Les origines de l'Hercule romain

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BIBLIOTHÈQUE DES ÉCOLES FRANÇAISES D'ÂTHÈNES ET DE ROME PUSLIÉEK

SOUS

LES

AUSPICES

OU

MINISTÈRE

FASCICULE

CENT

JEAN

DE

L'INSTRUCTION

PUBLIQUE

TRENTE-DEUXIEME

BAYET

Ancien élève de l'École Normale Supérieure Ancien membre de l'École Francaise de Rome Agrégé

de l'Université

Docteur

es-lettres

LES ORIGINES DE

L'HERCULE ROMAIN

PARIS E.

DE

BOCCARD,

Anciennes

Maisons Thorin

1,

RUE

DE

Éditeur et Fontemoing

MÉDICIS, —

1926

1

IN PRO

MEMORIAM MATRIS

PATRIS SALUTE

BIBLIOTHÈQUE DES ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHENES ET OE ROMEt PUBLIÉE

SOUS

irs AUSPICES

DU

MINISTERE

FASCICULE

CENT

DE

L'INSTRUCTION

TRENTE- DEUXIÈME

L

----΄ JEAN

PUBLIQUE

-- -

BAYET

Ancien élève de l'École Normale Supérieure Ancien membre de l'École Française de Rome Agrégé

de l'Université

Docteur

és-lettres

LES ORIGINES L'HERCULE ROMAIN Cet

ouvrage

volume

d’etude

se complète critique

sur

étrusque.

PARIS E.

DE

BOCCARD,

Anciennes

Maisons Thorin

4,

RUE

DE

Éditeur et Fontemoing

MÉDICIS, —

1926

1

par

un

Hercule

2...»

PREFACE

ll y a peu de fables aussi connues que celle d'Hercu!e et Cacus, peu de sujets qu'on ait plus souvent traités que celui des origines du culte romain d'Hercule. Mystère des temps primitifs, rareté des documents, obscurité des faits les mieux établis : qui n'en serait séduit, qui ne voudrait aborder le probléme à son tour, düt-il aller vers une déception ? Mais n'est-ce pas aussi une étrange entreprise que de vouloir en écrire encore aprés tant de savants éprouvés, Hartung, Reifferscheid, Schvegler, M. Bréal, R. Peter, sans parler des plus récents ? — Voici ce qui nous y engage. La période vraiment créatrice, dans l'étude scientifique de cette

question,

va de

1835

avec

Hartung

jusqu'en

1890

avec R. Peter. En ces cinquante-cinq ans, toutes les grandes théories mythologiques furent éprouvées à propos d’HerculeCacus. La spéculation scientifique ne se croyait pas de limites : si les uns se contentaient de remonter aux origines de la race latine (1), d'autres (2) n'avaient de repos qu'aprés avoir replacé la légende romaine dans le cycle grandiose

des mythes indo-européens. Magnifique audace d'une science jeune. Elle eut ses défauts exclusive ; ne s'intéressant parti-pris le culte; obstinée lui ferait saisir la nature

: malgré son exubérance, elle qu'à la légende, elle négligea à trouver le détail expressif du dieu, elle ne se rendit

compte qu'une

seule

explication serait

grouperait tous

les faits et les éclairerait

(1) Étymologies de Garanus riius par Schwegler, d’Hercules (2) Par ex.

M.

Bréal.

valable, celle

par Hartung, par Mommsen.

tous

fut de qui pas

qui

ensemble

d'Hercules

Ker-

vu

PREFACE

Méme

ainsi,

cet effort de cinquante

années

est

vraiment

[écond. Ils voient le probléme, ces savants, et en posent les termes; ils rassemblent les document,

textes, pierres,

bron-

zes, bijoux, sans beaucoup de choix parfois, mais avec tant d'ardeur et une si vive imagination! Ils ont essayé pour nous bien des chemins de belle apparence qui n'aboutissent à rien, mais qui auraient pu mener au but, et qu'il fallait expérimenter. Et que de remarques fines, pleines d'avenir,

dans ces grandes théories; que de belles pierres utilisables dans ces édifices aujourd'hui en ruines ! Méme leur idée directrice n’est-elle pas juste, n'est-ce pas dans la nature

intime du dieu que doit étre cherchée en derniére analyse la solution du probléme des origines

? Et la méthode com-

parative d'un Bréal n'est-elle pas la méthode méme

de la

science moderne ?

Vinrent les destructeurs: ce que nous appellerons l'école de M. Wissowa. Savants probes, critiques bien armés, esprits acharnés, à l’œuvre entreprise. Ils dispersèrent les brillantes apparences, les idées ailées; ils se soumirent strictement aux

faits. Ils montrérent que l'Hercule Romain

n'était pas la-

tin d'origine, que la légende de Cacus n'était pas un mythe de la nature;

ils indiquerent

la Gréce comme

source

de la

légende et du culte; et s'arrétérent là. C'était la clarté un peu

froide de là raison

sur un

probléme trop

passionnant

service immense. Ils avaient distingué les domaines science refusait de faire part à la poésie.

:

: la

C'est de cette œuvre critique qu'il faut aujourd'hui partir, 4) l'on veut étudier cette question. Mais rendons-nous compte au moins de ses faiblesses et de ses manques.

La critique du maitre devient trop facilement hypercritique chez ses disciples (Winter, Baehm, Münzer). Il ne leur suffit plus de s'interdire « les grands espoirs et les vastes pensées »; ils ont peur de sortir du cercle οὐ ils s'enferment, cercle restreint, et que chaque étude nouvelle restreint un peu plus. Non seulement les époques mythologiques leur paraissent inaccessibles; mais les temps historiques sont pour eux trop vastes, et les siécles classiques eux-mémes sont suspects. Non seulement en chaque vers des poétes la-

PREFACE

IX

tins ils veulent voir une imitation précise d’un auteur grec (et que serait-ce alors si le trésor des lettres helléniques nous était parvenu intact 2), mais ils se refusent à imaginer que ces poètes aient pu parfois penser en Romains et travailler sur un vieux fond latin. Entre leurs mains, tout meurt et se dessèche avec une étonnante rapidité; ce qui tout à l'heure était un vivant n'est plus maintenant qu'un squelette.

La méthode critique qu'ils possedent si bien les a en outre engagés à un travail utile, mais réduit : l'épreuve des tlıeories précédentes. Il s'ensuit que, les prédécesseurs s'étant occupés surtout de la légende, les criticistes s'en sont presque tenus à elle; et que, d'autre part, une fois détruites les spéculations

sur

la nature

les criticistes, comme tous les matériaux

divine de l'Hercule

si l'euvre

sur le chantier,

Romain,

était achevée,

ont laissé

sans vouloir

construire

à leur tour : est-ce sagesse, est-ce défiance exagérée de leurs forces ? Le respect superstitieux des faits et l'habitude de classer les questions chacune à part ont eu pour eux d'autres inconvénients. D'abord ces savants se sont interdit toute interprétation, et ont préféré une poussiére de faits à une construction logique. Il était nécessaire, dira-t-on, de réagir contre les audaces précédentes. Sans doute; mais oublie-t-on que la science ne progresse que par l'hypothése, soumise aux

faits et vérifiée par les faits? L'Histoire se montrera-t-elle plus sévére que la Physique? En a-t-elle le droit? Mais plus grave encore nous parait le systéme des cloisons étanches : on étudie successivement la légende, le culte, le dieu (et c'est là un plan si naturel qu'on ne peut, semble-

t-il, s'en dégager), comme si l'un était séparable de l'autre, comme si l'un avait pu vivre sans l'autre. Si avec cette πηόthode on doit rencontrer une vérité, ce ne sera qu'une vérité fragmentaire; mais, plus probablement, à la fin de chaque chapitre on posera un point d'interrogation, sans s’apercevoir que toutes ces questions partielles se formuleraient autrement et que la réponse y serait moins douteuse, si l'on voulait envisager le probléme dans son ensemble. Sans doute nous ne pouvons étudier la question sans la diviser: mais

x

PREFACE

qu'au moins les résultats de chaque recherche aident à la suivante, et que la conclusion soit générale, non partielle. Tels sont les défauts des travaux récents sur l'Hercule Romain. Une méthode trop stricte, pas assez vivante, nous semble avoir empéché d'aboutir ces enquétes érudites et scrupuleuses.

Les faits sont pesés, classés; toutes les ques-

Peut-étre est-ce

tions sont posées: bien peu sont résolues. impossible? Nous voulons au moins thode, et voir ce qu'elle donnera.

essayer

une autre

mé.

D'abord, étant admise l'origine grecque de la légende et du culte, comment l'un et l'autre se sont-ils introduits à Rome ? L'invasion s'estelle faite brutalement, d'un coup? Ou n'y eut-il pas adaptation progressive de la fable, évolution, dont il importerait de fixer les étapes, et, si possible,

la chronologie ? Les grands siécle

mythologues

ne s'en sont pas souciés,

du

ils regardaient

dix-neuviéme trop loin et

trop haut; les criticistes ne s'en sont pas occupés. ils tenaient les yeux fixés trop strictement sur des faits isolés. Puis, l'évolution locale de la légende ne correspond-elle pas à une évolution paralléle du culte ? Ne nous permet-elle pas de mieux interpréter les données obscures que nous possédons sur les plus anciens sanctuaires d'Hercule à Rome ?

L'Ara Marima est-elle vraiment le plus antique de ces sanctuaires ? Ou

ne gagna-t-elle

que peu à peu

le prestige

dont

elle jouit aux temps classiques ? et comment ? — Là encore, nous désirerions introduire le principe d'évolution, qui seul peut nous permettre de remonter des données classiques aux

temps voisins des origines. Et ce n'est pas par des remarques isolées, fussentelles riches de sens, que cette recherche devra aboutir; mais par une discussion suivie et aussi serrée que possible.

Si l'une et l'autre de ces études, évolution de la légende. évolution du culte, nous conduisent à des conclusions con cordantes, nous serons autorisé

hautement

vraisemblables.

à en tenir les résultats pour

L'hypothèse

sera

scientifique-

ment conçue: il ne restera plus qu'à expérimenter si elle ex-

ΧΙ

PREFACE

plique aussi bien les fgits secondaires, si elle concorde encore avec ce que nous pouvons savoir de la nature du dicu et du rituel de ses sanctuaires. Un travail sur les origines d'un culte ne peut s'imposer de strictes limites chronologiques. La période de formation de l'Hercule Romain

couvre

deux

siécles environ,

de 400 à

200 avant Jésus-Christ: c'est dans cet espace de temps que nous pouvons espérer saisir certaines réalités historiques, et suivre une évolution continue; aprés 200, la « ligne » de développement d'Hercule Romain est fixée, il ne se pose plus de problémes fondamentaux; avant 400, aucun témoignage formel ne nous soutient, nous en sommes réduits à la discus-

sion de rares monuments figurés, et à l'induction fondée . sur la méthode comparative. A quoi peuvent nous servir des documents méme

non

datés ou

l'objet d'une critique préalable,

tardifs,

pourvu qu'ils sojent

et ne contredisent

pas

les

faits acquis pour la « période de formation » ni l'évolution générale, telle qu'on la peut fixer d’après eux. Nous ne prétendons pas avoir tout éclairci; ni méme tout

ce qui pourrait l'étre. Si nous avons posé le probléme autrement que nos prédécesseurs, et s'il apparait que cette ınethode peut donner quelques résultats qui n'avaient pas encore été acquis, cela suffira.

Nous ne nous dissimulons pas non plus l'inégalité d’un travail qui eut tant d'ainés. Le mieux eüt été de se placer avec candeur devant les faits tels qu'ils sont, sans se préoccuper des modernes qui les interprétérent: cela eüt pu dor. ner un travail trés original ou trés banal, mais d'une par-

faite sincérité.

Position impossible.

Des questions entiéres

ont été si bien étudiées que nous n'aurons qu'à en résumer les conclusions ; d'autres furent si controversées qu'il faudra reprendre à pied d’&uvre : il en résulte certains cahots, inévitables,

Il une quoi son

nous

seinhle-t-il.

paraîtra sans doute aussi pénible de se troirver devant discussion si longue et presque ininterrompue. Mais ? Les faits sont rares, l'interprétation confuse, la liaidifficile: si le raisonnement aide la conjecture, et si la

ΧΙΪ

PREFACE

conjecture explique l'ensemble des

faits,

n’est-ce

pas

un

commencement de preuve ? Et dans un problème si obscur, on n'exige pas sans doute une solution mathématiquement

certaine (1). ad

(1) Ce nous est un devoir bien agréable de remercier personnellement M. Hill, Conservateur du Département des Médailles au British Museum, qui nous a adressé, entre autres moulages rares, ceux que nous reproduisons pl. I, 10 et pl. II, 15; et MM.

les fonctionnaires du Cabinet tes les autres monnaies

Babelon et P. d’Espezel, été si précieuse.

de nos

de France planches),

(d'où proviennent touen particulier

dont la constante complaisance

MM.

J.

nous a

NOTE

Quatre

articles,

BIBLIOGRAPHIQUE

travaux

considérables,

qui,

pour

partie,

pos-

sèdent même une valeur originale, ont traité dans son ensemble la question. de l'Hercule Romain; on y trouvera la bibliographie compléte, jusqu'à 1922 inclusivement. Ce sont : 1. R. PETER, Roscher's Lerikon der griechischen und rómis. chen Mythologie, I, 2 (Leipzig, 1886-1890), col. 2253-2297 et 29013023; 2. DURRBACH,

Daremberg-Saglio-Pottier,

quités Grecques et Romaines, *

Dictionnaire

des

Anti-

III, 1 (Paris, 1899), p. 124-128;

9. KEHM, Pauly-Wissowa, Real-Encyclopädie der klassischen Altertumswissenschaft, VIII, 1 (Stuttgart, 1912), col. 550-609; 4. 1. CESANO, Romane,

Pour

De

Ruggiero,

III (Roma,

Dizionario

Epigrafico

di Antichitd

1922), col. 679-725.

tout détail qui intéresse à la fois Rome

et la Gréce, on

devra se reporter à une autre synthése considérable 9$. 0. GRUPPE, chen

Pauly-Wissowa,

Altertumswissenschaft,

Real

Suppl.

:

Encyclopädie III (1918),

der

L'évolution des théories se suivra avec les ouvrages 6. HEFFTER, Ueber Mythologie, Neue Paedagogik, vol. 2 (1831), p. 440-445; 7. HARTUNG,

Ueber

Religion der Rómer,

den rómischen

Jahrb.

Hercules

suivants :

für Philologie und (Erlangen,

9. scHwEGLER, Römische 316,

(1863), p. 2%;

1835)



II (Erlangen, 1836), p. 21-31;

8. METZGER, Pauly, Real-Encyclopädie der klassischen ihumswissenschaft, III (Stuttgart, 1844), col. 1175-1182;

10. MOMMSEN

klassis.

col. 910-1121.

Geschichte, I (Tübingen,

(TH.), Histoire

Romaine

(traduction

Alter-

1853), p. 364française),

I

XIV

NOTE

11. ur.LEN, De Herculis 3056);

BIBLIOGRAPHIQUE Romani

fabula et cultu

(Monasterium,

12. BRÉAL (M.), Hercule et Cacus (Paris, 1863); 13. PREUNER, Hıstia-Vesta

(Tübingen

1864), p. 382-384;

14. REIPWERSCHEID, Annali dell'Instituto Archeologico di Roma, XXXIX (1867), p. 352-362; 15. PRIMLER, Römische Mythologie*

16. MARQUARDT, III, p. 877 sq. (=

Römische Manuel

(Berlin, 1883), II, p. 278-300;

Staatsverwaltung?

(Leipzig,

des Antiquités Romaines,

1885),

trad. franc.

XIII, p. 78 sq.);

17. FOWLER, 197;

Roman

Festivals

18. wısaowa, Religion 1912), p. 271-284.

und

(London, Kultus

der

1899

et 1916),

Römer?

19. wiNTER (1. G.), The myth of Hercules at Rome, 20. MUMEER

(F.),

Cacus

der

series, IV (1910), p. Rinderdieb,

198-

(München,

Les travaux les plus récents de l'Ecole criticiste, quels s'effraie Wissowa lui-même, sont ceux de : Michigan Studies, Humanistic

p.

devant

les-

University of 171-273;

Programm

zur

Rek.

teratsfeler der Universitaet Basel (Basel, 1911). Les travaux particuliers dont nous aurons à faire usage seront indiqués au fur et à mesure des besoins.

LISTE

AMELUNG,

DES

Sculpt.

ABREVIATIONS

Vatican.

Mus.



des Vaticanischen Museums Annal. d. Inst. — Annali Archeologica (Roma).

dell’

de Luynes, B.C.H. Berl.

=

de

Die

di

Sculpturen

Corrispondenza

Deutschen

archaólogischen

-- E. BABELON, Traité des MonDescription Historique (Paris,

J. BABELON,

I (Paris,

Bulletin

Philol.

I =

Instituto

des

BABELON (E.), Traité Descr. hist, naies grecques et romaines, 1901 et suiv.). (J.), Luynes,

AMELUNG,

(Berlin, 1903).

Athen. Mitt. = Mitteilungen Instituts in Athen.

BABELON

W.

USUELLES

Monnaies

de la Collection

1924). Correspondance

Wochensch.



Berliner

hellénique. philologische

chrift.

Wochens-

|

Br. Brit. Mus.

--

Catalogue

of

the

etruscan in the British Museum

Bull. Com.

bronzes,

. greek,

roman,

and

(1899).

— Bullettino della Commissione archeologica Comu.

nale di Roma. Bull. d. Inst. = Bullettino dell’ Instituto di Corrispondenza cheologíca (Roma). CHRIST,

Gr. Litt. =

teratur®

(München,

klassischen C.LE. — Corpus suiv.). €.l.L.

=

W.

Corpus

CHRIST, 1898)

Geschichte

(Iwan

von

Altertumswissenschaft, Inscriptionum Inscriptionum

suiv., 1893 et suiv.).

ar-

der griechichen Lit.

MÜLLER,

Handbuch

der

VIT).

Etruscarum

(Leipzig,

1893

et

Latinarum

(Berlin,

1863

et

XVI

LISTE

C.I.S. = Corpus suiv.).

H.

sous

CoLLitz,

It. Dial.

Semiticarum

l'Empire



der

(Paris,

1881

et

historique des mon-

Romain?

Sammlung

chriften (Göttingen, Conway,

USUELLE®S

I. CoHEx, Description



naies frappées et suiv.). —

ABREVIATIONS

Inscriptionum

CoHEN, Mon. Imp.

CoLLıtz

DES

(Paris-Londres,

griechischen

1880

Dialekt.Ins.-

1884 et suiv.).

A.

Coxway,

The

italic

dialerts

(Cambridge,

1897). D.S.

— DAREMBERG-SAuLIO-POTTIER, Diclionunire grecques οἱ romaines (Paris, 1873 et suiv.).

Eph. Ep.

=

Ephemeris

FABRETTI



Corpus

drs

Antiquités

Epigraphica.

Inscriptionum

(Aug. Taurinorum.

Italicarum

antiquioris

aevi

(Lipsiae,

1878

1867 et suiv.).

F. H. G. — Voir : Mütter, F. H. G. F. L. G. .



Th.

BERGK,

Poetae

Lyrici

Graecik

et suiv.). FURTWAENGLER,

chreibung Museen

Vasensamml.

der zu

Ant.

Berl.

Vasensammlung

Berlin),

(Berlin,



A. FURTWAENGLER,

im Antiquarium

Bes.

(Königliche

1885).

GAMURRINI = Appendice al Corpus Inscriptionum ilalicarum

ed

αἱ suoi supplemenli, di Ariodante Fabretti, Gaz. Arch.

=

Gazette

Archéologique.

GERHARD, Auserles. Vasenb. — E. GERHARD, chische Vasenbilder (Rerlin, 1858). GERHARD,

Etr. Spieg.

KÔRTE),



Etruskische

E. GERHARD, (Le Spicgel

Auserlesene

V" vol.

(Berlin,

par

grie-

KLUEGMANN-

1843 et suiv.).

GERHARD, Ges. Ak. Abh. = E. GERHARD, Gesammelte Akademische Abhandlungen und kleine Schriften (Berlin, 18061868). | GILBERT,

Gesch.

u. Top.

der Stadt Rom

=

GILRERT,

im Altertum

Geschichte

(Leipzig,

GiRARD, Manuel D. R. — P.F. GiRARD, Droit Romain? (Paris, 1924). Gr. Coins Brit. Mus. — A Catalogue British Museum (London).

und

T»pographie

1883-1890).

Manuel

Élémentaire

of the greek

Coins in

de the

LISTE

Gr.

DES

Vases Brit, Mus,



ABREVIATIONS

USUELLES

B. WALTERS,

Catalogue

H.

and Elruscan Vases

in the

British

X VII

of the

Museum

et suiv.) GRUPPE,

6. M

=

0.

GRUPPE,

Griechische

Greek

(London,

Mythologie

1898

und

Reli-

gton$.Wissenschaftz (München, 1902) (Iwan von MUüliLER, Handbuch der klassischen Altertumswissenschaft, V, 2). H.

R. F. : Voir : Peter,

INGHIRAM,

Mon,

H.

Etr.

R.



F.

INGHIRAMI,

Monumenti

Etruschi

HUELSEN,

Topographie

der

MOMMSEN,

Manuel

(1821-1826). JoRDA\, Toy.

=

H.

JOoRDAN-C.

Rom (Berlin, 1871 et suiv.).

MARQUARDT, Manuel



J. MARQUARDT-Th.

Anliquités Romaines

(trad.

franc.,

Paris,

Stadt

des

1887 et suiv.).

Melangey de l'Éc. de Rome — Mélanges d'Archéologie et d'Hisloire, de l’École française de Rome. Mém. Ac, Inscr.



Mémoires

de

l'Académie

des

Inscriptions

et

Belles-Lettres (Institut de France). MICu, Ant. Mon.



MicALI, Antichi

Monumenti

(Firenze,

1810).

Muzium, F. H. G. — C. et T. MUELLER, Fragmenta Historicorum Graecorum (Paris, 1841 et suiv.). Not. d. Scavi — Notizie degli Scavi di Antichitd.

Pass, Sicilia — E. PAIS, Storia della Sicilia e della Magna cia, I (Torino-Palermo, 1894). Pus, Storia Critica 1913 et suiv.).

--- E.

Pais, Storia

PETER, H. R. F. — PETER, menta (Leipzig-Teubner,

Critica di Roma?

Gre-

(Roma,

Historicorum Romanorum 1883-1906; I?, 1914).

Frag-

PRELER, R. M’. — L. PnELLER-H. JORDAN, Römische Mythologie? (Berlin, 1883). R. E. = PaAULYy-Wissowa-Knornr, Real-Encyclopädie des klassis. chen Altertumswissenschaft (Stuttgart, 1894 ct suiv.). R. E\.

=

Pauly,

Real-Encyclopädie

wissenschaft".

RzmacH, Rep. Rel. romains

des klassischen Alterthums\



S. Reınaca,

(Paris, 1909 et suiv.).

Répertoire de Reliefs grecs et

XVIII

LISTE

Rev. Arch. = Revue

DES

ABREVIATIONS

USUELLES

Archéologique.

R. H. R. — Revue de l'Histoire des Religions R. L. = RoscHER'S Ausführliches römischen Mythologie (Leipzig,

(Paris).

Lezikon der griechischen 1884 et suiv.).

und

Róm. Mittheil. — Miltheilungen des Kaiserlichen deutschen Archäologischen Instituts, Römische Abteilung. ScHANE, Röm. Litt. — M. ScHanz, Geschichte der römischen Litteratur* (München, 18% et suiv.)(I. νον MüLter, Handbuch der klassischen Altertumswissenschaft, VIII). Wiss0ow4,

R. K. R.?2 =

G. Wıssowa,

mer (München, 1912)

Religion und

Kultus

der Rö-

(I.von Mürzzr,Handbuch der klassischen

Altertumswissenschaft, V, 4).

ZvEtAIFR, Inscr. It. med. dial. — ZvBramm,, Inscriptiones Italíae mediae dialecticae (Lipsiae, 1884).

Zvwrarery, Inscr. Osc. = rum

(Petropoli,

1878).

Zvgramrs, Sylloge Inseriptionum Osee.

INTRODUCTION

INTRODUCTION

Héraclés,

Hercle,

Hercules

Ce nous est une grande tranquillité, au moment d’aborder des recherches aussi brumeuses, de pouvoir nous appuyer sur une certitude philologique: il est aujourd’hui démontré

que le nom latin d'Hercule dérive du grec ᾿ραχλῆς ; Mommsen méme, qui lui avait d'abord cherché une étymologie latine (1), revint plus tard à l'origine grecque (2). Aprés Corssen et Deecke, Jordan (3); aprés Jordan, Herbig et

Bohm (4), ont rassemblé,

discuté,

affilié les différentes

formes du nom héroique chez les Étrusques, les Latins, et les autres Italiques; et s'il est une vérité établie, c'est la dérivation hellénique de toutes ces formes. Les Latins prononcérent d'abord Hercles; ils jurerent hercle ou mehercle (5). En 217 a. C., ils disaient Hercoles (6); et jusque vers le milieu du II* siécle (7), oà la forme Hercu(1) Hercere, herciscere (Mommsen,

Unterital.

Dial., p. 262).

(2) Mommsen, Rómische Geschichte, I, p. 178. (3) Jordan, Kritische Beiträge zur Geschichte der lateinischen Sprache, p. 15-17. (4) Herbig, R. E., s. v. Herkle; Bœhm, R. E., s. v. Hercules, VIII, 550-552. | (5) C. I. L., I, 1500 = XIV, 4106. — Cf. Ciste de Préneste : C. I. L., XIV, 4105. — Datif : Hercli (C. I. L., V, 4213; 5498; XII, 5733). (6) Inscription du dictateur Minucius : C. I: L., I, 1503 — VI, 284. — Cf. Papirian. ap. Prisc., I, 35, p. 27, 10 H. (7) Hercolei : C. I. L., I, 1175 = X, 5708 (date de 154-134 a. C.).

4

INTRODUCTION

les tendit à prévaloir (4). Évolution normale en latin d'un nom

propre

d'origine

étrangère,

comme

le

prouvent

les

exemples d'Agamemnon (2) et d'Esculape (3), avant qu'un scrupule de linguiste restaurát la prononciation grecque (4. La forme premiere, Hercles, oblige au rapprochement avec

l'étrusque Hercle. Or Hercle dérive du grec 'H;axizs,

par

degrés insensibles: on lit, sur des miroirs étrusques, [her]ekle (5), heracle (6). La syncope régulière de l’a donna en étrusque : Herkle, Hercle, Her,le (aspiration toscane),

méme Erkle (7); — dans une autre direction, une épenthése, rare,

semble-t-il,

modifia

le vocable

de facon

originale,

en

Heraceli (8), Herceles (9).Des noms propres en deriverent(10),

surtout dans la région de Clusium quini (12).

(11), mais aussi à Tar|

Hercles, Hercle, sont-ils fréres, tous deux issus au méme

degré, et de facon indépendante, du grec (1) Inscription 381. (8) Qui

donne

de Mummius Acmemeno,

'Hosx^z;

(145 a. C.) : C. I. L., par

syncope

réguliére

? Ou le 581 de

=

VI, a,

et

épenthése de e devant no.

(3) ᾿Ασκλαπιός, Aiscolapius, Aescolapius. (4) ᾿Αλχμένα donne Alcumena, avant meo ou Alcimee, avant Alcmaeon.

Alcmena:

᾿Αλχμαίων,

Alcu-

(5) Fabretti, C. II, 2531 bis — Gerhard, E. S., 143. Mais Gerhard n'a pas reporté l'inscription. (6) Gerhard, E. S., 340. — Cf. Herbig, R. E., |. c. (7) Cf. Jordan, l. c. (8) Gerhard, E. S., 344. (9) Peut-être latin, selon Bœhm; mais point purement, selon Corssen. (10) Deecke (Das Templum von Piacensa, Etruyk. Forsch., IV (1880), p. 75; Cf. p. 28 sq. et p. 67) a dérivé le nom gentilice

Hercles du nom divin; Schulze (Zur Geschichte latein. Eigennamen (1904), p. 199) affirme qu'il n'a rien à voir avec le dieu; Lattes (Rendiconti d. reale Istituto Lombardo di scienze € lettere, Ser. II, XLIV, 1911, p. 452) ne fait qu'en douter. Les suggestions de Deecke nous semblent pourtant probables. ^1^ C. 1. E..1546 (herclenia); 1718 (l. ane. velusa. hercle). — Les formes herclite, ferclite (C. I. E., 1486 sqq.) ne sauraient en étre issues qu'au second degré. (12) Fabretti, 2041 = Gamurrini, 587 (vel hercles velus).

5

INTRODUCTION

-

vocable latin vient-il de l’étrusque (1)? Nous serions trop heureux d'en être assuré: le problème des origines de l'Hercule Romain disparaitrait, et nous n'aurions qu'à chercher de paisihles confirmations à un fait établi. Mais, en ce point précis, la preuve philologique nous manque: reste la

discussion. — Jordan avait noté (2) les formes apparentées, osque Hereklos, sabellique Herclo, diverses à la fcis du iatin et de l'étrusque, quoique dérivées aussi du grec. Cette différence essentielle du théme entre le pays étrusco-latin et ses voisins méridionaux, qui le séparent de l'Italie grecque, serait saisissante et pleine d'enseignements, si elle était aussi certaine que la présente Jordan. Mais, en fait, les formes

dialectales

variables:

italiques,

d'ailleurs

non

datées,

sont

trés

si les Péligniens et les Vestins paraissent avoir

adopté le théme en o (3), le vocable osque commun

nous

échappe, ses variantes ayant d'ailleurs, de toute facon, une physionomie grecque trés marquée (4). Ce n'est donc qu'une hypothése de considérer comme la forme italique fondamen-

tale Herclos (5). Des fouilles épigraphiques heureuses ne pourront-elles point l’appuyer ? Alors, nous reconnaitrons bien volontiers que, la base de notre travail étant modifiée,

les discussions

qui vont suivre perdent beaucoup de leur intérét; non point,

espérons-le, de leur justesse. Nous serons sürs, dés le début, que le nom d'Hercule en Italie ἃ trois domaines linguistiques

distincts:

la Grande-Gréce prononçant

Ἡραχλῆς ;

l'Italie

méridionale moyenne et la Montagne, Herclos; l'Italie Centrale, étrusco-latine, Hercle. La troisitme forme étant plus (1) Cf. F. Skutech, Glotta, IV (1913), p. 191, & 5. (2) Jordan, |. c.

(3) Datif : Herec — Herecloi 29;

Hercolo

(Not.

d. Scavi.

(Zvetateff, Inscr. It. Med. Dial,

1898,

p. 75),

Herclo (C. I. L., IX, 3414) chez les Vestins.

chez

les

Péligniens;

(4) Herekleis (gén.) à Abella (Mommsen, Unterital, Dial., 119); Hereklüi (dat. à Agnone (Id., ib., p. 128). — Sur une base de terre

cuite

(ld.,

ou Βέερεχλεὺς ? (5) Cf. Bahm,

#b.,



35), doit-on

R. E., VIII, 551-552.

lire Fepexe

ou

Εερεχλεος,

b

INTRODUCTION

proche que la seconde du prototype hellénique, l'étrangelé inéme de la répartition géographique unira plus étroitement l'Hercule Romain à l'Herclé des Étrusques, et fera entrer la question dans le domaine des faits politiques, et dans le dé-

veloppement chronologique Mais,

dans

l'état

actuel

de l'histoire d'Italie. de

nos

connaissances,

mous

ne

nous risquerons pas sur cette route dangereuse. Assurés que les noms étrusque et latin sont grecs d'origine, comme le héros

lui-même,

notre

chemin

est

tout tracé : voyons

d'a-

bord Héraclés vivre dans l'Italie grecque, avant de le suivre dans l'Italie Centrale, entre l’Arno et le Tibre, et de le voir se fixer enfin dans la Ville aux Sept Collines.

Planche

1

PREMIERE PARTIE L'Italie du

VI

Héracléenne au

IV

Siècle.

Héraclès

dans

l'Italie

Grecque Les documents sur les cultes de Grande-Grèce sont peu nombreux, mais surtout dispersés. L'ouvrage de M. 6. Giannelli (1) a le grand mérite de les avoir méthodiquement réuBis οἱ discutés; le tort aussi, à notre avis, de vouloir en tirer des conclusions chronologiques trop strictes. Nous voulons parler surtout des monnaies, seuls monuments que l'on puisse dater avec une relative précision : ne doit-on tenir compte d'un dieu comme dieu d'une cité que lorsque son image apparait sur les monnaies de cette cité ? C'est oublier que, méme chez les Grecs, les types monétaire sont assez peu nombreux dans les émissions d'une méme ville; que seules

les divinités poliades ou d'une exceptionnelle ‘importance en peuvent bénéficier; que, surtout en Grande-Gréce, et pendant longtemps, les cités les plus puissantes se limiterent aux types imposants, mais restreints, du inonnayage incus; puis,

pendant encore de longues années,

ne firent que dou-

bler la face (toujours dérivée du « blason un revers de méme pement

» primitif) par

sens et qui n'en était que

: de sorte que

l'épi de

Métaponte

le dévelop.

appela

Déméter;

le trépied de Crotone, Apollon... Est-ce à dire qu'il n'y avait

pas d'autres divinités importantes que Déméter à Métaponte, Apollon à Crotone ?.. Nous raisonnerons autrement. Supposé qu'à une date, méme tardive, une ville frappe sa monnaie d'un Héraclés, (1) G. Giannelli, 1924).

Culti^e Miti della Magna

Grecia

(Firenze,

10

LES ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

nous chercherons si dans les traditions ou les monuments plus antiques de cette ville il n'y a point trace d'Héraclés; si oui, nous admettrons le culte de cette divinité en ce lieu

à partir du document le plus ancien, sans d'ailleurs en vouloir préjuger l'importance. — Il nous semble aussi que, dans cette recherche, nous devons nous aider (dans une mesure raisonnable) du fait constant que les colons grecs transportaient en terre étrangère les dieux de la mère-patrie. Un indice, en apparence fragile, du culte d'Héraclés en une ville de Grande-Gréce acquerra une valeur particuliére s'il est attesté par ailleurs que les colons venaient d'un lieu οὐ Héraclés était honoré. —. Enfin nous tácherons de nous garder de deux théories séduisantes, si universellement

recues. vers la fin du siécle dernier qu'elles continuent à se

survivre et à tyranniser l'histoire de l'Italie grecque, malgré tous les coups qui leur ont été portés : celle d'abord de la prépondérance absolue de Cumes et de la Campanie dans la diffusion des idées grecques chez les peuples de l'Italie Centrale; puis celle de l'origine avant tout dorienne d'Héraclés, quel que soit le lieu ou on le rencontre. Nous ne saurions oublier qu'avant Cumes la chalcidienne et avant la

dorienne Tarente,

d’autres villes grecques existèrent,

peuplées, plus puissantes, Sybaris, Crotone, et méme I. -—- LES

d'un rayonnement Métaponte. VILLES

plus

plus vaste:

ACHÉENNES

Ces trois villes et celles qui, de gré ou de force, en dépendirent, se rattachaient à des traditions achéennes, quoique leurs colons fussent d'origines trés diverses (1) ; mais

enfin la majorité d'entre eux, et surtout (ce qui est l’essentiel pour les cultes introduits en Italie) les fondateurs, ou œkistes, étaient achéens : celui de Sybaris, qui conduisait des Achéens, des Trézéniens et des Locriens (2), était d'Hé(1) Cf. K. 1. Beloch, Griech. Gesch.*, I, 1, p. 235-239. (2) G. Busolt, Griech. Gesch.?*, I, p. 398-400; E. Pais,

p. 190 sq.; Id., Italia Antica, II, p. 87.

Sicilia,

L'ITALIE

HERACLEENNE

DU

VI* AU

IV"

SIECLE

11

était selon toute vraisemblance

likè; celui de Métaponte

un

.Achéen de Sybaris (1), bien que la colonie comptát de forts

contingents Phocidiens (2) et Béotiens (3); l'oekiste de Crotone venait de Rhypes (4); celui de Caulonia, d'Aegion (5). Or Héraclés et sa légende n'étaient pas absents de l'Achaie: il était groupé avec Zeus à Aegion (6) et à Patras (7); à Dymé on montrait un monument élevé par lui (8); à Olénos, il avait délivré la fille de Dexaménos des entreprises du Centaure Eurytion (9); à Kéryneia, il était en rapports avec Artemis et on racontait la légende de la biche (10); à Boura paissaient les troupeaux

oü, selon certains,

enfin,

de Dexa-

ménos (11), il possédait un oracle trés antique, dans une caverne, auprès d'un fleuve (12). N'y aurait-il en Achaie que ce culte ancien d'Héraclés,

compte,

puisque,

nous

devrions

en

au témoignage de Stéphane

Boupaix

une ville de Grande-Gréce s'appelait

tenir

grand

de Byzance,

(13).

Sybaris-Thourioi

Et surtout si, comme le suggére M. Pais (14), cette Bouraia italienne n'est autre que Sybaris. Et sans doute les eaux (1) G. Busolt, op. cit., I. p. 410 sq. (2) Fr. Lenormant, La Grande Gréce, 13, p. 122; E. Pais, Sicilia, p. 221 sq. (3)E. Pais, Sicilia, p. 222 sq.; G. Giannelli, op. cit., p. 94. (4) G. Busolt, Griech. Gesch.?, I, p. 401 sqq. (5) Id., ib, p. 403; E. Pais, Sicilia, p. 243 sqq. (6) Paus., VII, 23, 10 sq.; 24, 4. — Cf. Gruppe, R. E., Suppl. III, 920; cf. 992. (7) Gruppe, ib., 921.

(8 Paus.,

VII, 17, 8.

(9) Gruppe, l. c., 920. — Cf. Paus., (10) Gruppe, l.c., 1039-1041. (14) Callimach., Hymn., IV, 102. (13)

Paus.,

VII,

25, 10.



VII,

18,1.

La statue de culte était archaïque

cf. J. G. Frazer, Pausanias description of Greece, tary, IV, p. 171. (13) Steph. Byz., s. v. Bovoaia * πόλις ᾿Ιταλίας. (14) E. Pais, Sicilia, p. 191, n. 2.

Commen-

:

12

LES

ORIGINES

DE

L'HERCULE

ROMAIN

qui entourent la ville rappellent par leurs noms ce canton. de l’Achaie, que ce soit le fleuve Crathis (1) ou la source: Sybaris (2). Mais aucun témoignage direct ne nous indique à Sybaris un culte d’Heracles (3); et les fouilles trés insuffisantes qui furent faites jusqu'ici sur son emplacement ne

suppléent pas au silence des textes. Indirectement, on peut faire valoir en faveur de la présence d'Héraclés à Sybaris tel argument vraisemblable, mais qui n'entraine aucune certitude : par exemple, le culte confédéral de Zeus Hamarios, venu d'Aegion (4), où Héraclés était groupé avec lui; ou

l'existence d'un Trésor des Sybarites à Olympie

(5), oà la

légende d'Héraclés était si fortement implantée dés une date reculée. Les colonies de Sybaris, filiales des cultes de leur

métropole, ne nous apprennent rien non plus : l’Héraclès qui se voit sur une monnaie de bronze de Laos (6) peut être une importation lucanienne (7); quant à Poseidônia, l'origine trézénienne de sa fondation oblige à la distinguer de Sybaris, quels qu'aient été les rapports entre les deux villes. Le cas de Thourioi est un peu different. Bien qu'elle se considérát conve la véritable héritière de Sybaris, sa population fut, des ses débuts, tellement mêlée, et les révolu-

lions causées par les divers éléments ethniques tellement fréquentes, qu'il est bien difficile de distinguer l'origine de ses différents cultes. Celui d'Héraclés est certain au jour méme de la fondation, puisque l'une des quatre grandes rues longitudinales portait son nom (8); et le róle immense (1) Prés d'Aigal : Paus., VII, 25, 11-12, qui attribue aux Crotoniates l'éponymie du fleuve italien, (2) E. Pais, Sicilia, p. 190 sq. — D'autres pensaient que le nom venait d'une source du Parnasse (Nicand. ap. Antonin. Liberal, VIII) : moins vraisemblablement, nous semble-t-il, étant donné l'origine attestée du fleuve Crathis. (3) Cf. G. Giannelli, op. eit., p. 114 sqq. (4) Id., ἐδ., p. 126 sqq. — Mais son argumentation chronologique ne nous convainc pas. (5) Paus., VI, 19, 9. (8) Gr. Coins Brit. Mus., Italy, p. 237, 20. (7) G. Giannelli, op, cit., p. 136. (8) Diod. Sic., XII, 10, 7.

L'ITALIE HERACLEENNE

DU VI* AU IV* SIECLE

13

que joua dans la ville, à la fin du V* siècle, l'Héraclide rho-

dien Dôrieus, trois fois olympionice, chef du cratique, et qui réalisa l'alliance paradoxale

parti aristode Thourioi,

avec Sparte, ne put qu’accroitre l’importance de ce culte (1); encore attesté par des monnaies de date tardive,

de Thou-

noi ou de Copia (2). Ce dernier Héraclés devait être bien mélangé ! Mais celui de la première fondation, en 446, n'était-il pas Sybarite ? On pourrait le penser, à voir les Sybantes de la nouvelle ville revendiquer avec tant d’orgueil, comme fondateurs, les meilleures terres, les plus hautes

fonctions, et la primauté dans le culte des dieux (3). Les colons d’autre origine, plus nombreux et plus forts, les chassèrent: mais de la seconde Thourioi, véritablement

panhellénique, l'élément achéen ne fut pas exclu : une des dix tribus lui fut réservée (4). Rien d'étonnant donc que nous retrouvions chez les Thouriens une tradition répandue

dans le territoire de Crotone (5) : ils prétendaient conserver les flèches d'Héraclés dans leur temple d'Apollon (δὶ; mais cette affirmation

est-elle

autre

chose

qu'une

« récla-

me » de pélerinage et une contrefacon du récit crotoniate ? Métaponte

Moins incertain est l'Héraclés de Métaponte (7). Des monnaies dont les premiéres semblent dater de 450-440, et qui s'échelonnent sur le dernier tiers du γ᾽ siècle, attestent son importance (8). M. Giannelli pense que ce culte est connexe (1) Fr.

Lenormant,

La Grande-Gréce,

(2) Gr. Coins Brit. Mus., Italy, dans (3 (4) (5) (8)

l'ouvrage de M. Giannelli. Diod. Sic., XII, 11, 1 Diod. Sic., XII, 11, 3. Voir infra, p. 18. Justin., Hist., XX, 1, 16. —

15, p. 307

Cf.

R. E., Suppl.

Gruppe,

III,

.

903.

(7) Cf. G. Giannelli, (8

sq.

p. 301, 140; p. 303, 4. — Rien

A. Sambon,

op. cít., p. 95-96.

Di alcune

monete

inedite di Metaponto

e dei

culto dí Ercole ἐπ quella città (Miscellanea Numismatica, II (1921); A. Evans, Numismatic Chronicle, XVIII (1918), p. 196, n° Du 18; pl. V, 4. 4

°°

A

--

.“

«ἀν»

.

14

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

aux débuts de l'influence tarentine sur Métaponte (1). Affirmation singulière : car déjà la petite pyramide de terre cuite : trouvée à Pisticci, et portant une dédicace archaique à Héraclés, pour lui demander la bonne renommée parmi les hommes (2), témoigne de la popularité du héros à une date ancienne sur le territoire de Métaponte. D'ailleurs l'influence de Tarente sur Métaponte n'a pu commencer à être puissante qu'aprés la fondation d'Héraclée, à l'ouest de la

cité achéenne, en 432; et non pas sans doute aussitôt. Mais il y a plus. Ces premiers types monétaires héracléens de Métaponte (3) sont différents des types héracléens de Tarente et d'Héraclée, et originaux à cette date en Grande-Grèce. (Planche T, 1 et 2.) Mieux: la tête d'Héracles qui affirme avec tant d'autorité sur la monnaie le róle poliade de la divinite, n'apparaît à Tarente, et méme à Héraclée (ville d'Héraclés pourtant), qu'à partir du IV' siècle, et surtout dans la seconde moitié de ce siécle, de toute facon aprés Métaponte. Pendant presque tout le IV* siécle au contraire, où l'hézémonie de Tarente sur Métaponte est certaine, le culte d'Héraclés ne se révéle dans cette derniére ville que

par le syinbole de la massue, fréquent d'ailleurs à la face des pièces dont le revers figure Athena, Demeter, Core ou Leucippe; ou par les types propres de la monnaie de Tarente et d'Héraclée:

Héraclés

contre

le lion,

Héraclés

debout au

repos, la main gauche sur la hanche (4). Et c'est au contraire lorsque Métaponte reprend quelque liberté à l'arrivée d’Alexandre

le Molosse

que, vers 330, reparait sur sa monnaie

la téte d'Héraclés au revers de l'épi (5). Il est donc certaia qu'Héraclés est un dieu national de Métaponte : ce dont té-

(1)

G.

(2) Not.

Giannelli,

d.

l. c.,

Scavi,

litz, Sammlung,

p. 96.

1882,

p. 120 et pl. XI;

II, p. 156,

n^

I. G., XIV, 652; Col-

1643.

(3) Héraclés debout libant sur un autel (J. Babelon, Luynes,. I, 467), tete d'Héraclés de profil (id., ib., 470 et 471). — La face porte l'épi héraldique. (4) Gr. Coins Brit. Mus., Italy, p. 258, 158,; p. 242, 50. (5)

J. Babelon,

normant,

La

Luynes,

I, 520

Grande-Gréce,

: Voir ici pl. I, 3. —

13, p. 130.

Cf. Fr.

Le--

15

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU 1V* SIECLE

Do,

la légende

d'ailleurs,

fine,

fils

Métabos,

de

éponymique

ἣν Cvaclès, toute maladroite qu'elle soit, et récente sous la

Te où elle nous est parvenue (1). Et d’où lui venait-il? M. Pais pensait qu'il y avait ét* introduit, avec Aristée, par les éléments béotiens (2). Mais M. A. Saribon a montré qu'il s'agissait d'Héracies Koovortων, destructeur de sauterelles, connu en Thessalie et dans la région de l'Œta (3), et associé à Demeter ct Persephone. il faut attribuer

Dans ces conditions,

établissement

son

en

Lusanie aux colons Phocidiens et Étoliens, qui, de compa: gnie avec les Achéens, fondèrent Métaponte (4). De leur pays ils apportèrent le culte d'Achélóos, glorifié à MCtaponte sur une monnaie célébre (5), et la légende de la corne : d'Amalt'iée,

en

d'ailleurs

répandue

Aegion

à

Achaie,

et

peut-être à Héliké (6); celles aussi, sans doute, de Déjanire et de Nessos, apparentées aux récits qui avaient cours à Olénos (7); on racontait, non loin de Métaponte, à Lagaria (8), qu'Héraclés avait lutté contre le dragon du fleuve Kyil avait détourné

en Etolie,

à Calydon,

listıros (9), comme

l'Achelóos pour rendre à la culture des territoires fertiles /10) Tel apparait, à travers ces indications dispersées, l'Hé ric'ès métapontin : destructeur d'insectes malfnisants, dien des agriculteurs auxquels il assure l'abondance. Sans doute aussi

d

Purificateur et Apotropaique,

Eivm.

Mogn.,

DV

29,5.

(2) E. Pais, Sicilia, (3) A.

Sambon,

J. Babelon, (4) ἃ.

Ὁ. 221 (5) (6) (7) (8)

L

Busolt,

au

Gruppe,

H.

E.,

Suppl.

IIT,

941.

410

E.

Pais,



Cf.

I, ad 467.

Griech.

V*

À

ao. Mezabns.

Gesch?,,

I, p.

sq.;

sq.; G. Giannelli, op. cit., p. 112, n. 1. J. Babelon, Luynes, I, 466. Gruppe, G. M., p. 340 sq. Gruppe, R. E., Suppl. III, 947 sq. Soumise aux Métapontins peut-être dès

en tout cas

uni

p. 222 sq. r.:

Luynes,

en ces fonctions

: cf. E. Pais,

Sicilia,

le VI”

p. 248; et G.

Siciua,

siècle,

et

Giannelli,

op. cit., p. 107. (9

Fr.

l.enormant,

La

R. E., Suppl. III, 993. (10) Diod. Sic., IV, 35,

Grande-Grece,

3-4.

13,

p.

217

sq.;

Gruppe,

ι6

LES ORIGINES DE L'HERCULE

ROMAIN

Apollon, si nous interprétons justement deux monnaies de méme date (vers le milieu du V* siècle), frappées à coup sürpour se faire pendant et à l'occasion d'un événement exceptionnel, représentant l’une Héraclés libant sur un .autel,

l'autre Apollon debout, tenant l'arc et la tige de laurier (1). Crotone

Mais la grande ville héracléenne du groupe achéen, c'est Crotone. On a prétendu, sans apporter aucune preuve, que le héros y avait été introduit soit par les Laconiens (2), soit

par des Rhodiens (3) : toujours comme si les Achéens n'a-vaient pu l'importer eux-mémes en Italie. Mais toute autre hypothèse est aussi croyable que ces deux-là. Tout uniment, à suivre les documents historiques (nous laissons pour le moment les légendes de cóté) dans l'ordre chronologique, nous voyons Héraclés apparaitre à Crotone au début méme de l'hégémonie

crotoniate.

Si en 510,

en effet,

Milon

con-

duisit ses compatriotes contre les Sybarites vêtu en Héraclès, sans doute le souvenir de ses six victoires olympiques l'y avait-il engagé (4); mais on admettra difficilement qu'à cette date il n'y eüt là qu'une vaniteuse fantaisie de costume. Les Sybarites disaient aussi qu'en cette occasion leurs adversaires avaient été aidés par l'Héraclide Dórieus, qui em-

menait vers Éryx une colonie laconienne (5); mais cette tradition semble sans portée. Au contraire, la présence de l'Iamide Callias chez les Crotoniates est assurée à cette date, et

(1) J. Babelon, Luynes, I, 465 et 467. — Comme Sybaris, Métaponte possédait un Trésor à Olympie (Paus., VI, 19, 11; Cf. V, 22, 5). (2) G. Giannelli, op. cit., p. 174. Cf., par contre, K. J. Beloch, Griech.

Gesch.?, I, 1, p. 235, n. 2.

(3) Peterson, The cults of Campania (1919), p. 15, 69, et 108. —. M. Giannelli semble méme (l. c., n. 3) avoir tendance à préférer cette hypothése à la sienne propre. (4) Diod. Sic., XII, 9, 6. (5)

Herodot.,

V,

44 sq.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV° SIECLE

17

confirme l’action religieuse d’Olympie sur Crotone à la fin du YI* siècle (1). L'Héraclés dont les Crotoniates se prévalurent en 510 parait donc avoir été fortement influencé par celui d'Olympie (bien plutôt que par celui de Lacédémone) (2), et il est certain, d'autre part, que l'école pythagoricienne accorda une spéciale importance à son culte et fonda en ces mémes années la légende héracléenne crotoniate (3). Dans la période suivante, sa popularité est attestée par un de ces petits autels de terre cuite, d'usage vulgaire dans l'Italie méridionale, et qui le figure luttant contre l'Hydre

avec l'aide d'Iolaos (4). Enfin, vers le dernier quart du V* siècle, apparaissant les premières des monnaies nes de Crotone,

sur lesquelles

il importe

héracléen-

de s'arréter

plus

lonz:ement. La série la plus importante s'échelonne de 420

à 300 environ, et s'ouvre par l'effigie d'Héraclés Fondateur OU ^ix12-7iz.

l. a) Sur une base soulignée par un grénetis, Héraclés nu, imberbe, lauré, assis sur un rocher que recouvre la léonté, 's'appuie de la main gauche sur sa massue, et de la droite élève un rameau auquel sont attachées les bandelettes nouées d'Apollon, devant un autel enguirlandé de feuillages et où brüle le feu. Auprés de lui, son arc. À l'exergue, et juste audessous de la base, deuz poissons. Inscription en lettres archaiques : OYKYMTAM —r) Derrière le trépied delphique,

d'où pendent les bandelettes apolliniennes

(0 Herodot.,

(comme

l'a-

V, 44-45.

(2) Sur les prétentions des Crotoniates à remplacer pour les Italiotes, voir Timée (Müller, F. H. G., I, p. 212, les rapports de Crotone avec l'Elide : Cf. G. Giannelli, p. 172 et n. 3. (3 Jambl., de vit. Pythag., IX, 50; le huitième jour

lui était consacré 101). —

à

(Fr.

Lenormant,

La

Grande-Gréce,

Olympie 82); suc op. cit., du mois

113, p.

La fable morale que rapporte Alkimos de Sicile (Müller,

F. H. G., IV, p. 296, fr. 4), se rattache

peut-étre

ment, bien qu'elle soit d'allure populaire. (Q Not. d. Scavi, 1897, p. 348 sq.,

fig. 4 et 5.

à ce mouve-

18

LES ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

4

vers (1), Apollon tend l'arc contre le Serpent Python dressé: de l'autre cóté (2). (Planche I, 4) Nous avons appuyé sur les détails qui de l'effigie d'Héraclés font un type crotoniate pur (3). S'il est vrai que le revers figurant la lutte pythique rappelle une composition célèbre de Pythagoras de Rhégion (4), l'avers a toute l'apparence

d'une représentation cultuelle, peinture,

ou plutót statue.

La présence de l'Arc d'Héraclés, que les Crotoniates avaient enlevé à Macalla et déposé chez eux dans le temple d'Apollon (5), celle des bandelettes nouées au rameau lustral, suffisent à montrer qu'il s'agit d'un Héraclés local, étroitement lié au culte d'Apollon. L'archaisme de l'inscription décèle une volonté de vieillissement, soit que cette statue d'Héraclés Fondateur en ait remplacé une plus ancienne, soit que des témoignages, épigraphiques ou autres, aient pu étre invoqués en faveur de l'antiquité de cette tradition; quant à supposer l'inscription adjointe pour donner une fausse patine à un culte récent et à une légende toute fraiche, c'est, nous semble-t-il, faire trop bon marché des indications antérieures sur l'Héraclés de Crotone, et prêter aux Grecs de l'an 420 une prodigieuse naiveté, si on les croit incapables de distinguer chronologiquement une statue d'un art si avancé d'une épigraphie aussi archaique. Quant à la scéne elle-méme,

il

ne

saurait

s'agir,

quoi

qu'on en ait dit, des honneurs rendus par Héraclés à la tom-

be du héros Crotón , mais d'une purification (6). Comme, (1) Aussi Luynes,

sur

d'autres

monnaies

de

Crotone

: J.

Babelon,

I, 737.

(2) J. Babelon, Luynes, I, 725, pl. XXVII. — Une variante du revers figure le trépied seul, auprés de lui un grain d'orge; en exergue E (id., ib., 726, pl. XXVII). (3) Cf. E. Pais, Sicilia, p. 193 sq. et 193, n. 1, qui ne pousse pas l'analyse assez loin, et considére à tort ce type comme une protestation officielle contre la tradition de fondation rapportée

par

Antiochos.

(4) E. Pais, Sicilia, p. 193, n. 1. (5) Ps. Aristot., de mirab. ausc., 107, p. 840. (6) Comparer l'Apollon des monnaies de Caulonis.

19

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

d'ailleurs, la salubrité de Crotone était renommée, on ne songera pas à un assainissement de la contrée sanctionné par une cérémonie religieuse (1); mais il nous paraît plus que naturel, obligatoire pour ainsi dire, d'évoquer un texte

célèbre de Servius (2) : « lunonis Laciniae templum secundum quosdam a rege conditore dictum, secundum alios à latrone Lacinio, quem illic Hercules occidit, et loco ezpiato Iunoni templum condidit. » L'écæurante et imprécise banalité de la premiére explication proposée par Servius, ne fait que mieux ressortir la seconde, à la fois nette et singulière pour des esprits classiques, qui ne peuvent concevoir une « arritié » entre Hercule et Junon. Alliance antique

cependant, qui s’affirme encore plus nettement ἃ / Crotone dans la suite, et qui témoigne en faveur de l'ancienneté du culte d'Héraclés en cette ville. — Or, si nous regardons inaintenant de nouveau,

sur ces belles monnaies, l'autel joy-

eusement paré au-dessus duquel le héros appelle la purification apollinienne, et ce rocher dominant les eaux claires et poissonneuses,

pourrons-nous

ne pas y voir l'image la plus

précise de la consécration du promontoire Lacinien à Héra,

déesse poliade de Crotone (3)?

,

II. Nous classons ensuite, chronologiquement, naies héracléennes au type de Héra Lacinienne:

les mon-

1° a) Téte de Hera Lacinienne de profil, portant un haut diadéme orné de griffons et de palmettes. KPOTONIATAN.— r) Héraclés nu, imberbe, à demi couché sur un rocher couvert de la léonté,

tenant

un vase

dans

la main

droite;

en

haut, à gauche, l'arc et la massue (4). — (Planche I, 5); 2° a) Téte de Héra Lacinienne de trois-quarts à droite,

les cheveux épars, portant un haut diadéme orné d'une pal(1) Comparer,

par ex., les monnaies

de Sélinonte.

(2) Serv., Acn., III, 552.

(3) Sur Héra, poliade de Crotone, cf. ὦ. Giannelli, op. cit... p. 159. — Remarquer que Milon, olympionice et sectateur d'Hé. raclés,

fut prêtre

de

Héra

Lacinienne

(Philostr.,

28). (6) J. Babelon, Luynes, I, 731, pl. XXVII

Vita

. : ici, pl. I, 5.

Ap.,

IV,

20

LES ORIGINES DE L HERCULE

mette entre deux griffons. KPOTO.

ROMAIN

— r) Héraclés, comme

ci-dessus (1); 3°) u) Tête de Hera

Lacinienne,

presque

de face, ceinte

d'un diadème bas ἃ palmettes. — r) Héraclés nu, imberbe. assis sur une base couverte de la léonté, tenant un vase dans

la main droite, la gauche posée le long de la massue; l'arc à terre. KPOTONIATAY.



Soit à l'avers, soit au revers,

un

grand B ou un grand Δ (2). — (Planche I, 6) Ces monnaies sont singuliéres, non pas tant parce qu'elles unissent Héraclés à Hera Lacinienne, que parcequ'elles ne

figurent pas le trépied héraldique de Crotone. Et l'on ne dira pas qu'elles ont été frappées à l'occasion d'un événe ment exceptionnel puisque le type évolue de facon trés nette,

et que les émissions se sont donc succédé pendant plusieurs années. Nous proposons de les dater des toutes premiéres années du IV* siecle, lorsque les cités achéennes, Caulonia et Métaponte, formérent une ligue, à laquelle adhérérent Thourioi,

Hyélé,

Rhégion,

présidence

et méme

de Crotone

(3). La

sans doute

Hera

Tarente,

Lacinienne

sous

la

n’apparal-

trait plus alors comme la divinit& poliade d'une cité, mais commela grande déesse de tous les Italiotes (4); et la figure proprement crotoniate serait celle d'Héraclés, auprés duquel d'ailleurs finit par étre inscrit le nom ethnique et dressé parfois le trépied (Planche I, 7). Ce type d'Héraclés, nette-

ment dérivé du précédent, mais moins « national » (5), fut imité au méme titre que l'effigie de Héra Lacinienne : il se retrouve sur une monnaie d'Héraclée Lucanienne (6), et sur (1) Id., íb., 727, pl. XXVII. (9 Id., ib., 728, 729, 730, pl. XXVII. (3) Diod, Sic., XIV, 91, 1; 100, 3; 101, 1; 103, 4-5. — Cf. Fr. Lenormant,

4020

La

Grande-Grèce,

115,

p.

120-121;

Philipp,

R.

E.,

XI,

sqq.

(4) Cf.

3, 3. (5) Voir

Ps.

Aristot.,

pourtant

de

mirab.

: Gardner,

ausc.,

Types

96,

p.

838;

of greek

Liv.,

coins,

XXIV,

p. 119,

qui y voit une allusion &u repos que trouva Héraclés,dans la maison de Crotón. (6) J. Babelon, Luynes, I, 422, pl. XV : ici, pl. I, 8. — Cette

pièce, chronologiquement, se place entre notre 2° et notre 3° Hé.

L'ITALIE HERACLEENNE

DU VI* AU IV* SIECLE

ar

des pièces d'argent et de bronze de Tarente (1). Il est donc clair, dans le cas présent, que ce n’est pas Tarente ni Héraclée qui ont influencé les cultes de Crotone, mais bien Crotone qui a créé pour son usage une image d'Héraclés et l’a

répandue parmi les confédérés dont elle tenait encore, mais pour bien peu de temps,

la tête.

IIl. A peu prés contemporaines sont les monnaies qut portent au revers Héraclés enfant étranglant les serpents : 5 a) Tête d'Apollon; pents (2);



r) Héraclés

enfant

et les ser-

2° a) Tete de Perséphone ; — r) Le méme (3). Le méme revers se voit sur des piéces de Tarente οἱ d'Héraclée (4). et l'on est d'accord pour y reconnaître un sym-

bole d'alliance et de victoire commune (5). Le cas est donc lout-à-fait comparable au précédent. Sauf en ceci, qui pour nous est grave: ce revers n'est point spécifiquement crotoniate; sur ces monnaies, la ville n'est pas représentée par

l'image d'Héraclés,

mais par celle d'Apollon ou de Persé-

phoné, qu'accompagne d'ailleurs l'inscription. Elles ne peuvent donc pas, au contraire des autres, nous servir ici.

La suite des monnaies de Crotone n'a plus pour nous d'in térét : la ville subissant Denys l’Ancien, puis entrant dimıtuée vers 370 dans la ligue présidée par Tarente, battue par les Bruttiens, prise par Agathocle, ruinée par les Remains. Héraclés y apparaît encore, parfois méme peut-être »7*c des caractères originaux, comme sur ce bronze où /.2:«1 est écrit aupres de son effigie (6); ou tel autre bronze oü raclés étant assis, mais sur un rocher, non sur une base. La face de cette monnaie différe aussi du type d'Athéna habituel aux espéces

d'Héraclée.

(1) Gr. Coins

Brit.

Mus., Italy, p. 203, 330; p. 218, 476.

(2) J. Babelon, Luynes, I, 735 et 736, pl. XXVII. (3) Id., ib., 739 et 740, pl. XXVII. (4) Gr. Coins Brit. Mus., Italy, p. 209, 378; — J. Babelon, Luynes, I, 438 et pl. XV. (5) Selon E. Babelon, Traité, Descr. hist. (II, p. 985; 1018; 1365; 1418; III, p. 247), aprés la bataille de Cnide, en 394 a. C. (6) Gr. Coins Brit. Mus., Italy, p. 356, 113. Cf. G. Giannelli,

22

LES

ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

figure le trépied au revers du profil d'Héraclés (1); mais, dans d'autres cas, le revers est étranger aux anciennes traditions de la cité (2); ou bien la figure d'Héraclés subit l'in-

fluence des tvpes de Tarente et d'Héraclée, alors méme qu'à côté reparait l'inscription οἰκιστάς(8). Ja floraison de l'Héraclés crotoniate pur date donc du V* siècle, et remonte jusqu'aux dernières années du VI*, n'étant séparable ni de l'influence olympique, ni du mouvement pytnagoricien, ni du sanctuaire Lacinien. Il est remarquable méme que ses périodes d'éclat correspondent aux deux hógén:ionies crotonistes : il apparait dans la tradition et la légende lorsque, vers 510, se fonde ce splendide empire Crotoniate, qui entre Métaponte, Rhégion et UHyélè, domi-

nera jusque vers 453 toute I’ « Italia » (4); il s'impose de nouveau avec autorité lorsque Crotone, aprés une dure crise, reprend la téte de l'hellénisme italiote, et pendant quelques années, fait rayonner au loin son influence, jusque Tarente, et jusqu'au cœur de la Campanie (5). ll resterait à se demander si, avant 510, ce dieu ne possédait pas un caractére encore plus particulier et spécial à cette « colonie agricole achéenne » (6). Les légendes relatives au séjour d'Héraclés sur le territoire de Crotone, bien que

complétées à une date assez tardive (7), conservent des éléments populaires et « paysans » : le récit du tonneau de !a ΟΡ. Cit.,

p. 161

et n. 4. —

Le revers,

un

aigle tenant

un serpent,

est de type crotoniate, Cf. aussi : Cabinet des Médailles, Cart. 42, 2558. (1) Au Cabinet des Médailles, Cart. 42, N. 3903. (2) Argent du IV* s., nu revers de la chouette (J. Babelon, Luynes,

I, 738);

bronze

du

III*

au

revers

du

crabe

(Cab.

des

Méd., 42, N. 3909). (3) Argent du III* s. (Gr. Coins Rri!. Mus,, It., p. 355. — Cf. G. ‚Giannelli,op.

glant le lion. (4) Voir U. 5. Jahrhundert

cit.,

p.

162*

Kahrstedt, (Hermes,

: Heracles

au

Zur Geschichte

repos

debout,

ou

étran-

Grossgriechenlands

53, 1918, p. 180-187).

(5) Voir infra, p. 170 sq., la diffusion de Hera Lacinienne. (6) L'expression est de Philipp. (7) Voir infra, p. 170.

im

Planche

Il

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

33

bonne femme changé en pierre parcequ'elle a refusé du via au héros (1), l’hospitalité de Crotón et le vol des bœufs de Géryon (2). L'alliance d'Héraclés, conduisant les troupeaux d'Érythie, avec Héra Lacinienne, déesse protectrice du bétail et peut-étre à l'origine déesse-vache (3), est aussi fort troublante; et l'on serait tenté de faire grand cas d'une indication de Suidas, suivant lequel le mot

χρότων

signifiait

« mouche à chien » (4); le meurtre, si singulier, du héros éponyme Crotón par Héraclés, son hóte, ne cacherait-il pas une vieille conception d'Héraclés destructeur d'insectes, celui qu'on adorait à Métaponte et aussi, comme nous le verrons, à Locres Épizéphyrienne (5) ? Comme à Métaponte encore, cet Héraclés protecteur de l'élevage, n'était-il pas aussi Purificateur et joint à Apollon ? — Et ce n'était point l'influence d'Olympie qui pouvait contrarier cette activité du héros,

puisque,

avant

la prédominance

dorienne,

l'anti-

que Héraclés que l'on honorait dans le grand sanctuaire péloponnésien était le Dactyle Idéen fécondant venu de

Crète (6). II.

Avec



les

LES

TRÉZÉNIENS

Achéens

était

EN

ITALIE : POSEIDÖNIA

débarqué

en

Grande-Gréce

un groupe important de Trézéniens, dont l’histoire, telle que nous pouvons la reconstituer, est des plus curieu-

ses. Co-fondateurs de Sybaris (7), puis chassés de la ville par les Achéens et colonisant alors Poseidónia (8); puis servant de prétexte à Crotone, qui les soutient, pour attaquer

(1) Alkimos, F. H. G., IV, p. 296. (2) Diod. Sic., IV, 94, 7. (3) A. Reinach, R. H. R., LXIX (1914), p. 51. (4) Ct. E. Pais, Sicilia, p. 192, n. 1. (5 Infra, p. 28 eq. — Selon M. Gruppe (G. M., p. 370), ἢ s'exerçca au Cap Lacinien des influences religieuses et mythiques locro-thessaliennes.

(0 Gruppe, R. E., Suppl. III, 916; 993. (N) G. Busolt, Griech. Gesch3., I, p. 398-400. (8 E. Pais. Sicilia, p. 246; G. Busolt, op. cit., p. 400 et n. 8.

24

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

Sybaris (1); mais aidant à la naissance de la seconde Sybaris, dont ils deviennent les alliés, ou plutót les protecteurs,

au milieu du V* siécle (2) : bien que leur centre d'action, à partir du VI*, soit Poseidónia, ils restent en rapports cons-

tants avec le groupe achéen de Grande-urèce, Sybaris et Crotone. Une monnaie méme de leur ville, au type de la téte d'Héra Lacinienne, de trois-quarts face, coiffée du haut dia dene avec la palmette entre les deux griffons, nous semble attester qu'elle fit partie de la ligue italiote présidée par

Crotone dans les premiéres années du IV* siécle (3). Or Trézéne

est une trés ancienne et originale citadelle de

la lézende et du culte d'Héracles. Elle avait eu une grande importance dans la constitution du Dodécathlos (4); mais surtout dans les fables de l'au-delà : celles de Géryon, des

Hespérides, de la descente chez Hadés (5). Reflet d'un culte antique (6). Héraclés y était honoré sous un aspect chthonien trés accentué : comme découvreur de sources (7); comme

démon de la végétation aussi, semble-t-il (8); et comme héros

infernal (9) : c'était sur l'agora de Trézène qu'il avait émergé du monde souterrain, en ramenant Cerbére (10). Et, dans ces trois fonctions, il était joint à Artémis (11). Ce culte trés (1) Philipp, R. E., XI, 2022. (E) Fr. Lenormant, La Grande-Grèce,

I*, p. 302-330; U. Kahrs-

tedt, Hermes, 53 (1918), p. 187. — Monnaie d'alliance : J. Babelon, Luynes, I, 540. (3) J. Babelon, Luynes, I, 538. Au revers : taureau passant au

dessus d'un poulpe;

HOME'3.

— On remarquera que ce didrach-

me, comme les statéres correspondants de Crotone, sacrifle le type poliade (Poseidón armé) au symbole de la confédération (Héra).

(4) (5) (8) (7) (B) (9)

Gruppe. R. E., Suppl. III, 1028 et passim 1025-1026. Id., ib., 1064 et 1066 sq., 1075 sq., 1079. Id., ib., 912. Paus., II, 32, 4. Id., II, 31, 10. Sa massue repousse en olivier. Id., II, 31, 2,

(10) Sur l'antiquité de cette tradition, cf. Gruppe, G. M., p. 192, et 401, n. 5.

(11)

Temple

d'Artémis

Söteira consacré

aux

(Psus., II, 31, 1-2); massue d'Héraclés coupée

dieux

souterrains

à un olivier saw

L'ITALIE

HERACLEENNE

DU VI* AU

IV‘ SIECLE

25

particulier, les Trézéniens l’ont-ils transporté dans leur ville d'Occident, comme celui de Poseidón (1), auquel ils demeurèrent si fidèles?

Les monnaies héracléennes de la cité sont toutes tardives et appartiennent presque toutes non à Poseidónia, mais à Paestum (2). Mais on ne peut tirer argument de leur date pour infirmer l'existence d'un culte ancien d'Héraclés à Po-

seidónia,

tant le monnayage

de la ville grecque se limita

strictement (3) aux types traditionnels de Poseidón et du taureau. D'autant plus que des monuments isolés, mais expressifs, nous font remonter beaucoup plus haut.: une statuette d'argent, qui représente Héraclés imberbe, la massue

brandie, d'un tvpe adopté par les Étrusques et répandu dans presque toute l’Itlie, date environ du milieu du V' siecle (4^; et l'on a aussi trouvé à Paestum cet Héraclés à la corne

d’abondance, vulgarisé dans le sud de la péninsule par la terre-cuite (5). Ces images du héros n'ont rien de particulier à Poseidónia ; mais elles nous font soupconner la part que prit de fort bonne heure la cité trézénienne

à la formation

d'un Héraclés commun à la Grande-Grece et à la Campanie,

e! qui pénétra jusque dans le Latium et dans l'Étrurie. Une tradition formelle, enfin, faisait passer Héraclés à Poseidónia, aussi bien qu'à Crotone (6). Et, si insuffisante

qu'elle soit, elle donne de l'importance à un texte de Diodovage prés du temple d'Artémis Sarónis (Id., II, 31, 10); source d'Héraclès voisine du sanctuaire d'Hippolyte (Id., II, 32, 4). (1) Cf. Paus., II, 30, 6. | (2) Bronzes (Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 273, 70 (Poseidónia); p. 275, 51 (Paestum) : la massue apparaît seule (cf. les lögendes trézéniennes poseidóniens. —

sur la massue d'Héraclés) auprès des types Bronzes de l'époque romaine (Cab. Méd.,

Cart. 30, 1966 : tête d’H.; massue; — Cart. 31, 1982 et N. 3746 : tête de Tibére; H. debout appuyé sur la massue). (3) Sauf pour la Héra Lacinienne : voir supra. (4) W.

Helbig.

Bull.

d.

Inst.,

1864

,p.

62 sq.



Cf.

J. Bayet,

Merclé, 1" partie, I, 111. (5) Voir infra,

p. 106 sq.

(6) l'arthax ap. Herodian.

(F. H. G., III, p. 641, 21) : ἝἜπτν "

ἶχα!) τῆς ᾿Ιταλίας, ὡς Παρθαξ ἐν τῷ 3° τῶν εἰς τὴν Ποσε:δωνίαν ὁ 'HozxÀ c.»

᾿Ιταλιχῶν

« Ἐπεὶ

δὲ

ἀφίχετ

26

LES ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

re (1), un débris de légende plutót qu'une légende, tellement usé et presque insaisissable, qu'il est plus expressif par son incohérence que par sa matiere: suivant de bout en bout la pé:;insule italique avec les bœufs de Géryon, Héraclés va directement du lac Averne au pays des Poseidóniates,

« Où il arriva à un rocher, auprès duquel, ràconte-t-on, se passa un événement incroyable »; suit la fable d'un chasseur, qui avait l'habitude de clouer aux arbres en l'honneur d'Artémis les têtes et les pieds des bêtes qu'il tuait, et qui, s'étant un jour par orgueil consacré à lui-méme la hure d'un sanglier énorme, et s'étant endormi sous l'arbre où il. l'avait suspendue, fut tué par sa chute; « mais Héraclés, par sa piété, mérita un sort tout contraire »; vient alors

une anecdote relative au passage du héros sur le territoire de Locres Épizéphyrienne (2). On ne s'expliquerait vraiment ni la mention d'un simple rocher sur la route d'Héraclés, ni l’anecdote sur Artemis qui fait hors-d’œuvre dans un récit

consacré à Héraclés, ni la bizarre conclusion du passage. si ce rocher n'avait pas été un « lieu saint », où étaient vénérés ἃ la fois Héraclés et Artémis. Ce qui correspondrait tout-à-fait aux habitudesscultuelles des Trézéniens. L'indice est faible sans

doute;

mais

se trouve

corroboré,

d'un cóté

par les monuments et les monnaies postérieures, de l'autre par la vitalité dans le monde italique de tout un groupe de

légendes d'origine proprement trézénienne (3). Les numismates classent parmi les « incertaines de l'Italie Méridionale » une singuliére monnaie de bronze portant au droit la téte d'Héraclés barbu, au revers l'image de Cerbére (4) — (Planche I, 9). Il ne nous semble pas douteux, quelle que soit sa provenance, que cette piéce se rattache par son double type aux traditions héracléennes introduites sur les rives de la mer Tyrrhénienne par les Poseidóniates Trézéniens.

Leur róle fut grand,



(1) (2) (3) (4)

Diod. Sic., IV, 22, 3-4. Voir infra. Voir infra, p. 59, 77, etc. J. Babelon, Luynes, I, 18.

nous

le verrons,

à la fois

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV° SIECLE

27

comme propagateurs d'un Héraclés chthonien allié d'Artémis,

et comme intermédiaires entre les cités de Grande-Gréce et la Campanie. III.

Les fondateurs

de



LE

GROUPE

Locres

LOCRIEN

Épizéphyrienne,

dont

le terri-

loire s'étendait entre celui de Crotone et celui de Rhégion, etaient-ils des Locriens Ozoles venus du golfe de Crisa, ou des Locriens Opuntiens partis du Golfe Euboique ? Il semble, aprés de nombreuses discussions (1), que la plupart des émigrants étaient Opuntiens, sans que soit exclue la possibilité d'une collaboration ozolienne. Cultuellement, Locride et Phocide

sont

difficiles

à sépa-

rer (2); Demeter (3), et peut-être Perséphoné (4), en vinrent dans la cité Italiote. Héraclés de son cóté, que l'on adorait à Opunte comme héros (5), y était rattaché à d'anciennes légendes : celles des Hespérides et de Géryon (6), sans compter celle de Télamon-Hésione (7), et, plus tard, celle de Diomède. L'influence de Sparte sur Locres Épizéphyrienne est secondaire, si on la compare à l'apport religieux des colons fondateurs (8); celle de Syracuse, tardive. (1)

Résumées dans G. Giannelli, op. cit., p. 321-325 et p. 324,

D. 1.

2) C'est

|

ainsi

que

Lycophron

(1067

sqq.) attribue à

des

Phocidiens la colonisation de Locres Épizéphyrienne. De telles confusions ne peuvent être dues qu'à une fondation mixte, ou, plus vraisemblablement, εἰ pratiques religieuses p. 104, n. 2).

à l'existence dans 1a ville de traditions mélées (Cf. E. Pais, Italia Antica, II,

(3) Gruppe, G. M., p. 98. (4) Id., ib., p. 97, n 14. —

M. Giannelli la croit au contraire

originaire de Sparte (op. cit., p. 228 et 325 sq.). (5) Diod. Sic., 1V, 39, 1.

(6) Gruppe, G. M., p. 459 sq. (N Id., ib., p. 95.

(8 Culte des Dioscures, alliance politique avec Sparte contre Crotone : l'une et l'autre rattachés par la tradition à la bataille de la Sagra.

48

LES

ORIGINES

DE

L'HERCULE

On sait que Locres ne commenca

ROMAIN

à frapper monnaie que

vers le milieu du IV* siècle, et d'abord

aux

types constants

de Zeus et de l'aigle; et, lorsqu'on voit apparaitre Héraelés sur des bronzes récents (1), il ne s'agit sans doute que

du dieu hanal giéco-roinain, Mais un autel funéraire (donc, de fabrication courante), de style archaïque, ou est figuré la lutte du héros contre Achelôos (2), suffirait à attester sa popularité chez les Locriens Épizéphyriens. Et de même 'a légende qui localisait sur leur territoire la lutte d'Iléraclés contre Kycnos, destinée à une telle diffusion dans le monde étrusque (3). D'autre part. Diodore de Sicile, ayant conduit le héros à travers toute l'Italie, le fait arıiver «aux frontières des territoires de Rhégion et de Locres », et nous

raconte alors cette anecdate bizarre. Héraác!ós vovdrait dormir, et, de leurs grincements

iftsupporztables,

les cizaies l'en

empêchent; le héros alors supplie les dieux, et voici les ci. gales qui disparaissent, et depuis ce temps « on n'en vit plus une dans le pays » (4). Ce récit, d'allure franchement

(1)

Gr.

Coins

Brit.

Mus.,

1t.,

p. 367,

30;

Cab.

des

Méd.,

cart.

44, N. 3936 et 3957 : Tête d’Herncles jeune coiffé de la léontè; au revers Pégase, avec ou sans massue. — Cf. monnaie incertaine d'Italie (argent) de mémes types (Cab. des Méd., cart. 47, 1859); et la romano-campanienne bien connue. (£) Not. d .Scavi, 1917, p. 119; οἱ fig. 24, p. 120. (3) Pind., OL., X, 15-16. C'est une légende originairement thessalienne : Stesichor., 12 (F. L. G., p. 210). Ce qui limite de facon

curieuse

son

acclimatation

à Locres

entre

le VI* et le début

du V* siécle. Pour les influences locro-thessaliennes aussi à Métaponte et Crotone, v. supra, p. 15 et 23; et ce qui suit. (4) Diod. Sic., IV, 22, 5. — Solin au contraire (II, 40) affirme que les cigales sont muettes chez les Rhégiens, trés bruyantes sur le territoire de Locres. — La discussion suivante, et le rapprochement

avec

Crotone

et

Métaponte

expliquent

pourquoi

nous nous en tenons à la donnée de Diodore. Celle de Solin, qu'ont admise Holm (Geschichte Siciliens im Alterthum, I, p. 162) et M. Pais (Storia d. Ital. Antica, I, p. 286-287) repose sur l'interprétation forcée d'un texte d’Aristote (rhet., II, 21) : « Στησίχορος ἐν Aoxpo:i εἶπεν ὅτι οὐ δεῖ ὑδηιττὰς € vat ὅπως μὴ ol τέττιγες χαμόθεν δωτιν. » Stésichore, en cette occasion, n'a pas crée une parabole d'intérét local, mais rappelé un proverbe

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI° AU IV* SIECLE

29

populaire, se rapporte à un Héraclès destructeur d’insectes, comine l'étzit celui de Métaponte, et sans doute celui de Crotone (1). Aussi bien les Locriens étaient-ils en étroites relations avec les cités achéennes : ils avaient, dit-on, participé à la fondation de Sybaris (2) et de Métaponte (3). Cette communauté dans le culte d'Héraclés n'a donc rien d'étrange, qu'elle soit due en réalité à de mémes origines ethniques, ou qu elle y ait fait croire. On peut chercher une confirmation du culte d'Héraclés à Locres Épizéphyrienne dans l'étude des colonies qu'elle établit à une date ancienne sur la cóte tyrrhénienne, Hippónion et Medına. Si le héros ne figure que tard sur les monnaies de la première (4), on a retrouvé. il y a peu d'années, à

Medma,

parmi d'autres monuments

(5), deux grandes sta-

tuettes d'Héraclés imberbe, encore archaiques et de type lonien, qui remontent au plus tard à la premiére moitié du V* siécle (6), et qui attestent l'ancienneté de ce culte dans la ville (7); prés de Medma, d'ailleurs, un port n'avait-il pas pris le nom d'Héracles (8)?

général

(faisant

allusion

à

l'habitude

grecque

de

couper

les

arbres du territoire ennemi que l'on envahissait), qui n'a aucune portée religieuse, ni rien de commun avec le mutisme des cigales dont parle Diodore. (1) Voir supra. (8) Solin., II, 10. (3) Solin., II, 11. (4) Bronzes d'Hippónion (Cab. des Méd., cart. 43, N 3911) : téte de Pallas; massue dressée; — de Vibo Valentia (J. Babelon, Luynes, I, 757 et 758) : ἰδία d'Héraclés barbu coiffé de la léonté; double massue et étoile. (5 L'un d'eux représente peut-étre Héraclés étranglant un

géant ithyphallique (Not d. Scavi, Suppl 1913, p. 126 sq. et fig.). (6) Not. d. Scavi, Suppl. 1913, p. 115 et fig. (7 La monnaie de bronze de Medma : Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 369, 3, ne représente pas au revers un Héraclés assis, mais plutót Pan, ou peut-étre Dionysos : une panthére est assise devant le personnage (Cf. G. Giannelli, op. cit., p. 258). (8) Plin., n. h., III, 73. — Cf. Gruppe, R. E., Suppl. III, 996.

30

LES ORIGINES

IV. —

DE L'HERCULE

LES

CITÉS

DORIENNES

Si l'on veut apprécier l'incertitude laisse,

sur

l'origine d'un

culte,

gages archéologiques, et des suffit de réfléchir un instant n'apparait nulle part comme née 432 a. C. oü elle fonde en

ROMAIN

et l'erreur

l'examen

des



nous

seuls témoi-

monnaies en particulier, il à ce fait étrange : Tarente ville héracléenne avant l'anSiritide une colonie qui prend

justement le nom d'Héraclée; et, au lieu que ce soit le mon-

nayage de la métropole

qui influence celui

de

la colonie,

c'est Tarente qui, au IV* siècle, imite les espèces d'Héraclée.

Non qu Héraclès soit absent des légendes gréco-iapygiennes : on montrait pres de Pandosia (d'Iapygie) les traces de ses pas, qui formaient ἐῤχτον (2); on racontait sa lutte contre les Géants auprés de la source Leuca, dont les exhalaisons empestaient la cóte (3). Mais ces traditions ne sauraient nous permettre, tant elles sont générales, de fixer à l'Héraclés Tarentin une physionomie originale : le combat contre les géants ne se narrait-i] pas aussi en Campanie, dans un milieu ionien, alors que Tarente représente en Italie le dorisine le plus pur ? De méme, les récits sur les fondateurs mythiques de la ville sont le comble de la confusion et de la platitude : aucun détail topique, aucune indication savoureuse, comme nous en avons trouvé autour d'Héraclés-Fondateur à Crotone. Sans doute Taras (4) et Phalanthos (5) finirent-ils par passer l'un et l'autre pour des Héraclides: comme si les mythographes avaient eu peur de manquer de preuves contre ceux qui déniaient à Tarente une origine héracléenne

À juste titre, certes; car Phalanthos aussi bien que Taras se rattachent non à Héraclés,

mais à Poseidón

(1) Voir Ps. Aristot., de mirab. ausc., 97 et 98. (2) Cf. Strab., VI, p. 281. (3) Cf. Gruppe, R. E., Suppl. III, 993.

(4) Interp. Serv., Aen., IT& 551. (5) Serv., Aen., III ,551. (6) ἃ. Giannelli, op. cit., p. 1 sqq.

(6); et, en-

L'ITALIE HERACLEENNE

DU VI* AU IY* SIECLE

31

core en plein IV* siècle, une célèbre monnaie d'or figure le petit Taras accourant dans les bras de Poseidón son pére (1). Il faut donc s'en tenir aux conclusions motivées de M. Giannelli: Héraclés ne devint divinité poiiade à Tarente qu'au [V* siècle; aux

premiers

temps de la fondation,

il n'y était

qu' « une figure tout-à-fait secondaire, comme dans le culte laconien lui-même » (2). Mais il faudra sans doute aller plus loin que n'ose le faire ce savant, et douter méme

qu'en 432,

date de la fondation d'Héraclée, le héros ait occupé à Tarente « un poste de premier rang ». Héraclée

Pourquoi alors ce nom? — Héraclée apparait comme une colonie de combat, plantée au milieu du domaine achéen pour enlever à Métaponte les débouchés de la Siritide et préparer ainsi son asservissement; non loin de Thourioi, pour surveiller et au besoin arréter le développement de la grande cité pan-hellénique, mais qui se rattachait surtout à ses fondateurs Achéens et Athéniens; peut-étre aussi pour empécher les Lucaniens, qui apparaissaient déjà sur les montagnes, de s'abattre sur le propre territoire de Tarente.

L'éponyme sera donc une divinité guerrière,

cet

« Batailleur », dont Hésychius nous atteste Tarente (3) : non point l'Héraclés pacifique

l'existence à modelé plus

tard par Lvsippe, et que les Romains

Héraclés

enlevérent de la ville,

lorsqu'ils ne lui laissérent que «les dieux irrités ». C'est sous les auspices de ce « Tueur de Lion » qu'Héraclée grandit; c'est de son image qu'elle frappa ses premiéres monnaies (4) et les plus belles de celles qui suivirent; jusqu'à imposer cette figure à sa métropole, et à la répandre dans toute l'Apulie. . (1) J. Babelon, Luynes, (2) G.

Giannelli,

(3) Hesych,

s. v.

op.

I, 241, pl. X.

cit., p. 40-41

Ἐριδανάτας

(lire ᾿Εριδάντας ?) * 'Hoaxz«

Ταραντῖνο'ς. — Nous acceptons l'étymologie Schmidt, Hesych., II, p. 188. (4

Cf. J. Babelon, Luynes, I, 421.

ἐριδαίνω, proposé

παρὰ

par

34

LES ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

H est sür cependant que le territoire οὐ elle s'érigea possédait avant elle ses traditions et peut-être ses cultes * or disuit qu'Héraciés y avait tué un devin qui se moquait de lui (1); anecdote assez brutale pour étre ancienne, et trop peu flatteuse pour qu'on l'attribue aux fondateurs d'Héraclée. Au surplus, nous l'avons vu, toute proche, Métaponte possédait un culte original du héros; et pouvait, [orte et riche comme elle l'était encore, influencer sa nou-

velle voisine. Mais plus même

tinit par

acquérir

que Métaponte,

une véritable

hégémonie

Crotone, qui

dans

la ligue

ita'iote vers 400 a. C.: c'est alors qu'apparait (Planche I, 8),

tout-à-fait isolée dans le monnayage

d'Héraclée, la figure

d'Héraclés à demi-étendu sur un rocher et tenant une tasse à la main (2). Mais cette influence achéenne fut toute passagére; et bientót la colonie Tareutine, dominant à son tour

les cités italiotes, crée et répand deux nouvelles figures d'Héraclés. L'Héraclés au Lion est la plus belle, non la plus originale, (Planche II, 11 et 12); que le héros lutte à genoux ou debout contre la béte féroce; à l'avers se voit la téte d'Athéna (ins-

pirée de Thourioi) coiffé du casque attique,

de profil (3),

puis de trois-quarts face (4); puis, sur les petites pièces, la

tête d'Héraclés imberbe, coiffée de la léontè (5).— Mais déjà un autre type tendait à prévaloir, celui d'Héraclès Victorieur; et les premières pièces de la nouvelle série, qui remontent sans doute à 350 a. C., ou méme un peu avant, sont aussi les plus simplement expressives : a) Tête d'Athéna de profil, coiffée du casque attique timbré de Scylla; — (1) Cf. Gruppe,

r) Héraclés nu, imberbe, R. E., Suppl.

debout au repos,

III, 993.

à

(2) J. Babelon, Luynes, I, 422; voir supra, Ὁ. 20 sq. — A la même date remonte sans doute une autre pièce (Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 227, 25) qui figure 1læ même tête d'Athéna-Niké (ἢ sur une égide bordée raclés entrecroisées.

de serpents; et, au revers,

les armes

d'Hé-

(3) Lutte à genoux (J. Babelon, Luynes, I, 435-437); lutte debout (Id.,ib., 423-425; 434). (4) J. Babelon, Luynes, I, 426. (5) Id., ib.,' 439 (2* moitié du IV* siècle) — Variantes : au revers, lion prêt à bondir (Id., ib., 440-441).

L'ITALIE

HERACLEENNE-DU

VI* AU

IV° SIECLE

s'appuyant de ia main droite sur la mässue,

la gauche,

33

tenant lire de

la léontè jetée sur le bras gauche, couronné par

une Victoire qui vole vers lui (1). Et désormais le type du héros debout et tranquille va se diversifiant en variantes d’une plastique plus ou moins heureuse, mais toujours pleines de sens': Héraclès se couron-

nant lui-même (2); tenant la corne d’abondance, seul (Planche II ,143), ou couronné par la Victoire (3); ou bien, sans nulle action, le bras gauche élevé ou ramené vers la hanche, avec, dans le champ, un attribut qui a peut-être rapport avee lui, la

tasse à une

anse

qu'il

tenait

sur

les

monnaies

de

Crotone (Planche II, 14). ou la foudre de Zeus (4); ou tenant une phiale soit seul (5), soit doublé comme s'il existait deux Héraclés jumeaux et semblables (6) (Planche II, 15). Une piece d'or présente l'imige, plutôt tarentine, du héros assis sur un rocher, le menton appuyé sur la main droite, la gau:

che posée sur la massue (7) (Planche II, 16). — Le revers habituel de toutes ces pieces est la tête d'Athéna de profil, et coiffée du casque corinthien. T avrente

Tandis que ce riche développement monétaire occupe tout le IV* siécle, Tarente ne s'affirme avec éclat cité héracléenne qu'aprés 315 a. C., par une belle série de pieces d'or (sta(1) J. Babelon,

(2) J. Babelon, (3)

III, 993).

Luynes,

I, 431.

inspiré

d'un type

Athéna

Selon Gruppe

(ἢ. E.,

athénien.

J. Babelon, Luynes, I, 430; 428. Cab. des Méd., cart. 25, 1642 &qq.

(6) Gr. & une

427 et 433.

Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 231, 46. —

Suppl. (4) (5)

Luynes,

(bronze).

Coins Brit. Mus., It., p. 233, 56 (bronze) — Au revers, debout libant sur un autel

monnaie

d'alliance

entre

: ce qui pourrait faire penser deux

cités

héracléennes;

bien

qu'il y ait en Italie d'autres exemples de divinités doublées, soit en forme de « Janus » (Hermès, Athena), soit en pied (Mi. nerve étrusque en particulier : sur les deux Minerves, cf. ΒΕ 4. Inst., 1846, p. 100). (7) J. Babelon, Luynes, I, 490.

34

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

tére : Planche II, 17; drachme, et litra), qui portent au droit la téte d'Héraclés imberbe, de profil, coiffé de la léonté (1).

En dehors de ces trois piéces, que leur valeur et leur originalité mettent hors de pair, Tarente ne fait figurer Héraclés que sur des monnaies divisionnaires, et en imitant d'abord servi-

lement les types d'Héraclée (2); puis en raffinant sur eux (3'; puis, en les variant enfin,comme si,à un moment,les graveurs

monétaires eussent eu l'ambition de représenter au revers de ces petites pieces tous les travaux d'Héraclées (4). — L’image originale créée par les ateliers monétaires de Tarente est, nous l'avons vu, celle d'Héraclés assis, au repos, sans un geste, trés différente de celles de Crotone qui l'ont précédée d'au moins un demi-siécle; et qui, inspirée selon toute vraisemblance d'une œuvre de sculpture, ne nous fait pas plus que les précédentes soupconner un Héraclés tarentin parti

culier (5). Bien au contraire,

le type crotoniate du héros

tenant une tasse à la main a influencé jusqu'à cette figure

d'Héraclés au repos (6). (1) Id.,

ib., 244

et ?45 (au

revers,

Taras

sur

revers, Taras sur un dauphin). — Argent Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 216, 450. (2) J. Babelon,

Luynes,

I, 327 (Lutte

un

bige);

aux

mémes

à genoux

contre

253 (au

types

:

le lion);

325 et 326 (lutte debout contre le lion); Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 208, 373 (Héraclés nu, debout, couronné par la Victoire) — Au

droit,

la téte d'Athéna.

(3) J. Babelon, Luynes, I, 331 et 332 (téte d'Athéna à casque attique, de trois-quarts face; Héraclés étouffant ou assommant le lion); 354 et 335 (tête d'Héraclés imberbe, coiffé de la léontè, de

trois-quarts

(4) Héraclés 333);

face;

Héraclés

luttant

contre

Antée

luttant

domptant

une

des

juments

de

debout

(J.

contre

Babelon,

Dioméde

(Id.,

16

lion).

Luynes, ib.,

328);

I, de-

bout, au repos, tenant un ramea" de l'arbre des Hespérides, comme il tient sur la monnaie d'Héraclée la corne d'abondance (Id., ib., 330 : ici, Planche II, 18). —Au droit, téte d'Athéna, de trois-quarts face, ou de profil, coiffée du casque attique ou corinthien. (5) J.

Babelon,

Luynes,

I, 329

(ici, Planche

II,

19);

Gr.

Coins

Brit. Mus., It., p. 203, 328. (6) Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 203, 330. — Un fragment de terre ‘cuite, au Musée de Tarente (n° 1975) représente la méme figure. — On voit aussi apparaître dans la suite l'effigie d'Héraclés coiffé de la léonté (par ex. : Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 210, 388).

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE Aussi bien,

à partir

de la seconde

moitié

du

35

IV* siècle,

Tarente semble-t-elle avoir hérité des différentes conceptions d'Héraclés qui s'étaient formées ou développées dans les cités de Grande-Grèce. A côté de son Héraclès assis, de celui, « Victorieux », d'Héraclée, certaines œuvres d'art qu'on v

a retrouvées représentent le héros presque couché et tenant la coupe : figure qui, connue de l'ancienne céramique attique à figures noires, avait, sous une forme un peu uifférente, pris un particulier éclat à Crotone. D'autre part, Héracles appa:

rait souvent dans les peintures « orphiques » des vases apuliens, objets d'art d'une vaste fabrication et d'un commerce

étendu

dans

toute

l'Italie

méridionale

et

centrale

(1j;

mais, là encore, les conceptions exprimées par' les artisans tarentins ne sont pas propres à leur ville; Tarente repré

sente dans la péninsule salentine un centre orphique important, mais qui continue et dissémine des traditions philosophiques et religieuses d'abord en honneur dans les cités »cheernes de Grande-Grèce, et à Locres Épizéphyrienne (2). Mais

ainsi

s'explique

que

Tarente

ait

pu

passer,

pendant

longtemps, pour l'initiatrice du culte d'Héraclés dans !a péninsule italique, alors qu'en réalité elle est la moius crizinale et la dernière en date des villes héracléennes de l'Italie méridionale, et presque l'éléve de sa propre colonie, Héraclée. Les

Rhodiens

La tendance actuelle serait plutôt de rapporter l'introduc-

tion d'Hercule en Italie à d'autres Doriens, à des Rhodiens, (1)

Enfers raclés

« Enfin

» ] une qui

l'on voit toujours

place

enchaine

importante Cerbére

[sur

ces

vases

occupée

et qui

semble

par

apuliens

le

destiné

groupe à

«

des

d'Hé-

rappeler

qu'il est des puissances et des secours divins qui permettent de surmonter les terreurs de l'enfer. » (Fr. Lenormant, La Grande-Gréce, 13, p. 411-412). (2) Sur l'Orphisme à Tarente, voir : G. Giannelli, op. cit., p. 25-29; — à Sybaris, Thourioi : Id., ib., p. 128-131; — à Crotone. Id., ib., p. 188; — Pétélia : Id., ib., p. 196; — Locres : Id., ib., p.

226 aqq. et 230 sqq.

30

"LES ORIGINES bz LUENSTLE

BOSAON

qui se seraient établis d'une part autour de quatre villes du territoire

crotoninte,

Pétélia,

Crimisa,

Macalla

et

Chônè;

de l'autre, sur les cótes messapiennes de l'Adriatique, à Elpie (Salapia) et Rudies (1). Et, bien que ces cités n'aient

eu vraiment aucune importance listorique si on les compare à Locres, Crotone, ou Tarente, l'hypothèse n'en doit pas. moins étre discutée. La fondation d'Elpié par des colons de Cos et de Rhodes me semble pas douteuse (2). Mais les témoignages archéologiques et littéraires sur les cultes de cette ville n'offrent rien de particulier à Cos ni à Rhodes, et paraissent plutôt prouver une influence locrienne (3). Nulle trace, en ces parages,

de

l'Héraclés

très

original de

Cos,

qui

pourtant,

joint à Apollon sous l’invocation d'’Arezı: , groupé avec Hébé comme héros fécondant (4), et, par suite, parent des Heracles de l'Italie Achéenne, a pu, s'il s'établit en Messapie, rayonner assez facilement vers les montagnes de l'Italie eentrale. Dans la seconde moitié du IV* siécle, Cos jouit d'une grande prospérité (5), et entretient avec Tarente des rapports amicaux (6) : ainsi a pu se perpétuer le souvenir de l'ancienne fondation, sans que nous soyons autorisés à en conclure des faits religieux dont rien ne témoigne. Quant

à Rhodes, l'indigence primitive de ses légendes héracléennes la pauvreté méme de la tradition familiale des Eratides d'lalvsos qui descendaient soi-disant d'Héraclés par Tlépoléme, le doute encore oà nous sommes que le culte du héros y ait été joint à celui d'Athéna Lindia (7), n'encouragent certes pas à faire des hypothèses là où manquent de façon absolue les documents. | Le groupe rhodien de Grande-Grèce est plus intéressant (8) : encore ne faut-il pas être dupe des apparences. La (1) E. Puis. Sirilis,

(2)

n. 227 sqq οἱ 568 sqq.

Id., ib., p. 231 et 991.

(3) G. Giannelli, op. cit., p. 47-51.

(4) Cf. Gruppe, 1. E., Suppl. III, 958-960,

(5) Diod. Sic., XV, 76, 9.

(6) E. Pais, Sicitia, p. 570. (7) Gruppe, R. E., Suppl. III, 961-962,

(8 Cf. G. Giannelli, op. cit., p. 186.196.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

37

tradition (1) se réduit à ceci : Philoctéte, établi entre Crotone οἱ Sybaris, porte secours aux Rhodiens de Tlepoieme, que le vent a poussés dans ces parages (2), et qui sont aux prises avec les Barbares indigènes (3). Là-dessus on se croit le droit de subordonner Philoctéte à Tlépoléme et de Je faire venir, lui aussi, de Rhodes. à force d'hypothéses (4). Une seule mérite examen;

à Philoctète est attribuée la fon-

dation à Macalla d'un temple d'Apollon, 'Aza:io; selon Euphorion οἱ l'Etymologicum Magnum (5) ‚Atos suivant !e pseudo-Aristote : si l'on adoptait la seconde épithéte, on -erait reporté à Rhodes (6); mais la première est de bean-

coup la plus probable, et confirmée

par l'essai d'étymolo-

gie d'Euphorion (7). Donc, jusqu'à preuve du contraire, nous nous refusons à voir dans Philoctéte un Rhodien ; c'est un héros thessalo-achéen (8) que des villes, originairement indigénes, mais qui se trouverent de trés bonne heure dans la dépendance de Crotone (9), se donnérent comme fondateur. -— Quand, et sous quelles influences? La tradition était solide au 1IV* siècle (10), appuyée par des reliques, l'arc

d'Héraclés en particulier, qui, de Macalla, avait été trans- porté par

les Crotoniates

dans

leur temple d’Apollon (14).

(1) Lycophr., 911-929; Ps. Aristot., de mir. ausc., 107. (2) πλάνητας (Lycophr.); — ... τοῖς μετὰ Τληπολέμου εἰς τοὺς ἐκεῖ τόπους ἀπενεχθεῖσι (Ps. Aristot.). (3) On interprète ordinairement le Αὔσονες Πελλήνιοι de Lycophr. , comme l'équivalent ‘‘d'Achéens Italiotes". Nous avons expliqué ailleurs (Mélanges de l'École de Rome, XXXVIIL,"1920 p. 123) pourquoi nous ne pouvons accepter cette interprétation. (4) G. Giannelli, op. cit., p. 194 eq. (5) Tzetz., Lycophr., 911; Etym. Magn., s. v. (6) G. Giannelli, op. cit., p. 193. (7) Qui la fait venir de an = πλάνη. — Cf. la tendance nette de l’Etym. Magn. : Φιλοχτήτης γάρ παραγενόμενος εἰς ᾿Ιταλίαν ἀπὸ τοῦ συμδεδηχότος... | (8) E. Pais, Sicilia, p. 345 sq. |

(9) Voir déjà : Fr. Lenormant, La Grande-Grèce, 13, p. 376 8q. et 379. — Avant la fin du VI* siécle ἃ coup sür: G. Giannelli, op. cit., p. 187. | (10) G. Giannelli, op. eit., p. 187, n. 2, et 189. (11) Ps. Aristot., de mir ausc., 107.

. “

38

LES ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

Crotone avait donc à cette date, et méme, d'aprés les monnaies, avant la fin du V* siècle (1), au moins adopté Philoctéte. Mais n'était-ce pas elle qui l'avait implanté en GrandeGréce, seule ou avec l'aide des autres cités achéennes ? Nous

avons montré ailleurs que la légende des Pélasges-Thessaliens avait été introduite

et retravaillée

en

Italie précisé-

ment dans cette région achéenne, et au méme moment (2); mais, d'ailleurs, Philoctéte s'était établi à une date ancienne

en Locride-Phocide

(3), région qui n'a été étrangére, nous

l'avons montré, ni au peuplement ni aux traditions religieuses des cités achéo-locriennes de Grande-Gréce; et l'existen-

ce des légendes thessaliennes dans ce méme milieu est attestee soit par le transfert prés du fleuve Sybaris de Kycnos (4), l'adversaire

thessalien

d'Héraclés,

que

chanta

le poéte

ita-

hote Stésichore (5), soit par l'établissement possible de Thessaliens à Poseidónia, colonie de Sybaris (6). Aussi bien, le nom et les reliques de Philoctéte étaient-ils revendiqués, non seulement par les quatre bourgades de Chönie (7), mais par Sybaris (8), par Thourioi qui en hértta (9), par Crotone enfin qui se vantait de garder l'are (1) Voir supra, p. 18. (2) J.

Bayet,

Mélanges

de

l'École

p. 97-101. (8) Gruppe, G. M., p. 99. (4) Athen., IX, p. 393 E. — Cf. m.3et4. . (5) Schol.

Pind.,

Ol.,

X,

1%,

de

Annali

E. Pais., Italia Antica, II, p. 35.

(7)

Pétélia,

seule

des

d.

XXXVIII

Inst.,

(1920),

1880, p.

79,

21a.

(6)

la

Rome,

fondations

de

Philoctéte

qui

alı

survécu à la grandeur de Crotone (G. Giannelli, op. cit., p. 187), et qui, par suite, se vantait de conserver les reliques d'Héraclés

(Sil. Ital., XII, 433

: Petilia quondam

Herculeam

seruare

sw-

perba pharetram), rappelle cet antique souvenir sur des monnaies du III* siécle au type d'Héraclés (Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 372). (B! Ps.

Aristot.,

de

mir. ausc., 107 : παοὰ δὲ τοῖς Συδαοίταις λέγεται.

Φιλοχτήτην τιμᾶσθαι. — Sa tombe était, dit-on, prés du fleuve Sybaris. (9) Justin., XX, 1, 16 : Thurinorum urbem condidisse Philocteten ferunt. — Cf. Euphorion, l. c.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI‘ AU IV* SIECLE d'Héraclés. Il nous semble, dans ces conditions,

39 qu'on ne

saurait guére douter de l'origine « achéenne », non dienne, de la légende de Philoctéte en Grande-Gréce.

rho-

Cela ne supprime par les Rhodiens?..— Certes; mais réduit singuliérement leur róle. Et d'abord (seul point qui uous intéresse ici), on ne saurait en aucune facon leur attribuer le culte précis d'Héraclés qui se trouve attaché aux reliques

de Philoctéte, et localisé par suite dans la région de Crotone Reste, il est vrai, Tlépoléme son fils : personnage singulier qu'on ne retrouve plus nulle part en Italie aprés sa fortuite apparition aux bords du Crathis; il disparait sans laisser de trace, comme

si son rôle était achevé

avec

la mort

de

Philoctéte. Son allié tué, que devient-il ? Mystere. Il ne fonde pas une seule ville qui se réclame de son nom. Sans doute, Strabon nous parle de colons rhodiens établis en Siritide et à Sybaris du Traeis (1), mais de facon si vague (2), et en contradiction si formelle avec les traditions habituelles,

qu'il ne saurait s'agir, de toute facon, que d'un appoint, non d'une colonisation pure. Α cela se réduit, pensons-nous, l'influence rhodienne dans cette région. Quant au nom de Tlépoléme, il a pu y étre introduit, soit à la suite de l'expédition d'un autre Héraclide, Pentathlos de Cnide, qui périt en Sicile vers 580 a. C., ayant entrainé avec lui des Cnidiens

et des Rhodiens dont les débris se refugierent dans l'ile Lipari (3) ; soit, beaucoup plus probablement, vers la fin du V* siècle, lorsque l'Héraclide rhodien Dörieus imposa son autorité aux Thouriens et leur fit prendre parti pour Spart? contre Athènes. La pauvreté de la légende de Tlépoléme en terre italiote s'accorderait bien avec une tentative d'alliance sans lendemain, et tout artificielle, entre Héraclides lacédémoniens et thourien.

Mais, en dehors méme

de cette hypo-

thèse, l'essentiel reste acquis pour nous : à savoir l'insigni-

(1) Strab.,

VI, 264;

cf. XIV,

654.



G.

Giannelli,

op.

cit,

p.193, n. 4. (2) Τινὲς δὲ xal 'Ροδίων κτίσμα φασὶ xai Ztotztv xal τὴν ἐπὶ τοῦ Τράεντος.

Συόαριν. (3) Diod. Sic., V, 9.

40

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

fiance des l'Italie.

Rhodiens

V.

-—

dans

LES

les

CITÉS

traditions

héracléennes

de

CHALCIDIENNES

Il faut enfin en venir aux Chalcidiens qui ont partagé longtemps avec Tarente la faveur des historiens penchés sur les origines de la civilisation gréco-romaine. Ils la méritent davantage. Même si Cumes se trouve aujourd'hui découronnée, au profit des cités achéennes, du prestige de

l’âge (1), le nombre peut-être, tres de la

la puissance et le bonheur la netteté de grande voie

l'Italie Centrale,

chefs-d'œuvre

de l'essaimage eubéen en Occident, de ses fondations, et, plus que tout vues qui rendit les Chalcidiens malmaritime qui de la Gréce conduit à

font de cette colonisation un des plus sürs

de

l'expansion

hellénique.

Ces

cités, celles

de Sicile, Naxos, Léontinoi, Himéra, Catane; celles du détroit, Zancle et Rhégion; Cumes enfin et ses établissements

campaniens,

eurent

aussi

une supériorité

notable sur

les

villes doriennes, et méme achéennes, d'Occident : celle se rendre coinpte, au moins dans une certaine mesure,

de de

la solidarité qui les unissait (2); incontestable avantage, lorsqu'il s'agit de répandre son influence sur des terres barbares ou semi-barbares. Par suite, et pour l'objet qui nous occupe, nous devrons tenir compte aussi bien des Chalcidiens de Sicile que de ceux d'Italie. L'itinéraire d'Héraclés à travers la Sicile, tout fantaisiste qu'il

soit dans

le texte

de Diodore,

attache

fortement

son

souvenir et son culte aux terres chalcidiennes (3). Des deux (1) Cf. Jardé, La formation du peuple Grec, p. 264. (2) Voir par ex. : Diod. Sic., XIV, 40. (3) Traversée du détroit (IV, 22, 6); sources chaudes d'Himéra (IV. 23, 1); lutte (dans la plaine de Catane ?) contre les chefs sicanes (IV, 93, 5); traces de son passage aans le territoire de Léontinoi

(IV, 24,

1).



Peut-être

faut-il

rattacher

à l'influ-

ence chalcidienne le culte ou l'hellénisation de l'Héraclès d'Agyrion (IV, 24) ὃ — Mais ces villes, sauf Agyrion, et Himéra dont nous nous occuperons, n'ont pas de monnayage héracléen.

L'ITALIE HERACLEENNE

DU VI^ AU IV° SIECLE

41

parts du détroit, le héros est établi solidement : à ZancleMessana se dressait le temple d'Héraclés Manticlos qui rezontait,

dediait

dit-on,

au VIF siècle

(1); avant

494,

un

Zancléen

à Olympie un groupe du héros combattant l'Amazo-

ai (2\; une monnaie, tardive, il est vrai (3), confirme ces données. Sur l'autre rive, l'extréme promontoire de l'Italie portait son nom

(4); le poéte

italiote Stésichore

avait,

dés

la premiere moitié du VI* siécle, lié Rhégion aux traditions d'Héraclès vainqueur de Géryon (5); et les témoignages archeologiques, là non plus, ne manquent pas (6). Mais le principal

centre

d'activité

de l'Héraclés

Chalci-

dien, c'est Cumes (7). Dans cette riche contrée volcanique, la légende héracléenne fleurit avec vigueur: aux Champs Phlégréens est attaché le souvenir de la défaite des géants (8);

et le héros,

dit-on,

avait

aménagé

verne, consacré à Perséphoné

elles originales ? I] est permis

le lac

infernal

d'A-

(9). Mais ces traditions sont-

d'en douter.

Elles ne sont

point propres aux Chalcidiens : la premiére se retrouve en Apulie; et peut-être y est-elle venue de Campanie; mais l'al-

liance d'Héraclés avec Perséphonè n'est-elle pas plus énergi-

(1) Paus.,

Rome,

IV,

XXXVIII

23,

4.



Cf.

J.

Bayet,

Mélanges

de

l'Ecole

de

(1920), p. 118.

(2) Paus., V, ?5, 11. — Cf. E. Pais, Sicilia, p. 311, n. 2. (3) Bronze : téte d'Héraclés iniberbe, coiffé de la léontè:

lion. bondissant. massue et torche (Cab. des Méd., Cart 60, 723). (4) Weiss, R. E., VIII, 614, 1. 14. — Cf. Gruppe, ib., Suppl. III, 995. (5) J. Bayet, art. eit., p. 119-120. (6) Tete d'Héraclés (?) barbu, trouvée sur la colline del Salvatore; — H. barbu, la main sur la hanche, type du III® siècle : l'un et l'autre au Musée de Reggio di Calabria, — Monnaie d'argent du III* siècle : tête d'Apollon; lion marchant et massue

(J. Babelon,

Luynes,

I, 801)

: cf. la monnaie

Ra, supra. (7 Cesano, Hercules (Ruggiero, Dizion. Epigraf. Peterson, Cults of Campania, p. 69 : affirmations trop absolues, nous le verrons. (8) Diod. Sic., IV, 21, 5-7. (9) Diod. Sic., IV, 22, 1-2.

de Messa-

III), 684; beaucoup

42

LES ORIGINES DE L’HERCULE ROMAIN

quement affirmée aux bords de la source Cyanée pres de Syracuse qu'auprés du lac Averne (1)? — Plus singulière est la donnée selon laquelle les dents du sanglier d’Erymanthe étaient conservées dans le temple d'Apollon à Cumes (2) : la fréquence du sanglier comme symbole monétaire campanien, l'apparition sur un bronze romano-campanien d'Héraclés coiffé de la dépouille d'un sanglier remplaçant la léontè (3); avtant d'indices, dirait-on,

mais M. Pais a prouvé

d'une création

purement locale;

(4) qu'il s'agissait là ,selon toute

probabilité, d'une influence achéenne. Une iuonnaïe d’argent de Cumcs, de la fin du V* siècle, montre, au revers

d'une tête de femme,

Cerbère au-dessus d'une nioule

(5)

(Planche I, 10); mais l'Héraclés infernal n'était-il pas venu des Trézéniens de Poseidönia (6)?... Ainsi la nature de l’Héraclös de Cumes reste-t-elle incertaine, et son originalité douteuse. Naples, aux yeux de certains, passait pour une fondation d'Héraclés (7), qui, à coup sûr, y était adoré (8). Des Rhodiens l’y avaient-ils introduit (9)? Nous n'en savons rien. Pourquoi pas les Cuméens? — Ses monnaies héracléennes trahissent nettement l'imitation de Tarente à la fin du IV* siècle (10); telle autre peut-étre celle de Crotone (11) ; l'influen-

(1) Diod. Sic., IV, 23, 4.5. (2) (3) (4) (5) (6) (7:

Cf. Gruppe, R. E., Suppl. III, 995. Voir infra, p. 63 et 292 sqq. E. Pais, Sicilia, p. 163, n. 1. A. Sambon, Mon. ant. de l'Italie, n° 290. Supra, p. 24-27. Tzetz. ad. Lycophr., 717: Διόδωρος δὲ ὁ Σιχελὸς nat ἡ ππιανὸς

τὴν Νεάπολιν 29! ᾿Ποαχλέους οἰχισθῆναί φασι. (8) Sogliano, Il culto di Ercole a Napoli

(Archivio

Storico

Napolitano, 1876, p. 565); Correra, Riv, Numism. It., 1903, p. 191; A. Sambon, op. cit., p. 191. (9) Peterson, Cults of Campania, p. 191 sqq. (10) Voir par ex. : J. Babelon, Luynes, I, 182; A. eit., p. 180; Peterson, l. c. (11)

Bronze

:

ἰδία

trépied, NEOHOAITON. 1, p. 144. n° 289.

d'Héraclés

imberbe,

!Berlin. Zeschreib.

der

Sambon,

couronné,

Antik.

op.

massue;

Münzen,

VI,

.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

43

ce d'Athènes est certaine vers le milieu du V° siècle (1). Là encore, comme à Cumes,

mélange et confusion; sans même

le soutien des légendes qui peuvent donner l'illusion d'une existence

personnelle.

Dans ces conditions, les données sporadiques, et d'ailleurs tardives, que nous possédons sur diverses localités de Cam-

panie, perdent beaucoup de leur intérét. M. Gruppe a pu (2), à force d'hypothéses, rattacher l'Héraclés de Bauli au mythe primitif de Géryon, et à Mycalessos qui se trouvait sous la dépendance de Chalcis d'Eubée. Mais que dire du nom

d'ilerculanum

(3), de la petra Herculis

de Stabies

(4).

de la fondation héracléenne de Pompéi et du village Herculeae, aux salines de l'embouchure du fleuve Sarnus (5), de la chapelle de Sorrente (6) oà un Héraclés, peut-étre marin à l'origine, semble avoir été représenté à demi-couché et la coupe à la main (7), comme ceux de Crotone et de Tarente? La plupart de ces indications représentent des jeux étymologiques ou des créations non datées, dont l'origine est in-

saisissable. Quant aux monnaies de Suessa Aurunca (8) et de Teanum

Sidicinum (9) les unes et les autres du III* siècle,

pour la conception et le style, elles se rattachent à Héraclée de Lucanie : d'ailleurs, à cette date, que pouvait être devenue en Campanie l'originalité du dieu local, à supposer qu'elle eüt existé autrefois? On pourrait essayer de la réveiller, non sans artifice, en revenant à l'ile d'Eubée, origine des colons chalcidiens. —

(1)

Gruppe,

R.

E., Suppl.

111, 995.

(2) Id., ib. (3) Peterson, Cults οἱ Campania, p. 284 sq. (4) Id., ib., p. 299 sq. (5) Columell., X, 135; — Peterson, op. cit., p. 232 sq.

(6) Peterson, op. cit., p. 311 sq. (T) (8 (9) téte

Cf. Stat., Silv., III, 1, 37 sqq. 1. Babelon, Luynes, I, 205 : Héraclès contre le lion. Id., ib., I, 209-211; Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 125-126 : d'Héraclés imberbe, coiffé de la léonté; Victoire sur un

char.

44

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

Täche vaine. — C'est à Oichalia, dit-on (1), que s’adjoignit au héros son compagnon Iolaos: mais il est juste de dire que nous ne le retrouvons pas en Campanie, et que ce n'est pas aux Chalcidiens que les Étrusques l'ont emprunté. De même, dans ce-domaine, aucune trace de ce singulier Héraclés de Mycalessos, qui faisait le portier au temple de Démèter, et que l'on disait l'un des Dactyles de l'Ida (2). Le plus certain sans doute de ce que les Chalcidiens ont apporté d'eux-mémes en Italie, ce sont les légendes sur Héraclés « Bouvier » (3), et peut-étre sur Géryon : part assez belle d'ailleurs, puisque c'est autour de cette conception du héros que se sont groupées presque toutes les données héra-

cléennes de l'Italie Méridionale et de la Sicile; puisque le retour d'Érythie a formé la trame épique, sur laquelle ont brodé à l'envi les diverses cités grecques d'Occident. Mais,

à partir du IV* siécle,

on

ne peut

plus

parler

2u

Italie d'un Heracles Chalcidien (à supposer qu'il ait jamais eu une existence distincte). Successivement, Cumes a été prise et repeuplée par des Campaniens, en 421 (4); Naxos, Catane et Léontinoi détruites par Denys l'Ancien, en 403 (5); Rhégion et Messine, encore considérables à cette date (6), vont étre accablées, l'une par les Carthaginois en 396 (7), l'autre par Denys neuf ans plus tard (8). Cette série de catastrophes devait terriblement réduire la force d'expansion des légendes et des cultes chalcidiens. De fait, au début du IV' siècle, les Thermes d'Himéra, qui ont remplacé la glo-

(1) Gruppe, (2) (3)

G. M.,

p. 456.

Paus., IX, 19, 5. Le vol des bœufs

du

héros

sur

le

dinos

de

Santa

Maria

di Capua, fabriqué sans doute à Cumes (Gruppe, R. E., Suppl. III, 995); — Cf. monnaies de Carystos d'Eubée : Héraclés et un taureau

générales.

(4) (5) (6) (7) (8)

(Id.,

ib.,

968).



Encore

ces

Diod. Sic., XII, 76, 5. Id., XIV, 15. Id., XIV, 8, 2; 40; 106, 3; 107, 4. Id., XIV, 57-58. Id., XIV, 111-112.

fables

sont-elles

toutes

L'ITALIE HERACLEENNE

DU VI° AU IV* SIECLE

45

rieuse Himéra rasée par Hannibal en 409-408 (1), frappent des monnaies héracléennes qui révèlent à l'évidence l'influ-

ence prédominante de Crotone, et peut étre méme une agrégation à la ligue achéo-italiote dominée par cette cité (2). — Restait Naples; mais une ville si mélangée, surtout depuis le V* siècle, apparait fort impropre à conserver la tradition chalcidienne dans sa pureté. -— Eh bien, qui nous empêche de voir dans ce syncrétisme méme, qui semble en certains points privilégiés de Campanie rassembler de parti-pris les traits épars des divers Héraclés Italiotes, un des traits essentiels, et le plus original peut-étre, du travail civilisateur des Chalcidiens? Ces villes, Cumes, Naples, paraissent avoir eu moins d'influence en Italie par leur apport personnel que par leur faculté d'assimilation et leur róle vulgarisateur. À propos d'Héraclés en particulier, nous avons montré combien d'influences s'entrecroisaient dans les données cer. taines qui nous sont parvenues; mais que serait-ce si nous étions mieux renseignés sur la domination étrusque en Campanie, et sur les origines des Campaniens eux-mémes? — Et nous n'entendons pas, par cette remarque, réduire le róle des cités chalcidiennes, mais bien leur originalité.

Les autres Ioniens d'Italie ne nous arréteront pas long. temps. Ceux qui s'établirent en Siritide, et en furent chassés

(1) Id., XIII, 62. (2) J. Babelon, Luynes, I, 983, pl. XXXVI : a) Téte de Héra, de profil, portant la stéphanè ornée de griffons; dauphin; r) Héraclés

nu,

imberbe,

assis

tenant la massue; —

Id., ib.,

I, 984

Id., ib., 985; mais

du

Cab.

sur

un

rocher

dans le champ, : identique;

des Med.,

III* siécle,

et en

couvert

l'arc

mais

de

la

léontè,

et

et le carquois (argent).

ni dauphin

ni

carquois.



cart. 58, 540 : de types analogues,

bronze.



L'Héraclés

du

revers

fait

allusion aux sources chaudes que les Nymphes ou Athena (non Héra) avaient fait jaillir pour délasser le héros. Les types monétaires d’Himera, au V* siècle, bien qu'ils glorifient ces eaux bienfaisantes, \ne portent pas le moindre symbole héracléen :

la légende n'aurait-elle pris quelque force que sous l'action de Crotone pourtant

? Hypothése aux

sources

crées à Héraclès

plausible, thermales

mais

invériflable.

d'Aidepsos

(Gruppe, .R. E., Suppl.

en

III, 958).

On Eubée,

songera consa-

46

LES ORIGINES DE L HERCULE

ROMAIN

par les Achéens, n'ont pas laissé beaucoup de traces de leur passage,

et rien

sur

Héraclès;

d'ailleurs

les monnaies

de

Siris, de type sybarite, d'alphabet achéen, semblent indiquer qu'avant méme d'étre détruite par Sybaris, pour des raisons commerciales, non politiques, la ville était, de population et de relations, plutót achéo-ionienne qu'ionienne pure (1). Quant aux Colophoniens, Samiens et Milésiens, qui apparaissent en Grande-Gréce, il ne peut s'agir que de groupes isolés (sauf peut-étre les Samiens de Rhégion), qui s'adaptaient à leur nouvelle patrie plus qu'ils ne contri-

buaient à la former. Les Phocéens d'Hyélé (Vélia) connaissaient peut-étre Héraclés dés l'origine (2); mais lorsqu'ils le figurent sur leurs monnaies (3), les symboles attico-cam-

paniens du revers (une chouette sur un rameau

d'olivier)

nous font douter de son originalité plus qu'ils ne nous aident à découvrir sa nature. VI.



CONCLUSION

Il est donc peu de villes grecques d'Italie qui ne puissent se réclamer

d'Héraclés,

à un titre quelconque.

Et,

si l'on

s'en tient à cette remarque, elles pourraient presque toutes

prétendre 'à l'honneur

d'avoir

créé

ou influencé l'Hercule

Romain. Honneur bien réduit d'ailleurs par la foule des compétiteurs et la banalité de leur apport : autant vaudrait dire que, si toutes y ont droit, aucune ne peut revendiquer pour soi seule une figure si pále et si usée. — Mais il en est trois ou quatre qui possédent en Héraclés un protecteur actf, original, capable d'expansion, et relativement facile, à reconnaitre, partout où il lui plaira d’&migrer : l'Héraclés achéo-locrien destructeur d'insectes, à Métaponte, Locres (1) E. Peis, Italia Antíca, II, p. 55-56 et p. 59. (2) Sur Héraclés à Mareeille, voir : Mallet, Les premiers élablíssements grecs en Égypte, p. 137, n. 8; p. 257 8q.; — A. v. Do-

maszewski, Abhandlungen zur römischen Religion (1909), p. 141 (3) Bronzes p. 318, 1%.

: Gr.

Coins

Brit.

Mus.,

Italy,

p. 317, 118

sqq:

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

47

Épizéphyrienne, et sans doute Crotone; l'Héraclés Fondateur de Crotone, purificateur, et adorateur d'Héra; l'Héra-

clés Trézénien de Poseidónia, infernal et allié d'Artémis; l'Héraclés Vainqueur d'Héraclée. Ceux-là, oui, nous pouvons les suivre à la trace et mesurer leur influence; pourvu que nous tenions un compte exact de la chronologie, et que nous

soyons assurés des voies d'échanges et des tracés légendaires.

IT Les voies du traïic et des légendes dans l'Italie grecque

I.



LES

VOIES

COMMERCIALES

DE LA

ET

MILITAIRES

GRANDE-GRÈCE

Ce furent des rivalités commerciales qui conduisirent les diverses cités grecques d'Italie à s'ouvrir des voies de pénétration à travers les massifs montagneux du Bruttium et de la Calabre. Les Chalcidiens du détroit de Messine, mitrafiquants,

mi-pirates,

fermaient

comme

ils

l'entendaient

la route maritime vers l'Italie Centrale, que rendaient d’ailleurs dangereuse courants et rochers; supposé qu'on échappát aux uns et que l'on plüt aux autres, les pirates Carthaginois et Tyrrhéniens, ennemis ordinaires des Chalcidiens de

Cumes, mais envers tous indistinctement jaloux de leur do-

maine marin, n'étaient pas moins à craindre. Aux Achéens de Grande-Gréce, la mer n'apparaissait pas, comme à nous, la plus commode des voies vers l'Italie Centrale, mais la plus périlleuse. I] faut, au contraire, avoir vu, de la mer, à travers la verdure et les roches fauves, les lits larges et gris des fleuves et des « fiumare » qui semblent ouvrir dans la montagne des chemins sûrs et presque directs, pour comprendre, mieux que partout ailleurs, l'attrait et l’importanc: des vallées convergentes pour les relations d'un versant À

l'autre; autant dire, dans le cas présent, d'une mer à l'au-

tre, de l'Ionienne à la Tyrrhénienne. Les

routes

terrestres

Que l'on regarde la carte la plus sommaire de l'Italie Μό-. ridionale, on sera aussitót frappé de la disposition de ces

L'ITALIE

HERACLEENNE

DU

VI* AU

IV* SIECLE

|:

49

vallées. Leur système laisse dans un complet isolement l’Apulie entière, taridis que les rivières de l'ancien pays acheen, le Bradano, le Dasento, l'Agri, le Sinni, morcellent, toutes dans le même sens, du sud-est au nord-ouest, le massif

montagneux de la Basilicate; et, par leurs affluents et leurs sources, communiquent pour ainsi dire avec les deux grandes vaiées

transversales,

celle du Scle vers le Golfe de Sa-

lerne, celle de l'Ofanto vers celui de Manfredonia. De sorte qu'en remontant leur cours, les colons du Golfe de Tarente arrivaient à un point de partage des eaux, d'oü ils pouvaient redescendre à leur gré soit sur la mer Tyrrhénienne au nord de Poseidónia, soit sur l'Adriatique au sud d'Elpié (Sala. pia.

Ce schema est, bien entendu, théorique. En fait, il y avait plusieurs points privilégiés, oà les routes primitives devaient inévitablement se croiser. —- L'un des plus importants était les abords du Monte del Papa, à une vingtaine de km. seulement du golfe de Policastro, là οὐ se trouva aujourd'hui Lagonegro : à l'est, le Sinni descendait vers l'ancienne Siris et vers Héraclée; à l'ouest, le Busento conduisait à Pyxous ; au nord-ouest, le Val di Diano menait à la plaine de Poseidónia. — Potenza, à la naissance du Basentoqui portait directement à Métaponte, et prés des sources du Platano qui rejoignait le Sele, fleuve des Poseidóniates, en était un autre. — Enfin Forenza (Ferentum), au point où sourdent, presque mélés, les affluents du Bradano, le second fleuve de Métaponte, et ceux de l'Ofanto, la plus méridionale des rivieres

adriatiques, était le troisième de ces centres géographiques. Mais c'est à Fr. Lenormant que revient l'immense mérite d'avoir, apres une visite approfondie du pays, attiré l'attention sur les voies de portage et les « seuils », gráce auxquels, historiquement, les cités achéennes de GrandeGréce se mirent en relations par terre avec l'Italie Centrale, en évitant le passage du détroit (1):

(1) Fr. Lenormant,

La Grande-Gréce,

I, p. 263 sqq. —

*0lt,Griech. Gesch., I, p. 256; E. Pais, Halia Antica, 1d., Storia d. Italia Antica, I, pl. 125.

Cf. Bu-

II, p. 128 eq;

50

LES ORIGINES DE L’HERCULE ROMAIN

A) Voie commerciale Siris-Pyrous, par la vallée du Sinni et le seuil où se trouvait Semuncla : l'alliance Siris-Pyxous

est attestée par une monnaie

(1).



Vers le milieu du

VI* siècle, les Achéens s'emparérent de cette voie. B) Voie commerciale Sybaris-Laos, par les vallées du Coscile et du Lao. A Laos et Skidros, colonies de Sybaris, les Étrusques venaient embarquer les marchandises sybarites de provenance ou de transit (2). — Cette voie terrestre est la plus courte; mais elle a le désavantage sur la précédente de ne pas communiquer, par le Tanagro, avec la vallée du Sele.

C) Voie commerciale

Crotone-Térina,

par les vallées du

Neo et du Savuto (3). — Cette voie, moins avantageuse encore que la route Sybaris-Laos, qui épargnait une plus longue traversée, acquit pourtant une importance primordiale au V* siécle, gráce à la grandeur politique de Crotone et à la prospérité de Térina qui en résulta (4). D) Voie commerciale Locres-Medma, par la vallée de la Mesima : Locres elle-même ayant voulu éviter le détroit et la surveillance chalcidienne, bien que le gain sur la traversée

füt tout à fait minime (5). — Mais Locres, sauf son bref éclat lors de la victoire de la Sagra,

ne

prit une

grande

importance qu'a partir du début du IV* siècle, par l'alliance de Denys l'Ancien.

E) Voie commerciale

Métaponte-Poseidónia.

-- C'est la

route trés ancienne qui emprunte les vallées du Basento (Casuentus) et du Sele (Seilaros), en passant un seuil mon-

fagneux dans les environs de Potenza (Potentia)

(6).



(1) E. Pais, Italia Antica., II, p. 60 (Le origine di Siris d'Italia). (2) E. Pais, op. cit., II, p. 128. (3) Selon E. Pais, au contraire (op. cit., II, p. 70-71), par celles

du Corace et du Fiume San Biase. (4) Thucydide appelle la Mer Ionienne Τεριναῖος Κύλπος (VI, 1042). — Cf. E. Pais, op. cit., II, p. 74; et tout l'article « Terina, colonia di Crotone » (p. 63-78). (5) E. Pais, op. cit., II, p. 70 sq.

(6) Fr. Lenormant,

La Grande-Gréce,

langes de l'École de Rome,

1910, p. 115.

13, p. 207-208. — Cf. Μέ-

Les Routes pr l'Italie Merinionale

L'ITALIE HERACLEENNE

M.

DU VI? AU IV* SIECLE

Pais a insisté sur les désavantages

que

présente

5t

cette

route comparée à celle de Siris-Pyxous (A) (1); ces inconvenients ne nous apparaissent pas si graves; si la route de terre était plus longue, le gain maritime était beaucoup plus considérable, et l'on évitait les caps dangereux du massif montagneux où s'établit Hyélé; puis, on aboutzss?it dans la riche plaine de Poseidönia, si florissante aux VI* et V* siècles; et aux mortes mêmes de la Campanie. D ailleurs Métaporite semble avoir, à un moment donné (avant la fondation d'Héraclée), contrólé la voie créée par l'ancienne Siris, dont elle se prétendait l'héritiere. N»lle cité de Grande. Gréce ne fut alors plus que Mélaponte en état de [aire prévaloir son influence dans l'Italie Centrale. Des données d'histoire militaire nous permettent de compléter la carte routiére de l'Italie méridionale, avant la conquéte romaine et l'établissement des grandes voies classiques. I. — En 281 a. C., L. Æmilius, obligé à la retraite, rétrograda de Tarente à Héraclée, par la cóte évidemment; puis passa par Cossa (Cassano), Muranum (Murano) et le col du

Campo-Tenese (2).



A partir d'Héraclée, son itinéraire

coincide avec la voie commerciale Siris-Pyxous

(A).

II. — Alexandre le Molosse, aprés sa victoire de Paestum, s’enfonce dans les montagnes

de Lucanie

par la vallée du

Tanagro, et atteint la vallée du Crathis (3) : inévitablement en passant au pied du Mont del Papa et rejoignant la voie commerciale Sybaris-Laos (B). IIT. — De là, il remonte la vallée du Crathis et prend Consentia (Cosenza) (4) : ce qui amorce peut-étre une route transversale entre les voies commerciales B (Sybaris-Laos)

et C (Crotone-Térina) (5). (1) E. Pais, Italia Antica, II, p. 60. (2) Fr. Lenormant, La Grande-Gréce, (3) E.

Pais,

Italia Antica,

(4) Fr. Lenormant,

13, p. 51-52.

II, p. 171-173.

op. cit., I*, p. 40-41.

(5) Id., ib., p. 452-454. — Même si la localisation de la mort d'Alexandre proposée par Lenormant n'est pas exacte (elle est eombattue par E. Pais, op. cit., 1I, p. 165), le problème est bien

52

LES ORIGINES

DE

L HERCULP.

ROMAIN

IV. — Route, pour la pius grande partie côtière, de Crotone à Caulonia (4); Caulonia à Locres (2); Locres à Rhégion (3). V.

son



Deux

armée

tagnes VI.

le

»

emprunté —

fois coup

trajet

(ἢ).

sur coup,

Venusia-Métaponte

On admettra

pour ces marches Au

Hannibal

contraire,

son

parcourt

« par

difficilement

mon-

qu'il n'ait

rapides la vallée du itinéraire

les

avec

de

pas

Bradano.

Grumentum

à

Venusia (5) ne peut être jalonné avec exactitude (par Potentia et Acheruntia?). Mais, de toute façon, il témoigne de relations transversales entre les hautes vallées du Bradane

(vers Métaponte), du Basento (Métaponte-Poseidónia), et de l'Agri (vers Héraclée). VII. — Sa marche la vallée de l'Aufide,

de Venusia à Canusium (6), suivant montre clairement, si on la combine

avec les précédentes, comment s'établissaient les relations entre la Grande-Gréce, le Nord de l'Apulie et la cóte Adriatique, sans passer par le territoire de Tarente.

Ces nouveaux

tracés (I à VII)

confirment l'importance

de la situation de Métaponte, mais expliquent aussi que Sybaris (puis Crotone, maitresse du lerritoire de Sybaris;

et Thourioi qui lui succéda) ait pu avoir avec Poseidónia (par la route II) des relations aussi commodes ponte

elle-même.

Entre

elles

deux,

Héraclée,

que

Méta-

comme

l'an-

tique Siris, est aussi fort bien partagée. Toutes trois, ayant acces

à la vallée

du

Sele,

arrivent,

malgré

l'obstacle

des

montagnes, à se mettre en rapports directs avec les maltres de la Terre de Labour, Étrusques, Campaniens ou Romains ; — sans préjudice des relations moritimes, par Laos, Pyxous, Térina ou Hyele. posé, et le but militaire de la ciinpagve semble bien avoir d'assurer les communications entre Crotone et Thourioi. (1) Diod. Sic., XIV, 103-104.

(2) Campagne (3) (4) (5) (ὃ

de la

Sagra

Diod. Sic., XIV, 100, 2. Liv., XXVII, 42, 15-16. Liv., XXVII,42, 14. Id., XXVII, 42, 16.

entre

Locriens

et

Crotoniates.

été

L'ITALIE HERACLEENNE

DU VI* AU IV* SIECLE

53.

Entre le Seilaros et la Campanie, le passage est certain, soit par Baronissi, soit par Cava dei Tirreni. Héraclés avait tracé le cheinin, qui n'est attesté de facon certaine que le long du lac Lucrin (1), mais dont la continuité est affirmée par l'itinéraire de Timée-Diodore. De Cumes à Rome, ἃ travers le pays des Volsques, la « roule du blé » existait dès l'an 508 a. C., à en croire les anciens annalistes (2).

De sorte qu'à partir de Poseidönia, où convergent les routes les plus importantes de Grande-Grèce, le trafic terrestre apparait assuré jusqu'aux bords du Tibre. Le mot « route » est sans doute bien ambitieux pour signifier ces larges vallées caillouteuses, les gorges étroites et sauvages où elles finissent par engager celui qui les remonte, et surtout-les sentes incertaines qui franchBsent les seuils

montagneux.

Plus

tard

les

voies

romaines,

au-

jourd'hui les chemins de fer ont aménagé plus d'une de ces routes primitives, et les tracent avec autorité au milieu des montagnes:

mais

toutes

grossiéres,

et

méme

parfois

mal

définies, elles eurent entre le VIT* et le IV* siécle avant notre ere peut-étre plus d'importance sociale et une vie plus pathetique que dans aucun des suivants. Les

routes

maritimes

Les routes maritimes admettent une bien moindre détermination, quoique de leur existence nous soyons sürs. Que nous apprennent par exemple les témoignages sur les relations de Locres et ses colonies, soit anciennement avec les Chalcidiens de Gréce (3), soit avec Messine dans les premiéres années du IV* siécle (4)? Ou une alliance possible entre cette méme Messine et Crotone (5)? Bien plus importante apparaît Ja grande voie chalcidienne qui, d'échelle en (1) Vía Herculea.



Cf. Strab.,

V,

p. 245 C.

(3) Liv., II, 9, 6. (3) Fr.

Lenormant,

La

Grande-Gréce,

III,

p.

(4) Diod. Sic., XIV, 78, 5. (5) Monnaies d'argent aux types du trépied Babelon, Luynes, I, 733) : fin du V* siècle.

213-214.

et du

liévre

(J.

54

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

échelle,

conduisait

les marchandises

de Rhégion

à

Cumes.

Le centre principal de ce cabotage semble étre Hyélé, posée à l'écart des routes terrestres de Grande-Gréce, isolée au milieu des colonies italiotes par son origine, et qui pourtant trafiquait avec une ampleur que trahissent l’abondancs et la beauté de son monnayage. Hyélé sut, dés sa fondation,

e'assurer l'aide des Rhégiens et des Poseidóniates (1); elle conclut l'alliance avec Rhégion

(2) et noua de bonnes rela-

tions avec tous les Chalcidiens, ses parents de race (3); mais sans rompre son amitié avec les Trézéniens, que leur origine rattachait plutôt aux Achéens (4). Elle préparait ainsi, de son cóté, cette seconde union des cités de la Grande-Gréce, qui se réalisa à la fin du V* siécle sous l'hégémonie de Crotone, et oü elle entra ainsi que Rhégion (5). Les reläches

se faisaient à Térina, échelle tyrrhénienne de Crotone (6); à Hyélé; à Poseidónia qui, pour les nécessités de ce trafic maritime, dut adopter le système monétaire d'Hyélé et des cités campaniennes (7); à un port au sud du Vésuve sans

doute (8); pour aboutir à Cumes. L'étroite union de Rhégion et Cumes nous semble affirmée, vers 490 a. C., par les célébres

monnaies

de cette derniére

ville au revers desquelles se voit un masque de lion entre

deux

hures de sanglier (9). Mais c'était sur le territoire

(1) E. Pais, Italia Antica, 1I, p. 49-50. (2) Imitation d'un tvpe monétaire d'Hyélé sur un bronze de Rhégion ? (Téte d'Artémis et lion passant : Cab. des Médailles, Cart. 46, 2786). (3) Par ex. avec Léontinoi. Cf, Pais, Sicilia, p. 307.

(4) E. Pais, Sicilia, p. 533-530; Gruppe, G. M., p. 370. (5) (6) (7) (8 giens

E. Pais, Sícilia, p. 537. Bronze de Térina aux types de Rhégion. Statére de 7 gr, 64. — Cf. Head, Hist. Num. (1911), p. 80. Dans les environs de Pompéi? Cf. imitation des types Rhésur un bronze de Nucéria (téte d'Apollon; masque de

lion). (9) Cf. J. Babelon,

Luynes,

I, 133 et 134 (à la face : soit la mou-

le et le grain d'orge; soit la tête de la nymphe Kymè). Le masque léonin est le blason de Rhégion depuis l'arrivée des colons Samiens (vers 494), le sanglier est un symbole proprement campanien (plus tard répandu dans le nord de l'Apulie). —

L ITALIE

HERACLEENNE

DU VI* AU 1V* SIECLE

55

*

de Poseidónia, et vers les bouches du Seilaros que cette voie maritime touchait aux routes terrestres qui de Grande-Gréce convergeaient vers l'Italie Centrale; avant Cumes, c'est à Poseidónia que pcuvent le mieux se méler les traditions

venues des viics Acisennes,

et celles des Chalcidiens. Ces

hiératiques monraies poseidóniates de types religieux trézéniens,

d'art achéo-italiote,

raissent le symbole méme

que

par des alliances

d'étalon chalcidien-éléate,

appa-

d'une ville qui ne peut prosperer

commerciales

et grâce à son rôle

d’interniedisire. Aussi bien est-ce le monnayage de Poseidónia qui, au δ᾽ siècle, nous apporte la plus nette confirma tion

des

relations

d'indiquer : avec

maritimes

Rhésion

et terrestres

et Hyélé,

nous

que

nous

venons

l'avons vu; avec

Sybaris, comme le prouve une monnaie d'alliance (1); avec Thourioi, son héritière, de laquelle elle imite le beau taureau passant, et, un peu plus tard, le taureau chargeant (2); .

avec Crotone qui, un instant, l'engage à substituer au dieu f

poliade,

la face

de

Héra

lacinienne (3). Plus tard ses^

bronzes témoigneront de relations avec Métaponte, dont elle fait figurer l'épi au revers de son Artemis ou de son

Poseidón (4), et avec la Campanie, dont le sanglier apparalt au revers d’une tête de Demeter (5). Si l'on se reporte à l'origine méridionale de ces transactions,

Thourioi,

elle

avait su, à ses débuts,

aussi,

confirme nos itinéraires : elle

s'assurer soit la tolérance, soit l'al-

liance de Crotone (6); et. entrée en relations avec Térina au temps de Cléandridas (fin du V* siécle) (7), elle participait $ur ces monnaies et les diverses explications proposées, voir : A. Sambon, Monnaies antiques de l'Italie, n° 244-251 et 250, p. 141 sq. (1) J. Babelon, Luynes, I, 540, pl. XIX. (2) Id., ib., I, 532 (argent); 545 (bronze du début du IV* siècle). (3) Id., ib., 538, pl. XIX. Voir supra, p. 24. (4) Vers 330. quand Métaponte recouvra sa liberté, au temps

d'Alexandre le Molosse ? (5) J. Babelon,

Luynes,

(0) Fr. Lenormant,

| I, 547,

pl. XIX

(vers 268 a. C.).

La Grande-Grèce, 15, p. 305.

(ἢ ἘΞ. Pais, Italia Antica, II, p. 54

᾿

56

LES ORIGINES DE L'HERCULE BOMAIN

à coup sûr à la prospérité des deux grandes villes achéennes. En méme temps, par Poseidönia (1), elle exercait son influence en Campanie (2), et sans doute aussi en Apulie (3). Au début du IV? siècle, elle était inféodée à la politique anti-syracusaine de la seconde ligue achéo-italiote (4). Sans doute, aprés sa défaite par Denys l'Ancien, elle dut subir le protectorat de Tarente, puis le joug des Lucaniens. Mais, à peine délivrée par Alexandre le Molosse, elle reprend son rôle de la fin du V^ siècle; alliée à Métaponte, elle devient le quartier général du roi (5) et sa base naturelle d'opérations, vers Térina-Hippónion d'abord (6), vers Poseidônis ensuite,

quand il songea à reconstituer toute l'ancienne

Ita-

lia ayant pour socle le littoral achéen de la mer Ionienne (7), avec Ainsi,

pour objectif

lointain

à cent ans d'intervalle

sans

doute

(entre 333

la Campanie (8. et 330

a.

C.)

les

mémes routes voyaient se reproduire le méme effort vers le méme but; celui qu'avait fait aussi, bien auparavant, Svbaris lorsqu'elle avait fondé Poseidônia pour se rapprocher

dc la Campanie. La premiére intervention des Romains, appelés en 302 par les Thouriens, signale le renversement des influences : mais, de Campanie, Rome trouvait devant elle la voie vers la Grande-Gréce toute tracée par presque trois cents ans de trafic et d'ambitions politiques. À l'autre extrémité de ces parcours, Cumes et Naples ne font pas mystère de leurs relations avec la Grande-Grèce. Des colons achéens n’avaient-ils pas d'ailleurs participé A

la fondation de Cumes (9)? La Sibylle ne recommandait-elle (1) Voir

supra.

(2) Comparer par ex. aux monnaies de Thourioi celles de Cumes (J. Babelon, Luynes, I, 146, pl. VI), Hyria (Id., ib., 154159, pl. VII), Nola (Id., ib., 195, pl. VIII). (3) E. Pais, Italia Antica, II, p. 153-155. (4) Cf. Diod. Sic., XV, 7, 4 : elle recoit les exilés Syracusains. (5)

Fr. Lenormant,

La Grande-Gréce,

13, p. 40.

(6) E. Pais, Italia Antica, II, p. 168-170. (7) (B) 172. (9) Italia

Id., ib., II, p. 171-172. Sur l'influence d'Alexandre en Campanie

E. Pais, Antica,

Sicilia, p. 163; Gruppe, II, p. 56.

G. M.,

: Id., ib., p. 171.

p. 141;

E.

Pais.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU 1V* SIECLE

57

pas de sacrifier selon les rites eubéens ou achéens, trahissant ainsi un mélange de cultes de la plus haute importance pour nous (1)? Quant à Naples, elle imite sur ses monnaies les types de Térina (2) et de Thourioi (3). Mais déjà à cette date (début du IV. siéciej, on aurait grand tort de limiter les influences aux échanges entre villes grecques. Ce inagnifique pays, cette « Italia » des riches pâturages, des forêts ombreuses, des plaines chaudes et fertiles, toute pénétrée, entre ses deux mers, par les voies commerciales que nous avons cherché à tracer, était presque tout entière aux mains des tribus Sabelliques (4). Et lorsque Alexandre le Molosse cherchait à la reconstituer en son unité

hellénique, de Poseidönia à Metaponte, les Lucaniens avaient déjà fait leurs les types et les dieux des Achéens (5), εἰ, aprés eux, les Bruttiens (6). Si vive était la pénétratiom (

E. Pais,

(1890),

v. 16:

Sicilia, p. 163 n. 1. — Diels, Sibyllinische ...xéhes ' ᾿Αχαϊστὶ τάδ᾽ ἔρδειν ; et p. 55 sq.



Blätter Au

con-

traire, v. 51: ἀργὴν βοῦν θύων (à Hera) πατρίοισι νόμοισι xax! alcav ; €t 56 : ...ἐν πατρίοισι νόμοις “Ἥρας ξόανόν τε xai olxov. — M. Pais interprête à bon droit πάτριοι νόμοι — rites eubéens ; par suite ἀχαϊστί reprend toute sa valeur, et doit se traduire par «à la mode achéenne » (il s'agit d'ailleurs de Déméter et Perséphonë, tant honorées

en Grande-Gréce), et non comme un équivalent épique de ξλληνιστέ, ainsi que le veut Diels (p. 56). S'il en était autrement, πάτριοι νόμοι

devrait se traduire par « les rites romains » ; or Diels explique luiméme

que

toutes

ces pratiques

Hera D222»5*;. ἃ laquelle cubéenne (p. 52, n. 1).

(ἢ

A. Sambon,

Mon.

est

sont

adressé

Ant.

grecques

(p. 54), et que la

le sacrifice, est une

déesse

de l'Italie, n° 422 (tête de dieu flu-

vial imberbe; Victoire assise sur une urne renversée); J. lon, Luynes, I, 180 (Tête d'Héraclés ?; Victoire assise).

Babe-

(3) E. Pais, Italia Antica, II, p. 233 sq. — Sur le type crotoniate de la Hera Lacinienne en Campanie, voir infra, p. 170 sq. (4) Sur des noms peut-être importés par ces tribus de Campanie en (Enotrie, voir : Fr. Lenormant, La Grande-Grèce, III, p. 88. (5) Cab .des Méd., cart. 24, 1567 (argent) : tête d'Athéna avec

casque ailé; épi et massue

(cf.

Métaponte);



Gr.

Coins

Brit,

Mus., Il, p. 224, 5 (bronze) : tête d'Héraclés imberbe coiffé de la léonté;

Pallas

(ou Bellone),

téte

de loup.

(6) Tête d'Héraclés, imberbe ou barbu 604; 653-854;

Gr.

(J. Babelon, Luynes, I,

Coins Brit. Mus., I!., p. 390, 93 et p. 333, 118).

58

LES ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

de l'hellénisme et de ses traditions le long des routes et des sentes

propices

aux trafiquants! II.



LES

VOIES

LÉGENDAIRES

DE GRANDE-GRECE EN CAMPANIE Sans doute quelques légendes, quelques cultes communs aux cités de Grande-Gréce et de Campanie ne sauraient prouver une influence de l'une sur l'autre. Ainsi le culte

d'Achelóos, brillamment attesté

à Métaponte

(1), est pop"-

laire à Naples aussi (2) ; mais tandis qu'à Métaponte il avait

été apporté par les colons Phocidiens en méme temps qu'Héraclés (3), il semble à Naples être d'origine propre-

ment chalcidienne, y figurant comme père des Sirènes, que

l'on retrouve aussi à Catane (4). Il en est un peu autrement de Dédale,

quoique

l'Occident

semble

la dispersion de sa légende

d'abord

bien

décourageante

dans

tout

(5).

Nous

montrots ailleurs (6) que ses centres de rayonnement étaient la Sicile et l'Italie Achéenne, d'où, selon toute apparence, il n'est venu qu'assez tard à Cumes. Une bien plus grande certitude s'obtient pour les divinites

secondaires du cercle d'Artémis : Oreste, Iphigénie οἱ Hippolyte. Nous avons pu, ailleurs, reconstituer, avec ses étapes

principales, l'itinéraire d'Oreste d'Arcadie jusqu'à Rome (7) : c'est à Rhégion, nous dit-on, qu'il prit terre en Italie (8); mais n'était-il pas parti d'Achaie, d'Héliké qui est sa ville, d’Aigeira où l'on adorait sa sœur et compagne Iphigénie; ou, mieux encore,

de Kéryneia,

oü il avait cherché

la purifica-

tion auprès d’Artemis Taurique, qu'il emporta ensuite avec -

(1) G.

Giannelli,

Miti e culti della Magna

Grecia,

p. 83

(2) Peterson, Cults of Campania, p. 204.

sqq.

᾿

($) Voir supra, p. 15. .

(δ) Euripid., Hel, 175 sq.; Dionys., XIII, 312-313. . (5) Cf. Paus., VII, 4, 7.

Apollon.

Rhod.,

894-896;

Nonn.,

(6) J. Bayet, Herclè, p. 181. (7

Mélanges

(8) Gruppe, p. 118-119.

de

l'École de Rome,

G. M.,

XXXVIII

(1920),

p.

131-140.

p. 367 et n. 9; E. Pais, Italia Antica, II,

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

50

lui vers l'Occident (1)? En méme temps que les Achéens et les Rhégiens, les Phocéens contribuérent à propager ces légendes jusqu'à Rome; mais le point de départ n'en est pas douteux: c'est de l'antique Œnotrie qu'elles ont gagné Cumes, puis Aricie. — Si, en Aricie, Égérie et son parédre

correspondent à Oreste et Iphigénie (2), le démon

ressemble à Hippolyte, auquel on l'identifia

(3);

Virbius

quand?

Nous n'en savons rien; mais il ne faudrait pas, par excés de scepticisme,

abaisser

trop la date de l'influence

hellé-

nique (4). Elle est, à coup sûr, d'origine trézénienne ; c'est à Trézéne que se racontent les « passions » des beaux chasseurs chers à Artemis, ou plutöt ses paredres: Sarón, fon. dateur du culte d'Artémis Sarónia, et qui, mort tragiquement,

était

enseveli

et

honoré

dans

l'enceinte

divine

(5);

Hippolyte qui éleva le temple d'Artémis Lykeia, aupres duquel on prétendait qu'Oreste avait été purifié (6), et dont le souvenir et le culte étaient attachés à tant de points du territoire de la ville (7). Et c'est donc à la seule grande colonie trézénienne d'Occident, à Poseidónia, qu'il convient d'attribuer l'introduction de cette légende en Italie. A moins pourtant qu'elle n'y ait pénétré par intermédiaire, gráce ἡ Dioméde, promoteur du culte d'Hippolyte à Trézéne, et qu'honoraient Sybaris, Thourioi et Métaponte. Encore ne faudraitil pas, méme en ce cas, trop restreindre le róle ae

Poseidónia, en relations directes avec Cumes. et, par Cumes, avec Aricie (8). Ces cultes sont assez originaux pour qu'on puisse, pour ainsi dire, les suivre à la piste, sans prendre le change. Les traditions post-homériques, plus trompeuses par leur ordi(1) Gruppe, G. M. p. 139-140. (2) J. Bavet, I. c., p. 137. (3) Paus., II, 27, 4. (4) Voir le doute, sans preuves d'ailleurs,

dans

Gruppe,

p. 371, n. 0. (5) Paus., II, 30, 7. — Cf. Gruppe, G. M., p. 192.

(D Paus., II, 31, 4

(7) Paus., II, S2, 1-4 et 10. (8) Cf. Klausen, Æneas und die Penaten, II, p. 1244.

G.

M.,

60

LES ORIGINES DE L’HERCULE

ROMAIN

naire banalité et leur abondance même, n'en offrent pas moins une précieuse vérification des itinéraires précédents, avec un plus grand nombre de reläches, et des prolongements inattendus. Mais, si nous ne possédions pas les données que nous venons d'utiliser, nous serions bien en peine de determiner le sens de propagation de ces légendes. — Locres Épizéphyrienne connaissait des mythes Troyens (4), et, sous

des formes Crotone,

diverses,

aussi

l’ancienne

Siris,

Crimisa et

dans le territoire de

Métaponte (2) : toujours la

même région où se sont amorcées les voies de pénétration vers l'Italie Centrale. Et nul ne s'en étonnera, si l'on songe que, dés une date ancienne, les Achéens de Grande-Gréce se piquaient d'étre les vrais descendants des héros de la prise d'Ilion. Lorsque la légende troyenne prit corps en Italie, les

éléments épars se coordonnérent, et la progression se fit vera le Nord avec autorité : des compagnons d'Énée devinrent éponymes ou fondateurs de colonies au cap Palinure, dans l'i

le de Leucosia en face de Poseidónia, à Misène et Caïète (3): Cora revendiqua Dardanos (4); sans méme parler de Padoue, fondée, disait-on, par Anténor (5). — (Euvre savante, pour une bonne part artificielle, et qui attendait Virgile pour prendre une vie humaine et une véritable fraicheur. — Les héros Achéens furent autrement robustes. Métaponte gardait la légende et les reliques d'Épeios (6), un Phocidien (7), qui se trouvait chez lui au bord du Bradanos; non loin de Sybaris, il avait fondé Lagaria, dans une région que les Métapontins occupérent sans doute au VI* siécle (8); et voilà une indication chronologique. Il quitta, lui aussi, son

berceau achéen; par où il passa, on n'en sait rien: on le (1) G. Giannelli,

Culti

e Miti della

Magna

Grecia,

p. 234.

(2) Fr. Lenormant, La (rande-Gréce, 15, p. 378-379. (3) Solin., II, 10. (4) Solin., II, À (5) Solin.,

(6)

II, 10.

Fr. Lenormant,

(7) G. Giannelli, un Locrien. (8) E. Pais,

op.

La Grande-Grèce, 15, p. 121. 122. cit., p. 75, n. 2. — Selon M.

Sicilia, p. 247 sq.

Pais,

plutôt

L'ITALIE HERACLEENNE

DU VI* AU IV* SIECLE

61

retrouve en Étrurie, fondateur inattendu de Pise (1); l'occasion serait belle de crier à la spéculation savante, si un miroir étrusque ne le représentait comme inventeur du cheval de Troie (2), sür témoignage de sa popularité. Celuilà, la légende n'a pas pris soin, comme pour Énée, de lui préparer des repéres marins, des hávres sürs; et il est allé pourtant du premier coup plus loin que lui. Au fait, Métaponte ne lui ouvrait-elle pas la route la plus ancienne, la plus nettement tracée, qui de Grande-Gréce menait aux pavs de do:rination étrusque? Quant à Ulysse, nous le retrouverons partout le long de la voie maritime : ubiquité génante. Dés que nous le connaissons, par les poèmes homériques, il est tellement familier avec la Méditerrannée occidentale qu'on hésite à lui fixer un itinéraire: il aborde, il s'éloigne, il revient au méme lieu; on dirait qu'il veut brouiller ses traces. Il semble bien pourtant que l'ile de Calypsö, l'antique Ogygie, fut

d'abord en face du promontoire Lacinien (3), avant d'errer de plus en plus loin dans les mers italiennes (4). Les traces du héros sont incertaines à Métaponte et Témésa (5); trés précises dans le Bruttium, à Skyllétion (6); un de ses compagnons fonde Laos; et les Sirénes le voient longer la côte tyrrhénienne, Ligeia à Térina, Leucósia à Poseidônia, plus loin Parthénopè (7): mais auparavant, il avait élevé pour Áthéna un temple à la Punta della Campanella, prés

(1) Verg.,

Aen., X, 179 et Int. Serv., ad loc.; —

Strab., V, 2, 5,

p. 222. (2) Michaelis, Annali d. Inst., 1880, p. 56. (3) Scyl., Peripl., 13; Plin., n. h., III, 96; Jambl.,

de vit. Py.

thag., XI, 57. — Cf. G. Giannelli, op. cit., p. 182 sq. (4) En

particulier prés de Pouzzoles.

— Voir

: Immisch,

R.

L.,

II, 942. (5) à Métaponte: Steph. Byz.. s». A262; ; Fnstath.. in Odyss., XXIV, 304; à Témésa : Strab., VI, 1, 5; Paus., VI, 6, 7-8. — Cf.

G. Giannelli, op cit., p. 268 et n. 1. (6) Solin., II, 8; Int. Serv., Aen., op. cil., p. 203. (7) Lycophr., 712-731.

III, 553. — Cf. G. Glennelli,

62

LES ORIGINES DE L'HERCULE

ROMAIN

de Sorrente, en face de Capri (1). Lorsque Timée écrit son histoire, toute la Campanie est pleine des souvenirs d’Ulysse (2); au Cap de Circé, il a déjà abordé le Latium (3), ou, si l'on préfère, la Tyrrhénie (4). C'est là qu'il s'était acclimaté, qu'il avait fait souche (5), qu'il s'était préparé à entrer, sous le nom de Nanos, chez les Étrusques (6), où, mort, on l'enterra, dit-on (7). Et cette route, nous pouvons douter qu'il l'ait suivie à la rigueur, du sud-est au nord-ouest; bien

que la légende de son fils Italos le fasse présumer (8); du moins l'a-t-il si bien jalonnée que les caboteurs de la mer Tyrrhénienne, à chaque escale, le retrouvaient, seul, ou, le plus souvent, mêlé à d'autres traditions qui voyageaient, elles aussi, vers le nord.

L'une des plus importantes par

ses

conséquences

était

celle de la colonisation arcadienne en Italie (9). Or il est sür,

bien qu'elle se soit adjoint mainte légende d'origine diffé-rente, que son berceau est l'(Enotrie, et, plus précisément, les cités achéo-italiotes. Là se perpétuait le souvenir des migrations,

chéens

à demi

mythiques,

en Arcadie

aprés

(1) Strab., V, p. 247 C. (2) L'île de Pithécousa (Id.,

694

et 737);

la

région

qui

avaient

l'invasion

(Lycophr., de Cumes

transporté les Α-

dorienne

688-690); et du

(10);

Baïes

là, les

et Miséne

lac Averne

(Id.,

695-711). (3) Theophr., h. pl., V, 8, 3; — Lycophr., 1274; — Apoll. Rhod., IV, 661. (4) Schol. Lycophr., 79: Ἢ 33 Κίτχν Τυρσην x7. (5) Hesiod., Theog., 1011 sqq. (6) Lycophr., 1244; Dionys. Halic., I, 28. (7) à Pergé « dans le pays de Gortyne » (Lycophr., 805; et Schol. Lycophr., 809. Cf. Justin., XX, 1, 11). (8) Cf. J. Bayet, Mélanges de l'Ecole de Rome, XXXVIII (1920), p. 82-85. (9) Voir notre article : Les Origines de l'Arcadisme Romain (Mélanges de l'École de Rome, XXXVIII (1920), p. 63-143). (10) Herod., II, 71. Les relations de Sybaris avec l'Ionie ne pouvaient que le confirmer (Cf. Herod., I, 146). Encore à la fondation de Thourioi, les trois tribus péloponnésiennes de la ville prennent les noms d'Arcas, Achais et Eleia (Diod. Sic., XII, 11, 3).

L'ITALIE

HERACLEENNE

DU

VI* AU

IV* SIECLE

63

Achéens parlaient une langue qui, avant qu'elle se füt dorisée, était étroitement parente à celle des Arcadiens (1). Des relations religieuses précises confirmaient des immigrations partielles (2) : les Iamides de Crotone, l’Apollon Lykeios de Métaponte

(3) et peut-être la Mélanippè

qu'adora.t

la méme ville (4), le Pan de Pandosia (5), la légende des Lycaonides (6). C'est de là que partirent vers le nord les

noms fatidiques, Pelléniens, Pallas, Pallantion (7), qui arriveront à Rome aprés s'étre arrétés dans la région de Cumes. À Cumes méme, les reliques du sanglier d'Érymanthe que conservait le temple d'Apollon n'unissent-elles pas :a legende d'Héraclés à la tradition arcadienne (8)? Et, plus étroitement

encore,

les monnaies

romano-campaniennes

qui

figurent le héros la téte couverte non plus de la dépouille du lion, mais d'une hure de sanglier? Ainsi les routes terrestres et marines de la Grande-Grece vers l'Italie Centrale se révélent d'un intérét religieux et légendaire autant que commercial.

Ill.



LES

ROUTES

APULIENNES

ET

ET

LES

LÉGENDES

ADRIATIQUES

Sans doute en est-il de méme des routes de l'Apulie et de la mer

Adriatique,

bien

que

les

conditions

apparaissent fort différentes : l'Adriatique

géographiques

étant

loin

de

(1) Meillet, Apercu d'une histoire de la langue grecque?, p. 87.

(2) J. Bavet, I. c., p. 113-118. (3) Id., ib., p. 107 sq. _ (&) G. Giannelli indique seulement pour ce culte (Culti e miti della Magna Grecia, p. 87 sqq.) une influence béotienne. L'uniom Mélanippè-Poseidôn fait plutôt songer au groupe arcadien Déméter Melaina-Poseidón, comme le dit Fr. Lenormant (La Grande-Gréce, 13, p. 117-118). (5) J. Bayet, I. c. Cf. Fr. Lenormant, La Grande-Gréce, 13, p. 455.

(6) J. Bayet, L c., p. 101-113. (7) Id., ib., p. 118-128.

(B) Cf. Peterson, Cults of Campania, p. 32.

04

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

présenter

la succession

d’ « échelles » helléniques

qui

ren-

dent si séduisante la côte tyrrhénienne, et Tarente se trou vant en dehors de toute voie fluviale. Seule Elpiè (Salapia) semble jouir d'une situation comparable à celle des cités achéennes : elle peut, grâce à l'Aufide et à ses affluents, communiquer soit avec Métaponte par le Bradano, soit avec Poseidónia par le Seilaros, soit avec la Campanie par le Vulturne; mais ce ne fut jamais une ville fort importante, et son commerce était peut-être attiré plutôt par le vaste plateau d'Apulie que par les riches cités d'au-delà des monts.

Tarente au contraire, nous le savons, pénétra profondément le Samnium, surtout à partir du IV° siècle et sous l'impulsion d’Archytas, jusqu'à apparaitre aux yeux des Romains comme l’alliée ou plutôt la protectrice des Samnites (1). Mais nous serions incapables de jalonner sa priucipale voie d'accés dans les montagnes de l'Italie Centrale, si des types héracléens visiblement imités de ceux de Tarente et d'Héraclée ne figuraient (d'ailleurs à une date assez tardive : d'ordinaire au IIT* siècle) sur les monnaies de plusieurs villes qui s'échelonnent, de facon curieuse, le long du trajet de la future voie Appienne : à Caelia (2), Bari (3), Rubi (4), Canusium (5); chez les Pitanates Peripoloi du Sam-

(1) Relations siècle

amicales

avec

les

Samnites

(Cic., de Sen., 12); ils les appellent

p. 250 C; Porphyr., F. H. G., II, p. 273). — nites et des Tarentins pour empécher les Naples en 326 a. C. (Liv., VIII, 22; 25, 7; 27, XV, 5-8), Lucéria en 320 (Liv., IX, 14). — Cf. Grande-Gréce, 13, p. 42-43. (2) 1. Babelon,

Luynes,

dès

la

fin

du

leurs frères (Strab.,

V* V,

Intrigues des SamRomains d'occuper 11; Dionys. Halic., Fr. Lenormant, La

I, 225. — Cf. Monnaies

d'Héraclée,

Ru-

bi, des Pitanates : infra. (3) Cab.

des Méd.,

cart.

15, n°

1011.

(4) J. Babelon, Luynes, I, 227; Gr. Coins Brit, Mus., It, p. 143, 9. (5) Berlin. Beschreib. d. ant. Münzen, III, 1, p. 190, n° 8. — Commerce assuré avec Tarente, par les nombreux vases apuliens trouvés à Canosa. — Peut--être aussi : Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 135, 14.

L'ITALIE HERACLEENNE

DU VI* AU IV* SIECLE

65

nium (1). Au-delà, cette voie commerciale atteignait certainement la Campanie, οὐ l'influence tarentine, trés « laconisée » au IV* siècle (2), prétendit imposer une origine laconienne non seulement aux Sabins (3), mais à Amyclae (au nord de Sinuessa), Formies et Gaéte (4). Une autre voie, qui dépendait sans doute politiquement

d'Héraclée, mettait Thourioi en relations avec l'Apulie (5), par Métaponte, soumise à l'hégémonie tarentine pendant les deux premiers la précédente Rhypes, qui, tapontin (7, .comme

tiers du IV* siècle (6). Elle pouvait rejoindre soit à Rubi, d'ailleurs colonie achéenne de sur une monnaie d'argent, reproduit l'épi mesoit à Butuntum qui imite le méme blason,

aussi Ásculum

et les Azetini

(8).

De son cóté,

Arpi

fait figurer sur un de ses bronzes le taureau chargeant de Thourioi (9). ' Mais tous ces témoignages sont relativement récents; la seconde de ces routes est incertaine; la premiere tardive. Héraclès dut y passer comme sur presque toutes celles d'Italie 410): mais nulle légende populaire ne nous en est

parvenue. nulle

nombreux

particularité

ancienne

témoignages monétaires

et originale.

que nous

ont légués les

(1) Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 398, 1; Cab. des Médailles, 45, 2700.

(2) Cf. l'alliance du roi de Sparte

Romains

par Fabius

Albinus,

Acilius,

Postumius

Cart.

Archidamos avec Tarente :

Diod. Sic., XVI, 63, 1-2, 88, 3-4. (3) Et, par suite, partiellement aux Pictor,

Les

(tradition suivie Caton).



Cf. E.

Pais,Storia Critica, I, p. 49. (4) E. Pais, Sicilia, p. 285 sq. (5)

Monnaies

des Médailles, (6) Τῇ. Pais, (7) Cab. des (8) Asculum

d'alliance

(bronzes)

Héraclée-Thourioi

: Cab.

cart. 25, 1653 sqq. Sicilia, p. 220 sq. Médailles, cart. 17, 1069. (J. Babelon, Luynes, I, 221; Gr. Coins Brit. Mus,

It., p. 131, 1); Butuntum

(J. Babelon, 1. c., 222-223); Azetini (Gr.

Coins Brit. Mus., It., p. 194, 1). (9) Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 130, 6. — Sur cette route, cf. E. Pais, Sicilia, p. 584 sq.

(10) Cf. sur ce «périple terrestre» d'Héraclés autour de l'Adristique : Diod. Sic., IV, 25, 1.

66

LES ORIGINES

DE L’HERCULE

ROMAIN

cités apuliennes ne font que confirmer l'hégémonie tarentine, à une date où la dispersion du culte d’Heracles n'a

plus

pour

nous

d'intérêt (1).

gieux ou lézendaires, des routes

tels que nous

de Grande-Grèce,

trace précise,

Quant à des transferts relien avons

nous n'en

noté le long

trouvons ici aucune

De sorte que les échanges historiquement at-

testés entre l’Apulie et la Campanie (2) ne sauraient en aucune facon avoir pour notre étude la méme importance que les relations anciennes, par terre et par mer, entre la Granuc-Grèce et les parages de Cumes. Les routes de l'Adriatique ont une autre portée, mais ne dépendent pas, originairement, de Tarente. Leurs bornes marines, leurs póles, sont au nombre de trois : la GrandeGrèce;

Corcyre

et Dodone;

et surtout

les Bouches

Commercialement, Corcyre et l'Épire situation de l'ile crée sa destinée: elle la terre épirote, du profond et sombre gne Dodone (3). Or, les relations entre

du

Pó.

ne font qu'un. est l'avant-poste pays sur lequel cette région et

La de ré la

Grande-Gréce s'affirment, aussi bien que par les expéditions d'Alexandre le Molosse et de Pyrrhos, par mainte légende de fondation (4). Mais c'est Corcyre aussi qui, aprés les premiéres tentatives corinthiennes, contrôle toute l'Adriatique jusqu'aux

Bouches du PO (5) : fle de Cronos, elle pourra donner à cette (1) Monnaies héracléennes : au sud de Tarente : à Hydruntum, Orra, Uxentum; — au nord de Tarente : à Asculum, Vénusia: —

au-delà du

Mt Garganus

: à Lucéria,

Téatè,

Larinum,

(2 Le sanglier campanien apparaft sur des monnaies de Vénusia, Arpi et Salapia. (3) C'est à Corcyre que, par exemple, s'arréte Thémistocle avant de s'engager vers la Molosside (H. Droysen, Athen und d.

Westen vor der sicilischen Ezpedition (1882), p. 24). (4) Éaque est dit fondateur de Corcyre, et son fils de Crotone (Schol. Theocrit., IV, 32. Cf. E. Pais, Sicilia, p. 328); Lakinos est Corcyréen (Schol. Theocrit, IV, 33); de méme Locros, éponyme de Locres Épizéphyrienne (Conon, Narr., 3). — Cf. la popularité

en Grande-Gréce d'Ulysse, l'hóte des Phéaciens (5) E. Pais, Sicilia, p. 572 sq.; p. 431.

(supra).

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE mer le nom de son dieu (1); et légitimement,

67

jusqu'à l’hé-

gémonie de Syracuse au V* siécle, de Tarente au IV*. Encore

faut-il penser qu'avant méme la fondation de Corcyre, la voie commerciale était tracéeοἱ fréquentée entre Dodone et les Bouches du Ρὸ (2) : puisque c'est au fond de l'Adriatique que, selon la tradition délienne transmise par Hérodote (3), les présents des Hyperboréens venus des Alpes Italiennes (4) abordaient une mer hellénique; et que, de là, ils passaient aux Dodonéens, «les premiers des Grecs ». Route légendaire que confirment toutes les données historiques: car, à une date reculée, les Bouches du Ρὸ et la terre vénéte

étaient toutes pénétrées d'influences helléniques (5); et 1? port de Spina, hellénisé au point d'étre appelé « une ville grecque » (6) était en relations certaines avec Dodone Delphes (7), aussi bien qu'avec les Messapiens (8).

et

La vie légendaire et religieuse de ces routes adriatiques semble avoir été presque aussi animée que celle des routes de Grande-Gréce,

mais

tions relatives aux

nous nous

Hyperboréens

limiterons

ici aux

tradi-

et à Héraclès.

Les premiéres sont étroitement liées au commerce de l'ambre, dont la légende se fixa aux lieux des marchés, non 80

(1) Kaovinv Aa: Apoll. Rhod., IV, 327, et Schol. (2) E. Pais, Sicilia, p. 422-440. ' (3) Herodot., IV, 33. (4) Cf.

Schol.

Ὑπερδορείους,

Apoll. Rhod.,

II, 675 : Ποσειδών:ος

δὲ εἶναι φησὶ τοὺς

κατοιχεῖν δὲ περὶ τὰς "AAT: Q τῆς Ἰταλίας.

(5) Valléede l'Isonzo : Marchesetti, Atti del Museo.Civico di St. Naturale di Trieste, 1890, p. 217; von Duhn, Benutzung der Al. penpásse (Neuen Heidelberger Jahrb., II, 1892); — Basse vallée du Pó et Carnie : Ghirardini, Not .d. Scavi, 1888; Monum. d. Lincei, 1893; Helbig, Das homerische Epos (1887), p. 83, n. 9. — Sur l'alphabet Vénéte : Pauli, Die Veneter und ihre Schriftdehk-

máler (Altitalische Forschungen,

111 (1891), p. 163 sqq.); etc. “

(6) Ps. Scylax, 17; Strab., V, p. 214 C.

(7) Dion. Halic., I, 18; Strab., l. c., et IX, p. 421 C; Plin., À. À., ΠῚ, 120. — Cf. sur la route P6-Dodone : E. Pais, Sicilia, p. 430, (B Róm. Mittheil., XXIII (1908), p. 257 &q.

68

LES

ORIGINES

DE

L HERCULE

ROMAIN

lieu de production (1), et d'abord aux Bouches du Pd, où les Grecs surpris voyaient affluer la merveilleuse résine (2), acheminée vers le midi par la grande voie pado-danubienne (3). Là, des peuples barbares, mais qui, en ce carrefourprivilégié. prenaient vite le sens du trafic et le goüt des échanges avec les Grecs, les Venetes (4), les Sigynnes du Norique (5), plus tard les Gaulois Taurisques (6), donnérent une apparence de réalité aux lézendes Hyperboréennes

(7) : la route

du

commerce

(de l’ambre

ne

continuait-

elle pas à suivre l'itinéraire primitif des présents hyperbo-. réens (8)? Ainsi s'explique en ce lieu le mélange des traditios de l'ambre et des légendes apo'liniennes: le séjour d'A-

pollon pleurant aux bords de l’Éridan son fils Asclépios (9), la chute de Phaéton toute flamboyante d'or et de sang, et les larmes poétiques des Héliades (10); — confirmées par l’influence de Delphes (11), où revenait tous les ans l'Apollon Myperboréen (12). Or

les mémes

- Grande-Gréce,

légendes

Hyperboréennes

où elles se rattachaient

fleurissaient er

o':vertement au sanc-

(1) Cf. C. Jullian, Histoire de lu Gaule, I, p. 224 : la légende se déplace avec les marchés. (2) Diodore de Sicile s'applique encore à réfuter (V, 23) la lé:ende

selon

laquelle

l'ambre

est produit

aux

bouches

du

PO.

(3) Sur cette voie, Cf. C. Jullian, op. cit., I, p. 377, n. 7.

(Ὦ Les

« chevaux

Parthéneion

vénétes »

sont déjà

mentionnés

dans

le

d'Alcman.

(5) Herodot., V, 9. — Cf. C. Jullian, op. cit., I. p. 123, n. 1, et p. 370,

n. 2.

(6) C. Jullian, op. cit., I, p. 298 et 299, n. 2 : en relations avec Alexandre

le Grand.

(7) Les Celtes des houches de l'Éridan sont compris par tradition parmi les Hyperboréens (Heraclid. Pont., ap. Plutarch., Camill. 22), — Cf. C. Jullian, op. eit., I, p. 237, n. 5. (8 Herodot., ΠῚ, 115; Schol. Apoll. Rhod., IV, 505; Apoll.

Rhod., IV, 603-625.

|

(9) Schol. Apoll. Rhod., IV, 611. (10) C. Jullian, op. cit., I, p. 224-225. (11) Relations

de Spina

avec Delphes

: supra; —

offrandes

Dodonéens à Delphes : Dionys. Halic., I, 18. (12) Cf. Hymne

à Apollon, d'Alcée (Hiller-Crusius, 1).

des.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI‘ AU IV* SIECLE

69

tuaire delphique (1). Métaponte en était le centre (2), où, près de la statue d’Apollon, s’élevait celle d’Aristee de Pro-

connese,

le poète des

᾿ἀριμάσπεα

(3); mais Crotone ne le

lui cédait guère (4). Et toute la Grande-Grèce ; au temps de Pythagore, fut un foyer de légendes hyperboréennes : Pythagore n'avaitil pas eu pour esclave Zalmoxis, avquel les Gètes sacrifiaient (5)? N'avait-il pas recu l'hommage d'Abans, prophète des Hyperboréens (6)? Lui-même enfin ne passait-il pas pour être Apollon Hyperboréen (7)? — Donc, à défaut d'influence certaine, directe ou indirecte, de la

Grande-Gréce sur les Bouches du Pö (8), il y a du moins, sur ce point, correspondance curieuse entre les deux ré. gions : les légendes hyperboréennes n'ont en Italie que deux terres d'élection, l'une et l'autre en rapports avec Delphes. (1) Métaponte' se dit colonie delphique (Cf. Klausen, /Eneas und die Penaten, p. 1221; Gruppe, G. M., p. 369) ;c'est l'Apollon de Delphes qui y a introduit les légendes hyperboréennes (Herodot.,

(2)

IV,

15)

Apollon

fécondité

des

Hyperboréen moissons

(G.

à

Métaponte,

Busolt,

Griech.

comme

dieu

Gesch?.,

I, p. 411

de

la et

n. 2. — Cf. Fr. Lenormant, La Grande-Gréce, 12, p. 126-128). (3) Herodot., IV, 13 et 15. — Cf. Phérénicos (Schol. Pind., OL, III, 28) selon qui le roi des Hyperboréens qui conduisit leur migration s'appelait lui-même Arimaspe; et Callimaque (Hymn., IV, 291), pour qui les Hyperboréens se confondent avec les Arimaspes. Une influence asiatique (milésienne 7) est possible, et n'aurait rien d'étonnant,

au contraire,

dans la Grande-

Grèce achéenne. — Voir, sur Aristée au pays de l'ambre, l'artiele de M. C. Jullian (Revue des Et. Anc., XV, 1913). (4) Duc de Luynes, Nouvelles Annales, 1836, p. 55. — Dans le sacrifice hebdomadaire à Apollon, le prytane est assisté au V* siècle par un serviteur revêtu d'un costume « perse » qui rappelait celui des Arimaspes (Athen., XII, p. 522 b-c). Cf. Fr. Lenormant, La Grande. Gréce, 113, p. 110. (5)Diog. Laert., VIII, 1, 1; Herodot., IV, 93-96. — Or les Gètes sont les premiers Scythes que les Grecs rencontraient sur le chemin des Hyperboréens et des Arimaspes. (6) Fr. Lenormant, La Grande Grèce, II?, p. 78. — Diog. Laert., VIII, 1, 9; Jambl., vit. Pythag., XIX, 90-91. (7 Jambl. vit. Pythag., XXVII, 133; XXVIII, 140; XXX, 177. (8) Voir pourtant : J. Bayet, Herclé, 2* partie, III, 11.

79

LES

Héraclès,

ORIGINES

lui aussi,

DE

L'HERCULE

se retrouve

ROMAIN

aux

principales

étapes

de la route « hyperboréenne » : il avait consulté sur la fin

de ses travaux l'oracle de Delphes (1), ou, plus vraisemblablement,

le chéne

prophétique

de

Dodone

(2).

L'Éridan

lui

avait vu interroger ses Nymphes sur le chemin qu'il lui fal-

lait suivre pour atteindre la terre des Hespérides (3). Deux fois, il avait touché au pays des Hyperboréens, lorsqu'il poursuivait la biche Cérynite, et quand, plus tard, il y alla

chercher l'olivier sacré qu'il vorlait transplanter dans l’Altis d'Olympie (4). Dira-t-on que cette dernière tradition est &usnecte, parceque Pindare est seul à nous la transmettre? Mais la mention des sources de l'Istros (5) est saisissante pour qui a présent à la mémoire le trajet des dons hyperboréens : qu'il s'agisse de l'Isonzo (6), ou peut-étre de la Save (7), il est sür que, dans l'esprit de Pindare, c'est ce trajet que suit Héraclés à partir du fond de l'Adriatique (8).

(1) Apollod., Bibl., II, 4, 12.

(2) Sophocl., Trach., 171 sq. et 1164 sqq. (3)

Apollod.,

Cf. Gruppe, de Grande

Piht.,

1I, 5, 11;

R. E., Suppl. Grèce

Schol.

III, 996. —

: Cf. J. Bayet,

Apoll.

Légende

Herclé,

Rhod.,

venue

IV,

1396.

--

sans doute

l.c.

(4) Pind., OI., IIT. (5) Id., ib., 15; Cf. 26. (6)

E.

Pais,

Italia Antica,

II, p. 379-400 (I due

Istri

e il monte

Apennino nelle Alpe Carniche secondo Strabone). (7) Un texte trés important d'Hérodote (V, 9) nous indique qu' « nu delà de l'Istros » habitait un peuple « scythique » les Sigynnes, dont les frontiéres confinaient aux Vénétes de l'Adriatique. Or les Scythes historiques étaient communément confondus par les Grecs et les Hyperboréens légendaires. (8)L'Istros, né chez les Hyperboréens (Eschyl in Schol. Apoll. Rhod., IV, 284; Schol. Pind., Ol., III, 25 et VIII, 62-63) était censé se diviser en deux et déboucher, d'une part " dans l'Euxin, de l'autre dans l'Adriatique (Apoll. Rhod., IV, 282-298; et Scholies, 284 et 321 sq.). C'était là la croyance courante qu'Apollonios de Rhodes « renouvelle » sulvant Timagétos (Schol. Apoll. Rhod., 1V, 291 et 259), en supposant que le Rhóne est, lui aussi un bras dérivé de l'Istros : tracé géographiquement

monstrueux, mais fort expressif des grandes voies commerciales. de l'Europe occidentale.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE Sans

doute,

dans

la tradition

classique,

71

Héraclés

par-

court-il toutes ces routes à pied, alors qu'à partir de Corcyre les échanges commerciaux se faisaient par mer. Mais M suffit de voir revivre le héros en son fils Hyllos pour être. assuré que ce n'est point un hasard si Héraclés se trouve

précisément à toutes les escales importantes de l’Adriatique (1) : on disait qu'Hyllos, né à Schéria, avait emmené

des colons Phéaciens jusqu'au fond de cette peuple

des

Hylléens,

voisin

de

l'Ilyrie,

mer,



perpétuait

nom (2).

le son

|

Ainsi le pays des Bouches du Pö était un riche terrain de syncrétisme légendaire, où les traditions hyperboréennes et héracléennes se mélaient, et peut-être, dans certains cas, se confondaient. Une ville comme Spina, tout hellénisée, put jouer dans ces régions un róle comparable à celui de Capoue en Campanie. Et, de là, la pénétration en Étrurie des lézendes grecques,

plus ou moins

déformées

déjà,

était

facile par des routes sürement attestées (3), en particulier par Pise et Caeré, cette dernière en relations directes avec Delphes. Étonnons-nous ensuite qu'une des traditions de la Pise italique en rapporte la fondation à Pisus, roi des Celtes, fils d'Apollon Hyperboréen (4), que les Hyperboréens se rencontrent aussi à Tarquinies (5). et qu'une légende relative à l'Hercule Romain le mette en relations avec une femme Hyperboréenne (6)! Certes, la Grande-Gréce a dü confirmer en Étrurie la faveur dont jouissaient ces traditions:

mais il semble bien qu'elles soient originaires du fond de l'Adriatique, et que, adriatiques.

(1) tone, (8) (3 (4)

par suite,

elles dépendent

des routes

Auxquelles il accéde à pied, en suivant la cóte depuis selon Diodore : voir supra. Schol. Apoll. Rhod., IV, 524; 540. Voir ínfra. Serv., Aen., X, 179.

(6) Steph. Byz., s.v. Taoxuvia.

(6) Dionys,

Halic., I, 43; Solin., I, 15.

Cro-

72

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

IV.



LES

ROUTES

DE

DIOMEDE

Les pays étrusco-latins étaient donc pour ainsi dire assiégés par les traditions grecques venues le long des voies commerciales trés anciennes qui menaient de la GrandeGrece en Campanie, et d'Apulie aux bouches du Pó. Tel culte, telle légende pouvait même accéder dans l'Italie Centrale de plusieurs cótés, sans que nous puissions fixer une chronologie méme approximative, ni par suite déterminer la provenance exacte de ce culte. C'est ainsi que Diomede (1) rayonna sur l'Italie de trois puissants foyers : Corcyre, l'Apulie et la Grande-Gréce; capable à lui seul de

jalonner les principales voies de pénétration Centrale. Dioméde à Corcyre est adoré en méme

dans l'Italie

temps que Médée,

cette Amazone des mers (2); et, de là, il partit explorer l'Adriatique, s'arrétant en Dalmatie, chez les Liburnes (3),

abordant Vénètes,

le

Timavus,



il éleva

au un

pays temple

de

l'ambre,

à

sa

et

chez

protectrice,

les Hera

Argienne (4); Spina méme le vit (5), d’où il pouvait prendre la voie de tere vers l'Étrurie. Mais les Italiens de l'áge classique reconnaissaient, méme dans leurs formules religieuses, comme « terre de Diomède » (6) le pays des Dauniens et les alentours du Mont Garganus.

(1)

Sur

La

région

Dioméde

en

lui était vouée

Italie,

voir

dés le VITI* siècle (7):

surtout

: E.

Pais,

Sicilia,

p.

573 sqq. et 588; Italia Antica, I, p. 169; Gruppe, G. M., p. 363; G. Giannelli, Culti e Miti della Magna Grecia, p. 52-61. (?) Heraclid. Pont., 27 (F. H. G., II, p. 220); Schol Lycophr., 615. — Cf. E. Pais, Sicilia, p. 573; Gruppe G. M., p. 357 et 545, n. 2; G. Giannelli, Culti e miti d. Magna Grecia, p. 56. (3) Plin., n. h., III, 141; Schol. Thucyd., I, 22, 2. (4) Strab.,

(5) (6) (7) 11, p.

V,

p.

215 C.

Scylax, 16; Plin., n. h., III, 16, 120. Liv., XXV, 12, 5 et 7. Mimnerm. (Bergk, 11*, p. 33). — Cf. E. Pais, Italia Antica, 48; G. Giannelli, op. cit., p. 52.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV" SIECLE Elpie, Siponte le reconnaissaient comme

73

fondateur (1); Ar-

gyrippa était sa ville (2); Lucéria (3), Canusium et Vénu— sia (4) se réclamaient de lui. — D’où était-il venu régner sur

la plaine Daunienne? Sa tombe, disait-on, s'élevait dans l'une des îles Diomédéennes (5) : n'est-ce pas l'indice d'une fondation maritime, d'abord, qu'il sera plus raisonnab'e d'attribuer aux Corcyréens qu'aux Rhodiens? — Quoi qu'il en 5011, c'est de là qu'il s’enfonca dans la montagne, par Aequus Tuticus et Bénévent (6), et qu'il arriva en Campanie, avec d'autres légendes apuliennes (7); il remonta

méme le cours du Volturne jusqu'à Vénafre, aux portes du Latium (8) : la route lui était ouverte, par les montagnes, vers Rome. Nous le trouvons enfin adoré comme dieu à Métaponte et Thourioi (9) : les Trézéniens, co-fondateurs de Sybaris,

l'y avaient à coup

sür introduit,

comme

divinité

natio-

male (10), en méme temps qu'ils acclimataient en GrandeGréce tant d'autres cultes, taat de légendes de leur pays. Peut-être méme n'était-il pas absent du territoire de Cro:

tone, où s'était établi Philoctéte qui lui était lié (11). C'est du terroir

achéen

que

son

culte

se

propagea

à

Tarente,

où d'ailleurs il ne recevait que des honneurs héroiques (12), et de ià peut-étre à Brindes, qui voyait en lui son fonda(1) Vitruv., I, 412; Strab., VI, p. 283 C. — Cf. E. Pais, Sicilia, p. 293 et 570 n. 4. (2) Lycophr., 592 sqq. (3) Lycophr., !. c. et Schol.; Strab., VI, p. 284 C; Verg., Aen., XI, 246. (4) Cf. E. Pais, Sicilia, p. 586, n. 5. (5)

Les tles Tremiti.



Cf. E. Pais, Sicilia ,p. 293; G. Giannel-

li, op. cit., p. 95. (6) Gruppe, G. M., p. 363.

(7) E. Pais, Sicilia, p. 588 sq. (8) (9) (10) (11) (12)

Solin., II, 10; Serv., Aen, VIII, 9; XI, Polemon, ap. Schol. Pind., Nem., X, Cf .E. Pais, Sicilia, p. 293; Gruppe, G. Gruppe, G. M. p. 685, n. 0. Ps. Aristot., de mirab. ausc., 106. —

eit,, Ρ. 43.

ἮΝ

246. 12. M., p. 192. Cf. G. Giannelll,

op.

74

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

teur (4). Mais à cela ne se borna pas le rayonnement du Dioméde

« achéen

».

Sans

doute

reste-t-il

incertain

si

ce

sont les traditions arcadiennes de Grande-Gréce, ou des rap ports directs avec la Campanie, qui ont donné à la légende

de Dioméde à Bénévent une couleur Cuméenne (2). Mais 68 Daunie méme, l'influence achéenne n'est pas niable: elle se révèle dans le culte d'Athéna Ilias, adorée en Siritide et à Lucéria, où l'avait transportée Dioméde (3), et qui, en Daunie, prenait le nom d'Athéna Achaia (4); aussi bien que par les légendes du Palladion, originaires de Tégee, liées à la fois au mouvement «arcadien» de Grande Grèce (5) et à l'arrivée de Dioméde en Italie (6). Et, surtout, elle se révèle certaine et d'une immense portée dans l'alliance de Dioméde avec Hera Argienne. L'Épopée italienne de Diomede débute en effet par cette scene de terreur nocturne, où le héros, chassé de son foyer. trouve un refuge en l'un des plus vénérables sanctuaires de

la Gréce,

auprés

de l’autel de Hera

d'Argos

(7).

Désor-

mais, aux principales étapes de son exil, il élévera un temple à sa protectrice: peut-étre à Sybaris (8); sürement

(1) Justin, XII, 9, 5. — ancienne.

M.

Giannelli

(op. cit.) croit la tradition

(2) Les défenses du sanglier d’Erymanthe, conservées à Tegee (Paus., VIII, 47, 2) se montraient aussi à Cumes (Paus., VIII, 24, 5 sqq.). Une méme relique, à Bénévent, avait été donnée par Dioméde (Procop., de b. goth., I, 15) : il est vrai qu'on l'attribuait en ce lieu au sanglier de Calydon, peu distinct de l'autre originairement (Gruppe, R. E., Suppl. III, 1045). (3) Strab., VI, p. 264 et 284 C. (4) Ps. Aristot., de mir. ausc., 109. (5) Cf. J. Bayet, Mélanges de l'École de Rome, XXXVIII (1920), p. 126 sq. (6) Cf. Gruppe, G. M., p. 364. — De la méme façon, Danaos est rattaché par Nicandre à la race arcadienne des Lycaonides. (7) Lycophr., 610 sqq. et Schol. Cf. G. Giannelli, op. cit., p. δέ.

(8) Culte

trézénien de Hera

Poliade

: G. Giannelli,

op.

cit.,

p. 114-117. Le miracle de la statue qui se détourne devant le s&crilöge rappelle celui du Palladion de Siris fermant les yeux pour ne pas voir massacrer les suppliants.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE à l'embouchure

75

du Seilaros, à six milles au nord de Posei-

dónia (1); et chez les Vénétes, aux abords du Timavus (2), à Bénévent (3); à Lanuvium enfin (4). Il est clair (les épithètes le prouvent) que, dans ces deux dernières villes, Hera recouvre une divinité indigéne; et instructif que la couleur « argienne » ait été donnée soi-disant par Dioméde à cette déesse italique. D'autres Junons encore seront dites argiennes; et surtout celles de Faléries et de Tibur (5), sans que Dioméde y soit pour rien. De sorte que cette expression tant de fois répétée de « Junon Argienne » pourrait sembler d'abord un simple ornement poétique, un rappel du sanctuaire le plus cher à Héra. Mais les caractéres de toules ces déesses sont bien nets; ils nous sont certifiés par de sürs documents, qui évoquent une Junon d'une physionomie originale, sceur ou cousiné de certaines Héras du Péloponnèse : celle d'Árgos en particulier. Sous les noms de Sospita ou de Quiritis (Sispis, Curritis), ce sont en effet des déesses guerriéres, ces Junons de Béné-

vent, Faléries,

Tibur,

« Argiennes » (6).

Lanuvium,

A bon

droit:

que

l'on

appelle

aussi

Hera

est

guerriére

assez

(1) La fondation du temple du Seilaros est attribué d'ordinaire à Jason; mais elle est due à coup sür aux Trézéniens : Cf. Ratioppi, Storia dei popoli della Lucania e della Basilicata, I, p. 119-120; G. Giannelli, op. cit., p. 145. — On n'oubliera pas l'union et 16 quasi-fusion à Corcyre des légendes de Dioméde et des Argonautes. ‘21 G. Giannelli, op. cit., p. 144-146. — Son groupement en ce lieu avec

Artémis

(Strab., V, p. 215 C) rappelle encore

son union

avec Artémis et Hippolyte à Trézéne (Paus., II, 32, 1-2). (3) Solin., II, 10. — Elle s'appelle là Iuno Quiritis : C. I. L., IX, 1547 et 2110. (4) Strab., V, p. 215 C; Appian., b. c., II, 20. —

Son nom est Iuno

Sospita. (5) Plin,

n.

h.,

III,

8;

Steph.

Byz,

s. v.;

Solin,

II, 7.



C. I. L., XIV, 8556; Verg., Aen., VII, 670; Plin., n. h., XVI, 44, 87; Solin., I. c. (0) Iuno Sospita armée : Cic., de nat. d., I, 29, 82. — Bouclier

mentionné

dans

une

prière à

Iuno Curitis de

Tibur : Interp.

Serv., Aen., I, 17. — Cf. C. I. L., XIV, 3556 (Tibur) : Iuno Currilis εἰ Argeia.

76

LES ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

souvent en Grèce (1); en particulier l'Hoplosmia d’Argos, qui reçoit le suppliant Diomède (2); et celle d’Elis qui semble avoir été étroitement groupée avec Athéna (3); de même encore celle de Crissa (4). — Un autre caractère plus singu lier de ces Junons italiques, c'est le rôle que la chèvre joue dans leur culte: que sa dépouille serve d'égide barbare à la déesse de Lanuvium, ou bien qu'à Faléries, selon un rituel antique, on chasse à coups de pierre une chévre (5). Mais

les Romains

étaient

persuadés

que cette

cérémonie

était

d'origine grecque, et méme argienne; et les modernes admettent cette opinion comme trés vraisemblable (6) : sans méme parler du culte d'Héra Aigophagos fondé par Héraclés à Sparte (7), des offrandes de chévres n'étaient-elles pas présentées à Hera Akraia de Corinthe (aussi bien qu'à Héra Aigophagos), et sürement aussi à celle d'Argos, qui lui servit de prototype (8)? Il est malheureux, sans doute,

que le seul monument qui pourrait nous servir ici ne soit (1) Eitrem, ἢ. E., VIII, 1, 409-403. — A Sicyone (Hera ᾿Αλέξανδρος : Schol. Pind., WNem., IX, 20) ; Myvènes (Paus., II, 17,3; Porphyr., Vita Pythag., 26,27)... (2) Lycophr., 614 (voir discussion à la note suivante); Schol. Hom., Il., XVII, 98. — Hera lutte contre Poseidón en Argolide, comme Athéna en Attique (Paus., II, 15, 5). — Jeux pentétéri-

ques à l'Héraion d'Argos, où le vainqueur reçoit un bouclier (Hygin., f., 170; 273); autres semblables à Egine (Schol. Pind., P., VIII, 113). — Cf. Gruppe, G. M., p. 1126, n. 1. (3) Schol. Lycophr., 610; Lycophr., 856-858 et Schol. : il en résulte que l'Hoplosmia du vers 614 n'est pas une Athéna, comme le dit par erreur le scholiaste, ad 614, mais une Héra, comme il l'affirme ad. 610. L'erreur s'explique par la similitude des fonctions; et aussi par le fait qu'à Olympie un autel est commun A Héra

et Athena

(Schol.

Pindar.,

Ol.,

V,

10).

(4) I. G. A., 314. — Ct. Eitrem, R. E., VIII, 1, 370. | (5) Ov., Am., III, 13, 4. — Sur la chèvre tenant lieu originellement

de la déesse,

cf. Frazer,

Golden

Bough,

I, p. 328, n. 4.

(6) Cf. Th. Panofka, Bull. d. Inst., 1848, p. 125; Gruppe, G. M., p. 1122, n. 3. (7) Paus., III, 15, 7; Diod. Sic. IV, 39. — Cette Hera Aigophagos était assimilée formellement à Iuno Sospita — Zwre:oa ; Festus

méme (p. 343) prétend que l'épithéte Sospita vient du grec σώζειν.

(8 Gruppe, G. M., p. 183; Eitrem, R. E., VIII, 1, 386 et 399.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

77

pas d'une interprétation certaine : il s'agit d'une monnaie d'Argos frappée sous Septime-Sévére, et qui représente peut-être la tête de Hera couverte de la peau de chèvre

comm:

celle de Junon

précédentes

suffisent

Lanuvina à justifier

proché les déesses de Lanuvium, vent, de la Héra Péloponnésienne

(1). Mais les Anciens Faléries, d'Argos.

les indications d'avoir Tibur,

rapBéné-i

Reste à savoir comment s'est faite cette assimilation. Que

Dioméde y ait joué un fort grand róle, c'est ce qui n'apparait pas douteux. point

a

rayonné

son

Mais on ne voit pas a-priori de quel influence

jusque

dans

l'Italie

Cen-

trale. Si son culte thourien remonte, comme nous le croyons, à l'antique Sybaris, il pouvait y étre rattaché à celui d'Héra Poliade; par malheur, les documents sur cette déesse nous font cruellement défaut: à peine nous permettent-ils de deviner en elle une terrible vengeresse des sacriléges. Mais le sanctuaire d'Héra Argienne aux bouches du Seilaros, fondation des Sybarites tombée sous la dépendance politique de Poseidónia (2), ne pouvait manquer d'étre un actif foyer de traditions achéo-trézéniennes; ni de faire place aux légendes sur Dioméde, qui, à supposer méme qu'elles ne fussent pas connues des Poseidóniates (chose impossible (3) ), convergeaient en ce point de Métaponte et de Sybaris-Thourioi. Aprés la fondation et l'accroissement de Capoue et Nola, les Étrusques s'avancérent jusqu'au cours du Seilaros, et contrôlèrent le culte de cette Hera (4) : si,

à ce moment

(fin du VI* siècle), la Héra Péloponnésienne

n'avait pas déjà influencé les Junons Guerrières de l'Italie Centrale, l'assimilation était désormais certaine. De ce côté, la pénétration du groupe Diomède-Héra se faisait non (1) Imhoof-Blumer, Numismatic Commentary (Journal of hell. Stud., 1885), p. 41, n. 26.

on

Pausanias

(2) Cf. E. Pais, Sicilia, p. 527.532 (La colonia dei Sibaritt alle foci del Silaro). (3) Cf. Paus., II, 32, 1-2. (4) Plin., n. h., III, 70 : Ager Picentinus fuit Tuscorum,

plo Iunonis Argiuae ab Iasone condito insignis, — III, 9.

tem-

Cf. Id., ib.,

DE L'HERCULE

ROMAIN

par les montagnes, mais par la voie semi-côlière, qui transportait jusqu'en Aricie les légendes trézéniennes (1), et sans doute Dioméde lui-méme (2). Lanuvium, oü le temple de Junon Sospita passait pour une fondation de Dioméde, et qui admit Rome à la participation de son culte en 338 8. C., était une étape de cette route partie de Grande-Gréce. Que ce soit par cette voie, ou par les montagnes (3), ou peut-être méme par les routes qui de Vénétie menaient en Étrurie, le héros argivo-trézénien, accompagnant la grande déesse argienne, arrive dans l'Italie Centrale: pionnier non moins hardi, mais moins illustre que son compatriote Heracles. Pourtant il a tracé en Italie des routes plus nettes que son heureux rival; et ce héros secondaire, par un bonheur étrange, à la fois confirme les itinéraires que nous avons essayé de jalonner entre les colonies helléniques et la partie centrale de la péninsule, et nous aidera peut-étre à retrouver le passage ferme et sür d'Héraclés .parmi l'incertitude des sources et le papillotement lassant des légendes que villes et bourgades créèrent à l'envi pour partici-

per à la gloire rayonnante, universelle du fils d’Alcm£ne. (1) Supra, p. 59. (2) Dioméde

en

Aricie

auprès

d'Artémis

:

Klausen,

/Eneas

und die Penalen, p. 1166. Junon aussi était dans cette ville une divinité essentielle, à laquelle un mois était consacré (Ovid, fast., VI, 59; Macrob., I, 12, 30). — Le groupement de ces trois personnes divines se retrouve précisément en Vénétie (supra).

(3) A partir de Vénafre, derniére fondation du Dioméde Daunien : l'assimilation de la Junon Curitis de Tibur à Héra Argienne pourrait y étre rattachée; mais sans aucune certitude, bien entendu. Voir infra.

-—

LES ORIGINES

-

78

IH Héraclés — dans le domaine

Herclé étrusque

Depuis la seconde moitié du VI* siècle, les pénétranfes légendes helléniques qui cheminent par les voies terrestres à partir de la Grande-Gréce, de l'Apulie, ou des Bouches du Pö, ne peuvent influencer directement le Latium. De toute part la domination étrusque s'étend autour de la Campagne Romaine, dont la liberté elle-méme, un temps, est illusoire ; filtrant à travers la plaine du PÔ ou la Campanie étrusquisees, les traditions et les cultes grecs doivent se charger d'éléments étrangers, changer de saveur, quelle que soit d'ailleurs l'habituelle servilité des Tyrrhéniens à accueillir les nouveautés venues de Gréce. Les routes maritimes restent plus libres, ouvertes aux hardis matelots phocéens de Marseille et d'Hyélé; dégagées

au profit des marines cuméenne et syracusaine palla victoire d'Hiéron

(vers 474 a. C.).

Mais

les Tyrrhéniens

res-

tent encore trop puissants pendant plus d'un demi-siècle pour que le trafic maritime échappe tout à fait à leur contröle : si les vaisseaux de Svracuse et de Cumes viennent aborder directement au pied de l'Aventin, ils ancrent bord à bord avec des navires carthaginois ; et le trafiquant hel.

léne rencontre à chaque instant dans le faubourg les étraugers, étrusques ou sémites, qui lui disputent ou partagent avec lui le marché Romain.

Il est donc difficile d'imaginer qu'un Héraclés grec d'une relative pureté ait pu, entre 550 et 450 environ, accéder à Rome sans intermédiaire; et, presque obligatoirement, cet

intermédiaire est étrusque, si le dieu arrive par terre ; s'il arrive par mer, confiné dans un quartier international, gar-

80

LES ORIGINES

DE L'HERCULR

ROMAIN

dera-t-il son originalité? Et s'il entre à cette date dans la Ville, tout étrusquisée encore de mœurs et de culture, quelles déformations son culte et sa légende ne subizont-ils pas, consciemment ou non ? — Il est donc aussi impossible d'étudier séparément l'Hercule Romain et l'Hercule étrusque, que de prétendre les abstraire l'un et l'autre de l'Héraclés grec.

I.



LES

RELATIONS

MARITIMES

DU

MONDE

TYRRHÉNIEN

Le commerce maritime des Etrusques rayonne .au loin, suivant ou croisant les routes que tracent les vaisseaux phéniciens et carthaginois, phocéens et cuméens. Les diverses influences se succedent et se mélent avec une mobilité semblable à celle des flots: aux importations phéniciennes se substituent celles de Cypre; et, presque aussitót, la puissance du commerce phocéen s'affirme avec autorité dans

le monde

étrusque. Les

Phocéens

Les Phocéens entreprennent à la fois, par leur établissement en Corse (vers 560) et leurs tentatives en Sardaigne, de contróler le trafic tyrrhénien et d'écarter les Carthaginois (1): avec une surprenante activité, ils semblent vouloir se rendre maitres de toute la Méditerranée occidentale. On sait la catastrophe : l'union des Carthaginois et des Étrusques, la défaite des Phocéens réduits à leurs positions. de Marseille et d’Hvel& (en 537 a. C.), et à la piraterie (2\. Mais la guerre de course est négligeable, en comparaison du trafic. Les Étrusques avaient à peine enseveli les prisonniers phocéens sauvagement lapidés à Caeré, qu'ils semblent avoir eu recours aux Massaliotes et aux Éléates pour

leurs échanges avec l'Asie Mineure

(3). Aussi bien l’Etru--

(1) S. Gsell, Histoire àncienne de l'Afrique du Nord, I, p. 414, p. 421 et n.1. (2) Lire l'histoire de Denys de Phocée (Herod., VI, 17).

($) Échanges

entre l'Asie Mineure

et Marseille

par Phocée

:

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI" AU IV° SIECLE

δι

rie du nord que celle du sud purent alors subir l'influence phocéenne. D'un côté, Pise fut peut être une factorerie des Phocéens

(1);

Populonia,

avec

(2).

De l'autre,

eux

directement

la fondation

Volterra,

Chiusi

Agylla-Caeré,

d'Alalia

commercérent

qu'avait

(3), expiuit

menacée

le meurtre

des Phocéens au sanctuaire de Delphes (4); et le tyran étrusque

de Rome,

Tarquin

(l'Ancien,

dit

la

tradition),

avait

noué « des colloques d'amitié et de trafic » avec les Phocéens venus de Tartessos (5): réalité, ou préfiguration des €troites relations entre Marseille et Rome, que l'histoire ‘nous atteste au moins à partir du début du IV* siècle, et peut-étre avant, en plein V* siécle (6) ? Ces hardis coureurs des mers, pirates et trafiquants, son-

geaient au gain d'abord,

mais non point toujours; vivan-

tes images des héros légendaires, les Phocéens, de leur grande

expansion,

au moment

entre 540 et 535, avaient « élevé

des temples » sur tous 'es rivages d'Occident (7). Les Massaliotes ont suivi leur exemple:

qui les avait accompagnés

Leucothéa,

depuis

la déesse

Phocée

marine.

(8), et qu'ado.

raient aussi leurs compatriotes Éléates (9), ils la firent connaître, nom, et peut-être culte, aux Étrusques de Pyrgoi, le port de Caeré, et sans doute aux Romains. Lorsque leurs

commercants formérent au pied de l’Aventin un groupe qui, €. Jullian, Histoire de la Gaule, I, p. 222. — Monnaies de Marseille et Hyélé trouvée en Étriürie à côté de monnaies de Phocée : Müller-Deecke, Die Etrusker, I, p. 382 G. Busolt, Griech. Gesch®.,

I, 440 et n. 1 et 2.

(1) E. Pais, Sicilia, p. 281-283; Italia Antica, II, p. 333. (2) Populonia dite colonie des Phocéens

venus

de Corse

(Serv.,

Aen., X, 172. — Cf. E. Pais Sicilia p. 281); — monnaies phocéennes à Volterra et Chiusi (C. Jullian, Hist. de la Gaule, I, p. 217). (3) C. Jullian, op. cit., I, p. 217-218.

(4) Sans doute témoignage de l'influence grandissante d'Hyélé: «Cf. Norden, Verg. Aen. VI*, p. 229. (5) t n. (6) (7) (8) (9)

Justin., XLIII, 3, 4; 5, 3. — Cf. C. Jullian, op. cit., I, p. 260 2. C. Jullian, op. cit., I, p. 392 et 395 sq. Id., ib., I, p. 218. Cf. Gruppe, G. M., p. 276, n. 2; 376, n. 2. Id., ib., p. 376, n. 2.

82

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

au début du IV* siècle, acquit des privilèges considérables (1), ils voulurent retrouver dans la Diane Aventino. leur grande déesse poliade, et accréditérent la légende que la statue de culte Romaine n'était qu'une réplique de l’Éphé-

sienne de Marseille (2). — Cette présence, cette aclion des Phocéens

aux bords

du Tibre,

Occasion presque unique

c'était pour

les Latins une

(si l'on ne tient pas compte

des

commercants de Cumes) d'entrer en contact direct avec les divinités helléniques. Héraclés leur apparut-il ainsi dans sa. fraicheur premiére? Nous n'en savons rien. Les indices qui nous font soupconner son culte à Marse'lle (3) sont in- ὁ suffisants à retracer une physionomie assez précise du hé. ros pour qu'on puisse le suivre et le retrouver à coup sür en terre etrangere. Les

Carthaginois

Si l'influence du commerce dans

l'Italie

Centrale,

celle

phocéen dut être fort grande des

Carthaginois

n'apparait

pas moindre. Héritiers directs des Phéniciens qui aux VIIT* et VII* siécles avaient cherché en Occident des débou. chés à leur industrie, ils semblaient devoir étre les ennemis irréconciliables de toute thalassocratie, qu'elle füt tyrrhénienne ou phocéenne : de fait, ils écartèrent tous leurs

rivaux des routes océaniques et sud-hispaniques (4). Mais. le péril grec les rapprocha des Étrusques dés le dernier tiers du VI* siécle. On ne saurait exagérer l'importance de cette (1) C. Jullian, op. cit., I, p. 395 sq. — Cf. la tradition eur le cratére dédié par les Romains à Delphes aprés la prise de Veies,. et déposé dans le trésor des Massaliotes (Diod. Sic., XIV, 93; Appian.,

1tal., 8).

(3) Strab., IV., p. 180. (3) Portus Herculis — Monaco; Heraclea Rhodani = St-Gilles ἢ; Heraclia Caccabaria Jullian,

op. cit.,

I, p. 397, n. 2; 400, n. 2; 398,

oppidum in ostio. — St-Tropez ? (C. n. 5; Cf. Id.,

ib.,

I, p. 432).

(4) Cf. la tradition

des tentatives étrusques vers Madère

(?) :

Diod. Sic., V, 20, 4 (Cf. S. Gsell, Hist. Anc. Afr. Nord, IV, p. 116).

— Tentatives avortées des Phocéens sur Tartessos.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

83

alliance, à la fois commerciale et politique, qui ne se rompit que vers 322-310 (1), et qui, avec Rome, fut sanctionnée par des traités bien connus (2) : une colonie de trafiguants

carthaginois

est

ports de Caeré (3), comme

attestée

à

Punicum,

l'un

des

la présence de marchands étrus-

ques à Carthage (4). Mais du point de vue qui nous occupe, religieux et légen daire, quelle pouvait étre leur influence ? — Bien différente cerles de celle des Grecs, quels qu'ils fussent. Ceux-ci en effet,

fortement

bien presque dental com'e

établis

comme

en

Grande-Grece,

isolés aux extrémités à Marseille, gardaient

traditions nalionales,

pures

ou,

au

du monde jalousement

pis, modifiées

ou

occi leurs

selon

le

mème esprit qui les avait „utrefois créées. Les Carthag:nois au contraire touchaient toute côte, entraient en rapports avec

chacun,

acceptaient

de

toute

main,

comme

si

leur rôle mondial eût été de réaliser un syncrétisme absolu, où l'Hellénisme et la Barbarie, l'Orient et [l'Occident au-

raient confondu leurs apports. Et qu'on ne limite pas aux colonies internationales de marchands, ni à Carthage méme. se singulier travail οὐ Héraclés et Melqart, Tanit et Aphrodite, échangent et brouillent leurs originalités. Un travail plus confus, à nous insaisissable, mélait perpétuellement les races dans les camps carthaginois, confondait sous le méme

commandement

Africains,

Espagnols,

Gaulois,

Li.

gures, Sardes, Grecs et Campaniens, et renvoyait les survivants, agents inconscients de transports légendaires, dans

leurs anciens foyers, à moins qu'il ne les fixát, noyaux de (1) Mommsen,

7list.

Rom.,

I, p. 324.



Cf.

Aristot.,

Pol.,

III,

5, 10-11 : Carthaginois et Etrusques ne forment qu'une seule cité.

(2) En

508 selon la tradition

peut-être légendaire;

en 343 et

279 a. C. (3) A. Solari, Topografia Storica dell’Etruria, I, (1918), p. 210. — Cf. l'alliance entre Caeré et Carthage (Herodot, I, 167). Des relations précises entre Carthage et Tarquinies ont été r&cem-

ment mises en lumiére par M. J. Carcopino, Les influences puniques sur les sarcophages étrusques de Tarquinia (Atti Pontif. Accad. Rom, di Archeol., ser. III, Memor., I, 2, p. 109-117). (4) Dédicace étrusque à Melqart, patron des navigateurs.

84

LES ORIGINES DE L'HERCULE

ROMAIN

cultes etrangers, dans .de nouvelles régions. Sans compter les réactions et le va-et-vient que provoquaient entre l'Italie el la Sicile les immenses et sanglantes expéditions des V* et [V* siecles. Il faut,

sans

doute,

renoncer

à iracer un schéma,

méme

approximatif, de la succession de ces influences. Mais on peut indiquer au moins les principaux centres occidentaux des trafiquants et des recruteurs Carthaginois. Avec Marseille la guerre et la paix alternent, l'entente est relative et intermittente

gligerble

(1); mais

/2;; sans

le commerce,

semble-t-il,

non

ne-

posséder de véritables colonies sur la

cóte de Provence et de Ligurie, Carthage y recrute des morcenaires, et déjà pour la grande expédition de 481 en Sicile (3). La Sardaigne est pour eux plus importante; cette ile, qu'ils ont soustraite aux tentatives des Phocéens et aux convoitises des loniens (4), leur sert à la fois de place et d'entrepót pour le commerce avec les Etrusques et peutêtre Jes Massaliotes (5), d’esc.ıle pour les échanges avec l'Espagne méridionale (6), de base militaire contre la Sicile (7). En face de la Sardaigne, la Campanie offrait aux Carthaginois un vaste et riche marché (8); mais aussi. ἃ partir des dernieres années du V* siécle et pendant tout le IV*, un réservoir de mercenaires (9), qu'ils utilisérent en (1) S. Gsell, op. cit., T, p. 460 sq. (2) S. Gsell (op. cit., IV, p. 144 sq.) nous semble hypercritique: vases puniques à Marseille et Ampurias; monnaies à Monaco, Marseille, Besancon. (3) S. Gsell, op. cit., I, p. 435; p.

‘à Cf. 170). (b) S.

les conseils Gsell,

(6) Nora tessos

op.

de Bias

cit., IV,

en Sardaigne

(Solin,

IV,

p.

121,

fondée

1; Paus.,

X,

461, n. 2.

de Priéne, n.

vers 540

(Herodot.,

I,

1.

soi-disant

par des rois de Tar-

17, 5).

(7) H. Philipp, R. E., I A 2, Sardinia, 2490, 31 sqq. (8) Un exemple curieux de l'activité des échanges a été récemment fourni par l'abondance des débris de poteries csmpaniennes employés dans les remblaiements du temple de Tanit à Carthage.

(9) Déjà 44, 2.).

utilisés

par les Grecs

Chalcidiens

(Diod.

Sic., XIII,

L'ITALIE HERACLEENNE

DU VI* AU IV* SIECLE

85

Afrique (1), en Sicile surtout, où ces sans-patrie, passant sans scrupule du service de Carthage à celui des Sicihotes, ou réciproquement (2), finirent par se créer des fiefs indépendants (3). Peut-être enfin que, vers 383 a. C., les Carthaginois purent espérer imposer une sorte de protectorat polilique à la Grande-Grèce (avec laquelle ils entre-

tenaient d'ailleurs des relations commerciales),

lorsque les

Italiotes, qui jusque-là avaient prêté leur aide aux Siciliotes menacés par les Puniques (4j, solliciterent leur alliance et introduisirent leurs troupes en Italie contre Denys l'Ancien (5). Dans

ces

conditions,

il apparait

également

impossible

que les Carthaginois n'aient pas influence, ou complété, certains Hercules italiques, et surtout étrusques; et qu'ils aient introduit dans la péninsule, toute pénétrée déjà d'hellénisme, leur Melqart pur et non modifié. Leur action ne se trahira que par quelques détails, expressifs parfois. mais. le plus souvent, d'interprétation incertaine. Les

Syracusains

Celle de Syracuse dut étre assez médiocre sur l'Italie Centrale, parce que cette ville se présente plus exclusivement comme l'adversaire à la fois des Tyrrhéniens οἱ des Carthaginois

(6).

Pendant

le V* siécle,

elle travaille

de fa-

con visible à contrôler le commerce étrusque, surtout peut. étre l'exportation du bronze et du fer (7). L'expédition (1) Diod. (2) Diod. 61. 5-7. (3) Diod. (4) Diod. 63, 4. 15) Diod.

(6)

Sic., XIII, 80, 4. Sic., XIII, 85, 3: 88, 5; XIV, 8, 5-6; 9, 1-2; 9, 8-9; 15. 3; Sic., XVI, 67, 34; 82, 4. Sic., XIII, 88, 7; 91, 1; 109, 1; 110; XIV, 56, Sic., XV, 15, 2-3.

Avec Marseille, elle entretient au

contraire

1; 62, 1;

d'actives re-

lations commerciales, sanctionnées par une entente formelle : cf. C. Jullian, Hist. de la Gaule, I, p. 392, n. 6; 407, n. 7; 408, n. 3. (7)

Bataille

de

Cumes

en

474;

dévastation

de

la Corse,

tribu-

taire des Étrusques, en 453; occupation de l'île d'Elbe, la méme année. — Cf. les noms grecs (Artémisia, Planasia, Aethalia,

80

LES

ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

athénienne contre Syracuse donna aux Étrusques l'espoir de se soustraire à cette emprise : un contingent Tyrrhénien s'adjoignit à l'armée de Nicias (1), qui s'appuyait aussi sur les cités attico-achéennes d Italie (1hourioi, Métaponte) et chalcidiennes de Sicile (Naxos, Catane). Mais l'éclipse de la puissance Syracusaine fut bréve : la « course » de De-

nys l'Ancien contre Pyrgoi en 384 (2), l'afluire du pirate « tyrrhénien » Postumius, pris et tué dans le port de Syracuse par Timoleon en 339 (3), suffisent à montrer que le dessein d’annihiler la marine étrusque n'était pas abandonné par la grande eiié dorienne (4). De lels rapports ne semblent pas favoriser l’hypothèse

d'une

influence

directe religieuse ou légendaire

de Syra-

cuse sur l'Italie Centrale. Non cependant qu il faille nier l'escale de navires syracusains sur les côtes tyrrhéniennes et dans le port de Rome. Mais, à supposer gu'ils eussent apporté avec eux Héraclés, c'était celui de la source Cyanée,

un

allié

de

Perséphone,

assez

peu

différent,

sans

doute, de l'Héraclés Trézéno-Poseidóniate (5): de toute facon donc, il serait assez difficile de le déceler. Quant à la mention de nombreux mercenaires étrusques dans l'arniée d'Agatliocle opérant en Bruttium vers 300 a. C. (6), eile est trop tardive pour que nous ayons à en tirer ici aucune conséquence. j Aigilion)

des

ce phocéenne.

iles toscanes

: sans

— Voir : Helbig,

exclure

pourtant

unc

influen-

Rendic. d. Lincei, V, 1889, p. 79;

De Sanctis, St. dei Romani, II, p. 179 et 190; E. Pais, St. Critica di Roma, I, p. 723 et 804; Solari, Top. slor. d. Etruria, I, p. 56;

II?, p. 97 sq. et 167. (1) Thucyd., VI, 103; VII, 53, 54, 57. (2) Diod. Sic., NV, 14, 3-4. (3) Diod Sic., XVI, &2, 3. x (4) Sur une sorte d'hégémonie (nous dirions plutôt « contrôle ») de Syracuse sur l’Etrurie maritime et sur Rome, au IV: siècle : voir : E. Pais, Ricerche, Ὁ. 313 sq.; J. Carcopino, Virgile et les origines d'Ostie (1919), p. 589, n. 2. (5) Diod. Sic., IV, 23, 4. Voir supra, p. 24. (6) Cf. Fr. Lenormant, La Grande-Gréce, 113, p. 130; III, p. 172.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI‘ AU 1V* SIECLE

87

Conclusion

À ces trois villes se limitent

les relations

conımerciales

par mer des Etrusques (celles qui nous intéressent, du moins), et les possibilités d'influence directe. Avec Cumes, nous ignorons si leurs échanges se faisaient plutót par mer que par terre; au surplus, les Étrusques étant installés ea Campanie

dès le VI° siècle, le probléme des actions et réac-

tions religieuses se pose différenunent, comme en toute région de population mélée. M. Seltman a supposé (1) un

commerce actif entre l'Attique et l’Etrurie déjà au VI* siècle; mais, tout en affirmant que les types des plus anciennes monnaies étrusques (premiére moitié du V' siécle) sont copiés sur les espéces des « Eupatrides », il doit reconnaitre lui-méme que nulle part en Italie, sauf à Tarente, on n'a trouvé de primitives monnaies

ressemblances

qu'il

invoque

sont

d'Athénes ; d'ailleurs,

les

des plus douteuses

(2).

Quant aux vases attiques, jusque vers 480, ce sont exclusivement les Joniens, semble-t-il, ou les Achéens, qui les

importent en Étrurie (3). Il n'y a donc pas à tenir compte de cette hypothése. Tres fuyantes, trés incertaines sont les influences dues au commerce maritime. On ne peut Suivre leurs progrès, comme on le fait le long des routes terrestres ; on ne saurait mesurer leur extension réelle, ni admettre qu'elles puis-

sent se conserver longtemps avec quelque pureté des qu'el. les s'éloignent des ports. Il n'est pas vain cependant d'en établir la seule réalité : les caractères phocéens ou sémitiques d'Herclé, si nous en décelons, cesseront de paraître étranges pour qui songera que des trafiquants marseillais et carthaginois fréquentaient les marchés maritimes étruscolatins, s'y établissaient en colonies, et y acquéraient méme des priviléges. (1) Seltman, Athens : its history and coinage before the Persian invasion (1924), p. 131 sq. (2) Les types étrusques de la Gorgone, de la Roue, du Vase, de la Chouette, sont trés différents des mémes types attiques.

(3) Haebel, Merkantile Inschriften auf attischen Vasen Jardé, La formation du peuple grec, p. 239.

(1909);

88

LES

II.



ORIGINES

HERCLÉ

DANS

DE

L'HERCULE

L'ÉTRURIE

ROMAIN

PROPREMENT

DITE

Une localisation chronologiquement indiscutable d'Herclé dans les diverses cités du domaine étrusques est à peu pres impossible. Lorsque des monnaies de type héracléen appa: raissent en Étrurie, vers le milieu du IV° siècle (1), toutes les antiques et puissantes cités de l’Etrurie Méridionaie sont déjà détruites ou soumises au protectorat romain, et ne peuvent plus, par ce moyen, témoigner de leur vie religieuse.

Même

une monnaie

sans

lieu de

frappe,

comme

le

didrachme portant la téte d'Herclé de face, ne saurait leur étre attribuée;

et, si c'est

une

monnaie

confédérale,

on la

rapportera, étant donné sa date, au groupe des cités septentrionales (Volterra, Populonia, Vetulonia) (2), sans beaucoup s'aventurer. Au pis, avouons notre ignorance, et n'en tenons nul compte. — Restent des témoignages non datés; ou les monuments d'origine parfois incertaine : fort évocateurs cependant, et qu'il ne faut pas se háter de récuser. s'ils peuvent nous faire atteindre un degré suffisant de pro-

babilité. L'Etrurie méridionale : Caeré Les « lieux » héracléens de l'Étrurie méridionale sont au nombre de quatre : Vulci et Caeré; Véies et le lac Ciminius; deux cités maritimes d'une part (3); de l'autre, deux étapes de la grande voie terrestre qui, de Chiusi,

par la forét

Ciminienne, débouchait entre Sutri et Nepi vers le cours de la Crémére et la basse-vallée du Tibre (4), qui donnait aussi à Véies, tant que Rome

ne la détruisit pas, un accés direct

à la mer. Il est difficile de connaitre l'Herclé de Véies, dont un ar-

tiste étrusque modela l'image dans les toutes dernières an(1) Voir

: J. Bayet,

(2) Voir infra. (3) Solari, Topogr. (4)

Herclé,

stor.

Id., ib., I, p. 178 sq.;

1" partie, IV.

d. Etruria, p. 46-47;

I, p.

133-135;

route de la premiére invasion gauloise.

37 et n. 3; p. 157-158.



|

C'est

10& le

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE nées du VI* siècle, ou les premières du Apollon sa biche, selon un type tout

89

V*: il dispute à hellénique, mais

rare (1). L'Apollon au cerf est représenté avec éclat dans l'Achaie italiote par le dieu de Caulonia ; est-ce de là qu'il vint à Véies ? est-ce de là que vint avec lui Héracles ? Nous n'en savons rien. Que dans Véies existe Herclé,

à cette date

reculée, avec des attributs purement grecs, c'est beaucoup sans doute; mais rien ne nous dit qu'il y füt adoré comme divinité dans une temple particulier. Bien pius tard, une épigraphe votive du territoire de Véies (2) nomme Jupiter Tonnant et Hercule Musinus : s'il s'agit vraiment d'une dyade nationale, il se pourrait que cet Hercule fût le descendant

legitin:e

de

l'Herclé

Véien;

en

ce

cas,

dieu

d'un

mont et uni à la grande divinité du ciel, il ne se distingue en rien de l'Héraclés « commun » des temps classiques. Dans la forét Ciminienne, Herclé a fait jaillir les eaux et a créé un lac (3): bien différent de l'Hercule Véien, il apparait donc plutót comme un dieu chthonien. Mais aucun caractère spécifiquement étrusque ne nous permet a priori d'affirmer que le héros ciminien est distinct d'Héra. clés créateur de sources, ou pour lequel jaillissent des sour-

ces (aux

Termopyles,

à Himéra,

etc.).

|

Vulci et Caeré semblent avoir eu beaucoup plus d'importance dans l'élaboration d'Herclé. Ce sont des villes ava^t tout maritimes; mais leur influence pouvait pénétrer au cœur

du

pays

Fiora; celle divergent du sont précises conde moitié

étrusque,

celle de Vulci

par

la vallée de

la

de Caeré, par les petites rivières côtières qui lac Sabatinus. Leurs relations avec les Grecs et anciennes : l'une et l'autre ont, dans la sedu VI* siécle, adopté l'art grec-ionien, hébergé

sans doute des ateliers de potiers et de bronziers hellénes, et mis au point,

grâce à eux et à leurs élèves indigènes,

des

formes d'art originales et savoureuses : trépieds de bronze,

vases polychromes, (1) (9) (3) (4)

d'un éclectisme déjà trés sensible (4).

Cf. J. Bayet, Herclé, C. I. L., XI, 3778. — Cf. J. Bayet, Herclé, J. Bayet, Herclé, 1”

2* partie, II, rrr. Cf. Solari, op. cit., I, p. 160 sq. 3° partie, I, 1. partie, I, 1 et 11.

90

LES ORIGINES DE L’HERCULE ROMAIN

Vulci, ville du bronze, par son port de Talamon, se rapprochait des centres miniers de l'Étrurie septentrionale, ouvrait au trafic des Grecs la vallée de l'Albegna (1), influençait Rusellae et Saturnia; elle-même commerçait avec Cumes,

et parait,

aprés

474,

avoir, dans une

certaine me-

sure, succédé à la prospérité de Tarquinies (2), si puissamment orientée vers l'Italie méridionale : rien d'étonnant donc à l'abondance du matériel gréco-étrusque que l'on retrouve dans la vallée de la Fiora (3). Ainsi placée, si apte à recevoir, assimiler et répandre les idées grecques, Vulci connaissait dés la seconde moitié du VI* siècle l'image d'Héraclés

tracée

à satiété

sur

les vases

à figures

noires qui

abordaient en quantité prodigieuse dans ses ports; elle la reproduisait, d'aprés des modéles ioniens, dans les ateliers mixtes d'où sortaient vases et trépieds de bronze. Mais

d'un culte précis d'Herclé, nulle trace. Nous avons pourtant le droit d'affirmer que

la légende

du héros

était ré.

pandue dans ce territoire: aurait-on, sans cela, imaginé, sur

une

fausse

étymologie,

l'origine

(4), lorsque

grecque

de

les Vulciens

Talamon,

au

IV* siècle sans

doute

s'y installè-

rent fortement loin de Cosa, Vulci, Strabon navigatevrs (5)

pour assurer leur défense maritime ? Nou que les Romains fondérent pour supplanter mentionne le port d'Héraclés protecteur des : de ces parages, les échanges étaient faciles

avec la Sardaigne (6), et une influence sardo-carthaginoise pouvait raviver les traits marins de la physionomie d'Héraclés, presque effacés chez les Grecs. Mais nous avouerons volontiers que ces indices ne sont pas des preuves d'un culte ancien d'Herclé à Vulci. I! en est tout autrement à Caeré, oà coulait une « source

d'Hercule » : source d'origine volcanique (comme le lac Ciminins), et qui fournissait des présages (7). Le culte pou(1)

Solari,

op. cít., I, p. 204-208.

(2) Von Duhn, Bull. d. Inst., 1878, p. 162. (3) Solari, op. cit., I, p. 204.

(4) E. Pais, Sicilia, p. 443; A. Solari, op. cit., II*, p. 160-161.

(5 Strab., V, p. 225 C. (6) Rutil. Namat., I, 293 sqq. — Cf. A. Solari, op. eit., I, p. 54.

(7 Liv., XXII, 1.

L 1TALIE

HERACLEENNE

DU

VI‘ AU

IV’

SIECLE

91

vait en remonter à la fin du VI° siècle, où l'influence grecque s'affirme avec éclat dans

Caeré

par l'atelier des

pein-

tres de vases étrusco-ioniens. La ville était antique, son expansion commerciale puissante, ses rapports avec les Grecs constants : avec les Italiotes de Grande-Gréce surtout, semble-t-il (1), car les Phocéens, elle chercha sans pitié à les détruire aprés la bataille d'Alalia : ces demi-pirates lui inspiraient, non sans raison, moins de confiance que les lents cheniineaux de terre ferme. Mais déjà l'hellénisme avait pris à Caeré la forme précise de la dévotion religieuse au sanctuaire de Delphes, si vénéré dans les cités grecques de l'Italie méridionale. Dans Alsium, premier port de Caeré et proche du Latium, les légerdes Pélasgiques avaient cours, jointes à la tradition d'une fondation argienne (2); le nom

méme

était grec, comme

d'ailleurs celui de Pyrgoi,

autre

port de Caeré, où le temple de Leucothéa groupait les trafiquants hellénes et témoignait que l'hostilité politique n'empéchait pas les Cérites d'adopter les divinités secourables de leurs ennemis (3). — Mais, d'autre part, l'étroite alliance de

Caeré avec Carthage (4) se prolongeait à coup sûr par des relations commerciales dont le nom d'un troisième port, Pu. nicum, nous conserve le souvenir (5). Ainsi Caeré asparaîtelle comme un actif foyer de syncrétisme légendaire et religieux. L’Heracles qu'elle avait recu des Grecs en fut-il modifié ? Nous le croyons, mais sans pouvoir l'affirmer. Or Caeré, florissante au V* siécle et dans les premiéres années du IV*, était plus en état que toute autre d'agir sur

Rome. Virgile nous rappelle son hégémonie sur le Latium (6); les fouilles et les recherches modernes conflrment son (1) Voir infra, ce que nous disons de l'alphabet latin. (2) Dionvs. Halic., I, 20; Sil. Ital., VIII, 474. — Cf. A. Solari, op. cit., I, p. 190. (3) Arist., CEc., II, 20, 9; Diod, Sic., XV, 14; Strab., V, 226 C. — Cf. A. Solari, op. cit., I, p. 124-125; 127-128; 182; 195. (4) Herodot., T, 167.

(5) Dès le VIe siècle peut-être : E. Pais, Sicilia, p. 150 et 151. — Cf. A. Solari, op. cit., I, p. 210.

(0) Verg., Aen., VIII, 478 sqq.

92

LES ORIGINES DE L’HERCULE ROMAIN

influence sur Rome (1) : entre autres bienfaits, la ville latine lui devait, disait-on, l'écriture (2); et il semble en effet

positif que l'alphabet latin vient non point des Chalcidiens, mais de l'alphabet grec-« pélasgique », en partie achéen, par l'intermédiaire de l'étrusque (3). L'alliance religieuse des deux cités s'affirina au moment de l'invasion gauloise (Δ᾽ ; et, dés ce moment, l'absorption de Caeré par Rome se pré. pare : elle devait s’achever vers 353. — Ce n'est point avec des matériaux si peu homogénes que l'on se risquera à construire une hypothèse. Du moins, si l'Hercule Romain

a emprunté à une date ancienne quelques traits à Herclé, nulle cité de l'Étrurie méridionale ne paraît avoir été plus propre que Caeré à les lui transmettre. Dans notre indigence de documents, elle fait pourtant figure. la premiere

en Étrurie, de ville héracléenne : à ce titre, nul n'a le droit de négliger les misérables lueurs de nos connaissances actuelles.

L’Etrurie

septrentrionale : Volterra

Tandis que Caeré s'éclipsait dans la grandeur Romaine, trois cités de l'Étrurie septentrionale faisaient gloire, sur leurs monnaies, de leur dévotion à Herclé : Populonia, Vetulonia et Volterra (5), — Vetulonia était la plus ancienne; mais Volterra, qui s'était fortifiée sur son âpre colline dés

le VII* siécle, supplanta bientót son ainée daus la région (6). Pour le culte d'Herclé, elle paraît avoir précédé les deux (1) Cf. Not. d. Scavi, 1899, p. 161. (2) Solin., II, 7. (9) A.

Hammarstróm,

Beilraege

zur

Geschichte

des

Etruskis-

chen, Lateinischen und Griechischen Alphabets (Acta societatis scientiarum fennicae, XLIX, 2) (Helsingfors, 1920). — Cf. A.

Grenier, L'alphabet de Marsiliana et les origines de l'écriture à Rome (Mélanges de l'Ecole de Rome, 1924, p. 3 sqq). (4) Gell, XVI, 13. — Mais alliance serrée avec Rome siécle (Liv.,

V, 40, 10; Strab., V, p. 220 C. —

Cf. Homo,

dés le Ve L'Italie

primitive et les débuts de l'Impéríalisme Romain, (1925), p. 179). (5) Voir : J. Bayet, Hercle. 1"° part., IV, πὶ et vi. (6) Cf. A. Solari, op. cit., 113, p. 85-87.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

93

autres villes : ses monnaies aux types de Janus et de la massue s’echeionnent de 350 environ jusqu'apres 269 a. C. celles de Vetulonia (téte d'Herclé; trident entre deux dauphins) et de Populonia (téte d'Herclé?; armes d'Herclé) datent respectivement de 269-217 et 269-250. L'hégémonie volterrane n'avait elle pas imposé le dieu aux cités cötieres qui assuraient sa prospérité (1)? Quoi qu'il en soit, pour nous, les trois villes ne sont pas séparables. — Mais toujours

nous

souffrons

de

la méme

difficulté

à

déterminer

avec précision les traits particuliers de leur Herclé. La côte entre Vada Volaterrana (à l'embouchure de la Cecini) οἱ Populonia s'offrait au débarquement de l'Héraclés grec aussi bien que du Melqart tyrien. Autour des îles toscanes, riches en minerais précieux, ródaiert les marins de toute race; et surtout les plus hardis des Hel lénes, les Phocéens, qui avaient peut-être reconnu les premiers la position de Populonia (2Y. On ne les chassa pas; leur commerce, leurs monnaies pénétrérent de la côte à Volterra et jusqu'à Chiusi (3). Seulement les Volterrans entendaient s'assurer le profit à la fois des exploitations minieres et du commerce phocéen: ils coloniserent, sans doute à la fin du VI* siècle, Populonia (Δ), plus proche que Vada de l'ile d'Elbe, et propre à supplanter Vetulonia dans le domaine insulaire (6). Hardiment maritime par sa position « unique en Tyrrhénie » (6), Populonia fut aussi un centre d'attraction pour la Corse et la Sardaigne, et le seul port continental en communications directes avec la Sardaigne (7) et les Carthaginois qui y étaient installés. -(1) Vetulonia

était proche de 1æ côte; mais Volterra elle-même

était considérée comme

cité maritime

(A. Solari, op. cit., p. 37 et

n. 3) : ce qui indique l'importance de son trafic par mer. (2) Herodot., I, 165! Serv., Aen., X, 172. — Cf. E. Pais, Sicilia, p. ?81 sqq.: A. Solari, op. cit., I, p. 51; 12, p. 95-99.

(3) Periodico di Numismat., IV, p. 208 : VI, p. 55 sq.; Fr. Schlie, Bull. d. Inst., 1868, p. 134 — Cf. A. Solari, op. cit., I, p. 51 et n, 2, (4) A. Solari, op cit., 115, p. 97. (5) Cf. Id., ib., II*, p. 99 et n. 1. (6) Strab., V, 223 C. (7) Strab., I. c., et 225 C. — Cf. A. Solari, op. eit., I, p. 51 sq.; II*, p. 108.

94

LES ORIGINES DE L HERCULE ROMAIN

Ainsi se rejroduisait au profit de Volterra le même groupement d'influences, grecques et sémitiques, qui agissaient sur Agylla-Caeré; mais peut-étre avec une « concentration »

supérieure,

si l'oh admet que Caeré

ouvrait deux

comp-

10115 distincts aux Grecs et aux Carthaginois, ' Pyrgoi et Punicum. 6n voudrait mieux connaitre le sanctuaire d'Hercule, que les Itinéraires mentionnent

rana (1): s'il remonte aux

prés de Vada

Etrusques,

peut-étre

Volater-

le

dieu

qu'on y adorait élait-il un « protecteur des navigateurs ». comme celui de Cosa, un Melqart hellénisé semblable à l'Héraclés qu'on voit sur son radeau d'amphores, en des gemmes étrusques bien connues (2).

De la cóte, l'Héraclés soit grec, soit gréco-phénicien, importé par les arınateurs et les matelots, pouvait pénétrer au cœur du pays étrusque par des voies trés fréquentées dés avant la conquéte romaine : de Populonia à Volterra d'abord,

bien entendu,

par la Cornie

et

la

vallée

supérieure

de la Cecina (3); de Populonia à Vetulonia, Rusellae et Chiusi, par la vallée de l'Ombrone et celles de ses affluents (4); ou Sienne par le val d'Elsa (5), et jusqu'à Chiusi encore par le val de Chiana. Or, de Chiusi, la route vers le midi était ouverte, à supposer que celle qui longeait la cóte ne füt pas

libre:

de fait,

Volterra

comme

Vetulonia

inter-

viennent dans le Latium (6!: Vetulonia passait pour avoir largement contribué à civiliser Rome (7); Volterra faisait sentir son action jusque dans le pavs des Volsques, à Tus(1) Ad Herculis. — Cf. A. Solari, op. cit., I, p. 38; n. 1; Cf. ib., p. 208 et 222. | (2) Cf. J. Bayet,

Hercle,

1I?, p 94,

3 bart., I, rir.

(3) Et, plus tard, de Populonia à Vada par la cóte. et à Volterra par la Cecina : A. Solari, op. cit., II*, p. 87. (4) A. Solari, op. cit., II, p. 74. — Monnaie d'alliance portant la triple inscription : Vatluna Pupluna Chamars (Cf. A. Solar, ib., II?, p. 100, n. 1). (5) Id., ib., II? p. 74 et 93 sq. — Des monnaies de Sienne portent la massue, comme celles de Volterra. (6) Dionys. Halic., III, 51. — Cf. A. Solari, op. cit., 115, p. 87. (7 Rome lui devait, disait-on, les faisceaux, la chaise curu-

le, la toge prétexte, la trompette : Sil. Ital., VIII, 485. — Cf. A. Solari, op. cit., 113, p. 75.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV" SIECLE

95

culum et Velitrae (1). Mais, d'autre part, Volterra commuLiquait facilement avec la grande voie de pénétration qui,

par la vallée du Reno et par Bologne, atteignait l’Étrurie Padane et les bouches du Pô (2) : par là d'autres influences que celles de la cóte tyrrhénienne pouvaient s'exercer sur elle; et lui parvenir des légendes gréco-barbares d’où Héracles n'était pas absent (3). Ainsi le groupe des trois cités héracléennes de l’Étrurie septentrionale apparait fort important; et surtout Volterra. Sans doute 1] est regrettable que les monnaies de Volterra ne remontent qu'au milieu du IV* siècle; mais l'antiquité de la ville et de ses re::tions avec les Grecs, l'extension et la puissance de son commerce maritin:e, la convergence vers elle des routes terrestres, rendent fort probable qu'elle

fut une des premiéres cités étrusques à adopter Héraclès. Et, s'il en est ainsi,

nous venons

de montrer

quelles

faci-

lités elle avait de porter au loin son Herclé. Avec Caeré, elle est la seule qui, d'aprés nos connaissances actuelles, paraisse avoir été en état d'influencer l'Hercule Romain (4\. Ill. —

HERCLÉ

DANS L'ÉTRURIE

PADANE

L'extension de l'Empire Étrusque dans la basse-vallée du Pó ne daires

fit qu'activer extrêmement

l'Apennin (1)

les échanges anciens qui

, entre le fond

Cato ap.

Serv.,

Aen.,

commerciaux et légens’opéraient, à travers

de l'Adriatique et l'Italie Cen

X, 567.



Cf.

E. Pais Italía Antica,

1,

p. 56. —Velitrae est le nom méme de Volterra : on n'oubliera pas qu'il s'y trouve un temple d'Hercule (Liv., XXXII, 1).

(2 M. E .Pais

(Italia Antica, I, p. 55) a indiqué, gráce à la

méthode toponymique, des rapports entre Volterra et la Rhétie. (3) Voir supra, p. 67 sqq.

(4) Les

autres

certains ou pas assuré mentionné bouche de

— Sur

lieux

héracléens

négligeables : (Not. d. Scavi, par Ptolémée l'Arno, est en

de l'Étrurie

propre

son$ in-

le culte d'Hércule à Vignanello n'est 1916, p. 68 sq.); le temple d Héracms entre le promontoire de Luni et la dehors de l'Étrurie proprement dite.

les étapes de la grande voie intérieure Val de Chiana-

Tibre, voir infra.

96

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

trale (1): les routes du trafic n'étaient d'ailleurs point différentes de celles des invasions, que nous pouvons suivre, du nord au sud, en pleine période historique, sur les traces

des

Gaulois.

Elles

conduisaient

des

Bouches

du

P

à celle du Tibre; et deux Atria, fondées par les Etrusques au temps de leur plus grande expansion (au V° siècle), aux deux extrémités de ces parcours, comme des bornes solen. nelles, témoiznent de leur importance (2). Nous en pouvons jalonner au moins deux : 1° La plus ancienne, semble-til (fin du VI* siècle au moins), est la voie de transit de certains produits « étruscoioniens » entre le fond de l'Adriatique et la vallée du Tibre (3). Elle devait traverser l'Apennin selon un tracé analogue à celui de la route actuelle qui conduit d'Urbania à Pieve-San-Stefano et Sansepolcro ; atteignait Pérouse, Tuder (4), Bomarzo, Faléries... Peut-étre qu'une ou deux dérivations

la

faisaient

communiquer

avec

tone et Chiusi : la vallée de la Chiana celle du

Tibre

; comme

rivières,

la route

aussi,

aprés

« Ciminienne

»,

Arretium,

doublant

à l'ouest

le confluent

la future

Cor-

des

Cassia.

deux

Il ne

serait pas étonnant que l'Hercule d'Arezzo (5), ceux de Sinalunga, Orvieto (6), et de la région Ciminienne (7), quelque incertaines que soient dans la plupart des cas leur (1) Sur

l'importance

commerciale

de cette

région,

voir

supra,

p. 67 sq. et 71. (2) J. Carcopino,

(3) Mus., (4) Pais, (5)

(6)

et les origines

d'Ostie

(1919), p. 528.

Cf. J. Bayet, Herclé, 1" partie, I, 11. — M. Rosenberg (Rhein. 69, 1914, p. 615.624) 16 fait passer par Cortone. Tuder imite les monnaies de la cóte Adriatique : Cf. E. Sicilia, p. 456, note. Prés de la ville est mentionné un « pont d'Hercule » (Not.

d. Scavi,

Mais

Virgile

1892, p. 376.

le nom A

d'Hercule

remonte-t-il

Sinalunga,

qui

Cf. Müller-Deecke, sur

remonte

Die Etrusker,

II, p. 74).

aux Etrusques ? la

voie

qu

moins

Cassia,

au

1898, p. 271): à Orvieto, torse d'Hercule

restes

II* siécle

d'une

chapelle

(Not.

d. Scavi,

en terre cuite,

travail du

III^ siécle (Not. d. Scavi., 1885, p. 38, pl. V, 9). (7) Sur l'Herclé créateur du lac Ciminius, voir supra, p. 89; dans la méme région « templum et castellum Herculis », prés du territoire des Sorrinenses (Viterbe) (Dennis.Meissner, Städte und Begrábnisplátze Etruriens, I, 132, 8; 133, 13).

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE origine

et leur date,

doivent

être rattachés

à ce

97 courant

d'influences.

2° L'autre cle,

mais

route apparait

sans

aucun

doute

la plus fréquentée aussi

des

le

au IV* siè-

V*,

étant

donné

l'importance de la Bologne étrusque: elle reliait en trois Jours Spina à Caeré par Pise (1). C'est une des grandes voies légendaires gréco-étrusques : sur elle ont progressé les traditions tyrrhéno-pélasgiques, dont l'origine septentrionale cst Spina, qui étaient vivantes à Ravenne (2), et qui, par Bologne certainement et la vallée du Reno (3), atteignaient Pise (4), puis, le long de la cóte, en passant par Populonia,

Regisvilla,

prés

de

Graviscae,

le

port de

Tar-

quinies (5), et Caeré (6). — Cette route des traditions pélasgiques est aussi,

nous l'avons vu, celle des légendes

hyper-

boréennes, niêlées au mythe d'Héraclés dans la région des Bouches

du



(7).

Les fables grecques qui abordaient au fond de l'Adria. tique ne pouvaient conserver longtemps leur pureté. Le pays n'était pas, à beaucoup prés, aussi hellénisé que la GrandeGréce: les Étrusques s'y étaient installés de bonne heure, mais les peuples barbares eux-mémes y étaient actifs et puissants. Ies Sigynnes qui, avant les Celtes, habitaient le Norique, (1) Ps.

se

donnaient

Scylax,

17.



une Cf.

E.

origine Pais,

médique, Sicilia,

p.

dont 456,

note;

il

faut Homo

L'Italie primitive et les débuts de l'Impérialisme Romain (1925), p. 131. (2) Ravenne colonie des Thessaliens-Pélasges, chassés ensuite par les Tyrrhéniens (Strab., V, p. 214 C). A leur migration se mélèrent, dit-on, des Ombriens : ce qui est normal, si à Ravenne se rejoignaient les deux routes dont nous parlons. (?\ Les stèles étrusques de Bologne sont trés souvent inspirées de l'art grec; la légende de Circé, originaire de l'Etrurie campano-tibérine y était connue comme symbole funéraire (Not. d. Scavi, 1890, p. 140 et pl. I). (4) Cato. ap. Serv., Aen., X, 179; Plin., n. h., III, 50. (5) Strab., V, p. 225 C. Selon cet auteur c'est le point de départ des Pélasges conduits par Maléas, fils de Pélasgos : Cf. Meyer, Forschungen, I, p. 1. (6) Solin., II, 7.

(T) Voir supra,p. ?1.

οὃ

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

rapprocher

l'origine lydienne

paient avec eux un commerce

riennes

(1); les Gaulois

des

Etrusques,

important

Taurisques,

qui

entrete-

par les Alpes Ju-

qui leur succédérent

vers la fin du V* siécle, furent en bons rapports à la fois avec Rome et avec les Gréco-Macédoniens (2); et bien d'au. tres actions réciproques nous échappent sans doute en ce carrefour des peuples. Si les documents étaient assez nombreux pour nous permettre de dater les influences avec précision, nous pourrions suivre l'évolution des légendes lc

long des routes trans-apennines; dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons qu'en noter l'éclectisme. [] est vrai qu'Héraclés apparait à Mantoue avec des caractéres presque tout étrusques: l'éponymie de la ville attribuée à sa fille Mantó n'a en effet aucune saveur, si

lon

n'en

fondateur

rapproche Tarchon

l'autre

tradition

qui nomme

comme

adorateur

du dieu

frére de Tyrrhénos,

Mantus, correspondant au Dis Pater des Latins (3). Détails,

par malheur,

insuffisants pour restituer en l'Herclé Maa-

touan un héros infernal ou chtonien. Mais, à Padoue, la confusion des légendes héracléennes semble inextricable: ayant accès f»cile à la mer par le fleuve Meduacus, la ville possédait un temple antique de Junon, qui était peut-étre une Héra hellénique (4); le nom du fondateur traditionnel, Anténor (5), implique aussi une influence grecque ou gréco-étrusque. Et le fameux oracle de Géryon auprés de la source Aponus, qui s'épanchait dans une terre labourée par Héraclés (6), peut de méme remonter aux Grecs: l'Épire était un des berceaux de la légende de Géryon (7), et la grande voie commerciale qui (1) C. Jullian, Hist. de la Gaule, I, p. 370, n. 2. (2) Id., ib., I, p. 298 et n. 1-3; p. 299, n. 2. (3) Int. Serv., Aen.,

(4) Liv., X, 2, 14. (5) Solin., II, 10. (6) Sueton.,

X, 198.

Tib., 14; Claudian.,Id.,

VI,

25.

(7) Gruppe, R. E., Suppl. III, 951-952 : à Ambracie, dans la plaine d'Erythie, en Chaonie. Dans le méme pays, une source salée avait été évoquée par Héraclés (Aristot., Met., II, 3, p. 259, 23).

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

99

la traversait aboutissait aux colonies corcyréennes, Apollonie et Epidamne (1); mais avant méme l'hégémonie de Corcyre sur l'Adriatique, Géryon, Alcyonée et Héraclés avaient pu étre transportés dans ces parages par les Corinthiens (2). Il est plus probable cependant que les noms

grecs ne font que recouvrir un démon local, un dieu souterrain à trois tétes, ayant peut-étre le taureau comine attribut, et analogue à la grande divinité celtique que les Grecs identifiaient à Géryon, et les Latins (plus tard) à Dispater et parfois à Mars (3). Et lorsque les Celtes se furent installés sur le territoire de Padoue, ce « Géryon » indigène parlicllement hellénisé dut prendre pour eux figure de dieu national (4), confondu dans une certaine mesure avec l'Héraclés des Grecs (5). Sous l'une ou l'autre de ces formes, le dieu de la source Aponus apparait assez différent

du Géryon grec dont il porte le nom : j'entends du Géryon classique qui, une fois englobé dans la légende héracléenne. avait pris une physionomie de plus en plus pále, de moins en moins sympathique; mais, au contraire, avec un degré de dignité

qui

le rapproche

du

Gerun

étrusque,

du

beau

(1) E. Pais, Sicilia, p. 422 sqq. (2) Gruppe, R. E., Suppl. III, 921.

(3) A. Reinach, (Bibl. ryon

pro Alesia, »

ligure,

Les têtes coupées d’Alise et Hercule à Alésia fasc.

dont

3), p. 3; p. 6, n. 1; p. 7, et n. 3 : le « Gé-

les Massaliotes

développèrent

la

légende,

connue déjà d'Eschyle, fait penser qu'avant les Celtes, les peuples dits « ligures » adoraient une divinité analogue. — Sur 168 identifications romaines, cf. S. Reinach, Cultes, Mythes et Religions, I, Ὁ. 217 sqq.; Revue des Et. Anc., X (1908), p. 173; B. Schweitzer,Herakles, p. 39 et 67 sq. (4) Ammien Marcellin nous apprend (XV, 9) que Géryon était souvent appelé Tauriscos en Gaule; or les Celtes des Alpes Aus-

tro-Styriennes portent le même surnom.

|

(5) Sur l'alliance Héraclès-Géryon, cf. J. Bayet, Mélanges de l'École de Rome, XL (1923), p. 74-76. — Sur la confusion du Gérvon Gaulois avec Héraclès Ogmios, simple intuitioh, sans preuves, dans A. Reinach, Les têtes coupées d'Alise, p. 45. La preuve a été apportée, avec quelque trouble dans l'exposition, par l'article de M. I. Hopfner. Zeitsch. für vergleichende Sprachforschung, 49 (1920), p. 256-259. — Voir infra.

100

LES

ORIGINES

DE

guerrier triple qui assiste du 1V° siècle, à Corneto.

L HERCULE

Hadès

ROMAIN

sur une fresque

funéraire

La terre padane pouvait donc fournir à la religion et à la mythologie étrusques des éléments originaux; et d'ailleurs la matière grécoindigène était déjà reiravaillée sur place par la population tyrrhénienne. Sans doute il serait. fort imprudent, avec le tout petit nombre de données que nous possédons, de vouloir retracer l'image de l'Herclé des. Bouches du Pó; rien n'empéche cependant de remarquer que, dans les trois cas où il nous apparait, à Mantoue, à Padoue, et dans les légendes Hyperboréennes, il est en rap-

ports avec les divinités souterraines ou infernales. Serait-ce un pur hasard ? Ou ne vautil pas mieux penser que cet aspect du héros, presque effacé dans la Gréce classique par les développements

ultérieurs de la légende,

s'est mieux

conservé, pour une raison ou pour une autre, Gans la région padane, d'oü il pouvait, avec tant de facilité, pénétrer dans l'Étrurie propre? IV.



HERCLÉ

DANS 1, ÉTRURIE

CAMPANIENNE

Des la fin du VII* siecle, les Étrusques travaillaient à se rapprocher des Grecs de Campanie et de Grande Grece : ıls commencaient à imposer leur hégémonie aux Latins et aux Volsques qui leur coupaient les voies d'accès terrestres vers le midi. Ces voies ne se jalonnent pas avec une parfaite précision,

parce

que

les influences

grecques

et étrusques

ne se

limitent pas aux stations de transit, mais rayonnent sur tout le pays environnant. Il vaudrait donc mieux parler de

« zones » de trafic entre l'Étrurie et la Campanie

: l'une

qui borde au sud-ouest

le ter-

les Monts

ritoire des cités côtières; du

Teverone,

du Sacco,

Albains et couvre

l'autre qui comprend et du

les vallées

Liri.

1° En Aricie, la premiére de ces voies d'accés atteignait dés l'abord un centre de légendes et de cultes venus de

L'ITALIE HERACLEENNE

Grande-Grece, nium, un peu moignage des plus loin, sur

DU VI* AU IV* SIECLE

101

et un marché aimé des Cuméens (1); Laviau-delà, ne le lui cédait point et portait témémes influences (2), qui avaient agi aussi, Cora (3). Plus prés de la cóte, ces stations

$ 'accompagnaient de villes également illustres dans l’histoires des rapports internationaux des Étrusco-Latins aveo les Grecs : Ardée, toute hellénisée de culture (4) et de religion (5), avait, au IV* siecle, et peut-étre avant, une grosse importance comme place de transit entre la Campanie et Rome (6); Conca-Satricum, visitée de bonne heure par les marchands de Cumes (7) était, à la fin du VI* siècle, un foyer d'art gréco-étrusque (8); les marins d'Antium pous(1) Légendes d'Oreste-Iphigénie, de la Diane Taurique, d'Hippolyte, d'origine trézéno.poscidóniate (Voir supra, p. 58.59); chapelle vénérée (anciennement ?) d'Hercule (Martial., IX, 64; cf. III, 47). Une

couleur

« argienne

» s'y était

superposée

peut-être

sous l'influence du héros trézéno-argien Diomède (Cf. Solin., II, 11). — Cumes porte secours aux Ariciens attaqués par les Etrusques en 508-507 (Liv., II, 14, 6-7). (2) Temple de Vénus Frutis (— Aphrodite) d'origine grecque (Solin.,

II, 14

p. 436). C'est (Solin.,

il.

:

Plin.,

là que

c.,).



n. h.

III,

Dioméde

Les

noms

57.



avait de

Cf.

Preller,

remis à Enée

Lavinium

et

R.M.,

15,

le Palladion

Laurentum

sem-

blent devoir être rattachés à des noms achéens, sybarite et crotoniate (Aa:voc, AaFtvos : cf. Laos, colonie de Sybaris ; — Laurété fille de Lakinos

: Lycophr.,

1015 et Schol.) : cf. E. Pais,

Sicilia, p.:

285, n. 6; Storia Crítica, I, 1, p. 249, n. 1. . (3 Fondation attribuée soit à Dardanos, Troyen comme l'Énée de Lavinium (Solin., II, 7), soit à Cora, fils de Catillus et petit-fils de l'Argien Amphiaraos (Solin., II, 8). (4) Plin., n. h., XXXV, 3, 6 et 10, 37. C'est là que viennent, en 300 a. C., les premiers

barbiers

siciliens

(Varro,

de r. r., II,

11, 10). (5) Ville fondée, disait-on, par Danaé (Solin, II, 5). Elle agit peut-étre sur le culte de Vénus-Aphrodite à Lavinium (E. Pais, Storia Critica, I, 1, p. 254); elle possédait un temple d'Hercule (Liv, XXXII, 9). (6) De Sanctis, Storia dei Romani, II, p. 496. (7 E. Gàbrici, Monum d. Lincei, XXII, 400.

(8 Graillot, Rome,

Le

1896; surtout

99, 167, 190; 1898,

temple

de Conca

p. 162.164);

p. 166. —

Ce

cf. Not.

temple

(Mélanges d. Scavi,

de 1896,

l'École

de

p. 23,

66,

peut-il étre attribué

à

102

LES

ORIGINES

DE

L'HERCULE

ROMAIN

serent l'audace, deux cents ans aprés, jusqu'à courir les mers grecques (1). De là, par Amunclae voisine de Terracine, Caiéte et Formies, qui possédaient en commun des traditions et des nonis venus de Grande-Grece (25, la route Ctait ouverte vers l1 Campanie. 2°

La seconde

pouvait s'amorcer

disait-on (3), sur laquelle que (4); et gagner Préneste

à Gabies,

ville grecque,

s’exerçait l'influence étrus(5): comn'e la future voie

Latine. Mais l'influence gréco-étrusque (6), cultes et légendes, se dispersait aux alentours, atteignait sur le Teverone Tibur (7): ou, en remontant le cours du Lin, Sora (8); ıt Archippé du Lac Fucin, la ville de Marsyas roi des Lydiens (9). — Au delà de Fregelles, cette route pouvait soit gagner Vénafre, fondation de Dioméde; soit atteindre la Campanie par Teanum; soit, par Ja basse vallée du Liri, rejoindre vers Minturnes la précédente.

Le Vulturne franchi, la plaine campanienne s’ouvrait au loin.

L'élémeht étrusque

Hercule

? Cf. Deecke,

y était déjà

Etrusk.

notable

Forschung.,

IV,

à une date

p. 74 sqq.; Dürr-

barl:, D. S., s. v. Hercules, p. 125. (1) Strab., V, p. 232 C. (2) Origines soi-disant laconiennes; culte des Dioscures; et traditions pythagoriciennes. Le marais Satura (cf. Tarente): le héros Métabos (cf. Métaponte). Voir E. Pais, Amunclae a serpentibus deletae (Italia Antica, II, p. 295 sqq). (3) Dionys.

Halic.

I,

84;

Plutarch.,

Rom.,

6;

Festus,.

s.

v.

soit

au

Romam p.225; Steph. Byz.. s. y. Vx^o:. (4) Müller.Deecke, Die Etrusker, I, p. 267; II, p. 121. (5

Fondation

attribuée

soit

à

un

petit

fils

d'Ulysse,

héros local Caeculus (Solin., IT, 9). — Culte d'Hercule attesté par une inscription archaique (E. Stevenson, Bull d. Inst., 1883, p. 13 sqq.; €. 1..J., XIV, 2890-2892); culte local de Junon (Marucchi,

Bull.

Com.

di Roma,

41, p. 22).

(0) L'ancien culte d'Hercule à Signia (C. I. L., I, 1145 — X, 5961) s'y rattachait sans doute : la ville passait pour une fondaotion de Tarquin le Superbe. (7

Fondation

Faléries comme

(Solin.,

attribuée

II, 7-8.

celle de Cora),

aux

Et

soit aux

par

Argiens

un

petit

Arcadiens

comme

fils

(Cato

celle

de

d'Amphiaraos, ap.

— Anciens cultes d'Hercule et de Junon Curitis. (8 Ancien culte d'Hercule : Not d. Scavi, 1910, (9) Solin., II, 6. )

Solin., Il, 7)

p. 296.

L'ITALIE HERACLEENNE

DU VI“ AU IV* SIECLE

103

Jeculée; mais l'occupation étrusque du pays ne commença qu'au Vl" siècle, et ne se consolida que vers 550, après la fondation de Capoue et de Nola (1). Les Tyrrhéniens, venus par terre, tenaient la plaine, non la cóte; en 524, ils tenterent

de jeter les Grecs

à la mer,

pour étre

maitres

des

debouchés maritines : ce fut la grande expédition contre Cumes (2). Mais, d'autre part, et surtout, ils aspiraient à se rapprocher des routes de commerce de la Grande-Gréce, des voies d'accés terrestres vers leurs correspondants hel. lénes de Sybaris. Les citadelles d'Herculanum et Pompéi tomberent en leur pouvoir (3); et, sans doute par Salerne (A), ils atteignirent le cours du Seilaros au V* siecle (5). Les voici désormais en l'un de ces points privi-

Kgiés οὐ les échanges internationaux s'accompagnent d'une active fermentation religieuse et légendaire. Les bouches da Seilaros avec leur temple d'Héra, c'est un « lieu » aussi important, aussi sacré que celles du Pö; mais plus puissamment

hellénique;

toute

proche,

Poseidónia,



convergent

les routes de Grande-Gréce (6), est pour les Tyrrhéniens la porte du riche pays Achéen (7); et, au surplus, une ville

d'un éclectisme

politique

assez prononcé

pour convenir à

des trafiquants, hommes d'affaires et profiteurs avant tout.

tels que les Étrusques. On parle toujours du marché international de Cumes; mais, en cette période (VI*-V* siècle), c'est Poseidónia qu'il faudrait nommer, moins exclusive. ment maritime, et beaucoup mieux située pour aspirer vers l'Italie Centrale les produits et les idées de Grande-Gréce, et pour les communiquer directement aux Étrusques. (1) Cf. E. Gàbrici, Monum. d. Lincei, XXII, p. 434; Jardé, La formation du peuple grec, p. 274. (2) Dionye. Halic., VIT, 3-4. — Cf. E. Gäbrici, l. c., p. 580. (3) Strab.,

V,

p. 247

C.



Cf.

E.

Pais,

Italia

Antica,

II,

p.

279 sq. (4 Bronzes étrusques de méme type que ceux de Suessula trouvés prés de Salerne : Róm Mittheil., II (1887), p. 274. (5) Cf. E. Pais, Sicilia, p. 247, n. 0. (0) Supra, p. 53.

M 59-60.

Ct. E. Pais, Sicilia,

p.

532; Italia

Antica,

II, p.

34-25;

104

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN L'hégémonie

tyrrhénienne

fut étroitement bornée dans le

temps : à partir de 424, elle recula devant les attaques des

Samnites. Ainsi la co-pénétration gréco-étrusque aux bords du Seilaros se limite à l'époque de l'hégémonie crotoniate en

Grande - Grèce,

lorsque

Métaponte

affirmait

encore

sa

grandeur en face de Tarente, et que Poseidónia qu'enri. chissaient les échanges achéo tyrrhéniens achevait avec orgueil ses temples monumentaux. Quant aux relations maritimes entre l'Étrurie et la Cam-

panie, elles semblent avoir'eu lieu surtout (compte non tenu de Cumes) par Dicaearchia (Pouzzoles), le principal marché meridional du fer d'Elbe (1). C'était encore un port de traditions mixtes : les Samiens d'origine épidaurienne qui l'avaient, dit-on, fondé (2), étaient liés d'amitié avec les Chalcidiens

(3), mais

aussi,

à coup

sûr, avec leurs compa-

triotes établis à Crotone (4) : ils ne pouvaient contrarier l'influence

achéo-trézénienne. Nola,

Les cités nombreuses vons établir l'origine du les courants comme sa dienne (6) :

Abella

héracléennes de l'Étrurie Campanienne sont (5): mais pour aucune d'elles nous ne pouune chronologie précise du culte; et, par suite, héros y reste en général hypothétique : mais d'influences ne semblent pas douteux. — Nola, voisine Abella, passait pour colonie chalcisimple indication d'échanges avec les cités ma-

(1) Diod.Sic., V, 13, 2. (2) E. Pais, Sicilia, p. 309 sqq.

et p. 311,

n. 1.

(3) Id., ib., p. 312. (4) Id., ib., p. 315. (5) Outre Nola, Suessula et Capoue, Herculanum et Pompéi conservaient,

héros,

la seconde

troupeaux

de

le souvenir

Géryon

(Solin.,

dont nous allons parler, la premiére le nom du

de son retour d'Espagne II, 5.



Au

musée

de

avec les Naples

se

voit un Hercule avec inscription étrusque, provenant de Pompéi) Et Stabies était aussi une ville héracléenne, au témoignage d'Ovide (Met., XV, 711). (6) A. Sambon, Mon. ant. de l'It., I, p. 335 sq. — Cf. E .Pals, Jialia Antica, II, p. 291.

L'ITALIE HERACLEENNE

DU VI* AU IV* SIECLE

105

riimes. La ressemblance de ses monnaies avec celles de Thourioi (1) témoigne de ses rapports terrestres avec la Grande-Gréce. Elle administrait, avec Abella, sur leur fron.

tière commune,

un temple d’Hercule, dont nous possédons

la convention attribuée au [15 siècle avant notre ère, mais qui était beaucoup plus ancien (2). Cet Hercule, spécifié comme un gardeur de trésors, apparait comme un héros chthonien : en effet, s'il s'agissait seulement de l'habitude antique de choisir un temple

quelconque

pour en faire une

banque de dépót ou un Trésor d'État, on ne s'explique point que l'une ou l'autre de ces deux villes eût jeté pré. cisément son dévolu sur un sanctuaire établi dans une situation aussi

risquée.

Mais,

en

dehors

de

ce

caractére

bien

général, l'Herclé de Nola-Abella ne nous est pas autrement connu. Sur la route entre Nola et Capoue, la nécropole de Sues: sula a fourni, entre autres bronzes étrusques (3), une statuette d'Herclé imberbe, marchant, la massue brandie (4): si le lieu deja fouille ne suffit pas pour affirmer d'une

facon absolue qu'il s'agit d'un Herclé funéraire, le moins qu'on puisse conclure de cette trouvaille, c'est que le dieu, quelle que füt son origine dans

la région, avait dü y pren-

dre un caractére particulier au temps de la domination étrusque : mais vraiment nous pouvions le prévoir.

Capoue

Le cas de Capoue est bien plus digne d'intérêt. plus, pour nous, que les légendes de fondation, éclectisme, sont paralléles à celles de Rome : on l'Héraclide Téléphe, le Troyen Capys, les fils de

D'autant dans leur nommait Mars Ré-

(1) Cf. Cat. de la vente Luneau, n** 26 et 38. (2) Zvetaieff, Inscr. Osc., 56, p. 36-38. — Cf. Peterson, of Campania, p. 3818q. (3) Röm. Mittheil., II (1887), p. 258 sqq.; 244. (4) Ib., p. 272.

Culls

106

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

mus et Romulus la conquête

(1). Ces derniers trahissent trop nettement

romaine

pour qu'on

en

tienne

compte;

Capys

semble un éponyme quelconque. Mais Téléphe, malgré la date tardive des monuments où il figure (2), appartient sans aucun doute à la période gréco-étrusque (3) : c'était un héros adopté depuis longtemps par les Etrusques corınıe

père de Tyrrhénos et de Tarchon (4). Mais Télèphe lui-même apparait à Capoue comme inséparable de son père Héraclés (5). Il ne serait pas impossible que le célèbre « dinos » de bronze du V° siècle sur la panse duquel est gravé Héraclés Bouvier s'éloignant avec son troupeau d'un arbre ou

est suspendu un de ses ennemis, peut-être un voleur (scène autrefois interprétée comme la plus ancienne représentation de la légende de Cacus), eût été fabriqué à Capoue, mème si on doit l'attribuer à une main grecque (6); mais i] ne nous apprend rien sur l'Héraclés Campanien (7). Plus instructives sont des terres cuites de Capoue, qui figurent le héros avec la massue et la Corne d'abondance (8); c'est le type d'Héraclée Lucanienne (sons d'ailleurs éliminer toute (1) Müller, F. H. G., p. 70. — La derniére indication dans Céphalon de Gergithe (milieu du III* siécle). (2) Monnaies de la fin du IV* ou du début du III* siécle : J.

Babelon,

Luynes,

I,

109

(téte

d'Héraclés;

Téléphe

enfant

al-

laité par la hiche); 110 (téte de Téléphe ?; Téléphe et la biche). — Cf. A. Sambon, Mon. Ant. de l'It., p. 403, n° 1046.

(3) Gruppe, G. M., p. 6%; Preller, R. M., II, p. 310; Peterson, Cults of Campania, p. 9 et 358. (4) Lvcophr.,

1245

sqq.

et

schol;

Tzetz.

ad

Lycophr.,

1249;

Dionys Halic., I, 28. (5) poue dant qus mais (6)

Voir supra, n. ὃ. — Autres monnaies héracléennes de Ca: J. Babelon, Luynes, I, 125 (tête d'Héraclés; lion morun javelot. — Cf. A. Sambon, op. eit., n» 1031). — Un paHerculaneus à Capoue (Not. d. Scavi, 1887, p. 444 et n. 4) : le nom remonte -til à une date ancienne ? Peterson, Cults of Campania, p. 347.

(T) Sans

doute

les

Chacidiens

et,

par

suite,

les

Cuméens

étaient parmi les plus actifs vulgarisateurs des fables relatives & Géryon et à ses troupeaux (supra, p. 44); mais Héraclés Bou. vier était connu dans toute la Grande-Gréce, et rien sur le vase

de Capoue ne fait allusion à Géryon. (8) Peterson,

Cults

of Campania,

p.

348.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

107

influence attique), très richement évocateur, puisqu'il se rattache aux légendes d'Achélóos, des Hespérides, et de la Descente aux Enfers; trés particulier aussi, puisque c'est l'image d'un héros chthonien de l'abondance et de la richesse. L'exemple de l'Hercule de Nola-Abella, dont le seul caractére perceptible était justement celui-là, confirme la réalité et la puissance de cette conception étrusco - campanienne. Peut-on aller plus loin? Certains savants (1) attribuent à Capoue une monnaie célébre oü, au revers d'une téte d'Héraclés barbu, se voit l'image de Cerbére : nulle impossibilité à cette hypothèse (2), pourvu qu'on n’explique ces types ni par l'oracle des morts de Cumes οὐ Héraclés n'a que faire, ni, a fortiori, par les Mystéres de Samothrace

(3): ce bronze,

fluence

de

nous

Poseidónia,

l'avons vu,

colonie

se rattache

achéo-trézénienne

à l'in-

(4).



Ces différents indices, tout fragiles qu'ils sont, concordent, et acquierent de leur unanimité une force certaine : ils évo-

quent dans Capoue un Héraclés chthonien, « infernal », dont la voie de pénétration se tracerait de Métaponte-Héraclée ἃ Poseidónia, de là à Nola et Capoue.

On pourrait étre tenté d'infirmer ces résultats gráce à la légende italienne de Téléphe qui semble, au premier abord. d'origine tout à fait différente. Klausen en effet (5) supposait dans sa formation une influence de Cumes et Phocée: (1) A. Sambon, Mon. Ant. de l'It., p. 393 et n° 1044; 1. c. — Voir au contraire : J. Babelon, Luynes, I, 18.

Peterson,

(2) Le style de ce bronze l'apparente à la fois à une. monnaie *trusque et à une monnaie de Locres Épizéphyrienne, de la seconde

part

moitié

du

IV* siècle

(cf. J. Babelon,

(pl. I); 12 (pl. I) et 765 (pl. XXVIII)

Luynes,

I, 18,

d'une

de l'autre).

(3) Comme le propose M. A. Sambon, l. c. (4) Les entrées des Enfers sont nombreuses dans le monde grec. Mais il faut ici se limiter à celles qui sont mises en rapports

précis avec Héraclés (par ex. la source surtout

avec

l'aventure

de

Cerbére

Cyanée (Cf.

à Syracuse),

Ettig,

et

Acheruntica

(Leipz. Stud. z. class. Philol., 13), p. 397) : or c'est à Trézène et dans la ville voisine d'Hermioné (Ettig., |. c. — Cf. Rohde, Psyche, p. 199, n. 3), que se localise avec prédilection la remon*tée du héros accompagné du chien infernal. (5) Klausen, Eneas und die Penaten, p. 1221-1222.

103

LES

ORIGINES

DE

L HERCULE

ROMAIN

le nom de la montagne où fut exposé l'enfant Télèple,

le

Parthénion, se retrouve dans un port des Phocéens en Graude-Grèce (1); et celui de la Teuthranie, où s'élevait Pergame adoratrice de Téléphe, était connu en Campanie (2). Mais le mot de « Parthénion » est bien trop général pour qu'on puisse l'appliquer sans hésitation à une légende particuliére; quant au fleuve Teuthras, pourquoi faire honneur de son éponymie aux Cuméens plutót qu'à d'autres Grecs en relations avec l'Orient, ou aux Étrusques euxmémes ? Sans doute la légende étrusque de Telephe, en ses développements d'ailleurs assez tardifs, dérive de sources asiatiques (3); pourtant, avant d'étre Mysien, Téléphe est Arcadien, et le principal héros de Tégée (4). Or les légendes

arcadiennes

sont

anciennes

en

Italie,

οὐ

elles

furent

introduites à la fois par le groupe Rhegion-Messine et par les cités Achéennes de Grande-Gréce; dés le VI* siécl^, cerfaines d'entre elles ont pu toucher les Étrusques; et, vers la fin du V* s. se crée, en Grande-Gréce, le système légendaire arcadien qui devait avoir une si singuliére fortune dans l'Italie Centrale (5). Comme, au surplus, les Achéens de Grande-Gréce aussi bien que les Phocéens et peut-être les Cuméens mettaient le monde tyrrhénien en relations avec l'Ionie, il semble tout à fait vain de vouloir attribuer aux uns, à l'exclusion des autres, l'introduction de l'Héraclide Téléphe dans les deux régions du domaine étrusque où il jouit d'une particuliére faveur : en Campanie, et autour de Tarquinies et de Caeré (6).

Téléphe d'ailleurs, tout populaire qu'il soit chez les Étrusques, ne l'est, semble-t-il, qu'en fonction d'Héraclés. Or l'Herclé de Capoue, méme s'il admettait (comme il est fort probable) certains traits chalcidiens, parait beaucoup plu-

(1) (2) (3) p. 75 (4) (5) (6)

Plin., n. h., III, 5, 10; Solin., II, 7. Propert., I, 11, 11. Cf. J. Bayet, Mélanges de l'Ecole de Rome, XXXVIII (1920) sqq. Gruppe, G. M., p. 203-204. J. Bayet, l. c., p. 141-142. Müller-Deecke, Die Etrusker, I, p. 82; 1. Bayet, I. e., p. 9b.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE

109

töt orienté vers les Héraclés « achéens » de Grande-Gréce, d'où venaient jusqu'au cœur de l'Étrurie propre les puissantes légendes des héros et des peuples mythiques. V.



LA

FIGURE

D'HERCLÉ

Si fragmentaires, si dispersés, les documents que nous venons d'utiliser suffisent à nous mettre en garde contre l'hypothése d'un Hercule étrusque unifié : celui de Capoue, avec sa physionomie italiote trés particuliere, différe du héros « hyperboréen » des Bouches du Pô,

mêlé

à d'étranges conceptions

barbares;

et ni l'un

ni

l'autre n'est parfaitement semblable au dieu des sources de Caeré, à celui de la région Volterrane, qui ont été exposés aux influences marines et aux altérations sardo-carthaginoi-

ses.

Par malheur,

s'il est déjà si difficile de tracer une

image exacte et tant soit peu précise des divers italiotes ou siciliotes, la táche est impossible pour clé tyrrhéniens. Ils s'esquissent à grands traits; samment pour qu'on reconnaisse leur variété ; mais

Héraclés les Heret suffiles étu-

dier dans le détail, nul ne le peut. A grand'peine nous restaurons grâce aux monuments figures la figure d'un Hercié « commun » qui n'a peut-être nulle part existé sous cette forme idéale dans le domaine étrusque : heureux cependant de n'étre pas tout à fait livrés à la folle diversité des hypothèses. La variété fondamentale des Herclé tyrrhéniens

serait

une

formule

abstraite, nuancée,

mars

vaine; c'est

l'image, méme partiellement arbitraire, d'un Herclé national, qui permettra de mesurer l'influence étrusque partout où elle agira; d'une façon

grossière,

il est vrai, mais

posi-

tive (1). LY

(1) Les pages qui suivent ne font, dans l'ensemble, que coordonner les résultats obtenus par notre étude critique sur Herclé, à laquelle on voudra bien se reporter pour le détail de la discussion.

11»

LES

ORIGINES

DE

L HERCULE

ROMAIN

Herclé Cypro-Ionien Le font

premier

Héraclés

connaitre

que

en .Etrurie,

VI* siécle, un Héraclés

des documents est,

dans

Ionien,

certains

la seconde

que reproduisent,

ateliers mixtes gréco-tyrrhéniens,

les bronziers

nous

moitié

du

dans des.

de Vulci, les

céramistes de Caeré. Son origine est douteuse (1): l'ionisme, à cette date, étant plutót une civilisation commune qu'une

forme

mémes

de

l'Étrurie,

d'exotisme.

culture

Les

cités de

ionienne,

ont agi

Sybaris en particulier;

mais

Grande Grèce,

dés

elles-

cette date

sur

leur influence

est

diffuse, et non exclusive (2). Cet Héraclès Ionien, par sa généralité méme, nous dérobe sa provenance. Mais non pas ses tendances. Moins déterminé, moins emprisonné dans le cadre d'un cycle épique que l'Héraclés argivo-thébain, moins caractérisé en ses traits et en son costume que celui des premiers peintres de vases corinthiens et attiques, il

offrit aux Étrusques, de facon prolongée, la facilité de: développer à leur gré telle partie, en apparence secondaire, de sa légende, et méme de le modifier lui-möme par apports étrangers. Les plus importants de ces apports rent cypriotes. Il y avait bien longtemps déjà que les rins de Cypre avaient éveillé le commerce et l'industrie les côtes toscanes (3); soit qu'ils n'eussent pas oublié anciennes voies de mer, soit que, plus paresseux, ils sent usé de l'intermédiaire des Grecs Italiotes pour

des fwmasur les. euscon-

(1) Les importations ioniennes dans l'Italie Centrale ne sont pas dues seulement, tant s'en faut, aux Ioniens de Phocée et de Chalcis. Tout ce que nous savons de Sybaris nous la fait reconnaftre

comme

une

ville

de

civilisation

ionienne;

et

son

comptoir d'échanges avec les Etrusques, Poseidônia, avait une population en majorité ionienne d'origine (cf. Busolt, Griech. Gesch., I*, p. 71; E. Pais, Sicilia, p. 221). (2 C'est ainsi qu'un vase du style « ionique-italique » (type de la céramique de Caeré) figurant Héraclés et Cerbére, et conservé aujourd'hui au Musée de Bari, a été trouvé dans la nécropole de Rutigliano (M. Jatta, Monum. d. Lincei, XVI (1906),. p. 525 sq. et fig. 9). (3) Cf. E. Gàbrici, Monum, d. Lincei, XXII, p. 174.

L'ITALIE

HERACLEENNE

DU VI° AU

IV“ SIECLE

11

linuer à atteindre leur clientèle tyrrhénienne, ce furent eux «ui procurerent aux Étrusques leur première image de culte d'Herclé, peut-être dés la fin du VI* siècle. En tout cas, au

«début du V*, Hercule est adoré en Étrurie sous une forme qui n'est pas exactement « ionienne commune », mais plutôt « cypro-ionienne » : imberbe, lourd et rigide, serré dans la peau de-lion, la massue brandie, et laissant parfois pendre, au bout de son bras gauche,

un animal

consacré,

lion

ou faon. L'évolution assez rapide de ce type étrusque prouve qu'à peine adopté comme dieu par les Tyrrhéniens, Herclé se modifia : et le fait suffit à témoigner de son éclectisme fonda-

mental. Mais la marque orientale avait été si forte sur lui, qu'il semble en avoir conservé jusqu'au bout en Étrurie cerlains caractères trés particuliers, étrangers à la fois à l'H&raclés Grec et au Melgart tyrien : surtout des relations avec des « animaux sacrés », dont on ne saurait dire à coup sür s'ils sont considérés comme ses ennemis ou comme .Ses compagnons, lion, serpent, et (peutétre) griffon (1). Herclé et Apollon Pourtant,

cette « couleur » ionienne de l'Herclé primitif

ne doit pas faire illusion sur sa véritable nature.

de ses

traits les plus

originaux

Plusieurs

lui ont été transmis

par

les Hellénes, et surtout les Achéens, de Grande-Gréce, à une

date qu'il est impossible de préciser, mais qui devra se chercher entre 550 et 400, au temps de l'hégémonie tyrrhénienne en Campanie. C'est ainsi que les Étrusques, donnant à des éléments grecs une puissance originale, figurérent l'Herclé des sources tenant un cerf ou un faon: la signi-

;fication symbolique de cet animal étant d'ailleurs bien coui

/ nue à Cypre, de méme que la « formule » statuaire du dieu tenant un cervidé evait été appliquée par Canakhos à la statue de culte d'Apollon Didyméen, à Milet. Si donc l'on se

bornait à cette adaptation d'un théme apollinien au schéma (1) Voir cependant infra, p. 117.

112

LES ORIGINES DE L’HERCULE

ROMAIN

de l'Herclé gréco-cypriote, l'innovation des Étrusques apparaitrait sans grande portée. Mais lorsqu'on voit, dans toute l'Étrurie propre, Apollon et Herclé présider religieusement aux sources volcaniques, on est bien obligé de se demander à qui est due la faveur chez les Étrusques, d'une alliance religieuse si limitée et d'une fonctiur si rarement attribuée en Gréce à Apollon (1). Non que l'alliance elleméme soit aussi exceptionnelle qu'on le veut bien dire dans le monde grec: le groupe Héraclés-Apollon était connu en

particulier à Cypre, et son correspondant phénicien,

Mel-

qart-Reshouf, à Tyr. Mais elle ne signifie rien pour nous, si nous n'y trouvons liés et le cerf symbole aquatique et le patronage des eaux. Les trois éléments nécessaires apparaissent joints au contrair dans la Grande-Gréce achéenne. Nous ne voulons parler ni de l'Apollon Alæos de Macalla-Crotone dont l'épithéte est incertaine, ni de l'Apollon Hyakinthos de Tarente, dont l'étymologie est douteuse (2). Mais l'Apollon Delphinios dont la légende marine avait été attachée par les Cré. tois au sanctuaire de Delphes, jouissait d'un culte fervent sur la côte Ionienne de l'Italie (3) et chez les Phocéens de Massalia. Sous sa forme originelle, c'est un dieu des eaux, qu'accompagne le dauphin; et, sans doute, les caractéres acquis postérieurement ont, dans bien des cas, obscurci sa physionomie primitive : mais elle demeure intacte à Crotone et à Caulonia, fondée ou au moins dominée dés le VI* siécle par les Crotoniates (4). Les étranges et poétiques mon(1) Les symboles aquatiques adjoints par les Etrusques à Héraclés et Apollon sont le cerf et le cygne. (2) Selon Hésychius : ὑαχίξει - βοΐχει. — Cf. G. Giannelli, Culti e Miti della Magna Girecia, p. 193. (2) Trésor de la premiére Sybaris à Delphes (G. Giannelli, op. cit., p. 117 sqq.); Apollon Pythien-Hyperboréen à Crotone (Id., ib., p. 175 sqq.) et Métaponte (Id., ἐδ., p. 62 sqq.) : le culte du dieu

et le caractére

hyperboréen

avaient

été développés

par

Pythagore et son école. — Apollon Delphinien était aussi connu à Rhégion et Syracuse. (4) Voir : Fr. Lenormant, La Grande- Grèce, II*, p. 18-19; E. Pais,

Sicilia,

p. 243 sqq.; Busolt,

Griech.

Beloch, Griech. Gesch., I3 1, p. 237.

Gesch.,

I*, p. 403

sqq.;

L'ITALIE HERAGLEENNE

DU VI* AU IV* SIECLE

113

nales de Caulonia figurent comme type poliade l'image d'Apollon Catharsios nu, brandissant un rameau lustral, accompagné d'un petit génie pareillement armé, et précédé d'un cerf qui retourne vers lui la téte (1). Ce cerf est l'animal fanulier d'Apollon (2); mais aussi un syn:bole aquatique,

puisqu'à

lui se substitue

sur une

monnaie

le taureau

(1)) M. G. Giannelli cherche à prouver (op. cit., p. 207-211) que si cette figure peut représenter, au début, le héros éponyme Caulón (hypothése de Head, Hist. Num.?, p. 93) ,elle représente au V* siécle le fleuve Sagras. Position insoutenable : le type étant uniforme, il faut choisir entre les deux, et se tenir fermement à son choix. — Les arguinents en faveur du fleuve Sa-

gras sont faibles : il est vrai que des monnaies divisionnaires du V* siécle portent une téte juvénile cornue qui à coup sür est celle d'un fleuve; mais ce n'est plus le type poliade archaique. Autant vaudrait conclure de la présence, dans le monnayage de Catane, de l'effigie du fleuve Amenanos, que les grandes têtes laurées et non cornues des tétradrachmes ne représentent pas Apollon. Il y a de méme abus à rapprocher le type cauloniate des monnaies siciliotes oü des fleuves et des sources sont figures en pied (à Sélinonte, Himéra, Léontinoi) : le personnage, dans

tous les cas à nous connus, est tranquille et dans l'attitude bienfaisante de la libation. Nulle raison enfin de séparer du dieu

le cerf,

qui

apparatt

constamment

soit

au

droit,

soit

au

revers, soit sur les deux fauces (sauf une exception : voir infra) et dans une position d'ordinaire caractéristique (la téte tournée vers le personnage principal) — Y voir Caulón souffre aussi de graves difficultés : les premiéres monnaies incuses des Grecs de Sicile et d'Italie ne font aucune part aux héros soidisant

fondateurs,

dont

In vogue

siécle; elles

portent &oit des armes

ra),

symbole

soit

un

divin

ne

commence

parlantes

(Crotone);

celles

guére

qu'au

(Sélinonte, de

V*

Himé-

Poseidönia,

les

seules qui soient strictement comparables à celles de Caulónia (et le parallélisme des deux monnayages est fappant jusqu'à la fin du V* siècle) figurent la grande divinité poliade combattant, donc protectrice; ce pourrait étre à Caulónia un fleuve bienfaisant (si nous n'avions pas écarté déjà cette hypothése), mais

non

un

héros

quelconque

n'ayant

pour

lui que

son

nom;

pourquoi enfin voir dans la plante brandie, l'énigmatique 22,)oc ? — Pour les arguments qui nous semblent au contraire témoigner en faveur de l'identification avec Apollon, voir la «uite. ὰ

(2) Quoi

qu'en dise M. G. Giannelli, op. cit., p. 209, n. 5.

114

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

fluvial (1). Et ce n'est point le seul : on voit parfois derrière. le dieu un loutérion οὐ coule l'eau d'une fontaine à mufle de lion (2); ou bien il est accompagné d'un échassier que: l'on appelle d'ordinaire cigogne, qui est en tout cas un oi. seau aquatique (3). Indices clairs, mais qui définiraient le personnage aussi bien comme un dieu-fleuve que comme: Apollon. Voici qui léve tous les doutes : autour du dieu sautent deux dauphins (4), il s'agit donc d'un Apollon Delphinios. La confirmation vient aussitót : les mémes symboles

(sauf le cerf), la « cigogne », le dauphin, apparaissent en. exergue du trépied apollinien sur la monnaie de Crotone (5), ainsi que les bandelettes nouées propres au dieu de l'Omphalos (6). La parenté entre les deux Apollons « achéens » de Crotone et de Caulonia est donc certaine : tous deux étant dieux des eaux (7), et tous deux purificateurs. Mais on connaît, à Crotone, l'étroite alliance d'Héraclés et Apot-

lon (8). Ainsi se trouve réalisée dans le domaine crotoniate, (1) J. Babelon, loutérion

(2)

Luynes,

: Cabinet

J. Babelon,

I, 6%.

des Médailles,

Luynes,



Le

Cart.

cerf debout

devant

41, 2446.

I, 694.

(3) Id., ib., I, 681, 685, 696. (4) Id., ib., I, 693; — et non pas des poissons quelconques

douce, comme lorsqu'il (5) Oiseau aquatique

un

s'agit d'un fleuve. : cf. J. Babelon,

Luynes,

I,

707,

d'eau

708,.

713, 718; — dauphin : cf. Id., ib., I, 706, 713, 724,; — le cr&be aussi, qui, dans le monnayage bruttien, accompagne Poseidón et

Téthys. (6)

Ornant

le

bucráne

sacrificiel

sur

lun

des

statéres

« au

loutérion » de Caulonia : J. Babelon, Luynes, I, 694; — rituelles à Crotone : Id., ib., I, 717, 725, 726, 737. (7 Comme, en Sicile, celui de Catane, dont l'effigte s'accompange de symboles aquatiques, poissons, langoustes (cf. 2. Babelon, Luynes, I, 895, 897, 898, 901). La ressemblance est d'autant plus frappante que la téte du fleuve Aménanos est entourée, à Catune aussi, des mêmes signes (Id., ib., I, 902, 903) : comme s'il y avait parenté entre le grand dieu poliade et le fleuve local, Ce cui expliquerait aussi l'apparition du Fleuve, avec revers au cerf, sur la monnaie de Caulonia dont noua. avos parlé. (8) Caractère apollinien de Crotón-Zakynthos, héros épony-

me : cf. Gruppe, G. M., p. 369. On sait que la légende de Crotón.

L'ITALIE

HERACLEENNE

DU VI^ AU IV* SIECLE

115

des la fin du VI* siècle, et durant tout le V*, l'union des eiements grecs sans doute d'origine, mais partout ailleurs dispersés, et qui se retrouvent, de facon curieuse, conibinés et portés à un haut degré de puissance dans le pays étrusque. Les voies de pénétration, nous les avons tracées ailleurs: les Trézéniens, colonisateurs de Poseid?::ia, n'ado-

raient-ils pas un Apollon joint à Poseidón (1)? Et ne voyonsnous

pas

l'Apollon

aux dauphins

apparaitre

sur une

mon-

uie d’Allifee en Campanie, au IV* siècle (2)? Ou, dans le sanctuaire des Nymphes Nitrodes, près de la source d'eau minérale,

à

Ischia,

n'a-t-on

pas

découvert

des

bas-reliefs

où Apol!on fire à côté des Nyniphes (3)? Herclé et Junon Sospita

Une autre particularité d'Herclé,

ses relations avec une

déesse ınixte que nous appelons Junon Sospitz, et qui se conduit envers lui tantót comme une Héra hostile, tantót comme une Athena secourable, semble aussi trouver son origine dans la méme région achéenne de la Grande-Gr£ce. Nous avons indiqué comment une influence hellénique pré. cise avait fnit attribuer à cette Junon armée et couverte de l'égide l'épithéte d' « Argienne », et l'avait rattachée A la légende de Dioméde (A): le rôle du sanctuaire d'Héra aux bouches du Seilaros fut considérable dans ce travail d'assimilation. Mais tout autant, et plus peut-étre (au moins à partir de l'hégémonie crotoniate), celui du Cap Lacinien. à habitait une Héra Hoplosmia, guerriére, toute proche de était

intriquée

duns

celle

d'Héraclés

et liée

à une

purification

apollinienne (supra, p. 18). Sur l'union à Crotone d'Héraclés et Apollon Hyperboréen, cf. Duc de Luynes, Nouvelles annales, 1836, p. 55. — De méme aussi sans doute à Métaponte, où des monnaies de type spécial, frappées à l'occasion d'un événement important, font alterner, au revers de l'épi, la flgure en pled

d'Héraclés libant et d'Apollon Purificateur (1) Gruppe, G. M., p. 190. (2) J. Babelon, Luynes, I, 56.

(3) Au Musée de Naples

(4) Supra, p. 75 sqq.

(Ruesch,

Catal.,

: voir

supra,

n° 674).

p. 16.

116

LES ORIGINES

DE L HERCULE

ROMAIN

celles d'Élis et d'Argos (1); et, ce qui pour nous est essenGel, l'alliée d'Héraclés, qui passait pour avoir établi le sanctuaire (2). Áu V* siécle, les Crotoniates unissent dans leur vénération la grande Héra Lacinienne, commune déesse

de tous les Hellénes de Grande-Gréce, et un Héraclés doublen:ent fondateur, wkiste de leur ville et zélateur du culte de cette Hera, que ia fable vulgaire représentait comme son ennemie acharnée. ]] v a dans cette alliance, splendidement . illustrée par les monnaies, une originalité trop puissante et un trop étranse rapport avec les conceptions étrusques, pour qu'on puisse la négliger. Sans doute les premiers mo: numents étrusques qui joignent, en troubles relations, Herclé et Junon Sospita datent de la fin du VI* siècle; mafs, à cette date, les Tyrrhéniens, maitres de la Campanie, communiquaient

sans

intermédiaire

avec

les Grecs

du

Seilaros

et de Poseidónia, et par eux avec la Grande-Gréce achéenne ; et déjà, à Crotone, et à l'aube méme de la magnifique hégémonie crotoniate, Pythagore et Milon témoignent de l'alliance des cultes d'Héraclés et de Héra Lacinienne (3). Influences grecques mixtes La popularité du mythe d’Achelôos en Étrurie peut être l'indice d'une influence plus purement campanienne : tant l’image du dieu double, homme et taureau, est fréquente entre le Volturne et le golfe de Salerne. Pourtant le culte d’Achelöos est attesté avec plus d’éclat à Métaponte, qui, adorant à la fois le Fleuve et Héraclés, était fort apte à propager la légende vers l'Italie centrale. Ce qui pourrait faire douter de Ja force des influences campaniennes en Étrurie, c'est que les deux fables héracléennes qui portent une marque proprement chalcidienne, celles de Géryon et d'Alcyonée, ne se décèlent pas dans le domaine tyrrhénien: (1) Cf.

Fr.

Lenormant,

La

Grande-Gréce,

113,

p.

220-222;

Gruppe, G. M., p. 376 et 1126, n. 1; G. Giannelli, Culti e miti del la Maqna Grecia, p. 166-167. (2) Supra, p. 19. (3) Supra, p. 17 et p. 19, n. 3.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV° SIECLE

117

carence singulière quand en la compare à la précision des rapports légendaires et cultuels que nous venons de noter entre l'Étrurie et la Grande-Gréce achéenne. Une autre action mixte du méme genre se trahıt dans les

mythes

« infernaux » d'Herclé.

Les légendes hyperboréen-

nes recues des Étrusques et les représentations d' « Herclé au griffon

» peuvent se rattacher aux foyers helléno-barba-

res des Bouches du Pó, mais sans exclure, tant s'en faut, une influence des villes « hyperboréennes » de GrandeGréce, Métaponte et Crotone, surtout à partir des derniéres aunees du VE siècle et de la prédication pythagoricienne. Et tout de même pour les mythes conjcints des Hespérides et de Cerbére : s'il est vrai, comme nous avons táché de le

montrer, qu'en Étrurie la légende des Hespérides s'est confondue

avec

la tradition

d'un

voyage

d'Héraclés

au

pays

des Hy perboréens, les mêmes influences padanes et achéennes s'entre-croisent de facon inextricable. Encore y a-t-il vraisemblance que la Grande-Gréce, oü l'union cultuelle Héraclés-Apollon

est

attestée,

eut

une

plus

grande

part

que

la région padane dans l'élaboration de ces légendes. — Quant à l'aventure de Cerbére et à la figure d'un Hercule proprement infernal, Poseidónia, Cumes, et Capoue y avaient pu collaborer, sans qu'il soit nécessaire de leur supposer une

autre

provenance : d'ailleurs elles n'ont donné

matiére

à

nul développement original dans le domaine étrusque. Influences

gréco-sémitiques

On pourrait croire que les composantes sémitiques d’Herclé présentent un degré supérieur de pureté et ont imposé au dieu tyrrhénien des particularités inconnues au héros grec et faciles à découvrir. Il n'en est rien. Partout encore nous trouvons trace d'influences venues de la Grande-Gréce,

plus au moins fortes, plus ou moins passagéres, mais toujours sensibles. Ainsi l'Herclé dieu des sources qui, sous sa forme gréco-étrusque, apparaissait joint à Apollon, semble n'avoir pu développer sa légende en Étrurie qu'en s'appuyant sur un « loalos » sardo-carthaginois. Mais cet

118

« Tolaos

LES ORIGINES

» porie un nom

articulation achéenne.

DE L HERCULE

ROMAIN

grec, et, qui plus est, avec une

Parlera-t-on de l'Herclé Navigateur

qui semble un autre Melqart, sans doute l'influence tyrocarthaginoise, utilisant des éléments sardes, apparait incomparablement plus probable que toute autre : et pourtant nous ne saurions sans scrupules écarter la possibilité

d'une action venant de Grande-Gréce,

ou de Corinthe par

l'interiédicire de Corcyre et des Grecs d'Italie. Et de méine

pour l'Herclé «

Dioscure

» et dieu des astres nocturnes,

sénitique de fonctions, grec d'aspect. Herclé et Mla, Mais nulle part Ja combinaison et l'évolution des éléments grecs et carthaginois dans la légende d'Herclé ne sont aussi neítes que dans les rapports qu'il entretient avec ia déesse

Mila. Cette divirite trés proche de la Tanit Carthaginoise, à la fois marine, guerrière et aphrodisiaque, apparait au V* siècle,

sous

son

nom,

conune

l'amante

d'Herclé.

Mais

déjà à cette date elle porte la marque grecque et prend les

traits d'une Athéna, Comment interpréter ce phénomène? D'une Athéna-Aphrodite il ne saurait étre question chez ies -Grecs : et cela suffit pour confirmer l'origine sémitique de

Mlay ;— mais une Athena marine était répandue et honorée chez tous les Hellénes de Grande-Gréce, qui frappaient avec prédilection son effigie sur leurs monnaies : c'est l'Athéna Skyllétia ou Skylétria, déesse des tempêtes et des naufrages (1), à Thourioi, Skyllétion, et tout le long du golfe de

Tarente (2). Par elle s'explique la progressive hellénisation (1) Cf. G. Giannelli, Culti

e Mité della Magna

Grecia, p. 122,

n. 2, et 203 sqq. (2) Une Athena marine est aussi connue à Syracuse (Polem. ap. Athen., XI, p. 642 c; Cic., Verr., II, IV, 118. — Cf. E. Pais, Italia Antica, II, p. 192; p. 196-197). — La progression vers le nord est attestée par ea présence au cap de Sorrente (Stat, Silu., IIT, 2, 22. — Cf. E. Pais, Italia Antica, II, p. 197) et peutêtre à Rome, où Minerve apparaît comme la protectrice des flottes militaires (E. Pais., op. cit., IT, p. 197-198), et où la légende du Palladion est liée aux noms expressifs de Nautés et des Nautii, — Voir : Anti, Athena marina e alata (Mon. d. Lincei, XXVI, 1920-21, p. 310).

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI AU 1V° SIECLE

119

de Aiæ/, qui prend sur un miroir le nom de Menerva, comme elle en avait déjà l’aspect dans la seconde moitié du V* siècle. Et puis l'hellénisation s'affirme de plus en plus ; mais elle tend, bien entendu, à détruire la physionomie originale

mixte, de la déesse primitive : Mlay, devenue

tantót une

Athena, tantöt une Aphrodite, continue à jouer aupres d’Herclé le méme róle amoureux, mais désormais avec une banahté de plus en plus fastidieuse. — Cet exemple nous est précieux, non seulement par la netteté du phénoméne qu'il nous présente, mais aussi 'par la relative précision de sa

chronologie : vers 450, en Étrurie, les éléments helléniquee de Grande-Gréce étroitement pour 4'Herelé.

et phénico-carthaginois se combinent composer le personnage et la légende

Conclusion

Dieu singulier üsme, mais fort des attributions minantes, mais

à cette date, original déjà par son éclee peu homogène : des traits encore ioniens. sémitiques précises et parfois peut-être dodéjà soit encouragées, soit modifiées par

des

grecques

influences

semble-t-il,

qu'aux

de l'Italie méridionale.

Ce n'est,

IV' et III* siécles que Herclé,

plus libre

des lecons qui avaient élevé son enfance, devint proprement étrusque, c'est-à-dire personnel, ayant assimilé les qualités Aue lui avaient transmises Héraclés et Melqart. Le Foie de Plaisance nous le révéle alors, tenant sa place parmi les

divinités d'origines diverses, étrusques, grecques et latines. Il y est l'allié de Mars et de Neptune, à la fois dieu des eaux et dieu de la guerre. Le premier de ces caractères est celui qui se marque le plus, et le plus tót, dans les monuments étrusques. Or, qui voudrait y trouver un symbole d'Herclé ne se tromperait guére ; rien n'est plus facile en

effet que de noter dans le monde grec maint indice d'un Héraclés des sources et des eaux; mais la primauté de ces

fonctions appartient bien plutót à un Melqart qu'à un Héraclés. — Ainsi Herclé nous apparaît-il comme un dieu

120

de nom

LES ORIGINES

DE L’HERCULE

et de physionomie helléniques,

ROMAIN

mais

de fonctions

mixtes, et qui trahissent une puissante influence orientale et phénico-carthaginoise, contrôlées et modifiées par l’action des Grecs d'Italie, surtout des Achéens et Achéo-Trézéniens de Crotone, Métaponte, οἱ Poseidónia.

IV Conclusion

Ainsi se délimite le champ quelles

naquit

et grandit

des influences au milieu des-

l’Hercule

Romain.

Il manque,

a

vrai dire, à cette esquisse des régions héracléennes de l'Italie, une étude spéciale des montagnes Sabines : elles figureraient, sur notre carte, une ferra incognita, une tache blanche, au milieu du riche réseau d'échanges qui couvre l'Italie méridionale et qui, d'Étrurie, s'épanouit jusqu'aux Bouches du Pd. Non qu'il faille en conclure que la Sabine re connut Hercule qu'aprés Rome, et un Hercule Romain: mais une chronologie étendue nous fait ici cruellement défaut; et

l'imprécision des documents,

tous de dates récentes,

lais-

sant le champ libre à toutes les hypothéses, les rend toutes également vaines. Nous avons pourtant indiqué avec quelle puissance l'hellénisme avait imprégné le pays des Marses et les abords du lac Fucin, où l'on a retrouvé tant d'images

de l'Hercule étrusco-italique (1) : si facile étuit la voie qui, de la Campañie, lui ouvrait la vallée du Liris! — Celle de l'Aterno aussi semble avoir été un « lieu

» héracléen:

bien des villes 'et des bourgades des Sabins, des Vestins, des Péligniens, adoraient le héros (2), qui avait pu leur venir, par Sant'Agnone (3), de la Daunie, terre de Dioméde, et de la riche Apulie. — La citadelle de Tibur enfin, latine, Mais qui prolonge en éperon les montagnes Sabines, se glo(1) Voir supra,p. 102.

(2) San Vittorino,

prés Pizzoli

(Not. d. Scavi, 1909,

p. 00);

Paganica et Roio (Not. d. Scavi, 1902, p. 471-472); prés de Molina (Dressel, Bull. d. Inst., 1877, p. 177 sqq.). — La dime est atiestée à Amiterne, pour Hercule... — Voir infra. (3) Hereklüi Kerriiut (Cf. Mommsen, Unterit. Dial. p. *Qq.) : peutttre un Héraclés fécondant, analogue à ceux

Grande-Gréce.

128 de

122

LES ORIGINES

DE L’HERCULE

ROMAIN

rifiait d’adorer depuis une haute antiquité Hercule dans le

plus beau sanctuaire que le fils d'Aleméne possédát en Itahe (1) : dieu de la victoire et de la justice, des oracles et

des trésors, Hercule y dominait tout le culte; et bien des savants, à la suite de M. Wissowa, ont succombé à la tentation de lui rattacher, d'une facon assez simpliste, l'Hercule Romain de l'Ara Mazima, réduite à la condition de simple filiale du temple tiburtin. Mais ce sanctuaire, si important qu il soit, dépend, comme les précédents, des mémes routes et des mémes légendes que ceux du pays étruscolatin : il n'y a donc pas lieu, pour le moment, de le parer

d'un prestige spécial ni d'une originalité privilégiée. S'il est vrai que, de nom, Hercules est grec ou étrusque. insensible déformation d''Hzxx^7; ou d'Hercle (2), on ne considérera

pas toutes ces cités héracléennes,

à travers les-

quelles nous avons passé, seulement comme un chaur étranger qui, de ses douces incantations, a dévié au cours des siècles, un

dieu originairement

latin vers un aspect

et des

légendes helléniques; il faudra de toute nécessité admettre que d'une ou de plusieurs de ces villes, par l'une ou l'autre des routes que nous avons jalonnées, est venu un jour se fixer aux bords du Tibre, au lieu sacré des Sept Collines, un dieu inconnu ux tzib:ss &rcsstrales de racc latine. Quel ap-

parut-il? Comment fut-1l reçu? Apportaitil la guerre ou la paix ?... Aux légendes de répondre; aux sanctuaires 4: faire valoir leurs titres et d'évoquer leur dieu !

La légende le fait arriver, l'étranger, avant méme que Rome

existát,

et planter

son Autel

dans

une

terre encore

sans histoire : ainsi avait-il, dans un paysage grec, sur une plage déserte, prédit la future Crotone. Sur ces innocentes illusions quel besoin que 18 critique moderne exerce son ironie? — Mais voyons-le tel que, à la fin du VI* siécle peut-étre, le peuple déjà mélangé de Rome l'admira soit dans une chapelle à lui consacrée, soit comme personnage

d'un ex-voto dédié. à quelque autre dieu. Une main étrus-

(1) Cf. Ella Bourne, A study of Tibur (1916), p. 57 sqq. (2) Supra, p. 3 sqq.

L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV’ SIECLE que,

un

ouvrier consciencieux

l'avait modelé,

au

nom

rigide, et la tête couverte

mythique,

123 Vulca,

de la peau de

lion, tout comme l'aurait fait à la méme date un artisan de Cypre ou de Grande-Grèce; la terre cuite peinte faisait ressortir et le vêtement sauvage du héros, et sa face im-

berbe, et la puissante musculature,

rouge brique, des bras

et des jambes (1). Noble apparition, certes, et sans rien de fade; Rome commençait seulement à voir ses dieux pré. sents, dressés de toute leur stature, et aussi tangibles que des hommes; et celui-là était étrange, à la fois barbare et

raffiné, de saveur grecque et orientale. -- Mais quoi ? Les archéologues romains ont pu se tromper ou nous tromper : cette statue était-elle vraiment aussi ancienne qu'ils le prétendent? avait-elle été faite pour Rome? ou apportée plus tard, avec le culte, d’une ville étrusque? ou même, rapine de guerre, consacrée dans un sanctuaire d’Hercule dont la date de fondation nous échappera éternellement ? C'est en 399 a. C. qu'un témoignage religieux irréfutable nous atteste enfin la réalité du culte d'Hercule à Rome : un lectisterne public y est célébré, et le héros y a sa place marquée (2). Et que l'on ne prétende point que le document est suspect parce qu'il précède l'invasion Gauloise et la destruction des archives romaines : la méme cérémonie se renouvela quatre fois au cours du IV* siécle; et comme, chaque fois, on se référait au rituel de la précédente, il était difficile, ou, pour mieux dire, impossible, que l'on perdit de vue la première de toutes, et qu'en si peu de temps on (1) La statue, d'argile (on l’appelait Hercules fictilis), était attribuée au méme artiste qui fit aussi la premiére statue d'argile de Jupiter Capitolin (Plin., n. h., XXXV, 57); donc, selon qu'on suit la tradition pure ou rectifiée, datée de la fin du VI* ou du début du V* siècle. Le dieu était représenté la tête couverte, comme on peut l'inférer d'une remarque absurde de Macrobe (III, 6, 17). Pour le style, on comparera les grandes statues de terre cuite contemporaines, trouvées récemment à Véies. — Cf. Brunn, Gesch. Griech. Künstler*, I, p. 370; Preller, ἢ. M.*, I, p. 218, n. 2. (2) Liv., V, 13, 6; Dionys. Halic., XII, 9 sq.; Augustin., de ctv. D., III, 17. — Voir infra.

124

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

oubliät la date solennelle oü, selon le rite grec,

six

s'étaient couchés,

d'un

pour

la premiére

fois,

autour

dieux ban-

quet sacré. Selon que l'on admet, ou non, comme réelle en tous ses termes, la donnée sur la statue étrusco-romaine de Vulca, le probléme des influences héracléennes sur Rome (en dehors

de toute discussion critique, et in abstracto) se pose differemment. — Dans le premier cas, l'Hercule Romain remonte

au moins aussi haut que l'Hercule Étrusque; et, de deux choses l'une, ou bien ce sont les Étrusques qui l'ont introduit dans Rome; ou bien la domination étrusque l'a trouvé déjà installé par des Grecs, et lui ἃ donné plus d'importance et peut-étre un caractére officiel ; quant aux influences de Grande-Gréce (sans parler des marins de Phocée et de Cumes), elles se rattachent à la période de l'hégémonie sybarite. — Dans le second cas, les mémes hypothéses sont possibles, mais totalement invérifiables; et il faudra tenir compte de deux facteurs importants : l'hégémonie maritime de Syracuse dans les mers italiennes; l'hégémonie terrestre et maritime de Crotone dans la Grande-Gréce, et jusqu'aux portes de la Campanie. Et, réciproquement,

si, dans l'étude

culte et de la nature de

l’Hercule

de

Romain,

la

légende,

nous

du

pouvons

déceler tel élément d'apparence originelle, et se rapportant à l'hégémonie soit syracusaine ou crotoniate, soit étrusque ou sybarite, ce nous sera un indice de la date réelle oü le dieu a pénétré à Rome. La recherche que nous entreprenons poursuivra donc concurremment deux buts : les composantes d'Hercule Romain, et la chronologie de son culte.

DEUXIEME

Formation Romaine

de

PARTIE

la

Legende

d’Hercule.

Les

Sources

de

la

Légende

ll y a une vulgate de la légende d'Hercule à Rome. Ella est universellement connue, et s'est imposée à tous les écrivains qui en ont traité au I” siècle avant notre ère, et à ceux qui les ont suivis, historiens comme Tite-live et Denys d'Halcarnasse, poètes comme Virgile, Ovide et Properce, com-

plateurs comme Solin. Elle disait que le héros venant du lointain Occident victorieux de Géryon, et, poussant devant lui les troupeaux conquis, s'était arrêté aux bords du Tibre, entre le Palatin

et l'Aventin,

et s'y

était endormi;

Cacus,

brisand de l'Aventin, lui vola les plus belles de ses b£tes; Hercule le chätia. Pour remercier son pére, il éleva prés de la porte Trigemina l'autel de Jupiter Inventor. Lui-méme obtint d'Évandre, au pied du Palatin, le sanctuaire illustre de l'Ara Marima. 4 priori, l'importance de cette vulgate est fort grande,

parceque la légende s'attache à des données topographiques précises : d'une part les environs de la Porte Trigemina, l'étroit couloir entre les à-pic de l'Aventin et le cours du Tibre; de l'autre, l'Ara Maxima et ses alentours, ce carrefour ou convergent la route des Salines, la Vallée du Grand Cirque, le Vélabre. Elle l'est encore parceque la tradition n'est pas seulement poétique, mais religieuse; c'est une traditioa de temples, un récit de fondations : comme telle, elle doit

être d'une ancienneté au moins relative.

Mais il est trés net aussi que les rédactions du I” siècle en sont trop tardives pour nous insprirer une confiance absolue. Nous devons les contróler l'une. par l'autre, les criti-

128

LES

ORIGINES

DE

L'HERCULE

ROMAIN

quer, chercher sous la vulgate les états antérieurs, si possible reconstituer la forme primitive de la légende (1). Théorie

L'étude sources du Winter (2). étre admis suit :

de M.

Winter

la plus complète et la plus récente sur les mythe d'Hercule à Rome a été faite par M. J. 6. Ce travail simplifie beaucoup notre táche et peut dans son ensmble. Nous le résumerons comme

a) Tite-Live et l'Origo Gentis Romanae

dérivent des der-

niers annalistes, en particulier Ælius Tubero et Licinius Macer; à Tubero se rattache aussi la version mythique de Denys d'Halicarnasse;

b) la source, directe ou non, de Strabon est Acilius; c) à Varron et Pison remontent les récits evhémériques de Denys,

Festus et Solin;

d) Timée est, pour l'ensemble, la source de Diodore de Sicile; c) quant aux poétes, « leurs créations ne sont pas réalistes, mais romantiques », et, malgré les quelques traces de l'annalistique récente qu'on trouve en eux, on n'a pas à se servir de leurs œuvres, presque uniquement littéraires. En somme, la plus ancienne forme du mythe, toute grecque, et sans Cacus, est représentée par Strabon, et, dans une certaine mesure,

par Timée, dont les données

nous ont

été transmises par Diodore de Sicile. — Cette matiére a été reprise, nous ignorons sous quelle forme, par les premiers annalistes Romains, et, par les plus récents (Macer et Tubero), a été transmise à Tite-Live et Denys: Denys re(1) Représentants de la Vulgate : Vergil., Aen., VIII, 190 sqq; Liv., I, 7, 3 sqq.; Dionys. Halic., I, 39 sq. (2 versions : mythique et rationaliste); Propert., V, 9, 1 sqq.; Ovid., fast., I, 543 sqq; cf. id., ib., V, 643 sqq; VI, 79 sqq.);De orig. Gent. Rom., 7. — Données divergentes : Strab., V, 3, 3; Diod. Sic., IV, 21; Festus, 8. v. Romam, p. 266; Solin., I, 7 sqq.

(2) The studies.

myth

of Hercules

Humanistic

at Rome

(University. of Michigan

Series, IV (1910), p. 171-273).

FORMATION

DE LA LEGENDE

ROMAINE D'HERCULE

129

présente le Livmphe de l'esprit historique, tout le divin disparait de son récit; quant à celui de Tite-Live, il est purement étiololique. -— Entre temps le mythe de Cacus, à l’origine tout à fait indépendant de celui d’Hercule, y avait été joint : au plus tard au III* siècle. Mais Cacus ne prit le rôle de voleur sans doute qu'avec les annalistes Romains du II". Avant toute discussion, il est visible que le système de M. Winter s'expose à deux critiques de méthode : il fait trop bon marché des données augustéennes, en particulier des poétes, et de Virgile; il ne donne pas aux versions secondai-

fes et divergentes la place qui doit leur revenir dans l'explication du mythe officiel. I.

Mais

ces



STRABON

ET

déterminations

DIODORE

précises

DE

SICILE

des sources

sont.elles

possibles avec des auteurs aussi fuyants que ceux de l'Anti-

quité ? Deux exemples suffiront à en montrer le danger. Strabon

M. Winter

donne

au

texte de

Strabon

une

valeur

excep-

tionnelle. Est-elle fondée ? — Strabon dit : « Il est une autre tradition, antérieure et mythique, selon laquelle il y avait (sur l'emplacement de la future Rome) une colonie Arcadienne sous Évandre. Celui-ci reçut en hospitalité Héraclés, qui menait les bœufs de Géryon. Mais Évandre, ayant appris de sa mére

Nicostrate,

clés, aprés avoir accompli

instruite

de

l'avenir,

qu'Héra-

ses travaux, était destiné à de-

venir dieu, l'annonca à Héraclés, détermina un enclos sacré,

et offrit un sacrifice grec qui jusqu'à maintenant

en l'honneur d'Héraclés.

subsiste

Et Coelius (ou Acilius) l'historien

Romain donne pour preuve de la fondation hellénique de Rome l'existence de cet antique sacrifice de rite grec à Heraclés. Quant à la mère d'Évandre, les Romains l'honorent

comme une des nymphes, sous le nom de Carmenta. (1) » (1) Strab., V,p. 230 C. : « Ἄλλη δέ τις προτέρα xai μυθώδης ᾿Αρχαδικὴν λέγουσα

γενέσθαι τὴν ἀποιχίαν

ὑπ' Εὐάνδρου. Τούτῳ

δ' ἐπιξενωθῆναι

τὸγ

130

LES ORIGINES DE L'HERCULE

Avons-nous

d'abord

le

droit

eilius à tout le passage ? Toute la première partie « Kal 9 ve Κοίλιος »,

ROMAIN

d'étendre

du

l'autorité

développement,

d'A-

jusqu'à

est sous forme infinitive : c'est « l’au-

tre tradition » que Strabon rapporte comme récit général et bien

connu.

Au

contraire,

les témoignages

sur l'origine

de

Rome et sur Carmenta se présentent sous forme positive : ils sont donc en dehors du récit précédent, et ne servent qu'à donner de l'autorité au caractère grec du sacrifice, et à l'existence de Carmenta-Nicostrate à Rome. Sous forme simplifiée et accentuée, le texte de Strabon veut dire : « Il est une autre tradition sur la fondation de Rome, que voici... Tellement grec est le sacrifice à Hercule qu'Acilius s'en sert pour prouver l'origine grecque de Rome. Quant aux personnages

arcadiens, Nicostrate-Carmenta est positivement honorée à Rome. » — Il se peut qu’Acilius ait fait le méme récit que

Strabon : nous n'en savons rien. Mais il est sür que Strabon ne le donne pas comme étant d'Acilius. Toute précision en ce sens doit disparaitre : et nous ne nous trouvons

plus que

devant une tradition vague et non datée, qu'il faudra étudier comme telle. M. Winter croit, d'autre part, pouvoir inférer de ce texte que la source de Strabon ne connaissait

pas encore

Cacus;

donc que Strabon représente pour nous un état relativement pur de la légende d'Hercule. Une telle conclusion est, elle aussi, forcée. Strabon parle de l'origine de Rome et vient de rapporter la tradition troyenne et romuléenne de la fondation ; il indique ensuite la tradition grecque

(arcadienne)

la rattache au culte d'Hercule,

fait c'est à lui

parcequ'en

et

'BpaxMa ἐλαύνοντα τὰς Γηρυόνου βοῦς * πυθόμενον 8t zT, μητρὸς Ν᾿ χοστράτης τὸν Εὔανδοον (εἶναι δ᾽ αὐτὴν μαντιχῆς ἔμπειρον), ὅτι τῷ 'Hpaxet πεπρωμένον ἦν τελέσαντι τοὺς ἀήλους θεῷ γενέσθαι, φοάσαι τε πρὸς τὸν "Hoada ταῦτα

xai

φυλάττεσθαι

τέμενος

ἀναδεῖξαι

xal

θῦσα!

θυσίαν

τῷ ‘Hoaxheï, Kai 6 γε Κοίλιος,

Ἑλλην: χήν,

ἣν

ὁ τῶν Ρωμαίων

xal

νῦν

ἔτι

συγγραφεύς,

τοῦτο τίθεται σημεῖον τοῦ Ἑλληνικὸν εἶναι χτίσμα τὴν 'Ρώμην, τὸ παρ᾽ αὐτῇ

τὴν πάτριον θυσίαν ᾿Ελληνιχὴν εἶναι τῷ 'Βραχλεῖ. Καὶ τὴν μητέρα δὲ τοῦ Εὐάνδοου τιμῶσι 'Ρωμαῖοι, μίαν τῶν νυμφῶν νομίσαντες, Καρμέντην μετονομασθεῖσαν. »

FORMATION

sul qu'on dare et a bor traite l'a sllégée avors-nous

DE. LA LEGENDE

ROMAINE D'HERCULB

.131

peut la rattacher : l’histoire de Cacus est seconfort bien pu être omise; d'autant plus que Stracette seconde tradition avec un mépris évident, et autant que possible. Mais d'ailleurs quelle raison de croire qu'il ait utilisé d'autres sources, plus

anciennes, que les soigneux historiens de Rome, Tite-Live et Denys d’Halicarnasse? Il est à peu prés leur contemporain; il vint à Rome en mém temps que Denys. Il ne se Soucie pas exetrémement des écrivains latins. Dans un passage secondaire de sa Géographie, il n'a pas dû faire l'érudit, mais rapporter une tradition courante en la réduisant aux éléments qui lui étaient d'une stricte utilité. Ainsi, d'une part Acilius n'est pas la source de tout le récit de Strabon ; de l'autre, ce récit ne remonte pas forcément à une source ancienne qui ignorait Cacus (1). Est-ce à dire que M. Winter ait eu tort d'affirmer que le mythe de Cacus a été adjoint tardivement à la légende d'Hercule ? Certes non. Mais le texte de Strabon n'en est pas une preuve. Substituer une précision forcée à l'évidente imprécision n'est pas d'une bonne méthode historique. Diodore

de

Sicile

Avec beaucoup d'atténuations et de restrictions, M. Winter attribue à Timée l'origine du fameux chapitre de Dio(1) M.

Winter

se met

d'ailleurs

en contradiction

avec

lui-mé-

me lorsqu'il admet (p. 269) que l'indigéne Cacus fut introduit dans le mythe d'Hercule au plus tard au III* siécle (par Timée, e' comme ami d'Hercule. Voir plus bas.), et que son caractère de voleur a pu lui être donné par les annalistes du II* siècle. Comment concilier toutes ces précisions :

a) Au

1119 siècle (Timée),

n'existe pas; b) Au II* siécle n'existe pas; c) entre

les deux,

(Acilius), Cacus

Hercule reçu par Kakios, Hercule est

devenu

recu

par

le voleur

Evandre

Évandre, des

Cacus

troupeaux

d'Hercule ? Cette réelle incohérence disparaît lorsqu'on se rend compte que le récit de Strabon n'est pas l'exacte traduction de celui d’Aci-

lius, et qu'il a volontairement été simplifié par l'auteur.

132.

LES

ORIGINES

DE

L HERCULE

ROMAIN

dore de Siciie, IY, 21. La matière de c2 chopitte est la suivante : « Héraclès, à travers la Ligurie et la Tuscie, arrive au Palatium habité par des indigènes {τινες τῶν ἐγγωρίων =

Aborigènes ?). Deux d'entre eux, des plus nobles, Cacius et Pinarius, le reçoivent en hospitalité. Comme preuves de ces faits : la famille des Pinarii subsiste à Rome, et l’on descend du Palatin par un escalier dit de Cacius. Héraclès, en récompense, promet la richesse à qui lui sacrifiera la dime de ses biens. Ce que fit, entre autres, Lucullus (1). Ensuitee Héraclés descend dans la plaine de Cumes où il combat les Géants aux champs Phlégréens.» — «Et sur ce massacre des Géants à Phlégra, d'une part (xoi πεοὶ μὲν τῶν ἐν Φλέγρᾳ φονευθέντων Γιγάντων), tel est le récit que font certains, suivts

aussi par l'historien Timée. 5'HoaxAnc),

Et d'autre part Héraclés

aprés avoir quitté les champs

Phlégréens,

(ὁ

e

etc. »

— Ce récit est d'ailleurs inclus dans une longue relation de la marche d'Hercule depuis l'Espagne jusqu'en Gréce. (1) 'Βραχλῆς

δὲ

διελθὼν

τὴν

τε τῶν

Αἰγύων

xal

τὴν

τῶν

Τυρρηνῶν

ywpav, καταντήσας πρὸς τὸν Τίδεριν ποταμὸν κατεστοατοπέδευσεγ οὗ νῦν à 'Popr ἐστιν. "AM αὕτη μὲν ᾿πολλαῖς γενεαῖς ὕστερον ὑπὸ 'Ρωμύλου τοῦ “Ἄρεος ἐκτίσθη. τότε δέ τινες τῶν ἐγχωρίων κατῴχουν ἐν τῷ νῦν καλουμένῳ Μβαλατίῳ, μιχρὰν παντελῶς πόλιν οἰκοῦντες. "Ev ταύτῃ δὲ τῶν ἐπιφανῶν ὄντες ἀνδρῶν δωρεαῖς

Κάχιος

xai

Iltvapıos

χεχαρισμέναις

ἐδέξαντο

ἐτίμηταν.

τὸν

Τῶν

᾿Βραχλέα

γὰρ

νῦν

ξενίοις ἀξιολόγοις xal

εὐγενῶν

ἀνδρῶν

τὸ

τῶν

Βιναοίΐων ὀνομαζόμενον γένος διαμένει παρά τοῖς Ρωμαίοις, ὡς ὑπάρχον ἀρχαιότατον, τοῦ CE Κακίου ἐν τῷ Παλατίῳ χατάδασίς ἐστιν ἔχουσα λιθίνην χλίμαχα

γενομένης τῶν

τὸ

τὴν

ὀνομαζομένην

οἰχίας τοῦ Παλάτιον

Κακίου, οἰχούντων,

ἀπ᾽ ἐκείνου

Κακχίαν ξ οὖσαν

πλησίον

τῆς

τότε

Ὁ δ᾽ οὖν ραχλῆῇς ἀποδεξάμενος τὴν εὔνοιαν προεῖπεν

αὐτοῖς

ὅτι

μετὰ

τὴν

ἑαυτοῦ

μετάστασιν els θεοὺς τοῖς εὐξαμένοις ἐχδεχατεύσειν Ἡρακλεῖ τὴν οὐσίαν συμδήσεται τὸν βίον εὐδαιμονέστερον ἔχειν. "O xai. συνέδη κατὰ τοὺς ὕστερον χρόνους διαμεῖναι μεχρὶ τῶν καθ᾽ ἡμᾶς χρόνων " πόλλους γάρ 'Ρωμαίων οὐ μόνον τῶν συμμέτρους οὐσίας κεχτημένων, ἀλλὰ xal τῶν

μεγαλοπλούτων

τινὰς εὐξαμένους ἐχδεχατεύσειν

γενομένους εὐδαίμονας, ἐχδεχατεῦσαι τὰς

οὐσίας

'Hpaxet, xal μετὰ

ταῦτα

οὖσας ταλάντων τετρακισχι-

λίων. Λεύχολλος γὰρ ὁ τῶν χαθ᾽ αὑτὸν ‘Poualwv σχεδόν τι πλουσιώτατος ὦν. διατιμησάμενος τὴν ἰδίαν οὐσίαν κατέθυσε τῷ θεῷ πᾶσαν τὴν δεχάτην εὐωχίας ποιῶν συνεχεῖς καὶ πολυδαπάνους. Κατεσχεύασαν δὲ καὶ Ρωμαῖοι τούτῳ τῷ θεῷ παρὰ τὸν Τίδεριν ἱερὸν ἀξιόλογον, ἐν ᾧ νομίζουσι συντελεῖν «ἃς lx τῆς δεκάτης θυσίας. --- Ὁ δ᾽ οὖν "Hoax, ἀπὸ τοῦ Τιδέρεως ἀναζεύξας

BUFMATION

DE LA LEGENDE

ROMAINE

D HERCULE

133

M. Winter admet comme source générale Timée, sauf en ce qui concerne les offrandes de Lucullus, et peut-être les Scalce Caci. « L'étrange variante » qui unit Cacius à Pinanus, est due à Timée lui-même (1). Mas il est au contraire tout à fait net que c'est seulement à la lerniere phrase

du chapitre

que commence

l'influence

de Timée sur Diodore. Il n'est cité qu'à propos d'une légende toute différente, la lutte contre les Géants dans les champs Phlégréens, et parmi d'autres sources. Ce dernier paragraphe du chapitre 24 se relie d'ailleurs beaucoup plus étroitement à ce qui suit qu'à ce qui précéde, comme le prouve

la structure méme de la phrase (μὲν... δὲ...) ; et donc l'utilisation de Timée par Diodore ne se termine pas, mais com- . mence avec la lutte contre les Géants. — En voici une autre preuve. Parlant de la légende d'Hercule à Rome, Diodore se contente d'affirmer et va allégrement de l'avant, comme un historien sür de son fait et qui ne s'embarrasse pas de ce qui fut dit avant lui; au contraire, dés qu'il arrive au pays ' de Cumes et à l'Italie Grecque, il cite ses sources (2) ou em-

ploie des mots qui indiquent une tradition (3). Il est d'ailleurs trés curieux d'examiner le caractére des deux parties de ce récit, celle qui concerne l'Italie Barbare, et celle qui se rapporte à la Grande-Gréce et à la Sicile. Autant la prcmiére

est séche

et terne,

autant

abondent

dans

la seconde

les miracles d'allure populaire (4), les lotalisations précises et, pour ainsi dire, les lieux de pélerinage (5). ἃ partir de (1) Est du méme

avis que M.

p. 283; R. E., s. v. Cacus.,

Winter M. Wissowa

III, 1166). Par contre M.

(R. K. R?,, Schwartz

(ἢ.

E., V, 676-677) admet que Timée n'est pas en question jusqu'à IV, ?1, 5; et que

méme

le passage

de

Diodore

IV, 21, à, —

24, 1, ne

vient pas directement de Timée, mais est un morceau d'un manuel dans lequel d'ailleurs Timée était largement utilisé (l. c., 677, lignes 41-45). (2) Timée ; 21, 7; 22, 6. (3) μυθολογοῦσιν

: 21,5; 22,3; —

μυθολογοῦνται : 21,7; φασιν 22,2; etc...

(4) Miracles des cigales, 22,5; des sources chaudes, 23,1; des empreintes de ses bœufs, 24, 2; des impies paralysés, 24, 5. (5) Via Herculea près de l'Averne, 22, 2; bassin de Léontinoi, 24, 3; sacrifice de la fontaine Cyanée, 23, 4; porte Herakleia à Léontinoi, 24, 6.

134

LES ORIGINES DE L'HERCULE

Cumes, nous somines en pleine dieu d'une mythologie vivante: fluence des histcriens de S«cile, avant, on ne retrouve aucun de

ROMAIN

tradition grecque, et au mu. là n'est pas douteuse l'inen particulier Timée. Mais ces caractéres d' « ubertas :

qui sont le proprede la mythologie

hellénique.

Examinons au contraire la légende d'Hercule à Rome tell: qu'elle nous a été transmise par Diodore. — Mais d'abord estee une légende? Elle a tout l'aspect d'une construction artificielle à tendance étiologique et de caractére evhémérique. C'est ainsi qu'Héraclés est indiqué comme chef d'armée (1), alors

que

Timée,

semble-t il, se le représentait

comme

un

héros isolé (2). C'est ainsi encore que Cacus, ayant pris par une singuliére inadvertance le nom de Cacius, cesse d'étre un « démon » pour devenir un simple bourgeois. — D'autre part, tout le récit est destiné à expliquer l'usage de la dime, et aboutit logiquement à l'énoncé des sommes énormes offertes au dieu, et des largesses de Lucullus. Le récit lui méme est pauvre et banal à l’exces. Diodore, en effet, quand il ne suit pas une source précise, ne se met pas en frais d'invention : lorsqu'il trouve mentionné dans une ville grecque su étrangère un sacrifice en l'honneur d'Hercule, que la

!hronique de la cité ne manque

d'ailleurs pas de faire re-

monter au héros lui-méme (3), il en donne comme immédiate *xplication qu'Hercule en ce lieu fut bien reçu par les ind!-

genes; quand il ne peut préciser, il s'en tient bonnement aux termes les plus vagues et les plus généraux : « quelque part en Ib£rie », « un roitelet de la région » etc... A Rome, plus heureux, il rencontre des noms, des lieux, que la voix publique rattache au souvenir d'Hercule; on lui montre l'Atrium Caci, la Scala Cocia; on lui dit que l'illustre famille des Pi-

narii descend d'ufh homme qui autrefois reçut et honora Hercule; on lui fait part aussi de l'habitude d'offrir la dime au héros, et on lui raconte de merveilleuses histoires sur les banquets offerts par Lucullus et autres puissants personaages. (1) 21,1 : κατεστρατοπέδευσεν; — 21,5 : ἀπὸ τοῦ Τιδέρεως ἀναϊεύξας. (2) Sa traversée du détroit de Sicile : 22, 6. (3) Une ville d'Espagne, IV, 18, 3; Rome, Syracuse, Léontinoi.

FORMATION

DE

LA

LEGENDE

ROMAINE

D HERCULE

135

C'est sur ce thème banal et sur ces noms précis qu'á éte construite l'histoire de Diodore. Un récit grec eût eu plus d'accent; une donnée de Timée, moins de précision. M. Winter s'en est bien aperçu, qui n'a pas osé aflirmer que la mention de la Scala Caci remontát à Timée. — Si l'on admet au contraire le travail propre de Diodore sur ces documents,

son récit s'explique peut-être d'abord par les procédés mo: notones : réception du héros, ses prédictions (ainsi à Crotone, IV, 24, 7); ensuite par des traditions confuses snr Cacus. Potitius et Pinarius, que lui méme s'est efforcé de préciser en les rattachant à des témoignages matéric!s : ainsi s'expliquerait la disparition de Potitius, qui n'avait pas de sub-

strat archéologique, et l'introduction à sa place de Cacus (ou Cacius) pour reconstituer le groupe des deux adorateurs

d'Hercule. Toute difficulté n'est d'ailleurs pas sunprimée, loin de là. Pourquoi Diodore ne parle-t-il pas d'Évandre, eependant bien connu des Romains au moins depuis la fin du HE sieole? Pourquoi ne dit-il rien de l'Ara Marima et de sa fondation liturgique si curieuse ? Si les autres textes de l'époque augustéenne se sont inspirés directenint des annalistes (et sur qui d'autre auraient-ils pu se fonder?), la divergence entre eux et Diodore prouve au moins que Diodore n'a

pas voulu les suivre. Mais conmive d'autre part il est prouvé qu'il n'a pas usé de Timée (et que méme M. Winter enléve toute substance à son hypothèse), et que d'ailleurs son récil est fortement imprégné de rationalisme evhémérique et de chronique contemporaine, et en outre construit sur les the-

mes les plus platement courants, il semble bien qu'il ne faut faire aucun fond sur cette donnée divergente, quasi absurde, qui n'est peut-étre qu'une construction arbitraire de Diodore lui-méme. Les conclusions que nous tirerons de cette étude seront donc fort différentes de celles de M. Winter. Diodore ne représente ni l'annalistique romaine, ni Timée; sans doute ne représente-t-il que lui, c'est-à-dire une interprétation rationaliste de données légendaires confuses. Mais cela méme est précieux pour nous: — Si, vers le milieu du 1 siècle,

136

LES ORIGINES DE

tous les éléments de la ils étaient encore assez certains arrangements. officielle n'existait pas

L HERCULE

ROMAIN

légende augustéenne existaient déjà, souples et malléables pour souffrir Cela ne veut pas dire que la version encore : tout nous porte à croire le

contraire. Mais cela prouve qu'elle n'était pas (ou plus) populaire à Rome : car alors on n'aurait pu y toucher. — D'autre part, si Diodore n'a pas agi par demi-ignorance, la facon dont il a traité le mythe prouve que les points essentiels en étaient déjà bien établis: la cité Palatine favorable à Hercule, les deux hótes qui l'honorent, dont un est Pinarius, les

données ment

topographiques

avec

la tradition

: ces détails s'accordent évandréenne

du

Palatin,

passabledéjà

bien

connue de Polybe. Reste l'énigmatique personnage de Cacus, dont le róle paraît si mal fixé jusqu'à la période augustéenne; sur quoi nous revenons au jugement bien motivé de M. Winter : l'adjonction du mythe de Cacus à celui d'Hercule-Évandre s'est faite relativement tard et n'a pris qu'à la fin du I siècle sa forme définitive, exclusive. Conclusion

Somme toute, Strabon et Diodore, loin de représenter la plus ancienne forme à nous connue de la légende d'Hercule à Rome, nous semblent plutót témoigner d'un moment de crise rationaliste entre la parfaite formation de la légende dans

le courant

des

III* et II* siécles,

et sa reconstruction

savante et poétique par les auteurs du siécle d'Auguste. À cet effort de dépouillement presque complet, de réduction des légendes à leurs éléments les plus simples et les plus humains, devaient déjà aboutir les derniéres productions de l'annalistique : sans méme posséder ces textes, nous pouvons en étre sürs, étant donné l'esprit de la science et de la pensée philosophique dés la fin du II* et surtout au début du I" siècle. — Strabon et Diodore marquent presque le dernier terme de cette destruction des légendes : l'époque d’Auguste, ici comme ailleurs, marque un vigoureux essai de reconstruction.

FORMATION

DE LA LEGENDE

ROMAINE

D HERCULE

137

II. — LES FORMES AUGUSTEENNES DE LA LEGENDE : | LES HISTORIENS Parmi les auteurs du siècle d’Auguste, M. Winter distingue à bon droit les historiens des poètes : d’une part TiteLive et Denys d'Halicarnasse; de l’autre Virgile, Properce et Ovide. Et il a raison d'indiquer comme sources des historiens les derniers annalistes,

en particulier Tubero et Ma-

cer. Mais ils s’en sont servis avec plus de curiosité et un sens plus réel de l’Antiquité que ne l’ont fait Strabon et Diodore. [15 sont revenus à la légende. Non pas absolument pure pourtant : les traces d’evhemerisme sont nettes dans les deux récits, et, n’était le personnage d’Hercule, tout y serait humain

(Cacus est un pasteur dans Tite-läve, un voleur

ehez Denys); Denys éprouve même le besoin, après avoir rapporté la légende en grand détail, d'y joindre une inter-

prétation d'un parfait rationalisme, qui fait d'Hercule un chef d'armée et de Cacus une sorte de baron pillard de la Campagne romaine (1). Mais il est indéniable pourtant qu'avec ces historiens nous sommes revenus à un état de la lé: gende préférable à l'excessive briéveté de Strabon et à la bizarre construction de Diodore. Discordances dans la Vulgate

Ce qu'il est essentiel de noter d'ailleurs, c'est que TiteLive et Denys ne représentent pas exactement la méme tradition. Ainsi, lorsque Denys parle d'un oracle de Thémis, Tite-Live

introduit Carmenta ; si Hercule

vainqueur

se voit,

selon Denys, entouré d'une population reconnaissante, il faut qu'Évandre, nous dit Tite-Live, calme les pasteurs ameutés contre lui: Denys parle de l'autel à Jupiter Inventor, élevé par Hercule, Tite-Live n'en fait pas mention; selon le premier ce fut Hercule, suivant l'autre Évandre, qui dressa l'Ara Marima; quand il s'agit de l'initiation de Potitius,

les termes sont renversés. — Or ces deux auteurs écrivent ea (1) Dion. Hal., I, 41-42.

138

LES ORICINES DE L’HERCULE

même

temps,

sur un sujet commun,

ROMAIN

avec des sources, nous

dit-on, communes, un esprit rationaliste égal et des procédés comparables. Dans ces conditions, les différences que nous venons de noter, si peu sensibles qu'elles soient, πὸ doivent

pas

être négligées.

Car

elles

correspondent

sans

doute à des traditions à l'origine divergentes, qui se sont peu à peu rapprochées jusqu'à presque se confondre. Et, en partant de ces indications, nous avons donc chance de retrouver quelques traces, sinon du mythe originel, au moins d'un de ses états antérieurs. Carmenta

La prophétesse Carmenta, Ovide, est purement

ou

Thémis

dont font mention

latine; son

identification

Tite-Live et avec

Thémis

prouve une influence grecque (1), mais cui peut ne toucher que le nom; de fait, la mére d'Évandre, en Gréce, ne s'appelle pas anciennement Thémis, mais Timandra (2). Ce qui S'est passé est assez facile à reconstituer. Déjà pour Hésiode "Évandre est un héros de Tégée, c'est-à-dire Arcadien; il semble avoir été assez tót introduit dans le cercle de Pan, avec pour pére Hermes et pour mére une fille du fleuve Ladon nommée Themis (3). Mais ce n'est pas de cette Thémis qu'il est question dans la tradition romaine: il s'agit de l’eubouros

Θέμι:,

ἰδ prophétesse

de

Delphes,

comme

le

prouve une tradition divergente sur le mythe d'Hercule à Rome, qui attribuait à l'Apollon de Delphes les prédictions mises par d'autres dans la bouche de Carmenta (4). La confusion est certaine. A quoi est-elle due? Pourquoi ce besoin de donner à Évandre une mére prophétesse? Plus que probablement, comme nous le verrons, parce qu'Évandre à Rome n'est qu'une traduction de Faunus, et que la parédre de Faunus, Bona Dea, dont Carmenta n'est qu'une

forme, est (1) (2) (3) (4)

prophétesse

comme

Wissowa, R. K R:1, p. 220-221. Hesiod., fr. 109. 112 K. Cf. R. E., VI, p. 839-840, Serv., Aen., VIII, 269 = Myth.

Faunus

lui-même.

L'une

Vatic., II, 153; III, 13, 7..

FORMATION

DE LA LEGENDE ROMAINE

D'HERCULB

130

source, l'autre prophétesse, les deux Thémis trouvaient leur exacte correspondance à Rome dans la seule Carmenta, comme dans Faunus Évandre. Donc au groupe purement latin Faune-Carmenta devrait logiquement faire pendant le

groupe

hellénisé Évandre-Thémis;

et la tradition de Tite-

Live, Evandre-Carınenta, est mixte, et prend place, veut, entre les deux précédentes (1).

si l'on

La population hostile ou amicale Quant à la facon dont Hercule fut accueilli par 18 population, il apparait aussitót que le récit de Denys est rationaliste ; mais celui de Tite-Live le parait aussi : l'un invoque l'horreur du sang versé, l'autre la reconnaissance des opprimés. Que l'on fasse pourtant attention. Méme dans le récit de Denys, Cacus appelle à son aide « les paysans ses compatriotes », phrase que l'on retrouve dans Tite-Live :

« fidem pastorum nequiquam inuocans. » — Properce garde le souvenir d'une légende qui faisait repousser

les sectatrices de Bona

Dea.

Hercule aussitót par Évandre,

A Ovide,

Hercule

par

qui faisait recevoir

s'oppose Servius, qui parle

formellement de la méfiance du roi Arcadien (2). — Nous voilà conduits à la question inévitable : n'y eut-il pas une tradition ancienne, selon laquelle Hercule fut d'abord mal reçu, traité en étranger et en ennemi sur le sol de Rome? Si la légende est grecque, (et a priori il n'y ἃ aucune raison d'en douter), il y a assez d'exemples de récits semblables où, tout le long des côtes méditerranéennes, Hercule, représentant de la race grecque, eut à lutter contre des Barbares in(1) On peut se représenter ainsi la suite chronologique

identifié

à Évandre, Évandre rapproché de Carmenta,

ta hellénisée en Thémis.

: Faune

Carmen-

La plupart des auteurs du siécle d'Au-

guste reviennent ici, comme souvent leur semble la plus nationale. Mais,

ailleurs, à la tradition qui dans le cas présent, ils 8e

sont arrétés à Carmenta, alors qu'ils auraient dà logiquement poursuivre, et retrouver Faunus sous Évandre. (2) Serv., Aen., VIII, 269 : Hercules primo non est ab Euandro

susceptus.

140

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

hospitaliers. La question demande à être traitée à loisir. En tout cas, elle se pose avec netteté par le simple examen des textes augustéens, qui ici encore nous permettent de remonter bien plus haut que l'annalistique récente. Jupiter Inventor

Méme chose pour l'autel de Jupiter Inventor. Virgile luiméme, le poéte religieux, n'en parle pas; Ovide par contre en fait mention. Sans doute les seuls documents littéraires par lesquels cet autel nous est connu, en rattachent la fon-

dation à la victoire d'Hercule sur Cacus. Mais comment alors expliquer que le fait soit passé sous silence par d'autres au-

teurs graves,

fervents d'antiquités nationales,

qui rappur-

tent le même mythe ? A une telle question une réponse précise est sans doute impossible. On peut pourtant soupcouner en ce cas, comme

en d'autres où elle est certaine,

« attraction » exercée par le culte Jupiter. Il se peut que

d'Hercule

le sanctuaire

d'Hercule

sur

celui

uu

de

ad portam

Trigeminam ait annexé à sa légende l'autel tout proche de Jupiter (1). Celui-ci méme y gagnait en antiquité, ce qui suffit à expliquer que personne ne se soit mis en frais pour détruire la légende; mais certains auteurs, plus scrupuleux ou ayant des données plus précises sur l'origine de ce monument, pouvaient se refuser à faire mention d'une légende à leurs yeux

sans fondement.



Nous

lisons,

dans Denys,

un détail qui a son intérét : le culte de Jupiter Inuentor, nous dit-il, fut institué par Hercule sous une forme absolu. ment grecque avec le sacrifice d'un jeune bœuf. Or rite »t sacrifice se répétent identiques lorsqu'il s'agit de l'Ara Marima (2). Une telle identité ou bien a pu provoquer le rapprochement des deux cultes, ou bien est due à ce rapprochement méme. Mais on ne s'expliquerait pas alors que,

devant de telles réalités maérielles, Tite-Live et Virgile n'aient (1) Il arrive méme que l'auteur du De orig. gent. Rom., 6, des deux autels n'en fasse plus qu'un, qu'il appelle, par une autre confusion, l'Ara Mazima.

(2) Dion. Hal., I, 39, in fin. et I, 40.

FORMATION DE LA LEGENDE

ROMAINE

D'HERCULB

141

pas accepté la légende de la fondation par Hercule de l'autel à Jupiter Inuentor s'ils n'avaient pas eu d'assez sérieuses raisons d'en douter. Ils ont su remonter au-delà de l'annexion tardive de ce culte à la légende d'Hercule, tandis que Denys, resté à michemin, l'a accepté comme élément originel de cette légende. Voilà donc un autre indice de l'évolution que nous cherchons

à reconstituer.

| L'Ara

Maxima

A qui faut-il attribuer la fondation de l'Ara Marima? — À serrer les textes de prés, quatre écrivains nous donnent quatre formules différentes (1). Ce fut Évandre, selon Denys,

qui le fonda; selon Tite-Live Hercule sur l'instigation d'Évandre; si l'on suit Ovide, Hercule en présence des Arcadiens ; si l'on en croit Properce, Hercule seul comme un défi aux indigénes. Il est facile de remarquer que les données de Tite-Live et d'Ovide sont des compromis, et, pour ainsi dire, des formes de transition entre celle de Denys et celle de Properce. Évandre perd toute importance quand on passe de l'un à l'autre (de méme il ἃ entiérement disparu des textes de

Strabon et Diodore étudiés plus haut). Si l'on considére les deux extrémes,

la différence est énorme : d'un cóté les Ar-

(1) Les vers de Virgile,

Aen., VIII, 268 sqq., sont peu clairs : ...laetique minores seruauere diem primusque Potilius auctor et domus Herculei custos Pinaria sacri hanc aram luco statuit, quae... etc... On met généralement une trés forte ponctuation aprés sacri, en donnant Hercules sous-entendu comme sujet à statuit, Il faut bien

avouer

alors que ce court

passage

sez mal écrit .La difficulté n'est Ja fondation

soit à domus

tout ensemble.



est haletant, gauche,

guére moindre

Pinaria,

M. Piganiol

si l'on

soi à Potitius et aux

(Mélanges

de l'École

as-

attribue Pinarli

de Rome,

1909, p. 109, n. 2) adopte sans hésitation la lecture non ponctuée “αἱ en conclut

que,

pour Virgile,

l'Ara Mazima

privée des Potitii et des Pinarli,

est une

fondation

142

LES ORIGINES DE L'ERCULE

ROMAIN

cadiens ori tot L'ucuineur de la fondation, de l'autre Hercule. I] ne s'agit pas ici de chercher quelle croyance avait cours dans le peuple, laquelle est la plus ancienne (1). En tout cas, ne devons-nous pas conclure, en bonne critique, que là encore les écrivains du siécle d'Auguste, loin de se copier l'un l'autre, représentent sur le mythe d'Hercule à Rome plusieurs traditions assez différentes ?

Sans insister davantage, le méme raisonnement vaudrait pour l'initiation des Potitii, attribuée tantót à Hercule tantot à Évandre, avec cette différence remarquable qu'ici c'est Tite-Live qui fait jouer à Évandre le principal róle : preuve

manifeste

que

les auteurs

augustéens se débattent parmi

des traditions mal fixées dans le délai], et sans esprit de parti. Donc elles existent en dehors d'eux, et il nous faudra en tenir compte.

HI.

— DE

LES FORMES LA

LEGENDE

AUGUSTÉENNES : LES

POETES

M. Winter fait assez peu de cas des pocles pour l'étude de la légende de Cacus. Il est certain que, chez eux, des contaminations littéraires ont pu altérer dans de fortes proportions les données de l'annalistique. Virgile s'est servi de l'hymne homérique à Hermés, et peut-étre, bien que tous les rapprochements faits par M. Winter ne soient pas probants, la figure de Cacus a-t-elle été chez lui influencée par le Tiphœus d'Hésiode. Properce a usé de Virgile et de Varron. Ovide, de Virgile, Properce, Tite-Live, et les annalistes; peut-

étre aussi du calendrier de Verrius Flaccus.

mettons-le; il n'en reste

pas moins

Tout cela ad-

que, loin d'étre des

œuvres fantaisistes, ces poèmes d'inspiration nationale représentent un effort pour remonter aux origines des légendes

(1) Selon M. Wissowa (R. K. R?., p. 273, n. 5), la tradition qui fait d'Hercule le fondateur de l'Ara Mazima est sürement la plus.

jeune. des deux. Il n'en donne pas de preuves, οἱ nous n'en som-mes pas aussi persuadé que lui.

FORMATION

DE LA LEGENDE

ROMAINE

D'HERCULE

143

et des cultes Romains, et qu’ils peuvent donc nous fournir des renseignements d’une certaine valeur. M. Winter attaque le caractère du Cacus de Virgile, comme n'ayant aucune portée religieuse. « Cacus a pu, dit-il, être un dieu souterrain : mais il nous est impossible de déterminer son caractére primitif. Lorsque Virgile l'appelle fils de Vulcain, cela n'a aucune valeur religieuse, car nous ne possédons aucune trace de son culte. Et d'ailleurs, la reli-

gion romaine n'est pas une religion de la nature ». (1) — Ces affirmations sont trop absolues. Non seulement nous connaissons par les textes la vieille déesse Caca, parèdre de. Cacus, mais nous savons qu'elle était honorée soit par les Vestales, sectatrices du feu, soit avec les mémes rites que ceux des Vestales (2). N’est-il pas croyable que son « frére » Cacus

avait des attributs semblables aux siens, et

Virgile n'estil pas justifié de lui avoir donné pour pére Vulcain, afin de faire entendre que Cacus est une divinité du feu (3) ? Nous n'avons aucune raison de pousser le doute trop loin : il y a des ornements

poétiques qui cachent sous

une forme suspecte des réalités trés précises. De même, constater que Properce opère une fusion entre le récit de Virgile et un texte connu de Varron, ce n'est pas suffisant pour nier la valeur de ses données. La seconde partie de son récit se rapporte, dit-on, au mythe de Bona

Dea; mais justement le texte de Varron

(4)

dont

il s'est

inspiré nous prouve que Bona Dea n'est pas en ce cas sépa(1) op. c., p. 234. (2) Serv.,

'962 sqq. (3) Nous

Aen., VIIT,

190. — Voir

discussion

verrons qu'il n'y a pas de raisons

vaincantes de considérer Caca comme

de fond,

infra,

absolument

p.

con-

une déesse du feu. Mais

Virgile a fort bien pu faire le raisonnement que nous faisons ici, et d'aprés les connaissances qu'il avait sur Caca, donner pour pére à Cacus Vulcain, dieu du feu. En ce sens, sa création n'est pas une fantaisie poétique, mais une tentative quasi-scientifique pour remonter à ce qu'il croit étre la nature religieuse de Cacus. — Voir infra, l.c. Ä : (4) Varro ap. Macrob., I, 12, 27-28. Une femme, le jour des

mystères féminins de Böha.Dea, refuse à boire à Hercule:

144

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

rable d'Hercule, et que le parallèle entre les deux cultes qui excluent l'un les hommes, l'autre les femmes, remonte en tout cas plus haut que les années augustéennes. D'ailleurs nous

possédons

d'autres

indices

de

cette

hostilité

entre

Hercule et Bona Dea; et surtout le texte qui prétend que Carmenta, mére ou femme d'Évandre-Faunus et étroitement apparentée à Bona Dea, invitée par Hercule à son sacrifice et ne s'y étant pas rendue, fut cause de l'exclusion de son

sexe de l'Ara Marima (1). Nous avons donc là deux explications voisines de ce rite curieux. Il est possible qu'il faille chercher en Grande-Gréce

l’origine du récit de Varron repris par Properce. Les bizarreries du personnage de Bona Dea, considérée comme ennemie du

vin,

ne

semblent

d'Alkimos de Sicile (2) qui des femmes italiques pour le d'Héraclés à Crotone : ayant boire à une femme du pays, il changea

alors

en

pierre

pas

étrangéres

à un récit

cherche à expliquer l'aversion vin en la rattachant au passage soif, dit-il, le héros demanda à qui ne lui donna que de l'eau; le tonneau

de

vin.

Et,

d'autre

part, que les Grecs se soient intéressés directement au culte

romain de Bona Dea, c'est ce que prouve le rapprochement de Damia, nom qu'on lui donne à sa féte de décembre, et de

la déesse Damia adorée à Tarente (3), et par les Trézéniens. Si, de ces témoignages trés divers, il est permis de tirer

une conclusion, c'est que, dans le légendaire romain, Bona Dea n'est pas absolument étrangère à Hercule, et que par conséquent la fusion opérée par Properce n'est pas une

fantaisie personnelle;

ensuite

que,

les

Grecs de l'Italie

méridionale s'étant occupés eux aussi de Bona Dea et d'Hercule, et ayant mélé Hercule à des légendes étiologiques qui, en derniére analyse, s'appliquent à Bona Dea, il est pos-

sible que la fusion en question remonte bien plus haut que les derniers annalistes jusqu'aux Grecs créateurs des légendes Romaines.

Les

poétes

qui

ont

traité du mythe de Cacus ne nous

(1) Plut., Q. R., 60. — De orig. gent. Rom, (2) Müller, F. H. G., IV, p. 296.

6.

(8) Cf. Merlin, l'Aventin dans l'Antiquité, p. 170 sq.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE

145

fourniraient-ils que ces indications, ils ont droit à étre traités avec plus de ménagement que ne le fait M. Winter. Et nous ne dirons pas avec lui que dans Virgile (ou dans Properce) « 1l n'y a aucun caractère primitif ». IV.

—-

SECONDAIRES

LES

VERSIONS

ET DIVERGENTES

Du moment que la question essentielle est toujours de renzonter des textes augustéens qui présentent parfois une unité

factice

aux

états antérieurs

de la légende, toutes les

données en apparence divergentes doivent étre étudiées avec le plus grand soin, confrontées, coordonnées. Il n'est pas impossible qu'elles nous fournissent des renseignements plus précieux que le récit officiel. Mais elles sont fragmentaires, et concernent non pas le drame du forum boarium, mais les différents personnages qui y prirent part. Verrius Flaccus

L'une des plus curieuses est celle de Verrius Flaccus (1), qui se retrouve dans l’Ortgo (2), et selon laquelle le vain-

queur de Cacus fut, non pas Hercule, mais un pátre trés fort nommé Garanus ou Recaranus. Cette donnée est isolée (3). Mais Verrius Flaccus est un auteur assez sérieux pour que l'on préte attention à ce qu'il dit. Ainsi se justifient . les ardentes controverses entre savants sur ce simple

texte (4). Bien entendu, c'est sur l'origine du nom que porte la discussion : est-il celtique, grec ou purement latin? L'effort pour ramener le nom Karanus (sic) à Kerus,

à l’osque

Kerriiui,

méme

sans

admettre

les

et

conclusions

hasardées qu'on en tire en assimilant Hercules à

Genius,

(1) ap. Int. Serv., Aen., VIII, 908. (2) De orig. gent. Rom., 6 et 8. (3) Serc., loc. c. : Solus Verrius Flaccus dicit...

(4) Cf. un résumé trés R. E., VII, 752-754.

clair de ces

controverses

par

Boehm,

ι46

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

parait impossible à justifier étymologiquement (1), et aveclui l'origine latine de Garanus-Recaranus. — Mais il parait tout aussi dangereux d'y retrouver sans changement le Karanos, fils de Pheidon, Héraclide, et fondateur de la dynastie macédonienne, comme le fait Jordan (2), combattu à bon droit par Peter (3) et Wissowa (4). Ce dernier fait mention. du vocable dorien χάρανος, « chef », qui serait tentant

si dans les cités doriennes de Grèce et de Sicile Héraclés. avait eu cette épithéte, ou si seulement on en pouvait trouver une approchante: il n'en est rien dans l'état actuel de nos connaissances

(5).

De facon bien plus défendable,

de la forme Garyaneus

on a rapproché Garanus

(TassFévn: — Gervonefu]s) qui se:

lit sur un vase chalcidien (6). L'hypothése n'est pas invraisemblable (7), bien qu'on n'ait guére invoqué jusqu'ici que la possibilité de confusions pour expliquer que Géryon,. d'ennemi d'Hercule qu'il était, en soit devenu une autre forme (8). Il y avait sans doute mieux à faire. a) Garanus peut étre Géryon d'aprés la donnée de Verrius (1) Voir la plus récente critique de cette hypothése dans Winter, op. cit., p. 255-257. ® Hermes, III (1869), p. 409. (3) R. L., I, 2274. (4) R. E., III, 1168. (9) On pourrait cependant invoquer certains arguments pour

défendre

Garanus = ragavnc. - Melqart, dieu de Tyr, motἃ - mot

« roi de la ville », est traduit dans l'inscription bilingue de Malte

(C. 1. S., 1, 121) par 'Πραχλῆς ἀρχηγέτης. Or cette épithète, prise dans dans son s6ns le plus général,

donc a pu être

signifie

dans

Eschyle « chef, roi »

traduite en dorien par xzoavo;. Au reste c'est là

ure base bien fragile . — Pourtant Héraclés, dans le mythe de Géryon au moins, a été trés influencé par le Melqart tyrien, et les Grecs en faisait la constante confusion, à Gadés, en Sardaigne, en Sicile, (Rós Melqart = Heraclea Minoa) : « Punique et Grec se sont mélés » (Ed. Meyer, R.L., II, 2650-2652). (6) Kretschmer, Gr. Vaseninschrift., 47. (Paris, Bibl. Nationale : de Ridder, 209). (7) Höfer, R. L., s. v., Recaranus, p. 72. (8) Origo, 6 : Recaranus quidam... Hercules appellatus. — Or., 8 : Cum ergo Recaranus, siue Hercules... — Ct. Verrius Flaccus, ap. Serv, l.c

FORMATION

DE

LA

LEGENDE

ROMAINE

D'HERCULE

147

Flaccus. — Géryon, quelle que soit son origine réelle, doit être considéré comme un dieu pasteur de bœufs: son nom méme (γη (v) est une détermination à laquelle il ne peut échapper. Gr Garanus est nettement indiqué comme pasteur. —

Géryon

faire usaze

était

un

type

de tous

les

de

force

textes

qui

redoutable;

sans

méme

le prouveraient,

celui

d'Horace (1), dans sa briéveté, est tout à fait expressif. Or Garanus est caractérisé comme « pastor magnarum uirium.

»

b) Géryon est connu dans l'Italie Centrale, en Etrurie surtout, à une date ancienne, et sous son nom ἃ peine modifié : Gerun (2). Mais nous ne savons en quoi sa légende ressemblait à la légende grecque ou en différait. Qu'il y att

été populaire sous forme divine ne parait pas douteux. c) Dans les pays grecs méme, à Agyrion de Sicile, nous eonnaissons un culte vivace du « héros Géryon », institué, disait-on, par Héraclés (3). Cela a paru singulier: on admet qu'il s'agit ici, comme à Padoue, d'une divinité indigène hellénisée seulement à la surface (4). Effort naïf et vain, qui ne supprime point l'alliance réelle, admise par les Grecs. entre Héraclés et Géryon. Et, qui plus est, cette alliance répond à une trés antique parenté, à une communauté de fonctions, chthoniennes, ou, si l'on préfére, infernales, que nous avons essayé ailleurs de mettre en lumiére (5). Ainsi apparaissent possibles et la confusion gréco-indigène d'un dieu triple ( 2 Géryon) avec Héraclès, et l'introduction, normale, de ce Garanus substitué à Hercule dans la fable de Cacus. Mais M. Hopfner a fortement montré (6) que le nom à

étudier n'était pas Garanus, mais Recaranus, qui est répété avec insistance dans l'Origo gentis Romanae, et dont (1) Horat.,

Carm., II, 14, 8. — Cf. Hesiod., Theog., 981.

(B) Bronze de Lyon : Gaz. Arch., 1888, p. 136. — Bronze d'Orvieto à Berlin. — Peinture de la « Grotta del Orco », Monum. IX, 15 : datée d'environ 350 a. C. (2) Diod. Sic., IV, 24, 3. (4) Weicker, R. E., VII, 1288, ligse 60 sqq.

d. Inst.,

(5) J. Bayet, Mélanges de l'École de Rome, XL (1923), p. 72-76. (6) Isidor Hopfner, Hercules Recaranus (Zeitschrift für vergleichende Sprachforschung,

49 (1920), p. 256-259).

148

LES ORIGINES DE L'HERCULE

ROMAIN

on s'explique trés bien l'abréviation en Garanus (1), tandis que le passage inverse de Garanus à Recaranus reste incompréhensible. Et, grâce à des rapprochements toponymiquos impressionnants (2), il a rendu à peu près certaines l'étymologie celtique du nom et la provenance padane du dieu. Il s'agit de ce dieu indigene triple de Padoue que les Grecs avaient appelé Géryon, mais dont la légende et l'activité étaient mélées de façon inextricable à celles d’Heracles (3). Que de la terre padane à travers l'Apennin et l'Étrurie, le long des routes trés anciennes que nous avons jalonnées, il soit arrive jusqu'à Rome, rien d'étonnant, certes. Mais plutót qu'il s'y trouve, sous son nom celtique, mélé à l'aventure de Cacus. Sans doute cette fable n'avait pas encore pris une forme bien rigoureuse lorsqu’aux environs de 400 a. C. au plus tót ce Recaranus-Hercules fut connu aux rives du Tibre; et pourtant elle devait étre arrétée dans ses grandes lignes, sans quoi l'on ne s'expliquerait pas une substitution aussi simpliste. Peut-étre que des influences pado-étrusques antérieures à l'invasion celtique avaient préparé l'entrée dans le Latium du démon de Padoue, avant qu'il eüt pris l'épithéte gauloise de Recaranus; peut-étre faut-il au contraire reporter son apparition à l'occupation romaine de la Cisalpine, dans la seconde moitié du (1) tion dieu dieu

A cette abréviation M. Hopfner ne donne qu'une explicapratique. Il y a sans doute mieux à faire. On connalt un celtique Grannus que les Romains identiflaient à Apollon, guérisseur des sources (C. 1. L., III, 5873 : Apollini Granno

et sanctae Hygiae. — Cf. C. I. L., III, 5861; 5588; VI, 36; Zangemeister ad C.I. L.,. XIII, 5315. — Voir A. v. Domaszewski,

Abhandl.

sur Rôm.

Religion,

1909, p. 132 sq.), par

suite si pro-

che du Géryon Recaranus de la source Aponus, prés de Padoue, que la confusion, si elle n'était pas primitive, devenait presque inévitable. Justification curieuse de la double graphie, si sus pecte au premier abord.

(f| La source Aponus où l'on consultait l'oracle de « Géryon » (Sueton., Tib., 14) aux bains d'Abano (Cf. radical celtique: Apa = eau); non loin, bains de Recoaro avec leurs huit sources. — Le mot Recaranus se décomposerait en Rec + ar — anus : « Furchἐπ 4. bach — mann ». (3) Voir supra, p. 98 sqq.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE

149

II siècle. Mais, quoi qu'il en soit, il est certain qu'en recueillant cette variante de la Vulgate romaine, Verrius

Flaccus faisait ceuvre d'archéologue averti et scrupuleux. Ainsi

la légende

que

nous

ont

transmise

l'Origo

et

le

commentaire de Servius est loin d'étre, comme le prétendent MM. Wissowa

et Winter, une contrefacon evhémérique,

sans

valeur et récente, du combat d'Hercule contre Cacus (1) ; elle est un témoignage ancien, et des plus singuliers, de la variété des influences grecques, étrusques, italiotes et padanes, qui ont pu agir au cours des siécles sur l'Hercule Romain. Solin

Sur Cacus, nous possédons deux données divergentes dont

l'originalité est grande. L'une, d'abord, rapportée par Solia, qui, aprés avoir mentionné la fondation par Hercule de l'autel à Jupiter Inventor, en ex-voto de sa victoire suc Cacus, continue en ces termes (2): « Hic (Cacus), ut Gellius tradidit, cum a Tarchone Tyrrheno, ad quem legatus uenerat missu Marsyae regis, socio Megale Phryge, custodiae foret datus, frustratus uincula

et unde uenerat reduz, praesidiis amplioribus occupato circa Vulturnum et Campaniam regno, dum attrectare etiam ea audet, quae concesserant in Arcadum iura, duce Hercule qui tunc forte aderat oppressus est. Megalen Sabini receperunt, disciplinam augurandi ab eo docti. » Vient ensuite le

récit de la fondation de l'Ara Mazima. M. Winter rejette toute cette « variante » comme une imagination récente et sans valeur (3). Il est pourtant impossible

de nier qu'elle remonte à l'annaliste Cn. Gellius, contemporain de M. Cato, et qui, bien qu'accusé de recevoir in(1) La difficulté méme

les modernes)

(et pour les anciens plus encore que pour

d'expliquer le nom

de

Garanus-Recaranus

rait à témoigner en faveur de son antiquité. mérique cherche à supprimer toute difficulté aurait

ici, il faut l'avouer, bien mal réussi.

(2) Solin., I, 8-9.

(3

op. cit., p. 221-222.

suffi-

Le système evhérationnelle : il y

150

LES ORIGINES DE L'HERCULE

disti.:ctement

tous

les racont^r:

,1),

ROMAIN

représente

pourtant

autre chose qu'une donnée personnelle (2). En faisant dans .ce texte aussi large que l'on voudra la part de l'evhémerisme, en notant l'effroyable confusion de faits et de légendes dont il témoigne, il reste pourtant la localisation précieuse de Cacus en Campanie auprés du Vulturne, et son apparition dans le pays étrusque et sur

l'emplacement

de

Rome.

c'est aussi la première fois que dans un annaliste,

Et

à notre

connaissance, il soit fait mention de son choc avec Hercule sur les bords du Tibre. N'y aurait-il dans le texte de Gellius

. que ces deux indications, il mérite de nous arréter, et peut orienter les recherches. En tout cas nous n'avons pas le droit

de le rejeter a-priori. Festus

Le second texte, horriblement mutilé, est celui de Festus,

p. 266, .s. v. Romam,

où il rapporte l'immigration des Abo-

rigenes sur les bords du Tibre, sous le commandement

d'un

homme très fort, nommé Cacus (2) : « Historiae Cumanae compositor, Athenis quosdam profectos Sycionem* (-Sicyonem) Thespiadasque* (—Thespiasque), ez quibus porro ciuitalibus, ob inopiam domiciliorum, conpluris profectos in erzteras regiones, delatos in Italiam,

eosque multo errore no-

minatos Aborigines*, quorum subiecti qui fuerint Caerimparum* (=Caci improbi ?) uiri unicarumque uirium imperio (1 Dionvs. Hal., VII, 1. (2) I1 est hors de doute qu'il s'agisse de Cn. Gellius (1* moitié du II* siécle) : 8) Des mss., les uns donnent Cellius, les autres Gellius. De toute évidence, les éditeurs qui corrigent en Calius, pour se rapprocher de Strabon, V, 3, 3, n'ont aucune bonne raison à invoquer; a fortiori si l'on doit lire dans Strabon, comme

le pense

M. Winter,

non

Coelius,

mais Acilius

(ce qui

est fort

vraisemblable). — h) La lecture étant certaine, il n'est pas douteux non plus qu'il faille entendre l'historien Cn. Gellius,

contemporain de Caton l'Ancien. L'hypothése d'un second Gel. lius est maintenant rejetée (cf. Schanz, Róm. Litt., I, p. 132). D'ailleurs ce texte est fort expressif et correspond bien au défaut de méthode dont Denys accuse cet annaliste.

FORMATION

DE LA LEGENDE

ROMAINE

D’HERCULE

151

montem Palalium, in quo frequentissimi consederint, appellauisse

a uiribus

regentis

Valenliam: quod

nomen

aduentu

Euandri Aeneaeque in Italiam cum magna graece loquenlium copia interpretatum dici coeptum Rhom. » Un premier intérét de ce récit, c'est que la source en soit indiquée ; et que cette Historia Cumana nous reporte justement à la donnée de Cn. Gellius que nous venons d'étudier. M. Winter (1), lui, aurait tendance à corriger le passage de facon à substituer à Cumanae historiae, Communis historiae, qui nous est connue comme l’œuvre de Lutatius (2), tandis que l’Historia Cumana n'apparait qu'ici. Mais M. Grupp® à trés fortement montré (3) qu'il n'y avait aucune raison de faire cette correction, et que le récit de Festus doit provenir d'une légende du temple d'Apollon à Cumes. Mais on peut, ce semble, aller plus loin. Nous rapprocherons du texte de Festus le suivant de Plutarque (4) : « Selon certains auteurs les Pélasges, aprés avoir parcouru une grande partie de la terre, et vaincu beaucoup de nations, s'établirent en ce lieu, et, en témoignage de leur puissance, lui donnérent le nom de Röme. » (5) Les deux textes ont la méme origine, l'étymologie grecque

du mot Roma (ou Rómé) : jeu de mots facile. — Mais cette étymologie commune n'est pas la seule. Festus se croit obligé d'expliquer le nom des Aborigénes (ce dont nous n'avons que faire ici: il faut donc admettre que cette étymologie se

trouve dans sa source, et y est jugée importante), et il la dérive de leurs nombreuses pérégrinations. Et de méme Plutarque insiste sur les immenses parcours des Pélasges, ce qui est tout aussi inutile dans un résumé tel que le sien, mais tendait sans doute dans sa source à suggérer au lecteur

l'étymologie (1) (2) (3) (4) (5)

athénienne

de

leur nom:

οἱ

Πελαργοί,

les

op. cit., p. 267. Int. Serv., Aen., IX, 707. 07 Berl. Philol. Wochenschr., XXXI, 1911, p. 999-1002. Plut., Rom., 1, 2. Cf. aussi L. Ateius Philologus, ap. Int. Serv., Aen., I, 273.

152

LES ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

cigognes, les oiseaux voyageurs (1). De telles concordances ne peuvent étre fortuites. ‘Les -deux textes, en effet,

résument

les traditions

athé

niennes sur les Pélasges, traditions à nous bien connues (2). Sicyone,

Thespies,

Athènes,

où passent les Aborigènes, sont

des villes pélasgiques; et M. Gruppe, par une autre voie, a prouvé l'origine athénienne de l'histoire cuméenne rapportée par Festus (3). D'autre part ce ne sont pas là des imagina-

tions récentes

: c'est à Hellanicos et Éphore

(4) que

se

rattachent la notation des nombreux « errements » des Aborigènes-Pélasges, et l'émigration en Italie de la plus grande partie de la race (conpluris).

La conclusion est nette : le fond de l'histoire cuméerine rapportée par Festus remonte au plus tard au début du IV’

siècle

athénien;

des traditions

italiques

relatives

aux

Aborigénes ont pu y étre mélées dés ce moment; plus tard seulement la légende d'Évandre y fut jointe. Mais ce n'est donc pas une tradition récente et sans valeur, loin de là. Quant à l'introduction de Cacus dans cette histoire, outre

la vraisemblance de la correction (5) elle est rendue probable par le rapprochement du texte de Cn. Gellius : jointes, ces (1) Strab., V, 2, 4; Myrsilos ap. Dion. Hal., VIII,:600.

12 sqq. (P) Ed. Les



Cf. Ed.

Meyer,

Origines

de

Meyer,

Forschung.

I, 28; Serv.,

zur alt.

Gesch.,

Aen, I,

op. cit., p. 6 sqq. — Voir aussi

notre article

l'Arcadisme

de

Romain

(Mélanges

L'École

p.

: de

Rome, XXXVIII, 1920), surtout p. 91-97. ..(8) Gruppe, I. c. (4) Ed. Meyer, op. cit., p. 119 et 123. (5) La correction de Caezimparum en Caci improbi (ou formes voisines) est quasi certaine (cf. les différentes corrections proposées dans Peter, ἢ. L., I, 2277). En effet : a) il faut lire unicarum uirium et non unitarum uirium. Car ainsi s'explique le nom donné à la ville (a uiribus regentis Valentiam). Les deux eipressions jointes excluent l'hypothése

qu'il y ait eu

deux

rois

(Caci et Pi-

narii unitarum uirium), hypothése venant du texte de Diodore, concu comme issu de Timée, et donc le plus ancien — à tort (voir plus haut).

b) Unicarum uirium ne peut dépendre seul ni directement d'un nom propre comme génitif de qualité. Il faut donc maintenir viri unicarumque; et uiri lui-même doit avoir une épithéte

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE

153

deux données nous font soupçonner en Campanie un travail légendaire assez ancien sur le nom de Cacus: fe plus ancien sans doute qui nous soit saisissable. Ainsi se retrouvent classés les documents, et posées autreınent les questions que M. Winter résolvait trop simplement,

en abaissant autant que possible la date où s'opéra à Rome

la fusion du mythe d'Hercule et de la légende de Cacus." Légendes grecques

italiotes

il suffira enfin pour le moment de faire mention des légendes grecques italiotes, tout à fait négligées par M. Winter, qui concernent le rapt des bœufs d'Héraclés soit par Lakinos (1), soit par Latinos (2). Elles sont étroitement liées au mythe de Géryon et intéressent de façon directe l'ensemble de la fable romaine. C'est là, non ailleurs, que nous avons chance de trouver le schéma, et pour ainsi dire l'ossature du récit des annalistes tel que l'ont utilisé les auteurs augustéens: on ne s'étonnera donc pas que nous leur accordions la plus grande importance.

Enfin une bizarre et trdp bréve donnée, dans le PseudoPlutarque (3), met, à propos de la méme expédition, Hercule aux prises avec Faunus, qu'il tue: Faunus étant un dieu latin au premier chef, et surtout Romain, nous n'avons pas le droit de négliger cette indication. Ces trois textes peuvent acquérir pour nous une trés que l'on recherchera

dans le mutilé Caezimparum,

propre au génitif. c) Dans ces conditions,

on arrive

à la lecture

Ca

avec le nom - i ()mp-

i

{où is) uiri unicarumque uirium. La terminaison de unicarum a influencé la fin de imp... Quant à un nom de roi Aborigéne commençant par Ca ou Cae, nous n'en connaissons pas dans la. tradition. — Cacus, vieille divinité romaine, qui peut donc passer pour Aborigène, est le seul qui convienne. Quant à l'épithéte de uiri, nous reconnajssons qu'elle est moins sûre, seulement admissible. | (1) Diod. Sic., IV, 24, 7. (2) Conon, Narr., 3. (3) Ps. Plut., Parall., 38.

154

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

grande valeur. Tous les autres, en effet (sauf ceux de Solin et Festus relatifs au seul Cacus) se rapportent exclusivement à Rome et nous immobilisent aux bords du -Tibre. Or il est impossible que cette fable du rapt des bœufs, toute grecque

d'apparence,

se soit fixée à Rome sans intermédiaires. Ces

intermédiaires, il faut les chercher,

selon

toute

vraisem-

blance, dans les cités grecques ou hellénisées de l'Italie méridionale. Nous ne devrons y renoncer que si les textes énumérés plus haut n'ont pas pu nous conduire à une reconstruction légitime des étapes et de l'arrivée à Rome de l'Héraclés grec. V. —

CONCLUSION

Des légendes que les annalistes ont traitées successivement avec un sens rationaliste de plus en plus aigu; qu'ils ont fini au début du I” siècle avant notre ère par détruire presque entièrement par l'effort de leur critique evhémériste;

que tous les auteurs du siècle d'Auguste ont travaillé à reconstituer, de facon à créer une vulgate si solide que longtemps elle fut intangible: telle est l'histoire de la tradition romaine sur Hercule. Il nous reste la vulgate,

intégrale;

quelques

bribes

de

l'annalistique et quelques données divergentes. Le mérite de M. Winter a été de montrer, aprés d'autres, les points faibles de la vulgate, restauration trop savante, trop systématique.

Mais il ἃ eu tort d'en mettre trop en doute la valeur d'ensemble, et de trop la considérer comme une œuvre artificielle. Entre ces deux excés doit étre cherchée la vérité. Méme ces textes augustéens nous permettent en effet de soupconner, par leurs désaccords, des états antérieurs de la légende, des formes de passage, qui trahissent une évolution, et nous font remonter au delà méme

de l'annalistique evhémérique.

[19 doivent ainsi nous aider à comprendre les données divergentes.et à restituer cette évolution, qu'ils semblent d'abord nous dissimuler. Mais c'est d'eux qu'il faudra partir, à eux qu'il faudra aboutir.

il La

primitive

Legende

Le nom d'Hercule est grec (1). La légende romaine, rattachée à celle de Géryon, est grecque. Voilà notre point de départ. Comme l’a noté M. Dürrbach (2), l'une et l’autre n'ont pu venir à Rome que de deux côtés : l’Etrurie et la Grande-Grece (ou la Campanie hellénisée). Or rien, ni dans la tradition rituelle,

ni dans

les constructions

savantes

des

Romains, ni dans la fable, ne porte le caractère étrusque: les Romains disent que le dieu est Grec, que son culte est grec. Force est donc de chercher d'abord si Hercule n'a pu venir à Rome directement des colonies hellénes du sud de la péninsule. La légende Romaine d'Hercule est, d'autre part, aussi peu originale que possible dans son ensemble. Elle est construite sur deux

thémes universels,

mais surtout aimés

des

Grecs:

le thème du ravt des bœufs, courant depuis Homère, mis en œuvre sous des formes variées dans les légendes d'Hermés, d'Ulysse, mais surtout d'Héraclés, et rattaché alors au cycle

de la Géryonide (3) ; le thème de I' « hôte criminel » ou du « Barbare impie », qui tue ou cherche à tuer le héros hellene, naufragé ou colonisateur : les légendes d'Ulysse, de Dioméde, de tant d'autres, l'ont mis en œuvre; dans celle d'Héraclés, Busiris représente la forme supérieure de ce type de Barbare sanguinaire: mais mainte légende locale racontait une aven(1) Cf. supra, p. 3 sqq. (2) Dürrbach,

D.S., s. v. Hercules,

p. 124-125.

(3) Théme fréquent dans le Péloponnése Herakles, p. 153. — Alébion et Derkynos

(Cf. B. Schweitzer, en Ligurie, Scylla,

Eryx, les Lestrygons, en Italie et en Sicile, d'autres encore (voir infra, à Rome, Crotone, Locres Épizéphyrienne) volent ou cherchent à voler à Héraclés des bœufs des troupeaux de Géryon.

156

LES ORIGINES DE L HERCULE

ROMAIN

ture analogue (1). Réduite à ses éléments, la fable de Cacus est l'une d'elles: au theme du Barbare impie, elle joint celui du rapt des hœufs; elle est donc parfaite en son genre et parfaitement banale pour des Grecs. Mais ainsi son sens et sa provenance sont clairs; évidente aussi la méthode qu'il faut suivre si l'on en recherche les origines: on se demandera si les mémes thémes en des légendes analogues n'ont pas été mis en œuvre par les cités hellenes de Sicile et de Grande-Gréce; on les suivra autant que possible de proche en proche, de déformation en déformation, sur les routes « légendaires » qui des pays grecs ménent à Rome.

I. —

LA LÉGENDE DE CROTONE

C'est à Crotone, et précisément au cap Lacinien, que nous trouvons Hercule en une légende apparentée aux traditions romaines. . La Légende

Comme Héraclés emmenait à travers l'Italie les troupeaux de Géryon, un habitant de ces contrées, Lakinios ou Lakinos, chercha à lui dérober ses bœufs: Héraclés le tua sur

place (2); il tua aussi, par mégarde, Crotón (3), gendrede (1) Sur les Grecs

tués

par des Barbares,

puis

honorés

comme

héros, dans l'Italie Méridionale, voir en particulier Lycophron (d'aprés Timée), 922 sqq.; 732 sqq.; 1047 sqq.; 1126 sqq. (en GrandeGrèce, Campanie, Apulie et Daunie). — Héraclès civilisateur abolit les sacrifices humains en tuant les rois barbares qui les pratiquent : Busiris, Dioméde (de Thrace), Syleus ou Lityersès, Kyknos (dont la fable est localisée aussi dans l'Italie méridionale), Antée. (2) Diod. Sic., VI, 24, 7, : « Ὁ δ᾽ Πραχλῆς μετὰ τῶν βοῶν περαιωθεὶς (venant de Sicile) εἰς τὴν ᾿Ιταλίαν προῆγε Ou τῆς παραλίας, xai

Ααχίνιον μὲν κλέπτοντα τῶν βοῶν ἀνεῖλε, Κρότωνα δὲ ἀχουσίως ἀποκτείνας ἔθαψε μεγαλοπρεπῶς xal τάφον αὐτοῦ κατεσκεύασε ^ προεῖπε δὲ τοῖς ἐγχωρέou ὅτι xal xatà τοὺς ὕστερον χρόνους ἔσται πόλις ἐπίσημος ὁμώνυμος τῷ τετελευτηχότι. » --- Cf. Serv., Aen., III, 552. (3) Cf. Jambl., Vita Pythag., 9, 50.

FORMATION

DE LA LEGENDE

ROMAINE

Lakinos

(1), qui voulait empécher

reconnu

son

erreur,

il ensevelit

le

D'HERCULE

vol.

et honora

Ayant Crotón,

157 ensuite et

lui

promit l'éponymie d'une ville puissante (2). Le promontoire voisin prit le nom de Lakinos (3), et, s'étant purifié, Héraclés y consacra un temple à Héra (4). .--- Inséparable de cette tradition est celle que nous transmet l’interpolateur de Servius (5), qui nous dit que le roi Lacinius (6) refusa l'hospitalité à Hercule, le chassa, et, en témoignage de sa victoire, éleva le temple de Junon, marátre de son ennemi. Malgré la diversité des sources par lesquelles nous est connue cette légende,

son antiquité n'est pas douteuse:

tout

l'essentiel se trouve dans Diodore qui semble résumer trés vite un récit bien connu, sans doute déjà mis en œuvre par Timée. Tous les autres détails ou bien sont secondaires ou bien exigés par une mise en scéne un peu soignée de la légende, et donc relativement anciens. La fable est construite sur les thémes courants: rapt des troupeaux et punition du ravisseur. On a dit que des Rhodiens l'avaient transporté aux bords du Traeis (7): en fait, elle a pu naître spontanément dans des pays d'élevage, et οὐ le mythe de Géryon était connu. Il est plus intéressant de considérer les thémes secondaires qui donnent à la

légende son caractere local. — C'est d'abord la mention de l'hospitalité

refusée,

qui

ne se trouve,

il est vrai,

qu'inci-

demment et dans la version divergente, plus jeune que la premiére : ceux en effet qui l'ont créée, ne comprenant pas

qu'un temple d'Héra eüt été élevé par Héraclés (or c'est au contraire un témoignage de l'antique alliance entre le dieu et la déesse), l'ont attribué à un ennemi du héros; et la

raison donnée manque vraiment d'originalité. — C'est surtout l'intervention d'un parent du voleur qui (1) (2) (3 (4)

Schol. Theocrit., IV, 33. Diod. Sic., l. c. Etym. Magn., 541, 13. Serv., L c.

($)

Int. Serv.,

Aen.,

III, 552.

(6) C'est un « héros » selon l'Etym. Magn., |. c. (7) Cf. Gruppe, Berl. Philol. Woch., XXXI, (1911), p. 1009.

|

158

LES ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

se dresse contre lui, et qui tombe pourtant avec lui, victima de la fatalité; mais qui sera plus tard l'éponyme de la cité grecque. Voilà, pour ainsi dire, la marque de fabrique de la fable erotoniate, et ce qui nous permettra d'en reconnaitre les diverses contrefacons. Datation

La légende, dans ses éléments, peut remonter fort haut à Crotone: les thémes panhelléniques, rapt des troupeaux, chátiment du voleur barbare, y trouvaient une facile applıcation,

sur une

terre de colonisation encore

récente,

en un

pays d'élevage, ou Héraclés lui-méme semble avoir eu à l'origine les traits d'un héros agricole (1). Pythagore l'accrédita puissamment, nous dit-on. Mais elle ne s'affirme avec tout l'éclat d'une tradition officielle que vers 420 a. C., par les 'premiéres monnaies héracléennes de la cité; à cette date nous sommes sûrs non seulement qu'elle existe, mais qu'on la rattache au promontoire Lacinien; bien plus, qu'on la croit ou qu'on veut la faire croire ancienne, puisqu'on accole à la figure d'Héraclés une inscription en caractéres archaiques (2). La puissance d'expression, l'autorité de ces pieces d'argent ont quelque chose de saisissant. Nous pouvons méme préciser que c'était la version de

Diodore, non celle de l'Interpolateur de Servius, qui était reçue des Crotoniates sur la fondation du temple Lacinien: en effet les monnaies qui suivent immédiatement les précédentes nous montrent à l'avers d'un Héraclés couché, .a face de Héra Lakinia; témoignage aussi net que possible d'une alliance entre les deux divinités, et qui nous aide &

donner aux statéres précédents leur pleine signification. Le culte et les traditions

d'Héraclés

Fondateur

joint à

Héra Lacinienne ont donc pris vers ces années à Crotone une grande vigueur; peut-étre, comme le pense M. Pais (3). (1) Supra, p. 22 sq. (2) Supra, p. 16 sqq. (3) E. Pais, Sicilia, I, p. 213.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE

159

grâce à la longue suite de victoires remportées par la ville aux jeux Olympiques; peut-être dans l'orgueil d'une hégémonie renaissante apres une dure crise de luttes civiles et étrangères. De fait, les deux monnaies essentielles sont du méme temps: avant elles, le type monétaire est le trépied ; aprés 390, on ne retrouve plus la Déesse du promontoire, ni, presque, le héros Fondateur. Breve est l'union des deux divinités: d'autant plus significative pour nous. II.



LA

LÉGENDE

DE

LOCRES

La plus évidente imitation de cette légende se retrouve à Locres Épizéphyrienne, cité toute voisine de Crotome et en constants rapports d'amitié ou de guerre avec elle. La Legende Locros,

dit-on

(!),

fils du

roi

Phaiacos

de Skeria,

aban-

donna sa patrie et vint en Italie, où il fut recu par le roi Latinos, qui lui donna en mariaze sa fille Lauriné. Héraclés, survenant avec les bœufs de Gérvon, fut recu en hôte par Locros. Mais Latinos, comme il rendait visite à sa fille, vit les troupeaux, les désira, les enleva. Héraclés le tua d'une flèche ; et aussi Locros qui portait secours à son hôte sous un déguisement, et qu'il prit pour un compagnon de Latinos : il l'ensevelit ensuite honorablement, et, aprés son apothéose, (1) Conon, Narr., 3 (p. 126, 4 sqq. Westerm.) :« ....'0 δὲ 'BpaxAz T ξενίζεται φιλοφοόνως παρὰ τῷ Aoxpü. Ὃ δέ Λατῖνος πρὸς τὴν θυγα-

τέρα ἐλθὼν, τὰς βοῦς ἰδὼν, ἠράσθη τε xat ἤλαυνεν * ὅπερ ἀναμαθὼν Ἡρακλῆς ἐχεῖνον τόξῳ βαλὼν ἀνεῖλε, τὰς δὲ βοὺς ἀνεχόμισε. Λοχρὸς δὲ δεδιὼς περὶ τῷ

Ἡραχλεῖ μή τι δεινὸν ὑπὸ Λατίνου πάθῃ (ἦν γὰρ Λατῖνος σώματι γενναῖος ui ψυχῇ) ἐξελαύνει ἐπὶ βοηθείᾳ τοῦ ξενισθέντος, ἀμειψάμενος

καὶ στολήν.

Ἡραχλῆς δ΄ ἰδὼν αὐτὸν θέοντα, καὶ νομίσας τινὰ εἶναι ἄλλον πρὸς ἐπιχουρίαν σχεύδοντα Λατίνου, βαλὼν ἄτρακτον, χτείνει. Ὕστερον

pato μὲν xai τὰ ὅσια

δὲ

μαθὼν,

ἀπωλοφύ-

αὐτῷ ἐπετέλεσε, καί μεταστὰς δ᾽ ἐξ ἀνθρώπων ἔχρησε,

φίτματι φανεὶς τῷ λαῷ, πόλιν οἰχίζειν ἐπ᾽ ᾿Ιταλίας ἐν ᾧ ἦν τὸ σῆμα τοῦ Λοχροῦ “ xal διαμένει τῇ πόλει τοὔνομα τιμώσγ τῇ κλήσει τὸν Αοχρόν.. »

160

LES ORIGINES

DE L' HERCULE

ROMAIN

il apparut et ordonna de bâtir une ville auprès du tombeau. Ce fut Locres en Grande-Grèce. Sa dépendance Si étonnante dans l'ensemble et jusque dans le moindre détail est la conformité de ce récit avec le précédent qu'on est lenté de n'y voir qu'une relation tardive avec erreur de noms. Mais il n'en peut étre ainsi. Conon est un contempo-

rain de César: il travaille donc vraisemblablement sur les mémes documents que Diodore, avec derriére lui les poetes Alexandrins, Théocrite et Lycophron, qui connaissent la méme légende à propos de Crotón. Dans ces conditions, une erreur de nom et de lieu est difficilement admissible ; et l'on ne voit pas non

plus l'intérét d'une

falsification volontaire.

li reste donc évident que la légende de Crotone a été imitée à Locres.

C'est ainsi que le nom de Latinos est une déformation à peine sensible de l'éponyme Lakinos, qui ne pouvait avoir de place à Locres. De méme sa fille Lauriné n'est qu'une forme légèrement modifiée de Laurè, fille de Lakinos, et qui était elle aussi à Crotone un personnage local éponyme (1). I] n'est pas jusqu'au héros Locros qui ne soit une démarca-

tion de Crotón : ils sont tous deux Corcyréens, et tous deux fugitifs (2). — Mais tous ces noms propres qui avaient un intérét pour les Crotoniates, tous ces héros qu'ils évoquaient dans la campagne ou au cap Lacinien, n'ont plus à Locres de caractére local, ni donc national. La légende locrienne est une imitation,

déjà savante,

L'emprunt pourtant n'est rement déformée, va préter C'est ainsi que le théme de trouvions dans une version

et, en partie,

artificielle.

pas littéral; et la légende, légèà de nouveaux. développements. l'hospitalité refusée, que nous divergente de Crotone, prend à

Locres beaucoup plus d’importarfce. Sans doute l’hôte d’He(1) Tzetz. ad Lycophr., 1008. (2) Schol. Theocrit., IV, 23. —

ce,' II, p. 121.

Cf. F. Lenormant,

Grande-Grè-

FORMATION

DE

LA

LEGENDE

ROMAINE

D'HERCULE

161

racles n'est point coupable envers le héros : l'hospitalité n'en est pas moins violée par le beau-père de Locros, introduit comme parent dans la maison. Un degré de plus, et c'est l'hôte lui-même qui sera parjure. Datation

Pouvons-nous à peu prés dater cet emprunt de Locres à Crotone ? Si la grande expansion de la légende du fondateur n'est pas à Crotone antérieure aux dernières années du V* siècle, c'est à partir du IV* seulement qu'il faudra en supposer l'influence sur Locres. De fait, les années mêmes qui voient se précipiter la décadence de Crotone sous les attaques de Denys de Syracuse, marquent l'exaltation de la puissance

locrienne.

Entre

390 et 380,

Locres

Épizéphy-

rienne ne fait que grandir; chaque coup porté à sa rivale signale une extension de son territoire. Dans le second quart du IV? siècle, c'est la seule ville importante

furent Sybaris et Crotone.



Et

sa

de ce pays

décadence



d'ailleurs

commence presque aussitót sous les attaques des Bruttiens.- Dans ce court espace de temps, Locres succéde à Crotone, comme Crotone avait succédé à Sybaris. En lui prenant son territoire, en la remplaçant en face des peuplades sabelli-

ques et dans le commerce

extérieur, n’a-t-elle pu aussi s^

parer de ses légendes ? La question se pose avec netteté. Mais elle ne sera résolue par l'affirmative que si d'autres faits viennent corroborer ces premiers indices. Latinos

Le nom de Locros ne peut rien nous apprendre. Mais bien

celui de Latinos: c'est sur lui que porte toute la discussion des origines et de la diffusion de la légende locrienne. Personne ne nie que Latinos soit l'éponyme du Latium, et la question est de savoir comment ce héros lointain se trouve en rapports avec Locros. M. Gruppe (1) a construit

(1) Berl. Philol. Wochenschr., XXXI, p. 1002 sqq.; Cf. R. E., Suppl., III, 994.

162

LES ORIGINES DE L'HERCULE

ROMAIN

un systeme, qui parait fortement lié, et lui permet de tout expliquer, quoique de facon bien compliquée.

Peu importe ici d'oü vient la légende crotoniate: il nous suffit de reconnaitre avec lui qu'elle est le prototype des récits semblables en Italie. De Crotone, dit M. Gruppe, ell a passé directement en Campanie, autour de Baies : comme preuves, nous avons la similitude des traditions qui font descendre les Thespiades ou Thespiens à Crotone et à Cumes. En Campanie, Lakinos devient Latinos, éponyme du peuple qui menace alors la contrée (fin du IV* siécle). De là. la légende déformée aurait été transportée à Locres vers 280 par des bandes Campaniennes, quand la Grande-Gréce se souleva contre le Latium. Mais d'abord, il faut reconnaitre que la légende qui nous est transmise 51 précisément pour Crotone et Locres, n'est point mentionnée sous cette forme en Campanie : or il serait au moins raisonnable d'attribuer au premier intermédiaire d'une tradition plus de netteté qu'aux suivants. Et que dire alors de ce procédé, qui consiste, pour expliquer le passage d'une foble de Crotone à Locres,

villes voisines et tou-

jours en étroites relations, à la faire remonter jusqu'à Cumes et redescendre ensuite jusqu'au fond du Bruttium? Dans de telles explications, il n'y a aucune vraisemblance. I} se peut

certes

qu'elles rendent

compte

de la réalité

(en

pareilles matiéres, tout raisonnement peut se défendre): mais si l'on en trouve une plus simple, on devra la préférer. L'hypothése qui fait le moins de part à l'imagination, et qui donc devrait sembler la meilleure, consisterait à dater cette modificaton de la légende du début du III* siècle, lorsque les Romains furent appelés par Thourioi (en 302 et 286), plus tard par Rhégion (280), et que la Grande-Gréce effrayée chercha contre eux un secours en Pyrrhos, roi d'Épire. Mais il ne faut pas oublier que ces villes grecques, et Locres en particulier, avant de suivre la fortune de Pyrrhos, avaient

sollicité des garnisons romaines (1) F. Lenormant,

Les

ambassadeurs

(en 282) (1); qu'aprés sa

op. cit., IT, p. 137. Cf. Liv., XXIX,

locriens

rappellent

que

pendant

18, 3-4:

la guerre

FORMATION

retraite,

DE LA LEGENDE

Locres demeura

ROMAINE

longtemps

D’HERCULE

fidèle à

la

cause

163

de

Rome ‘1); qu'enfin sa douloureuse histoire et ses perpétuelles variations depuis la fin du IV* siècle et pendant tout !e 115 ne pouvaient être favorables à l'affermissement d'une légende hostile au nom latin. — D'autre part l'obligation de faire passer cette lézende, plus ou moins deformee, du Bruttium dans le Latium, à quoi nous forcent les pius anciennes traditions romaines sur Hercule (2), exclut formellement une date aussi basse : car le passage, et tout le travail légendaire, seraient inexplicables une fois la Campanie soumise et les arines romaines puissantes jusqu'aux extrémités de la péninsule, quels que soient d'ailleurs les fléchissements temporaires de cette puissance.

Il reste à chercher si les années mêmes de l'épanouissement locrien, au temps de Denys l'Ancien, n’admettraient pas aussi cette déformation de la légende crotoniate. — En 384, le tyran de Syracuse, sür de la Grande-Gréce par l’amıtié de Tarente et surtout de Locres, entreprend des expéditions dans les mers Adriatique et Tyrrhénienne (3). Sa flotte livre au pillage Pyrgoi, port de Caeré; ses troupes défont l'armée étrusque, et les prisonniers Tyrrhéniens sont vendus en masse sur les marchés siciliotes, et sans aucun doute aussi italiotes.



Or,

à cette date,

Caeré

est l'alliée des

Ro-

mains (4): elle leur a offert un asile pour leurs cultes lors de l'invasion gauloise (5) ; avant et aprés cette catastrophe, sa neutralité bienveillante permet aux armées latines d'agir

avec vigueur contre Véies,

Faléries,

Tarquinies,

Sutrium,

Nepeté, alors qu'il lui eût été si facile de les attaquer à dos

pour soulager les troupes étrusques (6). Le coup porté par Denvs ne frappe donc pas les seuls Étrusques de Caeré; contre Pyrrhos ils ont été fidéles aux Romains : une célébre en témoigne aussi. (1) Jusqu'en 214. Cf. Lenormant, op. cit., II p. 143. (2) Voir infra. (3) Holm, Gesch. Sicil., II, p. 135-136.

(4) E. Pais, Storia Critica..., II, p. 431, 439, 445. (5) Liv., V, 40, 10.

|

(6) Cf. Liv., V, 21; 27; — VI, 3; 4; 9; 10.

monnaie

164 n

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

il atteint aussi, indirectement, les Romains.

Cela est si vrai

que le pillage de Pyrgoi est suivi de conventions entre Denys et les Gaulois, les mortels ennemis des Latins, qui s'engagent comme mercenaires à la solde du tyran grec (1). Il est impossible, dans ces conditions, que le nom latin, répandu en Sicile et en Grande-Gréce par les esclaves de Caeré et les mercenaires gaulois, n'ait pas pris dans les cités helléniques, et à Locres en particulier, une importance à la fois historique et légendaire, en germe déjà dans les vers de la Théogonie,

oü Latinos

fils de Circé était représenté

ré-

gnant avec son frère sur les peuples de Tyrrhénie (2). Mais aprés l'expédition de Denys contre les Étrusques il est prononcé comme

celui d'un ennemi

‘vaincu:

et

il

n'est

plus

étonnant qu'on le retrouve dans la légende locrienne comme substitut de Lakinos, pour désigner l'ennemi d'Héraclés, 'c voleur durement chátié. Ill. — LA LÉGENDE A ROME La méine légende a passé à Rome. Sous quelle forme ? La Légende

°

Héraclès. dit Derkylos dans le Troisième livre de ses « Italiques » (3), était descendu en Italie avec les bœufs de Géryon. Le roi Faunus, fils d'Hermès, le reçut en hospitalité. Ce barbare avait coutume d'offrir à son père ses hótes en sacrifice ; mais quand il voulut porter la main sur Héraclès, celui-ci le tua (4). (1) Holm, I. c. — Cf. F. Lenormant, op. cit., II, p. 125.

(2) Hesiod., Theog., 1011-1016. (3) F. A. G. (Müller), ἐλαύνων

IV. p. 387, 6: « 'HgaZe τὰς Γηρνόνου

Bv ᾿Ιταλίας ἐπεξενώθη Φαύνῳ

βασιλεῖ, ὅς ἦν 'Ερμοῦ

βοῦς

παῖς, καὶ τούς

[γε] ξένους τῷ γεννήσαντι ἔθυεν * ἐπιχειρήσας δὲ τῷ ᾿ΒΠρακλεῖ ἀνῃρέθη " ὡς Δέρχυλλος ἐν τριτῷ ᾿Ιταλιχῶν. » (4) Cf., par simple curiosité, la grotesque rivalité amoureuse

d'H seule et Faune,

dont s'égaye Ovide (Fast,

II, 806 sqq.)

FORMATION

DE

LA

LEGENDE Sa

ROMAINE

D’HERCULE

165

valeur

Cette donnee se trouve dans le petit ouvrage, tr&s suspect dans l'ensemble, attribué faussement ἃ Plutarque sous 'e titre « Parallèles d'histoires Grecques et Romaines », 38, en pendant à l’histoire de Busiris. Mais il est difficile de la

condamner avec beaucoup d’autres de cet opuscule. En effet: 1°) Derkvlos n’est pas un inconnu, dont le nom ait été créé pour les besoins de la cause, D'autres auteurs le citent et semblent attacher une certaine importance à ses écrits. Son nom est alors souvent joint à celui de Deinias, peut-étre argien comme lui et qui écrivait sans doute dans la seeonde moitié du III* siècle avant notre ère (1).Si l'on remarque

avec Müller (2) que, lorsque ces deux historiens sont cités ensemble, Deinias précéde toujours Derkylos, posé à admettre qu'il est aussi plus ancien il est évident qu'ils se trouvaient d'accord sur points, et possible par suite qu'au moins: pour ils aient eu une source

commune,

soit servi de Deinias; 2°) II n'y a bien entendu Derkvlos,

à côté d''Aovoxuxa,

ou bien que

on sera disque lui. Mais beaucoup de les ’Apyolvé Derkylos

se

| aucune impossibilité à ce que ait écrit des

᾿Ιταλιχά.

Si 0.1

doit lui donner place dans le mouvement hellénistique, comme il est fort probable (3), son rang est tout indiqué parmi les Grecs qui entre Timée et les premiers annalistes Romains recueillirent ou forgérent les traditions de la grande ville de l'Occident (4); 3°) Si, dans l’opuscule attribué à Plutarque, souvent une légende grecque semble avoir été créée de parti-pris sur

le patron d'une légende romaine, a

ou réciproquement,

des exceptions, oü les rapprochements

il y

sont tout à fait

Justifiés (5). Il n'y a donc pas de raison positive de rejeter a priori le (1) (2) (3) (4) (5)

W. Christ, Griech. Litter., p. 554. F. H. G., l.c. Cf. Schwartz, R. E, V, 243. x Cf. W. Christ, Gr. Litt., p. 561 sq. par exemple les n** 8 οἱ 18.

166

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

donnée des « Parallèles ». Il y en a au contraire pour l'accepter :

A. — La

légende

présente

des caractéres

d'antiquité

:

«) elle est d'un moment où Faunus est un dieu essentiel de Rome; or sa figure pälit tres tót, et, des les temps classiques,

Silvanus s'est substitué à lui; b) elle témoigne

aussi

d'un moment d'inimitié entre Grecs et peuples du Latium, Rome en particulier, considérée comme la ville de Fau-

aus (1). Elle est donc plus ancienne que l'apologie grecque du nom Romain, commencée dés le III* siècle, et que les exécutions de Mumrinius n'ont pu suspendre. B. -- La légende n'est pas isolée à Rome: a) elle est d'accord avec la tradition qui fait de Faunus le prétre d» sacrifices sanglants (2); b) d'accord aussi avec une tradition qui fait sacrifier à Rome les hótes grecs (3), comme en main-

te autre ville de Sicile et de Grande-Gréce (4). Ainsi les différents faits que nous connaissons concordent pour nous permettre d'attribuer une réelle valeur à la donnée de Derkylos. Quel intérét d'ailleurs aurait eu l'auteur de forger une fable de cette sorte, alors que tant d'autres elnient offertes en Italie, ou méme à Rome?

analogues lui Même si l'on

veut supposer qu'il ἃ imaginé sa fable sur les deux thémes bien connus : sacrifices sanglants à Saturne, suppression de ces sacrifices par Hercule; pourquoi chercher dans Fauaus l'adversaire d'Hercule, pourquoi surtout cn faire un fils d'Hermes ? Rien de cela ne s’explique si l'on suppose une démarcation de la fable de Busiris, qui n'a d’ailleurs

avec celle-ci que des rapports assez lointains. (1) Faunus honoré à Lavinium, Ardée, Tibur, mais surtout ἃ Rome et dans la campagne environnante : Cf. Hild, D. S., s. v. Faunus, p. 1021 sqq. (2) Lactant., fais. vel. I, 22, 9 : « Ante Pompilium Faunus tn Latio qui et Saturno auo nefaria sacra constiluif et Picum patrem inter deos honorauit. » (3) Serv., Aen., VIII, 345.

(4) Cf. l'éponyme de Solus en Sicile, χαχόξενος, et tué par Héraclés (Hécatée de Milet, in Müller, F. A. G., I, p. 3, 48); et les fables précédentes de Locres et Crotone.

FORMATION

DE LA LEGENDE

Nous entreprendrons

donc

texte de Derkylos comme

ROMAINE

cette étude

valable.

D'HERCULB en considérant

167 le

La suite de la discussion

montrera s'il représente vraiment une tradition aussi isolée, donc suspecte, qu'on a bien voulu le dire. Sa dépendance À la considérer en elle-méme, cette légende ne se précisa pas immédiatement comme parente ou dérivée de celles de Locres et de Crotone.

Des trois thémes que nous avons rele-

vés, vol des bœufs, mort de l'hóte parjure, meurtre involontaire d'un ami, seul le second est tout à fait net, et s'est mA. me précisé et enrichi de singuliére facon. Le premier est sans doute sous-entendu comme conséquence des intentions 4e

Faunus à l'égard de son hóte, mais n'est aucunement développé. Quant au troisième, il a disparu: l'ami inconnı

d'Hercule était né dans les légendes grecques d'une nécessit? toponymique, et peut-être du désir d'entourer de poésie le tombeau d'un héros ; cet intérét, trés fort à Crotone et déjà affaibli à Locres, n'existe plus du moment qu'on entre dans l'Italie Barbare. Malgré tout, la dérivation de cette fable ne

serait pas nette, si nous devions nous en tenir aux lignes de Derkylos sans les rapprocher des autres légendes concersant le passage d'Hercule entre Tibre et Vulturne. Mais il faut considérer cette fable, au premier abord bizarre et isolee dans

le mythe

déformée, et les ayant

italique

contaminée elle-méme

d'Hercule,

d'une

part par

comme

incomplète

d'autres

et

traditions,

contaminées.

4°) Faunus était à Rome, dans l'antiquité reculée, si l'on en croit Varron (1), un dieu privé, « correspondant aux héros éponymes ou topiques des cités grecques » (2). Il réunit donc trés exactement en lui dans !a légende transmise par Derkylos, les personnages de Lakinos et Crotón, ou Latinos et Locros, que nous trouvons dans les villes de Grande-Gréce. Il semble naturel que, dans ces deux groupes, l'éponyme de (1) Int. Serv., Aen., VIII, (2) J. A. Hild, D. S., l. c.

275.

108

LES ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

la cité ait été un personnage sympathique et ami d’Héraclès -

mais pourquoi alors était-il tué par le héros ? N'y at-il pas là trace d'une tradition plus ancienne qui lui donnait aussi des torts à l'égard d'Héraclés ? L'exemple de Solus (1) ne nous autorise-t-i] pas à conclure en ce sens ? On conçoit trés bien, d'après cet exemple, l'inimitié primitive d'Héracl$s contre Crotón, Barbare possesseur de la terre; puis lorsque Crotón a été adopté par les Grecs comme héros éponyme, on

lui substitue Lakinos, et l'on arrange la légende de facon à rendre sympathique l'antique ennemi d'Héraclés. Les dédoublements de ce genre ne sont pas rares. S'il en a été ainsi, nous ne nous étonnerons

pas que la

légende romaine ne mette face à face que deux adversaires, Faune et Hercule. Elle reproduit dans sa simplicité la lé. gende originelle de Crotone ou de Locres : la lutte du Barbare injuste contre le Grec justicier. Ainsi, que manque à Rome le pendant de Crotón et Locros, ce n'est pas une raison suffisante pour douter de la descendance locrienne ou

crotoniate de la fable romaine; 2°) Mais nous avons d'autres indices de cette dérivation: c'est la parenté ou plutót l'identification de Faunus et Latinus (2). Quand on ne posséderait que la tradition courante, qui fait de Latinus le fils et le successeur de Faunus, roi des Aborigenes (3), cette étroite parenté suffirait à expliquer la substitution de l'un à l'autre, en passant de Locres à Rome: Faunus ayant l'avantage d'étre un dieu et d'avoir des sanc-

tuaires illustres dans tout le Latium et particuliérement à Rome. — Mais un témoignage précis de cette substitution (1) Voir plus haut, p. 166, n. 4. (2) Parenté déjà notée à propos de la fable locrienne par Schwegler, Röm. Gesch., I, p. 374 : « Wenn bei Conon nicht Cacus, sondern Latinus als der Rinderdieb erscheint, der defür von

Hercules getödtet ist, so erklärt sich diese abweichende Version der Sage vielleicht daraus, dass Latinus, der nach der gemeinen Tradition Sohn des Faunus ist, anderwärts als identisch mit Faunus erscheint. » (3) Dion. Hal., I, 43; I, 59. — Verg., Aen., VII, 47 eqq. — Serv.,

Aen., I, 6 — Arnob, II, 71, etc...

FORMATION

DE LA LEGENDE

ROMAINE

D HERCULE

109

nous est transmis par Appien (1) : Faunus, roi des Laurentes et père de Lavinia, y joue avec Énée le rôle que dans Virgile tient Latinus, fils de Faunus et père de la même Lavinia (2). — Les deux personnages sont donc, pour ainsi dire, interchangeables. Ces différents indices ne prouvent sans doute pas que Ir tradition transmise par Derkylos descend des légendes crotoniate et locrienne; mais ils montrent qu'il n'y a nulle im-

possibilité à l'admettre, et peut-étre quelques raisons de le faire. La voie des légendes

- Plus vraisemblable encore deviendra l'hypothése, si l'on peut jalonner entre Crotone et Rome une voie d'influences levendaires. Or cette voie existe : il est facile de s'en rendre

compte en suivant les traditions grecques relatives à Héra. la déesse argienne, Héraclés et Diomede, les héros argiens:

car ils s'accompagnent presque toujours sur les routes d'Italie.

Éclatante est l'alliance d'Héra avec Dioméde, et certains les cheminements du héros trézéno-argien (3), confiant en la protection de sa déesse, de Grande-Gréce par la voie semi-Côtière jusqu'à Lanuvium, de Daunie par les montagnes jusqu'à Vénafre ; de'la Vénétie méme, où il avait élevé aussi un temple à celle qui l'avait autrefois sauvé, il pouvait accéder à l'Italie Centrale et au Tibre (4). Mais aux lieux précis où s'arréte Dioméde, où les sanctuaires d'Héra se dressaient comme

les bornes de ses courses inquiétes,

Héraclés

est présent, aussi bien en Vénétie (5) qu'à Lanuvium. Et à (1) ap. (2) M. Laurötd, capitale (3) Les

Phot., Bibl., p. 57. p. 16, 6 : 10-16. Pais (Storia Critica..., I, 1, p. 249, n. 1) voit méme en: la fille du Lakinos de Crotone, l'éponyme de Laurentum, de Faunus ou de Latinus. Locriens

avait

peut-être

aussi

contribué

à l'implanter

en Italie : Cf. Gruppe, G. M., p. 346.

(4) Supra, p. 72 sqq.

(5) Cf. les légendes hyperboréennes : supra,

p. 67 aqq.

170

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

Lanuvium du moins, dont l'influence religieuse fut si grande sur Rome, joint sur une dédicace commune à cette Junon Sospita (1), armée, couverte de la peau de chévre, analogue à plusieurs Héras péloponnésiennes (2), celle méme dont Dioméde avait institué le culte, disait-on.

Union étrange de l'Ennemie et du Persécuté ? Non pas. Cette alliance paraít avoir été l'un des primitifs fondements

de la légende argienne (3), et l'immortalité d'Héraclés semble à l'origine plutôt due à Hera qu'entravée

par elle (4).

Seulement il est bien vrai qu'aux temps classiques, à la fia du V*, au début du IV* siècle, où nous sommes

parvenus,

ce

groupemenpt est, aux yeux des Grecs, singulier, et ne se maintient vivant qu'en des sanctuaires rares et antiques,

fideles à leurs primitives traditions (5). L'un d'eux était le temple d'Héra Lacinienne; et le seul dans l'Italie grecque. Encore

la légende

de fondation

allait -elle étre modifiée,

qui l'attribuait

à Héraclés

par sotte ignorance, et l'honneur

de la dédicace reporté à un ennemi d'Héraclés.

Mais certes

lorsque, vers 400 a. C., Crotone frappait ses monnaies au double type d'Héra et d'Héraclés, l'alliance était intacte,

notoire, proclamée. Or c'est précisément

| cette déesse,

féconde,

guerrière,

^t

(1) Eph. Ep., IX, 605 : Herculi Sancto et Iunoni Sispiti.

(2) Supra., p. 76 sqq.

(3) Von Wilamowitz-Móllendorff, Herakles, I, p. 293 et 2%. (4) Le jardin des Hespérides, oü se cueillent les fruits d'immor

talité, est celui de Hera; sur l'CEta, une contrefaçon de ce paradis terrestre

appartenait à Héraclés

(Euseb., Praep.

Ev., V, 214),

ou peut-être

à Zeus (Soph., Trach., 200 et 436). — (Cf. v. Wila-

mowitz, op. c., p. 321, n. 104). — L'adoption d'Héraclés par Héra : n'est sans doute pas primitivement l'effet d'un ordre" formel de

Zeus : qu'onse rappelle l'hymne de Thèbes où le Dieu-héros était dit fils de Zeus et Hera. — Cf.Hesych., s. v. Ἡραῖον. — L'immortalité d'Héraclés est formellement attribuée à Héra par le schol. de Lycophron, 1328 : Héraclés selon lui futallaité, enfant, par Héra: c'est donc chose différente du rite mimétique de l'adoption. — Enfin l'étroite alliance étymologique des deux divinité devait correspondre à une alliance religeuse, peut-étre cultuelle. (5) Ainsi celui de Héra Aigophagos, fondé à Sparte par Héraclés (Paus.,

III, 15, 9).

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULB politique

(1), voisine

d'ailleurs des

Héras

armées

171;

d'Argos

et d’Elis (2), qui, avec celle des bouches du Seilaros, contribua le plus à donner l'épithéte d’ « Argiennes » et la cou-

leur grecque aux Junons militaires latines, qu'on les surnomme Sospita ou Quiritis. A preuve leur union énigmatique avec Hercule sur des monuments gréco-étrusques ou etrusques (3), qui semblent méme témoigner d'une premiere période d'influence de la déesse Lacinienne sur l'Italie Centrale à la fin du VI* siècle, au temps où Crotone fonda son

hégémonie sur les ruines de Sybaris. Mais le IV* siécle nous réserve une éclatante certitude sur la force de diffusion de la Hera Lacinienne et sur sa voie de pénétration vers l'Italie Centrale : son effigie en effet, telle que Crotone l'avait jointe à la figure d'Héraclés, une téte presque de face, qui respire l'audace, les cheveux épars ceints d'un diadéme qu'ornent des palmettes et des griffons, apparait sur la monnaie de Pandosia en plein Bruttium (4), sur celle de Poseidönia, étape essentielle vers le nord (5), en Campanie enfin, sur celles de Naples, Fensernia, Hyrium, Phistélia (6). Comme

si sur cette route parcourue par Dioméde, et toute jalonnée

des

souvenirs

d'Héraclés,

la

grande

déesse

Crotoniate

voulait affirmer que c'est avec elle, et peut-étre gráce à elle, que les deux héros argiens avaient pu de l'Italie achéenne parvenir jusqu'à Lanuvium. Si l'Héraclés Crotoniate joint à Héra Hoplosmia vint ainsi du Cap Lacinien jusqu'à Lanuvium, et sans doute, sous une

(1) G. Giannelli, Culti e Miti della Magna Grecia, p. 165-170. (2) Ct. F. Lenormant, La Grande-Gréce, YI, p. 223. (3) Voir 1. Bayet, Herclé, 2* partie, IV, rr. — Cf. Journ. Rom.

Stud., III (1913), p. 72. (4)

Gr.

Coins

Brit.

Mus.,

(5) J. Babelon, Luynes, I, (6) Gr. Coins Brit Mus., (Mais il faut lire Fenser. — p. 9?, 13. — La monnaie de (Cf. J. Babelon, Luynes, I, Mon. Ant. de UILC, I, p. IV. 287; G. Giannelli, op cit., p.

Italy, p. 370.

538. — Cf. supra, p. 55. Italy, p. 94, 13 (Naples); p. 128, 7 Cf. Cab. des Méd., Cart. 6, n° 229); Naples a été attribuée aussi à Nola 172). — A Phistélia : A. Sambon, — Cf. E. Pais, Italia Antica, II, Ὁ. 206.

172

LE»

ORIGINES

DE

L HERCULE

ROMAIN

forme ou sous une autre, de là à Rome (1), sur laquelle les cultes lanuviens exerçaient

un singulier attrait, et qui,

par

le traité de 338, se réserva la participation au culte de Junon Sospita, — telle légende locrienne illustre, par la même route, accéda aussi à la basse-vallée du Tibre: nous voulons par-

ler de la fable des Dioscures, qui secoururent les Romains à la bataille du lac Régille, comme ils avaient aidé les Locriens contre Crotone sur les rives de la Sagra (2). Quelle impossibilité donc que, suivant le méme trajet au IV* siécle.

la légende d'Héraclés, mürie entre Crotone et Locres, et dont Derkylos nous a transmis le fragile souvenir, soit venue s'acclimater parmi les négociants hellénes établis dans le quartier de l'Aventin ? La fable a-telle passé

d'abord,

sous

cette

ou sous une forme approchée, de Grande-Gréce nie, nous n'en savons rien. Mais nous possédons certains qui nous permettent d'affirmer dans l'existence du thème essentiel : l'enlévement d'Héraclés et le chátiment

du

coupable.

C'est

forme

méme

en Campades indices cette région des bœufs le

fameux

vase de bronze trouvé à Capoue, ou l'on a longtemps voulu voir une ancienne représentation du mythe de Cacus (3): il nous montre Héraclés poussant devant lui ses bœufs après

avoir puni un malfaiteur, trés probablement un voleur. Un tel document suffit à attester que, si le mythe crotoniat: est venu jusque dans le Latium, ce n'a pu étre que par la Campanie, longtemps l'intermédiaire obligé entre Rome (1) L'ancien

Hercule

de

Lanuvium

(Cf.

Lanciani,

Storia degli

Scavi, III, (1900), p. 22 et 31; Galieti, Bull. d. Assoz. Archeol. Rom., 1911 ,p. 31-43) interdisait aux femmes la participation à son polluctum. Rite curieux, qui se retrouve à l'Ara Marima de Rome. Voir infra. (2) M. Gruppe suppose gratuitement (G. M., p. 374) que cette légende vint à Rome par Tarente, sous prétexte que Tarente depuis le V^ siécle est la ville religieusement la plus importante en Grande-Gréce. A supposer que cette derniér affirmation soit exacte (ce dont nous doutons), elle n'autorise en aucune facon à allonger par un crochet aussi immense la route légendeire et commerciale bien plus ancienne que nous avons cherché à retracer entre la Grande-Gréce propre et l'Italie Centrale. (3) Annal. d. Inst. ‚XXIII, 1851. Cf. R. Peter, R. L., I, 22%.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D’HERCULE

173

grandissante et le reste du monde grec, et où nous avons vu s'exercer, justement dans le cours du IV* siècle, l'influ. ence monétaire et religieuse de Crotone (1). IV.



LA PRIMITIVE ET

SON

LÉGENDE

ROMAINE

ÉVOLUTION

Ainsi nous avons pu suivre jusqu'à Rome la tradition rapportée par Derkylos: nous savons à peu prés comment elle est née, en quelles circonstances; par quelle voie elle a atteint la cité tibérine.

Mais

là est-elle restée

stérile,

isolés,

sans rapports avec la légende qui a finalement triomphé ? Ou bien a-t-elle modifié cette légende? Ou méme a-t-elle contribué à la créer? Si ce premier essai légendaire sur l'Hereule Romain a simplement avorté, pourquoi? Si au contraire il a évolué,

comment ? Faunus-Évandre

Il y a longtemps qu'a été notée la parenté du mot Faunus avec faueo, fauens, et le parfait rapport de sens entre eux. Non moins süre est l'identification de Faunus avec Évandre, sa pure et simple traduction grecque. Si l'on désirait un fait qui le constatat dés l'antiquité, on le trouverait dans Servius (2), qui affirme qu'Évandre le premier rendit un culte à Faunus : ici, comme souvent ailleurs, le premier adorateur du dieu n'est qu'une autre forme de ce dieu. Que l'on ouvre d'ailleurs !' « Archéologie Romaine » de Denys (1) La légende de Latinos, 815 d'Ulysse et Circé, a dà étre répandue en Italie par des Ioniens, c'est-à-dire en l'espèce par les Chalcidiens (Pais. Storia Critica..., I, p. 305). Elle devait donc être particulièrement connue sur les côtes de la Campanie; et des influences campaniennes ont pu d'une part aider à la formation de la légende locrienne qui donne un rôle à Latinos; de l'autre faciliter, dans la version Romaine de la légende (Derkylos), la substitution de Faunus à Latinus. Rôle d'intermédiaires €t de courtiers,

non

de créateurs.

(2) Serv., Georg., I, 10.

174

LES ORIGINES DE L'IIERCULE ROMAIN

d'Halicarnasse, on ne peut manquer d'être frappé du parallélisme singulier existant entre Faunus et Évandre. C'est ainsi que Faunus, roi des Aborigènes et fils de Mars, règne sur l'emplacement de la future Rome

dre,

roi des Arcadiens et fils d’Hermes

Héraclés,

Latinus,

vainqueur

réputé

cule, de méme

de

fils de que

Cacus,

Faunus,

auprès d'Éva:1-

(1); à tous deux

distribue

est en

des

réalité

Pallas petit-fils d'Évandre

de Latinus qui épouse

Énée

porte le méme

terres

(2) ;

fils d'Her-

(3); et la fille

nom,

Laüna

ou

Lavinia, que la fille d'Évandre qui épouse Héraclés (4). Mieux : selon Justin (5), Latinus est fils d’Heracles et d'une fille de Faunus, exactement comme Pallas (6) est fils d'Héraclés et d'une fille d'Évandre. Le dédoublement d'un personnage mythique ne peut pas, semble-t-il, étre plus évident. Denys a visiblement ici fait effort pour conserver et con-

cilier toutes les données de la légende, sans s'apercevoir qu'Évandre et Faunus faisaient double emploi, et que l'un devait disparaitre devant l'autre. Malgré tous ses efforts, il est trop net que dans son récit Faunus est une figure

presque effacée, et que l'hellénisme d'Évandre

a triomphe

du vieux dieu latin. Dans Virgile, seul survivra sur cement de Rome le fils du subtil Hermes.— Et voici saisissons justement dans le récit de Derkylos la trace de contamination entre les deux traditions:

l'emplaque nous premiére par une

singulière inadvertance, Faunus y est dit fils de l'helléniqu? Hermés, et non de Mars dieu des Latins (7). C'est le germe de l'hellénisation qui devait peu à peu transformer la vieil»: légende et donner

un nom

grec à Faunus

lui-méme.

(1) Dion. Hal., I, 31. (2) Dion.

Hal.,

I, 42.

(3) Dion. Hal., I, 43. (4) (5) (0)

Dion. Hal., I, 43 et 59. Justin., XLTIT. Déjà dans Polybe; Cf. Dion.

Hal.,

I, 32.

(7) C'est à Saturne, non à Hermès, que Faunus devait primitivement vouloir sacrifier Hercule (Cf. Lactant., de fals. rel., I. 22, 9. Voir plus haut).

FORMATION

DE LA LEGENDE

ROMAINE

D'HERCULE

175

Traces de la legende primilive dans

la

tradition

classique

Mais si Faunus a subsisté dans la légende classique sous le nom d'Évandre, ne peut-on saisir dans cette légende méme

quelques traces subsistantes de la fable de Derkylos ? I semble ainsi évident que le personnage de Carmenta, la mère inspirée d'Évandre, quelle que soit d'ailleurs In coniplexité des éléments qui ont contribué à la formation du personnage, a retenu quelque chose du caractére prophétique de Fauna ou Bona Dea, femme ou fille de Faunus, et

s'est peut-étre substituée à elle (1). Ce qui tendrait à le prouver, c'est que parmi les compagnes de Carmenta (qui

n'en sont d'ailleurs que des émanations ou dédoublements', certains auteurs comptaient Tiburs (2), éponyme de Tibur, -où l'on trouve à la fois deux cultes très anciens, justement ceux d'Hercule et de Faunus (3): or la légende d'Hercule à Tibur paraît avoir été trés proche de celle de Rome. — Ainsi, la légende qui mettait en scéne Faunus a pu laisser dans celle de Cacus-Évandre une trace si légére soit.elle, dans le personnage de Carmenta. Une autre trace, bien plus distincte, s'en voit dans la célébre piéce de Properce (4), d'ailleurs si éloignée du reste -de la tradition augustéenne: pour expliquer l'exclusion des femmes de l'Ara Maxima à Rome, le poéte raconte qu’Hercule, pressé de la soif aprés sa victoire sur Cacus, avait

demandé à boire aux sectatrices de Bona Dea (ou Fauna) et n'avait rien pu en obtenir, parce que ce culte excluait les hommes de ses sacrifices; qu'alors le héros, outré de dépit, s'éleva à soi-même un autel de rite inverse. — Un tel récit ἃ d'abord l'air trop spirituel pour qu'on y veuille chercher les arguments d'une étude critique. Pourtant il est peu croya‘ble que Properce l'ait inventé de toutes pièces, surtout étant (1)

Selon

“d’Evandre,

Plutarque

(Rom.,

mais sa femme;

21)

comme

Carmenta Fauna

n'est

pas

la mére

l'est de Faunus,

(2) Int Serv., Aen., VIII, 336. (3) Verg., Aen., VII, 81 sqq. — Ovid., fast., IV, 649.

(4) Propert,

V, 9, 1 sqq.

"

176

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

donné qu'il contredit la tradition officielle: Hercule mal reçu à Rome, quelle étonnante affirmation en face du récit

d'Évandre ! Son étrangeté méme témoigne qu'il garde, plus ou moins

déformé

ou

embelli,

le souvenir

d'un

autre

état

de la légende, et, selon toutes probabilités, plus ancien que le récit officiel. — Il semble qu'on.n'en peut plus doute: quand on le rapproche de la tradition de Derkylos oà Faunus, époux ou père de Bona Dea, est aussi l'ennemi du héros grec. Peut-étre ainsi serons-nous amené à donner sa pleine valeur à une phrase, sans cela insignifiante, de Servius (1): « Hercules primum ab Euandro non est susceptus ». Une felle attitude certes ne concorde guére, sinon avec la lettre du poéme de Virgile, du moins avec le caractére qu'il a voulu donner au roi Árcadien. Là encore, il y ἃ sans doute un vieux souvenir presque effacé, et qui ne s'explique plus guère, d'un état antérieur de la légende, celui que Derkylos nous 8 plus clairement transmis. I] est trop évident d'ailleurs que l'aventure de Cacus. telle qu'elle fut répétée à satiété à la fin du I” siécle avant notre ére, a dü étouffer presque complétement les traditions moins favorables aux premiers habitants de Rome. Nous r'en trouverons donc que des traces trés légéres qui, considérées seules, ne sauraient avoir d'importance, mais qui en prennent par leur accord plus ou moins parfait avec les indices déjà relevés, Ainsi la tradition divergente de Diodore, qui représente en Kakios un ami d'Hercule, nous aid? à comprendre comment, par un phénoméne inverse, FaunusÉvandre d'abord ennemi du héros est devenu son hóte bien-

veillant : de toute certitude, l'influence grecque a détermin: le caractére des deux personnages d'aprés le sens de leurs

noms, le Bon et le Méchant; mais c'est là une action savante, et donc tardive, sur la légende, qui, loin de nous convai -

cre, doit nous mettre en garde contre l'antiquité de la tradition augustéenne. Cacus méme agissait-il dans l'état antérieur de la légende ? Et comment ? Il serait fort tentant d’e.r (1) Serv., Aen., VIII, 269—Mythogr.

Vatic., I, 69.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE

177

faire un séide ou une autre forme de Faunus : ainsi, outre le dedoublement de l'adversaire d’Hercule (Faunus-Cacus correspondant à Lakinos-Crotón et Latinos-Lokros), sera't introduit dans le récit de Derkylos le thème du vol des bœufs le seul qui lui manque pour qu'on en puisse affirmer l4 parenté avec les légendes de Crotone et de Locres. — On l'a tenté, sans preuves ni raisons convaincantes (1). Il existe pourtant une indication grave de Servius, qui :'a contre elle que sa forme evhémérique (2): « Selon les savants et les historiens, nous rapporte-t-il, Cacus était un esclave d'Évan-

dre, trés pervers et voleur (3) ». Quelque rationaliste que soit le caractère de cette affirmation, on ne doit pas en nie” la portée; d'autres explications du méme genre font Je Cacus un conquérant, un tyran cruel, un voleur de gran] chemin, un incendiaire; et il n'y a sous toutes ces formes

nulle originalité, nul souvenir de légendes anciennes. Il n’en est pas de méme du texte de Servius : il pouvait expliquer plus simplement, plus rationnellement, la fable de Cacus sans faire du fils de Vulcain un esclave d'Évandre-Faunus. Il est donc forcé qu'il y ait sous ces lignes un souvenir plus ou moins involontaire d'une légende ancienne. Ne voit-on pas alors combien concordent toutes ces données éparses, de facon à nous permettre de reconstruire une

fable latine apparentée à celle de Locres ? Faunus-Évandre recoit Hercule, comme l'avait fait Locros en Grande-Grèc:; comme à Locres, l'hospitalité est violée, soit par Faunus lui-même, soit par un familier de la maison, en l’espè:e Cacus, l'esclave qui dérobe les bœufs; Cacus comme

Latinos

est chátié; Faunus, coupable, ou innocent comme meurt de da main d'Hercule (4).

Locro;,

(1) Zinsow,

de

sacr. Rom.

pelasg.,

p. 20 et 26, n. 5. Cf.

Peter R. L., 2273 in fin. (2) Serv., Aen., VIII, 190. (3) Affirmation plus nette encore dans dri seruus nequitiae uersutus, et praeter -

que ne nous était attestée d'autre part. Mais nous avons pi la jalonner sans erreur possible sur les traces mythiques

de

Dioméde, sur les traces religieuses de Héra Lacinienne qui, de Crotone, fit sentir son action en Campanie, Junon-Guerriere du Péloponnése, dont Dioméde était censé avoir éta. bli le culte

à Lanuvium,

d’oü

elle

passa

à Rome.

Par



vint aussi Hercule. Peut-on dater, ne füt-ce que grossièrement, la pénétration de cette légende grecque dans le Latium ? La difficulté

peut étre insurmontable. La grande influence du culte crotoniate en Campanie remonte pourtant, avec certitude, au début du IV* siécle; et Locres hérite de la puissance de Crotone dans le premier tiers de ce siécle. La fable hostile au nom latin n'a pu naitre enfin que dans ces années, et remonter, plus ou moins déformée déjà, jusque dans le Latium : le milieu du IV* siècle marque en effet une period? d'inimitié violente entre Grecs et Latins (1). Toutes les conclusions chronologiques concordent donc; et nous sommes

sans doute autorisé à dater de la premiére moitié du IV* siécle le mouvement légendaire sur Hercule qui, de Crotone

(1) Cf. E. Pais, Sicilia, p. 483. La; destruction de l'empire de Denys II (357-345) fut sans doute accompagnée

d'une

réaction générale des indigènes.

En 349 (Liv., VII, 25 84.) ou 345 (Diodore), les Romains prennent des mesures sévères pour empêcher sur les côtes du Latium l'établissement de Grecs peut-être venus de Sicile (Liv., VII, 26,

15); En

348 (Liv., VII,

traité d'alliance avec D'autre

part

,les

27)

ou 344

Carthage, Tarentins,

(Diod.

XVI,

69) ils concluent

un

l'ennemie jurée de Syracuse. alliés

des

Samnites,

dont

ils

se

disent les fréres, intriguent avec eux pour empécher l'occupation de Naples par les Romains en 328 (Liv., VIII, 22; 25, 7,27,

11. — Dion.

Hal., XV, 5-8. D» méme

ria (Liv., IX, 14).

en 320 à propos de Luce-

182

LES ORIGINES DE L'HERCULE

ROMAIN

ἃ Locres, de Locres en Campanie, finit par atteindre ıe Latium (1). Combien de temps put se maintenir dans le pays la fable hostile au nom latin que nous a transmise Derkylos ? Y eut-

‘elle méme une durée quelconque ? N'est-il pas croyable au contraire qu'elle n'entra à Rome que déjà modifiée par la substitution

d'Évandre

à Faunus,

et

que

tout

le

travail

légendaire précédent resta confiné parmi les Grecs de la Grande-Gréce ou de Campanie, ou peut.étre dans la colonie de marchands hellenes qui trafiquaient à Rome aupres du port, et au forum Boarium, entre Palatin et Aventin? Toutes questions qui ne peuvent recevoir de réponse que lorsque sera déterminée la facon dont à Rome se fit la :substitution d'Évandre à Faunus.

(1) En 338 (Liv., VIII, 14) Rome obtient par traité participetion aux cultes de Lanuvium, oü nous avons vu se joindre les traditions

grecques

l'Italie Méridionale.

sur Junon.

Dioméde

et

Héraclés,

venues

de

"ΠῚ Évandre

La substitution d’Evandre à Faunus n'est pas connue ailleurs qu'à Rome. Elle suppose d'autre part le travail d'imaginations grecques sur des faits latins, et probablement

autour de certains

lieux

bien

déterminés:

sans

quoi

les

fables helléniques n'auraient pu ni se fixer ni surtout évoluer. Evandre comme tel. l.

- LA

est un

FORMATION

héros, topique,

DE LA

PERSONNE

et doit être explique

D ÉVANDRE

A ROME

D'ailleurs sa trace est nette à Rome. et les lieux euxmémes parlent: 1* Au pied de l'Aventin et non loin de la porte Trigemina

ἱπρὸς ἑτέρῳ τῶν λόφων Αὐεντίνῳ λενομένῳ τῆς Γριθδύμου πύλης οὐ πρόσω) se trouvait un autel consacré à Evandre (1); 2° Le culte du Lupercal, culte soi-disant de Pan Lycaios,. au penchant du Palatin, était attribué aux Arcadiens d'Évaadre, qui avait en cela obéi, disait-on, à un ordre de sa mére

Carmenta (2);

3* Carmenta enfin avait elle-méme un autel et une chapelle prés de la porte Carmentale, sous le Capitole (3), tout prés de la roche Tarpéienne, cemme on peut le conjecturer de quelques lignes de Tite-Live (4).

Ce n'est donc

pas le manque,

c'est l'abondance

et la

(1) Dion. Hal., I, 32, 2. (2) Q. Fabius Pictor, ap Dion Hal., I, 79= H. R. ‚F., Peter, p. 10. — Dion. Hal, I, 33. — Plut., Rom., 91.

(3) Cf. références dans Kiepert -Hülsen, Forma Urbis, 1910, P. 3. (4) Liv., V, 47, 2; Cf. Liv., V, 46, 9 et VI; 17,4.

184

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

diversité des localisation qui sont gênantes ici. Pourquoi cette dispersion des souvenirs d’Evandre ? A laquelle des. trois collines s'attacha d'abord son nom ? Comment s’est-il répandu ? Il va de soi que, si l'on veut parler raison et réalités historiques, Carmenta n'a primitivement rien à voir avec Évandre et que, vieille divinité italique, elle en fut d’abor:l tout indépendante; elle lui fut annexée par l’intermediair. de Faunus: heureuse fortune qui a prolongé sa vague existence.(1). — Il n'est pas non plus douteux, pour nous mo-

dernes, que le sanctuaire du Lupercal, malgré tous les rapprochements possibles entre ses fêtes et les « Lukaia » hetléniques, n'est pas une création arcadienne : bien que les Anciens, raisonnant par analogie, aient eu sur ce point une position en apparence trés forte. — Reste l'autel de la porte Trigemina dont la tradition ni le nom ne peuvent raisonn?blement pas étre enlevés à Évandre. Ne serait-ce pas là qu'il se fixa d'abord? | L'Aventin

Les conditions y prétaient.

En ce coin grouillaient les

étrangers: les Étrusques au nord-ouest, dans le Vélabre (2); les gros

commercants

domiciliés

sur

l'Aventin;

et,

sur

le

Tibre et le long du fleuve, charrois et convois forcément passaient prés des chapelles nombreuses serrées autour de !a porte Trigemina (3). Là, pour la première fois, s’exerca sur la religion Romaine l'influence grecque, et avec une cer-

teine audace, si l'on songe au temple de Cérés (juste derrière la porte Trigemina), desservi par des prétresses de Campanie, et dont le culte est tout hellénique: langue, rituel, mystères nocturnes, lectisternes, θεογαμία, rien n'y man(1) Bouché-Leclercq,

D.S., s. v. Carmenta,

p. 923 sqq.

(2) Cf. Jordan, Top. der Stadt Rom, I, 1, p, 273-275. (3) Cf. Merlin, l'Aventin dans 87.

l'Ant., passim, en particulier p.

FORMATION

DE LA LEGENDE

ROMAINE

D HERCULE

185

que vraiment, et cela dès le V° siècle (1). Sur l’Aventin aussi,

Diane n'était pas sans ressemblance avec la déesse d’Aricie, venue de Grande-Grèce (2), et témoignait en outre des rela-

tions de Rome avec Marseille (3). Un peu plus à l’est enfin, dans la vallée du Grand Cirque, à peu près à mi-chemia

entre la porte Trigemina et la porte Capène, le temple de Mercure était un autre rendez-vous des marchands étrangers arrivant par la Via Appia ou les bords du Tibre (4). Son culte était venu la tradition,

à Rome

dès le début

du

de Sicile ou de Grande-Gréce

V* siècle,

disait

(5). Si les Grecs

avaient pu helléniser de si importants sanctuaires à une date si reculée, il est évident qu'ils pouvaient aussi répandre de nouvelles légendes sur les vieux cultes latins de l'Aven-

tin. Or, s'il y a un dieu antique

sur la colline, c'est Faunus

avec sa parèdre Fauna. La Bonne Déesse, comme on l'appelait (Bona Dea Subsarana) habitait au-dessous du promontoire de Sainte-Balbine, tout prés de la porte Capéne ; son sanctuaire secret, réservé aux fefnmes, ne s'ouvrit méme pas devant Hercule. Quant à Faunus, il parlait dans les solitudes de la colline, où Numa vint surprendre ses ordres prophétiques (6); méme sans y avoir de temple, son nom €i sa puissance étaient vivants auprès des sources et dane les broussailles. Pas plus d'ailleurs que Bona Dea (7), il n'était rebelle à l'assimilation hellénique : dieu en un certain sens civilisateur, poète rustique, « facundus » (8), il prétait à la confusion avec Hermés-Mercure ; peut-étre y pré(1) Id, ib., p. 159-161. (2) E. Pais, Storia di Roma, I, 1, p. 331. (3 Merlin, op. cit., p. 220. (4) Cf. A. Piganiol, Mélanges de l'École de Rome, 1909, p. 120. (5) Steuding, A. L., II, 2808 sqq. (6) Ovid. fast., III, 295; Plut., Num., 15; Arnob,, V, 1. — Cf. 2. A. Hild, D.S., s. v. Faunus, p. 1022.

(7) Sa fête en décembre qui s'appelle Damium, sa prétresse Damiatriz, attestent Déméter à Egine, eit., p. 170 sqq).

(8

l'influence directe de Damia, une sorte de Épidaure, Sparte et Tarente (Cf. Merlin, op.

Hild, I. c. — Otto R.E., VI, 2058 et 2072.

ι86

°

LES

ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN

tait-il aussi par sa qualité de dieu infernal (1). Quoi qu'il en soit, le rapprochement est certain : par confusion ou autrement, Faunus est dit par Derkylos fils d'Hermès (2) : son assimilation à Pan y avait certes contribué. Est-ce à dire qu'il ait été complètement hellénisé sous la forme d'Évandre ? Évandre n'est pas un dieu (3); en seraitil un qu'il n'aurait eu aucune importance pour les Grecs

domiciliés sur l'Aventin. Ils y possedaient d'autres cultes autrement illustres, et n'avaient aucune raison d'y créer un autel pour

un

vague

héros:

que

l'on

suppose

méme

des

Arcadiens désireux de cultes nationaux, le sanctuaire de Mercure-Hermés ne pouvait-il leur suffire ? — Eÿayôoos a tous les caractéres d'une traduction de Faunus,

mais vaut

surtout comme épithéte (4). Au début, Évandre n'a pas dü avoir de vie propre: c'est l'épithéte explicative d'une divinité latine qui ne peut étre que Faunus. Nous croirions vo-

lontiers que l'autel dont parle Denys ne fut primitivemeut qu'un lieu consacré à Faunus, et, pour les Grecs domiciliés ou les voyageurs

qui remontaignt le Tibre, à Φαῦνος Εὔανδρος

ou Évandre tout court.

|

Les Grecs étaient coutumiers du fait. Que l’on songeà Melqart, dieu étranger pour eux; ils en font Melikertés, qui n'est qu'une traduction phonétique; ils lui donnent pour épithéte explicative Palaimón, « le combattant »; et Palaemón lui-même devient dieu : il prend pour mère Leucothée, sa légende se fonde, il vit enfin (5). De même pour Faune à Rome : le parallélisme est rigoureux. Mais il n’y a qu'un lieu cultuel à Rome où ce travail ait pu s’amorcer, c'est

l'autel de la porte Trigemina au pied de l'Aventin. En ce

(1) Serv., Aen., VII, 91. (9) Ps. Plut, Parall., 38. Voir supra, p. 164. (3) Évandre est pourtant déjà connu d'Hésiode, comme apparenté aux Atrides, fils d'Échémos et de Timandra (Serv., Aen., VIII, 130) : mais ce n'est pas sous cette forme qu'il a été connu à Rome. Voir infra. (4) Dans Eschyle, Eum., 1031 : Ἢ ἃ le seng « qui rend les hommes

(5)

heureux

».

Cf. Bérard,

Origine des culles

Arcadiens,

p. 254.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D’HERCULE

187

lieu de transit a dà naître Évandre, comme à Corinthe Palae-

món : les conditions sont les mémes. Cette période des origines ne se calculera ni par années

ni par décades. La tradition la plus osée n'ose pas faire remonter

l'introduction

de l'hellénisme

à Rome

plus

haut

que Tarquin l'Ancien (1); mais les précisions de l'annalistique sur les dieux grecs du Capitole et de l'Aventin ne se rapportent qu'aux premieres années du V* siécle. Si on les admet, ce n'est pas avant la première moitié de ce siècle qu'aurait commencé l'interprétation grecque du nom de Faunus auprès de l’Aventin : cette date n'ayant d'ailleu?S que la valeur d'un terminus post quem. Mais il a fallu que Faune

fût suffisamment

connu

des

Grecs,

pour

qu'ils

eus-

sent compris sa signification; il faut qu'ils s'y soient intéressés, et n'aient (ou quelque signe et le fleuve. Avec aient éprouvé de

pas jugé tout à fait de son culte que ce tout cela, il est rien bonne heure le besoin

indifférent son autel fût) entre la collin® moins que sür qu'ils de préciser une épr-

théte et de lui donner un corps. Faunus en ce point devait être un dieu secondaire (2): à plus forte raison Evandre. Le

Palatin

Il en était bien autrement sur la colline voisine, autou: du Lupercal. Là, dans la cité Romaine et à l'abri du pomerium,

se déroulaient chaque

année,

le 15 février,

monies étranges et presque barbares. Des loups et boues (Luperci) (3) sacrifiaient un loup, qu'ils appelaient Faunus Lupercus; autour de la ville, frappant le sol et les laniéres de peau de bouc; et le souvenir mains vivait encore sous un symbolisme

des cér#-

prétres à la fois chien à leur dieuils couraient nus passants de leurs de sacrifices hutrop clair (4). LA

(1) Cic., de r. p., II, 19. (2) Nous parlons ici de l'autel de la porte Trigemina, non de la colline, bien entendu; Cf. plus haut. (3) J. Carcopino, La louve du Capitole (Bulletin de l'Associa-

tion Guillaume Budé, 6, janvier 1925, p. 15-23). (4) Plut., Rom., 21. — Cf. Otto, R. E., VI, 2062-2070.

188

LES ORIGINES

DE L HERCULE

ROMAIN

divinité rustique que l’on honorait ainsi, les Grecs la connaissaient déjà, et déjà sans doute l’avaient identifiée à Pan; tous les détail du culte leur rappelaient les dieux-loups de la Grèce et les Lukaia d'Arcadie. C'est lorsqu'ils les connurent mieux que dut se nouer à Rome la tradition Évandréenne vivante aux temps classiques. Ces commergants grecs de l’Aventin, venus des pays d'Occident, Marseille, mais surtout Cumes, la Grande-Grece, la Sicile, se faisaient, tout en trafiquant, les complaisants nar-

rateurs des légendes de leur patrie; bien plus, ils cherchaient à les acclimater autour de leurs comptoirs,

comme

si leur

profitable exil leur en düt être plus doux ; et leurs yeux vifs, leur insinuante sociabilité, leur imagination à la fois naive et audacieuse,

leur faisaient bien vite trouver chez les Bar-

bares telle analogie de maurs,

tel mot facile à interpréter,

tel eulte universel à force d'étre primitif, qui les autorisaient à affirmer que leurs fables natales avaient dés avant eux poussé des rejetons jusqu'aux plus lointaines des terres

étrangères.

Ainsi

prit pied dans

Rome,

par

une étranges

acclimatation, la légende « arcadienne » (1). Elle était née peu à peu des traditions indigénes de la Calabre et du Bruttium interprétées par les colons hellénes, et tendait à attribuer aux peuplades œnotriennes une ascendance arcadienne imprévue. Les cités achéennes, Sybaris, Crotone et

Métaponte, et les Chalcidiens-Messéniens de Rhégion et d» Zancle,

travaillant sur une méme matiére,

finirent par lui

donner,

dans la seconde moitié du V* siécle, à la fois l'unité

et une force de rayonnement singuliére, en rattachant les éponymes de l'(Enotrie et de la Peukétie à la race arca-

dienne des Lycaonides,

famille de loups

adoratrice

d'ua

dieu-loup, le Zeus du Mont Lycée. Par un progrès mévitable, mais rapide désormais, les Pélasges, les Ausones, les Aborigènes dont Faunus était le roi, s’agregerent à cette Hignée sauvage; d'inextricables confusions brouillérent tow

(1) Nous

ne faisons que résumer

dans ce qui suit les résultats

de notre article sur les Origines de l'Arcadisme Romain (Melanges de l’Bcole de Rome,

XXXVIII

(1990), p. 63-143).

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D HERCULE

180

tes les légendes de migrations au profit de la tradition arcadienne. Du pays compris entre Rhégion et Crotone, avec

la complicité des Chalcidiens de Cumes, lénè,

Pellana,

Pallantion

et Pallas,

les noms de Pel-

par la grande

voie des

légendes le long de laquelle montaient aussi vers le nori Italos le roi myhique et le mot sacré d' « Italia », finirent par atteindre Rome et trouvèrent sur le Palatin le lieu où ils se fixèrent définitivement pour la suite des siècles. Gráce au culte du Lupercal.-— Il suffit en effet de se reporter aux témoignages les plus anciens pour se rendre compte: que l'activité d'Évandre, c'est-à-dire des Arcadiens, à Rome,

se limite en réalité à l'adoration de Faunus Lupercus, assimilé à Pan Lvcaios, en sa caverne sainte : à lire sans partipris les textes, on est bien vite persuadé que seul le Lupercal a servi de centre à la tradition arcadienne de Rome, et que, sans lui, cette tradition n'aurait:eu aucune précision, autant dire aucune vie. Évandre non plus: car il ne vint au Palatin qu'une fois reconnue et affirmée la parenté des Lupercales avec les Lukaia.

Faunus

alors,

pour les

Grecs,

devient

Pan,

don:

Grec; il n'a plus besoin d'une traduction. Du méme coup, Évandre n'est plus lié comme épithéte à un dieu latin : l'assimilation Faune-Pan lui fait gagner sa liberté. Sans doute il est toujours

comme

Faunus,

ou plutôt un doublet

tel il se substitue

encore souvent

de Faunus,

à lui (1);

et

mais

il peut aussi n'étre plus Faunus. Comme Lycaon s'est détaché de Zeus Lycaios pour fonder son culte sur le Mont Lycée: ainsi Évandre se détache de Pan-Faunus pour fonder le Lupercal au flanc du Palatiu. —

Alors seulement,

identifié à Faune,

et pouvant

par con-

séquent se rattacher à une longue tradition latine, et d'autre part Grec de nom et représentant à Rome toute la tradi-

tion arcadienne de Grande-Gréce, il fut capable de développement et commenga son existence mythologique. (1) Par exemple dans la fable d'Argus (dont la date et la parenté avec celle de Cacus-Hercule se trouvent ainsi confirmées) :

Voir supra., p. 178 δα.

190

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

Si l'on se demande quand se fit ce progrès décisif, on ne pourra donner une réponse précise. On remarquera seulement que, dés la fin du III‘ siècle, Cincius Alimentus, que suivit Cassius Hemina

(1), disait que « le dieu Faunus

de-

vait son culte à Évandre ». Un aussi audacieux renversement des termes témoigne d'un fort long travail et nous autoris.

peut-étre à dater du courant du IV* siècle, à la rigueur d^ début du III*, les premiers développements de la légende d'Évandre à Rome. De telles légendes évoluent en effet trés lentement : si Fabius Pictor nous atteste (2) la trés forte position que prend Evandre sur le Palatin au 1115 siècle, il fallut encore un siécle pour que la tradition arrivát à sa per-

fection classique par la jonction d'Évandre et de l'éponyme Pallas (3), bien que les progrés nous semblent simples et aisés à enchainer. — Cela ne veut pas dire d'ailleurs que

dés le 1V* siecle l'existence d'Évandre ait influencé la tradition purement romaine, ni que d'autres lézendes défavora-

bles à Faunus n'aient pu co-exister un certain temps chez les Grecs de Grande-Gréce, de Campanie, ou méme de Rome. Il ne faut jamais oublier que la fable d'Évandre ne se dé. veloppe ni seule ni sans à-coup : elle subit toutes les in-

fluences du temps et du milieu, et ne fut sans doute pendant de longues années qu'une interprétation grecque de faits romains, par suite ondoyante et diverse. Le

Capitole

Évandre vécut d'ailleurs encore un certain temps en singuliére confusion avec Faunus, et ne s'en détacha jamais, ἃ vrai dire, complètement. Son dernier progrès topographique à Rome le porta sans doute

au

Capitole,



habitait

anciennement (à la roche Tarpéienne, et donc au-dessus de ‘a chapelle de Carmenta), Silvanus (4), divinité étroitement (1) ap. Serv., Georg., I,

10z Peter,

H.R.F.,

p. 32, 2 et 68, 8.

(2) ap. Dion. Hal, I, 79= Peter, H.R.F., p. 10. (3) Pour Polybe (ap. Dion. Hal., I, 32), Pallas n'est encore que

petit_fils d'Évandre. (4) Propert., V, 4, 3 sqq.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE

191

apparentée à Faunus, dont 1] n'est qu'une épithéte, et souvent confondu avec lui (1). Au pied de la roche Tarpéienne, la trés vieille déesse Carmenta, assimilée à Fatua, Fauna ou Bona

Dea, comme

telle femme ou flle de Faunus, devint,

selon les diverses traditions, mére, femme ou fille d'Évandre (2). C'était naturel et logique du moment qu'Évandre, forme grecque de Faunus, se répandait de plus en plus daus la ville latine. — Mais réciproquement aussi, le fait de trouver à Rome le souvenir d'Évandre partout où vit Faunus ou des divinités apparentées ne confirine-t-i] pas de façon frappante le rapprochement des deux personnages, ou n'ieux l4 dérivation d'Évandre (3)? Ainsi se suit, en toute rigueur, à Rome le développement du personnage d'Évandre. II.

-—

CONTRE-ÉPREUVE

: L'ÉVANDRE

GREC

Ce schéma, comme tout exposé théorique, a le défaut d'être trop simple. Il s'expose d'autre part à l’objection: Évandre,

au

lieu de se former

naturellement

à Rome

sous

l'influence grecque n'est-il pas venu tout entier de Gréce, peut-être méme d'Arcadie ? Nous devons donc examiner ca que

nous

savons

de l'Évandre

Grec,

montrer

en

quoi

il a

influencé son homonyme Romain, en quoi aussi il en a subi l'influence. Ce sera la contre-épreuve de l'étude précédente. Evandre

Hésiodique

Nous avons déjà noté au passage (4) qu'un Évandre était déjà connu d'Hésiode (5), sûrement comme fils d’Ech&mos de Tégée et de Timandra (6), bien que le texte de Servius (1) Cf. J. A. Hild, D. S., s. v. Silvanus,

p. 1341.

(2) Cf. Bouché-Leclercq, D. S., s. v. Carmenta, p. 923 eqq. (3) Cf. pour l'ensemble du développement : Schwegler, δια, Gesch., I, p. 354 sqq. (4) Supra, p. 186, n. 3. (5) Int. Serv., Aen., VIII, 130.

(6) Hesiod., fr. 90 et 93 (114 et 117), Rzach, Teubner.

Ι 92

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

préte à la confusion (1). Cette filiation nous permet-elle de rapprocner l'Évandre Romain de l'Évandre hésiodique ? Timandra n'est, de tout évidence, qu'un personnage très humain, simple doublet des deux autres filles adulteres de Léda, Héléne et Clytemnestre ; — Échémos est un Tégéate, d'abord compagnon d'Héraclés, puisqu'il prend part avec lui à la fondation des jeux olympiques et triomphe à la lutte (2), plus tard ennemi des Héraclides envahisseurs de l'Ar-

cadie et meurtrier d'Hyllos (3): dans les deux cas representant national de l'Arcadie, et de Tégée en particulier, dans ses prétentions sur le sanctuaire d'Olympie et sa résistance aux Lacédémoniens. Il est important en outre de noter ici que la légende de Timandra-Échémos avait été traitée par

Stésichore,

dans

le

méme

sens,

semble-t-il,

que

par

Hé«iode (A): et, par conséauent, répandue dés le VI* siècle en Grande-Gréce, οὐ la dévotion olympique était puissan!e dans les cités achéennes (5). En Italie donc, cette tradition s'est sans doute intercalée dans

le mouvement

arcadien

de l'Œnotrie,

puisqu'Échémos

est un descendant de Lycaon par Aléos (6) et représente thiquement la ville de Tégée, si importante en ce siécle. a aussi. probablement, introduit dans la péninsule le d'Évandre, bien que ce ne soit là qu'une hypothèse. En

myElle nom tout

(1) « Et quamuis Hesiodus dicat qualiter coniunctus sit Euander (Atridis genere), tamen quidam aiunt Thestii filias Ledam et

Hypermestram

fuisse,

LEDAE

ET TYNDAREI

FILIAS

CLYTEMESTRAM

(sic) HELENAM ET TIMANDRAM FUISSE, QUAM DUXIT UXOREM ECH EMUS ARcas (Cf. Hesiod., fr. 93), cuius filius Fuander, etc...; alti ita tradunt, etc... » — Il faut entendre, comme le prouve le rapprochement des mots soulignés avec le texte d'Hésiode connu par une autre source : « Bien qu'Hésiode (la plus grande autorité en la matière) ait déjà établi cette généalogie, il n'y a que certains écrivains qui disent (comme lui) que, etc...; mais d'autres prétendent, ete... » (2) Pind., OL, X (XI), 66 (3) Herod., IX, 26; Schol, Pind., OL, X (XI), 79. Cf. Hiller v. Gärtringen, R.E., V, p. 1913. (4) Schol. Euripid., Or., 249.

(5) Supra, p. 12; 16, n. 1; 17. (6) Paus., VIII, 4-5.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE

103

cas là s’arrête son action : la filiation, l’influence de l'Évandre romain sont toutes différentes de celles de l'Évandre hésiodique. — Est-il méme licite de retrouver une trace infiniment légere du caractère belliqueux d'Échémos dans ce que Vig.i- nous 1appoite des luttes conduites par Évandr: autour de Préneste? Ce caractére peut venir d'ailleurs, et

de facon plus vraisemblable: il ne doit pas nous inciter à exagérer l'influence

d'Hésiode,

Évandre,

démon

qui est fort minime

(1).

Panique

Bien plus importante est l'hypothèse de G. Lœschcke, qui retrouve en Évandre un démon arcadien du cercle de Pan (2). L'existence de ces « esprits bienfaisants, dispensateurs de la fécondité animale et végétale », est hors de doute; certaine aussi leur parenté avec le Faune latin, dont Évandre n'est qu'une exacte traduction. Le lien de ces deux certitudes est dans les noms que les Grecs donnaient à ces génies : ils en

appelaient en effet certains

Εὐνοίυ:

le rapport de sens avec Εὔσνδοος

ct

᾿Οφέλανδρος,

dont

n’est pas douteux.

Ces trois faits sont indiscutables; et il paraît difficile de ne pas les interpréter comme M. Loeschcke. Si donc Hésiod: a contribué à introduire en Grande-Grèce le nom arcadıen d'Évandre, il apparaît d’autre part que ce nom pouvait représenter un démon du cercle de Pan, le dieu Arcadien. Ainsi s'expliquerait mieux encore comment les marchands :le l'Aventin ont eu si peu de peine à le substituer à Faune. En résumé. Évandre a pu naître à Rome sans nationalité bien définie, prés de la porte Trigemina; mais il a dà, lors-

que sa légende et son personnage se sont précisés, devenir Arcadien et trouver son homonyme dans le cortége de Pan. Il est, dans cette mesure, Arcadien, pourvu qu'il reste bien entendu que sa légende est purement romaine de localisation et italiote de formation. En effet l'heureuse hypothèss (1) E£chémos a son tombeau à Tégée : il y a là une réalité archéologique qui n'existe pas, nous le verrons, pour Évandre. (2) Losschcke, Athen. Mittheil., XIX (1894), p. 520-521.

104

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

de M. Loeschcke ne supprime pas la généalogie d'Hésiode; il

ne peut s'agir dans les deux du méme personnage. Confondus, les deux éléments contribueront fort bien, chacun pour sa part, au développement d'une légende homogéne; mais ils ne peuvent pas la créer. Le principe d'unité est ailleurs :

en l'espèce, à Rome, entre l’Aventin et le Palatin. Les précisions Romaines En dehors du témoignage d'Hésiode et des données servi à M. Lœschke pour établir son hypothèse, tous tes qui attribuent à Évandre une origine arcadienne sont de date récente, et, loin de prouver l'ancienneté ‘origine, ne font que constater l'aboutissement du

qui ont les texprécise de cette travail

romain.

L'essentiel est déjà dit à la fin du IIT* siècle par Fabius Pictor, redit sans doute par tous les annalistes, ressassé par

les auteurs du siécle d'Auguste. Mais là ne s'arrétent pas les précisions. I] faut descendre jusqu'à Pausanias pour trouver notée sous forme définitive la version officielle, sanctionnée

par le souverain: à savoir qu'Évandre vint de Pallantioa d'Arcadie sur les bords du Tibre et transporta à la colline qu'il y occupa le nom de sa ville natale (1) : Antonin, en reconnaissance de cette tradition, avait donné aux Pallantiens d'Arcadie la liberté, et les avait exemptés d'impôt. C'est à la lumiére de ce texte qu'il faut examiner un autre document, qui ἃ pu faire parfois illusion sur l'antiquité du eulte d'Évandre en Arcadie. « A Pallantion, dit Pausanias (2), il y a un temple, et (dans ce temple) des statues, ea

pierre, de Pallas et d'Évandre. » Il va de soi que ces statues, et surtout celle d'Évandre, ont pu aussi bien étre élevées à l'époque romaine, peut-être par Antonin lui-même : en toat cas, Pausanias ne dit pas un mot qui autorise à les faire remonter à une antiquité même relative. Il semble bien que

(1) Paus., VIII, 43, 1-2. (2) Paus., VIII, 44, 5.

FORMATION

DE

la plus importante

LA

LEGENDE

ROMAINE

D'HERCULE

des deux soit celle de Pallas

195

(1), et il

s'agit ici tout à fait sürement de Pallas fils de Lycaon (2): aieul d'Évandre, selon la tradition virgilienne. L'éponymie se transmet donc sans difficulté de Pallas fils de Lycaon à Pallantion d'Arcadie, et à Palatium romain par l'intermé-

diaire d'Évandre. Ainsi est parfait l'accord, non pas entre Hésiode et ces textes de Pausanias, mais entre Pausanias et

la tradition officielle romaine, représentée par Virgile. Mais la tradition virgilienne n'est pas la seule à Rome, méme à la fin du I" siécle : l'éponymie du Palatin est sans doute attribuée parfois aux Pallantiens, mais d'autres fois ἃ

Pallas,

fils ou

petit-fils

d'Évandre,

à Pallantia

sa

fille,

à Palantó femme ou mére de Latinus (3), sans compter les étymologies qui faisaient venir le nom de balare, de palare, ou de Pales. Α ce moment nous sommes donc encore fort loin de la théorie officielle, nette, exclusive, qui trouve à Pallantion une si curieuse et trop parfaite correspondance. — Bien

plus:

Polybe

de Mégalopolis,

dont une statue s'élevait à

Pallantion et qui devait bien connaitre les cultes de sa patrie, attribuait l'éponymie

du

Palatin

romain

non

fils de Lycaon, mais à Pallas petit-fils d'Évandre.

à Pallas

Qu'est-ce

à dire sinon que le groupement des deux statues dans le temple de Pallantion est récent, dà au définitif établissement de la légende officielle, qui ne s'affermit qu'à partir de Virgile ? — Ainsi se trouve dépouillé de toute valeur pré-

cise le seul texte qui pourrait servir de preuve à qui voudrait trouver en Arcadie l'origine religieuse de l'Évandre romain. Les imprécisions Grecques Aussi bien déterminé d'ailleurs est l'Évandre aussi confuses et contradictoires sont les données vandre grec. (1) « "Ev δὲ Παλλαντίψ ἵπτερόν ἐστιν Εὐάνδρου. » (2) Paus.,

VIII,

44,

ναός

τε xa! ἀγάλματα Ans

6 : « αὐτοῖς

( καθαροῖς

θέοις)

romain, sur !'É-

Πάλλαντος, οὐ

76 δὲ

κατὰ ταὐτὰ



Πάλλας ἔθυσε καθὰ xat ὁ πατήρ οἱ τῷ Λυχαίῳ Διί. » (3) Varro, de l. L, V, 53; Serv., Aen., VIII, 51; Festus, p. 220, | 3. υ. Palatium, etc... 2

196

LES ORIGINES DE L HERCULE ROMAIN

1° Confusions s'accorde

d'abord

à lui

donner

dans sa filiation. pour

mère

Si

Carmenta,

à Rome en

Grèce

on. on

hésite entre Timandra (1), une nymphe fille du fleuve Ladon qui tantôt n'a pas de nom (2), tantôt se nomme Thémis et

est dite « pleine de l'esprit divin » (3), une Thémis non auwement définie dite prophétesse son de chercher plus, nous n'en Timandra, qui fable romaine,

(4), ou une Nicostrate (5) qui parfois est (6). Et nous n'avons d'ailleurs aucune raià confondre ces différentes personnes; bien avons pas le droit. Sans méme parler de ne saurait avoir rien de commun avec !a il faut au moins admettre deux Thémis e;

une Nicostrate. Deux Thémis, si on veut donner ce nom ἃ la Nymphe

fille du

Ladon,

parceque

la Thémis

delphique

joue aussi un rôle dans cette légende, et a au moins influen-

cé la nymphe inconnue qui prit son nom (7). Et une Nicostrate, qui n'a rien à voir primitivement avec ces légendes. arcado-delphiques, si elle est, comme il semble, d'origine argienne (8). — Presque aussi trouble est d'ailleurs la fi-

liation d'Évandre, tantôt à Hermes,

rapportée tantót à Échémos amant

de

Thémis

ou

de

de Tégée,

Nicostrate,

à

moins qu'il ne soit le père de cette dernière (9). Autant ces données incohérentes sont inexplicables l'une par l'autre, autant elles s'éclairent et prennent un seus «quand on les confronte avec la tradition romaine.



Il suf-

ft de se figurer nettement l'importance de Carmenta par rapport à Évandre à Rome. C'est une source, assimilée à

Fatua - Fauna (— Bona Dea), parédre de Faunus, partage (1) (2) (3) (4)

le don

prophétique

(10).

Comme

dont elle

telle, elle attire

Hesiod.,l. c. Paus., VIII, 43, 2. Dion. Hal., I, 31. Plut., Q. R., 56.

(5) Id.,

ib

(6) Strab., V, p. 230. (7) Voir supra, p. 138 sq. (8) R. E., VI, 840.

(9) Int. Serv., Aen., VIII, 130.

$10) Bouché-Leclercq, D. S., s. v. Carments, p. 903 sqq.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE

197

Évandre (= Faunus), dont elle devient la mére, la femme ou la fille, comme elle l'était de Faunus. D'autre part, Faunus est identifié par les Grecs avec Pan d'Arcadie, fils d'Her-

Inés : et par suite on ne s'étonnera pas qu'Évandre, doublet de Faune, soit dit aussi fils d'Hermés.

Dans ces conditions il s'explique d'abord que l'on ait don-

né à la mère de l'Évandre Grec la qualité de Nymphe,

file

du Làdon, pourtant étrangére primitivement à Thémis, et sans doute aussi à Nicostrate. Il en résultait de soi le don prophétique, commun à toutes les Nymphes (1), sans qu'il faille pourtant rejeter l'idée d'une influence directe de Carmenta, que l'on reconnaitra d'ailleurs mieux dans l'eu6ov Aog Thémis que dans une nymphe quelconque non supérieure aux autres. — À ces raisons s'en joignent sans doute d'auires, d'un caractére moins purement romain et plus antique. C'est ainsi que Thémis est comptée parmi les Titans, comme Pallas lui-méme (2) : et le Pallas Titan est à l'origine identique à Pallas, fils de Lycaon et fondateur de Pallantion d'Arcadie (3) : il est donc possible qu'il y ait eu attraction, et que, par une sorte de paresse, Thémis, déjà apparentée à Pallas, ait été donnée pour mére à Évandre. De méme Nicostrate, par son caractére victorieux, rappelle la déesse Nike, fille de Pallas et de Styx (4), adorée à Tégée (5) et qu'Évandre, disait-on, avait établie sur le Palatin (6) ; et, si M. Gruppe peut douter; que le Pallas père ds Niké soit le fils de Lycaon (7), Denys d'Halicarnasse, lui, l'affirme avec la plus grande simplicité (8). Ainsi les diverses confusions grecques sur le nom de Ia mère d'Évandre s'expliquent, d'une pârt, par l'influence de ' y

(1) (2) (3) 1338,

Cf. O. Navarre, D. Cf. O. Navarre, D. Apollod., III, 8, 1; 1. 14. — Cf. Serv.,

.

S., S. v. Nymphae. p. 126. S., s. v. Titanes. Paus., VIII, 3, 1. — Cf. Höfer, R. L., III, Aen., VIII, 54. et Höfer, l. c., 1339.

(4) Hesiod., Theog., 983. (5) (6) (7) (8)

Paus., X, 9, Dion. Hal., Gruppe, G. Dion. Hal,

5. Cf. Athen Mittheil., XIV I, 32, s. fin. M., p. 196, n. 1. I, 33.

(1889), p. 17.

:

198

LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN

la légende romaine, de l'autre par des contaminations de légendes évoluant autour de Pallas, aieul d’Evandre. Nulle part nous ne trouvons la descendance simple et logique qui

s'est créée à Rome. Cette descendance semble bien avoir influencé

les généalogies

grecques

tardives;

d'aucune

façon

elle n’a pu en subir l'influence. 2° Confusions par suite dans la localisation de l'Évandre grec. Soit par lui-même, soit par ses parents, Evandre 9. trouve localisé en Grèce tantót ἃ Pallantion (1), Tégée (2), Parrhasion (3), à la frontière de Messénie (4): donc dans l'Arcadie du sud-est ; tantôt

dans

née

peut-être

(5),

au

Cyllène

(6),

l’Arcadie du nord, ἃ Phe-

a

Nonakris,

et

aux

bords du Ladon. Admettons même que certaines de ces localisations n'aient aucune

valeur, et que plusieurs des épi-

thètes attachées au nom d'Évandre soient purement poétiques (Parrhasius, Nonacrius), il n'en reste pas moins qu'i la fin du I" siècle avant notre ère encore, on n'attachait pas

une spéciale importance au lieu d'origine précis d'Évandre. Or il y avait déjà plus de deux siècles que sa léyende vivait à Rome. Pendant tout ce temps il a suffi aux Romains qu'il füt grec et arcadien : pourquoi arcadien, les raisons dans l'Italie méridionale, et

nous en avons vu autour du Lupe:-

eal. Dans le siécle qui suivit, par contre, la légende ayant té fortement établie par tous les écrivains du siècle d'Auguste, elle devient officielle, les précisions lui viennent des

empereurs eux-mêmes,

et la

légende

grecque

d’Evandr:,

dispersée d'abord dans toute l'Árcadie, se fixe enfin à Pallantion. — Cette simple constatation des faits ne montre-

t-elle pas à l'évidence que l'élément d'unité, c'est-à-dire de (1) Paus., VIII, 43, 2; 44, 5. — Dion Hal., I, 31; II, 1. — Verg., Aen., VIII, 51. — Liv., T, 5. — Justin, XLIII, 1. (2) Verg., Aen., VIII, 45. — Serv., Aen., VIII, fast., I, 545.

130.



Ovid.,

(3) Verg., Aen., VIII, 344; XI, 31. — Ovid., fast., I, 478. — Sil.

[tal., XII, 710. (+) Cf. l'E23v2272 I^; : Plut., Philop., 18. (5) Verg., Aen., VIII, 165.

(6) Dion, Per., 347, 7. — Ovid., fast., V, 97.

FORMATION

DE LA LEGENDE

ROMAINE

D'HERCULB

vie, pour la légende d'Évandre, se trouve à Rome,

199

non en

Gréce ? Conclusion

La Gréce n'a donc donné, pour cette création mythologique qu'un nom, un germe, peut-être une tendance (si l'hypothése de M. Loeschke est admise). La Grande-Grèce a plus agi, avec tout son mouvement « arcadien ». Mais c'est vraiment à Rome que s'est formé Évandre, entre l'Aventin et le Capitole, par une hellénisation progressive de Faunus, dieu

et roi de l'ancien Latium (1). III.



ÉVANDRE

ET

L'ÉPONYMIE

DU

PALATIN

Progressivement aussi il prit sur le Palatin le róle d'exception que lui reconnaît la tradition officielle de l’Einpir:, méme aux dépens de l'éponyme mythologique qui devrait v tenir la première place : au temps d’Antonin, ce n'est plus Pallas, comme au II‘ s. avant notre tre, qui est censé avoir donné son nom au Palatin, ce sont les Pallantiens menés pac

Evandre. Résultat bizarre : car enfin le procédé le plus siruple et le plus courant, mieux, le seul vraiment mythologique, consiste chez les Anciens à donner aux cités et aux pays des éponymes personnels, non collectifs; et, d'autre part, nt Pallantion n'est connu des Romains (au point d'influencer leurs légendes) avant le I" siècle av. J.-C., ni Évandre n'est

(1) Il ne faut pas oublier, bien entendu,

les modifications qu'ont

pu apporter à la légende les divers intermédiaires qui ont transmis à Rome les traditions ou les idées grecques, en particulier Cumes. Mais, sur ce point, Cumes parait avoir travaillé d'accord

avec ses sceurs chalcidiennes, Rhégion et Messine, dont les traditions « arcadiennes » n'étaient point différentes de celles des Achéens de Grande-Gréce : voir supra, p. 188 sq. et J. Bayet, art. cit. — M.Peterson lui-méme (Cults of Campania, p. 73), qui aurait tendance à faire venir l'Évandre Romain de Cumes, n'ose pas l'affirmer : attitude fort prudente, à ce qu'il nous. semble.

200

LES ORIGINES

DE

L HERCULE

ROMAIN

strictement lié ἃ Pallantion. L'artificiel de cette tradition esi

d'une éclatante évidence. En fait l'explication est simple,

ordre chronologique les données

si l’on veut classer

que

nous

par

possédons

Su:

l’eponymie du Palatin. ll va de soi que Pallas devrait logiquement être le seul he-

ros important de la légende palatine : car la seule préoccapation des mythographes est de trouver à la colline un éponyme grec. Certains s'en apercurent, qui firent recevoir Her. cule

à

Pallantée

fils (1). Etat primitif,

non

par

de la tradition,

n'est

qu'une

divers

encore

mais

d'ailleurs,

construction

lée. Nous avons vu en effet

d'éponymes

Évandre,

(2)

au

la

par

qui,

Pallas

loin

son

d'être

savante

et tardive,

lutte

d'étymologies

premier

siécle

avant

iso-

et

notre

ére : cela seul doit nous mettre en garde. Mais il importerait de dater ces éléments confus. Naevius, dans la seconde moitié du III* siècle, donnait encore pour étymologie du Palatin Balatium, la dérivant

du bélement des troupeaux (3). Cent cinquante ans plus tard, Polybe représente la tradition officielle, qui connait Pallas, petit-fils d'Évandre et fils d'Hercule, enseveli sur la colline (4). Dans cet espace d'un siécle et demi doivent prendre place deux progrés essentiels : 1?) Création de

Pallas; 29) Son rattachement à Évandre, qui contient en germe tous les développements futurs. — Or Evandre est déjà trés bien connu à Rome dans le dernier quart du III’ siécle, quand Pallas ne l'est pas encore (5). Et, si Pallas, d'autre part, lui avait été attaché dés l'origine, la généalogie du temps de Polybe serait plus directe, étant plus sim-

ple de songer comme éponyme à l'aieul d'Évandre, ou à un fils portant le méme

nom

(évolution achevée

avec Virgile).

Donc nous sommes en présence de deux légendes différentes,

(1) Eustath., ap. Dion. Perieg., Comm., 347. (2) Supra, p. 195. (8) Varro, de I. L, V, 53; Cf. Serv., Aen., VIII, 51.

(4) ap. Dion. Hal, I, 32. (5) Fabtus

Pictor, ap. Dion.

Hal., I, 70—Peter,

H.R.F.,

p. 10.

FORMATION

DE LA LEGENDE

ROMAINE

D HERCULE

20.

celle de l'Éponyme Palatin, et celle d'Évandre, qui n'ont fusionné que peu à peu.

Avant Pallas, petit-fils d’Evandre,

ne fut-il pas question.

de Pallantıa sa fille (1) ? Question insoluble. — Mais il parait bien que l'éponyme Palantö (2) est antérieure non seule-ment ἃ Pallas, mais ἃ Évandre : elle est liée en effet à Lati-

nus et à Faunus qui sont les formes latines auxquelles s'est substitué Évandre; et elle-même n'est qu'à moitié grecque, si elle l'est (3). Enfin sa liaison avec Hercule sur l'emplacement de Rome nous raméne à un état de la légende intermédiaire entre la fable de Derkylos et la tradition déjà classique de Fabius Pictor : lorsque Faunus n'est déjà plus l'ennemi d'Hercule, mais n'est pas encore l'Arcadien Évandre.

En

somme

(Évandre)

s'est

constituée d'abord;

à elle s'est rattaché un éponyme

quel-

conque

sans doute

du

la

fable

Palatin,

d’Hercule-Faunus d'abord

non

pas

Grec,

ni,

a fortiori, Arcadien, mais Aborigene; le nom de Pallas n'apparaît que plus tard, selon toute probabilité au début du 11" siècle : mais sa parenté avec Évandre a dû être très vite réalisée, peut-étre immédiate, ayant été préparée par tout le travail antérieur. Et alors Pallas devint Arcadien, parcequ'Évandre l'était déjà; mais Évandre ne l'était devenu que lorsque les Lupercales avaient été assimilées aux

Lukaia d Arcadie. Plus

tard,

Pallas

retomba

dans

l'oubli:

sa

principale

faiblesse était, comme l'a fort bien remarqué Denys, l'absence de monument à quoi rattacher sa mémoire. Évandre, qui l'avait aidé à vivre pendant deux siécles, finit par le supplanter : et le Pallantion d’Arcadie permit de rapporter à Évandre,

sans passer par Pallas, l'éponymie de la colline,

es à quoi il n'avait à l'origine visiblement aucun droit.

(1) Serv., Aen., VIII, 51. (2) Varro, de I. L., V, 53; Paul. ez Fest., p. 220; Solin., I, 15. (3) Elle est hyperboróenne, c'est-à-dire peut-être, aborigéne, liée aux Rois Aborigénes du Latium. Cf. Varro,l. c., la fondation

du Pslatin Romain attribuée à des Palatins Aborigènes.

202

LES ORIGINES DE L’HERCULE

ROMAIN

C'est ainsi que nous arrivons à la tradition augustéenne. «que nous la dépassons méme. Mais il était utile de montrer comment à la légende d'Évandre-Faunus se sont agrégées des fables qui lui étaient d'abord totalement étrangères : afin de pouvoir l'en dépouiller, et la ramener à son état primitif. Cet état, nous le restaurons

maintenant

en toute cer-

titude : Evandre se substitue à Faune prés de la porte Trigemina et se transporte sur le Palatin, en méme temps que son caractére se fixe conformément à l'étymologie. C'est le moment solennel oü la fable originelle que nous a transmise Derkylos, si elle veut subsister, doit chercher à Hercule un autre adversaire que Faunus : elle le trouva en Cacus.

IV Cacus

Le troisième acteur de la légende classique d’Hercule à Rome a été traité par les modernes de singulière façon: tantôt comme personnage antique et essentiel, tantôt comme

création tardive de l'époque augustéenne. I. —

LES

DONNÉES

ET

LES

THÉORIES

Les Données

A) Données topographiques. — Le nom de Cacus est attaché à plusieurs point de la ville. D'abord au degré qui descendait du Palatin dans la Vallée du Grand Cirque (1). Puis,

la Notitia Regionum

mentionne,

dans la VIII" Region,

un Atrium Caci. — Les historiens et les poétes font habiter Cacus tantôt au Palatin (2), tantôt sur l'Aventin (3), tantôt aux Salines prés de la porte Trigemina (4).

B) Données littéraires. — Elles sont toutes entachées soit d'evhémérisme soit d'imagination poétique. Cacus est, selon Diodore de Sicile (5), un bourgeois du Palatin qui recoit bien

Hercule;

selon Tite-Live

(6), un pasteur;

d'aprés

Denys

(1) Diod. Sic., IV, 21,2, — Plut., Rom. 20, 8: βαθμοὺς xaX, αχτῆς, est une faute du copiste, sans doute pour σχάλης χαχίης (Cf.

Bethmann, Bull. d. Inst., 1852, p. 40) : l'identiflcation en tout cas n'est pas douteuse. | (2) Diod. Sic., l. c. (3) Verg., Aen., VIII. (4) Solin., I, 7 : « Qui Cacus habitauit locum cui Salinae ^o. men est : ubi Trigemina nunc porta ». (5) Diod. Sic., l. c. (6) Liv., I, 7, 3 sq.

204

*

LES OùIG!NES DE L'HERCULE

ROMAIN

d'Halicarnasse, ou bien un voleur (1), ou bien un chef de bande (2); un monstre fils de Vulcain, qui vomit le feu et dépeuple les environs, pour Virgile (3), suivi par Ovide, qui l'appelle le « brigand de l'Aventin » (4), et Properce, selon qui c’est un voleur et un monstre à trois tétes (5). Enfin une donnée incohérente de Solin a paru sans valeur propre (6); et un texte de Festus (7) est de lecture douteuse (8). — De toute évidence, ces éléments sont trés insuffisants (9).

C) Données étymologiques. — Un seul rapprochement d2 nom ne peut étre contesté. Les textes nous parlent de la déesse Caca, donnée pour sceur de Cacus, et qui en est sürement la parédre, honorée soit par les Vestales soit à la facon de Vesta (10). — Celui qui fut institué entre Cacus et Caeculus (11), en remontant au grec χαίω, n'a, semble-t-il, aucun^ vraisemblance : il n'est pas douteux en effet que la légende du Caeculus de Préneste a toute raison de l'expli«uer comme diminutif de caecus, qui lui-même n'a rien à voir avec χαίω (12): d'autre part, prétendre que Cacus est une forme apparentée à Caecus, comme le faisait Reifferscheid, est une affirmation sans fondement, dérivée d'une eonception personnelle du caractère de Cacus (13). Toutes les autres étymologies proposées, tous les rapprochements ten(1) Dion. Hal., 1, 39. (2) Dion. Hal., I, 42. Cf. aussi : Origo gent. Rom., 6-8. (3) Verg.,

(4) (5) (6) (7) (8) (9)

Aen.,

VIII,

190 sq.

Ovid., fast., I, 551 sqq. Prop., V, 9. Solin., I, 7 sqq. Voir supra, p. 149 sq. Fest., s. v. Romam, p. 266. Voir supra, p. 150 sqq. Cf. R. Peter, R. L., I, 2271 sq.

(10) La donnée eur ce point n'est pas absolument claire. Voir : Lactant.,

153 et (11) p. 287; (12) mot

Inst.,

I, 20, 36; Serv.,

Aen.,

VIII,

190; Myth.

Vatic.

II,

III, 13. Hartung, Hel. d. Róm., I, p. 318 sq.; Preller, ἢ. M®., IT, R. Peter, R. L., I, 2273. Cf. Thesaurus ling. latinae. M. Thurneysen rapproche le

de l'hibern. caech,

du got. haihs = aveugle.

(13) Lorsque Preller (R. M.*, II, p, 287, n. 2) écrit : « Aus Caecus ist Cacus geworden wie aus Saeturnus Saturnus », il fait pétition.

FORMATION

DE

LA

LEGENDE

ROMAINE

D'HERCLZÉ

205

tés (1) témoignent de l'impossibilité d'arriver à un résutat certain ; il est trop évident que telle ou telle étymologie n'a été cherchée que pour expliquer l'un ou l'autre des textes littéraires qui nous ont été transmis; et défendre telle ou telle théorie sur le mythe d'Hercule-Cacus à Rome. Loin de nous servir à expliquer Cacus, leur confusion contribue à en obscurcir la notion : il vaut donc mieux laisser, au moins pour le moment, la question sans réponse (2). de principe. Connaissant Saeturnus et Saturnus, nous pouvons en affirmer la dérivation. Mais cela nous permet-il de créer un dieu Caecus répondant à Cacus ? Cette forme est arbitrairement créée pour expliquer Cacus; Preller l'explique ensuite comme si elle était réclle, et semble désormais la tenir pour certaine : qu'elle réponde à tous ses désirs,rien d'étonnant. — En fait, il est victime du rapprochement Cacus-Caeculus. Mais Cacus n'est pas un dieu aveugle ou myope à notre connaissance. Et rapprocher son caractére (augustéen) de brigand, de la vie de Caeculus fondateur de Préneste, est certes beaucoup moins fondé que de comparer les deux légendes des fondations de Rome et de Préneste

que

: Caeculus

de

est plus proche

de Romulus

(Cf. Plut.,

Rom.,

2)

Cacus.

(1) Cacus, et Κάχιος. — Cacus et Καιχίας. — Cacus et la racine xr4 == faire du tori. — Cacus et Véd. cdkas = fort. — Cf. R. Peter, À. L., I, 2273 sq. (2) Cf. Wissowa, R.E., III, 1165. — I] semble, que, s'il fallait choisir, ne devraient étre retenues que les deux derniéres étymologies, la racine kak (Curtius, Gr. Etym?*., p. 138 sq.; Vanicek, Griech .lat. etym. Wörterbuch, I, p. 100. Etym. Wörterb. der lat. Spr.?, p. 46), et le védique cdkas (Grassmann, Zeitchr. für vgl. Spr. f., 16, (1867), p. 176 sq.). Encore 1& première des deux estelle inexplicable logiquement : a) Cette racine aurait donné à la 919 xaxds, et Cdcus: or, même des anciens étaient troublés de cette

confusion

(Eustath.,

157,

1906,

45 et

1817,

11.)



b)

Elle

tend à expliquer Cacus comme un étre malfaisant, ce qui sans doute est d'accord avec la version augustéenne, mais non avec celle de Diodore, ni avec le rôle prêté à Caca, sœur de Cacus; ni avec leur caractére de dieux, les dieux redoutables méme étant souvent dissimulés sous des « noms honorables ». — Resterait çgékas, dont le sens est bien vague : car l'aopliquer au texte

corrigé de Festus

: « Caci

improbi

uiri unicarumque

uirlum »

est sans doute une opération fort tentante, mais qui ne consiste jamais qu'à bátir une hypothése sur une hypothése vraiment peu recommandable.

: proeédé

206

L€& ORIGINES DE L HERCULE Les

ROMAIN

Théories

À. — Sur ces éléments douteux ou insuffisants, s'est. construite à la fin du siècle dernier, avec Rosen, Bréal, Kuhn (1) une théorie spécieuse, qui rapprochait le mythe Hercule-Cacus de celui d'Indra dépouillé de ses bœufs divins par Vritra, démon-serpent à trois tétes. On poussait la. comparaison jusque dans les moindres détails, jusqu'à declarer que « la légende romano-italique était la plus proche de la conception originale » parmi les diverses versions analogues des peuples indo-européens. Quant au synibolism> du mythe, il représenterait la lutte de la lumiére contre les nuages obscurs. Par ce long détour, on arrive d'ailleurs à noter la parenté de l'aventure romaine avec celle d'Héraclés-Géryon. B. — Contre cette théorie s'est élevé avec vigueur et à plusieurs reprises M. Wissowa (2), en se fondant surtout sur la critique chronologique des traditions, qui ne nous permet pas, dit-il, d'affirmer que la légende de Cacus remonie fort au-delà de Virgile; en montrant aussi de façon indubitable que beaucoup des détails dont fait usage la théurie indo-europeenne sont purs ornements poétiques sans valeur mythique. — Une discussion complète et approfondie morntrerait en outre que le nom d'Hercule est grec sans doute (1) Rosen, Anmrrk. zum Rigveda, I, 6, 5, p. XXI. — A. Kuhn, Zischr. für deutsch. Altert., VI (1848), p. 117 sqq. — M. Bréal, Hercule et Cacus (1863). — R. Peter, R.L., I, 2279 sqq. — Oldenberg, Religion des Veda, p. 144. (Cf. R. Peter, l. c., et Wissowa R.

K.

R.?, p. 282, n. 9). — Voir encore

L. v. Schroeder,

Herakles

und Indra (T. 1-2. Denkschrift Akad. Wien, 58, 3/4); et B. Schweitzer, Heraliles, p. 211-219, qui rattache l'aventure au thème général indo-européen de la « lutte contre le géant et le dragon.

».



Cette

théorie

se

lie

bien

entendu

étroitement

ἃ.

celle qui fait d'Hercule un dieu italique, né et grandi à l'abri des influences étrangéres. Ou plutót ces deux théories n'en sont

qu'une. Ainsi s'explique que les critiques que l'une s'est attirées atteignent l'autre tout aussi bien.

(2, Wissowa, ἢ. K. R.*, p. 982 sq.; R. E., III, 1165-1169; Berl. Philol. Wochenschr., 1913, p. 879 sqq.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D’HERCULE possible un dieu méme à restituer

207

(1), que les Romains n'ont jamais douté que ce füt grec honoré selon les rites helléniques (graeco ritu), l'époque augustéenne où l'on prenait grand soin de leur qualité originelle aux vieilles divinités itali-

ques; or, si l'un des deux personnages du mythe

italique

est d'origine étrangère, comment admettre que ce mythe soit une forme spontanée en Italie de l'esprit religieux indoeuropéen ? Au surplus, on ne frouve nulle part dans l'ancienne religion romaine trace de la adivinisation des forces de là nıtuıe ni de leurs conflits (2), et, dans ces conditions, un rapprochement avec les mythes indous est impossible. — Il faut donc se reporter, mais directement, à l'influence du mythe de Géryon importé par les Grecs; et surtout aux influences locales, à l'action topographique, vigoureusement mise en valeur par M. Wissowa, quoique avec un certat manque de nuances, et dont nous avons déjà vu un exemple en étudiant l'évolution d'Évandre à Rome. Par malheur, cette vue a été trés vite exagérée, et l'on en arrive à ne plus vouloir remonter au delà des derniéres années du I* siécle pour expliquer la formation de la légende (3j : M. Gruppe a sans doute raison de réagir contre cette tendance (4).

C. — On trouve enfin l'indication ou plutót le germe d'une thöorıe

moins

absolue,

mixte pour

ainsi

dire,

dans

Prel-

ler (5), qui fait la part des traces légéres d'antiquité qui ont

pu subsister dans la poésie du siécle d'Auguste, sans vouloir remonter aux affirmations insoutenables des Kuhn et des Bréal. — C'est dans cette voie sans doute que l'on risque d'arriver à quelques certitudes ou vraisemblances sur une (1) Voir supra, p. 3 sqq. (2) Wissowa, R.K.R?., p. 3. — Déjà Preller, R. M.*, I, p. 1, quoique avec beaucoup de précautions, était forcé de le reconnaître.

(3) C'est la tendance de J. G. Winter, op. cit., voir plus haut; «αἰ de Fr. Münzer, Cacus der Rinderdieb, progr. de Bâle, 1911.

(4) Berl. Wissowa æxagéré

Philol. lui-même,

de M.

Wochenschr.,

XXXI,

1911,

1002-1004.

ib., 1913, p. 881, réagit contre

Fr. Münzer.

Preller, R. M.*, II, p. 287.



M.

le scepticisme

208

LES ORIGINES

DE

L HERCULE

ROMAIN

question oü le manque de documents nous forcera pourtant, semble-t-il, toujours plutôt à la discussion et au raisonnement qu’à la simple constatation de réalités bien établies. .]l. —

NATURE

DE CACUS

Mais, pour le moment, il nous est absolument interdit de recourir à l'hypothèse et d'utiliser, si peu que ce soit, les textes augustéens, suspects soit d'evhémérisme soit d'ima-

gination poétique. Sacrifice pénible; mais provisoire. Nous espérons montrer dans la suite qu'exposés à une autre lumiére,

groupés

avec

leur un peu trouble,

d'autres

faits,

ils reprennent

précieuse cependant;

une

va-

et qu'ils ne mé-

ritent pas l'excommunication solennelle que l'on jette sur eux. Ici, oü il s'agit de retrouver sous sa forme la plus nue la légende de Cacus, les critiques n'ont point tort tout à fait d'écarter les séduisantes incantations de la poésie, füt-elle aussi savante que celle de Virgile ou de Properce. Mais que l'on ne s'étonne point alors de la quasi-nullité des résultats. Comment en serait-il autrement ? L'étymolo-

gie ne nous donnant rien, nous en sommes connaître la nature de Cacus,

réduits, pour

à un texte de Servius, relatif

à sa « sœur » Caca (1)! Texte au surplus incertain; et qui,

établi du mieux possible, ne laisse entre les mains de ıa critique qu'un résidu si mince qu'il en est inutilisable, ou peu s'en faut. Le Codez Floriacensis de Servius écrit : « Hunc (Cacum) soror sua eiusdem nominis prodidit : unde etiam sacellum

meruit in quo ei peruigili igne sicut Vestae sacrificabatur. » — La Vulgate (2) donne: « in quo ei per uirgines Vestae sa-

crificabatur. » — Les conclusions qu'on tirera de ce texte différeront gravement selon qu'on adoptera la premiére ou la seconde lecture. Preller, pour appuyer son opinion que Cacus est un dieu

(1) Serv., Aen., VIII, 190. (2) Cf. Myth. Vatic., II, 153; III, 13.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D HERCULE

209

du feu, se sert de la première (1) ; en quoi il suit Preuner (2). Rien de plus légitime, semble-t-il. Pourtant M. Wissowa ne juge pas la lecture assez certaine pour qu'on en puisse tirer quelque conclusion que ce soit (3). Il nous parait cependant qu'il ne peut y avoir de doute et que la lecon du Floriacensis est la seule valable. Si en effet on s'explique parfaitement le passage de peruigili igne sicut à per uirgines (4), il est impossible, nous semble-t-il, de passer de peruirgines Vestae à peruigili igne sicut Vestae (5). -- Textes douteux, dira-t-on. Sans doute. Mais l'un est infiniment preferabl®

à l'autre. Si l'on peut prouver l'inverse, il convient de s'incliner ; sinon, il faut s'en tenir à la lecon du Floriacensis, admise par Preuner et Preller. Or si, comme le dit fort bien M. Wissowa, les Vestales of. fraient des' sacrifices à des divinités qui n'avaient rien à voir avec le feu, par exemple à Ops (et elles prenaient part aussi aux cérémonies

des Argées),

est adorée à la facon de Vesta

dire que la déesse

est

une

donnée

Caca

autrement

précise. On en a tiré les plus extrêmes conséquences.

De toute évi-

dence, le culte de Vesta n'est pas né à Rome avec Rome, et le temple du Forum en dehors du pomerium de la Roma Quadrata, la fondation de la Regia attribuée à Numa, non ἃ Romulus, en sont des preuves suffisantes (6). S'ensuit-il que (1) Preller,

R.

M.*,

II, p. 287 et n. 1.

(2) Preuner, Hestia-Vesta, p. 386 sq. (9) Wissowa, R.E., III, 1164. — Mais encore dans R.K.R., 1902, p. 114 et 145, n. 1, il admettait la lecture du Floriacensis et en ti. rait les conclusions nécessaires. (4) a) Saut du méme au méme au-dessus de plusieurs lettres

(Havet, Crit. Verb., & 444et 461) : peruignesicut; — b) Omission par confusion d'analogues contigus explique parition de ili qui se trouve entre deux

d'autre groupes

part la ig (Id.,

die. ib.,

& 468 et 709); — c) Suggestion regressive de lettres & pu donner : eruin et igın (Id. ib., 8 486). (5) La difficulté serait dans le premier cas (passage du texte I au texte II) la disparition de (s)icut; son introduction ne serait guère moins difficile dans le second : ou méme davantage : car sicut a pu être exprimé par sigle.

(6) A. Schneider, Rôm. Mitt., X (1895), p. 164-165.

210

LES ORIGINES DE L'HERCULE

ROMAIN

la cité palatine dut posséder auparavant un foyer commun où veillait le feu éternel; et que Caca en soit la déesse, plus

antique que Vesta ; et que la localisation précise de son temple nous soit indiquée par la Scala Caci (1)? Qu'en un mot

Caca soit la vieille divinité du foyer au Palatin, obscurcie par Vesta (2)? Cela n'est pas sür. De fait, l'introduction de: Vesta ἃ αὖ étre assez ancienne pour que, si elle s'est substituée à une "ivinité antérieure, celle-ci ait été promptement

oubliée; or le souvenir de sacrifices à Caca semble assez vivant encore dans les textes qui nous sont parvenus. Si, d'autre part, chacune des bourgades pré-romaines avait eu son culte national du foyer avant le syncrétisme, ou bien tous ces cultes auraient également disparu devant l'unité: de Vesta, ou bien, ayant survécu,

mais comme

subordonnés,

il serait étonnant que sur eux nous n'ayons d'autre témo:gnage que celui sur Caca. Il faut donc procéder avec plus de prudence si l'on veut user valablement du texte de Servius. Dans la phrase « tll peruigili igne sicut Vestae sacrificabatur », il n'y ἃ à retenir que le peruigili igne. Sicut Vestae est une glose des mots précédents, qui risque de les obscurcir. Du moment qu'il s'agit d'un feu perpétuel, un Romain de l'áge classique doit songer aussitót à Vesta : cela ne prouve rien quant à l'assimilation des deux déesses. — Caca peut méme ne pas étre

une divinité du feu ou du foyer : la phrase témoigne seule: ment qu'on ne laissait pas s'éteindre la flamme dans son sanctuaire (3). Or cette habitude rituelle de « garder » le

(1) Id., 4b., p. 163 sq. (2) Preuner, Hestia-Vesta, p. 386 sq. (3) Au moins en Grèce, il est possible que ἐστίμ ait désigné dans certains cas le feu perpétuel de divers dieux, non celui de Ja déesse

du foyer seulement

: les autels des dieux,

de Phoibos,

de Poseidón sont nommés

ἑστία (Eschyl., Sept., 275; Eum., 288;

— Sophocl.,

Plutarque

(Ed.

C., 1495).

mentionne

à Athènes

une

« lampe perpétuelle », qui différe sans doute de l'autel de Hestia (Numa, 9, 7)); en était-il de méme pour le feu perpétuel d’Apollon à Delphes (Id., ib.), où l'on ralluma les feux sacrés souil-

les par les Perses (Plut., Arist., 20) * M. Preuner (R.L., I, 2613) croit formellement que ces deux feux éternels appartenaient ὃ.

FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D’HERCULB feu est universelle et fort ancienne,

primitive m&me,

211 si l’on

admet avec M. Frazer (1) qu'elle est due uniquement à 1a difficulté matérielle de se procurer le nouveau feu : à cela tient le caractere sacré de tout foyer; et l'effort indéniable que chaque famille fait pour entretenir chez elle le feu constant (2). L’iinportance de toute divinité gardienne du feu fut donc trés grande à l'origine. Mais lorsque le culte du feu cesse d'être utilitaire, pour ne garder qu'une valeur, d'ailleurs immense, de symbolisme religieux et moral, comme c'est le cas pour la Vesta Romaine dés les temps historiques, les divinités secondaires gardiennes du feu ne reuvent plus avoir d'importance que par leur caractère propre,

ou

vigoureux

parce

qu'elles

de la Vesta

ont

su

se

officielle.

rattacher

au

Il en

étre

dut

culte

ainsi

plus

d-

Caca. Quel que soit en effet son caractére original, ce caractere a disparu. Divinité spéciale, elle n'avait plus d'impor-

tance déjà avant l'établissement du Calendrier, comme l'a fort bien remarqué M. Wissowa (3) : il en fut ainsi de son paredre

masculin,

Cacus.

Mais

Cacus

fut

plus

compléte-

Athena et Apollon, et que la charge en était confiée à la prétresse d'Athéna et à la Pythie. Ce qui se trouve confirmé par ce que nous savons du culte du feu à Lemnos, où les foyera éteints tous les ans n'étaient railumés qu'avec le feu pris à l'autel d'Apollon à Délos (Philostr., Heroica, p. 740). L'Apollon de Cyréne possédait lui aussi un feu perpétuel (Callim., Hymn., II, ad Apoll., 83); ainsi qu'Héphaistos à Etna en Sicile (Aelian., ^. a., XI, 3); Jupiter Hamnon en Afrique (Verg., Aen., IV, 200; Plutarch., de f. or., 2). — En Italie méme la Diane d'Aricie, appelée, il est vrai, Vesta (Cf. Frazer, Le Rameau d'Or, t. II, p. 6).

On pourrait objecter que c'est précisément le caractère de Vesta romaine comme de Hestia grecque d'étre d'abord 16 foyer lui- méme, la flamme-type. Mais, méme ainsi, nous ne pourrions considérer Caca comme une Vesta primitive latine que si était prouvée la valeur de l'étymologie admise par Preller : xaío : cf. caleo, caldus, canus, candere, Mais elle est loin d'&tre süre.

(1) Frazer, Journ. of Philol, XIV, p. 173.

(2) Cf. Hackenbach, R.E., VIII, p. 615.

(3) Wissowa, R.K.R*., p. 161.

212

LES ORIGINES

DE L'HERCULE

ROMAIN.

ment oublié, et sa déchéance de dieu fut consommée. On garda au contraire le souvenir de la divinité de Caca. Et pour quelle raison, sinon que, étant gardienne du feu (ce que n'était point son frère), elle imposait peut-être encore son ancienne utilité, et que surtout un culte plus jeune ^t plus

fort,

celui

de

Vesta,

s'intéressa

quelque

temps

à son

autel ? En somme, Cacus et Caca ayant, par leur caractere commun, des raisons égales de disparaitre, l'une durait comme divinité alors que l'autre était mort. Voilà le fait a priori inexplicable. Nous aggravons sans doute la difficulté, au lieu de la résoudre, lorsque nous raisonnons ainsi : Caon était divinité du feu, Cacus doit l'être aussi. Nous la reso!vons peuí-étre, lorsque nous expliquons que la survie précaire de Caca est due à son antique privilége d'étre gardienne du feu éternel (1). Mais un raisonnement a-t:il jamais

tenu lieu d'une réalité historique? Cacus,

Est-il

impossible

sans avoir été gardien d'un fover sacré, comme

que sa

« sœur », ait cependant appartenu au cercle des divinités du feu (2) ? Ayant soutenu le pour, nous serait-il cile de prouver le contre ?... — Ainsi se débattra critique tant qu'elle n'invoquera pas de nouveaux ges; contrainte à conclure, pour l'instant, que du de Servius, il n'v a rien à tirer concernant la Cacus.

fort diffisans fin la témoignaseul texte nature de

(1) II n'y n rien d'impossible à cette diversité d'attributions entre les deux membres d'un couple divin. Chacun sait, par exemple, que Vesta forme anciennement couple divin avec Janus. Supposons que nous ne sachions rien de Janus, sinon cette qualité de parédre de Vesta; dirons nous que, Vesta étant divinité -du feu, Janus devait l'être aussi ἢ Telle est pourtant la conclusion que Preller voudrait tirer du texte sur Caca. Il est vrai que, dans le cas présent, Cacus et Caca portent le méme nom : ce qui semble en faire les deux agents, masculin et féminin, d'une mé. me fonction. Ainsi retombe-t-on dans le doute aussitót aprés avoir acquis une vraisemblance. (2) Vesta, par exemple, qui fait couple avec Janus, dont on ne peut dire qu'il soit un dieu du feu, se trouve d'autre part unie,