la législation gracquienne, à se dissocier des sénateurs5. Le groupe social des equites Romani cherchait alors à se doter d’une identité politique forte et à rattacher sa création aux origines de la cité. L’archéologie fournit sur la préhistoire de l’equitatus des renseignements moins tendancieux. Si les premières représentations iconographiques de cavaliers apparaissent dans la péninsule aux alentours du VIIIe s. av. J.-C.6, il faut attendre la fin du VIe s. pour voir le cheval de selle supplanter le char comme symbole statutaire de l’aristocratie guerrière7. Les élites cavalières sont particulièrement puissantes en Étrurie8 2 Outre NICOLET (1966), qui fournit le point de départ obligé de toute discussion portant sur l’ordre équestre à l’époque républicaine, voir plus récemment MCCALL (2002), chap. 1 ; LUBTCHANSKY (2005), 1-12 ; DAVENPORT (2019), chap. 1. 3 Sur le sens primitif du mot ordo, en relation notamment avec le système « servien », cf. NICOLET (1966), 166 et MARCHETTI (1978), 214-9 (avec Cato, Orig., IV, fr. 4 [éd. Jordan p. 17]). 4 Plin., HN, XXXIII, 9, 35-6 (citant M. Iunius Congus Gracchanus) ; Festus, s.v. Celeres (éd. Lindsay p. 48). Sur les Celeres, voir : HILL (1938) ; ILARI (1971) ; NÉRAUDAU (1979), 259-94 ; LEVI (1987-1988) ; MASTROIACOVO (2008). 5 OGILVIE (1965), 83. Voir aussi DAVENPORT (2019), 32-3. 6 LUBTCHANSKY (2005), 39. Il faut cependant attendre le siècle suivant pour voir apparaître des représentations de cavaliers armés. Voir le décor peint de la célèbre œnochoé de Tragliatella, datée du VIIe s. av. J.-C. : ibid., 184, fig. 100 (deux cavaliers armés de boucliers et de lances). 7 Ibid., 124 (pour la Campanie). Cela dit, N. Lubtchansky reconnaît que des tombes de cavaliers sont présentes en Italie dès la fin du IXe s. av. J.-C. : ibid., 38. 8 La question a fait débat mais nous semble avoir été définitivement tranchée par N. Lubtchansky : ibid., chap. 6 et 7 (notamment p. 175-8, 194 et 224-5). Contra JANNOT (1986), 132.
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et dans certaines colonies de Grande Grèce (Sybaris, Cumes, Rhégion…) où les hippobotai (« éleveurs de chevaux ») sont parvenus à imposer des régimes de nature oligarchique9. Mais elles sont aussi attestées en Italie centrale et jouent peut-être déjà un rôle politique et militaire important dans les premiers temps de Rome, notamment dans l’entourage des seigneurs de guerre qui protègent la cité au VIe s. av. J.-C. Au moment où s’amorce la transition vers l’armée communautaire du début de l’époque républicaine, cette cavalerie semble épouser – au moins en partie – les contours du patriciat10. Les auteurs romains rapportent les élargissements successifs de la cavalerie romaine avec un accroissement important lors de l’établissement de la constitution « servienne »11. Dans la nouvelle organisation censitaire attribuée à Servius Tullius, le corps des citoyens mobilisables est réparti en cinq classes. Les chevaliers, qui forment dix-huit centuries distinctes au sein de la première classe, sont au nombre de 1 800. Les censeurs les choisissent tous les cinq ans parmi les citoyens les plus riches et les mieux considérés, ex primoribus ciuitatis12. Le montant du cens nécessaire pour appartenir à l’ordre n’est pas connu pour la période qui précède le Ier s. av. J.-C. : certains historiens pensent qu’il est déjà
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LUBTCHANSKY (2005), chap. 2 et 4. Sur cette transition, cf. ARMSTRONG (2016), chap. 4. Une vive polémique a opposé dans les années 1960-1970 A. Alföldi et A. Momigliano autour de la question du prestige social de la cavalerie romaine à l’époque archaïque : cf. ALFÖLDI (1952), (1965) et (1967a) ; MOMIGLIANO (1966) et (1969). Momigliano refusait de voir dans le patriciat romain une aristocratie cavalière et pensait qu’il s’agissait à l’origine d’une « aristocracy of infantry leaders supported by their “clientes” » ([1966], 23). Une telle assertion ne saurait contredire l’idée (aujourd’hui unanimement acceptée) qu’en Italie centrale, le cheval de guerre était à la fois le symbole d’une élite sociale (l’aristocratie foncière) et d’une classe d’âge (celle des iuuenes). Cf. RICHARD (1978), 248-62 et LUBTCHANSKY (2005), 257-9. 11 Sous le règne de Romulus, les cavaliers sont au nombre de 300 et répartis dans trois centuries correspondant aux trois tribus primitives (Rhamnes, Tities, Luceres) : Varro, Ling., V, 91 ; Liv., I, 13, 8 ; Dion. Hal., II, 2 et 16 ; Plut., Rom., 20 ; Festus, s.v. turma (éd. Lindsay p. 484) ; Serv., Apud Aen., IX, 368 ; Jean Lyd., De mag., I, 9. Chaque curie fournit dix cavaliers. Tarquin l’Ancien aurait multiplié par deux le nombre de cavaliers et dédoublé les centuries, avec désormais trois centuries priores et trois centuries posteriores : Cic., Rep., II, 20, 35-6 ; Liv., I, 36, 2-3 et 7-8. Ces six centuries seraient à l’origine des sex suffragia créés par Servius Tullius, peut-être aussi appelés centuries procum patricium : Cic., Rep., II, 22, 39. Festus, s.v. Sex suffragia (éd. Lindsay p. 452) ; Id., s.v. Procum patricium (éd. Lindsay p. 290). Voir NICOLET (1966), 15, 26-9 (pour une discussion générale) et LUBTCHANSKY (2005), 267-70 (pour les principales sources avec texte original et traduction française). 12 Liv., I, 43, 8 ; Dion. Hal., IV, 18, 1. 10
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distinct du seuil censitaire de la première classe13 ; d’autres supposent qu’il est équivalent et correspond donc à 100 000 as sextentaires14. Quelle qu’ait été la nature exacte de cette qualification, l’ordre équestre médiorépublicain n’est pas un groupe social défini par la fortune mais une aristocratie militaire dont les membres sont individuellement sélectionnés par les censeurs15. L’incorporation dans l’ordo est manifestée par l’octroi du « cheval public » (equus publicus) ; autrement dit, la monture des chevaliers est financée par une taxe d’État, l’aes equestre, à laquelle s’ajoutent deux autres allocations : l’aes hordearium, un subside octroyé en temps de guerre pour subvenir aux besoins alimentaires de l’equus publicus, et le triplex stipendium, qui permet à chaque cavalier d’entretenir un ou plusieurs écuyers16. Les fantassins sont pour leur part inscrits dans les autres centuries de la prima classis et dans celles des quatre classes censitaires restantes. On sait aujourd’hui que ce système ne date pas du VIe s. av. J.-C. Certains éléments de la constitution « servienne » reflètent des réalités plus tardives, contemporaines ou postérieures au IVe s. av. J.-C.17. Mais cela ne remet pas en cause l’information essentielle véhiculée par les sources littéraires et confirmée par l’archéologie : l’existence à Rome, dès l’époque monarchique, d’une élite équestre constituée de jeunes aristocrates.
13 NICOLET (1966), 63-6 croit déceler dans Liv., XXIV, 11, 7-8 (214 av. J.-C.) la première mention d’un census equester dont le montant était équivalent à 1 000 000 d’as, soit 400 000 HS. CRAWFORD (1985), 149 pense qu’il existait au IIe s. av. J.-C. un cens équestre de 400 000 as qui aurait été converti en 400 000 HS vers 141 av. J.-C. RATHBONE (1993), 149, n. 25 estime que le cens équestre de 400 000 HS n’a pu être institué qu’après 140 av. J.-C., probablement en 129 av. J.-C. BRUNT (1988), 146 reconnaît qu’une telle qualification censitaire était en vigueur au temps de la lex Roscia (67 av. J.-C.), mais considère qu’elle pouvait être plus ancienne (« it may have gone back to the Hannibalic war »). KAY (2014), 12, n. 23 et 287, n. 62 est plus catégorique : le cens équestre a été institué par la lex Roscia. 14 Voir notamment HILL (1939) et MARCHETTI (1978), 210-9. Ces deux études ne tiennent pas compte d’un témoignage de Denys d’Halicarnasse qui laisse penser que Fabius Pictor évoquait déjà le census equester dans ses Annales. Cf. Dion. Hal., VII, 72, 1 (ἱππεῖς μὲν ὧν οἱ πατέρες τιμήματα ἱππέων εἶχον), avec GIOVANNINI (2010), 354. Il est toutefois difficile de savoir si cette mention était réellement présente chez l’annaliste républicain car il pourrait très bien s’agir d’une interpolation dionysienne. 15 HUMM (2005), 152-3. 16 Cf. NICOLET (1966), 36-45 ; MARCHETTI (1978), 198-204 ; RATHÉ (1995). L’expression equus publicus liée à l’aes equestre laisse penser qu’avant l’introduction de la monnaie à Rome, l’État fournissait réellement leur monture à tout ou partie des equites ; ce n’est que par la suite que cette assignation du cheval public aurait été remplacée par une compensation financière. 17 En particulier, ce système ne peut-être antérieur à la monétarisation de l’économie romaine, qui n’intervint pas avant le IVe s. Cf. NICOLET (1962), 467 et ID. (1966), 15-23.
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Comme nous venons de le voir, la collation du cheval public soumettait le service dans la cavalerie (militia equestris) à un strict contrôle de l’État. Cela ne veut pas dire que l’effectif de l’ordo equester resta fixe durant toute la période républicaine. Pour l’année 225, Polybe pouvait dénombrer 23 000 cavaliers romains, ce qui est bien loin des 1 800 equites centuriarum equitum associés au système « servien »18. Certains historiens se sont demandés si un tel nombre ne dissimulait pas l’existence, dans l’exercitus populi Romani, de cavaliers légionnaires équipés à leurs propres frais. D’après Claude Nicolet, l’acte de naissance de ces equites equis suis merentes serait à situer pendant le siège de Véies19. Tite-Live signale en effet qu’au cours de l’année 403 av. J.-C., des cavaliers qui ne disposaient pas du cheval public (quibus […] equi publici non erant adsignati) proposèrent au Sénat de servir avec leurs chevaux personnels (equis suis)20. Cette interprétation du passage, acceptée par une majorité de chercheurs21, est rejetée par Patrick Marchetti qui estime que les cavaliers mentionnés par Tite-Live n’appartenaient pas à une composante distincte de l’ordre équestre : il s’agissait en réalité de chevaliers « qui n’avaient pas été enrôlés » et s’étaient « volontairement engagés à servir sur des montures leur appartenant »22. Tous les cavaliers romains étaient par définition equo publico, et cette situation ne connut pas de modification avant la guerre sociale23. Cette hypothèse pourrait sembler contredite 18
Plb., II, 24, 14. NICOLET (1966), 16 et 49-55. Voir aussi BELOT (1866), 175-6 ; MOMMSEN (1889a), 70-2 ; SOLTAU (1911), 488, 582, 589 ; LAMMERT (1914), col. 543. 20 Liv., V, 7, 5 et 10-3. 21 Voir, entre autres : JUNKELMANN (1991), II, 33-4 ; MCCALL (2002), 2-3 ; HUMM (2005), 160 et 290 ; GIOVANNINI (2010), 355-6 ; DAVENPORT (2019), 37-8. En se fondant sur les chiffres fournis par Polybe, RATHÉ (1995), 130 considère que l’échelle des salaires en vigueur sous la République impliquait l’existence de ces cavaliers légionnaires, moins bien rémunérés que les equites equo publico. RAWSON (1971), 16 avance l’hypothèse que les equites equo publico servaient dans les quatre légions consulaires alors que les equites equis suis étaient enrôlés, en fonction des besoins, dans les légions surnuméraires. 22 MARCHETTI (1978), 228. La leçon que Marchetti propose du texte de Tite-Live (Tum primum equos merere equites coeperunt au lieu de Hinc primum equo suo mereri equites coeperunt) suggère que le « changement intervenu à cette époque ne consiste pas dans la répartition des equites en deux classes (les uns equo publico, les autres equis suis), mais dans l’allocation qu’à partir de cette date l’État aurait payée à tous les equites au service actif pour l’achat de chevaux, alors qu’auparavant, le cheval lui-même était donné par l’État aux equites. » (ibid., 241). 23 Cette vue, qui dispense d’imaginer un dédoublement de la cavalerie citoyenne, n’a jamais été réfutée par les historiens qui ont émis des réserves à son encontre. Voir notamment DEMOUGIN (1988), 773-4, n. 39 et HUMM (2005), 148, n. 63, 151-2, n. 83. L’analogie établie par certains savants entre les equites Romani avec la noblesse équestre campanienne (cf. HEURGON [1942], 254) ne saurait contredire Marchetti : l’idée que les equites Campani formaient au sein de leur communauté une élite distincte du corps des cavaliers 19
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par le discours ut plura aera equestria fierent, dans lequel Caton l’Ancien proposait de porter le nombre des indemnités équestres à 2 20024 : la plupart des commentateurs déduisent de ce projet que l’effectif des chevaliers romains était resté fixe jusqu’au début du IIe s. av. J.-C. et que, par conséquent, il ne pouvait embrasser la totalité des 23 000 cavaliers mentionnés par Polybe pour l’année 225. Mais Marchetti fait judicieusement observer que les 2 200 aera dont il est question pouvaient tout aussi bien correspondre aux « indemnités payables l’année où [Caton] prononça son discours » pour l’ensemble des cavaliers légionnaires qui disposaient tous du cheval public25. Un fragment de M. Iunius Congus Gracchanus cité par Pline l’Ancien valide cette interprétation. Il révèle qu’à l’époque de C. Gracchus, les seuls citoyens qui pouvaient être qualifiés d’equites étaient les membres de l’ordo equester, anciennement appelés Trossuli : Quod ad equestrem ordinem attinet, antea Trossulos uocabant, nunc equites uocant26. La définition juridique de l’ordre équestre ne nous renseigne pas fondamentalement sur sa fonction combattante. Elle est néanmoins un préalable indispensable pour comprendre l’environnement politique, social et idéologique dans lequel les chevaliers étaient amenés à servir l’État et à manifester leur uirtus jusqu’à la fin de l’époque républicaine. La fonction militaire exacte de l’equitatus archaïque pose problème et reste un domaine de polémiques. Un certain nombre de questions subsiste : les chevaux servaient-ils seulement de moyen de transport ou étaient-ils intégrés dans les combats ? Les cavaliers appartenaient-ils au groupe des fantassins ou formaient-ils déjà un corps autonome ? Au début du XXe s., l’archéologue allemand Wolfgang Helbig a affirmé que les equites n’étaient guère plus que des « hoplites montés » (berittene Hopliten), n’est acceptable que si l’on postule que l’effectif de ces chevaliers campaniens était fixé par un numerus clausus, ce qui ne peut être prouvé. 24 Caton, Or., fr. 85-6 (éd. Malcovati). Cf. HILL (1952), 42-3 ; NICOLET (1966), 115-6 ; RATHÉ (1995), 149. 25 MARCHETTI (1978), 224, n. 95. En d’autres termes, l’année où le discours fut prononcé, la force numérique de l’equitatus Romanus devait être inférieure à 2 200 hommes, tous equites equo publico. Tout dépend donc de la datation des deux fragments. On pense le plus souvent à l’année 184 av. J.-C. durant laquelle Caton fut censeur (HILL [1952], 42 ; DAVENPORT [2019], 53). Six légions étaient actives cette année-là (cf. CADIOU [2008], 103-5 et 116, avec BRUNT [1971], 424), ce qui porte l’effectif théorique de l’equitatus legionis à 1 800 hommes (à raison de 300 equites par légion : Plb., VI, 20, 9). Caton pourrait donc très bien avoir réclamé l’ajout de 100 cavaliers dans chaque légion en obtenant du Sénat la mise en place de 400 aera supplémentaires. 26 Plin., HN, XXXIII, 9, 36. Sur les noms portés par les cavaliers romains à l’époque médio-républicaine, voir en dernier lieu PEDRONI (2010).
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c’est-à-dire des fantassins qui utilisaient leurs chevaux pour se rendre sur le champ de bataille, où ils devaient alors rejoindre les rangs de l’infanterie27. L’idée a séduit nombre de savants, au premier rang desquels figurent Johannes Kromayer, Georg Veith et Arnaldo Momigliano28. Mais plusieurs chercheurs lui ont opposé des arguments convaincants29. Sans entrer dans les détails d’une discussion qui aménerait à tenir compte de l’ensemble de la documention méditerranéenne, une première objection nous semble relever du bon sens. Nombre d’études ont montré que de véritables forces de cavalerie sont attestées en Europe dès le début de l’âge du Fer30. En Grèce, l’existence de combattants à cheval est corroborée par des témoignages iconographiques datés du VIIe s. av. J.-C. au plus tard31, sans parler des sources littéraires qui mentionnent leurs faits d’armes dès le VIIIe s. av. J.-C.32. Pourquoi la situation aurait-elle été différente dans la région du Latium, qui était pourtant au contact des cultures militaires helléniques par l’intermédiaire des colonies de Grande Grèce33 ? Une datation tardive du développement du combat de cavalerie à Rome semblerait d’autant plus surprenante qu’il existe des indices difficilement contestables de la présence de forces de cavalerie autonomes en Campanie et en Étrurie dès le VIe s. av. J.-C.34. 27 HELBIG (1904) et (1905). Plusieurs représentations archaïques montrent que les cavaliers romains descendaient parfois de cheval pour combattre à pied. E.g. LUBTCHANSKY (2005), 79-81 (plaques de Serra di Vaglio, c. 580-570 av. J.-C.). 28 KROMAYER & VEITH (1928), 256-7 ; ADCOCK (1940), 6 ; HILL (1952), 2 ; MOMIGLIANO (1966) et (1969) ; ILARI (1971) ; MARTINO (1980). Encore récemment, M. McDonnell a pu soutenir que le véritable combat de cavalerie ne vit le jour à Rome que dans la seconde moitié du IVe s., au moment de la censure de Q. Fabius Rullianus (304 av. J.-C.) et de l’institution de la transuectio equitum. Cf. MCDONNELL (2006), 186-7. 29 LAMMERT (1907) ; DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), I, 256-7 et 267-8 ; WIESNER (1944) ; ALFÖLDI (1952), (1965) et (1967a) ; SAULNIER (1980), 109-14 et 117-8 ; RICHARD (1986) ; LUBTCHANSKY (2005) (voir notamment p. 262 : « l’existence de troupes de cavaliers est tout à fait concevable dès le VIIe siècle en Italie »). C. Nicolet s’est toujours gardé d’exprimer une opinion tranchée sur ce sujet, mais semble plutôt favorable à la position défendue par Alföldi : cf. NICOLET (1969), 117 (n. 2) et 120. 30 État de la question et bibliographie antérieure dans PETITJEAN (2018), cap. 1. 31 SCHWEITZER (1969), 224, fig. 122. 32 Paus., IV, 7, 5 et surtout 8, 12. 33 Voir en ce sens les remarques de NICOLET (1969), 127. 34 La céramique étrusque fournit par exemple l’image de véritables engagements impliquant des cavaliers : ADAM (1995), 73, n. 6 et 8. Les peintures de la tombe de Querciola, datées de la fin du Ve s. av. J.-C., montrent des guerriers à cheval qui ne possèdent, comme arme offensive, qu’une épée courbe, la machaira, que Xénophon recommande explicitement pour le combat de cavalerie : JANNOT (1995) et Xen., Peri hipp., 11, 12 (avec SPENCE [1993], 54-5). Ce sabre court est attesté dans le mobilier funéraire en Campanie dès le VIIe s. av. J.-C. et en Étrurie à partir du milieu du VIe s. : STARY (1981), II, 448. Il est
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Les informations dont nous disposons sur les fonctions tactiques des premiers equites Romani militent également contre l’hypothèse de Helbig. Certes, les récits militaires portant sur la plus haute histoire romaine posent d’épineux problèmes d’interprétation, en particulier ceux qui figurent dans la première décade de Tite-Live35. Mais on admet aujourd’hui que les annalistes tardo-républicains se faisaient – au moins en partie – l’écho d’une tradition orale jalousement conservée par les grandes gentes de la nobilitas36. De toute évidence, cette mémoire gentilice attribuait un rôle décisif aux equites, souvent présentés comme victorieux face aux forces d’infanterie que Rome eut à affronter en Italie centrale37. D’après Helbig, les annalistes auraient interprété de façon anachronique le contenu des sources qu’ils avaient à leur disposition : dans la mesure où les aristocrates se déplaçaient à cheval, il était facile de les confondre avec de véritables cavaliers38. Cette conception repose sur un présupposé arbitraire qui veut que, durant l’Antiquité, aucune cavalerie n’ait été capable de rompre une force d’infanterie massée39, postulat contredit par de nombreux exemples historiques40. Si l’on examine plus en détail le récit livien, il apparaît clair que les chevaliers romains pouvaient agir comme une véritable force montée. Tite-Live décrit en effet des manœuvres incompatibles avec les réalités du combat phalangique (fig. 1) : 1. les equites chargent en première ligne de l’ordre souvent associé à des mors métalliques dans les dépôts. Toutes ces données s’accordent avec les sources littéraires, qui relèvent l’intervention de cavaliers étrusques et campaniens sur de nombreux théâtres d’opération du VIe au IIIe s. Cavalerie campanienne : Diod., XIII, 44, 1 ; XI, 1, 5 ; XIII, 80 ; XIV, 8, 5 ; 9, 2 ; 15, 3 ; 58, 2 ; 61, 4 ; Liv., X, 29, 12 ; XXIII, 4, 8 ; XXII, 13, 2 ; XXIII, 46, 11. Le récit par Denys d’Halicarnasse de la bataille qui oppose, en 524 av. J.-C., Cumes aux Étrusques amène à la même conclusion : VII, 4, 1 (l’historicité de ce passage est niée par WELWEI [1971] mais acceptée par LUBTCHANSKY [2005], 130-2). 35 Sur les sources de la tradition annalistique concernant la plus haute époque romaine, cf. CORNELL (1995), 1-18. Sur la méthode historiographique de Tite-Live dans la première décade : FORSYTHE (1999). 36 ARMSTRONG (2016), 20-39. 37 Liv., I, 30, 10 ; 37, 3 ; II, 20, 10-11 ; 43, 7 ; 49, 10-11 ; III, 62, 8-9 ; 70, 4-9 ; IV, 19, 5 ; VI, 13, 3 ; VIII, 30, 6-7 ; X, 5, 7 ; 41, 9. 38 HELBIG (1904), 192-3. 39 Dans un registre similiaire, cf. MOMIGLIANO (1966), 21 : « But the Greek experience shows that in battles between hoplites the cavalry was never a determining factor. » À la page suivante, dans un développement qui concerne cette fois-ci l’Italie, l’auteur évoque sans l’étayer « [the] limited importance of the cavalry in the battles of the fifth century », alors même que les sources notent l’exact contraire. 40 Voir SIDNELL (2006) qui dresse l’inventaire de ces exemples pour l’Antiquité et le début du Moyen Âge. À un niveau plus théorique : ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.), 157-63 (« Cavalerie contre infanterie »).
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Figure 1 – Schéma du déploiement tactique de l’equitatus archaïque selon Tite-Live.
de bataille, formant un écran devant l’infanterie romaine, et cherchent ainsi à rompre l’armée adverse41 ; 2. si leur première attaque est infructueuse, ils se retirent à travers les intervalles des fantassins42 ; 3. par une manœuvre tournante, ils peuvent alors tenter d’envelopper l’armée ennemie ou l’attaquer à revers pendant que les forces d’infanterie entament la 41 Liv., I, 30, 11 (ab equitibus repente inuectis turbati ordines sunt Sabinorum) ; II, 43, 7 (ut solo equitatu emisso exercitum hostium funderet) ; III, 70, 4 (per mediam hostium aciem cum equitatu perrupit) et 9 (permissus equitatus turbauerat ordines) ; IV, 18, 5 (ante mediam aciem cum equitatu magister equitum processit) et 7 (primos equites clamore sublato in hostem emisit) ; 47, 2 (equitatu inmisso antesignanos hostium turbasset) ; VI, 29, 2 (concitatis equis inuade mediam aciem ; ego cum legionibus in turbatos trepidantesque inferam signa) ; 32, 8 (eques inmissus ordines turbauit, turbatis signa peditum inlata) ; VII, 33, 8 (equitibus inmissis turbare prima signa hostium conatur) ; X, 41, 9 (prouolat eques atque infestis cuspidibus in medium agmen hostium ruit perrumpitque ordines). Si l’on suit Tite-Live, la manœuvre a pour but, sinon de mettre en déroute les troupes ennemies, au moins de permettre aux cavaliers de se frayer un chemin à travers les intervalles qui se font jour dans la ligne de bataille adverse : Id., III, 70, 4 ; VII, 33, 9 (nec posse aperire in hostes uiam) ; VIII, 30, 6 (per arma, per uiros late stragem dedere). Ce type d’attaque rappelle la percée décisive des Compagnons d’Alexandre à Gaugamèles (331 av. J.-C.) : Arr., Anab., III, 14, 2 (avec PETITJEAN [2018], 59-61). 42 La manœuvre est implicite dans de nombreux passages où la cavalerie, qui vient de charger en première ligne, se retire et laisse l’infanterie attaquer la ligne ennemie. En d’autres occasions, Tite-Live évoque explicitement les intervalles qui permettent aux cavaliers de traverser l’infanterie : Liv., X, 5, 6 (sed reliquerat interualla inter ordines peditum, qua satis laxo spatio equi permitti possent) ; 41, 9 (panduntur inter ordines uiae, prouolat eques). Ce procédé jette parfois la confusion chez les fantassins : Id., X, 14, 15.
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mêlée43 ; 4. enfin, lorsque les troupes adverses se débandent, les cavaliers sont chargés de les poursuivre pour les massacrer44. Partir du principe que ces manœuvres étaient exécutées par des hoplites montés reviendrait à supposer que les Romains engageaient successivement plusieurs phalanges et qu’ils n’hésitaient pas à faire combattre leurs chevaliers en situation de nette infériorité numérique. Il faudrait aussi imaginer une technique de poursuite pour le moins incommode, dans laquelle les cavaliers se déplaçaient à cheval mais démontaient pour tuer les fuyards, le tout affublés d’un équipement pesant. Cela ne semble guère raisonnable. Les sources utilisées par les annalistes faisaient bien référence à de véritables combats de cavalerie. Toute la question est de savoir si des éléments anachroniques ont pu s’introduire dans les récits qui nous sont parvenus. On pourrait supposer que Tite-Live, dans son travail de reconstruction narrative, plaquait sur le passé des réalités plus tardives : il aurait utilisé de façon artificielle une description topique de combat équestre, valable pour les derniers temps de la République. Ce serait négliger le fait que le mode opératoire que nous venons d’évoquer comprend des éléments d’une grande singularité : la tactique consistant à charger l’infanterie frontalement pour ouvrir des jours dans sa ligne de bataille n’apparaît jamais dans les récits militaires tardo-républicains. À moins de postuler que les auteurs romains du Ier s. av. J.-C. eussent forgé de toutes pièces un imaginaire du combat archaïque, détaché de toute réalité, on peut logiquement conclure de cette observation que l’œuvre de Tite-Live contient des indications fiables sur le mode de combat des premiers chevaliers romains45, indications que l’on jugera peu compatibles avec l’idée d’un equitatus uniformément composé d’hoplites. Au contraire, une note de Polybe laisse entendre que les cavaliers romains des premiers temps, avant d’adopter un équipement militaire grec, étaient plutôt armés à la légère46, et l’un des surnoms primitifs des equites, celui de ferentarii, 43 Id., I, 37, 3 (ita incurrisse ab lateribus ferunt) ; II, 49, 11 (inuecta subito ab latere Romana equitum ala). 44 Id., IV, 47, 4 ; VI, 13, 4 ; 32, 9 ; X, 41, 11. Lors de la bataille du lac Régille (496 av. J.-C.), les equites qui ont démonté afin de porter secours aux légions remontent en selle pour poursuivre l’ennemi : Id., II, 20, 12. 45 Voir dans le même sens DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), I, 257 : « It is true that all the individual combats and fights in the first books of Livy are to be regarded as absolutely mythical, but the general preponderance of cavalry combat stands out so strongly that one can spot in this fact a reflection of reality. » 46 Plb., VI, 25, 3. C’est d’ailleurs précisément cet équipement léger qui permettait aux equites de descendre de cheval facilement : MCCALL (2002), 30. LAMMERT (1914), col. 546-8 estime que la source utilisée par Polybe renvoyait plutôt à la seule composante légère de l’equitatus Romanus : peut-être les ferentarii qu’il faudrait distinguer des equites
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porte la même connotation47. Cette cavalerie autonome est attestée de façon continue durant l’époque archaïque, et l’émergence des formations denses d’infanterie lourde n’a certainement pas entraîné sa disparition, pas plus que cela n’a été le cas en Grèce48. Les equites Romani pouvaient démonter dans certaines circonstances, mais ils ne le faisaient pas systématiquement. Denys d’Halicarnasse précise ainsi, à propos du mode de combat des Celeres : « Ils combattaient à cheval là où le terrain se prêtait à la cavalerie, et à pied lorsque le lieu était inégal et peu commode pour les chevaux »49. L’Ineditum Vaticanum est régulièrement invoqué à l’appui de la thèse qui nie l’existence d’une véritable cavalerie romaine avant la fin du IVe s. Ce manuscrit, dont le texte se compose d’une série d’apophtegmes remontant à un auteur grec inconnu (peut-être Timée de Tauromenion, un historien du IIIe s. av J.-C., si l’on suit l’hypothèse récente de Michel Humm)50, rapporte entre autres les propos tenus par un certain Kaeso à un ambassadeur carthaginois en 264 av. J.-C., peu de temps après le débarquement du premier corps expéditionnaire romain en Sicile. L’envoyé de Carthage vantant la supériorité maritime de son peuple, Kaeso lui rétorque que les Romains sont d’excellents élèves qui ont toujours fini par surpasser leurs maîtres : « Nous nous mettons à faire ce que font ceux qui nous combattent et nous l’emportons dans des manières d’agir qui nous étaient étrangères sur ceux qui en avaient depuis longtemps l’expérience. En effet, les Tyrrhénéens nous firent la guerre munis de boucliers d’airain et en combattant en phalanges, non en unités de combat ; nous aussi, changeant d’équipement et empruntant leur armement, nous les affrontâmes en les combattant de cette
proprement dits. Un fragment de Caton l’Ancien nous semble conforter cette hypothèse, cf. Caton, Mil., fr. 6 (éd. Jordan p. 81) : Inde partem equitatus atque ferentarios praedatum misit. Mais on ne peut exclure que le terme ferentarius désigne ici une catégorie de fantassins légers. 47 Voir en particulier Varro, Ling., VII, 57 et les commentaires de PEDRONI (2010), 355-6. 48 Voir notamment GREENHALGH (1973), 78 et SPENCE (1993), 102-17. De ce point de vue, nous estimons qu’il n’est pas nécessaire de distinguer, comme le propose GARLAN (1972), 112, entre « deux périodes successives, la première marquée par une prépondérance militaire, sociale et politique de la cavalerie, la seconde correspondant à la formation des armées de type hoplitique », lors de laquelle « se serait rompu le lien effectif […] entre cavalerie et aristocratie dans le monde romain » (position reprise par SAULNIER [1980], chap. vi et LEVI [1991]). 49 Dion. Hal., II, 13, 3 (trad. V. Fromentin & J. Schnäbele) : ἱππεῖς μὲν ἔνθα ἐπιτήδειον εἴη πεδίον ἐνιππομαχῆσαι, πεζοὶ δὲ ὅπου τραχὺς εἴη καὶ ἄνιππος τόπος. 50 HUMM (2007). Depuis leur publication par H. von Arnim en 1892, on attribuait traditionnellement ces fragments à Fabius Pictor.
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manière, eux qui avaient une très grande expérience du combat en phalanges. Nous ne possédions pas comme arme ancestrale le scutum samnite et nous n’avions pas le pilum, mais nous combattions avec des boucliers ronds et des lances : nous n’étions pas non plus capables de combattre à cheval, mais toute la force de Rome, ou sa plus grande part, était l’infanterie (ἀλλ’ οὐδ’ ἱππεύειν ἰσχύομεν, τὸ δὲ πᾶν ἢ τὸ πλεῖστον τῆς Ῥωμα¨ικῆς δυνάμεως πεζὸν ἦν). Mais lorsque nous entrâmes en guerre avec les Samnites, nous prîmes comme armes leur scutum et leur pilum et nous nous efforçâmes de combattre à cheval (ἱππεύειν τε αὑτοὺς ἀναγκάσαντες) : grâce à ces armes étrangères et en rivalisant avec eux, nous réduisîmes en esclavage ceux qui montraient un si grand orgueil. » (trad. M. Humm)51.
En s’appuyant sur ce texte, Helbig conclut que les « Romains organisèrent pour la première fois une véritable cavalerie » au temps des guerres samnites52. Une telle interprétation nous semble bien excessive. Le verbe ἰσχύω, suivi de l’infinitif, peut signifier « être capable de » ou « être fort » dans un domaine précis. Ici, l’auteur de l’apophtegme se contente de dire que les Romains « étaient faibles » en matière de cavalerie (οὐδ’ ἱππεύειν ἰσχύομεν) car toute la force de l’armée – ou presque – résidait dans l’infanterie. La nuance introduite par ἢ τὸ πλεῖστον confirme bien qu’il existait avant les guerres samnites une force distincte de l’infanterie, une authentique cavalerie, dont les effectifs étaient certainement limités. Dans une recension des travaux de Helbig publiée en 1907, Edmund Lammert ne s’y était pas trompé et avait proposé de voir dans cet extrait le signe d’une augmentation du nombre des cavaliers romains à la fin du IVe s.53. Cette hypothèse est confirmée par d’autres témoignages qui laissent deviner une importante réforme de l’equitatus durant la même période. On sait, en effet, que le système des centuries équestres ne fut formalisé qu’en 312 av. J.-C., sous la censure d’Appius Claudius Caecus54. Le nombre d’equites aurait été triplé à la suite de cette refonte, avec le passage des six centuries patriciennes archaïques à un nouvel effectif de dix-huit centuries, pour un total de 1 800, sans compter l’apport des equites Campani, récemment intégrés dans l’armée de la République romaine55. C’est aussi au cours de cette année qu’eut lieu la première recognitio equitum, la revue qui permettait 51
HUMM (2007), 302-3. HELBIG (1904), 191. Voir aussi ID. (1905), 270. 53 LAMMERT (1907), 616. Voir aussi ID. (1914), col. 542-3. 54 HUMM (2005), 146-66. 55 Liv., VIII, 11, 16. Contra MARCHETTI (1978), 204-9, pour qui Tite-Live commet ici un anachronisme, en transposant en 340 une situation qui ne se concrétisa que durant la deuxième guerre punique. 52
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au censeur de tenir à jour l’album des chevaliers romains56. Quant à la transuectio equitum, la grande parade annuelle des equites dans l’enceinte de la ville, elle aurait été instituée en 304 av. J.-C. pour célébrer l’identité collective du nouvel equitatus élargi à la plèbe riche57.
B. La tactique des equites Romani et l’éthique de la uirtus À partir de la bataille de Sentinum (295 av. J.-C.), l’œuvre de Tite-Live devient plus fiable et autorise une analyse circonstanciée des tactiques et des modes de combat employés par les equites Romani58. Malheureusement les livres XI à XX sont perdus et il faut attendre la deuxième guerre punique pour voir la cavalerie romaine refaire surface dans l’Ab Urbe condita. Polybe, Denys d’Halicarnasse et Plutarque permettent en partie de combler cette lacune. Dans tous ces récits, les equites Romani pariticipent à des combats collectifs, mais aussi à des duels qui les opposent à des champions ennemis59. Les combats singuliers décrits pour la période allant de la fin du IVe s. au IIe s. av. J.-C. mettent toujours aux prises des combattants montés, issus des rangs de l’ordo equester. La place que leur accorde la tradition annalistique signale l’importance attachée par l’aristocratie romaine à l’équitation militaire, qui permet à chaque membre de l’ordo d’exprimer son adhésion aux valeurs agonistiques du groupe et de mesurer sa valeur individuelle. Quant aux combats collectifs, en escadrons constitués, ils révèlent une nette prédilection pour la mêlée. Comme l’a bien montré Jeremiah McCall, l’ethos aristocratique romain valorise la charge à fond et le combat à la lance60. Il se fonde sur une valeur martiale suprême, la uirtus, qualité masculine par excellence qui, dans son acception la plus ancienne, désigne le courage agressif du combattant héroïque, triomphant physiquement de son adversaire dans une lutte
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Diod., XX, 36, 5. Voir NICOLET (1966), 71. Liv., IX, 46, 15 ; Val. Max., II, 2, 9 ; Plin., HN, XV, 4. Contra Dion. Hal., VI, 13 qui place l’institution de la cérémonie en 496 av. J.-C., au lendemain de la victoire romaine à la bataille du lac Régille. Mais voir MASSA-PAIRAULT (1995), 43 : « Le motif de la fondation de la transvectio equitum au Ve siècle dépend vraisemblablement d’un motif de propagande gentilice des Postumii. » 58 CORNELL (1995), 361. 59 Sur ces duels, voir : OAKLEY (1985) ; FRIES (1985) ; MCCALL (2002), 84-5 ; MCDONNELL (2006), 189-93 (insistant sur la valeur des témoignages littéraires relatifs aux monomachies républicaines). 60 MCCALL (2002), en particulier chap. iv et v. 57
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frontale61. Le combat de cavalerie est donc perçu comme une ordalie individuelle engageant l’honneur de l’aristocrate et ne pouvant, dans l’idéal, se résoudre par la fuite62. Puisque les cavaliers romains perçoivent la retraite comme un acte honteux, ils ont souvent tendance à descendre de cheval pour poursuivre le combat à pied, notamment si l’ennemi tient ferme face à eux. Il ne faut pas s’y méprendre : ce procédé ne dénote aucunement une déficience des techniques d’équitation romaines63. Il s’explique par des considérations psychologiques – le refus de se replier – et surtout pratiques – le cheval n’offre pas une plateforme sûre pour le combat stationnaire64. L’appétence des Romains pour le choc semble bien distinguer l’equitatus Romanus des cavaleries hellénistiques contemporaines. Dans les combats équestres que se livrent les États gréco-macédoniens dès la fin de la période classique, il est courant de voir les escadrons se prêter à une alternance de charges et de replis, jusqu’à ce que l’un des deux camps finisse par céder réellement et prendre la fuite65. Les accrochages sont rares car ils représentent un risque élevé pour les combattants, beaucoup plus vulnérables dans l’environnement lâche de l’escadron que dans une formation serrée d’infanterie. Xénophon recommande ainsi de charger l’ennemi dans l’espace intermédiaire séparant les deux armées, de le cribler de traits, puis de se replier immédiatement au galop vers la ligne principale avant de repartir à la charge66. Il en va tout autrement de la 61
On peut désormais se référer à l’excellente étude de Myles McDonnell sur la question. Voir en particulier MCDONNELL (2006), 63 : « in pre-Classical Latin courageous virtus is more often than not an aggressive quality, and the common claim that a more passive kind of courage, in particular the steadfastness of the Roman soldier in the battle line, constitues the essence of virtus, or that it represents a characteristically or peculiarly Roman kind of courage, is not supported by the evidence ». 62 Les comportements « honteux » sont un motif suffisant de nota censoria pour les membres de l’ordre équestre : cf. Val. Max., II, 9, 8. 63 LEFEBVRE DES NOËTTES (1931), 216-26. 64 À ce titre, il peut être utile de comparer la situation romaine à celle que décrit l’empereur Maurice pour les peuples germaniques du VIe s. ap. J.-C. Un passage du Stratêgikon lie en effet très étroitement la coutume consistant à démonter à l’honneur martial et au refus de retraiter. Cf. Strat., XI, 3, 4-10 : « Ils considèrent toute timidité (δειλίαν) et même une courte retraite (πρὸς μικρὸν ἀναχώρησιν) comme un motif de honte (ὄνειδος), acceptant facilement la mort. Ils combattent violemment au corps-à-corps, tant à cheval qu’à pied. S’ils sont mis en difficulté dans les combats de cavalerie, sur un simple signe fixé à l’avance ils démontent et s’alignent à pied (ἐκ τῶν ἵππων ἀποβαίνοντα πεζῇ τάσσονται). Même à quelques-uns contre de nombreux cavaliers, ils ne quittent pas le combat. » 65 Liv., XXXI, 35, 3. Cette prédilection pour les tactiques manœuvrières est peut-être liée à la grande fortune des Tarentinoi hippeis durant la période. Cf. PETITJEAN (2018), 70-4. 66 Xen., Hipp., 8, 23-5.
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Figure 2 – Schéma du déroulement des combats de cavalerie lors de la bataille d’Ausculum (279 av. J.-C.).
cavalerie romaine qui ne semble pas pratiquer ce type d’escarmouche. Le contraste est particulièrement saisissant lors de la bataille d’Ausculum, qui oppose en 279 av. J.-C. l’armée romaine de P. Decius Mus à celle de Pyrrhus67. Durant l’affrontement, les equites espèrent livrer un combat stationnaire au corps-à-corps (ἐκ χειρὸς καὶ σταδιαίαν μάχην) alors que la cavalerie grecque prévoit de privilégier les « charges circulaires et les redéploiements » (τὰς περιελάσεις καὶ τοὺς ἐξελιγμούς), c’est-à-dire de livrer un combat mobile de harcèlement68. Conscients des intentions de leurs adversaires, les Romains tentent de forcer le corps-à-corps par une fausse fuite (fig. 2). Lorsque les cavaliers grecs se lancent à leur poursuite, ils font faire brusquement demi-tour à leurs chevaux (ἐπιστρέψαντες τοὺς ἵππους) et démontent pour livrer un combat à pied (ἐπεζομάχουν)69. Le stratagème est un échec car, voyant que leurs ennemis tiennent ferme, les troupes de Pyrrhus virent vers la droite (ἐπὶ δόρυ κλίναντες) et se redéploient vers l’arrière pour charger à nouveau70. 67 Sur cette bataille, LÉVÊQUE (1957), 375-404 fournit toujours l’analyse la plus complète. Sur les problèmes posés par les sources qui s’y rapportent, voir en dernier lieu ENGERBEAUD (2013). La version de Denys d’Halicarnasse a été conservée sous la forme d’un excerptum intégré dans un traité byzantin du Xe s. consacré à l’art du commandement. Pour un commentaire critique de ce fragment, voir SCHETTINO (1991), 45-52. L’historien augustéen est susceptible d’avoir utilisé des sources grecques (Timée, Hiéronymos de Cardia, les Mémoires de Pyrrhus) et romaines (Acilius). 68 Dion. Hal., XX, 2, 1. Arrien emploie aussi le terme ἐξελιγμός pour caractériser un mode de combat fondé sur le refus de la mêlée, où les cavaliers lancent leurs javelots puis se retirent. Cf. Arr., Anab., III, 15, 2. 69 Dion. Hal., XX, 2, 2. 70 Ibid. La formule employée par Denys d’Halicarnasse pour décrire cette manœuvre (καὶ δι´ ἀλλήλων ἐξελίξαντες περιεδίνουν τοὺς ἵππους αὖθις ἐπὶ τὸ μέτωπον, « et,
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Des informations convergentes sont fournies par Polybe et Tite-Live pour les batailles du Tessin (218 av. J.-C.), de Cannes (216 av. J.-C.) et d’Athacos (199 av. J.-C.), ce qui montre qu’à cette époque, la doctrine d’emploi de la cavalerie romaine ne connaît pas de changement fondamental. À Cannes, les equites sont confrontés aux cavaliers celtes et ibériques d’Hannibal71 : au lieu de se replier pour revenir ensuite à la charge « comme le veut la coutume » (κατὰ νόμους ἐξ ἀναστροφῆς καὶ μεταβολῆς), ils sautent à bas de leurs chevaux et engagent le corps-à-corps avec l’ennemi (συμπεσόντες ἐμάχοντο συμπλεκόμενοι κατ᾽ ἄνδρα, παρακαταβαίνοντες ἀπὸ τῶν ἵππων)72. Les Carthaginois finissent cependant par l’emporter et les Romains sont poursuivis sans merci. La même tactique est utilisée avec plus de succès par P. Sulpicius Galba contre la cavalerie de Philippe V de Macédoine en 199 av. J.-C. : « Les gens du roi croyaient qu’ils allaient livrer le genre de combat dont ils avaient l’habitude ; que les cavaliers, poursuivant et se repliant tour à tour, tantôt se serviraient de leurs traits, tantôt tourneraient le dos […]. Mais cette méthode de combat fut perturbée par l’opiniâtreté autant que par la vigueur de la charge romaine ; en effet, exactement comme si la bataille était générale, les vélites lançaient leurs javelots et continuaient le combat au corps-à-corps avec le glaive ; quant aux cavaliers, après avoir chargé, ils arrêtaient leurs chevaux et continuaient à se battre, les uns à cheval, les autres sautant à terre et se mêlant aux fantassins. Dans ces conditions, les cavaliers du roi, qui n’avaient pas l’habitude du combat stationnaire, étaient désavantagés par rapport aux cavaliers romains. » (trad. A. Hus modifiée)73.
s’étant redéployés les uns à travers les autres, ils font tourner leurs chevaux en cercle vers le front ») laisse entendre que la cavalerie grecque s’était rangée sur deux lignes : les escadrons de la première ligne chargeaient, puis se retiraient à travers les intervalles de la deuxième ligne qui attaquait à son tour, et ainsi de suite. 71 Sur cette bataille, voir DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), I, 315-35 ; LAZENBY (1978), 78-85 ; DALY (2002). 72 Plb., III, 115, 3. Ce passage est mal compris par MCCALL (2002), 37 : « Polybius thought this instance of dismounting in battle to have been contrary to regular cavalry practice (κατὰ νόμους). As we will see, this is not entirely true. The citizen cavalry not uncommonly fought on foot. » Le νόμος dont il est question ici est à la norme du combat de cavalerie d’après un observateur grec, pas la norme romaine. 73 Liv., XXXI, 35, 3-6 : Credere regii genus pugnae quo adsueuerant fore, ut equites in uicem insequentes refugientesque nunc telis uterentur, nunc terga darent […]. Turbauit hunc ordinem pugnandi non acrior quam pertinacior impetus Romanorum ; nam haud secus quam si tota acie dimicarent, et uelites emissis hastis comminus gladiis rem gerebant et equites, ut semel in hostem euecti sunt, stantibus equis, partim ex ipsis equis, partim desilientes immiscentesque se peditibus pugnabant. Ita nec eques regius equiti par erat, insuetus ad stabilem pugnam.
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Figure 3 – Reconstitution schématique de la bataille du Tessin (218 av. J.-C.).
Les auteurs anciens sont donc unanimes pour dire que les equites Romani recherchaient avec acharnement la mêlée. Il y a là un topos, peut-être issu de la littérature grecque, dont la connotation semble avoir été initialement négative74. Cela ne veut pas dire que les Romains étaient incapables de concevoir un plan d’attaque subtil, relevant de ce que nous appellerions aujourd’hui la « grande tactique ». À la bataille du Tessin (218 av. J.-C.), on voit pour la première fois la cavalerie romaine se ranger sur deux lignes (fig. 3)75. Une première ligne est constituée de javeliniers et de cavaliers gaulois, le reste de l’armée – des Romains et des alliés italiens que Tite-Live décrit plus loin comme un confertus equitatus – suit et forme donc une ligne de réserve, vers laquelle peuvent se replier les troupes de la première ligne lorsqu’elles sont mises en déroute 74 Polybe, un grand partisan de la doctrine manœuvrière des cavaleries hellénistiques, juge « barbare » le mode de combat des Romains, cf. Plb., III, 115, 2 : ἐποίουν οὗτοι [= οἱ Ῥωμαῖοι] μάχην ἀληθινὴν καὶ βαρβαρικήν. 75 Sur cette bataille, voir BRIZZI (1984), 142 ; LAZENBY (1978), 52-3 ; LE BOHEC (1996a), 170-1, fig. 25.
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par la cavalerie numide d’Hannibal76. D’autres exemples révèlent que le mode de combat des Romains n’est pas toujours statique. Même s’ils s’efforcent, dans la mesure du possible, de ne jamais céder du terrain, les equites sont parfois contraints de se prêter au jeu du poursuivant-poursuivi. Lors de la bataille de Sentinum (295 av. J.-C.), Tite-Live mentionne bien plusieurs charges successives, et la cavalerie romaine, malgré sa témérité, finit par être mise en fuite77. Il en va de même lors des escarmouches qui précèdent la bataille d’Ilipa en 206 av. J.-C. : le combat de cavalerie qui prend place entre les lignes romaine et carthaginoise est longtemps indécis car les troupes montées des deux camps se repoussent tour à tour78. Ces exemples permettent de nuancer l’image caricaturale que l’on trouve parfois associée à l’equitatus civique dans la littérature scientifique moderne. Ils donnent aussi un aperçu des mécanismes tactiques qui deviendront par la suite caractéristiques du combat de cavalerie dans le monde romain. Notons cependant qu’à Sentinum, les mouvements de va-et-vient ne sont pas explicitement intégrés dans une logique de combat de harcèlement. Les Romains ne pratiquent pas encore les charges circulaires des lanceurs de javelines grecs mais combattent plutôt comme lanciers, déployés en escadrons massifs. Plusieurs témoignages suggèrent que la turme de trente soldats n’est pas encore l’unité tactique de la cavalerie civique au IIIe s. av. J.-C. L’organisation de l’equitatus, reflétée dans le système censitaire « servien », est plutôt fondée sur la centurie. Lorsqu’il décrit la transuectio equitum qui suit la victoire romaine du lac Régille, Denys d’Halicarnasse affirme que les chevaliers défilent « rangés par tribus et par centuries » (κατὰ φυλάς τε καὶ λόχους κεκοσμημένοι) « comme s’ils revenaient de la bataille » (ὡς ἐκ μάχης ἥκοντες)79. Cette analogie permet d’envisager l’existence d’unités tactiques 76 Plb., III, 65, 5 (προθέμενος τοὺς ἀκοντιστὰς καὶ τοὺς ἅμα τούτοις Γαλατικοὺς ἱππεῖς, τοὺς δὲ λοιποὺς ἐν μετώπῳ καταστήσας προῄει βάδην) ; Liv., XXI, 46, 5 (Scipio iaculatores et Gallos equites in fronte locat, Romanos sociorumque quod roboris fuit in subsidiis) et 9 (alius confertus equitatus). 77 Liv., X, 28, 6-10. 78 Plb., XI, 22, 9 ; Liv., XXVIII, 14, 8-13. 79 Dion. Hal., VI, 13, 4. MOMMSEN (1889a), 125, soupçonnant une erreur du copiste, corrige φυλάς en ἴλας. Selon lui, Denys évoquait à l’origine des cavaliers rangés par turmes et par décuries (pour un parallèle, voir Dion. Hal., VII, 72, 1). Une telle correction ne nous semble pas nécessaire (voir en ce sens HILL [1952], 39 et DEMOUGIN [1988], 2523). Les φυλαί correspondent probablement ici aux sex suffragia, les six centuries patriciennes qui étaient fournies par les trois « tribus » primitives de Rome. Quant aux λόχοι, ils désignent les douze centuries équestres créées à la fin du IVe s. av. J.-C. lors de l’élargissement de l’equitatus (sur l’équivalence λόχος / centuria, cf. Dion. Hal., IV, 18, 1).
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d’une centaine de combattants, qui devaient être peu commode pour des manœuvres d’escarmouche nécessitant la fragmentation des effectifs en petits groupes mobiles80.
C. La deuxième guerre punique et l’évolution des pratiques militaires À l’époque de la deuxième guerre punique (218-201 av. J.-C.), la cavalerie romaine ne présente plus le même visage. La centurie a été abandonnée au profit de la turme de trente soldats, plus flexible. Nous ignorons quand ce changement est intervenu et quelles en furent les conséquences pratiques. À la bataille d’Ilipa en 206 av. J.-C., cette nouvelle organisation était déjà pleinement en vigueur. Polybe indique qu’aux deux extrémités de sa ligne de bataille, P. Cornelius Scipion avait déployé ses légions, sur lesquelles il comptait faire peser la décision de l’affrontement en exécutant un double mouvement enveloppant81. L’opération débuta par une manœuvre d’extension des ailes, pilotée par les unités les plus distantes du centre : trois « escadrons » de cavalerie (τρεῖς ἴλας ἱππέων), un bataillon de vélites et trois manipules d’infanterie qui, ensemble,
Cela permet de nuancer une assertion de C. Nicolet, qui pensait que les six centuries les plus anciennes ne se distinguaient des autres que lors des manifestations électorales, cf. NICOLET (1966), 28 : « Mais remarquons que cette différenciation parmi les dix-huit centuries équestres n’apparaît jamais que lorsqu’il est question de vote ou d’élection ; dans les autres cas, par exemple lorsqu’il s’agit de la revue des chevaliers par les censeurs, ou de la transuectio equitum, les dix-huit centuries forment au contraire un bloc. » 80 Contra BELOT (1866), 153 et WIESNER (1944), 65-7 et 98-9 (la cavalerie a toujours été organisée en turmes). Seuls Varron et Festus, dans des notices lexicographiques fantaisistes, font remonter la turme à l’organisation de la cavalerie romuléenne. Selon ces deux auteurs, turma viendrait du latin terima, parce que chaque escadron se composait de trois dizaines (ter deni) de cavaliers, prélevées respectivement sur les trois tribus Titienses, Ramnes, Luceres : Varro, Ling., V, 91 ; Festus, s.v. turma (éd. Lindsay p. 484). Cette étymologie douteuse (cf. DE VAAN [2008], 634) amène à dissocier l’organisation militaire de l’equitatus de son organisation centuriale, rapportée par Liv., I, 13, 8 et Lyd., De mag., I, 9. Significativement, Denys d’Halicarnasse (qui se réfère à l’œuvre perdue de Valerius Antias) confie le commandement des 300 Celeres à un ἡγεμών et trois ἑκατόνταρχοι (= centuriones), qui avaient d’autres officiers (des décurions à la tête de chaque décurie et des optiones pour les assister ?) sous leurs ordres : Dion. Hal., II, 13, 3. À rebours de notre hypothèse, STEMMLER (1997), 177-9 estime que l’unité tactique originelle de la cavalerie romaine était la turme et que la division centuriale n’a été adoptée que pour faire rentrer l’equitatus dans le moule préétabli de la constitution servienne, « die sich an der massgeblichen Struktur des exercitus pedester orientiert ». Cette interprétation n’est pas conciliable avec le témoignage de Denys d’Halicarnasse. 81 Plb., XI, 20, 7 et 22, 11.
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formaient une cohorte82. Ce groupement tactique correspond, à l’évidence, au dixième d’une légion83. Les trois « escadrons » ne peuvent être des turmes, et encore moins des centuries, car il faudrait alors envisager un effectif de 900 à 1 500 cavaliers par légion84. Il s’agit plus vraisemblablement de trois decuriae de dix soldats, rangées l’une derrière l’autre, formant une unique turme, ce qui s’accorde avec les informations dont nous disposons sur l’organisation de l’armée manipulaire85. La description de l’escarmouche précédant la bataille de Cynoscéphales (197 av. J.-C.) appelle la même conclusion. Polybe met en scène dix oulamoi de cavaliers accompagnant environ 1 000 fantassins légers86, soit la totalité des equites et des uelites d’une légion manipulaire. Polybe ne peut être accusé d’anachronisme : Caton l’Ancien désigne bien la turma comme l’unité tactique de l’equitatus dans le contexte de l’année 19587. L’abandon de la division centuriale ne semble pas avoir fondamentalement bouleversé le mode de combat des equites. Dans son célèbre excursus sur l’armée romaine, Polybe fait état d’une réforme de la cavalerie romaine qui entraîna l’adoption d’un nouvel équipement d’inspiration grecque. Cette réforme (intervenue dans le contexte de la deuxième guerre punique ?) n’eut pas pour but d’intégrer la tactique des akontistes hellénistiques. Elle favorisa plutôt l’alourdissement de l’équipement défensif des Romains (abandon du περίζωμα – la trabea ? – au profit de la cuirasse, de la parma equestris au profit du θυρεός) et l’adoption Id., XI, 23, 1 : καὶ λαβὼν αὐτὸς μὲν ἀπὸ τοῦ δεξιοῦ, Λεύκιος δὲ Μάρκιος καὶ Μάρκος Ἰούνιος ἀπὸ τῶν εὐωνύμων τρεῖς ἴλας ἱππέων τὰς ἡγουμένας, καὶ πρὸ τούτων γροσφομάχους τοὺς εἰθισμένους καὶ τρεῖς σπείρας – τοῦτο δὲ καλεῖται τὸ σύνταγμα τῶν πεζῶν παρὰ Ῥωμαίοις κοόρτις – πλὴν οἱ μὲν ἐπ᾿ ἀσπίδα περικλάσαντες τούτους. WALBANK (1967), 301-2 donne un commentaire de l’ensemble du passage en reprenant la bibliographie antérieure. 83 Voir les remarques de BELOT (1866), 152. 84 De ce point de vue, Liv., XXVIII, 14, 17 (qui se fonde sur le récit de Polybe) commet probablement une double erreur en rendant speirai par cohortes et ilai par turmae : ita diductis cornibus cum ternis peditum cohortibus ternisque equitum turmis, ad hoc uelitibus. Sa version conduit néanmoins au même bilan : une turme est attachée à chaque cohorte. Nous savons que lors de la bataille d’Ilipa, la cavalerie républicaine totalisait 3 000 combattants, dont au moins 500 alliés hispaniques : Plb., XI, 20, 3-4 et 8. 85 MEYER (1924), 195-223 ; KROMAYER & VEITH (1928), 300 et s. ; DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), 272-80 ; GOLDSWORTHY (2003), 26-33. 86 Plb., XVIII, 21, 1 : δέκα προθέμενος οὐλαμοὺς καὶ τῶν εὐζώνων εἰς χιλίους ἐξαπέστειλε. 87 Caton, Or., fr. 35 (éd. Malcovati) : interea unamquamque turmam, manipulum, cohortem temptabam quid facere possent. Le même auteur mentionne en outre les fonctions de decurio et d’optio dans un discours prononcé la même année, Or., fr. 18 (éd. Malcovati) : maiores seorsum atque diuorsum pretium parauere bonis atque strenuis, decurionatus, optionatus, hastas donaticas, aliosque honores. 82
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d’une nouvelle lance de choc (δόρυ) plus solide, dotée d’un talon métallique (σαυρωτήρ)88. Ces informations sont confirmées par les sources iconographiques contemporaines. Les equites Romani que l’on peut voir sur les reliefs du monument de Paul-Emile à Delphes, commémorant la victoire romaine de Pydna (168 av. J.-C.)89, et sur ceux du monument dit « de Domitius Ahenobarbus » à Rome (années 110-70 av. J.-C.)90 sont équipés de longues lances, de cottes de mailles à épaulières, de casques métalliques et parfois d’un bouclier rond avec umbo central et spina (fig. 4)91. Cet équipement correspond à celui des thureophoroi hellénistiques92. Sur le pilier delphique, les lances sont utilisées comme armes d’hast et brandies au-dessus de l’épaule. Les monnaies républicaines montrent généralement un autre mode de préhension : la lance est tenue horizontalement, en arrêt, le long du flanc droit du cheval93. Cette panoplie ne semble pas avoir été modifiée dans les décennies suivantes. Une urne cinéraire de Volterra, datée du Ier s. av. J.-C., reproduit le portrait en pied d’un cavalier, équipé d’une lance, d’une cotte de mailles à épaulières et lambrequins, d’un casque et d’une cnémide portée à la jambe droite94. Il tient son cheval par la bride. Malheureusement, l’animal est représenté de face et il est impossible de discerner les différents éléments de son harnais. Les autres représentations ne révèlent pas l’utilisation de selles, ni de tapis rembourrés95. 88 Plb., VI, 25, 3-11. DENISON (1877), 68-9 attribue cette réforme au jeune P. Scipion, mais il se fonde sur l’identification fautive d’un fragment de Polybe qui décrirait les exercices imposés par le général romain à sa cavalerie en Hispanie. RAWSON (1971), 21 et MCCALL (2002), chap. 3 (notamment p. 43) inclinent en faveur de la deuxième guerre punique, qui aurait dévoilé les faiblesses de la cavalerie romaine dans les engagements à distance comme au corps-à-corps. MEYER (1924), 224, n. 1 et EADIE (1967), 163 penchent plutôt pour le début du IIe s. av. J.-C. (contexte de la guerre antiochique). 89 REINACH (1910). 90 STILP (2001). 91 SEKUNDA (1996), 38. 92 ID. (2006) et NEFEDKIN (2009). 93 En dehors des nombreuses émissions représentant les Dioscures (la première en 206-200 av. J.-C. : RRC, 128), voir RRC, 259 (129 av. J.-C.), RRC, 264, 1 (128-127 av. J.-C.) et RRC, 335, 9 (96 av. J.-C.). On retrouve aussi l’autre technique d’utilisation de la lance (au-dessus de l’épaule) au revers de RRC, 426, 1 (55 av. J.-C.). 94 BIANCHI BANDINELLI (1973), 323, fig. 372. Comme le note l’auteur, le port d’une cnémide à droite est inhabituel : les fantassins protègent généralement leur jambe gauche, celle qui est exposée en avant lors du combat. Une telle anomalie s’expliquerait par le fait que l’on aborde plutôt l’ennemi par la droite dans un combat de cavalerie : il est plus facile d’escrimer de ce côté-ci et c’est aussi le flanc le plus vulnérable car le bouclier est normalement porté à gauche. 95 Cf. MCCALL (2002), 47. Seules les sources littéraires donnent quelques indices de l’utilisation de tapis de selle. Par exemple, en 206 av. J.-C., P. Scipion s’assure que ses cavaliers tiennent leurs chevaux bridés (frenatos) et « recouverts » (instratos), cf. Liv.,
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Figure 4 – La cavalerie citoyenne sur les monuments de Paul-Emile à Delphes (c), de « Domitius Ahenobarbus » à Rome (a) et sur l’urne de Volterra (b). Crédits : (a) Cliché Marie-Lan Nguyen, domaine public ; (c) © Bildarchiv Foto Marburg ; (b) © Museo Etrusco Guarnacci di Volterra, foto di Damiano Dainelli.
Sans surprise, nous ne voyons toujours pas la cavalerie romaine pratiquer le combat de harcèlement à distance lors de la deuxième guerre punique. Contre les cavaliers numides qui escarmouchent à la manière XXVIII, 14, 7. Mais une mention de Cassius Dion laisse entendre que la selle rigide ne faisait pas partie de l’équipement traditionnel des membres de l’ordre équestre : cf. Cass. Dio, LXIII, 13, 3 (c’est sous Néron que les chevaliers auraient pour la première fois utilisé l’ἐφίππιον).
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des javeliniers grecs de Pyrrhus, les equites Romani foncent en avant, lance en arrêt, sans craindre de s’exposer aux traits ennemis. Dans les hippomachies, la technique permet parfois de chasser l’adversaire jusqu’à ses retranchements96, mais dans les batailles rangées, elle est d’une efficacité bien plus relative : les cavaliers romains sont en nette infériorité numérique97 ; ils ne peuvent pas compter sur l’aide d’une cavalerie légère pour accomplir des manœuvres rapides d’encerclement ni pour poursuivre à vive allure. La charge à fond permet au mieux de remplir des objectifs tactiques limités, mais s’avère insuffisante sur le plan de la « grande tactique ». La supériorité carthaginoise en la matière est frappante98. Au Tessin (218 av. J.-C.), à la Trébie (218 av. J.-C.) et à Cannes (216 av. J.-C.), les cavaliers romains sont surclassés par des troupes plus nombreuses et plus polyvalentes. Les manœuvres d’enveloppement accomplies par la cavalerie d’Hannibal jouent un rôle crucial dans l’issue de ces engagements99. Il faut attendre les dernières années de la guerre, avec l’intégration de supplétifs africains rompus au combat de harcèlement, pour voir la République reprendre l’avantage en rase campagne. Lors de la bataille des Grandes Plaines (203 av. J.-C.), un assaut coordonné de l’equitatus italique et de la cavalerie numide de Massinissa sur les ailes de l’armée carthaginoise offre la victoire aux Romains100. Un an plus tard, la bataille de Zama (202 av. J.-C.) est remportée par Scipion grâce à l’intervention des mêmes auxiliaires numides sur les arrières de l’armée punique101. Les auteurs anciens ont bien compris le rôle tactique décisif joué par la cavalerie lors de la deuxième guerre punique. À la fin de son récit de 96 Plb., III, 45, 1-3 ; Liv., XXI, 29, 1-4 (escarmouche sur le Rhône en 218 av. J.-C.). Voir aussi Plb., XI, 21, 1-5 (combat de cavalerie précédant la bataille d’Ilipa, 206 av. J.-C.). 97 Environ 10 000 cavaliers puniques contre 4 000 cavaliers romains lors de l’invasion de l’Italie à l’hiver 218 av. J.-C. : Liv., XXI, 55, 6. 10 000 contre 6 000 lors de la bataille de Cannes (216 av. J.-C.) : Plb., III, 113, 5 et 114, 5. Le constat de Tite-Live est sans appel, cf. Liv., XXII, 44, 4 : ad equestrem pugnam, qua parte uirium inuictus erat (répété en XXVI, 38, 14). 98 DENISON (1877), 57-74 ; GAEBEL (2002), chap. 15 ; MCCALL (2002), 98. Plb., III, 101, 11 affirme que c’est dans la cavalerie qu’Hannibal plaçait ses plus belles espérances : εἶχε γὰρ τὰς πλείστας ἐλπίδας τῆς αὑτοῦ δυνάμεως ἐν τῷ τῶν ἱππέων τάγματι. 99 Tessin : Plb., III, 65, 10 ; Liv., XXI, 46, 7. Trébie : Plb., III, 73, 6-7 ; Liv., XXI, 55, 9. Cannes : Plb., III, 116, 6 ; Liv., XXII, 48, 5-6. 100 Plb., XIV, 8, 8 ; Liv., XXX, 8, 7. 101 Plb., XV, 14, 7-8 ; Liv., XXX, 35, 1-2. Lors de cette bataille, les Romains disposent pour la première fois d’une cavalerie numériquement supérieure (6 000 cavaliers contre 4 000), ce qui s’explique grâce à l’apport des 4 000 cavaliers numides de Massinissa : Plb., XV, 5, 12 ; Liv., XXX, 29, 4.
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la bataille de Cannes, Polybe conclut de façon sentencieuse102 : « Leur très nombreuse cavalerie avait alors, comme par le passé, rendu aux Carthaginois les plus grands services pour l’obtention de la victoire. Il devint évident pour la postérité qu’il vaut mieux, en temps de guerre, avoir moitié moins d’infanterie, mais une supériorité écrasante en cavalerie que de risquer le combat avec des troupes en tout point égales à celles des ennemis. » On serait même tenté d’aller plus loin : lors de l’expédition punique en Italie, la supériorité obtenue par Hannibal grâce à sa cavalerie n’est pas seulement importante sur le plan tactique ; elle a aussi des conséquences stratégiques majeures. Dès l’année 217, les Romains, inférieurs en cavalerie, réalisent qu’ils ne peuvent obtenir la victoire en rase campagne103. Derrière le dictateur Q. Fabius, ils se résolvent à adopter une stratégie de défense mobile, comparable à celle de Périclès lors de la guerre du Péloponnèse104 : les armées consulaires ne sont plus engagées en terrain ouvert ; seule la cavalerie et l’infanterie légère sont détachées ponctuellement pour harceler les fourrageurs adverses105. Puisqu’il est impossible de vaincre l’adversaire par un engagement total, celui-ci succombera de lui-même, en tombant à court d’approvisionnements. Tous les sénateurs ne voient pas d’un très bon œil cette remise en cause des habitudes traditionnelles. La même année, un parti influent se structure autour du magister equitum M. Minucius Rufus, qui prône le maintien d’une stratégie agressive, conforme à l’éthique « chevaleresque » de la uirtus106.
102 Plb., III, 117, 4-5 (trad. E. Foulon). Voir aussi Id., IX, III, 9 (trad. R. Weil) : « À mon avis, la conduite des deux adversaires s’explique par la constatation, faite par tous deux, que le corps de cavalerie d’Hannibal causait les victoires des Carthaginois et l’infériorité des Romains. » 103 Polybe le dit explicitement : les Romains refusaient de s’aventurer dans la plaine et de déclencher une action générale par crainte de la puissante cavalerie adverse. Cf. Plb., III, 92, 7. 104 Qui procédait elle aussi d’un aveu de faiblesse puisque les Athéniens craignaient la supériorité des forces lacédémoniennes d’Archidamos en rase campagne. Cf. OBER (1985) ; SPENCE (1990) (repris dans ID. [1993], 127-33) ; HUNTER (2005). 105 Plb., III, 90, 1-5 ; 102, 2-4 ; Liv., XXII, 12, 9-10 ; 15, 5-10 ; Plut., Fab., 5, 2. On ravage aussi les prairies et les réserves de fourrage pour affamer les chevaux puniques : Plb., IX, 4, 3. Voir ERDKAMP (1998), 127-8. 106 Plb., III, 90, 6. Le programme de Minucius est ainsi résumé dans Liv., XXII, 14, 14 : arma capias oportet, et descendas in aequum, et uir cum uiro congrediaris. Il revient à G. Brizzi d’avoir insisté sur cette « etica cavalleresca » de l’aristocratie romaine et ses conséquences sur la conduite de la guerre : voir BRIZZI (1989). M. Claudius Marcellus comptait aussi au nombre des partisans de la stratégie agressive : voir MCDONNELL (2006), 223-4.
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Le conservatisme qui transparaît dans ces désaccords stratégiques semble avoir bloqué temporairement toute tentative de refonte tactique de la cavalerie romaine. Lors des escarmouches qui précèdent la bataille d’Ilipa (206 av. J.-C.), les equites démontent toujours contre la cavalerie numide107, et l’exemple de la bataille d’Athacos (199 av. J.-C.) cité plus haut suggère que la tactique du choc était encore privilégiée à l’époque de la deuxième guerre de Macédoine108. Durant cette période, il semble que les Romains aient préféré se contenter d’expédients pour rivaliser avec les cavaleries légères auxquelles ils étaient confrontés. Ainsi, durant le siège de Capoue en 211 av. J.-C., afin de repousser les assauts de la puissante cavalerie campanienne, les equites Romani prennent en croupe des vélites armés de javelines, à raison d’un fantassin par cavalier. Une fois arrivés à proximité de l’ennemi, les tirailleurs sautent à terre et déversent leurs projectiles sur la cavalerie ennemie. Celle-ci, désorganisée, est ensuite chargée avec succès par les equites109. Cette technique permet temporairement de compenser la faible puissance de feu de la cavalerie républicaine. Mais les Romains, probablement contraints par une situation devenue trop asymétrique, finirent par se résoudre à réformer en profondeur leur méthode de combat. Cette réorganisation de la cavalerie intervint entre la bataille de Pydna (168 av. J.-C.) et la troisième guerre punique (149146 av. J.-C.). Elle pourrait avoir pris pour modèle les pratiques en vigueur dans la cavalerie de la ligue achéenne, qui, depuis les réformes de Philopoemen, était réputée pour sa grande capacité manœuvrière110. Concrètement, les cavaliers romains semblent avoir délaissé la charge massive au profit d’un mode de combat plus fluide, fondé sur l’alternance des charges circulaires. Dans ce paradigme tactique d’inspiration grecque, la lance d’estoc n’est pas abandonnée, mais elle est sérieusement 107
Plb., XI, 21, 4. Cf. supra, p. 38. 109 Liv., XXVI, 4, 3-10 ; Val. Max., II, 3, 3 ; Oros., IV, 18, 11. Cette tactique fut probablement mise en application lors de la bataille d’Ilipa : Polybe signale que les cavaliers et les vélites qui cherchaient à envelopper les ailes de l’armée carthaginoise lançaient des traits contre leurs éléphants : Plb., XI, 24, 1. Voir aussi Veg., Mil., III, 16, 7, qui en donne une présentation théorique, probablement inspirée du manuel de Caton. 110 Appien associe à deux reprises le nouveau mode de combat des cavaliers romains à Scipion Émilien (App., Pun., 103 ; Hisp., 88), personnage réputé pour sa proximité avec Polybe, un ancien hipparque de la ligue achéenne. Cf. CHAMPION (2004), 17-8. Polybe était probablement présent aux côtés du général romain lors de la troisième guerre punique (Arr., Tact., 1, 1). Dans ses Histoires, il fait l’éloge des manœuvres complexes que Philopoemen avait inculquées à la cavalerie de la ligue achéenne lors de son hipparchie de 210/209 av. J.-C. 108
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concurrencée par l’utilisation de javelines pour le combat à distance111. La nouvelle mécanique de la charge rappelle les descriptions de Xénophon et de Denys d’Halicarnasse. Voici la présentation qu’en donne Appien lors de l’affrontement qui oppose, à l’automne 149 av. J.-C., la cavalerie légionnaire aux troupes d’Hasdrubal le Béotarque, quelque part entre Carthage et Néphéris112 : « Scipion divisa en deux groupes les trois cents cavaliers qu’il avait sous son commandement ainsi que tous ceux qu’il était parvenu à rassembler, puis il marcha contre l’ennemi au pas de course : division par division (παρὰ μέρος), ils lançaient leurs javelines et se retiraient immédiatement, puis ils chargeaient à nouveau en avant et se repliaient aussitôt. Il leur avait prescrit d’agir de cette manière : chaque moitié devait charger, toujours division par division (τοὺς ἡμίσεας ἀεὶ παρὰ μέρος ἐπιέναι), et ayant jeté ses projectiles, devait se retirer en tournant comme dans un cercle. »113.
Appien décrit ici un parti de cavaliers romains rangé sur deux lignes (deux « moitiés ») : chaque ligne attaque alternativement, lance ses traits, puis se replie derrière l’autre (fig. 5). L’exercice suppose donc des intervalles entre les formations, ici appelées μέρη. Il n’est pas difficile de savoir ce qui se cache derrière cette expression. En Pun., 101, Appien précise que Scipion, en tant que tribun militaire, avait dix escadrons (ἶλαι) sous son commandement. Dix escadrons pour un total de trois cents soldats : cela fait des pelotons de trente cavaliers – l’effectif exact d’une turme. Cette organisation de la cavalerie légionnaire est exactement celle que Polybe décrit dans ses Histoires à la même époque : « On divise, de même [dans chaque légion], la cavalerie en dix escadrons (ἴλας) ; on choisit dans chaque escadron trois chefs (ἰλάρχας), qui désignent 111 Cette réforme majeure a échappé à l’attention de J. McCall qui, dans sa synthèse sur la cavalerie républicaine, refuse de concevoir que l’equitatus civique ait combattu autrement que par le choc jusqu’à sa disparition : MCCALL (2002), 63. 112 Sur cette bataille voir KROMAYER & VEITH (1912), 706-7, 713-5 et carte 15 (avec une hypothèse de localisation) ; LE BOHEC (1996a), 299 ; BURGEON (2015), 100-1. 113 App., Pun., 103 : ὁ δὲ Σκιπίων τριακοσίους ἱππέας οὓς εἶχεν ἀμφ᾽ αὑτόν, καὶ ὅσους ἄλλους συναγαγεῖν ἔφθασε, διελὼν ἐς δύο τοῖς ἐχθροῖς ἐπῆγε σὺν δρόμῳ πολλῷ, παρὰ μέρος ἀκοντίζοντάς τε καὶ εὐθὺς ἀποχωροῦντας, εἶτ᾽ αὖθις ἐπιόντας καὶ πάλιν εὐθὺς ἀποπηδῶντας. Οὕτω γὰρ εἴρητο αὐτοῖς, τοὺς ἡμίσεας ἀεὶ παρὰ μέρος ἐπιέναι καὶ ἀκοντίσαντας ἀπελαύνειν, ὥσπερ ἐν κύκλῳ περιιόντας. Voir aussi App., Hisp., 88 : « il [Scipion, lors de la guerre de Numance] divisa les cavaliers en deux parties (ἐς δύο διεῖλε τοὺς ἱππέας), auxquelles il ordonna de charger (ἐμπηδᾶν) l’ennemi chacune à son tour par division (ἑκατέροις παρὰ μέρος). Sitôt le javelot lancé (ἀκοντίσαντας), tous aussitôt se replieraient (ἀναχωρεῖν) simultanément, non point vers le même endroit à chaque fois, mais toujours en gagnant progressivement vers l’arrière et en cédant du terrain. »
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Figure 5 – Déroulement des combats de cavalerie lors de la bataille de Néphéris (149 av. J.-C.) d’après Appien.
eux-mêmes trois serre-files (οὐραγούς). Le premier chef nommé commande l’escadron, les deux autres ont le rang de dékadarques (δεκαδάρχων) et tous portent le titre de décurions (δεκουρίωνες). Quand le premier est absent, le second prend le commandement de l’escadron. »114.
Ce passage suggère un déploiement sur trois files, décurions en tête et optiones (ouragoi) en queue. On peut éventuellement concevoir l’utilité d’une telle formation en colonne pour la marche ou, à la rigueur, dans l’optique d’un combat d’escarmouche (chaque file se détache de la formation à tour de rôle ?), mais qu’en est-il de la charge à fond ? Celle-ci continue d’être employée occasionnellement par les Romains à la fin de l’époque républicaine et nécessite un front large pour engager une troupe ennemie au corps-à-corps avec le maximum d’impact psychologique et d’efficacité matérielle. Pour cette raison, il nous semble plus logique d’admettre que la turme était rangée en ligne horizontale – ce qui est du reste corroboré par le récit de la bataille d’Ilipa, dans lequel trois décuries sont alignées l’une derrière l’autre115. La place occupée par les officiers subalternes dans ce dispositif n’est pas clairement indiquée par les sources. Nous émettrons l’hypothèse que les décurions ouvraient la marche, en avant du premier rang, et que les trois optiones la fermaient en se positionnant à l’arrière du troisième rang116. 114 Plb., VI, 25, 1-2 : παραπλησίως δὲ καὶ τοὺς ἱππεῖς εἰς ἴλας δέκα διεῖλον, ἐξ ἑκάστης δὲ τρεῖς προκρίνουσιν ἰλάρχας, οὗτοι δ᾽ αὐτοὶ τρεῖς προσέλαβον οὐραγούς. Ὁ μὲν οὖν πρῶτος αἱρεθεὶς ἰλάρχης ἡγεῖται τῆς ἴλης, οἱ δὲ δύο δεκαδάρχων ἔχουσι τάξιν, καλοῦνται δὲ πάντες δεκουρίωνες. Μὴ παρόντος δὲ τοῦ πρώτου πάλιν ὁ δεύτερος ἰλάρχου λαμβάνει τάξιν. 115 Id., XI, 23, 1-7. Cf. supra, p. 42. 116 Une monnaie frappée en 96 av. J.-C. par L. Postumius Albinus (RRC, 335, 9) présente sur son revers trois cavaliers chargeant côte à côte, équipés du bouclier rond à spina typique de la cavalerie civique tardo-républicaine (l’un des trois cavaliers brandit aussi un étendard) : il pourrait s’agir des trois décurions d’une turme civique, avançant en tête de
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II – LE NOUVEAU VISAGE DE LA CAVALERIE CIVIQUE AU IER S. AV. J.-C. A. L’évolution de la militia equestris après les Gracques Entre la guerre de Jugurtha (112-105 av. J.-C.) et le principat d’Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.), la cavalerie censitaire disparaît progressivement de la documentation. L’effacement de ce corps de troupes devant l’essor des contingents non romains a conduit les commentateurs modernes à conjecturer que le service tactique des chevaliers dans les légions tomba en désuétude entre la fin du IIe s. et le début du Ier s. av. J.-C.117. Ne subsistait dans l’armée prétendument réformée par Marius que la cavalerie auxiliaire, levée dans les provinces ou fournies par les puissances alliées. Cette opinion, popularisée au XIXe s. par Ludwig Lange, a été largement acceptée par la communauté scientifique et demeure à ce jour le point de vue majoritaire118. On lui associe diverses explications, parfois contradictoires. Selon George Cheesman, les wealthier classes ne pouvaient fournir un nombre suffisant de combattants montés et la difficile conquête de l’Hispanie acheva de rendre le service militaire impopulaire chez les jeunes aristocrates119. Pour d’autres historiens, la cavalerie romaine était devenue inefficace120 ; à partir de la deuxième guerre punique, elle aurait été surclassée par les forces montées des autres puissances méditerranéennes, ce qui la condamnait à disparaître à court ou moyen terme121. Pour Jeremiah McCall au contraire, le leur formation. Contra LAMMERT (1914), col. 544, qui propose de ranger les trois décurions sur le flanc droit et les trois optiones sur le flanc gauche de la turme. 117 Voir déjà LE BEAU (1761), 44-5. 118 LANGE (1846), 13 (chap. intitulé « De equitatu a legione separato ») : « Caesaris tempore nullum equitatum in legionibus fuisse constat. » Après lui : SCHAMBACH (1881), 5 ; MOMMSEN (1889a), 147-8 ; MARQUARDT (1884, 1891 trad. fr.), 154-7 ; CHEESMAN (1914), 9-10 ; ROSS TAYLOR (1924), 163 ; KROMAYER & VEITH (1928), 384 et 387 ; HILL (1952), 26 ; SUOLAHTI (1955), 24-6 ; PASSERINI (1958), 498 ; HARMAND (1967), 46-7 ; RAMBAUD (1969), 650 ; WISEMAN (1970), 78 ; BRUNT (1971), 397 ; BENSEDDIK (1982), 12 ; KEPPIE (1984, 1998 2e éd.), 79 ; JUNKELMANN (1991), II, 41 et 55 (et ID., s.v. « Cavalry: Republic », dans ERA, I, 171) ; PAVKOVIČ (1991), 17-23 ; DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 21-2 ; MCCALL (2002), 1 ; LENDON (2005), 219 ; SEKUNDA (2007) ; HAYNES (2013), 36. 119 CHEESMAN (1914), 7-9. C’est aussi l’explication avancée par BENSEDDIK (1982), 11. 120 MARQUARDT (1884, 1891 trad. fr.), 154-5 ; PASSERINI (1958), 498 ; KEPPIE (1984, 1998 2e éd.), 79. 121 DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 21 : « Roman citizens undoubtedly made excellent infantrymen, but as cavalrymen, an arm in which there was seemingly no native tradition, they were apparently less effective. […] This deficiency, although somewhat lessened by the addition of allied cavalry, meant that the mounted force fielded by Rome
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processus n’aurait pas été déterminé par des raisons militaires ou démographiques mais plutôt idéologiques. Les chevaliers cessèrent de combattre dans les rangs parce qu’ils avaient trouvé des sources alternatives de prestige qui rendaient la militia equestris moins attractive. En plus de la ferme des impôts qui leur était réservée, l’ouverture des jurys des quaestiones perpetuae aux membres de l’ordre équestre et le développement des activités commerciales ne firent qu’appuyer ce basculement en faveur des activités civiles122. Ces différents points de vue sont faussés par un postulat initial qui tient de la profession de foi plus que de l’appréciation objective des réalités historiques. Ils négligent le fait que la militia restait, à la fin de la République, la vocation principale des honesti adulescentes, comme le rappelait encore Cicéron dans un traité rédigé en 44 av. J.-C.123. Partant de ce constat, une minorité d’historiens n’a jamais véritablement admis la thèse de la disparition de l’equitatus civique124 et François Cadiou a récemment défendu, dans une étude très documentée, l’idée d’un maintien du service militaire des élites dans la cavalerie jusqu’à l’époque augustéenne125. Il est donc nécessaire de reconsidérer entièrement la question à partir d’un examen serré des sources. was no match for enemy cavalrymen who had been “born in saddle”. » Voir aussi DENISON (1877), chap. iii, qui est largement à l’origine de cette mauvaise réputation de la cavalerie civique tardo-républicaine dans la bibliographie anglo-saxonne. 122 MCCALL (2002), chap. 6 et 7. Dans le même sens, voir la plupart des contributions rassemblées dans BLÖSEL & HÖLKESKAMP (2011), notamment BLÖSEL (2011) et DAVID (2011). Ce schéma explicatif était déjà celui de Le Beau dans son Quatrième mémoire sur la légion romaine. 123 Cic., De off., II, 13, 45 : Prima est igitur adulescenti commendatio ad gloriam, si qua ex bellicis rebus comparari potest, in qua multi apud maiores nostros exstiterunt. 124 Voir la démonstration décisive de BELOT (1873), 84-92 et RICE HOLMES (1911), 579-80 pour les références antérieures au XXe s. Dans son étude sur l’ordre équestre publiée la même année, W. Soltau rejetait catégoriquement le point de vue de Lange. Cf. SOLTAU (1911), notamment p. 398. DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), 424, citant l’article de Soltau, estime que la cavalerie citoyenne continua d’exister ; elle aurait cependant abandonné son ancien rôle tactique, se bornant désormais à fournir des gardes du corps et des estafettes aux officiers sénatoriaux. L’idée du maintien d’une véritable cavalerie légionnaire au cours du Ier s. av. J.-C. a également été défendue par K. Kraft et C. Nicolet : KRAFT (1957) ; NICOLET (1969). Ce dernier semble cependant avoir rejoint la communis opinio dans une publication plus récente. ID. (1984), 17 : « Au dernier siècle de la République, si l’on se demandait, à la manière des fonctionnalistes anglo-saxons, “à quoi servait l’ordre équestre”, il faudrait répondre : non plus à recruter des soldats de cavalerie, à peine à recruter des officiers supérieurs, mais pratiquement à fournir la majorité des jurés des quaestiones permanentes, les états-majors des sociétés de publicains, et la plus grande partie des sénateurs. » 125 CADIOU (2016), suivi par GAUTHIER (2016), 112-4. Voir également DAVENPORT (2019), 51, qui, sur un ton plus nuancé, reconnaît que « These social and cultural changes did not necessarily supplant equestrian cavalry service ».
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Commençons par envisager le sujet sous l’angle du droit public. Il faut d’abord se demander quels citoyens étaient éligibles pour le service dans l’equitatus Romanus, ce qui implique de définir quels étaient les contours de l’ordre équestre à la fin de l’époque républicaine. On connaît l’opinion iconoclaste de Claude Nicolet, selon laquelle le titre de chevalier ne pouvait être revendiqué que par ceux qui étaient inscrits dans les centuries équestres, c’est-à-dire les equites equo publico126. Une cinquantaine d’années après la publication de L’ordre équestre à l’époque républicaine, force est de constater que ce point de vue n’a pas convaincu. Une majorité d’historiens estime que les membres des centuries équestres formaient à la fin de l’époque républicaine un sous-groupe privilégié au sein d’un ordre équestre plus large qui se définissait principalement par la fortune127. Dans son plaidoyer en faveur de Q. Roscius, Cicéron écrit : quem tu si ex censu spectas, eques Romanus est128. Si l’on s’en tient à cette formule, on doit admettre qu’en 76 av. J.-C., la possession du cens équestre était une condition suffisante pour être considéré comme eques Romanus129. Douze ans plus tard, Q. Cicéron établit une distinction claire 126 NICOLET (1966), 163-76 (suivi par DEMOUGIN [1988], 210-2 et HUMM [2005], 148, n. 63). Il ne fait aucun doute que cette définition de l’ordre équestre était encore valable en 169 av. J.-C. (cf. Liv., XLIII, 16, 1-2). Mais, comme nous allons le voir, rien ne permet d’affirmer que l’ancienne équivalence entre ordo equester et centuriae equitum se maintint au Ier s. av. J.-C. 127 HILL (1952), 47 ; HENDERSON (1963), 61-4 ; MARTIN (1967) ; BADIAN (1972), 82-5, 144-5 ; LINDERSKI (1977), 56-9 ; BRUNT (1988), 146 ; BLEICKEN (1995) ; CRAWFORD (2001) ; DAVENPORT (2019), 58-69. Plus nuancé : WISEMAN (1970). À l’appui de sa théorie, Nicolet ([1966], 108 et 169-70) prétend trouver un argument décisif dans Cic., Phil., VI, 13 (Altera ab equitibus Romanis equo publico, qui item ascribunt patrono. Quem unquam iste ordo patronum adoptauit ?) et VII, 16-7 (patronus centuriarum equitum Romanorum, quas item sine suffragio esse uoluit […]. Quis [poterit sustinere] equites Romanos ?), où il est question d’une statue offerte à L. Antonius par les centuriae equitum, qui semblent mises sur le même plan que l’ordo des equites Romani. Mais l’on peut très bien considérer que ces deux passages illustrent une représentation courante, qui faisait des equites equo publico la clef de voûte et le porte-voix de l’ordo equester élargi. 128 Id., QRosc., 42. Cette notation se rapporte au iudex C. Cluvius. 129 NICOLET (1966), 56 propose de donner à la formule un sens différent : « le passage est ambigu, car census peut aussi bien signifier ici census equitum que census equester, et, dans ce cas, il faudrait gloser : il a été compté comme chevalier romain dans le dernier cens. » Voir aussi ID. (1974), 842 : « je pense qu’il faut ici traduire census dans son sens large : opération du cens, listes des censeurs ». Pourtant, lorsqu’il est question, chez l’orateur, de juger le statut d’un chevalier d’après son census (notamment en lien avec la composition des jurys), c’est bien de sa fortuna dont il est question : e.g. Cic., Phil., I, 20 (discuté infra, p. 60). Nous ne détaillons pas, faute de place, les autres arguments avancés par les contradicteurs de Nicolet. Il suffira de rappeler que la définition censitaire de l’ordre équestre était au cœur de la lex Roscia, et que les tribuni aerarii, qui disposaient du census amplissimus mais pas du cheval public, pouvaient être considérés comme des equites Romani.
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entre les membres des centuries équestres et les chevaliers lato sensu. Les premiers forment un groupe restreint (pauci enim sunt) dans la mesure où les centuriae equitum ne comptent que de « jeunes hommes » dans leurs rangs130. Ce sont selon toute vraisemblance ces adulscentes, fils de chevaliers et de sénateurs, qui avaient vocation à accomplir les stipendia equestria comme equites equo publico, avant que leur âge ne les destine à intégrer les décuries de juges ou à parcourir le cursus honorum131. Les seconds sont bien plus nombreux puisqu’on retrouve parmi eux des sénateurs âgés, Cicéron compris. En avait-il toujours été ainsi ? Apparemment pas, puisqu’au début du IIe s. av. J.-C., de vieux sénateurs consulaires pouvaient encore être en possession du cheval public132. De ce point de vue, le plebiscitum reddendorum equorum, évoqué par Cicéron dans le livre IV du De Republica, marqua une rupture importante. Cette mesure, que l’on rattache généralement au contexte de l’année 129, entraîna l’exclusion des sénateurs des centuries équestres en exigeant d’eux la restitution du cheval public133. Une part non négligeable des equites seniores fut ainsi écartée de ces unités électorales. L’étape suivante, celle qui amena les vieux chevaliers « non-sénatoriaux » à connaître le même sort, intervint plus tard, à une date inconnue. Dans un passage de sa Vie d’Auguste, Suétone suggère en 130 Il importe ici de citer le passage dans son ensemble (Cic., Comment. pet., 33) : Iam equitum centuriae multo facilius mihi diligentia posse teneri uidentur : primum oportet cognosci equites (pauci enim sunt), deinde appeti (multo enim facilius illa adulescentulorum ad amicitiam aetas adiungitur). Deinde habes tecum ex iuuentute optimum quemque et studiosissimum humanitatis ; tum autem, quod equester ordo tuus est, sequentur illi auctoritatem ordinis, si abs te adhibebitur ea diligentia ut non ordinis solum uoluntate sed etiam singulorum amicitiis eas centurias confirmatas habeas. Nam studia adulescentulorum in suffragando, in obeundo, in nuntiando, in adsectando mirifice et magna honesta sunt. En faveur de l’authenticité de ce texte, voir la longue discussion que F. Prost lui consacre dans sa récente édition parue aux Belles Lettres (p. 45-82). Nous ne suivons pas l’avis de TATUM (2002) qui, s’étonnant de voir Quintus limiter son propos aux jeunes chevaliers, considère que le passage est lacunaire et que le texte original évoquait en quelques phrases le rôle électoral des equites seniores. L’interprétation de l’évolution générale de l’ordre équestre que nous proposons ici rend cette lourde émendation inutile. 131 L’âge minimal pour accéder à la questure a été fixé à 30 ans par Sylla durant sa dictature. Difficile de savoir si cette clause figurait déjà dans la lex Villia de 180 av. J.-C. Voir FRACCARO (1934), 483 et ASTIN (1958), 45 qui estiment que, par défaut, les chevaliers ne pouvaient être élus magistrats avant 27 ans, sauf s’ils s’engageaient comme volontaires dans l’equitatus avant l’âge « légal » de 17 ans. 132 NICOLET (1966), 75-6. 133 Cic., Rep., IV, 2 : quam commode ordines discripti aetates classes equitatus, in quo suffragia sunt etiam senatus, nimis multis iam stulte hanc utilitatem tolli cupientibus qui, nouam largitionem quaerunt aliquo plebiscito reddendorum equorum. Sur ce plébiscite, voir en dernier lieu DAVENPORT (2019), 58-60.
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effet qu’une norme (abolie par le fondateur du principat) imposait aux chevaliers de rendre leur cheval public à l’âge de 35 ans134. Cette norme n’existait pas en 122 av. J.-C., puisqu’une disposition de la lex repetundarum gracquienne protégeait les jurés équestres (qui avaient tous plus de 30 ans) contre la confiscation du cheval public que les censeurs avaient le pouvoir d’infliger aux citoyens romains135. Il faudrait donc la situer entre 122 et 64 av. J.-C. – date de rédaction du Commentariolum petitionis –, sauf à considérer que la clause de la Tabula Bembina ne visait que les iudices qui avaient entre 30 et 35 ans. Au milieu du IIe s. av. J.-C., les jeunes chevaliers devaient accomplir dix campagnes dans la cavalerie légionnaire, notamment s’ils souhaitaient briguer une magistrature et être inscrits sur l’album sénatorial136. Polybe laisse entendre que ces decem stipendia (δέκα στρατείας) avaient un caractère obligatoire pour tous les citoyens de rang équestre dès l’âge de 17 ans137. Cette indication mérite peut-être qu’on lui apporte quelques nuances. De même que les fantassins n’accomplissaient que rarement 134 Suet., Aug., 38, 3 : reddendi equi gratiam fecit eis, qui maiores annorum quinque et triginta retinere eum nollent. Un manuscrit donne la leçon mallent à la place de nollent et c’est cette version qui est préférée par MOMMSEN (1889a), 89, n. 1, NICOLET (1966), 79 et GIOVANNINI (2010), 358, n. 9. Au lieu de lire qu’Auguste permit à ces chevaliers de restituer leur cheval public, on comprend donc qu’il les dispensa de le faire. MARTIN (1967), 796 pointe une contradiction entre la lecture que Nicolet fait de ce passage et la présence de chevaliers d’un âge avancé dans les défilés qui eurent lieu sous Auguste avant que cette mesure n’entre en vigueur. Cette discordance s’évanouit si l’on considère que le changement fut graduel : la conservation du cheval public au-delà de l’âge légal avait déjà été admise dans les faits avant d’être sanctionnée par le droit. 135 Cf. CRAWFORD (1996), n°1, l. 28 (avec NICOLET [1966], 76). Une clause de cette loi définissait de façon positive le profil des chevaliers qui pouvaient être recrutés dans les quaestiones (CRAWFORD [1996], n°1, l. 16). Hélas, une lacune empêche de connaître son contenu. CRAWFORD (2001), 432 propose : quei h[ac ceiuitate equo publico stipendia fecit fecerit d]um. Cette restitution nous semble convaincante et pourrait expliquer le développement, à partir de l’époque gracquienne, d’un ordo equester élargi, qui comprenait non seulement les membres des 18 centuries mais aussi les anciens equites equo publico, qui avaient accompli leur stipendia et renoncé au cheval public. 136 Plb., VI, 19, 4. 137 Id., VI, 19, 2 : τῶν λοιπῶν τοὺς μὲν ἱππεῖς δέκα, τοὺς δὲ πεζοὺς ἓξ καὶ δεῖ στρατείας τελεῖν κατ᾿ ἀνάγκην. Cette règle n’était peut-être pas très ancienne et pourrait avoir été instituée pendant ou après la deuxième guerre punique. Sa valeur plus ou moins contraignante a fait l’objet de discussions contradictoires. Cf. FRACCARO (1934), 486 ; ASTIN (1958), 42-6 ; HARRIS (1979), 11-2 ; KUNKEL & WITTMANN (1995), 60-4 ; BECK (2005), 57. Quelle que soit la valeur que l’on accorde au texte de Polybe, il n’était pas le seul auteur à considérer ces dix années de campagne comme une norme indissociable de la militia equestris. En effet, un règlement militaire rédigé en hébreu à la fin du IIe s. av. J.-C. contient la même prescription (1QM, vi, 14). Celle-ci pourrait provenir du De re militari de Caton l’Ancien, qui a manifestement servi de modèle à d’autres passages de ce curieux texte. Cf. YADIN (1962), 16-7 et GMIRKIN (1996), 96.
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leurs 16 années de service « règlementaires », les cavaliers étaient mobilisables pour un maximum de dix campagnes annuelles. Autrement dit, les citoyens inscrits dans les centuries équestres ne passaient pas nécessairement dix ans sous les enseignes138. Par ailleurs, il arrivait que certains equites devancent la conscription en réclamant leur enrôlement avant l’âge prescrit139. Il est difficile de savoir comment ce système « classique » évolua à la fin de l’époque républicaine. La lex repetundarum de 122 imposait un âge minimal de 30 ans pour la sélection des jurés équestres140. L’apparition de cette clause pourrait suggérer que l’accomplissement de la militia equestris n’était plus une condition suffisante pour écarter les adulescentes de certaines responsabilités. Il semble, en effet, qu’à la fin du IIe s., les decem stipendia perdirent leur caractère obligatoire pour les aspirants magistrats141. En analysant l’exemple de Sylla, Arthur Keaveney souligne qu’il était possible de se faire élire questeur à l’âge de 30 ans en disposant d’une expérience militaire rudimentaire, sinon inexistante142. Ce point de vue nous semble confirmé par la Table d’Héraclée, qui fixe les stipendia iusta à trois ans pour les cavaliers légionnaires143. Une fois qu’il avait réalisé ces trois années de campagne, un citoyen romain résidant dans un municipe pouvait légitimement intégrer le sénat de sa cité quel que soit son âge. Les autres municipes devaient attendre d’avoir 30 ans. Comme le souligne Keaveney, une telle norme ne pouvait qu’être issue d’un précédent romain, et Crawford a montré qu’elle devait être considérée comme antérieure à la
138 Inversement, il arrivait que le service de certains jeunes chevaliers excède les dix années réglementaires : C. Sempronius Gracchus aurait ainsi accompli douze stipendia (Plut., CG, 2, 5). 139 Né en 162, Ti. Sempronius Gracchus fut questeur en 137. Il fut donc probablement enrôlé autour de l’âge de 15 ans, ce que confirme sa présence à Carthage dans l’entourage de Scipion Émilien en 147. Cf. FRACCARO (1934), 481-2 ; ASTIN (1958), 43. Sa situation n’était pas exceptionnelle puisque, sous son tribunat, C. Gracchus jugea utile de faire passer une loi interdisant l’enrôlement des citoyens avant l’âge de 17 ans (Plut., CG, 5, 1). 140 Cf. supra, p. 54, n. 135. 141 L. Licinius Crassus (cos. 95) prétendait ne jamais s’être éloigné du Forum durant sa jeunesse, sauf lors de sa questure. Cic., De or., II, 365 : qui puer in forum uenerim neque inde umquam diutius quam quaestor afuerim. Cf. HARRIS (1979), 257 et MCDONNELL (2005), 243. 142 KEAVENEY (1980), 171-3 (sur la base de Sall., Iug., 96). 143 CIL, I², 593 = ILS, 608 = CRAWFORD (1996), n°24, l. 90-1 et 100-1 : nisei quei eorum stipendia equo in legione III aut pedestria in legione VI fecerit. La datation de ce document continue de poser de nombreux problèmes. Les recherches récentes ont montré qu’il ne faut pas voir dans ce règlement municipal un texte unitaire mais plutôt une recension de normes disparates, postérieures à la guerre sociale, réalisée sous la dictature de César. Cf. NICOLET (1988), 139-40 ; CRAWFORD (1996), I, 360-2 ; BISPHAM (2007), 369.
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dictature de César144. Tout le problème est de savoir si, à Héraclée et dans les autres municipes italiens, cette clause était applicable aux seuls membres des centuries équestres ou si elle était destinée à encadrer le service d’éventuels equites equis suis issus du monde municipal145. Une fois qu’il s’était acquitté de ses obligations envers la cité, un eques Romanus equo publico devait « rendre » son cheval public. Ce rituel, qui prenait place au Forum lors de la recognitio equitum, en présence des censeurs, est bien attesté au Ier s. av. J.-C., notamment dans un célèbre passage des Vies parallèles de Plutarque146. La scène, qui se déroule en 70 av. J.-C., revêt un caractère hors norme puisqu’elle implique Pompée le Grand, dont la carrière était considérée comme une aberration juridique par les auteurs anciens147. Elle n’en demeure pas moins révélatrice des obligations qui pesaient encore sur les membres des centuries équestres après la guerre sociale. Plutarque rapporte que Pompée – qui était âgé de 36 ans – se présenta en grande pompe devant les censeurs, avec son cheval, pour rendre compte de ses états de service et réclamer l’exemption de la στρατεία, terme traduisant ici le latin militia. Le biographe grec profite alors de l’occasion pour apporter un éclaircissement sur cette « coutume » (ἔθος), qui n’existait plus à son époque : « les chevaliers, après avoir servi sous les armes le temps légal (τὸν νόμιμον χρόνον), amènent leur cheval au Forum devant deux hommes qu’on appelle les censeurs ; là, quand ils ont énuméré chacun des chefs et des généraux sous lesquels ils ont servi, et rendu compte de leurs campagnes, ils reçoivent leur congé (τῆς στρατείας ἀφίεσθαι), et l’on distribue à chacun l’honneur ou le déshonneur que mérite sa conduite. »148. 144 Cf. CRAWFORD (1996), I, 361 : César augmenta la solde des légionnaires à 225 deniers par an, somme qu’il est possible de diviser par trois pour trois versements trimestriels mais pas par deux ; or l’année militaire de la Table d’Héraclée se compose de deux semestres (l. 92 : bina semestria). BISPHAM (2007), 419 évoque au contraire une innovation césarienne, mais ne tient pas compte de l’argument décisif avancé par Crawford. 145 En ce sens, NICOLET (1966), 67-8 et CADIOU (2016), 69. 146 Plut., Pomp., 22, 3-6 ; Mor., 204A (avec NICOLET [1966], 105 et GIOVANNINI [2010], 358-60). Sans aucune raison apparente, HENDERSON (1963), 62 écarte ce témoignage qu’il considère comme une description apocryphe, sub specie antiquitatis. 147 Cic., Leg. Man., 28 ; Vell. Pat., II, 30, 2-3 ; Plut., Pomp., 6, 5 et 14, 1. 148 Plut., Pomp., 22, 4 (trad. R. Flacelière et E. Chambry) : Ἔθος γάρ ἐστι Ῥωμαίων τοῖς ἱππεῦσιν, ὅταν στρατεύσωνται τὸν νόμιμον χρόνον, ἄγειν εἰς ἀγορὰν τὸν ἵππον ἐπὶ τοὺς δύο ἄνδρας οὓς τιμητὰς καλοῦσι, καὶ καταριθμησαμένους τῶν στρατηγῶν καὶ αὐτοκρατόρων ἕκαστον ὑφ᾿ οἷς ἐστρατεύσαντο, καὶ δόντας εὐθύνας τῆς στρατείας ἀφίεσθαι. Νέμεται δὲ καὶ τιμὴ καὶ ἀτιμία προσήκουσα τοῖς βίοις ἑκάστων. Plutarque ne précise pas si l’initiative de Pompée avait un lien avec le plebiscitum reddendorum equorum de 129. La plupart des commentateurs modernes le supposent et considèrent que c’est parce qu’il voulait intégrer le Sénat que le consul ne pouvait conserver son cheval
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Il faut conclure de cet extrait qu’en 70 av. J.-C., les magistrats pouvaient toujours enrôler de jeunes chevaliers et ce pour une durée maximale définie par la loi. À la fin de l’époque républicaine, une portion non négligeable des membres de l’ordre effectuait ce service dans le corps des officiers149. Mais cela ne veut pas dire que l’antique cavalerie censitaire avait disparu et que les equites Romani mobilisés à l’armée étaient tous des tribuns ou des préfets150.
B. La cavalerie citoyenne et l’intégration des socii equites aux légions Plusieurs témoignages littéraires confirment le maintien du service militaire des chevaliers dans la cavalerie au Ier s. av. J.-C.151. Dans sa biogaphie de Sylla, Plutarque décrit la marche de Pontius Telesinus contre Rome en novembre 82 et la riposte des forces syllaniennes stationnées dans la Ville : « Au point du jour, les jeunes gens des plus illustres familles de Rome sortirent à cheval pour l’attaquer ; [Telesinus] en tua un grand nombre, notamment Appius Claudius, homme à la fois noble et brave. »152. Le texte ne le précise pas explicitement mais il est évident que ces jeunes aristocrates ne se contentèrent pas d’utiliser leur monture comme moyen de transport : ils livrèrent (et perdirent) un véritable combat de cavalerie. On reconnaîtra facilement dans ces lamprotatoi neoi les adulescentes dont parle Q. Cicéron à propos de la composition des centuries équestres153. César emploie une formule équivalente public (MOMMSEN [1889a], 106, n. 1 ; NICOLET [1966], 104-5 ; DAVENPORT [2019], 59). Le texte est pourtant sans équivoque : on considérait comme normal qu’un chevalier qui avait fait ses stipendia legitima rende son equus publicus. Embarrassé par ce témoignage qui contredit sa définition de l’ordre équestre, Nicolet le disqualifie arbitrairement au prétexte que Plutarque commettrait « une légère erreur » (NICOLET [1969], 128) : il n’aurait pas compris que seuls les sénateurs devaient rendre le cheval. En fait, la coutume dont Plutarque se fait l’écho nous semble pleinement correspondre à la norme républicaine évoquée par Suétone (Aug., 38, 3), qui faisait qu’il était impossible ou rare qu’un chevalier conserve son cheval public passé 35 ans. 149 Il suffit pour s’en convaincre de parcourir l’inventaire des officiers de rang équestre établi par NICOLET (1966), 270-84. 150 Voir, entre autres, HILL (1952), 27 ; BRUNT (1988), 146 ; BADIAN (2009), 17 (contra NICOLET [1969], 129-32). 151 Nous reprenons ici en le complétant l’inventaire établi par CADIOU (2016). 152 Plut., Sull., 29, 5 (trad. R. Flacelière) : Ἅμα δ’ ἡμέρᾳ τῶν λαμπροτάτων νέων ἐξιππασαμένων ἐπ’ αὐτὸν ἄλλους τε πολλοὺς καὶ Κλαύδιον ῎Αππιον, εὐγενῆ καὶ ἀγαθὸν ἄνδρα, κατέβαλε. Cet Ap. Claudius est-il le même que celui qui défendait le Janicule en 87 av. J.-C. avec le rang de tribun des soldats ? Cf. App., BC, I, 68 (avec BROUGHTON [1952], II, 49). 153 Cf. supra, p. 53, n. 130.
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lorsqu’il signale qu’à la fin du printemps 49, un groupe d’honesti adulescentes, senatorum filii et ordinis equestris le rejoignit à Ilerda pour participer aux opérations militaires contre les légats de Pompée en Hispanie154. Dans son poème, Lucrèce évoque probablement les entraînements auxquels se livraient ces jeunes chevaliers sur le Campus Martius155, et nous savons que dans les jeux qui suivirent la célébration des quatre triomphes de César, en 46, des equites livrèrent des combats singuliers, au milieu des autres gladiateurs156. De façon plus incidente, une notice du De lingua latina révèle que la turme était toujours l’unité tactique élémentaire de la cavalerie civique dans les années 47-45 av. J.-C., puisque Varron déclare qu’à son époque (nunc), les tribuns des soldats avaient obtenu le pouvoir d’appointer les optiones qui étaient chargés de seconder les décurions157. Outre les témoignages qui viennent d’être évoqués, les récits de guerres consacrés à la fin de l’époque républicaine révèlent que deux batailles rangées livrées durant la guerre civile de 49-45 impliquèrent un contingent substantiel d’equites Romani. À Pharsale, Frontin évoque la présence, dans l’armée de Pompée, d’« un important parti de chevaliers romains (magna equitum Romanorum manus) »158. Plutarque ajoute que l’imperator « avait sept mille cavaliers, la fleur de Rome et de l’Italie (῾Ρωμαίων καὶ Ἰταλῶν τὸ ἀνθοῦν), tous distingués par la naissance, la richesse et la noblesse des sentiments (ἑπτακισχίλιοι, γένεσι καὶ πλούτῳ καὶ φρονήμασι διαφέροντες) »159. Nous verrons en temps voulu 154 Caes., BC, I, 51, 3. Comme le souligne CADIOU (2016), 71, « il est improbable que ces equites […] n’aient eu que vocation à peupler l’état-major de César de jeunes élégants inutiles au combat ». Ils étaient, au moins en grande partie, sinon en totalité, des combattants de la trempe de ces iuuenes qui étaient « prêts à tout risquer » à la veille de la traversée du Rubicon. Cf. Cic., Att., 7, 7, 6. 155 Lucr., II, 40-3 : si non forte tuas legiones per loca campi feruere cum uideas belli simulacra cientes subsidiis magnis et equum ui constabilitas, ornatas armis pariter periterque animatas. Ibid. 323-30 : Praeterea magnae legiones cum loca cursu camporum complent belli simulacra cientes, […] et circumuolitant equites, mediosque repente tramittunt ualido quatientes impete campos. Cf. BAILEY (1947), 804-5 et RANCE (2000), 266-7. On devine que Lucrèce a pu voir ce type d’exercice à Rome au cours de sa vie puisqu’il compare l’image de ces mouvements d’unités à celle, tout aussi familière, d’une masse confuse de moutons se déplaçant dans des pâturages. Sur la tradition du tironicium militiae ou de l’exercitatio campestris, voir GINESTET (1991), 55-61. 156 Cass. Dio, XLIII, 23, 5 : καί τινες καὶ τῶν ἱππέων, οὐχ ὅτι τῶν ἄλλων ἀλλὰ καὶ ἐστρατηγηκότος τινὸς ἀνδρὸς υἱός, ἐμονομάχησαν. Voir aussi Suet., Iul., 39, 1 et DAVENPORT (2019), 430. 157 Varro, Ling., V, 91 : quos nunc propter ambitionem tribuni faciunt. 158 Frontin, Str., IV, 7, 32. 159 Plut., Pomp., 64, 1 (trad. R. Flacelière et É. Chambry). Voir Cass. Dio, XLI, 55, 2 qui souligne que dans les rangs de l’armée pompéienne se trouvaient beaucoup de sénateurs et de chevaliers.
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que l’effectif de 7 000 chevaliers romains prêté par le biographe de Chéronée à l’armée sénatoriale est certainement très excessif. Mais il est incontestable que des equites Romani combattirent dans la plaine de l’Énipée le 9 août 48. À la veille de bataille, César aurait donné des consignes précises pour les vaincre : les fantassins de la quatrième ligne, disposés en embuscade, devaient frapper au visage les cavaliers adverses, afin de jeter l’effroi chez de jeunes aristocrates présentés comme des kaloi à l’apparence soignée160. Cette tactique ne manqua pas de fonctionner puisqu’environ 40 chevaliers pompéiens perdirent la vie lors de l’affrontement161. À Munda, le 17 mars 45, l’armée de Pompée le Jeune comprenait aussi une importante cavalerie citoyenne. L’auteur anonyme du De bello Hispaniensi décrit ainsi son ordre de bataille : Erat acies XIII aquilis constituta, quae lateribus equitatu tegebatur, cum leui armatura milibus sex ; praeterea auxiliares accedebant prope alterum tantum162. De façon tout à fait exceptionnelle dans un texte d’époque césarienne, l’equitatus est ici distingué des auxiliares pour être rattaché au décompte des effectifs légionnaires. Cet equitatus Romanus est à nouveau cité dans l’inventaire des pertes, mais le passage concerné n’est pas sans poser de lourds problèmes d’interprétation163. L’auteur avance en effet que sur les 30 000 morts du camp pompéien, on dénombrait 3 000 chevaliers romains, « tant de Rome que de la province »164. Ce chiffre colossal, rapporté au total des victimes, peut déjà sembler suspect si l’on considère que, dans les batailles antiques, le taux de mortalité des fantassins était toujours proportionnellement supérieur à celui des cavaliers, qui bénéficiaient d’une plus grande mobilité165. Or, le bilan chiffré n’inclut pas les auxiliaires et il faudrait lui ajouter plusieurs milliers d’hommes pour parvenir à une estimation globale166. Une telle hécatombe paraît inconcevable au regard 160 Le témoignage le plus explicite est celui de Polyaen., Str., VIII, 23, 25 : ὁρῶν δὲ πολλοὺς τῶν πολεμίων νέους καὶ καλοὺς ἐπὶ τῷ κάλλει μέγα φρονοῦντας καὶ σοβαροὺς παρήγγειλε τοῖς ἰδίοις στρατιώταις τὰς λόγχας καὶ τοὺς ὑσσοὺς μὴ φέρειν ἐπὶ τὰ σώματα τῶν πολεμίων, ἀλλ’ ἐς αὐτὰ τὰ πρόσωπα. Οἱ δὲ λωβηθῆναι τὸ κάλλος τῶν προσώπων φοβηθέντες καὶ δὴ ἀποστραφέντες ἔφυγον. Voir aussi Plut., Pomp. 71, 4 ; Caes., 45, 2 ; App., BC, II, 78. 161 Ibid., II, 82 : τῶν δὲ καλουμένων ἱππέων ἀμφὶ τεσσαράκοντα τῶν ἐπιφανῶν. 162 Ps.-Caes., BHisp., 30, 1. 163 Voir NICOLET (1966), 208-9 et (1969), 132, n. 42. 164 Ps.-Caes., BHisp., 31, 9 : itemque equites Romani partim ex urbe, partim ex prouincia ad milia III. 165 Un cavalier pour dix fantassins est un ratio qui correspond approximativement à la composition des armées de campagne de l’époque. Cf. infra, p. 79-81. 166 Sur la présence d’auxiliaires dans l’armée de Pompée le Jeune, cf. ROLDÁN HERVÁS (1972), 107, n. 137. Voir notamment BHisp., 7, 5 et 30, 1, où l’on apprend que le fils de
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de la quarantaine de chevaliers romains qui périrent à Pharsale. Considérons donc comme vraisemblable l’éventualité d’une corruption de la tradition manuscrite167 et retenons pour assurée l’information essentielle livrée par ce passage : en 45 av. J.-C., des chevaliers romains servaient encore sous le commandement des généraux pompéiens. Ces chevaliers étaient pour partie originaires d’Hispanie et leur recrutement pouvait toujours se faire dans le cadre juridique du dilectus168. La provenance géographique de ces combattants montés, aussi bien romains, italiens, que provinciaux invite à se poser une question fondamentale : les cavaliers légionnaires mobilisés lors de la guerre civile étaient-ils tous des membres des centuries équestres ? Plutarque insiste sur l’origine noble des equites présents à Pharsale, mais plusieurs témoignages laissent à penser que la cavalerie civique s’était ouverte à l’ensemble de l’ordo equester, voire à des citoyens qui ne disposaient pas du cens équestre. Dans un passage célèbre de sa Première Philippique, Cicéron reproche à Antoine de vouloir créer une décurie de juges issus du centurionat, sans tenir compte de la règle qui permettait à ces officiers subalternes d’accéder à la fonction de iudex à condition d’être aussi riches que les equites Romani. L’orateur regrette une entorse au fonctionnement traditionnel de cette institution judiciaire qui ne tient normalement compte que de la fortune et du rang (fortuna […] et dignitas) des individus, c’est-à-dire des critères liés au census et à l’honorabilité. Et d’ajouter qu’il apparaîtrait tout autant scandaleux de permettre à quiconque a servi dans la cavalerie (quicumque equo meruisset), ce qui est plus distingué (quod est lautius), d’accéder aux décuries de juges169. De Magnus avait avec lui 6 000 auxiliaires. Sans raison apparente, N. Diouron (CUF, 1999, p. xli et li) choisit de considérer ces 6 000 hommes comme des fantassins légers. Les républicains pouvaient aussi compter sur le soutien de cavaliers numides, en plus des supplétifs levés sur place : Dio Cass., XLIII, 36, 1. 167 Quiconque a parcouru une édition critique de cette œuvre sait que les sept manuscrits du De bello Hispaniensi sont dérivés d’un archétype qui était lui-même truffé d’erreurs, de lacunes et de loci desperati. Sans envisager la possibilité d’une corruption, N. Diouron (CUF, 1999, p. 128) reconnaît pour sa part que le chiffre de trois mille equites Romani « paraît exagéré ». 168 Ps.-Caes., BAlex., 56, 4 (décrivant une initiative du propréteur d’Hispania Ulterior, Q. Cassius Longinus, au printemps 48) : Equitum autem Romanorum dilectum instituit ; quos ex omnibus conuentibus coloniisque conscriptos. 169 Cic., Phil., I, 20 : At quae est ista tertia decuria ? – « Centurionum », inquit. – Quid ? isti ordini iudicatus lege Iulia, etiam ante Pompeia, Aurelia non patebat ? – « Census praefiniebatur », inquit. – Non centurioni quidem solum, sed equiti etiam Romano : itaque uiri fortissimi atque honestissimi, qui ordines duxerunt, res et iudicant et iudicauerunt. – « Non quaero, inquit, istos : quicumque ordinem duxit, iudicet. » – At si ferretis quicumque equo meruisset, quod est lautius, nemini probaretis : in iudice enim
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ces quelques lignes découlent deux conclusions : 1) il existait à l’époque de Cicéron des cavaliers légionnaires qui n’étaient pas des chevaliers romains, c’est-à-dire qui ne disposaient pas de la qualification censitaire nécessaire pour appartenir à l’ordo et siéger dans les quaestiones170 ; 2) leur corps d’appartenance était, semble-t-il, encore considéré comme plus distingué (lautius) que celui des centurions légionnaires – ou, à tout le moins, Cicéron s’appuyait sur cette conception traditionnelle, qui n’avait plus vraiment cours à son époque, pour renforcer le poids de sa comparaison et, par là même, de son argumentation. N’oublions pas qu’il s’adressait à des aristocrates dont la mémoire familiale était profondément attachée à la prestigieuse milice équestre et que des equites equo publico servaient toujours dans l’armée aux alentours de 44. Seulement, ces détenteurs du cheval public, equites in legione, étaient probablement devenus minoritaires. Qui étaient donc ces autres cavaliers dont Cicéron nous dit qu’ils ne jouissaient ni de la fortuna ni de la dignitas equestris ? Il faut, à ce stade de la réflexion, s’interroger sur l’intégration des anciens socii italiens dans l’armée citoyenne171. À l’époque de Polybe, les alliés fournissaient trois fois plus de cavaliers que les Romains172. Est-il seulement raisonnable de supposer que cette puissante force équestre disparut après la concession généralisée de la citoyenneté romaine ? La Table d’Héraclée révèle plutôt que les communautés italiennes transformées en municipes de droit romain étaient toujours tenues de mettre leurs combattants montés à disposition de la res publica : ces cavaliers servaient in legione et l’État pouvait exiger d’eux l’accomplissement de trois stipendia173. On spectari et fortuna debet et dignitas. Sur le projet de loi judiciaire de Marc Antoine, cf. RAMSEY (2005). 170 Dans le commentaire qu’il lui consacre, RAMSEY (2003, 126-7) se méprend sur le sens de ce passage : « The quicumque-clause describes officers in the army (legati, tribuni militum and praefecti), those who had horses […]. » On aurait tort d’assimiler ces citoyens qui servaient à cheval sans disposer du census equester à des officiers dont on sait précisément qu’ils étaient, en règle générale, de rang équestre. Cf. NICOLET (1966), 254, 270, 283-4. 171 Pour l’heure, aucune étude sur ce sujet essentiel. Le livre de référence sur les socii italiens et leur intégration dans les structures militaires romaines s’arrête en 91 av. J.-C. : ILARI (1974). 172 Plb., VI, 26, 7. 173 CRAWFORD (1996), n°24, l. 90-1 et 100-1 : nisei quei eorum stipendia equo in legione III aut pedestria in legione VI fecerit. Contrairement à ce qu’affirme HARMAND (1967), 272, n. 206, les troupes montées dont il est question ici ne peuvent être des auxiliaires. Embarrassé par ce témoignage qui contredit formellement le postulat d’une disparition de la cavalerie civique, MCCALL (2002), 111-2 considère que ces equites in legione sont en réalité des contubernales.
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ne sera donc pas surpris de constater qu’à plusieurs reprises, au cours des guerres civiles, les sources mentionnent des levées d’equites dans la péninsule. Au début de l’année 49, alarmé par la nouvelle de la chute de Corfinium, Pompée arma, aux dires de César, des esclaves et des bergers et leur attribua des chevaux pour en faire un escadron de 300 cavaliers, soit l’effectif exact d’un contingent d’equites legionis174. Quelle que soit l’ampleur de la déformation dont elle a fait l’objet, l’initiative elle-même (une levée de 300 cavaliers en Italie) ne peut être mise en doute. Elle trouve un écho chez Plutarque, qui prête à Pompée les paroles suivantes à la veille de la guerre : « où que je tape du pied, il en sortira des fantassins et des cavaliers »175. Quatre ans plus tard, l’auteur du De bello Hispaniensi précise que des cavaliers arrivèrent à Ategua ex Italia, sous le commandement d’Arguetius, inconnu par ailleurs, et d’Asprenas, sans doute Lucius Nonnius Asprenas176. Enfin, dans le récit qu’il consacre aux dernières opérations de Sextus Pompée en Asie (hiver 36-35 av. J.-C.), Appien mentionne un escadron de cavaliers italiens (ἴλην ἱππέων Ἰταλικήν) qu’Octavie aurait envoyé à Antoine : Sextus chercha vainement à acheter le ralliement de cette troupe177. Selon Patrick Marchetti, le processus d’intégration des Italiens dans l’exercitus populi Romani entraîna la formation d’un equitatus légionnaire distinct de l’ordo equester : « Les anciens Trossuli, membres des dix-huit centuries équestres, ont alors dû s’approprier ce fameux titre d’equites Romani pour se distinguer des nouveaux citoyens dont un grand nombre aurait pu revendiquer légitimement l’equus publicus dans la mesure où ils accomplissaient leur service comme cavaliers. C’est donc à partir de cette date seulement (90 av. J.-C.) que toutes les distinctions introduites par M. Nicolet entre les equites Romani equo publico et les simples cavaliers légionnaires doivent être d’application »178. Les informations fournies par Festus sur le statut des municipes nous semblent conforter ce point de vue : at Seruius filius aiebat initio fuisse, qui ea conditione ciues fuissent, ut semper rempublicam separatim a populo Romano habebant, Cumanos, Acerranos, Atellanos, qui < ciues romani
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Caes., BC, I, 24, 2 : seruos, pastores armat atque eis equos attribuit ; ex his circiter CCC equites conficit. 175 Plut., Pomp., 57, 5 : « Ὅπου γὰρ ἄν », ἔφη, « τῆς Ἰταλίας ἐγὼ κρούσω τῷ ποδὶ τὴν γῆν, ἀναδύσονται καὶ πεζικαὶ καὶ ἱππικαὶ δυνάμεις ». 176 Ps.-Caes, BHisp., 10, 1-2. 177 App., BC, V, 14, 138. Cf. SADDINGTON (1982), 25-6. 178 MARCHETTI (1978), 238. Avant lui, MOMMSEN (1889a), 74-5.
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erant et in legione merebant sed dignitates non capiebant >179. Autrement dit, les citoyens des municipes, « au départ » (initio), devaient servir dans les légions, mais ne pouvaient prétendre aux dignitates des Romains180. Cette définition, qui reflète probablement le « discours conservateur postérieur à la guerre sociale »181, s’accorde bien avec la reconstitution de Marchetti. Les noui ciues les plus riches ne pouvaient espérer obtenir l’equestris dignitas au prétexte qu’ils servaient dans l’equitatus legionis. Tout semble avoir été conçu, au moins à l’origine, pour les écarter du secundus ordo182. Cette discrimination fut peut-être confortée par l’institution concomittante d’un census equester, destiné à sanctuariser l’accès aux centuriae equitum et aux magistratures, mais la documentation n’autorise aucune conclusion définitive à ce sujet, et la situation évolua rapidement dans un sens favorable aux nouveaux citoyens puisque de nombreux Italiens eurent accès au rang équestre au cours des dernières décennies de la République (ce qui rend compte de la nuance temporelle introduite par Servius-Festus dans la notice citée supra)183. 179 Festus, s.v. municipes (éd. Lindsay p. 126). On s’interroge sur l’identité de Seruius filius, qui est l’autorité à laquelle renvoie Festus. Il pourrait s’agir de Servius Sulpicius Rufus, consul en 51 av. J.-C. et juriste renommé. Mais un manuscrit donne la leçon Seruilius, si bien que cette hypothèse demeure sujette à caution. Cf. HUMBERT (1978), 3-4, n. 2 et BISPHAM (2007), 21-2. 180 Vell. Pat., II, 20 reflète le même état d’esprit lorsqu’il évoque le problème de l’intégration des noui ciues dans les tribus romaines : ne potentia eorum et multitudo ueterum ciuium dignitatem frangeret plusque possent recepti in beneficium quam auctores beneficii. 181 CADIOU (2018), 383. Ce point a été démontré de façon convaincante par BISPHAM (2007), 23. Un indice essentiel réside dans la mention du service in legione : comme l’a bien montré HUMBERT (1978), 319 (contra BRUNT [1971], 17-21, 525, 631 ; ILARI [1974], 85, n. 26), les ciues sine suffragio ne faisaient pas campagne dans les légions mais dans des unités distinctes. On ne peut donc suivre Festus lorsqu’il rattache cette clause au temps reculé où les cités de Cumes, Acerrae et Atella reçurent le droit romain (IVe s. av. J.-C.). On ajoutera que, au regard de l’interprétation que Bispham donne de la notice, il n’est plus nécessaire de suivre HUMBERT (1978), 320 qui, cherchant à reconcilier le texte avec la situation historique antérieure à la guerre sociale, est forcé d’inventer un monstre juridique : « la légion dans laquelle auraient combattu les cives s. s. est une formule de juriste, et non de stratège. Comprenons que les cives s. s. combattaient non dans les unités des citoyens romains, mais en tant que citoyens romains ; leurs obligations militaires étaient identiques à celles des cives o. i. ». 182 Peut-être l’État romain avait-il aussi pour préoccupation de ne pas concéder à l’ensemble des anciens socii equites les indemnités dont jouissait traditionnellement la cavalerie romaine : la solde des alliés était à la charge des cités contributrices, et les fournitures en blé et en orge accordées par Rome étaient moins importantes les concernant. 183 DEMOUGIN (1983). Au cours de la période triumvirale, l’acquisition du statut équestre passait généralement par l’accession au tribunat des soldats. Autrement dit, ce
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C. Les signes du déclin de la cavalerie censitaire En dépit des éléments incontestables qui corroborent le maintien du service militaire des élites et l’existence d’une véritable cavalerie légionnaire au Ier s. av. J.-C., il est difficile d’échapper à l’impression d’un déclin de l’equitatus républicain durant cette même période. Sans admettre la suppression du service des ciues dans la cavalerie, contredite par de nombreuses sources, nous nous rallions volontiers à l’idée que les mobilisations des années 49-45 avaient quelque chose d’extraordinaire. Autrement, comment comprendre l’insistance de Plutarque sur l’amateurisme des equites pompéiens lors de la bataille de Pharsale ? Le biographe de Chéronée affirme en effet que les jeunes chevaliers engagés dans l’armée sénatoriale « étaient sans expérience dans toutes les formes du combat » (ἅτε μάχης πάσης ἄπειροι), ce qui fut la cause de leur débâcle face aux troupes césariennes184. Nous imaginons mal comment une telle mention pourrait s’expliquer dans un contexte où les membres de l’ordre équestre combattaient toujours régulièrement dans les armées romaines. Les sources littéraires rappellent que le dilectus était fréquemment boudé par les iuniores des bonnes familles romaines. À partir des années 150 av. J.-C., plusieurs auteurs mentionnent des difficultés dans le déroulement des opérations de recrutement : ce sont bien les boni qui sont en cause185. Dans un plaidoyer prononcé en 69 av. J.-C., Cicéron n’était plus le service dans la cavalerie légionnaire qui faisait le chevalier, mais plutôt la fonction d’officier. 184 Plut., Pomp., 71, 8. 185 Sall., Iug., 86, 2-3 affirme que Marius, avant son départ pour la Numidie, leva des troupes « non pas suivant l’ancien usage et d’après les classes (non more maiorum neque ex classibus), mais en acceptant tous les volontaires (sed uti cuiusque lubido erat), prolétaires exclus du service pour la plupart (capite censos plerosque). Les uns disaient qu’il les prenait, à défaut d’inscrits appartenant aux hautes classes (Id factum alii inopia bonorum) ; d’autres que c’était par ambition, parce qu’il devait sa renommée et son élévation à cette sorte de gens » (trad. A. Ernout modifiée). CADIOU (2009), 26 pense que les boni en question étaient de jeunes aristocrates. Il relie cet épisode à celui du dilectus troublé de 151 av. J.-C. Plb., XXXV, 4, 3 signale en effet que, lors de cette année, les neoi cherchèrent à se faire dispenser du service, et que ce mouvement entraîna une vacance des postes de tribuns et de légats. Au printemps 48 av. J.-C., le dilectus de chevaliers romains organisé par le propréteur d’Hispania Ulterior, Q. Cassius Longinus, fut aussi un fiasco : les equites de la province étaient effrayés par le service outre-mer (transmarina militia perterritos), à tel point que Longinus accepta de les en exempter en échange d’un impôt, ce qui lui valut l’animosité des individus ainsi rançonnés. Cf. Ps.-Caes., BAlex., 56, 4. Au regard de ces exemples, sommes-nous fondés à considérer le cas bien connu du chevalier qui, sous Auguste, fit mutiler ses fils pour leur éviter de servir dans l’armée (Suet., Aug., 24, 3), comme une « défaillance passagère et exceptionnelle » (NICOLET [1969], 152) ?
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regrette que la jeunesse ait perdu le goût de la militia : Quid nunc uobis faciendum est studiis militaribus apud iuuentutem obsoletis186. De notre point de vue, ces exemples ne sauraient être écartés comme l’expression d’un topos moralisateur ou comme de pures constructions littéraires destinées à fustiger le déclin des antiques valeurs martiales au sein de la jeunesse, à plus forte raison si l’on considère que les equites Romani se font rares dans les récits de combats tardo-républicains. À la lecture de certains témoignages, il est même permis de se demander si tous les généraux romains du Ier s. av. J.-C. avaient une force de cavalerie citoyenne à leur disposition. Dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules, César mentionne de nombreux engagements de cavalerie. L’identité des troupes qui participent à ces opérations n’est pas toujours précisée. Lorsque c’est le cas, il s’agit invariablement de soldats auxiliaires187. En dehors des récits d’affrontements, on note bien la présence de citoyens à cheval dans l’entourage du proconsul, mais il est difficile de savoir avec certitude si ces individus formaient une véritable cavalerie de ligne ou s’ils ne faisaient pas tout simplement office de contubernales. Une anecdote laisse entendre que les chevaliers romains présents en Gaule lors de la conquête possédaient un nombre important de montures. Au printemps 52, César reçut en effet un renfort d’auxiliaires germains dont il ne précise pas l’effectif. Trouvant leurs chevaux 186
Cic., Font., 42. Certains extraits ont fait l’objet de vaines discussions au motif qu’ils laissaient planer de vagues incertitudes. C’est notamment le cas de trois passages du livre V qui contiennent des informations sur les effectifs de la cavalerie césarienne juste avant l’expédition de Bretagne (54 av. J.-C.). 1) BG, V, 2, 4 : César affirme qu’avant d’avoir rassemblé son corps expéditionnaire, il était parti chez les Trévires cum legionibus expeditis IIII et equitibus DCCC pour rétablir l’ordre ; il n’est pas précisé si ces cavaliers étaient des auxiliaires gaulois. 2) BG, V, 5, 5 : après avoir obtenu la soumission des Trévires, il réunit à Portus Itius la cavalerie de toute la Gaule, soit 4 000 soldats montés (equitatus totius Galliae conuenit, numero milium quattuor). 3) BG, V, 8, 1 : il laissa Labienus en Gaule avec 2 000 cavaliers et partit pour la Bretagne avec 2 000 cavaliers. Selon SCHAMBACH (1881), 11 (suivi par RICE HOLMES [1911], 581), ces états d’effectifs suggéreraient que les 800 cavaliers envoyés contre les Trévires étaient en fait des cavaliers légionnaires : on s’attendrait sinon à voir César et Labienus se partager 4 800 equites et non 4 000. Il s’agit là d’un faux problème. Les 800 cavaliers peuvent très bien avoir été comptés dans l’equitatus totius Galliae que César n’a fait que « rassembler » (conuenire). Et à supposer qu’il faille vraiment les distinguer des 4 000 cavaliers de Portus Itius, on serait plutôt tenté d’y voir les cavaliers auxiliaires de la Prouincia, dont César nous dit qu’ils étaient présents à ses côtés depuis le début de la guerre, cf. BG, I, 15, 1. Dans ce dernier passage, le proconsul affirme d’ailleurs qu’à son entrée en campagne, il ne disposait pour toute cavalerie que de celle que lui avait fournie la Transalpine et les Héduens : equitatumque omnem ad numerum quattuor milium, quem ex omni prouincia et Haeduis atque eorum sociis coactum habebat. Cette phrase devrait suffire à exclure l’existence d’une véritable cavalerie civique durant la conquête des Gaules, tout du moins au cours de la première campagne. 187
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« peu aptes » (minus idonei) il leur fit donner ceux « des tribuns militaires, des autres chevaliers et des euocati »188. Cette mesure était probablement temporaire : il s’agissait de soulager des animaux épuisés par une longue marche forcée et non de remplacer des animaux qui auraient été inadaptés pour le combat, comme cela a parfois été suggéré. Il n’est pas impossible que la disposition prise par César n’ait concerné que la remonte des chevaliers en question. Mais cela ne constitue pas une preuve de leur utilisation au combat : il était normal pour des officiers et des personnages de haut rang de se déplacer à cheval et de posséder des montures surnuméraires189, à plus forte raison après six années de campagnes qui permirent l’accumulation d’un butin important. Du reste, si le proconsul avait une force de cavalerie citoyenne substantielle dans son armée, pourquoi n’en fit-il pas usage lors de sa fameuse entrevue avec Arioviste en 58 ? Peu de temps avant la rencontre, le chef suève avait exigé qu’aucune troupe d’infanterie ne fût présente. César, pour ne pas s’en remettre à la cavalerie gauloise dont il craignait l’inconstance, mit à pied ses auxiliaires et fit attribuer leurs montures aux soldats de la Xe légion190. Ce passage a fait couler beaucoup d’encre. Contre les nombreux historiens qui y ont lu la preuve de la disparition de la cavalerie civique, Thomas Rice Holmes a objecté qu’une telle 188 Ibid., VII, 5, 4-5 : Eorum aduentu, quod minus idoneis equis utebantur, a tribunis militum reliquisque [sed et] equitibus Romanis atque euocatis equos sumit Germanisque distribuit. L’effectif de ces cavaliers que César a fait venir d’outre-Rhin n’est pas renseigné. Il n’était peut-être pas extraordinaire : en BG, VIII, 10, 4, lorsque Commios part en Germanie pour lever des supplétifs, il n’obtient pas plus de 500 cavaliers. RAMBAUD (1969), 652 estime pour sa part, sans le début d’une preuve, qu’ils étaient 800. Sur la cavalerie germanique de César, cf. TAUSEND (1988). 189 Cf. Tac., Ann., I, 67, 3 (trad. P. Wuilleumier) : « Ensuite [Caecina] fait amener les chevaux des légats et des tribuns, en commençant par les siens, et, sans la moindre complaisance, il les remet aux combattants les plus braves, pour que ceux-ci, puis les fantassins, chargent l’ennemi ». Voir également HYLAND (1990), 164. 190 Caes., BG, I, 42, 4-6 (trad. L.-A. Constans modifée) : « Arioviste demanda que César n’amenât pas à l’entrevue de troupes à pied (peditem) : “il craignait, disait-il, d’être enveloppé par lui à la suite d’une embuscade (uereri se ne per insidias ab eo circumueniretur) ; que chacun vînt avec des cavaliers (equitatu) ; il ne viendrait qu’à cette condition.” César, ne voulant pas qu’un prétexte suffît à supprimer la rencontre, et n’osant pas, d’autre part, remettre à la cavalerie gauloise le soin de veiller sur sa personne (neque salutem suam Gallorum equitatui committere audebat), jugea que le plus pratique était de mettre à pied tous les cavaliers gaulois et de donner leurs montures aux legionnaires de la dixième légion (omnibus equis Gallis equitibus detractis eo legionarios milites legionis decimae), en qui il avait la plus grande confiance, afin d’avoir, en cas de besoin une garde aussi dévouée que possible. Ainsi fit-on ; et un soldat de la dixième légion remarqua assez plaisamment que “César faisait plus qu’il n’avait promis : il avait promis qu’il les emploierait comme gardes du corps, et il faisait d’eux des chevaliers (ad equum rescribere).” »
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cavalerie, même si elle avait été présente, aurait été trop peu nombreuse pour faire jeu égal avec les 6 000 cavaliers d’Arioviste191. Soit, mais dans ce cas, pourquoi cette cavalerie n’accompagna-t-elle pas l’infanterie montée lors de l’entrevue ? Si César avait vraiment voulu se prémunir contre l’éventualité d’un combat équestre, n’aurait-il pas trouvé plus logique de mobiliser d’abord ses equites legionis puis de compléter l’effectif en détachant quelques fantassins ? L’absence de véritable cavalerie lors de la rencontre est manifeste si l’on se penche sur la suite du récit. Lorsque les Germains commencèrent à lancer des projectiles sur son escorte, César précise en effet qu’« il ne percevait pas le moindre danger à engager une légion d’élite contre de la cavalerie » (sine ullo periculo legionis delectae cum equitatu proelium fore uidebat)192. La formulation implique que si combat il devait y avoir, les légionnaires auraient démonté et se seraient battus à pied. L’argumentaire de Rice Holmes n’est donc pas satisfaisant et l’absence des equites Romani lors de cet épisode semble bien confirmer que César ne pouvait compter que sur ses auxiliaires gaulois193. Le fait que la cavalerie légionnaire apparaisse de façon privilégiée lors des épisodes de guerre civile n’est peut-être pas fortuit. Ces affrontements contribuaient à exacerber les logiques de compétition internes à l’aristocratie. Ils étaient donc propices à l’expression de la valeur martiale, qui devenait un moyen de défendre l’honneur familial, son patrimoine, son rang social. En dehors de ces occasions, les bénéfices d’un service effectué dans les rangs de la cavalerie n’étaient plus aussi attractifs que par le passé. À l’époque de Polybe, la militia equestris pouvait encore constituer un puissant levier d’affirmation statutaire. Difficile d’en dire autant au lendemain de la guerre des alliés. L’essor contemporain du RICE HOLMES (1911), 580-1, suivi par CADIOU (2016), 61. Voir Caes., BG, I, 48, 5. Ibid., I, 46, 3. 193 On notera en passant que les commentateurs s’interrogent rarement sur le prétexte fallacieux donné par Arioviste pour obliger César à ne pas se faire escorter par des fantassins : il craignait d’être encerclé à la suite d’une embuscade que lui aurait tendue le proconsul (BG, I, 42, 4 : uereri se ne per insidias ab eo circumueniretur). Manœuvres d’enveloppement et embûches ne correspondent pourtant pas au mode opératoire habituel de l’infanterie. La cavalerie germanique ne risquait rien face à des légionnaires lourdement équipés : elle aurait pu s’échapper sans la moindre difficulté si elle avait été menacée. Arioviste cherchait manifestement à faire en sorte que les cavaliers auxiliaires de César soient présents lors de l’entrevue et il y a tout lieu de penser qu’il comptait sur leur défection pour capturer le proconsul. César n’était pas dupe de cette manœuvre. Il précise luimême qu’il ne souhaitait pas prendre le risque de confier sa sûreté à des auxiliaires gaulois. Arioviste aurait-il eu recours à un tel stratagème si la cavalerie gauloise n’avait pas été la seule véritable composante montée de l’armée romaine ? 191 192
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combat de harcèlement (cf. supra, p. 47-9) correspondait peu à l’éthos aristocratique des equites Romani, corps de troupes rompu aux actions de choc et qui n’avait accepté qu’à contrecœur son nouveau statut de cavalerie d’escarmouche au IIe s. av. J.-C.194. Les tâches de garnison imposées aux nouvelles armées provinciales n’avaient rien de très glorieux. Par ailleurs, les equites de vieille souche romaine étaient désormais concurrencés par la nouvelle cavalerie légionnaire municipale. Beaucoup d’entre eux durent réagir en se réfugiant dans les fonctions de commandement intermédiaires, réservées aux membres de l’ordre équestre. Cette évolution était en phase avec les besoins nouveaux d’une république impériale en expansion : il fallait un nombre croissant d’officiers pour assurer l’encadrement d’un outil militaire aux effectifs démultipliés et constituer les états-majors des armées proconsulaires195. Une conséquence directe de ces transformations fut l’abaissement du prestige social de la cavalerie légionnaire. Nous avons déjà signalé les remarques de Cicéron à propos des equites qui n’ont ni la fortuna, ni la dignitas equestris. D’autres témoignages corroborent cette impression de déclassement. Lorsqu’il réclame au Sénat des terres pour ses vétérans en 43, Antoine énumère ses troupes dans l’ordre suivant : si legionibus meis sex, si equitibus, si cohorti praetoriae…196. Des chevaliers ou bien des equites appartenant à la première classe n’auraient pu être logiquement placés en position d’infériorité par rapport à des prétoriens qui n’étaient jamais que des vétérans légionnaires promus au mérite197. Un indice pourrait même suggérer que certains cavaliers légionnaires étaient déjà sélectionnés parmi les fantassins les plus méritants, conformément au mode de recrutement qui deviendra la règle sous le Principat. Suétone 194
Cette évolution peut être comparée à celle qui vit la noblesse française abandonner le service dans la cavalerie lourde pour trouver refuge dans le commandement et l’encadrement à une époque où les conditions matérielles du combat ne permettaient plus aux valeurs et à la culture martiale des élites de s’exprimer. Cf. KEEGAN (1993, 2014), 376-8. 195 Cf. JUNKELMANN (1991), II, 41. Ces besoins excédaient certainement la centaine de tribuns légionnaires invoquée par NICOLET (1969), 129 pour l’année 54 av. J.-C. WROBEL (2009), 98-104 souligne que pour les décennies 40-30, entre 200 et 450 tribuns devaient être mobilisés pour encadrer les légions, sans compter les praefecti equitum, les préfets placés à la tête de forces d’infanterie auxiliaire et les préfets chargés de commander les forces navales qui connurent un essor considérable durant la période triumvirale. 196 Cic., Phil., VIII, 25. 197 DURRY (1938), 67-77 ; KEPPIE (1996), 102-7 ; BINGHAM (2013), 9-15. D’après Festus, les prétoriens de l’époque de Scipion l’Africain (le premier ? le second ?) recevaient une solde une fois et demie plus élevée que la simple solde du fantassin, cf. Festus, s.v. praetoria cohors (éd. Lindsay p. 249). Les cavaliers avaient droit, pour leur part, à une triple solde, comme nous l’avons déjà signalé supra, p. 26.
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affirme en effet que, quand César entra en guerre contre le Sénat, « les centurions de chaque légion lui fournirent chacun un cavalier sur leurs propres économies »198. Cette initiative généreuse laisse entendre qu’un eques legionis était attaché à chaque centurie, pour un total de 60 soldats montés par légion199. Un passage d’Appien pourrait corroborer cet effectif : au début de l’année 35, lorsqu’il débarque en Asie, Sextus Pompée s’empare de la colonie césarienne de Lampsaque et persuade les habitants d’entrer à son service, ce qui lui permet d’avoir à sa disposition 200 cavaliers et trois légions. Cela fait une moyenne d’environ 66 cavaliers par légion et correspond approximativement à l’organisation décrite par l’auteur de la Vie des douze Césars200. On peut s’interroger sur l’utilité d’un si petit nombre de cavaliers. Ils ne formaient manifestement pas une véritable cavalerie de ligne. Peut-être servaient-ils avant tout de garde au commandant de la légion comme sous le Haut-Empire. Ils étaient aussi utilisés pour des missions secondaires comme la reconnaissance. Lors de la campagne de Munda, l’auteur du De bello Hispaniensi mentionne en effet « un éclaireur de la seconde légion de Pompée » qu’on imaginerait mal remplir sa mission à pied201.
198 Suet., Caes., 68, 2 : ingresso ciuile bellum centuriones cuiusque legionis singulos equites e uiatico suo optulerunt, uniuersi milites gratuitam et sine frumento stipendioque operam, cum tenuiorum tutelam locupletiores in se contulissent. 199 On notera qu’en 73, dans le contexte de la première campagne de Lucullus contre Mithridate, l’effectif d’environ 300 cavaliers par légion était toujours de rigueur. Cf. App., Mith., 72 (cinq légions pour un total de 30 000 fantassins et 1 600 cavaliers). L’abaissement des effectifs dut intervenir plus tard. 200 App., BC, V, 137. Ce passage ne précise pas clairement si les 200 cavaliers ont tous été levés sur le territoire de Lampsaque. En tout cas, entre le moment où Sextus quitte la Sicile et son arrivée en Asie, Appien ne mentionne pas la présence de troupes montées dans l’armée du fils de Pompée. On sait d’ailleurs que sa cavalerie s’était rendue à Octavien en Sicile : ibid., V, 121. 201 Ps.-Caes., BHisp., 13, 3 : Speculator de legione II Pompeiana.
CHAPITRE 2 L’ESSOR DE LA CAVALERIE AUXILIAIRE
Alors que la cavalerie légionnaire voit son importance décroître au Ier s. av. J.-C., la cavalerie auxiliaire connaît un essor sans précédent. L’emploi de forces non romaines dans les armées républicaines n’est pas une innovation contemporaine. Très tôt, les Romains ont pris l’habitude de réclamer des contingents de fantassins et de cavaliers aux peuples italiques qui étaient intégrés dans leur alliance ou étaient entrés dans la dépendance de Rome in dicionem1. Polybe signale que les socii nomenque Latinum fournissaient un contingent d’infanterie égal à celui des Romains, mais que l’effectif de leur cavalerie était le triple de celui des equites Romani 2. En plus de ces forces supplétives italiennes, les généraux romains investis de l’imperium pouvaient lever des troupes de renfort dans les régions où se déroulaient les opérations militaires3. Ces contingents recrutés hors d’Italie apparaissent dans les sources dès la première guerre punique. On les désigne collectivement sous le nom d’auxilia externa, auxilia prouincialia, ou exterae nationes4. Le latin auxilium est lui-même trompeur puisqu’il recouvre des réalités très diverses : troupes levées de façon autoritaire par les magistrats supérieurs dans leur 1 MARQUARDT (1884, 1891 trad. fr.), 91-105. Les peuples qui avaient conclu un traité (foedus) avec Rome étaient peut-être minoritaires : RICH (2008). Selon Polybe, la levée, fixée par la formula togatorum, se déroulait suivant une procédure comparable à celle du dilectus romain (Plb., VI, 21, 4-5). La solde des troupes et le ravitaillement était à la charge de chaque cité : Id., VI, 21, 5 et 39, 15 ; Cic., Verr., II, 5, 24, 60 ; Liv., XXVII, 9, 13 (avec RATHÉ [1995], 129-30). 2 Plb., VI, 26, 7 : τὸ μὲν τῶν πεζῶν πάρισον τοῖς Ῥωμαϊκοῖς στρατοπέδοις ὡς τὸ πολύ, τὸ δὲ τῶν ἱππέων τριπλάσιον. 3 MARQUARDT (1884, 1891 trad. fr.), 105-6. 4 Varro, Ling., V, 90 : auxilium appellatum ab auctu, cum accesserant ei qui adiumento essent alienigenae. Liv., XXII, 37, 7-8 : Milite atque equite scire nisi Romano Latinique nominis non uti populum Romanum ; leuium armorum auxilia etiam externa uidisse in castris Romanis ; itaque misisse mille sagittariorum ac funditorum, aptam manum aduersus Baliares ac Mauros pugnacesque alias missili telo gentes. Festus, s.v. auxiliares (éd. Lindsay p. 16) : Auxiliares dicuntur in bello socii Romanorum exterarum nationum. Cf. HAMDOUNE (1999), 2 et PERNET (2010), 28-30. Les auxiliaires extra-italiques sont aussi parfois appelés socii : Cic., Div. Caec., 66-7 ; Caes., BG, I, 11, 1-6 (avec MARTIN [2014], 121-2).
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province auprès de peuples ayant fait leur deditio, contingents fournis par les puissances amies et alliées de Rome dans le cadre des obligations qui découlent des traités conclus avec le Sénat et le peuple romain, mercenaires recrutés ponctuellement auprès de populations périphériques5. On se contentera ici d’adopter une définition englobante : les auxilia sont des soldats extra-italiques qui se battent aux côtés des troupes légionnaires mais ne jouissent pas du droit romain. I – L’INTÉGRATION
DES FORCES
DE CAVALERIE EXTRA-ITALIQUES
DANS L’APPAREIL MILITAIRE ROMAIN
A. L’exploitation sélective des ressources militaires étrangères et ses effets sur la composition de l’armée romaine Le recrutement de cavaliers extra-italiques se développe dès le milieu du IIIe s. av. J.-C.6, mais il prend une ampleur nouvelle durant la deuxième guerre punique. Au cours de ce conflit, les premiers externi au service de Rome sont des transfuges africains et hispaniques de l’armée d’Hannibal. Il s’agissait très certainement de mercenaires : Tite-Live précise bien qu’ils étaient attirés par la perspective d’une paye plus élevée et ajoute qu’une fois la guerre terminée, ils reçurent des terres dans leur contrées respectives en récompense de leur bravoure7. Cette précision mérite d’être relevée car elle suggère que, dès cette époque, des auxiliaires pouvaient servir durant plusieurs années consécutives, sans interruption. Durant l’offensive des Scipions en Espagne, Rome semble avoir 5 Cf. BENSEDDIK (1982), 12. Les sources qui couvrent la fin de la période républicaine sont plus précises. Elles semblent bien établir une distinction entre les auxiliaires « réguliers », recrutés dans le cadre provincial, et les contingents de cavalerie fournis par les alliés. Cf. App., BC, IV, 99 (harangue de Cassius à son armée avant la bataille de Philippes, 42 av. J.-C.) : « Pour ce qui est de la cavalerie et des navires, nous les surpassons considérablement, ainsi que dans les troupes alliées (συμμάχοις) des rois et des nations jusqu’aux Mèdes et aux Parthes. » 6 Cf. HARMAND (1967), 46 et s. Des transfuges africains sont mentionnés lors de la première guerre punique en Sicile (App., Sic., 3 ; Eutr., II, 13) sans qu’il soit précisé s’il s’agit de cavaliers. 7 Liv., XXIII, 46, 6-7 (215 av. J.-C.) : Tertio post die ob iram, credo, aliquam aut spem liberalioris militiae ducenti septuaginta duo equites, mixti Numidae (et) Hispani, ad Marcellum transfugerunt. Eorum forti fidelique opera in eo bello usi sunt saepe Romani. Ager Hispanis in Hispania et Numidis in Africa post bellum uirtutis causa datus est. Voir aussi Plut., Marc., 12, 6.
L’ESSOR DE LA CAVALERIE AUXILIAIRE
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développé sa politique d’alliance avec les élites locales. Si des transfuges continuent de s’agréger aux armées consulaires8, dès l’année 213, Cn. et P. Cornelius Scipion nouent des relations de nature clientélaire avec le roi des Masaesyles Syphax9. En 206, c’est au tour du jeune P. Scipion de conclure une entente avec le Numide Massinissa, dont les troupes sont présentes en nombre à la bataille de Zama en 20210. Comme l’a bien observé Tadasuke Yoshimura, c’est durant cette période que la République romaine expérimente de nouvelles pratiques de recrutement qui serviront plus tard de cadre de référence pour la mobilisation des troupes auxiliaires11. L’origine ethnique des equites auxiliares a évolué à mesure que les Romains ont étendu leur hégémonie dans le bassin méditerranéen. Dans un premier temps, les cavaliers numides et hispaniques sont majoritaires12. Ils demeurent une composante importante des armées républicaines au Ier s. av. J.-C. mais sont alors concurrencés par les Thraces, les Gaulois, les Germains, les Grecs et les Orientaux13. Les procédures de recrutement rappellent celles des socii italiens : les peuples vaincus par les Romains ont le devoir de fournir une assistance militaire aux magistrats supérieurs qui en formulent la demande14. La levée des auxiliaires provinciaux se fait généralement sur autorisation du Sénat, qui fixe l’importance numérique du contingent requis lors du tirage au sort de la
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Liv., XXIV, 49, 7-8 mentionne le recrutement de mercenarii celtibères par les Romains dans son récit des événements survenus en Espagne en 213 av. J.-C. Il se contente d’évoquer « la jeunesse celtibère » (Celtiberum iuuentutem), mais App., Han., V, 30 parle bien de « cavaliers » et précise que certains d’entre eux étaient des transfuges de l’armée d’Hannibal. 9 Liv., XXIV, 48, 1-13. 10 Plb., XV, 5, 12 ; Liv., XXX, 29, 4. Sur ces alliances africaines : BADIAN (1958), 125-6. 11 YOSHIMURA (1961), 489-91. 12 Numides et Maures : HAMDOUNE (1999), part. i. Hispaniques : GARCÍA Y BELLIDO (1963) ; ROLDÁN HERVÁS (1993) ; QUESADA SANZ (1998) (tableau récapitulatif des attestations de la cavalerie ibérique dans les sources romaines en annexe) ; CADIOU (2008), 667-83. 13 Références dans MARQUARDT (1884, 1891 trad. fr.), 156 et SADDINGTON (1982), chap. ii et iii. À notre connaissance, ces contingents ethniques n’ont pas fait l’objet d’études systématiques pour l’époque républicaine. On peut toutefois mentionner le travail de L. Pernet, portant sur l’armement des auxiliaires gaulois tardo-républicains : PERNET (2010). 14 Cf. App., Hisp., 44 et CADIOU (2008), 669. C’est en vertu de son imperium que le promagistrat lève des troupes auxiliaires dans les espaces provinciaux. Caes., BC., III, 31, 2, utilise l’expression equitesque toti prouinciae imperauerat : « il avait ordonné dans toute la province une levée de cavaliers ». Cf. YOSHIMURA (1961), 479-80.
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province15. On ignore sur la base de quelles informations s’effectuaient ces opérations. Des census locaux sont attestés pour la période républicaine en Sicile et en Bithynie, mais il est difficile de savoir s’ils étaient mis en œuvre à des fins militaires16. La levée autoritaire n’était pas la seule modalité de recrutement. César, lorsqu’il détaille la composition de l’armée de Pompée à la veille de la campagne de Pharsale, note la présence de Dardaniens et de Besses, « les uns mercenaires, les autres levés par ordre ou par obligeance » (partim mercennarios, partim imperio aut gratia comparatos)17. La République avait en outre conservé l’habitude de recruter des troupes alliées auprès d’États dont les populations échappaient au système provincial et à l’autorité des gouverneurs romains18. La cavalerie auxiliaire tardo-républicaine présente un profil social relativement homogène : les combattants montés étaient pour la plupart de jeunes nobles19. Dans l’Orient grec, les généraux romains pouvaient s’appuyer sur des structures civiques établies de longue date, qui attribuaient aux familles aristocratiques la responsabilité d’équiper des cavaliers pour défendre la polis. Nul doute que ces formes de mobilisation purent être mises à contribution, y compris dans des régions où elles étaient coiffées par des structures fédérales20. Pour leur part, les monarchies hellénistiques étaient en mesure de fournir des cavaliers clérouques PRAG (2015), 285, tab. 1. Voir aussi Cic., Fam., 15, 4 et Plut., Cic., 36, 1. PRAG (2011), 20-1 (suivi par MARTIN [2014], 121) suppose que les communautés italiennes et provinciales placées sous la dépendance de Rome avaient l’obligation de tenir à jour un registre des hommes mobilisables (togati) et que ces listes étaient fondues dans la formula togatorum, encore mentionnée dans la lex agraria épigraphique de 111 av. J.-C. Dans le même sens, voir les remarques de PERNET (2010), 172. 17 Caes., BC, III, 4, 6. La notion de gratia renvoie ici à la sphère des relations clientélaires, cf. YOSHIMURA (1961), 489 et DENIAUX (1993), 30. César désigne donc probablement des troupes qui se sont rangées du côté de Pompée en vertu des obligations privées qui les unissaient à l’imperator. Voir aussi Ps.-Caes., BAfr., 40, 5 : parem gratiam in fide praebenda praestare [Galli Germanique] uoluerant. 18 E.g. App., Hisp., 47 (campagne de Nobilior en Ibérie, 193 av. J.-C.) : « C’est pourquoi il envoya le préfet de la cavalerie, Biesus, auprès d’une peuplade voisine afin de conclure une alliance (ἐπὶ συμμαχίαν) : il demandait des cavaliers. » (trad. P. Goukowsky). 19 Sicile : Liv., XXIX, 1, 3 (ex totius Siciliae iuniorum numero principes genere et fortuna). Ibérie : Id., LX, 47, 10 (nobilissimi equites) ; cf. CADIOU (2008), 274 et n. 504. Gaule : Caes., BG, V, 5, 3 (César rassemble la cavalerie de « toute la Gaule » à Portus Itius) et 6, 5 (ut Gallia omni nobilitate spoliaretur) ; cf. PERNET (2010), 172. Gétules : Ps.-Caes., BAfr., 56, 1 (Gaetuli ex equitatu regio nobiliores). 20 Que l’on songe à la cavalerie de la ligue étolienne, mobilisée durant la deuxième guerre de Macédoine (Liv., XXXI, 41, 12-4 ; XXXIII, 3, 9 ; 4, 6 ; 7, 7), ou bien à la cavalerie thessalienne, qui joua un rôle notable lors de la bataille de Kallikynos en 171 (Liv., XLII, 55, 10 ; 58, 14 ; 59, 4 ; 60, 10). 15 16
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qui formaient aussi une élite sociale dans leurs communautés d’implantation21. En Afrique du Nord, en Espagne, en Gaule, en Germanie et en Thrace, la plupart des peuples rencontrés avaient gardé une structure tribale ou proto-étatique22 ; la société était dominée par de puissantes aristocraties cavalières, qui pratiquaient localement la guerre de raid et s’engageaient occasionnellement au service des grandes puissances militaires méditerranéennes23. Dans ces régions moins développées politiquement, la soumission à Rome constituait une rupture majeure puisqu’elle impliquait la cessation de ces activités militaires qui constituaient un élément essentiel de l’affirmation du prestige social des groupes dirigeants. Une solution tout indiquée consistait à détourner ces compagnonnages équestres pour les employer sur d’autres théâtres d’opération. Comme l’observe Fernando Quesada Sanz : « le vieux système des clientèles (ou de liens de loyauté personnelle entre princes, nobles, cavaliers et simples soldats) [était] utilisé et très certainement amplifié par les différents généraux romains qui tirèrent profit de ces liens dans leurs recrutements »24. Cette prise en compte des traditions locales avait le bénéfice d’être la solution la plus économique : elle permettait à Rome de disposer immédiatement de cavaliers équipés et expérimentés. Elle était aussi politiquement profitable puisque les jeunes nobles ainsi séparés de leur communauté d’origine pouvaient servir d’otages, ce qui était un moyen commode pour maintenir leur peuple dans l’obéissance25. Mais elle dépendait dans 21 Les cavaliers attalides qui combattirent au service de Rome durant la guerre antiochique de 191-189 (Liv., XXXVII, 39, 9) et la troisième guerre macédonienne de 172-168 (Liv., XLII, 55, 9) étaient, au moins pour partie d’entre eux, les détenteurs de « tenures équestres » (kleroi hippikoi) de taille supérieure à celles dont disposaient les simples fantassins : OGIS, 229, l. 102-3. 22 Espagne : NONY dans NICOLET (1978), II, 659-60 ; QUESADA SANZ (2005), 98. Gaule : HARMAND dans NICOLET (1978), II, 706-13 ; BRUNAUX (2004), 17-8. Germanie : POHL (2000), 65-72. En Afrique du Nord, les royaumes libyco-berbères ne sont jamais que des « confédérations tribales », disposant d’une autorité très relative sur des populations semi-nomades elles-mêmes dirigées par des aristocraties guerrières. Voir DESANGES dans NICOLET (1978), II, 647-9 ; LASSÈRE (2015), 34 et chap. ii. Il en va de même en Thrace avec le développement de la royauté odryse. Voir GREENWALT dans VALEVA ET AL. (2015), 337-40. 23 Sur ce type de compagnonnage et les raids inter-tribaux : DOBESCH (1980), 180 ; ROYMANS (1990), 40 ; BRUNAUX (2004), 37-40 ; MARTINI (2013), 56-57 ; GREENWALT dans VALEVA ET AL. (2015), 339. 24 QUESADA SANZ (2005), 107. 25 E.g. Caes., BG, VI, 5, 2. L’utilité d’un tel procédé est indirectement confirmée par César lorsqu’il note que le retour des nobles dans leur cité d’origine leur permettait de comploter contre Rome. Voir aussi Liv., XL, 47, 10 et App., Hisp., 48 pour des exemples d’otages ibériques.
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une large mesure des relations clientélaires qui unissaient les imperatores aux élites locales, donc du degré d’auctoritas dont un magistrat romain bénéficiait auprès d’une population susceptible d’être mise à contribution26. Un tel système avait ses limites. L’exemple des cavaliers allobroges de la campagne de Pharsale montre bien que le général sous les ordres duquel combattait une unité auxiliaire était avant tout considéré comme un patron, susceptible d’entretenir une suite montée en lui garantissant un certain nombre de beneficia. Si ces avantages n’étaient plus garantis, la fidélité des troupes devenait pour le moins chancelante27. Les récits de campagne du Ier s. av. J.-C. sont émaillés d’incidents divers, défections, mutineries, qui mettent souvent les auxiliaires au premier plan et montrent bien que l’autorité qui s’imposait à eux n’était pas fondamentalement de nature institutionnelle28. Néanmoins, il semble bien que dans d’autres cas la fides de ces supplétifs pouvait être d’une constance à toute épreuve. En 63 av. J.-C., les cavaliers auxiliaires de l’Hispania citerior n’hésitent pas à assassiner leur propréteur Cn. Piso sur ordre de Pompée, « dont ils étaient les anciens et fidèles clients » (ueteres fidosque clientis)29. Ces liens clientélaires avaient parfois une longévité surprenante : lors du 26 Sur cette question, cf. YOSHIMURA (1961) et PRAG (2015) (avec l’exemple des Dardaniens et des Besses cité supra, p. 74). Voir aussi la remarque très judicieuse de HAYNES (2013), 111 : « The traditional clientship network had been incorporated within a Roman one – though we may note that in the eyes of these Gauls, Caesar’s Roman identity may have been secondary to his role as a warlord. » En discutant l’exemple de Déjotaros, YOSHIMURA (1961), 480-1 montre bien que, dans ce domaine, l’auctoritas des imperatores tendait à éclipser celle du Sénat. 27 Caes., BC, III, 59, 1-2 et 60, 3. Un autre exemple concerne les auxiliaires gaulois et germains de Labienus, cf. Ps.-Caes., BAfr., 40, 5 (trad. A. Bouvet) : « il remarqua sur le champ de bataille évacué les corps splendides des Gaulois et des Germains de Labienus. Les uns l’avaient suivi hors de Gaule par soumission à son autorité (partim eius auctoritatem erant e Gallia secuti) ; d’autres étaient venus à lui gagnés par de l’argent ou des promesses (partim pretio pollicitationibus adducti ad eum se contulerant) ; certains, faits prisonniers à la suite de la bataille livrée par Curion et épargnés, avaient voulu, en faisant preuve de fidélité, témoigner d’une reconnaissance égale au bienfait reçu (parem gratiam in fide praebenda praestare uoluerant). » L’importance de la capacité du chef de guerre à rémunérer ses troupes est très clairement exprimée lorsque César décrit l’ascension politique de Dumnorix, cf. Caes., BG, I, 18, 4-5 (trad. L.-A. Constans) : « Cela lui avait permis d’amasser, tout en enrichissant sa maison, de quoi pourvoir abondamment à ses largesses ; il entretenait régulièrement, à ses frais, une nombreuse cavalerie qui lui servait de garde du corps » (His rebus et suam rem familiarem auxisse et facultates ad largiendum magnas comparasse ; magnum numerum equitatus suo sumptu semper alere et circum se habere). 28 Sans prétendre à l’exhaustivité, voir Caes., BG, I, 18, 10 ; 23, 2 ; VI, 7, 7 ; Frontin, Str., II, 7, 2 et 8 ; App., BC, I, 89 ; Cass. Dio, XXXVI, 9, 4 ; XL, 21, 1. Il arrive aussi que des soldats d’une même origine servant dans des armées différentes fraternisent entre eux au lieu de se combattre : Caes., BC, III, 79, 6 ; Ps.-Caes., BAfr., 29, 1. 29 Sall., Cat., 19, 3-5.
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bellum Africum, en 46 av. J.-C., des cavaliers Gétules désertent le camp pompéien pour rejoindre César au prétexte que leurs pères avaient servi sous Marius et obtenu de lui des terres dans leur pays30. Au cours des deux derniers siècles de la République, l’exploitation du potentiel militaire des puissances alliées et des communautés provinciales a permis un essor considérable des forces de cavalerie qui étaient à disposition des généraux romains. Nous disposons tout d’abord d’informations qui nous permettent d’envisager cette réalité dans l’ensemble de l’exercitus Romanus. Plusieurs auteurs créditent en particulier Fabius Pictor d’un état précis des effectifs que la République pouvait mobiliser lors de la campagne de 225 av. J.-C. contre les Gaulois31. Orose, qui cite directement l’annaliste, donne un total de 299 200 fantassins et 26 600 cavaliers pour l’État romano-campanien, sans tenir compte des alliés italiens32. Cela fait un potentiel de 325 800 soldats mobilisables, dont 8% de cavaliers, proportion portée à 9% si l’on tient compte des alliés33. On trouve des informations convergentes chez Tite-Live pour le début de la deuxième guerre punique. Voici les chiffres que l’historien romain donne pour l’année 218 av. J.-C.34 : Tableau 1 – Forces mobilisées par la République en 218 av. J.-C. Type d’unité
Infanterie
Cavalerie
6 légions Socii Total
6 × 4 000 = 24 000 40 000 64 000 (91,2%)
6 × 300 = 1 800 4 400 6 200 (8,8%)
Deux siècles plus tard, en 36 av. J.-C., l’effectif de la cavalerie « romaine », dans laquelle les auxiliaires occupent désormais une place 30
Ps.-Caes., BAfr., 56, 3. MARQUARDT (1884, 1891 trad. fr.), 95-8. 32 Oros., IV, 13, 7. Sur ce passage, cf. MARCHETTI (1978), 141-50 qui valide (contra WALBANK [1957], 196-9) une émendation jadis proposée par Mommsen : peditum CCLXLVIIII milia ducenti, à la place de CCCXLVIIICC. Voir aussi Plb., II, 24, 14 ; Diod. Sic., XXV, 13 ; Plin., HN, III, 20, 138. 33 Plb., II, 24, 17. 34 Liv., XXI, 17, 2-3 : sex in eum annum decretae legionis […] quattuor et uiginti peditum Romanorum milia scripta et mille octingenti equites, sociorum quadraginta milia peditum, quattuor milia et quadringenti equites. L’incompatibilité apparente de ces chiffres avec ceux fournis par Polybe pour la même année a été discutée par WALBANK (1957), 375-7 (résumant la bibliographie antérieure) et écartée par MARCHETTI (1978), 14-25. Celuici démontre que Tite-Live « fournit au chap. 17 une récapitulation, anticipative à cet endroit, de toutes les légions équipées en 218 » (ibid. 16). Voir aussi BRUNT (1971), 678. 31
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très largement majoritaire, a au moins été multiplié par sept. Ce sont ici Appien et Plutarque qui nous fournissent des informations de première importance, le premier sur la composition de l’armée d’Octavien au lendemain de la guerre de Sicile35, le second sur les effectifs rassemblés par Antoine en vue de son expédition contre les Parthes36. Tableau 2 – Forces combinées d’Octave et d’Antoine en 36 av. J.-C. ARMÉE D’OCTAVE Type d’unité 45 légions Hippeis Kouphoi Total
Infanterie 45 × 5 000 (?) = 225 000 0 c. 37 500 262 500 (91,3%)
Cavalerie 0 (?) 25 000 0 25 000 (8,7%)
ARMÉE D’ANTOINE37 16 légions Auxiliaires ibères et celtes Alla ethnê Total Grand total
60 000 0 24 000 84 000 (84%) 346 500 (89,4%)
0 (?) 10 000 6 000 16 000 (16%) 41 000 (10,6%)
35 App., BC, V, 127 : τὴν δὲ στρατιὰν συνῆγε, καὶ ἐγένετο αὐτῷ τέλη μὲν ὁπλιτῶν πέντε καὶ τεσσαράκοντα καὶ ἱππέες δισμύριοι καὶ πεντακισχίλιοι, κοῦφοι δὲ τῶν ἱππέων ὑπὲρ ἡμιολίους μακραί. 36 Plut., Ant., 37, 4 : ἦσαν δὲ Ῥωμαίων μὲν αὐτῶν ἑξακισμύριοι πεζοὶ καὶ τὸ Ῥωμαίοις συντεταγμένον ἱππικόν Ἰβήρων καὶ Κελτῶν μύριοι, τῶν δὲ ἄλλων ἐθνῶν ἐγένοντο τρεῖς μυριάδες σὺν ἱππεῦσιν ὁμοῦ καὶ ψιλοῖς. Parmi les 30 000 alliés étrangers cités à la fin de ce passage, il faut inclure les 6 000 cavaliers fournis par Artavasde d’Arménie, que le biographe mentionne juste avant (Plut., Ant., 37, 3 ; Str., XI, 14, 9 laisse entendre qu’il s’agissait de cataphractes). Ce texte constitue le témoignage le plus précis dont nous disposons, et probablement le plus fiable. Plutarque a eu accès à l’œuvre de Q. Dellius et n’a pas cherché à convertir le chiffre des fantassins romains en légions, comme le font souvent les auteurs de l’époque impériale. Les autres sources présentent des incohérences. Liv., Per., 130 donne dix-huit légions et 16 000 cavaliers (legionibus XVIII et XVI milia equitum), ce qui semble induire un total de 106 000 hommes. L’épitomateur omet ici l’infanterie auxiliaire mais s’accorde avec Plutarque sur l’effectif de 16 000 cavaliers. Il a probablement commis une erreur en recopiant sa source, comme le suggèrent KROMAYER (1898), 23-4, n. 2 et BRUNT (1971), 503-4, en considérant que Just., XLII, 5, 3 et Flor., II, 20, 10 transmettent la véritable tradition livienne (seize légions). Une telle hypothèse peut s’accorder avec les chiffres fournis par Plutarque si l’on accepte de considérer que les légions d’Antoine n’étaient pas à effectifs complets. 37 Il est important de souligner que ce décompte ne vaut que pour le corps expéditionnaire rassemblé par Antoine contre les Parthes. L’imperator avait certainement stationné d’autres légions en Macédoine, en Asie et au Levant (six ou sept légions supplémentaires d’après BRUNT [1971], 504).
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Entre ces deux périodes, la proportion de cavaliers au sein de l’armée romaine serait restée globalement stable. Mais il importe de souligner que les données dont nous disposons pour 36 av. J.-C. sont incomplètes. Appien se contente de donner le nombre de légions qui étaient sous l’autorité d’Octavien après sa victoire en Sicile et la mise à l’écart de Lépide. Or, nous savons avec certitude que certaines de ces unités n’étaient pas à effectifs complets38. Le chiffre théorique de 225 000 fantassins légionnaires doit donc être fortement revu à la baisse. Par ailleurs, Appien ne précise pas l’effectif des cavaliers qui étaient attachés à ces légions et cette information fait également défaut pour le corps expéditionnaire d’Antoine en Orient. Nous avons vu plus haut que cette cavalerie légionnaire existait encore à la fin de l’époque républicaine. Même si l’on peut supposer que son importance numérique avait été amoindrie, elle pouvait dans les deux cas se monter à plusieurs milliers d’hommes. Toutes ces précisions doivent nous amener à considérer que la part relative de la cavalerie se situait bien au-delà de 10%, peut-être autour de 15%. Les conquêtes méditerranéennes des IIe et Ier s. et l’ouverture de nouveaux bassins de recrutement ont certainement joué un rôle important dans cet accroissement : nous retrouvons là les effets des procédures d’enrôlement décrites plus haut, mais désormais appliquées à un territoire beaucoup plus vaste. Des résultats concordants peuvent être tirés d’une analyse des effectifs montés dans les armées de campagne : Tableau 3 – Effectifs des armées de campagne républicaines entre 225 et 31 av. J.-C.
Armées consulaires mobilisées contre les Gaulois, 225 av. J.-C. Armée de P. Cornelius Scipion en Espagne, 218 av. J.-C. Bataille de la Trébie, 218 av. J.-C. Bataille de Cannes, 216 av. J.-C. 38
Infanterie
Cavalerie
Source(s)
50 800 (94,1%)
3 200 (5,9%)
Plb., II, 24, 3-5
10 000 (93,5%)
700 (6,5%)
App., Hisp., 14
38 000 (91,5%)
4 000 (9,5%)
80 000 (93%)
6 000 (7%)
Liv., XXI, 55, 4 et 6 Plb., III, 113, 5
Vell. Pat., II, 80 : semiplenis legionibus. Sur le problème des effectifs des légions triumvirales, cf. BRUNT (1971), 687-93.
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Infanterie
Cavalerie
Source(s)
Armée de P. Cornelius Scipion en Espagne, 209 av. J.-C. Bataille de Zama, 202 av. J.-C.
28 000 (90,3%)
3 000 (9,7%)
29 000 (79%)
6 100 (17,4%)
Armée de Plautius en Hispanie Ultérieure, 146 av. J.-C. Armée de Q. Pompeius en Hispanie Citérieure, 141 av. J.-C. Bataille de Prôton Pachion, 88 av. J.-C. Armée de Sertorius et armée sénatoriale qui lui est opposée en Espagne, 80-72 av. J.-C. Armée de Lucullus contre Mithridate, 73 av. J.-C. Armée de César en Gaule, 58 av. J.-C. Armée de Crassus en Syrie, 53 av. J.-C.
10 000 (88,5%)
1 300 (11,5%)
Plb., X, 6, 7 et 9, 6 Liv., XXVI, 42, 1 Plb., XV, 5, 12 Liv., XXX, 29, 4 App., Pun., 41 App., Hisp., 64
30 000 (93,8%)
2 000 (6,2%)
App., Hisp., 76
40 000 (90,9%)
4 000 (9,1%)
App., Mith., 19
6 600 (90,4%) 120 000 (93,2%)
700 (9,6%) 6 000 (4,8%)
Plut., Sert., 12, 2 (avec CADIOU [2008], 127-8)
30 000 (94,9%) 30 000 (92,3%)
1 600 (5,1%) 2 500 (7,7%)
App., Mith., 72 Plut., Luc., 8, 539
6 légions = 30 000 ? (88,2%) 7 légions + 4 000 psiloi = 39 000 ? (90,7%) 6 légions + 6 000 auxiliaires = 36 000 ? (83,9%) 51 200 (88%) 22 000 (95,7%)
4 000 (11,8%)
Caes., BG, I, 7, 2 ; 10, 3 ; 15, 1 Plut., Cras., 20, 1
30 cohortes + 150 archers = 15 150 ? (88,3%)
2 000 (11,7%)
Armée de César en Hispanie, 49 av. J.-C. Armées de Pompée et de César à la bataille de Pharsale, 48 av. J.-C. Armée de César lors de la bataille de Ruspina, 46 av. J.-C.
4 000 (9,3%)
6 900 (16,1%)
Caes., BC, I, 39, 2 ; 41, 1 ; 85, 6
7 000 (12%) 1 000 (4,3%)
Caes., BC, III, 4 ; 84 ; 88-9 App., BC, II, 70 Ps.-Caes., BAfr., 12, 3
39 La divergence entre les deux auteurs s’explique certainement dans la mesure où Appien ne tient compte que des effectifs légionnaires qui ont été assignés à Lucullus par le Sénat.
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Armée de César lors de la bataille de Munda, 45 av. J.-C. Armée rassemblée par César en vue de sa guerre parthique, 44 av. J.-C. Armée triumvirale et armée des libérateurs à la bataille de Philippes, 42 av. J.-C.
Forces des généraux de L. Antonius après le siège de Pérouse, 40 av. J.-C. Armée de C. Sosius, gouverneur de Syrie, 38 av. J.-C. Armée d’Octavien en Sicile lors de la guerre contre Sextus Pompée, 36 av. J.-C. Armées d’Antoine et d’Octave à la veille de la bataille d’Actium, 31 av. J.-C.
Infanterie
Cavalerie
Source(s)
80 cohortes = 40 000 ? (83,3%)
8 000 (16,7%)
Ps.-Caes., BHisp., 30, 1
16 légions = 80 000 ? (88,9%)
10 000 (11,1%)
App., BC, II, 110
20 000 (16,7%) 80 000 légion13 000 (10,6%) naires + un grand nombre d’auxiliaires40 = c. 100 000 ? (83,3%) 19 légions à effectifs pleins = 110 000 (89,4%) 13 légions = 6 500 (9,1%) 65 000 ? (90,9%)
App., BC, IV, 88 et 108 (avec BRUNT [1971], 486-7)
11 légions = 55 000 ?
6 000 (9,8%)
Jos., AJ, XIV, 469 ; BJ, I, 346
21 légions + 5 000 kouphoi = 110 000 ? (84,6%) 100 000 (89,3%) 80 000 (87%)
20 000 (15,4%)
App., BC, V, 116
12 000 (10,7%) 12 000 (13%)
Plut., Ant., 61, 1-4
App., BC, V, 50
Deux principales phases peuvent être distinguées. Durant une première période qui s’étend grossièrement du milieu du IIIe s. av. J.-C. aux guerres mithridatiques, une norme de 4 à 10% de cavaliers se dégage de la majorité des témoignages. Les contraintes du système censitaire fondé sur la conscription des jeunes aristocrates romains, ainsi que des socii italiens suffisamment fortunés pour se procurer une monture, limitent alors l’importance numérique de la cavalerie à une proportion inférieure à 10%. 40
La correspondance de Cicéron signale la présence de vingt cohortes auxiliaires dans l’armée de Cassius en juin 43. Cf. Cic., Fam., 13, 4.
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Les cas exceptionnels s’expliquent localement par l’apport de contingents alliés. Ainsi, à la bataille de Zama, en 202, les 4 600 cavaliers numides de Massinissa et Dacamante portent le ratio des forces montées de Scipion à 17,4% du total de l’armée expéditionnaire : il aurait fallu se contenter d’un modeste 6,1% en leur absence. On notera aussi le cas particulier des armées opérant en Espagne et dans lesquelles la proportion de troupes montées est souvent supérieure : c’est dans cette région que s’expérimente une pratique consistant à compenser les handicaps du recrutement italique par un recours aux auxilia externa, notamment pour la cavalerie. À partir des guerres de César, la proportion de cavaliers dans les armées romaines s’établit entre 10 et 16%41. On parvient à réunir des corps de cavalerie de dimension remarquable : jusqu’à 20 000 cavaliers à la bataille de Philippes, en 42 av. J.-C., un record qui ne sera dépassé qu’à l’époque proto-byzantine. Grâce aux victoires successives de la fin de l’époque républicaine, les Romains peuvent désormais puiser dans un vivier de recrutement étendu à l’ensemble du bassin méditerranéen. Traités inégaux et obligations clientélaires forcent les puissances soumises ou dépendantes à fournir des supplétifs aux magistrats supérieurs qui en font la demande.
B. Vers une régularisation des forces de cavalerie auxiliaire provinciale De nombreux indices suggèrent que la cavalerie auxiliaire connut des évolutions importantes durant les dernières décennies de l’époque républicaine. S’il n’existait pas encore de règles unifiées d’organisation, de service et de démobilisation, certains corps de troupes commençèrent à acquérir une identité propre et à former, dans certains rares cas, le noyau des futures unités permanentes du Haut-Empire. C’est aussi en relation avec les guerres de cette époque que les sources tardo-républicaines et impériales prennent l’habitude de distinguer la cavalerie provinciale des troupes fournies de manière temporaire par les puissances alliées ou clientes de Rome, signe d’une plus grande intégration de l’equitatus auxiliarius dans les structures de l’exercitus populi Romani 42. 41 Le constat d’une augmentation de la cavalerie auxiliaire dans les armées de campagne de cette période avait déjà été établi par HARMAND (1967), 41 (qui insistait notamment sur l’étape des guerres mithridatiques). 42 Une bibliographie relativement abondante s’est intéressée à la question, mais souvent en privilégiant une approche régionale et sans jamais proposer de véritable synthèse.
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L’évolution de la durée du service est un premier indicateur à prendre en compte. Au IIe comme au Ier s. av. J.-C., la norme semble avoir été de mobiliser des auxiliaires pour une année de campagne, surtout lorsque les unités étaient employées localement. Cependant, des exceptions apparaissent assez tôt dans la documentation. Il arrive que certains corps soient transférés dans des théâtres d’opération lointains et maintenus plusieurs années sous les enseignes, peut-être pour pallier la difficulté de recruter des troupes montées sur place. Dans ce cas de figure, les Romains sollicitent généralement des bassins de recrutement qui viennent d’être mis à contribution et sont en mesure de livrer des combattants aguerris dans de brefs délais. Après la deuxième guerre punique, nous voyons ainsi des contingents numides servir à plusieurs reprises sous les ordres de généraux romains contre les royaumes antigonide et séleucide43. La pratique se systématise au Ier s. av. J.-C., notamment du fait de la prolifération des entreprises militaires ambitieuses aux marges de l’empire : Crassus dispose de cavaliers gaulois fournis par César lors de sa campagne parthique de 5344 ; les Gaulois de Gabinius servent en Égypte durant le Bellum Alexandrinum en 48-4745 ; des cavaliers hispaniques et gaulois suivent Antoine en Médie Atropatène en 3646. Il est difficile de savoir avec précision comment était assuré l’entretien de ces troupes qui, lorsqu’elles étaient déplacées sur plusieurs milliers de kilomètres, ne pouvaient être rapatriées dans leur contrée d’origine en fin de saison militaire. Dans le cas des foederati / symmachoi servant en Reprenant des arguments avancés pour la première fois par C. Nipperdey, une partie de la communauté scientifique s’est ralliée à l’idée d’une régularisation des auxilia à la toute fin de la période, sous l’impulsion de César ou de ses prédécesseurs immédiats (Sylla, Lucullus ou Pompée) : NIPPERDEY (1847), 216 ; SCHAMBACH (1881), 9-10 ; FRÖHLICH (1889), I, 38 ; YOSHIMURA (1961), 474-5 ; HARMAND (1967), 46-51 ; RAMBAUD (1969) ; SPEIDEL (1980), 212 ; BENSEDDIK (1982), 12-3 ; ROLDÁN HERVÁS (1993), 120-3 et 128-30. Selon ces auteurs, on assisterait en particulier à la création d’une véritable cavalerie permanente attachée aux légions et organisée en ailes. Pour HAMDOUNE (1999), 54, le caractère permanent que prennent les unités auxiliaires serait plutôt la conséquence des guerres civiles de la fin de la République. S’opposant à toute idée de régularisation avant le principat d’Auguste, KRAFT (1957), 197 souligne au contraire qu’il n’existait pas encore, à l’époque de César, de véritables corps auxiliaires professionnels. CADIOU (2008), 681 exprime un point de vue similaire : « La mention, dans le corpus césarien, de cohortes et d’alae en relation avec l’infanterie et la cavalerie indigènes ne suffit pas pour supposer la transformation, à cette époque, des anciennes formations auxiliaires en unités régulières dont la levée et le déroulement du service obéiraient désormais à des procédures en tout point similaires à celles de leurs équivalents légionnaires. » 43 HAMDOUNE (1999), 40-5. 44 Plut., Crass., 17, 7. 45 Ps.-Caes., BAlex., 17, 3 ; 29, 4. 46 Plut., Ant., 37, 3 ; 41, 5.
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application d’un traité d’alliance, les fournitures en nature semblent avoir été à la charge du peuple contributeur. Tite-Live explique ainsi que, lorsqu’il envoya 1 000 cavaliers en Macédoine pour aider les Romains, Massinissa fit aussi embarquer 200 000 modii de blé et autant d’orge47. Ces troupes étaient rémunérées de façon régulière. Plusieurs témoignages prouvent qu’elles percevaient un stipendium versé grâce à des prélèvements opérés sur les communautés ou la province d’origine des combattants48. De l’aveu de Cicéron, cette procédure était en vigueur dans toutes les provinces et s’inscrivait dans la continuité des contributions qui étaient anciennement exigées des socii italiens49. Elle permettait d’entretenir les auxiliaires dans les guerres extérieures pour une durée qui était éventuellement déterminée au préalable50. La solde était alors redistribuée à l’échelon du régiment par les cadres subalternes qui tenaient à jour les rôles de leur escadron et indiquaient au commandement la somme qui leur était due51. Logiquement, ces versements se faisaient en numéraire 47 Liv., XXXI, 19, 4 : Ipse in naues imponendos curauit et cum ducentis milibus modium tritici, ducentis hordei in Macedoniam misit. Voir aussi Id., XXXVI, 4, 8. 48 Cic., Font., 5, 13 (trad. A. Boulanger) : « Quant aux [Gaulois] que des guerres considérables et répétées avaient mis pour toujours dans l’obéissance du peuple romain, [Fonteius] en a exigé une nombreuse cavalerie pour les guerres que le peuple romain menait alors dans l’univers entier, de grosses sommes d’argent pour la solde de ces troupes (magnas pecunias ad eorum stipendium), une grande quantité de blé pour soutenir la guerre d’Espagne. » Voir aussi Ps.-Caes, BAlex., 50, 3 : Q. Cassius Longinus, qui gouverne l’Hispania Ulterior, lève 3 000 cavaliers et les équipe « à grands frais » (maximis … inpensis) ; l’auteur observe que la province n’a aucun répit (nec prouinciae datur ulla requies), sous-entendant que c’est elle qui finance l’entretien de ces combattants. Certains passages du Bellum Africum conduisent aux mêmes conclusions : Ps.-Caes., BAfr., 6, 1 (l’equitatus envoyé par Juba aux pompéiens arrive à Hadrumète ad stipendium accipiendum, « pour toucher sa solde ») et 8, 5, (la cavalerie royale de Juba – celle-là même qui venait chercher son stipendium à Hadrumète – est entretenue par Scipion aux frais de la province d’Afrique, regium enim equitum Scipio ex prouincia Africa alebat). Voir SPEIDEL (2016), 93-4. 49 Cic., Verr., V, 60. 50 Id., Att., 9, 13a, 4 (cf. infra, p. 88, n. 67). 51 Caes., BC, III, 59, 3-4 (trad. P. Fabre) : « tout fiers de la bienveillance de César, gonflés d’une vanité absurde et bien digne de barbares, [Roucillus et Ecus] regardaient de haut leurs camarades, s’appropriaient indûment la solde des cavaliers (stipendiumque equitum fraudabant) et détournaient tout le butin pour l’envoyer chez eux. Les cavaliers, outrés de cette façon d’agir, vinrent tous trouver César, et se plaignirent ouvertement à lui de l’injustice de leurs procédés ; ils ajoutèrent aux autres griefs que ces individus faussaient les situations d’effectifs qu’ils présentaient (falsum ab iis equitum numerum deferri), pour pouvoir ainsi opérer des détournements sur la solde (stipendium auerterent). » Selon MARTIN (2014), 123, l’anecdote prouverait que dans certains cas exceptionnels, la solde des auxiliaires pouvait être directement prise en charge par les généraux romains. Cette conjecture est formellement contredite par Cic., Att., 9, 13a, 4. Voir néanmoins BAfr., 35, 5, qui semble bien s’inscrire dans un tel cas de figure : deux Gétules désertent l’armée de Scipion pour rejoindre celle de César, qui les récompense en leur faisant verser un stipendium.
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national, ce qui explique le développement en Gaule, à la suite de la conquête romaine, de monnaies locales correspondant aux canons de la métrologie romaine et destinées à payer les auxiliaires : monnaies « au cavalier » au lendemain de la conquête de la Transalpine puis « deniers gaulois » à partir de l’invasion de la Gaule chevelue52. Au IIe s. av. J.-C., la mobilisation d’equites nord-africains en Méditerranée orientale n’entraîna pas la formation d’unités permanentes. Les contingents auxiliaires étaient visiblement dissous à l’issue du conflit pour lequel ils avaient été recrutés. Durant cette période, les sources ne distinguent pas encore entre plusieurs catégories de troupes auxiliaires. Lorsqu’il décrit la composition des armées romaines, Tite-Live se contente de relever la présence des citoyens romains, des socii italiens et des auxilia addita fournis par les peuples soumis ou alliés, sans plus de précision53. La situation change au siècle suivant, à mesure que la République étend son hégémonie territoriale en Orient et en Occident. Nous constatons ainsi l’émergence d’une catégorie d’auxilia provinciaux, perçue comme une partie intégrante de l’exercitus régulier54. Le gouvernement de M. Licinius Crassus en Syrie fournit une illustration de ce phénomène. À l’issue de sa première campagne en 54 av. J.-C., le triumvir fait hiverner 1 000 cavaliers avec ses légionnaires dans les villes de Mésopotamie qu’il est parvenu à capturer55. À la fin de l’année 54 ou au début de 53, il est rejoint en Syrie par son fils Publius, qui arrive de Gaule avec 1 000 cavaliers supplémentaires56. Nous avons là deux composantes qu’on pourrait qualifier de « semi-permanentes » puisque la vocation de ces troupes semble avoir été de servir pour un temps, sinon indéterminé, au moins pluriannuel. Mais lorsque commence la campagne de 53 et que l’armée proconsulaire traverse l’Euphrate, Crassus dispose désormais de 4 000 ἱππεῖς, ce qui montre que des supplétifs locaux ont été recrutés entretemps, en fonction des besoins de l’expédition (on pense 52 Cf. MARTIN (2014), 130-2. Observations similaires émises plus tôt par F. Cadiou concernant les « deniers ibériques » : CADIOU (2008), 524-43. 53 E.g. Liv., XLII, 35, 6 (171 av. J.-C.) : P. Licinio consuli ad exercitum ciuilem socialemque petenti addita auxilia, Ligurum duo milia, Cretenses sagittarii – incertus numerus, quantum rogati auxilia Cretenses misissent –, Numidae item equites elephantique. Voir aussi Sall., Jug., 43, 4 à propos des troupes rassemblées par Q. Caecilius Metellus en vue de son expédition contre Jugurtha (109 av. J.-C.). 54 Voir sur ce point SPEIDEL (2016), 84-5. 55 Plut., Crass., 17, 7 : ἐμβαλὼν δὲ φρουρὰς ταῖς προσκεχωρηκυίαις πόλεσιν, ὧν ἀριθμὸς ἦν ἑπτακισχίλιοι πεζοί, χίλιοι δ´ ἱππεῖς. 56 Ibid. : ἀνεχώρησεν αὐτός, ἐν Συρίᾳ διαχειμάσων καὶ δεξόμενος αὐτόθι τὸν υἱόν, ἥκοντα παρὰ Καίσαρος ἐκ Γαλατίας, αὐτόν τε κεκοσμημένον ἀριστείοις καὶ χιλίους ἱππέας ἐπιλέκτους ἄγοντα. Voir aussi Cass. Dio, XL, 21, 2.
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aux auxilia fournis par le roi d’Osrhoène Abgar)57. Nous retrouvons cette dichotomie lorsque Flavius Josèphe décrit les forces militaires de Caius Sosius, gouverneur de Syrie en 38 av. J.-C. : « près de onze légions d’infanterie et 6 000 cavaliers, sans compter les troupes auxiliaires de Syrie, dont les effectifs n’étaient pas négligeables »58. Les 6 000 cavaliers sont bien distingués des alliés syriens recrutés sur place. Plutarque va plus loin lorsqu’il détaille la composition de l’armée d’Antoine à la veille de l’expédition parthique de 36 av. J.-C. : « Il passa la revue de son armée, forte d’une infanterie de soixante mille Romains et d’une cavalerie de dix mille Ibères et Celtes, rassemblés / rangés avec les Romains (καὶ τὸ Ῥωμαίοις συντεταγμένον ἱππικὸν Ἰβήρων καὶ Κελτῶν μύριοι) ; les autres peuples avaient fourni trente mille hommes, en y comprenant les cavaliers et les troupes légères (τῶν δὲ ἄλλων ἐθνῶν ἐγένοντο τρεῖς μυριάδες σὺν ἱππεῦσιν ὁμοῦ καὶ ψιλοῖς). »59. Cet exemple prouve qu’il existait une cavalerie provinciale disposant d’un statut particulier, que les Romains n’hésitaient pas à distinguer des troupes irrégulières levées ad hoc. L’exemple du gouvernement de Cicéron en Cilicie apporte un autre éclairage sur ce processus de différenciation des troupes auxiliaires. Lorsque l’orateur revêt sa fonction proconsulaire en juillet 51 av. J.-C., des cavaliers sont déjà présents dans sa province : 2 600 en tout60. L’effectif de ce contingent a été fixé lors de la sortitio, de la même manière que pour les troupes légionnaires, ex senato consulto. Comme c’est la règle dans la seconde moitié du Ier s. av. J.-C., l’equitatus provincial est désormais bien distingué des troupes alliées constituées d’externi. Cicéron écrit : « conformément au sénatus-consulte, [j’avais] recruté une solide troupe d’évocats, une cavalerie vraiment bonne et des auxiliaires volontaires fournis par nos alliés – peuples libres ou rois. »61. La cavalerie de la province de Cilicie effectue des missions diverses. Certains 57 Plut., Crass., 20, 1 : ἑπτὰ μὲν ἔχων ὁπλιτῶν τάγματα καὶ τετρακισχιλίων ὀλίγον ἀποδέοντας ἱππεῖς, ψιλοὺς δὲ τοῖς ἱππεῦσι παραπλησίους. Plut., Crass., 21, 1 et Cass. Dio, XL, 20, 3 ; 23, 1 mentionnent la présence du phylarque d’Osrhoène Abgar ainsi que d’un contingent de combattants osrhoéniens dans l’armée de Crassus. 58 Jos., BJ, I, 346 (trad. A. Pelletier) : ἕνδεκα μὲν τέλη πεζῶν, ἱππεῖς δὲ ἑξακισχιλίους δίχα τῶν ἀπὸ Συρίας συμμάχων, οἳ μέρος οὐκ ὀλίγον ἦσαν. Voir aussi Id., AJ, XIV, 469 : ἕνδεκα μὲν οὖσα τέλη ὁπλιτικοῦ, ἓξ δὲ χιλιάδες ἱππέων, ἄλλα δὲ ἐπικουρικὰ ἀπὸ τῆς Συρίας. 59 Plut., Ant., 37, 4 (trad. R. Flacelière et É. Chambry modifiée). 60 Id., Cic., 36, 1. 61 Cic., Fam., 15, 4 (trad. L.-A. Constans et J. Bayet) : ex senatus consulto et euocatorum firmam manum et equitatum sane idoneum et populorum liberorum regumque sociorum auxilia uoluntaria comparauissem.
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soldats sont en poste dans des garnisons frontalières et doivent en découdre avec les Parthes qui, depuis le désastre de Carrhes, mènent des raids à l’ouest de l’Euphrate62. D’autres sont en détachement à Salamine de Chypre pour une obscure affaire de recouvrement de créances contractées par la ville sous le gouvernement précédent63. Dans tous les cas, il ne semble pas que nous ayons affaire à des troupes irrégulières, mobilisées pour un service temporaire. Si l’on se tourne vers la partie occidentale de l’empire, le corpus césarien révèle une véritable mobilisation continue de l’année 58 au début du Bellum ciuile en 49. Les premières informations fournies sur la nature de l’exercitus Galliae confirment la dichotomie rencontrée plus haut à propos de la Syrie et de la Cilicie : à la veille de son intervention contre les Helvètes, César rassemble 4 000 cavaliers, tous prélevés sur les ciuitates de la Transalpine et parmi les alliés des Romains, au premier rang desquels figurent les Héduens (equitatumque omnem ad numerum quattuor milium, quem ex omni prouincia et Haeduis atque eorum sociis coactum habebat)64. Les troupes de la première catégorie semblent bien avoir servi César pendant plusieurs années consécutives. On trouve dans les Commentarii du proconsul de nombreuses allusions à des contingents de cavalerie hivernant avec les légions65. Surtout, à l’issue du conflit, César 62 Id., Att., 5, 16 : garnison de cavalerie à Epiphania (au sud-est de la Cilicie, sur la route d’Antioche), où se trouvait aussi une cohorte prétorienne ; cette garnison est parvenue à éliminer un parti de cavaliers parthes et arabes qui cherchaient à pénétrer en Cilicie. 63 Ibid., 5, 21 (Laodicée, 13 février 50) : des cavaliers de la garnison de Cilicie ont été envoyés sur l’île par le gouverneur précédent, Ap. Claudius Pulcher, afin qu’un certain Scaptius, créancier de la ville de Salamine, puisse les utiliser comme moyen de pression contre les habitants. Ce dernier, qui a été fait praefectus equitum pour l’occasion, met littéralement la boulê en état de siège, ce qui entraîne la mort (de faim !) de plusieurs sénateurs, cf. Att., 6, 1 (Laodicée, 20 ou 21 février). Dès son entrée en fonction, Cicéron lui retire les turmae equitum dont il dispose. Scaptius réclame alors que la préfecture lui soit réattribuée et qu’on lui renvoie les troupes confisquées. Sa demande est appuyée par Atticus, sans succès, cf. Att., 6, 2, 8 (Laodicée, début mai). La décision du proconsul est confirmée dans une lettre postérieure : les cavaliers ont été rapatriés en Cilicie ante certam diem, cf. Att., 6, 3 (fin mai-début juin). 64 Caes., BG, I, 15, 1. D’après HARMAND (1967), 47, ce passage « suffit à démontrer l’absence de toute cavalerie permanente, légionnaire ou non, dans la partie occidentale de l’imperium, en 58 ; il n’y a pas de raison de croire que la situation ait été différente dans les provinces orientales ». Le raisonnement se fonde sur une lecture restrictive du verbe coegere, qui désignerait ici une « levée ». César se contente pourtant de dire qu’il « avait rassemblé » cette cavalerie. Il n’est donc pas à exclure qu’il ait récupéré des unités de cavalerie qui était déjà présentes en Transalpine. Le reste a pu être, effectivement, « levé ». 65 Caes., BG, V, 26, 5 ; 46, 4 ; 48, 3 ; VII, 13, 1 ; 90, 4 ; VIII, 2, 1. D’après HARMAND (1967), 49, ces témoignages indiqueraient que la cavalerie auxiliaire « permanente » de César ne fut pas organisée avant l’expédition de Bretagne en 54. Il existe pourtant des
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donne un état d’effectif très précis de l’armée qu’il s’apprête à faire passer en Espagne : « Les troupes auxiliaires comprenaient environ six mille fantassins, trois mille cavaliers (qui avaient, les uns et les autres, servi César dans toutes les guerres précédentes), et un nombre égal provenant de la Gaule pacifiée par lui : tout ce qu’il y avait de plus noble et de plus brave dans toutes les cités avait été recruté individuellement. »66. Ce passage montre sans ambiguïté que le proconsul avait maintenu sous les enseignes, durant l’ensemble de la guerre des Gaules, la cavalerie de Transalpine qui formait le noyau dur de son equitatus. Cette portion de l’exercitus Galliarum resta en service durant la guerre civile, ce que confirme une lettre de Cicéron datant de la même année67. Les différents exemples que nous venons de présenter suggèrent d’importantes évolutions et conduisent naturellement à s’interroger sur l’éventuelle mise en place, dans les années 40-30, d’unités régulières préfigurant l’organisation des premières alae impériales68. Les témoignages littéraires doivent être analysés avec prudence, car si les auteurs anciens n’hésitent pas à désigner certains corps de troupes par le nom de leur commandant, cela ne suffit pas à prouver qu’il s’agissait du nom officiel de l’unité. Il est par exemple très improbable que la turma Cassiana évoquée par l’auteur du De bello Hispaniensi ait été un véritable régiment doté d’une identité propre, comme le suppose Alexander Meyer
indices de la présence de cavaliers dans des quartiers d’hiver avant cette date. Cf. BG, III, 1, 1 : à l’issue de la campagne de 57, des equites sont envoyés avec la XIIe légion chez les Nantuates, les Véragres et les Sédunes. Alors que les troupes hivernent sur le territoire de ces peuples, César mentionne les opérations de reconnaissance conduites par des exploratores : il s’agit probablement de certains des cavaliers susmentionnés (BG, III, 2, 1). 66 Caes., BC, I, 39, 2 (trad. P. Fabre) : auxilia peditum V milia, equitum III milia, quae omnibus superioribus bellis habuerat, et parem ex Gallia numerum, quam ipse pacauerat, nominatim ex omnibus ciuitatibus nobilissimo et fortissimo quoque euocato. 67 Cic., Att., 9, 13a, 4 (trad. J. Bayet) : « Les Gaules s’engagent, à en croire les vanteries de Matius (mais il l’affirmait positivement), à entretenir à leurs frais pendant dix ans […] six mille cavaliers » (auxiliis Gallorum quos Matius elapizen, ut puto, sed certe dicebat […] equitum sex polliceri sumptu suo annos decem). Plus tard on retrouve, dans l’armée de César en Afrique, des ueterani milites equitesque, ce qui conforte l’idée d’un service prêté sur une longue durée : Ps.-Caes., BAfr., 24, 4. 68 E. Birley exprimait sur ce point une opinion prudente, cf. BIRLEY (1978), 259 : « most of the alae with which we are concerned were formed under Augustus himself, even if some of them may have continued the traditions of what we may think of as irregular units of the preceding decades ». Plus catégorique, SPEIDEL (2016), 87-8 : « there is compelling (albeit slim) epigraphic evidence to suggest that the ala as a new cavalry formation was already in existence before Actium and may even have been created by Julius Caesar during the civil wars ».
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dans une récente monographie sur les auxilia hispaniques69. En revanche, on peut être à peu près sûr que des corps de troupes attestés sous le HautEmpire étaient déjà en service durant les dernières décennies de la République. Le cas de la cohors Gaetulorum connue par plusieurs inscriptions provenant de Cemenelum (Cimiez) a été étudié par Jean-Marie Lassère et révèle une continuité évidente entre les déserteurs gétules employés par César lors du bellum Africum et les troupes chargées de soumettre les Ligures dans la première partie du principat augustéen70. Concernant la cavalerie, l’exemple le plus probant concerne l’ala Patrui. Un décurion de cette unité, M. Valerius, qui se désigne lui-même comme Hispanus domo Leonica (un oppidum « de droit latin ancien » en Hispanie Citérieure), a laissé une épitaphe à Larinum en Apulie71. L’unité tire probablement son nom de Patruus, le commandant de l’unité, identifié par ailleurs grâce à une inscription fragmentaire trouvée à Fundi dans le Latium72. Selon Michael P. Speidel, la présence de cavaliers auxiliaires en Italie ne saurait s’expliquer autrement que dans le contexte du bellum Actiense : cet exemple suffirait à prouver que des ailes de cavalerie existaient avant l’époque augustéenne73. Une datation plus haute de la stèle 69 Ps.-Caes., BHisp., 26, 1. MEYER (2013), 19, reprenant un schéma interprétatif proposé par E. Birley pour le Haut-Empire (BIRLEY [1978], 262-4), pense qu’il existe dès l’époque tardo-républicaine deux catégories d’unités portant le nom de leur commandant : dans le premier cas, le nom est au génitif et l’officier a de grandes chances d’être encore en service ; dans le second, l’épithète est un nom propre adjectivé, ce qui permet de garder en mémoire le souvenir d’un individu ayant exercé le commandement de l’unité. Selon Meyer, cela indiquerait que la turma Cassiana « preserved its corporate identity after the loss of a commander. One may then suggest that the turma Cassiana existed on a semipermanent basis, accepting new recruits to replace those lost in battle or discharged from service. ». Cette démonstration nous semble intenable pour deux raisons. Tout d’abord, le Cassius en question est très certainement Q. Cassius Longinus, gouverneur laissé en Hispania Ulterior par César et dont Ps.-Caes., BAlex., 50, 3 nous informe qu’il leva 3 000 cavaliers lors de la guerre civile. Il n’était donc pas le commandant de l’unité, mais plutôt son recruteur. Quant à la forme adjectivale de l’épithète, elle ne dénote rien de précis. Lorsqu’il relate l’hippomachie de Tegea, l’auteur du BAfr., 78, 4 désigne la cavalerie de César par l’expression turmas Iulianas, puis en 78, 7, il emploie la forme equites Iuliani. Dans les deux cas, nous conviendrons que le Iulius en question était bien vivant ! 70 LASSÈRE (1994). Cf. CIL, V, 7895 ; 7898 ; AE, 1964, 243 ; 244 ; 245 ; 1981, 603 (avec Ps.-Caes., BAfr., 32, 3 ; 55, 1 ; 56, 3). D’après Lassère, ces mêmes Gétules pourraient avoir été à l’origine de l’ala Gaetulorum, qui apparaît dans une inscription de Turin (CIL, V, 7007 = ILS, 2544). La stèle est d’époque flavienne, mais l’aile et la cohorte ont toutes deux participé au bellum Iudaicum, ce qui laisse supposer qu’elles partageaient une histoire commune. Voir aussi SPEIDEL (2016), 87, discutant le cas des cohortes Ligurum. 71 CIL, IX, 733 = ILS, 2499. Cf. CICHORIUS (1894), col. 1257. 72 AE, 1983, 182. Voir DEMOUGIN (1992), 40-1. 73 SPEIDEL (1980), 212.
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de Valerius n’est pas à exclure dans la mesure où des troupes hispaniques tenaient garnison en Italie durant les opérations de César contre Pompée74. Nous connaissons encore deux ailes de cavalerie dont les origines remontent certainement à l’époque tardo-républicaine. Il y a d’abord l’ala Scaeuae, mentionnée par une inscription découverte sur le territoire de l’antique Minturnae75. Comme l’a bien montré Theodor Mommsen, cette unité porte le nom d’un héros des guerres césariennes, le centurion M. Caesius Scaeva76. La stèle de Minturnae ne saurait dater de l’époque impériale : elle contient en effet l’épitaphe de Q. Ancharius, un citoyen de Narbonne inscrit dans la tribu Pollia. Celle-ci était la tribu de rattachement des colons avant la nouvelle déduction ordonnée par César en 45 av. J.-C.77. Comme Ancharius est mort très jeune (à 23 ans), alors qu’il servait comme euocatus dans l’ala Patrui, il semble logique de considérer que son monument funéraire fut érigé dans les années 40 av. J.-C., ou au plus tard dans la décennie 30 av. J.-C.78. L’autre exemple est celui de l’ala Atectorigiana, attestée par de nombreuses inscriptions impériales79. La première stèle mentionnant cette unité date du règne 74 Cf. Caes., BC, III, 22, 3 : César parle d’une garnison d’equites Galli atque Hispani stationnée à Thurii en 48. Cette présence en Italie pourrait aussi avoir un rapport avec les opérations de lutte contre le brigandage qui marquèrent la période : cf. App., BC, V, 132. 75 CIL, X, 6011 = ILS, 2490 : Q(uintus) Anchari(us) / C(ai) f(ilius) Pol(lia) / Narbones(is) eques / euocatus annor(um) / nat(us) XXIII ala / Scaeuae. 76 Ce centurion combattit contre les forces de Pompée en Épire en 48 : Caes., BC, III, 59 ; Val. Max., III, 2, 23. Son comportement héroïque semble lui avoir valu une promotion comme praefectus equitum. Comme le souligne DOMASZEWSKI (1908), 122-35, l’appointement de primipilaires à la tête d’ailes de cavalerie n’a rien d’exceptionnel. Voir aussi BIRLEY (1978), 259-61, qui passe en revue les cas de centurions légionnaires promus praefecti equitum. 77 Voir dernièrement BONSANGUE (2010). 78 Cf. BIRLEY (1978), 263 : cette stèle « can hardly have belonged to a later period than the war between Octavian and Antony, if so late as that ». KEPPIE (1983), 142, rappelle que M. Caesius Scaeva avait combattu à Pharsale en 48 av. J.-C. dans la VIe légion, dont les vétérans avaient ensuite été installés à Arles : « Perhaps he was seconded to raise and command a cavalry regiment when Lepidus was organising fresh forces in the province after Caesar’s death, which would be a useful terminus post quem for Ancharius’ arrival at Minturnae. » Le grade d’euocatus pour un si jeune soldat n’a rien de très surprenant. F. Cadiou a récemment montré qu’à l’époque républicaine, les évocats ne sont pas nécessairement des vétérans rappelés après l’accomplissement des stipendia iusta, mais plus généralement des soldats intégrés dans l’armée au moyen d’une procédure irrégulière de recrutement, définie comme « impérative et nominale ». Cf. CADIOU (2010) (p. 68-9 pour une discussion du cas d’Ancharius). 79 CICHORIUS (1894), col. 1231. Sur cette aile levée chez les Pictons, cf. MAURIN (1981), 262-79 et fig. 279-80 : l’auteur en fait remonter la création à la fin du séjour de César en Gaule ou aux années qui suivirent. Voir p. 636, n. 52 : « le ralliement militant d’une partie de la cité des Pictons à Rome, avec Duratios, aux heures sombres de 52, rend
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d’Auguste, mais Theodor Mommsen a montré de façon convaincante que son épithète était à mettre en relation avec Atectorix, aristocrate aquitain dont le nom figure sur des bronzes gaulois80. Il n’est pas à exclure que ce personnage ait commandé un contingent de cavalerie dès la fin du séjour de César en Gaule et qu’il ait compté parmi les nobilissimi et fortissimi equites que l’imperator avait dans son armée au début de la guerre civile81. Ces témoignages nous éclairent sur un stade de développement précoce des alae, durant lequel les unités n’avaient pas encore de nomenclature stable, mais portaient le nom de leur commandant82. On pourrait encore ajouter à cet inventaire deux unités attestées sous le Principat, mais qui n’ont pas laissé de trace pour l’époque républicaine et dont nous ignorons la date de fondation : l’ala Pomponiani et l’ala Rusonis83. Cette prépondérance des noms d’officiers dans la manière de désigner ces unités est symptomatique d’un mode de recrutement reposant largement sur des ressorts clientélaires, comme nous avons déjà pu l’observer à plusieurs reprises. Sans qu’il soit possible d’en être absolument certain, cette première génération d’ailes de cavalerie semble avoir vu le jour dans l’armée de César, ou plus vraisemblablement dans les armées commandées par ses continuateurs. Ce détail n’est peut-être pas fortuit. Lawrence Keppie a montré que la naissance des premières légions permanentes était étroitement liée à la politique de défense de l’héritage césarien vraisemblable la formation de cette troupe de cavaliers de très bonne heure dans cette cité. » 80 MOMMSEN (1910), 145, n. 1. Cf. CIL, XIII, 1041 = ILS, 2531 = AE, 1888, 51 (Saintes / Mediolanum Santonum) : C(aio) Iulio Ag[e]dili [f(ilio) Fabi]a Macro [ex ciuitate] / Sant(onum) duplicario alae Atectorigianae [Gallorum] / stipendi(i)s emeritis XXXII aere incisso euocato [diui Aug(usti)] / Gesatorum DC Raetorum castello Ircauio clupeo [---] / coronis aenulis aureis donato a commilitonib[us suis] / Iulia Matrona f(ilia) C(aius) Iul(ius) Primulus l(ibertus) h(eredes) e(x) t(estamento) [fac(iendum) cur(auerunt)]. 81 Sur les bronzes gaulois portant la légende ATECTORI(X), cf. RIG, IV, 51 (« à la lumière des dernières découvertes, il semble s’agir d’une émission des Pictones »). Pour la datation, HIERNARD (1984), 66 penche plutôt pour l’époque augustéenne, sans exclure une date antérieure, mais voir en dernier lieu CALLEGARIN ET AL. (2013), 212 (« à SaintGeorges-lès-Baillargeaux [Vienne], une fouille récente a mis en évidence plusieurs bâtiments et un fossé datés des années 50-30 a.C., dont sont issus un bronze d’Atectori et un autre de Luccios »). 82 BIRLEY (1978), 262 souligne à ce titre que dans les inscriptions les plus anciennes, les praefecti equitum ne mentionnent jamais le nom de leur aile de rattachement. 83 CIL, XIII, 8097 = ILS, 2501 (Bonn) : Niger Aetonis f(ilius) / Nemes ala Pomponi/ ani anno(rum) L / aera XXV / h(ic) s(itus) e(st). CIL, XIII, 7031 = ILS, 2500 (Mayence) : Adbogius Coi/nagi f(ilius) na(tione) Petr/ucorius eq(ues) ala(e) / Rusonis an(norum) XXIIX sti(pendiorum) X / hic situs est / ex testamen/to libertus / fecit. Cf. CICHORIUS (1894), col. 1258-9.
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suivie par Antoine, Lépide, Ventidius Bassus et Octave84. Après les Ides de mars 44, ces grands généraux ont pris l’initiative de reconstituer des légions qui avaient été levées par César, avec leur numéro et leur surnom éventuel, en faisant appel à leurs vétérans. La constitution d’alae stables est peut-être à rattacher à ce contexte historique. Sous le principat d’Auguste, la situation semble avoir rapidement évolué85. Les nouvelles unités levées par le fondateur de la monarchie impériale portent, en règle générale, un nom distinct de celui de leur praefectus. Une inscription datant du tout début du règne de Tibère énumère ainsi une ala Astyrum et des unités formées d’Hispaniques86, et une épitaphe renvoyant au même horizon chronologique signale un praefectus equitum alae praetoriae qui a servi dans le corps expéditionnaire de Germanicus contre les Germains87. II – LA
CAVALERIE AUXILIAIRE
DANS L’ARMÉE TARDO-RÉPUBLICAINE
:
ORGANISATION ET ÉQUIPEMENT
A. Les structures hiérarchiques et tactiques de la cavalerie provinciale L’immense cavalerie dont disposent les généraux romains dans les dernières décennies de la République semble avoir été organisée autour de normes précises. Comme nous venons de le voir, l’analyse de ces normes reste délicate et ne doit pas laisser place à la tentation de projeter sur l’époque républicaine des réalités valables seulement pour l’époque impériale. Plusieurs historiens ont en particulier supposé que la cavalerie KEPPIE (1983), 23-33 et (1984, 1998 2e éd.), chap. 5. BIRLEY (1978), 272 ; HAYNES (2013), 43. 86 AE, 1992, 186 (Rome) : alae Astyrum [praef(ecto) ---] / Agrippiana praef(ecto) N[---] / Hispanorum ueterana p[raef(ecto) ---] / praetoria praef(ecto) [---] / Hispanorum tironum [praef(ecto) ---]. Ces fragments appartenaient à la double dédicace honorifique adressée par des préfets de cavalerie anonymes à deux représentants de la famille des Cornelii Scipiones. Cf. CASTELLI (1992) et SADDINGTON (1994). L’un des individus honorés, P. Cornelius Scipion, serait le fils du consul homonyme de 16 av. J.-C. et aurait été légat (de légion ? d’un corps d’armée plus large ?) en Germanie à la fin du règne d’Auguste ou peu de temps après sa mort. Les officiers mentionnés dans la dédicace ont certainement servi avec lui en Germanie, lors des campagnes de Tibère ou de Germanicus. 87 IK, 53, 34 = AE, 1973, 501 (Alexandrie en Troade) : praef(ecto) equit(um) / alae praet(oriae) IIII hasta pura et corona / aurea donatus est a Germanico / Caesare Imp(eratore) bello Germanico. Sur cette unité, cf. SPEIDEL (1975a) et (1978), 60-3. C’est dans le même contexte qu’apparaissent à Mayence les alae Hispanorum et Parthorum. 84 85
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auxiliaire était déjà formée en ailes de 300 à 500 soldats durant la guerre des Gaules et le bellum ciuile88. Une telle hypothèse reste difficile à démontrer car le vocabulaire employé par les sources narratives contemporaines ne révèle aucune évolution majeure. Lors de la campagne contre Arioviste, ce sont tous les auxiliaires qui sont appelés alarii, sans distinction d’arme89, et à plusieurs reprises dans le De bello ciuili, ce substantif renvoie à des fantassins de cohortes90. On concevra donc difficilement que le dérivé ala ait été réservé dès cette époque aux troupes montées. Les passages du De bello Africo qui ont pu être invoqués à l’appui de cette thèse ne sont pas convaincants. Lors des opérations qui se déroulent autour du camp de Ruspina, l’auteur du récit indique que César « envoya l’aile gauche de sa cavalerie » pour intercepter des ennemis, sans préciser l’effectif de ce parti91. Puis durant la bataille de Tegea en 46, il évoque le détachement par César de son altera ala, son « autre aile », pour soutenir la première, aux prises avec la cavalerie de Labienus92. Les deux occurrences sont cohérentes et ne désignent rien d’autre qu’une partie du dispositif de bataille où la cavalerie a naturellement sa place93. On note par ailleurs que les regroupements tactiques de plusieurs centaines de cavaliers ont des effectifs très variables. Les sources narratives donnent des exemples allant de 200 à 900 soldats, sans que l’on constate de norme
88 FRÖHLICH (1889), I, 40-1 ; MARQUARDT (1884, 1891 trad. fr.), 157 ; RICE HOLMES (1911), 579 ; KROMAYER & VEITH (1928), 393 ; HARMAND (1967), 47 ; RAMBAUD (1969), 652-3 ; ROLDÁN HERVÁS (1972), 117. Contra BIRLEY (1978), 258-9. 89 Caes., BG, I, 51, 1 : alarios omnes in conspectu hostium pro castris minoribus constituit. 90 Id., BC, I, 73, 3 : stationes […] equitum et cohortium alariarum. Ibid., I, 83, 1 : alariae cohortes. Ibid., II, 18, 1 : cohortes circiter XXX alarias. 91 Ps.-Caes., BAfr., 39, 5 : equitatus sui alam sinistram ad intercludendos hostes immisit. L’auteur souhaite manifestement éviter la répétition avec cornu, qui est employé juste avant avec le même sens, cf. ibid., 39, 4 : ex acie instructa equitatus sui prope totum dextrum cornu auertit. 92 Ibid., 78, 7 : Postquam equites Iuliani CCCC uim hostium ad IIII milia numero sustinere non poterant et ab leui armatura Numidarum uulnerabantur minutatimque cedebant, Caesar alteram alam mittit qui satagentibus celeriter occurrerent. D’après RAMBAUD (1969), 656, « le mot altera implique grammaticalement qu’il y a deux ailes dont l’une est constituée par les 400 cavaliers déjà engagés dans la bataille. » Mais l’historien omet de préciser que l’aile que César avait engagée la première n’était pas constituée que de cavaliers : il y a avait aussi des fantassins légers, des archers et des frondeurs (Ps.-Caes., BAfr., 78, 3 : leuemque armaturam sagittarios funditoresque). 93 Voir déjà en ce sens SCHAMBACH (1881), 17. Dans le même ordre d’idée, l’altera ala commandée par le jeune Cicéron lors de la bataille de Pharsale (Cic., De off., II, 13, 45) doit aussi renvoyer à une articulation de l’acies et non à une unité. Contra LAMMERT (1914), col. 545 et BROUGHTON (1952), II, 284.
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fixe ni de récurrence particulière94. S’il existe bien des cohortes, il n’y a donc pas encore d’ailes auxiliaires avant l’époque triumvirale, ce que montre bien l’expression cohortes turmasque employée par l’auteur du De bello Africo95. Comme le révèle ce dernier exemple, la cavalerie auxiliaire du Ier s. av. J.-C. se structure sous la forme d’unités plus petites, les turmae, dont il a déjà été question à propos de l’equitatus civique. L’exemple le plus célèbre et le mieux documenté de ce type de subdivision tactique est celui de la turma Salluitana, un escadron de cavaliers hispaniques qui reçut en bloc la cité romaine durant le siège d’Asculum, le 17 novembre 89 av. J.-C.96. La tablette de bronze qui nous permet de connaître les détails de cette mesure cite les noms de trente cavaliers : vingt-sept soldats ont des noms ibériques ; trois portent des praenomina et gentilicia latins97. Ces individus sont regroupés en fonction de leur lieu d’origine. Les toponymes mentionnés sont tous proches de Salduba, ce qui laisse supposer l’existence d’un système de recrutement organisé à partir d’un centre régional drainant les mobilisables des agglomérations voisines98. Comme le précise le texte épigraphique, les cavaliers de la turme appartiennent 94 200 : Caes., BG, VI, 32, 6. 300 : Id., BC, I, 24, 2 ; Plut., Caes., 32, 1 ; Cat. Min., 63, 1 ; Cras., 27, 6 ; App., BC, II, 32 ; III, 97. 400 : Caes., BG, V, 46, 4 ; VII, 13, 1 ; Ps.-Caes., BAfr., 77, 3 ; 78, 7 ; App., BC, V, 58. 500 : Caes., BC, II, 23, 1 ; III, 2, 2 ; III, 34, 3 ; Plut., Cras., 29, 4 ; App., Mith., 84 ; BC, V, 98 ; V, 110. 600 : Caes., BC, II, 19, 1 ; Ps.-Caes., BAfr., 1, 1. 800 : Caes., BC, III, 29, 2 ; Ps.-Caes., BAfr., 34, 4. 900 : Caes., BC, I, 41, 1. Il est intéressant de remarquer que les praefecti equitum ne commandent jamais de contingents comprenant plus de 500 cavaliers, ce qui peut être perçu comme un signe avant-coureur de l’organisation de l’equitatus en alae. Plusieurs officiers supérieurs sont présents lorsque des opérations sont confiées à un contingent dépassant le millier d’hommes : e.g. Caes., BG, IV, 11, 6. 95 Ps.-Caes., BAfr., 18, 4. 96 ILS, 8888 = CIL, I², 709 = ILLRP, 515. Cf. CRINITI (1970) ; ROLDÁN HERVÁS (1986) ; AMELA VALVERDE (2000) ; PINA POLO (2003) ; MEYER (2013), 18-21. 97 Liste et analyse des noms des membres de la turme dans CRINITI (1970), 186-2 et 203-8. Les trois cavaliers qui disposent déjà de la citoyenneté romaine sont tous originaires d’Ilerda : Q. Otacilius fils de Suisetarten, Cn. Cornelius fils de Nesille, P. Fabius fils d’Enasagin. Criniti suppose qu’ils avaient pu obtenir ce statut précédemment grâce au ius Latii. Contra BADIAN (1958), 257, pour qui les trois individus « are certainly using Roman names before enfranchisement ». 98 Cf. CRINITI (1970), 193-202 et surtout PINA POLO (2003), qui souligne que Salduba a été choisie en raison de sa situation géographique et non pour son importance démographique ou politique. On note ainsi la présence d’un Bagarensis (Bacasis ? Bagues ? Bagueste ?), d’un Begensis (Baecula ? Baega ?), de trois Ennegenses (?), de trois Ilerdenses (Ilerda), d’un Illuersensis (Gracchurris ?), de deux Libenses (Libia), de quatre Salluitani (Salduba), de neuf Segienses (Segia), de deux Suconsenses (Succosa) et de quatre […]licenses (?). Ces oppida sont tous localisés dans la zone que Pline l’Ancien intègre dans le conuentus Caesaraugustanus, qui a pour capitale, à l’époque impériale, Caesaraugusta, la Salduba ibérique et moderne Saragosse, cf. Plin., HN, III, 3, 24.
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au groupe plus large des equites Hispani99. On peut donc imaginer que ce contingent hispanique se composait d’autres turmes du même type, provenant chacune d’un secteur géographique précis. Contrairement aux ailes, qui ne semblent pas encore exister avant le milieu des années 40, les turmes apparaissent fréquemment dans les sources littéraires100. On peut se demander si l’encadrement de ces escadrons suivait les mêmes normes que celles qui régissaient l’organisation des turmes civiques, commandées par trois décurions. Cela semble probable. Si l’on se penche à nouveau sur le cas de la turma Salluitana, il apparaît que seuls trois cavaliers sur trente disposent de la citoyenneté romaine. Comme l’inscription ne mentionne pas explicitement de décurions, nous proposons d’identifier ces individus comme les trois officiers placés à la tête de l’escadron. L’étude du commandement des contingents auxiliaires apporte des réponses supplémentaires. De manière générale, la règle semble avoir été de confier la direction des externi à des chefs nationaux101. Cette pratique est bien attestée au IIe s. av. J.-C. et se maintient au siècle suivant. On trouve ainsi souvent des rois, des chefs de tribus ou des princes à la tête de corps d’equites fournis par des puissances clientes ou alliées. Nous insistons sur le fait que ces cas de figure ne concernent jamais les contingents issus de levées provinciales, comme l’illustre la liste suivante : Tableau 4 – Liste des commandants d’auxilia externa aux IIe et Ier s. av. J.-C. Commandant
Nature du contingent
Date
Allucius (princeps Celtiberorum) Muttines (ancien officier libyphénicien d’Hannibal) Cassignatus (dux Gallorum)
delectis mille et quadrin- 210 gentis equitibus Quadringentos equites 188 Numidas equites Gallorum 171
Source Liv., XXVI, 2 et 14 Liv., XXXVIII, 41, 12-4 Liv., XLII, 57, 7-9
99 Un parallèle intéressant est fourni par CIL, I², 1860 = CIL, IX, 4503 = ILS, 2488 = ILLRP, 500 (Pizzoli, Italie) : ---] et Sabino praef(ecto) [---] / [--- au]x{s}iliariei Hispan[ei. CRINITI (1970), 185 suppose que « la turma Salluitana […] doveva far parte di un contingente più numeroso, di un’ala forse ». Mais aucun élément de l’inscription ne permet de corroborer une telle hypothèse, fondée sur un argument d’autorité. 100 Caes., BG, VI, 8, 5 ; VII, 45, 1 ; 80, 6 ; 88, 1 ; VIII, 7, 1 ; 16, 1 ; 18, 2-3 ; 19, 1-2 ; 28, 2 ; BC, III, 38, 3-4 ; 93, 4 ; Ps.-Caes., BAfr., 14, 2 ; 18, 4 ; 29, 1 et 3 ; 39, 1 ; 40, 2 ; 41, 2 ; 75, 4 ; 78, 3-4 ; BHisp., 6, 4 ; 14, 2 ; 23, 6 ; 26, 1. À plusieurs reprises, il est aussi question de contingents de trente cavaliers, ce qui confirme l’effectif fourni par le bronze d’Asculum. Cf. e.g. Caes., BG, 4, 35, 1 ; BC, III, 96, 4 ; Ps.-Caes., BAfr., 6, 3. 101 Cf. PRAG (2010), 105-10.
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Commandant
Nature du contingent
Date
Source
Misagène (fils de Massinissa) Algalsus
mille equitibus
171
Liv., XLII, 62, 2
Parthinorum equitibus ducentis
168
Liv., XLIV, 30, 13
Gomon
ἐπιλέκτους Μαυρουσίους χιλίαρχος ἱππέ[ων]
104
Diod. Sic., XXXVI, 5, 4
87/86
HOLLEAUX (1919), 321 App., Mith., 79
Amatokos (prince thrace) Olkabas (Σκύθης)
Inconnu (sauve de nom- 70 breux Romains lors d’un combat de cavalerie et participe à l’état-major de Lucullus) Dumnorix (princeps ciuita- equitatui quem auxilio 58 tis des Héduens) Caesari Haedui miserant Vertiscos (princeps ciuitatis equites Remi 51 des Rèmes) Indo (rex hispanique de cum equitatu suas copias 45 Bétique) Arabion (βασιλεύς numide) ἱππέες 42 Rhaskos & Rhaskouporis (Θρᾳκίω βασιλίσκω) Amyntas (roi galate de Pisidie)
τρισχιλίους ἱππέας
42
χιλίοις καὶ πεντακοσίοις ἱππεῦσιν
35
Caes., BG, I, 3, 5 et 18, 10 Hirt., BG, VIII, 12, 3-6 Ps.-Caes., BHisp., 10, 3 App., BC, IV, 54-6 App., BC, IV, 87 App., BC, V, 75 et 142
Parmi tous ces exemples, (M. Valerius) Muttines apparaît comme le seul individu disposant de la citoyenneté romaine. Mais il demeure un commandant « indigène », récompensé de la ciuitas Romana à titre individuel, en raison du caractère exceptionnel de ses états de service passés102. Ce n’est pas le cas des praefecti equitum que l’on retrouve régulièrement à la tête des contingents montés formés de levées provinciales103. HAMDOUNE (1999), 27-9. Sur les praefecti equitum tardo-républicains, cf. SCHAMBACH (1881), 17 ; SUOLAHTI (1955), 203 ; HARMAND (1967), 358-61 ; PRAG (2010), 102-5. Selon RAMBAUD (1969), 655, les « ailes de cavalerie permanentes » avaient pour commandants des praefecti equitum citoyens romains tandis que les corps de cavalerie auxiliaire avaient pour praefecti des notables de leur nation. PRAG (2010), 106-7 estime pour sa part qu’il est délicat d’établir une distinction nette entre des pratiques qui vaudraient pour les provinciaux et celles qui seraient appliquées aux seuls externi ; la différence se jouerait surtout au niveau 102 103
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Ces individus – tous de jeunes chevaliers romains dont le statut civique romain n’a rien de récent – n’apparaissent que tardivement dans les sources104. Le premier praefectus equitum attesté dans la documentation pourrait être C. Flavius Fimbria : Velleius Paterculus le désigne comme tel lorsqu’il entreprend de se révolter contre son général, le consul L. Valerius Flaccus, en 86 av. J.-C., à Byzance105. Mais sa fonction exacte est incertaine, car d’autres sources lui attribuent tantôt le rang de légat, tantôt celui de questeur106. Un exemple plus assuré est fourni par les Periochae liviennes pour l’année 76 av. J.-C. : C. Insteium, praefectum equitum, Segouiam et in Vaccaeorum gentem ad equitum conquisitionem misit, iussum cum equitibus Contrebiae sese opperiri107. D’autres détenteurs de la préfecture des cavaliers sont mentionnés dans les années 50-40 av. J.-C.108. Ce sont toujours des citoyens romains. Des exceptions sont citées par Jonathan Prag, mais il nous semble que ces cas de préfets indigènes reflètent un emploi lâche – autrement dit littéraire – de l’expression praefectus equitum et de son correspondant grec ἵππαρχος109. Les occurences relevées par l’historien britannique signifient que tel
quantitatif : « Given the apparent lack of strictly applied formal categories of ally, the decisive factor may be the much more practical and realistic one of the proportion of participation/size of force and therefore the more intangible factor of authority. » Il précise néanmoins (p. 105) : « the general rule can be proposed that the auxilia were, in all periods of the Republic, led by their own native commanders (under some overall Roman command) ». 104 Dans le Bellum Iugurthinum, Salluste évoque seulement des préfets de cohortes, cf. Sall., Iug., 46, 7 : in utrumque latus auxiliarios equites tribunis legionum et praefectis cohortium dispertiuerat. 105 Vell. Pat., II, 24, 1. 106 Liv., Per., 82 (avec Oros., VI, 2, 9) ; Strab., XIII, 1, 27. Cf. LINTOTT (1971). 107 Liv., Per., 91. 108 Scaptius (c. 53-51 av. J.-C.) : Cic., Att., V, 21, 10 ; VI, 1, 6 ; 2, 8-9. Q. Atius Varus (51 av. J.-C.) : Hirt., BG, VIII, 28, 2 (probablement le même que Q. Varus, préfet de cavalerie dans l’armée de César durant la guerre civile : Caes., BC, III, 34, 3 ; 37, 5). C. Volusénus Quadratus (51 av. J.-C.) : Hirt., BG, VIII, 48 (probablement le même que C. Volusénus, préfet de cavalerie de César durant la guerre civile : Caes., BC, III, 60, 4). Cn. Domitius (49 av. J.-C.) : Id., BC, II, 42, 3. M. Opimius (48 av. J.-C.) : ibid., III, 38, 4. Il y a des cas plus litigieux : en 49, un certain Vibius Curius « commandait » (praeerat) la cavalerie de César en Italie (Caes., BC, I, 24, 3). 109 PRAG (2010), 105, citant l’exemple de Vertiscos, dans Hirt., BG, VIII, 12, 4 : principe ciuitatis, praefecto equitum. Mais il s’agit ici d’externi et le titre de préfet attribué au chef rème par Hirtius est probablement plus descriptif que formel. Il arrive en effet fréquemment que les Romains, même lorsqu’ils décrivent leurs ennemis, parlent de praefecti equitum pour désigner de simples commandants de cavalerie (Caes., BG, VII, 66, 3 ; 67, 7 ; 76, 3). Une conclusion identique s’applique selon nous au cas de l’ἵππαρχος Biesios qui est à la tête d’un contingent de cavalerie hispanique en 153 av. J.-C. (App., Hisp., 47 ; comparer avec ibid., 25).
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personnage « commandait » (praeerat) des cavaliers, sans que cela n’implique la détention d’un grade formel réservé aux citoyens romains. Les choses sont plus claires pour ce qui concerne le commandement sulbalterne. Dans les unités provinciales, la règle générale semble avoir été de confier les postes de cadres de contact à des indigènes romanisés. Les raisons qui expliquent ce choix sont évidentes : ils constituent la courroie de transmission des ordres entre le commandement, qui s’exprime en latin, et les soldats du rang, qui ne comprennent bien souvent que leur idiome national110. Le seul passage où il est fait mention explicite d’un décurion dans le De bello Gallico concerne un certain L. Aemilius au cours de l’année 58111. S’agit-il d’un Italien ou d’un Gaulois (de Narbonnaise ?) qui avait obtenu la citoyenneté romaine ? On peut être tenté de pencher en faveur de la seconde option car de nombreux Aemilii sont attestés en Transalpine dès le Ier s. av. J.-C.112. D’autres cas sont plus difficiles à trancher, comme celui de Piso Aquitanus, citoyen romain, petit-fils d’un roi gaulois ami du peuple romain, mort avec son frère dans un engagement de cavalerie en 55113. On ajoutera au dossier l’exemple de M. Valerius, décurion hispanique de l’ala Patrui114, et celui des trois citoyens romains Ilerdenses de la turma Salluitana, tous susceptibles d’apporter une confirmation à notre hypothèse115.
110 Hirt., BG, VIII, 28, 2, signale que le préfet de cavalerie Q. Atius Varus exhorta les siens (suos hortatur) à la veille d’un engagement contre Dumnacos en 51 av. J.-C. : des Gaulois ne l’auraient probablement pas compris si les officiers subalternes n’avaient pas été en mesure de traduire ses directives dans chaque turme. 111 Caes., BG, I, 23, 2 : L. Aemilii, decurionis equitum Gallorum. 112 Cf. CHRISTOL ET AL. (1992). SCHULZ (2009), 47, n. 67 pense au contraire qu’il s’agit d’un Romain. Il s’appuie sur cet exemple pour affirmer que César aurait tenté de réformer sa cavalerie en y intégrant des officiers romains jusqu’au niveau subalterne. 113 Caes., BG, IV, 12, 4. Rambaud pense qu’il s’agit d’un préfet. Si cela avait été le cas, César aurait probablement précisé son grade (il souligne d’ailleurs plus haut, en IV, 11, 6, que des praefecti equitum commandaient la cavalerie dans l’engagement en question). La même question se pose pour les Allobroges Roucillus et Ecus (Caes., BC, III, 59-60). Ces deux individus sont probablement des décurions, car ils servent sous l’autorité du préfet de cavalerie C. Volusénus, qu’ils tentent un moment d’assassiner avant de passer dans le camp pompéien (ibid., 60, 4). 114 CIL, IX, 733 = ILS, 2499. Ce cavalier, qui se présente comme Hispanus domo Leonica, n’appartenait probablement pas à une famille d’origine italienne. Plin., HN, III, 3, 24 décrit Leonica comme un « oppidum de droit latin ancien ». Le droit latin permettait aux notables d’une communauté indigène d’obtenir la citoyenneté romaine lorsqu’ils intégraient le sénat municipal. D. Espinosa Espinosa étudie ces communautés hispaniques dans sa thèse et estime que l’ancienneté de leur latinisation renvoie à l’époque républicaine, dans certains cas aux premiers temps de la conquête. Cf. ESPINOSA ESPINOSA (2013). 115 Une inscription d’époque augustéenne nous renseigne en outre sur C. Iulius Maximus, fils de Tiridate et décurion dans une ala Parthorum : cf. CIL, III, 8746 = ILS, 2532.
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B. Les différents types de cavalerie : une diversification des modes de combat L’équipement de la cavalerie auxiliaire est mieux connu que celui des equites Romani, mais l’image que nous en avons est biaisée par la disparité des sources, beaucoup plus nombreuses pour les supplétifs gaulois que pour les autres contingents ethniques au service de Rome (fig. 6)116. Chez les Occidentaux, l’épée constitue le principal élément offensif. Elle est le plus souvent de type spatha, à tranchants parallèles (de véritables lattes comme celle trouvée à Port)117. En contexte gaulois, la longueur des lames est comprise entre 73 et 87 cm118. Ces épées celtiques permettent de livrer des coups de taille depuis une distance relativement importante. Mais certains exemplaires de spathae ont une pointe effilée et autorisent les coups d’estoc119. L’utilisation de glaives plus courts est aussi attestée en Gaule et en Espagne, comme le suggèrent le relief du monument funéraire d’Osuna, la statue de Vachères et la frise d’entablement de l’arc d’Orange120. En sus des épées, les lances sont des armes très courantes, que ce soit dans les représentations monumentales ou le mobilier funéraire celtique121. Elles sont de grande taille et munies de fers à douille plus longs que les fers de tradition romaine (entre 25 et 50 cm le plus souvent)122. La présence de pointes à douille dans les tombes de 116 Sur l’armement des auxilia gaulois, cf. HARMAND (1967), 81-8, à actualiser avec POUX (2008) et PERNET (2010). Sur les cavaliers ibériques, cf. QUESADA SANZ (2005). 117 WYSS ET AL. (2002), Taf. 8, 20. 118 PERNET (2010), 87. 119 On peut citer les exemplaires trouvés à Beaucaire et Verna : cf. PERNET (2010), pl. 50, 1 et 85, 5. 120 Osuna : QUESADA SANZ (2005), 104, fig. 6. Vachères : BARRUOL (1996), fig. 5-6. Orange : AMY ET AL. (1962), II, pl. 28 et 49. Pour HARMAND (1967), 83 : « Tout se passe comme si les troupes montées permanentes nées de l’initiative césarienne avaient été, massivement et durablement, pourvues de l’arme de mêlée des légions auxquelles elles devaient finir par se souder. » En réalité, PERNET (2010), 184 et s. note la présence de glaives dans certaines sépultures gauloises dès avant la conquête césarienne. Le Ier s. av. J.-C. est marqué par une phase transitoire, lors de laquelle des équipements de diverses origines coexistent dans les tombes à armes d’auxiliaires. L’archéologue français ne note pas de standardisation des équipements (contra POUX [2008], 408) et souligne plutôt une grande fidélité à la tradition celtique séculaire. Cf. PERNET (2010), 188. 121 Le vocabulaire technique employé par les sources littéraires pour les armes sur hampes n’est pas d’une grande aide. Caes., BG, V, 48, 5 met entre les mains d’un cavalier auxiliaire gaulois une tragula, munie d’une courroie de jet appelée amentum. Il s’agit manifestement d’une sorte de propulseur. En BG, VIII, 48, 5, Hirtius mentionne une autre arme de cavalerie, la lancea (Commios l’utilise pour porter un coup d’estoc au cheval du préfet Quadratus). Les auteurs du corpus césarien n’emploient jamais le mot hasta. 122 POUX (2008), 338-41.
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a
b Figure 6 - L’équipement de la cavalerie auxiliaire celtique : la statue de Vachères (a) et le panneau nord-est du Mausolée de Glanum (b). Crédits : (a) © Fondation Calvet-Avignon ; (b) Cliché Jacques Vanschoonwinkel.
cavaliers de Goeblingen-Nospelt et Wederath révèle en outre l’utilisation de javelines123. Dans certaines tombes, on retrouve toutes ces armes rassemblées124. PERNET (2010), 107, pl. 201 B, 32. Dans la tombe du cavalier trévire de Trèves-Olewig, datée du milieu du Ier av. J.-C., ont été trouvés un casque de bronze à calotte hémisphérique, une épée longue, un « fer de lance de choc » (Stosslanzenspitze) et un fer de javeline. Cf. MARTINI (2013), 59. 123 124
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L’armement défensif ressemble à celui des cavaliers romains. Les Gaulois utilisent des cottes de mailles à épaulières (Vachères), parfois munies de lambrequins (Glanum)125. Comme le note Jacques Harmand, les monnaies laténiennes tardives montrent des cuirasses courtes, probablement plus adaptées à l’équitation126. Les cavaliers portent aussi des casques en métal. Lionel Pernet distingue trois types : le type Port constitué de deux pièces (une calotte hémisphérique avec un couvre-nuque riveté à l’arrière) ; le type Alésia / celtique occidental, en fer, qui diffère du type Port par sa fabrication d’un seul tenant ; le type Coolus-Mannheim, en bronze, coulé d’un seul tenant, à calotte lisse sans bouton, avec parfois un bord en bourrelet et un couvre-nuque très peu marqué127. Sur l’arc d’Orange, on retrouve des casques de type Haguenau (en bronze) et Weisenau (en fer), qui sont issus des types gaulois de Port et d’Alesia et qui apparaissent à l’époque augustéenne128. Ces nouveaux types ont tous les mêmes caractéristiques : ils sont faits d’un seul tenant avec une « visière » de renfort rivetée et un couvre-nuque très développé. Cette couverture importante offre l’avantage de protéger des coups de taille portés contre l’arrière de la tête, très fréquents dans les mêlées de cavalerie. En guise de bouclier, le guerrier de Vachères porte un scutum oblong muni d’un umbo circulaire, de tradition germanique129. On retrouve ce type d’équipement défensif sur l’arc d’Orange. Porté en écharpe du côté gauche, le bouclier permet de couvrir le buste et la cuisse du cavalier ainsi que le flanc de sa monture130. Pour l’immense majorité d’entre elles, les troupes occidentales servent comme cavalerie médiane : nous entendons par là que leur équipement leur permet de combattre à distance comme au corps-à-corps131. ROTH CONGÈS (2009), 68, fig. 5. HARMAND (1967), 86. 127 PERNET (2010), 112-23. 128 AMY ET AL. (1962), 125. 129 PERNET (2010), 109-12. 130 Cf. Asclep., 1, 3 : θυρεοφόρον, ὅτ’ ἂν καὶ ἀσπίδας ἔνιοι φορῶσι παραμήκεις διὰ τὸ συνεπισκέπεσθαι καὶ τὸν ἵππον. L’utilisation de larges boucliers oblongs est l’une des caractéristiques les plus notables de la cavalerie tardo-laténienne. Ces scuta se constituent d’une planche de bois, recouverte d’une couche de cuir, et sont renforcés sur leur face extérieure par un umbo (circulaire ou à ailettes) et parfois par une spina. La poignée horizontale permet de tenir le bouclier de la main gauche en même temps que les rênes du cheval. Cf. SEKUNDA (2006), qui traite de leur adoption par les armées hellénistiques et républicaine. 131 VIGNERON (1968), I, 267-8 insiste excessivement sur le harcèlement à distance, sans tenir compte des témoignages qui montrent que les auxiliaires gaulois et germains pratiquaient aussi souvent le combat de choc. Cette tendance à considérer les cavaleries auxiliaires tardo-républicaine et impériale comme des cavaleries légères se fonde, chez cet 125 126
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À plusieurs reprises dans le corpus césarien, des cavaliers celtes et germains lancent des projectiles contre leurs adversaires132. Ces javelines sont certainement les μικρὰ δοράτια que Plutarque prête aux cavaliers gaulois de P. Crassus lors de la bataille de Carrhes (53 av. J.-C.), et dont il nous dit qu’elles étaient inefficaces contre les puissantes armures métalliques des cataphractes parthes133. Mais les equites transalpins excellent aussi dans la mêlée. Lors du grand combat de cavalerie qui se déroule quelques jours avant le siège d’Alésia en 52, les cavaliers de Vercingétorix font ainsi le serment de « traverser par deux fois à cheval les rangs ennemis »134. Les Gaulois disposent en particulier de selles à armature solide qui leur procurent une grande stabilité pour l’escrime au corps-à-corps. Les Germains méprisent cet accessoire de monte, qu’ils considèrent comme un signe de mollesse, et préfèrent sauter de cheval pour continuer le combat à pied135. Cela ne les empêche pas de pratiquer la charge à fond, par exemple lors du deuxième combat de cavalerie devant Alésia136. Leur prédilection pour le corps-à-corps se retrouve dans un passage du De bello Alexandrino : alors que les troupes égyptiennes de Ptolémée XIII harcèlent celles de César depuis l’autre rive d’une rivière encaissée, les Germains n’hésitent pas à traverser le cours d’eau à la nage pour forcer l’engagement137. L’autre grande particularité de la cavalerie germanique réside dans l’emploi de binômes associant un fantassin léger à chaque cavalier. Cette tactique, longuement décrite par César, rappelle celle des hamippoi grecs et pourrait être à l’origine de la formation des premières cohortes mixtes138 : auteur, sur un présupposé dogmatique, postulant l’abandon général de « la tactique des lanciers » après la deuxième guerre punique. 132 Caes., BG, I, 46, 1 (cavaliers d’Arioviste) ; V, 57 et 58 (cavaliers trévires). 133 Plut., Cras., 25, 7. 134 Caes., BG, VII, 66, 7 : bis per agmen hostium perequitasset. Mais il peut s’agir d’un topos car l’expression se retrouve sous une forme légèrement différente chez Liv., XL, 40, 7 : bis ultro citroque cum magna strage hostium, infractis omnibus hastis, transcurrerunt. 135 Caes., BG, IV, 2, 3-4 : Equestribus proeliis saepe ex equis desiliunt ac pedibus proeliantur, equos eodem remanere uestigio adsuefecerunt, ad quos se celeriter, cum usus est, recipiunt : neque eorum moribus turpius quicquam aut inertius habetur quam ephippiis uti. 136 Ibid., VII, 80, 6 : durant ce combat, les Germains de César chargent les Gaulois de l’armée de secours « en ordre serré » (confertis turmis), dispositif qui ne convient évidemment pas aux manœuvres de harcèlement. 137 Ps-Caes., BAlex., 29. 138 D’après TAUSEND (1988), cette Taktik der Doppelkampfer était surtout répandue chez les auxiliaires ubiens (cf. CIL, X, 4862 = ILS, 2690 : cohors Ubiorum peditum et equitum), alors que la charge à fond avait plutôt la faveur des chattische Bataver und Kannanefaten, qui formaient le noyau de la future garde montée des empereurs. Sur les
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« Ils étaient six mille cavaliers, et autant de fantassins, les plus agiles et les plus braves de tous : chaque cavalier en avait choisi un sur l’ensemble des troupes pour sa sûreté personnelle. Ils allaient au combat avec eux. C’était sur eux que les cavaliers se repliaient ; ils accouraient si la situation devenait critique ; ils entouraient et protégeaient celui qui, grièvement blessé, était tombé de cheval ; s’il fallait avancer à quelque distance ou faire une retraite rapide, ils avaient grâce à leur entraînement, une telle agilité qu’en se tenant aux crinières des chevaux ils les suivaient à la course. » (trad. Constans modifiée)139.
À côté de cette cavalerie polyvalente, les Romains emploient aussi souvent des unités de cavalerie légère, pratiquant de manière exclusive le harcèlement à distance. C’est le cas des auxiliaires numides et maures que l’on retrouve durant toute la période, le plus souvent en Afrique, mais aussi sur d’autres théâtres d’opération140. Ces cavaliers fournis par les tribus du nord du Maghreb montent leurs chevaux à cru et n’utilisent comme armement qu’un petit bouclier rond et des javelines. Une série de stèles trouvées en Grande Kabylie (les stèles de type « Abizar ») donnent à voir de tels combattants, munis de leurs attributs, dont certains renvoient à l’exercice supposé d’un pouvoir politique (fig. 7)141. Ces représentations parfois accompagnées d’inscriptions libyques sont probablement celles de ces « princes » qui servaient d’intermédiaires privilégiés entre les communautés locales et le pouvoir romain. La tactique des javeliniers africains consiste à faire pleuvoir des nuées de traits dans les rangs des ennemis142 et à se replier dès que celui-ci tente de riposter, avant de se rédéployer pour réitérer l’opération143. On trouve enfin des archers montés (equites sagittarii / ἱπποτοξόται) dans les armées de campagne du Ier s. av. J.-C. Ces unités sont plus rarement attestées dans les sources et sont surtout actives en Orient, là où les généraux romains les recrutent. Elles sont présentes dans l’armée de Pompée à Pharsale, dans l’armée de Cassius lors de ses opérations contre Dolabella et dans celle des hamippoi : Xen., Hipp., 5, 6 (avec VIGNERON [1968], I, 249-51 ; SEKUNDA [1986], 53-4 ; SPENCE [1993], 21 et 58-60 ; GAEBEL [2002], 139-40). 139 Caes., BG, I, 48, 5-7 : Equitum milia erant sex, totidem numero pedites uelocissimi ac fortissimi, quos ex omni copia singuli singulos suae salutis causa delegerant : cum his in proeliis uersabantur. Ad eos se equites recipiebant : hi, si quid erat durius, concurrebant, si qui grauiore uulnere accepto equo deciderat, circumsistebant ; si quo erat longius prodeundum aut celerius recipiendum, tanta erat horum exercitatione celeritas, ut iubis equorum subleuati cursum adaequarent. 140 HAMDOUNE (1999), 69-93. 141 LAPORTE (1992) ; CAMPS ET AL. (1996-1998). 142 App., Pun., V, 26 ; Luc., Phars., IV, 680-83 ; Serv., apud Aen., VII, 732 ; Oros., V, 15, 11 et 15. 143 Sall., Jug., 101, 4.
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Figure 7 – Stèles libyques de Grande Kabylie. 1 - Abizar. 2 - Souama. 3 - Bou Djemaa. Source : LAPORTE (1992), 394, fig. 2. Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.
césaricides à Philippes144. Quelques rares cas de supplétifs orientaux apparaissent durant les campagnes contre les Parthes (Osrhoéniens de Crassus, Arméniens d’Antoine)145 : leur aide semble avoir été particulièrement appréciée contre la cavalerie arsacide qui pratique l’archerie montée avec prédilection146, mais aucune source n’évoque directement leur rôle au combat. 144 Caes., BC, III, 4, 5 (hippotoxotae syriens d’Antiochos de Commagène) ; App., BC, IV, 59, 63 et 88 ; Str., XVI, 2, 10 ; Just., XLII, 4, 7 (archers montés arabes, mèdes et parthes). Lors de la bataille de Philippes, les Césaricides attendaient apparemment un contingent supplémentaire de cavaliers parthes, qui n’arriva pas à temps : App., BC, IV, 133 ; Flor., II, 19, 4 ; Cass. Dio, XLVIII, 24, 4-5. Cf. KENNEDY (1977), 528 ; HERZ (1982), 177 ; LEROUGE (2007), 87 ; WHEELER (2016), 183-4, qui pensent qu’il faut distinguer ces renforts attendus, des Parthes qui furent effectivement présents durant la bataille. Contra SADDINGTON (1982), 18. 145 Osrhoéniens : Plut., Crass., 21, 1 et Cass. Dio, XL, 20, 3 ; 23, 1. Arméniens : Plut., Crass., 19, 1 ; Ant., 37, 3 ; 50, 4. 146 Ibid., 50, 5-6.
CHAPITRE 3 LA CAVALERIE DANS LES GUERRES TARDO-RÉPUBLICAINES
Le Ier s. av. J.-C. est l’un des temps forts du développement du combat de cavalerie dans le monde romain. Certains grands imperatores disposent pour la première fois de contingents montés dont les effectifs dépassent la dizaine de milliers de soldats. Épisodiquement, les sources mentionnent de véritables armées de cavalerie capables d’agir de manière autonome dans de vastes secteurs d’opérations, sans l’appui de fantassins. Sur le plan tactique et notamment dans les batailles rangées, les troupes montées remplissent des tâches essentielles : elles engagent des combats préliminaires avec les escarmoucheurs adverses, protègent les flancs de l’infanterie, cherchent à envelopper l’armée ennemie et à la mettre en déroute avant d’entreprendre le massacre en règle des fuyards. En dehors des batailles en rase campagne, la cavalerie est utilisée pour nombre d’opérations périphériques1 : elle assure la reconnaissance des espaces parcourus et l’acquisition du renseignement, escorte les colonnes de fantassins et les détachements de fourrageurs, harcèle l’armée adverse et garantit le prélèvement des approvisionnements en territoire ennemi. Ces missions ne sont pas toujours tactiquement décisives mais permettent à l’ensemble de l’armée de se mouvoir et d’opérer conformément au plan stratégique du haut commandement, tout en empêchant l’armée adverse de faire de même. Elles impliquent souvent des escarmouches qui diffèrent des batailles d’infanterie en ce qu’il s’agit de rencontres plus fugaces, répétées, mettant aux prises des effectifs moindres.
1 Sur l’échelle d’analyse des réalités opérationnelles, cf. ROGERS (2006), 1233. Le concept moderne d’« opération », d’« opératique » ou d’« art opératif » renvoie à une ou plusieurs actions militaires conduites par de grands corps de troupes associant plusieurs armes (cavalerie, infanterie…) dans la réalisation d’objectifs communs. Ces actions sont délimitées dans un cadre spatialement et temporellement cohérent.
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I – LA
CAVALERIE RÉPUBLICAINE EN CAMPAGNE
A. Mobilité opérationnelle et détachements de cavaliers L’étude des missions confiées à la cavalerie doit nécessairement commencer par un constat élémentaire mais fondamental : le principal avantage des troupes montées réside dans leur grande mobilité, qui leur permet de parcourir en peu de temps des distances beaucoup plus importantes que l’infanterie2. Il faut évidemment se garder d’imaginer que les cavaliers romains étaient capables, à l’image des nomades des steppes, d’effectuer de grandes chevauchées sur plusieurs milliers de kilomètres. Nous verrons en temps voulu que cette conception ne correspond pas aux capacités des armées sédentaires de l’Antiquité. Cependant, sur de courtes distances, l’equitatus tardo-républicain pouvait certainement se déplacer plus rapidement que l’infanterie, et les missions qui lui étaient assignées dépendaient largement de ce paramètre. Une indication fournie par Plutarque donne une illustration très claire de cette réalité. À la suite d’un combat livré près de Phraaspa, en 36 av. J.-C., Antoine détache un corps d’armée mixte pour poursuivre des troupes ennemies qui viennent d’être mises en fuite. L’infanterie légionnaire parvient à atteindre une distance de cinq stades (environ neuf kilomètres). La cavalerie, pour sa part, poursuit « trois fois plus loin »3. Ce rapport d’un pour trois en faveur de la cavalerie a des conséquences importantes sur l’organisation des opérations militaires. Comme le souligne Clausewitz, l’essence de la stratégie consiste, pour un général, à être capable de déplacer ses troupes de manière à être le plus fort possible au moment décisif de l’affrontement4. En raison de sa grande mobilité, la cavalerie est la composante tactique la plus à même d’agir suivant ce principe de « concentration des forces », en provoquant des attaques du fort au faible contre des détachements isolés et mal préparés. C’est aussi l’arme qu’un général prend le moins de risques à exposer au combat puisque les soldats à cheval ont toujours la possibilité de se retirer de l’engagement en cas de difficulté5. Ces deux avantages expliquent pourquoi les troupes montées sont si souvent détachées en avant des armées de campagne, que ce soit pour poursuivre une armée en déroute, comme l’illustre l’exemple qui vient 2 Sur la question, voir HYLAND (1990), 162-3, 192-5, 242-3 ; VIGNERON (1968), I, 159-65 ; JUNKELMANN (1990), I, 84. 3 Plut., Ant., 39, 7. 4 Clausewitz, De la guerre, III, 11 (éd. Naville p. 214). 5 Voir les remarques intemporelles d’AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 16.
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d’être évoqué, ou pour n’importe quelle autre tâche que l’infanterie serait trop lente à accomplir6. Ils permettent aussi de comprendre l’un des modes opératoires privilégiés de la cavalerie : la surprise. La mobilité supérieure de la cavalerie permet en effet d’attaquer l’ennemi où et quand il ne s’y attend pas, et notamment lorsqu’il est en situation d’infériorité numérique. César donne un bon exemple de ce type d’action lors de la campagne de 53 contre Ambiorix. Afin de s’emparer du chef des Éburons, le proconsul détache en avant de son armée « L. Minucius Basilus et toute la cavalerie, avec ordre de profiter de la rapidité de sa marche et de toute occasion favorable. »7. Basilus se conforme aux ordres reçus : « après une marche effectuée rapidement et par surprise » qui lui permet de neutraliser les éclaireurs gaulois8, il parvient à atteindre Ambiorix sans que ce dernier ait pu être informé de son approche. Pris au dépourvu par « l’arrivée soudaine de la cavalerie » romaine (repentino equitum aduentu), les Éburons doivent fuir en toute urgence9. Ces attaques surprise peuvent aussi cibler des convois de ravitaillement, des fourrageurs ou des travailleurs en train d’établir un camp d’étape10. Dans d’autres circonstances, la cavalerie est détachée pour prendre des villes ou des points fortifiés, épargnant à l’infanterie de longues et fastidieuses opérations de siège. Ainsi, lors de la guerre de Jugurtha en 107, Marius parvient à enlever Capsa sans avoir à combattre. Il se dirige à marche forcée vers la ville et, une fois arrivé à proximité, détache en avant sa cavalerie et des troupes légères pour prendre les portes. La suprise oblige les habitants à se rendre11.
6 D’autres opérations de poursuite à grande échelle sont attestées durant la période. Cf. e.g. Caes., BC, III, 102, 1 (trad. P. Fabre) : « César pensa qu’il lui fallait tout abandonner pour poursuivre Pompée, quel que fût le lieu où il se serait retiré après sa fuite, pour l’empêcher de lever de nouvelles troupes et de recommencer la guerre ; aussi avançait-il chaque jour de toute la distance qu’il pouvait couvrir avec la cavalerie ; une légion devait le suivre en faisant de moins longues étapes ». 7 Caes., BG, VI, 29, 4 (trad. L.-A. Constans) : Lucium Minucium Basilum cum omni equitatu praemittit, si quid celeritate itineris atque opportunitate temporis proficere posset. 8 Ibid., 30, 1. 9 Ibid., 30, 2-31, 2. 10 Ravitaillement : Ps.-Caes., BHisp., 11, 1 ; App., BC, V, 32. Fourrageurs : App., Pun., 100 ; Caes., BC, I, 55 ; III, 37, 5-7. Travailleurs : App., BC, V, 110. 11 Sall., Jug., 91, 4-5 : repente omnem equitatum et cum his uelocissimos pedites cursu tendere ad Capsam et portas obsidere iubet. Deinde ipse intentus propere sequi neque milites praedari sinere. Quae postquam oppidani cognouere, res trepidae, metus ingens, malum improuisum, ad hoc pars ciuium extra moenia in hostium potestate coegere uti deditionem facerent.
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La mobilité n’est pas seulement un avantage sur le plan offensif. C’est aussi une qualité très appréciable pour la défense, lorsqu’une situation critique nécessite une intervention immédiate. Au début de l’année 52, alors qu’il doit se rendre rapidement en pays héduen pour empêcher l’insurrection gauloise de se propager, César prend la tête de sa cavalerie et, sans s’arrêter ni de jour ni de nuit, remonte à marche forcée la vallée du Rhône : « il voulait, au cas où les Héduens iraient jusqu’à tramer quelque plan contre sa vie, en prévenir, par sa rapidité, l’exécution. »12. Cette vélocité permet encore d’occuper avant l’ennemi des positions avantageuses (éminences, défilés ou cours d’eau), dont le contrôle peut avoir des retombées importantes sur le dénouement d’une campagne. En 109, alors qu’il progresse à l’intérieur du territoire numide, Metellus, qui vient d’être informé de l’arrivée imminente des troupes de Jugurtha, envoie immédiatement Rutilius en détachement avec des troupes montées et des cohortes légères pour établir un camp sur le Muthul13. Si elle s’était vu interdire l’accès à ce cours d’eau (l’un des seuls de la région)14, l’armée romaine aurait certainement dû se replier vers la côte. Un procédé identique est adopté par Ventidius Bassus en 39 : alors qu’il se trouve en Cilicie, le général romain détache sa cavalerie dans l’Amanus pour s’emparer rapidement du défilé d’Alexandrette, l’un des principaux points d’accès vers la Syrie et la moyenne vallée de l’Euphrate, que les Parthes disputent aux Romains15. On peut légitimement se poser la question du degré d’autonomie dont disposent ces groupes mobiles de cavaliers : sont-ils capables d’agir seuls, sans le soutien de l’infanterie, notamment sur de longues distances ? Voit-on se développer de véritables armées de cavalerie ? Il semble bien que dans la plupart des cas, les Romains aient privilégié des détachements mixtes, quitte à laisser la cavalerie prendre un peu d’avance sur les fantassins chargés de les accompagner et de les protéger. Mais il existe des exceptions. Deux exemples issus des Commentarii de bello Gallico montrent que, dans certaines circonstances, des cavaliers pouvaient se passer du soutien des soldats à pied. En 56, César détache une force montée sous le commandement de Labienus pour maintenir les 12
Caes., BG, VII, 9, 4 (trad. L.-A. Constans) : ut, si quid etiam de sua salute ab Haeduis iniretur consilii, celeritate praecurreret. Voir aussi Hirt., BG, VIII, 39, 4 (César se rend en toute hâte du territoire des Carnutes vers Uxellodunum, que Caninius est en train d’assiéger) : ipse cum omni equitatu quam potest celerrime ad Caninium contendit. 13 Sall., Jug., 50, 1. 14 Ibid., 48, 4. 15 Cass. Dio, XLVIII, 41.
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Trévires dans l’obéissance pendant que lui-même s’occupe de soumettre les Vénètes16. L’effectif de ce parti n’est pas renseigné mais il devait être suffisamment important pour permettre le contrôle d’une vaste ciuitas. En 53, après la campagne contre les Ménapes, le proconsul a recours au même mode opératoire : il laisse sur place, « pour les surveiller, Commios l’Atrébate avec de la cavalerie, et il marche contre les Trévires »17. Dans les deux cas, il est question d’opérations de surveillance dont l’ampleur reste limitée. Leur signification ne doit pas être surinterprétée : César n’a pas cherché à faire de la cavalerie une « arme autonome, appropriée aux vastes espaces », comme le suppose Michel Rambaud18. Il demeure le plus souvent fidèle à la tradition privilégiant l’emploi de corps mixtes. Mais l’ampleur de ces détachements mérite d’être notée dans la mesure où elle marque une évolution notable par rapport à la période précédente. Sur le terrain, le système de la légation permet d’organiser ces groupes mobiles avec une grande souplesse19. Les légats assument les fonctions du général sur des théâtres d’opérations secondaires lorsqu’une division des forces intervient. Les corps d’armée dont ils assurent le commandement dépassent généralement le millier, voire la dizaine de milliers de soldats. Leur composition varie en fonction des nécessités. Il s’agit le plus souvent de forces mixtes ; plus exceptionnelement de pures armées 16 Caes., BG, III, 11, 1-2 : Itaque T. Labienum legatum in Treueros, qui proximi flumini Rheno sunt, cum equitatu mittit. Huic mandat, Remos reliquosque Belgas adeat atque in officio contineat Germanosque, qui auxilio a Belgis arcessiti dicebantur, si per uim nauibus flumen transire conentur, prohibeat. 17 Ibid., VI, 6, 4 (trad. L.-A. Constans) : His confirmatis rebus Commium Atrebatem cum equitatu custodis loco in Menapiis relinquit ; ipse in Treueros proficiscitur. 18 Cf. RAMBAUD (1969), 659-61, évoquant une véritable répartition des tâches : « force de surveillance, de police et de défense expédiée loin du quartier général, la cavalerie doit permettre au conquérant de concentrer l’effort de l’infanterie lourde, arme de choc et de conquête, sur une autre région, Schwerpunkt de la guerre. » Selon lui, ce mode opératoire aurait caractérisé les premières années de la conquête. Le proconsul aurait ensuite renoncé à utiliser sa cavalerie de la sorte : la défaite de son equitatus contre les Usipètes et les Tenctères en 55 l’en aurait convaincu (Caes., BG, IV, 12). Cette théorie nous semble pécher par excès de systématisme. Rambaud ne cite qu’un seul exemple de véritable détachement autonome : celui de Labienus en 56. Ce cas particulier ne permet pas de mettre en évidence une distinction générale des rôles stratégiques de l’infanterie et de la cavalerie. On notera par ailleurs qu’en 56, César ne détache pas toute sa cavalerie chez les Trévires : Publius Crassus opère au même moment en Aquitaine avec douze cohortes et une force substantielle d’equites (ibid., III, 11, 3). Quant à la défaite de la cavalerie romaine contre les Usipètes et les Tenctères, elle ne constitue pas non plus une césure puisque nous avons vu qu’en 53, César charge encore ses cavaliers d’assurer une mission de surveillance sans le soutien de fantassins. 19 Voir HARMAND (1967), 377-8 et PRAG (2010), 102-3.
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de cavalerie20. Il n’existe à notre connaissance que deux exemples de ce dernier cas de figure : outre celui du détachement commandé par Labienus chez les Trévires en 56, on peut noter qu’en 51, les légats G. Pedius et L. Aurunculeius Cotta commandent toute la cavalerie détachée par César à la poursuite des Belges21. Des lieutenants peuvent aussi commander de grands rassemblements de cavaliers dans l’ordre de marche ou dans la ligne de bataille : en 108, Marius est à la tête de l’arrière-garde montée de l’armée de Metellus en Numidie22 ; en 58, P. Crassus commande la cavalerie de l’aile gauche césarienne lors de la bataille d’Argentorate contre Arioviste23. S’il est vrai que des légats peuvent diriger des forces mixtes rassemblant des auxiliaires, c’est aussi le cas des questeurs comme l’illustre l’exemple de Sylla dans l’armée de Marius et celui de Marc Antoine dans l’armée des Gaules24.
B. Le renseignement et la reconnaissance armée Lorsqu’ils ne combattent pas directement, les cavaliers sont la plupart du temps les « yeux du général »25. Dans l’ordre de marche, certains escadrons doivent assurer la protection immédiate de la colonne contre d’éventuelles attaques surprise en patrouillant autour de l’armée. En sus de ce dispositif classique, des forces montées peuvent être détachées plus loin pour reconnaître la région parcourue et se renseigner sur la position, les effectifs ou encore l’armement de l’ennemi. L’ordre de marche de Q. Caecilius Metellus en Numidie (108 av. J.-C.) offre un bon exemple de cette répartition des tâches (fig. 8). L’armée romaine avance « en colonne protégée » (munito agmine) : Metellus forme l’avant-garde constituée de fantassins légers ; Marius, son légat, est à l’arrière-garde avec la cavalerie italique ; les equites auxiliares sont sur les flancs, avec des vélites parmi eux (permixti uelites). Salluste prend soin de préciser 20
Forces mixtes : Caes., BG, V, 17, 2 (C. Trebonius) ; VI, 32, 6 (Q. Tullius Cicero). Ibid., II, 11, 3. 22 Sall., Iug., 46. 23 Caes., BG, I, 52, 7. Pour un exemple plus ancien, voir aussi Liv., XLII, 58, 11-4 (bataille de Kallikynos, 171 av. J.-C.). 24 Sylla : Sall., Jug., 98 et 100. Antoine : Hirt., BG, VIII, 38, 1 et 48, 1. Voir PRAG (2010), 103 et n. 7. 25 Cf. Clausewitz, De la guerre, V, 7 (éd. Naville, 332-3). Sur la question du renseignement opérationnel à l’époque républicaine, voir VEITH (1906), 45-6 ; KROMAYER & VEITH (1928), 426-7 ; AUSTIN & RANKOV (1995), chap. 3 ; EZOV (2000) ; SHELDON (2005), 18-9 (insistant sur l’ancienneté de cette pratique dans le monde romain) et 120-1 (époque césarienne). 21
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Figure 8 – Ordre de marche de Metellus en Numidie (108 av. J.-C.).
que Metellus a préalablement envoyé des éclaireurs au loin et en tous sens (late explorare omnia), pour observer les mouvements de l’armée adverse26. Une procédure identique est employée par Marius deux ans plus tard, lorsqu’il se replie vers ses quartiers d’hiver en Afrique : soupçonnant la proximité des ennemis, ce dernier missionne des transfuges numides en reconnaissance (exploratio) pour percer les desseins de Jugurtha27. Quatre jours plus tard alors que l’armée romaine a presque atteint Cirta, tous les éclaireurs (speculatores) se rabattent vers la colonne pour signaler l’arrivée imminente de l’ennemi28. La mission principale de ces cavaliers est de collecter les renseignements nécessaires au bon déroulement de la campagne. Mais les opérations de reconnaissance débouchent fréquemment sur de véritables combats. Ces affrontements peuvent être fortuits et involontaires. En 58, immédiatement après avoir traversé la Saône, César détache 4 000 cavaliers pour se renseigner sur les mouvements de l’armée helvète : ses 26 Sall., Jug., 46 : Neque Metellus idcirco minus, sed pariter ac si hostes adessent munito agmine incedere, late explorare omnia. Remarquons que ce n’est pas toute la cavalerie qui a été détachée à cette fin, mais seulement une partie. 27 Ibid., 100 : Perfugae, minime cari et regionum scientissimi, hostium iter explorabant. 28 Ibid., 101 : Igitur quarto denique die haud longe ab oppido Cirta undique simul speculatores citi sese ostendunt, qua re hostis adesse intellegitur. Sed quia diuersi redeuntes alius ab alia parte atque omnes idem significabant.
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troupes accrochent trop vivement l’arrière-garde des ennemis et doivent livrer bataille sur un terrain qu’elles n’ont pas choisi (alieno loco), dans des conditions défavorables29. Dans d’autres circonstances, les combats d’avant-postes peuvent être liés à la volonté de faire des prisonniers qui seront ensuite interrogés30. Mais la plupart du temps, ces affrontements semblent découler naturellement des opérations de renseignement31. Il faut y voir un procédé permettant de contrarier les plans de l’adversaire et, éventuellement, de le forcer à accepter un engagement général. Clausewitz souligne par ailleurs que la simple menace qu’une reconnaissance agressive fait peser sur l’ennemi est parfois une fin en soi : « l’efficacité des corps avancés consiste plutôt dans leur simple présence que dans la force réellement déployée par eux, plutôt que dans la possibilité des engagements qu’ils pourraient livrer que dans ceux qu’ils livrent réellement ; ils ne sont pas destinés à arrêter les mouvements de l’ennemi, mais à les modérer et à les régulariser comme le ferait un pendule, ce qui nous permet de les soumettre à nos calculs. »32. Au cours du Ier s. av. J.-C., la qualité des reconnaissances demeure très inégale et dépend des circonstances particulières présidant à l’organisation de chaque campagne. Il n’existe pas dans l’armée républicaine de système de renseignement permanent ni de corps d’éclaireurs professionnels33. Les troupes sélectionnées pour l’exploratio sont presque toujours issues des rangs de la cavalerie auxiliaire et forment des groupes constitués ad hoc34. Les alliés locaux sont particulièrement appréciés pour leur bonne connaissance du terrain. Lors de sa campagne de 197 contre 29 Caes., BG, I, 15, 1-2. Dans ce même passage, César souligne l’impact psychologique de ces combats, qui permettent aux armées de se jauger avant l’affrontement général : « Ce combat exalta l’orgueil de nos adversaires, qui avaient avec cinq cents cavaliers repoussé une cavalerie si nombreuse ». Voir également ibid., II, 8, 1-3. 30 Ibid., VIII, 7, 1-2 (trad. L.-A. Constans modifiée) : « Quand il a réuni ces troupes, il marche contre les Bellovaques, campe sur leur territoire et envoie dans toutes les directions des escadrons de cavalerie pour faire quelques prisonniers qui pourront lui apprendre les desseins de l’ennemi. Les cavaliers, s’étant acquittés de leur mission rapportent qu’ils n’ont trouvé que peu d’hommes dans les maisons. » 31 E.g. App., BC, V, 23 (guerre de Pérouse, 41 av. J.-C.) : « Arrivé le premier, César envoya des cavaliers sur le passage de Lucius, sans doute pour un repérage des lieux, au cas où ils verraient une quelconque embuscade quelque part. Et ces cavaliers, ayant rencontré d’autres cavaliers appartenant à Lucius, sans doute des coureurs ou des éclaireurs eux aussi, en tuèrent quelques-uns. » (trad. M. Étienne-Duplessis modifiée). 32 Clausewitz, De la guerre, V, 8 (éd. Naville p. 343). 33 SOUTHERN (2006), 225. 34 AUSTIN & RANKOV (1995), 101. Un unique temoignage laisse cependant penser que des éclaireurs pouvaient être recrutés dans les rangs de la cavalerie légionnaire : Ps.-Caes., BHisp., 13, 3 (Speculator de legione II Pompeiana).
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Philippe V, T. Quinctius Flamininus détache ainsi 300 κατάσκοποι en avant de son armée tout en s’assurant d’intégrer dans ce parti deux escadrons de cavalerie étolienne à cause « de l’expérience qu’elle avait des lieux » (διὰ τὴν ἐμπειρίαν τῶν τόπων)35. Les Romains n’hésitent pas à s’en remettre à des princes clients, qui jouent traditionnellement un rôle de premier plan dans la collecte du renseignement stratégique et peuvent aussi servir à la tête de contingents montés36. Mais la plupart du temps, les sources se contentent d’observer la mobilisation de supplétifs alliés, sans que la mission semble faire intervenir de personnage de haut rang37. Ces éclaireurs sont parfois d’une fiabilité douteuse et nombre d’exemples rappellent les risques que comporte un système de renseignement reposant exclusivement sur leur concours38. En 67, M. Fabius, légat de Lucullus dans le Pont, fait l’erreur de recourir aux services de cavaliers thraces, anciens mercenaires de Mithridate : ces derniers lui livrent de fausses informations sur l’approche du roi39. En 53, les éclaireurs du phylarque osrhoénien Abgar incitent Crassus à s’engager dans la plaine du Balikh pour livrer bataille contre Suréna dans des circonstances désavantageuses et finissent par le trahir ouvertement en prenant ses troupes à revers40. Depuis les travaux de Georg Veith, on suppose qu’une amélioration serait survenue dans le domaine du renseignement à la fin de la 35 Plb., XVIII, 19, 9. Voir aussi le cas des transfuges numides de l’armée de Marius, dont Salluste précise qu’ils étaient regionum scientissimi (Sall., Jug., 100, 3). 36 Voir e.g. le rôle des princes thraces Rhaskos et Rhaskouporis lors de la campagne de Philippes en 42, App., BC, IV, 87. 37 En 53, César recourt ainsi aux services d’exploratores ubiens pour se renseigner sur la situation des Suèves outre-Rhin : Caes., BG, VI, 29, 1. 38 C’est peut-être pour cette raison que César leur adjoint parfois des centurions : e.g. ibid., II, 17, 1. Il arrive aussi que le général lui-même participe aux opérations, non sans prendre de gros risques : e.g. App., BC, V, 23 (Octavien). 39 Cass. Dio, XXXVI, 9, 3. 40 Plut., Cras., 21-2 ; Cass. Dio, XL, 20, 3 et 23, 1. Sur la faillite du renseignement opérationnel de Crassus lors de la campagne de Carrhes, cf. SHELDON (2005), 86-99 et (2010), 33-6. Le tableau très sombre brossé par cette historienne nous semble cependant excessivement tributaire de sources dont la partialité à l’égard du proconsul de Syrie n’est plus à démontrer (cf. LEROUGE [2007], 296). Crassus était bien renseigné sur le mode de combat des Parthes en 53 puisqu’il avait fait campagne contre eux l’année précédente. En outre, il est difficile de croire qu’il se soit laissé égarer en plein « open desert » par ses éclaireurs osrhoéniens. Contrairement à ce que suggère le texte de Plutarque, l’itinéraire proposé par Abgar, consistant à passer par la vallée du Balikh, n’était pas plus dangereux que la voie de l’Euphrate : Crassus avait déjà établi des garnisons en Haute Mésopotamie, notamment à Carrhes où un certains Coponius était en poste (Plut., Cras., 27) ; il disposait à la fois de places fortes où se replier et d’éclaireurs dans la région. Du reste, son armée pouvait s’appuyer sur le Balikh pour descendre vers Kallinikos.
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République41. L’officier et historien autrichien reconnaît en particulier à César le mérite d’avoir organisé et érigé l’exploratio au rang de principale activité de la cavalerie, avec une importance et une efficacité nouvelles42. Il nous semble difficile de partager cette conclusion. Durant la campagne de 58 contre les Helvètes, César se contente souvent de détacher toute sa cavalerie dans la direction supposée de l’armée ennemie, et non en tous sens comme le faisaient Metellus et Marius lors de la guerre de Jugurtha43. Un tel mode opératoire place automatiquement une armée en marche à la merci d’éventuelles embuscades. L’incurie du renseignement opérationnel des armées césariennes est encore confirmée lors du bellum Africum en 46. Alors qu’il se dirige vers Ruspina avec une partie de son armée, César se rend compte trop tard – informé par ses éclaireurs qui n’opéraient manifestement pas assez loin du gros de ses troupes – de l’approche de l’armée de Labienus44. L’affrontement qui s’ensuit amène les troupes césariennes au bord du désastre : disposant d’informations erronées sur la nature de l’ordre de bataille adverse, César range son armée sur une seule ligne et se laisse facilement encercler45. Il s’en faut de peu que ses hommes ne soient complètement massacrés par la cavalerie numide dans leur retraite. Il n’y a donc nul lieu de penser que le dictateur avait réformé son système de renseignement dans le sens d’une plus grande efficacité46.
KROMAYER & VEITH (1928), 426. VEITH (1906), 14-5 et 473 (suivi par HARMAND [1967], 138-9). SHELDON (2005), chap. 5 insiste aussi sur les qualités de César dans ce domaine, qu’elle oppose aux défauts de son contemporain Crassus. Sur la nature du renseignement césarien (aussi bien aux niveaux stratégique, opérationnel et tactique), voir de manière plus générale EZOV (1996), BERTRAND (1997) et GICHON (2011). 43 Caes., BG, I, 21, 3 : Ipse de quarta uigilia eodem itinere quo hostes ierant ad eos contendit equitatumque omnem ante se mittit. Ibid., IV, 11, 6 : Interim ad praefectos, qui cum omni equitatu antecesserant, mittit qui nuntiarent ne hostes proelio lacesserent. Ibid., VI, 29, 4 : Lucium Minucium Basilum cum omni equitatu praemittit, si quid celeritate itineris atque opportunitate temporis proficere possit. Il y a une exception au début de l’année 52, peut-être liée à la gravité de l’insurrection générale, qui obligeait César à agir avec prudence, cf. ibid., VII, 9, 2 : Brutum adulescentem his copiis praeficit ; hunc monet, ut in omnes partes equites quam latissime peruagentur. 44 Ps.-Caes., BAfr., 12, 1 : Interim cum iam Caesar progressus esset a castris circiter milia passuum III, per speculatores et antecessores equites nuntiatur ei copias hostium haud longe ab sese uisas. 45 Il pense à tort que Labienus s’apprête à lui opposer une ligne d’infanterie alors que son acies principale se compose de cavaliers et de fantassins légers, cf. ibid., 13, 1 (ut procul Caesariani pedestres copias arbitrarentur) et 2 (existimabat enim se acie instructa cum pedestribus copiis dimicaturum). 46 Dans le même sens et avec d’autres exemples : EZOV (1996), 84 et ID. (2000), 302. 41
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Lorsqu’elles décrivent des opérations de reconnaissance, les sources qualifient alternativement les éclaireurs d’exploratores et de speculatores47. Il est difficile de savoir si ces deux termes techniques recouvrent des réalités différentes. François Cadiou remarque que, dans le cas des guerres ibériques, « le terme speculator renvoie généralement à une collecte d’information sur l’état des forces ennemies. » Quant à l’exploratio, elle désignerait davantage la « reconnaissance du terrain »48. Mais nos sources utilisent parfois ces deux mots de façon interchangeable, peutêtre dans un souci de uariatio. Dans le De bello Gallico, il arrive que des exploratores soient chargés de collecter des informations sur la situation de l’armée adverse et, inversement, des speculatores peuvent accomplir les missions classiquement confiées à des éclaireurs49. La terminologie ne permet pas non plus de distinguer les éclaireurs proprement dits des soldats chargés d’assurer leur protection, comme ce sera le cas durant l’Antiquité tardive. Cependant, il n’est pas impossible que cette répartition des tâches ait existé dans les faits. Un passage de la Guerre des Gaules conforte cette hypothèse. Lorsqu’il décrit sa marche contre les Helvètes en 58, César précise qu’il détacha en avant toute sa cavalerie. Celle-ci était précédée par des éclaireurs sous les ordres de P. Considius, « qui passait pour un soldat très expérimenté et avait servi dans l’armée de Lucius Sulla, puis dans celle de Marcus Crassus »50. Il faut donc imaginer que des partis d’éclaireurs opéraient en petits groupes, en avant du reste de la cavalerie. Celle-ci était probablement rangée en unités 47 Exploratores : Caes., BG, I, 12, 2 ; 21, 1, 4 ; 22, 4 ; 41, 5 ; II, 5, 4 ; 11, 3 ; 17, 1 ; III, 2, 1 ; IV, 4, 6 ; VI, 7, 9 ; 29, 1 ; 10, 3 ; VII, 11, 8 ; 18, 3 ; 44, 3 ; BC, I, 62, 1 ; III, 41, 4 ; 79, 6 ; Hirt., BG, VIII, 35, 4 ; 36, 3. Speculatores : Caes., BG, II, 11, 2 ; V, 49, 8 ; BC, III, 66, 1 ; 67, 1 ; Ps.-Caes., BAfr., 12, 1 ; 31, 4 ; 37, 1 ; BHisp., 13, 3 ; 20, 5 ; 28, 1 ; 38, 1. Les sources grecques emploient les mots κατάσκοποι et πρόδρομοι : e.g. Plut., Cras., 20, 1 ; App., BC, V, 23. 48 CADIOU (2008), 459-60. 49 Exploratores : Caes., BG, I, 12, 2 et 41, 5 ; VI, 10, 3. Speculatores : ibid., V, 49, 8 (dans ce cas précis, il est possible que César utilise le terme speculator pour éviter une répétition avec explorare). Cf. EZOV (1996), 78-83, 93-4 et GICHON (1996), 167. SHELDON (2005), 18 observe le même phénomène chez Tite-Live, dans l’œuvre duquel les deux termes sont parfois utilisés de manière interchangeable (e.g. Liv., XXX, 4, 6 et 12). Ses conclusions sont reprises par SOUTHERN (2006), 226 : « Actually, there is probably no need to try to attribute radically different functions to the two groups, except insofar as exploratores translates best as scouts and speculatores as spies, with the same connotations as to how they operated as in more recent times. » 50 Caes., BG, I, 21, 3-4. Il nous semble que la distinction entre speculatores et antecessores en Ps.-Caes., BAfr., 12, 1 doit se comprendre dans le même sens. En BG, V, 47, 1, César emploie aussi le terme antecursores pour désigner les coureurs du questeur M. Crassus (le fils aîné du triumvir) qui sont les premiers à lui annoncer l’arrivée de leur commandant.
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régulières et prête à soutenir les exploratores en cas d’attaque ennemie. Le rayon d’action de ces éclaireurs variait probablement en fonction des circonstances et des moyens du général qui avait recours à leur service. Dans certains cas, il semble avoir été très étendu : en 58, des éclaireurs de César sont en mesure de signaler la présence de l’armée d’Arioviste à plus de 24 milles (35 kilomètres) de l’armée romaine51.
C. Les missions secondaires Outre la reconnaissance, les cavaliers assurent un certain nombre de missions secondaires qui n’impliquent pas nécessairement de livrer des combats. Ces détachements ont principalement une finalité logistique. En premier lieu, les troupes montées sont fréquemment employées pour assurer le prélèvement des approvisionnements dans le pays parcouru52. Une armée disposant d’une forte cavalerie nécessite en effet des quantités considérables de fourrage (froment, orge, avoine, seigle, luzerne, trèfle, foin) pour l’alimentation des animaux de selle comme de bât53. Il est non seulement nécessaire de s’assurer de la présence de prairies et de champs pour déterminer l’emplacement du camp54, mais aussi de s’adapter aux contraintes saisonnières. En début de campagne, jusqu’au mois de juin, le fourrage vert ne se conserve que quatre jours : au-delà, l’herbe pourrit et les chevaux n’en veulent plus55. Les soldats doivent donc faucher avec délicatesse, car les plantes fourragères poussent très rapidement à ce moment de l’année et une prairie abîmée risque de ne plus rien donner. À partir de l’été, on doit se contenter du fourrage sec et le mode opératoire
51 Ibid., I, 41, 5 : ab exploratoribus certior factus est Ariouisti copias a nostris milia passuum IIII et XX abesse. Voir EZOV (1996), 73-4. 52 Cette question a été négligée par les études d’histoire militaire. Seules les synthèses portant sur la logistique et le ravitaillement des armées romaines lui consacrent quelques développements : ERDKAMP (1998), 129-30 ; ROTH (1999), 125-30 ; LACHAPELLE (2015), 142-64. Pourtant, la dimension « tactique » de ce type d’opération est fondamentale : voir GOLDSWORTHY (1996), 290-1. Les Romains distinguent trois catégories de corvées d’approvisionnement : la lignatio (bois), la pabulatio (fourrage) et l’aquatio (eau), cf. Aul. Gell., XVII, 2, 9. 53 HYLAND (1990), 86-94. 54 C’est l’une des conditions dont doivent tenir compte les arpenteurs pour l’établissement du camp : Plb., VI, 27, 3. Lorsque le fourrage a été épuisé dans les environs, il devient nécessaire de chercher un autre emplacement, cf. Sall., Jug., 44, 4-5 : plerumque milites statiuis castris habebat, nisi cum odor aut pabuli egestas locum mutare subegerat. 55 AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 322.
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est alors différent : il faut littéralement assiéger les villages et les aedificia pour piller les granges où sont entreposés les foins56. La distinction entre les deux modes d’approvisionnement se retrouve dans les sources tardo-républicaines, en particulier dans le De bello Gallico, lorsque Vercingétorix expose à ses compagnons sa stratégie de la terre brûlée en 52. Le chef gaulois recommande en particulier d’interdire aux Romains le fourrage et les approvisionnements. Comme l’été est déjà bien entamé, la tâche sera facile : « Il n’y a pas d’herbe à couper, les ennemis devront donc se disperser pour chercher du foin dans les granges »57. La corvée de fourrage vert (pabulatio) est souvent évoquée de façon allusive dans les sources romaines58. L’opération peut débuter tôt le matin59, mais on évite le plus souvent de se rendre sur l’aire à faucher à heure fixe, de façon à ce que l’ennemi ne puisse planifier d’embuscade60. Plusieurs sources indiquent que ces corvées ont normalement lieu tous les jours61. Les fourrageurs (pabulatores) sont sélectionnés parmi les serviteurs (calones) des cavaliers62. Ces derniers les accompagnent toujours : Hirtius souligne que c’est la « coutume »63. Mais on note aussi 56 Ibid., 327-8. Ce type de fourrage se conserve sur des périodes bien plus longues et peut-être stocké en quantités très importantes. À l’été 52, au début du siège d’Alésia, César parvient ainsi à collecter pour trente jours de pabulum, cf. Caes., BG, VII, 74, 2. 57 Ibid., VII, 14, 2-3 (trad. L.-A. Constans) : Omnibus modis huic rei studendum, ut pabulatione et commeatu Romani prohibeantur. Id esse facile, quod equitatu ipsi abundent et quod anni tempore subleuentur. Pabulum secari non posse ; necessario dispersos hostes ex aedificiis petere : hos omnes cotidie ab equitibus deligi posse. Voir aussi Hirt., BG, VIII, 10, 3 (ex aedificius pabulum). 58 E.g. Caes., BG, V, 17 ; VI, 39, 1 ; Hirt., BG, VIII, 11, 2. 59 Frontin, Str., II, 5, 31. Contrairement à l’habitude qui prévalait en Europe à l’Époque moderne (cf. AUTHVILLE DES AMOURETTES [1756], 326), il ne semble pas que les fourrageurs romains partaient occuper la zone à fourrager de nuit. 60 Caes., BG, V, 17, 2 (meridie) ; VII, 16, 3 (incertis temporibus) ; BC, I, 80, 3 (hora circiter sexta eiusdem diei). En BG, VIII, 12, 1 Hirtius met en garde contre les risques que comportent des corvées routinières, effectuées à la même heure et au même endroit. Dans certains cas, les opérations de collecte peuvent avoir lieu de nuit, cf. Ps.-Caes., BAfr., 65, 2 (tertia uigilia). 61 Caes., BG, VII, 14, 4 (cotidie) ; BC, I, 40, 3 (cotidiana consuetudine) ; Hirt., BG, VIII, 10, 3 (cotidianis pabulationibus). 62 Caes., BG, VI, 36, 1. Voir aussi Liv., XXII, 42, 11 (deux serui appartenant chacun à un eques) et Frontin, Str., III, 2, 9. Parfois seuls les cavaliers sont mentionnés, mais la présence des fourrageurs est peut-être implicite : Caes., BG, V, 19 ; BC, III, 37, 5 ; 75, 1 ; Ps.-Caes., BAfr., 60, 5. Un exemple plus tardif prouve cependant que les cavaliers pouvaient exécuter eux-mêmes la corvée : Jos., BJ, VI, 153. 63 Hirt., BG, VIII, 17, 2 : equitatumque, qua consuetudine pabulatoribus mittere praesidio consuerat. C’est une tâche qui semble avoir été systématiquement remplie par les troupes montées, à tel point que, ne disposant pas d’un nombre suffisant de cavaliers lors de ses opérations en Asie mineure contre les lieutenants d’Antoine, Sextus Pompée doit renoncer à s’approvisionner : App., BC, V, 138.
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Figure 9 – Organisation schématique d’un parti de fourrage.
souvent la présence de fantassins. Les cavaliers doivent pouvoir prévenir les fourrageurs en cas d’attaque, assurer leur protection et leur retraite. Appien décrit la procédure suivie par l’armée de Scipion Émilien lors de la troisième guerre punique (fig. 9) : « Scipion menait toujours ses fantassins en formation de combat, et ses cavaliers restaient en selle ; et, quand on fourrageait, jamais on ne rompait les rangs avant que la plaine qu’il avait l’intention de moissonner n’eût été entourée d’un cordon de cavaliers et de fantassins. Alors, il faisait des rondes successives, formant lui-même un cercle avec d’autres escadrons de cavalerie et châtiant sévèrement tout moissonneur qui s’égaillait ou cherchait à sortir du cercle. » (trad. P. Goukowsky)64. 64 Id., Pun., 100 : ὁ γάρ τοι Σκιπίων αἰεὶ συντεταγμένους ἦγε τοὺς πεζοὺς καὶ τοὺς ἱππέας τῶν ἵππων ἐπιβεβηκότας· ἔν τε ταῖς προνομαῖς οὐ πρὶν διέλυε τὴν σύνταξιν ἢ τὸ πεδίον, ὃ ἔμελλεν θεριεῖν, ἱππεῦσι καὶ ὁπλίταις περιλάβοι· καὶ τότε κυκλῶν αὐτὸς ἑτέραις ἴλαις ἱππέων αἰεὶ περιῄει καὶ τῶν θεριζόντων τὸν ἀποσκιδνάμενον ἢ ἐξιόντα τοῦ κύκλου πικρῶς ἐκόλαζεν. Voir aussi Liv., XXII, 12, 8-9.
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Ce mode opératoire est à peu de choses près le même que celui que recommande la littérature militaire française du XVIIIe s.65. Les cavaliers doivent former un cordon autour de la zone à fourrager : ils peuvent ainsi détecter une éventuelle approche de l’ennemi et empêcher les fourrageurs de s’égarer. En sus de ce dispositif, des escadrons tiennent des postes (stationes) et servent de réserve tactique en cas d’attaque66 ; d’autres sont affectés à des patrouilles mobiles. La corvée de fourrage n’est pas le seul moyen d’approvisionnement des animaux attachés à l’armée. Les chevaux peuvent aussi se nourrir directement sur les pâturages, mais ce procédé est très rare et comporte de gros risques67. En effet, les attaques ciblant les fourrageurs sont fréquentes, notamment lorsque deux armées refusent la bataille en rase campagne : elles permettent d’affaiblir l’ennemi progressivement tout en ne s’exposant pas au danger d’un engagement général. Les récits de guerre tardo-républicains contiennent de nombreux exemples d’embuscades dressées contre des détachements de pabulatores68. Ces engagements dégénèrent parfois en véritables batailles rangées. Ainsi en 76 lorsque Sertorius parvient à anéantir une grande partie de l’armée pompéienne près de Lauro, et en 51, lorsque César organise une contre-attaque contre les Bellovaques qui
65 Cf. AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 324-7 : il faut aller et revenir de la corvée de fourrage vert en colonne mince pour ne pas piétiner l’aire à faucher ; les cavaliers sont chargés d’escorter et de protéger les valets qui effectueront eux-mêmes le travail ; ils doivent veiller à ce que les bois alentour soient bien reconnus et gardés ; ils doivent former autour des fourrageurs une sorte de cordon constitué d’une succession de petites gardes, échelonnées dans l’espace avec des partis avancés pour prévenir d’une éventuelle approche de l’ennemi ; l’infanterie est aussi sollicitée, notamment pour garder les endroits les moins praticables et former la frange interne du cordon (les cavaliers seront plutôt disposés vers l’extérieur) ; une réserve peut-être placée au centre de la zone à fourrager. 66 Hirt., BG, VIII, 12, 1 ; Frontin, Str., II, 5, 31. 67 Cf. Jos., BJ, VI, 153-5 (trad. A. Pelletier modifiée) : « C’est ainsi que des cavaliers, qui allaient au bois et au fourrage, ôtaient le mors à leurs chevaux et les laissaient paître (ἀνίεσαν βόσκεσθαι τοὺς ἵππους ἀποχαλινοῦντες) pendant qu’eux-mêmes faisaient leur récolte : alors les Juifs, se ruant en formations compactes, s’emparaient de leurs montures. Comme cela se produisait régulièrement, César pensa – ce qui était vrai – que ces rapines étaient dues plus à la negligence de ses hommes qu’au courage des Juifs et il décida, par un acte d’une cruauté inhabituelle, d’amener les autres à faire plus attention à leurs chevaux : il ordonna de conduire au supplice un des soldats qui s’étaient laissés prendre leur cheval et, par la terreur qu’il inspira, conserva aux autres le leur ; en effet, ils ne les laissaient plus paître (οὐκέτι γὰρ εἴων νέμεσθαι), mais ils sortaient pour les corvées sans jamais se séparer d’eux, comme s’ils ne faisaient qu’un avec leur bête. » 68 E.g. Caes., BG, VIII, 11-2 ; Ps.-Caes., BAfr., 65, 3-66, 4 ; Ps.-Caes., BHisp., 21, 2 et 27, 1. Plus il devient nécessaire de s’éloigner du camp et de se disperser, plus les partis de fourrage deviennent vulnérables, cf. ERDKAMP (1998), 137.
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tentent de piéger ses fourrageurs dans une vaste prairie près de Compiègne (fig. 14, p. 166)69. En dehors de la reconnaissance et des corvées de fourrage, la cavalerie remplit diverses missions. Elle peut servir d’escorte aux généraux70, être employée dans des opérations commando destinées à capturer un chef ennemi71, elle peut encore servir de « taxi » à l’infanterie (les cavaliers prennent des fantassins en croupe pour les emmener rapidement à l’endroit désiré)72 ou bien faciliter la traversée d’une rivière. Cette dernière tâche mérite d’être décrite car elle suit une méthode réglementaire que l’historiographie n’a pas cherché à expliquer73. Dans la plupart des cas, les sources se bornent à signaler que des troupes, accompagnées par de la cavalerie, franchissent un cours d’eau74. Parfois, l’auteur précise que les chevaux ont pour fonction de bloquer le courant : ils sont donc disposés en amont par rapport à la colonne75. César donne plus de détails lorsqu’il décrit la traversée du Sègre par ses troupes en 49 : « il fait placer un grand nombre de chevaux de charge (iumentorum) au-dessus et au-dessous du courant, et passe le fleuve avec l’armée. Quelques soldats, emportés par le courant, furent reçus et retirés de l’eau par la cavalerie : aucun ne périt. »76. Cette technique de traversée est exactement la même que celle que préconise Charles d’Authville des Amourettes dans 69 Lauro : Frontin, Str., II, 5, 31 ; App., BC, I, 109 (Frontin précise que 10 000 hommes furent perdus par Pompée dans cet affrontement). Compiègne : Hirt., BG, VIII, 18-9. 70 Caes., BC, I, 41, 1 ; 75, 2 ; II, 19, 1 ; Ps.-Caes., BAlex., 77, 2 ; Ps.-Caes., BHisp., 2, 2-3 ; 32, 4-6 ; Plut., Cat. Min., 63 ; App., BC, III, 97 ; V, 124. 71 Marius : App., BC, I, 62 ; Plut., Mar., 35-7. Paperna : App., BC, I, 115. Dumnorix : Caes., BG, V, 7, 5-9. Indutiomaros : ibid., V, 58, 4-6. Ambiorix : ibid., V, 29, 4-30. Commios : Hirt., BG, VIII, 48. Pompée : Caes., BC, III, 102, 1. Pompée le Jeune : Ps.-Caes., BHisp., 37, 2 et 38, 1. Brutus : Plut., Brut., 50, 1 ; App., BC, IV, 129. Sextus Pompée : ibid., V, 142. 72 E.g. Ps.-Caes., BHisp., 3, 3-9 : la cavalerie est chargée de transférer rapidement des renforts d’infanterie pour protéger la cité d’Ulia, assiégée par les pompéiens en 46. Les cavaliers peuvent aussi aider à évacuer du champ de bataille des fantassins vaincus et dispersés, afin de les mettre hors de danger, ainsi durant la bataille de Modène (43 av. J.-C.), cf. App., BC, III, 70. 73 VIGNERON (1968), I, 238 et n. 5. 74 Caes., BG, II, 19, 4 (Sambre) ; V, 18, 1-5 (Tamise). 75 Ibid., VII, 56, 4 (Loire) : « ses cavaliers ayant découvert un gué convenable, du moins dans la circonstance, car c’était tout juste si les bras et les épaules pouvaient rester hors de l’eau pour soutenir les armes, il disposa sa cavalerie de façon à briser le courant (disposito equitatu, qui uim fluminis refringeret), et comme l’ennemi s’était d’abord troublé à notre vue, il passa sans pertes. » (trad. L.-A. Constans). 76 Id., BC, I, 64, 5-6 (trad. P. Fabre) : magnoque numero iumentorum in flumine supra atque infra constituto traducit exercitum. Pauci ex his militibus abrepti ui fluminis ab equitatu excipiuntur ac subleuantur ; interit tamen nemo. Voir aussi ibid., I, 83, 5. Ce procédé est repris par Veg., Mil., III, 7 qui en donne un exposé un peu plus détaillé.
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son traité de 1756 : l’écrivain militaire précise que les chevaux disposés en amont doivent être disposés en files serrées, « pour qu’ils puissent rompre la rapidité de l’eau » ; mais la colonne du bas, au contraire, doit être mince et à rang ouvert pour faciliter son écoulement77. II – LA
GUÉRILLA DE CAVALERIE
A. L’armée républicaine face à la guérilla de cavalerie Les fonctions qui viennent d’être passées en revue sont les missions les plus fréquentes de la cavalerie et n’ont pas pour but d’influer directement sur le cours d’une campagne. Elles permettent à l’armée de fonctionner normalement, afin que celle-ci puisse se consacrer à la réalisation des objectifs de guerre. Mais la cavalerie peut aussi avoir une place majeure dans le plan de destruction des forces ennemies, car elle est par excellence l’arme de la « petite guerre » ou de l’« action négative », par laquelle un belligérant peut espérer remporter la victoire en épuisant progressivement l’adversaire78. En contexte défensif, sa mobilité permet de refuser l’affrontement ouvert et de harceler l’ennemi par des combats d’escarmouche79. En contexte offensif, une forte cavalerie procure la maîtrise du théâtre d’opération : elle permet de choisir où et quand combattre, d’isoler l’adversaire et de le couper de tout approvisionnement. AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 343. Nous préférons ces deux expressions à celle de « guérilla », qui connote habituellement la guerre révolutionnaire ou la guerre de libération nationale et l’action de petits groupes irréguliers. La première a été théorisée au milieu du XVIIIe s. par le capitaine de Grandmaison (cf. LE ROY DE GRANDMAISON [1756]) qui regroupe sous cette appellation toutes les actions de harcèlement entreprises contre l’ennemi par des soldats réguliers légèrement armés. Cependant, en homme de terrain, Grandmaison peine à tirer les conclusions stratégiques qui peuvent découler de ce type d’opérations : la petite guerre n’est pas véritablement pensée en autonomie, mais conçue comme un moyen de la « grande guerre ». Clausewitz pousse l’analyse plus loin dans une série de conférences données à la Berliner Kriegsschule en 1811/1812 et surtout dans le Vom Kriege, où il développe l’idée qu’il est possible de vaincre l’ennemi en menant une guerre d’épuisement qu’il qualifie de negative Bestreben ou negative Absicht. Voir notamment De la guerre, I, 2 (éd. Naville p. 75). Les Romains, qui ne semblent pas avoir produit de littérature spécifique sur la question, emploient les expressions alia ratio bellum gerendum ou alius mos bellum gerendum (« l’autre méthode / l’autre façon de faire la guerre ») pour renvoyer à la petite guerre : cf. Caes., BG, VII, 14, 1 ; Sall., Jug., 54, 5. 79 Le récit par Hérodote de l’expédition de Darius Ier contre les Scythes, c. 513 av. J.-C., fournit l’exemple paradigmatique de ce type d’action : HARTOG (1980), chap. 2. Pour un précédent plus « historique », on lira les pages consacrées par Thucydide à l’échec de Nicias lors de son expédition contre Syracuse en 415-414 av. J.-C. : PETITJEAN (2018), 44. 77 78
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Contrairement à ce que laisse croire une tradition historiographique encline à associer ce type de stratégie aux seuls ennemis de Rome, les Romains ont été alternativement victimes et acteurs de cette forme de guérilla80. Au Ier s. av. J.-C., l’armée romaine se trouve confrontée pour la première fois (autant que les sources conservées nous permettent d’en juger) à de véritables armées de cavaliers pratiquant le harcèlement à grande échelle, comme une technique de guerre destinée à emporter la décision81. Trois moments historiques voient se développer ce type de situation : le bellum Iugurthinum, puis la campagne de César contre Vercingétorix en 52 et les guerres de Rome contre les Parthes. Dans le conflit qui l’oppose à la République romaine entre 112 et 105, Jugurtha opte pour l’action négative dès l’intervention de Metellus en 10982. Il force dans un premier temps les Romains à pénétrer en Numidie, dans des territoires arides où ces derniers risquent de tomber à court 80 Voir CADIOU (2013) et LE BOHEC (2014), 258-66. A. Goldsworthy attirait déjà l’attention sur ce point dans sa synthèse sur la guerre romaine, cf. GOLSWORTHY (1996), 78 : « The supposed vulnerability of the Roman army to guerilla warfare is a myth derived from a misunderstanding of the evidence and of the nature of warfare in this period. […] the fundamental flexibility of the Roman army has not been fully appreciated. Not only was it capable of fighting a guerilla war, but it was actually better at this than most of its opponents. » Pour une réflexion globale sur la « guérilla de frontière » dans l’Antiquité classique et la littérature militaire byzantine, cf. TRAINA (1986-1987). 81 Pour une brève mise en perspective de cette question concernant l’ensemble de l’Antiquité classique, voir DELBRÜCK (1910). 82 Nous nous démarquons ici de l’analyse de CADIOU (2013), 133-7, tout en admettant que les actions entreprises par Jugurtha et ses généraux ne relevaient pas uniquement de la petite guerre (voir la tentative de Bomilcar contre Rutilius, Sall., Jug., 52, 3-53, 4). Dans son récit de la campagne du Muthul, Sall., Jug., 50, 1 précise bien – en rapportant les appréhensions prophétiques de Metellus – que la tactique des Numides consistait à ralentir la marche des Romains « par un assaut et des combats répétés sur leurs flancs » (impetu et transuorsis proeliis iter suum remoraturos) et que leur objectif était de les « réduire par la fatigue et par la soif », car « ils plaçaient peu de confiance dans leurs armes » (quoniam armis diffiderent, lassitudinem et sitim militum temptaturos). Si Metellus finit lui aussi par opter pour la petite guerre, ce n’est pas face au risque de voir l’ennemi l’emporter dans une bataille rangée (CADIOU [2013], 136, n. 81), mais plutôt en réaction à l’impossibilité de livrer ce type d’engagement dans des conditions régulières, face à la temporisation et au harcèlement de l’armée numide. Cf. Jug., 52, 3 (neque ab hoste copiam pugnandi fieri) et surtout ibid., 54, 5 (trad. A. Ernout) : « Donc voyant que le roi conserve encore son orgueil indomptable, que la guerre va reprendre, sans qu’on puisse la faire autrement qu’à son gré (quos nisi ex illius libidine geri non posset), que d’ailleurs la lutte avec les ennemis n’est pas égale (praeterea iniquom certamen sibi cum hostibus), et qu’une défaite leur coûte moins, à eux, qu’une victoire à ses hommes (minore detrimento illos uinci quam suos uincere), Metellus, renonçant aux combats et aux batailles rangées (statuit non proeliis neque in acie), se décide à employer d’autres méthodes de guerre (sed alio more bellum gerundum). »
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d’approvisionnement83. Puis, lorsqu’il juge la situation favorable, il passe à l’offensive tout en prenant soin de masquer ses déplacements : il surprend alors l’armée romaine en ordre de marche et s’efforce d’attaquer simultanément les différentes parties de la colonne adverse84. Chaque attaque est organisée de manière à laisser une échappatoire aux forces numides, que ce soit grâce à la proximité de hauteurs ou de couverts susceptibles de servir de refuge85, ou bien en provoquant l’affrontement un peu avant le crépuscule, pour que les cavaliers et les fantassins légers puissent s’enfuir dans la nuit86. Cette tactique amène parfois l’armée romaine au bord du désastre. Lors de la bataille du Muthul en 109 puis lors de la retraite de Marius vers ses quartiers d’hiver en 106, les troupes républicaines sont réduites à l’impuissance par la mobilité et le harcèlement à distance des Numides ; criblée de traits, épuisée par de longues marches, l’infanterie légionnaire ne parvient pas à forcer le combat rapproché87. La surprise opérationnelle recherchée par Jugurtha est largement responsable de cette situation : dans les deux cas, les Romains ne peuvent se rendre compte de l’arrivée de l’ennemi qu’au dernier moment et n’ont pas le temps d’adopter les meilleures dispositions88. Malgré tout, l’armée républicaine parvient finalement à contrarier les plans de Jugurtha grâce à des mesures de contre-guérilla efficaces. ERDKAMP (1998), 126. Il y a explicitement chez Jugurtha la volonté d’exploiter la surprise opérationnelle grâce à sa mobilité et sa connaissance du terrain. Salluste affirme en particulier qu’il manœuvre « par des sentiers cachés » (Sall., Jug., 48, 2 : per tramites occultos). 85 Ibid., 50, 6 : sin opportunior fugae collis quam campi fuerat, ea uero consueti Numidarum equi facile inter uirgulta euadere. 86 Ibid., 97, 3 : rati noctem, quae iam aderat, uictis sibi munimento fore et, si uicissent, nullo impedimento, quia locorum scientes erant. 87 Ibid., 50, 4-6 (trad. A. Ernout modifiée) : « ceux mêmes des nôtres qui d’un cœur plus ferme s’étaient portés au-devant de l’ennemi, déconcertés par ce combat désordonné, étaient seuls frappés de loin (ipsi modo eminus sauciabantur), sans pouvoir rendre les coups ou en venir aux mains (neque contra feriundi aut conserendi manum copia erat). Suivant les instructions de Jugurtha, les cavaliers numides, dès qu’un escadron romain les chargeait, au lieu de se retirer en ordre serré et au même endroit (non confertim neque in unum sese recipiebant), s’enfuyaient isolément et s’égaillaient de toutes parts (sed alius alio quam maxime diuorsi). De cette façon, s’ils ne parvenaient pas à briser la poursuite des ennemis, ils profitaient de leur supériorité numérique pour attaquer de dos ou de flanc leurs formations dispersées (Ita numero priores, si ab persequendo hostis deterrere nequiuerant, disiectos ab tergo aut lateribus circumueniebant). » Voir aussi Oros., V, 15, 11-7. 88 À la veille de la bataille du Muthul, Salluste affirme que les Numides sont cachés dans les hauteurs : ils sont découverts in extremis par les Romains (Metellus est ignarus hostium au moment de l’approche), encore en ordre de marche (Sall., Jug., 49, 4). Lorsqu’elle se retire vers ses quartiers d’hiver en 106, l’armée de Marius est surprise par une attaque imprévue et n’a pas le temps de se ranger en bataille (ibid., 97, 4). 83 84
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Dans la partie occidentale de l’empire, la campagne gauloise de 52 offre un deuxième exemple de guérilla de cavalerie89. Comme le souligne François Cadiou, il s’agit d’un cas exceptionnel et tardif, qui ne doit en aucun cas laisser supposer un tempérament « naturel » des populations transalpines pour la petite guerre90. César prend soin de présenter l’affaire comme la conséquence des options stratégiques que Vercingétorix est parvenu à imposer aux peuples soulevés contre Rome au début de l’année 52. Après l’échec de la stratégie directe et les revers essuyés à Vellaunodunum, à Cenabum et à Nouiodunum, le chef arverne renonce à chercher la décision en bataille rangée et opte pour l’action négative, en faisant le choix de s’appuyer presque exclusivement sur la cavalerie gauloise qu’il sait supérieure91 : « Il démontre qu’il faut conduire les opérations tout autrement qu’on ne l’a fait jusqu’ici : par tous les moyens on devra viser à ce but interdire aux Romains le fourrage et les approvisionnements. C’est chose facile, car la cavalerie des Gaulois est très nombreuse, et la saison est leur auxiliaire. Il n’y a pas d’herbe à couper : les ennemis devront donc se disperser pour chercher du foin dans les granges ; chaque jour, les cavaliers peuvent anéantir tous ces fourrageurs. » (trad. L.-A. Constans)92.
Dans un premier temps, Vercingétorix met en application sa doctrine lors du siège d’Auaricum en attaquant les fourrageurs romains de façon systématique93. Après l’échec de César à Gergovie, alors que les rangs des insurgés se renforcent, « il donne l’ordre que tous les cavaliers, au nombre de quinze mille, se concentrent rapidement » et passe à l’offensive94. Profitant du fait que les Romains se replient vers la Province, la 89 Sur la pratique de la petite guerre chez les Gaulois, cf. DEYBER (1987). Sur la campagne de 52 spécifiquement : VEITH (1906), 168-201 ; RICE HOLMES (1911), chap. vii ; FULLER (1965), chap. vi ; LE BOHEC (2001), chap. vi. 90 Cf. CADIOU (2013), 131, insistant à juste titre (comme le faisait avant lui GOLDSWORTHY [1996], 55 et 60), sur la préférence coutumière des Gaulois pour la stratégie directe et les grandes décisions. Voir Ps.-Caes., BAfr., 73, 2. Sur l’art militaire des Gaulois, voir en dernier lieu DEYBER (2009). 91 Voir ERDKAMP (1998), 127. Intéressante est à ce titre l’allusion au fait que le chef arverne accorde immédiatement un soin particulier au recrutement de la cavalerie après son coup d’État, cf. Caes., BG, VII, 4, 8 : in primis equitatui studet. 92 Ibid., VII, 14, 2-4 : Docet longe alia ratione esse bellum gerendum atque antea gestum sit. Omnibus modis huic rei studendum, ut pabulatione et commeatu Romani prohibeantur. Id esse facile, quod equitatu ipsi abundent et quod anni tempore subleuentur. Pabulum secari non posse ; necessario dispersos hostes ex aedificiis petere : hos omnes cotidie ab equitibus deligi posse. 93 Ibid., VII, 16, 3. 94 Ibid., VII, 64, 1 : Omnes equites, quindecim milia numero, celeriter conuenire iubet. César précise à nouveau les intentions de Vercingétorix dans ce passage, cf. VII, 64, 2 (trad. L.-A. Constans) : « pour l’infanterie, il se contentera de ce qu’il avait jusque-là, il
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puissante cavalerie gauloise attaque les soldats césariens « tandis qu’ils sont en ordre de marche et embarrassés de leurs bagages » (Proinde agmine impeditos adorirantur)95. La suite des événements est bien connue : César, pourtant en nette infériorité numérique, remporte le premier combat de cavalerie que les troupes gauloises viennent lui livrer, peut-être près de Montbard96. Cette victoire, le proconsul la doit principalement à la cavalerie auxiliaire recrutée en Germanie quelques jours auparavant97. Les Gaulois, poursuivis et pris de panique, se replient en hâte vers Alésia, l’oppidum des Mandubiens. Si cette stratégie échoue en Occident, elle est utilisée avec beaucoup plus d’efficacité en Orient par les Parthes98. La bataille de Carrhes (9 juin 53 av. J.-C.) constitue un exemple paradigmatique de guérilla de cavalerie99. Alors que Crassus envisage de traverser la Mésopotamie pour s’emparer des grandes villes royales de la basse vallée de l’Euphrate100, le roi arsacide Orode divise son armée en deux parties. La première, commandée par lui-même, doit mettre hors de combat les troupes d’Artavasde d’Arménie, allié de Rome, avant que celui-ci n’opère sa jonction avec le proconsul de Syrie101. La seconde, commandée par Suréna et le satrape de Mésopotamie Silacès a pour mission d’engager l’armée romaine en Mésopotamie. Il est fort probable que Suréna n’ait pas immédiatement envisagé d’anéantir complètement l’immense corps expéditionnaire de Crassus : l’objectif initial était plutôt de freiner la progression des Romains ne veut pas tenter la fortune ni livrer de bataille rangée (neque fortunam temptaturum aut in acie dimicaturum) ; mais, puisqu’il dispose d’une cavalerie très nombreuse, rien n’est plus facile que d’empêcher les Romains de se procurer du blé et de faire du fourrage. » 95 Ibid., VII, 66, 4-6. 96 Ibid., VII, 67. D’après KRAUS (2010), 44, la structure narrative du livre VII du De bello Gallico conduit César à minorer l’importance décisive de cet engagement qui contraignit Vercingétorix à s’enfermer dans Alésia. 97 Caes., BG, VII, 65, 4-5. 98 Sur l’art militaire des Parthes : cf. Cass. Dio, XL, 15, avec SHAHBAZI in Encyclopedia Iranica, s.v. « Army i. The Parthian period » ; MIELCZAREK (1993), 51-67 ; GOLDSWORTHY (1996), 60-8 ; OLBRYCHT (2003), 92-7 ; HAUSER (2005) et (2006) ; FARROKH (2007), part. ii ; LEROUGE (2007), chap. viii. Reprenant les positions de J. Wolski sur la civilisation parthe, Olbrycht estime que les Arsacides sont restés fidèles aux traditions militaires nomades. Hauser développe un point de vue révisionniste qui tend plutôt à réinscrire le modèle tactique parthe dans la continuité des expériences séleucides. 99 Sur cette bataille et sa place dans l’historiographie militaire occidentale, cf. TRAINA (2010, 2011 trad. fr.), 143-8. Pour une approche de la campagne de Crassus strictement limitée à l’histoire militaire, cf. SAMPSON (2008) et SHELDON (2010), chap. iii. 100 Le plan initial de Crassus était de converger vers Séleucie-du-Tigre en descendant la rive gauche de l’Euphrate depuis Zeugma, cf. Plut., Cras., 20, 2. Mais le triumvir modifia son itinéraire lorsque des éclaireurs lui rapportèrent la présence d’une armée parthe en Haute Mésopotamie. 101 Ibid., 21, 5.
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par un harcèlement systématique en attendant qu’Orode, libéré de la menace de son royal adversaire arménien, rejoigne l’Euphrate. Mais l’asymétrie tactique entre les deux armées qui se rencontrent en juin 53 est telle qu’en quelques jours, les Parthes parviennent à anéantir un contingent de plus de 40 000 soldats102. Le premier affrontement se déroule dans la vallée du Balikh, au sud de Carrhes103. L’armée de Suréna se compose uniquement de cavaliers – 10 000 en tout, dont une majorité d’archers montés et 1 000 cataphractes lourdement équipés104. Arrivés à portée de tir, les cavaliers parthes se répandent autour du corps expéditionnaire romain et le soumettent à d’interminables volées de flèches105. 102 L’armée de Crassus se compose de sept légions, 4 000 cavaliers et à peu près autant de troupes légères que de cavaliers (ibid., 20, 1), donc environ 35 000 fantassins légionnaires, 4 000 cavaliers et 4 000 fantassins légers. SAMPSON (2008), 114, qui évalue la force de la légion tardo-républicaine à 4 800 hommes, propose 38 000 fantassins et 4 000 cavaliers. Mais il admet qu’il ne peut s’agir d’une estimation précise. Il est possible en effet que les légions n’aient pas été à effectifs complets : voir BRUNT (1971), 461. Parmi les fantassins légers, il y avait au moins 500 archers, car Plutarque les cite pendant la bataille. 103 Sur le théâtre d’opération et sa topographie, voir DILLEMANN (1962). Concernant le champ de bataille lui-même, Plut., Cras., 25, 11 laisse entendre qu’il se trouvait près d’Ichnai, une colonie macédonienne implantée sur le Balikh et qu’Isidore de Charax situe entre Alagma et Nikephorion (Isid. Char., 1). On ne connaît pas la localisation exacte de cette ville. Cf. COHEN (2013), 76-7 (avec bibliographie antérieure). Dernièrement, BOUSDROUKIS (2004), 113-8 a proposé le site de Tell as-Saman, près de Chnez. 104 Ces chiffres sont donnés par Plut., Cras., 21, 7 avant la description de la bataille proprement dite. L’auteur grec décrit de manière générale la suite militaire de Suréna : ce prince avait l’habitude de voyager avec un train de 1 000 chameaux, et était accompagné de 1 000 cataphractes et d’un nombre encore plus important de cavaliers légers (ἱππεῖς δὲ κατάφρακτοι χίλιοι, πλείονες δὲ τῶν κούφων παρέπεμπον). En tout, il n’avait pas moins de 10 000 hommes, tant cavaliers que « valets » et « esclaves » (εἶχε δὲ τοὺς σύμπαντας ἱππεῖς ὁμοῦ πελάτας τε καὶ δούλους μυρίων οὐκ ἀποδέοντας). Sur la signification de ces expressions dans le contexte spécifique de la société parthe, cf. KOSHELENKO (1980) et OLBRYCHT (2003), 77-89. TRAINA (2010, 2011 trad. fr.), 69-72 souligne que la description de Plutarque n’inclut pas l’ensemble des troupes qui étaient présentes dans l’armée parthe lors de la bataille. Peut-être faudrait-il ajouter les contingents du satrape de Mésopotamie, Silacès, qui accompagnait Suréna, et des chefs alliés arabes tels qu’Alchaidamos, roi des Rhambaei du nord-est de la Syrie. Cependant, il nous semble peu probable que cette armée ait compté des fantassins : ni Plutarque ni Cassius Dion ne les mentionnent, et s’il y en avait eu à Carrhes, nul doute que les cavaliers de P. Crassus, lors de leur sortie, les auraient pris pour cible au lieu de se lancer dans une poursuite sans fin contre les archers montés de Suréna. Voir WHEELER dans ERDKAMP (2007), 260. 105 Plut., Cras., 24, 4-5 : « Les Parthes, séparés par de longs intervalles, commençèrent à tirer des flèches de tous côtés en même temps (οἱ δὲ Πάρθοι διαστάντες ἐκ μήκους ἤρξαντο τοξεύειν ἅμα πανταχόθεν) ; ils tiraient sans précision (οὐ τὴν ἀκριβῆ τοξείαν) car la continuité et l’ordre serré de la formation des Romains (συνέχεια καὶ πυκνότης τῶν Ῥωμαίων) étaient tels que, l’eût-on voulu, il n’était pas possible de manquer le but, et ils portaient ainsi des coups rudes et violents ; la grandeur, la force, la courbure de leurs arcs, permettaient de lancer des traits vigoureux (ἀπὸ τόξων κραταιῶν καὶ μεγάλων καὶ τῇ σκολιότητι τῆς καμπῆς ἠναγκασμένον τὸ βέλος ἀποστελλόντων). Dès lors, la
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Incapables de contre-charger ni de poursuivre efficacement leurs adversaires à défaut d’avoir avec eux une cavalerie suffisamment nombreuse, les Romains sont contraints d’attendre la nuit pour se mettre hors de danger106. C’est alors que surviennent les événements fatidiques que l’on sait. Crassus décide d’abandonner une partie de son armée sur place pour se replier vers Carrhes, puis vers le piémont arménien. Durant la retraite, l’armée romaine se divise et est impitoyablement décimée par les Parthes107. D’après Plutarque, 20 000 soldats romains seraient morts lors de l’expédition108. Contrairement à ce qu’affirment Gareth Sampson et d’autres historiens, ces soldats n’ont pas tous péri lors de la bataille proprement dite. La plupart sont tombés dans les jours suivants, au cours de la retraite109. À la suite du désastre de Crassus en Orient, les Parthes emploient à nouveau une stratégie de harcèlement en 36, lors de la campagne de Marc Antoine en Médie Atropatène110. Le corps expéditionnaire mis en situation devint critique pour les Romains. S’ils demeuraient dans leurs rangs, ils étaient blessés en foule, et, s’ils essayaient d’avancer contre les ennemis, ils ne pouvaient leur faire de mal, et n’en étaient pas moins maltraités. Car les Parthes leur échappaient tout en lançant des traits (ὑπέφευγον γὰρ ἅμα βάλλοντες οἱ Πάρθοι) : c’est une manœuvre pour laquelle ils ne le cèdent qu’aux Scythes, et dont l’extrême adresse consiste à repousser l’adversaire tout en se sauvant, ce qui ôte à la fuite son caractère honteux. » Voir aussi Cass. Dio, XL, 21-2. 106 Id., XL, 24. 107 Plut., Cras., 28-30. 108 Ibid., 31, 7 : λέγονται δ᾽ οἱ πάντες δισμύριοι μέν ἀποθανεῖν, μύριοι δὲ ἁλῶναι ζῶντες. 109 SAMPSON (2008), 135 suppose qu’à la fin de la bataille, Crassus n’avait plus que la moitié de ses effectifs, soit 20 000 hommes. Une telle hypothèse laisse entendre que toutes les pertes survinrent lors de la première journée d’affrontement, ce qui est contredit par les sources. Plutarque précise que les 4 000 blessés que Crassus avait laissés au camp furent massacrés au lendemain de la bataille (Plut., Cras., 28, 1) ; par la suite, au moins 8 800 Romains perdirent la vie au cours de leur retraite vers la Syrie, sans compter l’escorte de Crassus et d’Octavius qui fut décimée lors du dernier accrochage avec les troupes de Suréna (seuls quelques soldats en réchappèrent, cf. Ibid., 31, 6-7). Le total de ces victimes devait avoisiner les 15 000 soldats, ce qui laisse penser que la bataille proprement dite ne fit guère plus de 5 000 morts du côté romain. Il nous semble que ces pertes furent surtout essuyées par le détachement que le jeune Publius conduisit au désastre : 1 300 cavaliers, huit cohortes et 500 archers – environ 5 800 soldats. Tous ces hommes furent massacrés ou se suicidèrent, à l’exception de 500 prisonniers. Cela fait donc plus de 5 000 morts, ce qui laisse peu de place pour des victimes issues du corps d’armée principal commandé par Crassus. Les fantassins romains réellement tués sur le coup par les terribles flèches parthes semblent avoir été relativement peu nombreux et la description hautement rhétorique de Cassius Dion, insistant sur la létalité extraordinaire des arcs parthes, doit être nuancée. Le vrai désastre n’advint que durant la retraite. 110 Sur cette campagne : BENGTSON (1974) ; SCUDERI (1984), 79-89 ; FARROKH (2007), 144-6 ; SHELDON (2010), chap. v.
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place par le triumvir est deux fois plus important que celui de son prédécesseur et comporte désormais un contingent substantiel de cavaliers111. Comme en 53, les Romains cherchent à s’emparer d’une grande ville arsacide, en l’occurrence Phraaspa (actuelle Maragah)112, mais, durant la marche, Antoine fait l’erreur de se séparer de ses machines de siège : son train et les troupes qui en assurent la garde sont anéantis par une nombreuse armée de cavaliers (τῶν ἱππέων πολλοὺς) détachée par le roi des rois113. 10 000 Romains tombent pendant l’attaque. C’est la deuxième fois qu’une armée d’infanterie est détruite par une pure force de cavalerie. Désespérant de l’issue de la guerre, Artavasde d’Arménie se retire alors avec ses troupes et abandonne Antoine à son sort114. Celui-ci maintient Phraaspa en état de siège pendant un temps, mais ses troupes éprouvent le plus grand mal à fourrager en raison des attaques impromptues de la cavalerie arsacide115. Il finit par abandonner son entreprise à l’approche de l’hiver et se retire vers l’Arménie. Comme en 53, c’est le moment que choisit Phraate IV pour passer à l’action en harcelant l’arrière-garde des Romains116. Si l’on en croit Plutarque, l’armée arsacide ne comporte alors pas moins de 40 000 cavaliers117. La marche de l’armée romaine s’en trouve considérablement ralentie, mais celle-ci parvient à passer l’Araxe et à trouver refuge dans les montagnes arméniennes.
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Sur ces effectifs, cf. supra, p. 78. MINORSKY (1944), 261 ; BENGTSON (1974), 24-30. 113 Plut., Ant., 38, 5. 114 Ibid., 39, 1. 115 Ibid., 40, 1 : « il ne pouvait plus aller se ravitailler sans avoir beaucoup de blessés et de morts » (οὐκέτι γὰρ ἦν ἄνευ τραυμάτων καὶ νεκρῶν πολλῶν ἐπισιτίσασθαι). Confirmé par Cass. Dio, XLIX, 26-7 qui souligne qu’après avoir épuisé les ressources dans la proximité immédiate du camp, les Romains étaient obligés d’aller en chercher plus loin et étaient continuellement attaqués par les Parthes qui opéraient depuis l’extérieur. 116 Plut., Ant., 41-9. La tactique employée par les Parthes est la même que lors de la campagne de Crassus : encerclement du corps expéditionnaire romain (41, 6) et alternance de salves d’archerie et de charges de cataphractes (45, 1-6) ; les cavaliers détachés pour poursuivre les ennemis sont enveloppés et massacrés s’ils poussent trop loin (42, 2-8). VIGNERON (1968), I, 301 n’a pas très bien saisi le fonctionnement de cette tactique « à l’iranienne ». Les tirs nourris des archers montés ne forcent pas les Romains à « desserrer les rangs, afin de ne plus offrir à l’ennemi une cible facile » : au contraire, la réaction naturelle des légionnaires consiste à renforcer la cohésion de l’unité en joignant les boucliers les uns aux autres pour former une barrière contre les volées de flèches, cf. Plut., Ant., 45, 3 (confirmé par Cass. Dio., XL, 22 pour la bataille de Carrhes). 117 Plut., Ant., 44, 2. Just., XLI, 2, 6 parle pour sa part de 50 000 cavaliers, dont 400 liberi, c’est-à-dire des nobles, qui étaient équipés comme cataphractes. Cf. KOSHELENKO (1980), 182-5. 112
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B. Les mesures de contre-guérilla Il importe de souligner que ces confrontations successives ont été vécues par les Romains comme une série d’expériences similaires. De l’aveu des auteurs qui en font le récit, l’armée républicaine n’a pas été battue in acie mais alia ratione. Les formes de guérilla que nous venons d’évoquer présentent des caractères communs et apparaissent comme une technique de guerre élaborée que nous aurions tort de considérer comme l’ultima ratio de peuples militairement arriérés118. Les sources romaines se font l’écho d’une véritable réflexion sur les moyens à mettre en œuvre face aux armées de missiliers montés. En nous fondant sur les exemples évoqués plus haut, nous pouvons distinguer les mesures de contre-guérilla prises au niveau stratégique, opérationnel et tactique. Au niveau stratégique, les armées romaines sont confrontées à la difficulté de forcer l’engagement contre un ennemi pratiquant la temporisation. Une solution fréquente consiste à frapper des cibles secondaires, dont la perte peut représenter un préjudice matériel ou symbolique pour l’adversaire. Durant la guerre de Jugurtha, Metellus recourt à la dévastation en faisant payer aux civils le prix de la guérilla numide : « Il pénètre dans les régions les plus riches de la Numidie, ravage les campagnes, prend et brûle nombre de forteresses et de places mal fortifiées ou sans garnison, fait mettre à mort les adultes, et abandonne tout le reste au pillage. »119. Mais ce mode opératoire force l’armée romaine à se disperser, ce qui la met à la merci des embûches numides120. L’attaque des 118 Nous partageons de ce point de vue les conclusions d’A. Goldsworthy : la guérilla antique nécessite des moyens considérables. Elle postule l’existence d’une forme d’unité politique et – si possible – l’accès à de nombreux bassins de recrutement susceptibles de fournir des cavaliers. Les Numides n’ont recours à ce type de stratégie qu’à partir du moment où Jugurtha parvient à imposer une autorité forte sur une grande partie du Maghreb. Orose, qui se fonde sur le récit de Tite-Live, insiste en particulier sur la vassalisation de Bocchus : celle-ci permet au roi numide de rassembler une immense cavalerie, estimée à 60 000 hommes (Oros., V, 15, 9-10). Les Gaulois ne sont pas capables d’une telle prouesse avant l’insurrection de 52. Cette année-là, Vercingétorix dispose d’un pouvoir et d’une autorité sans précédent sur une très large confédération de tribus : ce contexte lui permet d’abandonner la stratégie directe au profit de la guérilla de cavalerie. Quant aux Parthes, ils n’auraient certainement pas été en mesure de lever de telles armées montées sans avoir préalablement fait accepter leur autorité centralisatrice aux anciens territoires séleucides, et en particulier aux confins orientaux et septentrionaux de l’Iran. 119 Sall., Jug., 54, 6 (trad. A. Ernout) : Itaque in loca Numidiae opulentissima pergit, agros uastat, multa castella et oppida temere munita aut sine praesidio capit incenditque, puberes interfici iubet, alia omnia militum praedam esse. 120 Cf. ibid., 54, 9. Metellus rivalise alors de précautions pour contrecarrer les desseins de son ennemi : il empêche son armée de piller en ordre dispersé (effuso exercitu) et fait en sorte que la cavalerie accompagne les fourrageurs dans leurs corvées. Il divise
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grandes villes apparaît alors comme une solution moins risquée. Cette stratégie est appliquée par Metellus contre Jugurtha121 et par Crassus et Antoine contre les Parthes. Dans les deux derniers cas, c’est un échec : Crassus est vaincu en rase campagne avant même d’avoir atteint Séleucie du Tigre, et Antoine perd ses machines de guerre durant sa marche vers Phraaspa. Une fois sur place, ses fourrageurs sont harcelés par la cavalerie ennemie qui opère depuis les lignes extérieures. La réussite de cette stratégie nécessite donc que le territoire traversé jusqu’au lieu du siège ne soit pas trop propice à la tactique de harcèlement des cavaliers ennemis et que le siège puisse être conduit rapidement, avant que l’armée ne tombe à court d’approvisionnements. Il est aussi nécessaire de disposer d’une cavalerie suffisamment importante pour repousser les attaques de cavaliers ennemis contre les lignes d’investissement122. Pour que cette dernière condition soit remplie, les Romains doivent pouvoir compter sur l’appui d’alliés locaux123. À un niveau inférieur, celui de l’art opérationnel, le commandement général s’efforce d’organiser le déplacement des troupes en tenant compte de la topographie des pays parcourus. Les sources sont unanimes pour dire que l’attaquant doit éviter la plaine et préférer les terrains accidentés pour ne pas s’exposer aux raids de la cavalerie ennemie124. Il peut l’ensemble de ses troupes en deux corps pour faciliter le déroulement des opérations. Les deux corps « établissaient leurs camps dans deux endroits pas très éloignés l’un de l’autre. Quand il fallait recourir à la force, ils se réunissaient ; dans les autres cas, ils agissaient séparément pour pouvoir semer la fuite et la terreur dans un plus large rayon. » (ibid., 55, 6 : Duobus locis haud longe inter se castra faciebant ; ubi ui opus erat, cuncti aderant ; ceterum, quo fuga atque formido latius cresceret, diuersi agebant). 121 Metellus décide d’abord d’investir Zama, sans succès (ibid., 56-61). Mais il parvient à prendre Thala au bout de quarante jours de siège (ibid., 75-6). 122 Lors du siège de Zama, Jugurtha envoie à plusieurs reprises sa cavalerie et son infanterie légère prendre à revers la circonvallation romaine pendant que les troupes de Metellus lancent des attaques contre la citadelle numide (ibid., 59). Afin de lutter contre cette menace, le général romain positionne toute sa cavalerie à l’extérieur du camp et laisse à l’infanterie le soin d’attaquer les remparts. Malgré cet expédient, la technique de Jugurtha fonctionne : Metellus ne parvient pas à repousser efficacement la cavalerie adverse et décide d’abandonner le siège. Vercingétorix n’agit pas différemment lors du siège d’Alésia, en faisant en sorte que la cavalerie gauloise attaque les lignes romaines depuis la plaine des Laumes. Mais ses troupes montées sont vaincues dans plusieurs combats, ce qui permet à César de mener l’entreprise à son terme (Caes., BG, VII, 70 et 80). 123 C’est l’une des principales causes des échecs de la République romaine en Orient : à deux reprises, lors des campagnes parthiques de 53 et 36 av. J.-C., les Romains sont privés du soutien de la puissante cavalerie arménienne (cf. Plut., Cras., 23, 1 ; Ant., 39, 1). Lors de la bataille de Carrhes, Crassus est même trahi par ses supplétifs osrhoéniens (Cass. Dio, XL, 21, 1). 124 Onas., Str., 31, 1 : Ἱπποκρατούντων δὲ τῶν πολεμίων, ἐὰν ᾖ δυνατόν, ἐπιλεγέσθω χωρία τραχέα καὶ στενὰ καὶ παρ᾽ ὄρη, ἃ ἥκιστα ἱππάσιμα, ἢ φυγομαχείτω κατὰ
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notamment s’aider des montagnes, des forêts (dans lesquelles la cavalerie ne peut opérer efficacement)125 ou des cours d’eau (contre lesquels il est possible d’appuyer un flanc, ce qui permet d’échapper à l’encerclement complet)126. Autre impératif : disposer de renseignements suffisants sur la situation de l’adversaire afin d’éviter de se faire surprendre. Cela nécessite un système de reconnaissance efficace, qui doit permettre aux colonnes romaines d’adopter en temps voulu un dispositif approprié. Dans tous les cas, l’agmen quadratum (ou πλινθίον) est considéré comme l’ordre de marche le plus utile car il permet de se déplacer avec une relative aisance en terrain dégagé tout en offrant une véritable capacité de riposte contre les attaques de cavaliers : les troupes sont rangées en « carré » et font face vers l’extérieur, sur les quatre côtés du quadrilatère ; le train est placé en sécurité dans l’espace central127. δύναμιν, ἕως ἂν ἐπιτηδείους εὕρῃ τόπους καὶ τοῖς οἰκείοις ἁρμόζοντας πράγμασιν. Veg., Mil., III, 13, 3 : si de peditibus tuis uictoriam speras contra equites hostium, loca aspera inaequalia montuosa debes eligere, si uero de equitibus tuis contra aduersarii pedites uictoriam quaeris, sequi debes paulo quidem editiora loca, sed plana atque patentia, neque siluis neque paludibus impedita. Contre les Parthes spécifiquement, Jean Lyd., De mag., III, 34, 5 (citant le traité militaire de Celse) : ἡ γὰρ δυσχωρία Πέρσαις ἱππηλατοῦσι δυσέμβατος. Sur la plaine comme terrain de prédilection de la cavalerie : Liv., XXI, 47, 1 ; Plut., Cras., 21, 2 ; Tac., Ann., XIII, 38, 3 ; Id., Hist., III, 8, 1 ; Arr., Epict. diss., 2, 13 ; Veg., Mil., III, 6, 21. Un aphorisme de Platon rappelle également cette réalité : « Appeler Socrate à la dispute, c’est appeler la cavalerie dans la plaine » (Tht., 183d : Ἱππέας εἰς πεδίον προκαλῇ Σωκράτη εἰς λόγους προκαλούμενος). 125 Lorsque Pompée est harcelé par la cavalerie et les archers de Mithridate, il choisit d’établir son camp dans une forêt (Cass. Dio, XXXVI, 47, 3). En 53, Artavasde propose à Crassus de faire passer son armée par le haut-plateau arménien pour annuler l’avantage tactique de la cavalerie en plaine (Plut., Cras., 19, 2). Cet itinéraire est finalement adopté par Antoine en 36. C’est encore vers des hauteurs que se réfugient les troupes romaines lorsqu’elles sont mises en déroute par la cavalerie parthe : de même que Crassus s’empresse de se retirer vers les monts Sinnaca après sa fuite de Carrhes (Plut., Cras., 29, 5), Antoine se laisse convaincre par un guide d’origine marde (ou marse ? Cf. TRAINA [2010, 2011 trad. fr.], 103-4) « d’opérer sa retraite en prenant à sa droite à travers les montagnes, au lieu d’engager son infanterie lourde dans des chemins nus et découverts, où elle serait exposée aux attaques d’une cavalerie si nombreuse et à ses flèches » (Plut., Ant., 41, 1, trad. R. Flacelière et É. Chambry). Ventidius Bassus semble être le seul général romain à être parvenu à utiliser la topographie dans un but offensif, en attirant volontairement les Parthes sur un terrain désavantageux lors des trois combats qu’il remporta contre eux (dans le Taurus, dans l’Amanus et en Cyrrhestique) : cf. Frontin, Str., II, 5, 36-7 ; Cass. Dio, XLVIII, 40, 1-3 ; XLIX, 20, 1-2. 126 En 53, Cassius Longinus encourage Crassus à longer l’Euphrate, car le fleuve empêchera l’ennemi d’envelopper son armée : Plut., Cras., 20, 2. 127 L’expression agmen quadratum est employée par Tite-Live à de nombreuses reprises, sans que l’auteur ne développe son contenu exact : Liv., II, 6, 6 ; VII, 29, 6 ; X, 14, 7 ; XXI, 5, 16 ; 32, 1 ; 57, 7 ; XXXI, 37, 1 ; XXXV, 3, 2 ; XXXVI, 10, 4 ; XXXIX, 30, 9 ; XLIV, 9, 6. Salluste est plus précis, notamment lorsqu’il décrit l’ordre de marche de Marius en 106, cf. Sall., Jug., 100, 1-2 : les manipules légionnaires, séparés de leur
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Ce dispositif est décrit avec le plus de précision par Plutarque lors de la campagne de Crassus en 53 (fig. 10). L’auteur grec évoque une formation à double front (ἀμφίστομον), déployée en rectangle profond (βαθὺ πλινθίον). Douze cohortes (δώδεκα σπείρας) sont positionnées sur chaque flanc (τῶν πλευρῶν ἑκάστης) ; chacune de ces cohortes est soutenue par un escadron de cavalerie (ἴλην ἱππέων). Cassius commande une des ailes (κεράτων), Publius dirige l’autre et Crassus tient le centre (μέσον)128. Ce passage a été diversement interprété par les historiens et philologues qui se sont intéressés au texte de Plutarque129. Il nous semble qu’il ne peut être bagage, sont placés à l’avant et à l’arrière du dispositif ; la cavalerie et les troupes légères protègent les flancs (in conspectu hostium quadrato agmine incedere. Sulla cum equitatu apud dextimos, in sinistra parte A. Manlius cum funditoribus et sagittariis, praeterea cohortis Ligurum curabat. Primos et extremos cum expeditis manipulis tribunos locauerat). Voir également Serv., apud Aen., XII, 121 : Varro rerum humanarum duo genera agminum dicit, “quadratum, quod inmixtis etiam iumentis incedit, ut ubiuis possit considere ; pilatum alterum, quod sine iumentis incedit, sed inter se densum est, quo facilius per iniquiora loca transmittatur”. En 52, César adopte un dispositif similaire alors qu’il se retire vers la Transalpine avec ses troupes, cf. Caes., BG, VII, 67, 1-3 : le proconsul précise que le bagage est rassemblé au milieu des légions (impedimenta intra legiones recipiuntur) ; celles-ci, appuyées par la cavalerie auxiliaire, font face sur les trois côtés menacés par la cavalerie ennemie, les flancs (ab duobus lateribus) et le front (primo agmine). Hirt., VIII, 8, 3-9 décrit un ordre de marche « à peu près carré » (paene quadratum agmen) lors des opérations contre Commios en 51 : trois légions forment l’avantgarde, une légion l’arrière-garde, le bagage est rangé dans l’espace intermédiaire et les auxiliaires (que l’auteur omet de mentionner) protègent probablement les flancs de l’armée. C’est encore une « formation rectangulaire » qu’adopte l’armée d’Antoine en 36 lors de sa retraite vers l’Arménie, cf. Plut., Ant., 42, 1 : « ayant renforcé non seulement son arrière-garde, mais aussi ses deux flancs avec de nombreux javeliniers et frondeurs (πολλοῖς ἀκοντισταῖς καὶ σφενδονήταις οὐ μόνον τὴν οὐραγίαν, ἀλλὰ καὶ τὰς πλευρὰς ἑκατέρας στομώσας), il dirigeait une armée rangée en formation rectangulaire (ἐν πλαισίῳ τὸν στρατὸν ἦγε). » Cet ordre de marche était visiblement inconnu à l’époque de Polybe : l’auteur grec ne mentionne que la colonne simple et la τριφαλαγγία (cf. Plb., VI, 40, 4-14). La triple colonne, conçue pour permettre la formation rapide de l’acies triplex, a été injustement confondue avec l’agmen quadratum tardo-républicain (cf. dernièrement GILLIVER [1999], 46 et PÉREZ CASTRO [2006]), qui correspond en fait à un développement tactique ultérieur et était probablement prescrit par la coutume contre les armées mobiles refusant la bataille rangée. 128 Plut., Cras., 23, 3-4 : συναγαγὼν ἀμφίστομον ἐποίησε καὶ βαθὺ πλινθίον ἐν δώδεκα σπείραις προερχομένης τῶν πλευρῶν ἑκάστης, παρὰ δὲ σπεῖραν ἴλην ἱππέων ἔταξεν, ὡς μηδὲν ἔχοι μέρος ἐνδεὲς ἱππικῆς βοηθείας, ἀλλὰ πανταχόθεν ὁμαλῶς προσφέροιτο πεφραγμένος. Τῶν δὲ κεράτων τὸ μὲν Κασσίῳ, τὸ δὲ τῷ νέῳ Κράσσῳ παρέδωκεν, αὐτὸς δ᾽ εἰς μέσον κατέστη. 129 REGLING (1907), 381 pense que les légions formaient un véritable rectangle creux : le front et l’arrière-garde étaient constitués de 25 cohortes et les côtés de 10 cohortes, pour un total de 70 cohortes (sept légions). SMITH (1916), 248-50 (suivi par TARN [1932], 609, SAMPSON [2008], 125-6 et TRAINA [2010, 2011 trad. fr.], 86) suppose aussi que l’armée de Crassus formait un quadrilatère, mais plutôt un carré de 12 cohortes de côté. Il ajoute que ce carré n’était pas encore complètement formé au moment de l’attaque de Suréna, ce qui expliquerait pourquoi Plutarque ne cite que trois commandements tactiques au lieu de quatre. LAMMERT (1931), 15-6 (suivi par DEROUAUX [1942]) pense que l’armée romaine
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compris qu’à la lumière d’autres exemples qui révèlent une véritable continuité dans les pratiques de contre-guérilla romaines. En effet, Plutarque décrit ici un ordre de marche très proche de celui de Corbulon lors de sa campagne contre les Parthes en Arménie130. Les pleura désignent les deux flancs du rectangle formé grâce à l’adjonction de plusieurs colonnes minces. Plutarque détaille leur composition mais ne précise pas la nature du « centre » (i.e. le front séparant les deux flancs) commandé par Crassus : on y trouve certainement les 46 cohortes légionnaires restantes (peut-être moins si l’on part du principe qu’une partie de l’armée syrienne était en garnison dans les forts de Haute Mésopotamie). L’arrière-garde est, quant à elle, probablement formée par la cavalerie osrhoénienne, dont on sait qu’elle fut en mesure de prendre l’armée romaine à revers lors de la bataille131. Cela expliquerait pourquoi Plutarque ne juge pas utile de préciser qui commandait cette portion de l’armée : il s’agissait d’un prince allié, le phylarque Abgar, et non d’un Romain. La littérature scientifique sur la bataille de Carrhes rend souvent l’agmen quadratum responsable de la déconfiture de Crassus132. Ce dispositif aurait favorisé l’encerclement de l’armée romaine et offert une cible idéale aux volées de flèches des cavaliers parthes. Une telle opinion nous semble contredite par la régularité avec laquelle il fut adopté contre des armées de cavalerie, jusqu’à l’Antiquité tardive. L’agmen rectangulaire pouvait se prévaloir du précédent prestigieux de la retraite des Dix mille sous la conduite de Xénophon133 et était encore recommandé par Maurice contre les armées de cavalerie nomade à la fin du VIe s. ap. J.-C. sous le nom de taxis epikampios opisthia 134.
Afin de lutter efficacement contre des hordes de cavaliers légers, l’armée romaine doit enfin s’adapter sur le plan tactique. C’est dans ce domaine que l’outil militaire républicain rencontre le plus de difficultés, car une telle capacité de riposte nécessite le déploiement d’une cavalerie nombreuse ainsi que d’importants effectifs de fantassins missiliers135. Les premières confrontations avec le monde parthe sont d’autant plus éprouvantes qu’elles coïncident avec la diffusion d’un nouveau modèle était rangée en deux colonnes parallèles. Chaque colonne avait 12 cohortes de hauteur pour trois de large, ce qui aurait fait un total de 72 cohortes et permettait, en cas d’attaque soudaine, de former l’acies triplex des deux côtés de l’ordre de marche. 130 Tac., Ann., XIII, 40. Pour une analyse de cet ordre de marche, cf. infra, p. 279-81. 131 Cass. Dio, XL, 23, 1. 132 E.g. GABBA (1974), 12-3, n. 14. 133 Xen., Anab., III, 2, 36. 134 Maurice, Strat., XII, A, 7. À ce titre, il est intéressant de noter que l’agmen de Crassus, tout comme la taxis epikampios opisthia de Maurice, est offensif et non défensif : le général, suivant peut-être les recommandations de son fils Publius, cherche alors activement à engager l’ennemi (Plut., Cras., 23, 5). 135 Sur ce point, voir les remarques de LUTTWAK (1976), 41 et WHEELER dans ERDKAMP (2007), 260-1. COULSTON (1985), 245-6 rappelle que les archers à pied ont, par définition, une portée supérieure à celle des archers à cheval et sont donc capables d’annuler leur puissance de feu.
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Figure 10 – Le bathu plinthion amphistomon de Crassus lors de la bataille de Carrhes (53 av. J.-C.).
d’arc au Proche-Orient, d’inspiration nomade, et qui sera ensuite rapidement adopté par les Romains136. Les sources littéraires insistent à l’envi sur la capacité vulnérante de cette arme, munie de raidisseurs en os qui augmentent sa puissance de décoche137. Mais il convient de ne pas trop 136 Sur les arcs parthes en général, voir BORD & MUGG (2005), 35-40. Un exemplaire presque complet d’arc composite d’époque arsacide a été trouvé sur le site d’Yrzi, dans la nécropole de Baghouz, cf. BROWN (1937). Il s’agit d’un arc asymétrique, de taille relativement grande (127 cm) par rapport aux arcs achéménides et qui intègre des raidisseurs en os (futur siyah arabe) jusqu’ici inconnus au Proche-Orient (COULSTON [1985], 240-1). L’effet de levier apporté par ces extensions lors de la décoche permet d’accroître la puissance du tir, dans des proportions qu’il convient cependant de ne pas trop exagérer. Il est difficile de dire si ce type d’arc était d’usage très répandu. BROWN (1937), 7-9 souligne que les arcs visibles sur les représentations de cavaliers parthes ou sur les monnaies arsacides sont généralement plus petits et plus proches de l’ancien type scythe. Étudiant la même documentation iconographique, BORD & MUGG (2005), 39 parlent pour leur part « d’un arc à double courbure très voisin de l’arc scythe dont il excède cependant les dimensions ». 137 Voir Plut., Cras., 18, 3 et Cass. Dio, XL, 22, 4-5, qui insistent sur la qualité des arcs parthes, leur taille et leur force. Cela semble bien s’accorder avec les caractéristiques de l’arc d’Yrzi, mais nous restons sceptique face aux propriétés spectaculaires prêtées par Plutarque et Cassius Dion à cette arme. Il s’agit probablement d’une exagération rétrospective de la part d’auteurs influencés par l’issue dramatique de la campagne. Contra SAMPSON (2008), 119-20, qui suppose, sans le démontrer, que Suréna améliora la fabrication des arcs et des flèches. Utilisant une reconstitution d’arc sassanide réalisée par
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exagérer les qualités des hippotoxotai parthes comme certains ont été tentés de le faire à propos de la bataille de Carrhes138. Lors de sa campagne contre Pacorus et Q. Labienus (39-38 av. J.-C.), Ventidius Bassus parvient à vaincre la cavalerie arsacide à plusieurs reprises grâce à des charges brusques, en forçant rapidement le corps-à-corps tout en annulant l’avantage des archers dans le combat à distance139. Dans le cas de figure E. McEwen, M. Junkelmann montre qu’à une courte distance, les flèches peuvent percer une cotte de mailles, une plaque de métal et un bouclier. Cf. JUNKELMANN (1992), III, 171. Mais il s’agit d’une arme particulièrement grande (cf. ibid., 165 : 155 cm) et le reconstituteur allemand conduit son expérience dans des conditions qui ne sont pas celles du combat (tir direct effectué à cinq mètres de la cible). Lorsque les traits étaient tirés de loin, avec une trajectoire parabolique, ils perdaient une part importante de l’énergie emmagasinée à la décoche ; la puissance d’impact était encore réduite si la cible n’était pas percutée à angle droit. L’armement défensif des légionnaires était certainement suffisant pour résister efficacement aux volées de flèches arsacides à cette distance. Cf. GOLDSWORTHY (1996), 185. L’étude des pertes de l’expédition de Crassus (cf. supra, p. 127) nous semble corroborer cette hypothèse et pourrait suggérer que les archers parthes privilégiaient les salves massives décochées à plus d’une centaine de mètres (voir sur ce point Tac., Ann., VI, 35, 1 qui insiste sur la grande portée des hippotoxotai parthes par rapport à leurs homologues sarmates). Sur la méthode de tir des Parthes, voir le célèbre relief en terre cuite conservé à l’Altes Museum, à Berlin (COULSTON [1985], 345, fig. 39) : la main gauche du cavalier tient à la fois la poignée de l’arc et plusieurs flèches gardées en réserve ; la main droite tend l’arme jusqu’à l’oreille droite (on ne discerne pas le mode de préhension de la corde mais il s’agit probablement d’une « prise mongole »). Comme le révèlent les expérimentations conduites par le reconstituteur hongrois Lajos Kassai, cette méthode permettait d’obtenir une très forte cadence de tir. 138 Voir SHELDON (2010), 40. SAMPSON (2008), chap. 6 exagère le caractère novateur des méthodes de guerre de Suréna, voir notamment p. 121 (« Surenas had created a new and unique method of warfare, designed specifically to win the upcoming battle ») et 146 (« This was not a typical Parthian army that they [the Romans] faced, but one that very much reflected the genius of its commander »). L’encerclement et la fausse fuite étaient des tactiques pratiquées depuis longtemps par les cavaleries nomades (PETITJEAN [2018], 34-7), et les Romains avaient déjà rencontré des armées mêlant cuirassiers et archers montés lors de leurs précédentes guerres en Orient, notamment contre le royaume d’Arménie de Tigrane le Grand (Plut., Luc., 26, 6-7 et 28, 1-7 ; Eutr., VI, 9, 1 ; Festus, Brev., 15, 2). Plut., Ant., 50, 2 confirme que les Arméniens « étaient armés à la manière des Parthes et accoutumés à combattre contre eux » (ἐσκευασμένοι παραπλησίως Πάρθοις καὶ συνήθεις μάχεσθαι πρὸς αὐτούς). 139 Frontin résume la tactique de Ventidius contre les Parthes. Le général romain recommandait à ses troupes de ne pas attaquer les Parthes tant que ces derniers n’étaient pas à moins de « 500 pas » (c. 740 mètres). Alors, par une charge soudaine (procursione subita), elles parvenaient si près d’eux qu’elles empêchaient facilement les archers montés d’utiliser leurs flèches. Cf. Frontin, Str., II, 2, 5 : Ventidius aduersus Parthos non ante militem eduxit, quam illi quingentis non amplius passibus abessent, atque ita procursione subita adeo se admouit, ut sagittas, quibus ex longinquo usus est, comminus applicitus eluderet : quo consilio, quia quandam etiam fiduciae speciem ostentauerat, celeriter barbaros debellauit. Voir aussi Flor., II, 19, 6-7 et Cass. Dio, XLIX, 20, 1-2 (bataille de Gindaros, 38 av. J.-C.). La mesure donnée par Frontin paraît excessivement grande et il convient de se demander si ce qui était originellement un « pied » n’a pas été pris pour un « pas » : 500 pedes, cela ferait 148 mètres – ce qui correspond davantage à la portée
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d’une attaque de cavalerie contre une armée romaine en marche, ce que l’on trouve dans les sources romaines ressemble au mode opératoire déjà décrit par Xénophon dans l’Anabase140: les archers et frondeurs à pied font barrage contre les escarmoucheurs adverses en les empêchant d’approcher de la colonne ; les cavaliers romains ont alors la mission de contrecharger brusquement depuis les lignes d’infanterie et de poursuivre. Dans une telle situation, la puissance de feu de l’armée romaine doit être proportionnée à celle de l’ennemi pratiquant le harcèlement. Si tel n’est pas le cas, les troupes romaines s’exposent au risque d’être submergées dans un interminable stand off 141. Les contre-offensives lancées par la cavalerie sont aussi difficiles à mettre en œuvre. Ces détachements ne doivent pas poursuivre l’ennemi trop loin car ils risquent d’être enveloppés par l’ennemi142. Ils doivent être accompagnés d’une ligne d’infanterie qui suit à courte distance de manière à pouvoir servir de couvert défensif aux cavaliers en cas de retraite. Lorsqu’Antoine applique cette tactique
efficace des arcs utilisés par les archers montés. Jean Lyd., De mag., III, 33, 4 soutient que Celse (Aulus Cornelius Celsus, encyclopédiste romain sous le règne de Tibère et auteur de rei militaris praecepta) a écrit sur la manière de combattre les Parthes : il recommandait de les attaquer à l’improviste (αἰφνιδίως) par une attaque rapide et directe. 140 Xen., Anab., III, 4, 1-5 ; IV, 3, 22 ; VI, 5, 27-8. 141 Surtout si l’ennemi dispose de réserves de munitions : à Carrhes, des chameaux chargés de flèches permettent de réapprovisionner constamment les archers montés de Suréna (Plut., Cras., 25, 1). L’un des principaux défauts de l’armée de Crassus lors de la campagne de 53 fut incontestablement de ne pas inclure dans ses rangs un nombre suffisant de frondeurs et d’archers : les fantassins légers étaient incapables de rivaliser avec les hippotoxotai arsacides et contraints de se réfugier dans le giron de l’infanterie lourde (ibid., 24, 4). Antoine ne fit pas la même erreur : en 36, il s’efforce d’intégrer dans son corps expéditionnaire un contingent important de frondeurs. Ces derniers disposent d’une portée supérieure à celle des cavaliers archers et peuvent donc les maintenir éloignés de l’armée romaine : cf. Plut., Ant., 41, 6-7 et 42, 1 ; Cass. Dio, XLIX, 26, 2. Voir aussi Veg., Mil., I, 15, 2 qui insiste (comme Cassius Dion) sur l’efficacité des balles de fronde contre les soldats lourdement cuirassés. Concernant la portée des frondes : GRIFFITHS (1989), 261-5 et GOLDSWORTHY (1996), 186. 142 C’est très exactement ce qui se passe lors de la bataille de Carrhes (cf. Plut., Cras., 25, 2-12 ; Cass. Dio, XL, 21, 2-3) : afin de rompre l’encerclement de l’armée romaine par les Parthes, P. Crassus est détaché avec 1 300 cavaliers ainsi que 500 archers et huit cohortes de fantassins lourds. Celui-ci se lance imprudemment à la poursuite des cavaliers parthes. Après avoir parcouru une longue distance, ses troupes sont enveloppées et massacrées. Ce scénario se reproduit lors de la retraite d’Antoine en Atropatène (Plut., Ant., 42, 2-8) : malgré la directive du haut commandement stipulant de « ne pas poursuivre trop loin » (μὴ πόρρω διώκειν), l’un des officiers supérieurs de l’arrière-garde romaine, Flavius Gallus, rassemble un corps mobile de cavaliers et de fantassins légers et mène une charge à fond contre les Parthes, espérant forcer le corps-à-corps. Il est complètement coupé du reste de l’armée et son détachement est anéanti.
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contre les Parthes, il n’est jamais inquiété sérieusement143. Il manque cependant de cavaliers légers pour parachever ses succès, comme l’explique très bien Plutarque à l’issue de son récit de la campagne de 36 : « [Les Romains] avaient marché vingt-sept jours depuis leur départ de Phraata, ils avaient battu dix-huit fois les Parthes ; mais ces victoires n’étaient jamais un succès complet ni durable car les poursuites qu’ils faisaient étaient courtes et inachevées. Ce fut surtout à cela qu’on reconnut qu’Artavasde l’Arménien avait seul enlevé à Antoine la possibilité d’achever cette guerre. Car si les seize mille cavaliers qu’il avait retirés de la Médie étaient restés, comme ils étaient armés à la manière des Parthes et accoutumés à combattre contre eux, lorsque les Romains avaient mis en fuite les ennemis, ces Arméniens, en s’attachant à leur poursuite, les auraient empêchés de récupérer après leur défaite, et de revenir si souvent à la charge. »144.
Ce passage suggère que seule une armée polyvalente, constituée de fantassins lourds mais aussi de fantassins légers, de cavaliers et d’archers montés, dispose des ressources nécessaires pour vaincre les Parthes et les cavaleries nomades en rase campagne. Chacune des composantes tactiques s’échelonne dans l’engagement : la cavalerie légère poursuit en première ligne (procursio) ; la cavalerie médiane ou lourde suit à distance pour refouler toute tentative de contre-charge de la cavalerie adverse ;
143 L’analyse des pertes romaines lors de la campagne parthique de 36 confirme cette observation. Selon Plut., Ant., 50, 1, moins de 12 000 soldats moururent au combat. On sait que 10 000 hommes furent tués lors de l’attaque du train, organisée par Phraate au début de la campagne (ibid., 38, 5). 3 000 soldats supplémentaires perdirent la vie lors de la sortie de Flavius Gallus, sur la route du retour vers l’Arménie (ibid., 43, 1). Cela laisse penser qu’en dehors de ces deux occasions, les Romains ne subirent quasiment aucune perte liée au combat ou au harcèlement des archers montés. La plupart moururent de faim et de maladie : conséquence indirecte de la guérilla de cavalerie mise en œuvre par les Parthes. 144 Ibid., 50, 1-4 : ὥδευσαν μὲν οὖν ἀπὸ Φραάτων ἡμέρας ἑπτὰ καὶ εἴκοσι, μάχαις δὲ ὀκτὼ καὶ δέκα Πάρθους ἐνίκησαν, αἱ δὲ νῖκαι κράτος οὐκ εἶχον οὐδὲ βεβαιότητα μικρὰς ποιουμένων καὶ ἀτελεῖς τὰς διώξεις. ᾦ καὶ μάλιστα κατάδηλος ἦν Ἀρταουάσδης ὁ Ἀρμένιος Ἀντώνιον ἐκείνου τοῦ πολέμου τὸ τέλος ἀφελόμενος. Εἰ γὰρ οὓς ἀπήγαγεν ἐκ Μηδίας ἱππεῖς ἑξακισχιλίους καὶ μυρίους παρῆσαν, ἐσκευασμένοι παραπλησίως Πάρθοις καὶ συνήθεις μάχεσθαι πρὸς αὐτούς, Ῥωμαίων μὲν τοὺς μαχομένους τρεπομένων, ἐκείνων δὲ τοὺς φεύγοντας αἱρούντων, οὐκ ἂν ὑπῆρξεν αὐτοῖς ἡττωμένοις ἀναφέρειν καὶ ἀνατολμᾶν τοσαυτάκις. Il y a ici une incohérence concernant l’effectif des cavaliers mobilisés par Artavasde (6 000 selon Plut., Ant., 37, 3 et non 16 000) : le chiffre de 16 000 correspondait au total de la cavalerie rassemblée par Antoine (cf. supra, p. 78). Le jugement de Plutarque sur les conséquences de la défection arménienne fait écho à l’échec de l’offensive générale lancée par Antoine contre les Parthes à proximité de Phraaspa : après avoir poursuivi la cavalerie arsacide sur environ 27 km, les cavaliers romains se rendirent compte qu’ils n’étaient parvenus à tuer que 80 ennemis (ibid., 39, 7).
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l’infanterie forme une troisième ligne pour servir d’abri aux fuyards et empêcher la cavalerie ennemie d’encercler la cavalerie amie ; archers à pied et frondeurs permettent enfin à l’infanterie lourde de ne pas être inquiétée par les archers montés. Ce dispositif qui émerge des réflexions tardo-républicaines sur la guérilla de cavalerie correspond exactement à celui qui triomphera au VIe s. ap. J.-C. et que l’on verra déjà en partie fonctionner dans l’ordre de bataille contre les Alains décrit par Arrien au IIe s. ap. J.-C.
C. La pratique de la guérilla de cavalerie par les Romains Au Ier s. av. J.-C., certains généraux romains ont eux-mêmes recours à la guérilla de cavalerie. Ces opérations de harcèlement ne sont pas la manifestation d’une véritable stratégie, voire d’une « grande stratégie » comme cela a pu être le cas dans le monde parthe ; il s’agit plutôt d’une option tactique parmi d’autres. Cette alternative au choc direct permet d’éviter de tenter la fortune lorsque l’issue d’une bataille rangée est mal assurée, ou lorsque l’un des belligérants a tout intérêt à économiser ses forces145. La particularité de la guérilla romaine est qu’elle n’implique pas de véritables armées de cavalerie autonomes : les troupes montées sont toujours suivies de près par l’infanterie légionnaire, dont la fonction est de servir de base de repli aux equites en cas de revers. Lors de la guerre des Gaules, la cavalerie auxiliaire est ainsi détachée à plusieurs reprises du corps principal pour poursuivre et harceler des colonnes ennemies en marche146. Mais c’est surtout lors de la campagne du Sègre, en 145
Le principe de l’attaque du fort au faible est énoncé dans le manuel de Frontin à travers une anecdote portant sur Sertorius, cf. Frontin, Str., I, 10, 1-2 (trad. P. Laederich) : « Quintus Sertorius savait par expérience qu’il n’était pas capable de résister à l’armée romaine toute entière : pour en convaincre également ses alliés barbares, qui demandaient inconsidérément le combat, il fit amener en leur présence deux chevaux, l’un très vigoureux, l’autre très faible, et fit venir deux jeunes gens qui présentaient le même contraste, l’un robuste, l’autre chétif. Et il ordonna au plus fort des deux jeunes gens d’arracher d’un coup la queue entière du cheval le plus faible, alors qu’au plus chétif il ordonna de tirer un à un les crins du cheval le plus vigoureux. Le jeune homme chétif s’était déjà acquitté de sa tâche quand le plus fort luttait encore en vain contre la queue du cheval le plus faible : “Par cet exemple, soldats, s’écria Sertorius, je vous ai montré quelle est la nature des cohortes romaines : elles sont invincibles quand on les attaque toutes ensemble ; elles se feront en revanche tailler en pièces et déchiqueter, si on les assaille séparément”. » Voir aussi Val. Max., VII, 3, 6 ; Plin., Ep., III, 9, 11 ; Plut., Sert., 16. 146 Ainsi en 57, à la suite de la bataille de l’Aisne contre les Belges (Caes., BG, II, 11, 3-6) et en 51, lorsque le légat C. Fabius poursuit l’armée de Dumnacos qui cherche à passer la Loire (Hirt., BG, VIII, 27, 4-29, 4).
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Figure 11 – La campagne du Sègre (49 av. J.-C.).
49, que César démontre comment, tout en refusant la bataille rangée, une armée romaine est capable de vaincre entièrement un corps expéditionnaire constitué de plusieurs dizaines de milliers de soldats (fig. 11)147. La cavalerie césarienne joue un rôle opérationnel décisif dès les premiers affrontements autour d’Ilerda : numériquement supérieure à celle des pompéiens, elle empêche les troupes d’Afranius et Petreius de se ravitailler148 et force ces derniers à abandonner la place forte pour se réfugier vers l’Èbre149. La marche qui s’ensuit est un véritable désastre pour l’armée pompéienne. Pendant leur retraite vers Octogesa (actuelle Mequinenza), le long de la rive gauche du Sègre, les troupes d’Afranius et Petreius sont harcelées par la Sur le rôle de la cavalerie lors de cette campagne : DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), I, 523 ; VEITH (1906), 260-74 ; VIGNERON (1968), I, 270-2 ; JUNKELMANN (1991), II, 119-25. 148 Caes., BC, I, 55, 1 ; 59 et 61. 149 Les deux généraux pompéiens espèrent pouvoir lever en Celtibérie des contingents de cavalerie qui leur permettront de reprendre le dessus dans leurs opérations ultérieures contre César : ibid., I, 61, 4. 147
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cavalerie césarienne150. Dans le De bello ciuili, César explique de manière très claire l’effet de ces attaques : « parfois l’arrière-garde de la colonne faisait front et suspendait son mouvement, tantôt la marche était reprise, et nos troupes, que l’effort des cohortes lancées en masse faisait reculer, revenaient ensuite à la charge et continuaient la poursuite »151. Dans un premier temps les chefs pompéiens espèrent trouver leur salut dans le défilé montagneux situé près de la confluence Sègre-Cinca152. Arrivées à proximité des passes, les deux armées engagent une course de vitesse. César cherche à couper la route des pompéiens en opérant avec son infanterie un mouvement enveloppant par le Sud, pendant que sa cavalerie harcèle leurs arrières pour les ralentir153. Cette manœuvre audacieuse est un succès : les pompéiens se voient interdire l’accès à l’Èbre et doivent opter pour un plan alternatif. Afranius détache quatre cohortes pour occuper les hauteurs qui se trouvent sur le nouvel itinéraire menant à Octogesa, mais celles-ci sont immédiatement enveloppées et anéanties par la cavalerie césarienne154. Bien que ses soldats l’encouragent à engager la bataille, César préfère vaincre par l’attrition car l’ennemi est désormais quasiment immobilisé et coupé de tout approvisionnement en eau155. Manquant de ravitaillement, les pompéiens décident d’abandonner leur camp et de retourner à Ilerda156. Immédiatement,
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Ibid., I, 63-4 et 78-80. Ibid., I, 64, 1 (trad. P. Fabre) : nonnumquam sustineri extremum agmen atque interrumpi, alias inferri signa et uniuersarum cohortium impetu nostros propelli, dein rursus conuersos insequi. 152 Ibid., I, 65, 4 (trad. P. Fabre) : « Ces montagnes, ils désiraient y pénétrer afin d’échapper à la cavalerie de César (Hos montes intrare cupiebant ut equitatum effugerent Caesaris), et pour pouvoir, au moyen de postes établis dans les défilés, interdire à son armée toute progression, tandis qu’eux-mêmes passeraient l’Èbre sans risque et sans inquiétude. » 153 Ibid., I, 68, 1-70, 3. Clausewitz préconise le même type de manœuvre, sans préciser les rôles respectifs de l’infanterie et de la cavalerie : « le troisième stade de la poursuite, le plus efficace d’ailleurs, consiste dans une marche parallèle vers la position de retraite la plus proche » (De la guerre, IV, 12, éd. Naville p. 292). 154 Caes., BC, I, 70, 5 : conspicatus equitatus Caesaris in cohortes impetum fecit ; nec minimam partem temporis equitum uim cetrati sustinere potuerunt omnesque ab eis circumuenti in conspectu utriusque exercitus interficiuntur. Il s’agit là d’un des rares exemples de décision tactique remportée par la cavalerie seule contre de l’infanterie en contexte romain. 155 Il est intéressant de noter que c’est la « prudence » qui est invoquée par César à l’appui de cette stratégie, cf. ibid., I, 72, 2 : « Pourquoi, enfin, tenter la fortune, d’autant qu’il n’est pas moins digne d’un général de vaincre par la prudence que par la force du glaive ? » (cur denique Fortunam periclitaretur ? praesertim cum non minus esset imperatoris consilio superare quam gladio). César ne parvient que difficilement à imposer cette résolution à son armée qui réclame la bataille, cf. ibid., I, 72, 4 (trad. P. Fabre modifiée) : « Ces projets de César, la plupart les désapprouvaient : quant aux soldats, ils disaient ouvertement entre eux que, puisqu’on laissait passer une pareille occasion de victoire, ils refuseraient de se battre, même si César en donnait l’ordre. » 156 Ibid., I, 78, 2. 151
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les troupes césariennes reprennent leur action de harcèlement157. À court de fourrage, éreintée et réduite à l’impuissance, la cavalerie pompéienne doit se réfugier au centre de l’ordre de marche158. Incapables de faire traverser le Sègre à leur armée, Afranius et Petreius finissent par capituler159.
Outre cet exemple particulièrement significatif, l’equitatus apparaît aussi comme une force décisive sur les théâtres d’opération africains de la guerre civile. En 49, les 500 equites du corps expéditionnaire césarien permettent à Curion de remporter des succès importants dans les premiers engagements contre P. Attius Varus et Juba160. Mais dès que ces troupes auxiliaires ne sont plus en mesure de résister face à la puissante cavalerie numide, l’armée césarienne est condamnée au mieux à rester enfermée dans les castra Cornelia en s’approvisionnant par voie maritime, au pire, si elle s’aventure en plaine, à être complètement enveloppée et détruite, ce qui advient finalement en août, lors de la bataille du Bagradas161. S’inspirant probablement de ce précédent, Labienus fait le pari de la cavalerie lors de sa campagne contre César en Afrique (47-46 av. J.-C.)162. À la bataille de Ruspina, le général républicain déploie face à César une armée singulière : « une ligne prodigieusement longue et serrée non de fantassins, mais de cavaliers ; entre ces derniers étaient disposés des fantassins légers numides et des archers à pied, en groupes si épais que, de loin, les Césariens crurent voir des troupes d’infanterie ; les ailes droite 157 Ibid., I, 79. César insiste sur l’action des javeliniers montés, qui met l’arrière-garde pompéienne en grande difficulté lorsque celle-ci s’engage sur des pentes : equites uero ex loco superiore in auersos tela coniciebant, tum magno erat in periculo res. 158 Ibid., I, 79, 5. 159 Ibid., I, 84-7. 160 Sur cette expédition, voir VEITH (1906), 286-92 et LE BOHEC (2001), 354-60. Quelques jours après le débarquement, Curion remporte un premier combat de cavalerie contre 600 chevaux numides (Caes., BC, II, 25, 3-5). Juba envoie alors à Varus un renfort considérable de cavaliers et de fantassins auxiliaires : l’avant-garde de cette armée est mise en déroute par la cavalerie de Curion (ibid., II, 26). Une troisième victoire est obtenue par le lieutenant de César lors d’un engagement préliminaire, alors que les deux armées sont rangées en bataille, ce qui entraîne la fuite de toute l’armée pompéienne (ibid., II, 34-5). Curion apprend alors que Saburra, le principal lieutenant de Juba, s’apprête à arriver avec de la cavalerie. Il envoie ses propres troupes montées pour l’intercepter et attaque avec succès le camp numide de nuit (ibid., II, 38). 161 La cavalerie de Curion, épuisée par une longue marche, ne peut empêcher la cavalerie adverse d’envelopper et de prendre à revers sa ligne de bataille (ibid., II, 41, 5). Ne pouvant se réfugier dans les hauteurs que les troupes de Saburra ont occupées avant elle, l’armée césarienne reste exposée au harcèlement des escadrons numides au beau milieu d’une plaine, sans l’espoir d’être secourue par sa propre cavalerie : tous les fantassins périssent jusqu’au dernier (ibid., II, 42, 5 : Milites ad unum omnes interficiuntur). 162 Voir VEITH (1906), 398-40 ; FULLER (1965), chap. xii ; LE BOHEC (2001), 405-22.
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et gauche avaient été renforcées de contingents importants de cavalerie »163. L’objectif recherché par Labienus est de l’emporter par l’enveloppement et le harcèlement, tout en évitant la mêlée164. Cette tactique est un succès165. D’après Cassius Dion, les césariens auraient tous été massacrés s’ils n’avaient pu se réfugier sur un tertre166. Comprenant la gravité de la situation dans laquelle il se trouve, César fait le choix d’éviter la bataille en rase campagne et d’affaiblir progressivement la cavalerie pompéienne. Chaque jour, il envoie ses troupes montées escarmoucher avec l’ennemi à l’extérieur de son camp, de manière à leur faire reprendre confiance en elles167. Il s’assure aussi que ses alliés P. Sittius et le roi maure Bocchus puissent attaquer la Numidie par l’ouest, ce qui force Juba à retirer d’Afrique une partie de sa cavalerie afin que celle-ci puisse défendre son royaume168. Enfin, César profite de ses liens de parenté avec Marius pour encourager les défections parmi les Numides et les Gétules servant dans le camp républicain169. Ayant lui-même reçu un renfort de 800 cavaliers, il peut à nouveau faire sortir son armée et se libérer de la situation de blocus opérationnel dans laquelle il se trouvait jusqu’ici170. La cavalerie numide est vaincue dans un combat de cavalerie au sud de Ruspina171. Mais ces efforts ne sont pas suffisants. Scipion et Labienus reçoivent bientôt un grand renfort de cavalerie de la part de Juba172 et peuvent inquiéter une nouvelle fois l’armée césarienne par une vaste 163 Ps.-Caes., BAfr., 13, 1 (trad. A. Bouvet modifiée) : aciem derigunt mirabili longitudine non peditum, sed equitum confertam, et inter eos leuis armaturae Numidas et sagittarios pedites interposuerant et ita condensauerant ut procul Caesariani pedestres copias arbitrarentur ; dextrum ac sinistrum cornu magnis equitum copiis firmauerant. 164 L’auteur du De bello Africo insiste sur ce point, cf. ibid., 19, 2 (trad. A. Bouvet) : « Ils étaient venus avec la ferme intention de surprendre et dérouter par une tactique nouvelle (nouo atque inusitato genere proelii) les légionnaires récemment enrôlés et peu nombreux, de les encercler avec leur cavalerie (ab equitatu cirumuenti) et de les écraser comme ils avaient écrasé Curion. » 165 Ibid., 14-7. L’auteur présente cet engagement comme un échec pour Labienus mais les récits d’Appien et de Cassius Dion sont beaucoup moins élogieux à l’égard de César. D’après App., BC, II, 95, les pompéiens l’auraient largement emporté lors de la bataille : ils n’auraient cessé de poursuivre les césariens en déroute que lorsque le cheval de Labienus, frappé au ventre, désarçonna son cavalier. 166 Cass. Dio, XLIII, 2, 1-2. 167 Ps.-Caes., BAfr., 29, 1. 168 Ibid., 25, 5. 169 Ibid., 32, 3. 170 Ibid., 34, 4. 171 Ibid., 39-40. 172 Celui-ci arrive vite avec une puissante armée, cf. ibid., 48, 1 : tribus legionis equitibusque frenatis DCCC, Numidis sine frenis peditibusque leuis armaturae grandi numero. Les equites frenati sont probablement les Gaulois et les Ibères que Juba avait attachés à sa garde personnelle (cf. Caes., BC, II, 4, 1).
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opération de harcèlement en plaine173. Pour l’auteur du De bello Africo, la supériorité de la cavalerie et des troupes légères numides est incontestable : « Cet état de choses créait de vifs soucis à César, car chaque fois qu’un combat était engagé, il lui était absolument impossible avec sa seule cavalerie, et sans l’infanterie de légion, de résister à la cavalerie et à l’infanterie légère des ennemis. »174. César cherche dès lors la bataille rangée. Il finit par l’obtenir en menaçant Thapsus, ce qui lui permet de remporter une grande décision à l’issue d’une campagne très incertaine, dans laquelle son armée a failli se retrouver dans la même situation que celle des pompéiens sur le Sègre trois ans plus tôt175. Les exemples que nous venons de développer montrent qu’une armée nettement inférieure en cavalerie est exposée au risque de perdre le contrôle du théâtre de guerre sur lequel elle opère : elle ne peut plus fourrager ni s’approvisionner localement (le ravitaillement par la mer devient inévitable) ; elle doit aussi éviter de s’aventurer en plaine et ne peut plus contraindre l’ennemi à se battre contre sa volonté. À l’inverse, la suprématie en matière de cavalerie permet d’épuiser progressivement l’adversaire tout en évitant les risques inhérents à la bataille rangée. T. Labienus est incontestablement le général romain qui est allé le plus loin dans ce sens, en abandonnant presque complètement le paradigme de la bataille d’infanterie lourde au profit de la décision par la cavalerie et l’infanterie légère seules176. À trois reprises, l’auteur du De bello Africo emploie des expressions connexes pour désigner les techniques de grande 173 Ps.-Caes., BAfr., 69-70. Labienus et Afranius, qui avaient placé toute leur cavalerie et leurs troupes légères en embuscade, fondent sur l’arrière-garde de l’armée césarienne. Le but de cette opération est dévoilé par l’auteur du De bello Africo : il s’agit de forcer les troupes de César à camper où l’eau manque entièrement, afin que ses hommes et ses chevaux périssent de soif (ibid., 69, 5 : Caesar intellexit nihil aliud eos conari nisi ut se cogerent castra eo loco ponere, ubi omnino aquae nihil esset, ut exercitus ieiunus, qui a quarta uigilia usque ad horam X diei nihil gustasset, ac iumenta siti perirent). Mais par un ingénieux système de roulement, César parvient à déjouer cette entreprise en engageant successivement ses différentes légions dans les combats d’arrière-garde tout en poursuivant sa marche. Lorsque l’armée césarienne est parvenue à rejoindre son camp, on ne dénombre que dix blessés. 174 Ibid., 72, 1 (trad. A. Bouvet) : Quibus ex rebus Caesar uehementer commouebatur, quod quotienscumque proelium erat commissum, equitatu suo sine legionario milite hostium equitatui leuique armaturae eorum nullo modo par esse poterat. 175 Ibid., 75-86. 176 L’historiographie considère souvent que Labienus, à la différence de César, avait l’étoffe d’un véritable général de cavalerie. Voir ADCOCK (1940), 25 et 116 ; RAMBAUD (1969), 663 ; CAGNIART (1992). Mais son exemple montre que l’adoption d’un modèle stratégique fondé sur la guérilla de cavalerie n’est pas tant une question de penchant personnel qu’une adaptation aux nécessités du recrutement et aux pratiques militaires locales.
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guérilla du général républicain : nouo genere pugnae ; inusitato genere proelii ; singulari genere pugnae177. Il peut être tentant de prendre ces périphrases à la lettre, sans se contenter d’y voir un simple procédé destiné à disqualifier la déception cultivée par le parti anti-césarien. Elles sont selon nous la marque d’une véritable réflexion sur l’art militaire. Les événements du milieu du Ier s. ont probablement soulevé des polémiques sur l’avenir de la guerre romaine, de même que sur la place des auxiliaires dans l’ensemble de l’exercitus178. La menace croissante de l’asymétrie tactique explique aussi pourquoi la destruction des forces de cavalerie adverses devient un enjeu stratégique majeur des guerres civiles. Les efforts de César pour compenser la supériorité numérique écrasante de la cavalerie pompéienne lors de la campagne de 48 en Épire sont significatifs179. À la suite de plusieurs manœuvres, le dictateur parvient à enfermer son adversaire sur la péninsule de Durrës. Le siège de Dyrrachium a souvent été perçu comme une aberration car les pompéiens pouvaient être ravitaillés par la mer180. Mais comme le précise César lui-même, il s’agissait avant tout d’« empêcher Pompée de faire du fourrage et [de] rendre sa cavalerie inutilisable pour le combat »181. Bloquée derrière des lignes de circonvallation182, l’immense cavalerie républicaine n’est pas seulement réduite à l’impuissance : les chevaux sont menacés d’extermination car, si les navires au très faible tonnage suffisent à acheminer le ravitaillement pour les hommes, ils ne peuvent convoyer aussi
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Ps.-Caes., BAfr., 15, 1 ; 19, 2 ; 69, 5. Sur cette question, voir JAL (1962). 179 Sur cette campagne, voir VEITH (1920). César dispose initialement de 15 000 fantassins et 500 cavaliers, cf. Caes., BC, III, 2, 2 (il n’a pas pu embarquer toutes ses troupes présentes en Italie). Peu après son débarquement en Épire, il est rejoint par un supplément de 800 cavaliers (ibid., III, 29, 2). Ces effectifs sont dérisoires face aux 7 000 cavaliers de Pompée (ibid., III, 4, 3). 180 Ibid., III, 42, 2 et 44, 1. Voir le jugement sévère de Napoléon Ier, cité dans VIGNERON (1968), I, 272. Ces avis négatifs puisent probablement leur source dans les propos apocryphes que Plutarque prête à César lui-même, cf. Plut., Caes., 39, 9 (trad. R. Flacelière et É. Chambry) : « Il se reprochait d’avoir mal conduit les opérations : alors qu’il avait devant lui un pays fertile et les villes opulentes de la Macédoine et de la Thessalie, il avait négligé d’y attirer la guerre pour s’installer ici, au bord de la mer dominée par la flotte ennemie, où il était assiégé par la disette plus qu’il n’assiégeait Pompée par les armes. » 181 Caes., BC, III, 42, 3 (trad. P. Fabre) : uti pabulatione Pompeium prohiberet equitatumque eius ad rem gerendam inutilem efficeret. Voir VIGNERON (1968), I, 272-4 et ERDKAMP (1998), 129. 182 Pompée contrôle un espace de seulement 22 km de circonférence où il peut fourrager librement : cf. Caes., BC, III, 44, 3. 178
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régulièrement le fourrage et surtout l’immense quantité d’eau nécessaire aux animaux183. Il s’agit donc bien d’anéantir la cavalerie de Pompée pour garantir le succès des opérations ultérieures. III – LA GRANDE TACTIQUE184 A. Le rôle de la cavalerie dans les batailles rangées L’armée tardo-républicaine présente une grande capacité d’adaptation tactique et ne semble pas avoir confiné la cavalerie dans un rôle systématiquement subalterne. Au Ier s. av. J.-C., les batailles rangées commencent presque systématiquement par des escarmouches préliminaires impliquant les troupes mobiles. Ces accrochages découlent directement du fait que les cavaliers opèrent en avant-garde de l’ordre de marche. Ils peuvent prendre la forme de combats d’éclaireurs ou de véritables batailles de cavalerie. L’impact de ces escarmouches sur le moral des troupes est important : elles permettent d’éprouver les forces des deux partis avant le choc du combat « stationnaire » et sont à ce titre perçues comme une forme d’ordalie par les soldats. Elles ont aussi une fonction pratique : de concert avec l’infanterie légère, les cavaliers protègent le déploiement de l’infanterie lourde qui peut parfois prendre des heures. 183
César va jusqu’à faire détourner des rivières pour priver ses ennemis de cette précieuse ressource, cf. ibid., III, 49, 3. Aussi, dans le camp pompéien, « on arrivait à grand peine à maintenir vivants les chevaux de selle, mais toutes les bêtes de somme avaient péri ». Plus loin, César décrit les conséquences de ces mesures, cf. ibid. III, 58 (trad. P. Fabre) : « Pour contenir plus facilement la cavalerie pompéienne aux abords de Dyrrachium et l’empêcher d’aller au fourrage, César fit de grands travaux pour fermer les deux passages dont nous avons montré plus haut l’étroitesse, et y plaça des fortins. Pompée, voyant qu’il n’aboutissait à rien avec sa cavalerie, la fit revenir par mer quelques jours après dans ses retranchements. Le manque de fourrage était complet, au point que l’on nourrissait les chevaux de feuilles arrachées aux arbres et de racines tendres de roseaux que l’on écrasait […]. Il fallait faire venir le fourrage de Corcyre et d’Acarnanie, ce qui représentait un fort long trajet par mer, et, comme il n’y en avait pas assez, y ajouter de l’orge et soutenir les chevaux à l’aide de ces expédients. Mais, lorsque non seulement l’orge, le fourrage et l’herbe coupée, mais même le feuillage des arbres commencèrent à manquer, Pompée, voyant ses chevaux épuisés de maigreur, pensa qu’il fallait tenter une sortie. » 184 C’est au comte Jacques de Guibert que revient le mérite d’avoir établi une distinction nette entre « tactique élémentaire » et « grande tactique », dans son Essai général de tactique (1772). La première est l’art de manœuvrer des unités élémentaires dans les diverses circonstances que la guerre peut offrir. La seconde a pour finalité de coordonner les mouvements d’une armée entière et des différentes unités qui la composent lors des marches et du combat.
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Ils forment ainsi un rideau mobile qui dissimule les manœuvres des légionnaires et empêche les tirailleurs ennemis de gêner la formation de l’acies185. Durant la bataille proprement dite, toutes les missions confiées aux troupes à cheval dépendent de leur avantage absolu en termes de mobilité. La cavalerie ne peut être utilisée pour le combat stationnaire et n’est pas d’une grande efficacité contre des lignes d’infanterie disciplinées, rangées en ordre serré186. Sa seule chance de rompre une troupe de fantassins est de l’attaquer sur ses points les plus vulnérables, où la force morale de la charge peut produire son effet maximal : c’est la raison pour laquelle les flancs et les arrières du dispositif ennemi constituent des cibles de choix. La fonction tactique principale de la cavalerie réside donc dans l’enveloppement : par un mouvement tournant, les escadrons viennent se placer contre les franges externes de l’armée ennemie187. Afin de réaliser cette opération, la cavalerie peut parfois contourner des obstacles qui la dissimulent à la vue des adversaires188. Mais le terrain ne se prête pas toujours à ce type d’embuscade tactique et les troupes opèrent le plus souvent au vu et su de l’armée ennemie. Cette simple manœuvre, si elle est menée à bien, peut suffir à déclencher une réaction de panique chez l’adversaire et décider de l’affrontement189. 185 On retrouve de nombreux exemples de ce type de manœuvre dans le corpus césarien, e.g. à la veille de la bataille de Bibracte contre les Helvètes en 58, cf. Caes., BG, I, 24, 1-2 : Postquam id animum aduertit, copias suas Caesar in proximum collem subduxit equitatumque, qui sustineret hostium impetum, misit. Ipse interim in colle medio triplicem aciem instruxit legionum quattuor ueteranarum. 186 Voir Clausewitz, De la guerre, V, 4 (éd. Naville p. 311) : « Dans l’engagement personnel, l’essence de la défense consiste à demeurer fermement debout, comme enraciné dans le sol ; l’essence de l’attaque est le mouvement. La cavalerie est totalement privée de la première de ces propriétés et jouit par excellence de la dernière. Elle n’est donc appropriée qu’à l’attaque. » 187 L’exemple paradigmatique de ce type de manœuvre est bien évidemment celui de la bataille de Cannes (Plb., III, 116, 6 ; Liv., XXII, 48, 5-6), encore enseigné aujourd’hui dans les écoles militaires occidentales. Pour des exemples issus du corpus césarien, cf. BG, VII, 88, 3 ; BC, I, 55, 2 ; I, 70, 5 ; II, 34, 6 ; III, 93, 4 ; BAfr., 14, 1 et 15, 2-3 ; 59, 5 ; 78, 4 ; BHisp., 31, 5. 188 E.g. Caes., BG, VII, 87, 4 (phase finale du siège d’Alésia) : César « ordonne qu’une partie de la cavalerie le suive, que l’autre contourne les retranchements extérieurs et attaque l’ennemi de dos. » (equitum partem sequi, partem circumire exteriores munitiones et ab tergo hostes adoriri iubet). 189 L’importance de l’effet psychologique produit par la menace de l’enveloppement est bien soulignée par César à propos de la bataille d’Utique en juin 49. Chaque armée a placé toute sa cavalerie sur une seule aile, avec des fantassins légers en soutien. Curion parvient à chasser la cavalerie ennemie du champ de bataille. Toute l’armée de Varus assiste impuissante au spectacle de cette déroute et au massacre de l’infanterie légère. Terrifiés par la perspective fatidique de l’encerclement, les soldats tournent le dos et se
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Pour envelopper l’infanterie de l’ennemi, il est cependant nécessaire de vaincre d’abord ses troupes montées, qui poursuivent naturellement le même objectif. Une étape préliminaire du « combat d’ailes » consiste fréquemment à étirer les flancs de la ligne de bataille vers l’extérieur, en faisant opérer un quart de conversion aux escadrons. Cette phase est bien décrite par l’auteur du De bello Africo lors de la bataille de Ruspina (fig. 12) : afin de déborder la cavalerie césarienne, les troupes numides de Labienus s’étendent en avançant sur les côtés de l’ordre de bataille (subito aduersariorum equitatus sese extendere et in latitudinem promouere)190. En infériorité numérique, les 2 000 cavaliers de César ne peuvent suivre cette manœuvre d’extension et sont rapidement rejetés dans le giron de l’infanterie légionnaire191. Une fois la cavalerie adverse vaincue, les escadrons se redéploient pour prendre l’infanterie de flanc et à revers192. Les sources ne précisent que rarement les rôles respectifs des différents types de cavalerie dans la réalisation de cette mission d’enveloppement. Nous disposons seulement de quelques renseignements concernant la bataille d’Uzitta, en 46 : à la veille de cet engagement, Scipion place la cavalerie médiane sur les flancs de l’infanterie et la cavalerie légère numide vers l’extérieur de la ligne de bataille193. Cette précipitent vers leur camp (cf. Caes., BC, II, 34, 6 : Sed praeoccupatus animus Attianorum militum timore et fuga et caede suorum nihil de resistendo cogitabat, omnesque se iam ab equitatu circumueniri arbitrabantur. Itaque priusquam telum abici posset, aut nostri propius accederent, omnis Vari acies terga uertit seque in castra recepit). Bilan de l’affrontement (II, 35, 5) : 600 morts et 1 000 blessés – victimes probablement faites, pour la plupart, lors de la poursuite. 190 Ps.-Caes., BAfr., 14, 1. Dans son récit de la bataille d’Ilipa (206 av. J.-C.), Polybe donne une description technique de ce type de manœuvre : Plb., XI, 22, 11-23, 9. 191 Cass. Dio, XLIII, 2, 2 : ἵππον […] ἐς τοὺς πεζοὺς […] κατήραξαν. L’extension des ailes dans un but offensif se retrouve lors de la bataille de Tegea en 46 (Ps.-Caes., BAfr., 78, 4 : Pacideius suos equites exporrigere coepit in longitudinem, ut haberent facultatem turmas Iulianas circumeundi). Le plus ancien exemple romain de ce type de manœuvre concerne la bataille de Clastidium en 222. Cf. Plut., Marc., 6, 5. 192 César mentionne cette manœuvre effectuée par une partie de la cavalerie pompéienne lors de la bataille de Pharsale, cf. infra, p. 160. 193 Ps.-Caes., BAfr., 59, 4-5 : « [Scipion] avait placé toute sa cavalerie bridée sur son aile droite (Equitatum frenatum uniuersum in suo dextro cornu disposuerat), car son aile gauche était couverte par la ville d’Uzitta, et il n’y avait pas d’espace pour y déployer la cavalerie. En outre, il avait placé sur la partie droite de sa ligne de bataille l’infinie multitude des Numides et des troupes légères (Praeterea Numidas leuisque armaturae infinitam multitudinem ad dextram partem suae aciei opposuerat), sur pas moins de mille pas de distance dans l’espace intermédiaire, et il l’avait davantage repoussée vers les contreforts des collines, de sorte qu’elle s’avançait loin au-delà des adversaires et de ses propres troupes. Son plan, en procédant ainsi, était qu’au moment où les lignes de bataille se rencontreraient au centre, au début de l’engagement, la multitude de sa cavalerie aurait seulement à refermer soudainement son mouvement d’encerclement un peu plus loin sur
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Figure 12 – Reconstitution schématique de la bataille de Ruspina (46 av. J.-C.).
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Figure 12.3
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description suggère que les troupes numides, plus mobiles, étaient chargées d’encercler les césariens alors que la cavalerie de mêlée avait surtout pour fonction de défendre les flancs des fantassins194. L’autre fonction essentielle de la cavalerie en contexte tactique réside dans la poursuite des fuyards. Elle est intrinsèquement liée à l’image des troupes montées chez les auteurs anciens195. Comme l’a bien montré Charles Ardant du Picq, la poursuite permet précisément de convertir un succès tactique (la déroute d’une armée) en une victoire stratégique par la destruction matérielle de l’outil militaire adverse196. Grâce à sa mobilité supérieure, la cavalerie peut facilement rattraper les fantassins ennemis et les abattre isolément. L’infanterie seule, même légèrement équipée, ne peut remplir efficacement cette fonction. C’est ce que révèle un passage du De bello Gallico concernant les premières opérations de César en Bretagne : « Dès que nos soldats purent se reformer sur le rivage, et comme tous avaient rejoint, ils chargèrent l’ennemi et le mirent en déroute ; mais ils ne purent le poursuivre bien loin, parce que la cavalerie n’avait pu rester dans la bonne direction et atteindre l’île. Ce fut tout ce qui manqua à la fortune accoutumée de César. »197. La mécanique de la poursuite est bien décrite dans la Guerre des Gaules198. Les cavaliers peuvent massacrer directement les fuyards ou couper leur retraite pour les rabattre vers l’infanterie199. Lorsqu’ils se mettent à donner la course au galop, les soldats se détachent les uns des autres et rompent la cohésion de l’escadron, pour pouvoir joindre individuellement les
l’armée de César (paulo longius eius equitatus circumuectus ex improuiso clauderet multitudine sua exercitum Caesaris), et à la bouleverser en la perçant de traits. » 194 C’est ce que confirme le déroulement de la bataille, cf. ibid., 61, 1 : « soudain, toute la cavalerie sans bride des Numides et des Gétules, placée vers l’extérieur de l’aile droite, se met en mouvement vers le camp de César, pendant que la cavalerie bridée de Labienus demeure sur place et tient les légions à distance. » 195 C’est ce qu’illustre une anecdote livrée par Plutarque. Cf. Plut., Caes., 18, 3 : juste avant la bataille de Bibracte contre les Helvètes en 58, un des officiers de César lui apporte un cheval. César refuse de le prendre au motif qu’il préfère engager l’ennemi à pied : la monture, répond-il à son officier, ne lui sera utile que pour poursuivre l’ennemi. 196 ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.), 66-70, 74 et 82 ; SABIN (1996), 66-7 ; ID. (2007), 221-2. 197 Caes., BG, IV, 26, 5 (trad. L.-A. Constans) : Nostri, simul in arido constiterunt, suis omnibus consecutis, in hostes impetum fecerunt atque eos in fugam dederunt ; neque longius prosequi potuerunt, quod equites cursum tenere atque insulam capere non potuerant. Hoc unum ad pristinam fortunam Caesari defuit. 198 Ibid., I, 53, 3 ; III, 19, 4 ; 26, 5-6 ; IV, 14, 5 ; 37, 4 ; VI, 8, 7 ; VII, 62, 9 ; 70, 4-5 ; 88, 7 ; VIII, 16, 1-2 ; 19, 7 ; 29, 3. Voir aussi Caes., BC, III, 99, 5 ; Ps.-Caes., BAfr., 78, 8 ; BHisp., 10, 3. 199 Frontin, Str., II, 5, 31.
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ennemis200. La manœuvre doit être exécutée avec une grande prudence car l’armée adverse est toujours susceptible de simuler la fuite pour attirer les poursuivants dans une embuscade201. Autre mesure de précaution : l’infanterie doit toujours suivre de près, afin de protéger les poursuivants en cas de revers202. Lorsqu’elle est utilisée à bon escient, la cavalerie peut se livrer à de véritables massacres et occasionner des pertes considérables. En 56, les troupes montées de P. Crassus poursuivent une armée de 50 000 Aquitains et Cantabres sur environ 74 kilomètres : seuls un quart des fuyards en réchappent203. Si elle doit poursuivre lorsqu’elle est victorieuse, la cavalerie a aussi pour mission de protéger et de couvrir les fuyards en cas de défaite. Cette fonction est bien décrite par César à l’issue d’un combat contre les troupes d’Afranius et Petreius, en 49204. Enfin, à une échelle plus resserrée, la mobilité tactique de la cavalerie en fait une arme tout indiquée pour les embuscades, auxquelles les généraux romains, contrairement à ce qu’on a pu parfois affirmer, n’hésitent pas à recourir dès l’époque républicaine205. Ces stratagèmes sont de deux 200 La physionomie de ce type de combat est bien décrite par Hirtius dans un engagement de cavalerie contre Commios, cf. BG, VIII, 48, 3-5 (trad. L.-A. Constans) : « Volusénus, emporté par le désir de s’emparer de la personne de Commios, s’était acharné à le poursuivre avec un petit groupe, et lui, fuyant à toute bride, avait entraîné Volusénus à bonne distance, quand soudain Commios, qui le haïssait, fait appel à l’honneur de ses compagnons, leur demande de le secourir, de ne pas laisser sans vengeance les blessures qu’il doit à la fourberie de cet homme, et, tournant bride, il se sépare des autres, audacieusement, pour se précipiter sur le préfet. Tous ses cavaliers l’imitent, font faire demi-tour aux nôtres, qui n’étaient pas en force, et les poursuivent. Commios éperonne furieusement son cheval, le pousse contre celui de Quadratus, et, se jetant sur son ennemi, la lance en avant, avec une grande violence, il lui transperce la cuisse. » 201 C’est précisément ce qui se passe lors d’une escarmouche contre les Bellovaques en 51, cf. Hirt., BG, VIII, 12 : les cavaliers auxiliaires de César poursuivent trop loin les troupes de Correos ; celles-ci les attirent vers des fantassins dissimulés qui surgissent des bois et coupent leur retraite. Et l’auteur de conclure (trad. L.-A. Constans) : « les nôtres apprennent à leurs dépens à reconnaître les lieux avec plus de soin avant d’établir leurs postes, et à poursuivre avec plus de prudence quand l’ennemi cède le terrain. » 202 Cf. e.g. ibid., VIII, 27, 4-5. 203 Caes., BG, III, 26, 6. 204 Id., BC, I, 46, 3 (trad. P. Fabre) : « D’autre part, notre cavalerie, aux deux ailes, bien que placée dans une position en contrebas et dominée, fait avec le plus beau courage tous ses efforts en direction du sommet et, en galopant entre les deux lignes, rend la retraite plus aisée et plus sûre (inter duas acies perequitans commodiorem ac tutiorem nostris receptum dat). » 205 BRIZZI (1982), notamment chap. 1 et 2 ; ID. (1989) ; ID. (1999) ; ID. (2002, 2004 trad. fr.), 52-62. Contra WHEELER (1988) ; SHELDON (2005), 34-6 ; HARTER-UIBOPUU, s.v. « Stratagem: Republic », dans ERA, II, 933-5. Point de vue intermédiaire dans ACHARD (2006) : l’auteur souligne que les stratagèmes et autres embuscades sont employés depuis la plus haute époque romaine (BRIZZI [1982], 270 considère les exemples les plus anciens comme des « invenzioni della storiografia successiva »), mais il estime que les généraux
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types. Il peut s’agir premièrement d’embuscades « statiques » : on dispose alors des cavaliers dans des couverts boisés ou derrière d’autres irrégularités de terrain206. Depuis leur position dissimulée, les troupes montées fondent alors sur l’ennemi insouciant qui passe à proximité de leur position. L’effet de surprise suffit parfois à mettre une armée en déroute207. La cavalerie peut aussi servir à leurrer, par une fausse fuite, l’armée adverse et l’amener ainsi vers l’endroit où se trouvent des troupes embusquées208. Ce procédé semble avoir été particulièrement employé par Lucullus et Pompée en Orient. Il consiste à détacher en avant de l’armée principale un parti de cavaliers pour provoquer l’ennemi. Lorsque celui-ci se met à les poursuivre, les cavaliers ont pour ordre de ne pas résister mais de simuler la fuite. Les poursuivants sont alors attirés vers des troupes fraîches. Celles-ci peuvent mettre un genou à terre et se cacher juste derrière la cavalerie, ou bien être dissimulées dans des bois209.
romains (César en l’occurrence) éprouvaient des réticences à s’en glorifier. Cela serait lié à la survivance, au Ier s. av. J.-C., d’un « idéal chevaleresque », valorisant le bellum iustum et pium. Voir dans le même sens LE BOHEC (2014), 259. 206 Liv., XXVIII, 13, 6 (206 av. J.-C.) : accrochage entre les troupes de Scipion et d’Hasdrubal ; les cavaliers romains chargent « depuis un tertre » (post tumulum), prenant l’ennemi au dépourvu. Ps.-Caes., BAfr., 65, 3 (46 av. J.-C.) : la cavalerie numide de Labienus se poste dans un vallon encaissé pour tendre une embuscade aux soldats de César qui ont l’habitude de passer par là pour aller chercher du ravitaillement (la tentative échoue). 207 À la bataille de la Trébie (218 av. J.-C.), la cavalerie embusquée d’Hannibal intervient de manière décisive en jetant la panique dans la ligne d’infanterie romaine qu’elle prend à revers. Cf. Plb., III, 74, 1. 208 Cf. BRECCIA (2007), 59-60. 209 App., Mith., 85 (bataille de Tigranocerte, 69 av. J.-C.) : Lucullus ordonne à ses cavaliers d’attirer la cavalerie ennemie loin du champ de bataille pour permettre à l’infanterie d’attaquer librement l’armée adverse. Ibid., 98 (premier affrontement entre les troupes de Pompée et de Mithridate, 66 av. J.-C.) : Pompée place des cavaliers en embuscade et en envoie d’autres harceler l’ennemi ; « leur mission était de provoquer l’adversaire puis de battre en retraite comme s’ils étaient vaincus jusqu’au moment où les cavaliers romains placés en embuscade les enveloppèrent et leur firent tourner bride » (voir aussi Frontin, Str., II, 5, 33 et Cass. Dio, XXXVI, 47, 1-4). Ibid., XXXVII, 4, 2-4 (bataille de la rivière Abas, 65 av. J.-C.) : la cavalerie romaine attire la cavalerie albanienne vers des fantassins romains ; les ennemis se rendent compte trop tard qu’ils sont enveloppés par l’infanterie ; ils sont en même temps contre-chargés par les cavaliers romains (voir aussi Frontin, Str., II, 3, 14). Cass. Dio, XL, 29, 3 (51 av. J.-C.) : Cassius Longinus utilise le même stratagème contre les Parthes qui ont pénétré en Syrie jusqu’à Antioche (voir aussi Frontin, Str., II, 5, 35). Il arrive parfois que ce type d’embuscade échoue à cause des hennissements des chevaux, qui trahissent la présence des cavaliers dissimulés, cf. Caes., BC, III, 38, 3 (48 av. J.-C.). En Liv., XLII, 47, 4 (hiver 172/171 av. J.-C.), dans le fameux débat portant sur l’utilisation de manœuvres déloyales contre Persée, les vieux sénateurs romains dénoncent les « retraites simulées et les retours imprévus contre un ennemi insouciant » (simulatam fugam improuisosque ad incautum hostem reditus). Mais WHEELER
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B. La cavalerie dans l’ordre de bataille Afin de remplir au mieux les tâches qui lui incombent, la cavalerie doit occuper une position adaptée à son rôle dans l’ordre de bataille. Le dispositif tactique le plus courant à l’époque tardo-républicaine consiste à déployer les troupes montées sur les ailes de l’infanterie210. Cet ordre de bataille permet l’engagement massif des effectifs légionnaires tout en facilitant les manœuvres d’enveloppement de la cavalerie. Il nécessite cependant un terrain ouvert et dégagé. Le plus souvent, les combattants à cheval sont soutenus par des fantassins légers, disposés dans les intervalles séparant les escadrons. Lors de la bataille de Thapsus, César range ainsi son infanterie lourde au centre, sur trois lignes ; cinq cohortes supplémentaires forment une quatrième ligne sur les cornua de l’acies, avec des archers et des frondeurs ; la cavalerie est disposée aux extrémités des deux ailes, entremêlée avec de l’infanterie légère (leuique armatura inter equites interiecta)211. Généralement, l’aile droite de cavalerie joue un rôle plus offensif que l’aile gauche, comme le montre l’exemple de la bataille de Munda (45 av. J.-C.)212. Une variante de cet ordre consiste à placer toute la cavalerie sur une seule aile. Ce dispositif est adopté lorsqu’une armée a la possibilité d’appuyer l’un de ses flancs contre un obstacle naturel, afin de limiter les risques d’enveloppement. À Pharsale, l’Énipée couvre l’aile gauche de César, ce qui lui permet de ranger tous (ou presque tous) ses escadrons à la droite de l’acies afin de contrer la tentative de débordement par laquelle Pompée espère remporter la bataille (fig. 13)213. À Utique et à Uzitta, Attius Varus et Scipion font adopter à leur armée un dispositif similaire214. (1988), 24 considère cette tirade comme le reflet de la propagande romaine mise en récit par Tite-Live. Les exemples que nous venons de citer confirment ce point de vue. 210 Bataille du Muthul (108 av. J.-C.) : Sall., Jug., 49, 6. Bataille d’Ilerda (49 av. J.-C.) : Caes., BC, I, 46, 3. Bataille du Sègre (49 av. J.-C.) : ibid., I, 83, 2. Bataille de Ruspina (46 av. J.-C.) : Ps.-Caes., BAfr., 13, 2. Bataille de Thapsus (46 av. J.-C.) : ibid., 81, 1. Bataille de Munda (45 av. J.-C.) : Ps.-Caes., BHisp., 30, 1. Cet ordre de bataille est presque absent de la guerre des Gaules (une exception en Caes., BG, VI, 8, 5 : bataille de Labienus contre les Trévires en 53 av. J.-C.), mais César détaille rarement le dispositif tactique qu’il fait adopter à l’ensemble de son armée. 211 Ps.-Caes., BAfr., 81, 1. 212 Durant cette bataille, la cavalerie de César charge l’aile gauche de Pompée, déjà éprouvée par l’infanterie légionnaire du dictateur, et remporte la décision : Ps.-Caes., BHisp., 31, 5-8. 213 Caes., BC, III, 84, 4 et 99, 4 ; Plut., Caes., 42, 2 ; Pomp., 71, 4 ; Frontin, Str., II, 3, 22. 214 Utique, cf. Caes., BC, II, 34, 2 : Simul ab sinistro cornu P. Attii equitatus omnis et una leuis armaturae interiecti complures, cum se in uallem demitterent, cernebantur (cet
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D’autres ordres de bataille sont attestés dans les sources, mais ils sont généralement motivés par des objectifs tactiques limités et laissent moins d’importance à l’infanterie lourde dans l’obtention de la décision. Il arrive ainsi que la cavalerie soit rangée en première ligne, devant les fantassins. Cet agencement des troupes découle directement de l’ordre de marche et peut être lié à une volonté d’échelonner les engagements dans le temps, en privilégiant l’action de la cavalerie et de l’infanterie légère contre celle de l’infanterie pesante. Il ne s’agit pas d’une nouveauté du Ier s. av. J.-C., mais d’un mode opératoire ancien que l’on retrouve déjà durant la deuxième guerre punique lors de la bataille du Tessin en 218 (fig. 3) et surtout lors de la bataille d’Ilipa en 206215. Plusieurs sources tardo-républicaines font allusion à des engagements généraux lors desquels la cavalerie forme le front de l’acies216. Ce dispositif souvent attesté dans le corpus césarien permet notamment de fixer les troupes ennemies afin de les amener à accepter le combat, avant de faire porter le coup de grâce par les légions, ou bien de laisser à celles-ci le temps de parvenir sur le champ de bataille et de se déployer217. César décrit très bien ce procédé à l’occasion d’un engagement entre les troupes de Curion et celles de Juba près d’Utique en 49 : « Curion, qu’inquiète vivement ce fait inattendu, détache en avant sa cavalerie pour soutenir le premier choc et arrêter leur marche ; lui-même fait rapidement cesser le travail et prendre à ses légions la formation de combat. »218. Si la cavalerie ne parvient pas à mettre en déroute l’armée ennemie, elle se replie vers les lignes d’infanterie en passant par les intervalles laissés libres entre
ordre de bataille s’explique certainement par la présence de hauteurs à l’ouest de la plaine : cf. KROMAYER & VEITH [1912], carte 16). Uzitta, cf. Ps.-Caes., BAfr., 59, 4 et 60, 4 (Scipion appuie son flanc gauche contre les remparts de la ville ; César couvre son flanc droit avec ses propres retranchements). 215 Tessin : Plb., III, 65, 5 ; Liv., XXI, 46, 5. Ilipa : Plb., XI, 22, 9 ; Liv., XXVIII, 14, 8-13. 216 Ainsi en 83 av. J.-C., pendant la deuxième guerre civile entre marianistes et syllaniens, cf. Plut., Pomp., 7, 2 (trad. R. Flacelière et É. Chambry modifiée) : « Loin de se laisser effrayer [par le nombre des généraux marianistes qui convergeaient vers son armée pour l’attaquer], Pompée réunit toutes ses forces et fondit sur l’un de ces corps d’armée, celui de Brutus. Sa cavalerie, qu’il commandait lui-même, était placée au front de la bataille (προτάξας). » 217 Bataille de l’Aisne : Caes., BG, II, 9, 2. Bataille de la Sambre : ibid., II, 19, 4-5. Voir aussi BG, IV, 11, 2 ; V, 9, 4 ; VIII, 19. 218 Caes., BC, II, 26, 3 (trad. P. Fabre modifiée) : Nouitate rei Curio permotus praemittit equites, qui primum impetum sustineant ac morentur ; ipse celeriter ab opere deductis legionibus aciem instruit.
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les cohortes219. Les légions interviennent alors comme principale force de décision tactique. Il arrive parfois, enfin, que des généraux se passent complètement des services de l’infanterie lourde lors d’engagements de grande ampleur et optent pour des dispositifs tactiques plus originaux. À Ruspina en 46, un ordre mixte est privilégié par Labienus (fig. 12). Le général républicain dispose de 1 600 cavaliers germains et gaulois, 8 000 Numides montés sans brides, et d’une infanterie légère quatre fois plus nombreuse que sa cavalerie (c. 40 000 fantassins)220. Le centre de l’acies est composé d’une alternance d’escadrons de cavalerie et de bataillons d’infanterie légère (equitum […] et inter eos leuis armaturae Numidas et sagittarios pedites), formant une ligne continue (aciem […] confertam) et prodigieusement longue (mirabili longitudine). D’importantes forces de cavalerie (magnis equitum copiis) sont disposées sur les ailes gauche et droite221. Il s’agit probablement de l’essentiel de la cavalerie légère numide dont dispose le général222.
219 Cette manœuvre est décrite par Polybe et Tite-Live à propos de la bataille d’Ilipa : Plb., XI, 22, 10 ; Liv., XXVIII, 14, 13. 220 L’auteur du texte ne donne pas cet état des forces républicaines avant la bataille, mais juste après, cf. Ps.-Caes., BAfr., 19, 4 (trad. A. Bouvet) : « Aussi Labienus était-il plein d’espoir et brûlant d’audace, avec ses seize cents cavaliers Germains et Gaulois et ses huit mille Numides montés sans brides, renforcés encore des seize cents cavaliers de Petreius, de son infanterie légère, quatre fois plus nombreuse que les cavaliers, et de ses nombreux archers, frondeurs et archers montés : telles étaient les troupes qui, la veille des nones de janvier, cinq jours après l’arrivée de César en Afrique, livrèrent bataille, dans une plaine absolument unie et découverte, de la cinquième heure du jour jusqu’au coucher du soleil. » Il convient de noter que les forces de Petreius n’ont pas pris part à la bataille, mais sont arrivées après. L’une des difficultés posées par le texte concerne l’infanterie légère : était-elle quatre fois plus nombreuse que l’ensemble de la cavalerie, ou quatre fois plus nombreuse que les 1 600 cavaliers de Petreius ? J.-C. Richard, dans l’édition CUF, 1997, p. 18, n. 31 opte pour la deuxième hypothèse et estime que Labienus avait à sa disposition entre 6 400 et 8 000 fantassins légers. Cela nous semble bien peu au regard des informations données par le De bello Africo sur la longueur prodigieuse de la ligne de bataille républicaine. 221 Ps.-Caes., BAfr., 13, 1 : aciem derigunt mirabili longitudine non peditum, sed equitum confertam, et inter eos leuis armaturae Numidas et sagittarios pedites interposuerant et ita condensauerant ut procul Caesariani pedestres copias arbitrarentur ; dextrum ac sinistrum cornu magnis equitum copiis firmauerant. 222 COWAN (2008), 26 situe les 1 600 cavaliers gaulois et germains sur les ailes du dispositif républicain, mais l’auteur du De bello Africo ne précise à aucun moment l’identité de la cavalerie placée par Labienus à cet endroit. Plusieurs indices nous semblent confirmer qu’il s’agissait des Numides : lors de la bataille proprement dite, des cavaliers en ordre serré font office de réserve au centre de l’acies – il s’agit probablement de la cavalerie celtique de Labienus car les Numides se battent ordinairement en ordre dispersé – ; par ailleurs, à Uzitta, durant la même campagne, Scipion place ses cavaliers
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Durant la bataille, des troupes prélevées sur l’acies centrale sont détachées du dispositif pour engager les cohortes césariennes. La cavalerie médiane, rangée en ordre dense, reste en retrait, formant une ligne de réserve (peutêtre avec les archers à pied), pendant que les javeliniers numides et les chevaux-légers chargent en avant comme procursatores (fig. 12.2)223. Quand les hommes de César quittent leurs rangs pour attaquer ces partis de tirailleurs, la cavalerie de Labienus cesse d’escarmoucher et se retire224. Elle se reforme alors derrière l’infanterie légère avant de retourner au combat. De cette manière, les cavaliers peuvent facilement disperser les poursuivants225. Nous voyons ici pour la première fois une division fonctionnelle claire entre différentes unités de cavaliers rangées dans la même ligne de bataille : certains equites ont pour mission de charger en avant de l’acies (procursio) de manière à pouvoir harceler les ennemis pendant que les autres demeurent en arrière en formation dense. Pendant que ces combats se déroulent au centre de l’ordre de bataille, la cavalerie disposée sur les ailes parvient à envelopper les flancs des césariens et à encercler entièrement leur armée226. Celle-ci se range momentanément en orbis, en repliant ses ailes vers l’intérieur (fig. 12.3)227. Puis César ordonne d’étendre la ligne de bataille au maximum pour rompre l’encerclement ennemi, et fait opérer une contremarche à la moitié de ses cohortes pour faire face sur deux fronts (fig. 12.4)228.
C. Étude de cas : la bataille de Pharsale En sus de Ruspina, la bataille de Pharsale est l’un des exemples de bataille rangée les mieux documentés de la période (fig. 13)229. L’analyse de cet engagement permet d’avoir un aperçu assez représentatif de la doctrine d’emploi de la cavalerie à l’époque tardo-républicaine, dans un contexte topographique relativement bien renseigné. Sans rentrer dans le détail des débats portant sur la localisation précise du champ de bataille, nous nous contenterons de relever que l’affrontement eut lieu dans la africains du côté extérieur de son aile droite, les Gaulois et Germains étant disposés plus près du centre. 223 Ps.-Caes., BAfr., 14, 2 : ex condensis turmis pedites Numidae leuis armaturae cum equitibus procurrunt et inter legionarios pedites iacula coniciunt. 224 Ibid., 14, 3 : Hic cum Caesariani in eos impetum fecissent, illorum equites refugiebant. 225 Ibid., 15, 1. 226 Ibid., 15, 2. 227 Ibid., 15, 3. 228 Ibid., 17, 1. 229 Sur cette bataille : VEITH (1906), 337-42 et 513 ; DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), I, 538-55 ; RAMBAUD (1955) ; FULLER (1965), 231-9 ; LE BOHEC (2001), 380-7 ; SABIN (2007), 215-9. Sur le combat de cavalerie spécifiquement : PASCHOUD (1995).
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Figure 13 – Reconstitution hypothétique du déploiement des armées césarienne et pompéienne à la bataille de Pharsale (48 av. J.-C.).
vallée de l’Énipée, en Thessalie, à proximité de Palaepharsalus 230. Que les combats se soient déroulés au nord ou au sud du cours d’eau n’a que peu d’importance pour notre propos : dans les deux cas, une plaine de trois à quatre kilomètres de large s’étend entre l’Énipée et les premières hauteurs qui bordent la vallée. Ces dimensions sont bien étroites au vu des effectifs qui se rencontrèrent le 9 août 48231. D’un côté, Pompée disposait de 51 200 fantassins et 7 000 cavaliers. De l’autre, César
230 Voir MORGAN (1983) (avec bibliographie antérieure) et DECOURT (1990), 124-7. On distingue principalement deux écoles : les partisans d’une localisation au sud de l’Enipée (hypothèse émise par Leake en 1835 puis reprise par Kromayer et Veith en 1907) et ceux d’une localisation au nord (hypothèse proposée par Lucas en 1921 puis reprise par Morgan). D’après MORGAN (1983), 44-5, Palaepharsalus correspondrait à l’actuel Krini (anciennement Driskoli). Selon le même auteur, le camp de Pompée se trouvait à l’est du Kalyiros, sur les collines situées au nord de Sarikaya / Aura. Quant au camp de César, il aurait été établi dans la plaine près de l’Enipée. Ces propositions ne font pas l’unanimité, mais il s’agit des plus argumentées à ce jour. 231 Sur le problème des effectifs présents lors de la bataille, cf. VEITH (1906), 501-7 et surtout DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), I, 542-51.
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pouvait déployer 22 000 fantassins et 1 000 cavaliers232. La composition de l’immense cavalerie pompéienne est obscure. Il est certain que le général républicain disposait d’une importante cavalerie citoyenne. Plutarque et Appien vont jusqu’à considérer que les 7 000 equites pompéiens étaient d’origine italienne233. Ce point de vue n’est pas corroboré par le récit de César, notre principale source sur la bataille234, et se heurte à un véritable problème de Sachkritik car il faudrait dès lors ajouter à ce total la nombreuse cavalerie alliée qui participa à la bataille du côté républicain235 : une telle force montée de près de 15 000 soldats n’aurait pu tenir dans la plaine de l’Énipée, coincée entre l’acies légionnaire et les collines avoisinantes, même rangée sur trois lignes. Il nous semble plus sage de nous en tenir à la tradition transmise par Eutrope et Orose : la cavalerie de Pompée comptait 1 100 cavaliers italiens, sans compter les troupes montées auxiliaires fournies par les puissances alliées236. 232 Voir Caes, BC, III, 4 ; 84 ; 88-9 et App., BC, II, 70. Des estimations différentes sont données par Eutr., VI, 16, 20 et Oros., VI, 15, 23 : 40 000 fantassins et 1 100 cavaliers pour Pompée, sans compter les troupes auxiliaires ; 1 000 cavaliers et moins de 30 000 fantassins pour César. DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), I, 547 doute fortement que Pompée ait pu mobiliser 7 000 cavaliers et pense que César exagère les forces de son rival pour se mettre en valeur. Il invoque les témoignages d’Eutrope et Orose à l’appui de cette hypothèse, mais les chiffres fournis par Eutrope ne tiennent pas compte des alliés orientaux : Pompei acies habuit XL milia peditum, equites in sinistro cornu sexcentos, in dextro quingentos, praeterea totius Orientis auxilia. Les deux traditions ne sont donc pas irréconciliables. 233 Plut., Pomp., 64, 1 (trad. R. Flacelière et É. Chambry) : « Il avait sept mille cavaliers, la fleur de Rome et de l’Italie (῾Ρωμαίων καὶ Ἰταλῶν τὸ ἀνθοῦν), tous distingués par la naissance, la richesse et la noblesse des sentiments (γένεσι καὶ πλούτῳ καὶ φρονήμασι διαφέροντες). » Voir aussi Id., Caes., 42, 3 et App., BC, II, 70. 234 César se contente de noter la présence de 1 000 cavaliers dans son armée et de 7 000 cavaliers dans l’armée républicaine : rien ne permet de considérer qu’il ne parle ici que des troupes italiennes puisque, lorsqu’il est question de cavalerie, l’auteur ne mentionne ordinairement que les troupes auxiliaires. D’ailleurs, quand il met en scène les 7 000 cavaliers pompéiens à la veille de la bataille, il est bien question d’auxiliaires allobroges : Caes., BC, III, 84. 235 Ces supplétifs étaient bien présents lors du combat : dans son récit de la bataille, Lucan., Phars., VII, 226 évoque les cavaliers pontiques de l’aile droite de Pompée, et en VII, 525-7, il fait porter la responsabilité de la déroute de l’aile gauche sénatoriale sur les auxiliaires étrangers : « Oublieux du combat et fuyant sans honte de leur lâcheté, ils [les cavaliers de Pompée] montrèrent que l’on a tort de confier des guerres civiles à des troupes barbares » (trad. A. Bourgery et M. Ponchont). 236 Ces 1 100 equites étaient probablement les cavaliers attachés (συνετάσσοντο ἱππέες) aux cinq légions que Pompée avait fait venir d’Italie pour la campagne de 48. On pourrait penser que la source commune de Plutarque et Appien exagère l’importance de ce contingent en le confondant avec le total des cavaliers présents à Pharsale. CADIOU (2016), 63-6 n’est pas de cet avis et pense vraiment que 7 000 chevaliers romains étaient présents du côté pompéien, et 1 000 du côté césarien, sans compter les auxiliaires montés de chaque camp.
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L’origine de ces auxilia est précisée par César au début de son récit de la campagne : 900 Galates, 500 cavaliers cappadociens, 500 Thraces, 200 Macédoniens, 500 Gaulois et Germains, 800 cavaliers recrutés « parmis des esclaves et bergers » de Pompée, 200 Syriens (pour la plupart des archers montés), et le reste de Dardaniens, Bessiens, Macédoniens et Thessaliens237. La composition de la cavalerie césarienne est inconnue, mais il s’agissait probablement de l’élite de sa cavalerie auxiliaire occidentale238. Selon César, Pompée rangea son infanterie légionnaire à la droite de son ordre de bataille, en appuyant son flanc droit contre l’Énipée. Toute la cavalerie était massée sur l’aile gauche avec les archers et les frondeurs239. Il est possible que César n’ait pas tenu compte de la présence de cavaliers sur le flanc droit de l’acies pompéienne : Frontin, Eutrope et Orose situent en effet une petite force montée de 500 ou 600 soldats à cet endroit du dispositif républicain240. L’objectif de Pompée était d’utiliser sa puissante cavalerie pour envelopper l’aile droite césarienne241. César le savait et c’est pourquoi il adapta son ordre de bataille en conséquence : il rangea toute, ou presque toute sa cavalerie sur son aile droite, avec des fantassins légers habitués à combattre de concert avec les troupes à cheval242. Il détacha aussi de sa troisième ligne d’infanterie six cohortes et forma une quatrième ligne avec elles. Cette force de réserve, 237 Caes., BC, III, 4, 3-6 : equitum VII milia. Ex quibus DC Gallos Deiotarus adduxerat, D Ariobarzanes ex Cappadocia ; ad eundem numerum Cotys ex Thracia dederat et Sadalam filium miserat ; ex Macedonia CC erant, quibus Rhascypolis praeerat, excellenti uirtute ; D ex Gabinianis Alexandria, Gallos Germanosque, quos ibi A. Gabinius praesidii causa apud regem Ptolomaeum reliquerat […] ; DCCC ex seruis suis pastorumque suorum numero coegerat ; CCC Tarcondarius Castor et Domnilaus ex Gallograecia dederant (horum alter una uenerat, alter filium miserat) ; CC ex Syria a Commageno Antiocho, cui magna Pompeius praemia tribuit, missi erant, in his plerique hippotoxotae. Huc Dardanos, Bessos partim mercenarios, partim imperio aut gratia comparatos, item Macedones, Thessalos ac reliquarum gentium et ciuitatum adiecerat atque eum, quem supra demonstrauimus, numerum expleuerat. 238 SADDINGTON (1982), 10 pense que les 1 000 cavaliers de César représentaient ce qu’il restait de ses 4 000 ou 5 000 cavaliers auxiliaires après les pertes subies à Dyrrachium. 239 Caes., BC, III, 88, 6 : Dextrum cornu eius riuus quidam impeditis ripis muniebat ; quam ob causam cunctum equitatum, sagittarios funditoresque omnes sinistro cornu obiecerat. Plut., Caes., 44, 5 situe aussi toute la cavalerie pompéienne sur l’aile gauche. 240 Frontin, Str., II, 3, 22 ; Eutr., VI, 16, 20 ; Oros., VI, 15, 23. App., BC, II, 75 précise aussi que des cavaliers étaient présents sur les deux flancs : καὶ τοὺς ἱππέας ἐπὶ τοῖς κέρασι τοῖς κατὰ μέρη τάσσων. Plut., Pomp., 69, 2 confirme en soulignant que « presque toute la cavalerie » pompéienne était sur le flanc gauche. 241 Caes., BC, III, 86, 3-4 et 89, 4. 242 Ibid., III, 84, 3-4 et III, 99, 4 ; Plut., Caes., 42, 2 ; Pomp., 71, 4 ; Frontin, Str., II, 3, 22.
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rangée de façon oblique derrière la cavalerie, avait pour instruction de repousser toute tentative d’enveloppement de la part de la cavalerie républicaine243. À supposer qu’une turme de cavalerie, rangée sur trois rangs, occupait un front de 14 mètres de large – ce qui, nous le verrons, peut être suggéré à partir de la documentation tardo-républicaine et impériale –, la ligne de cavalerie césarienne devait couvrir une distance d’environ 900 mètres (en tenant compte des intervalles ménagés entre chaque escadron). Cet espace était suffisant pour permettre à chaque turme de manœuvrer individuellement. En revanche, les 6 500 ou 6 400 cavaliers pompéiens de l’aile gauche eurent probablement les plus grandes difficultés à occuper une étendue aussi étroite. On peut facilement imaginer que Pompée avait fait adopter à ses troupes montées la même disposition qu’à son infanterie : ses escadrons étaient peut-être rangés en ordre profond. Ils étaient probablement aussi disposés sur trois lignes. Hors ces conditions, nous voyons mal comment une telle masse de combattants montés aurait pu prendre part à l’engagement. Il est possible de reconstituer les étapes du combat de cavalerie qui s’est déroulé sur l’aile droite césarienne en s’appuyant sur les différents récits consacrés à la bataille. L’engagement des troupes montées commença avant celui des lignes d’infanterie244. Comme le note Lucain, Pompée prit d’abord l’initiative d’étendre sa ligne de cavalerie pour pouvoir exécuter plus facilement sa manœuvre d’enveloppement245. Ses troupes montées attaquèrent ensuite l’aile droite césarienne246. Cassius Dion enregistre une série de mouvements offensifs et de retraites tactiques247. Il ajoute aussi que face à l’extension de la ligne pompéienne, 243 Caes., BC, III, 89, 4 ; Lucan., Phars., VII, 522 ; Plut., Caes., 44, 2 ; Pomp., 69, 2-3 ; App., BC, II, 75 ; Frontin, Str., II, 3, 22. Flor., II, 13, 48 précise qu’il s’agissait d’auxiliaires germains. Cf. DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), 550 et SPEIDEL (2004), 153-4. 244 App., BC, II, 78. Cela s’accorde avec le plan de Pompée : retenir l’infanterie le plus longtemps possible pour pouvoir remporter la décision grâce à la cavalerie. Contra Caes., BC, III, 93, 3 : eodem tempore. Sur cette contradiction, voir DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), I, 551. 245 Lucan., Phars., VII, 506-9 : ut primum toto diduxit cornua campo Pompeianus eques bellique per ultima fudit sparsa per extremos leuis armatura maniplos insequitur. Voir aussi Plut., Pomp., 71, 4 (ἤδη δὲ ἐκεῖνοι τοὺς οὐλαμοὺς ἀνῆγον ὡς κυκλωσόμενοι τὸν Καίσαρα), Caes., 45, 1 (ἀπὸ τοῦ κέρατος οἱ ἱππεῖς τοῦ Πομπηΐου σοβαρῶς ἐπήλαυνον, εἰς κύκλωσιν τοῦ δεξιοῦ τὰς ἴλας ἀναχεόμενοι) et Cass. Dio, XLI, 60, 2 (διὰ τοῦτο πόρρωθέν τε ἐγκυκλούμενοί τινας). 246 Caes., BC, III, 93, 3 ; Flor., II, 13, 48 ; App., BC, II, 78. 247 Cass. Dio, XLI, 60, 2 : προσβολαῖς αἰφνιδίοις ἐχρῶντο, καὶ συνταράξαντες αὐτοὺς ἐξανεχώρουν, εἶτ’ αὖθις καὶ μάλ’ αὖθις ἐπετίθεντό σφισι, τοτὲ μὲν ἐνταῦθα τοτὲ δὲ ἐκεῖσε μεθιστάμενοι.
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les césariens redéployaient la leur de manière à toujours se retrouver face à l’ennemi248. Dans la mêlée qui s’ensuivit, des fantassins légers intégrés dans la ligne de cavalerie césarienne se battirent avec acharnement, allant jusqu’à saisir leurs adversaires pour les jeter à bas de leur monture249. Mais la cavalerie césarienne finit par céder. Cette retraite pourrait avoir été intentionnelle car certaines sources précisent qu’elle n’intervint qu’au moment où César en donna le signal250. Alors, la cavalerie pompéienne se scinda en deux groupes : une partie (probablement la première ligne) poursuivit la cavalerie ennemie en déroute pendant que l’autre commençait à se redéployer pour prendre l’infanterie romaine de flanc251. C’est à ce moment que la quatrième ligne d’infanterie de César, qui était dissimulée derrière sa cavalerie et dont les soldats se tenaient accroupis, entra en action252. Ces fantassins parvinrent à forcer le corps-à-corps et 248 Id., XLI, 60, 3 : οἱ οὖν Καισάρειοι ταῦτά τε ἐφυλάσσοντο, καὶ τὰς τάξεις σφῶν ἐξελίσσοντες ἀντιπρόσωποί τε ἀεὶ τοῖς προσβάλλουσιν ἐγίγνοντο. 249 Id., XLI, 60, 3 : καὶ ὁμόσε αὐτοῖς χωροῦντες τῶν τε ἀνδρῶν καὶ τῶν ἵππων ἀντελαμβάνοντο, προθύμως ἀγωνιζόμενοι· καὶ γὰρ πεζοὶ τοῖς ἱππεῦσιν αὐτῶν κοῦφοι ἐπ’ αὐτὸ τοῦτο συνετετάχατο. 250 Caes., BC, III, 93, 4 : Quorum impetum noster equitatus non tulit, sed paulatim loco motus cessit. Voir Plut., Pomp., 71, 4 : Καίσαρος δὲ σημεῖον ἄραντος, οἱ μὲν ἱππεῖς ἐξανεχώρησαν. 251 Caes., BC, III, 93, 4 : equitesque Pompei hoc acrius instare et se turmatim explicare aciemque nostram a latere aperto circumire coeperunt. Il nous semble que ce passage a été surinterprété par PASCHOUD (1995). Celui-ci pense que le combat eut lieu sur un terrain fort étroit, circonscrit vers l’extérieur par un accident de terrain ou une éminence. Après avoir vaincu la cavalerie césarienne, les pompéiens auraient passé le défilé formés en colonne, puis se seraient redéployés en ligne pour envelopper les légions de César. Selon Paschoud, seule l’hypothèse (proposée par Y. Béquignon) de la localisation du site de la bataille au sud de l’Énipée et à l’est du mont Despotis s’accorderait avec une telle reconstruction des faits. Nous pouvons objecter que l’expression se turmatim explicare indique simplement un redéploiement des escadrons en vue de l’enveloppement, sans qu’il soit nécessaire de supposer que la cavalerie pompéienne ait eu à passer un goulet. D’ailleurs, aucun auteur n’affirme que le champ de bataille était borné par des escarpements du côté de l’aile gauche pompéienne. Par conséquent, la localisation de Béquignon reste une hypothèse et la reconstitution de Paschoud, présentant un combat très stationnaire entre la quatrième ligne césarienne et la cavalerie massée de Pompée, embarrassée par sa formation dense et incapable de se dégager, ne nous semble pas plus convaincante. 252 Caes., BC, III, 93, 6 : Illi celeriter procucurrerunt infestisque signis tanta ui in Pompei equites impetum fecerunt. Lucan., Phars., VII, 521-4 : cum Caesar, metuens ne frons sibi prima labaret incursu, tenet obliquas post signa cohortes, inque latus belli, qua se uagus hostis agebat, emittit subitum non motis cornibus agmen. Frontin, Str., II, 3, 22 : effusum namque Pompei equitatum inopinato excursu auerterunt caedendumque tradiderunt. Flor., II, 13, 48 : repente hinc signo dato Germanorum cohortes tantum in effusos equites fecere impetum. Plut., Pomp., 71, 4 : αἱ δὲ ἐπιτεταγμέναι σπεῖραι πρὸς τὴν κύκλωσιν ἐκδραμοῦσαι. Plut., Caes., 45, 2 : ἐκτρέχουσιν αἱ σπεῖραι παρὰ Καίσαρος. App., BC, II, 78 : Καίσαρος δὲ τὸ σημεῖον τοῖς ἐφεδρεύουσιν ἄραντος, οἱ μὲν ἐξαναστάντες ἐς τοὺς ἵππους ἐχώρουν.
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combattirent avec une grande violence, en cherchant à frapper au visage les chevaliers pompéiens et à abattre leurs montures253. Les poursuivants furent ainsi repoussés et se retirèrent à leur tour vers les escadrons pompéiens qui étaient en train de se redéployer pour l’enveloppement, déclenchant une panique généralisée254. Cette réaction en chaîne provoqua la dissolution complète de l’aile gauche de Pompée. Débarrassés de la cavalerie pompéienne qui partit se réfugier dans les montagnes avoisinantes, les Césariens massacrèrent les fantassins légers qui se trouvaient toujours sur le champ de bataille et prirent en flanc l’infanterie adverse255. César insiste surtout sur l’action de la quatrième ligne d’infanterie durant cette phase d’enveloppement, mais Appien, qui fonde son récit sur celui d’Asinius Pollio, un officier césarien présent durant la bataille, suggère que la cavalerie césarienne prit une part active au mouvement d’encerclement, de même que l’infanterie de la dixième légion256. Pompée ordonna alors à ses fantassins de se séparer en formant un front compact et de tenir à distance les opposants en tenant leur lance en arrêt257. Il faut probablement comprendre que, tout comme à Ruspina, une partie de l’infanterie légionnaire reçut l’ordre d’exécuter une contremarche de manière à former un nouveau front vers l’arrière. Mais cela ne suffit pas et l’armée pompéienne fut bientôt complètement dispersée. Quels enseignements tirer du déroulement de cette bataille ? Tout d’abord, notons que la cavalerie pouvait servir de force de décision tactique à l’époque républicaine. Pompée envisageait clairement de remporter la bataille grâce à l’effet psychologique que devait produire sa 253 Lucan., Phars., VII, 528-9 ; Plut., Pomp., 71, 4 ; Caes., 45, 2 ; App., BC, II, 78 ; Polyaen., Str., VIII, 23, 25. Cf. supra, p. 59. 254 Caes., BC, III, 93, 6 : ut eorum nemo consisteret, omnesque conuersi non solum loco excederent, sed protinus incitati fuga montes altissimos peterent. Lucan., Phars., VII, 525-31 : inmemores pugnae nulloque pudore timendi praecipites fecere palam […] omnis eques cessit campis, glomerataque nubes in sua conuersis praeceps ruit agmina frenis. Flor., II, 13, 49 : tunc terrore latius dato, turbantibus inuicem copiis, reliqua strages quasi una manu facta est ; nec ulla res magis exitio fuit quam ipsa exercitus magnitudo. Plut., Pomp., 71, 5 : οἱ δέ, ἅτε μάχης πάσης ἄπειροι, τοιαύτην δὲ μὴ προσδοκήσαντες μηδὲ προμαθόντες, οὐκ ἐτόλμων οὐδὲ ἠνείχοντο τὰς πληγὰς ἐν ὄμμασι καὶ στόμασιν οὔσας, ἀλλ’ ἀποστρεφόμενοι καὶ προϊσχόμενοι τῶν ὄψεων τὰς χεῖρας ἀκλεῶς ἐτράποντο. Plut., Caes., 45, 5 : καὶ τέλος οὕτως ταράξαντες ἑαυτοὺς ἐτράποντο φεύγειν, αἴσχιστα λυμηνάμενοι τὸ σύμπαν. App., BC, II, 78 : οἱ δ’ οὐκ ἐνεγκόντες αὐτῶν οὔτε τὴν ἀπόνοιαν οὔτε τὰς ἐπὶ στόμα καὶ κατ’ ὀφθαλμοὺς πληγὰς ἔφευγον ἀκόσμως. Oros., VI, 15, 26 : prima congressione equitatus Pompei pulsus sinistra latera nudauit. 255 Caes., BC, III, 93, 7 ; Flor., II, 13, 49. 256 App., BC, II, 78 : Καὶ τὸ ἐνταῦθα πεζὸν εὐθὺς ἱππέων ἔρημον γενόμενον ἐκυκλοῦντο οἱ τοῦ Καίσαρος ἱππέες, αὐτοὶ δείσαντες περικύκλωσιν. 257 Ibid., II, 79.
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manœuvre d’enveloppement. Son utilisation de la cavalerie diffère finalement peu de la doctrine hellénistique258, à cela près que l’infanterie légionnaire conservait dans les guerres tardo-républicaines une capacité offensive supérieure à celle des phalangites gréco-macédoniens. César ne pouvait pas se permettre d’adopter le même plan de bataille : sa cavalerie, même aguerrie, était beaucoup moins importante sur le plan numérique et n’avait presque aucune chance de l’emporter dans un pur combat de cavalerie. Cette asymétrie poussa le vainqueur des Gaules à réserver la décision à l’infanterie. Mais il fallait trouver un expédient pour amener la puissante cavalerie de Pompée à engager des fantassins. César s’aida de la configuration du terrain, qui permettait d’annuler en partie la supériorité numérique de l’equitatus pompéien par sa relative étroitesse. Il eut aussi recours à un stratagème, que son propre récit ne permet pas d’identifier en tant que tel259, mais que les autres sources n’hésitent pas à présenter comme une fausse fuite suivie d’une embuscade. Cette retraite simulée permit aux six cohortes rangées en quatrième ligne d’engager la cavalerie pompéienne et de la mettre en déroute. Celle-ci fut probablement desservie par son grand nombre et son manque d’organisation. La bataille de Pharsale témoigne ainsi de deux manières différentes d’utiliser la cavalerie. Plus que deux doctrines d’emploi irréductibles, il faut voir ici des choix tactiques adaptés à des armées de compositions différentes. Comme l’a fait remarquer Hans Delbrück, le haut degré de coordination entre cavalerie et infanterie qui permit à César de remporter la victoire apparaît bien comme une spécificité de l’art militaire romain260. IV – LA
TACTIQUE DES UNITÉS
A. Les manœuvres collectives Comme nous avons eu l’occasion de l’observer à plusieurs reprises, l’unité tactique élémentaire de la cavalerie républicaine est la turme de trente soldats. Une turme a la possibilité d’agir indépendamment sur le Sur laquelle voir PETITJEAN (2018), cap. 4. Sur la dissimulation des stratagèmes et de la ruse dans le corpus césarien : cf. ACHARD (2006). 260 DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), I, 540 : « This support of cavalry by heavy infantry that moves forward offensively against the enemy cavalry is the highest imaginable accomplishment of cohort tactics. Only completely trained tactical units led with absolute confidence – not entire phalanxes but only cohorts, which are flexible because of their small size – are capable of operating in this way. » 258
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champ de bataille, comme l’implique l’adverbe turmatim, souvent utilisé par les auteurs romains pour décrire les actions entreprises par des troupes montées261. Au combat, la cavalerie romaine peut attaquer de deux manières différentes : la première option consiste à charger jusqu’au contact physique avec l’ennemi, de manière à engager le corps-à-corps – les sources latines privilégient les verbes concurrere et transcurrere pour désigner ce type d’action – ; mais un mode opératoire plus courant consiste à combattre à distance en évitant le contact direct avec l’ennemi – les expressions employées sont alors le latin discursio, iaculatio ou le grec ἀκροβολισμός, ἀκοντισμός262. Dans le premier type d’action, les sources précisent que les cavaliers sont rangés confertis turmis, c’est-àdire en turmes « resserrées » ou, pour être plus explicite, sans intervalles entre les turmes263. Ils forment par conséquent une ligne continue. Dans le second cas de figure, les cavaliers opèrent une alternance de charges et de contre-charges ; ils sont déployés turmatim, « par turme », ce qui implique que des intervalles sont conservés entre les escadrons, de manière à ce que ces derniers puissent avancer, virer sur la droite ou sur la gauche et se retirer plus facilement, en conservant leur autonomie tactique264. Nous avons déjà évoqué les manœuvres d’escarmouche de l’equitatus civique dans le chapitre consacré aux tactiques de la cavalerie médiorépublicaine265. Il n’y a aucune raison de penser que les forces montées du Ier s. av. J.-C. agissaient de façon différente. Nous n’excluons pas la possibilité que les unités celtiques, germaniques et numides aient pu privilégier des formations irrégulières pour ce type d’action, à la différence des escadrons romains qui chargeaient en rangs et en files. Mais cette éventualité ne trouve pas de confirmation dans les sources décrivant les modes de combat des cavaliers auxiliaires, et le risque serait ici de faire la part belle aux lieux communs exagérant jusqu’à la caricature les déficiences des armées barbares en matière d’organisation tactique. La régularité avec laquelle les Romains se sont efforcés de doter leurs unités supplétives de cadres issus de leur propre tradition militaire, tend au contraire à prouver que les equites auxiliarii étaient formés et entraînés 261 Voir OLD, s.v. « turmatim », p. 1993-4. Dans son étude sur la cavalerie de César, SCHAMBACH (1881), 16 faisait déjà remarquer : « Fest steht, dass das Geschwader oder der Zug (turma) auch in Cäsars Heere die taktische Einheit bildet. » 262 Voir JUNKELMANN (1991), II, 132-3. 263 E.g. Caes., BG, VII, 80, 6. Voir aussi Liv., XXI, 46, 9. 264 E.g. Caes. BC, III, 93, 4 ; Hirt., BG, VIII, 18, 2. Voir aussi Liv., XXVII, 12, 9 ; XXVIII, 13, 9 ; XXIX, 33, 6. 265 Cf. supra, p. 47-9.
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à exécuter des manœuvres issues des réglementations romaines. Lors du grand combat de cavalerie qui se déroule près de Compiègne en 51 et oppose les troupes de César à celles du chef bellovaque Correos, Hirtius note ainsi que la cavalerie césarienne se déploie dispositis turmis266. Cet épisode mérite d’être étudié en détail car on y retrouve la même mécanique d’escarmouche que celle que nous avons déjà pu entrevoir au milieu du IIe s. av. J.-C. (fig. 14)267. Hirtius indique que la bataille se déroula dans une plaine qui, en tous sens, n’avait pas plus de mille pas d’étendue ; elle était circonscrite par un bois et une rivière profonde268. La cavalerie romaine, à laquelle étaient mêlés des fantassins légers, entra dans la prairie, escadron par escadron, avant de se ranger en bataille (fig. 14.1)269. Les troupes de Correos qui s’étaient embusquées dans les bois attaquèrent d’abord les turmes romaines les plus proches (proximas turmas), ce qui implique que d’autres escadrons formaient une ligne de réserve270. Les cavaliers de la première ligne soutinrent la charge des ennemis avec résolution (constanter incursum sustinent insidiatorum) et ne convergèrent pas en un seul endroit (neque plures in unum locum conueniunt)271. Ils combattaient à tour de rôle, en escadrons bien ordonnés (Cum dispositis turmis in uicem rari proeliarentur) et faisaient en sorte de ne pas se faire prendre de flanc (neque ab lateribus circumueniri suos paterentur) (fig. 14.2)272. Alors que le reste des ennemis surgissait des bois, un combat plus long débuta sur les deux côtés du dispositif de bataille (fig. 14.3). L’irruption de l’infanterie ennemie força la cavalerie romaine à se retirer (paulatim ex siluis instructa multitudo procedit peditum, quae nostros coegit cedere equites)273. Celle-ci fut secourue par les fantassins légers (fig. 14.4). Le combat se poursuivit, indécis, jusqu’à l’arrivée des légions qui commencèrent à se déployer dans la plaine. Se sachant potentiellement soutenus par l’infanterie lourde, les cavaliers de César repartirent à la charge et mirent les Bellovaques en déroute (fig. 14.5)274. Dans ce passage, Hirtius décrit la même méthode de combat que celle qu’évoque Appien à propos de la bataille de Néphéris : la cavalerie romaine manœuvre en turmes bien ordonnées, chargeant les unes après les autres. Il y avait manifestement plus d’une ligne de bataille et de larges intervalles entre les escadrons. Hirtius loue les soldats pour avoir résisté à la tentation de 266
Hirt., BG, VIII, 19, 1. Voir également Tac., Ann., IV, 25, 2 (dispositae turmae). Sur ce combat : VEITH (1906), 206 ; RICE HOLMES (1911), 187-8 ; FULLER (1965), 160 ; LE BOHEC (2001), 288. Sur le site de la bataille, voir RICE HOLMES (1911), 187 (« On the southern bank of the Aisne, in the angle formed by its confluence with the Oise »). 268 Hirt., BG, VIII, 18, 1. 269 Ibid., VIII, 18, 2. 270 Ibid., VIII, 18, 3. 271 Ibid., VIII, 18, 4. 272 Ibid., VIII, 19, 1. 273 Ibid., VIII, 19, 2. 274 Ibid., VIII, 19, 3-7. 267
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Figure 14 – Reconstitution schématique de la bataille de Compiègne (51 av. J.-C.).
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combler les vides de la première ligne : ils n’essayèrent pas de provoquer un engagement massif, mais conservèrent un dispositif permettant de prévenir les tentatives d’encerclement.
Le combat d’escarmouche par charges alternées est incontestablement la tactique que les Romains jugent la plus sûre : elle permet de lutter efficacement contre les manœuvres d’enveloppement et évite de faire reposer l’issue d’une rencontre sur un seul engagement. Mais dans certaines circonstances, notamment lorsque la situation réclame une décision rapide, la charge à fond peut être perçue comme plus utile. Le mode opératoire le plus courant consiste alors à former une ligne de bataille continue, sans intervalles. Selon Polybe, deux manœuvres permettent d’obtenir ce déploiement : l’ἔκταξις διὰ παρεμβολῆς (« déploiement par intercalation ») ou bien l’ἔκταξις διὰ παραγωγῆς τῆς παρὰ τοὺς οὐραγούς (« déploiement par avancée parallèle de l’arrière-garde »)275. Dans le premier cas, les vides entre les escadrons de la première ligne sont comblés par l’adjonction des escadrons de la ligne de réserve, de manière à former une seule et même taxis (fig. 15)276. Dans le deuxième, le même résultat est obtenu en détachant dans les intervalles les cavaliers des demi-files postérieures de chaque escadron (fig. 16)277. Polybe décrit ici les exercices que l’hipparque Philopoemen faisait pratiquer à la cavalerie fédérale de la ligue achéenne. Mais nous avons vu que la cavalerie romaine s’était réformée sur le modèle grec dans la première partie du IIe s. av. J.-C.278, et un passage de l’Histoire romaine de Tite-Live décrit probablement l’ἔκταξις διὰ παρεμβολῆς sous le nom de duplicatio turmarum lors de la bataille du saltus Manlianus (vallée du Jalón, Espagne, 180 av. J.-C.)279. L’historien romain rapporte les ordres que Q. Fulvius Flaccus aurait donnés à ses troupes au moment le plus critique de l’engagement (fig. 17) : « “Doublez les escadrons (duplicate turmas), cavaliers des deux légions, et lancez vos chevaux contre le bataillon des ennemis, qui accable les nôtres. 275
Plb., X, 23, 5. Voir aussi Plut., Phil., 7, 6. Voir le sens de παρεμβολή dans Ael., Tact., 31, 1 et Arr., Tact., 26, 4 : « ils parlent de parembolê quand, dans les intervalles laissés entre ceux de la ligne de front, les autres de la ligne de réserve se placent en ligne droite, comblant ainsi les vides laissés en face [d’eux] dans la phalange (παρεμβολὴν δὲ ὀνομάζουσιν, ἐπειδὰν προτεταγμένων τινῶν κατὰ διαστήματα ἐκ τῶν ἐπιτεταγμένων ἐγκαθιστῶνται αὐτοῖς ἄλλοι ἐπ᾽ εὐθείας, ὡς ἀναπληρῶσαι τὸ πρόσθεν ἀπολειπόμενον κενὸν τῆς φάλαγγος). » 277 Manœuvre similaire dans Xen., Hipp., 8, 17-8, qui utilise le verbe παρελαύνω à la place de παράγω. 278 Plb., VI, 25, 3-11. Cf. supra, p. 47. 279 Sur cette bataille, voir CADIOU (2008), 212 et 269 ; BRISCOE (2008), 508-12. 276
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Votre charge aura d’autant plus de force si vous envoyez sur eux des chevaux sans freins (c’est une manœuvre dont on a dit qu’elle permit souvent aux cavaliers romains de se couvrir de gloire)”. Obéissant aux ordres, ils retirèrent les brides et galopèrent deux fois à travers l’ennemi, dans un sens puis dans l’autre, provoquant un grand carnage et rompant toutes leurs lances. »280.
Comme l’a bien compris le traducteur de l’édition Loeb, Evan T. Sage, duplicate turmas ne signifie pas « doublez les rangs » mais désigne l’action de fermer les intervalles dans la ligne de bataille281. Significativement, Fulvius Flaccus s’adresse aux cavaliers des deux légions, qui formaient probablement deux lignes distinctes avant la réalisation de la manœuvre. Lorsqu’une force de cavalerie est rangée sur une ligne continue, il devient très difficile pour elle de se mouvoir tout en conservant sa cohésion, mais elle est aussi bien plus impressionnante et l’« action morale » de la charge est par conséquent supérieure. César confirme l’efficacité de ce rangement en acies conferta durant le siège d’Alésia (52 av. J.-C.), lors d’un combat de cavalerie avec l’armée de secours gauloise : « Le combat durait depuis midi, on était presque au coucher du soleil, et la victoire restait indécise, quand les Germains, massés sur un seul point, chargèrent l’ennemi en escadrons fermés et le refoulèrent (Germani una in parte confertis turmis in hostes impetum fecerunt eosque propulerunt) »282. L’emploi de l’expression una in parte fait écho au in unum locum du texte d’Hirtius : la cavalerie germanique de César est rangée sur un point précis ; elle ne forme pas une double ligne, mais une haie massive.
B. La coordination tactique entre la cavalerie et l’infanterie légère L’une des pratiques les plus caractéristiques mais aussi les plus curieuses de l’époque tardo-républicaine consiste à faire combattre la cavalerie en la mêlant avec de l’infanterie légère. Nous avons déjà vu que 280 Liv., XL, 40, 5-7 : “duplicate turmas” inquit, “duarum legionum equites, et permittite equos in cuneum hostium, quo nostros urgent. Id cum maiore ui equorum facietis, si effrenatos in eos equos immittitis ; quod saepe Romanos equites cum magna laude fecisse sua memoriae proditum est.” Dicto paruerunt detractisque frenis bis ultro citroque cum magna strage hostium, infractis omnibus hastis, transcurrerunt. 281 Livy, History of Rome, vol. XII, trans. E.T. Sage & A.C. Schlesinger, Cambridge, 1938, p. 124-5. 282 Caes., BG, VII, 80, 6 (trad. L.-A. Constans modifiée).
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Figure 15– Schéma de l’ektaxis dia parembolês.
Figure 16 – Schéma de l’ektaxis dia paragôgês tous ouragous.
Figure 17 – Schéma de la duplicatio turmarum d’après Tite-Live.
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l’infanterie servait souvent de rempart mobile aux cavaliers dispersés qui pouvaient se rallier en sécurité derrière les rangs des fantassins. Mais il existait aussi des formes de coopération plus étroite entre les deux armes283. Parfois, les sources utilisent un vocabulaire connotant de véritables formations mixtes, notamment les verbes interiacio, interpono, misceo, admisceo en latin, ou συντάσσω en grec. Ces verbes, appliqués à l’infanterie, ont le sens général de « placer entre », « entremêler » ou « ranger ensemble », mais il est souvent difficile de savoir si les fantassins en question étaient insérés entre les files des cavaliers ou entre les escadrons de la même ligne. Dans la plupart des cas, la question est difficile à trancher284. Tant et si bien qu’Adrian Goldsworthy exprime de sérieux doutes concernant la première méthode. Selon lui : « A cavalry unit with foot soldiers interspersed between its files would itself have had great difficulty manoeuvring properly […]. It seems more likely that these mixtures of cavalry and infantry were in fact lines in which whole units of infantry were placed alternately to whole units of cavalry. The infantry must have been formed in fairly dense formations, since otherwise they were exceptionally vulnerable to enemy cavalry. »285.
283 Sur ce sujet, voir JUNKELMANN (1991), II, 130 ; GOLDSWORTHY (1996), 242-3 ; MCCALL (2002), 73-5 ; SCHULZ (2009), 144-8 ; ANDERS (2015), 288-91. 284 Hirt., BG, VIII, 13, 2 (equitibus interpositi proeliarentur) ; VIII, 17, 3 (huic interponit auxilia leuis armaturae) ; Caes., BC, II, 34, 2 (equitatus omnis et una leuis armaturae interiecti complures) ; III, 75, 5 (expeditosque antesignanos admiscuit) ; III, 84, 3 (inter equites proeliari) ; Ps.-Caes., BAfr., 20, 1 (leuis armatura interiecta inter equites suos interponeretur) ; 60, 4 (leuemque armaturam inter equites interposuerat) ; 69, 4 (Numidae leuisque armaturae […] qui inter equites pugnabant) ; 81, 1 (leuique armatura inter equites interiecta) ; Frontin, Str., II, 3, 22 (uelocissimos miscuit peditum, ad morem equestris pugnae exercitatos) ; Cass. Dio, XLI, 60, 3 (πεζοὶ τοῖς ἱππεῦσιν αὐτῶν κοῦφοι ἐπ’ αὐτὸ τοῦτο συνετετάχατο). Ces occurences concernent seulement des troupes combattant sous commandement romain. Les sources romaines attribuent souvent la même tactique à des ennemis de Rome. Thraces : Liv., XLII, 58, 6 (equitum ordines leuis armatura interposita). Celtes : Caes., BG, VII, 18, 1 (cum equitatu expeditisque qui inter equites proeliari consuessent) ; VII, 36, 4 (equestri proelio interiectis sagittariis) ; VII, 80, 3 (Galli inter equites raros sagittarios expeditosque leuis armaturae interiecerant) ; Liv., XLIV, 26, 3 ; Plut., Aem., 12, 2. Germains : Caes., BG, I, 48, 5-6 (cum his in proeliis uersabantur, ad eos se equites recipiebant, hi, si quid erat durius, concurrebant) ; Tac., Ger., 6, 4 (eoque mixti proeliantur, apta et congruente ad equestrem pugnam uelocitate peditum). Numides : Sall., Jug., 59, 3 (pedites cum equitibus permixti) ; 97, 5 (equites peditesque permixti). Ibères du Caucase : Strab., III, 4, 18 (Οὐκ ἴδιον δὲ τῶν Ἰβήρων οὐδὲ τοῦτο, σύνδυο ἐφ’ ἵππων κομίζεσθαι, κατὰ δὲ τὰς μάχας τὸν ἕτερον πεζὸν ἀγωνίζεσθαι). Selon HOBBY (2001), 128 : « This arrangement also seems to be quite similar to a method of fighting that dates back to the Late Bronze Age or Early Hallstatt period, where images of horsemen, supported by infantrymen, form part of the rock art from Val Camonica, Italy. » 285 GOLDSWORTHY (1996), 243.
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En fait, Goldsworthy néglige un certain nombre de témoignages qui apportent la preuve indiscutable de l’existence d’une pratique consistant à « insérer » des fantassins entre les files des cavaliers, procédé que les tacticiens grecs appellent la παρένταξις ou l’ἔνταξις286. Végèce est sans équivoque : « [Les anciens commandants] accoutumaient des jeunes gens à courir remarquablement et ils les disposaient à raison d’un fantassin entre deux cavaliers (inter binos equites singulos ex his pedites conlocarent), chacun armé d’un petit bouclier, d’un glaive et de traits »287. Dans ce passage, les fantassins romains agissent comme les hamippoi grecs qui combattaient au sein des escadrons de cavalerie et étaient parfois représentés en train de tenir la queue ou la crinière du cheval de leur binôme288. Ils pouvaient aussi être pris en croupe par les cavaliers, comme l’explique l’auteur anonyme du De bello Hispaniensi 289. La première attestation de cette pratique durant le siège de Capoue en 211 av. J.-C. suggère que l’objectif était d’accroître la puissance de feu des turmes romaines contre d’autres cavaliers290. Mais la plupart du temps, l’infanterie « insérée » aidait la cavalerie romaine à venir à bout de l’ennemi dans la mêlée. Elle procurait à la cavalerie un potentiel défensif que celle-ci n’avait pas par nature291. Ainsi, en 203 av. J.-C., des fantassins romains « se mêlèrent » à des cavaliers pour combattre au corps-à-corps les Numides de Syphax : l’infanterie chargea à travers les intervalles des turmes (pedes Romanus repentino per turmas suis uiam dantes intercursu) et transforma l’engagement en véritable combat stationnaire (stabilem aciem fecit)292. L’avantage procuré par cette tactique était aussi 286
Asclep., 6, 1 ; Ael., Tact., 31, 3 ; Arr., Tact., 26, 6. Veg., Mil., III, 16, 7. 288 Sur les hamippoi, cf. supra, p. 102. 289 Ps.-Caes., BHisp., 4, 1-2 (trad. N. Diouron) : « En cours de route il envoya en avant des hommes valeureux, des soldats de l’infanterie lourde, accompagnés de la cavalerie. Dès que la ville s’offrit à leur vue, ils montèrent à cheval, ce dont les Cordouans ne pouvaient nullement se rendre compte. À leur approche une force considérable sortit de la ville pour tailler en pièces les cavaliers ; mais les soldats de l’infanterie lourde, que nous avons mentionnés plus haut, mirent pied à terre et livrèrent un grand combat : de la force innombrable, seuls quelques hommes purent se réfugier dans la ville. » 290 Cf. supra, p. 47. 291 Voir les remarques pertinentes de MCCALL (2002), 74 : « The greater speed of cavalry made it nearly impossible for the light infantry to close with enemy cavalry if the enemy cavalry did not wish to engage. When the enemy cavalry closed, however, this allowed the light infantry to come into play. In a defensive role the light infantry seems to have provided much needed stability and protection for their cavalry. » Cependant, tout comme Goldsworthy, McCall ne prend en considération que l’éventualité de bataillons d’infanterie postés entre des escadrons de cavalerie. 292 Liv., XXX, 11, 6-10. Voir aussi Id., XXXI, 35, 6 (bataille d’Octolophus, 199 av. J.-C.) : les vélites combattent côte à côte avec les equites, transformant l’engagement en stabilis pugna. 287
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d’ordre moral : Tite-Live souligne que la cavalerie était enhardie par la présence de piétons qui pouvaient lui servir de praesidium (equitem […] peditis praesidio audentem)293. Dans un registre très différent, la parentaxis – c’est-à-dire le principe d’interpénétration de deux unités différentes – semble avoir été fréquente dans la cadre de la mise en œuvre des retraites feintes : les troupes montées attiraient intentionnellement les cavaliers ennemis à leur poursuite en prenant la fuite ; ils se retiraient alors à travers les files d’une ligne d’infanterie dissimulée, de manière à ce que celle-ci puisse aborder physiquement les poursuivants et les battre dans un combat au corps-à-corps. L’exemple le plus détaillé de ce type d’action se trouve dans l’Histoire romaine de Cassius Dion, lorsque Pompée utilise ce stratagème contre les cavaliers albaniens d’Oroesès, près de la rivière Abas, en 65 av. J.-C. (fig. 18) : « Il rangea ses cavaliers en avant, en leur donnant des instructions au préalable, et plaça les autres soldats derrière, un genou à terre (γόνατα κεκλιμένους) et couverts par leurs boucliers (ἀσπίσι συγκεκαλυμμένους), avec l’ordre de rester calmes, de telle façon qu’Oroesès ne se rende pas compte de leur présence avant l’établissement de la mêlée. Méprisant les cavaliers qu’il supposait être seuls, Oroesès engagea le combat avec eux et ces derniers prirent bientôt la fuite à dessein (τραπέντας ἐξεπίτηδες) ; il les poursuivit avec vigueur. Alors, les fantassins se levèrent soudainement (οἱ πεζοὶ ἀναστάντες ἐξαίφνης) et en ouvrant des intervalles (διαστάντες) fournirent non seulement à leurs propres camarades un moyen de se retirer dans leur giron (τοῖς μὲν σφετέροις ἀσφαλῆ τὴν φυγὴν διὰ μέσου σφῶν παρέσχον) mais reçurent aussi parmi eux les ennemis qui s’étaient lancés avec le moins de prudence dans la poursuite et en encerclèrent un grand nombre (τοὺς δὲ πολεμίους ἀπερισκέπτως τῇ διώξει χρωμένους ἐσδεξάμενοι συχνοὺς ἐκυκλώσαντο). Ils taillèrent en pièces ceux qui étaient à l’intérieur (καὶ οὗτοί τε τοὺς ἔνδον ἔκοπτον) ; et les chevaux, dont certains avaient viré vers la droite et les autres de l’autre côté, attaquèrent les arrières de ceux qui étaient restés en dehors de l’encerclement. »294.
Dans cet extrait, Cassius Dion ne dit pas explicitement que les cavaliers passèrent à travers les files de l’infanterie, mais cette interprétation découle naturellement du sens général de l’épisode et nous verrons plus loin, dans les chapitres consacrés à l’époque impériale, que les fantassins romains étaient entraînés à ouvrir leurs files dans cette optique295. Le 293
Id., XXX, 11, 10. Cass. Dio, XXXVII, 4, 2-4. Sur cette bataille, voir SOUTHERN (2002), 73 (surestimant l’influence de Sertorius sur Pompée). 295 Significativement, dans le chapitre des Stratagemata consacré au même exemplum, Frontin parle de « combat entremêlé » (interfusa proelio) quand il décrit le combat rapproché qui suit l’encerclement de la cavalerie albanienne : Frontin., Str., II, 3, 14. On 294
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Figure 18 – Reconstitution schématique de la manœuvre de fausse fuite utilisée par Pompée lors de la bataille de la rivière Abas (65 av. J.-C.).
stratagème évoqué par l’historien grec fut probablement aussi utilisé par César lors de la bataille de Pharsale. Nous avons vu qu’en 48, l’imperator notera par ailleurs que l’expression employée par Cassius Dion pour expliquer que les cavaliers s’étaient retirés parmi les fantassins (διὰ μέσου σφῶν) rappelle celle utilisée par Onas., Str., 17 (ἐν μέσοις δ̓ αὐτοῖς) dans sa description de la παρένταξις.
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détacha derrière sa ligne de cavalerie six cohortes de fantassins afin de prévenir toute tentative d’enveloppement adverse. Or Appien précise que ces troupes étaient placées « en embuscade » (ἐνήδρευσεν)296. Durant la bataille proprement dite, les cavaliers de César se retirèrent « graduellement » (paulatim) face à la cavalerie pompéienne. À ce moment précis, les fantassins embusqués (ἐφεδρεύουσιν), « se relevant » (ἐξαναστάντες), attaquèrent les poursuivants297. Cette formulation implique que les soldats des six cohortes étaient au moins agenouillés. Frontin confirme cela puisqu’il précise que ces troupes lancèrent une attaque « inattendue » (inopinato) contre les pompéiens298. Ce fut cet élément de surprise qui permit aux fantassins césariens de forcer le corps-à-corps avec leurs ennemis, car la cavalerie pompéienne n’aurait jamais abordé de front une ligne d’infanterie intacte si elle n’avait été poussée à le faire à la suite de quelque ruse. Tout suggère ici que la retraite des cavaliers césariens fut volontaire et que ces derniers opérèrent leur repli entre les files des cohortes, pour forcer leurs ennemis à se rapprocher des fantassins embusqués299. La parentaxis pouvait donc être employée avec une grande efficacité. Mais cette méthode était souvent considérée comme dangereuse car il arrivait par exemple qu’elle jette le désordre dans la ligne de réserve chargée de recevoir les cavaliers effectuant leur retraite : dans son traité, le stratégiste byzantin Syrianus Magister la déconseille fortement300. Au XVIIIe s., certains écrivains militaires reprochent encore aux formations mixtes d’être un facteur de confusion301. C’est pourquoi l’infanterie légère était aussi entraînée à se déployer entre les turmes de la cavalerie. Elle conservait ainsi la faculté d’agir indépendamment, comme une unité 296
App., BC, II, 75. Ibid., II, 78. 298 Frontin, Str., II, 3, 22. 299 Comme le précise Plut., Pomp., 71, 4, les cavaliers se retirèrent quand César en « donna le signal » (Καίσαρος δὲ σημεῖον ἄραντος). Le succès de ce type de manœuvre était largement dû au fait que les cavaliers, simulant la fuite au galop, levaient derrière eux un grand nuage de poussière qui empêchait les poursuivants de distinguer facilement ce qui se trouvait en face d’eux : voir Syrianus, Strat., 35, 16. 300 Cf. infra, p. 671. 301 Voir MOTTIN DE LA BALME (1776), 47, commentant Veg., Mil., III, 16 : « Ou je m’abuse beaucoup, ou Végece se trompe ici. Que l’on fît occuper par les vélites une partie des espaces vides qu’il pouvait y avoir d’une turme à l’autre, à la bonne heure : mais entre les chevaux, cela me paraît d’un ridicule dont je ne peux me résoudre à soupçonner ces grands maîtres en l’art de vaincre, qui, sans avoir bien connu le propre de la cavalerie, n’étaient pas gens à s’entraver ainsi. » Moins sceptique : AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 346-7. Fervent défenseur de l’ordre mixte : FOLARD (1726), 298-307 (l’auteur invoque l’exemple de la bataille de Pavie, 1525 ap. J.-C.). 297
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tactique autonome, se détachant en avant de la ligne de cavalerie pour escarmoucher ou se retirant derrière elle pour se reformer302.
C. L’expérience combattante Le combat de cavalerie est régi par des contingences matérielles et psychologiques bien particulières qui le distinguent du combat d’infanterie et en font une expérience guerrière unique. Certaines singularités se constatent tout d’abord au niveau opérationnel : au cours d’une campagne militaire, la cavalerie est incontestablement l’arme tactique la plus exposée. Elle participe à un nombre plus élevé d’engagements que l’infanterie car elle peut atteindre plus rapidement un objectif tout en prenant un minimum de risques303. Ces combats sont souvent peu meurtriers mais peuvent avoir un impact psychologique important : lorsqu’une armée n’est pas en condition d’affronter directement un ennemi dans une bataille générale (infériorité numérique, moral bas), les combats de cavalerie permettent, par des succès limités, de retourner progressivement la situation à l’avantage de l’armée refusant l’affrontement304. Inversement, des défaites répétées dans ce type d’engagements peuvent avoir un effet délétère sur le moral des troupes305. La grande vulnérabilité des cavaliers dans la mêlée ainsi que leur incapacité à combattre de façon statique expliquent la nature très versatile de ces combats. Pour Polybe, Salluste ou encore Tacite, l’equestre proelium se conçoit avant tout comme une alternance de charges et de contrecharges : les cavaliers tantôt se présentent de face, tantôt tournent le dos, 302
Plb., III, 65, 7 (bataille du Tessin) : l’infanterie légère des Romains se retire à travers les intervalles séparant les escadrons (φεύγειν δ’ ἐγκλίναντας εὐθέως διὰ τῶν διαστημάτων ὑπὸ τὰς παρ’ αὑτῶν ἴλας). La bataille de Ruspina fournit un autre exemple de ce type de déploiement, voir supra, p. 155. L’intercalation de vélites entre les turmae est aussi décrite par Tite-Live lors de la bataille de Kallikynos (171 av. J.-C.) : Liv., XLII, 58, 12. 303 Pour prendre un exemple, lors des opérations de l’année 55 en Bretagne et en Gaule, César relève douze engagements de cavalerie (Caes., BG, V, 7, 8-9 ; 9, 3-4 ; 15, 1 ; 16, 2-4 ; 17, 1 ; 17, 3-4 ; 19, 2-3 ; 26, 3 ; 50, 1 ; 50, 4 ; 51, 5 ; 58, 4-6) contre sept engagements impliquant des fantassins (ibid., V, 9, 7 ; 15, 4-5 ; 21, 4-5 ; 26, 2-3 ; 32-7 ; 39, 3-4 ; 43-4). 304 E.g. ibid., II, 8, 1-2 (trad. L.-A. Constans) : « César, tenant compte du nombre des ennemis et de leur très grande réputation de bravoure, décida, pour commencer, de surseoir à la bataille ; il n’en livrait pas moins chaque jour des combats de cavalerie, pour éprouver la valeur de l’ennemi et l’audace des nôtres (cotidie tamen equestribus proeliis quid hostis uirtute posset et quid nostri auderent periclitabatur). » 305 C’est ce qui explique pourquoi les généraux sont souvent réticents à engager à nouveau leur cavalerie après une défaite : e.g. ibid., IV, 13.
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dans une sorte de mouvement de va-et-vient continuel306. Lors d’une attaque, il est très rare que deux escadrons s’abordent de face. L’un des deux partis, le moins résolu, fait généralement demi-tour avant l’autre307. Une simple action peut avoir des conséquences considérables et la retraite d’une unité peut entraîner la dissolution de l’ensemble de la ligne de bataille. Près d’Hadrumète en 47 av. J.-C., l’auteur du De bello Africo note que 30 cavaliers gaulois de César parvinrent à mettre en déroute 2 000 cavaliers maures308. À Pharsale, le stratagème mis en œuvre par l’aile droite césarienne suffit à jeter la confusion au sein d’une force de cavalerie au moins sept fois plus importante309. Ces renversements de situation s’expliquent par le désordre relatif des actions impliquant des forces montées. Dans un combat équestre, la visibilité des combattants est limitée par la poussière soulevée par les chevaux. Le retour d’une formation amie vers une ligne de réserve peut facilement être pris pour une attaque lancée par des ennemis. L’instinct de troupeau des chevaux peut aussi, par un « effet domino », transformer rapidement un mouvement d’hésitation ou de recul en déroute générale. Malgré tous ces facteurs favorisant l’évitement, les sources décrivent parfois la rencontre de deux escadrons : lorsqu’aucune des formations ne se défile devant l’imminence du choc, les rangs s’ouvrent et les lignes se traversent. C’est ce qu’évoque indirectement César lorsqu’il prête aux Gaulois la volonté de « traverser par deux fois » les rangs de leurs
306 Cf. Plb., III, 115 (οὐ γὰρ ἦν κατὰ νόμους ἐξ ἀναστροφῆς καὶ μεταβολῆς ὁ κίνδυνος) ; Sall., Jug., 59, 3 (Quibus [= Numidis] illi freti non, uti equestri proelio solet, sequi, dein cedere, sed aduorsis equis concurrere) ; Hist., IV, 75, Maurenbrecher (more equestris proelii sumptis tergis atque redditis) ; Tac., Ger., 30, 3 (Equestrium sane uirium id proprium, cito parare uictoriam, cito cedere) ; Ann., VI, 35 (modo equestris proelii more frontis et tergi uices) ; Arr., Anab., III, 15, 2 (οὔτε ἀκοντισμῷ ἔτι οὔτ᾽ ἐξελιγμοῖς τῶν ἵππων, ἥπερ ἱππομαχίας δίκη) ; Cass. Dio, L, 32, 7 (καὶ ἐῴκεσαν οἱ μὲν ἱππεῦσι τοτὲ μὲν ἐπελαύνουσι τοτὲ δὲ ἐξαναχωροῦσι διὰ τὸ τούς τε ἐπίπλους καὶ τὰς ἀνακρούσεις ἐπ’ αὐτοῖς εἶναι). Une métaphore répandue consiste à comparer ces mouvements de va-et-vient au flux et au reflux de la marée : e.g. Verg., Aen., XI, 618-28. 307 Voir ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.), 149 : « comme il n’y a nul moyen d’échapper de droite ou de gauche, les deux partis, hommes et chevaux, éviteront le choc en s’arrêtant face à face ; mais ce seront des troupes braves par excellence, également trempées au moral, également bien conduites et enlevées, également animées qui arrivent à se voir de face et de si près. Toutes ces conditions ne se trouvent pour ainsi dire jamais réunies de part et d’autre, et la chose ne se voit jamais. Quarante-neuf fois contre une, une des cavaleries hésitera, se découdra, se mettra en désordre, tournera le dos devant la résolution de l’autre, avant, les trois quarts du temps, d’être à la distance où les yeux rencontrent les yeux, plus près encore souvent. » 308 Ps.-Caes., BAfr., 6, 3. 309 Cf. supra, p. 161-2.
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ennemis310. La réalité du « faufilage » est présentée de manière plus explicite par Virgile dans un long passage de l’Énéide consacré au combat de cavalerie opposant les Troyens d’Énée aux Latins de Turnus311. L’épisode est évidemment légendaire mais comporte, dans le détail, de véritables éléments de réalisme312 : dans un premier temps, plusieurs charges se succèdent les unes aux autres ; les Troyens tantôt poursuivent, tantôt sont poursuivis, sans établir de contact physique avec leurs ennemis ; au bout de la troisième tentative, les escadrons finissent par se rejoindre et par s’entremêler ; alors, chaque combattant se choisit un adversaire et une série de duels s’ensuit313. Plus que dans le combat d’infanterie, la mêlée de cavalerie représente un environnement particulièrement dangereux et anxiogène. Le cavalier est exposé aux coups pouvant provenir de toutes les directions et ne peut compter sur le soutien des autres soldats de la formation314. Il faut aussi maîtriser sa monture tout en combattant, ce qui constitue une difficulté supplémentaire, d’autant plus que les chevaux offrent des cibles de choix et sont eux-mêmes soumis au stress du combat315. 310
Caes., BG, VII, 66, 7. Nous empruntons l’expression de « faufilage » à F. Chauviré, qui l’utilise pour désigner ce type de situation à l’époque moderne. Cf. CHAUVIRÉ (2009), 460-2. NOSWORTHY (1990), 125-6 parle de threading. D’après CANTAL (1905), 40, l’entremêlement des lignes donne rarement lieu à de véritables combats rapprochés : « Sur cent cavaliers, rapporte un officier du premier empire, deux ou trois ne songent qu’à pointer ; ce sont eux qui font toute la besogne utile ; cinq ou six parent les coups qu’on leur porte, et parfois allongent un coup de taille lorsqu’ils en voient la possibilité, sans courir aucun risque. Le reste est taillable et pointable à merci. » 312 Pour une brève discussion du réalisme militaire dans l’Énéide, voir ALEXANDER (1945). 313 Verg., Aen., XI, 631-5 (trad. J. Perret modifiée) : « Mais lorsqu’ils se rencontrent pour un troisième combat (Tertia sed postquam congressi in proelia), les lignes s’entremêlent totalement (totas implicuere inter se acies) et chaque homme se choisit un adversaire (legitque uirum uir). Alors c’est le gémissement de ceux qui meurent, c’est la mer de sang où roulent les armes, les corps et les chevaux expirants mêlés dans le carnage des hommes : l’âpre bataille se lève. » 314 On peut mesurer l’impact psychologique terrible de ce type d’environnement en reprenant les théories du Lt. Col. D. Grossman sur le comportement humain dans les situations d’exposition aux violences interpersonnelles. Voir notamment GROSSMAN (1996), 81 : « The potential of closeup, inescapable, interpersonal hatred and aggression is more effective and has greater impact on the morale of the soldier than the presence of inescapable, impersonal death and destruction. » 315 Plusieurs sources indiquent que les chevaux sont plus souvent blessés ou tués que leurs maîtres. La bataille de Gaugamèles aurait entraîné la mort de 1 000 chevaux macédoniens alors qu’Alexandre perdit seulement une centaine de soldats dans l’affrontement : Arr., Anab., III, 15, 6. Voir aussi Ps.-Caes., BAfr., 60, 3 (conuulneratique uno equite amisso, multis equis sauciis) et 71, 2 (equites deterrebat proelium inire propter equorum interitum, quod eos iaculis interficiebat). De nombreux exemples montrent que les 311
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Malgré tous ces éléments, les vrais engagements de cavalerie, généralement très brefs, sont moins meutriers que les batailles d’infanterie. Comme le souligne Ardant du Picq : « Le plus mince combat d’infanterie coûte plus à celle-ci (nombre égal) que le plus beau raid. »316. Les sources tardo-républicaines en apportent la confirmation. En 55, dans la région de Coblence, 5 000 cavaliers auxiliaires de l’armée des Gaules engagent 800 cavaliers usipètes et tenctères. Les troupes romaines sont vaincues mais César n’a à déplorer que 74 morts, ce qui représente un taux de pertes d’1,5%317. Le combat d’infanterie qui se déroule sous les murs d’Ilerda en 49 présente une tout autre réalité. Deux lignes légionnaires s’affrontent dans un espace étroit, juste assez large pour permettre à trois cohortes de se ranger en bataille. À l’issue de cet engagement incertain, on dénombre 200 morts du côté républicain (13% des soldats si l’on rapporte ces pertes à l’effectif théorique de trois cohortes)318. Ce ratio peut être considéré comme relativement bas en raison de l’absence de poursuite (le terrain ne se prêtait pas à l’intervention de la cavalerie selon César)319. Dans les faits, lorsque les deux armes tactiques sont engagées dans un même combat, les pertes de l’infanterie sont toujours bien supérieures. Au cours de la bataille de Kallikynos en 171, les Romains déploient une armée composée d’un nombre égal de cavaliers et de fantassins légers320. Défait par les forces de Persée, Licinius Crassus perd 200 combattants montés et 2 000 soldats d’infanterie321. De même, à la suite d’une escarmouche défavorable à ses troupes contre la cavalerie de Scipion, près d’Uzitta, en 46, César perd 26 soldats d’infanterie légère et seulement un cavalier322. Le fait que la mortalité des cavaliers soit proportionnellement plus basse que celle des fantassins s’explique évidemment par la mobilité supérieure des combattants à cheval, qui leur fantassins germaniques étaient entraînés à combattre parmi les cavaliers pour éventrer ou mutiler les chevaux ennemis lorsque la mêlée faisait rage : SPEIDEL (2004), part vii. 316 ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.), 157. 317 Caes., BG, IV, 12, 3. Sur cet épisode et sa localisation, voir RICE HOLMES (1911), 96-7. 318 Caes., BC, I, 45-6. Il s’agit là d’un maximum car César précise que certaines cohortes furent relevées durant l’affrontement. 319 Ibid., I, 45, 4. 320 Tite-Live ne donne pas de chiffres précis pour l’ensemble des troupes mais il souligne que la plupart des escadrons étaient associés à des unités d’infanterie légère (Liv., XLII, 59, 11-4). Il ajoute à propos des deux armées (XLII, 60, 1) : par ferme utrimque numeris equitum ac leuis armaturae. 321 Id., XLII, 60, 1. 322 Ps.-Caes., BAfr., 60, 3. Voir aussi Ps.-Caes., BHisp., 15, 5 : à la suite d’une escarmouche près d’Ategua, le bilan des pertes césariennes est de trois morts et douze blessés pour l’infanterie contre cinq blessés parmi les cavaliers.
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permet de fuir avec plus d’aisance323. Ce n’est que lorsque des circonstances exceptionnelles empêchent la cavalerie d’échapper à l’ennemi que le ratio de ses pertes peut égaler celui de l’infanterie324. CONCLUSION :
LA CAVALERIE DÉCISIVE
?
Mesurer l’efficacité de la cavalerie n’est pas chose aisée. Définir son impact sur le processus d’obtention de la décision l’est encore moins. Cela suppose de décortiquer les mécanismes de la causalité dans un environnement aussi complexe que la bataille325 et de définir des critères d’évaluation pertinents, valables pour toutes les armées de l’Antiquité326. Sans se prêter à un tel exercice de modélisation théorique, il est difficile d’admettre – et même de comprendre – les considérations négatives qui, dans l’historiographie, minorent souvent le rôle des forces montées dans les armées tardo-républicaines327. L’analyse des récits de campagne du 323 Caes., BC, II, 26, 4 (trad. P. Fabre) : « la cavalerie [de Juba] ne subit pour ainsi dire aucune perte, grâce à une retraite précipitée le long du rivage sur la ville, un grand nombre de fantassins sont tués. » Voir aussi ibid., II, 34, 3 ; 42, 5 et surtout Sen., Ben., 6, 7 : et quam multos e periculo uelocitas equi rapuit ! 324 Liv., XXII, 49, 15 affirme que 45 500 fantassins et 2 700 cavaliers furent tués lors de la bataille de Cannes. Cela fait un taux de pertes d’environ 5,6% pour les troupes montées, un ratio correspondant approximativement à celui de la cavalerie dans l’armée de Terentius Varro et Aemilius Paullus (cf. supra, p. 79) : il y a donc eu, en proportion, autant de cavaliers que de fantassins tués. Cette anomalie s’explique dans la mesure où, durant l’engagement, certains cavaliers (la majorité ?) n’ont pas fui mais ont préféré démonter et ont continué le combat à pied (id., XXII, 49, 1-4). Sur la question des effectifs et des pertes humaines à la bataille de Cannes, voir DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), I, 325-7. 325 Comme l’a bien montré Clausewitz, la guerre est un phénomène non linéaire et imprédictible : les actions les plus imperceptibles sont susceptibles d’avoir des conséquences considérables. Sur ces questions, voir BEYERCHEN (1994) et KAGAN (2007), 100-6. 326 À titre d’exemple, la définition que J. McCall utilise pour apprécier l’efficacité de la cavalerie médio-républicaine peut paraître réductrice, cf. MCCALL (2002), 11 : « The effective cavalry force, quite simply, was one that contributed to the overall battlefield objectives of the army. » Un tel postulat laisse entendre que la guerre se limite à la bataille rangée, ce qui n’est pas le cas : comme nous l’avons suffisamment souligné, la cavalerie joue un rôle important et même prééminent dans des opérations d’acquisition du renseignement, de contrôle du territoire, de sécurisation des approvisionnements et de harcèlement qui sont toutes susceptibles d’avoir une influence décisive sur le cours d’un conflit. 327 Dans la majorité des cas, le bilan tiré par les historiens est peu amène. Pour VEITH (1906), 14, la cavalerie « spielte zur Zeit, als Caesar auf den Schauplatz trat, eine ziemlich klägliche Rolle; sie war das fünfte Rad am Wagen ». Voir aussi CAGNIART (1992), 80 : « It should be clear, then, from the evidence of the Gallic campaigns, that while Caesar used his cavalry in various ways and circumstances, he did so only with highly specialized
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LA FIN DE L’ÉPOQUE RÉPUBLICAINE
Ier
s. av. J.-C. montre que la cavalerie occupe une place majeure dans l’outil militaire romain. Pour la première fois, grâce à la conquête du monde méditerranéen, les généraux disposent d’effectifs montés qui leur permettent de remporter des victoires dans le cadre de stratégies de guérilla défensive ou de harcèlement offensif. Les enseignements de la deuxième guerre punique sont confirmés par les guerres civiles du milieu du Ier s. : une armée dotée d’une faible cavalerie perd tout contrôle du théâtre d’opération sur lequel elle se trouve ; elle ne peut plus se ravitailler localement et se voit contrainte de rechercher un approvisionnement par voie maritime ; elle doit aussi éviter de combattre en plaine et aura les plus grandes difficultés à forcer une armée adverse à accepter la bataille rangée. Le bilan tactique de la cavalerie tardo-républicaine n’est pas toujours brillant, mais il est globalement positif, surtout si l’on compare la situation du Ier s. av. J.-C. à celle de l’époque médio-républicaine. La cavalerie auxiliaire apparaît plus polyvalente que l’equitatus censitaire, dont nous avons souligné la prédilection pour le combat de choc. Elle pratique plus facilement le harcèlement et peut occasionnellement intégrer dans ses rangs des corps de troupes spécialisés dans le combat à distance (numides, osrhoéniens, arméniens, parthes). Les auxiliaires occidentaux (hispaniques, gaulois, germains) sont aussi très efficaces dans la mêlée, suffisamment pour être capables de mettre en déroute les puissants cataphractes parthes328. Les Romains cherchent activement à intégrer leurs troupes en leur imposant une doctrine fondée sur des principes fixes : l’organisation en unités tactiques de petite dimension, le rangement sur deux lignes (lorsque la situation le permet), les manœuvres de charges alternées et la distinction tactique entre troupes d’assaut légères et réserve de cavalerie médiane font partie des éléments les plus caractéristiques de cette tradition. Seul bémol : certains généraux comme Crassus ou Marc Antoine ont parfois à déplorer l’absence d’archers montés dans leurs corps expéditionnaires, ce qui limite leurs capacités de poursuite contre les ennemis orientaux. Il faudra attendre l’époque impériale pour voir la création d’unités régulières d’equites sagittarii, attachées de manière permanente aux armées provinciales329. En dépit de ces limitations, il ne fait and limited goals in mind. His cavalry shared the conquest but never conditioned it. » Point de vue plus positif dans VIGNERON (1968), I, 269-75. 328 Plut., Ant., 39, 5 (mais l’auteur mentionne aussi l’intervention concomitante de l’infanterie) et 42, 3. 329 De ce point de vue, l’idée d’une révolution militaire amorcée par le désastre de Carrhes ne semble pas pertinente. Voir les remarques de WHEELER (2004a), 31 et n. 59 (avec bibliographie antérieure).
LA CAVALERIE DANS LES GUERRES TARDO-RÉPUBLICAINES
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aucun doute que plusieurs grands engagements du Ier s. av. J.-C. sont décidés par des forces montées. On pense en particulier aux batailles du Bagradas et de Ruspina, durant lesquelles des armées mobiles constituées d’une majorité d’auxiliaires parviennent à venir à bout de grandes forces d’infanterie lourde330. Enfin, au regard des différents développements tactiques qui caractérisent le monde méditerranéen depuis l’essor de la civilisation grecque, il peut sembler intéressant de se demander quels éléments singularisent la cavalerie tardo-républicaine sur le plan de l’histoire des techniques militaires. Une caractéristique nous semble particulièrement proéminente : l’importance des tactiques mixtes, impliquant des forces combinées de cavalerie et d’infanterie. Cette doctrine d’emploi caractérise l’art militaire des Romains à plusieurs niveaux. De manière générale, les forces de cavalerie opèrent rarement seules et sont presque toujours accompagnées par des cohortes d’infanterie lourde, véritables forteresses mobiles pouvant servir de base de repli aux combattants montés. Lors des engagements proprement dits, il est tout aussi rare de voir des escadrons de cavalerie agir de façon autonome : les turmes sont souvent mêlées à des corps de fantassins légers qui renforcent leur potentiel offensif. Cette particularité est très intéressante car elle distingue l’armée romaine d’autres armées contemporaines qui n’hésitent pas, lorsqu’elles le jugent utile ou nécessaire, à mobiliser des forces de cavalerie indépendantes331.
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Dans une moindre mesure, on peut citer les batailles de Thapsus (Ps.-Caes., BAfr., 83, 2-3) et de Munda (Ps.-Caes., BHisp., 31, 5 ; Cass. Dio, XLIII, 38, 2), durant lesquelles la défaite d’une des ailes montées de l’armée républicaine sert de prodrome au collapsus final. 331 Les Parthes agissent ainsi en 53 puis en 36, de même que les peuples gaulois insurgés en 52. On peut être tenté d’essentialiser ces exemples en invoquant des différences d’ordre culturel. Mais ne faut-il pas plutôt y voir la marque de choix fondés sur des considérations stratégiques ? Dans les trois cas évoqués, les ennemis de Rome disposent d’une cavalerie très largement supérieure sur le plan numérique. Ce n’est que dans ces conditions qu’un tel modèle peut espérer fonctionner car une force montée n’a de raisons de se passer du soutien de l’infanterie qu’à partir du moment où elle ne risque pas d’être mise en déroute et poursuivie par la cavalerie adverse.
DEUXIÈME PARTIE
CAVALIERS ET COMBAT DE CAVALERIE SOUS LE HAUT-EMPIRE ROMAIN (IER-IIE S. AP. J.-C.)
CHAPITRE 1 LA CONSTRUCTION D’UNE CAVALERIE PERMANENTE ET MULTIÉTHNIQUE
Sous le principat d’Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.), les tendances qui étaient déjà perceptibles durant la fin de l’époque républicaine se concrétisent1. L’armée romaine cesse d’être la milice civique qu’elle avait été par le passé et devient définitivement professionnelle et permanente2. Les jeunes aristocrates qui combattaient jadis comme equites legionis ne sont plus tenus d’accomplir leur service dans la cavalerie citoyenne3. Au mieux, ceux qui acceptent encore de servir in legione le font comme centurions et prennent soin de signaler leur rang dans les inscriptions qui détaillent leur carrière4. Les cavaliers légionnaires du Haut-Empire, peu nombreux, sont issus du rang, et les auxiliaires, organisés en ailes, forment désormais la seule véritable cavalerie de ligne. Le nouvel ordre impérial privilégie une séparation nette entre la société civile et l’armée tout en préservant – dans le discours officiel – l’apparence d’un exercitus citoyen, dévoué à la défense de la res publica5. Le désarmement des populations qui ne se destinent pas au métier militaire est justifié par la volonté d’en finir avec les séditions continuelles de la fin de l’ère républicaine, comme l’illustre le fameux discours que Cassius Dion prête à Mécène dans le livre LII de son Histoire romaine6. 1 Sur les réformes militaires d’Auguste, cf. RAAFLAUB (1980) ; KEPPIE (1984, 1998 2e éd.), chap. 6 ; ECK (1998), chap. 12 ; COSME (2007b), 76-80 ; ID. (2012a) ; SPEIDEL (2009b) et (2016). 2 L’institution d’un véritable service continu pour les légionnaires et les auxiliaires (Suet., Aug., 49, 4-5 ; Cass. Dio, LIV, 25) est un aspect essentiel de ce nouvel ordre augustéen, car il mit fin à une pratique qui, sous la République, empêchait l’émergence d’une véritable classe de soldats professionnels. 3 MOMMSEN (1889a), 92 : « L’ancienne cavalerie civique privilégiée ne fut pas rétablie ; elle fut plutôt définitivement supprimée ; car, si la légion reçut de nouveau une cavalerie, il ne fallut pas, pour y entrer, d’autres conditions de capacité que pour entrer dans l’infanterie. » 4 Sur ces centurions ex equite Romano : DEMOUGIN (1988), 387-92. 5 CARRIÉ (1989, 1992 trad. fr.), 142 ; SPEIDEL (2010). 6 Cass. Dio, LII, 27, 3 : ἄν τε ἐπιτρέψωμεν πᾶσι τοῖς ἐν τῇ ἡλικίᾳ οὖσι καὶ τὰ ὅπλα κεκτῆσθαι καὶ τὰ ἐμπολέμια ἀσκεῖν, στάσεις καὶ πόλεμοι ἀπ’ αὐτῶν ἐμφύλιοι ἀεὶ γενήσονται. Dans ce discours, Mécène recommande à Octavien de maintenir
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LE HAUT-EMPIRE ROMAIN
Ces réformes constituent une rupture historique majeure. Dans le principe, la conception augustéenne de l’armée abolit le lien séculaire entre éthique aristocratique et combat de cavalerie. Chevaliers et sénateurs se réfugient dans les fonctions de haut commandement, quand ils ne se contentent pas simplement d’exercer des responsabilités civiles7. La fin du service des aristocrates romains dans les rangs de l’equitatus légionnaire et l’hellénisation croissante de la culture élitaire conditionnent aussi une révolution des représentations : le combattant à cheval est de plus en plus perçu comme un « autre guerrier », un barbare rôdant aux confins de l’empire, étranger aux bienfaits de la civilisation8. Par contrecoup, l’armée romaine devient dans l’imaginaire collectif une armée piétonne, dominée par la figure emblématique du fantassin légionnaire, soumis à la rude mais salutaire disciplina militaris. Dans ce nouveau système de valeur, le cavalier auxiliaire occupe une position intermédiaire et ambiguë. Son incorporation au sein l’armée régulière pose à la fois le problème du rapport de Rome aux autres et la question fondamentale de l’exploitation des ressources provinciales par le pouvoir conquérant9. I – LA
PLACE DE L’EQUITATUS
DANS LA NOUVELLE RES PUBLICA MONARCHIQUE
A. Les ordres supérieurs et la militia equestris Avant toute chose, il convient d’interroger l’évolution de l’arme de cavalerie dans ses rapports avec la nouvelle « constitution » monarchique de l’État romain, comme l’auraient fait les savants du XIXe s. Sur ce plan strictement juridique, le régime augustéen ne semble pas avoir cherché l’innovation. La militia equestris n’est pas officiellement abolie et reste
continuellement en service une forte armée régulière. Son point de vue, opposé à celui d’Agrippa, est favorable à l’établissement d’un régime monarchique. L’exercitus permanent est ainsi présenté par Dion comme le corollaire du pouvoir impérial (ibid., LII, 6, 5). Comme l’a bien montré MILLAR (1964), 104, le matériau utilisé pour cette élégante construction littéraire n’est probablement pas augustéen et reflète plutôt les préoccupations de l’historien sévérien, même si ce dernier a pu être préoccupé par la vraisemblance historique des propos qu’il prête à ses protagonistes. État de la question dans BELLISSIME (2016), 366-9. 7 DEMOUGIN (1988), chap. v. 8 Sur ce point, voir PETITJEAN (2016a). 9 Cette problématique de l’incorporation des troupes auxiliaires sert de fil conducteur au récent livre de I. Haynes sur les auxilia du Haut-Empire : HAYNES (2013).
UNE CAVALERIE PERMANENTE ET MULTIÉTHNIQUE
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un devoir pour tous les chevaliers romains10. Elle conserve son caractère obligatoire et quiconque tente de s’y soustraire s’expose à de lourdes sanctions, à l’image de ce chevalier qui, ayant fait sectionner les pouces de ses deux fils pour leur éviter de servir dans l’armée, fut vendu comme esclave11. Néanmoins, la conscription des chevaliers semble désormais se limiter à des levées exceptionnelles et il n’est plus question de decem stipendia, puisqu’Auguste a abaissé l’âge d’éligibilité à la questure à 25 ans12 ; par ailleurs, le service militaire équestre se recentre sur les postes d’officiers alors que la cavalerie citoyenne est désormais pleinement ouverte aux simples légionnaires13. En dépit de ces évolutions, le discours officiel adressé à l’aristocratie est marqué par un fort conservatisme14. Auguste encourage une remilitarisation des ordres supérieurs dans tout l’empire15. Les auteurs proches du régime, en reprenant cet axe majeur de la propagande impériale, ne cessent de se lamenter sur la décadence des vertus militaires de la jeunesse16 et glorifient la mémoire des grands duellistes de l’époque 10 Dans son œuvre, Vell. Pat., II, 111, 3 se vante d’avoir accompli son service en des termes que n’aurait pas renié Cicéron (finita equestri militia) ; il ajoute que durant la grande révolte illyrienne de 6 ap. J.-C., les chevaliers furent appelés à se consacrer à la guerre (senatorum equitumque Romanorum exactae ad id bellum operae, pollicitati). Ce n’est qu’après le règne d’Auguste que l’on parle plus volontiers des « milices équestres » au pluriel, pour désigner les postes d’officiers réservés aux chevaliers. Sur le maintien de la conscription à l’époque impériale : BRUNT (1974). 11 Suet., Aug., 24, 3. 12 Cass. Dio, LII, 20, 1. 13 MOMMSEN (1889a), 149 ; PAVKOVIČ (1991), 27-35. Les equites legionis du Principat étaient recrutés parmi les fantassins légionnaires. Cette promotion intervenait au moins après sept ans de service dans l’infanterie (la seule exception connue est celle de Ti. Claudius Maximus, qui mentionne le poste d’eques legionis comme le premier échelon de sa carrière : SPEIDEL [1970], 143). Les cavaliers avaient donc la même origine sociale que les soldats du rang : ils appartenaient à cette catégorie de citoyens « indigents » (βίου μάλιστα δεομένους) que les auteurs sénatoriaux considéraient avec mépris (Cass. Dio, LII, 27, 4). 14 DEMOUGIN (1988), 190 : « L’idéologie propre à l’ordre [équestre] n’a pas été affectée dans ce domaine par les transformations qui ont touché celui-ci. » 15 Suet., Aug., 24, 3. Voir ROSS TAYLOR (1924). La création de collegia iuuenum et la construction, dans plusieurs cités de la péninsule italienne et des provinces occidentales de l’empire, de campus destinés à permettre la célébration de parades équestres est peutêtre à mettre en relation avec cette politique augustéenne de reprise en main de la jeunesse des ordres supérieurs. Cf. MARROU (1948), 398-401 ; JACZYNOWSKA (1978), 17-29 ; GINESTET (1991), 84-93 ; BOULEY (2003). 16 L’œuvre d’Horace en fournit la meilleure illustration. L’auteur regrette que les jeunes nobles ne sachent plus se tenir convenablement à cheval : Hor., Carm., III, 24, 54-5 (Nescit equo rudis haerere ingenuus puer). Il met en scène des modèles de dévouement militaire susceptibles d’inspirer la iuuentus (ibid., III, 7, 22-9 [Énipée] et 12, 6-9 [Hebrus de Lipara]), mais brosse aussi des portraits repoussoirs (ibid., I, 8 [Sybaris]). Certains poèmes contiennent de véritables injonctions, e.g. ibid., III, 2, 1-6 : Angustam amice pauperiem
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républicaine, érigés en modèles de la Romana uirtus17. La transuectio equitum et le lusus Troiae, deux parades équestres tombées en désuétude à la fin de la République, sont restaurées18. Les princes de la jeunesse jouent un rôle important dans le déroulement de ces cérémonies et doivent servir de modèle à la iuuentus régénérée19. De son côté, le deuxième ordre continue de promouvoir les symboles qui marquaient anciennement son rang sur les champs de bataille : la trabea purpurea, les deux hastae croisées et la parma equestris se retrouvent sur de nombreux monuments funéraires équestres, tout comme les scènes de transuectio, rappelant l’entrée du défunt dans l’ordo20. Les exercices de cavalerie sont considérés comme un élément constitutif de l’éducation militaire des élites (tironicium militiae) et l’empereur ne fait pas exception à la règle21. Il serait donc inexact d’affirmer que les Romains en sont venus, sous l’Empire, à négliger le prestige associé à la figure du cavalier. Facteur de distinction sociale et emblème de domination politique, le cheval de bataille est toujours chargé de valeurs positives22. Mais il n’est plus le status symbol qu’il était par le passé. Un passage des Lettres à Lucilius de Sénèque illustre bien cette rupture. Le philosophe y décrit ce que devient un homme en fonction de la société dans laquelle il naît : « Si cet homme était né chez les Parthes, il s’exercerait au tir à l’arc dès sa petite enfance. Né en Germanie, et tout jeune garçon, il brandirait une lance de bois tendre ; contemporain de nos aïeux, il eût appris à gouverner un cheval et à frapper l’ennemi de près. » (trad. H. Noblot)23. pati robustus acri militia puer condiscat et Parthos ferocis uexet eques metuendus hasta uitamque sub diuo et trepidis agat in rebus. Voir aussi Id., Ars p., 161-2. 17 La figure de M. Claudius Marcellus est certainement la plus emblématique de ce point de vue : Tite-Live, Virgile, Valère Maxime et Plutarque décrivent avec force détails sa victoire à la tête des equites Romani lors de la bataille de Clastidium (222 av. J.-C.) et son duel contre le chef gaulois Viridomar. Cf. Liv., Per., 20 ; Verg., Aen., VI, 855-9 ; Plut., Marc., 7 ; Val. Max., III, 2, 5. Le chapitre consacré par Valère Maxime à la fortitudo des Romains retient quatre autres héros cavaliers qui ont tous en commun d’avoir été de glorieux monomachistes (Val. Max., III, 2, 4 [Cornelius Cossus] ; III, 2, 6 [Scipion Émilien] ; III, 2, 9 [Fabius Maximus Rullianus] ; III, 2, 21 [Q. Occius]). 18 Suet., Aug., 38, 3 et 43, 5 ; Dion Hal., VI, 13, 4 ; Cass. Dio, LIII, 1 ; LIV, 26 ; LV, 10. 19 DEMOUGIN (1988), 258-60 ; POULSEN (1991) ; LA ROCCA (1994) ; HORSTER (2011). 20 VEYNE (1960) ; REBECCHI (1974) ; ID. (1978) ; ID. (1999) ; DEVIJVER & VAN WONTERGHEM (1990). 21 Plin., Pan., 13, 1-2 ; Suet., Iul., 57, 1 (cf. Plut., Caes., 17, 4) ; Aug., 83, 1 ; Tib., 13, 1 ; Calig., 3, 2 ; HA, Hadr., 26, 2-3 ; Cass. Dio, LII, 26, 1 ; 76, 17 (Septime Sévère) ; 77, 11 (Caracalla) ; HA, Aurel., 49, 2. Voir GINESTET (1991), 91. 22 DAVENPORT (2019), 379. 23 Sen., Ep., 36, 7 : Si in Parthia natus esset, arcum infans statim tenderet ; si in Germani, protinus puer tenerum hastile uibraret ; si auorum nostrorum temporibus fuisset, equitare et hostem comminus percutere didicisset.
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Auorum nostrorum temporibus précise Sénèque : c’est d’un passé révolu dont parle le précepteur de Néron. La décision de ne pas rétablir l’antique service des jeunes aristocrates s’explique certainement par des considérations pragmatiques : l’Empire romain ne peut maintenir sous les enseignes, pour une durée de vingt ans et sur des théâtres d’opération aussi lointains, des chevaliers dont la plupart sont des combattants amateurs et aspirent à exercer des fonctions administratives ou politiques24. Mais cela ne saurait mettre en doute l’attrait que le combat continuait d’exercer sur toute une partie de la jeunesse équestre, prête à risquer l’infamia pour se produire dans des jeux gladiatoriaux : ces iuuenes retrouvaient dans l’arène le terrain d’expression de la uirtus qu’ils avaient perdu en délaissant les rangs de la cavalerie romaine25. B. Le cavalier du Haut-Empire : un « autre guerrier » ? Sous le Principat, le discours officiel n’accorde plus autant d’importance à la cavalerie que par le passé. Les auteurs romains n’hésitent pas à s’approprier les topoi de la littérature grecque classique hostiles aux hippeis et favorables à la primauté de l’infanterie lourde 26. Cette 24 Dans le discours de Mécène, Cassius Dion souligne le risque qu’il y a à se contenter de conscrits sans expérience et non exercés (ἀπείροις τε καὶ ἀγυμνάστοις, cf. Cassius Dio, LII, 27, 4). Par ailleurs, la désaffection d’une partie de la noblesse équestre pour la chose militaire se précise au tournant de l’ère chrétienne. Dans une pièce des Amours, Ovide regrette que son amante lui préfère un chevalier issu du primipilat. En une vingtaine de vers, le poète tourne en dérision les qualités guerrières de son rival, lui reprochant notamment d’avoir tué des hommes de ses propres mains et de s’être couvert de cicatrices – autant de marques de gloire qui passaient pour les plus hautes distinctions sociales au temps des guerres puniques ! Cf. Ov., Am., III, 8, 9-28. Ce mépris pour les chevaliers qui privilégient la militia au détriment des activités civiles se retrouve ibid., III, 15, 5-6 (siquid id est, usque a proauis uetus ordinis heres, non modo militiae turbine factus eques) et surtout dans Fast., II, 9-14 (trad. R. Schilling) : « C’est ma façon de servir : nous portons les armes que nous pouvons, notre main droite ne se dispense pas de toute obligation. Si mon bras ne brandit pas avec force des javelots, si je ne presse pas les flancs d’un cheval guerrier, si je ne porte pas le casque, si je ne me ceins pas d’une épée effilée, n’importe qui peut porter ce genre d’armes » (Haec mea militia est : ferimus quae possumus arma dextraque non omni munere nostra uacat. Si mihi non ualido torquentur pila lacerto nec bellatoris terga premuntur equi, nec galea tegimur, nec acuto cingimur ense, his habilis telis quilibet esse potest). En Trist., IV, 1, 71-2, le poète confesse : « jeune, j’ai fui les durs combats de l’armée, et nous n’avons appris à manier les armes que pour en jouer » (aspera militiae iuuenis certamina fugi, nec nisi lusura nouimus arma manu). 25 Voir notamment Cass. Dio, LVI, 25, 7. Sur ce phénomène trop souvent négligé : DAVENPORT (2019), 428-36 (avec les remarques de NICOLET [1966], 87 n. 47). 26 Cf. HARTOG (1980), part. i ; LISSARRAGUE (1990), chap. v et vi. La belle tirade que Platon prête à Lachès, l’un des protagonistes de ses dialogues, résume parfaitement cet imaginaire : Platon, Lachès, 191a-b. Voir aussi Archiloque, fr. 93 Lasserre = 114 W.
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évolution des représentations collectives n’est pas étrangère aux confrontations répétées avec des peuples cavaliers. Le désastre de Carrhes y est pour beaucoup : comme l’écrit Valère Maxime, « l’honneur des armes romaines [fut] foulé aux pieds par la cavalerie des barbares »27. La dénonciation de la perfide cavalerie arsacide, de la « flèche du Parthe », se retrouve chez presque tous les auteurs de l’époque28. Parallèlement, le barbarus eques fait son entrée retentissante dans la littérature latine avec les poèmes d’Horace et devient à partir du règne d’Auguste un motif récurrent de la poésie officielle29. Ce discours est au fondement d’une véritable ethnographie militaire. Chez Strabon par exemple, il ne fait aucun doute que certains peuples sont, par essence, des peuples cavaliers30. Par effet de contraste, cette perception de l’Autre renforce le sentiment que le combat d’infanterie fait partie du patrimoine génétique de l’Urbs ; à tel point qu’à l’époque d’Hadrien, un homme de terrain tel qu’Arrien peut ranger les exercices équestres parmi les arts militaires qui ne sont pas « propres et natifs » (οἰκεῖα καὶ πάτρια) aux Romains31.
27 Val. Max., I, 6, 11 (trad. M. Nisard) : tantum Romanae militiae decus barbarorum obtritum equitatu. 28 Hor., Carm., I, 19, 11-2 ; II, 13, 17-8 ; Verg., Georg., III, 31 ; Ov., Ars am., I, 20911 ; Fast., V, 591-2 ; Just., XLI, 2, 7 et 9. Cf. PARATORE (1966), 530-1 et DAUGÉ (1981), 88 : « Au cours des fréquents contacts qu’ils eurent par la suite [de la bataille de Carrhes] avec les Romains, les Parthes leur apparurent comme le symbole de l’Orient en mouvement, redoutable parce qu’insaisissable, avec ses hordes à cheval, son besoin d’espace et de pillage, sa conception de la guerre si étrangère à la mentalité occidentale. Doué d’ubiquité et d’invulnérabilité, réputé d’une rare perfidie, le barbarus eques allait dorénavant hanter les esprits avec la même insistance que le Germain. » On perçoit assez facilement l’utilité de ce discours : dénigrer l’autre guerrier, c’est avoir la certitude confortable que l’armée romaine, maîtresse du monde civilisé, ne saurait faillir face aux « peuples de la tente » – un discours en phase avec l’idéologie augustéenne qui n’admet dans l’orbis terrarum aucune autre puissance hégémonique que l’imperium Romanum. Cf. NICOLET (1988), chap. 1 et 2. 29 Hor., Ep., XVI, 11-2 : Barbarus, heu, cineres insistet uictor, et urbem eques sonante uerberabit ungula. Voir aussi Ep., XI, 17-8 (Galates de Déjotaros) ; Carm., I, 2, 51-2 (Mèdes) ; I, 19, 11-2 ; I, 9, 23-4 (Gélons) ; III, 4, 34 (Cantabres) ; IV, 4, 42-4 (Africains) ; Sat., II, 1, 15 (Parthes). Voir aussi Ov., Fast., V, 580-2 ; Trist., II, 1, 228 ; III, 10, 50-4 ; IV, 1, 77-8 ; V, 7, 14 ; Pont., I, 2, 15-9 ; I, 2, 79-86 ; I, 2, 110 ; III, 1, 7-9. 30 Gaulois : Strab., IV, 4, 2 et 5. Scythes : VII, 3, 9 et 4, 6. Nomades caucasiens : XI, 5, 8. Massagètes : XI, 8, 6. Parthes : XI, 9, 2. Mèdes : XI, 13, 7 et 9. Arméniens : XI, 14, 4 et 9. Perses : XV, 3, 18. Africains : XVII, 3, 7 et 19. Cette perception doit évidemment beaucoup au déterminisme ethno-géographique des Anciens qui associent pays de plaines (ou de plateaux) et prédilection pour la cavalerie : cf. Hippoc., Aer., 18. Chez les auteurs classiques, la Thessalie apparaît comme le prototype de la nation cavalière (BLAINEAU [2010], 44-8), ce qui explique que Strabon lie la fondation de l’Arménie à une immigration venue de cette région : Strab., XI, 14, 12 (cf. VIII, 8, 1). 31 Arr., Tact., 33, 2-3.
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De là à voir dans l’equestre proelium une forme de combat inférieure à la lutte d’infanterie, il n’y a qu’un pas que Tacite n’hésite pas à franchir. L’historien romain n’a que mépris pour les hippomachies, ces concursus exploratorum qui ne méritent pas selon lui le nom de guerre et « sont plus fréquents que mémorables »32. Les combattants à cheval sont par nature inférieurs aux fantassins car les premiers placent leur salut dans la vigueur de leur monture alors que les seconds sont le principe même de leur valeur33. L’opinion de l’auteur sur la question se trouve résumée au chapitre 30 de la Germanie. Dans ce passage, Tacite évoque le comportement des Chattes à la guerre. Si ce peuple de Germains occidentaux est loué pour sa rigueur militaire toute « romaine », c’est précisément parce qu’il accorde à l’infanterie une place plus importante qu’à la cavalerie : « On voit les autres peuples aller au combat, les Chattes vont à la guerre. Peu de coups de main et d’engagements improvisés. Ce n’est guère en effet qu’à des troupes à cheval qu’il appartient de brusquer la victoire et de précipiter la retraite : trop de vitesse ressemble à de la peur, la lenteur est plus proche de la fermeté. » (trad. d’après J. Perret)34.
Constituée de populations superficiellement intégrées à l’Empire, la cavalerie auxiliaire pâtit de ce jugement dépréciateur. Chez Tacite, elle se distingue par son audacia, son goût pour les coups d’éclat inconsidérés, que l’historien prend soin d’opposer au sage courage des légionnaires qui tiennent leur place dans la ligne de bataille et doivent souvent ramener au combat le cavalier fuyard35. 32 Tac., Hist., II, 24, 1 : concursum exploratorum, crebra magis quam digna memoratu proelia. Ibid., IV, 56, 3 : furtim magis quam bello. 33 Voir Tac., Hist., I, 79, 2 (à propos des cavaliers rhoxolans) : Namque mirum dictu ut sit omnis Sarmatarum uirtus uelut extra ipsos. 34 Tac., Germ., 30, 3 : alios ad proelium ire uideas, Chattos ad bellum. Rari excursus et fortuita pugna. Equestrium sane uirium id proprium, cito parare uictoriam, cito cedere : uelocitas iuxta formidinem, cunctatio propior constantiae est. 35 Coups d’éclat : Ann., XIII, 36, 2 ; 13, 40 ; Hist., III, 16, 1. Interventions de l’infanterie légionnaire pour ramener les cavaliers en fuite : Ann., I, 63, 1-2 ; I, 65, 5-6 ; IV, 73, 2-3 ; Hist., II, 41, 2. Les comportements téméraires sont aussi caractéristiques des jeunes officiers de cavalerie, comme A. Iulius Atticus, tué à la bataille du Mons Graupius (83/84 ap. J.-C.), Agr., 37, 9 : il « s’était laissé emporter au milieu des ennemis par le feu de sa jeunesse et son cheval fougueux » (iuuenili ardore et ferocia equi hostibus inlatus). On notera l’analogie établie dans les sources du Haut-Empire entre le furor traditionnellement attaché aux iuuenes et la ferocitas des cavaliers barbares. Cf. NÉRAUDAU (1979), 249 et s. Un historien non romain tel que Flavius Josèphe donne une image beaucoup plus positive de la cavalerie auxiliaire dans son œuvre. Loin de projeter sur ces troupes les clichés habituellement réservés à la description des soldats barbares, l’auteur juif brosse un portrait des cavaliers en parfaite conformité avec la conception romaine de la guerre idéale :
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Cette échelle de valeurs se retrouve au-delà des conventions littéraires observées par les poètes et les historiens. Même si la tradition romaine héritée de la République veut que le service dans la cavalerie soit considéré comme un privilège, marqué par un salaire plus élevé et par d’autres avantages symboliques36, la place des escadrons montés dans les cérémonies impériales n’est plus la même que par le passé. Alors que les turmae equitum Romanorum paradaient en tête du cortège triomphal de Paul Émile en 167 av. J.-C., lors de l’aduentus de Vitellius à Rome, Tacite précise bien que les cavaliers défilent derrière l’infanterie légionnaire (post peditum ordines eques)37. Cet ordre était probablement déjà en vigueur sous Auguste, comme le suggère la description du premier triomphe de Romulus par Denys d’Halicarnasse. Dans ce passage des Antiquités romaines, l’auteur grec mentionne le défilé des fantassins avant celui des troupes montées38. Il est pourtant évident qu’à cette époque reculée, l’aristocratie cavalière ne pouvait parader en queue de cortège : l’anachronisme reflète la réalité du nouveau cérémonial impérial39.
C. L’infanterie lourde à l’honneur S’il fallait donc identifier un idéal militaire dominant, celui-ci correspondrait plutôt à la figure du miles legionis. Aux yeux des Romains de l’époque, nul combattant n’incarne mieux la romanité dans ses aspects des soldats lourdement équipés (ὁπλίτας), entraînés (ἐμπείρους), disciplinés (εὐπειθεῖς), combattant en rangs serrés (ἡνωμένους), face à des hordes de piétons mal organisés et téméraires (Jos., BJ, III, 15). Voir aussi ibid., III, 472-83. 36 Au IIe s. ap. J.-C., le salaire annuel d’un cavalier de cohorte auxiliaire s’élève ainsi à 300 deniers (= 1 200 HS) contre 250 deniers (= 1 000 HS) pour un fantassin servant dans le même corps de troupes. SPEIDEL (« le Jeune ») (1992), 107, tab. 7. On constate aussi que, dans les camps de marche comme dans les castra statiua, les chambrées des cavaliers sont plus vastes que celles des fantassins (HAYNES [2013], 160) et qu’une punition courante consiste à muter un eques dans l’infanterie (Dig., XLIX, 16, 5, 1 ; Amm., XXIV, 5, 10). De manière générale, le principe de la préséance de la cavalerie est très clairement énoncé dans Cass. Dio, LXVII, 5, 2 : Domitien envoie aux Lygiens un contingent de cent cavaliers « dont la force n’est pas dans le nombre mais dans la dignité » (οὐ τῷ πλήθει ἰσχυρὰν ἀλλὰ τῷ ἀξιώματι). 37 Liv., XLV, 40, 4-5 ; Tac., Hist., II, 89, 1. 38 Dion Hal., II, 34, 2 : πεζῶν τε καὶ ἱππέων. 39 Voir en ce sens ITGENSHORST (2005), 15 : « der Leser erfährt hier also einiges über das Ritual des Triumphzuges, aber wenig über den (in diesem Verständnis “historischen”) Triumph des Romulus. » Pour un autre exemple plus tardif, cf. Cass. Dio, LXXIV, 1, 3 (aduentus de Septime Sévère, 193 ap. J.-C.).
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guerriers. Lorsqu’il cherche à marquer un effet de contraste entre l’armée de Corbulon et l’armée arsacide, dans sa description de l’intronisation de Tiridate à Rhandéia, Tacite explique que d’un côté se tenait « la cavalerie [parthe], rangée par escadrons et parée de ses décorations nationales ; de l’autre, les colonnes des légions à pied, avec leurs aigles et leurs enseignes étincelantes et les représentations des dieux »40. Cette image du légionnaire porteur d’enseigne est très exactement celle que l’on retrouve sur les monnaies lorsqu’il s’agit de personnifier l’exercitus Romanus : avant le règne de Constantin, les soldats représentés au revers des frappes impériales sont tous des fantassins41. Ce parti-pris s’explique très facilement dans le cadre d’une idéologie platonicienne de l’armée qui ne conçoit le gardien de la République que comme un citoyen42. Il s’accorde également avec un nouveau discours vantant les vertus du soldat professionnel. Sous la haute époque républicaine, l’idéologie dominante promue par la noblesse cavalière reconnaissait une place prépondérante à la virilité agressive des equites. Virtus et disciplina incarnaient deux systèmes de valeurs distincts, l’un surtout adapté au mode de combat individualiste des aristocrates, l’autre à l’impératif de cohésion collective de l’infanterie lourde, hérité des normes hoplitiques. Au sortir des guerres civiles, la nécessité de soumettre à l’obéissance la nouvelle armée permanente conduit les autorités impériales à promouvoir un nouvel éthos guerrier, centré sur l’acceptation des tourments de la vie militaire43. La construction de ce modèle se traduit par l’invention du mythe du légionnaire, modeste conquérant de l’oikoumène, dont les valeurs 40
Tac., Ann., XV, 29, 2 (trad. P. Wuilleumier). E.g. RIC, I, Gaius, 32 ; RIC, II, Traj., 655 ; RIC, II, Hadr., 746 et 929 ; RIC, III, Aur., 977 ; RIC, III, Com., 130. Les premières célébrations de la cavalerie sur les monnaies impériales datent du règne de Gallien : RIC, V.1, Gallien, 33, 34 et 445 ; RIC, V.1, Aur., 100 et 115. Sur ces monnaies : cf. ALFÖLDI (1967b), 6-7, 8-9, 14 et n°a, 1-3. 42 CARRIÉ (1989, 1992 trad. fr.), 131 ; PHANG (2008), 76. Sur la conception platonicienne de l’armée : cf. FRANK (2007). Dans la cité parfaite du livre III de la République, le « gardien » appartient à une classe distincte de celle des producteurs : c’est un professionnel sélectionné parmi les citoyens les plus aptes (Platon, Resp., 416e-417a). Sous le Haut-Empire, le malaise des élites hellénisées face à la réalité d’un recrutement faisant massivement appel aux pérégrins est perceptible dans l’œuvre d’Aelius Aristide : pour adapter le profil de l’armée impériale dont il fait l’éloge au modèle du Περὶ πολιτείας, le panégyriste n’hésite pas à déformer les faits en affirmant que les auxiliaires provinciaux recevaient la citoyenneté romaine dès leur engagement dans l’armée. Cf. Aristid., Or., 26, 75. 43 Exposé synthétique dans Sen., De uita beata, 15, 5 : escendere autem illo sola uirtus potest. Illius gradu cliuus iste frangendus est ; illa fortiter stabit et quidquid euenerit feret non patiens tantum sed etiam uolens, omnemque temporum difficultatem sciet legem esse naturae et ut bonus miles feret uolnera, numerabit cicatrices, et transuerberatus telis moriens amabit eum pro quo cadet imperatorem. 41
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d’austérité, d’endurance et de discipline tendent à contaminer la conception commune du courage militaire44. Comme le souligne Myles McDonnell, cette uirtus impériale, teintée de passivité, n’a plus grand-chose à voir avec l’antique uirtus républicaine45. Dans la nouvelle échelle de valeurs, la cavalerie est très nettement subordonnée car associée à la versatilité et à l’inconstance. On peut se référer ici à l’interprétation que Plutarque donne du sacrifice de l’October equus : « Le cheval vainqueur est immolé […] parce que la fonction du dieu Mars étant de patronner la résistance de ceux qui restent à leur poste dans la ligne de bataille emportant la victoire sur ceux qui, au lieu de rester, s’enfuient, on châtie la vitesse sous prétexte qu’elle sert d’expédient à la lâcheté et que c’est une manière symbolique de leur enseigner qu’elle n’est pas source de salut pour les fuyards. » (trad. J. Boulogne modifiée)46.
Outre la fuite, un autre topos de la littérature impériale associe le service dans la cavalerie à la mollesse et au confort corrupteur (luxuria). Dans sa correspondance, Fronton décrit ainsi l’armée syrienne qui a été transmise à Vérus, pour sa guerre parthique, comme une armée de cavaliers délicatement épilés, campés sur des chevaux sellés de coussinets,
44 PHANG (2008), 107 parle d’une « réponse idéologique aux troupes mercenaires de la fin de la République ». Ce motif s’articule à celui de la pristina simplicitas, qui présente le dénuement des premiers Romains comme une vertu nationale et une condition nécessaire de la conquête. Cf. NICOLET (1969), 122. 45 MCDONNELL (2006), 63-5, 149-54, 241, 290-1 : l’auteur situe l’origine de cette évolution sémantique à l’époque de Marius (désormais, la uirtus tend à se confondre avec la disciplina militaris). Conclusions similaires dans COULSTON (2013), 23, qui poursuit l’analyse jusqu’au IIe s. ap. J.-C. et note que la uirtus du légionnaire impérial est de plus en plus associée à des activités non combattantes. S.E. Phang voit dans ce processus l’expression d’une « violence symbolique » de l’État romain, soucieux d’institutionnaliser l’obéissance et le respect de la hiérarchie au sein d’une armée habituée à des logiques de fonctionnement clientélaires et à l’autorité charismatique des imperatores tardo-républicains : cf. PHANG (2008), chap. 1 (notamment 30 et s.). 46 Plut., Mor., 18, 97 : ὁ δὲ νικήσας θύεται διὰ τὸ νίκης καὶ κράτους οἰκεῖον εἶναι τὸν θεόν. Ἢ μᾶλλον ὅτι τοῦ θεοῦ στάσιμον τὸ ἔργον ἐστὶ καὶ νικῶσιν οἱ μένοντες ἐν τάξει τοὺς μὴ μένοντας ἀλλὰ φεύγοντας, καὶ κολάζεται τὸ τάχος ὡς δειλίας ἐφόδιον, καὶ μανθάνουσι συμβολικῶς ὅτι σωτήριον οὐκ ἔστι τοῖς φεύγουσι. Comme nous l’avons souligné supra, cette conception négative du combat de cavalerie, associé à la fuite et opposé au franc courage du fantassin lourd, est un lieu commun de la littérature grecque classique. On la retrouve dans l’Énéide, lorsqu’un guerrier ligure apostrophe la reine des Volsques, Camille, cf. Verg., Aen., XI, 705-8 (trad. J. Perret) : « Quelle merveille que, femme, tu mettes ton assurance dans la vigueur d’un cheval ! Renonce à fuir. Tout près d’ici, fais donc confiance, comme moi, à ce sol qui nous rendra égaux, et prépare-toi à un duel véritable, à pied. Tu sauras bientôt qui va porter la peine d’une gloire toute de vent. »
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qu’il a fallu soumettre à l’antique disciplina romaine47. Vérus lui-même préfère aller à pied pour donner l’exemple, comme le font d’ailleurs de plus en plus les Antonins puis les Sévères à partir de Trajan48. Cette image très présente dans les textes à finalité encomiastique se retrouve sur les monnaies. Elle donne à voir un empereur commilito qui, dans le contexte de la bataille, n’hésite pas à démonter pour aller prendre place en première ligne49. C’est une véritable république militaire égalitaire que le régime impérial cherche ainsi à mettre en scène. L’identification du prince à ses légionnaires, dont la virilité austère est glorifiée, renvoie par contraste une image ambigüe du combat de cavalerie, dont le mode opératoire est difficilement compatible avec cette définition de la valeur militaire. Il est difficile d’apprécier les prolongements de ce discours dans les faits. Comme les élites politiques civiles et militaires se confondent encore jusqu’au milieu du IIIe s., il semble évident que les cadres supérieurs de l’armée impériale épousaient cette culture classique qui faisait partie intégrante de la formation du uir bonus. Même si certains commandants comme Pline l’Ancien ou Arrien ont pu manifester un intérêt remarquable pour les exercices de cavalerie50, l’attitude générale du personnel militaire demeure conservatrice. Cette attitude implique une utilisation tactique conventionnelle des troupes montées, considérées comme un accessoire de l’infanterie. Elle est confortée par la vogue des taktika, sortes de vadémécums du bon commandant qui répètent inlassablement 47 Fronton, Ad. V., II, 19. On reconnaîtra ici une réminiscence des railleries des auteurs grecs classiques sur la truphê des hippeis. 48 Vérus : Id., Princ., 13. Trajan : Plin., Pan., 10, 3 ; 14, 1-3 ; 22, 1 ; 24, 2 ; Cass. Dio, LXVIII, 23. Hadrien : HA, Hadr., 10, 2-4 ; Cass. Dio, LXIX, 9, 1-3. Septime Sévère : Hdn, III, 6, 10. Caracalla : Hdn, IV, 7, 6. Sévère Alexandre : HA, Sev. Alex., 48, 1 et 4-5. Les dernières notices biographiques de l’Histoire Auguste ne reprennent pas ce topos et semblent au contraire réintégrer les exercices équestres dans la mise en scène de la commilitia impériale : Tr. tyr., 12, 7 ; Tac., 4, 6. 49 Monnaie : RIC, II, Hadr., 746. Général abandonnant son cheval pour prendre place en première ligne : Tac., Agr., 35, 5. César, plus que Marius, a probablement servi de modèle sur ce point : BG, I, 25, 1 ; II, 25, 2 (voir aussi Vell. Pat., II, 55, 3 ; Val. Max., III, 2, 19 et MCDONNELL [2006], 300 et s.). Cicéron fournit une autre occurrence ancienne de ce topos lorsqu’il oppose l’armée piétonne d’Hirtius à celle d’Antoine, largement montée : Cic., Phil., XIV, 10, 17. Sur le motif de l’empereur commilito et l’identification du prince aux légionnaires : CAMPBELL (1984) (notamment p. 58) ; STÄCKER (2003), chap. iv. Ce modèle de leadership militaire tire peut-être son origine de l’exemplum célèbre du rétablissement de la discipline dans le camp romain de Numance par Scipion Émilien en 134 av. J.-C. : voir App., Hisp., 85-6 et MOORE (2009). 50 Pline l’Ancien composa un traité sur l’art de lancer le javelot à cheval (De iaculatione equestri) lorsqu’il était préfet d’aile en Germanie : Plin., HN, VIII, 65, 162. Sur Arrien, cf. infra, p. 327 et s.
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le primat de la phalange dans la taxis. Nous verrons cependant qu’au-delà de ce traditionnalisme de façade, les mentalités impériales demeurent fondamentalement ouvertes à l’innovation et aux influences étrangères, à condition que celles-si soit justifiées et procèdent d’un réel besoin tactique. II – L’INCORPORATION DE LA CAVALERIE AUXILIAIRE ET DES RESSOURCES PROVINCIALES
A. La création des nouvelles unités auxiliaires régulières Au cours de l’époque impériale, l’armée romaine continue d’intégrer des contingents de cavalerie fournis par les populations alliées ou soumises à la juridiction provinciale. Comme sous la République, ces troupes peuvent être démobilisées à l’issue d’une campagne51. Mais il arrive de plus en plus souvent qu’elles soient maintenues en service et finissent par former de nouvelles unités permanentes, disposant d’une nomenclature fixe52. Ces unités portent généralement le nom du peuple au sein duquel les soldats ont été initialement recrutés, parfois suivi d’un numéro, ce qui permet de les distinguer les unes des autres : on connaît ainsi dès l’époque julio-claudienne une ala I Hispanorum, une ala Pannoniorum I, une ala II Thracum, etc. La pratique consistant à donner à ces unités le nom de leur premier commandant tend à disparaître à partir du règne d’Auguste53. Elle est remplacée par l’adjonction d’éléments provenant de la nomenclature impériale : ainsi pour l’ala Augusta Ituraeorum ou l’ala Claudia noua 54. Il convient de souligner que tous les cavaliers auxiliaires ne 51 Tacite explique ainsi que Cerialis, une fois arrivé en Germanie pour soumettre les Bataves révoltés, « renvoie dans leurs cités les soldats recrutés dans toute la Gaule et fait annoncer que les légions suffisent à l’Empire : que les alliés retournent aux tâches pacifiques » (Tac., Hist., IV, 71, 2 [trad. H Le Bonniec] : dilectus per Galliam habitos in ciuitates remittit ac nuntiare iubet sufficere imperio legiones : socii ad munia pacis redirent). Il précise ensuite que les cités étaient satisfaites de voir la iuuentus rendue à sa patrie. 52 Sur la nomenclature des alae sous le Haut-Empire, cf. CICHORIUS (1894), col. 12246. Voir également LE ROUX (1986), 350-6. 53 Cf. supra, p. 91. On note malgré tout quelques exceptions. L’ala Pannoniorum Tampiana aurait ainsi reçu ce surnom du gouverneur de Pannonie (L. Tampius Flavianus) durant l’année des quatre empereurs. Cf. ACRUDOAE (2012a), 10-1. On connaît aussi une ala I Pannoniorum Sabiniana, surnommée ainsi d’après le cognomen de son commandant, C. Nymphidius Sabinius. Cf. CIL, III, 4269. 54 CICHORIUS (1894), col. 1237-8 et 1250.
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servent pas dans ces ailes nouvellement créées ; la documentation épigraphique mentionne très tôt l’existence de cohortes equitatae, composées d’un contingent mixte de fantassins et de cavaliers55. Les modalités d’incorporation de ces unités au sein de l’armée romaine varient en fonction des zones géographiques où elles ont été levées et des circonstances qui ont présidé à leur création. Ian Haynes note que 78,5% des régiments connus sous le Haut-Empire proviennent d’Europe (dont 56% d’Europe occidentale). L’« Asie » représente 15% du total et l’Afrique seulement 6,5%56. En Occident, où les sociétés celtiques et germaniques sont restées fortement militarisées après la conquête césarienne, la pratique consistant à recourir aux services de ritterliche Gefolgschaften demeure courante. Ce type de recrutement a de multiples avantages : outre les économies qu’il autorise, il permet de pacifier des peuples pratiquant le raid comme une activité sociale ordinaire et donc de renforcer la stabilité politique de territoires potentiellement turbulents. C’est aussi un moyen pour Rome de s’immiscer dans les affaires politiques locales et d’exploiter les divisions entre les élites indigènes, parfois au sein d’une même population. En 21 ap. J.-C., le chef trévire Iulius Indus lève ainsi l’ala Indiana pour lutter contre son concitoyen Iulius Florus, l’un des chefs de la révolte gauloise57. Cette unité reste en service après ces événements et participe probablement à la conquête de la Bretagne, région dans laquelle elle est attestée dans la seconde moitié du Ier s.58. Au départ, elle se présente pourtant comme une milice aristocratique, comparable à celles décrites par César dans le De bello Gallico. Le mobilier funéraire des nécropoles du nord de la Gaule ne laisse aucun doute sur le profil social des individus qui servent dans ce type d’unité : il s’agit de la même élite militaire que celle des sociétés laténiennes tardives59. 55 CIL, X, 4862 = ILS, 2690 (Venafro ; époque augustéenne ou tibérienne) : cohors Ubiorum peditum et equitum. Voir aussi ILS, 2703 (première moitié du Ier s. ap. J.-C.). 56 HAYNES (2001), 63-4 et (2013), 104. 57 Tac., Ann., III, 42, 3 : Praemissusque cum delecta manu Iulius Indus, e ciuitate eadem, discors Floro et ob id nauandae operae auidior, inconditam multitudinem adhuc disiecit (voir aussi ibid., III, 46, 2). Cf. CICHORIUS (1894), col. 1243-4 ; ALFÖLDY (1968), 19-21. 58 RIB, 108 (Corinium / Cirencester). 59 MARTINI (2013), 46 remarque que, chez les Trévires, l’entrée au service de Rome s’accompagne de l’abandon progressif des tombes à cheval. Mais les auxiliaires continuent de se faire inhumer avec des équipements de cavalerie qui tiennent lieu de véritables marqueurs statutaires (ibid., 53). Le cas de la tombe A d’Hellange est, de ce point de vue, très intéressant (KRIER & REINERT [1993]). On y a retrouvé un masque métallique en forme de visage, typique de la cavalerie auxiliaire julio-claudienne, et une urne funéraire. La sépulture était probablement celle d’un noble trévire qui servit dans l’armée impériale, sur le Rhin, à l’époque d’Auguste ou de Tibère. Sa mort est peut-être intervenue sous le
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Toutes les ailes du début du Principat ne connaissent cependant pas le même destin que l’ala Indiana. Les cavaliers trévires sont aussi à l’origine d’un autre régiment d’époque julio-claudienne, l’ala Treuerorum, dont l’histoire démontre que le recours à des unités ethniquement homogènes, servant près de leur communauté nationale, peut comporter des risques pour la stabilité politique d’une province60. Probablement créée en 17 ap. J.-C., au moment où la ciuitas Treuerorum devient une cité fédérée, cette aile de cavalerie semble d’abord avoir eu pour vocation d’accueillir les jeunes recrues trévires qui servaient auparavant dans les différentes unités de cavalerie gauloises mises en place par Auguste61. Elle est loyale lors de la révolte de 2162 mais participe en 69 au soulèvement de Iulius Classicus, son préfet, contre Rome, ce qui entraîne sa dissolution l’année suivante63. Les unités auxiliaires bataves, mises en place par l’Empire durant la même période, empruntent une trajectoire identique64. Au même titre que la cité des Trévires, la ciuitas Batauorum est utilisée comme l’un des principaux bassins de recrutement de forces montées en Occident : elle fournit à l’Empire la garde personnelle du prince ainsi qu’une aile de cavalerie. L’ala Batauorum tient garnison en Germanie inférieure durant l’époque julioclaudienne65. Elle prend part à la répression contre Vindex en 6866 mais, comme toutes les autres unités auxiliaires bataves, elle suit Civilis dans son aventure en 6967. Il est difficile de savoir ce qu’il advint de ce régiment après la défaite de ce dernier : ce qui est sûr, c’est que les cohortes bataves furent soit dissoutes, soit envoyées dans d’autres provinces68. La plupart principat de Claude. L’inhumation dans une urne montre une forte influence romaine ainsi qu’une volonté de se caractériser comme romain. Le dépôt d’équipements militaires est, en revanche, une tradition locale. D’après MARTINI (2013), 74, la récurrence des reliefs funéraires présentant des scènes de combats de cavalerie, notamment sur les monuments trévires, serait une résurgence, sous une autre forme, de la pratique pré-romaine des Reitergraben. 60 CICHORIUS (1894), col. 1267 ; ALFÖLDY (1968), 37 et s. 61 MARTINI (2013), 39 et 48. D’après DRINKWATER (1978), 830, le maintien du caractère ethnique de l’unité « seems to have been a genuine concession made by Rome towards the tribe, certainly because it was felt to be trustworthy and also probably because of its warlike tradition. » 62 Tac., Ann., III, 42, 1. 63 Id., Hist., IV, 55, 1 et 57, 3. 64 Tout comme les Trévires, les Bataui forment une société très militarisée, structurée autour de clientèles guerrières : NICOLAY (2007), 237-44. Ils avaient passé un accord avec les Romains, lequel exigeait la fourniture d’importants contingents auxiliaires en échange de privilèges fiscaux. Cf. Tac., Ger., 29, 2 : Manet honos et antiquae societatis insigne : nam nec tributis contemnuntur nec publicanus atterit ; exempti oneribus et collationibus et tantum in usum proeliorum sepositi. Voir aussi Id., Hist. IV, 12, 2-3. La date de ce traité est inconnue mais précède probablement la campagne germanique de Drusus en 12 av. J.-C. Cf. ROYMANS (2001), 96-9. 65 Sur l’ala Batauorum : CICHORIUS (1894), col. 1233 ; ALFÖLDY (1968), 13-4. 66 Tac., Hist., IV, 17, 3. 67 Ibid., IV, 18, 1 (ala Batauorum) ; IV, 15, 1 et 19, 1-2 (cohortes Batauorum). 68 HAYNES (2013), 115-6. ALFÖLDY (1968), 14 pense que l’ala Batauorum fut « refondée » (« neugegründet ») sous le nom d’ala I miliaria Batauorum et déplacée en
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quittèrent le continent pour la Bretagne69. L’armée provinciale fut reconstituée à partir d’éléments extérieurs. Des diplômes datant de 78 et 80 citent six ailes et onze cohortes : pas une seule unité n’est originaire de la région70.
L’époque julio-claudienne marque une étape intermédiaire lors de laquelle les ailes de cavalerie, tout en devenant permanentes, ne peuvent pas encore être considérées comme des unités régulières, coupées de leur milieu social d’origine71. En Gaule comme en Germanie, leur destin semble intimement lié à celui de l’aristocratie militaire des Iulii, qui détient la réalité du pouvoir dans les ciuitates de Celtique72. Ceci explique le fait que les sources littéraires fassent souvent allusion à l’extraction noble des cavaliers auxiliaires mobilisés durant cette période73. Ces troupes ne sont pas encore soumises à un dilectus égalitaire, comme ce
Pannonie. CICHORIUS (1894), col. 1234 pense qu’elle fut dissoute et qu’il n’existe aucun lien entre les deux unités. Mais des indices pourraient suggérer qu’elle resta en service en Germanie inférieure au moins pendant quelques années : un diplôme trouvé près de Nimègue et daté de 98 ap. J.-C. accorde en effet l’honesta missio à un soldat de l’ala Batauorum (RMD, IV, 216). Ce cavalier n’a pu être enrôlé qu’après la fin de la révolte de Civilis. 69 Tac., Agr., 36, 1. 70 CIL, XVI, 23 et 158. 71 Voir en ce sens KRAFT (1951), 38 : « Augustus hat mit der Errichtung des stehenden Legionenheeres nicht auch in einem Zuge alle Auxilien zu römischen Berufstruppen umgestaltet. Die Entwicklung jedoch lief in dieser Richtung und näherte sich mit dem Auftauchen der Militärdiplome am Ende von Claudius allmählich der Vollendung. » Analysant les exemples de cohortes et d’ailes mentionnés par Tacite dans son œuvre historique, l’auteur allemand conclut (ibid., 38-9) : « Dies zeigt nun, dass die InventusVerbände, aber auch die oben aufgezählten “cohortes” und “auxiliares” des Tacitus zwar meist als regulär ausgebildete und formierte Truppe gelten dürfen, aber nicht ohne weiteres als regulär-römische Kohorten von Berufssoldaten zu bezeichnen sind. Sie entsprechen in der Regel tatsächlich den “socii” der früheren Republik, die ja auch mit “cohortes” angesprochen wurden, und teilweise den späteren “symmachiarii”. Dass sich daraus zum Teil regulär-römische Kohorten entwickeln konnten und entwickelten, ist natürlich. Aber die Verbindung zwischen den Erwähnungen bei Tacitus zu inschriftlich später belegten Kohorten ist nicht ohne weiteres ein direktes Fortleben der Truppenverbände. Die Gleichheit besteht meist nur darin, dass der gleiche Stamm die Leute stellte. » 72 DRINKWATER (1978), 828-31. 73 Tacite précise que les cavaliers qui tombent aux côtés du dux Batauorum Chariovalda dans un combat près de la Weser en 16 ap. J.-C. sont des nobles, cf. Tac., Ann., II, 11, 3 : Charioualda, diu sustentata hostium saeuitia, hortatus suos ut ingruentis cateruas globo perfringerent atque ipse densissimos inrumpens, congestis telis et suffosso equo labitur, ac multi nobilium circa. Le même auteur parle de delecta manu pour désigner l’ala Indiana levée en 21 ap. J.-C. (Id., Ann., III, 42, 3). Cependant, tous les cavaliers auxiliaires ne sont probablement pas des aristocrates et des phénomènes de promotion interne ont dû exister dès l’époque julio-claudienne. En 69, les fantassins bataves au service de Vitellius réclament une augmentation de l’effectif des equites, c’est-à-dire l’opportunité pour certains d’entre eux de rejoindre les rangs de la cavalerie (Id., Hist., IV, 19, 1).
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sera le cas par la suite74. Quant au commandement, il est assuré par des chefs nationaux disposant de la citoyenneté romaine75. Dès la première moitié du Ier s., ces unités ethniques coexistent peut-être avec des régiments plus composites, déjà acquis à la logique d’un recrutement individuel fondé sur le volontariat76. Mais c’est surtout après la révolte de Civilis que ce processus de régularisation se généralise : les commandements ne sont généralement plus confiés à des chefs nationaux et les recrues ne proviennent plus nécessairement du lieu d’origine de l’unité77. Comme l’a noté John Drinkwater, cette époque coïncide avec le déclin de l’aristocratie des Iulii en Gaule78. Là où ils ne peuvent s’appuyer sur une tradition militaire préexistante, les Romains en créent de toutes pièces. Le cas des Éravisques constitue une belle illustration de ce phénomène79. Ce peuple du nord-est de la Pannonie entre probablement dans l’alliance romaine sous le règne d’Auguste. Son territoire
74 C’est peut-être la volonté d’instaurer une procédure de ce type qui fut (au moins en partie) responsable de la révolte des Bataves en 69 : cf. Tac., Hist., IV, 14, 1-2. D’après G. Alföldy, les Bataves levaient auparavant eux-mêmes des contingents pour Rome en vertu du traité qui les unissait à l’Urbs. La situation aurait changé lors de l’année des quatre empereurs, avec la mise en place d’une procédure régulière de recrutement. Cf. ALFÖLDY (1968), 46-7 et 88-90. Contra COSME (2012b), 234-5. Le fait que ces troupes julio-claudiennes aient conservé un mode de fonctionnement proche de celui du ritterliche Gefolgschaft n’est pas incompatible avec la perception d’un salaire régulier (cf. supra le cas de Roucillus et Ecus), contrairement à ce qu’on peut parfois lire dans les études modernes, e.g. NICOLAY (2007), 61, n. 204. ROYMANS (1996), 22 souligne à raison : « Even with these more regular formations, there may still have been a certain similarity with the private armed retinues of the native aristocracy of the preceding periods. » 75 Tacite affirme que les cohortes bataves étaient « commandées, selon l’usage ancien, par les plus nobles de leurs compatriotes (quas uetere instituto nobilissimi popularium regebant) » (Tac., Hist., IV, 12, 4 [trad. H. Le Bonniec]). Un peu plus loin, il donne le nom du préfet de l’ala Batauorum qui était passé du côté de Civilis : Claudius Labeo (ibid., IV, 18, 4). On connaît aussi grâce à Tacite le nom d’un autre préfet, celui d’une ala singularium que Vitellius avait fait venir en Italie : un certain Iulius Briganticus, neveu de Civilis. 76 ROYMANS (1996), 24 pense en particulier aux alae Gallorum pré-flaviennes : « These “Gallic” formations were composite units, comprising men from a number of civitates. They were probably recruited individually, and on a voluntary basis; this being in contrast to the “national” formations of the Rhineland, whose recruitment was based on treaties with the various civitates. » L’épigraphie confirme ce point de vue : on retrouve par exemple dans l’ala Gallorum Longiniana un Rème, un Héduen, un Biturige et un Hispanique (CIL, XIII, 2615 ; CIL, XIII, 8092-4). 77 KRAFT (1951), 39. Selon l’auteur, c’est surtout pour des raisons de « sécurité » (« Sicherheitsgründen ») que cette phase finale d’intégration est survenue : les autorités romaines étaient bien conscientes du fait que ces troupes semi-régulières opérant à proximité de leur lieu de recrutement représentaient un danger. 78 DRINKWATER (1978), 822 et 832. 79 MRÁV (2010-2013).
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est annexé et transformé en district militaire dans les décennies 40-5080. Avant l’arrivée des Romains, les Éravisques ne semblent pas caractérisés par une forte tradition martiale. Ils ne participent pas à la révolte de Pannonie et ne se font pas inhumer avec leurs armes, à la différence des populations laténiennes occidentales. La situation change avec l’implantation, en 89, d’une forteresse légionnaire à Aquincum. Le service dans les unités de cavalerie de l’armée romaine devient attractif pour l’aristocratie locale. Celle-ci tend alors de plus en plus à épouser les contours d’une élite guerrière. Les nombreuses tombes de cavaliers datant de cette période, comme celles de Budaörs-kamaraerdei dűlő, Nagyteteny ou de Cserszegtomaj-Dobogohill, ont été mises en relation avec l’émergence de cette nouvelle aristocratie militaire éravisque : elles présentent, pour certaines d’entre elles, les mêmes caractéristiques que les sépultures trévires d’époque julio-claudienne, avec la coexistence d’équipements guerriers et d’artefacts d’origine romaine81.
En Orient et dans les régions caractérisées par l’existence ancienne de monarchies centralisatrices, la formation des auxilia se présente sous un jour différent. Les Romains se contentent le plus souvent d’incorporer les unités régulières des États clients annexés82. En Judée, l’administration impériale intègre ainsi certains éléments de l’armée royale d’Hérode le Grand, notamment les Sébasténiens originaires de Samarie83. Ces soldats finissent par former, après la rédaction de leur royaume en province en 6 ap. J.-C., une ala Sebastenorum, mentionnée à plusieurs reprises par Flavius Josèphe sous le nom d’ἴλη τῶν Σεβαστηνῶν84. Ils réintègrent l’armée royale sous Agrippa Ier avant de rejoindre définitivement l’armée romaine en 4485. Leur soutien est d’autant plus intéressant pour l’Empire que les habitants de Sébaste, pour la plupart d’origine gréco-macédonienne, appartiennent à une communauté distincte de la majorité juive et sont donc peu susceptibles de faire cause commune avec celle-ci86. En 4, durant les troubles qui suivent la mort d’Hérode, les Sébasténiens prennent immédiatement le parti des Romains sous l’égide de leur commandant Rufus87. En 50, le procurateur Ventidius Cumanus les utilise pour
GABLER (1997), 86-90. Pour la tombe de Budaörs-kamaraerdei dűlő, voir MRÁV (2012). Pour les autres sépultures, cf. ID. (2013), 91-9. 82 Encore convient-il de souligner que cette pratique courante n’a pas valeur de règle. Voir SÄNGER (2016) à propos de l’intégration du royaume ptolémaïque et des auxilia de la province d’Égypte. 83 SPEIDEL (1982-1983), 233-7 ; HAYNES (2013), 117-8. 84 CICHORIUS (1894), col. 1260 ; SPAUL (1994), 196. 85 Jos. AJ, XIX, 356-66. Voir SCHÜRER (1901, 1973), 363. 86 Jos., AJ, XX, 176. 87 Id., BJ, II, 52 et 58 ; AJ, XVII, 266. 80
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réprimer les soulèvements orchestrés par les zélotes88. L’ala Sebastenorum apparaît ensuite dans l’armée de campagne de Vespasien en 6789 avant d’être installée en Syrie, au lendemain de la guerre de Judée90. Le cas des Sébasténiens peut être rapproché de celui des unités auxiliaires de Commagène, créées à la suite de l’annexion du royaume en 17 ap. J.-C.91. Cette méthode de recrutement est probablement considérée comme la plus adéquate dans une région où il est possible de s’appuyer sur les structures laissées en place par les anciennes monarchies hellénistiques. Mais nous retrouvons une logique différente dans le cas des unités levées à partir de contingents parthes ou issues de populations assimilées par les Romains à la nébuleuse iranienne92. Comme nous l’avons observé précédemment, les imperatores du Ier s. av. J.-C. avaient pris l’habitude, depuis Pompée, de recruter des contingents alliés d’archers montés arsacides93. À partir du règne d’Auguste, ces unités émergent dans la documentation épigraphique sous la forme d’alae Parthorum. Leur présence dans l’Empire découle généralement des interventions romaines dans les affaires internes du royaume arsacide. L’armée romaine peut en effet recueillir les « réfugiés politiques » qui ne sont pas parvenus à s’imposer à la cour parthe lors de troubles civils. Ces prétendants malheureux sont souvent accompagnés de leur escorte militaire : de nouvelles unités régulières peuvent être organisées à partir de ces comitatus princiers94. David Kennedy suppose en outre que l’absence de véritable armée permanente dans l’Empire parthe rendait le mercenariat attractif pour la noblesse arsacide, mais une telle hypothèse est difficile à étayer95.
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Id., BJ, II, 236 ; AJ, XX, 122. Id., BJ, III, 66. 90 RMD, I, 3 (88 ap. J.-C.). 91 Cf. KENNEDY (1980), 91-101. L’ala Commagenorum est attestée dès le règne de Claude. Kennedy suppose qu’elle fut créée lors de l’annexion du royaume en 17 ap. J.-C., de même que la cohors VI Commagenorum equitata. L’annexion de la cohors II Flauia Commagenorum sagittariorum equitata serait intervenue à la suite de la deuxième annexion du royaume par Vespasien en 72 ap. J.-C. 92 Sur ces unités de cavalerie : PETERSEN (1966) ; KENNEDY (1977) ; HERZ (1982) ; TRAINA (2013) ; HAYNES (2013), 111-2 ; WHEELER (2016). 93 Cf. supra, p. 103-4. 94 Pour un inventaire exhaustif de ces « Parthian retinues » dans les sources grécoromaines jusqu’à l’époque des Flaviens, cf. WHEELER (2016). L’auteur rapproche cependant ce phénomène d’une tradition indo-européenne de ritterliche Gefolgschaft dont l’existence nous semble aussi difficile à démontrer que celle d’une véritable cavalerie chez les Proto-Indo-Européens. Cf. PETITJEAN (2018), 13-7. 95 KENNEDY (1977), 530. Contra HAUSER (2006), qui soutient l’existence d’un embryon d’armée permanente au sein de l’Empire arsacide. 89
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Comme l’a récemment montré Everett Wheeler, deux unités parthes sont connues au Ier s. : une ala Parthorum initialement attestée à Clissa, près de Salone en Dalmatie, qui aurait ensuite été déplacée en Germanie, dans le nord de l’Hispanie puis en Maurétanie Césarienne96, et une ala Parthorum et Araborum, mentionnée par deux épitaphes de Mogontiacum, dont la fondation apparaît plus tardive97. La première unité compte dans ses rangs Ti. Iulius Maximus, originaire de Rome (domo Roma) et fils d’un certain C. Iulius Tiridatis98. Le Tiridate en question est sûrement l’usurpateur arsacide qu’Octavien chercha à imposer en Parthie après 32/31 av. J.-C.99. Son fils Maximus serait resté à Rome après sa mort et aurait été enrôlé comme décurion. La localisation de son épitaphe à Clissa a été mise en relation avec un passage des Annales, dans lequel Tacite explique qu’un certain Ornospadès servait à la tête d’une ala Parthorum au moment de la révolte des Dalmates, en 6-9 ap. J.-C.100. Cette aile, qu’elle ait été formée à partir du magnus amicorum manus qui accompagnait Tiridate à son retour de Parthie ou de forces directement levées par Ornospadès pour le compte de l’Empire101, aurait donc recueilli des otages de la cours parthe à Rome à côté de soldats occidentaux triés sur le volet. Pour sa part, l’ala Parthorum et Araborum vit probablement le jour vers 36 ap. J.-C., lorsqu’un autre Tiridate (le petit-fils de Phraate IV celui-ci) échoua à s’imposer sur le trône arsacide et revint en Syrie cum paucis, c’est-à-dire avec les survivants de
96 CIL, III, 8746 = ILS, 2532 (Clissa / Klis) ; CIL, XIII, 10024, 35 = ILS, 9147 (Nouaesium / Neuss). L’inscription de Neuss, figurant sur un anneau d’argent, mentionne l’unité sous le nom d’ala P(a)rt(horum) uet(erana). D’après WHEELER (2016), 212 ce cognomen non-officiel pourrait avoir été revendiqué par ce régiment à la suite de ses campagnes en Pannonie et en Germanie. Le déplacement de l’aile en Hispanie est déductible de la découverte, à La Chorquilla, de tuiles estampillées sur lesquelles figure la mention I A(VGVSTA) PARTH(ORVM). Il s’agirait selon Wheeler de la même unité que l’ala I Augusta Parthorum Antoniniana attestée en Maurétanie Césarienne en 201 (CIL, VIII, 9828 ; ILS, 2493). Celle-ci est mentionnée dans cette province, dès l’année 107, par un diplôme de Césarée sous le nom d’ala Parthorum (CIL, XVI, 56 = ILS, 2003). 97 AE, 1959, 188 = AE, 1967, 339 ; AE, 1976, 495 (Mogontiacum / Mayence). 98 CIL, III, 8746 = ILS, 2532 : [T](iberius) Iul(ius) Max[i]m[us] / C(aii) Iul(ii) Tiridatis f(ilius) / dec(urio) ala(e) P{h}artho(rum) / an(norum) XXVI dom(o) / Roma h(ic) s(itus) e(st) /Sex(tus) Coelius / [---]. Pour le nom de Ti. Iulius Maximus, nous adoptons la lecture de G. Alföldy (cf. ALFÖLDY [1962], 96-7 et [1968], 28). 99 Cass. Dio, LI, 18, 2-3 ; LIII, 33, 1-2 ; LV, 10a, 5 ; Just., XLII, 5, 6-9. Proposition initiale de GARDTHAUSEN (1906), 847, suivie par TRAINA (2013), 282 et WHEELER (2016), 210. Contra KENNEDY (1977), 523 : s’il s’agissait d’un prince arsacide, il aurait sûrement commandé le régiment et n’aurait pas été simple décurion. Mais Ti. Iulius Maximus était peut-être trop jeune pour être nommé directement préfet. 100 Tac., Ann., VI, 37, 3 : tramissoque exercitu, primus Ornospades multis equitum milibus in castra uenit, exul quondam et Tiberio, cum Delmaticum bellum conficeret, haud inglorius auxiliator eoque ciuitate Romana donatus, mox, repetita amicitia regis, multo apud eum honore. 101 CICHORIUS (1894), col. 1257, pense qu’Ornospadès amena sa suite militaire (augmentée de recrues parthes résidant à Rome) avec lui dans l’Empire et qu’il prit le commandement de l’ala Parthorum nouvellement créée.
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son aventure dynastique102. Ces « restes » de l’armée parthe mobilisée pour le soutenir aurait été amalgamés aux archers montés du prince thrace Cotys, qui fut placé à la tête du royaume d’Arménie Mineure par Caligula l’année suivante103. Cela rendrait compte, selon Wheeler, des origines diverses des soldats mentionnés dans les inscriptions : des Parthes, des Syriens, des Arabes et des Arméniens104. L’aile aurait alors été transférée en Occident, comme beaucoup d’autres unités orientales, dans le cadre de la préparation de la campagne germanique de Caligula105.
B. Les logiques de recrutement et le problème de l’« exceptionnalisme ethnique » Il est aujourd’hui solidement établi que la nomenclature d’un régiment ne permet pas de déterminer les origines ethniques des soldats qui le composent, sauf dans les temps qui suivent immédiatement sa fondation. Au cours de leur existence souvent longue, les unités auxiliaires occupent généralement plusieurs lieux de garnison, dans des provinces parfois très éloignées les unes des autres. Lorsque ces transferts interviennent, il devient difficile de maintenir un lien effectif entre le site de cantonnement et la région de provenance de l’unité. La pratique la plus répandue consiste alors à recourir au recrutement régional, en admettant dans la troupe des recrues issues des contrées voisines de la garnison106. Déterminer l’origine précise de ces individus n’est pas chose facile. L’analyse de l’onomastique fournit parfois des indices, mais cette méthode s’avère 102 Tac., Ann., VI, 44, 5. Une autre hypothèse a été avancée par D. Kennedy (cf. KENNEDY [1977], 528, suivi par HERZ [1982], 176-7 et HAYNES [2013], 112) : la création de l’ala Parthorum et Araborum serait liée au transfert du prétendant parthe Vononès en Cilicie en 18 ap. J.-C. Mais cette possibilité est éliminée par WHEELER (2016), 204, qui souligne que Vononès était alors en situation de quasi-captivité. 103 PETERSEN (1966), 68. 104 AE, 1959, 188 : Maris Casiti f(ilius) anno(rum) L / stip(endiorum) XXX ala Part(h)o(rum) et / Araborum turma / Variagnis Masicates / frater et Tigranus / posierunt. AE, 1976, 495 : Antiochus / Antiochi f(ilius) / Parthus Anaz/arbaeus eques / ala(e) Parthorum / et Araborum euo/catus triplicarius / stip(endiorum) X donis don/atus Belesippus / frater posuit. Sur l’onomastique de ces soldats, cf. TRAINA (2013). Maris, Casitus et Masicates portent des noms sémitiques, probablement araméens (Traina rapproche Casitus de l’araméen qšṭ qui signifie « arc » / « archer »). Tigrane a pour sa part un nom arménien, de même (peut-être) que Variagnis. Antiochos et Belessippus sont des noms grecs. Pour TRAINA (2013), 282 tous ces exemples prouveraient que les Romains considéraient les Parthes comme un agrégat de plusieurs peuples et tribus plutôt que comme un groupe ethnique aux contours définissables. Conclusion similaire dans WHEELER (2016), 184. 105 BARRETT (1989), 125-34. 106 CHEESMAN (1914), 79 ; KRAFT (1951), 62-3 ; HAYNES (2013), 121-34.
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surtout efficace pour le Ier s.107. Il est plus sûr de se référer à l’origo lorsque celle-ci est documentée par une inscription. Des études portant sur ces sujets ont été réalisées pour certaines régions de l’imperium, mais il manque encore un travail de synthèse qui traiterait l’ensemble de la documentation d’époque impériale108. La question du recrutement des troupes auxiliaires pose en outre un problème d’interprétation fondamental : les Romains ont-ils voulu maintenir l’homogénéité de certaines unités de manière à préserver leurs qualités martiales, ou bien ont-ils au contraire cherché à casser les solidarités naturelles afin d’éviter les risques de soulèvement109 ? Avant toute chose, il est nécessaire de souligner que, dès l’époque julio-claudienne, les unités auxiliaires de l’Empire sont pour la plupart déjà acquises à la logique d’un recrutement diversifié. Comme nous venons de le voir, cette évolution est liée à la mise en place progressive d’un dilectus régulier dans la plupart des régions provincialisées. La conscription se distingue de la méthode ancienne d’enrôlement, qui consistait à réclamer un contingent défini aux puissances alliées, en laissant à ces dernières le soin de procéder à la levée effective110. Elle fait intervenir des agents recruteurs (dilectatores) et se fonde sur des documents censoriaux élaborés dans chaque province111 ou sur des inventaires plus limités, à l’image du census des Anauionenses dont une tablette de 107 La circulation des soldats dans tout le bassin méditerranéen a produit des phénomènes de mode à l’échelle de l’Empire, ce qui rend toute tentative de déduction délicate : ibid., 101. 108 On pense en particulier à l’étude pionnière de K. Kraft sur les provinces rhénanes et danubiennes : KRAFT (1951). Le travail a été étendu à l’ensemble des régions occidentales de l’Empire par S. Gallet dans une thèse de doctorat inédite (GALLET [2012]), mais celle-ci comporte de nombreuses erreurs, lacunes et approximations. Des études plus locales ont aussi été réalisées : voir par exemple BENSEDDIK (1982), 87-98 pour la Maurétanie Césarienne et LE BOHEC (1989b), 172-6 pour l’Afrique proconsulaire. 109 Cette dernière hypothèse est encore soutenue aujourd’hui par plusieurs savants : BENSEDDIK (1982), 91 ; RENOUX (2006), I, 38 ; GALLET (2012), 90. Contra CHEESMAN (1914), 67-8. 110 Cf. supra, p. 73-4. L’application de ce procédé dans des régions habituées à organiser librement les opérations de recrutement et à servir localement sous le commandement de chefs nationaux est parfois à l’origine de graves tensions. Elle est la cause principale du soulèvement des tribus thraces en 26 ap. J.-C. Tac., Ann., IV, 46, 1-2 souligne que les Thraces craignaient d’être mêlés à d’autres soldats et séparés de leur terre d’origine : Causa motus, super hominum ingenium, quod pati dilectus et ualidissimum quemque militiae nostrae dare aspernabantur, ne regibus quidem parere nisi ex libidine soliti aut, si mitterent auxilia, suos ductores praeficere nec nisi aduersum accolas belligerare. Ac tum rumor incesserat fore ut disiecti aliisque nationibus permixti diuersas in terras traherentur. 111 On pense en particulier au census gaulois de 27 av. J.-C. (Liv., Per., 134 ; Cass. Dio, LIII, 22, 5). Pour un inventaire complet des census provinciaux, cf. BRUNT (1981), 171-2. Auguste peut déterminer, peu avant sa mort, combien d’auxiliaires servent dans
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Vindolanda nous permet de connaître l’existence112. Il est fort probable que dans la majorité des cas, de la même manière qu’avec les troupes citoyennes, les autorités romaines se soient contentées du volontariat, ce qui permettait aux pérégrins les plus humbles de faire carrière dans l’armée113. Mais la levée autoritaire est aussi attestée. La correspondance de Pline révèle bien cette diversité des formes de recrutement : elle montre que les corps de troupes de l’armée impériale (numeri) sont susceptibles d’accueillir des volontaires (uoluntarii), des conscrits (lecti) ou bien des individus payés par ces derniers pour les remplacer (uicarii)114. L’analyse des nombreuses inscriptions laissées par des cavaliers d’aile permet de se rendre compte de la perte progressive du caractère ethnique des unités régulières sous le Haut-Empire115. À l’époque julio-claudienne, les equites servant dans des unités fondées dans leur région d’origine sont déjà minoritaires : on en compte vingt-quatre contre trente-huit issus de contrées différentes. Curieusement, le corps des officiers subalternes semble moins mobile : sept décurions servent dans des régiments levés dans leur patrie116 ; les six autres dont l’origine est renseignée viennent d’ailleurs117 ; chez les principales, sept soldats appartiennent à la première
l’armée romaine, ce qui implique l’existence, dès cette époque, de registres précis : cf. Tac., Ann., I, 11, 4. 112 Tab. Vindol., III, 611 : censitor Brittonum Anauion[ensium]. 113 FORNI (1953), 28-9 (avec références). 114 Plin., Ep., X, 30 : Refert autem uoluntarii se obtulerint an lecti sint uel etiam uicarii dati. Lecti si sunt, inquisitio peccauit ; si uicarii dati, penes eos culpa est qui dederunt ; si ipsi, cum haberent condicionis suae conscientiam, uenerunt, animaduertendum in illos erit. Neque enim multum interest quod nondum per numeros distributi sunt. Ille enim dies, quo primum probati sunt, ueritatem ab his originis suae exegit. Sur cette procédure, voir SHERWIN-WHITE (1966), 598-602. On s’accorde le plus souvent pour dire qu’il est ici question de soldats auxiliaires, e.g. FORNI (1953), 29, n. 2 (voir cependant BRUNT [1974], 102). Le procédé consistant à laisser des uicarii remplacer des conscrits est attesté sous la République pour les socii equites : cf. Liv., XXIX, 1, 8. Un pridianum de la cohors I Augusta Lusitanorum daté de 156 ap. J.-C. confirme le recours au volontariat pour les auxilia du Principat, cf. BGU, 696, col. i, l. 31-3 : tirones probati uoluntari a Sempronio Liberalae praef(ecto) Aeg(ypti). 115 Cf. GALLET (2012), dont l’inventaire se limite aux inscriptions trouvées dans la partie occidentale de l’Empire. 116 Ti. Claudius Valerius de l’ala II Hispanorum et Arauacorum (CIL, III, 3252) ; Zanis de l’ala Augusta Ituraeorum (CIL, III, 4371) ; Liccaio de l’ala Pannoniorum I (AE, 1930, 133) ; Scenus et Artius de l’ala Pannoniorum (CIL, III, 4372 et 4376) ; Ti. Iulius Maximus de l’ala Parthorum (CIL, III, 8746) ; Variagnis de l’ala Parthorum et Araborum (AE, 1959, 188). 117 T. Iulius Bellicus de l’ala Asturum II (CIL, III, 15205, 3) ; M. Sempronius de l’ala Gallorum Sebosiana (CIL, XIII, 6236) ; Albanus, Ti. Iulius Reitugenus et Lucanus de l’ala Augusta Ituraeorum (CIL, III, 4368) ; C. Fullonius de l’ala Scubulorum (AE, 1967, 426).
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catégorie118, dix autres à la seconde119. Les simples cavaliers affichent des profils plus divers : parmi trente-deux equites gregales dont l’origo est connue, seulement dix servent dans des unités levées dans leur patrie120. Autrement dit, dès cette époque, l’homogénéité ethnique des unités auxiliaires est déjà sérieusement remise en cause121. Sous les Flaviens, cette tendance se précise. Sur vingt-sept cavaliers, seuls trois servent dans des unités fondées dans leur région d’origine122. Pour la période allant du règne d’Antonin à celui de Commode, nous ne connaissons plus aucun cavalier dont l’origo correspond à l’ethnique de l’unité de rattachement123. Ainsi, comme le note Sébastien Gallet : « En cette deuxième moitié du deuxième siècle de notre ère, les noms ethniques qui désignent les unités n’ont plus vraiment de sens. »124. Pour autant, le localisme n’est pas devenu la règle : un seul castro est connu durant l’époque sévérienne125. S’il fallait identifier une règle générale, celle-ci irait donc plutôt dans le sens d’un pragmatisme absolu. Le plus souvent, les Romains réagissent au cas par cas, en fonction des circonstances locales. Par défaut, un
118 C. Iulius Macer de l’ala Atectorigiana (CIL, XIII, 1041) ; Ti. Iulius Acutus de l’ala Gallorum Pansiana (AE, 1960, 127) ; Ti. Claudius Pint[--]us de l’ala Asturum II (RIU, IV, 1025) ; Talanus et Iora de l’ala I Pannoniorum (AE, 1930, 132 ; AE, 1992, 1881) ; un Ignotus de l’ala Pannoniorum (CIL, III, 4376) ; Antiochus de l’ala Parthorum et Araborum (AE, 1976, 495). 119 Primus de l’ala I Claudia Gallorum Capitoniana (AE, 1967, 425) ; un Ignotus de l’ala Indiana (AE, 1940, 116) ; Amalogver de l’ala I Hispanorum (CIL, III, 3577) ; Cloutius de l’ala Pannoniorum (CIL, III, 2016) ; Dasius de l’ala Pannoniorum I (AE, 1992, 1879) ; Messorius Magnus de l’ala Pannoniorum Sabiniana (CIL, VII, 571) ; Longinus Sdapeze de l’ala I Thracum (RIB, 201) ; Receptus de l’ala Asturum II et Reginus de l’ala Auriana (CIL, III, 14349, 8) ; Antonius Dexter de l’ala I Hamiorum (AE, 1909, 71). 120 Partus de l’ala Gallorum Agrippiana (CIL, XIII, 6235) ; Argiotalus de l’ala Indiana (CIL, XIII, 6230) ; Vellaunus de l’ala Gallorum Longiniana (CIL, XII, 8094) ; Bargathes de l’ala Augusta Ituraeorum (CIL, III, 4371) ; C. Romanius Capito de l’ala Noricorum (CIL, XIII, 7029) ; Bato et Scilus de l’ala Pannoniorum (CIL, III, 4372 et 4377) ; Adbogius de l’ala Rusonis (CIL, XIII, 7031) ; Severus de l’ala Tungrorum (AE, 1994, 1356) ; un ignotus de l’ala Frontoniana (AE, 1931, 30). Voir GALLET (2012), 49-51. 121 Pour nous limiter à deux exemples significatifs, l’ala II Thracum compte dans ses rangs un Biturige servant en Maurétanie Tingitane (CIL, VIII, sup., 21024) et l’ala Bosporanorum un Ubien servant en Mésie inférieure (AE, 1925, 70). 122 Albanius Vitalis de l’ala Indiana (CIL, XII, 8519) ; L. Vitellius Tancinus de l’ala Hispanorum Vettonum (CIL, VII, 52) ; Cosuobnus Priscus de l’ala Gallorum Tauriana (AE, 1922, 14). En revanche, neuf cavaliers servent dans leur province d’origine : ce phénomène témoigne du développement du recrutement régional. Cf. GALLET (2012), 89. 123 Ibid., 148-50. 124 Ibid., 152. 125 Vibius de l’ala I Flauia Numidica (CIL, VIII, 8800 = CIL, VIII, 18023 = AE, 1940, 154). Cf. PICARD (1947), 30.
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régiment qui vient d’être levé sert à proximité de son lieu de recrutement126. Il n’est déplacé que s’il a démérité (c’est alors une punition) ou si les circonstances nécessitent une intervention importante sur un autre secteur (création d’un corps expéditionnaire)127. À partir du moment où des unités changent de garnison, le recrutement régional tend à s’imposer. Parallèlement, certains peuples peuvent se spécialiser dans la fourniture de soldats auxiliaires et envoyer des recrues dans l’ensemble de l’Empire128. Dans sa célèbre étude sur les auxilia du Principat, George Cheesman met bien en valeur ces mécanismes, mais il pointe aussi des exceptions, en particulier dans le cas des cohortes et des alae sagittariorum129. Les Romains considèrent en effet les Orientaux comme les meilleurs archers du monde méditerranéen130 et cette conviction semble avoir justifié une exploitation différenciée des ressources impériales. Sous le Haut-Empire, alors que la majorité des auxiliaires proviennent d’Europe centrale et occidentale, les archers sont massivement levés en Orient : Guillaume Renoux recense trente-et-une unités recrutées en Syrie-ArabiePalestine-Parthie sur un total de quarante-deux131. Le problème est de savoir si, passée la première génération de soldats, les Romains ont cherché à préserver le caractère ethnique de ces unités, même lorsqu’elles étaient déplacées en Occident. La documentation épigraphique d’Intercisa est au cœur du débat. C’est en grande partie sur l’analyse des stèles de ce camp militaire de Pannonie 126
Il existe cependant des exceptions, notamment des cas de recrutement-déportation. Cassius Dion affirme qu’en 175, les Iazyges se soumirent à Marc Aurèle et qu’à cette occasion, 8 000 d’entre eux furent choisis pour servir dans l’armée romaine, dont 5 500 furent envoyés en Bretagne (Cass. Dio, LXXI, 16). La même année, le cursus épigraphique de M. Valerius Maximianus mentionne l’envoi en Syrie d’un contingent de cavaliers recrutés parmi les tribus des Marcomans, des Naristes et des Quades, qui venaient d’être vaincues militairement par l’Empire. Cf. AE, 1956, 124 : praep(osito) equitib(us) gent(ium) Marcomannor(um) Narist(arum) Quador(um) ad uindictam Orientalis motus pergentium. 127 HAYNES (2013), 121-2. 128 GALLET (2012), 90 note que dès l’époque flavienne, la Thrace est utilisée comme vivier de recrutement pour de nombreuses unités, dont certaines servent en Germanie et n’ont jamais stationné en Thrace. Voir aussi ibid., 108. À une date plus tardive, les ostraca de Krokodilô montrent qu’après la provincialisation de la Dacie en 106, de nombreux combattants daces sont envoyés en Égypte où ils servent dans l’ala Vocontiorum auprès de soldats égyptiens et thraces. Cf. CUVIGNY (2005), 3-4 ; 54-8 ; 166. 129 CHEESMAN (1914), 82-4. L’idée figurait déjà dans DOMASZEWSKI (1895), 52. Elle a ensuite été reprise par la plupart des travaux sur les auxilia : VAN DE WEERD & LAMBRECHTS (1938), 234-7 ; KRAFT (1951), 63 ; HOLDER (1980), 121 ; MCALLISTER (1993), 45-6 ; RENOUX (2006), I, 39 ; ȚENTEA (2012), 50 et 84. 130 CHEESMAN (1914), 84. Voir e.g. Arr., Tact., 4, 3-4. 131 RENOUX (2006), I, 37-8.
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supérieure que George Cheesman se fonde pour développer sa théorie de l’exceptionnalisme ethnique des unités d’archers132. Les inscriptions trouvées sur place révèlent la présence, à partir du dernier quart du IIe s., de la cohors I Hemesenorum miliaria Antonina Aurelia sagittariorum equitata ciuium Romanorum, une unité levée dans la région d’Émèse en Syrie133. Les épitaphes des soldats semblent indiquer que cette cohorte mixte conserva un caractère ethnique très affirmé au cours des règnes de Commode et de Septime Sévère, avec le développement d’une véritable colonie syrienne autour d’Intercisa134. Mais cette interprétation ne fait pas l’unanimité. Récemment, Ian Haynes a remis en cause la démonstration de Cheesman135 en repoussant la date d’arrivée de la cohorte émésénienne en Pannonie dans les années 160136 et en proposant une nouvelle interprétation des édifices religieux qui étaient autrefois rattachés à un particularisme syrien137. Everett Wheeler, dans une recension de l’étude de Haynes, s’oppose à ces vues et défend l’opinion traditionnelle. Les Romains auraient bien cherché à conserver un recrutement ethnique dans les unités d’archers orientaux et les remarques de Haynes se fonderaient essentiellement sur des lacunes de la documentation138. L’argumentaire de Wheeler nous semble confirmé par un autre exemple, dont Haynes ne tient pas compte dans sa critique des idées de Cheesman : celui de l’ala I Hamiorum sagittariorum de Tingitane139. Cette unité d’archers montés, initialement constituée de soldats originaires de la cité d’Hama en Syrie, semble bien avoir été alimentée en recrues syriennes pendant au moins un siècle. Elle n’est attestée en Tingitane qu’à partir de l’année 88 mais fut certainement transférée plus tôt dans la province140. Un diplôme de 109 mentionne l’origo Hamia d’un Cf. FITZ (1972). Sur les unités syriennes du limes danubien, voir en dernier lieu ȚENTEA (2012). 133 CICHORIUS (1900), col. 295 ; ȚENTEA (2012), 48-52. 134 Une situation comparable a pu être observée dans le cas de Mayence à l’époque julio-claudienne, où de nombreuses unités orientales sont attestées. Cf. ZIETHEN (1997). 135 HAYNES (2013), chap. 9. 136 Plutôt que dans la décennie 100 comme le voulait Cheesman, ce qui expliquerait la présence de nombreux Orientaux à Intercisa dans le dernier quart du IIe s. mais ne justifierait pas l’idée du maintien d’un recrutement ethnique au-delà d’une génération. Ibid., 136-8. 137 Le temple d’Élagabal, construit en 201 (ILS, 9155), ne serait pas le signe d’une volonté d’affirmation de la communauté syrienne mais témoignerait seulement de l’existence d’une « regimental culture », pérennisant de façon artificielle l’identité de l’unité. Cf. HAYNES (2013), 140-1. 138 WHEELER (2015), 8-10. 139 Unité non référencée dans la RE. Cf. SPAUL (1994), 140-1. 140 CIL, XVI, 159. 132
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vétéran de l’aile, un certain Bargates Zaei f(ilius), dont la femme est syrienne141. Le personnel de l’unité est aussi connu grâce à plusieurs stèles inscrites142. Ces soldats sont bien d’origine « orientale », syriens pour la plupart, mais pas forcément « Hamiens ». Certains sont de Chalcis ad Belum, en Syrie143. D’autres de Kardytos144. D’autres encore portent des noms arabes145. L’une des inscriptions trouvées à Tocolosida évoque un Annius Afrinus Abdatis filius sesquiplicarius alae Hamiorum, ainsi qu’un vétéran arborant le cognomen syrien Monimus146. Son formulaire autorise, selon Christine Hamdoune, une datation du milieu du IIe s.147. Afrinus et Monimus ne peuvent donc être rattachés à la première génération de soldats de l’unité ; ils appartiennent au moins à la troisième, ce qui confirme l’hypothèse du maintien d’un recrutement « national » – soit par l’envoi de recrues provenant directement d’Orient, soit grâce à l’établissement d’une communauté locale d’Orientaux148. Les transferts de soldats ayant servi dans d’autres corps de troupes peuvent aussi être un moyen de maintenir la composante ethnique fondatrice au sein de l’unité : une inscription datant du début du IIIe s. révèle ainsi la 141
CIL, XVI, 161 = IAM2, 235 = AE, 1936, 70. Ces inscriptions sont commodément rassemblées et datées par HAMDOUNE (1997). Voir aussi REBUFFAT (1998), 203-12. 143 IAM2, 81 = ILS, 9144 (Qsar el Kebir) : Valerius Ab/das imaginif(er) / alae Hamioru(m) / Calcidenus an(norum) XXXV / stip(endiorum) XVII h(ic) s(itus) / est Valeri Sabi/nus et Marinus / fratres f(aciendum) c(urauerunt). Selon HAMDOUNE (1997), 147, cette inscription date de l’époque de Trajan ou d’Hadrien (paléographie et formulaire). 144 IAM2, 9 (Tanger) : [---]nius Dex/[ter] sesqu/[plic]arius ala(e) / [I Ha]mi(orum) natione / [Card]utenus(?) an(norum) L / [h(ic) s(itus)] e(st) s(it) t(ibi) t(erra) l(euis) / [---]sius Martia/[lis ?] f(aciendum) c(urauit). [Card]utenus est une lecture proposée par REBUFFAT (1992). Cette origo vient du nom des Cardytenses, attesté par Hécatée (fr. 262 [FHG, I, p. 17] : Καρδυτός) et par Pline (HN, V, 82 : Tardytenses) en Syrie. D’après HAMDOUNE (1997), 145, cette stèle date de l’époque flavienne (paléographie et formulaire). 145 Dans la nécropole de Bou Khachkhach (Tanger) – où l’inscription précédente a été trouvée – les fouilleurs ont aussi découvert une épitaphe de l’époque d’Antonin le Pieux mentionnant deux vétérans dont les noms sont manifestement arabes (Valerius Rohavi et Valerius Cadami) : cf. IAM2, 33. L’identité de leur unité n’est pas indiquée mais une appartenance à l’aile des Hamiens est plus qu’envisageable. Voir SARTRE (1975), 154-6. 146 IAM2, 816 (Bled Takourart / Tocolosida) : Annius Afrinus / Abdatis (sesquiplicarius) al(a)e Ha(miorum) / ann(orum) XLV hic (situs) est / Iulia Cessia uxor / uiro suo bene merito / et Niger Monimus / ueteranus s(uis) imp(ensis) / f(aciendum) c(urauerunt) s(it) t(ibi) t(erra) l(euis). 147 HAMDOUNE (1997), 149. 148 Un diplôme daté de 122 (IAM 239) mentionne un gregalis, M. Antonius Maximus (fils d’Antonius), Syrien de l’ala Gallorum Tauriana c(iuium) R(omanorum). Il est marié à Valeria Messia, fille de Messus. Ce document semble prouver qu’il existait une communauté syrienne implantée en Tingitane, qui était en mesure de fournir des recrues à d’autres unités que l’ala Hamiorum. Voir REBUFFAT (1998), 240-1. 142
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mutation dans l’aile des Hamiens d’un soldat du numerus Germanicianorum (de Germanicia, en Syrie Commagène)149. À partir du règne de Trajan, l’aile des Hamiens prend officiellement le nom d’ala I Hamiorum et Syrorum dans les diplômes militaires150. On peut légitimement s’interroger sur les raisons de ce changement. Procèdet-il d’une volonté de mieux représenter l’origine régionale des Syriens envoyés en Tingitane à titre de supplementa ? L’hypothèse paraît fort tentante. Dans tous les cas, la très grande liberté avec laquelle les autorités impériales recourent aux ethnonymes pour caractériser les corps de troupes auxiliaires et leurs soldats rappelle ce que nous avons vu à propos des alae Parthorum et de la cohorte des Éméséniens : le fait que les « communautés imaginées » sont au cœur des pratiques de recrutement ethnique151. Dans la sphère militaire, cette représentation des gentes externae est avant tout fondée sur des données tactiques empiriques : c’est la maîtrise d’un équipement et de techniques de combat particulières qui fait, aux yeux des Romains, l’identité militaire des Syriens et des Parthes. Cela n’exclut pas le recrutement d’individus allogènes dans ces unités. Les Romains s’assurent juste, lorsqu’ils le peuvent, du maintien d’une composante nationale chargée de faire perdurer une science du combat rattachée de façon essentialiste à l’Orient152.
C. L’approvisionnement en montures : la remonte Afin d’être opérationnels, les cavaliers devaient disposer de montures nombreuses et adaptées au service militaire. De la même manière que les soldats auxiliaires, ces animaux étaient fournis par l’ensemble des provinces impériales et présentaient des caractéristiques diverses, bien 149 HAMDOUNE (1997), 151. Pour l’auteur, cela confirmerait « la permanence du recrutement oriental de cette aile ». 150 CIL, XVI, 73 = IAM2, 239 ; CIL, XVI, 165 = IAM2, 237 ; CIL, XVI, 170 = IAM2, 805. 151 Sur le concept d’« imagined communities », cf. ANDERSON (1983), 5-7. 152 Nous admettons que, passée une certaine date, cette spécialisation ait fini par s’étioler : voir les remarques de KENNEDY (1976), 530 concernant les alae Parthorum. Comme le souligne MCALLISTER (1993), 47 : « As the supply of skilled recruits from the original source dried up, it became more and more difficult to train new members recruited locally to a decent standard. This resulted in the gradual transformation of the character of these units from sagittarii to more conventional auxiliary regiments. » COULSTON (1985), 289 et n. 51 discute en particulier le cas de la stèle de Rufinus, soldat de l’ala I Augusta Parthorum, cf. AE, 1976, 746 (Cherchell / Caesarea, IIe s. ap. J.-C.) : le relief montre un cavalier armé d’une javeline et d’un petit bouclier rond, à la manière des Maures. Sur cette stèle, voir BENSEDDIK (1982), 38-40, fig. 11 et SPEIDEL (1993), 122, fig. 1.
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qu’il soit difficile de déterminer l’existence de véritables « races » de chevaux dans le monde antique153. Il est aujourd’hui admis que les chevaux romains avaient une stature relativement élevée au regard des standards de l’Antiquité. Dans une étude regroupant l’ensemble du matériel ostéologique disponible, Cluny Johnstone note une hauteur moyenne de 135 cm au garrot, sans distinguer les contextes civils des contextes militaires154. Des résultats plus modestes sont obtenus en Germanie libre155 et dans la steppe eurasiatique pour la même période156. Mais la stature des chevaux romains semble inférieure à celle des prestigieuses montures orientales élevées dans la plaine de Nésée, en Médie157. Au regard des critères actuels, la plupart des spécimens connus peuvent être classés dans la catégorie des poneys ou des cobs, mais il convient de souligner que les animaux réservés à l’armée étaient généralement de taille supérieure158. À Krefeld-Gellep / Gelduba (Germanie inférieure), où l’on a retrouvé les restes de 31 chevaux romains tués dans le contexte de la 153 On parlera plutôt de « morphotypes équins » : cf. DEMUR-FURET (2005), 193-213. D’après Opp., Cyn., I, 166 : « Il y a autant de variétés de chevaux que de races d’hommes » (ἵππων δ᾽αἰόλα φῦλα, τόσ᾽ ἔθνεα μυρία φωτῶν). E. Demur-Furet dresse l’inventaire de leurs qualités et de leurs défauts respectifs selon les auteurs gréco-romains : cf. DEMURFURET (2005), 200, tab. 20 et 207, tab. 21. 154 JOHNSTONE (2004), 269, tab. 6.26. 155 LAUWERIER & ROBEERST (2001), 277 : hauteur moyenne de 132 cm pour les établissements situés au nord du limes de Germanie inférieure. Voir Caes., BG, IV, 2, 2 et Tac., Ger., 6, 3. 156 Dans sa récente thèse sur les équidés, C. Willekes se contente de signaler que les chevaux steppiques sont « petits » et que leur constitution les désavantage dans le combat rapproché : WILLEKES (2013), 192-3. L. Bartosiewicz souligne la pauvreté des données ostéologiques pour les peuples nomades de l’Antiquité, à l’exception des Avars dont les nombreuses tombes ont fourni un matériel abondant : « The custom of some of their tribes of burying warriors with their horses, has preserved hundreds of complete horse skeletons in the territories of present-day Austria, Hungary and Slovakia. Most of these mounts were stallions or geldings, on average 135 cm tall at the withers, apparently selected by the practical needs of light cavalry. Their physique, however, also recalls the “oriental” type. In addition to the aforementioned Scythian horses of the Carpathian Basin of similar size, the average withers height of 14 Sarmatian horses was recently also estimated at 134 cm » (BARTOSIEWICZ [2011], 130). Cette estimation de la taille moyenne des chevaux sarmates est fournie par GÁL (2010), 217, Tab. 5. 157 Sur les chevaux néséens : AZZAROLI (1985), 176-9 ; GABRIELLI (2006), 22-8 ; BLAINEAU (2010), 516-7. Voir en particulier la description attribuée à Timothée de Gaza (CHG, II, 124, 15), où ils sont dépeints comme grands et massifs : Νησαῖοι μέγιστοι τὸ σῶμα, ὑγρότατοι, ὑψαύχενες, εὔσαρκοι, εὐπειθεῖς, τοῖς ποσὶ τὴν γῆν κροτοῦντες. Les représentations figurées de chevaux achéménides, parthes et sassanides montrent des animaux à la musculature très développée, dont la morphologie devait se prêter au port de lourdes charges : WILLEKES (2013), 217-25. M. Gabrielli pense que les chevaux néséens mesuraient entre 148 et 150 cm au garrot, mais il s’agit d’une pure conjecture. 158 Voir DAVISON (1989), I, 143-8 ; HYLAND (1990), 66-70 ; JUNKLEMANN (1990), I, 36-48 ; DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 165-73.
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révolte batave de 69 ap. J.-C., la moyenne est de 146 cm au garrot159. Sur le site de Didymoi (désert oriental égyptien), à l’autre extrémité de l’Empire, elle est de 142 cm160. Il n’y a donc nul lieu de penser que les cavaliers romains étaient désavantagés par rapport à leurs ennemis dans ce domaine161. Au contraire, l’un des grands apports des recherches récentes en zooarchéologie est d’avoir montré que la conquête romaine s’est partout accompagnée d’une augmentation générale de la taille des équidés. En Gaule, Rose-Marie Arbogast et Patrice Méniel notent que les chevaux de l’époque gallo-romaine sont généralement plus grands et plus robustes que ceux de La Tène finale162. Joris Peters parvient à la même conclusion dans son étude sur les régions rhéno-danubiennes163, de même que Sándor Bökönyi concernant l’Europe centrale et orientale164. Cluny Johnstone confirme cette tendance pour l’ensemble des provinces annexées par les Romains, à l’exception de la Bretagne, qui connaît un décollage plus tardif165. Elle met aussi en évidence des variantes régionales : les chevaux de la péninsule italienne sont les plus grands (138 cm), suivis des chevaux rhénans et danubiens (136 cm). Viennent ensuite la Gaule (134 cm), l’Égypte (132 cm) et la Bretagne (131 cm)166. Ces disparités suggèrent des continuités avec les situations locales antérieures, certainement liées à l’exploitation des stocks indigènes, même si les Romains parviennent à augmenter les tailles grâce à des pratiques d’élevage sélectif et à des importations167. NOBIS (1973), 251. CUVIGNY (2012), I, 171-2. On peut encore mentionner les données ostéologiques du Mons Claudianus : entre 140 et 142 cm au garrot. Cf. HAMILTON-DYER (2001), tab. 9.8. 161 D’après JOHNSTONE (2004), 369, la taille moyenne des chevaux « externes » (i.e. dont les ossements ont été retrouvés à l’extérieur de l’Empire, le plus souvent à proximité des confins militaires romains, et dans des contextes archéologiques datés) est de 128 cm au garrot, soit 7 cm de moins que la moyenne romaine. 162 ARBOGAST (2002), 44-5. 163 PETERS (1998), 148-59 et tab. 19. L’auteur note que la taille des chevaux décroît durant l’époque laténienne en raison, estime-t-il, du surpâturage et de la quasi-absence de sélection, avant d’augmenter à nouveau à l’époque romaine. 164 BÖKÖNYI (1974), 262-6. 165 JOHNSTONE (2004), 288 : « There are differences between the heights of the horses in the Iron Age in comparison with the Roman periods in the same regions, and this height increase occurs soon after the Roman conquest (with the exception of Britain, where it occurs later). » Les chevaux romains ont aussi une morphologie moins gracile que leurs prédécesseurs de l’âge du Fer, cf. ibid., 369. 166 Ibid., 269, tab. 6.26. 167 Ibid., 419 : « The degree of regionality indicated by the current dataset suggests that horse breeding was carried out throughout the Empire and that local stock was used in many instances, perhaps with limited importation of stallions to improve the stock. » 159 160
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À l’époque d’Hadrien, l’armée impériale doit acquérir chaque année plusieurs milliers de montures afin de remplacer les animaux blessés, malades, trop âgés, ou en vue d’équiper les nouvelles recrues. Jusqu’à la fin de l’époque républicaine, la pratique la plus répandue consiste à laisser aux alliés la responsabilité d’acquérir leurs propres chevaux168. Mais la mise en place de la cavalerie auxiliaire permanente rend une telle méthode obsolète et confronte les Romains à un dilemme : faut-il recourir massivement au secteur privé ou instituer un système de fermes d’élevage publiques169 ? Cluny Johnstone soutient que, sous le Haut-Empire, les chevaux de l’armée étaient majoritairement fournis par des sources locales et privées170. Cette idée nous semble confirmée par un passage de l’Histoire romaine de Cassius Dion, dans lequel Mécène propose à Auguste d’interdire les jeux du cirque hors de la capitale, de manière à ce que « les soldats aient sans réserve les meilleurs chevaux à leur disposition »171. Une telle suggestion eût été absurde s’il avait existé un réseau d’établissements contrôlés par l’État, à même de fournir l’exercitus172. Dans les faits, plusieurs voies d’approvisionnement coexistent sous le Haut-Empire173. L’armée achète le plus souvent des chevaux aux éleveurs installés à proximité des garnisons. Maaike Groot analyse l’exemple de deux établissements ruraux situés le long du Waal, dans la ciuitas Batauorum, à proximité des camps de Germanie inférieure174. Sur ces terres fertiles, régulièrement inondées par les eaux fluviales, de nombreux pâturages sont attestés. Entre 50 av. J.-C. et 270 ap. J.-C., la part des ossements équins augmente beaucoup, passant de 6% à 31%, alors que la proportion des ossements de mouton décroît. Les restes sont généralement ceux de jeunes poulains, ce qui laisse supposer que les bêtes étaient commercialisées lorsqu’elles atteignaient l’âge adulte. Des bâtiments correspondant à des écuries ont été découverts, ainsi que des décorations de harnachement. Sur le site de Geldermalsen, ces artéfacts militaires indiquent que le propriétaire de l’élevage était un vétéran, qui connaissait certainement les besoins de l’armée et avait peut-être orienté sa HARMAND (1967), 197-8. L’existence de telles fermes est bien attestée dans l’Empire tardif, cf. infra, p. 567. 170 JOHNSTONE (2004), 138. 171 Cass. Dio, LII, 30, 7-8. 172 Contra DAVIES (1969a), 453 : « it seems all the more probable that at least a reasonable proportion [of remounts] will have come from Imperial stud farms in the Principate ». Mais l’auteur n’apporte aucun argument décisif à l’appui de cette hypothèse. 173 Cf. HYLAND (1990), 77 et (1993), 27-8. 174 Il s’agit des sites de Geldermalsen-Hondsgemet et Tiel-Passewaaijse Hogeweg : cf. GROOT (2008) et (2011). 168 169
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production dans le sens d’une spécialisation équine au cours de la seconde moitié du Ier s.175. Les commissaires chargés de l’approvisionnement des garnisons frontalières recourent aussi, de façon plus exceptionnelle, à des réquisitions publiques au sein des provinces. Lors des guerres, des montures sont généralement prélevées dans l’arrière-pays du secteur d’opération. Tacite souligne ainsi qu’à l’issue des campagnes germaniques du début du règne de Tibère, les Gaules sont « épuisées de fournir des chevaux »176. En cas d’urgence, ces réquisitions peuvent cependant être étendues aux régions de l’intérieur de l’Empire177. Elles sont parfois présentées comme volontaires. Lors de la guerre civile de 69, les habitants de Cologne, les Trévires et les Lingons soutiennent Vitellius et lui donnent des chevaux178. Mais dans le courant du IIIe s., avec l’institutionnalisation des armées centrales, l’expédient semble devenir la norme et la mise à contribution des civils accompagne de plus en plus les déplacements du comitatus impérial et la préparation des expéditions menées contre des ennemis extérieurs179. En sus de ces modes d’approvisionnement, l’armée romaine peut s’appuyer sur les contributions des peuples amis et alliés de Rome180, ainsi que sur les tributs réclamés aux puissances vaincues181. Les chevaux constituent aussi souvent une part importante du butin directement prélevé par les soldats à la suite de leurs victoires en rase campagne ou d’opérations de pillage182. 175
Ibid., 215. Le fait que ces établissements aient privilégié la production d’orge par rapport à d’autres céréales renforce cette hypothèse : cf. VOSSEN & GROOT (2009). 176 Tac., Ann., II, 5, 3 : fessas Gallias ministrandis equis. 177 Après la campagne de 15 ap. J.-C. en Germanie, les Gaules, les Hispanies et l’Italie fournissent des armes, des chevaux et de l’or pour réparer les pertes essuyées par les Romains : Tac., Ann., I, 71, 2. 178 Id., Hist., I, 57, 2. 179 Lors du séjour de Caracalla en Égypte en 215-216, l’armée procède à des réquisitions de dromadaires. Cf. Chrest. Wilck., 245 = BGU, 266 (avec DAVIES [1969a], 433). En 297-298, la campagne militaire de Dioclétien en Égypte est l’occasion de nombreuses réquisitions, mais les P. Beatty Panop. 1 et 2 ne mentionnent pas de chevaux spécifiquement. Voir ADAMS (2007). 180 Pour des exemples tardifs, cf. NECHAEVA (2014), 195-204 et 249-51. 181 E.g. Cass. Dio, LXXI, 11, 2 (règne de Marc Aurèle) : « Les Quades, demandant la paix, l’obtinrent, à la condition de se séparer des Marcomans, et aussi parce qu’ils donnèrent beaucoup de chevaux et de bœufs » (οἱ δὲ εἰρήνην αἰτούμενοι, ὥσπερ οἱ Κούαδοι, καὶ ἔτυχόν γε αὐτῆς, ἵνα τε ἀπὸ τῶν Μαρκομάνων ἀποσπασθῶσι, καὶ ὅτι ἵππους καὶ βοῦς πολλὰς ἔδωκαν). Voir aussi HA, Aur., 26, 9. 182 Au terme de ses campagnes en Thrace contre les Goths, Aurélien compte, parmi les dépouilles prises à l’ennemi, de nombreux chevaux et juments (ibid., 10, 2). Des raids peuvent également être organisés en territoire barbare par des garnisons frontalières pour capturer des montures. Un pridianum de la coh. I Hispanorum ueterana mentionne un ou
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Il n’existe pas sous le Haut-Empire d’organisation centrale chargée de prendre en charge la remonte de l’armée183 : les unités sont responsables de l’acquisition de leurs propres animaux, mais le tout semble supervisé par les bureaux du gouverneur184. Les archives de Doura Europos révèlent ainsi que dans la première moitié du IIIe s., le légat de Syrie-Coelé est directement consulté pour ces questions. Une lettre datée de l’année 208 et adressée au commandant de la cohors XX Palmyrenorum sagittariorum equitata contient une liste des chevaux assignés et de leurs nouveaux propriétaires185. Dans cette missive, le gouverneur demande à son correspondant d’agir « conformément à la procédure » (ut mos), ce qui laisse entrevoir l’existence d’une méthode réglementaire, reposant sur des pratiques bien rodées186. Tout comme les soldats, les remontes font l’objet d’une probatio : elles sont inspectées avant de rentrer dans le circuit militaire187. Les archives de Doura indiquent que ce sont le gouverneur et d’autres officiers de haut rang (duces, préfets) qui se chargent de cette inspection188. Dans la plupart des cas, la procédure est certainement déléguée à des fonctionnaires spécialisés. Au IVe s., il s’agit des stratores189, placés sous la direction d’un archistrator qui dépend lui-même du comes stabuli, responsable de l’approvisionnement en chevaux de l’armée palatine190. Mais cette organisation n’existe pas encore sous le Haut-Empire et il est difficile de savoir qui remplit cette fonction dans la première plusieurs cavaliers détachés trans er r[e]m equatum (P. Lond., 2851, col. ii, l. 20). Fink dans RMR, 63 traduit : « across the Erar? (river?) to get horses ». 183 Sur la remonte, voir DAVIES (1969a) et MÉA (2014), 197-201. Concernant le cas de la cohors XX Palmyrenorum à Doura, il faut aussi se référer à GILLIAM (1950) et JAMES (2004), 66. 184 Cette compétence a peut-être à voir avec la prescription impériale qui stipulait que les chevaux assignés à l’armée ne pouvaient quitter leur province de rattachement, cf. Dig., XLIX, 16, 12 (Paternus) : equum militarem extra prouinciam duci non permittere. 185 P. Dura, 56 = RMR, 99. Cette lettre faisait manifestement partie d’un rouleau rassemblant les missives liées à la question de l’assignation des chevaux. Cf. DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 148. Selon JAMES (2004), 66, le P. Dura, 58 appartiendrait à la même catégorie de documents. Un autre rouleau découvert à Doura porte la mention epistulae equorum (P. Dura, 130A), mais son contenu est perdu. 186 Cette procédure nécessite que l’unité tienne ses rôles à jour afin d’être en mesure de signaler le nombre d’animaux manquants à l’officium du gouverneur. Un papyrus datant de 251 (P. Dura, 97 = RMR, 83) liste les soldats qui ont perdu leurs chevaux et ceux qui en ont obtenu de nouveaux. P. Southern suppose que ce type de liste pouvait servir à réclamer des animaux de remplacement : cf. DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 148. 187 Cf. P. Dura, 56A : ecum quadrimum rus[seum]… probatum a me. On retrouve probablement ce type de formulation dans un papyrus daté de 139 (ChLA, IX, 397 = RMR, 75) : equ[i probati ab] Auidio Heliodoro Pra[ef(ecto) Aegypti]. 188 DAVIES (1969a), 449-51. 189 Amm., XXIX, 3, 5. 190 JONES (1964), 372-3. Cf. CTh., VI, 31, 1.
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moitié du IIIe s.191. De nombreux stratores sont attestés dans les inscriptions et l’on suppose généralement qu’ils assurent dès les premiers siècles de notre ère la mission qui sera la leur dans l’Antiquité tardive192. Aucun témoignage ne permet pourtant d’en avoir le cœur net193.
191 En 219, un état d’effectif mentionne un soldat absent car ad equm prob (P. Dura 100, 38, 17). Cet homme, Saedus (fils de ?) Magdaeus, a servi 26 ans dans la cohorte et devait avoir l’expérience requise pour mener ce type d’inspection. Un autre papyrus de 216 contient une information similaire (P. Dura, 66, 42, 12 : [---] equum sibi probandum). Cependant, on ignore si les soldats comme Saedus étaient réellement détachés auprès des bureaux du gouverneur pour s’occuper de la probatio ou s’ils ne remplissaient pas plutôt une mission exceptionnelle (trouver rapidement des remontes à proximité de la garnison en temps de guerre ?). GILLIAM (1950), 200-1 opte pour la première possibilité. DAVIES (1969a), 452 pense au contraire que ces soldats n’avaient rien à voir avec la probatio : il s’agissait juste d’hommes que le commandant envoyait récupérer les chevaux approuvés par le gouverneur ou le dux. Saedus serait ad equum prob(atum) et non ad equum prob(andum). Le texte bien conservé du papyrus de 216 rend cette hypothèse peu attractive. Cependant, il n’est pas à exclure que les cavaliers en question aient été détachés pour inspecter eux-mêmes des montures déjà approuvées par l’officium du légat ou du dux, afin de décider s’ils acceptaient de verser la caution de 125 deniers, une somme non négligeable qu’un soldat n’aurait certainement pas cédée sans garantie. 192 Ibid., 451-2 ; SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 157 ; MÉA (2014), 257. Sur les stratores en général : LAMMERT, s.v. « Strator », dans RE, IV.A.1, col. 329-30 ; SPEIDEL (1978), passim. P. Southern pense que le titre mal connu d’equisio / equiso pourrait aussi avoir un lien avec la remonte. Cf. ThLL, s.v. equisio / equiso. Le mot désigne précisément un serviteur chargé de s’occuper des chevaux de son maître. Cette fonction apparaît dans deux inscriptions. L’une provenant de Vindolanda évoque l’equisio du gouverneur de Bretagne, equisio consularis (Tab. Vindol., II, 310). L’autre, trouvée près d’Aquincum, est une dédicace des equisiones du préfet de la legio II Adiutrix pour le salut de ce dernier (CIL, III, 13370). À la différence des stratores, les equisiones ne sont pas des citoyens romains : il s’agit d’esclaves ou de pérégrins (voir CIL, VI, 7607 et 33777). Leur fonction a-t-elle un lien avec celle de l’affranchi égyptien qui se vante d’avoir voyagé dans de nombreuses contrées d’élevage équin (ἱππόβοτον ἄστε᾽) pour le compte (?) du préfet de l’ala ueterana Gallica (SEG, VIII, 375) ? SHERK (1964), 303 fait de ce personnage un strator, mais son profil correspond davantage à celui des equisiones susmentionnés. 193 LE BOHEC (1996b), 315-7 recense les inscriptions latines et grecques mentionnant des stratores. Il souligne qu’il existait des stratores du préfet du prétoire, des stratores consularis, des stratores officii consularis, des stratores legati legionis, des stratores praefecti alae (IGRRP, III, 1094) et des stratores praefecti cohortis (CIL, XIII, 7792). Les inscriptions CIL, XIII, 8203 (Cologne) et AE, 1935, 100 (Deutz) indiquent qu’un centurion légionnaire pouvait exercer un double commandement sur des stratores et des pedites singulares consularis (voir SPEIDEL [1978], 27). Les stratores consularis étaient donc probablement les légionnaires de la garde du gouverneur, alors que les pedites singulares étaient fournis par les unités auxiliaires de la province. On pense alors aux 200 σωματοφύλακες « issus des légions », mentionnés par Arr., Acies, 22. L’hypothèse la plus plausible est que ces gardes en vinrent à prendre en charge des fonctions administratives liées à la remonte, mais à quelle époque ? Sous le Haut-Empire, ils étaient certainement trop nombreux pour s’être tous consacrés à cette tâche. Un laterculus de la legio VII Claudia Pia Fidelis, daté de 195, en recense plus que de cavaliers légionnaires (CIL, III, 14507 : six ou sept stratores contre trois equites).
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En attendant d’être définitivement attribués aux soldats et enregistrés (signati), les chevaux sont stockés dans des dépôts de remonte, dressés et entraînés. Si l’on suit Xénophon, l’entraînement d’une monture militaire comprend des exercices de saut, des parcours en terrain difficile et à différentes allures194. Virgile ajoute qu’à trois ans révolus, le cheval doit être accoutumé au vacarme de la guerre et à la vue des combats (primus equi labor est animos atque arma uidere bellantum lituosque pati) ; il doit apprendre à se soumettre au contrôle du cavalier et à tourner en rond (carpere gyrum / sinuere alterna crurum), à des allures douces comme au galop195. L’hippiatre militaire Apsyrtos apporte, dans une lettre adressée à un légionnaire, des informations concordantes : « Apsyrtos à Getulius Severus de la VIIe légion, salut. Toi qui es excellent cavalier, il est nécessaire que tu connaisses le dressage des jeunes chevaux. Lorsque le poulain a deux ans, on l’emmène hors du troupeau et on le dresse, de préférence chaque jour, sinon tous les deux jours. Quand il est devenu docile et habitué au cavalier, on l’instruit, le faisant progresser peu à peu par des exercices faciles, jusqu’à l’âge de trois ans. À partir de cet âge, on lui en demande plus, en l’exerçant et en lui imposant davantage avec le temps jusqu’à ce qu’il ait au moins six ans. Alors, il ne faut pas arrêter les exercices ni les efforts, sachant qu’il sera un cheval de guerre et devra être capable de résister longtemps dans les travaux de la guerre. Le terrain ne doit pas avoir un sol trop profond pour le poulain qui s’entraîne et surtout le très jeune poulain. En effet, il arrive facilement que, dans les canons, les tendons s’écartent, et qu’ainsi les paturons touchent terre. Si cela se produit, le cheval devient boiteux. Il est inutile d’entraîner un cheval aux pieds tendres et de guerroyer avec lui. Dans les combats, il ne peut s’échapper facilement parce qu’il a mal aux pieds et ainsi le cavalier ne peut se mettre à l’abri du danger. De même, les chevaux hostiles aux autres sont sources de problèmes. » (trad. D. Ménard modifiée)196.
Toutes ces étapes de formation du bellator equus supposent une infrastructure minimale : des dépôts mais aussi des carrières ou des manèges, à l’image du gyros fouillé sur le site de The Lunt197 ou de la basilica equestris exercitatoria mentionnée dans une inscription de Netherby198. Une stèle de Maurétanie césarienne montre que les Romains habituaient 194
Xen., Peri Hipp., 3, 7. Verg., Georg., III, 179-208. 196 CHG, I, 375-6 = Hipp. Berol., 116. 197 Il ne s’agit pas d’un terrain destiné aux exercices de cavalerie proprement dits mais plutôt d’un simple rond de longe utilisé pour le débourrage des chevaux. Cf. HOBLEY (1969) et DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 116-7, fig. 56. 198 RIB, 978 (222 ap. J.-C.). Cet avant-poste du mur d’Hadrien abritait la cohors I Aelia Hispanorum miliaria equitata. Voir aussi Tab. Vindon., 43 : Dabis An(n)io Luciano, qui est in gir(o) ece(stri). 195
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les montures militaires aux voltes et aux changements de main par la pratique d’un exercice proche du moderne huit-de-chiffre199. Le détail des autres épreuves constitutives de cette formation nous échappe, mais les sources littéraires suggèrent que les bêtes étaient entraînées à nager200, à se coucher sur ordre201, ou encore à rester sur place et à attendre leur maître lorsque celui-ci avait démonté pour combattre à pied202.
199 CIL, VIII, 21034. Cf. SPEIDEL (1996) et LASSÈRE dans LE BOHEC (2003), 94, n. 46. Il s’agit de l’exercice décrit sous le nom d’« entrave allongée » (ἑτερομήκης πέδη) par Xen., Peri Hipp., 7, 14. 200 Ps.-Caes., BAlex., 29, 4 ; Tac., Agr., 18, 5 ; Hist., IV, 12, 3 ; Ann., XIV, 29, 3 ; Veg., Mil., I, 10, 4 et III, 7, 6 ; CIL, III, 3676 = ILS, 2558. Cf. HORSMANN (1991), 127-32 ; SPEIDEL (1991) et (1994a), 122-3. 201 Cass. Dio, XLIX, 30, 4. 202 Voir les exemples cités supra, p. 35 et s. Pour les Germains, cf. Caes., BG, IV, 2, 3.
CHAPITRE 2 LA PLACE DE LA CAVALERIE DANS LA « GRANDE STRATÉGIE IMPÉRIALE »
Le choix de parler de « grande stratégie » pour qualifier les décisions militaires prises par les plus hautes autorités de l’Empire à une échelle outrepassant le cadre limité d’une guerre pourra sembler provocateur. Depuis la publication de The Grand Strategy of the Roman Empire par Edward Luttwak en 1976, les débats autour de cette notion n’ont cessé d’opposer les partisans d’une représentation « moderniste » de l’outil militaire romain aux tenants d’une conception « primitiviste »1. La question centrale est de savoir si l’Empire romain avait la volonté et les moyens de coordonner ses ressources militaires – et secondairement ses ressources diplomatiques, économiques, fiscales, démographiques – dans la réalisation des objectifs politiques de la guerre2. Se pose ici le problème de la planification et du temps long, bien que les spécialistes et notamment les partisans d’une grande stratégie romaine soient souvent fort en peine de définir ce qu’il convient d’entendre par « long terme »3. L’un des arguments les plus fréquemment opposés à Luttwak et ses épigones concerne les moyens : selon Benjamin Isaac, les Romains ne 1 LUTTWAK (1976). De nombreux historiens, sans souscrire à l’ensemble des thèses défendues par Luttwak, sont favorables à sa méthode et n’hésitent pas à parler de grande stratégie pour l’Empire romain : voir FERRILL (1986), chap. 2 ; ID. (1991) ; WHEELER (1993) ; LAEDERICH (2001) ; KAGAN (2006) ; LORETO (2006), 62-92. D’autres savants sont fondamentalement hostiles à sa démarche : voir MANN (1979) ; MILLAR (1982) ; ISAAC (1990, 1992 2e éd.) ; WHITTAKER (1994) et (2004) ; MATTERN (1999). 2 Nous faisons nôtre la définition de B. Liddell Hart, cf. LIDDELL HART (1941, 1998 trad. fr.), 394 : « Le rôle de la grande stratégie consiste […] à coordonner et diriger toutes les ressources de la nation ou de la coalition afin d’atteindre l’objet politique de la guerre, but défini par la politique fondamentale. » 3 Voir BEAUFRE (1963), 24-5 ; WHEELER (1993), 216 ; GOLDSWORTHY dans SABIN ET AL. (2007), II, 77. Le problème est écarté par K. Kagan qui estime que la grande stratégie réside avant tout dans le principe de répartition des ressources de l’État entre les différents objectifs politiques et militaires. Cf. KAGAN (2006), 362 : « To say that the Roman Empire had no grand strategy because it had no long-term plan is to define the concept incorrectly and condemn the field of grand strategy for all time – virtually no modern states have adhered to plans for periods lasting more than a few decades at a time, periods that historians of Rome will rarely consider “long-term”. »
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disposaient pas des outils de l’analyse stratégique moderne, ce qui aurait constitué un frein au développement d’une appréciation globale de la situation militaire de l’Empire4. Cette objection nous semble dans une large mesure déplacée. Comme le rappelle à juste titre Everett Wheeler : « the case for the non-existence of Roman strategy based on the apparent absence of a government bureau for strategic planning is essentially an argument from silence, coupled with tunnel vision on what strategy must be. »5. La conviction qu’il n’y aurait de grande stratégie que moderne est d’ailleurs contredite par l’inventeur du concept lui-même, Sir Basil Liddell Hart, qui n’hésitait pas à inclure l’Empire romain d’Orient dans sa liste d’exemples, en affirmant que sa politique de guerre « conservatrice » expliquait sa « longévité exceptionnelle »6. Le but de ce chapitre n’est pas de relancer ce débat ni de discuter dans le détail les positions de Luttwak : les thématiques abordées offrent un angle d’analyse beaucoup trop réducteur pour permettre de tirer des conclusions d’ensemble sur un sujet aussi vaste. Si nous faisons le choix de parler de grande stratégie, c’est surtout afin de nous livrer à des observations dépassant le cadre de conflits circonstanciés, et dans le dessein de restituer leur rationnalité aux choix opérés par les instances dirigeantes de l’Empire concernant les effectifs, la répartition et la mobilisation des unités de cavalerie, en temps de guerre comme en temps de paix.
4 ISAAC (1990, 1992 2e éd.), chap. ix, notamment p. 416. La réticence à user de catégories analytiques modernes au nom d’un minimalisme dogmatique peut sembler curieuse chez cet auteur qui n’hésite pas, dans un ouvrage plus récent, à affirmer que le racisme existait dans l’Antiquité (cf. ID. [2006]). Faudrait-il alors parler de « proto-grande stratégie » tout comme l’on devrait parler de « proto-racisme » ? Rétorquera-t-on à Isaac que, de même qu’ils n’avaient ni frontières scientifiques ni cartes d’état-major (et encore ce dernier point a-il été récemment discuté, cf. HÄNGER [2001], 189-91 et 222-4), les Romains ignoraient la théorie de l’évolution et les justifications biologiques du racisme contemporain ? 5 WHEELER (1993), 218. 6 LIDDELL HART (1941, 1998 trad. fr.), 429. Liddell Hart connaissait relativement bien l’Antiquité classique (son premier livre portait sur le rôle de Scipion l’Africain durant la deuxième guerre punique) et n’ignorait pas que les moyens de l’Empire romain n’étaient pas ceux de l’Empire britannique du XXe s. Il n’éprouvait cependant aucune réticence à admettre que les Romains étaient capables, avec des moyens limités, de penser la stratégie de l’Empire sur une grande échelle.
LA CAVALERIE DANS LA « GRANDE STRATÉGIE IMPÉRIALE »
I – ÉVOLUTION DES
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EFFECTIFS
ET RÉPARTITION DES CORPS DE TROUPES
La question de l’importance des effectifs et de leur répartition géographique constitue le point de départ de toute discussion portant sur la grande stratégie7. Afin de garantir l’hégémonie romaine, perçue comme la condition indispensable de la sécurité de l’Empire8 et de la légitimité impériale – elle-même garantie de la paix civile – l’armée romaine est organisée et déployée suivant une logique tenant compte des contraintes, politiques, démographiques, géographiques et environnementales. Les différents secteurs militaires de l’Empire ne sont pas appréhendés de manière purement indépendante, comme le suggèrent l’existence d’archives centrales et les mouvements de troupes planifiés au plus haut niveau9.
A. L’organisation et les effectifs de la cavalerie aux frontières Tout calcul des effectifs de la cavalerie impériale doit nécessairement débuter par une analyse de l’organisation des unités, car c’est en se fondant sur l’inventaire de régiments dotés d’une structure régulière que 7 Comme le souligne à juste titre KAGAN (2006), 346 cette réalité a été occultée par la tendance du débat à se focaliser sur la question des frontières, intéressant au premier plan les spécialistes des Limesforschungen qui ont été à l’avant-garde de l’offensive antiLuttwak. 8 Cette donnée essentielle de la politique étrangère de Rome, que VEYNE (1975) a qualifiée non sans humour d’« isolationnisme agressif », est au cœur de toutes les approches récentes de l’impérialisme romain. Voir principalement HARRIS (1979) pour l’époque républicaine et MATTERN (1999) pour le Haut-Empire. G. Greatrex met toutefois en garde contre une tendance de l’historiographie actuelle à confondre discours idéologique et pratiques réelles, et à prendre trop au sérieux les thuriféraires de l’imperium sine fine : cf. GREATREX (2007), 144-8 (notamment 145 : « Ambitious, even unrealistic, ideologies have frequently co-existed with far more restrained and pragmatic policies. »). 9 GOLDSWORTHY dans SABIN ET AL. (2007), II, 106-8. Voir notamment Tac., Ann., I, 11, 3-4 (libellum recitarique iussit. Opes publicae continebantur, quantum ciuium sociorumque in armis, quot classes, regna, prouinciae, tributa aut uectigalia, et necessitates ac largitiones) ; Amm., XVIII, 5, 1 (iamque ausurus inmania rimabatur tectius rei publicae membra totius et utriusque linguae litteras sciens circa ratiocinia uersabatur, qui uel quarum uirium milites ubi agant uel procinctus tempore quo sint uenturi describens) ; HA, Sev. Alex., 21, 6 (Milites suos sic ubique sciuit, ut in cubiculo haberet breues et numerum et tempora militantum semperque, cum solus esset, et rationes eorum et numerum et dignitates et stipendia recenseret, ut esset ad omnia instructissimus). COSME (2016), 312 souligne que les pridiana, des états d’effectifs rédigés chaque année au sein de chaque unité, étaient « destinés à l’administration centrale romaine, vraisemblablement au bureau a rationibus ».
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LE HAUT-EMPIRE ROMAIN
l’empereur pouvait avoir une idée de l’importance numérique de son armée. Sous le Principat, cinq types d’unités sont constitués, en totalité ou en partie, de cavaliers. Certaines – les ailes – sont de véritables régiments montés, d’autres – les cohortes equitatae – disposent d’un effectif mixte de cavaliers et de fantassins10. Ces unités sont soit quingénaires (environ 500 soldats), soit milliaires (environ 1 000 soldats)11. En sus des corps auxiliaires, chaque légion comprend un contingent de cavaliers. L’organisation interne de ces unités a fait couler beaucoup d’encre et est encore au centre de vives controverses12. Certains spécialistes ont même renoncé à identifier des règles uniformes, en montrant que les exceptions sont nombreuses et que la structure des unités auxiliaires était peut-être plus informelle que celle des unités citoyennes13. Ces exemples ne doivent pas conduire à nier l’existence de modules-types, confirmée d’une part par le traité de castramétation du Pseudo-Hygin, qui nous en donne le détail14, et, d’autre part, par ce que nous savons désormais de
10 Les cohortes equitatae sont attestées dès l’époque augusto-tibérienne, cf. CIL, X, 4862 = ILS, 2690 (cohors Ubiorum peditum et equitum). La raison d’être de ces cohortes était peut-être initialement de permettre le maintien de formes de combat mêlant organiquement cavaliers et fantassins légers au sein d’une même unité (cf. supra, p. 102). Mais leur généralisation à l’échelle de l’empire semble avoir obéi à d’autres impératifs. Dans l’Ordre de bataille contre les Alains, les equites cohortales sont complètement séparés de leurs camarades fantassins en vue de l’engagement. Cf. Arr., Acies, 20. 11 La première unité auxiliaire milliaire apparaît dans une inscription datée des environs de 81 ap. J.-C. (CIL, VI, 31032 = ILS, 1418) : il s’agit de l’ala Flauia miliaria. Cf. BIRLEY (1966), 55. Pour HOLDER (1980), 5-8, c’est à Vespasien que l’on doit la mise en place des unités milliaires. Selon KENNEDY (1985b), Corbulon ferait un meilleur candidat. Tac., Ann., XV, 10, 8 évoque en effet une force de secours envoyée par ce dernier à Paetus en Cappadoce en 62 : expediri tamen itineri singula milia ex tribus legionibus et alarios octingentos, parem numerum e cohortibus iussit. Ce détachement de 800 cavaliers préfigurerait les futures ailes milliaires. Il serait peut-être même à l’origine de l’ala Flauia miliaria. Cette hypothèse nous semble contestable. On trouve dans les sources des groupements de cavaliers supérieurs à 500 soldats bien avant le règne de Néron, sans que cela nous amène à conclure que les ailes milliaires existaient déjà en ces temps réculés (outre les nombreux exemples républicains énumérés supra, p. 93-4, cf. Strab., XVII, 1, 54). Dernièrement, MORIN (2003) est allé jusqu’à supposer que la création des unités milliaires pouvait remonter au règne de Claude, mais sur la base de vagues suppositions et sans le moindre argument décisif. 12 Sur cette question : CHEESMAN (1914), 26-30 ; BREEZE & DOBSON (1976), 154-6 et tab. 12 ; HOLDER (1980), 30-4 ; HASSALL (1983) ; DAVISON (1989), I, 166-8 ; DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 23-30 ; BARTOLONI (1995) ; COELLO (1996), 1-11 ; TOMLIN (1998), 47 ; ROTH (1999), 335-9 ; HODGSON (2003), 86-90 ; HODGSON & BIDWELL (2004), 134-6 ; CUPCEA & MARCU (2006), 185-90 ; COLOMBO (2009). 13 E.g. HAYNES (2013), 70-1. 14 Voir l’édition CUF 1979 de M. Lenoir, dont le commentaire constitue la meilleure introduction au problème.
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l’organisation des camps du Haut-Empire, grâce aux progrès des techniques de fouilles15. Commençons par les unités auxiliaires. Les ailes quingénaires comptaient environ 500 cavaliers, mais leur organisation interne n’est pas précisément connue. Les sources suggèrent 12 à 16 turmes par régiment16, comprenant chacune 30 à 40 cavaliers17. Nous retiendrons ici le total théorique de 496 cavaliers qui correspond au nombre de 16 turmes fourni par le Pseudo-Hygin, en supposant que l’effectif le plus répandu était de 31 soldats par turme, comme chez les equites cohortales. Dans tous les cas, l’effectif de 512 soldats donné par Arrien ne doit pas être considéré comme une donnée valable pour l’armée impériale18 : dans son traité de tactique, le légat de Cappadoce décrit l’ordre de bataille des tacticiens hellénistiques et se borne à dire que l’hipparchie grecque de 512 cavaliers
15 En particulier dans deux domaines. Premièrement, l’analyse chimique des sols a permis de mettre en valeur l’existence, sur plusieurs sites, de baraquements-écuries qui abritaient cavaliers et montures d’une même turme (MÜLLER [1979], 27-31 et 130-4 ; SOMMER [1995] ; HODGSON & BIDWELL [2004]). L’idée selon laquelle les animaux étaient parqués dans des écuries séparées (SIMPSON & RICHMOND [1941], 25-30) a donc pu être abandonnée. D’autre part, les prospections éléctromagnétiques qui se sont généralisées dans les années 2000 ont permis de révéler le plan et l’organisation de nombreux camps auxiliaires construits uniquement en bois et en terre. 16 Le nombre de 16 turmes, fourni par le Ps.-Hygin (De mun. castr., 16), est confirmé par une inscription d’Alexandrie d’Égypte, datée de 199, qui recense 16 décurions dans l’ala ueterana Gallica et l’ala I Thracum Mauretania : CIL, III, 6581 = ILS, 2543. Vingt ans plus tôt, on dénombre pourtant 18 décurions dans le P. Hamb. 39 = RMR, 76 (liste de reçus de l’ala ueterana Gallica). Mais il se peut qu’entre le 9 janvier et le 10 mai 179 (dates du premier et du dernier reçu), certains décurions aient été remplacés. Voir aussi ChLA, XI, 501 : fragment du pridianum de l’ala Commagenorum, daté de l’époque de Claude, qui recense 434 hommes et 12 décurions, ce qui ferait en moyenne 36 cavaliers par turme. Soit, comme le suppose HOLDER (1980), 9, des décurions et des soldats sont absents de cette liste, soit les ailes quingénaires ne comptaient pas nécessairement 16 turmes. La seconde hypothèse n’est pas invraisemblable : les prospections électromagnétiques effectuées récemment pour les forts de Pförring (FASSBINDER ET AL. [2007]) et Weissenburg (PIETSCH ET AL. [2007]) n’ont permis de dénombrer que 12 baraques-écuries (peut-être 13 dans le cas de Pförring), contre 16 à Slăveni (DAVISON [1989], I, 24-5). 17 Le P. Lond. 482 = RMR, 80 (reçu pour le foin de l’ala ueterana Gallica, mai 130) donne un total de 30 cavaliers, décurion exclu. Mais les baraques des forts d’ailes quingénaires ont des dimensions et un nombre de contubernia variables : voir, en plus des références citées supra, SIMPSON & RICHMOND (1941) (Benwell), GECHTER dans REDDÉ ET AL. (2006), 265-6 (Dormagen), KANDLER & STIGLITZ (1997), 76 (Carnuntum IV). Il est fort probable que dans certains cas, l’effectif des turmes ait largement dépassé le nombre 30 cavaliers habituellement associé à cette subdivision tactique. À Dormagen, la baraque fouillée dans le secteur D comptait ainsi 13 contubernia, ce qui laisse supposer un total d’environ 40 cavaliers, comme à Heidenheim. 18 Voir encore dernièrement, COLOMBO (2009), 97 et n. 13.
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est l’unité la plus proche de ce que les Romains appellent une « aile »19. Les ailes milliaires avaient un effectif théorique bien supérieur à l’effectif traditionnellement accepté par l’historiographie (768 soldats)20 : probablement 1 008 soldats répartis en 24 turmes, à raison de 42 cavaliers par turme. On peut ici s’appuyer sur les fouilles du fort d’Heidenheim, quartiers de l’ala II Flauia miliaria durant la première moitié du IIe s., ainsi que sur celles du camp plus tardif d’Aalen21. Les cohortes equitatae miliariae se composaient pour leur part d’un contingent mixte de 248 cavaliers (répartis en huit turmes) et de dix centuries, soit environ 760 fantassins, pour un total théorique avoisinant les 1 008 soldats. Nous sommes très mal renseignés sur les forts ayant hébergé ce type d’unité, c’est pourquoi nous nous contenterons des informations données par l’auteur du De munitionibus castrorum22. Enfin, les 19 Arr., Tact., 18, 3 : ἱππαρχία, δώδεκα καὶ πεντακοσίων ἱππέων, ἥντινα Ῥωμαῖοι εἴλην καλοῦσιν. 20 BREEZE & DOBSON (1976), 156 (admettant cependant que l’effectif des turmes ait pu être augmenté pour atteindre le total de 1 008 soldats) ; DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 23-4 ; HASSALL (2000), 333 ; HOLDER (2003), 120. 21 Le nombre de 24 turmes est donné par le Ps.-Hygin (De mun. castr., 16). L’hypothèse de turmes à effectifs supérieurs dans les ailes milliaires a été avancée par DOMASZEWSKI (1908), 35 puis reprise par BIRLEY (1966), 54, sur la base de CIL, III, 6627 (Coptos). Si ce dernier document a été mal lu et mal interprété (cf. KENNEDY [1985a]), l’idée qu’il était censé étayer a été confirmée par les fouilles du camp de Heidenheim (SCHOLZ [2009], 46 et s.) : les 13 contubernia que comptait chaque bâtiment pouvaient loger 3 gregarii equites chacun, ce qui fait un total de 39 cavaliers par turme, sans compter le décurion, cantonné dans un bloc situé à l’extrémité du baraquement (Kopfbau), et les deux sous-officiers (sesquiplicarius, duplicarius), logés dans un bloc de l’aile opposée (Endbau). 22 Le Ps.-Hygin (De. mun. castr., 27) avance le chiffre de 240 cavaliers et ajoute que les fantassins étaient répartis en dix centuries. On peut donc penser qu’il y avait environ 760 fantassins. Cependant, en raison d’une omission du copiste, nous ignorons combien de turmes comprenait ce type d’unité. LENOIR (1979), 76 et BARTOLONI (1995), 149 proposent six turmes contre huit selon DAVIES (1971), 751-2, BREEZE & DOBSON (1976), 155 et COLOMBO (2009), 110-1. Pour que les six turmes des cohortes milliaires fournissent un total avoisinant les 240 hommes, Bartoloni propose un effectif de 42 cavaliers par turme, pour un total hypothétique de 252 cavaliers. Cette hypothèse ne tient pas compte des indications du Ps.-Hygin. Celui-ci donne le chiffre précis de 240 equites (décurions exclus) et sous-entend au tout début du §27 que la cohorte quingénaire equitata comptait un nombre de turmes deux fois inférieur à celui d’une cohorte milliaire : Cohors equitata quingenaria habet centurias VI, reliqua pro parte dimidia. Or on sait très précisément qu’une cohorte quingénaire avait quatre turmes (cf. n. suivante). Il nous semble donc évident qu’il faut assigner huit turmes à la cohorte milliaire, pour un total de 248 cavaliers, décurions inclus. Nous laisserons de côté la documentation relative à l’organisation de la cohors XX Palmyrenorum milliaria equitata, qui semble ne plus correspondre au modèle décrit par le Ps.-Hygin et pourrait être le résultat d’une réforme sévérienne. On y dénombre le plus souvent cinq turmes et six centuries, et le total des cavaliers effectivement en service oscille entre 120 et 389 pour une période allant de 219 à 244 ap. J.-C. Voir P. Dura, 9 ; 67 ; 82 ; 83 ; 88 ; 89 ; 92 ; 100 ; 101 ; 107.
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cohortes equitatae quingenariae avaient un effectif de 124 cavaliers répartis en quatre turmes de 31 cavaliers chacune, auxquels étaient adjoints environ 380 fantassins, pour un total de 504 soldats. Ces chiffres, suggérés par le Pseudo-Hygin, sont confirmés par les fouilles des forts de Wallsend et South Shield sur le mur d’Hadrien23. La cavalerie légionnaire est moins bien connue, malgré le nombre relativement important d’études qui lui ont été consacrées24. Nous savons grâce à Flavius Josèphe que chaque légion comprenait un contingent de 120 cavaliers25. Récemment, Maurizio Colombo a supposé que les effectifs de cette cavalerie légionnaire furent accrus à l’époque des guerres danubiennes de Marc Aurèle26, mais la documentation épigraphique ne corrobore pas cette hypothèse. Elle suggère plutôt que la proportion d’equites au sein des légions était toujours très basse au début du règne de Septime Sévère27. À la différence des cavaliers auxiliaires, les cavaliers légionnaires ne semblent pas avoir été organisés en turmes28 : 23 Cf. n. précédente, concernant notamment De. mun. castr. 27. Flavius Josèphe donne 120 cavaliers et 600 fantassins pour les cohortes servant en Judée en 67 (BJ, III, 67). Le chiffre de quatre turmes est confirmé par des découvertes archéologiques récentes concernant les forts de Wallsend et de South Shields (HODGSON & BIDWELL [2004]), de Theilenhofen (FASSBINDER [2008]), de Künzing (SOMMER [2008]), de Gnotzheim (FASSBINDER [2009]) et de Tihău-Cetate (BENNETT [2006]). En outre, une inscription de Galatie mentionne quatre décurions dans une cohorte quingénaire mixte (CIL, III, 6760). Nous disposons de nombreuses informations complémentaires sur ce type d’unité grâce aux pridiana des cohortes I Hispanorum ueterana equitata (P. Lond., 2851 = RMR, 63 : 119 cavaliers) et I Augusta Praetoria Lusitanorum equitata (BGU, 696 = RMR, 64 : 114 cavaliers) qui confirment globalement l’effectif de 120 cavaliers. Voir aussi le pridianum plus tardif (215 ap. J.-C.) d’une cohorte equitata égyptienne inconnue (P. Brook., 24, col. ii, l. 11 : 100 cavaliers et quatre décurions). 24 BREEZE (1969) ; PAVKOVIČ (1991) ; SPEIDEL (1994b) ; ZEHETNER (2015). 25 Jos., BJ, III, 120 : Εἵπετο δ᾽ αὐτῷ τὸ ἴδιον τοῦ τάγματος ἱππικόν : ἴδιοι γὰρ ἑκάστου τάγματος εἴκοσι πρὸς τοῖς ἑκατὸν ἱππεῖς. 26 COLOMBO (2009), 115-7 : on serait passé de 120 cavaliers par légion à 528, ce qui expliquerait l’effectif de 6 000 soldats souvent associé à la légion tardive. 27 Voir CIL, III, 14507 (laterculus de la legio VII Claudia Pia Fidelis, daté de 195) : sur 244 entrées, seules trois correspondent à des soldats désignés comme equites, soit 1,2% du total (cf. MIRKOVIĆ [2004]). C’est presque deux fois moins que le ratio de 2,1% déductible du témoignage de Flavius Josèphe pour l’année 67. Voir également CIL, VIII, 2567 = CIL, VIII, 18054 (dédicace collective de la legio III Augusta ; fin du IIe-début du IIIe s.) : un seul cavalier pour un total de 109 soldats. 28 BREEZE (1969), 53-5 ; SPEIDEL (1987d) ; PAVKOVIČ (1991), 36 et s. Contra PARKER (1932), 140 ; STROBEL dans ERDKAMP (2007), 275 ; MENÉNDEZ ARGÜÍN (2011), 90. Seul un diplôme militaire daté du 9 février 71 pourrait laisser entendre le contraire, cf. RMD, IV, 204 : M(arci) Viri Marcelli dec(urionis ?) leg(ionis ?). Végèce évoque à plusieurs reprises des turmae dans sa description de l’antiqua ordinatio legionis (Veg., Mil., II, 14), mais aucune subdivision de ce type n’est attestée dans les inscriptions du IIIe s., ni dans la documentation papyrologique tardive. Au contraire, plusieurs centurions apparaissent
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ils étaient rattachés administrativement aux centuriae de leur légionmère, à raison de deux cavaliers par centurie29. Cela ne veut pas dire qu’ils ne jouaient aucun rôle tactique, comme cela a longtemps été affirmé30. Des centurions pouvaient assurer leur commandement dans le cadre d’opérations impliquant des combats31, mais leur effectif réduit limitait certainement leur capacité à agir de façon autonome et les equites legionis semblent surtout avoir servi d’escorte aux légats32, ce qui explique peut-être pourquoi les empereurs ne jugèrent pas utile de leur associer une véritable hiérarchie d’officiers subalternes33. On mentionnera enfin l’apparition, à partir du règne d’Hadrien, d’unités semi-régulières, appelées le plus souvent numeri34. Ce terme a un sens très large sous le Haut-Empire puisqu’il peut désigner, en plus des unités comme officiers subalternes chez les equites promoti égyptiens du début du IVe s. (cf. infra, p. 374-5). 29 BREEZE (1969), 54. Dans de nombreuses inscriptions, les cavaliers légionnaires mentionnent leur appartenance à une centurie : RIB, 254 ; RIB, 481 ; CIL, III, 11239 ; CIL, VIII, 2568 ; CIL, VIII, 2569 ; CIL, VIII, 2593 = 18092 ; ILTun, 466. Voir également BGU, II, 600, ainsi que la liste de vétérans mentionnée supra, p. 227, n. 27. Deux cavaliers par centurie : P. Gen. Lat., 1 = RMR, 58 (liste de soldats de la legio III Cyrenaica, c. 90 ap. J.-C.). Situation analogue dans les cohortes prétoriennes. Cf. SPEIDEL (1994a), 31 (e.g. CIL, VI, 2591). 30 Encore récemment, cf. RANKOV dans SABIN ET AL. (2007), II, 38. Contra PAVKOVIČ (1991), 94-103 et SPEIDEL (1994b). Voir en particulier Tac., Ann., IV, 73, 2 et CIL, III, 4480 = ILS, 2307. 31 Cf. Jos., BJ, II, 298. La fonction de centurio exercitator equitum est attestée dans la legio XIII Gemina (CIL, III, 14477), dans la legio II Adiutrix (RIU, V, 1155 = AE, 1965, 223) ainsi que dans les cohortes prétoriennes (CIL, V, 2464 ; CIL, X, 1127 ; CIL, XI, 395). PAVKOVIČ (1991), 59 et s. n’exclut pas l’existence de subdivisions tactiques au sein de l’equitatus legionis, peut-être conduites par des uexillarii, mais cette hypothèse nous semble difficilement conciliable avec la carrière de Ti. Claudius Maximus, promu du poste de uexillarius equitum dans la legio VII Claudia à celui de duplicarius dans l’ala II Pannoniorum (AE, 1969/70, 583) : serait-il passé de la fonction de commandant d’escadron légionnaire à celle de sous-officier dans une unité de cavalerie auxiliaire ? 32 SPEIDEL (1994b), 37 ; Tac., Ann., XIV, 32, 3 ; Arr., Acies, 4. 33 À ce jour, aucun baraquement-écurie n’a pu être identifié avec certitude dans un camp légionnaire. L’hypothèse la plus répandue veut que les cavaliers aient logé dans les baraquements centuriaux (PITTS & ST. JOSEPH [1985], 170). Cependant, LE BOHEC (1989a), 407 note qu’à Lambèse, en marge du « grand camp » de la IIIe légion Auguste, un camp secondaire (le « camp de 81 ») pourrait avoir abrité des equites legionis. Deux inscriptions trouvées sur place mentionnent un [tab(?)]/ularium equitum [leg(ionis)] III Aug(ustae) et une dédicace effectuée par les eq(uites) sing(ulares) pr(ouinciae) Af(ricae). Cf. AE, 1957, 85 et 122 (avec SPEIDEL [2002], 127). 34 Une abondante bibliographie s’est concentrée sur ces corps de troupes : MOMMSEN (1884), 219-31 ; DOMASZEWSKI (1908), 59-61 ; CHEESMAN (1914), 85-90 ; ROWELL (1936) ; MANN (1954) ; CALLIES (1964) ; SPEIDEL (1975b) ; SOUTHERN (1989) ; LE ROUX (1986) ; KERNEIS-POLY (1996) ; NÉMETH (1997) ; REUTER (1999). Le débat sur le sens du mot numerus et les réalités militaires qu’il recouvre est commodément résumé dans HAMDOUNE (1999), 161-5.
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ethniques, n’importe quelle « troupe », quelle que soit sa nomenclature régulière35. Mais, dans son acception restreinte, il tend à être réservé à des contingents irréguliers (alliés, clients, déditices), dont les autorités impériales souhaitent pérenniser l’existence au-delà d’une campagne ou d’une guerre36. Il peut s’agir aussi bien d’unités de cavalerie que d’infanterie. Leur raison d’être réside dans la régularisation et l’uniformisation croissante des auxilia : le numerus offre un cadre d’intégration souple – il permet aux troupes incorporées de conserver des effectifs, une chaîne de commandement, une langue, un armement et des techniques de combat qui ne correspondent pas aux réglementations en vigueur dans les ailes et les cohortes37. Par conséquent, il peut sembler vain de chercher à dénombrer les effectifs de ces corps de troupes, dont l’organisation nous échappe38. On notera cependant que certains contingents de ce type pouvaient évoluer et devenir, à terme, de véritables ailes de cavalerie39. Dresser l’inventaire des unités régulières de l’armée romaine est chose délicate. Les rares spécialistes qui se sont livrés à cet exercice pour le 35 E.g. Tac., Agr., 18, 3 ; AE, 1927, 95 ; CIL, III, 1607 ; 11135 ; 12257 ; VI, 3341 ; XIII, 8818. Voir CALLIES (1964), 173-81. Il semble que cette expression pouvait encore renvoyer aux subdivisions tactiques des unités. L’effectif de cavaliers d’une cohorte mixte pouvait ainsi être qualifié de numerus equitum : cf. P. Dura, 92, l. 1 = RMR, 62. 36 MOMMSEN (1884), 106. Voir LE ROUX (1986), 363 (suivi par ROSSIGNOL [2004], 1192), qui définit les numeri comme « des unités extérieures aux structures de l’armée permanente d’Auguste, qui, temporaires et nées de circonstances en principe, tendaient à poursuivre leur existence en conservant un rôle tactique original et des effectifs extraordinaires au regard des normes définies à travers les légions, les auxiliaires et les prétoriens. » Contra SPEIDEL (1975b), 206. L’apparition des numeri Maurorum en Dacie fait suite à l’intervention de supplétifs maures sur le secteur danubien durant les guerres daciques de Trajan (voir HAMDOUNE [1999], chap. 7). Celle des Palmyreni sagittarii est probablement liée à la mobilisation de contingents palmyréniens durant la guerre parthique du même empereur (voir MANN dans RMD, II, 217-9 et SOUTHERN [1989], 89-90). 37 WATSON (1969), 16 ; LE ROUX (1986), 363 ; HAMDOUNE (1999), 165. Contra HAYNES (2013), 69-70. 38 Cf. SOUTHERN (1989), 104. 39 Cf. ROCCO (2012), 44. Le cas le mieux documenté est celui du numerus Palmyrenorum Porolissensium : sous Dèce, cette unité donne naissance à une cohorte (CIL, III, 908 : cohors Palmyrenorum Porolissensis) et à une aile (ILS, 9472 : εἴλης ἱππέων ἀριθμοῦ Παλμυρηνῶν Πορολυσσηνῶν). Voir également le cas des Palmyreni sagittarii attestés en 216 à Coptos, en Égypte (IGRR, I, 1169), que l’on retrouve peut-être dans la Notitia Dignitatum sous la forme d’une ala octaua Palmyrenorum (ND Or., 31, 49, avec SPEIDEL [1984c]). M. Rocco cite encore le numerus Sarmatorum de Ribchester (CIL, VII, 218 = RIB, 583), aussi connu par deux inscriptions sous le nom d’ala Sarmatarum (CIL, VII, 229 = RIB, 594 ; CIL, VII, 230 = RIB, 595). Mais cet exemple doit être analysé avec prudence car ces deux documents épigraphiques pourraient très bien être antérieurs. On peut en revanche ajouter le cas du numerus Maurorum Tibiscensium, devenu a(la) I M(aurorum) sur deux estampilles découvertes à Jupa (IDR, III, 1, 258 ; AE, 1971, 404b ; cf. NÉMETH [1997], 104-5).
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Haut-Empire ont obtenu des résultats parfois contradictoires40. Le point de référence le plus sûr demeure le milieu du IIe s., qui correspond à l’apogée de la documentation diplomatique. Dans son étude du déploiement des unités auxiliaires sous le règne d’Hadrien41, Paul Holder dénombre sept alae miliariae, 81 alae quingenariae, 21 cohortes miliariae equitatae et 175 cohortes quingenariae equitatae. En appliquant les effectifs théoriques que nous venons de dégager à l’inventaire des corps de troupes réalisé par Holder, nous obtenons les résultats suivants42 : Tableau 5 – Reconstitution hypothétique des effectifs de l’armée impériale à l’époque d’Hadrien. Type d’unité
Infanterie
Cavalerie
10 cohortes prétoriennes eq. singulares Augusti Total garnison de Rome 28 légions 7 alae miliariae 81 alae quingenariae 21 cohortes mil. eq. 175 cohortes quin. eq. 8 cohortes mil. ped. 75 cohortes quin. ped. Total armée frontalière Grand total
10 × 1 000 = 10 000 0 10 000 (83,3%) 28 × 5 520 = 154 560 0 0 21 × 760 = 15 960 175 × 380 = 66 500 8 × 800 = 6 400 75 × 480 = 36 000 279 420 (78,3%) 289 420 (78,5%)
1 000 1 000 2 000 (16,7%) 28 × 120 = 3 360 7 × 1 008 = 7 056 81 × 496 = 40 176 21 × 248 = 5 208 175 × 124 = 21 700 0 0 77 500 (21,7%) 79 500 (21,5%)
L’inventaire de CHEESMAN (1914), app. i permet d’obtenir un effectif de 51 460 cavaliers sur un total de 191 800 auxiliaires pour l’époque allant de la mort de Trajan à l’avènement de Marc Aurèle. À l’opposé, voir l’estimation maximaliste proposée par RANKOV dans SABIN ET AL. (2007), II, 71 : 311 500 fantassins contre 85 500 cavaliers pour l’ensemble de l’armée romaine au milieu du IIe s. 41 HOLDER (2003). Les résultats de l’enquête, exposés en p. 120, doivent être considérés avec précaution car les cohortes equitatae ne sont pas toujours identifiables dans les inscriptions et à plus forte raison dans les diplômes. Mais Holder fait remarquer que la proportion de 70% d’unités mixtes s’observe de manière certaine en Syrie comme en Cappadoce et applique ce ratio pour les autres provinces. 42 Nous reprenons ici les chiffres adoptés par Holder pour les cohortes auxiliaires peditatae. Pour les légions, voir en dernier lieu ROTH (1994) et COLOMBO (2009), 96-7. Pour les cohortes prétoriennes, nous suivons PASSERINI (1939), p. 59-60, dont les conclusions sont reprises par KENNEDY (1978), RANKOV (1994), 8, KEPPIE (1996), 111 et BINGHAM (2013), 54-6 : cohortes milliaires (contra DURRY [1938], 81-9 : cohortes quingénaires). Cavalerie prétorienne et equites singulares Augusti : DOMASZEWSKI (1908), 20 et 23 ; DURRY (1938), 99 ; SPEIDEL (1994a), 31 (n. 32) et 57-60. 40
LA CAVALERIE DANS LA « GRANDE STRATÉGIE IMPÉRIALE »
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Il va de soi que le total de 79 500 cavaliers demeure purement hypothétique : ce chiffre doit être entendu comme un ordre de grandeur. Nous savons grâce à la documentation papyrologique que les effectifs réels des unités pouvaient varier en fonction des besoins, des contraintes du recrutement et du contexte militaire43. Notre calcul permet toutefois d’établir de manière à peu près sûre un rapport d’un cavalier pour quatre fantassins à l’époque d’Hadrien, résultat bien supérieur au ratio d’un pour dix parfois avancé dans certaines études44. On peut aussi déduire de ces estimations qu’au début du IIe s. ap. J.-C., la cavalerie romaine était presque deux fois plus importante que durant l’époque triumvirale. Après le règne d’Auguste, nous savons que de nombreuses unités auxiliaires furent mises en place45. Ce deuxième « essor » de la cavalerie accompagna l’établissement de l’armée professionnelle et permanente : le nouvel exercitus issu des conquêtes républicaines devait pouvoir assurer le contrôle et la maîtrise de vastes territoires, tâches pour lesquelles les troupes montées se révélaient indispensables. Nous retrouvons là le rôle spécifique des cohortes mixtes, importantes contributrices de cet accroissement des effectifs, et dont la raison d’être résidait surtout dans les patrouilles quotidiennes et la défense des frontières contre les menaces de faible intensité46. Une comparaison des effectifs des provinces orientales et occidentales révèle paradoxalement une proportion de cavaliers supérieure à l’ouest de l’Empire : Tableau 6 – Effectifs de l’armée romaine dans les provinces orientales. Type d’unité
Infanterie
Cavalerie
15 légions 2 alae miliariae 37 alae quingenariae 9 cohortes mil. eq. 83 cohortes quin. eq. 4 cohortes mil. ped. 35 cohortes quin. ped. Grand total armée d’Orient
15 × 5 520 = 82 800 0 0 9 × 760 = 6 840 83 × 380 = 31 540 4 × 800 = 3 200 35 × 480 = 16 800 141 180 (80,3%)
15 × 120 = 1 800 2 × 1 008 = 2 016 37 × 496 = 18 352 9 × 248 = 2 232 83 × 124 = 10 292 0 0 34 692 (19,7%)
Comme le souligne à raison HAYNES (2013), 52-3 et 81-2. SPEIDEL (1994a), 150 ; COSME (2007a), 97 et (2007b), 214. 45 D’après SPAUL (1994), 262-3 : 11 nouvelles ailes entre 14 et 68 ; 13 sous les Flaviens ; 8 à l’époque antonine. 46 BREEZE (1993), 24. 43 44
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LE HAUT-EMPIRE ROMAIN
Tableau 7 – Effectifs de l’armée romaine dans les provinces occidentales. Type d’unité
Infanterie
Cavalerie
13 légions 5 alae miliariae 44 alae quingenariae 12 cohortes mil. eq. 92 cohortes quin. eq. 4 cohortes mil. ped. 40 cohortes quin. ped. Grand total armée d’Occident
13 × 5 520 = 71 760 0 0 12 × 760 = 9 120 92 × 380 = 34 960 4 × 800 = 3 200 40 × 480 = 19 200 138 240 (74,4%)
13 × 120 = 1 560 5 × 1 008 = 5 040 44 × 496 = 21 824 12 × 248 = 2 976 92 × 124 = 11 408 0 0 42 808 (23,6%)
B. La répartition des unités de cavalerie dans les confins impériaux Le problème de la répartition des corps de troupes au sein de l’empire est au cœur de la controverse soulevée par Edward Luttwak. Dans The Grand Strategy of the Roman Empire, l’analyste américain affirme que la disposition géographique des unités connut une évolution majeure au cours de la période impériale. Les frontières de l’Empire, initialement pensées comme des zones de domination informelles, mises au service d’un projet expansionniste, auraient progressivement été réorganisées en un système statique de fortifications linéaires, destiné à empêcher les incursions barbares en territoire romain47. De nombreuses études ont montré la part d’exagération que comporte cette démonstration et les nuances qu’il convient de lui apporter48. Notre propos ne sera pas de les exposer ici en détail. Notons juste que les marques tangibles de la présence militaire romaine aux frontières (garnisons, fortifications, avantpostes) sont avant tout le reflet d’une situation opérationnelle figée dans le temps49. Ce que l’on prend souvent pour des dispositifs défensifs correspond en réalité aux moyens habituellement mis en œuvre par les 47 LUTTWAK (1976), 191-4. Dans l’esprit de Luttwak, le système de défense aux frontières (preclusive defence) n’a pas été pensé dans l’optique d’arrêter des attaques majeures. Il s’agissait surtout d’un déploiement stratégique destiné à juguler les menaces de basse intensité, notamment les raids de pillage, dont l’auteur américain suppose qu’ils étaient devenus courants durant la période impériale. 48 Cf. ref. supra, n. 1. 49 ISAAC (1990, 1992 2e éd.), 417 les qualifie judicieusement de « frozen forward lines of advance that could be held following military campaigns ». Voir aussi MANN (1974), 514.
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Romains, en campagne, pour vaincre une armée ennemie, y compris dans une configuration offensive50. Il serait du reste bien hasardeux de postuler l’existence d’une politique frontalière uniformément appliquée depuis le centre vers la périphérie : ce serait négliger l’importance des circonstances locales dans l’évolution des confins impériaux51 et aussi la diversité des enjeux géostratégiques qui présidaient à l’organisation des districts militaires régionaux52. Il nous semble cependant que des tendances générales peuvent être observées53. La répartition des contingents de cavalerie au début de l’époque julio-claudienne est largement affectée par l’importance des grandes opérations offensives de l’armée romaine en Europe54. Dès le règne d’Auguste, les unités montées dont nous connaissons le lieu de garnison sont stationnées à proximité des nouvelles forteresses légionnaires55. Ces grandes concentrations stratégiques, qui se situent souvent sur des voies d’invasion majeures, doivent permettre l’intervention rapide de l’armée en territoire barbare, dans le cadre d’opérations de représailles ou de conquête56. Velleius Paterculus décrit ainsi comment, en 7 ap. J.-C., 50 De ce point de vue, comme le notait déjà Mann (ibid., 512), la politique étrangère de Rome demeure fondamentalement agressive durant l’ensemble de la période impériale. La construction de camps en pierre (à partir des Flaviens) ne saurait prouver l’abandon définitif de tout projet d’expansion de la part des Romains. 51 ISAAC (1998), 406. Comme le souligne à juste titre LAEDERICH (2001), 14, la lenteur des communications implique une « déconcentration de la décision du niveau suprême au niveau du “stratège de terrain”, sous peine de paralyser toute capacité d’action ou de réaction. Cela peut provoquer des conflits entre l’empereur et les généraux de terrain qui ne suivent pas les mêmes orientations stratégiques. » 52 Voir MANN (1979). 53 Notre analyse se limitera pour l’essentiel aux frontières européennes de l’Empire. En Orient, la documentation épigraphique et archéologique ne permet pas d’avoir une vue d’ensemble de la répartition des garnisons romaines. 54 ALFÖLDY (1962), 268 et 270 (Dalmatie) ; ID. (1968), 144 (Germanie inférieure) ; BIANCARDI (2004), 158-9 (Germanie inférieure et Germanie supérieure) ; VON SCHNURBEIN dans REDDÉ ET AL. (2006), 29-34. 55 Dès la fin du règne d’Auguste, l’ala Pansiana est stationnée sur le territoire d’Oescus, avec la legio V Macedonica (ILBulg, 50) ; les deux unités semblent avoir été déplacées au même moment. Cf. BOYANOV (2008), 69. Sous le règne du même empereur, en Rétie, deux forts auxiliaires sont construits à Friedberg-Rederzhausen, à quelques kilomètres de la forteresse légionnaire d’Augsburg-Oberhausen : ils pourraient avoir accueilli des cavaliers. Cf. FARKAS (2015), 194. 56 Ce phénomène se constate assez bien en Germanie inférieure. À Nouiomagus (Nimègue), le complexe légionnaire du Hunerberg coexistait avec un noyau de troupes montées, qui a laissé de nombreuses traces sur le Kops Plateau (HAALEBOS dans REDDÉ ET AL. [2006], 356-8). À Vetera (Xanten), face à la vallée de la Lippe, l’on note la présence d’une aile, dont Pline l’Ancien exerça la préfecture en 47 (CIL, XIII, 10026, 22 ; Plin., Ep., III, 5, 3). À Nouaesium (Neuss), plusieurs ailes sont attestées sous les Julio-Claudiens : l’ala Gallorum Picentiana (Tac., Hist., IV, 62, 4), l’ala Parthorum ueterana (CIL, XIII,
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une force composée de dix légions, plus de 70 cohortes, 14 ailes, 10 000 vétérans, plus un nombre indéfini de volontaires et de cavaliers alliés, est rassemblée dans un seul camp à Siscia en prévision de la campagne contre les rebelles pannoniens et dalmates57. Certaines forteresses comme celles de Neuss ou de Cologne peuvent servir à accommoder des troupes supplémentaires avec des baraquements temporaires construits en périphérie des casernements légionnaires58. Cela dit, il ne faut pas non plus exagérer l’importance des menaces exterieures. Dans certaines régions, les troupes auxiliaires semblent prioritairement mobilisées contre des ennemis occupant des territoires situés au sein même des provinces59. L’exemple de la Rétie récemment conquise illustre bien ce phénomène60. Dans cette dernière province, ce n’est qu’après le règne d’Auguste que les installations militaires commencent à se répartir le long du Danube, sans qu’il soit aisé d’expliquer les raisons de ce nouvel agencement61. Des forts de cavalerie sont identifiés à Mengen-Ennetach, Unterkirchberg et Burgheim, espacés d’environ 80 kilomètres. Ce processus de fragmentation se généralise à l’époque flavienne dans l’ensemble des provinces d’Europe continentale. Dans les deux provinces de Germanie, les garnisons auxiliaires s’échelonnent de façon régulière le long du Rhin62. Les 10024, 35 = ILS, 9147) et l’ala I Tungrorum Frontoniana (mentionnée par une inscription trouvée non loin à Asberg : AE, 1931, 30). En Germanie supérieure, c’est à Mogontiacum (Mayence), face aux plaines fertiles de la Vettéravie, qu’on retrouve l’essentiel de la cavalerie provinciale dans la première moitié du Ier s. : l’ala Rusonis (CIL, XIII, 7031), l’ala Noricorum (CIL, XIII, 7029 et 7030), l’ala I Hispanorum (CIL, XIII, 7026 et 7027), l’ala Indiana (CIL, XIII, 7028), l’ala Parthorum et Araborum (AE, 1959, 188 = AE, 1967, 339 ; AE, 1976, 495) et l’ala Augusta Petriana Gallorum (CIL, XIII, 6755 et 6820). Tacite signale aussi la présence de deux légions et de cavaliers auxiliaires à Cologne en 14 ap. J.-C. : Tac., Ann., I, 39, 1 et 6. 57 Vell. Pat., II, 113, 1 : Iunctis exercitibus, quique sub Caesare fuerant quique ad eum uenerant, contractisque in una castra decem legionibus, LXX amplius cohortibus, [XIIII alis et] pluribus quam decem ueteranorum milibus, ad hoc magno uoluntariorum numero frequentique equite regio. 58 À Neuss, voir le cas du camp auxiliaire D, d’époque tibérienne : HANEL dans REDDÉ ET AL. (2006), 340-4). Des forces auxiliaires pouvaient également être accueillies dans certains camps légionnaires : ainsi à Nimègue-Hunerberg (FRANZEN [2009], 1260-1). Voir aussi le cas du camp G à Neuss, qui pourrait avoir été le lieu de garnison de la legio XVI Gallica et de l’ala Gallorum Picentiana. 59 Ce que LUTTWAK (1976), 17-8 admettait volontiers, n’en déplaise à certains de ses critiques : ISAAC (1990, 1992 2e éd.), 54-6. 60 K. Dietz pense ainsi que la fonction première des forts d’Augsburg-Oberhausen et de Friedberg-Rederzhausen était d’assurer la sécurité interne de la province plus que de la défendre contre d’éventuelles incursions externes. Cf. BAKKER et al. (1995), 48. 61 FARKAS (2015), 196-7. 62 Voir BIANCARDI (2004), 158 et 160. En Germanie supérieure, les garnisons de cavalerie forment un cordon avancé par rapport aux forteresses légionnaires, situées en retrait
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provinces danubiennes sont également concernées63, mais la situation semble différente en Bretagne et en Orient, où les installations sont disposées en profondeur et ne forment pas un véritable cordon défensif64. Ces dispositifs frontaliers ne connaissent pas de bouleversement majeur durant l’époque antonine, tout du moins pour ce qui concerne la répartition de la cavalerie65. D’après Massimo Biancardi, le redéploiement, sous la dynastie flavienne, des troupes montées le long du Rhin et du Danube signale l’affirmation de la fonction défensive de la cavalerie. Mais la localisation des ailes facilite toujours la constitution de corps expéditionnaires mobiles66. Ainsi, en Germanie inférieure, l’on remarque qu’elles se concentrent entre Altkalkar et Cologne, face à la vallée de la Lippe qui constitue une voie d’invasion majeure vers la Germanie libre67. Ces considérations stratégiques ne doivent pas occulter les autres facteurs qui influent sur la localisation des garnisons. Afin d’assurer sa subsistance en temps de paix, l’armée permanente est contrainte de s’insérer dans un tissu économique régional : elle doit passer d’un mode d’approvisionnement fondé sur le pillage des ressources les plus accessibles à un système de ravitaillement régulier, tenant compte des équilibres écologiques de chaque province68. Cette nécessité explique la dispersion progressive des unités le long des rocades militaires en Occident, à plus forte raison lorsque la cavalerie est concernée, puisque celleci doit pouvoir disposer de vastes zones de fourrage autour des postes
du limes à Strasbourg et à Mayence. En Rétie, la répartition le long du Danube, amorcée sous les Julio-Claudiens, se confirme nettement à l’époque flavienne avec la construction de nouveaux forts : FARKAS (2015), 201-6. 63 MÓCSY (1974), chap. 4 et fig. 59-60 ; RADMAN-LIVAJA (2012), 172-9 ; IVANOV (2012). 64 Bretagne : BIANCARDI (2004), 153-4. Orient : ISAAC (1990, 1992 2e éd.), chap. iii. 65 Deux principaux changements méritent cependant d’être notés. En Bretagne, la construction du mur d’Hadrien entraîne le redéploiement d’une partie de la cavalerie provinciale suivant une logique linéaire : BIANCARDI (2004), 35-9. Dans la Dacie conquise par Trajan, la présence militaire se fait plus ubiquiste, ce qui s’explique par la topographie particulière de la province et par la nécessité de pacifier des territoires récemment annexés : GAZDAC (1997) ; ZAHARIADE (1997). 66 LUTTWAK (1976), 66 souligne qu’en cas de menace majeure, « both types of limes, whether “open” or “closed” (i.e., provided with continuous barriers), served as base lines for mobile striking forces, which operated against large-scale attacks in a tactically offensive manner […] ». Voir également ALFÖLDY (1968), 158-9. 67 BIANCARDI (2004), 158. Cette route est utilisée par Drusus lors de ses incursions en Germanie puis est à nouveau empruntée par Germanicus lors de ses campagnes de 14, 15 et 16 ap. J.-C. : LAEDERICH (2001), 31-2, 46-7, 53, 76. Elle resprésente aussi un axe privilégié pour une éventuelle invasion barbare de la province. 68 WHITTAKER (2004), 12.
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qu’elle occupe69. À ce titre, les fleuves ne sont pas seulement des barrières naturelles : ils servent aussi régulièrement de voies de ravitaillement70. John C. Mann souligne par ailleurs que la disposition linéaire convient mieux aux tâches « bureaucratiques » de l’armée, qui participe au prélèvement des taxes et doit pouvoir contrôler les mouvements de populations de part et d’autre de la frontière71. Mais les avantages défensifs d’un système linéaire ne doivent pas être négligés. Ils semblent avoir été une considération primordiale dans la reconstitution du limes de Mésie sous Vespasien72 et sont théorisés par Clausewitz qui précise que le Kordonsystem est particulièrement adapté à la lutte contre les menaces de basse intensité (tout en étant inadapté aux attaques de grande envergure)73. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que les Romains ont conscience de l’efficacité de la cavalerie dans la défense des confins impériaux, comme le sous-tend une allusion de Dion de Pruse à l’utilité stratégique des troupes montées dans les regna orientaux74. 69 Deux constitutions du IVe s. indiquent que les soldats pouvaient récolter du fourrage jusqu’à 20 milles du camp, cf. CTh., VII, 4, 7 et 9. Une estimation moderne montre qu’une surface fourragère de 65 km² était nécessaire pour ravitailler les camps situés dans la portion du limes de Germanie supérieure s’étendant entre Jagsthausen et Lorch-Rems, ce qui correspond à la production de 65 uillae rusticae de 100 ha entièrement dévolues à ce type de culture : STOLL (1997), 180. Les prata legionis remplissaient probablement en partie cette fonction : HYLAND (1990), 91. 70 WHITTAKER (2004), 9. 71 MANN (1974), 512-3. 72 À la suite du raid sarmate de l’hiver 69-70, Rubrius Gallus, le légat envoyé par l’empereur pour chasser les pillards de la province, « prit des mesures pour assurer également la sécurité à l’avenir. Il installa dans la région des garnisons plus nombreuses et plus fortes, pour rendre aux Barbares la traversée du fleuve absolument impossible (πλείοσι γὰρ καὶ μείζοσι φυλακαῖς τὸν τόπον διέλαβεν, ὡς εἶναι τοῖς βαρβάροις τὴν διάβασιν τελέως ἀδύνατον). » (Jos., BJ, VII, 94, trad. P. Savinel). Ce seul extrait rend caduque toute démarche visant à présenter les fortifications frontalières comme un agrégat de dispositifs de contrôle échappant à toute considération défensive. 73 Clausewitz, De la guerre, VI, 22 (éd. Naville, p. 320) : « Un cordon ne peut […] servir qu’à protéger une position contre un assaut assez faible, que cette faiblesse soit due à une volonté déficiente ou à l’insuffisance des forces de combat. […] Certes, il ne suffit pas à interdire n’importe quelle invasion ; mais il les rend pourtant plus difficiles, et partant plus rares. » Ibid., p. 321 : « Plus la guerre fait rage, plus ce moyen est inutile et dangereux. » LUTTWAK (1976), malgré son positionnement anti-clausewitzien, reprend en substance les mêmes conclusions, cf. p. 66 : « Roman frontier defenses in sectors provided with linear barriers, whether walls, palisades, fences, or earthworks, were in fact designed to combat low-intensity threats – primarily transborder infiltration and peripheral incursions. » 74 Dio Chrys., Or. 32, 43 (trad. D. Kasprzyk & C. Vendries) : « un Perse ou un Bactrien diront peut-être qu’ils savent, eux, monter à cheval, qu’ils ont la réputation d’être sans doute les meilleurs cavaliers, parce qu’ils s’y exercent pour défendre leur empire et leur liberté (τὸ γὰρ πρᾶγμα ὑπὲρ ἀρχῆς καὶ ἐλευθερίας ἐπιτηδεύουσιν). »
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Si l’on analyse la distribution des troupes romaines à l’époque d’Hadrien, il apparait clair que les différentes provinces de l’empire ne sont pas également pourvues en cavalerie. Il peut sembler intéressant de s’interroger sur les raisons de ces disparités. Nous nous limiterons ici à quelques cas emblématiques, en commençant par le Norique. Cette province offre le paradoxe d’une région montagneuse dotée d’une forte proportion de troupes montées75. Les unités sont réparties en cordon d’ouest en est, dans un corridor large d’une dizaine de kilomètres, coincé entre les Alpes et le Danube, où le relief présente des accidents réguliers76. La garnison provinciale se constitue de trois ailes quingénaires, deux cohortes milliaires et quatre cohortes quingénaires77. Cela fait un effectif théorique de 1 488 cavaliers d’ailes, 248 equites cohortis miliariae, et entre 124 et 372 cavaliers de cohorte quingénaire78, soit 1 860 (38,3%) à 2 108 (43,7%) cavaliers contre 2 700 à 3 000 fantassins – un taux extrêmement élevé par rapport à la moyenne impériale (21,7%). Une telle proportion ne correspond évidemment pas à la géographie physique de la province et s’explique nécessairement par d’autres facteurs. À l’inverse, la Pannonie inférieure et la Syrie fournissent des exemples de provinces où les conditions topographiques sont optimales pour le déploiement de la cavalerie, mais où l’infanterie occupe une place plus importante. En Pannonie inférieure, dans les forts disposés de façon régulière sur le Danube, face à la grande plaine de Hongrie, on dénombre une légion, une aile milliaire, cinq ailes quingénaires, deux cohortes milliaires et douze cohortes quingénaires79. Cela fait un total théorique de 4 848 75 Sur la présence militaire romaine dans cette province, cf. ALFÖLDY (1974), 143-52. Le milieu montagneux n’est pas fondamentalement incompatible avec les opérations de cavalerie, comme le souligne le baron Franz de Kuhn dans un mémoire rédigé sur la guerre en montagne. Cf. KUHN (1880), 34 : « Le terrain montagneux convient peu à la cavalerie, et ce n’est que dans les grandes vallées qu’on trouve çà et là quelques espaces favorables à son action. Mais, comme le service des renseignements ne saurait guère être assuré que par la cavalerie, comme de plus cette arme peut être d’une utilité des plus réelles, lorsqu’on aura à livrer des combats dans de grandes et larges vallées, ou bien lorsqu’on voudra déboucher des montagnes et descendre dans les plaines adjacentes, on commettrait une grosse faute en négligeant de doter de quelques troupes à cheval un corps destiné à opérer dans les montagnes. » 76 BIANCARDI (2004), tav. 31. 77 HOLDER (2003), 108-9 et 123-4. On sait avec certitude que l’une des deux cohortes milliaires, la cohors I Aelia Brittonum, était equitata (CIL, V, 6995). Parmi les cohortes quingénaires, seule la cohors II Thracum porte ce qualificatif (RIB, 797). 78 Dans la première hypothèse, nous ne comptons qu’une seule cohorte quingénaire mixte ; dans la seconde, nous partons du principe que trois d’entre elles l’étaient, conformément aux observations avancées supra, n. 41. 79 HOLDER (2003), 106-7 et 122-3. Les deux cohortes milliaires, la cohors III Batauorum et la cohors I Brittonum, sont equitatae : BIANCARDI (2004), 104 et 106. Parmi les
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(28,4%) à 5 220 (30,4%) cavaliers contre 11 900 à 12 200 fantassins. Ce taux relativement élevé reste très inférieur à celui du Norique. La tendance est encore plus prononcée en Syrie, où la garnison se compose de trois légions, une aile milliaire, six ailes quingénaires et vingt-quatre cohortes quingénaires80 : 26 380 fantassins pour 6 452 cavaliers (19,6%), un ratio se situant légèrement en deçà de la moyenne impériale. Pourtant, nul ne doutera que les plaines de la moyenne vallée de l’Euphrate offraient un milieu propice aux opérations de cavalerie, ce qu’illustrent bien les réalités tactiques de la guerre au Proche-Orient81. La conclusion logique de cet inventaire est que la géographie physique n’a pas d’incidence particulière sur le déploiement des unités de cavalerie à l’échelle macro-stratégique. D’autres pistes doivent être privilégiées. Dans le cas du Norique, il nous semble que l’importante concentration de troupes montées a avant tout une finalité logistique : elle doit permettre le déploiement de la cavalerie de part et d’autre du défilé de la Wachau, sur des secteurs d’opération plus importants, suivant les besoins du moment82. Luttwak lui-même n’envisage pas autrement le rôle des grosses formations de cavalerie que constituent les ailes milliaires, « premium forces allocated to high-threat zones and always deployed at key points » ; ces forces sont destinées à se projeter rapidement sur les théâtres de guerre en cas d’entrée en campagne. Elles constituent un élément essentiel de la forward defence qui serait, selon l’auteur, l’option stratégique privilégiée par l’Empire romain de Vespasien à Marc Aurèle83. Reste à expliquer le cas de la Syrie : les Romains jugeaient-ils que le secteur d’opération du Levant ne nécessitait pas une importante cavalerie ? La composition des corps expéditionnaires du bellum Iudaicum prouve le contraire84. En réalité, dans cette région, Rome pouvait compter cohortes quingénaires, seules les cohortes I Alpinorum (CIL, III, 3315), I Noricorum (AE, 1960, 19), II Alpinorum (CIL, III, 3646), III Alpinorum (RHP, 245), VII Breucorum (CIL, III, 15148), I Belgarum (CIL, III, 14630) disposent de ce statut avec certitude. Cela fait un minimum de six cohortes quingénaires mixtes, neuf si l’on retient le ratio de 70%. 80 HOLDER (2003), 115-7 et 129. Dans cette province, la rareté des inscriptions militaires empêche de savoir quelles cohortes étaient equitatae. Nous conservons donc le ratio de 70% (i.e. 17 cohortes mixtes sur un total de 24). 81 BIVAR (1972) ; COULSTON (1986). 82 Le Norique se trouve notamment à la jonction des théâtres d’opération quades et marcomans : cf. ALFÖLDY (1974), chap. 9. Alföldy observe à propos du rôle stratégique du gouverneur de la province (ibid., 143) : « in co-operation with the army of Raetia, he had to keep open the communications between the two great northern armies of the Rhine and in Pannonia. » 83 LUTTWAK (1976), 87. 84 Cf. infra, p. 273.
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sur le soutien immédiat de royaumes clients, disposant de puissantes forces montées, rompues aux modes de combat des adversaires parthes et arabes85. L’analyse des effectifs de la cavalerie régulière seule offre donc une image biaisée de la réalité.
C. La localisation des unités de cavalerie à l’échelle provinciale La disposition des troupes montées à l’échelle des provinces ne semble pas obéir à une logique unique. David Breeze souligne que la localisation des garnisons tient compte d’un ensemble de facteurs : la nature du terrain, la proximité des routes, les lignes d’avancement, les menaces potentielles, la nature des forces disponibles, etc., ce qui est déjà le signe d’une pensée stratégique rationnelle et aboutie86. Massimo Biancardi soutient pour sa part que « le condizioni geografiche e del terreno non fossero elemento fondante per l’acquartieramento della cavalleria »87. Les considérations opérationnelles sont selon lui prééminentes. Tirant avantage de la mobilité de la cavalerie, les autorités romaines n’assignent pas aux unités montées le contrôle d’un secteur unique, mais tendent plutôt à les cantonner à la jonction de plusieurs zones d’opération, par souci d’économie88. Elles privilégient notamment les carrefours, les nœuds routiers 85 Contrairement à l’opinion défendue par LUTTWAK (1976), 111-7, les royaumes alliés demeurent un élément important du dispositif militaire romain en Orient sous les Antonins. À l’époque d’Hadrien, l’Osrhoène (passée dans l’alliance impériale à l’issue de la guerre parthique de Trajan, cf. ROSS [2001], chap. 2) et l’Arménie mineure (Arr., Acies, 12) sont en mesure de fournir de nombreux archers montés aux légats, sans compter les alliés du Caucase comme l’Ibérie et l’Albanie (HA, Hadr., 17, 11-2 ; 21, 13). Pour ce qui concerne spécifiquement la Syrie, le rôle stratégique du royaume d’Édesse comme vivier de recrutement de troupes irrégulières était suffisamment important pour que les Arsacides tentent de renverser le parti pro-romain en 163. Cf. ROSS (2001), 44 (sur la base des informations fournies par la chronique syriaque de Zuqnîn). 86 BREEZE (1993), 197. 87 BIANCARDI (2004), 183. Plusieurs exemples sont révélateurs. Le fort d’Echzell, occupé par l’ala I Flauia Gemina miliaria sous Trajan (cf. BAATZ dans REDDÉ ET AL. [2006], 270), est environné de collines. L’ala II Flauia miliaria, l’un des contingents de cavalerie les plus importants d’Europe continentale, a été successivement en garnison à Heidenheim puis à Aalen, en plein Jura souabe : JUNKELMANN (1991), II, 83-97. Le camp de Linz (Lentia), quartiers de l’ala I Thracum Victrix, fait face au massif de Bohême : ILLPRON, 950 ; KARNITSCH (1970), 59. 88 Cf. BIANCARDI (2004), 182 : la garnison d’Echzell (une pointe avancée en Germanie libre) fait peser une menace sur les arrières du territoire des Chattes en cas de tentative d’invasion de leur part ; les sites de Heidenheim et Aalen sont idéaux pour détacher des contingents de cavaliers vers l’Ouest (en Germanie supérieure) ou vers l’Est (dans la vallée de l’Altmühl) ; Linz fournit également une réserve mobile de troupes montées entre Rétie et Norique.
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depuis lesquels les cavaliers peuvent apporter un renfort rapide aux garnisons attaquées89 ou intercepter un raid ennemi de manière à ralentir sa progression et permettre à l’infanterie de se rassembler et de frapper à son tour90. La gestion d’une ressource aussi coûteuse que la cavalerie oblige en effet l’État romain et les administrations provinciales à rechercher des solutions organisationnelles complexes mais parcimonieuses. On note par ailleurs une distinction fréquente des rôles entre les ailes et les cohortes montées. En Bretagne, Biancardi estime que les cohortes equitatae assurent le contrôle de la limite externe des confins, avec une répartition régulière sur le limes qui montre que leur raison d’être réside dans l’idée même de frontière (patrouilles et contrôle des environs immédiats) alors que les ailes se voient réserver « il presidio di importanti nodi stradali, per esempio Corbridge e Carlisle, che sono i due punte focali nel sistema di communicazione tra Ingliterra settentrionale et Scozia. »91. Cette distinction nous semble globalement valable pour les autres provinces européennes92. Des « anomalies » apparaissent cependant difficilement explicables si l’on se limite à cette conception. Comment interpréter, par exemple, le fait que la cavalerie est beaucoup plus nombreuse sur le mur d’Hadrien que sur le mur d’Antonin ? Faut-il en revenir à une explication insistant sur la géographie physique, comme le fait David Breeze, pour qui les vallées et les collines qui se trouvent en face du second mur seraient peu adaptées au combat de cavalerie93 ? La présence d’une nombreuse force de cavalerie romaine lors de la campagne du Mons Graupius nous semble contredire cette hypothèse94. Faut-il alors conclure avec Biancardi que les Romains n’avaient pas l’intention de contrôler l’Écosse, et que cette résolution stratégique les aurait convaincus de ne pas disposer sur le mur une forte concentration de troupes 89 Suivant des modalités décrites à plusieurs reprises dans le De bello Gallico : e.g. Caes., BG, V, 26, 3 ; 46, 4 ; VI, 41, 2. 90 Cf. infra, p. 250-5. 91 BIANCARDI (2004), 153-4. 92 En particulier dans le cas de la Germanie supérieure et de la Pannonie, ce qui peut être déduit des cartes éloborées par BREEZE (1993), 294 et BIANCARDI (2004), tav. 26 pour l’époque d’Hadrien. Concernant la Dacie, comparer les observations de GAZDAC (1997), 158 sur la répartition des alae (« all the cavalry units are not on the border line […] but behind it, in order to have the possibility to operate for an emergency in one or other point from the frontier ») et URECHE (2009), 331 sur celle des cohortes mixtes (« The cohortes equitatae were usually placed in the front line of the limes, alongside the cohortes peditatae, while the alae were a little behind to be able to operate on a wider area. »). 93 BREEZE (1993), 288. 94 Au moins 3 000 cavaliers romains étaient présents lors de la bataille (Tac., Agr., 35, 2). Cf. infra, p. 273.
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montées ? Ce serait ignorer les projets ultérieurs de conquête du nord de l’île, en particulier celui de Septime Sévère95. Il nous semble que le cas du mur d’Antonin ne peut s’expliquer que par des considérations d’ordre tactique : les peuples de Calédonie ne disposaient pas de véritables forces de cavalerie, à la différence des peuples du nord de l’Angleterre96. Il n’était par conséquent pas nécessaire de stationner sur place d’importants effectifs montés pour contrer leurs raids efficacement97. Dans un travail récent, Jörg Scheuerbrandt a proposé de pousser plus loin l’analyse de la logique de répartition des corps de troupes, en rationnalisant la stratégie romaine de défense aux frontières, qui obéissait selon lui à des normes issues de la littérature tactique grecque98. Se fondant sur l’exemple de la Germanie supérieure, l’historien allemand suppose que la distribution des unités auxiliaires permettait la constitution rapide de petits corps d’armée placés sous le commandement de préfets d’aile. Chaque corps (στῖφος) se constituait d’une aile de cavalerie, de sept à huit cohortes, et avait un secteur défini sous sa juridiction99. Ces secteurs d’intervention s’étendaient sur une distance de 80 à 100 kilomètres, ce qui aurait permis à la cavalerie de venir secourir une garnison attaquée en moins d’une journée. Quant aux cohortes, elles auraient été réunies en groupes de trois à quatre unités formant une ἐπιξεναγία sous le commandement d’un officier accomplissant sa deuxième milice équestre (commandant d’une aile milliaire ou d’une unité REED (1975-1976) ; BIRLEY (1971, 1999 2e éd.), chap. 16. CHRISTOL (1998, 2006 2 éd.), 38, citant Hor., Carm., III, 5, 3, rappelle que la soumission complète des Bretons pouvait être perçue par les Romains comme un signe de domination œcuménique, ce qui rendait la conquête de l’île très attractive pour les empereurs en quête de gloire militaire. 96 La cavalerie est complètement absente de la description que Tacite donne de l’armée de Calgacus lors de la bataille du Mons Graupius (83/84 ap. J.-C.) : Tac., Agr., 35-7 (contra CAMPBELL [2010], 77, mais l’auteur se fonde sur une mauvaise leçon de Tac., Agr., 36, 3). À l’inverse, les Bretons vivant au nord du mur d’Hadrien combattaient comme cavaliers, et leur mode de combat était une préoccupation particulière des forces romaines en poste dans le secteur, cf. Tab. Vindol., II, 164 : Brittones nimium multi equites gladis non utuntur equites nec residunt Brittunculi ut iaculos mittant (il pourrait s’agir d’un rapport destiné au commandant de l’unité : cf. AUSTIN & RANKOV [1995], 171-2). 97 À l’inverse, voir le cas de la Pannonie inférieure qui serait, selon Breeze, le seul secteur de l’Empire où les garnisons de cavalerie étaient espacées de façon régulière : BREEZE (1993), 295. Cette présence ubiquiste s’explique peut-être par la menace des Sarmates Iazyges, dont la cavalerie légère était susceptible de pénétrer facilement dans la province en cas d’absence de forces montées affectées à la garde des frontières. 98 SCHEUERBRANDT (2004), 124-30. 99 Ibid., 129. L’ala Scubulorum contrôlerait un secteur correspondant à la frontière rétique et au Main ; l’ala Indiana, le Mainufer et la Vettéravie orientale ; l’ala Moesica, un secteur s’étendant entre la Vettéravie occidentale, le Taunus et le Rhin. 95
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de citoyens romains)100. Un tel modèle, s’il s’applique au limes de Germanie supérieure sous le règne d’Hadrien, ne correspond pas du tout à la situation connue dans les autres provinces. Il accorde en outre une place beaucoup trop importante à la théorie militaire hellénistique, dont l’influence sur les pratiques réelles des Romains, au-delà de la simple coquetterie littéraire, reste à prouver. On peut toutefois retenir l’idée de l’existence de petits groupes opérationnels, commandés par des préfets de cavalerie, ce qui correspond bien à la pratique décrite par les sources narratives lors des campagnes militaires101. Prenons l’exemple de la Rétie à l’époque d’Hadrien, qui est à la fois bien documenté par l’archéologie et par l’épigraphie (fig. 19)102. La cavalerie est largement concentrée dans la partie centrale de la province, entre Heidenheim et Pförring. On trouve sur place trois ailes de cavalerie quingénaire, l’ala I Flauia Gemelliana à Kösching103 et l’ala I Flauia singularium à Pförring104, dont les garnisons sont séparées par seulement dix kilomètres de distance, l’ala Hispanorum Auriana à Weissenburg I105, et un nombre important de cohortes montées. L’ala II Flauia miliaria, en poste à Heidenheim, est excentrée dans la partie occidentale de la province106. Le ratio entre le nombre d’ailes et de cohortes ne permet pas de constituer des groupes opérationnels du type de ceux décrits par Scheuerbrandt. On peut éventuellement proposer des associations d’une aile pour trois à huit cohortes107, mais ces groupements ne 100
Respectivement, les tribuns des cohortes XXIV uoluntariorum c.R., I Germanorum c.R, I c.R., XXXII uoluntariorum c.R, I Damascenorum miliaria sagittariorum et XXVI uoluntariorum c.R. On ne comprend pas pourquoi ces groupements d’unités sont associés par Scheuerbrandt au στῖφος et à l’ἐπιξεναγία qui, dans la littérature tactique, ne constituent pas des corps mixtes mais des formations de fantassins légers (Asclep., 6, 3 ; Ael., Tact., 16, 3 ; Arr., Tact., 14, 5). 101 Cf. infra. 102 FARKAS (2015), 214-22. 103 Ibid., 127-8. 104 Ibid., 131-2. 105 Ibid., 122-4. 106 Ibid., 125-6. 107 Un groupe I, comprenant l’ala II Flauia miliaria (Heidenheim), la cohors I Raetorum (Eislingen-Salach), la cohors VI Lusitanorum (Urspring), la cohors IV Tungrorum miliaria uex. (Faimingen I). Un groupe II comprenant l’ala Hispanorum Auriana (Weissenburg I), la cohors III Thracum ueterana (Oberdorf am Ipf ?), la cohors IX Batauorum miliaria equitata (Ruffenhofen ?), la cohors III Thracum c.R. equitata (Gnotzheim), la cohors III Bracaraugustanorum equitata (Theilenhofen). Un groupe III, comprenant l’ala I Flauia Gemelliana (Kösching), la cohors IX Batauorum miliaria equitata (Weissenburg II), la cohors VI Lusitanorum (Burgsalach I ?) et la cohors I Breucorum c.R. (Pfünz). Un groupe IV comprenant l’ala I Flauia singularium (Pförring), la cohors II Tungrorum uex. (Eining I ?), la cohors III Brittanorum (Regensburg-Kumpfmühl ?), la cohors II
Figure 19 – Déploiement de l’armée romaine en Rétie à l’époque d’Hadrien.
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présentent aucune régularité et correspondent encore moins au modèle théorique évoqué plus haut. Les distances entre les camps n’obéissent pas non plus à la logique des secteurs d’intervention définie par Scheuerbrandt108. Il faut donc renoncer à fournir toute interprétation unitaire, fondée sur une conception christallérienne de l’espace, qui ne tiendrait pas compte des multiples contraintes qui pèsent sur la localisation des garnisons. II – LA
CAVALERIE AUX FRONTIÈRES
ET LA DÉFENSE DES CONFINS IMPÉRIAUX
La description de la répartition des garnisons aux frontières ne serait d’aucune utilité sans une présentation des missions de la cavalerie. Celles-ci révèlent comment un système statique fonctionnait de façon dynamique contre des menaces de basse intensité ou des attaques majeures. Mais il convient de garder à l’esprit que la fonction des troupes montées n’était pas seulement d’ordre tactique et que celles-ci jouaient aussi un rôle important dans la liaison des différents secteurs frontaliers et le renseignement.
A. Le déploiement des hommes et les missions de la cavalerie en temps de paix Le camp permanent constitue l’environnement immédiat du cavalier auxiliaire à l’époque antonine. Protégé par un fossé et un rempart, il accueille les casernements des garnisonaires, les quartiers du commandant et les bâtiments administratifs de l’unité109. Le plus souvent, chaque camp est conçu pour abriter une cohorte ou une aile, mais il arrive que plusieurs troupes différentes se côtoient au sein d’un même établissement110. Par ailleurs, tous les soldats d’un même régiment n’ont Aquitanorum c.R. (Regensburg-Kumpfmühl), la cohors II Raetorum (Straubing IV), la cohors I Flauia Canathenorum miliaria sagittariorum (Straubing III), la cohors III Batauorum miliaria (Moos-Burgstall ?), la cohors V Bracaraugustanorum (Künzing) et la cohors IV Gallorum (Passau I ?). 108 Environ 150 kilomètres séparent le camp de l’ala I Flauia singularium à Pförring du camp de la cohors IV Gallorum, situé sur la bordure orientale de la province à Passau. 109 Sur les camps auxiliaires spécifiquement, voir CAMPBELL (2009). 110 DAVISON (1989), I, passim. Voir l’exemple des equites Vardulli (de la cohors I Fida Vardullorum), dont la présence est attestée à Vindolanda au début du IIe s., aux côtés des
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pas vocation à occuper leur castellum de façon permanente : ils sont régulièrement détachés du camp principal pour occuper des postes secondaires111. Il peut s’agir d’avant-postes fortifiés ou de tours de guet situées au devant du dispositif frontalier, parfois en territoire ennemi. En Pannonie, des forts auxiliaires et des postes plus petits se succèdent ainsi sur la route de l’ambre entre Carnuntum et Poetouio, souvent séparés par une distance équivalente à une journée de marche. Des équipements et des stèles de cavaliers ont été découverts sur ces sites ou dans leurs environs immédiats, ce qui prouve la présence, au moins temporaire, de soldats montés112. Quelques documents administratifs confirment l’existence de ces détachements. Les tablettes de Vindolanda mentionnent régulièrement des equites missi, sans que la nature de leur « mission » ne soit précisée113. Le pridianum d’une cohorte equitata égyptienne, daté de 215, donne un ordre de grandeur : 126 soldats absunt in choram, c’est-à-dire sont absents de la garnison principale, sur un total de 457 inscrits dans les rôles114. Un autre état d’effectif appartenant à la cohors I Hispanorum ueterana equitata, stationnée en Mésie, montre que sur les 119 cavaliers de la garnison en 105, beaucoup remplissent, hors du camp (situé à Stobi), des tâches allant de la surveillance des mines à la réquisition d’animaux pour le compte de l’armée, en passant par la reconnaissance, l’escorte des convois, la garde des bâtiments administratifs provinciaux, etc.115. soldats de la cohors I Tungrorum (Tab. Vindol., II, 181, l. 14). Il est aussi possible que des détachements d’ailes auxiliaires aient séjourné dans des camps légionnaires, comme le suggère CIL, IX, 2213 = ILS, 1164 : legat(o) leg(ionis) / II Italicae et alae Antoni/ nianae. 111 HODGSON & BIDWELL (2004), 142. 112 MRÁV (2010-2013). 113 Tab. Vindol., II, 252, col. ii, l. 2 (lettre de Caecilius September au préfet Cerialis) : equitem ad te misi. Tab. Vindol., II, 268, col. ii, l. 7-8 (lettre adressée au préfet Cerialis) : tibi missi… equitem. Tab. Vindol., II, 300, col. i, l. 4-5 (lettre adressée au décurion Lucius) : equites remisi ad castra iiii. 114 P. Brook., 24, col. ii, l. 13. 115 P. Lond., 2851 = ChLA, III, 219 = RMR, 63. Les chiffres sont lacunaires, mais la nature des affectations est lisible : « pour aller chercher des vêtements en Gaule » (in Gallia uestitum) ; « pour acquérir du blé » (fumintat[u]m) ; « pour réquisitionner des chevaux » (?) (trans er r[e]m equatum) ; « pour surveiller les mines en Dardanie » (in Dardania ad metella) ; « à la garde du légat » (singulares Fabi Iusti legat) ; « aux bureaux du procurateur impérial Latinianus » (officii Latiniani proc Aug) ; « en garnison » / « en détachement » dans des praesidia (Pirob[o]ridauae in praesidio ; Buridauae in uexillatione) ; « en expédition au-delà du Danube » (trans Danuuium in expeditionem) ; pour escorter des convois de ravitaillement (ad annona[m] defendendam ; ad naues frumentarias) ; « en reconnaissance » (exploratum) ; « à la garde du palais du gouverneur »
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Cette fragmentation des effectifs est abondamment documentée par les archives de la cohors XX Palmyrenorum sagittariorum miliaria equitata, dont le quartier général se trouvait à Doura Europos durant la première moitié du IIIe s.116. Les papyrus conservés montrent qu’aux environs de l’année 220, sept fortins dépendent de la garnison principale : Magdala, Appadana, Barbalissos, Becchufrayn, Birtha, Castellum Arabum et Chafer Auira117. Ces sites sont parfois très éloignés de Doura. Barbalissos se trouve à environ 300 kilomètres, sur le cours supérieur de l’Euphrate118. Becchufrayn (moderne Kifrin) est localisé à plus d’une centaine de kilomètres en aval du fleuve, sur la bordure du royaume parthe119. Dans ce dernier fort, au moins 73 fantassins et 20 cavaliers sont installés en détachement en 219 ap. J.-C., sous le commandement d’un centurion (ordinatus)120. Comme le souligne Corentin Méa, ces avant-postes « sont destinés à contrôler les voies stratégiques conduisant aux portes de l’Empire, mais aussi menant au cœur des territoires adverses »121. L’implantation des troupes démontre qu’il existe « une réelle réflexion stratégique car les détachements forment une chaîne aux maillons serrés où chaque sous-unité peut rejoindre l’autre en moins d’une journée de cheval et elles disposent de secteurs potentiels de patrouille qui se recoupent, créant un rideau défensif théoriquement imperméable à toute tentative d’intrusion »122. À côté des soldats assurant la garde des places fortes du MoyenEuphrate, d’autres cavaliers de la cohors XX Palmyrenorum sont absents du fort pour des motifs très divers. Dans le pridianum de l’année 219, (ad praetorium) ; « à la garde des animaux de bât ou du bétail » (in custodia iu[mentorum] ; ad armenta). 116 JAMES (2004), 16-25 ; EDWELL (2008), 119-46. 117 P. Dura, 100 et 101 = RMR, 1 et 2. Voir MÉA (2014), 211-3, qui propose une reconstitution de ce système (carte 8). Certaines localisations doivent toutefois être corrigées. Appadana ne se trouve pas sur la rive droite du Khabur mais sur l’Euphrate, au nord de Doura : EDWELL (2008), 69-70 (qui admet cependant que l’emplacement précis du site demeure incertain). Magdala (= Magdalathum) n’est pas situé sur le cours inférieur du Khabur mais beaucoup plus au nord, à environ 140 km de la confluence avec l’Euphrate, et sur la rive gauche de la rivière : ibid., 77-8. Quant à Birtha, il s’agit probablement de Birtha Asporakos (future Zenobia), à environ 150 km de Doura : ibid., 81. La localisation de Chafer Auira demeure inconnue. 118 Ibid., 89. 119 INVERNIZZI (1986). 120 P. Dura, 100 = RMR, 1. 121 MÉA (2014), 211. 122 Ibid., 212. Cependant, il convient de signaler que la plupart des sites fortifiés n’ont pas été fondés par les Romains et que ces derniers n’ont bien souvent fait que réoccuper des établissements plus anciens.
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trois sont affectés à l’escorte de l’empereur (ad Dominum nostrum), Élagabal, alors en route pour Rome123. D’autres sont détachés à la garde du gouverneur (singulares consularis)124 ou à celle de son palais (ad praetorium), à la chasse aux lions (ad leones), à l’escorte des convois de ravitaillement en blé (ad frumentum) et en orge (ad hordeum ou in prosecutionem hordiatorum), aux reconnaissances (exploratores) ; d’autres encore forment le personnel administratif des bureaux du gouverneur (officio). Enfin, les cavaliers sont les seuls soldats à même de fournir les estafettes et les escorteurs nécessaires à l’administration provinciale. Les registres de Doura mentionnent respectivement 14 et 15 equites dispositi125. Le verbe disponere signifie « placer à intervalles » et ne peut renvoyer ici qu’à des courriers disposés de façon régulière sur les grands itinéraires routiers du limes126. Pour leur part, les escorteurs sont appelés prosecutores et ont pour fonction d’accompagner certains officiers ou animaux, ou de protéger les convois de ravitaillement en transit dans la région127.
123 P. Dura, 100. Cf. CHRISTOL (1998, 2006 2e éd.), 54. Le pridianum d’une cohorte equitata égyptienne inconnue, daté de 215 (P. Brook., 24), mentionne des soldats détachés insecutionem eius. D’après DAVIES & THOMAS (1977), 61, il pourrait s’agir d’une « escort of honour to Caracalla ». Mais cette proposition est incertaine et ne cadre pas exactement avec la chronologie de la visite de cet empereur en Égypte : RODRIGUEZ (2012), 245, n. 72. 124 Voir l’étude exhaustive de SPEIDEL (1978) (nr. 63 et 64 pour les papyrus en question). Les archives de Doura confirment que les equites singulares consularis ne formaient pas une unité distincte, mais un contingent constitué de soldats détachés de leurs unitésmères : le numerus equitum singularium consularis. Speidel pense néanmoins que leur effectif pouvait atteindre, voire dépasser le seuil de 500 soldats (ibid., 11-5). Dans des cas très rares, ces détachements pouvaient aboutir sur la création de véritables unités autonomes (ibid., 54-66). 125 P. Dura, 100 et 101 = RMR, 1 et 2. 126 DAVIES (1989), 59. Cf. Liv., XXXVII, 7, 11 (Gracchus […] per dispositos equos prope incredibili celeritate Pellam peruenit) ; Tac., Agr., 43, 4 (per dispositos cursores nuntiata). Dans le désert de Bérénice, les dispositi sont postés dans les praesidia qui dépendent du camp de l’ala Vocontiorum à Koptos. Voir CUVIGNY (2005), chap. i. Ils se répartissent sur environ 180 km, le long de la route de Myos Hormos. Pour le fortin de Krokodilô, concernant la période de février-mars 108, la documentation nous fait connaître trois estafettes : Καιγιζα, Αἴστις et Εἰαλ. Le premier nom est d’origine dace. Le deuxième est manifestement dérivé du nom latin Aestivus. Le dernier est d’origine libyque ou sémitique. Chacun de ces trois hommes était identifié par un numéro qui le désignait de façon permanente : Kaigiza étaient le n°1, Eial le 2, Aistis le 3. 127 DAVIES (1989), 62-3. Dans la documentation de Krokodilô, ce service est appelé la παραπομπή. Sont ainsi escortés de fortin en fortin : des chameaux, un centurion, un responsable des douanes à Myos Hormos, des ânes chargés de paille et d’orge, un dromadaire dépêché auprès du préfet de Bérénice. Cf. CUVIGNY (2005), 7.
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B. La gestion des menaces de basse intensité et la lutte contre le « brigandage » Nombre d’études ont déjà souligné combien, dans les sources romaines, la frontière entre le brigandage, la guérilla de frontière et les véritables soulèvements de populations soumises à l’imperium Romanum est ténue128. Cela ne signifie pas que la figure du bandit (latro / λῃστής) doit être considérée comme un mirage littéraire129. Aujourd’hui, plus personne ne conteste le fait que l’armée romaine pouvait servir de force de police130. Cette tâche serait même devenue prééminente au cours de la période impériale131. La documentation papyrologique montre que les cavaliers des garnisons frontalières pouvaient avoir affaire à des brigands et que la gestion de cette menace comportait des risques : dans l’état d’effectif de la cohors I Hispanorum ueterana, un eques figure dans la liste des soldats décédés avec la mention occisus a latron[i]bus132. Les provinces n’étaient pas les seules régions touchées par ce problème endémique. En 206-207, Septime Sévère (alors en campagne en Bretagne) dut envoyer un important détachement d’equites (singulares ?) en Italie pour mettre fin aux activités de Bulla Felix, un chef de bande qui, selon Cassius Dion, était parvenu à rassembler et armer 600 hommes133. 128 MACMULLEN (1966), 255-68 et MCGING (1998), 160 montrent comment cette catégorie conceptuelle pouvait être utilisée pour désigner, pêle-mêle, des brigands, des pirates, des armées barbares menant des incursions dans l’Empire, des prétendants malheureux et des chefs nationaux révoltés. Voir également GRÜNEWALD (1999), 7-14 et BATTY (2007), 480-2. TRAINA (1986-1987), 275 estime que, dans l’esprit des Romains, la lutte contre ces différents ennemis de l’ordre impérial relevait du même mode opératoire, celui de la petite guerre, opposée au bellum iustum et livrée le plus souvent dans des espaces marginaux. Voir également LORETO (2006), 133-9. 129 SHAW (1989, 1992 trad. fr.) ; MCGING (1998). 130 Voir en particulier le témoignage de Tert., Apol., II, 8 : Latronibus uestigandis per uniuersas prouincias militaris statio sortitur. 131 FUHRMANN (2012), 8 et chap. 8. 132 P. Lond., 2851 = ChLA, III, 219 = RMR, 63, col. ii, l. 10. Pour d’autres exemples concernant la frontière danubienne, voir BATTY (2007), 482-3 et WHATELY (2016), 84. 133 Cass. Dio, LXXVI, 10. Voir SPEIDEL (1994a), 63. L’importance de la cavalerie dans la répression de ces activités de brigandage s’explique par le mode opératoire des bandits, fondé sur la mobilité et la déception : « quand on le voyait, on ne le voyait pas ; quand on le trouvait, on ne le trouvait pas ; quand on le saisissait, il n’était pas pris » (οὔτε δὲ ἑωρᾶτο ὁρώμενος οὔτε εὑρίσκετο εὑρισκόμενος οὔτε κατελαμβάνετο ἁλισκόμενος). Certaines sources décrivent explicitement les brigands comme des cavaliers (e.g. Fronton, Ad M. Caes., II, 16) et une constitution de 364 interdit aux individus qui ne sont pas des sénateurs, des honorati, des notables locaux ou des vétérans de monter des chevaux dans le sud de l’Italie (CTh., IX, 30, 1), dans le dessein explicite de mettre un terme au brigandage (cf. CTh., IX, 30, 2).
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La mission de maintien de l’ordre de l’armée romaine impliquait ainsi parfois de véritables opérations militaires. Outre le brigandage, la cavalerie pouvait être chargée de mater les violences urbaines qui éclataient régulièrement dans les grandes villes de l’Empire134. L’ala Sebastenorum joua ce rôle en Judée peu avant le déclenchement de la grande révolte de 66. Elle fut notamment employée pour réprimer les émeutes des Galiléens en Samarie135. Dans l’éventualité où un véritable engagement militaire était nécessaire, la cavalerie pouvait servir à lancer des actions de contre-guérilla contre des groupes mobiles de combattants pratiquant la déception. Tacite signale ainsi que, lors de la révolte des Clitae en Cilicie (52 ap. J.-C.), les insurgés se réfugièrent dans les hauteurs pour échapper aux colonnes montées détachées par le gouverneur de Syrie. Ils parvinrent à mettre en déroute la cavalerie commandée par le préfet Curtius Severus « à cause de l’âpreté du terrain environnant, qui, propice à un combat d’infanterie, ne permettait pas une bataille équestre »136. L’affaire fut finalement réglée grâce à l’intervention du roi de Commagène Antiochus IV. Enfin, les confins de l’Empire romain pouvaient être la cible de raids de pillage organisés par des populations frontalières. Ces déprédations sont explicitement avérées dans plusieurs cas, notamment dans la documentation récemment mise au jour à Krokodilô. Au début du IIe s., ce praesidium situé sur la route entre Koptos (quartiers de l’ala Vocontiorum) et Myos Hormos était menacé par les populations nomades du désert oriental égyptien137. Certains de leurs raids ressemblent à de banales opérations de brigandage. Un rapport, daté du 10 décembre 108, dont des copies ont été communiquées pour information aux curateurs occupant des postes dans la région, raconte ainsi une attaque survenue au Mons Claudianus, où étaient exploitées d’importantes carrières138 : « … Caninius décurion (?) de l’ala Apriana. [Le …] du mois de Choiak, 50 (?) chameaux [ayant été enlevés ?] par (?) 18 barbares […] puits du (?) Claudianus et je les ai poursuivis (ou nous les avons…) [avec ?] trois cavaliers et des fantassins […] à travers des zones impraticables et nous les avons combattus. [A été tué ?] Lucretius Priscus, cavalier de la cohorte […], turme de Sosinius ; a été frappé à coups de bâton [Un tel], MACMULLEN (1966), chap. v ; FUHRMANN (2012), 82 et s. Jos., BJ, II, 58 ; 63 ; 74 ; 236 ; 260. 136 Tac., Ann., XII, 55, 2 : quod duri circum loci peditibusque ad pugnam idonei equestre proelium haud patiebantur. 137 CUVIGNY (2003), II, 327-9 et 351-2. 138 O. Krok., 6. Cf. CUVIGNY (2005), 35-7. 134 135
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de la même cohorte, turme d’Iust[… …] Mais, surpris par la nuit […], nous nous sommes repliés sur le fortin […]. »139. Mais dans d’autres cas, les attaques prenaient l’allure de véritables actions d’envergure. Des ostraca datés de septembre-octobre 109 évoquent à plusieurs reprises des affrontements avec les « barbares »140. Le premier document contient un inventaire des victimes du côté romain, identifiées par leur nom et leur turme ; au moins deux morts sont signalés141. Un soldat a reçu une flèche à la tête (l. 15) et des montures ont été blessées (l. 11). Le second est une circulaire destinée aux officiers de la route de Myos Hormos. Elle signale que le 6 octobre, 61 barbares ont été tués et recommande aux destinataires d’être sur leurs gardes, « en prévision d’éventuelles représailles », suppose Hélène Cuvigny142. Mais le document le plus intéressant est sans contredit l’ostracon géant dit « des barbares », racontant l’attaque du praesidium de Patkoua (probablement situé en Basse-Nubie) par 60 pillards, le 13 mars 118143. Le raid commence à 14 heures et les combats se poursuivent jusqu’à la tombée de la nuit avant de reprendre le lendemain. Le fort est défendu par les soldats de la cohors II Ituraeorum equitata : « À Cassius Victor, centurion de la Deuxième cohorte des Ituréens, Antonius Celer, cavalier de la même cohorte, salut. Je souhaite t’informer que, le 17 du mois de Phamenôth courant, 60 barbares ont attaqué le fortin de Patkoua. Je les ai combattus avec les camarades que j’avais avec moi depuis la 10e heure jusqu’à la deuxième heure de la nuit, puis ils ont assiégé le fortin jusqu’à l’aube. Ce jour-là a été tué Hermogenès, fantassin de la centurie de Serenus, ont été enlevés une femme et deux enfants, un (autre) enfant a été tué. À l’aube du 18 du [même] mois, nous les avons combattus et Damanais, cavalier de la centurie de Victor (la tienne) [a été tué] ; a été frappé Valerius Firm[… …] ainsi que son cheval [… … Un tel] de la centurie Proculeiana […] à la 6e heure du jour » (trad. H. Cuvigny)144.
C. – La lutte contre les raids d’armées extérieures Les renseignements fournis par les sources littéraires sur les modalités d’intervention de la cavalerie impériale en cas d’intrusion d’armées 139 140 141 142 143 144
Ibid., 36 (trad. H. Cuvigny). O. Krok., 47. Ibid., 47, col. i. Ibid., 47, col. iii. Cf. CUVIGNY (2005), 91. O. Krok., 87 (notamment l. 27-44). Cf. CUVIGNY (2005), 135-54. Ibid., 150.
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barbares sur le sol romain sont très rares, ce qui explique probablement pourquoi les innovations de l’Empire tardif en la matière ont été exagérées145. Pourtant, le peu d’éléments dont nous disposons montre que, sous le Principat, les moyens de la lutte contre les menaces frontalières étaient sensiblement les mêmes que sous le Bas-Empire. Les petites troupes mobiles, installées aux confins des régions militarisées, étaient toujours les premières à intervenir dans le cadre d’opérations de guérilla destinées à ralentir l’ennemi et à laisser le temps aux forces légionnaires de se rassembler pour livrer un engagement décisif. Ce schéma se retrouve dès l’époque augustéenne, lors du raid des Sicambres, des Usipètes et des Tenctères en Gaule, en 17-16 av. J.-C. Cassius Dion explique que les Germains commencèrent d’abord par crucifier des citoyens romains qui se trouvaient sur leur territoire, puis qu’ils traversèrent le Rhin et livrèrent la province romaine au pillage. Il ajoute que la cavalerie des Romains (τό τε ἱππικὸν τὸ τῶν Ῥωμαίων) vint à leur rencontre (ἐπελθόν), mais qu’elle fut attirée dans une embuscade et mise en déroute146. Ce n’est que dans un second temps que Lollius, gouverneur de la Gallia comata, fut défait avec ses troupes, probablement l’infanterie légionnaire dont Velleius Paterculus précise qu’elle se composait des soldats de la legio V Alaudae147. Cette séquence révèle bien, d’une part, l’intervention préalable des ailes auxiliaires, destinée à endiguer l’avancée des barbares par des actions de harcèlement, et d’autre part, la concentration des forces légionnaires dans la perspective de la bataille rangée. Lorsqu’ils sont confrontés à des raids de pillage, les Romains attendent généralement que leurs ennemis soient chargés de butin pour les attaquer sur le chemin du retour, ce qui leur permet à la fois de forcer l’engagement et de combattre dans des conditions avantageuses. En 50 ap. J.-C., 145 Voir infra, p. 419-32. La guérilla de frontière est un sujet généralement négligé par les spécialistes du Principat. Parmi les synthèses récentes, seule C. Gilliver en fait état dans un développement cursif qui confond défense aux frontières et petite guerre au sens large, sans donner d’exemples concrets relevant de la première catégorie. Cf. GILLIVER dans SABIN ET AL. (2007), II, 141-3. Voir également GOLDSWORTHY dans le même volume (p. 93-5). On consultera avec plus de profit la thèse (malheureusement inédite) de J. Scheuerbrandt, dans laquelle l’auteur reprend à son compte le concept Grenzkrieg. Cf. SCHEUERBRANDT (2004), 19. Pour une étude dont la perspective embrasse une chronologie plus étendue et qui se concentre sur la « formalisation » de la guérilla de frontière dans la littérature technique, cf. TRAINA (1986-1987). 146 Cass. Dio, LIV, 20, 4-5 : Σύγαμβροί τε γὰρ καὶ Οὐσιπέται καὶ Τέγκτηροι τὸ μὲν πρῶτον ἐν τῇ σφετέρᾳ τινὰς αὐτῶν συλλαβόντες ἀνεσταύρωσαν, ἔπειτα δὲ καὶ τὸν Ῥῆνον διαβάντες τήν τε Γερμανίαν καὶ τὴν Γαλατίαν ἐλεηλάτησαν, τό τε ἱππικὸν τὸ τῶν Ῥωμαίων ἐπελθόν σφισιν ἐνήδρευσαν, καὶ φεύγουσιν αὐτοῖς ἐπισπόμενοι τῷ τε Λολλίῳ ἄρχοντι αὐτῆς ἐνέτυχον ἀνέλπιστοι καὶ ἐνίκησαν καὶ ἐκεῖνον. 147 Vell. Pat., II, 97, 1. Voir aussi Tac., Ann., I, 10, 4 et Suet., Aug., 23, 1.
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lors d’une incursion des Chattes en Germanie supérieure, le gouverneur P. Calvisius Sabinus Pomponius Secundus détache des auxiliaires vangions et némètes (auxiliares Vangionas ac Nemetas)148, ainsi que des cavaliers d’aile (addito equite alario)149, leur donnant pour instruction de devancer les pillards (monitos ut anteirent populatores) et d’encercler à l’improviste les soldats dispersés (uel dilapsis improuisi circumfunderentur). Les auxiliaires se divisent en deux colonnes (agmina) : l’une d’entre elles rencontre les barbares peu après leur retour (petiuerant recens reuersos), alors qu’ils sont encore encombrés de butin ; elle les enveloppe (circumuenere)150. La deuxième colonne parvient à livrer un combat (aciem) victorieux contre un autre groupe de barbares. Pendant ce temps les légions se rassemblent dans le mont Taunus, en territoire ennemi, afin de délivrer le coup de grâce. Les Chattes décident finalement de capituler151. Tout le problème est de savoir si les auxiliaires ont attaqué les Germains alors qu’ils étaient encore dans la province où s’ils intervinrent in solo barbarico. Le sens général des opérations incline plutôt en faveur de la deuxième option. Un dernier exemple mérite d’être commenté ici. Il s’agit du raid des Sarmates Rhoxolans en Mésie, dont Tacite décrit le déroulement au cours de l’année 69152. Cet épisode, trop souvent négligé dans la bibliographie 148 Les premiers sont probablement les soldats de la cohors I Vangionum equitata. Aucune unité auxiliaire némète n’est connue pour le Haut-Empire en dehors de cette mention. 149 Plusieurs ailes sont attestées en Germanie supérieure sous les derniers JulioClaudiens : l’ala Parthorum et Araborum (AE, 1959, 188), l’ala I Hispanorum (CIL, XIII, 11317 ; 7026-7), l’ala I Noricorum (CIL, XIII, 7029-30), l’ala Augusta Gallorum Petriana (CIL, XIII, 6755 ; 6820 ; 11605), l’ala Gemelliana (AE, 1992, 1277), l’ala Moesica (AE, 1992, 1276) et peut-être aussi l’ala Gallorum Flauiana. Cf. BIANCARDI (2004), 93-102 et 123-39. 150 Tac., Ann., XII, 27, 2-3 : Dein P. Pomponius, legatus, auxiliares Vangionas ac Nemetas, addito equite alario, , monitos ut anteirent populatores uel dilapsis inprouisi circumfunderentur. Et secuta consilium ducis industria militum, diuisique in duo agmina, qui laeuum iter petiuerant recens reuersos praedaque per luxum usos et somno graues circumuenere. 151 Ibid., XII, 28, 1-2 : At qui dextris et propioribus compendiis ierant, obuio hosti et aciem auso plus cladis faciunt, et praeda famaque onusti ad montem Taunum reuertuntur, ubi Pomponius cum legionibus opperiebatur, si Chatti cupidine ulciscendi casum pugnae praeberent. Illi metu, ne hinc Romanus, inde Cherusci, cum quis aeternum discordant, circumgrederentur, legatos in Vrbem et obsides misere. Sur cette campagne, voir LAEDERICH (2001), 115-6. 152 Tac., Hist., I, 79. Voir COULSTON (2003). Sur les contacts entre Rome et les Sarmates en général, voir CAH, X, 356, 775, 820 ; XI, 95-6, 168-72, 235 ; SULIMIRSKI (1970), 130-7 et 164-82 ; BATTY (2007), 356-65 ; LEBEDYNSKY (2002, 2014 2e éd.), chap. 6. Sur la pratique de la guerre chez les Sarmates : MIELCZAREK (1993), 95-102 ; LEBEDYNSKY (2002, 2014 2e éd.), chap. 16.
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moderne, présente un intérêt historique majeur : pour la première fois, l’empire romain est touché par une incursion massive de nomades cavaliers sur le secteur danubien, une configuration stratégique appelée à devenir déterminante dans l’Antiquité tardive153. Profitant de leur excellente mobilité, vantée par des auteurs tels que Pline l’Ancien (un contemporain des faits)154, les Sarmates, au nombre de 9 000, franchissent le Danube et font irruption dans la province, avec l’intention de faire du butin (praedae […] intenta). L’attaque a lieu en hiver, au moment de l’année où le fleuve est à son étiage, donc plus facile à traverser155. La description de Tacite implique très clairement le fait que les barbares sont parvenus à percer le système défensif romain et à piller la Mésie sans rencontrer d’opposition significative. Les Romains attendent le moment opportun pour lancer leur contre-offensive : lorsque les Rhoxolans, dispersés et chargés de butin (Sarmatae dispersi aut cupidine praedae graues onere sarcinarum), s’apprêtent à repasser le Danube, empêtrés sur des chemins glissants (lubrico itinerum – phénomène de raspoutitsa lié à la fonte des neiges de printemps ?), ils sont brusquement engagés par la legio III Gallica, accompagnée d’auxiliaires, dont une part probablement importante de cavaliers156. Dans ces circonstances favorables, les troupes impériales parviennent à massacrer les pillards. Si la campagne de 69 est un succès, il semble que dans la plupart des cas, l’Empire était démuni face à de telles attaques. D’après Josèphe, les Sur les confrontations entre Rome et les nomades danubiens, cf. BATTY (2007), 441-56. Cassius Dion note que les Romains eurent affaire aux Sarmates à deux reprises avant l’année des quatre empereurs : en 16 av. J.-C. (Cass. Dio, LIV, 20, 3) et en 6 ap. J.-C. (ibid., LV, 30, 4). Par ailleurs, la stèle funéraire du légat de Mésie T. Plautius Silvanus suggère que ce gouverneur dut défendre sa province contre les Sarmates sous le règne de Néron (ILS, 986). Mais rien ne laisse supposer des attaques d’une aussi grande ampleur que celle de l’année 69. Dans le passage relatif à cet épisode, Tacite précise que les Rhoxolans avaient déjà mené un raid dans l’Empire l’hiver précédent (donc 67-68), et qu’ils avaient massacré deux cohortes, cf. Tac., Hist., I, 79, 1 (priore hieme caesis duabus cohortibus). 154 Plin., HN, VIII, 65 ; XXV, 43-4. 155 COULSTON (2003), 416, suppose qu’il était peut-être même gelé (voir Cass. Dio, LIV, 36, 2). Les cavaleries nomades étaient d’autant plus efficaces en hiver que leurs chevaux avaient l’habitude de creuser dans la neige pour chercher de l’herbe à manger, cf. SINOR (1972), 178-9. 156 Tac., Hist., I, 79, 1-4 : Conuersis ad ciuile bellum animis, externa sine cura habebantur. Eo audentius Rhoxolani, Sarmatica gens, priore hieme caesis duabus cohortibus, magna spe Moesiam inruperant, ad nouem milia equitum, ex ferocia et successu praedae magis quam pugnae intenta. Igitur uagos et incuriosos tertia legio adiunctis auxiliis repente inuasit. Apud Romanos omnia proelio apta ; Sarmatae dispersi aut cupidine praedae graues onere sarcinarum et lubrico itinerum adempta equorum pernicitate uelut uincti caedebantur. 153
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Sarmates traversèrent le Danube une nouvelle fois l’année suivante, sans être aperçus (ἄδηλοι) précise l’auteur, qui insiste par ailleurs sur le caractère « tout à fait imprévisible de leur attaque » (διὰ τὸ παντάπασιν ἀνέλπιστον τῆς ἐφόδου). Les Sarmates neutralisèrent dans un premier temps les forces romaines isolées dans les différents postes frontaliers présents sur le Danube (ἐπὶ τῆς φρουρᾶς Ῥωμαίων ἀναιροῦσι). Ils purent ensuite défaire le gouverneur de Mésie qui se portait à leur rencontre et ravager librement toute la province, avant d’être repoussés par le nouveau légat impérial envoyé par Vespasien, Rubrius Gallus157. L’épisode illustre bien la porosité du système défensif impérial, notamment contre des armées de cavaliers hautement mobiles, opérant le plus souvent en hiver. L’Empire n’a d’autre choix que de sacrifier temporairement sa périphérie avant d’organiser des contre-offensives qui ne peuvent apporter des résultats que si les circonstances s’y prêtent ou si les nomades acceptent de livrer bataille158. Une autre solution semble avoir été de s’allier à d’autres tribus nomades, notamment les Sarmates Iazyges, installés dans le bassin de la Tisza159. Mais les sources narratives restent muettes quant à l’efficacité de cette pratique. Dans l’immédiat, au lendemain du raid de 69, la réaction de l’Empire consista à fortifier la frontière danubienne. Josèphe précise que Rubrius Gallus établit de nouvelles garnisons sur le Danube, de façon à rendre aux barbares la traversée du fleuve plus difficile160. L’archéologie 157
Jos., BJ, VII, 90-3. Ce dernier point ressort bien de l’Ordre de bataille contre les Alains : dans la description d’Arrien, rien n’est fait pour forcer les nomades à accepter l’engagement ; tout dépend entièrement de la volonté de ces derniers à attaquer l’exercitus de Cappadoce, que l’auteur tient étrangement pour acquise. 159 Cf. Tac., Hist., III, 5, 1 (fin de l’année 69) : Ac ne inermes prouinciae barbaris nationibus exponerentur, principes Sarmatarum Iazugum, penes quos ciuitatis regimen, in commilitium adsciti. Plebem quoque et uim equitum, qua sola ualent, offerebant. 160 Jos., BJ, VII, 94. Cf. supra, n. 72. Les contempteurs de Luttwak mettent souvent en cause la viabilité des cours d’eau comme lignes de défense (ISAAC [1990, 1992 2e éd.], 410-3 ; WHITTAKER [1994], 61 et [2004], 4), ignorant toute la littérature militaire moderne qui s’est attachée à définir les avantages stratégiques et tactiques – bien réels – que procure ce type d’obstacle naturel au défenseur. Voir notamment Clausewitz, De la guerre, VI, 18-9 (éd. Naville p. 494-511), qui estime que dans certaines circonstances, la défense fluviale peut être considérée comme « l’une des meilleures mesures stratégiques » : la traversée des fleuves (notamment des grands fleuves comme le Rhin ou le Danube) impose à l’attaquant un temps d’arrêt qui peut permettre à la défense d’organiser et de concentrer ses moyens, puis d’engager l’ennemi en situation de supériorité numérique et tactique (pendant la traversée, alors que toute l’armée n’a pu passer sur l’autre rive, ou après). Pour une évaluation du rôle stratégique et tactique des frontières fluviales dans le monde romain : CAMPBELL (2012), chap. 5 (notamment p. 186-97). Pour une discussion des exemples tardo-antiques : NICASIE (1998), 123-5. 158
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confirme ses dires : c’est en effet à partir du règne de Vespasien que l’exercitus Moesiae commence à se déployer en cordon, de Drobeta jusqu’à la Mer Noire, dans une série de postes fortifiés, disposant parfois de têtes de pont sur la rive nord, et appuyés par la classis Flauia Moesiaca161. Une telle mesure pourrait suggérer qu’en sus des incursions de grande envergure comme celles de 68-69, les populations nomades du Bas-Danube avaient l’habitude de mener des raids plus limités contre lesquels un système défensif linéaire pouvait se révéler efficace. III – LA
MOBILISATION DE LA CAVALERIE
POUR LES OPÉRATIONS DE GRANDE ENVERGURE ET LES GUERRES OFFENSIVES
Sous le Haut-Empire, les grandes entreprises de conquête demeurent fréquentes et fortement valorisées. Le discours officiel promeut l’image d’un imperium sine fine, ayant pour vocation ultime d’embrasser la totalité de l’oikoumène, jusqu’à ses confins océaniques. La légitimité impériale dépend elle-même très largement de la gloire militaire du princeps, qui doit se montrer victorieux au cours de son règne pour s’attirer les suffrages de l’armée et du peuple romain. Ceci explique la récurrence des guerres offensives durant la période allant du règne d’Auguste à la dynastie sévérienne. L’organisation de ces grandes entreprises militaires nécessite cependant de rassembler de puissants corps expéditionnaires, formés à partir de détachements prélevés sur les garnisons frontalières, et de mobiliser des alliés à même de soutenir l’exercitus régulier sur un secteur d’intervention défini.
A. Les détachements de cavalerie Comme nous l’avons vu précédemment, la République romaine avait pris l’habitude, dès le IIe s. av. J.-C., de déplacer d’importants corps de cavalerie auxiliaire sur de vastes distances dans le cadre de ses campagnes ultramarines. Ces grands mouvements de troupes s’observent toujours sous le Haut-Empire. Au Ier s. ap. J.-C., les unités auxiliaires opérant dans des armées de campagne semblent mobilisées dans leur WILKES (2005), 148-59 ; GUDEA (2005), 337-40 ; BATTY (2007), 444-6 ; WHATELY (2016), chap. 5. 161
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totalité : le cadre administratif du régiment sert de base à son organisation tactique. Lors de la guerre de Judée, en 67, l’armée de Vespasien comprend six ailes ; Josèphe précise que cinq d’entre elles proviennent de Syrie162. Dans le cas des opérations de défense aux frontières, l’utilisation de contingents réguliers homogènes semble aussi constituer la règle, y compris au IIe s. Dans l’Ordre de bataille contre les Alains, Arrien mentionne ainsi plusieurs ailes et cohortes dont l’identité régimentale ne semble pas avoir été affectée par des détachements163. À partir du règne de Trajan, on voit cependant apparaître dans la documentation épigraphique des corps auxiliaires de nature différente : ces uexillationes equitum, formées à partir de petits contingents fournis par des unités diverses, sont utilisées pour les grandes expéditions nécessitant des effectifs importants164. Elles sont constituées ad hoc et permettent de sélectionner dans chaque corps de troupes les éléments les plus aptes au combat tout en évitant de trop dégarnir certains secteurs frontaliers, nécessitant une présence militaire continue. Le recours à cette pratique s’observe pour la première fois lors des guerres daciques de Trajan (101-102 / 105-106)165. À côté des unités mobilisées entièrement pour le conflit et qui sont ensuite transférées dans 162 Jos., BJ, III, 64-9. Les ailes de cavalerie connues en Syrie au milieu des années 60 sont au nombre de sept : I Bosporanorum ; Gallorum et Thracum Antiana ; Gallorum et Thracum Constantium ; Veterana Gallorum et Thracum ; Augusta Syriaca ; I Augusta Thracum ; II Augusta Thracum. Cf. DABROWA (1979), 240. L’extrait du De bello Judaico suggère que la plupart d’entre elles furent mobilisées dans le conflit. Dans l’œuvre de Velleieus Paterculus et chez Tacite, on retrouve d’autres exemples de ce type. Cf. SADDINGTON (1970), passim. 163 Arr., Acies, passim. Cf. RITTERLING (1902). 164 Sur les vexillations en général, cf. DOMASZEWSKI (1908), 135-6, SAXER (1967) et en dernier lieu FAURE (2012). 165 Citant Tac., Hist., III, 2, 4 ; 6, 1 et 15, 2, COLOMBO (2009), 103 estime qu’en 69, l’armée d’Antonius Primus se constituait de détachements prélevés sur seize ailes, pour un total de 4 000 cavaliers. La chose est loin d’être aussi évidente. Dans son discours prononcé à Poetouio, Antonius Primus mentionne les forces dont pouvait disposer le parti flavien dans l’éventualité d’une guerre en Italie. Il évoque le spectacle de « seize ailes chargeant ensemble » (Tac., Hist., III, 2, 4 : Duae tunc Pannonicae ac Moesicae alae perrupere hostem ; nunc sedecim alarum coniuncta signa). L’image n’implique pas que les partisans de Vespasien mobilisèrent effectivement seize alae de Mésie et de Pannonie lors des opérations de l’automne 69. Et à supposer que ce fût le cas, le texte de Tacite semble bien indiquer le déplacement d’unités entières. En Hist., III, 6, 1, Tacite parle bien de détachements d’infanterie auxiliaire (uexillarios e cohortibus) mais pas de détachements de cavalerie : il se contente de signaler qu’une partie de la cavalerie provinciale (partem equitum) fut envoyée en Italie. En Hist., III, 15, 2, il est question de 4 000 cavaliers détachés dans la plaine de Bédriac, mais le texte ne précise pas s’il s’agissait de la totalité de la cavalerie du corps expéditionnaire, ni si ces escadrons étaient eux-mêmes issus de détachements prélevés sur les unités régulières de Pannonie et de Mésie.
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la nouvelle province de Dacie, d’autres corps de troupes reçoivent des récompenses pour leur participation aux opérations contre Décébale sans pour autant changer de lieu de stationnement166. Voici la liste des ailes concernées : Tableau 8 – Liste des ailes impliquées (en partie ou en totalité) dans les guerres daciques de Trajan. Province d’origine
Unités
Mésie inférieure
Ala I Asturum ; Ala I Bosporanorum miliaria ; Ala I Vespasiana Dardanorum ; Ala I Flauia Gaetulorum ; Ala I Claudia Gallorum Capitoniana ; Ala I Gallorum Flauiana ; Ala I Hispanorum ; Ala II Hispanorum Arauacorum ; Ala I Pannoniorum Ala Claudia noua ; Ala II Pannoniorum ; Ala Praetoria singularium Ala I Augusta Ituraeorum sagittariorum ; Ala I Britannica c.R. ; Ala I Cannanefatium c.R. (?) ; Ala I c.R. ; Ala I Flauia Augusta Britannica miliaria c.R. ; Ala I Hispanorum Arauacorum ; Ala I Pannoniorum Tampiana ; Ala Siliana ; Ala I Thracum uictrix ; Ala I Ulpia contariorum miliaria c.R. Ala I Cannanefatium c.R. (?) Ala I Batauorum miliaria Ala Gallorum Petriana c.R. Ala III Augusta Thracum sagittariorum c.R. Ala I Thracum ueterana sagittariorum
Mésie supérieure Pannonie
Germanie supérieure Germanie inférieure Bretagne Syrie Galatie
On dénombre en tout 26 ailes. Il est inconcevable que l’ensemble de ces unités, provenant des quatre coins de l’Empire, aient été mobilisées entièrement pour une seule guerre, fût-elle importante : cela ferait un minimum théorique de 15 000 cavaliers d’ailes, sans compter les equites singulares, les equites praetoriani, les equites cohortales et les troupes supplétives montées (cavalerie maure de Lusius Quietus, alliés locaux…)167. Il faudrait alors imaginer une concentration de cavaliers dépassant allègrement
Sur ces questions : STROBEL (1984), 80-154 ; MATEI-POPESCU & ŢENTEA (2006). Cass. Dio, LXVIII, 32, 4 (cf. SPEIDEL [1975b], 212, PETERSEN [1968] et HAMDOUNE [1999], 142-9 ; sur Lusius Quietus, cf. PIR², L, 439). On estime souvent que les Sarmates Iazyges prirent part à la première guerre dacique du côté romain en vertu du traité d’alliance qui les unissait à l’Empire : cf. Cass. Dio, LXVIII, 10, 3 et MÓCSY (1974), 91. 166 167
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les 25 000 hommes, ce qui est bien supérieur aux standards de l’époque168. Dans la plupart des cas, ces régiments n’ont fait que détacher une partie de leurs effectifs. Cette hypothèse est confirmée par plusieurs inscriptions contemporaines. L’une d’entre elles nous fait connaître un certain C. Nonius Caepianus, préfet de l’ala I Asturum puis praepositus numeri equitum electorum ex Illyrico, « contingent des cavaliers choisis provenant de l’Illyricum »169. Une autre inscription cite une uexillatio Britannica constituée de trois détachements légionnaires mais aussi d’auxiliaires, dont des cavaliers de l’ala Tampiana170. Enfin, un diplôme daté précisément du 2 juillet 110 congédie des soldats d’une uexillatio equitum ex Syria171. À en juger le manque d’homogénéité des expressions servant à désigner ces formations, la pratique devait être encore récente à l’époque de Trajan172. Mais elle pouvait désormais se réclamer d’un précédent important. Des détachements de cavaliers furent à nouveau 168
Cf. infra, p. 271-4. CIL, XI, 393 = ILS, 2739 (règne de Trajan). SAXER (1967) ne retient pas cette inscription dans son inventaire des vexillations impériales. Voir pourtant STROBEL (1984), 147-8 et CHRISTOL (1981b), 136. La uexillatio / numerus equitum electorum Illyricorum se retrouve en Dacie dans un diplôme militaire daté du 22 mars 129 (CIL, XVI, 75 = SAXER [1967], n°48) : uexillation(e) equit(um) lllyricor(um). Voir aussi CIL, III, 1197 (Apulum) : Tutor Siluan[i] / eq[ue]s alae Bos[p(oranorum)] / ex n(umero) Illyr(icorum). Nous pensons qu’il s’agit dans tous les cas de la même unité, qui finit par devenir l’ala Illyricorum attestée en Dacia Porolissensis dès l’époque antonine, à Brîncoveneşti (AE, 1992, 1472) : Aurel(ius) Vale(n)s sesq(uiplicarius) alae / Inlyri(corum). À un moment intermédiaire, ce régiment semble avoir eu l’appellation hybride et peu conventionnelle d’ala numeri Illyricorum. Cf. AE, 1987, 829 (Apulum) : Ael(io) Dubita/to missicio / alae Bat(auorum) ex / a(la) n(umeri) Il(l)yr(icorum). Confirmé par une estampille trouvée à Vecs (AE, 1992, 1474) : Al(a) I n(umeri) Il(l)yr(icorum). 170 CIL, III, 4466 (Carnuntum) : equ(es) al(a)e Tam(pianae) ue/x(illationis) Brit(annicae). Cette vexillation aurait été envoyée sur le Danube dès le règne de Domitien. Cf. SAXER (1967), 24-5 (n°42) et STROBEL (1984), 99-102. On peut penser que des cavaliers de l’ala Augusta Gallorum Petriana en faisaient aussi partie puisque l’unité reçut une récompense pour sa participation aux guerres daciques tout en conservant son lieu de stationnement en Bretagne. Cf. SPAUL (1994), 180-1. 171 CIL, XVI, 164 (Brigetio) : equitib(us) et peditib(us) qui militant in alis / IIII et cohortibus X quae appel/lantur… et uexillationis equitum ex Syria / et sunt in Pannonia inferiore sub T. Iulio / Maximo Manliano. Cf. SAXER (1967), 25-6 (n°43) et STROBEL (1984), 148. 172 Nous estimons qu’il y a là une confirmation de la datation haute proposée par certains historiens pour le traité de castramétation du Ps.-Hygin : celui-ci ne mentionne aucune uexillatio equitum et a donc de fortes chances de dater du début du règne de Trajan, ou éventuellement du règne de Domitien. À moins que les Mauri equites du traité soient à assimiler à des uexillarii, comme le suppose SPEIDEL (1975b), 211. Mais on comprend mal pourquoi l’auteur n’utiliserait pas ce terme, qu’il n’hésite pourtant pas à appliquer aux détachements légionnaires. Voir en outre CIL, XVI, 114 (Mésie supérieure, 161 ap. J.-C.), qui désigne bien, sous le nom de Mauri equites, une troupe d’irréguliers (cf. NÉMETH [1997], 103-5 ; HAMDOUNE [1999], 154-5). 169
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mobilisés pour la guerre parthique du même empereur173, et au-delà, jusqu’à la « crise » du IIIe s. Le pridianum de la cohors I Hispanorum ueterana, daté de l’année 105, détaille peut-être la manière dont étaient constituées ces vexillations : il mentionne 23 cavaliers détachés trans Danuuium in expeditionem. Ces cavaliers appartenaient probablement à la uexillatio equitum Illyricorum qui servit sous les ordres de Caepianus. La répression des révoltes maures qui éclatent sous le règne d’Antonin le Pieux fournit un deuxième exemple bien documenté de mobilisation des forces de cavalerie auxiliaires. Cette guerre, qui se déroule entre 145 et 152, est à peine évoquée par les sources littéraires, qui se font plus discrètes sous la dynastie antonine174. Mais l’épigraphie permet de savoir avec une grande précision quelles unités y prirent une part active175. À un premier niveau, nous pouvons constater la participation d’unités locales. La legio III Augusta d’Afrique proconsulaire est mobilisée, de même que les troupes auxiliaires d’Afrique du Nord176. À l’échelle de l’Empire, des renforts sont envoyés des provinces de Norique, de Pannonie et de Mésie : il s’agit de troupes légionnaires et auxiliaires. Parmi ces dernières, on note seulement la présence de cavaliers. L’élément clé du dossier est un diplôme militaire découvert sur l’emplacement de l’ancien camp de Brigetio, à la fin du XIXe s., et daté de l’année 150177. Ce document dresse la liste des régiments stationnés de Pannonie supérieure. Il nous apprend que certaines ailes de cavalerie avaient des soldats mobilisés en Maurétanie Césarienne sous le commandement de Porcius 173 Cf. CIL, VI, 32933 = ILS, 2723 = IDRE, I, 21 (Rome ; époque de Trajan) : L(ucio) Paconio L(uci) f(ilio) Pal(atina) / Proculo… praef(ecto) uexillation(is) eq(uitum) Moe/ siae infer(ioris) et Daciae eunti / in expeditione Parthic(a) donis / militar[ib(us)] donato. Cf. SAXER (1967), 26 (n° 44). 174 Paus., VIII, 43, 3 ; HA, Ant., 5, 4. Concernant la datation du conflit, voir en dernier lieu FARKAS (2011), 189 et n. 3 (avec réf. antérieures). 175 Une abondante bibliographie a abordé la question depuis le travail pionnier de CAGNAT (1892, 1912 2e éd.), 47-50. Voir notamment BARADEZ (1954) ; LE GLAY (1959) ; SPEIDEL (1977a) ; CHRISTOL (1981b) ; BENSEDDIK (1982), 148-54 ; FARKAS (2011). 176 CAGNAT (1892, 1912 2e éd.), 48 ; BARADEZ (1954), 128 (voir cependant LE BOHEC [1989a], 378) ; BENSEDDIK (1982), 151. 177 CIL, XVI, 99 = ILS, 9056 : equitib(us) qui militauerunt in al[is V quae] / appell(antur) I Hispanor(um) Arauacor(um) [et III Aug(usta)] / Thrac(um) sagit(tariorum) quae sunt [i]n Pann(onia) su[p]e[rio]/r(e) sub Claudio Maximo item I Fla[uia] / Britann(ica) | (miliaria) c(iuium) R(omanorum) et I Thrac(um) ueter(ana) sag[it(tariorum)] / et I Aug(usta) Itureor(um) sagit(tariorum) quae sunt in Pa[nn(onia)] / inferior(e) sub Cominio Secundo quin[is] / et uicenis plurib(usue) stip(endiis) emer(itis) d[i]m[iss(is)] h[o]/nest(a) miss(ione) per Porcium Vetustinum / proc(uratorem) cum essent in expedition(e) Maure/tan(iae) Caesarens(is)…
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Vetustinus, procurateur. Son contenu a récemment été complété par la découverte d’autres diplômes, qui fournissent des inventaires similaires pour les provinces de Norique, de Pannonie inférieure et de Mésie inférieure178. Voici la liste des unités concernées : Tableau 9 – Liste des ailes danubiennes impliquées dans la répression de la révolte des Maures sous Antonin le Pieux. Province d’origine Norique
Pannonie supérieure
Pannonie inférieure
Mésie inférieure
Unités Ala I Commagenorum miliaria sagittariorum ; Ala I Augusta Thracum ; Ala I Pannoniorum Tampiana Ala I Ulpia contariorum miliaria ; Ala I Thracum sagittariorum c.R. ; Ala I Hispanorum Arauacorum ; Ala I Cannanefatium c.R. ; Ala III Augusta Thracum sagittariorum Ala I Flauia Britannica miliaria c.R. ; Ala I Thracum ueterana sagittariorum ; Ala I Augusta Ituraeorum sagittariorum Ala I Gallorum Atectorigana ; Ala I Vespasiana Dardanorum + deux autres alae inconnues180
Commandant(s) responsable(s) du détachement T. Varius Clemens, procurator179
T. Varius Clemens et Q. Porcius Vetustinus, procuratores
Q. Porcius Vetustinus, procurator
Flavius Flavianus, procurator
Nous ne disposons pas de document équivalent pour la Mésie supérieure. Mais la participation d’une vexillation légionnaire issue de cette province rend fort probable l’hypothèse d’une uexillatio equitum Moesiae 178 Pannonie inférieure : RMM, 32 (24 septembre 151). Mésie inférieure : AE, 2006, 1213 (156 ?). 179 Plusieurs inscriptions de Celeia, dans le Norique, mentionnent ce personnage. L’une d’elles le décrit comme praefectus auxiliariorum tempore expeditionis in Tingitaniam missorum (CIL, III, 5211 = ILLPRON, 1673 = ILS, 1362) ; les trois autres comme praefectus auxiliorum in Mauretaniam Tingitanam ex Hispania missorum (CIL, III, 5212 = ILLPRON, 1674 = ILS, 1362a ; CIL, III, 5214 = ILLPRON, 1676 ; CIL, III, 5215 = ILLPRON, 1677 = ILS, 1362b). Tout cela suggère que les soldats danubiens qui faisaient partie de sa vexillation arrivèrent en Maurétanie depuis l’Espagne. Sur T. Varius Clemens, voir ŠAŠEL (1983). 180 Il peut s’agir de l’ala I Gallorum et Pannoniorum, de l’ala I Flauia Gaetulorum ou de l’ala II Hispanorum Arauacorum qui sont aussi attestées en Mésie inférieure à l’époque d’Antonin.
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superioris181. La présence de cavaliers danubiens sur le sol africain lors de la guerre contre les Maures est confirmée par plusieurs épitaphes mentionnant des unités pannoniennes en Maurétanie Césarienne182. Il ne fait aucun doute que ces ailes conservèrent leur garnison d’origine puisqu’elles figurent dans les diplômes émis pour les vétérans des deux provinces de Pannonie avant, pendant et après le conflit. Michael P. Speidel et Michel Christol ont démontré de manière convaincante que les troupes de renfort envoyées en Afrique n’étaient pas des unités entières, mais des détachements de soldats183. Cette hypothèse a été confirmée par la découverte, à Fedjana, près de Tipasa, d’une dédicace religieuse réalisée par quatre décurions de la uexillatio alae Augustae, c’est-à-dire d’un détachement de cavaliers de l’ala I Augusta Thracum, unité dont les quartiers se trouvent en Norique184. À ce titre, il est intéressant de remarquer que dans l’inscription CIL, VIII, 21620, le soldat de l’ala I Ulpia contariorum mentionne sa turme de rattachement. Cela suggère que les cavaliers n’étaient pas détachés individuellement, mais plutôt par turmes complètes, pour faciliter la recomposition d’une nouvelle unité tactique assimilable à une aile sur le théâtre d’opération185.
181 Un diplôme très fragmentaire de Viminacium (Mésie supérieure), daté de 151, contient le texte suivant (RMD, V, 405 = AE, 2006, 1184) : Gall(orum) [quae sunt in ---] / sub Egr[ilio ? Plariano ? ---] / quae est [in --- sub ---]/no legat[o quinis et uicenis pluribusue stipen]/di(i)s emeri[tis dimissis honest(a) mission(e) per] / Varium C[lementem proc(uratorem) cum essent in expe]/d[it(ione)? ---]. Deux ailes sont connues dans cette province pour la période allant de 132 à 159 : l’ala Claudia noua miscellanea et l’ala Gallorum Flauiana (RMD, IV 247 [132 ap. J.-C.] ; RMM, 31 [151 ap. J.-C.] ; RMM, 37 [157 ap. J.-C.] ; CIL, XVI, 111 [159 ap. J.-C.]). 182 AE, 1955, 131 (Tipasa) : ala I Ituraeorum. AE, 1955, 132 (Tipasa) : ala I Britannica. CIL, VIII, 9291 (Tipasa) et CIL, VIII, 21620 (Portus Magnus) : ala I Ulpia contariorum. AE, 1955, 133 (Tipasa) : ala Cannanefatium. 183 CHRISTOL (1981b), 138-9. SPEIDEL (1977a), 132 souligne qu’il aurait été très risqué de retirer de la frontière pannonienne cinq unités montées qui jouaient un rôle important dans la défense des deux provinces contre les Marcomans et les Iazyges. C’est d’ailleurs pour cette raison que furent transférés en Pannonie inférieure des éléments de l’ala III Batauorum miliaria, jusque-là stationnée en Rétie, cf. CIL, XVI, 179 et 180 (148 ap. J.-C.). 184 AE, 1975, 651 : I(oui) O(ptimo) M(aximo) Victoria/e Noreiae sac(rum) / uexellatio / al(ae) Aug(u)s(tae) Se(ntius) Ex/oratus Spectati/us Viator decuriones / exercitus Norici / quibus praeest Iul(ius) / Primus | (centurio) leg(ionis) XIIII G(eminae) u(otum) s(oluerunt) l(ibentes) m(erito). Sur l’ala I Augusta Thracum, voir SPAUL (1994), 228-30. 185 Dans le même ordre d’idée, on ne sera pas étonné de constater que les remansores, ceux qui n’étaient pas détachés et « demeuraient » dans les quartiers de l’unité, formaient eux aussi des turmes complètes : voir le cas des equites singulares Augusti mentionnés dans une dédicace collective offerte à Rome le 1er avril 200 : CIL, VI, 225 = 30720 = ILS, 2186 = Denkm., 56 (avec FAURE [2012], 401-2).
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La seule inscription détaillant avec précision la composition d’une vexillation de cavalerie ne date pas du règne d’Antonin le Pieux, mais plutôt de celui de son successeur Marc Aurèle (161-180). Il s’agit du décret gravé par la colonie de Byllis (en Macédoine) en l’honneur de M. Valerius Lollianus. Après qu’il eut exercé ses trois milices équestres, Lollianus prit le commandement d’une uexillatio equitum electorum in Mesopotamia, probablement constituée dans le cadre de l’expédition parthique de Lucius Vérus (161-166). L’inscription livre la liste des unités qui fournirent des cavaliers pour permettre la mise sur pied de ce contingent : six ailes et quinze cohortes montées186. Dans un article récent, Rudolf Haensch a montré que ces corps auxiliaires sont ceux que l’on retrouve dans deux diplômes syriens datant respectivement de 153 et 157187. Ils avaient donc probablement tous leur garnison dans la province de Syrie au moment du déclenchement de l’expédition. On peut se demander pourquoi les autorités impériales prirent la décision de former une unité tactique à partir de toutes les unités montées de la province. La réponse la plus évidente est que leur présence en Syrie était rendue nécessaire par la quantité de tâches que la cavalerie remplissait sur place en temps normal. Cela permettait aussi d’aguerrir des soldats de l’ensemble de ces unités, dans une région qui n’avait pas été touchée par la guerre depuis la fin du règne de Trajan. À supposer que chaque corps de troupes ait détaché une turme, nous aurions une vexillation forte de vingt-et-une turmes, soit environ 630 cavaliers.
186 CIL, III, 600 = ILS, 2724 = SAXER (1967), n° 64 : M(arcus) Valerius M(arci) f(ilius) Quir(ina) Lollianus… praepositus in Mesopotamia uexillationibus equitum electorum alarum / praetoriae Augustae Syriacae Agrippianae Herculianae / singularium item cohortium I Lucensium II Ulpiae equit(atae) / c(iuium) R(omanorum) I Fl(auiae) c(iuium) R(omanorum) I(I) Thracum III Ulpiae Paflagonum II eqquitum I / Ascalolitanorum I Fl(a)u(iae) Chalcidenorum V Petr(a)eorum IIII / Lucensium I Ulpiae Petr(a)eorum II Ulpiae Paflago{g}num I Ulpiae / sagittariorum III Dacorum I Syngambrum… La datation a fait polémique. R. Paribeni (suivi par J. Guey) penchait pour la guerre parthique de Trajan. E. Bormann (suivi par A. von Domaszewski, R. Saxer et H.-G. Pflaum) préfère l’époque de Marc Aurèle. D. Kennedy hésite entre le règne de Trajan et celui d’Hadrien. Dernièrement R. Haensch et P. Weiß ont démontré de manière convaincante que l’allusion à la Mésopotamie est à mettre en relation avec la guerre parthique de Lucius Verus. Cf. HAENSCH & WEISS (2012) (avec bibl. antérieure). 187 AE, 2006, 1841 ; CIL, XVI, 106. Les six ailes sont attestées dans ces documents, de même que treize des quinze cohortes montées de la uexillatio equitum electorum commandée par Lollianus. Les cohortes qui ne sont pas attestées dans ces diplômes sont la cohors II equitum et la cohors III Dacorum. Dans le dernier cas, il y a peut-être une erreur du lapicide macédonien : on aurait alors affaire à la cohors I Dacorum, bien attestée dans les diplômes susmentionnés.
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Un dernier ensemble de documents nous renseigne sur la présence de détachements de cavaliers auxilaires originaires d’Afrique du Nord dans les provinces danubiennes au IIe s. Ces vexillations furent peut-être créées pour la première fois lors des guerres daciques de Trajan, comme le suggère l’inclusion des titres pia fidelis dans la nomenclature de certaines unités de Maurétanie, à l’époque où eut lieu ce conflit188. Les soldats détachés des alae concernées étaient manifestement accompagnés par des troupes irrégulières, fournies par les tribus maures fédérées à l’Empire et commandées par Lusius Quietus189. C’est en tout cas l’association que l’on retrouve un demi-siècle plus tard, lorsqu’un diplôme daté du 8 juillet 158 les mentionne pour la première fois : il y est question des uexil(larii) Afric(ae) et Mauret(aniae) Caes(ariensis) qui sunt cum Mauris gentilib(us) in Dacia super(iore)190. L’identité de ces uexillarii a fait couler beaucoup d’encre, de même que la date de leur déplacement en Dacie191. Au vu de l’état actuel de la documentation, il nous semble peu probable qu’il s’agisse d’un simple personnel d’encadrement pour les Mauri gentiles192. Il faudrait plutôt y voir un véritable détachement constitué à partir des unités auxiliaires régulières de Maurétanie et d’Afrique193. Nous interprétons dans le même sens les informations fournies par la célèbre inscription de M. Valerius Maximianus, datant de 183-184 et mentionnant, dans
188 FARKAS (2011), 191. Six ailes sont concernées par ces changements de titulature. Or, comme le souligne l’auteur, ces unités ne peuvent pas avoir pris part à des opérations militaires importantes en Maurétanie dans les premières décennies du IIe s. 189 Cf. HAMDOUNE (1999), 142-9. Sous Domitien, Quietus commandait déjà un escadron de cavalerie (Cass. Dio, LXVIII, 32, 4 : ὅτι Κυῆτος Λούσιος Μαῦρος μὲν ἦν καὶ αὐτὸς τῶν Μαύρων ἄρχων ὢν καὶ ἐν ἱππεῦσιν ἰληγὸς ἐξήταστο), selon PETERSEN (1968) et HAMDOUNE (1999), 144 une véritable ala, en tant que praefectus. Le même passage de Cassius Dion, conservé dans les Excerpta de uirtutibus et uitiis précise que le contingent commandé par ce personnage, lors de la première guerre dacique de Trajan, avait été fourni en vertu de l’alliance des Maures (Μαύρων συμμαχίας). 190 CIL, XVI, 108 : equitib(us) et pedit(ibus) qui milit(auerunt ) in alis III / quae appellantur… et cohortibus… uex(illariis) Afric(ae) / et Mau[r(etaniae)] et Caes(ariensis) qui sunt cum Maur(is) / gentilib(us) in Dacia super(iore) et sunt / sub Statio Prisco leg(ato). Voir également, désormais, AE, 2007, 1763 et ECK & PANGERL (2014), 169. 191 Pour SPEIDEL (1975b), 209, les Mauri gentiles auraient été recrutés à la suite du traité mettant fin à la révolte de la Maurétanie sous le règne d’Antonin. HAMDOUNE (1999), 165, souligne que la présence de Mauri equites dans le secteur date plutôt des guerres de Trajan. 192 Selon l’hypothèse de MANN (1954), 502, n. 15, reprise par SPEIDEL (1975b), 208-9, n. 31-2. Mais voir les remarques de HAMDOUNE (1999), 151. 193 Comme le suggérait SAXER (1967), 32 (n°61).
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le contexte des années 169-170, une praepositura equitum Afrorum et Maurorum electorum ad curam explorationis Pannoniae194. Résumons-nous. À partir du règne de Trajan, les autorités impériales prennent l’habitude de former des corps expéditionnaires montés composés de détachements fournis par des groupes d’unités auxiliaires. Il s’agit d’unités appartenant à la même province ou à un ensemble inter-provincial homogène (Illyricum, provinces d’Afrique du Nord…). En général leur commandement est confié à des officiers équestres portant le titre de praepositus, de praefectus ou de procurator. On note une relative imprécision dans la dénomination des nouveaux corps de troupes. Le terme uexillatio apparaît le plus souvent, mais il est parfois remplacé par numerus, ou les deux sont utilisés conjointement. L’un et l’autre sont suivis du génitif pluriel equitum, parfois assorti de l’adjectif electorum. Dans la pratique, le terme vexillation peut aussi bien s’appliquer à un détachement prélevé sur une unité auxiliaire (e.g. AE, 1975, 951) qu’au nouveau corps de troupes mobile formé à partir de plusieurs de ces détachements. Ces forces d’intervention peuvent être constituées pour fournir un renfort sur un théâtre d’opération très éloigné. Mais elles peuvent aussi servir directement dans leur région de stationnement. Ces exemples de détachements prouvent que les différents secteurs frontaliers ne sont pas indépendants et qu’il n’y a pas de réponses seulement locales aux menaces extérieures. L’armée impériale constitue bien un système.
194 AE, 1956, 124 (Diana Veteranorum, Numidie) : M(arco) Valerio Maximiano… misso in procinctu / Germanic(ae) exped(itionis) ad deducend(a) per Danuuium quae in annonam Panno(niae) / utriusq(ue) exercit(uum) denauigarent praepos(ito) uexillation(um) clas(sium) praetor(iarum) / Misenatis item Rauennatis item clas(sis) Brittan(n)ic(ae) item equit(um) Afror(um) et Mauror(um) / elector(um) ad curam explorationis Pannoniae. Cf. SAXER (1967), 37-9 (n°68) et surtout PFLAUM (1955) et (1960), I, n°181 bis (p. 476-94). Pour ce dernier, il s’agit de cavaliers fournis par les troupes auxiliaires de l’Afrique (incluant la Numidie) et de la Maurétanie Césarienne, peut-être les mêmes que ceux mentionnés dans le diplôme de 154. ROSSIGNOL (2004), 803-7 n’est pas tout à fait d’accord avec cette interprétation car le lapicide utilise les ethniques Afrorum et Maurorum en lieu et place des dénominations géographiques Africae et Mauretaniae, ce qui indiquerait plutôt des troupes irrégulières. Cet argument est rendu bancal par l’inscription relative au praepositus uexillationis equitum Maurorum de la guerre d’Antonin le Pieux contre les Maures (CIL, VIII, 9045 = ILS, 2766), qui montre bien, dans le cas des auxilia réguliers d’Afrique du Nord, un certain laxisme dans le choix des dénominations ethnogéographiques censées refléter la composition des détachements.
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B. Les troupes irrégulières Les sources du Haut-Empire demeurent discrètes concernant la mobilisation de supplétifs étrangers au service de Rome aux Ier et IIe s. de notre ère. Il convient toutefois de souligner que la mise en place des ailes permanentes puis des numeri ethniques n’a pas fait disparaître cette tradition de recrutement qui demeure une réalité durant toute l’époque impériale. De ce point de vue, la situation ne semble pas avoir fondamentalement changé par rapport à la période républicaine : toutes les campagnes menées aux confins de l’Empire font nécessairement intervenir des troupes alliées, fournies par les gentes externae ou les États amis195. – Au tout début du règne d’Auguste, lors de son expédition vers l’Arabie heureuse, le préfet d’Égypte C. Aelius Gallus a avec lui 1 000 Arabes Nabatéens et 500 soldats issus de la garde personnelle d’Hérode196. – Lors de la grande révolte illyrienne (6-9 ap. J.-C.), Rhoemetalcès, le roi thrace de la confédération odryse, met sa cavalerie au service du gouverneur romain de Mésie A. Caecina Severus197. – Lors de la campagne de Germanicus contre Arminius en 16, le chef chérusque Flavus sert manifestement dans l’armée romaine à la tête d’un contingent de cavalerie198 et le dux Batavorum Chariovalda commande pour sa part un escadron de Bataui nobiles199. – En 24, des troupes maures fournies par le roi Ptolémée de Maurétanie interviennent du côté romain dans la répression de la révolte de Tacfarinas en Numidie200. – Lors de sa tentative de déstabilisation de l’Empire parthe en 35, Tibère utilise les Ibères du Caucase, eux-mêmes aidés par des Albaniens et 195 Pour un survol de la documentation, sans distinction d’arme, voir ROSSIGNOL (2004), 1195-8. L’auteur considère que, passée l’institution des numeri, les troupes supplétives constituées de symmachoi « devinrent par contre moins nombreuses, exceptionnelles et leur durée d’emploi fut sans doute en général très restreinte. Seule une campagne importante, ou une situation critique, pouvait de temps en temps en susciter le besoin. » Ce point nous semble difficile à prouver. Voir également SADDINGTON (1970), qui se limite toutefois au début du Principat. 196 Strab., XVI, 4, 23 (780) : τῶν συμμάχων, ὧν ἦσαν Ἰουδαῖοι μὲν πεντακόσιοι Ναβαταῖοι δὲ χίλιοι μετὰ τοῦ Συλλαίου. Jos., AJ, XV, 317 : συμμαχικὸν ἔπεμψεν Καίσαρι πεντακοσίους ἐπιλέκτους τῶν σωματοφυλάκων. 197 Vell. Pat., II, 112, 4 (equitatui regio) ; II, 113, 1 (equite regio). 198 Tac., Ann., II, 9-10. Un tel contingent n’est pas directement mentionné dans le passage en question mais Tacite précise que Flavus servait in exercitu et le présente comme un cavalier. 199 Ibid., II, 11, 1-3. 200 Ibid., IV, 24, 3 : manus delecti Maurorum.
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des Sarmates, pour défendre son prétendant au trône d’Arménie Mithridate201. En 49, parmi les troupes rassemblées par Iulius Aquila contre l’usurpateur bosporitain Mithridate, on retrouve des cavaliers aorses commandés par leur chef Eunone202. Au cours de la première guerre de Judée (66-73), Josèphe mentionne à plusieurs reprises des supplétifs montés fournis par les royaumes alliés de Rome en Orient203. Lors de la bataille d’Ad Castores en 69, Tacite signale la présence d’un rex Epiphanes du côté othonien : il s’agit de C. Iulius Antiochus Epiphanes, fils du dernier roi de Commagène, C. Iulius Antiochus IV, qui était certainement accompagné de sa garde personnelle d’archers montés204. Toujours au cours de l’année des quatre empereurs, Tacite note que la garnison des provinces de Maurétanie comporte « dix-neuf cohortes, cinq ailes de cavalerie […] ainsi qu’un fort contingent de Maures (ingens Maurorum numerus), troupe que les brigandages et le pillage entraînent à la guerre (per latrocinia et raptus apta bello manus) »205. À la fin de l’année 69, le même historien romain rapporte l’alliance passée par les généraux flaviens avec les Sarmates Iazyges, qui
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Ibid., VI, 34-5. Ibid., XII, 15-6 (notamment 15, 2 : ipsi gratias quaesiuere, missis legatis ad Eunonen, qui Aorsorum genti praesidebat. Nec fuit in arduo societas potentiam Romanam aduersus rebellem Mithridaten ostentantibus). La répartition des tâches entre les troupes alliées et les troupes romaines est synthétiquement explicitée en 15, 2 : equestribus proeliis Eunones certaret, obsidia urbium Romani capesserent. 203 Lorsqu’il entre en campagne en 66, Cestius Gallus dispose d’un fort contingent de troupes royales : 2 000 archers montés fournis par Antiochos IV de Commagène, un nombre quasiment équivalent de cavaliers provenant de l’armée d’Agrippa II et environ 1 300 cavaliers fournis par Sohémos, roi d’Émèse (Jos., BJ, II, 500-1 : πρὸς αἷς τὰς παρὰ τῶν βασιλέων συμμαχίας, Ἀντιόχου μὲν δισχιλίους ἱππεῖς καὶ πεζοὺς τρισχιλίους τοξότας πάντας, Ἀγρίππα δὲ πεζοὺς μὲν τοὺς ἴσους ἱππεῖς δὲ δισχιλίων ἐλάττους, εἵπετο δὲ καὶ Σόαιμος μετὰ τετρακισχιλίων, ὧν ἦσαν ἱππεῖς ἡ τρίτη μοῖρα καὶ τὸ πλέον τοξόται). Voir également BJ, III, 68 (69 ap. J.-C.) : Antiochos, Agrippa, Sohémos et le phylarque arabe Malchos fournissent chacun 1 000 cavaliers à Vespasien (Ἀντιόχου μὲν καὶ Ἀγρίππα καὶ Σοαίμου παρασχομένων ἀνὰ δισχιλίους πεζοὺς τοξότας καὶ χιλίους ἱππεῖς, τοῦ δὲ Ἄραβος Μάλχου χιλίους πέμψαντος ἱππεῖς ἐπὶ πεζοῖς πεντακισχιλίοις, ὧν τὸ πλέον ἦσαν τοξόται). Dans l’ordre de marche de Titus en 70, Jos., BJ V, 47 note la présence d’un contingent royal et des troupes alliées : οἱ βασιλικοὶ καὶ πᾶν τὸ συμμαχικόν (confirmé par Tac., Hist., V, 1, 2). 204 Tac., Hist., II, 25, 2. 205 Ibid., II, 58, 1 (trad. H. Le Bonniec). 202
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s’engagent à mettre leur puissante cavalerie au service de la défense des frontières en Mésie206. Passée l’année des quatre empereurs, les témoignages se font plus rares en raison de l’interruption du récit tacitéen. Mais Cassius Dion mentionne à plusieurs reprises d’importants contingents irréguliers pour le IIe s. et l’épigraphie permet de compléter les lacunes des sources littéraires207. Les exemples d’époque antonine montrent que les Romains recouraient de plus en plus à la déportation massive de combattants déditices ou alliés208, le cas le plus spectaculaire étant celui des Sarmates de Bretagne : en 175, les Iazyges, vaincus par Marc Aurèle, donnèrent « à titre d’alliés » (ἐς συμμαχίαν) 8 000 cavaliers, dont 5 500 furent envoyés sur l’île occidentale209. Leur présence dans le secteur du mur d’Hadrien est confirmée par plusieurs inscriptions210, si bien que Ian Richmond a supposé qu’ils formèrent une véritable colonie militaire à Ribchester, dans le cadre de ce qui fut peut-être une regio Bremetennacensis, disposant d’un vaste saltus propice à l’élevage des chevaux211. 206 Ibid., III, 5, 1 : Ac ne inermes prouinciae barbaris nationibus exponerentur, principes Sarmatarum Iazugum, penes quos ciuitatis regimen, in commilitium adsciti. Plebem quoque et uim equitum, qua sola ualent, offerebant. 207 Sur les cavaliers maures de Lusius Quietus et les Mauri gentiles de Dacie, cf. supra. 208 BARBERO (2006, 2009 trad. fr.), 49-53. 209 Cass. Dio, LXXI, 16, 2 : καὶ ἱππέας εὐθὺς ὀκτακισχιλίους ἐς συμμαχίαν οἱ παρέσχον, ἀφ´ ὧν πεντακισχιλίους καὶ πεντακοσίους ἐς Βρεττανίαν ἔπεμψεν. 210 Voir RICHMOND (1945), 18-21 et CALLIES (1964), 159. Une dédicace à Apollon Maponus, retrouvée à Ribchester (ancien fort de Bremetennacum) et datée de 238-244, nous fait connaître un numerus equitum Sarmatarum Bremetennacensium Gordianus, commandé par un praepositus numeri de rang centurionnaire (CIL, VII, 218 = RIB, 583 ; voir également RIB, 587 [225-235 ap. J.-C.]). Deux inscriptions funéraires enregistrent la présence au même endroit d’une ala Sarmatarum, qui a de fortes chances d’être la même unité (RIB, 594 et 595). Par ailleurs, la Notitia dignitatum situe un cuneus Sarmatarum à Bremetenracum (ND Occ., 40, 54 : Cuneus Sarmatarum, Bremetenraco). En l’absence de datation assurée, il est difficile de dire si les inscriptions RIB, 594 et 595 sont antérieures à celles qui désignent l’unité comme un numerus. L’escadron de Ribchester n’était probablement pas le seul contingent sarmate présent en Bretagne. Une tuile portant l’estampille BSAR a été retrouvée à Catterick-Cataractonium (RIB, 2479). RANCE (2004a), 124, n. 91 suppose qu’il pourrait s’agir d’une mauvaise lecture de N(umerus) Sar(matarum) ou E(quites) Sar(matae). En outre, une stèle funéraire anépigraphique représentant un cavalier sarmate muni d’un casque conique et d’un draco a été découverte à Chester (CSIR, I, 9, 59). ROSSIGNOL (2004), 1207-9 estime que ces témoignages ne sont pas nécessairement à mettre en relation avec l’événement signalé par Cassius Dion pour 175 : « Il nous semble nécessaire de penser que, rapidement après 175, la plus grande partie sinon la totalité des cinq mille cinq cents Sarmates quittèrent l’île. » Cass. Dio, LXXI, 19 souligne en effet que les conditions de la paix conclue en 175 furent allégées un peu plus tard sous le règne de Marc Aurèle. Mais cela n’implique pas automatiquement que tous les Sarmates de Bretagne regagnèrent leur patrie d’origine. 211 RICHMOND (1945), 21-4. Une telle hypothèse demeure purement conjecturale.
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Parallèlement, l’inscription honorifique de M. Valerius Maximianus (c. 183-185) mentionne un poste de praepositus equitum gentium Marcomannorum Naristarum et Quadorum : cavaliers recrutés parmi les tribus des Marcomans, des Naristes et des Quades que Marc Aurèle venait de soumettre en 175212. Ce contingent fut envoyé en Orient pour combattre le soulèvement d’Avidius Cassius. L’expédition tourna court, puisque le gouverneur de Syrie fut assassiné trois mois plus tard, en juillet 175, par un centurion resté fidèle à Marc Aurèle213. Mais il n’est pas à exclure que des Germains restèrent en Orient après cette date, afin d’occuper certains postes frontaliers214. La synchronicité des deux exemples montre que les autorités impériales envisageaient sous un jour nouveau l’utilisation des auxilia externa. Les opérations de recrutement-déportation permettaient à la fois de désarmer les peuples vaincus (en leur retirant une part non négligeable de leur population masculine apte au combat – notamment des nobles qui pouvaient servir d’otages)215 et d’obtenir des troupes spécialisées à moindres frais. Par ailleurs, il semble que l’implantation massive de colons germains le long du Danube – conséquence directe des guerres marcomanniques du second IIe s. – entraîna la formation de contingents irréguliers attachés à la garde des frontières : à la fin du règne de Commode, le chevalier L. Valerius Valerianus était ainsi praepositus equitum gentium peregrinarum216.
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AE, 1956, 124 : praep(osito) equitib(us) gent(ium) Marcomannor(um) Narist(arum) / Quador(um) ad uindictam Orientalis motus pergentium. Sur cette inscription, voir réf. supra, n. 194. Sur le contingent lui-même, voir ROSSIGNOL (2004), 1205-7. Maximianus avait lui-même tué, de ses propres mains, en 172-173, le dux des Naristes Valao alors qu’il était préfet de l’ala I Hispanorum Arauacorum. Pour ce haut fait, il fut personnellement loué par Marc Aurèle et récompensé : il reçut un cheval, des phalères (un harnachement ?) et des armes (equo et phaleris et armis donato) de la part de l’empereur. Ces récompenses inhabituelles ont été assimilées aux spolia opima secunda par H.G. Pflaum : cf. PFLAUM (1955), 145-6 ; MAXFIELD (1981), 59 (avec Festus, s.v. opima spolia, éd. Lindsay, p. 204). En tant que porteur des dépouilles de Valao, Maximianus jouissait peut-être d’une aura charismatique auprès des guerriers germaniques qu’il avait sous son commandement. 213 BIRLEY (1966, 2002 2e éd.), 189. 214 Une inscription retrouvée dans le Hauran, en Arabie, et datée de l’année 208, mentionne un praepositus gentium à l’onomastique clairement germanique, cf. PPUAES, IIIA, 2, 223 : μνημεῖον Γουθθα, υἱοῦ / Ἑρμιναρίου πραιποσίτου / γεντιλίων ἐν Μοθανοῖς ἀνα/φερομένων (« À la mémoire de Guththa, fils d’Erminarius, praepositus des gentiles installés dans la province de Motha »). Voir SPEIDEL (1977b), 712-6. 215 Comparer les exemples de 175 avec Cass. Dio, LXXI, 12, 3 (les Daces réclament le retour des otages pris par Caracalla au prétexte d’une « alliance »). Le procédé rappelle ce que nous avons déjà pu voir (à une échelle plus resserrée) lors de la guerre des Gaules. 216 CIIP, II, 1284 (Horbat Qesari / Caesarea Maritima, 212-217 ap. J.-C.) : L(ucio?) Valerio Valeriano… praeposito summ(a)e [feliciss(imae) exped(itionis)] / Mesopotamenae
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Il est difficile de définir quel était le statut de ces troupes au sein de l’armée romaine et en quoi il différait de celui des autres unités. Tacite utilise alternativement les termes socii et auxilia pour les désigner217. Ces expressions sont aussi employées par l’historien romain pour renvoyer aux alae régulières de l’exercitus, probablement parce que les deux catégories n’étaient pas encore très bien distinguées au Ier s. et que les externi pouvaient aussi être organisés en « ailes » et en « cohortes »218. On note par ailleurs que l’habitude de lever des contingents auxiliaires irréguliers et temporaires au sein des provinces se maintient et que toutes les unités provinciales ne sont pas permanentes219. Les plus grandes difficultés sont posées par la terminologie employée par le Pseudo-Hygin dans son traité de castramétation. Daté alternativement de l’époque de Trajan et de l’époque de Marc Aurèle, voire du règne de Domitien220, le De munitionibus castrorum distingue très clairement les troupes auxiliaires régulières (alae et cohortes, disposant d’effectifs et de normes d’organisation fixes) des « symmach(i)arii et
adu[ersus Arabes(?)] / praepos(ito) uexil(lationis) feliciss(imae) [expedit(ionis)] / urbic(ae) itemq(ue) Asianae [aduersus] / hostes publicos pr[aep(osito) eq(uitum) gentium] / peregrinarum aduer[sus ---]. Pour la lecture du poste en question, voir AE, 1956, 124. Sur la carrière de Valerius Maximianus, voir PFLAUM (1982), n°297A et SPEIDEL (1985). 217 Cf. Tac., Ann., I, 56, 1 (trad. P. Wuilleumier) : « Germanicus confie à Caecina quatre légions, cinq mille auxiliaires (auxiliarium) et les corps de Germains levés à la hâte en deçà du Rhin (tumultuarias cateruas Germanorum cis Rhenum) ; lui-même prend avec lui le même nombre de légions et le double d’alliés (duplicem sociorum). » Dans ce cas, les socii sont des auxiliaires réguliers et ce terme archaïsant tient lieu de uariatio pour auxiliarii. En ibid., IV, 73, 2, l’expression turmas sociales renvoie aux cavaliers de l’ala Canninefatium mentionnés juste avant. Pour les externi, cf. ibid., I, 60, 2 (trad. P. Wuilleumier) : « Les Chauques, qui offraient des secours (Chauci, cum auxilia pollicerentur), furent admis à servir dans nos rangs. » La confusion se retrouve ibid., XIII, 8, 2 : les auxiliaires (ailes et cohortes) sont désignés comme socii et les rois alliés sont les socii reges. De manière générale, dans leurs inventaires d’effectifs, les auteurs du Principat reprennent la séquence tardo-républicaine qui consiste à distinguer, par ordre de prestige, légions, auxiliaires provinciaux, troupes royales et alliés divers (e.g. Tac., Hist., II, 76, 5 ; l’expression auxiliis prouincialium est employée en Ann., XII, 49, 1). Cette séquence se retrouve dans le triptyque ciues / socii / externi décrit par Tacite en Hist., III, 33, 2. Sur ces questions, voir SADDINGTON (1970), 94-114. 218 On pense en particulier à l’exemple des alae Parthorum évoqué plus haut. 219 Cf. Tac., Hist., IV, 71, 2 : levée de socii parmi la jeunesse des cités gauloises, dans le cadre de la guerre contre Civilis ; Cerialis leur ordonne de regagner leur foyer à la fin des opérations. Voir aussi le cas des symmachoi de l’armée d’Arrien en 135, infra, n. 223. 220 Trajan : DOMASZEWSKI (1887) ; LENOIR (1979) et (2011), 16-7 ; LE ROUX (1985) ; HAMDOUNE (1999), 138-41 ; COLOMBO (2009), 106-7. Marc Aurèle : BIRLEY (1953a), 234 ; ID. (1966), 57 ; ID. (1982) ; PFLAUM (1955), 141-2 ; SPEIDEL (1975b), 206 (ce dernier reprend cependant le point de vue de Lenoir dans ID. [2002], 126). Domitien : FRERE (1980).
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autres nationes »221. Ce qui rapproche ces deux groupes, ce sont leurs origines ethniques homogènes (« Cantabres », « Gétules », « Palmyréniens », « Daces », « Brittons » dans le cas des nationes), leur organisation particulière (que l’auteur renonce à décrire) et le fait que les soldats ne parlent pas et ne comprennent pas la langue de commandement de l’armée romaine222. Certains spécialistes se sont avancés plus loin et ont cherché à reconnaître derrière nationes et symmachiarii des catégories rigoureusement distinctes, correspondant à des réalités différentes223. La formulation employée par l’auteur du traité à deux reprises – symmach(i)arii/ios et reliquae/as nationes –, volontairement vague, ne nous semble pas permettre un tel exercice : le traité met dans le même panier les troupes irrégulières, qu’elles aient été recrutées en vertu d’un traité d’alliance ou suivant d’autres modalités moins valorisantes224. 221 Ps.-Hyg., De mun. castr., 19 (symmacharii et reliquae nationes) et 43 (symmacharios et reliquas nationes). La forme symmachiarii doit être préférée à la lumière de AE, 1926, 88, dont les premiers éditeurs du De munitionibus castrorum n’avaient pas connaissance. 222 Ps.-Hyg., De mun. castr., 43. 223 MOMMSEN (1884), 219-31 (suivi par DOMASZEWSKI [1908], 60 et CHEESMAN [1914], 87) rapproche les nationes des numeri : s’il n’y a pas équivalence totale entre les deux ensembles, les seconds incarnent au moins une étape ultérieure du développement des premiers. CALLIES (1964), 167-72 est du même avis et ajoute que les symmach(i)arii peuvent être considérés comme des milices locales recrutées temporairement dans les provinces. SPEIDEL (1975b), 206-7 pense qu’il faut distinguer entre alliés autonomes – symmach(i)arii – et unités ethniques intégrées dans l’armée régulière – nationes : les deux catégories peuvent apparaître sous la forme de numeri dans les inscriptions, mais pas nécessairement. KERNEIS-POLY (1996), 81-5 voit dans les symmach(i)arii des contingents alliés, fournis par les tribus ou les princes clients de Rome ; les nationes forment selon elle un sous-groupe de cette catégorie, plus récent et constitué de populations déditices ; il s’identifierait en partie aux numeri ethniques des inscriptions. Pour HAMDOUNE (1999), 139-41 les symmach(i)arii sont des troupes irrégulières recrutées en vertu d’un traité d’alliance (ils correspondraient aux gentiles des inscriptions) ; les nationes sont des contingents levés de manière autoritaire au sein d’un peuple ayant été soumis par les Romains (donc des deditici). Contra ROSSIGNOL (2004), 1200, 1210 et ROCCO (2012), 46-50 qui soulignent tous deux qu’au IIe s., le terme d’« allié » peut recouvrir une variété de statuts : les symmachoi mentionnés par Arrien dans son Ektaxis (Arr., Acies, 7, 14 et 25) sont aussi bien des soldats issus de milices provinciales que des troupes de Colchide, royaume qui avait fait sa deditio à Trajan au moment de la guerre parthique (Festus, Brev., 20, 2 ; Eutr., VIII, 3, 1). 224 Voir LENOIR (1979), 78-9, n. 77 : « Les “alliés” sont peut-être d’un statut légèrement différent de celui des “peuplades”, mais en sont assez proches pour qu’Hygin puisse les confondre. » Ils sont, du reste, rarement distingués du commun des auxilia dans l’épigraphie. Une seule exception : AE, 1926, 88, mentionnant un praef(ectus) symmachiariorum Asturum belli Dacici, sur lequel voir notamment LE ROUX (1985) (qui donne une datation trajanienne à l’inscription et propose de comprendre la symmachia en question dans un sens très symbolique). Tout le problème est de savoir si, dans le traité d’Hygin, le vocabulaire de l’alliance est employé avec une acception juridique et restreinte ou s’il
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C. Effectifs des armées de campagne sous le Principat Nous avons vu que sous le Haut-Empire, l’importance relative de la cavalerie dans l’ensemble de l’armée romaine s’accroît de façon notable. Cette progression se retrouve-t-elle dans les armées de campagne ? D’après Jörg Scheuerbrandt, durant les deux premiers siècles de notre ère, les généraux romains respectent globalement les normes issues des exempla historiques et les prescriptions des tacticiens : les corps d’armée n’excéderaient généralement pas 50 000 soldats (ce qui constituerait un seuil d’efficacité opérationnelle et logistique), avec une proportion de cavaliers de l’ordre de 14%225. Cette dernière assertion nous semble contredite par les sources. De façon générale, les autorités militaires ne semblent pas s’être pliées de façon dogmatique aux modèles issus de la littérature grecque. Les rares témoignages dont nous disposons indiquent une légère progression de l’importance des forces montées dans les corps expéditionnaires226. Mais l’interprétation de ces chiffres est délicate pour deux raisons. La première est que les auteurs qui nous renseignent ne précisent jamais si une cohorte auxiliaire est equitata ou peditata227. La deuxième est liée au fait que ces mêmes auteurs jugent rarement nécessaire d’inventorier les forces alliées servant temporairement auprès des généraux et se contentent le plus souvent de dénombrer les troupes régulières, citoyennes et pérégrines. Or, lorsqu’il nous est permis d’en juger, les symmachoi fournissent principalement des troupes montées, les Romains considérant leur infanterie régulière comme suffisamment
est utilisé au sens large, de la même manière que Tacite parle de socii et Arrien de symmachoi. Dans ce sens, voir dernièrement SPEIDEL (2016), 90 : « symmachiarii (or Greek symmachoi) and nationes were synonymous, and may not have had any technical value beyond (usually) denoting irregular auxiliaries. » 225 SCHEUERBRANDT (2004), 103-5. 226 Voir l’étude récente de M. Colombo sur la question : COLOMBO (2009). L’auteur omet cependant la cavalerie légionnaire dans ses calculs et considère toutes les cohortes auxiliaires mentionnées par les sources comme peditatae, ce qui implique une sous-évaluation des forces montées. 227 C’est notamment le cas avec Velleius Paterculus et Tacite. Or les cohortes mixtes existaient déjà à l’époque julio-claudienne. Il est donc difficile de savoir quelle était la part exacte des cavaliers dans les armées de campagne de l’époque. Aussi, pour chaque entrée concernée, la fourchette proposée prend en compte deux estimations : l’estimation basse traite toutes les cohortes auxiliaires comme des unités peditatae ; l’estimation haute postule au contraire que 70% d’entre elles étaient des unités mixtes, ce qui semble avoir été la norme à l’époque d’Hadrien (cf. supra, n. 41). Dans Ps.-Hyg., De mun. castr., 30, cette proportion est de 50%.
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efficace pour ne pas avoir à s’adjoindre les services de fantassins externi, exception faite des archers et des frondeurs228. Tableau 10 – Effectifs des armées de campagne entre 31 av. J.-C. et 200 ap. J.-C.
Armée de P. Petronius lors de son expédition dans le sud de l’Égypte, 24-22 av. J.-C. Armée de campagne réunie à Siscia en 7 ap. J.-C.
Infanterie
Cavalerie
Source
10 000 (92,6%)
800 (7,4%)
Strab., XVII, 1, 54
10 légions (55 200 fantassins) ; 70 cohortes (28 700 à 33 600 fantassins) = 83 900 à 88 800 fantassins (85,5 à 91,6%) 3 légions (16 560 fantassins) ; 6 cohortes (2 480 à 2 880 fantassins) = 19 040 à 19 440 fantassins (89 à 91,3%)
14 ailes (6 944 cavaliers) + 1 200 cavaliers légionnaires + 6 076 equites cohortales (?) = 8 144 à 14 220 cavaliers (8,4 à 14,5%) Armée de Varus 3 ailes (1 488 en 9 cavaliers) + 360 cavaliers légionnaires + 496 equites cohortales (?) = 1 848 à 2 344 cavaliers (8,7 à 11%) Armée de 12 000 légion8 ailes (3 968 Germanicus en 14 naires (2 légions ? cavaliers) + 240 i.e. 11 040 fantas- cavaliers légionsins) ; 26 cohortes naires + 2 232 (10 680 à 12 480 equites cohortales fantassins) = (?) = 4 208 à 21 720 à 23 520 6 640 cavaliers fantassins (76,4 à (15,2 à 23,6%) 84,8%) Armée de C. 30 000 (89%) 3 000 (9%) Silius contre les Chattes en 16
Vell. Pat., II, 113, 1
Vell. Pat., II, 117, 1
Tac., Ann., I, 49, 4
Tac., Ann., II, 25, 1
228 Un exemple suffit à démontrer ce point. Dans le corps de supplétifs fournis par les regna orientaux à Cestius Gallus en 66 (environ 5 300 cavaliers et 8 700 fantassins), on dénombre environ 38% de cavaliers, ce qui est bien supérieur au ratio habituellement observable dans les armées régulières (Jos., BJ, II, 500-1).
LA CAVALERIE DANS LA « GRANDE STRATÉGIE IMPÉRIALE »
Infanterie Armée de renfort envoyée par Néron de Germanie en Bretagne en 61
2 000 légionnaires + 8 cohortes (3 240 à 3 840 fantassins) = 5 240 à 5 840 fantassins (75 à 85,4%) Armée de Cestius 1 légion (5 520 Gallus en Judée fantassins) + en 66 6 000 uexillarii + 6 cohortes (2 480 à 2 880 fantassins) + c. 8 700 fantassins alliés = 22 700 à 23 100 fantassins (74,2 à 75,8%) Armée de Ves3 légions (16 560 pasien en Judée fantassins) + 10 en 67 coh. mil. ped. (10 000 fantassins) + 13 coh. eq. disposant chacune de 600 fant. et 120 cav. (7 800 fantassins) + 11 000 fantassins alliés = 45 360 (83,6%) Armée d’Antonius c. 36 000 (90%) Primus lors de la deuxième bataille de Bédriac, en 69 Troupes engagées 8 000 fantassins par Agricola lors auxiliaires (91%) de la bataille du Mons Graupius en 83/84
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Cavalerie
Source
1 000 cavaliers (deux ailes ?) + 744 equites cohortales (?) = 1 000 à 1 744 cavaliers (14,6 à 25%) 120 cavaliers légionnaires + 496 equites cohortales (?) + 4 ailes (1 984 cavaliers) + c. 5 300 cavaliers alliés = 7 404 à 7 900 cavaliers (24,2 à 25,8%) 360 cavaliers légionnaires + 6 ailes (2 976 cavaliers) + 1 560 equites cohortales + 4 000 cavaliers alliés = 8 896 (16,4%)
Tac., Ann., XIV, 38, 1
au moins 4 000 (10%)
Tac., Hist., III, 2, 4 ; 15, 2 ; 33, 1
Jos., BJ, II, 500-2
Jos., BJ, III, 65-9
3 000 à 5 000 ca- Tac., Agr., 35, valiers auxiliaires 2229 (27 à 38,5%)
229 Sur cette bataille et la nature de l’armée commandée par Agricola, cf. infra, p. 299. L’effectif des forces légionnaires, tenues en réserve par le légat lors de l’affrontement, n’est pas renseigné par Tacite. Des troupes des quatre légions de Bretagne (II Augusta, II Adiutrix, VIIII Hispana, XX Valeria Victrix) furent certainement mobilisées, pour un total
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LE HAUT-EMPIRE ROMAIN
Infanterie Armée fictive 28 280 (73,3%) décrite par le Ps.Hygin (Trajan ?) Corps expédi12 100 (78,5%) tionnaire d’Arrien contre les Alains, c. 135 Dispositif idéal 24 576 (85,7%) des tacticiens grecs repris par Arrien, c. 136
Cavalerie
Source
10 302 (26,7%)
Ps.-Hyg., De mun. castr., 30230
3 320 (21,5%)
Arr., Acies, 1-10231
4 096 (14,3%)
Arrien, Tact., 9, 5
Si l’on résume les résultats reproduits dans le tableau ci-dessus, nous pouvons remarquer que l’importance relative des troupes montées dans les armées de campagne s’accroît sous le Haut-Empire. La part de la cavalerie s’établit désormais entre 10 et 20%232. Mais dans le détail, de grandes disparités se constatent, avec des forces montées constituant 7,4% à environ 25% des corps expéditionnaires étudiés. Dans certains cas, la proportion de cavaliers est sous-estimée dans la mesure où nous ne disposons pas de chiffres précis sur les forces fournies par les puissances alliées de l’Empire233. La précision des résultats est aussi qui selon MAXWELL (1990), 43 (suivi par CAMPBELL [2010], 63), devait être légèrement inférieur à celui des forces auxiliaires (environ 10 000-12 000 légionnaires). 230 legiones III, uexillarii MDC, cohortes praetoriae IIII, equites praetoriani CCCC, equites singulares imperatoris CCCCL, alae miliariae IIII, quingenariae V, Mauri equites DC, Pannonii ueredarii DCCC, classici Misenates D, Ravennates DCCC, exploratores CC, cohortes equitatae miliariae II, quingenariae IIII, cohortes peditates miliariae III, quingenariae III, Palmyreni D, Gaesati DCCCC, Daci DCC, Brittones D, Cantabri DCC. Nous ne comptons pas les soldats des nationes car il est impossible de savoir s’ils servaient comme fantassins ou comme cavaliers. Pour d’autres tentatives de calcul, voir KROMAYER & VEITH (1928), 542 ; LENOIR (1979), 94 et s. ; COLOMBO (2009), 106-12. 231 Voir SCHEUERBRANDT (2004), 70-1. 232 Cela correspond à la proportion de cavaliers dans les armées de campagne européennes durant les guerres napoléoniennes : cf. MUIR (1998), 105. 233 Dans le cas de l’armée réunie à Siscia en 7 ap. J.-C., Vell. Pat., II, 113, 1 évoque, en plus des troupes régulières, la « nombreuse cavalerie royale » de Rhoemetalcès, sans donner plus de précision. Cette forte cavalerie, qui comptait probablement plusieurs milliers de combattants, devait permettre aux troupes montées du corps expéditionnaire romain de dépasser le seuil des 15%. L’inverse est aussi valable lorsque d’importants corps d’infanterie légère sont mobilisés. Jos., BJ, II, 502, mentionne la présence, dans l’armée de Cestius Gallus, d’un grand nombre de supplétifs recrutés dans les cités de Syrie : probablement des miliciens grecs correspondant aux frondeurs et lanceurs de pierres de Syrie évoqués en III, 211. À supposer qu’ils aient été 5 000, cela reviendrait à limiter la place de la cavalerie à environ 20% du corps expéditionnaire romain.
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fortement affectée par la marge d’incertitude liée à la présence éventuelle de cohortes equitatae. Toutefois, il est important de noter que le ratio est souvent bas dans les cas où nous ne disposons pas d’informations précises, alors qu’il est très élevé lorsque la composition des armées est exposée en détail et intègre les contingents fournis par les États clients. La progression par rapport à l’époque tardo-républicaine paraît donc évidente. La création de nouvelles unités auxiliaires est à invoquer, de même que le recours massif aux alliés en Orient, suivant une tradition bien établie. Quant à la proportion anormalement élevée de cavaliers (26,7%, symmachiarii et nationes exclus) dans le De munitionibus castrorum, elle est peut-être à mettre sur le compte de la nature fictive du corps expéditionnaire décrit par l’auteur234. L’importance de la cavalerie dans l’ensemble d’une armée de campagne ne présage pas nécessairement de son poids effectif lors des engagements. Nous en voulons pour preuve la proportion exceptionnellement élevée de cavaliers déployés lors de la bataille du Mons Graupius, qui n’impliqua que des troupes auxiliaires (les légionnaires avaient été laissés à la garde du camp) : entre 27 et 38,5% du total des effectifs engagés – une fourchette égalant les standards de l’époque proto-byzantine. Sous le Principat, l’habitude consistant à former des détachements opérationnels à partir des effectifs des corps expéditionnaires se maintient. Ces task forces permettent aux généraux de mener plusieurs opérations simultanées dans une même région. La proportion de cavaliers y est généralement supérieure à celle qui prévaut dans l’ensemble de l’armée de campagne : entre 14,3 et 33,3% de cavaliers235. Le fait que la cavalerie y 234 Comme le souligne LENOIR (1996), 97-100, l’historiographie moderne a trop tendance à voir dans l’œuvre du Ps.-Hygin la reconstitution réaliste d’une armée de campagne ; il ne s’agit pourtant que d’un « Idealtypus » destiné à servir de support à la démonstration de l’auteur. Celui-ci propose avant tout une « méthode de mesure » (methodum metationis, cf. De mun. castr., 47), ce qui l’amène à envisager « la manière de camper de tous les corps existant alors dans l’armée romaine » (LENOIR [1996], 100), sans tenir compte des contraintes matérielles qui s’opposent au rassemblement d’un tel corps expéditionnaire. Notre reconstitution des effectifs de cavalerie dans les armées de campagne d’époque impériale ajoute un argument en faveur de la position défendue par Lenoir. 235 En 58, après la prise de Tigranocerte, Corbulon laisse 1 000 légionnaires, trois cohortes auxiliaires et deux ailes hiverner en Arménie (Tac., Ann., XIV, 26, 2). Donc environ 2 500 fantassins et 1 000 cavaliers (28,6%) si l’on prend en compte l’hypothèse la plus favorable à l’infanterie (pas de cohortes mixtes ni d’aile milliaire). En 62, après la défaite de Paetus à Rhandéia, Corbulon détache 3 800 fantassins et 800 cavaliers (17,4%) pour venir en aide au légat malheureux (ibid., XV, 10, 4). En 66, Cestius Gallus envoie deux cohortes et une aile sous le commandement du tribun Placidus pour ravager les villages des Galiléens – i.e. 1 000 fantassins et 500 cavaliers (33,3%) (Jos., Vita, 43). En 67, Vespasien détache 1 000 cavaliers (14,3%) et 6 000 fantassins pour venir en aide
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occupe une place plus importante s’explique dans la mesure où les troupes montées sont plus adaptées aux actions rapides, nécessitant souplesse et réactivité. Ces exemples montrent que lorsqu’il s’agit de provoquer des engagements, les généraux s’assurent toujours, dans la mesure du possible, de pouvoir s’appuyer sur un fort ratio de cavaliers. Notons par ailleurs que les pures armées de cavalerie ne sont pas complètement absentes de la documentation. Lors de la deuxième campagne conduite par Germanicus en Germanie au cours de l’année 15, Tacite rapporte que le général romain divise ses forces : « il envoie Caecina avec quarante cohortes romaines opérer une diversion sur l’ennemi à travers le pays des Bructères en direction de l’Ems ; le préfet Pedo dirige la cavalerie sur le territoire des Frisons (equitem Pedo praefectus finibus Frisiorum ducit). Lui-même fit embarquer quatre légions et les mena par les lacs ; et tous, fantassins, cavaliers, navires se rassemblèrent au bord du fleuve indiqué. »236.
aux habitants de Sepphoris (Id., BJ, III, 59). Lors du siège de Jotapata en 67, le père de Trajan, qui est alors légat de la Xe légion, est placé à la tête de 1 000 cavaliers (33,3%) et 2 000 fantassins pour prendre Japha (ibid., III, 289). Peu de temps après, Titus prend la tête d’un corps de 500 cavaliers (33,3%) et 1 000 fantassins pour venir en aide au légat (ibid., III, 299). Toujours lors de cette campagne Cerealis, légat de la Ve légion, est envoyé en Samarie avec 600 (16,6%) cavaliers et 3 000 fantassins (ibid., III, 311). En 68, Vespasien envoie contre les fuyards de Gadara, sous les ordres de Placidus, 500 cavaliers (14,3%) et 3 000 fantassins (ibid., IV, 419). En 69, le frère de Vitellius commande un détachement de six cohortes et 500 cavaliers (14,3%) en Campanie (Tac., Hist., III, 58, 1). 236 Id., Ann., I, 60, 2 (trad. P. Wuilleumier).
CHAPITRE 3 LA DOCTRINE D’EMPLOI DE LA CAVALERIE IMPÉRIALE
Sous le Haut-Empire, la doctrine d’emploi de la cavalerie ne connaît pas de bouleversement majeur. Tant que les armées présentes sur un théâtre de guerre ne se résolvent pas à livrer un engagement massif, les opérations se limitent à des manœuvres et à des combats de moindre ampleur. Les Romains continuent de pratiquer la petite guerre quand ils estiment qu’ils n’ont pas les forces nécessaires pour remporter une bataille rangée, ou quand ils y sont forcés par la stratégie adverse. Il est toutefois rare qu’un corps expéditionnaire impérial refuse l’affrontement. La tendance générale est plutôt à la stratégie d’anéantissement1 : lorsqu’ils font campagne contre des peuples « barbares », les généraux romains manoeuvrent et concentrent leurs forces de façon à détruire l’armée ennemie le plus directement possible. Plusieurs causes expliquent ce phénomène : l’idéologie officielle, qui prône une politique militaire offensive et dissuasive ; l’éthique militaire de l’aristocratie impériale, fondée sur la recherche de la gloire2 ; mais aussi des circonstances géostratégiques favorables à Rome. En effet, à l’exclusion des Parthes, les grandes puissances militaires du bassin méditerranéen ont été vaincues : l’asymétrie entre les forces de l’Empire et celles de ses adversaires favorise la recherche de décisions rapides. I – L’EQUITATUS EN CAMPAGNE Les fonctions remplies par la cavalerie en contexte opérationnel restent les mêmes que celles que nous avons pu décrire pour la période 1 ROGERS (2006), 1234 : « A strategy of annihilation, by definition, aims to disarm the enemy by crushing his main armed force in a decisive battle. […] The presumption is that the defeated adversary, seeing that he has lost his best chance for victory […] will seek peace on whatever terms he can get. This form of strategy thus offers the best hope of a quick end to the war. » 2 LENDON (1997), 265-6.
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tardo-républicaine. La documention du Haut-Empire apporte toutefois un éclairage nouveau sur la place des troupes montées dans l’ordre de marche ainsi que sur l’utilité de la cavalerie dans le cadre de la répression d’une grande révolte – l’insurrection juive de 66-73 – qui a toutes les caractéristiques d’une guerre asymétrique.
A. La cavalerie dans l’ordre de marche Lorsqu’elle ne combat pas, l’armée romaine passe le plus clair de son temps en déplacements et en manœuvres. Dans les marches, les soldats se rangent le plus souvent en colonne mince, ce qui leur permet de progresser avec plus d’aisance, mais les rend aussi plus vulnérables aux attaques impromptues3. Le rôle de la cavalerie est de protéger les sections les plus exposées de la colonne. À ce titre, les troupes montées font généralement partie de l’avant-garde : elles avancent en tête pour éclairer la marche4 ou derrière un rideau de fantassins missiliers pour contrecarrer d’éventuelles attaques surprise5. Dans cette configuration, les cavaliers opèrent de façon privilégiée avec l’infanterie auxiliaire. L’avant-garde agit comme une articulation indépendante, dont la fonction est de faire écran entre l’armée adverse et le corps principal composé des légions et du train. Si l’ennemi approche, les equites doivent l’accrocher de manière à laisser le temps aux fantassins de se ranger en ordre de bataille. Malmenés, les combattants montés peuvent alors se replier derrière l’infanterie pour se reformer. Dans certains cas, la cavalerie couvre aussi les flancs et les arrières de l’armée, mais sa fonction reste la même6. Un KROMAYER & VEITH (1928), 546-8 ; LE BOHEC (1989c), 136-9 ; ID. (2014), 187-90 ; HYLAND (1990), 164-5 ; GOLDSWORTHY (1996), 105-11 ; GILLIVER (1999), 38-48. 4 Tac., Ann., I, 51, 2 (ordre de marche de Germanicus en 14 ap. J.-C.) : Pars equitum et auxiliariae cohortes ducebant, mox prima legio, et mediis impedimentis sinistrum latus unetuicesimani, dextrum quintani clausere, uicesima legio terga firmauit, post ceteri sociorum. Voir Onas., Str., 6, 7. 5 Dans l’ordre de marche de Vespasien en Galilée (67 ap. J.-C.), les cavaliers de l’avant-garde sont devancés par des tirailleurs auxiliaires et des archers chargés de repousser les incursions soudaines des ennemis et de fouiller les couverts propices aux embuscades : Jos., BJ, III, 116. Idem en BJ, V, 47 (ordre de marche de Titus en 70) : Josèphe situe en avant de la colonne romaine les contingents royaux et alliés constitués de cavaliers et de fantassins légers. 6 En avant-garde et sur les arrières de l’armée : Tac., Ann., II, 16, 3 (ordre de marche de Germanicus en 16) ; XII, 16, 1 (ordre de marche des Romains dans le Bosphore en 49) ; Jos., BJ, III, 115-26 (ordre de marche de Vespasien en 67). En avant-garde, sur les arrières et sur les flancs de l’armée : Arr., Acies, 1-10 (ordre de marche contre les Alains en 135, cf. infra, p. 281-6). Ce que l’on observe dans les sources du Principat correspond 3
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général prévoyant aura tendance à renforcer les parties du dispositif que l’ennemi, en fonction de sa localisation, est le plus susceptible de menacer7. Notons pour finir qu’une portion de l’equitatus semble toujours disposée près du centre de la colonne, pour servir d’escorte au général et de réserve au corps principal8. Deux exemples précis sont détaillés par Tacite et Arrien, illustrant tous deux le rangement d’un corps expéditionnaire dans le cadre d’opérations menées contre des armées de cavalerie. Il s’agit d’une part de l’ordre de marche de Corbulon lors de sa campagne en Arménie contre Tiridate Ier, en 58, et d’autre part de l’ordre de marche du légat de Cappadoce Arrien contre les Alains, en 135. Dans le première cas, Tacite décrit un dispositif proche de celui de Crassus avant la bataille de Carrhes, un véritable agmen quadratum destiné à contrecarrer les tentatives de harcèlement de la cavalerie arsacide9 : « [Tiridate] finit par décider de se montrer en ordre de bataille et, le moment venu, soit d’engager le combat, soit, en simulant la fuite, de préparer une embuscade. En conséquence, il se répand tout à coup autour de la colonne romaine, mais sans surprendre notre général, qui avait disposé son armée pour la marche comme pour la bataille. Sur le flanc droit (latere dextro) s’avançait la troisième légion, sur le gauche (sinistro) la sixième, au centre (mediis) l’élite de la dixième ; les bagages étaient placés entre les lignes (inter ordines), et les arrières (tergum) protégés par mille cavaliers, qui avaient reçu l’ordre de tenir ferme contre une charge rapprochée, mais de ne pas poursuivre les fuyards. Les ailes (cornibus) étaient flanquées par des archers à pied et le reste de la cavalerie, celle de gauche se prolongeant davantage en suivant le pied des collines (productiore cornu sinistro per ima collium), pour que, si l’ennemi forçait la ligne, il fût pris à la globalement aux prescriptions des théoriciens de l’époque moderne, qui insistent sur le fait que les troupes montées doivent constituer la portion externe de l’armée en marche : AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 282-4. 7 Dans une marche offensive, les cavaliers seront plutôt disposés vers l’avant de la colonne : Tac., Hist., II, 11, 2 (ordre de marche de l’armée othonienne d’Illyricum en 69). Dans une retraite, ils sont généralement rassemblés à l’arrière-garde : ibid., III, 41, 3 (marche des troupes de Fabius Valens vers Ariminum en 69). 8 Lors de sa marche en Germanie en 16, Germanicus a avec lui, au centre de son agmen, deux cohortes prétoriennes et l’élite de la cavalerie (Tac., Ann., II, 16, 3 : delecto equite). Dans l’ordre de marche de Vespasien, Josèphe souligne aussi que Vespasien est accompagné de sa garde de fantassins et de cavaliers, cf. Jos., BJ, III, 120 : μεθ᾽ οὓς αὐτὸς ἐξήλαυνεν τούς τε ἐπιλέκτους τῶν πεζῶν καὶ ἱππέων καὶ τοὺς λογχοφόρους ἔχων. Ils sont suivis de la cavalerie légionnaire (τάγματος ἱππικόν). Il en va de même pour Arrien, lors de sa marche en Cappadoce en 135 : Arr., Acies, 4 (ἐπίλεκτοι ἱππεῖς et οἱ ἀπὸ τῆς φάλαγγος ἱππεῖς). Il s’agit dans les deux cas des equites singulares consularis et des equites legionis. 9 Sur la campagne arménienne de Corbulon en 58 : EGLI (1868) (notamment p. 282-90, 325-33, 350-1) ; GILMARTIN (1973), 594-9 ; CHAUMONT (1976), 101-4.
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fois de front et par enveloppement (fronte simul et sinu exciperetur). À l’opposé, Tiridate ne cessait de nous harceler, sans toutefois s’avancer jusqu’à portée de trait, tantôt plein de menaces, tantôt affectant la frayeur, dans l’espoir de desserrer les rangs et de les attaquer isolément. La témérité n’ayant provoqué aucun désordre et seul un décurion de cavalerie, emporté par une audace excessive, étant tombé percé de flèches, ce qui avait donné aux autres une leçon de discipline, à l’approche des ténèbres il se retira. » (trad. P. Wuilleumier modifiée)10.
Durant cette phase des opérations, l’armée romaine décrite par Tacite marche dans la grande plaine d’Ararat, entre Volandum et Artaxata11. Le terrain est ouvert sur une très grande étendue, ce qui expose les troupes de Corbulon à la tactique de harcèlement de la cavalerie parthe. Juste avant d’entamer sa description du dispositif adopté par l’armée romaine, Tacite précise que celle-ci a traversé l’Araxe par un gué se trouvant à distance (procul) de la capitale arménienne12. Cela place le corps expéditionnaire de Corbulon au nord de la rivière (rive gauche) au moment où les Parthes décident de passer à l’offensive. Les Romains ne sont pas dans une position aussi désavantageuse qu’à la bataille de Carrhes. Bien que la plaine mesure plusieurs kilomètres de large entre l’Araxe et les premières collines du massif de Garni, ils peuvent appuyer leur flanc droit contre le cours d’eau (ce que Tacite ne précise pas dans son récit, mais qu’un bon sens élémentaire rend évident : les Romains avaient l’habitude de procéder ainsi) et n’ont pas grand-chose à craindre d’un encerclement conduit depuis les hauteurs voisines, peu propices aux manœuvres de cavalerie. Le texte de Tacite, confus et ramassé, a posé de grandes difficultés d’interprétation aux commentateurs. Il se fonde pourtant sur les mémoires de 10 Tac., Ann., XIII, 40 : statuit postremo ostendere aciem et dato die proelium incipere uel simulatione fugae locum fraudi parare. Igitur repente agmen Romanum circumfundit, non ignaro duce nostro, qui uiae pariter et pugnae composuerat exercitum. Latere dextro tertia legio, sinistro sexta incedebat, mediis decimanorum delectis ; recepta inter ordines impedimenta, et tergum mille equites tuebantur, quibus iusserat, ut instantibus comminus resisterent, refugos non sequerentur. In cornibus pedes sagittarius et cetera manus equitum ibat, productior cornu sinistro per ima collium, ut, si hostis intrauisset, fronte simul et sinu exciperetur. Adsultare ex diuerso Tiridates, non usque ad ictum teli, sed tum minitans, tum specie trepidantis, si laxare ordines et diuersos consectari posset. Ubi nihil temeritate solutum, nec amplius quam decurio equitum audentius progressus et sagittis confixus ceteros ad obsequium exemplo firmauerat, propinquis tam tenebris abscessit. 11 La citadelle de Volandum est souvent identifiée à ᾽Ολάνη (cf. EGLI [1868], 319-20 ; CHAUMONT [1976], 103, n. 171), que Strabon (XI, 14, 6, 529) situe à proximité d’Artaxata. Ce site fortifié correspondrait à l’actuel Iğdır, sur la frontière turco-arménienne. Il commandait l’accès à la vallée de l’Araxe depuis les contreforts occidentaux de l’Ararat. 12 Tac., Ann., XIII, 39, 6.
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Corbulon et contient des éléments qui, s’ils n’ont pas été compris par l’historien lui-même, sont d’une incontestable authenticité13. Ernst von Nischer propose de reconstituer l’ordre de marche comme une triple colonne : la Xe légion aurait formée la colonne centrale et les IIIe et VIe légions les colonnes latérales ; les bagages auraient été disposés entre l’avant-garde et l’arrière-garde de la Xe légion14. Dans un mémoire de DEA inédit portant sur « Les armées au combat dans les Annales de Tacite », Laurent Fleuret donne une reconstruction similaire, à cela près qu’il choisit de disposer le train dans les intervalles séparant les trois colonnes15. Outre le fait que nous ne comprenons pas l’utilité d’un tel dispositif, les schémas proposés par ces deux savants ne s’accordent pas avec la description de Tacite, qui précise que Corbulon avait formé son armée pour la marche comme pour la bataille (uiae pariter et pugnae composuerat exercitum), donc en la dotant nécessairement d’un véritable front. En nous inspirant des informations fournies par Cassius Dion (ordre de bataille de Crassus en 53 av. J.-C.) et l’empereur Maurice (description de la taxis epikampios opisthia) dans des contextes opérationnels similaires, nous proposerons de reconstituer l’ordre de marche de Corbulon de la façon suivante (fig. 20) : la Xe légion formait une véritable ligne de bataille avançant en tête de l’armée ; elle était flanquée par les deux autres légions, rangées en profondeur vers l’arrière, de façon à ce que l’ensemble forme un rectangle profond, comparable au βαθὺ πλινθίον de Crassus ; le bagage était placé au centre du quadrilatère ; 1 000 cavaliers fermaient la marche en constituant l’arrière-garde ; le reste de la cavalerie et l’infanterie légère renforçaient les cohortes légionnaires sur les flancs du dispositif. Du côté faisant face aux collines, la colonne latérale était plus allongée, car il s’agissait du flanc le plus exposé (l’autre étant couvert par l’Araxe ou par les marécages avoisinants). C’est donc un véritable agmen quadratum que décrit Tacite, qui évite certainement d’employer cette expression par purisme littéraire16.
Le deuxième exemple que nous voudrions évoquer ici est celui que développe Arrien dans un mémorandum probablement rédigé vers 13517. L’Ἔκταξις κατὰ Ἀλανῶν contient une description de l’ordre de marche 13 GILMARTIN (1973), 597. Sur les mémoires de Corbulon et leur place dans la narration tacitéenne : cf. SYME (1958), I, 297 et FRHist, I, n° 82. 14 Cf. KROMAYER & VEITH (1928), 547-8. 15 FLEURET (1997), 31 et fig. 13. Ce dernier n’a pas connaissance de l’étude de Veith. 16 Voir PÉREZ CASTRO (2006), 10-1. 17 Sur ce traité, voir BOSWORTH (1977) ; WHEELER (1978), 351-3 ; STADTER (1980), 45-9 ; RUSCU (1996), 211-28 ; SAXTORPH & TORTZEN (2002), 223-6 ; LALANNE (2014), 74-5. Il s’agit probablement à l’origine d’un fragment issu d’une œuvre littéraire intitulée Ἀλανική ἱστορία. Mais il demeure difficile de dire si le plan décrit par le légat de Cappadoce a été effectivement mis en œuvre en 135. Plusieurs traductions de l’Ektaxis ont été publiées récemment : DEVOTO (1993), 115-22 (anglais) ; GILLIVER (1999), app. 2 (anglais) ; SAXTORPH & TORTZEN (2002), 221-3 (anglais) ; RUSCU (1996), 209-11 (roumain), 234-7 (allemand) ; LALANNE (2014), 77-83 (français) ; SESTILI (2011a), 160-77 (italien).
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Figure 20 – Restitution schématique de l’ordre de marche de Corbulon en Arménie (58 av. J.-C.).
adopté par l’armée de Cappadoce dans le cadre d’une campagne contre les Alains, peuple de nomades transcaucasiens dont l’unique force réside aussi dans la cavalerie18. Le dispositif décrit par le légat ne ressemble en rien à celui adopté par Corbulon en 58 : il s’agit d’une colonne démesurément allongée, un agmen longum ou agmen pilatum qui n’a rien d’un ordre de bataille (fig. 21)19. La cavalerie auxiliaire est déployée en tête, en queue et sur les flancs. Les troupes d’élite (equites singulares 18 Seul Cass. Dio, LXIX, 15, 1 évoque cette incursion qui fut, semble-t-il, facilitée par la complicité du roi d’Ibérie Pharasmanès II. Sur la pratique de la guerre chez les Alains, cf. KOUZNETSOV & LEBEDYNSKY (2005), 72-80. 19 Sur l’agmen pilatum, voir Serv., apud Aen., XII, 121. GILLIVER (1999), 47-8 estime que la colonne mesurait 4,8 km de long. Contra SAXTORPH & TORTZEN (2002), 224 : au minimum 15 km.
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Figure 21 – Proposition de restitution de l’ordre de marche de l’exercitus Cappadocicus sous la légation d’Arrien (c. 135 ap. J.-C.).
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consularis, equites legionis) forment l’escorte du légat, au centre du dispositif20. En tête de toute l’armée viennent les éclaireurs à cheval, rangés par deux, avec leurs propres commandants21, puis les archers montés de la cohors III Ulpia Petraeorum mil. sag. eq.22, eux aussi déployés par deux et menés par leurs décurions23. Viennent ensuite les cavaliers de l’ala II Ulpia Auriana24 et de la cohors IIII Raetorum eq.25, manifestement placés sous le même commandement26. Le fait que la cavalerie médiane se trouve en retrait par rapport aux archers montés mérite d’être relevé : ces derniers occupent une position qui leur permet de jouer naturellement le rôle de cursores en cas de déploiement pour le combat, alors que les cavaliers de l’ala Auriana ont plutôt la place de defensores. D’autres troupes à cheval suivent : les cavaliers de l’ala I Augusta Gemina Colonorum27 sont déployés avec ceux de la cohors I Ituraeorum mil. sag. eq.28, de la cohors III Augusta Cyrenaica sag. eq.29 et de la cohors I Raetorum eq.30. Ils sont conduits par un certain Demetrius31. Derrière eux, les cavaliers de la cohors I Germanorum mil. eq.32 sont placés sous le commandement d’un « centurion affecté au camp »33. L’infanterie auxiliaire avance à leur suite : d’abord les fantassins
20 Pour des tentatives antérieures de reconstruction de cet ordre de marche, voir principalement RUSCU (1996), 213-6 (fig. 2) ; GILLIVER (1999), 56, fig. 21b ; SCHEUERBRANDT (2004), 66-8 (Taf. 6). Notre reconstruction diffère de celles proposées par ces trois auteurs dans la mesure où nous avons tâché d’intégrer les Armeni sagittarii dans l’avant-garde et de tenir compte de l’espace occupé par les unités les unes par rapport aux autres. 21 Arr., Acies, 1 : Ἡγεῖσθαι μὲν τῆς πάσης στρατιᾶς τοὺς κατασκόπους ἱππέας ἐπὶ δυοῖν τεταγμένους σὺν τῷ οἰκείῳ ἡγεμόνι. Se méprenant sur le sens de cette phrase, EZOV (2000), 307 estime que les éclaireurs forment « two combat units ». La formulation implique en fait qu’ils avancent par rangs de deux. Contrairement à une thèse avancée par RITTERLING (1902), 370, n. 1, aucun élément suggère que ces kataskopoi décrits par Arrien constituaient une unité indépendante (numerus exploratorum) : il pourrait très bien s’agir de cavaliers détachés de leurs unités-mères. 22 Arr., Acies, 1 : τοὺς ἱπποτοξότας τοὺς Πετραίους. L’identification des unités décrites par Arrien de façon allusive (dans le pur souci d’éviter les dénominations techniques) a été établie par RITTERLING (1902) et mise à jour SPEIDEL (2009c). Nous adoptons ici leurs conclusions. 23 Arr., Acies, 1 : καὶ τούτους ἐπὶ δυοῖν· ἀγόντων δὲ αὐτοὺς οἱ δεκαδάρχαι. 24 Ibid. : οἱ ἀπὸ τῆς εἴλης ᾗτινι Αὐριανοὶ ὄνομα. 25 Ibid. : οἱ τῆς σπείρης τῆς τετάρτης τῶν Ῥαιτῶν. 26 Arrien utilise ici le verbe συντάσσω pour désigner des groupements tactiques placés sous commandement unique. 27 Ibid. : οἱ ἀπὸ τῆς εἴλης ᾗ ὄνομα Κολωνοί. 28 Ibid. : Ἰτυραῖοι. 29 Ibid. : Κυρηναῖοι. 30 Ibid. : οἱ ἀπὸ τῆς πρώτης Ῥαιτικῆς. 31 Ibid. : συμπάντων δὲ τούτων ἀρχέτω Δημήτριος. 32 Ibid., 2 : οἱ Κελτοὶ ἱππεῖς. 33 Ibid. : καὶ τούτων ἡγείσθω ἑκατόνταρχος, ὅσπερ ἐπὶ στρατοπέδου. Cette mention reste énigmatique. Selon RUSCU (1996), 214, il pourrait s’agir du praefectus castrorum.
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des cohortes I Italica mil. uol. c. R. eq.34 et III Augusta Cyrenaica sag. eq.35, commandés par le tribun de la cohors Italica, Pulcher, puis ceux des cohortes I Bosporanorum mil. sag. eq.36 et I Numidarum sag. eq.37. La colonne doit être de quatre fantassins de large38. Les cavaliers de ces deux dernières unités doivent protéger les flancs des fantassins39. Arrien ajoute que ces derniers sont précédés par des archers en nombre égal40, sans préciser à quelle unité ces soldats appartiennent : nous proposons d’y voir les sagittarii Armeni de Vasakès et Arbèlos, mentionnés plus loin dans l’ordre de bataille et étrangement absents de l’ordre de marche41. Les cavaliers de ce contingent d’archers jouent probablement le rôle de flancs-gardes pour le reste de l’infanterie auxiliaire. Ce premier peloton de fantassins est suivi par la cavalerie d’élite (les equites singulares de la province de Cappadoce42 et les equites des deux légions XII Fulminata et XV Apollinaris 43), l’artillerie, les officiers supérieurs (dont Arrien) et leur escorte de fantassins légers44. Puis vient le corps principal constitué de l’infanterie légionnaire, avec étendards et officiers en tête45. Les alliés avancent à leur suite46, suivis des soldats de la cohors I Apula c. R.47 : le commandant de cette unité Secundinus, est aussi responsable du contingent d’irréguliers. Arrien situe le bagage immédiatement après ce groupe. L’arrière-garde est pour sa part constituée de l’ala I Ulpia Dacorum48. Le texte précise pour finir que les flancs de la colonne des fantassins (πλευρὰς δὲ τοῦ πεζικοῦ : comprendre les fantassins légionnaires) sont protégés par les cavaliers de l’ala II Gallorum49 et de la cohors I Italicae mil. uol. c. R. eq.50 : ces derniers Arr., Acies, 3 : οἵ τε Ἰταλοὶ. Ibid. : Κυρηναίων (voir Acies, 18). 36 Ibid., 3 : Βοσπορανοὶ (voir Acies, 18). 37 Ibid., 3 : οἱ Νομάδες (voir Acies, 18). 38 Ibid., 4 : ἡ τάξις δὲ ἔστω εἰς ὁπλίτας τέσσαρας. 39 Ibid. : τὰς δὲ πλευρὰς τῆς τάξεως φυλαττόντων ἑκατέρωθεν οἱ ἱππεῖς οἱ οἰκεῖοι. 40 Ibid. : αὐτῶν δὲ τούτων ὅσοι τοξόται ἡγείσθων. 41 Ibid., 12. Cette hypothèse est confortée par le fait que ces archers arméniens sont associés aux fantassins de la cohors I Italica dans l’ordre de bataille, ce qui correspond à la position que nous leur attribuons dans l’ordre de marche. Contra RUSCU (1996), 214 : il s’agirait plutôt des archers à pied des cohortes III Augusta Cyrenaica, I Bosporiana et I Numidarum. Cette hypothèse nous semble difficile à concilier avec les informations précédentes dans la mesure où les archers de ces unités se retrouveraient ainsi séparés de leurs camarades : les Cyrénéens ne font d’ailleurs pas partie du même groupement tactique que les Bosporitains et les Numides. 42 Arr., Acies, 4 : ἐπίλεκτοι ἱππεῖς. Cf. SPEIDEL (1978), 49 et s. 43 Arr., Acies, 4 : οἱ ἀπὸ τῆς φάλαγγος ἱππεῖς. 44 Ibid., 5. Sur la position d’Arrien, cf. ibid., 10. 45 Ibid., 6. 46 Ibid., 7. Il s’agit d’abord des fantassins lourds de Petite Arménie et de Trapezos (οἵ τε ἀπο τῆς μικρᾶς Ἀρμενίας καὶ Τραπεζουντίων οἱ ὁπλῖται) puis des javeliniers rhiziens et colches (Κόλχοι καὶ ᾿Ριζιανοὶ οἱ λογχοφόροι). 47 Ibid. : οἱ Ἀπλανοί πεζοί. 48 Ibid., 8 : εἴλη τῶν Γετῶν. 49 Ibid., 9 : εἴλη ἡ Γαλατικὴ. 50 Ibid. : οἱ τῶν Ἰταλῶν ἱππεῖς. 34 35
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chevauchent des deux côtés de l’agmen, rangés sur une unique file51. Ils sonts accompagnés par leurs préfets qui surveillent leurs flancs. Arrien ne spécifie pas où se trouvent certains contingents d’infanterie des cohortes dont la cavalerie a été détachée52.
L’adoption d’un tel ordre de marche peut sembler extrêmement risquée contre des adversaires nomades adeptes de la surprise opérationnelle. On note en particulier que les éclaireurs se trouvent uniquement en tête de la colonne et ne sont donc pas en mesure de rapporter l’approche des troupes ennemies d’où qu’elle provienne. Mais la différence par rapport à l’exemple précédent s’explique selon nous par la nature particulière du théâtre d’opération que doit parcourir l’armée d’Arrien53. La Cappadoce romaine est un territoire montagneux, dans lequel une grande armée ne peut progresser autrement qu’en formant un mince cordon. Cette topographie accidentée est un avantage contre une armée de cavalerie puisqu’elle met les Romains à l’abri de toute manœuvre d’encerclement ou de harcèlement54. Ce n’est qu’à partir du moment où le général décide de livrer bataille qu’il peut choisir de sortir des étroites vallées et ranger son armée en terrain découvert.
B. Le rôle de la cavalerie romaine durant la première guerre de Judée Les déplacements d’une armée en rase campagne doivent permettre aux forces engagées sur un théâtre d’opération de se trouver dans les Ibid. : παριππευέτω ἐπὶ ἕνα στοῖχον ἑκατέρωθεν τεταγμένη. Il s’agit des pedites cohortis III Petraeorum sag. mil. eq., I Ituraeorum eq., I Germanorum eq., I Raetorum eq., et IIII Raetorum eq. À l’exception des Ituréens (Acies, 18), ces fantassins ne sont pas non plus mentionnés dans l’ordre de bataille. L’hypothèse qu’ils aient été laissés à la garde d’une base arrière n’est pas à exclure. 53 SPEIDEL (1986), 658 (suivi par SPEIDEL [« le Jeune »] [2009d], 625) suppose que les opérations eurent lieu non loin d’Apsaros, dans le secteur que les Alains étaient susceptibles de menacer le plus facilement depuis les passes du Darial. Contra BOSWORTH (1977), 234, dont l’hypothèse d’une campagne menée depuis Satala, dans le secteur d’Erzurum, peut aujourd’hui être écartée. Ceci expliquerait que des unités auxiliaires en garnison dans ce fort (cinq cohortes : cf. Arr., Peripl., 6, 1) ne soient pas mentionnées dans l’armée du légat : elles auraient été laissées à la garde d’Apsaros, qui servait alors de base stratégique à l’est de la province depuis la dégradation des relations avec l’Ibérie. Afin de se rendre en Colchide, le corps expéditionnaire d’Arrien n’avait d’autre choix que d’emprunter l’étroite route côtière reliant Trapezos à Phasis. 54 Contra GOLDWORTHY (1996), 108 qui estime que « the enemy could have appeared from any direction », mais ne s’interroge pas sur la nature du terrain parcouru par l’armée de Cappadoce. 51 52
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meilleures dispositions pour remporter des succès tactiques, dont l’accumulation peut garantir la victoire, but ultime de la stratégie55. La stratégie opérationnelle des Romains varie en fonction de la nature de la menace militaire rencontrée et des buts poursuivis : guerres de conquête, expéditions punitives, opérations de pacification et guerres défensives ne sont pas toutes menées de la même manière56. Le De bello Judaico de Flavius Josèphe nous renseigne sur le rôle de la cavalerie dans le cadre de la répression d’une grande insurrection. Cet exemple révèle une doctrine d’emploi cohérente, adaptée au théâtre d’opération, à la nature de l’ennemi et à sa stratégie57. La première guerre de Judée éclate en 66. Elle est la conséquence d’une révolte des Juifs contre la tutelle impériale58. L’objectif politique de l’intervention militaire romaine est d’étouffer la rébellion et de recouvrer le contrôle de la province de Judée. Il s’agit aussi de punir une atteinte à la maiestas Romana, qui risquerait d’inspirer d’autres soulèvements dans l’Empire59. La stratégie plébiscitée par les différents gouverneurs de Syrie est une stratégie d’anéantissement. Dès qu’ils en ont la possibilité, Cestius Gallus, Vespasien ou Titus cherchent à obtenir une grande décision. Les Juifs, conscients de leur infériorité militaire et de leur incapacité à remporter des engagements massifs60, refusent le combat direct et font le choix d’une stratégie d’attrition, en s’enfermant dans leurs places fortes et en n’engageant que de petites actions de harcèlement. Cette attitude oblige l’armée romaine à se diviser pour obtenir du ravitaillement, à investir des places fortes et à dévaster les campagnes pour forcer les Juifs à réagir, suivant un mode opératoire déjà observé
55
Cf. Clausewitz, De la guerre, II, 1 (éd. Naville p. 118). Voir GOLDSWORTHY dans SABIN ET AL. (2007), II, 83-4. 57 Sur la révolte de 66 en général, voir JONES (1984), 34-55 ; PRICE (1992) ; FAULKNER (2002) ; BERLIN & OVERMAN (2002) ; HADAS-LEBEL (2009), 107-32 ; POPOVIĆ (2011). Pour des approches se concentrant sur les aspects militaires, voir en dernier lieu BLOOM (2010), part. i et LEWIN (2015), cap. 5. 58 Les origines du conflit ont été longuement analysées par GOODMAN (1995), qui met en cause l’attitude des élites dirigeantes de Judée et secondarise les justifications religieuses de la révolte. L’auteur a cependant modéré son point de vue plus récemment. Sur ce débat, voir en dernier lieu LEWIN (2015), 126-35. 59 Voir le discours de Titus devant Tarichées : Jos., BJ, III, 480. 60 Flavius Josèphe souligne à plusieurs reprises que leurs troupes sont mal équipées, manquent d’entraînement et n’ont pas de cavalerie pour les soutenir. Voir notamment Jos., BJ, II, 512 (trad. A. Pelletier) : « armés à la légère ils ne pouvaient soutenir le corps à corps avec des légionnaires lourdement armés ni, dans leur retraite, échapper à la cavalerie » (οὔτε γυμνῆτες ὁπλίτας συστάδην ἔφερον οὔτε ἐν τῇ τροπῇ τοὺς ἱππεῖς ἐξέφευγον). 56
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durant la guerre de Jugurtha61. Les insurgés ripostent en attaquant les partis ennemis isolés et en tendant des embuscades. Cette stratégie porte ses fruits contre Cestius Gallus en 66. Après son échec devant Jérusalem et après avoir déjà essuyé plusieurs revers mineurs, le légat se retire vers la Syrie et ne semble plus décidé à contre-attaquer ses ennemis62. Son armée, en ordre de marche, est mise en déroute dans une embuscade tendue par les Juifs dans le défilé de Beth-Horon en novembre 6663. Mais l’absence de cavalerie digne de ce nom dans l’armée des insurgés limite leur capacité de surprise64 : celle-ci ne peut être obtenue que lorsque l’état-major romain est négligent, et les Juifs n’ont aucune chance de poursuivre efficacement après la victoire. Durant les campagnes de 66-70, les Romains mettent à profit l’avantage tactique et opérationnel que leur procure leur puissante cavalerie auxiliaire. Celle-ci remplit les missions qui lui sont traditionnellement dévolues : elle est souvent détachée en avant-poste et assure l’exploratio65 ; elle participe aux corvées de fourrage, nécessaires au ravitaillement de l’armée66. Mais elle s’avère surtout utile dans les actions de contre-guérilla, propre au mode de répression privilégié par l’état-major impérial. Face à l’absence de cavalerie chez les insurgés, les Romains jouissent d’un contrôle absolu des campagnes environnantes et contraignent l’adversaire à se replier dans les villes, les montagnes et les forêts. Cela leur permet de maîtriser très vite un théâtre d’opération pourtant hostile. Dès son arrivée en Galilée, Vespasien prend soin de faire battre la campagne par ses cavaliers pour couper l’armée adverse de ses sources de ravitaillement et l’enfermer dans les villes fortifiées67. Il utilise avec profit ses colonnes montées pour surprendre l’adversaire, en détachant brusquement des partis de cavaliers vers les places fortes qu’il 61
Cf. supra, p. 122-3. Sur cette campagne spécifiquement, voir GICHON (1981) ; GOLDSWORTHY (1996), 84-90 ; BLOOM (2010), 65-79. 63 Jos., BJ, II, 546-55. 64 Un seul passage du De bello Judaico suggère la présence de troupes montées chez les révoltés, cf. BJ, II, 583 : 60 000 fantassins, 350 cavaliers, 4 500 mercenaires et 600 gardes personnels dans l’armée galiléenne de Josèphe en 67. Et encore ces chiffres sont-ils probablement exagérés, cf. BLOOM (2010), 95. 65 Jos., BJ, III, 458 ; V, 52-66 ; V, 258. Sous le Haut-Empire, la reconnaissance armée est appelée praemissio par Virgile (Aen., XI, 513) et Tacite (Hist., II, 100, 1 ; III, 52, 1 ; IV, 2, 4). Plus technique, le terme praecursio peut être préféré pour la cavalerie (Sen., Ep., 20, 123, 7 : Omnes iam sic peregrinantur ut illos Numidarum praecurrat equitatus, ut agmen cursorum antecedat). 66 Jos., BJ, VI, 153-5. Voir Onas., Str., 10, 8. 67 Jos., BJ, III, 59-63 et 110-4. 62
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souhaite enlever68. Cette méthode est parfois couronnée de succès. Mais lorsqu’une ville a les moyens de résister, la cavalerie sert juste à l’encercler pour empêcher les éventuelles sorties. Ainsi, lorsqu’il s’apprête à investir Jotapata, Vespasien prend soin d’envoyer mille cavaliers en avant-garde avec ordre d’envelopper (περικατασχεῖν) la place pour que personne ne puisse s’en échapper et qu’aucun renfort ne puisse arriver de l’extérieur69. Lors de la reconquête, les villes, les places fortes et les camps de marche sont utilisés comme bases opérationnelles pour des raids de cavalerie meurtriers destinés à ravager les campagnes, piller leurs ressources et massacrer leurs habitants. Le procédé est décrit pour la première fois au début de l’automne 66, lorsque Cestius détache un important parti de cavaliers dans le territoire de Narbata afin de dévaster le plat pays et les villages70. Durant l’intermède qui sépare la retraite de l’armée de Cestius de l’entrée en campagne de Vespasien (hiver 66-printemps 67), les garnisons de cavalerie laissées au nord de la Judée (Neapolitanus à Scythopolis ; Antonius à Ascalon) poursuivent leurs déprédations dans les campagnes tenues par les rebelles71. Mais c’est surtout au début des opérations en Gallilée en 67 que Flavius Josèphe décrit ce type d’action avec le plus de précision : « Les troupes de secours envoyées par Vespasien aux habitants de Sepphoris, mille cavaliers et six mille fantassins, sous le commandement du tribun Placidus, une fois leur camp établi dans la Grande Plaine, se séparent : l’infanterie cantonne en ville pour en assurer la garde, la cavalerie au camp. À partir de ces deux bases ils faisaient de fréquentes sorties et leurs incursions à travers toute la campagne environnante causaient de graves dommages aux troupes de Josèphe. Quand celles-ci restaient dans les villes sans bouger, les Romains pillaient à l’extérieur, et chaque fois qu’elles avaient l’audace de faire une sortie, ils les repoussaient. Josèphe, en tout 68 Tarichées (ibid., III, 497-502), Mont Thabor (ibid., IV, 57-61), Gischala (ibid., IV, 87-92), Béthennabris (ibid., IV, 429) ; le doute est permis pour Abila, Julias, Bésimoth (ibid., IV, 438), Gérasa (ibid., IV, 488), puis Caphéthra et Capharabis (ibid., IV, 552). 69 Ibid., III, 144. Voir également BJ, III, 255. Une tactique similaire est utilisée par le légat de Judée Lucilius Bassus en 73, lorsque ce dernier organise une battue pour traquer les révoltés qui se sont réfugiés dans une forêt, cf. BJ, VII, 211 (trad. A. Pelletier) : « il commença par faire cerner tout l’emplacement par la cavalerie (πρῶτον μὲν τοῖς ἱππεῦσιν ἅπαν κυκλοῦται τὸ χωρίον) pour rendre la fuite impossible aux Juifs. » 70 Ibid., II, 509 (trad. A. Pelletier) : « Cestius envoya également dans la toparchie de Narbatène, limitrophe de Césarée, un important détachement de cavaliers, qui ravagèrent la campagne (οἳ τήν τε γῆν ἔτεμον), massacrèrent un nombre considérable de gens du pays (πολὺ πλῆθος διέφθειραν τῶν ἐπιχωρίων), pillèrent leurs biens et incendièrent leurs villages (τάς τε κτήσεις διήρπασαν καὶ τὰς κώμας κατέφλεξαν). » 71 Ibid., III, 12 ; Jos., Vita, 121.
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cas, attaqua, dans l’espoir de la prendre, cette ville que lui-même, avant qu’elle trahît la cause des Galiléens, avait fortifiée pour qu’elle fût imprenable, même pour les Romains. Aussi fut-il déçu dans son espérance quand il constata qu’il était trop faible pour avoir raison des Sepphoritains que ce soit par la force ou par la persuasion. Il ne fit même qu’exciter davantage la guerre à travers le pays : les Romains, furieux de son offensive, ne cessèrent ni jour ni nuit de ravager les campagnes, de piller les propriétés rurales, toujours en massacrant ceux qui pouvaient porter les armes et en réduisant en esclavage les moins vigoureux. La Galilée tout entière était à feu et à sang ; il n’est pas de souffrance, pas de calamité qu’elle n’ait connues, car le seul refuge des populations pourchassées était les villes que Josèphe avait fortifiées. » (trad. A. Pelletier)72.
La répartition des rôles entre l’infanterie, chargée de tenir les villes fortifiées, et la cavalerie, responsable des opérations de dévastation et de pillage, se retrouve plus loin dans le récit, à la suite de la prise de Joppé (été 67)73, puis lorsque l’armée romaine pénètre en Judée et en Idumée au début de l’été 6874. Dès lors que les Juifs acceptent de quitter leurs places fortes pour livrer bataille en rase campagne, ils sont rapidement encerclés par la cavalerie romaine, mis en fuite et massacrés dans la poursuite, avec des pertes considérables, y compris lorsque les Romains sont en très nette infériorité numérique. À trois reprises, de petites armées de cavalerie parviennent ainsi à remporter de franches décisions contre d’importantes forces insurgées : – La première fois à proximité d’Ascalon, à la fin de l’année 66 ou au début de 67. La citadelle philistine est tenue par un commandant du nom d’Antonius75, avec une aile et une cohorte (donc pas plus de 2 000 soldats)76. Plusieurs dizaines de milliers de Juifs convergent pour surprendre la garnison séparée du reste des forces romaines. Au moment où les insurgés s’apprêtent à prendre les murs d’assaut, Antonius fait sortir sa cavalerie. À force d’escarmouches, celle-ci 72
Id., BJ, III, 59-63. Ibid., III, 429-31 (trad. A. Pelletier) : « Vespasien dresse un camp sur l’acropole et y laisse la cavalerie avec quelques fantassins, pour que ces derniers, en restant sur place, assurent la garde du camp (φρουρῶσι τὸ στρατόπεδον), tandis que les cavaliers iraient piller les environs et détruire les villages et petites villes autour de Joppé (προνομεύωσι τὴν πέριξ καὶ τὰς περιοίκους κώμας τε καὶ πολίχνας ἐξαιρῶσιν τῆς Ἰόππης). Les cavaliers donc, fidèles à ces consignes, en sillonnant tous les jours la campagne la ravageaient et la réduisaient tout entière en désert (ἔτεμνόν τε καὶ ἠρήμουν ἅπασαν). » 74 Ibid., IV, 443-8. 75 PIR1, A, 796. 76 Peut-être davantage selon KASHER (1990), 299, qui suppose que les Romains commandaient aussi une milice locale de combattants. 73
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parvient à mettre les Juifs en déroute, faisant près de 10 000 morts77. Lorsque les Juifs lancent une nouvelle attaque contre Ascalon, ils sont à nouveau mis en fuite à la suite d’embuscades tendues par la cavalerie d’Antonius, perdant cette fois-ci 8 000 hommes78. – Une deuxième victoire notable est remportée par la cavalerie romaine à la fin de l’été 67, dans la plaine qui se trouve face à Tarichées, au sud du lac de Génézareth. Vespasien, qui a établi son camp entre Tibériade et Tarichées, apprend que les Juifs se sont rassemblés en terrain découvert, à l’extérieur de la ville. Il détache son fils Titus avec 600 cavaliers d’élite, bientôt rejoints par M. Ulpius Traianus (le père du futur empereur) à la tête d’un contingent de 400 cavaliers. Ces 1 000 combattants montés parviennent à mettre en déroute les Juifs et à prendre la ville dans la foulée, alors que celle-ci est encore en proie à la panique et aux dissensions internes79. – Enfin, un troisième succès est obtenu peu de temps après ces événements, à l’automne 67, lorsque Vespasien détache son tribun Placidus avec 600 cavaliers pour prendre le mont Thabor, sur lequel des Juifs se sont retranchés. Arrivé à proximité des remparts de la citadelle, 77 Jos., BJ, III, 14-9 (trad. A. Pelletier modifiée) : « Antonius, à qui n’échappait plus l’imminence de leur attaque, fit sortir sa cavalerie ; sans du tout s’émouvoir du nombre ni de l’audace de l’ennemi, il soutint vaillamment les premiers assauts et refoula les Juifs qui attaquaient les remparts. […] Car dès que la confusion fut jetée dans les premiers rangs par la cavalerie (ὡς γὰρ αὐτῶν ἅπαξ ἤδη συνεταράχθησαν αἱ πρῶται φάλαγγες), ils firent volte-face ; se heurtant alors à ceux qui derrière eux attaquaient les remparts, ils se combattaient les uns les autres, jusqu’au moment où, ayant tous cédé aux charges (ἐμβολαῖς εἴξαντες) des cavaliers, ils se dispersèrent à travers toute la plaine (ἐσκεδάσθησαν ἀνὰ πᾶν τὸ πεδίον), qui était vaste et partout propice à la cavalerie. Cette circonstance qui avait favorisé les Romains fit que la tuerie des Juifs fut énorme. La cavalerie, en effet, devançait les fuyards, faisait demi-tour puis, fonçant dans ce tas de gens qui s’embarrassaient dans leur course, en tuait un nombre infini. D’autres cavaliers encerclant (κυκλούμενοι) d’autres groupes par quelque endroit qu’ils prissent la fuite, galopaient autour d’eux (περιελαύνοντες) et les abattaient facilement de leurs javelots (κατηκόντιζον). […] le combat dura jusqu’au soir ; tant et si bien que le nombre des Juifs tués s’éleva à une dizaine de mille, plus deux de leurs généraux : Jean et Silas […]. Du côté des Romains, il n’y eut dans cette bataille rangée qu’un petit nombre de blessés. » 78 Ibid., III, 25 (trad. A. Pelletier) : « Comme Antonius avait dressé des embuscades (ἐνέδραις) sur leur chemin, ils tombèrent dans ses pièges par surprise et, encerclés (κυκλωθέντες) par la cavalerie avant même de s’être rangés en bataille, ils perdirent cette fois plus de huit mille hommes ; tous les autres s’enfuirent. » KASHER (1990), 299-300 met en doute l’idée que les Juifs aient pu perdre 8 000 hommes contre un si petit contingent romain : Josèphe aurait exagéré les chiffres pour donner une illustration de la supériorité tactique de l’armée romaine. C’est possible, mais on ne saurait disqualifier complètement les informations données par l’auteur du De bello Judaico, surtout si l’on part du principe que l’immense majorité des pertes furent infligées durant la fuite – attendu que les rebelles n’avaient pas de troupes montées pour les couvrir. 79 Jos., BJ, III, 470-91.
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Placidus demande à parlementer avec les insurgés. Ces derniers descendent dans la plaine pour l’attaquer. La cavalerie romaine simule alors la fuite avant de contre-charger et d’envelopper les Juifs, ne laissant aucune chance aux fuyards80. D’autres décisions majeures sont remportées grâce à une coordination efficace de la cavalerie, agissant en première ligne, et de l’infanterie, suivant à distance pour servir de base de repli aux troupes montées, conformément au mode opératoire décrit à de nombreuses reprises pour l’époque républicaine. En 68, une force combinée de 500 cavaliers et 3 000 fantassins vient à bout de plus de 15 000 Juifs lors d’un combat livré près du village de Béthennabris, sur le Jourdain : « Les Romains, au premier choc, reculèrent un peu, tout en s’ingéniant à les attirer assez loin du rempart. Les ayant alors amenés dans un endroit propice, ils les encerclèrent et les accablèrent de javelots. La cavalerie coupait leurs voies de retraite et l’infanterie frappait à tour de bras les rangs serrés de leur troupe. […] Placidus était attentif à barrer la route à leurs raids vers la bourgade. Sa cavalerie, de ce côté-là, les doublait sans cesse, puis revenait sur eux en lançant des traits qui tuaient immanquablement ceux qui s’approchaient, et faisait rebrousser chemin à ceux qui se trouvaient à distance ; mais finalement les plus courageux se frayèrent de force un passage et s’échappèrent vers le rempart. [Les insurgés quittent alors la bourgade pour gagner Jéricho] Fort de sa cavalerie et de ses précédents succès, Placidus continuait de les poursuivre. Jusqu’au Jourdain il tuait à mesure tous ceux qu’il rattrapait. Quand il eut acculé au bord du fleuve toute cette foule, que la force du courant arrêtait, car, grossi par les pluies, le fleuve était infranchissable, Placidus rangea ses troupes en face d’eux. La nécessité excitait au combat ces gens qui n’avaient aucun lieu où s’enfuir. Déployés sur une file aussi longue que possible le long du rivage, ils y recevaient les traits et les charges des cavaliers, qui en les frappant en firent tomber un grand nombre dans le courant. Il en périt quinze mille sous les coups des Romains et le nombre de ceux qui durent se jeter d’euxmêmes dans le Jourdain est incalculable. » (trad. A. Pelletier modifiée)81. 80
Ibid., IV, 57-61, notamment 60 (trad. A. Pelletier) : « En effet dès que les Juifs engagèrent le combat, [Placidus] fit semblant de prendre la fuite, et comme ils le poursuivaient (διώκοντας), quand il les eut attirés bien loin dans la plaine (ἑλκύσας ἐπὶ πολὺ τοῦ πεδίου), par une volte-face de sa cavalerie (τοὺς ἱππεῖς ἐπιστρέφει), il les mit en déroute, en massacra le plus grand nombre, isola le reste et l’empêcha de remonter. » La contrecharge des cavaliers romains est ainsi accompagnée d’un mouvement enveloppant, ce qui correspond à la « manœuvre alaine » décrite par Maurice dans le Stratêgikon (cf. infra, p. 587). 81 Ibid., IV, 422-35 : Οἱ δὲ πρὸς μὲν τὴν πρώτην ἐμβολὴν ὀλίγον εἶξαν ἅμα καὶ προκαλέσασθαι τεχνιτεύοντες αὐτοὺς ἀπὸ τοῦ τείχους πορρωτέρω, λαβόντες δ’ εἰς ἐπιτήδειον περιήλαυνόν τε καὶ κατηκόντιζον, καὶ τοὺς μὲν φυγάδας αὐτῶν οἱ ἱππεῖς ὑπετέμνοντο, τὰς συμπλοκὰς δὲ τὸ πεζὸν εὐτόνως διέφθειρον. […] Σπουδὴ γὰρ ἦν τῷ
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Tous ces exemples illustrent bien le rôle majeur joué par la cavalerie lors de la première révolte de Judée, que l’on aurait tort d’occulter au profit des travaux d’ingénierie des légions, rendus célèbres par les récits des sièges de Jotapata, Jérusalem et Massada, auxquels Josèphe choisit d’accorder une place de premier plan pour des raisons aussi bien politiques que narratives82. Les troupes montées de l’Empire permettent de limiter les effets négatifs de la stratégie d’attrition adoptée par les révoltés ; elles garantissent aux Romains le contrôle des territoires parcourus et offrent un outil de contre-guérilla idéal83. C’est aussi la cavalerie qui est responsable de l’immense majorité des pertes infligées aux Juifs lors d’engagements en rase campagne, montrant que chaque action positive de la part des révoltés les expose au paiement d’un lourd tribut humain. La cavalerie parvient en outre à obtenir, seule, de véritables décisions contre de grandes armées, et elle se révèle à plusieurs reprises capable de prendre des places fortes grâce à la vélocité de ses actions. Πλακίδῳ τὰς ἐπὶ τὴν κώμην ὁρμὰς αὐτῶν διακλείειν. Καὶ συνεχῶς παρελαύνων κατ’ ἐκεῖνο τὸ μέρος, ἔπειτα ἐπιστρέφων ἅμα καὶ τοῖς βέλεσι χρώμενος εὐστόχως ἀνῄρει τοὺς πλησιάζοντας καὶ δέει τοὺς πόρρωθεν ἀνέστρεφεν, μέχρι βίᾳ διεκπεσόντες οἱ γενναιότατοι πρὸς τὸ τεῖχος διέφευγον. […] Πλάκιδος δὲ τοῖς ἱππεῦσι καὶ ταῖς προαγούσαις εὐπραγίαις τεθαρρηκὼς εἵπετο, καὶ μέχρι μὲν Ἰορδάνου τοὺς ἀεὶ καταλαμβανομένους ἀνῄρει, συνελάσας δὲ πρὸς τὸν ποταμὸν πᾶν τὸ πλῆθος εἰργομένους ὑπὸ τοῦ ῥεύματος, τραφὲν γὰρ ὑπ’ ὄμβρων ἄβατον ἦν, ἀντικρὺ παρετάσσετο. Παρώξυνε δ’ ἡ ἀνάγκη πρὸς μάχην τοὺς φυγῆς τόπον οὐκ ἔχοντας, καὶ ταῖς ὄχθαις ἐπὶ μήκιστον παρεκτείναντες σφᾶς αὐτοὺς ἐδέχοντο τὰ βέλη καὶ τὰς τῶν ἱππέων ἐμβολάς, οἳ πολλοὺς αὐτῶν παίοντες εἰς τὸ ῥεῦμα κατέβαλον. Καὶ τὸ μὲν ἐν χερσὶν αὐτῶν διαφθαρὲν μύριοι πεντακισχίλιοι, τὸ δὲ βιασθὲν ἐμπηδῆσαι εἰς τὸν Ἰορδάνην πλῆθος ἑκουσίως ἄπειρον ἦν. 82 Sur l’écriture de l’histoire et le traitement des faits militaires dans l’œuvre de Josèphe, voir les contributions de MASON et ROTH dans CHAPMAN & RODGERS (2016). 83 La doctrine adoptée par Vespasien et Titus, fondée sur la fragmentation du corps expéditionnaire romain en petits groupes mobiles, se retrouve à d’autres époques et sur d’autres théâtres d’opération. Nous avons déjà pu évoquer l’exemple de la guerre de Jugurtha (cf. supra, p. 129-30). Au moins trois cas similaires apparaissent dans l’œuvre de Tacite. En 21 ap. J.-C., une révolte des Célatètes, des Odryses et des Diens (Besses), en Thrace, force le légat P. Vellaeus, commandant de l’armée la plus proche, à intervenir : celui-ci détache les cavaliers d’ailes et les cohortes légères (alarios equites ac leuis cohortium) contre les bandes qui courent le pays pour le piller ou pour en tirer des renforts ; il prend avec lui le gros de l’infanterie légionnaire (robur peditum) pour lever le siège de Philippopolis (Tac., Ann., III, 39, 1). L’année suivante, Junius Blaesus, envoyé en Afrique par Tibère pour lutter contre les bandes pillardes de Tacfarinas, divise son armée en trois colonnes (agmina), chargées de cerner le théâtre de la guerre, et multiplie les détachements à partir de ces groupes d’intervention (ibid., III, 74, 1-3). Son successeur Cornelius Dolabella poursuit la même stratégie de contre-guérilla, en associant plus étroitement les troupes irrégulières fournies par Ptolémée de Maurétanie (ibid., IV, 24, 3-25, 3). Enfin, en 58, confronté à la stratégie d’attrition de Tiridate d’Arménie, Corbulon est « contraint de propager la guerre partout » (circumferre bellum coactus) : il divise ses forces (dispertit uires) et invite ses alliés à piller les possessions arméniennes pour forcer son adversaire à réagir (ibid., XIII, 37, 2-3).
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II – LA GRANDE TACTIQUE A. Le rôle de la cavalerie dans les batailles rangées Il n’est pas nécessaire de revenir en détail sur les différentes fonctions remplies par la cavalerie dans les batailles en rase campagne : celles-ci n’évoluent pas de façon significative sous le Haut-Empire84. Les récits militaires du Principat montrent que les combattants à cheval interviennent lors d’escarmouches préliminaires destinées à gêner l’ennemi dans son déploiement ou à éliminer ses troupes mobiles85. La cavalerie s’efforce aussi d’envelopper l’armée adverse par des attaques de flanc et des manœuvres d’encerclement86. Certains corps de troupes sont gardés en réserve et peuvent servir à contrer les menaces inattendues87. Enfin, la cavalerie intervient au dernier stade de la bataille, lorsque l’une des deux armées rompt son ordonnancement et que débute la poursuite88. Les mécanismes qui régissent ces actions ont pu être analysés dans la partie précédente à travers quelques exemples tardo-républicains. Durant l’époque impériale, certaines descriptions apportent cependant un éclairage nouveau et méritent d’être développées. Les escarmouches préliminaires tout d’abord. Elles font l’objet d’une présentation minutieuse de la part de Tacite, lors des combats qui précèdent la seconde bataille de Bédriac (24 octobre 69)89. L’affrontement qui prend place dans la grande plaine alluviale séparant Crémone de Bedriacum est initié par une série d’accrochages entre des partis de fourrageurs vitelliens et flaviens90. Comme le veut la coutume, les exploratores opèrent en avant des lignes flaviennes, au contact du « brouillard La bibliographie sur la question se limite à DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 140-7 et GILLIVER (1999), 110-2. Des informations supplémentaires peuvent être trouvées dans HYLAND (1990), 165-7 et JUNKELMANN (1991), II, 127-30. 85 E.g. Tac., Agr., 36, 3 ; Hist., II, 41, 2 ; IV, 33, 2 ; Ann., IV, 73, 2. 86 E.g. Jos., BJ, II, 519 ; Tac., Agr., 37, 1 ; Hist., V, 18, 3-4 ; Ann., III, 46, 3 ; Arr., Acies, 30-1. 87 E.g. Tac., Agr., 37, 1 ; Hist., II, 24, 3. 88 E.g. Jos., BJ, III, 17 ; Tac., Agr., 37, 3 ; Hist., II, 15, 2 ; Arr., Acies, 27-9. 89 Sur cet affrontement, voir PASSERINI (1940), 235-42 ; GREENHALGH (1975), 148-50 ; WELLESLEY (1975, 2000 3e éd.), 142-4 ; MORGAN (2005) et (2006), 202-4. Tacite utilise probablement les mémoires de Vipstanus Messalla comme source principale. Cf. SYME (1958), I, 172 et 177 et MORGAN (2005), 189, n. 1. 90 Antonius Primus aurait détaché sa cavalerie à huit milles (= 11,8 km) de Bédriac. Les deux villes étaient distantes de vingt-deux milles (= 32,5 km) si l’on suit la Tabula Peutingeriana, ou plutôt vingt milles (= 29,5 km) d’après le scholiaste de Juvénal (schol. vet. ad. Juv., II, 99), qui semble plus proche de la vérité. Le champ de bataille est parfaitement plat, mais, dans l’Antiquité, il était planté de vignes et parcouru de canaux 84
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de guerre ». Ce sont eux qui préviennent Antonius Primus et ses 4 000 cavaliers de l’approche des troupes ennemies, précédées par de petits groupes d’hommes (praegredi paucos) – probablement des éclaireurs ou des procursatores vitelliens91. Alors que les troupes flaviennes sont encore dispersées dans la campagne pour piller les granges et les champs, l’un des officiers de l’armée d’Antonius Primus, Arrius Varus, sans se préoccuper de l’avis de son commandant, décide de charger avec les plus résolus des cavaliers (cum promptissimis equitum). Il repousse les vitelliens mais ses hommes sont rapidement contrés et mis en fuite par des combattants adverses92. Antonius, qui n’a pas souhaité cette attaque, prend les mesures d’urgence qui s’imposent : il déploie ses escadrons sur les ailes de son dispositif et laisse un accès libre au centre (diductis in latera turmis uacuum medio relinquit), pour que Varus et ses cavaliers puissent se retirer en sécurité. Loin de produire l’effet attendu, la manœuvre jette la panique dans la ligne de réserve et c’est l’ensemble de la cavalerie flavienne qui se trouve mis en déroute : « les troupes repoussées et celles préservées de tout dommage, précipitées par la peur, se pressent mutuellement dans des chemins étroits (angustiis uiarum conflictabantur) »93. Antonius s’efforce de rallier sa cavalerie. Cette dernière est finalement arrêtée par la présence d’une rivière qui lui barre la route. Elle parvient à se reformer en rangs serrés (densis ordinibus) et se tourne contre les poursuivants qui accourent en ordre dispersé, les repoussant aisément94. La fortune change donc une nouvelle fois de camp, mais la séquence qui suit est confuse dans la mesure où les cavaliers flaviens, convaincus d’avoir remporté la victoire, se laissent gagner par l’indiscipline. Certains dépouillent les morts (spoliare), d’autres font des captifs (capere), d’autres encore dérobent les armes et les chevaux des vaincus (arma equosque abripere) pendant que le gros des troupes continue de poursuivre les vitelliens95. Ceux-ci espèrent pouvoir compter sur le soutien des légions I Italica et XXI Rapax qui ont été envoyées à leur secours depuis Crémone et se trouvent alors à quatre milles de la ville. Mais l’infanterie lourde refuse d’ouvrir ses rangs pour recevoir les fuyards d’irrigation, ce qui devait constituer des obstacles importants pour le déploiement et la coordination de la cavalerie. Cf. Tac., Hist., II, 25, 2 et PASSERINI (1940), 213-4. 91 Tac., Hist., III, 15, 2-16, 1. 92 Ibid., III, 16, 1-2. 93 Ibid., III, 16, 2. La retraite pouvait se faire le long de la via Postumia mais les uiae angustae font ici surtout allusion aux chemins d’exploitation qui séparaient les parcelles d’une plaine agricole dont nous savons qu’elle était rigoureusement centuriée. Cf. WELLESLEY (1975, 2000 3e éd.), 144. Contra MORGAN (2005), 199, qui avance de façon arbitraire que le pluriel employé par Tacite est « poétique » et suggère que les 4 000 cavaliers se replièrent uniquement le long de la via Postumia, ce qui est matériellement impossible. 94 Tac., Hist., III, 17, 1-2. La rivière en question est peut-être la Delmona, un affluent de l’Oglio qui, autrefois, s’écoulait au sud de la via Postumia, notamment entre Casanova d’Offredi et Rivarolo Mantovano. Cf. PASSERINI (1940), 240-1. Voir cependant les remarques sceptiques de MORGAN (2005), 199-200. 95 Tac., Hist., III, 17, 2. On remarquera dans ce passage que spoliare est bien distingué d’arma equosque abripere. Cela nous semble suggérer que les « dépouilles » prises à l’ennemi n’étaient pas seulement des armes, mais aussi des trophées corporels.
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(non laxare ordines, non recipere turbatos), espérant peut-être les forcer à reprendre le combat96 : elle se laisse gagner par la panique et finit par être culbutée par l’assaut conjugué de la cavalerie flavienne et de l’infanterie auxiliaire de Mésie, accompagnée d’un grand nombre de légionnaires97. Cette longue alternance de poursuites et de retraites, que Tacite juge si caractéristique du combat de cavalerie98, est décrite en des termes similaires par Cassius Dion99.
Le cas de l’enveloppement tactique peut être analysé à travers l’exemple de la bataille d’Idistauiso (16 ap. J.-C.), que nous connaissons aussi grâce à Tacite100. L’historien romain décrit une manœuvre ambitieuse, qui permit à la cavalerie de Germanicus de tourner complètement l’armée d’Arminius, en s’aidant de la topographie pour passer inaperçue (fig. 22 et 23). L’affrontement eut lieu dans la vallée de la Weser, probablement au niveau de Hessich Oldendorf, comme cela a été suggéré dans une étude récente101. Tacite parle d’une plaine située « entre la Weser et des collines, qui méandre de façon inégale, suivant que les rives du fleuve s’effacent ou que les saillies des montagnes opposent une résistance »102. Il ajoute que la plaine était fermée par un bois, devant lequel se tenait la ligne principale des Germains103. Les Chérusques seuls occupaient les hauteurs, d’où ils devaient tomber sur les Romains au plus fort du combat104. Lorsqu’il se rendit compte de ce stratagème, Germanicus commanda aux meilleurs de ses cavaliers de les charger de flanc, et à Stertinius, avec les escadrons restants, de tourner l’ennemi et d’attaquer ses arrières105. Les troupes montées 96
Ibid., III, 18, 1. Ibid., III, 18, 2. 98 Voir par exemple Tac., Ger., 30, 3 et Ann., VI, 35, 1. 99 Cass. Dio, LXV, 11, 4-5. 100 Tac., Ann., II, 16-7. Sur cette bataille, cf. DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), II, 123-4 ; MILTNER (1952) ; FLEURET (1997), 115 ; LAEDERICH (2001), 78-83 ; JAHN (2012), 207-12. 101 LAEDERICH (2001), 78, n. 19 : « la description du site d’Idistaviso paraît correspondre à la région de Rinteln et d’Hameln, vers Hessich Oldendorf ». Nous proposons, dans notre reconstitution graphique, de situer le champ de bataille dans la partie de la plaine qui se trouve entre Hemeringen et Halvestorf. Les Chérusques occupaient probablement les hauteurs qui se trouvent au sud de Hemeringen. La plaine est inclinée sur sa partie méridionale, avec 150 m de dénivelé sur un km. Les collines culminent à un peu plus de 250 m. 102 Tac., Ann., II, 16, 1 : Is medius inter Visurgim et colles, ut ripae fluminis cedunt aut prominentia montium resistunt, inaequaliter sinuatur. 103 Ibid., 16, 1-2 : Pone tergum insurgebat silua, editis in altum ramis et pura humo inter arborum truncos. Campum et prima siluarum barbara acies tenuit. 104 Ibid., 16, 2 : soli Cherusci iuga insedere, ut proeliantibus Romanis desuper incurrerent. 105 Ibid., 17, 1 : Visis Cheruscorum cateruis, quae per ferociam proruperant, ualidissimos equitum incurrere latus, Stertinium cum ceteris turmis circumgredi tergaque 97
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Figure 22 – Déploiement tactique de l’armée romaine à la bataille d’Idistauiso (16 ap. J.-C.). exécutèrent ses ordres et parvinrent à ébranler les arrières et les flancs (postremos ac latera) de l’armée adverse pendant que l’infanterie l’engageait de front106. Se produisit alors un phénomène étrange : « Deux lignes ennemies fuyaient en sens opposé : ceux qui avaient occupé la forêt se sauvaient dans la plaine, ceux de la plaine couraient vers la forêt (duo inuadere iubet. Ce passage est généralement mal compris par les commentateurs de la bataille. DELBRÜCK (1900, 1990 trad. angl.), II, 123 (suivi par MILTNER [1952], 346-7) confond par exemple l’attaque de flanc des ualidissimi equites et celle des turmae de Stertinius : selon lui, les deux auraient pris pour cible les Chérusques qui descendaient de leurs collines. En réalité, seule la première visait les troupes d’Arminius. La seconde est bien distinguée par Tacite et concerne l’armée germanique qui était campée à la lisière des bois, de l’autre côté de la plaine, comme le confirme la suite du texte. C’est donc un très large mouvement enveloppant, que Stertinius n’a pu accomplir qu’en empruntant des chemins dérobés situés derrière les hauteurs. Delbrück, qui ne parvient pas à distinguer ces deux manœuvres, juge impossible la pression exercée par l’armée romaine sur les arrières de l’acies germanique (cf. n. suivante) et écarte, à tort, la description de Tacite dans laquelle il ne voit que « Phantasien eines Poeten ». 106 Tac., Ann., II, 17, 3 : Simul pedestris acies infertur et praemissus eques postremos ac latera impulit.
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Figure 23 – Reconstitution schématique des différentes phases de la bataille d’Idistauiso.
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hostium agmina diuersa fuga, qui siluam tenuerant in aperta, qui campis adstiterant in siluam ruebant). Entre eux, au milieu, les Chérusques étaient délogés de leurs collines (medii inter hos Cherusci collibus detrudebantur). »107. Cette description ne peut être comprise que si l’on garde à l’esprit la situation des troupes germaniques durant cette phase de l’affrontement. La première ligne des Germains se trouve en terrain ouvert, face à l’infanterie légionnaire ; elle est repoussée vers l’arrière. Une ligne de réserve, qui attend à la lisière de la forêt, est prise à revers par la cavalerie de Stertinius et converge vers la plaine. Quant aux Chérusques embusqués, ils sont chassés des collines vers le lieu principal de la bataille108. Par une brillante manœuvre d’enveloppement, exécutée sur un terrain relativement difficile, Germanicus est parvenu à semer la confusion chez ses adversaires.
Tacite ne signale pas l’intervention de réserve montée durant cet épisode : des cohortes d’infanterie auxiliaire semblent avoir joué ce rôle contre une tentative de percée des Chérusques menés par Arminius109. En revanche, lors de la bataille du Mons Graupius (83/84 ap. J.-C.), quatre ailes sont employées comme subsidia par Agricola (fig. 24)110. Ces unités sont clairement distinguées du gros de la cavalerie qui intervient dès le début de l’affrontement. L’ordre de bataille présente une configuration classique : une ligne d’infanterie (8 000 fantassins auxiliaires), flanquée par 1 000 ou 3 000 equites111, fait face à une multitude de guerriers calédoniens rassemblés sur des 107
Ibid., 17, 3-4. À l’instar de Delbrück, MILTNER (1952), 348 ne comprend pas ce triple mouvement et propose tout simplement d’ignorer les précisions apportées par Tacite. La reconstitution proposée par LAEDERICH (2001), 79-83 ne nous semble pas non plus satisfaisante : elle fait commencer le combat entre les deux lignes d’infanterie principales avant qu’Arminius ait lancé son attaque de flanc. Pourtant, Tacite mentionne d’abord la tentative d’embuscade et précise que la bataille en rase campagne n’intervint que dans un second temps. Il semble que les Chérusques déclenchèrent leur attaque trop tôt, contrairement au plan qui avait été convenu, d’où le complément circonstanciel de manière per ferociam que l’on retrouve attaché au verbe proruperant. De cette confusion découle, chez Laederich, une incapacité à expliquer le fait que les fuyards Chérusques étaient pris entre les deux lignes des Germains, ceux de la plaine et ceux de la forêt. 109 Tac., Ann., II, 17, 4. 110 Id., Agr., 35-6. Une abondante bibliographie traite de cette bataille : voir entre autres références HANSON (1987), 137-9 ; MAXWELL (1990) ; GOLDSWORTHY (1996), 134 et 151 ; FRASER (2008) ; CAMPBELL (2010) et (2015). 111 Tac., Agr., 35, 2 affirme que 3 000 cavaliers étaient disposés in cornibus, sur les flancs des fantassins auxiliaires, mais il ne précise pas s’il s’agit de la totalité des equites présents lors de l’affrontement. Difficile, donc, de savoir si les quatre ailes de cavalerie ad subita belli retentas sont à inclure dans ce total. Pour la majorité des spécialistes (OGILVIE & RICHMOND [1967], 78-9 et 271 ; MANN [1985], 23 ; HANSON [1987], 137 ; MAXWELL [1990], 43 ; GOLDSWORTHY [1996], 134 et fig. 2), il faudrait plutôt les y ajouter, ce qui ferait un total de 5 000 cavaliers auxiliaires. Mais rien ne permet d’en être totalement sûr. 108
Figure 24 – Restitution schématique de la bataille du Mons Graupius (83/84 ap. J.-C.).
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hauteurs que l’on identifie habituellement aux collines de Bennachie (Aberdeenshire)112. Le légat de Bretagne n’a souhaité engager que ses unités auxiliaires ; les troupes légionnaires attendent à distance, rangées devant le camp de marche113. Dès le déclenchement des hostilités, une partie de la cavalerie romaine chasse les chars calédoniens du champ de bataille et se retourne contre l’infanterie ennemie pour soutenir l’effort des cohortes auxiliaires114. La suite du texte est corrompue et l’utilisation manifeste de topoi littéraires par Tacite ne facilite en rien sa compréhension. L’image de cavaliers mêlés aux fantassins, réduits à l’impuissance par la nature du terrain et pressés les uns contre les autres, suggère une situation plutôt défavorable aux Romains115. C’est seulement dans un second temps, lorsque les troupes de réserve de Calgacus descendent de leurs hauteurs pour tenter d’envelopper l’armée romaine, qu’Agricola fait intervenir quattuor equitum alas ad subita belli retentas116. La manœuvre est un succès : les adversaires sont 112 Sur la localisation du site, voir dernièrement FRASER (2008), chap. v (qui propose la colline de Cairnie Braes, beaucoup plus au sud, à proximité du camp flavien de Dunning) et CAMPBELL (2015) (favorable à l’hypothèse traditionnelle). D’après Tac., Agr., 29, 4, l’armée de Calgacus comprenait plus de 30 000 hommes, mais HANSON (1987), 137-8, MAXWELL (1990), 65-6 et FRASER (2008), 83-5 pensent, avec de bons arguments, que ce chiffre est excessif et que l’effectif des barbares a été exagéré à des fins encomiastiques. L’historien romain présente l’ordre de bataille des Calédoniens de la façon suivante (Tac., Agr., 35, 4, trad. É. de Saint-Denis) : « la première ligne était en terrain plat (primum agmen in aequo) ; les autres corps de troupes, sur la pente du mont, formaient une ligne continue comme dressée en hauteur (ceteri per adcliue iugum conexi uelut insurgerent) ». Il y a litige pour savoir si, dans cette dernière phrase, il faut lire conexi ou conuexi, leçon que l’on retrouve dans le codex Aesinas latinus 8 mais qui est écartée par É. de Saint-Denis et R.M. Ogilvie dans leurs éditions respectives. MAXWELL (1990), 58, SOVERINI (2004), 82 et FRASER (2008), 89 proposent de conserver la lecture de l’Aesinas latinus et estiment que la ligne de bataille des barbares épousait une forme courbe, avec les ailes repliées vers l’intérieur, ce qui se justifie aisément d’un point de vue tactique si l’on tient compte de l’immense supériorité romaine en cavalerie. 113 Tac., Agr., 35, 3. 114 Ibid., 36, 3 : « après avoir mis en fuite les Bretons des chars montés (ut fugere couinnarii), les escadrons de cavaliers (equitum turmae) vinrent se mêler au combat des fantassins (peditum se proelio miscuere). » 115 Ibid., 36, 4 : « Malgré la terreur subite qu’ils y avaient apportée, ils étaient néanmoins embarrassés par les formations compactes des ennemis et les accidents du terrain (densis tamen hostium agminibus et inaequalibus locis haerebant) ; et désormais, la forme du combat n’avait plus rien d’équestre (minimeque equestris ei iam pugnae facies erat), car, les hommes, étant déjà en position difficile sur la pente, étaient en même temps bousculés par les corps des chevaux (cum aegre cliuo instantes [ou adstantes] simul equorum corporibus impellerentur) et souvent des chars à la dérive, des chevaux apeurés, sans conducteurs, se précipitaient où leur frayeur les avait emportés, le long [des rangs] ou face à eux (ac saepe uagi currus, exterriti sine rectoribus equi, ut quemque formido tulerat, transuersos aut obuios incursabant). » SOVERINI (2004), 264 suppose que durant cette phase, les cavaliers romains (en raison de la difficulté du terrain) avaient démonté pour combattre comme fantassins. C’est une éventualité à prendre en compte, bien que Tacite ne précise pas la chose de façon explicite. 116 Tac., Agr., 37, 1 : « Des Bretons qui jusqu’ici se tenaient sur le faîte des collines, à l’écart du combat (Et Britanni, qui adhuc pugnae expertes summa collium insederant),
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repoussés et les troupes montées du légat de Bretagne peuvent prendre à revers la ligne des ennemis117. Comme l’historien romain mentionne ici uniquement des ailes, il y a fort à parier que les cavaliers qui formaient la première ligne étaient surtout des cavaliers de cohorte118, ce qui s’accorde bien avec l’exemple de l’ordre de bataille d’Arrien, qui assigne aussi les ailes au poste de flanc-garde119.
Reste la poursuite. Sa mise en œuvre est longuement évoquée par Flavius Josèphe dans le cadre d’opérations menées contre des fantassins mal organisés et mal équipés. La description la plus détaillée se trouve dans le récit de la bataille d’Ascalon (hiver 66/67)120. Après avoir mis en fuite une armée rebelle venue prendre la place forte, les cavaliers d’Antonius se livrent à un immense massacre. Certains devancent les fuyards au galop (τούς τε γὰρ φεύγοντας αὐτῶν φθάνοντες), font demitour (ἐπέστρεφον), puis chargent la masse dispersée des ennemis en fonçant à travers eux (καὶ τῶν ὑπὸ τοῦ δρόμου συνειλουμένων διεκπαίοντες ἀπείρους ἀνῄρουν)121. D’autres cavaliers encerclent des groupes isolés et, galopant autour d’eux, les abattent facilement à coups de javelots (ἄλλοι δὲ ἄλλους ὅπῃ τρέποιντο κυκλούμενοι καὶ περιελαύνοντες κατηκόντιζον ῥᾳδίως). Cette dernière manœuvre, décrite de façon allusive par Josèphe, ressemble à l’attaque circulaire des cursores du Stratêgikon122, mais la correspondance n’est pas assurée et il n’existe peut-être pas de filiation directe entre les deux exemples. Notons en tout n’avaient rien d’autre à faire que de railler notre armée qu’ils trouvaient si réduite. Mais, peu à peu, ils descendaient pour envelopper les arrières des vainqueurs (degredi paulatim et circumire terga uincentium coeperant). Craignant cela, Agricola leur opposa quatre ailes de cavalerie tenues en réserve pour les choses imprévisibles de la guerre (quattuor equitum alas, ad subita belli retentas). » 117 Ibid., 37, 1 : « Les assaillants furent repoussés et chassés avec une énergie égale à la hardiesse avec laquelle ils chargeaient (quantoque ferocius adcucurrerant, tanto acrius pulsos in fugam disiecisset). Ainsi, le plan des Bretons fut retourné contre eux, car sur l’ordre du général, les ailes quittèrent le front de bataille pour attaquer à revers la ligne des ennemis (ita consilium Britannorum in ipsos uersum, transuectaeque praecepto ducis a fronte pugnantium alae auersam hostium aciem inuasere). » 118 Au moins trois cohortes equitatae étaient présentes lors de la bataille : les cohortes III Batauorum mil. eq., IX Batauorum mil. eq., II Tungrorum eq. Cf. Tac., Agr., 29, 2 ; 32, 1 et 7 ; 36, 1 et OGILVIE & RICHMOND (1967), 78-9 et 271. Peut-être aussi la cohors I Brittonum mil. eq., qui pourrait avoir été levée par Agricola dans le contexte de cette campagne ou peu de temps avant : cf. BIRLEY (1953b), 21-2. Par conséquent, Agricola disposait d’un effectif substantiel d’equites cohortales. 119 Cf. infra, p. 310. Cette observation contredit radicalement l’opinion la plus répandue, qui veut que les equites cohortales soient à considérer comme une « second-line cavalry ». Cf. DAVIES (1971), 756. 120 Jos., BJ, III, 16-7. 121 Le même mode opératoire est décrit en BJ, III, 489-91 ; IV, 423 ; IV, 642. 122 Maurice, Strat., III, 5, 105-9. Cf. infra, p. 585-6.
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cas que ce type d’attaque nécessite de rompre l’escadron, dont l’organisation par rang et par file ne permet pas de former un long cordon d’escarmoucheurs123.
B. La cavalerie dans l’ordre de bataille En théorie, les modalités du rangement de la cavalerie dans l’ordre de bataille admettent des variations sous le Haut-Empire. S’inspirant probablement d’un manuel d’ars militaris dont il reprend le vocabulaire, Quintilien insiste sur cette flexibilité : « Qu’arrivera-t-il si, en effet, tu prescris à un général, à chaque fois qu’il range son armée en bataille, d’aligner son front, d’étendre ses ailes à droite et à gauche, de poster les cavaliers contre celles-ci ? Cette méthode sera peut-être la plus raisonnable autant de fois que la situation le permettra. Mais on la modifiera suivant la nature du lieu, lorsque se présentera une montagne, lorsqu’une rivière fera obstacle, que des collines, des bois ou quelque autre difficulté de terrain empêchera le passage. On variera aussi en fonction du type d’ennemi, de la situation lors du moment décisif : dans telle circonstance on combattra en formant une ligne unie, dans telle autre en coin, ici avec des auxiliaires, là avec la légion. »124.
Onasandre ne prescrit pas autre chose dans son Stratêgikos, bien qu’il insiste moins sur l’importance du cadre topographique. Selon lui, une armée doit être rangée en fonction du dispositif adverse. Le général est contraint de placer ses cavaliers face à ceux de l’ennemi125. Mais l’auteur grec concède que, dans la perspective d’une bataille rangée, il convient le plus souvent de les positionner sur les ailes (ἐπὶ κέρως)126, de manière 123 Arr., Tact., 17, 5 se fait peut-être l’écho de cette tactique dans un passage qui ne se retrouve ni chez Asclépiodote, ni chez Élien, et a donc de grandes chances d’être un ajout du gouverneur de Cappadoce. Il y est question d’une formation composée d’un seul rang de cavaliers. Une telle ligne est parfaitement inutile pour les combats (ἀγῶνες), mais convient pour mener des razzias à l’improviste (λεηλασίας ἀνυπόπτους) et pour fouler aux pieds et anéantir l’adversaire (καταπατῆσαι / ἀφανίσαι). 124 Quint., Inst., II, 13, 3-4 : Quid si enim praecipias imperatori, quotiens aciem instruet derigat frontem, cornua utrimque promoueat, equites pro cornibus locet ? Erit haec quidem rectissima fortasse ratio quotiens licebit, sed mutabitur natura loci, si mons occurret, si flumen obstabit, si collibus, siluis, asperitate alia prohibebitur. Mutabit hostium genus, mutabit praesentis condicio discriminis : nunc acie derecta, nunc cuneis, nunc auxiliis, nunc legione pugnabitur. 125 Onas., Str., 16 : Ἱππεῖς μὲν δὴ στρατηγὸς οὐχ οὕτως, ὡς βούλεται, μᾶλλον δ᾽ ὡς ἀναγκάζεται, τάξει· πρὸς γὰρ τὸ ἀντιπόλεμον ἱππικὸν καὶ τὸ ἴδιον στήσει. 126 À plusieurs reprises, la forme génitive κέρως est utilisée dans les manuscrits du Στρατηγικός. Cf. Strat., 21, 6. Une corruption du texte original peut être alléguée. En tout
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à ce qu’ils puissent attaquer l’ennemi de face et de flanc, et qu’ils couvrent un maximum d’espace – ce qui implique qu’il n’y ait pas d’autres troupes déployées derrière eux et que chaque aile forme donc une seule ligne étendue127. Les exemples historiques cités par les auteurs contemporains vont dans le même sens. La cavalerie est le plus souvent rangée sur les ailes de la ligne d’infanterie principale, à proximité des cohortes auxiliaires qui forment la portion externe de la phalange. Lors de la victoire décisive de Furius Camillus contre Tacfarinas en 17 ap. J.-C., la IIIe légion Auguste est ainsi placée au centre du dispositif romain alors que les cohortes auxiliaires et les ailes de cavalerie sont sur les cornua128. En 58, au moment où Corbulon s’apprête à parlementer avec Tiridate, les cohortes alliées et les troupes fournies par les rois clients de Rome occupent également les cornua de l’acies légionnaire129. Ce dispositif se retrouve à l’identique lors de la bataille dite « de Watling Street », remportée par les Romains contre les forces bretonnes coalisées de Boudicca en 61130, lors de la bataille d’Ad Castores en 69 (ordre de bataille de l’armée othonienne)131 et lors de la seconde bataille de Bédriac qui a lieu la même année (dispositif de l’armée flavienne)132. La régularité avec laquelle Tacite décrit cet ordonnancement témoigne à la fois de l’existence de prescriptions réglementaires et d’un certain conformisme des généraux de l’époque. Cela ne signifie pas que la cavalerie se retrouve toujours sur les flancs de l’acies. Il arrive très souvent que des troupes montées soit aussi cas, ἐπὶ κέρως ne peut être traduit par « en colonne » (comme le propose l’édition Loeb) dans le passage qui nous intéresse car une telle formation, de l’aveu même d’Onasandre (Strat., 6, 3), ne permet pas d’occuper un espace important en largeur. 127 Ibid., 16 : ταττέτω δ᾽ ὡς τὰ πολλὰ κατὰ τὰς ἐκ παρατάξεως μάχας ἐπὶ κέρως, ἵνα καὶ κατὰ πρόσωπον καὶ ἐκ πλαγίων προσβάλλοντες καὶ τόπῳ μείζονι χρώμενοι, μέθ᾽ οὓς οὐκ ἔτ᾽ ἄλλοι τεταγμένοι τυγχάνουσιν, ἔχωσιν ἀποχρῆσθαι τῇ τῆς ἱππικῆς ἐπιστήμῃ. 128 Tac., Ann., II, 52, 4 : Igitur legio medio, leues cohortes duaeque alae in cornibus locantur. 129 Ibid., XIII, 38, 4 : Dieque pacto prior Corbulo socias cohortes et auxilia regum pro cornibus, medio sextam legionem constituit, cui accita per noctem aliis ex castris tria milia tertianorum permiscuerat. 130 Ibid., XIV, 34, 2 : Igitur legionarius frequens ordinibus, leuis circum armatura, conglobatus pro cornibus eques astitit. 131 Id., Hist., II, 24, 3 : Tertiae decimae legionis uexillum, quattuor auxiliorum cohortes et quingenti equites in sinistro locantur ; aggerem uiae tres praetoriae cohortes altis ordinibus obtinuere ; dextra fronte prima legio incessit cum duabus auxiliaribus cohortibus et quingentis equitibus. 132 Ibid., III, 21, 2 : cohortes auxiliorum in cornibus, latera ac terga equite circumdata.
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Figure 25 – Restitution schématique du déploiement de l’armée othonienne lors de la bataille d’Ad Castores (69 ap. J.-C.).
placées en retrait, derrière la ligne de bataille, pour servir de force de réserve : à Ad Castores (fig. 25), 1 000 cavaliers auxiliaires et prétoriens servent de subsidium, en sus des cavaliers rangés sur les ailes de l’armée othonienne ; durant la seconde bataille de Bédriac, les latera et les terga de l’acies flavienne sont « entourés de cavaliers » ; lors de la bataille du Mons Graupius (fig. 24), nous avons vu que quatre ailes de cavalerie sont en capacité d’intervenir comme forces de réserve durant la dernière phase de l’affrontement. On note aussi quelques variantes, notamment lorsque le commandement décide d’échelonner l’affrontement en déployant les forces auxiliaires en première ligne, devant l’infanterie légionnaire : ainsi lors de la bataille d’Idistauiso133, lors de la victoire de Cérialis contre les Bataves en 70134 et lors de la bataille du Mons Graupius en 83/84135. 133 Tacite (Ann., II, 17, 4-5) ne mentionne que l’intervention de la cavalerie et d’auxiliaires rètes, vindéliciens, gaulois et chauques, qui étaient en avant de l’ordre de marche par rapport aux légions (ibid., II, 16, 3). 134 Id., Hist., V, 16, 1. 135 Id., Agr., 35, 2-3.
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Mais ces exemples ne semblent pas remettre en cause le schéma classique consistant à appuyer les flancs de l’infanterie par de la cavalerie. Il n’existe qu’une seule dérogation à ce principe sous le Haut-Empire : lors de la bataille qu’ils livrent aux Othoniens près de Fréjus en mars 69, les partisans de Vitellius choisissent de placer leurs troupes montées en première ligne, devant la masse compacte des cohortes auxiliaires136. Mais plusieurs éléments contribuent à rendre le contexte tactique particulier. Premièrement, l’affrontement oppose de petites armées : les Vitelliens n’ont à leur disposition que 12 turmes de cavalerie et un nombre limité de fantassins auxiliaires (Tongres, Ligures et Pannoniens)137. Deuxièmement, l’armée est au commandement de Iulius Classicus, chef trévire qui accorde probablement une confiance excessive à ses compatriotes de l’ala Treuerorum et considère les pedites cohortales comme une troupe de second ordre138.
C. Étude de cas : l’ordre de bataille contre les Alains Sous le règne d’Hadrien, une source d’une valeur exceptionnelle nous renseigne sur le déploiement tactique d’un corps expéditionnaire romain. Ce texte très bref, intitulé Ἔκταξις κατὰ Ἀλανῶν, est attribué au légat de Cappadoce L. Flavius Arrianus par l’unique manuscrit qui nous en a transmis le contenu139. Il décrit, sous la forme d’une série de commandements énoncés à l’impératif ou à l’infinitif de prescription, comment l’armée de Cappadoce devait se ranger en ordre de marche puis en ordre 136 Id., Hist., II, 14, 2 : Vitelliani, quibus minor peditum uis, in equite robur, Alpinos proximis iugis, cohortes densis ordinibus post equitem locant. 137 Ibid., II, 14, 1 : Duodecim equitum turmae et lecti e cohortibus aduersus hostem iere, quibus adiuncta Ligurum cohors, uetus loci auxilium, et quingenti Pannonii, nondum sub signis. 138 Comme le rappellent GOLDSWORTHY (1996), 275 et HAYNES (2013), 99, les cavaliers auxiliaires du début du Principat avaient conscience de former un groupe à part dans l’armée romaine, une élite menacée dans son prestige par l’accès au métier des armes que le volontariat permettait aux couches inférieures des sociétés provinciales. Pour de tels aristocrates, il eût été honteux de faire peser le sort de la bataille sur l’action de fantassins auxiliaires. Du reste, les peuples celtes et germains avaient l’habitude de combattre regroupés par « nations » et chaque régiment avait à cœur de se distinguer des autres. Ce trait de mentalité est bien illustré par Tacite lors du siège de Vetera par les Bataves en 69, cf. Hist., IV, 23, 2 : Bataui Transrhenanique, quo discreta uirtus manifestius spectaretur, sibi quaeque gens consistunt, eminus lacessentes. 139 Le Codex Laurentianus Graecus, 55, 4 (Xe s.), qui contient aussi plusieurs traités militaires grecs d’époque impériale. Pour la bibliographie sur ce traité, cf. supra, n. 17. Sur la carrière d’Arrien, voir RÉMY (1989), 213-7.
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de bataille dans le cadre d’une campagne contre les Alains venus du Caucase. Arrien dispose d’une légion à effectifs complets, la XVe Apollinaris, ainsi que d’un détachement issu de la XIIe légion Fulminata, sans compter les auxiliaires et les contingents alliés fournis par les puissances dépendantes de Rome140. Il explique comment ces différents corps de troupes sont censés se déployer les uns par rapport aux autres et réagir face à une éventuelle charge ennemie. La perte d’un folio qui se trouvait dans le codex florentin empêche malheureusement de connaître la dernière partie du texte141. De nombreuses lacunes compliquent par ailleurs la compréhension de l’extrait. Mais le peu dont nous disposons révèle l’organisation et le fonctionnement de la cavalerie impériale avec un rare degré de précision. Les circonstances précises et le déroulement de la campagne de 135 ne sont pas connus142. Ces informations étaient détaillées dans l’Ἀλανική ἱστορία, une œuvre littéraire perdue dans laquelle Arrien faisait le récit de son expédition et dont l’Ektaxis est peut-être issue143. Comme nous l’avons souligné plus haut, un certain nombre d’indices laissent penser que les opérations se déroulèrent en Colchide144. Cette région de plaine située en actuelle Géorgie, entre les contreforts méridionaux du Grand Caucase et le littoral oriental du Pont-Euxin, était particulièrement propice aux opérations de cavalerie et comprenait plusieurs centres urbains susceptibles d’attirer la convoitise des pillards nomades145. Le raid lancé 140
Sur ces troupes, cf. supra, p. 284-6. STADTER (1980), 207-8, n. 38, soulignant que l’œuvre suivante du manuscrit, le Στρατηγικός d’Onasandre, commençait au recto du folio disparu, estime que cette lacune ne représente pas plus de vingt lignes. 142 La date de la campagne a fait l’objet de discussions récentes, résumées par WHEELER (2004a), 309, n. 1. 143 Cf. Photius, cod. 58, 17a27 (= Parthica, F 1) et Jean Lyd., De Mag., III, 53 (= Parthica, F 6). L’hypothèse a été défendue par F. Jacoby (cf. FGrH, II, D 563) et A. Dain (1967, 331) mais ne fait pas l’unanimité. Cf. BOSWORTH (1977), 247 qui estime à titre personnel qu’il s’agissait plutôt d’un petit opuscule indépendant, peut-être adressé à Hadrien sous la forme d’un rapport. Contra WHEELER (2004a), 309-10, n. 1. Le principal point de contention concerne le style adopté par Arrien. Le texte se présente en effet comme une compilation d’ordres, ce qui s’accorde mal avec le point de vue narratif habituellement privilégié dans les récits militaires et rapproche plutôt l’Ektaxis de la littérature tactique de langue grecque ou éventuellement de réglements militaires directement issus de la pratique (STADTER [1980], 45). Mais il est aussi possible qu’Arrien se réfère ici à une tradition remontant aux historiens d’Alexandre, qui aurait consisté à présenter la disposition des armées sous cette forme de façon à entretenir l’illusion du réalisme. 144 Cf. supra, n. 53. 145 BRAUND (1994), chap. 6 (curieusement, l’auteur néglige la possibilité que les Alains aient mené leur raid dans cette région en 135 : selon lui, il n’y eut pas d’attaque majeure en Colchide avant le milieu du IIIe s.). 141
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par les Alains fut suffisamment grave pour qu’Arrien se décide à rassembler et déplacer une force militaire substantielle, comprenant la quasitotalité des unités provinciales. Certains historiens ont estimé qu’aucune véritable bataille n’eut lieu et qu’Arrien se contenta d’effrayer ses ennemis par une démonstration de force146. Un tel jugement paraît réducteur. Cassius Dion utilise bien le participe φοβηθέντων pour qualifier la réaction des Alains face à l’intervention du légat, mais le verbe φοβέω peut aussi bien désigner l’action consistant à terrifier quelqu’un que la mise en fuite d’une armée à la suite d’un affrontement, ce qui est précisément le cas de figure développé dans l’Ektaxis147. L’ordre de bataille prescrit par Arrien confirme et précise la composition du schéma classique évoqué à plusieurs reprises par Tacite dans son œuvre historique (fig. 26). Les troupes légionnaires forment le centre de l’acies et sont rangées sur huit rangs, quatre de κοντοφόροι suivis de quatre de λογχοφόροι148. Un neuvième rang est constitué d’archers à pieds, prélevés sur les unités sagittariae149. Les cohortes auxiliaires et 146 Selon BOSWORTH (1977), 246 (suivi par STADTER [1980], 47 et SPEIDEL [1986b], 658) : « The Alani merely touched upon Cappadocia and they were scared off by Arrian. » Plus nuancé : TONNET (1988), I, 48-50. 147 Cass. Dio, LXIX, 15, 1 : ἕτερος [πόλεμος] δὲ ἐξ Ἀλανῶν (εἰσὶ δὲ Μασσαγέται) ἐκινήθη ὑπὸ Φαρασμάνου, καὶ τὴν μὲν Ἀλβανίδα καὶ τὴν Μηδίαν ἰσχυρῶς ἐλύπησε, τῆς δ’ Ἀρμενίας τῆς τε Καππαδοκίας ἁψάμενος, ἔπειτα τῶν Ἀλανῶν τὰ μὲν δώροις ὑπὸ τοῦ Οὐολογαίσου πεισθέντων, τὰ δὲ καὶ Φλάουιον Ἀρριανὸν τὸν τῆς Καππαδοκίας ἄρχοντα φοβηθέντων, ἐπαύσατο. Le Vologèse en question est probablement Valarch Ier d’Arménie, dont Moïse de Khorène mentionne bien la lutte énergique contre des envahisseurs du nord du Caucase : cf. Moïse de Khorène, Histoire de l’Arménie, II, 65 (éd. A. et J.-P. Mahé, Paris, 1993). C’est certainement ce roi qui fournit les contingents arméniens de Vasakès et Arbèlos mentionnés dans l’armée d’Arrien (cf. MOMMSEN [1887], 552, n. 1). Cassius Dion précise qu’il dut accepter de payer un tribut pour obtenir le retrait des envahisseurs et que vers 136, il envoya une ambassade à Rome pour se plaindre de l’inaction complice du roi Pharasmanès II d’Ibérie. BRAUND (1994), 233, qui ne tient pas compte de ces témoignages, estime qu’il est ici question de Vologèse III de Parthie. Sur l’utilisation du verbe φοβέω dans un contexte tactique par Cassius Dion, cf. e.g. Cass. Dio, XL, 24, 3. 148 Arr., Acies, 16-8. Sur cette formation « phalangique », cf. BOSWORTH (1977), 23846 ; WHEELER (1979) et (2004b). JANNIARD (2010), 258-9 suppose que la spécialisation tactique intervenait au niveau centurial : « Les centuries priores rangées sur quatre rangs ont pu constituer les premières lignes équipées du pilum suivies des centuries posteriores, elles aussi sur quatre rangs et pourvues de la lancea. Dans chaque cohorte, hastati, principes et pili se trouvent côte à côte. » COLOMBO (2011), 183 soutient la même hypothèse, mais il n’exclut pas que les centuries des mêmes manipules aient pu être rangées côte à côte et déployées avec des files-contubernia de huit soldats. Contra WHEELER (1979), 311-3 et (2004b), 164-5 : les spécialistes des différents modes de combat sont répartis par cohorte – les cohortes I à V sont les cohortes de contophores ; les cohortes VI à X sont les cohortes de lancearii. 149 Arr., Acies, 18 : Ἐνάτη δὲ ἐπὶ τούτοις ἔστω τάξις οἱ πεζοὶ τοξόται, οἱ τῶν Νομάδων καὶ Κυρηναίων καὶ Βοσποριανῶν τε καὶ Ἰτυραίων.
Figure 26 – Restitution schématique de l’ordre de bataille d’Arrien contre les Alains.
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les contingents alliés sont postés sur les ailes, dans les hauteurs qui jouxtent le champ de bataille150. La position occupée par la cavalerie est plus difficile à établir. Arrien ne dit pas explicitement que des escadrons sont rangés sur les flancs de l’acies, comme le veut la norme rappelée par Onasandre dans son traité : ils doivent se trouver « auprès des fantassins » (ἐφεστάτω τοῖς πεζοῖς), ce qui peut aussi bien vouloir dire « sur les côtés » que « derrière »151. La suite du texte confirme bien qu’ils sont censés se déployer à l’arrière du dispositif152. Cette légère variation apportée au mode de déploiement habituel a une finalité défensive : Arrien sait qu’il a affaire à une armée de cavaliers mobiles et craint par-dessus tout l’enveloppement. Mais le texte précise plus loin qu’un certain nombre d’escadrons doivent veiller sur les flancs de l’armée, ce qui laisse ouverte la possibilité d’une présence sur les latera de l’ordre de bataille, peut-être un peu en retrait par rapport à l’infanterie auxiliaire153. Dans son inventaire des troupes montées, Arrien se contente de mentionner des εἶλαι, en nombre indéfini, et huit λόχοι154. Le premier terme ne pose a priori aucune difficulté : il s’agit des ailes de cavalerie qui ont déjà été énumérées dans l’ordre de marche : l’ala II Ulpia Auriana, l’ala I Augusta Gemina Colonorum, l’ala I Ulpia Dacorum et l’ala II Gallorum155. Le grec λόχος est plus difficile à traduire car ce mot n’est quasiment jamais employé par Arrien pour désigner des cavaliers156. Il ne peut s’agir de turmes : on se serait attendu à en voir mentionner plusieurs dizaines (au moins 36 si l’on tient compte du nombre de cohortes 150
Ibid., 12-4. Ibid., 20. 152 Ibid., 21 (les archers montés doivent pouvoir tirer des flèches au-dessus de la phalange qui se trouve en face d’eux) et 27 (une fois l’ennemi repoussé, les fantassins ouvrent des intervalles dans la phalange pour laisser passer les cavaliers). 153 Ibid., 21 : « Le plus grand nombre possible de javeliniers, de lanciers, de porteurs d’épées et de haches doivent veiller sur les deux flancs et attendre le signal (ὅσοι δὲ λογχοφόροι ἢ κοντοφόροι ἢ μαχαιροφόροι ἢ πελεκοφόροι εἰς τὰ πλάγιά τε ἑκατέρωθεν ὁρώντων [ἢ] καὶ τὸ ξύνθημα προσμενόντων). » Voir aussi ibid., 31 : des escadrons doivent être en mesure d’attaquer de flanc les ennemis si ceux-ci entreprennent d’envelopper la ligne de bataille romaine pour la prendre à revers. 154 Ibid., 20 : Tὸ δὲ ἱππικὸν ξύμπαν κατὰ εἴλας καὶ λόχους ὀκτὼ ξυντεταγμένον ἐφεστάτω τοῖς πεζοῖς. 155 Cf. supra, p. 284-6. Sur l’équivalence εἴλη / ala, voir également Arr., Tact., 18, 3. 156 Dans son traité de tactique, Arrien n’emploie jamais ce terme à propos de la cavalerie. Il l’utilise seulement pour désigner la subdivision de base de l’infanterie, qui forme une file sur le champ de bataille : Arr., Tact., passim (notamment 5, 4). En revanche, dans l’Anabase, le mot λόχος est bien utilisé pour renvoyer à une subdivision des ἶλαι de la cavalerie macédonienne, instituée par Alexandre en 331 av. J.-C. : Arr., Anab., III, 16, 11 (deux λόχοι par ἴλῃ, ce qui fait une centaine de cavaliers par λόχος ; les λόχοι sont d’ailleurs appelés ἑκατοστύες dans les campagnes suivantes, cf. ibid., VI, 27, 6). 151
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equitatae). La seule solution possible est de considérer qu’Arrien désigne ici les contingents fournis par les cohortes montées (et peut-être la cavalerie arménienne de Vasakès et Arbèlos)157 : certains de ces groupements d’environ 120 cavaliers étaient manifestement amalgamés sous un commandement unique pour former des unités tactiques plus consistantes158. Selon le traité, deux λόχοι doivent être positionnés sur les ailes, avec l’infanterie auxiliaire en face d’eux159. Les six autres sont dans la partie médiane de la ligne de bataille, derrière les troupes légionnaires160. Le plus grand nombre possible d’archers montés doit se tenir près de la phalange pour pouvoir tirer au-dessus d’elle161. En sus de cette cavalerie de ligne, Arrien précise que des ἐπίλεκτοι ἱππεῖς (equites singulares) forment l’escorte du général, mais il ne mentionne pas explicitement les equites legionis qui figuraient pourtant dans l’ordre de marche162. La première phase du combat ne concerne pas la cavalerie, mais elle offre un éclairage précis sur la tactique qui était adoptée par l’infanterie 157 BOSWORTH (1977), 249-50 (suivi par MCALLISTER [1993], 82). Pour SCHEUERBRANDT (2004), 68 il s’agirait d’entités tactiques plus importantes, regroupant une aile et des turmes prélevées sur des cohortes equitatae. Mais cette hypothèse est intenable car Arrien distingue bien les eilai des lochoi. 158 En effet, le total des lochoi ne correspond pas exactement à celui des contingents montés qui accompagnent les cohortes (Arrien en dénombre neuf dans l’ordre de marche). On admettra donc que certaines unités étaient regroupées ensemble. La nature des ces unités recomposées et leur position dans l’ektaxis peuvent être déduites de l’ordre de marche. La première combinaison était probablement formée par les cavaliers des cohortes I Ituraeorum sagittariorum et III Augusta Cyrenaica sagittariorum, qui faisaient toutes deux partie du groupe tactique de Demetrius. La seconde pouvait être constituée des cavaliers des cohortes I Bosporanorum sagittariorum et I Numidarum sagittariorum, mais cela est plus hypothétique. Les lochoi restants correspondraient aux contingents des cohortes III Ulpia Petraeorum, IIII Raetorum, I Raetorum, I Germanorum, et I Italica. Cette dernière troupe s’identifiait probablement au lochos de l’aile gauche, car les cavaliers de la cohors I Italica sont les plus proches des alliés et de la cohors I Apula dans l’ordre de marche. Les cavaliers arméniens de l’aile droite constituaient probablement le dernier lochos, positionné derrière les fantassins de la cohors I Italica. 159 Arr., Acies, 20 : τὸ μὲν τοῖς κέρασιν ἑκατέροις, προβολὴν ἔχον τοὺς ὁπλίτας πρὸ σφῶν καὶ τοὺς τοξότας, λόχοι δύο. 160 Ibid., 20 : τὸ δὲ τῇ μέσῃ φάλαγγι, λόχοι ἕξ. 161 Ibid., 21 : Tούτων δὲ ὅσοι μὲν ἱπποτοξόται πλησίον τῆς φάλαγγος ἐφεστηκέτωσαν, ὡς ὑπερτοξεύειν ὑπὲρ αὐτῆς. On ne peut qu’y voir les equites des cohortes Numidarum, Bosporanorum et Petraeorum sagittariorum car les archers montés arméniens occupent l’aile droite (Acies, 13). 162 Ibid., 22 : « Les cavaliers d’élite doivent se tenir autour de Xénophon lui-même (οἱ δὲ ἐπίλεκτοι ἱππεῖς ἀμφ’ αὐτὸν Ξενοφῶντα ἔστωσαν), de même que deux cents fantassins gardes du corps tirés des légions (καὶ τῶν ἀπὸ τῆς φάλαγγος [τῶν] πεζῶν ὅσον εἰς διακοσίους, οἱ σωματοφύλακες), autant de centurions que possible assemblés avec les [soldats] d’élite (καὶ ἑκατοντάρχαι ὅσοι τοῖς ἐπιλέκτοις ξυντεταγμένοι), les chefs de la garde (ἢ τῶν σωματοφυλάκων ἡγεμόνες), et les décurions des [cavaliers] d’élite (καὶ δεκάρχαι οἱ τῶν ἐπιλέκτων). »
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romaine lorsque celle-ci devait faire face à une charge massive de cavaliers lourds. Il peut donc sembler utile d’en dire quelques mots avant de commenter les instructions destinées aux equites. Arrien recommande aux κοντοφόροι du premier rang de tenir leurs κοντοί en position de garde (εἰς προβολήν), de telle manière que si l’ennemi s’approche, ils puissent frapper le poitrail des chevaux163. Les deuxième, troisième et quatrième rangs de κοντοφόροι tiennent leurs armes de façon différente, « comme pour les lancer » (εἰς ἀκοντισμόν), donc au-dessus de l’épaule droite, la paume vers le ciel : ils doivent jeter leur κοντοί (προβεβλήσθων τοὺς κοντούς) au moment opportun164. Les λογχοφόροι des rangs suivants doivent faire de même165. Si ce tir de barrage ne suffit pas à arrêter les cuirassiers alains, les légionnaires des trois premiers rangs ont pour consigne de joindre leurs boucliers, de manière à opposer aux ennemis une formation très dense166 ; ceux du quatrième rang jettent leurs javelots au-dessus des rangs suivants ; ceux du troisième font de même ou frappent directement les cavaliers et leurs montures s’ils en ont la possibilité167. Les spécialistes se divisent sur la nature des armes 163 Ibid., 16 : Καὶ τούτους οἱ μὲν πρωτοστάται εἰς προβολὴν ἐχόντων, ὡς εἰ πελάζοιεν αὐτοῖς οἱ πολέμιοι, κατὰ τὰ στήθη μάλιστα τῶν ἵππων τίθεσθαι τῶν κοντῶν τὸν σίδηρον. C’est la position représentée sur l’une des métopes du trophée d’Adamclissi, où l’on voit effectivement un rang de légionnaires former un « mur de boucliers » : BOBU FLORESCU (1961), 421, fig. 191. 164 Arr., Acies, 17 : οἱ δευτεροστάται δὲ καὶ οἱ τῆς τρίτης καὶ τετάρτης τάξεως εἰς ἀκοντισμὸν προβεβλήσθων τοὺς κοντοὺς ὅπου τύχοιεν. 165 Ibid., 25. 166 Ibid., 26 : « Mais s’ils [les Alains] viennent à se rapprocher, il faut alors joindre les boucliers (ἐγχρίμψαντας ταῖς ἀσπίσι) et accepter de recevoir leur charge en opposant les épaules le plus fermement possible (καὶ τοῖς ὤμοις ἀντερείσαντας δέχεσθαι τὴν προσβολὴν ὡς καρτερώτατα). Les trois premières rangées se resserrent en une masse très dense, de la manière la plus vigoureuse possible (καὶ τῇ συγκλείσει πυκνοτάτῃ τὰς πρώτας τρεῖς τάξεις ξυνερειδούσας σφίσιν ὡς βιαιότατον οἷόν τε). » 167 Ibid., 26 : τὴν τετάρτην δὲ ὑπερακοντίζειν τὰς λόγχας· καὶ τὴν τρίτην παίειν ἢ ἀκοντίζειν τοῖς κοντοῖς ἀφειδῶς ἔς τε ἵππους καὶ αὐτούς. Ce passage pose problème car il entre en contradiction avec les instructions données par Arrien en Acies, 16-7. En effet, l’auteur se contente de mentionner trois τάξεις, celles qui doivent former un rempart avec leurs boucliers, puis une quatrième τάξις chargée de continuer à envoyer des λόγχαι par-dessus les trois premières. Or, le quatrième rang de légionnaires était précédemment décrit comme un rang de κοντοφόροι. BOSWORTH (1977), 239 pense qu’une lacune s’est glissée dans la tradition manuscrite, ce qui expliquerait cette confusion. WHEELER (2004b), 153-4 préfère traduire τάξις non par « rang », mais par « unité » : les trois τάξεις renverraient alors aux rangs de fantassins lourds de l’aile droite, du centre et de l’aile gauche, alors que la τέταρτα τάξις rassemblerait tous les λογχοφόροι rangés derrière eux. Cette hypothèse nous semble poser plus de problèmes qu’elle n’en résout. Nous préférons suivre RANCE (2004b), 296, n. 60, qui propose d’émender τὰς λόγχας en τὰς λοιπάς (viz. τάξεις) : « le quatrième rang tire au-dessus des autres (rangs) ».
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employées par ces fantassins168. Le fait que les kontoi puissent être utilisés à la fois comme armes d’hast et comme armes de jet semble bien indiquer des pila : Arrien précise d’ailleurs que leurs fers, longs et effilés (κοντοῖς μακρὰ καὶ ἐπὶ λεπτὸν τὰ σιδήρια), doivent se plier au premier choc, ce qui est la caractéristique principale du célèbre javelot lourd des Romains169. Quant aux lonchai, il ne fait aucun doute qu’il s’agit de petits javelots170. Une fois l’ennemi repoussé, les légionnaires ouvrent leurs rangs et les cavaliers empruntent les voies laissées libres par les fantassins pour poursuivre les fuyards au galop (fig. 27). Seuls les equites des λόχοι, immédiatement placés derrière la ligne de bataille, doivent prendre part à cette contre-offensive. Arrien utilise le verbe διαχωρεῖν (« partager », « séparer par des intervalles ») pour désigner la manœuvre réalisée par l’infanterie171. Celle-ci consistait probablement, pour les soldats d’une file sur deux, à quitter leur poste pour se ranger derrière ou devant les soldats de 168 Sur l’identification de la lance appelée κοντός : voir BOSWORTH (1977), 240-1 (« a long thick wooden stock tipped with a long tapering head ») ; STADTER (1980), 48 (« long pikes ») ; CAMPBELL (1987), 26 (« a long thrusting spear ») ; WHEELER (1979), 312 et (2004b), 151-9 (une hasta traditionnelle) ; BRECCIA (2004), 87, n. 26 (« une lancia lunga ») ; PARKER (1928), 251 ; LAMMERT (1931), 60-2 ; GOLDSWORTHY (1996), 17 ; RUSCU (1996), 245-7 ; SPEIDEL (2002), 130 ; RANCE (2004b), 296, n. 60 ; MENÉNDEZ ARGÜÍN (2011), 200 (un pilum) ; ROCCO (2012), 128 (« une lunga picca a due mani »). 169 Arr., Acies, 17 : « Le kontos se fixe dans le bouclier ou dans la cuirasse cataphracte (καὶ θυρεῷ καταφράκτῳ θώρακι ἐμπαγέντος τοῦ κοντοῦ) et par mollesse son fer se plie (καὶ διὰ μαλακότητα τοῦ σιδήρου ἐπικαμφθέντος), réduisant le cavalier à l’impuissance (ἀχρεῖον τὸν ἀναβάτην ποιήσοντες). » 170 Contra CAMPBELL (1987), 26 et COLOMBO (2011), 169-76 (un pilum). L’argumentaire laborieux de M. Colombo est définitivement disqualifié par une interprétation récente de la Tab. Luguval., 16 = AE, 1998, 839a (cf. SPEIDEL [maior] [2007]) et par une étude scrupuleuse du vocabulaire de la lance dans les sources techniques sur la cavalerie (cf. infra, p. 347, n. 301). La diversification de l’armement légionnaire évoquée par Arrien n’est peut-être pas si novatrice qu’on ne le pense. Dans un contexte similaire de lutte contre une armée de cavaliers nomades, Tac., Hist., I, 79, 4 explique que « le soldat romain, agile sous sa cuirasse et bondissant, le pilum ou les lanceae à la main, pouvait au besoin tirer son gladius et transpercer le Sarmate désarmé ». La mention du gladius semble bien indiquer qu’il est ici question de légionnaires, contre les avis de COULSTON (2003), 429 et COLOMBO (2011), 162 qui affirment de façon arbitraire que pilo renvoie aux légions et lanceis aux auxilia. Voir également Tac., Hist., III, 27, 3 (deuxième bataille de Crémone, 69 ap. J.-C.) : lanceis contisque scrutantur. 171 Arr., Acies, 27 : « Une fois [les ennemis] repoussés, une fuite rapide s’engage (Ἀπωσθέντων δὲ εἰ μὲν φυγὴ λαμπρὰ γένηται) ; les lignes d’infanterie doivent se séparer et les cavaliers charger (διαχωρεῖν δὴ τὰς πεζικὰς τάξεις καὶ ἐπελαύνειν τοὺς ἱππέας). » Cf. Liddell & Scott, Greek-English Lexicon, s.v. διαχωρέω. Le verbe est employé dans Arr., Anab., I, 1, 8 (campagne balkanique d’Alexandre) quand l’infanterie macédonienne doit ouvrir ses rangs pour permettre aux chars de combat thrace de passer à travers la phalange. Traduction fautive dans DEVOTO (1993), 119 (« let the infantry formations move through »). L’archaïsme des expressions employées par Arrien confirme l’intuition
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la file voisine, comme le prescrit l’empereur Maurice dans sa description de la taxis epikampios opisthia172. D’après Arrien, les cavaliers doivent charger avec la plus grande prudence : « pas tous les escadrons (λόχους), mais seulement la moitié (τοὺς ἡμίσεας). Ceux qui donnent la course en premier doivent être déployés préalablement. Ceux de l’autre moitié doivent suivre ceux qui chargent, en restant en formation (ἐν τάξει) et sans se lancer dans une poursuite complète. Ainsi, si la déroute se prolonge, ils prendront le relais des premiers poursuivants avec des chevaux frais, mais si une contre-charge (ἐπιστροφὴ) survient, ils attaqueront ceux qui font volte-face. Dans le même temps, les archers arméniens doivent tirer des flèches en chargeant (ἐπελαύνοντες τοξευόντων), de manière à ce que ceux qui fuient ne puissent pas faire demi-tour, et les javeliniers armés à la légère (οἱ λογχοφόροι οἱ γυμνῆτες) doivent suivre au pas de course. Aucune formation d’infanterie (πεζικὴν τάξιν) ne doit alors rester sur place, mais toutes doivent avancer à pas rapides, de sorte que si de la résistance vient des ennemis, elles puissent à nouveau former un rempart (προβολήν) devant les cavaliers. »173.
Arrien a conscience du fait que les combats de cavalerie sont par nature imprévisibles et que de nombreuses mesures de précaution doivent accompagner la poursuite. Ce passage montre une division des tâches à plusieurs niveaux. Les cavaliers qui pourchassent directement l’ennemi en première ligne peuvent rompre leurs rangs pour adopter le grand galop et faire un maximum de victimes parmi les fuyards. Ils opèrent presque à un niveau individuel, à la manière des escarmoucheurs décrits par Xénophon dans son Hipparchikos174. Leur identité n’est pas précisée par Arrien, mais il s’agit certainement des archers montés qui forment le dixième rang de la ligne de bataille principale et sont les plus à même de s’insinuer rapidement entre les files des fantassins. Une deuxième ligne de cavaliers doit suivre en conservant sa formation par rangs et par files, donc sans dépasser le trot ou le petit galop. Elle pourra soutenir la de BOSWORTH (1977), 252 selon lequel la terminologie de l’Ektaxis est largement dérivée des historiens d’Alexandre. 172 Maurice, Strat., XII, A, 7, 23-9. 173 Arr., Acies, 27-9 : μὴ πάντας τοὺς λόχους ἀλλὰ τοὺς ἡμίσεας· τετάχθαι δὲ πρώτους οἵτινες καὶ πρῶτοι ἐπελάσουσιν. Tοὺς δὲ ἄλλους ἡμίσεας ἕπεσθαι μὲν τοῖς ἐπελαύνουσιν, ἐν τάξει δὲ καὶ μὴ παντελεῖ τῇ διώξει χρωμένους, ὡς εἰ μὲν φυγὴ καρτερὰ κατέχοι, ἐκδέξασθαι τὴν πρώτην δίωξιν ἀκμήτοις τοῖς ἵπποις, εἰ δέ τις ἐπιστροφὴ καταλαμβάνοι, ἐπιτίθεσθαι τοῖς ἐπιστρέφουσιν. Ὁμοῦ δὲ οἵ τε Ἀρμένιοι τοξόται ἐπελαύνοντες τοξευόντων, ὡς μὴ παρασχεῖν ἀναστροφὴν τοῖς φεύγουσι, καὶ οἱ λογχοφόροι οἱ γυμνῆτες δρόμῳ ἑπέσθωσαν· μένειν δὲ μηδὲ τὴν πεζικὴν τάξιν ἐν χώρᾳ ἔτι, ἀλλὰ προχωρεῖν θᾶττον ἢ βάδην, ὡς εἴ τι καρτερώτερον ἀπαντῴη ἀπὸ τῶν πολεμίων, αὖθις εἶναι προβολὴν πρὸ τῶν ἱππέων. 174 Xen., Hipp., VIII, 23-5.
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Figure 27 – Ordre de bataille contre les Alains : détail des manœuvres prescrites par Arrien.
première si celle-ci est contre-chargée par l’ennemi. Pour leur part, les fantassins lourds doivent avancer rapidement dans la plaine et pourront offrir un refuge aux cavaliers si ces derniers ont besoin de se rallier en sécurité. Ce dispositif révèle donc une fragmentation et un échelonnement des effectifs en profondeur, des troupes les plus mobiles vers l’avant aux unités les plus lentes vers l’arrière, des plus adaptées à l’attaque aux plus utiles pour la défense. La cavalerie ennemie n’ayant aucune chance de forcer le centre de l’armée romaine si celle-ci tient ferme, Arrien met en garde contre une éventuelle manœuvre d’enveloppement dans la suite du texte :
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« Si, ayant opéré un demi-tour en cercle (ἐπιστραφέντες ἐς κύκλους), ils veulent longer les flancs (τὰ κέρατα), je refuse que l’on étende en aucune manière les ailes des archers légers sur les endroits les plus élevés, car, voyant les ailes s’affaiblir par extension, ils pourraient pousser au travers et percer (διακόψαιεν) l’infanterie. Ayant enveloppé les deux ailes, ou bien une seule, il est alors inévitable que leurs chevaux présentent leurs flancs, et ces flancs seront offerts aux lances (κοντούς). À ce moment précis, nos cavaliers doivent charger, sans jeter de javelines mais en se munissant d’épées (σπάθαις) ou de haches (πελέκεσιν [masses d’armes ?]). »175.
Cette partie du texte, manifestement corrompue, a posé de nombreux problèmes de traduction. Son sens général est cependant très clair : Arrien reprend une prescription célèbre des tacticiens grecs comme Onasandre, qui déconseillent d’étendre indéfiniment la ligne de bataille pour résister aux tentatives d’enveloppement176. Il vaut mieux laisser les Alains contourner les flancs de l’infanterie, car cela les rendra vulnérables aux attaques des cavaliers lourds disposés en position de flancsgardes, immédiatement derrière les extrémités de l’acies. Juste avant que le texte ne s’interrompe brusquement, Arrien ajoute que l’attaque sera de la plus grande efficacité car les « Scythes » sont légèrement équipés, et chevauchent des montures sans protections177. En définitive la fonction que l’Ektaxis kata Alanôn assigne aux cavaliers romains apparaît proche de celle que l’on retrouve dans le traité de l’empereur Maurice. On note en particulier l’existence d’une répartition des rôles tactiques entre troupes d’assaut et troupes de soutien lors de la phase de poursuite. Arrien n’utilise pas les termes techniques cursores et defensores, mais la réalité qu’ils recouvrent s’observe bien dans le 175 Arr., Acies, 30-1 : εἰ δὲ ἐπιστραφέντες ἐς κύκλους ὑπὲρ τὰ κέρατα παρελαύνειν ἐθέλοιεν, ἀνατείνεσθαι μὲν τὰ ὑπερδεξιώτερα ἔτι τὰ κέρατα αὐτῆς τῆς ψιλῆς τοξείας· ὡς οὐ δοκιμάζω μήποτε ἀσθενῆ τῇ ἀνατάσει τὰ κέρατα γινόμενα ἰδόντες δι᾽ αὐτῶν ὤσαιντο καὶ διακόψαιεν τὸ πεζικόν. Ὑπερβαλλόντων δὲ τὰ κέρατα ἑκάτερα ἢ ὁπότερον οὖν, πᾶσα ἤδη ἀνάγκη πλαγίους μὲν αὐτοῖς γίνεσθαι τοὺς ἵππους, πλαγίους δὲ τοὺς κοντούς. Ἐνταῦθα δὴ ἐμβαλλόντων ἐς αὐτοὺς οἱ ἱππεῖς, μὴ ἀκοντισμῷ ἔτι ἀλλὰ ταῖς σπάθαις αὐτοῖς συμφερόμενοι, οἳ δὲ τοῖς πελέκεσιν. 176 Onas., Str., 21, 1. Voir également Asclep., 10, 20 ; Ael., Tact., 29, 4 ; Arr., Tact., 25, 7-8 ; Syr., Strat., 32, 50-4. Contra Veg., III, 18, 8. 177 Arr., Acies, 31 : Oἱ δὲ Σκύθαι γυμνοί τε ὄντες καὶ τοὺς ἵππους γυμνοὺς ἔχοντες***. Cela peut sembler en contradiction avec la mention précédente sur les cuirasses cataphractes des Alains (ibid., 17), mais ce passage s’explique en réalité facilement dans la mesure où seule une portion des armées nomades constitue une véritable cavalerie lourde (cf. Tac., Hist., I, 79, 3 : Id [= catafracta] principibus et nobilissimo cuique tegimen, ferreis lamminis aut praeduro corio consertum, ut aduersus ictus impenetrabile). La majorité restante sert dans le corps des archers montés, légèrement équipés. Ce sont naturellement ces equites sagittarii mobiles que l’on s’attend à voir entreprendre une manœuvre d’enveloppement et non des lanciers cuirassés.
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contenu de son opuscule, et il n’est pas à exclure que le sermo castrensis ait déjà adopté ces expressions sans que la documentation ne nous permette de nous en rendre compte. Dans un autre domaine, le mécanisme permettant à la cavalerie de traverser la ligne de bataille est le même que celui que prescrit le Stratêgikon. La coordination entre une infanterie statique, rangée en formation paraphalangique, et une cavalerie à l’armement et aux missions tactiques diversifiées, apparaît aussi annonciatrice des développements militaires de l’Antiquité tardive. III – LA
TACTIQUE DES UNITÉS
A. L’organisation interne et le déploiement des turmes Sous le Haut-Empire, l’unité tactique de la cavalerie auxiliaire demeure la turme, mais son organisation interne n’est plus tout à fait la même que par le passé : cette subdivision n’est plus commandée par trois decuriones, mais par un seul, assisté de deux officiers subalternes, le duplicarius et le sesquiplicarius178. Les decuriae (escouades de dix hommes) et les optiones, qui faisaient office de serre-files à l’époque de Polybe, cessent également d’exister179. L’effectif théorique d’une turme est toujours de l’ordre d’une trentaine de soldats (le plus souvent trente-et-un, décurion compris), mais l’organisation des baraquements-écuries construits durant les deux premiers siècles de notre ère montre clairement que ce total pouvait être supérieur, en particulier dans les ailes milliaires180. Le plan interne de ces baraques fournit des informations 178
Ps.-Hyg., De mun. castr., 16 ; CIL, VI, 225 = 30720 = ILS, 2186 = Denkm., 56. Dans sa description des exercices de la cavalerie romaine, Arrien emploie une fois le mot δεκαδαρχία (Arr., Tact., 42, 1), mais l’expression sert clairement à désigner une turme. Des optiones equitum sont connus durant l’époque impériale au sein des unités de cavalerie légionnaire et auxiliaire, mais ce poste est extrêmement rare et ne peut correspondre à une fonction régulière de serre-file au sein des escadrons. L’optio est plus vraisemblablement l’adjoint du commandant de l’unité : voir dernièrement FREI-STOLBA (2004), 5-6. Sur la Rangordnung de la cavalerie impériale : DOMASZEWSKI (1908), 47-56 ; BREEZE (1969), 54-5. 180 Veg., Mil., II, 14, 1-2 donne 32 equites, sans compter le décurion : cela fait un total de 33 soldats par turme (d’où le chiffre de 66 cavaliers par cohorte dans l’antiqua ordinatio legionis : Veg., Mil., II, 6). Mais il prétend décrire l’organisation de la cavalerie légionnaire alors même que les turmes et les décurions ne sont jamais attestés dans ce type d’unité (cf. supra, p. 227-8). Cela rend son témoignage très suspect. Ps.-Hyg., De mun. castr., 27 conduit plutôt à la conclusion que l’effectif théorique de la turme était de 31 soldats, décurion inclus. Il donne le chiffre de 240 equites pour un cohors miliaria equitata, sans compter les décurions (probablement au nombre de huit) qui demeuraient dans 179
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supplémentaires sur l’organisation des turmes. Dans les forts de cavalerie de l’époque impériale, chaque double-pièce constituée d’une chambrée (contubernium) et d’une petite écurie pouvait accueillir trois soldats et le même nombre de chevaux181. Nous savons que durant la période tardive, le contubernium était une véritable subdivision tactique équivalant à une file de soldats182. Si nous admettons que ce principe était déjà observé sous le Principat, nous pouvons émettre l’hypothèse que la turme était rangée sur trois rangs et au moins neuf files (jusqu’à treize dans le cas des ailes milliaires)183. Sur ces questions, les traités militaires grecs doivent être utilisés avec beaucoup de précaution. Même s’ils écrivent à l’époque impériale, Élien et Arrien exposent un module théorique d’époque hellénistique184. Marcus Junkelmann leur accorde trop d’importance lorsqu’il tente de reconstituer l’arrangement interne d’une turme. Le savant allemand suppose en effet qu’un escadron auxiliaire était déployé sur quatre rangs et huit files, ce qui est une proposition fournie (parmi d’autres) par Élien dans sa Τακτική θεωρία185. Pourtant, dans le passage concerné, Élien ne précise à aucun moment qu’il décrit une coutume romaine. Il se contente de souligner que les Perses, les Siciliens et les Grecs avaient une préférence pour ce type de formation rectangulaire186. Il convient également d’écarter les leur propres papiliones. Le chiffre de 31 hommes par turme est confirmé par d’autres témoignages : P. Lond., 482 = RMR, 80 (reçu pour le foin d’une turme de l’ala ueterana Gallica, 130 ap. J.-C.) ; Cass. Dio, LXXVI, 9, 2 (31 cavaliers chassent un sanglier durant la campagne orientale de Septime Sévère en 198). Voir aussi les récentes découvertes à Wallsend et South Shields (HODGSON & BIDWELL [2004], 134). Les dimensions des baraques relevées dans d’autres forts auxiliaires pourraient suggérer que l’effectif théorique des turmes était parfois supérieur à 31 soldats, notamment dans les alae (cf. supra, n. 17). Il est regrettable qu’Arr., Tact., 18, 3 soit si souvent cité dans les discussions sur les effectifs des turmes alors qu’il décrit une armée hellénistique idéalisée dont les normes organisationnelles n’ont rien à voir avec celles de la cavalerie romaine. 181 HODGSON & BIDWELL (2004), 133 ; SCHOLZ (2009), 64. 182 Maurice, Strat., I, 2, 59 ; I, 5, 17-8 ; Syr., Strat., 27, 4-7. 183 L’utilité du plan des baraquements légionnaires dans la mise en évidence d’un éventuel ordre de bataille a déjà soulignée par SPEIDEL (2002). 184 SEKUNDA (2001), 125-34. 185 JUNKELMANN (1991), II, 132 et Abb. 73. L’auteur suppose à tort que l’effectif théorique de la turme était de 32 cavaliers (officiers inclus). Au demeurant, il concède (p. 131) : « Wie die römischen Kavallerieformationen im einzelnen aussahen, wissen wir nicht. » 186 Ael., Tact., 18, 5-6 (tr. d’après A.M. Devine) : « Les Perses, les Siciliens et la plupart des Grecs ont utilisé des formations carrées, étant persuadés que cette formation est plus commode pour le déploiement et pour l’équitation collective, et meilleure à l’usage (Ταῖς μέντοι τετραγώνοις ἐχρήσαντο Πέρσαι τε καὶ Σικελοὶ καὶ τῶν Ἑλλήνων οἱ πλεῖστοι, πεπεισμένοι καὶ τὴν σύνθεσιν ἔχειν εὐχερεστέραν καὶ τὴν συνίππευσιν καὶ τὴν χρείαν εἰς πολλὰ βελτίω) […]. Les meilleurs [carrés] sont ceux qui ont
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formations en coin (ἔμβολον / ἐμβολοειδής τάξις) et en losange (ῥόμβος / ῥομβοειδές), qui ont de grandes chances d’être le produit des spéculations géométriques de Poseidonios d’Apamée187. Asclépiodote, Élien et Arrien, qui s’inspirent tous (directement ou indirectement) du traité de tactique perdu du célèbre polymathe, sont les seuls auteurs à évoquer des taxeis de cette nature durant toute l’Antiquité gréco-romaine188. Ni Xénophon ni Maurice n’en font mention dans leurs ouvrages qui accordent pourtant des développements très longs à la cavalerie. À l’époque de la guerre du Péloponnèse et des conquêtes d’Alexandre, la métaphore de l’ἔμβολον (« éperon ») servait d’ailleurs à désigner une colonne d’assaut et non une formation en triangle189. Les sources narratives du Principat sont plus fiables et confirment les informations que nous obtenons à partir de l’analyse des baraquementsécuries. À deux reprises dans le De bello Judaico, Josèphe décrit des soldats de cavalerie déployés sur trois rangs190. Ces mentions, il est vrai, renvoient à des contextes tactiques particuliers191 mais méritent tout de même d’être relevées. Si l’on se penche à nouveau sur les taktika, on peut noter que le déploiement sur trois rangs est pris en compte par Élien et Arrien, qui insèrent parfois des rhômaika dans leurs traités : les Grecs, disent-ils, forment habituellement leurs escadrons avec deux fois plus de soldats en longueur qu’en profondeur, mais « quelques autres » (ἔνιοι / τινὲς) préfèrent tripler la longueur, par exemple avec un front de neuf cavaliers et une profondeur de trois192. Ces chiffres correspondent au un nombre deux fois plus important en longueur qu’en largeur, comme lorsqu’il y a huit cavaliers en longueur et quatre en profondeur, ou dix en longueur et cinq en profondeur (ἄρισται δέ εἰσιν αἱ διπλάσιον τὸν ἀριθμὸν τῶν ἐν τῷ μήκει ἔχουσαι ἤπερ ἐν τῷ βάθει, οἷον ὀκτὼ μὲν τὸ μῆκος, τέσσαρες δὲ τὸ βάθος, ἢ δέκα μὲν τὸ μῆκος, πέντε δὲ τὸ βάθος). » 187 Sur ce point, voir notre démonstration dans PETITJEAN (à paraître). 188 Asclep., 7, 2-3 et 5-9 ; Ael., Tact., 18, 1-4 ; 19, 1-13 ; Arr., Tact., 16, 1 et 3-7 ; 17, 1-5. 189 Xen., Hell., VII, 5, 24 (cf. ibid., VII, 5, 22 ; Id., Hipp., 4, 3 ; Id., Lak. Pol., 11, 10) ; Arr., Anab., III, 14, 1-2. 190 Jos., BJ, III, 254 (τοὺς μὲν γενναιοτάτους τῶν ἱππέων ἀποβήσας [τῶν ἵππων] τριχῇ διέταξεν) ; V, 131 (κατόπιν τῶν ἱππέων, τρίστοιχος ἑκατέρων). 191 Un escadron qui vient de démonter dans le premier cas ; une ligne d’investissement dans le second. 192 Ael., Tact., 18, 7 : ἔνιοι δὲ τριπλάσιον ἐποίησαν τὸν ἀριθμὸν τῶν ἐν τῷ μήκει τεταγμένων παρὰ τοὺς ἐν τῷ βάθει, οὕτως δοκοῦντες τετράγωνον ποιήσειν τὸ σχῆμα· δοκεῖ γὰρ τριπλάσιον ὡς ἐπίπαν εἶναι τὸ μῆκος τοῦ ἵππου τοῦ κατὰ τοὺς ὤμους πλάτους, ὅθεν ἐννέα ἐν τῷ μετώπῳ τάσσοντες τρεῖς ἐν τῷ βάθει ποιοῦσιν. Arr., Tact., 16, 12 : ὥστε ἤδη τινὲς καὶ τριπλασίονα τὸν ἀριθμὸν τῶν ἐν τῷ μήκει τασσομένων ἐποίησαν πρὸς τὸ βάθος, οὕτως οἰόμενοι ἐς ἀκριβὲς τετράγωνον καταστήσειν τὸ σχῆμα, ὡς τριπλάσιον τὸ μῆκος τοῦ ἵππου ὑπὲρ τὸ πλάτος τοῦ ἀνθρώπου τὸ κατὰ τοὺς ὤμους
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nombre de contubernia que nous retrouvons dans la plupart des baraques du Haut-Empire193. Le pronom ἔνιοι renverrait-il ici aux Romains ? L’hypothèse paraît tout à fait plausible. Les mêmes auteurs ajoutent que dans une formation rectangulaire (ἑτερομήκης τάξις) à triple longueur, il est nécessaire de tripler l’intervalle entre chaque rang de façon à obtenir un carré parfait. Appliquée au gabarit moyen des chevaux de guerre romains, cette règle donnerait une formation occupant un espace d’environ 14 × 14 mètres en ordre lâche (fig. 28)194. Notre proposition de reconstitution permet de comprendre comment les simples cavaliers (gregarii equites) étaient susceptibles de se ranger en terrain ouvert. Il est plus difficile de savoir quelle était la place réglementaire occupée par les officiers subalternes. Dans les camps auxiliaires, le décurion, le duplicarius et le sesquiplicarius avaient leur propres quartiers, situés aux extrémités des baraques, ce qui milite en faveur d’une position particulière au sein de l’escadron195. Comme l’a bien montré Michael P. Speidel, la tradition romaine favorisait le placement des officiers en première ligne196. Certes, les descriptions laudatives de généraux chargeant en avant des formations de combat doivent être considérées avec beaucoup de prudence – ce topos participe de l’image attendue du chef de guerre exemplaire197. Il nous semble aussi difficile de souscrire à l’idée avancée par Speidel selon laquelle les combattants de première ligne, plus vulnérables que leurs camarades, disposaient nécessairement de plusieurs chevaux198. Néanmoins, certains témoignages suggèrent bien que les décurions combattaient en tête d’escadron : ils étaient exposés ἐπέχον, ὥστε ἐννέα κατὰ μῆκος ἐν τῷ μετώπῳ τάσσοντες τρεῖς ἐν τῷ βάθει ἐπέταττον. 193 Ainsi dans les forts de Wallsend, South Shields (HODGSON & BIDWELL [2004], 123-5 et fig. 1), Benwell (BREEZE & DOBSON [1976], 14-6, fig. 1), Gnotzheim (FASSBINDER [2009], 76 : « neun oder zehn »), Theilenhofen (FASSBINDER [2008], 159, Abb. 3). 194 Sur la largeur des intervalles entre chevaux du même rang, cf. infra, p. 656-7. 195 HODGSON & BIDWELL (2004), 134 ; SCHOLZ (2009), 64 et s. Cette place correspond à celle des centurions dans les baraques d’infanterie. 196 SPEIDEL (2000). Voir aussi GOLDSWORTHY (1996), 182. 197 E.g. Sall., Jug., 98, 1 ; 101, 6 (Marius) ; Jos., BJ, III, 483 ; V, 288 (Titus) ; Tac., Hist., III, 17, 1 (Antonius Primus) ; Plut., Pomp., 7, 2 ; 19, 2 ; 35, 2-3 (Pompée). Sur le commandement héroïque dans les littératures grecque et romaine, cf. LENDON (2005), 136-7, 158, 259-60. 198 SPEIDEL (2000), 479 : « The main reason for their having several horses was their fighting in the front rank. » Comme nous le verrons, les porte-étendards guidaient la turme mais n’avaient, en règle générale, qu’un seul cheval. Un autre argument contredit l’hypothèse de Speidel : les circitores qui servaient dans la cavalerie tardo-impériale avaient deux chevaux quand ils étaient enrôlés dans l’armée (CTh., VII, 22, 2), mais ils ne pouvaient pas combattre en première ligne dans la mesure ou les biarchi occupaient ce poste (cf. infra, p. 471-2).
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Figure 28 – Déploiement hypothétique d’une turme de cavalerie auxiliaire sous le Haut-Empire.
aux traits ennemis et parfois susceptibles de quitter la formation pour se frotter, seuls, à l’adversaire199. Aucune source ne permet d’en dire autant pour les duplicarii et les sesquiplicarii, mais il convient de rappeler que ces derniers étaient les héritiers des decuriones minores républicains, dont la fonction était d’agir comme dekadarchoi. Il est impossible d’intégrer ces trois officiers (décurion, duplicarius, sesquiplicarius) comme chefs de files d’une formation qui compterait au moins neuf files : il manquerait six officiers pour compléter le premier rang. Nous émettrons donc l’hypothèse que ces cadres subalternes se 199
Plut., Pyrrh., 16, 12-6 ; Ps.-Caes., BAfr., 29, 3 ; Tac., Ann., XIII, 40. Voir aussi Tac., Agr., 37, 9 mais cette fois-ci à propos d’un préfet de cohorte.
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plaçaient en avant du premier rang des cavaliers. De cette manière, ils pouvaient conduire facilement la turme tout en manifestant leur uirtus, qualité martiale qui justifiait leur statut privilégié par rapport aux gregarii equites200. Cela expliquerait aussi pourquoi la formation rectangulaire en 9 × 3 ne correspond pas exactement à l’effectif normal d’une turme : les tacticiens ne comptent pas les officiers, qui étaient rangés extra ordinem et ne faisaient pas partie de la taxis proprement dite. Il n’est pas impossible que ce type de déploiement date de l’époque républicaine : nous avons vu précédemment que les monnaies du Ier s. av. J.-C. montrent parfois un groupe de trois cavaliers chevauchant côte à côte201. Nous retrouvons par ailleurs des exemples comparables à l’époque moderne : certains militaires jugeaient que le détachement d’un rang d’officiers en avant de l’escadron était propice à affermir le moral des troupes202. Mais qu’en est-il alors de la position du porte-étendard203 ? Était-il lui aussi placé en dehors de la formation ou plutôt incorporé dans une des files ? Certains témoignages pourraient indiquer qu’il faisait bien partie d’un contubernium. En effet, une épitaphe récemment publiée mentionne un signifer qui se présente comme h(eres) e(t) c(ontubernalis ?) d’un eques alae I Thracum204. Mais il serait risqué de traduire cette expression de façon trop littérale : le substantif contubernalis sert souvent à désigner de façon affectueuse un « camarade », sans plus de précisions, ce qu’a bien montré une étude de Jon Lendon sur la question205. Par ailleurs, dans les sources du début de l’époque impériale, les porte-étendards ont clairement pour fonction de conduire les autres cavaliers de la turme à laquelle ils appartiennent, une mission qu’il leur aurait été plus difficile d’assurer s’ils avaient été intégrés dans le premier rang de l’escadron, derrière les autres officiers206. Selon Arrien, c’est la raison pour laquelle 200 Sur les décurions comme modèle à imiter pour les cavaliers de la turma : Veg., Mil., II, 14, 6-9. Les sous-officiers s’illustraient en premier lors des hippika gumnasia : Arr., Tact., 42, 1 (voir aussi 36, 3, où le décurion de la turme est peut-être appelé ό πρῶτος κατ’ ἀρετήν). 201 Cf. supra, p. 49, n. 116. 202 CHAUVIRÉ (2009), 221-2. 203 Sur les porte-étendards dans la cavalerie impériale : WEBSTER (1986) ; JUNKELMANN (1991), II, 136-41. 204 AE, 2007, 1086 (Traismauer / Trigisamum) : Haldius Atti / f(ilius) eq(ues) alae I Thracum an(norum) / XXXVII stip(endiorum) XVIII h(eres) e(t) c(ontubernalis ?) Macer / sig(nifer). 205 LENDON (2006), 270-1 : « membership in the same contubernium or military unit cannot safely be deduced from the use of the term contubernalis alone. Contubernalis can safely be translated no more exactly than “comrade-in-arms”. » 206 E.g. Stat., Theb., VI, 214 ; Tac., Hist, III, 17, 1.
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ils devaient être recrutés parmi les meilleurs cavaliers : « Ceux qui portent [les étendards], écrit-il, sont les hommes les plus habiles dans les contremarches et les conversions ; ils sont choisis pour [enchaîner] les voltes les unes après les autres et les charges droites, si bien que la multitude n’a pas à se préoccuper d’autre chose que de suivre son propre étendard. »207. Les rares témoignages iconographiques montrant des signiferi ou des uexillarii semblent confirmer ces indications et suggèrent une position jouxtant celle du commandant de l’escadron208. Beaucoup moins d’indices permettent de déterminer quelle était la place des musiciens au sein des turmae. La présence d’instrumentistes dans les unités de cavalerie ne fait pourtant aucun doute209. Leur fonction était de transmettre les ordres autrement que par des signaux visuels, souvent insuffisants en raison du champ de vision limité des soldats. De même que l’infanterie, la cavalerie utilisait des instruments à vent. Il en existait trois types : la tuba, une trompe de forme droite, le cornu, qui ressemble à notre actuel cor de chasse, et la bucina dont la forme reste controversée. Influencé par les réalités modernes, Friedrich Behn, dans son étude pionnière sur la musique dans l’armée romaine, supposait que la cavalerie romaine avait son propre instrument, qu’il voulait proche du trombone210. Il attirait l’attention sur la stèle d’un cavalier de l’ala Claudia, découverte à Zahlbach, près de Mayence : le monument comporte, à droite du champ épigraphique, la représentation schématique d’une trompette à double courbure211. Celle-ci semble correspondre à l’instrument qu’utilisaient encore les régiments de cavalerie au XIXe s. et Behn n’hésitait pas à l’identifier à la mystérieuse bucina des auteurs romains212. L’épigraphie révèle en effet l’existence de bucinatores dans les unités de cavalerie213. Mais il ne s’agit pas des seuls musiciens associés aux troupes montées puisque les inscriptions nous
Arr., Tact., 35, 6 : Οἱ μὲν γὰρ φέροντες αὐτά, οἱ δαημονέστατοι τῶν ἐξελιγμῶν τε καὶ ἐπιστροφῶν, εἰς ἄλλους καὶ ἄλλους κύκλους ἢ ἄλλας καὶ ἄλλας ἐπ’ εὐθὺ ἐκδρομὰς ἐπιλέγονται, τὸ δὲ πλῆθος οὐδὲν ἄλλο μεμελέτηκεν ὅτι μὴ ἕπεσθαι τῷ οἰκείῳ ἕκαστοι σημείῳ. 208 Voir e.g. KLEINER (1992), 302, fig. 269 (sarcophage de Portonaccio) ; RIC, I, Nero, 108, pl. 19. 209 Sur la question, voir BEHN (1912) ; KLAR (1971), 303-16 ; SPEIDEL (1976), 150-2 ; JUNKELMANN (1991), II, 141 ; VINCENT (2011), I, 83-5. 210 BEHN (1912), 43. 211 CSIR, II, 5, 35 = Espérandieu, VII, 5854. 212 BEHN (1912), 43. Cette hypothèse, présentée par l’auteur comme une évidence dans une publication ultérieure (ID. [1954], 140), doit être considérée avec précaution : l’instrument en question pourrait très bien être un cornu, qui aurait été tassé sur le côté droit du champ épigraphique en raison d’un manque de d’espace. Cf. SPEIDEL (1976), 150-1 ; VINCENT (2011), II, 30-1. 213 CIL, III, 3352 = ILS, 02591 ; CIL, VI, 3179 = ILS, 2200 = Denkm., 720 ; CIL, VI, 31147 = ILS, 2182 = Denkm., 11 ; CIL, XIII, 8523 (?). 207
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permettent aussi de connaître des tubicines et des cornicines 214. Cela signifie-t-il que trois instruments différents coexistaient dans la cavalerie impériale ? Aucun témoignage ne confirme que la tuba droite était utilisée par des cavaliers. Une scholie d’Horace laisse même entendre le contraire : Litui acutus sonus est, tubae grauis. Inter lituus et tubam in antiquis scriptis hoc distare inueni : lituus equitum est et incuruus, tuba uero peditum est et directa215. En se fondant sur ce texte, Alexandre Vincent conjecture que les tubicines des unités de cavalerie employaient plutôt le lituus, une trompette droite légèrement recourbée à son extrémité216. Un tel instrument, de petite taille par rapport à l’encombrante tuba, a été retrouvé lors des fouilles du camp de Saalburg217. Il pouvait être manié à une main et attaché à une sangle, ce qui rendait son utilisation particulièrement commode. La suggestion d’Alexandre Vincent nous semble convaincante et nous estimons qu’Arrien désigne le même référent lorsqu’il évoque la σάλπιγξ qui rythmait les exercices de cavalerie au temps d’Hadrien218. Reste alors les cornicines. Leur identification ne pose ici a priori aucune difficulté : un relief du mausolée de Schweinschied présente bien un cavalier équipé d’un cornu à la forme caractéristique219. On retrouve également l’instrument sur des stèles de Gerulata en Pannonie220 et d’Apamée en Syrie221. Nul doute qu’il devait être d’un maniement peu pratique pour des cavaliers. Mais l’existence de ces représentations suffit à démontrer que la thèse de Behn doit être abandonnée et qu’il n’existait pas d’instrument propre aux equites dans l’armée romaine. Les sources écrites ne précisent malheureusement pas quel était le poste du musicien au sein de la turme. Le seul indice dont nous disposons se trouve dans le Stratêgikon : l’auteur du traité situe le bucinator immédiatement derrière le commandant de l’escadron222. On serait donc tenté de placer notre instrumentiste au premier rang de la file du milieu de la turme, ce qui aurait permis au décurion de lui communiquer des ordres rapidement. 214 Tubicines : CIL, III, 10589 = 3647 ; CIL, VI, 3176 = ILS, 2199 = Denkm., 171 ; CIL, VI, 31147 = ILS, 2182 = Denkm., 11 ; CIL, VI, 31149 = ILS, 4833 = Denkm., 13 ; CIL, VI, 31151 = Denkm., 15 ; CIL, VI, 31152 = ILS, 2183 = Denkm., 16 ; CIL, VI, 31186 = Denkm., 66 ; CIL, VI, 32797 = Denkm., 349 ; CIL, XIII, 7798 ; AE, 1993, 1594. Cornicines : AE, 1993, 1594 et 1595 ; BVbl, 2014, 55 ; CIL, III, 4391 (cf. SPEIDEL [1976], 150 et 161) ; MARICHAL (1992), n°90 et 97 (?). Deux inscriptions mentionnent deux musiciens différents au sein de la même unité : un tubicen et un bucinator chez les equites singulares Augusti (CIL, VI, 31147) ; un tubicen et un cornicen dans une aile de cavalerie (AE, 1993, 1594). Cette pluralité suggère des finalités tactiques différentes. À l’époque de Maurice, la bucina marquait les avancées et les mouvements offensifs, alors que la tuba était plutôt réservée aux arrêts et aux mouvements de repli. Cf. infra, p. 652. 215 Ps.-Acron, Schol. Hor. carm., I, 1, 23. 216 VINCENT (2011), I, 84. 217 Ibid., 305, fig. 1. 218 Arr., Tact., 36, 3. Au même titre que le latin tuba, le grec σάλπιγξ désigne une longue trompe de forme droite (cf. DAREMBERG, Dictionnaire, V, 522-8). 219 Espérandieu, VI, 5193 = IX, 7267 ; CSIR, II, 9, 140. 220 CIL, III, 4391. Cf. SPEIDEL (1976), 161, fig. 16. 221 AE, 1993, 1595. Cf. BALTY & VAN RENGEN (1993), 52. 222 Maurice, Strat., III, 2 (cf. infra, p. 649-50).
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B. Du camp d’entraînement aux manœuvres collectives Plusieurs sources nous renseignent avec précision sur le contenu des exercices de cavalerie sous le Principat. L’entraînement était un aspect fondamental de la formation des troupes montées : l’armée du HautEmpire, professionnelle et permanente, devait assurer entièrement l’instruction militaire des cavaliers, de leur recrutement jusqu’à leur déploiement pour le combat. D’après Végèce, les décurions étaient responsables de l’exercitatio au sein de chaque turme223. Mais d’autres officiers avaient probablement en charge l’entraînement de l’unité dans son ensemble. Leur titre semble avoir varié en fonction du corps de troupes224. Les equites singulares Augusti et les equites praetoriani étaient entraînés par des centuriones exercitatores225. La situation était comparable dans la cavalerie légionnaire : un exercitator equitum de rang centurionnaire est attesté dans la legio II Adiutrix au IIIe s.226. Mais les grades de magister equitum et de magister campi sont aussi mentionnés par des inscriptions227. Cette dernière fonction apparaît dans les archives de la cohors XX Palmyrenorum 228. Elle est inconnue dans les ailes, où l’entraînement semble plutôt avoir été sous la responsabilité d’un decurio exercitator 229. Il semble que les instructeurs spécialisés dans certains modes de combat
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Veg., Mil., II, 14, 5. Cf. HORSMANN (1991), 84-90. 225 Singulares Augusti : Denkm., 54, 55, 57, 60, 69. Cf. SPEIDEL (1994a), 110-1. Prétoriens : CIL, X, 1127 ; CIL, XI, 395 ; ILS, 2089. Cf. RANKOV (1994), 8. 226 RIU, V, 1155. Voir également CIL, III, 14477. 227 DOMASZEWSKI (1908), 48 ; BREEZE (1969), 54. CIL, VIII, 2562 (Lambèse, 222-235 ap. J.-C.) : A(ulus) Geminius Extricatus mag(ister) k(ampi). CIL, V, 8278 (Aquilée, époque tétrarchique) : Iulius centurio / supernumerarius / leg(ionis) XI Claudiae… factus mag(ister) / equitum. D’après HORSMANN (1991), 89, les fonctions d’exercitator equitum et de magister equitum seraient équivalentes. Il nous semble que l’originalité du second titre peut s’expliquer par la datation tardive de l’inscription d’Aquilée. Voir en ce sens BREEZE (1976), 130, pour qui le titre de magister a été introduit au cours du IIIe s. 228 P. Dura, 83 = RMR, 48, l. 9 : Demet[r]ius mag(ister) campi. Il est difficile de savoir si le magister campi s’occupait de l’entraînement des soldats ou s’il n’était pas tout simplement responsable de l’entretien du campus, comme le suppose HORSMANN (1991), 89, n. 188. 229 AE, 1933, 214 (Cardak, Syrie, 183 ap. J.-C.). Un ἱππεὺς ὀπτίον καμπι et un κιτάτορ καμπι apparaissent également dans une liste de reçus de l’ala ueterana Gallica (P. Hamb., 39, col. ii, l. 8 et col. xx, l. 24). DAVIES (1989), 261, n. 53 suppose que l’optio campi est l’équivalent du magister campi et que le citator campi est le personnage chargé d’appeler les cavaliers par leur nom lors des compétitions qui se déroulent sur le campus (cf. Arr., Tact., 42, 1-2). RANCE (2007), 402, n. 57 voit pour sa part dans la forme κιτάτορ une contraction d’exercitator. 224
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comme l’archerie pouvaient porter le titre de campidoctor, mais cette conjecture demeure très incertaine230. Les exercices collectifs avaient lieu régulièrement. Ils étaient de deux natures. Trois fois par mois, les cavaliers quittaient le camp et se rendaient, à la suite d’une longue marche (ambulatio) dans un endroit où ils pouvaient s’exercer à des simulacres de combats et à des manœuvres en terrain difficile. Végèce parle d’une « coutume ancienne » (uetus consuetudo), « sanctionnée par les constitutions des divins Auguste et Hadrien ». Il donne une description succinte des exercices qui étaient pratiqués lors de ces sorties : « De même, les cavaliers, divisés par turmes et armés de façon similaire, parcouraient le même trajet [que l’infanterie], avec cette différence que, dans l’exercice équestre, ils se mettaient tantôt à la poursuite, tantôt en retraite, puis renouvelaient leurs assauts par une certaine contre-charge – non seulement dans les plaines, mais aussi dans des terrains montueux et accidentés, que les deux formations étaient contraintes de descendre et gravir, afin qu’aucune chose, aucun accident malencontreux, ne puisse survenir durant les combats, que des bons soldats n’eussent préparé auparavant par un entraînement continu. »231.
Ce passage trouve un écho dans les recommandations données par Onasandre : « De la même manière, il faut entraîner la cavalerie en la faisant participer à des compétitions, des poursuites, des mêlées, et des escarmouches, dans la plaine et au pied des collines ; il est permis de s’aventurer aussi loin que possible en terrain accidenté, à condition qu’on ne force pas son chemin dans les hauteurs abruptes et qu’on ne chevauche pas dans les pentes raides. »232. 230
Un autel élevé par les equites singulares Augusti et daté de l’année 142 (CIL, VI, 31150 = Denkm., 14) mentionne peut-être un c(ampi)d(octor) s(agittariorum). Cf. HORSMANN (1991), 91. Mais RANCE (2007), 402 estime que cette lecture devrait être écartée : « certainly, the application of the term campidoctor to such a specialist training function is inconsistent with the other evidence which points to a supervisory role. » 231 Veg., Mil., I, 27, 1 et 3-4 : Praeterea et uetus consuetudo permansit et diui Augusti atque Hadriani constitutionibus praecauetur, ut ter in mense tam equites quam pedites educantur ambulatum ; hoc enim uerbo hoc exercitii genus nominant. […] Equites quoque diuisi per turmas armatique similiter tantum itineris peragebant, ita ut ad equestrem meditationem interdum sequantur interdum cedant et recursu quodam impetus reparent. Non solunt autem in campis, sed etiam in cliuosis et arduis locis et descendere et ascendere utraque acies cogebatur, ut nulla res uel casu prorsus pugnantibus posset accidere, quam non ante boni milites assidua exercitatione didicissent. 232 Onas., Str., 10, 6 : Παραπλησίως δὲ γυμναζέτω καὶ τὸ ἱππικὸν ἁμίλλας ποιούμενος καὶ διώγματα καὶ συμπλοκὰς καὶ ἀκροβολισμοὺς ἐν τοῖς ἐπιπέδοις καὶ περὶ αὐτὰς τὰς ῥίζας τῶν λόφων, ἐφ᾽ ὅσον δυνατόν ἐστι καὶ τῶν τραχέων ἐπιψαύειν· οὐ γὰρ οἷόν τε βιάζεσθαι πρὸς ἀνάντη καὶ κατὰ πρανοῦς ἱππάζεσθαι. La dernière partie
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Dans ces deux extraits, une seule et même catégorie d’exercices est décrite. Celle-ci comprenait des épreuves de poursuite, de sauts d’obstacles et de course en terrain accidenté. Comme l’a bien montré Roy Davies, ces manœuvres ne pouvaient avoir lieu sur un sol parfaitement plat233. Elles nécessitaient de quitter le camp pour se rendre dans un endroit présentant les caractéristiques topographiques appropriées. C’est probablement pour cette raison que dans les archives de la cohors XX Palmyrenorum, certains cavaliers (au moins 21 sur environ 330 durant l’année 219) sont notés absents sous le motif : ad ambul(ationem)234. Dans un tout autre registre, des compétitions plus solennelles avaient lieu sur des terrains délimités et aménagés (campus / πεδίον), dont l’archéologie a conservé des traces235. Ce sont ces « exercices de cavalerie » (ἱππικά γυμνάσια) qu’Arrien décrit dans la deuxième partie de son traité de tactique rédigé en 136236 et qui portaient en latin le nom de decursiones campi, comme le suggère la grande inscription du campus de Lambèse, qui en détaille aussi le contenu237. À la différence de l’ambulatio qui de ce passage semble en contradiction avec les allégations de Végèce et les recommandations de Xénophon sur le sujet (Xen., Hipp., 3, 7 et 8, 3). Il est fort peu probable que le texte original ait été corrompu, la tradition manuscrite concernant l’œuvre d’Onasandre étant globalement fiable. Il semble préférable de penser que l’auteur grec se démarque ici des autres stratégistes, ou cherche plutôt à introduire une nuance issue de son expérience personnelle. Voir Jos., BJ, II, 548-9 et III, 141. 233 DAVIES (1989), 102. 234 P. Dura, 100 = RMR, 1, col. 33, l. 2 et 19 ; col. 34, l. 4, 10 et 24 ; col. 35, l. 3 ; col. 36, l. 2 et 12 ; col. 37, l. 24, 29, 30 et 34 ; col. 38, l. 25, 26 et 27 ; col. 39, l. 2 et 11 ; col. 41, l. 17 ; col. 42, l. 8 et 25 ; col. 44, l. 13. Quatre exemples supplémentaires se retrouvent dans l’état d’effectif de l’année 222 (P. Dura, 101 = RMR, 2). Dans les deux documents, aucun fantassin ne participe à cette ambulatio. 235 Pour un inventaire archéologique de ces terrains d’exercices, voir DAVIES (1968), 77-81. R. Davies souligne également que des halls d’entraînement permettaient aux cavaliers de s’exercer à l’abri des intempéries : cf. ibid., 95-6 ; DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 122-3 et 218-23. Mais il est difficile de dire si ces basilicae equestres exercitatoriae (RIB, 978) étaient conçues pour accueillir les mêmes compétitions, car leurs dimensions sont beaucoup plus modestes. 236 Arr., Tact., 32-44. Des traductions du traité de cavalerie d’Arrien sont maintenant disponibles dans de nombreuses langues. Allemand : KIECHLE (1964), 87-107 ; GARBSCH (1978), 38-42 (trad. F. Kiechle) ; JUNKELMANN (1991), II, 175-82 et (1996), 88-92 (trad. F. Kiechle modifiée). Anglais : DEVOTO (1993), 82-95 ; HYLAND (1993), 72-7 (trad. F. Brudenall). Français : FEUGÈRE (1993), 189-91 (tr. M.P. Villard [extraits]) ; LEROY (2017), 88-97. Italien : SESTILI (2011a), 94-119. Sur la date de rédaction de l’œuvre, voir Arr., Tact., 44, 3 et WHEELER (1978). 237 ILS, 9134 = LE BOHEC (2003), texte 6 = SPEIDEL (2006a), champ 29 : Campum d[ec]ursionibus complestis. Voir également Veg., Mil., II, 22, 4 : ad decursionem campi exeunt milites. Un état d’effectif de Doura, daté 225-235, signale que des decur(sores) sont absents de la garnison (P. Dura, 92 = RMR, 62, l. 7). Une variante se retrouve dans le Panégyrique de Trajan, cf. Plin., Pan., 13, 1 : meditatione campestri. Les expressions
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donnait lieu à de véritables manœuvres collectives, la decursio campi se présente essentiellement sous la forme d’une série de compétitions individuelles. Celles-ci étaient destinées à permettre aux cavaliers les plus méritants de se distinguer de leurs camarades et d’obtenir des récompenses pour leurs prouesses238. Il est difficile de dire dans quelle mesure ces tournois peuvent servir de point de référence pour reconstituer des manœuvres de combat. On considère le plus souvent qu’Arrien décrit de véritables tactiques militaires239, mais il s’agit-là d’une pétition de principe. En réalité, nous savons juste que plusieurs turmes, probablement deux, étaient présentes en même temps240. Arrien se contente de noter que la turme qui fournissait les meilleurs cavaliers pour les exercices de tir sur cible était « préparée pour la réalité des actions militaires »241, ce qui est une manière de souligner que les aptitudes individuelles des soldats permettaient à l’escadron de fonctionner avec plus d’efficacité en contexte réel. À la toute fin du traité, lorsqu’il n’est plus question des exercices ordinaires (dans lesquels les soldats se produisent chacun à leur tour), mais des manœuvres collectives empruntées aux barbares (Parthes, exercitatio equestris et exercitio equitum apparaissent également dans les sources (cf. RIB, 978 et Tac., Ann., II, 55, 6), sans qu’il soit possible de dire avec précision à quel type d’exercice elles se rattachent. 238 Une abondante bibliographie traite de ce sujet : voir notamment GARBSCH (1978), 35-7 ; LAWSON (1980) ; HYLAND (1993) et (2013), 516-26 ; JUNKELMANN (1996) ; BUSETTO (2013b) et (2015). 239 JUNKELMANN (1991), II, 130 ; GOLDSWORTHY (1996), 233 et 243. Voir dernièrement GILLIVER dans SABIN ET AL. (2007), II, 134 : « The hippica gymnasia that Arrian describes give a good impression of the role of light cavalry in engagements, including pitched battle, for although these elaborate exercises were put on for display, they were based on the manoeuvres of the battlefield. » 240 HYLAND (1993), 17 et 89. Il est certain que les dimensions des campi connus ne permettaient pas à une aile complète de se produire. À Hardknott Castle (164 m × 91 m), il aurait même été difficile de faire concourir deux turmes en même temps. Seule une partie des soldats présents dans une garnison était détachée pour prendre part à la decursio campi, comme l’illustre le P. Dur., 92 = RMR, 62 : parmi les 358 cavaliers de la cohors XX Palmyrenorum, 31 sont désignés comme decur(sores). Ce chiffre indique certainement la volonté de faire s’exercer une turme à effectif plein. On peut imaginer qu’au même moment, d’autres unités envoyaient leurs soldats participer à cette compétition, de telle sorte que les différents cavaliers du secteur provincial pouvaient régulièrement se mesurer les uns aux autres. Arrien utilise le terme δεκαδαρχία comme synonyme de turma dans le paragraphe 42 de son traité. En 42, 1, il parle même de plusieurs turmes en expliquant que « l’appel a lieu à travers toutes turmes (καὶ οὕτω διὰ πασῶν τῶν δεκαδαρχιῶν ἡ κλῆσις γίγνεται) ». Pline le Jeune confirme la présence de plusieurs escadrons lorsqu’il fait allusion aux mêmes exercices, cf. Plin., Pan., 13, 1 : « Dans les exercices sur le champ de manœuvres, tu mêlais aux escadrons des soldats la poussière et la sueur impériales (quum in illa meditatione campestri militaribus turmis imperatorium puluerem sudoremque misceres). » 241 Arr., Tact., 42, 5 : ὡς πρὸς ἀλήθειαν τῶν πολεμικῶν ἔργων ἠσκημένην.
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Arméniens, Sarmates, Celtes), Arrien dit bien que ces manœuvres étaient « utiles au combat »242, mais il se garde malheureusement de les décrire. On doit donc se rendre à l’évidence : les épreuves qui se déroulaient durant la decursio campi ne permettent pas d’avoir une idée précise du fonctionnement tactique de la cavalerie romaine. Elles nous renseignent néanmoins utilement sur ce que les cavaliers romains étaient capables de faire, au moins à un niveau individuel243. Les hippika gumnasia consistaient principalement en exercices de tir, réalisés au moyen de traits mouchetés (ἀσίδηρα ἀκόντια / hastae breues ?) ou de véritables javelines (λόγχαι / lanceae)244. Durant les premières manœuvres, deux équipes se faisaient face. L’une d’entre elles était rangée en « tortue » (χελώνη)245 ; deux cavaliers étaient détachés de la formation et servaient de cible (fig. 29). L’autre équipe était déployée en face de la première. À tour de rôle, les cavaliers de la deuxième équipe faisaient des sorties, en jetant d’abord leurs traits sur les deux cibles humaines, puis contre les cavaliers qui chargeaient également depuis la première formation. La manœuvre prenait ainsi la forme d’une double charge circulaire, l’une s’effectuant dans le sens des aiguilles d’une montre, l’autre en sens inverse. Ibid., 44, 2 : ἐς τὰς μάχας ὠφελίμους. Pour des propositions de reconstitution antérieures, cf. LAWSON (1980) ; HYLAND (1993), 89-164 et (2013), 516-26 ; JUNKELMANN (1996), 56-67. Les schémas figurant dans le livre d’A. Hyland ne tiennent pas compte de certains éléments du texte d’Arrien et ne correspondent pas toujours à ce que décrit l’auteur dans son traité. Il est préférable de se reporter aux reconstitutions d’A. Lawson, reprises et améliorées par M. Junkelmann, en particulier pour les premiers exercices. 244 Ἀσίδηρα ἀκόντια : Arr., Tact., 34, 8 et 42, 4. Λόγχαι : ibid., 41, 3-4 ; 42, 2 et 4. La λόγχη est, selon Arrien, l’une des armes ordinaires du cavalier romain : chaque cavalier dispose de deux λόγχαι qu’il peut soit utiliser comme arme de trait, soit comme arme d’hast au corps-à-corps (ibid., 4, 8-9). Arrien distingue bien la λόγχη du κοντός, la lance de cavalerie, qui n’est jamais jetée et peut être maniée à une main (ibid., 4, 7 et 43, 2). L’inscription de Lambèse reprend cette trilogie : cf. ILS, 9134 = LE BOHEC (2003), texte 6 = SPEIDEL (2006a), champ 29 (hast[is] … breuibus et duris / lanceas) et ibid., champ. 25 (contos). Contra COLOMBO (2011), 163 pour qui hastae et lanceae sont ici de « parfaits synonymes ». Il est pourtant bien évident que le caractère fortement réglementé des exercices force ici Hadrien à privilégier l’emploi d’un vocabulaire technique approprié, afin d’éviter les confusions. 245 Cette formation n’est pas reconstituée convenablement par HYLAND (1993), 116 : les cavaliers n’étaient pas rangés de face, mais avaient le dos tourné. Cf. Arr., Tact., 36, 1 : « Leur charge prend fin au même endroit et les cavaliers se postent les uns à côté des autres à la gauche de la tribune, les têtes des chevaux tournées vers l’arrière, en brandissant leurs boucliers de manière à protéger leurs dos ainsi que la croupe de leurs chevaux (τὰς μὲν κεφαλὰς τῶν ἵππων εἰς τοὐπίσω ἀποστρέψαντες, τοὺς θυρεοὺς δὲ πρὸ τῶν νώτων τῶν σφετέρων καὶ πρὸ τῶν ἱππείων οὕτω προβεβλημένοι). Cette formation, de la même manière que l’assemblage de boucliers (ξυνασπισμός) de l’infanterie, est appelée la “tortue”. » Pour une reconstitution plus fidèle à la description d’Arrien, cf. JUNKELMANN (1996), 58-62. Sur l’inutilité d’une telle formation dans l’optique d’une éventuelle utilisation au combat, cf. PETITJEAN, BISHOP & GRIFFITHS (2018). 242 243
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Durant cet exercice, on attendait des meilleurs cavaliers qu’ils réalisent ce qu’Arrien appelle, en employant un terme d’origine celtique, le πέτρινος, un tir retourné qui forçait le cavalier à faire pivoter son buste de façon à se retrouver face à la croupe de sa monture246. Après avoir échangé leurs rôles respectifs (fig. 30), les équipes se déployaient à nouveau face à face et réalisaient la fameuse « charge cantabre » (Κανταβρική ἐπέλασις). Pour les soldats rangés à gauche de la tribune, cet exercice consistait à jeter une longue hampe de lance sans fer (ξυστὸν δόρυ ἀσίδηρον) sur un cavalier de l’équipe adverse, tout en chevauchant en cercle dans le sens inverse des aiguilles d’une montre (fig. 31)247. L’autre équipe faisait la même chose que dans l’exercice précédent. Durant l’étape suivante, on imposait aux participants de jeter le plus grand nombre possible de javelines vers la limite du terrain aménagé pour l’exercice, en avançant au pas, chacun à leur tour – le départ se faisait depuis la tribune248. Puis les cavaliers se munissaient de véritables javelines et se livraient à des compétitions de tir sur cible nonhumaine (σκοπός). Les javeliniers les plus adroits parvenaient à réaliser ce qu’Arrien appelle le ξύνημα, un tir exécuté pendant que le cheval virait vers la droite (fig. 32)249. L’auteur invoque ensuite d’autres exercices de tir, impliquant des armes particulières : des παλτά (dards ?), des βέλα (flèches) lancés à l’aide d’une μηχανή (probablement une manuballista), des λίθοι (pierres) jetés à la force du bras ou à l’aide d’une fronde250. Mais il ne donne pas de détails sur le contenu de ces épreuves. Pour le dernier exercice, on abandonnait les armes de jet au profit d’armes de mêlée telles que la lance de choc (κοντός) et l’épée longue (σπάθη)251. Les cavaliers devaient en 246 Arr., Tact., 36, 1-39, 3. DOTTIN (1920), 278 fait dériver petrinos du gaulois pedrain, qui signifie « croupe ». Sur les emprunts linguistiques dans le traité d’Arrien, cf. BUSETTO (2013a). Sur les difficultés pratiques qu’implique la réalisation du petrinos : HYLAND (1993), 131. 247 Arr., Tact., 40, 1-7. Cet exercice n’a pas été reconstitué fidèlement dans les études antérieures : LAWSON (1980), 179-80 et HYLAND (1993), 133-41 font toutes deux se rencontrer les cavaliers en sens inverse alors que le texte d’Arrien implique qu’ils chevauchaient côte à côte au moment de la confrontation. 248 Arr., Tact., 40, 8-12. 249 Ibid., 41-2. Il est difficile d’établir si le mot ξύνημα est un véritable celticisme. Il pourrait aussi bien être un dérivé du grec ξυνίημι, qui signifie « lancer ensemble ». Cf. HOLDER (1896), I, col. 462 ; DOTTIN (1920), 30. À la suite d’expériences de reconstitution, HYLAND (1993), 149-50 confirme qu’il s’agit d’un lancer particulièrement délicat à réaliser, nécessitant une grande adresse. Il faut en effet synchroniser la décélération du cheval, le mouvement de conversion vers la droite et le tir lui-même, qui implique de tourner le buste vers la gauche tout en lançant la javeline avec vigueur. 250 Arr., Tact., 43, 1. Manuballista : HYLAND (1993), 153 ; JUNKELMANN (1996), 92. Sur cette arme, cf. COULSTON (1985), 261. A. Zimmermann, reconstituteur de l’association Legio VIII Augusta (Allemagne), spécialisée dans l’artillerie romaine, nous a confirmé qu’un cavalier peut utiliser ce type d’arbalète, mais à condition d’être assisté par un piéton (pour armer le carreau) et de bien maintenir l’arme droite, ce qui rend son maniement difficile pendant que le cheval est en mouvement. 251 Arr., Tact., 43, 2-3. Arrien ne précise pas si les participants se produisaient individuellement ou collectivement. Au vu de la complexité des manœuvres, de l’espace requis pour les réaliser, ainsi que de la logique des descriptions précédentes, il nous semble que
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particulier effectuer une technique complexe, le τολούτεγον (fig. 33) : celle-ci consistait, pour le soldat à porter sa lance d’abord en « position de garde » (ὡς ἐς προβολήν), c’est-à-dire le pouce vers le ciel, de façon oblique252, puis « comme pour la poursuite » (ὡς πολεμίου φεύγοντος ἐξικόμενοι), en pointant une cible située vers l’avant253 ; la suite du texte est obscure, mais Arrien laisse entendre que le cavalier, tout en opérant une conversion avec son cheval (ἐν τῇ ἐπιστροφῇ τοῦ ἵππου), devait faire basculer son bouclier dans son dos pour couvrir ses arrières, et faire tournoyer sa lance au-dessus de lui de façon à pointer une nouvelle cible254. Le dernier chapitre du traité signale qu’Hadrien fit adopter des manœuvres « barbares » à ses troupes : celles que les archers montés parthes et arméniens pratiquent (ὅσα τε Παρθυαίων ἢ Ἀρμενίων ἱπποτοξόται ἐπασκοῦσι) ; les voltes et contrecharges des lanciers sarmates et germains (καὶ ὅσας οἱ Σαυροματῶν ἢ Κελτῶν κοντοφόροι ἐπιστροφάς τε καὶ ἀποστροφάς), qui s’effectuent à tour de rôle (ἐν μέρει) ; puis des escarmouches d’une grande variété et exécutées dans plusieurs directions (ἀκροβολισμοὺς ἐν τούτῳ πολυειδεῖς καὶ πολυτρόπους)255. Le texte ne précise malheureusement pas le contenu précis de ces manœuvres, mais on peut facilement imaginer que la charge sarmate impliquait un mode de préhension de la lance à deux mains (cf. infra, p. 351).
la première option doit être privilégiée. Voir en ce sens LAWSON (1980), 180. Contra HYLAND (1993), 154-5. 252 C’est la configuration représentée de façon récurrente sur la colonne Aurélienne, lorsque les cavaliers sont en marche et non en situation de combat : cf. CAPRINO ET AL. (1955), passim. 253 Comme le montrent, e.g., deux métopes du monument d’Adamclissi : cf. BOBU FLORESCU (1961), 406-7, fig. 180-1. 254 Le mouvement de tournoiement suppose peut-être le passage à un troisième mode de préhension : le cavalier tient désormais son arme au-dessus de l’épaule, la paume vers le ciel, de façon à pointer une cible située à sa gauche. La technique consistant à rejeter le bouclier dans le dos lors de l’exécution d’un demi-tour, de façon à se protéger contre d’éventuels poursuivants, est bien décrite par Virgile (Aen., XI, 619), Tite-Live (XXII, 48, 2) et Nithard (Hist., III, 6 [pour les exercices de la cavalerie carolingienne]). Le port du bouclier dans le dos est en outre représenté sur une monnaie de 116/115 av. J.-C. (MCDONNELL [2006], 153, fig. 7) et sur une stèle funéraire impériale qui nous semble illustrer la position finale du cavalier lors de la réalisation du τολούτεγον (Espérandieu, VIII, 6436 = SCHLEIERMACHER [1984], n°18). Notre interprétation de cette manœuvre diffère de celle proposée dernièrement par SPEIDEL (2006b), pour qui il serait ici question de la technique des contarii steppiques. Celle-ci implique pourtant une tenue de l’arme à deux mains, incompatible avec l’emploi simultané du bouclier. À l’instar de Flavius Josèphe, Arrien utilise en fait le mot κοντός pour renvoyer à la lance de cavalerie de taille médiane, que le soldat romain pouvait manier à une main tout en se protégeant à l’aide de son scutum : cf. Jos., BJ, III, 96 et Arr., Tact., 4, 7-8. 255 Ibid., 44, 1.
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Figure 29 – Exercice de la tortue : première étape.
Figure 30 – Exercice de la tortue : deuxième étape.
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Figure 31 – Charge cantabre.
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Figure 33 – Exercice individuel avec armes de mêlée.
Figure 32 – Exercice individuel de tir sur cible.
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Bien que très fragmentaire, l’adlocutio Hadriani (prononcée au plus tard en 128 ap. J.-C.) présente de véritables correspondances avec le texte d’Arrien. Celles-ci ont été remarquées de longue date par la communauté scientifique : la charge cantabre, le lancer de pierre et les exercices de saut à cheval comptent parmi les éléments communs les plus notables256. Cependant, certains passages de l’inscription de Lambèse ne sont pas toujours faciles à situer dans la progression exposée par le légat de Cappadoce. On s’interroge en particulier sur la place des évolutions décrites dans le fragment D b du CIL. Hadrien y évoque des contrari discursus, qui ne lui plaisent guère, pas plus qu’à Trajan, qui est son inspirateur. Il recommande aux cavaliers de parcourir le terrain d’exercice e tecto (depuis un couvert ? une position hors de portée ennemie ?), en prenant garde aux « cavités cachées » et aux « fossés », de façon à joindre l’ennemi le plus directement possible257. De toute évidence, il n’est pas ici question du terrain d’exercice tel que le décrit Arrien, dont le sol labouré et égalisé n’est censé présenter aucun obstacle à la course des chevaux258. 256 Certains rapprochements sont proposés dans l’apparat critique de l’édition Teubner publiée en 1968. Voir aussi DEHNER (1883), 18-20 ; MÜLLER (1900), 31 et 45-7 ; KIECHLE (1964), 123-7 ; STADTER (1978), 120 et 127 ; BOSWORTH (1993), 259-61 ; VOISIN dans LE BOHEC (2003), 33 ; SPEIDEL (2006a), 89-90 ; BUSETTO (2013b), 193-4 ; ID. (2015), 158-61. Ce qui ne doit pas pour autant amener à penser que l’œuvre d’Arrien est un « literary reworking of the Adlocutio », comme le suppose A. Busetto : il est certain que les deux documents renvoient à une tradition bien antérieure, qui avait été consignée dans des écrits réglementaires aujourd’hui disparus, mais auxquels Arrien fait allusion à plusieurs reprises (cf. Arr., Tact., 42, 2 et 44, 1). Sur la question, voir LAMMERT (1931), 46-59. 257 CIL, VIII, 2532, fr. D b = LE BOHEC (2003), texte 9 = SPEIDEL (2006a), champ 26 : Contrari discursus non placent mihi nec [diu]o Tra[iano qui mihi] / est auctor. E tecto transcurrat eques et pe[--- Si non] / uidet qua uadat aut, si uoluerit, ecum r[efr]en[are nequit, non potest / [qu]in sit obnoxius caliculis tectis a[ut fo]ss[is quas] non uidet. S[i] / [uul]tis congredi, debetis concurre[re per me]dium campum. Ta[m]/[q]uam aduersus hosti facienda [umquam sunt u]lla quam caute. Difficile de deviner par quel mot se terminait la deuxième phrase du texte. Il s’agit certainement d’un adverbe. Pedetemptim (« avec précaution »), perpetim (« sans discontinuer ») ou encore perite (« habilement / avec talent ») seraient trop longs si l’on considère qu’il n’y a d’espace disponible que pour trois lettres supplémentaires. Les seules solutions possibles sont penso (participe ablatif de pendo : « examiner attentivement ») ou pense (forme adverbiale du même verbe signifiant « avec soin / avec précaution »). Cela s’accorde bien avec la suite du texte : le cavalier doit être attentif aux accidents de terrain pour ne pas se blesser. 258 Contra SPEIDEL (2006a), 58, pour lequel Hadrien décrit ici la charge des lanciers censée se dérouler sur le campus (cf. Arr., Tact., 43, 2). Mais voir les remarques de DAVIES (1967), I, 173-5, notamment p. 174 : « It is quite clear that the parade ground described by Arrian and as found outside forts is not suitable for exercises of this sort. » Nous ajouterons qu’Hadrien évoque ici une manœuvre collective, comme le prouve l’utilisation du verbe concurro. Or, nous avons vu que la charge au κοντός décrite par Arrien se faisait probablement de façon individuelle (cf. supra, n. 251), ce que confirme d’ailleurs un autre
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Hadrien fait probablement référence à des exercices réalisés à l’extérieur du camp, dans des espaces accidentés, tels que ceux décrits par Onasandre et Végèce259. Tout le problème est de savoir quels sont les contrari discursus que l’empereur désapprouve. En apparence, cette mention semble contredire les informations fournies par Pline le Jeune et Arrien, qui insistent tous deux sur le fait que les cavaliers romains étaient formés aux alternances de charges et de contre-charges, et notamment aux fameux discursus260. Friedrich Lammert pense qu’il ne faut pas comprendre ce passage comme un désaveu général, mais un conseil valant simplement pour l’exercice considéré261. Michael P. Speidel est également de cet avis262. Dans la terminologie militaire romaine, notamment pour ce qui concerne la cavalerie, la discursio renvoie au combat d’escarmouche, mené en petits groupes dispersés, par opposition à la concursio, la charge à fond conduite en formation régulière263. Hadrien rappelle ici que l’exercice de poursuite doit se faire suivant le modus operandi de la seconde forme de combat, et non de la première. Le tableau suivant récapitule les différentes étapes de la decursio campi, en mettant en valeur les correspondances possibles entre les textes d’Hadrien et d’Arrien.
fragment de l’inscription de Lambèse (SPEIDEL [2006a], champ 25) où il est question de contos (« grande lance ») et de scopos (« cible ») : cette épreuve n’est pas un simulacre de combat mais un exercice de quintaine. 259 SPEIDEL (2006a), 58 pense plutôt que les caliculi et fossae font référence aux pièges qui étaient susceptibles d’être aménagés par l’ennemi lors de la bataille. Nous préférons rapprocher cette séquence de la tradition consistant, depuis Xénophon, à aguerrir la cavalerie par des manœuvres en terrain difficile (Xen., Hipp., I, 20). Mais le sens exact de caliculus dans un tel contexte demeure obscur. Voir les remarques de MÜLLER (1900), 40 : « Die Ziele 7 erwähnten caliculi müssen selbstverständlich Annäherungshindernisse sein; das Wort caliculus kommt jedoch in diesem Sinne nirgends vor. Da dasselbe einen kleinen Kelch bedeutet, so haben vielleicht die fraglichen Hindernisse in ihrer Gestalt Ähnlichkeit mit einem solchen gehabt. » 260 Plin., Pan., 14, 3 ; Arr., Tact., 44, 1. 261 LAMMERT (1931), 53 : « Der Kaiser konnte keineswegs die discursus an sich verwerfen, sondern nur unangebrachte, eben die contrari. » Selon le savant allemand, Hadrien trouverait ces discursus inappropriés dans le cadre de son exercice car le but était d’attaquer directement l’ennemi : « Unangebracht findet Hadrian hier die discursus, weil Angriff nötig gewesen wäre : si vultis congredi, debetis concurrere. » 262 SPEIDEL (2006a), 89-90. 263 Pour des exemples significatifs, voir Tac., Agr., 35, 4 ; Amm., XV, 4, 11 ; XVI, 12, 37 ; Veg., Mil., III, 22, 5. À une échelle plus resserrée, cette expression et ses dérivés désignent le mouvement des cavaliers d’un même escadron qui se séparent les uns des autres : Verg., Aen, V, 580.
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LE HAUT-EMPIRE ROMAIN
Tableau 11 – Le déroulement de la decursio campi à l’époque d’Hadrien. Étape
Arrien
Adlocutio Hadriani
Entrée des cavaliers sur le terrain d’exercice : charges dans toutes les directions, en formations dirigées par les porteétendards. Première tortue : charge circulaire et exécution du petrinos depuis le côté droit de la tribune.
35, 1-7
ILS, 9134 = LE BOHEC (2003), texte 6 = SPEIDEL (2006a), champ 29 : Campum d[ec]ursionibus complestis.
36, 1-37, 5
ILS, 9134 = LE BOHEC (2003), texte 6 = SPEIDEL (2006a), champ 29 : iaculati estis non ineleganter, hast[is usi q]uamquam breuibus et duris. CIL, VIII, 2532, fr. A a = LE BOHEC (2003), texte 7 ; SPEIDEL (2006a), champ 30 : frequens dextrator.
Deuxième tortue : charge cir38, 1-5 culaire depuis le côté gauche de la tribune. Phase trois de la tortue : double 39, 1-3 tir oblique en cercle. Charge cantabre : les cavaliers 40, 1-7 du côté gauche de la tribune attaquent en cercle avec une lance plus longue mais sans fer.
Compétition de tirs indivi40, 8-12 duels : jusqu’à 20 javelines lancées vers la bordure du terrain. Série de tirs en ligne droite sur 41, 1-4 une cible située à gauche de la tribune : cette fois-ci avec équipement de combat et lanceae ; jusqu’à trois fois pour les plus habiles.
SPEIDEL (2006a), champ 25 : [Cantabricum a]criter alacriter eff[ecistis ita ut hostis] non potuisset uos tu[rbare]. CIL, VIII, 2532, fr. A a = LE BOHEC (2003), texte 7 ; SPEIDEL (2006a), champ 30 : Cantabricus densus.
CIL, VIII, 2532, fr. B b = LE BOHEC (2003), texte 4 = SPEIDEL (2006a), champ 6 : loricati iaculationem perageretis. ILS, 9134 = LE BOHEC (2003), texte 6 = SPEIDEL (2006a), champ 29 : lanceas plures uestrum [scie]nter miserun[t].
LA DOCTRINE D’EMPLOI DE LA CAVALERIE IMPÉRIALE
Étape
Arrien
Série de tirs individuels sur 42, 1-5 deux cibles différentes : les soldats entrent en scène lorsqu’ils sont appelés par leur nom ; le tir sur la deuxième cible est appelé xunêma. Tirs individuels sur cible 43, 1 réalisés avec d’autres armes : notamment lancer de pierre.
Exercices (individuels ?) avec armes de mêlée (sur cibles ?) : contus puis épée ; réalisation du toloutegon. Exercices de voltige.
43, 2-3
43, 3
Pratique des barbarika : arche- 44, 1 rie montée, charges et contrecharges au contus. Saut d’obstacles à cheval. 44, 2
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Adlocutio Hadriani
CIL, VIII, 2532, fr. A a = LE BOHEC (2003), texte 7 ; SPEIDEL (2006a), champ 30 : Addidistis ut et lapides fundis mitteretis et missilibus confligeretis. SPEIDEL (2006a), champ 25 : contos […] scop[os.
SPEIDEL (2006a), champ 19 (?) : saltib[us. ILS, 9134 = LE BOHEC (2003), texte 6 = SPEIDEL (2006a), champ 29 : Saluistis et hic agiliter et heri uelociter. CIL, VIII, 2532, fr. A a = LE BOHEC (2003), texte 7 ; SPEIDEL (2006a), champ 30 : saluistis ubique expedite.
SPEIDEL (2006a), champ 19 (?) : saltib[us.
De cet inventaire, nous pouvons conclure que les cavaliers romains étaient capables de lancer plusieurs projectiles durant une seule charge. Ils pouvaient le faire en avançant en ligne droite, ou bien en obliquant sur les côtés. Arrien reconnaît qu’il est plus sûr d’effectuer des conversions vers la droite dans la mesure où le cavalier présente son flanc gauche, qui est protégé par le bouclier, lorsqu’il effectue sa manœuvre264. 264 Arr., Tact., 36, 6 : οἱ θυρεοὶ προβέβληνται πρὸ τῶν ἀκοντιζόντων ἐν τῇ ἐπελάσει. L’importance de la conversion à droite semble être à l’origine de l’hapax dextrator, employé dans l’inscription de Lambèse pour qualifier le soldat effectuant une charge
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LE HAUT-EMPIRE ROMAIN
Mais les Romains étaient aussi entraînés à attaquer et à défendre en virant vers la gauche, ce que montrent bien les exercices de la tortue et de la charge cantabre265. Ces indications sont confirmées par Tacite. Au chapitre 6 de la Germanie, l’historien souligne que les cavaliers romains, à la différence des Germains, pouvaient exécuter des conversions variées : « [les chevaux des Germains] ne sont pas dressés à diversifier les voltes suivant nos us (nec uariare gyros in morem nostrum docentur) : ils avancent en ligne droite, ou bien tournent seulement vers la droite (in rectum aut uno flexu dextros agunt) de telle façon que, formant un cercle jointif, personne n’est laissé derrière (ita coniuncto orbe, ut nemo posterior sit). »266.
Dans ce passage, Tacite décrit une file de cavaliers avançant en cercle, dans le sens des aiguilles d’une montre (fig. 34)267. Cette technique d’escarmouche était conçue pour permettre aux javeliniers de lancer leurs projectiles de façon continue sur les ennemis se trouvant en face du cercle ainsi formé. Elle se rapproche du premier exercice de lancer de javeline décrit par Arrien et n’est pas spécifique aux Germains : le poète tardif Corippe attribue en effet la même tactique à la cavalerie maure de
circulaire dans le sens des aiguilles d’une montre. Cf. MÜLLER (1900), 45 : « Ist nun dextratio eine Wendung nach rechts, so dürfte dextrator jemanden bezeichnen, der eine solche Wendung ausführt. » Suivi par DELBRÜCK (1902, 1990 trad. angl.), 199-200, n. 34. Contra PÉREZ CASTRO (1982), qui propose de rejeter ce rapprochement sur la base d’arguments linguistiques très limités et en dépit des parallèles évidents que présentent les deux documents. Cavaliers plus vulnérables dans les conversions à gauche : cf. Sil., Pun., IV, 178. 265 Arr., Tact., 37, 2-3. 266 Tac., Germ., 6, 3. Sur ce passage, voir LUND (1991), 2050-2 (avec références bibliographiques antérieures) ; SPEIDEL (2004), chap. 16 ; SCHULZ (2009), 235-46 ; SESTILI (2011b), 191, n. 87. Une traduction légèrement différente, mais également acceptable, est proposée par Schulz : « Sie treiben sie geradeaus und/oder mit einer Biegung nach rechts, so dass nach Vollendung der Schwenkung niemand ein Hinterer ist, d.h. niemand hinter einem anderen her reitet. » 267 LAMMERT (1931), 52 suppose à tort que la phrase in rectum aut uno flexu dextros agunt décrit les deux étapes d’une même manœuvre. Selon lui, les Germains attaquaient en formant un cercle oblong, dans lequel ils alternaient galops en ligne droite et demi-tours par la droite. Ce n’est pas le sens exact du texte. Tacite se borne à dire que les cavaliers germains savaient seulement avancer vers l’avant ou (aut – disjonction exclusive) tourner vers la droite. La reconstitution de Lammert a amené LUND (1989), 269-71 à résoudre l’apparente contradiction en émendant aut pour et. Elle a aussi induit M.P. Speidel a surinterpréter le huit-de-chiffre visible sur la stèle funéraire d’un centurio singularium trouvée à Césarée en Maurétanie (CIL, VIII, 21034 ; SPEIDEL [1996], 58, fig. 1-2). Ce dessin n’a pourtant rien à voir avec une attaque circulaire : il s’agit juste d’une représentation de l’ἑτερομήκη πέδη, l’« entrave allongée » décrite par Xénophon pour le dressage des chevaux (Peri Hipp., 7, 14 ; voir LASSÈRE dans LE BOHEC [2003], 94, n. 46). En conséquence, on ne saurait y voir la preuve que les Romains adoptèrent la prétendue charge oblongue des Germains.
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Figure 34 – Manœuvre d’escarmouche circulaire pratiquée par les Germains selon Tac., Germ., 6, 3.
l’époque de Justinien268. Mais le ton général de l’excursus implique que l’équitation militaire des Romains était différente de celle des Germani equites, un fait que Tacite souligne également quand il évoque les aptitudes équestres du chef chérusque Italicus269. Si la cavalerie romaine n’attaquait pas sur une file déployée en cercle, à la manière des barbares d’outre-Rhin, quelle était sa manœuvre d’escarmouche habituelle ? À défaut de témoignage précis, aucune réponse définitive ne peut être apportée à cette question. Nous pouvons seulement nous appuyer sur les descriptions données par Appien pour l’époque républicaine, en supposant que les choses n’évoluèrent pas de façon significative au début de la période impériale. Appien suggère que, lorsqu’ils avaient jeté leurs javelines, les Romains ne restaient pas en première ligne mais se retiraient immédiatement (εὐθύς) en arrière avant de renouveler l’attaque. Selon lui, ils chargeaient παρὰ μέρος, « à tour de rôle », « par groupes distincts ». Quand ils se retiraient (ἀποχωρεῖν 268 Cor., Ioh., I, 543-5 : Ille leui cursu praefixo hastilia ferro uibrat, et incuruo nec cessat flectere gyro cornipedem domitum. SPEIDEL (1996), 59, n. 14 identifie de façon erronée une attaque similaire dans Zon., XII, 24 (bataille entre Aureolus et Macrien en 261) : Καὶ προσμίξαντες αὐτοῖς ἐκύκλωσαν σφᾶς καί τινας ἀνεῖλον. Ici, l’auteur ne décrit rien de tel, mais évoque simplement une manœuvre d’encerclement : « Et alors qu’ils les engageaient, ils les encerclèrent et tuèrent certains d’entre eux. » Méprise similaire dans SPEIDEL (2004), 129 concernant les Chérusques, cf. Tac., Ann., II, 11, 2 : collectosque in orbem ne qualifie pas les combattants germains qui auraient chevauché en cercle pour jeter leurs traits, mais les cavaliers de Chariovalda qui adoptèrent une formation défensive (l’orbis) lorsqu’ils furent encerclés par leurs ennemis. 269 Ibid., XI, 16, 1 : armis equisque in patrium nostrumque morem exercitus.
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/ ἀποπηδᾶν / ἀπελαύνειν / ἀναχωρεῖν), les cavaliers « tournaient en formant comme un cercle » (ὥσπερ ἐν κύκλῳ περιόντας)270. L’image employée par l’historien grec, le fait que les cavaliers conservaient leur formation avant de décrocher par une manœuvre circulaire, rappellent fortement la tactique d’escarmouche des Pistolenreiter allemands du XVIe s. : la caracole271. Durant l’attaque, les cavaliers devaient se détacher en avant et tirer sur l’ennemi rang après rang. Lorsque le premier rang avait ouvert le feu, il se dégageait par la droite ou par la gauche, de façon à laisser le rang suivant agir de même272. Pour faciliter ces attaques successives, les rangs devaient être séparés par de larges intervalles273. Nous avons vu qu’Élien et Arrien recommandent la même chose pour leur ἑτερομήκης τάξις : l’escadron était selon eux idéalement déployés avec de triples écarts entre les rangs de soldats274. Dans ces circonstances, nous pouvons supposer que les javeliniers romains pratiquaient ordinairement une forme de caracole (fig. 35). Ils pouvaient d’abord lancer leurs projectiles en ligne droite pendant la charge, virer vers la droite en réalisant un xunêma ou même un petrinos, avant de se retirer vers l’arrière pour se rallier hors de portée de l’ennemi. Si celui-ci contrechargeait rapidement, la manœuvre était probablement trop longue à réaliser : le premier rang déchargeait ses traits puis faisait immédiatement demi-tour avec l’ensemble de l’escadron. L’avant-garde devenait l’arrière-garde et les cavaliers attachaient leurs boucliers dans leur dos pour se protéger contre les traits des poursuivants.
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App., Pun., 103 (149 av. J.-C.) ; Hisp., 88 (133 av. J.-C.). Cette comparaison a déjà été proposée par LAMMERT (1931), 56-8 (voir aussi ID. [1932]) et JUNKELMANN (1991), II, 129. 272 Pour une description de cette tactique, voir AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 308 (graphie et orthographe modernisées) : « Autrefois deux escadrons ennemis se chargeaient à coup de feu lorsqu’ils étaient à demi-carrière, et faisant ensuite des demi-tours à droite et à gauche, ils revenaient et chargeaient de même, jusqu’à ce que l’un d’eux fût rompu : quelquefois en ne faisant combattre qu’un seul rang, et ensuite les autres successivement ; ce qui se faisait ainsi : après que le premier rang avait fait sa décharge, il se rompait par le centre, et allait par un à droite et un à gauche prendre la queue de l’escadron, les autres rangs en faisaient autant chacun à leur tour. » Voir CHAUVIRÉ (2009), 524-8 et ann. 30. 273 Voir JUNKELMANN (1991), II, 131 : « Beim Schock muss in ziemlich dichten Linien mit kleinen Rottenabständen angeritten worden sein. Das war beim Caracolieren an sich nicht erforderlich, doch folgten hier mehrere Wellen rasch, aber ohne sich gegenseitig behindern zu dürfen, aufeinander, was recht tief gestaffelte Formationen bedingte. Sollte dabei kein heilloses Durcheinander entstehen, durften die einzelnen Linien auch hier nicht zu lose aufgestellt werden, da sie sonst den Zusammenhalt verloren hätten. » 274 Ael., Tact., 18, 7 ; Arr., Tact., 16, 12. 271
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C. L’armement et les modes de combat : diversification ou standardisation ? Les sources littéraires, émanant des couches supérieures de la société impériale, se concentrent sur l’art du commandement et privilégient la dimension tactique du combat. Elles ont tendance à reléguer au second plan les déterminants techniques, qui confèrent pourtant à la bataille son cadre matériel. La première question qui se pose concerne les filières de production et d’acquisition de l’armement. On suppose aujourd’hui que
Figure 35 – Reconstitution hypothétique d’une caracole romaine.
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plusieurs situations coexistaient au sein de l’armée du Principat275. Certains soldats pouvaient acquérir leur armement à titre privé, auprès de fabricants ou de commerçants qui n’étaient pas nécessairement liés à l’armée276. Ils en étaient propriétaires, comme le prouvent les inscriptions retrouvées sur certains artefacts277 ou le fait que de tels objets pouvaient servir de gages pour des prêts278. Mais d’autres témoignages montrent que dès l’époque républicaine, l’armée pouvait aussi louer des équipements aux soldats moyennant une déduction sur solde279. Ce procédé existait toujours sous le Haut-Empire280 et l’on ne sera pas surpris de constater qu’il concernait les cavaliers auxiliaires au même titre que les troupes légionnaires281. Les armes louées par l’État étaient probablement acquises par l’armée auprès de fournisseurs privés, mais il n’est pas impossible qu’elles aient été également fabriquées dans les ateliers (fabricae) qui se trouvaient dans certains camps282. Elles pouvaient enfin être prêtées par l’État temporairement, comme le révèle un ostracon égyptien283. Un courant actuel de la recherche, inspiré par la New Archeology, insiste sur la diversité des équipements utilisés par les soldats romains à l’époque impériale, ainsi que sur l’absence d’uniformisation à l’échelle LACHAPELLE (2015), 43-7. Sous le Haut-Empire, certaines grandes villes méditerranéennes continuent à produire des armes et à équiper des soldats, cf. e.g. Tac., Hist., II, 82, 1 ; Cass. Dio, LXIX, 12. 277 Cf. MACMULLEN (1960) ; BREEZE (1976) ; GARBSCH (1978), 33-4. C’est aussi ce que suggère l’inscription de Lambèse, dans laquelle l’empereur Hadrien, s’adressant à des equites cohortales, souligne que la splendeur des armes est proportionnelle à la solde du cavalier. Cf. CIL, VIII, 2532, fr. A a = LE BOHEC (2003), texte 7 ; SPEIDEL (2006a), champ 30 : armorum cultus pro stipendi(i) modo. 278 Voir par exemple le P. Vindob., L135 (25 août 27 ap. J.-C.) : L. Caecilius Secundus, eques de l’ala Paullini utilise son « casque argenté » (cassidem inargentam), ses « décorations argentées » (insigne inargentatum) et un « fourreau de poignard en argent et en ivoire » (uaginam pugionis argenteum subiecto eboreo) comme gages pour un prêt. 279 Plb., VI, 39, 15. 280 Tac., Ann., I, 17. 281 Voir P. Fay., 105 = ChLA, III, 208 = RMR, 73 (175 ap. J.-C.). Dans ce document dressant l’inventaire des sommes déposées par les soldats de l’ala ueterana Gallica au trésor de l’unité, on note un montant de 103 deniers retenu sur la solde d’un cavalier pour des armes. Cf. RMR, 73, fr. a2, l. 18 : armorum Dionysi (denarii) ciii. 282 Cf. BISHOP (1985) ; BISHOP & COULSTON (1989, 2006 2e éd.), 233-8. Certains spécialistes pensent que ces ateliers servaient principalement (ou uniquement) à l’entretien des équipements militaires (e.g. OLDENSTEIN [1985], 83-6 ; LE ROUX [1995], 411), mais un papyrus égyptien du IIe ou du IIIe s. préserve la trace d’une liste d’armes qui semblent bien avoir été produites par une fabrica légionnaire. Cf. ChLA, X, 409. 283 O. Krok., 94 : le tesson fait allusion à une guerre (probablement la guerre de Kitos de 115-117) lors de laquelle l’armée aurait prêté un bouclier à un cavalier de l’ala Vocontiorum. 275 276
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de l’Empire et au sein même des régiments284. Il est certain que les soldats jouissaient d’une grande liberté quant au choix de leur fournisseur. Mais doit-on pour autant considérer que l’État romain ne cherchait pas à imposer des normes valables pour l’ensemble des corps de troupes stationnés aux frontières ? Les témoignages apportés par Arrien et l’inscription de Lambèse montrent qu’il existait bien un armement réglementaire : si des exceptions étaient, de fait, tolérées, elles n’allaient pas dans le sens de l’idéal promu par les autorités de l’Empire. Il serait en effet difficile d’expliquer l’existence de constitutions impériales traitant de l’entraînement des troupes montées à l’échelle de l’Empire, tout en postulant que chaque soldat avait la possibilité de s’équiper à sa guise285. Cet équipement régulier est celui que décrit Flavius Josèphe dans sa présentation de l’ordre de marche de Vespasien en Judée : « Les cavaliers ont du côté droit une grande épée (μάχαιρα μακρά) et une longue lance (κοντὸς ἐπιμήκης) à la main ; un bouclier oblong (θυρεός) tenu obliquement sur le flanc du cheval ; et, enfermés dans un étui (γωρυτοῦ), sont suspendus trois javelots (ἄκοντες) ou davantage, à pointe large et à peine plus courts que des lances (δοράτων). Ils ont tous des casques (κράνη) et des cuirasses (θώρακες) tout comme les fantassins. Les armes du corps d’élite qui entoure le général ne présentent aucune différence avec celles des cavaliers qui servent dans les ailes. » (trad. A. Pelletier modifiée)286. 284 Cf. BISHOP & COULSTON (1989, 2006 2e éd.), 202 et HAYNES (2013), 245. Contra CHEESMAN (1914), 132 : « The most striking fact which emerges from this inquiry is the general uniformity of the equipment of nine-tenths of the auxiliary regiments in the second century. We learn from casual references in Tacitus that this uniformity had always been the ideal of the Roman War Office, and from the military point of view there was doubtless much to recommend it. » Si ce point de vue reflète peut-être le préjugé moderniste d’un auteur considérant l’empire britannique comme un nouvel empire romain, il correspond cependant, dans les grandes lignes, à la réalité que décrivent les sources techniques (en particulier Arrien et Végèce). 285 Voir en ce sens SPEIDEL (1994a), 109-10 et 147-8. 286 Jos., BJ, III, 96-7 : Τοῖς δὲ ἱππεῦσιν μάχαιρα μὲν ἐκ δεξιῶν μακρὰ καὶ κοντὸς ἐπιμήκης ἐν χειρί, θυρεὸς δὲ παρὰ πλευρὸν ἵππου πλάγιος, καὶ κατὰ γωρυτοῦ παρήρτηνται τρεῖς ἢ πλείους ἄκοντες, πλατεῖς μὲν αἰχμάς, οὐκ ἀποδέοντες δὲ δοράτων μέγεθος· κράνη δὲ καὶ θώρακες ὁμοίως τοῖς πεζοῖς ἅπασιν. Οὐδενὶ δὲ ὅπλων διαλλάττουσιν οἱ περὶ τὸν στρατηγὸν ἔκκριτοι τῶν ἐν ταῖς ἴλαις ἱππέων. L’utilisation de carquois servant à stocker les javelines trouve une confirmation iconographique possible dans un relief datant du début de l’époque julio-claudienne. Cf. CESARIK & ŠTRMELJ (2016), 235, fig. 3 (Imerix, cavalier batave de l’ala I Hispanorum) : l’étui est attaché à l’arrière de la selle du cavalier ; il semble suspendu à la croupière du cheval. Voir aussi D’AMATO & SUMNER (2009), 192, fig. 280 (terre cuite retrouvée à Alba Iulia). Si l’on se réfère aux exercices décrits par Arrien, il apparaît évident que les cavaliers devaient posséder ce type d’équipement pour pouvoir lancer jusqu’à 20 javelines. Voir HYLAND (1993), 142 et fig. p. 143. Contra LAWSON (1980), 181 qui suppose que les calones étaient chargés de tendre les projectiles aux cavaliers.
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Environ soixante-dix ans plus tard, Arrien donne des indications convergentes. Il assure que les cavaliers romains portaient une lance longue (κοντός), utilisée pour le choc, deux javelots (λόγχαι), de plus petite taille, qui pouvaient être lancés ou maniés de façon à donner des coups d’estoc, une épée longue (σπάθη), un bouclier oblong (θυρεός), un casque de fer (κράνος σιδηροῦν), une cuirasse de maille (θώρακα τὸν πεπλεγμένον), et de petites cnémides (κνημῖδας μικράς)287. Cette description, que l’auteur prend lui-même l’initiative d’insérer dans la typologie hellénistique des différents corps de service de la cavalerie, reflète certainement une norme imposée dans la plupart des unités impériales. Les choses sont en tout cas présentées comme telles par Arrien. L’iconographie et l’archéologie confirment cette image du cavalier impérial. La plupart des armes découvertes sur des sites militaires du HautEmpire correspondent grossièrement à la classification rencontrée chez les auxilia occidentaux de la fin de l’époque républicaine288. Seuls les casques évoluent de façon notable, avec l’apparition de nouveaux types plus couvrants et mieux adaptés à la physionomie du combat de cavalerie289. Outre cette cavalerie polyvalente, il est aussi question dans les sources de spécialistes de divers modes de combat. Arrien mentionne des 287 Arr., Tact., 4, 7-9 : « Pour leur part, les cavaliers Romains portent de longues lances, et chargent à la manière des Alains et des Sarmates ; ils ont aussi des javelines. Ils portent une longue et large épée suspendue à l’épaule, un large bouclier oblong, un casque de fer, une cuirasse de mailles et de petites cnémides. Ils portent deux javelines, qu’ils peuvent lancer à distance, si la situation le requiert, ou pour combattre de près dans la mêlée ; s’ils doivent engager un combat rapproché, ils combattent avec leurs épées. » (Ῥωμαίοις δὲ οἱ ἱππεῖς οἳ μὲν κοντοὺς φέρουσιν, καὶ ἐπελαύνουσιν ἐς τὸν τρόπον τὸν Ἀλανικὸν καὶ τῶν Σαυροματῶν, οἳ δὲ λόγχας ἔχουσι. Σπάθη δὲ μακρὰ καὶ πλατεῖα ἀπήρτηται αὐτοῖς ἀπὸ τῶν ὤμων, καὶ θυρεοὺς πλατεῖς παραμήκεις φέρουσιν καὶ κράνος σιδηροῦν καὶ θώρακα τὸν πεπλεγμένον καὶ κνημῖδας μικράς. Λόγχας δὲ ἐς ἀμφότερα φέρουσι, καὶ ἀκοντίσαι μακρόθεν, ὁπότε τούτου δέοι, καὶ ἐγγύθεν ἐκ χειρὸς ἀπομάχεσθαι, συμπλακῆναί τε εἰ δεήσειεν εἰς χεῖρας ἐλθόντας, ταῖς σπάθαις μάχονται). 288 BISHOP (1988), 67-84 ; BISHOP & COULSTON (1989, 2006 2e éd.), 76-83 et 120-3 ; JUNKELMANN (1992), III, kap. ii. Pour l’iconographie, se référer aux stèles publiées par M. Schleiermacher (SCHLEIERMACHER [1984]). 289 Il s’agit des types « Weiler » et « Guisborough ». Les casques de type Weiler, bien connus grâce aux exemplaires de Newstead et de Xanten, ne sont attestés qu’au Ier s. À la différence des casques d’infanterie de l’époque, leurs paragnathides couvrent complètement les oreilles du cavalier. La calotte s’étend à l’arrière du crâne jusqu’à la base du cou et comprend un garde-nuque formant un angle. Les casques de type Guisborough sont introduits vers le milieu du Ier s. et continuent d’être utilisés jusqu’au IIIe s. Leur forme générale ressemble à celle des casques attiques. Comme pour le type Weiler, les paragnathides recouvrent complètement les oreilles, mais le garde-nuque est plus petit. Ce sont souvent des casques richement décorés. Cf. STEPHENSON (2003), chap. 3.
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cavaliers munis « de petites haches dont le fer est cerclé de pointes » (littéralement, « de petites haches portant des pointes de toutes parts ») : probablement des masses d’armes, qu’il n’est possible d’utiliser que dans la mêlée290. Surtout, l’armée romaine du Haut-Empire comprend de nombreux archers montés, munis d’arcs composites précontraints proches des modèles orientaux utilisés à la même époque par les nomades d’Asie centrale et par les Parthes291. Ceux-ci ne servent plus seulement dans des unités alliées, recrutées de façon temporaire, mais aussi dans des unités régulières et permanentes. Ces formations sont parfois identifiées par l’accolement du génitif sagittariorum dans les inscriptions et les diplômes militaires. D’après une étude récente, on en dénombrerait 29 (10 ailes et 19 cohortes montées) sous le Principat : elles sont souvent d’origine orientale et plus particulièrement syrienne292. Il serait cependant inexact 290 Arr., Tact., 4, 9 : Οἳ δὲ καὶ πελέκεις μικροὺς φέρουσι πάντοθεν ἐν κύκλῳ ἀκωκὰς ἔχοντας. Nous retrouvons ces πελεκοφόροι (« porteurs de haches ») dans Arr., Acies, 21 et 31. Un exemplaire de masse correspondant à la description d’Arrien a été livré par les fouilles de Doura Europos : cf. JAMES (2004), 188, n° 647. 291 À en juger les plaques en os et en bois de cerf qui ont été retrouvées dans certains contextes archéologiques impériaux : cf. COULSTON (1985), 222 et 239-40. Voir également RENOUX (2006), I, 63-81 et URECHE (2013). Ces pièces, découvertes en nombre important dans les camps romains (jusque dans la province de Bretagne !), sont attestées dès l’époque augustéenne. À la différence de l’arc découvert à Yrzi, les arcs composites romains sont le plus souvent munis de poignées renforcées, ce qui les rapproche davantage des types sassanides et hunniques plus tardifs (cf. JUNKELMANN [1992], III, 163-5 ; les plaques en os de l’arc d’Yrzi servent uniquement de bras de levier / siyah). 292 RENOUX (2006), I, 33-7 et tab. 1 (sur la base de ZANIER [1988], 26-7, liste 3 ; voir également DAVIES [1977], 269-70 et MCALLISTER [1993], app. 1). Pour les ailes : l’ala I Batauorum mil. sag. (?) ; l’ala Celerum sag. (?) ; l’ala I Hamiorum syrorum sag. ; l’ala I Augusta Ituraeorum sag. ; l’ala Parthorum sag. ; l’ala I Augusta Parthorum et Araborum sag. (?) ; l’ala Scubulorum sag. (?) ; l’ala I Surorum sag. (?) ; l’ala I Thracum uet. sag. ; l’ala III Augusta Thracum sag. c.R. Pour les cohortes equitatae : la coh. I Aelia sag. mil. eq. ; la coh. I Apamenorum eq. sag. ; la coh. I Ascalonitarum eq. sag. ; la coh. I Flauia Chalcidenorum eq. sag. ; la coh. I Chalcidenorum sag. eq. ; la coh. I Cilicum mil. eq. sag. ; la coh. II Flauia Commagenorum eq. sag. ; la coh. III Augusta Cyrenaica eq. sag. ; la coh. I Flauia Damascenorum mil. eq. sag. ; la coh. I mil. Hemesenorum c.R. sag. eq. ; la coh. I Ituraeorum sag. eq. mil. (?) ; la coh. XX Palmyrenorum mil. eq. sag. ; la coh. III Ulpia Petraeorum mil. eq. sag. ; la coh. I sag. mil. eq. ; la coh. I Aelia Caes. mil. sag. eq. ; la coh. I Ulpia eq. sag. ; la coh. II Syrorum sag. eq. mil. ; la coh. III Thracum Syriaca eq. sag. (?) ; la coh. II Ulpia eq. c. R. sag. Cet inventaire n’est pas exempt de défauts. G. Renoux estime en effet que certaines unités (notamment l’ala Celerum et l’ala Scubulorum) peuvent être considérées comme des alae sagittariorum au prétexte qu’un de leurs membres se fait représenter avec un arc sur une stèle ou se décrit comme archer dans une inscription. Cela revient à nier que des archers pouvaient servir dans des unités qui ne disposaient pas officiellement de ce titre (cf. infra). Il convient également d’écarter l’ala I Batauorum de cette liste : l’inscription CIL, III, 3676 qui est généralement avancée comme preuve depuis BANG (1906), 38-9 concerne un soldat de la garde impériale (cf. SPEIDEL [1994a], 46 et 174, n. 56 ; ID. [2005a], 73-80).
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de considérer que tous les equites sagittarii de l’Empire officiaient dans ces corps de troupes. Les unités « ordinaires » en comptaient aussi dans leurs rangs, comme l’indiquent plusieurs témoignages293 : 1. Des soldats appartenant à des régiments auxiliaires ne portant pas l’épithète sagittariorum se font parfois représenter sur leurs monuments funéraires en archers294, ou se décrivent comme tels dans des inscriptions295. 2. Végèce dit très clairement, dans un chapitre à forte tonalité antiquaire, que les décurions devaient être capables de manier adroitement le contus comme de tirer des flèches de manière experte (conto scienter uti, sagittas doctissime mittere)296. 3. Une inscription d’Intercisa nous fait connaître un centurion qui servait dans la cohors Hemesenorum sagittaria equitata et est passé exercitator equitum dans la IIe légion Adiutrix297. 4. Dans sa description des hippika gumnasia, Arrien mentionne des exercices de tir à l’arc sans préciser à aucun moment que ces épreuves étaient réservées à certaines unités298. 5. Des pointes de flèches et des raidisseurs d’arcs composites ont été retrouvés dans de nombreuses garnisons qui ne sont pourtant pas associées à des unités sagittariae299. 6. Il semble en outre que les régiments dits « de sagittarii » n’aient pas été constitués uniquement de missiliers. Dans son Ordre de bataille contre les Alains, Arrien désigne certains soldats des cohortes I Bosporanorum mil. eq. sag., I Numidarum sag. eq. et III Augusta Cyrenaica eq. sag. comme des « hoplites »300.
293 Voir sur ce point DAVIES (1977), 265-6 ; COULSTON (1985), 282 ; JUNKELMANN (1992), III, 149. 294 Voir la stèle de Ti. Iulius Rufus, eques de l’ala Scubulorum, AE, 1906, 111 = AE, 1909, 198 (Scarbantia / Walbersdorf ; règne de Néron) : le relief montre un archer monté criblant de flèches un ennemi barbare (cf. SCHOBER [1923], 191). Voir également la pierre funéraire de l’eques singularis Augusti Flavius Proclus, AE, 1962, 289 = Denkm., 684 (Mogontiacum / Mayence ; seconde moitié du Ier s. ?) : le garde impérial est représenté à cheval, en train de tendre un arc (CSIR, II, 5, 36). 295 L’épitaphe laissée par un soldat de la garde batave de l’empereur, à l’été 118 (CIL, III, 3676 = ILS, 2558) relate l’exploit de ce personnage : il se vante d’avoir traversé le Danube à la nage en équipement complet et tiré une flèche qu’il aurait brisée en cours de vol en décochant un deuxième trait. Sur les equites singulares Augusti, voir également CIL, VI, 31150 = Denkm., 14 (Rome), qui pourrait mentionner un poste de campidoctor sagittariorum (abrégé CDS) à l’époque d’Antonin le Pieux. 296 Veg., Mil., II, 14, 7. 297 RIU, V, 1155. Le fait que cet individu ait servi dans une unité de sagittarii avant de devenir exercitator equitum dans la IIe légion Adiutrix suggère que ses talents d’archer étaient appréciés pour la formation des equites legionis. Sur la pratique de l’archerie dans les légions, y compris par les cavaliers, cf. Veg., Mil., I, 15. 298 Arr., Tact., 43, 1 et 44, 1. 299 DAVIES (1977), 265 ; COULSTON (1985), 224-34 et 282-3 ; ZANIER (1988), 11-2 et 18-23. 300 Arr., Acies, 3-4 et 14. Voir RUSCU (1996), 214, 216 et 224-5. COULSTON (1985), 285 et MCALLISTER (1993), chap. 3 estiment en outre que les unités d’archers étaient entraînées au maniement d’armes telles que les lances, les javelines ou les frondes, au même titre que les autres corps de troupes de l’Empire.
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Nous pouvons donc conclure que la plupart des unités de cavalerie intégraient des combattants spécialisés et que cette présence n’était pas réservée à certaines formations « orientales ». La particularité des alae et cohortes sagittariorum était peut-être qu’elles accueillaient en leur sein un contingent substantiel d’archers spécialisés, mais celui-ci ne représentait pas nécessairement la totalité de l’effectif des combattants. Comment ces spécialistes se répartissaient-ils dans les unités ordinaires ? Tous les soldats étaient apparemment formés aux techniques de combat mentionnées par Arrien dans son traité de tactique et par Hadrien dans l’inscription de Lambèse. Mais il semble que certains d’entre eux pouvaient former des sous-groupes de combattants au sein d’un même corps de troupes. C’est en ce sens qu’il convient d’interpréter le texte d’une tablette découverte dans le fort de Carlisle. Dans cette lettre, un décurion de l’ala I Gallorum Sebosiana réclame au préfet de son unité de nouvelles armes : le document révèle l’existence d’un contingent de lanciarii au sein de l’aile301. Si l’auteur du texte prend la peine de les désigner comme tels et non comme de simples equites, c’est que ces porteurs de lanciae se distinguaient d’autres cavaliers, rattachés à la 301 Tab. Luguval., 16 = AE, 1998, 839a (cf. TOMLIN [1998], 55-63) : Docilis Augurino praefecto / suo salu[tem]. / Ita ut praecepisti lanciar(i)or[um] / quibus lanciae deessent om/nia nomina subiecimus, aut // qui lancias pugnatorias aut / qui minores subarmales aut / qui gladia [i]nst[i]tuta non / hab[e]bant. Turma [s]enio[r]is / G[e]nialis : [Ve]r[e]cundus lanciam / [pu]g[n]at[o]riam [item] subarmales duas. // [T]urm[a] A[l]bini : [---] / [---]rma[---] / [------] / [-]arda[---]. / Turma [ // D[o]cca subarmales duas. Turma / [Do]ci[li]s : Pastor subarmales du[as], / Felicio lanciam [pug]natoriam. / Turma Sollemnis : [---]atus / lanciam pugnatoriam item subar/males duas. Turma Mansueti : / [---]s lanciam pugnatoriam, / Victorinus [---]rae lanciam / pugnatoriam. Turma Martialis : / [---]so lanciam pugnatoriam. / Turma Genialis : Festus subar/males duas, Maior subarmales / [d]uas // suba]rma[le]s / [--- lanciam pugna]toriam. / Tur/ma Victoris : [---] / [------] / bene ualeas [Augu]r[i]ne / cum [tu]is d[o]mine. SPEIDEL (2007a) démontré que les subarmales ne sont pas de petits javelots comme le pensait Tomlin (suivi par COLOMBO [2011], 163), mais des doublures portées sous la cuirasse, une sorte de gambison. Il existait deux types de subarmales, les unes légères et en feutre (subarmales minores), les autres imperméables et en cuir. On peut se demander pourquoi l’auteur du texte a jugé nécessaire de préciser que les lanciae sont des armes « de combat » (pugnatoriae). Deux hypothèses nous semblent envisageables : 1. Les lanciae pugnatoriae correspondraient aux lances médianes généralement représentées sur les stèles de cavaliers (le κοντός de Josèphe et Arrien) ; elles s’opposeraient aux lanciae ordinaires qui étaient les javelines employées par les troupes montées (ἄκοντες chez Josèphe ; λόγχαι chez Arrien). On soulignera alors que le latin pugna connote le plus souvent un combat rapproché et est fréquemment associé au champ sémantique de la mêlée ou des activités pugilistiques (BRACHET [1999], 286). 2. L’épithète pugnatoria permettrait de distinguer les véritables lanciae « de combat » des lanciae utilisées pour l’entraînement – celles dont Arrien nous dit qu’elles n’avaient pas de pointe de fer (Arr., Tact., 34, 8 et 42, 4 ; voir dans un contexte similaire Suet., Cal., 54, 1 : pugnatoriis armis). Cette deuxième proposition, fondée sur une interprétation littérale, nous semble préférable.
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même troupe mais armés de manière différente. Ces soldats ne sont pas mentionnés dans le document, mais il est intéressant de noter que les lanciarii se rencontrent dans plusieurs turmes (au moins dix). La spécialisation ne s’opérait donc pas au niveau des escadrons : chaque turme comprenait des spécialistes de différents modes de combat – lanciers, javeliniers, archers montés302… Cette observation pose de lourds problèmes d’interprétation concernant le fonctionnement tactique des unités – problèmes que nous ne pouvons résoudre en l’état actuel de la documentation303. Mais elle nous semble confirmée par une stèle de Maurétanie Césarienne, qui révèle la présence d’un contarius dans une unité ordinaire levée en Germanie inférieure304. Les techniques militaires équestres n’ont pas profondément changé au cours des deux premiers siècles de notre ère. La consolidation des structures permanentes de l’armée, les mouvements de troupes à travers l’Empire et l’imposition d’exercices réglementaires ont surtout permis au mode de combat caractéristique des cavaleries européennes (notamment celtiques et thraces) d’acquérir valeur de norme dans l’ensemble du bassin méditerranéen. Les sources du Haut-Empire accordent une attention très importante au lancer de javelot (iaculatio / ἀκοντισμός) : Pline l’Ancien lui aurait consacré un traité entier, malheureusement perdu305, et nombre d’empereurs se vantaient d’exceller dans cette pratique martiale306. Le 302 Végèce écrit pourtant que lors de l’ambulatio, les cavaliers étaient diuisi per turmas armatique similiter (cf. supra, n. 231). Cette contradiction apparente s’explique facilement si l’on considère que des unités comme la cohors XX Palmyrenorum mil. sag. eq. ne détachaient pas des turmes entières ad ambulationem, mais seulement des soldats prélevés dans plusieurs sous-unités : ce panachage permettait peut-être de regrouper les spécialistes d’un mode de combat particulier pour leur permettre de s’exercer ensemble, en formant de nouvelles turmes ad hoc. SPEIDEL (2002), 132, pense que dans l’infanterie légionnaire, les spécialistes des différents modes de combat se retrouvaient également dans toutes les centuries. Les inscriptions de Lambèse, mentionnant à l’entrée des baraques du « grand camp » des arma antesignana et des arma postsignana, suggèrent potentiellement une spécialisation par contubernium. Cf. LE BOHEC (1989a), 188 et n. 31. 303 Faut-il imaginer que des soldats armés de manières différentes formaient les rangs successifs de l’escadron – les lanciers le premier, les missiliers les rangs postérieurs – comme dans le Stratêgikon (cf. infra, p. 647 et s.) ? 304 Il s’agit de l’ala I Cannanefatium, cf. SPEIDEL (1987b), 63, fig. 3. Le cas de ce soldat n’est pas isolé : une stèle anépigraphique retrouvée à Gerulata montre un cavalier muni d’une lance imposante (ibid., 63, fig. 4). M.P. Speidel suppose qu’il s’agit d’un membre de l’aile des Canninéfates, qui stationnait dans ce camp, et souligne qu’un officier subalterne de cette même unité portait le cognomen Contarius (AE, 1972, 447). Sur cette aile de cavalerie, cf. SPAUL (1994), 77-9. 305 Cf. supra, p. 195, n. 50. 306 Plin., Pan., 13, 1-2 ; HA, Hadr., 26, 2-3. La chasse apparaît notamment comme une propédeutique idéale au maniement du javelot à cheval. À partir de la fin du Ier s. ap.
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Figure 36 - Reconstitution de selle à cornes réalisée par P. Connolly. Source : CONNOLLY & VAN DRIEL MURRAY (1991), Pl. VI, A. Reproduced with permission.
maniement de ces armes de jet a certainement été facilité par l’adoption généralisée de la selle « à cornes », à laquelle la plupart des études modernes attribuent une origine celtique (fig. 36)307. Pour lancer un javelot avec beaucoup de puissance, il fallait en effet disposer d’une assiette stable, se dresser sur son bassin et coordonner son mouvement avec celui du cheval308. Munie de quatre saillies situées à l’avant et à l’arrière du J.-C., elle devient un élément de plus en plus visible dans la mise en scène de l’éthos martial impérial : cf. LE ROUX (2009). 307 CONNOLLY (1987) ; HYLAND (1990), 130-44 ; CONNOLLY & VAN DRIEL MURRAY (1991) ; JUNKELMANN (1992), III, 34-74 ; FEUGÈRE (1993), 175-9. En Europe, la plus ancienne représentation de selle à cornes apparaît vers 40 av. J.-C., sur une frise du mausolée des Iulii à Glanum : BISHOP (1988), 87, fig. 19. Des éléments ayant appartenu à ce type d’accessoire hippique (fragments de housse en cuir, renforts en bronze) ont été retrouvés sur certains sites militaires du Haut-Empire. On ignore si l’arçon de la selle était en bois ou si son enveloppe en cuir était rembourrée de plume ou de laine. Une lettre de Fronton milite plutôt en faveur de la seconde hypothèse (Ad. V., II, 19 : equos puluillis animaduertet, iussu eius cornicula consecta, a sedilibus equitum pluma quasi anseribus deuolsa), mais les deux méthodes de fabrication ont certainement coexisté. Des selles semi-rigides avaient déjà été adoptées par les nomades de la steppe eurasiatique bien avant les Grecs et les Romains, comme l’illustrent les exemplaires découverts à Zaghunluq (VIIIe s. av. J.-C.) et Pazyryk (Ve-IIIe s. av. J.-C.). Cf. LINDUFF & OLSEN (2011) ; RUDENKO (1970), 129-32, Pl. 1-2 308 Voir les observations pratiques de HYLAND (1993), 172. Arr., Tact., 38, 3 insiste sur le fait que les cavaliers pratiquant le lancer de javeline lors des entraînements doivent
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siège, la selle romano-celtique permettait au soldat de stabiliser ses mouvements lors de cette opération et représentait un atout important en l’absence d’étriers. On estime qu’un cavalier romain était capable d’atteindre une cible à une distance de 25-30 mètres309. Mais les tirs les plus efficaces étaient effectués dans un rayon d’une dizaine de mètres, ce qui laisse penser que la plupart du temps, les cavaliers lançaient leurs traits à proximité de l’ennemi, à la manière des reîtres du XVIe s. qui tiraient « à brûle pourpoint »310. La selle à cornes était aussi d’une grande utilité pour le combat de mêlée, que ce soit à l’épée ou à la lance. Comme le souligne Ann Hyland, cet accessoire permettait au cavalier de se pencher facilement sur les côtés pour délivrer des coups de taille sans prendre le risque de tomber, ce qui devait être un réel problème lorsqu’on montait à cru ou sur un simple tapis de selle311. C’est aussi probablement grâce à ce type de selle qu’un cavalier auxiliaire de l’armée de Titus, un certain Pedanius, parvint à saisir un ennemi par la cheville, « en se penchant de tout son corps sur son cheval au galop », comme le rapporte Flavius Josèphe lors du siège de Jérusalem312. La selle à armature solide facilitait en outre la tactique de choc des lanciers, comme le montrent les expérimentations conduites par Peter Connolly et Karol van Driel-Murray : « … the large horned type which locks the rider into the saddle may have been used for shock tactics, by the contarii for example. The large horned type is very similar to the medieval jousting saddle, but without the enclosed back. The enclosed back of the medieval saddle enabled the rider to lock himself into the saddle by bracing his legs, forcing his feet down into the stirrups and jamming his rump against the back board. Having no stirrups, the Roman cavalryman did not need a backboard, the rear horns being adequate to stop him sliding backwards. »313. se tenir droit sur leur selle : ἥ τε καθέδρα ἡ ἐπὶ τοῦ ἵππου αὐτοῦ τοῦ ἱππέως ἀεὶ εὐσχήμων καὶ ὀρθὴ ἐν τῷ ἀκροβολισμῷ σῴζεται. 309 VIGNERON (1968), I, 254, n. 2 ; JUNKELMANN (1992), 140. 310 Cf. AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 260. 311 HYLAND (1993), 157. 312 Jos., BJ, VI, 161-3. Voir les observations de HYLAND (1990), 167. 313 CONNOLLY & VAN DRIEL-MURRAY (1991), 45. MIELCZAREK (1993), 81-2 confirme ces observations et souligne que les cavaliers lourds représentés sur les reliefs rupestres de Firuzabad emploient des selles similaires. Ces exemples montrent que l’absence d’étriers ne condamnait pas les cavaliers romains à n’agir que comme tirailleurs, comme le supposait jadis le commandant Lefebvre de Noëttes : cf. LEFEBVRE DE NOËTTES (1931), 203 (cavalerie perse), 208-9 (cavalerie d’Alexandre), 219-20 (cavalerie romaine et africaine), 228-9 (cavalerie romaine). Réfuté par VIGNERON (1968), I, 238-40 (voir aussi JUNKELMANN [1991], II, 130-1), l’argumentaire de l’officier français n’en a pas moins influencé l’historiographie postérieure. Des travaux plus récents continuent de colporter
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Arrien rend grâce à Hadrien d’avoir fait adopter à ses armées la pratique des charges et des contre-charges des κοντοφόροι sarmates314. Le mode de combat des nomades iranophones consistait à brandir la lance à deux mains, sans bouclier315. Il dispensait le cavalier de saisir la pique en son point d’équilibre et annulait donc l’ancien déficit de portée lié au mode de préhension de la lance à une main. Deux principales modalités lui sont attachées dans les sources. Le fer de lance pouvait être dirigé vers la gauche, de manière à atteindre une cible située au même niveau. La hampe était alors appuyée contre le genou droit316 et passait au-dessus de l’encolure du cheval317. L’autre méthode consistait à maintenir l’arme le long du flanc droit du cheval et permettait de heurter un adversaire au sol318. Quoi qu’en dise Arrien, Hadrien ne fut pas le premier empereur à s’intéresser à cette technique de combat. Trajan l’avait devancé puisqu’il créa sous son règne la première unité de contarii de l’armée romaine : l’ala I Ulpia contariorum miliaria319. La documentation épigraphique ne une vision relativement négative de la cavalerie romaine et de ses limitations techniques : e.g. CAGNIART (1992), 80-4. 314 Arr., Tact., 44, 1 : « L’empereur a en plus préconisé d’entraîner [les cavaliers] à des [manœuvres] barbares, […] telles que les conversions et les contrecharges des lanciers sarmates et celtes [germains ?], dans lesquelles les cavaliers chargent à tour de rôle » (βασιλεὺς δὲ προσεξεῦρεν καὶ τὰ βαρβαρικὰ ἐκμελετᾶν αὐτούς, […] ὅσας οἱ Σαυροματῶν ἢ Κελτῶν κοντοφόροι ἐπιστροφάς τε καὶ ἀποστροφάς, τῶν ἱππέων ἐν μέρει ἐπελαυνόντων). 315 Sur cette escrime particulière, voir MIELCZAREK (1993), 44-6 ; JUNKELMANN (1992), III, 144-6 ; PEREVALOV (1998) et (2002) ; LEBEDYNSKY (2002, 2014 2e éd.), 258-60. La longueur des lances sarmato-alaines est habituellement estimée à environ 4 m. JUNKELMANN (1992), III, 146 pense qu’elle ne pouvait dépasser les 4,5 m pour des raisons pratiques : « Der praktische Versuch zeigt jedoch, dass eine so lange und schere Waffe in dieser Weise nicht mehr dirigiert werden kann. Meiner Erfahrung nach liegt die Höchstgrenze der für diese Einsatzweise in Frage kommenden Lanzenlänge bei 4,5 m, also bei der maximalen Länge eines contus. Will man eine noch längere Waffe benutzen, muss man den Schaft im Scherpunkt ergreifen und die Reichweite dadurch fast um die Hälfte verringern, dafür behält man die linke Hand frei. » Sur l’origine des contophores, cf. PETITJEAN (2018), 31-2. 316 Sil., Pun., XV, 684 : sustentata genu per campum pondera conti. Val. Fl., VI, 236 : fert abies obnixa genu uaditque uirum ui. 317 MIELCZAREK (1993), 45. Les scènes sassanides de duels de cavalerie fournissent la plus belle illustration de cette méthode : cf. ibid., 125-7, fig. 10-1. JUNKELMANN (1992), III, 145 précise à son propos : « Der Stoss wurde gewöhnlich mit beiden Händen von der Hüfte aus geführt und sollte die ganze Wucht des anrennenden Pferdes ausnützen. » Il s’agissait donc d’une véritable escrime de choc, fondée sur le principe du « projectile homme-cheval ». 318 Contexte parthe : relief de Bisotun (MIELCZAREK [1993], fig. 8) ; terre cuite du British Museum (ibid., fig. 13). Contexte sarmate : fresques de Kertch (ibid., fig. 22-4) ; vase de Kosika (PEREVALOV [2002], fig. 2). 319 L’ala I Ulpia contariorum miliaria apparaît pour la première fois dans un diplôme militaire daté de 112 (AE, 1997, 1782). Elle séjourne en Pannonie supérieure durant la
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Figure 37 – Stèle du cavalier Adiutor, Tipasa. Crédits : © Livius.org | Jona Lendering.
mentionne aucune autre unité de ce type et il est difficile de savoir quelle était l’importance de ce mode de combat au sein de la cavalerie romaine. En tout cas, les rares stèles figurant des contarii impériaux ne montrent pas la lance démesurément longue que l’on peut apercevoir sur les représentations sarmato-bosporitaines, mais une arme de dimension plus modeste (fig. 37)320.
majeure partie du IIe s. Sa garnison se trouve alors à Arrabona (actuel Győr, Hongrie), où une série d’autels et de stèles funéraires la mentionnent jusqu’au milieu du IIIe s. Comme la plupart des unités danubiennes portant le surnom Ulpia, il est possible que cette aile ait été levée par Trajan dans la perspective des guerres daciques. Cf. HOLDER (2006), 154. 320 Les stèles de Maurétanie Césarienne montrent plutôt une lance n’excédant pas les deux mètres de long : cf. SPEIDEL (1987b), 63, fig. 3. J.W. Eadie a cru reconnaître des contarii sur le trophée d’Adamclissi, dont les métopes présentent à plusieurs reprises des lanciers vêtus de cottes de mailles : EADIE (1967), 166 (suivi par MIELCZAREK [1993], 81). Une telle identification paraît tout à fait arbitraire. La longueur des lances représentées sur le trophée n’a rien d’exceptionnel et il serait bien difficile d’y voir le long contus décrit à la même époque par les poètes de la cour impériale ; ces armes sont d’ailleurs tenues à une main par leur propriétaire, le bras gauche étant sollicité par le bouclier.
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CONCLUSION : CONSERVATISME,
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INNOVATIONS
ET ADAPTATIONS TACTIQUES
Une conception répandue veut que les cadres de l’armée impériale et les écrivains des premiers siècles de notre ère aient promu une culture militaire conservatrice, tournée vers l’imitation des grands modèles issus de la littérature grecque321. Pourtant, l’armée professionnelle du Principat apparaît à bien des égards comme une entité sui generis, fruit d’expériences et d’innovations successives : les auteurs grecs tels qu’Aelius Aristide ou Cassius Dion partageaient la conviction qu’elle incarnait un modèle nouveau, sans véritable précédent dans l’histoire des grands empires qui se disputaient l’hégémonie du monde depuis l’époque assyrienne. La publication de manuels tactiques héllénisants durant la période ne doit pas induire en erreur : il existait une documentation technique de tradition romaine dont seuls quelques fragments nous sont parvenus et qui manifestait une véritable originalité par rapport aux classiques grecs antérieurs322. De ce point de vue, il nous semble difficile de souscrire aux thèses de Paul Vigneron qui, dans sa monographie sur le cheval dans l’Antiquité, estime que les Romains étaient devenus incapables d’innover, et que cela les détourna de la seule solution à même de garantir leur suprématie future : renoncer au primat tactique de l’infanterie lourde au profit d’un modèle fondé sur une utilisation quasi exclusive de la cavalerie323. Les structures sociales et économiques de l’Empire ne se prêtaient guère à l’imitation de ce modèle d’origine steppique, et les dirigeants romains n’avaient pas la volonté d’engager une telle reconversion de leur outil militaire puisque de simples ajustements tactiques étaient jugés suffisants pour rivaliser avec les cavaleries danubiennes et 321 LENDON (2005), chap. xi et xii. Voir en sens inverse le compte rendu critique de G. Brizzi, qui insiste sur les capacités techniques nouvelles de l’armée impériale au IIe s. : BRIZZI (2008). 322 Contre l’opinion exprimée par VIGNERON (1968), I, 306, pour qui « Arrien ne fait que résumer sèchement de vieux manuels militaires grecs ». Dans le même sens, voir BUSETTO (2015), 148 : « Despite their thematic uniqueness, chapters 33-44 actually show several Xenophontean echoes, which could be easily explained in light of the admiration for Xenophon always shown by Arrian. » Ces ressemblances nous apparaissent tout sauf évidentes, pour ce qui concerne en tout cas le contenu technique des exercices décrits par Arrien. 323 VIGNERON (1968), I, 304-6. L’auteur estime qu’à partir de la fin du Ier s. ap. J.-C., « la pensée militaire entre dans une inquiétante léthargie ». Il fustige l’incapacité des Romains à utiliser, de concert, cavalerie lourde et archers à cheval. Sur l’idée (constestable) selon laquelle la « tactique à l’iranienne » constituerait un point d’achèvement de l’art militaire dans l’Antiquité, voir aussi TARN (1930), 72.
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orientales324. Parmi ces adaptations, l’intégration de contingents réguliers d’archers montés au sein des armées provinciales a certainement joué un rôle majeur325. Caractérisée par une plus grande polyvalence, l’armée romaine pouvait ainsi prendre le meilleur sur les barbari equites, ce qu’illustrent bien les exemples des campagnes de 58 contre les Parthes et de 69 contre les Sarmates326. On notera en marge de cette réflexion que la mise en place de formations de cavalerie lourde n’a nullement constitué la « réponse » de Rome à la menace des puissances orientales, ainsi que le supposait John. W. Eadie dans une étude célèbre publiée en 1967327. Avant le IIIe s., nous ne connaissons qu’une seule unité de ce type, l’ala I Gallorum et Pannoniorum catafractata. Une inscription honorifique datée du début du règne d’Antonin le Pieux signale qu’un certain M. Maenius Agrippa en exerça le commandement, probablement aux alentours de l’année 130328. 324 Il existait d’ailleurs tout un discours sur les faiblesses des armées parthes, dont nous retrouvons des échos dans les œuvres de Trogue Pompée, de Cassius Dion et de Jean le Lydien : Justin, XLI, 2, 7-8 (Comminus in acie proeliari aut obsessas expugnare urbes nesciunt. […] Nec pugnare diu possunt ; ceterum intolerandi forent, si quanta his est impetus uis, tanta et perseuerantia esset) ; Cass. Dio, XL, 15, 6 (πολεμῆσαι δέ τισιν ἀπαυστὶ καὶ διαρκῶς οὐ δύνανται) ; Jean Lyd., De mag., III, 33-4 (notamment 34, 3-5 : Δῆλον γὰρ ὡς οὐχ ὡρισμένα οὐδὲ εὐτρεπῆ στρατεύματα τρέφουσιν οἱ Πέρσαι, ὡς ἑτοίμους εἶναι πρὸς τὰς μάχας, ὥσπερ οἱ Ῥωμαῖοι. Χρόνου δεῖ τοίνυν αὐτοῖς εἰς παρασκευὴ στρατοῦ καὶ δαπάνης ἀποχρώσης τῷ πολέμῳ· ὥστε ἁρμόδιόν φησιν ὁ Κέλσος ἀδοκήτως αὐτοῖς ἐπελθεῖν, καὶ μάλιστα διὰ τῆς Κολχίδος τὰ προοίμια τῆς ἐφόδου λαμβανούσης). Voir aussi Hdn, III, 4, 8. 325 Voir KENNEDY (1996b), 87 : « In the East, a great weakness of both Crassus and Antony was in cavalry. They needed mounted archers and light and armoured horsemen in adequate numbers to counter the Parthian strengths but had only limited numbers, many drawn from unreliable allies. Change came slowly. First came the creation of a permanent Roman auxilia, broadly equal in numbers to the legions and offering a wider range of skills as light infantry, archers and cavalry. Next as Rome absorbed a succession of states, the royal armies of Commagene, Emesa, Judaea, and Nabataea were often redeployed, providing the cavalry and mounted archers which Roman armies traditionally lacked. » À ce titre, ZANIER (1988), 9-11 (Abb. 4) souligne que la distribution des unités de sagittarii dans l’Empire obéissait peut-être à des considérations tactiques : « Diese Spezieltruppen wurden oft in Kriegsgebiete abkommandiert. Meist waren sie dort stationiert, wo die Eigenart der römischen Gegner der den Einsatz dieser Waffengattung erforderte. Die Verteilung der römischen sagittarii Einheiten zeigt, dass sie vor allem gegen Reitervölker und Bogenschützen eingesetzt wurden. » Voir également GABBA (1974), 35-6, COULSTON (1985), 295-8 et BRECCIA (2004), 83-93, qui développent des conclusions similaires. 326 Cf. supra, p. 252-5. 327 EADIE (1967), 167 (qui parle de « major cavalry innovation »). 328 CIL, XI, 5632 = ILS, 2735 (Camerino). Sur cette unité, cf. WAGNER (1938), 38-9 ; EADIE (1967), 167-8 ; MIELCZAREK (1993), 73-4 ; SPAUL (1994), 82‐4 ; MATEI-POPESCU (2010), 185-6 ; SORIA MOLINA (2011), 90-7 ; ACRUDOAE (2012b). Contrairement à ce qu’avance M. Mielczarek, il s’agissait certainement d’une formation quingénaire : pour l’heure, aucun document ne lui attribue la qualité d’ala miliaria et l’on notera que Maenius
LA DOCTRINE D’EMPLOI DE LA CAVALERIE IMPÉRIALE
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Un fragment des Parthika d’Arrien transmis par la Souda pourrait indiquer que cette unité participa à la guerre parthique de Trajan, puisque qu’en 114, le roi d’Oshroène Abgar VII fit don à l’empereur de « 50 chevaux, 200 cuirasses cataphractes pour les cavaliers et les chevaux, et 60 000 flèches »329. Mais de l’aveu même d’Arrien, Trajan n’accepta que trois armures et il n’est pas certain que l’aile des Pannoniens et des Gaulois fut uniformément caparaçonnée, dans la mesure où seule l’inscription de Camerinum lui attribue le qualificatif catafractata330. Aucun récit de campagne ne mentionne l’utilisation de cataphractaires contre des ennemis orientaux durant la période. Les auteurs romains ne semblent pas avoir été marqués par l’utilisation de ce type d’unité au combat. Lorsqu’Arrien évoque la cavalerie cuirassée dans son traité tactique, il ne fait que reprendre une distinction courante des manuels militaires hellénistiques, qui ne reflète en rien l’organisation de l’armée romaine331. Il faudra attendre le IIIe s. pour voir de nouvelles formations de cataphractaires faire leur apparition dans les sources, mais en nombre toujours très limité. Agrippa en exerça le commandement dans sa troisième milice. Les diplômes militaires signalent la présence d’une ala I Gallorum et Pannoniorum (tout court) en Mésie inférieure dès l’année 120 (AE, 2009, 1808). Son lieu de garnison est inconnu et ses soldats n’ont pas laissé de stèles funéraires. L’ala I Gallorum et Pannoniorum fut probablement créée à partir d’une aile préexistante, l’ala I Pannoniorum, dont nous perdons la trace après 112-113 (RMD, IV, 225). Cette unité fut peut-être amalgamée à une ala Gallorum (l’ala I Claudia Gallorum ? cf. GAYET [2006], 80 et 82) ou renforcée par un apport substantiel de recrues gauloises (MATEI-POPESCU [2010], 186). 329 Arr., Parth., fr. 47 Roos : Ἔδεσσα, πόλις Συρίας· εἰς ἣν ἀφικομένῳ Τραϊανῷ ὑπαντιάζει πρὸ τῆς πόλεως Αὔγαρος ἵππους τε δῶρ’ ἄγων νʹ καὶ σʹ καταφράκτους καὶ τοὺς θώρακας ἱππεῦσι καὶ ἵπποις καὶ βέλη ἑξακισμύρια. La leçon retenue par A.G. Roos n’est pas très claire : Arrien veut-il dire qu’Abgar offrit à Trajan des pièces d’armures en plus de 200 cavaliers cataphractes ? La chose semblerait redondante, d’autant plus qu’il n’est a priori question ici que de présents matériels. Dans le texte original, la mention des thôrakes des hippeis et hippoi était probablement une périphrase explicative associée à καταφράκτους : les « cataphractes » sont des protections pour les cavaliers et les chevaux. Aussi préférons-nous la leçon adoptée par l’édition Adler de la Souda (Ε 207) : τοὺς καταφράκτους θώρακας ἱππεῦσι καὶ τοῖς ἵπποις. C’est très précisément avec ce sens que Tacite et Arrien emploient respectivement le latin catafracta et le grec κατάφρακτα dans la première moitié du IIe s. : Tac., Hist., I, 79, 3 ; Arr., Acies, 17. Le fr. 20 des Parthika (éd. Roos) donne une description précise de la « cuirasse du cavalier parthe » (θώραξ δὲ ἱππέως Πάρθου), présentée comme une enveloppe métallique recouvrant complétement le cavalier comme la monture. Mais l’attribution de ce texte à Arrien est contestée : il s’agit plus vraisemblablement d’un fragment d’Eunape. Voir LEROUGE (2017), 294-301. 330 Ce sobriquet, qui n’avait semble-t-il rien de très officiel, était peut-être purement honorifique et pouvait faire référence à une anecdote quelconque (la concession au préfet Maenius Agrippa d’une des armures cataphractes acquises par Trajan ?) : nous retrouverions ici le schéma qui valut à la legio X de César l’obtention du surnom Equestris. 331 Arr., Tact., 4, 1-2. Cf. Asclep., 1, 3 et Ael., Tact., 2, 9.
TROISIÈME PARTIE
CRISES ET TRANSITIONS (IIIE-IVE S. AP. J.-C.)
CHAPITRE 1 PEUT-ON PARLER D’« ESSOR » DE LA CAVALERIE SOUS LE BAS-EMPIRE ?
L’idée d’un « essor » de la cavalerie au IIIe siècle compte parmi les lieux communs les plus étroitement associés à l’histoire de l’armée romaine tardive1. Depuis les travaux d’Emil Ritterling, il est coutume de faire remonter les origines de ce processus au règne de Gallien (260-268), dont les réformes auraient entraîné la création d’une armée de cavalerie autonome, conçue pour servir de réserve stratégique contre les attaques menées par les barbares à l’intérieur de l’Empire2. Ce corps de cavalerie aurait préfiguré l’instauration des comitatenses par Constantin, armées de manœuvre dont la mobilité était, pensait-on, garantie par une importante proportion d’éléments montés. Reprise par Léon Homo, Robert Grosse et étoffée par Andreas Alfödi, cette théorie a longtemps fait autorité dans l’historiographie3. Aujourd’hui encore, rares sont les synthèses sur l’Empire romain du IIIe siècle ou sur l’armée romaine qui ne consacrent un
1 Ces conceptions doivent probablement beaucoup au chef-d’œuvre d’E. Gibbon, The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, dont l’influence sur l’historiographie fut durable. Celui-ci supposait que les succès des barbares contre l’Empire étaient dus, en partie, à leur plus grande mobilité. Cf. GIBBON (1776, 1891), 270, 325, 338, 366. Dans sa grande Histoire de la cavalerie, le lieutenant-colonel G. Denison déplore également la lente agonie des légions face à la montée en puissance de la cavalerie, annonçant l’art médiéval de la guerre. Une agonie, selon lui, injustifiée car les Romains, en cédant aux charmes du barbarus eques, ne firent que sacrifier la doctrine militaire qui fit la grandeur de l’Empire. Cf. DENISON (1877), 114 (insistant notamment sur la bataille de Turin en 312). 2 RITTERLING (1903), notamment 345-6. 3 HOMO (1913), 248 et s. ; GROSSE (1920), 15-8 ; ALFÖLDI (1927) ; ALFÖLDI (1959) ; EADIE (1967), 168 ; HOFFMANN (1969), I, 1 ; SPEIDEL (1974) ; GABBA (1974), 54-6 ; DE BLOIS (1976), 84-7 ; LUTTWAK (1976), 185 ; PFLAUM (1976), 110 ; HYLAND (1990), 1923 ; SPEIDEL (1994a), 150 ; WHITBY (2004), 160-1 ; LUTTWAK (2009, 2010 trad. fr.), 56 ; MENÉNDEZ ARGÜÍN (2011), 137. Plus prudents : COULSTON (1986), 60 ; JUNKELMANN (1991), II, 75-6 ; ELTON (1996), 105-6 ; ZUCKERMAN (2004), 144 ; WHEELER dans ERDKAMP (2007), 262 ; LAZARIS (2007), 87-8 ; ROCCO (2012), 132-5. À notre connaissance, seul SIMON (1980) s’est réellement opposé à l’idée de l’instauration d’une armée mobile de cavalerie par Gallien. Voir notre point sur la question dans PETITJEAN (2016b).
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CRISES ET TRANSITIONS
chapitre à l’« essor » de la cavalerie durant la « crise »4. Quelques chiffres viennent parfois étayer ce postulat, mais ils se fondent le plus souvent sur l’étude datée de George Cheesman pour le Haut-Empire, et sur une appréciation contestable des informations fournies par la Notice des dignités pour l’époque tardive5. Il est donc opportun de rouvrir le dossier en tenant compte des avancées récentes de la recherche. I – L’ÉVOLUTION DES
EFFECTIFS DE LA CAVALERIE
Il est difficile de se faire une idée de l’évolution des effectifs de l’armée régulière aux IIIe et IVe s. Entre l’apogée de la documentation diplomatique sous le règne d’Hadrien et l’époque de rédaction de la Notitia dignitatum, les sources disponibles ne nous permettent pas de reconstituer un état précis des forces impériales. La disparition des diplômes militaires après l’année 2066 et le déclin de l’habitus épigraphique empêchent notamment de connaître le nombre d’unités de cavalerie créées ou dissoutes durant cette période. Le point de départ le plus sûr demeure donc le milieu du IIe siècle. Nous avons vu que sous le règne d’Hadrien (117138), l’armée romaine comptait près de 80 000 cavaliers, ce qui représentait environ 21,5% des effectifs de l’exercitus régulier. Dans quelle proportion ce ratio a-t-il évolué après l’époque sévérienne ?
A. Les effectifs des unités Tout calcul se donnant pour objectif d’évaluer l’importance de la cavalerie à l’époque tardive nécessite de déterminer préalablement et avec le plus de précision possible les effectifs théoriques correspondant à chaque 4 Pour ne citer que quelques exemples : MACMULLEN (1976), 186 et s. ; LE BOHEC (1989c), 211 ; CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 135 ; COSME (2007b), 212-5 ; SABIN (2007), 291-3 ; STROBEL (2009), 273-6. 5 Voir notamment TREADGOLD (1995), 56-7. L’auteur se fonde sur le total de 51 460 cavaliers donné par CHEESMAN (1914), 168 et suppose que le véritable essor de la cavalerie n’intervint qu’après la bataille d’Andrinople. Avant lui, HOFFMANN (1969), I, 193-4 proposait une évolution d’1:10 sous la Tétrarchie, à 1:3 à la fin du IVe s. Ce point de vue est repris par SPEIDEL (1994a), 150 ; WHEELER (2004a), 315 ; COSME (2007a), 97 et ID. (2007b), 214. Mais ces trois auteurs vont plus loin en appliquant, sans le justifier, le ratio de un cavalier pour dix fantassins à l’armée du Principat. 6 Date d’émission du dernier diplôme destiné à des soldats auxiliaires : ECK (2011). Passée cette année, les rares diplômes attestés ne concernent plus que les prétoriens, les urbaniciani, les equites singulares Augusti et les marins.
L’« ESSOR » DE LA CAVALERIE SOUS LE BAS-EMPIRE
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type d’unité durant cette période. La tâche est loin d’être facile car, à partir du règne de Gallien, de nouveaux corps de troupes apparaissent en plus de ceux hérités du Principat. Les alae, les cohortes et les numeri côtoient désormais les uexillationes equitum, puis les cunei equitum. La force numérique de ces formations montées a longtemps posé de délicats problèmes d’interprétation. Mais les travaux d’Arnold Jones, actualisés par les recherches de Terence Coello peuvent nous permettre d’avancer quelques estimations7. Ils révèlent une diminution de la taille des unités de cavalerie dès la fin du IIIe s., laquelle trouve probablement son origine dans la multiplication des détachements au cours de la « crise ». Les propositions avancées par les spécialistes oscillent généralement entre 300 et 600 hommes, mais l’estimation basse s’accorde mieux avec les données papyrologiques, archéologiques et littéraires8. – Les alae continuent d’exister jusqu’au Ve s., mais leur organisation est modifiée dès le dernier tiers du IIIe s., comme le révèlent plusieurs papyrus d’époque tétrarchique et constantinienne. En 299-300, l’ala I Iberorum compte entre 350 et 360 cavaliers et l’ala II Herculia environ 2159. Une trentaine d’années plus tard, entre 326 et 329, onze décurions sont attestés dans l’ala III Assyrorum (donc 330 cavaliers ?)10. Les plans des fouilles des forts connus pour avoir abrité des ailes au IVe s. s’accordent globalement avec ces données. Le fort de Tell el-Herr, occupé entre les années 289/296 et 360, avait une dimension suffisante pour accueillir 170 à 250 soldats11. Quant au fort de Qasr Qarûn, il comprenait 52 chambrées pouvant accueillir chacune six individus, ce qui lui aurait permis de loger 312 soldats12. La Notitia dignitatum Orientis mentionne quatre ailes « milliaires »13, mais il est fort probable que le titre de ces unités, hérité du Principat, soit à considérer comme un « fossile » qui ne reflète plus la réalité au IVe s.14. 7 JONES (1964), II, 680-2 ; COELLO (1996), chap. 3-5. Contra DUNCAN-JONES (1978), tab. p. 112-3, qui propose de revoir à la baisse les estimations de Jones, mais n’est pas suivi par Coello. Voir également MOMMSEN (1889b), 253-6 et TREADGOLD (1995), 46-9. 8 Nous ne tenons pas compte des informations fantaisistes fournies par Jean Lyd., De mag., I, 46, 2 : alae de 600 cavaliers, uexillationes de 500 cavaliers, turmae de 500 archers à cheval (ἀντὶ τοῦ ἴλας, ἀπὸ ἑξακοσίων ἱππέων, βηξιλλατίωνας ἀπὸ πεντακοσίων τοξοτῶν ἱππέων). 9 P. Beatty Panop., 2, l. 36 et 168 ; cf. JONES (1964), III, 187. 10 ChLA, XIII, 660 ; cf. ZUCKERMAN (1994a), 201. 11 VALBELLE (2000), 30. 12 SCHWARZ (1951), 91. 13 L’ala IX milliaria (ND Or., 37, 25), l’ala II miliariensis (ND Or., 37, 28), l’ala milliaria Sebastena (ND Or., 34, 32) et l’ala I milliaria (ND Or., 34, 36). 14 COELLO (1996), 47.
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CRISES ET TRANSITIONS
– Les vexillations et autres unités d’equites avaient probablement aussi un effectif théorique avoisinant les 300 hommes. Les equites sagittarii de Coptos comptaient dans leurs rangs 242 cavaliers en 29915. Ammien Marcellin mentionne 700 cavaliers ex Illyrico missi, servant dans deux turmae stationnées dans la région d’Amida en 359, i.e. deux unités d’equites d’environ 350 cavaliers chacune16. En 383, 300 cavaliers accompagnent Gratien dans sa fuite à travers les Alpes17. En 478, le magister militum per Thracias dispose de 2 000 cavaliers18, ce qui correspond à sept vexillations de 300 soldats : soit exactement le nombre d’unités montées attachées à ce commandement dans la Notitia dignitatum19. Enfin, dans le Stratêgikon de Maurice, rédigé à la fin du VIe s., le τάγμα de cavalerie notionnel se compose de 310 soldats20 ; or, certains corps de troupe mentionnés par l’auteur dans son ordre de bataille (Ἰλλυρικιανοί, βιξελλατιόνοι) existent déjà au IVe s.21. – Concernant les cunei equitum, László Várady a cru pouvoir avancer un effectif de 1 250 soldats en se fondant sur un passage de Zosime dans lequel sont mentionnés 6 000 soldats de Dalmatie répartis en cinq τάγματα et envoyés défendre Rome en 40922. Mais le grec τάγμα dénote un corps de troupe au sens large et il est fort probable qu’il soit ici question d’unités d’infanterie23. Le dossier papyrologique relatif à la carrière de Flavius Taurinus dans le cuneus equitum Maurorum scutariorum (entre 426 et 457) révèle pour les cunei des grades et donc
P. Beatty Panop. 2, l. 161-7 ; cf. JONES (1964), III, 187. Amm., XVIII, 8, 2 : duarum turmarum equites circiter septingenti ad subsidium Mesopotamiae recens ex Illyrico missi. 17 Zos., IV, 35, 5. 18 Malchus, fr. 18, 2 (éd. Blockley p. 428-9). 19 ND Or., 8, 24-32. 20 Maurice, Strat., III, 2. Dans les faits entre 200 et 400 soldats, cf. ibid., I, 4, 34-5 ; II, 20, 17-9. 21 Un cas demeure problématique : Zos., III, 3, 4 évoque la déroute d’une ἴλη de 600 cavaliers romains à la bataille de Strasbourg en 357. Il s’agit très certainement des cataphractaires décrits par Ammien Marcellin en XVI, 12, 38. Or ceux-ci sont bien commandés par un seul rector, Innocentius (Amm., XVI, 12, 63 ; voir aussi XVI, 12, 36). D’où cette alternative : soit les cataphractaires formaient une vexillation aux effectifs étoffés, soit plusieurs unités (deux vexillations de 300 cavaliers ?) avaient été confiées à un seul personnage chargé du commandement tactique des cuirassiers dans le cadre de la bataille. 22 VÁRADY (1963), 370-1. Cf. Zos., V, 45, 1 : ἔδοξε τῷ βασιλεῖ πέντε τῶν ἀπὸ Δαλματίας στρατιωτικὰ τάγματα, τῆς οἰκείας μεταστάντα καθέδρας, ἐπὶ φυλακῇ τῆς Ῥώμης ἐλθεῖν· τὰ δὲ τάγματα ταῦτα ἐπλήρουν ἄνδρες ἑξακισχίλιοι, τόλμῃ καὶ ῥώμῃ τοῦ Ῥωμαϊκοῦ στρατεύματος κεφάλαιον ὄντες. 23 CLEMENTE (1968), 150-4. 15
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L’« ESSOR » DE LA CAVALERIE SOUS LE BAS-EMPIRE
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une organisation interne similaire à celle des uexillationes equitum24 : l’effectif était donc probablement aussi d’environ 300 cavaliers, ce que semblent confirmer les fouilles du fort tardif de Drobeta, quartiers du cuneus equitum Dalmatarum Diuitensium25 – d’après Nick Hodgson, ce castellum pouvait accueillir entre 210 et 300 soldats26. Les dimensions des édifices identifiés par les archéologues comme des forts de cavalerie tardifs offrent un bilan plus contrasté : elles oscillent entre un minimum de 0,16 ha et un maximum de 1,7 ha27. De tels écarts semblent révéler que l’organisation des unités du IVe s. ne suivait pas de règle uniforme, à moins que les édifices les plus petits n’aient été prévus dès l’origine pour des détachements, comme sous le Haut-Empire28. La norme d’une garnison à effectifs pleins se situerait alors entre 0,7 et 1,5 ha, une surface pouvant certainement correspondre à la moyenne de 300 cavaliers suggérée par les autres sources. Comparer ces dimensions aux 2,3 ha du fort quingénaire de Chesters ou aux 6,1 ha de Aalen pourrait laisser penser que la cavalerie romaine connut un important processus de fragmentation dès la fin du IIIe s. Ce serait toutefois oublier que 24
BGU, XII, 2138, l. 3 et 2141, l. 5. ND Or., 42, 6. 26 HODGSON (1999), 549. 27 0,16 ha pour le fort de Khan el-Qattar (= Cunna ou Carneia ?), en Syrie, quartiers de l’ala I Francorum (ND Or., 32, 35) ou de l’ala prima Alamannorum (ND Or., 32, 36) ; 0,25 ha pour le fort Khan el-Hallabât (= Veriaraca) en Syrie, quartiers de l’ala noua Diocletiana (ND Or., 32, 34) ; 0,25 ha pour le fort de Qasr Bshîr (= castra praetorii Mobeni), en Arabie, quartiers de l’ala II miliariensis (ND Or., 37, 28) ; 0,32 ha pour le fort de Deir el-Kahf (= Speluncae), en Arabie, quartiers d’une unité d’equites promoti indiginae (ND Or., 37, 6 ; 18) ; 0,76 ha pour le fort de Qasr Qarûn (= Dionysias), en Égypte, quartiers de l’ala V Praelectorum (ND Or., 28, 34) ; 0,77 ha pour le fort de Qdeym (= Acadama), en Syrie, quartiers d’une unité d’equites sagittarii (ND Or., 33, 21) ; 0,8 ha pour le fort de Tell el-Herr (= Magdolum), en Égypte, quartiers (?) de l’ala I Thracum Mauretana ; 0,9 ha pour le fort de Pağnık Öreni (= Dascusa), en Turquie, quartiers de l’ala Auriana (ND Or., 38, 22.) ; 1,5 ha pour le fort de Bchara (= Auatha), quartiers d’une unité d’equites promoti indigenae (ND Or., 32, 22) ; 1,7 ha pour le fort d’al-HadîdZarqâ (= Gadda), quartiers d’une unité d’equites sagittarii indigenae (ND Or., 37, 20). Voir les données rassemblées par COELLO (1996), chap. 5 et LENOIR (2011), passim. Des forts de dimensions bien supérieures sont attestés sur le Danube (cf. HODGSON [1999], 549-50), mais certains d’entre eux ont abrité avec certitude plusieurs unités (Drobeta, Intercisa, Ad Herculem, Cirpi) et la question mérite d’être posée pour les autres (Ulcisia Castra / Constantia, Campona, Matrica, Vetus Salina). 28 Le fort tétrarchique de Qasr Bshîr (castra praetorii Mobeni) pouvait accueillir 63 chevaux (21 pièces-écuries équipées chacune de trois mangeoires). Mais il n’est pas directement référencé dans la Notitia dignitatum Orientis qui situe au contraire l’ala II miliarensis à Naarsafari (Wadi Afaris). Cela pourrait suggérer que seul un détachement de l’unité était présent aux castra praetorii Mobeni, qui servaient peut-être aussi de résidence au dux Arabiae lors de ses tournées. Cf. KENNEDY (2004), 148-51. 25
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CRISES ET TRANSITIONS
l’immense majorité des unités de cavalerie du Haut-Empire se constituait de contingents de 120 cavaliers rassemblés dans des cohortes quingénaires mixtes. Si ces escadrons avaient été séparés des centuries de fantassins qui les accompagnaient, ils auraient probablement stationné dans des installations de dimensions comparables à celles des forts tardifs. Il faut donc conclure que la part majoritaire des unités de cavalerie frontalière citées par la Notitia dignitatum n’a fait qu’hériter de la fonction des anciens equites cohortales. La principale nouveauté fut la disparition des cohortes mixtes, ainsi que l’abandon des concentrations de 1 000 equites, de telles unités s’étant révélées inadaptées au contexte de guerres endémiques du IIIe s.29.
B. L’évolution des effectifs de la cavalerie dans l’ensemble de l’armée romaine L’examen de la Notitia dignitatum montre que si les effectifs de cavalerie ont bien augmenté entre le milieu du IIe et la fin du IVe s., rien ne suggère l’essor colossal que l’on a parfois invoqué. Certes, il convient de garder à l’esprit les limites inhérentes à tout calcul effectué à partir de ce document composite : la partie orientale a été compilée peu de temps après l’année 400 (401 selon Constantin Zuckerman) alors que la liste occidentale a été tenue à jour au moins jusqu’à la décennie 42030. Cette dernière, en plus d’être fragmentaire, contient de nombreuses anomalies et traite d’une partie de l’armée romaine déjà durement impactée par les invasions barbares31. Il serait donc vain de chercher à tirer de l’ensemble de ce document un tableau complet de l’armée impériale à un moment précis. Un moyen de contourner cette difficulté consiste à exploiter les 29 Sur la reconversion des cohortes mixtes en unités d’infanterie : GROSSE (1920), 44-5 ; NICASIE (1998), 61. Il n’est pas facile de dater avec précision cette réforme. Étudiant les inscriptions du IIIe s., C. Méa note qu’« à partir du règne de Gallien, de 260 à 268 p.C., les cohortes n’incluent plus dans leur titulature le terme d’equitata. […] De même on ne voit plus aucune stèle funéraire de cavaliers issus de cohorte. » (MÉA [2014], 49). L’argument, bien qu’il se fonde sur les silences d’un ensemble documentaire lui-même squelettique, mérite d’être pris en compte et pourrait suggérer que les equites cohortales furent détachés, dès cette époque, de leurs unités-mères pour former de nouvelles vexillations de cavalerie (cf. infra). 30 Sur la datation de la Notitia dignitatum et les difficultés posées par cette source, cf. JONES (1964), 347-58 ; HOFFMANN (1969), I, 25-53 ; BRENNAN (1996) ; ZUCKERMAN (1998a) ; KULIKOWSKI (2000). Sur la Notitia Orientis spécifiquement, voir en dernier lieu WHEELER (2012) et KAISER (2015). 31 Sur ce point, voir les remarques de BRENNAN (1996), 165-6.
L’« ESSOR » DE LA CAVALERIE SOUS LE BAS-EMPIRE
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informations de la Notitia dignitatum Orientis séparément, en les comparant aux données obtenues pour les provinces orientales de l’époque d’Hadrien32. On obtient alors une idée de l’évolution des effectifs des armées régulières dans une partie de l’Empire caractérisée par une relative stabilité politique. Dans le cadre de cette démonstration, les observations émises dans la section précédente doivent être considérées avec la plus grande attention car les effectifs calculés à partir de la Notitia dignitatum varieront sensiblement suivant que l’on attribue 300 ou 600 cavaliers aux différents corps de troupes montées de l’Empire. Afin de recueillir le consensus le plus large possible, nous tiendrons compte des principales hypothèses formulées à ce jour, en proposant à chaque fois une estimation haute et une estimation basse33. Mais dans l’ensemble des scénarios, que l’on opte pour l’une ou l’autre solution, les résultats obtenus vont contre l’idée d’une évolution brutale en faveur de la cavalerie : Tableau 12 – Recomposition théorique des effectifs de l’armée impériale d’après la Notitia dignitatum Orientis. Type d’unité
Infanterie
Cavalerie
7 scholae palatinae
0
7 × 500 = 3 500
11 uexillationes palatinae
0
13 uexillationes comitatenses 12 legiones palatinae 35 auxilia palatina Total armées praesentales
11 × 300 = 3 300 11 × 600 = 6 600 0 13 × 300 = 3 900 13 × 600 = 7 800 12 × 1 200 = 14 400 0 35 × 600 = 21 000 0 35 × 800 = 28 000 35 400 (76,8%) 10 700 (23,2%) 42 400 (70,3%) 17 900 (29,7%)
Sur la fiabilité de la notice orientale, voir KAISER (2015). Voir en particulier NICASIE (1998), 67-76. Nous excluons cependant l’effectif théorique de 3 000 soldats pour les légions limitaneae : cette reconstruction, dont la paternité revient à VÁRADY (1961), suivi par JONES (1964), III, 380, ne correspond plus à l’état actuel de nos connaissances – entre 1 000 et 2 000 hommes (COELLO [1996], passim ; ROCCO [2012], 193-201). Nicasie évalue les auxilia palatina à 800 soldats contre 600 selon JONES (1964), II, 682, qui se fonde sur Zos., VI, 8, 2. L’hypothèse de cohortes auxiliaires à 500 soldats, retenue par A. Jones et M. Rocco, est prise en compte dans l’estimation haute. Pour les légions pseudocomitatenses à 1 200, voir en dernier lieu BENAISSA (2010) (reçu pour les annonae diurnae des soldats du numerus Transtigritanorum au Ve s.). 32 33
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CRISES ET TRANSITIONS
Type d’unité
Infanterie
Cavalerie
3 uexillationes palatinae
0
16 uexillationes comitatenses
0
8 auxilia palatina
8 × 600 = 4 800 8 × 800 = 6 400 38 × 1 200 = 45 600 20 × 1 200 = 24 000 74 400 (92,9%) 76 000 (87%) 109 800 (87%) 118 400 (80,2%) 0 35 × 1 500 = 52 500 92 × 300 = 27 600 92 × 500 = 46 000 80 100 (62,4%) 98 500 (67,1%) 154 500 (74,1%) 174 500 (74,5%) 189 900 (74,6%) 216 900 (73,7%)
3 × 300 = 900 3 × 600 = 1 800 16 × 300 = 4 800 16 × 600 = 9 600 0
38 legiones comitatenses 20 legiones pseudocomitatenses Total armées régionales Total armées praesentales et régionales 161 cunei, equites, alae 35 legiones ripenses 92 cohortes, auxilia, milites Total armées frontalières Total armées régionales et frontalières Grand total armée d’Orient
0 0 5 700 (7,1%) 11 400 (13%) 16 400 (13%) 29 300 (19,8%) 161 × 300 = 48 300 0 0 48 300 (37,6%) 48 300 (32,9%) 54 000 (25,9%) 59 700 (25,5%) 64 700 (25,4%) 77 600 (26,3%)
Le tableau ci-dessus tient compte de la répartition des corps de troupes entre les armées centrales, dites praesentales – c’est-à-dire attachées à l’empereur –, les armées régionales, mises à la disposition des différents magistri militum dans de vastes secteurs géographiques, et les armées frontalières, disposées le long des confins impériaux. Le grand total indique, pour l’ensemble de l’Empire oriental, une proportion minimale de 25,4% de cavaliers et une proportion maximale de 26,3%, soit un rapport d’un cavalier pour trois fantassins. Cela représente une augmentation relative de 3,9 à 4,8% par rapport au règne d’Hadrien. Dans de telles conditions, il ne nous semble guère raisonnable de parler d’« enormous increase of cavalry » ni d’« armée largement reconvertie à l’arme équestre »34. La progression des effectifs de cavalerie fut beaucoup plus
34
643.
Citations de TREADGOLD (1995), 56 et de CARRIÉ dans CARRIÉ & ROUSSELLE (1999),
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marquée entre l’époque triumvirale et le règne d’Hadrien35. Il convient de souligner que le calcul que nous effectuons à partir de la Notitia dignitatum Orientis ne prend en compte qu’une seule fois les légions frontalières qui, dans les listes d’Égypte et des duchés danubiens, sont mentionnées à plusieurs reprises dans des cantonnements différents. Dans certains cas (notamment en Dacia ripensis) l’addition de ces divers détachements devait allègrement dépasser l’effectif théorique de 1 500 soldats. L’importance des forces d’infanterie est donc probablement sousévaluée. En revanche, il est bien évident que se pose comme sous le Haut-Empire la question des supplétifs / fédérés, nombreux en 400 et que la Notitia dignitatum ne répertorie pas. On peut légitimement supposer que cet apport en troupes irrégulières contribua à renforcer les effectifs montés de l’armée romaine, notamment à partir de la fin du IVe s., lorsqu’il fallut « éponger » les pertes dues aux batailles d’Andrinople (378) et du Frigidus (394). Si l’on examine de plus près la distribution des unités de cavalerie entre armées centrales, armées régionales et armées frontalières, il apparaît évident que la théorie de l’« armée mobile » des empereurs tardifs, qui aurait été constituée d’une proportion écrasante de troupes montées, doit être rejetée36. Dans la Notice des dignités, la cavalerie tient une place bien plus importante chez les limitanei (entre 32,9 et 37,6%) que dans les armées de manœuvre, centrales et régionales (entre 13 et 19,8%). Une telle répartition ne doit pas surprendre. Outre que la présence de cavaliers en son sein ne rend pas une armée de campagne plus « mobile » (cf. infra), il faut garder à l’esprit le fait que les armées ducales forment un premier rideau défensif contre les menaces externes. Or les troupes montées sont toujours les premières à intervenir en contexte opérationnel, 35 Comme indiqué plus haut, nous ne disposons pas de données globales pour le IIIe s. et l’époque tétrarchique. Il est toutefois possible d’analyser la composition de certaines armées provinciales telle que la garnison d’Égypte, qui a laissé une abondante documentation papyrologique aux alentours de l’année 300. ROCCO (2012), 206-7 dénombre ainsi 10 000 soldats, dont 8 000 fantassins et 2 000 cavaliers, soit 20% du total. Cela semble indiquer qu’à mi-chemin entre le règne d’Hadrien et le début du Ve s., la situation n’a pas vraiment évolué. La progression de la cavalerie égyptienne s’observe surtout entre la fin du Ier s. av. J.-C. et la première moitié du IIe s. ap. J.-C. Au début du règne d’Auguste, Strabon dénombre trois légions, trois ailes et neuf cohortes (Strab., XVII, 1, 12). En considérant que six de ces neuf cohortes étaient mixtes (cf. supra, p. 230, n. 41), nous obtenons un total d’environ 22 000 fantassins pour 2 600 cavaliers, soit 10,6% de cavaliers. À la fin du règne d’Hadrien, les diplômes mentionnent désormais une légion, quatre ailes et dix cohortes, soit environ 9 600 fantassins pour 3 000 cavaliers (HOLDER [2003], 145) : la proportion de troupes montées atteint donc déjà plus de 23%. 36 Voir par exemple BRECCIA (2004), 93-4.
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CRISES ET TRANSITIONS
aussi bien pour la reconnaissance que pour la « grande guérilla »37. À ce titre, il serait trompeur de comparer les résultats obtenus pour les troupes limitaneae de la notice orientale à ceux des armées provinciales de l’époque d’Hadrien. Il faudrait en effet inclure les unités des armées d’intervention régionales qui coopèrent avec les troupes des duchés au sein des mêmes théâtres d’opération frontaliers38. Nous obtenons alors 25,5-25,9% de cavaliers, ce qui n’est pas loin des 21,7% du Haut-Empire.
C. L’évolution des effectifs de la cavalerie dans les armées de campagne Des résultats concordants peuvent être tirés d’une analyse des effectifs montés dans les armées de campagne. Nous ne disposons pas, dans ce domaine, de sources aussi précises que pour le Principat. Aucune donnée exploitable ne nous est parvenue pour le IIIe s. Seuls quelques auteurs nous renseignent sur la composition des armées de campagne des IVe et Ve s., et ce de manière très inégale. Tableau 13 – Effectifs des armées de campagne entre 300 et 600 ap. J.-C.
Armées de Constantin et de Maxence en 312 Armées de Constantin et de Licinius en 324 Dispositif recommandé par Végèce à la fin du IVe s. Forces de soutien promises par Zénon à Théodoric en 478
Infanterie
Cavalerie
Source
90 000 (91,9%) 170 000 (90,5%) 120 000 (92,3%) 150 000 (90,9%) 10 000 / 20 000 (84%) 30 000 (79%)
8 000 (8,1%) 18 000 (9,5%) 10 000 (7,7%) 15 000 (9,1%) 2 000 / 4 000 (16%) 8 000 (21%)
Zos., II, 15, 1-2 Zos., II, 22, 1-239 Veg., Mil., III, 1, 9-1040 Malchus, fr. 18, 2
37 E.g. Amm., XVIII, 8, 2-4 (garnison d’Amida). Pour des exemples plus tardifs, voir Ps.-Josué, 59 (garnison de Carrhes) ; Ps.-Zach., Chron., IX, 5a et 6c (garnison de Martyropolis). 38 LEWIN (2004). 39 Contre l’opinion traditionnelle mettant en doute la vraisemblance de ces chiffres, voir ROCCO (2012), 301-9 (notamment p. 303). 40 Nous jugeons utile de reproduire les prescriptions de Végèce dans ce tableau dans la mesure où S. Janniard a récemment réhabilité l’Epitoma rei militaris (notamment le livre III) comme source d’histoire militaire pour l’époque tardive. Cf. JANNIARD (2008). Cependant, le lecteur prendra soin d’observer que Végèce se réfère ici explicitement à la norme des armées consulaires d’époque républicaine.
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Infanterie
Cavalerie
Source
Armée principale de Bélisaire en Afrique en 533
10 000 (67%)
plus de 7 000 (41,5%)
Dispositif recommandé par l’empereur Maurice, c. 600
24 000 (67%)
12 000 (33%)
Procop., Bell., III, 11, 2 ; cf. infra, p. 521-2 Maurice, Strat., XII, B, 8-9 et 1341
La composition des armées tétrarchiques renseignée par Zosime (entre 7,7 et 9,5%) montre que la « crise » du IIIe s. n’a pas accouché d’un « essor » de la cavalerie au sein des armées de campagne, bien au contraire. Le véritable décollage des effectifs s’observe à partir des Ve et VIe s. : la norme se situe désormais entre 20 et 50% du total des corps expéditionnaires. Cette évolution reflète le primat tactique acquis par la cavalerie durant cette période, au détriment de l’infanterie qui agit désormais essentiellement comme une force de soutien sur les champs de bataille. Employant des supplétifs (fédérés et alliés) en nombre croissant, l’État proto-byzantin est aussi en mesure de rassembler de véritables armées de cavalerie, capables d’opérer indépendamment des troupes à pied. Ces innovations sont à relier au contexte d’affrontements répétés avec les peuples nomades proto-turcs qui s’installent alors entre le Danube et la Caspienne. Nous reviendrons sur ces questions dans la partie suivante. II – L’ORIGINE DES
NOUVEAUX CORPS
DE CAVALERIE DU IIIE S.
L’examen des données chiffrées montre que la cavalerie impériale n’a pas connu d’accroissement substantiel entre le milieu du IIe s. et la fin du IVe s. Les prétendues réformes de Gallien méritent d’être questionnées. Les difficultés de l’Empire étaient alors à leur paroxysme : était-il seulement envisageable pour cet empereur de lever, d’entraîner et d’équiper la masse de cavaliers dans laquelle certains historiens ont vu la réponse de l’empire à la « crise » du IIIe s. ? D’un autre côté, comment comprendre l’apparition de nombreux corps de troupes à partir du dernier 41 Il s’agit de l’exemple d’armée mixte le plus longuement développé dans le traité. Mais l’auteur admet à plusieurs reprises que la proportion de cavaliers dans les armées de son époque pouvait être inférieure ou supérieure à ce ratio. La première partie du Stratêgikon est d’ailleurs entièrement consacrée au rangement d’une armée uniquement constituée de cavaliers : un καβαλλαρικὸς στρατός (Maurice, Strat., II, 2, 3). Cf. infra, p. 527-34.
370
CRISES ET TRANSITIONS
tiers du IIIe s. (Dalmatae, Mauri, scutarii, promoti, stablesiani)42 sans supposer un tel accroissement ? La disparition massive des unités auxiliaires du Principat durant cette même période apporte peut-être un élément de réponse. Dans une étude publiée en 1976, Margaret Roxan recense les ailes et les cohortes d’origine pré-sévérienne présentes dans la Notitia dignitatum43. Ce faisant, elle souligne qu’au moins 77% des corps auxiliaires attestés au milieu du IIe s. n’existaient plus à l’époque à laquelle ce document fut rédigé. Elle ne répond cependant pas à la question essentielle que soulève une telle enquête : comment expliquer la disparition d’une quantité si importante d’unités ? Il serait peu raisonnable de partir du principe que la cavalerie romaine fut décimée au cours du IIIe s.44. De nombreuses unités furent probablement amalgamées ou versées dans de nouveaux corps de troupes, dans le cadre des réformes qui accompagnèrent l’émergence du comitatus tardif.
A. Les continuités possibles avec les unités du Principat Sous le Haut-Empire, les autorités impériales avaient déjà pris l’habitude de réunir des uexillationes equitum formées à partir de plusieurs détachements issus d’un même secteur frontalier45. Initialement, ces corps de cavalerie n’avaient pas vocation à être maintenus au-delà des opérations militaires pour lesquels ils avaient été constitués. Mais comme le sacer comitatus, l’armée d’accompagnement du prince, acquit un caractère quasi permanent au cours de la seconde moitié du IIIe s., ils finirent par former le noyau d’unités régulières de l’armée centrale46. On ne sera donc pas surpris de voir un grand nombre d’unités
Sur ces nouvelles unités, cf. en dernier lieu SPEIDEL dans JOHNE (2008), 677-84. ROXAN (1976). 44 Le propre des cavaliers n’est-il pas – de l’aveu même des auteurs anciens (Caes., BG, I, 25, 1 ; Verg., Aen., XI, 705-8 ; Tac., Agr., 35, 5 ; Plut., Mor., 18, 97 ; Suet., Caes., 60, 3) – de pouvoir fuir lorsque la bataille est perdue ? Des enquêtes portant sur des périodes plus récentes révèlent en effet des taux de pertes dérisoires pour les troupes montées. P. Cantal, qui étudie les guerres napoléoniennes, conclut que les batailles « aboutissent [pour la cavalerie] à des pertes du dixième au trentième ». Cf. CANTAL (1905), 39-40. 45 Cf. supra, p. 255-64. 46 Sur la formalisation progressive du comitatus impérial au IIIe s. : SMITH (1972), 490 ; SPEIDEL (1979) ; SOUTHERN & DIXON (1996), 11-5 ; CARRIÉ & JANNIARD (2000), 329 ; STROBEL (2009), 269-71 ; ROCCO (2012), 52-77. L’expression sacer comitatus apparaît au plus tôt sous le règne de Caracalla : cf. CHRISTOL & DREW-BEAR (2000) et AE, 2000, 1447. 42 43
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371
pré-sévériennes disparaître de la documentation tardive, en particulier dans les secteurs régionaux les plus affectés par de tels détachements. L’analyse de l’origine provinciale des unités du Principat ayant survécu à la « crise » permet de bien mettre en évidence ce processus. Dans sa thèse de doctorat, où il recense les unités pré-sévériennes figurant dans la Notitia dignitatum, Michael Ibeji établit le classement suivant47 : 1. Asie mineure : 11 unités sur 19 (57,9%). 2. Égypte : 7 unités sur 21 (33,3%). 3. Bretagne : 14 unités sur 57 (24, 6%). 4. Hispanie : 1 unité sur 6 (16,7%). 5. Rétie : 2 unités sur 17 (11,7%). 6. Orient : 6 unités sur 56 (10,7%). 7. Afrique : 3 unités sur 43 (7%). 8. Illyricum : 5 unités sur 85 (5%). Si nous analysons dans le détail les garnisons des provinces danubiennes, en ne tenant compte que des unités de cavalerie, nous remarquons qu’aucune des 44 ailes connues dans ce secteur à l’époque d’Hadrien n’a survécu au début du Ve s.48. La même conclusion s’impose pour les cohortes montées. En revanche les provinces qui étaient séparées de l’autorité impériale sous Gallien ont légué beaucoup plus d’unités de cavalerie à l’Empire tardif49 :
IBEJI (1991), 134. Cf. HOLDER (2003), 132-5. Le cas de l’ala Sirmensis située par la ND Occ., 32, 54 en Pannonia II ne permet pas, a priori, de contredire cette observation : nous ne connaissons pas d’aile de cavalerie stationnée à Sirmium aux IIe-IIIe s. L’unité fut peut-être établie tardivement en Pannonie inférieure ; elle adopta alors le nom de son nouveau lieu de garnison, conformément à l’usage attesté pour d’autres unités au IVe s. 49 Bretagne : ala V Raetorum (ND Occ., 28, 30 = cohors V Raetorum ?) ; ala Sabiniana (ND Occ., 35, 37) ; ala I Hispanorum Asturum (ND Occ., 40, 35) ; ala II Asturum (ND Occ., 40, 38) ; ala Augusta Petriana (ND Occ., 40, 45) ; cuneus Sarmatarum (ND Occ., 40, 54 = ala Sarmatarum ?). Syrie : ala I Damascena (ND Or., 32, 33 = cohors I Damascenorum ?) ; ala I miliaria Sebastena (ND Or., 34, 32 = ala Sebastena ?) ; ala Antana dromedariorum (ND Or., 34, 33 = ala Gallorum et Thraecum Antiana ?) ; ala miliaria (ND Or., 34, 36 = cohors Thracum miliaria ?) ; cohors I equitata (ND Or., 34, 43) ; ala II Paphlagonum (ND Or., 35, 29 = cohors II Ulpia Paphlagonum equitata ?). Cappadoce : ala I Augusta colonorum (ND Or., 38, 21) ; ala Auriana (ND Or., 38, 22 = ala II Ulpia Auriana) ; ala I Ulpia Dacorum (ND Or., 38, 23) ; ala II Gallorum (ND Or., 38, 24) ; cohors I Claudia equitata (ND Or., 38, 36). Égypte : ala ueterana Gallorum (ND Or., 28, 28) ; ala Apriana (ND Or., 28, 32) ; ala II Ulpia Afrorum (ND Or., 28, 38) ; ala II Hispanorum (ND Or., 31, 43 = cohors II Hispanorum ?). Cilicie : ala VI Hispanorum (ND Or., 37, 26 = cohors VI Hispanorum ?). Nous ne retenons pas dans cet inventaire les cohortes mixtes qui sont devenues des unités d’infanterie à l’époque de la Notitia. 47 48
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CRISES ET TRANSITIONS
Tableau 14 – Provenance des unités de cavalerie pré-sévériennes mentionnées dans la Notitia dignitatum. $$$$%
Autrement dit, l’Illyricum affiche non seulement le taux de survie le plus faible, tous types d’unités confondus, mais aussi un taux nul concernant la cavalerie. Dans cette région, les dernières attestations d’unités montées héritées du Principat datent des règnes des empereurs Dèce (249-251) et Valérien (253-260), avec l’exception de l’ala III Thracum, que nous retrouvons une dernière fois sous Claude II (268-270) à Brigetio 50. Cela suggère une importante refonte de l’organisation de la cavalerie entre les règnes de Gallien et d’Aurélien, précisément dans l’espace géographique qui constituait alors le réduit ultime du pouvoir impérial51. C’est en effet dans le sillage de ces événements qu’apparaissent les nouveaux corps de cavalerie du comitatus impérial. Les premiers equites scutarii occupent peut-être le camp d’Intercisa dès les années 260. Selon Jenő Fitz, leur unité prend la suite de la cohors I Emesenorum qui 50 Ala III Thracum : CIL, III, 4625 (249-251 ap. J.-C., Brigetio) ; CIL, III, 11333 (268-270 ap. J.-C., Brigetio). Ala I Hispanorum Campagonum : AE, 1983, 847 (250 ap. J.-C., Micia). Cohors III Delmatarum mil. eq. : CIL, III, 1577 (257-260 ap. J.-C., Praetorium, Dacie). 51 Réforme dont Cedrenus et Symeon Magister conservent peut-être une trace lointaine et déformée lorsqu’ils affirment que Gallien fut le premier à mettre en place des escadrons de cavalerie. Cf. Cedr., I, 451, 6-8 : « Après [Valérien], son fils Gallien fut le premier à établir des unités de cavalerie. Car le plus souvent, les troupes des Romains se composaient de fantassins (ὁ δὲ υἱὸς αὐτοῦ Γαλλιῆνος μετὰ τοῦτον πρῶτος ἱππικὰ τάγματα κατέστησε· πεζοὶ γὰρ κατὰ τὸ πολὺ οἱ στρατιῶται τῶν Ῥωμαίων ὑπῆρχον). » Sym. Mag., 80, 3, p. 101 copie la même source (ὁ δὲ Γαληνὸς μετὰ τοῦτον πρῶτος ἱππικὰ τάγματα κατέστησε· πεζοὶ γὰρ κατὰ πολὺ οἱ στρατιῶται τῶν Ῥωμαίων ὑπῆρχον). Sur le contexte militaire des années 260, cf. GOLTZ et HARTMANN dans JOHNE (2008), 255-95.
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373
disparaît au même moment52. L’un des soldats de ce numerus s’appelle Aurelius Monimus53 : ce nom théophore syrien, typique d’Émèse, que l’on retrouve à plusieurs reprises dans la cohorte émésénienne, marque une continuité évidente entre le personnel des deux unités. Quant au praepositus Maurinus, le commandant du numerus, il porte un nom dérivé de l’ethnique Maurus54 et pourrait avoir été un Maure qui servait dans le comitatus avant sa promotion comme commandant d’unité55. Ces éléments laissent entrevoir un lien de filiation direct entre les anciennes unités pannoniennes et la formation des premières vexillations de cavalerie des armées d’accompagnement tardives. Cette continuité est encore plus visible dans le cas des equites promoti, que l’on voit apparaître à partir de 300 ap. J.-C.56. Ces cavaliers « promus » descendent directement des contingents d’equites qui étaient FITZ (1972), 122-6. RIU, 1205 : D(is) M(anibus) / Aur(elius) Vale(n)s / bb(is exarchus ?) n(umeri) eqq(uitum) / scut(ariorum) s(ub) c(ura) Maur/ini p(rae)p(ositi) / Aur(elius) Mo/n(imus) equ(es) / fra(tri) ca(rissimo) / memo(riam) pos(uit). Le relief – de fort mauvaise facture – qui accompagne l’inscription représente le défunt avec son cheval. Sur la datation de cette pierre (années 260), cf. FITZ (1972), 126 : « Les particularités stylistiques de la pierre funéraire nous permettraient éventuellement de rattacher les travaux de réfection exécutés dans le camp après 260 à l’arrivée du numerus à Intercisa. C’est sur le territoire du camp que fut mis au jour un bloc de pierre monumental constituant une partie de l’aile gauche d’une porte cintrée, porte qui, d’après ses dimensions, serait celle du camp. La partie intérieure du bloc de pierre est ornée d’un bas-relief représentant un cavalier qui, selon G. Erdélyi, trahit la même conception que la pierre tombale d’Aurelius Valens. Le bloc de pierre fut remployé en tant que matériau de construction dans la période du IVe siècle (troisième du camp). Les observations d’ordres stylistique et archéologique, la datation des dernières décennies du IIIe siècle et la parenté avec la pierre funéraire de Valens prouvent que les réparations exécutées dans le camp, après 260, se rattachaient au numerus. » Une autre inscription d’Intercisa mentionnant un ducenarius originaire d’Édesse renvoie peut-être à la même unité car ce grade fait son apparition dans les nouvelles formations de cavalerie durant la seconde moitié du IIIe s., cf. RIU, V, 1201 : D(is) M(anibus) / Aurel(io) Sala/mati uet(erano) ex u/cen(ario) ciui Aedes(sitano) / qui uix(it) annis LXX / in his militauit / ann(is) XL Aur(elius) Pus/intulus gener / [e]x [---] f[ac(iendum)] cu[r(auit)]. 54 KAJANTO (1965), 206. 55 L’identification de ce cognomen est toutefois loin d’être évidente. SZABÓ (2016), 20 propose plutôt de lire Marinus, un nom syrien également attesté à Intercisa (e.g. RIU, 1244 et 1253). Cette hypothèse renforce l’idée d’une continuité entre les unités frontalières de Pannonie et les premières vexillations de cavalerie tardives. 56 Sur les equites promoti : RITTERLING (1903), 348 ; GROSSE (1920), 16-9 ; PARKER (1933), 188-9 ; JONES (1964), I, 53 et 57-8 ; SPEIDEL (1974), 394 et 396 ; CHRISTOL (1981a), 129 et s. ; PAVKOVIČ (1991), chap. iii ; BRENNAN (1998) ; LEWIN (2001) ; MÉA (2014), 65-81. Les premiers equites promoti légionnaires (en l’occurrence ceux de la legio II Traiana) font leur apparition en 300 dans le P. Beatty Panop., 2, l. 198 et 204. Mais les equites promoti domini nostri issus du prétoire sont attestés dès l’année 293 dans un corps expéditionnaire de Galère en Égypte. Cf. P. Grenf., II, 110, l. 1-2. 52
53
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attachés à chaque légion sous le Principat57. En s’appuyant sur la description de l’antiqua ordinatio legionis de Végèce, certains historiens ont supposé que le changement de nomenclature s’accompagna d’un accroissement des effectifs de la cavalerie légionnaire, qui intervint sous Gallien58. L’auteur de l’Epitoma rei militaris avance en effet que son « ancienne légion », que l’on date généralement des années 260-29059, disposait d’une force de 726 equites, soit six fois plus de soldats montés qu’au Ier s.60. Mais rien ne permet d’attribuer à Gallien la paternité d’une telle mesure. Végèce n’utilise d’ailleurs jamais l’adjectif promotus pour désigner les cavaliers de son antiqua legio et il est aujourd’hui démontré que cette appellation fut adoptée dans la partie orientale de l’Empire, au début de l’époque tétrarchique61. En Occident, les equites legionis continuèrent d’exister au moins jusqu’à la fin du IIIe s .62. On peut donc à coup sûr dissocier cette réforme de la description végétienne, qui reste sujette à caution en l’absence de confirmation externe. Les equites promoti formaient des unités à part entière, à la différence des contingents de cavalerie légionnaire du Haut-Empire. Mais l’exemple de la legio II Traiana révèle qu’ils pouvaient toujours être attachés – au moins à titre nominal – à leur légion d’origine au début du IVe s.63. Seuls certains escadrons furent 57 Dans l’épigraphie funéraire, l’adjectif promotus renvoie à l’origine à la « promotion » d’un soldat qui accède à la fonction d’eques (CIL, XIII, 6823, Mayence, IIIe siècle) ou obtient une « charge tactique » (CIL, IX, 1609, Bénévent, 213 ap. J.-C.) au sein de son unité. 58 GROSSE (1920), 15 ; PARKER (1932), 144-6 ; CHRISTOL (1981a), 132 ; SOUTHERN & DIXON (1996), 12 ; LE BOHEC (2006), 73 ; ID. (2009), 236 ; SPEIDEL dans JOHNE (2008), 678-9. J.-M. Carrié estime pour sa part que cette réforme put intervenir entre 240 et 285 : CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 137. 59 GROSSE (1920), 35-6 ; RITTERLING (1925), col. 1350 ; NISCHER dans KROMAYER & VEITH (1928), 493-4 ; PARKER (1932), 146. SARNOWSKI (1993) et (1996), sur la base d’une inscription de Nouae (Thrace) mentionnant une noua ordinatio propre à la legio I Italica (IGLNovae, 47 a), pense pour sa part que cette organisation date des décennies précédant les années 260. Reprenant une hypothèse initialement avancée par BIRLEY (1953a), 234, J.-M. Carrié et S. Janniard remontent plus haut et supposent que la réforme intervint à l’époque des Sévères : CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 643 et JANNIARD (2010), 244-6. MÉA (2014), 70 a récemment défendu la même position concernant la cavalerie de l’antiqua ordinatio végétienne. Pourtant, aucun témoignage épigraphique ne permet de confirmer cette organisation originale dans la première moitié du IIIe s., et P. Faure a démontré de manière irréfutable que la structure à cinq cohortes de la légion végétienne ne correspond pas à celle des légions de cette période, legio II Parthica comprise : FAURE (2013), I, 29-31. 60 Veg., Mil., II, 6, 3-9. 61 BRENNAN (1998). 62 Cf. infra, p. 376. 63 Comme le souligne judicieusement PARKER (1932), 146 : « These promoti are best regarded as uexillationes from the legions, and, although operating independently from the
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séparés de leur unité-mère pour servir de vexillations dans les armées d’accompagnement. Nous les retrouvons dans la Notitia dignitatum sous la forme de contingents mis à la disposition des armées palatines et comitatenses64. Certains d’entre eux furent apparemment redéployés aux frontières dès l’époque tétrarchique ou peu après, en qualité d’escadrons d’equites ou de cunei65. Ce qui est valable pour les scutarii et les promoti l’est peut-être aussi pour les equites stablesiani. Ces nouveaux corps de troupes apparaissent dans la documentation au plus tôt sous Dioclétien66. Mais il n’est pas impossible que leur mise en place soit à rattacher à une mesure de Gallien, de Claude II ou d’Aurélien. Plusieurs hypothèses ont été proposées concernant leur origine. Dietrich Hoffmann a supposé qu’il s’agissait d’unités constituées d’écuyers (calones) de la « réserve de cavalerie » de infantry, still retained as late as 302 A.D. a connection with the units from which they were drawn. » Cf. P. Beatty Panop., 2, l. 198 et 204 (300 ap. J.-C.) : Λεοντίῳ πραιποσίτῳ ἱππέων προμώτων λεγεῶνος β Τραιανῆς / Λεόντιον πραιπόσιτον ἱππεῦσι προμώτοις λ[εγε]ῶνος β Τραιανῆς. P. Grenf., II, 74, l. 1-2 (302 ap. J.-C.) : Αὐρήλιος [Ἥρ]ων Κάστορος [σ]τρατιώτης ἱππεὺς προμωτῶν σεκούντων ἀπὸ λεγεῶνος β Τραϊανῆς. P. Col., 7, 188 (320 ap. J.-C.) : Οὐαλέριος Ἀειῶν ἑκατόνταρχος οὐιξιλατίωνος ἱππέων προμώτων λεγίων[ος] β Τραιανῆς. BRENNAN (1998), 241 suppose une situation analogue pour un autre contingent d’equites promoti attesté en Égypte : les equites promoti indigenae legionis III Diocletianae, qui ont été injustement séparés de leur légion dans l’édition Seeck de la Notitia dignitatum (ND Or., 31, 30-31). Theodorus, exarchus promotus de la legio tertia en 309 (Chrest. Mitt., 196, l. 7-8), faisait certainement partie de cet escadron dans la mesure où ce grade n’est attesté que dans la cavalerie. Brennan souligne par ailleurs que dans tous les duchés orientaux, la règle semble avoir été d’associer deux escadrons d’equites promoti indigenae et deux légions. La trace de ce système est aussi perceptible dans les duchés danubiens (du Norique à la Moesia I) mais pas en Occident. 64 ND Or., 5, 28 (equites promoti seniores) ; 5, 39 (equites promoti iuniores) ; 7, 31 (equites promoti clibanarii). ND Occ., 6, 44 = 7, 160 (equites promoti seniores) ; 6, 76 = 7, 194 (equites promoti iuniores) ; 6, 85 (cuneus equitum promotorum). 65 ND Or., 33, 17 (equites promoti Illyriciani) ; 34, 19 (equites promoti Illyriciani) ; 35, 16 (equites promoti Illyriciani) ; 36, 20 (equites promoti Illyriciani) ; 37, 15 (equites promoti Illyriciani) ; 41, 13 (cuneus equitum promotorum) ; 41, 16 (cuneus equitum promotorum). ND Occ., 32, 25 (cuneus equitum promotorum). On ne peut exclure, cependant, que les cunei equitum promotorum aient obtenu le statut de cuneus comme une simple promotion, sans avoir été détachés dans des armées d’accompagnement. 66 HOFFMANN (1969), I, 251-2 et 263 ; SPEIDEL (1974) ; ID. dans JOHNE (2008), 682-3 ; RANCE (2012). Hoffmann et Speidel supposent que Gallien fut le créateur de ces corps de cavalerie, mais aucun document ne permet de confirmer cette hypothèse. Six stèles mentionnent des equites stablesiani : AE, 1916, 7-8 (Sétif) ; CIL, VIII, 8490 (Sétif) ; AE, 1937, 35 (Ras el Oued) ; IAq, 2858 = AE, 1974, 342 (Aquilée) ; CIL, V, 4376 (Brescia). Les inscriptions de Maurétanie et d’Aquilée sont probablement les plus anciennes (cf. infra, n. 70). La stèle de Brescia est datée de 312 par VANNESSE (2010), 240. Voir en outre le cas du casque de Deurne, qui appartenait à un soldat de la uexillatio equitum VI stablesianorum (AE, 1927, 153 = AE, 1974, 466) : datable des années 319-320 d’après le contexte archéologique.
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Gallien. Pour sa part, Michael P. Speidel voyait en eux les héritiers des stratores consularis, mais il reconnaît aujourd’hui que cette thèse doit être abandonnée. Plus récemment, Peter Brennan a proposé de considérer les stablesiani comme la contrepartie occidentale des equites promoti, c’est-à-dire comme des cavaliers légionnaires constitués en unités indépendantes dans les armées de campagne tétrarchiques67. Cette dernière hypothèse nous semble difficilement acceptable. En effet, l’existence des equites legionis traditionnels perdura au-delà du IIIe s. en Occident : il est donc inutile de postuler qu’ils furent séparés et renommés sous la forme d’unités nouvelles. Deux stèles tétrarchiques d’Aquilée – où Maximien avait placé une grande partie de son armée en réserve68 – prouvent que des cavaliers étaient toujours attachés à la XIe légion Claudia à l’aube du IVe s. : l’un, Aurelius Iustinus, est eques in legione XI Claudia ; l’autre, Valerius Quintus, est discens equitum legionis XI Claudiae69. Or, des stablesiani sont mentionnés au même endroit par une stèle datable de la même période : ils forment une unité indépendante (numerus) et ne sont liés à aucune légion70. Comment expliquer l’apparition de ce nouveau corps de cavaliers ? Stablesianus dérive du latin stabulum, « écurie »71. L’existence d’un stabulum legionis reste à démontrer. En revanche, nous connaissons pour le IVe s. une charge de tribunus puis de comes stabuli, liée à l’acquisition et 67 BRENNAN (1998). La différence de nomenclature serait liée à la division administrative de l’Empire durant cette période, chaque Auguste définissant souverainement les réformes qui s’appliquaient à son armée. Cela expliquerait pourquoi les stablesiani ne figurent pas parmi le groupe des equites Illyriciani dans la Notitia dignitatum Orientis alors que la plupart des nouvelles formations de cavalerie y sont représentées (Mauri, scutarii, Dalmatae, promoti). 68 VANNESSE (2010), 94-5. 69 CIL, V, 896 = IAq, 2774 = ILS, 2332 ; CIL, V, 944 = IAq, 2780. Cf. VANNESSE (2010), 234-6 pour la datation. 70 IAq, 2858 = AE, 1974, 342. Cf. VANNESSE (2010), 511 pour la datation. Une partie de ces stablesiani fut peut-être envoyée en Maurétanie Césarienne lors de l’expédition de Maximien contre les Quinquegentanei (297-298 ap. J.-C.). Nous savons en effet que des légionnaires de la XI Claudia y participèrent (CIL, V, 893), de même que des détachements des légions II Italica, III Italica et II Herculia dont la présence est attestée à Sitifis (AE, 1972, 709-710 ; CIL, VIII, 8440 ; cf. SPEIDEL [1984a], 66-8 et 406). Les trois stèles de stablesiani trouvées sur le territoire de cette cité (AE, 1916, 7-8 ; CIL, VIII, 8490) sont probablement à rattacher aux mêmes opérations militaires. 71 OLD, s.v. « stabulum », p. 1813. La chute du u de la deuxième syllabe dans le latin courant de l’époque est confirmée par une entrée de l’édit sur les prix de Dioclétien (301 ap. J.-C.) : grabatum stablense (Ed. Diocl., 12, 31 ; cf. CRAWFORD & REYNOLDS [1977], 146). Voir aussi la transcription du mot latin en grec sous la forme στάβλον dans les papyrus égyptiens de la fin du IIIe s. et du IVe s. (P. Oxy., I, 43v, l. 12 ; P. Oxy., XVII, 2115, l. 9 ; P. Oxy. Hels., 44, l. 7 ; BGU, XIX, 2830, l. 5 ; CPR, VI, 49, l. 5 ; P. Abinn., 62, l. 7 et 13) et chez l’hippiatre Theomnestos (CHG, I, 184 = Hipp. Berol., 34, 13).
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à l’entretien des montures de la cour72. Cet office très prestigieux tire peut-être son origine de la pérennisation du sacer comitatus au IIIe s. L’existence d’une armée de campagne permanente, composée d’un important contingent de cavalerie, impliquait certainement la création d’un service de la remonte attaché à la cour impériale. Cette écurie palatine existait peut-être déjà à l’époque de Gallien puisque l’un de ses lieutenants les plus influents, Auréolus, fut élevé au rang de τῶν βασιλικῶν ἵππων φροντιστής, « responsable des chevaux impériaux », peu de temps avant la révolte d’Ingenuus (en 258 ou en 260, la date est discutée)73. Un papyrus très fragmentaire, daté de la fin du IIIe s., mentionne un ἱεροῦ βασιλικοῦ σ[τ]άβλου qui pourrait correspondre à cette institution aulique74. Au même titre que le préfet du prétoire ou le préfet des vigiles au IIIe s., le tribun de l’écurie impériale pouvait commander une partie des troupes dans les armées d’accompagnement tardives75. Aussi ne sera-t-on pas surpris de voir Auréolus agir en qualité d’ἵππαρχος lors de la campagne contre Ingenuus : Zonaras précise qu’il commandait des cavaliers distincts des Maures du comitatus impérial76. Les soldats 72 Agilo, tribunus stabuli dans l’armée de Constance II : Amm., XIV, 10, 8. Sintula, tribunus stabuli de Julien : Amm., XX, 4, 3. Valens, Constantianus et Cerealis, tribuni stabuli de Valentinien : Amm., XXVI, 4, 2 ; XXVIII, 2, 10 ; XXX, 5, 19. Valerianus, tribunus stabuli de Valens : Amm., XXXI, 13, 18. Stilichon, comes stabuli sacri en 384 : CIL, VI, 1195 = CIL, VI, 1731 ; Claud., Serena, 190-3. Flavius Areobindus Dagalaifus Areobindus, comes sacri stabuli au début du VIe s. : ILS, 1303. Sur cet office, cf. HEPTWORTH (1963), I, 97-9 et SCHARF (1990). 73 Zon., XII, 24, 597. Chez cet auteur comme chez bien d’autres écrivains de langue grecque, ἵππος peut occasionnellement signifier cavalier. Mais lorsqu’il s’agit de distinguer les cavaliers des chevaux, ἱππεύς est préféré à ἵππος. À l’époque à laquelle écrit Zonaras, le comes stabuli de la cour byzantine porte bien le titre de κόμης τῶν βασιλικῶν ἴππων (Pseudo-Kodinos, De off., 5 [éd. Verpeaux p. 168]). Contra SPEIDEL (1987c), 376-7, qui voit dans Auréolus un commandant de la garde montée (peut-être avec le titre exceptionnel de praefectus equitum singulariorum Augusti). 74 P. Ryl., II, 288, l. 4. Voir CIL, V, 1880 = AE, 2011, 400 (Concordia, IVe s.) et CIL, V, 374 (Cittanova, IVe s.) : stabulum dominici. Il est fort probable que l’apparition cette institution ait un lien avec le développement concomittant des premières grandes fermes d’élevage impériales. Au IVe s., ces domaines étaient placés sous la supervision générale du comes sacri stabuli. Cf. infra, p. 566 et s. 75 Voir le cas du tribunus stabuli Valerianus lors de la bataille d’Andrinople (378 ap. J.-C.) : Amm., XXXI, 13, 18. En 354, Agilo (cf. supra, n. 72) est mis sur le même plan que le comes domesticorum et le commandant des scutarii de la garde ; il devient d’ailleurs tribun des gentiles et des scutarii par la suite, avant d’être promu magister peditum en 360 (Amm., XX, 2, 5). Voir aussi CTh., VI, 13, 1 (413 ap. J.-C.) : le tribunus stabuli est classé parmi les tribuns qui commandent les scholes palatines (Praepositos ac tribunos scholarum […] inter quos tribunus etiam sacri stabuli). 76 Zon., XII, 24, 597 : ὁ Αὐρίολος ἱππαρχῶν γενναίως μετὰ τῶν ἱππέων ἀγωνισάμενος πολλοὺς τῶν τὰ Ἰγγενούου φρονούντων διώλεσε καὶ τοὺς λοιποὺς ἐτρέψατο εἰς φυγήν.
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qui furent rattachés à son commandement, à force de détachements d’unités frontalières, finirent peut-être par former le noyau de nouvelles unités permanentes, les uexillationes equitum stablesianorum.
B. Les corps de troupes nouvellement levés On peut donc raisonnablement supposer que les scutarii et les stablesiani prirent la suite d’unités plus anciennes. Ceci expliquerait pourquoi les régions les moins touchées par le renouvellement des unités sont les provinces périphériques, qui ne connurent pas la naissance de grandes armées d’accompagnement impériales77. Cependant, il est indéniable que d’autres corps de cavalerie furent créés ex nihilo dans la seconde moitié du IIIe s. Le cas des equites Mauri, présents en nombre dans les listes de la Notitia dignitatum, offre une première piste de réflexion78. L’utilisation de javeliniers africains était une tradition bien ancrée dans le monde romain depuis l’époque républicaine. Durant le IIe s., certains contingents avaient été intégrés dans l’armée régulière sous forme de numeri. À partir de l’année 193, de nouvelles unités d’élite font leur apparition. Présents sur presque tous les champs de bataille et dans quasiment toutes les armées d’accompagnement du siècle suivant, les Maures remplissent déjà la fonction des futures vexillations palatines79. Christine Hamdoune 77
La seule aile pré-sévérienne attestée dans une armée d’accompagnement après le règne de Gallien est l’ala II Flauia Hispanorum, qui apparaît dans le comitatus de Dioclétien en Égypte en 295 (P. Oxy, I, 43r). Cette unité avait son lieu de garnison en Tarraconaise, non dans une province de l’Illyricum. Elle fut donc tenue à l’écart de ce mouvement de réorganisation puisque la péninsule Ibérique était alors tenue par Postume. 78 HAMDOUNE (1999), 203-7. 79 Javeliniers maures dans l’armée de Pescennius Niger en 193 : Hdn, III, 3, 4-5 ; cf. aussi IGR, III, 1099 (Sidon). En 216 et 218, des Maures prennent part aux guerres parthiques de Caracalla et de Macrin : Cass. Dio, LXXVIII, 32, 1 ; Hdn, IV, 15, 1. Nous les retrouvons au service de Sévère Alexandre puis de Maximin contre les Germains : Hdn, VI, 7, 8 ; VII, 2, 1 ; HA, Max., 11, 7 (CIL, VIII, 12066 fait peut-être référence à ces événements). Ils participent à l’invasion de l’Italie en 238 (Hdn, VIII, 1, 3 ; Zos., I, 15, 1), défont les Carpes sous Philippe l’Arabe (Zos., I, 20, 2) et servent dans l’armée orientale de Valérien en 260 (Pierre le Patrice, F 173 ; cette présence est peut-être confirmée par l’inscription trilingue de Shapur Ier, cf. LORIOT [2006], 334). Zosime les mentionne lors de la campagne d’Aurélien contre Palmyre en 272 (Zos., I, 52, 4) et nous retrouvons des Mauri seniores à deux reprises dans le cursus militaire de Traianus Mucianius (IGR, I, 1496 = ILS, 9479 = AE, 1908, 259 = IGBulg., III/2, 1570). Par la suite, les Maures réapparaissent dans le contexte de la guerre entre Constantin et Maxence, et sont présents dans les deux camps. Maxence : Zos., II, 10, 1 ; Lact., De mort. pers., 44, 2. Constantin : L’ORANGE (1939), pl. 8b ; 11a et 11b.
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pense que ces attestations récurrentes sont à rapprocher d’une politique d’alliance suivie tout au long de la période avec certaines tribus maures, notamment les Baquates de Tingitane80. Cela pourrait expliquer la forte identité ethnique conservée par ces troupes durant près d’un siècle. Une telle continuité supposait toutefois l’envoi régulier de supplementa, afin de remplacer les pertes de l’unité-mère. La mention d’equites itemque pedites iuniores Maurorum dans une inscription d’Auzia (Maurétanie Césarienne) doit probablement être interprétée dans ce sens : iuniores serait alors synonyme de « bleus », par opposition aux cadres et aux soldats expérimentés – seniores 81. Selon toute vraisemblance, les unités d’equites Dalmatae furent également levées à la suite d’un véritable programme de recrutement. Ces troupes apparaissent comme un corps identifiable du comitatus dès l’année 26882. Certains historiens ont cru qu’il s’agissait à l’origine de contingents ethniques recrutés en Dalmatie83 ; d’autres, qu’elles provenaient d’unités de cavalerie stationnées dans cette province84. D’autres encore ont estimé que les equites Dalmatae étaient des cavaliers de l’armée régulière détachés par Gallien pour constituer une réserve mobile au cœur des Balkans : ils auraient par la suite conservé la mémoire de cette affectation en adoptant ce nom85. De ces trois hypothèses, il semble que la première soit la plus vraisemblable. En effet, les Dalmatae ne pouvaient provenir d’ailes stationnées dans une province où nous ne connaissons
80 Cf. REBUFFAT dans KAZANSKI & VALLET (1993), 77-81. Ce phénomène peut être mis en relation avec la progression du contrôle romain en Afrique sous les Sévères : HAMDOUNE (1999), 158-9 ; CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 83. Hdn, VII, 2, 1 affirme que les Maures du comitatus appartenaient à un groupe hétérogène constitué de « sujets » de l’Empire, mais aussi « d’amis et d’alliés » (οἳ μὲν ὑπήκοοι, οἳ δὲ φίλοι καὶ σύμμαχοι), ce qui suggère que certains d’entre eux provenaient de communautés extra-provinciales (voir aussi Cass. Dio, LXXVIII, 32, 1, selon lequel les Maures de Macrin servaient conformément aux clauses d’une alliance). 81 Iuniores : CIL, VIII, 20996. Seniores : IGBulg., III/2, 1570. 82 Sur ce groupe d’unités : cf. SPEIDEL (1975b), 225-6 ; SCHARF (2001a) ; SPEIDEL dans JOHNE (2008), 679-80. Les premières attestations d’equites Dalmatae se trouvent dans HA, Gall., 14, 4 et 9 ; Zos., I, 40, 2 et 43, 2. Il existe une mention antérieure dans HA, Clod. Alb., 6, 2 mais il s’agit probablement d’un anachronisme comme l’a soutenu RITTERLING (1903), 345, n. 3 (contra SIMON [1980], 451, n. 55). ROCCO (2012), 87-8 ne pense pas que les Dalmates constituaient une unité du comitatus impérial en 268, mais la responsabilité de leur commandant dans l’assassinat de Gallien lors du siège de Milan implique qu’ils en faisaient bien partie. 83 ALFÖLDI (1939), 216 ; IBEJI (1991), 161 ; HAMDOUNE (1999), 217. 84 SOUTHERN & DIXON (1996), 12 ; WHITBY (2004), 161. 85 SPEIDEL (1975b), 225, mais sans donner le moindre argument accréditant l’existence d’une telle réserve. Voir aussi DZIURDZIK (2017a), 458 et ID. (2017b), 227.
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aucune unité de ce type86. Quant à la supposée réserve qui aurait été constituée dans cette région, son existence reste à prouver. Les equites Dalmatae furent peut-être recrutés à la hâte parmi les peuples de Dalmatie pour remédier à une crise des effectifs87. Les sécessions de la Gaule et de Palmyre pourraient expliquer une telle mesure. Alors que le territoire contrôlé par le pouvoir central se limitait désormais à un réduit comprenant l’Afrique, l’Italie, les provinces danubiennes et la Grèce, la chute du limes germano-rhétique et les incursions répétées des Marcomans et des Goths durent restreindre davantage les possibilités de recrutement de l’armée romaine88. Dans ce contexte, la Dalmatie, au même titre que l’Afrique du Nord, constituait un bassin démographique relativement épargné et donc susceptible de fournir aux empereurs des recrues en nombre important89. Une épitaphe récemment découverte à Bostra va dans le sens de cette interprétation90. Elle mentionne un Aur(elius) Licca[e]us, exarc[h]us numer[i] Dalmatarum. La présence du grade d’exarque indique que le numerus Dalmatarum en question est bien une unité de cavalerie et plaide pour une datation haute91, de même que le gentilice Aurelius qui se raréfie dans l’armée romaine à partir de la Tétrarchie au profit de Valerius puis Flavius92. La facture illyro-dalmate du cognomen offre un argument 86 WILKES (2000), 328 : « By the end of the 1st century the legions had departed from Dalmatia and the auxiliary garrison was reduced to three cohorts of infantry (two were part-mounted) […], a deployment which continued unchanged into the 3rd century. » 87 HA, Claud., 11, 9 laisse bien entendre que la Dalmatie était leur province d’origine : In quo bello, quod (a Claudio) gestum est, equitum Dalmatarum ingens extitit uirtus, quod originem ex ea prouincia Claudius uidebatur ostendere. 88 L’Historia Augusta précise que les barbares occupaient une partie de l’Illyricum sous Gallien (HA, Trig. tyr., 29, 1) et l’auteur anonyme de l’Epitome de Caesaribus dit du même empereur qu’il céda une portion de la Pannonie supérieure aux Marcomans (Epit. de Caes., 33, 1). 89 En plus de procurer des cavaliers à l’armée, la Dalmatie avait la réputation de fournir d’excellentes montures militaires à la fin du IVe s. : Vég., Mul., III, 6, 3. Mieux, dans le panégyrique qu’il adresse en 362 à Julien, Claudius Mamertin rappelle que la province était soumise à d’énormes contributions destinées à alimenter la remonte impériale. Cf. Pan. Lat., XI (III), 9, 1 : leuati equorum pretiis enormibus Dalmatae. Contra DZIURDZIK (2017b), 226 : « One should also remember that the inhabitants of Dalmatia had little equestrian traditions and the province had diminutive possibilities for breeding horses. » 90 IGLS, XIII, 2, 9505a (Bosra el-Cham / Bostra). 91 La dernière attestation datable de ce grade remonte à l’année 309 : Chrest. Mitt., 196, l. 7 (Oxyrhynchos). Voir aussi les épitaphes CIL, V, 5823, 6998, 7000 et 7001 qui ont été rapprochées de la campagne de Constantin contre Maxence en Italie et pourraient repousser le terminus ante quem à 312 (cf. infra, p. 391). Le grade de biarque qui supplante celui d’exarque (cf. Jér., Contra Ioh. Hierosolym., 19) apparaît au plus tard en 320 : SB, 20, 14379, l. 9. Auparavant, la forme bis exarchus (abrégée BB) est privilégiée et côtoie le grade d’exarque, e.g. CIL, III, 14214 (24). 92 KEENAN (1973-1974) ; ID. (1983) ; SPEIDEL (1984b), 151-2 ; SALWAY (1994), 137-40.
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supplémentaire en faveur de l’hypothèse du recrutement ethnique93. Comme les liens de l’unité avec sa région d’origine furent vraisemblablement rompus dès les premières décennies de son existence – du fait des déplacements constants de la cavalerie du comitatus durant la période –, il y a fort à parier que Liccaeus faisait partie de la première génération d’equites Dalmatae recrutés sous Gallien. Ce monument funéraire date certainement d’après la reconquête de l’Orient par Aurélien (272), car c’est lors de cette expédition que des equites Dalmatae sont pour la première fois mentionnés en Orient94. Quant au terminus ante quem, il peut être raisonnablement situé autour de l’année 299 : passés la victoire de Galère contre les Perses et le rétablissement de l’autorité impériale en Mésopotamie, les equites Dalmatae sont répartis de manière régulière dans les duchés orientaux95. Or, la Notitia dignitatum ne mentionne aucun escadron de cavalerie à Bostra. Cette observation ne constitue pas une preuve incontestable et la localisation des troupes put très bien évoluer au cours du IVe s. Mais plusieurs études récentes ont insisté sur la forte emprunte tétrarchique visible dans la Notice des dignités orientale96. À l’inverse, il est avéré que Bostra fut au cœur des préoccupations d’Aurélien lorsque celui-ci envisagea une vaste opération de remaillage de la région97. Il nous semble que l’inscription de Liccaeus doit être replacée dans ce contexte.
Avant de devenir les escadrons d’equites que nous connaissons grâce à la Notitia dignitatum Orientis, les Dalmatae furent donc recrutés localement et organisés sous la forme d’un ou plusieurs numeri au sein du comitatus de Gallien98. La situation changea probablement par la suite, 93 Liccaeus (et sa variante Liccaius) est un nom typique de Dalmatie septentrionale : MAYER (1957), 210-1 ; ALFÖLDY (1969), 230 ; OPEL, III, 26. Il est bien attesté en Dalmatie (e.g. CIL, III, 15101 ; ILJug., III, 1591 et 2956) ainsi que dans d’autres provinces pour des Dalmates (e.g. AE, 1921, 95) ou dans des unités constituées de Dalmates (ILS, 2577). 94 Zos., I, 52, 3. 95 Cf. infra, p. 386-8. 96 Outre BRENNAN (1998) (cf. supra, n. 67), voir PARKER (2006), 547-8. 97 Voir CHRISTOL & LENOIR (2001) et KENNEDY (2004), 60 à propos d’AE, 1996, 1623. LEWIN (2007) trouve préférable de dater cette inscription de l’époque tétrarchique, mais voir en dernier lieu JUCHNIEWICZ (2013) sur le contexte d’installation de la legio I Illyricorum à Palmyre. 98 Un autre (ou plusieurs ?) numerus de ce type est attesté sur le territoire de Ratiaria, peut-être durant la même période : AE, 1938, 97-98 (Makreš) ; AE, 1938, 99 (Archar) ; voir aussi Izvestija na Muzeite v Severozapadna Bălgarija 6, 1981, 55-8, fig. 3. D’après D. Dana (comm. pers.), l’absence de gentilice dans la première inscription pointe vers le IVe s., mais le grade d’exarque présent dans la deuxième incite à ne pas repousser trop loin le terminus ante quem. Cinq escadrons de Dalmates sont mentionnés par la Notitia dignitatum en Dacia ripensis : à Bononia, Dorticum, Drobeta, Augustae et Variana (ND Or., 42, 13 ; 14 ; 16 ; 17 ; 18). Bien que proches d’Archar et Makreš, ces localités ne correspondent pas exactement à Ratiara, occupée par une vexillation de la legio XIII Gemina à la fin du IVe s. (ND Or., 42, 38). La continuité entre les unités de la Notitia dignitatum et ce numerus Dalmatarum, bien que probable, est donc loin d’être prouvée.
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CRISES ET TRANSITIONS
quand il fallut remplacer la première génération de soldats : à l’époque tétrarchique, les equites Dalmatae avaient peut-être déjà perdu leur caractère ethnique. Morts en 312 dans le contexte de la campagne de Constantin contre Maxence, les soldats du numerus equitum Dalmatarum Fortensium s’appelaient Aurelius Ianuarius, Aurelius Valentianus et Aurelius Iustus99. III – LA REFONDATION DE LA
CAVALERIE IMPÉRIALE
Tout comme l’infanterie légionnaire, la cavalerie romaine fut profondément affectée par la mise en place d’armées d’accompagnement quasipermanentes, ainsi que par les vagues de réformes et de démobilisation successives qui marquèrent les règnes de Gallien, d’Aurélien, de Dioclétien et de Constantin. De nouveaux régiments furent créés, d’autres prirent la suite des anciens. Le tissu des garnisons fut bouleversé, de même que la logique géographique de leur répartition. À terme, ces mesures aboutirent à la mise en place d’une nouvelle hiérarchisation des corps de troupe au sein de l’armée. Celle-ci ne reposait plus sur l’ancienne discrimination juridique, distinguant entre légionnaires et auxiliaires, mais se fondait désormais sur le rapport de proximité qu’entretenait ou qu’avait entretenu chaque corps de troupes avec la cour impériale. La cavalerie fut ainsi répartie, par ordre de prestige, entre armées centrales, armées d’intervention régionales et armées frontalières.
A. L’évolution des nomenclatures au tétrarchique
IIIe
s. et la réorganisation
En plus des traditionnelles alae, la Notitia dignitatum recense diverses catégories de régiments, classées par ordre de prestige. En tête des listes figurent la nouvelle garde montée des scholae palatinae100, puis les vexillations de cavalerie : certaines de ces unités font partie des armées palatines, d’autres des armées d’intervention régionales. Les armées frontalières se composent pour leur part d’unités appelées cunei, equites et alae. Les subtilités qui permettaient à l’administration impériale de distinguer 99
CIL, V, 5823 (Mediolanum / Milan). Sur les scholes palatines : GROSSE (1920), 93-6 ; SEECK (1921) ; FRANK (1969) ; HOFFMANN (1969), I, 281-5 ; WOODS (1996a) ; ROCCO (2012), 283-7. 100
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ces corps de troupes les uns des autres demeurent incertaines et l’on s’interroge encore sur les étapes qui virent la mise en place de cette nouvelle organisation101. Diverses hypothèses ont été proposées, insistant tour à tour sur le rôle de Gallien, d’Aurélien, de Dioclétien ou de Constantin. Seul un examen détaillé et rigoureusement diachronique de l’évolution des nomenclatures militaires peut permettre de comprendre ces changements. La grande nouveauté de la seconde moitié du IIIe s. réside dans le déclin des catégories héritées de l’époque julio-claudienne et la systématisation de dénominations informelles. Jadis employée pour désigner certains corps de troupes de l’armée romaine ne disposant pas d’un commandement autonome (les equites legionis) ou ne correspondant pas à un modèle prédéfini (les equites singulares Augusti, les uexillationes equitum electorum, les Mauri equites), l’appellation equites connaît son heure de gloire sous Gallien et ses successeurs. Nous la retrouvons sur les monnaies, dans l’épigraphie et dans les sources littéraires102. Parallèlement, les alae se font de plus en plus rares, notamment dans les armées d’accompagnement. La dernière unité de ce type que nous connaissons grâce à l’épigraphie est l’ala firma catafractaria, à Bad-Cannstatt, sous le règne d’Aurélien103. Passée cette date, les nouvelles formations de cavalerie du comitatus n’apparaissent plus que sous les noms de numerus equitum, de uexillatio equitum ou d’equites. L’inscription de Grenoble réalisée sur ordre du préfet des vigiles Iulius Placidianus en 269 donne une bonne illustration de ce phénomène. Cette dédicace au numen et à la maiestas de l’empereur Claude II mentionne un corps d’armée composé de uexillationes adque equites104. Le terme uexillationes renvoie certainement aux détachements légionnaires de l’armée
101 Voir en dernier lieu NICASIE (1998), 60-5 ; CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 621-8 ; ROCCO (2012), 201-6 et 298-300. 102 CHRISTOL (1981a), 118 et s. ; IBEJI (1991), 159 et s. 103 M.P. Speidel (dans JOHNE [2008], 677) cite pour sa part l’ala Ulpia contariorum Deciana, en campagne entre 249 et 251 à Apamée, et pense qu’après cette date, des vexillations numérotées prennent la relève des auxilia traditionnels dans les armées d’accompagnement, ce qui justifierait l’idée d’une réforme de la cavalerie du comitatus sous Gallien. Mais la redatation récente de la stèle de Bad Cannstatt invalide cette hypothèse. Voir SCHEUERBRANDT (2006). 104 CIL, XII, 2228 : Imp(eratori) Caesar[i] / M(arco) Aur(elio) Claudio / Pio Felici Inuicto / Aug(usto) Germanico / max(imo) p(ontifici) m(aximo) trib(uniciae) potes/tatis II co(n)s(uli) patri pa/triae proc(onsuli) uexil/lationes adque / equites itemque / praepositi et duce/nar(ii) protect(ores) ten/dentes in Narb(onensi) / prou(incia) sub cura Iul(i) / Placidiani u(iri) p(erfectissimi) prae/fect(i) uigil(um) deuoti / numini maiesta/tiq(ue) eius.
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d’accompagnement attestés dans les séries monétaires de l’époque de Gallien105. L’expression equites est en revanche plus difficile à interpréter106. Plus qu’elle ne postule une équivalence, la conjonction adque distingue clairement les equites des uexillationes, probablement parce que l’idée de détachement ne correspondait pas, ou tout du moins pas complètement, à la composition du corps expéditionnaire de Placidianus. En effet, sous le HautEmpire, la uexillatio equitum apparaît toujours comme un corps de cavaliers détachés d’un même espace géographique107. Dans l’armée mobile de Claude, dont le corps de Placidianus ne constituait qu’une émanation, la situation n’était pas comparable : des unités entières (alae, contingents irréguliers, cavaliers prétoriens, equites singulares Augusti) côtoyaient probablement des détachements provenant d’armées provinciales différentes, sans compter le cas particulier des equites legionis, dépendant des vexillations légionnaires. Rassembler cet ensemble hétérogène sous le vocable de uexillatio ou de uexillationes aurait été impropre. C’est pourquoi un concept plus souple fut privilégié. Au-delà des questions institutionnelles qu’elle soulève, l’inscription de Grenoble témoigne avant tout d’une tendance à établir une distinction plus nette au sein de l’armée entre fantassins et cavaliers. On peut y lire l’aboutissement du processus initié par la Constitutio Antoniniana, qui rendait désuètes les anciennes catégories de légionnaires et d’auxiliaires108.
À côté du latin equites, privilégié pour désigner les vastes rassemblements de cavalerie, la prolifération des corps de troupes constitués ad hoc explique aussi la fortune du latin numerus. Ce terme avait déjà un sens très large sous le Haut-Empire puisqu’il pouvait désigner, en plus des unités ethniques, n’importe quelle troupe de l’armée régulière. Néanmoins, dans l’immense majorité des cas, on préférait toujours donner le nom complet de l’unité et numerus servait avant tout à éviter les répétitions109. Au IIIe s., comme un nombre croissant d’unités, notamment auxiliaires, perdent leur identité collective à force de détachements, cette expression devient la formule la plus courante pour désigner 105 PARKER (1932), 144. Ces émissions ont fait l’objet de nombreuses études. Entre autres : ALFÖLDI (1929) ; FITZ (1966) ; KING (1984) ; OKAMURA (1991). 106 RITTERLING (1903), 349 et n. 1 (suivi par GROSSE [1920], 49 ; ALFÖLDI [1939], 217 ; SAXER [1967], 125 ; SPEIDEL [1975b], 221-2 ; SIMON [1980], 447-8) pense qu’il existait une distinction entre les deux catégories : infanterie d’un côté, cavalerie organisée de façon autonome de l’autre. VAN BERCHEM (1952), 77 et HOFFMANN (1969), I, 3-5 estiment pour leur part qu’il est ici question de vexillations de cavalerie. Plus nuancé CHRISTOL (1981a), 119 : equites est « un terme générique qui est usité parce qu’il suffit à désigner clairement les troupes en question. Il permet de qualifier commodément les unités montées, par-delà peut-être les détails de leur nomenclature. » Contra ZUCKERMAN (2004), 151 (equites comme contraction de uexillatio equitum). 107 CHRISTOL (1981b), 135. 108 Sur cette question, cf. ROCCO (2010) et HAYNES (2013), 97-9. 109 E.g. AE, 1927, 95 ; CIL, III, 1607, 11135 et 12557 ; CIL, XIII, 8818.
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individuellement toutes les unités de l’armée impériale110. Les numeri qui apparaissent dans les sources et notamment dans la documentation épigraphique à partir de la Tétrarchie ne sauraient donc être confondus avec les anciens numeri ethniques : il s’agit parfois de corps très prestigieux de l’armée centrale. L’emploi croissant de dénominations informelles au IIIe s. était probablement conçu comme un expédient commode dans l’attente d’un retour à la normale111. Cette restauration de la situation militaire n’intervint véritablement qu’après l’arrivée au pouvoir de Dioclétien (284). Sous le règne de cet empereur, deux constitutions sur les privilèges accordés aux vétérans nous donnent un aperçu de la composition de l’armée impériale112. Dans ces documents, les légions et les vexillations (legiones uel uexillationes) sont placées sur le même plan hiérarchique : leurs soldats qui ont fait vingt ans de service peuvent bénéficier d’une exemption des onera et des munera personalia ; le premier édit précise bien que les cohortales sont exclus de cette clause, et il en allait probablement de même des equites alares113. L’historiographie considère depuis Ritterling que les vexillations dont il est question ici sont les nouvelles unités d’élite de cavalerie114. On constate en effet que dans les édits postérieurs (à partir de Constance II), le terme uexillatio renvoie désormais aux equites comitatenses ; il devient même synonyme d’« escadron » dans le traité de Végèce115. Mais rien ne permet d’affirmer que c’était déjà le cas dans les années 280-290. En effet, les sources épigraphiques et papyrologiques continuent d’employer cette expression avec le sens de « détachement » jusqu’en 320. Chronologiquement proche des constitutions évoquées plus haut, le P. Beatty Panop. 2 signale ainsi, en divers lieux, la présence de vexillations d’infanterie de la IIe légion Traiana placées 110 Outre le cas exceptionnel de l’ala III Thracum qui devient dans une inscription le numerus III Thracum (RIU, 158 = AE, 1998, 1055 ; cf. KOVÁCS [1998]), avant la Tétrarchie, la pratique semble avoir été de placer numerus avant le nom de l’unité. CIL, XIII, 8818 : uet(erano) ex n(umero) ala(e) I [Thr]acum. AE, 1931, 68 : equitibus n(umeri) alae firm(ae) catafr(actariae). L’ala Sarmatarum de Ribchester fournit peut-être un exemple précoce de ce phénomène : CIL, VII, 229 = RIB, 594 ; CIL, VII, 230 = RIB, 595 (fin du IIe-début du IIIe s. ?) à comparer avec CIL, VII, 218 = RIB, 583 = AE, 1947, 132 (Gordien). 111 CHRISTOL (1981a), 128-9. 112 CJ, X, 55, 3 (286-293 ap. J.-C.) et VII, 64, 9 (293-305 ap. J.-C.). 113 Voir en particulier CTh, VII, 20, 4 (325 ap. J.-C.), qui place les alares et les cohortales des armées frontalières sur le même plan hiérarchique. 114 Cf. réf. supra, n. 106. Voir également PARKER (1933), 188. 115 Veg., Mil., II, 1, 2 : Equitum alae […] quae nunc uexillationes uocantur. De la même manière, le terme uexillatio n’apparaît qu’une seule fois dans l’œuvre d’Ammien Marcellin pour désigner une unité de cavalerie (Amm., XXV, 1, 9).
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sous le commandement de praepositi116. Cet exemple suffit à prouver que l’administration impériale de Dioclétien ne donnait pas à uexillatio le sens que lui attribuait Végèce. Reste que de nombreuses uexillationes equitum (parfois abrégées equites) apparaissent dans les armées d’accompagnement à l’époque tétrarchique117. Faut-il les considérer comme de véritables détachements ? L’hypothèse ne paraît pas invraisemblable. La division de l’empire en 286 impliquait une répartition équitable des effectifs à disposition de chaque Auguste. Dans ce contexte, les Dalmatae, scutarii, stablesiani, catafractarii et autres Mauri de l’ancienne armée régionale illyrienne (matrice du comitatus dioclétianique) furent peut-être scindés en plusieurs vexillations distribuées à chaque prince. Cela expliquerait l’emploi, dans la table de Brigetio, de l’expression equites in uexillationibus constituti Inlyriciani118 : les privilèges accordés par Licinius concernaient les régiments issus des unités d’accompagnement illyriennes qui permirent la restauration de l’unité impériale. La date de promulgation de cette constitution (311) n’est peut-être pas fortuite : elle se situe vingtcinq ans après la division de l’empire par Dioclétien, en 286, et visait donc peut-être la première génération de soldats qui servirent dans ces vexillations. À côté de ces escadrons, dont le statut égalait déjà celui des légions (Licinius leur octroie les mêmes avantages qu’à ses legionari milites), Dioclétien semble avoir privilégié l’organisation en ailes pour la cavalerie frontalière. Sous son règne, de nouvelles unités de ce type furent créées, parfois à partir de contingents barbares levés, semble-t-il, durant la crise militaire119. L’empereur renouait ainsi avec l’ancienne pratique P. Beatty Panop., 2, l. 180-1 : πραιπόσιτον στρατιώταις οὐιξιλλατίωνος λεγεῶνος δευτέρας Τραιανῆς. Ibid., l. 260 et 285 : πραιπόσιτον στρατιώταις λάγχιαριοις οὐιξιλλατίωνος λεγεῶνος β Τραιανῆς. Cf. DARIS (2004), 241. Le mot vexillation peut encore s’appliquer à des troupes légionnaires en 316, cf. ILS, 8882 (legio III Gallica et I Illyricorum, Coptos). 117 CIL, V, 6784 ; AE, 1919, 18 ; AE, 1984, 825 (catafractarii) ; CIL, III, 405 ; CIL, XIII, 3458 = AE, 1892, 21 (Dalmatae) ; AE, 1946, 42 ; AE, 1976, 634 (scutarii). 118 AE, 1937, 232. Sur ce document, cf. PASSERINI (1942) ; VAN BERCHEM (1952), 75-88 ; MANN (1953) ; CORCORAN (2000), 145-8, #53 ; FEZZI (2007). Sur la signification de l’expression equites Inlyriciani : SESTON (1955), 287-8, n. 4 (sens géographique) ; VAN BERCHEM (1952), 81 ; ROCCO (2012), 274-5 (synonyme d’unités d’élite du comitatus). 119 Ala prima Iouia catafractariorum (ND Or., 31, 52) ; ala prima Iouia felix (ND Or., 38, 22) ; ala Herculea (ND Occ., 26, 3) ; ala prima Herculea (ND Occ., 40, 39) ; ala prima Herculia (ND Or., 28, 17) ; ala septima Herculia uoluntaria (ND Or., 28, 31) ; ala secunda Herculia dromedariorum (ND Or., 31, 32) ; ala prima noua Herculia (ND Or., 32, 16) ; ala I noua Diocletiana (ND Or., 35, 31) ; ala IX Diocletiana (ND Or., 32, 34) ; ala VII Valeria praelectorum (ND Or., 35, 27) ; ala II Valeria Sequanorum (ND Occ., 35, 116
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augustéenne et se montrait soucieux de conserver les cadres organisationnels hérités du Principat. On s’interroge cependant sur la création, à cette époque, d’une autre catégorie d’unités frontalières, celle des equites120. D’après la Notitia dignitatum, ces régiments occupaient un rang intermédiaire entre les alae et les cunei. Dans les duchés orientaux ils sont souvent associés au surnom Illyriciani, par opposition à d’autres equites qualifiés d’indigenae. Ces sobriquets avaient apparemment pour but de distinguer les contingents locaux des unités originaires de l’armée régionale illyrienne121. Ritterling pensait ainsi que les equites Illyriciani avaient été placés en garnison dans cette région de l’empire à l’issue de la campagne victorieuse d’Aurélien contre Palmyre. L’empereur aurait détaché des unités du comitatus dans ce secteur afin d’assurer la défense de la frontière orientale122. D’autres historiens ont préféré attribuer 33) ; ala I Valeria dromedariorum (ND Or., 31, 57). Toutes ces unités ne sont peut-être pas des créations nouvelles, cf. Aur. Vict., Caes., 39, 18. Sur les ailes constituées à partir de contingents barbares, cf. BARBERO (2006, 2009 trad. fr.), 88 et COLOMBO (2008), 137, n. 106. Les unités concernées sont l’ala I Iuthungorum, l’ala I Alamannorum, l’ala VIII Vandalorum, l’ala VII Sarmatarum, l’ala I Quadorum, l’ala I Francorum, l’ala I Saxonum, l’ala VIII Flauia Francorum et l’ala Germanorum. 120 Les equites sagittarii qui apparaissent à Coptos en 300 (P. Beatty Panop., 2, l. 162 : Οὐαλέριον πραιπόσιτον [ἱππεῦσι] σαγιτταρίοις ; voir aussi SEG, XXXIV, 1598) sont probablement les futurs equites sagittarii indiginae mentionnés au même endroit par ND Or., 31, 26. Il en va de même des equites Parthusagittarii de Diospolis (P. Abinn., 1, l. 5) dont pourrait descendre une autre unité d’equites sagittarii indigenae (ND Or., 31, 27). 121 Le qualificatif Illyriciani renvoie à la provenance de ces unités et non à un éventuel recrutement ethnique. Les inscriptions du IIIe s. fournissent de nombreux parallèles, e.g. CIL, III, 3228 : uexill(ationes) legg(ionum) Germanicianae [e]t Britannici(a)n(ae). Voir aussi la carrière d’Aurelius Gaius, soldat de la legion Italica dite Μυσιατικῶν et de la VIIIe légion Auguste dite Γερμανικία (AE, 1981, 777 = SEG, XXXI, 1116 ; DREW-BEAR [1981], 100). Durant cette époque caractérisée par d’intenses mouvements de troupes, il était habituel de distinguer les unités en fonction de leur secteur géographique d’origine, cf. SPEIDEL dans JOHNE (2008), 675-6 et FAURE (2012). Au IIIe s., Illyricum désignait le vaste territoire s’étendant des Alpes au mont Haemus et du Danube à la mer Adriatique : GRAČANIN (2005), p. 290. Par extension, l’expression exercitus Illyrici renvoyait aux unités cantonnées dans ce secteur (e.g. CIL, II, 4114 = ILS, 1140). L’idée d’un transfert de troupes effectué depuis l’Illyricum est corroborée par l’absence d’equites promoti dans les trois provinces danubiennes les plus orientales de la Notitia dignitatum : nous retrouvons ces escadrons en Orient sous le nom d’equites promoti Illyriciani. Cf. BRENNAN (1998), 241-2. 122 RITTERLING (1903) et 1925, col. 1346, suivi par SIMON (1980), 443-4 et SPEIDEL dans JOHNE (2008), 678. Le principal argument repose sur l’énumération des troupes d’Aurélien à la bataille d’Émèse (272) par Zos., I, 52, 3-4 (l’auteur byzantin mentionne des cavaliers dalmates et maures, de même que des troupes danubiennes) ainsi que sur la présence de la legio I Illyricorum (créée selon lui par Aurélien) en Orient. Aurélien a effectivement mené une politique de remaillage des confins orientaux qui lui valut le titre de pacator Orientis (RIC, V.1, Aur., 231). Une étude récente a montré que la création
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l’initiative de ce transfert à Dioclétien, peut-être au moment critique de la guerre contre Narsès123. La première hypothèse paraît peu vraisemblable. La présence des Illyriciani en Orient suit en effet une logique de répartition liée au découpage administratif tétrarchique, avec l’établissement d’un groupe d’equites Mauri Illyriciani, d’equites scutarii Illyriciani, d’equites promoti Illyriciani et d’equites Dalmatae Illyriciani dans chaque duché124. Comme cette organisation est clairement postérieure au règne d’Aurélien, celui-ci ne fut probablement pas à l’origine du transfert et Dioclétien fait un meilleur candidat. C’est d’ailleurs sous la première Tétrarchie que des equites indigenae apparaissent pour la première fois, avec peut-être la construction d’un fort à Bchara, en Syrie125. Une grande réorganisation des défenses de l’Orient est bien attestée durant cette période et Eutrope affirme que des troupes illyriennes participèrent à la
et le transfert de la légion I Illyricorum date peut-être bien de son règne (CHRISTOL & LENOIR [2001], suivis par JUCHNIEWICZ [2013], contra LEWIN [2007] et STROBEL [2009], 920, qui pensent que la légion est arrivée en Orient sous le règne de Dioclétien). Cependant, cela n’impliquait pas la démobilisation de la cavalerie du comitatus. La présence des Dalmatae parmi les equites Illyriciani fournit au mieux un terminus post quem. 123 DOMASZEWSKI (1908), 192 ; ALFÖLDI (1939), 217 ; HOFFMANN (1969), I, 255-6 ; NICASIE (1998), 38 ; BRENNAN (1998), 242-4 ; SCHARF (2001a), 185-6 ; BRENNAN (2007), 214 ; STROBEL (2009), 921. 124 24 unités sont affublées de ce qualificatif et réparties dans les six duchés de Foenices, Syria, Palaestina, Osrhoena, Mesopotamia et Arabia : ND Or., 32, 18-21 ; 33, 16-7 ; 25-6 ; 34, 18-22 ; 35, 15-7 ; 36, 19-22. Les scutarii manquent en Osrhoène, de même que les Mauri et les Dalmatae en Mésopotamie. LEWIN (2004), 231 suggère que des scutarii stationnèrent en Osrhoène au début du IVe s., mais qu’ils disparurent dans les décennies suivantes et ne furent pas remplacés. Les Mauri et les Dalmatae de Mésopotamie auraient connu le même sort mais furent remplacés par les equites ducatores Illyriciani primi ducatores et les felices Honoriani Illyriciani. Ces mouvements expliquent peut-être pourquoi, en 359, lors de l’invasion de la Mésopotamie par Shapur II, Ammien Marcellin mentionne deux unités d’equites Illyriciani et qualifie leur installation aux alentours d’Amida de « récente ». Cf. Amm., XVIII, 8, 2 : duarum turmarum equites […] ad subsidium Mesopotamiae recens ex Illyrico missi. Nous retrouvons en effet les equites ducatores Illyriciani primi ducatores à Amida dans la Notitia dignitatum Orientis (ND Or., 37, 21). Ces cavaliers appartenaient peut-être au groupe d’unités de Magnence qui furent transférées en Orient par Constance II à la suite de la guerre civile de 351-353 (Amm., XVIII, 8, 3 ; XIX, 5, 2). Pour rendre compte du passage d’Ammien, on peut aisément supposer l’existence, dans les années 350, d’un deuxième escadron de ducatores Illyriciani (les secundi ducatores ?) qui aurait disparu par la suite. Contra LEWIN (2004), 232 qui invoque une erreur de la part de l’auteur. 125 CIL, III, 6726 = AE, 1993, 1607 (293-305 ap. J.-C.) : [---]O[---]L[--]LEM / [-]LI[--] / [D]iocl[etiani et] / [M]aximiani Augg(ustorum) / et Constanti et / Maximiani nobi/ lissimorum Cae/sarum [---] / [--]RGITI[---] p(rae)p(ositus) eq(uitum) / promot(orum) [---] / ind(i)g[enarum(?) ---] / ind(igenarum) [-]C[---]. Cf. LEWIN (2004), 233. Le fort de Deir el-Kahf (Speluncae), occupé par une unité d’equites promoti indigenae, fut construit durant la même période, en 306 : LENOIR (2011), 110-2.
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guerre de Galère contre les Perses126. Tout porte donc à croire que les equites Illyriciani furent installés dans des cantonnements fixes à la suite de la paix conclue avec Narsès. Peut-être appartenaient-ils à la catégorie des equites in uexillationibus constituti Inlyriciani de la table de Brigetio. L’appellation equites serait alors à comprendre comme la contraction de uexillatio equitum, ce que confirment deux inscriptions du IVe s. qui signalent la présence de vexillations dans des duchés127. Ces unités auraient conservé leur nomenclature pour souligner qu’elles avaient appartenu à l’armée d’accompagnement, ce qui leur garantissait un statut supérieur à celui des ailes et des cohortes ainsi que des privilèges comparables à ceux des légionnaires.
B. Les évolutions post-tétrarchiques Constantin apporta des modifications supplémentaires à ce système dans le contexte de démobilisation des comitatus tétrarchiques qui suivit sa victoire contre l’Auguste Licinius en 324. On doit en effet à cet empereur et à ses successeurs immédiats l’établissement définitif de la nouvelle organisation militaire tardive, reposant sur une distinction entre troupes de l’armée centrale (palatini), troupes des armées d’intervention régionales (comitatenses) et troupes frontalières (ripenses / limitanei). Constantin fut peut-être aussi le créateur de nouveaux types d’unités, dont les cunei equitum, sur lesquels nous sommes très peu renseignés128. Au IVe s., le terme cuneus désignait un dispositif tactique précis, mais avait aussi le sens plus large de « bataillon » ou d’« escadron »129. C’est sous cette acception qu’il est employé par la Notitia dignitatum, qui liste
126 Réorganisation des défenses : Malalas, XII, 40 (avec MILLAR [1993], 180). Troupes illyriennes : Eutr., IX, 25, 1 (per Illyricum Moesiamque contractis copiis ; voir aussi Aur. Vict., Caes., 39, 34 et Festus, Brev., 25, 2). 127 IGLS, XVI, 1344 (350 ap. J.-C. ; Imtan / Motha) : Φλ(άουιος) Οὖρσος ἀκτουάρις οὐιξιλλατιονος Μοθανῶν (la seule unité mentionnée à Motha par la Notitia dignitatum est un escadron d’equites scutarii Illyriciani : ND Or., 37, 14). AE, 1935, 171 ; 1976, 634 ; 2004, 1278 : uexillatio equitum scutariorum Capidauensium (il ne peut s’agir d’une unité comitatensis car le lieu de garnison, Capidaua, se situe dans le duché de Scythia : ND Or., 39, 3). 128 Sur les cunei equitum : GROSSE (1920), 51-3 ; HOFFMANN (1969), I, 247-54 ; CARRIÉ (1993), 131 ; SOUTHERN & DIXON (1996), 33-5 ; NICASIE (1998), 63-4 ; SCHARF (2001a) ; LEWIN (2003) ; RANCE (2004a), 123 et s. ; BRENNAN (2007), 214-7 ; ROCCO (2012), 204-5. 129 Cf. JANNIARD (2004b).
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49 cunei equitum, essentiellement parmi les troupes limitanes130. La concentration de 44 de ces escadrons le long du Bas-Danube suggère une mesure ponctuelle, peut-être liée à la réorganisation du secteur par Constantin après ses campagnes contre les Sarmates et les Goths (322323), puis sa guerre civile victorieuse contre Licinius en 324131. Mais tous les historiens ne s’accordent pas pour attribuer la création de ces nouveaux régiments à cet empereur132. Cinq inscriptions révèlent en effet l’existence de cunei dans la province de Bretagne dès le règne de Sévère Alexandre133. Il s’agissait de troupes irrégulières, constituées de Frisons pérégrins et plus généralement de barbares, peut-être déditices ou mercenaires. Nous ignorons s’il en existait dans d’autres provinces de l’empire. Ce qui est certain, c’est qu’elles n’avaient pas grand-chose à voir avec les futurs cunei de la Notitia dignitatum : ces unités parfaitement régulières étaient les troupes les plus prestigieuses des armées frontalières134. Dans les sources épigraphiques et papyrologiques antérieures à la Notitia, le terme uexillatio est privilégié pour les désigner135, ce qui indique qu’il s’agissait à l’origine de corps prélevés sur les armées d’accompagnement et établis aux frontières. Tout du moins, les soldats qui servaient dans ces unités avaient à cœur de rappeler cette ascendance prestigieuse. En 339, un papyrus mentionne ainsi pour la première fois le cuneus equitum Maurorum scutariorum d’Égypte sous le nom d’ἀριθμός ἱππέων Μαύρων σκουταρίων κομιτατησίω (= numerus equitum Maurorum scutariorum comitatensium)136. Cet exemple montre peut-être qu’à cette époque, le statut des 130 Seulement deux cunei n’appartiennent pas à la catégorie des limitanei, ce qui pourrait s’expliquer par une promotion ultérieure : ND Or., 7, 34 (cuneus equitum secundum clibanariorum Palmirenorum) ; ND Occ., 6, 85 (cuneus equitum promotorum). 131 JONES (1964), I, 99. Sur la trame chronologique de ces campagnes, cf. CHRISTOL (1998, 2006 2e éd.), 243. 132 Constantin : VAN BERCHEM (1952), 93 et s. ; JONES (1964), I, 99-100 ; HOFFMANN (1969), I, 211 ; CARRIÉ (1993), 131 ; NICASIE (1998), 64. Contra SOUTHERN (1989), 115. 133 RIB, 1594 (Housesteads / Vercouicium) : cuneus Frisorum Ver(couiciensium). RIB, 882-3 (Papcastle / Deruentio) : cuneus Frisionum Aballauensium. RIB, 1036 (Binchester / Vinouia) : cuneus Frisiorum Vinonensium. Il y avait peut-être une autre unité de ce type à Brocauum / Brougham, cf. RIB, 772. 134 Dans la Notitia, les cunei equitum en poste dans les duchés frontaliers apparaissent en tête des listes, devant les unités d’equites. 135 P. Charite, 7, l. 3-4 (Hermopolis, 347 ap. J.-C.) : οὐιξιλλα[τ]ίωνος Μαύρων σκουτ[αρ]ίων (cf. ND Or., 31, 24 : cuneus equitum scutariorum, Hermupoli). IGLR, 270 = AE, 1976, 637 (Aegyssus / Tulcea) : equi]tis uixil[lat(ionis)] Egissesis (ND Or., 39, 17 : cuneus equitum armigerorum, Aegissos). 136 P. Oxy., LX, 4084, l. 6. Cette unité, qui stationnait encore à Oxyrhynchos en 339, est attestée dès août 340 à Hermopolis (BGU, I, 21, col. ii, l. 19) puis en août 375 à Lycopolis (P. Oxy., LXIII, 4381r, l. 3-4). LEWIN (2003), 76 suppose que ces détachements
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cunei pouvait apparaître comme équivalent à celui des uexillationes comitatenses, ce qui est, selon nous, confirmé par une loi de Constance II portant sur les héritages au sein des unités d’élite137. Les Mauri scutarii provenaient probablement du comitatus de Constantin138 : s’ils avaient été installés plus tôt en Égypte, on s’attendrait à les voir qualifiés d’Illyriciani dans la Notitia dignitatum, comme les autres unités européennes démobilisées en Orient à la fin du IIIe siècle, ce qui n’est pas le cas. Le lien des cunei equitum avec l’armée constantinienne est encore corroboré par l’exemple des equites Dalmatae Diuitensium et Fortensium qui apparaissent en Italie du Nord dans le contexte de la guerre civile de 312. Comme l’ont fait remarquer plusieurs commentateurs, ces deux unités de cavalerie servaient alors probablement dans l’armée de campagne de Constantin139. Un peu moins d’un siècle plus tard, dans la Notitia dignitatum Orientis, nous les retrouvons en Dacia ripensis, classées parmi les cunei140. L’origine occidentale des Diuitentes ne fait aucun doute puisque Diuitia (moderne Deutz) se trouvait juste en face de Cologne. L’un des soldats de ce régiment a laissé une stèle inscrite à Serdica (moderne Sofia) : il porte le gentilice de Constantin, Flavius, et est ciuis Ambianensis, originaire de la cité des Ambiens (Amiens)141. Le déplacement de son unité, qui appartenait à l’armée constantinienne, n’a pu s’opérer qu’après la victoire contre Licinius en 324. D’autres indices confirmant l’origine constantinienne des cunei peuvent être relevés dans la Notitia dignitatum. Cinq de ces unités portent entraînèrent une dégradation du statut de l’unité qui passa de l’état de uexillatio equitum comitatensis à celui de cuneus equitum. 137 CTh., V, 6, 1 (347 ap. J.-C.) : uniuersis tam legionibus quam uexillationibus comitatensibus seu cuneis insinuare debebis, uti cognoscant, quum aliquis fuerit rebus humanis exemptus atque intestatus sine legitimo herede decesserit, ad uexillationem, in qua militauerit, res eiusdem necessario peruenire. Toutefois, voir aussi CTh., VII, 13, 1 (353 ap. J.-C. : Auxiliaribus sane cuneis) et CTh., VII, 13, 7, 3 (375 ap. J.-C. : qui in ripa per cuneos auxiliaque fuerint constituti) qui montrent que leur rang restait inférieur à celui des véritables troupes comitatenses. Dans l’édit de 375, les cunei sont même formellement distingués des comitatenses numeri, ce qui pourrait refléter une dégradation de leur statut durant la période. 138 Hypothèse privilégiée par LEWIN (2003), 75 et BRENNAN (2007), 217. Ce dernier suppose que les Mauri scutarii appartenaient à l’origine au corps expéditionnaire réuni par Constantin pour sa guerre perse, et qu’ils furent peut-être transférés en Égypte par Constance II. 139 CIL, V, 7000; 7001 ; 7012 (Turin) ; 5823 (Milan). Voir MENNELLA (2004), 361. HOFFMANN (1969), I, 259 et SANNAZARO (2002), 70 pensent au contraire qu’ils faisaient partie de l’armée de Maxence. 140 ND Or., 42, 2-3. 141 CIL, III, 7415 : D(is) M(anibus) Fl(auius) / Felix sig(nifer) d(e) / n(umero) Diuit(ensium) uixit / an(nos) XXX ciuis Am/bianensis.
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des épithètes liées aux Constantinides : Constantianorum, Constantinianorum, Constantium, Constantiacorum142. Deux autres sont formées d’equites Solenses, qualificatif renvoyant au dieu Sol qui était la divinité tutélaire de Constance Chlore puis de Constantin143. Aussi nous semblet-il que l’apparition des premiers cunei dans les inscriptions de Bretagne datées du IIIe s. ne doit pas être laissée au hasard. Constantin avait en effet passé une partie importante de sa vie dans l’île, à la suite de son père. Après la mort de ce dernier en 306, il avait été proclamé Auguste par l’exercitus Britanniae, à la tête duquel il traversa une nouvelle fois la Manche pour combattre ses rivaux. À ce moment, Constantin avait peutêtre des cunei barbarorum sous son commandement. Tout du moins connaissait-il ces troupes irrégulières que son père avait combattues lors des opérations militaires contre l’usurpateur breton Allectus144. Dans le livre I de ses Institutions divines (c. 311), Lactance – un proche de Constantin – confirme l’existence de ces corps de cavalerie : voulant donner un aperçu général de l’armée impériale, l’auteur chrétien cite successivement les légions, les cohortes, les cunei et les ailes145. L’ordre d’énumération définit clairement les cunei comme des unités de cavalerie d’élite, supérieures aux ailes, ce qu’ils n’étaient pas nécessairement sous les Sévères. Pour une raison que nous ignorons, Constantin choisit d’attribuer ce nom aux troupes issues de son comitatus qu’il établit sur la frontière danubienne après 324146. Ce changement de nomenclature suivait probablement la même logique que celle que nous avons pu observer à propos des unités d’equites sous la Tétrarchie : il s’agissait pour Constantin de récompenser l’armée d’accompagnement grâce à laquelle 142 Constantianorum : ND Occ., 32, 24 ; ND Occ., 33, 26. Constantinianorum : ND Or., 42, 21. Constantium : ND Occ., 32, 26. Constantiacorum : ND Or., 41, 12. 143 ND Or., 39, 13 ; 40, 12. Cf. HOFFMANN (1969), I, 173 et s. ; SMITH (1997). 144 Pan. Lat., VIII (IV), 16, 2 (297 ap. J.-C.) : mercenariis cuneis barbarorum. 145 Lact., Inst., I, 3, 19 : Quodsi in uno exercitu tot fuerint imperatores, quot legiones, quot cohortes, quot cunei, quot alae. 146 La Moesia I représente une exception notable. BRENNAN (2007), 214-5 souligne que la composition de sa cavalerie suit le même modèle qu’en Norique, en Pannonie et en Valeria, avec deux unités d’equites promoti, deux d’equites sagittarii et plusieurs escadrons d’equites Dalmatae. Le substrat est donc tétrarchique plutôt que constantinien. Mais en Moesia I, ces unités de cavalerie sont qualifiées de cunei. D’après Brennan cette anomalie s’explique facilement dans la mesure où ce duché fut transféré à la cour orientale sous Théodose ou Arcadius. Comme les cunei equitum constituaient à cette époque le seul type de régiment de cavalerie connu dans les duchés du Bas-Danube, les unités d’equites furent automatiquement reclassées à la suite de ce transfert. La procédure fut certainement identique pour d’autres unités arrivées tardivement dans le secteur. Voir le cas du cuneus equitum Arcadum (ND Or., 39, 18), originaire d’Égypte et installé en Scythie dans le dernier quart du IVe s. : ZAHARIADE (2009).
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il était parvenu au pouvoir suprême147. Nous ne serons donc pas surpris de retrouver parmi les cunei de la Notitia des equites promoti, scutarii, Dalmatae et stablesiani : autant d’unités représentatives de la cavalerie des comitatus tétrarchiques148.
C. L’évolution de la garde montée L’historiographie a eu tendance à voir dans les nouvelles vexillations du IIIe s. une sorte de « garde élargie » des empereurs qui se succédèrent durant la « crise » militaire149. Cette appréciation doit être nuancée. Bien que leur nom puisse laisser croire le contraire, les equites scutarii, armigeri et autres stablesiani étaient en réalité de simples cavaliers de l’armée d’accompagnement, « new elite corps of horsemen for the field army »150. Nous ne retrouvons jamais les précisions domini nostri, Augusti ou imperatoris associées à leur nom. À l’inverse, les equites singulares Augusti CARRIÉ & ROUSELLE (1999), 621-8 ; CARRIÉ & JANNIARD (1999), 322. TREADGOLD (1995), 57 suppose à tort que ces unités furent créées de toutes pièces par Constantin, ce qui explique largement son appréciation faussée de ce qu’il considère comme « l’énorme accroissement de la cavalerie » au IVe s. 149 SPEIDEL dans JOHNE (2008), 674 (à propos des scutarii). COLOMBO (2008), 145-7 pense que Dioclétien créa les premières scholae scutariorum et suppose qu’il s’agissait des unités de garde des Césars. Quant aux armigeri, ils seraient en fait les prétoriens refondus dans de nouvelles unités après leur dissolution par Constantin. Mais une telle hypothèse s’accorde mal avec l’existence des armigeri Gallicani, qui furent probablement levés à partir de recrues gauloises ou germaniques (ND Or., 5, 35). Cette origine rhénane est corroborée par l’onomastique de Flavius Fandigilus : l’épitaphe de ce soldat montre que les armigeri appartenaient initialement au comitatus de Constantin, sans que nous puissions dire précisément quand leurs unités furent créées (CIL, V, 8747 = ILCV, 472 ; Concordia). Pour ce qui concerne les scutarii, il s’agissait plus probablement de simples unités du comitatus, dont certaines finirent effectivement par intégrer la nouvelle garde de Constantin. Que dire alors des equites Mauri et Osrhoeni ? Certains indices ont conduit DOMASZEWSKI (1908), 164 à considérer qu’ils furent rattachés à la garnison de Rome, où ils auraient occupé les castra peregrina. Cette hypothèse, marquée du sceau de l’autorité d’un grand spécialiste de l’armée romaine, a été acceptée par plusieurs chercheurs, notamment BIRLEY (1969), 65 qui faisait remarquer, en s’appuyant sur Hdn, I, 15, 2, que Commode avait pris l’habitude de s’entraîner « avec les plus fins archers parthes et les Maures les plus habiles à lancer le javelot ». Aucune preuve sérieuse ne permet pourtant d’étayer ces suppositions (voir en ce sens SPEIDEL [1975b], 219-20). Quant à l’anecdote rapportée par Hérodien, elle suggère plus vraisemblablement que des Maures et des Orientaux faisaient partie de la garde montée de l’empereur et que certains d’entre eux pouvaient assumer la fonction d’instructeur, ce qui ne surprend guère. Une épitaphe fragmentaire mentionne ainsi un exercitator equitum singularium imperatoris nostri natus in prouincia Mauretania Caesariensi : CIL, VI, 3365 = Denkm., 755. 150 Comme le reconnaissait M.P. Speidel lui-même dans une publication antérieure : SPEIDEL (1994a), 72. 147 148
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et les equites praetoriani continuèrent d’exister jusqu’au début du IVe s., lorsqu’ils furent finalement remplacés dans leur fonction par les scholes palatines. Tout porte à croire qu’ils formaient toujours la véritable garde montée de l’empereur dans la seconde moitié du IIIe s. Les equites singulares Augusti, qui n’avaient pas pris part au coup d’État contre Pertinax, furent même renforcés par Septime Sévère, qui doubla leur effectif après sa marche victorieuse sur Rome en 193. Cette réforme s’accompagna de la construction d’un nouveau fort sur le Caelius, les castra noua, à l’emplacement de l’actuelle église Saint-Jean-de-Latran. Le numerus regroupait désormais 2 000 soldats, commandés par deux tribuns placés sous les ordres du préfet du prétoire151. Plus d’une centaine d’inscriptions nous renseignent sur le devenir de cette unité d’élite après l’avènement de la dynastie sévérienne152. Les soldats se désignent le plus souvent comme membres du numerus des equites singulares Augusti153 ou des equites singulares domini nostri imperatoris154 ; plus rarement (et généralement hors de Rome) se donnent-ils le surnom de « Bataves », ainsi que le révèlent les épitaphes trouvées à Anazarbe, en Cilicie155. Les témoignages sur l’existence de la garde se font plus rares passé le milieu du IIIe s. Après la division de l’empire en 286, les equites singulares Augusti sont répartis dans les diverses armées d’accompagnement impériales et renommés comites dominorum nostrorum : c’est sous ce nom qu’ils apparaissent dans le comitatus de Galère en Égypte, ainsi que le révèle un papyrus daté de 295156. Les comites de la 151 Sur ces changements : DURRY (1938), 88 ; SPEIDEL (1965), 14-5 ; ID. (1994a), 57-60 ; ID. dans JOHNE (2008), 677. 152 Pour un inventaire quasi exhaustif, cf. SPEIDEL (1994b). Quinze dédicaces ont certainement été réalisées par des ESA après 193 (ibid., chap. ii) ; 147 monuments funéraires romains peuvent être datés de la période postérieure à 193 (ibid., chap. vi) ; 173 autres monuments funéraires peuvent être rattachés aux IIe-IIIe s., sans plus de précision (ibid., chap. v) ; hors de Rome, Speidel dénombre une douzaine de stèles datables du IIIe siècle (ibid., chap. vii). 153 E.g. CIL, VI, 226 = Denkm., 57. 154 Parmi une multitude d’exemples, cf. CIL, VI, 3183 = Denkm., 630. 155 IK, 56, 63 = Denkm., 688 (inscription bilingue) : eq(ues) sing(ularis) dom(inorum) n(ostrorum) imp(eratorum) est rendu en grec par ἱππεὺς ν(ουμέρου) Βατάων τῶν κυρίων αὐτοκρατόρων. On note cependant une grande diversité dans la pratique. IK, 56, 64 = Denkm., 688a : eq(uiti) sing(ulari) d(omini) n(ostri) imp(eratoris) puis ἱππ[έ]α σινγουλάριν τῶν κυρίων αὐτοκρατόρων. IK, 56, 66 = Denkm., 688c : eq(uiti) singul(ari) ex numero Bataonum. IK, 56, 68 = Denkm., 688d : ex numero equitum Batauonum. Voir également AE, 1900, 169 = IG, X, 2, 151 (τριβοῦνος Βαταόνων) et Denkm., 757 (ἑκατόνταρχος ἐκ Βαταόνων). 156 Cf. P. Oxy., I, 43r, col. 2, l. 17-8, 24, 27-8 (février 295) : Μαρτινιανῷ ὀπτίωνι κομίτων τοῦ κυρίου / τῶν κυρίων. Cf. HOFFMANN (1969), I, 244-5 ; SPEIDEL (1987c), 376 et n. 7.
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garde sont également présents en Occident. Un tribun des Bataves réalise une dédicace en l’honneur de Jupiter Optimus Maximus à Brigetio en 303157. Une épitaphe ombrienne d’époque tétrarchique mentionne un actuarius comitum imp(eratoris) et un optio de cette même unité, désignée plus loin par la formule uexxill(ationes) suprass(criptae)158. De ces différents témoignages se dégagent plusieurs enseignements. L’emploi du latin uexillatio au pluriel dans le dernier document indique qu’il existait plusieurs vexillations de comites domini nostri159 : Michael P. Speidel pense qu’il y en avait deux, une pour chaque camp à Rome160 ; Marco Rocco suppose pour sa part qu’il existait quatre vexillations de 500 cavaliers, une par tétrarque, pour un total de 2 000 comites domini nostri, ce qui semble plus logique161. Ces unités étaient organisées sur le modèle de nouvelles vexillations de cavalerie. Elles devaient donc disposer de la nouvelle Rangordnung équestre qui réservait le commandement tactique des escadrons non plus à des décurions, duplicarii et sesquiplicarii, mais à des centenarii, exarchi et circitores162. Une inscription jusqu’ici négligée, qu’il convient d’ajouter au dossier des equites singulares Augusti tardifs, confirme ce point. Cette épitaphe, exposée dans le duomo de Cività Castellana, mentionne un exarque des Bataves163. Le défunt, qui appartenait probablement au comitatus de Maxence, est représenté de façon rudimentaire, debout, tenant son cheval par la bride : un schéma iconographique courant dans l’art funéraire tardif.164 Durant cette même période, les equites praetoriani connurent un destin similaire à celui des equites singulares Augusti. Au IIIe s., le prétoire se 157
CIL, III, 10981 = RIU, III, 699 : Aur(elius) Ian/uarius t(ribunus) Bat(auonum). CIL, XI, 6168 = ILS, 9075 (Castelleone di Suasa) : M(arco) Valerio Florentio actu/ ario comitum imp(eratoris) ex exceptore / praeff(ectorum) praet(orio) militauit ann(os) II / mens(es) VI uixit ann(os) XXI m(enses) II d(ies) VI et / M(arco) Valerio Herodio optioni uex/xill(ationum) suprass(criptarum) ex exceptore praeff(ectorum) / praett(orio) eemm(inentissimorum) uu(irorum) militauit ann(os) II / men(ses) VI uixit ann(os) XX d(ies) XII / Heliodorus pater et Tatiane mater filis dulcissimis in pace fecerunt. 159 Contra SESTON (1955), 292 et HOFFMANN (1969/1970), I, 244 ; II, 98, n. 379. 160 SPEIDEL (1987c), 377-8. 161 ROCCO (2012), 146. 162 Cf. infra, p. 469-77. 163 CIL, XI, 7497 : D M / CONTVBERNALI SVO / VIRO PROMOTO / EXARCVM CERIALE / BATAINORVM QUI / MIL AN XXIIII M V. L’ordre inhabituel des mots figurant dans cette inscription ne rend pas sa compréhension des plus aisées. L’exarque en question s’appelait-il Cerialis ? A-t-il été eques promotus avant d’intégrer le numerus des Bataves ? L’épitaphe tétrarchique d’un soldat de la legio I Italica a été découverte dans le même secteur, à Faleria. Cf. AE, 1982, 274 (RICCI [2013], p. 248, n. 69 suppose que ce légionnaire servait dans l’armée de Maxence). 164 À titre de comparaison, voir FRANZONI (1987), n°17 (tav. vii.2). 158
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composait toujours de dix cohortes equitatae, mêlant fantassins et cavaliers au sein des mêmes centuries. Les equites praetoriani, qui représentait peut-être le dixième de cette troupe et avaient le rang d’immunes165, sont attestés dans onze inscriptions tardives, datables pour la plupart de l’époque sévérienne166. Jusqu’au début des années 280, les equites restèrent attachés aux cohortes d’infanterie, comme l’illustre une dédicace réalisée par Aurelius Martinus, πραιτωριανὸς ἱππεὺς χώρτης ςι’ ἐν τῇ θεοῦ Πρόβου στατίωνι (« cavalier prétorien de la VIIe cohorte, chargé d’assurer la garde du dieu Probus »)167. Gallien ne transforma pas la cavalerie du prétoire en uexillationes indépendantes168. L’initiative de cette réforme fut prise par Dioclétien : sous son règne, les equites praetoriani furent définitivement séparés de leurs unités-mères et rebaptisés equites promoti domini nostri169. C’est sous ce nom qu’ils apparaissent, en 293, dans le comitatus de Galère en Égypte170. On retrouve aussi des promoti domnici ou promoti praetoriani non loin de Rome à la même époque : ils étaient en poste dans la statio prétorienne située à proximité des catacombes de San Sebastiano, sur la via Appia171. Cette présence en DOMASZEWSKI (1908), 20 et 23 ; DURRY (1938), 99. CIL, III, 6046 ; VI, 2600 ; VI, 2601 = ILS, 2055 ; CIL, VI, 2672 = ILS, 2054 ; CIL, VI, 2678 ; VI, 2695 ; VI, 2704 ; VI, 2746 ; VI, 2773 ; VI, 2977 = ILS, 2173 ; CIL, VI, 32536. 167 AE, 2001, 1871 (Maionia, Lydie, 280/281 ap. J.-C.). Cf. CHRISTOL & DREW-BEAR (2001), 135-44. 168 Contra RITTERLING (1903), 348 et n. 1. Cf. CHRISTOL & DREW-BEAR (2001), 143 : « Nous retrouvons ici, à la veille de l’avènement de Dioclétien une formulation habituelle du Haut Empire, qui indique que les structures internes des cohortes prétoriennes n’avaient pas encore profondément évolué. Or l’on était prêt à admettre que, de même que Gallien aurait modifié la nature de la cavalerie légionnaire en la détachant des fantassins et en l’organisant en unités spécifiques sous le nom d’equites promoti, de même ce prince ou l’un de ses successeurs aurait agi de façon semblable en ce qui concerne la cavalerie des cohortes prétoriennes. » En fait, le célèbre cursus du protector Traianus Mucianus (IGR, I, 1496 = ILS, 9479 = AE, 1908, 259 = IGBulg., III/2, 1570) permettait déjà d’écarter une telle hypothèse, puisque ce dernier fut, entre le règne de Gallien et celui de Dioclétien, ἱππέα χώρτης ζʹ πραιτωρίας avant de continuer son service comme évocat (les derniers postes occupés par Mucianus renvoient à l’horizon chronologique de la Tétrarchie : CARRIÉ [1993], 127 ; CARRIÉ & JANNIARD [2000], 330, n. 50). 169 SPEIDEL (1987c), 378. 170 P. Grenf., II, 110, l. 1-2 : equit]ibus promotis dd(ominorum) nn(ostrorum) Diocletiani et Ma[x]imian[i Augg(ustorum)] et [Constantii et Maximiani] nobilissimorum Caesarum. 171 AE, 1946, 127 = AE, 1949, 190 : D(is) M(anibus) / Val(erius) Proclianus protector qui / uixit an(n)is XLIIII et Val(erius) Nepotianus / exarcus promotus domni/cus qui uixit annis XXX frat/res (etc.). Cf. PAVKOVIČ (1991), 216-7. Une épitaphe inédite (inv. 4002 du Museo epigrafico di San Sebastiano [non vidi]) désignait peut-être la même unité sous la forme prom(oti) pr(aetoriani). Cf. LATTERI (2002) (qui parle, p. 745, d’une « area sepolcrale pretoriana »). Ces deux exemples suffisent à disqualifier la récente hypothèse de 165 166
L’« ESSOR » DE LA CAVALERIE SOUS LE BAS-EMPIRE
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Orient et en Italie est un détail important. Elle montre que la réforme de la cavalerie prétorienne intervint avant la partition de l’empire, à la différence de celle de la cavalerie légionnaire (les equites promoti tout court), qui prit place en Orient au moment où cette division était actée172. En 312 ap. J.-C., la victoire de Constantin au Pont Milvius entraîna une rupture importante : les cohortes prétoriennes, qui avaient pris parti pour Maxence et s’étaient compromises dans ses exactions, furent dissoutes en même temps que s’affirmèrent les scholes palatines, qui devinrent rapidement la seule véritable garde des empereurs tardifs173. Michael P. Speidel a cependant montré que des éléments de la garde montée pré-constantinienne purent survivre, au moins en partie, sous la forme de vexillations palatines174.
M. Colombo, qui propose de voir dans les equites promoti d. n. non pas les héritiers des cavaliers du prétoire, mais plutôt ceux des cavaliers de la legio II Parthica. Cf. COLOMBO (2008), 146. 172 Cf. supra, p. 374. 173 Aur. Vict., Caes., 40, 25 ; Lact., De mort. pers., 44, 6 ; Zos., II, 17, 2. Sur les scholes palatines, cf. réf. supra, n. 100. 174 Les equites promoti domini nostri auraient ainsi donné naissance aux equites promoti seniores : ND Or., 5, 28 : Occ., 6, 44 ; 6, 160 (cf. SPEIDEL [1987], 375). Quant aux equites singulares Augusti / comites domini nostri, leurs descendants pourraient être les comites seniores : ND Or., 6, 28 ; Occ., 6, 43 ; 7, 159 (cf. SPEIDEL dans JOHNE [2008], 675).
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Figure 38 – L’évolution de la cavalerie romaine durant l’Antiquité tardive (IIIe-IVe s.).
CHAPITRE 2 LE MYTHE DU RITTERHEER ET LA « GRANDE STRATÉGIE » DE L’EMPIRE TARDIF
Depuis les travaux d’Emil Ritterling, de nombreux historiens ont admis l’existence d’une réserve mobile de cavalerie, préfigurant le comitatus tardif, sous le règne de Gallien1. Cette théorie a connu un rapide succès dès le début du XXe s. avant d’être adaptée au canevas sémantique de l’analyse stratégique moderne en 1976 par Edward Luttwak. Selon le savant américain, les décennies de l’« anarchie militaire » auraient vu le basculement d’un système de preclusive defense à un nouveau système de « défense en profondeur »2. Ce schéma avait le mérite d’apporter une explication commode à la « grande crise militaire » et à l’impunité des incursions barbares : si les Romains furent vaincus, c’est parce que leurs armées n’étaient pas suffisamment mobiles pour faire face à des attaques répétées sur des secteurs frontaliers éloignés les uns des autres. La lenteur de déplacement des unités traditionnelles, leur éparpillement sur les frontières, additionnés aux menaces simultanées qui marquèrent les années 1 Cf. ref. supra, p. 359, n. 3. Voir en particulier RITTERLING (1903), 349 : « Gallienus ist in der That der Schöpfer einer stets kampfbereiten, von den Besatzungen der Provinzen und aus den alten Verbänden losgelösten, für den Krieg im grossen verwendbaren Reiterei im römischen Heere geworden. Mit dieser einschneidenden Neuorganisation der berittenen Waffen ging eine gleiche oder ähnliche Massregel bei den Fusstruppen keineswegs Hand in Hand und ist auch in den folgengen Jahrzehnten nicht, oder doch nur in beschränktem Masse durchgeführt worden. Die Zeugnisse lassen darüber keiner Zweifel, dass die Heere, mit welchen noch Aurelian und Diokletian ihre Siege erfochten, in dem Kern des Fussvolkes nicht wesentlich anders zusammengesetzt waren als die Heere in Trajans parthischen und Marcus’ germanischen Feldzügen: aus den Detachements der an den Grenzen des Reiches stationierten Legionen. » HOMO (1913), 249-50 propose une image comparable des « réformes » de Gallien : « Gallien, avec un sens remarquable des nécessités militaires, s’est rendu compte que le grand effort de réorganisation devait porter sur la cavalerie. Contre les bandes pillardes, mobiles, souvent insaisissables des Barbares, elle seule pouvait donner des résultats rapides et décisifs. Aussi réorganise-t-il complètement la cavalerie romaine, au double point de vue des effectifs et du commandement. […] Toute cette cavalerie de nouvelle création reçoit une organisation autonome sous les ordres d’un chef unique. Gallien constitue ainsi un grand commandement militaire qu’il confie à un de ses meilleurs généraux, Aureolus. » 2 LUTTWAK (1976), chap. iii. Voir en particulier p. 185.
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230-280 et à la rapidité des raids barbares, auraient imposé la nécessité de recourir à une armée plus mobile et donc mieux adaptée à ses nouvelles tâches. Dans ce cadre, de même que le recours aux vexillations se serait systématisé, les effectifs et la variété des unités de cavalerie de l’armée romaine auraient été multipliés. I – CAVALERIE ET DÉFENSE MOBILE A. La réserve mobile de Gallien : un fantôme historiographique Selon Ritterling et ses épigones, une véritable armée de cavalerie autonome fut créée dans les années 260 et placée sous le commandement d’Auréolus à Milan3. Un poste équivalent à celui du futur magister equitum aurait même été établi par Gallien. Auréolus, que Zosime et Zonaras qualifient de « commandant de toute la cavalerie » sous le règne de cet empereur4, aurait été le premier détenteur de cet office. Comme l’a fait remarquer Andreas Alföldi, c’est sous le règne de Gallien que furent frappées à Milan les premières monnaies impériales célébrant la cavalerie5. Mais ces émissions furent aussi produites par l’atelier de Rome6 et l’on prendra soin de noter que les séries monétaires de l’époque glorifient également les autres unités de l’armée d’accompagnement, à commencer par les prétoriens et les nombreux détachements légionnaires qui se trouvaient alors au nord de l’Italie et dans les Balkans7. Plus grave pour l’argumentaire de Ritterling, certains témoignages révèlent qu’Auréolus
3 Sur ce personnage, cf. PIR², A, 1672 ; PLRE, I, 138 ; CHRISTOL (1998). La révolte d’Auréolus a récemment fait l’objet d’une nouvelle datation de la part de M. Christol : cf. ID. (2009) (été-automne 267). 4 Zos., I, 40, 1 : τῆς ἵππου πάσης ἡγούμενον Αὐρίολον. Zon., XII, 25, 601 : πάσης ἄρχων τῆς ἵππου. La proximité des formulations suggère fortement que ces auteurs ont puisé à une source, ou tout du moins à une tradition commune. 5 ALFÖLDI (1927). Le même auteur cite également des monnaies comportant au revers la légende ALACRITATI, associée à l’image de Pégase (ID. [1967b], 14). Selon lui, l’alacritas pourrait faire allusion à la mobilité de la cavalerie. Mais cette hypothèse ne nous semble guère convaincante, car ce terme connote plus généralement l’ardeur combattante, sans véritable distinction d’arme. Cf. Liv., VI, 8, 10 ; VII, 33, 4 ; IX, 41, 17 ; XXVI, 9, 5 ; XLI, 3, 8 ; Caes., BG, I, 41, 1 et 46, 4. L’alacritas est même explicitement associée au combat d’infanterie par César en BG, IV, 24, 4. 6 RIC V, 1, Gall., 33-5 (avec SIMON [1980], 442). 7 Cf. réf. supra, p. 384, n. 105. Leurs légendes ne mentionnent pas moins de 17 légions, sans compter la garde prétorienne (cf. OKAMURA [1991], app. 1).
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avait des fantassins sous son autorité8. Avant sa rébellion, il n’était donc probablement rien d’autre qu’un général chargé de la défense de l’Italie du Nord contre l’armée de Postume et les Germains du saillant rhénodanubien. Les allusions répétées à la fonction de chef de la cavalerie romaine dans les sources tardives ne doivent pas induire en erreur. Elles sont peut-être à mettre sur le compte d’une « lecture anachronique du passé par des auteurs habitués à une organisation constantinienne de l’armée »9. Elles pourraient ainsi découler d’une confusion sur le sens du mot vexillation, qui signifiait « escadron de cavalerie » et non plus « détachement » à l’époque à laquelle les auteurs byzantins écrivaient10. Dans leur esprit, un dux ou un praepositus omnium uexillationum (in Raetia ?) mentionné par la Kaisergeschichte d’Enmann ou dans les Annales perdues de Nicomaque Flavien pouvait facilement devenir un « maître de toute la cavalerie »11. Pas plus qu’elles ne permettent de déduire la création d’un poste de chef de la cavalerie, les monnaies de l’atelier de Milan n’attestent l’existence d’une cavalerie sous commandement indépendant. L’inscription de Grenoble, réalisée sur ordre du préfet des vigiles Iulius Placidianus en 269, suffit à prouver que dans les corps expéditionnaires de cette époque, cavaliers et fantassins opéraient toujours ensemble, sous un commandement unique12. Cela ne revient pas à nier le rôle stratégique de Milan au milieu du IIIe s. Comme l’a supposé Michael Ibeji, il existait bien sous Gallien un dispositif de défense de la Cisalpine. Ce « système » se composait d’une garnison principale et d’un atelier monétaire à Milan, ainsi que de vexillations cantonnées dans les villes alentour13. Vérone, dans 8 Aurelius Victor (dont Ritterling ignore le témoignage) souligne qu’Auréolus avait sous son commandement les légions de Rétie : cum per Raetias legionibus (!) praeesset (Aur. Vict., Caes., 33, 17). Cette information trouve un écho dans Zon., XII, 25, 602 (Αὐριόλου ἐν Κελτοῖς στρατηγοῦντος), Syncell., Chron., 467, 26-7 (τις Ῥωμαίων στρατηγὸς Κελτικός) et Theod. Scut., Chron., 38, 20-1 (Αὐρίολος ὁ ἐν Κελτοῖς στρατηγός). S’appuyant sur Aurelius Victor, L. De Blois n’hésite à faire d’Auréolus un « Dux per Raetias » (DE BLOIS [1976], 30). Au demeurant, d’importantes forces de cavalerie opéraient dans les Balkans au moment de la révolte d’Auréolus, ce qui suffit à prouver qu’il ne pouvait être le commandant de toutes les forces montées de Gallien. Voir sur ce point SIMON (1980), 441 et IBEJI (1991), 62. 9 JANNIARD (2010), 20, n. 30. Voir aussi CARRIÉ & JANNIARD (2000), 329-30. 10 Cf. supra, p. 385, n. 115. 11 Cf. SIMON (1980), 443. Sur les sources de Zosime et Zonaras, voir FESTY (1997) et JOHNE (2008), 25-6, 36-8, 43-4. 12 Cf. supra, p. 383-4. 13 IBEJI (1991), 64. Certaines garnisons identifiées par Ibeji ne datent cependant pas de cette époque : CIL, V, 808 (Aquilée) renvoie au règne de Philippe l’Arabe et le numerus Dalmatarum de Turin (CIL, V, 7000 et 7001) appartenait plutôt à l’armée de Constantin,
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l’hinterland du Brenner, fut dotée d’une nouvelle enceinte vers 26514 et, durant la même période, les Alpes Juliennes se munirent de fortifications à Ad Pirum, Castra et à Vrhnika15. Cependant Michaël Vannesse, qui a étudié la défense de l’Italie du Nord aux IIIe et IVe s., ne constate pas l’apparition d’un système de « défense en profondeur » fondé sur une réserve stratégique montée. La Cisalpine n’était pas le centre de regroupement d’une « armée mobile », mais une province frontière, organisée de la même manière que les confins impériaux du Principat16. Le but de l’armée rassemblée ici par Gallien n’était pas de servir à de lointaines expéditions, qui auraient laissé ce secteur-clé de la défense de l’Italie à découvert, mais de se prémunir contre les menaces des Alamans, de l’empire gaulois et contre d’éventuelles usurpations au sein des provinces danubiennes. Le commandement d’Auréolus, étendu (selon Aurelius Victor) aux légions stationnées en Rétie, permettait de coordonner les opérations des deux côtés des Alpes. Et la présence éventuelle d’une garnison composée de troupes montées à Milan offrait un outil d’intervention idéal dans la plaine du Pô, qui se prêtait parfaitement aux opérations de cavalerie. Force est donc de constater que dans les années 260-270, aucune véritable réforme ne fut entreprise dans le domaine de la « grande stratégie ». Comme le reste de l’armée impériale, les unités montées furent dispersées dans l’intérieur du territoire afin de défendre ce qui pouvait encore être sauvé. Les verrous et les nœuds routiers furent naturellement privilégiés : Poetouio, au débouché des Alpes méridionales, qui donnent accès à l’Italie par les vallées de la Carniole17 ; Sirmium et Siscia, à l’intersection des rocades et des pénétrantes du sud de la plaine de Pannonie18 ; Lychnidus au coeur de la Macédoine menacée par les Goths19 ; Byzance qui servait de claustrum Ponticum contre les
de même que les cataphractaires d’Eporedia / Ivrée (CIL, V, 6784). Surtout, la praetentura Italiae et Alpium ne semble pas avoir été maintenue au-delà des années 170 : cf. VANNESSE (2010), 317. 14 CIL, V, 3329 = ILS, 544. 15 VANNESSE (2010), 260-70. 16 Ibid., 419 : « La défense de l’Italie reproduisait donc, avec un léger décalage chronologique, le schéma des provinces frontalières avec la perte d’initiative progressive des armes romaines. » Contra LUTTWAK (1976), 160. 17 AE, 1936, 53, 54 et 57 (détachements légionnaires). 18 CIL, III, 3328 = ILS, 546 (Sirmium) : milites uexillationum legionum Germaniciarum et Britanniciarum cum auxilis earum. Un atelier monétaire est fondé à Siscia en 262/263 : CHRISTOL (1998, 2006 2e éd.), 154. 19 AE, 1934, 193 (détachements légionnaires).
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incursions maritimes de ce même peuple20, sans oublier Philippopolis et Thessalonique21. Il ne s’agissait pas de points de défense fixes mais de garnisons temporaires et mouvantes, à une époque où l’ensemble de l’armée illyrienne faisait virtuellement partie du comitatus (ce qui explique d’ailleurs le détachement d’une vexillation de la IIe Parthica à Lychnidus et, peut-être, de scutarii à Intercisa). Il serait donc absurde de tirer de ce dispositif conjoncturel des conclusions définitives sur l’organisation tardive du système frontalier.
B. La faible proportion de cavaliers dans les armées centrales Le IVe s. ne connut pas davantage de réserve mobile de cavalerie, susceptible de passer rapidement d’un secteur à l’autre de l’Empire. Comme nous l’avons signalé plus haut, à l’époque à laquelle fut réalisée la Notitia dignitatum Orientis, les armées dites « mobiles » (troupes palatines et comitatenses) comptaient entre 10 et 20% de cavaliers, ce qui est bien inférieur aux effectifs de cavalerie déployés aux frontières22. Cet écart suggère que quand un corps expéditionnaire était mis sur pied, l’equitatus était de préférence mobilisé sur place, parmi les unités frontalières mais aussi grâce à l’apport de supplétifs locaux, conformément au mode opératoire décrit pour le Haut-Empire. Autrement, comment comprendre le décalage entre la proportion importante de cavaliers présents dans les armées de campagne et leur nombre relativement limité dans l’entourage impérial et chez les comitatenses23 ? Les sources narratives confirment cette observation. Elles montrent que les troupes ducales, les unités comitatenses et les troupes palatines coopéraient dans le cadre des guerres nécessitant la mobilisation de grands corps expéditionnaires24. Par ailleurs, les mouvements de troupes sur de longues distances, destinés à combler 20
Zos., I, 34-5 et 36, 1 ; HA, Gall., 6, 8 ; 7, 2 et 13, 6-7. AE, 1975, 770 c ; AE, 1900, 169 = IG, X, 2, 151 (avec Zos., I, 43, 1). 22 Cf. supra, p. 365-6. Sur les armées de manœuvre du IVe s., voir GROSSE (1920), 88-6 et ELTON (1996), 208-14. 23 En ce sens : NICASIE (1998), 38 ; WHITBY (2007b), 144. 24 Entre autres preuves, la présence du dux Osrhoenae Secundinus dans l’ordre de marche de Julien en Assyrie en 363 (Amm., XXIV, 1, 2), la mobilisation des troupes ripenses du Bas-Danube lors de l’expédition de Valens contre les Goths en 367 (Zos., IV, 11, 1), ou encore la coopération entre les troupes ducales de Phénicie / Palestine et celles du magister militum per Orientem lors de la révolte de Mavia en 377-378 (Soz., HE, VI, 38, 2-3). Il convient également de noter que l’ordre de bataille de l’armée de cavalerie du Stratêgikon inclut 17 tagmata d’equites Illyriciani (Maurice, Strat., III, 8), unités que la Notitia dignitatum Orientis rattache aux troupes limitaneae (cf. infra, p. 532, n. 210). 21
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un manque d’effectifs dans un secteur défini ou à lutter contre une menace conjoncturelle, semblent avoir impliqué aussi bien des fantassins que des cavaliers25. Il convient ici d’écarter toute méprise concernant le rôle des magistri equitum26. Ces officiers de l’état-major impérial, attestés à partir de l’année 34727, n’avaient pas pour fonction de commander la composante montée des armées praesentales en campagne28. Leur existence ne doit rien à une éventuelle politique de Gallien, qui aurait consisté à placer l’ensemble de la cavalerie du comitatus sous un commandement unifié29. Les magistri equitum agissaient avant tout comme des lieutenants de l’empereur dans le cadre d’opérations impliquant la conduite d’armées mixtes, au même titre que les magistri peditum, qui ne doivent pas être considérés comme des commandants d’infanterie30. Certains exemples sont particulièrement évocateurs. En 363, lors du siège de Maozamalcha, c’est le magister equitum Nevitta qui supervise les travaux de terrassement et de sape pendant que les cavaliers sont détachés dans les campagnes alentour pour piller le pays31. En 366, le magister equitum per Orientem Lupicin commande contre Procope non des cavaliers mais des auxilia, c’est-à-dire des unités d’infanterie issues des prestigieuses armées 25 Dans sa Lettre aux Athéniens, Julien indique qu’il a envoyé à Constance II quatre unités d’infanterie d’élite, trois unités d’infanterie ordinaires et deux unités de cavalerie (Julien, Ep. ad. Ath., 280D ; voir aussi Amm., XX, 4, 2-3). En 376, Ammien note que des légions arméniennes furent détachées de leurs cantonnements pour combattre les Goths en Thrace (Amm., XXXI, 7, 2). Zosime, dans un passage relatif à l’année 409, souligne que cinq tagmata passèrent de Dalmatie en Italie pour protéger Rome (Zos., V, 45, 1 ; probablement des fantassins, cf. supra, p. 362). 26 Voir en dernier lieu la thèse inédite de M. Landelle sur Les Magistri Militum aux IVe et Ve siècles ap. J.-C. : LANDELLE (2011). 27 CTh., V, 6, 1 : Flavius Bonosus (cf. PLRE, I, 164). Leur poste fut mis en place à l’époque de Constantin : Zos., II, 33, 3 ; cf. JONES (1964), I, 97. 28 Contra MOMMSEN (1889b), 260-1. Peut-être que sa fonction originelle était de superviser l’entraînement des cavaliers du comitatus, comme le suggère le sens technique du latin magister en contexte militaire. Voir notamment CIL, V, 8278 = ILS, 2333 (Aquilée) et ENSSLIN (1930), 308-9 (qui se méprend toutefois lorsqu’il suppose que le magister equitum commandait la cavalerie légionnaire sous le Haut-Empire : voir supra, p. 325). 29 Contra NICASIE (1998), 78 : « Presumably, the position of magister equitum ultimately resulted from the policy of Gallienus, who brought the cavalry under the unified command of a single general, Aureolus. » 30 Les travaux les plus récents s’accordent sur ce point : cf. KAZHDAN & CUTLER (1991), 1266 ; NICASIE (1998), 78 ; LANDELLE (2011), 176-9. Nous n’avons pu relever qu’une seule occurence où l’hypothèse d’une division tactique semble corroborée dans les sources. Lors de son expédition contre les Alamans en 372, l’empereur Valentinien confie l’infanterie au magister peditum Sévère (PLRE, I, 833 [s.n. « Severus 10 »]) et la cavalerie au magister equitum Théodose l’Ancien (PLRE, I, 902-4). Cf. Amm., XXIX, 4, 3. 31 Id., XXIV, 4, 13 ; Zos., III, 21, 4. Sur Nevitta, cf. PLRE, I, 626-7.
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de manœuvre32 ; c’est aussi le cas du magister equitum Jovinus la même année33. Le constat d’une absence de spécialisation tactique au niveau du haut commandement impérial est également valable pour les « maîtres de cavalerie » régionaux qui, à partir du règne de Valentinien Ier, ont autorité sur l’ensemble des troupes comitatenses de leur district, aussi bien les soldats à cheval que les fantassins34. Selon Marc Landelle, la répartition des tâches entre les deux officia (magistri equitum et magistri peditum) serait avant tout de nature administrative35. Au demeurant, une explication simple permet d’écarter l’idée selon laquelle la constitution de réserves de cavalerie aurait pu représenter un avantage sur le plan stratégique : la mobilité des forces de cavalerie se mesure essentiellement aux échelons tactique et opérationnel ; elle devient très incertaine au-delà d’un rayon 300 kilomètres36. Dans une note sur les guerres indiennes, rédigée en 1878, le colonel William B. Hazen constate qu’en moyenne, à partir de quatre jours de marche, une colonne de fantassins peut rattraper un corps de cavaliers et qu’elle est donc susceptible de parcourir une plus grande distance en une semaine37. Si l’on tient compte des informations fournies par les sources anciennes sur le rythme de marche des légionnaires, il faut conclure que, pour de longs déplacements, un corps expéditionnaire impérial ne pouvait dépasser la cadence maximale de 30 kilomètres par jour, fût-il constitué de fantassins ou de cavaliers38. La vitesse de déplacement de l’armée était 32
Amm., XXVI, 9, 1 (cf. Id., XXVI, 5, 2). Id., XXVII, 2, 1 et 9. Pour d’autres exemples de magistri equitum placés à la tête de fantassins, cf. LANDELLE (2011), 177. 34 JONES (1964), II, 608. 35 LANDELLE (2011), 178-9. 36 JUNKELMANNN (1990), I, 84, NICASIE (1998), 36-7 et WHITBY (2004), 162-3 comptent parmi les rares spécialistes de l’armée romaine à souligner ce paradoxe. Contra Syvänne (2004), 101. 37 Cité dans URWIN (1983), 138 : « After the fourth day’s march of a mixed command, the horse does not march faster than the foot soldier, and after the seventh day, the foot soldier begins to outmarch the horse, and from that time on the foot soldier has to end his march earlier and earlier each day, to enable the cavalry to reach the camp the same day at all. » Un exemple issu de l’œuvre de Procope semble confirmer que les déplacements de cavaliers n’étaient pas nécessairement plus rapides. Lorsque Justinien fit envoyer des renforts à Bélisaire qui était assiégé dans Rome à la fin de l’année 537, ses cavaliers de Thrace arrivèrent à peu près au même moment que l’infanterie levée en Isaurie. Cf. Procop., Bell., VI, 5, 1. 38 Le rythme de marche normal des armées romaines est renseigné par Veg., Mil., I, 9, 3 : Militari ergo gradu XX milia passuum horis quinque dumtaxat aestiuis conficienda sunt. Il est donc d’environ 30 km par jour (20 milles romains font 29,58 km). Il convient de souligner que Végèce insère cette anecdote dans sa description des entraînements des légionnaires. La cadence devait être beaucoup plus lente lorsqu’une armée était 33
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limitée par l’utilisation de chariots tirés par des bœufs ou par l’emploi d’autres animaux de bât comme les mules, nécessaires pour porter les provisions et l’équipement39. La présence de troupes montées posait en outre des problèmes logistiques supplémentaires. Il fallait se procurer de l’eau et du fourrage en grande quantité40, et les chevaux pouvaient éprouver des difficultés à traverser les zones accidentées41. De surcroît, il n’était pas possible de forcer les animaux à poursuivre la marche au-delà d’un certain seuil de fatigue et le temps de repos à leur accorder était plus long42. Selon Xénophon, lors d’expéditions militaires, un bon commandant de cavalerie devait toujours veiller à soulager ses chevaux, afin qu’ils ne s’épuisent pas et soient toujours prêts pour le combat. Les escadrons pouvaient mettre pied à terre tour à tour pour ne pas être totalement pris au dépourvu en cas d’attaque-surprise43. Seuls les nomades de la steppe eurasiatique réussirent à faire basculer l’avantage en faveur de la cavalerie, mais au prix d’une remonte accompagnée de son train de bagages. Sur ces questions, voir KROMAYER & VEITH (1928), 353-5 ; BENARIO (1986) ; GILLIVER (1999), 49-50. 39 HALDON (1999), 166. 40 Maurice, Strat., I, 9 12-7 ; Procop., Bell., I, 8, 1-5 et 24, 12-21. Comme le rappelle HALDON (1999), 168 : « Horses and mules require considerably more in weight of provisions than soldiers, and are in economic terms relatively inefficient animals, needing a much greater weight of supplies proportional to their carrying capacity than men. » Le problème de l’approvisionnement des chevaux se pose surtout pour le fourrage lourd, car le fourrage léger est plus facile à obtenir lors de la belle saison. Le traité anonyme du Xe s. sur l’organisation des campagnes note qu’il est impossible, pour une armée, de transporter des rations d’orge pour plus de 24 jours en territoire ennemi (Anon. bibl. takt., 21, 22-3). Dans les faits, la capacité de portage d’un corps expéditionnaire composé de cavaliers était probablement inférieure (15 jours selon HALDON [1999], 169). À l’époque moderne, on habituait les montures de guerre à consommer moins de céréales en les laissant pâturer dans les prairies avant l’entrée en campagne (AUTHVILLE DES AMOURETTES [1756], 329). Seuls les chevaux des éleveurs nomades étaient capables de se contenter uniquement de pâture. Cf. Veg., Mulom., II, pr. 1-3 et SINOR (1972), 177. 41 Maurice, Strat., I, 9, 24-8 ; IX, 4, 1-9. 42 Veg., Mil., III, 11, 7 déconseille vivement d’engager dans une bataille des chevaux épuisés par une longue course. Voir aussi Clausewitz, De la guerre, V, 12 (éd. Naville p. 357). Plusieurs exemples issus du corpus césarien vont dans le même sens. Cf. Caes., BC, II, 41, 3. En 49 av. J.-C., à la veille de la bataille du Bagradas, Curion détache 500 cavaliers pour qu’ils attaquent le camp des Numides de nuit. Durant cette opération, ils parcourent en tout une quinzaine de kilomètres, en plus du combat qu’ils ont à livrer et dans lequel ils sont victorieux. Le lendemain, quand le reste de l’armée les a rejoints, César précise que les chevaux sont épuisés. Seuls 200 cavaliers sur les 500 sont en mesure de poursuivre la marche. Les autres sont laissés en arrière et ne peuvent suivre l’infanterie. Même parmi ce groupe de 200 cavaliers, des soldats ne sont plus en mesure de poursuivre l’ennemi lorsque celui-ci est mis en déroute. L’auteur du De bello Africano note aussi l’épuisement de la cavalerie césarienne, harassée par de longues marches, lors de la bataille de Ruspina (46 av. J.-C.), cf. Ps.-Caes., BAfr., 18, 4. 43 Xen., Hipp., IV, 1-2.
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extraordinaire, avec parfois plus de quatre chevaux par cavalier44. Leurs incursions s’apparentaient ainsi à de véritables déplacements de troupeaux45. L’armée romaine n’avait probablement pas les moyens de se doter d’un tel appareil logistique46. Seuls les raids de petite envergure et les patrouilles de reconnaissance pouvaient éventuellement mobiliser des montures surnuméraires afin de renforcer la mobilité opérationnelle des détachements de cavalerie47. Au niveau inférieur, celui de la tactique, nous avons vu que sur de courtes distances, des cavaliers romains poursuivant un ennemi en fuite pouvaient progresser trois fois plus rapidement que des fantassins sans bagage, ce qui suggère qu’ils étaient capables de parcourir environ 90 kilomètres en une journée48. Mais en l’absence de chevaux de remplacement, tout espoir de prolonger cette prouesse au-delà d’une étape journalière devait être considéré comme vain. En revanche, ce qui valait pour les unités régulières n’était pas forcément la règle pour des corps de troupes alliés ou fédérés, qui étaient libres d’employer des méthodes de guerre inspirées des pratiques nomades49. Il n’est donc pas exclu que des supplétifs danubiens aient pu servir à constituer occasionnellement des armées de cavalerie très mobiles. C’est d’ailleurs ce que suggère un fragment du texte de l’historien Olympiodore relatif à la guerre de Théodose II contre l’usurpateur Jean50.
44 Sarmates : Amm., XVII, 12, 3 (deux à trois chevaux par cavalier). Mongols et Coumans au XIIIe s. : Jean de Plan Carpin, Historia Mongolorum, VIII, 10 (quatre à cinq chevaux) ; Robert de Clari, La conquête de Constantinople, éd. Lauer p. 64 (dix à douze chevaux). Voir SINOR (1972), 173 et CHALIAND (1995), 133-4. Les nomades usaient aussi de techniques qui rendaient leurs chevaux plus endurants et plus frugaux : Pline, HN, VIII, 65 ; XXV, 43-4. 45 Cass. Dio, XL, 15, 3 (Parthes) ; Maurice, Strat., XI, 2, 31-2 (Avars). 46 Contra SPEIDEL (2000), 481. L’auteur fonde son argumentation sur des représentations funéraires d’officiers subalternes accompagnés de plusieurs montures (Aurelius Gaius et ses quatre chevaux). Mais il omet de préciser que les simples cavaliers n’avaient qu’un seul cheval, comme l’implique très clairement une loi de 326 (CTh., VII, 22, 2). Au demeurant, une imitation réelle du modèle nomade, fondé sur l’entretien d’une remonte pléthorique, aurait impliqué de consacrer une large partie des pâturages méditerranéens à l’élevage équin, ce qui n’était pas envisageable et excédait les capacités environnementales des régions contrôlées par l’Empire romain. Cf. GRAFF (2016), 161. 47 Zos., IV, 48, 3 ; Maurice, Strat., V, 2, 8-11. 48 Cf. supra, p. 106. 49 Cf. Malchus, fr. 18, 2 (éd. Blockley p. 430-1) : deux à trois chevaux par cavalier pour les Ostrogoths de Théodoric Strabon en 478. 50 Olympiodore, fr. 43, 2 (éd. Blockley p. 207-9) : raid éclair mené par les cavaliers du général alain Fl. Ardaburius Aspar sur Aquilée en 424. Cf. infra, p. 603-4.
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C. L’importance de la cavalerie dans l’organisation des défenses frontalières La Notitia dignitatum Orientis peut permettre une analyse relativement fine de la répartition des unités de cavalerie régulières dans les confins frontaliers que constituent les duchés, de la Moesia I à la Palestine51. En appliquant aux listes d’unités de ce document les mêmes effectifs théoriques que ceux que nous avons adoptés précédemment, nous obtenons les résultats suivants : Tableau 15 – Composition des troupes frontalières dans les duchés du Bas-Danube, c. 400. Duché
Moesia I
Dacia Ripensis Moesia II
Scythia
Garnison
cunei : 8 legiones : 2 auxiliares : 8 milites : 5
cunei : 9 legiones : 2 auxiliares : 6 milites : 1 cohortes : 2
cunei : 7 legiones : 2 milites : 8
Totaux -infanterie -cavalerie
cunei : 7 legiones : 2 milites : 10 cohortes : 3
6 900 à 9 500 5 700 à 7 500 6 900 à 9 500 5 400 à 7 000 2 400 2 700 2 100 2 100 (21,2 à 25,8%) (26,5 à 32,1%) (18,1 à 23,3%) (23,1 à 28%)
Tableau 16 – Composition des troupes frontalières dans les duchés d’Orient, c. 400. Duché
Armenia
Garnison equites : 2 legiones : 3 alae : 11 cohortes : 10 Totaux -infant. -caval.
Mesopotam.
Osrhoena
Syria
Foenice
Arabia
Palestina
equites : 10 legiones : 2 alae : 3 cohortes : 2
equites : 9 legiones : 2 alae : 6 cohortes : 2
equites : 10 legiones : 2 alae : 2 cohortes : 4
equites : 12 legiones : 2 alae : 7 cohortes : 5
equites : 8 legiones : 2 alae : 6 cohortes : 5
equites : 12 legiones : 1 alae : 6 cohortes : 11
7 500 à 9 500 3 600 à 4 000 3 600 à 4 000 4 200 à 5 000 4 500 à 5 500 4 500 à 5 500 4 800 à 7 000 3 900 3 900 4 500 3 600 5 700 4 200 5 400 (29,1 à 34,2%) (49,4 à 52%) (52,9 à 55,5%) (41,9 à 46,2%) (50,9 à 55,9%) (43,3 à 48,3%) (43,5 à 52,9%)
51 Pour une tentative d’analyse antérieure, cf. TREADGOLD (1995), 50-3. L’auteur, qui se fonde sur les chiffres d’A.H.M. Jones, obtient des résultats sensiblement différents des nôtres. Mais son étude fait ressortir les mêmes contrastes.
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Les tableaux ci-dessus permettent d’établir un constat très clair : il existe un fort décalage entre les duchés du Bas-Danube, dans lesquels la cavalerie constitue 20 à 30% du total des forces disponibles, et les duchés proche-orientaux (à l’exception de l’Arménie), où le ratio des forces montées avoisine les 50%52. Ce décalage n’est pas rectifié par l’addition des unités comitatenses puisque nous obtenons alors 12,3 à 16,7% de troupes montées pour le Bas-Danube et 34,5 à 39,6% pour l’Orient53. Une telle différence n’existait pas sous le Haut-Empire et nous semble suffisamment marquée pour retenir notre attention54. Il est toutefois délicat de lui trouver une explication satisfaisante. Faut-il imaginer que la guerre en Orient et notamment dans le secteur syro-mésopotamien nécessitait des moyens spécifiques ? Cela paraît peu probable. L’armée sassanide accordait davantage d’importance à l’infanterie et à la poliorcétique que l’armée arsacide ; l’on conviendra facilement que cette évolution n’impliquait pas, dans un rapport de cause à effet, un renforcement de la cavalerie romaine55. On pourrait éventuellement suggérer qu’après le traité conclu par Jovien en 363, les opérations de guérilla frontalière prirent le dessus sur les grandes entreprises offensives56 : l’armée romaine aurait adopté une posture défensive, se contentant de lutter avec sa cavalerie contre les raids qui étaient très fréquents, y compris en contexte de paix57. Mais les projets d’intervention contre Shapur II durant cette période, notamment 52 Le total est de 9 300 cavaliers pour 24 900 à 33 500 fantassins dans les duchés du Bas-Danube (21,7% à 27,2% de cavaliers) et de 31 200 cavaliers pour 32 700 à 40 500 fantassins dans les duchés d’Orient (43,5 à 48,8% de cavaliers). 53 La magister militum per Illyricum (ND Or., 9) dispose de 2 uexillationes comitatenses, 1 légion palatine, 6 auxilia palatina, 8 légions comitatenses et 9 légions pseudocomitatenses. Le magister militum per Thracias (ND Or., 8) dispose de 3 uexillationes palatinae, 4 uexillationes comitatenses et 21 légions comitatenses. Cela fait un total hypothétique de 2 700 à 5 400 cavaliers et 50 400 à 51 600 fantassins pour les armées comitatenses du Bas-Danube. Le magister militum per Orientem (ND Or., 7) dispose de 10 uexillationes comitatenses, 2 auxilia palatina, 9 légions comitatenses, 10 légions pseudo-comitatenses. Cela fait un total hypothétique de 3 000 à 6 000 cavaliers pour 24 000 à 24 400 fantassins dans l’armée comitatensis d’Orient. Total des troupes limitaneae et comitatenses pour le Bas-Danube : 9 300 + 2 700-5 400 = 12 000-14 700 cavaliers ; 24 900-33 500 + 50 400-51 600 = 73 300-85 100 fantassins. Total des troupes limitaneae et comitatenses pour l’Orient : 31 200 + 3 000-6 000 = 34 200-37 200 cavaliers ; 32 700-40 500 + 24 000-24 400 = 56 700-64 900 fantassins. 54 Sur la capacité de l’État romain tardif à planifier la répartition de ses moyens militaires aux frontières, en fonction de contingences macrostratégiques, cf. Them., Ep. ad Iul., 41-2 (éd. Swain p. 155-6) et les commentaires de GREATREX (2007), 114-5. 55 LUTTWAK (1976), 151 ; DMITRIEV (2008), 93-139 ; LE BOHEC (2009), 146-9. 56 Sur ce nouveau contexte géopolitique, voir la mise au point de GREATREX (1998), 10-3 et nos développements infra, p. 512-5. 57 E.g. Jean Lyd., De mag., III, 53. Voir de façon plus générale (bien que dans un contexte précédant la conclusion du traité de 363) Amm., XVI, 9, 1.
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en Arménie, fragilisent une telle interprétation : la menace d’une confrontation massive avec l’Empire perse était bien réelle58. La nécessité de disposer de cavaliers prêts à intervenir dans les diocèses proche-orientaux et sur les franges du désert syro-arabe fut peutêtre avivée par l’affirmation des tribus saracènes qui, dès l’époque tétrarchique et surtout à partir de la révolte de Mavia en 377-378, commencèrent à représenter une véritable menace militaire pour l’Empire59, et par les premiers raids conduits par les Huns en Mésopotamie et en Syrie dès l’année 39560. Depuis un certain temps, les Romains avaient pris conscience du risque que représentait l’installation de nouvelles populations nomades dans la steppe pontique et avaient orienté une bonne partie de leurs efforts diplomatiques dans le sens d’un contrôle des passes du Caucase61. Mais la situation était-elle bien différente dans les duchés de l’Illyricum ? En Thrace, l’Empire était confronté à des populations plus diverses62. Les Goths constituaient certes la principale menace et leurs armées se composaient principalement de fantassins63. Mais lors de leur grande campagne de 378, Ammien nous informe qu’ils disposaient du concours de combattants hunniques et alains64. Les Huns commencèrent à mener des raids sur la rive droite du Danube, de façon plus autonome, Cf. GREATREX & LIEU (2002), 20-30. Tétrarchie : Pan. Lat., XI (III), 5, 4 et 7, 1 ; Malalas, XII, 38. Mavia : SHAHÎD (1984), 14052 ; LENSKI (2002), 204-10. Un nouveau foedus fut établi avec les Thanukides dès 378, mais les relations entre l’Empire et cette confédération tribale se durcirent à nouveau dans les années 380 : cf. SHAHÎD (1984), 210-6 ; SARTOR (2008), 46 et 51-3 (voir en particulier Pan. Lat., XII [II], 22, 3). D’autres raids arabes sont mentionnés par les sources pour la fin du IVe s. et le début du Ve s. : Jér., Vita Malchi, 4 (cf. MILLAR [1993], 484-5) ; V. Alex. Akoim., 33-4 (cf. GATIER [1995], 452-4). LENSKI (2002), 204 suppose que l’établissement, sous le règne de Valens, de deux nouvelles ailes de cavalerie dans les duchés de Palestine et d’Arabie (l’ala secunda felix Valentiana [ND Or., 34, 35] et l’ala prima Valentiana [ND Or., 37, 30]) est le reflet d’un « ongoing effort to control smaller nomadic raids and protect settled populations that abutted on and even shared Saracen territory ». Voir également MIOTTO (2007), 5-6. 60 Sur le grand raid de l’année 395, lancé par les Huns depuis les passes du Darial, voir MAENCHEN-HELFEN (1973), 51-9 ; SINOR (1990), 182-4 ; BLOCKLEY (1992), 47-8 ; GREATREX & GREATREX (1999). Les déprédations se poursuivirent lors de l’année 396. En 398-399, une contre-offensive fut organisée dans le Caucase pour repousser les envahisseurs : Claud., In. Eutr., I, 252-9 et II, 55-6. Cf. ALBERT (1979). 61 BLOCKLEY (1992), 50-1. Cf. Jean Lyd., De Mag., III, 52-3. L’hypothèse de raids antérieurs à l’année 395 n’est pas à exclure. Cf. Vita Ephr. 36 (éd. Amar p. 92). 62 ELTON (1996), 22-30. 63 WOLFRAM (1979, 1988 trad. angl.), 167-8 pense qu’à partir de la fin du IVe s., la cavalerie commença à occuper une place de plus en plus importante dans les armées gothiques. Mais voir ELTON (1996), 59. 64 Amm., XXXI, 16, 3. Cf. MAENCHEN-HELFEN (1973), 18-40 et 46-8 ; SINOR (1990), 180-1. Voir également Ps.-Aur. Vict., Epit., 47, 3 et 48, 5 ; Zos., IV, 34, 6 (pour l’année 381) ; Claud., I cos. Stil., 109-11 ; In Ruf., I, 308-31 (pour l’année 392). 58
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dès l’année 39565, et de nouvelles incursions sont signalées par les sources peu après la date de rédaction de la Notitia Orientis, en 404-405 et 408-40966. Comme en Orient, l’armée romaine était donc sur la défensive, surtout depuis les événements qui avaient conduit au désastre d’Andrinople le 9 août 37867. Il demeure cependant difficile de mesurer l’impact de ces évolutions sur le déploiement militaire impérial car l’état du dispositif donné par la Notitia pour le tronçon oriental de la frontière danubienne renvoie dans une large mesure aux années qui précèdent la campagne de 378 (cf. infra, p. 426, n. 127). Si la nature de l’ennemi ne permet pas d’expliquer l’importance fluctuante de la cavalerie au sein des armées frontalières, quel facteur a donc pu jouer un rôle discriminant ? Peut-être faudrait-il avant tout tenir compte des ressources que les alliés des Romains étaient susceptibles de fournir à l’Empire : cette variable d’ajustement ne transparaît pas dans la Notice des dignités et pouvait influer considérablement sur la composition finale des corps expéditionnaires68. En Orient, la révolte des Saracènes tanukhides contribua certainement à priver le magister militum per Orientem d’une manne importante de cavaliers légers, même si d’autres phylarques entrèrent dans l’alliance romaine après les révoltes des années 370-38069. Il fallait aussi compter avec le recul de l’influence romaine en Arménie et en Ibérie : la partition de ces deux royaumes (en 387 pour l’Arménie) dut probablement affecter la capacité des Romains à mobiliser des troupes alliées dans ces régions70. Mais c’est incontestablement en Mésopotamie et en Palestine que la situation avait le plus évolué. 65 Ibid., II, 22-8 et 45-53. Cf. MAENCHEN-HELFEN (1973), 53 (sceptique) et SINOR (1990), 184. 66 Soz., HE, VIII, 25, 1 ; IX, 5 ; CTh., V, 6, 3 (409 ap. J.-C.). Cf. MAENCHEN-HELFEN (1973), 62-7 ; SINOR (1990), 185. 67 LENSKI (2002), chap. 7. 68 Pour une analyse exhaustive du recrutement d’auxilia orientaux durant la période, cf. SARTOR (2008), notamment p. 50-9. Sur la politique orientale de l’Empire romain durant les règnes de Théodose Ier et Arcadius, cf. BLOCKLEY (1992), 39-52. 69 Cf. SHAHÎD (1984), 214-6, qui voit dans les années du règne de Théodose Ier le contexte de l’émergence de la confédération des Salīh. Claudien mentionne à deux reprises des troupes arabes au service de Théodose lors de sa guerre contre Eugène : Claud., III cos. Hon., 71 ; I. Cons. Stil., I, 156. 70 BLOCKLEY (1992), 34-8 et 42-4 ; BRAUND (1994), 260-1 ; GREATREX (1998), 12 ; GREATREX & LIEU (2002), 28-30. Ce recul de l’influence romaine n’eut cependant pas de conséquences catastrophiques sur les capacités de mobilisation de l’Empire. Arméniens, Ibères et Colches pouvaient toujours fournir des contingents à l’empereur à la fin du IVe s. : Claud., I cos. Stil., I, 154-68 ; Bell. Gild., 241-5 ; Epith., 221-2. Cf. SARTOR (2008), 53-6. C’est, nous semble-t-il, l’une des raisons pour lesquelles la cavalerie régulière occupe une place moins importante dans le tableau d’effectifs du dux Armeniae par rapport aux autres duchés orientaux : le duc d’Arménie pouvait encore disposer du concours de nombreux alliés locaux, ce qui n’était pas forcément le cas de ses collègues.
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À l’exception des tribus saracènes alliées de Rome, dont la fidélité restait chancelante, les anciennes forces clientes avaient été intégrées dans le tissu militaire permanent, d’où, peut-être, l’apparition de nombreuses unités d’equites sagittarii indigenae dans ce secteur71. Le recul du rôle joué par les supplétifs orientaux se constate d’ailleurs dans les sources narratives72. Sur le Bas-Danube, les choses étaient bien différentes. Depuis la conclusion de la paix de 382 et leur installation intra fines imperii, les Goths (et dans une moindre mesure les Huns) servaient massivement dans l’armée romaine73. L’apport semble avoir été suffisamment important pour permettre aux autorités impériales d’envisager des transferts de fédérés danubiens en Orient tout au long de la période74. Ces divergences de situation pourraient expliquer le contraste visible dans la Notitia dignitatum Orientis : le rôle prépondérant joué par les fédérés sur le Danube aurait été, en partie compensé, dans les duchés orientaux, par des unités régulières. 71 CARRIÉ (1995), 51 pense que ces equites sagittarii indigenae sont « des troupes arabes, qui ont dû souvent remplacer d’anciennes unités auxiliaires dissoutes ou déplacées ». Il convient cependant de rester prudent car certains de ces escadrons ont très bien pu être créés à partir de forces de cavalerie frontalière préexistantes (ailes ou cohortes montées), cf. IBEJI (1991), 165-6. Le qualificatif indigenae a surtout pour fonction de les distinguer des Illyriciani nouveaux venus. D’où l’existence d’equites promoti indigenae. 72 Lors de la guerre de Julien contre les Perses, Ammien ne mentionne que des éclaireurs saracènes parmi les auxiliaires locaux : Amm., XXIII, 3, 8 et XXIV, 1, 10. On note en outre la présence de Scytharum auxilia, rassemblés spécialement par le prince pour son expédition (ibid., XXIII, 2, 7). Ammien précise que ces troupes avaient été recrutées audelà des confins de la Thrace (ibid., XX, 8, 1). Nous les voyons resurgir à l’hiver 376-377, dans le cadre des préparatifs d’une nouvelle expédition contre Shapur (ibid., XXX, 2, 6). Par la suite, la Vie d’Euphémie signale la présence de foederati goths sous les ordres du magister militum per Orientem Addai (Addaeus) en 395, dans le contexte du raid mené par les Huns cette année-là : Euphemia, 4-12 (éd. Burkitt p. 130-4). 73 Sur ce « foedus », cf. ROCCO (2012), 515-22 (avec renvois aux sources et bibliographie antérieure). Le meilleur témoin de l’omniprésence des Goths dans l’armée romaine d’Orient à l’époque de la rédaction de la Notitia dignitatum Orientis est Synésios de Cyrène : cf. Syn., Reg., 19-21 (notamment 19, 5 ; 21, 1-4) ; De Prouid., II, 1-3. Il convient cependant de garder à l’esprit le propos polémique de l’auteur, cf. HEATHER (1988) et CHAUVOT (1998), 343-64. Sur les symmachoi goths durant les années 380-390 : HEATHER (1991), 160-5. Le fait que ces contingents participaient à la défense des frontières est confirmé par Zosime, qui signale la présence de « barbares » (goths ?) à Tomis, en Scythie, aux alentours de l’année 386 : Zos., IV, 40, 1 (probablement des cavaliers : cf. ibid., IV, 40, 4). Les Huns fournissent des troupes supplétives à l’Empire dès l’année 384 : Ambr., Ep., 24, 8 ; Pan. lat., XII (II), 32, 4-5. Cf. SINOR (1990), 181. Ces combattants sont attestés jusque dans la Cyrénaïque de Synésios au tournant des IVe et Ve s. : Syn., Ep., 78 ; Cata., 1, 2, 2 ; 1, 2, 4 ; 2, 2, 1. 74 Cf. supra, n. 72. D’autres indices confirment cette présence comme l’appointement d’officiers supérieurs d’origine gothique : Munderich, dux limitis per Arabiam (PLRE, I, 610) ; Ellebich, magister utriusque militiae per Orientem (PLRE, I, 277-8).
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II – CAVALERIE ET « GRANDE STRATÉGIE » La répartition des unités de l’armée romaine tardive entre comitatenses et limitanei a conduit certains chercheurs à penser que cette nouvelle hiérarchie reflétait l’adoption d’une conception stratégique d’ensemble, différente de celle du Haut-Empire. Dans un article précurseur, Théodor Mommsen décrit cette évolution comme le signe de l’émergence d’une armée à deux vitesses, constituée d’une part de troupes mobiles, servant à la constitution de corps expéditionnaires, et d’autre part de troupes sédentaires, affectées à la défense de secteurs frontaliers définis et présentées comme une milice de paysans-soldats de faible valeur75. Cette thèse, critiquée par certains historiens76, a été acceptée par une large partie de la communauté scientifique, notamment depuis l’étude de Denis van Berchem qui attribuait à Constantin la paternité de cette « réforme »77. Edward Luttwak lui a associé une idée supplémentaire. Selon lui, la bipartition des corps de troupes tardifs aurait été mise au service d’une nouvelle « grande stratégie ». Lors de la « crise » militaire du IIIe s., les Romains, en proie à des attaques répétées, auraient d’abord été contraints d’adopter une « défense élastique », fondée sur la création de corps d’armée hautement mobiles ; puis ils optèrent, à partir de Dioclétien, pour une doctrine de « défense en profondeur »78. Il n’y a pas lieu ici de MOMMSEN (1889b), 198-215 et 225-33. À ce jour, la critique la plus radicale a été avancée par LE BOHEC (2007). Plus modéré : CARRIÉ (1986), 458-60. Dans une veine similaire, S. Janniard conteste l’idée selon laquelle les comitatenses auraient pu constituer un comitatus élargi : il s’agissait avant tout pour Constantin de récompenser les troupes qui avaient effectivement fait partie de son armée d’accompagnement pendant les guerres civiles, mais qui avaient fini par être démobilisées dans des quartiers fixes : CARRIÉ & JANNIARD (2000), 322. Voir aussi JANNIARD (2001), 353 : « L’existence d’une organisation hiérarchisée du commandement n’implique aucune capacité de conception stratégique particulière de la part du pouvoir central. » Mais cela ne l’empêche pas de considérer que les comitatenses formaient des « armées régionales de campagne ». 77 VAN BERCHEM (1952), 75-111. Les études postérieures, si elles reprennent la dichotomie mommsenienne entre armées mobiles et armées frontalières, contestent cependant, à raison, le statut de milice paysanne associé aux limitanei : SESTON (1955), 295-6 ; JONES (1964), II, 607-8 et 649-54 ; HOFFMANN (1969), I, 1-5 ; ELTON (1996), 199-220 ; SOUTHERN & DIXON (1996), 17-20 ; NICASIE (1998), 172-84. 78 LUTTWAK (1976), chap. iii. Voir également BARTOLINI (2003). L’hypothèse de Luttwak sur l’évolution de la stratégie impériale avait déjà été défendue par E. Gabba, neuf ans plus tôt, dans une conférence sur l’organisation militaire de l’Empire tardif. Cf. GABBA (1974), 55-6 : l’historien italien parle de l’émergence, dans le courant de la « grande crisi del III sec. », d’une « difesa più elastica », permise par la création de vexillations de cavalerie centrales ; il ajoute que ce système évolua vers « un nuovo tipo di difesa in profondità » dès lors que des cités de l’intérieur de l’Empire commencèrent à être fortifiées. Cette idée était du reste déjà présente, bien que sous une forme moins 75
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procéder à un examen complet de cette théorie. Nous nous contenterons de déterminer si la doctrine d’emploi de la cavalerie aux IIIe et IVe s. permet de valider l’idée d’une évolution des pratiques opérationnelles concernant la gestion des menaces extérieures.
A. La lutte contre les incursions barbares durant la « crise » du IIIe s. : une défense élastique ? Si la mobilité stratégique de la cavalerie ne fut pas ce facteur décisif qui permit à l’armée romaine de lutter efficacement contre les menaces qui se multiplièrent à partir des années 250, la question des avantages comparatifs de cette arme durant la « crise » mérite d’être posée à une échelle d’analyse plus modeste. Au IIIe s., le pouvoir impérial avait en effet perdu l’initiative des opérations militaires79. Celles-ci se déroulaient de plus en plus en territoire romain, malgré quelques expéditions lancées in solo barbarico, souvent sans succès durable80. L’émergence de nouvelles menaces et la multitude des raids dirigés contre les territoires de l’empire nécessitaient une adaptation de la stratégie, qui ne pouvait plus se limiter à la recherche de batailles décisives. L’armée impériale n’était d’ailleurs plus en mesure d’obtenir la victoire en rase campagne de manière aussi systématique que par le passé, notamment contre les Germains qui formaient désormais de véritables confédérations militaires, capables de mobiliser des effectifs plus importants qu’au Ier s.81. Dans ce contexte de repli défensif, la cavalerie était l’arme la plus adaptée à la pratique de l’« action négative ». En effet, les opérations de reconquête et de remaillage du territoire imposaient une multitude de combats limités plutôt qu’un affrontement général, dont l’issue eût été trop hasardeuse. Pour les empereurs des années 260-270, l’objectif prioritaire était de aboutie, dans le grand chapitre qu’A. Alföldi avait consacré aux questions militaires dans le volume de la Cambridge Ancient History couvrant le IIIe s. : ALFÖLDI (1939), 211-5. 79 Pour une analyse de l’histoire militaire de l’Empire romain au IIIe s., voir CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 89-144 ; LE BOHEC (2009) ; MENÉNDEZ ARGÜÍN (2011). 80 La découverte récente du champ de bataille de Kalefeld-Harzhorn montre qu’à l’époque de Maximin le Thrace, l’armée romaine était encore en mesure de porter la guerre loin des frontières romaines, au cœur de la Germanie libre. Cf. PÖPPELMANN ET AL. (2013). Le contexte stratégique de cette expédition est étudié par LEHMANN (2011), 96-112 et WIEGELS (2014). 81 Sur ce point, voir en dernier lieu HEATHER (2009), chap. 2. En plus de la formation d’« overkingships », liée à la politique agressive de Rome vis-à-vis de sa périphérie immédiate, l’auteur souligne que le développement d’une nouvelle économie agraire permit aux peuples germaniques de connaître un accroissement important de leur population.
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sauver ce qui pouvait encore l’être, en défendant notamment les cités et les points de contrôle situés sur les grands axes de communication de l’Empire. Une telle mission pouvait facilement être assurée par l’infanterie. Mais pour couvrir un large territoire, débusquer les pillards répandus dans les campagnes, les empêcher de s’approvisionner et finalement les chasser, il fallait employer une force mobile et réactive, capable d’intervenir rapidement dans un rayon d’action raisonnablement étendu. Dans ce domaine, la cavalerie était de loin la plus utile. Cette division des tâches entre infanterie et cavalerie est bien illustrée par les opérations de petite guerre menées par les escadrons dalmates lors des incursions gothiques dans les Balkans orientaux sous le règne Claude II, en 26982. Zosime, qui fonde son récit sur une tradition issue des Scythica de Dexippe, indique que les barbares (un corps expéditionnaire disparate composé d’Hérules, de Peuces et de Goths) commencèrent par débarquer en Chalcidique et sur les côtes de Macédoine pour mettre le siège devant Cassandreia (Potidée) et Thessalonique83 : « … ayant fait avancer des machines de guerre vers les murailles, il s’en fallut de peu qu’ils ne s’en emparassent, mais lorsqu’ils apprirent que l’empereur approchait, ils montèrent à l’intérieur des terres et ravagèrent tout le pays autour de Dobéros et de la Pélagonie. Après y avoir perdu trois mille hommes à la suite d’une rencontre avec la cavalerie des Dalmates, ils soutinrent la lutte avec ce qu’il leur restait de troupes contre les forces qui étaient avec l’empereur ; une bataille eut lieu, très meutrière pour les deux partis en présence ; les Romains furent d’abord mis en fuite, puis ils tombèrent par des chemins non marqués sur les Barbares qui ne s’y attendaient pas et leur tuèrent cinquante mille hommes ; une partie des Scythes contournant par mer la Thessalie et la Grèce, ravagea ces régions et, incapable de s’en prendre aux villes – qui s’étaient empressées de veiller à l’état de leurs murs et aux mesures de sécurité –, emmena les hommes trouvés dans le plat pays. » (trad. F. Paschoud)84. 82 Sur ces événements : ALFÖLDI dans CAH 12, 149-50 et 721-3 = ID. (1967b), 324-5 et 436-9 ; DEMOUGEOT (1969), 425-8 ; KOTULA (1991) ; KETTENHOFEN (1992) ; FORGIARINI (1998). La chronologie a été vivement débattue. A. Alföldi, constatant des analogies dans le récit (par Zosime notamment) des campagnes de Gallien et de Claude II contre les Goths, estimait qu’une seule invasion gothique avait eu lieu à la fin du règne de Gallien : Claude n’aurait fait que parachever une victoire déjà acquise. Les articles de Kotula et Kettenhofen (étrangement ignorés par Forgiarini) donnent tort au numismate hongrois et restituent toute leur importance aux opérations conduites par Claude. Cette version est tenue pour préférable dans les synthèses les plus récentes sur la période : CHRISTOL (1998, 2006 2e éd.), 163 ; HARTMANN dans JOHNE (2008), 301-3. Outre le récit de Zosime, voir HA, Claud., 6-12 ; Eutr., IX, 11, 2 ; Aur. Vict., Caes., 34, 3-5 ; Zon., 12, 26. 83 HA, Claud., 7, 3 prétend que les barbares n’étaient pas moins de 320 000. 84 Zos., I, 43, 1-2 : Κασσάνδρειαν καὶ Θεσσαλονίκην ἐπολιόρκουν· μηχανὰς δὲ τοῖς τείχεσι προσαγαγόντες καὶ παρὰ βραχὺ τοῦ ταύτας ἑλεῖν ἐλθόντες, ἐπειδὴ τὸν
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Cette première séquence révèle que les Goths s’étaient répandus dans les riches plateaux de Pélagonie, au nord-ouest de Thessalonique, probablement pour y trouver l’approvisionnement nécessaire à la poursuite de leur raid. Claude se contenta de suprendre les pillards avec sa cavalerie, dans une région dégagée qui se prêtait bien aux opérations de harcèlement. Ce fut un succès. La victoire romaine força les Goths à se replier dans les montagnes pour échapper à la menace des escadrons dalmates. Se sentant suffisamment fort pour affronter les barbares en bataille rangée, Claude accepta l’engagement à proximité de Naïssus (Niš). Malgré sa tendance à orienter la présentation des événements dans un sens favorable aux Romains, Zosime indique clairement que les troupes impériales furent mises en fuite85. L’armée romaine ne put reprendre le dessus que par des opérations de petite guerre, sans que nous puissions savoir où et quand ces combats se déroulèrent86. Nous savons juste que les rescapés de l’embuscade se dirigeaient vers la Thrace et la suite du récit laisse bien entendre que la cavalerie romaine joua un rôle de premier plan dans leur anéantissement : « … les Barbares survivants après la bataille livrée à Nish par Claude et les Scythes se protégèrent grâce à leurs chariots et marchèrent en direction de la Macédoine ; comme les vivres manquaient, ils souffraient de la faim et périssaient, ainsi que leurs attelages ; tandis qu’ils avançaient, la cavalerie romaine les attaqua, en tua un bon nombre et força le reste à se replier vers l’Hémus. Ils furent encerclés par les légions romaines et leurs pertes ne furent pas légères ; comme l’infanterie et la cavalerie ne s’entendaient pas l’une avec l’autre, l’empereur estima possible de combattre avec l’infanterie contre les Barbares ; une violente bataille s’étant engagée, les Romains furent mis en fuite ; alors qu’ils avaient subi des pertes assez lourdes, la cavalerie survint et limita pour eux les effets de ce revers. » (trad. F. Paschoud)87. βασιλέα προσάγειν ἐπύθοντο, εἰς τὴν μεσόγειαν ἀναβάντες τὰ περὶ Δόβηρον καὶ Πελαγονίαν ἐλῄζοντο πάντα χωρία. Ἐς ἃ δὴ τρισχιλίους ἀποβαλόντες εἰς τὴν τῶν Δαλματῶν ἵππον ἐμπεπτωκότες, τοῖς λειπομένοις πρὸς τὴν οὖσαν ἅμα τῷ βασιλεῖ διηγωνίζοντο δύναμιν· μάχης δὲ γενομένης, ἐξ ἑκατέρου τε μέρους πεσόντων, ἐτρέποντο μὲν οἱ Ῥωμαῖοι, διὰ δὲ ἀτρίπτων αὐτοῖς ὁδῶν ἀπροσδοκήτοις ἐπιπεσόντες πέντε τῶν βαρβάρων μυριάδας διέφθειραν. 85 Pour cette raison, il nous semble peu probable que Claude ait été gratifié du cognomen ex uirtute Gothicus Maximus en référence à cette bataille. Voir en ce sens SUSKI (2011). 86 Soit ce retour offensif eut lieu immédiatement à la suite de la débâcle, et il pourrait alors s’agir d’une embuscade tactique organisée par le haut commandement romain dans le cadre d’une fausse fuite – ce que l’importance des pertes romaines rend peu probable –, soit il se déroula dans les jours, voire dans les semaines qui suivirent. 87 Zos., I, 45, 1-2 : οἱ ἐκ τῆς ἐν Ναΐσσῳ Κλαυδίου καὶ Σκυθῶν μάχης περιλειφθέντες, προβαλλόμενοι τὰς ἁμάξας, ὡς ἐπὶ Μακεδονίαν ἐχώρουν, σπάνει δὲ τῶν
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Le récit de Zosime montre bien que l’infanterie romaine était incapable d’emporter la décision par un assaut direct. Elle fut mise en fuite dans deux batailles successives. Le commandement romain décida donc de mener une guerre d’attrition, en privilégiant l’escarmouche88. Cette stratégie fut un succès puisque, au prix d’assauts répétés, les Dalmates du comitatus parvinrent à faire de nombreuses victimes et à couper les troupes gothiques de toute source de ravitaillement. Affamés et harcelés, les « Scythes » ne purent repasser le Danube : « les uns périrent en Thrace, les autres en Macédoine »89. La mésentente entre l’infanterie et la cavalerie rapportée par Zosime lors des opérations de Claude en Thrace est de ce point de vue très intéressante90. Il s’agit certes d’un locus caractéristique de la littérature de la première moitié du VIe s.91. Mais il se peut que l’anecdote renvoie ici à un fait objectif : la décision de recourir à l’affrontement direct ou à la guérilla partageait l’état-major impérial et déboucha sur une lutte d’influence entre l’infanterie, partisane de la première solution, et la cavalerie, favorable à la seconde. Le choix final de Claude et ses conséquences rappellent les incidents auxquels César dut faire face lors de la campagne du Sègre (49 av. J.-C.), précisément lorsqu’il décida de vaincre les pompéiens par l’attrition, en confiant la responsabilité des engagements à ses cavaliers92. ἐπιτηδείων λιμῷ πιεζόμενοι διεφθείροντο αὐτοί τε καὶ ὑποζύγια· προάγουσι δὲ αὐτοῖς ἡ Ῥωμαίων ἵππος ὑπαντιάσασα, πολλούς τε ἀνελοῦσα, τοὺς λοιποὺς ἐπὶ τὸν Αἶμον ἀπέτρεψεν. Κυκλωθέντες δὲ τοῖς Ῥωμαίων στρατοπέδοις οὐκ ὀλίγους ἀπέβαλον· ἐπεὶ δὲ διαστάντων πρὸς ἑαυτοὺς πεζῶν καὶ ἱππέων ἐδόκει βασιλεῖ τοὺς πεζοὺς τοῖς βαρβάροις διαμαχέσασθαι, καρτερᾶς γενομένης μάχης ἐτρέποντο Ῥωμαῖοι· καὶ ἀναιρεθέντων οὐκ ὀλίγων, ἡ ἵππος ἐπιφανεῖσα μετρίαν αὐτοῖς τὴν τοῦ πταίσματος πεποίηκεν αἴσθησιν. 88 Voir sur ce point WHITBY (2007b), 136. 89 Zos., I, 46, 1. Voir également HA, Claud., 7, 6. 90 Zos., I, 45, 2 : ἐπεὶ δὲ διαστάντων πρὸς ἑαυτοὺς πεζῶν καὶ ἱππέων. On prendra garde, toutefois, à ne pas adopter de conclusion définitive concernant ce passage. La traduction privilégiée par les éditions de référence (Paschoud : « comme l’infanterie et la cavalerie ne s’entendaient pas l’une avec l’autre » ; Ridley : « When, however, there was disagreement between the cavalry and infantry ») n’est pas la seule possible. Zosime pourrait aussi bien vouloir dire que « l’infanterie et la cavalerie étaient (géographiquement) séparées l’une de l’autre », ce qui expliquerait aussi l’intervention différée des troupes montées dans l’engagement qui suivit. Voir cependant HA, Aurel., 18, 1 : l’auteur fait allusion à des chefs de la cavalerie qui auraient encouru la disgrâce de Claude pour avoir combattu sans en avoir reçu l’ordre. 91 Cf. infra, p. 691-6. 92 Cf. supra, p. 138-41. Pour sa part, l’HA, Claud., 11, 3 résume l’affaire de la façon suivante (trad. F. Paschoud) : « lorsque la foule des tribus barbares qui avaient survécu se fut dirigée vers l’Hémimont, elle y souffrit tellement de la faim et de la peste que désormais Claude jugea superflu de les vaincre aussi par les armes. » L’auteur ne détaille pas les opérations comme le fait Zosime mais relève le rôle notable joué par les Dalmates dans
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Faut-il voir dans le déroulement du bellum Gothicum de Claude II le signe d’une évolution de la « grande stratégie » impériale à l’égard des barbares ? D’après Edward Luttwak, la « défense élastique », qu’auraient privilégiée les empereurs illyriens, revenait à accepter, au moins temporairement, l’abandon des périmètres défensifs frontaliers au profit d’une riposte mobile, qui nécessitait la mobilisation quasi permanente d’une armée d’accompagnement93. L’auteur ajoute plus loin que la cavalerie était l’« instrument naturel » de cette défense élastique94. Cette définition nous semble plutôt convenir aux opérations décrites ci-dessus, à cela près que la défense de positions fixes n’était pas complètement abandonnée par les Romains95 et que la cavalerie n’était pas privilégiée en raison de sa mobilité stratégique – elle garantissait plutôt une supériorité tactique dans le cadre d’opérations de harcèlement. En outre, il faut souligner que le mode opératoire privilégié par Claude II lors de sa lutte contre les Goths n’avait rien d’une nouveauté. Il avait déjà été mis en œuvre par César trois cents ans plus tôt et ressemblait probablement aux opérations de « nettoyage » conduites par les légats chargés de lutter
l’obtention de la décision, cf. ibid., 11, 9 : In quo bello, quod (a Claudio) gestum est, equitum Dalmatarum ingens extitit uirtus. Plus intéressant encore, il mentionne un incident qui aurait contraint Claude à prendre des mesures disciplinaires durant la campagne, cf. ibid., 11, 7-8 (trad. F. Paschoud) : « dans le temps que fut remportée la pleine victoire, la plupart des soldats de Claude (plerique milites Claudii), enivrés par le succès, qui altère même le caractère des sages, s’adonnèrent si bien au pillage qu’ils en oublièrent qu’ils pouvaient être mis en fuite par une poignée d’hommes cependant que, accaparés corps et âme, ils se faisaient les esclaves du butin dont ils s’emparaient. Finalement, au moment même de la victoire, près de deux mille soldats (duo milia militum) furent massacrés par un petit nombre de barbares, et ceux précisément qui avaient fui. Mais lorsque Claude apprend cela, il arrête, après avoir assemblé l’armée, tous ceux qui avaient manifesté un esprit de rébellion (omnes qui rebelles animos extulerant), et les envoie même enchaînés à Rome pour qu’ils y soient réservés pour les jeux publics. » Si l’on expurge ce passage des inévitables topoi sur l’ensauvagement des soldats et la restauration de la disciplina militaris par le prince, on retiendra que des milites – qui ne peuvent être confondus avec les cavaliers dalmates dont l’auteur vante juste ensuite les mérites – s’étaient comportés comme des rebelles, probablement parce que, se sentant écartés des combats et aspirant à obtenir une part du butin, ils contestèrent la stratégie d’évitement privilégiée par Claude et engagèrent l’ennemi de leur propre chef. 93 LUTTWAK (1976), 130-2 et fig. 3.1. Cf. p. 130-1 : « The two sides then fight on an equal footing : the defense can be as concentrated as the offense, since it needs not assign troops to hold any fixed positions nor detach forces to protect territory ; on the other hand, the defense thereby sacrifices all the tactical advantages normally inherent in its role (except knowledge of the terrain) since neither side can choose its ground, let alone fortify it in advance. » Voir également BARTOLINI (2003), 209. 94 LUTTWAK (1976), 187. 95 Comme l’illustre la résistance d’Athènes, de Philippopolis et de Thessalonique en 267-269.
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contre les incursions sarmates en Mésie dans la seconde moitié du Ier siècle96. Mais il n’en est pas moins vrai que le nouveau contexte géostratégique contraignait les Romains à recourir de façon plus systématique à la guérilla défensive. La littérature militaire tardive semble avoir conservé la mémoire de ce changement. Dans son chapitre sur les embuscades, le Stratêgikon indique en effet qu’à la suite de confrontations répétées avec les Goths, Dèce finit par opter pour la φυγομαχία97. Ce néologisme byzantin, dérivé du verbe φυγομαχέω, désigne le combat par la déception, le refus de la bataille rangée. L’anecdote rapportée par Maurice pourrait refléter une politique consciente et durable : un fragment des Scythica confirme en effet que Dèce jugeait imprudent de rechercher l’engagement contre les Goths et prônait au contraire la temporisation98. Ce choix était suffisamment assumé pour apparaître aux yeux des auteurs tardifs comme une rupture notable. Il ne faisait en réalité que renouer avec la vieille méthode de Fabius Maximus, que Polybe designe en des termes identiques99.
B. L’évolution des frontières militaires au « défense en profondeur »
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s. : la cavalerie et la
Passés les troubles des années 260-270, une première œuvre de réorganisation des frontières fut entreprise par Dioclétien et poursuivie par Constantin100. Les modifications successives apportées à ce nouveau système sont à l’origine de l’organisation militaire décrite par la Notitia dignitatum : une armée scindée en plusieurs classes de soldats, réparties 96
Cf. supra, p. 252-5. Maurice, Strat., IV, 3, 29-34 : ὅπερ ἐποίησαν Δεκίῳ βασιλεῖ Ῥωμαίων Σκυθικὰ τῶν Γότθων ἔθνη διὰ τοῦ Δανουβίου εἰσβάλλοντα ἐν Θράκῃ καὶ περὶ Μυσίαν τὸν πόλεμον φανερῶς αὐτῷ συμβαλόντα, καί τοι τοῦ Δεκίου εὐτυχήσαντος πρὸ τούτου φυγομαχίᾳ τῇ λεγομένῃ χρησαμένου ἐκ τῶν ὀχυρωτέρων πολέμων καὶ ἐντεῦθεν τοὺς πολλοὺς αὐτῶν ἀναλώσαντος. 98 Dexippe., fr. 19 (FHG, III, p. 676-7) = fr. 29 (éd. Mecella) : lettre de Dèce au gouverneur de Thrace Priscus et aux habitants de Philippopolis, assiégés par les barbares durant la campagne de Cniva en Thrace, 250-251. Dèce recommande de ne pas tenter de sortie pour affronter les Goths en rase campagne : καὶ θρασύτης λογισμῶν ἄμοιρος ἡ δὲ (ἤδη ?) σὺν τῷ μὴ κατὰ καιρὸν εὐτόλμῳ ἔσφηλε. Κράτιστοι δὲ οἱ συνέσει τὸ διάφορον τῶν ἐκβησομένων εἰδότες μᾶλλον ἢ θυμῷ ἐς τὰς μάχας καθιστάμενοι. 99 Plb., III, 90, 10 : τὸν Φάβιον φυγομαχοῦντα. 100 Les études sur l’évolution des frontières militaires tardives sont nombreuses. Pour une approche synthétique : SOUTHERN & DIXON (1996), chap. vii ; CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 165-77. 97
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entre commandements ducaux, régionaux et palatins. Selon Edward Luttwak, cette situation refléterait un profond renouvellement de la « grande stratégie », issu de l’expérience des guerres défensives du IIIe s. Les Romains auraient adopté un système de « défense en profondeur », reposant sur une combinaison d’éléments fixes et mobiles : les troupes frontalières occupaient des garnisons fortifiées qui agissaient comme une menace sur les arrières des envahisseurs en cas d’attaque ; en sus de ce premier rideau défensif, des villes situées plus en retrait de la zone d’affrontement servaient de base logistique au regroupement de grandes armées d’intervention, qui n’entraient en action que lorsque l’ennemi, privé de ravitaillement, était dispersé et durement éprouvé par les coups de main répétés des troupes locales101. La thèse de Luttwak a été vivement contestée par de nombreux historiens102. Elle continue cependant d’influencer certains travaux sérieux sur l’armée romaine tardive103. Sans aller jusqu’à reprendre ouvertement les arguments de Luttwak, d’autres études insistent sur les changements qui affectèrent la répartition des garnisons frontalières au cours du IVe s. Dans une ébauche de recherche sur l’évolution du déploiement de la cavalerie impériale, David Breeze discerne une distribution plus régulière des forces montées le long des confins impériaux à l’époque tardive104. Plus 101 LUTTWAK (1976), 131 : « The second operational method is the defense-in-depth, based on the combination of self-contained strongholds with mobile forces deployed between or behind them. Under this method […], warfare is no longer a symmetrical contest between structurally similar forces. While only the offense has the advantage of full freedom of concentration, the defense has the advantage of mutual support between self-contained strongholds and mobile forces in the field. If the strongholds are sufficiently resilient to survive attack without requiring the direct support of the mobile elements, if the mobile elements in turn can resist or evade concentrated attacks in the field without needing the shelter of the strongholds, and finally, if the offense must eventually reduce the strongholds in order to prevail, then the conditions are present for a successful defensein-depth. Sooner or later, the offense will be faced by the superior strength of both fixed and mobile elements acting in combination. » Luttwak s’appuyait sur les travaux de van Berchem, relatifs à l’organisation des frontières syro-palestiniennes, pour justifier son modèle théorique. Cf. VAN BERCHEM (1952), 3-36 et LUTTWAK (1976), 177-8. 102 Voir réf. supra, p. 221, n. 1 pour les critiques d’ordre général. Sur la défense en profondeur spécifiquement : CARRIÉ (1986), 452-3 et en dernier lieu GUICHAOUA (2004), 173-6. 103 Voir par exemple NICASIE (1998), chap. v (en part. p. 228-43 pour une série d’approches régionales) ; BLOCKLEY (1998) (notamment p. 417) ; RICHARDOT (1998, 2005 3e éd.), chap. 6 ; SYVÄNNE (2004), chap. 3.1 (notamment p. 60). 104 BREEZE (1993). Dans cette étude, dont nous avons déjà discuté les conclusions pour le Haut-Empire (supra, p. 239 et s.), l’auteur estime que la logique de répartition du IIe s., qui laissait à découvert une grande partie du territoire provincial et privilégiait les grands axes de communication, aurait été abandonnée dans l’Antiquité tardive au profit d’une nouvelle organisation. En analysant l’exemple des duchés du Moyen-Danube dans la
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récemment, Marco Rocco a repris cette conclusion en parlant d’un système de défense « très ramifié », « très diffus » (capillare)105. Dans une série d’articles sur les frontières proche-orientales, Ariel Lewin a pour sa part développé des idées assez proches de celles de van Berchem et Luttwak, tout en critiquant dans le détail les reconstitutions de ses prédécesseurs106. Quel bilan pouvons-nous tirer de ces recherches récentes ? Tout d’abord, il convient de rappeler une donnée fondamentale : aucune source contemporaine n’énonce de façon claire une conception stratégique opposant formellement le rôle des troupes comitatenses et limitaneae. En l’absence de document qui présenterait effectivement les armées ducales comme des forces de gardes-frontières et les troupes confiées aux magistri militum comme des armées de manœuvre, nous sommes contraints de nous limiter aux observations suivantes : 1. les comitatenses formaient une catégorie de troupes issue des armées mobiles de l’époque tétrarchique, que Constantin avait voulu récompenser par l’attribution de privilèges et de conditions de services avantageuses107 ; 2. cela impliquait pour les escadrons appartenant à ce groupe de tenir garnison dans des villes, parfois en retrait des frontières mais pas nécessairement108 ; 3. les comitatenses étaient perçus comme des formations Notitia dignitatum, Breeze observe notamment un accroissement considérable du nombre d’unités de cavalerie avec une répartition beaucoup plus régulière que par le passé. La concentration autour des grandes routes semble avoir disparu. Nous verrons plus bas quelles nuances il convient d’apporter à ce point de vue. 105 ROCCO (2012), 89, 101, 153. 106 LEWIN (2001), (2002) et (2004). L’auteur souligne que l’hypothèse de van Berchem concernant la structure de commandement des frontières issue des réformes de Dioclétien et Constantin est aujourd’hui complètement abandonnée. Il démontre par ailleurs que les escadrons d’equites n’étaient pas tous déployés en deuxième ligne, comme le voulait l’universitaire suisse. Selon la Notitia, les equites sagittarii indigenae stationnaient le long de la strata Diocletiana à Abiraca. Et l’on peut, grâce à des découvertes épigraphiques récentes, ajouter à cet exemple le cas des equites promoti sagittari d’Auatha (que CIL, III, 6726 [cf. AE, 1993, 1607] permet d’identifier comme la moderne Bchara) et les equites promoti indigenae de Mefa (actuel Umm er Resas [AE, 1991, 1595]). 107 CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 626 ; CARRIÉ & JANNIARD (2000), 322. Cf. CTh., VII, 13, 7 (375 ap. J.-C.) ; VII, 20, 4 (325 ap. J.-C.) ; Syn., Ep., 78. 108 Cf. JONES (1964), II, 660-1 ; ELTON (1996), 209 et PRINGLE (1981, 2001 2e éd.), 79-80. Pour une discussion plus détaillée, cf. infra, p. 426-8. Le fait, pour ces troupes dites « mobiles », d’avoir leurs cantonnements dans des villes n’était pas incompatible avec une forme de sédentarisation, comme le supposait JONES (1964), II, 660 et 686 (suivi par ZUCKERMAN [2004], 161-2) et comme l’a récemment confirmé RANCE (2012), 359-60 à propos des equites tertii stablesiani. Il nous semble qu’une observation similaire peut être formulée à l’égard des equites sagittarii iuniores qui faisaient partie de l’armée du magister militum per Thracias (ND Or., 8, 31). Deux inscriptions tardives de Tomis mentionnent cette unité (IGLR, 30 et 41) ; la seconde, selon les conjectures d’E. Popescu, est peut-être postérieure de plus d’un siècle à la première. Contra SUCEVEANU & BARNEA
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d’élite et l’accès à ces unités était limité par des critères de recrutement plus exigeants que pour les unités limitaneae.109 La question de savoir si, en contexte opérationnel, notamment dans le cadre de guerres défensives, les limitanei (et en particulier la cavalerie frontalière) devaient former un rideau stratégique destiné à confiner les envahisseurs dans une large bande périphérique, et si ce système différait radicalement de l’ancienne doctrine, que Luttwak qualifie de forward defense, est plus difficile à trancher. Il nous semble toutefois possible d’apporter des éléments de réponse en nous concentrant sur l’un des exemples les mieux documentés de l’époque impériale : celui du limes bas-danubien, de la rivière Tsibritsa (Cebrus) à la Mer Noire110. La région, occupée par les Romains dès le début du principat augustéen et organisée en province en 12 de notre ère111, se présente comme un grand plateau légèrement vallonné, protégé par deux barrières naturelles grossièrement parallèles : le Danube, au Nord, et le Grand Balkan, à une centaine de kilomètres au Sud112. Au IIe s., la frontière septentrionale de la province de Mésie inférieure, située à l’est de la confluence du Danube et de la Tsibritsa, est décrite par John Wilkes comme un « static and defensively-minded security cordon »113. L’essentiel des troupes est déployé le long du fleuve, dans une série de forts construits le plus souvent en pierre, suivant une disposition régulière (fig. 39)114. En 138, la garnison provinciale est composée de trois légions, (1991), 217 : VIe s. dans les deux cas. Les limitanei sont pour leur part associés aux castra et parfois appelés castellani ou castrenses dans la documentation juridique tardive (cf. JONES [1964], III, 192-3, n. 51), ce qui ne les empêchent pas de continuer à stationner dans des villes frontalières en Orient, où les camps construits ex nihilo étaient traditionnellement plus rares qu’en Europe. Mais les installations purement militaires semblent bien s’être multipliées à partir de l’époque tétrarchique (ISAAC [1991], 164-5 ; MILLAR [1993], 174-89). 109 CTh., VII, 22, 8 (372 ap. J.-C.). 110 Le secteur allant d’Oescus à l’embouchure du fleuve jouit d’une abondante couverture documentaire entre le IIe et le IVe s., grâce à la multitude d’inscriptions, de diplômes, d’estampilles qui y ont été découverts, sans compter les informations fournies par la Notitia dignitatum pour le Bas-Empire et les travaux archéologiques qui se sont multipliés ces dernières décennies. Pour une vue d’ensemble de la documentation, on consultera SUCEVEANU & BARNEA (1991), 56-72 et 209-21 ; IVANOV (1999) (en bulgare, mais résumé en allemand dans ID. [1997] ; voir aussi ID. [2012]) ; GUDEA (2005) ; WILKES (2005), 148-62. Pour une tentative antérieure d’analyse de l’évolution du déploiement de l’armée romaine dans cette région : cf. WHATELY (2015a). 111 IVANOV (2012), 23. 112 Sur la géographie physique de la Mésie, cf. WHATELY (2016), 2-3. Sur l’historique de l’occupation provinciale, cf. ibid., 11-2. 113 WILKES (2005), 149. 114 GUDEA (2005), 351-9.
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Figure 39 – Déploiement de l’armée romaine en Mésie inférieure, c. 138.
cinq ailes de cavalerie, deux cohortes milliaires equitatae et dix cohortes quingénaires (dont quatre à six cohortes montées)115. Cela fait un total hypothétique de 3 832 à 4 080 cavaliers, pour 22 280 à 22 480 fantassins, soit une cavalerie constituant 14,5 à 15,5% de l’exercitus provincial116. Cf. WHATELY (2016), 39-41, tab. 2.6 et 79, tab. 6.3. Légions : legio I Italica, legio V Macedonica, legio XI Claudia. Ailes : ala I Flauia Gaetulorum, ala Gallorum Atectorigiana, ala II Hispanorum Arauacorum, ala I Pannoniorum et Gallorum, ala I Vespasiana Dardanorum. Cohortes miliariae equitatae : cohors I Cilicum mil. sag. eq., cohors II Mattiacorum mil. eq. Cohortes equitatae : cohors II Bracaraugustanorum eq., cohors I Claudia Sugambrorum uet. eq., cohors I Flauia Numidarum eq., cohors I Thracum Syriaca eq. Cohortes peditatae : cohors I Bracarorum, cohors I Bracaraugustanorum, cohors II Chalcidenorum, cohors II Flauia Brittonum, cohors I Germanorum, cohors I Lusitanorum. Whately (ibid., 81) précise qu’il établit une liste de cohortes montées plus limitative que celle de MATEI-POPESCU (2010), 193-236, lequel propose d’identifier les cohortes I Bracaraugustanorum et II Flauia Brittonum comme des unités mixtes. Nous tenons compte de cette possibilité dans notre calcul. 116 Trois légions = 16 560 fantassins et 360 cavaliers. Cinq alae = 2 480 cavaliers. Deux cohortes milliaires equitatae = 1 520 fantassins et 496 cavaliers. Quatre ou six cohortes equitatae = 1 520 à 2 280 fantassins et 496 à 744 cavaliers. Quatre ou six cohortes peditatae = 1 920 à 2 880 fantassins. WHATELY (2016), 81, tab. 6.9 obtient pour sa part c. 22 680 fantassins et c. 7 040 cavaliers, soit 24% de cavaliers. Mais il se trompe 115
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Les lieux de cantonnement des unités sont pour la plupart connus grâce aux nombreuses inscriptions et tuiles estampillées retrouvées à proximité des anciens camps117. Certes, nous ignorons encore, faute d’indices probants, quelle était la garnison de certains sites datés du milieu du IIe s.118. Mais l’image d’ensemble qui se dégage de l’état actuel de la documentation est assez précise pour permettre de formuler quelques observations générales. Contrairement à l’opinion avancée par Breeze dans son étude des frontières du Haut-Empire, on observe une répartition régulière des troupes montées sur l’ensemble de la rocade fluviale : à Sexaginta Prista, Transmarisca, Sucidaua, Sacidaua, Capidaua, Carsium, Arrubium et Dinogetia. Les ailes de cavalerie sont plutôt cantonnées dans la partie orientale de la province, mais comme nous ne savons pas où stationnaient deux d’entre elles, il convient d’éviter toute conclusion hâtive à ce sujet. On notera qu’une unité, l’ala Gallorum Atectorigiana, avait probablement ses quartiers à Tomis, en retrait du limes, sur un carrefour routier qui lui permettait d’intervenir en une ou deux journées sur le Danube au niveau d’Altinum ou de Nouiodunum119. L’idée qui se dégage est donc bien celle d’un dispositif linéaire et déjà, pourrait-on dire, capillare, surtout si l’on garde à l’esprit que nombre de cavaliers devaient être détachés de leurs quartiers pour occuper les postes secondaires attestés entre les principaux camps auxiliaires, comme cela à pu être observé dans le cas de la cohors XX Palmyrenorum120. Trois puissantes forces légionnaires sont stationnées à distances égales, à Noua, Durostorum, et Troesmis : leurs effectifs sont aussi fragmentés et distribués dans des forts secondaires sur l’ensemble de la rocade121. Mais les fortifications des camps, fussent-elles en pierre, n’étaient pas conçues pour résister à de
dans son calcul, en comptant treize cohortes peditatae alors que sa liste n’en comporte que six (comparer ibid., 79, tab. 6.3. et app. 1, p. 90). Du reste, il fait le choix de ne pas tenir compte de la cavalerie légionnaire et de considérer tous les soldats des cohortes montées comme des cavaliers, ce qui ne correspond évidemment pas à la réalité et fausse considérablement les résultats. 117 GUDEA (2005), passim ; MATEI-POPESCU (2010), passim ; WHATELY (2016), 68-70. Nous ne pouvons entrer ici dans le détail d’une discussion portant sur l’emplacement exact de chaque garnison. Il importe cependant de rappeler que certaines propositions de localisation ne sont que des hypothèses fondées sur des témoignages épigraphiques qui ne permettent aucune conclusion définitive. 118 Voir les remarques de GUDEA (2005), 358-9. 119 Cf. MATEI-POPESCU (2010), 178-81 et WILKES (2005), carte p. 127. 120 Sur ces postes secondaires, cf. WHATELY (2016), 70-1. La carte des installations militaires de Mésie inférieure réalisée par GUDEA (2005), 352, Abb. 10 permet de se faire une idée de la densité de ce réseau. 121 Cf. WHATELY 2016, 65.
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Figure 40 – Déploiement de l’armée romaine en Moesia II et en Scythie d’après la Notitia Dignitatum.
véritables opérations de siège. Quant aux villes de l’intérieur, elles ne disposaient pas d’enceintes qui auraient pu faire d’elles des points d’appui efficaces pour des détachements de cavalerie pratiquant la guérilla122. Sous le Bas-Empire, la situation ne connaît pas de bouleversement majeur (fig. 40)123. La Mésie inférieure, qui a été remplacée par deux duchés (les duchés de Moesia II et de Scythia), est toujours défendue par un dispositif en cordon, avec en moyenne un fort tous les quinze kilomètres124. La plupart des anciens sites ont été conservés et reconstruits. Ils ont été dotés de nouvelles fortifications, notamment de murs d’enceinte plus épais et plus hauts, ainsi que de tours en saillie, suivant les Sur ces questions, voir GUDEA & ZAHARIADE (1997). Pour une analyse de la situation à l’époque tétrarchique (limitée toutefois au limes Scythicus), cf. ZAHARIADE (2007). L’auteur insiste sur le conservatisme des tétrarques, notamment dans le choix des emplacements, et parle du respect d’une « long and stable tradition ». Sur le tronçon allant de Dorticum à Durostorum, voir IVANOV (1999), chap. iii, 2. Sur l’ensemble de la région : WHITBY (2007b), 142-6. Pour un point sur les recherches récentes : SARANTIS & CHRISTIE (2013), I, 317-30. 124 VELKOV (1977), 66-7. 122 123
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principes bien connus de l’architecture militaire « tétrarchique »125. Des forts nouveaux ont été bâtis, comme celui de Dinogetia, mais ils sont plus rares126 et il semble difficile d’affirmer que la présence militaire romaine le long du limes est devenue plus ubiquiste que par le passé. Le déploiement des troupes ducales est précisément documenté par la Notitia dignitatum127. Celle-ci recense quatorze cunei equitum, quatre légions, dix-huit unités de milites et trois cohortes, toutes disposées sur la rive droite du Danube, de Securisca à Thalamonium128. Cela fait environ 4 200 cavaliers pour 12 300 à 16 500 fantassins. L’effectif de la cavalerie aux frontières est donc resté exactement le même qu’au IIe s. Seule l’infanterie apparaît moins nombreuse qu’auparavant. Il convient évidemment de corriger ce total en ajoutant les unités comitatenses de Thrace, dont nous avons pu voir qu’elles comprenaient une proportion plus élevée de fantassins129. Mais nous ignorons tout du cantonnement de ces troupes placées sous le commandement du magister militum per Thracias. 125 Pour une approche synthétique : SOUTHERN & DIXON (1996), chap. vii ; ELTON (1996), chap. 6. Pour une analyse de l’architecture militaire du Bas-Danube à l’époque tardive, cf. IVANOV (1999), chap. iv.3. 126 ZAHARIADE (2007), 301-2. 127 Voir le jugement optimiste de ZAHARIADE (1988), 192 : « we can assert that the information from the sections for Moesia Secunda and Scythia can be operational and considered as major source in the investigation of structure and troops deployment on the Lower Danube. » Ce document doit cependant être utilisé avec précaution car il ne tient pas compte des nombreuses destructions qui affectèrent la frontière à l’époque de Valens, et dont l’archéologie fournit des témoignages irréfutables. Cf. IVANOV (1999), chap. ii.4 (l’auteur souligne en particulier qu’à partir de l’époque de Théodose Ier, les indices de la présence de foederati goths sur la frontière se multiplient) et VAGALINSKI (2012), 315-23. Si le déploiement décrit semble d’horizon constantinien, les spécialistes se divisent sur sa datation précise : D. Hoffmann estime que l’organisation des garnisons danubiennes présentée par la Notitia dignitatum date d’avant le règne de Valentinien (HOFFMANN [1970], II, 151-2, n. 323) ; M. Zahariade pense que l’essentiel des listes concernant la Scythia et la Moesia II reproduit un inventaire datant d’avant la bataille d’Andrinople – seul le cuneus equitum Arcadum aurait été ajouté (ZAHARIADE [1988], 21-7, 181-5, 192 ; cf. LIEBESCHUETZ [2007a], 102). 128 ND Or., 39 et 40. Cf. SUCEVEANU & BARNEA (1991), 210-5 (pour le limes de Scythie). L’existence de plusieurs unités mentionnées par la Notice des dignités est confirmée par des inscriptions tardives, qui valident également les lieux de cantonnement fournis par ce document. AE, 2004, 1278 (Capidaua / Crucea) : Aur(elius) [---] / qui [militauit lanciarius ?] / in sa[cro comitatu et uexill(atio) S]/alens[ium (sic) deinde missus ? prae]/ positu[s uexillationis] / Capid[auensium. AE, 1935, 171 = IGLR, 220 (Capidaua / Crucea) : Aur(elius) / Valens pr(a)e(positus) e[q(uitum)] / scut(ariorum) pro s(alute) su/[a] et uexillat(ionis) / [C]apidabe/[si]um. AE, 1976, 634 = IGLR, 221 (Capidaua / Crucea) : uixillati/[onis equitum sc]utarior/[um. AE, 1976, 637 = IGLR, 270 (Aegyssus / Tulcea) : equi]tis uixil/[lat(ionis)] Egissesis. IGLR, 188 = AE, 1976, 627 (Sacidaua / Dunăreni) : unité inconnue mais mention d’un exarchus qui milit(auit) / Sac(idauae). 129 Cf. supra, p. 365-8. Sur les troupes comitatenses du diocèse de Thrace, cf. SUCEVEANU & BARNEA (1991), 215-7.
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L’hypothèse la plus largement admise veut qu’elles aient établi leurs quartiers dans les grandes villes des diocèses frontaliers, ce qui expliquerait pourquoi la Notitia dignitatum ne précise pas leurs lieux de stationnement130. Dans le diocèse de Thrace, les principales villes étaient situées dans l’intérieur des terres et sur la côte pontique, pas sur la frontière. Certaines d’entre elles comme Istros (Histria), Tomis (Constantsa), Odessos (Varna), Anchialos (Pomorie) et peut-être Beroe (Stara Zagora) ont livré des indices de leur occupation par des vexillations de cavalerie comitatenses131. Nous savons par ailleurs que plusieurs villes ont été 130 Cf. réf. supra, n. 108. Discussions de ce problème pour le Bas-Danube spécifiquement : VELKOV (1977), 67-9 ; WHITBY (2007b), 144. L’élément-clé du débat se trouve dans Zos., II, 34, 2 : Constantin aurait retiré la plupart des troupes des frontières pour les établir dans les villes de l’Empire (Καὶ ταύτην δὴ τὴν ἀσφάλειαν διαφθείρων ὁ Κωνσταντῖνος τῶν στρατιωτῶν τὸ πολὺ μέρος τῶν ἐσχατιῶν ἀποστήσας ταῖς οὐ δεομέναις βοηθείας πόλεσιν ἐγκατέστησε). C’est sur ce passage à la forte coloration polémique que D. van Berchem avait établi les bases de sa démonstration faisant de Constantin l’inventeur d’une armée à deux vitesses. BRENNAN (2007) pense qu’il s’agit d’une exagération grossière. Voir aussi CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 615-6. Sans chercher à défendre le point de vue de van Berchem, il nous semble qu’une donnée essentielle peut être déduite de cet extrait : des troupes romaines stationnaient dans les villes à l’époque tardive, ce qui n’était pas une complète nouveauté (en Orient sous le Haut-Empire, les garnisons étaient souvent établies à l’intérieur des villes ou dans leurs faubourgs, cf. JAMES [2019], 12-3), mais pouvait désormais être perçu comme une norme générale bien différente de celle qui prévalait sous le Principat (cf. Aristid., Or., 26, 67). Ces troupes n’étaient pas des unités limitaneae, car celles-ci avaient leurs cantonnements dans des camps militaires (aux frontières le plus souvent, mais pas nécessairement). La question à laquelle nulle source ne répond est de savoir pour quelle(s) raison(s) cette distinction fut établie. Selon J.-M. Carrié, elle aurait été motivée par des facteurs d’ordre logistique, cf. CARRIÉ (1986), 467 et CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 623 et 628-34 (notamment p. 632 : « cette situation, souvent jugée avec sévérité à la suite de Zosime, a pu cependant présenter des avantages économiques en rapprochant l’implantation militaire des zones majeures de production agricole »). Mais la nouvelle organisation décrite par Zosime – même si elle n’a pas été pensée à l’origine comme une réforme de la doctrine militaire impériale – avait des implications stratégiques évidentes qui n’ont pas pu échapper aux contemporains, notamment aux chefs de l’étatmajor impérial chargés de défendre certains secteurs provinciaux. 131 AE, 1919, 18 = IGLR, 110 (Istros / Histria) : uixillatio/n[e] XII catafractari(orum) (équivalence possible avec la uexillatio comitatensis des equites catafractarii Albigenses, sous le commandement du magister militum per Thracias : ND Or., 8, 29). AE, 1976, 617 = IGLR, 30 (Tomis / Constantsa) : sa/gittar(io)s iuniores (il s’agit certainement de la uexillatio comitatensis des equites sagittarii iuniores, sous le commandement du magister militum per Thracias : ND Or., 8, 31 ; cf. HOFFMANN [1970], II, 109, n. 591). AE, 19691970, 575 = IBulg., 130 (Odessos / Varna) : uixillatione secon/do iscutariorom. CIL, III, 405 = ILS, 2792 = TAM, V, 1122 (Thyatira / Akhisar) : uexilla/tion(e) eq(uitum) Dal(matarum) comit(atensium) Ancial/itana. KOLB & IVANOV (2016) (Abritus / Razgrad) : eqq(uitum) Dalm(atarum) / Beroe(e)nsium comitate(nsium). Cette dernière inscription, qui vient d’être publiée, pose un délicat problème d’interprétation. En effet, deux Beroe sont attestées dans le diocèse de Thrace : une ville située sur le versant méridional du Grand Balkan, aussi connue sous le nom d’Augusta Traiana (actuelle Stara Zagora), et un établissement militaire localisé sur le Danube, entre Cius et Troesmis. Ce dernier site, occupé
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fortifiées à partir de la fin du IIIe s. : Libida, Abritus, Tropaeum Traiani et Enisala font partie des exemples les mieux documentés132. Il ne serait pas surprenant qu’elles aient hébergé des troupes appartenant au même groupe. Marcianopolis servait aussi régulièrement de point de rassemblement des armées de manœuvre au IVe s.133. L’armée comitatensis était donc clairement en position de réserve stratégique par rapport aux unités frontalières. Sans parler des troupes palatines stationnées plus en retrait à Constantinople, ville qui se dote d’un imposant système de fortifications sous Théodose Ier et ses successeurs134. La définition que Luttwak donne de la défense en profondeur suppose qu’en cas de guerre avec une puissance voisine, les Romains aient laissé l’initiative de l’attaque à l’ennemi : celui-ci aurait alors été privé d’approvisionnement et harcelé par des partis opérant depuis les bases fortifiées du limes, ce qui laissait le temps aux forces comitatenses, et si nécessaire, aux forces palatines, de rassembler un corps expéditionnaire pour contre-attaquer135. L’armée de la Thrace fonctionnait-elle de cette manière ? Il faut ici se tourner vers les récits de guerre du IVe s. La première guerre de Valens contre les Goths (366-369), racontée par Ammien Marcellin et Zosime, offre un excellent point d’observation136. La trame narrative adoptée par ces deux auteurs permet de reconstituer la séquence d’événements suivante : 1. À la fin de l’année 365 ou au début de l’année 366, les Goths Thervinges qui occupent les territoires situés entre le cours inférieur du Danube et le massif des Carpates, commencent à attaquer les confins de la Thrace137. La au IIe s., ne semble pas avoir laissé de trace de reconstruction datant du Bas-Empire (GUDEA [2005], 451). Il n’est pas non plus mentionné par la Notitia dignitatum, ce qui nous laisse penser que la vexillation en question avait bien ses quartiers à Beroe / Augusta Traiana. 132 STEFAN (1977), 456-9 ; NICASIE (1998), 130. Sur Abritus spécifiquement : RADOSLAVOVA (2011). Sur Tropaeum Traiani : CROW (2007a), 447-8. Toutes les villes de Thrace n’ont cependant pas été dotées de nouvelles enceintes au IVe s. Nicopolis ad Istrum conserve par exemple ses fortifications sévériennes durant la période : POULTER (1995), 25. 133 Amm., XXVII, 5, 5-6 ; Zos., IV, 10, 3. Amm., XXXI, 5, 5 confirme que la ville était munie d’un mur d’enceinte fortifié. 134 CROW (2007b), 262-8. 135 LUTTWAK (1976), 131-45. 136 Sur cette guerre : ZAHARIADE (1983) ; WOLFRAM (1979, 1988 trad. angl.), 65-9 ; WANKE (1990), 73-110 ; HEATHER (1991), 115-21 ; ELTON (1996), 224-7 ; IVANOV (1997), 531-2 ; SEAGER (1999), 599-601 ; LENSKI (2002), chap. 3 (notamment p. 127-33). 137 Ammien se contente de dire qu’ils s’apprêtaient à passer la frontière (Amm., XXVI, 6, 11 : in unum ad peruadenda parari conlimitia Thraciarum). Zosime est plus précis puisqu’il souligne que des bandes de Goths « troublaient [scil. attaquaient] les frontières des Romains » (Zos., IV, 10, 1 : μοίρας τῶν ὑπὲρ τὸν Ἴστρον Σκυθῶν τὰ Ῥωμαίων ὅρια ταραττούσης).
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gravité de cette première offensive ne doit pas être sous-estimée : les assaillants peuvent compter sur le soutien ou tout du moins sur la négligence coupable de Procope, qui s’est fait proclamer empereur à Constantinople le 28 septembre 365 et a réclamé un corps de 3 000 auxiliaires aux rois thervinges pour appuyer son coup de force138. Les Goths ont certainement réussi à traverser le Danube et à détruire plusieurs camps romains de Thrace durant cette première série d’incursions. Dans son Discours sur la paix, Thémistios rapporte pour les années 367-369 un programme de reconstruction du limes, destiné à empêcher les incursions des Goths de se reproduire, ce qui prouve que les fortifications impériales avaient subi d’importants dommages. Il ajoute que ces mêmes Goths « s’étaient répandus partout le long de la rive, non en un unique groupe, ni en deux, mais en compagnies et escadrons »139. 2. Alors que la Thrace est envahie, Valens, qui prépare une offensive contre les Sassanides en Orient, se contente d’envoyer une force « suffisante » (sufficiens adiumentum) de fantassins et de cavaliers140. Ces troupes comprennent des forces palatines qui sont débauchées par Procope lors de leur passage à Constantinople et ne peuvent donc combattre les envahisseurs141, mais aussi probablement un contingent de comitatenses qui est immédiatement expédié sur le théâtre de guerre et inflige aux Goths une première défaite. En effet, Zosime rapporte que Valens envoya une « force adéquate » (δύναμιν ἀρκοῦσαν) et que celle-ci parvint à venir à bout des Goths142. Ces troupes ne peuvent être confondues avec les unités palatines détournées de leur mission par Procope. Il s’agit probablement des formations comitatenses du diocèse de Thrace, qui intervinrent en urgence pour soutenir les troupes limitaneae, déjà présentes sur le théâtre d’opération. 3. Une fois Procope écarté en mai 366, Valens entre personnellement en campagne contre les Goths qu’il accuse d’avoir soutenu son rival143. 138 Amm., XXVI, 10, 3 ; Eunap., fr. 37. Les Goths avaient conclu un foedus avec l’Empire en 332 et cette demande n’avait donc rien de très surprenant. On pense d’ailleurs que les principaux dirigeants des Thervinges n’avaient pas voulu – ou tout du moins pas cautionné – l’attaque de 366, mais que celle-ci fut plutôt déclenchée par des groupes de soldats qui disposaient d’une autonomie relative par rapport au reste de la confédération. Voir WANKE (1990), 80-1. 139 Cf. Them., Or., 10, 136, notamment section c pour le passage cité : διεσπείροντο οὖν ἁπανταχόσε τῆς ὄχθης οὐ καθ’ ἕνα καὶ δύο μόνον, ἀλλ’ ἤδη καὶ κατὰ λόχους καὶ οὐλαμούς. Dans ce même passage, Thémistios précise que les Romains avaient l’habitude de mener des « raids » (ἐκδρομῶν) contre les barbares, opérations que l’auteur distingue de la « guerre ouverte » (τὸν ἐκ τοῦ προφανοῦς πόλεμον). Il y a là un témoignage précieux sur le caractère récurrent de la guérilla frontalière dans les zones de contact entre Romains et barbares. 140 Amm., XXVI, 6, 11 : tendebat sufficiens equitum adiumentum et peditum mitti iussit ad loca, in quibus barbarici timebantur excursus. 141 Selon Ammien, cet adiumentum était constitué d’auxilia palatina (les Diuitenses et les Tungrecani : XXVI, 16, 12), mais aussi de turmae equitum peditumque dont l’identité n’est pas précisée (XXVI, 7, 9 : transeuntes ad expeditionem per Thracias concitatae equitum peditumque turmae). 142 Zos., IV, 10, 1. 143 Amm., XXVI, 10, 3 et XXVII, 4, 1.
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À l’hiver 366-367, il déploie les forces du diocèse de Thrace le long des rives du Danube pendant que lui-même prend ses quartiers à Marcianopolis et supervise l’entraînement des soldats de son corps expéditionnaire144. Nous retrouvons à ce stade des opérations une division de fait entre le comitatus impérial et les troupes frontalières de Thrace, probablement renforcés d’éléments comitatenses, à moins que ceux-ci n’aient rejoint l’empereur à Marcianopolis. 4. Au printemps 367, Ammien indique que Valens se rend à Daphné, en Moesia II (en fait plutôt à Transmarisca, puisque Daphné se trouvait de l’autre côté du Danube et ne pouvait servir de point de rassemblement avant la traversée) ; il y rassemble ses troupes et passe le fleuve145. Les Goths refusent la bataille et se réfugient dans les Carpates méridionales. Valens ordonne au magister peditum Arinthée de dévaster le territoire ennemi en déployant des partis de pillage (praedatorii globi) et fait massacrer les Goths qui n’ont pas eu le temps de se réfugier en lieu sûr146. Il se replie alors avec son armée vers le Danube et hiverne à Durostorum147. 5. L’année suivante, une nouvelle campagne est organisée mais ne peut avoir lieu en raison d’une crue importante du Danube148. L’empereur profite de l’inactivité de son armée pour entreprendre des travaux de fortification, probablement au niveau de Carsium, qui devait servir de point de passage pour l’offensive envisagée149. 6. Une deuxième grande expédition a lieu en 369 : elle est lancée depuis Nouiodunum, à la pointe de la Scythie mineure, et conduit les Romains à fouiller minutieusement les marécages de Bessarabie, où se sont réfugiés les derniers résistants. Valens organise une véritable chasse à l’homme et rétribue généreusement chaque tête ennemie que lui ramènent ses soldats. Ces opérations de guérilla forcent les Goths à réclamer la paix150.
On le voit, en dépit d’informations topographiques parfois floues, sinon inexistantes, cette suite d’événements révèle une légère différence dans les doctrines d’emploi des forces limitaneae et comitatenses : les troupes ducales sont les premières à intervenir lors des raids menés par les Goths en 366 ; elles sont rapidement suppléées par l’armée de manœuvre régionale, qui permet, par son action offensive, de repousser les envahisseurs hors des confins impériaux. Ce mode opératoire correspond au système de défense en profondeur décrit par Luttwak et semble avoir fonctionné de façon similaire en Orient, si l’on en croit plusieurs
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Zos., IV, 10, 3. Amm., XXVII, 5, 2 (avec WANKE [1990], 91-2). Amm., XXVII, 5, 3-4. WANKE (1990), 97. Amm., XXVII, 5, 5. CIL, III, 6159 = 7494 (avec WANKE [1990], 99-101). Amm., XXVII, 5, 6-7 ; Zos., IV, 11, 2-4 (avec WANKE [1990], 101-4).
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études d’Ariel Lewin sur la question151. Certes, nous ignorons, faute de précision dans les récits, quelle fonction remplirent les points fortifiés du Danube et de l’intérieur du diocèse de Thrace lors de la guerre de 366369. Mais les indications données par le Stratêgikon ne laissent planer aucun doute sur le rôle qui leur était dévolu en cas de guerre défensive : les villes et les forteresses servaient de refuges aux troupes mises en déroute et de point d’appui logistique à l’organisation d’attaques mobiles, qui ciblaient de façon privilégiée les partis ennemis dispersés pour le pillage et les corvées de fourrage152. Il convient cependant de ne pas trop exagérer la portée de ces évolutions. La suite de la guerre de Valens contre les Goths montre que le nouveau dispositif de Thrace pouvait aussi servir de base offensive pour le lancement d’opérations in solo barbarico, expéditions auxquelles les limitanei participaient153. On a ainsi fait remarquer qu’au IVe s., les Romains privilégiaient toujours, quand ils le pouvaient, une stratégie agressive vis-à-vis de leur périphérie immédiate154. L’exemple de la guerre de Valens nous semble bien confirmer cette idée. Mais il n’est pas 151 Cf. LEWIN (2001), (2002) et (2004), qui étudie le cas des confins syro-arabes et s’appuie en particulier sur Soz., HE, VI, 38, 1-3. L’historien italien va jusqu’à concevoir une différenciation des rôles dévolus aux escadrons de cavalerie placés sous l’autorité des ducs. Alors que les unités d’equites indigenae sont distribuées – avec les alae – dans des forts situés sur la strata Diocletiana, au bord du désert, les equites Illyriciani, quand nous pouvons localiser leurs quartiers dans la Notitia dignitatum, apparaissent toujours le long d’une seconde ligne, plus en retrait de la frontière (voir notamment LEWIN [2004], 233, n. 42-5). Une division bien spécifique des tâches, voulue à l’origine par Dioclétien, aurait correspondu à ce schéma. Pour Lewin, les unités au contact du désert avaient un rôle plus offensif que les escadrons de l’intérieur, qui devaient avant tout intercepter les incursions ennemies. Pour leur part, les escadrons comitatenses, moins nombreux, étaient stationnés dans les villes. Ils servaient de réserve régionale comme le reste des unités appartenant à cette catégorie. 152 Maurice, Strat., X, 2, 3-7, 15-8 et 30-4 (cf. infra, p. 506, n. 87). Toutes ces recommandations sont reprises par le DMS, 17 (éd. Müller p. 127-9) avec encore plus de précisions sur la marche à suivre. Ce mode opératoire correspond à ce que C. von Clausewitz décrit sous le nom de « défense en échelon » (Sukzessiver Widerstand), cf. De la guerre, VI, 29 : le défenseur laisse pénétrer l’ennemi dans une bande frontalière occupée par des garnisons fixes ; celui-ci doit réduire les postes fortifiés pour progresser en sécurité ; le but est d’obtenir « l’épuisement de la supériorité » de l’adversaire par consommation de ses propres forces et par conséquences des pertes provoquées par des engagements limités. 153 Voir sur ce point les remarques judicieuses de J.-M. Carrié dans CARRIÉ (1986), 460-1 et CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 633-4. 154 JANNIARD (2001), 352 ; HEATHER (2000) et (2010). Ce que Luttwak n’a aucune difficulté à admettre, cf. LUTTWAK (1976), 132 : « The adoption of a defense-in-depth strategy in the later third century was, however, neither total nor definitive. Whenever the strategy showed signs of enduring success, it was promptly abandoned. As soon as Roman arms were able to force the enemy to revert to the defensive, or better yet, to resume
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moins vrai que l’évolution de l’architecture militaire et le redéploiement d’une partie de l’armée dans des villes le plus souvent situées en retrait des confins frontaliers – même si cette dernière mesure ne fut pas conçue, à l’origine, comme une réforme stratégique – facilitait le recours au mode opératoire décrit par Luttwak. La cavalerie avait un rôle beaucoup plus important à jouer que l’infanterie dans le cadre de ce type d’opérations.
C. En guise de conclusion : Végèce et la stratégie indirecte Il serait bien hasardeux de conclure, à partir des études de cas développées dans les précédentes sections, que les habitudes stratégiques de l’Empire connurent un profond bouleversement dans l’Antiquité tardive. Les Romains se contentèrent d’appliquer des solutions traditionnelles à des problèmes nouveaux, y compris dans le domaine de la défense des frontières. La perte d’initiative liée à la nécessité de faire la guerre sur plusieurs fronts pouvait contraindre l’armée impériale à adopter, au moins temporairement, un mode opératoire correspondant, dans ses grandes lignes, à ce que Luttwak appelle la « défense élastique ». Quant aux évolutions des structures militaires impériales (constitution d’armées d’accompagnement permanentes, établissement des forces comitatenses dans les villes de l’Empire, amélioration des enceintes fortifiées), elles favorisaient le recours à la « défense en profondeur », sans interdire pour autant l’emploi d’autres solutions stratégiques déjà attestées sous la République et le Haut-Empire, comme la guerre d’anéantissement ou les attaques préemptives. Cette évolution du contexte géostratégique renforçait le rôle de la cavalerie, qui restait l’arme la plus adaptée à l’« approche indirecte ». La question de l’attitude manifestée par les Romains à l’égard de la guerre non conventionnelle apparaît ici cruciale. On considère très souvent qu’à partir du IIIe s., le discours des auteurs romains évolua progressivement dans le sens d’une meilleure prise en compte des possibilités offertes par la guérilla155. La guerre tardo-antique aurait été débarrassée a dependent client status, every attempt was made to restore the former system of preclusive security. » 155 DARKÓ (1948), 88 ; DAGRON & MIHĂESCU (1986), 235 ; TRAINA (1986-1987) ; DAGRON (1987), 209 ; RICHARDOT (1998, 2005 3e éd.), 299-301 ; BRECCIA (2007) et (2008) ; LUTTWAK (2009, 2010 trad. fr.), 281-2 et 287. Ce point de vue se retrouve encore aujourd’hui dans les entrées « guerrilla warfare » de l’Encyclopedia of the Roman Army, cf. ERM, II, 451-4. Contra HALDON (1999), 37 (« The concern to minimize loss of life, to act as cautiously as possible when on campaign, to avoid pitched battles wherever
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des inhibitions liées à un vieux code de l’honneur « chevaleresque », fondamentalement hostile aux stratagèmes156. Le traité de Végèce recommande en effet la prudence et ne prescrit de recourir à la bataille rangée qu’en cas de dernière nécessité : Ideo omnia ante cogitanda sunt, ante temptanda, ante facienda sunt, quam ad ultimum ueniatur abruptum. Boni enim duces non aperto proelio, in quo est commune periculum, sed ex occulto semper adtemptant, ut integris suis, quantum possunt, hostes interimant uel certe terreant157. Cette profession de foi n’est pas démentie par les stratégistes ultérieurs : Syrianus Magister et Maurice insistent également sur les risques qu’il y a à engager un combat régulier contre un ennemi dont les forces sont supérieures ou égales158. Dans sa récente thèse de doctorat, Richard van Nort estime que chez Végèce, ces prescriptions peuvent être directement rattachées au traumatisme de la bataille d’Andrinople (378). Vaincus, les Romains auraient progressivement adopté une attitude plus pragmatique, qui aurait révolutionné l’approche classique de la guerre159. Pourtant, dans l’extrait que nous venons de citer, Végèce prétend explicitement puiser son inspiration chez des antiqui auctores160. De son possible, and to employ cunning, intelligence and trickery to outwit and outmanoeuvre the enemy, both in actual military conflicts and in diplomatic terms, this was part and parcel of a long established tradition going back to the early imperial period and beyond. ») et RANCE dans ERM, III, 936 (« This characterization of a peculiarly cunning “Byzantine” military mentality is easily exaggerated […]. The ability to devise stratagems for securing material or psychological advantage was considered a requisite quality of generalship, and warrior codes could be modified to accommodate duplicity, evasion, and even oath breaking, especially wherever the opposition could be vilified as “barbarian”. »). 156 BRIZZI (1989) ; ACHARD (2006), 92-4. 157 Veg., Mil., III, 9, 2-3 : « Pour cette raison [= le fait qu’une défaite en bataille rangée ne laisse aucun espoir de redressement au vaincu], il est nécessaire de songer préalablement à tous les moyens – d’entreprendre, de faire en première instance tout ce qui est possible avant d’en venir à cette extrémité. Les bons généraux n’engagent pas l’ennemi par une bataille en rase campagne, dans laquelle le danger est partagé, mais toujours à partir d’une position cachée ; ainsi, tout en préservant leurs hommes, ils peuvent défaire ou au moins terrifier leurs adversaires. » L’auteur décrit ensuite les mesures prescrites par les anciens dans ce type de situation, notamment la temporisation dans des circonstances où l’ennemi peut être coupé de tout approvisionnement : ibid., III, 9, 4-10. 158 Syr. Mag., Strat., 33, 3-17 ; Maurice, Strat., III, 11, 4-17 ; VII, A, pr., 45-53 ; VIII, 2, 4 ; 28. 159 VAN NORT (2007), 443. 160 Veg., Mil., III, 9, 1 et 3 (Quisquis hos artis bellicae commentarios ex probatissimis auctoribus breuiatos legere dignabitur […]. In qua parte quae necessaria admodum sunt ab antiquis reperta perscribam). Sur les sources utilisées par Végèce, cf. SCHENK (1930). L’auteur souligne que le livre III de l’épitomé s’inspire surtout du traité militaire perdu de Frontin (ibid., 39-64). Mais il précise qu’il ne peut s’agir d’un compte rendu servile et que le degré d’autonomie de Végèce par rapport à sa source principale reste difficile à préciser
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côté, Eunape de Sardes rappelle qu’en 378, l’expérience transmise par la pratique et par les écrits du passé recommandait de ne pas engager des ennemis que le désespoir risquait d’encourager à la lutte à mort161. Il loue à ce titre la prévoyance de Sébastianus, qu’il présente comme le parangon du général économisant intelligemment le sang de ses soldats162. Si le désastre d’Andrinople donnait aux conseils de Végèce une résonance particulière, ces précisions nous rappellent qu’il existait dans la tradition littéraire romaine un modèle bien établi de valorisation de la déception163. Au début du IIIe s., Julius Africanus se fait l’écho de ce courant opposant la prudence de la manœuvre à la fortune de la bataille et n’hésite pas à recommander aux généraux romains de se comporter en « Carthaginois » plutôt qu’en chefs fougueux164. De ce point de vue, la situation ne semble pas avoir fondamentalement changé entre le Haut-Empire et l’Antiquité tardive. Les sources narratives montrent le plus souvent des généraux prudents, parfois contraints de risquer la grande décision contre (ibid., 42). Du reste, le traité de Caton l’Ancien pourrait bien constituer l’Urquelle de certains passages, moins nombreux (ibid., 61). 161 Eunap., fr. 44, 1 (éd. Blockley p. 67) : ὅσον δὲ παιδεία ἀναγνώσεως ἰσχύει πρὸς τοὺς πολέμους καὶ ἡ διὰ τῆς ἱστορίας ἀκριβὴς θεωρία πρὸς ἄμαχόν τινα καὶ γραμμικὴν ἔκβασιν τελευτῶσι καὶ συνηναγκασμένην καὶ τότε ὁ χρόνος ἀπέδειξεν. Πολλῶν γὰρ ἐπὶ πολλοῖς μαρτυρούντων, καὶ τῆς πείρας πόρρωθεν βοώσης ὅτι οὔτε πολλοῖς οὔτε ὀλίγοις μάχεσθαι προσῆκεν ἀπεγνωκόσιν ἑαυτῶν καὶ πρὸς κίνδυνον ἑτοίμως ἔχουσιν, ἀλλ’ ὅτι τοιαῦτα στρατόπεδα καταλύειν συμφέρει χρονοτριβοῦντα τὸν πόλεμον καὶ περικόπτοντα τὰς ἀφορμὰς τῶν ἐπιτηδείων, ὅπως ὑφ’ ἑαυτῶν πολεμοῖντο δι’ ἔνδειαν πολλοὶ τυγχάνοντες, καὶ μὴ πρὸς τύχην ἀποκινδυνεύωσιν, ἀλλ’ ἐν ἀπόρῳ καὶ τὸ κινδυνεύειν ἔχωσιν, ἐπὶ τοῖς ἐναντίοις οὔσης τῆς ἐπιχειρήσεως. 162 Id., fr. 44, 3 (éd. Blockley p. 67) : ὅς γε φιλοπόλεμος μὲν ὢν ἥκιστα φιλοκίνδυνος ἦν, οὐ δι’ ἑαυτόν, τῶν ἀρχομένων δὲ ἕνεκεν. En qualifiant Sébastianus de philopolemos, Eunape confirme que la temporisation n’était pas nécessairement perçue comme un signe de lâcheté. Elle pouvait l’être, toutefois, si l’intention de l’auteur était de dénigrer un individu. Eunape écrit ainsi à propos de Rufin et de Stilichon : « [ils] étaient continuellement en guerre l’un contre l’autre, pas en conflit ouvert, bras à bras, arme contre arme (φανερῶς μὲν οὐκ ἐναντίας χεῖρας καὶ ὅπλα ἀράμενοι), mais en utilisant les ressources clandestines de la déception et de la tromperie (κρύφα δὲ ἀπάτης καὶ δόλου μηδὲν ὑπολείποντες). Comme leurs esprits étaient délicats et faibles (μαλακίαν καὶ ἀσθένειαν ψυχῆς), ces stratagèmes furtifs et trompeurs leurs paraissaient virils (διὰ γὰρ τὸ διέρπον καὶ ὕπουλον τῶν μηχανημάτων αὐτοῖς ὡς ἀνδρεῖον). » (Id., fr. 62, 1 [éd. Blockley p. 91]). 163 Cf. supra, p. 138 et s. L’historiographie récente ne tient pas assez compte de cette réalité. Cf. le point de vue de G. Breccia qui, s’il reconnaît que les Romains ont toujours considéré la guérilla comme une option stratégique importante, pense que cette pratique appartenait au « campo delle risposte empiriche, praticate diffusamente ma non teorizzate » (BRECCIA [2007], 67). L’auteur va jusqu’à considérer que l’Epitoma de Végèce traite seulement de la bataille en rase campagne, « senza prestare alcuna attenzione alla guerriglia » (ibid., 68, n. 119). 164 Jul. Afr., Kest., I, 2, 1-2 et 17-24.
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leur volonté, car soumis à la pression de soldats lassés par la lenteur d’une campagne éprouvante165. La bataille d’Andrinople ne doit donc pas être considérée comme l’ultime avatar d’une stratégie agressive, justifiée par la certitude de l’infériorité militaire des gentes externae et la nécessité d’obtenir contre elles des victoires décisives166. Elle n’intervint qu’à l’issue d’une longue campagne d’attrition167, que certains membres de l’état-major de Valens recommandaient de prolonger à l’été 378, afin d’attendre l’arrivée des renforts occidentaux promis par Gratien168.
165 Eléia, 344 ap. J.-C. : Eutr., X, 10, 1. Strasbourg, 357 ap. J.-C. : Amm., XVI, 12, 14. Callinicum, 531 ap. J.-C. : Procop., Bell., I, 18, 16-25. Rome, 537 ap. J.-C. : ibid., V, 28, 1-5. 166 Sur ce point, voir les remarques très pertinentes de FLEURET (2004), 109-10. L’auteur attire l’attention sur le fait que les Romains n’ont fait qu’utiliser contre les Goths une stratégie de « petite guerre », qui avait déjà acquis ses lettres de noblesse par le passé : « Faut-il alors évoquer une théorie de la “petite guerre” au sein de l’armée romaine ? Pourquoi pas ! Cela apparaît sans doute comme un anachronisme. Toutefois, les nombreux passages de nos sources laissent penser que les Romains maîtrisaient parfaitement ces phases des combats. Végèce donne d’ailleurs des conseils qui prouvent que les manuels et les ouvrages militaires romains comportaient des instructions à ce sujet. […] Ces quelques extraits de l’épitomé de Végèce, rassemblés d’après des sources écrites antérieures, prouvent que les Romains maîtrisaient parfaitement les principes de la “petite guerre” et surtout les écrivaient, les enseignaient et les transmettaient. » Nous ne pouvons que souscrire à une telle analyse. 167 Voir l’analyse de NICASIE (1998), 239-40 et 254-5. De ce point de vue, les moyens mis en œuvre par les Romains durant les années 377 et 378 ressemblent beaucoup à ce que nous avons pu décrire à travers l’exemple de la guerre de Claude II contre les Goths. Cf. supra, p. 415-7. Amm., XXXI, 12, 1 et 7 rejette la responsabilité du choix de la bataille sur Valens, qui aurait été jaloux des succès de son neveu Gratien contre les Alamans, mais il convient de se méfier de la finalité polémique de tels propos. Valens était aussi soumis à la pression des habitants de Constantinople, qui n’avaient pas apprécié la lenteur de sa réaction et réclamaient une issue rapide au conflit (Id., XXXI, 11, 1 ; Soc., HE, IV, 37 ; Théophane, Chron., AM. 5870 [éd. Mango & Scott p. 100] ; cf. LENSKI [2002], 335 et FLEURET [2004], 104). 168 Sur ce point les sources divergent. Ammien (XXXI, 12, 6) prétend que Sébastianus avait poussé Valens à l’affrontement alors que le magister equitum Victor s’y opposait. Zosime (IV, 23, 6-24, 1) rapporte au contraire que Sébastianus ne souhaitait pas engager une bataille rangée et préconisait la temporisation. Eunape, cité supra, semble être à l’origine de cette version. On notera au passage, dans le texte d’Ammien, la façon dont l’auteur qualifie le magister Victor : Sarmata sed cunctator et cautus. Temporisation et prudence ne sont pas ici considérées comme les qualités naturelles d’un barbare. Cf. ROBERTO (2003), 66.
CHAPITRE 3 PEUT-ON PARLER D’UN « RENOUVEAU » DE L’ARME ÉQUESTRE AUX IIIE ET IVE S. ?
Dans son Epitoma rei militaris, Végèce insiste sur le haut degré d’efficacité atteint par la cavalerie romaine de son temps : « en suivant l’exemple des Goths, des Alains et des Huns, les armes des cavaliers ont été perfectionnées »1. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’auteur tardif renonce à décrire les arcanes du combat de cavalerie, celles-ci n’ayant selon lui plus de secrets pour personne : « Il y a nombre de préceptes concernant la cavalerie ; mais comme cette portion de l’armée se distingue aujourd’hui par sa pratique de l’entraînement, par son genre d’armes et par l’excellence de ses chevaux, je ne crois pas qu’il y ait quoique ce soit à recueillir dans les livres : la doctrine présente suffit. »2. En écrivant cela, Végèce ne veut pas dire que la cavalerie de son temps a connu un profond renouveau3 – même s’il concède que la qualité de l’équipement, et notamment des protections corporelles, a fait de grands progrès grâce à l’influence de certains peuples barbares. Il insiste simplement sur le fait qu’en substance, les enseignements dispensés à son époque sont conformes aux préceptes des anciens et qu’il n’y aurait donc rien à exhumer des vieux manuels qui ne soit déjà connu et pratiqué. À l’inverse de la cavalerie, l’infanterie aurait oublié cette science militaire ancienne et serait entrée dans une phase de profond déclin4. Prenons donc ces deux extraits pour ce qu’ils disent et voyons dans quelle mesure la cavalerie du Bas-Empire entretient ses acquis du passé tout en renforçant la qualité de son armement et de ses modes de combat. 1 Veg., Mil., I, 20, 2 : exemplo Gothorum et Alanorum Hunnorumque equitum arma profecerint. 2 Ibid., III, 26, 34 : De equitatu sunt multa praecepta ; sed cum haec pars militiae usu exercitii, armorum genere, equorum nobilitate profecerit, ex libris nihil arbitror colligendum, cum praesens doctrina sufficiat. 3 Comme le supposent RICHARDOT (1998, 2005 3e éd.), 271, et bien d’autres commentateurs de ce passage. 4 Veg., Mil., I, 20 et II, 3. Passages commentés dans DORJAHN & BORN (1934). Il convient cependant de ne pas prendre ces lamentations trop au sérieux, comme l’ont démontré nombre d’études récentes sur l’armée romaine tardive. Voir en particulier JANNIARD (2010).
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CRISES ET TRANSITIONS
I – LA
CAVALERIE DANS LA CONDUITE DES CAMPAGNES
A. La reconnaissance armée et le maintien des opérations combinées cavalerie / infanterie légère Peu de témoignages nous renseignent sur l’organisation de la cavalerie durant les campagnes des IIIe et IVe s. Les sources narratives les plus attentives aux réalités militaires, notamment les Res gestae d’Ammien Marcellin, suggèrent une parfaite continuité des pratiques, que l’évolution de la terminologie ne saurait masquer5. Un exemple suffira à illustrer ce point. Il concerne l’utilisation des partis de reconnaissance lors de la campagne de Julien contre les Perses en 3636. Ammien Marcellin emploie deux expressions distinctes pour désigner les forces détachées en avant de la colonne romaine pour éclairer la marche : procursatores et excursatores. Les procursatores sont les cavaliers qui opèrent le plus loin de l’armée, au contact de l’ennemi7 ; ils livrent des combats d’escarmouche et signalent au général l’approche de l’adversaire8. La première fois qu’il rapporte leur action, Ammien ne précise pas leur identité, mais la suite de son récit révèle que ce groupe d’éclaireurs comprenait une part non négligeable d’auxiliaires saracènes,
5 Sur la doctrine d’emploi de la cavalerie telle qu’elle est exposée dans l’œuvre d’Ammien Marcellin, cf. CHAUVOT (2012). 6 Sur cette expédition, voir BROK (1959) ; MATTHEWS (1989), 130-79 ; FORNARA (1991). 7 AUSTIN (1979), 126 souligne (en s’appuyant sur Amm., XXV, 8, 4) que ces partis d’éclaireurs pouvaient se trouver jusqu’à une distance de 20-30 km de l’armée qu’ils étaient censés renseigner. Cela concorde avec le rayon d’action maximal des exploratores de César, cf. supra, p. 116. 8 Cf. Amm., XXIII, 3, 4 : Julien est à Carrhes où il organise les préparatifs de sa campagne, « quand on vient lui annoncer en toute hâte la nouvelle, apportée par des tirailleurs (procursatores) encore tout haletants, que des escadrons de cavalerie ennemie, ayant percé sur un point des défenses de la frontière voisine, avaient opéré par suprise une razzia. » (trad. J. Fontaine). Voir également Id., XXIV, 3, 1 ; 5, 3 ; 5, 5 ; XXV, 8, 4 ; XXVII, 10, 8 ; XXXI, 12, 3. N.J.E. Austin (AUSTIN [1979], 127 ; AUSTIN & RANKOV [1995], 40-2) estime que les procursatores doivent être distingués des exploratores proprement dits, car leur fonction ne réside pas tant dans la collecte du renseignement que dans l’attaque des autres partis avancés de l’armée adverse : il pourrait s’agir de corps dotés d’une organisation spécifique durant l’Antiquité tardive et chargés de combattre en avant-garde. Nous ne voyons pour notre part aucune différence entre le rôle opérationnel de ces formations et celui des avant-gardes mobiles désignées par les vocables exploratores, speculatores ou antecursores dans les sources plus anciennes, et qui participent souvent à des combats d’escarmouche sans que le renseignement ne constitue leur attribution exclusive. Cf. supra, p. 110-6.
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disposant d’une bonne connaissance du terrain9. Les excursatores forment, pour leur part, un ensemble distinct. Ammien signale leur existence lorsque l’armée de Julien longe l’Euphrate vers le sud. Les excursatores, nous dit-il, sont au nombre de 1 500 et progressent à faible allure (sensim) en avant de la colonne de marche et sur ses flancs10. Plus loin dans son récit, Ammien qualifie ces troupes d’expediti uelites et confirme qu’elles assurent une fonction d’exploratio puisqu’elles sont chargées d’inspecter les irrégularités du terrain, tout en prenant garde de ne pas s’aventurer trop loin11. Les excursatores sont donc, au moins pour la plupart sinon en totalité, des fantassins légers12. Jean Malalas, qui fonde son récit sur le témoignage de Magnus de Carrhes, identifie précisément leur unité d’appartenance : ce sont des soldats des légions des Lanciarii et des Mattiarii13. L’exemple de cette campagne de 363 conduit donc à reconstituer pour le milieu du IVe s. une doctrine opérationnelle très classique. Des groupes mobiles de cavaliers évoluent au contact du « brouillard de guerre ». Ils ont pour mission de guider l’armée en territoire inconnu, repérer les forces ennemies embusquées, lutter avec les partis d’éclaireurs adverses et faire des prisonniers pour qu’ils puissent être ensuite interrogés. Le 9 Juste après la prise d’Anathan, Amm., XXIV, 1, 10 précise que « des Saracènes remirent à l’empereur, qui en fut tout joyeux, des tirailleurs (procursatores) d’un parti ennemi ; ils reçurent une gratification, et on les renvoya poursuivre semblables exploits » (trad. J. Fontaine modifiée). L’affectation d’Hormizdas à un détachement d’éclaireurs, après la prise d’Ozogardana, semble confirmer cette habitude consistant à mettre à profit les compétences de commandants « indigènes » familiarisés avec le théâtre d’opération parcouru : Amm., XXIV, 2, 4 et Zos., III, 15, 4-6. Auparavant, dans l’ordre de marche de Julien le long de l’Euphrate, Hormizdas ne faisait pas partie d’une force de reconnaissance, mais tenait l’aile gauche de la colonne romaine (Amm., XXIV, 1, 2) ; ce détail pourrait suggérer qu’il existait un système de roulement dans l’attribution des gardes avancées. 10 Id., XXIV, 1, 2 : Excursatores quidem quingentos et mille sensim praeire disposuit, qui cautius gradientes ex utroque latere, itidemque a fronte, nequis repentinus inrueret, prospectabant. Voir également Zos., III, 14, 1 : οὕτω διαθεὶς τὴν ἐπὶ τὸ πρόσω πορείαν χιλίους ἔγνω καὶ πεντακοσίους προπέμψαι, κατασκεψομένους εἴ τι πολέμιον ἢ προφανῶς ἢ δι’ ἐνέδρας ἐπίοι, Λουκιλλιανὸν αὐτοῖς ἐπιστήσας. 11 Amm., XXIV, 1, 13. 12 Dans un autre passage de son récit, Zosime qualifie ces troupes de « parti de reconnaissance », cf. Zos., III, 16, 2 : ἐπὶ κατασκοπὴν χιλίοις καὶ πεντακοσίοις ἀνδράσιν, ὑπὸ Λουκιλλιανῷ τεταγμένοις. Plus loin, il mentionne un détachement de fantassins légionnaires et de cavaliers en reconnaissance autour de Ctésiphon, ce qui semble confirmer l’idée d’une mixité tactique de ces partis avancés, cf. Id., III, 21, 5 : Βίκτορι δὲ παραδοὺς ὁπλίτας τε καὶ ἱππέας τὰ μέχρι Κτησιφῶντος αὐτῷ διερευνᾶσθαι προσέταξεν. 13 Malalas, XIII, 21 : προσκουλκάτορας προσέταξεν ἄνδρας γενναίους ἐκ τοῦ ἀριθμοῦ τῶν λαγκιαρίων καὶ ματτιαρίων χιλίους πεντακοσίους. Contra GROSSE (1920), 225 (des cavaliers) ; mais l’auteur ignore le témoignage de Malalas.
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haut commandement recourt de préférence aux services de supplétifs locaux, avec les risques que cette option impliquait déjà sous la République et le Haut-Empire14. Comme à l’époque des guerres césariennes, l’infanterie légère forme un second rideau défensif plus proche de la colonne principale, peut-être destiné à intervenir en soutien de la cavalerie si celle-ci est mise à mal, ou à intercepter les troupes ennemies qui seraient susceptibles de filtrer à travers l’écran des procursatores. Végèce ne recommande pas autre chose dans son épitomé : le général doit, selon lui, détacher en avant de son armée des cavaliers perspicaces et montés sur les chevaux les plus aptes ; ces cavaliers doivent reconnaître le terrain dans toutes les directions et mettre en échec les tentatives d’embuscades ennemies ; ils sont suivis par des fantassins15. Dans le récit de la campagne de 363, on est surpris de l’importance du rôle que joue l’infanterie légère pour des missions qui, habituellement, incombent plutôt à la cavalerie. En plus des excursatores cités plus haut, des fantassins légers interviennent dans le cadre d’escarmouches16 ou de raids de dévastation17 qui nécessitent une grande mobilité. L’infanterie légère a encore des fonctions qui seront plus tard exclusivement confiées à la cavalerie, signe que l’armée romaine n’est certainement pas encore reconvertie à l’arme équestre. Les mesures destinées à se prémunir contre les attaques brusquées de forces montées n’ont, elles aussi, pas beaucoup changé. On note par exemple que l’agmen quadratum est toujours privilégié par les généraux romains lorsque ces derniers estiment leur armée menacée d’enveloppement18. Hérodien livre une description très claire de cet ordre de marche lorsqu’il raconte l’arrivée de Maximin le Thrace en Italie du Nord en 23819. En 363, lors de son expédition en Mésopotamie, Julien forme également sa colonne en carré. La partie la plus vulnérable 14 À la fin de la campagne de 363, les Saracènes, que Julien refuse de payer, se retournent contre les Romains (Amm., XXV, 6, 9-10). 15 Veg., Mil., III, 6, 11-3 : Dux cum agmine exercitus profecturus fidelissimos argutissimosque cum equis probatissimis mittat, qui loca, per quae iter faciendum est, in progressu et a tergo, dextra laeuaque perlustrent, ne aliquas aduersarii moliantur insidias. Tutius autem operantur exploratores noctibus quam diebus. Nam quodammodo ipse sui proditor inuenitur cuius speculator fuerit ab aduersariis conprehensus. Primi ergo equites iter arripiant, deinde pedites. Voir également Ibid., III, 6, 33-4 : sed explorare sollicite uerum, proditores ac transfugas inuitare, ut, quid hostis moliatur in praesenti uel in futurum, possimus agnoscere, paratisque equitibus ac leui armatura ambulantes eosdem uel pabula uictumque quaerentes inprouiso terrore decipere. 16 Amm., XXIV, 4, 30. 17 Id., XXIV, 7, 2. 18 ELTON (1996), 244 ; NICASIE (1998), 199-202 ; MENÉNDEZ ARGÜÍN (2011), 270-2. 19 Hdn, VIII, 1, 2-3. À la même époque, Julius Africanus signale que le plinthion est l’ordre de bataille privilégié par les Romains contre les Parthes. Cf. Jul. Afr., Kest., I, 1,
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du dispositif, le flanc gauche, est protégée par le gros de la cavalerie impériale20. Ammien mentionne d’autres occurrences de ce type de déploiement dans ses Res gestae21. L’une d’entre elles s’inscrit dans le cadre de la campagne d’Andrinople, en août 378, et livre de précieux enseignements sur le rôle de la cavalerie dans les guerres du IVe s.
B. Étude de cas : le rôle de la cavalerie durant la campagne d’Andrinople (378 ap. J.-C.) Durant sa marche d’approche vers l’armée des Goths Thervinges, Ammien Marcellin relève que l’empereur Valens faisait avancer son corps expéditionnaire agmine quadrato22. Ce détail n’a pas été jugé digne d’intérêt par la critique moderne, qui se contente généralement d’insister sur la faillite du système de renseignement romain et/ou l’appétit de gloire de l’empereur, ainsi que sur les circonstances défavorables qui conduisirent au terrible désastre du 9 août 37823. Il nécessite pourtant une explication car l’agmen quadratum est un ordre de marche conçu pour contrecarrer les attaques inopinées de troupes mobiles, opérant le plus souvent à cheval. Or, dans son célèbre article sur la campagne d’Andrinople, Thomas Burns rappelle que les Goths de Fritigern servaient pour
69-71 : Αἴτιον δὲ πρῶτον μὲν τὸ ἵεσθαι δρόμῳ ἐς τὰς συμπλοκὰς τῷ μὴ τὰ σκευοφόρα ἀπολιπεῖν· ἀεὶ δὲ τῷ πλινθίῳ τῆς στρατιᾶς ἐγκέκλειται. 20 Amm., XXIV, 1, 2 (trad. J. Fontaine modifiée) : « En chef confirmé par l’expérience et le savoir, craignant de se laisser surprendre, par une embuscade invisible, en raison de sa méconnaissance du terrain, il commença par faire progresser ses colonnes en formation carrée (agminibus incedere quadratis exorsus est). […] Quant à lui, il commandait en personne l’infanterie, qui formait au centre le point d’appui de toutes ses forces, cependant qu’à droite, il donna ordre à quelques légions, avec Névitta, de longer les hautes rives de l’Euphrate. Pour l’aile gauche, il la confia à Arintheus et Hormisdas, avec des troupes de cavalerie, pour les mener en formation serrée à travers des terrains plats, ou de faible relief. Quant à l’arrière-garde, Dagalaifus y fermait la marche avec Victor, et en tout dernier lieu le duc d’Osrhoène Secundinus. » Ammien précise ensuite (XXIV, 1, 4) que le bagage, les bêtes de somme et les serviteurs étaient au centre de cet ordre de marche. Zos., III, 14, 1 donne des informations convergentes mais situe à tort la colonne de Julien sur la rive droite de l’Euphrate. 21 Amm. XXV, 3, 2 ; XXVII, 10, 6 ; XXIX, 5, 39. 22 Id., XXXI, 12, 4 : proinde agmine quadrato incedens prope suburbanum Hadrianopoleos uenit. 23 DELBRÜCK (1902, 1990 trad. angl.), 272 et 275 ; BURNS (1973), 342 ; RICHARDOT (1998, 2005 3e éd.), 310 ; NICASIE (1998), 255-6 ; LENSKI (2002), 355. Contra FLEURET (2004), 109 : « Ce fut finalement une addition de petits détails malheureux qui transformèrent en désastre ce qui aurait vraisemblablement dû être un triomphe. »
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la plupart comme fantassins24. La stratégie privilégiée par les généraux romains qui se succédèrent en Thrace au cours des années 376-378 avait d’ailleurs eu pour conséquence de renforcer cette orientation tactique. En effet, durant les mois précédant la bataille d’Andrinople, les groupes de pillards barbares avaient fait les frais de la guerre de harcèlement que Profuturus et Trajan puis Saturninus et Sébastianus avaient menée contre eux25. Privés d’approvisionnement et contraints de limiter leurs mouvements, ils durent sacrifier une bonne partie de leurs montures faute de fourrage suffisant, de la même manière que les Pompéiens pendant la campagne du Sègre. Leur cavalerie était donc réduite à un effectif dérisoire. Mais c’est à ce moment précis, en 377, alors que Profuturus et Trajan les maintenaient enfermés dans le Grand Balkan, que les Goths furent rejoints par des renforts alains et hunniques26. Ammien présente cet événement comme un tournant stratégique majeur : les Romains furent à leur tour contraints d’abandonner la plaine aux barbares et de se réfugier dans les villes, les bois et les montagnes, d’où ils pouvaient lancer des attaques surprise27. À ce stade des opérations, l’avantage conféré par la cavalerie nomade aux Goths apparaît incontestable. Ammien note qu’une petite armée commandée par Barzimerès fut enveloppée par des cavaliers près de Dibaltum (Develt), à l’est de l’Haemus, vers la fin de l’année 37728. Un autre succès fut remporté par les Alains contre Gratien, qui cheminait avec ses renforts le long du Danube, au niveau des Castra Martis (Kula), en juillet 37829. Face à la supériorité écrasante de la cavalerie ennemie, la perspective d’une victoire décisive devenait très incertaine. Certes, l’arrivée de Sarakênoi hypospondoi à Constantinople en 378 apportait une lueur d’espoir : grâce à ces troupes mobiles, les Romains pouvaient 24 BURNS (1973), 341. Voir aussi Oros., VII, 34, 5, qui insiste sur le fait qu’après la bataille, les Goths s’emparèrent des chevaux romains et disposèrent désormais d’une bonne cavalerie. 25 Amm., XXXI, 7-8 ; Zos., IV, 23, 4-6. 26 Amm., XXXI, 8, 4 : adacti necessitate postrema, Hunorum et Halanorum aliquos ad societatem spe praedarum ingentium adsciuerunt. 27 Id., XXXI, 8, 5 et s. Cf. MAENCHEN-HELFEN (1973), 27-30 ; BURNS (1973), 340 ; NICASIE (1998), 241 ; LENSKI (2002), 330-1. 28 Amm., XXXI, 8, 10. LENSKI (2002), 334 pense qu’il s’agit de cavaliers goths, et plus spécifiquement de Greuthunges. Mais le passage concerné ne donne aucune indication sur l’origine ethnique de ce contingent monté ; il pouvait donc très bien être composé de Huns et d’Alains. 29 Amm., XXXI, 11, 6. L’expression employée par Ammien pour désigner cette attaque (Halanorum impetu repentino) ne laisse planer aucun doute sur le fait que les Romains furent pris au dépourvu.
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envisager de reprendre le contrôle du plat-pays. Mais la date précise de l’intervention de ce renfort fait débat30. Zosime affirme que les Saracènes, qui avaient été recrutés à la suite de la révolte de Mavia, commencèrent à effectuer des sorties contre les Goths qui menaçaient les faubourgs de la capitale au moment où Valens arriva en Thrace (le 30 mai 378)31. On a cependant fait remarquer qu’Ammien, dont le récit est de loin le plus complet, ne mentionne pas cet épisode ; tout du moins attend-il les suites du désastre d’Andrinople pour décrire la défense de Constantinople par les supplétifs saracènes de l’impératrice Dominica32. Quant à l’histoire ecclésiastique de Socrate, elle ne signale aucune mesure qui aurait eu pour but de défendre la capitale en mai-juin 378, ce qui n’est pas sans surprendre car l’auteur est lui-même originaire de Constantinople et a eu accès à des sources locales33. Au vu des circonstances de la campagne malheureuse de l’été 378, il semble difficile d’admettre que les Romains aient disposé de ce Σαρακηνῶν στρατόν – comme l’appelle Théophane le Confesseur – dès le déclenchement de l’offensive finale contre l’armée de Fritigern. En effet, les sources ne disent rien de la participation de fédérés saracènes à la bataille d’Andrinople, et nous aurions beaucoup de mal à imaginer que Valens se soit privé d’une ressource aussi essentielle alors qu’il s’apprêtait à engager une action qui se voulait décisive34. La reconstitution de David Woods, qui rejette la chronologie d’Eunape et Zosime au profit de celle d’Ammien Marcellin et de Socrate, ne nous semble donc pas totalement invraisemblable, même si les arguments de cet historien ne sont pas toujours acceptables35 : les deux auteurs 30 La majorité des historiens estiment que les Saracènes ont défendu deux fois Constantinople : une première fois en juin 378, puis une deuxième fois immédiatement après la bataille d’Andrinople. Cf. SHAHÎD (1984), 179-81 ; LENSKI (2002), 335-6, n. 94 ; ROBERTO (2003), 84-5 ; SARTOR (2008), 68, n. 352. WOODS (1996b) pense qu’une seule défense a eu lieu après la bataille d’Andrinople. L’hypothèse avait déjà été avancée par E. Gibbon puis reprise par PIGANIOL (1947), 168-9, n. 102 ; WOLFRAM (1979, 1988 trad. angl.), 129 ; HEATHER (1991), 142, n. 52. 31 Zos., IV, 22, 1-3. L’historien grec utilise le récit d’Eunape de Sardes : cf. Eunap., fr. 42. 32 Amm., XXXI, 16, 4-7. En 16, 5, l’historien romain précise que ce Saracenorum cuneus était « récemment » arrivé à Constantinople (recens illuc accersitus). 33 Cf. WOODS (1996b), 265. Comme dans le récit d’Ammien, la seule défense de Constantinople par les Saracènes a lieu après la bataille d’Andrinople : Soc., HE, V, 1. Voir également Soz., HE, VII, 1, 1 et Théophane, Chron., AM. 5870 (éd. Mango & Scott p. 99-101). 34 SHAHÎD (1984), 181, n. 152 pense que les Saracènes combattirent à Andrinople. C’est aussi l’opinion de VAN NORT (2007), 222. Le seul argument avancé par ces auteurs réside dans le passage de Zosime décrivant l’action des Saracènes autour de Constantinople avant la bataille. SHAHÎD (1984), 182 relève en outre les éléments compatibles avec une éventuelle présence des Saracènes dans le contexte entourant la bataille (mentions de cavaliers, de procursatores, d’auxilia), mais cela ne saurait constituer une preuve. 35 En particulier, il semble incontestable que les Saracènes servaient dans un contingent ethnique de foederati et n’avaient pas été intégrés dans les scholes palatines, contra WOODS (1996b), 278. Cf. SARTOR (2008), 67-9. Par ailleurs, Constantinople avait bien été
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grecs ont peut-être placé leur description de l’entrée en action des Saracènes trop tôt dans leur récit.
Avec ou sans le renfort de ces troupes saracènes, Valens, qui venait d’arriver en Thrace, pouvait espérer vaincre les Goths séparément, en comptant sur le fait que la coalition ennemie n’avait d’autre choix que de se disperser pour trouver du ravitaillement. Un rapport livré par des éclaireurs au début du mois d’août, alors que le comitatus impérial se trouvait près de la statio de Nikê, lui fournit cette occasion : les procursatores assuraient – « on ne sait par quelle méprise » (incertum quo errore) – que toutes les forces qu’ils avaient pu apercevoir se montaient à dix mille soldats36. D’après Ammien, c’est sur la foi de ce compte rendu que Valens prit la décision de diriger son armée, en formation carrée, vers Andrinople. La méfiance de l’empereur, aisément déductible de cet ordre de marche, ne peut s’expliquer que dans la mesure où celuici ignorait la localisation exacte des forces montées de ses adversaires37. Il se savait potentiellement à la merci d’une attaque massive de la cavalerie alano-hunnique, qui établissait le succès de ses mouvements offensifs sur l’exploitation de la surprise opérationnelle38. Pour dire les choses autrement, l’adoption de l’agmen quadratum montre que l’empereur ne se fiait pas complètement au rapport de ses éclaireurs sur la nature de l’armée ennemie et craignait un raid du même type que celui qui était survenu plus tôt contre l’armée de Gratien. Mais il espérait aussi se débarrasser le plus rapidement possible de l’infanterie gothique de Fritigern avant l’intervention des forces de cavalerie nomades39. Ce choix procédait d’un pari risqué et aboutit au résultat menacée une première fois par les Goths, au moment où Valens était arrivé dans la ville, à la fin du mois de mai 378 : Soc., HE, V, 1, 1 ; cf. LENSKI (2002), 335, n. 94. 36 Amm., XXXI, 12, 3. Mais de quelle erreur est-il ici question ? Ammien reproche-t-il aux procursatores d’avoir sous-estimé l’effectif du détachement qu’ils avaient aperçu ou d’avoir négligé la présence d’autres groupes qui pouvaient potentiellement intervenir en cas d’affrontement ? Cf. SHCHUKIN & SHUVALOV (2007), 235. 37 BURNS (1973), 342 estime pour sa part que « Valens did not wish to engage prior to his arrival at Adrianople, for he advanced in square formation which was the defensive marching order of the Roman army. » Mais l’agmen quadratum pouvait très bien être employé dans le cadre d’une marche offensive destinée à engager l’ennemi. 38 JANNIARD (2015), 252. 39 C’est l’hypothèse privilégiée par AUSTIN (1972), 81-3 et (1979), 77-80. Contra NICASIE 1998, 245, n. 224 : « there is no reason to assume that the Romans knew that the Gothic cavalry was away from camp: to the contrary, the fact that the Gothic cavalry caught the Romans by surprise rather argues that they did not, for if the Romans had known that the Gothic cavalry was away, it is likely that they would have taken appropriate measures to deal with their return. » Nous pensons précisément que l’adoption de
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que l’on sait40. Le 9 août 378, alors que les deux armées se trouvaient face à face, à une dizaine de kilomètres au nord d’Andrinople41, les Goths cherchèrent à gagner du temps en engageant des pourparlers, ce qui permit aux cavaliers ostrogoths et alains d’intervenir à point nommé. Ammien note qu’après quelques engagements prématurés entre les troupes des deux camps, l’equitatus Gothorum d’Alatheus et Saphrax, dont Fritigern attendait anxieusement l’arrivée, surgit des environs des montagnes telle la foudre (ut fulmen prope montes celsos excussus) et balaya une partie des forces romaines42. La suite du récit est obscurcie par les lieux communs et les métaphores employés par l’auteur43. Les seuls éléments concrets conduisent à penser que la cavalerie romaine fut chassée du champ de bataille, et l’infanterie impériale complètement enveloppée44. Sur ce point, le récit d’Orose complète utilement celui d’Ammien. L’auteur chrétien attribue à la cavalerie barbare (visiblement constituée d’un fort contingent d’archers montés) un rôle décisif dans l’effondrement final de la ligne romaine45.
l’agmen quadratum était une mesure destinée à prévenir un éventuel retour offensif de la cavalerie barbare. 40 De ce point de vue, la campagne d’Andrinople illustre les risques du passage d’une guerre d’usure à ce que E.N. Luttwak appelle la « manœuvre relationnelle », c’est-à-dire un type de stratégie opérationnelle privilégiant un objectif limité, censé garantir, par la rapidité de sa réalisation, l’obtention d’un avantage décisif. Cf. LUTTWAK (1987, 2002 trad. fr.), 169 : « L’usure échoue “en douceur” ou bien elle réussit par effet cumulatif : une cible manquée ou mal identifiée pourra faire l’objet d’une nouvelle frappe, sans remise en cause de l’action d’ensemble. En revanche, l’échec d’une manœuvre relationnelle sera “catastrophique” parce qu’une seule erreur d’appréciation ou d’exécution suffit à ruiner toute l’opération. En d’autres termes, la guerre d’usure se paye à prix coûtant pour un risque faible, quand la manœuvre relationnelle autorise des coûts réduits, mais comporte une forte part de risque. » 41 Sur la localisation du champ de bataille, voir dernièrement MACDOWALL (2001), 68 et SHCHUKIN & SHUVALOV (2007), 241-4 (contra RUNKEL [1903]) : l’affrontement aurait eu lieu à proximité du village de Muratçali, en Turquie. 42 Amm., XXXI, 12, 17 : … et equitatus Gothorum cum Alatheo reuersus et Saphrace, Halanorum manu permixta, ut fulmen prope montes celsos excussus, quoscumque adcursu ueloci inuenire comminus potuit, incitata caede turbauit. 43 Cf. SABBAH (1978), 583-4 et 558-9, n. 52. 44 Amm., XXXI, 13, 1-6. Cf. Jér., Chron., s.a. 378 : deserente aequitum praesidio Romanae legiones a Gothis cincte usque ad internecionem caesae sunt. 45 Cf. Oros., VII, 33, 13-4 : Ubi primo statim impetu Gothorum perturbatae Romanorum equitum turmae nuda peditum deseruere praesidia. Mox legiones peditum undique equitatu hostium cinctae ac primum nubibus sagittarum obrutae, deinde, cum amentes metu sparsim per deuia cogerentur, funditus caesae gladiis insequentum contisque perierunt. Pour une reconstitution des évènements insistant sur l’importance de la charge de la cavalerie alano-gothique de Saphrax et Alatheus, voir VAN NORT (2007), 236-9 et SHCHUKIN & SHUVALOV (2007), 244-8.
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Au total, il semble difficile de contester que les Goths durent leur victoire à l’intervention de forces montées qui n’avaient pas été aperçues par les éclaireurs romains mais dont Valens craignait l’entrée en action. Leur charge victorieuse a été décrite par le grand historien de l’art de la guerre Charles Oman comme le signe annonciateur du déclin de l’infanterie dans l’Antiquité tardive et comme l’acte de naissance de la chevalerie médiévale46. Un tel jugement est bien évidemment exagéré. Le scénario d’Andrinople répète dans les grandes lignes celui de la bataille de Cannes : les forces qui s’opposèrent lors de la journée du 9 juin 378 étaient bien de solides armées d’infanterie, mais l’affrontement fut décidé par un mouvement enveloppant47. De la même façon qu’à Dyrrachium quatre siècles plus tôt, les opérations de 376-378 rappellent également l’importance de la cavalerie comme outil de contrôle du théâtre de guerre. Mais la deuxième guerre gothique de Valens comporte aussi une grande nouveauté. Elle marque l’avènement, chez les populations nomades des steppes, d’un art de la guerre reposant sur les grands mouvements offensifs d’armées de cavalerie, destinés à surprendre l’ennemi. Nous retrouverons cet élément de façon récurrente au cours des Ve et VIe s. : il sera l’une des causes essentielles de l’effrondrement de l’outil militaire impérial. II – LES ÉVOLUTIONS TACTIQUES Si les nombreux revers essuyés par les Romains au cours des IIIe et IV s. peuvent s’expliquer par des facteurs macrostratégiques (la simultanéité des menaces sur des théâtres éloignés) et opérationnels (l’incapacité du renseignement à prévoir les déplacements de forces mobiles), les auteurs de cette époque entretiennent la conviction que l’armée impériale souffre avant tout d’une infériorité tactique, voire technique, par rapport e
46 OMAN (1898, 1924 2e éd.), I, 14 : « the first great victory won by that heavy cavalry which had now shown its ability to supplant the heavy infantry of Rome as the ruling power of war » ; « [The Goths] had become the arbiter of war, the lineal ancestor of all the knights of the Middle Ages, the inaugurator of that ascendancy of the horsemen which was to endure for a thousand years. » Point de vue comparable dans DELBRÜCK (1902, 1990 trad. angl.), 269 ; ALTHEIM (1953), 295-6 ; GARLAN (1972), 115 ; BIVAR (1972), 273 ; CORVISIER dans Dictionnaire d’art et d’histoire militaires, Paris, 1988, s.v. « Andrinople », p. 28. 47 Les études récentes tendent à considérer la bataille d’Andrinople comme une bataille d’infanterie classique : voir BURNS (1973), 342 ; FERRILL (1986), 60 ; NICASIE (1998), 256 ; MACDOWALL (2001), 7 ; FLEURET (2004), 101-2.
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à ses adversaires. Sous Sévère Alexandre, Julius Africanus met en cause l’inadaptation de l’armement et des modes de combat des légionnaires romains face à la menace que représente la cavalerie orientale48. Selon lui, si l’hoplite grec pouvait triompher des Perses, c’est parce qu’il était armé d’une lance plus longue que celle des cavaliers contophores. Rien de tel chez les Romains qui « ne peuvent s’opposer à la charge de la cavalerie avec leurs lances qui sont trop courtes »49. Julius Africanus reproche aussi à l’infanterie romaine d’être trop statique face aux archers montés parthes50, d’éviter le combat individuel51 et de gaspiller ses traits en les jetant au hasard sur l’adversaire52. Comme le souligne Sylvain Janniard, ces considérations reflètent l’évolution contemporaine de l’infanterie romaine vers un modèle « paraphalangique », assignant aux fantassins un rôle moins important dans l’obtention de la décision 53. Il importe de se demander si ce processus a affecté la doctrine d’emploi de la cavalerie dans le cadre de la bataille rangée54. 48 WHEELER (1997) ; MEISSNER (2009). L’auteur a probablement assisté à la campagne de Caracalla contre les Parthes et à la défaite de Macrin à Nisibe en 217. 49 Jul. Afr., Kest., I, 1, 55-6 (δόρατα δ’ αὐτοῖς τῶν Ἑλληνικῶν κολοβώτερα) et 82 (κοντοῖς πρὸς τοὺς ἐπιόντας ἱππεῖς οὐκ ἀπαντῶσι μικροῖς). Ce reproche fait peut-être allusion à la bataille de Nisibe, lors de laquelle l’armée de Macrin fut mise en difficulté par les longues piques des cataphractes parthes. Cf. Hdn, IV, 15, 2 : καὶ οἱ μὲν βάρβαροι τῷ πλήθει τῶν τόξων τοῖς τε ἐπιμήκεσι δόρασι τῶν καταφράκτων ἀπό τε ἵππων καὶ καμήλων τιτρώσκοντες αὐτοὺς ἄνωθεν μεγάλως ἔβλαπτον. Le fait que les coups aient été livrés d’« en haut » par les cataphractes indique que les cibles en question étaient des fantassins et non des cavaliers. Quant à la petitesse des lances romaines, elle pourrait ici impliquer l’utilisation continue du pilum comme lance d’arrêt contre les charges de cavalerie, suivant les modalités décrites par Arrien. Jul. Afr., Kest., I, 1, 64-7 parle en effet d’une arme dont la pointe fragile risque d’être rendue inutile ou de se briser à l’impact. Contra COLOMBO (2011), 173 : κοντός = hasta (lance d’arrêt), mais voir nos remarques supra, p. 313, n. 170. Sur l’emploi continu du pilum au cours de la première moitié du IIIe s., cf. COWAN (2002), 112-20 et MENÉNDEZ ARGÜÍN (2011), 201. 50 Jul. Afr., Kest., I, 1, 69-76. 51 Ibid., I, 1, 76-8. 52 Ibid., I, 1, 80-1. Synthèse de ces critiques en I, 1, 83-8 (tr. J.-R. Vieillefond) : « Par conséquent, si l’on équipait le soldat romain de la longue cuirasse et du casque grecs, si on lui donnait une pique plus longue, si on lui apprenait à diriger chaque lance sur un but déterminé et à combattre chacun pour soi, si parfois on ordonnait le pas de course pour affronter vivement l’adversaire en deçà de la portée des flèches, alors le barbare toujours battu ne résisterait pas aux Romains. » 53 JANNIARD (2010), 359. Sur la « paraphalange » sévérienne et l’évolution du combat d’infanterie légionnaire à l’époque tardive, voir plus généralement WHEELER (1979), 3148 ; ID. (2004a et b) ; JANNIARD (2010), 359-68 ; ROCCO (2012), 127-31 ; FAURE (2013), 55-68. 54 Plusieurs spécialistes de la période ont déjà souligné le rôle important que pouvaient jouer les forces montées sur les champs de bataille sévériens : BIRLEY (1969), 66-7 ; DAGUET-GAGEY (2000), 272 ; HANDY (2009), 179-80 ; FAURE (2013), 55.
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A. Le renforcement de la capacité offensive de la cavalerie dans la ligne de bataille L’essentiel de nos connaissances sur le déploiement tactique de la cavalerie aux IIIe et IVe s. provient de l’Epitoma rei militaris. Végèce s’en tient à une doctrine relativement classique et se contente, pour l’essentiel, de paraphraser des auteurs antérieurs, notamment Frontin. Les récits de batailles corroborent cependant ses prescriptions. Sous le Bas-Empire, le procédé le plus courant consiste toujours à ranger les escadrons de cavalerie sur les ailes de l’armée. La cavalerie de ligne (cuirassée ou médiane) est de préférence placée à proximité de l’infanterie, afin d’assurer sa protection, alors que les escarmoucheurs (javeliniers et archers montés) ont un rôle plus offensif, aux extrémités de l’acies (fig. 41). Végèce décrit bien cet arrangement dans le livre III de son Epitoma : « Une fois la ligne des fantassins dressée, les cavaliers sont disposés sur les ailes, de manière à ce que tous ceux qui sont équipés d’une cuirasse (loricati) et d’une lance (contati) soient à proximité des fantassins ; les archers ainsi que ceux qui n’ont pas de cuirasse sont placés à plus grande distance. Ainsi, les flancs des fantassins sont protégés par les cavaliers les plus forts, et les ailes de l’ennemi submergées et désorganisées par la cavalerie la plus rapide et la plus légèrement armée. »55. 55 Veg., Mil., III, 16, 1-2 : Constructa acie peditum equites ponuntur in cornibus, ita ut loricati omnes et contati iuncti sint peditibus, sagittarii autem uel qui loricas non habent longius euagentur. A fortioribus namque equitibus peditum protegenda sunt latera et a uelocioribus atque expeditis hostium cornua superfundenda atque turbanda. Parallèles possibles dans l’œuvre de Frontin : SCHENK (1930), 53-4. Végèce ajoute que pour des raisons obscures, certaines troupes sont plus efficaces contre d’autres et qu’il faut donc adapter la composition de la ligne de bataille à cette variable (Veg., Mil., III, 16, 3-4). Si la cavalerie romaine est trop faible, il est recommandé d’entremêler des fantassins avec les cavaliers, comme le veut une « ancienne coutume » (ibid., III, 16, 5-7). Végèce recommande en outre de garder les meilleurs fantassins et cavaliers (lectissimos de peditibus equitibus) pour former une ligne de réserve : certains éléments sont placés derrière les ailes, d’autres derrière le centre (ibid., III, 17, 1). Cela permet, si l’ennemi détache un groupe de soldats pour attaquer une aile ou un autre point de la ligne, de ne pas avoir à dégarnir la première ligne. D’après Végèce, le général doit se tenir entre l’infanterie et la cavalerie de l’aile droite (ibid., III, 18, 1). Il peut utiliser ses réserves de cavalerie et d’infanterie légère pour encercler l’aile gauche de l’ennemi qui se trouve face à lui, et la presser depuis l’arrière (ibid., III, 18, 4 : Hic de equitibus supernumerariis mixtis peditibus expeditis aduersariorum sinistrum cornu, quod contra ipsum stat, circumire debet et a tergo semper urgere). Le commandant en second est placé au centre de la ligne d’infanterie. Le troisième commandant est sur l’aile gauche ; avec sa cavalerie et son infanterie légère, il doit veiller à ce que cette partie du dispositif ne soit pas encerclée par l’ennemi, au besoin en l’étendant vers l’extérieur (ibid., III, 18, 8 : Hic circa se bonos equites supernumerarios et uelocissimos pedites habere debet, de quibus sinistrum cornum semper extendat, ne circumueniatur ab hostibus).
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Figure 41 – Déploiement d’une armée romaine mixte à l’époque tardive.
Cet ordre de bataille classique est très exactement celui que Macrin utilise lors de la bataille de Nisibe (217) : après avoir rangé ses unités d’infanterie lourde (φάλαγγας), l’empereur déploie sa cavalerie et ses soldats maures sur les ailes ; l’infanterie légère est positionnée « dans les intervalles » (entre la cavalerie et l’infanterie lourde ?)56. D’autres exemples de ce type de déploiement sont connus pour les batailles d’Émèse (272)57, de Mursa (351)58, d’Andrinople (378)59 et de Poetouio (387)60. Végèce souligne que l’aile droite, celle où le général est supposé se tenir, a un rôle offensif, alors que l’aile gauche doit avant tout veiller à se prémunir contre les mouvements enveloppants de l’adversaire. Manœuvres de protection des flancs et d’encerclement sont exécutées par 56 Hdn, IV, 15, 1 : οἱ δὲ Ῥωμαῖοι εὐτάκτως τε καὶ ἀσφαλῶς συστήσαντες τὰς φάλαγγας, ἑκατέρωθέν τε τοὺς ἱππεῖς καὶ τοὺς Μαυρουσίους παρατάξαντες, τά τε κενὰ πληρώσαντες τῶν κούφως καὶ εὐσταλῶς ἐκτρέχειν δυναμένων. Le fait qu’Hérodien distingue les hippeis des supplétifs maures signifie probablement que la cavalerie régulière, essentiellement constituée de troupes médianes et semi-lourdes, se trouve au contact de la ligne d’infanterie, au même titre que les contati et loricati equites de Végèce. Les Maures, cités en dernier, forment la portion externe de la ligne. 57 Zos., I, 52, 3-4. 58 Jul., Or., 1, 29 = 36A ; Or., 3 (2), 7 = 57B-C. 59 Amm., XXXI, 12, 11-2. 60 Pan. Lat., XII (II), 35, 3.
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des unités montées disposées en deuxième ligne. Ces equites supernumerarii agissent de concert avec des fantassins légers et peuvent opérer en formation irrégulière (globus / drungus), sans rangs ni files, pour bénéficier d’un surcroît de mobilité61. La bataille d’Emèse (272) illustre assez bien ce scénario (fig. 42). À une première ligne constituée d’equites Dalmatae (Δαλματῶν ἵππῳ) et de vexillations d’infanterie danubiennes, Aurélien adjoint une seconde ligne comprenant la garde impériale (βασιλικοῦ τέλους), les Mauri equites (Μαυρουσία ἵππος) et les supplétifs orientaux (probablement des archers montés osrhoéniens, mais aussi des fantassins légers syro-palestiniens)62. Les cavaliers maures, soutenus par ces forces alliées, forment donc le contingent des supernumerarii equites. Cette disposition ne se révéla pas très fructueuse durant la bataille. Face à l’immense supériorité numérique de la cavalerie palmyrénienne, les cavaliers romains (de la première ligne ?) inclinèrent leurs ailes vers l’intérieur de leur propre dispositif pour éviter d’être enveloppés. Mais ils ne purent former un orbis défensif, puisque les cavaliers palmyréniens les poursuivirent rapidement et « dépassèrent leur propre ligne ». Les cavaliers romains furent alors chassés du champ de bataille et l’armée romaine ne dut son salut qu’à l’action de l’infanterie qui, ayant effectué une contremarche, forma une double phalange. Le succès de la manœuvre tint manifestement au fait que les cavaliers palmyréniens qui avaient participé à l’enveloppement n’avaient pas eu le temps de se reformer et erraient dispersés sur le champ de bataille63. 61 Cf. supra, n. 55. Sur le rôle des globi / drungi lors des manœuvres d’encerclement, cf. Veg., Mil., III, 19, 2-3 et RANCE (2004a), 97-8. Pour contrer ce type d’attaques mobiles, Végèce (Mil., III, 19, 9-10) recommande de détacher contre l’ennemi un globus plus nombreux et plus fort, qui ne peut correspondre qu’à la réserve formée par les equites supernumerarii stationnés en deuxième ligne. 62 Zos., I, 52, 3-4 (trad. F. Paschoud modifiée) : « lorsque l’empereur vit rassemblée dans la plaine devant Emèse l’armée des Palmyréniens, forte de soixante-dix mille hommes, formée de soldats originaires de Palmyre même et d’autres qui avaient décidé de participer à leur expédition, il campa en face d’elle avec la cavalerie dalmate, les Mésiens et les Pannoniens (ἀντεστρατοπεδεύετο τῇ τε Δαλματῶν ἵππῳ καὶ Μυσοῖς καὶ Παίοσιν), ainsi qu’avec les troupes du Norique et les Rètes, qui constituent les corps de troupe celtiques (καὶ ἔτι γε Νωρικοῖς καὶ Ῥαιτοῖς, ἅπερ ἐστὶ Κελτικὰ τάγματα). Il y avait auprès d’eux (Ἦσαν δὲ πρὸς τούτοις) les unités de la garde impériale (οἱ τοῦ βασιλικοῦ τέλους), choisies parmi tous par ordre de mérite et qui sont les plus remarquables de toutes ; avec elles fut aussi mise en ligne la cavalerie maure (συνετέτακτο δὲ καὶ ἡ Μαυρουσία ἵππος αὐτοῖς) et, parmi les troupes d’Asie, les forces fournies par Tyane et certaines unités particulièrement courageuses de Mésopotamie, de Syrie, de Phénicie et de Palestine ; les Palestiniens portaient avec eux, en plus de leurs autres armes, des bâtons et des massues. » 63 Ibid., I, 53, 1-2 (trad. F. Paschoud modifiée) : « Lorsque les armées s’engagèrent, la cavalerie romaine jugea bon de se replier en partie (ἔδοξεν ἡ τῶν Ῥωμαίων ἵππος κατά τι μέρος ἐκκλίνειν), pour éviter que l’armée romaine ne soit d’une manière ou d’une autre encerclée (ὡς ἂν μὴ… τὸ Ῥωμαίων στρατόπεδον ἐμπεσὸν ἐς κύκλωσιν) à son insu par
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Figure 42 – Reconstitution schématique de la bataille d’Émèse (272 ap. J.-C.).
Il existe des variantes de cet ordre de bataille classique. L’une d’entre elles, le cuneus, consiste à placer les ailes de cavalerie en retrait par rapport au corps principal de fantassins, de façon à prévenir les tentatives la multitude des cavaliers palmyréniens qui étaient supérieurs en nombre et chevauchaient autour d’elle (περιιππαζομένων) ; or, les cavaliers palmyréniens poursuivirent ceux qui se repliaient (τῶν τοίνυν Παλμυρηνῶν ἱππέων τοὺς ἐκκλίναντας διωκόντων) et ainsi débordèrent de leur propre ligne (καὶ ταύτῃ τὴν τάξιν τὴν οἰκείαν παρεξελθόντων), si bien que le plan des cavaliers romains alla à fin contraire. Ils furent en réalité mis en fuite car ils étaient de beaucoup inférieurs à leurs ennemis (ἐδιώκοντο γὰρ τῷ ὄντι πολὺ τῶν πολεμίων ἐλασσωθέντες). Comme ils tombèrent pour la plupart, il s’ensuivit que tout le poids du combat reposa désormais sur les fantassins ; lorsque ceux-ci virent que l’ordre de bataille des Palmyréniens avait éclaté (τάξιν τοῖς Παλμυρηνοῖς διαρραγεῖσαν) du fait que leurs cavaliers étaient occupés à la poursuite (ἰδόντες ἐκ τοῦ τοὺς ἱππέας τῇ διώξει σχολάσαι), opérant une conversion (συστραφέντες), ils tombèrent sur eux (ἐπέθεντο) alors qu’ils étaient sans aucun ordre et dispersés (ἀτάκτοις αὐτοῖς καὶ ἐσκεδασμένοις) ; il en résulta un grand massacre. » Les phases de cet affrontement rappellent beaucoup celles de la bataille de Ruspina (cf. supra, p. 155-6). Aurélien chercha probablement à appliquer la même solution tactique que César, mais il y parvint avec moins de succès et sans le concours de la cavalerie, qui fut mise en fuite avant la formation de la double phalange. Le mécanisme de repli des ailes, destiné à prévenir les tentatives d’encerclement, est décrit par Veg., Mil., III, 19, 1-4 : Cauendum uel maxime, ne ab ala cornuque sinistro, quod saepius euenit, aut certe dextro, quod licet raro contingit, circumueniantur tui a multitudine hostium aut a uagantibus globis, quos dicunt drungos. Quod si acciderit, unum remedium est, ut alam cornumque replices et rotundes, quatenus conuersi tui sociorum terga defendant.
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d’encerclement de la part d’une armée supérieure en nombre64. Son contrepoint, le forfex, implique au contraire un déploiement des ailes en avant du dispositif ; la cavalerie peut ainsi envelopper plus facilement les flancs de l’armée adverse65. Enfin, l’obliqua acies consiste à refuser l’aile gauche ou l’aile droite66. Dans tous ces exemples, l’equitatus occupe les extrémités de la ligne de bataille. Une disposition différente, conseillée par Végèce lorsqu’il est possible d’appuyer un flanc contre un obstacle naturel, consiste à placer la cavalerie sur une seule aile67. D’après Ammien Marcellin, Julien adopta cet ordre lors de la bataille de Strasbourg (357)68. L’empereur décida probablement de transférer l’ensemble de sa force montée sur son aile droite lorsqu’il s’aperçut qu’à la gauche de son dispositif, un ried ne permettait pas à la cavalerie de manœuvrer efficacement69. Le renforcement de l’ala dextra est confirmé par 64 Ibid., III, 17, 7-9 : Quod si bellatorum tibi copia non abundat, melius est aciem habere breuiorem, dummodo in subsidiis conloces plurimos. Nam circa medias partes campi ex peditibus bene armatis debes habere lectissimos, de quibus cuneum facias et statim aciem hostium rumpas ; circa cornua autem de contatis loricatisque equitibus ad hoc reseruatis et leui armatura peditum alas hostium circumuenire te conuenit. D’après SCHENK (1930), 61, ce passage (de même que le chapitre 20 du livre III de l’Epitoma) pourrait être issu du traité de Caton. L’occurrence du terme contatus, attesté uniquement à l’époque tardive, rend cette hypothèse peu probable. 65 Veg., Mil., III, 20, 15-9. Végèce propose une option simple (la quatrième depugnatio : 15-7) et une option alternative (la cinquième depugnatio : 18-9) qui consiste à placer devant le centre refusé des archers et des fantassins légers pour le protéger au cas où les ailes avancées n’arriveraient pas à mettre en déroute l’ennemi. C’est peut-être précisément ce dispositif que Constantin adopta à Turin, en positionnant devant le centre de son armée des escarmoucheurs en ordre dispersé et armés de massues, afin d’intercepter la charge des clibanaires de Maxence. 66 Ibid., III, 20, 5-14. À Andrinople (378), les Romains adoptèrent ce dispositif car, lors du passage de l’ordre de marche à l’ordre de bataille, l’aile droite qui avançait en tête de colonne se déploya et engagea l’ennemi avant l’arrivée de l’aile gauche qui mit du temps à se réunir. 67 Ibid., III, 20, 24-6. 68 Sur cette bataille : DELBRÜCK (1902, 1990 trad. angl.), 261-8 ; ELTON (1996), 2556 ; NICASIE (1998), 219-33. Sur la localisation du champ de bataille, cf. HATT & SCHWARTZ (1964) : à proximité du village de Oberhausbergen. 69 Amm., XVI, 12, 21 : equitatum omnem a dextro latere. Durant la marche, la cavalerie était encore rangée sur les deux latera de l’armée (Id., XVI, 12, 7), et peu de temps avant l’affrontement, Libanios affirme qu’« il fut décidé que la cavalerie serait postée sur chaque flanc, avec l’infanterie au centre » (Lib., Or., 18, 54 : καὶ ἐδόκει δεῖν κέρας μὲν ἑκάτερον τοὺς ἱππέας ἔχειν, τὸ μέσον δὲ εἶναι τῶν ὁπλιτῶν). La nature du terrain permettait en fait aux Romains de protéger leur aile gauche sans avoir à y déployer de troupes montées : Libanios signale la présence d’une « conduite d’eau » (ὀχετῷ) et de « roseaux » (καλάμων) à cette extrémité de l’acies (ibid., 56). Amm., XVI, 12, 27 parle de fossae. Il est exclu que des cavaliers aient pu opérer dans un tel « terrain marécageux » (ὑδρηλὸν τὸ χωρίον). Libanios omet donc probablement de signaler le transfert des escadrons de l’aile gauche vers la droite au cours de la dernière marche d’approche.
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Libanios, qui affirme que les meilleurs soldats des deux armes (infanterie et cavalerie) se trouvaient à cet endroit de l’acies avec l’empereur70. L’ordre de bataille de Julien devait donc ressembler à celui de César à Pharsale : à la droite de l’armée, une première ligne de cavalerie précédait une réserve de fantassins. Cela permet de comprendre plus facilement pourquoi les escadrons romains de l’aile droite, lorsqu’ils furent culbutés par les Alamans au cours de la bataille, cherchèrent à se réfugier in gremio legionum71: ils se dirigèrent probablement vers les intervalles que l’infanterie avait ouverts à cet effet. Nous retrouvons ici le mode de coopération classique entre escadrons de cavalerie et bataillons d’infanterie, maintes fois observé sous la République et le Principat. Il est fort probable que durant la bataille de Strasbourg, le plan initial de Julien ait impliqué un déploiement de la cavalerie sur plusieurs lignes. Libanios distingue bien, dans sa description du rangement de l’aile droite, deux groupes de cavaliers : ceux qui se trouvaient immédiatement contre le flanc droit de la ligne principale des fantassins, et d’autres cavaliers qui étaient aussi à droite du dispositif, mais auxquels étaient adjoints des fantassins d’élite72. Face à l’attaque furieuse des Alamans (qui avaient préalablement mêlé des fantassins à leur cavalerie, pour rivaliser avec les puissants clibanaires de Julien73) contre le cornu dextrum, les escadrons romains se rassemblèrent74. Le verbe employé par Ammien, conturmare, est un hapax75 mais semble renvoyer à la duplicatio turmarum de Tite-Live, l’unification des lignes de cavalerie qui pouvait intervenir quand quelque chose produisait de l’effroi et poussait les soldats à réagir en convergeant au même endroit – manœuvre dont Hirtius craignait précisément l’exécution76. Cette réaction fut néfaste puisqu’elle entraîna, après une première phase d’escarmouches77, le délitement de l’aile droite : « nos cavaliers qui occupaient l’aile droite se débandèrent en désordre contre toute attente (equites nostri cornu tenentes dextrum praeter spem incondite discesserunt). Tandis que les premiers de ces fuyards (dumque primi fugientium), protégés au sein des légions (gremio legionum protecti), faisaient obstacle aux derniers (postremos impediunt), ils reprirent le combat et maintinrent leur position (fixerunt integrato proelio gradum). Mais sur ces entrefaites, pendant que 70
Cf. infra, n. 72. Amm., XVI, 12, 37. 72 Lib., Or., 18, 54 : « il fut décidé que la cavalerie serait postée sur chaque flanc, avec l’infanterie au centre et les meilleurs des deux [armes] sur la droite avec l’empereur (τοὺς δὲ ἀμείνους ἑκατέρων τούτων ἐν τῷ δεξιῷ περὶ τὸν βασιλέα). » 73 Amm., XVI, 12, 21-2. 74 Id., XVI, 12, 37 : « Cependant, à ce moment critique des combats, la cavalerie rassembla hardiment ses escadrons (Cumque in ipso proeliorum articulo eques se fortiter conturmaret). » 75 Cf. ThLL, s.v. « conturmo ». 76 Cf. Hirt., BG, VIII, 18, 4 (supra, p. 165-7). 77 Amm., XVI, 12, 37. 71
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l’on rétablissait les lignes les unes après les autres (dum ordinum restituitur series), les cuirassiers, voyant leur chef légèrement blessé et un de leurs compagnons choir par-dessus l’encolure de son cheval, accablés sous le poids des armes, s’échappèrent chacun dans la direction qu’ils purent ; et ils auraient provoqué une confusion générale en piétinant l’infanterie si cette dernière n’eût été en formation serrée, et si les soldats, étroitement attachés les uns aux autres, ne fussent demeurés inébranlables. »78. La traduction que donne Édouard Galletier de ce passage des Res gestae ne permet pas de distinguer les deux temps de la débâcle et laisse entendre que tout se déroula en un seul mouvement79. Le texte original est pourtant sans ambiguïté : 1. l’aile droite de Julien céda une première fois ; 2. un groupe de cavaliers (les premiers fuyards) parvint à se réfugier dans le giron de l’infanterie (probablement les troupes d’élite que Julien avait disposées près de lui en retrait de son ala dextra), mais les autres equites ne purent y parvenir et furent contraints de reprendre le combat ; 3. cela permit à la cavalerie de se reformer ; 4. un incident survenu lors d’un engagement impliquant un escadron de cataphractaires entraîna une réaction en chaîne qui aboutit à l’éviction complète de la cavalerie romaine du champ de bataille80.
Dans d’autres circonstances, la cavalerie pouvait être rangée en première ligne, face à la phalange des fantassins, de manière à briser l’acies ennemie par un assaut frontal direct. Dans son traité, Végèce recommande ce dispositif pour dissimuler les manœuvres de l’infanterie81. Mais il l’associe aussi, dans un autre passage, à la tactique de choc des lanciers cuirassés (catafracti equites) : « Les cavaliers cataphractes n’ont pas à craindre les blessures en raison de l’armure qu’ils portent ; mais dans la mesure où ils sont handicapés par le poids de leurs armes, ils peuvent être facilement faits prisonniers et sont souvent la cible des lassos. Ils sont meilleurs contre les fantassins dispersés que contre les cavaliers, mais postés en face des légions ou mêlés aux légionnaires, quand intervient le comminus, c’est-à-dire le corps-à-corps, ils rompent souvent la ligne ennemie. »82. 78
Id., XVI, 12, 37-8 (trad. É. Galletier modifiée). Selon CHAUVOT (2012), 76, l’ensemble de l’action fut déterminé par la mise en fuite des cataphractaires. 80 Voir Amm., XVI, 12, 41 : Proinde Alamanni pulsis disiectisque equitibus nostris primam aciem peditum incesserunt, eam abiecta resistendi animositate pulsuri. CHAUVOT (2012), 76 pense que les voltigeurs qui combattaient de concert avec la cavalerie de Chnodomaire furent à l’origine de ce mouvement de panique : « les cavaliers romains ont cru, à tort ou à raison, que la chute de deux des leurs était due à l’infiltration de fantassins ennemis ; craignant de connaître le même sort, ils se sont retirés du champ de bataille. […] l’insinuation préalable d’Ammien sur les craintes des cuirassiers conduit très intentionnellement le lecteur à privilégier cette hypothèse. » 81 Veg., Mil., III, 22, 5-6. 82 Ibid., III, 23, 3-4 : Catafracti equites propter munimina, quae gerunt, a uulneribus tuti, sed propter inpedimentum et pondus armorum capi faciles et laqueis frequenter 79
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Ce passage pose un délicat problème de Quellenforschung. On admet en effet depuis l’étude de Dankfrid Schenk que le livre III de l’Epitoma rei militaris utilise Frontin comme source principale. Ce dernier écrivait pourtant à une époque durant laquelle les unités de cavalerie cuirassées n’étaient pas répandues dans l’armée romaine83. Il n’est donc pas à exclure que Végèce se soit ici inspiré d’une source (Paternus ?) ou d’un exemplum plus récent84. De ce point de vue, la bataille de Turin (312) fournit un parallèle intéressant. Durant cet engagement, les lieutenants de Maxence disposèrent leur armée en éperon (cuneus), les flancs (subsidia) en retrait par rapport au centre (prima acies)85. Nazarius ajoute que les clibanaires – les cavaliers entièrement bardés de protections métalliques – constituaient « l’élément le plus solide » de ce dispositif, et que Constantin se les réserva86. Il insiste sur la charge impétueuse que les cuirassiers menèrent contre le centre adverse, avant d’être pris en tenaille par l’infanterie constantinienne et massacrés jusqu’au dernier87. Comme le panégyriste anonyme de 313 affirme que Constantin se chargea d’affronter la pointe du dispositif ennemi88, il faut penser que les clibanaires en obnoxii, contra dispersos pedites quam contra equites in certamine meliores, tamen aut ante legiones positi aut cum legionariis mixti, quando comminus, hoc est manu ad manum, pugnatur, acies hostium saepe rumpunt. 83 Cf. SCHENK (1930), 39-40 : Frontin serait mort en 103 et nous avons vu que la première unité de cataphractes fut probablement mise en place durant la guerre parthique de Trajan. 84 D. Schenk reconnaît lui-même que ce passage compte parmi ceux du livre III de l’Epitoma rei militaris qui ne peuvent remonter à Frontin (ibid., 43). 85 Pan. Lat., IX (XII), 6, 3 : Sed acie in cunei modum structa, descendentibus retro in altitudinem lateribus, quae, si cum prima acie auide confligeres, reflexa impeditos certamine circumirent. 86 Pan. Lat., X (IV), 23, 4 : Catafractos equites, in quibus maximum steterat pugnae robur, ipse tibi sumis. Il s’agit peut-être d’une exagération, car le panégyriste anonyme de 313 ne dit rien sur la présence de telles troupes lors de la bataille. Mais il nous semble excessif de parler d’invention rhétorique, comme le fait HARL (1996), 602-7. Une stèle funéraire trouvée à Ivrée, que G. Mennella a judicieusement rattachée au contexte de la campagne de Constantin en Italie (MENNELLA [2004], 362), mentionne en effet une uexillatio catafractariorum, cf. CIL, V, 6784 : D(is) M(anibus) / Valerius / Ienuariu[s] circito[r] / de uexilla/[ti]one catafr[a]/ctariorum. Cette unité comprenait peut-être des clibanaires, tout comme la uexillatio equitum catafractariorum clibanariorum mentionnée par une inscription de Claudiopolis à la même époque (AE, 1984, 825). Il est aussi possible qu’il s’agisse dans les deux cas d’une seule et même unité. Des transferts de troupes sont en effet intervenus à l’automne 307, lorsque Galère se rendit en Italie pour combattre Maxence : plusieurs unités de l’Auguste oriental passèrent du côté du maître de Rome (Pan. Lat., IX [XII], 3, 4 et 15, 1 ; Lact., De mort. pers., 27, 3). On ne peut exclure la présence de clibanaires parmi les transfuges (Galère disposait de ce type d’unités en Orient : Lact., De mort. pers., 40, 5). 87 Pan. Lat., X (IV), 24, 2. 88 Pan. Lat., IX (XII), 6, 4.
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constituaient la première ligne. Nous obtenons ainsi un ordre de bataille bien singulier : un cuneus dont le front-centre était garni de lanciers cuirassés89. Il est possible que Végèce se soit fondé sur cet exemple ou sur une autre occurence contemporaine pour actualiser l’inventaire des formations tactiques qu’il avait pu consulter chez Caton ou chez Frontin. On notera par ailleurs que la pratique consistant à engager des cavaliers cuirassés en première ligne, en face d’une formation d’infanterie lourde, était peut-être plus répandue qu’on le croit. Lors de la bataille de Cibalae, qui opposa les troupes de Constantin à celles de Licinius en 314, Zosime affirme que Constantin disposa sa cavalerie en avant de l’ordre de bataille : celle-ci lança une première charge (ἐμβολή) victorieuse contre l’ennemi avant de laisser le reste de l’armée constantinienne intervenir. La nature des troupes montées impliquées dans cette attaque préliminaire n’est pas précisée par Zosime, mais la présence de cavaliers lourds n’est pas à exclure90. La campagne arménienne de 371 fournit deux attestations plus sûres de ce type de dispositif. Le Pseudo-Fauste de Byzance donne un récit de la bataille de Ganzak, durant laquelle les lanciers cuirassés arméniens du sparapet Musheł Mamikonian, alliés des Romains, menèrent plusieurs charges successives contre les Perses, depuis une ligne d’infanterie lourde qui leur servait de couvert lors des
89 Peut-être le panégyriste de 313 interprète-t-il mal la finalité qui était assignée à ce dispositif tactique. Il affirme en effet que Maxence envisageait de fixer les troupes de Constantin avec son centre avancé pour permettre aux deux ailes refusées de prendre leurs adversaires en tenaille (Pan. Lat., IX [XII], 6, 3). Cette description s’accorde difficilement avec le rôle – tout sauf défensif – qui fut dévolu, selon Nazarius, aux clibanaires, ainsi qu’avec le stratagème de Constantin, qui consista à céder du terrain aux escadrons de Maxence. L’effet recherché était plutôt d’obtenir la rupture de la ligne adverse en concentrant l’assaut sur un point précis de son dispositif, avant que le reste de la phalange n’ait pu intervenir. Contra JANNIARD (2010), n. 443 : « Il est en revanche peu probable que les clibanaires aient formé la division centrale et avancée du cuneus, faute – pour des raisons évidentes de logistique – d’être en nombre suffisant pour cela. Il convient d’ajouter, pour écarter un peu plus cette seconde hypothèse, que les tacticiens mettent en garde sur le danger de placer au centre de la ligne de bataille une force active de cavalerie, dont la défaite et le repli en désordre seraient une source potentielle de confusion dans les rangs. » Nous avons pourtant vu que les sources (aussi bien narratives que techniques) rapportent de nombreux exemples de ce type d’action, et Végèce lui-même recommande un tel dispositif. Évidemment, nous ignorons combien de clibanaires servaient dans l’armée de Maxence lors de la bataille, mais il est possible que quelques escadrons de cavalerie blindée aient été intercalés parmi les bataillons d’infanterie de l’acies prima, comme le propose Végèce dans son traité. Ils pouvaient alors charger depuis cette base mobile pour impressionner l’adversaire, puis se replier en toute sécurité. 90 L’auteur anonyme de l’Origo Constantini (V, 16) mentionne la présence d’equites ferrati du côté de Licinius et affirme qu’il en mourut une partie.
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phases de repli91. Moïse de Khorène mentionne l’emploi d’une tactique en tous points similaire lors d’un engagement qui aurait eu lieu la même année dans la plaine de Tzirav (Jirov), mais qui pourrait en réalité correspondre à la bataille de Ganzak92. La présentation de la ligne d’infanterie romaine comme une « ville fortifiée » ou comme un « rempart de boucliers » montre que cette évolution tactique allait de pair avec l’adoption de l’ordre paraphalangique, qui permettait à la cavalerie lourde d’agir avec davantage d’assurance et de sécurité. Enfin, il arrivait que dans des circonstances défavorables (disposition du terrain, menace d’encerclement), la cavalerie ne puisse être déployée dans l’acies principale. Dans ce cas, les escadrons étaient placés en réserve et agissaient au moment opportun, s’ils en avaient la possibilité. À la bataille d’Issos (194), Pescennius Niger tenta ainsi de compenser l’infériorité de son armée en disposant ses troupes dans un défilé93. Le général sévérien P. Cornelius Anullinus fut dans l’impossibilité de faire participer sa cavalerie à l’assaut principal mais il retourna ce handicap 91 Ps.-Fauste, V, 5, 220-1 (trad. V. Langlois) : « un nombre considérable de légions grecques et arméniennes étaient munies et entourées de boucliers, ayant l’aspect d’une ville imprenable. Quand les Perses commencèrent à presser les troupes grecques et le corps des Arméniens armés de lances, alors ces derniers, pénétrant au milieu des légions grecques et arméniennes, s’y reposèrent protégés par leurs boucliers, comme dans une forteresse. Après s’être reposés un instant, ils sortaient et recommençaient à attaquer les Perses, en faisant un horrible carnage dans leurs rangs et en leur faisant mordre la poussière à leurs pieds. C’était toujours avec le même cri poussé au nom de leur roi Arschag que les Arméniens s’encourageaient les uns les autres, en tranchant la tête à une foule de Perses. Quand les troupes perses commencèrent à les harceler de nouveau, ils se retirèrent encore au centre des légions, comme dans un château inaccessible, et ceux-ci, écartant leurs boucliers, les accueillirent dans leurs rangs. » Sur les porte-lance arméniens, cf. ZUCKERMAN (1998b), 110-2 et JANNIARD (2005), 530-3 : le terme nizakawork‘ correspond au latin contatus (cf. Nov. Theod., V, 3) et renvoie à une catégorie lourdement cuirassée de la cavalerie arménienne. 92 Moïse de Khorène, III, 37 (trad. V. Langlois modifiée) : « La bataille fut livrée dans la plaine appelée Tzirav, où les armées se rencontrèrent. La jeunesse des braves satrapes d’Arménie, avec un élan impétueux, se lance dans la mêlée, entraînée par le commandant de la cavalerie Smbat, fils de Bakarat, de la race des Bagratides. La jeunesse perse s’avance également et se lance au milieu des lignes ennemies. Tout était dans la confusion : quand la jeunesse perse s’avançait, les nôtres aussitôt se précipitaient sur elle. De même que la tempête emporte les feuilles d’une forêt, de même les Arméniens, au galop de leurs coursiers, la lance en arrêt, couchent à terre de rigides cadavres, sans que l’ennemi ait le temps de regagner son camp. Aussi, quand les Perses voulaient entourer les nôtres, ils se garantissaient derrière les boucliers des Grecs, comme dans une ville fortifiée, pour n’éprouver aucun dommage. C’est ainsi que le prince Gorgonius, chef de l’infanterie, entoura, comme d’un rempart de boucliers, le front de Bab. » Cf. LENSKI (2002), 175 et HUGHES (2013), 102-6. 93 Sur cette bataille, cf. WHEELER (2004a), 326 ; JANNIARD (2010), 127-8 ; FAURE (2013), 55.
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à son avantage en l’envoyant contourner le dispositif adverse. L. Valerius Valerianus fut chargé de cette mission qu’il accomplit avec brio : après avoir exécuté un large mouvement enveloppant à travers les forêts qui bordaient le Golfe d’Alexandrette, la cavalerie sévérienne tomba brusquement sur les arrières de l’armée de Niger (κατὰ νώτου τοῖς Νιγρείοις αἰφνίδιον ἐπιπεσεῖν κελεύσας), forçant celle-ci à effectuer une contremarche, puis à chercher son salut dans la fuite94. Ce mouvement offensif rappelle la manœuvre conduite par Stertinius lors de la bataille d’Idistauiso (16), sur un terrain dont la topographie était d’ailleurs fort comparable95. Cependant, l’ordre paraphalangique privilégié par l’infanterie romaine renforçait l’efficacité de ce type d’attaque, car il permettait de « contenir » plus facilement l’armée ennemie, laissant tout loisir aux escadrons de se redéployer sur ses flancs ou ses arrières. La bataille de Lyon (197) pourrait en apporter la confirmation96. Durant cet affrontement qui se déroula à proximité de la capitale de la Gaule lyonnaise (les spécialistes hésitent entre le plateau de Sathonay et celui de La Duchère), Cassius Dion et Hérodien ne mentionnent que les combats qui eurent lieu sur les ailes des armées et impliquèrent principalement, sinon uniquement, des cavaliers97. Aucun indice ne permet de dire si l’infanterie 94 Cass. Dio, LXXV, 7, 2-5. L’infériorité de Niger était peut-être due à un manque de troupes montées : Onas., Str., 31, 1 recommande aux généraux de combattre dans des défilés si l’ennemi à une cavalerie plus puissante. Sur Valerius Valerianus, cf. supra, p. 268. Il était praepositus uexillationis au moment de l’expédition contre Niger mais avait commandé, juste auparavant, un détachement d’equites gentium sur le Danube. Peut-être amena-t-il ce contingent de cavaliers avec lui en Orient, tout comme Valerius Maximianus avant lui. 95 Cf. supra, p. 296. 96 Sur cette bataille, voir STEYERT (1895), 426-8 ; AUDIN (1965), 189-91 ; DAGUETGAGEY (2000), 271-2 ; LE BOHEC (2013), 55-66 et les actes du colloque « Lugdunum 197 », à paraître prochainement. 97 Cass. Dio, LXXVI (LXXV), 6, 3-8 ; Hdn, III, 7, 3-6. Les phases de l’affrontement décrites par le premier auteur – l’attaque enveloppante sur le flanc gauche d’Albinus, le stratagème du fossé et de la fausse fuite employé par l’aile droite albinienne contre les sévériens, l’intervention de Sévère (à cheval et accompagné de ses doruphoroi), la contreattaque finale de Laetus – correspondent indéniablement aux réalités du combat de cavalerie. Contra COWAN (2002), 132 qui parle d’un « battle defined by the clash of legionary and praetorian infantry ». Voir également CHIARUCCI (2006), 27-8. Le texte d’Hérodien est plus ambigu. Voir Hdn, III, 7, 3 : « dans la portion du dispositif où stationnait Sévère avec son armée (καθ’ ὃ μέρος τέτακτο ὁ Σεβῆρος καὶ ὁ σὺν αὐτῷ στρατός), la phalange de l’armée d’Albinus prit nettement l’avantage (πολύ τι ὑπερέσχεν ἡ φάλαγξ τοῦ Ἀλβίνου στρατοῦ) ». Le grec phalanx désigne habituellement une ligne d’infanterie, mais ce terme peut aussi avoir le sens générique de « formation linéaire / ordonnée » (Id., III, 6, 7) et peut parfois être employé pour qualifier une haie de cavaliers (e.g. Xen., Hipp., 4, 3 : par opposition à la formation en colonne, εἰς κέρας). Le verbe ὑπερέχω peut signifier « surpasser », « dominer », mais lorsqu’il est utilisé dans un contexte tactique, il renvoie plus précisément à la manœuvre d’enveloppement : ainsi chez Xénophon (Hell., IV, 2,
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lourde (rangée au centre ?) joua un rôle important durant la bataille, ni même si elle fut effectivement engagée. La décision finale fut emportée par l’intervention de la cavalerie sévérienne de Laetus, gardée initialement en réserve, contre l’aile droite albinienne98.
B. La cavalerie romaine à l’école de l’Iran et de la steppe ? Nous avons vu dans le développement qui précède que la cavalerie lourde apparaît fréquemment dans les armées de campagne des IIIe-IVe s. De nombreux commentateurs en ont conclu que durant cette période, les Romains cherchèrent à imiter les pratiques militaires de peuples de la steppe ou à reconvertir leur cavalerie sur le modèle iranien99. Un rapide survol de la documentation montre en effet que les unités de cavalerie « orientales » ont une place beaucoup plus visible dans les corps expéditionnaires de l’Empire tardif. Sous les Sévères, l’Osrhoène commence à fournir des unités d’élite au sacer comitatus100. Il s’agit là d’une 18 ; 20 ; 21) et chez Hérodien (IV, 15, 5 [bataille de Nisibe, 217 ap. J.-C.]). On conviendra que ce rôle n’est pas celui de fantassins lourds. 98 Cass. Dio, LXXVI (LXXV), 6, 8 ; Hdn, III, 7, 3-6. La version de Cassius Dion fait intervenir Laetus au moment où le comportement héroïque du prince a déjà fait pencher la balance en faveur de l’armée sévérienne, alors qu’Hérodien insiste bien sur le fait que c’est précisément la charge de Laetus qui fut responsable du revirement de fortune. Cette dernière version est probablement plus proche de la réalité. Le récit de Dion porte en effet la trace d’une œuvre historique antérieure, consacrée aux guerres civiles qui suivirent la mort de Commode et qui était très favorable à Sévère (Cass. Dio, LXXIII [LXXII], 23, 1 ; avec RUBIN [1980], 42-53 et 134-5). L’attentisme de Laetus est caricaturé par les auteurs anciens qui le présentent comme un opportuniste (selon Cassius Dion, il attendait qu’un des deux empereurs l’emporte sur l’autre pour intervenir en sa faveur ; selon Hérodien, il guettait de loin la mort des compétiteurs pour être libre d’usurper la pourpre). Son attitude concorde en fait avec ce que l’on attendait d’une force de réserve placée sur l’aile gauche du dispositif de bataille : attendre et intervenir au moment critique en prenant l’ennemi de flanc (voir, supra, p. 450 les recommandations de Végèce à propos des equites supernumerarii). 99 Voir entre autres VIGNERON (1968), I, 309-14 ; CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 642-3 ; BRIZZI (2002, 2004 trad. fr.), 253-6. 100 Ce royaume avait été inclus dans la nouvelle province de Mésopotamie créée par Septime Sévère, peut-être dès 195, cf. SPEIDEL [« le Jeune »] (2007). Le roi d’Édesse bénéficiait toutefois du statut de prince client et ses combattants servaient officiellement comme symmachoi dans l’armée romaine. Cf. Hdn, III, 9, 2 : « archers » fournis par Abgar d’Édesse à Septime Sévère durant sa deuxième guerre parthique en 197. Cass. Dio, LXXVIII (LXXVII), 14, 1 : « Osrhoéniens » dans l’armée de Caracalla lors de sa campagne germanique (213 ap. J.-C.). Hdn, VI, 7, 8 : « archers osrhoéniens » dans l’armée de Sévère Alexandre lors de sa campagne contre les Perses (232 ap. J.-C.). Hdn, VII, 1, 9-11 ; 2, 1 ; HA, Max., 11, 1 et 7 : « archers osrhoéniens » dans l’armée de Maximin le Thrace lors de sa campagne germanique (235 ap. J.-C.).
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nouveauté dans la mesure où les Syriens – notamment les Palmyréniens et les Éméséniens – procuraient depuis le Ier s. l’essentiel des régiments d’archers de l’Empire101. Le choix d’un nouveau bassin de recrutement pour former l’élite des equites sagittarii fut probablement motivé par la réputation d’excellence des archers cavaliers arabes, que les Parthes employaient depuis longtemps comme vassaux. Le fait qu’un Osrhoénien servit comme instructeur dans une unité de Syriens apporte un argument en faveur de cette hypothèse102. Durant les premières décennies de leur existence, les unités osrhoéniennes semblent avoir formé des contingents indépendants au sein des corps expéditionnaires romains, commandés par leur propre praepositus103. Cela n’empêchait pas les généraux romains de les utiliser en étroite coordination avec les javeliniers maures, notamment en Europe occidentale où leur puissance de feu les rendait particulièrement redoutables contre les Germains légèrement protégés104. Le succès de cette formule finit probablement par convaincre l’empereur qu’il était plus utile de les rassembler sous un commandement unifié. Le fameux Traianus Mucianus, au cours de sa riche carrière, fut ainsi placé à deux reprises à la tête d’un regroupement de pedites et equites seniores Mauri et Osrhoeni, la deuxième fois après avoir atteint le rang de préfet ducénaire de légion105. 101 Leur existence est toujours attestée au IIIe s. et même au-delà. Septime Sévère fut probablement le créateur d’une cohors I noua Surorum sag. mil. eq. (RIU, III, 865 ; règne de Caracalla) et d’une ala I Septimia Surorum (AE, 1968, 422 ; 219 ap. J.-C.). Des equites Syri sont mentionnés par la Notitia dignitatum en Bretagne (ND Occ., 7, 204). Sur les Palmyréniens, cf. SCHMIDT HEIDENREICH (2016). Outre le cas de la célèbre cohors XX Palmyrenorum sag. eq. (P. Dura, passim, notamment 56, 100 et 101 ; AE, 1940, 240 ; AE, 1948, 124), les nombreux numeri Palmyrenorum de Dacie apparaissent toujours dans la documentation au début du IIIe s., e.g. le numerus Palmyrenorum Porolissensium, pour lequel nous connaissons un cavalier : CIL, III, 803 (CIL, III, 908 et ILS, 9472 pourraient suggérer qu’à l’époque de Dèce, ce numerus avait été divisé entre une cohorte et une aile ; voir aussi AE, 1974, 565b). Le numerus Palmyrenorum présent en 216 à Coptos (IGR I, 1169) est peut-être l’ancêtre de l’ala octaua Palmyrenorum mentionnée au même endroit par la Notitia deux siècles plus tard (ND Or., 31, 49). Les Éméséniens enfin sont bien connus grâce aux témoignages laissés par la cohors I miliaria Hemesenorum sag. eq. attestée à Intercisa à partir du début des années 180. Cf. FITZ (1972) ; HAYNES (2013), 136-9. D’autres unités d’Hemeseni font leur apparition au IIIe s. : RMR, 30 = P. Mich., VII, 454, col. ii, 9 (numerus Emesenorum, Égypte) ; IK, 59, 109 = AE, 1987, 943 (equites Hemeseni, Phrygie). Cf. ZUCKERMAN (1993) et SCHARF (1997). 102 CIL, III, 10307. 103 Comme l’illustre un cursus faisant référence à une expeditio Germanica qui pourrait être celle de Maximin : cf. CIL, XI, 3104 = ILS, 2765 (Falerii / Cività Castellana) : … praeposit[o sagittar]/i(i)s Orrhoenis. Cf. WIEGELS (2014), 122, n. 99 (qui refuse cependant de trancher concernant la datation de l’inscription). 104 Hdn, VII, 2, 1. 105 IGR, I, 1496 = ILS, 9479 = AE, 1908, 259 = IGBulg., III/2, 1570. Le regroupement tactique des Osrhoeni et Mauri pourrait aussi se retrouver dans CIL, VI, 31836
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De façon plus générale, l’importance persistante des provinces orientales comme vivier de recrutement des equites sagittarii est confirmé par l’auteur de l’Histoire Auguste, qui souligne que la sécession de Palmyre déposséda l’armée romaine de ses archers sous le règne de Claude II106. Passé le IIIe s., les cavaliers archers continuent à apparaître de façon régulière dans les armées de campagne des empereurs romains. Les sources narratives attachent une importance nouvelle à ce genre de combat, qu’Ammien Marcellin qualifie de « redoutable » (formidabilis)107. L’étude de la Notitia dignitatum révèle que de nouvelles unités d’archers à cheval furent créées à l’époque tétrarchique et tout au long du IVe s., mais il serait vain de chercher à déterminer dans quelle proportion leur effectif global augmenta durant la période108. Des calculs ont été proposés, mais leurs résultats sont extrêmement incertains pour une raison que nous avons déjà évoquée précédemment : limiter l’inventaire aux unités dont la nomenclature officielle fait apparaître la mention sagittariorum comporte le risque de laisser de côté bon nombre de soldats qui combattaient comme archers montés mais ne servaient pas nécessairement dans des formations de « spécialistes ». Parallèlement à ces corps d’archers, de nouvelles unités de cuirassiers voient le jour au IIIe s. L’une d’entre elles est attestée par plusieurs
([praeposito equitum Mauror(um) e]t Hosroen[or(um)]) et, indirectement, dans HA, Tr. tyr., 31, 1 (le Titus, commandant des archers osrhoéniens en Max., 11, 1-2, est ici qualifié de tribunus Maurorum). 106 HA, Claud., 7, 5 : omnes sagittarios, quod pudet dicere, Zenobia possidet. 107 Amm., XVI, 12, 7. Sur cette valorisation symbolique de l’archerie dans l’Antiquité tardive, cf. PETITJEAN (2014b). 108 On dénombre potentiellement 56 unités d’archers montés, qui se répartissent entre les différentes branches de l’armée. Scholae palatinae : schola scutariorum sagittariorum (Or., 11, 7). Vexillationes palatinae : comites sagittarii iuniores (Or., 5, 30) ; comites sagittarii Armeni (Or., 6, 31). Vexillationes comitatenses : equites sagittarii (Or., 7, 33 ; 8, 30 ; 8, 31 ; 9, 19 ; Occ., 6, 69 = 7, 188 ; 6, 70, = 7, 189 ; 6, 71 = 7, 190 ; 6, 72 = 7, 191 ; 6, 77 = 7, 195 ; 6, 84 = 7, 204) ; equites sagittarii clibanarii (Occ., 6, 67 = 7, 185) ; equites sagittarii Parthi (Occ., 6, 68 = 7, 186 ; 6, 77 = 7, 195) ; equites sagittarii Cordueni (Occ., 6, 83 = 7, 209). Cunei : cuneus equitum sagittariorum (Or., 41, 14 ; 41, 17). Equites : equites sagittarii indigenae (Or., 31, 25 ; 31, 26 ; 31, 27 ; 31, 28 ; 31, 29 ; 32, 24 ; 32, 25 ; 32, 26 ; 32, 29 ; 33, 18 ; 33, 20 ; 34, 25 ; 34, 26 ; 34, 27 ; 34, 28 ? ; 34, 29 ; 35, 20 ; 35, 21 ; 35, 22 ; 35, 23 ? ; 36, 25 ; 36, 27 ; 36, 28 ; 37, 20 ; 37 23) ; equites sagittarii (Or. 33, 21 ; 33, 22 ; 38, 11 ; 38, 12 ; Occ., 32, 32 ; 32, 35 ; 33, 38 ; 33, 44 ; 34, 17 ; 34, 21 ; 34, 32 ; 34, 33). Ce total est bien supérieur à celui des alae / cohortes sagittariorum connues pour le Haut-Empire (27 selon l’estimation – généreuse ! – de G. Renoux, cf. supra, p. 345, n. 292). Mais il convient de se garder de toute conclusion hâtive. Bizarrement, MÉA (2014), 231-2 ne dénombre que 47 unités d’archers montés dans la Notitia et en déduit que la proportion de cette catégorie de troupe diminua au cours des IIIe-IVe s.
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inscriptions : il s’agit de l’ala firma catafractaria109. Ce régiment pourrait avoir été levé par Sévère Alexandre à l’occasion de sa campagne orientale en 232110. Malgré son organisation régulière, l’ala firma catafractaria semble avoir été constituée – au moins en partie – de populations extra-provinciales. Hérodien, un auteur d’origine syrienne qui décrit à plusieurs reprises la composition du comitatus durant cette période, laisse entendre que les cataphractes de l’armée d’accompagnement étaient des transfuges, des prisonniers et des mercenaires « parthes »111. L’encadrement de l’unité était cependant confié à des provinciaux romanisés : les deux décurions de l’ala firma catafractaria dont nous connaissons l’identité, Biribam et Barsemis, étaient originaires de Mésopotamie112. L’emploi de cuirassiers mercenaires au IIIe s. trouve une confirmation dans un papyrus d’Oxyrhynque daté de l’année 267. Ce document lacunaire, enregistrant une vente d’esclave, suggère l’existence d’un numerus 109 Sur cette unité, cf. SPAUL (1994), 82-4 ; HARL (1996), 612-7 ; et en dernier lieu SCHEUERBRANDT (2006) (avec une lecture nouvelle de la stèle de Bad-Cannstatt, redatée de l’époque d’Aurélien). 110 Nous la retrouvons ainsi à Nida, en Germanie supérieure, à la fin du règne de cet empereur ou sous celui de Maximin (CIL, XIII, 7323), à Bostra, en Arabie, sous Philippe l’Arabe (CIL, III, 99 = ILS, 2771), puis à Bad-Cannstatt, en Rétie, sous Aurélien (AE, 1931, 68 [cf. AE, 2006, 931]). Elle prit probablement part à l’expédition de Maximin le Thrace en Italie (238), cf. Hdn, VIII, 1, 3 : τῶν καταφράκτων ἱππέων ἶλαι. 111 Id., VI, 7, 8 : εἴ τινες Παρθυαίων αὐτόμολοι ἢ χρήμασιν ἀναπεισθέντες ἠκολουθήκεσαν αὐτῷ βοηθήσοντες. Id., VII, 2, 1 : εἴ τινες Παρθυαίων ἢ χρήμασι πεισθέντες καὶ αὐτομολήσαντες ἢ ληφθέντες αἰχμάλωτοι Ῥωμαίοις ἐδούλευον. Aucune nouvelle unité parthe n’est attestée épigraphiquement durant cette période. L’ala firma catafractaria apparaît donc comme la meilleure candidate, même si cet argumentum e silentio ne saurait constituer une preuve en soi. On remarque en effet que dans l’ordre suivi par Hérodien dans ses descriptions du comitatus, les cataphractes cités en VIII, 1, 3 prennent la place des supplétifs parthes qui figuraient dans les livres VI et VII (ils sont mentionnés avec les javeliniers maures et les archers orientaux). Il y a donc de fortes chances pour qu’il s’agisse de la même troupe désignée sous un nom différent. 112 CIL, XIII, 7323 = ILS, 9148 (Nida / Rodelheim) : Memoriae Bi/ribam Absei (f.) dec(urionis) a[l]/ae firmae catar/act(ariae) bello desider/ati oriundo (!) ex pr/ovincia Moesopo/[ta]miae domo Rac[… CIL, III, 10307 = ILS, 2540 (Intercisa / Danaujvaros) : I(oui) O(ptimo) M(aximo) Barsemis Abbei (f.) / dec(urio) alae firmae / kataractariae / ex numero (H)os/roorum mag(ister) / coh(ortis miliariae) Hemes/(e)n(orum) d(omo) Carr(h)is… Cf. HARL (1996), 606-7 et 612. Le fait que le gentilice Aurelius n’apparaisse pas dans ces inscriptions ne peut en aucun cas permettre de déduire que les décurions en question étaient des pérégrins, comme le fait HARL (1996), 614 : ils ont très bien pu omettre cet élément de leur onomastique. On remarquera à ce titre que Barsemis est marié à une Aurelia Iulia et a deux filles prénommées Aurelia Thicimim et Aurelia Salia. Dans l’inscription de Bad-Cannstatt, datée du règne d’Aurélien (270-275), les deux cavaliers mentionnés ont la citoyenneté romaine et plusieurs indices laissent penser qu’ils furent recrutés parmi les Syriens de Pannonie inférieure, fait témoignant d’un stade ultérieur de régularisation de l’unité. Cf. SCHEUERBRANDT (2006), 301.
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ou d’une ala salaratorum peregrinorum catafractariorum113. Habituellement, le latin salariarius désigne dans l’armée romaine tout individu remplissant une fonction spéciale et temporaire, rétribuée en conséquence par des salaria, et non des stipendia réguliers. Mais Michael P. Speidel a souligné que ces salaria étaient aussi la forme de rétribution dont bénéficiaient les mercenaires enrôlés au-delà des frontières de l’Empire114. Les salariarii du numerus peregrinorum égyptien étaient donc très certainement des combattants irréguliers. Leur onomastique sémitique (Marias Barsimis, Barsimis Bassus, Rufus Abedsai) laisse supposer que l’armée romaine avait recours à des mercenaires de Mésopotamie pour former ces nouvelles unités de cataphractes, et pas nécessairement à des « Parthes » strico sensu115. Nous ignorons combien d’escadrons de ce type furent levés au cours du IIIe s. et s’ils continuèrent d’exister après l’écoulement du temps de service pour lequel leurs soldats s’étaient engagés116. 113 P. Oxy., XLI, 2951. Le vendeur, Marias Barsimis, se présente comme σαλαρᾶτος ἀριθμοῦ καταφράκτων, tandis que son père, Barsimis Bassus, est decurio / δεκαδάρχου de cette même unité qu’il qualifie d’εἴλη. Plus loin, le deuxième garant de la vente, et scripteur pour Marias, l’optio Rouphos / Rufus Abedsai, indique qu’il sert dans un ἀριθ(μὸς) τῶν σαλαράτων περεγρή[νων], très certainement la même unité que celle de Marias. Arithmos est à comprendre au sens large de « troupe », comme le confirme l’épigraphie militaire tardive avec son équivalent latin numerus (cf. supra, p. 384-5). Quant au grec eilê, il peut avoir le sens strict d’ala, tout comme il peut renvoyer à un « escadron », sans plus de précision et sans que cela n’implique l’existence d’un corps de troupe régulier. SPEIDEL (1987a), 195-8 se méprend probablement lorsqu’il avance que Barsimis était cataphracte dans une aile ordinaire de la garnison de la province d’Égypte. Son seul point de comparaison, la présence de catafractarii dans des ailes égyptiennes du IVe s., n’est plus valide dans la mesure où ZUCKERMAN (1994a) a montré qu’il s’agissait de sous-officiers et non de soldats spécialisés dans un mode de combat particulier, ce qui est le cas ici (cf. infra, p. 476). 114 SPEIDEL (1987a), 197. Cf. Amm., XXV, 6, 10. 115 Un autre papyrus égyptien daté de la même période signale la présence de cataphractes en Égypte, sans préciser quelle est leur unité de rattachement, cf. SPP, V, 99 (Hermopolis, 262-268 ap. J.-C.) : il y est question de « ceux qui sont en charge des cataphractes » (ἐπιμελητῶν καταφράκτων) et ont été envoyés à Alexandrie. 116 Un élément de réponse pourrait être apporté par les fouilles de Doura, où plusieurs témoignages de la présence de cataphractes ont été retrouvés, dont deux caparaçons et un graffite représentant un cavalier cuirassé. Comme l’état final de la garnison n’est pas connu, on peut supposer qu’une unité de mercenaires semblable à celle que nous connaissons en Égypte stationnait dans cette ville avant sa destruction par les Perses en 256. Cf. JAMES (2004), 21-5 (pour la dernière phase d’occupation de la ville) et 40-3, 129-34 (pour le graffite et les caparaçons). Nous ignorons notamment la nature du redéploiement stratégique qui a dû intervenir entre l’occupation temporaire du fort par les Perses en 252-253 et sa destruction définitive après 256. Rien ne permet donc d’affirmer, comme le fait SPEIDEL (1984b), 155, que les cataphractes de Doura étaient des soldats de la cohors XX Palmyrenorum. Le P. Dura, 97 (251 ap. J.-C.) nous fait connaître des sal[ariarii ?] dans cette unité, mais il peut très bien s’agir de contractuels recrutés au sein de l’Empire
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Dans le dernier tiers du IIIe s., les cataphractaires étaient toujours présents au sein des armées d’accompagnement117. Ils finirent même par constituer une composante notable de la cavalerie romaine, comme l’illustrent les listes de la Notitia dignitatum, dans lesquelles on ne recense pas moins de 19 unités cuirassées. Une réorganisation intervint peut-être sous Dioclétien. La cavalerie blindée était désormais composée d’equites catafractarii / clibanarii, répartis en plusieurs vexillations numérotées au sein des comitatus tétrarchiques118. Emprunté au moyen-perse, le néologisme clibanarius renvoyait plus spécifiquement aux cavaliers dont la monture était bardée de fer. Il permettait de remédier à l’imprécision du terme catafractarius, qui acquit le sens plus lâche de « cavalier cuirassé » dans l’Antiquité tardive119. L’existence de ces unités blindées est relevée par les sources narratives du IVe s. Lors de la bataille de Turin en 312, le panégyriste Nazarius décrit longuement leur charge frontale romain, pour remédier à une situation d’urgence, comme l’a bien montré MÉA (2012). Voir e.g. AE, 1993, 1596. 117 HA, Claud., 16, 2 (ex cataphractariis centum) ; Aurel., 11, 4 (equites cataphractarios octingentos) ; 24, 4 (cataphractarii milites). 118 AE, 1984, 825 (uexillatio equitum catafractariorum clibanariorum), à comparer avec CIL, V, 6784 (uexillatio catafractariorum) et AE, 1919, 18 (uexillatio XII catafractariorum). D’autres inscriptions tardives mentionnent des unités de cataphractaires sans que nous sachions quel était leur statut au sein de l’appareil militaire tardif. L’existence de clibanaires servant dans l’armée romaine à l’époque tétrarchique est confirmée par Lactance : l’apologiste chrétien, qui vivait à Nicomédie au début du IVe s., affirme que des clibanaires intervinrent à Nicée en 311, dans le cadre des persécutions lancées par Maximin Daia (Lact., De mort. pers., 40, 5 : Ac ne impetu populi de carnificum manibus raperentur, promoti militari modo instructi, clibanarii, sagittarii prosequuntur). Ils étaient, dit-il, aux ordres du gouverneur de Bithynie (ibid., 40, 1). Nous savons en outre qu’une fabrica clibanaria existait à Nicomédie : ND Or., 11, 28 (avec Lact., De mort. pers., 7, 9). Cf. EADIE (1967), 171, n. 56. 119 Cf. SPEIDEL (1984b). Selon ce dernier, tous les cavaliers lourds pouvaient être appelés catafractarii. Mais certains d’entre eux, « characterized by a more eastern, i.e. fuller type of equipment » (p. 154), étaient en plus qualifiés de clibanarii. Ceci expliquerait l’utilisation de l’expression catafractarius clibanarius, aussi bien dans les sources narratives que dans la dénomination officielle de certaines unités. Il nous semble que le vocabulaire adopté par Eutrope et Festus pour décrire la campagne de Lucullus contre Tigrane le Grand (69 av. J.-C.) confirme cette hypothèse : puisqu’à l’époque tardive à laquelle ils écrivaient, le terme cataphractus / kataphraktos, jadis employé par Salluste (Hist., IV, 64 et 66 [Maurenbrecher] : equites cataphracti) et Plutarque (Luc., 26, 7 : ἑπτακισχίλιοι καὶ μύριοι κατάφρακτοι) à propos des cuirassiers arméniens, avait acquis un sens trop lâche, ces abréviateurs n’hésitent pas à lui substituer le mot clibanarius. Cf. Eutr., VI, 9, 1 (septem milibus quingentis clibanariis) ; Festus, Brev., 15, 2 (septem milibus clibanariis). L’étymologie du latin clibanarius a donné matière à d’interminables discussions, mais aujourd’hui, la plupart des chercheurs s’accordent sur l’hypothèse de F. Rundgren, qui veut que ce néologisme soit dérivé du moyen-perse grīw-bān, « cuirasse » : RUNDGREN (1957), 49-51 ; BIVAR (1972), 277, n. 28 ; DIETHART & DINTSIS (1984), 67 ; HARL (1996), 625 ; PALME (2004), 316, n. 25 ; HUYSE (2002), 219 ; TRAINA (2005) ; ERAMO (2018).
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contre l’armée de Constantin et l’habile contremesure adoptée par ce dernier, qui consista à céder du terrain pour mieux les envelopper120. Une quarantaine d’années plus tard, Julien note la présence de nombreux cavaliers lourds à la bataille de Mursa (28 septembre 351), dans l’armée de Constance II121. Il ne précise pas s’il s’agissait de clibanaires, mais la description qu’il en donne se prête à un tel rapprochement122. Nous retrouvons à la même époque des clibanarii lors de la bataille de Strasbourg (357), qu’Ammien Marcellin décrit avec minutie dans ses Res gestae123. Tous ces témoignages fournissent des informations convergentes sur l’équipement des cuirassiers impériaux. Le cavalier porte une armure métallique entièrement couvrante, qui le dispense d’utiliser un bouclier, et manie la lance à deux mains. Il est possible que le cheval ait été également protégé par une barde, comme l’affirment Nazarius et Libanios124 – ce dernier laisse entendre que la cavalerie lourde de Constance disposait même d’un équipement plus couvrant que celui des clibanaires perses125. On se gardera, toutefois, d’accorder trop d’importance aux panégyriques dont sont issues ces descriptions. Outre que l’évocation des clibanaires devient un véritable marqueur de la majesté impériale à partir du IVe s., plusieurs indices suggèrent que la description de cette terrifiante cavalerie lourde comptait parmi les ekphraseis les plus populaires de la 120 Pan. Lat., X (IV), 22, 4-24, 7. D’après EADIE (1967), 172, leur cuisante défaite face à l’infanterie constantinienne justifierait leur disparition des sources dans les décennies qui suivent : Constantin aurait jugé inutile d’employer dans son armée une force de cavalerie qu’il était parvenu à vaincre si facilement. Nous remarquons pourtant qu’une schola scutariorum clibanariorum stationnait à Constantinople sous le règne de cet empereur (CTh., XIV, 17, 9). 121 Jul., Or., 1, 29 = 36D ; 30 = 37C-38A ; Or., 3 (2), 7 = 57C ; 9 = 60A. 122 Julien emploie l’expression θωρακοφόροι, « porteurs de cuirasse », par purisme littéraire, afin d’éviter de recourir à un terme issu du jargon militaire. On note cependant qu’Ammien Marcellin décrit exactement de la même manière l’équipement des clibanarii de l’armée de Constance II : cf. Amm., XVI, 10, 8. 123 Id., XVI, 12, 22. Peut-être aussi : XVI, 2, 5 ; 12, 7 ; 12, 38. 124 Pan. Lat., X (IV), 22, 4 : Quae enim illa fuisse dicitur species, quam atrox uisu, quam formidolosa, operimento ferri equi atque homines pariter obsaepti ! Clibanariis in exercitu nomen est. Superne hominibus tectis, equorum pectoribus demissa lorica et crurum tenus pendens sine impedimento gressus a noxa uulneris uindicabat. Lib., Or., 18, 206 : ὁ καλύψας ἱππέων σιδήρῳ σώματα Περσῶν ἀκριβέστερον, ὁ καὶ τοὺς ἵππους ὅπλοις ῥυόμενος τραυμάτων. Voir aussi Or., 59, 69-70. Dans un passage à l’authenticité historique fort douteuse, l’auteur de l’Histoire Auguste suggère que l’armement de ces clibanaires romains était le même que celui des clibanaires perses, cf. Alex., 56, 5 : Centum et uingiti milia equitum eorum [= Persae] fudimus, cataphractarios, quos illi clibanarios uocant, decem milia in bello interemimus, eorum armis nostros armauimus. 125 Cf. n. précédente.
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littérature tardo-antique126. Dans un passage qui n’a, à notre connaissance, jamais été relevé dans les études portant sur la cavalerie cuirassée, Libanios laisse entendre qu’il existait un traité spécifiquement consacré à la question127. Ce texte « sur l’armure qui rend les cavaliers invincibles » pouvait servir de modèle à des auteurs qui, à l’instar d’Héliodore, inséraient dans leurs œuvres de longues descriptions de ces cuirassiers128. Le point de vue hypercritique défendu par Ortolf Harl, qui remet en cause l’existence de semblables unités dans l’armée romaine129, nous paraît cependant très excessif : rien ne permet de dire que les housses métalliques destinées à protéger les chevaux n’étaient pas employées par les Romains – ce type d’équipement était en effet représenté sur les reliefs des colonnes de Théodose Ier (386-393/4) et d’Arcadius (402/3-421), comme le révèlent les dessins réalisés par des voyageurs européens au XVIe s., lorsque ces représentations étaient toujours visibles130. La tactique des clibanaires romains était similaire à celle des cuirassiers nomades et orientaux131. Rangés en escadrons denses, ils pouvaient 126 CAMERON (1970), 272-3 ; CRACCO RUGGINI (1976), 118 et s. ; SABBAH (1978), 3068 ; TANTILLO (1997), 360-3, n. 228 ; MALOSSE (2007). Dans l’Antiquité tardive, les basilikoi logoi destinés à faire l’éloge de l’empereur prévoyaient la description d’équipements militaires – en particulier d’équipements associés à la cavalerie –, comme le confirme le traité attribué à Ménandre le Rhéteur (éd. Spengel p. 373). 127 Lib., Or., 62, 69 parle de « celui qui a écrit sur l’armure qui rend invulnérables les cavaliers qui combattent avec elle » (ὁ περὶ τῆς σκευῆς γεγραφώς, ἣ ποιεῖ τὸν ἱππέα τὸν ὑπ’ αὐτῇ μαχόμενον ἄτρωτον). Cet auteur anonyme a vécu dans la première moitié du IVe s. puisqu’il a servi de nègre à un panégyriste, contemporain et ennemi de Libanios (ibid., 69). 128 Heliod., Aeth., IX, 15, 2-3. 129 HARL (1996), 622-3. 130 Sur ces reproductions : BECATTI (1960), 111-50 et 157-64 ; KIILERICH (1993), 54 et 57-64. Des caparaçons apparaissent clairement sur les dessins de F. Battista, conservés au Louvre et généralement associés à la colonne théodosienne (cf. BECATTI [1960], 113 et tav. 77b). Ces accessoires sont aussi visibles sur les scènes de bataille des registres supérieurs de la colonne d’Arcadius (ibid., tav. 63d) : les écailles ne sont pas directement rendues par le dessinateur M. Lorich, mais la figuration des housses est incontestable. En outre, la frise d’armes représentée sur la base de ce même monument laisse entrevoir des équipements traditionnellement attribués aux cataphractaires (ibid., tav. 74b-d : casques à visage et protections segmentées). 131 Nous ne souscrivons pas à la théorie de MIELCZAREK (1993), 10-1 (acceptée par HARL [1996], 626 ; NIKONOROV [1998], 135 ; HAUSER [2006], 297, n. 9 ; MENÉNDEZ ARGÜÍN [2011], 320 ; SORIA MOLINA [2011], 75-7 ; ID. [2012], 120-2 ; WOJNOWSKI [2012], 198) qui pense que l’emploi tactique des cataphractes (en colonnes serrées contre l’infanterie) différait de celui des clibanaires (en coin contre la cavalerie). Outre qu’elle s’appuie sur des arguments fallacieux (les clibanaires de Julien ne furent pas disposés en coin à la bataille de Strasbourg : Amm., XVI, 12, 20 fait référence à l’ordre de bataille des Alamans), cette hypothèse suppose une interprétation lexicale unitaire pour une
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être utilisés contre les troupes montées adverses et bénéficiaient alors de l’avantage que leur procurait la longueur du contus, comme le souligne Ammien Marcellin : « [les Alamans] savaient, en effet, qu’un de leurs guerriers à cheval, si habile fût-il, tenant sa bride et son bouclier, brandissant sa lance d’une seule main, est dans l’impossibilité de nuire en combat singulier à l’un de nos clibanaires bardé de fer »132. Les clibanaires pouvaient aussi être utilisés comme une force de rupture contre l’infanterie133 ; la tactique employée était alors la charge à fond : « quand ils ont heurté la ligne adverse », note Nazarius, « ils poursuivent leur attaque et, invulnérables aux blessures, ils enfoncent sans s’arrêter tout ce qui leur est opposé »134. Végèce est plus précis : « Ils sont meilleurs contre les fantassins dispersés que contre les cavaliers, mais postés en face des légions ou mêlés aux légionnaires, quand intervient le comminus, c’est-à-dire le corps-à-corps, ils rompent souvent la ligne ennemie. »135. Et Libanios d’ajouter : « porteurs d’une lance disponible pour l’une et l’autre main, ils doivent fondre sur l’ennemi sans réfléchir n’appliquant leur esprit qu’à l’action et confiant leur corps à la protection du documentation répartie sur plus de six siècles, renvoyant à des armées fort différentes. Contre l’idée d’une distinction tactique propre à la cavalerie lourde, ont notera que dans les sources d’époque romaine, le lemme cataphractus / catafractarius peut permettre de désigner, pêle-mêle, des lanciers cuirassés, des officiers subalternes ignorant l’escrime au contus (ZUCKERMAN [1994]), des fantassins lourds (Jos., BJ, V, 350), des marins (Veg., Mil., IV, 44, 3) et même des méharistes (Hdn, IV, 14, 3 ; 15, 2 ; P. Beatty. Panop., 2, l. 28-9). Par ailleurs, contrairement à ce que semble penser M. Mielczarek, les cataphractaires sont fréquemment associés à des troupes d’archers montés dans les sources (Hdn, VIII, 1, 3 ; Amm., XVI, 2, 5-8 ; 12, 7 ; XXV, 1, 13 ; 3, 4) : rien ne permet donc d’affirmer que seuls les clibanaires pouvaient agir en coordination avec ce type d’unités. 132 Amm., XVI, 12, 22 (trad. É. Galletier) : Norant enim licet prudentem ex equo bellatorem cum clibanario nostro congressum, frena retinentem et scutum, hastam una manu uibrante, tegminibus ferreis abscondito bellatori nocere non posse. 133 Dans un passage des Cestes, Julius Africanus décrit très concrètement les modalités du choc physique dans l’éventualité d’une confrontation avec des lanciers parthes, cf. Jul. Afr., Kest., I, 11, 22-6 (trad. J.-R. Vieillefond modifiée) : « Les ennemis s’avancent donc, confiants dans leur vigueur, leur rapidité et dans [la protection] du fer. Et qu’ils soient cuirassés (κατάφρακτοι) ou équipés autrement, le péril vers lequel ils se précipitent reste le même. En effet, quand se produit le choc contre notre infanterie (ἐς τοὺς πεζοὺς ἐμβολῆς), les soldats rangés en première ligne (οἳ μὲν προτεταγμένοι) soutiennent la charge (φέρουσιν τὴν ἐπιδρομήν) derrière le mur de leurs boucliers (τῷ τῶν ἀσπίδων φράγματι). » Ces propos, émanant d’un individu qui a probablement été témoin de combats contre les armées arsacides, suffisent à disqualifier toute idée d’une impossibilité du choc dans l’Antiquité. 134 Pan. Lat., X (IV), 23, 4 : cum aciem arietauerint, seruent impressionis tenorem et immunis uulnerum, quidquid oppositum, sine haesitatione perrumpant. 135 Veg., Mil., III, 23, 4 : contra dispersos pedites quam contra equites in certamine meliores, tamen aut ante legiones positi aut cum legionariis mixti, quando comminus, hoc est manu ad manum, pugnatur, acies hostium saepe rumpunt.
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fer. »136. À ce moment-là, ajoute Héliodore : « [le cavalier] se raidit et s’arc-boute pour faire une blessure plus profonde, et son élan est si impétueux qu’il transperce tout ce qu’il trouve devant lui, et souvent d’un seul coup embroche deux ennemis à la fois »137. Contrairement à ce qu’affirme Paul Vigneron, cette tactique ne condamnait pas le cuirassier à l’impuissance si la charge ne mettait pas immédiatement l’ennemi hors de combat138. Une fois parvenu au contact de l’adversaire, les cavaliers pouvaient pratiquer une escrime stationnaire avec leur lance139. Cependant, l’efficacité de leur action reposait en grande partie sur les salves préparatoires des archers montés. Ce principe est bien illustré par la bataille de Mursa (351), lors de laquelle Julien décrit l’action coordonnée des equites sagittarii et de la cavalerie blindée de Constance II (fig. 43) : « nos cavaliers accablent [les soldats de Maxence] d’une grêle de flèches en galopant à distance, et nos cuirassiers les assaillent à plusieurs reprises par des charges rapprochées, grâce à un terrain égal et uni »140. En conclusion, il nous semble donc difficile de suivre Paul Vigneron dans son appréciation négative des capacités de la cavalerie lourde sous le Bas-Empire141. Les Romains étaient parfaitement capables d’employer une tactique combinant salves préparatoires et charges de rupture, similaire à celle que les Parthes avaient jadis utilisée contre eux à la bataille de Carrhes. Cela ne les amena pas pour autant à reconsidérer 136 Lib., Or., 59, 70 (trad. P.-L. Malosse modifiée) : αἰχμὴν δὲ φέροντας, ἑκατέρας χειρὸς ἔργον, ἀπερισκέπτως τοῖς πολεμίοις ἐμπίπτειν περὶ τὸ δρᾶσαι μόνον τὸν λογισμὸν ἔχοντας, τῇ δὲ τοῦ σιδήρου φυλακῇ τὸ σῶμα πεπιστευκότας. 137 Heliod., Aeth., IX, 15, 6 (trad. J. Maillon) : αὐτοῦ δὲ ἐπιτείνοντος καὶ πρὸς τὸ σφοδρότερον τῆς τρώσεως ἀντερείδοντος, τῇ ῥύμῃ γοῦν διαπείρει πάντα τὸν ὑποπίπτοντα καὶ μιᾷ πληγῇ δύο που φέρει πολλάκις ἀναρτήσας. On reconnaîtra ici une réminiscence de Plut., Cras., 27, 2. 138 VIGNERON (1968), I, 311-2. 139 LEBEDYNSKY (2001b), 45. C’est cette escrime qu’évoque Hérodien lorsqu’il affirme qu’à la bataille de Nisibe en 217, les soldats romains étaient mis en difficulté par la longueur des lances des cataphractes parthes (Hdn, IV, 15, 2). 140 Jul., Or., 3 (2), 9 = 60A (trad. J. Bidez modifiée) : ἐπεὶ δὲ οἵ τε ἱππεῖς ἔβαλλον ἐκ τόξων πόρρωθεν ἀφιππαζόμενοι καὶ οἱ θωρακοφόροι πυκναῖς ἐπ’ αὐτοὺς ἐχρῶντο ταῖς ἐπελάσεσιν ἅτε ἐν πεδίῳ καθαρῷ. Sur l’affrontement, voir plus généralement Jul., Or., 1, 29-30 = 35D-38A ; Or., 3 (2), 7 = 57B-58A ; 9 = 59C-60B ; Zos., II, 45-53 ; Zon., XIII, 8. Peu d’études ont été consacrées à cette bataille. Cf. ŠAŠEL (1992) ; BLECKMANN (1999). 141 VIGNERON (1968), I, 312 : « Véritable résurrection des lanciers archaïques, les cuirassiers du Bas-Empire ne synchronisaient pas leur action avec celle des archers. Ils ne savaient que charger droit devant, sans s’occuper des autres éléments de l’armée. » L’auteur se fonde avant tout sur les textes de Nazarius et de Végèce (cités supra) pour parvenir à une telle conclusion. Il ignore l’exemple de la bataille de Mursa, qui contredit fondamentalement sa thèse. L’enjeu est de taille car toute la dernière partie de l’ouvrage explique la déliquescence de l’outil militaire romain en fonction de la soi-disante incapacité de l’état-major impérial à « s’adapter aux cavaleries de type iranien ».
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Figure 43 – Déploiement de l’armée de Constance II à Mursa (351 ap. J.-C.).
profondément leur doctrine d’emploi de la cavalerie. Le changement majeur intervint à une autre échelle, celle de l’organisation interne des escadrons.
C. La réforme des unités tactiques : de l’ordre mince à l’ordre profond Durant le IIIe s., des changements importants affectèrent la structure interne des unités de cavalerie. S’il est difficile de dater ces évolutions avec précision, il convient d’écarter tout de suite l’idée d’une réforme sévérienne, encore invoquée dans certaines études récentes142. Dans les premières décennies du IIIe s., les unités de cavalerie auxiliaire se composaient toujours de turmes, commandées par une hiérarchie de principales qui n’avait pas évolué depuis le Ier s. Ce ne fut que plus tard qu’une nouvelle Rangordnung fit son apparition au sein des unités de l’armée d’accompagnement143. Le grade d’exarcus se retrouve uniquement dans E.g. HANDY (2009), 179. Sur cette question : GROSSE (1920), 112 ; JONES (1973), II, 634 et III, 193-4, n. 57 ; HOFFMANN (1969), I, 79-81 ; PALME (2004), 101-5 ; ROCCO (2012), 233-6 ; SPEIDEL (2005b) ; JANNIARD (2010), 292-303. Pour M.P. Speidel (cf. sa conclusion p. 207), les 142
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les nouvelles unités post-sévériennes, à commencer par l’ala Celerum, qui en fournit la première attestation dans une inscription de Virunum datant peut-être du milieu du IIIe s.144. La graphie privilégiée est alors hexarchus, ce qui semble dénoter un emprunt au grec. Dans le jargon militaire des tacticiens, ἔξαρχος a le sens général de « chef » et peut renvoyer au responsable d’un groupe de 64 hommes comme au commandant d’une force de 2 048 hommes145. Mais il est inconcevable que l’exarque de la cavalerie romaine ait commandé de tels contingents, puisqu’il s’agissait clairement d’un sous-officier. De là, plusieurs hypothèses. Soit le terme doit être compris dans un sens très large et renvoyait à un commandement subalterne sur un nombre indéfini de soldats. Soit (h)exarchus est en réalité une contraction de ἑξάδαρχος, avec un esprit rude, ce qui rend mieux compte du H initial figurant dans l’inscription de Virunum. Nous aurions alors affaire à un commandement sur six hommes146, l’(h)exarque agissant comme chef de file dans un escadron déployé sur six rangs de profondeur, ce qui expliquerait qu’il soit parfois décrit comme contubernalis des simples equites147. Cette évolution se
nouveaux grades ne reflèteraient pas un véritable changement d’organisation, mais auraient pérennisé sous des noms différents (issus de titres plus ou moins honorifiques décernés dans l’armée d’accompagnement) des fonctions anciennes. Nous ne suivons pas cet avis et pensons au contraire que leur apparition fut liée au remodelage tactique des escadrons. 144 Ala Celerum : CIL, III, 4832 avec 11506 = ILS, 2528 (SPEIDEL [1992], 218 pour l’hypothèse de datation). Equites Dalmatae : CIL, III, 405 ; 10527 ; V, 5823 ; 7000-1 ; AE, 1938, 98. Equites stablesiani : CIL, V, 4376 ; AE, 1916, 7 ; AE, 1937, 35 ; IAq., 2858. Sans mention d’unité : CIL, V, 6998 ; XIII, 11272 ; AE, 1963, 183 ; ILIug., 1448 ; P. Oxy., XLIII, 3143 ; P. Aberd., 21. Le dernier exemple datable est de 309 ap. J.-C. : Chrest. Mitt., 196 (equites promoti de la legio III Diocletiana). 145 E.g. Ael., Tact., 9, 2 ; Arr., Tact., 10, 1 et 5. 146 Xen., Cyr., III, 3, 11 et VIII, 4, 30. Ce phénomène classique d’élision des syllabes faibles se retrouve à l’identique dans l’évolution du mot δεκάδαρχος (« commandant de dix hommes »), qui devient δέκαρχος chez Arrien (Acies, 22) et chez Maurice (Strat., passim). Le rapprochement proposé par SPEIDEL (1992) entre ce grade et le sévirat des chevaliers romains nous semble devoir être écarté : les seuiri equitum Romanorum n’étaient pas placés à la tête d’un groupe de six cavaliers, mais ils avaient le commandement honorifique d’une des six turmes des chevaliers romains, qui comptaient plusieurs milliers d’individus. Dans les inscriptions grecques, cette charge est rendue par ἴλαρχος (IGR, I, 622). Cf. ROSS TAYLOR (1924) et DEMOUGIN (1988), 217-43. 147 AE, 1937, 35 ; CIL, XI, 7497 (?). Voir cependant les réserves formulées par LENDON (2006), 270-1 à l’encontre d’une interprétation littérale de ce qualificatif dans la documentation épigraphique. Le gonflement du contubernium de cavalerie de trois à six soldats pourrait être confirmé par le réagencement tardif des baraques du camp de Wallsend, quartiers de la cohors IV Lingonum equitata : cf. HODGSON (2004), 147-53, fig. vi, 6 et 7.
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serait accompagnée de la disparition de la turme et des grades de décurion, de duplicarius et de sesquiplicarius148. Plusieurs inscriptions de la seconde moitié du IIIe s. montrent en effet que la hiérarchie des unités de cavalerie avait beaucoup évolué. Elle se constituait désormais des rangs suivants (par ordre croissant de prestige) : eques, circitor, (h)exarchus, bis (h)exarhcus, centurio / centenarius149. Puisque les (h)exarques menaient probablement la file au combat, les circitores faisaient peut-être office de serre-files, comme les optiones de l’époque républicaine150, mais la chose est loin d’être assurée et il n’est pas nécessaire que ce grade soit à considérer comme une taktische Charge. Pour sa part, le rang de bis (h)exarc(h)us, attesté dans une inscription très fragmentaire découverte à Beştepe (Salsouia, Roumanie)151, semble correspondre à la fonction de decanus / caput contubernii (chef de file) et apparaît sous la forme biarchus dans la documentation tardive, 148 Les stèles funéraires des cavaliers de l’ala Ulpia contariorum découvertes à Apamée sur l’Oronte permettent de situer le terminus post quem de leur disparition autour de 252 : AE, 1987, 955 ; AE, 1993, 1589-2. Notons toutefois que les décurions continuent d’exister dans les alae à l’époque tétrarchique et au IVe s. (cf. infra, p. 475-6). 149 Le témoignage le plus explicite est fourni par un ensemble fragmentaire d’inscriptions ayant appartenu au même monument (funéraire ou triomphal ?) découvert à Beştepe, en Roumanie, et datable du dernier tiers du IIIe s. : CIL, III, 14214 (24) = IGLR, 272 (cf. JANNIARD [2010], 449-50). Le texte se présente sous la forme d’une dédicace collective réalisée par les soldats d’un n(umerus) equit(um) bis lect(orum). Nous retrouvons cités, dans l’ordre hiérarchique ascendant, les grades d’eques, de circitor, d’exarcus et de bis exarcus. Les inscriptions relatives au numerus Dalmatarum de Makreš (évoquées supra, p. 381, n. 98) mentionnent les grades de circitor, d’exarque et de centurion : AE, 1937, 97, 98 et 99. 150 La première attestation de cette fonction (grade ?) remonte peut-être à l’année 233 : P. Dura, 82, 1, l. 7 et 17 (lecture incertaine) ; P. Dura, 88, l. 2. Les circitores ont déjà un rang supérieur à celui des gregarii equites (mais inférieur à celui des sesquiplicarii) et apparaissent notamment dans une liste de soldats préposés à la surveillance des enseignes. Les mentions sont plus régulières à partir de l’époque tétrarchique : CIL, III, 6292 ; CIL, V, 4100 ; 6999 ; CIL, XIII, 3457 ; 6232 ; AE, 1938, 99 ; CIL, V, 6784 ; CIL, XIII, 6239 ; ILS, 9209 ; AE, 1912, 192 ; AE, 1974, 637 ; P. Worp, 33r, l. 2 ; P. Neph., 33r, l. 22. À l’origine, les circitores étaient peut-être chargés de missions de surveillance : Veg., Mil., III, 8, 18 fait ainsi dériver ce nom du latin circumitor, « celui qui accomplit des rondes ». Un siècle et demi plus tard, Jean Lyd., De mag., I, 46, 7 donne la définition suivante : « circitores, ceux qui circulent autour des combattants et leur fournissent des armes, alors qu’ils ne savent pas encore combattre » (κιρκίτωρες, οἱ περὶ τοὺς μαχομένους περιϊόντες καὶ χορηγοῦντες ὅπλα μήπω ἐπιστάμενοι μάχεσθαι). Cette description peut éventuellement s’accorder avec une fonction de serre-file / ouragos, qui aurait consisté à veiller sur la cohésion de l’escadron en entourant ses arrières et ses flancs. En tous les cas, les circitores du IVe s. ne sauraient être considérés comme de simples écuyers chargés d’apporter leurs armes aux combattants : ils avaient un rang supérieur à celui d’eques (cf. CTh., VII, 22, 2). 151 IGLR, 272e (cf. supra, n. 149).
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peut-être dès l’époque tétrarchique152. Selon Michael P. Speidel, il s’agissait d’un titre honorifique accordé à certains exarques qui étaient remarqués pour leur courage : la dignité d’exarchus leur était attibuée une seconde fois, comme le primipilat bis pour les centurions primipiles153. Au début du IVe s., tous les exarques auraient fini par être assimilés à des bis exarques / biarques. Une possibilité alternative serait de considérer que le bis exarque remplissait dès l’origine une fonction différente de celle de l’exarque, peut-être un commandement sur deux contubernia (12 hommes ?). Par la suite, ce double contubernium aurait été assimilé à la decania de dix ou douze cavaliers, qui supplanta l’(h)exarchie et resta la norme jusqu’à l’époque de Maurice154. En l’état actuel de nos connaissances, il est impossible de trancher et ces propositions doivent rester des hypothèses. Nous pouvons cependant remarquer, sans trop nous avancer, que ce nouveau système allait dans le sens d’un accroissement de la profondeur des formations tactiques ; il permettait d’intégrer plus facilement les spécialistes de divers modes de combat au sein d’un même escadron. De la même manière que dans la phalange composite des fantassins tardifs, les premiers rangs étaient lourdement armés et combattaient à la lance, alors que les rangs postérieurs servaient comme lanciarii (javeliniers) ou
152 AE, 1951, 30 = IK, 27, 101 (Prusias ad Hypium, époque tétrarchique) : D(is) M(anibus) adgredere uiator / obiter sta(n)s et repausa(n)s perlege titulum / cuius fata et manes uitam peregerunt in / ciuitatem Prusiada Val(erius) Titianus bb(is exarchus ?) decanus / num(eri) scut(ariorum) natione Dalmata uixit annos XXXXV / militauit annos XXII / fecit memoria(m) Ursus / ex numero ipso pro fraternitate. Cf. Veg., Mil., II, 13, 6 (decanus, qui caput contubernii nominatur). Dans une autre inscription, un contubernium (symbolisé sous la forme d’un Ƶ) dresse l’épitaphe du biarque d’une schole palatine : CIL, VI, 32949 = ILCV, 502 (avec JANNIARD [2010], 295-6, n. 882). Ce parallèle suggère que le double B doit être lu bb(is exarchus) et non b(ar)b(aricatus), comme l’ont récemment soutenu plusieurs savants : SPEIDEL (1997), 234 ; GLEBA (2008), 62-3 ; SZABÓ (2016), 18-21. L’exemple de bis exarque le plus précoce se trouve dans l’inscription RIU, 1205 (Intercisa, années 260), qui offre également la première occurrence de l’abrévation BB (cf. supra, n. 53). La forme biarc(h)us apparaît peut-être dès l’époque tétrarchique : AE, 1946, 42 (Timgad, equites scutarii) ; BUZA ET AL. (2017) (Intercisa, equites Syri sagittarii). Par la suite, les attestations sont nombreuses : AE, 2010, 1299 (equites Dalmatae) ; BGU, I, 316 = Chrest. Mitt., 271, l. 5 (equites catafractarii) ; P. Oxy., LX, 4084, l. 6 ; BGU, XII, 2138, l. 3 ; BGU, XII, 2139, l. 3 ; BGU, XII, 2140, l. 5 (equites Mauri scutarii) ; Jean Lyd., De mag., I, 48, 2 et II, 19, 6. Un biarque draconarius est connu grâce à une inscription de Concordia, ce qui confirme la position de ces officiers en tête de formation : ILS, 2805. On trouve parfois la variante orthographique biercus : PETOLESCU (1985) ; AE, 1959, 289. 153 SPEIDEL (2005b), 206. 154 Maurice, Strat., I, 2 et II, 8.
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sagittarii (archers)155. La turme avait disparu au profit de la centurie et l’ordonnancement des escadrons était désormais fondé sur un principe décimal, très proche de celui que décrit Xénophon pour la cavalerie athénienne dans son Hipparque156. Les nouvelles subdivisions tactiques étaient commandées par des centenarii (commandants d’une centurie ?) et des ducenarii (commandants de deux centuries ? centenarius le plus gradé de la vexillation ?), eux-mêmes placés sous les ordres du praepositus de l’unité157. Comme une vexillation de cavalerie comprenait le plus souvent 300 soldats (cf. supra, p. 362), nous pouvons conjecturer que chaque unité se composait de trois centuries et que le modèle du tagma de cavaliers décrit par l’auteur du Stratêgikon était déjà en place à la fin du IIIe s. La hiérarchie inférieure comprenait peut-être déjà le grade de semissalis, mais celui-ci ne semble faire son apparition qu’à partir de la
155 On ne s’étonnera donc pas de retrouver le circitor d’une unité de catafractarii représenté comme un archer monté sur une stèle funéraire : CIL, XIII, 3493 ; Espérandieu, V, 3941 (Samarobriua / Amiens ; époque tétrarchique). Des equites lanciarii sont peutêtre attestés dans les cavaleries légionnaires et prétoriennes de l’époque tétrarchique. Voir la stèle d’Aurelius Gaius, qui fut ἱππ[εύς λανκ]ιάρις dans une des trois légions où il effectua son service (DREW-BEAR [1981], 104 ; contra COLOMBO [2010], 219 : « si puo ipotizzare che nella sua carriera fut ἱππεύς et λανκιάρις rappresentino due tappe consecutive ma distinte »). Voir également CIL, VI, 32965 (Rome) : eques ex numero lanciarorum (SPEIDEL [1994a], 105, et n. 136 estime qu’il s’agit d’un javelinier de la garde impériale, servant dans une unité mixte puisqu’il est question d’une schola equitum à laquelle appartenait le défunt : on pense alors aux equites promoti domini nostri, héritiers de la garde prétorienne). D’après Végèce, en plus des lanciarii et des sagittarii (cf. Mil., II, 14, 7), la cavalerie légionnaire comptait des equites loricati et contati (lanciers cuirassés) qui combattaient en première ligne : cf. Mil., II, 6, 3 ; 14, 7 ; III, 16, 1 ; 17, 9 (avec PAVKOVIČ [1991], 114-6), confirmé par l’inventaire de l’équipement d’un cavalier de la legio II Traiana en 320 (P. Col., 7, 188 : un bouclier, ὅπλον, une lance, κοντός, une cuirasse, θωράκιον). 156 Xen., Hipp., 2, 2-5. L’unité tactique de base de la cavalerie athénienne est la φυλή de cent soldats. Chaque tribu (il y en a dix en tout) fournit une φυλή commandée par un φύλαρχος. La φυλή est subdivisée en dix δεκάδες de dix hommes chacune. Chaque δεκάς est déployée en une file de dix hommes et dépend d’un δεκάδαρχος, placé en tête de file (πρωτοστάτης). Les soldats les plus expérimentés sont placés en position de serre-files (τελευταῖοι). On se souviendra que la centuria equitum était aussi l’unité tactique élémentaire de la cavalerie médio-républicaine et que les Celeres de Romulus étaient organisés en trois centuries (cf. supra, p. 41, n. 80). Or, c’est précisément dans l’ala Celerum qu’apparaît pour la première fois l’une des nouvelles Taktischen Chargen liées à l’organisation centuriale de la cavalerie tardive. Cette aile a donc peut-être servi d’unité-laboratoire dans le cadre de la mise en œuvre de réformes d’inspiration archaïsante. 157 Sur les centeniers et les ducénaires, cf. SPEIDEL (2005b), 206-7 et n. 13 et 14. Ces officiers prenaient la suite des anciens centurions. On notera que certains témoignages mentionnent des biarques centeniers / ducénaires : CIL, VI, 32949 = ILCV, 502 ; Athan., Apol. c. Ar., 76, 1. Cette association semble placer nos officiers au premier rang de la formation.
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fin du IVe s.158. Au VIe s., la Rangordnung des unités de cavalerie avait ainsi évolué pour se cristalliser autour de la séquence suivante : eques, semissalis, circitor, biarcus, centenarius, ducenarius159. Ces grades correspondaient peut-être aux fonctions de cavalier, de tétrarque, de pentarque de dékarque, d’hékatontarque et ilarque décrites par Maurice dans son Stratêgikon160. Mais encore une fois, l’équation entre rang et fonction tactique est loin d’être avérée. Par ailleurs, il convient de préciser que ces postes ne valaient que pour les nouvelles unités de cavalerie (equites, cunei equitum, uexillationes, scholae palatinae). Diagramme 1 – Déploiement hypothétique d’une vexillation de cavalerie dans la seconde moitié du IIIe s. κ ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
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β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
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β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
χ τ ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
ς ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
β ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
κ ι ι ι ι ι ε ι ι ι ι ρ
χ : tribunus / praepositus κ : centurio ς : uexillarius / signifer τ : bucinator β : bis exarchus ε : exarchus ρ : circitor ι : eques 158 Ce rang est attesté pour la première fois c. 394 ap. J.-C. : CIL, V, 8739 = ILS, 2800 = ISConcor, 47 (numerus Mattiacorum). Le poste de semissalis n’apparaît cependant pas dans l’énumération des grades de cavalerie exposée par Jérôme à la toute fin du IVe s., cf. Jer., Contra Ioh. Hierosolym., 19 : Finge aliquem tribuniciae potestatis suo uitio regradatum per singula militiae equestris officia ad tironis uocabulum deuolutum. Numquid ex tribuno statim fit tiro ? Non, sed ante primicerius, deinde senator, ducenarius, centenarius, biarchus, circitor, eques, deinde tiro. 159 Voir le dossier papyrologique relatif aux λεοντοκλιβανάριοι / leontoclibanarii (unité stationnée en Égypte entre le milieu du Ve s. et le VIe s.) : DIETHART & DINTSIS (1984) ; PALME (2004) ; ID. (2009). À la même époque, Jean Lyd., De mag., III, 2, 1 et 7, 6 cite uniquement les grades supérieurs lorsqu’il décrit la Rangordnung des unités de cavalerie (ducenarius, centenarius, biarchus). Cette hiérarchie avait aussi été adoptée par certains officiers civils comme les duciani où les agentes in rebus : Jean Lyd., De mag., III, 21, 4 ; CJ, I, 27, 2 §19-36 (534 ap. J.-C.) ; CJ, XII, 20, 3 (règne de Léon Ier). 160 Maurice, Strat., I, 3 ; I, 6 ; II, 6 ; III, 1-4 ; XII, B, 6, 3 et 9.
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Diagramme 2 – Déploiement hypothétique d’une vexillation de cavalerie au début du Ve s. κ ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
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β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
χ τ ι ι ι ι ι ι ι σ
ς ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
β ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
δ ρ ι ι ι ι ι ι ι σ
χ : tribunus κ : centenarius δ : ducenarius ς : uexillarius / draconarius τ : bucinator β : biarchus ρ : circitor σ : semissalis ι : eques
Les anciennes unités conservaient, quant à elles, une organisation spécifique, mêlant des éléments nouveaux aux héritages du passé. La cavalerie légionnaire constituait depuis longtemps un cas à part. Elle n’avait, semble-t-il, ni décurions, ni turmes sous le Haut-Empire. Sous la Tétrarchie, une refonte importante de ces unités eut lieu. L’antiqua ordinatio legionis décrite par Végèce suggère un accroissement des effectifs et la mise en place de turmes commandées par des décurions. Nous avons vu, cependant, qu’un tel modèle n’est nullement confirmé par la documentation papyrologique et épigraphique161. La hiérarchie interne des equites promoti, héritiers directs des equites legionis, contredit même formellement les informations données par l’auteur de l’Epitoma rei militaris : ces unités comprenaient en effet des ducenarii, des centurions et des exarques162. Tout porte donc à croire que la cavalerie légionnaire 161
Cf. supra, p. 373-4. Centurions : cf. P. Col., 7, 188 (320 ap. J.-C.), testament de Valerius Aion, centurion des equites promoti de la legio II Traiana (huit autres centurions sont mentionnés dans ce document – il pourrait s’agir, pour la plupart d’entre eux, d’officiers d’infanterie légionnaire). Ducenarius : AE, 1903, 291. Exarques : AE, 1946, 127 = AE, 1949, 190 ; Chrest. Mitt., 196, l. 7. Voir auss Jean Lyd., De mag., III, 2, 1 (trad. J. Schamp) : « Le corps obéissant au commandant de cavalerie était donc jadis tout entier sous les armes, et le nom qu’on lui donnait communément était celui de promoti, lequel comporte une division en quatre catégories, celle des ducenarii, des centenarii, des centurions et des biarchi » (Ἡ τοίνυν τῷ ἱππάρχῳ πειθαρχήσασα τάξις ποτὲ ἐν ὅπλοις μὲν ἦν ἅπασα· ὀνόματα δὲ αὐτῇ καθ’ ὁμαλοῦ προμῶται, ὅπερ ὄνομα εἰς τέσσαρας τέμνεται λόγους· εἰς δουκηναρίους, εἰς κεντουρίωνας, εἰς βιάρχους). 162
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avait été réformée suivant le modèle des nouvelles uexillationes equitum. Pour leur part, les cavaliers d’aile conservaient leurs anciens escadrons (turmae). L’effectif maximal de 360 cavaliers connu pour les ailes tardives laisse supposer que ces unités pouvaient comprendre jusqu’à onze turmes, chacune commandée par un décurion163. Deux nouveautés peuvent cependant être relevées. On note premièrement la disparition des duplicarii et des sesquiplicarii au profit de nouveaux sous-officiers, les catafractarii, des combattants (de première ligne ?) plus lourdement équipés que le reste des cavaliers164. Comme l’a judicieusement fait remarquer Sylvain Janniard, une évolution similaire se dessine dans l’infanterie tardive avec l’apparition des armati165. Tous les cas que nous venons d’étudier témoignent donc d’un phénomène général et uniforme : la multiplication des articulations tactiques au sein des unités montées. Cette tendance, que l’on observe aussi dans l’infanterie à la même époque, s’accompagne d’une augmentation importante des postes de sous-officiers, qui permettent d’encadrer avec plus d’efficacité un escadron dont la profondeur triple en moins d’un siècle. Le ratio principales / equites passerait ainsi de 1 pour 9 (10%) dans les ailes du Haut-Empire à 3 pour 7 (30%) dans les vexillations du IVe s. : un taux d’encadrement très élevé166. Une cause essentielle explique cette évolution : la plus grande diversité d’armement au sein des unités de cavalerie, dans lesquelles se côtoient désormais des cuirassiers, des contarii, des thuréophores et des lanceurs de traits plus légèrement armés. 163 ChLA, XIII, 660 (ala III Assyrorum, 326-329 ap. J.-C.) : 11 décurions, dont un princeps primae turmae. Cf. ZUCKERMAN (1994a), 201 et DARIS (2004), 245. Le poste de princeps apparaît également dans l’ala V Praelectorum : P. Abinn., 10, l. 12. Décurions dans d’autres ailes tardives : P. Abinn., 29, l. 2 et 25 ; 59, l. 10 ; 75, l. 10 et 23 ; 77, A, l. 2, 6 et 17 (ala V Praelectorum) ; P. Oxy., L, 3580, l. 3 (ala I Herculia) ; P. Beatty Panop., 2, l. 29 et 174 (ala II Herculia dromedariorum) ; P. Beatty Panop., 2, l. 37 et 41 (ala I Hiberorum). 164 La carrière d’un soldat nommé Sarapion a été étudiée par REA (1984) : cf. CPR, V, 13 et P. Rainer Cent., 165. Ce cavalier d’aile de la garnison de Ψῶβθις (Sosteos dans la Notice des dignités – nome Oxyrhynchite) fut promu cataphractaire sur ordre du comes et dux Aegypti en 395, devint décurion en 396, avant de se retirer de la militia en 401. ZUCKERMAN (1994a) a souligné l’ampleur du phénomène en relevant la présence de gradés portant le titre de catafractarius dans d’autres alae tardives : l’ala II Herculia dromedariorum (P. Beatty Panop., 2, l. 28), l’ala I Abasgorum (P. Giss., inv. 126r = SB, XVIII, 13852, l. 28), l’ala III Assyriorum (ChLA, XVIII, 660r, 2, l. 19) et l’ala V Praelectorum (P. Abinn., 77, B2, l. 5, 7 et 8 ; 78, 1, l. 9.). Ces ailes « réformées » ne sont pas attestées avant l’époque tétrarchique. 165 JANNIARD (2004a). 166 À titre de comparaison, voir Joly de Maizeroy, Théorie de la guerre, Lausanne, 1777, p. 176 : 13 sous-officiers dans une compagnie de 40 hommes au lendemain de la guerre de Sept Ans.
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Cette doctrine, dont nous avons relativisé le caractère novateur en soulignant la présence de spécialistes dans les escadrons du Haut-Empire, permettait de conjuguer le choc des premières lignes et la puissance de feu des rangs postérieurs. La concentration des sous-officiers en tête d’escadron révèle aussi la volonté de faire reposer l’essentiel de l’effort sur les soldats les plus aguerris, avec un risque de mortalité plus important chez les cadres mais des opportunités de promotion également plus nombreuses. CONCLUSION :
VERS UNE REVALORISATION SYMBOLIQUE DU COMBAT DE CAVALERIE
Les chapitres qui précèdent invitent à nuancer l’idée d’une évolution brutale de l’art de la guerre durant l’Antiquité tardive. Dans le monde romain, les pratiques liées au combat de cavalerie ne connaissent pas de bouleversement majeur au cours des IIIe et IVe s. Les armées expéditionnaires se composent toujours d’une écrasante majorité de fantassins et la doctrine d’emploi des troupes montées reste largement tributaire d’expériences passées, dont la mémoire écrite continue de dicter aux généraux romains la façon dont il convient d’agir en campagne ainsi que dans le cadre normé de la bataille rangée. Deux évolutions méritent toutefois d’être relevées. D’une part, dans le courant du IIIe s., les Romains abandonnent progressivement la turme d’une trentaine de soldats au profit d’une formation tactique plus massive, la centurie de cavalerie, permettant d’intégrer plus facilement, dans les files de l’escadron, les spécialistes de différents modes de combat. D’autre part, la cavalerie voit ses capacités offensives renforcées grâce à deux principaux facteurs : 1. l’adoption d’un mode de déploiement de nature phalangique dans l’infanterie, qui limite la mobilité tactique des fantassins et donne aux escadrons montés la possibilité de servir plus facilement de force de décision ; 2. l’apparition d’une cavalerie blindée (equites clibanarii), dont l’équipement permet de lancer des charges de rupture et donc de repenser en partie l’organisation de l’ordre de bataille. Encore faut-il bien insister sur le fait que la portée réelle de ces évolutions demeure difficile à évaluer. Reste l’image du cavalier. Celle-ci semble bien avoir bénéficié d’une revalorisation par rapport à la période antérieure. L’étude des représentations de l’empereur en fournit la meilleure preuve. Dans le courant du IIIe s., les successeurs des Sévères délaissent le modèle classique de
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l’empereur piéton et apparaissent de plus en plus souvent à cheval sur les monnaies. Le type au cavalier triomphant connaît un développement formidable durant la « crise »167. Deux innovations sont introduites par Claude II (268-270) : 1. le désir d’insister sur la uirtus impériale se traduit d’abord par l’accumulation des ennemis vaincus – jusqu’à trois barbares sont terrassés par le prince sur un revers monétaire168 ; 2. la composition de certains droits intègre désormais en arrière-plan un protomé chevalin169. La surenchère se poursuit sous Aurélien (270-275) avec la figuration supplémentaire d’un cavalier sur le bouclier impérial170, avant d’atteindre son apogée sous le principat de Probus171. Ce processus conduit quelques décennies plus tard au célèbre multiple d’argent de Constantin conservé au musée des Antiquités de Munich, sur lequel la figure du bellator equus est omniprésente (fig. 44)172. Au IVe s., il est donc parfaitement admis que l’exercitus populi Romani puisse s’incarner symboliquement dans l’equitatus. Et pour cause : la notion même de troupe auxiliaire a perdu son sens depuis la promulgation de la constitution antonine de 212. Plus rien ne s’oppose à ce que les cavaliers de l’armée impériale soient perçus comme des gardiens légitimes de la politeia173.
RIC, IV et V, passim ; voir MALONE (2009) et MANDERS (2012), 169-78. RIC, V.1, Claud. II, 227. 169 BASTIEN (1992-1993), 548-50. 170 E.g. RIC, V.1, Aur., 219 ; RIC, V.2, Prob., 737 et 779 ; RIC, V.2, Carin., 188. 171 RIC, V.1, Prob., 233, 283-6, 312, 446-55, 806-8, 817-9, 877-85, 889, 900, 912 (VIRTVS PROBI AVG). Les ateliers de Rome et de Ticinum vont jusqu’à faire figurer sur les revers de certaines séries une légende codée (A)EQVIT(I). Cf. KREUCHER (2003), 96-7 (avec bibliographie antérieure). Faut-il voir dans cette étrange mention une abréviation d’Equitius, le sobriquet (signum) de Probus ? Cf. Ps.-Aur. Vict., Epit., 36, 2 : Sed cum magna pars exercitus Equitium Probum, militiae peritum, legisset… On pourrait tout aussi bien lire EQVITI comme une réduction du datif equitibus, ce qui rendrait mieux compte de la variante de préfixe visible sur certaines frappes (aequiti) – bien attestée pour ce qui concerne la cavalerie (e.g. RIC, V, I, Aur., 115), mais moins évidente dans le cas d’un surnom impérial dont la graphie a plus de raisons d’être fixe. L’hypothèse du signum Equitius repose elle-même sur une base fragile puisqu’une corruption de la tradition manuscrite de l’Epitome peut très bien être alléguée. On pourrait effectivement lire : Sed cum magna pars exercitus equitum Probum, militiae peritum, legisset…, signe supplémentaire du rôle joué par les troupes montées dans l’entourage impérial à cette époque. 172 RIC, VII, Ticin., 36. 173 Cela ne signifie pas que les unités auxiliaires étaient complètement fermées aux ciues Romani sous le Haut-Empire. K. Kraft a depuis longtemps démontré que des Romains servaient déjà dans les cohortes et à plus forte raison dans les ailes au Ier s. ap. J.-C. : KRAFT (1951), 79-81. L’édit de Caracalla sanctionnait toutefois de manière spectaculaire cette évolution en remettant en cause les principes mêmes de l’ordonnancement militaire augustéen. 167 168
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Figure 44 – Multiple d’argent de l’atelier de Pavie, RIC, VII, Ticinum, 36 (315 ap. J.-C.). Crédits : © The Trustees of the British Museum. All rights reserved.
On note parallèlement que les auteurs manifestent un intérêt renouvelé pour le combat de cavalerie et l’archerie montée. Julius Africanus a beau introduire son livre consacré aux questions militaires par un éloge des hoplites grecs, il reste un Romain d’Orient passionné d’hippologie, vantant les connaissances du Scythe Syrmos et du Parthe Bardésane en matière d’archerie174. Ammien Marcellin n’hésite pas à qualifier de formidabile genus armorum les cataphractaires et les archers montés de l’armée de Constance II, ou à louer l’armorum uiriumque firmitudo des comites sagittarii de la Garde175. Pour ces écrivains comme pour d’autres (Julien, Libanios et Végèce en tête), il ne fait aucun doute que les plus grands progrès militaires de la période se constatent dans le domaine des techniques équestres et que l’imitation des pratiques « barbares » y est pour beaucoup176. L’importance nouvelle des troupes montées se retrouve logiquement dans le cérémonial impérial. En 274, lors du triomphe d’Aurélien, les cataphractaires défilent devant le reste de l’exercitus177. Cette tendance devient la norme au IVe s. et les auteurs contemporains ne manquent pas une occasion de mentionner la présence des cavaliers dans les cortèges, notamment celle des prestigieuses unités cuirassées, qui 174
Jul. Afr., Kest., I, 20, 28-9. Amm., XVI, 12, 7 et XVIII, 9, 4. 176 Cf. supra, p. 433. 177 HA, Aurel., 24, 4 : Iam populus ipse Romanus, iam uexilla collegiorum atque castrorum et catafractarii milites et opes regiae et omnis exercitus et senatus […] multum pompae addiderant. 175
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jouissent d’une faveur toute particulière178. On ne sera donc pas surpris de constater qu’au début du Ve s., les unités de cavalerie figurent en tête des listes de la Notitia dignitatum. L’empereur lui-même se doit désormais d’exceller dans les techniques de combat des cavaliers barbares. Gratien surpasse le Numide dans l’art de la fuite simulée, l’agilité de Valentinien II au galop est supérieure à celle des Huns et des Alains, Honorius est meilleur en archerie montée que les Parthes179… On mesure ici le chemin parcouru depuis la remarque nostalgique de Sénèque sur l’éducation militaire des anciens Romains qui combattaient de près ! La chasse à l’arc orientale apparaît d’ailleurs comme une propédeutique idéale à la guerre, alors que quelques siècles plus tôt, Suétone la condamnait fermement et raillait Domitien pour s’être adonné à ce loisir dans sa retraite d’Albe180. Tous ces éléments, qui sont autant d’indices d’une évolution des mentalités, préparent le véritable essor de la cavalerie dans l’Antiquité tardive, qui n’intervient pas avant la fin du IVe s. Le cavalier n’est plus un « autre guerrier », une figure marginale rejetée hors des cadres de la guerre mâle et associée à la féminité orientale. C’est désormais un héros eschatologique, champion infatigable de la lutte éternelle contre les forces du Mal, à l’image des nombreux saints cavaliers chrétiens qui, à partir du IVe s., ravissent à Arès-Mars – dieu hoplitique par excellence – sa place de patron des soldats181.
178 Amm., XVI, 10, 8 (aduentus militaire de Constance II, 357 ap. J.-C.). Voir également Claud., In Ruf., 2, 352-9 et VI cos. Hon., 570-1. 179 Éducation militaire de l’empereur en général : Lib., Or., 59, 35 (ἵππον τε ἀναβῆναι καὶ τόξον ἐντεῖναι). Gratien : Auson., Grat., 64-5. Valentinien II : Veg., Mil., III, 26, 35-8. Honorius : Claud., Fesc., 1, 2-3. Voir aussi Claud., I cos. Stil., 1, 64-8 (Stilicon meilleur cavalier que le Mède et le Parthe). De manière générale, les sources tardives insistent bien davantage sur la pratique de l’équitation et du tir à l’arc par le prince : Jul., Or., 1, 11A-C ; Amm., XVIII, 16, 9 ; Zon., XIII, 11 (Constance II) ; Claud., IV cos. Hon., 539-64 (Honorius) ; Sid. Apoll., Carm., 2, 138-55 (Anthémius) ; Id., Carm., 5, 177 et s. (Majorien). 180 Chasses impériales tardives : Amm., XXXI, 10, 19 ; Claud., Fesc., 1. 10-5 ; Sid. Apoll., Carm., 2, 138-55 ; Id., Carm., 5, 153-4. À comparer avec Suet., Dom., 19, 2-3 : Armorum nullo, sagittarum uel praecipuo studio tenebatur. Centenas uariis generis feras saepe in Albano secessu conficientem spectauere plerisque, atque etiam ex industria ita quarundam capita figentem, ut duobus ictibus quasi cornus efficeret. 181 WALTER (1989) ; ID. (2003), 21 et s. ; GROTOWSKI (2010), 74 et s.
QUATRIÈME PARTIE L’ÂGE D’OR DE LA CAVALERIE (VE-VIE S. AP. J.-C.)
CHAPITRE 1 UNE CIVILISATION MILITAIRE ÉQUESTRE
Quiconque s’intéresse à l’histoire militaire de l’État romano-byzantin ne peut échapper à l’impression de renouveau qui se dégage de la documentation et à l’idée d’un déclin de l’infanterie au profit des forces montées, devenues beaucoup plus efficaces que par le passé. Deux œuvres littéraires du VIe s. sont de ce point de vue emblématiques. D’une part, l’historien Procope de Césarée, dans ses Livres sur les guerres, la plus grande fresque narrative du début de la période byzantine, choisit délibérément de mettre en valeur la cavalerie de Justinien, dont il fait l’éloge1. D’autre part, le Stratêgikon, un traité militaire de la fin du VIe s., attribué à l’empereur Maurice (582-602), se focalise essentiellement sur le combat de cavalerie et souligne à plusieurs reprises l’influence des pratiques nomades sur l’outil militaire romain2. En se fondant sur ces deux textes, l’historien britannique Charles Oman a popularisé l’image d’une période dominée par l’arme équestre3. L’historiographie la plus récente accepte généralement cette idée et accorde une importance déterminante aux confrontations avec les nouvelles populations nomades venues d’Asie intérieure4 : les Huns, et après eux les Avars, auraient profondément bouleversé l’art de la guerre, au point de forcer leurs adversaires à s’adapter en imitant leurs pratiques pour ne pas disparaître. La multiplication des contacts avec le monde nomade et le recrutement croissant de forces supplétives permirent ainsi l’épanouissement, dans le monde romain, d’une véritable civilisation militaire équestre. Loin de triompher seulement en Occident, ce paradigme guerrier prend à la fin de l’Antiquité les contours d’un véritable « modèle eurasiatique de la guerre », car la Chine connaît au même moment des développements analogues5.
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Procop., Bell., I, 1, 12-7. Maurice, Strat., passim. OMAN (1898, 1924 2e éd.), I, chap. 2. LUTTWAK (2009, 2010, trad. fr.), chap. 1 ; JANNIARD (2015). GRAFF (2016), chap. 7.
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I – L’ÉVOLUTION DU CONTEXTE GÉOSTRATÉGIQUE ET SES CONSÉQUENCES
À l’été 395, les Huns franchissent pour la première fois le Caucase et pillent l’Orient romain6. L’attaque semble avoir eu un rayon d’action et une ampleur considérables. Les sources mentionnent en effet la présence d’envahisseurs dans plusieurs secteurs géographiques très éloignés les uns des autres : en Asie Mineure (Cappadoce, Cilicie), en Syrie, et dans les vallées du Tigre et de l’Euphrate, jusqu’à la capitale sassanide Ctésiphon. La même année, Claudien signale une incursion des Huns en Thrace7. Il n’existe malheureusement pas de grande source narrative contemporaine, comparable aux Res gestae d’Ammien Marcellin, pour nous renseigner en détail sur cet épisode8. Sa portée historique doit néanmoins être appréciée à sa juste valeur. Les attaques de 395 en Thrace et en Orient marquent en effet le retour fracassant des grands raids nomades dans l’histoire du monde méditerranéen (fig. 45).
A. L’émergence du « blitzkrieg » nomade Depuis le VIe s. av. J.-C., le Proche-Orient et l’Europe orientale avaient cessé d’être la proie de grandes invasions impliquant les pasteurs nomades du nord de l’Eurasie. Après l’installation des Scythes dans la steppe pontique, les nouveaux venus, Sarmates et Alains, ne semblent pas avoir été capables d’organiser des attaques répétées, à grande échelle, contre le territoire impérial. L’irruption des Huns dans le bassin danubien en 376 marque à cet égard une césure historique majeure. De la fin du IVe s. au début du VIIe s., l’Empire romain doit faire face aux attaques répétées de grandes hégémonies nomades, conduites par d’immenses armées de cavaliers capables de manœuvrer avec une rapidité déconcertante9. L’affirmation de ces nouvelles puissances militaires représente une menace sans précédent, comme le souligne à juste titre John Keegan dans sa grande Histoire de la guerre : 6 Sur les origines des Huns, leur ethnogénèse, les circonstances de leur arrivée dans la steppe pontique, voir LA VAISSIÈRE (2015). 7 Claud., In Ruf., II, 22-35 et 45-53 ; Soc., HE, VI, 1, 6-7 ; Soz., HE, VIII, 1, 2 ; Philost., HE, XI, 8. 8 Seules des chroniques locales gardent la mémoire de la désolation que les Huns semèrent dans leur sillage. Cf. GREATREX & GREATREX (1999). 9 Sur cette question, on consultera en dernier lieu JANNIARD (2015) (Huns) et CURTA (2016) (Avars).
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Figure 45 – Carte des principales attaques hunniques contre l’Empire romain. Source : WHIBTY (2002), 46. Crédits : © Osprey Publishing, part of Bloomsbury.
« [Ces] peuples cavaliers étaient d’une tout autre espèce. Attila avait prouvé qu’il était capable de déplacer le centre stratégique de ses offensives – le Schwerpunkt, selon la doctrine de l’état-major prussien – de l’est de la France vers le nord de l’Italie grâce à des campagnes successives, couvrant jusqu’à huit cents kilomètres et plus en un temps record et opérant le long des lignes extérieures. Aucune manœuvre stratégique de cette ampleur n’avait été entreprise ou n’avait été possible auparavant. Une pareille liberté de mouvement, à une telle échelle, était le cœur même de la révolution engendrée par la cavalerie. »10.
Cette « révolution de la cavalerie » avait pourtant des racines profondes. Elle se fondait sur deux avantages comparatifs qui caractérisaient les armées nomades depuis plus d’un millénaire : une mobilité opérationnelle extraordinaire, garantie par une remonte nombreuse et par l’endurance exceptionnelle des chevaux steppiques ; une supériorité tactique conférée par l’archerie montée, qui permettait au combattant de tuer à distance tout en évitant d’être tué. Nous retrouvons ces qualités traditionnelles des nomades steppiques associées aux Huns dans les Res gestae d’Ammien Marcellin : 10
KEEGAN (1993, 2014), 188.
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« [Les Huns] combattent parfois lorsqu’ils sont poussés à le faire, mais en engageant la bataille en groupes dispersés (cuneatim) et en poussant toutes sortes de hurlements menaçants. Et considérant qu’ils s’équipent légèrement et agissent de façon imprévisible afin de profiter d’une plus grande mobilité, ils sont fortifiés par des manœuvres de dispersion aussi soudaines que délibérées et provoquent un grand carnage par des escarmouches en ordre de bataille disséminé ; en raison de leur rapidité excessive, on ne les voit pas se jeter sur le retranchement ni piller le camp ennemi. On les dirait facilement les guerriers les plus acharnés de tous, parce qu’ils combattent de loin, en utilisant des traits garnis – avec une industrie admirable – d’os acérés en guise de pointes de flèches, puis, lorsqu’ils ont parcouru l’intervalle [entre les deux armées], au corps-à-corps avec le fer, sans égard pour leur propre vie. Pendant que leurs ennemis veillent à se garder des blessures qu’inflige la pointe de leurs épées, ils les entravent avec des lassos qu’ils font tournoyer : ayant ainsi garrotté les membres de ceux qui résistent, ils les privent de leur capacité de se déplacer à cheval ou à pied. »11.
La vélocité, l’imprévisibilité du plan de bataille, les manœuvres brusquées semblent ainsi particulièrement caractériser les Huns. Des informations concordantes sont fournies par Claudien et Zosime. Le premier insiste sur la « mobilité aigüe » des cavaliers, qui manoeuvrent « sans ordre » et « contrechargent sans qu’on s’y attende »12. Le second ajoute que les Huns ignorent comment conduire une bataille stationnaire : « ils font des circonvolutions, chargent en ligne droite puis se retirent à point nommé en tirant à l’arc du haut de leurs chevaux »13. Tous ces auteurs sont admiratifs des qualités martiales de ce peuple qui ne combat jamais à pied et ignore la guerre d’infanterie14. Pourtant, les Romains ont déjà 11 Amm., XXXI, 2, 8-9 : pugnant non numquam lacessiti sed ineuntes proelia cuneatim uariis uocibus sonantibus toruum. Utque ad pernicitatem sunt leues et repentini, ita subito de industria dispersi uigescunt, et inconposita acie cum caede uasta discurrunt, nec inuadentes uallum nec castra inimica pilantes prae nimia rapiditate cernuntur. Eoque omnium acerrimos facile dixeris bellatores, quod procul missilibus telis, acutis ossibus pro spiculorum acumine arte mira coagmentatis, et distantia percursa comminus ferro sine sui respectu confligunt, hostisque, dum mucronum noxias obseruant, contortis laciniis inligant, ut laqueatis resistentium membris equitandi uel gradiendi adimant facultatem. 12 Claud., In Ruf., I, 330-1 : acerrima nullo ordine mobilitas insperatique recursus. 13 Zos., IV, 20, 4 : μάχην μὲν σταδίαν οὔτε δυνάμενοι τὸ παράπαν οὔτε εἰδότες ἐπαγαγεῖν (πῶς γὰρ οἱ μηδὲ εἰς γῆν πῆξαι τοὺς πόδας οἷοί τε ὄντες ἑδραίως, ἀλλ’ ἐπὶ τῶν ἵππων καὶ διαιτώμενοι καὶ καθεύδοντες), περιελάσεσι δὲ καὶ ἐκδρομαῖς καὶ εὐκαίροις ἀναχωρήσεσιν, ἐκ τῶν ἵππων κατατοξεύοντες. 14 Amm., XXXI, 2, 6 (calcei […] ad pedestres parum adcommodati sunt pugnas, uerum equis prope adfixi […] et muliebriter isdem non numquam insidentes funguntur muneribus consuetis) ; Sidoine, Carm., 2, 261-6 (sic longi saepe putantur si sedeant, uix matre carens ut constitit infans, mox praebet dorsum sonipes ; cognata reare membra uiris : ita semper equo ceu fixus adhaeret rector ; cornipedum tergo gens altera fertur, haec habitat) ; Agathias, V, 18, 10 (πρὸς δὲ παρατάξεις ἐμφανεῖς οὐ μάλα
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Figure 46 – Reconstitution schématique du fonctionnement d’un arc hunnique. Source : REISINGER (2010), 58, fig. 36. Crédits : courtesy of Michaela R. Reisinger and The Silk Road House (used by permission from http://www. silkroadfoundation.org/newsletter/vol8/).
été confrontés à des armées de cavalerie très versatiles par le passé. À quel niveau se situe donc la différence ? Il y a d’abord la qualité de l’équipement, et notamment de l’arc hunnique15. Comme l’illustrent les données archéologiques disponibles à ce jour, celui-ci est de très grande dimension : les exemplaires connus mesurent entre 120 et 160 centimètres ; ils sont munis de raidisseurs en os, qui procurent à l’archer une allonge plus importante et permettent de démultiplier la force nécessaire pour armer la flèche (fig. 46). Le γεγυμνασμένους οὐδὲ ταῖς συμπλοκαῖς ἐγκαρτερεῖν παιδευθέντας) ; Maurice, Strat., XI, 2, 67-70 (καὶ ἐν καιρῷ δὲ συμβολῆς τάξις πεζικὴ συντεταγμένη, ὡς ἐναντία αὐτοῖς, καὶ ἐπὶ τῶν ἵππων οὖσι καὶ οὐκ ἀποβαίνουσι τούτων, οὐδὲ γὰρ στῆναι πεζῇ καρτεροῦσιν, ὡς συντραφέντες τοῖς ἵπποις, οὐδὲ τοῖς ποσὶν αὐτῶν ἐπιβαίνειν τῇ ἀσθενείᾳ κρατούμενοι). Contra LINDNER (1981), 5-12 qui suppose qu’après leur installation en Pannonie, les Huns se convertirent progressivement à la guerre d’infanterie. Mais il se fonde sur un argument e silentio (le fait que les sources narratives ne précisent pas toujours si les combattants nomades sont des cavaliers) et ne tient pas compte des témoignages – on ne peut plus explicites – que nous venons de citer. Il existe une exception curieuse, qui n’est pas relevée par Lindner, dans Agathias, III, 17, 5 (trad. P. Maraval) : « Les mercenaires huns appelés Sabirs avaient des détachements d’infanterie chez les Romains, pas moins de deux milles hommes. » (οἱ δὲ ἐκ τῶν Οὔννων μισθοφόροι, τῶν δὴ Σαβείρων ὀνομαζομένων, παρῆσαν γὰρ τοῖς Ῥωμαίοις ὁπλιτῶν ἀπόμοιρα οὐ πολλῷ ἐλάσσους τῶν δισχιλίων). Voir également Théophylacte, VII, 13, 8 : en 598, le khagan des Avars « rassemble son infanterie lourde » (τὸ ὁπλιτικὸν συλλεξάμενος). Mais il n’est pas à exclure que les termes ὁπλίτης / ὁπλιτικόν aient acquis le sens plus général d’« homme d’armes » / « corps d’armée » dans le courant du VIe s. 15 WERNER (1956), 46-50 ; MAENCHEN-HELFEN (1973), 221-8 ; COULSTON (1985), 242-4 ; ANKE (1998), 55-65 ; LEBEDYNSKY (2001a), 176-80 ; BÓNA (2002), 117-21 et 196-8 ; BORD & MUGG (2005), 50-8 ; HALL (2006) ; KAZANSKI (2012), 193-4.
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raidisseur supérieur est plus long, ce qui donne à l’arc un profil asymétrique particulièrement adapté à l’archerie montée. Le cavalier doit en effet pouvoir pivoter sur lui-même pour viser des cibles situées sur sa gauche ou sur sa droite, ce qui suppose de faire passer la branche inférieure de l’arme au-dessus de l’encolure du cheval. Le corps de l’arc est, pour sa part, constitué d’une âme en bois, renforcée de tendon et de corne uniquement au niveau des branches, ce qui les rend plus flexibles ; la poignée qui, à l’inverse, doit être la plus rigide possible, est munie de plusieurs renforts en os. Ces plaques réduisent la vibration des branches après la décoche et permettent d’obtenir une grande précision en tir direct à courte distance. Les arcs hunniques sont conçus pour être utilisés avec des flèches de grande taille, munies de pointes à trois ailettes, de forme losangique. Ils sont plus lourds, moins maniables que les arcs « scythes », mais procurent aussi une plus grande puissance et une portée supérieure16. Ces caractéristiques ont fait dire que la supériorité de l’archerie hunnique fut l’une des causes principales, sinon la cause déterminante des succès remportés par les Huns contre leurs ennemis durant les « grandes invasions »17. Il convient de rester prudent sur ce point. Le nom même d’arc « hunnique » utilisé par les modernes est une appellation trompeuse. Des fouilles récentes ont révélé l’existence de ce type d’arme dans des contextes archéologiques sarmates remontant à la fin du Ier s. ap. J.-C. au plus tôt, de même qu’elles ont permis la mise au jour de pointes de flèches trilobées comparables à celles évoquées plus haut18. On pense aujourd’hui que ces 16 La grande capacité vulnérante de cette arme ainsi que ses propriétés balistiques devaient inciter les Huns à privilégier le tir de précision à courte portée sur le tir parabolique à longue distance. Selon KAZANSKI (2012), 194, un carquois hunnique pouvait contenir 20 à 30 flèches (cf. tombe d’Aktöbe 2). On peut toutefois supposer que les combattants se déplaçaient avec plusieurs carquois, ou bien qu’ils pouvaient être réapprovisionnés au cours du combat, à l’instar des archers montés de Suréna lors de la bataille de Carrhes. 17 THOMPSON (1948), 59 ; HEATHER (2005), 155-7 ; LUTTWAK (2009, 2010 trad. fr.), 42. Contra JIN KIM (2013), 46-7 ; ELTON (2015), 127. 18 Cinq plaques en os ont été excavées dans une tombe située à proximité du village de Porogi, à l’ouest de l’Ukraine (région de Vinnitsa, tombe 1, cimetière 1), et datée du dernier quart du Ier s. ap. J.-C. : SIMONENKO (1995), 346 ; ID. (2001), 61. L’arc était probablement asymétrique et devait mesurer environ 120 cm. La même tombe a également livré un ensemble de flèches à pointes trilobées, en tous points comparables aux exemplaires hunniques plus tardifs. A.V. Simonenko souligne que la trouvaille de Porogi n’est pas isolée. Des tombes sarmates tardives du bassin de la Volga et de Kalmykia contenaient des artéfacts du même type, et le nombre limité d’arcs composites à raidisseurs découverts dans les contextes les plus anciens pourrait s’expliquer par des raisons d’ordre culturel ou religieux. Cf. ISTVÁNOVITS & KULSCÁR (2001), 153 : « Religion or ritual (i.e. some sort of taboo) may explain their absence from the graves. […] Although the so-called Hunnic bows with bone laths are only rarely found in burials […], judging from the large iron arrowheads appearing at the end of the 1st-beginning of the 2nd c. in South Russia, we may perhaps infer “Hunnic” bows among the Sarmatians of the Carpathian Basin as well. »
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arcs composites à raidisseurs en os et à renforts médians ont été adoptés par les Xiongnus d’Asie centrale dès les IIIe-IIe s. av. J.-C.19 avant de se répandre dans la steppe pontique à partir du Ier ap. J.-C., peut-être en lien avec la migration des Alains20. Ils ont coexisté avec l’ancien arc scythe avant de le remplacer définitivement à l’époque des « grandes invasions ». Les recherches de Jon Coulston ont par ailleurs montré que l’arc composite utilisé par les Romains sous le Haut-Empire, avec ses bras de levier et ses renforts en os, n’était pas fondamentalement différent21. Il n’en demeure pas moins que les Huns ont systématisé le recours à de grands arcs puissants, et que ces armes ont été perfectionnées par les Avars après eux, notamment grâce à l’ajout de renforts supplémentaires22.
Les Huns et les Avars ne combattent pas seulement avec des arcs. Ils emploient également des épées et des lances dans la mêlée, et se protègent, pour certains d’entre eux, avec des armures et des caparaçons23. Certains guerriers steppiques sont ainsi de véritables cavaliers polyvalents, équipés pour le combat à distance comme pour le choc24. La description d’Ammien citée plus haut suggère qu’ils pouvaient passer d’un mode de combat à l’autre en fonction des circonstances25. L’auteur du Stratêgikon affirme également que les Avars vont au combat armés d’une GORBUNOV & TISHKIN (2006) ; HALL (2006). SIMONENKO (2012), 293 ; ID. (2009, 2015 2e éd.), chap. 3. 21 COULSTON (1985), 243 : « In general, Hunnic/Qum Darya bows had two pairs of ear laths identical in every respect to those found on Roman limes sites. The only difference is that there are proportionally a greater number of longer laths (like those Roman examples from Bar Hill and London). In addition the grip of the bow was stiffened by three laths. » Dans le même sens : ISTVÁNOVITS & KULSCÁR (2001), 153. La longueur des siyât découverts sur certains sites romains soutient en effet largement la comparaison avec celle des exemplaires hunniques : 45 cm à Bar Hill (COULSTON [1985], 224) ; 37 et 40 cm à Caerleon (ibid., 228) ; 35 cm à Stockstadt (ibid., 231). Mais il est vrai que des plaques de dimensions beaucoup plus modestes sont également attestées. À Carnuntum, un dépôt a livré des raidisseurs en os mesurant de 6 à 34,5 cm (ibid., 232). 22 Arc avar : COULSTON (1985), 244 ; BORD & MUGG (2005), 63-5. Ces arcs se caractérisent par des raidisseurs plus larges au niveau des extrémités. Les exemplaires découverts mesurent entre 120 et 140 cm, et peuvent avoir jusqu’à douze plaques en os, contre sept pour les arcs hunniques. La précontrainte est plus accentuée. 23 Cf. KAZANSKI (2012), 194-5 : les épées hunniques ont une longue lame pointue et à double tranchant, permettant de frapper tant d’estoc que de taille ; les lances ont un fer à flamme triangulaire élancée. Sur les armes de combat rapproché des Avars, voir en dernier lieu CSIKY (2015) (notant en particulier l’emploi de lances à deux mains de type contus et l’apparition de sabres à un tranchant, à lame légèrement recourbée, dont l’utilisation est facilitée par la diffusion concomitante de l’étrier). Les pièces d’armure métalliques sont surtout associées aux contextes avars, qui voient notamment s’affirmer les protections lamellaires : MAENCHEN-HELFEN (1973), 241-51 ; NIKONOROV (2010), 268-70 (Huns) ; NAGY (2005), 135-48 (Avars). 24 Voir sur ce point CURTA (2008), 310-4. 25 Voir aussi la description de Chorsamantis lors du siège de Rome par les Goths (537538 ap. J.-C.), Procop., Bell., VI, 1, 21-34 : dans le même passage, ce bucellaire hunnique au service de Bélisaire combat à la lance puis avec l’arc. 19 20
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L’ÂGE D’OR DE LA CAVALERIE
lance (κοντάριον) et d’un arc (τόξον) et qu’« ils font usage des deux suivant les besoins »26. Richard Van Nort pense que cette polyvalence est à l’origine des succès tactiques remportés par les Huns, car avant eux, les peuples cavaliers de la steppe et de l’Iran auraient distingué la composante légère de la composante lourde au sein de leurs armées27. Cette affirmation est formellement contredite par plusieurs témoignages iconographiques datés des trois premiers siècles de notre ère, qui montrent que le modèle du lancier-archer lourdement protégé était déjà connu des Sarmates, des Alains et des Perses avant l’arrivée des Huns28. Chez ces derniers, l’efficacité des contophores était peut-être renforcée par l’adoption de nouvelles selles à armature en bois, munies de deux arcades enveloppantes (fig. 47), mais il est difficile de savoir si ces équipements procurent une assiette plus stable que les traditionnelles selles à cornes et s’ils doivent être perçus comme une innovation importante29. 26 Maurice, Strat., XI, 2, 24-9 : « Ils sont armés de cuirasses, d’épées, d’arcs et de lances. Au combat la plupart d’entre eux portent les deux armes, les lances suspendues sur leurs épaules et les arcs tenus dans leurs mains. Ils font usage des deux suivant les besoins. Il n’y a pas qu’eux qui portent des armures, les chevaux des hommes illustres sont couverts sur le devant par du métal ou du feutre. » (Ὁπλίζονται δὲ ζάβαις καὶ σπαθίοις τόξοις τε κονταρίοις, ὅθεν ἐν ταῖς μάχαις διπλοῦν ἄρμα οἱ πλείους αὐτῶν ἐπιφέρονται, ἐν τοῖς ὤμοις τὰ κοντάρια ἀναβαστάζοντες καὶ τὰ τόξα ἐν ταῖς χερσὶ κατέχοντες, ἀμφοτέροις κατὰ τὴν ἀπαντῶσαν χρείαν κεχρημένοι. Οὐκ αὐτοὶ δὲ μόνον ὁπλοφοροῦσιν, ἀλλὰ καὶ οἱ ἵπποι τῶν ἐμφανῶν σιδήρῳ ἢ κεντούκλοις τὰ ἔμπροσθεν μέρη σκέπονται). 27 VAN NORT (2007), 109 : « It is my contention that the Huns precipitated another military revolution by combining fire and shock in one force: the Hunnish lance-using armored horseman was equipped with a bow capable of piercing the armor of a foe. The Huns combined armored lancers with armored archers in the same formations, supported by light horse archers. » L’auteur s’appuie en particulier sur la scène de bataille figurant sur l’une des plaques en os du tumulus 2 d’Orlat (Ouzbékistan) : on y voit des cavaliers lourdement cuirassés et équipés d’arcs de type « xiongnu », de lances et d’épées. Mais la datation de cet artéfact précède certainement de plusieurs siècles la période hunnique. Voir BOPEARACHCHI & SACHS (2001) et LEBEDYNSKY (2002, 2014 2e éd.), 260, qui proposent de le rattacher au Ier s. av. J.-C. ou aux premiers siècles de notre ère (les combattants arborent des épées sino-nomades et des armures à plaques articulées, qui ressemblent à celles que l’on peut voir sur les monnaies indo-scythes du Ier s. av. J.-C.). 28 La stèle d’Artemidoros fils de Diogas, trouvée à Kertch / Panticapée et datée du Ier s. ap. J.-C., montre un contophore sarmato-bosporitain équipé d’un arc composite (ISTVÁNOVITS & KULSCÁR [2001], 154, fig. 11.11 ; voir également ibid., fig. 11.4 [vase de Kosika]). Les lanciers cuirassés des grands reliefs sassanides de Firuzabad et Naqsh-e Rostam sont aussi équipés d’arcs (MIELCZAREK [1993], 125-6, fig. 10-1). Une peinture murale de Doura Europos, datée du milieu du IIIe s. ap. J.-C., montre des cavaliers perses armés du contus et de larges carquois (JAMES [2004], 42, fig. 22). Jord., Get., 24, 126 (Halanos quoque pugna sibi pares) invite à ne pas trop exagérer les différences entre Huns et peuples steppiques antérieurs. 29 WERNER (1956), 50-3 ; LEBEDYNSKY (2001a), 197-8 ; BÓNA (2002), 126-9. Point de vue enthousiaste dans JANNIARD (2015), 259 : « Cette forme, définitivement mise au point
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491
Figure 47 – Reconstitution d’une selle hunnique en bois. Dessin de M. Petitjean, d’après un objet exposé au Musée archéologique de la ville de Strasbourg.
Les cavaleries steppiques des Ve-VIe s. ne combattent pas par hordes indistinctes mais sont dotées d’une véritable chaîne de commandement. Il existe dans les escadrons une hiérarchie d’officiers qui semble refléter le statut des individus au sein de la confédération tribale30. Cette hiérarchie, dont les détails nous échappent, est évoquée par Sozomène à propos d’un raid qui a lieu en 40831 ; elle est partiellement visible lors d’un banquet auquel assiste Priscus à la cour d’Attila en 44932 et se retrouve dans les unités de symmachoi hunniques de l’armée de Justinien (527-565). Lors de la campagne africaine de Bélisaire, en 533, Procope mentionne ainsi une formation de 600 cavaliers « massagètes », commandés par deux officiers (Sinnion et Balas)33, et évoque aussi au cours d’un affrontement un cadre subalterne chargé du commandement de « quelques hommes » (ὀλίγων δὲ ἡγούμενος ἀνδρῶν) : « cet individu tenait de ses parents et de ses ancêtres le privilège d’être le premier dans toutes les armées hunniques à pouvoir attaquer les ennemis »34. Il semble ainsi que les combattants distingués par la naissance servent préférentiellement en première ligne, ce que confirmera plus tard le missionnaire dans le dernier quart du IVe siècle ap. J.-C., fournissait une bien meilleure assise au cavalier que les selles connues jusqu’alors dans le bassin Méditerranéen et rendait le tir à cheval plus précis. » 30 JIN KIM (2013), 57-8. 31 Soz., HE, IX, 5, 4 : l’auteur évoque des « familiers » et des « commandants » (οἰκείους καὶ λοχαγοὺς) qui firent défection et rallièrent les Romains au cours de la campagne. 32 Priscus, fr. 13, 1, l. 28-50 : les λογάδες sont installés dans la salle, autour d’Attila, ἐν κόσμῳ, en fonction de leurs rangs respectifs. 33 Procop., Bell., III, 11, 12-3. Voir également Théophane, Chron., AM. 6026, 189. 34 Procop., Bell., III, 18, 13 : ἦν δέ τις ἐν τοῖς Μασσαγέταις ἀνήρ, ἀνδρίας μὲν καὶ ἰσχύος εὖ ἥκων, ὀλίγων δὲ ἡγούμενος ἀνδρῶν· οὗτος εἶχε γέρας ἐκ πατέρων τε καὶ προγόνων ἐν πᾶσι τοῖς Οὐννικοῖς στρατεύμασι πρῶτος εἰς τοὺς πολεμίους εἰσβάλλειν.
492
L’ÂGE D’OR DE LA CAVALERIE
franciscain Jean de Plan Carpin à propos des Mongols35. Toutefois, à la différence des Romains et des Perses, les Huns et les Avars privilégient les formations sans rangs ni files (cuneatim, inconposita acie, δρουγγιστὶ, κατὰ κούνας), plus faciles à manœuvrer mais peu adaptées au combat rapproché36. L’accumulation de tous ces facteurs – qualité de l’armement, discipline, hiérarchie et organisation tactique – font des guerriers nomades de l’Antiquité tardive des adversaires particulièrement redoutables sur le plan tactique. Durant la période, les sources mentionnent à plusieurs reprises la destruction de corps expéditionnaires romains par des armées hunniques ou avares37. Cependant, c’est surtout au niveau des opérations et de la « stratégie de théâtre » que les Huns et les Avars se distinguent de leurs prédécesseurs. Nous avons vu précédemment que le raid de pillage était le mode opératoire habituel des armées nomades. Ces incursions nécessitaient une grande rapidité pour être efficaces et mobilisaient généralement un nombre limité de combattants. Exceptionnellement, les effectifs pouvaient atteindre un total avoisinant la dizaine de milliers de cavaliers. Mais alors que les raids massifs d’armée de cavalerie – à l’image du raid sarmate de 69 – semblent avoir été occasionnels sous le Haut-Empire, les Huns et leurs successeurs en font un mode opératoire systématique. Un niveau de régularité extrême est atteint, comme l’illustre la liste des invasions nomades qui frappent le territoire impérial au cours des Ve et VIe s. :
35 Jean de Plan Carpin, Historia Mongolorum, VI, 4-5 : les individus les plus riches forment la cavalerie blindée des trois premiers rangs de la ligne de bataille. 36 Amm., XXXI, 2, 8-9 ; Maurice, Strat., XI, 2, 41 et 54. 37 Ainsi durant l’invasion de 447 : Marcellinus Comes (Chron., s.a. 447, 5) fait allusion à une bataille perdue par Arnegisclus contre Attila près de la rivière Utus en Dacia Ripensis, et Théophane le Confesseur (Chron., AM. 5942, 102 = Priscus, fr. 9, 4) souligne que les généraux romains furent « complètement vaincus » (ἐλαττωθέντων σφόδρα). En 493, le magister militum per Illyricum Julianus est tué à la suite d’une bataille nocturne contre des « Scythes » (Marc. Com., Chron., s.a. 493, 1). Une autre grande victoire est remportée par les Bulgares contre Aristus, magister militum per Illyricum, sur la rivière Tzurta, en 499 : 4 000 Romains (sur les 15 000 mobilisés) meurent dans la bataille (Marc. Com., Chron., s.a. 499, 1 ; sur la Tzurta, cf. CROKE [2001], 53 : un affluent de l’Hebrus / Maritza). En 570 ou 571, les Avars infligent de lourdes pertes à l’armée du comes excubitorum Tibère (Evagr., HE, V, 11 ; Men. Prot., 15, 5 ; Théophane, Chron., AM. 6066, 247). Ils remportent une nouvelle victoire en 586 contre les généraux Castus et Ansimuth en Thrace (Théophylacte, II, 11, 14-12, 4), puis en 592 contre l’armée de Priscus à Heraclea (ibid., VI, 5, 8-9) et en 598 contre l’armée de Comentiolus entre Iatrus et le Grand Balkan (ibid., VII, 13, 9-14, 9).
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493
Tableau 17 – Attaques des peuples nomades eurasiatiques contre l’Empire romain, de la fin du IVe s. à la fin du VIe s. Peuple
Année
Région(s) touchée(s)
Source(s)
Huns
395
Mésopotamie (jusqu’à Ctésiphon), Syrie (jusqu’à Antioche), Cilicie, Cappadoce, Thrace, Pannonie
Huns
397
Syrie
Huns Huns
Huns
404-405 Thrace 408 Dacia ripensis (jusqu’à Castra Martis / Kula), Thrace 422 Thrace (jusqu’aux faubourgs de Constantinople) 441-442 Thrace, Illyricum
Claud., In Ruf., II, 22-35 et 45-53 ; Jér., Ep., 77, 8 ; Soc., HE, VI, 1, 6-7 ; Soz., HE, VIII, 1, 2 ; Philost., HE, XI, 8. Cf. GREATREX & GREATREX (1999) Claud., In Eutr., I, 2524 ; II, pr. 55-6 Soz., HE, VIII, 25, 1 Soz., HE, IX, 5 ; CTh., V, 6, 3
Huns
447
Illyricum, Thrace (jusqu’à Sestos et jusqu’aux faubourgs de Constantinople)
Huns
451
Germanie I, Belgique, Lyonnaise (jusqu’à Orléans)
Huns
Theod., HE, V, 37, 4-10 ; Marc. Com., Chron., s.a. 422, 3. Cf. CROKE (1977) Priscus, fr. 6 ; Chron. Gall. 452, 130 ; Marc. Com., Chron., s.a. 441, 3 et 442, 2 ; Cassiod., Chron., 1239 ; Chron. Pasch., s.a. 442. Cf. ZUCKERMAN (1994b) Priscus, fr. 9 ; Théophane, Chron., AM. 5942 (p. 102-3) ; Chron. Gall. 452, 132 ; Marc. Com., Chron., s.a. 447, 2 et 4-5 ; Evagr., HE, I, 17 ; Chron. Pasch., s.a. 447. Cf. ZUCKERMAN (1994b) Chron. Gall. 452, 139 ; Priscus, fr. 17 et 20-1 ; Hydace, Chron., 150 ; Prosp., Chron., 1364 ; Jord., Get., 36, 184-41, 218
494
L’ÂGE D’OR DE LA CAVALERIE
Peuple
Année
Région(s) touchée(s)
Source(s)
Huns
452
Italie annonaire
Huns
466-9
Thrace
« Scythes »
493
Thrace
Bulgares
499
Illyricum, Thrace
Bulgares
502
Thrace
Huns Sabirs
515
Chron. Gall. 452, 141 ; Priscus, fr. 22 ; Hydace, Chron., 153-4 ; Prosp., Chron., 1367 ; Jord., Get., 42, 219-24 Priscus, fr. 48-9 ; Jord., Get., 53, 272-3 ; Marc. Com., Chron., s.a. 469 ; Chron. Pasch., s.a. 468 Marc. Com., Chron., s.a. 493, 1 Marc. Com., Chron., s.a. 499, 1 Marc. Com., Chron., s.a. 502, 1 Marc. Com., Chron., s.a. 515, 5 ; Malalas, XVI, 17 ; Théophane, Chron., AM. 6008 (p. 161) Marc. Com., Chron., s.a. 517
Des « cavaliers gètes » Huns Sabirs
Bulgares Bulgares
Huns
Huns
Arménie, Cappadoce (jusqu’à la Lycaonie), Galatie, Pont (jusqu’à Euchaita) 517 Illyricum, Macédoine, Thessalie, Épire (jusqu’aux Thermopyles) 531 Syria Euphratesia, Ps.-Zach., Chron., VIII, Cilicie II et Cyrrhestique 5f et IX, 6c ; Procop., (jusqu’à Antioche) Bell., I, 21, 28 ; Malalas, XVIII, 70 534 Mésie Marc. Com., Chron., s.a. 535, 3 538 Scythie, Mésie, Thrace Malalas, XVIII, 58 ; Théophane, Chron., AM. 6031 (p. 217-8) 539/540 Illyricum (de l’Adriatique Procop., Bell., II, 4, 4-5. jusqu’à Cassandreia en Cf. KISLINGER (1998) ; SARANTIS (2016), 101-8 Chalcidique) 544 Illyricum ; Thrace Procop., Bell., VII, 11, 15 (jusqu’aux faubourgs et (peut-être) II, 4, 6-11. de Constantinople) ; Cf. SARANTIS (2016), 240-7 Chersonèse de Thrace ; Asie Mineure ; Thessalie (jusqu’à l’isthme de Corinthe)
UNE CIVILISATION MILITAIRE ÉQUESTRE
Peuple
Année
Région(s) touchée(s)
Huns Koutri- 550/551 « Tout le territoire » gours situé au-delà du Danube Huns 551/552 Thrace (jusqu’à Constantinople), Macédoine (jusqu’à Thessalonique) Huns Koutri- 559 Mésie, Scythie, Thrace gours (jusqu’aux faubourgs de Constantinople), Grèce, Chersonèse de Thrace Huns 562 Thrace (jusqu’à Anastasiopolis) Huns Koutri- 569 Dalmatie gours Avars 570/571 Frontière danubienne, Thrace
Avars
584
Avars
585
Avars
586
Avars
588
Avars
595
Avars
597
Avars
598
495
Source(s) Procop., Bell., VIII, 18, 13-8 Procop., Bell., VIII, 21, 18-22 Malalas, XVIII, 129 ; Agathias, V, 11, 6-13
Malalas, XVIII, 132
Men. Prot., fr. 12, 5, l. 90-3. Evagr., HE, V, 11 ; Men. Prot., fr. 15, 5 ; Théophane, Chron., AM. 6066 (p. 247) Mésie, Thrace, Scythie Jean d’Éphèse, HE, VI, (de Singidunum à Anchia- 49 ; Théophylacte, I, 4, los) 1-4 Scythie (jusqu’à TroThéophylacte, I, 8, 10 paeum Traiani), Mésie (jusqu’à Aquae / Prahovo) Scythie, Thrace (jusqu’à Théophylacte, II, 10, Philippopolis et Andri8-17, 12 nople) Mésie, Thrace (jusqu’à Théophylacte, VI, 4, 1Heraclea-Perinthus) 6, 1 Mésie, Dalmatie Théophylacte, VII, 10, 112-8 Mésie, Scythie (jusqu’à Théophylacte, VII, 13, Tomis), Thrace 1-2 Mésie, Thrace (jusqu’à Théophylacte, VII, 13, 8Drizipera) 14, 12
Ce sont à des attaques presque continues que les Romains sont confrontés durant deux siècles. Les régions les plus durement touchées sont les provinces du Moyen et du Bas-Danube. L’Orient « asiatique » arrive en deuxième place, mais ne semble plus être la cible de grandes invasions
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L’ÂGE D’OR DE LA CAVALERIE
à l’époque de l’hégémonie avare. Face à ces ennemis nomades, l’Empire perd toute initiative stratégique : son territoire est pénétré en profondeur, ses forts et ses villes sont détruits, ses campagnes pillées, ses armées de campagne terrassées. Les armées nomades arrivent à plusieurs reprises aux portes de la nouvelle capitale impériale, Constantinople. L’amplitude géographique de certaines attaques (celles de 395, 517, 540, 558 et 584) est elle-même un indice de la grande mobilité des armées nomades. Jérôme de Stridon décrit depuis son ermitage à Bethléem la rapidité fulgurante des Huns en 395 : « Voilà que, soudain, des nouvelles se répandent de tous côtés, et l’Orient tout entier en frémit de terreur : du fond de la Méotide, entre les glaces du Tanaïs et les farouches peuplades des Massagètes, à l’endroit où, dans les rochers du Caucase, ces nations sauvages sont contenues par les remparts d’Alexandre, des essaims de Huns ont fait irruption et, volant ici et là sur leurs chevaux agiles, portent de tous côtés le carnage et l’effroi. L’armée romaine était alors absente ; des discordes civiles la retenaient en Italie. […] Inattendus, [les Huns] se trouvaient partout, gagnant de vitesse les nouvelles […]. Un bruit courait partout de bouche en bouche : ils marchaient sur Jérusalem, leur excessive convoitise de l’or les entraînant tous vers cette ville. Les murailles, négligées dans l’insouciance de la paix, étaient réparées à Antioche. Tyr, voulant se séparer de la terre ferme, regagnait son île antique. Nous-mêmes alors avons été forcés de noliser des navires, de nous tenir sur le rivage, par précaution contre l’arrivée des ennemis ; et, quoique les vents fussent déchaînés, de redouter les barbares plus que le naufrage. »38
De fait, les Romains sont démunis face à cette attaque, contre laquelle ils n’ont pas le temps de réunir et de déplacer une armée de manœuvre39. 38 Jér., Ep., 77, 8 (trad. J. Labourt) : ecce subito discurrentibus nuntiis oriens totus intremuit, ab ultima Maeotide inter glacialem Tanain et Massagetarum immanes populos, ubi Caucasi rupibus feras gentes Alexandri claustra cohibent, erupisse Hunorum examina, quae pernicibus equis huc illucque uolitantia caedis pariter ac terroris cuncta conplerent. Aberat tunc Romanus exercitus et bellis ciuilibus in Italia tenebatur. […] Insperati ubique aderant et famam celeritate uincentes […]. Consonus inter omnes rumor petere eos Hierosolymam et ob nimiam auri cupiditatem ad hanc urbem concurrere. Muri neglecti pacis incuria sarciebantur Antiochiae ; Tyrus uolens a terra abrumpere insulam quaerebat antiquam. Tunc et nos conpulsi sumus parare naues, esse in litore, aduentum hostium praecauere et saeuientibus uentis magis barbaros metuere quam naufragium. La guerre civile dont il est question dans cet extrait est celle qui oppose Stilichon à Rufin en 395. D’autres témoignages insistent sur la célérité extraordinaire des Huns : e.g. Amm., XXXI, 3, 1-8 (ictu […] ueloci) ; Max. Tur., Hom., 94 (uelocissimi equites). Ces deux exemples révèlent toutefois que les Huns progressaient beaucoup plus lentement lorsqu’ils étaient encombrés de butin. 39 À propos de l’attaque de 395, le Pseudo-Josué fustige le préfet du prétoire Rufin et le magister militum per Orientem Addaeus qui furent incapables d’arrêter l’invasion (cf. Ps.-Josué, 8). Addaeus semble même avoir ouvertement refusé d’affronter les Huns en
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Le rythme de marche des colonnes nomades peut être estimé avec une relative précision durant les évènements de 592, grâce aux informations fournies par Théophylacte Simocatta40. Après le franchissement de la Save au niveau de Sirmium, le khagan des Avars Baian détache une partie de ses troupes vers la Mésie. Cinq jours suffisent pour que cette avantgarde se déplace de Sirmium (Sremska Mitrovica) à Bononia (Vidin), c’est-à-dire pour couvrir environ 350 kilomètres si l’on retient l’itinéraire le plus direct, en passant par Viminiacum, Taliata et Dorticum. Cela fait un rythme moyen de 70 kilomètres par jour et peut-être plus, dans un territoire ennemi parsemé de forts, qu’il est impossible de contourner sur certains tronçons de l’itinéraire (notamment au niveau des Portes de Fer, enserrées entre les chaînes des Balkans et des Carpathes). Dans le Stratêgikon, l’empereur Maurice expose la clé de cette mobilité opérationnelle : « Un grand nombre de chevaux mâles et femelles les suivent, à la fois pour leur procurer de la nourriture et pour donner l’illusion de la multitude. Ils ne campent pas dans des retranchements comme le font les Perses et les Romains, mais demeurent disséminés par clans et par tribus jusqu’au jour de la bataille, leurs chevaux pâturant sans cesse, en été comme en hiver. »41.
Autrement dit, c’est parce qu’ils disposent d’une remonte très importante et de chevaux habitués à se passer de fourrage lourd que les nomades peuvent se déplacer à une allure soutenue. Cela leur permet de surprendre facilement leurs adversaires, de remporter des succès tactiques contre des armées impréparées et de s’emparer de positions fortifiées à l’improviste42. Le vocabulaire employé par les chroniqueurs et les historiens est bataille rangée alors qu’il se trouvait à Édesse avec son armée. Cf. Euphemia, 4 (éd. Burkitt p. 130-1). 40 Théophylacte, VI, 4, 6. 41 Maurice, Strat., XI, 2, 31-5 : Ἀκολουθεῖ δὲ αὐτοῖς καὶ πλῆθος ἀλόγων ἀρρένων τε καὶ θηλείων, ἅμα μὲν πρὸς ἀποτροφήν, ἅμα δὲ καὶ διὰ πλήθους θεωρίαν. Ἀπληκεύουσι δὲ οὐκ ἐν φοσσάτῳ, ὥσπερ Πέρσαι καὶ Ῥωμαῖοι, ἀλλὰ μέχρι μὲν τῆς τοῦ πολέμου ἡμέρας διεσπαρμένως κατὰ γένη καὶ φυλάς, τοὺς ἵππους βόσκοντες δεηνεκῶς ἔν τε θέρει καὶ χειμῶνι. 42 Sur ce point, voir LUTTWAK (2009, 2010 trad. fr.), 48, NIKONOROV (2010), 273 et surtout JANNIARD (2015), 255 : « La principale particularité militaire des Huns paraît donc s’être exprimée au niveau opérationnel de la guerre, dans leur capacité à déplacer et à dissimuler loin derrière leurs adversaires des forces susceptibles de créer la surprise au moment de la bataille. » Il nous semble cependant excessif de faire de ce mode opératoire une « invention » hunnique. Ammien Marcellin ne décrit pas autre chose à propos des Sarmates et des Quades. Cf. Amm., XVII, 12, 1-3 (trad. G. Sabbah) : « les Sarmates et les Quades, que rapprochent le voisinage et la similitude des mœurs et de l’armement, faisaient des incursions [en 358 ap. J.-C.] par bandes dispersées dans les Pannonies et l’une des Mésies. […] Ils galopent ainsi sur de très vastes espaces (Et per spatia discurrunt
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de ce point de vue très éclairant. En 395, les Huns fondent sur l’Orient romain de façon « inattendue » (insperati), « précédant par leur vitesse la nouvelle [de leur arrivée] » (famam celeritate uincentes)43. En 570 ou 571, c’est une attaque imprévue (αἰφνιδιασθείς) qui est, d’après Théophane le Confesseur, à l’origine de la défaite du comes excubitorum Tibère contre les Avars44. Lors de la campagne de 584, Théopylacte souligne que les barbares attaquent Singidunum par surprise (ἐξαπιναίως), alors que la ville est sans protection (ἄφρακτον) et que les habitants sont en train de moissonner les champs à l’extérieur des remparts45. Il ajoute que les Avars parviennent, à la suite de ce succès, à prendre facilement d’autres villes voisines car leur attaque était « imprévue » (ἀόρατον) et « contraire aux prévisions » (ἐλπίσιν ἀκαραδόκητον)46. L’année suivante, le même Théophylacte insiste sur la « soudaineté de l’invasion » (τῆς ἀθρόας ἐπιφοιτήσεως)47. On pourrait ainsi multiplier les exemples illustrant la capacité des nomades tardifs à exploiter l’effet de surprise sur une échelle géographique parfois très étendue. Mais il faudrait également tenir compte de la taille des armées qui se déplacent ainsi sur plusieurs centaines de kilomètres en quelques jours. Les choses semblent aussi avoir beaucoup évolué de ce point de vue. Les effectifs que peut mobiliser Attila dans les années 440-450 sont sans commune mesure avec ce que nous connaissons pour les incursions nomades des siècles précédents, un signe révélateur du haut degré d’unification politique permis par la constitution de son « empire »48. Dans le cadre de la campagne de l’année 451, le Chronicon Paschale (qui s’appuie sur le récit perdu de Priscus) parle de plusieurs dizaines de milliers de combattants (πλῆθος μυριάδων πολλῶν)49. En 520, le chef hunnique des Sabirs, Zilgbi, place 20 000 de ses hommes amplissima), poursuivant les autres ou tournant bride eux-mêmes, montés sur leurs chevaux rapides et dociles (uelocibus equis et morigeris), chacun entraînant à sa suite une autre bête, quelquefois même deux (trahentesque singulos, interdum et binos), pour que la permutation ménage l’effort des montures et que leur vigueur reste intacte grâce au repos qu’elles prennent alternativement. » 43 Jér., Ep., 77, 8. 44 Théophane, Chron., AM. 6066 (p. 247). 45 Théophylacte, I, 4, 1. 46 Ibid., I, 4, 4. 47 Ibid., I, 8, 11. 48 Voir sur ce point LUTTWAK (2009, 2010 trad. fr.), 49. L’exagération de Jordanès, qui prétend que l’armée d’Attila se constituait de 500 000 hommes (Jord., Get., 35, 182), est certainement révélatrice de l’importance exceptionnelle des effectifs que celui-ci était capable de mobiliser aux yeux des contemporains. 49 Chron. Pasch., s.a. 450 (p. 587) = Priscus, fr. 21, 1.
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au service des Perses contre les Romains50. En 527, les mêmes Huns Sabirs, commandés par la reine Boarex, sont au nombre de 100 000 guerriers51 ; favorables aux Romains, ils défont une armée de 20 000 Huns pro-sassanides52. En 550-551, le chef koutrigour Chinalion envahit l’Illyricum avec 12 000 hommes53. À la fin du VIe s., un passage du Stratêgikon suggère que les « Scythes » (scil. « les nomades steppiques ») peuvent réunir des armées de plus de 20 000 / 30 000 cavaliers54. Cette importance numérique, associée aux déplacements rapides dont nous venons de faire état, permet aux Huns et aux Avars de combattre leurs adversaires en situation de supériorité tactique absolue. Cependant, il est important de souligner les effets paradoxaux d’une méthode opérationnelle qui, par ses succès fulgurants, finit par saper rapidement les conditions mêmes de sa propre réussite. Une première considération tient aux contraintes logistiques liées au maintien de vastes armées de cavalerie à l’ouest du massif des Carpathes. Le monde méditerranéen antique dispose en effet de pâturages limités et toute installation des Huns au sein de l’Empire romain aboutit nécessairement à des conflits d’usage entre agriculteurs sédentaires et pasteurs nomades55. Dans une étude célèbre publiée en 1981, Rudi Lindner souligne ainsi que l’installation des Huns dans la grande plaine de Hongrie ne pouvait que conduire ces derniers à abandonner en partie leur mode de vie nomade, car les pâturages de l’Alföld ne suffisaient par à nourrir autant de chevaux56. Ses conclusions ont été nuancées par des études récentes57, 50
Théophane, Chron., AM. 6013 (p. 167). Ibid., AM. 6020 (p. 175). 52 Ibid., AM. 6020 (p. 175). 53 Procop., Bell., VIII, 18, 15. 54 Maurice, Strat., IX, 5, 33-5 : « La plupart des gens sont incapables de donner une estimation correcte des effectifs d’une armée lorsque ceux-ci dépassent la vingtaine ou la trentaine de milliers [d’hommes], à plus forte raison s’il s’agit de Scythes, à cause de la multitude des chevaux. » (ἀνείκαστον γάρ ἐστι τοῖς πολλοῖς, εἴ τι ὑπὲρ τὰς εἴκοσι ἢ τριάκοντα χιλιάδας τὸ μέτρον ἐστί, καὶ μάλιστα Σκυθῶν διὰ τὴν πολλὴν ἵππον αὐτῶν). 55 Comme l’illustrent les circonstances du déclenchement de la guerre de 466 : cf. Priscus, fr. 49 et MAENCHEN-HELFEN (1973), 166. 56 LINDNER (1981), 14-5. Voir avant lui SINOR (1972), 181-2. 57 NIKONOROV (2010), 275-8 ; JANNIARD (2015), 262. Selon Lindner, l’Alföld n’aurait pu suffire à nourrir « que » 150 000 chevaux, donc 15 000 cavaliers. Mais il néglige le fait que les Huns disposaient également d’une « base arrière » importante dans la steppe pontique, où les pâturages permettaient l’entretien d’une population équine plus nombreuse. Par ailleurs Lindner surévalue les besoins en remonte des Huns : dix chevaux par cavalier, cela semble une estimation élevée au vu de ce que nous savons des pratiques en vigueur dans l’Antiquité (cf. supra, p. 407, n. 44). Il faut enfin noter que l’entrée des Huns et des Avars au contact du monde romain les amena à intégrer dans leurs cheptels des 51
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mais il n’en demeure pas moins vrai que les conditions environnementales du monde méditerranéen antique étaient beaucoup moins favorables que la steppe eurasiatique au développement d’une économie pastorale de type nomade, et qu’en raison de leurs énormes besoins en eau et en pâturages, les peuples « scythes » de l’Antiquité tardive ne pouvaient faire campagne dans certaines régions de l’Empire romain passé le milieu de l’été58. Deuxièmement, au cours de leur existence, les hégémonies militaires hunniques et avares se sont progressivement agrégées des populations sédentaires (Hérules, Gépides, Goths, Scyres, Slaves…) qui combattaient essentiellement à pied59. À l’époque d’Attila, les corps expéditionnaires hunniques sont ainsi devenus de grandes armées mixtes, plus lentes et plus prévisibles60 : les Huns disposent de corps d’infanterie, de machines de guerre, d’un train de bagage alourdi ; ils assiègent des villes et sont donc partiellement convertis aux procédés classiques de la guerre méditerranéenne61. Le caractère stationnaire de ces opérations les contraint à abandonner un art militaire reposant exclusivement sur la cavalerie et exploitant au maximum la mobilité de cette arme62. Cet effet de nivellement réduit l’asymétrie existant entre les belligérants et permet montures européennes, élevées sur place ou prises à l’ennemi au titre du butin : ces animaux pouvaient être nourris au grain et nécessitaient donc moins d’espace que leurs congénères steppiques. Cf. Zos., V, 50, 1. 58 De ce point de vue, il nous semble que les principaux enseignements dégagés par Lindner demeurent valides, cf. LINDNER (1981), 16 : « Any atlas which shows the natural vegetative cover of Europe will reveal that the Great Hungarian Plain is the largest pasture on the continent. Beyond that, it will also reveal how great is the gap between the carrying capacity of that plain and the smaller, scattered and restricted pastures to the west, southwest or south. Nomads could scatter, but not gather, anywhere else. Mounted nomads who wished to campaign in (say) Italy would be forced either to scale down the number of their horsemen (and risk being outnumbered), or to bring along fewer horses as remounts (thus restricting mobility and range), or to chance everything on a very short campaign (and spread out their forces to graze distant pastures, thereby losing the numerical advantage). In brief, whatever difficulty the Huns had keeping enough horses and other animals in Hungary pales before the fate awaiting them beyond the Alföld. » Voir également SINOR (1972), 178 (« Grass and water were the essential prerequisite of nomad warfare. Their presence or absence determined both the size of the “nomad” armies and the radius within which they could operate. ») et GRAFF (1995), 127-9. 59 Voir parmi de nombreux exemples : Ps.-Aur. Vict., Epit., 48, 5 ; Soz., HE, IX, 5 ; Priscus, fr. 2 et 11, l. 241-62 ; Sid. Apoll., Carm., 7, 319-25 ; Zos., IV, 34, 6 ; Jord., Get., 24, 126 ; 38, 198-200 ; 50, 259-61 ; Malalas, XVIII, 129 ; Théophylacte, I, 7, 1 ; 8, 4 ; VI, 2, 12 ; 3, 9-4, 4 ; 11, 5. 60 NIKONOROV (2010), 274-5 ; JANNIARD (2015), 260-2. 61 ELTON (1996), 82-6 ; NIKONOROV (2010), 282-3 ; PETERSEN (2013), 46-8 et 365-9 ; JANNIARD (2015), 262. 62 Comme le rappelle LINDNER (1981), 10 il est impossible pour une armée de cavalerie s’approvisionnant uniquement sur les pâturages du pays parcouru de demeurer au même endroit pendant une période prolongée.
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aux Romains d’obtenir à nouveau des succès tactiques en rase campagne, comme l’illustre la bataille des Campi Mauriaci, remportée par le magister militum Aetius en 45163.
B – L’effondrement du système défensif impérial Malgré les nuances que nous venons d’apporter à l’efficacité de la machine de guerre hunnique, le tableau des invasions nomades des Ve et VIe s. livre un enseignement très clair : jamais un ennemi extérieur n’aura constitué une menace aussi sérieuse pour l’Empire romain au cours de sa longue existence64. L’art militaire des Huns et de leurs successeurs peut être objectivement décrit – dans sa double composante opérationnelle associant l’attaque en profondeur de troupes mobiles, destinée à surprendre l’adversaire et à paralyser ses capacités de riposte, à l’avancée de corps d’infanterie supplétive progressant à un rythme plus lent – comme une forme de Blitzkrieg65. Il pousse au maximum des possibilités matérielles de l’Antiquité la capacité de déplacement et de « concentration » des forces de cavalerie. Cette méthode opérationnelle a des effets catastrophiques sur le rideau défensif frontalier, qui existe toujours sous le Bas-Empire, et forme une protection avancée en sus des défenses intérieures qui se multiplient66. Procope de Césarée souligne que ce système se révéla complètement inadapté à la nouvelle menace nomade : « Les empereurs romains des temps anciens, pour interdire le passage du Danube aux barbares qui vivent sur la rive opposée, ont occupé par des places fortes tout le rivage du fleuve, et pas seulement la rive droite, car à certains endroits, ils construisirent des villes et des forteresses sur l’autre 63
Jord., Get., 38, 197-40, 212. De ce point de vue, il nous semble difficile d’adhérer à une tendance historiographique actuelle qui relativise l’importance de la menace militaire posée par l’irruption de ces populations nomades en Europe : cf. dernièrement KELLY (2015) et, dans une moindre mesure, SARANTIS (2016), 394. Plus réaliste (et peut-être un brin catastrophiste) : KIM (2013), 84. Voir également PILLON (2005), 77-8, qui insiste sur la grande qualité martiale des peuples « touraniens » et met directement l’efficacité de leur art militaire en relation avec l’effondrement et la recomposition du système défensif illyrien à l’époque proto-byzantine. 65 Voir la définition de ce procédé opérationnel dans DINARDO (2006), 186. À la différence, toutefois, de la méthode privilégiée par l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale, les raids hunniques et avars des Ve-VIe s. ne sont pas caractérisés par la recherche de « batailles d’anéantissement » (Vernichtungschlachten) : les gains matériels obtenus à la suite du pillage ou de négociations avec le pouvoir impérial demeurent l’objectif principal. 66 Cf. supra, p. 425-32. 64
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rive. Pourtant, ils n’élevèrent pas ces places fortes d’une manière qui les rendît imprenables, en cas d’attaque, mais seulement pour s’assurer que la rive ne soit pas laissée sans hommes, sachant que les barbares n’ont aucune connaissance des opérations de siège. En réalité, la majorité de ces places fortes consistaient en une simple tour – on les appelait, à juste titre, monopurgia – et bien peu d’hommes pouvaient y stationner. À cette époque, cela suffisait à tenir en respect les clans barbares et à leur interdire toute entreprise offensive contre les Romains. Mais plus tard, Attila lança son invasion avec une grande armée et n’eut aucune difficulté à détruire ces forteresses ; sans opposition, il put alors piller la plus grande partie de l’Empire romain. »67.
Procope fait ici allusion aux opérations conduites par Attila dans les Balkans en 441-442 et en 44768. Au cours de ces campagnes, les Huns parvinrent à prendre de nombreuses places fortes aux Romains, par la surprise ou par des opérations de siège plus conventionnelles69. Théophane le Confesseur énumère quelques villes capturées par les barbares (probablement en 447) : Ratiaria, Naissus, Philippopolis, Arcadiopolis, Constantia, Callipolis, Sestos… mais il ajoute qu’il y en eut beaucoup d’autres70. La Chronique gauloise de 452 évoque la chute de soixante-dix villes71 et Callinicus parle d’une centaine de cités de Thrace qui tombèrent aux mains des barbares – selon lui, les Huns auraient même
67 Procop., Aed., IV, 2-6 : Οἱ Ῥωμαίων τὸ παλαιὸν αὐτοκράτορες τοῖς ἐπέκεινα ᾠκημένοις βαρβάροις τὴν τοῦ Δανουβίου διάβασιν ἀναστέλλοντες ὀχυρώμασί τε κατέλαβον τούτου δὴ τοῦ ποταμοῦ τὴν ἀκτὴν ξύμπασαν, οὐ δὴ ἐν δεξιᾷ τοῦ ποταμοῦ μόνον, ἀλλὰ καὶ αὐτοῦ ἐνιαχῇ ἐπὶ θάτερα πολίσματά τε καὶ φρούρια τῇδε δειμάμενοι. Ταῦτα δὲ τὰ ὀχυρώματα ἐξειργάσαντο οὐκ ἀμήχανα προσελθεῖν, εἴ τις προσίοι, ἀλλ᾿ ὅσον δὴ μὴ ἀνδρῶν ἔρημον τὴν τοῦ ποταμοῦ ἠιόνα λελεῖφθαι· ἐπεὶ τειχομαχεῖν τοῖς ἐκείνῃ βαρβάροις οὐδαμῆ ἔγνωστο. Τὰ πολλὰ τῶν ἐρυμάτων αὐτοῖς ἀμέλει ἀπεκέκριτο ἐς πύργον ἕνα, μονοπύργιά τε, ὡς τὸ εἰκός, ἐπεκαλεῖτο, ἄνθρωποί τε ὀλίγοι κομιδῇ ἐν αὐτοῖς ἵδρυντο. Καὶ τοῦτο τηνικάδε ἀπέχρη τὰ τῶν βαρβάρων δεδίσσεσθαι γένη, ὥστε δὴ ἀναδύεσθαι τὴν ἐς Ῥωμαίους ἐπίθεσιν. Χρόνῳ δὲ ὕστερον Ἀττίλας στρατῷ μεγάλῳ ἐσβεβληκώς, τά τε ὀχυρώματα πόνῳ οὐδενὶ ἐς ἔδαφος καθεῖλε, καὶ γῆν Ῥωμαίων ὑπαντιάζοντός οἱ οὐδενὸς ἐληΐσατο τὴν πολλήν. 68 La chronologie des attaques mentionnées par les sources est mal assurée et a fait l’objet de vifs débats. ZUCKERMAN (1994b), 164-8 propose d’identifier deux guerres distinctes : une première guerre en 441-442 et une seconde en 447 (voir également KELLY [2008], 90-106 et 253-6 ; ID. [2015], 199-201). Nous adoptons ici son point de vue. Pour une chronologie alternative, voir MAENCHEN-HELFEN (1973), 108-25. KIM (2013), 70-3 reprend la trame élaborée par Maenchen-Helfen mais ignore l’étude de Zuckerman. 69 Lors du siège de Naissus décrit par Priscus, les Huns utilisent des tours d’assaut, des béliers et des échelles pour s’emparer des remparts de la ville. Cf. Priscus, fr. 6, 2. 70 Théophane, Chron., AM. 5942, 6. Les Huns auraient en revanche été repoussés à Andrinople et Heraclea. 71 Chron. Gall. 452, 132.
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menacé Constantinople72. À l’issue de la campagne de 447, Attila exigea l’évacuation totale de la rive sud du Danube de la Pannonie jusqu’au fort de Nouae, en Mésie seconde73. Un siècle plus tard, sous le règne de Justinien, le même scénario se reproduisit : les Huns menèrent une grande invasion de l’Illyricum en 539 ou 540 ; ils atteignirent la côte Adriatique puis traversèrent la Grèce du nord jusqu’à la Chalcidique, emportant 32 forteresses sur leur passage74. Face à ces déboires, la réponse immédiate des Romains consista à ériger plus de fortifications. Les effets de cette politique s’observent notamment dans les territoires balkaniques de l’Empire, fortement touchés par les incursions nomades et dans lesquels l’autorité impériale parvint à maintenir une présence et un contrôle effectifs tout au long de la période. Entre 502 et 506, Anastase fit construire les « Longs Murs », un ouvrage linéaire de 58 kilomètres, dont la fonction était de barrer l’accès à la péninsule de Constantinople contre d’éventuels raids barbares75. Plus au Nord, entre Tomis et Axiopolis, une série de fortifications (les « murs scythes ») constituaient une barrière supplémentaire contre les attaques des nomades en Scythie et en Thrace76. En outre, à la suite de l’invasion sabire de l’année 515 en Orient, Anastase ordonna la mise en chantier de nombreux murs d’enceinte pour protéger les villes de Cappadoce77. La grande politique de construction de Justinien (527-565), décrite par
72 Callinicus, Hypat., 52, 3 : τὸ βαρβαρικὸν ἔθνος τῶν Οὕννων τὸ ὂν ἐν Θρᾴκῃ τοσοῦτον γέγονεν, ὡς πλείους ἑκατὸν πόλεις ληφθῆναι καὶ μικροῦ δεῖν κινδυνεύειν Κωνσταντινούπολιν. Priscus, fr. 11, 2, l. 425-8 et Chron. Pasch., s.a. 447 évoquent par ailleurs la prise de Viminacium et de Marcianopolis. 73 Priscus, fr. 11, 1, l. 7-11. Le texte précise que cette bande de territoire démilitarisé devait s’étendre jusqu’à cinq jours de marche au sud du Danube. L’accord comportait par ailleurs une clause intéressante, mais rarement commentée dans les études modernes : les Romains avaient interdiction de cultiver des terres dans l’ensemble de cette zone (ἀνθ’ ὧν ἠπείλει ἐπὶ τὰ ὅπλα χωρεῖν, εἰ μὴ ἀποδοθεῖεν αὐτῷ καὶ ἀφέξονται Ῥωμαῖοι τὴν δοριάλωτον ἀροῦντες). Cela laissait aux Huns la possibilité de convertir en pâturages ces vastes terres arables et donc de faire de la rive droite du fleuve une base logistique pour le lancement de leurs raids en Thrace. 74 Procop., Bell., II, 4, 4-5. Sur la datation de cette campagne, cf. KISLINGER (1998) et SARANTIS (2016), 101-8. 75 CROW (1995) ; ID. (2007b) ; NAPOLI (1997), 280-96 ; CROW & RICCI (1997). 76 ĆURČIĆ (2010), 173-4. Ces édifices venaient s’ajouter à la muraille qui protégeait déjà la Chersonèse de Thrace depuis le Ve s. (CROW [1995], 123-4, n. 46) et à une série de fortifications comparables qui fermaient l’accès à la Grèce du Sud au niveau des Thermopyles (CHERF [2011]). 77 Malalas, XVI, 17 : ἔκτισεν δὲ καὶ τείχη ταῖς μεγάλαις κώμαις Καππαδοκίας καὶ ἠσφαλίσατο τὰς δύο Καππαδοκίας.
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Procope dans le livre IV de son De aedificiis, s’inscrit dans la parfaite continuité de ces actions78 : « Dans sa détermination à résister à ces barbares qui faisaient la guerre continuellement, l’empereur Justinien, qui ne prenait pas la chose à la légère, fut obligé de ceindre le pays d’ouvrages défensifs (ἐρύματα) innombrables, de leur assigner des garnisons de soldats qu’il serait impossible d’énumérer, et de mettre en place toutes sortes d’obstacles (ἐμπόδια) possibles contre un ennemi qui attaque sans préavis (ἀνεπικηρυκεύτοις) et évite les rencontres (ἀνεπιμίκτοις). »79.
Procope n’est pas dupe de l’efficacité réelle de ces mesures, qui avaient déjà montré leurs limites par le passé et n’étaient pas suffisantes pour empêcher la cavalerie ennemie de percer un point du dispositif défensif et de piller l’arrière-pays laissé, en grande partie, sans protection80. Il précise cependant que Justinien alla plus loin : l’empereur « fortifia la totalité de l’arrière-pays illyrien »81, en faisant presque systématiquement ceindre de murailles les villes susceptibles d’être attaquées et en s’assurant que chaque habitant des campagnes puisse s’abriter dans un village fortifié ou un refuge inexpugnable82. Ces établissements mêlant 78 Cf. WHITTAKER (1994), 256 ; PILLON (2005), 22-33 ; LIEBESCHUETZ (2007a), 105-8 ; BĂJENARU (2010), 38-9 ; SARANTIS (2016), 161-98. Même si Procope a pu s’appuyer sur un document officiel pour élaborer sa description, il importe de ne pas perdre de vue la finalité encomiastique de son œuvre, qui exagère les mérites de Justinien et se caractérise par une tendance à minimiser les projets antérieurs ou à attribuer au basileus des travaux contemporains relevant d’initiatives purement locales. Cf. LIEBESCHUETZ (2007a), 105. 79 Procop., Aed., IV, 1, 6 : Οἷς δὴ ἀπέραντα πολεμησείουσιν ὑπαντιάζειν διατεινομένῳ Ἰουστινιανῷ βασιλεῖ πάρεργόν τε οὐδὲν ποιουμένῳ ἐπάναγκες ἦν ἐρύματά τε περιβάλλεσθαι ἀνάριθμα καὶ στρατιωτῶν ἀμύθητα φυλακτήρια καταστήσασθαι, καὶ ὅσα ἄλλα πολεμίοις ἀνεπικηρυκεύτοις τε καὶ ἀνεπιμίκτοις ἐμπόδια εἴη. Sur le limes du Bas-Danube à l’époque proto-byzantine : cf. VAŠIĆ (1994-1995) et SARANTIS (2016), 177-80. 80 Cf. Procop., Aed., IV, 1, 34 : « Mais une fois qu’il eut pris toute ces précautions, [Justinien] restait insatisfait en raison de l’incertitude des desseins humains, considérant qu’il serait toujours possible pour l’ennemi de traverser quelque part, et de tomber ensuite sur des champs totalement sans défenses, de réduire en esclavage l’ensemble de la population, des plus jeunes aux plus âgés, et de piller toutes leurs richesses. » (ἀλλὰ καὶ τούτων οἱ ἐξειργασμένων, ὑπόπτως ἐς τῆς ἀνθρωπείας ἐλπίδος τὸ σφαλερὸν ἔχων, λογισάμενός τε ὡς εἰ τοῖς πολεμίοις ὅτῳ δή ποτε τρόπῳ διαπορθμεύσασθαι δυνατὰ εἴη, ἐπιθήσονται ἀφυλάκτοις τὸ παράπαν τοῖς ἀγροῖς οὖσι, καὶ ἀνθρώπους μὲν ἐξανδραποδιοῦσιν ἡβηδὸν ἅπαντας, χρήματα δὲ ληΐσονται πάντα). 81 Ibid., IV, 5, 1 : Οὕτω μὲν σύμπασαν τὴν μεσόγειον Ἰουστινιανὸς βασιλεὺς ἐν Ἰλλυριοῖς ἐτειχίσατο. Pour une confirmation épigraphique de cette politique, voir les inscriptions mentionnant l’architecte Victorinos, retrouvées à Corinthe et Byllis : FEISSEL (1988) (commentant notamment SEG, XXXVIII, 531). 82 Procop., Aed., IV, 1, 35 : οὕτω συνεχῆ τὰ ἐρύματα ἐν τοῖς χωρίοις ἀπεργασάμενος ὥστε ἀγρὸς ἕκαστος ἢ φρούριον ἀποτετόρνευται, ἢ τῷ τετειχισμένῳ πρόσοικός ἐστιν.
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caractéristiques civiles et militaires sont attestés archéologiquement dans les provinces balkaniques : plusieurs spécialistes y voient effectivement une réaction aux raids de cavalerie qui semblent s’intensifier durant la période83 ; les populations civiles habitant le plat pays étaient censées s’y réfugier en cas d’attaque. Procope mentionne aussi la multiplication de greniers et de réservoirs d’eau dans des établissements fortifiés, destinés à permettre aux populations locales de soutenir des sièges84. Cette convergence de la documentation archéologique et des sources littéraires contemporaines révèle une volonté très claire de renforcer la « profondeur stratégique » des territoires habituellement ciblés par les attaques des cavaliers danubiens85. Le couronnement de cette politique fut l’établissement des sept scholae palatinae à Heraclea-Perinthus et dans les villes alentour, à quelques kilomètres à l’ouest des Longs Murs, en 562 : Justinien dotait ainsi la Thrace d’une puissante réserve de cavalerie apte à défendre Constantinople contre l’approche de bandes barbares86. Ce système s’avéra-t-il efficace ? On peut penser que la politique de Justinien eut quelques effets positifs. Si de nouvelles invasions touchèrent la péninsule balkanique dans la seconde moitié du VIe s., il convient de 83 Sur ces fortifications secondaires, cf. MIKULČIĆ (2002), 58-68 ; DINČEV (2007), 52834 ; KIRILOV (2007) ; BĂJENARU (2010). Désertion des plaines et des vallées au profit des fortins ou des refuges situés dans la périphérie montagnarde (en lien avec les invasions des peuples proto-turcs) : cf. Marc. Com., Chron., s.a. 518, 1 (avec PILLON [2005], 18). Le phénomène n’est pas limité à l’aire balkanique. Il s’observe également dans les provinces orientales, cf. DECKER (2006) : l’auteur note la construction de « tours », en particulier en Syrie, qui pourraient avoir été érigées par des civils ; ces purgoi servaient de points d’observation mais aussi de refuges en cas d’attaque de la part de bandes nomades venues du désert. Sont également attestés des édifices plus imposants, de type kastron, qui ne semblent pas avoir été occupés par des garnisons de soldats (Stabl Antar, Androna…). Ces édifices pourraient avoir été construits par des magnats locaux pour abriter leurs dépendants en cas de raid ennemi. En Tripolitaine, des établissements de ce type sont restés attachés au nom de gasr (plur. gsur) et sont parfois identifiés dans les inscriptions comme des centenaria : cf. ELMAYER (1985) ; WHITTAKER (1994), 259-60 ; MATTINGLY & HITCHNER (1995), 195. Pour une discussion générale de ce phénomène à l’échelle de l’Empire : MACMULLEN (1963), 141-51. 84 Procop., Aed., IV, 2, 14. Attestations archéologiques : SARANTIS (2016), 192. 85 Procope, dans sa discussion des provinces balkaniques, met très clairement les travaux de fortification entrepris par Justinien dans la région en relation avec la mémoire récente des invasions hunniques : e.g. Procop., Aed., IV, 3, 22. Sur la notion de « profondeur stratégique » (strategic depth) : LUTTWAK (2009, 2010 trad. fr.), 19 et 46. 86 Malalas, XVIII, 132 ; Théophane, Chron., AM. 6054, 236. Auparavant, une schole était établie à Constantinople et les six autres en Asie Mineure, à Kios, Nicomédie, Prousa, Cyzique, Cotyaion et Dorylée. Cf. HALDON (1984), 125-6 et SARANTIS (2016), 353-4. C’est précisément dans la région de Périnthe que se trouvaient, au VIe s., un nombre important de fermes d’élevage impériales. Cf. infra, p. 569. La mesure prise par Justinien rapprochait donc la cavalerie de l’armée centrale de sa source d’approvisionnement en montures.
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noter que les Avars ne semblent pas avoir été capables de pousser leurs incursions jusqu’en Grèce centrale, comme les Huns avant eux (fig. 48). L’omniprésence des fortifications contraignait à la prudence : l’envahisseur qui ne disposait pas d’informations suffisantes sur les territoires parcourus ignorait quelle place forte était susceptible d’abriter une garnison et si celle-ci était suffisamment importante pour constituer une menace ; cette incertitude ne pouvait que freiner l’avancée des bandes pillardes qui étaient obligées de rester assemblées (ce qui rendait l’approvisionnement sur le pays beaucoup plus difficile) et pouvaient aussi éprouver des difficultés à traverser les zones où l’établissement d’obstacles artificiels rendait tout contournement impossible87. Mais il est important de noter que, malgré ces mesures préventives, les empereurs tardifs ne parvinrent jamais à sanctuariser complètement le territoire romain88. L’armée romaine était le plus souvent amenée à mettre en œuvre une « défense élastique »89. Seul le déplacement d’une armée de manœuvre importante, parfois mobilisée ailleurs, pouvait permettre de repousser les envahisseurs. De ce point de vue, l’hinterland des provinces frontalières, grâce à la multiplication des places fortes servant à la fois de bases de ravitaillement et de renseignement, offrait une excellente 87 Clausewitz, De la guerre, VI, 11 (éd. Naville p. 456) souligne que l’étalement des forteresses en profondeur impose une progression plus lente à l’ennemi. Ce point de vue rejoint celui de l’auteur de l’auteur du Stratêgikon : « Il ne faut pas entreprendre d’attaquer ouvertement (συμβάλλειν φανερῶς), dans une bataille rangée (ἐκ παρατάξεως), un ennemi qui envahit notre territoire, surtout si celui-ci vient d’arriver et qu’il dispose d’une force supérieure ou égale. Il faut plutôt lui tendre des embuscades (ἐνεδρεύειν) avec précaution, saisir des places fortes et détruire les subsistances qu’il a devant lui (ἀφανίζειν δαπάνας προκειμένας αὐτῷ). […] Dans tous les cas, il est nécessaire de préserver notre armée des dommages et des heurts (ἀπαθῆ καὶ ἄκρουστον). Celle-ci étant protégée, il ne sera pas facile à l’ennemi d’assiéger les fortifications (πολιορκίαι) ou de se disperser (πλατύνονται) pour ravager le pays, car se sachant observé, il devra garder son armée concentrée (συνεστάναι) dans la crainte que quelque chose se produise. […] Ce qui est de première nécessité (τὰ ἀναγκαιότερα) doit être rassemblé dans de très puissantes forteresses (ὀχυρωτέροις φρουρίοις) et les animaux doivent être évacués de la région. Si l’ennemi devait mettre le siège devant une de nos places fortifiées, nous devrions alors nous hâter de détruire les provisions (δαπάνας) des environs, tendre une embuscade (ἐνεδρεύειν) aux hommes envoyés par l’ennemi pour collecter des subsistances (τοὺς ἐπὶ συλλογὴν δαπανημάτων πεμπομένους) et ainsi acculer (στενοχωρεῖν) l’ennemi. » (Maurice, Strat., X, 2, 3-7, 15-8 et 30-4). Voir aussi DMS, 18 (éd. Müller p. 127-9). 88 Sur la perméabilité du système défensif mis en place par Justinien : LIEBESCHUETZ (2007a), 110-4. Les mesures de précautions prescrites par le Stratêgikon sont à rattacher au contexte des invasions avares qui, si l’on en croit l’état actuel de la documentation archéologique, semblent avoir eu des effets beaucoup plus dramatiques sur les territoires situés immédiatement au sud du Danube que les invasions hunniques : SARANTIS (2016), 377. 89 HALDON (1999), 63-4.
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Figure 48 – Principales incursions barbares dans les Balkans au VIe s. Source : WHITBY (2002), 59. Crédits : © Osprey Publishing, part of Bloomsbury.
plateforme de déploiement pour les opérations de petite guerre menées contre les barbares90. Face à la grande mobilité des cavaliers nomades, la solution la plus courante consistait à laisser ces derniers pénétrer à l’intérieur du territoire romain et à attendre qu’ils fussent encombrés de butin pour contre-attaquer. C’est précisément grâce à cette stratégie, préconisée par le Stratêgikon, que des succès importants purent être remportés par 90 Voir les recommandations de Maurice, Strat., X, 2 et Syr. Mag., Strat., 6. SARANTIS (2016), 189 a raison de nuancer la fonction purement défensive qui a parfois été prêtée au programme de construction de Justinien : les fortifications pouvaient très bien servir de point d’appui à des opérations offensives. Mais ces opérations demeuraient une réponse à des invasions, ce qui les situaient de facto dans un contexte stratégique défensif.
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certains généraux au cours de la période91. Mais à quel prix ? En acceptant de sacrifier sa périphérie, l’Empire devenait une cible vulnérable par principe. Si certains points fortifiés avaient des chances de résister aux envahisseurs, les campagnes situées dans le plat pays étaient livrées à elles-mêmes. Outre les effets désastreux de cette insécurité rampante sur le système de prélèvement fiscal, l’incapacité du pouvoir impérial à lutter efficacement contre les raids eut plusieurs conséquences profondes. La plus importante fut peut-être une remise en cause du monopole étatique de la violence publique, qui caractérisait la société impériale depuis les réformes d’Auguste et qui avait été sanctionnée par une lex Iulia de ui publica92. Le problème est bien exposé dans le discours que Priscus prête à un marchand de Viminacium, capturé par les Huns lors des guerres des années 440, puis devenu serviteur d’Onegesius, un des principaux lieutenants d’Attila : les Romains sont facilement vaincus à la guerre car, du fait d’une décision prise par leurs « tyrans », ils se sont résignés à ne plus porter les armes et à placer dans d’autres qu’eux leurs espoirs de salut93. 91 Maurice, Strat., X, 2, 8-10 : « Néanmoins, si une attaque devait être lancée, il est plus efficace de la faire lorsque l’ennemi est sur le chemin du retour (ἐπανερχομένῳ), qu’il quitte notre territoire, alors qu’il est distrait et encombré par le butin (πραῖδαν περισπᾶται καὶ κεκοπωμένος) et qu’il commence à se rapprocher de son peuple. » Les récits de guerre tardifs révèlent que cette stratégie était fréquemment employée avec succès. Priscus, fr. 9, 3, l. 47-51 (invasion de la Mésie par les Huns, 447 ap. J.-C.) ; Ps.-Zach., Chron., IX, 6c (raid des Sabirs en Syrie, 531 ap. J.-C.) ; Théophane, Chron., AM. 6031 (raid des Bulgares en Thrace, 538 ap. J.-C.) ; Théophylacte, VII, 12, 7-8 (raid des Avars en Mésie, 595 ap. J.-C.). En toute vraisemblance, l’armée d’Aetius triompha dans des circonstances similaires de l’armée d’Attila lors de l’invasion de l’Italie du Nord par ce dernier : une homélie attribuée à Maxime de Turin rapporte que le corps expéditionnaire des envahisseurs était considérablement ralenti par son butin, ce qui permit aux habitants de Turin de fuir avant leur arrivée. Max. Tur., Hom., 94 : ut uelocissimi equites tarda atque onere grauata suo trepidantium plaustra fugerunt. Cf. Hydace, Chron., 154 (l’auteur évoque une victoire remportée par Aetius contre les Huns en Italie). 92 Les fragments de cette loi transmis par les juristes du Principat révèlent qu’elle comprenait au moins trois volets (cf. Dig., XLVIII, 6) : 1. la possibilité de détenir des armes à titre individuel ; 2. l’interdiction d’en accumuler ; 3. l’interdiction du port d’armes pour les non-militaires, à l’exclusion de certaines circonstances particulières (la chasse, le voyage, la navigation). P.A. Brunt a interprété cette législation dans un sens minimaliste : BRUNT (1975). Pour notre propos, il suffira d’insister sur le fait que la lex de ui autorisait l’autodéfense, mais ne permettait certainement pas aux sujets de l’Empire de lever des armées privées, ce dont rendent bien compte Aelius Aristide (Or., 26, 71-8) et Cassius Dion (LII, 27, 1-5) lorsqu’ils insistent sur le caractère original de la césure imposée par le régime impérial entre armée et société civile. La restriction du port d’armes ainsi que la prohibition des armées privées se retrouvent dans plusieurs lois tardives : CTh., XV, 15 (364 ap. J.-C.) ; CJ, IX, 12, 10 (468 ap. J.-C.) ; Nov. Iust., LXXXV, 3 (539 ap. J.-C.). 93 Priscus, fr. 11, 2, l. 438-41 : τοὺς μέντοι παρὰ Ῥωμαίοις ἐν μὲν πολέμῳ ῥᾳδίως ἀναλίσκεσθαι εἰς ἑτέρους τὰς τῆς σωτηρίας ἐλπίδας ἔχοντας, ὡς πάντων διὰ τοὺς
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Ce propos, qu’il ait été réellement tenu par un marchand romain rencontré à la cour d’Attila94 ou qu’il soit une critique voilée du système impérial, discrètement insérée par Priscus dans son œuvre95, reflète bien la tentation croissante du rejet de l’ordre platonicien à travers lequel les auteurs du Principat définissaient le fonctionnement de l’armée professionnelle issue des réformes augustéennes. Il ne s’agit pas d’un témoignage isolé. Devenu la cible de raids à long rayon d’action, les habitants de certaines régions de l’Empire semblent bien prendre une part de plus en plus active dans la défense de leurs territoires au cours de la période96. Procope signale dans son Histoire secrète que, sous le règne de Justinien, des paysans de l’Illyricum, en proie aux raids des Huns, décidèrent de s’armer et parvinrent à obtenir des succès contre l’envahisseur ; l’empereur les punit sévèrement pour avoir agi en contradiction avec les lois interdisant les milices privées97. D’autres témoignages révèlent que les villes fortifiées étaient régulièrement défendues par leurs habitants en cas d’attaque98. Dans certains cas, des magnats locaux palliaient les défaillances de l’armée régulière en formant eux-mêmes, à partir de leurs clients et de leurs serviteurs (dès lors appelés bucellarii), des bandes armées pour lutter contre les envahisseurs99. τυράννους μὴ χρωμένων ὅπλοις. Ce système est explicitement distingué de celui des Huns, dans lequel, selon l’interlocuteur de Priscus, la valeur martiale individuelle est la seule garantie de la liberté. 94 WOLFRAM (1997), 133. 95 KELLY (2008), 152 : « The encounter, as reported by Priscus, is less of a conversation and more like an exercise set by a tutor of rhetoric. » 96 MACMULLEN (1963), chap. 6 ; WHITBY (2007a), 527-8. 97 Procop., Arc., 21, 28-9. 98 E.g. Id., Aed., IV, 2, 14-5 ; Arc., 26, 31-4 (à propos des postes fortifiés des Thermopyles, qui étaient tenus par une milice paysanne avant l’installation d’une garnison de 2 000 soldats sous Justinien). Sur ce phénomène, voir PILLON (2005), 33-55 et PETERSEN (2013), 135-47. La législation tardive semble avoir toléré la création de milices civiques dans certaines circonstances : une novelle datée de l’année 440 rappelle que tout citoyen romain peut être mobilisé, en cas de nécessité, pour défendre les murs et les portes de sa ville (Nov. Val., V, 2 : nullum de Romanis ciuibus, nullum de corporatis ad militiam esse cogendum, sed tantum ad murorum portarumque custodiam, quoties usus exegerit). SARRIS (2006), 163-4 rattache cette loi au contexte d’affirmation de la menace hunnique sur le Danube. Cette paramilitarisation des populations urbaines a été observée dans d’autres espaces que les provinces balkaniques. En Gaule, BACHRACH (1997) et (2001), 52-7, met ce phénomène en relation avec l’essor des fortifications et de la guerre de siège. 99 WHITTAKER (1994), 257-78 ; LIEBESCHUETZ (2007b) (notamment p. 485-92) ; PETERSEN (2013), 56-67. Sur l’Égypte spécifiquement : SARRIS (2006), 162-75. La législation impériale semble avoir autorisé la constitution de ces bandes d’autodéfense dans certaines circonstances. Cf. Nov. Val., IX, 1 (440 ap. J.-C.) : craignant une attaque des Vandales contre l’Italie, Valentinien III ordonne que tous les Romains se tiennent prêts à défendre leur propriété avec leurs propres hommes (cum suis), serviteurs qu’ils ont le
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Lors des raids ausuriens qui frappent la Pentapole en 405 et en 407, Synésios de Cyrène lève ainsi des paysans et les équipe sur ses propres fonds100. Cette milice est en partie constituée d’éphèbes cavaliers qui parcourent le pays jour et nuit pour détecter d’éventuelles incursions nomades101. Synésios est parfaitement conscient du fait que la loi interdit la levée de telles armées privées. Mais, dans une lettre à son frère, il justifie son initiative : « Tu plaisantes quant tu veux nous interdire de nous munir d’armes ! L’ennemi nous attaque, amasse partout du butin, égorge quotidiennement des masses de gens, mais les soldats ne sont pas là, pas assez pour se montrer ! Sur ce, tu vas soutenir que des gens comme nous, des civils, n’ont pas le droit de porter des armes et n’ont que celui de mourir, puisqu’aussi bien l’État s’indigne qu’on tente de sauver sa vie ? Allons ! à défaut d’autres résultats, j’obtiendrai au moins celui de voir la Loi triompher plutôt que ces maudites pestes ! »102. Selon Synésios, l’armée régulière n’est plus en mesure de défendre sa patrie103. Cette vacance de la force militaire publique rend légitime la mise en place de structures d’autodéfense. Une situation analogue se retrouve en Gaule, près d’un demisiècle plus tard. Dans les années 470, un aristocrate gallo-romain d’Auvergne, fils de l’empereur Avitus, Ecdicius, mène des opérations de guérilla contre les Wisigoths, dans lesquelles la cavalerie joue un rôle de premier plan104. Sidoine Apollinaire fait l’éloge de l’héroïsme de ce personnage qui, lors du siège de Clermont en 471, parvient à forcer le passage dans la ville à la tête d’un escadron de dix-huit cavaliers, et à faire de nombreuses victimes dans l’armée adverse105. Par la suite, Ecdicius organise la résistance contre les razzias des Goths, avec une « sorte d’armée publique » (publici exercitus speciem) levée à partir de ses « propres hommes »
droit d’armer au préalable, dans le respect de l’ordre public (salua disciplina publica) et en se limitant aux individus de condition libre (seruataque ingenuitatis modestia). 100 Syn., Ep., 125, 130, 132-3 (405 ap. J.-C.) ; 107-8, 122 (407 ap. J.-C.). Cf. ROQUES (1987), partie iv ; DE FRANCISCO HEREDERO (2015a) ; ID. (2015b). 101 Syn., Ep., 131 et 132. Dans cette dernière lettre datée de mai-août 405, Synésios se présente lui-même comme prenant une part active dans ces missions de reconnaissance : « Pour ce qui me concerne, dès le lever du jour je monte à cheval et couvre le plus de terrain possible, j’écoute, je regarde, en m’activant de tous côtés pour recueillir toutes les informations relatives à ces maudits pillards […]. La nuit, accompagné des éphèbes, je fais des rondes sur la colline. » (trad. D. Roques). 102 Ibid., 107 (trad. D. Roques) : Ἡδὺς εἶ κωλύων ἡμᾶς ὅπλα κατασκευάζεσθαι, τῶν πολεμίων μὲν ἐπεχόντων καὶ λείαν ἅπαντα ποιουμένων καὶ ἀποσφαττόντων ὁσημέραι δήμους ἀθρόους, στρατιωτῶν δὲ οὐκ ὄντων, ὥστε καὶ φαίνεσθαι. Εἶτα λέξεις ὡς οὐκ ἐξὸν ἰδιώταις ἀνθρώποις ὁπλοφορεῖν, ἀποθνήσκειν δ’ ἐξόν, εἴπερ καὶ ἡ πολιτεία χαλεπαίνει τῷ πειρωμένῳ σώζεσθαι ; ἀλλ’ εἰ μηδὲν ἄλλο κερδανῶ, τὸ γοῦν τοὺς νόμους γενέσθαι κυρίους ἀντὶ τούτων τῶν ἀλαστόρων. Cf. ROQUES (1987), 292. 103 Syn., Ep. 125. 104 Cf. PLRE, II, s.n. « Ecdicius 3 », p. 383-4. 105 Sid. Apoll., Ep., III, 3, 3-6. Confirmé par Greg. Tur., HF, II, 16 (24), qui réduit l’effectif de la troupe commandée par Ecdicius à dix hommes.
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(priuatis uiribus)106. Sidoine Apollinaire souligne de façon très claire qu’il agissait alors comme priuatus, et que c’est pour ses hauts faits personnels qu’il fut récompensé du titre de patrice107.
La constitution des forces de défense locales et la militarisation de la société ne sont pas des évolutions qui se constatent uniquement dans les territoires contrôlés par l’Empire. Là où des regna prennent le relai de l’autorité impériale, des milices citadines voient le jour et l’on assiste à la réapparition d’une classe sociale de combattants professionnels qui avait disparu à la suite de la conquête romaine108. La formation de ces États romano-barbares s’observe essentiellement en Occident, mais en Orient, l’installation de foederati, donc de peuples en armes, intra fines imperii, participe de la même réalité. Ce processus, directement lié à la faillite du système défensif impérial, accroît la rugosité et la profondeur stratégique des territoires méditerranéens occupés par les barbares, territoires rendus de fait plus résistants aux attaques d’ennemis extérieurs. Auparavant, il suffisait à ces derniers de percer le dispositif défensif impérial ou de vaincre l’armée de manœuvre romaine pour s’engouffrer dans le riche espace provincial – la population étant virtuellement sans défense. Dans le monde de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, le réarmement (général ou partiel selon les espaces) des hommes libres et l’apparition épisodique de seigneurs de guerre locaux rendent les tentatives de pénétration beaucoup plus difficiles.
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Sid. Apoll., Ep., III, 3, 7. Ibid., V, 16, 1 : Namque ille iam pridem suffragium dignitatis ineundae non soluit in lance, sed in acie : aerariumque publicum ipse priuatus non pecuniis, sed manubiis locupletauit. 108 Discussions générales : DELBRÜCK (1902, 1990), chap. 5 ; JAMES (1997). Lors de leur installation en Gaule, les Francs étendent ainsi les obligations militaires des populations civiles en instaurant un système de conscription visant à faciliter la formation des corps expéditionnaires. Ces conscrits, qui constituent l’équivalent du fyrd anglo-saxon, doivent s’armer à leurs frais, suivant leurs moyens. Les effectifs sont complétés par les troupes professionnelles des rois mérovingiens : les soldats attachés à la maison du roi et les troupes permanentes affectées à la garde de colonies militaires, de forts ou de garnisons locales, ou parfois des militaires installés avec leur famille sur leurs propres terres. BACHRACH (2001), 52-83. Il est intéressant de noter que ce système pourrait avoir été conforté par une remilitarisation de l’aristocratie gallo-romaine tardo-antique : Clovis peut ainsi mobiliser des aristocrates romains pour combattre les Wisigoths (Greg. Tur., HF, II, 37). Dans l’Espagne wisigothique, l’instauration de ce système est plus tardive et il semble que l’extension des obligations militaires aux populations romaines ne soit intervenue qu’à partir du VIIe s. : PÉREZ SÁNCHEZ (1998). 107
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C. La forteresse et le cavalier Dans un article publié en 1998, le médiéviste italien Aldo Settia met en exergue l’importance prise par les places fortes et les opérations de cavalerie dans l’Antiquité tardive. Selon lui, ces deux phénomènes, annonciateurs de l’art médiéval de la guerre, seraient indissociables et auraient contribué à l’émergence d’un « réflexe obsidional », une tendance à privilégier la défense par l’attrition en cas d’attaque ennemie109. Les considérations que nous venons de développer nous semblent parfaitement s’accorder avec ce point de vue. L’essor des raids de cavalerie à long rayon d’action, l’impossibilité de répondre à des menaces multiples et simultanées, forcent l’Empire à adopter une posture défensive. Les forteresses offrent une base de repli aux cavaliers, leur permettant d’escarmoucher en rase campagne sans craindre d’être complètement détruits par l’adversaire en cas de revers110. L’affirmation conjointe de la cavalerie et des forteresses n’est cependant pas un fait nouveau dans le monde méditerranéen. Durant la guerre du Péloponnèse, les Athéniens se firent les promotteurs d’une stratégie de défense mobile, reposant sur l’articulation de ces deux éléments tactiques111. Sous le Haut-Empire, la cavalerie romaine put également agir de la sorte lorsque le terrain s’y prêtait, comme l’illustre l’exemple de la première guerre judéo-romaine112. Mais dans ces deux cas, la guérilla de cavalerie se manifestait précisément lorsque l’un des belligérants, conscient de son infériorité, refusait la confrontation directe : elle était le moyen soit d’annuler la supériorité tactique de l’adversaire, soit d’étouffer ses vélléités de résistance. La grande nouveauté de l’époque proto-byzantine réside dans la normalisation de cette méthode opérationnelle, y compris entre adversaires de force égale. Les provinces orientales, théâtre des guerres de l’Empire romain d’Orient contre l’Empire sassanide, offrent un excellent point d’observation pour 109 SETTIA (1998). L’auteur estime cependant que la fonction des cavaliers cuirassés et celle des forteresses n’étaient pas exactement les mêmes dans l’Antiquité tardive et à l’époque de la chevalerie médiévale. Le clibanaire ne disposait selon lui d’aucune autonomie tactique, contrairement au chevalier ; quant aux places fortes et aux villes fortifiées tardo-antiques, elles ne soutiendraient en rien la comparaison avec les châteaux du MoyenÂge (p. 559-60). 110 C’est précisément l’absence de cette solution de repli qui, lors de la guerre des Gaules, devait inciter César à ne pas détacher des armées de cavalerie autonomes. Cf. supra, p. 108-10. 111 Cf. OBER (1985), 177-81 (qui parle d’une « cavalry/garrison defense strategy »). 112 Cf. supra, p. 286 et s.
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analyser ce phénomène113. Alors que par le passé, les épisodes de confrontation entre les deux puissances se réglaient principalement par de grandes expéditions mobilisant des forces mixtes, les Ve et VIe s. voient se systématiser les chevauchées en territoire ennemi114. Ces incursions ont des objectifs limités et peuvent s’appuyer sur les nombreux sites fortifiés de Haute-Mésopotamie. Elles semblent gagner en importance dès le IVe s. : aux dires d’Ammien Marcellin, les Perses avaient même renoncé à affronter les Romains « par des combats frontaux, comme ils le faisaient auparavant », et préféraient se livrer à la « rapine » et au « brigandage »115. Ce que l’historien romain décrit ici renvoie à des raids de pillage et de dévastation organisés par l’État sassanide pour affablir l’infrastructure productive de l’Empire romain : les attaquants perses s’emparent des hommes et du bétail, par surprise, et se dérobent à toute riposte romaine en se retirant rapidement116. Les sources postérieures confirment l’essor de cette guérilla de frontière, sans pourtant autant accréditer l’idée d’une la disparition des grandes offensives traditionnelle. Agathias écrit ainsi : « Entre les Romains et les Perses, il existait depuis très longtemps déjà une très violente hostilité, et des deux côtés ils se livraient fréquemment à des pillages et des dévastations (ἐδῄουν καὶ ἐλυμαίνοντο), tantôt en provoquant des raids (ἐφόδους) et des attaques sans avertissement (εἰσβολὰς ἀκηρύκτους), tantôt en venant avec toute une armée (πολλῷ στρατῷ) pour des batailles déclarées (ἐμφανεῖς παρατάξεις). »117. Ce passage a le bénéfice de mettre en valeur le caractère symétrique de ces opérations, qui pouvaient aussi être entreprises par les forces militaires romano-byzantines, comme le confirme une entrée de la Chronique du comte Marcellin pour l’année 504 :
113 Pour une présentation générale du contexte historique et géostratégique, cf. WHITBY (1988), chap. 7. L’auteur souligne les importants travaux de fortifications de la HauteMésopotamie entrepris par les empereurs byzantins au cours du VIe s. (p. 209-13). Voir également HOWARD-JOHNSTON (1995) et GREATREX (1998), 5-59. 114 HALDON (1999), 61-2 et 70 ; SYVÄNNE (2004), 65-7 et 330. 115 Amm., XVI, 9, 1 : At Persae in Oriente per furta et latrocinia potius quam, ut solebant antea, per concursatorias pugnas. 116 Ibid., XVI, 9, 1 : hominum praedas agitabant et pecorum, quis non numquam lucrabantur ut repentini, aliquotiens superati multitudine militum amittebant, interdum nihil prospicere prorsus quod poterat rapi permittebantur. Au VIe s., les Perses délèguent le plus souvent la conduite de ces raids à leurs alliés lakhmides : Ps.-Josué., 51-2 (502 ap. J.-C.) ; ibid., 60 (503 ap. J.-C.) ; Procop., Bell., I, 17, 40-7 (531 ap. J.-C.). Mais ils sont aussi capables de mobiliser de grandes armées de cavalerie à cette fin : cf. Procop., Bell., I, 17, 1 (raid de 15 000 cavaliers perses en Commagène, 531 ap. J.-C.). 117 Agathias, II, 18, 2 (trad. P. Maraval).
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« Entretemps Celer, maître des offices, alors qu’il conduisait ses hommes d’armes à travers la ville fortifiée de Callinicum, en Mésopotamie, lança un raid (discurrit) pour dévaster les campagnes des Perses ; il tua comme du bétail de nombreux agriculteurs engagés dans leurs travaux champêtres, il enleva des chefs de troupeaux divers ainsi que de nombreux chevaux, il envahit des forts construits de brique et de boue, et pénétra jusqu’au Pont de Fer ainsi nommé en dévastant tout sur son passage. Après avoir pris possession de tout le butin et enrichi les soldats, il revint au camp commun. Quelque temps après, il résolut de conclure un traité avec les Perses ; le secrétaire a secretis Armonius lui fut envoyé pour établir ce traité. »118.
Développant un autre exemple de raid pour l’année 531, le PseudoZacharie de Mytilène précise les buts de guerre qui étaient poursuivis par les Romains dans ce type d’opération : il s’agissait principalement de priver l’ennemi d’une partie de ses ressources fiscales. L’armée romanobyzantine utilisait la forteresse de Martyropolis comme plateforme offensive pour lancer ses incursions dans le riche district d’Arzanène ; la protection apportée par cette cité lui permettait de piller les marges de l’empire perse sans être inquiétée119. Des raids de ce type étaient parfois déclenchés lorsque l’ennemi était déjà en train d’attaquer l’Empire romain, pour le forcer à abandonner son invasion et à défendre ses possessions120. Ils pouvaient aussi avoir lieu en marge d’opérations de siège : la cavalerie, incapable de subsister autour de la place assiégée, était alors 118 Marc. Com., Chron., s.a. 504 : Interea Celer magister officiorum per Callinicum Mesopotamiae ciuitatem armatum ducens militem ad deuastanda Persarum rura discurrit, plurimos agrestes rusticis intentos laboribus more pecudum trucidat, pastores diuersorum pecorum cum numerosa iumenta abducit, castella latere lutoque constructa inuadit, usque ad Pontem Ferreum sic nomine dictum cuncta uastando progreditur, omnique praeda potitus ad communia castra ditato milite remeat. Aliquanta dehinc ob percutiendum foedus cum Persis deliberat, misso ad se pro pepigendo foedere Armonio a secretis. 119 Sur ce raid : Ps.-Zach., Chron., IX, 5a. Conséquences sur l’infrastructure économique de l’Empire perse, cf. ibid., IX, 6a (trad. d’après R.R. Phenix et C.B. Horn) : « Les villages qui se trouvaient dans la région d’Arzanène appartenaient au royaume perse et une [somme] d’impôts non négligeable était versée par leurs habitants pour alimenter le trésor royal et les bureaux du ptehasha qui stationnait là en tant que préfet du roi. […] Le roi Kavadh devint très amer lorsqu’il apprit du ptehasha que la région était dévastée, car cet Hormizd avait remué ciel et terre, en utilisant l’armée et la [garde] palatiale du roi contre Maipherqat pour la conquérir, parce que [cette ville] servait de redoute et de lieu de refuge à l’armée romaine, [à partir duquel] celle-ci pouvait infliger des dégâts à l’Arzanène. » Cf. GREATREX & LIEU (2002), 94-5. Sur ce type de stratégie, voir HALDON (1999), 42-3. HOWARD-JOHNSTON (1995), 198-211 souligne que l’Empire sassanide tirait une grande partie de ses ressources fiscales de la Haute-Mésopotamie, bien défendue, intensivement cultivée et densément peuplée. 120 Cf. TROMBLEY (2007), 331-2, citant Théophylacte, III, 17, 3-4 (raid conduit par le magister militum per Orientem Maurice en Médie, 580 ap. J.-C.). Sur ce type d’opération, cf. Clausewitz, De la guerre, VI, 30 (éd. Naville p. 592-3).
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détachée en territoire ennemi pour piller ses approvisionnements121. Même si la plupart des exemples de cette nouvelle méthode opérationnelle sont à rattacher aux guerres contre l’Empire sassanide, les raids massifs de cavalerie n’étaient pas uniquement employés sur la bordure orientale de l’Empire romain. Ils sont aussi attestés en Illyricum122, dans l’Italie reconquise par Justinien123 et dans une moindre mesure en Libye124 et en Égypte125. Ce contexte de guérilla endémique a permis le développement d’une véritable littérature technique sur les raids frontaliers, dont le Peri paradromês de l’empereur Nicéphore II Phocas (963-969) constitue le point d’aboutissement126. Tous ces exemples tardifs révèlent le haut niveau d’efficacité opérationnelle atteint par la cavalerie romaine au VIe s. : les colonnes montées des armées proto-byzantines sont capables de prendre seules, grâce à la brièveté de leurs mouvements offensifs, des citadelles ennemies, et de défendre très efficacement des forteresses, en harcelant les assigeants depuis l’extérieur des lignes d’investissement. Leur intervention récurrente dans le cadre des guerres de siège contribue à redéfinir les rôles des différentes composantes tactiques de l’armée impériale. Alors que l’infanterie assure la défense des forts et des villes, les troupes montées règnent sur la rase campagne. Le plat pays, hérissé de forteresses, devient un no-man’s land inhospitalier, dans lequel les fantassins ne prennent que rarement le risque de s’aventurer, sous peine d’être harcelés continuellement par les partis de cavaliers opérant depuis les bases
121
Cf. infra, p. 613-4. CURTA (2016), 85-7. Ajouter aux exemples cités par cet auteur Const. Porph., DAI, I, 30, 18-61 (raid mené par 1 000 cavaliers dalmates en territoire avar, début du VIIe s.). 123 Au début de l’année 538, après avoir desserré l’étau barbare autour de Rome et obtenu un armistice, Bélisaire détache une puissante armée de 2 000 cavaliers à Alba, dans le Picenum (Procop., Bell., VI, 7, 25-7 ; cf. ibid., VI, 10, 1). Ces troupes ne doivent entrer en action qu’en cas de rupture de la trêve par les Goths, en faisant une incursion soudaine (ἄφνω τε καὶ ἐξ ἐπιδρομῆ) dans les districts contrôlés par l’ennemi, avec une rapidité telle que ce dernier ne puisse être averti de l’attaque avant l’arrivée effective des cavaliers romains. Instruction leur est donnée de tout piller et de réduire femmes et enfants en esclavage (ibid., VI, 7, 28-30). Bélisaire met cependant en garde Jean – le commandant de l’opération – contre les forteresses qu’il serait susceptible de laisser derrière lui et qui pourraient mettre ses soldats en danger. Une fois lancée, l’attaque est un succès. La cavalerie romaine parvient à avancer jusqu’à Ariminium, ce qui force finalement les Goths à lever complètement le siège de Rome pour défendre Ravenne (ibid., VI, 10, 1-7). 124 ROQUES (1987), 279-84. 125 Cf. Joh. Nik., 95, 13 (raid du magnat égyptien Aristomachos contre les Nubiens et les Maures, c. 580 ap. J.-C.). Cf. PLRE, III, s.n. « Aristomachus 2 », p. 118-9. 126 Cf. TRAINA (1986-1987). Le Stratêgikon consacre déjà un chapitre entier à ce type d’opération à la fin du VIe s. : Maurice, Strat., IX, 3. 122
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fortifiées127. Cette doctrine est très bien mise en évidence par Procope, dans son récit de la bataille de la Porta Salaria, à l’hiver 357. Bélisaire, chargé de défendre Rome contre les Ostrogoths de Vitigès, organise une sortie contre les assiégeants. Il envisage d’abord de n’employer que des cavaliers, estimant que l’infanterie ne doit pas être déployée à distance des murs de la ville, mais finit par se laisser convaincre du contraire par deux gardes qui l’exhortent à « ne pas traiter avec mépris l’infanterie des Romains, grâce à laquelle on entend dire que la puissance des anciens Romains a été amenée à son point de grandeur actuel ». Lors de l’engagement, la cavalerie byzantine, défaite, parvient à se réfugier dans l’enceinte de l’Urbs, mais les fantassins sont pour la plupart massacrés dans leur retraite128. En Orient, cette configuration favorable au primat de cavalerie est renforcée par la menace posée par de nouvelles confédérations nomades installées aux marges steppiques et désertiques des empires byzantin et sassanide. Depuis le nord du Caucase, les Huns Sabirs organisent des raids profonds en Arménie, en Mésopotamie et en Cappadoce129. Ces attaques sont facilitées par l’abondance des pâturages dans les hauts plateaux arméniens et dans les plaines du Tigre et de l’Euphrate, ainsi qu’en Asie Mineure130. Durant la période, les Perses parviennent cependant à contrôler efficacement les passes du Caucase, en installant des garnisons au niveau des Portes Caspiennes et Caucasiennes131. Un dispositif de cette nature n’est évidemment pas envisageable contre les tribus arabes qui occupent les confins désertiques du diocèse d’Orient. Ces populations, qualifiées alternativement de « Saracènes » ou de « Skénites » 127 La campagne de 502 illustre bien ce point, cf. Ps.-Josué, 51 : durant le siège d’Amida, Kavadh ordonne à ses alliés arabes, commandés par le roi lakhmide Na‘man, de ravager les territoires autour de Carrhes et Tella-Constantia. Ces derniers, accompagnés et renforcés par un contingent de Huns Hephtalites et par la cavalerie perse des marzbans de Mésopotamie, parviennent à mettre en déroute, à Tell Beshme, l’armée dépêchée contre eux par le dux Olympius : la cavalerie romaine fuit la première, laissant l’infanterie derrière elle ; contrairement à leurs homologues montés, les fantassins romains ne parviennent pas à se réfugier dans une place forte et sont complètement anéantis par la cavalerie sassanide. Voir également Ps.-Zach., Chron., IX, 2b. 128 Procop., Bell., V, 28, 21-29, 44. Sur cet engagement, cf. HODGKIN (1875), 218-24 ; SYVÄNNE (2004), 439-40. 129 Cf. supra, p. 494. Sur les Sabirs, voir WHITBY (1988), 205 ; SINOR (1990), 200 ; GOLDEN (1990), 259-60. Leur migration au nord du Caucase serait intervenue entre 461 et 465. Au VIe s., les Sabirs prennent une part active dans les conflits romano-perses en fournissant des forces supplétives aux deux camps. 130 VRYONIS (1975) ; LINDNER (1981), 8 ; DÉDÉYAN (1997), 197-8. 131 WHITBY (1988), 208 et 217-8 ; ISAAC (1990), 265 ; WHITTAKER (1994), 244-5 ; GREATREX (1998), 14-5.
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dans les sources romaines, deviennent une menace sérieuse durant la période132. Dans sa correspondance, Jérôme évoque une incursion massive lancée en 410 contre l’Égypte, la Palestine, la Phénicie et la Syrie : ad instar torrentis cuncta secum trahens133. Il précise dans sa Vie de Malchus que les Saracènes montent des chevaux et des chameaux, manient des arcs et des javelines, et envahissent les territoires romains de façon soudaine, évitant les combats et privilégiant le pillage134. Des informations convergentes sont fournies par Théophane à propos d’un raid (ἐπιδρομή) commandé par Ma’di Kārib, de la tribu des Kinda, en 502 : les Saracènes attaquent la Phénicie, la Syrie et la Palestine « comme un ouragan » (δίκην θυέλλης) et regagnent leur patrie à une telle vitesse que les Romains sont incapables de les poursuivre, alors même qu’ils sont encombrés de butin135. Les empires sédentaires se disputent l’allégeance de ces tribus pour prévenir les risques d’invasion et utiliser à leur profit leur précieuse cavalerie légère. Au VIe s., les Lakhmides et les Ghassanides offrent leurs services aux deux puissances dominantes de la région et mènent régulièrement des raids de pillage de part et d’autre de l’Euphrate136. Plusieurs attaques sont mentionnées par les sources durant la période. La mieux connue est celle que conduit le roi lakhmide Al-Mundhir III contre les provinces du Proche-Orient romain en 531. Procope affirme que la suprise opérationnelle était une composante essentielle du succès des raids lancés par ce général talentueux, qui mit à sac les frontières de l’Empire 132 GATIER (1989), 509 ; WHITTAKER (1994), 245-6 ; MIOTTO (2007) ; WOLIŃSKA & FILIPCZAK (2015), 151-6. Un premier raid important est mentionné par Ammien Marcellin en 354 : Amm., XIV, 4, 1. Mais il est certain que d’importantes confrontations militaires étaient déjà survenues auparavant, notamment sous le règne de Dioclétien, cf. supra, p. 410, n. 59. 133 Jér., Ep., 126. 134 Id., Vita Malchi, 4, 2 : Et ecce : subito equorum camelorumque sessores Ismaelitae irruerunt crinitis uittatisque capitibus ac seminudo corpore, pallia et latas caligas trahentes. Pendebant ex umero pharetrae, et laxos arcus uibrantes hastilia longa portabant. Non enim ad pugnandum, sed ad praedandum uenerant. 135 Théophane, Chron., AM. 5994 (p. 143) : Τούτῳ τῷ ἔτει γέγονε πάλιν Σαρακηνῶν ἐπιδρομὴ ἔν τε Φοινίκῃ καὶ Συρίᾳ καὶ Παλαιστίνῃ, μετὰ τὴν Ὠγάρου τελευτὴν Βαδιχαρίμου, τοῦ ἀδελφοῦ αὐτοῦ, δίκην θυέλλης ἐπιδραμόντος τοῖς τόποις, καὶ ὀξύτερον, ἤπερ ἐπέδραμεν, μετὰ τὴν λείαν ἐπαναδραμόντος, ὥστε μηδὲ ἐπιδιώξαντα Ῥωμανὸν καταλαβεῖν τοὺς ἐχθρούς. 136 Les Lakhmides, de confession nestorienne, ont leur capitale à Al-Ḥīrah et sont alliés aux Sassanides. Les Ghassinides, de confession monophysite, sont basés à Al-Djābiya et soutiennent l’Empire romain d’Orient. Cf. WOLIŃSKA & FILIPCZAK (2015), 46-8. Il est difficile de savoir quel était le dégré de sédentarité de ces peuples ; certains chercheurs estiment encore aujourd’hui qu’il s’agissait de véritables nomades : FISHER (2011), 43 et 109-12.
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romain « de l’Égypte jusqu’à la Mésopotamie »137. Il ne rencontrait personne sur son passage, car il ne faisait jamais d’incursion sans s’être renseigné préalablement sur la situation de l’ennemi. Il se déplaçait si soudainement (ἐξαπιναίως) que les généraux et les soldats romains commençaient à peine à se rassembler lorsqu’il était déjà chargé de butin. « Et si, par chance, ils étaient capables de l’intercepter, ce barbare tombait alors sur ses poursuivants alors qu’ils étaient impréparés (ἀπαρασκεύοις) et en ordre dispersé (οὐ ξυντεταγμένοις), et il les mettait en déroute et les détruisait sans difficulté ; en une occasion, il fit prisonniers tous les soldats qui étaient en train de le pourchasser ainsi que leurs officiers. » Procope met le succès de ces raids en relation avec un processus d’unification des tribus arabes clientes des Perses, qui aurait permis à Al-Mundhir III de mobiliser des armées aux effectifs considérables. Tous ces éléments rappellent le succès de la stratégie hunnique à l’époque d’Attila. On se reportera ici avec beaucoup d’intérêt à l’article de M. Miotto, qui suppose précisément que la fortune militaire des Arabes résidait dans leur grande mobilité, due, non à l’utilisation des chevaux (qui étaient trop peu nombreux dans la péninsule arabique), mais plutôt à celle des dromadaires, qui servaient de moyen de locomotion à une infanterie montée pouvant parcourir jusqu’à 95 kilomètres par jour et permettait de transporter le butin rapidement138.
II – LA CENTAURISATION
DE L’OUTIL MILITAIRE IMPÉRIAL
Aux Ve et VIe s., l’armée romaine d’Orient continue de fonctionner sur les bases de l’organisation militaire mise en place par Constantin139. Les troupes régulières se partagent toujours entre armées d’intervention, servant dans l’entourage direct de l’empereur (palatini / praesentales) ou dans le cadre des grands commandements régionaux (comitatenses / στρατιῶται), et armées frontalières (limitanei / καστρησιανοί)140. Une légère modification est apportée à ce système en 492 : un édit de l’empereur Anastase confie aux duces le commandement des unités palatines et comitatenses stationnées dans leurs districts respectifs, ce qui garantit une meilleure coordination des forces au niveau local141. La plupart des unités comitatenses continuent cependant de servir sous les ordres des magistri 137
Procop., Bell., I, 17, 40-7. MIOTTO (2007), 19-20. 139 AUSSARESSES (1909), 9-19 ; MÜLLER (1912) ; DELBRÜCK (1902, 1990 trad. angl.), 339-49 ; TREADGOLD (1995), 87-98 ; HALDON (1999), 67-71 ; SYVÄNNE (2004), 31-3 ; RAVEGNANI (1988), 29-39 ; ID. (2005) ; PETERSEN (2013), 97-103. Sur la cavalerie spécifiquement : RANCE dans ERA, I, s.v. « Cavalry: Late Empire », p. 179-86. 140 CJ, I, 27, 2, 1-8 (534 ap. J.-C.). 141 CJ, XII, 35, 18. Voir également Nov. Iust., CIII, 3 (542 ap. J.-C.). 138
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militum142. Parmi les palatini, la garde impériale se compose toujours des scholae palatinae, au nombre de sept143, auxquelles il faut ajouter, à partir des années 460, une nouvelle formation de 300 cavaliers (?), créée par l’empereur Léon Ier : les excubitores144. Les limitanei sont, pour leur part, déployés dans des forts établis aux confins de l’empire et chargés de défendre ces derniers contre d’éventuelles incursions ennemies. Contrairement à une opinion largement répandue, leur valeur martiale ne semble pas avoir décliné au cours de la période145. Trois corps de cavalerie gagnent en visibilité dans les armées de campagne du VIe s. : les foederati, les bucellaires et les optimates. Les premiers, issus pour la plupart de corps supplétifs plus anciens, sont placés sous le commandement d’un comes foederatorum et forment au sein de l’armée romaine de véritables unités permanentes, qu’il convient de distinguer des contingents alliés proprement dits (ethnikoi)146. Les seconds constituent l’escorte privée des officiers supérieurs mais appartiennent en même temps à l’armée régulière puisqu’ils sont salariés par l’État ; leurs effectifs peuvent atteindre plusieurs milliers de soldats, ce qui montre qu’il ne s’agit pas de simples gardes du corps mais bien d’une véritable formation militaire147. Enfin, les optimates (les « meilleurs », les 142 PILLON (2005), 54. Les trois armées comitatenses sont stationnées en Orient, en Thrace et en Illyrie. Sous le règne de Justinien, de nouvelles forces d’intervention sont créées en Arménie, en Espagne, en Afrique et en Italie. 143 Sur ces unités, cf. ref. supra, p. 382, n. 100, et HALDON (1984), 119-28. Les auteurs du VIe s. laissent entendre qu’elles sont devenues de simples formations d’apparat : Procop., Arc., 24, 15-21 ; Agathias, V, 15, 1-6. RAVEGNANI (2005), 198 souligne toutefois que ces témoignages sont contredits par d’autres sources qui montrent que les scholae pouvaient toujours servir de forces opérationnelles lors des expéditions militaires. 144 Jean Lyd., De mag., I, 16, 3. Cavalerie : TREADGOLD (1995), 92. Mais voir HALDON (1984), 138 : « There are no references to their having been a mounted unit. » 145 On remarque en particulier que les limitanei peuvent toujours être intégrés dans des corps expéditionnaires au VIe s. : e.g. Procop., Bell., II, 16, 17-9 et 19, 33-4. Contra DILLEMANN (1962), 224 et PILLON (2005), 48, qui pensent qu’ils servaient exclusivement comme garnisonnaires. 146 AUSSARESSES (1909), 15-6 ; HALDON (1984), 100-1 ; ZUCKERMAN (2004), 166-7. Les foederati du temps de Justinien étaient organisés en tagmata commandés par des officiers romains. Procop., Bell., III, 11, 3-4 précise qu’à son époque, plus rien n’empêchait les citoyens romains d’être recrutés dans ces unités. 147 MOMMSEN (1889b), 233-9 ; AUSSARESSES (1909), 14-5 ; GROSSE (1920), 283-91 ; JONES (1964), II, 666-7 ; HALDON (1984), 101-2 ; SCHMITT (1994) ; ZUCKERMAN (2004), 167-8 ; SARRIS (2006), 162-75. Sur l’origine de cette catégorie d’unité, voir CARRIÉ (1995), 52-9 : les bucellaires sont initialement des fédérés rattachés à un domaine par un lien de type fiscal. Bélisaire aurait eu 7 000 bucellaires à sa disposition à la fin de sa première guerre en Italie : Procop., Bell., VII, 1, 20. Dans l’œuvre de Procope, le terme « hypaspiste » désigne les bucellaires au sens large alors que « doryphore » semble plutôt renvoyer aux officiers de la garde qui peuvent être détachés comme commandants d’unités
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« nobles ») sont des contingents d’élite attestés à partir du dernier quart du VIe s. Les combattants qui servent dans ces unités sont à l’origine des aristocrates goths recrutés par Tibère II en 574-575 ; ils sont accompagnés de leurs écuyers et servent sous le commandement d’un ταξίαρχος148. Ces corps entreront plus tard, en totalité ou en partie, dans la composition de la suite militaire impériale créée par Héraclius : l’opsikion149.
A. Le renforcement de l’importance relative de la cavalerie dans les armées mixtes Dans les armées de campagne des Ve et VIe s., les troupes montées semblent avoir occupé une place beaucoup plus importante qu’auparavant. Tout d’abord parce que, comme nous le verrons en détail plus loin, les généraux byzantins se trouvaient parfois à la tête de pures armées de cavalerie, ce qui constituait une nouveauté majeure. Mais aussi parce qu’ils commandaient des forces mixtes dans lesquelles l’importance numérique de la cavalerie était proportionnellement plus affirmée que dans l’Empire romain tardif. Maurice recommande ainsi de constituer des corps expéditionnaires avec un tiers de cavaliers et deux tiers de fantassins150. Il concède que la proportion des troupes montées peut éventuellement descendre à un quart du total des effectifs, mais il donne dans un tactiques en campagne : e.g. Procop., Bell., VI, 7, 26 (avec PERTUSI [1968], 634). Agathias n’utilise pas la même terminologie dans sa description de la maison miliaire de Narsès, cf. I, 19, 4-5 (trad. P. Maraval) : « Narsès allait à Ravenne, à la tête de ses serviteurs (θεραπευτάς), de ses gardes (δορυφόρους) et de son état-major (ὅσοι τῆς ἀρχῆς αὐτῷ ὑπηρέται ἐτύγχανον ὄντες) […]. L’accompagnaient aussi Zandalas, le chef de ses domestique privés (ὁ τῶν οἰκοτρίβων ὀπαδῶν πρωτοστάτης), tout le reste de sa maison (ὅσον ἄλλο οἰκετικόν) et ses eunuques valets de chambre. Il gagnait donc Ravenne à la tête de quatre cents hommes en tout. » À la bataille de Casilinum (554 ap. J.-C.), Zandalas apparaît à la tête des ὀπαδοί et commande aussi les θητικοί (II, 8, 2). Tous semblent combattre à cheval, sur l’aile droite de la ligne de bataille. En III, 16, 4 où il est question de la suite de Soterichos, les θητικοί sont distingués des παῖδες (les enfants du général), des δορυφόροι et des δοῦλοι. En IV, 21, 6, Agathias distingue au sein de la maison militaire de Justin les θητικοί et les δοῦλοι d’une part, et les ὀπαδοί, ὑπηρέται et δορυφόροι d’autre part. En I, 15 1-2 (à propos de la garde de Fulcarius), ὀπαδοί est utilisé comme un synonyme de δορυφόροι. Il semble donc qu’ὀπαδοί désigne spécifiquement les bucellaires combattants, θητικοί leurs valets d’armes, ὑπηρέται les officiers de ce même corps et δορυφόροι les membres de la garde montée au sens large. 148 AUSSARESSES (1909), 16. Origines : cf. Evagr., HE, V, 14 (ἴλας ἱππέων ἀρίστων) et HALDON (1984), 96-100. Organisation : Maurice, Strat., I, 3, 23-5 et II, 6, 29-30. 149 HALDON (1984), 173. 150 Maurice, Strat., XII, A, 7, 9-12.
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autre chapitre l’exemple d’une armée composée de 24 000 fantassins (67%) et 12 000 cavaliers (33%), ce qui atteste que le premier ordre de grandeur était considéré comme la véritable norme151. Les exemples historiques d’armées de campagne décrits dans les sources littéraires du VIe s. confirment les prescriptions théoriques du Stratêgikon et attribuent parfois à la cavalerie une place plus importante encore : – Dans le livre III des Guerres, Procope donne une description détaillée de l’armée commandée par Bélisaire, en Afrique, contre les Vandales, au printemps de l’année 533152. Le magister militum per Orientem avait à sa disposition 10 000 fantassins et 5 000 cavaliers, certains issus de l’armée régulière (ἔκ τε στρατιωτῶν), d’autres du corps des foederati (ἔκ τε φοιδεράτων)153. La proportion exacte des deux composantes montées du corps expéditionnaire n’est pas précisée, mais Procope énumère leurs commandants : il y en a treize en tout, ce qui semble bien correspondre à l’effectif théorique de 300/400 cavaliers que le Stratêgikon assigne aux tagmata de cavalerie (13 × 385 = 5 000)154. Les commandants des foederati sont au nombre de neuf, ce qui ferait environ 3 500 fédérés, contre 1 500 equites comitatenses155. Procope ajoute à cet inventaire 400 Hérules et 600 Huns, des « alliés barbares » (ξύμμαχοι βάρβαροι), « tous cavaliers archers » (ἱπποτοξόται πάντες)156, portant le total de la cavalerie à 6 000 hommes. Et il y en avait certainement davantage si l’on tient compte du fait que les bucellaires de Bélisaire ne sont pas intégrés dans ce tableau d’effectifs. Procope les mentionne un peu plus loin : il précise que le général romain était accompagné de « nombreux porte-lances » (πολλοὶ δορυφόροι) et de « nombreux portes-boucliers » (πολλοὶ δὲ ὑπασπισταί), tous des « hommes bons à la guerre » (ἄνδρες τε ἀγαθοὶ τὰ πολέμια)157. Ces bucellaires étaient au moins 1 100, puisque dans un autre passage, il est question de deux détachements de 300 et 800 hypaspistes158. La compilation de ces données peut ainsi permettre de 151
Ibid., XII, B, 8-9 et 13. Cf. PERTUSI (1968), 636 et PRINGLE (1981, 2001 2e éd.), app. 1. 153 Procop., Bell., III, 11, 2. 154 Ibid., III, 11, 5-7. Le tagma de foederati qui était commandé par Cyril lors de cette campagne comptait effectivement 400 soldats : ibid., III, 11, 1 et 24, 19. 155 Cf. JONES (1964), II, 667. 156 Procop., Bell., III, 11, 9. Voir aussi Théophane, Chron., AM. 6026 (p. 189). 157 Procop., Bell., III, 11, 19. 158 Ibid., III, 17, 1 et 19, 23. Selon PRINGLE (1981, 2001 2e éd.), 51-2, ils étaient plus de 2 000. Rappelant que Bélisaire disposait de 7 000 bucellaires contre les Goths en Italie, SYVÄNNE (2001), 435, n. 5 avance une estimation de 5 000 bucellaires pour l’Afrique en 152
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parvenir au grand total de 10 000 fantassins et au moins 7 100 combattants montés, ce qui représente une proportion minimale de 41,5% pour la cavalerie159. – Trois ans plus tard, lors de l’expédition italienne de Bélisaire contre les Goths, l’importance de la cavalerie semble encore plus marquée160. Nous ne disposons pas de chiffres aussi précis que pour le Bellum Vandalicum mais plusieurs indices disséminés dans l’œuvre de Procope accréditent une telle conclusion. L’historien de Césarée commence par évoquer une armée de campagne composée de 4 000 soldats issus des unités régulières et fédérées (στρατιώτας ἐκ μὲν καταλόγων καὶ φοιδεράτων), ainsi que de 3 000 Isauriens161. Ces forces comprenaient des combattants montés et des fantassins sans qu’il soit possible de savoir en quelles proportions. Procope se contente de dire que les unités régulières de cavalerie (καταλόγων δὲ ἱππικῶν) étaient commandées par trois officiers, en plus des quatre commandants attachés à l’infanterie, et que les Isauriens disposaient de leur propre ἀρχηγός162. Il y avait en outre des alliés (σύμμαχοι) – 200 Huns et 300 Maures –, sans compter les nombreux bucellaires (δορυφόρους τε καὶ ὑπασπιστὰς πολλούς) de Bélisaire163. Si l’on part du principe que chaque commandant de cavalerie avait environ 400 cavaliers à sa disposition, il est possible d’estimer l’effectif de l’equitatus comitatensis à environ 1 200 combattants. Comme les foederati étaient tous des cavaliers, et qu’ils étaient généralement plus nombreux que les equites comitatenses, les quatre katalogoi d’infanterie régulière ne devaient guère compter plus de 1 500 combattants. En revanche, les Isauriens étaient incontestablement des fantassins164. À supposer que Bélisaire ait eu 1 200 bucellaires à sa disposition (ce qui est une estimation 533. Dans un contexte différent voir Procop., Bell., II, 19, 15 : 1 200 bucellaires détachés par Bélisaire lors de sa marche vers l’Assyrie en 541. 159 D’après KALDELLIS (2004-2005), 198, plus de la moitié des combattants de Bélisaire étaient des cavaliers. Peut-être faudrait-il ajouter à l’inventaire des forces d’infanterie les 2 000 soldats qui étaient embarqués sur les navires de guerre de Bélisaire (Procop., Bell., III, 11, 16), mais il est difficile de savoir si ces marins quittaient leurs navires lors des opérations terrestres. En III, 17, 10, lors de la marche du corps expéditionnaire romain vers Carthage, ils accompagnent le mouvement des forces terrestres en longeant la côte. Au moment de la bataille d’Ad Decimum, Procope (Bell., III, 19, 2) signale qu’ils sont trop éloignés du littoral pour intervenir. 160 Cf. PERTUSI (1968), 636. 161 Procop., Bell., V, 5, 2. 162 Ibid., V, 5, 3. 163 Ibid., V, 5, 4. 164 Cf. ibid., V, 28, 23-9 et VI, 11, 5-7.
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basse au vu de l’effectif de 7 000 gardes que lui prête Procope à un stade ultérieur de la guerre), cela ferait un corps expéditionnaire constitué d’un minimum de 48% de cavaliers. Cette tendance à accorder une place privilégiée à la cavalerie se retrouve dans la composition des supplementa envoyés en Italie au fil de la guerre : lors du siège de Rome en 537, Bélisaire reçoit un renfort de 1 600 cavaliers huns, sclavènes et antes165 ; en 538, une nouvelle force de secours lui parvient d’Orient – 3 000 Isauriens, 800 cavaliers thraces et 1 000 cavaliers de l’armée régulière, soit 37,5% de cavaliers166 ; Zénon arrive à Rome séparément par le Samnium avec 300 cavaliers supplémentaires, ce qui monte le total des renforts à 41,2% de cavaliers167. – En 552, lors de l’expédition conduite par Narsès contre Totila en Italie168, Procope évoque une multitude indéfinie de soldats provenant de Byzance, de Thrace et d’Illyricum, 2 500 cavaliers lombards d’élite, venus avec 3 000 serviteurs (les valets d’armes des nobles ? Cf. Maurice, Strat., II, 6, 29-30), plus de 3 000 cavaliers hérules, une multitude de Huns (Οὖννοί τε παμπληθεῖς), Dagistheus et son escorte (ξὺν τοῖς ἑπομένοις : des bucellaires ?), des déserteurs (αὐτομόλους) perses et 400 Gépides169. Si l’on additionne les 5 500 Lombards aux 3 000 Hérules, on obtient déjà un effectif minimum de 8 500 cavaliers. Mais encore faut-il tenir compte du « grand nombre de Huns », des bucellaires des uns et des autres (Narsès, Jean, Dagistheus) 170, des déserteurs perses de Kavadh et peut-être des Gépides, sans compter les unités régulières de cavalerie prélevées en Thrace et en Illyricum171. On peut alors conjecturer que l’equitatus de Narsès dépassait allègrement l’effectif de 10 000 hommes. Les chiffres de l’infanterie sont plus difficiles à établir. Lors de la bataille de Taginae qui se déroule quelques mois plus tard, Procope mentionne 8 000 archers à pied (πεζοὺς μέντοι τοξότας ἐκ τῶν καταλόγου στρατιωτῶν)172. Ce sont les seuls fantassins explicitement mentionnés lors de la campagne. 165
Ibid., V, 27, 1-2. Ibid., VI, 5, 1. 167 Ibid., VI, 5, 2. 168 Cf. PERTUSI (1968), 636. 169 Procop., Bell., VIII, 26, 10-3. 170 À propos de la bataille de Taginae, Procope (VIII, 31, 3) évoque la multitude de porte-lances et de porte-boucliers qui entouraient le général : δορυφόρων τε καὶ ὑπασπιστῶν […] πλῆθος. 171 Au moins 1 500 cavaliers distingués des barbares lors de la bataille de Taginae : ibid., VIII, 31, 6. 172 Ibid., VIII, 31, 5. 166
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Le centre de la ligne de bataille est occupé par une phalange de combattants lombards, hérules et par d’autres barbares ; mais il s’agit de cavaliers démontés (ἔκ τε τῶν ἵππων ἀποβιβάσας)173. Si l’on admet avec Philip Rance que l’armée de Narsès devait compter environ 25 000 hommes174, il devient évident que la cavalerie représentait au moins la moitié du corps expéditionnaire, et probablement davantage. – L’habitude consistant à mobiliser plus de cavaliers que de fantassins dans les armées de campagne semble à son apogée à la fin du VIe s. Lors des opérations menées par Comentiolus contre les Avars en 587, Théophylacte Simocatta note que l’armée romaine comprenait 6 000 « combattants » (μάχιμοι) et 4 000 « non combattants » (ἀπόμαχοι)175. Les premiers étaient chargés d’engager l’ennemi ; la suite du récit révèle que ces combattants étaient bien des cavaliers puisqu’ils étaient censés lancer des embuscades contre les envahisseurs et se retirer immédiatement après leurs coups de main. Quant aux apomachoi, ils étaient affectés à la garde du camp de marche (χάραξ) et du bagage (ἀποσκευή). S’agissait-il de serviteurs ? Cela semble peu probable car ces défenseurs des retranchements étaient bien investis d’une véritable mission tactique, accomplie ordinairement par des soldats réguliers. Le terme apomachos désigne d’ailleurs bien des guerriers lors de la bataille du Nymphius, en 582176. Dans le cas qui nous intéresse, il semble bien être question de fantassins177. Comentiolus avait en réalité privilégié la prudence, comme le recommande Maurice dans son chapitre sur les guerres contre les peuples « scythiques »178 : il considérait que son infanterie ne devait pas s’éloigner des retranchements en rase campagne, sauf à prendre le risque d’être attaquée, encerclée et anéantie par les cavaliers ennemis179. On peut donc 173
Ibid., VIII, 31, 5. RANCE (2005), 450. Il s’agit peut-être d’une estimation optimiste : l’année suivante, en 553, lors de la campagne contre Butilin, l’armée romaine de Narsès comptait 18 000 hommes (Agathias, II, 4, 10). 175 Théophylacte, II, 10, 8-9. Sur cette campagne, cf. WHITBY (1988), 145-51 et WENDEL (2006). 176 Théophylacte, I, 9, 10 : l’expression renvoie à l’aile droite du dispositif de bataille, commandée par Curs, qui ne prend pas part au combat. 177 Voir en ce sens MAZZUCCHI (1981), 132. 178 Maurice, Strat., XI, 2, 79-108. L’auteur précise que l’infanterie peut être déployée avec la cavalerie pour l’engagement, mais qu’il ne s’agit pas d’une nécessité et que les troupes montées peuvent se battre seules. 179 Théophylacte reprend une distinction équivalente dans sa description de l’armée de campagne de Romanus contre les Perses en Albanie (589-590 ap. J.-C.). Théophylacte, III, 7, 9 : les μάχιμοι sont détachés du reste de l’armée pour prendre part à la bataille alors 174
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supposer que son armée comprenait une proportion de 60% de cavaliers. Tous ces témoignages indiquent que la cavalerie occupait, dans les armées mixtes du VIe s., une place beaucoup plus importante que par le passé. Il est en revanche impossible de préciser comment cette évolution se reflétait dans le total des effectifs de l’armée régulière de l’Empire romain d’Orient, et notamment au sein des armées frontalières. Frank Trombley suppose que, outre les suppressions, les créations et les déplacements d’unités, la majorité des troupes frontalières fut reconvertie en unités de cavalerie durant cette période180. Michel Pillon pense au contraire que la plupart des soldats limitanei du VIe s. étaient devenus des fantassins, car ils auraient été affectés à la garde des forts dans le cadre d’une nouvelle stratégie purement défensive181. En réalité, il y a peu de raisons de penser que la situation avait changé par rapport au IVe s. : il devait toujours y avoir une forte proportion de cavaliers dans les armées frontalières, ne serait-ce que pour mener les opérations de harcèlement décrites par le Peri stratêgias182. La cavalerie était-elle pour autant devenue l’arme majoritaire au VIe s. ? Plusieurs spécialistes l’ont supposé183. Un seul témoignage permet d’apprécier l’évolution des effectifs de l’armée au Ve s., mais dans un cadre régional restreint : Malchus indique qu’en 478, le magister militum per Thracias pouvait mobiliser 2 000 cavaliers et 10 000 fantassins184. À l’époque de rédaction de la Notitia dignitatum, ce même général des armées de Thrace avait trois vexillations palatines, quatre vexillations comitatenses et vingt-et-une légions comitatenses à sa disposition185. Cela faisait un effectif équivalent de cavaliers (2 100 si l’on attribue 300 soldats à chaque vexillation), mais une force d’infanterie deux à trois fois plus importante. À supposer que l’exemple de ce district militaire soit représentatif de la situation générale, la proportion semble donc bien avoir évolué en faveur de la cavalerie au Ve s.
que des ἀπόλεκτοι sont gardés en réserve pour protéger le camp. Lors de la bataille qui suit, il n’est nullement question de fantassins. 180 TROMBLEY (2007), 326. 181 PILLON (2005), 48. 182 Cf. Syr. Mag., Strat., 6. 183 Cf. AUSSARESSES (1909), 9 ; DENNIS (1984), ix-x ; HALDON (1999), 193-7 ; LUTTWAK (2009, 2010 trad. fr.), 41. Contra TREADGOLD (1995), 108 ; KALDELLIS (20042005), 185 ; RANCE (2005), 427-3. 184 Malchus, fr. 18, 2, l. 14-6. 185 ND Or., 8.
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B. Le développement des armées de cavalerie C’est là la grande nouveauté apportée par la période proto-byzantine : pour la première fois dans l’histoire de l’Empire romain, les généraux mobilisent de façon régulière de grandes armées de cavalerie parfaitement autonomes186. Ce sont parfois plusieurs dizaines de milliers de cavaliers qui agissent ensemble sur un même théâtre d’opérations pour effectuer des missions diverses, allant de la dévastation des territoires ennemis à la destruction d’armées adverses. Ce qui était depuis le début de la période classique une spécificité de l’art nomade de la guerre tend donc à devenir un mode opératoire courant. Une telle évolution est certainement liée aux facteurs contextuels qui ont été inventoriés au début de ce chapitre ; il faut y voir la conséquence de la formation de grandes confédérations militaires sous l’égide des Huns puis des Avars. À la fin du VIe s., la cavalerie du khagan fait office de véritable « armée paradigmatique »187. Ce sont jusqu’aux Germains orientaux qui sont influencés par les pratiques steppiques puisque les sources mentionnent à plusieurs reprises des armées vandales et ostrogothiques constituées uniquement de cavaliers188. Dans le monde romain, de telles armées de cavalerie sont signalées à partir du VIe s., surtout en Orient, dans le cadre des guerres contre les Perses. Les raids de pillage menés en Haute-Mésopotamie font parfois Voir sur ce point SYVÄNNE (2004), 40. Cf. LYNN (1996), 510 qui décrit ainsi le rôle de catalyseur joué par certaines puissances militaires dans le processus d’évolution historique des techniques guerrières : « From time to time, a particular army became a model for its age; it provided the paradigm for other armies and thus, defined the core characteristics for a stage of military evolution. » 188 Concernant les Vandales d’Afrique, voir Procop., Bell., III, 8, 27 (bataille contre les troupes Maures de Cabaon, 523 ap. J.-C.) : « [les Vandales] n’étaient bons ni comme javeliniers, ni comme archers, pas plus qu’ils n’allaient au combat comme fantassins, mais ils étaient tous des cavaliers (ἱππεῖς τε ἦσαν ἅπαντες) ». Concernant les Ostrogoths, cf. Malchus, fr. 18, 2, l. 51-2 (478 ap. J.-C.) : « chacun d’entre eux avait deux ou trois chevaux (σύντρεις ἕκαστος ἵππους ἔχων) ». Voir aussi Procop., Bell., V, 11, 28 (campagne de Bélisaire en Italie, 535 ap. J.-C.) : « Alors, ayant rassemblé tous les Goths (ἅπαντας Γότθους) de tous côtés ; [Vitigès] les passa en revue et les organisa, en leur distribuant comme prévu armes et chevaux dans chaque division, à raison d’un seul par Goth (ὅπλα τε καὶ ἵππους διανέμων κατὰ λόγον ἑκάστῳ, μόνους δὲ Γότθους) ». Contrairement aux Goths et aux Vandales, voire aux Lombards, les Alamans et surtout les Francs ont conservé plus longtemps un modèle militaire fondé sur l’infanterie. Cf. LEBEDYNSKY (2001b), chap. 3, qui parle de « sarmatisation des techniques militaires » des peuples germaniques orientaux (p. 67). Les Perses, avaient, quant à eux, depuis longtemps adopté le paradigme des all-cavalry armies, qu’ils avaient hérité des Parthes. Pour deux exemples contemporains, cf. Procop., Bell., I, 17, 1 (531 ap. J.-C.) et surtout Men. Prot., fr. 23, 1, l. 27-9 (578 ap. J.-C.). Cela ne les empêchait pas, aussi, de mobiliser des armées mixtes. Cf. SYVÄNNE (2004), 330-5 et DMITRIEV (2008), 9-59. 186 187
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intervenir des corps expéditionnaires formés exclusivement de troupes montées, prélevées au sein de l’armée régulière ou fournies par les alliés arabes ghassanides189. En Occident, les exemples sont plus rares mais pas inexistants. En 549, Justinien missionne ainsi une force de 10 000 cavaliers romains et de 1 500 alliés hérules pour aider les Lombards dans leur conflit avec les Gépides190. Selon Philip Rance, « these troops were probably drawn from the three magistral armies based in Balkans »191. Mais le plus souvent, les généraux romains ont recours à des alliés nomades pour lever de telles armées. En 578, alors que les Slaves mènent des raids en Grèce, l’empereur Tibère II (578-582) demande son aide au khagan des Avars Baian ; celui-ci accède à sa demande et ses troupes sont transportées en Illyricum pour être portées contre les envahisseurs. Ménandre le Protecteur parle d’une force de 60 000 cavaliers cuirassés (ξ’ χιλιάδας ἱππέων θωρακοφόρων)192. La mobilisation de grandes armées de cavalerie est une option envisagée par les traités militaires d’époque byzantine. L’auteur du Stratêgikon recommande aux généraux d’avoir, dans la mesure du possible, plus de cavalerie que d’infanterie dans leurs corps expéditionnaires193. Il décrit 189 Ps.-Josué, 69 (504 ap. J.-C.) : raid conduit par le dux Timostratus avec 6 000 cavaliers contre le camp établi par les Perses à proximité de Nisibe. Procop., Bell., II, 19, 16 (541 ap. J.-C.) : raid conduit par al-Harith (Arabes ghassanides) avec 1 200 soldats romains (pour la plupart des bucellaires) en Assyrie. D’autres exemples sont moins explicites mais suggèrent fortement, par leur mode opératoire, la présence exclusive de cavaliers. Ps.-Josué, 75 (504 ap. J.-C.) : raid commandé par le général Areobindus pour dévaster et piller l’Arzanène ; environ 7 000 « hommes » (l’exécution d’une fausse fuite est mentionnée dans la suite du récit). Procop., Bell., I, 12, 20 (526 ap. J.-C.) : raid de pillage mené par Bélisaire et Sittas (alors gardes du corps du général Justinien) en Persarménie. Théophylacte, III, 10, 2-3 (572 ap. J.-C.) : raid du magister militum per Orientem Marcianus en Arzanène avec 3 000 « hommes d’armes » (τρισχιλίους ἐκ τοῦ ὁπλιτικοῦ). 190 Procop., Bell., VII, 34, 40-2. 191 RANCE (2005), 450, n. 96. 192 Men. Prot., fr. 21. 193 Maurice, Strat., VIII, 2, 85 : « Le général ferait bien d’avoir plus de cavaliers que de fantassins. Les seconds ne sont utiles que pour le combat stationnaire tandis que les cavaliers peuvent facilement poursuivre ou retraiter, et descendus de cheval, ils combattent à pied avec tout autant de facilité. » (Πλείονας ἱππεῖς τῶν πεζῶν ἐχέτω μᾶλλον ὁ στρατηγός· οἱ μὲν γὰρ πρὸς σταταίαν μάχην εἰσὶν ἐπιτήδειοι, οἱ δὲ καὶ πρὸς τὸ διώκειν εὐκόλως καὶ ὑποχωρεῖν εἰσι χρήσιμοι, καὶ κατίοντες τῶν ἵππων εὐκόλως πεζομαχήσουσιν). La supériorité tactique de la cavalerie est encore affirmée en IX, 2, 59-62 : « Si les forces adverses se composent d’infanterie et que notre attaque est menée par de la cavalerie, il est clair que notre armée causera de sérieux dommages à l’ennemi ou qu’elle sera capable de se replier indemne puisque l’infanterie sera incapable de la poursuivre. » (Εἰ γὰρ πεζοὶ ὦσιν οἱ ἐναντίοι, καβαλλάριοι δὲ οἱ ἐπερχόμενοι, πρόδηλόν ἐστιν, ὅτι ἔβλαψαν τοὺς ἐναντίους ἢ αὐτοὶ ἀπαθεῖς ἀναχωροῦσι τῶν πεζῶν διώκειν αὐτοὺς οὐ δυναμένων).
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dans la première partie de son œuvre un véritable καβαλλαρικὸς στρατός, constitué uniquement de troupes montées194. Cette description très précise est illustrée par plusieurs diagrammes explicatifs. L’un d’entre eux montre l’ensemble de l’armée (παράταξις) rangée sur deux lignes principales (fig. 49). Pas moins de 113 escadrons (banda) sont représentés, pour un total de combattants qui devait avoisiner les 35 000 soldats195. Comme tout modèle théorique, ce diagramme doit être analysé et interprété avec prudence, car il n’est pas assuré que son contenu reflète fidèlement la réalité. Mais il est fort possible qu’un document produit à des fins pratiques ait servi de source pour sa réalisation puisque nous retrouvons dans le Stratêgikon plusieurs corps de troupes historiquement attestés en Orient à la fin du VIe s. (uexillationes, foederati, Illyriciani et optimates). Certains éléments permettent même de rattacher cet ordre de bataille à un contexte précis : celui de la campagne de Philippicus contre les Perses en 586, marquée du sceau de la victoire obtenue par les Romains à la bataille de Solachon. Cette expédition, qui semble fournir l’arrière-plan historique des livres II et III du Stratêgikon, prit place dans la continuité des opérations offensives entamées sous le commandement de Maurice (alors magister militum per Orientem) à partir de l’année 578196. La composante montée de l’armée romaine mobilisée contre les Perses devait être très importante du fait de l’apport considérable des fédérés recrutés précédemment par Tibère (en plus de son mandat de généralissime des armées d’Orient, Maurice avait aussi le titre de comes foederatorum)197. La première action de Maurice consista à lancer une « incursion soudaine » (ἐσέβαλεν ἀθρόον) en Arzanène198. Après des opérations semblables en Mésopotamie et en Babylonie, le relais fut pris en 582 par Jean Mystacon, qui livra une première grande bataille sur le Nymphius (rivière Batman), à l’automne – engagement à l’issue malheureuse, suivi d’une seconde défaite en 583 près d’Akbas199. Ces évènements valurent à Jean d’être relevé de 194 Ibid., II, 1, 5 ; 2, 3. L’intitulé de ce chapitre du traité est explicite : ΠΕΡΙ ΚΑΒΑΛΛΑΡΙΚΗΣ ΠΑΡΑΤΑΞΕΩΣ (« Sur l’ordre de bataille de la cavalerie »). 195 MAZZUCCHI (1981), 116-7. Cf. SYVÄNNE (2004), 74-5. Le schéma théorique du tagma de cavalerie présenté par Maurice, Strat., III, 2 comprend 310 soldats. Mais les effectifs de l’armée du diagramme devaient être supérieurs dans la mesure où certaines unités (les banda d’optimates en particulier) avaient plus de 400 cavaliers. Cf. ibid., I, 4, 34-5 ; II, 20, 17-9. 196 Sur cette séquence d’évènements, voir WHITBY (1988), 268-86. 197 Cf. supra, p. 519. 198 Agathias, IV, 29, 8. 199 WHITBY (1988), 277-8.
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Figure 49 – Armée de cavalerie présentée dans Maurice, Strat., III, 8. Source : MAZZUCCHI (1981), 116-7. Reproduit avec l’aimable autorisation de Vita e Pensiero.
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son commandement. Il est intéressant de noter que, lors de la bataille du Nymphius, l’armée romaine ne se rangea que sur une seule ligne, sans troupes de réserve, ce qui fut peut-être l’une des causes de sa déroute200. Or, dans son traité, Maurice s’attache longuement à mettre en garde ses lecteurs contre l’adoption d’un tel dispositif, selon lui très risqué201. Il est probable que le beau-frère de l’empereur, Philippicus, le successeur de Jean au poste de magister militum per Orientem, soit directement à l’origine de cette prise de position. Si l’on parcourt de plus près le récit de la campagne de 586 dans les Histoires de Théophylacte Simocatta, il apparaît en effet qu’il existait un compte rendu précis de la bataille de Solachon et des opérations qui l’entourent. Ces commentarii ont certainement été rédigés par le généralissime Philippicus lui-même, personnage dans lequel certains spécialistes ont cru reconnaître le véritable auteur du Stratêgikon (Philippicus était, de l’aveu même de Théophylacte, versé dans l’étude de la res militaris)202. Sans aller jusqu’à faire de lui l’auteur du traité, on peut supposer que l’empereur Maurice s’est inspiré de sa relation pour modéliser son kaballarikos stratos. Plusieurs éléments du Stratêgikon trouvent en effet des parallèles troublants dans la bataille de Solachon (fig. 50)203 : les places respectives du général et de l’hypostratêgos dans le dispositif de bataille204 ; la 200 Théophylacte I, 9, 7 : « Et ainsi Jean déploya l’ensemble de ses forces en trois divisions (τριτταῖς κατετάξατο μοίραις) ; il prit lui-même la direction du centre de l’armée (τοῦ μαχίμου τὸ μεσώτατον), son hypostratège Curs tenait l’aile droite (τὸ δεξιόν), et Ariulf la gauche (τὸ λαιόν). » Dans le combat qui s’ensuit, les Romains n’attaquent qu’avec deux divisions (δυσὶ κέρασιν), le centre de Jean et la gauche d’Ariulf. Ils parviennent à mettre en fuite les Perses dans un premier temps mais, voyant que Curs ne les accompagne pas, ils ne poussent pas plus loin et sont à leur tour mis en déroute par l’ennemi qui repousse l’armée romaine jusqu’à ses retranchements (id., I, 9, 9-11). Théophylacte ne précise à aucun moment que les fuyards furent appuyés par une ligne de réserve. La forme verbale κατετάξατο implique bien que toutes les forces romaines étaient rangées sur une seule ligne. 201 Maurice, Strat., II, 1, 5-29. 202 Cf. WIITA (1977), 30-49 ; DENNIS (1981), xvii ; GREATREX & LIEU (2002), 168-9. Théophylacte, I, 14, 2 : φήμη δέ τις διέρρει ὡς ὁ στρατηγὸς φιλομαθέστατος ὢν καὶ πολεμικὰς ἐπιστήμας ἐκ τῶν πάλαι σοφῶν ἀρυσάμενος ἐκ τῆς Σκιπίωνος τοῦ ἡγεμονικωτάτου ἀγχινοίας τὴν ἐντρέχειαν ταύτην τῆς σοφῆς στρατηγίας περιεβάλετο. 203 Sur cette bataille, cf. SYVÄNNE (2004), 446-8 et dernièrement KOTŁOWSKA & RÓŻYCKI (2015). La source principale est Théophylacte, II, 3, 1-4, 14. La rencontre a lieu dans la plaine de Solachon, au sud de Dara, non loin de Mardes / Mardin (II, 3, 12). Le site est plus précisément situé à 12 milles (c. 17,8 km) de Dara (II, 4, 10). DILLEMANN (1962), 156, fig. xx pense qu’il correspond au village de Salah. 204 Maurice, Strat., II, 16, 14-9 (le stratêgos se tient au centre de la deuxième ligne de bataille) ; III, 12, 2-4 (l’hypostratêgos occupe le centre de la première ligne de bataille). Lors de la bataille de Solachon, Héraclius l’Ancien se place à la tête de la division du centre de la première ligne. Théophylacte le qualifie de στρατηγός, mais il ne fait aucun
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Figure 50 – Proposition de reconstitution de l’ordre de bataille romain à Solachon (586 ap. J.-C.).
tripartition de la première ligne205 ; le déploiement des Huns comme troupes d’embuscade à proximité du meros de l’aile gauche206 ; la présence doute qu’il agit en qualité de lieutenant de Philippicus. Celui-ci n’est pas à la tête de l’une des divisions de première ligne, mais semble plutôt posté en deuxième ligne avec les troupes d’élite, ce qui se déduit aisément du récit, puisqu’une fois que son exhoration fut terminée, « les capitaines et les premiers rangs de l’armée (οἱ δὲ λοχαγοὶ οἵ τε πρωτοστάται τῶν δυνάμεων), ou plutôt les tribuns (χιλίαρχοι), se rassemblèrent et incitèrent le général à se déplacer vers l’arrière des forces (ἐπὶ τὸ οὔραιον τῆς δυνάμεως μεταβήσεσθαι). » Cette mise en scène laudative, destinée à mettre en relief le courage du commandant en chef, dissimule maladroitement une procédure ordinaire : selon le Stratêgikon (II, 16, 14-9), ce n’est en efffet qu’au dernier moment que le strategôs, initialement posté en première ligne pour veiller au bon ordre de la formation, rejoint son meros en deuxième ligne. 205 Théophylacte, II, 3, 1 : ὁ μὲν οὖν Φιλιππικὸς τὸ Ῥωμαϊκὸν διεκόσμησε καὶ τριτταῖς κεραίαις τὸ μάχιμον διετάξατο. 206 Théophylacte, II, 3, 1 affirme qu’Apsich le Hun « entourait » ou « flanquait » l’aile gauche d’Eilifreda : καὶ Ἀψὶχ ὁ Οὖννος τὴν αὐτὴν περιεβάλετο δύναμιν. Ce passage a été mal traduit par M. Whitby dans son édition des Histoires de Théophylacte (« furthermore Apsich the Hun also assumed the same force ») et mal compris par KOTŁOWSKA & RÓŻYCKI (2015), 322, qui pensent que le groupe nominal τὴν αὐτὴν δύναμιν indique
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des fédérés au centre de la ligne de bataille, sous le commandement d’Héraclius l’Ancien207 ; l’incident disciplinaire occasionné par le pillage du bagage perse par l’aile droite de Vitalius208 ; les modalités du partage du butin à la suite de la défaite perse209. Par ailleurs, la parataxis kaballarikê du Stratêgikon peut être adaptée sans difficulté aux détails du récit de Théophylacte : le dux Eilifreda, qui occupait l’aile gauche du dispositif à Solachon, pouvait très bien commander les contingents de cavaliers limitanei orientaux mobilisés pour la campagne (il s’agissait probablement de l’élite de la cavalerie orientale, les equites Illyriciani, dont le diagramme du Stratêgikon représente 17 banda210) ; Vitalius, en tant que comes rei militaris, commandait peut-être les vexillations régulières de l’armée comitatensis ; quant aux 12 000-15 000 cavaliers germaniques recrutés par Tibère en Occident et qui étaient certainement présents dans qu’Apsich commandait un « détachement similaire » à celui d’Eilifreda. En fait, Théophylacte se contente de dire qu’un corps de troupes commandé par Apsich stationnait à proximité de l’aile gauche. Dans le cadre du modèle fourni par le Stratêgikon, il pourrait aussi bien s’agir d’une moira de cursores (c’est l’hypothèse défendue par SYVÄNNE [2004], 446), de flanc-gardes ou de troupes d’embuscade. Comme Maurice (Strat., II, 6, 33-5) conseille explicitement d’assigner les contingents étrangers (τοὺς δὲ ἐθνικούς), rangés en formation irrégulière, aux embuscades, il nous semble que la dernière hypothèse doit être privilégiée : les Huns d’Apsich étaient probablement postés derrière l’extrémité de l’aile gauche, afin de tromper l’ennemi. 207 Théophylacte, II, 3, 2 : ὁ δὲ στρατηγὸς τὸ μεσαίτατον ἀνελάμβανε κέρας, ταὐτὸν δ’ εἰπεῖν Ἡράκλειος. La composition de cette division n’est pas précisée. Il nous semble cependant que le récit de la bataille contient un indice convaincant : au plus fort de l’affrontement, les troupes du centre (μεσώταται φάλαγγες), mises en difficulté, refusent de se retirer vers la ligne de réserve et démontent pour poursuivre un combat stationnaire à pied. Outre que ce type de comportement est explicitement associé par le Stratêgikon aux Germains (XI, 3, 4-10 ; cité supra, p. 36, n. 64), Théophylacte souligne que dans la mêlée, les soldats d’Héraclius cherchaient à blesser les montures de leurs ennemis, une technique de combat que nombre de sources anciennes associent aux populations germaniques (cf. SPEIDEL [2004a], chap. 17-8). 208 Théophylacte, II, 4, 1-4. Voir les mises en garde répétées du Stratêgikon (I, 8, 16 ; VII, A, 14 ; VII, B, 17, 38-9), qui font peut-être écho à cet épisode de la bataille. 209 Comparer Théophylacte, II, 6, 10-1 et Maurice, Strat., II, 9, 12-21. 210 Cf. PLRE, III, s.n. « Eiliphredas », p. 435 (dux Phoenices Libanensis). L’effectif de 17 banda d’Illyriciani n’est certainement pas fantasiste dans la mesure où les Mir. S. Anast. Pers., 14, mentionnent « un soldat du quinzième régiment des Illyrikianoi » (Στρατιώτης δέ τις τοῦ πεντεκαιδεκάτου βάνδου τῶν Ἰλλυρικιανῶν) stationné dans les environs de Jérusalem dans les années 630. Faut-il considérer que ces Illyrikianoi descendaient des anciennes troupes frontalières homonymes des duchés orientaux ? C’est l’opinion la plus couramment admise : cf. KAEGI (1975), 65-7 ; WIITA (1977), 22 ; HALDON (1984), 440. Mais PILLON (2005), 54 considère que les Illyriciani du Stratêgikon étaient plutôt des soldats de l’armée de manœuvre illyrienne recrutés sous Justinien. Dans le même sens : ZUCKERMAN (2004), 166 (« [Les Illyriens], identifiés par certains aux anciennes unités frontalières, appartiennent plutôt au nouveau corps levé en Illyricum et en Thrace par Germanus et Narses en 550-553. »). Cf. Procop., Bell., VII, 39, 16-29 et VIII, 26, 10.
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le corps expéditionnaire oriental en 586, ils peuvent correspondre aux 17 banda de foederati (première ligne) et aux 11 banda d’optimates (deuxième ligne) du diagramme (approximativement 10 000 cavaliers)211. Ces indices nous laissent penser que l’armée de Philippicus à Solachon a servi de modèle au diagramme III, 8 du Stratêgikon. C’est le prototype du kaballarikos stratos représenté dans le traité, l’une des plus formidables armées de cavalerie jamais rassemblée par les Romains, aussi bien par ses effectifs que par la qualité de son organisation, dont nous évoquerons plus loin les subtilités212. Un autre cas de figure peut-être plus impressionnant encore est celui de l’armée romano-perse commandée, en 591, par le magister militum per Orientem Narsès, le roi perse Khusro II (alors en lutte contre l’usurpateur Bahram Chobin) et le magister militum per Armeniam Jean Mystacon, dans la région du lac d’Ourmia. Celle-ci comprenait selon Théophylacte 60 000 soldats213. Ce total, souvent dénoncé comme exagéré par les commentateurs modernes, n’a en réalité aucune raison d’être écarté214. Dans le même secteur, les Parthes avaient déjà rassemblé, seuls, une armée de 40 000 à 50 000 cavaliers lors de la campagne de Marc Antoine, en 36 av. J.-C.215. Les sources arméniennes, 211 15 000 fédérés : Théophylacte, III, 12, 3-4 ; Théophane, Chron., AM. 6074 (p. 251) ; Cedr., I, 690, 12-6. 12 000 hommes : Zon., XIV, 11, 20. L’effectif d’environ 10 000 soldats découlant du diagramme pourrait refléter les pertes liées aux campagnes (et aux défaites) des années précédentes. Les optimates formaient certainement la composante noble de cet important contingent de Germains (cf. supra, p. 519-20). 212 On peut se demander si, durant la bataille de Solachon, l’armée de Philippicus ne comprenait pas un effectif, même limité, de fantassins. Théophylacte ne le précise à aucun moment dans son récit, mais il souligne que, plusieurs jours après la bataille, Héraclius découvrit, en revenant sur le théâtre de l’affrontement, un soldat blessé qui avait été abandonné sur place : ce soldat appartenait à l’unité des Quartoparthi (Théophylacte, II, 6, 9 : καταλόγου […] τῶν Κουαρτοπάρθων), stationnée à Beroe, en Syrie. La plupart des commentateurs pensent qu’il est ici question d’un fantassin de la legio IV Parthica (HOFFMANN [1969], I, 422 ; WHITBY [1995], 72 ; RAVEGNANI [2005], 190). Cette interprétation nous semble peu convaincante. Il existait en effet une autre unité qui pouvait être désignée de la sorte : la uexillatio equitum IV clibanariorum Parthorum, que la Notitia dignitatum place sous le commandement du magister militum per Orientem (ND Or., 7, 32). Cette identification convient beaucoup mieux à une unité comitatensis stationnée dans une ville en retrait du limes – la legio IV Parthica était en effet une unité ducale qui avait ses quartiers à Circesium à l’époque de la Notice des dignités (ND Or., 35, 24). Cela ne veut pas dire que les fantassins furent absents de la bataille : Maurice souligne qu’en toutes circonstances, le bagage devait être défendu par une unité d’infanterie (Strat., V, 1, 19-23). Mais il n’en demeure pas moins vrai que les troupes effectivement engagées étaient montées : à Solachon, nous savons au moins avec certitude que la division centrale de la première ligne était constituée de cavaliers, puisque les soldats démontèrent au cours de l’affrontement (cf. supra, n. 207). 213 Théophylacte, V, 9, 4. 214 Cf. HOWARD-JOHNSTON (1995), 167 et TROMBLEY (2007), 338-9. 215 Cf. supra, p. 128.
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syriaques et arabes sur l’expédition de 591 évoquent 3 000 cavaliers romains, 8 000 cavaliers perses, 15 000 cavaliers arméniens et des supplétifs bulgares (5 000 ?) dans l’armée de Jean Mystacon, pour un total de plus de 30 000 soldats216 ; les forces combinées de Narsès et de Khusro comportaient pour leur part 20 000 cavaliers romains et 10 000 à 12 000 cavaliers perses, pour un total d’environ 30 000 hippeis217. La coalition romano-perse avait donc été en mesure de déployer un minimum de 60 000 cavaliers, conformément à ce qu’indique Théophylacte. Il s’agit là d’un record historique, qui reflète bien l’évolution profonde des pratiques militaires durant la période proto-byzantine.
216 Sébéos, 77 affirme que 3 000 cavaliers romains étaient présents lors de la campagne, mais il ne s’agit probablement que des cavaliers de Jean Mystacon en Arménie, car le récit de Théophylacte permet de déduire que l’armée de Mésopotamie comptait au moins 4 000 cavaliers (cf. n. suivante). L’historien ajoute que les Romains rassemblèrent 15 000 soldats arméniens, commandés par Musheł II Mamikonian : « les bataillons de chaque noble » ; « tous étaient des guerriers d’élite, complètement armés » ; il s’agissait donc probablement de contati / nizakawork‘, cf. ADONTZ (1970), 227. 8 000 cavaliers perses, appartenant à ce même corps expéditionnaire d’Arménie, servaient sous le commandement de Vndoy (ou Bindoes, l’oncle de Khusro). Il y avait donc un minimum de 26 000 combattants montés dans cette armée, sans compter les supplétifs bulgares, peutêtre 5 000 cavaliers si l’on tient compte du témoignage de Michel le Syrien, X, 23 (éd. Chabot, t. 2, p. 371-2) : « 20 000 Arméniens et Bulgares » sous le commandement de Jean. D’après le même chroniqueur, Jean, en tant que général de l’armée de Thrace, avait 20 000 hommes de troupes à sa disposition : mise en perspective avec les informations fournies par Sébéos, cette indication suggérerait la présence de 17 000 fantassins romains. Voir également Bar Hebraeus, Chron., I, p. 115 (éd. Talon), qui fournit les mêmes chiffres que l’auteur précédent. 217 La composition de l’armée mésopotamienne est plus difficile à établir. Dans le texte de Théophylacte, seuls quelques détachements sont mentionnés. V, 3, 7-8 et 5, 5 : La garde romaine de Khusro compte plus de 1 000 soldats. V, 4, 2-3 : Mebodes a avec lui 2 000 hommes d’armes romains. V, 8, 1 : 1 000 cavaliers sont envoyés en avant-garde sur le petit Zab avec Comentiolus ; il ne s’agit que d’un détachement de l’aile droite commandée par ce même personnage. Le total était donc bien supérieur, peut-être de l’ordre de 20 000 cavaliers si l’on en croit al-Djahiz de Basra, Le livre des beautés et des antithèses, p. 369-71 (éd. van Vloten). Agapios de Manjib, 184 (éd. Vassiliev p. 444) donne pour sa part un total de 40 000 soldats, mais il semble se référer à l’ensemble des forces militaires romaines expédiées contre Bahram (trad. A. Vassiliev) : « [Maurice] ordonna aux troupes de se préparer à entrer en campagne et de prendre avec elle l’argent nécessaire (à Chosroes). L’armée, au nombre de 40 000 soldats, partit vers Chosroes avec le matériel de guerre et beaucoup d’argent. » Pour sa part, Khusro avait probablement une dizaine de milliers de cavaliers perses avec lui : Tabari, I, 2 (éd. Zotenberg p. 337) affirme qu’au moment où il fuit la Perse pour demander l’aide de Maurice, 20 000 hommes l’ont rejoint pour lutter contre Bahram ; si l’on retranche de ce total les 8 000 cavaliers commandés par Bindoes, il reste alors 12 000 hommes.
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C. La mise à contribution des barbares et l’émergence des fédérés Un autre aspect notable des évolutions qui affectent l’armée romaine à l’époque proto-byzantine est le recours accru au recrutement d’éléments « barbares »218. Comme nous l’avons vu, l’armée impériale a toujours fait appel à des populations non romaines, mais il semble bien qu’un nouveau seuil ait été dépassé à partir de la fin du IVe s., en raison des pertes humaines liées aux désastres militaires, de la crise des finances impériales et peut-être de l’impopularité grandissante du métier militaire, bien que ce dernier facteur demeure difficile à vérifier219. La Johannide de Corippe, composée vers l’année 550 pour célébrer les exploits du magister militum Jean Troglita (chargé par Justinien de pacifier l’Afrique entre 546 et 548), offre un aperçu de ces transformations220 : dans ce poème épique fondé sur des événements historiques, des barbares se rencontrent à tous les échelons de la hiérarchie romaine221. Le lieutenantgénéral (hypostratêgos) Recinarius, a certainement une origine germanique orientale222. Sur dix commandants de division (agmina), un individu (Gregorius) appartient à la famille royale arsacide d’Arménie, un autre est d’origine lazique (Rufinus), et quatre présentent une onomastique non romaine, notamment germanique223. Parmi les trente soldats de rang inférieur mentionnés dans le poème, on relève une majorité de noms latins (qui en soi n’excluent pas une origine étrangère)224 ; sept individus portent en revanche des noms barbares225. Bibliographie et références principales dans SARANTIS & CHRISTIE (2013), I, 227-30. BRÉHIER (1949, 2015 3e éd.), 272-3 ; JONES (1964), II, 668 ; TEALL (1965) ; CARRIÉ (1995), 50-9 ; ELTON (1996), 91-4. Contra MASPERO (1912), 50, n. 1 ; GROSSE (1920), 279 ; STEIN (1928, 1959 trad. fr.), 237. Il faut se méfier d’une tradition historiographique faisant remonter trop tôt les origines de ce phénomène, rendu à tort responsable de la fin de l’Empire romain d’Occident. Cf. CARRIÉ (2016), 488 : « Sans vouloir le moins du monde incriminer la “barbarisation” de l’armée tardive d’être responsable de la chute de l’Empire d’Occident – elle n’était pas moindre en Orient et celui-ci n’a pas connu le même sort –, je constate que le rôle principal dans la défense de l’Empire a été de plus en plus tenu par des “barbares” dont le statut militaire peut difficilement continuer à être qualifié d’“auxiliaires”. » Dans le même sens : WHITBY (1995), 103-10. 220 Sur ce poème et la véracité des éléments factuels qu’il contient : CAMERON (1984) ; GÄRTNER (2008) ; CARAMICO (2015). 221 Pour une étude détaillée : cf. RIEDLBERGER (2010a). 222 PLRE, III, s.n. « Recinarius », p. 1080-1. Cf. RIEDLBERGER (2010a), 258. 223 PLRE, III, s.n. « Gregorius 2 », p. 547-8 et « Rufinus 2 », p. 1098-9. Pour les autres noms, cf. RIEDLBERGER (2010a), 258-61 : Geisirith ; Fronimuth ; Tarasis ; Sinduit. 224 Cf. ibid., 267 : « Derrière les noms latins se cachent sans doute bien des Africains. » 225 Ibid., 262-7 : Bulmitzis ; Solumuth (?) ; Fastida ; Salusis (?) ; Ariarith ; Tanala ; Dorotis (?) ; Tarah ; Ornus (un « Perse », cf. Cor., Ioh., V, 248-52) ; Arsacis ; Malchus ; Solumuth. 218
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Il ne s’agit évidemment que d’un seul exemple, qui n’est d’ailleurs pas sans poser quelques problèmes d’interprétation : l’argument anthroponymique peut parfois s’avérer fallacieux quand il s’agit d’analyser l’origine ethnique des soldats226, et il est de surcroît difficile de savoir dans quels corps de troupes servaient les simples cavaliers de l’armée de Jean (unités comitatenses, fédérées, forces d’appoints supplétives, bucellaires ?) 227. Toute comparaison avec la situation du Haut-Empire est en outre rendue délicate par les effets de la réforme constantinienne sur l’organisation et la hiérarchie des unités, qui contribue à brouiller l’ancienne distinction entre troupes citoyennes et troupes auxiliaires228. Mais l’impression générale produite par le poème de Corippe trouve des échos dans d’autres sources contemporaines229, et il est possible de mettre en évidence des dynamiques nouvelles dans la façon dont les Romains conçoivent, à cette époque tardive, l’exploitation des ressources humaines barbares. Notons pour commencer le caractère sans précédent que présente l’accueil de groupes de fédérés (foederati) au sein même du territoire impérial230. On désigne ainsi, à partir du début du Ve s., les formations militaires fournies à titre d’appoint (auxilium / symmachia) par des populations installées intra fines imperii, à la suite d’un traité conclu avec le pouvoir impérial (foedus)231. Certes, il ne s’agit pas du seul sens que revêt ce terme : les sources utilisent parfois le latin foederati pour qualifier ce que les auteurs du Principat auraient appelé des auxilia externa232. D’autres expressions peuvent renvoyer plus généralement à ces troupes : socii / CARRIÉ (1995), 56. RIEDLBERGER (2010a), 268 fait judicieusement remarquer que ces listes de noms n’intègrent pas les alliés berbères des Romains, qui combattent dans des contingents séparés du reste de l’armée et jouent un rôle notable dans la réussite de Jean. 228 CARRIÉ (2016). 229 Un bon aperçu de la composition ethnique d’une armée de cavalerie byzantine (6 000 soldats en tout) est fourni par Procop., Bell., II, 21, 4 (cavalerie d’élite de Bélisaire rassemblée à Doura Europos en 542) : « De chaque côté de la tente, il y avait des Thraces et des Illyriens, puis après eux des Goths, des Hérules et enfin des Vandales et des Maures. » 230 Sur les foederati : CARRIÉ (1995) ; SCHARF (2001b) ; ZUCKERMAN (2004), 166-7 ; STICKLER (2007) ; SARTOR (2016). Cette catégorie de troupes apparaît pour la première fois en 406 : CTh., VII, 13, 16. 231 Cf. Procop., Bell., VIII, 5, 13-4 : « avec la permission de l’empereur, [les Goths] s’installèrent sur les terres de Thrace ; et durant une partie de ce temps, ils combattirent aux côtés des Romains et recevaient une paie annuelle de la part de l’empereur comme tous les autres soldats ; et ils étaient appelés phoideratoi, car c’est ainsi, qu’à cette époque, les Romains les appelaient en latin, voulant ainsi dire que les Goths n’avaient pas été vaincus par les Romains à la guerre, mais qu’ils étaient entrés en relations pacifiques avec eux en vertu d’un traité ; car les Latins appellent, à la guerre, les traités phoidera. » 232 Pour ne citer qu’un exemple, certains fédérés saracènes sont installés en Palestine romaine dès le début des années 420 (Cyr. Scyth., Vit. Euthym., 10 [Festugière p. 72-3]) 226
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auxilia /auxiliares ; symmachoi / hypospondoi / enspondoi / ethnikoi. Comme par le passé, les supplétifs étrangers sont mobilisés ad hoc, pour une durée limitée, en échange d’une rémunération temporaire233. Cette rémunération peut consister en une prime à l’engagement au moment de la levée, suivie de stipendia versés de façon régulière au cours des opérations234 : elle ne doit pas être confondue avec les rétributions politicodiplomatiques (consueta dona, syntaxeis) versées pour garantir l’alliance de la gens foederata235. Les contingents de fédérés ont la particularité de servir sous le commandement de leurs propres chefs, bien qu’ils soient occasionnellement placés sous la supervision d’officiers supérieurs romains : les cadres « ethniques » peuvent donc se rencontrer à des niveaux divers et ont pour fonction de servir d’interprètes pour la transmission des ordres236. À l’issue de leur mission, les troupes fédérées sont normalement démobilisées et renvoyées dans leurs foyers hors de l’Empire ou sur le territoire qui leur a été concédé intra fines imperii237. Tous les contingents ethniques ne sont pas nécessairement intégrés dans l’armée romaine en vertu d’un traité ; il existe toujours des exemples alors que d’autres tribus alliées demeurent à l’extérieur des confins impériaux. Cf. SARTOR (2016), 531. 233 CARRIÉ & ROUSSELLE (1999), 138. 234 Voir Agathias, V, 24, 2, à propos de Sandil, chef des Outigours alliés à l’Empire : ἔνσπονδόν τέ οἱ ὄντα καὶ μισθοφόρον. Versements à l’engagement : Procop., Bell., VII, 12, 10 ; VIII, 26, 12 ; Bar Hebraeus, Chron., I, p. 106-8 (éd. Talon). Versements au cours des campagnes : Théophylacte, VI, 6, 4. 235 E.g. Jord., Get., XXIX, 146 ; Procop., Bell., VIII, 5, 13. Cf. SARTOR (2016), 562. Concernant les foederati intra fines imperii, les subsides diplomatiques étaient complétés, en temps de paix, par les revenus obtenus grâce à l’exploitation des terres cédées par l’Empire. 236 Ibid., 547-53. En 406, les Huns auxiliares rassemblés par le magister utriusque militiae Stilichon servent sous l’autorité de leur rex Uldin (Oros., VII, 37, 12 ; Marc. Com., Chron., s.a. 406, 3). On peut aussi citer, parmi de nombreux exemples, le cas des Hérules commandés par Pharas, et des Huns dirigés par Sinnion et Balas au cours de la guerre vandale de Bélisaire (Procop., Bell., IV, 11, 12), ou encore celui des Hérules de Visandus, Aluith et Phanitheus en Italie (Procop., Bell., IV, 13, 18). Durant la campagne perse de 556, Agathias mentionne des Huns Sabirs sous le commandement de Balmach, Koutilzis et Iliger (Agathias, III, 17, 5). En 593, Maurice ordonne la levée de 2 000 cavaliers en Persarménie romaine, immédiatement placés sous le commandement de « personnes sûres », Sahak Mamikonian et Smbat Bagratuni (Sébéos, 10). Le commandement opérationnel de ces contingents est parfois assuré par des cadres romains. Cf. e.g. Augustin, Ep., 220, 7 (fédérés maures commandés par le tribun Boniface en Afrique, en 417/418) ; Syn., Ep., 79 (symmachoi hunniques commandés par le dux Anysios en Cyrénaïque). 237 Cela faisait partie des clauses de l’accord conclu par les Huns qui servaient en Afrique sous le commandement de Bélisaire en 533 : Procop., Bell., IV, 10-1. Voir également ibid., VIII, 33, 2 : après avoir servi victorieusement Narsès dans sa campagne contre les Goths en 552, les supplétifs lombards fournis par le roi Auduin regagnent leur patrie (ἐς τὰ πάτρια ἤθη ἀφῆκεν ἰέναι).
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de corps de déditices servant sous les ordres de généraux romains. Ces barbares captifs ou réfugiés, entrés sous la dépendance romaine dans des conditions défavorables, sont parfois absorbés dans des régiments de cavalerie réguliers. La pratique est bien attestée sous le règne de Justinien (527-565). Théophane signale ainsi qu’en 539, l’empereur déporte des prisonniers bulgares en Arménie et en Lazique, en prenant soin de les attribuer à des « unités de type numerus » (νουμερίοις ἀριθμοῖς)238. Après la prise de Sisauranon en 541, des Perses sont capturés par Bélisaire qui les fait envoyer en Italie pour combattre les Goths239. Ce contingent apparaît quelques décennies plus tard dans une inscription de Grado sous la forme d’une véritable unité régulière : le numerus equitum Persoiustinianorum240. Un exemple comparable est évoqué dans un autre passage des Guerres de Procope, où il est question de Vandales capturés par Bélisaire en Afrique, à l’issue de la guerre de 533-534 : ces barbares sont répartis dans cinq régiments de cavalerie (κατεστήσατο βασιλεὺς ἐς καταλόγους ἱππικοὺς πέντε) « de façon à pouvoir être installés définitivement dans les villes de l’Orient » ; ils prennent dès lors le nom de « Vandales justiniens » (Ἰουστινιανοὺς Βανδίλους)241. De telles unités étaient tout à fait comparables aux autres unités comitatenses de l’armée régulière et disposaient de conditions de service avantageuses. Leur exemple préfigure l’émergence des tagmata de cavalerie fédérée dans les armées de Maurice et d’Héraclius. Tous ces corps de troupes, qu’ils soient formés d’alliés installés sur des terres impériales, de prisonniers de guerres ou de mercenaires, ont pour point commun de fournir à l’Empire des spécialistes de modes de combat particuliers, dont certains peuvent faire appel à des savoir-faire techniques jalousement conservés ou à un éthos guerrier difficile à entretenir au sein de formations régulières. Les Huns et les peuples apparentés (Bulgares, Koutrigours, Outigours, Avars) fournissent les contingents d’archers montés les plus efficaces242. Les Maures et les Saracènes sont d’excellents cavaliers légers, principalement munis de javelines, et 238 Théophane, Chron., AM. 6032 (p. 219) : τοὺς δὲ αἰχμαλώτους τῶν Βουλγάρων ἔπεμψεν ὁ βασιλεὺς εἰς Ἀρμενίαν καὶ εἰς Λαζικήν, καὶ κατετάγησαν ἐν τοῖς νουμερίοις ἀριθμοῖς. 239 Procop., Bell., II, 19, 19-25. 240 CIL, V, 1591 = ILS, 2810 (c. 571-579 ap. J.-C.). Voir HOFFMANN (1961-1962) et RAVEGNANI (2005), 195. 241 Procop., Bell., IV, 14, 17-8. Voir RAVEGNANI (2005), 190. 242 Procop., Bell., V, 27, 27 : ξύμμαχοι Οὖννοι ἱπποτοξόται εἰσὶν ἀγαθοὶ. Sur leur mode de combat, cf. supra, p. 485-92. Pour un inventaire complet des contingents hunniques recrutés par les Romains au cours des Ve-VIe s. : JANNIARD (2015), 210-1.
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parfois accompagnés de camélidés dans leurs déplacements rapides243. La noblesse arménienne fournit des contophores cuirassés (nizakawork‘), efficaces dans les charges de rupture et les replis brusqués244. Enfin, les Germains sont experts dans le combat rapproché à la lance et à l’épée, forme de lutte qu’ils n’hésitent pas à prolonger au-delà du premier choc si l’ennemi tient ferme, quitte à descendre de cheval245. Comme par le passé, la recherche de l’asymétrie conditionne l’emploi de ces différentes forces supplétives à l’échelle de l’Empire : les Romains déploient leurs auxiliaires de façon à exploiter au mieux les faiblesses de leurs adversaires246. Ainsi voit-on, au VIe s., des hippotoxotes « massagètes » déployés en Occident contre les Vandales et les Ostrogoths qui ne pratiquent pas l’archerie montée et sont très vulnérables dans le combat à distance247. Les cavaliers germaniques, notamment les Goths et les Lombards, sont pour leur part exploités en Orient pour combattre les Perses, dont l’aptitude au combat rapproché est limitée248. Ce principe de différenciation tactique n’est pas seulement de l’ordre de l’empirisme : il fait l’objet d’une véritable théorisation dans le Stratêgikon249. 243 Arabes : Jér., Vita Malchi, 4, 2 (qui mentionne l’utilisation de javelines et d’arcs), avec SYVÄNNE (2004), 401-3 et WOLIŃSKA & FILIPCZAK (2015), 157-203. Maures : Procop., Bell., III, 8, 28 (javelines) ; IV, 10, 9-10 (javelines pour le combat à distance et épées pour le corps-à-corps) ; IV, 11, 19 (boucliers, épées et javelines) ; IV, 11, 27 (après avoir lancé leurs deux javelines, ils se retirent comme s’ils fuyaient), avec SYVÄNNE (2004), 398-400. 244 Sur la cavalerie lourde arménienne : ADONTZ (1970), 218-27 et 355-6 ; DÉDÉYAN (1997) ; SYVÄNNE (2004), 412-4 ; JANNIARD (2005), 530-3. Contingents alliés : CHARANIS (1961), 200-2 ; DÉDÉYAN (1987). L’élite sociale du royaume d’Arménie se constituait de dynastes locaux tenus de servir le roi en temps de guerre. Ces naxarark‘ avaient des hommes libres sous leur dépendance, les azatk‘, dotés d’un domaine qui leur permettait de financer leur équipement de cavalier. La cavalerie noble formait l’azatagund. 245 Germains en général : Maurice, Strat., XI, 3 avec LEBEDYNSKY (2001b), chap. 3 et SYVÄNNE (2004), 367-89. Vandales : Procop., Bell., III, 8, 27 (les cavaliers utilisent des lances et des épées pour la plupart, δόρασί τε ὡς ἐπὶ πλεῖστον καὶ ξίφεσιν ἐχρῶντο). Goths : ibid., V, 16, 11 (la plupart des cavaliers de Vitigès sont protégés par une armure qui recouvre aussi leurs montures, καὶ αὐτῶν τεθωρακισμένοι ξὺν τοῖς ἵπποις οἱ πλεῖστοι ἦσαν) ; V, 18, 6 (lors d’un combat de cavalerie devant Rome, les Goths lancent « des javelines et autres missiles », τά τε ἀκόντια καὶ τὰ ἄλλα βέλη) ; V, 18, 10 (les cavaliers qui parviennent au corps-à-corps combattent avec « des lances et des épées », τοῖς δόρασι καὶ τοῖς ξίφεσι) ; V, 27, 27-8 (les Goths sont mis en difficulté par la cavalerie romaine car ils n’utilisent pas d’arc à cheval et combattent uniquement avec des épées et des lances, οἱ μὲν ἱππεῖς αὐτοῖς μόνοις δορατίοις τε καὶ ξίφεσιν εἰώθασι χρῆσθαι). Certaines unités de cavalerie gothique semblent aussi avoir utilisé le contus : Jord., Get., 50, 261 (ubi cernere erat contis pugnantem Gothum). 246 RANCE, s.v. « Cavalry: Late Empire », dans ERA, I, 184. 247 Procop., Bell., III, 11, 11-2 ; V, 27 ; VI, 1, 4-10 ; VIII, 19, 6-7. 248 Ibid., II, 18, 24. 249 Maurice, Strat., VII, A, pr., 25-7 et 32-4 : « Ce général est un sage qui, avant l’entrée en guerre, se renseigne avec précision sur l’ennemi et est capable de se protéger
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À la différence des soldats réguliers, les supplétifs, fédérés et autres, conservent en campagne leur équipement et leurs traditions « nationales ». Maurice recommande qu’ils soient organisés et armés selon leurs propres usages : ils utilisent ainsi leurs formations de combat préférées250 et bénéficient d’une dérogation concernant l’équipement réglementaire251. Ce principe s’applique aussi aux conditions sociales, matérielles et logistiques du fonctionnement des unités. Corippe explique ainsi que, lors de la guerre de Jean Troglita en Afrique, les Mauri fideles apportaient avec eux leurs tentes et de nombreux troupeaux, destinés à assurer leur subsistance252. Procope indique que les Hérules allaient au combat accompagnés de leurs « esclaves » (δοῦλοι, comprendre des « serviteurs », des « écuyers ») et qu’ils disposaient d’un système de promotion pour le moins étrange : « En effet, les Hérules ne portent ni casque, ni cuirasse, ni d’autres pièces d’équipement défensif, à l’exception d’un bouclier et d’un petit manteau épais, qu’ils revêtent avant d’entrer dans la bataille. Les esclaves hérules, cependant, vont au combat sans même porter un bouclier, et quand ils ont fait preuve de leur excellence à la guerre, alors leurs maîtres les autorisent à se protéger avec un bouclier dans la mêlée. Telle est la coutume des Hérules. »253.
La pratique consistant, pour les guerriers nobles, à s’entourer de serviteurs au combat est attesté dans d’autres unités germaniques à la même époque254. Elle était si solidement ancrée chez certaines populations que les Romains la toléraient au sein de leurs unités régulières. Dans le de ses points forts ainsi que de tirer avantage de ses faiblesses (Σοφὸς δὲ στρατηγὸς ὁ πρὸ τῶν πολέμων ἀκριβῶς τὰ τοῦ ἐχθροῦ πολυπραγμονῶν καὶ πρὸς μὲν τὰ πλεονεκτήματα αὐτοῦ φυλαττόμενος, πρὸς δὲ τὰ ὑστερήματα ἐπιβαλλόμενος). […] Tel peuple combat avec la lance ? Amène-le sur un terrain difficile. S’agit-il d’archers ? Hâte-toi de dresser la ligne de bataille en rase campagne et force-les à livrer un combat rapproché, au corps-à-corps (Κοντάτον ἐστὶ τὸ ἔθνος, εἰς δυσχωρίας αὐτὸ προσκαλεῖσθαι· τοξόται εἰσίν, εἰς κάμπους τάσσεσθαι σπουδάζειν καὶ τὴν ἐκ χειρὸς σύνεγγυς μάχην ποιεῖσθαι). » 250 Ibid., II, 6, 33-4 : τοὺς δὲ ἐθνικούς, ἐὰν καθ’ ἑαυτούς εἰσιν, ὡς ἔθος ἔχουσιν, οὕτως δεῖ τάσσειν. 251 Ibid., I, 2, 21-2 : τοὺς δὲ μὴ εἰδότας νεανίσκους ἐθνικοὺς τοξεῦσαι κοντάρια μετὰ σκουταρίων. 252 Cor, Ioh., VII, 50-72. 253 Procop., Bell., II, 25, 27-8 (bataille d’Anglon, 543 ap. J.-C.) : Οὔτε γὰρ κράνος οὔτε θώρακα οὔτε ἄλλο τι φυλακτήριον Ἔρουλοι ἔχουσιν, ὅτι μὴ ἀσπίδα καὶ τριβώνιον ἁδρόν, ὃ δὴ διεζωσμένοι ἐς τὸν ἀγῶνα καθίστανται. Δοῦλοι μέντοι Ἔρουλοι καὶ ἀσπίδος χωρὶς ἐς μάχην χωροῦσιν, ἐπειδὰν δὲ ἄνδρες ἐν πολέμῳ ἀγαθοὶ γένωνται, οὕτω δὴ ἀσπίδας αὐτοῖς ἐφιᾶσιν οἱ δεσπόται προβάλλεσθαι ἐν ταῖς ξυμβολαῖς. Τὰ μὲν τῶν Ἐρούλων ταύτῃ πη ἔχει. 254 Cf. e.g. ibid., III, 8, 12.
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Stratêgikon, des serviteurs (ἀρμάτοι / ὑπασπισταί / σύμμαχοι / παῖδες) sont ainsi intégrés dans les rangs des tagmata des foederati et des optimates255. La relative autonomie dont jouissent les contingents ethniques au sein des armées de campagne s’avère parfois peu compatible avec les exigences de la discipline romaine, comme le montrent plusieurs incidents relevés par les sources narratives de l’époque256. Un de ces épisodes concerne justement les Hérules dont il a été question plus haut. La scène se déroule en 554, juste avant la bataille de Casilinum257. Selon Agathias, « l’un des plus illustres aristocrates » (ἀλλ’ εὐπατρίδης ἐν τοῖς μάλιστα καὶ ἀρίδηλος) du contingent hérule présent aux côtés des Romains aurait tué, « pour un motif quelconque, un de ses serviteurs (οἰκείων θεραπόντων) ». Interrogé par Narsès, le meutrier déclare qu’il est légitime pour les maîtres (τοῖς κεκτημένοις) de disposer de leurs esclaves (δούλους) comme ils le veulent. Pour le punir, Narsès décide de le faire exécuter par ses gardes (δορυφόροις). Les autres Hérules refusent alors de prendre part au combat contre les Francs en signe de protestation. Mais leur chef Sindoual, de peur de passer pour un lâche et de manquer la bataille, convainc finalement les siens d’aller au combat258.
L’utilisation croissante de supplétifs par l’armée romaine contribue aussi à accroître les risques de défection et de trahison, à plus forte raison lorsque certains enjeux avivent les mécontentements : la paye et le sort du butin font partie des sujets les plus sensibles259 ; le combat contre des compatriotes est un autre facteur de rebellion260, tout comme le service prolongé sur un théâtre d’opérations lointain261. Des situations de ce type
255
n. 71.
Maurice, Strat., I, 3, 23-5 et II, 6, 20-1 et 29-30 ; III, 6. Cf. RANCE (2005), 444,
Contra WHITBY (1995), 104, qui relativise les effets potentiellement déstabilisateurs de ce type de recrutement. 257 Agathias, II, 7, 2-7. 258 Un exemple semblable se trouve dans Procop., Bell., III, 12 : en 533, lorsque Bélisaire fait empaler deux Huns alliés pour les punir d’avoir tué l’un des leurs, la situation manque de tourner à la mutinerie. 259 À la suite de la victoire romaine d’Ad Decimum (533 ap. J.-C.), les Huns de l’armée de Bélisaire sont achetés par Gélimer à prix d’or (Procop., IV, 1, 6). Le magister militum est mis au courant par des déserteurs vandales et prend les mesures qui s’imposent : il regagne la fidélité de ses mercenaires en leur offrant des présents (δώροις), mais ces derniers lui font part de leur inquiétude d’être écartés du partage du butin (IV, 1, 10-1). Finalement, les Huns décident de se tenir à l’écart des affrontements et attendent que l’un des deux partis prennent le dessus sur l’autre pour intervenir (IV, 2, 3). 260 Cf. ibid., IV, 13, 35-8 (534 ap. J.-C.) : les Romains soupçonnent leurs alliés maures de collaborer avec l’ennemi, en fournissant des informations erronées à l’état-major impérial et en indiquant les plans de ce dernier aux Maures révoltés. 261 Ibid., IV, 1, 10 (à propos des Huns de Bélisaire). 256
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font parfois peser une lourde hypothèque sur l’issue des batailles262. Mais les Romains jugent l’emploi des troupes alliées suffisamment avantageux en termes de coût financier et d’efficacité tactique pour accepter de courir ce risque. Parmi les garde-fous les plus courants, une méthode consiste à placer les supplétifs les moins fiables au centre de la ligne de bataille pour dissuader les tentatives de défection263. La mobilisation de ces contingents de cavalerie ethnique comporte aussi des bénéfices stratégiques, par exemple lorsqu’il s’agit de renforcer un secteur menacé pour garantir sa protection. Un accord entre Romains et Lazes prévoit par exemple que ces derniers gardent la Lazique caucasienne contre d’éventuelles incursions nomades vers l’Anatolie264. En Orient, face aux Perses, cette fonction est assurée par l’aristocratie arménienne, installée dans des domaines royaux militarisés (fundi regales), le long du tractus Armeniae265. Ce modèle de service militaire associé à la propriété foncière est si efficace qu’en 602, l’empereur Maurice aurait envisagé de transférer en Thrace 30 000 cavaliers arméniens avec leurs familles, afin de lutter contre les raids avars266. À une échelle plus resserrée, les qualités martiales de certains peuples peuvent être jugées utiles pour mener des opérations de guérilla frontalière. Installés aux confins désertiques de la Mésopotamie et de la Palestine, les Saracènes alliés de Rome sont, selon Ammien, ad furta bellorum adpositi267. Évagre le Scholastique ajoute qu’ils sont seuls capables de combattre efficacement les Arabes, car les troupes ordinaires ne se déplacent pas assez rapidement pour engager ces ennemis insaisissables268. En Libye Cyrénaïque, 262 À Callinicum, en 533, les Arabes d’al-Harith ne soutiennent même pas le choc initial de la cavalerie perse et sont accusés de désertion par les soldats romains (ibid., I, 18, 36). Voir aussi l’attitude ambigüe des Mauri fideles lors de la bataille des Scalae Veteres en 537 : ibid., IV, 17, 7-12. 263 Ainsi les alliés hérules et lombards à la bataille de Taginae, en 552 : ibid., VIII, 31, 5. 264 Ibid., II, 15, 2, 3-4. 265 ZUCKERMAN (1998b), 110-1 ; JANNIARD (2005). 266 Sébéos, 30. L’effectif n’a rien d’invraisemblable : les indications numériques contenues dans le Gahnamak (liste, par ordre de préséance, des différents naxarark‘ du royaume et de leurs dépendants) suggèrent que les naxarark‘ arméniens étaient susceptibles de mobiliser un total de 84 000 combattants. Cf. ADONTZ (1970), 224 et DÉDÉYAN (1997), 203. Cependant, il faut aussi voir dans ce projet une tentative d’affaiblissement de la noblesse arménienne, présentée sous un angle très polémique par l’évèque Sébéos : AYVAZYAN (2012, 2013 2e éd.), 114-7. Une autre déportation massive avait déjà été entreprise en 578 par l’empereur Tibère II : 10 000 Arméniens avaient été installés sur l’île de Chypre. Cf. CHARANIS (1961), 198. 267 Amm., XXIII, 3, 8. 268 Evagr., HE, V, 20 : ἀκαταγώνιστοι γὰρ τοῖς ἄλλοις διὰ τὴν τῶν ἵππων ὠκύτητα, οὔτε καταλαμβανόμενοι εἴ που ἐγκλεισθεῖεν, καὶ τοὺς ἀπ’ ἐναντίας ἐν ταῖς ὑπαγωγαῖς προφθάνοντες.
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Synésios considère les Ounnigardai comme les combattants les plus à même de repousser les incursions des Ausuriens dans la province269. Ces symmachoi hunniques, peut-être détachés d’une vexillation palatine stationnée à Constantinople270, utilisent des méthodes de guerre qui leur sont propres : ils disposent d’une remonte importante qui leur permet certainement de se déplacer rapidement sur de grandes distances271. Leur mode de combat est extrêment efficace contre les pillards nomades : seulement 40 cavaliers hunnigardes seraient parvenus à vaincre un millier d’Ausuriens272. Synésios les juge irremplaçables et estime que les unités locales sont incapables d’obtenir de tels succès273. Le recrutement de fédérés, de mercenaires ou de déserteurs peut enfin entrer dans le cadre de manœuvres de subversion destinées à affaiblir 269 Sur les Ausuriens : DE FRANCISCO HEREDERO (2013), 144-8. Selon DESANGES (1962), 289, les Αυσουριανοί de Synésios sont la même confédération tribale que les Austoriani mentionnés par Ammien Marcellin à plusieurs reprises dans son œuvre (Amm., XVI, 4, 5 ; XXVI, 4, 5 ; XXVII, 9, 1 ; XXVIII, 6-1-2 : ils étaient déjà installés en Tripolitaine au milieu du IVe s. et menaient fréquemment des raids dans les années 350-360). Sur les Ounnigardai : ROQUES (1987), 247-50 ; DE FRANCISCO HEREDERO (2015a), 170-3. Sur leur origine hunnique : MAENCHEN-HELFEN (1973), 225, n. 383. 270 Selon JONES (1964), I, 203, les Hunnigardes auraient été envoyés en Cyrénaïque vers l’année 412 « to stiffen the local limitanei against the attacks of the Austurians ». Mais voir GARZYA (1989), qui penche plutôt en faveur de l’année 411. D’après ROQUES (1987), 249, « les Hunnigardes de Synésios ne sauraient être qualifiés de fédérés aux sens strict, si l’on convient que les fédérés continuent à servir sous les ordres de leurs compatriotes. […] Ils forment probablement une vexillation palatine, dont 40 membres ont été détachés en Cyrénaïque et dont les autres, que Synésios demande à titre de renforts, restent à Constantinople. » Nous avons vu, en réalité, qu’aucune règle formelle n’empêche des officiers romains de commander des foederati. Dans sa correspondance, Synésios précise bien que les Hunnigardes ont été recrutés en vertu d’une « alliance » (Syn., Ep., 78, 4 : κατὰ συμμαχίαν). 271 Dans une lettre, Synésios se lamente de la décision qui a été prise de les intégrer dans les « unités locales » (ἀριθμοῖς ἐγχωρίοις, les limitanei ?) : cela risque en effet de les priver des largesses impériales (βασιλικῶν δωρεῶν) et de leurs chevaux surnuméraires (ἵππων διαδοχήν). Cf. Syn., Ep., 78. 272 Ibid., 78 et Id., Catast., I, 2, 1. 273 Ibid., I, 2, 2 (trad. N. Aujoulat) : « Pour moi, je ne dirai rien de malveillant contre les cavaliers et les fantassins que nous nourrissons [i.e. les soldats de l’armée de Cyrénaïque], mais Anysios pense que ce sont les Hunnigardes qu’il faut utiliser pour toutes les opérations militaires. » Leur succès tient surtout au fait que ces cavaliers exécutent à merveille les stratagèmes d’Anysios, qui les utilise comme une réserve mobile : « Il est leur camarade de section et leur chef de section (λοχίτης καὶ λοχαγός), il est leur compagnon de combat et leur général (συστρατιώτης καὶ στρατηγός). Avec eux il se livre à travers le pays à une course armée (τρέχει διὰ τῆς χώρας δρόμον ἐνόπλιον) ; rapidement il est partout (ταχὺ μὲν ἁπανταχοῦ γίνεται), et remporte la victoire là où il intervient. Si ces Hunnigardes étaient plus nombreux, deux cents avec ceux que nous avons déjà, avec l’aide de Dieu, je l’affirme hardiment, ce jeune homme porterait la guerre chez nos ennemis. »
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l’ennemi. Cette pratique est particulièrement efficace contre les confédérations nomades, dont la cohésion repose précisément sur la capacité d’un chef de guerre à unifier des tribus et des peuples divers, animés par de fortes tensions centrifuges. Le récit, par Sozomène, de l’invasion de la Mésie et de la Thrace par les Huns, en 408, révèle tout l’intérêt que les Romains ont à débaucher des chefs ennemis dans un contexte de faillite du système défensif traditionnel : malgré les travaux de fortification que le préfet du prétoire d’Illyricum vient d’ordonner274, les Huns unifiés par Uldin parviennent à prendre les Castra Martis sans être inquiétés ; le magister militum per Thracias (inconnu) décide immédiatement de traiter avec eux ; il parvient à retourner un certain nombre d’officiers supérieurs (λοχαγούς) de l’armée hunnique, qui prennent alors en chasse Uldin et le forcent à repasser le Danube, non sans avoir massacré une bonne partie de son armée275. Dans un registre similaire, près d’un siècle plus tard, Anastase répond aux raids des années 490 et 500 en recrutant 10 000 Bulgares comme fédérés276. Les nomades danubiens ont pleinement conscience des risques que ces entreprises de corruption font peser sur leur hégémonie. Au Ve s., les chefs hunniques veillent avec acharnement à lutter contre les désertions et les transferts de soldats, en interdisant formellement à leurs sujets d’entrer au service des Romains. À plusieurs reprises, dans son compte rendu des relations diplomatiques entre l’Empire et les Huns, Priscus note que Rua et Attila réclament énergiquement le retour des fugitifs hunniques passés à l’ennemi, quitte à menacer de rompre la paix pour obtenir gain de cause277.
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CTh., XI, 17, 4 (11 avril 408). Soz., HE, IX, 5. Cf. MAENCHEN-HELFEN (1973), 63-6. L’année suivante, en 409, Honorius aurait demandé l’aide de 10 000 Huns contre Alaric (les mêmes que l’année précédente ?) : Zos., V, 45, 6 (le chiffre est exagéré selon MAENCHEN-HELFEN [1973], 69). 276 SARANTIS (2016), 125 observe : « The hiatus in recorded Bulgar attacks on the Balkans between 502 and 530 suggests that this nullified the Bulgar threat. It also bolstered Roman military resources: the Bulgars were to fight alongside Sabinianus’ Illyrian field army against the Gepid warlord and Gothic ally, Mundo, in 505. » Sur la campagne de 505, cf. Marc. Com., Chron., s.a. 505. Des fédérés (?) Huns et Bulgares sont attestés en 514-516, cf. Malalas, XVI, 16 : ils forment une vaste armée utilisée par Anastase pour reprendre le contrôle du Bas-Danube, après le soulèvement du comes Vitalianus. Cf. SARANTIS (2016), 58 et 125. 277 Priscus, fr. 2, l. 1-7 et 29-34 ; 6, 1, l. 8-10 ; 9, 1 ; 9, 3, l. 1-10, 33-8 ; 10, l. 1-4 ; 11, 1, l. 5-9 ; 11, 2, l. 12-3, 53-61, 76-8, 178-201 ; 15, 4, l. 5-10. Cf. JONES (1964), I, 203. 275
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III – LES PROGRÈS DES
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SAVOIRS HIPPOLOGIQUES
ET DES TECHNIQUES DE HARNACHEMENT
Les développements qui précèdent nous ont permis de voir que les forces de cavalerie occupent une place plus importante dans le monde méditerranéen à l’époque proto-byzantine. On admet généralement que cette évolution de l’art de la guerre, liée à l’apparition de nouveaux ennemis nomades, a été favorisée par l’approfondissement des connaissances hippiatriques et par la diffusion de nouveaux instruments hippiques. Quelle a été l’influence réelle de ces innovations sur les pratiques militaires romaines ?
A. Un « essor » de la littérature hippiatrique ? La littérature hippologique de l’Antiquité tardive s’identifie presque exclusivement à l’hippiatrie, terme désignant le champ de la science vétérinaire consacré à la médecine des chevaux. Les considérations sur les soins à administrer aux équidés étaient déjà courantes dans les traités d’hippologie classiques (Simon d’Athènes, Xénophon) ainsi que dans les ouvrages d’agronomie plus tardifs (Magon de Carthage, Caton l’Ancien, Varron, Columelle)278, mais c’est à l’époque impériale qu’elles donnèrent naissance à un genre littéraire autonome. Au Ve ou au VIe s. vraisemblablement, les textes de sept auteurs hippiatriques (Eumèlos, Apsyrtos, Théomnestos, Hiéroclès, Hippocrate le vétérinaire, Pélagonius et Anatolios) furent rassemblés dans une compilation que la philologie moderne a baptisée les Hippiatrica279. Quatre recensions de cet original ont été éditées dans la Bibliotheca Teubneriana sous le titre Corpus Hippiatricorum Graecorum (abrégé CHG). Ce recueil constitue le point de départ obligé de toute étude sur l’hippiatrie gréco-romaine. Il pose cependant de lourdes difficultés d’interprétation, car les auteurs mentionnés dans la 278 Sources et discussions générales dans FISCHER (1988), DOYEN-HIGUET (2006), 18-24 et MCCABE (2007), 3-12. Le premier auteur antique à faire référence aux vétérinaires spécialistes des chevaux (ἱππιατροι) est Varron, dans les années 30 av. J.-C. : Rust., II, 7, 16. Une inscription datée de 146-130 av. J.-C. fournit la première occurrence du mot : IG, IX, 2, 69 (Lamia, Thessalie). Un papyrus plus ancien mentionne un ἱππιατρικόν (P. Hib., I, 45v, l. 21 ; 257 av. J.-C.), probablement une taxe destinée à rémunérer les hippiatres de la cavalerie lagide : CLÉMENT (2018), 62-3. 279 On se reportera en priorité aux études de BJÖRCK (1932) et (1944) ; DOYEN-HIGUET (1981) et (2006) ; MCCABE (2007) ; LAZARIS (2007). Sur la date de la collection originale, cf. BJÖRCK (1944), 32 ; DOYEN-HIGUET (2006), 112-4 ; MCCABE (2007), 259-66.
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collection ne sont pas présentés par le compilateur anonyme et leur date d’activité est dans la plupart des cas difficile à établir. Les enjeux liés à cette question sont de taille puisqu’ils concernent indirectement le débat portant sur la chronologie et les modalités de l’essor de la cavalerie dans l’Antiquité tardive : certains vétérinaires figurant dans les Hippiatrica étaient en effet étroitement liés à l’armée romaine. Dans une série de travaux récents, Stavros Lazaris s’est attaché à montrer que l’hippiatrie a connu un net développement dans l’Empire tardif et que tous les traités dont nous avons conservé une trace via les Hippiatrica datent au plus tôt de l’extrême fin du IIIe s. ou du début du IVe s. : « ces auteurs, que G. Björck appelait “l’heptade vétérinaire”, ne sont pas antérieurs aux changements survenus dans l’armée romaine, mais bien contemporains. En effet, six hippiatres, et peut-être même le septième (Hiéroclès), ont vécu entre l’extrême fin du IIIe siècle et la fin du IVe siècle, période qui correspond aux grandes réformes de l’armée romaine »280. L’essor de la littérature hippiatrique serait donc une « réponse à une forte demande […]. Cette demande, contemporaine de la réorganisation de l’armée, peut s’expliquer par une utilisation plus intensive du cheval. Cette nouvelle place du cheval ne pouvait pas se faire sans les changements entrepris dans l’armée, sans le développement de l’hippiatrie pour répondre aux nouveaux besoins, mais aussi sans la mise au point d’“instruments” hippiques fondamentaux. C’est donc le concours de ces facteurs qui a permis à la cavalerie de se développer et au cheval d’acquérir une place prépondérante, d’abord dans l’armée, puis, peu à peu, dans la vie quotidienne. »281. Cet argumentaire s’oppose aux vues exprimées près d’un siècle plus tôt par le philologue suédois Gudmund Björck282. Celui-ci estimait qu’un des vétérinaires cités dans la compilation, l’hippiatre Apsyrtos, avait vécu entre 150 et 250, mais il se fondait sur des arguments fragiles qu’il n’eut malheureusement pas le temps d’approfondir283. Il s’agit là d’un élément-clé du débat portant sur la
LAZARIS (2007), 100. Ibid., 102. 282 Cf. réf. supra, n. 279. 283 Pour l’essentiel, Björck remarquait qu’Apsyrtos ne pouvait avoir vécu au début du IVe s., car il est cité par Théomnestos, qui était probablement déjà d’un âge avancé en 313. Le philologue suédois se fondait aussi sur une étude des noms des correspondants d’Apsyrtos, considérant que ces derniers renvoyaient plutôt au Principat (il les qualifie de « classiques », sans plus de précision). Cf. BJÖRCK (1944), 7-12. Il ajoutait cependant (p. 10) : « Je regrette de ne pouvoir identifier avec certitude un seul de tous ces personnages, et j’espère vivement que d’autres seront plus heureux. » 280 281
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datation des œuvres dépouillées par l’éditeur des Hippiatrica, car Eumèlos, l’auteur le plus ancien de l’heptade, ne donne pas d’indices décisifs sur sa période d’activité dans les fragments qui lui sont attribués284. De prime abord, la datation d’Apsyrtos ne devrait pas poser de difficulté285. La Souda, une encyclopédie byzantine de la fin du Xe s., lui consacre une notice tout à fait claire : « Apsyrtos de Pruse de Nicomédie, soldat, a servi en Scythie le long du Danube, sous l’empereur Constantin. Il a écrit un livre d’hippiatrie et un recueil de magie sur les mêmes animaux, et d’autres choses encore. »286 Apsyrtos aurait donc vécu au IVe s., et sa période d’activité coïnciderait avec le règne de Constantin Ier (310-337). On a supposé que la Souda évoquait soit l’expédition conduite par Constantin contre les Sarmates et les Goths entre 322 et 323, soit celle qui le mit aux prises avec les Wisigoths entre 331 et 332287. Les éditeurs du CHG, Eugen Oder et Karl Hoppe, ont considéré ces informations comme fiables288. Pourtant, une datation du IVe s. est difficilement conciliable avec les données biographiques qui nous sont parvenues sur Théomnestos. Ce dernier a utilisé l’œuvre d’Apsyrtos, qu’il cite. Or, il se présente lui-même comme un « ami » (φίλος) de l’Auguste Licinius, qu’il a accompagné dans un voyage en 313, alors que celui-ci se rendait à Milan, pour épouser la sœur de Constantin289. Si l’on date le traité d’Apsyrtos d’après 323, il devient nécessaire de considérer que 284 Cf. WELLMANN, s.n. « Eumelus (14) », dans RE, VI (1909), col. 1081 ; BJÖRCK (1932), 56-9 ; ADAMS (1984) ; DOYEN-HIGUET (2006), 25 ; MCCABE (2007), 98-121 ; LAZARIS (2007), 97-8. On juge souvent que cet auteur a utilisé Columelle et qu’il est donc nécessairement postérieur au règne de Néron, mais cette hypothèse n’a pu être prouvée et il n’est pas impossible qu’Eumèlos soit à situer avant l’agronome romain. Voir en dernier lieu GITTON-RIPOLL (2018). 285 Sur cet auteur, voir DOYEN-HIGUET (2006), 25-31 et MCCABE (2007), 122-55. 286 Souda, A 4739 : Ἄψυρτος, Προυσαεὺς Νικομηδεύς, στρατιώτης, στρατευσάμενος ἐπὶ Κωνσταντίνου τοῦ βασιλέως ἐν Σκυθίᾳ παρὰ τὸν Ἴστρον. Ἱππιατρικὸν βιβλίον οὗτος ἔγραψεν καὶ φυσικὸν περὶ τῶν αὐτῶν ἀλόγων· καὶ ἕτερα. Cette notice associe Apsyrtos à deux villes de Bithynie, Pruse et Nicomédie. Mais les fragments conservés dans les Hippiatrica laissent entendre qu’il venait plutôt de la région de Clazomènes. Cf. MCCABE (2007), 126-7. 287 SPRENGEL (1844), 112 : « cum Constantini expeditio illa ad Istrum, in qua militiae munus susceperat Apsyrtus, annis 330-332 collocanda sit. » Proposition reprise par ODER (1926), 121-2 (qui parle à tort d’une campagne « gegen Sarmaten und Goten » et se trompe sur les dates – 332-334 selon lui). En faveur de l’expédition de 322-323 : HECKER (1829), 245-6. Références bibliographiques supplémentaires dans DOYEN-HIGUET (1984), 112. Sur les deux expéditions de Constantin et leur datation : DEMOUGEOT (1969), 64-9 et CHRISTOL (1998, 2006 2e éd.), 243. 288 ODER & HOPPE (1927), vi : « ad Istrum flumen mulomedicus legioni cuidam attributus ei bello interfuit, quod a. 332-334 ab imperatore feliciter gestum est. » 289 Cf. CHG, I, 183-4 = Hipp. Berol., 34, 12 (avec Lact., De mort. pers., 45, 1 et Zos., II, 17, 2).
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Théomnestos a publié son œuvre au lendemain de la chute de Licinius : se serait-il candidement recommandé de l’amitié d’un empereur dont la mémoire était condamnée290 ? Certains commentateurs ne s’y sont pas trompés. Reprenant le dossier en 1944, Gudmund Björck a émis l’hypothèse que les indications de la Souda étaient tirées du texte d’Apsyrtos et n’avaient donc pas un poids indépendant de celui-ci291. Plus récemment, l’édition d’une traduction arabe du traité de Théomnestos a révélé qu’Apsyrtos était considéré par ce dernier comme un « ancien vétérinaire », le « premier d’entre eux »292, ce qui conduit Anne-Marie Doyen à conclure que « plusieurs générations » séparaient les deux écrivains293. On ne saurait trancher le débat sans tenir compte de ce qu’Apsyrtos nous dit de lui-même dans les écrits qui lui sont attribués. L’hippiatre déclare dans une de ses lettres avoir servi / fait campagne « dans les corps de troupes » qui se trouvaient sur le Danube (Στρατευσάμενος ἐν τοῖς τάγμασι τοῖς ἐπὶ τοῦ Ἴστρου ποταμοῦ)294. Les commentateurs modernes de ce passage ont trop souvent voulu y voir une allusion à une expédition spécifique, ce que le texte ne stipule aucunement295. Dans les épitaphes militaires grecques du Haut-Empire, le verbe στρατεύω signifie le plus souvent « servir comme soldat » et traduit le latin milito ou le génitif pluriel stipendiorum (qui permet d’introduire les années de service du soldat concerné, que celles-ci aient été effectuées en temps de guerre ou en temps de paix)296. Il est donc loin d’être avéré qu’Apsyrtos ait eu l’intention de souligner sa participation à une campagne ponctuelle. Dans 290 Cf. BJÖRCK (1944), 8. Sur la damnatio memoriae de Licinius et sa concrétisation, cf. DELMAIRE (2003), passim. 291 BJÖRCK (1944), 8-9 et n. 1. 292 Cf. HOYLAND (2004), 153. Ce passage de l’introduction est cependant délicat à interpréter car il y est question de ( ٔاقسوسʼ-q-s-ū-s), ce qui ne correspond pas aux transcriptions arabes du nom de l’hippiatre lorsque celui-ci est explicitement cité par Théomnestos dans la suite du traité ([ ٔافسرطسʼ-f-s-r-ṭ-s], [ ٔابسيرطسʼ-b-s-ī-r-ṭ-s], ٔافسرطيس [ʼ-f-s-r-ṭ-ī-s]). Sur la base de cette observation, SAKER (2008), 154-5, considère que l’interprétation de R.G. Hoyland est fautive et que ( ٔاقسوسʼ-q-s-ū-s) ne peut qu’être un autre individu. Mais son argumentation se fonde sur l’hypothèse de datation d’Apsyrtos dérivée de la Souda qui, comme nous l’avons vu, est sujette à caution. Elle comporte donc un risque de circularité. Par ailleurs, DEWEZ & DOYEN-HIGUET (2018), 294-6 ont très récemment fait remarquer que ces variantes orthographiques peuvent très bien s’expliquer d’un point de vue linguistique et philologique. 293 DOYEN-HIGUET (2012), 213. 294 CHG, I, 1 = Hipp. Berol., 1, 1. Le substantif τάγμα, lorsqu’il est appliqué à l’armée romaine, sert le plus souvent à désigner une légion. Cependant, une inscription récemment découverte dans le Don a montré qu’il pouvait aussi renvoyer aux cohortes auxiliaires : cf. IVANTCHIK (2014). 295 Voir par exemple LAZARIS (1999), 480 ; ID. (2007), 93 ; GITTON-RIPOLL (2005), 78. 296 Les épitaphes bilingues en donnent une illustration très claire : e.g. CIL, III, 6547 ; SEG, XXIX, 244 ; ILJug, 1243 ; ISM, I, 302 ; IK, 56, 63 et 64.
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la notice que la Souda lui consacre, il est question d’un service militaire effectué « en Scythie » (ἐν Σκυθίᾳ), c’est-à-dire plutôt dans les régions du Bas-Danube. Mais il est difficile de savoir quel crédit accorder à la précision géographique apportée par l’encyclopédie byzantine. Comme le soulignait Björck, il est tout à fait possible que cette mention soit à considérer comme « une broderie sur ἐπὶ τοῦ Ἴστρου ποταμοῦ »297. Au demeurant, la participation à des opérations militaires sur le Danube ne peut être considérée comme une information déterminante pour la datation de l’auteur : les campagnes de ce type ont été nombreuses durant toute la période impériale298. Nombre de correspondants d’Apsyrtos sont des soldats : les différents manuscrits édités dans le CHG permettent d’en identifier quatorze. Ces individus sont fréquemment associés à des grades militaires : Apsyrtos s’adresse ainsi à des décurions (δεκουρίων), à des centurions (ἑκατοντάρχης), à un tribun militaire (χιλίαρχος) et même à un « général » (στρατηλάτης)299. Ces commandements se rattachent avant tout à la hiérarchie militaire de la République et du Principat. Nulle mention de circitores, d’exarques, de biarques, de centenaires ou de ducénaires, postes d’officiers omniprésents dans les unités post-tétrarchiques. Nous ne disposons hélas que d’informations très limitées sur ces individus qu’Apsyrtos ne fait généralement que nommer. Un des correspondants du traité, Getullius Severus, est dit appartenir à la VIIe légion (τάγματος ἑβδόμου), probablement la legio VII Claudia Pia Fidelis, qui stationnait à Viminacium (près de Kostolac, Serbie) en Mésie supérieure, dès le règne de Néron, et était toujours en poste sur le Danube au IVe s.300. Une lettre est adressée à Postumius, « cavalier dace » : certainement un auxiliaire dont on imaginerait mal qu’il eût été utile de préciser l’ethnicité ou l’origine provinciale après le retrait de la présence romaine de Dacie entre 271 et BJÖRCK (1944), 9. Pour un aperçu général de la politique militaire des Romains à l’égard des populations danubiennes, cf. BATTY (2007), notamment chap. 7. 299 « Général » : CHG, II, 216 = Hipp. Cantab., 80, 1 (Ursus). Tribun : CHG, I, 262 = Hipp. Berol., 67, 1 (Herakleion). Décurions : CHG, I, 194 = Hipp. Berol., 36, 1 (Valens) ; CHG, I, 237 = Hipp. Berol., 53, 1 (Iulius Faustus) ; CHG, I, 252 = Hipp. Berol., 62, 1 (M. Aemilius) ; CHG, I, 308 = Hipp. Berol., 86, 1 (Iulius Saturninus) ; CHG, I, 317 = Hipp. Berol., 88, 1 (Bebius) ; CHG, I, 362 = Hipp. Berol., 104, 5 (M. Marius). Centurions : CHG, I, 227 = Hipp. Berol., 51, 1 (Sisenna) ; CHG, I, 279 = Hipp. Berol., 71, 1 (P. Cocceius Iustus) ; CHG, I, 286 = Hipp. Berol., 75, 1 (Iulius Fronto) ; CHG, II, 180 = Hipp. Cant., 49, 1 (Romulus). Simples soldats (?) : CHG, I, 375 = Hipp. Berol., 116, 1 (Getullius Severus) ; CHG, I, 370 = Hipp. Berol., 113, 1 (Postumius). 300 CHG, I, 375 = Hipp. Berol., 116, 1. Cf. RITTERLING (1925), col. 1614-28 ; LE BOHEC & WOLFF (2000), 242-5. Cette légion fut fortement impliquée dans les guerres daciques de Trajan : STROBEL (1984), 91. 297 298
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273301. On trouve enfin un certain Οὖρσος (= Ursus), personnage de rang plus éminent puisqu’il est qualifié de δεσπότης (« maître ») et de στρατηλάτης (« général »)302. Lazaris prétend l’identifier sur la base d’une hypothèse avancée par les auteurs de la Prosopography of the Later Roman Empire : il s’agirait de Flavius Ursus, consul en 338303. Ce rapprochement est pour le moins hasardeux. Flavius Ursus était certainement un personnage important, mais rien ne prouve qu’il ait effectivement commandé une armée304. Par ailleurs, Ursus était un cognomen relativement répandu à l’époque impériale : un simple examen de la Prosopographia Imperii Romani permet de relever les noms de sept individus305. L’un d’entre eux semble mieux correspondre au profil recherché. Il s’agit de L. Iulius Ursus Servianus, fils adoptif du préfet du prétoire L. Iulius Ursus, consul à trois reprises, légat de Germanie supérieure en 97 puis de Pannonie en 98306. Ce sénateur de haut rang participa probablement à la première guerre dacique de Trajan307, ce qui concorderait avec le service qu’Apsyrtos effectua ἐπὶ τοῦ Ἴστρου ποταμοῦ. À l’appui de la datation haute jadis avancée par Björck, on notera que les données onomastiques du corpus apsyrtéen sont peu conciliables avec un contexte postérieur à la promulgation de l’édit de Caracalla
301 CHG, I, 370 = Hipp. Berol., 113, 1 : Ποστουμίῳ Δακὶ ἱππότῃ. Cf. CHRISTOL (1998, 2006 2e éd.), 164-5. Il y avait des soldats daces dans l’armée impériale avant la conquête de la Dacie en 106, mais ils étaient originaires de Mésie et servaient dans les flottes prétoriennes de Misène et de Ravenne (RMD, IV, 203 [70 ap. J.-C.] ; CIL, XVI, 13 [71 ap. J.-C.]), ce qui explique leur présence dans la legio II Adiutrix levée à partir de marins en 70 (AE, 2006, 1833 [70 ap. J.-C.]). Pour l’heure, un seul diplôme militaire mentionne un cavalier originaire de Dacie : CIL, XVI, 144 = ILS, 2009 = IDRE, I, 166 (230 ap. J.-C.). 302 CHG, II, 216 = Hipp. Cantab., 80, 1 : Ἄψυρτος Οὔρσῳ στρατηλάτῃ χαίρειν… δέσποτα Οὖρσε. 303 LAZARIS (1999), 481 ; ID. (2007), 95. Cf. PLRE, I, s.n. « Flavius Ursus 4 », 489 et LANDELLE (2011), 577-8 (pour une notice biographique plus complète, avec bibliographie antérieure). 304 Cette éventualité n’est pas à exclure car il n’était pas inhabituel pour un maître des milices d’obtenir le consulat après l’exercice de son commandement : LANDELLE (2011), 347-54. Flavius Ursus consul peut d’ailleurs être rapproché de l’homonyme mentionné dans la légende de Nicolas de Myre, qui aurait contribué à réprimer une révolte des Taïfales en Phrygie, à la fin du règne de Constantin Ier, peut-être en 335 : Prax. de strat., Rec. 1, 1 ; Rec. 2, 1 ; Rec. 3, 1 (il est désigné tantôt comme στρατηλάτης, tantôt comme στρατοπεδάρχης). 305 PIR, V, 688 (Ursus) ; V, 52 (C. Valerius Flaccus Iulius Ursus) ; PIR², C, 1473 (Cornelius Ursus) ; F, 404 (Flavius Ursus) ; H, 133 ([He]rennius Ursus) ; I, 630 (L. Iulius Ursus) ; I, 631 (L. Iulius Ursus Servianus). 306 PIR², I, 631. 307 Cf. Plin., Ep., III, 17, avec SYME (1958), II, 646 et STROBEL (1984), 74-5.
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(212 ap. J.-C.). On trouve dans les lettres conservées des Iulii308, un Aemilius309, un Marius310, un Claudius311, un Cocceius312, mais aucune trace d’Aurelii ni de Flauiii, gentilices impériaux pourtant très répandus dans l’armée du IVe s., y compris chez les officiers313. En dehors des militaires, certains correspondants portent des noms distinctifs attestés au Ier s. Le Caristanius Fronto auquel Apsyrtos adresse une lettre sur la saillie314 est certainement un membre de la prestigieuse famille des Caristanii Frontones d’Antioche de Pisidie315, peut-être C. Caristanius Fronto, préfet de l’ala Bosporanorum – avant son adlectio inter tribunicios (en 73/74 ?) – puis consul suffect en 90316. Flammaruntius, destinataire d’une lettre sur les chevaux aux yeux vairons317, pourrait être l’Arruntius Flamma qui exerçait une préfecture liée à la surveillance du cours inférieur du Danube dans la décennie 50318. Son profil et l’ancrage régional de sa carrière en Mésie semblent cadrer avec le milieu militaire d’Apsyrtos. Dans un schéma classique, une telle préfecture serait à situer après les milices équestres et l’on serait tenté de penser que notre chevalier était dans la force de l’âge durant son séjour sur le Danube. Mais les préfectures de flotte n’étaient pas encore complétement intégrées au cursus procuratorien sous les derniers Julio-Claudiens. Peut-être Arruntius Flamma occupa-t-il des fonctions publiques plus importantes dans les décennies suivantes. À moins qu’Apsyrtos ne s’adresse à un autre membre de sa famille et homonyme. Tous ces éléments nous semblent aller dans le sens d’une conclusion qu’il importera d’étayer dans l’avenir : la période d’activité d’Apsyrtos
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CHG, I, 237 = Hipp. Berol., 53, 1 (Iulius Faustus) ; CHG, I, 286 = Hipp. Berol., 75, 1 (Iulius Fronto) ; CHG, I, 308 = Hipp. Berol., 86, 1 (Iulius Saturninus). 309 CHG, I, 252 = Hipp. Berol., 62, 1 (M. Aemilius). 310 CHG, I, 362 = Hipp. Berol., 104, 5 (M. Marius). 311 CHG, I, 368 = Hipp. Berol., 108, 1 (Ti. Claudius Herakleidès). 312 CHG, I, 279 = Hipp. Berol., 71, 1 (P. Cocceius Iustus). 313 Cf. supra, p. 380 et n. 92. 314 CHG, I, 78 = Hipp. Berol., 14, 1. 315 Ce que suggérait déjà BJÖRCK (1944), 11. Sur les Caristanii Frontones : CHEESMAN (1913) ; CHRISTOL, DREWBEAR & TAŞLIALAN (2001). 316 AE, 1914, 262 et 1949, 23. Sur la carrière de ce personnage, voir CHEESMAN (1913), 260-6. 317 CHG, I, 77 = Hipp. Berol., 13, 1. 318 DEMOUGIN (1992), 441 (je remercie M.-T. Cam d’avoir attiré mon attention sur ce personnage). Les spécialistes se divisent concernant la nature de cette préfecture : Arruntius Flamma a-t-il été praefectus orae maritimae ? ripae Thraciae ? classis Moesicae ? Voir en dernière analyse RUSCU (2014), qui penche en faveur de la troisième hypothèse.
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pourrait se situer à cheval entre le Ier et le IIe s. Dans tous les cas, elle ne peut être postérieure au IIIe s. et la production des auteurs du CHG est donc beaucoup plus étalée dans le temps que ne le suggère Stavros Lazaris. Elle ne reflète pas le soi-disant essor de la cavalerie de la fin du IIIe s. et du IVe s., dont nous avons de toute façon souligné le caractère chimérique dans notre précédente partie. Au demeurant, l’hippiatrie mise au service de l’activité militaire n’est pas une innovation de l’Antiquité tardive. Dans une étude publiée en 1969, Roy Davies avait montré que des vétérinaires spécialisés dans le soin des équidés (ueterinarii, medici equarii, medici iumentarii) étaient déjà attachés à l’armée sous le HautEmpire319. La fortune tardive de la littérature hippiatrique doit plutôt se comprendre dans un contexte de promotion des littératures techniques, favorisé par l’adoption du codex. Mais l’apparition du genre lui-même est bien antérieur, puisque le premier traité attesté est celui d’Eumèlos, qui fut actif avant Apsyrtos. Quant à la date (probable) de compilation des Hippiatrica, elle révèle deux choses : d’une part, un intérêt important dédié à la médecine des équidés à l’époque proto-byzantine, peut-être lié à l’essor (bien réel, lui) de la cavalerie qui se constate aux Ve et VIe s. ; et d’autre part, l’absence de nouveaux travaux significatifs sur la question durant cette même période, à tel point que des hippiatres des Ier-IVe s. pouvaient encore être considérés comme des autorités à cette époque320.
319 DAVIES (1969b), 88. CIL, III, 11215 (Carnuntum) : L. Cliternius, ueterinarius legionis. CIL, V, 2183 (Altinum) : L. Crassicius, medicus ueterinarius. CIL, VI, 37194 = ILS, 9071 (Rome) : ]llius Quartio, medicus ueterinarius dans la première cohorte prétorienne. Tab. Vindol., II, 181 et 310 : Alio et Virilis, ueterinarii. IGRR, I, 1373 = CIG, 5117 (Meharrakah) : C. Aufidius, [ἱ]ππωίατρος dans la cohors I Thebaeorum. MDAI(A), 13 (1888), p. 250-1, no. 50 (cf. SEG, XXXIV, 1319, no. 95) : Vibianus Pataikiès, ἱππιατρός dans le numerus Voc[ontiorum ?]. IK, 56, 69 = AE, 1997, 1527 : Memmius Hippocratès, ἵππων ἰητήρ dans le numerus equitum singularium Augusti. Voir aussi O. Florida 15 (Edfou ?) où il est question d’un ἱπποιατρός Quintus, probablement lié à l’armée. Cf. ADAMS (1995), 53-65 (qui estime que ces vétérinaires étaient généralement de basse extraction sociale). 320 Au sein de cette heptade hippiatrique, il semble qu’Apsyrtos peut être considéré comme l’un des auteurs les plus compétents. Végèce, lui-même rédacteur d’un traité de médecine vétérinaire, insiste sur le travail de qualité produit par son prédécesseur, dont les écrits, dit-il, sont desservis par un style trop technique et inélégant. Cf. Veg., Mulom., prol., 3 : Chiron uero et Apsyrtus diligentius cuncta rimati eloquentiae inopia ac sermonis ipsius uilitate sordescunt. MCCABE (2007), 13 pense que les traités d’Apsyrtos et de Théomnestos reflètent des avancées scientifiques réelles, liées à une pratique empirique de la profession au sein de l’armée. La qualité de leurs analyses a été soulignée dans une thèse de doctorat vétérinaire présentée par D. Ménard. Cf. MÉNARD (2001).
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B. L’apparition et la diffusion de nouveaux « instruments » hippiques Bien plus que dans le domaine de la médecine vétérinaire, c’est dans la sphère du harnachement que de véritables progrès se constatent à l’époque tardive321. Les premiers changements semblent avoir affecté la sellerie dès le IIIe s., comme le révèle l’évolution du vocabulaire technique et des représentations figurées de cavaliers322. Parmi les expressions nouvelles, le latin scordiscus désigne un objet en cuir dont la fonction demeure obscure323. Dans son édit du maximum, Dioclétien évoque un scordiscus militaris : l’item apparaît au sein de la liste des loramenta, c’est-à-dire des éléments de harnachement324. Une fabrica répertoriée par la Notice des dignités est, entre autres, spécialisée dans la production de ce genre d’accessoire325. Les vétérinaires tardifs fournissent des indications plus utiles. Pélagonius et Végèce soulignent que le scordiscus peut être employé à la place d’un bandage (fascia) pour traiter certaines blessures sur le dos des chevaux : il permet alors de couvrir la plaie, probablement pour éviter de la laisser s’infecter au contact de l’air – il s’agit donc, au moins d’une housse, si ce n’est d’une selle légère, sans armature solide (celle-ci risquerait, par son poids, de faire souffrir l’animal)326. Les Discussion générale : NICOLLE (1995), 39-41. Sur la question : JUNKELMANN (1992), III, 70-3 ; BISHOP & COULSTON (1989, 2006 2e éd.), 227 ; STEPHENSON (2003), 107-10. 323 Cf. LAFAYE, s.v. « Scordiscus », dans Daremberg, Dictionnaire, IV.2, 1122-3 ; VIGNERON (1968), I, 80 et s. ; ADAMS (1992), 165-8. Cet accessoire est mentionné pour la première fois par une tablette de Vindolanda datée des environs de 100 ap. J.-C., cf. BOWMAN & THOMAS (1996), 302 (liste d’objets achetés par un individu anonyme) : scordiscum n(umero) i uacat (denarios) [[v]]xii. Ce texte fragmentaire ne permet pas de garantir qu’il s’agit d’une selle, même si les éditeurs soulignent, p. 304 : « the price of 12 denarii in the Vindolanda account is perhaps more suggestive of a saddle than a saddle-cloth. » Il pourrait tout aussi bien être question d’un quelconque accessoire en cuir, voire d’un matériau non apprêté, comme le suggère une inscription datée de 202, contenant une liste de droits de douane à payer pour diverses variétés de peaux et de cuirs, cf. CIL, VIII, 4508 (Iulia Zarai, Numidie) : scordiscum malac(um). Dans le même sens, cf. Jér., Ep., 51, 5, 2 : numquid coriarius aut scordiscarius erat Deus. Contra VIGNERON (1968), I, 83 ; HUG, s.v. « Sella equestris », dans RE, II.A.2, col. 1315 ; LAMMERT, s.v. « Skordiskos », dans RE, III.A.1, col. 584 : le scordiscus est un type de selle emprunté par les Romains aux Scordisci, peuple de souche celtique installé à la confluence de la Save et du Danube. 324 Ed. Diocl., 10, 2 (cf. CRAWFORD & REYNOLDS [1977], 133) : Scordiscum militarem. 325 ND Occ., 9, 18 : Sirmensis scutorum, scordiscorum et armorum. 326 Pelag., 168 : Si dorsum ab iniuria aut inperitia sedentis intumuerit, […] mallonem caepe, id est fascem unde caepe ipsum dependet, in calidam feruentissimam mittes, ut incalescat, et postea calidum supra tumorem inpones. Aut fascia constringis aut scordiscum superinpones et una nocte et die sic maneat. Veg., Mul., II, 60, 1 : Quodsi dorsum 321 322
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deux hypothèses ont été avancées, sans argument décisif327. Cependant, l’application tardive de ce terme à la sellerie n’a pas été rapproché de représentations iconographiques comtemporaines qui semblent bien indiquer la diffusion d’un nouveau type d’équipement à la charnière du IVe s. Une fresque perdue de la chambre du culte impérial à Louxor et une mosaïque de la villa del Tellaro montrent en effet des chevaux équipés d’un accessoire étrange, qui peut ressembler à un tapis de selle par son aspect couvrant, mais qui est muni de saillies marquées à ses extrémités avant et arrière, indiquant qu’il s’agit, au moins en partie, d’un équipement rigide (fig. 51)328. Ces pièces de harnachement, différentes de la traditionnelle selle à cornes, correspondent peut-être au scordiscus évoqué par les sources écrites. On pourrait alors penser que Dioclétien chercha à imposer un type de selle en cuir moins coûteux au sein de l’armée, dans le cadre de la politique plus large de standardisation des équipements militaires qui accompagna l’établissement des fabricae tétrarchiques. Mais il ne s’agit là que d’une supposition. D’autres expressions techniques sont employées durant la période tardive en relation avec la sellerie. Il y a d’abord le latin stratum, un terme plutôt vague qui désigne au sens propre tout ce qui est placé « au-dessus » de quelque chose. James Adams a montré de façon tout à fait claire que, dans le champ sémantique du harnachement équestre, ce mot peut renvoyer aux divers accessoires posés sur le dos du cheval et pas nécessairement à la selle proprement dite329. Dans la Mulomedicina Chironis, le stratum semble avoir la même fonction thérapeutique que le scordiscus et désigne probablement un tapis en tissu330. Chez Végèce, le sens est plus englobant. L’auteur de l’Epitoma rei militaris évoque les blessures que peuvent causer les frottements de la selle (sella) contre l’épine dorsale des montures. Il recommande de protéger le dos des animaux avec des étoffes (centones, saga), c’est-à-dire des tapis de selle, et ajoute que sedentis iniuria tumere iam coeperit, in recenti statim mallonem ceparum, id est calamos siccos unde fasces dependent, in aquam feruentissimam mittis et aliquamdiu maceratum calidum super tumorem impones, fascia constringes uel cordiscum superimpones, una quoque nocte manere patieris. 327 Cf. ADAMS (1992), 167. 328 Louxor : JONES & MCFADDEN (2015), 110, fig. 6.6 et 167, fig. A.6 (ces peintures datent probablement de l’un des séjours de Dioclétien en Égypte, entre 297 et 302). Villa del Tellaro : WILSON (2016), 85, fig. 5.14 et 94, fig. 5.25. Une selle de ce type est peut-être déjà représentée sur la stèle funéraire d’un soldat du prétoire, datée du IIe s. : MAXFIELD (1981), 91, fig. 10 (cf. AE, 1915, 112). 329 ADAMS (1992), 159-65. 330 Mul. Ch., 687-9, notamment 688 : Hoc medicamento ergo in plagas immisso et cum lana sucida calcato munibis strato iumentum, ne uentilet.
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Figure 51 – Dessin de la fresque perdue du temple du culte impérial de Louxor. Source : JONES & MCFADDEN (2015), 110, fig. 6.6. Crédits : © National Trust Images. Courtesy of the Bodleian Library, Oxford. MS. Wilkinson, dep. d. 34, page 31r (62).
pour éviter tout désagrément, il est nécessaire d’utiliser une selle (sella) adaptée au gabarit du cheval : ainsi, les strata ne risquent pas de porter atteinte à l’intégrité physique de l’animal331. Ici stratum désigne à la fois la selle proprement dite et le tapis qui se trouve en dessous. Lorsqu’il veut éviter toute équivoque, Végèce emploie le terme sella qui, à l’époque classique, désignait une chaise sans dossier ni accoudoir332, mais qui, dans l’Antiquité tardive, peut aussi faire référence au siège rigide adapté à la monte des chevaux. Les sources juridiques des IVe et Ve s. font le même usage de ce mot, auquel est parfois associé le qualificatif 331 Veg., Mul., II, 59, 1-3 : Animalium dorsa ut laboris plurimum sentiunt, ita diligentius sunt curanda, exceptis enim his, qui deputati sunt circo, reliquum equorum mulorum asinorumque genus sub sellis aut sagmis solo tergo praestat officium. Unde laudabilior industria est, quae incolumitatem tuetur quam quae cupit laesa curare. Nam diligenter defendit a uitio, si centones uel saga primum sufficientia deinde mollia imponantur et lota atque ad tempus diligenter excussa, ne aliquid sordium aut asperitatis inhaereat, quod sub pondere inulceret pellem. Tunc sagmarum uel sellarum mensura conueniens et apta qualitas debet adhiberi. Si enim ista minora fuerint uel maiora, angustiora uel ultra modum lata uel quae non congruunt, grauiter nocent. Hinc enim collisiones, suppurationes apostemataque nascuntur, cum nimis locus inaequali premitur pondere uel discindente tractura mercurius aut spina deteritur. Ipsorum quoque ponderum, etiamsi in stratis nulla sit culpa, enormitas nocet, et ideo temperanda est mensura, ne ferat uulnus. 332 OLD, s.v. « sella », p. 1728.
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equestris333. Tout le problème est de savoir si la banalisation de cette expression s’est accompagnée de changements matériels dans la conception des selles. Plusieurs commentateurs ont souligné que durant cette période, les Romains ont progressivement adopté la selle hunnique334. Ce type de selle est représenté pour la première fois, en contexte romain, sur la colonne de Théodose Ier à Constantinople (386-393/4) et dans un manuscrit du Vatican datant de la fin du IVe s. ou du début du Ve s. (fig. 52)335. À la différence des selles à cornes traditionnelles, les selles hunniques se composent d’un pommeau et d’un troussequin en arcade semi-circulaire, que les Romains appellent des fulcra (littéralement des « montants de lit »)336. Elles sont peut-être plus adaptées à la pratique de l’archerie montée337. Leur adoption n’entraîna pas la disparition immédiate des selles à cornes, encore visibles dans certaines représentations iconographiques du IVe s.338. Reste à évoquer deux accessoires complètement nouveaux, qui font leur apparition durant la période : l’étrier et le mors à aiguilles. Des recherches récentes ont montré que l’étrier était déjà répandu dans l’Empire romain d’Orient au VIe s.339. Si ce point paraît aujourd’hui assuré, la question de ses origines demeure débattue. La plupart des spécialistes considèrent que les véritables étriers, utilisés par paires, commencèrent à être employés dans le nord de la Chine, où ils apparaissent pour la 333 Le Code Théodosien interdit ainsi de munir les chevaux du cursus publicus de sellae trop lourdes, cf. CTh., VIII, 5, 47 (385 ap. J.-C.). L’expression sella equestris apparaît aussi dans une loi de Léon Ier (457-474) qui défend aux particuliers d’orner leurs selles avec des pierres précieuses : CJ, XI, 12, 1. 334 Voir notamment WERNER (1956), 50-3 et BISHOP & COULSTON (1989, 2006 2e éd.), 227. 335 Colonne théodosienne : BECATTI (1960), tav. 78-80 (dessins du Louvre). Manuscrit de l’Énéide : Vat. Lat. 3225, folio 63r. Cf. WRIGHT (1993), 67 (pour une illustration) et 84-91 (pour la datation). 336 Sid. Apoll., Ep., III, 3, 5 : l’auteur fait l’éloge d’Ecdicius et de ses prouesses contre les Goths ; lorsque ce dernier entre avec ses compagnons dans Clermont, les habitants les accueillent chaleureusement et les débarrassent de leur équipement ; ils « retournent les fulcra des selles de cavalerie, trempés de sueur » (sellarum equestrium madefacta sudoribus fulcra resupinant). Cf. OLD, s.v. « fulcrum », p. 743. 337 NICOLLE (1995), 41 ; SYVÄNNE (2004), 39 et n. 5. Voir cependant CONYARD (2013), 557-8, qui souligne qu’en l’absence d’étriers, la stabilité latérale fournie par cette selle est moins bonne qu’avec la selle à cornes du Haut-Empire. 338 On peut voir une selle à cornes sur deux plateaux en argent découverts dans le trésor de Sevso (fin du IVe-début du Ve s.) : cf. MANGO & BENNETT (1994), fig. 1.4, 1.10 et 1.37 (« Hunting Plate ») ; ibid., fig. 2.60 et 2.63 (« Meleager Plate »). Voir également L’ORANGE (1939), Pl. 8a (arc de Constantin). 339 LEBEDYNSKY (2001b), 199-200 ; LAZARIS (2005) et (2011a), 259-69 ; IVANIŠEVIĆ & BUGARSKI (2012).
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Figure 52 – Détail des reliefs de la colonne théodosienne (dessin de Franco Battista). Crédits : © 2012 - Musée du Louvre, Département des Arts graphiques (permalien : https://collections.louvre.fr/ ark:/53355/cl020007272).
première fois sur une statuette trouvée à Xiangshan (dans la région du Jiangsu) et datée des alentours de 322 ap. J.-C. Les premiers exemplaires en métal, trouvés dans les provinces de Liaoning et de Jilin, remontent à la seconde moitié du IVe s. ou au début du Ve s.340. Leur adoption par les nomades d’Asie centrale permit leur diffusion au Moyen-Orient et dans le monde méditerranéen, bien que les étapes de ce processus restent à définir341. On ignore, en particulier, quel peuple a pu inspirer les Romains dans ce domaine, et il y a des raisons de croire que les Avars ne jouèrent pas le rôle de passeurs qui leur a souvent été attribué dans la littérature moderne342. Certains archéologues ont parfois suggéré que les populations de l’Antiquité purent utiliser des proto-étriers en matériaux ZHOU (2009), 205-6. Sur ces questions : cf. COMISSAROV (2005) ; COMISSAROV & KHUDJAKOV (2007) ; JANIK (2012) ; SHUVALOV (2014). 342 Voir parmi de multiples références : BIVAR (1955), 62-3 ; WHITE (1969), 14-6 ; GAZAGNADOU (2001), 166-7. À la différence de ces auteurs, P. Shuvalov (cf. n. précédente) pense que les Huns Sabirs ou les Oghours ont servi d’intermédiaires auprès des Byzantins. Voir également LAZARIS (2005), 280 qui distingue judicieusement la σκάλα byzantine de l’étrier avar. 340 341
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organiques avant l’adoption d’exemplaires métalliques : ces lanières en cuir ou en corde n’auraient laissé aucune trace dans les sépultures, ce qui aurait amené les chercheurs à sous-estimer leur importance. Si l’hypothèse mérite d’être discutée pour ce qui concerne les peuples nomades de la steppe pontique343, il semble clair que les Grecs et les Romains ne connurent pas un tel accessoire, qui n’est jamais décrit dans les sources, aussi bien textuelles qu’iconographiques. Jusqu’au Ve s., la pratique la plus courante consistait à s’aider d’un serviteur pour monter à cheval – les cavaliers les plus talentueux pouvaient directement sauter sur leur monture, comme le faisait encore Théodoric Strabon en 481344. Mais jamais les auteurs anciens n’évoquent l’utilisation d’aides-montoirs qui pourraient s’apparenter à des étriers. Il faut attendre le Stratêgikon, donc la fin du VIe s., pour que ces derniers fassent leur apparition dans une œuvre littéraire. À trois reprises, l’auteur du traité mentionne une partie de l’équipement du cavalier appelée σκάλα (du latin scala) : ce terme sert incontestablement à désigner des étriers345. Contrairement à ce qui est parfois allégué, l’utilisation de ces σκάλαι n’est pas seulement recommandée pour les ambulanciers : 343 Voir notamment le torque scythe de Kul Oba, daté du IVe s. av. J.-C. : à chaque extrémité de l’objet, un cavalier est représenté dans une position suggérant l’emploi d’étriers et il est possible d’apercevoir une bande autour de ses pieds (CLUTTON-BROCK [1987], 89, fig. 8.8 ; LITTAUER [1981], 99-105). Un autre exemple d’étrier précoce pourrait se trouver sur le vase de Chertomlyk, daté aussi du IVe s. av. J.-C. : ARENDT (1934), contra AZZAROLI (1985), 70, fig. 38. 344 Cf. Evagr., HE, III, 25 : « Puis il ordonna qu’un cheval lui soit amené afin qu’il puisse s’exercer, et ayant l’habitude de n’avoir personne pour l’aider à monter, il sauta sur le cheval. » (Εἶτα διακινῆσαι τὸ σῶμα βουληθεὶς ἵππον ἀχθῆναι προστέταχεν, ἀναβολεῖ δὲ οὐκ εἰωθὼς χρῆσθαι τῷ ἵππῳ προσήλατο). Procope décrit toujours cette méthode au milieu du VIe s., de même que celle qui consistait à se faire aider d’un serviteur pour monter en selle : évoquant les mœurs militaires des habitants de Brittia (une île située au large du Rhin, entre la Bretagne et Thulé), l’historien affirme que ces derniers ne connaissent pas l’équitation ; lorsqu’ils sont contraints d’utiliser des chevaux pour se rendre en ambassade auprès des Romains ou des Francs, ils sont incapables de sauter en selle, mais ont besoin de l’aide de quelqu’un d’autre pour les hisser sur le dos de leur monture (Procop., Bell., VIII, 20, 30-1 : ἐνταῦθά τε ἵπποις ὀχεῖσθαι αὐτοῖς ἐπάναγκες εἴη, ἀναθρώσκειν μὲν ἐπ᾿ αὐτοὺς οὐδεμιᾷ μηχανῇ ἔχουσιν, ἕτεροι δὲ αὐτοὺς μετεωρίζοντες ἄνθρωποι ἐπὶ τοὺς ἵππους ἀναβιβάζουσιν, ἀπαλλάσσεσθαί τε βουλομένους ἐνθένδε αὖθις αἴροντες ἐπὶ τῆς γῆς κατατίθενται). Une telle remarque n’aurait eu aucun sens si ces deux techniques n’avaient plus valeur de norme dans le monde méditerranéen à l’époque. 345 Ce terme apparaît plus tôt chez le lexicographe Hesychios d’Alexandrie, cf. Hesych., Lex., Σ, 806 : σκάλα· κλῖμαξ, ἀνάβασμα. De cette définition très générale, il n’est pas possible de déduire qu’il existait déjà une association entre le grec σκάλα et un quelconque accessoire hippique dans l’Empire d’Orient avant la seconde moitié du VIe s. Voir en ce sens Maurice, Strat., X, 1, 52-3 qui montre qu’en grec, σκάλα pouvait aussi être employé avec le sens d’« échelle de siège » : σκάλαις ἤτοι κλίμαξιν. Contra
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Figure 53 – Étriers découverts à Caričin Grad, Serbie. Source : 'ඎඏൺඅ & 3ඈඉඈඏංම (1984), 148, fig. 156. Reproduit avec l’aimable autorisation de l’École française de Rome.
c’est un acessoire utilisé par tous les soldats. Dans sa description des éléments de harnachement du cavalier ordinaire, Maurice écrit ainsi : « les selles (σέλλας) doivent avoir des tapis (ἐπισέλλια) épais et grands ; les brides (χαλινάρια) doivent être adaptées [aux chevaux] ; il faut que deux étriers de fer (σκάλας σιδηρᾶς) soit attachés à la selle »346. L’archéologie permet de confirmer ces dires. Deux étriers de forme archaïque à repose-pied étroit ont été mis au jour dans le contexte scellé et parfaitement daté de Caričin Grad / Iustiniana Prima, ville fondée vers 535 et abandonnée dès 615 (fig. 53)347. Selon Vujadin Ivanišević et Ivan Bugarski, ces étriers ne ressemblent pas aux modèles proto-avars contemporains mais sont à rapprocher de modèles plus anciens, découverts en Asie348. Comme nous l’avons suggéré plus haut, ce détail tendrait à indiquer que les Byzantins adoptèrent l’étrier métallique avant même l’arrivée des Avars en Europe. Outre les deux étriers qui viennent d’être mentionnés, il est à noter qu’un autre exemplaire daté de la même période LAZARIS (2005), 278 qui estime que l’entrée d’Hesychios fournit un terminus ante quem à l’apparition de l’étrier byzantin. 346 Maurice, I, 2, 40-2 : Χρὴ τὰς σέλλας ἔχειν ἐπισέλλια δασέα καὶ μεγάλα, καὶ τὰ χαλινάρια αὐτῶν ἐπιτήδεια εἶναι. Ἔχειν δὲ εἰς τὰς σέλλας σκάλας σιδηρᾶς δύο. Quelques chapitres plus loin, l’auteur ajoute que les ambulanciers doivent suspendre leurs deux étriers du côté gauche de la selle, pour pouvoir hisser plus facilement les blessés sur la croupe du cheval. Ibid., II, 9, 22-8. 347 IVANIŠEVIĆ & BUGARSKI (2012). Sur le site archéologique de Caričin Grad, cf. BAVANT & IVANIŠEVIĆ (2003). 348 IVANIŠEVIĆ & BUGARSKI (2012), 138.
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a été trouvé dans une habitation de la forteresse proto-byzantine de Ripkit, près de Karasura en Bulgarie349. Plus à l’ouest, dans les régions rhénanes, le premier exemple d’étrier répertorié par les archéologues provient de la tombe 35 de Moos-Burgstall et date de la fin du VIe s.350. Les travaux modernes ont accordé une importance surdéterminante à l’étrier dans le domaine de l’évolution des tactiques militaires et même des sociétés anciennes. Est-il besoin de rappeler que Lynn White jr. considérait que son adoption par les Francs fut à l’origine du développement de la chevalerie et du féodalisme en Europe occidentale351 ? En fait, cet accessoire ne favorisa pas l’émergence de nouvelles méthodes de combat dans l’Antiquité tardive, pas plus qu’il ne contribua à faire de la cavalerie la « reine des batailles »352. L’étrier était propre à favoriser l’archerie montée, car il permettait au cavalier de se stabiliser plus facilement au trot ou au galop pour viser une cible ; il offrait également une meilleure stabilité latérale pour le combat rapproché à l’épée353. Mais il ne fut pas la condition sine qua non du développement du combat par le choc, qui existait déjà depuis longtemps dans le monde antique354. Malgré les découvertes archéologiques récentes, les spécialistes discutent encore des étapes précises de l’introduction de cet accessoire dans le monde romain. Ulrich Kraft, en se fondant sur une étude du mot scala et de son évolution, a suggéré que les cavaliers romains utilisaient déjà des étriers (peut-être en matériaux organiques) avant la chute de l’Empire d’Occident355. Cette hypothèse doit être écartée pour des raisons aussi bien lexicologiques qu’historiques356. L’anecdote relative à Théodoric Strabon que Voir CURTA (2008), 307-8. FREEDEN (1987), 526-30 : le mobilier funéraire indique que l’individu était un cavalier avar. 351 WHITE (1969), chap. i. 352 Voir BACHRACH (1970) ; SETTIA (1985) ; BACHRACH (1988) ; NICOLLE (1995), 41 ; BENNETT (1995) ; ID. (1998) ; MORILLO (1999). Selon ce dernier (p. 49) : « while the stirrup may indeed have appeared in Europe sometime between 500 and 1000, it explains almost nothing about the ascent of cavalry over infantry. » Sans reprendre nécessairement les thèses de L. White sur la chronologie de l’apparition et de la diffusion des étriers, certaines études récentes continuent d’accorder une importance majeure à cet accessoire. Cf. e.g. LAZARIS (2005), 276 : « L’étrier, sans être le seul instrument de maîtrise important a donc eu un impact considérable dans l’évolution de la cavalerie et des techniques de combat. Il contribua ainsi grandement au rôle et à la place que gagna alors le cheval dans l’armée. » 353 ID. (2012b), 17. 354 Contre la théorie qui veut que l’étrier soit un préalable nécessaire au développement de la technique de la « lance couchée », voir les remarques de D. Sneath dans PETITJEAN, BISHOP & GRIFFITHS (2019), 222. 355 KRAFT (2012). Selon l’auteur, l’emprunt du latin au grec indiquerait que scala était initialement utilisé dans la partie occidentale de l’Empire avant de se diffuser dans la pars Orientis via l’armée. L’apparition de l’étrier dans le monde romain précèderait donc la disparition de l’Empire romain d’Occident. 356 Voir les critiques émises par SHUVALOV (2014), 570-4 et par P. Rance dans une recension publiée en 2014 sur le site internet de Bryn Mawr : http://bmcr.brynmawr. edu/2014/2014-03-55.html (consulté le 10/08/2019). 349 350
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nous avons citée plus haut nous semble bien indiquer que les Romains et leurs alliés goths ignoraient encore ce type d’équipement au Ve s.357. Dans un futur proche, les progrés des techniques d’analyse ostéo-archéologique pourraient permettre d’affiner considérablement la chronologie de la diffusion des étriers en Europe. En effet, il a été démontré que l’utilisation régulière d’étriers est à l’origine de lésions osseuses au niveau de l’articulation fémoro-patellaire. L’inventaire systématique de ce « syndrome du cavalier » pourrait être un moyen de retracer le cheminement de cet accessoire depuis les steppes de l’Asie intérieure358.
Enfin, les Huns ont été les propagateurs d’un nouveau type de mors, adopté par les Romains dès le Ve s. : le mors de filet à aiguilles, prolongé à l’extrémité de chaque canon par une tige métallique verticale, fixée dans un œillet, qui encadre la bouche du cheval359. Bernard Bavant décrit les qualités qui en font un instrument plus efficace que le mors de filet : « Son action est […] identique à celle du mors de filet, à ceci près que lorsque les rênes se tendent, les aiguilles appuient latéralement sur la commissure des lèvres. Ce type de mors n’est donc ni plus sévère, ni plus doux qu’un mors de filet simple. Il ne permet pas mieux que ce dernier d’arrêter un cheval au galop, mais il permet de le diriger, d’orienter ses mouvements avec beaucoup plus de précision. »360. On comprend l’utilité d’un tel accessoire à une époque où l’armée romano-byzantine accordait plus d’importance aux archers à cheval, qui devaient réaliser des manœuvres rapides et complexes sur le champ de bataille. Cela ne signifie pas que les mors de filet traditionnels et les mors de bride furent abandonnés : des artéfacts de ce type ont été retrouvés à Caričin Grad, mais en nombre moins important361. On a pu penser à une forme de 357 Cet exemple milite également contre l’explication avancée par Shuvalov pour réfuter l’hypothèse de Kraft. Selon le chercheur russe, stroppu / *streup aurait été le terme employé pour désigner les premiers étriers non métalliques introduits par les fédérés goths dès le tournant du Ve s. Plus tard, après la chute de l’Empire d’Occident, l’armée romaine aurait adopté le terme scala pour désigner les étriers en matériaux durs qui étaient employés par sa cavalerie. 358 Voir BAILLIF-DUCROS & MCGLYNN (2013). 359 LEBEDYNSKI (2001b), 199. D’après AKHMEDOV (2001), l’origine de ce type de mors serait steppique. Plusieurs tombes sarmates datées de la seconde moitié du Ier s. av. J.-C. jusqu’au début du IIe s. ap. J.-C. ont livré des exemplaires de mors à aiguilles rectilignes plates munies d’extrémités décoratives (disques, anneaux, triangles, têtes de griffons). Ce type de mobilier se rencontre par la suite sous une forme simplifiée dans des contextes archéologiques associés à la civilisation de Sargat et aux Huns. Cette nouvelle forme, caractérisée par des aiguilles à extrémités élargies, est aussi utilisée par les Perses au IIIe s., comme l’illustre le relief de Shapur Ier à Bishapur. Sur les systèmes d’embouchure sarmate, cf. SIMONENKO (2009, 2015 2e éd.), 227-39. 360 BAVANT (2012), 145. 361 Ibid., 144-5, fig. 2-15.
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division fonctionnelle pour expliquer la coexistence de ces différents accessoires. Les mors de bride conviendraient peut-être plus à la cavalerie lourde, à moins qu’ils n’aient été destinés à l’attelage, la question reste en suspens362. Pour le mors de filet simple, Bavant pense à un « usage quotidien indifférencié, en particulier civil », mais sans en être sûr363. Quant aux nouveaux mors à aiguilles, il s’agirait du système d’embouchure le plus utilisé au sein de la cavalerie, notamment par les unités médianes et légères. Cela expliquerait pourquoi Maurice précise dans son traité que chaque cavalier doit disposer d’une bride « adaptée ». On notera que les mors à aiguilles présentent trois formes différentes qui varient en fonction du mode d’attache des montants364. Les trois types ont été identifiés avec certitude à Caričin Grad. La forme 1 dériverait des modèles introduits par les nomades ; la forme 2 aurait été adoptée un peu plus tard au contact des Perses ; quant à la forme 3, plus tardive encore, elle serait une innovation à mettre au crédit des Byzantins365. Avant de conclure cette partie consacrée aux instruments hippiques, il convient de dire quelques mots du fer à clous366. Malgré les réticences persistantes d’une partie de la communauté scientifique à admettre que cet accessoire ait pu être mis au point avant l’époque médiévale367, il semble aujourd’hui difficile de contester qu’il fut utilisé dans l’Antiquité : 362 Ibid., 149-50. Les contophores cuirassés, maniant la lance à deux mains, avaient besoin d’un moyen de contrôle sévère et efficace pour réguler l’allure de leur monture. Voir les remarques de D. Sneath dans PETITJEAN, BISHOP & GRIFFITHS (2019), 222-3. 363 BAVANT (2012), 150. 364 Cette typologie a été élaborée par J. Oexle à partir des exemples mis au jour dans les nécropoles mérovingiennes : OEXLE (1992), 34-75. 365 BAVANT (2012), 145-6 et 151-2. D’après Bavant, la dernière forme, de facture simplifiée, « pouvait présenter deux avantages : permettre une production en série et une livraison en pièces détachées, les mors pouvant être plus aisément montés sur place, dans chaque garnison ; faciliter les réparations, car il est plus simple de faire sauter deux barrettes d’un coup de burin que de démonter proprement une aiguille d’un mors de forme 2. » (ibid., 152). 366 Voir en dernier lieu LAZARIS (2009) ; ID. (2011a), 252-9 ; ID. (2012b), 17 (avec bibliographie antérieure). Sur les hipposandales qui ont longtemps été perçues (à tort ?) comme les ancêtres du fer à clous : VIGNERON (1968), I, 45-8 ; JUNKELMANN (1992), III, 88-91. 367 Voir dernièrement DRACK (1990) ; DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 232-3 ; MARTINI (2010) ; LINGENS ET AL. (2011). Ce positionnement académique est ancien ; il a été popularisé dans le monde britannique par FLEMING (1869), chap. ii ; en Allemagne par ZIPPELIUS (1903/1904) et WINKELMANN (1928) ; en France par LEFEBVRE DES NOËTTES (1931), 136-47. Les arguments les plus courants des partisans d’une datation tardive de l’apparition du fer à clous sont de trois ordres : 1. Les auteurs antiques ne mentionnent pas un tel accessoire ; 2. Les exemplaires découverts sur des sites celtes de l’âge du Fer ou romains seraient des intrusions tardives ; 3. Les fers identifiés sur des monuments antiques seraient en réalité des hipposandales.
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plusieurs exemplaires ont été retrouvés dans des contextes archéologiques celtiques et romains, et certains spécialistes ont également pointé du doigt des représentations figurées368. Cela ne veut pas dire que la ferrure était uniformément répandue dans le monde romain. Civils et militaires ne semblent y avoir eu recours que dans des cas minoritaires et le fait que la plupart des chevaux n’aient pas été ferrés exclut a priori l’idée d’un usage préventif généralisé369. Le silence des agronomes et des hippiatres – qui ne décrivent que des hipposandales en fibres tressées (solea spartea) ou en métal (solea ferrea), à but thérapeutique – est aussi problématique et milite contre l’idée d’une utilisation courante du fer à cheval avant le début du Moyen Âge370. Celui-ci est décrit pour la première fois dans le Peri stratêgias, un traité militaire grec qui a été
368 JUNKELMANN (1992), III, 91-8 ; MOTYKOVA (1994) ; HOBBY (2001), 429-35 ; DEMUR-FURET (2005), 104-5 ; et surtout GUILLAUMET (2016). Parmi les objections les plus dirimantes, on signalera la présence de huit fers à clous dans le « trésor » barbare de Neupotz, découvert au début des années 1980, cf. ALFÖLDY-THOMAS (1993) : les objets qui faisaient partie de cet ensemble sont issus d’un butin de guerre, probablement perdu durant les années 280-295 par un groupe d’Alamans qui était en train de repasser le Rhin. Voir aussi le dossier des fers d’Alésia dans la dernière publication des militaria retrouvés sur le site du célèbre siège : REDDÉ & SCHNURBEIN (2001), 320-1 et pl. 108. Pour deux exemplaires découverts en contexte civil lors de fouilles récentes : cf. LIGHT & ELLIS (2009), 23 et 69 (villa de Buckenowle, Ier s. ap. J.-C.) et LIESEN (2005), 446-8 (villa de Köln-Widdersdorf, seconde moitié du Ier s. ap. J.-C.). Pour des représentations figurées : PÉRICHON (1987), 678, 681, pl. 3, fig. 13-14 (vase ovoïde de l’habitat celtique d’Aulnat, années 120-80 av. J.-C.) ; DIXON & SOUTHERN (1992, 1997 2e éd.), 232, fig. 83 (relief sculpté de Vaison, Ier s. ap. J.-C.). 369 Voir sur ce point l’hypothèse de G. Pieuchot-Ravisy, qui soutient que la ferrure n’était employée par les Celtes que de façon sporadique : « elle devait être appliquée quand le sabot du cheval était usé ou abîmé, dès que la repousse naturelle du sabot permettait le retour à la normale, on enlevait le fer, et on laissait les pieds nus » (PIEUCHOTRAVISY [2005], 114). Voir également GUILLAUMET (2016), 55 : « Aux époques antiques, ferrer un cheval est temporaire et pour une situation particulière, alors que les fers sont permanents au Moyen Âge. Cet usage très spécifique explique le silence des textes, l’absence de représentation ainsi que le peu d’exemplaires connus. » 370 La mention des ungulae attritae, detritae, subtritae revient avec une grande fréquence dans les traités hippiatriques, sans que leurs auteurs ne relèvent l’importance de la ferrure pour y remédier. Veg., Mul., II, 55, 1 souligne que la rugosité des routes et la longueur des trajets abîme les sabots des chevaux (Animalium ungulae asperitate ac longitudine itinerum deteruntur et impediunt incessum) mais il ne prescrit que des onguents, des traitements chirugicaux et l’utilisation temporaire d’hipposandales pour renforcer ou soigner le pied endommagé (ibid., I, 26 ; I, 38, 9 ; 56, 27-30 ; II, 55 ; 82, 2). L’explication avancée par JUNKELMANN (1992), III, 96-8 pour rendre compte de ce silence énigmatique consiste à dire que, si le fer existait dans les anciennes régions celtiques, les Romains ne l’utilisèrent quasiment pas car un ensemble de facteurs (la sélection de chevaux aux sabots plus durs, la rareté des routes pavées au sein de l’Empire…) faisaient qu’ils n’en avaient pas fondamentalement besoin.
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alternativement daté du VIe siècle et de la période méso-byzantine371 : l’auteur évoque des « plaques de fer » attachées aux sabots des montures ; ces plaques permettent à l’animal de se prémunir contre les blessures causées par les chausses-trappes, des pièges constitués de pointes métalliques difficiles à discerner à l’œil nu372. Il n’est donc pas fait mention de la fonction la plus évidente du fer à cheval, qui est normalement de protéger de l’usure le dessous des sabots des équidés373. Plusieurs fers à clous pleins, de type oriental ou « arabe », ont été mis au jour dans des contextes archéologiques byzantins et semblent bien correspondre à la description donnée par Syrianus374. Comme le note le vétérinaire militaire Augustin Thary, leur principal avantage est « de faire participer à l’appui toutes les parties de la face plantaire du sabot », ce qui limite l’usure de la corne. Le fer de type oriental permet également au cheval de porter des charges plus lourdes qu’un fer à cheval de type européen, car le poids est mieux réparti sur l’ensemble de la surface de la plaque375. Stavros Lazaris suppose que l’utilisation du fer s’est généralisée dans l’Antiquité tardive, en relation avec l’essor de la cavalerie376. Une telle assertion semble imprudente puisqu’elle revient à ignorer les incertitudes qui entourent encore la datation du traité de Syrianus. Par ailleurs, elle ne tient pas compte du fait que cet auteur décrit uniquement l’équipement des chevaux rangés en première ligne de l’escadron, ce qui implique donc une utilisation limitée à certains animaux.
371 VIe s. : KÖCHLY & RÜSTOW (1855), II.2, 37-8 ; DAIN (1967), 343 ; PERTUSI (1968), 653 ; DENNIS (1985), 2-3 ; ZUCKERMAN (1990), 216 ; GREATREX ET AL. (2005), 38-9 ; ERAMO (2011). Époque méso-byzantine : COSENTINO (2000), 62-75 (IXe s.) ; RANCE (2008) (IXe s.). Dans ERA, III, 1118 (s.v. « Writers: Late Empire »), Rance admet cependant que « the only firm termini merely locate the work between c. 540 and c. 900 ». 372 Syr. Mag., Strat., 17, 17-9 : τὰς δέ γε βάσεις τῶν ποδῶν τῶν ἵππων καὶ αὐτὰς ὁμοίως σιδηροῖς πετάλοις κατησφαλίσθαι εἰς τὸ μὴ ῥᾳδίως πάσχειν ὑπό τε τριβόλων καὶ τῶν ἄλλων. On remarquera qu’il n’est pas précisé quelle était la modalité d’attache de ces « plaques de métal ». S’agissait-il de clous ou de lanières comme dans le cas des hipposandales ? La seconde hypothèse paraît hautement improbable : plusieurs expériences ont montré que l’hipposandale ne peut rester accrochée au pied du cheval lorsque celui-ci adopte des allures vives. Voir LAZARIS (2009), 279-81 (selon lequel Syrianus ferait ici allusion à un fer plein « de type oriental », protégeant toute la face plantaire du sabot). RANCE (2007), 730-1 signale que l’utilisation de cet équipement rendant les chaussestrappes inutiles est aussi mentionné dans la Vie de saint Philaterus le Jeune (XIe s.). 373 Cette usure, qui se constate déjà à l’état naturel, est aggravée par l’humidité des écuries et par de longs déplacements sur des sols rocheux ou dallés. 374 LAZARIS (2009), 281, n. 109 ; ID. (2011a), 259. 375 THARY (1896), 230-1. L’auteur reconnaît en outre à la ferrure orientale un dernier point fort (p. 232) : « sa légèreté et sa mobilité relative sous le pied, qui procure à la fourchette les alternances de repos et de travail nécessaire à son rôle. » 376 LAZARIS (2009), 286-7.
CHAPITRE 2 LA CAVALERIE DANS L’ART DE LA GUERRE À L’ÉPOQUE PROTO-BYZANTINE
Nous venons de mettre en évidence les dynamiques nouvelles qui caractérisent l’art de la guerre et le combat de cavalerie dans le courant des Ve et VIe s. Attachons-nous maintenant à décrire le rôle de la cavalerie dans l’organisation et le déroulement des campagnes militaires. Contrairement au Ve s. qui fait figure de parent pauvre ou de « siècle obscur » de l’Antiquité tardive, le VIe s. bénéficie d’une couverture documentaire remarquable. Trois grandes œuvres narratives nous renseignent avec précision sur l’histoire des guerres de l’époque : celles de Procope, d’Agathias et de Théophylacte Simocatta1, sans parler du poème de Corippe, dont nous avons souligné précédemment la valeur en tant que source historique. Cette documentation littéraire trouve des correspondances frappantes dans les traités militaires de Maurice, de Syrianus Magister et de l’auteur anonyme du De militari scientia2. La mise en Sur ces historiens, on consultera en dernier lieu TREADGOLD (2007). Sur Procope spécifiquement, voir (parmi d’innombrables références) CAMERON (1985) et GREATREX (2014). 2 Sur cette littérature, DAIN (1946) constitue toujours une excellente introduction, à actualiser avec SULLIVAN (2010) et RANCE, s.v. « Writers: Late Empire », dans ERA, III, 1116-9. Dans l’attente de l’édition commentée de P. Rance (The Roman Art of War in Late Antiquity: The Strategikon of the Emperor Maurice – A Translation with Introduction and Commentary), l’édition de référence du Stratêgikon demeure celle de G.T. Dennis et E. Gamillscheg (1981). Voir cependant en guise d’introduction RANCE (2000), 230-3. Plusieurs études complètes se sont déjà focalisées sur les aspects militaires du traité, parmi lesquelles AUSSARESSES (1909) et plus récemment RÓŻYCKI (2015). Concernant le Peri stratêgias de Syrianus Magister, cf. réf. supra, p. 564, n. 371. Enfin, sur le De militari scientia, voir en dernier lieu RANCE (2010). Ce traité fragmentaire et anonyme, édité par K. Müller en 1880 (sans traduction), présente une très forte parenté avec le Stratêgikon, tout en s’en démarquant sur certains points. Il est difficile de savoir si son auteur s’est directement inspiré du célèbre manuel byzantin ou s’il a eu accès à la même source que Maurice. Rance penche pour la deuxième hypothèse et suppose que le De militari scientia a été composé dans les années 630-640, à partir de données prélevées dans le Stratêgikon. Mais les rares divergences de contenu entre les deux traités nous semblent inviter à la plus grande prudence : le DMS place la remonte derrière les tagmata alors que Maurice met en garde ses lecteurs contre cette coutume qui a été observée jusqu’à son époque ; le DMS recommande aux cavaliers d’utiliser un cri de guerre durant la charge alors que Maurice 1
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parallèle des informations fournies par ces différentes sources permet d’obtenir une image cohérente de l’art opératif de l’armée romaine d’Orient au cours de la période proto-byzantine. I – LA MOBILISATION DES RESSOURCES MILITAIRES A. Les chevaux : l’acquisition et l’inspection des montures Durant l’Antiquité tardive, les moyens traditionnels d’acquisition des montures militaires sont toujours attestés3. Des réquisitions sont organisées suivant les méthodes habituelles dans le cadre des préparatifs de guerre4, ou bien de façon plus informelle en cas de péril imminent5. Lors des opérations offensives en territoire ennemi, les généraux s’assurent le contrôle des cheptels locaux pour satisfaire les besoins immédiats de leurs unités6. Le recours au marché est aussi attesté en temps
estime que cette pratique doit être abandonnée ; le DMS propose de ranger la cavalerie sur une seule ligne de bataille alors que Maurice consacre un chapitre entier à argumenter en faveur d’un déploiement sur deux lignes, en dénonçant la pratique contemporaine qui privilégie la ligne unique ; enfin, le DMS ignore la division de la cavalerie entre cursores (chez lui, les flancs-gardes sont chargés de la poursuite) et defensores alors que Maurice insiste particulièrement sur cette distinction qu’il présente comme une innovation récente. Si l’on devait donc uniquement raisonner en termes de tactical development, il serait plus logique de situer le DMS avant le Stratêgikon. 3 Discussions générales : RAVEGNANI (1988), 43 ; ELTON (1996), 116 ; PRINGLE (1981, 2001 2e éd.), 117-8. 4 En 360-361, durant les préparatifs de sa campagne contre les Perses et en vue de l’affrontement final contre son rival Julien, Constance II ordonne le recrutement de nouveaux escadrons de cavalerie et fait réquisitionner des chevaux dans l’ensemble des provinces qu’il contrôle (Amm., XXI, 6, 6 : Parabantur nihilo minus externorum atque ciuilium instrumenta bellorum et augebatur turmarum equestrium numerus […] omnisque ordo et professio uexabatur, uestem armaque exhibens et tormenta, aurum quin etiam et argentum, multiplicisque rei cibariae copias et diuersa genera iumentorum). 5 En 559, l’invasion de la Thrace par les Huns et Slaves pousse Justinien à prendre des mesures d’urgence : en parallèle des levées exceptionnelles de miliciens, Bélisaire reçoit l’ordre de réquisitionner les chevaux de l’empereur, ceux de l’hippodrome et des établissements religieux de Constantinople (Théophane, Chron., AM. 6051 [p. 233]). 6 L’expédition de Bélisaire contre les Vandales en Afrique (533-534 ap. J.-C.) offre plusieurs exemples de ce type d’action. Procope signale dans un premier temps que la désertion du responsable du cursus publicus garantit au général romain le contrôle des chevaux publics présents dans la province (Procop., Bell., III, 16, 12). De nouvelles prises de guerres furent obtenues grâce aux engagements qui suivirent. Au lendemain de la bataille d’Ad Decimum, Gélimer pouvait ainsi se lamenter en expliquant à son frère que les Vandales avaient perdu leurs chevaux et leurs ports, tombés aux mains de l’ennemi (ibid., III, 25, 15).
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de guerre7 comme en temps de paix8. Les stratores sont chargés d’inspecter les animaux acquis auprès de fournisseurs privés pour qu’ils puissent ensuite rejoindre la filière militaire9. Mais la grande nouveauté de la période tardive réside avant tout dans le développement des grandes fermes d’élevage impériales10. Ces établissements sont signalés dès l’année 364 dans une lettre adressée par Libanios à Acacius, comes domorum per Cappadociam : le rhéteur syrien nous informe que son correspondant agissait principalement comme « responsable des chevaux » (ἵππων ἐπιστατῶν) au sein des domaines impériaux qui se trouvaient dans la province. Il supervisait pour cela des éleveurs (ἱπποφορβοῖς)11. Il n’est pas précisé si les chevaux en question étaient destinés à l’armée, mais un indice est fourni par Claudien, dans un poème composé en 404 en l’honneur de Serena, nièce de Théodose Ier : Claudien y affirme qu’avant de devenir magister utriusque militiae, Stilichon fut en charge des élevages impériaux en Cappadoce et du dilectus equorum12. Ces quelques vers 7 Durant la guerre vandale de Bélisaire, les Goths d’Italie, en vertu d’un traité, auraient accepté de vendre un nombre considérable de montures au général romain. Cf. Procop., Bell., V, 3, 22 (lettre de la reine des Goths Amalasuntha à Justinien) : « Mus par de très bonnes intentions, nous avons mis un marché à votre disposition, vous donnant accès à toutes les choses indispensables, notamment à la multitude de chevaux grâce auxquels vous avez pu largement l’emporter sur vos ennemis. » (ἀγορὰν τῶν ἀναγκαιοτάτων σὺν προθυμίᾳ πολλῇ ἔδομεν, ἄλλων τε καὶ ἵππων τοσούτων τὸ πλῆθος, ἀφ’ ὧν σοι ἡ τῶν ἐχθρῶν ἐπικράτησις μάλιστα γέγονε). Voir aussi ibid., III, 14, 5-6. 8 Cf. Priscus, fr. 11, 2, l. 232-5. 9 Amm., XXIX, 3, 5 rapporte la mésaventure du strator Constantianus, qui se trouvait en Sardaigne pour sélectionner des montures militaires (ad [militares equos] probandos missus) : Valentinien Ier l’aurait fait lapider car il avait pris l’habitude d’échanger les equi probati contre d’autres chevaux. DELMAIRE (1989), 317, n. 11 pense qu’il est ici question de la procédure de coemptio equorum (cf. infra, p. 570). Sur le rôle des stratores, voir aussi CTh., VI, 31, 1 (édit de Valentinien et Valens adressé au gouverneur de l’Épire nouvelle) : la loi précise que si c’est aux stratores que revient la mission d’approuver les montures, les prouinciales doivent s’assurer de présenter des animaux correspondant aux critères demandés (in offerendis equis certam formam staturam aetatem prouinciales nostri custodiendam esse cognoscerent). Les bêtes sélectionnées sont ensuite conduites par des provinciaux corvéables appelés prosecutores vers les dépôts de remonte de l’armée (CTh., XI, 10, 2 ; XIII, 4, 4). 10 Sur les fermes d’élevage, voir JONES (1964), II, 768-9 et III, 248, n. 4. Pour ce qui concerne spécifiquement les filières d’approvisionnement du cursus publicus à l’époque tardive : MITCHELL (2014). 11 Lib., Ep., 1174. Le statut particulier des élevages de Cappadoce est confirmé par Philost., HE, III, 4, qui rapporte que 200 chevaux cappadociens furent envoyés aux Himyarites par Constance II en guise de présent lors d’une ambassade qui eut lieu dans les années 350. 12 Claud., Serena, 190-3 : dilectus equorum, quos Phrygiae matres Argeaque gramina pastae semine Cappadocum sacris praesaepibus edunt, primus honor. Jér., In Ezech., VIII, 27 attire aussi l’attention sur la Phrygie : de Phrygia equos, et equites et mulos, quorum quondam illa prouincia maximam habuit copiam. La borne d’un de ces domaines a été
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permettent d’établir que la fonction du comes stabuli sacri était précisément de superviser la levée des chevaux destinés à l’armée13. À quand remonte la création de cette organisation qu’il n’est possible de voir véritablement fonctionner qu’à partir du IVe s. ? Roy Davies supposait que de tels domaines existaient probablement dès le début de l’époque impériale14. Nous n’avons actuellement aucune preuve permettant de valider une telle hypothèse et il a été souligné plus haut que l’armée du Haut-Empire se contentait plutôt de recourir à des fournisseurs privés. Les fermes d’élevage impériales semblent plutôt se développer à partir du IIIe s. comme le laisse entendre une notice du lexicographe Hesychios, qui rapporte que l’empereur Valérien confisqua les propriétés de Flavius Palmatius, situées entre Andabilis et Tyane, et que cette mesure fut à l’origine de l’expression equi Palmati, qui servait à désigner les chevaux publics élevés en Cappadoce15. Une inscription grecque du IIIe s. mentionne par ailleurs un Lucullus, « responsable des troupeaux impériaux » (ἐπιμελητῇ κτηνῶν Καίσαρος), en lien avec les stationes du cursus publicus, ce qui vient opportunément rappeler que l’armée n’était pas le seul débouché pour ces chevaux élevés dans les propriétés de l’empereur16. À l’époque de Justinien, la Thrace jouait un rôle comparable. À trois reprises, Procope signale la présence de
découverte à trois milles au sud de Bakshish, dans la vallée de Kümbet (SEG, XLVI, 1673 ; cf. RAMSAY [1918], 135-6). Elle porte l’indication ὅροι γυμνασί[ου] ἱππ[ικοῦ]. Ces pâturages impériaux apparaissent peut-être déjà dans une inscription du IIIe s., dans laquelle il n’est cependant pas explicitement question de chevaux, cf. IGR, IV, 592 = Haspels, Highlands, 31 (p. 308-9) : μισ[θ]ωτὴ[ς χω/ρίων τ]οῦ Καίσαρος. 13 Cf. réf. supra, p. 376-7. 14 DAVIES (1969a), 453 : « Although there is as yet no literary evidence for such stud farms in the time of the Principate, it is not impossible that they did in fact exist. » 15 Hesych., fr. 1 (FHG, IV, p. 145) : Παλματίους ἔκουους, ὁ τοῦ Παλματίου ἵππος. Ὥν δὲ Παλμάτιος οὗτος ἱππεὺς παμπλούσιος διὰ τυραννίδα, περὶ οὗ φησιν ὁ ἰλλούστριος Ἡσύχιος ὁ φιλοσοφήσας τῆς Μιλησίας, ἐν τῷ πέμπτῳ χρονικῷ διαστήματι τῆς ἱστορίας ταῦτα· κατὰ τοῦς χρόνους Ουαλεριανοῦ έν Καισαρείᾳ τῆς Καππαδοκίας Παλμάτιός τις, οἰκίαν ὑπὲρ τὰ βασίλεια κεκτημένος, ἵππων τε ἀγέλαις καὶ τῷ ἄλλῳ πλούτῳ κομῶν, ἐις πολὺ μέρος τῶν μοναρχούντων ἐφικνούμενος, ἀσελγὴς δέ, εἴ τις ἕτερος, ὡς καὶ ὑπατικοῦ τινὸς Σοαίμου τοὔνομα γαμετήν Αἰθερίαν καλουμένην ἁρπάσαι καὶ εἰς Σίδην ἐκκομίσαι. Διότι προστατεύων ἐτύνχανε τῆς ἐναντίας τοῦ δήμου μοίρας. Cf. CTh., XV, 10, 1 (371 ap. J.-C.) et X, 6, 1 (396/397 ap. J.-C.), qui mentionnent aussi des equi Hermogeniani élevés « sur les pâturages impériaux » (de grege dominico). L’Itinerarium Burdigalense signale l’existence d’une uilla Palmati en Cappadoce, près de Tyane, qui fournit des chevaux pour les courses de chars (Itin. Burdig., 577, 6 : Ibi est uilla Pammati, unde ueniunt equi curules). 16 TAM, IV/1, 39 (Dakibyza / Gebze). Cf. ROSTOVTZEFF (1926, 1957 2e éd.), 704, n. 40 ; KOLB (2000), 188-90 ; MITCHELL (2014), 258-60.
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βασιλικὰ ἱπποφορβια en Thrace, notamment près de Périnthe, où étaient aussi cantonnées les scholes palatines : lors des grandes campagnes occidentales entreprises durant cette période, les chevaux de ces haras impériaux étaient rassemblés puis convoyés vers les théâtres d’opérations africain et italien17. On utilisait alors des navires spéciaux, les hippèges, pour le transport ultramarin18. L’importance des fermes d’élevage de Thrace semble décliner après le VIe s. Durant l’époque méso-byzantine, les haras impériaux sont pour l’essentiel situés en Asie et en Phrygie19. Ce recul de la Thrace est peut-être lié aux nombreux raids des Avars dans la région durant les dernières décennies du VIe s. : les barbares danubiens devaient s’emparer facilement de la remonte impériale lorsqu’ils parvenaient à approcher des faubourgs de Constantinople20. Le pouvoir aurait donc préféré sécuriser cette précieuse ressource en la retirant de cette zone exposée. Selon Louis Bréhier, les animaux élevés et sélectionnés pour l’armée dans les mêtata d’Asie Mineure étaient conduits aux écuries impériales du district de Malagina, principal dépôt de remonte (avec Constantinople) de l’armée méso-byzantine21. Ce complexe situé dans la vallée fertile du Sangarius, à 20 milles à l’est de Nicée, sur la route militaire de Dorylée, servait de base logistique et de camp de rassemblement aux armées de campagne partant vers l’Orient. Il est cependant difficile de savoir s’il était déjà en activité au VIe s. L’étude la plus complète sur la question, celle de Clive Foss22, souligne que la première mention de Malagina dans les sources écrites date la seconde moitié du VIIe s. et que le bastion principal qui gardait la région, le fort de Metabole, a des caractéristiques architecturales qui le rattachent au VIIe s. Il semble donc que ce dépôt n’existait pas encore à l’époque proto-byzantine, même si de grandes fermes d’élevage étaient déjà présentes depuis longtemps dans la région.
17 Procop., Bell., III, 12, 6 : Bélisaire, alors en route pour combattre les Vandales en Afrique, s’arrête à Périnthe avec son armée et embarque dans cette cité des chevaux prélevés sur les haras impériaux de Thrace (βασιλεὺς ἵπποις ὅτι μάλιστα πλείστοις τὸν στρατηγὸν ἐνταῦθα ἐδωρεῖτο ἐκ τῶν βασιλικῶν ἱπποφορβίων ἃ οἱ νέμονται ἐς τὰ ἐπὶ Θρᾴκης χωρία). Ibid., VIII, 27, 4 : Ildigisal, l’un des principaux chefs des Lombards, appointé au tribunat d’une des scholes palatines par Justinien, décide de fuir la capitale avec sa suite militaire ; il fait escale à Aproi, en Thrace, où il est rejoint par d’autres troupes ; il s’empare alors d’un grand nombre de chevaux appartenant aux pâturages impériaux (τοῖς τε βασιλικοῖς ἱπποφορβίοις κατατυχόντες μέγα τι χρῆμα ἵππων ἐνθένδε ἐπαγόμενοι πρόσω ἐχώρουν). 18 Men. Prot., fr. 23, 1, l. 24-5. Voir aussi Philost., HE, III, 4. 19 Cf. BRÉHIER (1949, 2015 3e éd.), 301-2 ; HALDON (1997), 132, n. 75 ; ID. (1999), 141-2. Dans ces régions, les établissements impériaux coexistent avec les grands domaines possédés par les représentants d’une aristocratie foncière anatolienne dont l’influence politique croît considérablement : HALDON (1990), 156-60. 20 Cf. supra, p. 493-5. 21 BRÉHIER (1949, 2015 3e éd.), 299-300 et 302. 22 FOSS (1990).
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En sus de cette filière de production publique, l’État romano-byzantin facilitait l’acquisition des montures militaires en mettant en place de nouvelles contributions fiscales23. Plusieurs taxes, inconnues sous le HautEmpire, sont attestées à partir du IVe s. En premier lieu, les levées canoniques (equi canonici militares) pèsent sur toutes les propriétés foncières, y compris les domaines impériaux24. Ces levées regulières peuvent se faire suivant plusieurs modalités différentes. Il y a d’abord la comparatio ou coemptio, vente forcée à un prix fixé par le fisc (souvent jugé dérisoire, car bien en dessous des prix du marché libre, ce qui semble avoir été une source de mécontentement)25. À partir de 367, il est possible de s’acquitter de cette obligation par une contribution de 23 sous (c’est l’adaeratio) ; les sacrae largitationes se chargent ensuite d’acheter une monture pour le compte de l’empereur26. En plus des levées canoniques, l’oblatio equorum consiste en l’offrande de chevaux par des fonctionnaires promus ou nommés à un poste au sein de la haute administration impériale. Cette taxe est mentionnée dès 319 mais le texte de loi qui l’évoque laisse entendre qu’elle existait déjà auparavant et qu’elle pouvait être appelée repraesentatio equorum27. Les chevaux ainsi obtenus étaient destinés à l’armée. Plusieurs lois de 401 qui concernent spécifiquement la province d’Afrique mentionnent une autre contribution exceptionnelle pesant probablement sur les anciens curateurs de cités devenant honorati (equi curatoricii)28. Les personnes concernées s’en acquittent suivant le principe de l’adaeratio. Enfin, la collatio equorum est une levée exceptionnelle pesant sur les dignitaires et les honorati. Connue dès 32629, elle est aussi destinée à approvisionner l’armée comme le signale
Sur ce point, voir BERNARDI (1955) ; KARAYANNOPULOS (1958), 117-9 ; CERATI (1970) ; DELMAIRE (1977), 320-3 ; ID. (1989), 314-21 ; PRINGLE (1981, 2001 2e éd.), 118 ; MÉA (2014), 199-201. 24 CTh., XI, 9, 1 (323 ap. J.-C.) ; XI, 16, 12 (380 ap. J.-C.) ; IX, 17, 3 (401 ap. J.-C.) ; XIII, 5, 14 (371 ap. J.-C.). Voir aussi Lib., Or., 48, 6. 25 Anon., De reb. Bell., 4, 5 (equorum uel frumenti coemptio) ; Syn., Ep., 6 et 131. Voir aussi P. Cair. Isid., 72, iii, l. 37 et ibid., 73, l. 7-8 (314 ap. J.-C.) : pétition adressée au préfet d’Égypte par les habitants de Karanis contre les abus du praepositus du pagus qui a (entre autres) refusé d’accepter un cheval que le village a payé 50 talents. 26 CTh., XI, 17, 1. Voir aussi Pan. Lat., XI (III), 9, l ; Them., Or., 11, 143c ; 15, 192c (avec DELMAIRE [1989], 317). 27 CTh., VI, 35, 2. Voir aussi CTh., VII, 23, 1 (369 ap. J.-C.), qui fixe le nombre de montures dont les bénéficiaires de la nomination ou de la promotion doivent s’acquitter : trois pour les ex comite, deux pour les ex praeside. Il est attendu que cette offrande soit renouvelée tous les quatre ans. 28 CTh., XI, 1, 29 et 17, 2. Cf. DELMAIRE (1989), 318-9. 29 CTh., XIII, 3, 2. 23
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une loi de 38230. Plusieurs lois compilées dans le Code Justinien révèlent que ces règlements fiscaux étaient toujours en vigueur au VIe s.31. Les sources livrent peu de renseignements sur la morphologie, les qualités physiques et l’entraînement des chevaux de guerre durant la période tardive. Nous savons que des critères stricts existaient pour la sélection des animaux, et que les stratores devaient veiller à ce que les montures destinées à l’armée aient une conformation et une taille avantageuses32, ce qui explique leur prix plus élevé que la moyenne33. Entre les IIIe et Ve s. de notre ère, on note une très légère augmentation des hauteurs au garrot dans les régions qui fournissent suffisamment d’exemples pour pouvoir faire l’objet d’une analyse statistique. D’après Cluny Johnstone, les chevaux de Bretagne atteignent désormais en moyenne 131 centimètres, et ceux des provinces rhénanes, 138 centimètres, contre 130 et 136 centimètres sous le Haut-Empire34. En Occident, ces moyennes ne semblent pas affectées par les invasions barbares : une certaine continuité des pratiques d’élevage et de sélection se constate35. Pour l’Orient byzantin, il n’existe malheureusement pas d’étude statistique comparable à celle réalisée par Cluny Johnstone pour le monde romain. Cependant, la publication récente d’ossements découverts dans la zone du port de Théodose, à Istanbul, suggère des tailles plus élevées que sous le HautEmpire : la grande majorité des individus se situe entre 136 et 152 centimètres, avec une moyenne avoisinant 144 centimètres au garrot36.
B. Les hommes : le triomphe du cavalier-archer polyvalent ? L’historiographie a beaucoup insisté sur la place nouvelle prise par les cavaliers polyvalents au sein des armées romano-byzantines à partir de
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CTh., VI, 26, 3. CJ, XII, 16, 2 (423 ap. J.-C.) ; 19, 4 (407 ap. J.-C.) ; 24, 1 (373 ap. J.-C.). 32 CTh., VI, 31, 1. 33 DELMAIRE (1989), 319-21. 34 JOHNSTONE (2004), 269, tab. 6.26. 35 D’après BAILLIF-DUCROS & YVINEC (2015), 14, la taille moyenne du cheval mérovingien est de 139 cm au garrot : « Ces hauts gabarits démontrent la capacité des éleveurs médiévaux de la Gaule du nord à maintenir et entretenir l’animal dans un format souhaité. Cette stabilité pourrait indiquer une continuité de l’emploi des zootechniques romaines et de leur maîtrise pour répondre à une volonté des élites de disposer de montures de qualité. » 36 ONAR ET AL. (2015). 31
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l’époque de Justinien37. Alors que la cavalerie du Bas-Empire se caractérisait encore par des branches tactiques distinctes (cavalerie légère, cavalerie lourde, cavalerie blindée), le VIe s. aurait, pour sa part, été marqué par la figure du lancier-archer cuirassé, capable de pratiquer la charge à fond comme le combat à distance (fig. 54) : la plupart les unités montées de l’armée romaine seraient ainsi devenues polyvalentes38. Ce développement tactique, que l’on rapproche le plus souvent des pratiques steppiques39, semble être le trait distinctif de l’art de la guerre aux VIe-VIIe s., de la Chine des Tang à l’Empire byzantin : dans son récent livre, David Graff n’hésite pas à mettre en avant l’idée d’une globalisation de l’armement et des tactiques40. Trois textes souvent cités illustrent l’émergence de ce modèle dans l’Empire romain d’Orient. 1. Il y a d’abord la célèbre préface des Guerres de Procope, dans laquelle l’auteur fait l’éloge des archers (τοξόται) montés de son temps, équipés d’une cuirasse (τεθωρακισμένοι), de jambières remontant jusqu’aux genoux (κνημῖδας ἐναρμοσάμενοι μέχρι ἐς γόνυ), mais également d’un petit bouclier (ἀσπίς) sans poignée attaché à l’épaule, d’une épée (ξίφος) et d’une lance (δόρυ)41. 2. Corroborant les propos de son prédécesseur, Agathias décrit des cavaliers équipés de petites lances (δοράτια), de boucliers (πέλτας), d’arcs (τόξα) et d’épées (ξίφη) ; quelques-uns, ajoute-t-il, sont munis de sarisses (σαρίσας), c’est-à-dire probablement du contus manié à deux mains42. 3. À la fin du VIe s., le Stratêgikon évoque l’équipement réglementaire du cavalier romain, dans un passage probablement plus 37 Sur ce point, voir les remarques de RANCE (2005), 428 et de ELTON (2007), 379. Sur l’équipement de la cavalerie proto-byzantine en général : AUSSARESSES (1909), 48-57 ; RAVEGNANI (1988), 43-52 et 62-9 ; KOLIAS (1988), 88-131 ; HALDON (2001), 24-8 ; SYVÄNNE (2004), 169-85 ; SHUVALOV (2006), chap. 10 ; GROTOWSKI (2010), chap. 3-5 ; RÓŻYCKI (2015), 35-9. 38 E.g. SYVÄNNE (2004), 38 : « The cavalry became more uniform by mixing both light and heavy elements within the same single unit. […] whatever weapon specialization units had when originally formed by the sixth century most of the cavalry units were multipurpose troopers able to use both the bow and the lance. » 39 D’après Syvänne (ibid., 39 ; sur la base de Veg., Mil., I, 20 et II, 14), le modèle aurait été fourni dès le IVe s. par les forces de cavalerie des Goths, des Alains et des Huns. Pour d’autres (e.g. DARKÓ [1937], 128-9 ; BIVAR [1972], 287), il dériverait plutôt d’une influence avare. Dans son traité, Maurice mentionne à plusieurs reprises les Avars comme source d’inspiration (cf. Strat., I, 2, 19-20, 37-8, 46-7 et 60-1 ; II, 1, 20-1 ; IX, 2, 11-2). Il attribue en outre à ces nomades un équipement fort comparable à celui qu’il recommande pour ses cavaliers (XI, 2, 24-9). 40 GRAFF (2016), chap. 3. Avant lui, voir TROMBLEY (2002), 252. 41 Procop., Bell., I, 1, 12-3. 42 Agathias, II, 8, 1 : οἱ μὲν οὖν ἱππεῖς ἑκατέρωθεν ἐπὶ τῶν ἄκρων ἐτετάχατο δοράτια φέροντες καὶ πέλτας τόξα τε καὶ ξίφη παρῃωρημένοι· ἦσαν δὲ οἳ καὶ σαρίσας ἐκράτουν. Comme le souligne KOEHN (2013), 142, le fait que les doratia soient (au moins en partie) des armes de jet peut être déduit de manière incontestable d’Agathias, I, 9, 1 ; II, 9, 10 ; III, 25, 5. Le fait que la sarisse est une lance de choc se déduit de III, 25, 9.
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Figure 54 – Cavalier protobyzantin : ivoire sculpté du Rheinisches Landesmuseum. Crédits : © Bildarchiv Foto Marburg. Fotograf: Schmidt-Glassner, Helga; Aufn.-Datum: vor 1963.
prescriptif que descriptif : les soldats doivent être munis d’une cuirasse (cotte de mailles ?) à capuche (ζάβας σὺν σκαπλίοις) descendant jusqu’aux genoux, d’un casque (κασσίδας), d’un arc (τοξάρια), rangé dans son goryte (θηκάρια) avec des cordes de rechange, d’un carquois (κούκουρα) contenant 30 à 40 flèches, d’une lance de cavalerie (κοντάρια καβαλλαρικὰ) de type avar munie d’une courroie en cuir, d’une épée (σπαθία) et d’un protège-gorge (περιτραχήλια στρογγύλα) de type avar43. À ces trois occurrences, ajoutons un dernier témoignage, celui de Corippe, qui décrit en substance le même type d’équipement lorsqu’il évoque les actions héroïques du magister militum Jean Troglita à la bataille de Marta (547 ap. J.-C.) : « Le général se fraie un chemin à l’épée à travers les armées ennemies avec ses alliés […] et repousse avec ses flèches les armées massyles. […] Quiconque poursuit le commandant, reçoit en retour des blessures de son arc 43 Maurice, Strat., I, 2, 10-21 : ζάβας σὺν σκαπλίοις τελείας μέχρι τοῦ ἀστραγάλου, ἀνασυρομένας λωρίοις καὶ κρικελλίοις μετὰ τῶν θηκαρίων αὐτῶν, κασσίδας ἐχούσας ἄνωθεν τουφία μικρά, τοξάρια κατὰ τὴν ἑκάστου ἰσχὺν καὶ οὐχ ὑπὲρ αὐτήν, μᾶλλον δὲ καὶ ἁπαλώτερα, ἔχοντα θηκάρια πλατέα, ἵνα ἐν καιρῷ δυνατόν ἐστι τεταμένα χωρεῖν τὰ τόξα ἐν αὐτοῖς, κόρδας ἐκ περισσοῦ ἐν τοῖς πουγγίοις αὐτῶν, κούκουρα μετὰ σαγιττῶν καὶ σκεπασμάτων αὐτῶν ἐπιτήδεια χωροῦντα ἀπὸ τριάκοντα ἢ τεσσαράκοντα σαγιττῶν, ἐν τοῖς τοξοζωνίοις ῥινία καὶ σουβλία, κοντάρια καβαλλαρικὰ ἔχοντα λωρία κατὰ τοῦ μέσου, πρὸς τὸ σχῆμα τῶν Ἀβάρων, μετὰ φλαμούλων, σπαθία, περιτραχήλια στρογγύλα, κατὰ τὸ τῶν Ἀβάρων σχῆμα, ἐν τάξει κροσσίων λινῶν ἔξωθεν καὶ ἔσωθεν ἐρεῶν. Cf. PERTUSI (1968), 667-70.
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tourné en arrière. Celui qui, en face de lui, cherche justement à l’atteindre, transpercé à travers sa poitrine haletante par une lance qui va se planter plus loin, est étendu à terre. Ceux qui viennent sur son flanc rendent leurs âmes violentes sous les jets de traits : la flèche fend l’un et l’autre flanc. »44.
Loin d’être évidentes à interpréter, ces différentes descriptions soulèvent plusieurs problèmes. Tout d’abord, doit-on considérer qu’à l’époque à laquelle elles ont été rédigées, le modèle du cavalier polyvalent reflétait une évolution récente45 ? Encore à la fin du IVe s., Végèce semble indiquer que les cavaliers lourds et les archers montés étaient séparés en unités tactiques distinctes, occupant des positions différentes au sein de la ligne de bataille46 ; mais nous avons vu que le même Végèce, décrivant l’entraînement de la cavalerie légionnaire romaine, évoque le maniement de la lance et de l’arc par les mêmes soldats47. De nombreux témoignages montrent par ailleurs que l’armement était loin d’être uniforme dans les unités de cavalerie du IVe s., y compris dans les régiments de spécialistes comme les vexillations de cataphractaires48. Un moyen d’expliquer la contradiction soulevée par le texte de Végèce serait alors de considérer que certains chapitres de l’Epitoma se rapportent à des réalités obsolètes, ou bien de partir du principe qu’il existait, en marge des escadrons réguliers disposant d’un équipement hétérogène, de véritables unités de spécialistes, le plus souvent fournies par des puissances alliées49. De ce point de vue, la situation ne semble pas avoir 44
Cor., Ioh., VI, 680-91 (trad. J.-C. Didderen modifiée) : Efficit ense uias inimica per agmina ductor cum sociis […] arcetque sagittis Massylas acies. […] Sequitur quicumque magistrum, uulnera conuerso redeuntia suscipit arcu. Aduersus quis forte petit : per pectus anhelum longius erecta transfixus funditur hasta. Qui lateri iungunt, iaculis uolitantibus acres dant animas : utrumque latus diffindit arundo. D’autres passages de la Johannide mettent en scène des unités de cavalerie dotées d’un équipement varié : e.g. Ioh., II, 227-9 (tela […] spicula […] ensis […] clipei) ; VI, 79-82 (loricas, conos, clipeos, gladiosque minaces, cingula, frena, comas, arcus pharetrasque sonantes pilaque purpureum spectant gestantia ferrum sanguine Massylo). 45 KOEHN (2013), 146 note que le modèle des « multiversal hippotoxotai » présenté par Procope dans sa préface est celui qui prévaut à son époque, ce qui pourrait indiquer un développement récent, contemporain du règne de Justinien. Mais cette figure archétypale sert surtout à distinguer les modes de combat de la cavalerie byzantine de ceux décrits par Homère dans l’Iliade, dans le cadre d’un débat sur l’archerie lui-même bien plus ancien que l’époque de Procope. Cf. PETITJEAN (2014). 46 Veg., Mil., III, 16, 1 ; 17, 9. Cf. supra, p. 448-9. 47 Ibid., II, 14, 7. Ce qui va dans le sens des prescriptions énoncées plus de deux siècles avant lui par Arrien dans le cadre des hippika gumnasia (cf. supra). 48 Cf. supra, p. 329-31. 49 D’autres explications ont été avancées. Voir par exemple SYVÄNNE (2004), 39 : « it is probable that already during the 4th century some of the heavy cavalry could be used for different tactical roles as suggested by Mielczarek. » Cette interprétation fait allusion
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été très différente au VIe s., puisqu’il est possible de discerner l’existence de contingents ethniques spécialisés dans les sources narratives50. Quoi qu’il en soit, il serait inexact de dater l’apparition des forces de cavalerie polyvalentes du VIe s. et de rattacher exclusivement ce phénomène à une influence externe. Le processus était déjà en cours sous le Haut-Empire et procède surtout de l’universalisation des techniques de combat permise par la mise en place d’une armée professionnelle et multiethnique. C’est dans la même optique, en insistant sur la « plasticité » et le pragmatisme des institutions militaires romaines, qu’il nous semble nécessaire d’écarter la théorie récente de Clemens Koehn, selon laquelle l’archétype du lancier-archer cuirassé se serait construit au fil du VIe s., à travers trois réformes successives51. Deuxième question et non des moindres : qui sont les cavaliers polyvalents mis en lumière par Procope dans sa préface ? L’historien décrit-il tous les cavaliers romains servant dans des unités régulières ou seulement une catégorie de soldats ? Notons que dans sa description, Procope introduit une nuance. S’il précise bien que tous les cavaliers sont virtuellement munis d’un arc, d’une cuirasse et d’une épée, seuls certains d’entre eux sont aussi armés de la lance et du petit bouclier sanglé (Εἰσὶ δὲ οἷς καὶ δόρυ προσαποκρέμαται…)52. On pourrait donc supposer que, dans cet aparté, Procope évoque surtout les bucellaires et les officiers supérieurs de l’armée byzantine, qu’il a d’ailleurs lui-même cotoyés en tant qu’assessor de Bélisaire. C’est l’hypothèse avancée par Philip Rance, qui souligne qu’un équipement aussi complet demeurait un idéal rarement
à la théorie de MIELCZAREK (1993) selon laquelle les clibanaires auraient été employés alternativement comme lanciers cuirassiers et comme archers montés (cf. supra, p. 466, n. 131). Elle peut être facilement écartée dans la mesure où en Mil., II, 14, 7, Végèce ne décrit pas les techniques de combat des clibanaires mais les qualités attendues des décurions de la cavalerie légionnaire (chap. intitulé « De turmis equitum legionariorum »). 50 Archers montés hunniques : Procop., Bell., III, 11, 11 (ἱπποτοξόται πάντες). Lanciers ostrogoths : ibid., II, 18, 24 (δόρασι μακροῖς). Cuirassiers avars : Men. Prot., fr. 21 (ἱππέων θωρακοφόρων). Contophores arméniens : Ps.-Fauste, IV, 21. Cf. SARTOR (2008), 536-41. 51 KOEHN (2013), 146. La cavalerie byzantine serait ainsi passée de « horse archers partially equipped with lances [époque de Procope], to horse archers still partially equipped with lances but now regularly carrying spears [époque d’Agathias], to cavalrymen carrying bow and lance and thus finally performing the roles both of archers and lancers [époque de Maurice] ». Selon l’auteur, l’adoption des « spears » (i.e. des lances de jet) aurait fait suite à la guerre vandale de Bélisaire, durant laquelle les Romains furent confrontés à des javeliniers maures. Quelques décennies plus tard, à l’époque de Maurice, ces javelines auraient été écartées au profit de la lance choc. 52 Cf. MAZZUCCHI (1981), 131, n. 80 ; RANCE (2005), 428, n. 15 ; KOEHN (2013), 143.
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atteint par les soldats du rang53. Le même note qu’à l’époque de Justinien, la plupart des unités ordinaires de cavalerie étaient prioritairement composées d’archers54. Il est pourtant certain qu’une grande diversité subsistait au sein des unités. Lorsqu’il détaille la composition interne des tagmata, le Stratêgikon signale en effet que seuls les officiers (τῶν ἀρχόντων) et les « autres soldats d’élite » (τῶν λοιπῶν ἐπιλέκτων), notamment ceux qui combattent dans les premiers rangs (τῶν προτασσομένων ἐν τῇ μάχῃ), doivent équiper leurs chevaux de protections supplémentaires55 ; le dékarque, le pentarque et le serre-file disposent d’une lance56 ; tous sont rompus au combat rapproché (αὐτόχειρας) et, si possible, au tir à l’arc57. Il s’agit là de la véritable composante polyvalente de l’escadron. En revanche, les soldats des troisième et quatrième rangs sont seulement armés de l’arc58 ; ils ne portent pas de bouclier, car cela les
53 Cf. RANCE (2005), 428 et ID., s.v. « Cavalry: Late Empire », dans ERA, I, 185. L’extrait de la Johannide cité plus haut, à propos de l’équipement de Jean Troglita, milite en faveur de cette hypothèse. Plusieurs passages des Guerres de Procope présentent les bucellaires de Bélisaire comme des combattants polyvalents : voir e.g., Bell., V, 27, 5. Selon KOEHN (2013), 144, les cavaliers qui utilisaient des lances de choc en plus de l’arc étaient surtout des recrues germaniques. Cette affirmation est contredite par Procop., Bell., VI, 1, 21-34 : le bucellaire hunnique Chorsamantis combat alternativement avec la lance (δόρυ) et l’arc lors du siège de Rome. 54 RANCE (2005), 428, n. 15. Cf. Procop., Bell., V, 27, 27 : Ῥωμαῖοι μὲν σχεδόν τι ἅπαντες καὶ οἱ ξύμμαχοι Οὖννοι ἱπποτοξόται εἰσὶν ἀγαθοί. Durant la guerre vandale, Aigan et Rufinus sont explicitement décrits comme des commandants de la cavalerie régulière (cf. supra, p. 521). Lorsqu’ils combattent contre les Maures en 535, près de Byzacion, ils utilisent des arcs : ce n’est qu’après avoir utilisé toutes leurs flèches qu’ils se battent à l’épée. Cf. Procop., Bell., IV, 10, 9-10. 55 Maurice, Strat., I, 2, 35-9 : « Les chevaux, notamment ceux des officiers et des autres [troupes] d’élite doivent porter des chanfreins en fer et des protège-poitrails en fer ou en tissu, ou à la manière des Avars, en sorte que soient couverts les poitrails et les encolures, surtout de ceux qui sont au premier rang dans la bataille. » (Χρὴ τοὺς ἵππους καὶ μάλιστα τῶν ἀρχόντων καὶ τῶν λοιπῶν ἐπιλέκτων προμετωπίδια ἔχειν σιδηρᾶ κατὰ τῶν μετώπων τῶν ἵππων καὶ στηθιστήρια σιδηρᾶ ἢ ἀπὸ κεντούκλων ἢ κατὰ τὸ σχῆμα τῶν Ἀβάρων σκέπεσθαι τὰ στήθη καὶ τοὺς τραχήλους αὐτῶν καὶ μάλιστα τῶν προτασσομένων ἐν τῇ μάχῃ). Confirmé par Syr. Mag., Strat., 17, 12-6 : les chevaux des soldats rangés en première ligne (τοὺς ἵππους τῶν πρωτοστατούντων) doivent être équipés avec des protections pour leur tête, leur poitrail et leur encolure (προμετώπιδά τε καὶ περιστέρνια σιδηρᾶ, πρὸς δὲ καὶ περιτραχήλια). 56 Maurice, Strat., II, 8, 2-4 : Περὶ δὲ τῆς τῶν ὅπλων διαφορᾶς δεῖ τὸν μὲν πρωτοστάτην τῆς πρώτης τάξεως καὶ τὸν μετ’ αὐτόν, τουτέστι τὸν δεύτερον καὶ τὸν οὐραγὸν κοντάτους εἶναι. Ibid., VII, B, 17, 11-2 : Χρὴ τὸν πρῶτον καὶ δεύτερον τῆς ἀκίας καὶ τὸν οὐραγὸν καὶ τὸν πρὸ αὐτοῦ κοντάτους εἶναι. 57 Ibid., I, 5, 8-10 : εἶτα τοὺς δεκάρχας, γενναίους καὶ αὐτόχειρας, εἰ δυνατὸν δέ, καὶ τοξεύειν εἰδότας, καὶ μετ’ αὐτοὺς πεντάρχας καὶ τετράρχας ὁμοίως, καὶ τότε τοὺς φύλακας τῶν ἀκιῶν. 58 Ibid., VII, B, 17, 12 : τὸν δὲ τρίτον καὶ τέταρτον τοξότας.
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empêcherait de tirer efficacement59. Les cavaliers du cinquième au neuvième rang combattent « avec ce qu’ils savent utiliser » – ils ne sont donc pas nécessairement des archers60. On prendra soin de souligner que ce passage ne tient pas compte des autres corps de l’armée régulière tels que les optimates et les foederati : si tous les Romains servant dans l’armée jusqu’à l’âge de 40 ans doivent posséder un arc, l’auteur du traité précise bien que les étrangers sont préférentiellement armés de lances et de boucliers61. Cela implique qu’une portion non négligeable de la cavalerie byzantine n’étaient ni polyvalente, ni versée dans l’archerie montée, mais servait comme cavalerie de ligne. Corippe fournit des indices supplémentaires de cette hétérogénéité de l’armement dans son poème. L’équipement militaire décrit dans ses récits de bataille est très contrasté et suggère que l’archerie montée n’était peutêtre pas aussi omniprésente au sein de la cavalerie proto-byzantine qu’on ne le pense. Cette diversité se retrouve au sein même du corps des commandants d’unité. Lors de la bataille des Antonia castra en 546/547, Putzintulus a un casque (casside), une cuirasse (lorica) et une lance longue (longa hasta)62, Grégoire a une lance (hasta), un bouclier (clipeo) et des traits ibères (tela Ibera)63, Geisirith combat avec de longues lances (ardua tela) et un glaive (gladius), et il est entièrement bardé de fer (ferrato corpore toto), à la manière d’un cataphractaire64 ; Marcentius est équipé d’un casque (cassis), d’une cuirasse (thorax), de lances (tela) qu’il porte sur son dos et d’un arc (arcum)65, Liberatus a une lance longue (longa hasta)66, Ulitan, un javelot (pilo) et un arc courbe (curruo arco)67. Quant au commandant des Maures alliés, Bitipten, on ne sera pas surpris de le voir lutter avec des javelines (iaculis)68. Sur les six commandants Ibid., II, 8, 5-7 : οὐδὲ γὰρ δυνατόν ἐστιν δεόντως τρακτεύειν τινὰ τόξον ἐπάνω ἵππου ἐν τῇ ἀριστερᾷ σκουταρίου κατεχομένου καὶ τόξου. 60 Ibid., VII, B, 17, 12 : καὶ τοὺς ἐν μέσῳ, ὡς οἴδασιν. Il découle cependant de II, 8, 4-5 que ces soldats des rangs postérieurs devaient être, dans l’idéal, surtout des archers : τοὺς δὲ λοιποὺς πάντας, τοὺς ἐν μέσῳ τασσομένους, ὅσοι τοξεύειν οἴδασιν, ἀρκάτους σκουταρίων χωρίς. 61 Ibid., I, 2, 21-32 : τοὺς δὲ μὴ εἰδότας νεανίσκους ἐθνικοὺς τοξεῦσαι κοντάρια μετὰ σκουταρίων. Voir SYVÄNNE (2004), 38. Dans l’absolu, Maurice, Strat., I, 2, 3-10 précise que chaque soldat doit avoir l’équipement correspondant à son rang, sa paye et ses récompenses. C’est notamment le cas des officiers, des bucellaires et des fédérés. 62 Cor., Ioh., IV, 481. 63 Ibid., IV, 487-8. 64 Ibid., IV, 489-500. 65 Ibid., IV, 532-40. 66 Ibid., IV, 541. 67 Ibid., IV, 542-3. 68 Ibid., IV, 551. 59
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d’agmina dont l’armement est renseigné, seuls trois (Geisirith, Marcentius, Ulitan) utilisent donc un arc avec certitude. Certes, il convient de garder à l’esprit les conventions du genre épique, qui intègre depuis l’Iliade des descriptions d’équipements militaires variés69. Mais il ne faut pas non plus oublier que la Johannide a été rédigée « à chaud », peu de temps après les événements décrits, dans un milieu africain où toute entorse sérieuse à certaines réalités matérielles du combat aurait pu être facilement relevée70. L’hommage rendu par Corippe aux commandants de l’armée de Jean impliquait des descriptions précises, propres à faciliter l’identification de chaque champion. Un inventaire complet de l’ensemble des armes offensives mentionnées par le poète dans les trois batailles des Antonia castra (546/547 ap. J.-C.)71, de Marta (547 ap. J.-C.)72 et des campi Catonis (547 ap. J.-C.)73, confirme cette impression de contraste. Tableau 18 – L’armement des cavaliers dans la Johannide de Corippe. Antonia castra
Marta
Campi Catonis
OccurOccurOccurType d’arme Type d’arme rences rences rences hasta 12 tela 7 hasta 8 arcus / sagitta / 11 arcus / sagitta / 6 telum 8 arundo arundo tela 8 pilum 2 ensis 6 ensis 7 hasta 2 pilum 6 mucro 4 mucro 2 cornu reflexum / 6 sagitta / arundo / uolatile ferrum / spicula gladius 3 missilia 2 mucro 5 missilia 3 contus 2 contus 4 pilum 2 lancea 1 missilia 3 iacula 2 iacula 1 cuspis 3 hastilia 1 gladius 1 lancea 1 ense 1 Type d’arme
69 70 71 72 73
VAN WEES (1994), 131-7. Voir réf. supra, p. 535, n. 220-1. Cor., Ioh., IV, 472-V, 527. Ibid., VI, 492-773. Ibid., VIII, 370-656.
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Le tableau ci-dessus révèle que les armes d’hast (lances / javelots) sont de loin majoritaires, avec 41 occurrences. Suivent les armes blanches de type épée (29 occurrences) puis les arcs, que l’on retrouve indirectement grâce à la mention des flèches utilisées lors des affrontements (23 occurrences). Ces résultats confirment, par rapport aux périodes précédentes, une évolution favorable à l’archerie montée, mais dans des proportions peut-être moins spectaculaires qu’on ne le pense généralement.
C. Les hommes : l’instruction individuelle et les entraînements collectifs La mise en œuvre des techniques de combat décrites par les sources littéraires nécessitait un entraînement régulier. La législation des Ve et VIe s. révèle que cette exercitatio, qui était considérée comme le principal atout de l’armée romaine sous le Haut-Empire, n’est pas tombée en désuétude durant l’Antiquité tardive74. Outre les exercices quotidiens auxquels étaient théoriquement astreintes les troupes frontalières, les armées de campagne recevaient une instruction générale au début de chaque saison militaire75. Philip Rance distingue plusieurs catégories d’exercices : les soldats pratiquaient en premier lieu des exercices individuels, nécessaires à la maîtrise de l’équitation militaire et des différentes techniques de combat de la cavalerie romaine ; ils apprenaient ensuite à manœuvrer avec leur unité (tagma / bandon) ; enfin, plusieurs unités manœuvraient ensemble en formant une armée de cavalerie76. Cette instruction collective pouvait aller jusqu’à prendre l’allure de véritables simulacres de bataille, impliquant également des fantassins77. Nous
74 Nov. Th., XXIV, 1 (443 ap. J.-C.) ; CJ, I, 27, 2, §9 (534 ap. J.-C.) ; I, 46, 4 (443 ap. J.-C.) ; XI, 60, 3, pr. (443 ap. J.-C.) ; Nov. Iust., XXVI, 3, pr. (535 ap. J.-C.). 75 Voir Agathias, II, 1, 2 (Rome, printemps 553) : « Narsès leur ordonnait de s’entraîner davantage à la guerre : il affermissait leur ardeur par des exercices quotidiens, en les obligeant à courir, à faire des charges de cavalerie ordonnées (ὑπὲρ τῶν ἵππων ἐν κόσμῳ ἀναπάλλεσθαι), à courir en cercle comme une danse guerrière (ἔς τε πυρρίχην τινὰ ἐνόπλιον περιδινεῖσθαι), à être souvent assourdis par la trompette qui accompagne le cri de guerre, pour qu’un hiver dans l’inactivité ne leur ait pas fait complètement oublier la guerre et qu’ils ne fassent ensuite preuve de mollesse dans le combat lui-même. » (trad. P. Maraval modifiée). 76 RANCE (2000) et ID., s.v. « Training: Late Empire », dans ERA, III, 1012-4. Voir aussi RAVEGNANI (1988), 54-8 et 62-3 et SYVÄNNE (2004), 42-7. Pour une étude des manœuvres d’entraînement prescrites par le Stratêgikon spécifiquement : AUSSARESSES (1909), 67-81. 77 Anon., Peri pol. epist., IV, 16-20 ; Maurice, Strat., XII, B, 17, 1-13.
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nous concentrerons ici sur les exercices qui concernent spécifiquement la cavalerie. Les exercices individuels sont décrits à deux siècles d’intervalle par Végèce et Maurice. La recrue apprend d’abord à monter en selle en se passant d’aides-montoirs, donc en sautant sur le dos de l’animal, sans armes puis en armes (salitio equorum), en s’aidant de sa lance si nécessaire78. Elle doit être capable de parcourir à cheval des zones accidentées, en terrain plat comme en terrain montueux, et même de traverser des cours d’eau à la nage79. Passé l’apprentissage du contrôle de l’animal, les cavaliers sont formés au lancer de javelines et au maniement d’armes diverses80. À l’époque de Végèce, seul un tiers ou un quart des recrues s’entraîne à tirer à l’arc81. Cette proportion semble avoir beaucoup augmenté au cours du VIe s. puisque le Stratêgikon exige que toutes les recrues romaines (νεώτεροι ῥωμαῖοι), jusqu’à l’âge de quarante ans, se procurent un arc et apprennent à s’en servir82. Les traités d’époque protobyzantine accordent une importance particulière à la maîtrise de l’archerie montée. Selon Maurice, le soldat doit savoir tirer au galop (τρέχοντος), face à lui, en arrière, sur la droite et sur la gauche. Après avoir décoché rapidement une ou deux flèches, il doit être capable de ranger son arc dans son étui et de se saisir de la lance qui est suspendue à son dos pour faire comme s’il allait charger un ennemi83. Syrianus Magister confirme ces informations et ajoute des précisions : les archers romains doivent tirer avec justesse, puissance, et rapidité84. Le tir peut être statique, mais aussi intervenir dans la poursuite comme dans la fuite. Les archers romains doivent pouvoir tirer lorsqu’ils sont stationnaires ou en mouvement, sur des cibles statiques ou mobiles85. La méthode de tir est l’objet d’une attention particulière. Le Stratêgikon évoque deux méthodes de décoche, l’une romaine et l’autre perse, sans plus de précision86. Syrianus Magister parle, pour sa part, de trois techniques différentes, sans pour autant les associer à des peuples particuliers. Les détails qu’il donne sont d’une très grande clarté : 78
Veg., Mil., I, 18 ; Maurice, Strat., I, 1, 12. Veg., Mil., I, 10, 4 ; Maurice, Strat., VII, B, 17, 48-61. 80 Veg., Mil., I, 14. 81 Ibid., I, 15, 2. 82 Ibid., I, 2, 28-34. 83 Ibid., I, 1, 9-20. 84 Syr. Mag., Strat., 44, 3-4 : Ἐπὶ τῆς τοξείας τρία ταῦτα ζητοῦμεν, τὸ εὐστόχως βάλλειν, τὸ ἰσχυρῶς βάλλειν, τὸ ταχέως βάλλειν. 85 Ibid., 44, 4-7. 86 Maurice, Strat., I, 1, 5. 79
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« Certains archers tirent la corde avec les trois doigts du milieu, d’autres avec seulement deux. Parmi ces derniers, il y a ceux qui appuient le pouce contre l’index, et les autres qui font l’inverse – ils tendent leur corde plus loin et tirent leur flèche avec plus de force. Chaque homme devrait s’exercer à chacune de ces méthodes, de manière à ce que, lorsque les doigts qu’il a utilisés sont fatigués à cause d’une tension prolongée, il puisse utiliser les autres. »87.
Syrianus décrit ici les trois principaux modes de préhension de la corde encore utilisés aujourd’hui88. La première technique, aussi appelé « décoche méditerranéenne » ou « méthode secondaire », consiste à tirer la corde avec l’index, le majeur et l’annulaire, le talon de la flèche étant maintenu par l’index et le majeur. La seconde méthode ou « méthode primaire » consiste à pincer la corde et le talon de la flèche en appuyant le pouce contre l’index. Enfin, la troisième méthode, aussi appelée « décoche mongole », implique effectivement de faire « l’inverse », c’est-à-dire de tendre la corde avec le pouce, verrouillé par l’index (fig. 55). Cette dernière technique est parfaitement adaptée à l’archerie montée puisqu’elle autorise une meilleure stabilisation de la flèche. Elle permet aussi d’entesser à fond et par conséquent de produire un tir plus puissant89, mais contraint son utilisateur à porter un anneau de pouce pour se protéger du frottement de la corde90. La prise « perse » évoquée par le Stratêgikon est plus difficile à identifier. Il ne s’agit manifestement pas d’une décoche au pouce car Maurice, au même titre que Procope, insiste sur le fait que l’archerie sassanide était à la fois plus rapide et moins puissante que celle des Romains91. Adrian Bivar a imaginé une 87 Syr. Mag., Strat., 44, 18-23 : Τῶν δὲ τοξευόντων οἱ μὲν τρισὶ τοῖς μέσοις δακτύλοις τὴν νευρὰν ἕλκουσιν, οἱ δὲ δυσί, καὶ τούτοις οἱ μὲν τοῦ μεγίστου ἐπικειμένου τῷ λιχανῷ, οἱ δὲ τοὐναντίον, οἱ καὶ μᾶλλον τὴν νευρὰν ἕλκουσι καὶ πέμπουσι τὸ βέλος σφοδρότερον. Δεῖ δὲ καθ’ ἕκαστον τούτων τῶν εἰρημένων τρόπων γυμνάζειν ἑαυτὸν ἕκαστον, ὥστε πασχόντων τῶν προτέρων δακτύλων τῇ συνεχείᾳ τῆς τάσεως κεχρῆσθαι τοῖς ἄλλοις. 88 Cf. RENOUX (2006), II, 76-7. 89 COULSTON (1985), 276 ; KARASULAS (2004), 24-5. 90 Un accessoire de ce type a été retrouvé dans la tour 19 du site archéologique de Doura Europos, ce qui pourrait indiquer que les Romains avaient déjà adopté le mode de préhension « mongol » au IIIe s. : cf. JAMES (1987). 91 Maurice, Strat., XI, 1, 16 : ἠσκημένον τὴν σύντομον τοξείαν, ἀλλ’ οὐκ ἰσχυράν. Ce qui implique d’ailleurs que la méthode « romaine » évoquée au tout début du Stratêgikon était probablement la méthode « mongole » (DENNIS [1985], 11, n. 2). Amm., XXV, 1, 13 affirme que les archers montés perses tendaient leur corde jusqu’au mamelon droit (ut nerui mammas praestringerent dexteras) : à supposer qu’il ne s’agisse pas seulement d’un locus épique, cette indication est cohérente avec l’idée d’une prise faible (voir Syr. Mag., Strat., 44, 27). Procop., Bell., I, 18, 31-4 ajoute que durant la bataille de Callinicum (531 ap. J.-C.), les tirs des Romains étaient plus puissants que ceux des Perses, qui
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Figure 55 – Schéma de la prise mongole. Dessin de M. Petitjean.
Figure 56 – Schéma de la « prise perse ». Dessin de M. Petitjean d’après LATHAM & PATERSON (1970), 53.
forme dérivée de la prise méditerranéenne, dans laquelle l’archer tend la corde avec le majeur, l’annulaire et (parfois) l’auriculaire, tout en appuyant le pouce contre le talon de la flèche et en pointant l’index vers l’avant (fig. 56). Mais sa théorie demeure sujette à caution et l’on ne peut exclure qu’il soit ici question de la méthode primaire92. privilégiaient la cadence et le volume sur la force de pénétration (voir aussi ibid., VIII, 8, 34). Même s’il conseille aux cavaliers romains de s’exercer aux différentes « prises » connues à son époque, Syr. Mag., Strat., 44, 24-7 se prononce surtout en faveur d’une décoche puissante, qui ne peut être obtenue qu’en ramenant la corde jusqu’à l’oreille. Confirmé par Procop., Bell., I, 1, 15. 92 BIVAR (1962), 284-6. Cette hypothèse s’appuie essentiellement sur les nombreuses scènes de chasse représentées sur les plats en argent d’époque sassanide. On peut cependant remarquer que les personnages figurés tendent parfois leur corde jusqu’à l’oreille droite (ibid., fig. 23), ce qui semble peu compatible avec l’idée d’une décoche dont la puissance serait inférieure à celle de la décoche mongole. Faut-il invoquer une licence artistique ? un détail irréaliste visant à glorifier la force héroïque des souverains perses ? ou existait-il une variante de la prise perse plus proche de la décoche mongole (mais aussi
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Dans son manuel, Syrianus Magister décrit les exercices pratiqués par les Romains pour apprendre à tirer avec précision93, pour tirer avec puissance94 et pour tirer le plus vite possible95. Formés aux techniques de combat individuel et particulièrement à l’archerie montée, les cavaliers doivent alors apprendre à manœuvrer en formation. Cette phase de l’entraînement est tout aussi cruciale que la première. Le tagma byzantin d’environ 300 soldats est une formation beaucoup plus massive que la turme impériale de 30 cavaliers : déplacer une telle unité tactique sur un champ de bataille devait poser d’importants problèmes de coordination et chaque manœuvre pouvait consommer un temps précieux ; c’est ce qui explique pourquoi les soldats devaient être habitués à reformer les rangs et exécuter des conversions rapidement. Le Stratêgikon recommande plusieurs exercices adaptés aux différentes fonctions tactiques qui peuvent être remplies par un escadron au cours d’une bataille. Certains drills sont réservés aux troupes d’assaut (cursores), d’autres aux troupes de ligne (defensores), d’autre encore aux troupes d’embuscade : « Il ne faut pas seulement former et exercer le tagma en formation linéaire (ἐπὶ μῆκος), comme le montre le diagramme, car cela est seulement utile pour la charge à fond (συμβολήν) et la mêlée (ὤθησιν) ; il faut aussi le ranger en formation irrégulière (δρουγγιστί), faire des sorties (ἐξελαύνειν) en ligne droite et en mouvements circulaires variés, retraiter (ὑποχωρήσεις) dans un premier temps puis effectuer une contremarche (ἀντιστροφάς), réaliser des attaques surprises (αἰφνιδίους ἐφόδους) contre les ennemis et enfin apporter un soutien (ἐπιβοηθεῖν) aux autres [unités ?] en difficulté. Si les tagmata s’habituent à être préparés à ces actions, ils seront alors prêts à opérer comme defensores, comme cursores, et à [parer] à chaque éventualité. Quand de tels exercices ont été correctement exécutés, ils deviennent tous, ou presque tous, familiers aux soldats, et ces neuf manœuvres préparent les tagmata à parer à tout imprévu : qu’ils soient détachés pour combattre comme cursores, comme defensores, pour garder les flancs ou pour les déborder, ils seront devenus accoutumés à toutes ces formations (τάξεως). »96. plus rarement pratiquée par la cavalerie sassanide) ? On notera que les manuels d’archerie arabes associent aux Perses un type spécifique de décoche qui implique bien l’utilisation du pouce pour tirer la corde : LATHAM & PATERSON (1970), 53 et 55 (déjà mentionné dans un manuel militaire d’époque sassanide : INOSTRANCEV [1926], 35). Cette méthode n’était peut-être pas encore largement répandue dans la cavalerie perse entre les IVe et VIe s., le tir de saturation à plus courte distance lui étant préféré (RAVEGNANI [1988], 56 et SYVÄNNE [2004], 248-9). 93 Syr. Mag., Strat., 45. 94 Ibid., 46. 95 Ibid., 47. 96 Maurice, Strat., III, 5, 63-76 : Ὅτι οὐ μόνον, ὡς ἡ καταγραφὴ δηλοῖ, ἐπὶ μῆκος ὀρδινεύειν καὶ γυμνάζειν ἀναγκαῖόν ἐστι τὸ τάγμα, τοῦτο γὰρ πρὸς μόνην συμβολὴν
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Viennent alors les exercices mêlant plusieurs unités tactiques différentes. L’objectif est d’apprendre aux escadrons à réaliser, ensemble, des manœuvres coordonnées. Certains cavaliers endossent le rôle de troupes d’assaut (cursores), d’autre font office de defensores. L’opération est relativement simple : les cursores doivent sortir de la ligne de bataille pour effectuer des évolutions rapides face à l’ennemi avant de faire demitour et de se réfugier à nouveau dans les intervalles séparant les régiments de defensores (fig. 57). « Que l’on exerce un bandon, une moira, un meros ou la première ligne de bataille (πρώτη παράταξις), le groupe doit être divisé en trois parties. Si c’est un seul bandon qui est exercé, il faut ranger la majeure partie des hommes en formation de cursores. De part et d’autre, sur la même ligne qu’eux, deux groupes de dix cavaliers doivent être alignés en formation de defensores. Dix autres cavaliers doivent se ranger comme s’ils étaient des ennemis, afin que nos hommes puissent donner l’impression de charger contre eux. Lorsque cette action commence, les cursores se séparent des defensores et s’avancent au galop en ligne droite comme s’ils allaient combattre (ἐπὶ μάχης), sur un mille ou deux ; ils font demi-tour (ὑποστρέφειν) jusqu’à l’intervalle du milieu, font trois ou quatre conversions au galop sur la droite et sur la gauche. Ensuite, ils chargent en cercle vers l’arrière (πάλιν κυκλοειδῶς ἐλαύνειν). Après cela, ils se repositionnent au galop dans l’espace situé entre les defensores, et ensemble, avec les defensores, ils chevauchent comme s’ils allaient affronter un poursuivant. Le même type d’exercice peut être pratiqué par les moirai. »97. καὶ ὤθησιν χρήσιμον τυγχάνει, ἀλλὰ καὶ δρουγγιστὶ τάσσειν καὶ ἐξελαύνειν ἐπ’ εὐθείας καὶ κύκλους διαφόρους, πρῶτον μὲν διὰ τὰς ὑποχωρήσεις καὶ ἀντιστροφάς, εἶτα διὰ τὰς αἰφνιδίους κατὰ τῶν ἐχθρῶν ἐφόδους, λοιπὸν δὲ καὶ διὰ τὸ συντόμως τοῖς δεομένοις ἐπιβοηθεῖν. Εἰ γὰρ οὕτως ἐθισθῶσι τὰ τάγματα, ἑτοίμως ἔχουσι καὶ εἰς δηφένσορας καὶ εἰς κούρσορας καὶ εἰς ἑκάστην χρείαν τάσσεσθαι. Τῆς οὖν τοιαύτης γυμνασίας κατορθωμένης, ἧς τὰ πλείονα ἢ καὶ πάντα γινώσκουσιν οἱ στρατιῶται ὡς πούβλικα, διὰ τῶν εἰρημένων ἐννέα τούτων κινήσεων πρὸς πᾶσαν χρείαν ἑτοίμως καθίστανται τὰ τάγματα, εἴτε εἰς κούρσορας εἴτε εἰς δηφένσορας, εἴτε εἰς πλαγιοφύλακας εἴτε εἰς ὑπερκεραστὰς χρεία ἀφορισθῆναι, ἐν συνηθείᾳ πάσης τάξεως γενομένα. 97 Ibid., III, 5, 86-100 : Δεῖ τοίνυν εἴτε καθ’ ἑαυτὸ τὸ βάνδον γυμνάζεται, εἴτε μοῖρα εἴτε μέρος εἴτε καὶ ἡ πρώτη παράταξις, ἐν τρισὶ μέρεσι τάσσειν. Καὶ εἰ μὲν βάνδον ἐστὶ τὸ καθ’ ἑαυτὸ γυμναζόμενον, τοὺς πλείους αὐτοῦ ἐν τάξει κουρσόρων ποιεῖν, καὶ ἀπὸ δέκα καβαλλαρίων ἐπὶ ἁπλῆς ἀκίας ἑκατέρωθεν αὐτοῦ ἰσομετώπους τάσσειν ἐν τάξει δηφενσόρων, ἄλλους τε ὀλίγους καβαλλαρίους μέχρι δέκα τάσσειν δι’ ὄψεως ἐναντίους, ὥστε τὴν συμβολὴν πρὸς αὐτοὺς εἰκάζεσθαι. Κινοῦντος δὲ αὐτοῦ ὡς ἐπὶ μάχης ἐξέρχεσθαι σὺν ἐλασίᾳ τοὺς κούρσορας καὶ χωρίζεσθαι τῶν δηφενσόρων, καὶ τρέχοντας ἐπ’ εὐθείας ὡς ἓν ἢ δεύτερον μίλιν ὑποστρέφειν ἄχρι τοῦ ἡμίσεως διαστήματος, καὶ ἐκκλίνοντας ὅτε δεξιά, ὅτε ἀριστερὰ τρέχειν, καὶ τρίτον τέταρτον οὕτως, εἶτα πάλιν κυκλοειδῶς ἐλαύνειν, καὶ μετὰ ταῦτα προστρέχοντας ἐν τῷ μεταξὺ τόπῳ τῶν δηφενσόρων, ὅθεν καὶ ἐξῆλθον, ἅμα τοῖς σφισὶ δηφένσορσιν ἐλαύνειν ὡς εἰς ἀπάντησιν τῶν καταδιωκόντων αὐτούς. Οὕτως δὲ ποιεῖν καὶ μοίρας γυμναζομένης.
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Figure 57 – Manœuvre d’entraînement du bandon d’après Maurice, Strat., III, 5.
Maurice évoque ensuite un exercice destiné à former les cursores uniquement. Il s’agit de la « charge circulaire des cursores » (κυκλοειδὴς ἐλασία τῶν κουρσόρων). Cette manœuvre implique plusieurs banda, répartis en deux commandements distincts (δύο ἀρχάς). La description n’est pas très claire : les deux groupes chevauchent l’un contre l’autre (ἐλαύνειν τὴν ἐναντίαν ἀλλήλων) ; un groupe charge « en dehors » (ἔξω) et le deuxième groupe galope vers l’intérieur (ἐσωτέρω), de façon à ce qu’il n’y ait pas de collisions entre les cavaliers98. Le traité ne précise pas quelle est l’utilité réelle de cette attaque circulaire. Il nous semble toutefois qu’il s’agit exactement de la manœuvre d’encerclement décrite plus loin sous le nom d’« exercice scythe » (Σκυθική γυμνασιά) : « Dans la [manœuvre] scythe, les tagmata sont formés de la même manière, comme autrefois, sans que quelques-uns soient organisés en cursores et d’autres en defensores. Ils doivent être rangés sur une seule ligne de bataille (παρατάξεως), et divisés non plus en trois, mais en deux moirai. Les deux ailes (κεράτων) quittent le meros comme si elles engageaient une 98 Ibid., III, 5, 105-9 : Ἐπισκεπτέον δὲ εἰς τὰς κυκλοειδεῖς ἐλασίας τῶν κουρσόρων, ἔνθα διάφορα βάνδα εὑρίσκονται, ὥστε εἰς δύο ἀρχὰς ταῦτα μερίζεσθαι, καὶ ἐλαύνειν τὴν ἐναντίαν ἀλλήλων, καὶ ὑπαντώσας τὰς ἀρχὰς τὴν μὲν μίαν ἔξω, τὴν δὲ ἑτέραν ἐσωτέρω τρέχειν, ἵνα μὴ προσκρούσματα τῶν καβαλλαρίων γίνωνται.
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manœuvre d’encerclement (ὡς πρὸς κύκλωσιν) ; se rapprochant l’une de l’autre, elles encerclent un espace adéquat. Elles se croisent en formant un cercle (παρερχόμενον κυκλοειδῶς), l’aile droite à l’extérieur (ἐξώτερον) et l’aile gauche à l’intérieur (ἐσώτερον) ; elles chargent dans la direction inverse l’une de l’autre. »99.
Comme le reconnaît explicitement l’auteur du traité, cette manœuvre est proche des actions réalisées lors des opérations de battue, qui servent à la fois d’entraînement aux soldats et de mode d’approvisionnement en gibier100. Elle n’a en revanche rien à voir avec la charge cantabre de l’époque d’Hadrien, comme le suppose Michael P. Speidel101. Le but n’est pas de galoper en cercle face à l’ennemi, mais de réaliser un double enveloppement par les ailes, à un rythme rapide (fig. 58). Ce type de manœuvre était utilisé au combat par les nomades steppiques et par les Romains pour encercler une unité ennemie rapidement, afin de l’arroser de flèches. Elle est décrite lors du siège de Rome par Procope, qui confirme qu’elle doit être exécutée par des archers montés102. En plus de la manœuvre « scythe », Maurice détaille dans le livre VI de son traité une série de manœuvres associées à des ethnonymes divers (fig. 59). Il s’agit manifestement de formations qui pouvaient être pratiquées lors des entraînements, mais dont l’applicabilité en contexte d’affrontement réel n’était pas forcément évidente103. Leur origine reste mystérieuse, mais les noms qui leur sont associés ne sont pas incompatibles avec une datation 99 Ibid., VI, 12-8 : Σκυθική ἐστιν ἡ ἀδιακρίτως ἔχουσα τὰ τάγματα, τουτέστιν, ὡς πρώην, οὐκ εἰς κούρσορας καὶ δηφένσορας διῃρημένα· ἅτινα χρὴ ἐπὶ μιᾶς παρατάξεως τάσσειν, καὶ οὐκέτι εἰς τρεῖς, ἀλλ’ εἰς δύο μοίρας διαιρεῖν, ἐφ’ ᾧ, κινούντων τῶν δύο κεράτων τοῦ μέρους ὡς πρὸς κύκλωσιν καὶ πρὸς ἄλληλα νευόντων καὶ ἐμπεριλαμβανόντων εὔκαιρον χωρίον, τὸ μὲν δεξιὸν κέρας ἐξώτερον, τὸ δὲ ἀριστερὸν ἐσώτερον, παρερχόμενον κυκλοειδῶς, τὴν ἐναντίαν ἀλλήλων ἐλαύνωσιν. Cf. AUSSARESSES (1909), 80-1 et SYVÄNNE (2004), 127. 100 Maurice, Strat., XII, D, 50-62 et 104-5. RANCE (2000), 257-8 a judicieusement rapproché ce type de chasse-battue de la chasse militaire steppique, appelée nerge ou jerge chez les Mongols. Cf. LANE (2006), 107-14 (avec les récits de Juwayni et d’Odoric de Pordenone) et MAY (2006) (qui cite le Stratêgikon comme point de comparaison). Il convient cependant de souligner que le nerge est, au moins à l’époque mongole, une opération de bien plus grande ampleur que la manœuvre décrite par Maurice : la ligne des chasseurs peut s’étendre sur plus d’une centaine de kilomètres et la chasse dure parfois plus d’un mois ! Si, chez les Romains, la battue circulaire a pu être empruntée aux « Scythes », c’est-à-dire aux nomades steppiques, l’hypothèse d’une influence avare doit être écartée. En effet, l’opération décrite par le Stratêgikon est déjà pratiquée par les Romains en 542, à proximité de Doura Europos : cf. Procop., Bell., II, 21, 1-8 (repris par Théophane, Chron., AM. 6033). Voir aussi Procop., Bell., VI, 13, 9. 101 SPEIDEL (1996), 61, n. 25. Cf. RANCE (2000), 252, n. 69. 102 Procop., Bell., V, 27, 18-9. 103 Seul l’exercice italique est dit « utile » ou « profitable » (χρειώδης), cf. Maurice, Strat., VI, 4, 1.
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haute (viendraient-elles de règlements promulgués sous le Principat ?). Il y a d’abord la « manœuvre alaine » (Ἀλανική γυμνασία) : les cavaliers forment une seule ligne de bataille, constituée d’escadrons de cursores et de defensores ; ces bataillons sont séparés par des intervalles de deux ou quatre cent pieds de large (soit 59 à 118 mètres), suffisamment grands pour permettre d’accueillir un tagma déployé en ordre lâche ; les cursores chargent
Figure 58 – Schéma de la kukloeidês elasis tôn koursorôn.
Figure 59 – Schéma des Alanika kai Afrikana gumnasia.
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en avant, puis ils font demi-tour et se redéploient à travers les intervalles de la ligne principale ; avec les defensores, ils avancent en ligne droite, comme s’ils prenaient en chasse un ennemi fictif ; alors, les cursores quittent la ligne en faisant demi-tour et réapparaissent sur les deux flancs du meros qu’ils ont préalablement contourné par l’arrière104. Maurice n’explique pas le but de ce drill mais il s’agissait probablement, encore une fois, d’une manœuvre destinée à envelopper l’adversaire par surprise. Elle pourrait avoir été directement inspirée de l’Ἀλανική ἱστορία d’Arrien105. Le deuxième exercice est la « manœuvre africaine » (Ἀφρικανή γυμνασία) : les cavaliers forment une seule ligne avec une brigade (moira) de defensores au centre et deux brigades de cursores sur les ailes ; tous avancent comme pour poursuivre un ennemi, mais les cursores progressent à une allure plus vive et se détachent en avant de la ligne ; une des deux formations de cursores se retire vers les defensores alors que l’autre tient sa position ; lorsque les premiers ont regagné la ligne principale, les seconds font de même ; à ce moment-là, le premier groupe de cursores quitte à nouveau la ligne principale au galop pour rejoindre le second qui est en train de se retirer, de sorte que les deux bataillons se retrouvent face à face106. Selon le Stratêgikon, la manœuvre « illyrienne » est identique à la manœuvre africaine, à cela près que les troupes y sont rangées de façon inverse, c’est-à-dire avec un centre de cursores et deux moirai de defensores sur les ailes107. Enfin, il est question d’une manœuvre italique, sur laquelle l’auteur du traité ne s’attarde pas, et pour cause : il s’agit de l’ordre de bataille classique exposé dans la partie sur la parataxis de l’armée de cavalerie108.
104 Ibid., VI, 2 : Ἀλανική ἐστιν, ὅταν ἐπὶ μιᾶς μὲν παρατάξεως τάσσωνται ὑπὸ κούρσορας καὶ δηφένσορας, διῃρημένας δὲ τὰς μοίρας ἀπὸ διακοσίων τετρακοσίων ποδῶν ἀλλήλων διεστώσας. Καὶ ἐν τῇ κινήσει τῶν κουρσόρων σὺν ἐλασίᾳ ἐξερχομένων εἰς καταδίωξιν, εἶτα ὑποστρεφόντων, ὅτε μὲν εἰς τὰ διαλείμματα ἤτοι εὔκαιρα χωρία αὐτῆς ἐξελίσσεσθαι καὶ ἅμα τοῖς δηφένσορσιν χωρεῖν κατὰ τῶν ἐχθρῶν, ὅτε δὲ ὑποστρέφοντας δι’ αὐτῶν τῶν διαστημάτων ἀπέρχεσθαι καὶ ἐπὶ τὰ ἄκρα τοῦ μέρους φαίνεσθαι τοὺς ἑκατέρωθεν κούρσορας, ἕκαστον ὡς τέτακται. Cf. AUSSARESSES (1909), 81. 105 Dans l’Ordre de bataille contre les Alains, la tactique mise en œuvre par les barbares « scythes » semble être rigoureusement la même : une première charge frontale contre la phalange romaine, suivie d’un repli puis d’un redéploiement sur l’aile destinée à envelopper les flancs de l’armée romaine. Cf. supra, p. 315-6. 106 Maurice, Strat., VI, 3, 2-11 : Ἀφρικανή, ὅταν ἐπὶ μιᾶς παρατάξεως τάσσωνται, ὡς καὶ μέχρι καὶ νῦν ἦν, καὶ ἡ μὲν μέση μοῖρα εἰς δηφένσορας γίνεται, αἱ δὲ ἑκατέρωθεν αὐτῆς εἰς κούρσορας· εἶτα, τῆς ἐλασίας ὡς ἐπὶ δίωξιν γινομένης, ἡ μὲν μέση μοῖρα ἐν τάξει ἐπακολουθεῖ, ὡς δηφένσωρ, αἱ δὲ ἑκατέρωθεν ὡς κούρσορες ἐξέρχονται· εἶτα ἐν τῷ ὑποστρέφειν, ἡ μὲν μία μοῖρα μένει ἤτοι ἐμβραδύνει ἔξω, ἡ δὲ ἄλλη σὺν ἐλασίᾳ ὑποστρέφει ὡς ἐπὶ τοὺς δηφένσορας. Καὶ πάλιν κινούσης τῆς ἐναπομεινάσης ὡς πρὸς τοὺς δηφένσορας, ἡ ἄλλη ὡς εἰς ἀπάντησιν τρέχουσα δι’ ἑνὸς μέρους ἀπέρχεται, καὶ τῷ τρόπῳ τούτῳ μία παρὰ μίαν μοῖραν ἀντιπρόσωποι ἀλλήλων εὑρίσκονται, μὴ ἐγκρούουσαι ἑαυταῖς. Cf. AUSSARESSES (1909), 81 ; KAEGI (2010), 136-8. 107 Maurice, Strat., VI, 3, 11-5. 108 Ibid., VI, 4, 1-6.
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II – LA
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DANS LA CONDUITE DES OPÉRATIONS MILITAIRES
Alors qu’aux IIIe et IVe s., nous avons pu relever des signes de continuité importants dans la sphère de l’organisation et de la conduite des opérations militaires, les sources du début de l’époque byzantine mettent clairement en évidence le rôle dominant de la cavalerie : les combats d’escarmouche sont devenus prépondérants dans le cadre d’un art de la guerre fondé sur la mobilité d’armées de cavalerie de plus en plus autonomes. Ce sont jusqu’aux opérations de siège qui accordent parfois une place décisive à cette composante des armées de campagne. Cette situation explique la recherche de contre-mesures destinées à atténuer les effets destructeurs de la guérilla de cavalerie.
A. La marche et le contrôle du théâtre de guerre Le déplacement des grandes forces de cavalerie byzantines pose un véritable défi sur le plan logistique. Les ressources locales sont souvent insuffisantes pour nourrir tous les animaux du corps expéditionnaire : durant la période, il devient fréquent pour les armées romaines de se diviser en plusieurs colonnes distinctes avant l’approche de l’ennemi. Cette pratique, recommandée par le Stratêgikon109, est rigoureusement appliquée par les généraux de Maurice : alors qu’il se retire d’Arzanène en 584, Philippicus divise son corps expéditionnaire en deux colonnes et commande à chacune d’adopter un itinéraire propre110 ; en 586, l’armée conduite par Comentiolus contre les Avars en Thrace est divisée en trois corps (τάξεις) qui finissent par se regrouper au niveau de Marcianopolis, à l’approche de l’ennemi111. Le Stratêgikon est très attentif aux modalités de « nettoyage » du terrain, qui doivent permettre de faciliter la progression des troupes montées : « Il est nécessaire que les terrains accidentés, escarpés, fortement boisés ou difficiles d’accès qui seront rencontrés soient complètement préparés à l’avance pour la multitude des soldats ; quelques hommes doivent être envoyés en avant pour dégager [le terrain]
109 Maurice, Strat., I, 9, 3-17 (à six, sept, ou même dix jours de marche de l’ennemi, toutes les troupes doivent opérer leur jonction et édifier un camp commun). 110 Théophylacte, I, 13, 8-10. 111 Ibid., II, 10, 8-9.
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autant que faire se peut, afin que les chevaux ne soient pas épuisés »112. Les cavaliers prennent une part active dans le choix du site destiné à accueillir le camp de marche : des anticensores sont sélectionnés dans toutes les unités pour accompagner les mensores qui sont chargés de marquer les emplacements avantageux113. Afin de faciliter l’approvisionnement des chevaux et des animaux de trait, le camp doit être établi à proximité d’un cours d’eau et, si possible, dans un endroit riche en pâturages. Il faut cependant prendre garde de ne pas laisser les montures paître dans les alentours du camp lorsque l’ennemi est à proximité : dans ces circonstances, seuls les valets d’armes (πάλλικες), sous escorte légère, sont envoyés récolter des provisions114. Les cavaliers ont leurs quartiers au centre de l’espace délimité par les retranchements, de façon à ce que les animaux soient hors de portée des projectiles venant de l’extérieur115. 112 Maurice, Strat., I, 9, 24-7 : Χρὴ τοὺς πάνυ τραχεῖς ἢ κρημνώδεις ἢ δυσβάτους καὶ δασεῖς τόπους τοὺς ἀπαντῶντας προευτρεπίζειν πλήθους στρατεύοντος διά τινων ἐπὶ τοῦτο προπεμπομένων καὶ διορθοῦσθαι κατὰ τὸ δυνατόν, ἵνα μὴ συντρίβηται ἡ ἵππος. 113 Ibid., I, 3, 32-3. Il s’agit certainement de soldats montés, cf. Syr. Mag., Strat., 26, 23-7. Lorsque l’armée fait campagne dans des régions inconnues, les mensores et les anticensores prennent un jour d’avance sur le reste de la colonne ; alors que les mensores s’occupent du marquage du futur camp, les anticensores assurent la reconnaissance des ressources en eau et en fourrage. Cf. Maurice, Strat., I, 9, 18-23. D’après le Stratêgikon, les soldats appartenant au parti de cantonnement sont prélevés sur chaque unité, à raison de deux par tagma et huit à douze par meros (ibid., II, 12). Les mensores et anticensores ne doivent pas être envoyés en mission sans précaution et sans soutien efficace, ce qui implique que des troupes étaient détachées pour assurer leur protection (ibid., IX, 3, 92-5), hypothèse confirmée par Syr. Mag., Strat., 26, 17-22 qui souligne qu’ils étaient accompagnés par une escouade de soldats prélevée sur chaque tagma. 114 Maurice, Strat., IX, 2, 11-4 (rappelant le revers essuyé par les Romains à Heraclea en 592), IX, 3, 106-17 et XII, B, 22. Les enjeux liés à la collecte et à la conservation du fourrage sont omniprésents dans le Stratêgikon, en particulier dans les développements consacrés à la lutte contre les nomades. Cf. ibid., VII, A, 13 : lorsqu’un général est en guerre contre des « Scythes », il doit se débrouiller pour rassembler un maximum de provisions pendant la marche, avant d’arriver à proximité de l’ennemi. À partir de ce moment, les serviteurs ne doivent plus quitter le camp. En revanche (VII, B, 10), si l’armée ne dispose pas de réserves importantes le jour de l’affrontement, les valets des soldats doivent sortir pour fourrager à l’arrière de la ligne de bataille. Ils peuvent être accompagnés de sculcatores qui assureront leur protection. Il faut cependant que les serviteurs soient attentifs aux signaux sonores et visuels qui leur ordonneront de se replier dans le camp en cas d’approche de l’ennemi. À l’inverse, il est admis que les actions visant à interdire à l’adversaire tout accès aux denrées fourragères peuvent être un facteur décisif de victoire, à plus forte raison contre des armées de nomades cavaliers (XI, 2, 66-7). 115 Syr. Mag., Strat., 28, 3-10 ; Maurice, Strat., XII, B, 22. D’après SYVÄNNE (2004), 104 ce mode opératoire marque une avancée par rapport aux méthodes antérieures. Pourtant, dans le dispositif de castramétation idéal décrit par le Ps.-Hygin, la cavalerie est bien
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L’organisation de l’ordre de marche ne présente pas de nouveauté majeure116. Dans les armées mixtes, la cavalerie protège toujours les flancs et les arrières de l’infanterie ; elle opère également en avant-garde pour débusquer l’ennemi. La progression de Bélisaire vers Carthage en septembre 533, à la veille de la bataille d’Ad Decimum, offre un exemple caractéristique de ce type de déploiement117 : sur ses trois côtés exposés, la colonne romaine est protégée par des détachements de cavalerie ; Jean l’Arménien commande une avant-garde de 300 cavaliers à une distance de 20 stades (4,2 kilomètres) ; les 600 symmachoi hunniques de Sinnion et Balas protègent le flanc gauche en avançant à un intervalle équivalent si ce n’est supérieur ; Bélisaire lui-même commande l’arrière-garde avec les meilleures troupes (fig. 60)118. Ce dispositif prudent aurait permis, selon Procope, à l’armée romaine d’échapper à la tentative d’enveloppement dirigée contre elle par le roi vandale Gélimer. Gélimer avait divisé son armée de façon à lancer une triple attaque contre les forces de Bélisaire. Ammatas devait engager l’avant-garde en attaquant depuis Carthage ; Gibamundus, le neveu de Gélimer, devait se porter contre le flanc gauche des Romains avec 2 000 cavaliers ; quant à Gélimer luimême, il envisageait d’attaquer l’arrière-garde avec ses propres troupes d’élite119. Ce projet fut mis en échec grâce aux mesures préventives prises par Bélisaire, mesures dont l’efficacité fut renforcée par l’incapacité des trois généraux vandales à coordonner leurs actions. Il y eut d’abord les erreurs d’Ammatas qui, non seulement arriva en avance à Ad Decimum, mais avait laissé une grande partie de son armée à Carthage et ordonna trop tard à ces troupes laissées en réserve de venir le secourir contre l’avantgarde de Bélisaire : après un premier engagement favorable aux Romains, Jean put poursuivre et massacrer ses adversaires jusqu’aux murs de
cantonnée dans la partie centrale du camp alors que la bordure est occupée par des fantassins. Cf. LENOIR (2011), 29. Voir aussi les remarques de ZUCKERMAN (1994c), 383-5. 116 HALDON (1999), 154-8 ; SYVÄNNE (2004), 105-3. 117 Sur cette bataille : PRINGLE (1981, 2001 2e éd.), 16-20 ; CHASSIN (1957), 71-5 ; SYVÄNNE (2004), 435-6 ; HUGHES (2009), 90-7. 118 Procop., Bell., III, 17, 1-4 : τῶν δ᾿ ὑπασπιστῶν τριακοσίους ἀπολέξας, ἄνδρας ἀγαθοὺς τὰ πολέμια, Ἰωάννῃ παρέδωκεν, ὅς οἱ ἐπεμελεῖτο τῆς περὶ τὴν οἰκίαν δαπάνης· ὀπτίωνα τοῦτον καλοῦσι Ῥωμαῖοι. Ἀνὴρ δὲ ἦν Ἀρμένιος μὲν γένος, ξυνέσεως δὲ καὶ ἀνδρίας ἐς τὸ ἀκρότατον μάλα ἥκων. Τοῦτον δὴ τὸν Ἰωάννην ἐκέλευσε τῇ στρατιᾷ ἡγεῖσθαι, οὐχ ἧσσον ἢ κατὰ εἴκοσι σταδίους διέχοντα, καὶ ἤν τι πολέμιον ἴδοι, κατὰ τάχος σημῆναι, ὅπως δὴ μὴ ἀπαράσκευοι ἐς μάχην καθίστασθαι ἀναγκάζοιντο. Τοὺς δὲ ξυμμάχους Μασσαγέτας ἐκέλευε τοσούτοις ἢ καὶ πλείοσι σταδίοις ἀπέχοντας ἀεὶ κατὰ τὸ ἀριστερὸν μέρος τὴν πορείαν ποιεῖσθαι· αὐτὸς δὲ ὄπισθεν μετὰ τῶν ἀρίστων ἐβάδιζεν. L’absence de détachement sur le flanc droit de l’armée s’explique dans la mesure où celle-ci est alors en train de longer la côte et ne peut être menacée depuis cette direction. 119 Ibid., III, 18, 1.
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l’ancienne cité punique120. Au moment où ces évènements se déroulaient, Gibamundus se trouvait au Pedion Halon (actuelle sebkha Séjoumi), un marais salant situé à 40 stades (8,4 km) au sud-ouest d’Ad Decimum, où il fut rapidement engagé et défait par les Huns de Sinnion et Balas121. D’après Procope, Gélimer, qui avait pris du retard en empruntant un autre itinéraire, ignorait alors tout du sort des deux armées qui venaient d’être vaincues par les Romains. Quant à Bélisaire, il se trouvait à 35 stades (7,3 km) à l’est d’Ad Decimum et avait fait dresser une palissade (χαράκωμα) pour protéger son infanterie122. Craignant d’engager l’ensemble de son armée dans une bataille rangée qui aurait pu lui être défavorable, il sortit avec sa cavalerie pour aller à la rencontre de l’ennemi. Les fédérés avançaient en tête, suivis par une deuxième ligne de bucellaires commandés par Uliaris, puis par Bélisaire lui-même, à la tête du reste de la cavalerie qui formait une troisième ligne123. Arrivés au niveau d’Ad Decimum, les fédérés purent apercevoir l’approche des troupes de Gélimer qui arrivaient par le sud. Engagés par les Vandales, ils furent mis en fuite et se replièrent avec les troupes d’Uliaris, vers la ligne de réserve de Bélisaire. Ayant rallié l’ensemble de ses troupes, ce dernier contre-attaqua les forces de Gélimer et parvint à mettre en fuite le dernier détachement de Vandales qui se dressait encore contre les Romains124.
Malgré les constantes qui s’observent dans l’organisation opérationnelle du plan de marche, il est possible de déceler des inflexions liées à l’importance prise par l’arme équestre durant la période : l’avant-garde montée des armées romano-byzantines opère parfois à un jour de marche de l’infanterie, ce qui révèle la volonté du haut commandement d’engager prioritairement la cavalerie dans des situations où celle-ci ne sera pas en mesure d’être appuyée par l’infanterie lourde125. La chose était considérée comme risquée durant l’époque tardo-républicaine et le Principat ; elle ne l’est plus à partir des guerres de Justinien. Au VIe s., des généraux comme Bélisaire redoutent au contraire que l’infanterie soit incapable d’assurer son rôle de rempart tactique contre les forces de cavalerie adverses126. C’est ce qui justifie l’importance prise par les dispositifs supposés protéger les fantassins en l’absence de camp de marche ou de forteresse : outre le traditionnel agmen quadratum qui devient la taxis epikampios opisthia du Stratêgikon, un auteur contemporain du règne 120
Ibid., III, 18, 4-11. Ibid., III, 18, 12-9. 122 Ibid., III, 19, 1-10. 123 Ibid., III, 19, 11-3. 124 Ibid., III, 19, 14-31. 125 Ibid., IV, 2, 1-2 ; Théophane, Chron., AM. 6026 (p. 195-6). Voir aussi l’exemple de la campagne de Comentiolus contre les Avars en 586, infra, p. 600. 126 Cf. supra, p. 516 et GREATREX ET AL. (2005), 70-1. 121
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Figure 60 – Reconstitution schématique des différentes phases de la bataille d’Ad Decimum (533 ap. J.-C.).
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d’Anastase (491-518), Urbicius, recommande l’utilisation de chevaux de frise (kanones) afin de maintenir les archers montés à distance du corps expéditionnaire127. Maurice consacre un long développement à la τάξις ἐπικάμπιος ὀπισθία, qu’il recommande d’employer contre les « Scythes » (i.e. les nomades danubiens)128. Adapté à une armée mixte (composée idéalement d’un tiers de cavaliers et deux tiers de fantassins), ce dispositif fait la synthèse des avantages de l’agmen quadratum et de l’ektaxis d’Arrien129. Il est d’ailleurs possible que l’Ordre de bataille contre les Alains ait servi de source d’inspiration au chapitre du Stratêgikon qui lui est consacré, tant les correspondances entre les deux textes sont nombreuses130. Dans la taxis epikampios 127
Sur Urbicius et l’Epitêdeuma, cf. infra, p. 610-1. Maurice, Strat., XI, 2, 85-9 et XII, A, 7. Sur cette formation, cf. SYVÄNNE (2004), 219-22. 129 On notera toutefois que l’auteur du Stratêgikon semble bien distinguer la taxis epikampios opisthia des deux formations habituellement recommandées en cas de défaite contre des armées de cavalerie nomades ou perses : la double phalange et la formation carrée. Cf. Maurice, Strat., VII, B, 11, 45-52. La cavalerie est alors démontée et les archers à pied repoussent les incursions de l’ennemi. À la différence de ces deux taxeis, la taxis epikampios opisthia est avant tout une formation offensive. 130 Voir sur ce point RANCE (2004b), 277 et (2017), 238-51. 128
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opisthia, l’infanterie doit former une triple phalange, dont les ailes sont repliées vers l’arrière, à angle droit par rapport au centre (fig. 61.1). Deux carrés d’infanterie forment les arrière-gardes latérales131. De chaque côté, un tagma de cavaliers vient se ranger entre les arrière-gardes et les flancs repliés132. Le reste de la cavalerie se déploie immédiatement derrière la phalange centrale133. Le fonctionnement de ce dispositif est exposé en détail. Lorsque l’ennemi renonce à engager l’armée romaine de front ou est repoussé manu militari par l’infanterie lourde, les cavaliers rangés derrière la ligne principale doivent rapidement passer entre les files des fantassins pour poursuivre (fig. 61.2). Les cinq premiers rangs des tagmata donnent la course au galop alors que les cinq rangs postérieurs suivent à distance, à une allure plus lente et en formation régulière, à la manière des defensores, bien que cette expression ne soit pas employée par l’auteur134. Les tagmata rangés à proximité des carrés d’arrière-garde quittent leur position et suivent le reste de la cavalerie, un peu en retrait, en protégeant ses flancs (fig. 61.3)135. En cas de contre-attaque ennemie, tous les cavaliers doivent se replier à l’intérieur de la formation, en repassant par les intervalles laissés libres entre les files des soldats (fig. 61.4). L’infanterie lourde resserre alors ses rangs et forme un foulkon défensif (fig. 61.5)136. Si l’ennemi cherche à atteindre la cavalerie depuis l’arrière, c’est-à-dire à encercler l’ensemble de l’armée, l’infanterie se divise en une double phalange (διφαλαγγία) et les cavaliers restent protégés au centre du carré (fig. 61.6)137. Pour empêcher la formation d’être observée de près par l’ennemi avant le combat, un mince rideau de cavalerie doit être déployé en avant des lignes d’infanterie ; à l’approche de l’adversaire, cette avant-garde de cavaliers, prélevée sur le premier rang de chaque tagma, doit se replier derrière l’infanterie138. Malgré le caractère original de ce chapitre, qui eut peut-être une existence autonome avant d’être intégré tel quel dans le Stratêgikon, la taxis epikampios opisthia n’était certainement pas une formation désuète au VIe s. : elle est décrite maladroitement par Théophylacte Simocatta à propos d’un engagement qui aurait opposé les Romains aux Avars sur la rive droite du Danube en 599139. 131
Maurice, Strat., XII, A, 7, 4-23. Ibid., XII, 1, 7, 36-8. 133 Ibid., XII, A, 7, 19. Cette ligne de cavalerie est fréquemment omise dans les propositions de reconstitution modernes car elle n’apparaît pas dans le diagramme du Laurentianus Graecus, 55, 4 (cf. fig. 62). 134 Ibid., XII, A, 7, 23-36. 135 Ibid., XII, A, 7, 38-41. 136 Ibid., XII, A, 7, 42-60. Sur le foulkon, cf. WHEELER (2004a), 355-8 ; RANCE (2004b), 266-85 ; JANNIARD (2010), 370-2. 137 Maurice, Strat., XII, A, 7, 61-7. 138 Ibid., XII, A, 7, 68-77. 139 Cf. Théophylacte, VIII, 2, 10-1. L’auteur décrit une armée rangée en trois phalanges jointives (ἐκτάξεις τρισὶ συστησάμενος φάλαγξι) : il s’agit là probablement des trois divisions d’infanterie constitutives de la taxis epikampios opisthia, avec centre avancé et ailes refusées. Dans la première phase de la bataille, les Romains (i.e. les cavaliers lancés à la poursuite des Avars ?) tentent de forcer le corps-à-corps avec leurs lances. Peu de 132
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Figure 61 – Déploiement de la taxis epikampios opisthia d’après le Stratêgikon.
Figure 62 – Diagramme de la taxis epikampios opisthia dans le Stratêgikon. Source : MAZZUCCHI (1981), 124. Reproduit avec l’aimable autorisation de Vita e Pensiero.
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Durant les campagnes du VIe s., l’importance prise par la cavalerie ne semble pas avoir d’impact sur le rythme de marche des armées mixtes. John Haldon note que les corps expéditionnaires byzantins parcourent en moyenne 19 à 23 kilomètres par jour, ce qui correspond à la norme généralement admise pour les armées romaines de la République et du HautEmpire140. Dans les faits, les données fournies par les sources varient du simple au double. En 533, l’armée de Bélisaire en Afrique avance à un rythme de 80 stades par jour, soit environ 16,8 kilomètres141. Au lendemain de la bataille d’Ad Decimum, l’infanterie romaine, qui est à 35 stades du lieu de l’affrontement, rejoint la cavalerie qui cantonne à cet endroit, puis gagne Carthage dans la soirée142 : cela fait en tout 22 kilomètres143. Ce rythme semble régulièrement dépassé en cas de marche forcée. Durant la campagne de Callinicum en 531, le corps expéditionnaire de Bélisaire parvient ainsi à talonner l’armée de cavalerie d’Azarethès qui se retire vers la Mésopotamie. Lorsque les troupes sassanides ont atteint la rive opposée de Callinicum, les Romains sont à Sura (actuelle Al Mansurah), à 25 km144. Le lendemain, ils ont atteint les environs de Callinicum, au plus tard dans l’après-midi145. De la même manière, lors de la campagne de Narsès et Khusro en territoire perse (591 ap. J.-C.), l’armée romaine de Mésopotamie se rend du Mygdon au Tigre en trois jours, parcourant en tout une distance d’environ 100 kilomètres, à raison d’une cadence moyenne de 33 kilomètres par jour146. Il semble toutefois difficile de
temps après cet engagement (visiblement infructueux), Priscus fait ranger son armée en une seule « conjonction » (μίαν σύννευσιν […] διακεκοσμηκότων τὴν ἔκταξιν), de manière à pouvoir combattre en formation carrée (καὶ τετραπλεύρῳ μάχῃ), « par peur pour les retranchements » (φόβῳ τοῦ χάρακος), dont il envisage ainsi de garantir la « sécurité » (ἀσυλίαν). Le passage d’une formation triple à une formation rectangulaire suggère qu’après l’échec du premier assaut des lanciers, les Romains ont dédoublé leur phalange centrale pour protéger complètement leur train de bagage qui avait par ailleurs été fortifié à la hâte au moyen d’une palissade (χάραξ). Théophylacte, qui est ici peu clair, confond peut-être la base stratégique que les Romains avaient établie sur la rive droite du Danube avec un dispositif défensif temporaire qui fut érigé durant la bataille, alors que les Romains s’enfonçaient en territoire avar. Voir en ce sens SYVÄNNE (2004), 479. 140 HALDON (1999), 165. 141 Procop., Bell., III, 17, 7. Le stade romain mesure normalement 185 mètres, mais durant l’Antiquité tardive (et notamment chez Procope), il équivaut à 210-211 mètres, soit 1/7 de mille et non 1/8 comme chez Strabon et Pline l’Ancien. Voir notamment Procop., Bell., V, 11, 2 (avec FEISSEL [2002]). 142 Procop., Bell., III, 19, 1 et 20, 1. 143 Cf. ibid., III 17, 17 : selon Procope, 70 stades séparent Ad Decimum de Carthage. 144 Ibid., I, 18, 13-4. 145 Ibid., I, 18, 35. 146 Théophylacte, V, 5, 3-4.
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dépasser ce seuil dans des conditions ordinaires, sans prendre le risque d’épuiser les soldats. C’est la raison pour laquelle les missions nécessitant le plus de mobilité sont confiées à des partis de cavaliers détachés du reste du corps expéditionnaire. À la fin de l’année 533, après la bataille de Tricamarum, Bélisaire détache Jean l’Arménien avec 200 cavaliers pour capturer Gélimer ; ces derniers chevauchent sans discontinuer pendant cinq jours et cinq nuits entre le site de la bataille et les environs d’Hippone147. Au printemps 538, alors que les Goths viennent d’abandonner le siège de Rome et se dirigent vers Ariminum, Bélisaire, qui talonne l’armée gothique depuis la Ville, décide d’envoyer en avant sa cavalerie pour qu’elle parvienne à Ariminum avant les barbares148. Durant la campagne de 587 contre les Perses, les Romains, qui occupent le fort de Matzaron (actuelle Maserte / Ömerli) envoient, de nuit, des cavaliers à marche forcée contre le fort perse Beïudaes-Sina Iudaeorum (actuelle Beşikkaya / Fafi) qui n’est pas protégé149. Ces opérations de moyenne envergure impliquent certainement l’utilisation de montures surnuméraires, prélevées sur le reste de l’armée. C’est ce qu’indique clairement le Stratêgikon dans le chapitre consacré à la remonte (Περὶ ἀδεστράτων) : « il est nécessaire que les soldats emportent avec eux des chevaux de remonte dans les incursions (κούρσοις) et les missions de reconnaissance (σκούλκαις) ; ces derniers doivent être ménagés et rester en vigueur jusqu’au jour de la rencontre »150. Le risque est que les chevaux, épuisés et insufisamment nourris, soient inutilisables pour le combat, comme le confirment plusieurs exemples contemporains151. 147 Procop., Bell., IV, 4, 9 et 14. L’itinéraire total, en passant par Membressa et Bulla, tel que l’a reconstitué WINKLER (1894), 360, s’étendait sur 262 km selon la base de données cartographique Orbis (Stanford University). Dans l’hypothèse, hautement improbable, d’un trajet direct, sans encombre ni détour, la cavalerie de Jean aurait parcouru environ 50 km par jour. 148 Cf. Procop., Bell., VI, 11, 4. Plus loin, en IV, 11, 8-9, l’auteur précise que les cavaliers romains empruntèrent la via Flaminia et arrivèrent bien avant les barbares, car ces derniers étaient beaucoup plus nombreux et faisaient de longs détours pour éviter les forteresses tenues par les Romains. Le tronçon de la via Flaminia reliant Rome à Ariminum fait 401 km selon Orbis. Ce passage suggère donc que sur une telle distance, la cavalerie romano-byzantine pouvait être plus rapide que l’infanterie, sinon Bélisaire n’aurait pas pris la décision de détacher uniquement des troupes montées de son corps d’armée principal. 149 Théophylacte, II, 18, 8-25. 150 Maurice, Strat., V, 2, 8-11 : ἐν μὲν τοῖς κούρσοις ἢ σκούλκαις ἀναγκαῖον ἔχειν τὰ ἀδέστρατα τοὺς στρατιώτας, καὶ μέχρι δὲ καὶ αὐτῆς τῆς ἡμέρας τῆς συμβολῆς πεφεισμένα καὶ ἐν δυνάμει. 151 Cf. e.g. Procop., Bell., VIII, 14, 44 et 27, 13-7.
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Récemment, Florin Curta a supposé que ce modèle de raid mobile pouvait être appliqué à de véritables armées de manœuvres, dans une logique d’imitation des pratiques nomades152. Il nous semble qu’un passage de l’Histoire de Théophylacte Simocatta appuie effectivement cette hypothèse. L’exemple en question renvoie à la campagne conduite en 586-587 par Comentiolus contre les Avars dans les Balkans153. Après avoir rassemblé son armée à Anchialos (Pomorié), le général romain divise son corps expéditionnaire en trois colonnes séparées : luimême commande le « centre », Martin dirige la « droite », et Castus, la « gauche »154. Cette dispersion a certainement pour objectif de permettre aux troupes, accompagnées d’une remonte importante, de s’approvisionner facilement et de progresser le plus rapidement possible afin de surprendre l’adversaire qui hiverne en territoire romain et n’est pas encore sur ses gardes. L’immense rapidité des partis de cavaliers de Comentiolus se vérifie aux lignes suivantes. Les troupes de Martin parviennent aux alentours de Tomis, à proximité de l’armée du khagan, sans se faire repérer ; elles préparent ainsi une embuscade et lancent une attaque-surprise contre elle, la mettant en déroute155. Il n’y a pas d’indication temporelle à ce moment précis, mais Théophylacte affirme que le cinquième jour, les troupes de Martin parvinrent à faire parler un déserteur avar156. On peut donc déduire de cette information que le coup de main contre les Avars de Tomis eut lieu avant le cinquième jour de la campagne, et que les cavaliers de Martin mirent au maximum quatre jours pour atteindre Tomis depuis Anchialos. Les deux villes étant distantes d’environ 320 kilomètres, cela représenterait un rythme de marche moyen de 80 kilomètres par jour.
B. La guérilla de cavalerie, les embuscades et les opérations secondaires Signe de la plus grande confiance placée par les généraux dans la cavalerie, les opérations de petite guerre gagnent en importance dans les CURTA (2016), 88-9. Sur cette campagne : WHITBY (1988), 145-51 et WENDEL (2006). 154 Théophylacte, II, 10, 9 : καὶ τοῦ μὲν δεξιοῦ λόχου ταξιαρχεῖν Μαρτίνῳ παρεκελεύετο, Κάστον δὲ λοχαγὸν τοῦ ἑτέρου κέρατος προεστήσατο· τὸ δὲ μεσαίτατον τῆς δυνάμεως ὁ στρατηγὸς ἀνελάμβανεν. Les 6 000 soldats mobilisés dans ces opérations étaient probablement des cavaliers, cf. supra, p. 524. 155 Ibid., II, 10, 12. 156 Ibid., II, 10, 13. 152 153
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récits de campagnes des Ve et VIe s. Deux niveaux d’analyse peuvent être distingués. Le premier correspond aux coups de main qui ont lieu dans la proximité immédiate de l’armée principale. La cavalerie mène alors des combats d’avant-garde, des embuscades, en collaboration avec le reste du corps expéditionnaire dont elle est issue, sans trop s’en éloigner, de façon à ne pas laisser l’infanterie en situation de vulnérabilité. L’autre type d’opération s’applique aux raids de cavalerie à grande échelle, qui permettent à de véritables armées montées d’intervenir seules ou d’opérer à distance du corps d’armée principal, de manière à profiter pleinement de la mobilité conférée par le cheval. Dès lors, la suprise peut être obtenue au niveau opérationnel, dans le cadre de courses effectuées sur plusieurs centaines de kilomètres. Comme les combats d’avant-garde ont été évoqués dans la partie précédente à travers l’exemple de la campagne d’Ad Decimum, nous nous concentrerons ici sur les embuscades et sur la surprise opérationnelle. À petite échelle, les attaques suprise supposent d’amener des troupes adverses à l’endroit voulu, au moment désiré ; il est donc nécessaire que l’ennemi concentre ses efforts sur un point de fixation. Cela peut être une partie de l’armée romaine, ou bien une position stratégique importante (place forte, ville…) à proximité de laquelle des troupes seront placées en embuscade157. Dans le premier cas, le mode opératoire privilégié est la fausse fuite. Les récits militaires portant sur les Ve et VIe s. regorgent d’exemples de ce type de manœuvre. Pour n’en citer qu’un : en 504, le général Areobindus parvient à obtenir un succès majeur en Arzanène en leurrant ses adversaires ; après avoir pillé la province perse, il commande à une partie de ses soldats de simuler la fuite à l’arrivée de la cavalerie ennemie ; celle-ci poursuit de façon téméraire et finit par être contrechargée par l’armée romaine dissimulée ; 7 000 soldats perses seraient morts dans cette action158. La manœuvre en elle-même n’a rien d’une nouveauté et ressemble à quantité d’autres exemples rencontrés depuis l’époque républicaine. Au VIe s., ces embuscades semblent tellement galvaudées qu’il est nécessaire de rivaliser d’imagination pour tromper l’ennemi. Afin éviter d’attirer la suspicion de leurs poursuivants, les fuyards doivent montrer des signes de panique, au besoin en jetant derrière eux leurs équipements de valeur159. S’il est avéré que l’ennemi 157
E.g. Procop., Bell., I, 15, 10-7 (défense de Satala en 530). Plus d’exemples infra. Ps.-Josué, 75. Description théorique analogue dans Syr. Mag., Strat., 40, 3-9. 159 Ibid., 40, 19-28. Cela aura par ailleurs le bénéfice de désorganiser les poursuivants car certains d’entre eux s’arrêteront pour faire du butin et iront jusqu’à se battre pour obtenir les objets les plus précieux. 158
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projette de mettre en oeuvre une opération de ce type, il est aussi recommandé d’organiser une contre-embuscade (ἀντενέδρα)160. Une telle prudence s’explique facilement en raison des affrontements répétés avec les Huns, qui semblent avoir pratiqué cet art avec prédilection. Le problème ne se posait d’ailleurs pas qu’aux Romains. Le roi sassanide Péroz aurait ainsi été victime à deux reprises d’une fausse fuite orchestrée par les Hephtalites161. Après sa mort lors de la seconde, les Perses établirent une loi interdisant la poursuite en territoire ennemi, même après une première action victorieuse162. Quant à l’empereur Maurice, il s’inspira manifestement des mêmes Huns pour la conception de la « double embuscade » qu’il recommande dans son traité163. Outre la fuite simulée, un autre procédé très ancien et toujours employé à l’époque tardive consiste à attendre que l’ennemi se déplace de luimême dans un endroit à proximité duquel des troupes auront été préalablement embusquées. La cavalerie peut ainsi se cacher en bordure de l’itinéraire qui doit être emprunté par l’ennemi lors de sa marche, ou camper à proximité d’un piquet de fourrageurs. Le premier cas de figure est bien illustré par l’intervention d’un cataphractorum equitum cuneus placé en embuscade sur le chemin du retour d’une bande de pillards saxons en Gaule du Nord, en 370164. D’autres exemples plus tardifs issus 160
Ibid., 40, 29-33. Pour un exemple précis, cf. Soc., HE, VII, 20, 5-11 (422 ap. J.-C.). Procop., Bell., I, 3, 8-22 ; Théophane, Chron., AM. 5967 (474-475 ap. J.-C. ?) ; Procop., Bell., I, 4, 7-14 (484 ap. J.-C.). La deuxième fois, les Huns auraient dissimulé des tranchées à l’aide de roseaux pour tromper les Perses. Cf. GREATREX (1999), 47. 162 Procop., Bell., I, 4, 33. 163 Maurice, Strat., IV, 3, 2-20 : l’armée romaine doit creuser des tranchées qu’elle dissimule par la suite avec des branches, de la paille et de la terre ; des intervalles doivent être ménagés de manière à pouvoir laisser passer des troupes, avec des repères qui permettront de les identifier ; le gros de l’armée romaine se place devant les tranchées ; des troupes sont placées en embuscade sur les côtés ; lorsque l’ennemi charge, les Romains font semblant de fuir et passent entre les tranchées ; les poursuivants se laissent alors prendre au piège et se précipitent dans les fossés ; alors les Romains font volte-face et les soldats placés en embuscade surgissent sur les arrières de l’ennemi. L’auteur du traité fait explicitement référence au piège tendu par les Huns Hephtalites à Péroz en 484, mais il est difficile de croire que les Romains aient pu concevoir un tel stratagème comme une véritable nouveauté au VIe s. Voir déjà Polyaen., Strat., II, 2, 9, Jul. Afr., Kest., I, 11, 44-9 et surtout Dio, LXXVI (LXXV), 6, 3-6 (bataille de Lyon, 197 ap. J.-C.). 164 Amm., XXVIII, 5, 5-7 (trad. M.A. Marié modifiée) : « des fantassins secrètement envoyés tendirent des embûches (insidias) dans une vallée retirée (in abdita quadam ualle) d’où ils pouvaient sans grand embarras attaquer les Saxons au moment de leur passage. Mais l’évènement fut bien loin de répondre à l’attente. […] ébranlés par de lourdes pertes, ils auraient succombé jusqu’au dernier, si une compagnie de cavaliers cuirassés (cataphractorum equitum cuneus), postée de manière identique de l’autre côté, auprès d’une bifurcation (alio latere prope diuortium itineris pari modo locatus), pour mettre en fâcheuse posture les barbares au moment de leur passage, n’était vivement venue à la 161
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des Guerres de Procope montrent que les défilés sont des lieux privilégiés pour l’organisation de ce type de coup de main165. Les zones fourragères et les pâturages sont aussi particulièrement appréciés, car l’ennemi y est toujours très vulnérable. En 548, lors de la campagne de Dagisthaeus en Lazique, les Romains parviennent ainsi à surprendre une armée perse et à lui enlever ses chevaux166. De façon générale, la topographie joue un rôle crucial dans le succès de ces opérations de petite guerre. L’armée doit disposer d’une bonne connaissance du terrain et de la situation de l’adversaire, en interrogeant notamment les prisonniers faits lors des escarmouches et les habitants de la région. Elle doit contrôler les couverts boisés et les éminences, qui peuvent servir de point d’attaque et de repli. Les opérations conduites par Théodoric lors de sa marche vers le Nouvel Épire en 479 révèlent bien ces enjeux : craignant d’être attaqué lors de la traversée d’un défilé, celui-ci envoie sa cavalerie sécuriser les hauteurs ; depuis leur position avantageuse, les troupes ostrogothiques mènent des raids contre les garnisons qui se trouvent dans la région, faisant opportunément diversion à un moment où l’armée barbare est très vulnérable167. C’est à Sylvain Janniard que revient le mérite d’avoir pointé l’imitation des pratiques nomades par les Romains dans un champ de l’art militaire qui ne se limite pas seulement à la tactique : à partir du Ve s., les sources révèlent l’intervention de troupes impériales dans le cadre d’opérations à long rayon d’action destinées à surprendre l’adversaire168. La formule n’est pas fondamentalement nouvelle et l’on se souvient de l’action conduite par L. Minucius Basilus contre Ambiorix durant la guerre des Gaules en 53 av. J.-C. (cf. supra, p. 107). Par ailleurs, l’absence d’exemples avérés pour le Haut-Empire ne doit pas amener à conclure que les généraux romains de l’époque n’avaient jamais recours à ce type de manœuvre. Cependant, il semble bien que les attaquessurprise à grande échelle étaient plus répandues dans l’Antiquité tardive que durant les périodes précédentes. Le premier exemple dont nous disposons se rapporte à la guerre de Théodose II contre l’usurpateur Jean, en 424. Selon Olympiodore, l’expédition organisée par l’empereur fut rescousse, alertée par leurs cris de détresse. Alors la rencontre se fit plus violente et, leur courage raffermi, les Romains massacrèrent en les pressant de tous côtés les ennemis encerclés (clausos hostes), l’épée au clair : aucun d’entre eux ne put revoir son foyer natal, pas un seul n’eut loisir de survivre au massacre de ses camarades. » 165 Cf. Procop., Bell., IV, 10, 5 et 13, 2-4. 166 Ibid., II, 30, 22. 167 Malchus, fr. 20, l. 100-9. Cf. Id., fr. 20, l. 178-83. 168 JANNIARD (2015), 271-2.
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confiée au magister militum Ardabur et à son fils, le comes rei militaris Aspar. Les deux généraux traversèrent l’Illyricum et s’emparèrent de Salone. À partir de cette ville, Aspar, à la tête de la cavalerie, « échappa à l’attention [de l’ennemi] par la rapidité de son avancée (τῷ τάχει τῆς ἐφόδου κλέψας τὰς αἰσθήσεις) et prit le contrôle d’Aquilée »169. Loin de contredire Olympiodore, le comte Marcellin souligne que la victoire fut obtenue « grâce à la ruse d’Ardabur et d’Aspar plutôt qu’à la force des armes »170. L’itinéraire le plus direct entre Salone et Aquilée, empruntant la via Flavia, totalise environ 400 kilomètres. Le fait qu’Aspar soit parvenu à avancer aussi rapidement sur une distance aussi importante suggère l’utilisation d’une remonte nombreuse, et probablement d’une armée mobile composée essentiellement de cavaliers fédérés, rompus à la pratique de la guerre-éclair nomade171. À l’autre extrémité chronologique de la période ici étudiée, nous retrouvons une opération comparable avec le raid mené par l’armée de Martin depuis Anchialos contre l’armée avare stationnée à Tomis : là encore, rapidité et surprise se conjuguent dans le cadre d’une attaque dont le succès fut complet et ne coûta aucune 169 Olympiodore, fr. 43, 2 : Οἳ δὴ καὶ συνεπαγόμενοι Πλακιδίαν τε καὶ Οὐαλεντινιανὸν καὶ τούς τε Παίονας καὶ τοὺς Ἰλλυριοὺς διελάσαντες, τὰς Σάλωνας, πόλιν τῆς Δαλματίας, ἀναιροῦσι κατὰ κράτος. Ἐντεῦθεν ὁ μὲν Ἀρδαβούριος νηΐτῃ στόλῳ κατὰ τοῦ τυράννου χωρεῖ. Ὁ δὲ Ἄσπαρ τὴν ἱππικὴν δύναμιν συναναλαβὼν καὶ τῷ τάχει τῆς ἐφόδου κλέψας τὰς αἰσθήσεις, τῆς Ἀκυληΐας μεγάλης πόλεως ἐγκρατὴς γίνεται, συνόντων αὐτῷ Οὐαλεντινιανοῦ τε καὶ Πλακιδίας. 170 Marc. Com., Chron., s.a. 425, 1 : Suprafatus Iohannes dolo potius Ardaburis et Asparis quam uirtute occiditur. Jugement identique dans Jord., Rom., 327 (à cette différence près que Jean est remplacé par Aetius) : Quem et dolo potius Asparis et Ardaburis quam uirtute Aetii superant. 171 Sur Aspar, cf. PLRE, II, s.n. « Fl. Ardabur Aspar », p. 164-9. Comes rei militaris entre 424 et 434, puis magister militum praesentalis de 434 à 471, Aspar fut chargé de lutter contre la grande incursion d’Attila en Thrace de 447 (cf. Priscus, fr. 9, 4 = Théophane, Chron., AM. 5942, p. 159). Durant ces opérations, Priscus précise que l’empereur « envoya Aspar – avec la troupe soumise à son autorité (σὺν τῇ ὑπ’ αὐτὸν δυνάμει) –, Areobindus et Argagisclus contre Attila ». La formulation laisse penser qu’Aspar avait sous son commandement une armée disposant d’un statut particulier, peut-être des fédérés ou des bucellaires dépendant directement de sa personne. L’empereur voulait-il renouveler l’expérience de 424 en mobilisant, à côté de l’armée régulière conduite par Areobindus et Argagisclus, une armée de cavalerie censée opérer rapidement et secrètement sous les ordres d’un général alain ? C’est une possibilité. Dans tous les cas, les troupes d’Aspar furent incapables d’emporter des succès comparables en 447. Par la suite, l’armée privée d’Aspar refait surface dans le contexte de l’année 467. Priscus (fr. 49) évoque à plusieurs reprises ceux qu’il nomme οἱ Ἄσπαρος, les « hommes d’Aspar ». Il cite en particulier un certain « Chelchal, homme de race hunnique et lieutenant général de l’état-major des unités d’Aspar » (Χελχάλ, τοῦ Οὔννων γένους ἀνὴρ καὶ ὑποστράτηγος τῶν διεπόντων τὰ Ἄσπαρος τάγματα). MAENCHEN-HELFEN (1967), 168 pense qu’il s’agissait de bucellaires.
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perte à l’état-major impérial172. D’autres exemples pourraient faire l’objet d’une discussion mais ne nous semblent pas exactement correspondre au même type d’opération173.
C. La reconnaissance armée, le renseignement et la contre-guérilla Dans un contexte où les attaques surprise et les détachements mobiles sont une menace permanente pour les armées de campagne, les Romains semblent s’être particulièrement employés à renforcer leur système de reconnaissance174. Sylvain Janniard note que « les traités tactiques tardifs insistent ainsi, avec une force sans parallèle connu pour les époques antérieures, sur le rôle essentiel de la recherche la plus précise possible du renseignement »175. Les indices de ce phénomène ne se retrouvent pas uniquement dans la littérature technique ; les sources narratives illustrent également la grande prudence des généraux romano-byzantins. Lors de l’invasion de la Thrace par les Huns Koutrigours à l’hiver 558-559, Agathias note que Bélisaire « envoyait souvent des éclaireurs pour qu’ils évaluent le nombre des ennemis et rapportent tout renseignement qu’ils pourraient obtenir. Ainsi il réussissait à tout bien connaître et à juger de la situation. »176. Toute négligence de la reconnaissance et des actions de renseignement opérationnel contre les cavaliers nomades se paye au 172
Théophylacte, II, 10, 9-12 (cf. supra, p. 600). Soc., HE, VII, 20, 3-11 n’implique nullement de longs déplacements de troupes et correspond plutôt à la définition de la contre-embuscade donnée par Syrianus Magister dans son traité (cf. supra, p. 602). Malchus, fr. 20, l. 226-48 (avec Marc. Com., Chron., s.a. 479, 2) évoque un grand mouvement enveloppant, opéré par une armée d’infanterie dissimulée, à travers des montagnes, mais la cavalerie demeure en présence de l’ennemi durant toute l’opération. D’autres exemples s’apparentent plus à des opérations commando ou à des attaques nocturnes : Procop., Bell., II, 30, 34-44 ; Théophylacte, II, 18, 8-25 et VI, 7, 1-4 ; Théophane, Chron., AM. 6115 (p. 311). Cf. Maurice, Strat., IX, 2. 174 Sur la question, voir : AUSSARESSES (1909), 27 ; EZOV (2000), 312-5 ; SYVÄNNE (2004), 96-100 ; RANCE (2014) ; JANNIARD (2010), 83-100. 175 ID. (2015), 272 (citant des références chez Végèce et au sein du Stratêgikon, auxquelles il convient d’ajouter Syr. Mag., Strat., 20, 28-44). Sur les développements consacrés aux patrouilles de reconnaissance dans la littérature militaire antérieure, voir EZOV (2000), 303 : « a systematic discussion of intelligence-gathering techniques and management of intelligence campaigns is almost entirely absent from this literature, or occupies only marginal place. […] The question of intelligence, it seems, was perhaps taken for granted, or did not appear sufficiently important to merit an essay of its own, or it was too trivial for a methodological chapter. » 176 Agathias, V, 16, 4 (trad. P. Maraval) : κατασκόπους θαμὰ ἔστελλε, τὰς τῶν ἐναντίων δυνάμεις εἰκάσοντας ὡς οἷόν τε καὶ ἐξαριθμησομένους καὶ εἴ τι ἕτερον ἑλεῖν δυνηθεῖεν ἀπαγγελοῦντας· οὕτω τε διετέλει ἕκαστα γνωματεύων καὶ διανοούμενος. 173
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prix fort. En 593, après avoir remporté un premier succès contre les Avars, Théophylacte Simocatta raconte que les Romains sombrèrent dans l’indolence et se mirent à négliger les patrouilles ; il n’en fallut pas davantage pour convaincre les barbares de les attaquer par surprise177. L’organisation des partis de reconnaissance armée est longuement décrite par les auteurs militaires byzantins qui emploient diverses expressions pour désigner les éclaireurs. Dans un passage du Stratêgikon, Maurice, affirme que « les éclaireurs (κατάσκοποι) sont appelés σκουλκάτορες »178, mais il revient plus loin sur les différences qui permettent de distinguer les deux catégories tout en précisant qu’il en existe une troisième, celle des exploratores : « Il appartient aux éclaireurs (κατασκόπων) de reconnaître (κατασκοπεῖν) avec perspicacité et vigilance les positions et les mouvements de l’ennemi. Ils doivent être armés à la légère et se déplacer sur des chevaux rapides. Pour leur part, les exploratores (ἐξπλοράτορας) doivent avoir beaucoup d’assurance et se fondre dans l’ennemi (συνδιατρίβειν τοῖς πολεμίοις), comme s’ils pouvaient être considérés comme appartenant à la même race. Quant aux sculcatores (σκουλκάτορας), ils doivent évidemment être loyaux ; ils doivent se distinguer de la multitude des soldats par leur apparence physique, leur vivacité d’esprit, leur armement et leur courage, afin que, ayant accompli quelque haut fait contre l’ennemi ou, ayant été capturés par ces derniers, ils soient source d’admiration. L’officier responsable de la patrouille (ἄρχοντα τῆς σκούλκας) ne doit pas être choisi au hasard ; il doit être vigilant, intelligent et expérimenté. Car cette tâche ne requiert pas autant de courage que d’intelligence et de vigilance. Les éclaireurs (κατασκόπους) doivent être envoyés seuls tant que les rapports indiquent que l’ennemi se trouve loin, et que le général désire être informé sur les mouvements de l’adversaire, sur la localisation des routes ou des positions avantageuses. Cependant, lorsqu’une incursion (ἐπιδρομή) doit avoir lieu pour s’emparer de quelque chose, alors ces derniers sont mêlés (ἀναμεμιγμένους) avec des sculcatores : ils doivent chevaucher en avant et reconnaître les territoires inexplorés et les sculcatores doivent les suivre en se laissant guider par eux. »179. 177
Théophylacte, VI, 9, 14-5. Pour un autre exemple, cf. Agathias, I, 14, 4-7. Maurice, Strat., I, 3, 36 : Σκουλκάτορες οἱ κατάσκοποι λέγονται. 179 Ibid., IX, 5, 51-67 : Ἴδιον κατασκόπων ἐστὶ τὸ φρονήσει καὶ ἀγρυπνίᾳ τόπους τε καὶ κινήσεις πολεμίων κατασκοπεῖν. Τοὺς δὲ τοιούτους ἐλαφρᾷ ὁπλίσει χρᾶσθαι καὶ ἵπποις ὁδεύειν ταχέσι καὶ τοὺς μὲν ἐξπλοράτορας ἀδεέστερον συνδιατρίβειν τοῖς πολεμίοις, ὡς ὁμογενεῖς αὐτοὺς εἶναι νομίζεσθαι. Τοὺς δέ γε σκουλκάτορας πιστοὺς εἶναι, καὶ εἴδει σώματος καὶ ψυχῇ καὶ ὁπλίσει ἀνδρείους τε καὶ τῶν λοιπῶν στρατιωτῶν διαφέρειν, ὥστε ἢ δράσαντάς τι γενναῖον κατὰ τῶν ἐχθρῶν ἐπανελθεῖν, ἢ ζωγρηθέντας παρ’ ἐκείνοις θαυμάζεσθαι. Τὸν δὲ ἄρχοντα τῆς σκούλκας ἄγρυπνον καὶ φρόνιμον καὶ ἔμπειρον ἐπιλέγεσθαι, καὶ μὴ τὸν τυχόντα· οὐδὲ γὰρ τοσοῦτον ἀνδρείας, ὅσον φρονήσεως καὶ ἀγρυπνίας δεῖται ἡ τοιαύτη χρεία. Χρὴ τοὺς κατασκόπους μόνους μὲν ἀποστέλλεσθαι, πόρρωθεν ἔτι τῶν πολεμίων ἀπαγγελλομένων, ἡνίκα 178
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Il n’existe a priori aucune équivoque possible concernant les exploratores : ce terme qui renvoyait sous la République et le Haut-Empire aux éclaireurs de façon très englobante, s’applique désormais uniquement aux espions, qui opèrent seuls, en infiltrant l’armée ennemie180. À l’époque de Maurice, la mission d’exploratio proprement dite est désormais confiée aux kataskopoi et aux sculcatores. Les premiers sont chargés d’obtenir le renseignement opérationnel en chevauchant au contact du « brouillard de guerre ». Légèrement équipés, ils opèrent seuls si l’armée ennemie se trouve raisonnablement loin. Dans le cas contraire et dans les opérations impliquant des engagements violents, ils sont accompagnés par des cavaliers d’élite, les sculcatores, qui les suivent à distance, en formation régulière, pour les protéger181. L’auteur du Stratêgikon insiste beaucoup sur les qualités physiques et morales de ces hommes qui doivent être à la fois vifs, perspicaces, courageux et honnêtes182. Pour les raids et les opérations de reconnaissance armée, c’est-à-dire les actions susceptibles de dégénérer en affrontement, Maurice recommande de ne pas prélever les éclaireurs sur plusieurs unités, mais de détacher des tagmata entiers ou éventuellement des subdivisions de tagmata placées sous le commandement d’un ilarque ou d’un dékarque183. Le recours à certains βούλεται μαθεῖν ὁ στρατηγὸς ἢ κίνησιν ἐχθρῶν ἢ θέσεις ὁδῶν ἢ τόπων ὀχυρῶν. Ὅταν δὲ ἐπὶ τὸ κατασχεῖν τινας ἡ ἐπιδρομὴ ᾖ, ἀναμεμιγμένους τούτους τυγχάνειν τοῖς σκουλκάτορσι, καὶ αὐτοὺς μὲν προεκτρέχειν καὶ ἐξ ἀπόπτων χωρίων κατασκοπεῖν, ἕπεσθαι δὲ αὐτοῖς τοὺς σκουλκάτορας ὁδηγουμένους παρ’ αὐτῶν. Ce passage se retrouve à l’identique dans DMS, 14 (éd. Muller p. 122, l. 14-23). 180 On en trouve la confirmation dans Strat., IX, 5, 99-124 : Maurice utilise ce terme pour désigner une sous-catégorie des kataskopoi ennemis qui seraient susceptibles d’infiltrer le camp. Pour les débusquer, il faut, au signal de la trompette, ordonner à tous les soldats de regagner leurs tentes : ceux qui restent dehors sont alors arrêtés et interrogés. Ce type d’opération d’infiltration est bien décrit par Procope durant la guerre perse de Justinien en 530 : Bell., I, 15, 4-6. 181 Le grec σκουλκάτωρ est dérivé du latin exculcator. Cette expression désigne au IVe s. une catégorie d’élite de l’infanterie légère (Veg., Mil., II, 15, 6 et 17, 1), particulièrement représentée chez les auxilia palatina. Le verbe exculco (ex + calcare) a le sens commun de « tasser avec les pieds », « fouler aux pieds », « piétiner », mais, en contexte militaire, il pourrait avoir désigné plus spécifiquement l’action de « battre le pays ». Cf. RANCE (2014), 497. Le substantif exculcator est proche d’un autre dérivé de calcare, proculcator, que l’on retrouve une fois chez Ammien (XXVII, 10, 10) comme synonyme de procursator. En 532-536, le verbe skoulkeuô apparaît pour la première fois dans le Martyrium Sancti Arethae (§34), où il est utilisé pour décrire une reconnaissance conduite par des cavaliers. Dans les chapitres du De militari scientia relatifs au déploiement de l’ordre de bataille, tous les éclaireurs sont appelés sculcatores (voir notamment DMS, 5 et 6 [éd. Müller p. 119]). 182 Maurice, Strat., VIII, 2, 26. 183 Ibid., IX, 3, 62-6. Cette règle semble avoir été généralement observée durant les campagnes du VIe s. Voir le cas de l’armée de Bélisaire en Afrique, lors de sa marche vers
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contingents irréguliers est également attesté et les sources attirent l’attention sur l’excellence de certains peuples en la matière. En Orient les alliés arabes pouvaient renseigner efficacement l’état-major romain grâce à leur bonne connaissance de la région et à leur mode opératoire rapide et discret184. Occasionnellement, si les circonstances le nécessitaient, le général participait directement à ces patrouilles, mais la chose est fortement déconseillée par les stratégistes185. La mise en parallèle des informations contenues dans les traités militaires et les sources narratives permet d’obtenir une image relativement précise de l’organisation des patrouilles de reconnaissance. Les éclaireurs proprement dits (kataskopoi) opèrent le plus loin du corps expéditionnnaire, ordinairement à plus de quatre kilomètres186. Ils forment de petits pelotons de 20 à 70 soldats, fragmentés en sous-groupes qui se succèdent à intervalles réguliers187. Le Stratêgikon précise que lorsque le danger est réel, il est nécessaire d’envoyer plusieurs patrouilles (σκοῦλκαι) et dans plusieurs directions, en fonction de la configuration du terrain. Ces partis Carthage, en 533, supra, p. 591-2. Voir également, dans le cadre de la campagne de Narsès sur le Tigre en 591, Théophylacte, V, 5, 5-6. Cela dit, Maurice, Strat., IX, 3, 66-74 reconnaît qu’il peut être utile de recourir au panachage dans certaines circonstances, par exemple si les soldats de l’unité susceptible d’être mobilisée présentent majoritairement de mauvaises dispositions ou si les chevaux sont en mauvaise condition. Alors il faut sélectionner dans plusieurs tagmata les hommes dont le moral est le meilleur et dont les chevaux sont les plus aptes. Pour un exemple historique, cf. Agathias, IV, 16, 5 : l’auteur évoque une patrouille d’une quarantaine de cavaliers, « pas des gens issus de la multitude (τῶν πολλῶν), mais des personnes de haut rang (ἔξοχοι) et des chefs de bataillon (τάγμασιν ἐφεστηκότες) ». 184 E.g. Procop., Bell., II, 19, 26-8. Avant le déclenchement des opérations contre les Sassanides en 585, Philippicus détache des Saracènes fédérés en Perse pour faire des prisonniers et les interroger sur les plans de l’ennemi (Théophane, Chron., AM. 6078 [p. 255]). Théophylacte, II, 2, 5-6 rapporte des actions similaires lors de la campagne de l’année 586. 185 Le Stratêgikon est clair : « Le général ne doit pas prendre part personnellement aux raids (κοῦρσα) et aux autres entreprises téméraires (προπετεῖς ἐγχειρήσεις) » (VII, A, pr., 19-21). Mais certains généraux n’hésitent pas à déroger à cette règle en prenant parfois de gros risques. Lorsque Narsès s’avance avec des gardes pour trouver comment traverser une rivière près d’Ariminum, il manque de se faire intercepter par les Goths d’Usdrilas et est sauvé in extremis par l’intervention de ses symmachoi hérules : Procop., Bell., VIII, 28, 7-10. Maurice recommande de confier ces actions risquées à des officiers compétents (ἁρμοδίων ἀρχόντων). Un passage de la Johannide montre qu’il pouvait s’agir d’officiers supérieurs, cf. Cor., Ioh., VII, 374-80 (en l’occurrence le tribun Cecilidès). 186 Procop., Bell., III, 17, 2 affirme qu’à Ad Decimum, l’avant-garde de Jean se trouvait à 20 stades (= 4,2 km) du corps d’armée principal de Bélisaire. Le DMS, 5 (éd. Müller p. 119, l. 12) donne la limite supérieure : jusqu’à quatre ou cinq milles (c. 5,9-7,4 km). 187 Effectifs : Théophylacte, II, 8, 2 et VII, 4, 8 (20 soldats) ; Procop., Bell., III, 23, 5 (23 soldats) ; Agathias, IV, 16, 5 (pas plus de 40 soldats) ; Théophylacte, III, 7, 4 (50 soldats) ; Procop., Bell., IV, 13, 2 (70 soldats). Intervalles : Maurice, Strat., VII, A, 3, 2-3.
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doivent s’échelonner sur une longue distance : le groupe le plus éloigné ne doit pas consister en beaucoup d’hommes, le suivant doit en avoir plus, et le troisième encore plus188. Bien qu’il ne donne pas de chiffres précis, Maurice semble ici décrire une organisation comparable, sinon identique à celle qui est présentée par Nicéphore II Phocas dans son Peri paradromês : trois groupes de deux hommes, éloignés les uns des autres (tout en restant à portée de vue), ouvrent la marche ; deux groupes de quatre hommes suivent derrière eux ; puis un dernier groupe de six cavaliers, dont deux sont chargés de transmettre les messages à l’avant-garde, celle-ci assurant la transmission des informations au général (fig. 63)189. Les éclaireurs doivent être en mesure d’estimer le nombre des ennemis en relevant leurs empreintes et le moment de leur passage en inspectant les déjections animales et humaines190. Ils sont entraînés à capturer des prisonniers, et donc à se comporter comme à la chasse, en traquant leur proie sans être détectés191. Le rôle de l’avant-garde est de soutenir les kataskopoi, d’attaquer les troupes ennemies si la situation l’autorise, ou bien de ralentir leur avancée en escarmouchant. Les combats d’éclaireurs ont une importance cruciale et doivent être menés avec la plus grande prudence : si la cavalerie romaine est mise en déroute, le corps expéditionnaire principal risque de se retrouver à la merci des partis de harcèlement ennemis. D’après Procope, l’armée de Bélisaire fut en passe de courir ce péril à Ad Decimum, en 533 : dans la dernière phase de la bataille, l’avant-garde romaine fut repoussée par les Vandales et ne dut son salut qu’à la temporisation de Gélimer, qui renonça à poursuivre les fuyards afin de pouvoir chercher le corps de son frère Ammatas, tombé dans un précédent combat192. Il est cependant évident que, face au développement des forces d’archerie montée, le danger était devenu suffisamment grand pour que des auteurs réfléchissent aux dispositions d’urgence que pouvait prendre une armée complètement encerclée. Dans
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Ibid., IX, 5, 68-74. Voir également DMS, 14 (éd. Müller p. 122, l. 24-p. 123, l. 8). Les Perses n’opéraient pas différemment : cf. Procop., Bell., II, 30, 37-8. 189 Niceph. Phoc., Peri parad., 9, 1-4. AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 317-8 décrit un système de reconnaissance comparable, avec un peloton de 50 soldats echelonnés en profondeur. En cas d’attaque ennemie, la retraite se fait par échelons, chaque ligne se retirant derrière la suivante avant de faire halte pour laisser à celle-ci le temps de faire de même. Si une information importante est acquise, un cavalier rapide est détaché vers l’armée principale pour informer le général. 190 Maurice, Strat., IX, 5, 77-82. 191 Ibid., IX, 5, 85-95. L’opération est décrite avec une grande précision par Cor., Ioh., VII, 455-71, dans un passage à la gloire du tribun Cecilidès. 192 Procop., Bell., III, 19, 14-32.
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Figure 63 – Organisation schématique des partis de reconnaissance dans les armées romano-byzantines.
son pamphlet intitulé Epitêdeuma (« invention »), un contemporain du règne d’Anastase (491-518), Urbicius, propose une solution tactique originale193. L’armée doit se ranger en formation carrée (κατὰ τετράγωνον σχῆμα)194. Les colonnes latérales doivent être accompagnées d’animaux portant des chevaux de frise (κανόνες), à raison de trois pièces par decania / contubernium195. Lorsque l’ennemi approche, les soldats quittent leurs rangs pour placer ces obstacles et former une barrière autour de l’armée196. Quand les barbares lancent leur charge (προσβολή), ceux qui se considèrent comme les premiers parmi les barbares (τὰ πρῶτα τῶν βαρβάρων) et qui sont 193 Cf. GREATREX ET AL. (2015). Dans sa célèbre somme sur l’art de la guerre au Moyen-Âge, C. Oman avait déjà attiré l’attention sur ce pamphlet, qu’il pensait symptomatique de la montée en puissance de la cavalerie : OMAN (1898, 1924 2e éd.), 23-4. 194 Urb., Epit., 3. 195 Ibid., 4. 196 Ibid., 5.
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habitués à charger en avant (προκατελαύνειν) sont censés être arrêtés par les chevaux de frise, frappés par les flèches romaines et piétinés par les cavaliers des rangs postérieurs197. Urbicius recommande aussi d’utiliser des balistes, qui, selon lui, permettent d’atteindre les ennemis de très loin198. Si ces derniers tentent de démonter pour retirer les chevaux de frise, les soldats romains doivent avancer et leur lancer des traits199. La cavalerie ennemie mise en fuite, les soldats romains peuvent alors dépouiller les cadavres, récupérer leurs lances et retirer les chevaux de frise200.
D. Le rôle de la cavalerie dans la prise et la défense des places Consacrer une étude au rôle de la cavalerie durant les opérations de siège pourrait de prime abord sembler curieux. On considère généralement que les cavaliers sont inutiles pour prendre ou défendre des places fortes201. Pourtant, dans l’Antiquité, les troupes montées sont très souvent associées aux opérations de siège et nombre d’exemples montrent qu’elles pouvaient jouer un rôle essentiel dans ce type de situation. Nous avons déjà vu que, sous la République et le Haut-Empire, il arrivait que des partis de cavaliers soient détachés brusquement de leur corps expéditionnaire pour surprendre l’adversaire et ne pas lui laisser le temps d’organiser la défense de ses villes. Au cours de la guerre de Jugurtha et de la première guerre de Judée, la cavalerie romaine parvient ainsi à prendre, 197
Ibid., 7. Ibid., 8. 199 Ibid., 9. 200 Ibid., 10-1. L’utilité d’une telle formation est mise en doute par OMAN (1898, 1924 2e éd.), 24 et JANNIARD (2015), 210. Nous retrouvons pourtant exactement les mêmes recommandations dans un traité chinois rédigé à l’époque des Royaumes combattants (475-221 av. J.-C.), les Six arcanes stratégiques. Cf. LÉVI (2008), 274-5 (formation appelée « cage de survie »). L’auteur explique comment une armée d’infanterie doit réagir si elle est attaquée en rase campagne par une horde de cavaliers pratiquant le harcèlement à distance. Plusieurs éléments de l’Epitêdeuma se retrouvent dans sa description : formation en « carré » ; utilisation de chevaux de frise portatifs, placés vers l’extérieur ; recours à la puissance de feu et à l’artillerie pour repousser les incursions ennemies. 201 Dans sa récente synthèse sur la guerre de siège dans le monde romain, LEVITHAN (2013) n’accorde aucune importance significative à la cavalerie et juge « déconcertant » (« puzzling ») le fait que des cavaliers puissent attaquer une place fortifiée (p. 60, n. 48). Pour une étude plus large sur l’ensemble de la période antique, cf. KERN (1999), 165 (« Cavalry were of little use in siege warfare »). Concernant l’Antiquité tardive spécifiquement, cf. PETERSEN (2016), 126, n. 92 (« Cavalry was more useful chasing off raids than defending against set-piece sieges »). Le fait que des troupes montées ne puissent pas prendre d’assaut des murailles ou défendre une place forte contre un assaillant depuis un chemin de ronde ne signifie pourtant pas qu’elles ne sont d’aucune aide dans ce type de situation. Voir AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 13-4 et 398-9. 198
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seule ou accompagnée de troupes légères, des bastions ou des établissements urbains tenus par l’ennemi. Mais les exemples sont encore très rares. Aux Ve et VIe s., ce mode opératoire se systématise, probablement en lien avec les invasions hunniques, bulgares et avares, qui contribuent à remettre à l’honneur l’emploi des forces montées contre les places fortes202. La méthode adoptée, fondée sur la vélocité et la surprise, consiste à priver les villes et les forts de la possibilité d’organiser leur défense. Les garnisons capitulent soit par découragement, soit à la suite de négociations, soit au terme d’un assaut généralisé conduit rapidement, alors que les défenseurs ne sont pas encore assez nombreux pour repousser l’assaillant203. La prise de villes ou de forts par ces armées de cavalerie est donc un succès opérationnel plus que tactique. Une autre technique peut consister à attirer la garnison ennemie à l’extérieur, puis à la mettre en déroute et à la poursuivre jusque dans l’enceinte, avant que les défenseurs n’aient le temps de refermer les portes204. À une échelle plus modeste, il arrive aussi que des forces montées attaquent avec succès des camps temporaires, en surgissant à l’improviste, quand l’ennemi ne s’y attend pas : le cantonnement est alors encerclé et bombardé de traits, ce qui peut causer de très lourdes pertes si l’on en croit Agathias205. Quand bien même elle ne parviendrait pas à prendre directement un bastion, la cavalerie est toujours d’une grande utilité lorsque l’infanterie romaine organise des travaux d’investissement. Elle a alors pour mission d’empêcher les sorties de l’ennemi, notamment si celui-ci cherche à obtenir du ravitaillement, comme le décrit le Pseudo-Zacharie de Mytilène à l’occasion du siège d’Amida en 503 : après avoir massacré, par des embuscades répétées, les cavaliers perses détachés dans les villages alentour pour collecter des provisions, les Romains contraignent les défenseurs à renoncer à ce type d’action et les acculent à la famine206. 202
Cf. supra, p. 501 et s. Outre les exemples cités plus haut (voir notamment le cas de la prise d’Aquilée par Aspar en 424), cf. Agathias, IV, 15, 1-2 : raid de 2 000 cavaliers commandés par Elminsour (lieutenant de souche hunnique au service du magister militum Justin) contre Rhodopolis en Colchide en 556 ; les cavaliers parviennent à prendre la ville sans combat car les gardes perses se trouvaient alors à l’extérieur de l’enceinte et ne s’attendaient pas à une telle attaque. Voir aussi la prise de Singidunum par les Avars en 584 selon Théophylacte, I, 4, 1. 204 Il s’agit du stratagème envisagé par Bélisaire pour prendre Nisibe en 541. Cf. Procop., Bell., II, 18, 11-5 et Cor., Ioh., I, 56-67. 205 Cf. Agathias, IV, 14, 1-5 : lors des opérations en Lazique contre les Perses en 556, 300 cavaliers commandés par les tribuns Maxentios et Théodore parviennent ainsi à massacrer 500 Huns Sabirs dans leur propre camp. 206 Ps.-Zach., Chron., VII, 5a (trad. d’après R.R. Phenix et C.B. Horn) : « [Pharasmanès] arriva finalement à Amida avec cinq cents cavaliers et, surveillant les Perses qui se 203
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Remarquons par ailleurs que dans un dispositif de circonvallation, la cavalerie est toujours utile pour tenir des postes de garde qui s’échelonnent à intervalles réguliers au devant des fortifications ou pour porter secours rapidement à une partie de la ligne attaquée par une sortie des défenseurs207. Elle peut mener des raids dans les campagnes environnantes, à la fois pour affaiblir l’ennemi en dévastant ses territoires, pour faciliter le ravitaillement de l’armée romaine et, au besoin, pour défaire ou ralentir d’éventuelles troupes de secours envoyées par l’ennemi208. L’armée romano-byzantine semble avoir été capable de réaliser ce type d’opération avec une grande efficacité en Orient, ce qui mérite d’être noté dans la mesure où, au cours des guerres des IIIe et IVe s., l’armée perse restait généralement maîtresse du terrain et remportait la plupart des combats de cavalerie209. La cavalerie représente aussi un avantage réel en contexte défensif. En cas de menace d’encerclement, elle opère des sorties pour rompre l’étau adverse avant qu’il ne soit trop tard. C’est ce qu’elle parvient à faire avec succès en 355, alors que les Romains sont confinés dans leurs retranchements par les Alamans Lentiens : plusieurs attaques successives lancées par des unités montées de l’armée palatine (scutarii, armaturae, comites et promoti) jettent la panique chez l’ennemi qui renonce finalement à son entreprise210. On déduit facilement de ce passage que cette action a été possible dans la mesure où les Alamans n’avaient pas encore établi de ligne d’investissement autour du camp romain. Lorsque c’est le cas, il rendaient dans les villages, il en tua certains d’entre eux et s’empara du bétail qu’ils avaient avec eux ainsi que de leurs chevaux. » Immédiatement après cet épisode, Pharesmanès remporte un nouveau succès en attirant les 400 cavaliers d’Aglon (le général perse à la tête de la garnison d’Amida) dans une embuscade tendue par ses cavaliers, sur la foi de renseignements erronés qu’un notable local est allé donner aux Perses (ibid., VII, 5b). 207 AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 403-4. 208 Cf. Ps.-Josué 69, 75 et 79 (siège d’Amida en 504). 209 Au VIe s., il arrive parfois aux forces de cavalerie romaines d’être mises en déroute, mais généralement lorsqu’elles sont en situation d’infériorité numérique, ainsi lors du siège d’Onoguris, en 555. Alors que les Romains ont commencé à investir la place forte, les Perses envoient depuis Moucheirisis et Kotaïs un renfort de 3 000 cavaliers. L’étatmajor impérial détache alors 600 cavaliers, sous la direction de Dabragézas et Ousidardos, pour les retarder pendant que le reste de l’armée lance un assaut généralisé contre la forteresse (Agathias, III, 6, 9-12). Dans un premier temps, Dabragézas et Ousidardos parviennent à mettre la cavalerie ennemie en fuite (ibid., III, 7, 1-3). Mais la suite de l’opération est un échec : les Perses se rendent compte qu’ils n’ont pas été attaqués par l’ensemble de l’armée ennemie, mais seulement par un petit détachement. Ils font donc demi-tour et se mettent à poursuivre leurs assaillants qui se replient vers Onoguris (ibid., III, 7, 4-5). Les assiégeants paniquent et les assiégés opèrent une sortie au même moment. L’armée romaine, prise en tenaille, est mise en fuite. 210 Amm., XV, 4, 9-12.
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devient illusoire de rompre l’encerclement par une simple sortie et la présence d’une cavalerie nombreuse dans la place assiégée risque de consommer très rapidement les rares provisions disponibles. La solution privilégiée consiste alors à détacher les forces montées à l’extérieur du fort ou de la ville pour qu’elles puissent agir sur les arrières de l’attaquant tout en se ravitaillant sur le pays. L’un des exemples les plus éloquents concerne la tentative de siège de Satala par les Perses en 530211. Durant le siège de Phasis en 555-556, Justin applique la même tactique avec autant de succès212. Mais lors des sièges les plus importants qui ne peuvent pas être levés aussi facilement, la présence de cavaliers au sein de la place assiégée peut être utile pour harceler l’assaillant et accélérer son usure. On privilégie alors des sorties fréquentes, en petit nombre, contre des ennemis isolés ou peu préparés213. Au cours du siège d’Édesse par les Perses en 544, des cavaliers romains interviennent ainsi pour empêcher l’ennemi de s’emparer du bétail qui a été rassemblé par les défenseurs contre la muraille et pour l’empêcher de construire une rampe d’assaut214. Le siège de Rome par les Ostrogoths de Vitigès en 537-538 fournit l’exemple le plus abouti d’utilisation de la cavalerie dans ce type d’opération défensive215. Au début de l’année 537, Bélisaire ne dispose que de 5 000 soldats retranchés dans la Ville216. Conscient de l’écrasante supériorité numérique de ses adversaires, il ne souhaite pas risquer d’affrontement généralisé et se contente dans un premier temps d’attaquer les fourrageurs 211 Procop., Bell., I, 15, 10-7. Bouzès aurait envisagé le même stratagème pour défendre Hiérapolis en 540. Il décrit lui-même son plan dans un discours rapporté par Procope (ibid., II, 6, 6-8), ce qui montre que la pratique pouvait faire l’objet d’une théorisation. Voir également ibid., VI, 11, 6-7 : au printemps 538, Bélisaire recommande à 2 000 cavaliers présents à Ariminum de quitter la ville et de ne laisser en garnison qu’un bataillon de fantassins isauriens ; si les Goths décident d’investir la place, l’infanterie pourra subsister plus longtemps sur les provisions rassemblées dans la ville et les cavaliers, attaquant depuis l’extérieur, seront en mesure de contraindre l’ennemi à renoncer à son entreprise. 212 Agathias, III, 24, 8-26, 1. Le magister militum fait sortir 5 000 cavaliers pris parmi les hommes de Martin et les siens. Pendant que les Perses lancent un assaut général sur la ville, Justin déploie ses troupes embusquées en formation régulière et charge les Perses. Au même moment, les Romains opèrent une sortie depuis la ville. Les assiégeants abandonnent alors leurs lignes et sont mis en fuite. 213 Zos., IV, 22 (défense de Constantinople contre les Goths, 378 ap. J.-C.). 214 Procop., Bell., II, 26, 5-11 et 25-6. Dans le second passage, l’auteur rapporte les exploits d’un cavalier hunnique, Argek, qui serait parvenu à tuer 27 soldats perses lors d’une sortie. 215 Sur ce siège, on consultera BURY (1923), II, 180-95 ; SYVÄNNE (2004), 438-40 ; LILLINGTON-MARTIN (2013), 611-27 (surtout pour les questions topographiques). 216 Procop., Bell., V, 22, 17.
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ennemis en détachant ses cavaliers maures en petit nombre217. À la fin du printemps 537, Martinus et Valérien parviennent à Rome avec un renfort de 1 600 cavaliers huns, sclavènes et antes. L’armée impériale est dès lors en mesure de mener de véritables actions offensives218. Plusieurs sorties sont organisées afin d’user l’assiégeant. La première mobilise 200 bucellaires auxquels Bélisaire confie la mission d’attirer les Goths vers la muraille aurélienne pour les exposer aux tirs des balistes219. L’opération est réitérée deux fois les jours suivants220. 4 000 barbares perdent la vie durant ces affrontements. Galvanisée par ces succès, la population de Rome réclame une bataillée rangée. Au départ peu favorable, Bélisaire finit par céder à la pression de ses soldats. Un plan est mis sur pied : une armée constituée d’une première ligne de cavaliers et d’une réserve de fantassins doit engager l’ennemi dans le secteur de la porta Salaria pendant qu’un corps de cavalerie empêchera les Goths stationnés dans la Plaine de Néron de traverser le Tibre pour venir en aide à leurs camarades. Après des escarmouches qui durent toute la matinée, les Romains sont finalement repoussés et doivent fuir jusqu’aux murs de la Ville221. Ils se résignent à ne plus engager que des actions limitées222. Ces engagements permettent d’accroître les effets d’attrition dont pâtissent les assaillants. Ils se combinent parfois avec des manœuvres de diversion. Bélisaire déclenche plusieurs combats pour permettre à un représentant de l’empereur, placé sous escorte, de parvenir à Rome avec la solde destinée au corps expéditionnaire italien223. Des cavaliers sont détachés de la Ville pour réceptionner les renforts et les provisions envoyés par Justinien en Italie par le port de Naples224. Procope participe personnellement à cette mission et profite de la sortie pour envoyer une part importante de sa cavalerie dans les places fortes voisines de Rome, à Terracine, à Tibur et près de Saint-Paul-Hors-les-Murs, ordonnant à ces nouvelles garnisons périphériques d’attaquer de façon systématique les fourrageurs ennemis qui s’aventureront dans les parages pour collecter des approvisionnements225. Par leur situation géographique, ces trois bases permettent aux cavaliers qui s’y trouvent de couvrir facilement l’ensemble des plaines du Latium. Cette stratégie fonctionne si bien que l’ennemi commence à connaître la famine, alors que de nouveaux renforts impériaux arrivent en Italie226. Craignant que les Goths ne se portent vers ces derniers, Bélisaire déclenche à nouveau une sortie pour faire diversion : ce qui n’est 217
Ibid., V, 25, 9 et 17. Ibid., V, 27, 1-2. 219 Ibid., V, 27, 4-10. 220 Ibid., V, 27, 11-4. 221 Ibid., V, 28-9. 222 Ibid., VI, 1, 1. Procope affirme que durant la totalité du siège, il n’y eut pas moins de 67 combats livrés à l’extérieur des murs : ibid., VI, 2, 37. 223 Ibid., VI, 2, 9-24. 224 Ibid., VI, 4, 1-4. 225 Ibid., VI, 4, 5-15. 226 Ibid., VI, 5, 1 (3 000 Isauriens, 800 cavaliers thraces et 1 000 cavaliers de l’armée régulière). 218
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à l’origine qu’une opération destinée à tromper l’adversaire se transforme en succès stratégique majeur. Les Goths, s’étant lancés dans une poursuite téméraire depuis leur camp situé en face de la porta Pinciana, sont pris en tenaille par la cavalerie romaine et massacrés227. Voyant que la guerre a tourné en sa défaveur, Vitigès accepte de négocier. Cette série d’évènements montre bien à quel point la cavalerie peut affirmer son primat tactique au cours d’opérations de siège, reléguant l’infanterie à un rôle purement accessoire.
227
Ibid., VI, 5, 5-27.
CHAPITRE 3 L’ANATOMIE DU COMBAT DE CAVALERIE
Les sources du VIe s. sont suffisamment riches pour permettre une étude détaillée du déploiement, des tactiques et des modes de combat de la cavalerie romano-byzantine. Nous disposons en particulier d’un texte de première importance, le Stratêgikon1. Ce manuel d’instructions, attribué à l’empereur Maurice (582-602), consacre la plupart de ses développements à la cavalerie et aborde tous les échelons de l’activité militaire, de la stratégie de théâtre au combat. À la différence des traités tactiques d’inspiration hellénistique et de l’Epitoma rei militaris de Végèce, le Stratêgikon décrit un modèle parfaitement contemporain et retranscrit parfois des consignes directement issues de réglements militaires en vigueur à la fin du VIe s. L’auteur manifeste une solide connaissance du sermo castrensis et du vocabulaire technique qu’il ne cherche pas à dissimuler derrières des périphrases classicisantes2. C’est un fin tacticien qui n’hésite pas à illustrer ses explications par des diagrammes complexes ; mais il est aussi très attentif aux préoccupations des soldats et à leur psychologie. Ces caractéristiques, qui font du Stratêgikon une source inestimable, autorisent une analyse complète du déploiement tactique de la cavalerie romano-byzantine.
1
Bibliographie supra, p. 565, n. 2. Dans le prologue du Stratêgikon, Maurice délimite clairement les objectifs de son traité : apporter aux commandants inexpérimentés une connaissance de l’art de la guerre reposant à la fois sur les auteurs anciens et sur sa propre expérience. Il juge (sans les dénigrer) que les anciens tacticiens (τῶν τακτικῶν ἐκείνων καὶ ἀρχαίων θεωρημάτων) s’occupent de questions trop complexes, à peu près inintelligibles pour le profane. Il propose donc un « manuel élémentaire » ou une « introduction » (στοιχείωσιν ἤτοι εἰσαγωγήν) pour ceux qui se destinent au commandement. Son propos se focalise sur l’analyse des « faits » et recherche la « brièveté d’expression » (πραγμάτων δὲ μᾶλλον καὶ συντομίας λόγος γέγονεν). Voir RANCE (2017), 222-6. 2
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I – LA
GRANDE TACTIQUE
OU LA BATAILLE DU GÉNÉRAL
Comme son nom l’indique, le Stratêgikon privilégie le point de vue du général. Maurice donne des instructions sur la façon dont les troupes doivent être déployées et manœuvrées au combat. Ces indications, corroborées par les sources narratives, montrent que l’ordre de bataille a connu d’importantes évolutions dans le courant des Ve et VIe s.3.
A. L’évolution des ordres de bataille mixtes D’après l’auteur du Stratêgikon, un général doit veiller à ranger ses troupes de la même manière que celles de l’ennemi, infanterie contre infanterie, cavalerie contre cavalerie, infanterie légère contre infanterie légère4. Ce principe un peu abstrait (il a probablement été puisé chez un auteur militaire antérieur5) ne reflète plus tout à fait les conceptions qui régissent le déploiement des armées de campagne à l’époque protobyzantine. Deux principales configurations sont évoquées dans le traité attribué à Maurice : la première partie du livre est consacrée au fonctionnement d’une pure armée de cavalerie ; les derniers chapitres détaillent pour leur part l’organisation des armées mixtes. Le déploiement des troupes dépend donc de la composition du corps expéditionnaire et de la proportion, toujours variable, de cavaliers et de fantassins en son sein. Dans le cas où le général entend déployer une armée mixte, l’auteur conseille un dispositif classique, significativement appellé « ordre de bataille ancien » (ἀρχαία τάξις)6 : l’infanterie forme le centre et la cavalerie est rangée sur les ailes7. À partir de cette configuration initiale, plusieurs déclinaisons sont proposées (fig. 64). Les archers peuvent se déployer derrière la phalange des fantassins lourds, entre les cavaliers et l’infanterie lourde ou à l’extrémité du dispositif de bataille, à quelque distance des escadrons montés (dans ce cas 3 PERTUSI (1968), 658-62 et 672-5 ; MAZZUCCHI (1981), 125-31 ; RAVEGNANI (1988), 66-7 ; SYVÄNNE (2004), 118-32, 194-202 et 219-27 ; JANNIARD (2010), 147-55. 4 Maurice, Strat., VIII, 2, 18 : Πρὸς τὰς τῶν πολεμίων τάξεις τε καὶ δυνάμεις τῆς ἡμετέρας ἀντιτάττειν ὀφείλομεν, τουτέστι πεζοὺς πρὸς πεζοὺς, ψιλούς τε καὶ ἱππέας καὶ ὁπλίτας κατὰ τῶν ὁμοίων. 5 Cf. Onas., Str., 16. 6 Maurice, Strat., XII, B, prol., 5. 7 Ibid., XII, B, 13, 3-4 : Ὥστε εἰς τὰ ἄκρα τῆς πεζικῆς παρατάξεως τάσσεσθαι τοὺς καβαλλαρίους.
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Figure 64 – Ordres de bataille mixtes du Stratêgikon et du Peri stratêgias.
avec des fantassins lourds pour assurer leur protection)8. Une partie de la cavalerie est gardée en réserve, en face du train de bagage qui se trouve derrière l’ensemble du dispositif. Ces escadrons surnuméraires doivent, 8 Ibid., XII, B, 12. Selon Maurice, l’adoption d’un tel ordre de bataille implique que la cavalerie ne soit pas trop nombreuse : jusqu’à 3 000 / 4 000 cavaliers peuvent être positionnés sur chaque flanc, mais il n’est pas sûr d’en déployer davantage (XII, B, 23, 14-8). Concernant l’infanterie, l’auteur retient l’effectif idéal de 24 000 soldats (fantassins lourds et fantassins légers), mais il admet qu’ils peuvent être moins nombreux (XII, B, 8).
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au besoin, venir en aide aux parties du dispositif les plus menacées9. Les cavaliers disposés sur les ailes se contentent pour leur part de poursuivre l’ennemi si celui-ci est mis en déroute ; en cas de difficulté, ils ont pour consigne de se replier derrière la phalange10. Quant aux frondeurs, Maurice les place sur les flancs (ἄκρα) de la parataxis11. Dans un autre chapitre, le Stratêgikon propose une variante de cet ordre de bataille, appelée τάξις ἄλλη : le centre est occupé par une phalange de fantassins et les ailes par la cavalerie, mais cette fois-ci, une arrière-garde d’infanterie est posititionnée derrière chaque aile12. Les sources narratives corroborent parfaitement ces différentes versions de l’ordre traditionnel. La description de la bataille des Scalae Veteres (537 ap. J.-C.) par Procope fournit le meilleur exemple du premier déploiement13 : une ligne de chariots s’étend le long du front et toute l’infanterie (πεζοὺς πάντας : donc fantassins lourds et fantassins légers) est rangée en face d’elle, sous le commandement de Domnicus ; les meilleurs des cavaliers et ceux qui ont accompagné Germanus (le général en charge des opérations) depuis Byzance sont avec lui sur l’aile gauche. Tous les autres sont placés sur l’aile droite – ils ne forment pas un seul corps (à la différence de l’aile gauche ?), mais sont répartis en trois divisions (κατὰ λόχους τρεῖς)14. L’autre déploiement proposé par Maurice, avec les archers positionnés sur les flancs de la cavalerie, est illustré par l’ordre de bataille de Narsès à la bataille de Taginae / Busta Gallorum (552 ap. J.-C.)15. Ici, la topographie du site (une plaine étroite, située dans les Apennins, à proximité de Taginae / Gualdo Tadino)
9
Ibid., XII, B, 13, 7-9. Ibid., XII, B, 13, 17-9. 11 Ibid., XII, B, 12, 14-5. 12 Ibid., XII, A, 4. L’auteur ne précise pas comment cet ordre est supposé fonctionner ni quelle est son utilité. Selon SYVÄNNE (2004), 224-5, la taxis allê aurait permis de tromper l’adversaire, en mettant hors de sa vue une partie de l’infanterie présente sur le champ de bataille. 13 Procop., Bell., IV, 17, 3-6. 14 Ibid., IV, 17, 5-6 : Ildiger commande l’une, Théodorus le Cappadocien l’autre, et la division restante, qui est la plus importante, est confiée à Jean, frère de Pappus, avec trois autres (τέταρτος αὐτός : « lui-même le quatrième »). SYVÄNNE (2004), 467 propose de reconnaître dans cette division l’organisation tripartite du meros décrite par le Stratêgikon, avec defensores (moira / lochos de Jean) au centre et cursores (moirai / lochoi d’Ildiger et Théodorus) sur les flancs. Il s’agit d’une pure spéculation. 15 Sur cette bataille : OMAN (1898, 1924 2e éd.), 32-5 ; BURY (1923), II, 261-9 ; DELBRÜCK (1902, 1990 trad. angl.), II, 351-61 ; HALDON (2001), 37-40 ; SYVÄNNE (2004), 472-3 ; RANCE (2005). 10
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semble jouer un rôle plus important qu’aux Scalae Veteres (fig. 65)16. Au centre, Narsès stationne ses troupes lombardes et hérules, qu’il a préalablement fait démonter17 ; la cavalerie est positionnée sur les ailes gauche et droite18 ; 8 000 archers à pied sont déployés plus loin, sur les flancs du dispositif, en avant par rapport aux autres unités – ils donnent à la ligne une forme en croissant19 et se tiennent probablement dans les
16 D’après Procop., Bell., VIII, 29, 3-5, Totila établit son camp près de Taginae ; Narsès fit construire le sien à 100 stades (21 km) de là, dans une plaine entourée par des hauteurs (ἐν χωρίῳ ὁμαλῷ μέν, λόφους δὲ ἄγχιστά πη περιβεβλημένῳ πολλούς), appelée Busta Gallorum, en mémoire de la victoire qui y fut remportée contre les Gaulois en 295 av. J.-C. (la bataille de Sentinum). Toujours selon Procope (ibid., VIII, 29, 11-5), le camp romain se trouvait à côté d’une « petite colline » (γεώλοφον ἐνταῦθα βραχύ), longée par un chemin (ἀτραποῦ) au niveau duquel passait un « torrent » (χειμάρρους). Le chemin est qualifié un peu plus loin de « goulet » (στενοχωρίᾳ). Pour la bataille proprement dite, Procope (ibid., VIII, 30, 1) parle d’un espace étroit (χώρῳ ὀλίγῳ), sans plus de précision. HODGKIN (1875), 710-4 pense que l’affrontement eut lieu entre Scheggia (emplacement du camp romain) et Gualdo Tadino (camp des Goths). Mais il fait, à tort, emprunter la via Flaminia à l’armée de Narsès et ne tient pas compte de la référence aux Busta Gallorum. BURY (1923), II, 264 situe le camp de Narsès « in the neighbourhood of Fabriano », peut-être du côté du village de Bastia, dont le nom dériverait de Busta Gallorum. Il ne se prononce pas sur le lieu précis de la bataille. PERTUSI (1968), 645, n. 18 (suivi par RANCE [2005], 453, n. 108) situe le champ de bataille plus au nord, entre Nebbiano et Coccore. Mais il se méprend sur la métrologie byzantine (24 km pour 100 stades au lieu de 21 km) et identifie le Monte di Nebbiano – qui culmine à 788 mètres d’altitude, avec environ 300 mètres de dénivelé depuis la plaine – à la « petite colline » de Procope ! ROISL (1981), 28 et n. 7 rappelle que le stade byzantin mesure approximativement 210 mètres et situe le camp romain au niveau du monastère de San Cassiano. Il nous semble que la topographie de ce site correspond mal avec les données fournies par Procope, et qu’il faudrait localiser le camp plus à l’est, toujours dans un rayon de 21 km, probablement entre les villages de Melano et Marischio. La colline qui protégeait l’accès au camp romain serait alors la Costa Marina, et le sentier qui la traverse, la via Cuna delle Chiesa. Selon toute vraisemblance, la bataille eut lieu entre cette colline et Fossato di Vico, probablement dans la plaine vallonnée qui s’étend au nord de Campodiegoli. Procop., Bell., VIII, 32, 27 signale en effet que Totila fut enterré à proximité de Caprae, actuelle Caprara, à 84 stades du lieu de la bataille : cela correspond exactement à l’itinéraire le plus court entre le site que nous avons identifié et le village de Caprara (environ 18 km). 17 Ibid., VIII, 31, 5 : κατὰ δὲ τὰ μέσα τῆς φάλαγγος τούς τε Λαγγοβάρδας καὶ τὸ Ἐρούλων ἔθνος καὶ πάντας τοὺς ἄλλους βαρβάρους ὁ Ναρσῆς ἔταξεν, ἔκ τε τῶν ἵππων ἀποβιβάσας καὶ πεζοὺς εἶναι καταστησάμενος. 18 Ibid., VIII, 31, 3-4 : τῶν δὲ Ῥωμαίων κέρας μὲν τὸ ἀριστερὸν Ναρσῆς τε καὶ Ἰωάννης ἀμφὶ τὸ γεώλοφον εἶχον καὶ ξὺν αὐτοῖς εἴ τι ἄριστον ἐν τῷ Ῥωμαίων στρατῷ ἐτύγχανεν ὄν […]. Κατὰ δὲ δεξιὸν Βαλεριανός τε καὶ Ἰωάννης ὁ Φαγᾶς σὺν τῷ Δαγισθαίῳ καὶ οἱ κατάλοιποι Ῥωμαῖοι ἐτάξαντο πάντες. 19 Ibid., VIII, 31, 5 : πεζοὺς μέντοι τοξότας ἐκ τῶν καταλόγου στρατιωτῶν ὀκτακισχιλίους μάλιστα ἔστησαν ἐς ἄμφω τὰ κέρα. Ibid., VIII, 32, 5 : ἐν οἷς κατὰ τετρακισχιλίους οἱ πεζοὶ τοξόται εἱστήκεισαν, ἐπὶ τὸ μηνοειδὲς τοῦ Ναρσοῦ γνώμῃ ἐτράπετο.
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Figure 65 – Reconstitution hypothétique du déploiement de l’armée romaine à la bataille de Taginae (552 ap. J.-C.).
hauteurs qui bordent le champ de bataille20, de façon à prendre plus facilement les Goths dans un tir d’enfilade21. Du côté gauche, à angle droit par rapport à l’ensemble du dispositif, Narsès positionne 1 500 cavaliers, pour servir de réserve et de force d’enveloppement contre l’armée ennemie. Ces cavaliers, dissimulés à la vue de l’ennemi, sont probablement déployés dans le petit vallon mentionné plus tôt par Procope22. Il s’agit là d’une adaptation du schéma recommandé par le Stratêgikon, qui situe plutôt cette force d’appoint derrière le centre de la ligne principale. 20 La cavalerie de l’aile gauche était déployée contre une colline que Procope qualifie plus tôt d’emplacement idéal pour tirer sur l’adversaire (ibid., VIII, 29, 11). Voir DELBRÜCK (1902, 1990 trad. angl.), II, 357. 21 Procop., Bell., VIII, 32, 9. Tactique également recommandée par l’auteur de l’interpolation byzantine d’Élien contre un assaut de cavalerie : cf. DAIN (1946), H, 1-2. 22 Procop., Bell., VIII, 31, 6-7. DELBRÜCK (1902, 1990 trad. angl.), II, 353-4 considère que cette cavalerie était positionnée de manière offensive, en avant de la ligne de bataille. Contra RANCE (2005), 456, qui suggère avec de bons arguments que cette formation de cavaliers était plutôt orientée vers l’arrière de la ligne d’infanterie, à angle droit.
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Figure 66 – Hypothèse de reconstitution du déploiement de l’armée romaine à la bataille de Dara (530 ap. J.-C.).
Enfin, la bataille de Dara (530 ap. J.-C.) offre une version sensiblement différente de ces deux schémas, tout en restant attachée au principe fondamental d’une ligne de soldats flanquée par deux ailes de cavalerie (fig. 66). Il s’agit de loin de la description la plus précise de Procope. Procope affirme que les Romains établirent leur dispositif à environ un jet de pierre de la πύλη qui fait face à la ville de Nisibe23. L’opinion majoritaire considère qu’il est ici question des portes qui se trouvaient au sud de Dara 23 Procop., Bell., I, 13, 13 : τῆς πύλης ἣ πόλεως Νισίβιδος καταντικρὺ κεῖται οὐ μακρὰν ἄποθεν, ἀλλ᾿ ὅσον λίθου βολήν. Le jet de pierre ne semble pas être une mesure rigoureusement définie dans l’œuvre de Procope, contrairement à ce qu’affirme LILLINGTONMARTIN (2007), 302. Dans le livre V des Guerres, l’historien grec l’utilise aussi bien pour renvoyer à la distance qui sépare la muraille aurélienne du mausolée d’Hadrien (approx. 200 m, cf. ibid., V, 22, 12) que pour donner une idée générale de la longueur des côtés de ce même monument (approx. 85 m, cf. ibid., V, 22, 13). L’expression est aussi employée pour qualifier l’intervalle séparant la colline d’Orvieto des contreforts avoisinants (plus de 300 m, cf. ibid., VI, 20, 7-8). Dans l’esprit de l’auteur, il s’agit donc probablement d’un « tir » effectué avec une fronde plutôt que d’un lancer effectué à force de bras.
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et qui donnaient sur la route de Nisibe24 ; Christopher Lillington-Martin traduit au contraire πύλη par « passage » (gap) et pense que Procope désigne par cette expression le secteur de la plaine de Dara où le terrain plat se rétrécit entre Ambar et les contreforts situés à l’est25. Cette hypothèse révisionniste, qui soulève beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en résout, n’est pas raisonnable d’un point de vue méthodologique et lexical, et n’est étayée par aucune preuve archéologique sérieuse26. Nous nous en tiendrons donc au point de vue traditionnel qui situe la ligne de bataille romaine à quelque distance des remparts de Dara, peut-être à plusieurs centaines de mètres. D’après Procope, Bélisaire fit creuser un fossé profond (τάφρον βαθεῖάν), traversé par plusieurs passages (διεξόδους πολλάς), pour protéger son armée. La partie centrale de cette tranchée était courte et horizontale (τὸ μέσον βραχεῖά τις ἐγεγόνει εὐθεῖα). Aux deux extrémités de cette ligne, deux nouvelles tranchées verticales poursuivaient l’ouvrage à angle droit (ὀρθαὶ κεραῖαι πεποίηντο δύο), elles-mêmes prolongées par deux tranchées horizontales, qui s’étendaient jusqu’à une distance très éloignée (ἐπὶ πλεῖστον)27. Au bout de la tranchée de gauche, Bouzès commandait une large force de cavalerie (ἱππεῦσι πολλοῖς). 600 cavaliers huns, sous le commandement de Sunicas et Aigan, se tenaient dans l’angle (κατὰ τὴν γωνίαν) formé par cette tranchée et le saillant perpendiculaire de gauche28. Côté droit, Procope décrit un dispositif symétrique : une multitude de 24 BURY (1923), II, 82 ; WHITBY (1986), 758-9 ; GREATREX (1998), 171-2 ; HALDON (2001), 33 ; SYVÄNNE (2004), 463-5. 25 LILLINGTON-MARTIN (2007), 302 ; ID. (2013), 604-5. 26 Parmi les objections les plus sérieuses, notons que la plaine située en face d’Ambar s’étend sur une largeur de 2 à 3 km : il serait bien hasardeux de définir un tel espace ouvert comme un « défilé ». On fera d’ailleurs observer que Procope n’emploie jamais ce terme pour désigner un passage naturel, excepté lorsqu’il s’agit des « portes caspiennes », mais l’expression est consacrée par l’usage. Lorsqu’il évoque des passes étroites, Procope utilise toujours le mot στενοχωρία (parmi d’innombrables exemples, cf. Bell., V, 12, 4 ; VI, 5, 14 ; VII, 28, 7 ; VIII, 6, 24 ; VIII, 29, 15). Si, dans le cas de la bataille de Dara, Procope avait voulu aller contre le sens commun de πύλη, il aurait certainement inséré dans son texte une périphrase explicative pour ne pas perdre ses lecteurs. Au demeurant, on se demande comment C. Lillington-Martin parvient à concevoir la plaine d’Ambar (qui ne forme aucunement une ligne ni un point fixe) comme un repère à partir duquel établir une distance d’un jet de pierre. 27 Ibid., I, 13, 12-4. Dans le vocabulaire des tacticiens, l’adjectif ὀρθός qualifie préférentiellement une ligne verticale, coupant le front à angle droit, par exemple une colonne s’il est question d’une force d’infanterie (Arr., Tact., 26, 1). À l’inverse, l’adjectif εὐθύς renvoie à l’horizontalité (ibid., 8, 2). On notera que les deux tranchées horizontales rejoignaient les tranchées verticales « en bas » (ἔνερθεν). Si l’on part du principe que Procope présentait la situation du point de vue romain (il avait probablement pu observer la bataille depuis le mur d’enceinte de Dara, cf. I, 13, 32), il faut comprendre que les saillants verticaux étaient situés « en retrait » par rapport à la tranchée centrale et non en avant, comme l’ont soutenu la plupart des commentateurs : BURY (1923), II, 82 ; OMAN (1898, 1924 2e éd.), I, 28-9 ; HALDON (2001), 33-4 ; SHUVALOV (2006), 277. Contra GREATREX (1998), 173, n. 12 (suivant l’hypothèse avancée par Dewing dans l’édition Loeb de Procope) ; SYVÄNNE (2004), 464 ; HUGHES (2009), 53-4. 28 Procop., Bell., I, 13, 19-20.
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cavaliers (ἱππεῖς πολλοί) sont rangés à l’extrémité du fossé latéral, sous le commandement de Jean, et 600 cavaliers hunniques se tiennent dans l’angle (ἐς γωνίαν δὲ τὴν ἐν δεξιᾷ), avec Simmas et Ascan29. Les deux escadrons de Huns, à la fois proches du centre et situés à l’extérieur des fossés, ont pour mission de soutenir les cavaliers placés aux ailes si ces derniers sont attaqués par les forces montées de l’adversaire : ils sont idéalement placés pour lancer une charge de flanc ou sur les arrières de l’ennemi. Procope ajoute que sur tous les points (πανταχῆ) du fossé se tenaient des unités d’infanterie et de cavalerie (ἱππέων κατάλογοι καὶ ὁ πεζὸς στρατός)30. Il est difficile de savoir si ces unités étaient positionnées devant ou derrière les tranchées. Il s’agissait probablement en quasi-totalité de fantassins puisque l’infanterie n’a pas encore été évoquée dans la description et que la majorité des cavaliers étaient rangés sur les ailes. Bélisaire se tenait derrière le centre du dispositif (ὧν δὴ ὄπισθεν κατὰ μέσους), avec sa garde rapprochée qui pouvait donc faire office de réserve31. En outre, le magister militum per Orientem avait pris soin de dissimuler, à l’extrémité gauche de la ligne de bataille, derrière une colline, une force de 300 Hérules commandée par Pharas. Au cœur de la bataille, ce détachement parvint à lancer une embuscade contre les arrières de l’aile droite sassanide32. L’ordre de bataille de Bélisaire, fondamentalement défensif, présentait donc l’avantage de protéger l’armée romaine contre tout mouvement enveloppant de la part de l’ennemi. Ces dispositions se révèlèrent parfaitement utiles durant la bataille (cf. infra, p. 640-2).
Maurice ne préconise pas d’ordre de bataille consistant à placer toute la cavalerie sur une seule aile, mais il est hors de doute qu’au VIe s., les généraux romano-byzantins avaient toujours recours à ce dispositif quand ils pouvaient appuyer un de leurs flancs contre un obstacle naturel. Lorsqu’il livre bataille contre les Perses près de Callinicum, en 53133, Bélisaire range ainsi toute son infanterie contre la rive droite de l’Euphrate et déploie sa puissante cavalerie dans la plaine qui s’étend au Sud (fig. 67) : les troupes romaines sont au centre, les arabes alliés d’Al-Harith sur l’aile droite ; l’ensemble forme une ligne simple (μετωπηδόν)34. 29
Ibid., I, 13, 21. Ibid., I, 13, 22. 31 Ibid., I, 13, 23. 32 Ibid., I, 13, 19-20 et 14, 39. 33 Sur cette bataille : BURY (1923), II, 86-7 ; CHASSIN (1957), 35-41 ; GREATREX (1998), 200-7 ; SYVÄNNE (2004), 465-7. Bélisaire dispose de 20 000 soldats (Procop., Bell., I, 18, 4-7), dont au moins 8 000 cavaliers (Malalas, XVIII, 60, avec GREATREX [1998], 197 et n. 13). Les Arabes ghassanides forment un contingent de 5 000 cavaliers. 34 Procop., Bell., I, 18, 26 : καὶ τὴν φάλαγγα μετωπηδὸν ποιησάμενος διέταξεν ὧδε. Ἐς κέρας μὲν τὸ ἀριστερὸν πρὸς τῷ ποταμῷ τοὺς πεζοὺς ἅπαντας ἔστησεν, ἐς δὲ τὸ δεξιόν, ᾗ δὴ ὁ χῶρος ἀνάντης ἦν, Ἀρέθαν τε καὶ τοὺς ξὺν αὐτῷ Σαρακηνοὺς ἅπαντας, αὐτὸς δὲ ξὺν τοῖς ἱππεῦσι κατὰ μέσον εἱστήκει. La description de Procope, qui a luimême assisté à la bataille, est formelle. Jean Malalas (XVIII, 60) donne des informations 30
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Figure 67 – Hypothèse de reconstitution du déploiement de l’armée romaine à la bataille de Callinicum (531 ap. J.-C.).
Ce déploiement permet à l’infanterie romaine, protégée par l’Euphrate, d’éviter la destruction complète à la suite de la défection de la cavalerie ghassanide et de la déroute des escadrons romains35. Il n’en faut cependant pas plus pour convaincre Bélisaire qu’il est risqué de déployer des fantassins en première ligne. Dans les guerres subséquentes, il arrive ainsi de plus en plus souvent que l’infanterie forme une ligne de réserve, située loin derrière une première ligne de cavalerie. Cet ordre de bataille a des racines anciennes et sa généralisation n’est pas nécessairement liée qui sont souvent jugées complémentaires par l’historiographie, mais qui contredisent en réalité le texte de Procope. Le chroniqueur byzantin affirme ainsi que les Romains ont l’Euphrate dans leur dos et que tous les fantassins ne sont pas positionnés sur l’aile gauche. Il précise que les Arabes sont rangés au sud, avec les troupes d’infanterie phrygiennes/ isauriennes commandées par Mamas et Dorotheus, alors que les troupes de Sunicas et Simmas se trouvent au nord. 35 Procop., Bell., I, 18, 35-47.
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à un contexte d’affrontements répétés avec des peuples cavaliers pratiquant l’archerie montée et les charges de rupture. En effet, à la fin du VIe s., le Stratêgikon préconise toujours contre les « Scythes » et les Perses un ordre mixte – la taxis epikampios opisthia – qui expose directement l’infanterie aux attaques de la cavalerie adverse. Si l’on se penche sur les justifications avancées par Bélisaire, c’est avant tout la prudence qui est invoquée : la cavalerie permet, par des escarmouches (ἀκροβολισμοί), de remporter des victoires limitées, sans risquer la fortune de la bataille rangée et les pertes catastrophiques afférentes en cas de défaite36. Il y a donc peut-être simplement un souci d’économie, lié aux difficultés chroniques rencontrées par l’État romano-byzantin en matière de recrutement. Mais ces évolutions forment aussi un cercle vicieux, car en étant écartée des combats, l’infanterie n’a plus d’occasions de s’aguerrir et court le risque de se retrouver psychologiquement démunie face aux armées de cavalerie. La bataille d’Ad Decimum (533 ap. J.-C.) fournit, dans le cadre des campagnes de Bélisaire, le premier exemple d’engagement remporté grâce à un déploiement reléguant l’infanterie en marge du dispositif tactique37. Il s’agit d’un cas intéressant dans la mesure où il montre que le détachement de la cavalerie en première ligne procède souvent d’une mission de reconnaissance armée qui, en soi, n’a rien de très révolutionnaire. Pourtant, ses enseignements sont rapidement mis à profit par Bélisaire dans la suite des opérations, notamment lorsqu’il s’agit de livrer une véritable bataille rangée contre les troupes de Gélimer à Tricamarum, à 31 kilomètres de Carthage38. Le général byzantin décide à nouveau de faire précéder son infanterie par ses escadrons de cavalerie (fig. 68) : 36
Ainsi lors de la bataille d’Ad Decimum (533 ap. J.-C.), alors que l’infanterie assiste passivement à la victoire remportée par la cavalerie romaine, cf. ibid., III, 19, 11-2 : « pour l’heure, il ne lui semblait pas avantageux de tenter la fortune avec l’ensemble de son armée ; il valait mieux escarmoucher (ἀκροβολισαμένῳ) d’abord avec les cavaliers et mettre à l’épreuve les forces de l’ennemi, avant de livrer bataille avec toute l’armée. » L’habitude de Bélisaire semble donc avoir été de n’utiliser l’infanterie qu’en cas de supériorité avérée, de façon à limiter au maximum les risques inhérents à tout engagement général. D’autres arguments sont mis en avant à l’occasion du siège de Rome (537 ap. J.-C.), cf. ibid., V, 28, 22 : Bélisaire souligne que l’infanterie est trop peu nombreuse pour former une phalange digne de ce nom ; il craint aussi sa propension à fuir face aux cavaliers. 37 Cf. supra, p. 591-2. 38 Sur cette bataille : OMAN (1898, 1924 2e éd.), I, 29-30 ; CHASSIN (1957), 76-7 ; PRINGLE (1981, 2001 2e éd.), 21 ; SYVÄNNE (2004), 437-8 ; HUGHES (2009), 100-6. Le lieu de l’affrontement se situe à 150 stades à l’ouest de Carthage et est traversé par un cours d’eau (Procop., Bell., IV, 2, 4 et 3, 1). Procope précise qu’il ne s’agit pas d’une rivière permanente mais d’un oued si petit que les habitants ne lui ont pas donné de nom. Il ne
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Martinus, Valérien, Jean (Troglita ?), Cyprien, Althias, Marcellus et les autres ἄρχοντες des fédérés tiennent l’aile gauche ; l’aile droite est confiée à Pappas, Barbatus, et Aigan, ainsi qu’aux autres commandants de la cavalerie régulière (ὅσοι τῶν ἱππικῶν καταλόγων ἦρχον) ; le centre est occupé par les bucellaires de Bélisaire, sous le commandement de Jean l’Arménien (il est rejoint un peu plus tard par le général avec 500 cavaliers supplémentaires)39. Si l’on se réfère à l’inventaire donné par Procope au début de son récit de l’expédition vandale, cela fait donc neuf tagmata de fédérés à l’aile gauche, quatre tagmata de cavaliers romains à l’aile droite et probablement plus d’un millier de bucellaires au centre40. L’infanterie se trouve en retrait, peut-être protégée par des ouvrages défensifs ou située juste en face41. Quant aux troupes hunniques, elles sont déployées à « un autre endroit » (ἄλλῃ χώρᾳ), probablement en embuscade, derrière un couvert forestier ou une sous-colline du Djebel-Birin42. Loin d’être un hapax, ce dispositif est utilisé une nouvelle fois par Bélisaire à la bataille de la porta Salaria en hiver 53743. On le retrouve aussi lors des batailles des Antonia castra en 546/54744 et de la rivière peut donc s’agir de la Medjerda / Bagrada. WINKLER (1894), 361, pense plutôt à l’Oued Chafrou. 39 Procop., Bell., IV, 3, 4-6. 40 Cf. supra, p. 521. SYVÄNNE (2004), 437 suppose qu’il y avait deux lignes de cavalerie et que Bélisaire formait la deuxième avec 500 bucellaires. Pourtant, Procope ne mentionne pas de deuxième ligne de cavalerie et dit bien que Bélisaire intégra le centre de Jean « au moment opportun » (il était peut-être resté en retrait, dans un premier temps, pour superviser le déploiement de la ligne de bataille). 41 Procop., Bell., IV, 3, 7. Lors des combats, une partie de la cavalerie de Bélisaire se replie, après une première attaque infructueuse, jusqu’au « camp » (στρατόπεδον), ce qui suggère que les fantassins avaient érigé une palissade et peut-être un fossé (ibid., IV, 3, 11). 42 Ibid., IV, 3, 7. Si l’on accepte l’hypothèse de localisation proposée par Winkler. 43 Cf. réf. supra, p. 615. 44 Cor., Ioh., IV, 472-V, 527. La description de Corippe est très obscure mais semble renvoyer au même modèle de déploiement que celui de la bataille de Tricamarum, à laquelle Jean Troglita avait probablement participé (cf. PLRE, II, s.n. « Iohannes 36 », p. 645). Deux ailes sont mentionnées et le poète y situe les commandants des huit « divisions » (agmina) qui étaient à la tête de la cavalerie lors de la campagne de 546. La neuvième « division », celle qui regroupe l’infanterie sous le commandement de Tarasis, forme une phalange dense, mais Corippe ne précise à aucun moment quelle est sa position dans l’ordre de bataille. Il nous semble préférable de la situer en deuxième ligne, d’une part en raison du précédent (auréolé de succès) de Tricamarum, mais aussi et surtout dans la mesure où Jean Troglita et Recinarius occupent le centre de l’acies principale avec leur garde montée. Enfin, des alliés maures sont stationnés sur chaque aile et l’ordre d’énumération adopté par l’auteur laisse imaginer qu’ils se tiennent plus précisément sur les flancs de la ligne de bataille, là où la cavalerie légère, rangée en formation irrégulière, peut être exploitée au maximum de son potentiel. Sur ces questions, voir ZARINI (2003), 97 et RIEDLBERGER (2010b), 57-8.
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Figure 68 – Hypothèse de reconstitution du déploiement de l’armée romaine à la bataille de Tricamarum (533 ap. J.-C.).
Hippis en 549. Dans le dernier exemple, ce sont deux lignes de cavalerie qui sont suivies d’une troisième ligne de fantassins45. Il est fort probable que ces expériences historiques aient inspiré certains chapitres du Stratêgikon. Maurice décrit en effet les deux variantes de l’ordre de bataille que nous venons d’évoquer : la première, avec une seule ligne de cavaliers, doit être adoptée quand l’armée ennemie se compose seulement de cavaliers et hésite à engager l’infanterie romaine46 ; la seconde, avec deux lignes de cavaliers, doit être privilégiée si l’armée romaine compte une forte proportion de cavaliers et si l’ennemi dispose d’un nombre équivalent de cavaliers47 ; l’infanterie, surtout si elle est faible, doit être positionnée à proximité du camp de marche, à un ou deux milles de la 45
Procop., Bell., VIII, 8, 14-6 : la cavalerie alliée des Lazes avance en première ligne, en formation régulière (πρῶτοι μὲν οἱ Λαζῶν ἱππεῖς τεταγμένοι ἀπ’ ἐναντίας ᾔεσαν) ; les cavaliers romains suivent à une distance importante (ὄπισθεν δὲ οὐκ ἄγχιστά πη, ἀλλ’ ὡς ἀπωτάτω). Derrière eux, Gubazes et Dagisthaeus sont à la tête d’un contingent d’infanterie romano-laze. 46 Maurice, Strat., XII, B, 23, 19-27. 47 Ibid., XII, A, 3.
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cavalerie. Celle-ci ne doit pas trop s’éloigner de l’infanterie et si elle est repoussée, elle doit se retirer sur les flancs et l’arrière de la phalange. Il existe enfin une dernière option de déploiement pour les armées mixtes, qui consiste à entremêler des unités d’infanterie et de cavalerie au sein de la même ligne de bataille48. Le Stratêgikon propose ainsi une « ligne de bataille mélangée » (τάξις σύμμικτος), illustrée par un diagramme explicatif : un meros de cavalerie est rangé au centre ; deux merê d’infanterie suivent de part et d’autre, puis à nouveau deux merê de cavalerie ; enfin, les flancs sont protégés par deux merê d’infanterie et deux autres phalanges d’infanterie positionnées en arrière-garde (fig. 69)49. D’après l’auteur, cette formation est utile pour combattre contre des ennemis montés quand la force de cavalerie du corps expéditionnaire est aussi importante, ou même inférieure en nombre à la force d’infanterie. Nous n’avons trouvé aucune occurrence historique d’un tel déploiement pour les Ve et VIe s. Végèce semble pourtant décrire la même chose dans son traité militaire lorsqu’il affirme qu’il est possible de mêler les cataphractes aux légionnaires (cum legionariis mixti) si l’on choisit de ne pas les déployer en face de l’infanterie50. Une possibilité serait de considérér qu’Aetius rangea son armée de cette manière lors de la bataille des Champs Catalauniques (451 ap. J.-C.), mais le récit de Jordanès est trop confus pour permettre d’avaliser cette hypothèse51. SYVÄNNE (2004), 225-7. Maurice, Strat., XII, A, 2. 50 Veg., Mil., III, 23, 4. 51 Jord., Get., 38, 197-8. Durant cette bataille, l’importance des troupes fédérées est telle que Jordanès organise sa description par origine nationale plutôt que par arme tactique (ce qui peut être également lié au modèle épique dont s’inspire l’auteur, cf. WHATELY [2013], 70) : « Théodoride et les Wisigoths occupaient ainsi l’aile droite de l’armée (Dextrum itaque cornum cum Vesegothis Theoderidus tenebat), Aetius et les Romains l’aile gauche (sinistrum Aetius cum Romanis), et ils avaient placé au centre Sangiban (conlocantes in medio Sanguibanum) – comme nous l’avons rapporté plus haut, celui-ci se trouvait à la tête des Alains –, car ils veillaient, avec une grande science militaire, à ce que celui-ci, sur la résolution duquel ils ne comptaient guère, fût entouré par la foule de leurs fidèles. » (trad. O. Devillers). Les Alains ne combattaient que commes cavaliers, ce qui n’était pas le cas des Wisigoths, qui avaient très certainement fourni un contingent mixte, et il en allait de même des Romains et de leurs « auxiliaires » (Francs, Armoricains, Burgondes, Saxons… cf. Jord., Get., 36, 191). Chaque aile était donc probablement constituée d’une majorité de fantassins mais aussi de cavaliers. Ces derniers étaient peut-être disposés sur les flancs de la ligne de bataille. L’aile gauche romaine jouxtait en effet une colline et parvint à s’emparer de son sommet avant les Huns (ibid., 38, 201) : cette course de vitesse, liée à une manœuvre d’extension de l’aile gauche, laisse soupçonner la présence de troupes montées à cet endroit du dispositif. Cela dit, il n’est pas à exclure que les ailes de l’armée romano-wisogothique aient été rangées sur deux lignes, avec toute la cavalerie en première ligne et l’infanterie en deuxième ligne. Voir RICHARDOT (1998, 2005 3e éd.), 351-67 ; STICKLER (2002), 135-45 ; SYVÄNNE (2004), 487. 48 49
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Figure 69 – Diagramme de la taxis summiktos d’après le Stratêgikon. Source : MAZZUCCHI (1981), 121. Reproduit avec l’aimable autorisation de Vita e Pensiero.
B. Le déploiement du kaballarikos stratos C’est dans ce domaine que se situe la véritable originalité du Stratêgikon : le traité attribué à Maurice propose une description détaillée des différents ordres de bataille adaptés à une pure armée de cavalerie (cf. fig. 49 et 70)52. La disposition d’ensemble dépend de l’effectif du corps expéditionnaire. S’il y a plus de 15 000 cavaliers, il est fortement recommandé de former trois lignes53. La première ligne ou « ligne des combattants » (τάξις προμάχος) consiste en trois « divisions » ou μέρη, comprenant chacune trois « brigades » ou μοῖραι54. Les moirai sont constituées d’un nombre variable d’« unités » (τάγματα / ἀριθμοί / βάνδα), selon qu’il s’agisse de moirai de cursores ou de defensores55. L’auteur ajoute que des intervalles doivent séparer les merê, sans en Bibliographie antérieure : AUSSARESSES (1909), 73-80 ; OMAN (1898, 1924 2e éd.), 196-9 ; DARKÓ (1937), 130-3 ; PERTUSI (1968), 672-5 ; MAZZUCCHI (1981), 125-8 ; SYVÄNNE (2004), 118-27 ; RÓŻYCKI (2015), 56-64. 53 Maurice, Strat., II, 2, 8-10 et III, 8, 32-6 (le seuil bas est porté à 15 000-20 000 hommes en III, 10, 25-7). Dans les faits, il s’agit plutôt d’une formation sur deux lignes car l’arrière-garde qui forme la troisième ligne est d’une importance numérique réduite. L’auteur du traité affirme que cet ordre de bataille est particulièrement efficace contre les Perses (ibid., XI, 1, 54-5) : cela suggère qu’il est directement dérivé d’un exemple historique, vraisemblablement d’un diagramme ou d’une note détaillant le déploiement de l’armée de Philippicus à Solachon en 582 (cf. supra, p. 528 et s.). 54 Ibid., II, 2, 10-2. 55 Ce qui se déduit du diagramme exposé en III, 8. 52
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préciser la largeur56. Le meros du centre est commandé par l’hypostratège (ὑποστράτηγος), les merê situés sur les ailes par des mérarques. Ces officiers supérieurs se tiennent avec leur tagma au centre de leurs divisions respectives. Chacun a deux moïrarques sous son commandement57. Dans chaque meros, deux tiers des cavaliers sont des defensores, un tiers des cursores58. À gauche de la première ligne, deux ou trois banda de flanc-gardes (πλαγιοφύλακες) doivent protéger la formation contre d’éventuelles tentatives d’enveloppement59. Sur la droite, un ou deux banda d’archers montés jouent le rôle de tourne-ailes (ὑπερκερασταί) : leur mission consiste à envelopper l’aile gauche de l’armée ennemie60. Maurice souligne que des ambulanciers militaires appelés deputati doivent être attachés à la première ligne, à raison de huit à dix hommes par tagma. Ces individus sont sélectionnés parmi les soldats les moins qualifiés ; ils ne portent pas d’armes, sont légèrement équipés et suivent à environ 30 mètres à l’arrière de leur tagma 61. La deuxième ligne, appelée « ligne de soutien » (τάξις βοηθός), est constituée d’un tiers des effectifs de l’armée répartis en quatre merê 62. Ces quatre divisions sont séparées par de grands intervalles, d’une largeur équivalente à une « portée de flèche » (σαγιττόβολον, i.e. environ 300 mètres), destinés à accueillir les soldats de la première ligne en cas de fuite63. Chaque meros promachos dispose ainsi d’un espace assigné 56 Ibid., II, 13, 2-6. D’après SYVÄNNE (2004), 120-1 (sur la base d’une comparaison avec la Sylloge tacticorum), l’intervalle entre les merê était d’au moins 20-30 m. Le DMS, 4 (éd. Müller p. 118, l. 5-7) suggère plutôt une distance d’une portée de flèche (c. 300 m). 57 Maurice, Strat., II, 2, 12-4. 58 Ibid., II, 3. 59 Ibid., II, 4, 2-5. 60 Ibid., II, 4, 5-6. Le DMS, 4 (éd. Müller p. 118, l. 17-21) indique que les flanc-gardes peuvent être séparées jusqu’à une distance d’un mille des deux merê latéraux (l’auteur ignore les tourne-ailes) ; ils sont aussi placés en retrait de la première ligne. 61 Maurice, Strat., II, 9. 62 Ibid., II, 4, 6-9. 63 Ibid., II, 13, 10-1. L’auteur du Stratêgikon ne précise pas la distance exacte du σαγιττόβολον. Cette mesure fait son apparition dans les sources écrites à partir des VIe-VIIe s. : Théophane, Chron., AM. 6118 (p. 319) ; Ioannes Moskhos, Pratum Spirituale, 80 (éd. Migne p. 2937, l. 36) ; Leontios, Vita Sym., 35 (éd. Festugière p. 97, l. 22) et Vita Jo. Eleem., 38 (éd. Festugière p. 390, l. 137). Il s’agit certainement d’une distance inférieure à 368 m car deux passages du Stratêgikon (II, 13, 11-23 ; III, 15, 4-5) impliquent que quatre portées de flèche sont inférieures à un mille (i.e. 1 472 m, cf. FEISSEL [2002], 384). Les estimations varient grandement dans la littérature moderne : AUSSARESSES (1909), 52, n. 4, suivi par BIVAR (1972), 283, propose 133,2 m. Mais sa démonstration est réfutée par MCLEOD (1965), 11, qui souligne par ailleurs qu’une telle estimation est invraisemblablement limitative au regard des performances des archers antiques. Le même auteur ajoute (ibid., 11-2) que dans la Sylloge Tacticorum (milieu du Xe s.), le sagittobolon mesure 156 brasses (orguiai), ce qui l’amène à proposer une distance de 290-335 m (en fait
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qui lui permet de se réfugier au sein de la ligne de soutien pour se reformer en sécurité64. Celle-ci se positionne idéalement à un mille (1 472 mètres) derrière la première ligne, de manière à ne pas être aperçue par l’ennemi avant le combat ; elle ne se rapproche à proximité des promachoi (à environ trois ou quatre portées de flèche) qu’à partir du moment où l’attaque de l’armée adverse est imminente65. Afin de mieux surprendre l’ennemi, la deuxième ligne peut éventuellement se dissimuler dans un bois s’il y en a un à proximité, ou être placée sur un terrain moins élevé que la première ligne, ce qui suffira à la dérober à la vue d’observateurs faisant face à l’ensemble de l’armée66. Maurice signale en outre que les divisions de la deuxième ligne sont à double front (ἀμφίστομα) pour prévenir d’éventuelles attaques à revers67. À une portée de flèche derrière chaque extrémité latérale de cette ligne de soutien, un ou deux banda forment une troisième ligne, appelée « arrière-garde » (τάξις νωτοφυλάκων)68. Comme son nom l’indique, ce dernier échelon doit empêcher toute tentative, de la part de l’adversaire, de tourner complément le corps expéditionnaire romain. Les unités de l’arrière-garde sont aussi probablement chargées de veiller sur le bagage (τοῦλδον) et les chevaux surnuméraires (ἀδέστρατα), que le diagramme
329,84 m selon une étude de référence sur la métrologie byzantine : SCHILBACH [1970], 42). SYVÄNNE 2004, 122, n. 2 donne 164 m, affirmant que le sagittobolon de Maurice correspond à la moitié du sagittobolon mésobyzantin. Une critique interne rend cette estimation peu vraisemblable car beaucoup trop courte. En effet, Strat., III, 5, 92-9 (entraînement des tagmata) indique que les cursores ne doivent pas se séparer des defensores de plus de 1-2 milles (i.e. 1,47-2,94 km) lors de la poursuite, ordre de grandeur remplacé en XI, 2, 92-5 (tactique à adopter contre les Avars) par trois ou quatre portées de flèche. Cela ferait 492 à 656 m selon l’estimation de Syvänne, ce qui est très inférieur à un mille. En revanche, un passage du De militari scientia précise que cinq portées de flèche font approximativement un mille (DMS, 4 [éd. Müller p. 118, l. 19-21] : ἀπὸ δ´ ἢ ε´ σαγιττοβόλων ἢ ἑνὸς μιλίου). On pourra donc conjecturer qu’à l’époque de Maurice, le sagittobolon mesurait déjà c. 300 m. 64 En temps normal, ces ouvertures sont comblées par un ou deux banda déployés sur quatre rangs de profondeur, en formation étendue, de manière à maintenir l’écart réglementaire entre les merê (Maurice, Strat., III, 8, 46-51). Si nécessaire, ces escadrons peuvent se retirer en arrière-garde pour laisser place aux fuyards de la première ligne. Ils sont alors à même de défendre les arrières du corps de bataille avec les autres plagiophylaques (II, 4, 12-28). Le rôle de ce rideau de cavaliers est très important : la vue d’un front continu a pour effet d’encourager les soldats de la première ligne à ne pas céder face à l’ennemi, et il est clair que les voies de refuge ne doivent s’ouvrir qu’en cas d’extrême nécessité. 65 Ibid., II, 13, 11-23 ; III, 15, 4-5. 66 Ibid., VII, B, 14. 67 Ibid., II, 4, 9-10. 68 Ibid., II, 4, 10-2 ; II, 13, 24-6.
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du chapitre III, 8 place entre les deux formations d’arrière-garde69. Les serviteurs (πάλλικες) du train, même s’ils sont armés, seront en effet incapables de tenir tête à l’ennemi en cas d’attaque. Facteur potentiel de distraction pour les combattants, ils doivent être le moins nombreux possible durant la bataille. Le Stratêgikon stipule d’ailleurs clairement que le train de bagage n’a pas vocation à accompagner l’armée lors d’un engagement et que sa présence sur le champ de bataille ne peut qu’être fortuite (c’est-à-dire liée à une attaque imprévue)70. Dans un tel cas de figure, il est nécessaire que tous les animaux soient rassemblés à l’arrière de l’armée (Maurice déconseille notamment d’amener des chevaux de remonte immédiatement à l’arrière des unités de la première ligne pour fournir des montures fraîches aux combattants ; une telle disposition est selon lui inutile et dangereuse)71. En sus de ces trois lignes, trois ou quatre unités d’embuscadiers (ἔνεδροι) doivent être disposées sur chaque côté de l’ensemble de la formation de bataille (παράταξις). Elles doivent empêcher l’ennemi de lancer une attaque-surprise contre le flanc gauche de l’armée, mais peuvent aussi tendre des embuscades du côté droit, si le terrain y est favorable. L’auteur insiste sur le fait qu’une embuscade réussie contre les flancs ou les arrières de l’armée adverse est beaucoup plus efficace et décisive qu’une charge frontale72. Il conseille d’utiliser de préférence des contingents étrangers (ἐθνικοί), déployés en formation irrégulière, pour remplir cette mission73. Pour résumer, l’ensemble du dispositif tactique décrit par le Stratêgikon comprend six composantes : la première ligne, la deuxième ligne, l’arrière-garde, les flanc-gardes, les tourne-ailes et les embuscadiers. 69 MAZZUCCHI (1981), 116. Le DMS, 4 (éd. Müller p. 118, l. 24-7) stipule effectivement qu’un ou deux banda de soldats légèrement équipés doivent protéger le train de bagage : ces unités semblent bien correspondre à la taxis nôtophulakôn de Maurice. 70 Maurice, Strat., V, 1. Le nombre de serviteurs affectés à chaque contubernium est considéré comme suffisant pour assurer la garde du train. L’auteur précise que cet effectif varie en fonction de la dignité de chaque escadron et du nombre d’animaux qui sont attachés à son service. 71 Ibid., V, 2. La présence des animaux dans le corps expéditionnaire est même remise en question dans le chapitre suivant, qui recommande de laisser les chevaux au camp sous la garde de deux banda. En VII, B, 9, 8-14, l’auteur est plus catégorique et affirme que le bagage ne devrait pas être intégré dans le dispositif de bataille car il risque d’être une cible facile pour l’ennemi durant les combats. Si, d’aventure, le général est dans l’impossibilité de le laisser au camp, un ou deux banda doivent être assignés à sa garde. L’auteur du De militari scientia exprime sur la question un avis différent. Selon lui (DMS, 1 [éd. Müller p. 114, l. 5-9]), la remonte de chaque escadron doit être amenée immédiatement derrière les files des soldats. 72 Maurice, Strat., II, 5, 3-10. 73 Ibid., II, 6, 33-5.
Figure 70 – Reconstitution schématique du kaballarikos stratos décrit par Maurice dans le Stratêgikon.
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Il est significatif que cette organisation privilégie avant tout la première ligne, véritable cheville ouvrière de l’ordre de bataille, dont la suprématie est garantie par une évidente supériorité numérique et dont la sécurité est assurée par un ensemble de garde-fous. C’est aussi une organisation plus défensive qu’offensive : la deuxième ligne ne doit pas entreprendre de vaste mouvement enveloppant mais uniquement appuyer la première ligne. Il s’agit donc avant tout de battre l’ennemi en lui laissant l’initiative des manœuvres risquées. Les principes de déploiement restent les mêmes pour les armées de cavalerie de taille modérée, dont l’effectif se situe entre 5 000 et 15 000 soldats74. Seules quelques variations se constatent. La seconde ligne n’est constituée que de deux merê au lieu de trois75 ; ces divisions sont séparées par un grand intervalle mesurant un quart de la longueur de la première ligne et non une portée de flèche76. Pour les plus petites armées de cavalerie (moins de 5 000 / 6 000 cavaliers)77, on place seulement un meros en réserve78. Dans ce cas, lorsque les tagmata de la première ligne doivent se retirer à l’arrière pour se reformer, elles se rangent contre les flancs de la seconde ligne79. Il ressort de ces déclinaisons que le déficit d’effectif ne doit en aucun cas entamer la supériorité de la première ligne, dont la force numérique est préservée au détriment de la ligne de réserve. À cause de son étroitesse, celle-ci n’est plus en mesure de couvrir efficacement les flancs de la première ligne. Mais sa présence, même réduite à une division, vient rappeler une exigence fondamentale du traité, à laquelle l’auteur consacre un développement entier : une armée de cavalerie doit impérativement former plus d’une ligne de bataille80. Dans la plupart des cas, les exemples 74 Ibid., II, 4, 28-9 (entre 5 000 à 10 000 / 12 000 soldats) ; III, 8, 36-7 (entre 5 000 / 6 000 et 15 000 soldats) ; III, 10, 21 (entre 5 000 et 10 000 / 12 000 soldats). 75 Ibid., II, 4, 28-31 ; III, 8, 36-9. 76 Ibid., III, 8, 40-6. Le diagramme correspondant à cet ordre de bataille est bien moins élaboré que le précédent. Les proportions ne sont pas respectées et certains éléments manquent. Voir SYVÄNNE (2004), 124. 77 Maurice, Strat., II, 4, 31-3 ; III, 8, 40 ; III, 10, 18-9. 78 Ibid., II, 4, 31-3 ; III, 8, 39-40. L’ordre de bataille qui sert de référence à l’auteur du De militari scientia est assez proche, cf. DMS, 4-12 : une première ligne de bataille divisée en trois merê ; deux formations de flanc-gardes situées en retrait des deux ailes de la première ligne, vers l’extérieur ; deux banda formant une arrière-garde, à un mille de distance des deux divisions latérales de la première ligne. Il s’agit manifestement d’un déploiement adapté aux petites armées de cavalerie. 79 Maurice, Strat., III, 10, 19-20. 80 Ibid., II, 1, 5-29. Les nombreux inconvénients d’une telle formation sont énumérés dans la suite du texte : une ligne trop étendue débordera fatalement en terrain défavorable ; elle sera difficile à manœuvrer et à coordonner ; si elle est enveloppée ou ciblée par une embuscade, aucune réserve ne pourra défendre ses flancs et ses arrières ; elle ne
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historiques illustrent fidèlement cette prescription. La cavalerie n’est que rarement déployée sur une seule ligne81. Les sources mentionnent le plus souvent une répartition des forces combattantes sur deux, voire trois lignes82.
C. La coordination des lignes et les manœuvres collectives Les extraits du Stratêgikon qui viennent d’être commentés révèlent que les différentes composantes du dispositif de bataille ne fonctionnent pas de manière indépendante, mais sont censées s’appuyer mutuellement. Cela vaut évidemment pour les armées mixtes, au sein desquelles la complémentarité entre troupes montées et troupes à pied est fondamentale, mais aussi pour les armées de cavalerie, dont les articulations tactiques se complexifient au cours de la période. Le Stratêgikon décrit avec force détails les différentes missions assignées à chaque subdivision de l’ordre de bataille. La première ligne joue le rôle de principale force combattante. Tous les cavaliers doivent s’aligner sur le meros central, où se permettra pas au général de rallier facilement les unités qui battent en retraite ou de repérer les déserteurs ; même si l’armée adverse est mise en déroute, la poursuite mettra l’armée en désordre et les cavaliers ne seront pas appuyés par une deuxième ligne en cas de contreattaque ennemie. Les mêmes principes sont exposés à l’époque moderne par AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), chap. 29. 81 Des formations de ce type sont décrites dans le livre VI « sur les autres ordres de bataille et manœuvres d’exercice » (Περὶ διαφόρου τάξεως καὶ γυμνασίας). Elles sont associées aux « temps anciens » et déconseillées par l’auteur du traité. Pour des exemples issus des sources narratives : Procop., Bell., II, 25, 16-9 (bataille d’Anglon, 543 ap. J.-C.) ; Théophylacte, I, 9, 7 (bataille du Nymphius, 582 ap. J.-C.). Il est intéressant que, dans ces deux occurrences, le déploiement sur une seule ligne soit associé à la mobilisation de supplétifs germaniques (Hérules, Goths, Lombards) rompus au combat de choc. Cf. LUTTWAK (2009, 2010 trad. fr.), 321 (qui reconnaît à cet ordre de bataille une seule qualité : il « n’exige pas d’exercice préalable pour apprendre à tous les hommes comment se placer rapidement en différentes formations »). 82 Procop., Bell., III, 19, 11-3 (bataille d’Ad Decimum, 533 ap. J.-C.) ; II, 18, 22-5 (bataille de Nisibe, 541 ap. J.-C.) ; Théophylacte, III, 14, 4-8 (bataille de Mélitène, 576 ap. J.-C.) ; II, 3, 1-3 (bataille de Solachon, 586 ap. J.-C. ; cf. supra, p. 531 [contra HALDON (1999), 206-7]) ; V, 10, 4 (bataille de Ganzak / Balarath, 591 ap. J.-C.). Sur l’importance du déploiement sur plusieurs lignes dans la tradition militaire byzantine, voir HALDON (1999), 205-7. L’auteur surestime toutefois le caractère novateur de cette pratique. Nombre d’exemples étudiés dans le cadre de ce livre montrent que les Romains avaient pris l’habitude de déployer leur cavalerie sur plusieurs lignes dès la fin du IIIe s. av. J.-C. au plus tard. Les récriminations de Maurice visent probablement une dérive récente observée durant les guerres romano-perses. L’empereur précise d’ailleurs que les anciens (οἱ ἀρχαῖοι) avaient coutume de fragmenter leur ordre de bataille en plusieurs subdivisions et qu’il serait regrettable de se priver de leur sagesse (Strat., II, 1, 19-20).
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trouve l’hypostratège, et avancer à la même allure que cette division83. Le respect de cette consigne est fondamental pour engager le combat dans les meilleures conditions. La négliger conduit au désastre, comme le rappelle Procope à propos de la bataille d’Anglon (543 ap. J.-C.) 84. L’arrangement de la première ligne peut varier en fonction de la nature du dispositif ennemi. Si l’étendue de son front est égale à celle de l’armée adverse, les flanc-gardes conservent leur position et se joignent au reste de l’aile gauche pour la charge pendant que les tourne-ailes s’étendent vers la droite, en vue de lancer une manœuvre d’enveloppement85. Si la ligne de bataille ennemie est plus étendue, flanc-gardes et tourne-ailes doivent opérer une conversion (à gauche pour les premiers, à droite pour les seconds) et se déporter vers l’extérieur86 ; le centre avance contre l’ennemi et les ailes sont refusées, pour prévenir toute tentative d’enveloppement87. Si l’on dispose d’une première ligne plus étendue, c’est l’agencement inverse qui est recommandé : les merê ont pour instruction de ralentir pour permettre aux divisions latérales d’encercler l’adversaire, en se détachant de la première ligne88. Les tourne-ailes entrent alors 83
Ibid., III, 12, 2-4. Procop., Bell., II, 25, 13-8 : durant la marche d’approche, les soldats romains avancent sans ordre (ἄτακτοι κόσμῳ οὐδενί), sans constituer de lignes distinctes (οὔτε πη διακεκριμένοι ἐν τάξει) ; une fois la présence de l’ennemi signalée, ils forment hâtivement une ligne de bataille avec un centre et deux ailes ; au moment fatidique, ces trois divisions ne parviennent pas à manœuvrer en ordre, notamment à cause de la difficulté du terrain. 85 Maurice, Strat., III, 13, 8-9 et 14, 18-9. Si, pendant l’exécution de cette dernière manœuvre, les ennemis étendent eux aussi leur ligne (οἱ ἀντὶς ὁμοίως παρεκτείνεσθαι), les tourne-ailes doivent lancer leur charge immédiatement (εὐθέως κατ’ αὐτῶν ὁρμᾶν) : en opérant une conversion vers le flanc (στρεφομένων … ἐπὶ κέρας), l’ennemi va exposer sa droite (τὰ δεξιὰ αὐτῶν γυμνὰ ἔχειν) et sa formation sera relâchée (τὴν σφίγξιν διαλελυμένην). Cf. ibid., III, 14, 19-23. L’auteur précise que c’est aux tourne-ailes que revient la responsabilité d’entamer l’engagement : le meros du flanc droit ne lancera sa charge qu’à partir du moment où ces derniers auront commencé à semer la confusion dans les rangs ennemis (ibid., III, 14, 24-8). 86 Ibid., III, 13, 2-5 et 14, 9-12. 87 Ibid., III, 10, 44-6. C’est donc un cuneus qui est ainsi formé (cf. JANNIARD [2004b], 1012-30) : le centre est engagé en premier et si l’armée ennemie tente une manœuvre d’enveloppement, elle s’expose à la riposte des ailes refusées de l’armée impériale. 88 Maurice, Strat., III, 10, 53-5. La première ligne adopte ainsi la formation appelée forfex dans les traités militaires latins. Tout comme les tacticiens grecs qui l’ont précédé, Maurice parle plutôt de formation en « croissant » : « Mais si le flanc ennemi est plus court, il faut se presser d’incliner [les ailes] en croissant (σπεύδειν μηνοιειδῶς ἐπικλίνεσθαι) et de l’envelopper [le flanc ennemi] (καὶ ἐμπεριλαμβάνειν αὐτό) avant que le meros ne lance sa charge (πρὶν ἢ τὸ μέρος φθάσαι συμβάλασθαι), c’est-à-dire juste avant que le signal de la charge (φωνὴ τῆς συμβολῆς) ne soit donné. » (ibid., III, 13, 5-8). G.T. Dennis se méprend sur ce passage en traduisant : « they should [les flanc-gardes] hasten to advance in crescent formation. » (DENNIS [1984], 49). En suivant sa traduction 84
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immédiatement (εὐθέως) en action89 : le premier tagma charge en avant, formé sur cinq rangs ; le second tagma est stationné derrière, en formation irrégulière (δρουγγιστί) – son étendard doit être rabattu, de manière à ce qu’il passe inaperçu jusqu’au moment décisif – ; quand l’encerclement commence, à l’ordre exi (« Sortez ! »), la formation dissimulée déboîte soudainement pour charger l’ennemi à grande vitesse90. Une attaque de flanc analogue est opérée au même moment, ou un peu plus tard, par les flanc-gardes91. Cette manœuvre de double enveloppement est bien attestée dans les récits contemporains92. De la même manière, le Stratêgikon envisage les différents scénarios qui impliquent les lignes postérieures : ligne de soutien et arrière-garde. La première doit former une barrière pour permettre aux tagmata de la taxis promachôn de se reformer en sécurité à la suite d’un revers93. Cette manœuvre n’intervient qu’en cas d’extrême nécessité : les fuyards doivent d’abord tenter de se rallier dans l’intervalle qui les sépare de la deuxième ligne ; un retour offensif (torna !) peut leur permettre de repousser, seuls, leurs poursuivants. S’ils n’y parviennent pas, la deuxième ligne avance pour charger l’ennemi (adiuta !) et les fuyards trouvent refuge derrière elle en passant à travers les ouvertures ménagées et en dépit des remarques de RANCE (2000), 254 et n. 72, SYVÄNNE (2004), 137 en vient à postuler l’existence d’une formation en croissant qui aurait été adoptée par certains escadrons et serait une variante de la formation irrégulière, sans réaliser que l’auteur du traité désigne ici la forme prise par l’ensemble de la ligne de bataille. Voir, dans le même sens, l’utilisation de cette expression dans le chapitre consacré à la formation de chasse : Maurice, Strat., XII, D, 50-62. 89 Ibid., III, 14, 17-8. 90 Ibid., III, 14, 4-17. Cette manœuvre est également décrite par le DMS, 16 (éd. Müller p. 126, l. 27-p. 127, l. 2), qui recommande aux flanc-gardes de l’employer des deux côtés de la ligne de bataille pour envelopper les ailes de l’adversaire. 91 Maurice, Strat., III, 13, 5-8. L’auteur ne mentionne cependant pas de drungus dissimulé dans ce cas de figure. 92 Lors de la bataille de Casilinum en 554, les cavaliers romains sont rangés sur les ailes de l’armée et l’infanterie au centre. Narsès ordonne l’extension des ailes pour encercler l’adversaire. Cf. Agathias, II, 9, 2 : « Alors Narsès, ayant fait tourner (ἐπικάμψας) doucement et s’allonger les ailes (ὑπομηκύνας τὰ κέρα), en formant, comme le disent les tacticiens, une epikampios emprosthia (ἐπικάμπιον ἐμπροσθίαν), ordonne aux archers à cheval de tirer leurs flèches vers l’arrière, dans le dos des ennemis. » Théophylacte, VIII, 3, 2 décrit en d’autres termes une manœuvre fort comparable durant la deuxième bataille contre les Avars qui se déroule à proximité de Viminacium en 599 : les ailes de l’armée se séparent aussitôt (τὰ κέρατα περισχίσαι αὐτίκα) et « reçoivent » les Avars (τοὺς Ἀβάρους εἰσδέξασθαι), de telle sorte que ces derniers se retrouvent enveloppés au milieu du dispositif (κατειλημμένοι ἐν μέσῳ). 93 Maurice, Strat. III, 15, 5-12. L’auteur précise que la deuxième ligne doit toujours avancer en bon ordre (συντεταγμένος), de manière à dissuader les ennemis de poursuivre davantage.
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entre les merê. Ils se redéploient alors en formation irrégulière (δρουγγιστί) et repartent immédiatement à l’attaque94. Ce système exploite un ressort psychologique puissant : les soldats de la première ligne sont observés et jugés par ceux de la seconde, qui appartiennent à des unités plus prestigieuses. Ils sont l’objet d’encouragements95 mais aussi probablement de railleries de la part de leurs camarades qui n’hésiteront pas à se souvenir des fuyards ! Il est à noter que la deuxième ligne peut intervenir plus tôt, en particulier si l’adversaire est en train d’envelopper la taxis promachôn96. Quant à l’arrière-garde, elle a pour mission de repousser les tentatives d’attaque à revers. Si elle échoue dans cette tâche, la deuxième ligne effectue une contremarche et vient lui porter assistance97. Enfin, les cavaliers placés en embuscade sont utiles pour attaquer les arrières et les flancs de l’ennemi, mais aussi, en cas de nécessité, pour apporter un soutien rapide aux unités en difficulté. Elles doivent adopter une formation irrégulière (δρουγγιστί), probablement afin de se déplacer plus rapidement sur le champ de bataille98. La bataille de Dara (530 ap. J.-C.) illustre bien l’interdépendance des différentes articulations tactiques des armées impériales dans le cadre d’un engagement général (fig. 71)99. Nous avons décrit plus haut la nature du dispositif adopté par Bélisaire lors de cette rencontre. Il est important de rappeler que les Romains étaient en nette infériorité numérique et que les Perses, qui disposaient de forces mixtes, avaient eux aussi rangé leur armée avec un centre et deux ailes, sans compter d’importantes réserves100. Après 94
Ibid., III, 12, 10-21 ; DMS, 9-11 (éd. Müller p. 120-1). Maurice, Strat., III, 15, 15-6. 96 Ibid., III, 10, 55-8 ; VII, B, 5. 97 Ibid., III, 15, 21-30. 98 Ibid., IV, 5, 3-8. Les sources narratives contemporaines ont conservé la trace de nombreuses embuscades tactiques réalisées lors de batailles rangées : Soz., HE, VII, 24, 3 (bataille de la Rivière Froide, 394 ap. J.-C.) ; IX, 14, 2 ; Olympiodore, fr. 17, 2 (bataille d’Arles, 411 ap. J.-C.) ; Procop., Bell., I, 14, 33 et 39 (bataille de Dara, 530 ap. J.-C.) ; IV, 3, 7 (bataille de Tricamarum, 533 ap. J.-C. ; cf. supra, p. 628) ; VIII, 31, 6-7 (bataille de Taginae, 552 ap. J.-C. ; cf. supra, p. 622) ; Agathias, II, 8, 3 (bataille de Casilinum, 554 ap. J.-C.) ; 19, 3-12 (bataille de Chettos, hiver 558/559 ap. J.-C.). La récurrence de ce type de manœuvre pourrait suggèrer une volonté d’imitation des pratiques militaires hunniques et avares (JANNIARD [2015], 212), mais il convient de garder à l’esprit que la cavalerie romaine effectuait déjà ce type d’action sous le Principat, comme l’illustre l’exemple de la bataille d’Idistauiso (cf. supra, p. 296-7). 99 Cf. supra, p. 623-5 (avec bibliographie n. 24-5). 100 Procop., Bell., I, 13, 23 signale, côté romain, la présence de 25 000 soldats, sans préciser la proportion respective de fantassins et de cavaliers au sein de cet ensemble. GREATREX (1998), 174, n. 14 propose le même ratio que pour l’expédition contre les Vandales en 533, qu’il évalue (fautivement, cf. supra, p. 521-2) à 33% de cavaliers. L’armée perse se composait pour sa part de 50 000 combattants (Procop., Bell., I, 13, 23 et 14, 1), rangés en trois corps distincts : le centre commandé par Péroz, l’aile droite 95
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une intense préparation d’archerie, les deux lignes (d’infanterie ?) engagèrent le combat à la lance101. Procope signale à ce moment une attaque soudaine de l’aile droite sassanide contre l’aile gauche romaine (fig. 71.1). Celle-ci fut mise en difficulté et dut céder du terrain, mais elle fut immédiatement secourue par les Huns de Sunicas et d’Aigan, qui, comme nous l’avons vu, étaient postés dans l’angle extérieur gauche de la tranchée centrale102. Les alliés « massagètes » prirent en flanc les Perses occupés à poursuivre les Romains. Simultanément, les Hérules de Pharas surgirent des hauteurs dans lesquelles ils avaient été placés en embuscade, à l’est de la ville, et attaquèrent les arrières de l’aile droite ennemie (fig. 71.2)103. La déroute fut complète et les Perses perdirent 3 000 hommes dans cette action. Les rares rescapés se réfugièrent dans le giron de la phalange d’infanterie sassanide, contre laquelle se porta l’ensemble de l’aile gauche de Bélisaire104. De l’autre côte du champ de bataille, Procope note un retournement de situation similaire. L’aile gauche sassanide (renforcée par les Immortels, qui formaient au départ une troisième ligne de réserve) lança une attaque contre l’aile droite des Romains (fig. 71.3)105. Afin de contrer ce mouvement, Bélisaire fit transférer les Huns de Sunicas dans l’angle extérieur droit (ἐς γωνίαν τὴν ἐν δεξιᾷ) de la tranchée centrale, où se trouvait déjà l’autre contingent hunnique de Simmas et Ascan. Il fit suivre ce renfort d’une partie de ses bucellaires106. Alors que l’aile droite romaine commençait à se dérober face à l’attaque de la première ligne sassanide, les troupes positionnées dans l’angle lancèrent leur charge et séparèrent l’aile gauche sassanide des Immortels qui avançaient derrière eux (fig. 71.4)107. Elles les mirent en déroute mais furent attaquées à leur tour par les cavaliers de Baresmanas qui, s’étant aperçus de la manœuvre, mirent fin à leur poursuite pour se porter contre eux. L’aile droite romaine contre-chargea, si bien que les confiée à Pityaxes, et l’aile gauche dirigée par Baresmanas (ibid., I, 14, 29-32 ; confirmé par Malalas, XVIII, 50 ; voir aussi Maurice, Strat., XI, 1, 22-4). La description de la bataille par Procope implique que la cavalerie perse était placée sur les ailes alors que la phalange d’infanterie tenait le centre (en ce sens : OMAN [1898, 1924 2e éd.], 28-9). 101 Procop., Bell., I, 14, 35-7. Sur cette phase préliminaire, voir les remarques de GREATREX (1998), 180. 102 Procop., Bell., I, 14, 38-9. 103 Ibid., I, 14, 39-40. 104 Ibid., I, 14, 41-3. Procope ne signale plus de mouvement offensif sur cette partie du dispositif dans la suite de son récit et se contente de souligner que chaque camp se faisait face en ordre de bataille (ἐν τῇ παρατάξει ἑκάτεροι ἔστησαν ἀντίοι ἀλλήλοις). 105 Ibid., I, 14, 44. 106 Ibid., I, 14, 44-5. Cette manœuvre permet de comprendre pourquoi la tranchée centrale formait un saillant et non un rentrant : elle avait pour fonction de protéger d’éventuels transferts de troupes entre les deux ailes. 107 Ibid., I, 14, 45-7. Ce passage et la suite du texte suggèrent que les Huns servaient ici exceptionnellement comme cavalerie de choc, ce qui est confirmé par le Ps.-Zacharie (Chron., IX, 3a), qui explique, à propos de la même phase de la bataille, que Sunicas et Simmas, ainsi que leurs hommes, étaient armés de lances et d’épées (contra GREATREX [1998], 175 : « These Hunnic symmachoi were almost certainly composed entirely of horse-archers. »).
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Perses se retrouvèrent enveloppés108. 5 000 d’entre eux tombèrent. L’ensemble de l’armée sassanide, y compris l’infanterie, abandonna le combat et prit la fuite (fig. 71.5)109. Il s’agit là d’un succès militaire majeur de Bélisaire et la description de Procope montre bien que la victoire a été remportée grâce à l’excellente coordination tactique des troupes romaines, qui ont été capables de réagir efficacement au fil des événements, en manœuvrant sur de longues distances pour soutenir les parties les plus menacées du dispositif.
À l’échelle du meros, c’est-à-dire de la subdivision tactique la plus importante au sein de la taxis, la distinction entre cursores et defensores reproduit la complémentarité fonctionnelle entre la première et la deuxième ligne110. Nous avons vu que chaque meros se compose de trois moirai, une moira de defensores, qui concentre deux tiers des unités, et deux moirai de cursores, qui représentent un tiers des effectifs. Ces sousgroupes sont probablement séparés par de petits intervalles, qui leur permettent d’assurer leur fonction de manière indépendante. Le Stratêgikon décrit leurs missions respectives en ces termes : « On appelle cursores ceux qui avancent au galop au-delà de la ligne de bataille (οἱ προτρέχοντες τῆς παρατάξεως) et fondent rapidement sur l’ennemi lorsqu’il bat en retraite ; defensores ceux qui les suivent (ἐπακολουθοῦντες), sans partir au galop (ἐκτρέχοντες) ni rompre la formation (λύοντες τὴν τάξιν), mais en marchant en bon ordre (συντεταγμένως περιπατοῦντες), comme pour venger les cursores si ceux-ci étaient amenés à se replier. »111. On comprend ainsi que les cursores sont les troupes d’assaut, chargées 108
Procop., Bell., I, 14, 47-51. Ibid., I, 14, 52-3. 110 Sur ce sujet : BIVAR (1972), 289-90 ; SYVÄNNE (2004), 120-2, 146-9 et 159-60 ; JANNIARD (2015), 211. AUSSARESSES (1909), 75 (suivi par PERTUSI [1968], pl. iii) estime à tort que le Stratêgikon établit la distinction entre les deux catégories d’unité à l’échelle de la ligne de bataille : il y aurait un meros de defensores au centre et deux merê de cursores sur les ailes. 111 Maurice, Strat., I, 3, 26-30 : Κούρσορες δὲ λέγονται οἱ προτρέχοντες τῆς παρατάξεως καὶ τοῖς φεύγουσιν ἐχθροῖς ὀξέως ἐπιτιθέμενοι, δηφένσορες δὲ οἱ τούτοις μὲν ἐπακολουθοῦντες, μὴ ἐκτρέχοντες δὲ καὶ λύοντες τὴν τάξιν, ἀλλὰ συντεταγμένως περιπατοῦντες πρὸς ἐκδίκησιν τῶν κουρσόρων, εἴπερ αὐτοὺς ὡς εἰκὸς τραπῆναι συμβαίνῃ. Voir aussi ibid., III, 12, 5-10 : « Si les ennemis sont mis en déroute (τραπῶσιν οἱ ἐχθροί), alors les cursores doivent les prendre en chasse, en chargeant au galop jusqu’au camp ennemi (τοὺς μὲν κούρσορας σὺν ἐλασίᾳ ὁρμᾶν κατὰ τῶν ἐχθρῶν εἰς ἐπιδίωξιν ἕως αὐτοῦ φοσσάτου αὐτῶν). Les defensores doivent suivre en maintenant la formation (ἐπακολουθεῖν ἐν τάξει), sans rester derrière. De telle sorte que si l’ennemi fait demi-tour (ἀντιστρεφομένων) et que les cursores ne peuvent soutenir l’engagement au corps-à-corps (μὴ δυνηθῶσι βασθάσαι οἱ κούρσορες ἐκ τοῦ πλησίον), ces derniers puissent fuir derrière les defensores et se rallier (εἰς τοὺς δηφένσορας καταφεύγοντες πάλιν ἑαυτοὺς ἀνακαλέσωνται). » 109
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Figure 71 – Reconstitution schématique du déroulement de la bataille de Dara (530 ap. J.-C.).
d’infliger des pertes réelles à l’ennemi une fois que celui-ci a perdu pied dans le face-à-face initial, et que les defensores servent avant tout de force de dissuasion contre un éventuel retour offensif de l’ennemi. Maurice conseille de réserver les fonctions de cursores aux troupes « ethniques », c’est-à-dire aux contingents étrangers112. Nous pouvons donc déduire que les rangs des defensores étaient surtout occupés par la cavalerie régulière, entraînée à évoluer en formation serrée et ordonnée. La date d’apparition de cette division tactique a fait débat. Le Stratêgikon laisse entendre qu’il s’agit d’une nouveauté, issue d’une réforme contemporaine. Décrivant l’exercice scythe dont il a été question plus haut, Maurice souligne que les tagmata y sont tous formés de la même manière, et non suivant la distinction entre cursores et defensores, qui est en vigueur « depuis peu » (ὡς πρώην)113. Au regard de tout ce que nous 112
Ibid., II, 6, 33-5. Ibid., VI, 1, 2-3 : Σκυθική ἐστιν ἡ ἀδιακρίτως ἔχουσα τὰ τάγματα, τουτέστιν, ὡς πρώην, οὐκ εἰς κούρσορας καὶ δηφένσορας διῃρημένα. 113
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avons pu voir précédemment, il nous semble absolument inconcevable de considérer qu’une telle répartition des rôles n’existait pas avant le règne de Maurice, au moins à un niveau informel114. L’Ordre de bataille contre les Alains montre qu’au IIe s., la cavalerie impériale devait agir exactement de la même manière lors de la poursuite, et plusieurs exemples tardo-républicains suggèrent que cette pratique était déjà devenue banale bien avant les réformes du Principat. Certains récits d’époque protobyzantine révèlent le fonctionnement du système décrit par le Stratêgikon de façon toute aussi explicite. À Tricamarum, Procope relate qu’au sein de la division centrale de la ligne de bataille (celle des bucellaires placés sous le commandement de Jean l’Arménien), certains escadrons furent détachés à plusieurs reprises en avant du dispositif pour escarmoucher avec l’ennemi115. Plus proche de l’époque de Maurice, Agathias décrit en des termes révélateurs les opérations de pillage organisées par Narsès en Émilie en 553 : l’attaque fut conduite « de manière désordonnée » (ξὺν ἀκοσμίᾳ) par les Hérules, suivis par des compagnies (tagmata) romaines116. S’il n’y eut donc pas de nouveauté, pourquoi Maurice laisset-il entendre l’inverse ? Peut-être parce que cette pratique n’avait jamais été officialisée dans les règlements militaires et était avant tout affaire de circonstances, ou bien parce qu’elle était ordinairement mise en œuvre de manière différente, dans le cadre d’une spécialisation qui se faisait au sein même des tagmata117. À partir de Maurice ou de ses prédécesseurs immédiats, il y avait désormais obligation pour chaque meros d’avoir une proportion définie de defensores et de cursores en son sein. Ce qui était 114 Voir en ce sens SYVÄNNE (2004), 121 (bien que la bataille de Callinicum n’apporte aucune preuve de la mise en œuvre de ce système, contrairement à ce que suggère l’auteur). 115 Cf. Procop., Bell., IV, 3, 10-3 : « Après qu’un temps considérable se soit écoulé sans que personne ne commence le combat, Jean choisit quelques-uns des siens (τῶν ἀμφ’ αὐτὸν ὀλίγους) sur l’avis de Bélisaire et, traversant la rivière [qui séparait les deux lignes de bataille], lança une attaque contre le centre, où Tzanon les repoussa et les prit en poursuite (ὠθισμῷ χρησάμενος ἐδίωξεν αὐτούς). Les Romains, en déroute, se replièrent jusque dans leur camp (στρατόπεδον), cependant que les Vandales qui les poursuivaient allèrent jusqu’au cours d’eau, mais ne le traversèrent pas. Et une fois de plus, Jean, emmenant davantage de porte-boucliers de Bélisaire (πλείους τῶν Βελισαρίου ὑπασπιστῶν), fit une incursion (ἐσεπήδησε) contre les forces de Tzanon et, étant à nouveau repoussé, se retira vers le camp romain. » Voir également, chez le même auteur, les exemples des batailles des Scalae Veteres (supra, p. 620) et d’Oinochalakon (Procop., Bell., II, 3, 20-1). 116 Agathias, I, 14, 4 : καὶ ὁρμῇ παραλόγῳ πίσυνος ἐπαγόμενος ξὺν ἀκοσμίᾳ τὸ τῶν Ἐρούλων στράτευμα καὶ ἄλλους ὁπόσοι ἐκ τῶν Ῥωμαϊκῶν εἵποντό οἱ ταγμάτων. Cette formulation pourrait bien dissimuler le rôle spécifique des ethnikoi dans la division fonctionnelle du meros. 117 Cf. infra, p. 671-2.
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jusqu’ici une pratique empirique était désormais institué de façon définitive et contraignante118. II – L’ÉCHELON DE L’ESCADRON L’escadron ou tagma (200 à 400 cavaliers) constitue l’environnement immédiat du cavalier sur le champ de bataille119. Il s’agit de la subdivision tactique fondamentale de la cavalerie proto-byzantine : elle dispose de ses propres signes de ralliement, d’une chaîne de commandement cohérente et d’une relative capacité d’initiative. Jamais un combattant ne doit s’en séparer. Il existe des sous-ensembles à un niveau inférieur (centurie / hékatontarchie, dékarchie), mais il s’agit de simples articulations qui n’ont aucune autonomie tactique et servent principalement à faciliter l’encadrement de l’unité.
A. Le tagma de cavalerie et la tactique de l’escadron Le tagma / bandon se constitue de trois hékatontarchies ou centuries pour un effectif théorique de 310 hommes. Ces centuries sont rangées côte à côte et ne semblent pas séparées par des intervalles120. Le commandant de la centurie centrale est le chef de l’escadron ; il porte le titre de tribun ou de comte. Le commandant en second (probablement à la tête de la centurie de droite) porte le titre d’ilarque ; le troisième est simplement hékatontarque (centenarius)121. Chaque hékatontarchie se compose de dix files (ἀκίαι) de soldats (onze pour la centurie centrale). Le De 118 La raison d’une telle réforme doit demeurer un mystère et il n’est pas assuré que l’influence nomade ait été aussi décisive qu’on ne le pense habituellement (DARKÓ [1937], 130-2 ; SYVÄNNE [2004], 122 ; JANNIARD [2015], 211). À aucun moment le Stratêgikon ne précise que les « Scythes » ou les Avars avaient recours à un tel mode opératoire. Les sources médiévales décrivent tout autre chose pour les Mongols. Dans son tableau des mœurs militaires de ce peuple, Jean de Plan Carpin mentionne une ligne de bataille unique composée de deux rangs de cavaliers lourds puis de trois d’archers montés : les archers montés passent entre les files des cavaliers lourds pour partir à l’assaut de l’ennemi pendant que les cuirassiers demeurent sur place ; chaque unité se compose donc d’un certain nombre d’escarmoucheurs et de défenseurs (CHALIAND [1995], 133-4). 119 Voir AUSSARESSES (1909), 20-32 et SYVÄNNE (2004), 133-5. 120 Contrairement à ce que suggèrent les diagrammes visibles dans DENNIS & GAMILLSCHEG (1981), 148-53. Cf. MAZZUCCHI (1981), 113-5. 121 Maurice, Strat., I, 3, 16-9 ; I, 4, 8-10. Voir diagramme III, 2. Cette chaîne de commandement est visiblement calquée sur la séquence hiérarchique tribunus / ducenarius / centenarius du Bas-Empire (cf. supra, p. 469 et s.).
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militari scientia recommande de placer les meilleures files au centre de l’escadron et sur ses ailes, de manière à protéger l’étendard et les flancs de l’unité de la façon la plus efficace possible122. Le chef de file, qui se tient au premier rang, porte le titre de dékarque et commande les neuf autres soldats de l’escouade (κοντουβέρνιον). Le gradé en second porte le titre de pentarque et se tient immédiatement derrière lui, au deuxième rang. Le tétrarque, aussi désigné sous le nom de « garde » (φύλαξ), a la fonction de serre-file (οὐραγός)123. La complémentarité tactique se retrouve au sein du contubernium : les soldats des deux premiers rangs et le serre-file sont des lanciers (contati) plus lourdement armés et plus expérimentés. Les autres soldats du milieu de la file sont équipés d’arcs ou d’autres armes en fonction de leurs compétences respectives. Ils sont généralement plus jeunes et moins chevronnés124. La profondeur de l’escadron varie en fonction des unités. L’effectif de dix soldats par file est purement indicatif et Maurice conseille de ne pas adopter de règle uniforme125. Il faut avant tour tenir compte de la qualité de chaque corps de troupe : les escadrons d’optimates, constitués de soldats d’élite, pourront être déployés sur seulement cinq rangs, les fédérés et les uexillationes sur sept rangs, les Illyriciani sur huit et les autres tagmata sur huit à dix rangs126. La plupart du temps, l’auteur laisse cependant entendre que les 122
DMS, 1 (éd. Müller p. 113, l. 21-7). Maurice, I, 3, 19-21 ; I, 5, 8-18 ; VII, A, 2 ; VII, B, 17, 7-13. 124 L’organisation du tagma permet ainsi d’« emprisonner » les éléments les plus fragiles (et donc les plus susceptibles de se dérober devant la perspective du choc) dans la structure interne de l’escadron et de canaliser le stress de la bataille en confiant le corpsà-corps aux éléments les plus solides. Voir aussi SYVÄNNE (2004), 135 : « By positioning both heavy and light elements within the same formation, the Romans removed the tendency of dual-purpose troops to concentrate on the ranged fire at the expense of melee. » 125 Maurice, Strat., II, 6, 40-5 : « jusqu’aux temps présents » (μέχρι τοῦ παρόντος), la pratique a été de former tous les tagmata sur dix rangs de profondeur (ἀπὸ δέκα πάντων τῶν ταγμάτων ἴσως τασσομένων) ; pratique funeste car l’ennemi était alors en mesure d’estimer facilement la force des armées romaines en comptant les chefs de file. Et l’auteur d’en appeler à la sagesse des anciens, pour lesquels quatre rangs étaient suffisants (II, 6, 2-5). Ce « modèle ancien » (τὸ ἀρχαῖον σχῆμα) a probablement été puisé chez Élien qui est le seul tacticien grec à évoquer une formation de cette profondeur (Ael., Tact., 18, 6). Maurice mobilise d’ailleurs le même argument que son prédécesseur pour justifier l’inutilité des formations trop profondes : les rangs postérieurs ne peuvent pousser vers le premier rang comme dans une mêlée d’infanterie (Strat., II, 6, 5-9 ; cf. Ael., Tact., 18, 8). Il fait aussi valoir son propre point de vue : les soldats du front (πρωτοστάται) ne pourront recevoir l’aide des rangs postérieurs et les archers seront forcés de tirer en hauteur (ὕψος… τοξεύειν) pour ne pas blesser les hommes en face d’eux, ce qui les rendra inutiles durant les mêlées contre l’ennemi (Maurice, Strat., II, 6, 9-15). 126 Ibid., II, 6, 17-35. Il convient cependant de ne pas trop exagérer ces différences. Les optimates, par exemple, ont dans les faits une dékarchie de sept hommes, car les cinq soldats (στρατιῶται) de la file sont suivis de deux armati (ἀρμάτοι). Il ne fait aucun doute 123
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files se constituent bien de dix soldats et qu’elles peuvent être divisées par deux, grâce à une manœuvre de dédoublement des files, pour former un escadron sur cinq rangs de profondeur, κατὰ πενταρχίαν127. Pour sa part, Syrianus Magister ne dit pas explicitement quelle doit être la profondeur de l’unité, mais il semble bien attribuer un effectif théorique de dix soldats à l’escouade-file dans son traité128. Diagramme 3 – Déploiement du tagma de cavaliers d’après le Stratêgikon. κ π ι ι ι ι ι ι ι φ
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λ π ι ι ι ι ι ι ι φ
χ : tribun ou comte κ : hékatontarque λ : ilarque β : porteur du bandon α : porte-cape υ : bucinator δ : dékarque π : pentarque φ : tétrarque ι : cavalier
Dans le Stratêgikon, la position des officiers est indiquée sur les diagrammes détaillant l’organisation du tagma. Le porte-étendard (βανδοφόρος) se tient en tête de la file du milieu de la centurie centrale. Le commandant en chef de l’escadron est positionné immédiatement sur sa gauche. L’instrumentiste (βουκινάτωρ) se trouve derrière lui. L’hékatontarque et l’ilarque figurent au premier rang, du côté extérieur de leur que ces armati sont des valets d’armes : en I, 3, 25, l’auteur les qualifie de ὑπασπισταί et en II, 6, 45-8, il les compare aux παῖδες des foederati. Pour des exemples contemporains : Procop., Bell., III, 8, 12 et VIII, 26, 12. Voir RANCE (2005), 444, n. 71. 127 Maurice, Strat., XII, B, 13, 6-7. C’est probablement la manœuvre qui justifiait à l’origine l’existence du binôme exarque / bis exarque (cf. supra, p. 471-2). Dans un autre passage, Maurice souligne qu’un escadron peut se former en dékarchies ou en pentarchies (ibid., IV, 5, 17-8 : κατὰ δεκαρχίαν ἢ πενταρχίαν). La manœuvre de dédoublement des files est décrite avec plus de détails dans le DMS, 3 (éd. Müller p. 115, l. 28-p. 116, l. 8) : à l’ordre exi (« sortez ! »), un cavalier sur deux quitte la file et vient former une nouvelle file dans l’intervalle qui se trouve juste à côté ; pour reconstituer des files de dix soldats, on effectue la manœuvre inverse à l’ordre intra (« entrez ! »). 128 Syr. Mag., Strat., 15, 87 ; 17, 1-8 ; 18, 34 ; 29, 18-24 et 29.
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centurie, probablement pour pouvoir communiquer plus facilement avec leurs homologues des tagmata voisins129. Un détail intéressant apparaît sur l’un des diagrammes du manuel : les files du porte-étendard et du commandant sont séparées des files voisines par de larges intervalles130. Comme le suggère Ilka Syvänne, ces espaces ont probablement pour fonction de laisser aux commandants (et à plus forte raison s’il s’agit de l’hypostratège ou d’un mérarque) la possibilité de se déporter librement vers l’arrière, que ce soit pour ne pas être exposé au cours de la mêlée ou pour exécuter une contremarche131. Dans le premier cas, un ou plusieurs soldats, passent devant l’officier supérieur, en première ligne, pour faire écran132. D’autres cadres sont mentionnés à plusieurs reprises dans le traité, mais leur poste au sein de la ligne n’est pas renseigné : c’est notamment le cas des mandatores qui sont au nombre de deux par bandon133. Lors des engagements, ces estafattes sont probablement détachées du tagma, comme d’autres spécialistes : selon Maurice, chaque escadron fournit ainsi six ou huit ambulanciers, deux éclaireurs, deux mensores, deux anticensores et un garde des bagages (τουλδοφύλακα), qui n’ont pas de place assignée dans la parataxis134. Les mandatores doivent 129 Cf. Maurice, Strat., III, 2, avec MAZZUCCHI (1981), 113-5. Le DMS, 1 (éd. Müller p. 113, l. 24-32) donne des informations divergentes : le commandant est en tête de la file du milieu et le porte-étendard se tient immédiatement derrière lui. Mais le passage est d’une très grande confusion car l’auteur affirme juste après que le porte-étendard est à la tête de la file qui se trouve à gauche de celle du commandant, avec le bucinator derrière lui, en deuxième place. 130 Cf. Maurice, Strat., III, 4. Ces deux files centrales sont implicitement associées à la défense de l’étendard. Cf. ibid., II, 15, 2-5 : « dans la mesure où, comme le montre le diagramme, tous les étendards ont été alignés le long du front de la formation, quinze à vingt des soldats les plus braves doivent être attachés à la garde et à la défense de l’étendard ». Le total de vingt soldats correspond à deux files à pied complet. Quinze pourrait est être le total arrondi de deux files d’optimates, armatoi compris. 131 SYVÄNNE (2004), 144-5. Pour la contremarche, voir infra, p. 654-5. 132 Cf. Maurice, Strat., II, 16 : les officiers supérieurs (ἄρχοντας τοὺς μείζονας) doivent être stationnés a l’abri du danger (ἀσφαλῶς) et ne pas prendre part au combat ; lorsque l’armée est à une ou deux portées de flèche de l’ennemi, l’hypostratège et le mérarque se tiennent sur la même ligne (ἰσομετώπους) que l’étendard de manière à surperviser et aligner la formation ; quand la rencontre (συμβολή) est imminente, leurs propres hommes, les meilleurs (ἐκ τῶν ἰδικῶν αὐτῶν ἀνθρώπων τοὺς γενναιοτέρους), qui sont stationnés sur leurs flancs (πλάγιον αὐτῶν), doivent avancer (προέρχεσθαι) devant eux et former un écran (σκέπειν) ; ce sont eux qui devront engager le corps à corps. Il est difficile de savoir de quels soldats de la formation il est ici question. I. Syvänne (n. précédente) suppose qu’il s’agit de soldats du troisième rang mais cela s’accorde difficilement avec le fait que ces soldats se trouvent initialement « à côté » de l’officier. 133 Ibid., I, 5, 16 ; VII, B, 17, 21. 134 Ibid., VII, B, 17, 14-35.
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cependant rester proches de leur unité d’appartenance, car ils ont pour mission de communiquer les ordres à voix haute. Leur absence des diagrammes s’explique peut-être dans la mesure où ils suivent l’escadron extra ordinem, afin d’effectuer plus facilement leurs liaisons avec les officiers supérieurs de la ligne de bataille135. Ils doivent savoir parler latin, grec, voire perse, et se tenir à proximité des officiers supérieurs lorsque l’armée a établi son cantonnement, pour être tenus au courant du plan de bataille136. Au seuil de l’affrontement, les instructions données à chaque tagma par leur intermédiaire reflètent bien ce que le commandement attend de chaque escadron : Silentium, nemo demittat, nemo antecedat bandum, siue minas siue recala facis, bandum capta, ipso seque cum bando milix, talis est commodum militis barbati, si uero bandum demittes eo modo non uero uices, serua milix ordinem, post eum ipse te serua et tu bandifer, siue pugnas siue seques inimicum siue recala facis, non forte minare ut ne sparges tu suum ordinem. (« Silence. Ne quittez pas l’étendard, n’avancez pas au-delà de l’étendard, que vous soyez en train de charger ou d’effectuer une retraite. Ne perdez pas l’étendard de vue. Suivez-le avec votre escadron, soldat. C’est ainsi qu’un brave soldat doit se conduire. Si vous quittez l’étendard, alors vous ne serez pas victorieux. Soldat, tenez votre position dans le rang, restez derrière lui [l’étendard]. Et vous, porte-étendard, que vous combattiez, poursuiviez l’ennemi ou soyez en train de vous replier, ne chargez pas de manière impétueuse en causant une rupture des rangs. »)137.
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Autre témoignage de leur position en dehors des rangs de l’escadron : les mandatores inspectent le champ de bataille avant l’engagement (VII, B, 16, 20). Contra AUSSARESSES (1909), 23 : « Au combat, il marche sur le front des troupes avec le capitaine. » Le DMS, 1 (éd. Müller p. 113, l. 26) place les mandatores dans la file du commandant de l’unité, mais il n’est pas certain que cela reflète la pratique en vigueur à l’époque de Maurice. 136 Maurice, Strat., XII, B, 7, 3. Plus que comme des crieurs, les mandatores doivent être définis comme des estafettes. Ils sont en effet trop peu nombreux pour être entendus d’une unité pouvant comprendre jusqu’à 400 soldats. Durant les manœuvres, il convient de rappeler qu’un cavalier peut à peine discerner ce que crie un camarade situé à cinq ou six files de distance. Il devait donc y avoir des soldats chargés de répercuter les ordres au sein de l’escadron, mais le Stratêgikon ne les mentionne pas. Peut-être s’agissait-t-il tout simplement des sous-officiers et plus particulièrement des dékarques (cf. ibid., I, 6, 29-31). 137 Ibid., III, 5, 3-8. Nous utilisons ici la version du texte récemment proposée par RANCE (2010), 79-92. Les corrections apportées à la leçon de G.T. Dennis concernent siue minas siue recala facis (contra : sic uenias uero aequalis facies) ; serua milix ordinem, post eum ipse te serua et tu bandifer (contra : serua milix ordinem positum. Ipsum serue et tu bandifer) et siue recala facis (contra : siue aequalis facies). Rance s’appuie sur le De militari scientia (voir notamment DMS, 8 [éd. Müller p. 120]) pour restituer l’expression recala facis, dont le sens a échappé au copiste de la recension authentique du Stratêgikon, aux copistes des recensions interpolées et aux éditeurs modernes. Il est difficile de dire à quand remonte l’adoption du mot *recala dans le jargon militaire romain. Veg.,
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Cette litanie impérieuse montre que les cavaliers doivent avoir constamment les yeux rivés sur le signe de ralliement que constitue l’étendard (βάνδον)138. Celui-ci a une forte valeur symbolique – il incarne l’honneur de l’escadron –, mais il a aussi surtout une utilité pratique essentielle – il sert de point de repère et permet de guider les soldats. Dans un autre passage du traité, Maurice souligne que les drapeaux (βάνδα) de chaque meros ont la même couleur, de même que les banderoles (φλάμουλα) de chaque moira, ce qui permet de ne pas les confondre. L’auteur parle aussi de signes distinctifs (ἰδικὰ σημεῖα), qui permettent à tous les soldats de reconnaître les étendards de leur meros, de leur moira et de leur tagma. Les étendards des mérarques sont particulièrement visibles : ils sont plus grands et de conception différente, et peuvent donc être identités de très loin ; ils doivent être agités par leur bandifer d’une manière caractéristique, convenue à l’avance, qui ne sera pas la même pour les autres étendards139. Aux ordres transmis par voie orale correspondent des signaux sonores, émis par l’instrumentiste de l’escadron, qui porte le nom de bucinator140. Deux instruments sont attestés dans le Stratêgikon : la bucina et la tuba. Les deux sont vraisemblablement utilisés par le même individu. Il est difficile de savoir si l’usage leur réserve des fonctions différentes, ce que le traité ne précise pas de façon explicite. Cependant, on peut déduire de certains passages du Stratêgikon que la bucina marque les avancées et les mouvements offensifs, alors que la tuba est plutôt réservée aux arrêts et aux mouvements de repli141. Mil., I, 27, 3 utilise plutôt recursus pour désigner la même manœuvre de retraite, mais dans un passage qui paraphrase peut-être un texte antérieur. 138 Cf. AUSSARASSES (1909), 23-5 ; DENNIS (1981) ; MÉA (2014), 323-6. 139 Maurice, Strat., I, 2, 75-82 ; II, 14 ; VII, B, 16, 25-37. Allusions au rôle du porteétendard (bandifer) dans les sources narratives : Procop., Bell., II, 18, 24-6 ; IV, 2, 1 ; 3, 5 ; 10, 3-4 ; Agathias, III, 24, 8 ; 25, 8 ; Théophylacte, III, 6, 4 ; VII, 3, 3. Selon le DMS, 1 (éd. Müller p. 113, l. 28-31), la fonction du « porte-cape » (ὁ τὴν κάππαν βαστάζων) qui, dans l’agencement de l’escadron, se trouve immédiatement derrière le porte-étendard, est de remplacer le bandifer si celui-ci est en danger. 140 Cf. MÉA (2014), 327-30 et RANCE, s.v. « Music: Late Empire », dans ERA, II, 671-2 pour une analyse générale des occurrences dans les sources tardo-antiques. Sur le Stratêgikon spécifiquement : AUSSARESSES (1909), 25. Selon Jean Lyd., De mag., I, 46, l’appellation bucinator était réservée à la cavalerie alors que les tubicines servaient uniquement dans l’infanterie. Le Stratêgikon montre que des bucinatores sont attestés dans les deux armes, mais la fonction de tubator apparaît uniquement chez les fantassins (Strat., XI, B, 11, 6-10 ; 22, 33). 141 Maurice, Strat., III, 5, 9-13 : « Si le commandant veut que les troupes avancent, il crie : moue, l’équivalent de kinêson en grec. Ce signal peut aussi être donné par la bucina (βουκίνῳ) ou par signe de la banderole. Alors [le tagma] avance. Si l’on veut qu’il s’arrête, on crie l’ordre : sta, ou on donne le signal par un claquement du bouclier ou encore par un mouvement de la main ou au son de la tuba (τούβᾳ). Alors [le tagma] s’arrête. »
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Figure 72 – Manœuvres du tagma décrites par le Stratêgikon.
En dehors de ces instructions de base, destinées à réguler l’allure de l’escadron, les manœuvres réglementaires sont réduites au minimum car toujours très difficiles à exécuter dans le feu de l’action (fig. 72)142. L’une Ibid., VII, B, 10, 10-1 : « en sonnant la trompette, ce qui est le signal de la retraite » (ἢ τούβας βαλλομένης, τουτέστι τὸ ἀνακλητικὸν σημαινούσης). Informations répétées dans le DMS, 3 (éd. Müller p. 115, l. 21-5). Dans le même sens : Procop., Bell., VI, 23, 23-9. Selon Maurice, il n’est pas nécessaire d’avoir plus d’un bucinator dans chaque meros (ibid., II, 17 ; VII, B, 16, 13-4). En dehors du Stratêgikon, les attestations de bucinatores sont rares : SEG, IX, 356 (§14) et 414 ; Dig., L, 6, 7 ; P. Oxy., XVI, 1903, l. 8 ; Théophane, Chron., AM. 6146 (p. 345). 142 Cf. MOTTIN DE LA BALME (1776), 114-5 (graphie et orthographe modernisées) : « Cependant, il est très essentiel, qu’à la guerre on soit bien sûr de sa besogne, que l’on ne confonde point les principes sur lesquels on a été exercé ; que tous les mouvemens soient urgents, précis et célères. Outre que les troupes prennent à mauvais augure les caracoles qu’on pourrait leur faire exécuter avant le combat, on ne doit jamais oublier qu’il
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des plus utiles est la conversion à 90°, permettant à l’unité de se déporter vers la gauche (depone senestra) ou vers la droite (depone dextra), en conservant son ordonnancement d’origine. Ce mouvement peut être exécuté par un meros entier : dans ce cas, chaque bandon effectue un quart de tour dans la direction souhaitée puis avance tout droit (c’est de cette manière que doivent procéder les flanc-gardes et les tourne-ailes pour étendre la ligne de bataille vers les flancs)143. La conversion peut aussi consister en une contremarche (180°). Il y a cette fois-ci deux modalités d’exécution, adaptées à des circonstances différentes. Si un faible nombre d’ennemi apparaît brusquement sur les arrières de la ligne, l’ordre est transforma : chaque soldat effectue un demi-tour sur place (les serre-files deviennent donc les têtes de file) ; seuls le commandant et le porte-étendard se déplacent vers l’arrière, en empruntant probablement les couloirs laissés ouverts au niveau des files centrales, comme indiqué plus haut144. Cette manœuvre permet de réagir rapidement face à une menace imminente, mais au prix d’une altération de la structure de l’escadron. À l’inverse, si les ennemis sont nombreux, l’ordre est transmuta : chaque unité exécute collectivement une conversion à 180°, si bien que les banda changent de front sans altérer leur formation et sont à même de combattre se trouve des obstacles imprévus ; que les hommes n’ont pas tous la même liberté d’esprit pour agir d’après les commandements qui d’ailleurs sont mal entendus et que mille objets nouveaux les occupent ; que les chevaux sont plus difficiles à diriger et qu’on ne doit pas les épuiser de fatigue ; enfin, que toutes les rumeurs guerrières et les coups qui peuvent porter sur les escadrons, joints à ce qui a été observé ci-dessus, occasionnent des désordres presque toujours funestes. » 143 Maurice, Strat., III, 5, 51-5 : « Pour opérer une conversion vers la gauche ou la droite de façon ordonnée (Μετατίθεσθαι συντεταγμένως ἀριστερὰ καὶ δεξιά), une manœuvre nécessaire pour les flanc-gardes et les tourne-ailes, on donne l’ordre depone senestra ; pour la droite, depone dextra. Réaliser une conversion (μετατίθεται) peut se faire avec un seul bandon, mais s’ils sont plusieurs, alors le premier opère sa conversion (μετατιθεμένου) et les autres font de même. » Voir également DMS, 3 (éd. Müller p. 116, l. 13-9). En Strat., III, 14, 22-3, Maurice affirme que les escadrons qui effectuent cette action ont le flanc exposé, il ne s’agit donc pas d’une marche oblique. 144 Ibid., III, 5, 56-61 : « Pour opérer une contremarche (Μεταλλάσσεσθαι), en restant à sa position (ἵστανται τόποις), tout en changeant le front de la formation (μέτωπον τῆς παρατάξεως ἀλλάσσοντες), quand de manière subite l’ennemi se porte sur l’arrière, l’ordre donné est transforma. En restant sur place (Καί, ὡς ἵστανται ἐν τοῖς τόποις αὐτῶν), on tourne son regard vers l’arrière (ἐπὶ οὐρὰν βλέπουσι), seuls les étendards (βανδοφόρων) et les officiers (ἀρχόντων) se déplacent vers le front arrière (κατ’ οὐρὰν μέτωπον). » La manœuvre de la contremarche par cavalier est très bien décrite par Agathias, I, 22, 5 lors d’une fausse fuite exécutée par les bucellaires de Narsès contre les Francs près de Rimini, à l’hiver 552-553 (trad. P. Maraval) : « soudain, au signal du général, les Romains firent faire demi-tour aux chevaux (ἐπιστρέψαντες οἱ Ῥωμαῖοι τοὺς ἵππους) et, faisant eux-mêmes volte-face, ils marchaient à la rencontre de leurs poursuivants (καὶ ἐς τἀναντία σφᾶς αὐτοὺς ἐξελίξαντες ὑπηντίαζον τοῖς διώκουσιν ἀντιμέτωποι). »
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dans les meilleures conditions145. On notera que pour les conversions par escadron, le verbe technique employé par Maurice est μετατίθεσθαι. Pour les conversions par soldat, il s’agit de μεταλλάσσεσθαι. Enfin, μεταβολή renvoie aux virages effectués par l’escadron en cours de marche ou au galop146. La rapidité d’exécution des manœuvres dépend de la formation tactique adoptée par l’unité qui les exécute147. Le Stratêgikon n’en compte que deux : la formation linéaire, par rangs et par files (συντεταγμένως), et la formation irrégulière ou non linéaire (δρουγγιστί). La première, qui est celle présentée dans les diagrammes, est privilégiée lorsqu’il s’agit de former « une grande ligne de bataille » (μακρᾶς παρατάξεως). Elle est plus impressionnante (κομπή), plus puissante (ἰσχυροτέρα), mieux ordonnée (εὐτακτοτέρα) et peut, lors de l’engagement, charger avec plus de fermeté (ἀσφαλῶς τὰς συμβολὰς) ; mais elle est également plus lente (βραδέα), difficile à manœuvrer (δυσμετάθετός) et peu flexible (μονότροπος). Le drungus a les caractéristiques inverses. Il peut facilement se dissimuler pour les embuscades (ἐνέδραις γὰρ εὐκόλως λανθάνειν δύναται), se satisfait de peu de place (ὀλίγῳ τόπῳ ἀρκουμένη), et peut être manœuvré rapidement (συντόμως μετατίθεται), de manière à apporter un soutien rapide ou mener une charge brusquée148. Cette formation est donc employée, de préférence, par les embuscadiers, par le tagma dissimulé derrière les tourne-ailes et par les cursores durant la poursuite149. Elle est particulièrement en faveur chez les nomades « scythes », 145 Maurice, Strat., III, 5, 61-2 : « Si une multitude d’ennemis apparaissent à l’arrière (πλῆθος ἐχθρῶν ἐπιφανῇ ὄπιθεν), l’ordre est transmuta. Alors on change [de front] par bandon (κατὰ βάνδον μετατίθενται). » Voir aussi DMS, 3 (éd. Müller p. 116, l. 31-p. 117, l. 1). Le même traité décrit une manœuvre légèrement différente, qu’il est plus commode d’employer lorsque l’escadron est en formation lâche : à l’ordre muta locum (« changez de place ! »), les cavaliers empruntent les intervalles laissés libres entre les files, dékarque en tête, et se redéploient à l’arrière (p. 116, l. 19-24). 146 Maurice, Strat., XII, B, 13. AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 276 décrit tout l’avantage de ce type de manœuvre : « Il est un moyen d’éviter les quarts de conversion, c’est de porter les escadrons sur la droite ou sur la gauche, par des pas de côtés, et c’est ce qu’on appelle fuir les talons : cette méthode […] est excellente, en ce que les escadrons qui s’en servent n’étant pas sujets à de grands mouvemens, ne sont point dans le cas de rompre, et qu’ils sont toujours en état d’attaquer ou de se défendre, en conservant le terrain de l’alignement général. » Cela dit, tout changement de direction devenait impossible lorsque l’escadron était engagé dans une charge contre un adversaire et que les rangs se resserraient. Cf. NOLAN (1853), 219. 147 SYVÄNNE (2004), 135-41. 148 Maurice, Strat., IV, 5, 3-22. 149 Ibid., I, 3, 26-30 ; III, 14, 32-4 ; III, 5, 63-9 ; 77-85 ; 86-92 ; 110-26 ; IV, 5, 7-19. Il faut cependant faire attention au sens générique que peut avoir cette expression, qui peut aussi renvoyer à un corps de bataille au sens large : I, 3, 14-5 ; IX, 3, 103-4 (meros) ; II,
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dont la science tactique privilégie la surprise et la rapidité d’action, et prend alors la forme d’un « coin » (κοῦνα), probablement dans la mesure où la seule règle qui préside à son déploiement consiste à suivre le cornette en tête d’escadron150. Il est important de noter que la formation par rangs et par files comprend deux déclinaisons : l’ordre ouvert (ἀραιὰ τάξις) et l’ordre serré (σφιγγομένη τάξις). L’ordre ouvert est utilisé avec profit durant toutes les phases de manœuvre qui précèdent l’affrontement. Il facilite les évolutions et les contremarches en laissant plus d’espace à chaque cavalier151. Pour sa part, l’ordre serré est adopté juste avant la charge, lorsque le choc est recherché : les files et les rangs se rapprochent au maximum, pour donner à l’escadron un aspect plus massif et terrifiant ; cela limite aussi les risques de défection, car les cavaliers n’ont plus la possibilité de sortir du peloton152. Le Stratêgikon suggère que l’espace normal occupé par chaque soldat dans une formation serrée est de trois pieds de front (c. 90 cm) et huit pieds de profondeur (c. 240 cm)153. Cela correspond à la norme d’espacement observée par 1, 19-20 (moira). Le terme peut aussi être appliqué aux petits groupes de fantassins légers (ibid., XII, B, 20, 32-2). Voir RANCE (2004a), qui met en évidence l’étymologie celtique de ce terme, probablement emprunté aux Gaulois, et souligne la parenté de cette formation avec le globus de la tradition tactique latine. 150 Maurice, Strat., XI, 2, 40-3 et 54-5. Cette périphrase explicative est une allusion aux taktika antérieurs, qui répètent inlassablement que les Scythes ont inventé la formation en éperon (ἔμβολον) : Asclep., 7, 3 ; Ael., Tact., 18, 4 ; Arr., Tact., 16, 6. Le rapprochement entre le coin et la formation irrégulière (globus / drungus) employée par les forces de cavalerie légère trouve une confirmation dans Cor., Ioh., V, 244 (bataille des Antonia castra, 546-547 ap. J.-C.) : Antalas rassemble ses escadrons légers de cavaliers maures « en pointes » (agmina densantur contis). Voir aussi ibid., VIII, 428-30 (bataille des campi Catonis, 547 ap. J.-C.) : « le Nasamon chassé revient et, disposé en colonne, forme un coin (cuneum facit). » 151 Maurice, Strat., III, 2 (l’ordre, donné en latin, est largiter ambula). Le DMS, 1 (éd. Müller p. 113, l. 8-12) indique que les intervalles entre les cavaliers doivent leur permettre de faire demi-tour individuellement si nécessaire ; il souligne aussi qu’une formation en ordre ouvert a un aspect plus terrible pour l’adversaire : καὶ πρῶτον μὲν ἐν ἀραιοτέροις διαστήμασι τάσσειν, ἵνα καὶ κομπὸν τὸ τάγμα μήκοθεν φαίνηται τοῖς ἐχθροῖς καὶ ἔχῃ χώραν, ὅθεν βούλεται ὁ καβαλλάριος τὸν ἵππον μεταστρέψαι πρὸ τῆς πυκνώσεως, εἰ χρεία καλέσοι, καὶ μὴ στενοῦται ἢ συντρίβεται ἐν τῷ περιπατεῖν ὡς εἰκὸς διάστημα περισσότερον ἀπερχόμενος. DENNIS (1984), 15, n. 12 suppose que les cursores sont toujours déployés en ordre ouvert. Contra SYVÄNNE (2004), 137 qui souligne qu’avant la charge, tous les cavaliers du meros ont pour instruction de resserrer leurs files (Maurice, Strat., III, 5, 15-25). L’ordre ouvert est naturellement privilégié par les troupes placées en deuxième ligne, dont le rôle et de se porter là où les circonstances l’exigent, comme l’illustre Strat., XII, B, 13, 10-2 : « [les troupes de réserve] doivent d’abord être rangées avec des intervalles ouverts (Τάσσονται δὲ καὶ αὐτοὶ ἐν ἀραιοτέρῳ πρότερον διαστήματι), de manière à ce qu’elles ne s’entravent pas les uns les autres (ἵνα μὴ ἐμποδίζωνται) lorsque vient le moment de faire des conversions (μεταβολαῖς). » 152 Ibid., III, 5, 15-29. 153 Ibid., IX, 5, 9-12. Un pied romain = 29,6 cm. Un pied byzantin = 31,23 cm. Cf. SCHILBACH (1970), 13-6.
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les cavaleries de choc européennes aux XVIIe et XVIIIe s. (formation en « botte à botte »)154. Dans une formation ouverte, l’espace entre les cavaliers est au moins deux fois supérieur155.
B. Le combat en unité constituée Comme par le passé, l’alternative qui se présente à chaque commandant de cavalerie est celle du choc ou de l’évitement. Tout dépend de l’armement employé, de la nature de l’ennemi et du plan de bataille. La charge en ligne semble particulièrement en faveur à la fin du VIe s. : c’est un moyen sûr de mettre l’adversaire en déroute, tout en prenant un minimum de risque156. Le Stratêgikon distingue plusieurs phases. Il y a d’abord la marche d’approche, qui se fait au pas, en formation lâche157. Les soldats doivent veiller à porter leur lance pointée vers le haut (ἄνω βασταζομένους ἔχειν) et non sur le côté, afin de ne pas embarrasser leurs camarades158. La ligne de bataille doit rester alignée sur le meros du centre, au sein duquel l’hypostratège est stationné. Arrivé à un mille (1 472 mètres) de l’ennemi, les banderoles sont retirées des lances159 et le commandant fait donner l’ordre de serrer les rangs depuis les flancs (κατὰ πλευρὰν τὴν σφίγξιν) : ad latus stringe160 ! Les cavaliers sont au 154 AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 274. Une image comparable se retrouve chez l’auteur du De militari scientia qui, commentant la manœuvre de resserrement des files et des rangs opérée par le tagma avant la charge, écrit que les chevaux sont « presque flanc contre flanc et tête contre queue » (DMS, 3 [éd. Müller p. 115, l. 9-10] : ὥστε σχεδὸν ἵππου πλεθρᾷ ἐγγίζειν καὶ κεφαλὴν οὐρᾷ), de telle sorte que toute la compagnie ne forme qu’un seul corps sans intervalles (καὶ γένηται ὅλον τὸ μέρος ὡς ἓν σῶμα καὶ μὴ εἶναι ἐν αὐτοῖς διάλειμμα). Polybe recommande le même espacement. Cf. Plb., XII, 18, 3-4 : un stade (= 600 pieds) contient 800 chevaux rangés sur huit de profondeur. 100 chevaux de front = six pieds de front par cavalier. Mais Polybe précise qu’il doit y avoir des intervalles entre les escadrons, de façon à ce qu’ils puissent faire des conversions sur la droite et sur la gauche, ce qui laisse donc trois pieds de front pour chaque cavalier. 155 Dans sa digression sur l’espace occupé par les cavaliers, Maurice, Strat., IX, 5, 19-23 précise que si les soldats marchent en ordre dispersé (διεσκεδασμένως κινοῦνται), ils occupent une place plusieurs fois supérieure (ἐπὶ πολλαπλασίονα τοῦ μέτρου τούτου κατέχουσι τόπον). 156 AUSSARESSES (1909), 70-1 ; SYVÄNNE (2004), 146-8 et 169-79 ; ELTON (2007). 157 Maurice, Strat., III, 2. Le commandement correspondant est : largiter ambula. 158 Ibid., III, 5, 48-50. 159 Ibid., II, 10, 10-3. Dans le même chapitre, l’auteur souligne que cet accessoire, porté par tous les lanciers, donne à la ligne de bataille un aspect plus redoutable. Mais il présente aussi des inconvénients : il réduit la précision pour les coups d’estoc et la portée pour le lancer ; dressé en l’air, il fait obstacle contre les tirs des archers des rangs postérieurs ; il est aussi une gêne lors des différentes évolutions de l’escadron. 160 Ibid., III, 3.
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« botte à botte ». Quand la formation entre à trois ou quatre portées de flèches de la ligne ennemie (c. 900-1 200 mètres), les rangs se resserrent depuis l’arrière (κατὰ οὐρὰν ἡ σφίγξις) : iunge161 ! La troupe marche (περιπατεῖν) alors en formation serrée (πύκνωσιν)162 et les archers tirent une première salve, probablement à environ 300 mètres de distance163, sans que nous sachions si l’opération est réitérée une ou plusieurs fois164. Maurice décrit alors la charge proprement dite : « L’ordre percute est donné. Alors les dékarques et les pentarques s’inclinent vers l’avant (ἐπικλινομένων ἐπὶ τὰ ἔμπροσθεν), recouvrent leur propre tête ainsi qu’une partie de l’encolure du cheval avec leurs boucliers et lèvent leurs lances (κοντούς) au-dessus l’épaule, comme [le font] les races aux cheveux blonds. Couverts par leurs boucliers, ils chevauchent en bon ordre (ἐπελαύνειν εὐτάκτως), pas trop rapidement mais seulement au petit galop (τριπόδῳ μόνῳ), pour éviter que dans l’impétuosité de leur charge (ὀξύτητι τῆς ἐλασίας) ils ne rompent la formation (διαλυθῇ ἡ τάξις) avant d’entrer au contact de l’ennemi (πρὸ μίξεως χειρῶν), ce qui est un risque réel. Ceux de l’arrière, s’ils sont archers, doivent tirer. »165.
Maurice prône donc une charge à allure limitée, afin de maintenir au maximum la cohésion de l’escadron166. Cette préoccupation est 161
Ibid., III, 4, 3-6. Ibid., III, 5, 27-8. Cette séquence est décrite par le DMS, 3 (éd. Müller p. 115, l. 2-11) avec une légère variation : la formation adopte l’ordre serré à environ deux ou trois portées de flèche de l’ennemi. 163 Maurice, Strat., III, 4, 6-7 (confirmé en III, 5, 28-9). L’auteur ne dit pas précisément à quel moment cette salve doit être déchargée, mais il est facile d’imaginer que cela intervenait peu de temps après que l’ennemi soit entré dans la première zone de létalité que constitue la « portée de flèche » (c. 300 m). 164 Le DMS, 3 (éd. Müller p. 115, l. 11-3), suggère que la charge est lancée dès que l’escadron arrive à une portée de flèche de la formation adverse. 165 Maurice, Strat., III, 5, 26-36 : παραγγέλλει· περκουτε. Καὶ ἐπικλινομένων τῶν δεκαρχῶν καὶ πενταρχῶν ἐπὶ τὰ ἔμπροσθεν καὶ σκεπόντων τὰς ἑαυτῶν κεφαλὰς καὶ μέρος τῶν τραχήλων τῶν ἵππων μετὰ τῶν σκουταρίων αὐτῶν καὶ τοὺς κοντοὺς ἀναβασταζόντων ἐπὶ τοὺς ὤμους, ὡς τὰ ξανθὰ ἔθνη, καὶ ὑποκρυπτόντων τοῖς σκουταρίοις ἐπελαύνειν εὐτάκτως τριπόδῳ μόνῳ καὶ μὴ βιαίως, ἵνα μὴ τῇ ὀξύτητι τῆς ἐλασίας διαλυθῇ ἡ τάξις πρὸ μίξεως χειρῶν, ὅπερ ἐστὶν ἐπικίνδυνον. Τοὺς δὲ ὄπισθεν, ὅσοι τοξόται εἰσίν, τοξεύειν. 166 Τρίποδος désigne chez Maurice une allure plus lente que le galop, signalé dans le Stratêgikon par l’utilisation du verbe τρέχω (e.g. ibid., I, 1, 11). Il s’agit d’un terme rare, que l’on retrouve seulement dans Leo Sap., Tact., 7, 22, ce qui rend sa traduction fort délicate. La plupart des commentateurs estiment qu’il s’applique au trot (AUSSARESSES [1909], 70 ; DENNIS [1984], 38 ; ORTOLEVA [2001], 142-50). Pour leur part, ADAMS (1995), 598-602 et SPEIDEL (2006b), n. 31 pensent qu’il s’agit d’un three-beat horse gait qui ne peut être que le petit galop (« canter »), car le galop allongé marque quatre battements et le trot n’en compte que deux. Le fait que le τρίποδος des stratégistes byzantins signifie littéralement « trois pieds » est confirmé par le De militari scientia, qui utilise les variantes orthographiques τριπέζῳ / τριπέδῳ et souligne également que cette allure permet de 162
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omniprésente au sein du Stratêgikon et est aussi à l’origine de la prohibition des cris de guerre167. Syrianus Magister affiche une sensibilité différente et préfère pour sa part l’impact psychologique d’une charge au grand galop. Il recommande ainsi d’attaquer l’ennemi en ordre relâché (ἠραίωται), « en un mouvement plus vif » (μετὰ ὀξυτέρου τοῦ κινήματος), et insiste sur l’aspect terrifiant d’une telle charge pour des hommes qui n’ont pas d’expérience du combat168. Il propose en outre de compenser le manque de densité de la formation en ordonnant aux cavaliers du second rang de venir se placer entre les flancs des chevaux du premier rang : ce positionnement en quinconce donne l’aspect d’un front continu169. Quelle que soit la méthode privilégiée, l’instruction faite aux lanciers des premiers rangs de se pencher en avant contre l’encolure de leur monture paraît faire sens. Ce mouvement permet de limiter la surface maintenir la formation sans briser les rangs. Cf. DMS, 2 (p. 114, l. 22), 3 (p. 115, l. 17 ; p. 117, l. 10 et 12), 7 (p. 119, l. 27), 9 (p. 120, l. 11), 10 (p. 119, l. 22), 11 (p. 121, l. 10). L’origine du mot est difficile à tracer. Il est certainement issu du jargon militaire latin, comme nombre d’autres termini technici figurant dans le Stratêgikon. La traduction grecque de Pelagonius évoque en effet une « course effectuée à l’allure de la kalpê, appelée tripêdos » (CHG, I, 189-90 = Hipp. Berol., 34, 23 : δρόμῳ τῷ διὰ κάλπης […] ἤτοι τῷ λεγομένῳ τριπήδῳ). Le groupe adverbial δρόμῳ τριπήδῳ traduit certainement le latin curso tripedo (on trouve dans Fronton, Ad Caes., I, 9, 3 un curso quadripedo qui ne peut être que le galop). Le grec kalpê est souvent rendu par « trot » dans les traductions modernes, mais il s’agit plus vraisemblablement du petit galop, car Xénophon, l’auteur le plus précis sur la question, emploie le verbe τροχάζω (et ses dérivés ἐντροχάζω / διατροχάζω) pour désigner le trot. Cf. BLAINEAU (2010), 329-33. 167 Maurice, Strat., II, 18, 2-12 : « Concernant le cri appelé nobiscum, qui est habituellement prononcé au moment de la charge (ἐν τῷ καιρῷ τῆς συμβολῆς), il nous semble tout à fait inutile et même dangereux. Crier à ce moment précis peut être la cause d’une rupture de la formation (διαλύσεως τῇ παρατάξει). Il arrive en effet qu’à la suite de cette clameur, les plus lâches des soldats (δειλοτέρους τῶν στρατιωτῶν), sombrant dans une grande anxiété (ἀγῶνα), hésitent avant le choc (ὁρμήν) tandis que les téméraires (θρασυτέρους), excités à la colère (πρὸς ὀργὴν διεγειρομένους), poussent en avant (προπετεύεσθαι) et sortent de la formation (ἐξέρχεσθαι τῆς τάξεως). De la même manière, il faut tenir compte des chevaux, car il y a aussi des différences [de tempérament] parmi eux. Ces raisons feront qu’on obtiendra une formation inégale (ἄνισον), sans cohésion (ἀσύμφορον) et même rompue (διαλελυμένην) avant la rencontre (πρὸ τῆς συμβολῆς), ce qui est risqué. » Dans le même sens, voir ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.), 150-1. Le DMS, 3 (éd. Müller p. 115, l. 53) se démarque ici du Stratêgikon : au moment de lancer la charge, un homme cri « adiuta ! » et le reste de la troupe répond en chœur « deus ! ». 168 Syr. Mag., Strat., 17, 20-7. 169 Ibid., 17, 8-11. AUTHVILLE DES AMOURETTES (1756), 309-10 recommande exactement la même manœuvre dans son traité (graphie et orthographie modernisées) : « Il y a encore une autre façon de faire combattre la cavalerie ; c’est de placer les cavaliers du second rang vis-à-vis des intervalles de ceux du premier : les rangs ainsi disposés en échiquier en sont plus serrés ; ils sont comme emboîtés les uns dans les autres, les escadrons plus forts sont plus difficiles à enfoncer, leur marche en devient plus aisée, et il n’y a plus à craindre les atteintes. »
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offerte aux tirs directs et est également recommandé par des manuels d’équitation militaire plus récents170. Ce détail vient rappeler que dans les 300 mètres qui séparent l’escadron de la ligne ennemie pendant la charge, les échanges d’archerie se poursuivent. La phase d’approche est décrite par Corippe, dans la Johannide, à propos de la bataille des Antonia castra en 546. En faisant la part des exagérations inhérentes à ce poème épique, on retient de ce récit le caractère massif des salves et le nombre important de blessures reçues par les soldats. Autre détail intéressant : les traits se percutent parfois en plein vol et se neutralisent mutuellement ; il ne s’agit pas que de flèches, mais aussi de lances (hastae)171. Le récit donne une forte impression de vulnérabilité, d’autant plus éprouvante que le combat à distance laisse une large place au hasard. Un autre passage de la Johannide fait écho à la pluralité des techniques de combat employées par les escadrons byzantins au cours de la charge (bataille des Campi Catonis, 547 ap. J.-C.) : « [Les Romains] reçoivent les troupes des Nasamons selon l’usage, préparent les lances (hastasque parant) et tendent leurs traits (spicula tendunt). Alors, de rudes combats sont engagés par les premiers escadrons (primis turmis). Leur clameur s’élève dans le ciel, la poussière remplit en même temps l’éther, faisant disparaître le jour en obscurcissant le soleil. L’air est voilé par de nombreux traits, le fer volant est répandu par le nerf et d’épais nuages de lances volent en tous sens. Une partie s’abat sur les corps, l’autre sur les terres : les peuples frappent et tombent ici et là. » (trad. J.-C. Didderen modifiée)172.
MOTTIN DE LA BALME (1776), 95. D’après SYVÄNNE (2004), 147 et 169-70, le fait que les cavaliers se braquent en avant peut aussi permettre aux archers des troisième et quatrième rangs, dressés sur leurs étriers, d’avoir un champ de vision plus dégagé pour faire feu en ligne directe sur l’ennemi. En réalité, cela permet uniquement aux cavaliers du deuxième rang de tirer droit devant ; les archers des rangs postérieurs tirent en trajectoire parabolique. Cf. DMS, 3 (éd. Müller p. 115, l. 17-20) : εὐτάκτως πάντες τοξεύοντες, οἱ ἐν τῷ δευτέρῳ τόπῳ ὄντες, ὡς κατὰ σκοποῦ τὰς σαγίττας ἀφιέντες, οἱ δὲ ὄπιθεν αὐτῶν ὑψηλοτέρως, ἵνα μὴ τοὺς ἰδίους πλήξωσιν. Cette paraphrase du De militari scientia pourrait suggérer que l’injonction faite aux pentarques de charger à la lance, à la manière des dékarques, n’est valable qu’à partir du moment où le tagma est rangé en demi-files de cinq hommes, avec dékarques et pentarques en première ligne. 171 Cor., Ioh., V, 51-64. 172 Ibid., VIII, 446-54 : Nasamonum more cateruas excipiunt hastasque parant et spicula tendunt. Aspera tunc primis miscentur proelia turmis. It clamor caelo, puluis simul aethera complet obscurans cum sole diem. Subtexitur aer missilibus densis neruoque uolatile ferrum spargitur et crebris discurrit lancea nimbis. Corpora pars, pars arua capit : feriuntque caduntque hinc atque hinc gentes. 170
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Dans cet extrait, les primae turmae sont probablement les premiers rangs de lanciers, appuyés par les missiliers des rangs postérieurs. Comme à son habitude, Corippe retranscrit dans un registre poétique et avec un vocabulaire archaïsant les réalités tactiques de son époque. Bien qu’il n’en dise rien, l’auteur du Stratêgikon semble envisager, dans son livre III, une charge contre une autre formation de cavalerie. Les instructions que nous avons commentées sont en effet intégrées dans une série de développements portant précisément sur le combat de cavalerie173. Il est regrettable que les actions qui suivent l’entrée au contact des deux formations ne soient pas évoquées par ce même traité. Nous ne connaissons cette phase que par les expressions qui servent à la désigner : συμβολή ou ὤθησις174. Le second terme, synonyme d’ὠθισμός, traduit l’idée d’une poussée, d’un combat livré en formation dense plus adapté à l’infanterie lourde qu’aux troupes montées175. Il ne s’agit probablement que d’une image. En effet, nombre d’études sérieuses sur la cavalerie mettent en doute la vraisemblance du choc à grande vitesse entre deux formations compactes. Un instructeur à l’école d’application de Saumur écrit : « Ce qui peut se produire c’est la rencontre de deux cavaleries quand elles sont également bien conduites, également confiantes dans leurs moyens et dans leur chef, également braves. Il y a alors abordage, mais non pas choc. Au moment de s’aborder il y a une retenue instinctive chez le cheval, chez le cavalier, qui sent très bien qu’il se briserait inutilement en heurtant l’adversaire à toute allure. Dans ce ralentissement il se produit des inégalités de vitesse qui amènent des ouvertures par lesquelles s’élancent les chevaux qui se trouvent en face et les cavaliers les plus braves. »176.
S’il peut y avoir des collisions accidentelles, le plus souvent, les cavaliers s’arrêtent et engagent un combat stationnaire. Les lignes s’ébranlent à mesure que certains cavaliers poussent en avant et que d’autres reculent. Progressivement la mêlée devient confuse. Il est de plus en plus difficile de distinguer ses camarades de ses ennemis177. Des cavaliers commencent à fuir, non pas ceux qui sont directement exposés dans les premiers rangs, 173
Maurice, Strat., II, 1, 5-8. Ibid., III, 5, 63-5. 175 Cf. GOLDSWORTHY (1997). 176 P.M. Burnez, Notes pour le cours de tactique appliqué à la cavalerie, Saumur, 1888/1889, p. 379-80 (cité dans CHAUVIRÉ [2009], 445-6). Dans le même sens, voir NOLAN (1853), 234 et ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.), 151. 177 Procop., Bell., IV, 17, 19-21 décrit bien cet entremêlement des lignes à propos de la bataille des Scalae Veteres (537 ap. J.-C.) : les deux corps de cavalerie de Germanus et Stotzas se mélangent les uns aux autres (οὕτως ἀλλήλοις ἑκάτεροι ἀνεμίγνυντο), si bien que les combattants sont incapables de distinguer leurs ennemis. 174
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mais plutôt les soldats postés en arrière-garde ou sur les flancs178. Plus que les pertes réelles, c’est le manque de résolution et l’appréhension de l’enveloppement qui les poussent à perdre pied. D’autres facteurs entrent en ligne de compte. La nature de l’équipement : la cavalerie lourde sait qu’elle a un avantage matériel dans la mêlée, ce qui lui donne des ressources morales supplémentaires ; les troupes légères se sentent en revanche beaucoup plus vulnérables. La puissance et la taille des chevaux : une monture forte peut pénétrer avec plus de vigueur dans un escadron et bousculer les autres chevaux179. Les sources techniques insistent beaucoup sur le fait que la mêlée de cavalerie ne ressemble pas à un combat d’infanterie. Les rangs postérieurs ne peuvent pousser les soldats situés devant eux pour leur venir en aide180. Ils servent éventuellement à colmater les brèches dues aux pertes et continuent de jeter des traits au-dessus de leurs camarades s’ils en ont la possibilité. Leur présence est surtout rassurante pour les combattants de première ligne (prôtostatai) : elle les incite à ne pas reculer face à l’ennemi. La victoire revient généralement à l’escadron qui parvient à conserver le meilleur ordre le plus longtemps possible. Si trop de cavaliers se retrouvent isolés, l’escadron n’existe plus en tant qu’unité tactique et devient incontrôlable pour les officiers. Il est donc de leur devoir de faire sonner la retraite. L’éventualité du choc avec des troupes d’infanterie rangées en ordre serré est évidemment beaucoup plus théorique181. On s’accorde aujourd’hui pour reconnaître qu’un escadron n’a aucune chance de forcer son chemin à travers une unité de fantassins décidés à tenir ferme182. Il est en effet naturel pour un cheval d’éviter la collision avec une masse qu’il peut percevoir comme un obstacle. La force morale de la charge est donc Sur cette « géométrie de la peur » : JOXE (1991), 290. Les chocs entre chevaux, coups d’épaule, de poitrail, de reins sont bien attestés dans d’autres contextes historiques : e.g. CHAUVIRÉ (2009), 447-8. 180 Asclep., 7, 4 ; Ael., Tact., 18, 8 ; Arr., Tact., 16, 13-4 ; Maurice, Strat., II, 6, 5-9 ; Syr. Mag., Strat., 17, 20-3. 181 SYVÄNNE (2004), 185-90 ; JANNIARD (2010), 200-8. 182 ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.), 77 (« De cavalerie à infanterie jamais il n’y avait de choc. ») ; DELBRÜCK (1910), 335 (« Das Ergebnis meiner Forschungen in der Geschichte der Kriegskunst ist, wie gesagt, dass antike Kavallerie die geschlossene, schwere Infanterie direkt zu überwältigen nicht imstande war. ») ; TARN (1930), 62-6 (« there was one thing cavalry could not do, charge an unbroken spear-line ») ; GOLDSWORTHY (1996), 228-32 (« If the infantry remained in their places in a dense block, then the cavalrymen’s horses either stopped short of the square or rode around it. ») ; MCCALL (2002), 22-3 (« when charging, cavalry did not normally physically collide with infantry »). Contra MARKLE (1977), 338-9 (la formation en coin des tacticiens grecs aurait permis de rompre des phalanges : « such a wedge with its sarissae alone could break apart a phalanx of eight ranks in depth »). 178 179
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déterminante, car c’est par l’appréhension du choc que les cavaliers parviennent à convaincre l’ennemi de rompre sa formation183. Une fois mis en déroute, les fantassins cessent de former un bloc impénétrable et peuvent être abordés individuellement184. Cela explique la fortune des formations paraphalangiques dans l’Antiquité tardive et à l’époque protobyzantine, et notamment les prescriptions récurrentes, dans les manuels tactiques, sur les expédients à utiliser pour repousser une charge185. Les véritables descriptions d’engagements appartenant à cette catégorie sont cependant rares dans les sources narratives. Elles mettent le plus souvent en scène des cavaliers ennemis et permettent de valoriser le sang froid et la discipline des fantassins romains, y compris en cas de défaite finale186. Plusieurs points retiennent l’attention. Le premier est que ce type d’affrontement place la cavalerie dans une situation de grande vulnérabilité. Quels qu’aient été les progrès de l’archerie montée dans l’Antiquité tardive, les fantassins ont une portée supérieure avec leurs arcs et leurs frondes. Afin de forcer le corps-à-corps, les cavaliers devront accepter d’essuyer plusieurs salves187. Quant aux chevaux, ils ne devront pas 183 Les collisions ont pu intervenir à diverses époques, mais elles sont généralement plus accidentelles que volontaires : voir CHAUVIRÉ (2009), 438-43. Il importe de noter que certains commandants de cavalerie expérimentés voient dans la percussion physique une véritable technique de combat. LE ROY DE GRANDMAISON (1756), chap. xv insiste sur la possibilité du choc, qu’il met en relation avec la taille et la masse des chevaux. Ces derniers, s’ils sont rompus à ce type d’action, peuvent facilement donner du poitrail contre l’infanterie et ouvrir des jours dans une formation. Cependant, il s’agit avant tout d’une action individuelle. MOTTIN DE LA BALME (1776), chap. iv et v met en garde contre la tentation consistant à considérer l’escadron de cavalerie comme un solide géométrique, dans lequel les cavaliers seraient arrimés les uns aux autres pour générer un effet de masse lors de la charge. 184 Voir VIGNERON (1968), I, 239-40. 185 À ce jour, JANNIARD (2010), 200-8 fournit la meilleure étude des tactiques anticavalerie de l’infanterie proto-byzantine. Voir aussi RANCE (2004b), 276-84 et (2005), 437-42. La description la plus précise d’un foulkon mis en œuvre contre une charge de cavaliers se trouve dans Maurice, Strat., XII, A, 7, 49-60. 186 Ps.-Josué, 51 (Tell Beshme) ; Procop., Bell., I, 18, 45-8 (Callinicum) ; VIII, 29, 11-5 (Taginae). Pour des exemples de tactique similaire employée par des fantassins barbares contre des cavaliers romains : Agathias, I, 21, 6-8 (Francs) ; Jean d’Éphèse, HE, VI, 8, p. 299 (Perses). 187 Voir notamment Syr. Mag., Strat., 36 : contre une charge de cavalerie, les soldats des deux premiers rangs doivent tirer à l’arc de façon continue, en visant les jambes des chevaux ennemis, qui ne seront pas protégées. Les tirs des rangs suivants adoptent une trajectoire parabolique. Certains commentateurs ont supposé que les arcs lourds des cavaliers hunniques étaient suffisamment puissants pour égaler voire outrepasser la portée des arcs utilisés par les fantassins romains (LUTTWAK [2009, 2010 trad. fr.], 42 et 314 ; JANNIARD [2015], 258). Ce point de vue nous semble contredit par plusieurs témoignages. Dans son Epitêdeuma, Urbicius affirme que les chevaux de frise doivent être placés suffisamment loin de la colonne romaine pour empêcher les ennemis de l’arroser de flèches
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s’effaroucher à la vue d’un mur hérissé de piques et face aux clameurs des soldats qui claqueront leurs lances sur leurs boucliers pour les dissuader d’approcher188. Les témoignages historiques révèlent donc que les forces de cavalerie n’ont en pratique aucun intérêt à aborder directement des fantassins, si ce n’est pour ébranler une formation déjà disloquée ou pour poursuivre des fuyards. Maurice est conscient de ces faiblesses et recommande aux généraux de ne pas utiliser beaucoup de cavaliers dans les batailles d’infanterie189. Plutôt que de recourir à un assaut frontal, l’option la plus sûre consiste à briser la cohésion de l’infanterie en privilégiant, dans un premier temps, le combat à distance. C’est la tactique adoptée par Narsès dans un combat livré contre une petite armée de Francs près d’Ariminum à l’hiver 553554. À la tête de trois cents cavaliers romains, probablement des bucellaires (τῶν ἀμφ’ αὐτόν : « les siens »), le général cherche à faire fléchir l’infanterie ennemie : « Les Romains, arrivés à portée de tir d’arc, estimaient que pour les combattre il fallait le moins possible se mêler aux ennemis, qui étaient bien rangés, mais essayer, en lançant leurs flèches et leurs javelots, d’atteindre les hommes des premiers rangs et de briser le bloc compact du front ennemi. Mais ceux-ci, très bien protégés par les boucliers, se tenaient fermes et immobiles, sans aucunement disloquer la continuité de la ligne de (§5) ; mais il précise un peu plus loin que les cavaliers barbares, une fois arrêtés par cette barrière artificielle, seront la cible des archers romains (§7). Quant à Maurice, Strat., VII, B, pr, il recommande de combattre les archers nomades en se rangeant en terrain ouvert (κάμπους τάσσεσθαι). Dans les deux cas, de telles prescriptions auraient été absurdes si les Romains n’avaient pas eu la possibilité de riposter avec une portée supérieure contre les salves de harcèlement des cavaliers steppiques. On peut aussi se demander si la technique de combat des Huns privilégiait réellement l’archerie à longue portée (cf. KAZANSKI [2012], 195 : « d’après les données archéologiques et les sources écrites, la cavalerie steppique à l’époque hunnique préférait un combat rapide, avec un contact proche, nécessaire pour le tir précis »). Contre les Perses, voir Procop., Bell., I, 18, 46 (à propos de la phase finale de la bataille de Callinicum en 531) : « [les fantassins romains] tiraient sur les Perses avec plus de profit que les Perses qui tiraient sur eux (ἔβαλλον μᾶλλον ἐς τοὺς Πέρσας ἐπιτηδείως ἢ αὐτοὶ πρὸς ἐκείνων ἐβάλλοντο) ». Les frondeurs pouvaient également atteindre de plus loin des archers montés. Cf. Ps.-Josué, 62 (siège d’Édesse, 503 ap. J.-C., trad. d’après F.R. Trombley et J.W. Watt) : « mais quelques-uns des villageois qui étaient dans la ville firent une sortie contre lui avec des frondes, et abattirent nombre de ses combattants caparaçonnés, sans qu’aucun des leurs ne soit tué. […] Les Perses, les Huns et les Tayyaye, bien qu’ils tombassent avec leurs chevaux sous les pierres que les frondeurs leur jetaient, ne pouvaient nullement les tuer en retour. » Dans le même sens, Syrianus insiste à plusieurs reprises sur la très grande efficacité des frondeurs contre la cavalerie (Strat., 32, 26-8 ; 35, 31-4). 188 Cette ruse se retrouve à plusieurs reprises dans les sources narratives : Procop., Bell., I, 18, 48 ; VIII, 8, 32 ; 29, 18 ; Agathias, V, 19, 5-6. 189 Maurice, Strat., XI, 1, 7 ; XII, B, 23, 14-8.
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front ; profitant d’une forêt touffue, ils se servaient des arbres comme d’un rempart, et ils se défendaient en lançant leurs angones. » (trad. P. Maraval)190.
La manœuvre est donc un échec mais semble bien avoir fonctionné dans d’autres circonstances, comme l’illustre la victoire remportée par les Perses contre l’infanterie romaine rangée en ordre dense à Tell Beshme en 502191. Cela nous conduit à évoquer naturellement l’autre grand mode opératoire de la cavalerie : le combat par le harcèlement. Ici, l’objectif n’est plus d’obtenir l’effondrement de la ligne adverse par la menace d’une charge à fond, mais de la soumettre au stress prolongé d’attaques à répétition effectuées par de petits groupes mobiles, insaisissables, utilisant au maximum de leur potentiel les armes de jet. Ce type de combat est décrit par Corippe comme une phase préliminaire lors de la bataille de Marta en 547 : « Un triste destin a donné aux hommes d’être audacieux, et, un peu partout, la jeunesse s’élance, dispersée à travers les plaines (per campos diffusa), et les premiers hommes harcèlent les premières colonnes (primique lacessunt agmina prima uiri). Les Latins en viennent aux mains (concurrunt), sans aucun ordre, sans être rangés en lignes (ordine nullo, non acie compti), avec leur cri habituel. Le fracas de la trompette n’a pas chanté les tumultes guerriers, selon les ordres du chef, ils n’ont pas mis les hautes enseignes à leur place pour le combat. L’armée, hélas en désordre (incompta) et pas assez confiante, courait au milieu des ennemis, sous des destins injustes. Les armées des Marmarides, terrifiées, ont reculé au premier assaut. La jeunesse romaine les suit, en engageant de rudes combats avec de très nombreux traits. Le combat unit les corps des fuyards aux lances, le cavalier latin les perce et les presse à travers les plaines et la peur pousse les vaincus à aller au milieu des chameaux. » (trad. J.-C. Didderen modifiée)192. 190 Agathias, I, 21, 7-8 : οἱ δὲ Ῥωμαῖοι ἐπειδὴ ἐς τόξου γε ἤδη βολὴν ἐγεγένηντο, ἐμμῖξαι μὲν καὶ συρράξαι τοῖς πολεμίοις εὖ παρατεταγμένοις ἥκιστα ᾤοντο χρῆναι, τοξεύμασι δὲ καὶ ἀκοντίσμασιν ἀκροβολιζόμενοι ἐπειρῶντο σφῆλαι τοὺς πρωτοστάτας καὶ διαρρῆξαι τὴν πύκνωσιν τοῦ μετώπου. Ἀλλ’ ἐκεῖνοι ταῖς ἀσπίσιν ἄριστα περιπεφραγμένοι ἵσταντο ἀστεμφεῖς καὶ ἀδόνητοι, οὐδαμοῦ τὸ συνεχὲς τῆς τάξεως διασπῶντες, ἐπεὶ καὶ ὕλης τινὸς λασίας κυρήσαντες ὥσπερ ἐρύματι τοῖς δένδροις ἐχρῶντο, ἤδη δὲ καὶ τοῖς ἄγγωσιν ἠμύνοντο βάλλοντες. 191 Ps.-Josué, 51. Cf. GREATREX (1998), 87-8. 192 Cor., Ioh., VI, 497-511 : Miserabile fatum audaces dedit esse uiros, passimque iuuentus per campos diffusa ruit, primique lacessunt agmina prima uiri. Concurrunt ordine nullo, non acie compti, solito clamore Latini. Non tuba belligeros cecinit clangore tumultus praeceptis contacta ducis, non ardua pagnae signa locis statuere suis. Incompta per hostes, heu, male fisa manus fatis currebat iniquis. Territa cesserunt primo certamine retro agmina Marmaridum. Sequitur Romana iuuentus, aspera condensis permiscens proelia telis. Corpora certamen fugientum conserit hastis per campos Latiaris eques figitque permitque et subigit uictos inter timor ire camelos.
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Le poète évoque ici clairement l’action des cursores ou de leurs équivalents anciens, évoluant en formation lâche, sans recourir aux signaux caractéristiques du combat en formation régulière (étendard, trompette). Ce tableau saisissant est l’une des rares descriptions des tactiques d’escarmouche de la cavalerie proto-byzantine. Il montre que dans ce type d’engagements informels, les phases de combat individuel, de charges, de mêlées et de poursuites peuvent se succéder de manière brutale, imprévisible et chaotique. Les escadrons et, en leur sein, les combattants, semblent avoir beaucoup plus d’initiative. La physionomie de l’affrontement dépend en grande partie de l’armement utilisé par chaque cavalier. Une technique couramment employée par les porteurs de lance et les javeliniers consiste à chevaucher en cercle pour attaquer l’ennemi depuis une position protégée. Ce type de manœuvre est bien décrit dans les Chroniques géorgiennes193 et par Corippe dans la Johannide194. L’auteur mystérieux d’un fragment intégré dans l’Apparatus bellicus (Xe s.) expose également une attaque circulaire impliquant des cavaliers chargeant dans le sens des aiguilles d’une montre depuis une ligne d’infanterie, mais l’époque de rédaction de ce texte fait débat195. L’utilisation de javelines dans les combats de cavalerie semble cependant se raréfier durant la THOMSON (1996), 210-1. Cor., Ioh., I, 543-5 : « Ce dernier [= Maurus eques], dans un galop léger, jette des javelines armées de fer et ne cesse de courber son coursier docile en formant un cercle arrondi. » (Ille leui cursu praefixo hastilia ferro uibrat, et incuruo nec cessat flectere gyro cornipedem domitum). Voir aussi ibid., V, 126-9. 195 Il s’agit du chapitre 72 bis de l’édition Thévenot. Cf. ZUCKERMAN (1994c), 367 et 370 (trad. modifiée) : « la moitié de chaque hippilarchie, à savoir soixante-quatre cavaliers, doit sortir par une coupure (ἀποτόμων [dans la ligne d’infanterie]), rangée en escadron rectangulaire (τετράγωνον ἴλην) ou, selon le besoin, en losange (ῥομβοειδῆ) ou en toute autre configuration que suggère l’occasion. Parmi les cavaliers de chaque escadron qui sortent, il doit y avoir trente-deux porte-lance (κονταράτοι), huit porte-épée (σπαθάτοι) et seize archers montés (ἱπποτοξόται). […] Ces escadrons sortent de la phalange d’infanterie par chaque coupure (ἀποτομῇ), en passant à gauche de leur pentacosiarchie, et elles reviennent à leur place primitive, en arrière de la phalange, de telle façon que lorsqu’elles entrent, les autres moitiés, à savoir les soixante-quatre cavaliers restés dans chaque coupure, sortent dans la susdite formation, pleins de force pour s’engager à leur tour dans le combat, comme pour venger (ὡς ἐκδικητάς) ceux qui reviennent et prêts à repousser l’attaque ennemie. […] Que la sortie des cavaliers se fasse par les coupures de gauche et leur entrée par les coupures de droite est tout à fait essentiel : il est clair qu’il est plus indiqué pour les soldats de se défendre lorsqu’ils effectuent la conversion à droite (περιδέξιον γὰρ ἀποδείκνυται τοῖς στρατιώταις ἐπὶ δεξιὰ περιερχονένοις ἀπομάχεσθαι). » Pour C. Zuckerman (ibid., 386-8), l’auteur est contemporain de l’Apparatus bellicus (Xe s.) et a utilisé la tradition interpolée d’Élien pour élaborer un plan de bataille original. Contra, LAMMERT (1951) : l’auteur serait Julius Africanus (mais comme le souligne Zuckerman, le vocabulaire employé dans l’extrait ne peut correspondre aux réalités du IIIe s.). 193 194
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période proto-byzantine au profit de l’archerie montée, techniquement supérieure196. Les escarmouches ordinaires, en ordre dispersé, laissent une grande latitude aux hippotoxotes, comme le suggère l’extrait de Corippe. Cependant, une manœuvre collective nécessitant davantage d’organisation et de coordination est décrite par Maurice, qui la relie aux Scythes : elle consiste à encercler un bataillon ennemi par les deux ailes, en formant deux cercles emboîtés de cavaliers chevauchant dans des directions opposées, et pourrait avoir été employée par la cavalerie de Bélisaire lors du siège de Rome (fig. 58)197.
C. Retraite, ralliement, poursuite La durée des combats de cavalerie est certainement plus courte que celle des batailles d’infanterie en raison de la rapidité des actions, de l’exposition des soldats, et de l’incapacité des chevaux à fournir un effort soutenu durant un temps prolongé198. Des exemples modernes montrent ainsi qu’une hippomachie dure rarement plus de quelques minutes199. 196 Corippe signale ainsi que les archers romains ont l’avantage contre les javeliniers maures dans les phases de pur combat à distance : Ioh., IV, 137-42. Cependant, voir Agathias, V, 19, 4 et 7 (embuscade victorieuse de deux cents cavaliers romains armés de javelines contre des archers montés hunniques). 197 Cf. supra, p. 585-6. L’auteur du De militari scientia décrit sommairement cette manœuvre dans sa rubrique sur les exercices pratiqués par le tagma, cf. DMS, 2 (éd. Müller p. 114, l. 19-20) : κυκλοῦν ἤτοι ὑπερκερᾶν διὰ τῶν ἄκρων τὰ κονδότερα μέρη τῶν ἐναντίων. Il s’agit probablement d’une tactique très ancienne qui pourrait être décrite par Arr., Anab., IV, 4, 6 lors de la bataille du Jaxartes (329 av. J.-C.) contre les Scythes (ἐς κύκλους περιϊππεύοντες ἔβαλλόν). Une déclinaison de cette attaque circulaire, particulièrement utile lors des fausses fuites, est décrite par le Stratêgikon (qui recommande de l’utiliser contre les Perses) : l’auteur parle d’un « redéploiement par conversion sur les côtés » qui permet à l’escadron, lors de la fuite, de se retrouver sur les arrières et sur les flancs des poursuivants (Maurice, Strat., XI, 1, 75-8 : Τὰς δὲ ἐξελίξεις ἤτοι ἐπιστροφὰς ἐν ταῖς ὑποχωρήσεσι μὴ δι’ ὄψεως αὐτῶν ποιεῖσθαι, ἀλλὰ διὰ τῶν πλαγίων αὐτῶν ἀναστρέφειν καὶ τοὺς νώτους αὐτῶν λαμβάνειν). La manœuvre est exposée de façon plus claire dans le DMS, 2 (éd. Müller p. 114, l. 23-4), qui souligne que le tagma rompt sa formation et se divise en deux ailes pour prendre l’ennemi de flanc et le tourner : ὑποχωρεῖν ὀλίγον καὶ μεριζομένους δεξιὰ καὶ ἀριστερὰ ἀντιστρέφεστθαι διὰ τῶν ἄκρων ἐπὶ τοὺς νώτους τῶν καταδιωκόντων. La même attaque est explicitement associée aux coutumes militaires des « Scythes » en DMS, 15 (éd. Müller p. 125, l. 12-5). On notera que cette contre-offensive par redéploiement est exactement la même que celle que décrit Cassius Dion à propos de la bataille de la rivière Abas (65 av. J.-C.), cf. supra, p. 172-4. 198 Voir SYVÄNNE (2004), 157. 199 Dans une lettre du 23 décembre 1812, le capitaine C. von Hodenberg, commandant d’une unité de dragons de la King’s German Legion en Espagne, décrit un engagement qui ne dure pas plus d’une « longue minute » (« eine lange Minute ») avant que l’un des deux partis ne se disperse. Cf. C. von Hodenberg, Briefe eines Rittmeisters des 1. schweren
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Cependant, il ne faut pas oublier qu’un engagement peut être entrecoupé de pauses, de phases d’escarmouches, de replis momentanés et de retours offensifs200. Lors du premier combat de cavalerie devant Rome le 22 février 537, les affrontements entre les troupes de Bélisaire et celles de Totila s’éternisent ainsi pendant toute une journée : les deux lignes passent le plus clair de leur temps à lancer des projectiles et n’engagent que des groupes limités de combattants dans la mêlée201. À Callinicum, Romains et Perses s’opposent également jusqu’au crépuscule202. La temporalité des combats dépend en fait de l’option tactique privilégiée par le commandement et de l’ennemi affronté. Contre des barbares occidentaux (Vandales, Goths, Francs), pratiquant très peu le combat à distance, la cavalerie romaine a tout intérêt à refuser la mêlée et à prolonger les salves d’archerie203. À l’inverse, contre les Perses et les nomades « scythes » qui sont d’excellent hippotoxotes, il est beaucoup plus profitable de forcer le corps-à-corps par une charge directe, visant à obtenir une décision rapide204. Un autre facteur qu’il convient d’avoir à l’esprit concerne la présence éventuelle de troupes de renforts (cavalerie ou infanterie) et la possibilité pour les troupes engagées de se retirer à l’abri du danger, pour se rallier, récupérer des fatigues de la charge, se séparer des blessés et changer de monture. Un détail curieux de la bataille de Dragoner Regiments von des Königs deutscher Legion aus Spanien 1812/13, Hanovre, 1820, p. 49-50. 200 Conformément au schéma du protracted stand-off proposé par certains spécialistes de la bataille d’infanterie : cf. GOLDSWORTHY (1996), 224 et 227 ; SABIN (2000), 4-8, 14-7. 201 Cf. Procop., Bell., V, 18, 29 : ἥ τε μάχη πρωῒ ἀρξαμένη ἐτελεύτα ἐς νύκτα. Les différentes phases de la bataille sont décrites avec force détails. Dans un premier temps, les deux lignes se font face et échangent principalement des traits (V, 18, 6). Les Romains semblent adopter une formation statique et utilisent leurs boucliers pour se garder des projectiles (V, 18, 13). La ligne romaine est occasionnellement attaquée en combat rapproché par des Goths qui chargent individuellement ou en petits groupes (V, 18, 10-1). Au bout d’un certain temps, les Romains parviennent à mettre en fuite leurs ennemis, qui se réfugient derrière une ligne d’infanterie et obtiennent l’aide d’un corps de cavalerie frais (V, 18, 16-7). La cavalerie ostrogothique contre-charge les Romains qui prennent la fuite jusqu’à une colline : un second combat de cavalerie (αὖθις ἱππομαχία) prend place (V, 18, 17-8). Mis en déroute, les soldats de Bélisaire se réfugient jusqu’à la porta Salaria. Comme la nuit vient de tomber, les gardes ne les reconnaissent pas et refusent de leur ouvrir (V, 18, 19-21). Cela force Bélisaire à tenter une dernière contre-charge pour repousser les poursuivants, alors en train de traverser le fossé situé devant l’enceinte de la ville (V, 18, 26-9). Pour un autre exemple comparable durant la même campagne : cf. ibid., 29, 16-50. 202 Ibid., I, 18, 49. 203 Maurice, Strat., XI, 3, 36-42. Vandales : Procop., III, 8, 27. Goths : V, 27, 5. Francs : Agathias, I, 21, 7. 204 Maurice., Strat., XI, 1, 59-63 et 2, 52, 70-2. Avars : Théophylacte, VIII, 2, 11. Sur ces questions, voir RANCE (2005), 467-8.
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Tricamarum ne peut, selon nous, se comprendre qu’en tenant compte de ce principe : Procope signale qu’à deux reprises, les cavaliers du centre de la première ligne, impliqués dans les escarmouches préliminaires contre les Vandales, retraitèrent jusqu’au camp romain205. Pourquoi ces unités ne se contentèrent pas de regagner la ligne principale, qui n’était pas menacée par l’ennemi, si ce n’est parce que leurs chevaux étaient au bord de l’épuisement et que la remonte se trouvait dans le camp, comme le veut une règle rappelée par le Stratêgikon206 ? À force d’adjonction de renforts, les allers-retours entre lignes ennemies peuvent s’éterniser et l’affrontement, initialement limité, dégénérer en véritable bataille rangée207. Mais la plupart du temps, les partis de cavaliers se contentent de se poursuivre alternativement, suivant une logique déjà évoquée à plusieurs reprises dans les parties précédentes, et que les auteurs tardifs continuent de comparer au mouvement des vagues, en reprenant un locus ancien208. L’importance de ces mouvements de vaet-vient, caractéristiques du combat de cavalerie, est directement prise en compte par la théorie militaire byzantine qui leur confère un cadre réglementaire via l’institutionnalisation des tagmata de cursores : « Pour se replier un peu et faire volte-face (πάλιν ἀντιστρέφεσθαι). Si les cursores doivent se replier, l’ordre donné est : cede. Au galop, [les troupes] se replient (ὑποχωρεῖ) à une ou deux portées de flèche du côté des defensores. Le commandant crie à nouveau : torna mina. Alors, elles se retournent (ἀνθυποστρέφουσιν) comme pour faire face aux adversaires. On doit faire cela fréquemment, non seulement vers l’avant, mais aussi vers la droite, vers la gauche, et vers l’arrière, comme si on se dirigeait vers la seconde ligne. Dans les intervalles de celle-ci et parfois dans l’espace médian [entre les deux lignes] (μεταξύ), les troupes doivent se déployer (ἐξελίσσεσθαι) en formation irrégulière (δρουγγιστί) et charger contre les ennemis. »209. 205
Procop., Bell., IV, 3, 11-3. Maurice, Strat., V, 2-3. 207 E.g. Procop., Bell., VI, 2, 9-16 : lors d’un des nombreux combats de cavalerie du siège de Rome en 537, la succession de charges et de contre-charges s’éternise sans corpsà-corps ; les deux lignes finissent par se rencontrer et sont rejointes par des unités de renfort qui transforment ce qui était initialement une escarmouche en un conflit ouvert. Pour réparer les pertes à l’échelle des escadrons, le procédé habituel semble avoir été de remplacer les troupes blessées ou tuées des premiers rangs par celles des rangs postérieurs : ibid., V, 29, 18. 208 Amm., XV, 4, 9-12 ; XVI, 12, 37 ; Cor., Ioh., V, 185-8 ; Procop., Bell., I, 15, 14-5. 209 Maurice, Strat., III, 5, 41-8 : Ὑποχωρεῖν ὀλίγον καὶ πάλιν ἀντιστρέφεσθαι. Καὶ ὅτε μὲν θέλει ὑποχωρῆσαι ὁ κούρσωρ, κράζει· cede. Καὶ ὑποχωρεῖ σὺν ἐλασίᾳ ὡς ἓν ἢ δεύτερον σαγιττοβόλον ἐπὶ τοὺς δηφένσορας. Καὶ πάλιν κράζει· torna mina. Καὶ ἀνθυποστρέφουσιν ὡσανεὶ κατὰ τῶν ἐναντίων. Καὶ τοῦτο ποιεῖν πολλάκις, μὴ μόνον ἐπὶ τὰ πρόσω, ἀλλὰ καὶ δεξιὰ καὶ ἀριστερά, καὶ πάλιν ὡσανεὶ ἐπὶ τὴν δευτέραν τάξιν. 206
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L’ensemble de ces mécanismes sont parfaitement visibles dans les grands engagements équestres du VIe s., comme l’illustre le récit de la bataille de la rivière Hippis (549 ap. J.-C.) par Procope210. Les troupes romano-lazes commandées par Dagisthaeus sont rangées sur trois lignes : une première ligne avec la cavalerie laze ; une deuxième ligne, loin derrière, avec la cavalerie romaine. Puis une troisième ligne d’infanterie. À l’approche de l’avant-garde sassanide, la cavalerie laze tourne bride et fuit en désordre (κόσμῳ οὐδενί). Elles se mêlent (ἀνεμίγνυντο) aux Romains, comme pour se réfugier (καταφυγεῖν) dans leur ligne211. Alors, les deux armées de cavalerie arrivent à proximité l’une de l’autre et se livrent à une succession de charges et de contre-poursuites : « chaque armée reculait (ἀνεπόδιζον) lorsque ses ennemis approchaient, puis poursuivait les fuyards (ὑποχωρούντων) ; ils perdirent ainsi beaucoup de temps en retraites (ὑπαγωγὰς), contre-poursuites (παλινδιώξεις) et conversions serrées (ἀγχιστρόφους μεταβολάς) »212. Durant cette phase, Procope signale les actions héroïques de guerriers émérites entre les deux lignes de bataille : il s’agit probablement de combats singuliers mettant aux prises les troupes d’assaut détachées en avant des deux armées213. L’avantage pris par les Romains dans ces duels pousse la première ligne de cavalerie perse, terrifiée, à retraiter et à se mêler (ἀνεμίγνυντο) à la deuxième ligne sassanide. Procope signale alors que l’infanterie romaine arrive à proximité du lieu de la bataille. Un engagement général commence. Les cavaliers de Dagisthaeus, probablement débordés, démontent et poursuivent le combat à pied, formant avec les autres fantassins une phalange très profonde (ἐς φάλαγγά τε ὡς βαθυτάτην ταξάμενοι πεζοί)214. Les Perses ne sont plus en mesure de charger (ἐπιδραμεῖν) leurs adversaires ; ils se résolvent à adopter une tactique de harcèlement, Καὶ ὅτε μὲν ἐν αὐτῷ διαλείμματι ταύτης, ὅτε δὲ ἐν τῷ μεταξὺ αὐτῆς ἐξελίσσεσθαι καὶ ἅμα δρουγγιστὶ ὁρμᾶν κατὰ τῶν ἐχθρῶν. 210 Sur cette bataille : SYVÄNNE (2004), 471 ; JANNIARD (2010), 154-5 ; WHATELY (2015b), 199-201. Contexte historique : BURY (1923), II, 113-6 ; GREATREX & LIEU (2002), 118. La rivière Hippis, en Lazique, est identifiée au moderne Tshkenistsqali (en actuelle Géorgie), cf. BRAUND (1994), 300, n. 1. 211 Procop., Bell., VIII, 8, 18-9. 212 Ibid., VIII, 8, 19-20 : τῶν ἐναντίων ἑκάτεροι ἐπιόντων μὲν ἀνεπόδιζον, ὑποχωρούντων δὲ ἐπεβάτευον, ἔς τε ὑπαγωγὰς καὶ παλινδιώξεις καὶ ἀγχιστρόφους μεταβολὰς πολύν τινα κατέτριψαν χρόνον. 213 Ibid., VIII, 8, 25-8 : un Persarménien du nom d’Artabanes et un Goth. Sur les combats singuliers, cf. infra, p. 686 et s. 214 Ibid., VIII, 8, 29-31. Contrairement à ce que suggère SYVÄNNE (2004), 471, le nouvel ordre de bataille produit par cette manœuvre n’est pas la taxis epikampios opisthia car Procope précise que tous les soldats font face à l’ennemi : μετωπηδὸν ἀντίοι τοῖς πολεμίοις ἔστησαν ἅπαντες.
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en arrosant l’armée romaine de traits. Les Romains ripostent à distance et finissent par blesser mortellement le général ennemi, ce qui précipite la déroute de l’armée sassanide. La cavalerie romano-laze se lance alors à la poursuite des fuyards. Comme le montre cet exemple, l’action conjointe de l’infanterie et de la cavalerie dans le cadre de manœuvres d’attaque et de replis brusqués implique que les escadrons montés puissent se retirer à travers la phalange pour se mettre à couvert, puis à nouveau passer à travers elle pour poursuivre l’adversaire. Syrianus Magister déconseille vivement une telle action qu’il juge dangereuse215, mais son œuvre est peut-être postérieure au VIe s. et nous avons vu qu’Arrien décrivait la chose de façon très claire dans l’Ordre de bataille contre les Alains. Cette solution ancienne, consistant à faire passer les cavaliers entre les files ouvertes des fantassins, est reprise par l’auteur du Stratêgikon et exposée au sein du chapitre consacré à la taxis epikampios opisthia (fig. 73) : la phalange est rangée en demi-files de cinq soldats ; chaque file (ἀκία) bis vient se ranger derrière la file du primus (nom donné aux chefs de la decania ou dékarchie de dix soldats) qui se trouve à côté d’elle ; les cavaliers avancent dans les intervalles, alignés et rangés en ordre (ἴσως καὶ εὐτάκτως), de manière à ne pas bousculer leurs camarades216 ; les fantassins restent déployés ainsi, par files de dix, pour pouvoir, au besoin, laisser repasser les cavaliers ; une fois que ces derniers se sont replacés derrière la phalange, les intervalles sont refermés par dédoublement des files217. Ce système est entièrement conçu pour permettre une poursuite rapide de l’ennemi lorsque celui-ci est repoussé par la ligne d’infanterie. La procédure peut sembler laborieuse, mais elle prenait certainement beaucoup moins de temps à réaliser que l’autre option, qui consistait à détacher des cavaliers situés aux deux extrémités des ailes de l’armée, sur une ligne de bataille pouvant mesurer plusieurs kilomètres. Les modalités de la poursuite sont évoquées par l’auteur du Stratêgikon dans le même chapitre sur la taxis epikampios opisthia (fig. 61). Une fois sortis de la phalange, les cavaliers se divisent en deux groupes. Les cinq premiers rangs des tagmata se détachent en avant et adoptent une 215
Syr. Mag., Strat., 35, 6-23. Maurice, Strat., XII, A, 7, 25-9 : ἑνὶ συνθήματι τὰς μὲν προτεταγμένας τοῖς καβαλλαρίοις πεζικὰς ἀκίας εἰς τὰ βάθη τῶν ἀκιῶν τῶν λοχαγῶν ἤτοι πρίμων εἰσέρχεσθαι καὶ εὐρυχωρίαν ἐντεῦθεν ποιεῖν, τοὺς δὲ καβαλλαρίους δι’ αὐτῆς ἴσως καὶ εὐτάκτως ἐξέρχεσθαι, ἵνα μὴ ἐν τῇ παρόδῳ συνθλίβωσι τοὺς πεζούς. 217 Ibid., XII, A, 7, 47-9 : τότε δὲ τοὺς πεζοὺς ἐκ τοῦ βάθους τῶν ἀκιῶν ὡς ἦλθον ἐξερχομένους εἰς τὰ διαλείμματα πυκνοῦν τὴν φάλαγγα καὶ ἀντικαθίστασθαι τοῖς ἐχθροῖς. 216
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Figure 73 – Manœuvre de division des files destinée à permettre la poursuite, d’après le Stratêgikon.
allure vive (ὀξυτέρᾳ), pour donner la chasse aux fuyards jusqu’à une distance de trois à cinq portées de flèches ; les cinq rangs postérieurs suivent à distance en formation dense et égale (ἐν τάξει πυκνοῦσθαι καὶ ἰσοῦσθαι). Si les premiers doivent faire demi-tour, les seconds pourront les recevoir (δέξωνται) et les protéger218. Maurice décrit ici une répartition des rôles qui fait évidemment penser à la dichotomie cursores / defensores, évoquée à maintes reprises dans le traité. Mais il n’emploie pas ces termes techniques pour définir les deux groupes de poursuivants. Cette curiosité est probablement à mettre sur le compte du caractère singulier du chapitre, qui semble provenir d’un ouvrage ou d’une notice antérieure, inspiré de l’Ordre de bataille contre les Alains d’Arrien219. Elle n’en est pas moins fort intéressante : la spécialisation tactique ne se retrouve pas, ici, au niveau des tagmata ou des moirai, mais au sein même des files des unités. Cette description pourrait refléter un stade du Ibid., XII, A, 7, 29-35 : Ἅμα δὲ τοῦ παρελθεῖν αὐτοὺς τὸ βάθος τῆς φάλαγγος ὀξυτέρᾳ καὶ ἴσῃ κινήσει, ὡς ἐνδέχεται, τοὺς μὲν ἡμίσεις κατὰ βάθους ἐν ἑκάστῃ ἀκίᾳ, τοὺς καὶ προτεταγμένους, κατατρέχειν ὑποχωρούντων ἄχρι τριῶν ἢ τὸ πολὺ πέντε σαγιττοβόλων, καὶ μὴ πλέον, διὰ τὰς τῶν ἐχθρῶν ἐνέδρας. Τοὺς δὲ μετ’ αὐτοὺς ἡμίσεις ἐν τάξει ἐπακολουθοῦντας πυκνοῦσθαι καὶ ἰσοῦσθαι, ἵνα, ἐὰν ὡς εἰκὸς τραπῶσιν οἱ προεκδραμόντες, αὐτοὶ ἐν τάξει ὄντες δέξωνται αὐτούς. 219 Cf. supra, n. 595. 218
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développement de la cavalerie tardive précédant l’institution des cursores et des defensores par Maurice (ou son prédécesseur Tibère II)220, à moins que la singularité du dispositif soit à mettre sur le compte d’une erreur de traduction, comme le suppose Philip Rance221. Si l’on se reporte aux chapitres rédigés par l’auteur lui-même, la mécanique de la poursuite est présentée de manière différente. Les tagmata de cursores doivent charger au galop à l’ordre : cursu mina. Quant aux defensores, ils doivent suivre rangés en formation régulière (συντεταγμένως) : cum ordine seque222. Cette phase critique de la bataille n’est pas un exercice facile et met les assaillants en situation de grande vulnérabilité. L’adoption du galop entraîne la dissolution de l’escadron. Certains cavaliers se retrouvent isolés, vont jusqu’à se perdre au sein des pelotons ennemis223. Les sabots des chevaux en fuite lèvent une épaisse poussière, qui brouille la vision des poursuivants et limite donc leur capacité à viser avec précision224. La présence des defensores est donc d’une importance cruciale : ces derniers seront en mesure de s’opposer efficacement à une contre-attaque ennemie, ce que les cursores, dispersés par leur allure vive, ne pouront espérer faire. Selon Maurice, la poursuite doit être engagée de manière à ne pas laisser à l’ennemi la possibilité de se reformer. Elle doit être acharnée et mener à sa destruction complète225. L’infanterie est évidemment plus facile à traquer que la cavalerie : elle peut être 220 Dans le Peri stratêgias (35, 18-23), le système décrit par Syrianus Magister ne correspond ni au premier, ni au deuxième modèle. L’auteur, qui se réclame de l’autorité des anciens (οἱ πολλοὶ τῶν παλαιοτέρων), semble séparer les unités de cavalerie lourde (καταφράκτους), rangées sur les flancs (παρ’ ἑκάτερα) de la phalange, qui ne quittent pas l’infanterie durant la phase de poursuite, des unités de cavalerie légère (κουφοτέρους τῶν ἱππέων), aux extrémités des ailes, qui quittent la ligne de bataille pour chasser les fuyards. 221 RANCE (2017), 247-9 (à propos du mot lochos, utilisé par Arrien comme synonyme d’unité, mais peut-être compris dans son sens originel de « file » par les auteurs postérieurs). 222 Maurice, Strat., III, 5, 37-40 : Ἐπιδιώκειν ὅτε σὺν ἐλασίᾳ ὡς κούρσορας, ὅτε συντεταγμένως ὡς δηφένσορας. Καὶ εἰ μὲν ὡς κούρσορας, παραγγέλλει· cursu mina, καὶ ἕως ἑνὸς σημείου ἀκολουθεῖν σὺν ἐλασίᾳ· ἐὰν δὲ ὡς δηφένσορας· cum ordine seque, καὶ ἀκολουθεῖν συντεταγμένως. L’auteur du De militari scientia, qui ignore la division entre cursores et defensores dans son traité, recommande plutôt de lancer les formations de flanc-gardes à la poursuite de l’adversaire, pendant que les merê de la première ligne de bataille suivent en ordre : DMS, 15 (éd. Müller p. 125, l. 18-22). 223 Cf. MUIR (1998), 116 (citant le témoignage du lieutenant Norcliffe lors de la campagne espagnole de 1812). Voir également ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.), 155. 224 Cor., Ioh., VII, 445-6. 225 Maurice, Strat., VII, B, 12, 2-12 ; DMS, 16 (éd. Müller p. 127, l. 14-6). Il faut cependant veiller à ce que les cursores ne soient pas séparés des defensores de plus d’un ou deux milles (c. 1,5-3 km) : Maurice, Strat., III, 5, 92-9. Le Stratêgikon recommande davantage de prudence contre les nomades scythes adeptes de la fuite simulée : XI, 2, 52-5 et 92-5.
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encerclée, coupée de ses lignes de retraite et immobilisée226. Les écrivains militaires recommandent de toujours lui ménager une échappatoire, pour ne pas la pousser à livrer une lutte désespérée227. Pour sa part, la cavalerie peut être acculée contre un obstacle naturel, par exemple un cours d’eau ou un précipice, mais les opportunités sont plus rares et la manœuvre est délicate à réaliser228. Les récits de batailles relèvent cependant plusieurs exemples de poursuites réussies contre des troupes montées229. Lorsqu’elle est mise en fuite, l’armée romaine doit adopter une procédure de retraite propre à limiter les effets de la défaite. Dans cette configuration, la cavalerie a un rôle très important à jouer : c’est elle qui couvre la marche de repli en faisant écran entre les poursuivants et les fantassins qui se retirent du champ de bataille230. Effectuée avec efficacité, cette mission permet au corps principal d’avoir suffisamment de temps pour regagner un camp, une forteresse, ou franchir un obstacle naturel qui pourra servir de barrière contre l’avant-garde de l’adversaire231. Des fantassins légers et des cavaliers peuvent être détachés pour occuper des positions avantageuses sur l’itinéraire de retraite, de manière à préparer des embuscades contre les poursuivants232. Les cavaliers positionnés en arrière-garde servent alors d’appât pour attirer l’ennemi vers l’endroit voulu. Syrianus Magister recommande de placer le parti d’embuscade à environ deux ou trois milles derrière la phalange, avant même que la bataille n’ait commencé233. Le même auteur conseille aussi de répandre des chausse-trappes pour handicaper l’adversaire234. Assurer une retraite organisée est particulièrement difficile contre des armées 226 Procop., Bell., I, 14, 52 (Dara, 530 ap. J.-C.) ; VIII, 32, 16-8 (Taginae, 552 ap. J.-C.) ; Agathias, I, 22, 5-7 (Ariminum, 553/554 ap. J.-C.). Pour plus de détails : SYVÄNNE (2004), 275-7 et JANNIARD (2010), 406-10. 227 Syr. Mag., Strat., 34, 16-8 ; Maurice, Strat., VIII, 2, 92. 228 Théophylacte, III, 7, 10 ; VIII, 3, 5-7 et 8-15. 229 Procop., Bell., III, 18, 5, 11 (Ad Decimum, 533 ap. J.-C.) ; II, 18, 24-6 (Nisibe, 541 ap. J.-C.) ; VIII, 8, 36-8 (Hippis, 549 ap. J.-C.). 230 Veg., Mil., III, 22, 5-6. 231 E.g. Agathias III, 7, 10 (siège d’Onoguris, 555 ap. J.-C.) : Bouzès, avec sa garde, couvre héroïquement la retraite de l’armée romaine, permettant à celle-ci de passer un pont en toute sécurité. Cependant, la cavalerie ne parvient pas toujours à remplir sa mission avec succès : Ps.-Zach., Chron., IX, 2b (bataille de Thanuris, 528 ap. J.-C.) ; Procop., Bell., II, 25, 31-2 (bataille d’Anglon, 543 ap. J.-C.). 232 Veg., Mil., III, 22, 7-9 et 14-5. 233 Syr. Mag., Strat., 38, 4-21. Les embuscadiers se cachent derrière une éminence, un couvert végétal ou le lit d’une rivière. Ils peuvent charger directement les poursuivants ou se contenter de se montrer, ce qui dissuadera l’ennemi de poursuivre davantage. 234 Ibid., 38, 21-7.
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composées majoritairement ou en totalité de cavaliers (Perses, nomades). Dans ce cas de figure, Maurice recommande de former une double phalange ou un carré, en plaçant les chevaux et le bagage au centre des lignes d’infanterie. Les archers doivent être placés devant les fantassins pour empêcher l’ennemi d’approcher235. Quant aux cavaliers, ils descendent de leurs montures et rejoignent la phalange. De manière générale, la mise à pied des escadrons est souvent présentée comme une mesure d’extrême nécessité, intervenant au moment le plus critique de la bataille ou de la retraite236. Il ressort toutefois des nombreux témoignages littéraires dont nous disposons que la cavalerie proto-byzantine était parfaitement formée au combat d’infanterie et pouvait réaliser ce type de manœuvre sans difficulté237. III – L’EXPÉRIENCE COMBATTANTE À l’époque proto-byzantine, la place nouvelle des troupes montées dans les opérations militaires et la récurrence des duels héroïques semblent annoncer l’art médiéval de la guerre, que la tradition historiographique considère volontiers comme imprégné d’un éthos barbare, individualiste et chevaleresque238. Pour Hans Delbrück, l’idéal martial du règne de Justinien est avant tout celui d’un combattant solitaire et avide de gloire, une conception qu’il juge fort éloignée de l’idéal collectif des armées de l’ère classique239. Il faut cependant se méfier du prisme 235 Maurice, Strat., VII, B, 11, 45-52. Continuité de ce type de dispositif durant la période mésobyzantine : MCGEER (1995). 236 Maurice, Strat., XII, A, 7, 83-8 : « Si les cavaliers se retrouvent dans une situation critique à cause d’un terrain difficile (διὰ τόπου δυσχέρειαν) ou d’un revers au combat (ἢ διὰ μάχης βίαν καὶ τροπήν), étant plongés dans l’effroi (ἐν δειλίᾳ ὄντων), alors, certains des cavaliers doivent se ranger en infanterie (δυνατόν ἐστι τινὰς τῶν καβαλλαρίων πεζῇ τάσσεσθαι), en prenant les boucliers des lanciers (προσλαμβάνοντας τὰ τῶν κοντάτων σκουτάρια) s’ils n’en n’ont pas, alors que les autres restent à cheval de la manière expliquée [précédemment] (τινὰς δὲ ἐπὶ τῶν ἵππων, κατὰ τὸν λεχθέντα τρόπον), et ainsi, le danger peut être écarté. » Callinicum : Procop., Bell., I, 18, 42-50 ; Malalas, XVIII, 60. Hippis : Procop., Bell., VIII, 8, 29-31. Solachon : Théophylacte, II, 4, 5. Sur la question, voir RANCE (2005), 459-62. 237 Cf. SYVÄNNE (2004), 166. 238 On doit à B.S. Bachrach le mérite d’avoir remis en cause cette image caricaturale de l’art militaire au haut Moyen Âge dans une série de travaux qui insistent sur la continuité des savoirs et des pratiques tardo-antiques. Cf. notamment BACHRACH (1997) et (2001). 239 DELBRÜCK (1902, 1990 trad. angl.), II, 411 : « Cette période n’est pas capable de former des unités tactiques. Tout l’art de la guerre est fondé sur l’individu, sur la personne. L’homme qui ne peut combattre qu’à pied avec des armes de mêlée est insignifiant s’il
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déformant des sources : certains auteurs comme Procope ou Corippe sont fortement enclins à mettre en valeur les hauts faits des combattants montés les plus en vue des armées de manœuvre byzantines. On tâchera dans ce chapitre de mettre en évidence les continuités et les spécificités de l’expérience combattante dans la cavalerie impériale des Ve et VIe s.
A. La psychologie des combattants : la peur, les blessures, la mort Bien qu’il soit convaincu du fait que la victoire s’obtient avant tout par la stratégie et la tactique, l’auteur du Stratêgikon a pleinement conscience des enjeux psychologiques liés au combat. Les considérations sur le moral des troupes reviennent de façon récurrente dans les livres VII et VIII du traité : les prisonniers de guerre en état de décrépitude physique doivent être exhibés devant la troupe de manière à renforcer le sentiment de supériorité des soldats romains240 ; les victoires remportées par la cavalerie dans des escarmouches contre l’ennemi doivent être portées à la connaissance du reste de l’armée pour atténuer la crainte de l’adversaire, surtout si celui-ci est mal connu et considéré avec appréhension241 ; les serviteurs et leur famille doivent être éloignés du champ de bataille pour que les soldats ne se préoccupent pas de leur sort pendant l’affrontement242 ; le général doit veiller à ce que des soins soient donnés aux blessés et à ce que les morts soient inhumés, car l’inverse risquerait de fragiliser le moral des combattants243. D’autres prescriptions concernent l’environnement géographique de la guerre : il ne faut pas ranger l’armée sur des hauteurs si l’ennemi est beaucoup plus nombreux, car les soldats risqueraient de s’en apercevoir et d’être découragés244 ; une armée combattra avec plus d’agressivité en territoire ennemi, car il sera alors impossible pour les hommes de s’abriter dans une forteresse ou un lieu sûr en cas de défaite245. Plus généralement, l’auteur insiste sur le fait qu’il ne faut pas mener la troupe au combat sans avoir préalablement mis son
n’appartient pas à une unité tactique, alors que l’homme qui combat à pied avec un arc et des flèches peut seulement fournir une arme de soutien. L’homme qui combat à cheval est supérieur à ces deux-là comme combattant individuel. » 240 Maurice, Strat., VII, A, 5, 5-9. 241 Ibid., VII, A, 11. 242 Ibid., V, 1, 5-10. 243 Ibid., VII, B, 6. 244 Ibid., VII, B, 7. 245 Ibid., VIII, 1, 44.
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courage à l’épreuve dans des engagements limités246. Inversement, dans les jours qui suivent une défaite, il faut impérativement éviter de livrer une nouvelle bataille ouverte : il est préférable de recourir à des stratagèmes et à des attaques surprise pour que les troupes reprennent progressivement confiance en elles247. L’attention portée par le Stratêgikon au moral des combattants n’est pas un fait isolé. La prise en compte du facteur humain est un trait caractéristique de l’art du commandement à l’époque proto-byzantine248. L’insistance de Procope sur les dispositions psychologiques des combattants, leur courage viril (ἀνδρεία), leur valeur (ἀρετή), mais aussi sur leur lâcheté (κακία / ἀνανδρεία) et leur peur (φόβος), va bien au-delà de la simple convention littéraire : elle est un élément explicatif du succès militaire249. Lors du siège de Rome, Bélisaire encourage ses « compagnons d’armes » (συστρατιῶται) en soulignant que le facteur de décision le plus important à la guerre est toujours la disposition d’âme (γνώμη) des soldats : leur ardeur (προθυμίᾳ) est source de toute victoire250. En revanche, la peur représente un danger mortel. Elle gagne les cœurs à la suite de revers, même limités, qui font prendre conscience aux troupes vaincues de leur infériorité par rapport à l’armée adverse251. On ne sera donc pas surpris de constater que, dans les récits de guerre tardifs, nombre d’engagements impliquant des cavaliers sont décidés par ce que la théorie militaire moderne appelle l’« action morale »252. Lorsque les Vandales de Gibamundus rencontrent pour la première fois les Huns de Bélisaire à proximité d’Ad Decimum, ils sont frappés de panique (κατορρωδῆσαι) par l’apparence et la détermination des « Massagètes », et sont incapables de soutenir leur charge253. Durant la même journée de combats, les fédérés de Bélisaire cèdent également à la peur : la poussière levée par les Vandales qui se rapprochent d’eux, la certitude grandissante que 246 Ibid., VIII, 2, 3. Cette recommandation se retrouve dans les récits de guerre et explique pourquoi les généraux trouvent toujours préférable de faire escarmoucher leur cavalerie avant d’engager une bataille rangée : Procop., Bell., III, 19, 11-2 ; V, 28, 1-5 ; VI, 17, 12-7 ; 23, 32 ; Agathias, III, 22, 1. 247 Maurice, Strat., VII, B, 11, 2-17. 248 Voir par exemple Anon., Peri pol. epist., IV, 19-25. 249 Sur ce point, voir STEWART (2014) et WHATELY (2015b), 134-41. 250 Procop., Bell., V, 28, 8-9 : οἶδα γὰρ ὡς τὸ πλεῖστον ἀεὶ τῆς ἐν τοῖς πολέμοις ῥοπῆς ἡ τῶν μαχομένων κεκλήρωται γνώμη καὶ τὰ πολλὰ τῇ τούτων προθυμίᾳ κατορθοῦσθαι φιλεῖ. 251 Ibid., V, 28, 12-3. 252 Sur la question, voir ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.), 149 (cité supra, p. 176, n. 307). 253 Procop., Bell., III, 18, 17-9.
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l’ennemi est plus nombreux, plus déterminé, suffit à dissoudre leurs rangs ; par effet domino, la panique gagne également les bucellaires d’Uliaris, stationnés à sept stades de distance, alors que ces derniers n’ont même pas encore pu apercevoir leurs adversaires254. Ces différents exemples, et les commentaires qu’ils suscitent de la part de Procope, montrent que dans la tradition militaire romano-byzantine, le combattant n’est absolument pas perçu comme le simple rouage d’une violence organisée qui le dépasse, mais bien comme un être de chair et de sang constamment amené à lutter contre les émotions qui le poussent à fuir le choc. Il est d’ailleurs fort probable que le discours officiel sur les qualités du bon général ait facilité cette prise de conscience. Sous la République, le Haut-Empire, comme à l’époque proto-byzantine, l’imperator se conçoit idéalement comme un commilito / συστρατιώτης à la tête de ses campagnons d’armes255. Il partage les fatigues des soldats et connaît leurs préoccupations. Cette tradition a probablement facilité l’émergence d’une conscience aigüe des problèmes psychologiques liés au combat. Nous avons déjà eu l’occasion de souligner précédemment combien la bataille – et à plus forte raison la mêlée – peut constituer un environnement anxiogène pour les cavaliers : les soldats et leurs montures sont physiquement exposés à toutes sortes d’atteintes, et il est impossible pour eux de se soutenir les uns les autres comme dans une phalange de fantassins. Les facteurs de stress sont donc plus importants et, par là même, plus handicapants256. Les troupes montées bénéficient cependant d’un taux de mortalité plus faible. Si les données sont très limitées pour proposer une analyse détaillée de la question, il est permis de faire plusieurs observations. La première est qu’il est toujours possible de relever une forte disproportion des pertes entre vainqueurs et vaincus. La deuxième est que les dommages occasionnés aux fuyards restent limités en raison de la forte mobilité des armées équestres. À Tricamarum (533 ap. J.-C.), sur environ 8 000 cavaliers engagés par Bélisaire, moins de 50 perdent la vie contre 800 Vandales, ce qui représente une faible proportion au regard des effectifs déployés par Gélimer (environ 15 000 hommes selon 254
Ibid., III, 19, 15 et 22-4. Pour un autre exemple : ibid., II, 18, 24-6. Parmi les témoignages les plus importants, on retiendra : Amm., XXIII, 5, 19 ; Claud., IV cos. Hon., 346-50, 358-9 et 364 ; Syn., Reg., 13, 1-5, 15, 7 et 16, 7-8 ; Anon., Peri pol. epist., IV, 1-4 et 55-6 ; Maurice, Strat., VIII, 1, 3 ; 2, 69. Sur la réception du modèle de l’empereur commilito dans l’Antiquité tardive et à l’époque proto-byzantine, voir en dernier lieu STEWART (2016), chap. iv et HEBBLEWHITE (2017), 22-6 et 42-3. 256 Pour une description impressionniste du « visage » de la bataille de cavalerie, cf. Sid. Apoll., Carm., 5, 402-30. Exposition et vulnérabilité du cavalier dans la mêlée : Procop., Bell., VIII, 31, 12-6. 255
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les estimations modernes)257. Lors de la bataille de Chettos (hiver 558/559), 400 Huns trouvent la mort au combat sur les 2 000 cavaliers engagés ; aucune perte n’est enregistrée du côté romain, seulement quelques blessés258. Les combats de cavalerie de l’ère proto-byzantine sont donc humainement très économes et autorisent rarement une victoire totale. Troisième observation : la mortalité des soldats combattants aux premiers rangs des escadrons est beaucoup plus élevée que la moyenne. Sur les 300 cavaliers engagés par Jean l’Arménien lors de la bataille d’Ad Decimum en 533, les douze victimes enregistrées par l’unité sont des hommes du front, « parmi les meilleurs », regrette Procope (τῶν ἀρίστων δώδεκα ἐν τοῖς πρώτοις ἀγωνιζομένους)259. Pour faire face à ce danger, les chefs de file sont généralement cuirassés. Leur armement défensif plus lourd leur permet de se protéger contre les blessures qu’ils ont plus de chance de recevoir, mais aussi d’affronter plus facilement – oserons-nous dire « plus sereinement » – le stress du combat260. En sus des pertes, l’étude des blessures peut être un autre moyen de mesurer l’intensité et le caractère plus ou moins meurtrier des hippomachies. Une analyse de ce type a été récemment proposée par John Birkenmeier, dans un livre portant sur la période des Comnènes Ibid., IV, 3, 18. Cf. SYVÄNNE (2004), 437 et HUGHES (2009), 100-1. Agathias V, 20, 1. 259 Procop., Bell., III, 18, 6. Voir aussi ibid., V, 7, 2-3 (escarmouche entre deux partis d’éclaireurs lors de la reconquête de la Dalmatie par Mundus, en 536) : « Un violent engagement s’ensuivit, dans lequel les Goths perdirent leurs hommes les plus éminents [leurs combattants de première ligne ?] et les meilleurs (καρτερᾶς δὲ γενομένης τῆς ξυμβολῆς Γότθων μὲν οἱ πρῶτοι καὶ ἄριστοι ἔπεσον). » Il est difficile de savoir si l’auteur désigne ici les individus les plus en vue de la confédération ostrogothique (ce qui est l’option choisie par Dewing dans l’édition Loeb : « their foremost and noblest men ») ou les combattants des premiers rangs. Probablement les deux tant les réalités sociales et tactiques sont intimement liées chez les peuples germaniques tardifs (DELBRÜCK [1902, 1990 trad. angl.], II, 301-16). L’hypothèse tactique peut même sembler préférable au regard de Bell., V, 18, 14 : ἐν τούτῳ τῷ πόνῳ πίπτουσι μὲν Γότθοι οὐχ ἥσσους ἢ χίλιοι, καὶ αὐτοὶ ἄνδρες οἳ ἐν τοῖς πρώτοις ἐμάχοντο. On retrouve une formulation comparable dans l’Epitêdeuma d’Urbicius (§7) : si l’ennemi lance une attaque contre le carré romain, ceux qui sont considérés comme les premiers parmi les barbares (τὰ πρῶτα τῶν βαρβάρων) et qui sont habitués à charger en avant (προκατελαύνειν) tomberont avec leurs chevaux, frappés par les flèches romaines et piétinés par les chevaux des rangs postérieurs. Voir GREATREX ET AL. (2005), 63, n. 7. 260 Comme le souligne ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.), 160-1, la cuirasse a toujours eu un effet puissant sur le moral de son porteur : « Pourquoi cuirassiers ? Parce qu’eux seuls, jamais et toujours, ont chargé et chargent à fond. Les cuirassiers n’ont besoin que de la moitié du courage des dragons pour charger à fond (ont à dominer une action morale moitié moindre) et comme ils en ont autant (ce sont les mêmes hommes) on est en droit de compter sur leur effet. […] Toujours la cuirasse a fait, et aujourd’hui plus que jamais elle fera, la confiance du cavalier. » 257 258
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(XIe-XIIe s.)261. L’auteur dresse une typologie des blessures et des armes qui les ont causées. Sur 80 cas répertoriés, il relève 33 blessures à l’épée, 15 blessures à la lance, 9 blessures occasionnées par des projectiles (flèches ou javelines)262. Toutes les armes utilisées au combat ne sont pas aussi vulnérantes. Les blessures à l’épée sont de loin les plus mortelles (11 cas sur 33 contre 3 pour la lance), ce que confirment des témoignages plus récents insistant sur la létalité de l’arme blanche dans les mêlées de cavalerie263. D’après Birkenmeier, un cinquième des blessures sont causées lors de la charge initiale à la lance, ce qui fait écho aux observations des auteurs proto-byzantins concernant les pertes régulièrement essuyées par les cavaliers des premiers rangs. Dans les cas étudiés, la majorité des blessures mortelles et sérieuses (i.e. celles qui mettent les soldats hors de combat) sont celles qui sont portées au torse264. Viennent ensuite la tête, les bras, puis les jambes. L’auteur note que les lances causent surtout des blessures au buste alors que les coups d’épée touchent plutôt la tête. La plupart des blessures par flèches interviennent lors de la fuite. On peut se demander si l’importance de ce type d’atteinte n’est pas minorée par la nature des témoignages utilisés, plus attentifs aux morts causées par des combats épiques au corps-à-corps que par des poursuites condamnant les victimes à la honte et à l’oubli. La documentation des Ve et VIe s. ne permet pas de se livrer à une étude statistique comparable pour l’époque proto-byzantine. Les rares informations présentes dans les sources corroborent cependant les observations de Birkenmeier.
261 BIRKENMEIER (2002), 220-7. La base statistique établie par l’auteur n’est pas d’une rigueur à toute épreuve et pourra surprendre les spécialistes d’époques plus récentes. Elle ne s’appuie pas sur l’analyse de l’ensemble des informations disponibles pour une seule bataille, mais sur un éventail de données puisées dans des récits portant sur des engagements différents. Les résultats dépendent donc des aléas de la transmission des sources. 262 Ibid., 224, tab. 3. 263 CHAUVIRÉ (2009), 824. 264 BIRKENMEIER (2002), 223, tab. 2.
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Tableau 19 – Inventaire des blessures mentionnées par les sources narratives tardo-impériales (combats de cavalerie uniquement). Source (par ordre chronologique) Amm., XXV, 3, 6 Jord., Get., 40, 211 Malalas, XVIII, 60 Procop., Bell., III, 23, 18 Ibid., VI, 1, 26 Ibid., VI, 2, 14-5
Arme(s)
Partie du corps
Lance (equestris hasta) Non renseignée Non renseignée (épée ?) Non renseignée
Flanc droit (côtes et foie) Tête Épaule droite (bras tranché) Cou, visage, main gauche Genou gauche Tête
Un trait (βέλος) Javeline (ἀκόντιον)
Ibid., VI, 2, 16-8
Arc (τοξότης)
Ibid., VI, 2, 21-3
Lances (δόρατα)
Ibid., VI, 4, 15
Lance (δόρυ)
Ibid., VI, 5, 24-7
Flèche ? (βέλος)
Ibid., VII, 4, 23-4 Ibid., II, 3, 24 Ibid., II, 3, 25 Ibid., IV, 24, 11 Ibid., VIII, 8, 25-8 Ibid., VIII, 31, 16 Agathias, II, 14, 4 Théophylacte, II, 6, 1-9 (cf. supra)
Lance (δόρυ) Épée (ξίφος) Lance (δόρυ) Arc (τόξον) Épée (ξίφος) Lance (δόρυ) Arc (τόξον) Flèches (ὀϊστός) Lance (δόρυ) Javeline (ἀκόντιον)
Entre le nez et l’œil droit (la flèche pénètre jusqu’au cou) Épaule droite et cuisse gauche (artère sectionnée) Main droite (tendons coupés) Entre l’œil droit et le nez (la flèche pénètre en profondeur dans la tête) Flanc droit Tête Dos Aine droite Tête Flanc gauche Non renseignée Mâchoire (lèvres) Bras gauche Flanc
Gravité de la (des) blessure(s) Mortelle Non mortelle Mortelle Non mortelle Non mortelle Mortelle (mais la victime continue à combattre sur le moment) Non mortelle
Mortelles
Non mortelle Non mortelle
Mortelle Non mortelle Mortelle Mortelle Non mortelle Mortelle Mortelle Mortelles
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B. La psychologie des combattants : le moral et la discipline Tous les affects propres à l’activité militaire ne contribuent pas à éloigner le cavalier du combat. Certaines sources de motivation le poussent à rechercher l’affrontement et à surmonter sa peur. Il peut s’agir de l’esprit de corps, de l’attrait du butin, de la volonté de plaire à ses supérieurs, de la quête de gloire personnelle ou encore d’un espoir de promotion au sein de la hiérarchie militaire265. Tout l’art du commandement consiste à canaliser ces aspirations et à les laisser s’exprimer pour tirer le meilleur profit du « mécanisme moral du combat antique »266. De ce point de vue, certaines évolutions peuvent être constatées durant la période qui nous intéresse. Tout d’abord, la cohésion des unités et les liens de camaraderie semblent avoir été particulièrement encouragés par le haut commandement. Alors que sous la République et le Haut-Empire, la logique des affectations tendait à casser les solidarités naturelles pour renforcer la compétition entre les soldats d’une même unité, voire d’une même escouade267, l’armée romano-byzantine privilégie les « groupes primaires » et ne recourt que rarement au panachage : d’après Maurice, les soldats séparés de leurs camarades ne fournissent jamais le meilleur d’eux-mêmes268. Le bandon dispose d’une identité propre, de ses enseignes et surtout de sa propre histoire, dont les temps forts sont rappelés lors de chaque bataille par des hérauts (cantatores). Ces derniers interviennent plus précisément juste avant la charge et déclament à voix haute les victoires passées de l’escadron pour encourager les soldats à combattre hardiment269. La pratique d’une religion commune, le christianisme, favorise ce sentiment d’appartenance à l’échelle de l’armée en 265
Pour un traitement synthétique des questions liées au moral dans l’armée romaine : cf. LEE (1996). L’auteur, qui se réclame des face of battle studies, déplore le désintérêt de l’historiographie récente pour ce sujet, mais ignore le travail pionnier de C. Ardant du Picq et se cantonne exclusivement à la littérature anglo-saxonne. Il met en évidence trois principaux ressorts psychologiques : l’honneur ou la crainte de la honte (lié au système de récompenses et de punitions), l’identité de groupe ou la cohésion (entretenue par les signes d’appartenance, les rituels régimentaux, l’entraînement collectif) et le « leadership ». Les aspects liés aux convictions religieuses et à la compétition intra-communautaire sont minorés, sinon ignorés. Pour la période tardive spécifiquement, voir WHITBY, s.v. « Morale: Late Empire », dans ERA, II, 667-8. 266 ARDANT DU PICQ (1904, 2004 4e éd.), 71-8. 267 Cf. LENDON (2005), 183-5, 255-6 et 258-9. 268 Maurice, Strat., IX, 3, 70-3 : τὸ γὰρ ὀλίγους προπετῶς ἀπὸ τάγματος ἐπαίρεσθαι πρὸς κάματον ἐπισφαλές ἐστιν. Οὔτε γὰρ οἱ δηποτατευόμενοι χρησιμεύειν δύνανται ὡς ἐστερημένοι τῆς τῶν ἑτέρων συνάρσεως καὶ ἀλλήλους ἀγνοοῦντες. 269 Ibid., II, 19. Voir aussi ibid., VII, A, 4 : avant le jour de la bataille, à un moment bien choisi, les troupes doivent être assemblées par meros ou moira ; des discours
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agrémentant la vie militaire d’un ensemble de rituels propices au développement de l’esprit de corps : le trisagion est entonné par les soldats du tagma au réveil ; des prières sont récitées au camp le jour de la bataille, avant le départ des combattants (Kyrie eleison, Deus nobiscum) ; les étendards des tagmata sont bénis un ou deux jours avant le début des hostilités270. L’exhibition de signes religieux ou de reliques durant les engagements peut servir à galvaniser les troupes. Lors de la bataille de Solachon en 586, Philippicus parade devant les rangs en brandissant une icône du Christ271. Comme le souligne Michael Whitby, le christianisme apparaît comme un ferment d’action morale plus puissant que l’ancienne religion polythéiste, dont les incidences réelles sur l’activité combattante, notamment au niveau individuel, restaient limitées à l’époque impériale272. Par ailleurs, des récompenses plus matérielles incitent les cavaliers à s’acquitter de leur devoir avec fermeté et honneur. Conformément à une tradition pluriséculaire, les soldats sont toujours gratifiés de dona militaria au cours des campagnes militaires273. Les sources les mentionnent à de nombreuses reprises et montrent que des cérémonies de remise des décorations ont toujours lieu au lendemain des batailles. En 552, devant ses troupes rassemblées à Taginae, Narsès prononce un discours d’encouragement en exhibant directement, à la vue de tous, les récompenses auxquels les plus braves pourront prétendre en cas de victoire : des bracelets (ψέλλια = armillae), des colliers (στρεπτούς = torques), des brides dorées (χαλινοὺς χρυσοῦς)274. À l’issue de la bataille de Solachon en rappelant leurs hauts faits et leur promettant des récompenses sont déclamés pour les encourager. 270 Ibid., II, 18 ; VII, A, 1 ; VII, B, 17. Sur ces aspects de façon générale : HALDON (1999), 17-21 ; WHITBY (1998) ; ID. dans SABIN ET AL. (2007), II, 336-41. 271 Théophylacte, II, 3, 4-9. Cette effigie miraculeuse pourrait être l’image, dite « acheiropoïète » de Kamouliana, évoquée par des sources contemporaines. Cf. BRUBAKER & HALDON (2011), 55. 272 WHITBY (1998), 193-4. À nuancer toutefois avec WHEELER (2009), qui rappelle que les dieux des Romains étaient censés jouer un rôle actif, voire décisif durant les batailles. 273 Contra MAXFIELD (1981), 248-54. Au nom d’un dogme voulant que les soldats auxiliaires n’aient jamais eu accès aux dona et que la Constitutio Antoniniana ait entraîné le déclin de ce système de récompenses, l’auteur écarte les attestations tardives comme exceptionnelles. Mais il ignore les témoignages que nous citons infra : ces derniers prouvent de manière incontestable que les anciennes décorations continuèrent d’être attribuées de façon officielle et régulière tout au long de la période considérée. Les conclusions de Maxfield sont reprises en substance par COULSTON, s.v. « Rewards: Late Empire », dans ERA, III, 832-3. 274 Procop., Bell., VIII, 31, 9 : καὶ ὁ Ναρσῆς δὲ ταὐτὸ τοῦτο ἐποίει, ψέλλιά τε καὶ στρεπτοὺς καὶ χαλινοὺς χρυσοῦς ἐπὶ κοντῶν μετεωρίσας καὶ ἄλλα ἄττα τῆς ἐς τὸν κίνδυνον προθυμίας ὑπεκκαύματα ἐνδεικνύμενος. Voir aussi ibid., VII, 1, 8, évoquant
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586, Philippicus passe ses troupes en revue et attribue des décorations en argent et en or (χρύσεος κόσμος ἀργύρεός τε) au gré des mérites constatés et des blessures exposées275. Théophylacte Simocatta ajoute que certains soldats reçoivent des promotions, d’autres les dépouilles de soldats ennemis tombés lors des combats : ici un cheval perse, là un casque argenté et un carquois, ou encore un bouclier, une cuirasse, une épée276. Cette précision vient rappeler que le butin reste une source de motivation essentielle pour le soldat romano-byzantin277. Son acquisition est toutefois soumise à une réglementation rigoureuse. Il est en effet formellement interdit aux cavaliers de dépouiller les cadavres lors de la bataille et la peine maximale est encourue par tout soldat ou toute unité qui s’aviserait d’aller piller le bagage de l’armée adverse lors des combats278. Le butin doit être récolté exclusivement par les deputati qui se tiennent en retrait de la première ligne : quand l’ennemi a été repoussé, ces ambulanciers militaires ramassent les dépouilles et les livrent aux dékarques de leur propre tagma279. Cela permet de récompenser en priorité les combattants des premiers rangs (prôtostatai), qui s’exposent aux plus grands périls et ne doivent pas être détournés de leur fonction décisive. Malgré tout, plusieurs témoignages font état d’incidents graves280 et il est difficile de savoir quand ce système de collecte, décrit par Maurice dans son traité, fut mis en place281. le même type de décoration, que Bélisaire avait l’habitude d’offrir généreusement à ses soldats lorsqu’ils se distinguaient. En se fondant sur ce passage, MAXFIELD (1981), 252 affirme sans raison : « Belisarius, however, was apparently giving the rewards of his own grace and favour. It is not suggested that he is presenting the dona on behalf of the state: the award is quoted as one piece of evidence of Belisarius’ generosity, the torques and armillae take on the complexion of personal gifts as much as formal military decorations. » 275 Théophylacte, II, 6, 10 : Ὁ δὲ στρατηγὸς τῇ ἐπιούσῃ ἐξέτασιν τοῦ ὁπλιτικοῦ ἐποιεῖτο καὶ δώροις τοὺς τραυματίας ἐφιλοφρονήσατο, καὶ χρύσεος κόσμος ἀργύρεός τε ἀρετῆς ψυχῆς ἀντίδοσις ἦν, καὶ τῷ μέτρῳ τῶν κινδύνων τὴν ἀμοιβὴν ἐταλάντευεν. 276 Ibid., II, 6, 11. 277 Cf. WHATELY, s.v. « Booty: Late Empire », dans ERA, I, 110-1. 278 Maurice, Strat., I, 8, 16 ; VII, A, 14 ; VII, B, 17, 38-9. 279 Ibid., II, 9, 12-21. 280 E.g. Théophylacte, II, 4, 1-4 (voir aussi n. suivante). 281 Un tel système n’existait manifestement pas durant la période classique (cf. App., Mith., 85) et semble encore faire défaut sous le règne de Justinien : lors de la bataille d’Ad Decimum, le parti de cavaliers détaché vers Carthage sous le commandement de Jean défait l’armée vandale qui lui est opposée aux alentours de midi et passe le reste de la journée à dépouiller les morts, sans se préoccuper du sort du corps expéditionnaire principal dirigé par Bélisaire (Procop., Bell., III, 18, 27). Quelques jours plus tard, à la bataille de Tricamarum, la cavalerie s’adonne à la même activité après avoir mis les troupes de Gélimer en déroute (ibid., IV, 3, 17 et 4, 1-8). Procope souligne avec insistance que ces actions faisaient peser une lourde hypothèque sur l’issue des opérations.
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Enfin, en sus des aspirations « positives » qui renforcent le moral des soldats et les préparent à affronter le « visage de la bataille », le système militaire romano-byzantin se caractérise toujours par une discipline militaire extrêmement sévère, assise sur une échelle de peines allant de la rétrogradation à l’exécution capitale282. La peur des punitions doit forcer, en dernier ressort, les cavaliers les moins audacieux à affronter la peur du choc. Certaines sont fortement déshonorantes et peuvent être vécues comme une véritable « mort sociale » au regard du système de valeur en vigueur dans l’armée : Zosime raconte ainsi que pour punir les cataphractaires qui abandonnèrent leur poste lors de la bataille de Strasbourg (357 ap. J.-C.), Julien « les vêtit d’habits de femme et les fit conduire à travers le camp pour les expulser, dans l’idée que pour des hommes pratiquant le métier des armes, ce châtiment était pire que la mort »283. D’autres impliquent des conditions de service plus dures, voire une éviction de la militia (missio ignominiosa) : des cavaliers qui ont refusé de soutenir le choc de l’adversaire sont versés dans l’infanterie et se voient retirer leur distinctions284 ; des officiers accusés d’inaction (desides), de lâcheté (ignaui) et de conduite scandaleuse (ob flagitium) sont radiés285. La mort est réservée aux cas les plus graves : insubordination vis-à-vis d’un officier supérieur, désertion, trahison et fuite face à l’ennemi sans tentative réelle d’opposition286. Les modalités d’exécution sont d’une variété et d’une cruauté propices à dissuader les éléments les plus rétifs287. Durant le siège d’Auximum, un soldat romain qui a accepté de servir de messager aux Goths en échange d’une grasse rétribution est brûlé vif, sur demande de ses camarades288. Le Stratêgikon recommande même l’antique 282 Pour un aperçu général : RAVEGNANI (1988), 115-9. Concernant la discipline dans le Stratêgikon spécifiquement : AUSSARESSES (1909), 46-7. 283 Zos., III, 3, 5 (trad. F. Paschoud) : ἀμφιέσας δὲ ἐσθῆτι γυναικείᾳ διὰ τοῦ στρατοπέδου παρήγαγεν ἐπ’ ἐξαγωγῇ, στρατιώταις ἀνδράσι χαλεπωτέραν θανάτου τὴν τοιαύτην ποινὴν ἡγησάμενος. 284 Amm., XXIV, 5, 10. Voir aussi ibid., XXV, 1, 8. 285 Ibid., XXIV, 3, 2 et XXV, 1, 9. 286 Dans les livres du Stratêgikon consacrés à la cavalerie, plusieurs chapitres portent sur la justice militaire et les châtiments à infliger aux soldats responsables de crimes (I, 6-8). L’auteur insiste sur le fait que le règlement et les peines encourues doivent être portés à la connaissance des soldats lors de chaque campagne (I, 6, 3-6). Une clause vise spécifiquement les hommes qui abandonnent leur poste au combat (I, 8, 4-5 : τὴν τάξιν ἢ τὸ βάνδον αὑτοῦ ἐάσῃ καὶ φύγῃ ἢ τοῦ τόπου) ou qui chargent en avant (προπηδήσῃ) de leur formation (I, 8, 5-6). 287 Procop., Bell., IV, 18, 18. 288 Ibid., VI, 26, 3-5 et 26. Ce châtiment est bien prévu par le droit pénal pour complicité avec les barbares : CTh., VII, 1, 1 (323 ap. J.-C.) = CJ, XII, 35, 9. Voir aussi Procop., Bell., III, 12, 9.
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décimation contre les unités se rendant collectivement responsables de lâcheté face à l’ennemi durant une bataille : un soldat sur dix sort des rangs et est percé de flèches (κατατοξεύεσθαι) par les soldats des autres tagmata289. L’auteur du traité souligne toutefois qu’il faut faire preuve de souplesse dans certaines circonstances, pour ne pas encourager les désertions et les trahisons, notamment lorsque l’armée ennemie est proche et qu’on s’apprête à l’affronter en bataille rangée290.
C. Le renouveau du combat héroïque La documentation des Ve et VIe s. ne permet pas de savoir exactement comment les cavaliers percevaient leur activité combattante au sein de l’armée romano-byzantine. La plupart des témoignages apportent un éclairage extérieur sur le comportement de certains cavaliers, qui appartiennent généralement aux unités d’élite des armées de manœuvre. Les combats singuliers occupent une place de choix dans ces récits, qui contraste avec le nombre très limité d’occurrences pour la période précédente. Alors que Julien suggère que la monomachie était pour le moins inhabituelle dans l’armée romaine du IVe s.291, les attestations se multiplient à partir du Ve s. Olympiodore affirme que Boniface, tribun militaire en Afrique durant les années 410, puis comte d’Afrique dans les années 420, se livrait régulièrement à des duels héroïques contre les barbares292. À la même époque, Socrate le Scholastique signale qu’un certain Areobindus « tua en combat singulier le plus vaillant des Perses »293. L’épisode est décrit avec plus de détails par Jean Malalas, qui précise que le personnage en question était un Goth qui détenait le prestigieux office de comes foederatorum : à la demande de Bahram V et avec l’autorisation du magister militum per Orientem Procopius, cet officier romain affronta 289 Maurice, Strat., I, 8, 11-9. Ce témoignage relativise l’idée selon laquelle la décimation serait devenue un châtiment exceptionnel durant la période impériale : PHANG (2008), 127-9. 290 Maurice, Strat., VII, A, 6. 291 Ainsi moque-t-il Homère, « inventeur d’un genre nouveau et étranger de combat singulier (καινὸν καὶ ἄτοπον μονομαχίας τρόπον). Partout on le voit avantager son Achille, autour duquel il groupe les soldats comme de simples spectateurs, le montrant seul invincible. » (Jul., Or., 3 [2], 10 = 60D ; trad. J. Bidez). Bien avant Julien, Julius Africanus notait déjà que « jamais un Romain ne combat individuellement et qu’il n’existe pas chez eux de champion qui bataille à lui seul contre une troupe » (Jul. Afr., Kest., I, 1, 76-8). 292 Olympiodore, fr. 40. 293 Soc., HE, VII, 18, 25.
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un Immortel qu’il parvint à terrasser à la suite d’un combat équestre294. Les deux occurrences suggèrent une évolution de l’attitude du haut commandement romain, devenue plus favorable aux formes transgressives d’expression du courage. Pourtant, environ deux siècles plus tard, le Stratêgikon rappelle une règle essentielle de la discipline militaire : un soldat romain ne doit jamais quitter le rang et ne doit pas s’« élancer en avant » (προπηδήσῃ), formulation que l’on retrouve chez Tite-Live lorsqu’il est précisément question d’interdire, au moins temporairement, la monomachie295. Il faut donc croire qu’en l’absence de changements de iure, une tolérance de fait s’est installée au cours de la période. Les nombreuses mentions de duels dans les Guerres de Procope confirment cette impression296. Il est en effet possible d’y dénombrer neuf passages dans lesquels il est question de combats singuliers297. Tous mettent en scène des cavaliers aux profils divers : parfois de simples soldats (généralement des doryphores), d’autres fois des officiers supérieurs, voire des généraux298. Certains exemples ne correspondent pas à véritables de monomachies homériques mais prennent place dans le cadre plus large de batailles rangées ou d’escarmouches collectives. Durant la phase préliminaire qui précède la rencontre des lignes romaines et perses à Callinicum en 531, des combattants isolés font des « prouesses de valeur » en s’affrontant dans l’intervalle qui sépare les deux armées, alors que celles-ci s’arrosent de traits299. À l’hiver 537, lors des escarmouches 294
Malalas, XIV, 23. Cf. PLRE, II, s.n. « Fl. Ariobindus 2 », p. 145-6. Maurice, Strat., I, 8, 6 (cf. Liv., VIII, 6, 16 [ne quis extra ordinem in hostem pugnaret] ; XXIII, 47, 1 [extra ordinem in prouocantem hostem pugnare] ; XXV, 18, 12 [extra ordinem in prouocantem hostem pugnare]). Il nous semble qu’un écho de cette interdiction se trouve dans le récit de la bataille de Dara par Procop., Bell., I, 13, 31-6. Dans les préliminaires qui précèdent l’affrontement général, les Romains sont provoqués à deux reprises par des soldats perses. La première fois, un certain temps s’écoule avant qu’Andreas, un compagnon de Bouzès, relève le défi et tue son adversaire. Le texte précise qu’il agissait sans en avoir reçu l’ordre (οὔτε ἄλλου ὁτουοῦν ἐπαγγείλαντος), « de son propre mouvement » (αὐτόματος). La deuxième fois, c’est le même Andreas qui accepte le défi, malgré l’interdiction formelle du magister militum Hermogène (καίπερ αὐτῷ πρὸς τοῦ Ἑρμογένους ἀπειρημένον). 296 Sur la question : RAVEGNANI (1988), 68-9 ; LENDON (2005), 385, n. 32 ; RANCE (2005), 429 ; WHATELY (2015b), 169-71. 297 Procop., Bell., I, 13, 29-37 ; 18, 31 ; IV, 13, 11-7 ; 24, 9-11 ; V, 29, 20-1 ; VI, 1, 20 ; VII, 4, 21-30 ; VIII, 8, 25-8 ; 31, 11-6. Un dixième passage pourrait être cité, cf. ibid., III, 18, 13-7 : un soldat hunnique de l’armée de Bélisaire se détache de son unité pour provoquer les Vandales de Gibamundus, mais personne ne s’avance pour l’affronter. 298 Cf. pourtant Maurice, Strat., XII, B, 1, sur le fait qu’un général ne doit jamais prendre de risque en combattant lui-même. 299 Procop., Bell., I, 18, 3. 295
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qui éclatent entre les Romains et les Goths au nord de la porta Salaria, trois cavaliers de Bélisaire, Athenodoros, Theodoriskos et Georgios, se distinguent en quittant la phalange pour affronter individuellement des barbares300. Ces démonstrations de valeur s’inscrivent dans le contexte des combats informels entre petits groupes de cursores, opérant en formation irrégulière : elles ne tombent donc probablement pas sous le coup de l’interdiction énoncée par le Stratêgikon301. Mais des cavaliers se livrent parfois à d’authentiques duels, sans que leurs armées soient impliquées dans des combats collectifs302. Ces actions ont plusieurs points communs. Elles sont précédées d’un défi lancé en bonne et due forme par un combattant d’une des deux armées et relevé par un soldat du parti adverse. Les deux champions se rejoignent alors dans le no man’s land qui sépare les deux lignes de bataille et se livrent un combat à mort. Les soldats des deux camps assistent en spectateurs ; leur présence, fondamentale, révèle la finalité première de la monomachie rituelle : il s’agit pour les combattants d’acquérir une gloire toute personnelle, qui ne peut exister sans témoins. L’un des exemples les plus caractérisés prend place à la veille de la bataille de Taginae (551 ap. J.-C.) : « Mais plus tard, un homme de l’armée gothique nommé Coccas, qui avait une grande réputation d’efficacité, chargea en avant avec son cheval, s’approcha très près de l’armée romaine et adressa un défi à ceux qui seraient désireux de l’affronter en combat singulier (μονομαχίαν) […] Aussitôt l’un des porte-lance de Narsès se dressa contre lui, un homme de race arménienne nommé Anzalas, qui était également monté sur un cheval. Coccas lança la première attaque et se hâta vers son ennemi pour le frapper avec sa lance, en visant son ventre. Mais Anzalas, en détournant brusquement son cheval, rendit sa charge inutile. S’étant ainsi replacé sur le flanc de son ennemi, il enfonça sa lance dans son côté gauche. Coccas, tombé de son cheval, gisait mort sur le sol. Sur quoi une grande clameur s’éleva de
300
Ibid., V, 29, 20-1. Les sièges fournissent aussi des occasions propices. Ainsi lors du siège de Rome, Procope note que les escarmouches qui opposaient quotidiennement les deux partis au pied de la muraille aurélienne « se terminaient toujours en combats singuliers » (cf. ibid., VI, 1, 20 : ἔπειτα δὲ ἱππεῖς μὲν πολλάκις ἑκατέρωθεν οὐ πολλοὶ ὡς ἐς μάχην ὡπλίζοντο, ἐς μονομαχίαν δὲ ἀεὶ τὰ τῆς ἀγωνίας αὐτοῖς ἐτελεύτα καὶ πάσαις Ῥωμαῖοι ἐνίκων). 302 Nous en avons dénombré six : deux duels remportés par Andreas contre des combattants perses avant la bataille de Dara en 530 (I, 13, 29-37) ; un duel remporté par le commandant des fédérés Althias contre le chef maure Iaudas en 535 (IV, 13, 11-7) ; un duel remporté par le cavalier arménien Artabazès contre le Goth Valaris près de Faenza en 542 (VII, 4, 21-30) ; un duel remporté par le dux Jean contre Stotzas, avant la bataille de Thacia en 545 (IV, 24, 9-11) ; un duel remporté par Anzalas, doryphore de Narsès, avant la bataille de Taginae en 551 (VIII, 31, 11-6). 301
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l’armée romaine, mais même alors, aucun des deux camps n’engagea le combat. »303.
La place des ces duels dans le récit procopien est symptomatique d’un modèle littéraire fortement imprégné de l’épopée homérique304. Il est aussi évident que l’historien de Césarée entretient des liens étroits avec certains membres de la garde rapprochée de Bélisaire, qui sont une source de premier ordre pour certaines parties de son récit305. L’œuvre de Procope reflète ainsi les aspirations d’un milieu d’officiers de cavalerie, glorifié par de nombreux portraits héroïques, habilement intégrés dans des narrations militaires plus classiques. Cependant, la spécificité des Guerres ne suffit pas entièrement à rendre compte du phénomène : maints témoignages postérieurs confirment que les combats singuliers sont bel et bien devenus courants à l’époque proto-byzantine306. Il est intéressant de remarquer que tous les individus qui se livrent à ces duels ne sont pas des barbares appartenant à des unités « ethniques ». Certains sont des « Romains », comme Stotzas, officier byzantin qui prend la tête de la révolte africaine contre Solomon307, ou Andreas, le compagnon de Bouzès originaire de Constantinople qui affronte les champions sassanides à Dara308. Il semble donc difficile de restreindre ce renouveau de la monomachie à une dynamique ethnique, même si le recrutement massif d’éléments barbares au sein de l’armée romaine a pu contribuer à son Ibid., VIII, 31, 11-6 : Μετὰ δὲ εἷς ἐκ τοῦ Γότθων στρατοῦ, Κόκκας ὄνομα, δόξαν ἐπὶ τῷ δραστηρίῳ διαρκῶς ἔχων, τὸν ἵππον ἐξελάσας, ἄγχιστα ἦλθε τοῦ Ῥωμαίων στρατοῦ, προὐκαλεῖτό τε, εἴ τίς οἱ βούλοιτο πρὸς μονομαχίαν ἐπεξιέναι. […] καί οἱ αὐτίκα τῶν τις Ναρσοῦ δορυφόρων ἀντίος ἔστη, Ἀρμένιος γένος, Ἀνζαλᾶς ὄνομα, καὶ αὐτὸς ἵππῳ ὀχούμενος. Ὁ μὲν οὖν Κόκκας ὁρμήσας πρῶτος ὡς τῷ δόρατι παίσων ἐπὶ τὸν πολέμιον ἵετο, καταστοχαζόμενος τῆς ἐκείνου γαστρός. Ὁ δ᾿ Ἀνζαλᾶς ἐξαπιναίως τὸν ἵππον ἐκκλίνας ἀνόνητον αὐτὸν κατεστήσατο γενέσθαι τῆς οἰκείας ὁρμῆς. Ταύτῃ τε αὐτὸς ἐκ πλαγίου τοῦ πολεμίου γενόμενος ἐς πλευρὰν αὐτοῦ τὴν ἀριστερὰν τὸ δόρυ ὦσε. Καὶ ὁ μὲν ἐκ τοῦ ἵππου πεσὼν ἐς τὸ ἔδαφος νεκρὸς ἔκειτο· κραυγὴ δὲ ἀπὸ τοῦ Ῥωμαίων στρατοῦ ὑπερφυὴς ἤρθη, οὐδ᾿ ὣς μέντοι μάχης τινὸς οὐδέτεροι ἦρξαν. 304 Cf. WHATELY (2015b), 169-71. 305 Cf. CAMERON (1985), 202-4 et surtout RANCE (2005), 429 : « Procopius choose to dramatize these duels partly for literary effect, but partly because of his close connections with the very cavalry officers from whose ranks these champions emerged, and who often appear also to have been his principal sources of information for events he did not himself observe. His account therefore in some measure reflects the attitudes, experiences and perspectives of elite mounted warriors and/or staff personnel, and potentially imports their prejudices towards infantry. » 306 E.g. Jean d’Éphèse, HE, VI, 26. Pour d’autres exemples : cf. TROMBLEY (2002), 246-7. 307 Agathias, I, proem., 25. Cf. PLRE, III, s.n. « Stotzas », p. 1199. 308 Procop., Bell., I, 13, 31. Cf. PLRE, III, s.n. « Andreas 1 », p. 74. 303
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développement309. Nous serions plutôt tentés d’y voir le signe de l’émergence, à l’échelle du monde méditerranéen, d’un groupe socio-professionnel de cavaliers d’élite, caractérisé par la maîtrise de techniques de combat très exigeantes et partageant la même éthique martiale. Certains ressorts de cette koinê feront penser aux paramètres de la guerre chevaleresque310 : les compagnonnages militaires qui se forment autour de certains officiers charismatiques, via le bucellariat311 ; l’importance de la réputation et du rang, omniprésente dans les combats singuliers312 ; les contacts entre champions des deux armées, qui semblent indiquer une véritable interaction (comme cela s’observe dans la Johannide de Corippe, où les combattants sont presque systématiquement nommés et semblent parfois se connaître les uns les autres)313. Cependant, il convient aussi de ne pas perdre de vue les aspects « rationnels » des combats héroïques de l’époque de Justinien. La plupart du temps, les duels sont privilégiés dans des situations particulières, pour remédier à un désavantage tactique, ce qui pourrait les rapprocher des stratagèmes ou d’autres formes d’affrontement indirect particulièrement 309 Ainsi, on ne s’étonnera pas de découvrir que, dans leur manière de provoquer l’adversaire en duel, certains symmachoi fassent référence à leurs coutumes ancestrales : cf. Procop., Bell., III, 18, 13. 310 Cf. BARTHÉLEMY (2012), 11, qui, dans une tentative de définition anthopologique de la guerre chevaleresque, souligne que celle-ci postule « une véritable interaction, assumée, revendiquée, du guerrier noble avec son adversaire de même rang, ce qui nécessairement limite son allégeance à son prince et sa solidarité avec la piétaille, pour ne pas dire la racaille, de son propre camp […]. Or ce trait est tout à fait à l’opposé de la discipline romaine comme de celle d’une armée moderne. » 311 Cf. Procop., Bell., VII, 1, 13-21 (Bélisaire). Voir WHATELY (2015b), 234 pour la dimension homérique de ces « personal retinues ». OMAN (1898, 1924 2e éd.), 26 les rattache de façon très réductrice au « system of the Teutonic comitatus, of the “war-band” surrounding a leader to whom the soldiers are bound to a personal tie ». Plutôt que dans le bucellariat, les réalités du compagnonnage germanique se retrouvent dans la structure interne de certains régiments de fédérés et d’optimates : les cavaliers sont accompagnés de valets d’armes combattant dans les derniers rangs de la formation, ce qui peut effectivement faire penser au système médiéval de la « lance ». 312 Cette reconnaissance, voire cette valorisation de l’adversaire restait difficilement concevable dans le cadre idéologique des guerres du Principat, fortement marqué par la déshumanisation des combattants barbares. Voir notamment FERRIS (1995) et (2000). 313 Une fois encore, il convient de rester prudent car ce phénomène relève des exigences des « androktasies », listes de guerriers massacrés indissociables du modèle épique. Cf. ZARINI (2003), 95-6. Cependant, pour RIEDLBERGER (2010a), Corippe s’est bien inspiré de personnages réels. L’historicité des nombreux combattants maures nommés dans le poème est plus litigieuse. Riedlberger souligne que leurs noms sont vraisemblables d’un point de vue linguistique, et Cor., Ioh., VIII, 526-33 affirme s’être lui-même fondé sur la rumeur pour transmettre ces informations. La présence de Maures symmachoi dans le corps expéditionnaire de Jean devait faciliter l’identification des ennemis les plus illustres tués au combat.
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appréciées des cadres militaires romano-byzantins. Le cas du combat qui oppose, en 535, l’« archonte » des foederati Althias à Iaudas est particulièrement éclairant. Durant cet épisode, les Romains doivent faire face à une incursion des Maures en Numidie et sont en très nette infériorité numérique. Acculé dans une oasis, Althias parvient néanmoins à sortir de l’impasse en provoquant le chef ennemi en duel : sa victoire lui permet d’obtenir le départ des pillards et de récupérer butin et prisonniers314. Ses soixante-dix combattants se seraient retrouvés dans une situation très délicate s’ils avaient dû livrer une véritable bataille. Quelques années plus tard, toujours en Afrique, Jean, à la tête des troupes restées fidèles à l’Empire, combat Stotzas, le chef des forces romaines et vandales révoltées, dans des circonstances similaires. Disposant d’un nombre de soldats bien moindre que son adversaire et ayant peut-être en tête le succès précédent d’Althias, il affronte personnellement son rival (et ancien camarade) à la veille de la bataille de Thacia, en 545. Malgré sa victoire, les ennemis refusent de battre en retraite et engagent son armée. Jean meurt dans l’affrontement315. CONCLUSION : L’HOMÉRISATION
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Dans la deuxième partie de cette étude, nous avons suggéré que le primat de l’infanterie lourde dans l’armée romaine pouvait être en partie perçu comme le produit d’une culture militaire classique reléguant le combat de cavalerie au rang de pratique marginale316. La discussion, essentiellement fondée sur une documentation littéraire, nous a amené à mettre en évidence plusieurs lieux communs dont certains associent les cavaliers au monde de la barbarie nomade ou à des comportements guerriers dépréciés. Sous le Haut-Empire, ces images se retrouvent aussi bien dans l’œuvre historiographique de Tacite que dans l’environnement direct des soldats. Lors des hippika gumnasia, on sait par exemple que les cavaliers romains pouvaient porter des casques de parade à l’effigie d’Amazones ou d’« Orientaux » : autant de figures marginales que les Anciens rejetaient hors des cadres de la guerre mâle et qui rapprochaient l’equestre proelium de la féminité orientale317. Si ce constat ne saurait prouver 314
Procop., Bell., IV, 13, 5-17. Infériorité numérique, cf. ibid., IV, 13, 1-2. Ibid., IV, 24, 9-11. Infériorité numérique, cf. ibid., IV, 24, 8. 316 Cf. supra, p. 189-96. 317 ROBINSON (1975), 108 et 124 ; LENDON (2005), 271-3 ; FEUGÈRE (1994, 2011 2e éd.), 145. Outre les casques à visage, Arr., Tact., 34, 6 évoque les « tuniques cimmériennes » (Κιμμερικὰ χιτώνια) qui faisaient partie de la panoplie des cavaliers. 315
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l’existence d’un « modèle occidental de la guerre », il ne fait aucun doute que les élites lettrées du Principat considéraient la cavalerie comme un accessoire de l’infanterie. On peut bien parler d’un éthos militaire impérial qui, initialement très attaché au primat de l’infanterie lourde, évolue à partir du IIIe s. vers une plus grande intégration de la cavalerie. Cette mutation de la culture militaire classique se poursuit durant la période protobyzantine, à mesure que le cheval impose son primat tactique sur les champs de bataille. Plusieurs facteurs y contribuent : l’irruption de nouveaux ennemis nomades, dont les méthodes de guerre forcent l’armée romaine à s’adapter en accordant une importance nouvelle à l’arme équestre ; la mobilisation de plus en plus fréquente de véritables armées de cavalerie, qui relègue au second plan l’infanterie et accorde aux forces montées un rôle de décision tactique beaucoup plus évident que par le passé ; le développement de nouveaux instruments hippiques, qui facilitent l’utilisation militaire du cheval sans pour autant révolutionner l’art de la guerre. Toutes ces évolutions contribuent à revaloriser profondément l’image du cavalier dans les sources. Dans la célèbre préface des Guerres, Procope fait l’éloge des archers montés de Bélisaire, qu’il défend contre les sarcasmes des écrivains réactionnaires. Selon lui, ces hippotoxotai sont capables des plus grandes prouesses guerrières et n’ont rien de comparable avec les archers de l’Iliade, qui allaient à pied et devaient compter sur l’aide de camarades lourdement équipés pour se protéger : « Les archers de notre époque vont au combat armés de cuirasses et de jambières montant jusqu’aux genoux. Ils ont des flèches au côté droit, une épée au côté gauche. Et il y en a qui ont aussi une lance suspendue à eux et qui portent à l’épaule une sorte de petit bouclier, sans poignée, propre à couvrir une partie du visage et du cou. Ce sont d’excellents équitants qui peuvent facilement tirer dans n’importe quelle direction, sur un cheval en pleine course, et toucher un ennemi dans la poursuite comme dans la fuite. Ils lèvent leur arc à la hauteur du front et, tirant la corde jusqu’à l’oreille droite, ils poussent leurs traits avec une telle violence qu’ils percent tout ce qu’ils rencontrent, sans qu’il y ait de boucliers, ni de cuirasses qui puissent y résister. Toujours est-il que ceux dont je parle, faisant très peu de cas de tout ceci, n’ont de l’admiration et du respect que pour les siècles passés, et comptent pour rien les innovations modernes. Leur opinion ne nous empêchera pas d’affirmer que les plus grandes et les plus considérables actions se sont accomplies dans ces dernières guerres. »318. 318 Procop., Bell., I, 1, 12-6 : Οἱ δέ γε τανῦν τοξόται ἴασι μὲν ἐς μάχην τεθωρακισμένοι τε καὶ κνημῖδας ἐναρμοσάμενοι μέχρι ἐς γόνυ. Ἤρτηται δὲ αὐτοῖς ἀπὸ μὲν τῆς δεξιᾶς πλευρᾶς τὰ βέλη, ἀπὸ δὲ τῆς ἑτέρας τὸ ξίφος. Εἰσὶ δὲ οἷς καὶ δόρυ προσαποκρέμαται καὶ βραχεῖά τις ἐπὶ τῶν ὤμων ἀσπὶς ὀχάνου χωρὶς, οἵα τά τε ἀμφὶ τὸ πρόσωπον καὶ 〈τὸν〉 αὐχένα ἐπικαλύπτειν. Ἱππεύονται δὲ ὡς ἄριστα καὶ θέοντος
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Les écrivains auxquels Procope fait allusion dans ce passage sont des lettrés hostiles aux évolutions récentes de l’art de la guerre. Leur point de vue est très bien illustré par l’auteur anonyme du traité philosophique Sur la science politique. Le livre IV de ce dialogue néoplatonicien, rédigé entre 507 et 535 selon son éditeur le plus récent, porte sur les questions militaires et contient des prescriptions sur la conduite de la guerre. Après quelques échanges initiaux, l’interlocuteur junior Thaumasios reproche au patrice Menodoros de ne parler que de l’infanterie. La cavalerie n’occupe-t-elle pas une place prépondérante dans la doctrine militaire de l’époque ? C’est que, répond Menodoros, les stratèges actuels ne devraient pas faire tant de cas de cette arme : les troupes montées n’ont pas vocation à dominer les champs de bataille. Rome a étendu sa puissance grâce à une armée principalement constituée de fantassins ; négliger la cause de son hégémonie ne ferait que condamner son empire à la disparition319. La cavalerie doit donc retrouver sa place d’accessoire de l’infanterie (πάρεργον τοῦ πεζικοῦ) car elle lui est inférieure par nature et par raison : « Par nature car le fantassin se dirige lui-même et n’est pas porté par un autre ; par raison car il considère que combattre courageusement et selon les lois de la guerre confère un honneur durable, et que même s’il meurt, cela lui procurera une fin bien préférable à une vie quelconque. »320. Il y a donc une divergence de fond entre le point de vue de cet auteur et celui de Procope321. Dans plusieurs études récentes, Anthony Kaldellis a affirmé que cette divergence n’est qu’apparente : selon lui, tous les auteurs de l’Antiquité tardive voyaient d’un mauvais œil l’importance croissante prise par la cavalerie, et la préface des Guerres serait un exercice de style, construit sur le modèle d’un raisonnement par antiphrase. Procope, en émule de Platon, ne ferait que reprendre en l’actualisant le motif classique du αὐτοῖς ὡς τάχιστα τοῦ ἵππου τὰ τόξα τε οὐ χαλεπῶς ἐντείνειν οἷοί τέ εἰσιν ἐφ᾿ ἑκάτερα καὶ διώκοντάς τε βάλλειν τοὺς πολεμίους καὶ φεύγοντας. Ἕλκεται δὲ αὐτοῖς κατὰ τὸ μέτωπον ἡ νευρὰ παρ´ αὐτὸ μάλιστα τῶν ὤτων τὸ δεξιόν, τοσαύτης ἀλκῆς ἐμπιπλᾶσα τὸ βέλος, ὥστε τὸν ἀεὶ παραπίπτοντα κτείνειν, οὔτε ἀσπίδος ἴσως οὔτε θώρακος ἀποκρούεσθαί τι δυναμένου τῆς ῥύμης. Εἰσὶ δὲ οἳ τούτων ἥκιστα ἐνθυμούμενοι σέβονται μὲν καὶ τεθήπασι τὸν παλαιὸν χρόνον, οὐδὲν δὲ ταῖς ἐπιτεχνήσεσι διδόασι πλέον. Ἀλλὰ τούτων οὐδὲν κωλύσει μὴ οὐχὶ μέγιστά τε καὶ ἀξιολογώτατα ἐν τοῖσδε τοῖς πολέμοις ξυμβῆναι. Cf. Hom., Il., VIII, 266-72. 319 Anon., Peri pol. epist., IV, 26-45. 320 Ibid., IV, 46 : φύσει μὲν ὅτι πεζὸς ἀνὴρ αὐτός τε αὑτὸν ἄγει καὶ οὐχ ὑπὸ ἄλλου του ἄγεται, λόγῳ δὲ ὅτι λογίζεται τιμὴν μὲν ἔμμονον καρτερῶς καὶ κατὰ τὸν τοῦ πολέμου νόμον μαχησάμενος, εἰ δὲ πέσοι, θάνατον ἀποίσεσθαι ζωῆς τῆς γε τυχούσης πολλῷ κρείττονα. 321 ZUCKERMAN (2004), 152 ; BRECCIA (2004), 97-9.
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cavalier scythe, tirant dans la poursuite comme dans la fuite, pour dénigrer la politique militaire de Bélisaire, favorable à l’archerie montée322. Nous avons pourtant vu que les Guerres de Procope regorgent d’exempla illustrant la valeur de la cavalerie, conformément au programme annoncé par l’auteur dans sa préface323. C’est notamment le cas du livre V qui retrace l’expédition de Bélisaire contre les Ostrogoths en Italie. La preuve de l’efficacité des hippotoxotai est fournie lors des premières sorties effectuées par les Byzantins au cours du siège de Rome (537 ap. J.-C.)324. Lorsqu’il s’agit d’expliquer la clé de ces succès, Procope précise bien que c’est la supériorité tactique des archers montés qui permit de l’emporter sur les lanciers de Totila qui ne pouvaient répondre à distance325. Si l’on devait conclure sur le cas de Procope, on aurait donc plutôt 322 KALDELLIS (2004), 17-24 et ID. (2004-2005). Cf. Platon, Lachès, 190e-191c. Kaldellis semble voir dans ce dialogue un réquisitoire contre la lâcheté de la cavalerie scythe alors que Platon y développe un point de vue ouvert à des formes de combat variées, y compris la fuite simulée. La plupart des commentateurs de la préface des Guerres pensent que les propos tenus par Procope sont à prendre au pied de la lettre : GROSSE (1920), 327-8 ; BIVAR (1972), 286 ; MAZZUCCHI (1981), 131-2 ; RAVEGNANI (1988), 49-50 ; KAEGI (1990), 69-72 ; BRECCIA (2004), 73-5 ; SYVÄNNE (2004), 44-5 ; GREATREX ET AL. (2005), 70-1 ; WHITBY (2005) ; RANCE (2005), 427-9 ; WHATELY (2015b), 181-8. 323 Les correspondances sont évidentes, e.g. la digression sur la faiblesse des archers à pied de l’armée de Totila (Procop., Bell., V, 27, 28) fait directement écho au passage de la préface du livre I sur la vulnérabilité des archers homériques (ibid., I, 1, 9-11). Contra KALDELLIS (2004-2005), 197-8, pour qui les descriptions d’archers montés renvoient toujours aux supplétifs barbares de l’armée romano-byzantine. Pourtant Procope précise bien que, lors de la guerre d’Italie, tout le désavantage de l’armée de Totila résidait dans le fait que les Goths ne disposaient pas d’archers montés alors que « presque tous les Romains et leurs alliés huns sont d’excellents hippotoxotes » (Procop., Bell., V, 27, 27 : Ῥωμαῖοι μὲν σχεδόν τι ἅπαντες καὶ οἱ ξύμμαχοι Οὖννοι ἱπποτοξόται εἰσὶν ἀγαθοὶ). 324 Ibid., V, 27, 4-13. 325 Ibid., V, 27, 26-9. D’après l’historien de Césarée, la stratégie mise en œuvre par Bélisaire n’alla pas sans heurter certains officiers de l’état-major. Lors du siège de Rome, deux gardes, Principius le Pisidien et Tarmutus l’Isaurien se font les porte-parole de l’infanterie mise à l’écart. Leur discours est l’occasion pour Procope de restituer les arguments du courant traditionaliste, cf. ibid., V, 28, 24-7 : « Excellent général, nous vous supplions de ne pas décider que votre armée, qui est déjà faible si on la compare avec les quelques dizaines de milliers de barbares qu’elle s’apprête à combattre, soit séparée de la phalange des fantassins (ἀποτέμνεσθαι ἀξίου τῆς πεζῶν φάλαγγος), et de ne pas traiter avec mépris l’infanterie des Romains (μήτε χρῆναι τὸ Ῥωμαίων πεζικὸν ὑβρίζεσθαι οἴου), grâce à laquelle on entend dire que la puissance des anciens Romains a été amenée à son point de grandeur actuel (δι᾿ οὗ τὴν ἀρχὴν τοῖς πάλαι Ῥωμαίοις ἐς τόδε μεγέθους κεχωρηκέναι ἀκούομεν). Si l’infanterie n’a rien accompli de remarquable dans cette guerre, ce n’est pas la preuve de la lâcheté des soldats ; ce sont les commandants de l’infanterie qu’il faudrait blâmer à juste titre, car ils vont seuls à cheval dans la ligne de bataille, ne considèrent pas les fortunes de la guerre comme un sort partagé par tous, mais de manière générale, chacun d’entre eux prend la fuite bien avant que le combat ne commence […]. Permettez-nous de conduire l’infanterie dans la bataille rangée. Comme nous sommes aussi à pied, nous pourrons les aider à soutenir l’attaque de la multitude des
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tendance à voir dans son œuvre d’historien un éloge nuancé de la cavalerie de Justinien. Celle-ci n’est pas toujours victorieuse – notamment en Perse où elle rencontre un adversaire à sa mesure326 – mais elle a pour elle l’avantage de la polyvalence. Dans sa tentative de mettre en évidence l’ironie de la préface des Guerres, Kaldellis affirme sans nuance que les archers montés étaient toujours perçus dans l’Antiquité tardive comme un symbol of barbarism327. Nous avons vu plus haut que la chose est loin d’être aussi évidente et que dès le IVe s., l’archerie montée jouit d’une presse beaucoup plus favorable dans les œuvres littéraires. Synésios de Cyrène est cité par l’historien américain à l’appui de sa thèse, car son discours Sur la royauté rédigé en 398 prône le recours au recrutement national pour lutter contre l’influence croissante des hippotoxotai scythes (les Goths) dans l’armée328. Mais le même Synésios est aussi l’auteur d’une Correspondance fournie dans laquelle il vante les mérites des Ounnigardai, une unité d’archers montés constituée de Huns qu’il qualifie de « bras armé des Romains » et place sur le même plan que les chiens de garde de la république platonicienne329. Dans une de ses lettres, Synésios se définit barbares, dans l’espoir que nous infligerons à ces ennemis le châtiment que Dieu permettra. » 326 Ibid., I, 18 (bataille de Callinicum, 531). Procope précise toutefois que la défaite ne met pas en cause la valeur des cavaliers-archers romains, supérieurs selon lui aux cavaliers perses : ibid., I, 18, 32-4. 327 KALDELLIS (2004-2005), 93. 328 Syn., Reg., 19, 2 et 5. Sur ce traité : ROQUES (1987), 253-64 ; HEATHER (1988), 152-72 ; CHAUVOT (1998), 343-64. KALDELLIS (2004-2005), 207-8, laisse entendre que Synésios appelle de ses vœux la restauration du service militaire pour l’ensemble des citoyens, notamment les paysans. En réalité, son discours s’inscrit dans la tradition platonicienne qui prône le développement d’une armée professionnelle (cf. FRANK [2007]) – ce qui n’exclut pas que les soldats soient recrutés au sein du corps civique : tel est le sens de l’expression ἄνδρες δημοτικοί τε καὶ στρατιῶται (Reg., 14, 5). Plus loin, l’auteur précise bien qu’il existe dans l’Empire deux catégories sociales distinctes, les militaires et les civils (14, 25 : ὡπλισμένον καὶ ἄοπλον). La dénonciation des hordes d’hippotoxotai scythes qui s’apprêtent à déferler sur l’Empire (21, 4) ne sauraient être interprétées comme une marque d’hostilité générale envers la cavalerie. Au début de son discours, Synésios semble plutôt considérer que les archers montés et les cataphractaires représentent un point d’achèvement en matière de technologie militaire, cf. 4, 2 (trad. N. Aujoulat) : « Je t’accorde à mon tour que nul autre que toi [Arcadius] ne possède un si vaste empire, des monceaux de richesses qui dépassent celles de l’antique Darius, des myriades de chevaux et, pour les monter, des archers, des cuirassiers devant lesquels, s’il leur advient d’être bien commandés, est vouée à l’échec toute résistance. » (Κἀγώ σοι σύμφημι μέγεθος ἀρχῆς ἑνὶ μηδενὶ τοσόνδε παρεῖναι, καὶ πλούτου θημῶνας ὑπὲρ τὸν πάλαι Δαρεῖον, καὶ ἵππον πολλάκις μυρίαν, καὶ τοὺς χρωμένους τοξότας τε καὶ θωρακοφόρους, πρὸς οὕς, ἡγεμόνος τυγχάνοντος, ἀσθενὲς ἅπαν τὸ ἀνθιστάμενον). 329 Syn., Ep., 78. Voir aussi Id., Catast., I, 2, 2 ; I, 2, 4 ; II, 2, 1. Sur les Hunnigardes, cf. supra, p. 543.
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d’ailleurs lui-même comme passionné par les chevaux, l’archerie et la chasse, autant de loisirs qui le rendent peu susceptible de détester les archers montés de l’armée impériale, fussent-ils barbares330. Cette correspondance nuance très fortement un discours de commande qui ne reflète qu’imparfaitement le point de vue de son auteur331. Il est bien évident que des auteurs tardifs, notamment des poètes d’expression latine comme Claudien ou Sidoine Apollinaire, continuent de puiser dans le répertoire de la littérature classique pour glorifier les hauts faits des généraux de leur temps. Les descriptions de batailles contre les Huns ou les Maures leur fournissent souvent l’occasion de se répandre en invectives contre la lâcheté des cavaliers barbares332. Mais cette inertie stylistique ne doit pas faire illusion. L’armée romaine emploie désormais les mêmes tactiques que ses ennemis nomades et la majorité des écrivains approuvent ces évolutions. Les arguments mobilisés par Procope en faveur des hippotoxotai commencent même à poindre dans les sources dès le IVe s., ce qui suffit à prouver qu’ils n’ont rien d’ironique333. En définitive, la plupart des écrivains dont il a été question ont en commun une fascination évidente pour la figure du cavalier polyvalent, qu’ils cherchent en quelque sorte à « homériser ». Alors que les héros de l’Iliade doivent chacun leur renommée à une spécialité particulière, l’hippotoxote romano-byzantin les rassemble toutes : il est donc le plus à même de manifester son aretê, son excellence martiale, dans les différentes facettes du combat qui caractérisent la guerre homérique. 330
Syn., Ep., 105. CHAUVOT (1998), 355-6. 332 E.g. Claud., Bell. Gild., 418-42 ; I cos. Stil., 347-59 ; Sid. Apoll., Carm., 5, 423. L’ethnographie des Huns et des autres peuples nomades tardifs continue à articuler étroitement état barbare et vie cavalière : Amm., XIV, 4, 3 ; 31, 2, 3-4 ; Claud., In Ruf., I, 329-31 ; Sid. Apoll., Carm., 2, 262-8 ; Carm., 7, 43-4 ; 246 ; 327-8 et 349-50 ; Maurice, Strat., XI, 2, 67-70. Les Perses ne sont pas en reste : Julien, Or., 2, 63b-d ; Amm., XXIII, 6, 83 ; Sid. Apoll., Ep., 9, 13, 5 ; Théophylacte, I, 12, 4-5 ; III, 13, 14 ; Jean Lyd., De mag., III, 34, 5. 333 Jul., Or., 3 (2), 3-4 = 52D-53D, lorsqu’il fait l’éloge des compétences guerrières de Constance II, précise par exemple que ses talents d’archer sont supérieurs à ceux de Teucros et Mérionès (deux guerriers de l’Iliade) car son équipement défensif et sa qualité de cavalier le dispensent d’aller chercher la protection d’un autre. À une époque plus proche de Procope, Agathias (II, 9-10) décrit la bataille de Casilinum (554) et vante la victoire des hippotoxotai romains qui réussirent à abattre l’infanterie franque… en lui tirant des flèches dans le dos ! Il ajoute : « Une victoire aussi éclatante, aussi remarquable, qui dépasse à ce point la description, je ne pense pas qu’il soit facile de la comparer à quelque autre dans le temps passé. » (ibid., II, 10, 1 [trad. P. Maraval] : Νίκη γὰρ οὕτω λαμπρὰ καὶ διαφανὴς καὶ ἐς τόδε ὑπερβολῆς προελθοῦσα οὐ ῥᾳδίως, οἶμαι, ἀνὰ τὸν ἔμπροσθεν χρόνον ἑτέρῳ τῳ ξυνηνέχθη). On retrouve ici l’argument – cher à Procope – des faits d’armes contemporains qui surpassent en gloire ceux des temps anciens. 331
CONCLUSION GÉNÉRALE
Au fil de ce cheminement qui nous a amené à passer en revue plus de sept siècles d’histoire, nous nous sommes laissé guider par plusieurs questions, la plus importante étant certainement de déterminer si l’armée romaine est passée, durant l’époque impériale, d’un modèle fondé sur le primat tactique de l’infanterie lourde à un autre paradigme, réservant à la cavalerie le rôle de force de décision. Nous avons aussi tâché d’établir avec autant de précision que possible quels étaient les déterminants et les mécanismes propres au combat de cavalerie dans le monde romain. Le dialogue des sources narratives, techniques, figurées et archéologiques a permis de dégager un schéma évolutif cohérent, un « développement organique des formes de combat » (pour reprendre l’expression de Hans Delbrück citée en introduction de ce travail) que nous nous sommes efforcé de réinscrire dans le contexte plus large de l’évolution de la culture militaire impériale, en attachant une importance particulière au rapport des Romains à la guerre, et à leur perception idéale des rôles respectifs de l’infanterie et de la cavalerie. Il est ainsi apparu que la cavalerie romaine a beaucoup évolué entre le début du Ier s. av. J.-C. et la fin du VIe s., mais que l’ancienneté de certaines pratiques a été sousestimée par l’érudition moderne. Si elles conservent la trace d’une véritable doctrine d’emploi archaïque de la cavalerie, les sources littéraires ne permettent de cerner l’organisation et le fonctionnement de l’equitatus Romanus qu’à partir de la deuxième guerre punique (218-201 av. J.-C.). À cette époque, la cavalerie romaine se distingue des cavaleries hellénistiques par sa prédilection pour le combat rapproché. Une réforme importante intervient dans la première moitié du IIe s. av. J.-C. Soucieux de renforcer la flexibilité de leurs unités montées, les Romains embrassent la conception hellénistique du combat de cavalerie, fondée sur le harcèlement à distance au moyen de lances courtes : le combat se fait généralement sur plusieurs lignes, et une forme de coordination tactique étroite entre troupes montées et infanterie légère est pratiquée. Dans le courant du Ier s. av. J.-C., les sources narratives suggèrent un déclin de l’importance de la cavalerie civique au profit des auxilia externa : cavaliers numides, hispaniques, gaulois et orientaux sont massivement recrutés dans le sillage des grandes conquêtes de la
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République impériale et fournissent aux généraux romains les ressources nécessaires à la pratique d’une forme de guérilla de cavalerie qui apparaît comme une innovation majeure de l’art militaire tardo-républicain. Cette cavalerie auxiliaire nombreuse et diversifiée tend aussi progressivement à devenir permanente et les sources textuelles commencent à distinguer entre les effectifs réguliers affectés aux gouverneurs provinciaux et les supplétifs mobilisés temporairement dans le cadre d’une campagne. Au tournant de l’ère chrétienne, ces évolutions sont sanctionnées par le fondateur du Principat : la cavalerie censitaire est supprimée et les troupes auxiliaires sont redéployées aux frontières de l’Empire sous la forme d’unités régulières, les ailes et les cohortes mixtes, disposant de conditions de service réglementaires. Le recrutement des cavaliers se démocratise et ne fait plus seulement appel à la composante noble des sociétés provinciales ; l’homogénéité ethnique des régiments périclite et l’équipement militaire évolue dans le sens d’une certaine uniformisation. Cette cavalerie permanente sert à la formation de corps expéditionnaires dans le cadre des guerres conduites contre les ennemis de Rome, d’abord par la mobilisation de régiments entiers, puis, à partir de Trajan (98-117 ap. J.-C.), sous la forme de détachements (uexillationes equitum) prélevés sur les unités provinciales. En parallèle des guerres offensives, la cavalerie romaine commence à faire l’expérience d’une nouvelle forme de guérilla frontalière contre les raids de moindre ampleur menés par les populations barbares voisines de l’Empire. Dans le cadre de ces guerres défensives, l’Ordre de bataille contre les Alains du légat de Cappadoce Arrien nous laisse entrevoir une doctrine d’emploi de la cavalerie qui s’inscrit dans le droit fil des expériences tardo-républicaines, à cela près que les généraux romains disposent désormais de contingents d’archers montés permanents, essentiels pour rivaliser avec les armées steppiques et arsacides. Si la cavalerie romaine ne connaît pas de véritable réforme à l’époque sévérienne, des innovations importantes sont introduites dans la seconde moitié du IIIe s., en lien avec les déboires militaires de l’Empire et l’institution progressive d’un véritable comitatus impérial. Une partie de la cavalerie auxiliaire sert de vivier à la formation de nouvelles vexillations permanentes : certaines finissent par être redéployées aux frontières sous la Tétrarchie ; les autres forment le noyau des nouvelles unités palatines et comitatenses instituées sous Constantin Ier. Le partage qui s’établit dans le courant du IVe s. entre armées frontalières et unités d’intervention régionales facilite la gestion des menaces extérieures et voit s’épanouir une forme de défense en profondeur dans le cadre de laquelle les troupes
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montées ont un rôle crucial à jouer en tant que force d’attrition. Cependant, il est impossible de confirmer l’essor de la cavalerie que la bibliographie moderne attache depuis longtemps à cette période. Les changements les plus importants se remarquent au niveau l’organisation des unités. Dans la seconde moitié du IIIe s., la cavalerie romaine abandonne la turme au profit de la centurie et le pied officiel des régiments semble se fixer autour de 300 soldats. Le passage de l’ordre mince à l’ordre profond permet l’intégration, au sein des files, de spécialistes de modes de combat divers. Il s’accompagne de la mise en place d’une nouvelle Rangordnung, qui préfigure peut-être la structure interne du tagma protobyzantin telle que décrite par le Stratêgikon. Parallèlement, alors que l’infanterie tend à favoriser une formation statique, liée au développement des modes de combat phalangiques, la cavalerie commence à jouer un rôle tactique plus offensif. Mais ces évolutions sont encore très discrètes et ne doivent pas être exagérées : l’œuvre d’Ammien Marcellin et le traité militaire de Végèce reflètent encore une doctrine d’emploi très conventionnelle de la cavalerie. Les grands bouleversements interviennent dans le courant des Ve et e VI s. L’armée romaine est confrontée à de nouvelles confédérations nomades capables de déployer des armées de cavalerie extrêmement mobiles sur de vastes distances. Victime de la surprise opérationnelle pratiquée à grande échelle par ces populations, le système défensif impérial est mis à rude épreuve. La faillite de l’armée romaine face aux incursions hunniques, bulgares et avares entraîne plusieurs évolutions majeures : un recours accru aux supplétifs barbares, destiné à réparer les pertes subies par l’armée régulière en rase campagne ainsi qu’à compenser certaines déficiences tactiques ; un abandon progressif des dispositifs en cordon défensif (limites) au profit d’une fortification des territoires de l’intérieur de l’Empire ; une remilitarisation des populations vivant dans les secteurs les plus menacés. Dans ce nouveau paysage de guerre caractérisé par une plus grande « profondeur stratégique », les batailles rangées sont plus rares ; les belligérants se contentent le plus souvent de déployer des armées de cavalerie, occasionnellement appuyées par des forces d’infanterie jouant le rôle de forteresses mobiles. Ces évolutions, pleinement perceptibles à l’époque de Justinien (Procope, Agathias), sont confirmées par le Stratêgikon à la fin du VIe s. Le traité militaire de Maurice révèle le poids majeur pris par la cavalerie, et notamment par les archers montés, dans l’art militaire romain. Une grande partie de l’ouvrage est consacrée à la description d’une pure armée de cavalerie, dont les articulations tactiques ont atteint un très haut niveau de
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raffinement. L’essentiel de la doctrine d’emploi de la cavalerie byzantine se fonde sur la complémentarité entre troupes d’assaut, évoluant en formation lâche ou irrégulière, et troupes de réserve, rangées en escadrons serrés. Ce modèle fait figure de juste milieu entre la doctrine privilégiée par les cavaleries nomades (qui priorisent très nettement les manœuvres rapides en formation irrégulière) et celle de la cavalerie sassanide (qui restreint la poursuite de l’adversaire pour ne pas perturber le bon ordre des escadrons)1. Il n’est toutefois pas complètement nouveau et apparaît plutôt comme l’aboutissement des développements successifs qui ont affecté l’organisation tactique de la cavalerie romaine depuis la fin de l’époque républicaine2. On notera par ailleurs que l’adoption de l’étrier dans le courant du VIe s. ne semble pas avoir joué de rôle particulier dans ces évolutions. L’analyse du déploiement et des modes de combat de la cavalerie romaine durant toute cette période révèle plusieurs traits saillants. La caractéristique la plus notable est certainement la grande mobilité des combattants dans les phases d’affrontement, que les auteurs anciens distinguent rigoureusement du combat stationnaire (stabilis acies / stadiaia machê) pratiqué par les fantassins, en soulignant la récurrence des mouvements contradictoires : charge, contre-charge, redéploiement, poursuite, contre-poursuite… Dans la mêlée, les cavaliers sont beaucoup plus exposés et ne peuvent compter réellement sur le soutien collectif de leurs camarades. Les facteurs moraux ont donc une importance cruciale : il arrive souvent que l’un des partis renonce au choc face à la détermination du parti adverse. Les retournements de situation sont aussi très fréquents. Nombre de batailles étudiées dans le cadre de ce travail ont montré que En ce sens voir SYVÄNNE (2004), 158-9, 192 et surtout 420. De ce point de vue, il nous semble difficile de souscrire à l’argumentaire de LUTTWAK (2009, 2010 trad. fr.), 287 : « Le Strategikon dépeint une armée d’une structure radicalement différente du modèle romain classique, la différence la plus évidente tenant au renversement fondamental qui fit passer la cavalerie au rang d’arme de combat principale en lieu et place de l’infanterie. Il ne s’agissait pas d’un simple changement tactique ; ce renversement résulta d’une véritable révolution stratégique dans l’intention même de faire la guerre, qui entraîna comme conséquence nécessaire l’adoption de nouvelles méthodes opérationnelles et de nouvelles tactiques. » La cavalerie pouvait déjà servir d’arme de décision sous la République et le « code opérationnel » que l’auteur américain prête à l’État byzantin est une fiction. Selon Luttwak, les Byzantins ne cherchaient pas les grandes décisions mais se contentaient de victoires limitées, acquises par la guérilla et appuyées par des tractations diplomatiques qui garantissaient à l’Empire, dans une dynamique essentiellement défensive, sa sécurité. À rebours de cette théorie, le Stratêgikon et le De militari scientia insistent bien sur le fait qu’il faut impérativement rechercher la destruction complète de l’ennemi après un premier succès : Maurice, Strat., VII, B, 12, 2-12 ; DMS, 16 (p. 127, l. 14-6). 1 2
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la victoire finale revient parfois au camp qui a été le premier à fuir. Les cavaliers, fragmentés, isolés par l’adoption du galop, sont particulièrement vulnérables durant les phases de poursuite, qui les exposent aux contre-offensives et aux embuscades adverses. Ils ont donc perpétuellement besoin d’un abri tactique pour se rallier en sécurité : il peut s’agir d’une deuxième ligne de cavaliers rangés en formation serrée, d’une unité d’infanterie, voire d’une inégalité de terrain ou d’un couvert forestier. Ce principe semble avoir fait l’objet d’une théorisation dès l’époque républicaine et justifie le maintien des armées mixtes jusqu’à une époque très tardive. L’étude des représentations liées au combat de cavalerie nous a enfin permis de mettre en évidence les interactions existant entre la pratique de la guerre et la culture militaire romaine. À ce titre, le déclin puis la disparition de la cavalerie censitaire semble être directement à l’origine d’une détérioration de l’image de l’equestre proelium dans les sources. À la fin de l’époque républicaine et sous le Principat, les auteurs romains s’approprient les lieux communs de la littérature grecque classique sur la truphê et la lâcheté des hippeis. Parallèlement, le fantassin légionnaire tend de plus en plus à incarner, dans le discours officiel, la conception commune de la valeur martiale. Il est fort probable que le mythe de l’armée piétonne, dont les succès tenaient aux exploits de modestes légionnaires, date de cette période. En revanche, il est plus difficile de comprendre les origines de la revalorisation de la cavalerie dans l’Antiquité tardive. S’agit-il d’une « revanche » culturelle du « Vieil Orient », superficiellement romanisé, sur l’Occident, comme le suppose Giovanni Brizzi3 ? Nous ne le pensons pas. Le prestige retrouvé de la cavalerie dans les sources romaines a peut-être plus à voir avec les effets sur le long terme de la constitution antonine, qui abolit l’ancienne distinction institutionnelle entre troupes citoyennes et troupes pérégrines. Les conséquences d’une « démocratisation de la culture » sont également à prendre en compte4. Il est certain que l’attitude des élites impériales vis-à-vis des artes barbarorum est plus ouverte à partir du IIIe s. que par le passé, et que cela a pu favoriser les transferts culturels et techniques5. Il reste à dégager quelques pistes de réflexion pour des recherches futures. Il nous semble en particulier que les étapes de certaines « réformes » ou évolutions (pour employer un vocabulaire plus neutre) 3 4 5
BRIZZI (2002, 2004 trad. fr.), 254-6. MAZZARINO (1960) (avec AnTard 9, 2001). Voir sur ce point TRAINA (1993), 285-90.
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de l’outil militaire romain gagneraient à être précisées davantage : cela vaut notamment pour les trois temps forts que nous avons pu identifier dans notre démonstration (première moitié du IIe s. av. J.-C. ; seconde moitié du Ier s. av. J.-C. ; seconde moitié du IIIe s. ap. J.-C.). Si, de notre point de vue, les sources textuelles n’ont plus vraiment à apporter d’éléments décisifs sur la question, la publication de nouvelles inscriptions, de nouveaux papyrus, de nouveaux ostraca, ou même le recoupement systématique des données épigraphiques et papyrologiques existantes, pourraient permettre d’affiner la datation de certains processus. Par ailleurs, nous avons pu voir à plusieurs reprises que les sources textuelles d’époque impériale conservent la mémoire d’une littérature technique perdue sur le combat de cavalerie : la réalisation d’une véritable Quellenforschung sur ce sujet, à peine esquissée dans les années 1930 par Friedrich Lammert, serait d’une grande utilité, car les lacunes de la documentation liées à la perte des traités de Caton, de Celse, de Frontin et de Paternus sont souvent à l’origine de présupposés fallacieux. Un tel travail permettrait notamment de parvenir à une meilleure datation du matériel disparate qui se trouve dans le Stratêgikon et relève d’une stratification chronologique des savoirs tactiques plus que d’une composition unitaire.
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INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
Abas, bataille de la rivière : 152, 1724, 667 Abgar VII d’Osrhoène : 355 Abizar, stèle de type : 103-4 Ad Castores, bataille d’ : 266, 304-5 Addaeus (magister militum) : 412, 496 Ad Decimum, bataille d’ : 522, 591-5 Aes equestre : 26 Aes hordearium : 26 Aetius, Flavius : 501, 508, 604, 630 Afranius, L. : 139-41, 143, 151 Agmen quadratum (gr. plinthion) : 131-3, 279-81, 440-1, 444-5, 592, 595 Agricola, Cn. Iulius : 273, 299, 301-2 Agrippa, M. Maenius : 186 Aisne, bataille de l’ : 138, 154 Ala (unité de cavalerie) : origines sous la République 88-94 ; organisation 196-204, 225-6 ; réforme tardive 361, 469-6 Ala I Abasgorum : 476 Ala I Alamannorum : 363, 387 Ala Antana dromedariorum : 371 Ala Apriana : 249, 371 Ala III Assyrorum : 361, 476 Ala I Asturum : 257-8 Ala II Asturum : 206-7 Ala Astyrum : 92 Ala Atectorigiana : 90-1, 207, 260, 424 Ala I Augusta Gemina colonorum : 284, 310, 371 Ala I Augusta Ituraeorum sagittariorum : 196, 206-7 Ala I Augusta Parthorum : 203 Ala I Augusta Parthorum Antoniniana : 203 Ala I Augusta Thracum : 256, 260-1 Ala III Augusta Thracum sagittariorum : 257, 260, 345 Ala Batauorum : 198-200
Ala I Batauorum miliaria : 257, 345 Ala III Batauorum miliaria : 261 Ala I Bosporanorum miliaria : 256-7, 551 Ala I Britannica : 257, 260 Ala I Cannanefatium : 257, 260-1, 348 Ala Celerum : 345, 470, 473 Ala Claudia : 323 Ala Claudia noua miscellanea : 261 Ala I Claudia Gallorum Capitoniana : 207, 257 Ala Claudia noua : 196, 257 Ala Commagenorum : 202, 225 Ala I Commagenorum miliaria sagittariorum : 260 Ala I Damascena : 371 Ala IX Diocletiana : 386 Ala II felix Valentiana : 410 Ala firma catafractaria : 383, 462 Ala I Flauia Augusta Britannica miliaria : 257 Ala VIII Flauia Francorum : 387 Ala I Flauia Gaetulorum : 260, 423 Ala I Flauia Gemelliana : 242 Ala I Flauia Gemina miliaria : 239 Ala Flauia miliaria : 224 Ala II Flauia miliaria : 226, 239, 242 Ala I Flauia Numidica : 207 Ala I Flauia singularium : 242, 244 Ala I Francorum : 363, 387 Ala Frontoniana : 207 Ala Gaetulorum : 260, 423 Ala II Gallorum : 371 Ala Gallorum Agrippiana : 207 Ala I Gallorum et Pannoniorum : 260, 355 Ala I Gallorum et Pannoniorum catafractata : 354-5 Ala I Gallorum Flauiana : 257 Ala Gallorum Longiniana : 200, 207 Ala Gallorum Pansiana : 207, 233
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INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
Ala Gallorum Petriana : 234, 252, 257-8, 371 Ala Gallorum Picentiana : 233-4 Ala I Gallorum Sebosiana : 206, 347 Ala Gallorum Tauriana : 207, 210 Ala Germanorum : 387 Ala I Hamiorum sagittariorum : 207, 209-11 Ala I Herculea : 386 Ala I Herculia : 476 Ala II Herculia : 361 Ala II Herculia dromedariorum : 476 Ala VII Herculia uoluntaria : 386 Ala I Hiberorum : 476 Ala I Hispanorum : 196, 207, 234, 252, 257, 343 Ala I Hispanorum Campagonum : 372 Ala VI Hispanorum : 371 Ala II Hispanorum Arauacorum : 257, 260 Ala Hispanorum Auriana : 242 Ala Hispanorum Vettonum : 207 Ala I Iberorum : 361, 476 Ala Illyricorum : 258 Ala Indiana : 197-9, 207, 234, 241 Ala I Iouia catafractariorum : 386 Ala I Iouia felix : 386 Ala I Iuthungorum : 387 Ala II miliariensis : 361, 363 Ala I milliaria : 361 Ala IX milliaria : 361 Ala milliaria Sebastena : 361, 371 Ala Moesica : 241, 252, Ala Noricorum : 207, 234, 252 Ala noua Diocletiana : 363 Ala I noua Diocletiana : 386 Ala I noua Herculia : 386 Ala VIII Palmyrenorum : 229 Ala I Pannoniorum : 257, 355 Ala II Pannoniorum : 257 Ala I Pannoniorum Sabiniana : 196 Ala I Pannoniorum Tampiana : 260 Ala II Paphlagonum : 371 Ala Parthorum : 92, 98, 203, 206 Ala Parthorum et Araborum : 203-4, 206, 208, 234, 252 Ala Parthorum ueterana : 233 Ala Patrui : 89-90, 98
Ala Paullini : 342 Ala Pomponiani : 91 Ala V Praelectorum : 363, 476 Ala Praetoria singularium : 257 Ala I Quadorum : 387 Ala V Raetorum : 371 Ala Rusonis : 91, 207, 234 Ala Sarmatarum : 229, 267, 371, 385 Ala VIII Sarmatarum : 387 Ala I Saxonum : 387 Ala Scaeuae : 90 Ala Scubulorum : 206, 241, 345-6 Ala Sebastenorum : 201-2, 249 Ala I Septimia Surorum : 460 Ala Siliana : 257 Ala Sirmensis : 371 Ala I Surorum : 345 Ala Tampiana : 196, 257-8, 260 Ala III Thracum : 372, 385 Ala I Thracum Mauretania : 225 Ala I Thracum sagittariorum : 260 Ala I Thracum uictrix : 257 Ala Treuerorum : 198, 306 Ala Tungrorum : 207 Ala I Tungrorum Frontoniana : 234 Ala ueterana Gallica : 217, 225, 318, 325, 342 Ala II Ulpia Afrorum : 371 Ala II Ulpia Auriana : 284, 310, 371 Ala I Ulpia contariorum miliaria : 257, 260-1, 351-2, 383, 471 Ala I Ulpia Dacorum : 285, 310, 371 Ala I Valentiana : 410 Ala I Valeria dromedariorum : 387 Ala VII Valeria praelectorum : 386 Ala II Valeria Sequanorum : 386 Ala VIII Vandalorum : 387 Ala I Vespasiana Dardanorum : 257, 260 Ala Vocontiorum : 208, 247, 342 Alains : 254, 281-6, 306-17, 344, 410, 438, 442, 445, 480, 484, 489-90, 572, 588, 630 Alamans : 404, 435, 453-4, 467, 526, 563, 613 Alatheus : 445 Alésia, siège d’ : 102, 117, 130, 146, 168
INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
Alexandre le Grand : 31, 177, 307, 310, 313-4, 319, 350 Allure : 218, 658-9 Al-Mundhir III (roi lakhmide) : 517-8 Amatokos : 96 Ambiorix : 107, 120 Anazarbe : 394 Andrinople, bataille d’ : 8, 13, 360, 367, 377, 433-5, 441-6, 449, 452 Anglon, bataille d’ : 540, 637-8, 674 Anticensores : 590, 650 Antiochos Ier de Commagène : 104 Antiochos IV de Commagène : 266 Antonia castra, bataille des : 577-8, 628, 656 Apamée sur l’Oronte : 324, 383 Apsaros : 286 Apsyrtos (auteur hippiatrique) : 218, 545-52 Aquilée : 325, 375-6, 401, 404, 407, 604 Arabes : voir Saracènes Arc : composite précontraint 345-6, d’Yrzi 134, hunnique 487-9 Archerie : 126-7, 135, 580-2 Archers montés (gr. hippotoxotai / lat. equites sagittarii) : 103-4, 126-8, 135-8, 155, 159, 180, 202-4, 20911, 239, 266, 284-5, 310-1, 314-6, 345-8, 354, 445, 447-8, 450, 461, 467-8, 479, 488, 538, 574-5, 582, 595, 632, 647, 664, 666, 692-6, 698-9 Ardabur, Flavius : 604 Areobindus, Flavius : 377, 527, 601, 604 Arioviste : 66-7, 93, 102, 110, 116 Arrien, L. Flavius : 190, 195, 225-6, 254, 256, 274, 281-6, 306-19, 3223, 327-38, 344-7, 351, 353, 355, 672, 698 Artavasde II d’Arménie : 78, 125, 128, 131, 137 Artaxata : 280 Ascalon, bataille d’ : 290-1, 302 Asculum, siège d’ : 94 Aspar, Flavius Ardaburius : 407, 604 Atectorix : 91
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Athacos, bataille d’ : 38, 47 Atticus, A. Iulius : 191 Attila : 485, 491-2, 498, 500, 502-3, 508-9, 518, 544, 604 Auguste, C. Iulius Caesar Octauianus : 12, 92, 185-9, 214, 326, 508 Aureolus : 339, 377, 399-402, 404 Ausculum, bataille d’ : 37 Ausuriens : 510, 543 Auxilia palatina : 365-6, 409, 429, 607 Avars : 212, 407, 483-4, 487, 489, 492, 495-501, 506, 508, 515, 524, 526-7, 538, 542, 557, 559-60, 569, 572-3, 575-6, 586, 589, 596, 600, 604, 606, 612, 633, 639-40, 647, 668, 699 Avidius Cassius, C. : 268 Bagradas, bataille du : 141, 406 Bahram Chobin : 533 Baian Ier (kaghan avar) : 497, 527 Bandon : voir tagma Baraquement-écurie : 225, 228, 317, 318-9 Basilus, L. Minucius : 107, 603 Bassus, P. Ventidius : 92, 108, 131, 135 Bataves : 196, 198-200, 305-6, 343, 394 Bédriac, seconde bataille de : 273, 294-6, 304-5 Bélisaire : 18, 404, 489, 491, 515-6, 519, 521-3, 526-7, 536-8 Béthennabris, bataille de : 289, 292 Beth-Horon, bataille de : 288 Biarque (grade dans la cavalerie romaine tardive) : 380, 471-5, 549 Blessures : 679-81 Blitzkrieg : 484-501 Bocchus II de Maurétanie : 129, 142 Bostra : 380-1, 462 Bremetennacum (Ribchester) : 229, 267, 385 Briganticus, Iulius : 200 Bucellarii : 489, 509, 519-23, 527, 536, 575-7, 592, 604, 615, 628, 641, 646, 654, 664, 678, 690
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INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
Bulgares : 492, 494, 508, 534, 538, 544, 612, 699 Bulla Felix : 248 Butin : 84, 215, 251-3, 418, 496, 499, 507-8, 514, 517-8, 532, 541, 563, 601, 682, 684, 691 Caecus, App. Claudius : 34 Caepianus, C. Nonius : 258-9 Callinicum : 113, 514, 598 Callinicum, bataille de : 435, 542, 581, 598, 625-6, 646, 663-4, 668, 675, 687, 695 Campi Catonis, bataille des : 578, 656, 660-1 Campi Mauriaci, bataille des : 501, 630 Camps / castramétation : 18, 192, 2245, 233-4, 320, 422, 424, 427, 590-1 Cannes, bataille de : 8, 38, 45-6, 79, 146, 179, 446 Cantabre, charge (exercice de cavalerie) : 330, 333-4, 336, 338, 586 Cantatores (fonction dans la cavalerie romano-byzantine) : 682 Capoue, siège de : 47, 171 Cappadoce : 224, 230, 254, 282, 2856, 306, 371-2, 484, 493-4, 503, 516, 567-8 Caracole : 340-1 Caričin Grad (Iustiniana Prima) : 55962 Carlisle (Luguualium) : 240, 347 Carrhes, bataille de : 87, 102, 113, 125-8, 130-1, 133-6, 180, 190, 27980 Casilinum, bataille de : 520, 639-40, 696 Cassignatus : 95 Castra Martis (Kula) : 442, 493, 544 Catafractarius (rang dans la cavalerie romaine tardive) : 476 Cataphractes / cataphractaires : 78, 102, 126, 128, 180, 313, 316, 355, 362, 386, 402, 427, 447, 454-5, 461-9, 472-4, 477, 479, 602, 630, 685, 695
Caucase, passes du : 286, 410, 496, 516, 624 Cavalerie : achéenne 47, 167, alaine 282, 310, 312, 315-6, 344, 351,437, 442, 445, 480, 490, 572, arabe 87, 104, 265-6, 410-2, 460, 516-8, 527, 538-9, 542, 625-6, arménienne, 78, 104, 130, 135, 137, 190, 239, 283-4, 308, 311, 331, 456-7, 464, 534, 539, 542, 575, 688, athénienne 473, 512, attalide 75, carthaginoise 38, 40, 45-6, étolienne 74, 113, gauloise 39, 65-7, 73-6, 83-5, 87-8, 98-102, 1245, 129-30, 142, 155-6, 159, 176, 190, 198-200, macédonienne 38, numide 40, 44-5, 47, 60, 73, 82-3, 96, 103, 114, 122-3, 129-30, 140-3, 147-50, 152, 155-6, 170-1, parthe 87, 102, 104, 125-8, 131, 133-8, 193, 202, 280, 331, 355, 447, 462, 467-8, 533, sassanide 457, 465, 490, 513, 516, 534, 542, 583, 595, 609, 612-3, 626, 640-2, 665, 668, 670-1, 675, 695-6, 700, sarmate 135, 191, 252-5, 267, 331, 344, 351, 407, 490, 497, tarentine 36, thessalienne 74, 159, 190 Cavalerie de la République romaine : armement 42-4, 99-101, déploiement tactique 30-2, 37, 39, 41-2, 48-9, 153-60, 164-75, disparition 50-1, 64-9, effectifs 25, 27, 72-82, modes de combat 28-41, 44-5, 47-8, 101-4, ordre de marche 110-1, organisation 41-2, 49, 88-98, recrutement 24-6, 52-4, 60-3, 72-7 Cavalerie du Haut-Empire romain : armement 341-52, déploiement stratégique 232-44, déploiement tactique 303-23, effectifs 230-2, 271-6, entraînement 325-37, modes de combat 337-40, ordre de marche 278-86, organisation 223-9, 317-8, recrutement 186-7, 196-211, 26570, remonte 211-9 Cavalerie romano-byzantine : armement 571-9, déploiement straté-
INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
gique 408-12, 419-32, déploiement tactique 448-59, 472-6, 618-37, 653-7, effectifs 360-9, 520-5, entraînement 579-88, modes de combat 538-9, 657-67, ordre de marche 591-7, organisation 382-98, 469-72, 518-20, 647-52, recrutement 36982, 535-8, remonte 566-71 Celeres : 24, 33, 41, 473 Census equester : 25-6, 52, 60-1, 63 Centuriae equitum : 23, 25, 27, 34, 40, 52-7, 60-3, 473 César, C. Iulius : 57-9, 62, 65, 66-7, 69, 74-7, 80-4, 87-93, 97-8, 102, 107-19, 119-20, 122, 124-5, 130, 132, 139-47, 150-65, 168, 173-6, 178, 195, 355, 406, 417-8, 451, 453 Charge (lat. concursio) : 35-8, 45, 49, 164-8, 335, 467, 583, 657-64 Chariovalda (dux Batauorum) : 199, 265, 339 Chattes : 191, 239, 252, 272 Chausse-trappes : 564, 674 Chevaux : germains 212-3, hunniques 485, 496-7, néséens 212, parthes 212, romains 213, 571, sarmates 212, 407 Chevaux de frise (gr. kanones) : 595, 610-1, 663 Chinalion : 499 Cibalae, bataille de : 456 Cicéron, M. Tullius : 51-3, 60-1, 64-5, 68, 84, 86-8, 195 Cicéron, Q. Tullius : 57, 93 Circitor (grade dans la cavalerie romaine tardive) : 320, 395, 455, 471, 473-5 Civilis, C. Iulius : 198-200, 269 Clastidium, bataille de : 147, 188 Clibanarii : 452-3, 455-6, 464-7, 474, 477, 512, 533, 575 Coemptio equorum : 567, 570 Cohors equitata : 197, 224, 226-7, 230, 238, 240 Collatio equorum : 570-1 Collegia iuuenum : 187 Colonne d’Arcadius : 466
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Colonne de Théodose : 466, 556 Comentiolus : 492, 524, 534, 589, 600 Comes foederatorum : 519, 528, 686 Comes stabuli : 216, 376-7, 568 Comitatenses : 359, 385, 389, 391, 403, 405, 409, 413, 421, 426-32, 518-9, 521-2, 525, 536, 538, 698 Comitatus (armée d’accompagnement impériale) : 215, 370, 372-3, 377-9, 381, 383, 386-9, 391-6, 403-4, 413, 417, 426, 430, 444, 459, 462, 464, 698 Comites domini nostri : 394-5, 397 Commios : 66, 99, 132, 151 Compiègne, bataille de : 120, 165-7 Constantin Ier : 193, 359, 368, 378, 380, 382-3, 389-93, 397, 401, 404, 413, 419, 421, 427, 452, 455-6, 465, 478, 518, 547, 551, 698 Constance II : 377, 385, 388, 391, 404, 465, 468-9, 479-80, 566-7, 696 Constantinople : 428-9, 435, 442-3, 465, 493-6, 503, 505, 543, 566, 569, 614, 689 Constitutio Antoniniana : 683, 701 Contarii : 331, 348, 350-2, 447, 476, 490, 539, 562, 575 Contubernium : 318, 322, 348, 470, 472, 634, 648 Corpus Hippiatricorum Graecorum : 545-7 Correos : 151, 165 Cotys IX (prince thrace et roi d’Arménie Mineure) : 204 Crassus, M. Licinius : 80, 83, 85-6, 113-4, 125-8, 130-6, 180, 279, 281, 354 Crassus, P. Licinius : 102, 109-10, 126, 132-3, 136, 151 Cumes : 25, 30, 63 Cuneus equitum : 361-3, 366, 375, 382, 387, 389-93, 408, 426, 461, 474 Curion, C. Scribonius : 76, 141-2, 146, 154, 406 Curs (magister militum) : 524, 530
784
INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
Cursores : 284, 302, 316, 532, 566, 583-5, 587-8, 620, 631-3, 642-3, 646, 655-6, 666, 669, 672-3, 688 Cursus publicus : 556, 566-8 Cynoscéphales, bataille de : 42 Dagisthaeus : 603, 629, 670 Dalmates : 203, 234, 379-82, 415-8, 515 Dara, bataille de : 623-5, 640-3, 674, 687-8 Decania / decanus : 471-2, 610 Decem stipendia : 54-5, 187 Decuria equitum : 40-2, 49, 317 Decurio (officier subalterne dans la cavalerie romaine) : 41-2, 49, 58, 89, 95, 98, 203, 206, 225-7, 245, 249, 261, 280, 284, 311, 317, 320-2, 324-5, 346-7, 361, 395, 462-3, 471, 475-6, 549, 575 Défense élastique : 413-9, 432, 506 Défense en échelon : 431 Défense en profondeur : 399, 402, 413, 419-32, 506, 511, 698 Defensores : 284, 316, 566, 583-8, 631-3, 642, 643, 646, 672-3 Dékarque (fonction dans la cavalerie romano-byzantine) : 474, 576, 607, 648-9, 651, 655, 658, 660, 684 Deputatus (fonction dans la cavalerie romano-byzantine) : 632, 684 Dibaltum (Develt) : 442 Didymoi (Zeydun/Khashm el-Menih) : 213 Dioclétien : 215, 375-6, 378, 383, 385-6, 388, 393, 396, 419, 421, 431, 464, 517, 553-4, 554 Dioscures : 43 Disciplina : 186, 193-5, 418 Diuitia (Deutz) : 217, 391 Dona militaria : 683-4 Doura Europos : 217, 246-7, 327, 345, 463, 490, 536, 581, 586 Drobeta (Turnu Severin) : 255, 363, 381 Drungus : 450-1, 492, 583-4, 639-40, 655-6, 669
Duel : 35, 187-8, 351, 670, 657, 68691 Dumnorix : 76, 96, 120 Duplicarius : 91, 226, 228, 317, 3201, 395, 471, 476 Dyrrachium, siège de : 144-5, 159, 446 Ecdicius : 510, 556 Ecus (cavalier allobroge) : 84, 98, 200 Écuyer (lat. calo) : 26, 117, 343, 375 Édesse, bataille d’ : 614, 664 Embolon (formation de cavalerie) : 319 Émèse, bataille d’ : 387, 449-51 Epiphanes, C. Iulius Antiochus : 266 Equisio / equiso : 217 Equites armigeri : 390, 393 Equites Campani : 24, 27-30, 34, 47 Equites dispositi : 247 Equites equo publico : 27-8, 52-4, 56, 61-2 Equites equis suis : 27, 56 Equites Illyriciani : 375-6, 387-9, 391, 403, 412, 431, 528, 532, 648 Equites indigenae : 363, 375, 387-8, 412, 421, 431, 461 Equites legionis (Haut-Empire) : 62-3, 67, 69, 185, 187, 227-8, 279, 284, 311, 317, 346, 374, 376, 383-4, 475 Equites praetoriani : 230, 257, 274, 305, 325, 384, 394-7, 473 Equites promoti : 228, 363, 370, 3736, 387-8, 390, 392-3, 395-7, 412, 421, 470, 475 Equites promoti domini nostri : 373, 396-7, 473 Equites scutarii : 362, 370, 372-3, 375-8, 386, 388-91, 393, 403, 427, 461, 465, 472, 613 Equites singulares Augusti : 230, 248, 257, 261, 274, 324-6, 346, 360, 383-4, 393-5, 397 Equites singulares consularis : 217, 247, 279, 282-4 Equites stablesiani : 370, 375-6, 378, 386, 393, 421, 470
INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
Equites supernumerarii : 448, 450, 459 Equus publicus : 26-7, 52, 54, 56-7, 62 Éravisques : 200-1 Étrier : 350, 489, 556-61, 660, 700 Eumélos (auteur hippiatrique) : 545, 547, 552 Eunone (chef aorse) : 266 Exarque (grade dans la cavalerie romaine tardive) : 373, 375, 380-1, 395, 426, 470-2, 474-5, 549, 649 Excursatores : 438-40 Exploratores : 88, 113, 115-6, 247, 274, 284, 288, 294, 438, 440, 606-7 Face of battle studies : 7-8, 682 Faufilage (angl. threading) : 176-7 Fausse fuite : 37, 135, 151-2, 163, 173-4, 279, 292, 416, 458, 480, 527, 601-2, 654, 667, 673, 694 Ferentarii : 32 Ferrure : 562-4 Fimbria, C. Flavius : 97 Flamininus, T. Quinctius : 113 Flamma, Arruntius : 551 Flavus : 265 Flèche du Parthe / tir retourné : 190, 330, 580, 692 Foederati : 367, 370, 408, 412, 426, 443, 511, 519, 521-2, 528, 532-3, 535-7, 540-1, 543-4, 561, 577, 592, 604, 608, 628, 648-9, 677, 688, 690-1 Formation tactique : carrée 318, en colonne 319, irrégulière 655-6, losangique 319, 666, profonde 319, 472-3, 648, rectangulaire 318, 3202, 655-7, triangulaire 319, 656 Forward defence : 232, 238, 422 Foulkon / fulcum : 596, 663 Fourrage, corvée de : voir pabulatio Francs : 511, 526, 541, 558, 560, 630, 654, 663-4, 668 Fréjus, bataille de : 306 Frigidus, bataille du : 367, 640 Fritigern : 441, 443-5
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Frondeurs : 71, 93, 132, 136, 138, 153, 155, 159, 272, 274, 620, 664 Fronto, C. Caristanius : 551 Gabinius, A. : 83, 159 Galba, P. Sulpicius : 38 Gallien : 193, 359, 361, 364, 369, 3712, 374-83, 396, 399-402, 404, 415 Gallus, C. Aelius : 265 Gallus, C. Cestius : 266, 272-5, 287-8 Gallus, Rubrius : 236, 254 Ganzak, bataille de : 456-7 Gaugamèles, bataille de : 31, 177 Gélimer : 541, 566, 591-2, 599, 609, 627, 677, 684 Germani corporis custodes : 198 Germanicus, Iulius Caesar : 92, 235, 265, 269, 272, 276, 278-9, 296, 299 Ghassanides : 517, 527, 625-6 Gindaros, bataille de : 135 Goths : 215, 380, 390, 402-4, 407, 410, 412, 415-9, 426, 428-31, 435, 437, 441-6, 489, 500, 510-1, 515-6, 520-2, 526, 536-39, 544, 547, 556, 561, 567, 573, 575, 599, 603, 608, 614-6, 621-2, 630, 637, 668, 671, 679, 685-6, 688, 694-5 Grandes Plaines, bataille des : 45 Grande stratégie : 138, 221-2, 233, 418 Guerre antiochique : 43 Guerre de Jugurtha : 17, 50, 85, 107-8, 110-1, 114, 122-3, 129-30, 288, 611 Guerre des Gaules : 65-7, 88, 102, 115-7, 124-5, 138, 150-1, 153, 165-7 Guerre des Juifs : 286-93 Guerre de Macédoine, deuxième : 47, 74, Guerre de Macédoine, troisième : 43, 47, 74, 110, 152, 175, 178 Guerre du Péloponnèse : 46, 319, 512 Guerre parthique de Trajan : 229, 239, 259, 262, 270, 355, 455 Guerre perse de Galère : 381, 388-9 Guerre perse de Julien : 403, 412, 438-1
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INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
Guerre punique, deuxième : 34-5, 41-6, 54, 72, 77, 154, 180, 222, 697 Guerre sociale : 12, 23, 55-6, 63 Guerres daciques de Trajan : 229, 256-9, 263, 352, 549-50 Guérilla / petite guerre : 9, 14, 121-45, 180, 248-9, 251, 277, 288, 293, 368, 409, 415-7, 425, 429-30, 432, 4345, 507, 510, 512-3, 515, 542, 589, 600, 603, 605, 698, 700
Indo : 96 Indus, C. Iulius : 197 Insteius, C. : 97 Instrumentistes (lat. bucinatores, cornicines, tubicines) : 323-4, 649-50, 652-3 Intercisa (Dunaújváros) : 208-9, 346, 363, 372-3, 403, 460, 462, 472 Issos, bataille d’ : 457 Italicus : 339
Hamippoi : 102-3, 171 Hannibal Barca : 38, 40, 45-6, 72, 152 Hasdrubal le Béotarque : 48 Hephtalites : 516, 602 Heraclea-Perinthus : 495, 502, 505, 569, 591 Héraclius : 520, 538 Hérode Ier de Judée : 201, 265 Hérules : 415, 500, 521, 523, 524, 527, 536-7, 540-2, 608, 621, 625, 637, 641, 646 Heteromêkês pedê (exercice équestre) : 219, 338 Hippago : 569 Hippiatrie : 545-52, 563 Hippika gumnasia : 322, 327-37, 346, 574, 691 Hippis, bataille de la rivière : 629, 670, 674 Hippobotai : 25 Hipposandale : 562-4 Hoplites montés : 24-35 Hunnigardes (Ounnigardai) : 543, 695 Huns : 410, 412, 437, 442, 480, 483503, 508-9, 516, 521-3, 526, 531-2, 537-8, 541, 544, 557, 561, 566, 572, 592, 602, 605, 612, 615, 624-5, 630, 641, 664, 677, 679, 695-6
Jean Mystacon : 528, 533-4 Jean Troglita : 535, 540, 573, 576, 628 Juba Ier de Numidie : 84, 141-2, 154, 179 Julien : 403-4, 412, 438-41, 452-4, 465-6, 468, 479, 566, 685-6 Justinien : 13-4, 339, 405, 483, 491, 503-7, 509, 515, 519, 527, 532, 535, 538, 566-9, 571-2, 574, 592, 607, 615, 675, 684, 690, 695, 699
Iazyges : 241, 257, 261, 266-7 Ichnai (Mésopotamie) : 126 Idistauiso, bataille d’ : 296-8, 305, 640 Ilerda, bataille d’ : 140, 153, 178 Ilipa, bataille d’ : 40-2, 45, 47, 49, 147, 154-5
Kaeso : 33 Kallikynos, bataille de : 74, 110, 175, 178 Kavadh Ier : 514, 516, 523 Khusro II Parviz : 533-4, 597 Kleroi hippikoi : 75 Kontophoroi : 13, 308, 310, 312, 331, 351 Kontos : 312-3, 316, 329-30, 334, 343-4, 347, 447, 473, 658 Koptos : 247, 249 Koutrigours : 499, 538, 605 Krefeld-Gellep (Gelduba) : 212-3 Krokodilô : 208, 247, 249 Labeo, Claudius : 200 Labienus, Q. : 135 Labienus, T. : 65, 76, 93, 108-10, 114, 141-3, 147, 150, 152-3, 155-6 Lachès : 189, 694 Lac Régille, bataille du : 32, 35, 40 Laetus : 458-9 Lakhmides : 513, 517 Lambèse : 228, 325, 327, 329, 334-7, 342-3, 347-8
INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
Lanciarii : 347-8, 439, 472-3 Lex Iulia de ui publica : 508 Licinius (empereur) : 368, 386, 38991, 456, 547-8 Ligue achéenne : 47, 167 Ligue étolienne : 74 Limes : 209, 223, 236, 240, 242, 247, 380, 422, 426, 428-9, 504 Limitanei / ripenses : 367, 389-90, 403, 413, 422, 431, 518-9, 525, 532, 543 Lochos (escadron de cavalerie) : 3101, 313 Lollianus, M. Valerius : 262 Lombards : 523-4, 526-7, 537, 539, 542, 569, 621, 637 Longinus, Q. Cassius : 60, 64, 84, 89, 131, 152 Lucullus, L. Licinius : 69, 80, 83, 96, 113, 152, 464 Lusius Quietus : 257, 263, 267 Lyon, bataille de : 458, 602 Macédoine : 78, 84, 144, 262, 402, 415-7, 495 Machiavel, Nicolas : 4 Magister equitum (poste de haut commandement dans l’Empire tardif) : 404-5, 435 Malagina : 569 Mandator (fonction dans la cavalerie romano-byzantine) : 650-1 Maozamalcha, siège de : 404 Marc Antoine : 60-2, 68, 78-9, 81, 83, 86, 92, 104, 106, 110, 117, 127-8, 130-2, 136-7, 180, 195, 533 Marc Aurèle : 208, 227, 230, 238, 262, 267-9 Marcellus, M. Claudius : 46, 188 Marcianopolis : 428, 430, 503, 589 Marius, C. : 12, 50, 64, 77, 107, 1101, 113-4, 120, 123, 132, 142, 194-5, 320, Marta, bataille de : 573, 578, 665 Martyropolis : 368, 514 Massagètes : 190 Massinissa : 45, 73, 82, 84, 96
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Mauri gentiles : 263, 267 Maurice, Flavius Mauricius Tiberius : 12, 17-8, 36, 133, 281, 314, 316, 319, 419, 433, 474, 484, 497, 520, 524, 528, 530, 534, 537-8, 542, 565-6, 580-1, 585, 589, 595, 602, 606-7, 609, 617-20, 626, 629, 6314, 643, 646, 648, 650, 652-3, 655, 658, 664, 667, 672-3, 675, 682, 684, 699 Mausolée des Iulii à Glanum : 349 Mavia : 403, 410, 443 Maxence : 368, 378, 380, 382, 391, 395, 397, 452, 455-6, 468 Maximianus, M. Valerius : 208, 263, 268-9, 458 Maximien : 376 Maximin le Thrace : 378, 414, 440, 459-60, 462 Maximus, Q. Fabius : 419 Mécène, C. Cilnius Maecenas : 185, 189, 214 Mèdes : 72, 104, 190 Metellus Numidicus, Q. Caecilius : 85, 108, 110-1, 114, 122-3, 129-30 Milan (Mediolanum) : 379, 382, 391, 400-2, 547 Militia equestris : 24, 27, 50, 54-5, 61, 186-7, 241, 262 Misagène : 96 Mobilité stratégique : 15, 239, 253, 359, 405, 414, 418, 485, 496, 507, 601 Mongols : 407, 492, 586, 647 Mons Claudianus : 213, 249 Mons Graupius, bataille du : 191, 2401, 273, 275, 299-302, 305 Moral : 145-6, 168, 175, 322, 676-86 Mors : 30, 119, 556, 561-2 Munda, bataille de : 59, 69, 81, 153, 181 Mur d’Antonin : 240-1 Mur d’Hadrien : 218, 227, 235, 240-1, 267 Mursa, bataille de : 449, 465, 468-9 Mus, P. Decius : 37 Musheł Mamikonian : 456, 534
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INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
Muthul, bataille du : 108, 122-3, 153 Muttines, M. Valerius : 95-6 Myos Hormos : 247, 249-50 Naïssus, bataille de : 416, 502 Narsès (général de Justinien) : 520, 523-4, 532, 537, 541, 579, 620-2, 639, 646, 654, 664, 683, 688 Narsès (magister militum per Orientem sous Maurice) : 533-4, 598, 608 Néphéris, bataille de : 48-9, 165 Nerge : 586 Neuss (Nouaesium) : 203, 233-4 Niger, C. Pescennius : 378, 457 Nisibe, bataille de : 447, 449, 459, 468 Nizakawork‘ : 457, 534, 539 Notitia dignitatum : 17, 360, 364-8, 370-2, 375, 378, 381-2, 387, 38991, 403, 408-9, 412, 425-8, 431, 461, 464, 480 Numerus (unité auxiliaire) : 228-9, 383-4 Nymphius, bataille du : 524, 528, 530, 637 Oblatio equorum : 570 October equus : 194 Octolophus, bataille d’ : 171 Opsikion : 520 Optimates (corps de troupe de l’armée romano-byzantine) : 519, 528, 533, 648, 650, 690 Optio (fonction dans la cavalerie romaine) : 41-2, 49-50, 58, 317, 325, 395, 463, 471 Ordre équestre : 23-8, 35-6, 44, 51-4, 57, 60, 62, 64, 68 Orlat, plaque en os d’ : 490 Ornospades : 203 Orode II de Parthie : 125-6 Oroesès d’Albanie : 172 Osrhoéniens : 86, 104, 113, 130, 180, 239, 393, 450, 459, 461 Pabulatio (corvée de fourrage) : 11620, 124, 130, 144, 236, 288, 431, 590 Pacorus Ier de Parthie : 135
Palatini (corps de troupe) : 375, 382, 389, 403, 428-9, 518-9, 613, 698 Palmatius, Flavius : 568 Palmyre : 229, 270, 378, 380-1, 387, 450-1, 460-1 Paragôgê : 167, 169 Paraphalange / phalange composite : 308, 317, 447-8, 457-8, 472, 477, 663, 699 Parapompê : 247 Parembolê : 167, 169 Parentaxis : 172, 174 Parma equestris : 42, 188 Parthes : 72, 78, 87, 102, 104, 108, 113, 125-37, 152, 180-1, 188, 190, 202-4, 211-2, 239, 277, 280, 328, 331, 345, 354, 393, 407, 440, 447, 460, 462-3, 467-8, 480, 526, 533 Patkoua (praesidium de HauteÉgypte) : 250 Périclès : 46 Péroz Ier : 602 Persée de Macédoine : 152, 178 Perses sassanides : 381, 412, 438, 447, 456-7, 459, 463, 465, 490, 492, 497, 513-4, 516, 518, 523-4, 526-8, 530, 534, 538-9, 542, 561-2, 566, 581-3, 595, 599, 601-2, 609, 612-4, 625, 627, 631, 640-2, 663-5, 667-8, 670, 675, 686-8, 695-6 Persoiustiniani : 538 Pertes humaines : 59, 127, 135, 137, 151, 159, 178-9, 290-1, 293, 370, 662, 669, 678-80 Petreius, M. : 139, 141, 151, 155 Petrinos (exercice de cavalerie) : 330, 336, 340 Pharsale, bataille de : 58-60, 64, 74, 76, 80, 90, 93, 103, 147, 153, 15663, 173, 176, 453 Philippes, bataille de : 72, 81-2, 104, 113 Philippicus : 528, 530-1, 533, 589, 608, 631, 683-4 Philopoemen : 47, 167 Phraaspa, siège de : 106, 128, 130, 137 Phraate IV de Parthie : 128, 137, 203
INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
Phulê (subdivision tactique de la cavalerie athénienne) : 473 Placidianus, Iulius : 383-4, 401 Plebiscitum reddendorum equorum : 53, 56 Pompée, Cn. Pompeius Magnus : 56, 62, 74, 76, 80, 83, 90, 103, 107, 120, 131, 144-5, 152-4, 157-63, 172-3, 202, 320 Pompée, Sex. Pompeius Magnus Pius : 59, 69, 81, 117, 120 Pontius Telesinus : 57 Pont Milvius, bataille du : 397 Porta Salaria, bataille de la : 516, 615, 628, 668, 688 Porte-étendard (lat. uexillarius, signifer ; gr. bandophoros) : 228, 320-3, 336, 474-5, 649-52, 654 Poseidonios d’Apamée : 319 Postume : 378, 401 Praefecti equitum : 68, 87, 90-1, 94, 96-8 Preclusive defence : 232, 399 Primus, M. Antonius : 256, 273, 2945, 320 Priscus (magister militum) : 598 Prise mongole (archerie) : 135, 581-2 Prise sassanide (archerie) : 581-2 Probatio : 216-7 Procursatores : 156, 438-40, 443-4, 607 Ptolémée de Maurétanie : 265, 293 Pyrrhus : 37, 45 Qasr Bshîr (castra praetorii Mobeni) : 363 Ratiaria (Arčar) : 381, 502 Recognitio equitum : 34-5, 56 Révolution militaire : 14-6, 180, 485, 692 Rhandeia, bataille de : 193, 275 Rhoemetalcès Ier de Thrace : 265, 274 Rhombos (formation de cavalerie) : 319, 666 Rome, siège de (537-538) : 489, 515, 523, 576, 586, 599, 614-6, 627, 667, 669, 677, 688, 694
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Roucillus (cavalier allobroge) : 84, 98, 200 Rufin (préfet du prétoire) : 434, 496 Rufus (M. Minucius) : 46 Rullianus (Q. Fabius) : 29, 188 Sabinus Pomponius Secondus (P. Calvisius) : 252 Sabirs : 487, 494, 498-9, 503, 508, 516, 537, 557, 612 Sagittobolon (unité de mesure) : 632-3 Saints cavaliers : 480 Salamine de Chypre : 87 Sambre, bataille de la : 120, 154 Saphrax : 445 Saracènes : 410-2, 438, 439-40, 443-4, 516-7, 536, 538, 542, 608 Sarmates : 135, 236, 252-4, 257, 2667, 313, 329, 331, 344, 351, 354, 390, 407, 419, 484, 488, 492, 497, 547, 561 Scaeva, M. Caesius : 90 Scalae Veteres, bataille des : 542, 6201, 646, 661 Scaptius : 87, 97 Scholae palatinae : 365, 377, 382, 393-4, 397, 443, 461, 465, 472-4, 505, 519, 569 Scipion l’Africain, P. Cornelius : 41, 43, 45, 68, 73, 79-80, 82, 152, 222 Scipion Émilien, P. Cornelius : 47-8, 55, 118, 188, 195 Scordiscus : 553-4 Sculcatores : 590, 606-7 Scythes : 121, 127, 190, 484, 656 Sellerie : 43-4, 102, 349-50, 490-1, 553-9 Sentinum, bataille de : 35, 40, 621 Septime Sévère : 188, 192, 195, 227, 241, 248, 318, 394, 459-60 Sertorius, Q. : 80, 119, 138, 172 Servianus, L. Iulius Ursus : 550 Servius Tullius : 25 Sesquiplicarius : 210, 226, 258, 317, 320-1, 395, 471, 476 Seuiri equitum Romanorum : 470 Sévère Alexandre : 195, 378, 390, 447, 459, 462
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INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
Sex suffragia : 25, 40 Shapur II : 388, 409, 412 Silacès (satrape de Mésopotamie) : 125-6 Singidunum (Belgrade) : 495, 498, 612 Sirmium (Sremska Mitrovica) : 371, 402, 497 Siscia (Sisak) : 234, 272, 274, 402 Siyâh (raidisseur d’arc) : 134, 345, 489 Socii : 39, 57, 61, 63, 65, 71, 73, 77, 81, 84-7 Sohémos d’Émèse : 266 Solachon, bataille de : 528, 530-3, 631, 637, 675, 683 Sosius, C. : 81, 86 Sosteos (El Qasr) : 476 Speculatores : 69, 111-2, 114-5, 438, 440 Stipendium : 84, 192, 200, 342, 463, 537 Stilichon : 377, 434, 496, 537, 567 Strasbourg, bataille de : 362, 452-3, 465-6, 685 Stratégie : de la terre brûlée 117, d’anéantissement 277, 287, 432, de défense en profondeur 399, 402, 413, 419-32, 506, 511, 698, de défense mobile 46, 400, 512 Stratores : 216-7, 376, 567, 571 Subarmales : 347 Suréna : 113, 125-7, 132, 135-6, 488 Surprise opérationnelle : 107, 123, 286, 497-8, 601, 603-5, 699 Surprise tactique : 151-2, 174, 291, 532, 583, 588, 634, 655 Sylla, L. Cornelius Sulla : 53, 55, 57, 83, 110 Symmachiarii : 199, 269-71, 275 Synésios de Cyrène : 412, 510, 543, 694 Syphax : 73, 171 Tabula Bembina : 54 Tabula Heracleensis : 55, 61 Tacfarinas : 293, 304
Taginae, bataille de : 523, 542, 620-2, 640, 663, 674, 683, 688 Tagma (unité de cavalerie byzantine) : 473, 519, 521, 528, 541, 576, 583, 596, 647-57, 699 Tarichées, bataille de : 290-1 Taxis epikampios opisthia : 133, 281, 314, 592, 595-7, 627, 670 Tegea, bataille de : 89, 93, 147 Tessin, bataille du : 38-9, 45, 154, 175 Testudo : 329, 332, 336, 338 Thapsus, bataille de : 143, 153, 181 Théodoric Strabon : 407, 558, 560 Théodose Ier : 392, 411, 426, 428, 466, 556, 567 Théodose II : 407, 603 Théomnestos : 545-8, 552 Thessalie : 144, 157, 190, 415, 494, 546 Thureophoroi : 43, 101 Tibère II : 520, 527-8, 532, 542, 673 Tigranocerte, bataille de : 152 Tiridate Ier d’Arménie : 193, 279-80, 293, 304 Toloutegon (exercice de cavalerie) : 331, 337 Tomis (Constanța) : 412, 421, 424, 427, 495, 503, 600, 604 Totila : 523, 621, 668, 694 Trabea : 42, 188 Traianus Mucianus : 396, 460 Trajan : 195, 229, 235, 239, 256, 258, 263-4, 269-70, 274, 334, 351-2, 355, 455, 549-50, 698 Transuectio equitum : 29, 35, 40-1, 188 Triplex stipendium : 26 Trébie, bataille de la : 45, 79, 152 Trévires : 65, 102, 109-10, 153, 197-8, 201 Tricamarum, bataille de : 599, 627-9, 640, 646, 668-9, 678, 684 Tripodos (allure) : 658-9 Trossuli : 28, 62 Turin, bataille de : 359, 452, 455, 465 Turma : 25, 40-2, 48-50, 58, 87-9, 94-5, 98, 160-1, 163-71, 174-5, 181,
INDEX NOMINUM ET RERUM NOTABILIUM
192, 204, 225-7, 250, 261-2, 269, 297, 306, 310-1, 317-26, 328, 3478, 361-2, 469-71, 473, 475-7, 583, 699 Turma Cassiana : 88-9 Turma Salluitana : 94-5, 98 Uldin : 537, 544 Ursus, Flavius : 550 Utique, bataille d’ : 146, 153-4 Uzitta, bataille d’ : 147, 153-5, 178 Vachères, statue de : 99-101 Valao : 268 Valens : 403, 410, 426, 428-32, 435, 441, 443-4, 446, 567 Valerianus, L. Valerius : 458 Vandales : 509, 521, 526, 536-9, 541, 566-7, 569, 575-6, 591-2, 609, 628, 640, 646, 668-9, 677-8, 684, 687, 691 Varus, Arrius : 295 Varus, P. Attius : 141, 153 Véies, siège de : 27 Vélites : 38, 41-2, 47, 110, 171, 174-5, 439
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Vercingétorix : 102, 117, 122, 124-5, 129-30 Vertiscos : 96-7 Vespasien : 202, 224, 236, 238, 254-6, 266, 275, 278-9, 287-91, 293, 343 Vetustinus, Q. Porcius : 259-60 Vexillatio equitum (corps expéditionnaire monté ou détachement sous le Haut-Empire) : 256, 258-64, 370, 385-6 Vexillatio equitum (unité de cavalerie sous le Bas-Empire) : 361-2, 365-6, 373, 375, 378, 389-91, 395, 401, 413, 427, 455, 464, 473-6, 525, 528, 533, 648, 698 Virtus : 6, 28, 35-6, 46, 188-9, 193-4, 322, 478 Vitigès : 516, 526, 539, 614, 616 Vologèse Ier d’Arménie : 308 Volusénus, C. : 97-8, 151 Xunêma (exercice de cavalerie) : 330, 337, 340 Zama, bataille de : 45, 73, 80, 82
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SUR PAPIER PERMANENT
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50, B-3020 HERENT
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