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French Pages 351 Year 2003
LES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN ESSAIS DE DÉFINITION
BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES SCIENCES RELIGIEUSES
VOLUME
117
BREPOLS
CENTRE D'ÉTUDES DES RELIGIONS DU LIVRE
LES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN ,
ESSAIS DE DEFINITION
Sous LA DIRECTION DE NICOLE BELAYCHE ET SIMON
C.
MIMOUN!
BREPOLS
La Bibliothèque de !'École des Hautes Études, Sciences Religieuses La collection Bibliothèque de !'École des Hautes Études, Sciences Religieuses, fondée en 1889 et riche de plus de cent volumes, reflète la diversité des enseignements et des recherches qui sont menés au sein de la Section des Sciences Religieuses de l'École Pratique des Hautes Études (Sorbonne, Paris). Dans l'esprit de la Section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées: philologie, archéologie, histoire, droit, philosophie, anthropologie, sociologie. Avec le haut niveau de spécialisation et d'érudition qui caractérisent les études menées à l'E.P.H.E., la collection Bibliothèque de !'École des Hautes Études, Sciences Religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s'intéresse aussi bien à l'originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes - judaïsme, christianisme, islam - qu'à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Mésopotamie et l'Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n'oublie pas non plus l'étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l'analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignant à l'E.P.H.E., anciens élèves de !'École, chercheurs invités ... ).
© 2003 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. Ail rights reserved. No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.
D/2003/0095/30 ISBN 2-503-52204-1
Printed in the E.U. on acid-free paper
AVANT-PROPOS PAR
Nicole BELAYCHE et Simon C. MIMOUNI
Les contributions figurant dans cet ouvrage représentent les résultats et les conclusions d'un groupe de recherche qui a commencé ses travaux en 1997, sous la direction de Sylvie Honigman et Simon C. Mimouni, et les a poursuivis, à la suite du départ de Sylvie Honigman en 1999, sous la direction de Nicole Belayche et Simon C. Mimouni. Ce groupe s'inscrivait dans le cadre d'un programme du « Centre d'études des Religions du Livre » (UMR 8584, EPHE-CNRS, direction Philippe Hoffmann) et a bénéficié de l'aide de l'équipe de recherche « Centre Gustave Glotz. Recherches sur les mondes hellénistique et romain» (UMR 8585, CNRS-Paris I-Paris IVEPHE, direction Jean-Louis Ferrary). Les questions de définition de la notion de « communauté religieuse » dans le monde gréco-romain et de ses modalités (constitution/formation/fonctionnement) ont été au centre des problématiques abordées par ce groupe de recherche. A côté des communautés et de leur dimension sociologique et institutionnelle, l'intérêt du projet a été de se focaliser aussi, dans la mesure où les sources le permettent, sur les lieux de culte, en croisant autant que possible documentation littéraire, épigraphique et archéologique. Grâce à une équipe à la fois diverse et ramassée, faisant appel à des compétences internationales, les travaux présentés ont couvert plusieurs mondes culturels de la Méditerranée hellénistique et romaine (communautés religieuses grecques, romaines, juives, chrétiennes, manichéennes) sur une longue durée (du ne siècle avant notre ère au VIe siècle de notre ère). Cette ampleur géographique, chronologique et thématique a permis d'aboutir à des conclusions significatives sur les « marqueurs » définissant une communauté religieuse. Ainsi, le vocabulaire a-t-il été précisé, la place des rituels d'entrée évaluée et les modes de formation analysés. Nous remercions l'ensemble des membres du groupe de recherche qui, tout au long des quatre années d'échanges fructueux, ont éclairé de leurs connaissances et de leurs intelligences une problématique tout aussi difficile que délicate.
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EN GUISE D'INTRODUCTION
EN QUÊTE DE MARQUEURS DES COMMUNAUTÉS « RELIGIEUSES » GRÉCO-ROMAINES
Nicole BELAYCHE Université de Rennes II « Quel que soit le nom, quelle que soit la destination que nous donnions à des hommes réunis en un corps ... » Trajan à Pline, Lettres 34, 1
Les sociétés gréco-romaines étaient constituées d'un foisonnement de groupements ou communautés 1 : l'appartenance associative était un des modes privilégiés de l'intégration professionnelle et sociale et offrait un cadre aux manifestations évergétiques 2 . Cette floraison n'était pas - comme dans les sociétés occidentales contemporaines - inversement proportionnelle à la solidité du tissu communautaire civique. Au contraire : dans le même temps où prospéraient les associations depuis l'époque hellénistique, l'orgueil civique était au plus fort et nourrissait l'attachement à l'autonomie locale 3 . En outre, l'exclusivisme communautaire n'existait pas dans le monde païen4 . Même lorsque les communautés suivaient des règles de séparation, comme dans l'association de Zeus hypsistos à Philadelphie d'Égypte 5 , celles-ci ne concernaient que la vie communautaire des membres. Même pour les Juifs, l'appartenance religieuse n'empêchait pas d'autres liens communautaires, en particulier civiques, par lesquels, par exemple, les aristocrates palestiniens membres des boulai locales étaient en charge des affaires religieuses. Les Institutes de Gaius énumèrent les caractéristiques légales des collegia (droit de posséder des biens - donc d'avoir un lieu de réunion -, d'avoir une caisse, un agent ou un syndic - donc une «raison sociale» -) 6 . Mais, on peut appeler communauté aussi bien une association de ce type, dont le statut est reconnu même 1
Voir par exemple à Ostie ILS 6146. Voir O.M. VAN NIIF, The Civic World of Professional Associations in the Roman East, Amsterdam, 1997, p. 82-85; G. BowERSOCK, « Les Euemerioi et les confréries joyeuses », dans Comptes Rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1999, p. 1241-1256; et A.I. BAUMGARTEN, « Graeco-Roman Voluntary Associations and Ancient Jewish Sects », dans M. GOODMAN (Ed.), Jews in a Graeco-Roman World, Oxford, 1998, p. 108. Pour la relation avec le culte des empereurs, P.A. HARLAND, « Honours and worship: Emperors, imperial cuits and associations at Ephesus (first to third centuries C.E.) », dans Studies in Religion / Sciences Religieuses 25, 1996, p. 319-334. 3 Voir les agônes de cités en Asie Mineure, M. SARTRE, L'Orient romain. Provinces et sociétés provinciales en Méditérranée orientale d'Auguste aux Sévères (31 avant J.-C.-235 après J.C.), Paris, 1991, p. 190-198 et pour l'Occident, C. LEPELLEY, Les cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire, t. 1, Paris, 1979, en particulier p. 298-318. 4 Voir P. BRUNEAU, Recherches sur les cultes de Délos à l'époque hellénistique et à l'époque impériale, Paris, 1970, p. 586-587 pour les Apolloniastes, les Hermaïstes et les Poseidoniastes. 5 Voir plus bas, n. 38. 6 Gaius, Institutes 3. 2
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En quête de marqueurs
si elle est privée, et des groupements plus informels d'individus rassemblés autour d'un maître ou d'une croyance, comme par exemple la première communauté des disciples autour de Jésus, ou celle qui continue autour de Jacques à se réunir dans la «chambre haute » à la façon d'une famille 7 . En tant que groupe de Juifs/Judéens couverts par la réglementation reconnue à l'ethnos, cette première communauté jérusalémite n'avait pas besoin d'autorisation particulière, quand bien même elle affichait des caractéristiques associatives manifestes (hiérarchie, repas en commun, fonds commun ... ). Par-delà des structures organisationnelles très semblables8, les natures de ces groupes étaient donc diverses et assurément multiples. Une association délienne, qui pour une fois explicite son identité, illustre la nature complexe de ces associations. « Le koinon/synodos [selon les inscriptions] des Poséidoniastes bérytains marchands, armateurs et entrepositaires » affiche dans sa dénomination même une définition quadruple : en tant que structure (une association) et en rapport avec ses trois fondements (religieux, ethnique et professionnel) 9 , selon une imbrication caractéristique du monde antique 10 . Ce cas explique notre difficulté à ordonner les associations grecques ou romaines selon des critères autres que celui de leur nature structurelle de groupe. Le mot et la chose
Pour les autorités romaines, une communauté devait entrer dans la visibilité de la loi quand son nombre 11 , des réunions régulières, une hiérarchie interne, une caisse commune, faisaient de cette structure une entité calée sur des formes politiques 12, dont on pouvait donc craindre les agissements 13 et vis-à-vis desquelles le
7 Ac 1, 13. Certaines communautés s'appellentjamilia comme un collège de Silvain en Sabine, AÉp. 1929, 161. 8 Voir J.P. WALTZJNG, Étude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains depuis les origines jusqu'à la chute de l'Empire d'Occident, t. I-IV, Louvain, 1895-1900; F. PoLAND, Geschichte des griechischen Vereinswesens, Leipzig, 1909; F.M. DE ROBERTIS, Storia delle corporazioni e del regime associativo ne! mondo romano, t. I, Bari, 1934, p. 266-267 et F.M. DE ROBER ns, Il fenomeno associativo nel monda romano : dai collegi della Repubblica alle corporazioni del Basso Impero, Naples, 1995. 9 !Délos 1520 et 1519. Voir P. BRUNEAU, op. cit., Paris, 1970, p. 622-630 (l'auteur les appelle (p. 621) des « associations à caractère religieux groupant des commerçants phéniciens de Délos») et M.-F. BASLEZ, Recherches sur les conditions de pénétration et de diffusion des religions orientales à Délos (11"-r' s. avant notre ère), Paris, 1977, p. 206-212. 10 Voir J.-M. FLAMBARD, «Éléments pour une approche financière de la mort dans les classes populaires du Haut-Empire », dans F. HINARD (Ed.), La mort, les morts et l'au-delà dans le monde romain, Caen, 1987, p. 210. 11 La communauté judéo-chrétienne de Jérusalem autour de Jacques comptait 120 membres, Ac 1, 15. 12 Voir les plaques de marbre inscrites offertes au sanctuaire dolichénien de !'Aventin à Rome par des patroni et des candidati sur le modèle des relations patrons/clients, G.M. BELLEU - U. BIANCHI (Ed.), Orientalia Sacra Urbis Romae Dolichena et Heliopolitana, Rome, 1996, p. 115-125, n° 13 et 14. 13 Trajan a refusé la création pourtant utile d'un collegium fabrorum (vigiles du feu) pour lutter contre les incendies à Nicomédie par crainte d'associations factieuses malgré les précautions de Pline, Lettres 10, 34 : « ta province, et surtout cette ville, sont la proie de sociétés de ce genre». Voir A.N. SHERWIN-WHITE, The Letters of Pliny. A Historical and Social Commen-
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Nicole Belayche
pouvoir a utilisé par moments l'argument sécuritaire, pas toujours innocemment si l'on pense aux relations avec les chrétiens. Pour l'historien, s'interroger sur la nature des diverses communautés du monde gréco-romain suppose qu'il pose concurremment deux types de questions. Il doit d'abord définir ces groupements organisés, dont les membres avaient des pratiques communes plus ou moins régulières, sans pour autant mener de vie commune comme les Esséniens décrits par Philon d'Alexandrie (qui «habitent ensemble en confréries (x.ixciX füâ:crouc;) » 14) et, plus tard, les communautés monastiques 15 . Tel fut le questionnement principal du séminaire réuni par la Canadian Society of Biblical Studies dont les conclusions ont été publiées en 1996 16 . Le projet quadriennal du groupe de recherche parisien était à la fois complémentaire et différent. En enquêtant sur une possible spécificité des communautés « religieuses », polythéistes ou monothéistes, dans le monde associatif antique, le groupe abordait lui aussi les problèmes généraux de définition des phénomènes communautaires, mais dans le but de comprendre la place plus originale que pouvait y tenir le religieux dans un monde où, de toute façon, « tout est plein des dieux >>17. Le questionnement ne concernait pas les collèges sacerdotaux spécialistes du rituel 18 . Les communautés antiques étaient aussi diverses que leurs noms, par suite des personnalités culturelles et religieuses multiples des peuples de l'Empire 19 • Elles tenaient à la fois des associations volontaires à l'anglo-saxonne ou à la française (type loi de 1901) et de modes associatifs de sociétés plus traditionnelles: compagnonnages, confréries, fraternités, clubs, guildes, sociétés ou charités médiévales. Leur dénomination n'était d'ailleurs pas unique, du moins en grec, car en latin « les Romains utilisaient le seul mot collegia pour désigner à la fois des groupes religieux et séculiers »20 . Les termes divers qui les désignaient - et pouvaient s'échanger - : latins (collegium ou sodalitas qui insiste plutôt sur l'intimité qui lie les membres), grecs (koinon, thiasos, synodos) 21 ou hébreux (havurah, yahad), relèvent de champs différents : celui des relations sociales, des activités pratiquées en
tary, Oxford, 1966, p. 600. Voir aussi la loi du municipe d'Irni (Bétique), ch. LXXIV, interdisant les assemblées séditieuses (coetus), les confréries (sodalicia) et les collegia à but factieux. 14 Philon, Quod omnis probus 85, voir aussi 86: « un tel usage du même toit (oµwpôqno\I), du même genre de vie (oµoô[oœno\I) et de la même table (oµo-rpâ:nE~o\I) ». 15 G. FowoEN, « Religious Communities »,dans G. BowERSOCK- P. BROWN - O. GRABAR (Ed.), Late Antiquity. A Guide to the Postclassical World, Cambridge/Massachusetts-Londres, 1999, associe « religious communities » et « a special way of life » (p. 84) et leur trouve un équivalent dans les cercles philosophiques, en particulier théurgiques (p. 85-86). 16 J.S. KLOPPENBORG - S.G. WILSON (Ed.), Voluntary Associations in the Graeco-Roman World, Londres-New York, 1996. L'ouvrage s'est intéressé davantage aux sociétés choisies qu'aux collegia officiels ou sodalités sacrées. 17 Cicéron, De legibus 2, 11. 18 J. RüPKE, Die Religion der Rèimer, Munich, 2001, p. 208-219. 19 Voir par exemple au Proche-Orient, l'utilisation du nom de symposion, plus fréquente que dans le reste du monde hellénophone, J.T. MrLIK, Dédicaces faites par des dieux (Palmyre, Hatra, Tyr) et des thiases sémitiques à l'époque romaine, Paris, 1972, p. 109. Sur la multitude des dénominations, voir J.-P. WALTZING, op. cit., t. IV, Louvain, 1900, p. 236-242. 20 G. BOWERSOCK, « op. cit. », dans Comptes Rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1999, p. 1241. 21 F. POLAND, op. cit., Leipzig, 1909, p. 16-70.
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commun ou des fonctions « techniques », réglementées et hiérarchisées, qui expriment la structure administrative du groupe, mais pas sa nature propre en tant que groupe. D'où la difficulté contemporaine à désigner - donc à définir - ces groupements d'hommes (et de femmes) de l'Antiquité romaine, toujours fondés sur une base - ou avec une référence - cultuelle, mais pas seulement ni prioritairement dans bien des cas 22 . La dévotion commune dans un même lieu relève assurément d'une activité religieuse, mais elle n'épuise pas les fonctions de ces communautés, comme l'indique le koinon délien cité plus haut. À l'inverse, des individus peuvent avoir des activités cultuelles communes qui ne sont dues qu'à la rencontre fortuite dans un sanctuaire et non à l'appartenance préalable à un groupe 23 . Enfin, des groupes qui, aujourd'hui, seraient sans hésitation étiquetés comme des associations religieuses ne portaient pas aussi clairement ce sceau dans l' Antiquité. Ainsi, les communautés juives, autorisées par les décrets de César et Auguste à vivre xix-rœ ,œ rnhpiix (è'.611)24 ou xix-riX -riX voµi~6µi::vix 8611 25 , étaient désignées d'abord en tant que groupe ethnique - ol 'Iouôixî:oi-les Judéens - organisé en synodoi ou koina, c'est-à-dire communautairement26 , avant qu'on n'insiste sur leur spécificité religieuse 27 . D'où les débats savants autour de la nature - religieuse ou non - des synagogues. Les communautés juives de la diaspora gréco-romaine se sont constituées et ont fonctionné comme n'importe quel collegium avec réunions régulières, patron divin, titres de la hiérarchie synagogale empruntés à ceux des charges civiques, collection de fonds auprès des membres 28 . Aux yeux des autorités, elles ne sont que des associations constituées en terre étrangère d'individus originaires du même lieu géographique et regroupés dans un culte «national »29 , comme les Iamnites et les 22 Voir par exemple les sociétés de secours mutuel autorisées par Trajan à Amisos en Bithynie ad sustinendam tenuiorum inopiam utuntur, Pline, Lettres 10, 93. 23 Pourtant, H. REMUS, « Voluntary Associations and Networks. Aelius Aristides at the Asclepeion in Pergamum »,dans J.S. KLOPPENBORG - S.G. WILSON (Ed.), Voluntary Associations in the Graeco-Roman World, Londres-New York, 1996, p. 146-175, a montré que les dévots d'Asclépios forment un réseau de fidèles connu par les Discours sacrés d'Aelius Aristide; voir p. 152 pour le débat autour des therapeutae d'Asclepios. 24 Flavius Josèphe, Antiquités juives XIV, § 194, voir aussi§ 213-214, 263 et XVI,§ 167. Voir C. SAULNIER, « Les lois romaines sur les Juifs d'après Flavius Josèphe », dans Revue biblique 88 (1981), p. 161-185. 25 Flavius Josèphe, Antiquités juives XIV, § 260. 26 Flavius Josèphe, Autobiographie§ 277-280, décrit la proseuchè de Tibérias pendant la première révolte comme un lieu de réunion où on traitait les affaires publiques et où « le peuple ... était convoqué en assemblée (synodos) » (§ 280). 27 Voir S.J.D. COHEN, The Beginnings of Jewishness, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1999, en particulier p. 69-78 et 84-104 ; « loudaioi be longs to the ethnos of Judaeans in Judaea » (p. 109). L'auteur appelle cette évolution «from ethnos to ethno-religion ». 28 Avec des nuances, M. SMALLWOOD, The Jews under Roman Rulefrom Pompey to Diocletian, Leyde, 1976, p. 133-143; P. RICHARDSON,« Barly Synagogues as collegia in the Diaspora and Palestine» et W. CoTTER, «The collegia and Roman Law. State Restrictions on Voluntary Associations, 64BCE-200CE »,dans J.S. KLOPPENBORG - S.G. WILSON (Ed.), Voluntary Associations in the Graeco-Roman World, Londres-New York, 1996, p. 90-109 (en part. p. 103) et 77-78. M. WILLIAMS,« The Structure of the Jewish Community in Rome», dans M. GOODMAN (Ed.), Jews in a Graeco-Roman World, Oxford, 1998, p. 215-228, conteste la similitude (« afew superficial resemblances »,p. 216). 29 Voir L.M. WHITE, Building God's House in the Roman World: Architectural Adaptation among Pagans, Jews and Christians, Baltimore, 1990, p. 82: « From a public perspective many
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Ascalonites de Délos 30 . Un édit de César, certes douteux 31 , assimile effectivement ces communautés juives à des thiasoi: « Gaius César, dans son édit interdisant la réunion des thiases (füâcrouç) dans la cité, seuls les Juifs n'ont pas été empêchés de collecter de l'argent (xp~µix"rix cruve:tcrcpÉ:pe:~v) et de tenir des repas en commun ( cruvôe:mvix rcmdv). Pareillement, j'interdis les autres thiases ('t'OÙÇ &AAOUÇ füâcrouç), mais j'autorise ces autres gens seulement à se rassembler (cruvâye:cr6ix~) et à festoyer (&crfüiXcr6ix~) conformément à leurs coutumes ancestrales et à leurs règles »32 . Notre réticence à parler de communautés « religieuses » tient donc au fait que ces groupements ne se distinguaient pas de leurs homologues contemporains dans leur structure ou leur fonction sociale 33 • L'interrogation sur la pertinence de l'expression est d'autant plus légitime que le lien entre politique et religieux était constitutif des sociétés antiques. Dans ces conditions, on pourrait penser que la chose était tranchée depuis un siècle au moins. Dans son œuvre monumentale, J.P. Waltzing avait établi que dans !'Antiquité gréco-romaine, «une corporation sans culte ne se conçoit pas »34 • Et J. Scheid dans ce volume de tirer la conclusion de cette constatation: toute association dans le monde antique est d'essence religieuse35. Toutes les communautés du monde classique seraient donc religieuses, et le questionnement superflu 36 ? Certes, tous les groupements du monde romain, qu'ils fussent publics/civiques ou privés/associatifs, se choisissaient un patron divin qui recevait les hommages rituels des fidèles réunis. Néanmoins, la place dévolue à la divinité dans les activités collectives des membres, et surtout les raisons de leur regroupement, indiquent que ce patronage divin universel n'est pas un critère suffisant pour définir toutes les communautés antiques comme « religieuses », ... donc pour n'en reconnaître aucune. Des communautés « religieuses »
En guise d'introduction aux éléments de définition qui ressortent des contributions de ce volume - et qui furent sujets à débats -, on présentera les différences de nature dans les tonalités des communautés antiques en examinant des communau-
of the synagogue communities were organized after thefashion of a collegium, as merchant guilds or ethnie trading agencies ». 30 !Délos 1719-1721, 2308 et 1723. 31 M. WILLIAMS, « op. cit. », dans M. GOODMAN (Ed.), Jews in a Graeco-Roman World, Oxford, 1998, p. 220. 32 Antiquités juives XIV,§ 215-216; voir Suétone, Vie de César 42, 3 (supprime tous les collegia praeter antiquitus constituta) et Vie d'Auguste 32, 1 (praeter antiqua et legitima). 33 C'est pourquoi la sociologie américaine a pu fournir des outils d'analyse aux recherches outre-Manche, voir R.M. Maclver, On Community, Society and Power: Selected Writings, Chicago-Londres, 1970 et son utilisation dans J.S. KLOPPENBORG - S.G. WILSON (Ed.), op. cit., Londres-New York, 1996. 34 J.P. WALTZING, op. cit., t. I, Louvain, 1895, p. 75. Il considérait (p. 255) qu'avec le temps, ces corporations avaient connu une laïcisation. 35 Voir plus bas p. 61. 36 J.S. KLOPPENBORG, « Collegia and thiasoi. Issues in fonction, taxonomy and membership », dans J.S. KLOPPENBORG - S.G. WILSON (Ed.), Voluntary Associations in the GraecoRoman World, Londres-New York, 1996, p. 18-19, envisage brièvement le problème des communautés religieuses dans son essai de classification.
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tés qui appelaient leur patron divin de la même manière: theos ou Zeus hypsistos 37 • Cette forme divine peut constituer un bon test à la fois parce que l'épiclèse reflète la place à part - « ex-altée » - que les fidèles reconnaissaient à leur dieu et parce qu'une inscription de l'association de Zeus hypsistos de Philadelphie en Égypte est régulièrement citée par ceux qui s'intéressent aux associations d'époque romaine 38 . « Les porteurs de Calymna (o1 mxx.x.oq:iôpo~ o1 chcà T'fjç K1Xl.uµvl1Xç) »39 qui ont offert une dédicace à une série de dieux, dont Zeus hypsistos, en gratitude pour leur assistance pendant un tremblement de terre n'agissent pas, en cette occasion, comme une communauté religieuse, pas davantage que « le chef des tailleurs de pierre et tous ses subordonnés (0 ÈrCÎ TWV ÀIXTÔµwv X.IX~ o1 un' IXÙTÔV niXvTEç) » qui rendent grâce à Zeus hypsistos protecteur de leur roi40 • Dans ces deux cas, la (ou les) divinité(s) sont honorées pour leur bienveillance, mais elle ne sont pas la raison d'être, en l'occurrence corporative, du regroupement des membres, qui avait sûrement une existence légale et un patron divin que nous ignorons. « Personne n'a le droit de former corporations, associations ou groupes similaires, car cela est réglementé par des lois, des décisions du Sénat et des constitutions des empereurs. Les associations de cette sorte sont autorisées dans quelques cas : par exemple, le droit de former une corporation est donné à ceux qui s'associent pour collecter les taxes publiques ... Certaines associations à Rome ont vu leur organisation confirmée ... ; par exemple, celle des boulangers ou d'autres comme celle des bateliers qui existent aussi dans les provinces »41 . Les autorités vérifiaient la réalité de l'activité professionnelle puisqu'un rescrit sévérien sur les centoniers (pompiers) de Solva (Norique) stipule: «le statut privilégié des collèges ne doit pas bénéficier [à ceux qui n']exercent [pas d'activité] ... »42 . Ces associations avaient toutes un patron divin, mais, pour la loi romaine, le seul critère retenu était d'ordre juridique et l'identité du dieu protecteur n'interférait pas dans la reconnaissance légale. Il est vrai que,
37 Ce n'est pas le lieu de poser ici le délicat débat sur la nature des divinités qualifiées d' hypsistos, voir N. BELAYCHE, «De la polysémie des épiclèses. L'exemple d'hypsistos dans le monde gréco-romain», dans Nommer les dieux. Colloque de Rennes. 15-16 novembre 2001 (Brepols - PUR, à paraître). 38 Sammelbuch Grieschichen Urkunden aus Âgypten V (1955), p. 7835. Elle doit sa célébrité à la fois au contenu informatif exceptionnel du texte et à l'excellente publication de A.D. NocK - C. ROBERTS - T.C. SKEAT, « The Guild of Zeus Hypsistos », dans Harvard Theological Review 29 (1936), p. 39-88, texte p. 40-42. 39 BEp. ' 1953, il 153. 40 À Néapolis de Thrace en 37 /46 de notre ère, G. BAKALAKIS, « 0pxxmilt sùzxp~crT~p~x de; TÔv ô.[x »,dans @PAKIKA 6 (1935), p. 305. 41 Digeste 3, 4, 1 (Gaius, Institutes, Sur l'édit provincial 3). Voir aussi CIL VI, 2193 = ILS 4966 = J.-P. WALTZING, op. cit., t. I, Louvain, 1895, p. 116. Dis manibus. Col/egio symphoniacorum qui sacris publicis praestu (sic) sunt, quibus senatus c(oire) c(ogi) c(onvocari) permisit e lege Julia ex auctoritate Aug(usti) ludorum causa. Voir aussi ILS 1367 (Cimiez): «les trois collèges à qui il est permis de se réunir en vertu d'un sénatus-consulte ». Une association de sculpteurs de hiéroglyphes à Oxyrrhynchos en 108 de notre ère jure de l'honnêteté de leur métier et du nombre de travailleurs, P. Oxy. 1029, cité par A.C. JOHNSON, « Roman Egypt to the Reign of Diocletian », dans T. FRANK (Ed.), An Economie Survey of Ancient Rome, t. II, Baltimore, 1936, p. 397. 42 AÉp. 1919, 69-70, cité par F. JACQUES, Les cités de l'Occident romain, Paris, 1990, il 142.
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dans les associations ethniques souvent constituées d'émigrés 43 , les activités (socio-) professionnelles n'étaient pas celles qui suscitaient les manifestations épigraphiques. La nature même de ces documents - ce qu'on appelle l'epigraphic habit - explique qu'on trouve dans ces textes d'abord la mémoire des theoi patrioi choisis par la communauté, parce que les pratiques religieuses étaient une forme privilégiée du maintien de l'identité d'origine. Elles renforçaient le sentiment national et cimentaient la cohésion. Les Bérytains de Délos en sont à nouveau de bons témoins : « Dédié à la déesse Rome, notre bienfaitrice, par le koinon des Poseidoniastes bérytains marchands, armateurs et entrepositaires, en reconnaissance de sa bonté envers le koinon et la mère patrie »44 . La motivation ethnique du regroupement est ouvertement déclarée et passe par l'attachement à la patrie d'origine, qui dans !'Antiquité se cristallise autour de la divinité communautaire. L'association s'est donc faite d'abord autour de la divinité ancestrale. À Délos toujours, G. Siebert a montré que la déesse syrienne Hagnè Thea a fait office de premier cruvixywye:ûc; en attendant une organisation administrative plus structurée : « association des thiasites syriens (TÔ xoivôv Twv füixmT&[v]) qui ont leur fête le vingtième jour, que la déesse a rassemblés (oûc; cruv~yixys ~ 6e:6c;) »45 . Ce premier ensemble d'exemples où la dimension professionnelle et/ou ethnique est décisive diffère sensiblement d'un second type de groupes qu'on peut illustrer avec une colonne honorifique gravée vers la fin du 1er siècle de notre ère par une association de Thessalonique en l'honneur de son triclinarque T. Flavius Euktimenos46. L'adoration du theos hypsistos qui patronne l'événement est la seule raison du regroupement des fidèles, ce qui pourrait expliquer, au même titre que l'objectif social, l'importance dans les communautés païennes de la consignation par écrit de l'appartenance des membres à la communauté. Ainsi, les fidèles de la communauté du theos hypsistos de Pydna (Macédoine) sont «les dévots qui font inscrire leurs noms [sur la stèle] (o[ Elp"Y)crXEUTIXl ot u7toye:ypixµµ~voi) »47 . À Thessalonique, l'activité commune devait consister en des banquets sacrés puisque les membres se définissent comme cruvxÀ[Tixi (1. 9). Ces activités festives étaient une des grandes formes de la sociabilité dans les cités, comme l'a magistralement démontré G. Bowersock48. Elles nourrissaient parfois l'inquiétude des autorités: « Flaccus supprima les sodalités (Tocc; hixipdixc;) et associations (cruv6ôouc;) qui allaient de fête en fête sous le prétexte de sacrifier (È7tl 7tpocp&.crsi Elucr[wv dcrTiwvTo) et dans lesquelles
43 Voir les Hermaistes, émigrés italiens placés sous le patronage d'Hermès et Maia et concentrés autour des autels et des deux temples sur l'agora des Compétaliastes, P. BRUNEAU, op. cit., Paris, 1970, p. 587-589 et B.H. McLEAN, «The Place of Cult in Voluntary Associations and Christian Churches on Delos »,dans J.S. KLOPPENBORG - S.G. WILSON (Ed.), Voluntary Associations in the Graeco-Roman World, Londres-New York, 1996, p. 186-225. 44 !Délos 1778. 45 G. SIEBERT, « Sur l'histoire du sanctuaire des dieux syriens à Délos », dans Bulletin de Correspondance Hellénique 92 (1968), p. 359-374, texte p. 360, 11. 8-10. 46 IG X 2, 1, n"68. 47 X.I. MAKARONA, « Xpovmoc àcpxixwÀoym6c »,dans MAKEDONIKA 2 (1941-1952), p. 625 n" 55, li. 17-18. Elle date de mai 250 de notre ère. 48 G. BoWERSOCK, « op. cit. »,dans Comptes Rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1999, p. 1241-1256.
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l'ivresse menait aux intrigues politiques »49 • Mais, elles s'inscrivent d'abord dans des pratiques de commensalité sacrée que des travaux récents ont utilement éclairées 50 • La terminologie retenue par les fidèles qui insistent sur le rituel qui les rassemble et non, comme précédemment, sur la structure administrative ou l'activité qui les fédère, met l'accent sur le caractère religieux de leur association. Ces quelques exemples extraits d'un corpus plus étoffé permettent de penser que, dans le monde romain païen 51 où toute communauté a une dimension religieuse, il existait des communautés dont la raison d'être n'était que religieuse. On pourrait définir ces « communautés religieuses » comme des groupes au sein desquels les fidèles se réunissaient d'abord dans le but d'honorer une divinité commune (même s'il pouvait en découler des activités d'ordre social par suite de la place des communautés dans l'organisation collective) 52 . On peut distinguer ces groupes des associations à des fins diverses (le plus fréquemment dans un souci de solidarité socioprofessionnelle à partir du ne siècle), dans lesquels la pratique cultuelle scellait la cohésion du groupe sans en être à l'origine et qui étaient seulement mises sous la protection d'un dieu possiblement éponyme. Pour ces fidèles de « communautés religieuses », la dénomination la plus simple était: « ceux de l'association autour du dieu 53 (et du/des dirigeant(s) de la communauté) ». Telle est la formule employée dans son règlement par la structure collective (koinon, 1. 11) des dévots de Zeus hypsistos à Philadelphie (Égypte): vôµoc; ov s8E:vrn [xix}rœ xoivàv o[ È:x 'T'ijc; 'TOU 6.~àc; u~Îcr'Tou cruvô3ou (règlement qu'ont institué en commun ceux de l'association de Zeus hypsistos, 1. 4), ou bien celle des dévots de Pydna (Macédoine) qui s'appellent : o[ CJUVEÀ6Ôvn:c; 6pY)CJXEUW:l È:7tÎ 6zou Ô.~àc; U~ÎCJ'TOU (les fidèles réunis pour le dieu Zeus hypsistos) 54 . On retrouve une dénomination semblable dans les formulaires des associations bosphoréennes du dieu hypsistos: [~ cr]Ûvo3oc; ~ [rc:i::p]l 6i::àv u~~(J't"OV xixnJ [i::pÉ:ix XôcppMµov opyix[~iX]xo[u] ... (l'association rassemblée autour du dieu hypsistos et du prêtre Chophrasmos ... , Il. 2-3) 55 . Dans ce contexte, on pourrait d'ailleurs se demander dans quelle mesure le dieu lui-même n'était pas considéré comme le premier membre de l'association, du moins à Palmyre et en Égypte où il signait les invitations aux banquets communs 56 . La formulation employée pour les premières communautés chrétiennes dans les lettres de Paul :
49 Philon, In Flaccum 4. Certes, Philon, Legatio ad Gaium 312, stigmatise d'autant plus le relâchement des réunions des collèges païens que cela lui permet de louer davantage la qualité des réunions juives. 50 Voir P. VEYNE, «Inviter les dieux, sacrifier, banqueter. Quelques nuances de la religiosité gréco-romaine », dans Annales, Histoire, Sciences Sociales 55 (2000), p. 3-42 et J. SCHEID, « Manger avec les dieux. Partage sacrificiel et commensalité dans la Rome antique », dans Table ronde Sacrifice animal et offrande végétale dans les sociétés de la Méditerranée ancienne, Paris, juin 2001 (Brépols, à paraître). 51 La question a été moins débattue pour les communautés juives et chrétiennes. 52 C'est le projet principal de O.M. VAN NIJF, op. cit., Amsterdam, 1997. 53 Dont ils peuvent tirer leur nom, voir à Délos le thiase des Sarapiastes, !Délos 1417. 54 ~.I. MAKARONA, ((op. cit. »,dans MAKE1JONIKA 2 (1941-1952), p. 625 n° 55, li. 5-7. 55 A Tanaïs en 220 de notre ère, IOSP E II, n° 446 p. 263-266 = CIRE n 1278 p. 765-766. Voir M.-F. BASLEZ, op. cit., Paris, 1977, p. 208 pour la définition de thiase comme o17tspt Tàv
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Voir plus haut, n. 19.
Nicole Belayche ÈxxÀ't)cr[tX Èv 8zè;) nœrpl 57 , n'en est pas si éloignée, mise à part la relation originale des fidèles au Dieu, et rappelle la profonde appartenance des premiers chrétiens au monde de leur temps. En revanche, le terme d'ecclèsia (une réunion du peuple comme qahal en hébreu) n'est jamais utilisé dans les inscriptions religieuses païennes, sans doute à cause de sa dimension civique trop banalisée.
Les marqueurs des communautés religieuses Puisqu'on peut reconnaître des communautés à dominante plus directement religieuse dans le monde antique même païen, est-il possible d'en préciser les « marqueurs »? Dans ce monde organisé en ensembles inclus de communautés, la spécificité de la communauté religieuse se réduit-elle à une place particulière qu'y occupait le référent divin, ou bien cette place se conjuguait-elle avec d'autres caractéristiques propres à ces communautés? L'examen des divers groupements religieux analysés dans ce volume qui les met en situation de comparaison permet de lancer quelques réflexions sur les trois marqueurs le plus souvent, mais inégalement, repérés. Plutarque au ne siècle en avait eu l'intuition: « s'habiller de lin et raser ses cheveux ne fait pas le dévot d'Isis. Le vrai dévot est celui qui a reçu légitimement les rites liturgiques et ce qu'ils enseignent au sujet des dieux »58 . Les marqueurs rituels scandent l'entrée dans le groupe et le déroulement des réunions périodiques accompagnées d'un partage commensal. Il n'existe pas de communauté « religieuse » sans rituel d'entrée qui trace la ligne de démarcation entre les confrères (jratres, dcrno~'t)Tol &ozÀqiol crz~6µzvo~ 8zàv Ü~~crTov 59 ) et les autres. Le fait est surtout connu pour les communautés mystériques 60 , dont les initiations alimentèrent la polémique chrétienne du plagiat contre le paganisme61 . Il faut donc s'interroger sur la nature de ce rituel d'entrée. Avait-t-il une fonction religieuse (l'adoption par la divinité et l'entrée dans une providence réservée) qui justifierait l'appellation d'initiation, ou seulement sociale (l'adjonction au groupe par cooptation/adoption (dcrno~'t)Tol) par les frères) qui en ferait un rite d'agrégation? La seconde explication ne ramène pas pour autant sur le terrain de collegia indifférenciés. L'entrée dans la communauté civique romaine ne comportait pas de rituel au sens strict du terme, à la différence des cités grecques qui, comme Athènes ou Sparte, connaissaient l'éphébie ou la cryptie. L'inscription sur les registres du cens établissait juridiquement l'appartenance du citoyen au groupe et, en conséquence, sa qualité à agir religieusement dans la cité. L'opération n'était pas de nature rituelle, encore moins initiatique, même si Mars présidait aux opérations ainsi que nous le voyons sur le relief de Domitius Ahenobarbus conservé au musée du Louvre (Paris). Pour les collèges funéraires, pour autant qu'on le sache, le paiement de
57 W.O. McCREADY, « Ekklèsia and Voluntary Associations», dans J.S. KLOPPENBORG S.G. WILSON (ED.), Voluntary Associations in the Graeco-Roman World, Londres-New York, 1996, p. 60-61. 58 Plutarque, De Iside et Osiride 3 [352C]. 59 À Tanaïs en juillet 228, IOSP E Il, ri' 452 11. 5-6 = CIRE ri' 1283. 60 Voir par ex. l'initiation de Lucius, Apulée, Métamorphoses XI, 19. Voir W. BuRKERT, Les cultes à mystères dans !'Antiquité, Paris, 1992, p. 85-96. 61 Voir par exemple, Clément d'Alexandrie, Protreptique 2, 21, pour l'initiation éleusinienne.
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la cotisation était un sésame suffisant. Ce n'était pas non plus un rituel: « que ceux qui veulent cotiser tous les mois pour des funérailles, qu'ils se rassemblent dans ce collège », dit la loi du collège de Diane et Antinoüs à Lanuvium 62 • Le rituel d'entrée est donc non seulement le premier marqueur, mais aussi le marqueur indispensable des communautés religieuses. Son existence établit une nette différence entre des structures communautaires (publiques ou privées) de type civique et les communautés choisies que sont les communautés religieuses. Hélas ! la connaissance que nous avons de ces rituels d'entrée est minime car les sources en parlent peu, par suite entre autres de la consigne de silence dans les religions à mystères 63 . En revanche, parmi les rituels périodiques, le repas pris en commun en présence de la divinité ne joue pas un rôle discriminant aussi net. La pratique commensale était universelle dans tous les types d'associations et, dans des sociétés économiquement fragiles, elle pouvait même justifier des regroupements périodiques. À Délos, les Décadistes et les Énatistes se réunissaient aux décades ou le neuvième jour du mois pour célébrer un festin 64 . Le Digeste« interdit l'organisation d'associations, même aux soldats dans les camps. Mais les soldats les plus démunis sont autorisés à cotiser tous les mois à une caisse commune, à condition qu'ils ne se réunissent qu'une fois par mois, de peur que, sous ce prétexte, ils n'organisent une association illégale »65 . Néanmoins, en contexte religieux, le partage commensal, qui a son origine dans le sacrifice, peut servir de marqueur communautaire et même identitaire comme chez les chrétiens 66 . Les marqueurs conceptuels témoignent du partage de conceptions communes sur le monde et le/les D/dieu(x) autour Duquel/desquels se retrouvent les membres. Une communauté religieuse devait avoir un corpus - même minimal - de conceptions communes, ne serait-ce que le fait d'honorer tel dieu ou de suivre l'enseignement de tel maître. En monde païen, cette « croyance » s'exprime par les rites qui reflètent une théologie 67 et en monde monothéiste, cette « croyance » n'était pas nécessairement dogmatique comme on le constate dans les Épitres de Paul. La différence avec les associations de type professionnel par exemple était qu'aucune caractéristique sociale n'était requise des membres. À titre d'exemple, les judéochrétiens du rer siècle se distinguaient des autres groupes juifs par leur croyance en la messianité de Jésus 68 . Mais, les Romains ne les désignèrent pas comme des collegia ; dans sa célèbre lettre, Pline en parle comme d'individus, certes nombreux
Elle donne un extrait du sénatus-consulte autorisant sa création, CIL XIV, 2112 = ILS = J.-P. WALTZING, op. cit., Louvain, 1899-1900, n° 2311. Voir 0.M. VAN NuF, op. cit., Amsterdam, 1997, p. 31-68. 63 Voir Hérodote, Histoires II, 171 et Pausanias, Périégèse I, 38, 7. 64 IG XI 4, 1227. Voir M.-F. BASLEZ, op. cit., Paris, 1977, p. 197. 65 Digeste 47, 22, 1 (début IIIe). Voir A. GOLDSWORTHY- I. HAYNES (Ed.), The Roman Army as a Community, Portsmouth, 1999. 66 Voir N. BELAYCHE, «La polémique pagano-chrétienne autour du repas rituel», dans Archiv für Religionsgeschichte (à paraître). 67 Voir M. LINDER- J. SCHEID, «Quand croire c'est faire. Le problème de la croyance dans la Rome ancienne», dans Archives de Sciences sociales des Religions 81 (1993), p. 47-62. 68 D. MARGUERAT, «Juifs et chrétiens: la séparation», dans J.-M. MAYEUR - C. & L. PIETRI - A. VAUCHEZ - M. VÉNARD (Ed.), Histoire du christianisme, t. I. Le Nouveau Peuple (des origines à 250), Paris, 2001, p. 189-215. 62
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Nicole Belayche (multi, turba), réunis dans des activités communautaires (les repas) qui furent supprimées conformément à l'interdiction trajanienne des hetaerias69 . Les marqueurs comportementaux objectivisent l'adhésion à des principes de vie communs (par exemple sexuels ou de pureté). Ce peut être le port d'un vêtement ou d'un attribut distinctif de la place dans la communauté 70 . Si, dans les communautés civiques, la qualité citoyenne implique aussi dans le cadre public un minimum de règles (entre autres vestimentaires 71 ), l'entrée dans une communauté religieuse installe le dévot dans un nouveau statut par rapport à elle. Le règlement de l'association peut stipuler les comportements attendus, comme l'obéissance et la discipline à Philadelphie: « qu'il ne soit permis à aucun d'entre eux de faire alliance pour prendre la direction ... , ni .de bavarder ni de dénoncer ni d'accuser quelqu'un ... »72 • Le membre est tenu par les règles propres à chacun des systèmes religieux, qui ne se limitent pas aux moments communautaires dans les communautés monothéistes où existaient aussi des règles de vie individuelle. Cela pose le problème de la relation entre l'individu et la communauté, auquel des philosophes comme Sénèque ont réfléchi, et de l'articulation entre les diverses appartenances communautaires. Après la constitution antonine de 212, l'État romain a tranché violemment la question par des opérations d'expulsions ou de persécutions religieuses, quand il a de fait édicté que l'appartenance à la communauté nationale romaine - donc la participation à ses rituels civiques - était primordiale, alors que Paul avait commandé : « vous ne pouvez partager la table du Seigneur et la table des démons »73 . Les marqueurs hiérarchiques (un chef/prêtre/maître) ne sont pas spécifiques s'il s'agit de responsables administratifs des communautés ou de patrons bienfaiteurs. En revanche, la divinité fédératrice, qui est parfois simplement désignée comme « le dieu le plus haut » (sous-entendu pour la communauté) et surtout des figures mythiques ou théologiques (prophète, apôtre, messie, martyr, saint) sont constitutives d'identité pour certaines communautés religieuses. Dans ces cas, la tradition conservée de cette figure et le respect d'une succession/diadochè entrent dans la définition communautaire et créent un modèle, comme dans les écoles philosophiques, que les autorités regardaient d'un œil soupçonneux. Pourtant, dans un même système religieux, l'uniformité ne dépend pas nécessairement d'une autorité centrale; témoins les conventicules mithriaques qui étaient à la fois atomisés et organisés aux plans rituel, hiérarchique et conceptuel sur des bases similaires, au vu de leurs lieux de culte et des représentations iconographiques (et en l'absence à peu près totale de documents littéraires).
Pline, Lettres 10, 96, en particulier 9, 10 et 7. Voir les masques de lion ou de corbeau sur les représentations de banquets mithriaques, M.J. VERMASEREN, Corpus Inscriptionum et Monumentorum Religionis Mithriacae, t. II, La Haye, 1956-1960, fig. 491 (Konjica, Dalmatie). 71 Valère Maxime, Faits et dits mémorables VII, 3, 8, s'indigne qu'un magistrat du peuple romain ait dû entrer dans Rome« caché sous l'habit d'un sacerdoce étranger [isiaque] (alienigenae religionis obscuratum insignibus) ».Voir S. STONE,« The Toga: From National to Ceremonial Costume », dans J.L. SEBESTA - M. BoNFANTE (Ed.), The World of the Roman Costume, University of Wisconsin Press, 1994, p. 13-45. 72 A.D. NocK- C. ROBERTS-T.C. SKEAT, «op. cit. »,dans Harvard Theological Review 29, 1936, p. 42, IL 13-18. 73 1 Co 10, 21, voir aussi 1 Co 8, 10. 69
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Enfin, le marqueur social (un statut socio-juridique commun 74 , une contribution matérielle à la communauté pouvant aller jusqu'au partage des biens dans le « communisme » judéo-chrétien) semble peu caractéristique des communautés religieuses, aussi peu que l'élément topographique (un lieu de réunion), même s'il est le plus manifeste. Comme dans toute communauté, la schola, statio, etc., a avant tout une fonction pratique, et toutes les communautés devaient y avoir une chapelle au moins 75 . Des maisons privées (domus) ont d'abord servi de lieu de réunion pour les communautés juives et chrétiennes et, théologiquement, la première église a pu être présentée comme n'ayant pas de lieu physique puisqu'elle était le corps des fidèles en Christ. Pourtant, une installation communautaire originale, dans un espace choisi, pouvait exprimer architecturalement les conceptions religieuses de la communauté, comme dans les mithraea, ou bien au contraire refléter l'hostilité rencontrée par certaines communautés comme les Manichéens d'Égypte. Cette situation pouvait conduire les membres jusqu'à un isolement qui s'approcherait de la définition moderne de «communauté religieuse »76 .
74 Mais les sénateurs qui banquètent devant Jupiter lors de l'epulum lavis ne constituent pas une « communauté » nouvelle, plutôt une réunion ponctuelle qui se diluera dès que le jeu politique fera réapparaître les différences de statut dans la hiérarchie sénatoriale. 75 Pour les Posidoniastes de Délos, voir P. BRUNEAU, op. cit., Paris, 1970, p. 623-625. 76 Pour ces critères dans le monde juif de la fin du Second Temple, voir A.I. BAUMGARTEN, « op. cit. », dans M. GOODMAN (Ed.), Jews in a Graeco-Roman World., Oxford, 1998, p. 93111, qui reprend A.I. BAUMGARTEN, The Flourishing of Jewish Sects in the Maccabean Era: An Interpretation, Leyde, 1997.
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COMMENT DÉSIGNE-T-ON UNE COMMUNAUTÉ DANS LE MONDE JUIF AU JER SIÈCLE DE NOTRE ÈRE?
Simon C. MIMOUNI École pratique des Hautes études - Section des sciences religieuses
La société gréco-romaine fonctionnant largement sur le modèle communautaire/ associatif, on doit se demander si, à partir de la terminologie, il est possible d'isoler un type de communauté spécifiquement religieuse ou si, à partir d'autres critères, il n'est pas nécessaire de faire intervenir des paramètres de type civique, ethnique ou sociologique. La question de la terminologie, comme celle de la définition, pourrait en tout cas permettre la mise en évidence d'une dichotomie entre « communautés » constituées en rapport avec une structure civique/politique et « communautés » constituées en marge de cette structure. Que ce soit en hébreu ou en grec, quand on veut désigner une communauté dans le monde juif au Ier siècle de notre ère, on se trouve en présence d'une terminologie extrêmement diversifiée, du fait qu'elle varie non seulement d'une époque à une autre mais aussi d'un lieu à un autre - sans compter, bien entendu, les implications théologiques de tel ou tel terme. Les remarques qui suivent vont porter sur les termes les plus courants que l'on rencontre dans la littérature biblique de langue hébraïque ou de langue grecque elles aideront à comprendre quelque peu la terminologie reprise plus tard dans le mouvement chrétien. Dans un excursus final, on donnera également quelques éléments de réflexions sur le concept de « communauté » dans le mouvement pharisien. Sans reprendre toutes les données documentaires que l'on trouvera dans les articles des dictionnaires spécialisés', disons que les termes grecs x.oivwvlcx ou Èx.x.Àr,cricx, bien attestés en grec classique, ont été repris pour traduire les racines hébraïques suivantes : i:m dans le premier cas ; ?iîp dans le second cas - l'une et l'autre ayant le sens général de « s'associer », « s'assembler », dont les substantifs i:m et ?iîp signifient « association » ou « assemblée ». Attardons-nous un instant sur le terme Èx.x.À"l]cr[cx, qui se trouve pas moins de 80 fois dans la LXX, dont 8 fois en Deutéronome. Le grec Èx.x.ÀYJcr[cx traduit donc l'hébreu ?iîp ( = assemblée) dans tous les cas, excepté dans 1 S 19, 20, où il traduit ilj;>il? ( = troupe).
1 Pour une approche plutôt lexicologique, voir F. HAUCK, Art.« xmvwvlix »dans Theological Dictionary of the New Testament III (1965), p. 789-809 et K.L. SCHMIDT, Art. « È:xXÀYJcrlix »,dans Theological Dictionary of the New Testament III (1965), p. 501-536. Pour une approche plutôt théologique, voir H.J. SrnBEN-J.M. McDERMOTT-M. MANZANERA - H. BACHT - J.-M. TILLARD, Art. « Koinonia », dans Dictionnaire de Spiritualité 8/2 (1874), col. 1743-1769 et P. TENA-R. BRUNET-M. JOURJON-J. PARAMELLE, Art.« Église», dans Dictionnaire de Spiritualité 4/l (1961), col. 370-414.
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Comment désigne-t-on une communauté dans le monde juif? Il n'est toutefois pas seul à traduire 7i1p, on trouve aussi le grec cruvocywy~ et quelques autres termes, rarement utilisés dans la LXX et dans un emploi similaire. Cependant, le terme cruvocywy~ n'a pas dans la LXX une signification aussi exclusive que le mot È:xx.À'YJcrÎoc : il peut, en effet, traduire jusqu'à 15 racines hébraïques différentes. Il est certes utilisé 35 fois pour traduire l'hébreu 7i1p, mais il est pourtant employé de préférence pour traduire l'hébreu i11Y. Il convient par ailleurs de souligner que, dans les quatre premiers livres du Pentateuque, le grec cruvocywy~ - à l'exclusion du grec È:xx.À'Y)crÎoc - est utilisé 23 fois pour traduire l'hébreu 7i1p et 92 fois pour traduire l'hébreu i11Y. Bien que parfois, dans la traduction de 7i1p et même de i11Y, le sens de cruvocywy~ se rapproche fort sensiblement de celui d'È:xx.À'Y)crÎoc, il est néanmoins beaucoup plus large et, surtout, dans les textes plus ou moins tardifs incorporés à la Bible, il est appliqué à n'importe quelles réunions de groupes religieux et même de groupes antireligieux. D'après E. Schürer, il semblerait que, dans le judaïsme du Second Temple des époques hasmonéenne et hérodienne, on puisse établir une différence dans l'emploi des deux termes qui correspondraient à deux notions différentes, en ce sens que cruvocywy~ désignerait plutôt la communauté dans sa réalité empirique et È:xxÀ'Y)crÎoc plutôt la communauté dans sa signification idéale 2 . La manière dont est introduit le mot È:xx.À'Y)crÎoc dans le Deutéronome est intéressante à relever. Jusqu'à trois fois, on rencontre l'expression «Jour de l'Assemblée » sur les lèvres de Moïse qui se rappelle le jour où Dieu lui a ordonné de convoquer le peuple en assemblée pour la célébration solennelle de !'Alliance (Dt 4, 10; 9, 10; 18, 16). Dans d'autres textes, le mot È:xxÀ'Y)crÎoc apparaît avec le déterminatif xupîou (Dt 23, 1-8) ou 'fopoc~À (Dt 31, 30). Il convient de souligner que Luc, en Ac 7, 38, dans le discours d'Étienne, utilise le mot È:x.XÀ'Y)cr[oc pour indiquer 1'« Assemblée du Sinaï». Dans le langage deutéronomique, le jour où Israël reçoit la Loi est le« Jour de l'è:xx.À'YJO"Îoc » (cf. Dt 4, 10 - expression absente dans le TM). Il semble par conséquent que, dans le Deutéronome, l'application du grec È:xx.À'Y)crÎoc à l'hébreu 7i1p suive une ligne strictement théologique et liturgique. En effet, l'idée que le terme évoque est celle d'une assemblée du peuple de Dieu ou celle d'une assemblée du peuple considéré comme une communauté cultuelle. Dans les Actes des Apôtres, le terme xotvwvîoc paraît évoquer en premier lieu la façon dont les chrétiens mettent leurs biens en commun; elle semble cependant ne pas se limiter à la communauté des biens matériels, mais impliquer une communauté de biens spirituels 3 . Sans entrer plus en détail, au regard des divers emplois chrétiens au Ier siècle, il convient seulement de constater que les chrétiens ont préféré utiliser le grec È:x.XÀ'Y)crÎoc plutôt que le grec x.otvwv[oc. On peut se demander sur quoi repose une telle préférence. Il se pourrait que ce soit tout simplement à cause des substrats hébraïques de ces deux termes et de leurs emplois.
2 Voir E. SCHÜRER, The History of the Jewish People in the Age of Jesus Christ ( 175 B.C.A.D. 135), Vol. II, Edimbourg, 1979, p. 427-433. 3 Dans les Actes des Apôtres, les termes ocyocn&w et ocyamJ ne sont pas employés, à l'exception d'une fois ocyocnrrr6ç en Ac 15, 25.
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Simon C. Mimouni
Le grec x.otvwvlix correspond à l'hébreu i:m, alors que le grec Èxx.À'Y)criix correspond à l'hébreu 7i1p. Or, l'on sait que le substantif ilii::m a été utilisé par les pharisiens, tout au long du rr siècle de notre ère, pour désigner leurs communautés, leurs confréries. On peut de ce fait penser que les chrétiens, eux, ont préféré le grec ÈxXÀ'Y)criix en correspondance avec l'hébreu 7i1p - terme par ailleurs très marqué d'un point de vue prophétique, comme on peut le voir dans l'utilisation qui en est faite notamment dans le Deutéronome. D'autre part, comme on l'a déjà précisé, le grec cruvixywy~, en Diaspora, a dû désigner d'abord le bâtiment avant de renvoyer à la communauté. Plus tard, cruvixywy~ correspondra à Èxx.À'Y)criix, l'un dans le judaïsme, l'autre dans le christianisme (avec une ou deux exceptions) - sans doute n'est-ce là que l'effet d'une distinction terminologique dans un but de distinction religieuse; pour les chrétiens elle est le produit d'une interprétation du Deutéronome selon la LXX. En d'autres termes, à la fin du ne siècle, il peut être considéré comme certain que la cruvixywy~ représente pour un juif ce que l'Èxx.À'Y)criix est pour un chrétien4 . Il est certain qu'en se revendiquant l'è:xx.À1Jcrlix de Dieu, la 7i1p de Dieu, les chrétiens se veulent être dorénavant l'« Israël de Dieu» - selon l'expression de Ga 6, 16. C'est-à-dire, les « appelés », les x.À~Tot (l'Èxx.À1Jcrlix constituant l'ensemble des x.À~Tot) - ce qui correspond à l'étymologie de 7i1p, qui dérive du substantif 7ip ( = la voix) 5 . Les pharisiens ne se comporteront d'ailleurs pas autrement en se proclamant comme les représentants uniques de la nation juive. Pour clore ces quelques trop brèves réflexions, on peut faire remarquer qu'une communauté n'a pas simplement une connotation matérielle, elle a aussi et surtout une connotation spirituelle. Raison pour laquelle le choix des termes revêt une grande importance : il est déterminé d'un point de vue théologique. On peut dire, par exemple, que si les chrétiens ont choisi ÈxXÀ1Jcrlix plutôt que x.otvwvlix afin de désigner leurs communautés, c'est sans doute pour positionner le Messie Jésus dans la lignée du Prophète Moïse, sans doute aussi, dans une perspective théologique évidente, pour la dépasser ! En guise de conclusion, on doit se demander s'il est légitime de désigner un groupe religieux par l'expression « communauté religieuse » quels que soient les termes utilisés dans !'Antiquité gréco-romaine. À cela une réponse positive semble pouvoir s'imposer : simplement parce que le monde gréco-romain, y compris la composante juive, est fondamentalement « communautaire » dans toutes ses formes sociétales et, bien entendu, y compris dans ses aspects religieux.
4 Il convient de savoir que nci:i et :'l'Cl:i ( = réunion ou assemblée) ne se trouvent pas dans la Bible, mais dans la Mishnah, même si la racine ci:i ( = ramasser ou assembler) se rencontre dans quelques textes. 5 Il semblerait que cette étymologie repose sur une histoire sémantique que l'on peut résumer ainsi : parler ---> appeler ---> convoquer ---> assembler. À ce sujet, voir J. BARR, Sémantique du langage biblique, Paris, 1971, p. 144-155.
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Comment désigne-t-on une communauté dans le monde juif?
Excursus: Réflexions sur le concept de« communauté» (;m::in) dans le mouvement pharisien. Ces réflexions vont porler sur la composition des communautés pharisiennes de Jérusalem et de Palestine et leur situation dans le cadre de la société juive du ier siècle. Il faut d'emblée souligner que ces communautés, ces mïi::in6 , constituent des groupes fermés. Les membres, les O'i:Jn, des communautés pharisiennes sont des personnes dont le but est de vivre selon des ordonnances religieuses particulières, c'est-à-dire en suivant des prescriptions très strictes en matière de dîme et pureté - voir par exemple, les règles qui sont édictées en M Dema'i II, 3, où il est ordonné à celui qui veut être ï::in de ne pas avoir de contact avec tout fi~it Cl.' afin de ne pas contracter d'impureté rituelle. On considère que le témoignage le plus ancien concernant les pharisiens, remontant au ne siècle avant notre ère, les montre comme un groupe organisé. À condition d'accepter qu'ils soient les descendants des assidéens dont il est question dans le Livre 1 des Macchabées. En 1 M 2, 42, il est fait mention, en effet, d'une « association d'assidéens (cruvix.ywy~ 'ix.maix.lwv), hommes valeureux d'entre Israël et tout ce qu'il y avait de dévoué à la Loi >>7. Au I°r siècle de notre ère, il semble qu'il y ait eu à Jérusalem plusieurs communautés pharisiennes. Dans les textes rabbiniques, il est question de « la sainte communauté de Jérusalem », ou tout simplement de « la sainte communauté » - cette expression est à mettre en relation avec le nom de la communauté chrétienne de Jérusalem, qui est appelée « les saints » dans les Épîtres de Paul de Tarse. Après bien des hésitations et des discussions qu'il serait trop long de reprendre ici, les chercheurs ont tendance à considérer actuellement que « la sainte communauté de Jérusalem » a été une confrérie pharisienne de la Ville Sainte au ier siècle de notre ère. Il convient tout d'abord de préciser qu'en T Megillah IV, 15, il est rapporté le passage suivant: « R. Éléazar ben Sadoq a dit : "Voici la coutume des communautés qui étaient à Jérusalem (o7wiï':J11J mïi::in): les uns [parmi les membres des communautés] allaient à un repas de fiançailles, les autres à un repas de noces, d'autres à une fête de circoncision, d'autres au rassemblement des ossements [en vue de la sépulture définitive] - les uns allaient à un repas joyeux, les autres à une maison mortuaire"».
6 Il est difficile de donner une traduction précise du terme hébreu ;m::in, qui correspond au français « communauté », mais que l'on peut rendre aussi par « association» ou «confrérie ». 7 On a de plus en plus tendance à penser que les pharisiens ne sont pas les descendants directs des assidéens du temps de l'insurrection macchabéenne, mais qu'ils sont issus des conflits politico-religieux qui ont éclaté lors du règne d'Alexandre Jannée.
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Simon C. Mimouni Cette donnée renvoie indéniablement à l'époque qui est antérieure la destruction du Temple de Jérusalem. On s'est demandé avec beaucoup d'acribie de quelle nature ont été ces communautés de la Ville Sainte8 . D'autant qu'à plusieurs reprises dans la littérature rabbinique 9 , on rencontre à partir du ne siècle de notre ère, mais sous le nom de 1•31 1:m, des associations (vocalisation hèber) ou des membres (vocalisation haber), d'intérêt public qui, en certains endroits de Terre Sainte, se font un devoir de se consacrer aux œuvres charitables de toute sorte, entre autres à celles qui sont indiquées dans le texte de la Tosephta dont il vient d'être question, et d'observer les prescriptions liturgiques en toute pureté rituelle. Les communautés de Jérusalem dont parle ce texte de la Tosephta sont incontestablement liées à ces associations de bienfaisance : elles semblent représenter la plus ancienne organisation de cette sorte dont parlent les sources. Il se peut même que ce texte de la Tosephta parle, lui aussi, des associations charitables privées qui ont dû exister à Jérusalem. Toutefois, on peut se demander si les choses sont aussi simples. Il faut d'abord remarquer que ce texte de la Tosephta, précisément, n'emploie pas l'expression 1:m 1'31, mais le terme ;m:m qui, outre les associations et confréries d'autre nature, désigne également les communautés pharisiennes. De plus, il convient de souligner que les pharisiens attachent précisément une grande importance aux bonnes oeuvres et à leur accomplissement lié à l'idée de mérite. Dans un écrit palestinien des premières décennies du Ier siècle de notre ère conservé en grec, le Testament de Moïse ou Assomption de Moïse, il est reproché à certaines personnes, sans doute des pharisiens, d'être des gens qui « à toute heure du jour (sont) épris de banquets (et) avides du gosier» et qui aiment à dire: «nous aurons des festins et surabondance dans le manger et le boire, et nous nous prendrons pour des princes » - il est même rapporté d'eux: « alors qu'ils ont en main et en esprit des choses impures, leur bouche dira de grandes choses, allant jusqu'à dire: "Ne [me) touche pas pour ne pas me souiller dans la situation qui est (la mienne)" » 10 . En M Bekhorot V, 5, on précise que les « Fils de la Synagogue » (nol:Jil •J:i) se font un devoir d'observer les règles liturgiques et de participer aux cérémonies funèbres - il s'agit donc d'une organisation semblable aux associations charitables citées en Tosephta. En M Zabim III, 2, il est supposé que ces associations synagogales suivent les prescriptions pharisiennes de pureté pour la préparation des aliments. Ces témoignages, surtout le dernier, prouvent à l'évidence un lien entre les pharisiens et des associations d'intérêt public qui pourvoyaient aux besoins des communautés synagogales. À Jérusalem, l'existence d'associations charitables, d'intérêt commun mais de caractère purement privé, n'est jamais prouvée, du moins pour le I"' siècle. Toute la documentation disponible oblige donc à conclure que les nm:in dont parle le
8 Voir l'étude très fouillée de P. HACOHEN PELI, «The Havurot That Were in Jerusalem », dans Hebrew Union College Annual 55 (1984), p. 55-74. 9 Voir M Berakhot IV, 7; TB Rosh ha-Shanah 34b; TB Megillah 34b. 10 Voir Testament de Moïse VII, 4.8.10.
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Comment désigne-t-on une communauté dans le monde juif?
texte de T Megillah IV, 15 sont à mettre en relation avec les communautés pharisiennes, à supposer qu'elles ne leur soient pas absolument identiques. Les rites d'initiation pour l'entrée dans les communautés pharisiennes 11
Les communautés pharisiennes de Jérusalem et sans doute de Palestine ont eu des règles précises pour l'admission de leurs membres. Les pharisiens, à l'égal des chrétiens ou des esséniens, ont disposé d'un rite d'entrée dans leur mouvement 12 - le problème est que celui-ci est relativement mal documenté, car il est sans doute devenu à partir de la fin du 1er siècle de notre ère le rite d'entrée non plus dans le pharisaïsme mais dans le judaïsme, ce dernier voulant alors se confondre avec le premier. On sait qu'avant l'admission du candidat, celui-ci a été astreint à une période de probation d'un mois ou d'un an, au cours de laquelle il a dû faire preuve de son aptitude à suivre les prescriptions rituelles. En T Dema'i Il, 12, il est rapporté une discussion entre Beth Hillel et Beth Shamaï au sujet de la durée du temps de probation du candidat : « Au bout de combien de temps [de probation] l'accepte-t-on [le candidat]? Les Shamaïtes exigeaient trente jours pour les liquides [il s'agit des sept liquides rendant capable d'impureté : rosée, eau, vin, huile, sang, lait, miel - lorsque les aliments solides ou secs entrent en contact avec quelque chose d'impur, ils ne deviennent impurs que s'ils ont été mouillés auparavant par l'un de ces sept liquides. Le candidat doit prouver qu'il a fait attention à ces règles et les a observées, et qu'il a tenu ces sept liquides éloignés de ses fruits et légumes et autres aliments secs, et douze mois pour le vêtement [les vêtements deviennent impurs par pression ou contact de la part de quelqu'un étant lévitiquement impur, ce que les pharisiens cherchent à éviter]. Mais les Hillélites se contentaient pour les deux [preuves] de trente jours ».
Une fois la période de probation terminée, de treize mois selon l'École de Shamaï ou d'un mois selon !'École d'Hillel, le candidat s'engage à observer les règlements de la communauté. Cet engagement a lieu soit devant un membre de la communauté qui doit avoir la fonction de scribe 13 , soit devant trois membres sans plus de précision 14 . On peut considérer que la réception par une seule personne est plus ancienne que celle par
11 Certains des éléments dont il va être question ici se retrouvent dans notre article « Le rituel d'adhésion (le Baptême) dans les communautés chrétiennes du Ier siècle: recherche sur les origines», voir p. 165-196. 12 Au sujet du rite d'entrée dans le mouvement pharisien et dans le mouvement essénien, cf. en premier lieu C. RABIN,':J!J insistent sur le caractère éminemment religieux de la purification, notamment sur sa spiritualité, et cela que ce soit pour l'homme ou pour la femme, voire pour la vaisselle destinée à la nourriture casher41 . Comme le dit fort bien P. Hidiroglou, « toute la littérature rabbinique et de nombreuses exégèses philosophiques ont contribué à donner à l'eau ainsi qu'à cette immersion purificatrice des significations symboliques »42 . Ce même critique les définit ainsi: « Le fidèle s'engloutit dans l'eau comme dans la mort, il s'abandonne pour renaître à la vie, dans la tension d'un acte consacré à Dieu. En référence aux premiers récits de la Genèse, l'imaginaire juif voit dans le fleuve d'Éden et dans sa division en quatre bras l'origine de toute eau pure sur la terre. Celui qui se purifie donc dans ce "rassemblement d'eau" que constitue le miqweh se régénère: il retrouve le temps de l'immersion le statut d'Adam avant la chute, l'eau faisant le lien entre la matérialité et la spiritualité et établissant l'archétype de la purification eschatologique et messianique »43 .
Ainsi, dans certaines communautés juives d'Europe centrale et orientale se revendiquant du hassidisme, jusqu'à la seconde guerre mondiale, les hommes se sont rendus régulièrement au miqweh le vendredi pour se purifier avant le sabbat et la veille des principales fêtes marquées par un jeûne ou un repentir (Pourim, Rosh ha-Shanah, Yom Kippour, Tish'a-be-Av) ou pour celles qui évoquent une purification particulière (Pessah). 40 Voir P. HIDIROGLOU, Les rites de naissance dans le judaïsme, Paris, 1997, p. 234. 41 Il est nécessaire, dans le judaïsme ancien comme dans le judaïsme postérieur, de purifier les objets - notamment la vaisselle - en les immergeant dans une eau courante. 42 Voir P. HmIROGLOU, op. cit., Paris, 1997, p. 236. 43 Voir P. HmIROGLOU, op. cit., Paris, 1997, p. 236. 39
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Simon C. Mimouni On trouve un excellent aperçu des différentes problématiques relatives à la i17':JlJ dans l'ouvrage de P. Hidiroglou44 . Pour ses différentes interprétations, on peut se reporter à l'ouvrage de A. Kaplan, qui fait actuellement autorité - dit-on - dans les milieux orthodoxes américains, français et israéliens 45 .
1. La date du rite du bain de conversion des prosélytes La question de la date du rite du bain de conversion des prosélytes a été très discutée. Elle est fondamentale lorsque l'on cherche à préciser les rapports du bain de conversion des prosélytes avec le baptême chrétien qui, lui, remonte aux années 30 - raison pour laquelle elle a été abondamment traitée par les critiques 46 . Il est nécessaire de faire intervenir en la matière principalement deux témoignages rabbiniques. - Le premier est un passage recueilli dans la Mishnah, en Pesahim VIII, 8 : « Celui qui est frappé d'un deuil, se baigne ('rn~) et mange sa pâque au soir, mais ne prend pas de nourriture sacrée. Celui qui reçoit l'annonce du décès d'un parent ou qui a fait rassembler les os d'un défunt se baigne (?:iu) et mange la pâque et les aliments sacrés. Quant au prosélyte (il) qui devient prosélyte (ï"ll'1'1) au soir de pâque: l'école de Shamài dit: qu'il se baigne (7:iu) et mange sa pâque au soir; l'école de Hillel dit: le circoncis est comme celui qui revient d'une tombe [c'est-àdire est impur jusqu'au huitième jour] »47 .
Dans ce passage difficile, il est rapporté que si une personne s'est convertie la veille de la fête de Pâque, l'école de Shamai estime qu'il est désormais prosélyte et qu'il peut par conséquent participer au repas pascal le soir, tandis que l'école de Hillel juge qu'il ne peut participer au repas pascal le soir puisque l'immersion ne peut intervenir que plus tard (le troisième et le septième jour, selon Nb 19, 18-19)48 . La position de l'école de Shamài est difficile à apprécier: elle semble entendre soit que le prosélyte en question est circoncis depuis un certain temps, sinon il ne pourrait pas se baigner, soit qu'il n'a pas été circoncis et que l'immersion seule permet de conclure son passage au judàisme. Dans le premier cas, il s'agirait d'un
44 P. HIDIROGLOU, L'eau divine et sa symbolique. Essai d'anthropologie religieuse, Paris, 1994, p. 17-76. 45 A. KAPLAN, Waters of Eden. The Mystery of the Miqvah, Jérusalem, 1976 ( = Les Eaux d'Éden. Le mystère du Miqwé, Jérusalem, 1990). 46 D'une manière générale, il convient de distinguer entre la datation des textes qui, elle, est plus ou moins assurée et celle des rituels qui ne l'est guère. G. PoLSTER, « op. cit. », dans Ange/os 2 (1926), p. 20, n. 1, par exemple, considère que le rituel rapporté en Gerim I, 1-5 date du ne siècle, même si le texte de cette époque, recueilli plus tard dans ce traité, semble refléter une législation en train de se codifier. 47 M Eduyyot V, 2 rapporte un passage similaire, qui est repris aussi dans T Pesahim VII, 13. Par ailleurs, M Pesahim VIII, 8 est repris et commenté dans TB Pesahim 92a et dans TJ Pesahim VIII, 36b, 31. 48 Au sujet de ce passage, voir S.J.D. COHEN, « Is 'Proselyte Baptism' Mentionned in the Mishnah. The Interpretation of M. Pesahim 8, 8 ( = M. Eduyot 5, 2) »,dans J.C. REEVES - J. KAMPEN (Éd.), Pursuing the Text. Studies in Honor of Ben Zion Wacholder on the Occasion of his Seventieth Birthday, Sheffield, 1994, p. 278-292.
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Le rituel d'adhesion (le baptême) dans les communautés chrétiennes juif alors que dans le second, il serait question d'un païen à qui on ne demanderait que l'immersion et non pas la circoncision. À cause des deux grands maîtres qui y sont cités, Shamai et Hillel, ce passage a été considéré comme le premier témoignage, dans la littérature rabbinique, en faveur du rite de l'immersion des prosélytes - estimant alors qu'il remonte à la toute fin du 1er siècle avant notre ère, c'est du moins l'avis de nombreux critiques 49 • De fait, il convient de relever que ce sont les écoles descendant de ces maîtres qui sont mentionnées dans ce passage et non pas les maîtres eux-mêmes - autrement dit, dans le meilleur des cas, il est difficile de le faire remonter au-delà de la seconde moitié du Ier siècle de notre ère 50 . - Le second est une baraïta incorporée dans le Talmud de Babylone, en TB Yebamot 46a: « D'un prosélyte (il) qui est circoncis et n'a pas pris de bain (i1~':m), R. Éliézer ben Hyrkanos dit : celui-ci est un prosélyte, car nous lisons que nos pères ont été circoncis, mais n'ont pas pris le bain. D'un prosélyte qui a pris le bain et n'a pas été circoncis, R. Y oshua ben Hanania dit : celui-ci est un prosélyte, car nos mères, nous le lisons, ont pris un bain mais ne sont pas circoncises. En revanche, les sages de leur temps disent: s'il a pris le bain sans la circoncision ou l'inverse, il n'est pas prosélyte, et ne le sera qu'au moment où il aura reçu l'un et l'autre »51 •
Dans ce passage est relatée une controverse entre R. Éliézer ben Hyrkanos et R. Y oshua ben Hanania (deux sages de la fin du Ier siècle, morts sans doute avant 135), dans laquelle il est question des rites d'admission des prosélytes dans le judaïsme. À première lecture, il ressort que R. Éliézer ben Hyrkanos considère qu'un prosélyte doit être circoncis mais ne doit pas prendre le bain alors que R. Yoshua ben Hanania pense qu'il doit prendre le bain mais ne doit pas être circoncis 52 ; les sages, quant à eux, dans leur majorité, préfèrent opter pour les deux rites, plutôt que pour un seul des deux - ce qui revient à dire que l'opinion de R. Y oshua ben Hanania comme celle de R. Éliézer ben Hyrkanos sont minoritaires, puisque la cir-
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Voir par exemple J. JEREMIAS, op. cit., Le Puy-Lyon, 1967, p. 36-37. Pour un commentaire plus développé, voir les éléments mentionnés dans J. THOMAS, op. cit., Gembloux, 1935, p. 358-359, n. 2. 51 Voir aussi TJ Qiddushin III, 64d, 20 et TB Yebamot 71a, qui rapportent un passage similaire. 52 C'est aussi ainsi que ce texte est compris par E. WILL - C. ÜRRIEUX, op. cit., Paris, 1992, p. 163 - même s'il peut paraître paradoxal de ne pas exiger la circoncision lors d'une adhésion au judaïsme. Certains critiques, comme par exemple E.M. SMALLWOOD, The Jews under Roman Rule. From Pompey to Diocletian, Leyde, 1976, p. 430, tentent d'expliquer cette absence d'exigence par les circonstances du moment, c'est-à-dire par l'interdiction de la circoncision édictée en 135 par Hadrien - auquel cas, il faudrait considérer que ce passage est antidaté, hypothèse qui n'est pas nécessairement à exclure. À ce sujet, voir E. WILL - C. ÛRRIEUX, op. cit., Paris, 1992, p. 164, qui refusent cette explication. Cependant, d'autres critiques ont tendance à penser que dans des milieux juifs du Ier siècle de notre ère, en Diaspora romaine essentiellement, pour adhérer au judaïsme, il ne semble pas avoir été de coutume d'exiger nécessairement des païens la circoncision. À ce sujet, voir plus bas. 50
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concision et l'immersion sont l'une et l'autre nécessaires pour valider la conversion d'un prosélyte53 . De cette controverse, on peut déjà déduire que le bain de conversion des prosélytes paraît fermement attesté en milieu pharisien vers la fin du rer siècle, même s'il est discuté - ce qui est aussi confirmé d'ailleurs, mais dans un tout autre contexte, par le passage d'Épictète. Le verset biblique, qui est en discussion entre ces deux sages pour justifier le rite d'immersion des prosélytes, est sans doute celui de Ex 24, 8 - il est d'ailleurs utilisé aussi dans deux autres textes rabbiniques, TB Yebamot 46b et TB Keritot 9a, concernant le même sujet. Une interprétation de l'immersion de la génération du désert avant l'Alliance du Sinaï, fondée sur Ex 24, 8, a été, en effet, avancée par les pharisiens pour fournir une justification scripturaire au rite de l'immersion des prosélytes lors de leur conversion - elle repose sur la finale de Nb 15, 14: «il (le i~) devra agir comme vous le faites ». Les Hillélites ont interprété ce verset en disant que le prosélyte doit être reçu dans !'Alliance du Sinaï comme l'a été le peuple d'Israël au Sinaï. Ils ont donc postulé que le peuple y a pris un bain de purification avant son admission dans l' Alliance, en déduisant ce bain de Ex 24, 8, malgré le fait que, dans ce verset, où il est dit: « Moïse prit du sang et en aspergea le peuple », il n'en soit pas du tout question, mais avançant tout simplement: « c'est une tradition authentique qu'il n'y a pas d'aspersion (de sang) sans (antérieurement) un bain de purification »54 . Ils ont fourni ainsi un pseudo-fondement scripturaire au rite de l'immersion des prosélytes, et c'est de la sorte qu'a pris naissance la thèse de l'immersion de la génération du désert avant l' Alliance du Sinaï, que l'on retrouve sous la plume de Paul, en 1 Co 10, 1-2, avec certes quelques différences dans l'argumentation où, dans l'allégorie utilisée, figurent la nuée et la mer qui sont totalement absentes des passages rabbiniques mais qui peuvent être considérées comme sous-entendues - preuve en tout cas que cette interprétation est bien antérieure à 70, puisque Paul,
53 En Qohelet Rabba sur Qo 1, 8 (éd. Stettin, 1864, p. 70a, 30-70b, 5), est rapportée une tradition confirmant les différences d'attitudes de ces deux sages tannaites à l'égard de la conversion des païens au judaïsme: «Voici un incident qui survint à R. Éliézer (ben) avec une femme qui voulait devenir prosélyte. Elle lui dit: "Rabbi, avance-moi". Il lui répondit: "Énumère tes actions". Elle répliqua: "Mon dernier fils est de mon fils aîné". Il se mit à pousser de grands cris sur elle. Elle alla vers R. Y oshua (ben Hanania) et il l'accepta. Ses élèves lui dirent: "R. Éliézer l'a renvoyée et toi tu l'acceptes?". Il leur répondit: "Après qu'elle s'est décidée à devenir prosélyte, en aucun cas elle ne vivra, car de ceux qui vont à elle pas un ne revient et s'ils s'en retournent ils ne rejoignent plus les sentiers de la vie" (Pr 2, 19) ». Le passage« en aucun cas elle ne vivra» est sujet à interprétations multiples - selon D. DAUBE, op. cit., Londres, 1956, p. 113, n. 1 - repris par J. JEREMIAS, op. cit., Le Puy-Lyon, 1967, p. 44, n. 73 - qui se fonde sur le passage parallèle de TB Abodah Zarah l 7a (« Une femme se présenta devant R. Hisda [début du IVe siècle] et lui dit: "La plus petite des choses que j'ai commise, c'est que mon plus jeune fils vienne de mon aîné". R. Hisda dit à son sujet: "Préparez les vêtement mortuaires". Mais elle ne mourut pas.»), il pourrait signifier« ainsi elle ne vit plus du tout », c'est-à-dire, elle est considérée comme si elle n'avait pas vécu auparavant. 54 Voir TB Yebamot 46b et TB Keritot 9a.
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un disciple de Gamaliel Ier, l'applique au baptême chrétien, y voyant la préfiguration typique de celui-ci 55 . Revenons à la baraïta de TB Yebamot 46a. R. Éliézer ben Hyrkanos refuse donc, selon toute apparence, l'argument tiré du passage de la Mer Rouge pour fonder la nécessité du rite de l'immersion des prosélytes: l'élément essentiel n'est pas, selon lui, l'immersion qui est prise devant témoin, mais la circoncision qui est faite comme signe de l'Alliance 56 - il semble se faire ainsi le défenseur de l'ancienne tradition, celle remontant au ne siècle avant notre ère selon laquelle seule la circoncision est nécessaire pour devenir prosélyte 57 . R. Yoshua ben Hanania semble affirmer, en revanche, que seul le rite de l'immersion permet de devenir prosélyte, à l'exclusion de la circoncision. Il s'agit là, selon toute apparence, d'une curieuse conception du rituel d'adhésion au judàisme, qui est plutôt facilitante pour les pàiens sympathisants. Même si cela dépasse quelque peu le cadre de cette étude, il est important de rappeler toutefois que, se fondant sur quelques passages de Philon d'Alexandrie (Quaestiones et solutiones in Exodium II, 2) et de la littérature rabbinique (TB Pesahim 92a et 96a; TB Hullin 4b; TB Yebamot 46b) 58 , des critiques ont tendance à estimer qu'au 1er siècle de notre ère la circoncision n'a pas été nécessairement imposée aux prosélytes païens lors de leur conversion au judàisme, tout au moins dans certaines régions de l'Empire romain 59 •
55 Paul, en 1 Co 10, 1-2, « Je ne veux pas vous le laisser ignorer, frères: nos pères étaient tous sous la nuée, tous ils passèrent à travers la mer et tous furent baptisés (autre leçon: :io N':> i':>N:i pmi;i lÔ1 ':>:iio: ce principe vient au
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Le rituel d'adhesion (le baptême) dans les communautés chrétiennes
Les pharisiens, à l'égal des chrétiens ou des esséniens, paraissent donc avoir à leur disposition un rite d'entrée dans leur mouvement, même si celui-ci est relativement peu ou mal documenté 107 . On doit alors ajouter que la grande différence entre les deux rites constatés chez les pharisiens et chez les chrétiens est principalement de l'ordre suivant: les premiers exigent que les baptisés soient d'abord circoncis, ce qui ne semble guère être le cas de la part des seconds, du moins pour certains d'entre eux - comme le dit fort bien É. Nodet, il s'agit là du fond du débat qui s'est déroulé lors de 1' Assemblée de Jérusalem aux alentours de l'an 50 108 • Récemment, É. Nodet et J. Taylor ont proposé de voir dans le «baptême des prosélytes » un rite d'adhésion non pas au mouvement des pharisiens mais à un autre mouvement, celui des haberim, qu'ils veulent distinguer des premiers 109 . Ce serait, selon ces critiques, la confrérie des haberim, notamment à travers l'école de Hillel devenue normative, qui aurait étendu son modèle à l'ensemble de la nation juive. Il convient de souligner que l'hypothèse est en tout semblable à celle avancée ici, si ce n'est que cette dernière ne fait aucune distinction entre pharisiens et haberim110. On peut se demander toutefois s'il y a vraiment lieu à distinguer entre pharisiens et haberim, et s'il ne vaudrait pas mieux considérer que la première désignation est celle utilisée par ceux qui sont extérieurs au mouvement tandis que la seconde sert à se désigner à l'intérieur. Quoi qu'il en soit, voilà comment il conviendrait peut-être d'expliquer, de manière somme toute assez simple, ce fameux « baptême des prosélytes » ou « bain des prosélytes », attesté dans la documentation juive à une époque relativement tardive, qui a fait couler beaucoup d'encre sans que les hypothèses proposées au cours de ces dernières décennies n'emportent la conviction, en dehors sans doute de celle de É. Nodet et J. Taylor qu'il convient cependant de rectifier quelque peu. Au fond, il est peut-être important de ne guère oublier que le conflit entre les pharisiens et les chrétiens a porté essentiellement, du moins jusqu'à la fin du 1er siècle, voire après, sur l'exigence ou non de la circoncision pour les prosélytes d'origine paienne qui souhaitent entrer dans leurs communautés respectives. Autrement exprimé, avant 70, il n'est nullement encore question d'impureté rituelle des paiens - concept qui n'interviendra dans le judaisme qu'après cette date, sans doute sous l'influence des pharisiens qui devaient déjà le respecter dans leurs propres confrénes.
terme d'une liste de cas, dont la formulation comporte une ambiguïté textuelle significative; en effet, le premier cas s'énonce r'm':> prni;ri J'':>n':> ':>:non, "Celui qui fait une immersion pour prendre des nourritures profanes, et qui y est habilité ... ", donc l'immersion est l'acte quotidien; mais une petite variante (omission du 1 de liaison) donne un sens très différent : prni;r )'':>n':> ':>:iio;r J'':>n':>, "Celui qui fait une immersion pour prendre des nourritures profanes, alors il y devient habilité ... " ». 107 Au sujet des rites d'entrée dans le mouvement pharisien comme dans le mouvement essénien, voir en premier lieu C. RABIN,« The Noviciate »,dans Qumran Studies, Oxford, 1957, p. 1-21. 108 Voir É. NODET, dans Revue biblique 102 (1995), p. 607. 109 É. NoDET- J. TAYLOR, op. cit., Paris, 1998, p. 203-207. no Selon É. NoDET - J. TAYLOR, op. cit., Paris, 1998, p. 196-200, les haberim représentent une variété d'esséniens qui se distinguent des « peuples du pays » - ils ne sont pas à confondre avec les pharisiens décrits par Flavius Josèphe.
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IV. Conclusion Le baptême chrétien est un rituel d'adhésion qui trouve son ongme dans les rituels d'adhésion à une confrérie religieuse juive comme il en existe tant au 1er siècle de notre ère - c'est le résultat essentiel sur lequel cette étude voudrait s'achever. Il ne provient sans doute pas plus, en effet, du rituel d'adhésion au mouvement essénien que de celui au mouvement pharisien, comme on l'a souvent affirmé, même s'il entretient forcément avec eux des affinités, qui ne tiennent d'ailleurs pas à de quelconques filiations en ligne directe. Le seul fait que le baptême chrétien remonte aux années 30, juste après la disparition de Jésus 111 , indique qu'il est issu du fond commun constituant le judaisme, aux «universaux» si l'on peut dire du judaisme, auquel puisaient tous les courants avant de diverger entre eux sur des questions plus ou moins halakhiques. Par ailleurs, quand Paul de Tarse affirme que les croyants ont été baptisés dans le Messie (voir Ga 3, 27 - dç xp~crràv È:~CX7tTÎcr8rrrr::) ou ont été baptisés dans le Messie Jésus (voir Rm 6, 3 - È:~cxm"Îcr8Y)µEv dç xpicr-ràv 'IYJcrOuv), on peut penser qu'il semble opposer ce rite d'adhésion à d'autres rites similaires qui sont pratiqués dans les autres courants du judaisme mais sous d'autres auspices 112 . Quoi qu'il en soit, il convient de souligner encore que de rares éléments autorisent à affirmer qu'au rer siècle de notre ère la circoncision n'est pas partout le rituel obligatoire qui permet d'adhérer au judaisme: dans certains milieux, en effet, l'immersion seule est alors suffisante - comme l'affirme d'ailleurs l'auteur de !'Épître aux Colossiens: « En lui [le Messie] vous avez été circoncis d'une circoncision où la main de l'homme n'est pour rien ... Ensevelis avec lui dans le baptême, avec lui encore vous avez été ressuscité des morts » (voir Col 2, 11-12), faisant ainsi du baptême l'équivalent ou le remplaçant de la circoncision. Il reste à se demander, à partir du moment où la circoncision n'est plus dans certaines communautés juives de la Diaspora romaine la marque essentielle de l'identité juive, sur quoi repose le fait de devenir juif. On doit se demander aussi sur quoi repose la différence entre sympathisants et prosélytes. Sans s'étendre sur ce point, disons que la réponse à ces deux questions se trouve dans le fait que l'établissement de la différence entre prosélytes et sympathisants qui se fonde sur l'adhésion ou non à la nation juive et sur l'abandon du statut antérieur. En d'autres termes, c'est l'adhésion au peuple juif - au Àcx6ç - et l'acceptation des usages juifs qui fondent l'identité juive du prosélyte, ce n'est que par son adhésion au Àcx6ç des juifs que ses enfants pourront être également juifs. Au rr siècle de notre ère, cette adhésion au peuple juif ne présume nullement du choix de tel ou tel mouvement composant le judaïsme.
111 Voir Ac 2, 14-41, où il est rapporté que les apôtres se sont mis à baptiser au jour de la Pentecôte - texte au caractère traditionnel évident. Voir aussi cependant Ac 8, 12-16 (baptême de samaritains); Ac 8, 36-38 (baptême de l'eunuque éthiopien); Ac 9, 18 et 22, 16 (baptême de Paul); Ac 10, 47-48 (baptême de Corneille et de sa famille); Ac 16, 15 et 33 (baptême de convertis à Philippes); Ac 18, 8 (baptême de convertis à Corinthe); Ac 19, 3-5 (baptême de convertis à Éphèse) - textes dont l'historicité peut être acceptée sans trop de difficultés. 112 Il ne fait pas de doute en effet que Jean le Baptiste et ses disciples ont pratiqué un rite d'eau plus ou moins similaire à celui des chrétiens, mais au nom de leur maître - voir Ac 19, 3, où il est question justement du « baptême de Jean », dç -ro 'Iw&.wou ~&.nncrµ.oc
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En guise de post scriptum, rappelons qu'au moins jusqu'au IIIe siècle, voire après, le baptême chrétien est principalement une affaire d'adulte comme le laisse entendre fort bien d'ailleurs Tertullien quand il affirme, dans son De testimonio animae, « on ne naît pas chrétien, on le devient » - même si le baptême des enfants est certes dans certains cas accepté 113 .
Annexe: Les C'il : éléments philologiques au sujet d'un terme à plusieurs sens.
On va se limiter ici à de simples éléments philologiques, dans une perspective plutôt linguistique qu'historique. Mais il est bien évident que la question des C'il demanderait à être reprise totalement, et en tenant compte de l'ensemble de la documentation disponiblen 4 . En hébreu biblique115
En hébreu biblique, le substantif il dérive de la racine i1l, qui prend, au pa'al, le sens de « demeurer », « séjourner », « habiter » (voir Gn 32, 2). Cette même racine est également attestée au Hitpa'el, avec le même sens (voir sous une forme géminée 1 R 17, 20, ii1ll'lii; Os 7, 14, ii1ll'I'; Jr 30, 23, ii1ll1N) Elle n'est à confondre ni avec la racine il', qui peut prendre le sens de « craindre », « trembler » (voir Dt 1, 17 ; Dt 32, 27 ; Jb 41, 17), ni avec la racine ilN, qui peut prendre le sens de « réunir », « assembler », « amasser » (voir Dt 28, 29 ; Pr 6, 8) - cette dernière peut d'ailleurs aussi prendre le sens de « se réunir pour un complot» comme en Ps 54, 15. En hébreu biblique, le substantif il signifie « étranger », c'est-à-dire « quelqu'un habitant un pays qui n'est pas sa patrie» (voir Lv 16, 29 (ilii1 niiNii = l'indigène et l'étranger). On trouve parfois l'expression ::nvm il, qui signifie « un homme établi dans un pays étranger » (voir Lv 25, 47). De manière générale, dans la littérature biblique de langue hébraïque, un il est une personne qui fait partie de la population judéenne (dans un sens élargi) mais Voir à ce sujet, la position de Tertullien dans son De baptismo 18, 4-6. Pour une première approche de l'histoire de ce terme, voir E. ScHÜRER, The History of the Jewish People in the Age of Jesus Christ (175 B.C.-A.D. 135), t. Ill.1, Édimbourg, 1986, p. 169-171. Il n'a pas pu être tenu compte dans cette recherche des apports de l'article de K. BERTHELOT, « La notion de 1l dans les textes de Qumrân», dans Revue de Qumrân 19 (1999), p. 171-216. Pour une approche anthropologique de la question, voir A. DESTRO, Le sembianze della straniero. La condizione del 'ger' ne! progetto sociale rabbinico, Bologne, 1993. 115 À ce sujet, voir notamment D. WrnwEGER, «Yom "Fremdling" zum "Proselyt". Zur sakralrechtlichen Definition des i; im spiiten 5. Jahrhundert v. Chr. », dans D. WIEWEGER E.J. WASCHKE (Éd.), Von Gott reden. Beitrâge zur Theologie und Exegese des Alten Testaments. Festschrifi fûr S. Wagner zum 65. Geburtstag, Neukirchen-Vluyn, 1995, p. 271-284. Voir aussi E. BAMMEL, « Gerim Gerurim », dans Judaica. Kleine Schriften, t. 1, Tübingen, 1986, p. 134-139. 113
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Simon C. Mimouni qui ne fait pas partie du « Peuple d'Israël » ou de !' « Assemblée d'Israël » (dans un sens restrictif, à portée théologique). En effet, dans nombre de passages, le statut du i l est lié à la souveraineté exercée virtuellement par « Israël » sur le territoire de la Judée dans lequel le i l réside (voir Jos 8, 33.35; Nb 15, 22-26; Dt 29, 9-12; Dt 31, 10-13).
En grec biblique Dans la Bible grecque dite de la Septante, l'hébreu i l a été traduit soit par le grec mxpotXOÇ soit par le grec rcpocr~ÀU't"OÇ. Dans la Genèse, on ne rencontre que le grec mxpotxoc; pour traduire l'hébreu il, alors que dans !'Exode, on rencontre soit le grec mxpotxoc; (voir par exemple en Ex 2, 22; 12, 45; 18, 3) soit le grec rcpocr~Àucoc; (voir par exemple en Ex 12, 48.49). Dans le Lévitique, il n'est question que du grec rcpocr~Àucoc; pour traduire l'hébreu il. Le terme rcpocr~Àucoc; n'appartient pas au grec classique. Il s'agit d'un néologisme de la Septante, forgé sur le modèle de l'adjectif Èrc~Àucoc;, « étranger » ou « venu du dehors », et chargé de définir un statut qui n'a pas son équivalent dans le monde grec. Comme le font remarquer A. Le Boulluec et P. Sandevoir, «le choix d'un terme nouveau doit désigner une situation particulière »116 . Selon ces critiques, « la différence entre le grec et l'hébreu est que les termes, d'un côté, expriment un mouvement et, de l'autre, le fait de résider » 117 . Ils soulignent fort à propos que le rcpocr~Àucoc;, d'après Ex 12, 48, ne doit pas être soumis à la circoncision pour participer à la Pâque, alors que le mxpotxoc;, d'après Ex 12, 45, ne pourra pas y participer118. Ils en concluent que« rien ne s'oppose donc à ce que le rcpocr~Àucoc; d'Ex 12, 48.49 soit un juif venu d'ailleurs, un immigrant faisant déjà partie du peuple, et rejoignant ses frères pour célébrer la Pâque » 119 . En effet, notamment aussi dans le Lévitique, un rcpocr~Àucoc; peut être un juif venu d'une autre tribu ou un Israélite venu du royaume du Nord dans le royaume du Sud (voir Lv 19, 10; 23, 22). Il s'agit donc d'une personne juive déplacée, souvent pauvre mais qui a des droits particuliers, à la fois sociaux et religieux. Cette personne participe aux mêmes rites que les indigènes (voir Lv 16, 29; 17, 8; 22, 18), soumis aux mêmes prescriptions de pureté (voir Lv 17, 8-13; 18, 26), aux mêmes peines (voir Lv 20, 2; 24, 16.22). Selon Ex 22, 20 et 23, 9.12, l'emploi du terme rcpocr~Àucoc; correspond à la situation de l'« immigrant» agrégé à la communauté, composée de ceux qui jadis ont été des « immigrants » en Égypte et tenue, en mémoire de cette dure condition, de 116 Voir A. LE BOULLUEC - P. SANDEVOIR, La Bible d'Alexandrie. L'Exode, Paris, 1989, p. 51.
117 Voir A. LE BouLLUEC - P. SANDEVOIR, op. cit., Paris, 1989, p. 51-52. 118 Ils s'opposent ainsi à l'opinion de J.A. LOADER,« An Explanation of the Term npocr~ ÀuToç »,dans Novum Testamentum 15 (1973), p. 270-277, qui, en étudiant la racine :iip, « s'approcher », dans les textes esséniens et rabbiniques, a voulu voir dans le terme grec, attesté au Ier siècle de notre ère dans les textes chrétiens, la condition du i; dans les écrits rabbiniques, c'est-à-dire du converti au judaisme. 119 Voir A. LE BouLLUEC - P. SANDEVOIR, op. cit., Paris, 1989, p. 52.
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bien traiter cette catégorie de personnes. La situation de l'« immigrant» accueilli de cette manière est impliquée par la double traduction de 1l en Ex 20, 10 : « l'immigrant qui réside (o rcpocrfiÀu-co:; o Ilixpo~x&v) chez toi ». De fait, le rcpocrfiÀu-co:;, du moins dans le Lévitique mais sans doute aussi dans Exode et ailleurs, apparaît comme un « immigré », qui partage déjà les croyances et les pratiques du judaïsme - c'est donc un juif, mais peut-être d'un statut relativement différent. Dans le grec de Philon d'Alexandrie
À l'époque de Philon d'Alexandrie, en Égypte, le mot rcpocrfiÀu-co:; est senti comme un mot idiomatique. Philon, dans le De Specialibus legibus, en 1, 51, doit expliquer à ses lecteurs de langue grecque que « Moïse appelle rcpocrfiÀu-co~, c'est-à-dire "nouveaux venus », ceux qui s'attachent à la pure vérité, parce qu'ils sont venus s'intégrer à la nouvelle république chérie de Dieu ». Philon emploie deux autres fois rcpocrfiÀu-coç dans le De Specialibus legibus, en 1, 308 et dans le De somniis, en Il, 273, mais de manière générale il lui préfère nettement le terme classique, moins chargé de spécificité biblique, ÈrcfiÀuç ou ÈmJÀÛ-cYJ:;, qui signifie « étranger », correspondant à des réalités différentes (voir par exemple De Specialibus legibus I, 52; De virtutibus 102 et 183; De cherubim 119-121). Soulignons que de nombreux spécialistes de Philon d'Alexandrie ont tendance à considérer que dans ses Quaestiones et solutiones in Exodum II, 2 il est question d'une catégorie de prosélytes incirconcis 120 . En hébreu ou en araméen mishnique121
Le substantif 1l dérive de la racine 11l, qui, en hébreu mishnique comme en hébreu biblique, a plusieurs significations : 1. Elle prend tout d'abord le sens de « demeurer », « séjourner », « habiter » (voir Genèse Rabba 94, en référence à Gn 46, 21). 2. Au Pi'el, la forme 1"l prend le sens de « faire un prosélyte », « initier un prosélyte » (voir Genèse Rabba 39, en référence à Gn 12, 5). 3. Au Hitpa'el, la forme 1"lr1i1 prend le sens de « devenir un prosélyte » (voir TB Yebamot 47b; TB Berakhot 57b; TB Abodah Zarah 3b).
120 Voir principalement S. BELKIN, Philo and the Oral Law, Cambridge/Massachusetts, 1940, p. 46-47; H.A. WoLFSON, Philo. Foundations of Religious Philosophy in Judaism, Christianity and Islam, Vol. II, Cambridge/Massachusetts, 1947, p. 369-371. N.J. McELENEY, « op. cit. », dans New Testament Studies 20 (1973), p. 328-329, est du même avis que ces critiques, tandis que J. NoLLAND, « op. cit. », dans Journal for the Study of Judaism 12 (1981 ), p. 173-179, pense que Philon ne s'oppose nullement à la circoncision des prosélytes d'origine païenne - c'est également la position retenue par J.M.G. BARCLAY,« op. cit. », dans New Testament Studies 44 (1998), p. 538-543. 121 À ce sujet, voir G.G. PoRTON, Goyim: Gentiles and Israelites in Mishnah-Tosefia, Atlanta/Georgie, 1988; G.G. PORTON, The Stranger within Your Gates: Converts and Conversion in Rahbinic Literature, Chigaco/Illinois, 1994. Pour un premier aperçu lexicologique, voir J. LEVY, Art. « 1l », dans Neuhebraisches und Chaldiiisches Wô"rterhuch über die Talmud und Midrashim, Vol. 1, Leipzig, 1883, p. 353-354.
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En hébreu mishnique, le substantif 1l signifie « converti », c'est-à-dire un non juif qui a adopté les croyances et les pratiques juives. On trouve parfois comme en hébreu biblique l'expression :nvin 1l qui signifie, dans ce cas là, un païen qui a renoncé à l'idolâtrie et n'a accepté d'observer que les sept commandements noachiques - c'est autrement dit, d'une certaine manière, un sympathisant (voir Gerim III, 1; TB Abodah Zarah 64b). En araméen mishnique comme en hébreu mishnique, le substantif '1l dérive de la racine 11l, qui a plusieurs significations : 1. Au Pa'al, la forme 11l prend le sens de « convertir » (voir Targum Jérusalem Gn 12, 5; Targum Jérusalem Ex 7, 27). 2. Au Itpa'el, la forme 1"ll"l'N prend soit le sens de « résider comme un étranger» (voir Targum Lv 16, 29) soit de «devenir un prosélyte » (voir Targum Jérusalem Ex 18, 6; Targum Ps 68, 19). Dans la Megilat Ta'anit, en 25a, on trouve l'expression 1l p, qui signifie« fils de prosélyte ». Relevons à ce propos que plusieurs personnages importants du début du Ile siècle sont qualifiés de 1l p, comme par exemple Rabbi Aqiba en TB Berakhot 27b. On peut se demander alors à quoi correspond cette appellation, car il est douteux que ces personnages n'aient été «juifs » que de deuxième génération: il est possible que cela signifie que leur père a rejoint le mouvement pharisien, mais tout en étant déjà d'origine juive. En ce qui concerne Rabbi Aqiba cela est tout à fait plausible d'autant qu'en TB Pessahim 49b, il lui est attribué un dit où il rappelle qu'il a été un 'am ha-aretz - or il est certain que les 'amei ha-aretz sont des personnes d'origine juive et non pas d'origine païenne 122 . D'une manière générale, on peut dire que le 1:1 biblique ( = étranger, résident) et le 1l rabbinique (prosélyte, converti) sont des cas de figures relativement différents, même s'ils représentent l'un et l'autre des étrangers intégrés religieusement au peuple d'Israël. Il reste à savoir par rapport à qui le i:i. est étranger ou converti, et comment est composé le peuple d'Israël. Conclusion
En attendant d'étendre plus avant cette enquête, il convient de souligner que le grec 7tpocr+iÀuToç, qui traduit l'hébreu 1l, renvoie, à l'époque du Second Temple (période grecque) à un contexte juif et non pas à un contexte païen - autrement exprimé, le 7tpocr+iÀuToç n'est pas un converti, c'est un juif qui a un statut différent par rapport à la communauté où il réside. De ce fait, à la même époque, le 1l est forcément aussi un juif et non pas un paien, mais un juif qui a un statut différent de celui des juifs au milieu desquels il réside 123 . 122 À ce propos, voir en dernier lieu D. JAFFÉ, « Les 'amei ha-ares durant le IIe et le IIIe siècle. État des sources et des recherches», dans Revue des études juives 161 (2002), p. 1-40. 123 M. COHEN, « Le "Ger" biblique et son statut socio-religieux », dans Revue de l'histoire des religions 207 (1990), p. 131-158, considère que le terme 1l, qui est« univoque», n'a« aucune connotation ethnique ni exclusivement religieuse »,mais« dénote un ressortissant de !'Israël septentrional soumis à la domination judéenne, particulièrement après la chute de Samarie».
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Le rituel d'adhesion (le baptéme) dans les communautés chrétiennes
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LA BIRKAT HA-MINIM EST-ELLE UNE PRIÈRE CONTRE LES JUDÉO-CHRÉTIENS?*
Liliane VANA École pratique des Hautes études - Section des sciences religieuses
Résumé La birkat ha-minim a souvent été considérée comme une prière prononcée contre les chrétiens ou les judéo-chrétiens ayant pour object(f leur exclusion de la synagogue. Elle a également été appréciée comme l'étape marquant la rupture entre le judaïsme et le christianisme. La séparation entre les deux communautés serait le résultat de son insertion dans la prière quotidienne du shemoneh 'esreh entre 85 et 100 de notre ère. Cette thèse pose un certain nombre de problèmes car, ainsi que nous le verrons dans la présente étude, la birkat ha-minim existait bien avant la destruction du Temple et faisait partie des « dix-huit bénédictions » qui ne constituaient pas encore une « prière synagogale » dont la récitation quotidienne n'était pas obligatoire. Cette bénédiction n'est pas le fruit d'une décision prise par ce qu'on appelle communément« le synode de Yabneh » et n'a pas visé l'exclusion des judéo-chrétiens de la synagogue ou d'un autre courant du judaïsme.
Summary The birkat ha-minim is oftently defined as a prayer pronounced against Christians or Judaeo-Christians in order to exclude them /rom the synagogue. It has been considered also as a step in the parting between Judaism and Christianity. Divorce between the two communities would have happened when it was included in the shemoneh 'esreh daily prayer between 85 and 100 CE. This position is not satisfactory. As the paper argues, the birkat ha-minim existed be/ore the Temple's destruction; it belongs to the "eighteen benedictions". At that time, these prayers were nota "synagogal prayer" and their daily recitation was not compulsory. This benediction does not correspond to a decision taken by the so-called "Yavne synod". It did not aim at exclusion of JudaeoChristians (or another Jewish movement) from the synagogue. Vers la fin du I°r siècle de notre ère, la birkat ha-minim fait l'objet d'une nouvelle formulation lors de l'institution du shemoneh 'esreh comme prière quotidienne obligatoire1. C'est dans le cadre de cette prière « institutionnalisée » qu'elle joua un
*Une traduction italienne de ce texte a déjà été publiée, voir L. V ANA, « La birkat ha-minim
è una preghiera contro i giudcocristiani? », dans G. FILORAMO - C. GIANOTO (Ed.), Verus Israel. Nuove prospettive su! giudeocristianesimo. Atti del Colloquio di Torino ( 4-5 novembre 1999), Bologne, 2001, p. 147-189. 1 Pour l'état de la question, voir S.J. JOUBERT,« A Bone of Contention in the Recent Scholarship: The Birkat ha-Minim and the Separation of Church and Synagogue in the First Century A.D. »,dans Neotestamentica 27 (1993), p. 351-363; P.W. VANDER HoRST, «The Birkat
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La Birkat ha-minim est-elle une prière contre les judéo-chrétiens?
rôle important dans le judaïsme en formation après la catastrophe de 70. Elle fait partie du grand projet de Rabban Gamliel II ayant pour objectif l'unification des différents courants du judaïsme autour d'une seule et même halakhah. La réalisation de ce projet quelques générations plus tard contribua sans aucun doute à la constitution d'une «norme» nouvelle d'un judaïsme sans Temple, norme qu'on désigne aujourd'hui par le terme « orthodoxie »2 . La question de la birkat ha-minim est étroitement liée à la solution de quelques problèmes majeurs: 1) le terme minim, sa signification ainsi que le ou les groupes sociaux qu'il vise; 2) l'Évangile de Jean et les sources patristiques en relation avec cette bénédiction; 3) la prière des « dix-huit bénédictions » où elle occupe la douzième place; 4) « l'imprécation », « l'exclusion de la synagogue » et ses significations. Nous examinerons chacun de ces points avant d'étudier le rôle qu'a pu jouer la birkat ha-minim dans les relations entre les différents courants du judaïsme après la destruction du Temple.
1. Les Minim Dans la littérature talmudique le terme minim désigne différents groupes sociaux ou socio-religieux, Juifs ou non-Juifs. Il s'applique aux sadducéens qui nient la résurrection des morts (TB Berakhot 9a ; Sanhedrin 90b ), aux samaritains (Lévitique Rabba 13) 3 , aux Juifs gnostiques (TB Sanhedrin 39b), aux Romains (TB Pesahim 87a; Sanhedrin 90b ), aux Juifs qui vénèrent les idoles (TB Horayot 1la), aux prêtres des idoles juifs ou non-juifs 4 , aux païens (TB 'Abodah Zarah 6b ), aux Juifs dualistes (TB Hullin ! la), aux Juifs par opposition aux païens (TJ lfullin 13b 5), aux faiseurs de miracles (TJ Sanhedrin 7, XI, 25d). Dans TB 'Abodah Zarah 16a, le min est un certain Jacob de Kefar Siknaya (Sikhnin) qui guérit les malades au nom de Jésus 6 . Ce min est sans doute un judéo-chrétien. Dans un autre texte, Rabbi Yoha-
ha-Minim in Recent Research »,dans Hellenism-Judaism-Christianity. Essays on their Interpretation, Louvain, 1998 2 , p. 113-124. (= «The Birkat ha-Minim in Recent Research »,dans Expository Times 105 (1993/94), p. 363-368); W. HORBURY, « The Benediction of the Minim and Early Jewish-Christian Controversy », dans Journal of Theological Studies 33 (1982), p. 19-6; L. DEROUSSEAUX - J. BERNARD,« Bilan de l'équipe de recherche sur "Judaïsme et Christianisme des origines" : Méthodologie pour l'analyse d'une rupture », dans Mélanges de Sciences Religieuses 52 (1995), p. 301-321. 2 En ce qui concerne la question de l'orthodoxie aux premiers siècles de notre ère, voir L.L. GRAHHE, « Orthodoxy in First Century Judaism? », dans Journal for the Study of Judaism 8 (1977), p. 149-153. Voir aussi N.J. McELENEY, « Orthodoxy in Judaism of the First Christian Century »,dans Journal for the Study of Judaism 4 (1973), p. 19-42, ainsi que la réponse de D.E. AUNE, « Orthodoxy in First Century Judaism? A Response to N.J. McEleney », dans Journal for the Study of Judaism 7 (1976), p. 1-10 et la défense de N.J. McELENEY, «Orthodoxy in Judaism of the First Christian Century », dans Journal for the Study of Judaism 9 (1978), p. 83-88. 3 Voir aussi TB Gittin 45b. Cependant, il pourrait s'agir d'un autre courant du judaïsme. 4 Voir Rashi sur TB 'Abodah Zarah 26b. 5 Dans ce passage il est dit explicitement : « Il n'y a pas de minim parmi les païens » ; une distinction similaire est opérée dans T Hullin II, 20; TB Shabbat l 16a et passim. 6 Sur ce personnage, voir F. MANNS, «Jacob le Min, selon la Tosephta Hullin 2, 22-24 », dans Cristianesimo ne/la Storia 10 (1989), p. 449-465.
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nan (Ille siècle) dit: « Les enfants d'Israël n'ont été exilés que lorsqu'ils se sont divisés en 24 groupes de minim >>7, à savoir, lorsque le nombre de courants rivaux à l'intérieur même du judaïsme était devenu si important que leur union n'était plus possible. Dans ce cas, le terme minim s'applique obligatoirement et exclusivement aux Juifs 8 . La question de l'identité des minim a suscité l'intérêt de la communauté des savants et de nombreuses études lui ont été consacrées9 . On donna à ce terme des sens divers allant de la désignation de toutes les « hérésies » de manière générale jusqu'à un sens restreint désignant un groupe social bien particulier et son « hérésie ». Plusieurs hypothèses ont été émises: le terme minim désigne des gnostiques juifs 10 ; des Juifs gnostiques et/ou des judéo-chrétiens 11 , des gnostiques non-juifs 12 . Il désigne souvent (mais pas toujours) des judéo-chrétiens 13 , parfois des chrétiens 14 , TJ Sanhedrin 10, 6, 29c. Maïmonide énumère cinq catégories de Minim, voir Yad ha-lfazaqah - Mishneh Torah, Hilkhot Teshufl_ah III, 7. 9 Voir W. BACHER, «Le mot Minim dans le Talmud désigne-t-il quelquefois des chrétiens? », dans Revue des études juives 38 (1899), p. 38-46; L. BROYDE, « Min », dans Jewish Encyclopaedia VIII (1904), p. 594-596; I. LÉVI,« Le mot Minim désigne-t-il jamais une secte juive de gnostiques antinomistes ayant exercé son action en Judée avant la destruction du Temple?», dans Revue des études juives 38 (1899), p. 204-210; D. SPERBER, «Min», dans Encyclopaedia Judaica 2 (1972), col. 1-3; S.S. MILLER,« The Minim of Sepphoris reconsidered », dans Harvard Theological Review 86 (1993), p. 377-402; S.T. LACHS, « Rabbi Abbahu and the Minim », dans Jewish Quarter/y Review 60 (1970), p. 197-212; R. KALMIN, « Christians and Heretics in Rabbinic Literature of Late Antiquity », dans Harvard Theological Review 87 (1994), p. 155-169; M. GOODMAN, «The Function of Minim in Early Rabbinic Judaism », dans P. ScHÂFER (Ed.), Geschichte - Tradition - Reflexion, Festschrift für Martin Hengel zum 70. Geburtstag, t. I. Judentum, Tübingen, 1996, p. 501-510. Il est impossible d'établir ici une bibliographie exhaustive sur ce sujet, on ne peut que renvoyer aux travaux majeurs cités dans cette étude. 10 M. FRIEDLANDER, Der vorchristliche jüdische Gnosticismus, Gêittingen, 1898, p. 43-123; M. FRIEDLANDER, « Encore un mot sur Minim, Minout et Guilionim dans Je Talmud », dans Revue des études juives 38 (1899), p. 194-203; M. FRIEDLANDER, Die religiô'sen Bewegungen innerhalb des Judentums im Zeitalter Jesu, Berlin, 1905, p. 169-234. 11 M. GoLDSTEIN, Jesus in the Jewish Tradition, Londres, 1950, p. 46 sq.; A.F. SEGAL, Two Powers in Heaven. Early Rabbinic Reports about Christianity and Gnosticism, Leyde, 1977. 12 A. BücHLER, «Über die Minim von Sepphoris und Tiberias im 2. und 3. Jahrhundert », dans Festschrifi fiir Herman Cohen, Berlin, 1912, p. 271-295 ( = «The Minim of Sepphoris and Tiberias in the Second and Third Centuries », dans I. BRODIE - J. RABBINOWITZ (Ed.), Studies in Jewish History, A. Biichler Memorial Volume, Londres-New York, 1956, p. 245-274. 13 R.T. HERFORD, « Minim », dans Encyclopaedia of Religion and Ethics VIII (1915), p. 657-659; R.T. HERFORD,« The Minim », dans Christianity in Talmud and Midrash, Londres, 1903, p. 361-397; H. GRAETZ, Geschichte der Juden, t. IV, Leipzig, 1866, p. 105 sq. et p. 434 sq.; I. ABRAHAMS, A Compagnion ta the Authorised Daily Prayer Book, Londres, 19323 , p. LXIV; I. ABRAHAMS, Studies in Pharisaism and the Gospels, Cambridge, 1924, p. 59-62 et p. 69-71. 14 A. BücHLER, « op. cit. », dans Festschrift fiir Herman Cohen, Berlin, 1912, p. 271-295 ( = « The Minim of Sepphoris and Tiberias in the Second and Third Centuries », dans I. BRODIE J. RABBINOWITZ (Ed.), Studies in Jewish History, A. Biichler Memorial Volume, LondresNew York, 1956, p. 271 sq.; S. LIEBERMAN, « The Martyrs of Caesarea », dans Annuaire de l'Institut de Philologie et d'histoire orientales et slaves 7 (1944), p. 398; M. SIMON, Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain ( 135-425), Paris, 1948 1, 7
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ou des païens (dans ce cas min serait un synonyme de goy) 15 ; des hérétiques par rapport aux normes rabbiniques 16 ; des hérétiques et quelques fois des judéo-chrétiens17, des juifs «hérétiques » dans les textes anciens et « des chrétiens de la gentilité» à partir de 180-200 18 , de manière générale des judéo-chrétiens et parfois le christianisme paulinien 19 . On a même proposé de voir dans le terme min l'acronyme Ma'amin be-Yeshu ha-Noçeri qui signifie «celui qui croit en Jésus le Nazaréen »20 . Le problème que pose l'identification du ou des groupes sociaux désignés par le terme minim est d'autant plus difficile à élucider que depuis le x1ie siècle, et pendant un demi millénaire, la censure chrétienne a remplacé min et minim dans de nombreux passages du Talmud de Babylone par d'autres termes et à l'inverse le terme sadducéen fut souvent remplacé par celui de min 21 . Cette grande confusion a également pour origine la manière dont la question a été posée et continue de l'être dans les différentes études portant sur la birkat haminim ou les minim de manière générale. On a souvent tenté de trouver le sens du terme minim dans la « littérature talmudique », ce qui signifie qu'il n'aurait pas changé pendant un demi-millénaire. Or, ce terme a changé de signification au cours des générations et des siècles et fut même adapté aux besoins de la société juive qui l'utilisait, à son lieu d'évolution ainsi qu'à son époque. Force est de constater que toute tentative d'identifier les minim avec un seul et unique groupe social ou religieux est vouée à l'échec si on ne tient pas compte de l'espace et du temps dans lesquels ont évolué les différentes sources littéraires qui utilisent ce terme. On doit donner raison à R. Kimelman lorsqu'il suggère, à juste titre, de formuler la question en trois parties et de s'interroger sur le sens du terme minim dans: 1) la littérature tannaïtique; 2) la littérature des Amoraïm du pays d'Israël; 3) la littérature des Amoraïm de Babylone22 . Cette classification lui permit d'aboutir aux conclusions suivantes :
19642 , p. 238; H. HrRSCHBERG, « Allusions to the Apostle Paul in the Talmud »,dans Journal of Biblical Literature 62 (1943), p. 73-87. 15 A. BÜCHLER, «op. cit. »,dans I. BRODIE - J. RABBINOWITZ (Ed.), Studies in Jewish History, A. Büchler Memorial Volume, Londres-New York, 1956, p. 252; S. LIEBERMAN, Greek in Jewish Palestine, New York, 1965 2 , p. 141, n. 196. 16 P.S. ALEXANDER, «"The Parting of the Ways" from the Perspective of Rabbinic Judaism », dans J.D.G. DUNN (Ed.), The Jews and Christians: The Parting of the Ways A.D. 70 to 135, Tübingen 1992, p. 1-26. 17 M. SIMON, op. cit., Paris, 1948 1, 19642 , p. 214-238 et p. 500-503. 18 K.G. KuHN, « Giljonim und sifre minim », dans Judentum, Urchristentum, Kirche. Festschrift für Joachim Jeremias, Berlin, 1960, p. 39. 19 H. HIRSCHBERG, « Once again, The Minim », dans Journal of Biblical Literature 67 (1948), p. 305 sq. 2 C. SIEGFRIED, Philo von Alexandria, Iéna, 1873, p. 287. 21 Voir J. LE MOYNE, Les Sadducéens, Paris, 1972, p. 97-98, où l'auteur présente tous les cas relevés. 22 R. KIMELMAN, « Birkat Ha-Minim and the Lack of Evidence for an Anti-Christian Jewish Prayer in Late Antiquity »,dans E.P. SANDERS (Ed.), Jewish and Christian Self-De.finition, t. II, Philadelphie, 1981, p. 228-229. Cependant, il convient de rappeler que J.H. SHORR dans HéfJ.alutz 7 (1865), p. 80-88, avait déjà proposé de sortir de cette confusion en classant d'une part la Mishnah, la Tosefta, le Midrash et le Talmud de Jérusalem où Je terme minim désigne en général des chrétiens ou des judéo-chrétiens, et, d'autre part, le Talmud de Babylone où ce
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Liliane Vana 1) Dans la littérature tannaïtique, minim désigne des Juifs dont la manière d'appliquer certaines lois dévie de la« norme», comme par exemple la façon de mettre les tephillin sur le front et le bras (M Megillah IV, 8) 23 . Ces catégories de Juifs sont à distinguer des païens (T Baba Meçi'a II, 33)24 . 2) Dans la littérature des Amoraïm du pays d'Israël (Talmud de Jérusalem, Genèse Rabbah, Lévitique Rabbah) le terme minim désigne des Juifs sectaires ainsi que l'exprime Rabbi Yohanan au IIIe siècle (TJ Sanhedrin IO, 6, 29c). En revanche, les chrétiens d'origine païenne sont désignés par l'expression 'ummot ha'olam 25 , à savoir « les nations du monde »26 . 3) Le problème est complexe lorsqu'on aborde la littérature babylonienne et surtout le Talmud. Selon R. Kimelman, la confusion viendrait du fait qu'une foule de termes grecs est traduite par minim dans le Talmud de Babylone. On y trouve même des passages où min désigne un païen et où l'expression « min parmi les nations » (TB 'Abodah Zarah 65a; TB Hullin 13b) laisse croire qu'il existerait des minim parmi les païens 27 . Dans le Talmud de Babylone, min/minim peut également désigner différentes catégories de sectes juives y compris les judéo-chrétiens.
terme désigne des chrétiens, des manichéens ou des zoroastriens. Au XX' siècle, d'autres tels P. ScHÂFER, « Die sogenannte Synode von Jabne : I. Zur Trennung von Juden und Christen im ersten/zweiten Jh. n. Chr.; II. Der Abschluss »,dans Judaica 31 (1975), p. 54-64 et p. 116-124 ( = P. ScHÂFER, Studien zur Geschichte und Theologie des rabbinischen Judentums, Leyde, 1978, p. 45-64) etG. STEMBERGER, «Die sogenannte "Synode von Jabne" und das frühe Christentum », dans Kairos 19 (1977), p. 14-21 avaient précédé R. Kimelman dans ce type d'approche. 23 Voir H. HIRSCHBERG, «Once again, The Minim »,dans Journal of Biblical Literature 67 (1948), p. 305-318, surtout p. 309 et l'interprétation intéressante mais peu convaincante qu'il en donne. 24 Voir T lfullin II, 20. 25 Dans une étude fort intéressante, E.E. URBACH, « The Homelitical Interpretation of the Sages and the Expositions of Origen on Canticles, and the Jewish-Christian Disputation », dans Scripta Hierosolymitana 22 (1971), p. 247-275 [traduction de l'article paru en hébreu dans Tarbiz 30 (1960), p. 148-170], a tenté d'identifier les adversaires visés par les homélies de certains Sages de la littérature talmudique - selon cet auteur, un de ces adversaires serait Origène. Voir également R. KIMELMAN, «Rabbi Yohanan and Origen on the Song of the Songs: A Third Century Jewish-Christian Disputation », dans Harvard Theological Review 73 (1980), p. 567- 589. 26 Voir Pesiqta Rabbati V, 1, éd. Friedman 14b; Cantique Rabbah II, 3,5; Midrash Tanhuma sur Exode, éd. Buber, Beshallab. 24, p. 67. Voir N. DE LANGE, Origen and the Jews, Cambridge, 1976, p. 93 sq. 27 Il s'agit des propos de Rabbi Y ohanan de Tibériade. Mais, dans le passage parallèle du Talmud de Jérusalem, Yebamot VIII, 1, Sd, on a goy et non min. Par conséquent, on ne peut affirmer avec certitude que le terme minim utilisé par ce Sage désigne les païens. Sur ce point, voir S. LIEBERMAN, Midreshey Teyman, Jerusalem, 1940, réed. 1970, p. 8 contra G.F. MOORE, « The Definition of Canon and Repudiation of Christian Scriptures », dans The Canon and Masorah of the Hebrew Bible, New York, 1974, p. 124. Ces différences seraient le résultat du nombre important de modifications d'ordre linguistique dont a fait l'objet la littérature du pays d'Israël par les Amoraïm babyloniens, voir M. MoRESHET, «The Language of the Baraytot in the T.B. is not MHe 1 » (héb.), dans Hanoch Yalon Memorial Volume, Jerusalem, 1974, p. 275-314 et M.Z. KADDARI et al. (Ed.), Archive of the New Dictionnary of Rabbinic Literature (héb.), 2 vols., Ramat Gan, 1972-1974.
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La Birkat ha-minim est-elle une prière contre les judéo-chrétiens?
Il résulte de cette analyse que dans la littérature du pays d'Israël, tant à l'époque des Tannaïm qu'à celle des Amoraïm, le terme minim désigne toujours des Juifs sectaires d'une manière ou d'une autre, des opposants du judaïsme28 , jamais des non-Juifs. En revanche, le Talmud de Babylone utilise parfois ce terme pour désigner des non-Juifs. Par conséquent la birkat ha-minim telle qu'elle fut re-formulée à l'époque de Rabban Gamliel II visait exclusivement des Juifs appartenant à différents courants du judaïsme29 . Elle les visait tous sans exception car leurs dissensions mettaient en danger le judaïsme et les Juifs de leur époque. Elle contrait une résistance éventuelle de leur part au projet d'unification et d'uniformisation de la halakhah entrepris Rabban Gamliel. Celui-ci en tant que chef de l'académie de Yabneh et seul représentant des Juifs de Judée auprès des autorités romaines après la destruction du Temple décida de réunir l'ensemble des Juifs sous l'autorité d'une seule halakhah. Avec le temps, l'autorité du patriarche et la halakhah émanant de son académie finiront par s'imposer non seulement aux Juifs de Judée mais également à ceux de la diaspora. IL La birkat ha-minim, l'Évangile de Jean et les sources patristiques
Des passages du Nouveau Testament et de la littérature patristique ont parfois été versés à ce dossier, notamment l'Évangile de Jean. On a soutenu que ce texte, rédigé entre 80 et 100 de notre ère, aurait été écrit en réaction à l'institution de la bénédiction contre les minim qui visait les judéo-chrétiens 30 et leur exclusion de la
28 Voir C.M.Y. GEVARYAHU, « Birkat ha-Minim » (héb.), dans Sinay 44 (1958-59), p. 367375; L.H. SCHIFFMAN, Who was a Jew? Rabbinic and Halakhic Perspectives on the JewishChristian Schism, Hoboken,/New Jersey, 1985, p. 58-61 ; D. FLUSSER, «The Jewish-Christian Schism »,dans Jmmanuel 17 (1983-1984), p. 31-32; P. ScHAFER, «op. cit. »,dans Judaica 31 (1975), p. 58-59. 29 On est en droit de supposer que les personnes et les courants du judaïsme énumérés dans la Mishnah (Sanhedrin X, 1) et la Tosefta (Sanhedrin XIII, 5) pouvaient faire partie de la birkat ha-minim de l'époque de Yabneh. Pour la comparaison de ces textes, voir D. FLUSSER, « Miq(îat Ma'ase Ha-Torah et Birkat Ha-Minim » (héb.), dans Tarbiz 61 (1991-1992), p. 333374. 30 Pour la question des judéo-chrétiens, voir S.K. RIEGEL, « Jewish Christianity: Definitions and Terminology », dans New Testament Studies 24 (1978), p. 410-415 et, plus récemment, S.C. MIMOUN!, « Pour une définition nouvelle du judéo-christianisme ancien », dans New Testament Studies 38 (1992), p. 161-186; J.-D. KAESTLI, «Où en est le débat sur le judéo-christianisme?», dans D. MARGUERAT (Ed.), Le déchirement. Juifs et chrétiens au premier siècle, Genève, 1996, p. 243-272; M. DE BOER, « L'Évangile de Jean et le christianisme juif (Nazoréen) », dans D. MARGUERAT (Ed.), Le déchirement. Juifs et chrétiens au premier siècle, Genève, 1996, p. 178-202; M. DE BOER,« The Nazoreans: Living at the Boundary of Judaism and Christianity », dans G.N. ST ANTON~ G.G. STROUMSA (Ed.), Tolerance and lntolerance in Early Judaism and Christianity, Cambridge, 1998, p. 239-262. Voir aussi B.L. VrsoTZKY, « Prolegomenon to the Study of Jewish Christianity in Rabbinic Literature », dans Association for Jewish Studies Review 14 (1989), p. 47-70 ( = B.L. VrsOTZKY, Fathers of the World. Essays in Rabbinic and Patristic Literatures, Tübingen, 1995, p. 129-149).
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Synagogue 31 . Cette thèse connut un certain succès32 et fut adoptée par quelques critiques33. Mais, de fait, l'Évangile de Jean 34 ne parle ni de prière synagogale ni de malédiction prononcée contre les chrétiens ou les judéo-chrétiens, mais d'un risque éventuel qu'encourent les disciples de Jésus de se voir « rejetés » des synagogues 35 . En tout état de cause, d'après l'Évangile selon Jean, le schisme n'a pas encore eu lieu puisque le risque d'un « rejet » existait encore et que les judéo-chrétiens continuent de fréquenter les synagogues. D'autre part, si la birkat ha-minim visait les chrétiens ou les judéo-chrétiens déjà à l'époque de Yabneh, elle aurait été mentionnée sans doute dans la littérature chrétienne des premiers siècles et le terme aposynagogos repris par tous ses auteurs 36 . Pour toutes ces raisons cette pièce sera écartée du dossier de la birkat ha-minim. On s'est également souvent appuyé sur le texte de Justin (milieu du ne siècle): « Dans vos synagogues, vous élevez des imprécations contre ceux qui croient au Christ »37 . Ce passage qui reproche aux Juifs de maudire dans leurs synagogues « ceux qui croient au Christ » ne mentionne aucune prière particulière ou quotidienne visant ces derniers. Il est donc impossible d'affirmer que Justin y fait allusion à la prière des dix-huit bénédictions 38 . Justin ne fait pas état de l'exclusion des judéo-chrétiens car, de fait, ils fréquentent encore régulièrement la synagogue.
31 Il est à noter que les Actes des Apôtres dont la rédaction est contemporaine de celle de l'Évangile de Jean ne mentionne ni la birkat ha-minim ni l'exclusion d'une communauté chrétienne ou judéo-chrétienne de la synagogue. 32 Voir J.L MARTYN, History and Theology in the Fourth Gospel, Abigdon, 1968 1, Nashville, 19792 , p. 37-62. 33 Nous citerons quelques exemples: K.L. CARROLL, « The Fourth Gospel and the Exclusion of Christians from the Synagogue », dans Bulletin of the John Rylands Library 40 (19571958), p. 19-32; F. MANNS, « L'Évangile de Jean, réponse chrétienne aux décisions de Jabné », dans Liber Annuus 30 (1980), p. 47-92; F. MANNS, « L'Évangile de Jean, réponse chrétienne aux décisions de Jabné (Note complémentaire) », dans Liber Annuus 32 (1982), p. 85-108; W. HoRBURY, « The Benediction of the Minim and Early Jewish-Christian Controversy »,dans Journal of Theological Studies 33 (1982), p. 19-61; M. DE BOER,« L'Évangile de Jean et le christianisme juif (Nazaréen) »,dans D. MARGUERAT (Ed.) Le Déchirement. Juifs et chrétiens au premier siècle, Genève, 1996, p. 178-202. 34 En ce qui concerne cet évangile et la communauté johannique, voir M. DE JONGE, (Ed.), L'Évangile de Jean, Sources, Rédaction, Théologie, Louvain, 1977; J.L MARTYN, History and Theology in the Fourth Gospel, Abigdon, 1968 1, Nashville, 19792 ; J.L. MARTYN, The Gospel of John in Christian History, New York, 1978; J.L. MARTYN,« Glimpses into the History of the Johannine Community »,dans The Gospel of John in Christian History, New York, 1978, p. 120-121, (paru d'abord dans M. DE JONGE (Ed.), L'Évangile de Jean, Sources, Rédaction, Théologie, Louvain, 1977, p. 149-175). 35 Voir Jn 9, 22; 12, 42; 16, 2. 36 J.H. CHARLESWORTH (Ed.), The Old Testament Pseudepigrapha and the New Testament, Cambridge, 1985, p. 8: « Aposynagogos in the Gospel of John may have nothing to do with the Birkat ha-Minim ». Pour l'Évangile selon Jean dans l'histoire du christianisme primitif, voir les essais rassemblés par le même auteur dans John and Qumran, Londres, 1972. 37 De fait, cette idée revient cinq fois dans le Dialogue avec Tryphon sans mention de la synagogue (93, 4 ; 95, 4 ; 108, 3 ; 123, 6; 133, 6) et quatre fois avec mention de la synagogue (16, 4; 47, 43; 96, 2; 137, 2). 38 Voir G. HOENNICKE, Das Judenchristentum im ersten und zweiten Jahrhundert, Berlin, 1908, p. 387 sq.; A. MARMORSTEIN, « The Attitude of the Jews toward Early Christianity », dans The Expositor, 49 (1923), p. 383-389; A. MARMORSTEIN, «The Amidah of the Public Fast
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La Birkat ha-minim est-elle une prière contre les judéo-chrétiens? Le témoignage d'Origène au milieu du Ille siècle n'apporte pas davantage de clarté ou de certitude sur l'existence d'une prière juive contre les chrétiens ou les judéo-chrétiens. Ce père de l'Église répète un certain nombre de fois que les Juifs maudissent Jésus 39 . Or, dans la birkat ha-minim ce n'est pas le Christ mais les minim qui sont visés. Origène ne fait aucune allusion à une prière concernant les chrétiens dans la liturgie juive. Comme aucun Père de l'Église n'était aussi bien informé que lui sur les Juifs et leurs pratiques40 , il est permis de supposer que si des imprécations étaient prononcées dans les synagogues contre les chrétiens, il les aurait connues et mentionnées. On ne peut que constater un fait : Origène ne fait allusion à aucune prière de ce genre. Par conséquent ces deux pièces seront également écartées du dossier de la birkat ha-minim. La situation change lorsqu'on examine les témoignages de la littérature patristique de la fin du IVe et début du ve siècle, à partir du règne de Constantin et l'avènement du christianisme comme religion de l'Empire après Théodose. On peut alors noter les premières allusions à l'existence d'une prière quotidienne chez les Juifs contre des judéo-chrétiens: elles se trouvent chez Épiphane (environ 315403) et Jérôme (environ 342-420). Voici le passage chez Épiphane: « Cependant, [les nazoréens] sont haïs par les Juifs. Car, non seulement les enfants juifs nourrissent de la haine contre eux, mais le peuple aussi se lève le matin, à midi et le soir, trois fois par jour, et prononce des jurons et des malédictions sur eux quand ils disent leurs prières dans les synagogues. Trois fois par jour ils prononcent des anathèmes en disant: "Que Dieu maudisse les nazoréens" »41 .
Nous avons ici pour la première fois une preuve irréfutable de l'existence d'une prière quotidienne contenant des imprécations contre un groupe particulier de chrétiens: les nazoréens42 . Il est clair d'après le témoignage d'Épiphane que cette
Days », dans Jewish Quarterly Review 15 (1924), p. 409-418; A. MARMORSTEIN, « Judaism and Christianity in the Middle of the Third Century », dans Hebrew University College Annual 10 (1935), p. 223-263. 39 Homélie sur Jérémie X, 8, 2; XIX,12, 31; Homélie sur les Psaumes 37 II, 8. 40 Voir D. RoKÉAH, «Christian Greek and Latin Authors on Jews and Judaism » (héb.), dans LM. GAFNI - A. OPPENHEIMER - D.R. SCHWARTZ (Ed.), The Jews in the Hellenistic-Roman World, Studies in Memory of Menahem Stern, Jérusalem, 1996, p. 167-197 (repris dans Hénoch 20 (1998), p. 57-82); voir aussi les articles de H. SHANKS, Christianity and Rabbinic Judaism, Londres-Washington, 1992. 41 Panarion XXIX, 9, 1-2. Selon A. ScHMIDTKE, Neue Fragmente und Untersuchungen zu den judenchristlichen Evangelien, Leipzig, 1911, p. 64-65, 71-75, 105-108 et 249-251, les notices d'Épiphane et de Jérôme sur les imprécations et sur les nazoréens sont de seconde main et viendraient d'une source commune, probablement du commentaire perdu d'Apollinaire de Laodicée sur Isaïe. Voir aussi A.F.J. KLIJN - G.J. REININK, Patristic Evidence for JewishChristian Sects, Leyde, 1973, p. 46 et 52. 42 Les documents importants sur cette secte ont été recueillis par A.F.J. KLIJN - G.J. REININK, op. cit., Leyde, 1973, où on trouvera le texte original et une traduction. Voir aussi R.A. PRITZ, « The Jewish-Christian Sect of the Nazarenes and the Mishnah », dans Proceedings of the Eighth World Congress ofJewish Studies. Jerusalem 1981, Jérusalem, 1982, p. 125130; R.A. PRITZ, Nazarene Jewish Christianity,from the end of the New Testament Period until its Disappearance in the Fourth Century, Leyde, 1988, Jérusalem 1992, p. 102-107. Selon J.E. TAYLOR, « The Phenomenon of Early Jewish-Christianity: Reality or Scholarly Invention? », dans Vigiliae Christianae 44 (1990), p. 326, les nazoréens seraient le seul groupe parmi ceux qui
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prière ne vise pas l'ensemble de la chrétienté et Épiphane ne s'estime pas concerné en tant que chrétien par cette imprécation. D'ailleurs il ne considère pas les nazaréens comme des chrétiens mais plutôt comme «des Juifs et rien d'autre »43 . En dépit des relations tendues entre Juifs et nazoréens qui se dégagent de ce texte et en dépit des imprécations quotidiennes, Épiphane ne parle pas de l'exclusion des nazoréens de la Synagogue. De fait, cette exclusion n'a jamais eu lieu et la « malédiction» n'a eu aucun effet sur le comportement de ces chrétiens qui continuent de fréquenter les synagogues et Jérôme en témoigne. Ce père de l'Église, reproche, lui aussi, aux Juifs de maudire une certaine catégorie de chrétiens désignés « sous le nom de nazaréens (sub nomine nazarenorum) »44 . Dans une de ses lettres adressée à Augustin, il écrit :
« Jusqu'à nos jours on peut trouver dans toutes les synagogues de l'Orient une secte qu'on appelle les minéens (minaeorum) qui sont jusqu'ici condamnés par les pharisiens; qu'on appelle communément nazaréens (nazaraeos); ils croient au Christ fils de Dieu, né de la vierge Marie, et ils disent que c'est celui qui, sous Ponce Pilate, a souffert et est ressuscité; en lui nous aussi nous croyons; mais comme ils veulent être à la fois Juifs et chrétiens, ils ne sont ni Juifs ni chrétiens »45 . Il est intéressant de noter que, dans ce passage, Jérôme considère les nazaréens comme des Juifs appartenant à la classe des minim (minéens) 46 . Il les nomme ainsi parce qu'il s'agit sans doute d'un courant appartenant encore au judaïsme désigné ici par le terme «pharisiens »47 . On serait en droit de supposer qu'il existait d'autres sectes appartenant à la classe des minim et que seule, celle des nazaréens est visée par l'imprécation. Comme les pratiques nazaréennes sont désapprouvées tant par les Juifs que par les chrétiens 48 , les fidèles de cette secte ne sont ni Juifs ni chrétiens aux yeux de Jérôme. Certains auteurs insistent sur la nécessité de distinguer les nazoréens des autres groupes judéo-chrétiens49 tels les judaïsants cités par Ignace qui étaient probablement des chrétiens d'origine païenne ou les chrétiens
ont été décrits dans la littérature patristique à appartenir au judéo-christianisme primitif. Voir également S.C. MIMOUN!,« Les Nazoréens. Recherche étymologique et historique », dans Revue biblique 150 (1998), p. 208-262; ainsi que É. NoDET, «Les Nazoréens. Discussion», dans Revue biblique 150 (1998), p. 263-265. 43 Panarion XXIX, 9, 1 et 7, 1. 44 Voir Commentaire sur Isaïe II, 5, 18-19; XIII, 49, 7; XIV, 52, 4-6. 45 Jérôme, Epître 112, 13. Selon R. Kimelman, le terme noçerim était lu à l'origine naçerim ce qui signifie les Nazaréens. Ce sont ces derniers et non les Chrétiens qui étaient visés par la formule ha-Noçerim we-ha-minim qu'il traduit ainsi: «les nazaréens, à savoir, les minim » - le waw serait ici un waw explicativum. 46 Selon S. KRAUSS, «The Jews in the Works of the Church Fathers »,dans Jewish Quarterly Review 5 (1893), p. 132, Jérôme reproche aux Juifs de maudire l'ensemble des chrétiens à travers la secte des nazaréens. Cette explication est difficilement acceptable car Jérôme, à l'instar d'Épiphane ne s'identifie pas avec cette secte et ne considère pas ses fidèles comme des chrétiens. 47 Il serait intéressant d'étudier l'utilisation de ce terme dans les sources patristiques pour désigner le judaïsme rabbinique et jusqu'à quelle date cet usage persiste. 48 Pour la question des sectes judéo-chrétiennes, on consultera A.F.J. KLIJN - G.J. RmNINK, op. cit., Leiden 1973, p. 44-45, 168-169 et 220-221. 49 Voir J.E. TAYLOR,« op. cit. »,dans Vigiliae Christianae 44 (1990), p. 320.
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d'origine juive ayant abandonné la praxis mosaïque (c'était le cas de la plupart des chrétiens de cette origine au début du II" siècle). En effet, ce qui distingue les nazoréens des autres groupes judéo-chrétiens est d'une part leur appartenance à l'ethnie juive et l'observance de la praxis juive en dépit de leur théologie (et christologie) qui ne diffère en rien de celle des autres groupes chrétiens 50 . Il convient de préciser que ni Épiphane ni Jerôme ne se déclarent concernés en tant que chrétiens par les imprécations proférées à l'égard des nazaréens. Bien au contraire, ils les considèrent comme des hérétiques. En outre, ces deux Pères de l'Église ne mentionnent pas « l'exclusion » des nazaréens de la Synagogue. Selon le témoignage de Jérôme, les nazaréens la fréquentent ou plus exactement ils y sont encore! En agissant ainsi, ils se comportent comme tant d'autres chrétiens qui se rendent, eux aussi, dans les synagogues 51 , au grand mécontentement des Pères de l'Église qui tentent en vain de les en dissuader. Sur ce point les témoignages des sources rabbiniques concordent avec les sources patristiques au moins jusqu'au IVe siècle. Nous ne donnerons que deux exemples: 1) À plusieurs occasions, des minim se rendent à la synagogue de Césarée pour y écouter les enseignements des maîtres juifs. Une fois, ils y vont dans le but précis d'écouter l'enseignement de Rav Safra (290-320; 320-350), un maître babylonien fort célèbre de passage au pays d'Israël. Ils l'interrogent et comme sa réponse ne semble pas les satisfaire, ils le maltraitent 52 . 2) Les homélies anti-juives de Jean Chrysostome en 386/387 en sont un autre exemple. Ce Père de l'Église essaye par tous les moyens de dissuader les chrétiens de fréquenter les synagogues. D'ailleurs, il ne mentionne jamais des malédictions prononcées par les Juifs contre les chrétiens. Nous sommes d'accord avec R. Kimelman qui écrit: « Si un des antisémites les plus virulents de l'Église [Jean Chrysostome] ne mentionne pas les imprécations officielles des Juifs contre les chrétiens, l'existence de telles imprécations est réellement mise en question »53 . Le terme de nazaréens ou noçerim en hébreu mérite une attention particulière. Il figure dans la birkat ha-minim, mais exclusivement dans la tradition liturgique rattachée au pays d'Israël. Six versions en ont été publiées par A. Marmorstein; elles contiennent toutes le terme noçerim placé avant celui de minim 54 . La présence de 50
J.E. TAYLOR,« op. cit. »,dans Vigiliae Christianae 44 (1990), p. 317 et 327. Voir E. WILL - CL ÜRRIEUX, «Prosélytisme juif»? Histoire d'une erreur, Paris, 1992, ainsi que la recension faite par S.J.D. COHEN, dans Gnomon 18 (1996), p. 273-275. 52 Voir TB 'Abodah Zarah 4a. Voir S.T. LACHS, «Rabbi Abbahu and the Minim », dans Jewish Quarterly Review 60 (1970), p. 197-212. 53 Voir R. KIMELMAN, « Birkat Ha-Minim and the Lack of Evidence for an Anti-Christian Jewish Prayer in Late Antiquity », dans E.P. SANDERS (Ed.), Jewish and Christian-Self Definition, t. II, Philadelphia 1981, p. 240. 54 Voir A. MARMORSTEJN, «The Amidah of the Public Fast Days »,dans Jewish Quarterly Review 15 (1924), p. 408-418; et D. GoLDSCHMIDT, Seder Rab Amram Caon, Jérusalem, 1971, p. 25. Cependant, cet ordre n'est pas commun à toutes les versions connues. Voir également E. ScHÜRER, « The Shemoneh 'Esreh », dans The History of the Jewish People in the Age of Jesus Christ 175 B.C.-A.D. 135, t. II, Edimbourg, 1979, p. 455-463. Certains considèrent que le terme noçerim se trouvait déjà dans la version du Ier siècle, voir J.L. MARTYN, History and Theology in the Fourth Gospel, Abigdon, 1968 1 , Nashville 2 , 1979, p. 58, n. 78; W.D. DA VIES, 51
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ces deux termes côte à côte prouve bien qu'il ne s'agit pas de synonymes, mais de deux groupes socio-religieux bien distincts. Aux Juifs « hétérodoxes » déjà visés par le terme minim de la douzième bénédiction du shemoneh 'esreh depuis le rr siècle, on ajouta celui de noçerim qui visait un groupe bien défini de judéo-chrétiens vivant au pays d'Israël. Grâce aux témoignages d'Épiphane et Jérôme on peut dater cet ajout de la fin du rve siècle. Par conséquent, les versions de la birkat ha-minim dont nous disposons actuellement qui contiennent le terme noçerim, y compris celles de la Genizah du Caire, présentent l'état du texte de cette bénédiction à la fin du rve siècle. Il est à noter que le terme noçerim ne figure pas dans les versions babyloniennes de la birkat haminim, sans doute parce que la communauté juive de Babylone n'a pas eu à affronter le problème des nazaréens. D'ailleurs, on ne trouve des allusions à cette bénédiction que chez les auteurs chrétiens ayant vécu ou voyagé en Orient. Les témoignages des Pères de l'Église nous permettent donc de conclure en quatre points: 1) Nous ne disposons d'aucune preuve datant du Ier, ne ou IIIe siècles permettant d'affirmer que la birkat ha-minim visait les chrétiens ou les judéo-chrétiens.
2) Les premières attestations de l'existence d'une telle imprécation datent de la fin du IVe siècle. Le terme nazaréens ajouté à celui des minim dans la douzième bénédiction vise alors un groupe bien particulier de judéo-chrétiens et non l'ensemble de la chrétienté. 3) Ces nazaréens ne sont pas considérés comme des chrétiens par les Pères de l'Église. Néanmoins, nous ne disposons d'aucune preuve concernant leur exclusion de l'Église ou de la Synagogue. 4) En dépit de l'existence d'une imprécation prononcée contre eux, les nazaréens fréquentent les synagogues. En ceci ils ne diffèrent pas des autres chrétiens auxquels les Pères de l'Église reprochent de se rendre dans les lieux de culte des Juifs. III. La prière des « dix-huit bénédictions »
Avec tephillah, à savoir« prière», les expressions yod b.et berakhot ou shemoneh 'esreh berakhot sont celles que les sources tannaïtiques utilisent le plus souvent pour désigner la prière « dix-huit bénédictions ». Elle est également appelée 'amidah qui signifie « la position debout » à adopter obligatoirement lors de sa récitation. Au fil des siècles, cette prière est devenue le temps fort, le point culminant de l'office quotidien dans la liturgie juive. La prière des « dix-huit bénédictions » (dont les origines et les circonstances de composition sont loin d'être claires) existait à la fin du Second Temple, et déjà à cette époque elle portait ce nom 55 . Sa composition s'est étalée probablement sur
The Setting of the Sermon on the Mount, Cambridge, 1964, 1966, p. 278-279; J.T. ToWNSEND, «The Gospel of John and the Jews. The Story of a Religious Divorce», dans A.T. DAvrns (Ed.), Antisemitism and the Foundations of Christianity, New York, 1979, p. 72-97 et tout particulièrement p. 86; S. KRAUSS, «The Jews in the Works of the Church Fathers »,dans Jewish Quarter/y Review 5 (1893), p. 130-131. 55 La littérature sur la prière des « dix-huit bénédictions » est fort abondante : 1. LOEB, « Les Dix-huit Bénédictions », dans Revue des études juives 19 (1889), p. 17-40; I. ELBOGEN,
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La Birkat ha-minim est-elle une prière contre les judéo-chrétiens?
une longue période qui commença vers le ne siècle avant notre ère puisque les trois dernières bénédictions datent de l'époque hasmonéenne. Selon certains critiques cette prière contenait à l'origine dix-sept bénédictions 56 auxquelles on ajouta une dix-huitième, celle des minim. Pour d'autres, elle contenait dix-huit bénédictions avant l'introduction de celle des minim à la douzième place 57 . L'expression « dixhuit bénédictions » pourrait également être interprétée comme un chiffre parfait désignant une quantité importante ou une multitude. C'est ainsi que ce chiffre est fréquemment utilisé dans la littérature rabbinique 58 . On serait donc en droit de considérer cette expression comme faisant référence à un nombre important de bénédictions59. Peu importe si l'on comprend le chiffre « dix-huit» au sens propre et arithmétique du terme ou comme désignant une multitude de bénédictions, la bir-
« Geschichte des Achtzehngebets », dans Monatsschrift für Geschichte und Wissenschaft des Judentums 46 (1902), p. 330-357, 427-439 et 513-530 (= Geschichte des Achtzehngebets, Breslau, 1903); P. FIEBIG, Berachoth, der Mischnatracktat «Segensprüche», Breslau, 1906, p. 2629; O. HOLTZMANN, Die Mischna-Berachot, Breslau, 1914, p. 10-27; K. KoHLER, «The Origin and Composition of the Eighteen Benedictions with a Translation of the Corresponding Essene Prayers in the Apostolic Constitutions », dans Hebrew Union College Annual 1 (1924), p. 387-425; A. MARMORSTEIN, «op. cit. »,dans Jewish Quarter/y Review 15 (1924), p. 408-418 et 415-417 ; I. ELBOGEN, Der jüdische Gottesdienst in seiner geschichtlichen Entwicklung, Frankfort am Main, 1931-1933, p. 27-60, 515-520 et 582-586; A.Z. IDELSOHN, Jewish Liturgy and its Development, New York, 1932, p. 92-110; K.G. KuHN, Achtzehngebet und Vaterunser und der Reim, Tübingen, 1950; E. MuNK, Le monde des prières, Paris, 1993, p. 144-189; J. HEINEMANN, Ha-tefillah bitqufat ha-Tannaiin we-ha-Amoraiin, Jérusalem, 1964 1, 19844 • p. 138-157 (=Prayer in the Talmud, Berlin-New York, 1977, p. 218-250); J. HEINEMANN,« Amidah », dans Encyclopaedia Judaica 12 (1972), col. 838-846; J. PETUCHOWSKI - J. HEINEMANN, Literature of the Synagogue, Aschaffenburg, 1975, p. 29-45); E. ScHÜRER, « op. cit. », Edimbourg, t. Il, 1979, p. 455-463; S. BEN CHORIN, « La prière des dix-huit bénédictions », dans Le judaïsme en prière. La liturgie de la Synagogue, Paris, 1984., p. 55-71; F. MANNS, « Le shemoné esré »,dans La prière d'Israel à l'heure de Jésus, Jérusalem, 1986, p. 141-155; P.F. BRADSHAW - L.A. HOFFMAN (Ed.), The Making of Jewish and Christian Worship, Londres, 1991; M.R. HAYOUN, La Liturgie juive, Paris, 1994, p. 51-59 (aperçu rapide sur la question du shemoneh 'esreh). Il convient de préciser que l'ouvrage de référence sur la prière juive reste celui de Y.M. Elbogen: quarante ans après sa parution en allemand, il a été traduit en hébreu avec addenda et bibliographie par J. Heinemann sous le titre Ha-Tephillah be-Yisrael be-Hitpathutah ha-Historit, Tel Aviv, 1972, puis en anglais à partir de l'hébreu sous le titre Jewish Liturgy: A Comprehensive History, Philadelphie-Jérusalem, 1993. Cependant, pour la deuxième partie du travail de Y.M. Elbogen (la section intitulée« The History of Jewish Liturgy »),on consultera dorénavant S.C. REIF, Judaism and Hebrew Prayer. New Perspectives on Jewish Liturgical History, Cambridge-New York, 1993. 56 Pour ces termes, voir E. BICKERMAN, « Bénédiction et prière », dans Revue biblique 69 (1962), p. 524-532 ( = Studies in Jewish and Christian History, t. Il, Leyde, 1980, p. 313-323); J.P. AuDET, « Esquisse historique du genre littéraire de la 'Bénétiction' juive», dans Revue biblique 65 (1958), p. 371 sq. 57 Voir J. PETUCHOWSKI, « Das Achtzehngebet »,dans Jüdische Liturgie. Geschichte-Struktur-Wesen, Freiburg im Breisgau, 1979, p. 77-88 ( = « La prière des Dix-huit Bénédictions », dans Liturgie juive, histoire, structure et existence, Fribourg, 1979). 58 Voir TB Sanhedrin 5b; 'Erubin 53a; Voir aussi TB 'Erubin 80a, Esther Rabbah 7,18 et TB Ketubbot 17a où le chiffre « dix-huit » ainsi que ses multiples désignent une multitude. 59 N.G. COHEN,« The Nature of Shim'on Ha-pekuli's Act» (hébreu), dans Tarbiz 52 (19821983), p. 552.
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Liliane Vana kat ha-minim faisait partie du shemoneh 'esreh avant la catastrophe de 70 ainsi qu'en témoigne la Tosefta 60 . Elle ne constitue en aucun cas une bénédiction nouvelle introduite par Rabban Gamliel II et ne visait l'exclusion d'aucun groupe, juif ou non juif, de la synagogue. Après la destruction du Temple, Rabban Gamliel II tente de rendre obligatoire la récitation quotidienne du shemoneh 'esreh. Voici ce que dit la barayta :
« Rabban Gamliel dit: "Toute personne doit réciter les dix-huit [bénédictions] tous les jours". Rabbi Yehoshua' dit: "[Toute personne doit réciter] les dix-huit bénédictions abrégées (me'eyn shemoneh 'esreh) [tous les jours]". Rabbi Aqiba dit: "Si [on les connaît] couramment (shegurah be-fiv), on doit réciter [la version longue] et si on ne les connaît pas [on doit les réciter] en abrégé (me'eyn shemoneh 'esreh)". Rabbi Eli'ezer dit: "Celui qui fait de sa prière une pratique fixe et régulière, sa prière n'est pas une véritable supplication" »61 •
Selon cette barayta, la prière des « dix-huit bénédictions » existait déjà avant l'époque de Yabné. Elle était même fort populaire et récitée selon l'appréciation de chacun de différentes manières, soit en la prolongeant à sa guise soit en l'abrégeant. Rabban Gamliel II souhaite en rendre obligatoire la récitation quotidienne, mais sa décision ne fait pas l'unanimité; bien au contraire, le chef de l'académie se heurte à une forte opposition de la part de ses collègues, les « Anciens » de Yabné. Rabbi Eli'ezer est hostile à l'idée même de Rabban Gamliel II, considérant sans doute qu'une prière est un acte intime et personnel qui reste à l'appréciation de chacun et qu'on accomplit en fonction des ses dispositions spirituelles. Selon lui, une prière doit être une véritable supplication ainsi que le dit le psautier (Ps 28, 6 et 31, 23). Or, si elle est institutionnalisée ou devient obligatoire, elle ne saurait être « une véritable supplication ». Rabbi Yehoshua' accepte le principe de rendre obligatoire la récitation d'une prière mais s'oppose à l'idée de contraindre le public à réciter les « dix-huit bénédictions » dans une version trop longue. Aussi propose+ il d'en rendre obligatoire la récitation de la version abrégée (me'eyn shemoneh 'esreh62). Quant à Rabbi Aqiba, il propose une sorte de compromis entre l'exigence de Rabban Gamliel II et la proposition de Rabbi Yehoshua' qui serait une sorte de « statu quo liturgique ». Selon lui il conviendrait de rendre obligatoire ce que chacun applique déjà dans sa vie quotidienne : que celui qui a l'habitude de prolonger
T Berakhot III, 25, édition Zuckermandel, p. 9. Voir M Berakhot IV, 3-4 = TB Berakhot 28b. Pour la dernière phrase de Rabbi Eli'ezer, voir aussi M Aboth II, 3. 62 La Mishnah ne précise pas ce qu'elle entend par cette expression. À l'époque des Amoraïm deux interprétations en sont données: 1) Il s'agirait de la récitation des trois premières et trois dernières des dix-huit bénédictions plus une spécifique à la« sanctification du jour » (qedushat ha-yom); 2) Il s'agirait d'une version abrégée de chacune des dix-huit bénédictions. Au fil des siècles c'est la première opinion qui finit par s'imposer. Ainsi les jours de shabbat ou de fêtes, on ne récite que sept bénédictions. Sur cette question, voir A.M. HABERMAN, La prière me'eyn shemoneh 'esreh, (hébreu), Berlin, 1932. P.W. VAN DER HORST,« The Greek Synagogue Prayers in the Apostolic Constitutions, book VII »,dans J. TABORY (Ed.), From Qumran to Cairo. Studies in the History of Prayer. Proceedings of the Research Group convened under the auspices of The Institutefor Advanced Studies of the Hebrew University of Jerusalem 1997, Jérusalem, 1999, p. 26-27. 60 61
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la récitation du shemoneh 'esreh continue de le faire tandis que celui qui n'en a pas l'habitude peut se contenter de la récitation d'une version courte. La tentative de rendre obligatoire la récitation quotidienne de la prière des « dixhuit bénédictions » s'inscrit dans un vaste projet de nouvelles mesures prises par Rabban Gamliel Il, chef de l'académie de Yabneh et représentant de l'ensemble des Juifs de Judée auprès des autorités romaines à la fin du Ier siècle. Ses mesures avaient pour objectif majeur d'unifier les différents courants du judaïsme autour d'un seul calendrier et d'une même halakhah, d'uniformiser les pratiques cultuelles et liturgiques d'une société juive pluraliste dépourvue de son lieu de culte centralisateur : le Temple. Réorganiser et unifier les différents courants du judaïsme étaient la grande ambition de Rabban Gamliel Il 63 • À cette occasion certains passages de la prière ont été modifiés, ajoutés ou supprimés 64 en fonction des divergences qui existaient entre le judaïsme pharisien (et ses successeurs) et les autres courants du judaïsme. D'autre part, la « liturgie officielle » mise en place à l'époque de Yabneh avait pour but de remplacer le culte sacrificiel disparu avec la destruction du Temple. De nombreux passages de la littérature tannaïtique en témoignent et mettent en valeur l'importance de la prière quotitienne: « la prière est plus importante que les sacrifices »65 , « [les prières prononcées par] nos lèvres remplaceront les animaux sacrificiels ». De fait, l'organisation des prières quotidiennes, est calquée sur celle des offrandes sacrificielles dans le Temple 66 . Enfin, l'entreprise de Rabban Gamliel II contribua au façonnement d'une certaine orthodoxie, d'un certain judaïsme devenu par la suite « normatif» - mais à l'époque de Yabneh il était encore en pleine formation. Examinons maintenant la barayta qui constitue la source majeure concernant la prière des « dix-huit bénédictions » et la birkat ha-minim : « Nos Sages ont enseigné: Shime'on Ha-Peqoli 67 a récité (hisdir) les dix-huit bénédictions devant Rabban Gamliel 68 selon un [certain] ordre ('al ha-seder) 69 à Yabneh.
Voir G. ALON, Jews, Judaism and the Classical World, Jérusalem, 1977, p. 269-313. On supprima par exemple la récitation du Décalogue à côté de celle du« Shema' Israël», sans doute contre les judéo-chrétiens, voir G. VERMES., « The Decalogue and the Minim », dans M. BLACK - G. FoHRER (Ed.), ln Memoriam Kahle P., Berlin, 1968, p. 230-240 ( = PostBiblical Jewish Studies, Leyde, 1975, p. 169-177); V. APTOWITZER, «L'usage de la lecture quotidienne du Décalogue à la Synagogue », dans Revue des études juives 88 (1929), p. 167l 7Q. D'autres modifications visant les sadducéens, les esséniens et les dualistes, voir A. SoFER, «A cause de la colère des Minim (héb.) », dans Sinay 99 (1986), p. 38-47. 65 TB Berakhot 32b. 66 Il est à noter que bien avant 70 le mouvement pharisien avait introduit tant dans le Temple que partout dans le pays d'Israël des pratiques liturgiques et la lecture de passages de la Torah à certains moments de la journée de sorte qu'ils coïncident avec les temps forts des rites sacrificiels ayant lieu dans le Temple (exemples: les lectures des ma'amadot, la lecture du Shema', M. Berakhot 1, 1). 67 Ce terme signifie« le cotonnier», voir M. JASTROW, A Dictionnary of the Targumim, the Talmud Babli and Yerushalmi, and the Midrashic Literature, Londres, 1886-1903. Voir aussi Rashi sur TB Berakhot 28b. 68 Il s'agit de Rabban Gamliel II dit Rabban Gamaliel de Yabné (80-110). Cependant, selon A. HETMAN, Histoire des Tannaim et des Amoraiin (héb.), Londres, 1910, Jérusalem, 1954, p. 1148 et p. 309 et 667, il s'agirait de Hillel l'Ancien qui aurait siégé à Yabneh avant la destruc63
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Liliane Vana Rabban Gamliel dit aux Sages: Y a-t-il quelqu'un qui sache amender (kelum yesh adam she-yodea letaqqen) la bénédiction des minim ? Shemu'el Ha-Qatan 70 se leva et l'amenda (tiqqenah). Une autre année, il omit [de la réciter] et l'observa (shekhaf1ah we-hishqif bah) pendant deux ou trois heures, mais nul ne songea à le faire descendre [du pupitre 71 ] (we-lo he'eluhu) »72 . On a voulu voir dans ce texte la preuve de l'initiative prise par Rabban Gamliel II d'instituer la birkat ha-minim et la prière des « dix-huit bénédictions »73 . Dans ce but, il se serait adressé à Shemu'el Ha-Qatan en lui demandant de composer la première et à Shime'on Ha-Peqoli pour la deuxième 74 . Selon d'autres savants, Rabban Gamliel II aurait demandé à Shime'on Ha-Peqoli de mettre en forme une prière qui avait cours, qui était déjà récitée quotidiennement mais de manière informelle 75 . Or, un examen attentif des termes hébraïques utilisés dans cette barayta permet de constater qu'il n'est pas question de l'institution d'une prière nouvelle, mais de la présentation d'une prière qui existait déjà à l'époque de Rabban Gamliel de Yabneh. Les termes hisdir, 'al ha-seder, ainsi que la précision géographique surprenante «devant Rabban Gamlicl à Yabneh » qu'on ne trouve nulle part ailleurs, méritent une attention particulière. Afin de convaincre ses collègues du bien fondé de sa décision de rendre obligatoire la récitation des « dix-huit bénédictions », Rabban Gamliel II s'adresse à Shi-
tion du Temple. Mais cette datation a été rejetée par la plupart des critiques. 69 La traduction de cette expression par « sur l'ordre de Rabban Gamaliel» nous semble impossible. Le terme seder « ordre » fait référence à l'enchaînement, à la chronologie du texte et non aux instructions qui auraient été données par Rabban Gamliel. Pour la racine« SDR », voir M. JASTROW, op. cit., Londres, 1886-1903. 7 Certains ont vu dans ce Sage un contemporain de Hillel J' Ancien, mais une telle datation est impossible ainsi que l'a démontré M. HIRSHMAN, « Shemu'el ha-Qatan » (héb.), dans 1. GAFNI - A. ENHEIMER - STERN (Ed.), Jews and Judaism in the Second Temple, Mishna and Talmud Period. Studies in Honor of Shmuel Safrai, Jérusalem, 1993, p. 165-172, dans un article consacré à la reconstitution de la biographie de ce Sage. 71 Ou peut-être faut-il comprendre que « nul ne songea à lui faire reprendre [la récitation du texte] » ainsi que nous le verrons plus loin. 72 TB Berakhot 28b-29a; voir aussi TB Megillah l 7b et TJ Berakhot V, 4. 73 Y.M. ELBOGEN, Ha-Tephillah be-Yisrae1 be-Hitpathutah ha-Historit, Tel Aviv, 1972, surtout p. 177-194; S. KANTER, Rabban Gamliel II: The Legal Tradition, Ann Arbor/Michigan, 1980, p. 9-10. 74 D'après E. FLEISHER, « On the Begining of Obligatory Jewish Prayer », (héb.) dans Tarbiz 59 (1990), p. 397-441 et« The shemoneh 'esreh - lts character, Internai Order, Content and Goals», (héb.) dans Tarbiz 62 (1993), p. 186-223, l'institution de la prière du shemoneh 'esreh ainsi que sa forme constituent des nouveautés introduites par Rabban Gamliel. Cependant, la forme première de cette prière se serait perdue. Il est difficile d'accepter cette thèse surtout à la lumière des textes liturgiques de Qumrân et de leurs similitudes avec les prières connues de l'époque tannaïtique. Sur cette question, voir B. NrTZAN, Qumran Prayer and Religious Poetry, Leiden, 1994; D. FLUSSER, «Un fragment qumranien et la bénédiction de «guvurot» du shemoneh 'esreh »(en hébreu), dans Tarbiz 64 (1995), p. 331-334; M. WEINFELD, «L'origine biblique de la prière de la 'amidah de shabbat et des jours de fêtes » (héb.), dans Tarbiz 65 (1996), p. 547-563. 75 Voir G. ALON, Toledot hayehudim, Jérusalem, 1953, t. 1, p. 168.
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me'on Ha-Peqoli qui n'est ni un docteur de la Loi ni un érudit, mais un simple particulier, cotonnier de métier. C'est d'ailleurs l'unique fois où Shime'on Ha-Peqoli, qui ne porte aucun titre, est mentionné dans la Mishnah. Il lui demande d'exposer « à Yabneh », à savoir d'exposer devant lui et ses collègues de l'académie, les « dix-huit bénédictions » telles qu'il avait l'habitude de réciter. Shime'on Ha-Peqoli expose donc (hisdir) devant les Sages de Yabneh les « dix-huit bénédictions » selon l'ordre ('al ha-seder) et la version habituellement récitée 76 . Ainsi Rabban Gamliel II a-t-il réussi à démontrer à ses collègues, décisionnaires avec lui des nouvelles halakhot (lois), qu'un simple Juif de leur époque était en mesure de, voire habitué à, réciter les « dix-huit bénédictions ». Il a également réussi à prouver à ses collègues qu'il existait dans la pratique populaire un certain ordre des « dix-huit bénédictions» et qu'on pouvait donc rendre obligatoire leur récitation quotidienne dans une version longue. Cependant, ni la forme du texte ni l'ordre des bénédictions n'étaient encore définitifs: on pouvait encore en changer l'ordre, du moins celui des bénédictions du milieu77 . Shime'on Ha-Peqoli n'a donc rien innové, institué ou composé7 8 . Il a tout simplement exposé (hisdir) une prière existante selon l'ordre qu'il connaissait. De même, Rabban Gamliel II de Yabneh n'a pas institué une nouvelle prière ni innové en matière de liturgie, mais a tout simplement entériné une pratique existante79 et l'a rendue obligatoire. Il a donné son aval à un ordre déjà existant des « dix-huit bénédictions » récitées par bon nombre de Juifs de son époque sans toutefois être « officielles », le cas de Shime'on Ha-Peqoli en témoigne. De manière générale, la récitation des prières n'était pas obligatoire avant l'époque de Yabneh80 . Ensuite on fixa les heures réglementaires de la récitation du shemoneh 'esreh : « De même que les docteurs de la Loi déterminèrent un temps fixe pour la lecture du shema', de même ils le firent pour la prière [des dix-huit bénédictions] »81 . À partir de l'époque de Yabneh la prière des « dix-huit bénédictions » devint donc obligatoire pour tout homme, femme, enfant et esclave 82 , et sa récitation li-
76 Notre lecture s'inspire de l'interprétation et de l'exposé philologique de N. COHEN,« The Nature of Shime'on Hapekuli's Act »(hébreu), Tarbiz 52 (1982-83), p. 547-555. 77 Voir TB Berakhot 34a : « Les bénédictions du milieu - on peut les réciter dans le désordre». 78 La tradition rabbinique n'a jamais attribué la rédaction des « dix-huit bénédictions » à Shime'on Ha-Peqoli ou leur institution à Rabban Gamliel. Selon une barayta, cette prière fut instituée par les cent vingt Sages de la Grande Assemblée qui l'ont reçue des prophètes. En d'autres termes, elle la situe au retour d'exil, à l'époque perse, voir TB Megillah 17b et Berakhot 33a. Il va de soi qu'on ne peut considérer cette tradition ou cette datation comme décisives du point de vue de l'histoire du shemoneh 'esreh. 79 Voir G. ALON, Toledot hayehudim, Jérusalem, 1953, t. I, p. 168. 80 Voir E. FLEISHER, «op. cit. »,(hébreu) Tarbiz 59 (1990), p. 397-441; S. SAFRAI, « Gathering in the Synagogues on Festivals, Sabbaths and Weekdays », dans British Archaeological Research, International Series, 499, Oxford, 1989, p. 7-15. Voir aussi S. TALMON, «The Emergence of Institutionalized Prayer in Israel in the Light of the Qumran Literature », dans M. DELCOR (Ed.), Qumrân : Sa piété, sa théologie et son milieu, Louvain, 1978, p. 265-284, repris et développé dans S. TALMON, The World of Qumran .fi'om Within: Collected Studies, Jérusalem-Leyde, 1989, p. 200-243. 81 T Berakhot III, 1, éd. Zuckermandel, p. 5. 82 M Berakhot III, 3.
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mitée à des heures fixes 83 . Les jours de shabbat et de fête, cette prière est récitée dans une version abrégée qui ne contient pas la birkat ha-minim. Cependant, la récitation trois fois par jour n'est pas encore obligatoire84 . La question de savoir si la récitation du shemoneh 'esreh le soir est obligatoire ou ne l'est pas oppose les docteurs de la Loi de la génération de Yabneh- notamment Rabban Gamliel et Rabbi Yehoshua' - et fut au coeur des divergences qui opposèrent les Sages et qui affaiblirent le pouvoir du patriarche. Elle ne fut tranchée que quelques générations plus tard, à l'époque des Amoraïm 85 • Quant au texte des « dix-huit bénédictions », il est longtemps resté imprécis; de nombreuses pratiques liturgiques coexistaient. Il en va de même pour la birkat haminim qui en faisait partie. Il existe deux grandes versions-traditions : une babylonienne, l'autre du pays d'Israël. Le texte appartenant à la tradition babylonienne a été éditée par L. Finkelstein 86 , celui de la tradition du pays d'Israël par Salomon Schechter87 et Jacob Mann88 . La version la plus ancienne dont nous disposons aujourd'hui appartient à la tradition babylonienne 89 . Il s'agit du responsum de Rav Amram Gaon (c. 875) qui constitue une preuve supplémentaire de l'absence d'ordre, de forme et de contenu fixes dans la liturgie juive jusqu'au IXe siècle. Le responsum fut à l'origine de la composition du premier siddur connu90 . Le rituel de prières du Gaon de Sura a été rédigé précisément en réaction à la question qui lui avait été posée par la communauté juive de Barcelone au sujet des prières quotidiennes qu'on est tenu de réciter et de l'ordre à respecter. Ce premier seder-siddur (connu) inspira Rav 83 La question des horaires est discutée dans M Berakhot IV, 2. Voir aussi Pesiqta Rabbati 195, 2. 84 E. FLEISHER, « On the Begining of Obligatory Jewish Prayer » (hébreu), dans Tarbiz 59 (1990), p. 397-441. 85 Voir T.-S. ISRAEL,« The Evening Prayer - Permission or Obligation?» (hébreu), dans J. TABORY (Eo.), From Qumran ta Cairo. Studies in the History of Prayer. Proceedings of the Research Group convened under the auspices of The lnstitute for Advanced Studies of the Hebrew University of Jérusalem 1997 (héb.), Jérusalem, 1999, p. 131-144. Sur la double signification du terme qeva' (obligatoire ou à heures fixes), voir L. GINZBERG, Perushim we-Hiddushim ba-Yerushalmi, New York, 1941, p. 30-31. 86 L. FINKELSTEIN, « The Development of the Amidah », dans Jewish Quarter/y Revie1v 16 (1925-1926), p. 1-43 et p.127-169, (repris dans Pharisaism in Making, New York, 1972, p. 318319) où l'auteur présente en synopse les deux traditions babylonienne et palestinienne. 87 S. ScHECHTER, « Genizah Specimens », dans Jewish Quarter/y Review 10 (1898), p. 654659. F. MANNS, « Le shemone esre », dans La prière d'Israël à l'heure de Jésus, Jérusalem, 1986, p. 141-155, a traduit et analysé la version courte de la tradition palestinienne éditée par S. Schechter. 88 J. MANN,« Genizah Fragments of the Palestinian Order of Service »,dans Hebrew Union College Annual 2 (1925), p. 306-308. Pour la bibliographie sur les publications des fragments de la Genizah, voir E. FLEISHER, La prière au pays d'Jsrael dans les manuscrits de la Genizah du Caire (héb.), Jérusalem, 1988, p. 9 sq. 89 De l'avis de J. HEINEMANN, Ha tefillah bitqufat ha-tannaim we-ha-amoraim, Jérusalem, 1964 1, 19844 , chapitre 2, toute tentative de trouver la version« première» du shemoneh 'esreh est vouée à l'échec car une telle version n'a probablement jamais existé; contra L. FINKELSTEIN, « The Development of the Amidah », dans Jewish Quarter/y Review 16 (1925-1926), p. 127-128. 90 Le texte a été édité successivement par D. HEDEGARD, Seder R. Amram Gaon, Lund, 1951, puis par D. GoLDSCHMIDT, Seder R. Amram Gaon, Jérusalem, 1971.
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La Birkat ha-minim est-elle une prière contre les judéo-chrétiens? Sa'adia Gaon (882-942) et servit de base à d'autres rituels de prières: au Siddur Rashi et au M af1zor Vitry (du XIe siècle)91 . Enfin, les différentes versions du shemoneh 'esreh n'ont jamais été uniformisées. Le texte de cette prière ne connaîtra jamais une forme unique, d'ailleurs jusqu'à nos jours. On recense non moins de dix versions différentes dans les manuscrits et les éditions imprimées 92 .
IV. La birkat ha-minim On est en droit de s'interroger sur l'expression birkat ha-minim, « la bénédiction des minim », alors que d'après son contenu, ce passage de la liturgie aurait dû être appelé « la malédiction [prononcée] contre les minim ». Cette dénomination pourrait s'expliquer de la manière suivante: la birkat ha-minim contenait la formule de clôture habituelle qui est la suivante: « Béni sois-tu, Éternel, toi qui ... ». Cette formule a donné son nom à toutes les parties de la prière du shemoneh 'esreh qui s'appellent toutes « la bénédiction de ... ». Il en va de même de la douzième: « la bénédiction des minim »93 . D'ailleurs, les Sages du Talmud n'en apportent aucune explication, sans doute parce que l'expression est commune à l'ensemble des bénédictions du shemoneh 'esreh 94 . À la fin du siècle dernier, 1. Lévi avait émis l'hypothèse selon laquelle la première formulation de la birkat ha-minim était antérieure à la destruction du Temple. S'appuyant sur des passages qu'on peut lire dans les Psaumes de Salomon, œuvre attribuée aux milieux pharisiens, 1. Lévi a mis en évidence la similitude entre certaines phrases de la Birkat Ha-minim et des versets des Psaumes de Salomon comme par exemple le passage suivant :
« Détruis, Seigneur, les pécheurs qui vivent dans l'hypocrisie parmi les saints, frappe leur chair de corruption et leur vie de détresse (IV, 7). Détruis, Seigneur, ceux qui, dans leur orgueil, commettent toute injustice; car tu es, Seigneur Notre Dieu, un juge grand et redoutable dans ta justice (IV, 28) »95 . D'après 1. Lévi, ces malédictions visaient les sadducéens 96 , ennemis des pharisiens. Les perushim (ou paroshim) qui figurent dans la première formulation de la birkat ha-minim seraient à identifier aux sadducéens. Ainsi, à l'époque de Yabneh Shemu'el Ha-Qatan n'aurait eu qu'à formuler à nouveau cette bénédiction de façon
Oeuvre de Simhah ben Shemu'el de Vitry, disciple ou collègue de Rashi. Voir D.J. VAN DER SLUIS (Ed.), Eike morgen nieuw. Een inleiding tot de Joodse gedachtenwereld aan de hand van de Sjemoneh Esreh, Hilversum, 1978, p. 393-396, cité par P.W. VAN DER HORST, Hellenism-Judaism-Christianity. Essays on their Interpretation, Louvain, 91
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1998 2 , p. 114. 93 Cependant, on pourrait également comprendre cette dénomination comme un euphémisme à l'instar de celui qu'on trouve dans la Bible (Jb 2, 9) et fort souvent dans les deux Talmuds lorsqu'il s'agit de malédiction. 94 Dans la liturgie juive, les formules de bénédiction et de malédiction sont fort proches, voire souvent associées l'une à l'autre. Voir les nombreux exemples cités par J. HEINEMANN, op. cit., Jérusalem, 1964 1, 19844 , p. 69-72. 95 J. V!TEAU, Les Psaumes de Salomon, Paris, 1911, p. 272-273 et 278-279. 96 I. LÉVI, « Les Dix-huit Bénédictions et les Psaumes de Salomon », dans Revue des études juives 32 (1896), p. 166-167 et 33 (1896), p. 142-143.
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à y inclure les Noçerim. Mais, ainsi que nous l'avons vu plus haut, ce terme a été ajouté à la fin du IVe siècle et exclusivement dans la version des « dix-huit bénédictions » qui se rattache à la tradition du pays d'Israël. Depuis la publication par S. Schechter en 1898 d'une version ancienne des« dixhuit bénédictions » découverte dans la Genizah du vieux Caire97 , et surtout depuis la publication de la lettre halakhique Miqçat Ma'ase Ha-Torah (4Q MMT) 98 provenant des Manuscrits de la Mer Morte, la recherche concernant la birkat ha-minim a pris une nouvelle orientation 99 • Il y a une vingtaine d'années, D. Flusser avait soutenu, lui aussi, que la birkat ha-minim était une création antérieure à la destruction du Temple de Jérusalem remontant à l'époque hasmonéenne 100 . La version la plus ancienne faisait mention des perushim, les séparés. Elle visait les esséniens et s'appelait birkat ha-perushim. Selon D. Flusser, ha-poreshim mid-darkhey çibbur 101 et les perushim mentionnés en T Berakhot III, 25 (voir plus bas) seraient les mêmes 102 . Une des sources anciennes
97 Voir S. ScHECHTER, «op. cit. »,dans Jewish Quarter/y Review 10 (1898), p. 657-659 et P. SCHAFER, Studien zur Geschichte und Theologie des rabbinischen Judentums, Tübingen, 1978, p. 53, n. 3, qui a publié une bibliographie abondante sur ce sujet. 98 On a trouvé six copies de cette lettre, voir E. QIMRON - J. STRUGNELL, Miq:-;at Ma'ase Ha-Torah, Qumran Cave 4, Oxford, 1994; E, QIMRON-J. STRUGNELL, «An Unpublished Halakhic Letter from Qumran», dans The Israel Museum Journal, 5 (1985), p. 9-12; A. CAQUOT, «Un exposé polémique de pratiques sectaires (4Q MMT) »,dans Revue d'histoire et de philosophie religieuses 76 (1996), p. 257-276 où l'auteur donne la traduction française du texte ainsi qu'un commentaire; Z.J. KAPER, «An Anonymously Received Pre-Publication of the 4Q MMT »,dans The Qumran Chronicle 2 (1990), p. 1-11. 99 On trouvera une bibliographie sur la question de la birkat ha-minim dans les travaux cités dans la note 1. On se reportera également aux études suivantes: S.S. KRAUSS, « Imprecation against the Minim in the Synagogue», dans Jewish Quarter/y Review 9 (1897), p. 515-517; R.T. HERFORD, Christianity in the Talmud and the Midrash, Londres, 1903, p. 125-137; H. GRAETZ, Geschichte der Juden, t. IV, Leipzig, 1866, p. 401-403; G. ALON, The Jews in their Land in the Talmudic Age (70-640 C.E.), Londres-Cambridge/Massachusetts, 1989, p. 288304; C.M.Y. GEVARYAHU, « Birkat ha-Minim » (héb.), dans Sinay 44 (1958-59), p. 367-375; N. COHEN,« Qu'a innové Shemuel Ha-qatan dans la Birkat ha-Minim ? » (héb.), dans Sinay 94/1-2 (1984), p. 57-70; S. BEN CHORIN, « La prière contre les hérétiques », dans Le judaiSme en prière. La liturgie de la Synagogue, Paris, 1984, p. 73-85; L.H. ScHIFFMAN, Who was a Jew? Rabbinic and Halakhic perspectives on the Jewish-Christian Schism, Hoboken/New Jersey, 1985, p. 53-61; T.C.G. THORNTON, « Christian Understanding of the Birkat ha-Minim in the Eastern Roman Empire », dans Journal of Theological Studies 38 (1987), p. 419-431; J .D.G. DuNN, The Parting of the Ways between Christianity and Judaism and their Significance for the Character of Christianity, Londres-Philadelphie, 1991, p. 221-222; J.T. SANDERS, Schismatics, Sectarians, Dissidents, Deviants. The First One Hundred Years of Jewish-Christians Relations, Londres, 1993, p. 58-61. lOO D. FLUSSER, «op. cit. »,dans Immanuel 17 (1983-1984), p. 32-38; D. FLUSSER, « Jerusalem in the Second Tempe! Literature » (hébreu), dans Ve-im bi-Gevuro, Jérusalem, 1974, p. 264-273. Selon M. YDIT, « Birkat ha-minim », dans Encyclopaedia Judaica 4 (1972), col. 10351036, la birkat ha-minim est une création des hasidim ayant pris part à la révolte des Maccabées et constitue une réaction contre le règne des Séleucides. 101 D. FLUSSER, « Miqfjat Ma'ase Ha-Tora et Birkat Ha-Minim »(hébreu), dans Tarbiz 61 (1991-1992), p. 373, met cette expression en relation avec Is 8,11 où on peut lire: sarim milekhet be-derekh ha- 'am. 102 D. FLUSSER, «op. cit. »(hébreu), dans Tarbiz 61 (1991-1992), p. 373.
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La Birkat ha-minim est-elle une prière contre les judéo-chrétiens?
se trouverait selon cet auteur 103 dans Seder 'Olam où il est dit: « Ceux qui s'écartent des pratiques de la majorité (ha-poreshim mi-darkhey çibbur), tels les minim les meshummadim, les massorot, etc. 104 . D. Flusser soutient qu'à la fin du Second Temple la birkat ha-minim était constituée de deux bénédictions (contre ha-poreshim midarkhey çibbur et contre malkhut rami) assemblées en une seule bénédiction par Shemu'el Ha-Qatan à Yabneh 105 ; au IVe siècle, on y ajouta la mention des noçerim106. Quant à la thèse selon laquelle la birkat ha-minim aurait été instituée entre 85 et 100 par Rabban Gamliel II à Yabneh 107 et insérée dans la prière quotidienne 108 pour viser les chrétiens ou les judéo-chrétiens 109 dans le but de les éloigner - voire de les exclure - de la synagogue, elle a été soutenue par un certain nombre de critiques parmi lesquels Y.M. Elbogen 110 et J. Heineman 111 .
103
D. FLUSSER, «op. cit. »(hébreu), dans Tarbiz 61 (1991-1992), p. 373. Seder 'Olam, fin du chapitre III. D. Flusser cite l'édition critique de C.J. MILIKOWSKY, Seder Olam, t. II. Text and Translation, Yale, 1981, p. 229-231 (PhD. de Yale University). 105 D. FLUSSER, «The Jewish-Christian Schism »,dans Judaism and Origins of Christianity, Jérusalem, 1988, p. 641-643 (il s'agit de la traduction anglaise de l'article paru en allemand sous le titre « Das Schisma zwischen Judentum und Christentum », dans Evangelische Theologie 40 (1980), p. 214-239) contra H. GRAETZ, Geschichte der Juden von den iiltesten Zeiten bis auf die Gegenwart, t. IV, Leipzig, 1983, p. 96 et p. 403. 106 D. FLUSSER, « op. cit. », dans Judaism and Origins of Christianity, Jérusalem, 1988, p. 637-643; D. FLUSSER, « Miqsat Ma'ase Ha-Tora et Birkat Ha-Minim » (hébreu), Tarbiz 61 (1991-1992), p. 333-374. 107 De nombreuses décisions sont attribuées à ce qu'on appelle communément le «concile de Yabné »,notamment le choix des livres constituant la troisième partie de la Bible hébraïque et la clôture du Canon, voir D.E. AUNE,« On the Origins of the Council of Yavneh' Myth », dans Journal of Biblical Literature 110 (1991), p. 491-493; S.J.D. COHEN,« The Significance of Yavneh; Pharisees, Rabbis and the end of the Jewish Sectarisms », dans Hebrew Union College Annual 55 (1984), p. 27-53. Concernant l'attitude du judaïsme à l'égard du christianisme, voir G. STEMBERGER, « op. cit. », Kairos 19 (1977), p. 14-21 ; P. ScHAFER, « op. cit. », dans Judaica 31 (1975), p. 54-64 et 116-124 ( = P. ScHAFER, op. cit., Leyde, 1978, p. 45-64); R. GoLDENBERG, « Did the Amoraim See Christianity as Something New?», dans J.C. REEVES J. KAMPEN (Ed.), Pursuing the Text. Studies in Honor of Ben Zion Wacholder on the Occasion olhis Seventeenth Birthday, Sheffield, 1994. p. 293-302. 108 Voir S.T. KATZ,« Issues in the Separation of Judaism and Christianity after 70 C.E.: A Reconsideration », dans Journal of Biblical Literature 103 (1984), p. 63; S.G. WILSON, Our Father Abraham: Jewish Root of the Christian Faith, Grand Rapids/Michigan, 1989, p. 67. Mais ce n'est pas l'avis de M. HENGEL, The Johanine Question, Londres, 1989, p. 115. 109 W. HORBURY, «The Benediction of the Minim and Early Jewish-Christian Controversy », dans Journal Theological Studies 33 (1982), p. 19-61 ; S.C. MIMOUN!, « La Birkat Ha-Minim : une prière juive contre les judéo-chrétiens », dans Revue des sciences religieuses 71 (1997), p. 275-298. 110 Y.M. ELBOGEN, Ha-Tephillah be-Yisraël be-Hitpathutah ha-Historit, Tel Aviv, 1972, p. 27 et p. 40 et n. 17 (p. 390-391), ainsi que dans les addenda de J. Heineman, p. 31 et n. 23 (p. 391 ), et dans la bibliographie qui y est signalée. 111 J. HEINEMANN, op. cit., Jérusalem, 19641, 1984 4 , p. 142 et n. 20 (traduction anglaise, Berlin-New York, 1977, p. 218-250); J. HEINEMANN,« op. cit. »,dans Concilium 98 (1974), p. 45-46; M. LIBER,« Structure and History of the Tefilah », dans Jewish Quarter/y Review 60 (1949-1950), p. 331-332. 104
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En revanche, P. Schiifer 112 , G. Stemberger 113 , J. Maier 114 , L.H. Schiffman 115 , R. Kimelman 116 et bien d'autres 117 , chacun avec les arguments qui lui sont propres, ont rejeté cette thèse. Pour ces auteurs, la « bénédiction des minim » répond à des besoins internes des Juifs après la catastrophe de 70. Selon d'autres, comme S.T. Katz , la birkat ha-minim ne pouvait viser les judéo-chrétiens car l'attitude de la Synagogue n'était pas hostile à leur égard après la destruction du Temple 118 . Nous tenons à signaler l'étude récente de D. Hentschke qui tente de démontrer que la birkat ha-minim n'est pas une imprécation mais une bénédiction qui vient contrer les prières des minim, des masorot, etc. 119 . Voici en quelques mots l'essentiel de sa thèse: l'ensemble des Juifs fait des prières (ou offre des sacrifices dans le Temple), formule des vœux et espère les voir exaucés. Mais les Juifs qui se sont « écartés de la majorité » - les impies et les contrevenants à la Loi - en font autant. Leur situation est donc ambiguë (aux yeux des auteurs des textes rabbiniques): d'une part, ils font partie intégrante du peuple d'Israël et en tant que tels ils agissent comme lui (ils offrent des sacrifices au Temple et récitent des prières) et d'autre part, ils se sont écartés de la majorité et formulent des vœux opposés à ceux de cette dernière, et des demandes contraires à son intérêt. Il existe donc un risque que leurs prières soient exaucées. C'est la question théologique concernant l'efficacité de la prière des impies et des contrevenants à la Loi qui est soulevée. Elle se pose déjà à Moïse (Nb 20, 15) et traverse la littérature juive de manière générale (l'auteur donne de nombreux exemples). Pour D. Hentschke, la birkat ha-minim constitue une solution à ce problème théologique et un moyen de défense du courant pharisien et de ses successeurs contre le risque de voir les prières des Juifs impies exaucées (et non les leurs exprimées dans les « dix-huit bénédictions »).
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P. SCHAFER, op. cit., Leyde, 1978, p. 44-55. G. STEMBERGER, «op. cit. »,dans Kairos 19 (1977), p. 14-21. 114 J. MAIER, Jesus von Nazareth in der talmudischen Überlieferung, Darmstadt, 1978; J. MAIER, Jüdische Auseinandersetzung mit dem Christentum in der Antike, Darmstadt, 1982. 115 L.H. ScHIFFMAN, op. cit., Hoboken/New Jersey, 1985, où l'auteur reprend une partie importante du matériel déjà utilisé dans son article« op. cit. »,dans E.P. SANDERS (Ed.), Jewish and Christian Self-Definition, Philadelphie, 1981, t. II, p. 115-156 et p. 338-352. 116 R. KIMELMAN, « Birkat Ha-Minim and the Lack of Evidence for an Anti-Christian Jewish Prayer in Late Antiquity »,dans E.P. SANDERS (Ed.), Jewish and Christian Self-Definition, Philadelphie, 1981, t. II, p. 226-244 et p. 391-403. 117 Pour un aperçu des travaux majeurs publiés depuis 1980 sur ce sujet et l'état de laquestion, voir P.W. V AN DER HORST , « op. cit. », dans Hellenism-Judaism-Christianity. Essays on their Jnterpretation, Louvain, 1998 2, p. 113-124. (= «The Birkat ha-Minim in Recent Research »,dans Expository Times 105 (1993/94), p. 363-368). W. HoRBURY, «The Benediction of the Minim and Early Jewish-Christian Controversy », dans Journal of Theological Studies 33 (1982), p. 19-61. 118 Voir S.T. KATZ,« Issues in the Separation of Judaism and Christianity after 70 C.E.: A Reconsideration »,dans Journal of Biblical Literature 103 (1984), p. 43-76. Mais tel n'est pas l'avis de J.R. BASKIN, « Rabbinic-Patristic Exegetical Contacts in Late Antiquity: A Bibliographical Reappraisal »,dans W. S. GREEN (Ed.), Approaches to Ancient Judaism, t. V, Atlanta/Georgia, 1985, p. 53-80. 119 Voir D. HENTSCHKE, « Parashat ha-Ibbur and the Blessing of the Apostates» (hébreu), dans J. TABORY (Ed.), op. cit., Jérusalem, 1999, p. 75-102. 113
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La Birkat ha-minim est-elle une prière contre les judéo-chrétiens? Revenons maintenant aux sources littéraires. La birkat ha-minim faisait partie des « dix-huit bénédictions » et n'est en aucun cas un ajout récent ainsi qu'en témoigne T Berakhot III, 25 120 : « Les dix-huit bénédictions dont parlaient les Sages font référence aux dix-huit mentions [du Tétragramme dans le Psaume 29]. Elles comprennent la bénédiction des minim (birkat ha-minim) unie à celle des perushim, celle des prosélytes (gerim) unie à celle des "Anciens" (zeqenim) et celle de David unie à celle de Jérusalem. Si on récite chacune d'elles séparément, on est acquitté de son obligation ».
Ce passage de la Tosefta mentionne trois bénédictions modifiées pour des raisons particulières, dont celle des minim. Il fait état de transformations 121 correspondant à deux étapes différentes du texte et à l'addition d'un élément nouveau à un autre plus ancien. La bénédiction des minim fut jointe à celle des perushim, les séparés 122 . En outre, la règle concernant la récitation de ces trois bénédictions n'est pas encore définitivement fixée. On pouvait encore remplacer les versions nouvelles par les anciennes et vice versa. On pouvait donc réciter indifféremment la birkat haperushim ou celle des minim et s'acquitter ainsi de son obligation. L'essentiel se résume à la récitation d'une bénédiction contre les courants ou les individus sectaires123. Il serait inexact de traduire le terme perushim par « pharisiens », car les auteurs de notre texte qui sont des pharisiens (ou leurs successeurs) ne se désignent jamais par ce terme. Au contraire, ils l'emploient pour désigner ceux qui « s'écartent », se « séparent» (poreshim) de la majorité du public (s:ibbur) par leur manière d'inter-
120 Voir éditionZuckermandel, p. 9. 121 Voir J. HEINEMANN, «The Blessing "Who Rebuilds Jerusalem" and its Metamorphoses », dans S. ABRAMSON - A. MIRSKI (Ed.), Hayyim ( Jefim) Schirman Jubilee Volume, New York, 1970; A. BücHLER, «The Blessing "Who Rebuilds Jerusalem" in the Liturgy », dans Jewish Quarter/y Review 20 (1908), p. 798-799. 122 Selon S. LIEBERMAN, Tosefta Kifshutah: A Comprehensive Commentary on the Tosefta, New York, 1955, t. 1, Seder Zera'im, p. 54, «la bénédiction des perushim »existait avant la destruction du Temple. À Yabneh, Shemu'el Ha-Qatan aurait ajouté le terme minim visant ceux qui mettent la communauté en danger: « We learn that this blessing (the benediction of perushim) was initially a curse against sectarians people who had the habit of removing themselves from the community in difficult times; this curse was directed at ail the sects and individuals who endangered the unity of the public, and the benediction of perushim existed «long before Shmuel Hakatan. He simply revised the blessing to mention the minim in particular because they had begun to endanger the public ... ». 123 Plus tard on tentera de rendre obligatoire la récitation des bénédictions selon la formule précise déterminée par les Sages. Dans la deuxième partie du Ile siècle cette règle n'est pas encore fixée. Rabbi Yose (135-170) dit:« Quiconque modifie la formule d'une bénédiction telle qu'elle fut établie par les Sages ne s'est pas acquitté de son obligation » (kol ha-meshanneh mi-mathea' she-tal.!.e'u f1akhamim ba-f2.erakhot - lo yaça'), voir T Berakhot IV, 5, édition Zuckermandel, p. 9. En revanche, déjà à la fin du rer siècle on interdit certaines formules de prières typiques des opposants des pharisiens, voir M Berakhot V, 3; Megillah IV, 9. Sur cette question, voir A.F. SEGAL, « Mishnaic Prohibitions against Unorthodox Prayer», dans Two Powers in Heaven. Early Rabbinic Reports about Christianity and Gnosticism, Leyde, 1977, p. 98-108.
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prêter la halakhah ou de l'appliquer 124 , comme par exemple la façon de porter les tefillin (phylactères) ou de pratiquer la shebJ1ah (immolation rituelle du bétail), etc. La birkat ha-minim visaient donc les perushim, à savoir, ceux qui s'écartent de la « norme » et de la pratique halakhiques établies par les pharisiens. Examinons maintenant la deuxième partie de la barayta analysée plus haut : Rabban Gamliel, après avoir entendu la récitation du shemoneh 'esreh par Shime'on Ha-Peqoli et prouvé à ses collègues qu'il était possible de rendre obligatoire la récitation des dix-huit bénédictions, constate que la version de la birkat ha-minim ne correspond plus aux problèmes qui se présentent au judaïsme de son époque et à la nouvelle situation créée après la destruction du Temple. Il s'adresse aux Sages présents lors de cette séance en leur demandant s'ils connaissent un enseignement oral permettant de modifier la birkat ha-minim 125 • Shemu'el Ha-Qatan connaissait un tel enseignement et le mit en application pour modifier la dite bénédiction. C'est ainsi que nous expliquons la manière dont le patriarche formule sa question kelum yesh adam she-yodea' ... 126 . Cette expression est souvent utilisée pour préciser qu'on cherche un enseignement oral d'une halakhah peu connue ou oubliée. On la trouve dans le cas de Hillel l'Ancien lorsqu'il cherche la solution halakhique au port du couteau qui servira à l'immolation du sacrifice pascal le jour du shabbat 127 ; et dans celui de Rabbi Yehudah le Prince lorsqu'il cherche à savoir si le vin des païens fabriqué à partir de pommes est autorisé à la consommation 128 . Dans les deux cas, le verbe Yada' ne signifie pas « savoir» ou «connaître » dans le sens habituel du terme mais « connaître un enseignement halakhique oral transmis par un maître» (yedi'at beyt rabbo shemah yedi'ah) 129 . Quant au verbe letaqqen qui est un infinitif construit à la forme pi'el, il signifie « ratifier, modifier, corriger » 130 . L'expression tiqqen berakhah est propre au Talmud de Babylone et ne se trouve jamais dans celui de Jérusalem 131 . Notre barayta précise qu'une « autre année » (leshanah afleret), Shemu'el HaQatan «oublia» la birkat ha-minim (shekhaflah) et l'observa (observa la bénédiction!) pendant deux ou trois heures. Comment expliquer cet oubli alors que Shemu'el Ha-Qatan est l'auteur de la version établie de cette bénédiction? Comment expliquer son oubli alors que la récitation quotidienne de la prière du shemoneh 'esreh était devenue obligatoire depuis la décision de Rabban Gamliel? D'après notre barayta elle dû être récitée pendant un an au moins. Que signifie le fait que
124 Voir Y. SuSSMANN, «The History of the Halakha and the Dead Sea Scrolls »,dans E. QIMROM- J. STRUGNELL, Qumran Cave 4, Miq(iat Ma'ase Ha-Torah, Oxford, 1994, p. 179-200. 125 Le texte parle explicitement de« la» birkat ha-minim et non d'« une» birkat ha-minim. L'article défini fait référence à une bénédiction qui existe et qui porte déjà le nom qu'on lui connaît également par la Tosefta. 126 Voir N. COHEN,« Qu'a innové Shemu'el Ha-Qatan dans la birkat ha-minim? »(hébreu), dans Sinay 94/1-2 (1984), p. 57-70. 127 TJ Pesahim VI, 1 ; TB Pesahim 66a. 128 TB 'Abodah Zarah 40b. 129 Voir TB Shebu'ot 5a et passim; Midrash Tanhuma, éd. Buber, Miqeç, 95b. 130 À la différence de la forme causative hitqin qui signifie « instituer », « instaurer », une nouvelle règle. 131 M. HIRSHMAN, « Shemu'el Ha-Qatan » (héb.), dans I. GAFNI, A. OPPENHEIMER - M. STERN (Ed.), Jews and Judaism in the Second Temple, Mishna and Talmud Period. Studies in Honor of Shmuel Safrai, Jérusalem, 1993, p. 165-171.
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La Birkat ha-minim est-elle une prière contre les judéo-chrétiens?
Shemu'el Ha-Qatan « observa pendant deux ou trois heures la birkat ha-minim »? Comment le public à la synagogue aurait-il pu patienter pendant deux ou trois heures en attendant que Shemu'el Ha-Qatan se souvienne de la bénédiction? De toute évidence, il ne s'agit pas d'un office synagogal habituel. Afin de mieux comprendre cette partie de la barayta, on la comparera au passage parallèle du Talmud de Jérusalem (TJ Berakhot V, 3, 9c): «Rabbi Simon dit au nom de Rabbi Yehoshua ben Lévi: l'officiant qui omet de réciter deux ou trois bénédictions n'est pas tenu de recommencer [la récitation des dix-huit bénédictions]. On trouva un autre enseignement qui dit au contraire la règle suivante : Pour aucune bénédiction omise [au cours de la prière] l'officiant n'est tenu de recommencer [la récitation des dix-huit bénédictions], excepté pour [l'omission de] celle de "la résurrection des morts", de celle [concernant] "la soumission des impudents" ou de "la reconstruction du Temple de Jérusalem" 132 . Dans ces cas je dirais : "C'est un min". Lorsque Shemu'el Ha-Qatan remplit une fois l'office ('abar qomey tebota') 133 , il omis (ashgar) [les mots: "Béni sois tu, Éternel toi qui] soumets les impudents (makhnia' zedim)". Il se tourna vers eux et les observa longtemps mais ils lui dirent: "Nos Sages n'ont pas pensé ainsi" 134 ». Le texte et le contexte du Talmud de Jérusalem sont beaucoup plus clairs 135 que ceux du Talmud de Babylone 136 . La question de la birkat ha-minim s'insère de façon logique dans un contexte législatif qui concerne les bénédictions du shemoneh 'esreh dont l'omission implique la reprise obligatoire de la prière. On remarquera que, dans les trois cas, l'omission de la bénédiction rend l'officiant suspect d'être un min et pas seulement lorsqu'il s'agit de la birkat ha-minim - force est de constater que, par le terme min, on désigne dans ce texte différents courants du judaïsme parmi lesquels les sadducéens et les opposants au Temple. Selon ce passage, Shemu'el Ha-Qatan n'a pas oublié la récitation de la birkat ha-minim mais en a simplement supprimé les mots makhnia' zedim (« qui soumet les impudents »).
132 Il s'agit respectivement des deuxième, douzième et quatorzième bénédictions du shemoneh 'esreh. 133 Cette expression est l'équivalent de yarad du Talmud de Babylone. Voir T Berakhot II, 9, éd. Lieberman, p. 7: abat eyn moridin lifney ha-teybah; et T Rosh ha-Shanah fin chapitre II, éd. Lieberman, p. 321 ; contra Y.M. ELBOGEN, Ha-Tephillah be-Yisraè1 be-Hitpathutah ha-Historit, Tel Aviv, 1972, p. 21. 134 «Lo she'aru b.akhamim kakh ».Nous avons traduit le dernier mot de ce passage en fonction du manuscrit de Rome et de celui de Leiden. En revanche le textus receptus donne Lo she'aru fJ.akhamim bekha (les Sages ne te soupçonnent pas). Cette différence est due à la ressemblance des lettres beth et kaf Pour l'étude de ces manuscrits, voir M. HrRSHMAN, « Shemuel Ha-Qatan » (hébreu), dans 1. GAFNI - A. OPPENHEIMER - M. STERN (Ed.), Jews and Judaism in the Second Temple, Mishna and Talmud Period. Studies in Honor of Shmuel Safrai (héb), Jérusalem, 1993, p. 165-172. 135 De l'avis de M. HIRSHMAN, « op. cit. » (hébreu), dans I. GAFNI - A. OPPENHEIMER - M. STERN (Ed.), Jews and Judaism in the Second Temple, Mishna and Talmud Period. Studies in Honor of Shmuel Safrai (hébreu), Jérusalem, 1993, p. 171, c'est la version du Talmud de Jérusalem qu'il faut préférer à la barayta rapportée dans le Talmud de Babylone. 136 Voir J.N. EPSTEIN, Introduction à la littérature des Tannaiin: la Mishna, la Tosephta et le Midrash Halakha (hébreu), Jérusalem, 1957, p. 245-246.
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Il a omis (ashgar) de les réciter. Cependant, il semblerait qu'il ne s'agissait pas d'un oubli mais d'un acte volontaire de la part de ce Sage puisqu'il observe longtemps son public pour voir l'effet de sa récitation sur lui. Le verbe shakhah. ( = oublier) utilisé dans la barayta du Talmud de Babylone est parallèle à ashgar (omettre) dans le Talmud de Jérusalem. Dans son sens le plus courant, il signifie « oublier », mais dans d'autres cas il signifie « effacer, annuler » (comme bitte[). On trouve ce sens dans bon nombre de passages talmudiques notamment dans la maxime fort célèbr~ du traité Abot disant: « Il est bon d'associer l'étude de la Torah à une occupation professionnelle car ce double effort efface le péché. Et toute [étude de la] Torah qui n'est pas associée à une occupation professionnelle finira par disparaître (Yafeh talmud Torah 'im derekh 'ereç she-yegi'at sheneyhem meshakkaf1at 'awon we-khol Torah sh'eyn 'immah mela'khah sofah betelah) »137 • Shemu'el Ha-Qatan n'avait donc pas oublié la birkat ha-minim mais avait « annulé » « effacé » les termes qui ne lui convenaient plus. Insatisfait de sa propre formulation, il tenta de trouver une nouvelle version. Le verbe hishqif décrit sa méditation, sa réflexion qui dure un temps considérable (« deux ou trois heures » dans le Talmud de Babylone, « longtemps » dans le Talmud de Jérusalem), lorsqu'il cherche à modifier sa propre version de la birkat ha-minim. Dans le texte du Talmud de Babylone nul ne cherche à le faire descendre du pupitre; dans celui de Jérusalem on admet son omission en le rassurant qu'on ne le soupçonne de rien. Son public qui est probablement celui des Sages, des collègues, attend, peut attendre et a le temps d'attendre qu'il récite ou formule à nouveau la partie omise 138 . Une si longue attente est impossible dans un cadre synagogal où les fidèles viennent pour prier et partir aussitôt l'office terminé. Dans le texte du Talmud de Jérusalem il n'est pas question de « faire descendre Shemu'el Ha-Qatan du pupitre » mais simplement de lui faire reprendre la récitation du texte. Le verbe he'elah («faire descendre du pupitre ») du Talmud de Babylone est parallèle à mahazirin (« faire reprendre la récitation de la prière ») dans le Talmud de Jérusalem. De fait, en cas d'erreur, la règle halakhique ne consistait pas à faire descendre l'officiant du pupitre mais à lui faire reprendre la récitation de la prière. Enfin, la modification de la birkat ha-minim au I°r siècle constitue un des nombreux aspects du projet entrepris par Rabban Gamliel à Yabneh et déjà commencée par Rabban Y ohanan ben Zakkay qui fut le premier à imaginer un judaïsme sans Temple. En l'absence du centre cultuel qui fut l'élément de cohésion du peuple juif avant 70 et afin d'asseoir son autorité, Rabban Gamliel II tenta de mettre fin au sectarisme de son époque et s'attela à la tâche ardue et urgente: l'unification de tous les courants du judaïsme de son époque autour d'une seule et même halakhah139.
137 Voir M Aboth II, 2, ainsi que le commentaire classique de Rabbi Obadia de Bertinoro sur ce passage, et TB 'Abodah Zarah 8b-9a. 138 D'après N. COHEN,« op. cit. »(hébreu), dans Sinay 94 (1984), p. 57-70, en particulier p. 67, Shemu'el Ha-Qatan tenta de trouver une nouvelle formulation à la birkat ha-minim de sorte que cette bénédiction ne puisse pas viser les opposants venant de l'intérieur du courant pharisien. 139 S.J.D. COHEN, From the Maccabees to the Mishnah, The Library of Early Christianity, Philadelphie, 1987, p. 227; A.F. SEGAL, Rebecca's Children. Judaism and Christianity in the Roman World, Londres-Cambridge/Massachusetts, 1986, p. 150-151. En ce qui concerne la
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La Birkat ha-minim est-elle une prière contre les judéo-chrétiens?
V. Exclusion de la synagogue ou engagement par serment?
À l'époque de Yabneh, les docteurs de la Loi ne jouissaient pas encore de l'autorité nécessaire pour imposer leur volonté et leurs décisions à l'ensemble du peuple. Rabban Yohanan ben Zakkay, fondateur de Yabneh, puis son successeur Rabban Gamliel II, ont beaucoup œuvré pour faire de leur académie un centre spirituel, religieux et politique du judaïsme après 70. Ils ont réussi à écarter la classe sacerdotale du pouvoir et permirent à leur académie de prendre le relais du Temple. Pour asseoir son autorité, Rabban Gamliel renforce le prestige de l'école de Yabneh, fait de nombreux voyages, visite les communautés juives de Judée, de Galilée, voire celle de Rome, tente de normaliser les relations avec les autorités et de réorganiser le peuple, de fédérer les courants divers qui le composent. Néanmoins, il a des difficultés à imposer son autorité au sein même de son académie et à plus forte raison aux autres courants du judaïsme. Suite à des tensions internes, il fut même déposé de ses fonctions puis réintégré dans une direction conjointe de l'académie de Yabneh avec son collègue Rabbi El'azar ben 'Azaryah 140 . C'est notamment pour asseoir son autorité personnelle d'une part et celle du collège des Sages d'autre part que Rabban Gamliel prend certaines décisions contre des particuliers, voire contre des Sages tel son collègue Rabbi Yehoshua' ben J:iananyah (80-110) 141 et contre les autres courants du judaïsme, non pour les exclure mais pour les fédérer. De manière générale, il cherche une normalisation de la situation aussi bien avec les autorités romaines et les païens qu'avec toutes les composantes du judaïsme de son époque. Son objectif visait à l'unification de tous ces courants et la disparition du sectarisme répandu en Judée à la fin du 1er siècle. Son fils et son petit fils continueront son oeuvre et ce n'est qu'au Ille siècle que les Sages finiront par récolter les fruits de cette « politique » qui est à l'origine de la formation d'un «judaïsme normatif». À l'époque de Yabneh, la synagogue n'était pas encore une institution« rabbinique » qui fonctionnait sur les principes connus au début du Ille siècle, après la clôture de la Mishnah. C'est précisément depuis l'installation de Rabban Yohanan ben Zakkay à Yabneh et surtout celle de Rabban Gamliel JI qu'on tente d'élargir ses fonctions, son rôle dans la vie quotidienne et de lui faire prendre le relais du Temple. Elle n'était pas encore fréquentée régulièrement par le public pour les of-
halakhah après 70, voir A. OPPENHEIMER, « L'élaboration de la Halakha après la destruction du Second Temple», dans Annales HSS 51 (1996), p. 1043-1048. 140 TB Berakhot 27b. 141 Rabbi Yehoshua' est un des cinq disciples de Rabban Yohanan ben Zakkay qui ont quitté Jérusalem avec leur maître avant 70. Il faisait partie du collège des Anciens de Yabneh et était connu notamment pour ses longues et fréquentes discussions avec les minim, voir TB Shabbat 152a; Hagiga Sb; Sanhedrin 90b. Il fut contraint par Rabban Gamliel de se déplacer avec sa besace, son bâton et sa bourse le jour de kippur fixé selon son propre décompte. Bien que la demande fut humiliante pour ce maître, il s'exécuta pour sauver l'unité de la halakhah, celle du peuple, et montrer qu'un seul calendrier s'imposait à l'ensemble du peuple juif, que ce calendrier était fixé par l'académie de Yabneh à l'exclusion de tout autre académie. En effet, à cette époque, les tribunaux des différentes académies pouvaient recevoir les témoins et fixer la néoménie. Grâce à son attitude rigide allant jusqu'à humilier ses propres collègues, Rabban Gamliel réussit à imposer un calendrier unique.
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fices puisque la prière, la liturgie synagogale, n'était pas encore obligatoire 142 . Elle ne représentait aucune « orthodoxie », celle-ci étant en plein constitution. La vie de cette institution n'était pas organisée d'une manière telle qu'une « exclusion » éventuelle d'un des courants du judaïsme puisse avoir une signification dans la vie quotidienne ou dans la réalité halakhique. Pour toutes ces raisons, il semble impossible qu'une « décision» d'exclure un des courants du judaïsme (en l'occurrence les judéo-chrétiens) ait pu être prise. D'autre part, l'idée même d'une «exclusion» éventuelle pose de nombreux problèmes quant à sa signification et ses conséquences possibles: s'agit-il d'une exclusion de l'espace synagogal ou du judaïsme? 1) D'abord il y a lieu de s'interroger sur les modes d'inclusion et d'exclusion du judaïsme au rer siècle de notre ère 143 . Une imprécation constitue-t-elle une exclusion? En est-elle le synonyme?« L'anathème liturgique » existe-t-il dans le judaïsme du Ier siècle de notre ère? On ne connaît aucun exemple et aucune halakhah permettant d'apporter des réponses positives à ces questions. Faut-il donc comprendre que les personnes visées par l'imprécation ont fini par déserter les synagogues? Ceci ne semble pas être le cas. En outre, ces communautés pouvaient créer d'autres synagogues comme l'ont fait les sadducéens en allant s'installer à Jifna 144 . Ce n'est pas pour autant que l'on a considéré les sadducéens comme des exclus de la synagogue ou du judaïsme. Pourtant la douzième bénédiction du shemoneh 'esreh les visait ainsi que la deuxième. Quant à une éventuelle excommunication (quelle que soit l'identité des minim), elle n'a jamais pris la forme d'une imprécation et, à l'inverse, une malédiction ne constitue pas une excommunication (nidduy) 145 . Une excommunication à l'époque de Yabneh ne constitue pas un mode d'exclusion du judaïsme mais la limitation des relations et des contacts avec les personnes mises au ban comme ce fut le cas de Rabbi Eli'ezer. Cet éminent docteur de la Loi qui faisait partie du collège des Anciens de Yabneh fut excommunié par décision de ses collègues pour avoir refusé de se soumettre à la décision de la majorité sur une seule question halakhique bien précise 146 . En revanche, Elisha' ben Abuyah, qui abandonna la pratique de la Loi et devint un dualiste, donc un hérétique, n'a jamais été excommunié et son disciple Rabbi Me'ir continua à bénéficier de son enseignement. Les sadducéens fournissent un autre exemple. Ils ne croyaient pas à la résurrection des morts et bon nombre de leurs pratiques étaient différentes de celles des pharisiens. Ils sont visés par la deuxième bénédiction et sans doute par la douzième également; néanmoins, ils n'ont jamais été considérés comme des exclus de la synagogue. De toute évidence « l'héré142 Voir E. FLEISHER, « On the Begining of Obligatory Jewish Prayer» (héb.), dans Tarbiz 59 (1990), p. 397-441 ; E. FLEISHER, « The shemoneh 'esreh - Its character, Internai Order, Content and Goals » (hébreu), dans Tarbiz 62 (1993), p. 186-223. 143 Sur cette question, voir L.H. ScHIFFMAN, Who was a Jew? Rabbinic and Halakhic perspectives on the Jewish-Christian Schism, Hoboken/New Jersey, 1985; F. BLANCHETIÈRE, « Unité, diversité et exclusions dans le judaïsme rabbinique des ne et III° siècles », dans Miscellanea Historiae Ecclesiasticae VIII, Bruxelles, 1987, p. 27-36. 144 TJ Berakhot VI, 2, 2 ; TB Berakhot 44a. 145 Aussi est-il difficile d'accepter la thèse de J.L. Martyn sur ce point. 146 Voir TB Baba' Meçi'a' 59b. Rabbi Eli'ezer est un des cinq disciples de Rabban Y ohanan ben Zakkay qui ont quitté Jérusalem avec leur maître avant 70. Il est également le maître de Rabbi Aqiba et le beau-frère de Rabban Gamliel II, chef de l'académie de Yabneh.
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La Birkat ha-minim est-elle une prière contre les judéo-chrétiens? sie » ne constitue pas un critère d'exclusion ou d'excommunication dans le judaïsme des premiers siècles. 2) Il existe certaines restnct10ns, certes, concernant les relations avec les mzmm (quelle que soit leur identité: gnostiques, judéo-chrétiens, etc.): leurs livres 147 ainsi que leur viande de boucherie 148 sont interdites. Mais des restrictions similaires ont été également formulées (pour des raisons différentes évidemment) à l'égard des nourritures du 'am ha-'areç, des bergers (juifs), des Juifs qui font des jeux de hasard leur occupation principale, des Juifs qui font du commerce avec les récoltes de l'année sabbatique, etc. Cependant, de telles mesures n'empêchent pas nécessairement la commensalité 149 . En tout état de cause, les restrictions connues visent: a) soit des Juifs contrevenants à la Loi; b) soit des Juifs appartenant à un autre courant du judaïsme dont les pratiques ne sont pas conformes ou diffèrent de celles des pharisiens ou de leurs successeurs à Yabneh. Parfois les interdictions sont communes à plusieurs catégories de personnes ou groupes sociaux dont les minim. Néanmoins, ces restrictions n'ont pas pour objectif l'exclusion des contrevenants à la Loi. 3) La birkat ha-minim a été souvent discutée en rapport avec « l'exclusion » des judéo-chrétiens ou des chrétiens johanniques de la synagogue 150 . Cependant, aucune étude soutenant cette thèse ne s'est intéressée au sort des autres catégories des personnes mentionnées dans la birkat ha-minim. Le sort des malshinim, des meshummadim, des masorot, des zedim, etc. a été totalement ignoré 151 . Que sont devenus tous les autres groupes visés par la birkat ha-minim ? Étaient-ils « exclus » ou « excommuniés », eux aussi, de la synagogue? Dans ce cas, il ne devait plus y rester grand monde. 4) Les contacts entre Juifs et judéo-chrétiens ne sont pas rompus: ces derniers continuent à fréquenter les synagogues et, ainsi que nous l'avons vu plus haut, au moins jusqu'au IVe siècle malgré les reproches des Pères de l'Église. Les exemples en sont nombreux tant dans les sources patristiques que dans les sources talmudiques. Quant aux Juifs, ils fréquentent les judéo-chrétiens à Césarée, Sepphoris, Tibériade, etc. et n'hésitent pas à écouter leurs enseignements (comme par exemple Rabbi Eli'ezer ben Horqanos), à faire appel à leurs guérisseurs (comme par exemple le neveu de Rabbi Y shima'el), voire à présenter leurs litiges devant des tribunaux où siègent des juges judéo-chrétiens. On rapporte que Imma' Shalom, soeur de Rabban Pour les livres des minim, voir D. SPERBER, « Sifrei ha-minim », dans Encyclopaedia Judaica 14 (1972), col. 1521; K.G. KuHN, « Giljonim und sifre minim », dans Judentum, Urchristentum, Kirche. Festschrift für Joachim Jeremias, Berlin, 1960, p. 24-61. 148 T lfullin II, 20. 149 Voir L. VANA, « Les relations sociales entre Juifs et païens à l'époque de la Mishna. La question du banqué privé (mishteh shel Goyim) »,dans Revue des sciences religieuses 71 (1997), p. 147-170. 147
15° Cependant, ce lien a été contesté ces dernières années par un certain nombre d'auteurs dont W.A. MEEKS, « Breaking Away: Three New Testament Pictures of Christianity's Separation from the Jewish Communities », dans J. NEUSNER - E.S. FRERICHS (Ed.), To See Ourselves as Others See Us: Christians, Jews, 'Others' in Late Antiquity, Chico/Californie, 1985, p. 93-116, surtout p. 102-103. 151 C'est une des grandes faiblesses méthodologiques de cette thèse. L'étude du sort réservé aux autres groupes sociaux visés par la birkat ha-minim pourrait nous éclairer davantage sur celui des judéo-chrétiens.
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Gamliel II de Yabneh, sur le conseil de Rabbi Eli'ezer (80-110), son époux, met à l'épreuve un juge judéo-chrétien. La malhonnêteté de ce dernier sera démontrée et ainsi le peuple évitera d'avoir recours à ses services 152 . Ce même Rabbi Eli'ezer prend plaisir à écouter Jacob de Kefar Siknaya (Sikhnin) qui rapportait un enseignement au nom de Jésus fils de Pantiri 153 . Ce type de relations serait impossible avec une communauté ou des individus exclus du judaïsme ou excommuniés. 5) Les judéo-chrétiens des Ier et ne siècles faisaient partie intégrante du peuple juif. En 135, Shime'on Bar Koziba, chef de la révolte juive contre les Romains, exige leur aide ainsi que leur participation active à l'effort de guerre comme il exigea celles de l'ensemble des communautés de Judée. Il les considérait donc comme des Juifs à part entière, concernés par les événements, comme des soldats potentiels à mobiliser en cas de guerre 154 . Le refus des judéo-chrétiens leur a valu des sanctions sévères, les sources patristiques en témoignent 155 . Ces sanctions sont aussi sévères que celles qui ont été infligées à d'autres communautés juives 156 et semblables à celles dont Shime'on Bar-Koziba menace les habitants de 'Ein Gedi et de Teqoa" 57 . Bar Koziba ne se serait jamais adressé à des Juifs considérés comme des traîtres depuis l'époque de Yabneh 158 . Il va de soi que le chef de la révolte n'aurait pas exigé avec autant de sévérité la participation de Juifs « exclus de la synagogue » ou du judaïsme depuis 152
TB Shabbat l 16a-b. TB 'Abodah Zarah l 7a. Sur le nom de Jésus dans le Talmud, voir D. RoKÉAH, « Ben Satra, Ben Pantira Hu» (hébreu), dans Tarbiz 39 (1970 ), p. 9-18. 154 Selon J.T. MrLIK, « Une lettre de Siméon Bar Kokhba », dans Revue biblique 60 (1953), p. 277-282, le terme « Galiléens » mentionné dans une des lettres de Bar Koziba découvertes au bord de la mer Morte désigne les chrétiens. Mais cet auteur est revenu sur ses positions dans P. BENOIT - J.T. MILIK - R. DE VAUX (Ed.), Les Grottes de Muraba'at, Discoveries in the Judaean Desert, t. Il, Oxford, 1961, p. 160. Sur le terme « Galiléens » comme désignant des chrétiens, voir l'étude récente de S.C. MrMOUNI, « Qui sont les Galiléens dans la littérature chrétienne ancienne? », dans Proche-Orient Chrétien 49 (1999), p. 53-67. 155 Voir Eusèbe, Histoire Ecclésiastique III, 5 ; IV, 8, 4; Justin, Apologie 1, 31; Jérôme, Chronique, année 133. 156 Voir Y. YADIN, «The Expedition to the Judaean Desert 1960-1961 »,dans Israel Exploration Journal Il (1961), p. 41 et p. 46-47; Y. YADIN, Bar Kokhba. The Discovery of the Legendary Hero of the Last Jewish Revoit Against Imperia! Rome, Londres, 1971, p. 125 et p. 137. 157 Certains critiques situent la rupture entre juifs et judéo-chrétiens après la chute de Beytar en 135, voir Y. BAER, « Israel, the Christian Church and the Roman Empire from the Time of Septimus Severus to the Edict ofToleration of A.D. 313 »(hébreu), dans Zion 21 (1956), p. 149, repris en anglais dans Scripta Hierosolymitana 7 (1961), p. 79-149. Cette date a sans doute marqué une étape importante dans les relations entre les deux communautés dans la mesure où l'Église de Jérusalem ne nomma plus des évêques d'origine juive mais plutôt d'origine païenne (voir Démonstration Évangélique). D. RoKÉAH, « Les Juifs dans la littérature patristique» (héb.), dans S. ALMOG (Ed.), Antisemitism trough the Ages, Jérusalem, 1980, p. 55-87, accorde une importance à l'édit de Galère de 311 et présente une analyse intéressante des différentes étapes du processus de séparation. 158 Par conséquent, on ne peut accepter la thèse de J. PETUCHOWSKI, « Das Achtzehngebet », dans Jüdische Liturgie. Geschichte-Struktur-Wesen, Fribourg, 1979, p. 77-88, qui écrit: « Les judéo-chrétiens constituaient un danger - on les soupçonnait de collaborer avec les Romains - on ne se fia plus au Juif qui se tenait à ses côtés dans la synagogue qui était peut-être un judéo-chrétien donc un traître ... ». 153
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plusieurs générations. En d'autres termes, les exigences comme les sanctions de Bar Koziba étaient identiques à celles des autres communautés de Judée. Enfin, d'un point de vue méthodologique il est important de ne pas confondre les règles de la halakhah énoncées à la suite des décisions collégiales du Patriarche et des Sages de l'académie, et dont l'observance incombe à l'ensemble du judaïsme, avec l'attitude plus ou moins hostile que pouvaient manifester certains docteurs de la Loi à titre personnel. Une telle attitude est définie par la halakhah comme l'expression d'une« opinion personnelle » (da'at yafJ.id) qui n'engage que son auteur et en aucun cas l'ensemble des Juifs 159 . Il convient donc de se demander maintenant quelle est la signification ou l'objectif de la birkat ha-minim. En premier lieu il nous semble important de préciser qu'elle ne constitue pas un cas unique de formule d'imprécation prononcée dans un cadre synagogal. Elle présente des similitudes étonnantes avec l'inscription découverte dans la synagogue de 'Ein Gedi au bord de la mer Morte. Pour certains critiques, cette inscription constitue un serment de fidélité prononcé publiquement visant à protéger cette communauté spécialisée dans la fabrication du balsame, à garder son secret, à la mettre à l'abri des dissensions internes et tout ce qui la mettrait en danger 160 . Pour d'autres, il s'agit d'une version ancienne de la birkat ha-minim 161 . Les termes et les formules utilisées dans cette inscription (en langue araméenne) sont typique de la liturgie juive 162 • L'inscription présente un texte où « sont maudits tous ceux qui qui provoquent les dissensions entre les hommes, les délateurs auprès des païens, ceux qui 159 Voici quelques exemples: Rabbi Tarfon (80-110) dit au sujet des judéo-chrétiens, sans toutefois les nommer: « Si j'étais poursuivi par un assassin j'irais me réfugier dans un temple d'idoles et n'irais pas me réfugier chez «eux» [les judéo-chrétiens], car les idolâtres ne connaissent pas [le Dieu Unique et par conséquent] le renient mais ceux-là [les Judéo-Chrétiens] le connaissent et le renient » (T Shabbat XIII, 5) - pourtant la halakhah interdit l'accès aux temples des idoles; Rabbi Yishma'el (80-110) tente d'empêcher (sans grand succès) Rabbi El'azar ben Dama (110-135), son neveu, mordu par un serpent de se faire soigner par Jacob le Min de Kefar Sama qui guérissait les malades au nom de Jésus fils de Pantira (voir T Hullin II, 22-23 éd. Zuckermandel, p. 503; Tl 'Abodah Zarah II, 40d-41a; TJ Shabbat fin ch. 14); une interdiction explicite sera formulée beaucoup plus tard, à l'époque des Amoraïm, voir TB 'Abodah Zarah 27b-28a. Ces exemples témoignent certes d'une attitude hostile de certains docteurs de la Loi à l'égard des judéo-chrétiens, mais en même temps ils démontrent bien que ces derniers n'étaient pas exclus du judaïsme ni excommuniés puisque le peuple, y compris la classe des Sages de la génération de Yabneh et de Bar Koziba, entretenaient des relations quotidiennes avec eux. 160 M. WEINFELD, «Le secret de la communauté de 'Ein Gedi » (héb.), dans Tarbiz 51 (1981-1982), p. 125-129 (repris en anglais dans The Organizational Pattern and the Penal Code of Qumran Sect, Fribourg, 1986, Appendix). IGL B.Z. BrNYAMIN, « Birkat ha-Minim and the Ein Gedi Inscription», dans Jmmanuel 21 (1987), 68-79. L62 M. WEINFELD, «The Synagogue Inscriptions and the Jewish Liturgy » (héb.), dans Shenaton Lamiqra u-Leheqer ha-Mizrah ha-qadum 4 (1981), p. 288-295; G. FOERSTER, « Inscriptions from Ancient Synagogues and their Connection with Versions of Blessings and Prayers » (héb.), dans Cathedra 19 (1981), p. 12-40; A. HOROWITZ,« The Synagogue Inscriptions and their Connection with the Jewish Liturgy: The Aspect of Language » (héb.), dans Cathedra 19 (1981), p. 41-43; Y. YAHALOM, «The Public Prayer in the Synagogues Inscriptions» (hébreu), dans Cathedra 19 (1981), p. 44-46.
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Liliane Vana dévoilent le secret de la communauté, etc. » par « Celui dont les yeux voient la terre entière, les choses cachées ... ». Elle se termine par « amen, amen » comme tous les textes liturgiques prononcés en public: à la synagogue ou dans le Temple. Il va de soi qu'en dépit des imprécations qu'elle contient, cette inscription ne constitue pas une formule d'exclusion ni d'excommunication de la synagogue ou du judaïsme: la communauté de 'Ein Gedi n'avait pas un tel pouvoir. La birkat ha-minim et l'inscription de 'Ein Gedi sont deux textes liturgiques similaires prononcés dans un cadre synagogal et contiennent des formules d'imprécations. Ces formules font partie intégrante de tout serment d'engagement et de fidélité. En prononçant son serment, chaque particulier s'engageait à protéger la communauté des dangers qui la menaçaient, à la préserver des dissensions et des délations, à lui rester fidèle. Ainsi la cohésion de la communauté était garantie. Le serment qui contient toujours des formules de malédictions constitue un des «moyens dissuasifs » fort efficaces dont disposait la société juive (comme la plupart des sociétés anciennes) à l'époque romaine. VI. Conclusions
Notre étude a permis de démontrer que la birkat ha-minim existait bien avant le Ier siècle de notre ère, le terminus ad quem étant la destruction du Temple en 70. Elle contenait le terme perushim et visait probablement les esséniens ou les sadducéens (ou les deux à la fois). Cependant, à l'instar de la prière des« dix-huit bénédictions » dont elle faisait partie, sa forme n'était pas définitivement fixée et sa récitation n'était pas obligatoire. Après la destruction du Temple, parmi les nombreuses décisions portant sur différents domaines de la halakhah et ayant pour objectif l'unification des divers courants du judaïsme, Rabban Gamliel Il tente d'uniformiser également les traditions liturgiques existantes et décide de rendre obligatoire la récitation quotidienne des « dix-huit bénédictions ». Malgré une certaine résistance de la part de ses collègues, il réussit à imposer cette obligation grâce à la popularité de cette prière à son époque; mais l'obligation de la réciter trois fois par jour ne sera décidée que quelques générations plus tard. À cette occasion, Rabban Gamliel II constate que la version de la birkat ha-minim ne correspondait plus aux préoccupations du judaïsme de sa génération, le souci majeur étant le foisonnement des sectes qui mettait en danger le peuple juif et empêchait son unité et son unification après la catastrophe de 70. Il demande à ses collègues s'ils connaissaient un enseignement halakhique de la Loi orale permettant la modification, la re-formulation (letaqqen) de la birkat ha-minim. Shemu'el Ha-Qatan qui le sait, se lève et le fait. Telle qu'elle fut re-formulée à Yabneh, la birkat ha-minim constitue un serment d'engagement garantissant l'unité et la cohésion du peuple; elle le protégeait des dissensions et des délations et, comme tout serment, elle contenait des formules d'imprécation. Elle visait tous les courants du judaïsme (y compris celui des pharisiens) 163, qui pouvaient mettre le peuple en danger et résister au processus d'unification, d'uniformisation et d'harmonisation entrepris par Rabban Gamliel. Le chef de l'académie qui était également le représentant officiel de l'ensemble des Juifs de Judée auprès des autorités romaines cherchait à soumettre tous ces courants à la
163
Voir N.
COHEN,«
op. cit. »(hébreu), dans Sinay 94/1-2 (1984), p. 57-70.
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La Birkat ha-minim est-elle une prière contre les judéo-chrétiens? nouvelle autorité centrale («politique » et religieuse) d'un judaïsme dépourvu de Temple en leur imposant une seule et même halakhah, celle qui était décidée par les docteurs de la Loi. On ne dispose d'aucune preuve antérieure au IVe siècle témoignant de l'existence d'une prière juive mentionnant les judéo-chrétiens. À partir de cette date, les témoignages des sources patristiques et des sources juives concordent. Vers la fin du IVe siècle, en Galilée, la birkat ha-minim est à nouveau modifiée et adaptée aux préoccupations de l'époque. C'est alors qu'on lui ajoute le terme noçerim, mais exclusivement dans la tradition du pays d'Israël. On ne le trouve jamais dans la version babylonienne, sans doute parce que les Juifs vivant en Babylonie n'ont pas eu à affronter le même type de problèmes. Ce terme vise explicitement un courant judéo-chrétien: les nazaréens (et non l'ensemble de la chrétienté). Selon les témoignages d'Épiphane et de Jérôme, ce groupe de fidèles est mal vu tant par les Juifs que par les chrétiens. Cependant, les nazaréens ne sont « exclus » ni de l'Église ni de la Synagogue et selon Jérôme, ils fréquentent les synagogues. En outre, aucun de ces deux Pères de l'Église ne se sent visé en tant que chrétien par les imprécations. Quant au texte de la birkat ha-minim, son histoire est liée à celle des « dix-huit bénédictions ». D'abord, on ne connaît pas le texte de la bénédiction telle qu'elle était récitée aux premiers siècles de notre ère. En revanche, on peut affirmer avec certitude qu'il contenait les termes suivants : perushim (ou paroshim ), minim, malkhut zadon, makhnia' zedim 164 et, à partir du IVe siècle, celui de noçerim. Alors que le nombre et l'ordre des « dix-huit bénédictions » finiront par être fixés, le texte de cette prière ne le sera jamais d'ailleurs jusqu'à nos jours. Cependant, deux grandes traditions coexistent : la babylonienne et la galiléenne. En outre, des modifications y sont introduites au fil des siècles selon que les Juifs habitent en terre chrétienne 165 ou ailleurs. On constate des changements dans la birkat ha-minim encore à l'époque des Geonim et au Moyen-Âge. La liste des personnes visées est longue, et parmi eux figurent explicitement les chrétiens. Au Moyen-Âge, la birkat ha-minim sera supprimée de la prière voire des rituels de prières par décret royal 166 . Aucune prière dans la liturgie juive n'a fait l'objet d'autant de modifications au cours des siècles que la birkat ha-minim 167 • À chaque génération elle fut aménagée, re-formulée, augmentée ou amputée de certains termes en fonction des impératifs de la communauté qui l'adaptait. À chaque génération elle fut dirigée contre de nouveaux individus ou groupes sociaux auxquels le terme minim fut appliqué. Celui-ci désignait les opposants au judaïsme de l'intérieur. Ce n'est qu'à partir de
164 Selon D. HENTSCHKE, « Parashat ha-Ibbur and the Blessing of the Apostates » (héb.), dans J. TABORY(Ed.), op. cit., Jérusalem, 1999, p. 75-102, la birkat ha-minim contenait à l'époque de Yabneh l'expression al tehi tiqwah. 165 Bernard Gui (début XIVe siècle) qui fut à l'origine de la destruction d'exemplaires du Talmud donne dans son Manuel une version particulièrement longue et détaillée de la birkat ha-minim où les Chrétiens de son époque sont visés. Voir G. DAHAN, «La prière juive au regard des chrétiens au Moyen Âge», dans Revue des études juives 154 (1995), p. 437-448, où l'auteur cite cette version de la birkat ha-minim. 166 Voir C. DEL VALLE,« La prière de la polémique: la bénédiction des hérétiques», dans Revue des études juives 156 (1997), p. 191-194. 167 Voir Y.M. ELBOGEN, op. cit., Tel Aviv, 1972, p. 40; J. HEINEMANN, op. cit., Jérusalem, 19641, 19844 , p. 142, n. 20 et 23.
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l'époque des Geonim et surtout au Moyen-Âge que la birkat ha-minim fut utilisée comme une formule d'imprécation et non de serment dirigée contre les ennemis de l'extérieur, ces derniers étant définis en fonction des événements vécus par la communauté qui la modifiait et des dangers auxquels elle était (ou se sentait) exposée. Quant à l'idée « d'exclure » une personne ou un groupe social de la synagogue, elle ne correspond à aucune pratique ou rite juifs et ne saurait être confondue avec l'exclusion du judaïsme ou l'excommunication. Elle ne saurait s'appliquer à la birkat ha-minim, d'autant qu'une imprécation n'a jamais constitué un mode ou rite d'exclusion dans la tradition juive. Du point de vue de la halakhah, aucune exclusion du judaïsme n'est possible. Même les Juifs convertis à une autre religion ne sont pas « exclus de la synagogue » ou du judaïsme, mais considérés comme des apostats dont le retour au judaïsme reste toujours possible, voire souhaité et attendu selon la maxime célèbre: « Bien qu'Israël ait fauté, il reste toujours Israël » 168 . Il résulte de notre analyse que la birkat ha-minim n'a pas été instituée à Yabneh et ne visait l'exclusion de personne de la Synagogue. Quant aux judéo-chrétiens, ils font partie intégrante du peuple juif. En 135, à l'instar de toutes les autres communautés de Judée, ils sont appelés à s'enrôler dans l'armée de Bar Koziba et à participer de façon active à la guerre engagée contre les Romains. Ils continuent de fréquenter les synagogues et les Pères de l'Église le leur reprochent encore au IVe siècle. Par conséquent, la birkat ha-minim ne saurait nous éclairer sur les relations entre Juifs et chrétiens aux premiers siècles de notre ère, mais plutôt sur les relations des pharisiens et leurs successeurs avec l'ensemble des courants qui constituaient le peuple juif et le judaïsme après la destruction du Temple. On pourrait verser cette pièce au dossier des relations entre Juifs et chrétiens à partir du IVe siècle et l'avènement du christianisme comme religion de l'empire romain. Enfin, la séparation de ce qu'on appelle communément « la Synagogue » et « l'Église» s'est faite au terme d'un très long processus et ne fut pas le résultat d'une décision prise au cours d'une réunion ou d'un prétendu « synode » au sujet d'une prétendue malédiction.
168 Sur cette idée dans la littérature rabbinique, voir J. KATZ, « Although he Sinned he is Still Israel» (hébreu), dans Tarbiz 27 (1957-1958), p. 203-217; J. KATZ, Exclusiveness and Tolerance, New York, 1962.
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2 Flavius Josèphe, Contre Apion I, § 3 : TWV µÈv ÀmÔopoÛvTwv T~v ÔuaµÉvrncv xd mov ÈÀËyE;ixc '-)isuÔoÀoy(ixv, Twv ÔÈ T~V &yvmixv Ènixvop8wa1XG8GC(.
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Pour l'œuvre de Flavius Josèphe je suis les traductions de P. SAVINEL, La Guerre des Juifs, Paris, 1977; É. NODET, Les Antiquités juives I-V, Paris, 1992; J. WEILL, Antiquités Judaiq~es VI-X, Paris, 1926; A. PELLETIER, Autobiographie, Paris, 1959; L. BLUM, Contre Apion, Paris, 1930. 3 L. FELDMAN, Josephus's Interpretation of the Bible, Berkeley/Californie, 1998, p. 429. 4 J.G. GAGER, « Moses the Magician: Hero of an Ancient Counter-Culture? »dans Helios 21 (1994), p. 181. 5 A. KASHER, Neged Apyon / Yosefus Flavyus (Yosef ben Matityahu), t. II, Jérusalem, 1996, p. 432 sq.
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René Sigmund Bloch le corpus des textes gréco-romains ayant la magie juive pour objet, qui est beaucoup plus restreint qu'on ne le pense.
II. Flavius Josèphe contre la magie ? Josèphe et la magie 1 6 Un passage des Antiquités juives est particulièrement intéressant si l'on veut tenir pour certain que Josèphe essayait de discuter de la magie juive d'une manière apologétique. Dans le huitième livre des Antiquités juives, Josèphe fait curieusement mention du roi Salomon et de son autorité sur les démons : « Ce fut Dieu qui a enseigné à Salomon les techniques relatives aux démons (-r~v
xa-riX -rwv 3a~µôvwv -rÉzv71v). Dieu lui accorda aussi l'art de combattre les démons pour l'utilité et la guérison des hommes. Comme il avait composé des incantations (Ène;iMç) pour conjurer les maladies, il a laissé des formules d'exorcisme (-rpônouç è:Çopxwm::wv) pour enchaîner et chasser les démons, de façon qu'ils ne reviennent plus >>7. Cette représentation de Salomon en exorciste est d'autant plus étonnante qu'elle n'a pas d'équivalent dans le texte biblique. Le Livre 1 des Rois que Josèphe paraphrase ici dit : « Dieu donna à Salomon de la sagesse, une très grande intelligence, et des connaissances multipliées comme le sable qui est au bord de la mer »8 . Le récit biblique continue d'énumérer les savoirs de Salomon, mais ni les charmes contre les démons ni l'art d'exorciser n'en font partie. La suite du récit est encore plus étonnante: l'habileté de Salomon à guérir (81Jplllmda) les gens des démons n'est pas limitée aux temps bibliques, en fait elle « est encore très en vigueur (rcÀdcr-rov) jusqu'ici (µé:x.pl vuv) chez nous »9 . Josèphe ajoute ensuite une histoire exemplaire: un jour il a vu comment un certain Éléazar - en présence de Vespasien, de ses fils et de nombreux soldats - libérait un homme des démons. Éléazar « approchait du nez du démoniaque un anneau dont le chaton enfermait une des racines indiquées par Salomon, puis, le faisant respirer, il extrayait l'esprit démoniaque par les narines; l'homme tombait aussitôt et Éléazar adjurait le démon de ne plus revenir en lui, en prononçant le nom de Salomon et les incantations composées par celui-ci »10 . Si ce passage devait révéler un caractère apologétique, l'apologie de Josèphe serait bien maladroite. Dans le passage cité, Josèphe n'emploi pas le terme µiXyoç ou µlllyllll, mais il le fait dans un autre contexte. Vers la fin des Antiquités juives, Josèphe rapporte un épisode de magie érotique qui se serait passé en Judée sous la procuratèle de Félix (en 52) 11 : Félix tombe amoureux de Drusilla, une femme mariée; pour la convaincre de quitter son mari et de s'installer avec lui, il envoie à Drusilla un Juif chypriote qui prétend être un magicien (µiXyov dvllll crx1Jn-r6µe:vov). Josèphe ne nous donne pas de rapport détaillé de ce qui s'est passé lors de cette rencontre, mais
6 Je développe ici quelques idées discutées dans R. BLOCH, « Moses und die Scharlatane », dans F. SIEGERT - J.U. KALMS (Ed.), Internationales Josephus-Kolloquium Bruxelles 1998, Münster, 1999, p. 142-157. 7 Flavius Josèphe, Antiquités juives VIII, § 45. 8 J R 4, 29 (traduction L. SEGOND, La Sainte Bible, Paris, 1928). 9 Flavius Josèphe, Antiquités juives VIII,§ 46. 10 Flavius Josèphe, Antiquités juives VIII,§ 47-49. 11 Flavius Josèphe, Antiquités juives XX, § 141-144.
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Au-delà d'un discours apologétique
Drusilla abandonne son mari pour s'installer avec Félix. Josèphe, bien entendu, ne croit pas en cet acte de magie et propose une motivation plus rationnelle aux actions de Drusilla. Et pourtant, il convient de noter que Josèphe n'hésite pas à raconter cette anecdote d'un µôcyoc; juif. La Torah que Josèphe paraphrase dans les premiers livres des Antiquités juives « sans rien ajouter ni omettre », comme il le dit audacieusement dans sa préface 12 rend compte à plusieurs reprises des lois strictes contre la magie et le groupe des sorciers: «Tu ne laisseras point vivre la magicienne» et « Qu'on ne trouve chez toi personne qui fasse passer son fils ou sa fille par le feu, personne qui exerce le métier de devin, d'astrologue, d'augure, de magicien, d'enchanteur, personne qui consulte ceux qui évoquent les esprits ou disent la bonne aventure, personne qui interroge les morts »13 . Mais, chose curieuse, dans ses paraphrases des livres de l'Exode et du Deutéronome, Josèphe ne mentionne aucune de ces lois. Ceci ne révèle donc pas non plus une stratégie apologétique de la part de Josèphe contre la prétendue accusation d'une magie juive. Dans le contexte de sa paraphrase de la Torah, Josèphe avait la possibilité de démontrer que la loi juive ne permet point la magie sous quelque forme que ce soit. Alors que les judaïsmes biblique et rabbinique désapprouvent avec véhémence la magie - selon la Michna un magicien devait être condamné à mort et tué à coups de pierre - 14 , Josèphe s'abstient de reprendre ces condamnations à son compte. Il va sans dire que la présentation du judaïsme dans les Antiquités juives de Josèphe a été influencée par les topai de l'ethnographie gréco-romaine sur les Juifs. C'est par exemple à cause de l'accusation d'un prétendu µtcrôcv8pwnoc; ~[oc; des Juifs - diffamation répandue dans les textes païens portant sur les Juifs - que Josèphe ne cesse d'insister sur les tendances philanthropiques de la loi juive, et l'on trouve facilement d'autres exemples d'une présentation vraiment apologétique de la loi juive (voir par exemple la thématique de la chasteté face à celle de la lascivité). Mais à cet égard, la magie ne semble pas avoir été un sujet de grande inquiétude pour Josèphe. Bien au contraire. Ainsi Josèphe raconte avec grand plaisir l'épisode de nécromancie que l'on connaît par le chapitre 28 du premier livre de Samue1 15 . En fait, il ne se borne pas à raconter - sans changer l'essentiel du récit - comment la magicienne d'Endor est capable d'évoquer l'âme de Samuel décédé, mais il ajoute quelques détails qui n'ont pas d'équivalents dans le récit biblique. En effet, alors que le texte biblique dit simplement que Saül demanda à ses serviteurs de chercher « une femme qui évoque les morts » 16 , Josèphe n'hésite pas à commenter ouvertement ce passage: « Car les ventriloques, par le moyen des âmes des morts qu'ils font surgir, prédisent l'avenir à ceux qui les interrogent » 17 . Voilà un élément d'information pour ceux qui ne connaissent pas encore cette pratique magique que Josèphe, comme dans le contexte du savoir magique de Salomon, introduit comme une TÉX.VYJ 18 (je reviendrai sur ce terme ultérieurement). Après avoir raconté comment
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Flavius Josèphe, Antiquités juives I, § 17. Ex 22, 18; Dt 18, 10 sq. (traduction L. SEGOND, op. cit., Paris, 1928). M Sanhedrin VII, 4, 11. Flavius Josèphe, Antiquités juives VI,§ 330-336. 1 s 28 7 Flavids josèphe, Antiquités juives VI,§ 330. Flavius Josèphe, Antiquités juives VI, § 340.
René Sigmund Bloch
la magicienne réussit à faire monter l'âme de Samuel, Josèphe, dans une autre addition au texte biblique, ajoute un panégyrique de la sorcière d'En-Dor. Pour avoir donné à manger à Saül quand celui-ci avait failli s'évanouir, cette femme fait preuve d'une générosité exemplaire 19 . Il semble donc que Josèphe n'éprouve aucune difficulté à présenter des Juifs impliqués dans des pratiques magiques (magie curative, magie érotique, divination magique au sens d'exorcisme), même quand elles concernent les personnes les plus honorables de l'histoire juive comme les rois Saül et Salomon. Josèphe dit même à propos de la magie curative que cette technique thérapeutique (8spocrrdoc) « est encore très en vigueur jusqu'ici chez nous ». La magie, présente dans l'histoire juive, apparaît également dans les descriptions géographiques de la Judée. Dans un excursus sur les aspects géographiques de la Judée, Josèphe fait la description d'une plante appelée baaras et qui aurait des propriétés thérapeutiques - un remède très efficace pour l'expulsion des démons: « avec tous ses dangers, elle est recherchée pour une seule vertu: en effet, ce qu'on appelle les démons - qui sont les esprits d'hommes méchants qui pénètrent dans le corps des vivants et provoquent leur mort si les gens se trouvent privés de secours-, ces démons sont facilement expulsés au moyen de cette herbe, même si elle est simplement appliquée sur les patients »20 . Il est évident que Josèphe parle librement des pouvoirs magiques de cette plante et fournit spontanément une explication détaillée du terme « démon ». III. Les Juifs et la magie dans la littérature gréco-romaine
J'aimerais interrompre cette lecture de textes « magiques » dans l'œuvre de Josèphe pour examiner quelques passages de la littérature gréco-romaine qui font allusion aux Juifs en tant que groupe de magiciens. En fait, les descriptions anciennes des Juifs et des magiciens peuvent avoir en commun un certain nombre d'aspects: les deux mondes, celui des Juifs et celui des magiciens, sont décrits comme des sociétés marginales et on trouve quelquefois les mêmes reproches formulés à l'encontre des deux. Platon, par exemple, condamne les magiciens à cause de leur impiété et de leur tendance à séduire les jeunes. De la même manière, Lysimaque et d'autres auteurs anti-juifs selon Josèphe, reprochent aux Juifs d'être impies. Quant au deuxième reproche, la séduction des jeunes, nous pouvons renvoyer à un passage consacré aux Juifs chez Juvénal 21 . En conséquence, l'image d'un monde juif marginal peut être renforcée par des traits magiques. Dans la sixième satire de Juvénal, satire célèbre pour ses aspects misogynes, l'auteur met en scène une vieille femme juive qui prophétise des choses mystérieuses: voici qu'arrive « une Juive chevrotante qui, laissant là sa corbeille et son foin, mendie en tapinois à l'oreille.
Flavius Josèphe, Antiquités juives VI,§ 340 sq. Flavius Josèphe, Guerre des Juifs VII, § 180 sq. Voir M. SMITH, « The Occult in Josephus », dans L.H. FELDMAN - G. HATA (Ed.), Josephus, Judaism, and Christianity, Détroit, 1987, p. 249. 21 Platon, Lois 909 B et Politique 364 B; Flavius Josèphe, Contre Apion II,§ 148 et Juvénal, Satires 14, 96-106. 19
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Au-delà d'un discours apologétique
Elle est l'interprète des lois de Solymes, la grande-prêtresse de l'arbre, la messagère fidèle du Ciel suprême »22 . Mais les sources littéraires qui décrivent les Juifs comme des magiciens sont rares. La magie n'est jamais devenue un 'cawv juif dans l'ethnographie gréco-romaine, et il me semble que la déclaration de Marcel Simon selon laquelle « pour les anciens, la magie est, peut-on dire, congénitale à Israël » doit être révisée 23 . Ceci est assez surprenant car, dans les papyrus magiques, Moïse, le législateur des Juifs, a souvent un rôle significatif. Mais la figure de « Moïse le magicien » - à !'exception des passages auxquels nous allons renvoyer dans un instant - est généralement absente dans les nombreuses représentations des Juifs dans la littérature gréco-romaine. On note ici un décalage remarquable entre les témoignages littéraires d'un côté et les papyrus de l'autre. Comme l'a formulé John Gager dans un autre contexte : « the Moses of the magical and alchemical documents is largely independent of the Moses in the Greek and Roman literary tradition »24 . Les textes littéraires parlant de la magie et impliquant des Juifs sont peu nombreux et, dans la majorité des cas, dépourvus de tout aspect polémique. Strabon, suivant probablement Posidonius, fait mention de Moïse dans une liste de prophètes, magiciens et devins. Dans ce récit, Moïse le magicien entre dans le cadre d'un âge d'or ancien révolu et, de fait, est exclu de la décadence dont ses successeurs sont responsables 25 . Selon l'historien augustéen Trogue Pompée, ce fut le Joseph biblique qui, grâce à son esprit pénétrant (sollerti ingenio), aurait adopté l'art magique en Égypte et l'aurait passé à son fils (!) Moïse dont les talents égalaient ceux de son père 26 . Moïse est aussi mentionné en tant que magicien dans les catalogues de magiciens d' Apulée et de Pline - sans aucune intention polémique27 . Dans ce contexte, il est aussi important de souligner que dans les textes romains anti-juifs les plus virulents, ceux de Cicéron et Tacite, la magie ne fait jamais partie du catalogue anti-juif. Ce point est important surtout dans le cas de Tacite qui, dans son excursus sur la Judée, n'a rien de bon à dire au sujet des Juifs et qui, d'après plusieurs passages des Annales et des Histoires, n'avait pas beaucoup de sympathie pour les magiciens 28 . Il n'existe que très peu de textes qui semblent être moins favorables aux Juifs en tant que magiciens : Lucien et Celse, auteurs du Ile siècle de notre ère et postérieurs à Josèphe, se sont moqués de la magie juive. Lucien ridiculise l'imbécile qui se fait séduire par l'exorciste juif29 . Celse, dont le texte n'est « accessible » qu'à travers la réponse d'Origène, aurait dit que les Juifs se seraient adonnés à la yori-rdrx et que Moïse aurait été leur professeur en ce domaine 30 .
22 Juvénal, Satires 6, 542-546: cophino faenoque relicto / arcanam Iudaea tremens mendicat in aurem, / interpres legum Solymarum et magna sacerdos / arboris ac summifida internuntia caeli. 23 M. SIMON, Verus Israel, Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l'Empire romain ( 135-425), Paris, 1948, p. 395. 24 J.G. GAGER, Moses in Greco-Roman Paganism, Nashville/Tennessee, 1972, p. 159. 25 Strabon, Géographie 16, 2, 39. 26 Justin, Dialogue avec Tryphon 36, 2, 7-11. 27 Pline, Histoire naturelle 30, 11 ; Apulée, Apologie 90. 28 Voir par exemple Tacite, Histoires 1, 22, 1. L'excursus sur les Juifs: Histoires 5 2-13. E ' Lucien, Tragodopodagra 171-173. 30 Origène, Contre Celse 1, 26. Posidonius dans un passage cité par Strabon (Géographie 16, 2, 43) mentionne des y6YJTZÇ qui prononcent certaines incantations et coupent l'asphalte de la Mer Morte en morceaux. Ces y6YJTZÇ sont des charlatans religieux.
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René Sigmund Bloch Il semble néanmoins que ces rares passages, tardifs, qui critiquent la magie juive sont des exceptions et ne reflètent guère l'idée générale des auteurs gréco-romains sur la magie juive. Ces auteurs ne transmettent que peu d'informations sur la magie juive, malgré les nombreux motifs juifs que l'on connaît dans les documents magiques, et quand ils le font, leurs récits n'ont pas d'intention polémique. Josèphe ne devait donc pas se sentir dans la nécessité de répondre à une critique somme toute très marginale. IV. Flavius Josèphe contre la magie? Josèphe et la magie II
Pour illustrer mon propos, je considérerai maintenant la paraphrase joséphienne du concours biblique entre les magiciens égyptiens du Pharaon d'un côté et Moïse de l'autre (Ex 7, 8-15). Cette paraphrase, dans les Antiquités juives Il,§ 281-287, a souvent été comprise comme l'exemple le plus évident de l'attitude apologétique de Josèphe envers la magie juive. Il est nécessaire d'examiner de plus près ce célèbre passage: d'après Josèphe, dans une addition au texte biblique, lorsque Moïse se présenta au roi égyptien pour le convaincre de laisser partir le peuple juif, il lui montra « quels services il avait rendus aux Égyptiens, lorsqu'ils étaient humiliés et leur pays ravagé par les Éthiopiens, prenant la responsabilité de l'armée et n'épargnant pas sa peine, comme il l'eût fait pour les siens; il lui représenta les dangers qu'il avait encourus pour eux, sans en recevoir de juste rétribution; en outre, ce qui lui était arrivé à la montagne du Sinaï, les oracles de Dieu et les signes qu'il lui avait montrés pour qu'il croie en ce qu'il lui ordonnerait (... ) » (Antiquités juives II, § 282 sq.).
Mais le Pharaon railla Moïse. Le concours de magie est alors décrit en ces termes : « Moïse lui fit voir, réalisés devant lui, les miracles qui avaient eu lieu sur Je mont Sinaï. Mais le roi s'irrita, le traita de criminel, qui avait fui l'esclavage en Éypte et revenait maintenant en fraude (è:Ç &:1t'ocTYJc;), manœuvrant pour l'impressionner par des prodiges et des sortilèges (Tspocrnupy[l)(i xd µl)(yE:Îl)(L). Tout en parlant, il ordonna aux prêtres de lui faire une démonstration des mêmes phénomènes, pour lui montrer que les Égyptiens aussi étaient versés dans ces sortes de sciences, et qu'en se posant comme le seul expert, lui, Moïse, en prétendant que c'est à Dieu qu'il devait ces pouvoirs merveilleux, il ne pouvait s'attendre à être crédible chez eux comme auprès d'ignorants ; les prêtres jetèrent leurs bâtons qui devinrent des dragons. Mais Moïse, nullement impressionné, dit: "Je ne méprise certainement pas, ô roi, la sagesse (cror.p[I)() des Égyptiens, mais j'affirme que ce que j'ai fait (Tà U1t' ' È:p.où 7tpixH6µEV1x) surpasse leur magie et leur art (µixydix/TÉX,V'Y)) de la même manière que le divin (Tà 6dix) surpasse l'humain (Tà &v6pwmvix), et je montrerai que mes actes (Tà Èp.oc ... r.pixiv6µsvix) procèdent non pas de l'imposture (yoYJTdix) ou de la falsification (7tÀocv11) de la vraie doctrine, mais de la providence et de la puissance de Dieu (MTà ilÈ 6rnù 7tp6voiixv xixl 3Uvixµiv)". Sur ces mots, il jeta à terre son bâton, en lui commandant de se transformer en serpent; celui-ci obéit, fit le tour des bâtons des Égyptiens qui paraissaient être devenus des dragons, et les dévora jusqu'à les faire tous disparaître; puis il reprit son aspect normal et Moïse le récupéra » (Antiquités juives II, § 284-287).
Si nous comparons ce passage avec le texte correspondant dans la Bible hébraïque, plusieurs différences sautent aux yeux. La version originale du texte mas249
Au-delà d'un discours apologétique
sorétique est évidemment beaucoup plus courte que la paraphrase de Josèphe. Tandis que, dans le texte biblique (ainsi que dans celui des Septante), les actions des magiciens égyptiens ne se distinguent pas de celles d' Aaron - « et les magiciens d'Égypte, eux aussi, en firent autant par leurs enchantements »31 -, Josèphe apparaît répugner à mettre en parallèle les deux actions. Il semble néanmoins que J osèphe ne cherche vraiment pas à argumenter apologétiquement contre l'idée d'une « magie juive », ou plus précisément celle d'un « Moïse magique ». Il est vrai que, dans la version de Josèphe, ce sont seulement les Égyptiens qui font de la µixydix x.ixt TÉXVYJ, alors que les actions de Moïse sont simplement des rcpixn6µEvix x.d cpixiv6µEvix. Dans la version de Josèphe les actions magiques des magiciens égyptiens ne sont que des actions humaines (TiX &v8pwmvix) et c'est pourquoi elles n'ont aucune chance de l'emporter contre Je divin (TiX 8dix). Mais ceci est, bien entendu, déjà l'argumentation biblique. Quant au texte biblique, Peter Schafer a justement observé que: « (... ) the biblical author (... ) tells us - not that Moses' and Aaron's performative acts are legitimate and the magicians' spells are illegitimate (this is, if at all, not his main concern), but that Moses' and Aaron's performances are more powerful than the efforts of the magicians, because God is the real originator » 32 . Pour l'auteur biblique ainsi que pour Josèphe, le point le plus important dans ce récit est que Moïse et son Dieu sont plus puissants que les prêtres égyptiens. En outre, si Josèphe avait voulu éloigner Moïse le plus possible de l'image d'un magicien, plusieurs aspects devraient nous surprendre. Tout d'abord, ce serait une curieuse stratégie apologétique que de substituer Moïse à Aaron: selon le texte biblique (ainsi que celui des Septante), c'est Aaron et non pas Moïse qui jette à terre son bâton devant le Pharaon et c'est le bâton d'Aaron qui, à la fin, dévore ceux des magiciens du roi. Mais Josèphe échange les rôles : dans sa version, Moïse reste l'acteur principal 33 . D'ailleurs, dans la paraphrase de Josèphe, les magiciens égyptiens de la Bible hébraïque ne sont plus des magiciens (C'!lW:m, 0'1l11J 'IJD1n), mais plus simplement des prêtres (lEpE'r:;) ! Il semble donc que Josèphe ne tient pas à distinguer clairement les actions de Moïse de la magie égyptienne, encore moins à stigmatiser les prêtres égyptiens comme magiciens. Il ne cherche pas non plus à distinguer la magie de l'art des Égyptiens (µixydix/TÉXVYJ) du judaïsme. Nous avons vu que Josèphe n'hésite pas à employer le terme -rÉXVYJ à propos des pouvoirs magiques de Salomon ou de la vieille femme d'Endor, et le terme µiXyo:; est employé dans le cadre d'un acte de magie érotique juive 34 . Il est vrai que le récit joséphien sur le concours de magie entre Moïse et les magiciens égyptiens possède des traits apologétiques, mais ceux-ci ne sont pas dirigés contre la magie même, mais contre l'imposture et la falsification. En fait, dans la version de Josèphe, Moïse se défend de manière explicite seulement contre le reproche de yoYJTdix x.ixt rcÀtXVYJ (Antiquités juives II, § 286).
31
Ex 7, 11 (trad. L.
SEGOND,
op. cit., Paris, 1928). Ex 7, 11, (LXX):( ... ) xa.l ÈTIOLY)ŒIX'I xixl o[
ÈTiixm8ot Twv A1yuTITLWV Tixi:c; cpixpµixxdixic; ixÙTwv waavTwç. 32
P.
«Magic and Religion in Ancient Judaism »,dans P. SCHAFER - H.G. KIPEnvisioning Magic: A Princeton Seminar and Symposium, Leyde, 1997, p. 29. Flavius Josèphe, Antiquités juives Il, § 280: tandis que dans le récit biblique c'est Aaron qui accomplit des miracles devant le peuple d'Israël (Ex 4, 30), ici c'est Moïse. 34 P9ur le terme de TÉX,VY), voir aussi Flavius Josèphe, Antiquités juives VIII, 334 (du prophète Elie). SCHAFER,
PENBERG (Ed.), 33 Voir aussi
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René Sigmund Bloch
Cette observation devient plus évidente quelques paragraphes plus bas : dans Antiquités juives II, § 320, Josèphe nous raconte qu'après les dix plaies, les Égyptiens se repentirent d'avoir laissé partir les Hébreux. Le roi est mortifié d'apprendre que Moïse avait réussi grâce à sa yoY)TE:Îix. Le roi n'est pas furieux que Moïse ait employé la magie - évidemment, ses prêtres faisaient la même chose ! -, mais le Pharaon se sent trompé par Moïse. La Bible hébraïque ne connaît pas cette réflexion de la part du roi égyptien. Et le texte biblique ne connaît pas non plus ce qu'est le point de départ de la scène de « Moïse et les magiciens » chez Josèphe: selon Antiquités juives Il, § 284, le Pharaon traita Moïse de criminel qui avait fui l'esclavage en Égypte et revenait en fraude (&Ç tX7tcXTY)c;). C'est là précisément ce que Josèphe essaie de contredire dans sa paraphrase de Ex 7, 8-15: Moïse n'est pas un menteur, ni un imposteur. Josèphe a donc transformé assez radicalement la scène biblique du concours magique entre Aaron et les magiciens égyptiens. Contrairement au texte biblique, il a remplacé Aaron par Moïse. Et ce Moïse doit se défendre contre l'accusation non-biblique! - d'être un charlatan. V. Vers une lecture politique de l'œuvre de Josèphe
J'aimerais suggérer que les raisons pour lesquelles Josèphe s'est intéressé à la question de « Moïse et yoY)Tdix » ne se situent pas en dehors de l'œuvre de Josèphe, dans le discours païen sur les Juifs, mais dans le discours juif lui-même. Mais, d'abord, il nous faut jeter un coup d'œil aux nombreuses significations possibles des termes yÔY)c; et yoY)TEÎix. Josèphe les emploie dans toutes ses œuvres, dans la Guerre des Juifs, les Antiquités juives, le Contre Apion et aussi dans son Autobiographie. L'origine étymologique de yÔY)