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French Pages [526] Year 1926
BIBLIOTHÈQUE DES ÉCOLES FRANÇAISES D'ÂTHÈNES ET DE ROME PUSLIÉEK
SOUS
LES
AUSPICES
OU
MINISTÈRE
FASCICULE
CENT
JEAN
DE
L'INSTRUCTION
PUBLIQUE
TRENTE-DEUXIEME
BAYET
Ancien élève de l'École Normale Supérieure Ancien membre de l'École Francaise de Rome Agrégé
de l'Université
Docteur
es-lettres
LES ORIGINES DE
L'HERCULE ROMAIN
PARIS E.
DE
BOCCARD,
Anciennes
Maisons Thorin
1,
RUE
DE
Éditeur et Fontemoing
MÉDICIS, —
1926
1
IN PRO
MEMORIAM MATRIS
PATRIS SALUTE
BIBLIOTHÈQUE DES ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHENES ET OE ROMEt PUBLIÉE
SOUS
irs AUSPICES
DU
MINISTERE
FASCICULE
CENT
DE
L'INSTRUCTION
TRENTE- DEUXIÈME
L
----΄ JEAN
PUBLIQUE
-- -
BAYET
Ancien élève de l'École Normale Supérieure Ancien membre de l'École Française de Rome Agrégé
de l'Université
Docteur
és-lettres
LES ORIGINES L'HERCULE ROMAIN Cet
ouvrage
volume
d’etude
se complète critique
sur
étrusque.
PARIS E.
DE
BOCCARD,
Anciennes
Maisons Thorin
4,
RUE
DE
Éditeur et Fontemoing
MÉDICIS, —
1926
1
par
un
Hercule
2...»
PREFACE
ll y a peu de fables aussi connues que celle d'Hercu!e et Cacus, peu de sujets qu'on ait plus souvent traités que celui des origines du culte romain d'Hercule. Mystère des temps primitifs, rareté des documents, obscurité des faits les mieux établis : qui n'en serait séduit, qui ne voudrait aborder le probléme à son tour, düt-il aller vers une déception ? Mais n'est-ce pas aussi une étrange entreprise que de vouloir en écrire encore aprés tant de savants éprouvés, Hartung, Reifferscheid, Schvegler, M. Bréal, R. Peter, sans parler des plus récents ? — Voici ce qui nous y engage. La période vraiment créatrice, dans l'étude scientifique de cette
question,
va de
1835
avec
Hartung
jusqu'en
1890
avec R. Peter. En ces cinquante-cinq ans, toutes les grandes théories mythologiques furent éprouvées à propos d’HerculeCacus. La spéculation scientifique ne se croyait pas de limites : si les uns se contentaient de remonter aux origines de la race latine (1), d'autres (2) n'avaient de repos qu'aprés avoir replacé la légende romaine dans le cycle grandiose
des mythes indo-européens. Magnifique audace d'une science jeune. Elle eut ses défauts exclusive ; ne s'intéressant parti-pris le culte; obstinée lui ferait saisir la nature
: malgré son exubérance, elle qu'à la légende, elle négligea à trouver le détail expressif du dieu, elle ne se rendit
compte qu'une
seule
explication serait
grouperait tous
les faits et les éclairerait
(1) Étymologies de Garanus riius par Schwegler, d’Hercules (2) Par ex.
M.
Bréal.
valable, celle
par Hartung, par Mommsen.
tous
fut de qui pas
qui
ensemble
d'Hercules
Ker-
vu
PREFACE
Méme
ainsi,
cet effort de cinquante
années
est
vraiment
[écond. Ils voient le probléme, ces savants, et en posent les termes; ils rassemblent les document,
textes, pierres,
bron-
zes, bijoux, sans beaucoup de choix parfois, mais avec tant d'ardeur et une si vive imagination! Ils ont essayé pour nous bien des chemins de belle apparence qui n'aboutissent à rien, mais qui auraient pu mener au but, et qu'il fallait expérimenter. Et que de remarques fines, pleines d'avenir,
dans ces grandes théories; que de belles pierres utilisables dans ces édifices aujourd'hui en ruines ! Méme leur idée directrice n’est-elle pas juste, n'est-ce pas dans la nature
intime du dieu que doit étre cherchée en derniére analyse la solution du probléme des origines
? Et la méthode com-
parative d'un Bréal n'est-elle pas la méthode méme
de la
science moderne ?
Vinrent les destructeurs: ce que nous appellerons l'école de M. Wissowa. Savants probes, critiques bien armés, esprits acharnés, à l’œuvre entreprise. Ils dispersèrent les brillantes apparences, les idées ailées; ils se soumirent strictement aux
faits. Ils montrérent que l'Hercule Romain
n'était pas la-
tin d'origine, que la légende de Cacus n'était pas un mythe de la nature;
ils indiquerent
la Gréce comme
source
de la
légende et du culte; et s'arrétérent là. C'était la clarté un peu
froide de là raison
sur un
probléme trop
passionnant
service immense. Ils avaient distingué les domaines science refusait de faire part à la poésie.
:
: la
C'est de cette œuvre critique qu'il faut aujourd'hui partir, 4) l'on veut étudier cette question. Mais rendons-nous compte au moins de ses faiblesses et de ses manques.
La critique du maitre devient trop facilement hypercritique chez ses disciples (Winter, Baehm, Münzer). Il ne leur suffit plus de s'interdire « les grands espoirs et les vastes pensées »; ils ont peur de sortir du cercle οὐ ils s'enferment, cercle restreint, et que chaque étude nouvelle restreint un peu plus. Non seulement les époques mythologiques leur paraissent inaccessibles; mais les temps historiques sont pour eux trop vastes, et les siécles classiques eux-mémes sont suspects. Non seulement en chaque vers des poétes la-
PREFACE
IX
tins ils veulent voir une imitation précise d’un auteur grec (et que serait-ce alors si le trésor des lettres helléniques nous était parvenu intact 2), mais ils se refusent à imaginer que ces poètes aient pu parfois penser en Romains et travailler sur un vieux fond latin. Entre leurs mains, tout meurt et se dessèche avec une étonnante rapidité; ce qui tout à l'heure était un vivant n'est plus maintenant qu'un squelette.
La méthode critique qu'ils possedent si bien les a en outre engagés à un travail utile, mais réduit : l'épreuve des tlıeories précédentes. Il s'ensuit que, les prédécesseurs s'étant occupés surtout de la légende, les criticistes s'en sont presque tenus à elle; et que, d'autre part, une fois détruites les spéculations
sur
la nature
les criticistes, comme tous les matériaux
divine de l'Hercule
si l'euvre
sur le chantier,
Romain,
était achevée,
ont laissé
sans vouloir
construire
à leur tour : est-ce sagesse, est-ce défiance exagérée de leurs forces ? Le respect superstitieux des faits et l'habitude de classer les questions chacune à part ont eu pour eux d'autres inconvénients. D'abord ces savants se sont interdit toute interprétation, et ont préféré une poussiére de faits à une construction logique. Il était nécessaire, dira-t-on, de réagir contre les audaces précédentes. Sans doute; mais oublie-t-on que la science ne progresse que par l'hypothése, soumise aux
faits et vérifiée par les faits? L'Histoire se montrera-t-elle plus sévére que la Physique? En a-t-elle le droit? Mais plus grave encore nous parait le systéme des cloisons étanches : on étudie successivement la légende, le culte, le dieu (et c'est là un plan si naturel qu'on ne peut, semble-
t-il, s'en dégager), comme si l'un était séparable de l'autre, comme si l'un avait pu vivre sans l'autre. Si avec cette πηόthode on doit rencontrer une vérité, ce ne sera qu'une vérité fragmentaire; mais, plus probablement, à la fin de chaque chapitre on posera un point d'interrogation, sans s’apercevoir que toutes ces questions partielles se formuleraient autrement et que la réponse y serait moins douteuse, si l'on voulait envisager le probléme dans son ensemble. Sans doute nous ne pouvons étudier la question sans la diviser: mais
x
PREFACE
qu'au moins les résultats de chaque recherche aident à la suivante, et que la conclusion soit générale, non partielle. Tels sont les défauts des travaux récents sur l'Hercule Romain. Une méthode trop stricte, pas assez vivante, nous semble avoir empéché d'aboutir ces enquétes érudites et scrupuleuses.
Les faits sont pesés, classés; toutes les ques-
Peut-étre est-ce
tions sont posées: bien peu sont résolues. impossible? Nous voulons au moins thode, et voir ce qu'elle donnera.
essayer
une autre
mé.
D'abord, étant admise l'origine grecque de la légende et du culte, comment l'un et l'autre se sont-ils introduits à Rome ? L'invasion s'estelle faite brutalement, d'un coup? Ou n'y eut-il pas adaptation progressive de la fable, évolution, dont il importerait de fixer les étapes, et, si possible,
la chronologie ? Les grands siécle
mythologues
ne s'en sont pas souciés,
du
ils regardaient
dix-neuviéme trop loin et
trop haut; les criticistes ne s'en sont pas occupés. ils tenaient les yeux fixés trop strictement sur des faits isolés. Puis, l'évolution locale de la légende ne correspond-elle pas à une évolution paralléle du culte ? Ne nous permet-elle pas de mieux interpréter les données obscures que nous possédons sur les plus anciens sanctuaires d'Hercule à Rome ?
L'Ara Marima est-elle vraiment le plus antique de ces sanctuaires ? Ou
ne gagna-t-elle
que peu à peu
le prestige
dont
elle jouit aux temps classiques ? et comment ? — Là encore, nous désirerions introduire le principe d'évolution, qui seul peut nous permettre de remonter des données classiques aux
temps voisins des origines. Et ce n'est pas par des remarques isolées, fussentelles riches de sens, que cette recherche devra aboutir; mais par une discussion suivie et aussi serrée que possible.
Si l'une et l'autre de ces études, évolution de la légende. évolution du culte, nous conduisent à des conclusions con cordantes, nous serons autorisé
hautement
vraisemblables.
à en tenir les résultats pour
L'hypothèse
sera
scientifique-
ment conçue: il ne restera plus qu'à expérimenter si elle ex-
ΧΙ
PREFACE
plique aussi bien les fgits secondaires, si elle concorde encore avec ce que nous pouvons savoir de la nature du dicu et du rituel de ses sanctuaires. Un travail sur les origines d'un culte ne peut s'imposer de strictes limites chronologiques. La période de formation de l'Hercule Romain
couvre
deux
siécles environ,
de 400 à
200 avant Jésus-Christ: c'est dans cet espace de temps que nous pouvons espérer saisir certaines réalités historiques, et suivre une évolution continue; aprés 200, la « ligne » de développement d'Hercule Romain est fixée, il ne se pose plus de problémes fondamentaux; avant 400, aucun témoignage formel ne nous soutient, nous en sommes réduits à la discus-
sion de rares monuments figurés, et à l'induction fondée . sur la méthode comparative. A quoi peuvent nous servir des documents méme
non
datés ou
l'objet d'une critique préalable,
tardifs,
pourvu qu'ils sojent
et ne contredisent
pas
les
faits acquis pour la « période de formation » ni l'évolution générale, telle qu'on la peut fixer d’après eux. Nous ne prétendons pas avoir tout éclairci; ni méme tout
ce qui pourrait l'étre. Si nous avons posé le probléme autrement que nos prédécesseurs, et s'il apparait que cette ınethode peut donner quelques résultats qui n'avaient pas encore été acquis, cela suffira.
Nous ne nous dissimulons pas non plus l'inégalité d’un travail qui eut tant d'ainés. Le mieux eüt été de se placer avec candeur devant les faits tels qu'ils sont, sans se préoccuper des modernes qui les interprétérent: cela eüt pu dor. ner un travail trés original ou trés banal, mais d'une par-
faite sincérité.
Position impossible.
Des questions entiéres
ont été si bien étudiées que nous n'aurons qu'à en résumer les conclusions ; d'autres furent si controversées qu'il faudra reprendre à pied d’&uvre : il en résulte certains cahots, inévitables,
Il une quoi son
nous
seinhle-t-il.
paraîtra sans doute aussi pénible de se troirver devant discussion si longue et presque ininterrompue. Mais ? Les faits sont rares, l'interprétation confuse, la liaidifficile: si le raisonnement aide la conjecture, et si la
ΧΙΪ
PREFACE
conjecture explique l'ensemble des
faits,
n’est-ce
pas
un
commencement de preuve ? Et dans un problème si obscur, on n'exige pas sans doute une solution mathématiquement
certaine (1). ad
(1) Ce nous est un devoir bien agréable de remercier personnellement M. Hill, Conservateur du Département des Médailles au British Museum, qui nous a adressé, entre autres moulages rares, ceux que nous reproduisons pl. I, 10 et pl. II, 15; et MM.
les fonctionnaires du Cabinet tes les autres monnaies
Babelon et P. d’Espezel, été si précieuse.
de nos
de France planches),
(d'où proviennent touen particulier
dont la constante complaisance
MM.
J.
nous a
NOTE
Quatre
articles,
BIBLIOGRAPHIQUE
travaux
considérables,
qui,
pour
partie,
pos-
sèdent même une valeur originale, ont traité dans son ensemble la question. de l'Hercule Romain; on y trouvera la bibliographie compléte, jusqu'à 1922 inclusivement. Ce sont : 1. R. PETER, Roscher's Lerikon der griechischen und rómis. chen Mythologie, I, 2 (Leipzig, 1886-1890), col. 2253-2297 et 29013023; 2. DURRBACH,
Daremberg-Saglio-Pottier,
quités Grecques et Romaines, *
Dictionnaire
des
Anti-
III, 1 (Paris, 1899), p. 124-128;
9. KEHM, Pauly-Wissowa, Real-Encyclopädie der klassischen Altertumswissenschaft, VIII, 1 (Stuttgart, 1912), col. 550-609; 4. 1. CESANO, Romane,
Pour
De
Ruggiero,
III (Roma,
Dizionario
Epigrafico
di Antichitd
1922), col. 679-725.
tout détail qui intéresse à la fois Rome
et la Gréce, on
devra se reporter à une autre synthése considérable 9$. 0. GRUPPE, chen
Pauly-Wissowa,
Altertumswissenschaft,
Real
Suppl.
:
Encyclopädie III (1918),
der
L'évolution des théories se suivra avec les ouvrages 6. HEFFTER, Ueber Mythologie, Neue Paedagogik, vol. 2 (1831), p. 440-445; 7. HARTUNG,
Ueber
Religion der Rómer,
den rómischen
Jahrb.
Hercules
suivants :
für Philologie und (Erlangen,
9. scHwEGLER, Römische 316,
(1863), p. 2%;
1835)
—
II (Erlangen, 1836), p. 21-31;
8. METZGER, Pauly, Real-Encyclopädie der klassischen ihumswissenschaft, III (Stuttgart, 1844), col. 1175-1182;
10. MOMMSEN
klassis.
col. 910-1121.
Geschichte, I (Tübingen,
(TH.), Histoire
Romaine
(traduction
Alter-
1853), p. 364française),
I
XIV
NOTE
11. ur.LEN, De Herculis 3056);
BIBLIOGRAPHIQUE Romani
fabula et cultu
(Monasterium,
12. BRÉAL (M.), Hercule et Cacus (Paris, 1863); 13. PREUNER, Hıstia-Vesta
(Tübingen
1864), p. 382-384;
14. REIPWERSCHEID, Annali dell'Instituto Archeologico di Roma, XXXIX (1867), p. 352-362; 15. PRIMLER, Römische Mythologie*
16. MARQUARDT, III, p. 877 sq. (=
Römische Manuel
(Berlin, 1883), II, p. 278-300;
Staatsverwaltung?
(Leipzig,
des Antiquités Romaines,
1885),
trad. franc.
XIII, p. 78 sq.);
17. FOWLER, 197;
Roman
Festivals
18. wısaowa, Religion 1912), p. 271-284.
und
(London, Kultus
der
1899
et 1916),
Römer?
19. wiNTER (1. G.), The myth of Hercules at Rome, 20. MUMEER
(F.),
Cacus
der
series, IV (1910), p. Rinderdieb,
198-
(München,
Les travaux les plus récents de l'Ecole criticiste, quels s'effraie Wissowa lui-même, sont ceux de : Michigan Studies, Humanistic
p.
devant
les-
University of 171-273;
Programm
zur
Rek.
teratsfeler der Universitaet Basel (Basel, 1911). Les travaux particuliers dont nous aurons à faire usage seront indiqués au fur et à mesure des besoins.
LISTE
AMELUNG,
DES
Sculpt.
ABREVIATIONS
Vatican.
Mus.
—
des Vaticanischen Museums Annal. d. Inst. — Annali Archeologica (Roma).
dell’
de Luynes, B.C.H. Berl.
=
de
Die
di
Sculpturen
Corrispondenza
Deutschen
archaólogischen
-- E. BABELON, Traité des MonDescription Historique (Paris,
J. BABELON,
I (Paris,
Bulletin
Philol.
I =
Instituto
des
BABELON (E.), Traité Descr. hist, naies grecques et romaines, 1901 et suiv.). (J.), Luynes,
AMELUNG,
(Berlin, 1903).
Athen. Mitt. = Mitteilungen Instituts in Athen.
BABELON
W.
USUELLES
Monnaies
de la Collection
1924). Correspondance
Wochensch.
—
Berliner
hellénique. philologische
chrift.
Wochens-
|
Br. Brit. Mus.
--
Catalogue
of
the
etruscan in the British Museum
Bull. Com.
bronzes,
. greek,
roman,
and
(1899).
— Bullettino della Commissione archeologica Comu.
nale di Roma. Bull. d. Inst. = Bullettino dell’ Instituto di Corrispondenza cheologíca (Roma). CHRIST,
Gr. Litt. =
teratur®
(München,
klassischen C.LE. — Corpus suiv.). €.l.L.
=
W.
Corpus
CHRIST, 1898)
Geschichte
(Iwan
von
Altertumswissenschaft, Inscriptionum Inscriptionum
suiv., 1893 et suiv.).
ar-
der griechichen Lit.
MÜLLER,
Handbuch
der
VIT).
Etruscarum
(Leipzig,
1893
et
Latinarum
(Berlin,
1863
et
XVI
LISTE
C.I.S. = Corpus suiv.).
H.
sous
CoLLitz,
It. Dial.
Semiticarum
l'Empire
—
der
(Paris,
1881
et
historique des mon-
Romain?
Sammlung
chriften (Göttingen, Conway,
USUELLE®S
I. CoHEx, Description
—
naies frappées et suiv.). —
ABREVIATIONS
Inscriptionum
CoHEN, Mon. Imp.
CoLLıtz
DES
(Paris-Londres,
griechischen
1880
Dialekt.Ins.-
1884 et suiv.).
A.
Coxway,
The
italic
dialerts
(Cambridge,
1897). D.S.
— DAREMBERG-SAuLIO-POTTIER, Diclionunire grecques οἱ romaines (Paris, 1873 et suiv.).
Eph. Ep.
=
Ephemeris
FABRETTI
—
Corpus
drs
Antiquités
Epigraphica.
Inscriptionum
(Aug. Taurinorum.
Italicarum
antiquioris
aevi
(Lipsiae,
1878
1867 et suiv.).
F. H. G. — Voir : Mütter, F. H. G. F. L. G. .
—
Th.
BERGK,
Poetae
Lyrici
Graecik
et suiv.). FURTWAENGLER,
chreibung Museen
Vasensamml.
der zu
Ant.
Berl.
Vasensammlung
Berlin),
(Berlin,
—
A. FURTWAENGLER,
im Antiquarium
Bes.
(Königliche
1885).
GAMURRINI = Appendice al Corpus Inscriptionum ilalicarum
ed
αἱ suoi supplemenli, di Ariodante Fabretti, Gaz. Arch.
=
Gazette
Archéologique.
GERHARD, Auserles. Vasenb. — E. GERHARD, chische Vasenbilder (Rerlin, 1858). GERHARD,
Etr. Spieg.
KÔRTE),
—
Etruskische
E. GERHARD, (Le Spicgel
Auserlesene
V" vol.
(Berlin,
par
grie-
KLUEGMANN-
1843 et suiv.).
GERHARD, Ges. Ak. Abh. = E. GERHARD, Gesammelte Akademische Abhandlungen und kleine Schriften (Berlin, 18061868). | GILBERT,
Gesch.
u. Top.
der Stadt Rom
=
GILRERT,
im Altertum
Geschichte
(Leipzig,
GiRARD, Manuel D. R. — P.F. GiRARD, Droit Romain? (Paris, 1924). Gr. Coins Brit. Mus. — A Catalogue British Museum (London).
und
T»pographie
1883-1890).
Manuel
Élémentaire
of the greek
Coins in
de the
LISTE
Gr.
DES
Vases Brit, Mus,
—
ABREVIATIONS
USUELLES
B. WALTERS,
Catalogue
H.
and Elruscan Vases
in the
British
X VII
of the
Museum
et suiv.) GRUPPE,
6. M
=
0.
GRUPPE,
Griechische
Greek
(London,
Mythologie
1898
und
Reli-
gton$.Wissenschaftz (München, 1902) (Iwan von MUüliLER, Handbuch der klassischen Altertumswissenschaft, V, 2). H.
R. F. : Voir : Peter,
INGHIRAM,
Mon,
H.
Etr.
R.
—
F.
INGHIRAMI,
Monumenti
Etruschi
HUELSEN,
Topographie
der
MOMMSEN,
Manuel
(1821-1826). JoRDA\, Toy.
=
H.
JOoRDAN-C.
Rom (Berlin, 1871 et suiv.).
MARQUARDT, Manuel
—
J. MARQUARDT-Th.
Anliquités Romaines
(trad.
franc.,
Paris,
Stadt
des
1887 et suiv.).
Melangey de l'Éc. de Rome — Mélanges d'Archéologie et d'Hisloire, de l’École française de Rome. Mém. Ac, Inscr.
—
Mémoires
de
l'Académie
des
Inscriptions
et
Belles-Lettres (Institut de France). MICu, Ant. Mon.
—
MicALI, Antichi
Monumenti
(Firenze,
1810).
Muzium, F. H. G. — C. et T. MUELLER, Fragmenta Historicorum Graecorum (Paris, 1841 et suiv.). Not. d. Scavi — Notizie degli Scavi di Antichitd.
Pass, Sicilia — E. PAIS, Storia della Sicilia e della Magna cia, I (Torino-Palermo, 1894). Pus, Storia Critica 1913 et suiv.).
--- E.
Pais, Storia
PETER, H. R. F. — PETER, menta (Leipzig-Teubner,
Critica di Roma?
Gre-
(Roma,
Historicorum Romanorum 1883-1906; I?, 1914).
Frag-
PRELER, R. M’. — L. PnELLER-H. JORDAN, Römische Mythologie? (Berlin, 1883). R. E. = PaAULYy-Wissowa-Knornr, Real-Encyclopädie des klassis. chen Altertumswissenschaft (Stuttgart, 1894 ct suiv.). R. E\.
=
Pauly,
Real-Encyclopädie
wissenschaft".
RzmacH, Rep. Rel. romains
des klassischen Alterthums\
—
S. Reınaca,
(Paris, 1909 et suiv.).
Répertoire de Reliefs grecs et
XVIII
LISTE
Rev. Arch. = Revue
DES
ABREVIATIONS
USUELLES
Archéologique.
R. H. R. — Revue de l'Histoire des Religions R. L. = RoscHER'S Ausführliches römischen Mythologie (Leipzig,
(Paris).
Lezikon der griechischen 1884 et suiv.).
und
Róm. Mittheil. — Miltheilungen des Kaiserlichen deutschen Archäologischen Instituts, Römische Abteilung. ScHANE, Röm. Litt. — M. ScHanz, Geschichte der römischen Litteratur* (München, 18% et suiv.)(I. νον MüLter, Handbuch der klassischen Altertumswissenschaft, VIII). Wiss0ow4,
R. K. R.?2 =
G. Wıssowa,
mer (München, 1912)
Religion und
Kultus
der Rö-
(I.von Mürzzr,Handbuch der klassischen
Altertumswissenschaft, V, 4).
ZvEtAIFR, Inscr. It. med. dial. — ZvBramm,, Inscriptiones Italíae mediae dialecticae (Lipsiae, 1884).
Zvwrarery, Inscr. Osc. = rum
(Petropoli,
1878).
Zvgramrs, Sylloge Inseriptionum Osee.
INTRODUCTION
INTRODUCTION
Héraclés,
Hercle,
Hercules
Ce nous est une grande tranquillité, au moment d’aborder des recherches aussi brumeuses, de pouvoir nous appuyer sur une certitude philologique: il est aujourd’hui démontré
que le nom latin d'Hercule dérive du grec ᾿ραχλῆς ; Mommsen méme, qui lui avait d'abord cherché une étymologie latine (1), revint plus tard à l'origine grecque (2). Aprés Corssen et Deecke, Jordan (3); aprés Jordan, Herbig et
Bohm (4), ont rassemblé,
discuté,
affilié les différentes
formes du nom héroique chez les Étrusques, les Latins, et les autres Italiques; et s'il est une vérité établie, c'est la dérivation hellénique de toutes ces formes. Les Latins prononcérent d'abord Hercles; ils jurerent hercle ou mehercle (5). En 217 a. C., ils disaient Hercoles (6); et jusque vers le milieu du II* siécle (7), oà la forme Hercu(1) Hercere, herciscere (Mommsen,
Unterital.
Dial., p. 262).
(2) Mommsen, Rómische Geschichte, I, p. 178. (3) Jordan, Kritische Beiträge zur Geschichte der lateinischen Sprache, p. 15-17. (4) Herbig, R. E., s. v. Herkle; Bœhm, R. E., s. v. Hercules, VIII, 550-552. | (5) C. I. L., I, 1500 = XIV, 4106. — Cf. Ciste de Préneste : C. I. L., XIV, 4105. — Datif : Hercli (C. I. L., V, 4213; 5498; XII, 5733). (6) Inscription du dictateur Minucius : C. I: L., I, 1503 — VI, 284. — Cf. Papirian. ap. Prisc., I, 35, p. 27, 10 H. (7) Hercolei : C. I. L., I, 1175 = X, 5708 (date de 154-134 a. C.).
4
INTRODUCTION
les tendit à prévaloir (4). Évolution normale en latin d'un nom
propre
d'origine
étrangère,
comme
le
prouvent
les
exemples d'Agamemnon (2) et d'Esculape (3), avant qu'un scrupule de linguiste restaurát la prononciation grecque (4. La forme premiere, Hercles, oblige au rapprochement avec
l'étrusque Hercle. Or Hercle dérive du grec 'H;axizs,
par
degrés insensibles: on lit, sur des miroirs étrusques, [her]ekle (5), heracle (6). La syncope régulière de l’a donna en étrusque : Herkle, Hercle, Her,le (aspiration toscane),
méme Erkle (7); — dans une autre direction, une épenthése, rare,
semble-t-il,
modifia
le vocable
de facon
originale,
en
Heraceli (8), Herceles (9).Des noms propres en deriverent(10),
surtout dans la région de Clusium quini (12).
(11), mais aussi à Tar|
Hercles, Hercle, sont-ils fréres, tous deux issus au méme
degré, et de facon indépendante, du grec (1) Inscription 381. (8) Qui
donne
de Mummius Acmemeno,
'Hosx^z;
(145 a. C.) : C. I. L., par
syncope
réguliére
? Ou le 581 de
=
VI, a,
et
épenthése de e devant no.
(3) ᾿Ασκλαπιός, Aiscolapius, Aescolapius. (4) ᾿Αλχμένα donne Alcumena, avant meo ou Alcimee, avant Alcmaeon.
Alcmena:
᾿Αλχμαίων,
Alcu-
(5) Fabretti, C. II, 2531 bis — Gerhard, E. S., 143. Mais Gerhard n'a pas reporté l'inscription. (6) Gerhard, E. S., 340. — Cf. Herbig, R. E., |. c. (7) Cf. Jordan, l. c. (8) Gerhard, E. S., 344. (9) Peut-être latin, selon Bœhm; mais point purement, selon Corssen. (10) Deecke (Das Templum von Piacensa, Etruyk. Forsch., IV (1880), p. 75; Cf. p. 28 sq. et p. 67) a dérivé le nom gentilice
Hercles du nom divin; Schulze (Zur Geschichte latein. Eigennamen (1904), p. 199) affirme qu'il n'a rien à voir avec le dieu; Lattes (Rendiconti d. reale Istituto Lombardo di scienze € lettere, Ser. II, XLIV, 1911, p. 452) ne fait qu'en douter. Les suggestions de Deecke nous semblent pourtant probables. ^1^ C. 1. E..1546 (herclenia); 1718 (l. ane. velusa. hercle). — Les formes herclite, ferclite (C. I. E., 1486 sqq.) ne sauraient en étre issues qu'au second degré. (12) Fabretti, 2041 = Gamurrini, 587 (vel hercles velus).
5
INTRODUCTION
-
vocable latin vient-il de l’étrusque (1)? Nous serions trop heureux d'en être assuré: le problème des origines de l'Hercule Romain disparaitrait, et nous n'aurions qu'à chercher de paisihles confirmations à un fait établi. Mais, en ce point précis, la preuve philologique nous manque: reste la
discussion. — Jordan avait noté (2) les formes apparentées, osque Hereklos, sabellique Herclo, diverses à la fcis du iatin et de l'étrusque, quoique dérivées aussi du grec. Cette différence essentielle du théme entre le pays étrusco-latin et ses voisins méridionaux, qui le séparent de l'Italie grecque, serait saisissante et pleine d'enseignements, si elle était aussi certaine que la présente Jordan. Mais, en fait, les formes
dialectales
variables:
italiques,
d'ailleurs
non
datées,
sont
trés
si les Péligniens et les Vestins paraissent avoir
adopté le théme en o (3), le vocable osque commun
nous
échappe, ses variantes ayant d'ailleurs, de toute facon, une physionomie grecque trés marquée (4). Ce n'est donc qu'une hypothése de considérer comme la forme italique fondamen-
tale Herclos (5). Des fouilles épigraphiques heureuses ne pourront-elles point l’appuyer ? Alors, nous reconnaitrons bien volontiers que, la base de notre travail étant modifiée,
les discussions
qui vont suivre perdent beaucoup de leur intérét; non point,
espérons-le, de leur justesse. Nous serons sürs, dés le début, que le nom d'Hercule en Italie ἃ trois domaines linguistiques
distincts:
la Grande-Gréce prononçant
Ἡραχλῆς ;
l'Italie
méridionale moyenne et la Montagne, Herclos; l'Italie Centrale, étrusco-latine, Hercle. La troisitme forme étant plus (1) Cf. F. Skutech, Glotta, IV (1913), p. 191, & 5. (2) Jordan, |. c.
(3) Datif : Herec — Herecloi 29;
Hercolo
(Not.
d. Scavi.
(Zvetateff, Inscr. It. Med. Dial,
1898,
p. 75),
Herclo (C. I. L., IX, 3414) chez les Vestins.
chez
les
Péligniens;
(4) Herekleis (gén.) à Abella (Mommsen, Unterital, Dial., 119); Hereklüi (dat. à Agnone (Id., ib., p. 128). — Sur une base de terre
cuite
(ld.,
ou Βέερεχλεὺς ? (5) Cf. Bahm,
#b.,
n°
35), doit-on
R. E., VIII, 551-552.
lire Fepexe
ou
Εερεχλεος,
b
INTRODUCTION
proche que la seconde du prototype hellénique, l'étrangelé inéme de la répartition géographique unira plus étroitement l'Hercule Romain à l'Herclé des Étrusques, et fera entrer la question dans le domaine des faits politiques, et dans le dé-
veloppement chronologique Mais,
dans
l'état
actuel
de l'histoire d'Italie. de
nos
connaissances,
mous
ne
nous risquerons pas sur cette route dangereuse. Assurés que les noms étrusque et latin sont grecs d'origine, comme le héros
lui-même,
notre
chemin
est
tout tracé : voyons
d'a-
bord Héraclés vivre dans l'Italie grecque, avant de le suivre dans l'Italie Centrale, entre l’Arno et le Tibre, et de le voir se fixer enfin dans la Ville aux Sept Collines.
Planche
1
PREMIERE PARTIE L'Italie du
VI
Héracléenne au
IV
Siècle.
Héraclès
dans
l'Italie
Grecque Les documents sur les cultes de Grande-Grèce sont peu nombreux, mais surtout dispersés. L'ouvrage de M. 6. Giannelli (1) a le grand mérite de les avoir méthodiquement réuBis οἱ discutés; le tort aussi, à notre avis, de vouloir en tirer des conclusions chronologiques trop strictes. Nous voulons parler surtout des monnaies, seuls monuments que l'on puisse dater avec une relative précision : ne doit-on tenir compte d'un dieu comme dieu d'une cité que lorsque son image apparait sur les monnaies de cette cité ? C'est oublier que, méme chez les Grecs, les types monétaire sont assez peu nombreux dans les émissions d'une méme ville; que seules
les divinités poliades ou d'une exceptionnelle ‘importance en peuvent bénéficier; que, surtout en Grande-Gréce, et pendant longtemps, les cités les plus puissantes se limiterent aux types imposants, mais restreints, du inonnayage incus; puis,
pendant encore de longues années,
ne firent que dou-
bler la face (toujours dérivée du « blason un revers de méme pement
» primitif) par
sens et qui n'en était que
: de sorte que
l'épi de
Métaponte
le dévelop.
appela
Déméter;
le trépied de Crotone, Apollon... Est-ce à dire qu'il n'y avait
pas d'autres divinités importantes que Déméter à Métaponte, Apollon à Crotone ?.. Nous raisonnerons autrement. Supposé qu'à une date, méme tardive, une ville frappe sa monnaie d'un Héraclés, (1) G. Giannelli, 1924).
Culti^e Miti della Magna
Grecia
(Firenze,
10
LES ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
nous chercherons si dans les traditions ou les monuments plus antiques de cette ville il n'y a point trace d'Héraclés; si oui, nous admettrons le culte de cette divinité en ce lieu
à partir du document le plus ancien, sans d'ailleurs en vouloir préjuger l'importance. — Il nous semble aussi que, dans cette recherche, nous devons nous aider (dans une mesure raisonnable) du fait constant que les colons grecs transportaient en terre étrangère les dieux de la mère-patrie. Un indice, en apparence fragile, du culte d'Héraclés en une ville de Grande-Gréce acquerra une valeur particuliére s'il est attesté par ailleurs que les colons venaient d'un lieu οὐ Héraclés était honoré. —. Enfin nous tácherons de nous garder de deux théories séduisantes, si universellement
recues. vers la fin du siécle dernier qu'elles continuent à se
survivre et à tyranniser l'histoire de l'Italie grecque, malgré tous les coups qui leur ont été portés : celle d'abord de la prépondérance absolue de Cumes et de la Campanie dans la diffusion des idées grecques chez les peuples de l'Italie Centrale; puis celle de l'origine avant tout dorienne d'Héraclés, quel que soit le lieu ou on le rencontre. Nous ne saurions oublier qu'avant Cumes la chalcidienne et avant la
dorienne Tarente,
d’autres villes grecques existèrent,
peuplées, plus puissantes, Sybaris, Crotone, et méme I. -—- LES
d'un rayonnement Métaponte. VILLES
plus
plus vaste:
ACHÉENNES
Ces trois villes et celles qui, de gré ou de force, en dépendirent, se rattachaient à des traditions achéennes, quoique leurs colons fussent d'origines trés diverses (1) ; mais
enfin la majorité d'entre eux, et surtout (ce qui est l’essentiel pour les cultes introduits en Italie) les fondateurs, ou œkistes, étaient achéens : celui de Sybaris, qui conduisait des Achéens, des Trézéniens et des Locriens (2), était d'Hé(1) Cf. K. 1. Beloch, Griech. Gesch.*, I, 1, p. 235-239. (2) G. Busolt, Griech. Gesch.?*, I, p. 398-400; E. Pais,
p. 190 sq.; Id., Italia Antica, II, p. 87.
Sicilia,
L'ITALIE
HERACLEENNE
DU
VI* AU
IV"
SIECLE
11
était selon toute vraisemblance
likè; celui de Métaponte
un
.Achéen de Sybaris (1), bien que la colonie comptát de forts
contingents Phocidiens (2) et Béotiens (3); l'oekiste de Crotone venait de Rhypes (4); celui de Caulonia, d'Aegion (5). Or Héraclés et sa légende n'étaient pas absents de l'Achaie: il était groupé avec Zeus à Aegion (6) et à Patras (7); à Dymé on montrait un monument élevé par lui (8); à Olénos, il avait délivré la fille de Dexaménos des entreprises du Centaure Eurytion (9); à Kéryneia, il était en rapports avec Artemis et on racontait la légende de la biche (10); à Boura paissaient les troupeaux
oü, selon certains,
enfin,
de Dexa-
ménos (11), il possédait un oracle trés antique, dans une caverne, auprès d'un fleuve (12). N'y aurait-il en Achaie que ce culte ancien d'Héraclés,
compte,
puisque,
nous
devrions
en
au témoignage de Stéphane
Boupaix
une ville de Grande-Gréce s'appelait
tenir
grand
de Byzance,
(13).
Sybaris-Thourioi
Et surtout si, comme le suggére M. Pais (14), cette Bouraia italienne n'est autre que Sybaris. Et sans doute les eaux (1) G. Busolt, op. cit., I. p. 410 sq. (2) Fr. Lenormant, La Grande Gréce, 13, p. 122; E. Pais, Sicilia, p. 221 sq. (3)E. Pais, Sicilia, p. 222 sq.; G. Giannelli, op. cit., p. 94. (4) G. Busolt, Griech. Gesch.?, I, p. 401 sqq. (5) Id., ib, p. 403; E. Pais, Sicilia, p. 243 sqq. (6) Paus., VII, 23, 10 sq.; 24, 4. — Cf. Gruppe, R. E., Suppl. III, 920; cf. 992. (7) Gruppe, ib., 921.
(8 Paus.,
VII, 17, 8.
(9) Gruppe, l. c., 920. — Cf. Paus., (10) Gruppe, l.c., 1039-1041. (14) Callimach., Hymn., IV, 102. (13)
Paus.,
VII,
25, 10.
—
VII,
18,1.
La statue de culte était archaïque
cf. J. G. Frazer, Pausanias description of Greece, tary, IV, p. 171. (13) Steph. Byz., s. v. Bovoaia * πόλις ᾿Ιταλίας. (14) E. Pais, Sicilia, p. 191, n. 2.
Commen-
:
12
LES
ORIGINES
DE
L'HERCULE
ROMAIN
qui entourent la ville rappellent par leurs noms ce canton. de l’Achaie, que ce soit le fleuve Crathis (1) ou la source: Sybaris (2). Mais aucun témoignage direct ne nous indique à Sybaris un culte d’Heracles (3); et les fouilles trés insuffisantes qui furent faites jusqu'ici sur son emplacement ne
suppléent pas au silence des textes. Indirectement, on peut faire valoir en faveur de la présence d'Héraclés à Sybaris tel argument vraisemblable, mais qui n'entraine aucune certitude : par exemple, le culte confédéral de Zeus Hamarios, venu d'Aegion (4), où Héraclés était groupé avec lui; ou
l'existence d'un Trésor des Sybarites à Olympie
(5), oà la
légende d'Héraclés était si fortement implantée dés une date reculée. Les colonies de Sybaris, filiales des cultes de leur
métropole, ne nous apprennent rien non plus : l’Héraclès qui se voit sur une monnaie de bronze de Laos (6) peut être une importation lucanienne (7); quant à Poseidônia, l'origine trézénienne de sa fondation oblige à la distinguer de Sybaris, quels qu'aient été les rapports entre les deux villes. Le cas de Thourioi est un peu different. Bien qu'elle se considérát conve la véritable héritière de Sybaris, sa population fut, des ses débuts, tellement mêlée, et les révolu-
lions causées par les divers éléments ethniques tellement fréquentes, qu'il est bien difficile de distinguer l'origine de ses différents cultes. Celui d'Héraclés est certain au jour méme de la fondation, puisque l'une des quatre grandes rues longitudinales portait son nom (8); et le róle immense (1) Prés d'Aigal : Paus., VII, 25, 11-12, qui attribue aux Crotoniates l'éponymie du fleuve italien, (2) E. Pais, Sicilia, p. 190 sq. — D'autres pensaient que le nom venait d'une source du Parnasse (Nicand. ap. Antonin. Liberal, VIII) : moins vraisemblablement, nous semble-t-il, étant donné l'origine attestée du fleuve Crathis. (3) Cf. G. Giannelli, op. eit., p. 114 sqq. (4) Id., ἐδ., p. 126 sqq. — Mais son argumentation chronologique ne nous convainc pas. (5) Paus., VI, 19, 9. (8) Gr. Coins Brit. Mus., Italy, p. 237, 20. (7) G. Giannelli, op, cit., p. 136. (8) Diod. Sic., XII, 10, 7.
L'ITALIE HERACLEENNE
DU VI* AU IV* SIECLE
13
que joua dans la ville, à la fin du V* siècle, l'Héraclide rho-
dien Dôrieus, trois fois olympionice, chef du cratique, et qui réalisa l'alliance paradoxale
parti aristode Thourioi,
avec Sparte, ne put qu’accroitre l’importance de ce culte (1); encore attesté par des monnaies de date tardive,
de Thou-
noi ou de Copia (2). Ce dernier Héraclés devait être bien mélangé ! Mais celui de la première fondation, en 446, n'était-il pas Sybarite ? On pourrait le penser, à voir les Sybantes de la nouvelle ville revendiquer avec tant d’orgueil, comme fondateurs, les meilleures terres, les plus hautes
fonctions, et la primauté dans le culte des dieux (3). Les colons d’autre origine, plus nombreux et plus forts, les chassèrent: mais de la seconde Thourioi, véritablement
panhellénique, l'élément achéen ne fut pas exclu : une des dix tribus lui fut réservée (4). Rien d'étonnant donc que nous retrouvions chez les Thouriens une tradition répandue
dans le territoire de Crotone (5) : ils prétendaient conserver les flèches d'Héraclés dans leur temple d'Apollon (δὶ; mais cette affirmation
est-elle
autre
chose
qu'une
« récla-
me » de pélerinage et une contrefacon du récit crotoniate ? Métaponte
Moins incertain est l'Héraclés de Métaponte (7). Des monnaies dont les premiéres semblent dater de 450-440, et qui s'échelonnent sur le dernier tiers du γ᾽ siècle, attestent son importance (8). M. Giannelli pense que ce culte est connexe (1) Fr.
Lenormant,
La Grande-Gréce,
(2) Gr. Coins Brit. Mus., Italy, dans (3 (4) (5) (8)
l'ouvrage de M. Giannelli. Diod. Sic., XII, 11, 1 Diod. Sic., XII, 11, 3. Voir infra, p. 18. Justin., Hist., XX, 1, 16. —
15, p. 307
Cf.
R. E., Suppl.
Gruppe,
III,
.
903.
(7) Cf. G. Giannelli, (8
sq.
p. 301, 140; p. 303, 4. — Rien
A. Sambon,
op. cít., p. 95-96.
Di alcune
monete
inedite di Metaponto
e dei
culto dí Ercole ἐπ quella città (Miscellanea Numismatica, II (1921); A. Evans, Numismatic Chronicle, XVIII (1918), p. 196, n° Du 18; pl. V, 4. 4
°°
A
--
.“
«ἀν»
.
14
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
aux débuts de l'influence tarentine sur Métaponte (1). Affirmation singulière : car déjà la petite pyramide de terre cuite : trouvée à Pisticci, et portant une dédicace archaique à Héraclés, pour lui demander la bonne renommée parmi les hommes (2), témoigne de la popularité du héros à une date ancienne sur le territoire de Métaponte. D'ailleurs l'influence de Tarente sur Métaponte n'a pu commencer à être puissante qu'aprés la fondation d'Héraclée, à l'ouest de la
cité achéenne, en 432; et non pas sans doute aussitôt. Mais il y a plus. Ces premiers types monétaires héracléens de Métaponte (3) sont différents des types héracléens de Tarente et d'Héraclée, et originaux à cette date en Grande-Grèce. (Planche T, 1 et 2.) Mieux: la tête d'Héracles qui affirme avec tant d'autorité sur la monnaie le róle poliade de la divinite, n'apparaît à Tarente, et méme à Héraclée (ville d'Héraclés pourtant), qu'à partir du IV' siècle, et surtout dans la seconde moitié de ce siécle, de toute facon aprés Métaponte. Pendant presque tout le IV* siécle au contraire, où l'hézémonie de Tarente sur Métaponte est certaine, le culte d'Héraclés ne se révéle dans cette derniére ville que
par le syinbole de la massue, fréquent d'ailleurs à la face des pièces dont le revers figure Athena, Demeter, Core ou Leucippe; ou par les types propres de la monnaie de Tarente et d'Héraclée:
Héraclés
contre
le lion,
Héraclés
debout au
repos, la main gauche sur la hanche (4). Et c'est au contraire lorsque Métaponte reprend quelque liberté à l'arrivée d’Alexandre
le Molosse
que, vers 330, reparait sur sa monnaie
la téte d'Héraclés au revers de l'épi (5). Il est donc certaia qu'Héraclés est un dieu national de Métaponte : ce dont té-
(1)
G.
(2) Not.
Giannelli,
d.
l. c.,
Scavi,
litz, Sammlung,
p. 96.
1882,
p. 120 et pl. XI;
II, p. 156,
n^
I. G., XIV, 652; Col-
1643.
(3) Héraclés debout libant sur un autel (J. Babelon, Luynes,. I, 467), tete d'Héraclés de profil (id., ib., 470 et 471). — La face porte l'épi héraldique. (4) Gr. Coins Brit. Mus., Italy, p. 258, 158,; p. 242, 50. (5)
J. Babelon,
normant,
La
Luynes,
I, 520
Grande-Gréce,
: Voir ici pl. I, 3. —
13, p. 130.
Cf. Fr.
Le--
15
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU 1V* SIECLE
Do,
la légende
d'ailleurs,
fine,
fils
Métabos,
de
éponymique
ἣν Cvaclès, toute maladroite qu'elle soit, et récente sous la
Te où elle nous est parvenue (1). Et d’où lui venait-il? M. Pais pensait qu'il y avait ét* introduit, avec Aristée, par les éléments béotiens (2). Mais M. A. Saribon a montré qu'il s'agissait d'Héracies Koovortων, destructeur de sauterelles, connu en Thessalie et dans la région de l'Œta (3), et associé à Demeter ct Persephone. il faut attribuer
Dans ces conditions,
établissement
son
en
Lusanie aux colons Phocidiens et Étoliens, qui, de compa: gnie avec les Achéens, fondèrent Métaponte (4). De leur pays ils apportèrent le culte d'Achélóos, glorifié à MCtaponte sur une monnaie célébre (5), et la légende de la corne : d'Amalt'iée,
en
d'ailleurs
répandue
Aegion
à
Achaie,
et
peut-être à Héliké (6); celles aussi, sans doute, de Déjanire et de Nessos, apparentées aux récits qui avaient cours à Olénos (7); on racontait, non loin de Métaponte, à Lagaria (8), qu'Héraclés avait lutté contre le dragon du fleuve Kyil avait détourné
en Etolie,
à Calydon,
listıros (9), comme
l'Achelóos pour rendre à la culture des territoires fertiles /10) Tel apparait, à travers ces indications dispersées, l'Hé ric'ès métapontin : destructeur d'insectes malfnisants, dien des agriculteurs auxquels il assure l'abondance. Sans doute aussi
d
Purificateur et Apotropaique,
Eivm.
Mogn.,
DV
29,5.
(2) E. Pais, Sicilia, (3) A.
Sambon,
J. Babelon, (4) ἃ.
Ὁ. 221 (5) (6) (7) (8)
L
Busolt,
au
Gruppe,
H.
E.,
Suppl.
IIT,
941.
410
E.
Pais,
—
Cf.
I, ad 467.
Griech.
V*
À
ao. Mezabns.
Gesch?,,
I, p.
sq.;
sq.; G. Giannelli, op. cit., p. 112, n. 1. J. Babelon, Luynes, I, 466. Gruppe, G. M., p. 340 sq. Gruppe, R. E., Suppl. III, 947 sq. Soumise aux Métapontins peut-être dès
en tout cas
uni
p. 222 sq. r.:
Luynes,
en ces fonctions
: cf. E. Pais,
Sicilia,
le VI”
p. 248; et G.
Siciua,
siècle,
et
Giannelli,
op. cit., p. 107. (9
Fr.
l.enormant,
La
R. E., Suppl. III, 993. (10) Diod. Sic., IV, 35,
Grande-Grece,
3-4.
13,
p.
217
sq.;
Gruppe,
ι6
LES ORIGINES DE L'HERCULE
ROMAIN
Apollon, si nous interprétons justement deux monnaies de méme date (vers le milieu du V* siècle), frappées à coup sürpour se faire pendant et à l'occasion d'un événement exceptionnel, représentant l’une Héraclés libant sur un .autel,
l'autre Apollon debout, tenant l'arc et la tige de laurier (1). Crotone
Mais la grande ville héracléenne du groupe achéen, c'est Crotone. On a prétendu, sans apporter aucune preuve, que le héros y avait été introduit soit par les Laconiens (2), soit
par des Rhodiens (3) : toujours comme si les Achéens n'a-vaient pu l'importer eux-mémes en Italie. Mais toute autre hypothèse est aussi croyable que ces deux-là. Tout uniment, à suivre les documents historiques (nous laissons pour le moment les légendes de cóté) dans l'ordre chronologique, nous voyons Héraclés apparaitre à Crotone au début méme de l'hégémonie
crotoniate.
Si en 510,
en effet,
Milon
con-
duisit ses compatriotes contre les Sybarites vêtu en Héraclès, sans doute le souvenir de ses six victoires olympiques l'y avait-il engagé (4); mais on admettra difficilement qu'à cette date il n'y eüt là qu'une vaniteuse fantaisie de costume. Les Sybarites disaient aussi qu'en cette occasion leurs adversaires avaient été aidés par l'Héraclide Dórieus, qui em-
menait vers Éryx une colonie laconienne (5); mais cette tradition semble sans portée. Au contraire, la présence de l'Iamide Callias chez les Crotoniates est assurée à cette date, et
(1) J. Babelon, Luynes, I, 465 et 467. — Comme Sybaris, Métaponte possédait un Trésor à Olympie (Paus., VI, 19, 11; Cf. V, 22, 5). (2) G. Giannelli, op. cit., p. 174. Cf., par contre, K. J. Beloch, Griech.
Gesch.?, I, 1, p. 235, n. 2.
(3) Peterson, The cults of Campania (1919), p. 15, 69, et 108. —. M. Giannelli semble méme (l. c., n. 3) avoir tendance à préférer cette hypothése à la sienne propre. (4) Diod. Sic., XII, 9, 6. (5)
Herodot.,
V,
44 sq.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV° SIECLE
17
confirme l’action religieuse d’Olympie sur Crotone à la fin du YI* siècle (1). L'Héraclés dont les Crotoniates se prévalurent en 510 parait donc avoir été fortement influencé par celui d'Olympie (bien plutôt que par celui de Lacédémone) (2), et il est certain, d'autre part, que l'école pythagoricienne accorda une spéciale importance à son culte et fonda en ces mémes années la légende héracléenne crotoniate (3). Dans la période suivante, sa popularité est attestée par un de ces petits autels de terre cuite, d'usage vulgaire dans l'Italie méridionale, et qui le figure luttant contre l'Hydre
avec l'aide d'Iolaos (4). Enfin, vers le dernier quart du V* siècle, apparaissant les premières des monnaies nes de Crotone,
sur lesquelles
il importe
héracléen-
de s'arréter
plus
lonz:ement. La série la plus importante s'échelonne de 420
à 300 environ, et s'ouvre par l'effigie d'Héraclés Fondateur OU ^ix12-7iz.
l. a) Sur une base soulignée par un grénetis, Héraclés nu, imberbe, lauré, assis sur un rocher que recouvre la léonté, 's'appuie de la main gauche sur sa massue, et de la droite élève un rameau auquel sont attachées les bandelettes nouées d'Apollon, devant un autel enguirlandé de feuillages et où brüle le feu. Auprés de lui, son arc. À l'exergue, et juste audessous de la base, deuz poissons. Inscription en lettres archaiques : OYKYMTAM —r) Derrière le trépied delphique,
d'où pendent les bandelettes apolliniennes
(0 Herodot.,
(comme
l'a-
V, 44-45.
(2) Sur les prétentions des Crotoniates à remplacer pour les Italiotes, voir Timée (Müller, F. H. G., I, p. 212, les rapports de Crotone avec l'Elide : Cf. G. Giannelli, p. 172 et n. 3. (3 Jambl., de vit. Pythag., IX, 50; le huitième jour
lui était consacré 101). —
à
(Fr.
Lenormant,
La
Grande-Gréce,
Olympie 82); suc op. cit., du mois
113, p.
La fable morale que rapporte Alkimos de Sicile (Müller,
F. H. G., IV, p. 296, fr. 4), se rattache
peut-étre
ment, bien qu'elle soit d'allure populaire. (Q Not. d. Scavi, 1897, p. 348 sq.,
fig. 4 et 5.
à ce mouve-
18
LES ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
4
vers (1), Apollon tend l'arc contre le Serpent Python dressé: de l'autre cóté (2). (Planche I, 4) Nous avons appuyé sur les détails qui de l'effigie d'Héraclés font un type crotoniate pur (3). S'il est vrai que le revers figurant la lutte pythique rappelle une composition célèbre de Pythagoras de Rhégion (4), l'avers a toute l'apparence
d'une représentation cultuelle, peinture,
ou plutót statue.
La présence de l'Arc d'Héraclés, que les Crotoniates avaient enlevé à Macalla et déposé chez eux dans le temple d'Apollon (5), celle des bandelettes nouées au rameau lustral, suffisent à montrer qu'il s'agit d'un Héraclés local, étroitement lié au culte d'Apollon. L'archaisme de l'inscription décèle une volonté de vieillissement, soit que cette statue d'Héraclés Fondateur en ait remplacé une plus ancienne, soit que des témoignages, épigraphiques ou autres, aient pu étre invoqués en faveur de l'antiquité de cette tradition; quant à supposer l'inscription adjointe pour donner une fausse patine à un culte récent et à une légende toute fraiche, c'est, nous semble-t-il, faire trop bon marché des indications antérieures sur l'Héraclés de Crotone, et prêter aux Grecs de l'an 420 une prodigieuse naiveté, si on les croit incapables de distinguer chronologiquement une statue d'un art si avancé d'une épigraphie aussi archaique. Quant à la scéne elle-méme,
il
ne
saurait
s'agir,
quoi
qu'on en ait dit, des honneurs rendus par Héraclés à la tom-
be du héros Crotón , mais d'une purification (6). Comme, (1) Aussi Luynes,
sur
d'autres
monnaies
de
Crotone
: J.
Babelon,
I, 737.
(2) J. Babelon, Luynes, I, 725, pl. XXVII. — Une variante du revers figure le trépied seul, auprés de lui un grain d'orge; en exergue E (id., ib., 726, pl. XXVII). (3) Cf. E. Pais, Sicilia, p. 193 sq. et 193, n. 1, qui ne pousse pas l'analyse assez loin, et considére à tort ce type comme une protestation officielle contre la tradition de fondation rapportée
par
Antiochos.
(4) E. Pais, Sicilia, p. 193, n. 1. (5) Ps. Aristot., de mirab. ausc., 107, p. 840. (6) Comparer l'Apollon des monnaies de Caulonis.
19
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
d'ailleurs, la salubrité de Crotone était renommée, on ne songera pas à un assainissement de la contrée sanctionné par une cérémonie religieuse (1); mais il nous paraît plus que naturel, obligatoire pour ainsi dire, d'évoquer un texte
célèbre de Servius (2) : « lunonis Laciniae templum secundum quosdam a rege conditore dictum, secundum alios à latrone Lacinio, quem illic Hercules occidit, et loco ezpiato Iunoni templum condidit. » L'écæurante et imprécise banalité de la premiére explication proposée par Servius, ne fait que mieux ressortir la seconde, à la fois nette et singulière pour des esprits classiques, qui ne peuvent concevoir une « arritié » entre Hercule et Junon. Alliance antique
cependant, qui s’affirme encore plus nettement ἃ / Crotone dans la suite, et qui témoigne en faveur de l'ancienneté du culte d'Héraclés en cette ville. — Or, si nous regardons inaintenant de nouveau,
sur ces belles monnaies, l'autel joy-
eusement paré au-dessus duquel le héros appelle la purification apollinienne, et ce rocher dominant les eaux claires et poissonneuses,
pourrons-nous
ne pas y voir l'image la plus
précise de la consécration du promontoire Lacinien à Héra,
déesse poliade de Crotone (3)?
,
II. Nous classons ensuite, chronologiquement, naies héracléennes au type de Héra Lacinienne:
les mon-
1° a) Téte de Hera Lacinienne de profil, portant un haut diadéme orné de griffons et de palmettes. KPOTONIATAN.— r) Héraclés nu, imberbe, à demi couché sur un rocher couvert de la léonté,
tenant
un vase
dans
la main
droite;
en
haut, à gauche, l'arc et la massue (4). — (Planche I, 5); 2° a) Téte de Héra Lacinienne de trois-quarts à droite,
les cheveux épars, portant un haut diadéme orné d'une pal(1) Comparer,
par ex., les monnaies
de Sélinonte.
(2) Serv., Acn., III, 552.
(3) Sur Héra, poliade de Crotone, cf. ὦ. Giannelli, op. cit... p. 159. — Remarquer que Milon, olympionice et sectateur d'Hé. raclés,
fut prêtre
de
Héra
Lacinienne
(Philostr.,
28). (6) J. Babelon, Luynes, I, 731, pl. XXVII
Vita
. : ici, pl. I, 5.
Ap.,
IV,
20
LES ORIGINES DE L HERCULE
mette entre deux griffons. KPOTO.
ROMAIN
— r) Héraclés, comme
ci-dessus (1); 3°) u) Tête de Hera
Lacinienne,
presque
de face, ceinte
d'un diadème bas ἃ palmettes. — r) Héraclés nu, imberbe. assis sur une base couverte de la léonté, tenant un vase dans
la main droite, la gauche posée le long de la massue; l'arc à terre. KPOTONIATAY.
—
Soit à l'avers, soit au revers,
un
grand B ou un grand Δ (2). — (Planche I, 6) Ces monnaies sont singuliéres, non pas tant parce qu'elles unissent Héraclés à Hera Lacinienne, que parcequ'elles ne
figurent pas le trépied héraldique de Crotone. Et l'on ne dira pas qu'elles ont été frappées à l'occasion d'un événe ment exceptionnel puisque le type évolue de facon trés nette,
et que les émissions se sont donc succédé pendant plusieurs années. Nous proposons de les dater des toutes premiéres années du IV* siecle, lorsque les cités achéennes, Caulonia et Métaponte, formérent une ligue, à laquelle adhérérent Thourioi,
Hyélé,
Rhégion,
présidence
et méme
de Crotone
(3). La
sans doute
Hera
Tarente,
Lacinienne
sous
la
n’apparal-
trait plus alors comme la divinit& poliade d'une cité, mais commela grande déesse de tous les Italiotes (4); et la figure proprement crotoniate serait celle d'Héraclés, auprés duquel d'ailleurs finit par étre inscrit le nom ethnique et dressé parfois le trépied (Planche I, 7). Ce type d'Héraclés, nette-
ment dérivé du précédent, mais moins « national » (5), fut imité au méme titre que l'effigie de Héra Lacinienne : il se retrouve sur une monnaie d'Héraclée Lucanienne (6), et sur (1) Id., íb., 727, pl. XXVII. (9 Id., ib., 728, 729, 730, pl. XXVII. (3) Diod, Sic., XIV, 91, 1; 100, 3; 101, 1; 103, 4-5. — Cf. Fr. Lenormant,
4020
La
Grande-Grèce,
115,
p.
120-121;
Philipp,
R.
E.,
XI,
sqq.
(4) Cf.
3, 3. (5) Voir
Ps.
Aristot.,
pourtant
de
mirab.
: Gardner,
ausc.,
Types
96,
p.
838;
of greek
Liv.,
coins,
XXIV,
p. 119,
qui y voit une allusion &u repos que trouva Héraclés,dans la maison de Crotón. (6) J. Babelon, Luynes, I, 422, pl. XV : ici, pl. I, 8. — Cette
pièce, chronologiquement, se place entre notre 2° et notre 3° Hé.
L'ITALIE HERACLEENNE
DU VI* AU IV* SIECLE
ar
des pièces d'argent et de bronze de Tarente (1). Il est donc clair, dans le cas présent, que ce n’est pas Tarente ni Héraclée qui ont influencé les cultes de Crotone, mais bien Crotone qui a créé pour son usage une image d'Héraclés et l’a
répandue parmi les confédérés dont elle tenait encore, mais pour bien peu de temps,
la tête.
IIl. A peu prés contemporaines sont les monnaies qut portent au revers Héraclés enfant étranglant les serpents : 5 a) Tête d'Apollon; pents (2);
—
r) Héraclés
enfant
et les ser-
2° a) Tete de Perséphone ; — r) Le méme (3). Le méme revers se voit sur des piéces de Tarente οἱ d'Héraclée (4). et l'on est d'accord pour y reconnaître un sym-
bole d'alliance et de victoire commune (5). Le cas est donc lout-à-fait comparable au précédent. Sauf en ceci, qui pour nous est grave: ce revers n'est point spécifiquement crotoniate; sur ces monnaies, la ville n'est pas représentée par
l'image d'Héraclés,
mais par celle d'Apollon ou de Persé-
phoné, qu'accompagne d'ailleurs l'inscription. Elles ne peuvent donc pas, au contraire des autres, nous servir ici.
La suite des monnaies de Crotone n'a plus pour nous d'in térét : la ville subissant Denys l’Ancien, puis entrant dimıtuée vers 370 dans la ligue présidée par Tarente, battue par les Bruttiens, prise par Agathocle, ruinée par les Remains. Héraclés y apparaît encore, parfois méme peut-être »7*c des caractères originaux, comme sur ce bronze où /.2:«1 est écrit aupres de son effigie (6); ou tel autre bronze oü raclés étant assis, mais sur un rocher, non sur une base. La face de cette monnaie différe aussi du type d'Athéna habituel aux espéces
d'Héraclée.
(1) Gr. Coins
Brit.
Mus., Italy, p. 203, 330; p. 218, 476.
(2) J. Babelon, Luynes, I, 735 et 736, pl. XXVII. (3) Id., ib., 739 et 740, pl. XXVII. (4) Gr. Coins Brit. Mus., Italy, p. 209, 378; — J. Babelon, Luynes, I, 438 et pl. XV. (5) Selon E. Babelon, Traité, Descr. hist. (II, p. 985; 1018; 1365; 1418; III, p. 247), aprés la bataille de Cnide, en 394 a. C. (6) Gr. Coins Brit. Mus., Italy, p. 356, 113. Cf. G. Giannelli,
22
LES
ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
figure le trépied au revers du profil d'Héraclés (1); mais, dans d'autres cas, le revers est étranger aux anciennes traditions de la cité (2); ou bien la figure d'Héraclés subit l'in-
fluence des tvpes de Tarente et d'Héraclée, alors méme qu'à côté reparait l'inscription οἰκιστάς(8). Ja floraison de l'Héraclés crotoniate pur date donc du V* siècle, et remonte jusqu'aux dernières années du VI*, n'étant séparable ni de l'influence olympique, ni du mouvement pytnagoricien, ni du sanctuaire Lacinien. Il est remarquable méme que ses périodes d'éclat correspondent aux deux hógén:ionies crotonistes : il apparait dans la tradition et la légende lorsque, vers 510, se fonde ce splendide empire Crotoniate, qui entre Métaponte, Rhégion et UHyélè, domi-
nera jusque vers 453 toute I’ « Italia » (4); il s'impose de nouveau avec autorité lorsque Crotone, aprés une dure crise, reprend la téte de l'hellénisme italiote, et pendant quelques années, fait rayonner au loin son influence, jusque Tarente, et jusqu'au cœur de la Campanie (5). ll resterait à se demander si, avant 510, ce dieu ne possédait pas un caractére encore plus particulier et spécial à cette « colonie agricole achéenne » (6). Les légendes relatives au séjour d'Héraclés sur le territoire de Crotone, bien que
complétées à une date assez tardive (7), conservent des éléments populaires et « paysans » : le récit du tonneau de !a ΟΡ. Cit.,
p. 161
et n. 4. —
Le revers,
un
aigle tenant
un serpent,
est de type crotoniate, Cf. aussi : Cabinet des Médailles, Cart. 42, 2558. (1) Au Cabinet des Médailles, Cart. 42, N. 3903. (2) Argent du IV* s., nu revers de la chouette (J. Babelon, Luynes,
I, 738);
bronze
du
III*
au
revers
du
crabe
(Cab.
des
Méd., 42, N. 3909). (3) Argent du III* s. (Gr. Coins Rri!. Mus,, It., p. 355. — Cf. G. ‚Giannelli,op.
glant le lion. (4) Voir U. 5. Jahrhundert
cit.,
p.
162*
Kahrstedt, (Hermes,
: Heracles
au
Zur Geschichte
repos
debout,
ou
étran-
Grossgriechenlands
53, 1918, p. 180-187).
(5) Voir infra, p. 170 sq., la diffusion de Hera Lacinienne. (6) L'expression est de Philipp. (7) Voir infra, p. 170.
im
Planche
Il
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
33
bonne femme changé en pierre parcequ'elle a refusé du via au héros (1), l’hospitalité de Crotón et le vol des bœufs de Géryon (2). L'alliance d'Héraclés, conduisant les troupeaux d'Érythie, avec Héra Lacinienne, déesse protectrice du bétail et peut-étre à l'origine déesse-vache (3), est aussi fort troublante; et l'on serait tenté de faire grand cas d'une indication de Suidas, suivant lequel le mot
χρότων
signifiait
« mouche à chien » (4); le meurtre, si singulier, du héros éponyme Crotón par Héraclés, son hóte, ne cacherait-il pas une vieille conception d'Héraclés destructeur d'insectes, celui qu'on adorait à Métaponte et aussi, comme nous le verrons, à Locres Épizéphyrienne (5) ? Comme à Métaponte encore, cet Héraclés protecteur de l'élevage, n'était-il pas aussi Purificateur et joint à Apollon ? — Et ce n'était point l'influence d'Olympie qui pouvait contrarier cette activité du héros,
puisque,
avant
la prédominance
dorienne,
l'anti-
que Héraclés que l'on honorait dans le grand sanctuaire péloponnésien était le Dactyle Idéen fécondant venu de
Crète (6). II.
Avec
—
les
LES
TRÉZÉNIENS
Achéens
était
EN
ITALIE : POSEIDÖNIA
débarqué
en
Grande-Gréce
un groupe important de Trézéniens, dont l’histoire, telle que nous pouvons la reconstituer, est des plus curieu-
ses. Co-fondateurs de Sybaris (7), puis chassés de la ville par les Achéens et colonisant alors Poseidónia (8); puis servant de prétexte à Crotone, qui les soutient, pour attaquer
(1) Alkimos, F. H. G., IV, p. 296. (2) Diod. Sic., IV, 94, 7. (3) A. Reinach, R. H. R., LXIX (1914), p. 51. (4) Ct. E. Pais, Sicilia, p. 192, n. 1. (5 Infra, p. 28 eq. — Selon M. Gruppe (G. M., p. 370), ἢ s'exerçca au Cap Lacinien des influences religieuses et mythiques locro-thessaliennes.
(0 Gruppe, R. E., Suppl. III, 916; 993. (N) G. Busolt, Griech. Gesch3., I, p. 398-400. (8 E. Pais. Sicilia, p. 246; G. Busolt, op. cit., p. 400 et n. 8.
24
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
Sybaris (1); mais aidant à la naissance de la seconde Sybaris, dont ils deviennent les alliés, ou plutót les protecteurs,
au milieu du V* siécle (2) : bien que leur centre d'action, à partir du VI*, soit Poseidónia, ils restent en rapports cons-
tants avec le groupe achéen de Grande-urèce, Sybaris et Crotone. Une monnaie méme de leur ville, au type de la téte d'Héra Lacinienne, de trois-quarts face, coiffée du haut dia dene avec la palmette entre les deux griffons, nous semble attester qu'elle fit partie de la ligue italiote présidée par
Crotone dans les premiéres années du IV* siécle (3). Or Trézéne
est une trés ancienne et originale citadelle de
la lézende et du culte d'Héracles. Elle avait eu une grande importance dans la constitution du Dodécathlos (4); mais surtout dans les fables de l'au-delà : celles de Géryon, des
Hespérides, de la descente chez Hadés (5). Reflet d'un culte antique (6). Héraclés y était honoré sous un aspect chthonien trés accentué : comme découvreur de sources (7); comme
démon de la végétation aussi, semble-t-il (8); et comme héros
infernal (9) : c'était sur l'agora de Trézène qu'il avait émergé du monde souterrain, en ramenant Cerbére (10). Et, dans ces trois fonctions, il était joint à Artémis (11). Ce culte trés (1) Philipp, R. E., XI, 2022. (E) Fr. Lenormant, La Grande-Grèce,
I*, p. 302-330; U. Kahrs-
tedt, Hermes, 53 (1918), p. 187. — Monnaie d'alliance : J. Babelon, Luynes, I, 540. (3) J. Babelon, Luynes, I, 538. Au revers : taureau passant au
dessus d'un poulpe;
HOME'3.
— On remarquera que ce didrach-
me, comme les statéres correspondants de Crotone, sacrifle le type poliade (Poseidón armé) au symbole de la confédération (Héra).
(4) (5) (8) (7) (B) (9)
Gruppe. R. E., Suppl. III, 1028 et passim 1025-1026. Id., ib., 1064 et 1066 sq., 1075 sq., 1079. Id., ib., 912. Paus., II, 32, 4. Id., II, 31, 10. Sa massue repousse en olivier. Id., II, 31, 2,
(10) Sur l'antiquité de cette tradition, cf. Gruppe, G. M., p. 192, et 401, n. 5.
(11)
Temple
d'Artémis
Söteira consacré
aux
(Psus., II, 31, 1-2); massue d'Héraclés coupée
dieux
souterrains
à un olivier saw
L'ITALIE
HERACLEENNE
DU VI* AU
IV‘ SIECLE
25
particulier, les Trézéniens l’ont-ils transporté dans leur ville d'Occident, comme celui de Poseidón (1), auquel ils demeurèrent si fidèles?
Les monnaies héracléennes de la cité sont toutes tardives et appartiennent presque toutes non à Poseidónia, mais à Paestum (2). Mais on ne peut tirer argument de leur date pour infirmer l'existence d'un culte ancien d'Héraclés à Po-
seidónia,
tant le monnayage
de la ville grecque se limita
strictement (3) aux types traditionnels de Poseidón et du taureau. D'autant plus que des monuments isolés, mais expressifs, nous font remonter beaucoup plus haut.: une statuette d'argent, qui représente Héraclés imberbe, la massue
brandie, d'un tvpe adopté par les Étrusques et répandu dans presque toute l’Itlie, date environ du milieu du V' siecle (4^; et l'on a aussi trouvé à Paestum cet Héraclés à la corne
d’abondance, vulgarisé dans le sud de la péninsule par la terre-cuite (5). Ces images du héros n'ont rien de particulier à Poseidónia ; mais elles nous font soupconner la part que prit de fort bonne heure la cité trézénienne
à la formation
d'un Héraclés commun à la Grande-Grece et à la Campanie,
e! qui pénétra jusque dans le Latium et dans l'Étrurie. Une tradition formelle, enfin, faisait passer Héraclés à Poseidónia, aussi bien qu'à Crotone (6). Et, si insuffisante
qu'elle soit, elle donne de l'importance à un texte de Diodovage prés du temple d'Artémis Sarónis (Id., II, 31, 10); source d'Héraclès voisine du sanctuaire d'Hippolyte (Id., II, 32, 4). (1) Cf. Paus., II, 30, 6. | (2) Bronzes (Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 273, 70 (Poseidónia); p. 275, 51 (Paestum) : la massue apparaît seule (cf. les lögendes trézéniennes poseidóniens. —
sur la massue d'Héraclés) auprès des types Bronzes de l'époque romaine (Cab. Méd.,
Cart. 30, 1966 : tête d’H.; massue; — Cart. 31, 1982 et N. 3746 : tête de Tibére; H. debout appuyé sur la massue). (3) Sauf pour la Héra Lacinienne : voir supra. (4) W.
Helbig.
Bull.
d.
Inst.,
1864
,p.
62 sq.
—
Cf.
J. Bayet,
Merclé, 1" partie, I, 111. (5) Voir infra,
p. 106 sq.
(6) l'arthax ap. Herodian.
(F. H. G., III, p. 641, 21) : ἝἜπτν "
ἶχα!) τῆς ᾿Ιταλίας, ὡς Παρθαξ ἐν τῷ 3° τῶν εἰς τὴν Ποσε:δωνίαν ὁ 'HozxÀ c.»
᾿Ιταλιχῶν
« Ἐπεὶ
δὲ
ἀφίχετ
26
LES ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
re (1), un débris de légende plutót qu'une légende, tellement usé et presque insaisissable, qu'il est plus expressif par son incohérence que par sa matiere: suivant de bout en bout la pé:;insule italique avec les bœufs de Géryon, Héraclés va directement du lac Averne au pays des Poseidóniates,
« Où il arriva à un rocher, auprès duquel, ràconte-t-on, se passa un événement incroyable »; suit la fable d'un chasseur, qui avait l'habitude de clouer aux arbres en l'honneur d'Artémis les têtes et les pieds des bêtes qu'il tuait, et qui, s'étant un jour par orgueil consacré à lui-méme la hure d'un sanglier énorme, et s'étant endormi sous l'arbre où il. l'avait suspendue, fut tué par sa chute; « mais Héraclés, par sa piété, mérita un sort tout contraire »; vient alors
une anecdote relative au passage du héros sur le territoire de Locres Épizéphyrienne (2). On ne s'expliquerait vraiment ni la mention d'un simple rocher sur la route d'Héraclés, ni l’anecdote sur Artemis qui fait hors-d’œuvre dans un récit
consacré à Héraclés, ni la bizarre conclusion du passage. si ce rocher n'avait pas été un « lieu saint », où étaient vénérés ἃ la fois Héraclés et Artémis. Ce qui correspondrait tout-à-fait aux habitudesscultuelles des Trézéniens. L'indice est faible sans
doute;
mais
se trouve
corroboré,
d'un cóté
par les monuments et les monnaies postérieures, de l'autre par la vitalité dans le monde italique de tout un groupe de
légendes d'origine proprement trézénienne (3). Les numismates classent parmi les « incertaines de l'Italie Méridionale » une singuliére monnaie de bronze portant au droit la téte d'Héraclés barbu, au revers l'image de Cerbére (4) — (Planche I, 9). Il ne nous semble pas douteux, quelle que soit sa provenance, que cette piéce se rattache par son double type aux traditions héracléennes introduites sur les rives de la mer Tyrrhénienne par les Poseidóniates Trézéniens.
Leur róle fut grand,
-»
(1) (2) (3) (4)
Diod. Sic., IV, 22, 3-4. Voir infra. Voir infra, p. 59, 77, etc. J. Babelon, Luynes, I, 18.
nous
le verrons,
à la fois
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV° SIECLE
27
comme propagateurs d'un Héraclés chthonien allié d'Artémis,
et comme intermédiaires entre les cités de Grande-Gréce et la Campanie. III.
Les fondateurs
de
—
LE
GROUPE
Locres
LOCRIEN
Épizéphyrienne,
dont
le terri-
loire s'étendait entre celui de Crotone et celui de Rhégion, etaient-ils des Locriens Ozoles venus du golfe de Crisa, ou des Locriens Opuntiens partis du Golfe Euboique ? Il semble, aprés de nombreuses discussions (1), que la plupart des émigrants étaient Opuntiens, sans que soit exclue la possibilité d'une collaboration ozolienne. Cultuellement, Locride et Phocide
sont
difficiles
à sépa-
rer (2); Demeter (3), et peut-être Perséphoné (4), en vinrent dans la cité Italiote. Héraclés de son cóté, que l'on adorait à Opunte comme héros (5), y était rattaché à d'anciennes légendes : celles des Hespérides et de Géryon (6), sans compter celle de Télamon-Hésione (7), et, plus tard, celle de Diomède. L'influence de Sparte sur Locres Épizéphyrienne est secondaire, si on la compare à l'apport religieux des colons fondateurs (8); celle de Syracuse, tardive. (1)
Résumées dans G. Giannelli, op. cit., p. 321-325 et p. 324,
D. 1.
2) C'est
|
ainsi
que
Lycophron
(1067
sqq.) attribue à
des
Phocidiens la colonisation de Locres Épizéphyrienne. De telles confusions ne peuvent être dues qu'à une fondation mixte, ou, plus vraisemblablement, εἰ pratiques religieuses p. 104, n. 2).
à l'existence dans 1a ville de traditions mélées (Cf. E. Pais, Italia Antica, II,
(3) Gruppe, G. M., p. 98. (4) Id., ib., p. 97, n 14. —
M. Giannelli la croit au contraire
originaire de Sparte (op. cit., p. 228 et 325 sq.). (5) Diod. Sic., 1V, 39, 1.
(6) Gruppe, G. M., p. 459 sq. (N Id., ib., p. 95.
(8 Culte des Dioscures, alliance politique avec Sparte contre Crotone : l'une et l'autre rattachés par la tradition à la bataille de la Sagra.
48
LES
ORIGINES
DE
L'HERCULE
On sait que Locres ne commenca
ROMAIN
à frapper monnaie que
vers le milieu du IV* siècle, et d'abord
aux
types constants
de Zeus et de l'aigle; et, lorsqu'on voit apparaitre Héraelés sur des bronzes récents (1), il ne s'agit sans doute que
du dieu hanal giéco-roinain, Mais un autel funéraire (donc, de fabrication courante), de style archaïque, ou est figuré la lutte du héros contre Achelôos (2), suffirait à attester sa popularité chez les Locriens Épizéphyriens. Et de même 'a légende qui localisait sur leur territoire la lutte d'Iléraclés contre Kycnos, destinée à une telle diffusion dans le monde étrusque (3). D'autre part. Diodore de Sicile, ayant conduit le héros à travers toute l'Italie, le fait arıiver «aux frontières des territoires de Rhégion et de Locres », et nous
raconte alors cette anecdate bizarre. Héraác!ós vovdrait dormir, et, de leurs grincements
iftsupporztables,
les cizaies l'en
empêchent; le héros alors supplie les dieux, et voici les ci. gales qui disparaissent, et depuis ce temps « on n'en vit plus une dans le pays » (4). Ce récit, d'allure franchement
(1)
Gr.
Coins
Brit.
Mus.,
1t.,
p. 367,
30;
Cab.
des
Méd.,
cart.
44, N. 3936 et 3957 : Tête d’Herncles jeune coiffé de la léontè; au revers Pégase, avec ou sans massue. — Cf. monnaie incertaine d'Italie (argent) de mémes types (Cab. des Méd., cart. 47, 1859); et la romano-campanienne bien connue. (£) Not. d .Scavi, 1917, p. 119; οἱ fig. 24, p. 120. (3) Pind., OL., X, 15-16. C'est une légende originairement thessalienne : Stesichor., 12 (F. L. G., p. 210). Ce qui limite de facon
curieuse
son
acclimatation
à Locres
entre
le VI* et le début
du V* siécle. Pour les influences locro-thessaliennes aussi à Métaponte et Crotone, v. supra, p. 15 et 23; et ce qui suit. (4) Diod. Sic., IV, 22, 5. — Solin au contraire (II, 40) affirme que les cigales sont muettes chez les Rhégiens, trés bruyantes sur le territoire de Locres. — La discussion suivante, et le rapprochement
avec
Crotone
et
Métaponte
expliquent
pourquoi
nous nous en tenons à la donnée de Diodore. Celle de Solin, qu'ont admise Holm (Geschichte Siciliens im Alterthum, I, p. 162) et M. Pais (Storia d. Ital. Antica, I, p. 286-287) repose sur l'interprétation forcée d'un texte d’Aristote (rhet., II, 21) : « Στησίχορος ἐν Aoxpo:i εἶπεν ὅτι οὐ δεῖ ὑδηιττὰς € vat ὅπως μὴ ol τέττιγες χαμόθεν δωτιν. » Stésichore, en cette occasion, n'a pas crée une parabole d'intérét local, mais rappelé un proverbe
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI° AU IV* SIECLE
29
populaire, se rapporte à un Héraclès destructeur d’insectes, comine l'étzit celui de Métaponte, et sans doute celui de Crotone (1). Aussi bien les Locriens étaient-ils en étroites relations avec les cités achéennes : ils avaient, dit-on, participé à la fondation de Sybaris (2) et de Métaponte (3). Cette communauté dans le culte d'Héraclés n'a donc rien d'étrange, qu'elle soit due en réalité à de mémes origines ethniques, ou qu elle y ait fait croire. On peut chercher une confirmation du culte d'Héraclés à Locres Épizéphyrienne dans l'étude des colonies qu'elle établit à une date ancienne sur la cóte tyrrhénienne, Hippónion et Medına. Si le héros ne figure que tard sur les monnaies de la première (4), on a retrouvé. il y a peu d'années, à
Medma,
parmi d'autres monuments
(5), deux grandes sta-
tuettes d'Héraclés imberbe, encore archaiques et de type lonien, qui remontent au plus tard à la premiére moitié du V* siécle (6), et qui attestent l'ancienneté de ce culte dans la ville (7); prés de Medma, d'ailleurs, un port n'avait-il pas pris le nom d'Héracles (8)?
général
(faisant
allusion
à
l'habitude
grecque
de
couper
les
arbres du territoire ennemi que l'on envahissait), qui n'a aucune portée religieuse, ni rien de commun avec le mutisme des cigales dont parle Diodore. (1) Voir supra. (8) Solin., II, 10. (3) Solin., II, 11. (4) Bronzes d'Hippónion (Cab. des Méd., cart. 43, N 3911) : téte de Pallas; massue dressée; — de Vibo Valentia (J. Babelon, Luynes, I, 757 et 758) : ἰδία d'Héraclés barbu coiffé de la léonté; double massue et étoile. (5 L'un d'eux représente peut-étre Héraclés étranglant un
géant ithyphallique (Not d. Scavi, Suppl 1913, p. 126 sq. et fig.). (6) Not. d. Scavi, Suppl. 1913, p. 115 et fig. (7 La monnaie de bronze de Medma : Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 369, 3, ne représente pas au revers un Héraclés assis, mais plutót Pan, ou peut-étre Dionysos : une panthére est assise devant le personnage (Cf. G. Giannelli, op. cit., p. 258). (8) Plin., n. h., III, 73. — Cf. Gruppe, R. E., Suppl. III, 996.
30
LES ORIGINES
IV. —
DE L'HERCULE
LES
CITÉS
DORIENNES
Si l'on veut apprécier l'incertitude laisse,
sur
l'origine d'un
culte,
gages archéologiques, et des suffit de réfléchir un instant n'apparait nulle part comme née 432 a. C. oü elle fonde en
ROMAIN
et l'erreur
l'examen
des
oü
nous
seuls témoi-
monnaies en particulier, il à ce fait étrange : Tarente ville héracléenne avant l'anSiritide une colonie qui prend
justement le nom d'Héraclée; et, au lieu que ce soit le mon-
nayage de la métropole
qui influence celui
de
la colonie,
c'est Tarente qui, au IV* siècle, imite les espèces d'Héraclée.
Non qu Héraclès soit absent des légendes gréco-iapygiennes : on montrait pres de Pandosia (d'Iapygie) les traces de ses pas, qui formaient ἐῤχτον (2); on racontait sa lutte contre les Géants auprés de la source Leuca, dont les exhalaisons empestaient la cóte (3). Mais ces traditions ne sauraient nous permettre, tant elles sont générales, de fixer à l'Héraclés Tarentin une physionomie originale : le combat contre les géants ne se narrait-i] pas aussi en Campanie, dans un milieu ionien, alors que Tarente représente en Italie le dorisine le plus pur ? De méme, les récits sur les fondateurs mythiques de la ville sont le comble de la confusion et de la platitude : aucun détail topique, aucune indication savoureuse, comme nous en avons trouvé autour d'Héraclés-Fondateur à Crotone. Sans doute Taras (4) et Phalanthos (5) finirent-ils par passer l'un et l'autre pour des Héraclides: comme si les mythographes avaient eu peur de manquer de preuves contre ceux qui déniaient à Tarente une origine héracléenne
À juste titre, certes; car Phalanthos aussi bien que Taras se rattachent non à Héraclés,
mais à Poseidón
(1) Voir Ps. Aristot., de mirab. ausc., 97 et 98. (2) Cf. Strab., VI, p. 281. (3) Cf. Gruppe, R. E., Suppl. III, 993.
(4) Interp. Serv., Aen., IT& 551. (5) Serv., Aen., III ,551. (6) ἃ. Giannelli, op. cit., p. 1 sqq.
(6); et, en-
L'ITALIE HERACLEENNE
DU VI* AU IY* SIECLE
31
core en plein IV* siècle, une célèbre monnaie d'or figure le petit Taras accourant dans les bras de Poseidón son pére (1). Il faut donc s'en tenir aux conclusions motivées de M. Giannelli: Héraclés ne devint divinité poiiade à Tarente qu'au [V* siècle; aux
premiers
temps de la fondation,
il n'y était
qu' « une figure tout-à-fait secondaire, comme dans le culte laconien lui-même » (2). Mais il faudra sans doute aller plus loin que n'ose le faire ce savant, et douter méme
qu'en 432,
date de la fondation d'Héraclée, le héros ait occupé à Tarente « un poste de premier rang ». Héraclée
Pourquoi alors ce nom? — Héraclée apparait comme une colonie de combat, plantée au milieu du domaine achéen pour enlever à Métaponte les débouchés de la Siritide et préparer ainsi son asservissement; non loin de Thourioi, pour surveiller et au besoin arréter le développement de la grande cité pan-hellénique, mais qui se rattachait surtout à ses fondateurs Achéens et Athéniens; peut-étre aussi pour empécher les Lucaniens, qui apparaissaient déjà sur les montagnes, de s'abattre sur le propre territoire de Tarente.
L'éponyme sera donc une divinité guerrière,
cet
« Batailleur », dont Hésychius nous atteste Tarente (3) : non point l'Héraclés pacifique
l'existence à modelé plus
tard par Lvsippe, et que les Romains
Héraclés
enlevérent de la ville,
lorsqu'ils ne lui laissérent que «les dieux irrités ». C'est sous les auspices de ce « Tueur de Lion » qu'Héraclée grandit; c'est de son image qu'elle frappa ses premiéres monnaies (4) et les plus belles de celles qui suivirent; jusqu'à imposer cette figure à sa métropole, et à la répandre dans toute l'Apulie. . (1) J. Babelon, Luynes, (2) G.
Giannelli,
(3) Hesych,
s. v.
op.
I, 241, pl. X.
cit., p. 40-41
Ἐριδανάτας
(lire ᾿Εριδάντας ?) * 'Hoaxz«
Ταραντῖνο'ς. — Nous acceptons l'étymologie Schmidt, Hesych., II, p. 188. (4
Cf. J. Babelon, Luynes, I, 421.
ἐριδαίνω, proposé
παρὰ
par
34
LES ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
H est sür cependant que le territoire οὐ elle s'érigea possédait avant elle ses traditions et peut-être ses cultes * or disuit qu'Héraciés y avait tué un devin qui se moquait de lui (1); anecdote assez brutale pour étre ancienne, et trop peu flatteuse pour qu'on l'attribue aux fondateurs d'Héraclée. Au surplus, nous l'avons vu, toute proche, Métaponte possédait un culte original du héros; et pouvait, [orte et riche comme elle l'était encore, influencer sa nou-
velle voisine. Mais plus même
tinit par
acquérir
que Métaponte,
une véritable
hégémonie
Crotone, qui
dans
la ligue
ita'iote vers 400 a. C.: c'est alors qu'apparait (Planche I, 8),
tout-à-fait isolée dans le monnayage
d'Héraclée, la figure
d'Héraclés à demi-étendu sur un rocher et tenant une tasse à la main (2). Mais cette influence achéenne fut toute passagére; et bientót la colonie Tareutine, dominant à son tour
les cités italiotes, crée et répand deux nouvelles figures d'Héraclés. L'Héraclés au Lion est la plus belle, non la plus originale, (Planche II, 11 et 12); que le héros lutte à genoux ou debout contre la béte féroce; à l'avers se voit la téte d'Athéna (ins-
pirée de Thourioi) coiffé du casque attique,
de profil (3),
puis de trois-quarts face (4); puis, sur les petites pièces, la
tête d'Héraclés imberbe, coiffée de la léontè (5).— Mais déjà un autre type tendait à prévaloir, celui d'Héraclès Victorieur; et les premières pièces de la nouvelle série, qui remontent sans doute à 350 a. C., ou méme un peu avant, sont aussi les plus simplement expressives : a) Tête d'Athéna de profil, coiffée du casque attique timbré de Scylla; — (1) Cf. Gruppe,
r) Héraclés nu, imberbe, R. E., Suppl.
debout au repos,
III, 993.
à
(2) J. Babelon, Luynes, I, 422; voir supra, Ὁ. 20 sq. — A la même date remonte sans doute une autre pièce (Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 227, 25) qui figure 1læ même tête d'Athéna-Niké (ἢ sur une égide bordée raclés entrecroisées.
de serpents; et, au revers,
les armes
d'Hé-
(3) Lutte à genoux (J. Babelon, Luynes, I, 435-437); lutte debout (Id.,ib., 423-425; 434). (4) J. Babelon, Luynes, I, 426. (5) Id., ib.,' 439 (2* moitié du IV* siècle) — Variantes : au revers, lion prêt à bondir (Id., ib., 440-441).
L'ITALIE
HERACLEENNE-DU
VI* AU
IV° SIECLE
s'appuyant de ia main droite sur la mässue,
la gauche,
33
tenant lire de
la léontè jetée sur le bras gauche, couronné par
une Victoire qui vole vers lui (1). Et désormais le type du héros debout et tranquille va se diversifiant en variantes d’une plastique plus ou moins heureuse, mais toujours pleines de sens': Héraclès se couron-
nant lui-même (2); tenant la corne d’abondance, seul (Planche II ,143), ou couronné par la Victoire (3); ou bien, sans nulle action, le bras gauche élevé ou ramené vers la hanche, avec, dans le champ, un attribut qui a peut-être rapport avee lui, la
tasse à une
anse
qu'il
tenait
sur
les
monnaies
de
Crotone (Planche II, 14). ou la foudre de Zeus (4); ou tenant une phiale soit seul (5), soit doublé comme s'il existait deux Héraclés jumeaux et semblables (6) (Planche II, 15). Une piece d'or présente l'imige, plutôt tarentine, du héros assis sur un rocher, le menton appuyé sur la main droite, la gau:
che posée sur la massue (7) (Planche II, 16). — Le revers habituel de toutes ces pieces est la tête d'Athéna de profil, et coiffée du casque corinthien. T avrente
Tandis que ce riche développement monétaire occupe tout le IV* siécle, Tarente ne s'affirme avec éclat cité héracléenne qu'aprés 315 a. C., par une belle série de pieces d'or (sta(1) J. Babelon,
(2) J. Babelon, (3)
III, 993).
Luynes,
I, 431.
inspiré
d'un type
Athéna
Selon Gruppe
(ἢ. E.,
athénien.
J. Babelon, Luynes, I, 430; 428. Cab. des Méd., cart. 25, 1642 &qq.
(6) Gr. & une
427 et 433.
Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 231, 46. —
Suppl. (4) (5)
Luynes,
(bronze).
Coins Brit. Mus., It., p. 233, 56 (bronze) — Au revers, debout libant sur un autel
monnaie
d'alliance
entre
: ce qui pourrait faire penser deux
cités
héracléennes;
bien
qu'il y ait en Italie d'autres exemples de divinités doublées, soit en forme de « Janus » (Hermès, Athena), soit en pied (Mi. nerve étrusque en particulier : sur les deux Minerves, cf. ΒΕ 4. Inst., 1846, p. 100). (7) J. Babelon, Luynes, I, 490.
34
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
tére : Planche II, 17; drachme, et litra), qui portent au droit la téte d'Héraclés imberbe, de profil, coiffé de la léonté (1).
En dehors de ces trois piéces, que leur valeur et leur originalité mettent hors de pair, Tarente ne fait figurer Héraclés que sur des monnaies divisionnaires, et en imitant d'abord servi-
lement les types d'Héraclée (2); puis en raffinant sur eux (3'; puis, en les variant enfin,comme si,à un moment,les graveurs
monétaires eussent eu l'ambition de représenter au revers de ces petites pieces tous les travaux d'Héraclées (4). — L’image originale créée par les ateliers monétaires de Tarente est, nous l'avons vu, celle d'Héraclés assis, au repos, sans un geste, trés différente de celles de Crotone qui l'ont précédée d'au moins un demi-siécle; et qui, inspirée selon toute vraisemblance d'une œuvre de sculpture, ne nous fait pas plus que les précédentes soupconner un Héraclés tarentin parti
culier (5). Bien au contraire,
le type crotoniate du héros
tenant une tasse à la main a influencé jusqu'à cette figure
d'Héraclés au repos (6). (1) Id.,
ib., 244
et ?45 (au
revers,
Taras
sur
revers, Taras sur un dauphin). — Argent Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 216, 450. (2) J. Babelon,
Luynes,
I, 327 (Lutte
un
bige);
aux
mémes
à genoux
contre
253 (au
types
:
le lion);
325 et 326 (lutte debout contre le lion); Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 208, 373 (Héraclés nu, debout, couronné par la Victoire) — Au
droit,
la téte d'Athéna.
(3) J. Babelon, Luynes, I, 331 et 332 (téte d'Athéna à casque attique, de trois-quarts face; Héraclés étouffant ou assommant le lion); 354 et 335 (tête d'Héraclés imberbe, coiffé de la léontè, de
trois-quarts
(4) Héraclés 333);
face;
Héraclés
luttant
contre
Antée
luttant
domptant
une
des
juments
de
debout
(J.
contre
Babelon,
Dioméde
(Id.,
16
lion).
Luynes, ib.,
328);
I, de-
bout, au repos, tenant un ramea" de l'arbre des Hespérides, comme il tient sur la monnaie d'Héraclée la corne d'abondance (Id., ib., 330 : ici, Planche II, 18). —Au droit, téte d'Athéna, de trois-quarts face, ou de profil, coiffée du casque attique ou corinthien. (5) J.
Babelon,
Luynes,
I, 329
(ici, Planche
II,
19);
Gr.
Coins
Brit. Mus., It., p. 203, 328. (6) Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 203, 330. — Un fragment de terre ‘cuite, au Musée de Tarente (n° 1975) représente la méme figure. — On voit aussi apparaître dans la suite l'effigie d'Héraclés coiffé de la léonté (par ex. : Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 210, 388).
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE Aussi bien,
à partir
de la seconde
moitié
du
35
IV* siècle,
Tarente semble-t-elle avoir hérité des différentes conceptions d'Héraclés qui s'étaient formées ou développées dans les cités de Grande-Grèce. A côté de son Héraclès assis, de celui, « Victorieux », d'Héraclée, certaines œuvres d'art qu'on v
a retrouvées représentent le héros presque couché et tenant la coupe : figure qui, connue de l'ancienne céramique attique à figures noires, avait, sous une forme un peu uifférente, pris un particulier éclat à Crotone. D'autre part, Héracles appa:
rait souvent dans les peintures « orphiques » des vases apuliens, objets d'art d'une vaste fabrication et d'un commerce
étendu
dans
toute
l'Italie
méridionale
et
centrale
(1j;
mais, là encore, les conceptions exprimées par' les artisans tarentins ne sont pas propres à leur ville; Tarente repré
sente dans la péninsule salentine un centre orphique important, mais qui continue et dissémine des traditions philosophiques et religieuses d'abord en honneur dans les cités »cheernes de Grande-Grèce, et à Locres Épizéphyrienne (2). Mais
ainsi
s'explique
que
Tarente
ait
pu
passer,
pendant
longtemps, pour l'initiatrice du culte d'Héraclés dans !a péninsule italique, alors qu'en réalité elle est la moius crizinale et la dernière en date des villes héracléennes de l'Italie méridionale, et presque l'éléve de sa propre colonie, Héraclée. Les
Rhodiens
La tendance actuelle serait plutôt de rapporter l'introduc-
tion d'Hercule en Italie à d'autres Doriens, à des Rhodiens, (1)
Enfers raclés
« Enfin
» ] une qui
l'on voit toujours
place
enchaine
importante Cerbére
[sur
ces
vases
occupée
et qui
semble
par
apuliens
le
destiné
groupe à
«
des
d'Hé-
rappeler
qu'il est des puissances et des secours divins qui permettent de surmonter les terreurs de l'enfer. » (Fr. Lenormant, La Grande-Gréce, 13, p. 411-412). (2) Sur l'Orphisme à Tarente, voir : G. Giannelli, op. cit., p. 25-29; — à Sybaris, Thourioi : Id., ib., p. 128-131; — à Crotone. Id., ib., p. 188; — Pétélia : Id., ib., p. 196; — Locres : Id., ib., p.
226 aqq. et 230 sqq.
30
"LES ORIGINES bz LUENSTLE
BOSAON
qui se seraient établis d'une part autour de quatre villes du territoire
crotoninte,
Pétélia,
Crimisa,
Macalla
et
Chônè;
de l'autre, sur les cótes messapiennes de l'Adriatique, à Elpie (Salapia) et Rudies (1). Et, bien que ces cités n'aient
eu vraiment aucune importance listorique si on les compare à Locres, Crotone, ou Tarente, l'hypothèse n'en doit pas. moins étre discutée. La fondation d'Elpié par des colons de Cos et de Rhodes me semble pas douteuse (2). Mais les témoignages archéologiques et littéraires sur les cultes de cette ville n'offrent rien de particulier à Cos ni à Rhodes, et paraissent plutôt prouver une influence locrienne (3). Nulle trace, en ces parages,
de
l'Héraclés
très
original de
Cos,
qui
pourtant,
joint à Apollon sous l’invocation d'’Arezı: , groupé avec Hébé comme héros fécondant (4), et, par suite, parent des Heracles de l'Italie Achéenne, a pu, s'il s'établit en Messapie, rayonner assez facilement vers les montagnes de l'Italie eentrale. Dans la seconde moitié du IV* siécle, Cos jouit d'une grande prospérité (5), et entretient avec Tarente des rapports amicaux (6) : ainsi a pu se perpétuer le souvenir de l'ancienne fondation, sans que nous soyons autorisés à en conclure des faits religieux dont rien ne témoigne. Quant
à Rhodes, l'indigence primitive de ses légendes héracléennes la pauvreté méme de la tradition familiale des Eratides d'lalvsos qui descendaient soi-disant d'Héraclés par Tlépoléme, le doute encore oà nous sommes que le culte du héros y ait été joint à celui d'Athéna Lindia (7), n'encouragent certes pas à faire des hypothèses là où manquent de façon absolue les documents. | Le groupe rhodien de Grande-Grèce est plus intéressant (8) : encore ne faut-il pas être dupe des apparences. La (1) E. Puis. Sirilis,
(2)
n. 227 sqq οἱ 568 sqq.
Id., ib., p. 231 et 991.
(3) G. Giannelli, op. cit., p. 47-51.
(4) Cf. Gruppe, 1. E., Suppl. III, 958-960,
(5) Diod. Sic., XV, 76, 9.
(6) E. Pais, Sicitia, p. 570. (7) Gruppe, R. E., Suppl. III, 961-962,
(8 Cf. G. Giannelli, op. cit., p. 186.196.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
37
tradition (1) se réduit à ceci : Philoctéte, établi entre Crotone οἱ Sybaris, porte secours aux Rhodiens de Tlepoieme, que le vent a poussés dans ces parages (2), et qui sont aux prises avec les Barbares indigènes (3). Là-dessus on se croit le droit de subordonner Philoctéte à Tlépoléme et de Je faire venir, lui aussi, de Rhodes. à force d'hypothéses (4). Une seule mérite examen;
à Philoctète est attribuée la fon-
dation à Macalla d'un temple d'Apollon, 'Aza:io; selon Euphorion οἱ l'Etymologicum Magnum (5) ‚Atos suivant !e pseudo-Aristote : si l'on adoptait la seconde épithéte, on -erait reporté à Rhodes (6); mais la première est de bean-
coup la plus probable, et confirmée
par l'essai d'étymolo-
gie d'Euphorion (7). Donc, jusqu'à preuve du contraire, nous nous refusons à voir dans Philoctéte un Rhodien ; c'est un héros thessalo-achéen (8) que des villes, originairement indigénes, mais qui se trouverent de trés bonne heure dans la dépendance de Crotone (9), se donnérent comme fondateur. -— Quand, et sous quelles influences? La tradition était solide au 1IV* siècle (10), appuyée par des reliques, l'arc
d'Héraclés en particulier, qui, de Macalla, avait été trans- porté par
les Crotoniates
dans
leur temple d’Apollon (14).
(1) Lycophr., 911-929; Ps. Aristot., de mir. ausc., 107. (2) πλάνητας (Lycophr.); — ... τοῖς μετὰ Τληπολέμου εἰς τοὺς ἐκεῖ τόπους ἀπενεχθεῖσι (Ps. Aristot.). (3) On interprète ordinairement le Αὔσονες Πελλήνιοι de Lycophr. , comme l'équivalent ‘‘d'Achéens Italiotes". Nous avons expliqué ailleurs (Mélanges de l'École de Rome, XXXVIIL,"1920 p. 123) pourquoi nous ne pouvons accepter cette interprétation. (4) G. Giannelli, op. cit., p. 194 eq. (5) Tzetz., Lycophr., 911; Etym. Magn., s. v. (6) G. Giannelli, op. cit., p. 193. (7) Qui la fait venir de an = πλάνη. — Cf. la tendance nette de l’Etym. Magn. : Φιλοχτήτης γάρ παραγενόμενος εἰς ᾿Ιταλίαν ἀπὸ τοῦ συμδεδηχότος... | (8) E. Pais, Sicilia, p. 345 sq. |
(9) Voir déjà : Fr. Lenormant, La Grande-Grèce, 13, p. 376 8q. et 379. — Avant la fin du VI* siécle ἃ coup sür: G. Giannelli, op. cit., p. 187. | (10) G. Giannelli, op. eit., p. 187, n. 2, et 189. (11) Ps. Aristot., de mir ausc., 107.
. “
38
LES ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
Crotone avait donc à cette date, et méme, d'aprés les monnaies, avant la fin du V* siècle (1), au moins adopté Philoctéte. Mais n'était-ce pas elle qui l'avait implanté en GrandeGréce, seule ou avec l'aide des autres cités achéennes ? Nous
avons montré ailleurs que la légende des Pélasges-Thessaliens avait été introduite
et retravaillée
en
Italie précisé-
ment dans cette région achéenne, et au méme moment (2); mais, d'ailleurs, Philoctéte s'était établi à une date ancienne
en Locride-Phocide
(3), région qui n'a été étrangére, nous
l'avons montré, ni au peuplement ni aux traditions religieuses des cités achéo-locriennes de Grande-Gréce; et l'existen-
ce des légendes thessaliennes dans ce méme milieu est attestee soit par le transfert prés du fleuve Sybaris de Kycnos (4), l'adversaire
thessalien
d'Héraclés,
que
chanta
le poéte
ita-
hote Stésichore (5), soit par l'établissement possible de Thessaliens à Poseidónia, colonie de Sybaris (6). Aussi bien, le nom et les reliques de Philoctéte étaient-ils revendiqués, non seulement par les quatre bourgades de Chönie (7), mais par Sybaris (8), par Thourioi qui en hértta (9), par Crotone enfin qui se vantait de garder l'are (1) Voir supra, p. 18. (2) J.
Bayet,
Mélanges
de
l'École
p. 97-101. (8) Gruppe, G. M., p. 99. (4) Athen., IX, p. 393 E. — Cf. m.3et4. . (5) Schol.
Pind.,
Ol.,
X,
1%,
de
Annali
E. Pais., Italia Antica, II, p. 35.
(7)
Pétélia,
seule
des
d.
XXXVIII
Inst.,
(1920),
1880, p.
79,
21a.
(6)
la
Rome,
fondations
de
Philoctéte
qui
alı
survécu à la grandeur de Crotone (G. Giannelli, op. cit., p. 187), et qui, par suite, se vantait de conserver les reliques d'Héraclés
(Sil. Ital., XII, 433
: Petilia quondam
Herculeam
seruare
sw-
perba pharetram), rappelle cet antique souvenir sur des monnaies du III* siécle au type d'Héraclés (Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 372). (B! Ps.
Aristot.,
de
mir. ausc., 107 : παοὰ δὲ τοῖς Συδαοίταις λέγεται.
Φιλοχτήτην τιμᾶσθαι. — Sa tombe était, dit-on, prés du fleuve Sybaris. (9) Justin., XX, 1, 16 : Thurinorum urbem condidisse Philocteten ferunt. — Cf. Euphorion, l. c.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI‘ AU IV* SIECLE d'Héraclés. Il nous semble, dans ces conditions,
39 qu'on ne
saurait guére douter de l'origine « achéenne », non dienne, de la légende de Philoctéte en Grande-Gréce.
rho-
Cela ne supprime par les Rhodiens?..— Certes; mais réduit singuliérement leur róle. Et d'abord (seul point qui uous intéresse ici), on ne saurait en aucune facon leur attribuer le culte précis d'Héraclés qui se trouve attaché aux reliques
de Philoctéte, et localisé par suite dans la région de Crotone Reste, il est vrai, Tlépoléme son fils : personnage singulier qu'on ne retrouve plus nulle part en Italie aprés sa fortuite apparition aux bords du Crathis; il disparait sans laisser de trace, comme
si son rôle était achevé
avec
la mort
de
Philoctéte. Son allié tué, que devient-il ? Mystere. Il ne fonde pas une seule ville qui se réclame de son nom. Sans doute, Strabon nous parle de colons rhodiens établis en Siritide et à Sybaris du Traeis (1), mais de facon si vague (2), et en contradiction si formelle avec les traditions habituelles,
qu'il ne saurait s'agir, de toute facon, que d'un appoint, non d'une colonisation pure. Α cela se réduit, pensons-nous, l'influence rhodienne dans cette région. Quant au nom de Tlépoléme, il a pu y étre introduit, soit à la suite de l'expédition d'un autre Héraclide, Pentathlos de Cnide, qui périt en Sicile vers 580 a. C., ayant entrainé avec lui des Cnidiens
et des Rhodiens dont les débris se refugierent dans l'ile Lipari (3) ; soit, beaucoup plus probablement, vers la fin du V* siècle, lorsque l'Héraclide rhodien Dörieus imposa son autorité aux Thouriens et leur fit prendre parti pour Spart? contre Athènes. La pauvreté de la légende de Tlépoléme en terre italiote s'accorderait bien avec une tentative d'alliance sans lendemain, et tout artificielle, entre Héraclides lacédémoniens et thourien.
Mais, en dehors méme
de cette hypo-
thèse, l'essentiel reste acquis pour nous : à savoir l'insigni-
(1) Strab.,
VI, 264;
cf. XIV,
654.
—
G.
Giannelli,
op.
cit,
p.193, n. 4. (2) Τινὲς δὲ xal 'Ροδίων κτίσμα φασὶ xai Ztotztv xal τὴν ἐπὶ τοῦ Τράεντος.
Συόαριν. (3) Diod. Sic., V, 9.
40
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
fiance des l'Italie.
Rhodiens
V.
-—
dans
LES
les
CITÉS
traditions
héracléennes
de
CHALCIDIENNES
Il faut enfin en venir aux Chalcidiens qui ont partagé longtemps avec Tarente la faveur des historiens penchés sur les origines de la civilisation gréco-romaine. Ils la méritent davantage. Même si Cumes se trouve aujourd'hui découronnée, au profit des cités achéennes, du prestige de
l’âge (1), le nombre peut-être, tres de la
la puissance et le bonheur la netteté de grande voie
l'Italie Centrale,
chefs-d'œuvre
de l'essaimage eubéen en Occident, de ses fondations, et, plus que tout vues qui rendit les Chalcidiens malmaritime qui de la Gréce conduit à
font de cette colonisation un des plus sürs
de
l'expansion
hellénique.
Ces
cités, celles
de Sicile, Naxos, Léontinoi, Himéra, Catane; celles du détroit, Zancle et Rhégion; Cumes enfin et ses établissements
campaniens,
eurent
aussi
une supériorité
notable sur
les
villes doriennes, et méme achéennes, d'Occident : celle se rendre coinpte, au moins dans une certaine mesure,
de de
la solidarité qui les unissait (2); incontestable avantage, lorsqu'il s'agit de répandre son influence sur des terres barbares ou semi-barbares. Par suite, et pour l'objet qui nous occupe, nous devrons tenir compte aussi bien des Chalcidiens de Sicile que de ceux d'Italie. L'itinéraire d'Héraclés à travers la Sicile, tout fantaisiste qu'il
soit dans
le texte
de Diodore,
attache
fortement
son
souvenir et son culte aux terres chalcidiennes (3). Des deux (1) Cf. Jardé, La formation du peuple Grec, p. 264. (2) Voir par ex. : Diod. Sic., XIV, 40. (3) Traversée du détroit (IV, 22, 6); sources chaudes d'Himéra (IV. 23, 1); lutte (dans la plaine de Catane ?) contre les chefs sicanes (IV, 93, 5); traces de son passage aans le territoire de Léontinoi
(IV, 24,
1).
—
Peut-être
faut-il
rattacher
à l'influ-
ence chalcidienne le culte ou l'hellénisation de l'Héraclès d'Agyrion (IV, 24) ὃ — Mais ces villes, sauf Agyrion, et Himéra dont nous nous occuperons, n'ont pas de monnayage héracléen.
L'ITALIE HERACLEENNE
DU VI^ AU IV° SIECLE
41
parts du détroit, le héros est établi solidement : à ZancleMessana se dressait le temple d'Héraclés Manticlos qui rezontait,
dediait
dit-on,
au VIF siècle
(1); avant
494,
un
Zancléen
à Olympie un groupe du héros combattant l'Amazo-
ai (2\; une monnaie, tardive, il est vrai (3), confirme ces données. Sur l'autre rive, l'extréme promontoire de l'Italie portait son nom
(4); le poéte
italiote Stésichore
avait,
dés
la premiere moitié du VI* siécle, lié Rhégion aux traditions d'Héraclès vainqueur de Géryon (5); et les témoignages archeologiques, là non plus, ne manquent pas (6). Mais le principal
centre
d'activité
de l'Héraclés
Chalci-
dien, c'est Cumes (7). Dans cette riche contrée volcanique, la légende héracléenne fleurit avec vigueur: aux Champs Phlégréens est attaché le souvenir de la défaite des géants (8);
et le héros,
dit-on,
avait
aménagé
verne, consacré à Perséphoné
elles originales ? I] est permis
le lac
infernal
d'A-
(9). Mais ces traditions sont-
d'en douter.
Elles ne sont
point propres aux Chalcidiens : la premiére se retrouve en Apulie; et peut-être y est-elle venue de Campanie; mais l'al-
liance d'Héraclés avec Perséphonè n'est-elle pas plus énergi-
(1) Paus.,
Rome,
IV,
XXXVIII
23,
4.
—
Cf.
J.
Bayet,
Mélanges
de
l'Ecole
de
(1920), p. 118.
(2) Paus., V, ?5, 11. — Cf. E. Pais, Sicilia, p. 311, n. 2. (3) Bronze : téte d'Héraclés iniberbe, coiffé de la léontè:
lion. bondissant. massue et torche (Cab. des Méd., Cart 60, 723). (4) Weiss, R. E., VIII, 614, 1. 14. — Cf. Gruppe, ib., Suppl. III, 995. (5) J. Bayet, art. eit., p. 119-120. (6) Tete d'Héraclés (?) barbu, trouvée sur la colline del Salvatore; — H. barbu, la main sur la hanche, type du III® siècle : l'un et l'autre au Musée de Reggio di Calabria, — Monnaie d'argent du III* siècle : tête d'Apollon; lion marchant et massue
(J. Babelon,
Luynes,
I, 801)
: cf. la monnaie
Ra, supra. (7 Cesano, Hercules (Ruggiero, Dizion. Epigraf. Peterson, Cults of Campania, p. 69 : affirmations trop absolues, nous le verrons. (8) Diod. Sic., IV, 21, 5-7. (9) Diod. Sic., IV, 22, 1-2.
de Messa-
III), 684; beaucoup
42
LES ORIGINES DE L’HERCULE ROMAIN
quement affirmée aux bords de la source Cyanée pres de Syracuse qu'auprés du lac Averne (1)? — Plus singulière est la donnée selon laquelle les dents du sanglier d’Erymanthe étaient conservées dans le temple d'Apollon à Cumes (2) : la fréquence du sanglier comme symbole monétaire campanien, l'apparition sur un bronze romano-campanien d'Héraclés coiffé de la dépouille d'un sanglier remplaçant la léontè (3); avtant d'indices, dirait-on,
mais M. Pais a prouvé
d'une création
purement locale;
(4) qu'il s'agissait là ,selon toute
probabilité, d'une influence achéenne. Une iuonnaïe d’argent de Cumcs, de la fin du V* siècle, montre, au revers
d'une tête de femme,
Cerbère au-dessus d'une nioule
(5)
(Planche I, 10); mais l'Héraclés infernal n'était-il pas venu des Trézéniens de Poseidönia (6)?... Ainsi la nature de l’Héraclös de Cumes reste-t-elle incertaine, et son originalité douteuse. Naples, aux yeux de certains, passait pour une fondation d'Héraclés (7), qui, à coup sûr, y était adoré (8). Des Rhodiens l’y avaient-ils introduit (9)? Nous n'en savons rien. Pourquoi pas les Cuméens? — Ses monnaies héracléennes trahissent nettement l'imitation de Tarente à la fin du IV* siècle (10); telle autre peut-étre celle de Crotone (11) ; l'influen-
(1) Diod. Sic., IV, 23, 4.5. (2) (3) (4) (5) (6) (7:
Cf. Gruppe, R. E., Suppl. III, 995. Voir infra, p. 63 et 292 sqq. E. Pais, Sicilia, p. 163, n. 1. A. Sambon, Mon. ant. de l'Italie, n° 290. Supra, p. 24-27. Tzetz. ad. Lycophr., 717: Διόδωρος δὲ ὁ Σιχελὸς nat ἡ ππιανὸς
τὴν Νεάπολιν 29! ᾿Ποαχλέους οἰχισθῆναί φασι. (8) Sogliano, Il culto di Ercole a Napoli
(Archivio
Storico
Napolitano, 1876, p. 565); Correra, Riv, Numism. It., 1903, p. 191; A. Sambon, op. cit., p. 191. (9) Peterson, Cults of Campania, p. 191 sqq. (10) Voir par ex. : J. Babelon, Luynes, I, 182; A. eit., p. 180; Peterson, l. c. (11)
Bronze
:
ἰδία
trépied, NEOHOAITON. 1, p. 144. n° 289.
d'Héraclés
imberbe,
!Berlin. Zeschreib.
der
Sambon,
couronné,
Antik.
op.
massue;
Münzen,
VI,
.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
43
ce d'Athènes est certaine vers le milieu du V° siècle (1). Là encore, comme à Cumes,
mélange et confusion; sans même
le soutien des légendes qui peuvent donner l'illusion d'une existence
personnelle.
Dans ces conditions, les données sporadiques, et d'ailleurs tardives, que nous possédons sur diverses localités de Cam-
panie, perdent beaucoup de leur intérét. M. Gruppe a pu (2), à force d'hypothéses, rattacher l'Héraclés de Bauli au mythe primitif de Géryon, et à Mycalessos qui se trouvait sous la dépendance de Chalcis d'Eubée. Mais que dire du nom
d'ilerculanum
(3), de la petra Herculis
de Stabies
(4).
de la fondation héracléenne de Pompéi et du village Herculeae, aux salines de l'embouchure du fleuve Sarnus (5), de la chapelle de Sorrente (6) oà un Héraclés, peut-étre marin à l'origine, semble avoir été représenté à demi-couché et la coupe à la main (7), comme ceux de Crotone et de Tarente? La plupart de ces indications représentent des jeux étymologiques ou des créations non datées, dont l'origine est in-
saisissable. Quant aux monnaies de Suessa Aurunca (8) et de Teanum
Sidicinum (9) les unes et les autres du III* siècle,
pour la conception et le style, elles se rattachent à Héraclée de Lucanie : d'ailleurs, à cette date, que pouvait être devenue en Campanie l'originalité du dieu local, à supposer qu'elle eüt existé autrefois? On pourrait essayer de la réveiller, non sans artifice, en revenant à l'ile d'Eubée, origine des colons chalcidiens. —
(1)
Gruppe,
R.
E., Suppl.
111, 995.
(2) Id., ib. (3) Peterson, Cults οἱ Campania, p. 284 sq. (4) Id., ib., p. 299 sq. (5) Columell., X, 135; — Peterson, op. cit., p. 232 sq.
(6) Peterson, op. cit., p. 311 sq. (T) (8 (9) téte
Cf. Stat., Silv., III, 1, 37 sqq. 1. Babelon, Luynes, I, 205 : Héraclès contre le lion. Id., ib., I, 209-211; Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 125-126 : d'Héraclés imberbe, coiffé de la léonté; Victoire sur un
char.
44
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
Täche vaine. — C'est à Oichalia, dit-on (1), que s’adjoignit au héros son compagnon Iolaos: mais il est juste de dire que nous ne le retrouvons pas en Campanie, et que ce n'est pas aux Chalcidiens que les Étrusques l'ont emprunté. De même, dans ce-domaine, aucune trace de ce singulier Héraclés de Mycalessos, qui faisait le portier au temple de Démèter, et que l'on disait l'un des Dactyles de l'Ida (2). Le plus certain sans doute de ce que les Chalcidiens ont apporté d'eux-mémes en Italie, ce sont les légendes sur Héraclés « Bouvier » (3), et peut-étre sur Géryon : part assez belle d'ailleurs, puisque c'est autour de cette conception du héros que se sont groupées presque toutes les données héra-
cléennes de l'Italie Méridionale et de la Sicile; puisque le retour d'Érythie a formé la trame épique, sur laquelle ont brodé à l'envi les diverses cités grecques d'Occident. Mais,
à partir du IV* siécle,
on
ne peut
plus
parler
2u
Italie d'un Heracles Chalcidien (à supposer qu'il ait jamais eu une existence distincte). Successivement, Cumes a été prise et repeuplée par des Campaniens, en 421 (4); Naxos, Catane et Léontinoi détruites par Denys l'Ancien, en 403 (5); Rhégion et Messine, encore considérables à cette date (6), vont étre accablées, l'une par les Carthaginois en 396 (7), l'autre par Denys neuf ans plus tard (8). Cette série de catastrophes devait terriblement réduire la force d'expansion des légendes et des cultes chalcidiens. De fait, au début du IV' siècle, les Thermes d'Himéra, qui ont remplacé la glo-
(1) Gruppe, (2) (3)
G. M.,
p. 456.
Paus., IX, 19, 5. Le vol des bœufs
du
héros
sur
le
dinos
de
Santa
Maria
di Capua, fabriqué sans doute à Cumes (Gruppe, R. E., Suppl. III, 995); — Cf. monnaies de Carystos d'Eubée : Héraclés et un taureau
générales.
(4) (5) (6) (7) (8)
(Id.,
ib.,
968).
—
Encore
ces
Diod. Sic., XII, 76, 5. Id., XIV, 15. Id., XIV, 8, 2; 40; 106, 3; 107, 4. Id., XIV, 57-58. Id., XIV, 111-112.
fables
sont-elles
toutes
L'ITALIE HERACLEENNE
DU VI° AU IV* SIECLE
45
rieuse Himéra rasée par Hannibal en 409-408 (1), frappent des monnaies héracléennes qui révèlent à l'évidence l'influ-
ence prédominante de Crotone, et peut étre méme une agrégation à la ligue achéo-italiote dominée par cette cité (2). — Restait Naples; mais une ville si mélangée, surtout depuis le V* siècle, apparait fort impropre à conserver la tradition chalcidienne dans sa pureté. -— Eh bien, qui nous empêche de voir dans ce syncrétisme méme, qui semble en certains points privilégiés de Campanie rassembler de parti-pris les traits épars des divers Héraclés Italiotes, un des traits essentiels, et le plus original peut-étre, du travail civilisateur des Chalcidiens? Ces villes, Cumes, Naples, paraissent avoir eu moins d'influence en Italie par leur apport personnel que par leur faculté d'assimilation et leur róle vulgarisateur. À propos d'Héraclés en particulier, nous avons montré combien d'influences s'entrecroisaient dans les données cer. taines qui nous sont parvenues; mais que serait-ce si nous étions mieux renseignés sur la domination étrusque en Campanie, et sur les origines des Campaniens eux-mémes? — Et nous n'entendons pas, par cette remarque, réduire le róle des cités chalcidiennes, mais bien leur originalité.
Les autres Ioniens d'Italie ne nous arréteront pas long. temps. Ceux qui s'établirent en Siritide, et en furent chassés
(1) Id., XIII, 62. (2) J. Babelon, Luynes, I, 983, pl. XXXVI : a) Téte de Héra, de profil, portant la stéphanè ornée de griffons; dauphin; r) Héraclés
nu,
imberbe,
assis
tenant la massue; —
Id., ib.,
I, 984
Id., ib., 985; mais
du
Cab.
sur
un
rocher
dans le champ, : identique;
des Med.,
III* siécle,
et en
couvert
l'arc
mais
de
la
léontè,
et
et le carquois (argent).
ni dauphin
ni
carquois.
—
cart. 58, 540 : de types analogues,
bronze.
—
L'Héraclés
du
revers
fait
allusion aux sources chaudes que les Nymphes ou Athena (non Héra) avaient fait jaillir pour délasser le héros. Les types monétaires d’Himera, au V* siècle, bien qu'ils glorifient ces eaux bienfaisantes, \ne portent pas le moindre symbole héracléen :
la légende n'aurait-elle pris quelque force que sous l'action de Crotone pourtant
? Hypothése aux
sources
crées à Héraclès
plausible, thermales
mais
invériflable.
d'Aidepsos
(Gruppe, .R. E., Suppl.
en
III, 958).
On Eubée,
songera consa-
46
LES ORIGINES DE L HERCULE
ROMAIN
par les Achéens, n'ont pas laissé beaucoup de traces de leur passage,
et rien
sur
Héraclès;
d'ailleurs
les monnaies
de
Siris, de type sybarite, d'alphabet achéen, semblent indiquer qu'avant méme d'étre détruite par Sybaris, pour des raisons commerciales, non politiques, la ville était, de population et de relations, plutót achéo-ionienne qu'ionienne pure (1). Quant aux Colophoniens, Samiens et Milésiens, qui apparaissent en Grande-Gréce, il ne peut s'agir que de groupes isolés (sauf peut-étre les Samiens de Rhégion), qui s'adaptaient à leur nouvelle patrie plus qu'ils ne contri-
buaient à la former. Les Phocéens d'Hyélé (Vélia) connaissaient peut-étre Héraclés dés l'origine (2); mais lorsqu'ils le figurent sur leurs monnaies (3), les symboles attico-cam-
paniens du revers (une chouette sur un rameau
d'olivier)
nous font douter de son originalité plus qu'ils ne nous aident à découvrir sa nature. VI.
—
CONCLUSION
Il est donc peu de villes grecques d'Italie qui ne puissent se réclamer
d'Héraclés,
à un titre quelconque.
Et,
si l'on
s'en tient à cette remarque, elles pourraient presque toutes
prétendre 'à l'honneur
d'avoir
créé
ou influencé l'Hercule
Romain. Honneur bien réduit d'ailleurs par la foule des compétiteurs et la banalité de leur apport : autant vaudrait dire que, si toutes y ont droit, aucune ne peut revendiquer pour soi seule une figure si pále et si usée. — Mais il en est trois ou quatre qui possédent en Héraclés un protecteur actf, original, capable d'expansion, et relativement facile, à reconnaitre, partout où il lui plaira d’&migrer : l'Héraclés achéo-locrien destructeur d'insectes, à Métaponte, Locres (1) E. Peis, Italia Antíca, II, p. 55-56 et p. 59. (2) Sur Héraclés à Mareeille, voir : Mallet, Les premiers élablíssements grecs en Égypte, p. 137, n. 8; p. 257 8q.; — A. v. Do-
maszewski, Abhandlungen zur römischen Religion (1909), p. 141 (3) Bronzes p. 318, 1%.
: Gr.
Coins
Brit.
Mus.,
Italy,
p. 317, 118
sqq:
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
47
Épizéphyrienne, et sans doute Crotone; l'Héraclés Fondateur de Crotone, purificateur, et adorateur d'Héra; l'Héra-
clés Trézénien de Poseidónia, infernal et allié d'Artémis; l'Héraclés Vainqueur d'Héraclée. Ceux-là, oui, nous pouvons les suivre à la trace et mesurer leur influence; pourvu que nous tenions un compte exact de la chronologie, et que nous
soyons assurés des voies d'échanges et des tracés légendaires.
IT Les voies du traïic et des légendes dans l'Italie grecque
I.
—
LES
VOIES
COMMERCIALES
DE LA
ET
MILITAIRES
GRANDE-GRÈCE
Ce furent des rivalités commerciales qui conduisirent les diverses cités grecques d'Italie à s'ouvrir des voies de pénétration à travers les massifs montagneux du Bruttium et de la Calabre. Les Chalcidiens du détroit de Messine, mitrafiquants,
mi-pirates,
fermaient
comme
ils
l'entendaient
la route maritime vers l'Italie Centrale, que rendaient d’ailleurs dangereuse courants et rochers; supposé qu'on échappát aux uns et que l'on plüt aux autres, les pirates Carthaginois et Tyrrhéniens, ennemis ordinaires des Chalcidiens de
Cumes, mais envers tous indistinctement jaloux de leur do-
maine marin, n'étaient pas moins à craindre. Aux Achéens de Grande-Gréce, la mer n'apparaissait pas, comme à nous, la plus commode des voies vers l'Italie Centrale, mais la plus périlleuse. I] faut, au contraire, avoir vu, de la mer, à travers la verdure et les roches fauves, les lits larges et gris des fleuves et des « fiumare » qui semblent ouvrir dans la montagne des chemins sûrs et presque directs, pour comprendre, mieux que partout ailleurs, l'attrait et l’importanc: des vallées convergentes pour les relations d'un versant À
l'autre; autant dire, dans le cas présent, d'une mer à l'au-
tre, de l'Ionienne à la Tyrrhénienne. Les
routes
terrestres
Que l'on regarde la carte la plus sommaire de l'Italie Μό-. ridionale, on sera aussitót frappé de la disposition de ces
L'ITALIE
HERACLEENNE
DU
VI* AU
IV* SIECLE
|:
49
vallées. Leur système laisse dans un complet isolement l’Apulie entière, taridis que les rivières de l'ancien pays acheen, le Bradano, le Dasento, l'Agri, le Sinni, morcellent, toutes dans le même sens, du sud-est au nord-ouest, le massif
montagneux de la Basilicate; et, par leurs affluents et leurs sources, communiquent pour ainsi dire avec les deux grandes vaiées
transversales,
celle du Scle vers le Golfe de Sa-
lerne, celle de l'Ofanto vers celui de Manfredonia. De sorte qu'en remontant leur cours, les colons du Golfe de Tarente arrivaient à un point de partage des eaux, d'oü ils pouvaient redescendre à leur gré soit sur la mer Tyrrhénienne au nord de Poseidónia, soit sur l'Adriatique au sud d'Elpié (Sala. pia.
Ce schema est, bien entendu, théorique. En fait, il y avait plusieurs points privilégiés, oà les routes primitives devaient inévitablement se croiser. —- L'un des plus importants était les abords du Monte del Papa, à une vingtaine de km. seulement du golfe de Policastro, là οὐ se trouva aujourd'hui Lagonegro : à l'est, le Sinni descendait vers l'ancienne Siris et vers Héraclée; à l'ouest, le Busento conduisait à Pyxous ; au nord-ouest, le Val di Diano menait à la plaine de Poseidónia. — Potenza, à la naissance du Basentoqui portait directement à Métaponte, et prés des sources du Platano qui rejoignait le Sele, fleuve des Poseidóniates, en était un autre. — Enfin Forenza (Ferentum), au point où sourdent, presque mélés, les affluents du Bradano, le second fleuve de Métaponte, et ceux de l'Ofanto, la plus méridionale des rivieres
adriatiques, était le troisième de ces centres géographiques. Mais c'est à Fr. Lenormant que revient l'immense mérite d'avoir, apres une visite approfondie du pays, attiré l'attention sur les voies de portage et les « seuils », gráce auxquels, historiquement, les cités achéennes de GrandeGréce se mirent en relations par terre avec l'Italie Centrale, en évitant le passage du détroit (1):
(1) Fr. Lenormant,
La Grande-Gréce,
I, p. 263 sqq. —
*0lt,Griech. Gesch., I, p. 256; E. Pais, Halia Antica, 1d., Storia d. Italia Antica, I, pl. 125.
Cf. Bu-
II, p. 128 eq;
50
LES ORIGINES DE L’HERCULE ROMAIN
A) Voie commerciale Siris-Pyrous, par la vallée du Sinni et le seuil où se trouvait Semuncla : l'alliance Siris-Pyxous
est attestée par une monnaie
(1).
—
Vers le milieu du
VI* siècle, les Achéens s'emparérent de cette voie. B) Voie commerciale Sybaris-Laos, par les vallées du Coscile et du Lao. A Laos et Skidros, colonies de Sybaris, les Étrusques venaient embarquer les marchandises sybarites de provenance ou de transit (2). — Cette voie terrestre est la plus courte; mais elle a le désavantage sur la précédente de ne pas communiquer, par le Tanagro, avec la vallée du Sele.
C) Voie commerciale
Crotone-Térina,
par les vallées du
Neo et du Savuto (3). — Cette voie, moins avantageuse encore que la route Sybaris-Laos, qui épargnait une plus longue traversée, acquit pourtant une importance primordiale au V* siécle, gráce à la grandeur politique de Crotone et à la prospérité de Térina qui en résulta (4). D) Voie commerciale Locres-Medma, par la vallée de la Mesima : Locres elle-même ayant voulu éviter le détroit et la surveillance chalcidienne, bien que le gain sur la traversée
füt tout à fait minime (5). — Mais Locres, sauf son bref éclat lors de la victoire de la Sagra,
ne
prit une
grande
importance qu'a partir du début du IV* siècle, par l'alliance de Denys l'Ancien.
E) Voie commerciale
Métaponte-Poseidónia.
-- C'est la
route trés ancienne qui emprunte les vallées du Basento (Casuentus) et du Sele (Seilaros), en passant un seuil mon-
fagneux dans les environs de Potenza (Potentia)
(6).
—
(1) E. Pais, Italia Antica., II, p. 60 (Le origine di Siris d'Italia). (2) E. Pais, op. cit., II, p. 128. (3) Selon E. Pais, au contraire (op. cit., II, p. 70-71), par celles
du Corace et du Fiume San Biase. (4) Thucydide appelle la Mer Ionienne Τεριναῖος Κύλπος (VI, 1042). — Cf. E. Pais, op. cit., II, p. 74; et tout l'article « Terina, colonia di Crotone » (p. 63-78). (5) E. Pais, op. cit., II, p. 70 sq.
(6) Fr. Lenormant,
La Grande-Gréce,
langes de l'École de Rome,
1910, p. 115.
13, p. 207-208. — Cf. Μέ-
Les Routes pr l'Italie Merinionale
L'ITALIE HERACLEENNE
M.
DU VI? AU IV* SIECLE
Pais a insisté sur les désavantages
que
présente
5t
cette
route comparée à celle de Siris-Pyxous (A) (1); ces inconvenients ne nous apparaissent pas si graves; si la route de terre était plus longue, le gain maritime était beaucoup plus considérable, et l'on évitait les caps dangereux du massif montagneux où s'établit Hyélé; puis, on aboutzss?it dans la riche plaine de Poseidönia, si florissante aux VI* et V* siècles; et aux mortes mêmes de la Campanie. D ailleurs Métaporite semble avoir, à un moment donné (avant la fondation d'Héraclée), contrólé la voie créée par l'ancienne Siris, dont elle se prétendait l'héritiere. N»lle cité de Grande. Gréce ne fut alors plus que Mélaponte en état de [aire prévaloir son influence dans l'Italie Centrale. Des données d'histoire militaire nous permettent de compléter la carte routiére de l'Italie méridionale, avant la conquéte romaine et l'établissement des grandes voies classiques. I. — En 281 a. C., L. Æmilius, obligé à la retraite, rétrograda de Tarente à Héraclée, par la cóte évidemment; puis passa par Cossa (Cassano), Muranum (Murano) et le col du
Campo-Tenese (2).
—
A partir d'Héraclée, son itinéraire
coincide avec la voie commerciale Siris-Pyxous
(A).
II. — Alexandre le Molosse, aprés sa victoire de Paestum, s’enfonce dans les montagnes
de Lucanie
par la vallée du
Tanagro, et atteint la vallée du Crathis (3) : inévitablement en passant au pied du Mont del Papa et rejoignant la voie commerciale Sybaris-Laos (B). IIT. — De là, il remonte la vallée du Crathis et prend Consentia (Cosenza) (4) : ce qui amorce peut-étre une route transversale entre les voies commerciales B (Sybaris-Laos)
et C (Crotone-Térina) (5). (1) E. Pais, Italia Antica, II, p. 60. (2) Fr. Lenormant, La Grande-Gréce, (3) E.
Pais,
Italia Antica,
(4) Fr. Lenormant,
13, p. 51-52.
II, p. 171-173.
op. cit., I*, p. 40-41.
(5) Id., ib., p. 452-454. — Même si la localisation de la mort d'Alexandre proposée par Lenormant n'est pas exacte (elle est eombattue par E. Pais, op. cit., 1I, p. 165), le problème est bien
52
LES ORIGINES
DE
L HERCULP.
ROMAIN
IV. — Route, pour la pius grande partie côtière, de Crotone à Caulonia (4); Caulonia à Locres (2); Locres à Rhégion (3). V.
son
—
Deux
armée
tagnes VI.
le
»
emprunté —
fois coup
trajet
(ἢ).
sur coup,
Venusia-Métaponte
On admettra
pour ces marches Au
Hannibal
contraire,
son
parcourt
« par
difficilement
mon-
qu'il n'ait
rapides la vallée du itinéraire
les
avec
de
pas
Bradano.
Grumentum
à
Venusia (5) ne peut être jalonné avec exactitude (par Potentia et Acheruntia?). Mais, de toute façon, il témoigne de relations transversales entre les hautes vallées du Bradane
(vers Métaponte), du Basento (Métaponte-Poseidónia), et de l'Agri (vers Héraclée). VII. — Sa marche la vallée de l'Aufide,
de Venusia à Canusium (6), suivant montre clairement, si on la combine
avec les précédentes, comment s'établissaient les relations entre la Grande-Gréce, le Nord de l'Apulie et la cóte Adriatique, sans passer par le territoire de Tarente.
Ces nouveaux
tracés (I à VII)
confirment l'importance
de la situation de Métaponte, mais expliquent aussi que Sybaris (puis Crotone, maitresse du lerritoire de Sybaris;
et Thourioi qui lui succéda) ait pu avoir avec Poseidónia (par la route II) des relations aussi commodes ponte
elle-même.
Entre
elles
deux,
Héraclée,
que
Méta-
comme
l'an-
tique Siris, est aussi fort bien partagée. Toutes trois, ayant acces
à la vallée
du
Sele,
arrivent,
malgré
l'obstacle
des
montagnes, à se mettre en rapports directs avec les maltres de la Terre de Labour, Étrusques, Campaniens ou Romains ; — sans préjudice des relations moritimes, par Laos, Pyxous, Térina ou Hyele. posé, et le but militaire de la ciinpagve semble bien avoir d'assurer les communications entre Crotone et Thourioi. (1) Diod. Sic., XIV, 103-104.
(2) Campagne (3) (4) (5) (ὃ
de la
Sagra
Diod. Sic., XIV, 100, 2. Liv., XXVII, 42, 15-16. Liv., XXVII,42, 14. Id., XXVII, 42, 16.
entre
Locriens
et
Crotoniates.
été
L'ITALIE HERACLEENNE
DU VI* AU IV* SIECLE
53.
Entre le Seilaros et la Campanie, le passage est certain, soit par Baronissi, soit par Cava dei Tirreni. Héraclés avait tracé le cheinin, qui n'est attesté de facon certaine que le long du lac Lucrin (1), mais dont la continuité est affirmée par l'itinéraire de Timée-Diodore. De Cumes à Rome, ἃ travers le pays des Volsques, la « roule du blé » existait dès l'an 508 a. C., à en croire les anciens annalistes (2).
De sorte qu'à partir de Poseidönia, où convergent les routes les plus importantes de Grande-Grèce, le trafic terrestre apparait assuré jusqu'aux bords du Tibre. Le mot « route » est sans doute bien ambitieux pour signifier ces larges vallées caillouteuses, les gorges étroites et sauvages où elles finissent par engager celui qui les remonte, et surtout-les sentes incertaines qui franchBsent les seuils
montagneux.
Plus
tard
les
voies
romaines,
au-
jourd'hui les chemins de fer ont aménagé plus d'une de ces routes primitives, et les tracent avec autorité au milieu des montagnes:
mais
toutes
grossiéres,
et
méme
parfois
mal
définies, elles eurent entre le VIT* et le IV* siécle avant notre ere peut-étre plus d'importance sociale et une vie plus pathetique que dans aucun des suivants. Les
routes
maritimes
Les routes maritimes admettent une bien moindre détermination, quoique de leur existence nous soyons sürs. Que nous apprennent par exemple les témoignages sur les relations de Locres et ses colonies, soit anciennement avec les Chalcidiens de Gréce (3), soit avec Messine dans les premiéres années du IV* siécle (4)? Ou une alliance possible entre cette méme Messine et Crotone (5)? Bien plus importante apparaît Ja grande voie chalcidienne qui, d'échelle en (1) Vía Herculea.
—
Cf. Strab.,
V,
p. 245 C.
(3) Liv., II, 9, 6. (3) Fr.
Lenormant,
La
Grande-Gréce,
III,
p.
(4) Diod. Sic., XIV, 78, 5. (5) Monnaies d'argent aux types du trépied Babelon, Luynes, I, 733) : fin du V* siècle.
213-214.
et du
liévre
(J.
54
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
échelle,
conduisait
les marchandises
de Rhégion
à
Cumes.
Le centre principal de ce cabotage semble étre Hyélé, posée à l'écart des routes terrestres de Grande-Gréce, isolée au milieu des colonies italiotes par son origine, et qui pourtant trafiquait avec une ampleur que trahissent l’abondancs et la beauté de son monnayage. Hyélé sut, dés sa fondation,
e'assurer l'aide des Rhégiens et des Poseidóniates (1); elle conclut l'alliance avec Rhégion
(2) et noua de bonnes rela-
tions avec tous les Chalcidiens, ses parents de race (3); mais sans rompre son amitié avec les Trézéniens, que leur origine rattachait plutôt aux Achéens (4). Elle préparait ainsi, de son cóté, cette seconde union des cités de la Grande-Gréce, qui se réalisa à la fin du V* siécle sous l'hégémonie de Crotone, et oü elle entra ainsi que Rhégion (5). Les reläches
se faisaient à Térina, échelle tyrrhénienne de Crotone (6); à Hyélé; à Poseidónia qui, pour les nécessités de ce trafic maritime, dut adopter le système monétaire d'Hyélé et des cités campaniennes (7); à un port au sud du Vésuve sans
doute (8); pour aboutir à Cumes. L'étroite union de Rhégion et Cumes nous semble affirmée, vers 490 a. C., par les célébres
monnaies
de cette derniére
ville au revers desquelles se voit un masque de lion entre
deux
hures de sanglier (9). Mais c'était sur le territoire
(1) E. Pais, Italia Antica, 1I, p. 49-50. (2) Imitation d'un tvpe monétaire d'Hyélé sur un bronze de Rhégion ? (Téte d'Artémis et lion passant : Cab. des Médailles, Cart. 46, 2786). (3) Par ex. avec Léontinoi. Cf, Pais, Sicilia, p. 307.
(4) E. Pais, Sicilia, p. 533-530; Gruppe, G. M., p. 370. (5) (6) (7) (8 giens
E. Pais, Sícilia, p. 537. Bronze de Térina aux types de Rhégion. Statére de 7 gr, 64. — Cf. Head, Hist. Num. (1911), p. 80. Dans les environs de Pompéi? Cf. imitation des types Rhésur un bronze de Nucéria (téte d'Apollon; masque de
lion). (9) Cf. J. Babelon,
Luynes,
I, 133 et 134 (à la face : soit la mou-
le et le grain d'orge; soit la tête de la nymphe Kymè). Le masque léonin est le blason de Rhégion depuis l'arrivée des colons Samiens (vers 494), le sanglier est un symbole proprement campanien (plus tard répandu dans le nord de l'Apulie). —
L ITALIE
HERACLEENNE
DU VI* AU 1V* SIECLE
55
*
de Poseidónia, et vers les bouches du Seilaros que cette voie maritime touchait aux routes terrestres qui de Grande-Gréce convergeaient vers l'Italie Centrale; avant Cumes, c'est à Poseidónia que pcuvent le mieux se méler les traditions
venues des viics Acisennes,
et celles des Chalcidiens. Ces
hiératiques monraies poseidóniates de types religieux trézéniens,
d'art achéo-italiote,
raissent le symbole méme
que
par des alliances
d'étalon chalcidien-éléate,
appa-
d'une ville qui ne peut prosperer
commerciales
et grâce à son rôle
d’interniedisire. Aussi bien est-ce le monnayage de Poseidónia qui, au δ᾽ siècle, nous apporte la plus nette confirma tion
des
relations
d'indiquer : avec
maritimes
Rhésion
et terrestres
et Hyélé,
nous
que
nous
venons
l'avons vu; avec
Sybaris, comme le prouve une monnaie d'alliance (1); avec Thourioi, son héritière, de laquelle elle imite le beau taureau passant, et, un peu plus tard, le taureau chargeant (2); .
avec Crotone qui, un instant, l'engage à substituer au dieu f
poliade,
la face
de
Héra
lacinienne (3). Plus tard ses^
bronzes témoigneront de relations avec Métaponte, dont elle fait figurer l'épi au revers de son Artemis ou de son
Poseidón (4), et avec la Campanie, dont le sanglier apparalt au revers d’une tête de Demeter (5). Si l'on se reporte à l'origine méridionale de ces transactions,
Thourioi,
elle
avait su, à ses débuts,
aussi,
confirme nos itinéraires : elle
s'assurer soit la tolérance, soit l'al-
liance de Crotone (6); et. entrée en relations avec Térina au temps de Cléandridas (fin du V* siécle) (7), elle participait $ur ces monnaies et les diverses explications proposées, voir : A. Sambon, Monnaies antiques de l'Italie, n° 244-251 et 250, p. 141 sq. (1) J. Babelon, Luynes, I, 540, pl. XIX. (2) Id., ib., I, 532 (argent); 545 (bronze du début du IV* siècle). (3) Id., ib., 538, pl. XIX. Voir supra, p. 24. (4) Vers 330. quand Métaponte recouvra sa liberté, au temps
d'Alexandre le Molosse ? (5) J. Babelon,
Luynes,
(0) Fr. Lenormant,
| I, 547,
pl. XIX
(vers 268 a. C.).
La Grande-Grèce, 15, p. 305.
(ἢ ἘΞ. Pais, Italia Antica, II, p. 54
᾿
56
LES ORIGINES DE L'HERCULE BOMAIN
à coup sûr à la prospérité des deux grandes villes achéennes. En méme temps, par Poseidönia (1), elle exercait son influence en Campanie (2), et sans doute aussi en Apulie (3). Au début du IV? siècle, elle était inféodée à la politique anti-syracusaine de la seconde ligue achéo-italiote (4). Sans doute, aprés sa défaite par Denys l'Ancien, elle dut subir le protectorat de Tarente, puis le joug des Lucaniens. Mais, à peine délivrée par Alexandre le Molosse, elle reprend son rôle de la fin du V^ siècle; alliée à Métaponte, elle devient le quartier général du roi (5) et sa base naturelle d'opérations, vers Térina-Hippónion d'abord (6), vers Poseidônis ensuite,
quand il songea à reconstituer toute l'ancienne
Ita-
lia ayant pour socle le littoral achéen de la mer Ionienne (7), avec Ainsi,
pour objectif
lointain
à cent ans d'intervalle
sans
doute
(entre 333
la Campanie (8. et 330
a.
C.)
les
mémes routes voyaient se reproduire le méme effort vers le méme but; celui qu'avait fait aussi, bien auparavant, Svbaris lorsqu'elle avait fondé Poseidônia pour se rapprocher
dc la Campanie. La premiére intervention des Romains, appelés en 302 par les Thouriens, signale le renversement des influences : mais, de Campanie, Rome trouvait devant elle la voie vers la Grande-Gréce toute tracée par presque trois cents ans de trafic et d'ambitions politiques. À l'autre extrémité de ces parcours, Cumes et Naples ne font pas mystère de leurs relations avec la Grande-Grèce. Des colons achéens n’avaient-ils pas d'ailleurs participé A
la fondation de Cumes (9)? La Sibylle ne recommandait-elle (1) Voir
supra.
(2) Comparer par ex. aux monnaies de Thourioi celles de Cumes (J. Babelon, Luynes, I, 146, pl. VI), Hyria (Id., ib., 154159, pl. VII), Nola (Id., ib., 195, pl. VIII). (3) E. Pais, Italia Antica, II, p. 153-155. (4) Cf. Diod. Sic., XV, 7, 4 : elle recoit les exilés Syracusains. (5)
Fr. Lenormant,
La Grande-Gréce,
13, p. 40.
(6) E. Pais, Italia Antica, II, p. 168-170. (7) (B) 172. (9) Italia
Id., ib., II, p. 171-172. Sur l'influence d'Alexandre en Campanie
E. Pais, Antica,
Sicilia, p. 163; Gruppe, II, p. 56.
G. M.,
: Id., ib., p. 171.
p. 141;
E.
Pais.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU 1V* SIECLE
57
pas de sacrifier selon les rites eubéens ou achéens, trahissant ainsi un mélange de cultes de la plus haute importance pour nous (1)? Quant à Naples, elle imite sur ses monnaies les types de Térina (2) et de Thourioi (3). Mais déjà à cette date (début du IV. siéciej, on aurait grand tort de limiter les influences aux échanges entre villes grecques. Ce inagnifique pays, cette « Italia » des riches pâturages, des forêts ombreuses, des plaines chaudes et fertiles, toute pénétrée, entre ses deux mers, par les voies commerciales que nous avons cherché à tracer, était presque tout entière aux mains des tribus Sabelliques (4). Et lorsque Alexandre le Molosse cherchait à la reconstituer en son unité
hellénique, de Poseidönia à Metaponte, les Lucaniens avaient déjà fait leurs les types et les dieux des Achéens (5), εἰ, aprés eux, les Bruttiens (6). Si vive était la pénétratiom (
E. Pais,
(1890),
v. 16:
Sicilia, p. 163 n. 1. — Diels, Sibyllinische ...xéhes ' ᾿Αχαϊστὶ τάδ᾽ ἔρδειν ; et p. 55 sq.
—
Blätter Au
con-
traire, v. 51: ἀργὴν βοῦν θύων (à Hera) πατρίοισι νόμοισι xax! alcav ; €t 56 : ...ἐν πατρίοισι νόμοις “Ἥρας ξόανόν τε xai olxov. — M. Pais interprête à bon droit πάτριοι νόμοι — rites eubéens ; par suite ἀχαϊστί reprend toute sa valeur, et doit se traduire par «à la mode achéenne » (il s'agit d'ailleurs de Déméter et Perséphonë, tant honorées
en Grande-Gréce), et non comme un équivalent épique de ξλληνιστέ, ainsi que le veut Diels (p. 56). S'il en était autrement, πάτριοι νόμοι
devrait se traduire par « les rites romains » ; or Diels explique luiméme
que
toutes
ces pratiques
Hera D222»5*;. ἃ laquelle cubéenne (p. 52, n. 1).
(ἢ
A. Sambon,
Mon.
est
sont
adressé
Ant.
grecques
(p. 54), et que la
le sacrifice, est une
déesse
de l'Italie, n° 422 (tête de dieu flu-
vial imberbe; Victoire assise sur une urne renversée); J. lon, Luynes, I, 180 (Tête d'Héraclés ?; Victoire assise).
Babe-
(3) E. Pais, Italia Antica, II, p. 233 sq. — Sur le type crotoniate de la Hera Lacinienne en Campanie, voir infra, p. 170 sq. (4) Sur des noms peut-être importés par ces tribus de Campanie en (Enotrie, voir : Fr. Lenormant, La Grande-Grèce, III, p. 88. (5) Cab .des Méd., cart. 24, 1567 (argent) : tête d'Athéna avec
casque ailé; épi et massue
(cf.
Métaponte);
—
Gr.
Coins
Brit,
Mus., Il, p. 224, 5 (bronze) : tête d'Héraclés imberbe coiffé de la léonté;
Pallas
(ou Bellone),
téte
de loup.
(6) Tête d'Héraclés, imberbe ou barbu 604; 653-854;
Gr.
(J. Babelon, Luynes, I,
Coins Brit. Mus., I!., p. 390, 93 et p. 333, 118).
58
LES ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
de l'hellénisme et de ses traditions le long des routes et des sentes
propices
aux trafiquants! II.
—
LES
VOIES
LÉGENDAIRES
DE GRANDE-GRECE EN CAMPANIE Sans doute quelques légendes, quelques cultes communs aux cités de Grande-Gréce et de Campanie ne sauraient prouver une influence de l'une sur l'autre. Ainsi le culte
d'Achelóos, brillamment attesté
à Métaponte
(1), est pop"-
laire à Naples aussi (2) ; mais tandis qu'à Métaponte il avait
été apporté par les colons Phocidiens en méme temps qu'Héraclés (3), il semble à Naples être d'origine propre-
ment chalcidienne, y figurant comme père des Sirènes, que
l'on retrouve aussi à Catane (4). Il en est un peu autrement de Dédale,
quoique
l'Occident
semble
la dispersion de sa légende
d'abord
bien
décourageante
dans
tout
(5).
Nous
montrots ailleurs (6) que ses centres de rayonnement étaient la Sicile et l'Italie Achéenne, d'où, selon toute apparence, il n'est venu qu'assez tard à Cumes. Une bien plus grande certitude s'obtient pour les divinites
secondaires du cercle d'Artémis : Oreste, Iphigénie οἱ Hippolyte. Nous avons pu, ailleurs, reconstituer, avec ses étapes
principales, l'itinéraire d'Oreste d'Arcadie jusqu'à Rome (7) : c'est à Rhégion, nous dit-on, qu'il prit terre en Italie (8); mais n'était-il pas parti d'Achaie, d'Héliké qui est sa ville, d’Aigeira où l'on adorait sa sœur et compagne Iphigénie; ou, mieux encore,
de Kéryneia,
oü il avait cherché
la purifica-
tion auprès d’Artemis Taurique, qu'il emporta ensuite avec -
(1) G.
Giannelli,
Miti e culti della Magna
Grecia,
p. 83
(2) Peterson, Cults of Campania, p. 204.
sqq.
᾿
($) Voir supra, p. 15. .
(δ) Euripid., Hel, 175 sq.; Dionys., XIII, 312-313. . (5) Cf. Paus., VII, 4, 7.
Apollon.
Rhod.,
894-896;
Nonn.,
(6) J. Bayet, Herclè, p. 181. (7
Mélanges
(8) Gruppe, p. 118-119.
de
l'École de Rome,
G. M.,
XXXVIII
(1920),
p.
131-140.
p. 367 et n. 9; E. Pais, Italia Antica, II,
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
50
lui vers l'Occident (1)? En méme temps que les Achéens et les Rhégiens, les Phocéens contribuérent à propager ces légendes jusqu'à Rome; mais le point de départ n'en est pas douteux: c'est de l'antique Œnotrie qu'elles ont gagné Cumes, puis Aricie. — Si, en Aricie, Égérie et son parédre
correspondent à Oreste et Iphigénie (2), le démon
ressemble à Hippolyte, auquel on l'identifia
(3);
Virbius
quand?
Nous n'en savons rien; mais il ne faudrait pas, par excés de scepticisme,
abaisser
trop la date de l'influence
hellé-
nique (4). Elle est, à coup sûr, d'origine trézénienne ; c'est à Trézéne que se racontent les « passions » des beaux chasseurs chers à Artemis, ou plutöt ses paredres: Sarón, fon. dateur du culte d'Artémis Sarónia, et qui, mort tragiquement,
était
enseveli
et
honoré
dans
l'enceinte
divine
(5);
Hippolyte qui éleva le temple d'Artémis Lykeia, aupres duquel on prétendait qu'Oreste avait été purifié (6), et dont le souvenir et le culte étaient attachés à tant de points du territoire de la ville (7). Et c'est donc à la seule grande colonie trézénienne d'Occident, à Poseidónia, qu'il convient d'attribuer l'introduction de cette légende en Italie. A moins pourtant qu'elle n'y ait pénétré par intermédiaire, gráce ἡ Dioméde, promoteur du culte d'Hippolyte à Trézéne, et qu'honoraient Sybaris, Thourioi et Métaponte. Encore ne faudraitil pas, méme en ce cas, trop restreindre le róle ae
Poseidónia, en relations directes avec Cumes. et, par Cumes, avec Aricie (8). Ces cultes sont assez originaux pour qu'on puisse, pour ainsi dire, les suivre à la piste, sans prendre le change. Les traditions post-homériques, plus trompeuses par leur ordi(1) Gruppe, G. M. p. 139-140. (2) J. Bavet, I. c., p. 137. (3) Paus., II, 27, 4. (4) Voir le doute, sans preuves d'ailleurs,
dans
Gruppe,
p. 371, n. 0. (5) Paus., II, 30, 7. — Cf. Gruppe, G. M., p. 192.
(D Paus., II, 31, 4
(7) Paus., II, S2, 1-4 et 10. (8) Cf. Klausen, Æneas und die Penaten, II, p. 1244.
G.
M.,
60
LES ORIGINES DE L’HERCULE
ROMAIN
naire banalité et leur abondance même, n'en offrent pas moins une précieuse vérification des itinéraires précédents, avec un plus grand nombre de reläches, et des prolongements inattendus. Mais, si nous ne possédions pas les données que nous venons d'utiliser, nous serions bien en peine de determiner le sens de propagation de ces légendes. — Locres Épizéphyrienne connaissait des mythes Troyens (4), et, sous
des formes Crotone,
diverses,
aussi
l’ancienne
Siris,
Crimisa et
dans le territoire de
Métaponte (2) : toujours la
même région où se sont amorcées les voies de pénétration vers l'Italie Centrale. Et nul ne s'en étonnera, si l'on songe que, dés une date ancienne, les Achéens de Grande-Gréce se piquaient d'étre les vrais descendants des héros de la prise d'Ilion. Lorsque la légende troyenne prit corps en Italie, les
éléments épars se coordonnérent, et la progression se fit vera le Nord avec autorité : des compagnons d'Énée devinrent éponymes ou fondateurs de colonies au cap Palinure, dans l'i
le de Leucosia en face de Poseidónia, à Misène et Caïète (3): Cora revendiqua Dardanos (4); sans méme parler de Padoue, fondée, disait-on, par Anténor (5). — (Euvre savante, pour une bonne part artificielle, et qui attendait Virgile pour prendre une vie humaine et une véritable fraicheur. — Les héros Achéens furent autrement robustes. Métaponte gardait la légende et les reliques d'Épeios (6), un Phocidien (7), qui se trouvait chez lui au bord du Bradanos; non loin de Sybaris, il avait fondé Lagaria, dans une région que les Métapontins occupérent sans doute au VI* siécle (8); et voilà une indication chronologique. Il quitta, lui aussi, son
berceau achéen; par où il passa, on n'en sait rien: on le (1) G. Giannelli,
Culti
e Miti della
Magna
Grecia,
p. 234.
(2) Fr. Lenormant, La (rande-Gréce, 15, p. 378-379. (3) Solin., II, 10. (4) Solin., II, À (5) Solin.,
(6)
II, 10.
Fr. Lenormant,
(7) G. Giannelli, un Locrien. (8) E. Pais,
op.
La Grande-Grèce, 15, p. 121. 122. cit., p. 75, n. 2. — Selon M.
Sicilia, p. 247 sq.
Pais,
plutôt
L'ITALIE HERACLEENNE
DU VI* AU IV* SIECLE
61
retrouve en Étrurie, fondateur inattendu de Pise (1); l'occasion serait belle de crier à la spéculation savante, si un miroir étrusque ne le représentait comme inventeur du cheval de Troie (2), sür témoignage de sa popularité. Celuilà, la légende n'a pas pris soin, comme pour Énée, de lui préparer des repéres marins, des hávres sürs; et il est allé pourtant du premier coup plus loin que lui. Au fait, Métaponte ne lui ouvrait-elle pas la route la plus ancienne, la plus nettement tracée, qui de Grande-Gréce menait aux pavs de do:rination étrusque? Quant à Ulysse, nous le retrouverons partout le long de la voie maritime : ubiquité génante. Dés que nous le connaissons, par les poèmes homériques, il est tellement familier avec la Méditerrannée occidentale qu'on hésite à lui fixer un itinéraire: il aborde, il s'éloigne, il revient au méme lieu; on dirait qu'il veut brouiller ses traces. Il semble bien pourtant que l'ile de Calypsö, l'antique Ogygie, fut
d'abord en face du promontoire Lacinien (3), avant d'errer de plus en plus loin dans les mers italiennes (4). Les traces du héros sont incertaines à Métaponte et Témésa (5); trés précises dans le Bruttium, à Skyllétion (6); un de ses compagnons fonde Laos; et les Sirénes le voient longer la côte tyrrhénienne, Ligeia à Térina, Leucósia à Poseidônia, plus loin Parthénopè (7): mais auparavant, il avait élevé pour Áthéna un temple à la Punta della Campanella, prés
(1) Verg.,
Aen., X, 179 et Int. Serv., ad loc.; —
Strab., V, 2, 5,
p. 222. (2) Michaelis, Annali d. Inst., 1880, p. 56. (3) Scyl., Peripl., 13; Plin., n. h., III, 96; Jambl.,
de vit. Py.
thag., XI, 57. — Cf. G. Giannelli, op. cit., p. 182 sq. (4) En
particulier prés de Pouzzoles.
— Voir
: Immisch,
R.
L.,
II, 942. (5) à Métaponte: Steph. Byz.. s». A262; ; Fnstath.. in Odyss., XXIV, 304; à Témésa : Strab., VI, 1, 5; Paus., VI, 6, 7-8. — Cf.
G. Giannelli, op cit., p. 268 et n. 1. (6) Solin., II, 8; Int. Serv., Aen., op. cil., p. 203. (7) Lycophr., 712-731.
III, 553. — Cf. G. Glennelli,
62
LES ORIGINES DE L'HERCULE
ROMAIN
de Sorrente, en face de Capri (1). Lorsque Timée écrit son histoire, toute la Campanie est pleine des souvenirs d’Ulysse (2); au Cap de Circé, il a déjà abordé le Latium (3), ou, si l'on préfère, la Tyrrhénie (4). C'est là qu'il s'était acclimaté, qu'il avait fait souche (5), qu'il s'était préparé à entrer, sous le nom de Nanos, chez les Étrusques (6), où, mort, on l'enterra, dit-on (7). Et cette route, nous pouvons douter qu'il l'ait suivie à la rigueur, du sud-est au nord-ouest; bien
que la légende de son fils Italos le fasse présumer (8); du moins l'a-t-il si bien jalonnée que les caboteurs de la mer Tyrrhénienne, à chaque escale, le retrouvaient, seul, ou, le plus souvent, mêlé à d'autres traditions qui voyageaient, elles aussi, vers le nord.
L'une des plus importantes par
ses
conséquences
était
celle de la colonisation arcadienne en Italie (9). Or il est sür,
bien qu'elle se soit adjoint mainte légende d'origine diffé-rente, que son berceau est l'(Enotrie, et, plus précisément, les cités achéo-italiotes. Là se perpétuait le souvenir des migrations,
chéens
à demi
mythiques,
en Arcadie
aprés
(1) Strab., V, p. 247 C. (2) L'île de Pithécousa (Id.,
694
et 737);
la
région
qui
avaient
l'invasion
(Lycophr., de Cumes
transporté les Α-
dorienne
688-690); et du
(10);
Baïes
là, les
et Miséne
lac Averne
(Id.,
695-711). (3) Theophr., h. pl., V, 8, 3; — Lycophr., 1274; — Apoll. Rhod., IV, 661. (4) Schol. Lycophr., 79: Ἢ 33 Κίτχν Τυρσην x7. (5) Hesiod., Theog., 1011 sqq. (6) Lycophr., 1244; Dionys. Halic., I, 28. (7) à Pergé « dans le pays de Gortyne » (Lycophr., 805; et Schol. Lycophr., 809. Cf. Justin., XX, 1, 11). (8) Cf. J. Bayet, Mélanges de l'Ecole de Rome, XXXVIII (1920), p. 82-85. (9) Voir notre article : Les Origines de l'Arcadisme Romain (Mélanges de l'École de Rome, XXXVIII (1920), p. 63-143). (10) Herod., II, 71. Les relations de Sybaris avec l'Ionie ne pouvaient que le confirmer (Cf. Herod., I, 146). Encore à la fondation de Thourioi, les trois tribus péloponnésiennes de la ville prennent les noms d'Arcas, Achais et Eleia (Diod. Sic., XII, 11, 3).
L'ITALIE
HERACLEENNE
DU
VI* AU
IV* SIECLE
63
Achéens parlaient une langue qui, avant qu'elle se füt dorisée, était étroitement parente à celle des Arcadiens (1). Des relations religieuses précises confirmaient des immigrations partielles (2) : les Iamides de Crotone, l’Apollon Lykeios de Métaponte
(3) et peut-être la Mélanippè
qu'adora.t
la méme ville (4), le Pan de Pandosia (5), la légende des Lycaonides (6). C'est de là que partirent vers le nord les
noms fatidiques, Pelléniens, Pallas, Pallantion (7), qui arriveront à Rome aprés s'étre arrétés dans la région de Cumes. À Cumes méme, les reliques du sanglier d'Érymanthe que conservait le temple d'Apollon n'unissent-elles pas :a legende d'Héraclés à la tradition arcadienne (8)? Et, plus étroitement
encore,
les monnaies
romano-campaniennes
qui
figurent le héros la téte couverte non plus de la dépouille du lion, mais d'une hure de sanglier? Ainsi les routes terrestres et marines de la Grande-Grece vers l'Italie Centrale se révélent d'un intérét religieux et légendaire autant que commercial.
Ill.
—
LES
ROUTES
APULIENNES
ET
ET
LES
LÉGENDES
ADRIATIQUES
Sans doute en est-il de méme des routes de l'Apulie et de la mer
Adriatique,
bien
que
les
conditions
apparaissent fort différentes : l'Adriatique
géographiques
étant
loin
de
(1) Meillet, Apercu d'une histoire de la langue grecque?, p. 87.
(2) J. Bavet, I. c., p. 113-118. (3) Id., ib., p. 107 sq. _ (&) G. Giannelli indique seulement pour ce culte (Culti e miti della Magna Grecia, p. 87 sqq.) une influence béotienne. L'uniom Mélanippè-Poseidôn fait plutôt songer au groupe arcadien Déméter Melaina-Poseidón, comme le dit Fr. Lenormant (La Grande-Gréce, 13, p. 117-118). (5) J. Bayet, I. c. Cf. Fr. Lenormant, La Grande-Gréce, 13, p. 455.
(6) J. Bayet, L c., p. 101-113. (7) Id., ib., p. 118-128.
(B) Cf. Peterson, Cults of Campania, p. 32.
04
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
présenter
la succession
d’ « échelles » helléniques
qui
ren-
dent si séduisante la côte tyrrhénienne, et Tarente se trou vant en dehors de toute voie fluviale. Seule Elpiè (Salapia) semble jouir d'une situation comparable à celle des cités achéennes : elle peut, grâce à l'Aufide et à ses affluents, communiquer soit avec Métaponte par le Bradano, soit avec Poseidónia par le Seilaros, soit avec la Campanie par le Vulturne; mais ce ne fut jamais une ville fort importante, et son commerce était peut-être attiré plutôt par le vaste plateau d'Apulie que par les riches cités d'au-delà des monts.
Tarente au contraire, nous le savons, pénétra profondément le Samnium, surtout à partir du IV° siècle et sous l'impulsion d’Archytas, jusqu'à apparaitre aux yeux des Romains comme l’alliée ou plutôt la protectrice des Samnites (1). Mais nous serions incapables de jalonner sa priucipale voie d'accés dans les montagnes de l'Italie Centrale, si des types héracléens visiblement imités de ceux de Tarente et d'Héraclée ne figuraient (d'ailleurs à une date assez tardive : d'ordinaire au IIT* siècle) sur les monnaies de plusieurs villes qui s'échelonnent, de facon curieuse, le long du trajet de la future voie Appienne : à Caelia (2), Bari (3), Rubi (4), Canusium (5); chez les Pitanates Peripoloi du Sam-
(1) Relations siècle
amicales
avec
les
Samnites
(Cic., de Sen., 12); ils les appellent
p. 250 C; Porphyr., F. H. G., II, p. 273). — nites et des Tarentins pour empécher les Naples en 326 a. C. (Liv., VIII, 22; 25, 7; 27, XV, 5-8), Lucéria en 320 (Liv., IX, 14). — Cf. Grande-Gréce, 13, p. 42-43. (2) 1. Babelon,
Luynes,
dès
la
fin
du
leurs frères (Strab.,
V* V,
Intrigues des SamRomains d'occuper 11; Dionys. Halic., Fr. Lenormant, La
I, 225. — Cf. Monnaies
d'Héraclée,
Ru-
bi, des Pitanates : infra. (3) Cab.
des Méd.,
cart.
15, n°
1011.
(4) J. Babelon, Luynes, I, 227; Gr. Coins Brit, Mus., It, p. 143, 9. (5) Berlin. Beschreib. d. ant. Münzen, III, 1, p. 190, n° 8. — Commerce assuré avec Tarente, par les nombreux vases apuliens trouvés à Canosa. — Peut--être aussi : Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 135, 14.
L'ITALIE HERACLEENNE
DU VI* AU IV* SIECLE
65
nium (1). Au-delà, cette voie commerciale atteignait certainement la Campanie, οὐ l'influence tarentine, trés « laconisée » au IV* siècle (2), prétendit imposer une origine laconienne non seulement aux Sabins (3), mais à Amyclae (au nord de Sinuessa), Formies et Gaéte (4). Une autre voie, qui dépendait sans doute politiquement
d'Héraclée, mettait Thourioi en relations avec l'Apulie (5), par Métaponte, soumise à l'hégémonie tarentine pendant les deux premiers la précédente Rhypes, qui, tapontin (7, .comme
tiers du IV* siècle (6). Elle pouvait rejoindre soit à Rubi, d'ailleurs colonie achéenne de sur une monnaie d'argent, reproduit l'épi mesoit à Butuntum qui imite le méme blason,
aussi Ásculum
et les Azetini
(8).
De son cóté,
Arpi
fait figurer sur un de ses bronzes le taureau chargeant de Thourioi (9). ' Mais tous ces témoignages sont relativement récents; la seconde de ces routes est incertaine; la premiere tardive. Héraclès dut y passer comme sur presque toutes celles d'Italie 410): mais nulle légende populaire ne nous en est
parvenue. nulle
nombreux
particularité
ancienne
témoignages monétaires
et originale.
que nous
ont légués les
(1) Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 398, 1; Cab. des Médailles, 45, 2700.
(2) Cf. l'alliance du roi de Sparte
Romains
par Fabius
Albinus,
Acilius,
Postumius
Cart.
Archidamos avec Tarente :
Diod. Sic., XVI, 63, 1-2, 88, 3-4. (3) Et, par suite, partiellement aux Pictor,
Les
(tradition suivie Caton).
—
Cf. E.
Pais,Storia Critica, I, p. 49. (4) E. Pais, Sicilia, p. 285 sq. (5)
Monnaies
des Médailles, (6) Τῇ. Pais, (7) Cab. des (8) Asculum
d'alliance
(bronzes)
Héraclée-Thourioi
: Cab.
cart. 25, 1653 sqq. Sicilia, p. 220 sq. Médailles, cart. 17, 1069. (J. Babelon, Luynes, I, 221; Gr. Coins Brit. Mus,
It., p. 131, 1); Butuntum
(J. Babelon, 1. c., 222-223); Azetini (Gr.
Coins Brit. Mus., It., p. 194, 1). (9) Gr. Coins Brit. Mus., It., p. 130, 6. — Sur cette route, cf. E. Pais, Sicilia, p. 584 sq.
(10) Cf. sur ce «périple terrestre» d'Héraclés autour de l'Adristique : Diod. Sic., IV, 25, 1.
66
LES ORIGINES
DE L’HERCULE
ROMAIN
cités apuliennes ne font que confirmer l'hégémonie tarentine, à une date où la dispersion du culte d’Heracles n'a
plus
pour
nous
d'intérêt (1).
gieux ou lézendaires, des routes
tels que nous
de Grande-Grèce,
trace précise,
Quant à des transferts relien avons
nous n'en
noté le long
trouvons ici aucune
De sorte que les échanges historiquement at-
testés entre l’Apulie et la Campanie (2) ne sauraient en aucune facon avoir pour notre étude la méme importance que les relations anciennes, par terre et par mer, entre la Granuc-Grèce et les parages de Cumes. Les routes de l'Adriatique ont une autre portée, mais ne dépendent pas, originairement, de Tarente. Leurs bornes marines, leurs póles, sont au nombre de trois : la GrandeGrèce;
Corcyre
et Dodone;
et surtout
les Bouches
Commercialement, Corcyre et l'Épire situation de l'ile crée sa destinée: elle la terre épirote, du profond et sombre gne Dodone (3). Or, les relations entre
du
Pó.
ne font qu'un. est l'avant-poste pays sur lequel cette région et
La de ré la
Grande-Gréce s'affirment, aussi bien que par les expéditions d'Alexandre le Molosse et de Pyrrhos, par mainte légende de fondation (4). Mais c'est Corcyre aussi qui, aprés les premiéres tentatives corinthiennes, contrôle toute l'Adriatique jusqu'aux
Bouches du PO (5) : fle de Cronos, elle pourra donner à cette (1) Monnaies héracléennes : au sud de Tarente : à Hydruntum, Orra, Uxentum; — au nord de Tarente : à Asculum, Vénusia: —
au-delà du
Mt Garganus
: à Lucéria,
Téatè,
Larinum,
(2 Le sanglier campanien apparaft sur des monnaies de Vénusia, Arpi et Salapia. (3) C'est à Corcyre que, par exemple, s'arréte Thémistocle avant de s'engager vers la Molosside (H. Droysen, Athen und d.
Westen vor der sicilischen Ezpedition (1882), p. 24). (4) Éaque est dit fondateur de Corcyre, et son fils de Crotone (Schol. Theocrit., IV, 32. Cf. E. Pais, Sicilia, p. 328); Lakinos est Corcyréen (Schol. Theocrit, IV, 33); de méme Locros, éponyme de Locres Épizéphyrienne (Conon, Narr., 3). — Cf. la popularité
en Grande-Gréce d'Ulysse, l'hóte des Phéaciens (5) E. Pais, Sicilia, p. 572 sq.; p. 431.
(supra).
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE mer le nom de son dieu (1); et légitimement,
67
jusqu'à l’hé-
gémonie de Syracuse au V* siécle, de Tarente au IV*. Encore
faut-il penser qu'avant méme la fondation de Corcyre, la voie commerciale était tracéeοἱ fréquentée entre Dodone et les Bouches du Ρὸ (2) : puisque c'est au fond de l'Adriatique que, selon la tradition délienne transmise par Hérodote (3), les présents des Hyperboréens venus des Alpes Italiennes (4) abordaient une mer hellénique; et que, de là, ils passaient aux Dodonéens, «les premiers des Grecs ». Route légendaire que confirment toutes les données historiques: car, à une date reculée, les Bouches du Ρὸ et la terre vénéte
étaient toutes pénétrées d'influences helléniques (5); et 1? port de Spina, hellénisé au point d'étre appelé « une ville grecque » (6) était en relations certaines avec Dodone Delphes (7), aussi bien qu'avec les Messapiens (8).
et
La vie légendaire et religieuse de ces routes adriatiques semble avoir été presque aussi animée que celle des routes de Grande-Gréce,
mais
tions relatives aux
nous nous
Hyperboréens
limiterons
ici aux
tradi-
et à Héraclès.
Les premiéres sont étroitement liées au commerce de l'ambre, dont la légende se fixa aux lieux des marchés, non 80
(1) Kaovinv Aa: Apoll. Rhod., IV, 327, et Schol. (2) E. Pais, Sicilia, p. 422-440. ' (3) Herodot., IV, 33. (4) Cf.
Schol.
Ὑπερδορείους,
Apoll. Rhod.,
II, 675 : Ποσειδών:ος
δὲ εἶναι φησὶ τοὺς
κατοιχεῖν δὲ περὶ τὰς "AAT: Q τῆς Ἰταλίας.
(5) Valléede l'Isonzo : Marchesetti, Atti del Museo.Civico di St. Naturale di Trieste, 1890, p. 217; von Duhn, Benutzung der Al. penpásse (Neuen Heidelberger Jahrb., II, 1892); — Basse vallée du Pó et Carnie : Ghirardini, Not .d. Scavi, 1888; Monum. d. Lincei, 1893; Helbig, Das homerische Epos (1887), p. 83, n. 9. — Sur l'alphabet Vénéte : Pauli, Die Veneter und ihre Schriftdehk-
máler (Altitalische Forschungen,
111 (1891), p. 163 sqq.); etc. “
(6) Ps. Scylax, 17; Strab., V, p. 214 C.
(7) Dion. Halic., I, 18; Strab., l. c., et IX, p. 421 C; Plin., À. À., ΠῚ, 120. — Cf. sur la route P6-Dodone : E. Pais, Sicilia, p. 430, (B Róm. Mittheil., XXIII (1908), p. 257 &q.
68
LES
ORIGINES
DE
L HERCULE
ROMAIN
lieu de production (1), et d'abord aux Bouches du Pd, où les Grecs surpris voyaient affluer la merveilleuse résine (2), acheminée vers le midi par la grande voie pado-danubienne (3). Là, des peuples barbares, mais qui, en ce carrefourprivilégié. prenaient vite le sens du trafic et le goüt des échanges avec les Grecs, les Venetes (4), les Sigynnes du Norique (5), plus tard les Gaulois Taurisques (6), donnérent une apparence de réalité aux lézendes Hyperboréennes
(7) : la route
du
commerce
(de l’ambre
ne
continuait-
elle pas à suivre l'itinéraire primitif des présents hyperbo-. réens (8)? Ainsi s'explique en ce lieu le mélange des traditios de l'ambre et des légendes apo'liniennes: le séjour d'A-
pollon pleurant aux bords de l’Éridan son fils Asclépios (9), la chute de Phaéton toute flamboyante d'or et de sang, et les larmes poétiques des Héliades (10); — confirmées par l’influence de Delphes (11), où revenait tous les ans l'Apollon Myperboréen (12). Or
les mémes
- Grande-Gréce,
légendes
Hyperboréennes
où elles se rattachaient
fleurissaient er
o':vertement au sanc-
(1) Cf. C. Jullian, Histoire de lu Gaule, I, p. 224 : la légende se déplace avec les marchés. (2) Diodore de Sicile s'applique encore à réfuter (V, 23) la lé:ende
selon
laquelle
l'ambre
est produit
aux
bouches
du
PO.
(3) Sur cette voie, Cf. C. Jullian, op. cit., I, p. 377, n. 7.
(Ὦ Les
« chevaux
Parthéneion
vénétes »
sont déjà
mentionnés
dans
le
d'Alcman.
(5) Herodot., V, 9. — Cf. C. Jullian, op. cit., I. p. 123, n. 1, et p. 370,
n. 2.
(6) C. Jullian, op. cit., I, p. 298 et 299, n. 2 : en relations avec Alexandre
le Grand.
(7) Les Celtes des houches de l'Éridan sont compris par tradition parmi les Hyperboréens (Heraclid. Pont., ap. Plutarch., Camill. 22), — Cf. C. Jullian, op. eit., I, p. 237, n. 5. (8 Herodot., ΠῚ, 115; Schol. Apoll. Rhod., IV, 505; Apoll.
Rhod., IV, 603-625.
|
(9) Schol. Apoll. Rhod., IV, 611. (10) C. Jullian, op. cit., I, p. 224-225. (11) Relations
de Spina
avec Delphes
: supra; —
offrandes
Dodonéens à Delphes : Dionys. Halic., I, 18. (12) Cf. Hymne
à Apollon, d'Alcée (Hiller-Crusius, 1).
des.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI‘ AU IV* SIECLE
69
tuaire delphique (1). Métaponte en était le centre (2), où, près de la statue d’Apollon, s’élevait celle d’Aristee de Pro-
connese,
le poète des
᾿ἀριμάσπεα
(3); mais Crotone ne le
lui cédait guère (4). Et toute la Grande-Grèce ; au temps de Pythagore, fut un foyer de légendes hyperboréennes : Pythagore n'avaitil pas eu pour esclave Zalmoxis, avquel les Gètes sacrifiaient (5)? N'avait-il pas recu l'hommage d'Abans, prophète des Hyperboréens (6)? Lui-même enfin ne passait-il pas pour être Apollon Hyperboréen (7)? — Donc, à défaut d'influence certaine, directe ou indirecte, de la
Grande-Gréce sur les Bouches du Pö (8), il y a du moins, sur ce point, correspondance curieuse entre les deux ré. gions : les légendes hyperboréennes n'ont en Italie que deux terres d'élection, l'une et l'autre en rapports avec Delphes. (1) Métaponte' se dit colonie delphique (Cf. Klausen, /Eneas und die Penaten, p. 1221; Gruppe, G. M., p. 369) ;c'est l'Apollon de Delphes qui y a introduit les légendes hyperboréennes (Herodot.,
(2)
IV,
15)
Apollon
fécondité
des
Hyperboréen moissons
(G.
à
Métaponte,
Busolt,
Griech.
comme
dieu
Gesch?.,
I, p. 411
de
la et
n. 2. — Cf. Fr. Lenormant, La Grande-Gréce, 12, p. 126-128). (3) Herodot., IV, 13 et 15. — Cf. Phérénicos (Schol. Pind., OL, III, 28) selon qui le roi des Hyperboréens qui conduisit leur migration s'appelait lui-même Arimaspe; et Callimaque (Hymn., IV, 291), pour qui les Hyperboréens se confondent avec les Arimaspes. Une influence asiatique (milésienne 7) est possible, et n'aurait rien d'étonnant,
au contraire,
dans la Grande-
Grèce achéenne. — Voir, sur Aristée au pays de l'ambre, l'artiele de M. C. Jullian (Revue des Et. Anc., XV, 1913). (4) Duc de Luynes, Nouvelles Annales, 1836, p. 55. — Dans le sacrifice hebdomadaire à Apollon, le prytane est assisté au V* siècle par un serviteur revêtu d'un costume « perse » qui rappelait celui des Arimaspes (Athen., XII, p. 522 b-c). Cf. Fr. Lenormant, La Grande. Gréce, 113, p. 110. (5)Diog. Laert., VIII, 1, 1; Herodot., IV, 93-96. — Or les Gètes sont les premiers Scythes que les Grecs rencontraient sur le chemin des Hyperboréens et des Arimaspes. (6) Fr. Lenormant, La Grande Grèce, II?, p. 78. — Diog. Laert., VIII, 1, 9; Jambl., vit. Pythag., XIX, 90-91. (7 Jambl. vit. Pythag., XXVII, 133; XXVIII, 140; XXX, 177. (8) Voir pourtant : J. Bayet, Herclé, 2* partie, III, 11.
79
LES
Héraclès,
ORIGINES
lui aussi,
DE
L'HERCULE
se retrouve
ROMAIN
aux
principales
étapes
de la route « hyperboréenne » : il avait consulté sur la fin
de ses travaux l'oracle de Delphes (1), ou, plus vraisemblablement,
le chéne
prophétique
de
Dodone
(2).
L'Éridan
lui
avait vu interroger ses Nymphes sur le chemin qu'il lui fal-
lait suivre pour atteindre la terre des Hespérides (3). Deux fois, il avait touché au pays des Hyperboréens, lorsqu'il poursuivait la biche Cérynite, et quand, plus tard, il y alla
chercher l'olivier sacré qu'il vorlait transplanter dans l’Altis d'Olympie (4). Dira-t-on que cette dernière tradition est &usnecte, parceque Pindare est seul à nous la transmettre? Mais la mention des sources de l'Istros (5) est saisissante pour qui a présent à la mémoire le trajet des dons hyperboréens : qu'il s'agisse de l'Isonzo (6), ou peut-étre de la Save (7), il est sür que, dans l'esprit de Pindare, c'est ce trajet que suit Héraclés à partir du fond de l'Adriatique (8).
(1) Apollod., Bibl., II, 4, 12.
(2) Sophocl., Trach., 171 sq. et 1164 sqq. (3)
Apollod.,
Cf. Gruppe, de Grande
Piht.,
1I, 5, 11;
R. E., Suppl. Grèce
Schol.
III, 996. —
: Cf. J. Bayet,
Apoll.
Légende
Herclé,
Rhod.,
venue
IV,
1396.
--
sans doute
l.c.
(4) Pind., OI., IIT. (5) Id., ib., 15; Cf. 26. (6)
E.
Pais,
Italia Antica,
II, p. 379-400 (I due
Istri
e il monte
Apennino nelle Alpe Carniche secondo Strabone). (7) Un texte trés important d'Hérodote (V, 9) nous indique qu' « nu delà de l'Istros » habitait un peuple « scythique » les Sigynnes, dont les frontiéres confinaient aux Vénétes de l'Adriatique. Or les Scythes historiques étaient communément confondus par les Grecs et les Hyperboréens légendaires. (8)L'Istros, né chez les Hyperboréens (Eschyl in Schol. Apoll. Rhod., IV, 284; Schol. Pind., Ol., III, 25 et VIII, 62-63) était censé se diviser en deux et déboucher, d'une part " dans l'Euxin, de l'autre dans l'Adriatique (Apoll. Rhod., IV, 282-298; et Scholies, 284 et 321 sq.). C'était là la croyance courante qu'Apollonios de Rhodes « renouvelle » sulvant Timagétos (Schol. Apoll. Rhod., 1V, 291 et 259), en supposant que le Rhóne est, lui aussi un bras dérivé de l'Istros : tracé géographiquement
monstrueux, mais fort expressif des grandes voies commerciales. de l'Europe occidentale.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE Sans
doute,
dans
la tradition
classique,
71
Héraclés
par-
court-il toutes ces routes à pied, alors qu'à partir de Corcyre les échanges commerciaux se faisaient par mer. Mais M suffit de voir revivre le héros en son fils Hyllos pour être. assuré que ce n'est point un hasard si Héraclés se trouve
précisément à toutes les escales importantes de l’Adriatique (1) : on disait qu'Hyllos, né à Schéria, avait emmené
des colons Phéaciens jusqu'au fond de cette peuple
des
Hylléens,
voisin
de
l'Ilyrie,
mer,
où
perpétuait
nom (2).
le son
|
Ainsi le pays des Bouches du Pö était un riche terrain de syncrétisme légendaire, où les traditions hyperboréennes et héracléennes se mélaient, et peut-être, dans certains cas, se confondaient. Une ville comme Spina, tout hellénisée, put jouer dans ces régions un róle comparable à celui de Capoue en Campanie. Et, de là, la pénétration en Étrurie des lézendes grecques,
plus ou moins
déformées
déjà,
était
facile par des routes sürement attestées (3), en particulier par Pise et Caeré, cette dernière en relations directes avec Delphes. Étonnons-nous ensuite qu'une des traditions de la Pise italique en rapporte la fondation à Pisus, roi des Celtes, fils d'Apollon Hyperboréen (4), que les Hyperboréens se rencontrent aussi à Tarquinies (5). et qu'une légende relative à l'Hercule Romain le mette en relations avec une femme Hyperboréenne (6)! Certes, la Grande-Gréce a dü confirmer en Étrurie la faveur dont jouissaient ces traditions:
mais il semble bien qu'elles soient originaires du fond de l'Adriatique, et que, adriatiques.
(1) tone, (8) (3 (4)
par suite,
elles dépendent
des routes
Auxquelles il accéde à pied, en suivant la cóte depuis selon Diodore : voir supra. Schol. Apoll. Rhod., IV, 524; 540. Voir ínfra. Serv., Aen., X, 179.
(6) Steph. Byz., s.v. Taoxuvia.
(6) Dionys,
Halic., I, 43; Solin., I, 15.
Cro-
72
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
IV.
—
LES
ROUTES
DE
DIOMEDE
Les pays étrusco-latins étaient donc pour ainsi dire assiégés par les traditions grecques venues le long des voies commerciales trés anciennes qui menaient de la GrandeGrece en Campanie, et d'Apulie aux bouches du Pó. Tel culte, telle légende pouvait même accéder dans l'Italie Centrale de plusieurs cótés, sans que nous puissions fixer une chronologie méme approximative, ni par suite déterminer la provenance exacte de ce culte. C'est ainsi que Diomede (1) rayonna sur l'Italie de trois puissants foyers : Corcyre, l'Apulie et la Grande-Gréce; capable à lui seul de
jalonner les principales voies de pénétration Centrale. Dioméde à Corcyre est adoré en méme
dans l'Italie
temps que Médée,
cette Amazone des mers (2); et, de là, il partit explorer l'Adriatique, s'arrétant en Dalmatie, chez les Liburnes (3),
abordant Vénètes,
le
Timavus,
où
il éleva
au un
pays temple
de
l'ambre,
à
sa
et
chez
protectrice,
les Hera
Argienne (4); Spina méme le vit (5), d’où il pouvait prendre la voie de tere vers l'Étrurie. Mais les Italiens de l'áge classique reconnaissaient, méme dans leurs formules religieuses, comme « terre de Diomède » (6) le pays des Dauniens et les alentours du Mont Garganus.
(1)
Sur
La
région
Dioméde
en
lui était vouée
Italie,
voir
dés le VITI* siècle (7):
surtout
: E.
Pais,
Sicilia,
p.
573 sqq. et 588; Italia Antica, I, p. 169; Gruppe, G. M., p. 363; G. Giannelli, Culti e Miti della Magna Grecia, p. 52-61. (?) Heraclid. Pont., 27 (F. H. G., II, p. 220); Schol Lycophr., 615. — Cf. E. Pais, Sicilia, p. 573; Gruppe G. M., p. 357 et 545, n. 2; G. Giannelli, Culti e miti d. Magna Grecia, p. 56. (3) Plin., n. h., III, 141; Schol. Thucyd., I, 22, 2. (4) Strab.,
(5) (6) (7) 11, p.
V,
p.
215 C.
Scylax, 16; Plin., n. h., III, 16, 120. Liv., XXV, 12, 5 et 7. Mimnerm. (Bergk, 11*, p. 33). — Cf. E. Pais, Italia Antica, 48; G. Giannelli, op. cit., p. 52.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV" SIECLE Elpie, Siponte le reconnaissaient comme
73
fondateur (1); Ar-
gyrippa était sa ville (2); Lucéria (3), Canusium et Vénu— sia (4) se réclamaient de lui. — D’où était-il venu régner sur
la plaine Daunienne? Sa tombe, disait-on, s'élevait dans l'une des îles Diomédéennes (5) : n'est-ce pas l'indice d'une fondation maritime, d'abord, qu'il sera plus raisonnab'e d'attribuer aux Corcyréens qu'aux Rhodiens? — Quoi qu'il en 5011, c'est de là qu'il s’enfonca dans la montagne, par Aequus Tuticus et Bénévent (6), et qu'il arriva en Campanie, avec d'autres légendes apuliennes (7); il remonta
méme le cours du Volturne jusqu'à Vénafre, aux portes du Latium (8) : la route lui était ouverte, par les montagnes, vers Rome. Nous le trouvons enfin adoré comme dieu à Métaponte et Thourioi (9) : les Trézéniens, co-fondateurs de Sybaris,
l'y avaient à coup
sür introduit,
comme
divinité
natio-
male (10), en méme temps qu'ils acclimataient en GrandeGréce tant d'autres cultes, taat de légendes de leur pays. Peut-être méme n'était-il pas absent du territoire de Cro:
tone, où s'était établi Philoctéte qui lui était lié (11). C'est du terroir
achéen
que
son
culte
se
propagea
à
Tarente,
où d'ailleurs il ne recevait que des honneurs héroiques (12), et de ià peut-étre à Brindes, qui voyait en lui son fonda(1) Vitruv., I, 412; Strab., VI, p. 283 C. — Cf. E. Pais, Sicilia, p. 293 et 570 n. 4. (2) Lycophr., 592 sqq. (3) Lycophr., !. c. et Schol.; Strab., VI, p. 284 C; Verg., Aen., XI, 246. (4) Cf. E. Pais, Sicilia, p. 586, n. 5. (5)
Les tles Tremiti.
—
Cf. E. Pais, Sicilia ,p. 293; G. Giannel-
li, op. cit., p. 95. (6) Gruppe, G. M., p. 363.
(7) E. Pais, Sicilia, p. 588 sq. (8) (9) (10) (11) (12)
Solin., II, 10; Serv., Aen, VIII, 9; XI, Polemon, ap. Schol. Pind., Nem., X, Cf .E. Pais, Sicilia, p. 293; Gruppe, G. Gruppe, G. M. p. 685, n. 0. Ps. Aristot., de mirab. ausc., 106. —
eit,, Ρ. 43.
ἮΝ
246. 12. M., p. 192. Cf. G. Giannelll,
op.
74
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
teur (4). Mais à cela ne se borna pas le rayonnement du Dioméde
« achéen
».
Sans
doute
reste-t-il
incertain
si
ce
sont les traditions arcadiennes de Grande-Gréce, ou des rap ports directs avec la Campanie, qui ont donné à la légende
de Dioméde à Bénévent une couleur Cuméenne (2). Mais 68 Daunie méme, l'influence achéenne n'est pas niable: elle se révèle dans le culte d'Athéna Ilias, adorée en Siritide et à Lucéria, où l'avait transportée Dioméde (3), et qui, en Daunie, prenait le nom d'Athéna Achaia (4); aussi bien que par les légendes du Palladion, originaires de Tégee, liées à la fois au mouvement «arcadien» de Grande Grèce (5) et à l'arrivée de Dioméde en Italie (6). Et, surtout, elle se révèle certaine et d'une immense portée dans l'alliance de Dioméde avec Hera Argienne. L'Épopée italienne de Diomede débute en effet par cette scene de terreur nocturne, où le héros, chassé de son foyer. trouve un refuge en l'un des plus vénérables sanctuaires de
la Gréce,
auprés
de l’autel de Hera
d'Argos
(7).
Désor-
mais, aux principales étapes de son exil, il élévera un temple à sa protectrice: peut-étre à Sybaris (8); sürement
(1) Justin, XII, 9, 5. — ancienne.
M.
Giannelli
(op. cit.) croit la tradition
(2) Les défenses du sanglier d’Erymanthe, conservées à Tegee (Paus., VIII, 47, 2) se montraient aussi à Cumes (Paus., VIII, 24, 5 sqq.). Une méme relique, à Bénévent, avait été donnée par Dioméde (Procop., de b. goth., I, 15) : il est vrai qu'on l'attribuait en ce lieu au sanglier de Calydon, peu distinct de l'autre originairement (Gruppe, R. E., Suppl. III, 1045). (3) Strab., VI, p. 264 et 284 C. (4) Ps. Aristot., de mir. ausc., 109. (5) Cf. J. Bayet, Mélanges de l'École de Rome, XXXVIII (1920), p. 126 sq. (6) Cf. Gruppe, G. M., p. 364. — De la méme façon, Danaos est rattaché par Nicandre à la race arcadienne des Lycaonides. (7) Lycophr., 610 sqq. et Schol. Cf. G. Giannelli, op. cit., p. δέ.
(8) Culte
trézénien de Hera
Poliade
: G. Giannelli,
op.
cit.,
p. 114-117. Le miracle de la statue qui se détourne devant le s&crilöge rappelle celui du Palladion de Siris fermant les yeux pour ne pas voir massacrer les suppliants.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE à l'embouchure
75
du Seilaros, à six milles au nord de Posei-
dónia (1); et chez les Vénétes, aux abords du Timavus (2), à Bénévent (3); à Lanuvium enfin (4). Il est clair (les épithètes le prouvent) que, dans ces deux dernières villes, Hera recouvre une divinité indigéne; et instructif que la couleur « argienne » ait été donnée soi-disant par Dioméde à cette déesse italique. D'autres Junons encore seront dites argiennes; et surtout celles de Faléries et de Tibur (5), sans que Dioméde y soit pour rien. De sorte que cette expression tant de fois répétée de « Junon Argienne » pourrait sembler d'abord un simple ornement poétique, un rappel du sanctuaire le plus cher à Héra. Mais les caractéres de toules ces déesses sont bien nets; ils nous sont certifiés par de sürs documents, qui évoquent une Junon d'une physionomie originale, sceur ou cousiné de certaines Héras du Péloponnèse : celle d'Árgos en particulier. Sous les noms de Sospita ou de Quiritis (Sispis, Curritis), ce sont en effet des déesses guerriéres, ces Junons de Béné-
vent, Faléries,
Tibur,
« Argiennes » (6).
Lanuvium,
A bon
droit:
que
l'on
appelle
aussi
Hera
est
guerriére
assez
(1) La fondation du temple du Seilaros est attribué d'ordinaire à Jason; mais elle est due à coup sür aux Trézéniens : Cf. Ratioppi, Storia dei popoli della Lucania e della Basilicata, I, p. 119-120; G. Giannelli, op. cit., p. 145. — On n'oubliera pas l'union et 16 quasi-fusion à Corcyre des légendes de Dioméde et des Argonautes. ‘21 G. Giannelli, op. cit., p. 144-146. — Son groupement en ce lieu avec
Artémis
(Strab., V, p. 215 C) rappelle encore
son union
avec Artémis et Hippolyte à Trézéne (Paus., II, 32, 1-2). (3) Solin., II, 10. — Elle s'appelle là Iuno Quiritis : C. I. L., IX, 1547 et 2110. (4) Strab., V, p. 215 C; Appian., b. c., II, 20. —
Son nom est Iuno
Sospita. (5) Plin,
n.
h.,
III,
8;
Steph.
Byz,
s. v.;
Solin,
II, 7.
—
C. I. L., XIV, 8556; Verg., Aen., VII, 670; Plin., n. h., XVI, 44, 87; Solin., I. c. (0) Iuno Sospita armée : Cic., de nat. d., I, 29, 82. — Bouclier
mentionné
dans
une
prière à
Iuno Curitis de
Tibur : Interp.
Serv., Aen., I, 17. — Cf. C. I. L., XIV, 3556 (Tibur) : Iuno Currilis εἰ Argeia.
76
LES ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
souvent en Grèce (1); en particulier l'Hoplosmia d’Argos, qui reçoit le suppliant Diomède (2); et celle d’Elis qui semble avoir été étroitement groupée avec Athéna (3); de même encore celle de Crissa (4). — Un autre caractère plus singu lier de ces Junons italiques, c'est le rôle que la chèvre joue dans leur culte: que sa dépouille serve d'égide barbare à la déesse de Lanuvium, ou bien qu'à Faléries, selon un rituel antique, on chasse à coups de pierre une chévre (5). Mais
les Romains
étaient
persuadés
que cette
cérémonie
était
d'origine grecque, et méme argienne; et les modernes admettent cette opinion comme trés vraisemblable (6) : sans méme parler du culte d'Héra Aigophagos fondé par Héraclés à Sparte (7), des offrandes de chévres n'étaient-elles pas présentées à Hera Akraia de Corinthe (aussi bien qu'à Héra Aigophagos), et sürement aussi à celle d'Argos, qui lui servit de prototype (8)? Il est malheureux, sans doute,
que le seul monument qui pourrait nous servir ici ne soit (1) Eitrem, ἢ. E., VIII, 1, 409-403. — A Sicyone (Hera ᾿Αλέξανδρος : Schol. Pind., WNem., IX, 20) ; Myvènes (Paus., II, 17,3; Porphyr., Vita Pythag., 26,27)... (2) Lycophr., 614 (voir discussion à la note suivante); Schol. Hom., Il., XVII, 98. — Hera lutte contre Poseidón en Argolide, comme Athéna en Attique (Paus., II, 15, 5). — Jeux pentétéri-
ques à l'Héraion d'Argos, où le vainqueur reçoit un bouclier (Hygin., f., 170; 273); autres semblables à Egine (Schol. Pind., P., VIII, 113). — Cf. Gruppe, G. M., p. 1126, n. 1. (3) Schol. Lycophr., 610; Lycophr., 856-858 et Schol. : il en résulte que l'Hoplosmia du vers 614 n'est pas une Athéna, comme le dit par erreur le scholiaste, ad 614, mais une Héra, comme il l'affirme ad. 610. L'erreur s'explique par la similitude des fonctions; et aussi par le fait qu'à Olympie un autel est commun A Héra
et Athena
(Schol.
Pindar.,
Ol.,
V,
10).
(4) I. G. A., 314. — Ct. Eitrem, R. E., VIII, 1, 370. | (5) Ov., Am., III, 13, 4. — Sur la chèvre tenant lieu originellement
de la déesse,
cf. Frazer,
Golden
Bough,
I, p. 328, n. 4.
(6) Cf. Th. Panofka, Bull. d. Inst., 1848, p. 125; Gruppe, G. M., p. 1122, n. 3. (7) Paus., III, 15, 7; Diod. Sic. IV, 39. — Cette Hera Aigophagos était assimilée formellement à Iuno Sospita — Zwre:oa ; Festus
méme (p. 343) prétend que l'épithéte Sospita vient du grec σώζειν.
(8 Gruppe, G. M., p. 183; Eitrem, R. E., VIII, 1, 386 et 399.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
77
pas d'une interprétation certaine : il s'agit d'une monnaie d'Argos frappée sous Septime-Sévére, et qui représente peut-être la tête de Hera couverte de la peau de chèvre
comm:
celle de Junon
précédentes
suffisent
Lanuvina à justifier
proché les déesses de Lanuvium, vent, de la Héra Péloponnésienne
(1). Mais les Anciens Faléries, d'Argos.
les indications d'avoir Tibur,
rapBéné-i
Reste à savoir comment s'est faite cette assimilation. Que
Dioméde y ait joué un fort grand róle, c'est ce qui n'apparait pas douteux. point
a
rayonné
son
Mais on ne voit pas a-priori de quel influence
jusque
dans
l'Italie
Cen-
trale. Si son culte thourien remonte, comme nous le croyons, à l'antique Sybaris, il pouvait y étre rattaché à celui d'Héra Poliade; par malheur, les documents sur cette déesse nous font cruellement défaut: à peine nous permettent-ils de deviner en elle une terrible vengeresse des sacriléges. Mais le sanctuaire d'Héra Argienne aux bouches du Seilaros, fondation des Sybarites tombée sous la dépendance politique de Poseidónia (2), ne pouvait manquer d'étre un actif foyer de traditions achéo-trézéniennes; ni de faire place aux légendes sur Dioméde, qui, à supposer méme qu'elles ne fussent pas connues des Poseidóniates (chose impossible (3) ), convergeaient en ce point de Métaponte et de Sybaris-Thourioi. Aprés la fondation et l'accroissement de Capoue et Nola, les Étrusques s'avancérent jusqu'au cours du Seilaros, et contrôlèrent le culte de cette Hera (4) : si,
à ce moment
(fin du VI* siècle), la Héra Péloponnésienne
n'avait pas déjà influencé les Junons Guerrières de l'Italie Centrale, l'assimilation était désormais certaine. De ce côté, la pénétration du groupe Diomède-Héra se faisait non (1) Imhoof-Blumer, Numismatic Commentary (Journal of hell. Stud., 1885), p. 41, n. 26.
on
Pausanias
(2) Cf. E. Pais, Sicilia, p. 527.532 (La colonia dei Sibaritt alle foci del Silaro). (3) Cf. Paus., II, 32, 1-2. (4) Plin., n. h., III, 70 : Ager Picentinus fuit Tuscorum,
plo Iunonis Argiuae ab Iasone condito insignis, — III, 9.
tem-
Cf. Id., ib.,
DE L'HERCULE
ROMAIN
par les montagnes, mais par la voie semi-côlière, qui transportait jusqu'en Aricie les légendes trézéniennes (1), et sans doute Dioméde lui-méme (2). Lanuvium, oü le temple de Junon Sospita passait pour une fondation de Dioméde, et qui admit Rome à la participation de son culte en 338 8. C., était une étape de cette route partie de Grande-Gréce. Que ce soit par cette voie, ou par les montagnes (3), ou peut-être méme par les routes qui de Vénétie menaient en Étrurie, le héros argivo-trézénien, accompagnant la grande déesse argienne, arrive dans l'Italie Centrale: pionnier non moins hardi, mais moins illustre que son compatriote Heracles. Pourtant il a tracé en Italie des routes plus nettes que son heureux rival; et ce héros secondaire, par un bonheur étrange, à la fois confirme les itinéraires que nous avons essayé de jalonner entre les colonies helléniques et la partie centrale de la péninsule, et nous aidera peut-étre à retrouver le passage ferme et sür d'Héraclés .parmi l'incertitude des sources et le papillotement lassant des légendes que villes et bourgades créèrent à l'envi pour partici-
per à la gloire rayonnante, universelle du fils d’Alcm£ne. (1) Supra, p. 59. (2) Dioméde
en
Aricie
auprès
d'Artémis
:
Klausen,
/Eneas
und die Penalen, p. 1166. Junon aussi était dans cette ville une divinité essentielle, à laquelle un mois était consacré (Ovid, fast., VI, 59; Macrob., I, 12, 30). — Le groupement de ces trois personnes divines se retrouve précisément en Vénétie (supra).
(3) A partir de Vénafre, derniére fondation du Dioméde Daunien : l'assimilation de la Junon Curitis de Tibur à Héra Argienne pourrait y étre rattachée; mais sans aucune certitude, bien entendu. Voir infra.
-—
LES ORIGINES
-
78
IH Héraclés — dans le domaine
Herclé étrusque
Depuis la seconde moitié du VI* siècle, les pénétranfes légendes helléniques qui cheminent par les voies terrestres à partir de la Grande-Gréce, de l'Apulie, ou des Bouches du Pö, ne peuvent influencer directement le Latium. De toute part la domination étrusque s'étend autour de la Campagne Romaine, dont la liberté elle-méme, un temps, est illusoire ; filtrant à travers la plaine du PÔ ou la Campanie étrusquisees, les traditions et les cultes grecs doivent se charger d'éléments étrangers, changer de saveur, quelle que soit d'ailleurs l'habituelle servilité des Tyrrhéniens à accueillir les nouveautés venues de Gréce. Les routes maritimes restent plus libres, ouvertes aux hardis matelots phocéens de Marseille et d'Hyélé; dégagées
au profit des marines cuméenne et syracusaine palla victoire d'Hiéron
(vers 474 a. C.).
Mais
les Tyrrhéniens
res-
tent encore trop puissants pendant plus d'un demi-siècle pour que le trafic maritime échappe tout à fait à leur contröle : si les vaisseaux de Svracuse et de Cumes viennent aborder directement au pied de l'Aventin, ils ancrent bord à bord avec des navires carthaginois ; et le trafiquant hel.
léne rencontre à chaque instant dans le faubourg les étraugers, étrusques ou sémites, qui lui disputent ou partagent avec lui le marché Romain.
Il est donc difficile d'imaginer qu'un Héraclés grec d'une relative pureté ait pu, entre 550 et 450 environ, accéder à Rome sans intermédiaire; et, presque obligatoirement, cet
intermédiaire est étrusque, si le dieu arrive par terre ; s'il arrive par mer, confiné dans un quartier international, gar-
80
LES ORIGINES
DE L'HERCULR
ROMAIN
dera-t-il son originalité? Et s'il entre à cette date dans la Ville, tout étrusquisée encore de mœurs et de culture, quelles déformations son culte et sa légende ne subizont-ils pas, consciemment ou non ? — Il est donc aussi impossible d'étudier séparément l'Hercule Romain et l'Hercule étrusque, que de prétendre les abstraire l'un et l'autre de l'Héraclés grec.
I.
—
LES
RELATIONS
MARITIMES
DU
MONDE
TYRRHÉNIEN
Le commerce maritime des Etrusques rayonne .au loin, suivant ou croisant les routes que tracent les vaisseaux phéniciens et carthaginois, phocéens et cuméens. Les diverses influences se succedent et se mélent avec une mobilité semblable à celle des flots: aux importations phéniciennes se substituent celles de Cypre; et, presque aussitót, la puissance du commerce phocéen s'affirme avec autorité dans
le monde
étrusque. Les
Phocéens
Les Phocéens entreprennent à la fois, par leur établissement en Corse (vers 560) et leurs tentatives en Sardaigne, de contróler le trafic tyrrhénien et d'écarter les Carthaginois (1): avec une surprenante activité, ils semblent vouloir se rendre maitres de toute la Méditerranée occidentale. On sait la catastrophe : l'union des Carthaginois et des Étrusques, la défaite des Phocéens réduits à leurs positions. de Marseille et d’Hvel& (en 537 a. C.), et à la piraterie (2\. Mais la guerre de course est négligeable, en comparaison du trafic. Les Étrusques avaient à peine enseveli les prisonniers phocéens sauvagement lapidés à Caeré, qu'ils semblent avoir eu recours aux Massaliotes et aux Éléates pour
leurs échanges avec l'Asie Mineure
(3). Aussi bien l’Etru--
(1) S. Gsell, Histoire àncienne de l'Afrique du Nord, I, p. 414, p. 421 et n.1. (2) Lire l'histoire de Denys de Phocée (Herod., VI, 17).
($) Échanges
entre l'Asie Mineure
et Marseille
par Phocée
:
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI" AU IV° SIECLE
δι
rie du nord que celle du sud purent alors subir l'influence phocéenne. D'un côté, Pise fut peut être une factorerie des Phocéens
(1);
Populonia,
avec
(2).
De l'autre,
eux
directement
la fondation
Volterra,
Chiusi
Agylla-Caeré,
d'Alalia
commercérent
qu'avait
(3), expiuit
menacée
le meurtre
des Phocéens au sanctuaire de Delphes (4); et le tyran étrusque
de Rome,
Tarquin
(l'Ancien,
dit
la
tradition),
avait
noué « des colloques d'amitié et de trafic » avec les Phocéens venus de Tartessos (5): réalité, ou préfiguration des €troites relations entre Marseille et Rome, que l'histoire ‘nous atteste au moins à partir du début du IV* siècle, et peut-étre avant, en plein V* siécle (6) ? Ces hardis coureurs des mers, pirates et trafiquants, son-
geaient au gain d'abord,
mais non point toujours; vivan-
tes images des héros légendaires, les Phocéens, de leur grande
expansion,
au moment
entre 540 et 535, avaient « élevé
des temples » sur tous 'es rivages d'Occident (7). Les Massaliotes ont suivi leur exemple:
qui les avait accompagnés
Leucothéa,
depuis
la déesse
Phocée
marine.
(8), et qu'ado.
raient aussi leurs compatriotes Éléates (9), ils la firent connaître, nom, et peut-être culte, aux Étrusques de Pyrgoi, le port de Caeré, et sans doute aux Romains. Lorsque leurs
commercants formérent au pied de l’Aventin un groupe qui, €. Jullian, Histoire de la Gaule, I, p. 222. — Monnaies de Marseille et Hyélé trouvée en Étriürie à côté de monnaies de Phocée : Müller-Deecke, Die Etrusker, I, p. 382 G. Busolt, Griech. Gesch®.,
I, 440 et n. 1 et 2.
(1) E. Pais, Sicilia, p. 281-283; Italia Antica, II, p. 333. (2) Populonia dite colonie des Phocéens
venus
de Corse
(Serv.,
Aen., X, 172. — Cf. E. Pais Sicilia p. 281); — monnaies phocéennes à Volterra et Chiusi (C. Jullian, Hist. de la Gaule, I, p. 217). (3) C. Jullian, op. cit., I, p. 217-218.
(4) Sans doute témoignage de l'influence grandissante d'Hyélé: «Cf. Norden, Verg. Aen. VI*, p. 229. (5) t n. (6) (7) (8) (9)
Justin., XLIII, 3, 4; 5, 3. — Cf. C. Jullian, op. cit., I, p. 260 2. C. Jullian, op. cit., I, p. 392 et 395 sq. Id., ib., I, p. 218. Cf. Gruppe, G. M., p. 276, n. 2; 376, n. 2. Id., ib., p. 376, n. 2.
82
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
au début du IV* siècle, acquit des privilèges considérables (1), ils voulurent retrouver dans la Diane Aventino. leur grande déesse poliade, et accréditérent la légende que la statue de culte Romaine n'était qu'une réplique de l’Éphé-
sienne de Marseille (2). — Cette présence, cette aclion des Phocéens
aux bords
du Tibre,
Occasion presque unique
c'était pour
les Latins une
(si l'on ne tient pas compte
des
commercants de Cumes) d'entrer en contact direct avec les divinités helléniques. Héraclés leur apparut-il ainsi dans sa. fraicheur premiére? Nous n'en savons rien. Les indices qui nous font soupconner son culte à Marse'lle (3) sont in- ὁ suffisants à retracer une physionomie assez précise du hé. ros pour qu'on puisse le suivre et le retrouver à coup sür en terre etrangere. Les
Carthaginois
Si l'influence du commerce dans
l'Italie
Centrale,
celle
phocéen dut être fort grande des
Carthaginois
n'apparait
pas moindre. Héritiers directs des Phéniciens qui aux VIIT* et VII* siécles avaient cherché en Occident des débou. chés à leur industrie, ils semblaient devoir étre les ennemis irréconciliables de toute thalassocratie, qu'elle füt tyrrhénienne ou phocéenne : de fait, ils écartèrent tous leurs
rivaux des routes océaniques et sud-hispaniques (4). Mais. le péril grec les rapprocha des Étrusques dés le dernier tiers du VI* siécle. On ne saurait exagérer l'importance de cette (1) C. Jullian, op. cit., I, p. 395 sq. — Cf. la tradition eur le cratére dédié par les Romains à Delphes aprés la prise de Veies,. et déposé dans le trésor des Massaliotes (Diod. Sic., XIV, 93; Appian.,
1tal., 8).
(3) Strab., IV., p. 180. (3) Portus Herculis — Monaco; Heraclea Rhodani = St-Gilles ἢ; Heraclia Caccabaria Jullian,
op. cit.,
I, p. 397, n. 2; 400, n. 2; 398,
oppidum in ostio. — St-Tropez ? (C. n. 5; Cf. Id.,
ib.,
I, p. 432).
(4) Cf. la tradition
des tentatives étrusques vers Madère
(?) :
Diod. Sic., V, 20, 4 (Cf. S. Gsell, Hist. Anc. Afr. Nord, IV, p. 116).
— Tentatives avortées des Phocéens sur Tartessos.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
83
alliance, à la fois commerciale et politique, qui ne se rompit que vers 322-310 (1), et qui, avec Rome, fut sanctionnée par des traités bien connus (2) : une colonie de trafiguants
carthaginois
est
ports de Caeré (3), comme
attestée
à
Punicum,
l'un
des
la présence de marchands étrus-
ques à Carthage (4). Mais du point de vue qui nous occupe, religieux et légen daire, quelle pouvait étre leur influence ? — Bien différente cerles de celle des Grecs, quels qu'ils fussent. Ceux-ci en effet,
fortement
bien presque dental com'e
établis
comme
en
Grande-Grece,
isolés aux extrémités à Marseille, gardaient
traditions nalionales,
pures
ou,
au
du monde jalousement
pis, modifiées
ou
occi leurs
selon
le
mème esprit qui les avait „utrefois créées. Les Carthag:nois au contraire touchaient toute côte, entraient en rapports avec
chacun,
acceptaient
de
toute
main,
comme
si
leur rôle mondial eût été de réaliser un syncrétisme absolu, où l'Hellénisme et la Barbarie, l'Orient et [l'Occident au-
raient confondu leurs apports. Et qu'on ne limite pas aux colonies internationales de marchands, ni à Carthage méme. se singulier travail οὐ Héraclés et Melqart, Tanit et Aphrodite, échangent et brouillent leurs originalités. Un travail plus confus, à nous insaisissable, mélait perpétuellement les races dans les camps carthaginois, confondait sous le méme
commandement
Africains,
Espagnols,
Gaulois,
Li.
gures, Sardes, Grecs et Campaniens, et renvoyait les survivants, agents inconscients de transports légendaires, dans
leurs anciens foyers, à moins qu'il ne les fixát, noyaux de (1) Mommsen,
7list.
Rom.,
I, p. 324.
—
Cf.
Aristot.,
Pol.,
III,
5, 10-11 : Carthaginois et Etrusques ne forment qu'une seule cité.
(2) En
508 selon la tradition
peut-être légendaire;
en 343 et
279 a. C. (3) A. Solari, Topografia Storica dell’Etruria, I, (1918), p. 210. — Cf. l'alliance entre Caeré et Carthage (Herodot, I, 167). Des relations précises entre Carthage et Tarquinies ont été r&cem-
ment mises en lumiére par M. J. Carcopino, Les influences puniques sur les sarcophages étrusques de Tarquinia (Atti Pontif. Accad. Rom, di Archeol., ser. III, Memor., I, 2, p. 109-117). (4) Dédicace étrusque à Melqart, patron des navigateurs.
84
LES ORIGINES DE L'HERCULE
ROMAIN
cultes etrangers, dans .de nouvelles régions. Sans compter les réactions et le va-et-vient que provoquaient entre l'Italie el la Sicile les immenses et sanglantes expéditions des V* et [V* siecles. Il faut,
sans
doute,
renoncer
à iracer un schéma,
méme
approximatif, de la succession de ces influences. Mais on peut indiquer au moins les principaux centres occidentaux des trafiquants et des recruteurs Carthaginois. Avec Marseille la guerre et la paix alternent, l'entente est relative et intermittente
gligerble
(1); mais
/2;; sans
le commerce,
semble-t-il,
non
ne-
posséder de véritables colonies sur la
cóte de Provence et de Ligurie, Carthage y recrute des morcenaires, et déjà pour la grande expédition de 481 en Sicile (3). La Sardaigne est pour eux plus importante; cette ile, qu'ils ont soustraite aux tentatives des Phocéens et aux convoitises des loniens (4), leur sert à la fois de place et d'entrepót pour le commerce avec les Etrusques et peutêtre Jes Massaliotes (5), d’esc.ıle pour les échanges avec l'Espagne méridionale (6), de base militaire contre la Sicile (7). En face de la Sardaigne, la Campanie offrait aux Carthaginois un vaste et riche marché (8); mais aussi. ἃ partir des dernieres années du V* siécle et pendant tout le IV*, un réservoir de mercenaires (9), qu'ils utilisérent en (1) S. Gsell, op. cit., T, p. 460 sq. (2) S. Gsell (op. cit., IV, p. 144 sq.) nous semble hypercritique: vases puniques à Marseille et Ampurias; monnaies à Monaco, Marseille, Besancon. (3) S. Gsell, op. cit., I, p. 435; p.
‘à Cf. 170). (b) S.
les conseils Gsell,
(6) Nora tessos
op.
de Bias
cit., IV,
en Sardaigne
(Solin,
IV,
p.
121,
fondée
1; Paus.,
X,
461, n. 2.
de Priéne, n.
vers 540
(Herodot.,
I,
1.
soi-disant
par des rois de Tar-
17, 5).
(7) H. Philipp, R. E., I A 2, Sardinia, 2490, 31 sqq. (8) Un exemple curieux de l'activité des échanges a été récemment fourni par l'abondance des débris de poteries csmpaniennes employés dans les remblaiements du temple de Tanit à Carthage.
(9) Déjà 44, 2.).
utilisés
par les Grecs
Chalcidiens
(Diod.
Sic., XIII,
L'ITALIE HERACLEENNE
DU VI* AU IV* SIECLE
85
Afrique (1), en Sicile surtout, où ces sans-patrie, passant sans scrupule du service de Carthage à celui des Sicihotes, ou réciproquement (2), finirent par se créer des fiefs indépendants (3). Peut-être enfin que, vers 383 a. C., les Carthaginois purent espérer imposer une sorte de protectorat polilique à la Grande-Grèce (avec laquelle ils entre-
tenaient d'ailleurs des relations commerciales),
lorsque les
Italiotes, qui jusque-là avaient prêté leur aide aux Siciliotes menacés par les Puniques (4j, solliciterent leur alliance et introduisirent leurs troupes en Italie contre Denys l'Ancien (5). Dans
ces
conditions,
il apparait
également
impossible
que les Carthaginois n'aient pas influence, ou complété, certains Hercules italiques, et surtout étrusques; et qu'ils aient introduit dans la péninsule, toute pénétrée déjà d'hellénisme, leur Melqart pur et non modifié. Leur action ne se trahira que par quelques détails, expressifs parfois. mais. le plus souvent, d'interprétation incertaine. Les
Syracusains
Celle de Syracuse dut étre assez médiocre sur l'Italie Centrale, parce que cette ville se présente plus exclusivement comme l'adversaire à la fois des Tyrrhéniens οἱ des Carthaginois
(6).
Pendant
le V* siécle,
elle travaille
de fa-
con visible à contrôler le commerce étrusque, surtout peut. étre l'exportation du bronze et du fer (7). L'expédition (1) Diod. (2) Diod. 61. 5-7. (3) Diod. (4) Diod. 63, 4. 15) Diod.
(6)
Sic., XIII, 80, 4. Sic., XIII, 85, 3: 88, 5; XIV, 8, 5-6; 9, 1-2; 9, 8-9; 15. 3; Sic., XVI, 67, 34; 82, 4. Sic., XIII, 88, 7; 91, 1; 109, 1; 110; XIV, 56, Sic., XV, 15, 2-3.
Avec Marseille, elle entretient au
contraire
1; 62, 1;
d'actives re-
lations commerciales, sanctionnées par une entente formelle : cf. C. Jullian, Hist. de la Gaule, I, p. 392, n. 6; 407, n. 7; 408, n. 3. (7)
Bataille
de
Cumes
en
474;
dévastation
de
la Corse,
tribu-
taire des Étrusques, en 453; occupation de l'île d'Elbe, la méme année. — Cf. les noms grecs (Artémisia, Planasia, Aethalia,
80
LES
ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
athénienne contre Syracuse donna aux Étrusques l'espoir de se soustraire à cette emprise : un contingent Tyrrhénien s'adjoignit à l'armée de Nicias (1), qui s'appuyait aussi sur les cités attico-achéennes d Italie (1hourioi, Métaponte) et chalcidiennes de Sicile (Naxos, Catane). Mais l'éclipse de la puissance Syracusaine fut bréve : la « course » de De-
nys l'Ancien contre Pyrgoi en 384 (2), l'afluire du pirate « tyrrhénien » Postumius, pris et tué dans le port de Syracuse par Timoleon en 339 (3), suffisent à montrer que le dessein d’annihiler la marine étrusque n'était pas abandonné par la grande eiié dorienne (4). De lels rapports ne semblent pas favoriser l’hypothèse
d'une
influence
directe religieuse ou légendaire
de Syra-
cuse sur l'Italie Centrale. Non cependant qu il faille nier l'escale de navires syracusains sur les côtes tyrrhéniennes et dans le port de Rome. Mais, à supposer gu'ils eussent apporté avec eux Héraclés, c'était celui de la source Cyanée,
un
allié
de
Perséphone,
assez
peu
différent,
sans
doute, de l'Héraclés Trézéno-Poseidóniate (5): de toute facon donc, il serait assez difficile de le déceler. Quant à la mention de nombreux mercenaires étrusques dans l'arniée d'Agatliocle opérant en Bruttium vers 300 a. C. (6), eile est trop tardive pour que nous ayons à en tirer ici aucune conséquence. j Aigilion)
des
ce phocéenne.
iles toscanes
: sans
— Voir : Helbig,
exclure
pourtant
unc
influen-
Rendic. d. Lincei, V, 1889, p. 79;
De Sanctis, St. dei Romani, II, p. 179 et 190; E. Pais, St. Critica di Roma, I, p. 723 et 804; Solari, Top. slor. d. Etruria, I, p. 56;
II?, p. 97 sq. et 167. (1) Thucyd., VI, 103; VII, 53, 54, 57. (2) Diod. Sic., NV, 14, 3-4. (3) Diod Sic., XVI, &2, 3. x (4) Sur une sorte d'hégémonie (nous dirions plutôt « contrôle ») de Syracuse sur l’Etrurie maritime et sur Rome, au IV: siècle : voir : E. Pais, Ricerche, Ὁ. 313 sq.; J. Carcopino, Virgile et les origines d'Ostie (1919), p. 589, n. 2. (5) Diod. Sic., IV, 23, 4. Voir supra, p. 24. (6) Cf. Fr. Lenormant, La Grande-Gréce, 113, p. 130; III, p. 172.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI‘ AU 1V* SIECLE
87
Conclusion
À ces trois villes se limitent
les relations
conımerciales
par mer des Etrusques (celles qui nous intéressent, du moins), et les possibilités d'influence directe. Avec Cumes, nous ignorons si leurs échanges se faisaient plutót par mer que par terre; au surplus, les Étrusques étant installés ea Campanie
dès le VI° siècle, le probléme des actions et réac-
tions religieuses se pose différenunent, comme en toute région de population mélée. M. Seltman a supposé (1) un
commerce actif entre l'Attique et l’Etrurie déjà au VI* siècle; mais, tout en affirmant que les types des plus anciennes monnaies étrusques (premiére moitié du V' siécle) sont copiés sur les espéces des « Eupatrides », il doit reconnaitre lui-méme que nulle part en Italie, sauf à Tarente, on n'a trouvé de primitives monnaies
ressemblances
qu'il
invoque
sont
d'Athénes ; d'ailleurs,
les
des plus douteuses
(2).
Quant aux vases attiques, jusque vers 480, ce sont exclusivement les Joniens, semble-t-il, ou les Achéens, qui les
importent en Étrurie (3). Il n'y a donc pas à tenir compte de cette hypothése. Tres fuyantes, trés incertaines sont les influences dues au commerce maritime. On ne peut Suivre leurs progrès, comme on le fait le long des routes terrestres ; on ne saurait mesurer leur extension réelle, ni admettre qu'elles puis-
sent se conserver longtemps avec quelque pureté des qu'el. les s'éloignent des ports. Il n'est pas vain cependant d'en établir la seule réalité : les caractères phocéens ou sémitiques d'Herclé, si nous en décelons, cesseront de paraître étranges pour qui songera que des trafiquants marseillais et carthaginois fréquentaient les marchés maritimes étruscolatins, s'y établissaient en colonies, et y acquéraient méme des priviléges. (1) Seltman, Athens : its history and coinage before the Persian invasion (1924), p. 131 sq. (2) Les types étrusques de la Gorgone, de la Roue, du Vase, de la Chouette, sont trés différents des mémes types attiques.
(3) Haebel, Merkantile Inschriften auf attischen Vasen Jardé, La formation du peuple grec, p. 239.
(1909);
88
LES
II.
—
ORIGINES
HERCLÉ
DANS
DE
L'HERCULE
L'ÉTRURIE
ROMAIN
PROPREMENT
DITE
Une localisation chronologiquement indiscutable d'Herclé dans les diverses cités du domaine étrusques est à peu pres impossible. Lorsque des monnaies de type héracléen appa: raissent en Étrurie, vers le milieu du IV° siècle (1), toutes les antiques et puissantes cités de l’Etrurie Méridionaie sont déjà détruites ou soumises au protectorat romain, et ne peuvent plus, par ce moyen, témoigner de leur vie religieuse.
Même
une monnaie
sans
lieu de
frappe,
comme
le
didrachme portant la téte d'Herclé de face, ne saurait leur étre attribuée;
et, si c'est
une
monnaie
confédérale,
on la
rapportera, étant donné sa date, au groupe des cités septentrionales (Volterra, Populonia, Vetulonia) (2), sans beaucoup s'aventurer. Au pis, avouons notre ignorance, et n'en tenons nul compte. — Restent des témoignages non datés; ou les monuments d'origine parfois incertaine : fort évocateurs cependant, et qu'il ne faut pas se háter de récuser. s'ils peuvent nous faire atteindre un degré suffisant de pro-
babilité. L'Etrurie méridionale : Caeré Les « lieux » héracléens de l'Étrurie méridionale sont au nombre de quatre : Vulci et Caeré; Véies et le lac Ciminius; deux cités maritimes d'une part (3); de l'autre, deux étapes de la grande voie terrestre qui, de Chiusi,
par la forét
Ciminienne, débouchait entre Sutri et Nepi vers le cours de la Crémére et la basse-vallée du Tibre (4), qui donnait aussi à Véies, tant que Rome
ne la détruisit pas, un accés direct
à la mer. Il est difficile de connaitre l'Herclé de Véies, dont un ar-
tiste étrusque modela l'image dans les toutes dernières an(1) Voir
: J. Bayet,
(2) Voir infra. (3) Solari, Topogr. (4)
Herclé,
stor.
Id., ib., I, p. 178 sq.;
1" partie, IV.
d. Etruria, p. 46-47;
I, p.
133-135;
route de la premiére invasion gauloise.
37 et n. 3; p. 157-158.
—
|
C'est
10& le
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE nées du VI* siècle, ou les premières du Apollon sa biche, selon un type tout
89
V*: il dispute à hellénique, mais
rare (1). L'Apollon au cerf est représenté avec éclat dans l'Achaie italiote par le dieu de Caulonia ; est-ce de là qu'il vint à Véies ? est-ce de là que vint avec lui Héracles ? Nous n'en savons rien. Que dans Véies existe Herclé,
à cette date
reculée, avec des attributs purement grecs, c'est beaucoup sans doute; mais rien ne nous dit qu'il y füt adoré comme divinité dans une temple particulier. Bien pius tard, une épigraphe votive du territoire de Véies (2) nomme Jupiter Tonnant et Hercule Musinus : s'il s'agit vraiment d'une dyade nationale, il se pourrait que cet Hercule fût le descendant
legitin:e
de
l'Herclé
Véien;
en
ce
cas,
dieu
d'un
mont et uni à la grande divinité du ciel, il ne se distingue en rien de l'Héraclés « commun » des temps classiques. Dans la forét Ciminienne, Herclé a fait jaillir les eaux et a créé un lac (3): bien différent de l'Hercule Véien, il apparait donc plutót comme un dieu chthonien. Mais aucun caractère spécifiquement étrusque ne nous permet a priori d'affirmer que le héros ciminien est distinct d'Héra. clés créateur de sources, ou pour lequel jaillissent des sour-
ces (aux
Termopyles,
à Himéra,
etc.).
|
Vulci et Caeré semblent avoir eu beaucoup plus d'importance dans l'élaboration d'Herclé. Ce sont des villes ava^t tout maritimes; mais leur influence pouvait pénétrer au cœur
du
pays
Fiora; celle divergent du sont précises conde moitié
étrusque,
celle de Vulci
par
la vallée de
la
de Caeré, par les petites rivières côtières qui lac Sabatinus. Leurs relations avec les Grecs et anciennes : l'une et l'autre ont, dans la sedu VI* siécle, adopté l'art grec-ionien, hébergé
sans doute des ateliers de potiers et de bronziers hellénes, et mis au point,
grâce à eux et à leurs élèves indigènes,
des
formes d'art originales et savoureuses : trépieds de bronze,
vases polychromes, (1) (9) (3) (4)
d'un éclectisme déjà trés sensible (4).
Cf. J. Bayet, Herclé, C. I. L., XI, 3778. — Cf. J. Bayet, Herclé, J. Bayet, Herclé, 1”
2* partie, II, rrr. Cf. Solari, op. cit., I, p. 160 sq. 3° partie, I, 1. partie, I, 1 et 11.
90
LES ORIGINES DE L’HERCULE ROMAIN
Vulci, ville du bronze, par son port de Talamon, se rapprochait des centres miniers de l'Étrurie septentrionale, ouvrait au trafic des Grecs la vallée de l'Albegna (1), influençait Rusellae et Saturnia; elle-même commerçait avec Cumes,
et parait,
aprés
474,
avoir, dans une
certaine me-
sure, succédé à la prospérité de Tarquinies (2), si puissamment orientée vers l'Italie méridionale : rien d'étonnant donc à l'abondance du matériel gréco-étrusque que l'on retrouve dans la vallée de la Fiora (3). Ainsi placée, si apte à recevoir, assimiler et répandre les idées grecques, Vulci connaissait dés la seconde moitié du VI* siècle l'image d'Héraclés
tracée
à satiété
sur
les vases
à figures
noires qui
abordaient en quantité prodigieuse dans ses ports; elle la reproduisait, d'aprés des modéles ioniens, dans les ateliers mixtes d'où sortaient vases et trépieds de bronze. Mais
d'un culte précis d'Herclé, nulle trace. Nous avons pourtant le droit d'affirmer que
la légende
du héros
était ré.
pandue dans ce territoire: aurait-on, sans cela, imaginé, sur
une
fausse
étymologie,
l'origine
(4), lorsque
grecque
de
les Vulciens
Talamon,
au
IV* siècle sans
doute
s'y installè-
rent fortement loin de Cosa, Vulci, Strabon navigatevrs (5)
pour assurer leur défense maritime ? Nou que les Romains fondérent pour supplanter mentionne le port d'Héraclés protecteur des : de ces parages, les échanges étaient faciles
avec la Sardaigne (6), et une influence sardo-carthaginoise pouvait raviver les traits marins de la physionomie d'Héraclés, presque effacés chez les Grecs. Mais nous avouerons volontiers que ces indices ne sont pas des preuves d'un culte ancien d'Herclé à Vulci. I! en est tout autrement à Caeré, oà coulait une « source
d'Hercule » : source d'origine volcanique (comme le lac Ciminins), et qui fournissait des présages (7). Le culte pou(1)
Solari,
op. cít., I, p. 204-208.
(2) Von Duhn, Bull. d. Inst., 1878, p. 162. (3) Solari, op. cit., I, p. 204.
(4) E. Pais, Sicilia, p. 443; A. Solari, op. cit., II*, p. 160-161.
(5 Strab., V, p. 225 C. (6) Rutil. Namat., I, 293 sqq. — Cf. A. Solari, op. eit., I, p. 54.
(7 Liv., XXII, 1.
L 1TALIE
HERACLEENNE
DU
VI‘ AU
IV’
SIECLE
91
vait en remonter à la fin du VI° siècle, où l'influence grecque s'affirme avec éclat dans
Caeré
par l'atelier des
pein-
tres de vases étrusco-ioniens. La ville était antique, son expansion commerciale puissante, ses rapports avec les Grecs constants : avec les Italiotes de Grande-Gréce surtout, semble-t-il (1), car les Phocéens, elle chercha sans pitié à les détruire aprés la bataille d'Alalia : ces demi-pirates lui inspiraient, non sans raison, moins de confiance que les lents cheniineaux de terre ferme. Mais déjà l'hellénisme avait pris à Caeré la forme précise de la dévotion religieuse au sanctuaire de Delphes, si vénéré dans les cités grecques de l'Italie méridionale. Dans Alsium, premier port de Caeré et proche du Latium, les légerdes Pélasgiques avaient cours, jointes à la tradition d'une fondation argienne (2); le nom
méme
était grec, comme
d'ailleurs celui de Pyrgoi,
autre
port de Caeré, où le temple de Leucothéa groupait les trafiquants hellénes et témoignait que l'hostilité politique n'empéchait pas les Cérites d'adopter les divinités secourables de leurs ennemis (3). — Mais, d'autre part, l'étroite alliance de
Caeré avec Carthage (4) se prolongeait à coup sûr par des relations commerciales dont le nom d'un troisième port, Pu. nicum, nous conserve le souvenir (5). Ainsi Caeré asparaîtelle comme un actif foyer de syncrétisme légendaire et religieux. L’Heracles qu'elle avait recu des Grecs en fut-il modifié ? Nous le croyons, mais sans pouvoir l'affirmer. Or Caeré, florissante au V* siécle et dans les premiéres années du IV*, était plus en état que toute autre d'agir sur
Rome. Virgile nous rappelle son hégémonie sur le Latium (6); les fouilles et les recherches modernes conflrment son (1) Voir infra, ce que nous disons de l'alphabet latin. (2) Dionvs. Halic., I, 20; Sil. Ital., VIII, 474. — Cf. A. Solari, op. cit., I, p. 190. (3) Arist., CEc., II, 20, 9; Diod, Sic., XV, 14; Strab., V, 226 C. — Cf. A. Solari, op. cit., I, p. 124-125; 127-128; 182; 195. (4) Herodot., T, 167.
(5) Dès le VIe siècle peut-être : E. Pais, Sicilia, p. 150 et 151. — Cf. A. Solari, op. cit., I, p. 210.
(0) Verg., Aen., VIII, 478 sqq.
92
LES ORIGINES DE L’HERCULE ROMAIN
influence sur Rome (1) : entre autres bienfaits, la ville latine lui devait, disait-on, l'écriture (2); et il semble en effet
positif que l'alphabet latin vient non point des Chalcidiens, mais de l'alphabet grec-« pélasgique », en partie achéen, par l'intermédiaire de l'étrusque (3). L'alliance religieuse des deux cités s'affirina au moment de l'invasion gauloise (Δ᾽ ; et, dés ce moment, l'absorption de Caeré par Rome se pré. pare : elle devait s’achever vers 353. — Ce n'est point avec des matériaux si peu homogénes que l'on se risquera à construire une hypothèse. Du moins, si l'Hercule Romain
a emprunté à une date ancienne quelques traits à Herclé, nulle cité de l'Étrurie méridionale ne paraît avoir été plus propre que Caeré à les lui transmettre. Dans notre indigence de documents, elle fait pourtant figure. la premiere
en Étrurie, de ville héracléenne : à ce titre, nul n'a le droit de négliger les misérables lueurs de nos connaissances actuelles.
L’Etrurie
septrentrionale : Volterra
Tandis que Caeré s'éclipsait dans la grandeur Romaine, trois cités de l'Étrurie septentrionale faisaient gloire, sur leurs monnaies, de leur dévotion à Herclé : Populonia, Vetulonia et Volterra (5), — Vetulonia était la plus ancienne; mais Volterra, qui s'était fortifiée sur son âpre colline dés
le VII* siécle, supplanta bientót son ainée daus la région (6). Pour le culte d'Herclé, elle paraît avoir précédé les deux (1) Cf. Not. d. Scavi, 1899, p. 161. (2) Solin., II, 7. (9) A.
Hammarstróm,
Beilraege
zur
Geschichte
des
Etruskis-
chen, Lateinischen und Griechischen Alphabets (Acta societatis scientiarum fennicae, XLIX, 2) (Helsingfors, 1920). — Cf. A.
Grenier, L'alphabet de Marsiliana et les origines de l'écriture à Rome (Mélanges de l'Ecole de Rome, 1924, p. 3 sqq). (4) Gell, XVI, 13. — Mais alliance serrée avec Rome siécle (Liv.,
V, 40, 10; Strab., V, p. 220 C. —
Cf. Homo,
dés le Ve L'Italie
primitive et les débuts de l'Impéríalisme Romain, (1925), p. 179). (5) Voir : J. Bayet, Hercle. 1"° part., IV, πὶ et vi. (6) Cf. A. Solari, op. cit., 113, p. 85-87.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
93
autres villes : ses monnaies aux types de Janus et de la massue s’echeionnent de 350 environ jusqu'apres 269 a. C. celles de Vetulonia (téte d'Herclé; trident entre deux dauphins) et de Populonia (téte d'Herclé?; armes d'Herclé) datent respectivement de 269-217 et 269-250. L'hégémonie volterrane n'avait elle pas imposé le dieu aux cités cötieres qui assuraient sa prospérité (1)? Quoi qu'il en soit, pour nous, les trois villes ne sont pas séparables. — Mais toujours
nous
souffrons
de
la méme
difficulté
à
déterminer
avec précision les traits particuliers de leur Herclé. La côte entre Vada Volaterrana (à l'embouchure de la Cecini) οἱ Populonia s'offrait au débarquement de l'Héraclés grec aussi bien que du Melqart tyrien. Autour des îles toscanes, riches en minerais précieux, ródaiert les marins de toute race; et surtout les plus hardis des Hel lénes, les Phocéens, qui avaient peut-être reconnu les premiers la position de Populonia (2Y. On ne les chassa pas; leur commerce, leurs monnaies pénétrérent de la côte à Volterra et jusqu'à Chiusi (3). Seulement les Volterrans entendaient s'assurer le profit à la fois des exploitations minieres et du commerce phocéen: ils coloniserent, sans doute à la fin du VI* siècle, Populonia (Δ), plus proche que Vada de l'ile d'Elbe, et propre à supplanter Vetulonia dans le domaine insulaire (6). Hardiment maritime par sa position « unique en Tyrrhénie » (6), Populonia fut aussi un centre d'attraction pour la Corse et la Sardaigne, et le seul port continental en communications directes avec la Sardaigne (7) et les Carthaginois qui y étaient installés. -(1) Vetulonia
était proche de 1æ côte; mais Volterra elle-même
était considérée comme
cité maritime
(A. Solari, op. cit., p. 37 et
n. 3) : ce qui indique l'importance de son trafic par mer. (2) Herodot., I, 165! Serv., Aen., X, 172. — Cf. E. Pais, Sicilia, p. ?81 sqq.: A. Solari, op. cit., I, p. 51; 12, p. 95-99.
(3) Periodico di Numismat., IV, p. 208 : VI, p. 55 sq.; Fr. Schlie, Bull. d. Inst., 1868, p. 134 — Cf. A. Solari, op. cit., I, p. 51 et n, 2, (4) A. Solari, op cit., 115, p. 97. (5) Cf. Id., ib., II*, p. 99 et n. 1. (6) Strab., V, 223 C. (7) Strab., I. c., et 225 C. — Cf. A. Solari, op. eit., I, p. 51 sq.; II*, p. 108.
94
LES ORIGINES DE L HERCULE ROMAIN
Ainsi se rejroduisait au profit de Volterra le même groupement d'influences, grecques et sémitiques, qui agissaient sur Agylla-Caeré; mais peut-étre avec une « concentration »
supérieure,
si l'oh admet que Caeré
ouvrait deux
comp-
10115 distincts aux Grecs et aux Carthaginois, ' Pyrgoi et Punicum. 6n voudrait mieux connaitre le sanctuaire d'Hercule, que les Itinéraires mentionnent
rana (1): s'il remonte aux
prés de Vada
Etrusques,
peut-étre
Volater-
le
dieu
qu'on y adorait élait-il un « protecteur des navigateurs ». comme celui de Cosa, un Melqart hellénisé semblable à l'Héraclés qu'on voit sur son radeau d'amphores, en des gemmes étrusques bien connues (2).
De la cóte, l'Héraclés soit grec, soit gréco-phénicien, importé par les arınateurs et les matelots, pouvait pénétrer au cœur du pays étrusque par des voies trés fréquentées dés avant la conquéte romaine : de Populonia à Volterra d'abord,
bien entendu,
par la Cornie
et
la
vallée
supérieure
de la Cecina (3); de Populonia à Vetulonia, Rusellae et Chiusi, par la vallée de l'Ombrone et celles de ses affluents (4); ou Sienne par le val d'Elsa (5), et jusqu'à Chiusi encore par le val de Chiana. Or, de Chiusi, la route vers le midi était ouverte, à supposer que celle qui longeait la cóte ne füt pas
libre:
de fait,
Volterra
comme
Vetulonia
inter-
viennent dans le Latium (6!: Vetulonia passait pour avoir largement contribué à civiliser Rome (7); Volterra faisait sentir son action jusque dans le pavs des Volsques, à Tus(1) Ad Herculis. — Cf. A. Solari, op. cit., I, p. 38; n. 1; Cf. ib., p. 208 et 222. | (2) Cf. J. Bayet,
Hercle,
1I?, p 94,
3 bart., I, rir.
(3) Et, plus tard, de Populonia à Vada par la cóte. et à Volterra par la Cecina : A. Solari, op. cit., II*, p. 87. (4) A. Solari, op. cit., II, p. 74. — Monnaie d'alliance portant la triple inscription : Vatluna Pupluna Chamars (Cf. A. Solar, ib., II?, p. 100, n. 1). (5) Id., ib., II? p. 74 et 93 sq. — Des monnaies de Sienne portent la massue, comme celles de Volterra. (6) Dionys. Halic., III, 51. — Cf. A. Solari, op. cit., 115, p. 87. (7 Rome lui devait, disait-on, les faisceaux, la chaise curu-
le, la toge prétexte, la trompette : Sil. Ital., VIII, 485. — Cf. A. Solari, op. cit., 113, p. 75.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV" SIECLE
95
culum et Velitrae (1). Mais, d'autre part, Volterra commuLiquait facilement avec la grande voie de pénétration qui,
par la vallée du Reno et par Bologne, atteignait l’Étrurie Padane et les bouches du Pô (2) : par là d'autres influences que celles de la cóte tyrrhénienne pouvaient s'exercer sur elle; et lui parvenir des légendes gréco-barbares d’où Héracles n'était pas absent (3). Ainsi le groupe des trois cités héracléennes de l’Étrurie septentrionale apparait fort important; et surtout Volterra. Sans doute 1] est regrettable que les monnaies de Volterra ne remontent qu'au milieu du IV* siècle; mais l'antiquité de la ville et de ses re::tions avec les Grecs, l'extension et la puissance de son commerce maritin:e, la convergence vers elle des routes terrestres, rendent fort probable qu'elle
fut une des premiéres cités étrusques à adopter Héraclès. Et, s'il en est ainsi,
nous venons
de montrer
quelles
faci-
lités elle avait de porter au loin son Herclé. Avec Caeré, elle est la seule qui, d'aprés nos connaissances actuelles, paraisse avoir été en état d'influencer l'Hercule Romain (4\. Ill. —
HERCLÉ
DANS L'ÉTRURIE
PADANE
L'extension de l'Empire Étrusque dans la basse-vallée du Pó ne daires
fit qu'activer extrêmement
l'Apennin (1)
les échanges anciens qui
, entre le fond
Cato ap.
Serv.,
Aen.,
commerciaux et légens’opéraient, à travers
de l'Adriatique et l'Italie Cen
X, 567.
—
Cf.
E. Pais Italía Antica,
1,
p. 56. —Velitrae est le nom méme de Volterra : on n'oubliera pas qu'il s'y trouve un temple d'Hercule (Liv., XXXII, 1).
(2 M. E .Pais
(Italia Antica, I, p. 55) a indiqué, gráce à la
méthode toponymique, des rapports entre Volterra et la Rhétie. (3) Voir supra, p. 67 sqq.
(4) Les
autres
certains ou pas assuré mentionné bouche de
— Sur
lieux
héracléens
négligeables : (Not. d. Scavi, par Ptolémée l'Arno, est en
de l'Étrurie
propre
son$ in-
le culte d'Hércule à Vignanello n'est 1916, p. 68 sq.); le temple d Héracms entre le promontoire de Luni et la dehors de l'Étrurie proprement dite.
les étapes de la grande voie intérieure Val de Chiana-
Tibre, voir infra.
96
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
trale (1): les routes du trafic n'étaient d'ailleurs point différentes de celles des invasions, que nous pouvons suivre, du nord au sud, en pleine période historique, sur les traces
des
Gaulois.
Elles
conduisaient
des
Bouches
du
P
à celle du Tibre; et deux Atria, fondées par les Etrusques au temps de leur plus grande expansion (au V° siècle), aux deux extrémités de ces parcours, comme des bornes solen. nelles, témoiznent de leur importance (2). Nous en pouvons jalonner au moins deux : 1° La plus ancienne, semble-til (fin du VI* siècle au moins), est la voie de transit de certains produits « étruscoioniens » entre le fond de l'Adriatique et la vallée du Tibre (3). Elle devait traverser l'Apennin selon un tracé analogue à celui de la route actuelle qui conduit d'Urbania à Pieve-San-Stefano et Sansepolcro ; atteignait Pérouse, Tuder (4), Bomarzo, Faléries... Peut-étre qu'une ou deux dérivations
la
faisaient
communiquer
avec
tone et Chiusi : la vallée de la Chiana celle du
Tibre
; comme
rivières,
la route
aussi,
aprés
« Ciminienne
»,
Arretium,
doublant
à l'ouest
le confluent
la future
Cor-
des
Cassia.
deux
Il ne
serait pas étonnant que l'Hercule d'Arezzo (5), ceux de Sinalunga, Orvieto (6), et de la région Ciminienne (7), quelque incertaines que soient dans la plupart des cas leur (1) Sur
l'importance
commerciale
de cette
région,
voir
supra,
p. 67 sq. et 71. (2) J. Carcopino,
(3) Mus., (4) Pais, (5)
(6)
et les origines
d'Ostie
(1919), p. 528.
Cf. J. Bayet, Herclé, 1" partie, I, 11. — M. Rosenberg (Rhein. 69, 1914, p. 615.624) 16 fait passer par Cortone. Tuder imite les monnaies de la cóte Adriatique : Cf. E. Sicilia, p. 456, note. Prés de la ville est mentionné un « pont d'Hercule » (Not.
d. Scavi,
Mais
Virgile
1892, p. 376.
le nom A
d'Hercule
remonte-t-il
Sinalunga,
qui
Cf. Müller-Deecke, sur
remonte
Die Etrusker,
II, p. 74).
aux Etrusques ? la
voie
qu
moins
Cassia,
au
1898, p. 271): à Orvieto, torse d'Hercule
restes
II* siécle
d'une
chapelle
(Not.
d. Scavi,
en terre cuite,
travail du
III^ siécle (Not. d. Scavi., 1885, p. 38, pl. V, 9). (7) Sur l'Herclé créateur du lac Ciminius, voir supra, p. 89; dans la méme région « templum et castellum Herculis », prés du territoire des Sorrinenses (Viterbe) (Dennis.Meissner, Städte und Begrábnisplátze Etruriens, I, 132, 8; 133, 13).
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE origine
et leur date,
doivent
être rattachés
à ce
97 courant
d'influences.
2° L'autre cle,
mais
route apparait
sans
aucun
doute
la plus fréquentée aussi
des
le
au IV* siè-
V*,
étant
donné
l'importance de la Bologne étrusque: elle reliait en trois Jours Spina à Caeré par Pise (1). C'est une des grandes voies légendaires gréco-étrusques : sur elle ont progressé les traditions tyrrhéno-pélasgiques, dont l'origine septentrionale cst Spina, qui étaient vivantes à Ravenne (2), et qui, par Bologne certainement et la vallée du Reno (3), atteignaient Pise (4), puis, le long de la cóte, en passant par Populonia,
Regisvilla,
prés
de
Graviscae,
le
port de
Tar-
quinies (5), et Caeré (6). — Cette route des traditions pélasgiques est aussi,
nous l'avons vu, celle des légendes
hyper-
boréennes, niêlées au mythe d'Héraclés dans la région des Bouches
du
Pô
(7).
Les fables grecques qui abordaient au fond de l'Adria. tique ne pouvaient conserver longtemps leur pureté. Le pays n'était pas, à beaucoup prés, aussi hellénisé que la GrandeGréce: les Étrusques s'y étaient installés de bonne heure, mais les peuples barbares eux-mémes y étaient actifs et puissants. Ies Sigynnes qui, avant les Celtes, habitaient le Norique, (1) Ps.
se
donnaient
Scylax,
17.
—
une Cf.
E.
origine Pais,
médique, Sicilia,
p.
dont 456,
note;
il
faut Homo
L'Italie primitive et les débuts de l'Impérialisme Romain (1925), p. 131. (2) Ravenne colonie des Thessaliens-Pélasges, chassés ensuite par les Tyrrhéniens (Strab., V, p. 214 C). A leur migration se mélèrent, dit-on, des Ombriens : ce qui est normal, si à Ravenne se rejoignaient les deux routes dont nous parlons. (?\ Les stèles étrusques de Bologne sont trés souvent inspirées de l'art grec; la légende de Circé, originaire de l'Etrurie campano-tibérine y était connue comme symbole funéraire (Not. d. Scavi, 1890, p. 140 et pl. I). (4) Cato. ap. Serv., Aen., X, 179; Plin., n. h., III, 50. (5) Strab., V, p. 225 C. Selon cet auteur c'est le point de départ des Pélasges conduits par Maléas, fils de Pélasgos : Cf. Meyer, Forschungen, I, p. 1. (6) Solin., II, 7.
(T) Voir supra,p. ?1.
οὃ
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
rapprocher
l'origine lydienne
paient avec eux un commerce
riennes
(1); les Gaulois
des
Etrusques,
important
Taurisques,
qui
entrete-
par les Alpes Ju-
qui leur succédérent
vers la fin du V* siécle, furent en bons rapports à la fois avec Rome et avec les Gréco-Macédoniens (2); et bien d'au. tres actions réciproques nous échappent sans doute en ce carrefour des peuples. Si les documents étaient assez nombreux pour nous permettre de dater les influences avec précision, nous pourrions suivre l'évolution des légendes lc
long des routes trans-apennines; dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons qu'en noter l'éclectisme. [] est vrai qu'Héraclés apparait à Mantoue avec des caractéres presque tout étrusques: l'éponymie de la ville attribuée à sa fille Mantó n'a en effet aucune saveur, si
lon
n'en
fondateur
rapproche Tarchon
l'autre
tradition
qui nomme
comme
adorateur
du dieu
frére de Tyrrhénos,
Mantus, correspondant au Dis Pater des Latins (3). Détails,
par malheur,
insuffisants pour restituer en l'Herclé Maa-
touan un héros infernal ou chtonien. Mais, à Padoue, la confusion des légendes héracléennes semble inextricable: ayant accès f»cile à la mer par le fleuve Meduacus, la ville possédait un temple antique de Junon, qui était peut-étre une Héra hellénique (4); le nom du fondateur traditionnel, Anténor (5), implique aussi une influence grecque ou gréco-étrusque. Et le fameux oracle de Géryon auprés de la source Aponus, qui s'épanchait dans une terre labourée par Héraclés (6), peut de méme remonter aux Grecs: l'Épire était un des berceaux de la légende de Géryon (7), et la grande voie commerciale qui (1) C. Jullian, Hist. de la Gaule, I, p. 370, n. 2. (2) Id., ib., I, p. 298 et n. 1-3; p. 299, n. 2. (3) Int. Serv., Aen.,
(4) Liv., X, 2, 14. (5) Solin., II, 10. (6) Sueton.,
X, 198.
Tib., 14; Claudian.,Id.,
VI,
25.
(7) Gruppe, R. E., Suppl. III, 951-952 : à Ambracie, dans la plaine d'Erythie, en Chaonie. Dans le méme pays, une source salée avait été évoquée par Héraclés (Aristot., Met., II, 3, p. 259, 23).
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
99
la traversait aboutissait aux colonies corcyréennes, Apollonie et Epidamne (1); mais avant méme l'hégémonie de Corcyre sur l'Adriatique, Géryon, Alcyonée et Héraclés avaient pu étre transportés dans ces parages par les Corinthiens (2). Il est plus probable cependant que les noms
grecs ne font que recouvrir un démon local, un dieu souterrain à trois tétes, ayant peut-étre le taureau comine attribut, et analogue à la grande divinité celtique que les Grecs identifiaient à Géryon, et les Latins (plus tard) à Dispater et parfois à Mars (3). Et lorsque les Celtes se furent installés sur le territoire de Padoue, ce « Géryon » indigène parlicllement hellénisé dut prendre pour eux figure de dieu national (4), confondu dans une certaine mesure avec l'Héraclés des Grecs (5). Sous l'une ou l'autre de ces formes, le dieu de la source Aponus apparait assez différent
du Géryon grec dont il porte le nom : j'entends du Géryon classique qui, une fois englobé dans la légende héracléenne. avait pris une physionomie de plus en plus pále, de moins en moins sympathique; mais, au contraire, avec un degré de dignité
qui
le rapproche
du
Gerun
étrusque,
du
beau
(1) E. Pais, Sicilia, p. 422 sqq. (2) Gruppe, R. E., Suppl. III, 921.
(3) A. Reinach, (Bibl. ryon
pro Alesia, »
ligure,
Les têtes coupées d’Alise et Hercule à Alésia fasc.
dont
3), p. 3; p. 6, n. 1; p. 7, et n. 3 : le « Gé-
les Massaliotes
développèrent
la
légende,
connue déjà d'Eschyle, fait penser qu'avant les Celtes, les peuples dits « ligures » adoraient une divinité analogue. — Sur 168 identifications romaines, cf. S. Reinach, Cultes, Mythes et Religions, I, Ὁ. 217 sqq.; Revue des Et. Anc., X (1908), p. 173; B. Schweitzer,Herakles, p. 39 et 67 sq. (4) Ammien Marcellin nous apprend (XV, 9) que Géryon était souvent appelé Tauriscos en Gaule; or les Celtes des Alpes Aus-
tro-Styriennes portent le même surnom.
|
(5) Sur l'alliance Héraclès-Géryon, cf. J. Bayet, Mélanges de l'École de Rome, XL (1923), p. 74-76. — Sur la confusion du Gérvon Gaulois avec Héraclès Ogmios, simple intuitioh, sans preuves, dans A. Reinach, Les têtes coupées d'Alise, p. 45. La preuve a été apportée, avec quelque trouble dans l'exposition, par l'article de M. I. Hopfner. Zeitsch. für vergleichende Sprachforschung, 49 (1920), p. 256-259. — Voir infra.
100
LES
ORIGINES
DE
guerrier triple qui assiste du 1V° siècle, à Corneto.
L HERCULE
Hadès
ROMAIN
sur une fresque
funéraire
La terre padane pouvait donc fournir à la religion et à la mythologie étrusques des éléments originaux; et d'ailleurs la matière grécoindigène était déjà reiravaillée sur place par la population tyrrhénienne. Sans doute il serait. fort imprudent, avec le tout petit nombre de données que nous possédons, de vouloir retracer l'image de l'Herclé des. Bouches du Pó; rien n'empéche cependant de remarquer que, dans les trois cas où il nous apparait, à Mantoue, à Padoue, et dans les légendes Hyperboréennes, il est en rap-
ports avec les divinités souterraines ou infernales. Serait-ce un pur hasard ? Ou ne vautil pas mieux penser que cet aspect du héros, presque effacé dans la Gréce classique par les développements
ultérieurs de la légende,
s'est mieux
conservé, pour une raison ou pour une autre, Gans la région padane, d'oü il pouvait, avec tant de facilité, pénétrer dans l'Étrurie propre? IV.
—
HERCLÉ
DANS 1, ÉTRURIE
CAMPANIENNE
Des la fin du VII* siecle, les Étrusques travaillaient à se rapprocher des Grecs de Campanie et de Grande Grece : ıls commencaient à imposer leur hégémonie aux Latins et aux Volsques qui leur coupaient les voies d'accès terrestres vers le midi. Ces voies ne se jalonnent pas avec une parfaite précision,
parce
que
les influences
grecques
et étrusques
ne se
limitent pas aux stations de transit, mais rayonnent sur tout le pays environnant. Il vaudrait donc mieux parler de
« zones » de trafic entre l'Étrurie et la Campanie
: l'une
qui borde au sud-ouest
le ter-
les Monts
ritoire des cités côtières; du
Teverone,
du Sacco,
Albains et couvre
l'autre qui comprend et du
les vallées
Liri.
1° En Aricie, la premiére de ces voies d'accés atteignait dés l'abord un centre de légendes et de cultes venus de
L'ITALIE HERACLEENNE
Grande-Grece, nium, un peu moignage des plus loin, sur
DU VI* AU IV* SIECLE
101
et un marché aimé des Cuméens (1); Laviau-delà, ne le lui cédait point et portait témémes influences (2), qui avaient agi aussi, Cora (3). Plus prés de la cóte, ces stations
$ 'accompagnaient de villes également illustres dans l’histoires des rapports internationaux des Étrusco-Latins aveo les Grecs : Ardée, toute hellénisée de culture (4) et de religion (5), avait, au IV* siecle, et peut-étre avant, une grosse importance comme place de transit entre la Campanie et Rome (6); Conca-Satricum, visitée de bonne heure par les marchands de Cumes (7) était, à la fin du VI* siècle, un foyer d'art gréco-étrusque (8); les marins d'Antium pous(1) Légendes d'Oreste-Iphigénie, de la Diane Taurique, d'Hippolyte, d'origine trézéno.poscidóniate (Voir supra, p. 58.59); chapelle vénérée (anciennement ?) d'Hercule (Martial., IX, 64; cf. III, 47). Une
couleur
« argienne
» s'y était
superposée
peut-être
sous l'influence du héros trézéno-argien Diomède (Cf. Solin., II, 11). — Cumes porte secours aux Ariciens attaqués par les Etrusques en 508-507 (Liv., II, 14, 6-7). (2) Temple de Vénus Frutis (— Aphrodite) d'origine grecque (Solin.,
II, 14
p. 436). C'est (Solin.,
il.
:
Plin.,
là que
c.,).
—
n. h.
III,
Dioméde
Les
noms
57.
—
avait de
Cf.
Preller,
remis à Enée
Lavinium
et
R.M.,
15,
le Palladion
Laurentum
sem-
blent devoir être rattachés à des noms achéens, sybarite et crotoniate (Aa:voc, AaFtvos : cf. Laos, colonie de Sybaris ; — Laurété fille de Lakinos
: Lycophr.,
1015 et Schol.) : cf. E. Pais,
Sicilia, p.:
285, n. 6; Storia Crítica, I, 1, p. 249, n. 1. . (3 Fondation attribuée soit à Dardanos, Troyen comme l'Énée de Lavinium (Solin., II, 7), soit à Cora, fils de Catillus et petit-fils de l'Argien Amphiaraos (Solin., II, 8). (4) Plin., n. h., XXXV, 3, 6 et 10, 37. C'est là que viennent, en 300 a. C., les premiers
barbiers
siciliens
(Varro,
de r. r., II,
11, 10). (5) Ville fondée, disait-on, par Danaé (Solin, II, 5). Elle agit peut-étre sur le culte de Vénus-Aphrodite à Lavinium (E. Pais, Storia Critica, I, 1, p. 254); elle possédait un temple d'Hercule (Liv, XXXII, 9). (6) De Sanctis, Storia dei Romani, II, p. 496. (7 E. Gàbrici, Monum d. Lincei, XXII, 400.
(8 Graillot, Rome,
Le
1896; surtout
99, 167, 190; 1898,
temple
de Conca
p. 162.164);
p. 166. —
Ce
cf. Not.
temple
(Mélanges d. Scavi,
de 1896,
l'École
de
p. 23,
66,
peut-il étre attribué
à
102
LES
ORIGINES
DE
L'HERCULE
ROMAIN
serent l'audace, deux cents ans aprés, jusqu'à courir les mers grecques (1). De là, par Amunclae voisine de Terracine, Caiéte et Formies, qui possédaient en commun des traditions et des nonis venus de Grande-Grece (25, la route Ctait ouverte vers l1 Campanie. 2°
La seconde
pouvait s'amorcer
disait-on (3), sur laquelle que (4); et gagner Préneste
à Gabies,
ville grecque,
s’exerçait l'influence étrus(5): comn'e la future voie
Latine. Mais l'influence gréco-étrusque (6), cultes et légendes, se dispersait aux alentours, atteignait sur le Teverone Tibur (7): ou, en remontant le cours du Lin, Sora (8); ıt Archippé du Lac Fucin, la ville de Marsyas roi des Lydiens (9). — Au delà de Fregelles, cette route pouvait soit gagner Vénafre, fondation de Dioméde; soit atteindre la Campanie par Teanum; soit, par Ja basse vallée du Liri, rejoindre vers Minturnes la précédente.
Le Vulturne franchi, la plaine campanienne s’ouvrait au loin.
L'élémeht étrusque
Hercule
? Cf. Deecke,
y était déjà
Etrusk.
notable
Forschung.,
IV,
à une date
p. 74 sqq.; Dürr-
barl:, D. S., s. v. Hercules, p. 125. (1) Strab., V, p. 232 C. (2) Origines soi-disant laconiennes; culte des Dioscures; et traditions pythagoriciennes. Le marais Satura (cf. Tarente): le héros Métabos (cf. Métaponte). Voir E. Pais, Amunclae a serpentibus deletae (Italia Antica, II, p. 295 sqq). (3) Dionys.
Halic.
I,
84;
Plutarch.,
Rom.,
6;
Festus,.
s.
v.
soit
au
Romam p.225; Steph. Byz.. s. y. Vx^o:. (4) Müller.Deecke, Die Etrusker, I, p. 267; II, p. 121. (5
Fondation
attribuée
soit
à
un
petit
fils
d'Ulysse,
héros local Caeculus (Solin., IT, 9). — Culte d'Hercule attesté par une inscription archaique (E. Stevenson, Bull d. Inst., 1883, p. 13 sqq.; €. 1..J., XIV, 2890-2892); culte local de Junon (Marucchi,
Bull.
Com.
di Roma,
41, p. 22).
(0) L'ancien culte d'Hercule à Signia (C. I. L., I, 1145 — X, 5961) s'y rattachait sans doute : la ville passait pour une fondaotion de Tarquin le Superbe. (7
Fondation
Faléries comme
(Solin.,
attribuée
II, 7-8.
celle de Cora),
aux
Et
soit aux
par
Argiens
un
petit
Arcadiens
comme
fils
(Cato
celle
de
d'Amphiaraos, ap.
— Anciens cultes d'Hercule et de Junon Curitis. (8 Ancien culte d'Hercule : Not d. Scavi, 1910, (9) Solin., II, 6. )
Solin., Il, 7)
p. 296.
L'ITALIE HERACLEENNE
DU VI“ AU IV* SIECLE
103
Jeculée; mais l'occupation étrusque du pays ne commença qu'au Vl" siècle, et ne se consolida que vers 550, après la fondation de Capoue et de Nola (1). Les Tyrrhéniens, venus par terre, tenaient la plaine, non la cóte; en 524, ils tenterent
de jeter les Grecs
à la mer,
pour étre
maitres
des
debouchés maritines : ce fut la grande expédition contre Cumes (2). Mais, d'autre part, et surtout, ils aspiraient à se rapprocher des routes de commerce de la Grande-Gréce, des voies d'accés terrestres vers leurs correspondants hel. lénes de Sybaris. Les citadelles d'Herculanum et Pompéi tomberent en leur pouvoir (3); et, sans doute par Salerne (A), ils atteignirent le cours du Seilaros au V* siecle (5). Les voici désormais en l'un de ces points privi-
Kgiés οὐ les échanges internationaux s'accompagnent d'une active fermentation religieuse et légendaire. Les bouches da Seilaros avec leur temple d'Héra, c'est un « lieu » aussi important, aussi sacré que celles du Pö; mais plus puissamment
hellénique;
toute
proche,
Poseidónia,
oü
convergent
les routes de Grande-Gréce (6), est pour les Tyrrhéniens la porte du riche pays Achéen (7); et, au surplus, une ville
d'un éclectisme
politique
assez prononcé
pour convenir à
des trafiquants, hommes d'affaires et profiteurs avant tout.
tels que les Étrusques. On parle toujours du marché international de Cumes; mais, en cette période (VI*-V* siècle), c'est Poseidónia qu'il faudrait nommer, moins exclusive. ment maritime, et beaucoup mieux située pour aspirer vers l'Italie Centrale les produits et les idées de Grande-Gréce, et pour les communiquer directement aux Étrusques. (1) Cf. E. Gàbrici, Monum. d. Lincei, XXII, p. 434; Jardé, La formation du peuple grec, p. 274. (2) Dionye. Halic., VIT, 3-4. — Cf. E. Gäbrici, l. c., p. 580. (3) Strab.,
V,
p. 247
C.
—
Cf.
E.
Pais,
Italia
Antica,
II,
p.
279 sq. (4 Bronzes étrusques de méme type que ceux de Suessula trouvés prés de Salerne : Róm Mittheil., II (1887), p. 274. (5) Cf. E. Pais, Sicilia, p. 247, n. 0. (0) Supra, p. 53.
M 59-60.
Ct. E. Pais, Sicilia,
p.
532; Italia
Antica,
II, p.
34-25;
104
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN L'hégémonie
tyrrhénienne
fut étroitement bornée dans le
temps : à partir de 424, elle recula devant les attaques des
Samnites. Ainsi la co-pénétration gréco-étrusque aux bords du Seilaros se limite à l'époque de l'hégémonie crotoniate en
Grande - Grèce,
lorsque
Métaponte
affirmait
encore
sa
grandeur en face de Tarente, et que Poseidónia qu'enri. chissaient les échanges achéo tyrrhéniens achevait avec orgueil ses temples monumentaux. Quant aux relations maritimes entre l'Étrurie et la Cam-
panie, elles semblent avoir'eu lieu surtout (compte non tenu de Cumes) par Dicaearchia (Pouzzoles), le principal marché meridional du fer d'Elbe (1). C'était encore un port de traditions mixtes : les Samiens d'origine épidaurienne qui l'avaient, dit-on, fondé (2), étaient liés d'amitié avec les Chalcidiens
(3), mais
aussi,
à coup
sûr, avec leurs compa-
triotes établis à Crotone (4) : ils ne pouvaient contrarier l'influence
achéo-trézénienne. Nola,
Les cités nombreuses vons établir l'origine du les courants comme sa dienne (6) :
Abella
héracléennes de l'Étrurie Campanienne sont (5): mais pour aucune d'elles nous ne pouune chronologie précise du culte; et, par suite, héros y reste en général hypothétique : mais d'influences ne semblent pas douteux. — Nola, voisine Abella, passait pour colonie chalcisimple indication d'échanges avec les cités ma-
(1) Diod.Sic., V, 13, 2. (2) E. Pais, Sicilia, p. 309 sqq.
et p. 311,
n. 1.
(3) Id., ib., p. 312. (4) Id., ib., p. 315. (5) Outre Nola, Suessula et Capoue, Herculanum et Pompéi conservaient,
héros,
la seconde
troupeaux
de
le souvenir
Géryon
(Solin.,
dont nous allons parler, la premiére le nom du
de son retour d'Espagne II, 5.
—
Au
musée
de
avec les Naples
se
voit un Hercule avec inscription étrusque, provenant de Pompéi) Et Stabies était aussi une ville héracléenne, au témoignage d'Ovide (Met., XV, 711). (6) A. Sambon, Mon. ant. de l'It., I, p. 335 sq. — Cf. E .Pals, Jialia Antica, II, p. 291.
L'ITALIE HERACLEENNE
DU VI* AU IV* SIECLE
105
riimes. La ressemblance de ses monnaies avec celles de Thourioi (1) témoigne de ses rapports terrestres avec la Grande-Gréce. Elle administrait, avec Abella, sur leur fron.
tière commune,
un temple d’Hercule, dont nous possédons
la convention attribuée au [15 siècle avant notre ère, mais qui était beaucoup plus ancien (2). Cet Hercule, spécifié comme un gardeur de trésors, apparait comme un héros chthonien : en effet, s'il s'agissait seulement de l'habitude antique de choisir un temple
quelconque
pour en faire une
banque de dépót ou un Trésor d'État, on ne s'explique point que l'une ou l'autre de ces deux villes eût jeté pré. cisément son dévolu sur un sanctuaire établi dans une situation aussi
risquée.
Mais,
en
dehors
de
ce
caractére
bien
général, l'Herclé de Nola-Abella ne nous est pas autrement connu. Sur la route entre Nola et Capoue, la nécropole de Sues: sula a fourni, entre autres bronzes étrusques (3), une statuette d'Herclé imberbe, marchant, la massue brandie (4): si le lieu deja fouille ne suffit pas pour affirmer d'une
facon absolue qu'il s'agit d'un Herclé funéraire, le moins qu'on puisse conclure de cette trouvaille, c'est que le dieu, quelle que füt son origine dans
la région, avait dü y pren-
dre un caractére particulier au temps de la domination étrusque : mais vraiment nous pouvions le prévoir.
Capoue
Le cas de Capoue est bien plus digne d'intérêt. plus, pour nous, que les légendes de fondation, éclectisme, sont paralléles à celles de Rome : on l'Héraclide Téléphe, le Troyen Capys, les fils de
D'autant dans leur nommait Mars Ré-
(1) Cf. Cat. de la vente Luneau, n** 26 et 38. (2) Zvetaieff, Inscr. Osc., 56, p. 36-38. — Cf. Peterson, of Campania, p. 3818q. (3) Röm. Mittheil., II (1887), p. 258 sqq.; 244. (4) Ib., p. 272.
Culls
106
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
mus et Romulus la conquête
(1). Ces derniers trahissent trop nettement
romaine
pour qu'on
en
tienne
compte;
Capys
semble un éponyme quelconque. Mais Téléphe, malgré la date tardive des monuments où il figure (2), appartient sans aucun doute à la période gréco-étrusque (3) : c'était un héros adopté depuis longtemps par les Etrusques corınıe
père de Tyrrhénos et de Tarchon (4). Mais Télèphe lui-même apparait à Capoue comme inséparable de son père Héraclés (5). Il ne serait pas impossible que le célèbre « dinos » de bronze du V° siècle sur la panse duquel est gravé Héraclés Bouvier s'éloignant avec son troupeau d'un arbre ou
est suspendu un de ses ennemis, peut-être un voleur (scène autrefois interprétée comme la plus ancienne représentation de la légende de Cacus), eût été fabriqué à Capoue, mème si on doit l'attribuer à une main grecque (6); mais i] ne nous apprend rien sur l'Héraclés Campanien (7). Plus instructives sont des terres cuites de Capoue, qui figurent le héros avec la massue et la Corne d'abondance (8); c'est le type d'Héraclée Lucanienne (sons d'ailleurs éliminer toute (1) Müller, F. H. G., p. 70. — La derniére indication dans Céphalon de Gergithe (milieu du III* siécle). (2) Monnaies de la fin du IV* ou du début du III* siécle : J.
Babelon,
Luynes,
I,
109
(téte
d'Héraclés;
Téléphe
enfant
al-
laité par la hiche); 110 (téte de Téléphe ?; Téléphe et la biche). — Cf. A. Sambon, Mon. Ant. de l'It., p. 403, n° 1046.
(3) Gruppe, G. M., p. 6%; Preller, R. M., II, p. 310; Peterson, Cults of Campania, p. 9 et 358. (4) Lvcophr.,
1245
sqq.
et
schol;
Tzetz.
ad
Lycophr.,
1249;
Dionys Halic., I, 28. (5) poue dant qus mais (6)
Voir supra, n. ὃ. — Autres monnaies héracléennes de Ca: J. Babelon, Luynes, I, 125 (tête d'Héraclés; lion morun javelot. — Cf. A. Sambon, op. eit., n» 1031). — Un paHerculaneus à Capoue (Not. d. Scavi, 1887, p. 444 et n. 4) : le nom remonte -til à une date ancienne ? Peterson, Cults of Campania, p. 347.
(T) Sans
doute
les
Chacidiens
et,
par
suite,
les
Cuméens
étaient parmi les plus actifs vulgarisateurs des fables relatives & Géryon et à ses troupeaux (supra, p. 44); mais Héraclés Bou. vier était connu dans toute la Grande-Gréce, et rien sur le vase
de Capoue ne fait allusion à Géryon. (8) Peterson,
Cults
of Campania,
p.
348.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
107
influence attique), très richement évocateur, puisqu'il se rattache aux légendes d'Achélóos, des Hespérides, et de la Descente aux Enfers; trés particulier aussi, puisque c'est l'image d'un héros chthonien de l'abondance et de la richesse. L'exemple de l'Hercule de Nola-Abella, dont le seul caractére perceptible était justement celui-là, confirme la réalité et la puissance de cette conception étrusco - campanienne. Peut-on aller plus loin? Certains savants (1) attribuent à Capoue une monnaie célébre oü, au revers d'une téte d'Héraclés barbu, se voit l'image de Cerbére : nulle impossibilité à cette hypothèse (2), pourvu qu'on n’explique ces types ni par l'oracle des morts de Cumes οὐ Héraclés n'a que faire, ni, a fortiori, par les Mystéres de Samothrace
(3): ce bronze,
fluence
de
nous
Poseidónia,
l'avons vu,
colonie
se rattache
achéo-trézénienne
à l'in-
(4).
—
Ces différents indices, tout fragiles qu'ils sont, concordent, et acquierent de leur unanimité une force certaine : ils évo-
quent dans Capoue un Héraclés chthonien, « infernal », dont la voie de pénétration se tracerait de Métaponte-Héraclée ἃ Poseidónia, de là à Nola et Capoue.
On pourrait étre tenté d'infirmer ces résultats gráce à la légende italienne de Téléphe qui semble, au premier abord. d'origine tout à fait différente. Klausen en effet (5) supposait dans sa formation une influence de Cumes et Phocée: (1) A. Sambon, Mon. Ant. de l'It., p. 393 et n° 1044; 1. c. — Voir au contraire : J. Babelon, Luynes, I, 18.
Peterson,
(2) Le style de ce bronze l'apparente à la fois à une. monnaie *trusque et à une monnaie de Locres Épizéphyrienne, de la seconde
part
moitié
du
IV* siècle
(cf. J. Babelon,
(pl. I); 12 (pl. I) et 765 (pl. XXVIII)
Luynes,
I, 18,
d'une
de l'autre).
(3) Comme le propose M. A. Sambon, l. c. (4) Les entrées des Enfers sont nombreuses dans le monde grec. Mais il faut ici se limiter à celles qui sont mises en rapports
précis avec Héraclés (par ex. la source surtout
avec
l'aventure
de
Cerbére
Cyanée (Cf.
à Syracuse),
Ettig,
et
Acheruntica
(Leipz. Stud. z. class. Philol., 13), p. 397) : or c'est à Trézène et dans la ville voisine d'Hermioné (Ettig., |. c. — Cf. Rohde, Psyche, p. 199, n. 3), que se localise avec prédilection la remon*tée du héros accompagné du chien infernal. (5) Klausen, Eneas und die Penaten, p. 1221-1222.
103
LES
ORIGINES
DE
L HERCULE
ROMAIN
le nom de la montagne où fut exposé l'enfant Télèple,
le
Parthénion, se retrouve dans un port des Phocéens en Graude-Grèce (1); et celui de la Teuthranie, où s'élevait Pergame adoratrice de Téléphe, était connu en Campanie (2). Mais le mot de « Parthénion » est bien trop général pour qu'on puisse l'appliquer sans hésitation à une légende particuliére; quant au fleuve Teuthras, pourquoi faire honneur de son éponymie aux Cuméens plutót qu'à d'autres Grecs en relations avec l'Orient, ou aux Étrusques euxmémes ? Sans doute la légende étrusque de Telephe, en ses développements d'ailleurs assez tardifs, dérive de sources asiatiques (3); pourtant, avant d'étre Mysien, Téléphe est Arcadien, et le principal héros de Tégée (4). Or les légendes
arcadiennes
sont
anciennes
en
Italie,
οὐ
elles
furent
introduites à la fois par le groupe Rhegion-Messine et par les cités Achéennes de Grande-Gréce; dés le VI* siécl^, cerfaines d'entre elles ont pu toucher les Étrusques; et, vers la fin du V* s. se crée, en Grande-Gréce, le système légendaire arcadien qui devait avoir une si singuliére fortune dans l'Italie Centrale (5). Comme, au surplus, les Achéens de Grande-Gréce aussi bien que les Phocéens et peut-être les Cuméens mettaient le monde tyrrhénien en relations avec l'Ionie, il semble tout à fait vain de vouloir attribuer aux uns, à l'exclusion des autres, l'introduction de l'Héraclide Téléphe dans les deux régions du domaine étrusque où il jouit d'une particuliére faveur : en Campanie, et autour de Tarquinies et de Caeré (6).
Téléphe d'ailleurs, tout populaire qu'il soit chez les Étrusques, ne l'est, semble-t-il, qu'en fonction d'Héraclés. Or l'Herclé de Capoue, méme s'il admettait (comme il est fort probable) certains traits chalcidiens, parait beaucoup plu-
(1) (2) (3) p. 75 (4) (5) (6)
Plin., n. h., III, 5, 10; Solin., II, 7. Propert., I, 11, 11. Cf. J. Bayet, Mélanges de l'Ecole de Rome, XXXVIII (1920) sqq. Gruppe, G. M., p. 203-204. J. Bayet, l. c., p. 141-142. Müller-Deecke, Die Etrusker, I, p. 82; 1. Bayet, I. e., p. 9b.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV* SIECLE
109
töt orienté vers les Héraclés « achéens » de Grande-Gréce, d'où venaient jusqu'au cœur de l'Étrurie propre les puissantes légendes des héros et des peuples mythiques. V.
—
LA
FIGURE
D'HERCLÉ
Si fragmentaires, si dispersés, les documents que nous venons d'utiliser suffisent à nous mettre en garde contre l'hypothése d'un Hercule étrusque unifié : celui de Capoue, avec sa physionomie italiote trés particuliere, différe du héros « hyperboréen » des Bouches du Pô,
mêlé
à d'étranges conceptions
barbares;
et ni l'un
ni
l'autre n'est parfaitement semblable au dieu des sources de Caeré, à celui de la région Volterrane, qui ont été exposés aux influences marines et aux altérations sardo-carthaginoi-
ses.
Par malheur,
s'il est déjà si difficile de tracer une
image exacte et tant soit peu précise des divers italiotes ou siciliotes, la táche est impossible pour clé tyrrhéniens. Ils s'esquissent à grands traits; samment pour qu'on reconnaisse leur variété ; mais
Héraclés les Heret suffiles étu-
dier dans le détail, nul ne le peut. A grand'peine nous restaurons grâce aux monuments figures la figure d'un Hercié « commun » qui n'a peut-être nulle part existé sous cette forme idéale dans le domaine étrusque : heureux cependant de n'étre pas tout à fait livrés à la folle diversité des hypothèses. La variété fondamentale des Herclé tyrrhéniens
serait
une
formule
abstraite, nuancée,
mars
vaine; c'est
l'image, méme partiellement arbitraire, d'un Herclé national, qui permettra de mesurer l'influence étrusque partout où elle agira; d'une façon
grossière,
il est vrai, mais
posi-
tive (1). LY
(1) Les pages qui suivent ne font, dans l'ensemble, que coordonner les résultats obtenus par notre étude critique sur Herclé, à laquelle on voudra bien se reporter pour le détail de la discussion.
11»
LES
ORIGINES
DE
L HERCULE
ROMAIN
Herclé Cypro-Ionien Le font
premier
Héraclés
connaitre
que
en .Etrurie,
VI* siécle, un Héraclés
des documents est,
dans
Ionien,
certains
la seconde
que reproduisent,
ateliers mixtes gréco-tyrrhéniens,
les bronziers
nous
moitié
du
dans des.
de Vulci, les
céramistes de Caeré. Son origine est douteuse (1): l'ionisme, à cette date, étant plutót une civilisation commune qu'une
forme
mémes
de
l'Étrurie,
d'exotisme.
culture
Les
cités de
ionienne,
ont agi
Sybaris en particulier;
mais
Grande Grèce,
dés
elles-
cette date
sur
leur influence
est
diffuse, et non exclusive (2). Cet Héraclès Ionien, par sa généralité méme, nous dérobe sa provenance. Mais non pas ses tendances. Moins déterminé, moins emprisonné dans le cadre d'un cycle épique que l'Héraclés argivo-thébain, moins caractérisé en ses traits et en son costume que celui des premiers peintres de vases corinthiens et attiques, il
offrit aux Étrusques, de facon prolongée, la facilité de: développer à leur gré telle partie, en apparence secondaire, de sa légende, et méme de le modifier lui-möme par apports étrangers. Les plus importants de ces apports rent cypriotes. Il y avait bien longtemps déjà que les rins de Cypre avaient éveillé le commerce et l'industrie les côtes toscanes (3); soit qu'ils n'eussent pas oublié anciennes voies de mer, soit que, plus paresseux, ils sent usé de l'intermédiaire des Grecs Italiotes pour
des fwmasur les. euscon-
(1) Les importations ioniennes dans l'Italie Centrale ne sont pas dues seulement, tant s'en faut, aux Ioniens de Phocée et de Chalcis. Tout ce que nous savons de Sybaris nous la fait reconnaftre
comme
une
ville
de
civilisation
ionienne;
et
son
comptoir d'échanges avec les Etrusques, Poseidônia, avait une population en majorité ionienne d'origine (cf. Busolt, Griech. Gesch., I*, p. 71; E. Pais, Sicilia, p. 221). (2 C'est ainsi qu'un vase du style « ionique-italique » (type de la céramique de Caeré) figurant Héraclés et Cerbére, et conservé aujourd'hui au Musée de Bari, a été trouvé dans la nécropole de Rutigliano (M. Jatta, Monum. d. Lincei, XVI (1906),. p. 525 sq. et fig. 9). (3) Cf. E. Gàbrici, Monum, d. Lincei, XXII, p. 174.
L'ITALIE
HERACLEENNE
DU VI° AU
IV“ SIECLE
11
linuer à atteindre leur clientèle tyrrhénienne, ce furent eux «ui procurerent aux Étrusques leur première image de culte d'Herclé, peut-être dés la fin du VI* siècle. En tout cas, au
«début du V*, Hercule est adoré en Étrurie sous une forme qui n'est pas exactement « ionienne commune », mais plutôt « cypro-ionienne » : imberbe, lourd et rigide, serré dans la peau de-lion, la massue brandie, et laissant parfois pendre, au bout de son bras gauche,
un animal
consacré,
lion
ou faon. L'évolution assez rapide de ce type étrusque prouve qu'à peine adopté comme dieu par les Tyrrhéniens, Herclé se modifia : et le fait suffit à témoigner de son éclectisme fonda-
mental. Mais la marque orientale avait été si forte sur lui, qu'il semble en avoir conservé jusqu'au bout en Étrurie cerlains caractères trés particuliers, étrangers à la fois à l'H&raclés Grec et au Melgart tyrien : surtout des relations avec des « animaux sacrés », dont on ne saurait dire à coup sür s'ils sont considérés comme ses ennemis ou comme .Ses compagnons, lion, serpent, et (peutétre) griffon (1). Herclé et Apollon Pourtant,
cette « couleur » ionienne de l'Herclé primitif
ne doit pas faire illusion sur sa véritable nature.
de ses
traits les plus
originaux
Plusieurs
lui ont été transmis
par
les Hellénes, et surtout les Achéens, de Grande-Gréce, à une
date qu'il est impossible de préciser, mais qui devra se chercher entre 550 et 400, au temps de l'hégémonie tyrrhénienne en Campanie. C'est ainsi que les Étrusques, donnant à des éléments grecs une puissance originale, figurérent l'Herclé des sources tenant un cerf ou un faon: la signi-
;fication symbolique de cet animal étant d'ailleurs bien coui
/ nue à Cypre, de méme que la « formule » statuaire du dieu tenant un cervidé evait été appliquée par Canakhos à la statue de culte d'Apollon Didyméen, à Milet. Si donc l'on se
bornait à cette adaptation d'un théme apollinien au schéma (1) Voir cependant infra, p. 117.
112
LES ORIGINES DE L’HERCULE
ROMAIN
de l'Herclé gréco-cypriote, l'innovation des Étrusques apparaitrait sans grande portée. Mais lorsqu'on voit, dans toute l'Étrurie propre, Apollon et Herclé présider religieusement aux sources volcaniques, on est bien obligé de se demander à qui est due la faveur chez les Étrusques, d'une alliance religieuse si limitée et d'une fonctiur si rarement attribuée en Gréce à Apollon (1). Non que l'alliance elleméme soit aussi exceptionnelle qu'on le veut bien dire dans le monde grec: le groupe Héraclés-Apollon était connu en
particulier à Cypre, et son correspondant phénicien,
Mel-
qart-Reshouf, à Tyr. Mais elle ne signifie rien pour nous, si nous n'y trouvons liés et le cerf symbole aquatique et le patronage des eaux. Les trois éléments nécessaires apparaissent joints au contrair dans la Grande-Gréce achéenne. Nous ne voulons parler ni de l'Apollon Alæos de Macalla-Crotone dont l'épithéte est incertaine, ni de l'Apollon Hyakinthos de Tarente, dont l'étymologie est douteuse (2). Mais l'Apollon Delphinios dont la légende marine avait été attachée par les Cré. tois au sanctuaire de Delphes, jouissait d'un culte fervent sur la côte Ionienne de l'Italie (3) et chez les Phocéens de Massalia. Sous sa forme originelle, c'est un dieu des eaux, qu'accompagne le dauphin; et, sans doute, les caractéres acquis postérieurement ont, dans bien des cas, obscurci sa physionomie primitive : mais elle demeure intacte à Crotone et à Caulonia, fondée ou au moins dominée dés le VI* siécle par les Crotoniates (4). Les étranges et poétiques mon(1) Les symboles aquatiques adjoints par les Etrusques à Héraclés et Apollon sont le cerf et le cygne. (2) Selon Hésychius : ὑαχίξει - βοΐχει. — Cf. G. Giannelli, Culti e Miti della Magna Girecia, p. 193. (2) Trésor de la premiére Sybaris à Delphes (G. Giannelli, op. cit., p. 117 sqq.); Apollon Pythien-Hyperboréen à Crotone (Id., ib., p. 175 sqq.) et Métaponte (Id., ἐδ., p. 62 sqq.) : le culte du dieu
et le caractére
hyperboréen
avaient
été développés
par
Pythagore et son école. — Apollon Delphinien était aussi connu à Rhégion et Syracuse. (4) Voir : Fr. Lenormant, La Grande- Grèce, II*, p. 18-19; E. Pais,
Sicilia,
p. 243 sqq.; Busolt,
Griech.
Beloch, Griech. Gesch., I3 1, p. 237.
Gesch.,
I*, p. 403
sqq.;
L'ITALIE HERAGLEENNE
DU VI* AU IV* SIECLE
113
nales de Caulonia figurent comme type poliade l'image d'Apollon Catharsios nu, brandissant un rameau lustral, accompagné d'un petit génie pareillement armé, et précédé d'un cerf qui retourne vers lui la téte (1). Ce cerf est l'animal fanulier d'Apollon (2); mais aussi un syn:bole aquatique,
puisqu'à
lui se substitue
sur une
monnaie
le taureau
(1)) M. G. Giannelli cherche à prouver (op. cit., p. 207-211) que si cette figure peut représenter, au début, le héros éponyme Caulón (hypothése de Head, Hist. Num.?, p. 93) ,elle représente au V* siécle le fleuve Sagras. Position insoutenable : le type étant uniforme, il faut choisir entre les deux, et se tenir fermement à son choix. — Les arguinents en faveur du fleuve Sa-
gras sont faibles : il est vrai que des monnaies divisionnaires du V* siécle portent une téte juvénile cornue qui à coup sür est celle d'un fleuve; mais ce n'est plus le type poliade archaique. Autant vaudrait conclure de la présence, dans le monnayage de Catane, de l'effigie du fleuve Amenanos, que les grandes têtes laurées et non cornues des tétradrachmes ne représentent pas Apollon. Il y a de méme abus à rapprocher le type cauloniate des monnaies siciliotes oü des fleuves et des sources sont figures en pied (à Sélinonte, Himéra, Léontinoi) : le personnage, dans
tous les cas à nous connus, est tranquille et dans l'attitude bienfaisante de la libation. Nulle raison enfin de séparer du dieu
le cerf,
qui
apparatt
constamment
soit
au
droit,
soit
au
revers, soit sur les deux fauces (sauf une exception : voir infra) et dans une position d'ordinaire caractéristique (la téte tournée vers le personnage principal) — Y voir Caulón souffre aussi de graves difficultés : les premiéres monnaies incuses des Grecs de Sicile et d'Italie ne font aucune part aux héros soidisant
fondateurs,
dont
In vogue
siécle; elles
portent &oit des armes
ra),
symbole
soit
un
divin
ne
commence
parlantes
(Crotone);
celles
guére
qu'au
(Sélinonte, de
V*
Himé-
Poseidönia,
les
seules qui soient strictement comparables à celles de Caulónia (et le parallélisme des deux monnayages est fappant jusqu'à la fin du V* siècle) figurent la grande divinité poliade combattant, donc protectrice; ce pourrait étre à Caulónia un fleuve bienfaisant (si nous n'avions pas écarté déjà cette hypothése), mais
non
un
héros
quelconque
n'ayant
pour
lui que
son
nom;
pourquoi enfin voir dans la plante brandie, l'énigmatique 22,)oc ? — Pour les arguments qui nous semblent au contraire témoigner en faveur de l'identification avec Apollon, voir la «uite. ὰ
(2) Quoi
qu'en dise M. G. Giannelli, op. cit., p. 209, n. 5.
114
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
fluvial (1). Et ce n'est point le seul : on voit parfois derrière. le dieu un loutérion οὐ coule l'eau d'une fontaine à mufle de lion (2); ou bien il est accompagné d'un échassier que: l'on appelle d'ordinaire cigogne, qui est en tout cas un oi. seau aquatique (3). Indices clairs, mais qui définiraient le personnage aussi bien comme un dieu-fleuve que comme: Apollon. Voici qui léve tous les doutes : autour du dieu sautent deux dauphins (4), il s'agit donc d'un Apollon Delphinios. La confirmation vient aussitót : les mémes symboles
(sauf le cerf), la « cigogne », le dauphin, apparaissent en. exergue du trépied apollinien sur la monnaie de Crotone (5), ainsi que les bandelettes nouées propres au dieu de l'Omphalos (6). La parenté entre les deux Apollons « achéens » de Crotone et de Caulonia est donc certaine : tous deux étant dieux des eaux (7), et tous deux purificateurs. Mais on connaît, à Crotone, l'étroite alliance d'Héraclés et Apot-
lon (8). Ainsi se trouve réalisée dans le domaine crotoniate, (1) J. Babelon, loutérion
(2)
Luynes,
: Cabinet
J. Babelon,
I, 6%.
des Médailles,
Luynes,
—
Le
Cart.
cerf debout
devant
41, 2446.
I, 694.
(3) Id., ib., I, 681, 685, 696. (4) Id., ib., I, 693; — et non pas des poissons quelconques
douce, comme lorsqu'il (5) Oiseau aquatique
un
s'agit d'un fleuve. : cf. J. Babelon,
Luynes,
I,
707,
d'eau
708,.
713, 718; — dauphin : cf. Id., ib., I, 706, 713, 724,; — le cr&be aussi, qui, dans le monnayage bruttien, accompagne Poseidón et
Téthys. (6)
Ornant
le
bucráne
sacrificiel
sur
lun
des
statéres
« au
loutérion » de Caulonia : J. Babelon, Luynes, I, 694; — rituelles à Crotone : Id., ib., I, 717, 725, 726, 737. (7 Comme, en Sicile, celui de Catane, dont l'effigte s'accompange de symboles aquatiques, poissons, langoustes (cf. 2. Babelon, Luynes, I, 895, 897, 898, 901). La ressemblance est d'autant plus frappante que la téte du fleuve Aménanos est entourée, à Catune aussi, des mêmes signes (Id., ib., I, 902, 903) : comme s'il y avait parenté entre le grand dieu poliade et le fleuve local, Ce cui expliquerait aussi l'apparition du Fleuve, avec revers au cerf, sur la monnaie de Caulonia dont noua. avos parlé. (8) Caractère apollinien de Crotón-Zakynthos, héros épony-
me : cf. Gruppe, G. M., p. 369. On sait que la légende de Crotón.
L'ITALIE
HERACLEENNE
DU VI^ AU IV* SIECLE
115
des la fin du VI* siècle, et durant tout le V*, l'union des eiements grecs sans doute d'origine, mais partout ailleurs dispersés, et qui se retrouvent, de facon curieuse, conibinés et portés à un haut degré de puissance dans le pays étrusque. Les voies de pénétration, nous les avons tracées ailleurs: les Trézéniens, colonisateurs de Poseid?::ia, n'ado-
raient-ils pas un Apollon joint à Poseidón (1)? Et ne voyonsnous
pas
l'Apollon
aux dauphins
apparaitre
sur une
mon-
uie d’Allifee en Campanie, au IV* siècle (2)? Ou, dans le sanctuaire des Nymphes Nitrodes, près de la source d'eau minérale,
à
Ischia,
n'a-t-on
pas
découvert
des
bas-reliefs
où Apol!on fire à côté des Nyniphes (3)? Herclé et Junon Sospita
Une autre particularité d'Herclé,
ses relations avec une
déesse ınixte que nous appelons Junon Sospitz, et qui se conduit envers lui tantót comme une Héra hostile, tantót comme une Athena secourable, semble aussi trouver son origine dans la méme région achéenne de la Grande-Gr£ce. Nous avons indiqué comment une influence hellénique pré. cise avait fnit attribuer à cette Junon armée et couverte de l'égide l'épithéte d' « Argienne », et l'avait rattachée A la légende de Dioméde (A): le rôle du sanctuaire d'Héra aux bouches du Seilaros fut considérable dans ce travail d'assimilation. Mais tout autant, et plus peut-étre (au moins à partir de l'hégémonie crotoniate), celui du Cap Lacinien. à habitait une Héra Hoplosmia, guerriére, toute proche de était
intriquée
duns
celle
d'Héraclés
et liée
à une
purification
apollinienne (supra, p. 18). Sur l'union à Crotone d'Héraclés et Apollon Hyperboréen, cf. Duc de Luynes, Nouvelles annales, 1836, p. 55. — De méme aussi sans doute à Métaponte, où des monnaies de type spécial, frappées à l'occasion d'un événement important, font alterner, au revers de l'épi, la flgure en pled
d'Héraclés libant et d'Apollon Purificateur (1) Gruppe, G. M., p. 190. (2) J. Babelon, Luynes, I, 56.
(3) Au Musée de Naples
(4) Supra, p. 75 sqq.
(Ruesch,
Catal.,
: voir
supra,
n° 674).
p. 16.
116
LES ORIGINES
DE L HERCULE
ROMAIN
celles d'Élis et d'Argos (1); et, ce qui pour nous est essenGel, l'alliée d'Héraclés, qui passait pour avoir établi le sanctuaire (2). Áu V* siécle, les Crotoniates unissent dans leur vénération la grande Héra Lacinienne, commune déesse
de tous les Hellénes de Grande-Gréce, et un Héraclés doublen:ent fondateur, wkiste de leur ville et zélateur du culte de cette Hera, que ia fable vulgaire représentait comme son ennemie acharnée. ]] v a dans cette alliance, splendidement . illustrée par les monnaies, une originalité trop puissante et un trop étranse rapport avec les conceptions étrusques, pour qu'on puisse la négliger. Sans doute les premiers mo: numents étrusques qui joignent, en troubles relations, Herclé et Junon Sospita datent de la fin du VI* siècle; mafs, à cette date, les Tyrrhéniens, maitres de la Campanie, communiquaient
sans
intermédiaire
avec
les Grecs
du
Seilaros
et de Poseidónia, et par eux avec la Grande-Gréce achéenne ; et déjà, à Crotone, et à l'aube méme de la magnifique hégémonie crotoniate, Pythagore et Milon témoignent de l'alliance des cultes d'Héraclés et de Héra Lacinienne (3). Influences grecques mixtes La popularité du mythe d’Achelôos en Étrurie peut être l'indice d'une influence plus purement campanienne : tant l’image du dieu double, homme et taureau, est fréquente entre le Volturne et le golfe de Salerne. Pourtant le culte d’Achelöos est attesté avec plus d’éclat à Métaponte, qui, adorant à la fois le Fleuve et Héraclés, était fort apte à propager la légende vers l'Italie centrale. Ce qui pourrait faire douter de Ja force des influences campaniennes en Étrurie, c'est que les deux fables héracléennes qui portent une marque proprement chalcidienne, celles de Géryon et d'Alcyonée, ne se décèlent pas dans le domaine tyrrhénien: (1) Cf.
Fr.
Lenormant,
La
Grande-Gréce,
113,
p.
220-222;
Gruppe, G. M., p. 376 et 1126, n. 1; G. Giannelli, Culti e miti del la Maqna Grecia, p. 166-167. (2) Supra, p. 19. (3) Supra, p. 17 et p. 19, n. 3.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV° SIECLE
117
carence singulière quand en la compare à la précision des rapports légendaires et cultuels que nous venons de noter entre l'Étrurie et la Grande-Gréce achéenne. Une autre action mixte du méme genre se trahıt dans les
mythes
« infernaux » d'Herclé.
Les légendes hyperboréen-
nes recues des Étrusques et les représentations d' « Herclé au griffon
» peuvent se rattacher aux foyers helléno-barba-
res des Bouches du Pó, mais sans exclure, tant s'en faut, une influence des villes « hyperboréennes » de GrandeGréce, Métaponte et Crotone, surtout à partir des derniéres aunees du VE siècle et de la prédication pythagoricienne. Et tout de même pour les mythes conjcints des Hespérides et de Cerbére : s'il est vrai, comme nous avons táché de le
montrer, qu'en Étrurie la légende des Hespérides s'est confondue
avec
la tradition
d'un
voyage
d'Héraclés
au
pays
des Hy perboréens, les mêmes influences padanes et achéennes s'entre-croisent de facon inextricable. Encore y a-t-il vraisemblance que la Grande-Gréce, oü l'union cultuelle Héraclés-Apollon
est
attestée,
eut
une
plus
grande
part
que
la région padane dans l'élaboration de ces légendes. — Quant à l'aventure de Cerbére et à la figure d'un Hercule proprement infernal, Poseidónia, Cumes, et Capoue y avaient pu collaborer, sans qu'il soit nécessaire de leur supposer une
autre
provenance : d'ailleurs elles n'ont donné
matiére
à
nul développement original dans le domaine étrusque. Influences
gréco-sémitiques
On pourrait croire que les composantes sémitiques d’Herclé présentent un degré supérieur de pureté et ont imposé au dieu tyrrhénien des particularités inconnues au héros grec et faciles à découvrir. Il n'en est rien. Partout encore nous trouvons trace d'influences venues de la Grande-Gréce,
plus au moins fortes, plus ou moins passagéres, mais toujours sensibles. Ainsi l'Herclé dieu des sources qui, sous sa forme gréco-étrusque, apparaissait joint à Apollon, semble n'avoir pu développer sa légende en Étrurie qu'en s'appuyant sur un « loalos » sardo-carthaginois. Mais cet
118
« Tolaos
LES ORIGINES
» porie un nom
articulation achéenne.
DE L HERCULE
ROMAIN
grec, et, qui plus est, avec une
Parlera-t-on de l'Herclé Navigateur
qui semble un autre Melqart, sans doute l'influence tyrocarthaginoise, utilisant des éléments sardes, apparait incomparablement plus probable que toute autre : et pourtant nous ne saurions sans scrupules écarter la possibilité
d'une action venant de Grande-Gréce,
ou de Corinthe par
l'interiédicire de Corcyre et des Grecs d'Italie. Et de méine
pour l'Herclé «
Dioscure
» et dieu des astres nocturnes,
sénitique de fonctions, grec d'aspect. Herclé et Mla, Mais nulle part Ja combinaison et l'évolution des éléments grecs et carthaginois dans la légende d'Herclé ne sont aussi neítes que dans les rapports qu'il entretient avec ia déesse
Mila. Cette divirite trés proche de la Tanit Carthaginoise, à la fois marine, guerrière et aphrodisiaque, apparait au V* siècle,
sous
son
nom,
conune
l'amante
d'Herclé.
Mais
déjà à cette date elle porte la marque grecque et prend les
traits d'une Athéna, Comment interpréter ce phénomène? D'une Athéna-Aphrodite il ne saurait étre question chez ies -Grecs : et cela suffit pour confirmer l'origine sémitique de
Mlay ;— mais une Athena marine était répandue et honorée chez tous les Hellénes de Grande-Gréce, qui frappaient avec prédilection son effigie sur leurs monnaies : c'est l'Athéna Skyllétia ou Skylétria, déesse des tempêtes et des naufrages (1), à Thourioi, Skyllétion, et tout le long du golfe de
Tarente (2). Par elle s'explique la progressive hellénisation (1) Cf. G. Giannelli, Culti
e Mité della Magna
Grecia, p. 122,
n. 2, et 203 sqq. (2) Une Athena marine est aussi connue à Syracuse (Polem. ap. Athen., XI, p. 642 c; Cic., Verr., II, IV, 118. — Cf. E. Pais, Italia Antica, II, p. 192; p. 196-197). — La progression vers le nord est attestée par ea présence au cap de Sorrente (Stat, Silu., IIT, 2, 22. — Cf. E. Pais, Italia Antica, II, p. 197) et peutêtre à Rome, où Minerve apparaît comme la protectrice des flottes militaires (E. Pais., op. cit., IT, p. 197-198), et où la légende du Palladion est liée aux noms expressifs de Nautés et des Nautii, — Voir : Anti, Athena marina e alata (Mon. d. Lincei, XXVI, 1920-21, p. 310).
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI AU 1V° SIECLE
119
de Aiæ/, qui prend sur un miroir le nom de Menerva, comme elle en avait déjà l’aspect dans la seconde moitié du V* siècle. Et puis l'hellénisation s'affirme de plus en plus ; mais elle tend, bien entendu, à détruire la physionomie originale
mixte, de la déesse primitive : Mlay, devenue
tantót une
Athena, tantöt une Aphrodite, continue à jouer aupres d’Herclé le méme róle amoureux, mais désormais avec une banahté de plus en plus fastidieuse. — Cet exemple nous est précieux, non seulement par la netteté du phénoméne qu'il nous présente, mais aussi 'par la relative précision de sa
chronologie : vers 450, en Étrurie, les éléments helléniquee de Grande-Gréce étroitement pour 4'Herelé.
et phénico-carthaginois se combinent composer le personnage et la légende
Conclusion
Dieu singulier üsme, mais fort des attributions minantes, mais
à cette date, original déjà par son éclee peu homogène : des traits encore ioniens. sémitiques précises et parfois peut-être dodéjà soit encouragées, soit modifiées par
des
grecques
influences
semble-t-il,
qu'aux
de l'Italie méridionale.
Ce n'est,
IV' et III* siécles que Herclé,
plus libre
des lecons qui avaient élevé son enfance, devint proprement étrusque, c'est-à-dire personnel, ayant assimilé les qualités Aue lui avaient transmises Héraclés et Melqart. Le Foie de Plaisance nous le révéle alors, tenant sa place parmi les
divinités d'origines diverses, étrusques, grecques et latines. Il y est l'allié de Mars et de Neptune, à la fois dieu des eaux et dieu de la guerre. Le premier de ces caractères est celui qui se marque le plus, et le plus tót, dans les monuments étrusques. Or, qui voudrait y trouver un symbole d'Herclé ne se tromperait guére ; rien n'est plus facile en
effet que de noter dans le monde grec maint indice d'un Héraclés des sources et des eaux; mais la primauté de ces
fonctions appartient bien plutót à un Melqart qu'à un Héraclés. — Ainsi Herclé nous apparaît-il comme un dieu
120
de nom
LES ORIGINES
DE L’HERCULE
et de physionomie helléniques,
ROMAIN
mais
de fonctions
mixtes, et qui trahissent une puissante influence orientale et phénico-carthaginoise, contrôlées et modifiées par l’action des Grecs d'Italie, surtout des Achéens et Achéo-Trézéniens de Crotone, Métaponte, οἱ Poseidónia.
IV Conclusion
Ainsi se délimite le champ quelles
naquit
et grandit
des influences au milieu des-
l’Hercule
Romain.
Il manque,
a
vrai dire, à cette esquisse des régions héracléennes de l'Italie, une étude spéciale des montagnes Sabines : elles figureraient, sur notre carte, une ferra incognita, une tache blanche, au milieu du riche réseau d'échanges qui couvre l'Italie méridionale et qui, d'Étrurie, s'épanouit jusqu'aux Bouches du Pd. Non qu'il faille en conclure que la Sabine re connut Hercule qu'aprés Rome, et un Hercule Romain: mais une chronologie étendue nous fait ici cruellement défaut; et
l'imprécision des documents,
tous de dates récentes,
lais-
sant le champ libre à toutes les hypothéses, les rend toutes également vaines. Nous avons pourtant indiqué avec quelle puissance l'hellénisme avait imprégné le pays des Marses et les abords du lac Fucin, où l'on a retrouvé tant d'images
de l'Hercule étrusco-italique (1) : si facile étuit la voie qui, de la Campañie, lui ouvrait la vallée du Liris! — Celle de l'Aterno aussi semble avoir été un « lieu
» héracléen:
bien des villes 'et des bourgades des Sabins, des Vestins, des Péligniens, adoraient le héros (2), qui avait pu leur venir, par Sant'Agnone (3), de la Daunie, terre de Dioméde, et de la riche Apulie. — La citadelle de Tibur enfin, latine, Mais qui prolonge en éperon les montagnes Sabines, se glo(1) Voir supra,p. 102.
(2) San Vittorino,
prés Pizzoli
(Not. d. Scavi, 1909,
p. 00);
Paganica et Roio (Not. d. Scavi, 1902, p. 471-472); prés de Molina (Dressel, Bull. d. Inst., 1877, p. 177 sqq.). — La dime est atiestée à Amiterne, pour Hercule... — Voir infra. (3) Hereklüi Kerriiut (Cf. Mommsen, Unterit. Dial. p. *Qq.) : peutttre un Héraclés fécondant, analogue à ceux
Grande-Gréce.
128 de
122
LES ORIGINES
DE L’HERCULE
ROMAIN
rifiait d’adorer depuis une haute antiquité Hercule dans le
plus beau sanctuaire que le fils d'Aleméne possédát en Itahe (1) : dieu de la victoire et de la justice, des oracles et
des trésors, Hercule y dominait tout le culte; et bien des savants, à la suite de M. Wissowa, ont succombé à la tentation de lui rattacher, d'une facon assez simpliste, l'Hercule Romain de l'Ara Mazima, réduite à la condition de simple filiale du temple tiburtin. Mais ce sanctuaire, si important qu il soit, dépend, comme les précédents, des mémes routes et des mémes légendes que ceux du pays étruscolatin : il n'y a donc pas lieu, pour le moment, de le parer
d'un prestige spécial ni d'une originalité privilégiée. S'il est vrai que, de nom, Hercules est grec ou étrusque. insensible déformation d''Hzxx^7; ou d'Hercle (2), on ne considérera
pas toutes ces cités héracléennes,
à travers les-
quelles nous avons passé, seulement comme un chaur étranger qui, de ses douces incantations, a dévié au cours des siècles, un
dieu originairement
latin vers un aspect
et des
légendes helléniques; il faudra de toute nécessité admettre que d'une ou de plusieurs de ces villes, par l'une ou l'autre des routes que nous avons jalonnées, est venu un jour se fixer aux bords du Tibre, au lieu sacré des Sept Collines, un dieu inconnu ux tzib:ss &rcsstrales de racc latine. Quel ap-
parut-il? Comment fut-1l reçu? Apportaitil la guerre ou la paix ?... Aux légendes de répondre; aux sanctuaires 4: faire valoir leurs titres et d'évoquer leur dieu !
La légende le fait arriver, l'étranger, avant méme que Rome
existát,
et planter
son Autel
dans
une
terre encore
sans histoire : ainsi avait-il, dans un paysage grec, sur une plage déserte, prédit la future Crotone. Sur ces innocentes illusions quel besoin que 18 critique moderne exerce son ironie? — Mais voyons-le tel que, à la fin du VI* siécle peut-étre, le peuple déjà mélangé de Rome l'admira soit dans une chapelle à lui consacrée, soit comme personnage
d'un ex-voto dédié. à quelque autre dieu. Une main étrus-
(1) Cf. Ella Bourne, A study of Tibur (1916), p. 57 sqq. (2) Supra, p. 3 sqq.
L'ITALIE HERACLEENNE DU VI* AU IV’ SIECLE que,
un
ouvrier consciencieux
l'avait modelé,
au
nom
rigide, et la tête couverte
mythique,
123 Vulca,
de la peau de
lion, tout comme l'aurait fait à la méme date un artisan de Cypre ou de Grande-Grèce; la terre cuite peinte faisait ressortir et le vêtement sauvage du héros, et sa face im-
berbe, et la puissante musculature,
rouge brique, des bras
et des jambes (1). Noble apparition, certes, et sans rien de fade; Rome commençait seulement à voir ses dieux pré. sents, dressés de toute leur stature, et aussi tangibles que des hommes; et celui-là était étrange, à la fois barbare et
raffiné, de saveur grecque et orientale. -- Mais quoi ? Les archéologues romains ont pu se tromper ou nous tromper : cette statue était-elle vraiment aussi ancienne qu'ils le prétendent? avait-elle été faite pour Rome? ou apportée plus tard, avec le culte, d’une ville étrusque? ou même, rapine de guerre, consacrée dans un sanctuaire d’Hercule dont la date de fondation nous échappera éternellement ? C'est en 399 a. C. qu'un témoignage religieux irréfutable nous atteste enfin la réalité du culte d'Hercule à Rome : un lectisterne public y est célébré, et le héros y a sa place marquée (2). Et que l'on ne prétende point que le document est suspect parce qu'il précède l'invasion Gauloise et la destruction des archives romaines : la méme cérémonie se renouvela quatre fois au cours du IV* siécle; et comme, chaque fois, on se référait au rituel de la précédente, il était difficile, ou, pour mieux dire, impossible, que l'on perdit de vue la première de toutes, et qu'en si peu de temps on (1) La statue, d'argile (on l’appelait Hercules fictilis), était attribuée au méme artiste qui fit aussi la premiére statue d'argile de Jupiter Capitolin (Plin., n. h., XXXV, 57); donc, selon qu'on suit la tradition pure ou rectifiée, datée de la fin du VI* ou du début du V* siècle. Le dieu était représenté la tête couverte, comme on peut l'inférer d'une remarque absurde de Macrobe (III, 6, 17). Pour le style, on comparera les grandes statues de terre cuite contemporaines, trouvées récemment à Véies. — Cf. Brunn, Gesch. Griech. Künstler*, I, p. 370; Preller, ἢ. M.*, I, p. 218, n. 2. (2) Liv., V, 13, 6; Dionys. Halic., XII, 9 sq.; Augustin., de ctv. D., III, 17. — Voir infra.
124
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
oubliät la date solennelle oü, selon le rite grec,
six
s'étaient couchés,
d'un
pour
la premiére
fois,
autour
dieux ban-
quet sacré. Selon que l'on admet, ou non, comme réelle en tous ses termes, la donnée sur la statue étrusco-romaine de Vulca, le probléme des influences héracléennes sur Rome (en dehors
de toute discussion critique, et in abstracto) se pose differemment. — Dans le premier cas, l'Hercule Romain remonte
au moins aussi haut que l'Hercule Étrusque; et, de deux choses l'une, ou bien ce sont les Étrusques qui l'ont introduit dans Rome; ou bien la domination étrusque l'a trouvé déjà installé par des Grecs, et lui ἃ donné plus d'importance et peut-étre un caractére officiel ; quant aux influences de Grande-Gréce (sans parler des marins de Phocée et de Cumes), elles se rattachent à la période de l'hégémonie sybarite. — Dans le second cas, les mémes hypothéses sont possibles, mais totalement invérifiables; et il faudra tenir compte de deux facteurs importants : l'hégémonie maritime de Syracuse dans les mers italiennes; l'hégémonie terrestre et maritime de Crotone dans la Grande-Gréce, et jusqu'aux portes de la Campanie. Et, réciproquement,
si, dans l'étude
culte et de la nature de
l’Hercule
de
Romain,
la
légende,
nous
du
pouvons
déceler tel élément d'apparence originelle, et se rapportant à l'hégémonie soit syracusaine ou crotoniate, soit étrusque ou sybarite, ce nous sera un indice de la date réelle oü le dieu a pénétré à Rome. La recherche que nous entreprenons poursuivra donc concurremment deux buts : les composantes d'Hercule Romain, et la chronologie de son culte.
DEUXIEME
Formation Romaine
de
PARTIE
la
Legende
d’Hercule.
Les
Sources
de
la
Légende
ll y a une vulgate de la légende d'Hercule à Rome. Ella est universellement connue, et s'est imposée à tous les écrivains qui en ont traité au I” siècle avant notre ère, et à ceux qui les ont suivis, historiens comme Tite-live et Denys d'Halcarnasse, poètes comme Virgile, Ovide et Properce, com-
plateurs comme Solin. Elle disait que le héros venant du lointain Occident victorieux de Géryon, et, poussant devant lui les troupeaux conquis, s'était arrêté aux bords du Tibre, entre le Palatin
et l'Aventin,
et s'y
était endormi;
Cacus,
brisand de l'Aventin, lui vola les plus belles de ses b£tes; Hercule le chätia. Pour remercier son pére, il éleva prés de la porte Trigemina l'autel de Jupiter Inventor. Lui-méme obtint d'Évandre, au pied du Palatin, le sanctuaire illustre de l'Ara Marima. 4 priori, l'importance de cette vulgate est fort grande,
parceque la légende s'attache à des données topographiques précises : d'une part les environs de la Porte Trigemina, l'étroit couloir entre les à-pic de l'Aventin et le cours du Tibre; de l'autre, l'Ara Maxima et ses alentours, ce carrefour ou convergent la route des Salines, la Vallée du Grand Cirque, le Vélabre. Elle l'est encore parceque la tradition n'est pas seulement poétique, mais religieuse; c'est une traditioa de temples, un récit de fondations : comme telle, elle doit
être d'une ancienneté au moins relative.
Mais il est trés net aussi que les rédactions du I” siècle en sont trop tardives pour nous insprirer une confiance absolue. Nous devons les contróler l'une. par l'autre, les criti-
128
LES
ORIGINES
DE
L'HERCULE
ROMAIN
quer, chercher sous la vulgate les états antérieurs, si possible reconstituer la forme primitive de la légende (1). Théorie
L'étude sources du Winter (2). étre admis suit :
de M.
Winter
la plus complète et la plus récente sur les mythe d'Hercule à Rome a été faite par M. J. 6. Ce travail simplifie beaucoup notre táche et peut dans son ensmble. Nous le résumerons comme
a) Tite-Live et l'Origo Gentis Romanae
dérivent des der-
niers annalistes, en particulier Ælius Tubero et Licinius Macer; à Tubero se rattache aussi la version mythique de Denys d'Halicarnasse;
b) la source, directe ou non, de Strabon est Acilius; c) à Varron et Pison remontent les récits evhémériques de Denys,
Festus et Solin;
d) Timée est, pour l'ensemble, la source de Diodore de Sicile; c) quant aux poétes, « leurs créations ne sont pas réalistes, mais romantiques », et, malgré les quelques traces de l'annalistique récente qu'on trouve en eux, on n'a pas à se servir de leurs œuvres, presque uniquement littéraires. En somme, la plus ancienne forme du mythe, toute grecque, et sans Cacus, est représentée par Strabon, et, dans une certaine mesure,
par Timée, dont les données
nous ont
été transmises par Diodore de Sicile. — Cette matiére a été reprise, nous ignorons sous quelle forme, par les premiers annalistes Romains, et, par les plus récents (Macer et Tubero), a été transmise à Tite-Live et Denys: Denys re(1) Représentants de la Vulgate : Vergil., Aen., VIII, 190 sqq; Liv., I, 7, 3 sqq.; Dionys. Halic., I, 39 sq. (2 versions : mythique et rationaliste); Propert., V, 9, 1 sqq.; Ovid., fast., I, 543 sqq; cf. id., ib., V, 643 sqq; VI, 79 sqq.);De orig. Gent. Rom., 7. — Données divergentes : Strab., V, 3, 3; Diod. Sic., IV, 21; Festus, 8. v. Romam, p. 266; Solin., I, 7 sqq.
(2) The studies.
myth
of Hercules
Humanistic
at Rome
(University. of Michigan
Series, IV (1910), p. 171-273).
FORMATION
DE LA LEGENDE
ROMAINE D'HERCULE
129
présente le Livmphe de l'esprit historique, tout le divin disparait de son récit; quant à celui de Tite-Live, il est purement étiololique. -— Entre temps le mythe de Cacus, à l’origine tout à fait indépendant de celui d’Hercule, y avait été joint : au plus tard au III* siècle. Mais Cacus ne prit le rôle de voleur sans doute qu'avec les annalistes Romains du II". Avant toute discussion, il est visible que le système de M. Winter s'expose à deux critiques de méthode : il fait trop bon marché des données augustéennes, en particulier des poétes, et de Virgile; il ne donne pas aux versions secondai-
fes et divergentes la place qui doit leur revenir dans l'explication du mythe officiel. I.
Mais
ces
—
STRABON
ET
déterminations
DIODORE
précises
DE
SICILE
des sources
sont.elles
possibles avec des auteurs aussi fuyants que ceux de l'Anti-
quité ? Deux exemples suffiront à en montrer le danger. Strabon
M. Winter
donne
au
texte de
Strabon
une
valeur
excep-
tionnelle. Est-elle fondée ? — Strabon dit : « Il est une autre tradition, antérieure et mythique, selon laquelle il y avait (sur l'emplacement de la future Rome) une colonie Arcadienne sous Évandre. Celui-ci reçut en hospitalité Héraclés, qui menait les bœufs de Géryon. Mais Évandre, ayant appris de sa mére
Nicostrate,
clés, aprés avoir accompli
instruite
de
l'avenir,
qu'Héra-
ses travaux, était destiné à de-
venir dieu, l'annonca à Héraclés, détermina un enclos sacré,
et offrit un sacrifice grec qui jusqu'à maintenant
en l'honneur d'Héraclés.
subsiste
Et Coelius (ou Acilius) l'historien
Romain donne pour preuve de la fondation hellénique de Rome l'existence de cet antique sacrifice de rite grec à Heraclés. Quant à la mère d'Évandre, les Romains l'honorent
comme une des nymphes, sous le nom de Carmenta. (1) » (1) Strab., V,p. 230 C. : « Ἄλλη δέ τις προτέρα xai μυθώδης ᾿Αρχαδικὴν λέγουσα
γενέσθαι τὴν ἀποιχίαν
ὑπ' Εὐάνδρου. Τούτῳ
δ' ἐπιξενωθῆναι
τὸγ
130
LES ORIGINES DE L'HERCULE
Avons-nous
d'abord
le
droit
eilius à tout le passage ? Toute la première partie « Kal 9 ve Κοίλιος »,
ROMAIN
d'étendre
du
l'autorité
développement,
d'A-
jusqu'à
est sous forme infinitive : c'est « l’au-
tre tradition » que Strabon rapporte comme récit général et bien
connu.
Au
contraire,
les témoignages
sur l'origine
de
Rome et sur Carmenta se présentent sous forme positive : ils sont donc en dehors du récit précédent, et ne servent qu'à donner de l'autorité au caractère grec du sacrifice, et à l'existence de Carmenta-Nicostrate à Rome. Sous forme simplifiée et accentuée, le texte de Strabon veut dire : « Il est une autre tradition sur la fondation de Rome, que voici... Tellement grec est le sacrifice à Hercule qu'Acilius s'en sert pour prouver l'origine grecque de Rome. Quant aux personnages
arcadiens, Nicostrate-Carmenta est positivement honorée à Rome. » — Il se peut qu’Acilius ait fait le méme récit que
Strabon : nous n'en savons rien. Mais il est sür que Strabon ne le donne pas comme étant d'Acilius. Toute précision en ce sens doit disparaitre : et nous ne nous trouvons
plus que
devant une tradition vague et non datée, qu'il faudra étudier comme telle. M. Winter croit, d'autre part, pouvoir inférer de ce texte que la source de Strabon ne connaissait
pas encore
Cacus;
donc que Strabon représente pour nous un état relativement pur de la légende d'Hercule. Une telle conclusion est, elle aussi, forcée. Strabon parle de l'origine de Rome et vient de rapporter la tradition troyenne et romuléenne de la fondation ; il indique ensuite la tradition grecque
(arcadienne)
la rattache au culte d'Hercule,
fait c'est à lui
parcequ'en
et
'BpaxMa ἐλαύνοντα τὰς Γηρυόνου βοῦς * πυθόμενον 8t zT, μητρὸς Ν᾿ χοστράτης τὸν Εὔανδοον (εἶναι δ᾽ αὐτὴν μαντιχῆς ἔμπειρον), ὅτι τῷ 'Hpaxet πεπρωμένον ἦν τελέσαντι τοὺς ἀήλους θεῷ γενέσθαι, φοάσαι τε πρὸς τὸν "Hoada ταῦτα
xai
φυλάττεσθαι
τέμενος
ἀναδεῖξαι
xal
θῦσα!
θυσίαν
τῷ ‘Hoaxheï, Kai 6 γε Κοίλιος,
Ἑλλην: χήν,
ἣν
ὁ τῶν Ρωμαίων
xal
νῦν
ἔτι
συγγραφεύς,
τοῦτο τίθεται σημεῖον τοῦ Ἑλληνικὸν εἶναι χτίσμα τὴν 'Ρώμην, τὸ παρ᾽ αὐτῇ
τὴν πάτριον θυσίαν ᾿Ελληνιχὴν εἶναι τῷ 'Βραχλεῖ. Καὶ τὴν μητέρα δὲ τοῦ Εὐάνδοου τιμῶσι 'Ρωμαῖοι, μίαν τῶν νυμφῶν νομίσαντες, Καρμέντην μετονομασθεῖσαν. »
FORMATION
sul qu'on dare et a bor traite l'a sllégée avors-nous
DE. LA LEGENDE
ROMAINE D'HERCULB
.131
peut la rattacher : l’histoire de Cacus est seconfort bien pu être omise; d'autant plus que Stracette seconde tradition avec un mépris évident, et autant que possible. Mais d'ailleurs quelle raison de croire qu'il ait utilisé d'autres sources, plus
anciennes, que les soigneux historiens de Rome, Tite-Live et Denys d’Halicarnasse? Il est à peu prés leur contemporain; il vint à Rome en mém temps que Denys. Il ne se Soucie pas exetrémement des écrivains latins. Dans un passage secondaire de sa Géographie, il n'a pas dû faire l'érudit, mais rapporter une tradition courante en la réduisant aux éléments qui lui étaient d'une stricte utilité. Ainsi, d'une part Acilius n'est pas la source de tout le récit de Strabon ; de l'autre, ce récit ne remonte pas forcément à une source ancienne qui ignorait Cacus (1). Est-ce à dire que M. Winter ait eu tort d'affirmer que le mythe de Cacus a été adjoint tardivement à la légende d'Hercule ? Certes non. Mais le texte de Strabon n'en est pas une preuve. Substituer une précision forcée à l'évidente imprécision n'est pas d'une bonne méthode historique. Diodore
de
Sicile
Avec beaucoup d'atténuations et de restrictions, M. Winter attribue à Timée l'origine du fameux chapitre de Dio(1) M.
Winter
se met
d'ailleurs
en contradiction
avec
lui-mé-
me lorsqu'il admet (p. 269) que l'indigéne Cacus fut introduit dans le mythe d'Hercule au plus tard au III* siécle (par Timée, e' comme ami d'Hercule. Voir plus bas.), et que son caractère de voleur a pu lui être donné par les annalistes du II* siècle. Comment concilier toutes ces précisions :
a) Au
1119 siècle (Timée),
n'existe pas; b) Au II* siécle n'existe pas; c) entre
les deux,
(Acilius), Cacus
Hercule reçu par Kakios, Hercule est
devenu
recu
par
le voleur
Evandre
Évandre, des
Cacus
troupeaux
d'Hercule ? Cette réelle incohérence disparaît lorsqu'on se rend compte que le récit de Strabon n'est pas l'exacte traduction de celui d’Aci-
lius, et qu'il a volontairement été simplifié par l'auteur.
132.
LES
ORIGINES
DE
L HERCULE
ROMAIN
dore de Siciie, IY, 21. La matière de c2 chopitte est la suivante : « Héraclès, à travers la Ligurie et la Tuscie, arrive au Palatium habité par des indigènes {τινες τῶν ἐγγωρίων =
Aborigènes ?). Deux d'entre eux, des plus nobles, Cacius et Pinarius, le reçoivent en hospitalité. Comme preuves de ces faits : la famille des Pinarii subsiste à Rome, et l’on descend du Palatin par un escalier dit de Cacius. Héraclès, en récompense, promet la richesse à qui lui sacrifiera la dime de ses biens. Ce que fit, entre autres, Lucullus (1). Ensuitee Héraclés descend dans la plaine de Cumes où il combat les Géants aux champs Phlégréens.» — «Et sur ce massacre des Géants à Phlégra, d'une part (xoi πεοὶ μὲν τῶν ἐν Φλέγρᾳ φονευθέντων Γιγάντων), tel est le récit que font certains, suivts
aussi par l'historien Timée. 5'HoaxAnc),
Et d'autre part Héraclés
aprés avoir quitté les champs
Phlégréens,
(ὁ
e
etc. »
— Ce récit est d'ailleurs inclus dans une longue relation de la marche d'Hercule depuis l'Espagne jusqu'en Gréce. (1) 'Βραχλῆς
δὲ
διελθὼν
τὴν
τε τῶν
Αἰγύων
xal
τὴν
τῶν
Τυρρηνῶν
ywpav, καταντήσας πρὸς τὸν Τίδεριν ποταμὸν κατεστοατοπέδευσεγ οὗ νῦν à 'Popr ἐστιν. "AM αὕτη μὲν ᾿πολλαῖς γενεαῖς ὕστερον ὑπὸ 'Ρωμύλου τοῦ “Ἄρεος ἐκτίσθη. τότε δέ τινες τῶν ἐγχωρίων κατῴχουν ἐν τῷ νῦν καλουμένῳ Μβαλατίῳ, μιχρὰν παντελῶς πόλιν οἰκοῦντες. "Ev ταύτῃ δὲ τῶν ἐπιφανῶν ὄντες ἀνδρῶν δωρεαῖς
Κάχιος
xai
Iltvapıos
χεχαρισμέναις
ἐδέξαντο
ἐτίμηταν.
τὸν
Τῶν
᾿Βραχλέα
γὰρ
νῦν
ξενίοις ἀξιολόγοις xal
εὐγενῶν
ἀνδρῶν
τὸ
τῶν
Βιναοίΐων ὀνομαζόμενον γένος διαμένει παρά τοῖς Ρωμαίοις, ὡς ὑπάρχον ἀρχαιότατον, τοῦ CE Κακίου ἐν τῷ Παλατίῳ χατάδασίς ἐστιν ἔχουσα λιθίνην χλίμαχα
γενομένης τῶν
τὸ
τὴν
ὀνομαζομένην
οἰχίας τοῦ Παλάτιον
Κακίου, οἰχούντων,
ἀπ᾽ ἐκείνου
Κακχίαν ξ οὖσαν
πλησίον
τῆς
τότε
Ὁ δ᾽ οὖν ραχλῆῇς ἀποδεξάμενος τὴν εὔνοιαν προεῖπεν
αὐτοῖς
ὅτι
μετὰ
τὴν
ἑαυτοῦ
μετάστασιν els θεοὺς τοῖς εὐξαμένοις ἐχδεχατεύσειν Ἡρακλεῖ τὴν οὐσίαν συμδήσεται τὸν βίον εὐδαιμονέστερον ἔχειν. "O xai. συνέδη κατὰ τοὺς ὕστερον χρόνους διαμεῖναι μεχρὶ τῶν καθ᾽ ἡμᾶς χρόνων " πόλλους γάρ 'Ρωμαίων οὐ μόνον τῶν συμμέτρους οὐσίας κεχτημένων, ἀλλὰ xal τῶν
μεγαλοπλούτων
τινὰς εὐξαμένους ἐχδεχατεύσειν
γενομένους εὐδαίμονας, ἐχδεχατεῦσαι τὰς
οὐσίας
'Hpaxet, xal μετὰ
ταῦτα
οὖσας ταλάντων τετρακισχι-
λίων. Λεύχολλος γὰρ ὁ τῶν χαθ᾽ αὑτὸν ‘Poualwv σχεδόν τι πλουσιώτατος ὦν. διατιμησάμενος τὴν ἰδίαν οὐσίαν κατέθυσε τῷ θεῷ πᾶσαν τὴν δεχάτην εὐωχίας ποιῶν συνεχεῖς καὶ πολυδαπάνους. Κατεσχεύασαν δὲ καὶ Ρωμαῖοι τούτῳ τῷ θεῷ παρὰ τὸν Τίδεριν ἱερὸν ἀξιόλογον, ἐν ᾧ νομίζουσι συντελεῖν «ἃς lx τῆς δεκάτης θυσίας. --- Ὁ δ᾽ οὖν "Hoax, ἀπὸ τοῦ Τιδέρεως ἀναζεύξας
BUFMATION
DE LA LEGENDE
ROMAINE
D HERCULE
133
M. Winter admet comme source générale Timée, sauf en ce qui concerne les offrandes de Lucullus, et peut-être les Scalce Caci. « L'étrange variante » qui unit Cacius à Pinanus, est due à Timée lui-même (1). Mas il est au contraire tout à fait net que c'est seulement à la lerniere phrase
du chapitre
que commence
l'influence
de Timée sur Diodore. Il n'est cité qu'à propos d'une légende toute différente, la lutte contre les Géants dans les champs Phlégréens, et parmi d'autres sources. Ce dernier paragraphe du chapitre 24 se relie d'ailleurs beaucoup plus étroitement à ce qui suit qu'à ce qui précéde, comme le prouve
la structure méme de la phrase (μὲν... δὲ...) ; et donc l'utilisation de Timée par Diodore ne se termine pas, mais com- . mence avec la lutte contre les Géants. — En voici une autre preuve. Parlant de la légende d'Hercule à Rome, Diodore se contente d'affirmer et va allégrement de l'avant, comme un historien sür de son fait et qui ne s'embarrasse pas de ce qui fut dit avant lui; au contraire, dés qu'il arrive au pays ' de Cumes et à l'Italie Grecque, il cite ses sources (2) ou em-
ploie des mots qui indiquent une tradition (3). Il est d'ailleurs trés curieux d'examiner le caractére des deux parties de ce récit, celle qui concerne l'Italie Barbare, et celle qui se rapporte à la Grande-Gréce et à la Sicile. Autant la prcmiére
est séche
et terne,
autant
abondent
dans
la seconde
les miracles d'allure populaire (4), les lotalisations précises et, pour ainsi dire, les lieux de pélerinage (5). ἃ partir de (1) Est du méme
avis que M.
p. 283; R. E., s. v. Cacus.,
Winter M. Wissowa
III, 1166). Par contre M.
(R. K. R?,, Schwartz
(ἢ.
E., V, 676-677) admet que Timée n'est pas en question jusqu'à IV, ?1, 5; et que
méme
le passage
de
Diodore
IV, 21, à, —
24, 1, ne
vient pas directement de Timée, mais est un morceau d'un manuel dans lequel d'ailleurs Timée était largement utilisé (l. c., 677, lignes 41-45). (2) Timée ; 21, 7; 22, 6. (3) μυθολογοῦσιν
: 21,5; 22,3; —
μυθολογοῦνται : 21,7; φασιν 22,2; etc...
(4) Miracles des cigales, 22,5; des sources chaudes, 23,1; des empreintes de ses bœufs, 24, 2; des impies paralysés, 24, 5. (5) Via Herculea près de l'Averne, 22, 2; bassin de Léontinoi, 24, 3; sacrifice de la fontaine Cyanée, 23, 4; porte Herakleia à Léontinoi, 24, 6.
134
LES ORIGINES DE L'HERCULE
Cumes, nous somines en pleine dieu d'une mythologie vivante: fluence des histcriens de S«cile, avant, on ne retrouve aucun de
ROMAIN
tradition grecque, et au mu. là n'est pas douteuse l'inen particulier Timée. Mais ces caractéres d' « ubertas :
qui sont le proprede la mythologie
hellénique.
Examinons au contraire la légende d'Hercule à Rome tell: qu'elle nous a été transmise par Diodore. — Mais d'abord estee une légende? Elle a tout l'aspect d'une construction artificielle à tendance étiologique et de caractére evhémérique. C'est ainsi qu'Héraclés est indiqué comme chef d'armée (1), alors
que
Timée,
semble-t il, se le représentait
comme
un
héros isolé (2). C'est ainsi encore que Cacus, ayant pris par une singuliére inadvertance le nom de Cacius, cesse d'étre un « démon » pour devenir un simple bourgeois. — D'autre part, tout le récit est destiné à expliquer l'usage de la dime, et aboutit logiquement à l'énoncé des sommes énormes offertes au dieu, et des largesses de Lucullus. Le récit lui méme est pauvre et banal à l’exces. Diodore, en effet, quand il ne suit pas une source précise, ne se met pas en frais d'invention : lorsqu'il trouve mentionné dans une ville grecque su étrangère un sacrifice en l'honneur d'Hercule, que la
!hronique de la cité ne manque
d'ailleurs pas de faire re-
monter au héros lui-méme (3), il en donne comme immédiate *xplication qu'Hercule en ce lieu fut bien reçu par les ind!-
genes; quand il ne peut préciser, il s'en tient bonnement aux termes les plus vagues et les plus généraux : « quelque part en Ib£rie », « un roitelet de la région » etc... A Rome, plus heureux, il rencontre des noms, des lieux, que la voix publique rattache au souvenir d'Hercule; on lui montre l'Atrium Caci, la Scala Cocia; on lui dit que l'illustre famille des Pi-
narii descend d'ufh homme qui autrefois reçut et honora Hercule; on lui fait part aussi de l'habitude d'offrir la dime au héros, et on lui raconte de merveilleuses histoires sur les banquets offerts par Lucullus et autres puissants personaages. (1) 21,1 : κατεστρατοπέδευσεν; — 21,5 : ἀπὸ τοῦ Τιδέρεως ἀναϊεύξας. (2) Sa traversée du détroit de Sicile : 22, 6. (3) Une ville d'Espagne, IV, 18, 3; Rome, Syracuse, Léontinoi.
FORMATION
DE
LA
LEGENDE
ROMAINE
D HERCULE
135
C'est sur ce thème banal et sur ces noms précis qu'á éte construite l'histoire de Diodore. Un récit grec eût eu plus d'accent; une donnée de Timée, moins de précision. M. Winter s'en est bien aperçu, qui n'a pas osé aflirmer que la mention de la Scala Caci remontát à Timée. — Si l'on admet au contraire le travail propre de Diodore sur ces documents,
son récit s'explique peut-être d'abord par les procédés mo: notones : réception du héros, ses prédictions (ainsi à Crotone, IV, 24, 7); ensuite par des traditions confuses snr Cacus. Potitius et Pinarius, que lui méme s'est efforcé de préciser en les rattachant à des témoignages matéric!s : ainsi s'expliquerait la disparition de Potitius, qui n'avait pas de sub-
strat archéologique, et l'introduction à sa place de Cacus (ou Cacius) pour reconstituer le groupe des deux adorateurs
d'Hercule. Toute difficulté n'est d'ailleurs pas sunprimée, loin de là. Pourquoi Diodore ne parle-t-il pas d'Évandre, eependant bien connu des Romains au moins depuis la fin du HE sieole? Pourquoi ne dit-il rien de l'Ara Marima et de sa fondation liturgique si curieuse ? Si les autres textes de l'époque augustéenne se sont inspirés directenint des annalistes (et sur qui d'autre auraient-ils pu se fonder?), la divergence entre eux et Diodore prouve au moins que Diodore n'a
pas voulu les suivre. Mais conmive d'autre part il est prouvé qu'il n'a pas usé de Timée (et que méme M. Winter enléve toute substance à son hypothèse), et que d'ailleurs son récil est fortement imprégné de rationalisme evhémérique et de chronique contemporaine, et en outre construit sur les the-
mes les plus platement courants, il semble bien qu'il ne faut faire aucun fond sur cette donnée divergente, quasi absurde, qui n'est peut-étre qu'une construction arbitraire de Diodore lui-méme. Les conclusions que nous tirerons de cette étude seront donc fort différentes de celles de M. Winter. Diodore ne représente ni l'annalistique romaine, ni Timée; sans doute ne représente-t-il que lui, c'est-à-dire une interprétation rationaliste de données légendaires confuses. Mais cela méme est précieux pour nous: — Si, vers le milieu du 1 siècle,
136
LES ORIGINES DE
tous les éléments de la ils étaient encore assez certains arrangements. officielle n'existait pas
L HERCULE
ROMAIN
légende augustéenne existaient déjà, souples et malléables pour souffrir Cela ne veut pas dire que la version encore : tout nous porte à croire le
contraire. Mais cela prouve qu'elle n'était pas (ou plus) populaire à Rome : car alors on n'aurait pu y toucher. — D'autre part, si Diodore n'a pas agi par demi-ignorance, la facon dont il a traité le mythe prouve que les points essentiels en étaient déjà bien établis: la cité Palatine favorable à Hercule, les deux hótes qui l'honorent, dont un est Pinarius, les
données ment
topographiques
avec
la tradition
: ces détails s'accordent évandréenne
du
Palatin,
passabledéjà
bien
connue de Polybe. Reste l'énigmatique personnage de Cacus, dont le róle paraît si mal fixé jusqu'à la période augustéenne; sur quoi nous revenons au jugement bien motivé de M. Winter : l'adjonction du mythe de Cacus à celui d'Hercule-Évandre s'est faite relativement tard et n'a pris qu'à la fin du I siècle sa forme définitive, exclusive. Conclusion
Somme toute, Strabon et Diodore, loin de représenter la plus ancienne forme à nous connue de la légende d'Hercule à Rome, nous semblent plutót témoigner d'un moment de crise rationaliste entre la parfaite formation de la légende dans
le courant
des
III* et II* siécles,
et sa reconstruction
savante et poétique par les auteurs du siécle d'Auguste. À cet effort de dépouillement presque complet, de réduction des légendes à leurs éléments les plus simples et les plus humains, devaient déjà aboutir les derniéres productions de l'annalistique : sans méme posséder ces textes, nous pouvons en étre sürs, étant donné l'esprit de la science et de la pensée philosophique dés la fin du II* et surtout au début du I" siècle. — Strabon et Diodore marquent presque le dernier terme de cette destruction des légendes : l'époque d’Auguste, ici comme ailleurs, marque un vigoureux essai de reconstruction.
FORMATION
DE LA LEGENDE
ROMAINE
D HERCULE
137
II. — LES FORMES AUGUSTEENNES DE LA LEGENDE : | LES HISTORIENS Parmi les auteurs du siècle d’Auguste, M. Winter distingue à bon droit les historiens des poètes : d’une part TiteLive et Denys d'Halicarnasse; de l’autre Virgile, Properce et Ovide. Et il a raison d'indiquer comme sources des historiens les derniers annalistes,
en particulier Tubero et Ma-
cer. Mais ils s’en sont servis avec plus de curiosité et un sens plus réel de l’Antiquité que ne l’ont fait Strabon et Diodore. [15 sont revenus à la légende. Non pas absolument pure pourtant : les traces d’evhemerisme sont nettes dans les deux récits, et, n’était le personnage d’Hercule, tout y serait humain
(Cacus est un pasteur dans Tite-läve, un voleur
ehez Denys); Denys éprouve même le besoin, après avoir rapporté la légende en grand détail, d'y joindre une inter-
prétation d'un parfait rationalisme, qui fait d'Hercule un chef d'armée et de Cacus une sorte de baron pillard de la Campagne romaine (1). Mais il est indéniable pourtant qu'avec ces historiens nous sommes revenus à un état de la lé: gende préférable à l'excessive briéveté de Strabon et à la bizarre construction de Diodore. Discordances dans la Vulgate
Ce qu'il est essentiel de noter d'ailleurs, c'est que TiteLive et Denys ne représentent pas exactement la méme tradition. Ainsi, lorsque Denys parle d'un oracle de Thémis, Tite-Live
introduit Carmenta ; si Hercule
vainqueur
se voit,
selon Denys, entouré d'une population reconnaissante, il faut qu'Évandre, nous dit Tite-Live, calme les pasteurs ameutés contre lui: Denys parle de l'autel à Jupiter Inventor, élevé par Hercule, Tite-Live n'en fait pas mention; selon le premier ce fut Hercule, suivant l'autre Évandre, qui dressa l'Ara Marima; quand il s'agit de l'initiation de Potitius,
les termes sont renversés. — Or ces deux auteurs écrivent ea (1) Dion. Hal., I, 41-42.
138
LES ORICINES DE L’HERCULE
même
temps,
sur un sujet commun,
ROMAIN
avec des sources, nous
dit-on, communes, un esprit rationaliste égal et des procédés comparables. Dans ces conditions, les différences que nous venons de noter, si peu sensibles qu'elles soient, πὸ doivent
pas
être négligées.
Car
elles
correspondent
sans
doute à des traditions à l'origine divergentes, qui se sont peu à peu rapprochées jusqu'à presque se confondre. Et, en partant de ces indications, nous avons donc chance de retrouver quelques traces, sinon du mythe originel, au moins d'un de ses états antérieurs. Carmenta
La prophétesse Carmenta, Ovide, est purement
ou
Thémis
dont font mention
latine; son
identification
Tite-Live et avec
Thémis
prouve une influence grecque (1), mais cui peut ne toucher que le nom; de fait, la mére d'Évandre, en Gréce, ne s'appelle pas anciennement Thémis, mais Timandra (2). Ce qui S'est passé est assez facile à reconstituer. Déjà pour Hésiode "Évandre est un héros de Tégée, c'est-à-dire Arcadien; il semble avoir été assez tót introduit dans le cercle de Pan, avec pour pére Hermes et pour mére une fille du fleuve Ladon nommée Themis (3). Mais ce n'est pas de cette Thémis qu'il est question dans la tradition romaine: il s'agit de l’eubouros
Θέμι:,
ἰδ prophétesse
de
Delphes,
comme
le
prouve une tradition divergente sur le mythe d'Hercule à Rome, qui attribuait à l'Apollon de Delphes les prédictions mises par d'autres dans la bouche de Carmenta (4). La confusion est certaine. A quoi est-elle due? Pourquoi ce besoin de donner à Évandre une mére prophétesse? Plus que probablement, comme nous le verrons, parce qu'Évandre à Rome n'est qu'une traduction de Faunus, et que la parédre de Faunus, Bona Dea, dont Carmenta n'est qu'une
forme, est (1) (2) (3) (4)
prophétesse
comme
Wissowa, R. K R:1, p. 220-221. Hesiod., fr. 109. 112 K. Cf. R. E., VI, p. 839-840, Serv., Aen., VIII, 269 = Myth.
Faunus
lui-même.
L'une
Vatic., II, 153; III, 13, 7..
FORMATION
DE LA LEGENDE ROMAINE
D'HERCULB
130
source, l'autre prophétesse, les deux Thémis trouvaient leur exacte correspondance à Rome dans la seule Carmenta, comme dans Faunus Évandre. Donc au groupe purement latin Faune-Carmenta devrait logiquement faire pendant le
groupe
hellénisé Évandre-Thémis;
et la tradition de Tite-
Live, Evandre-Carınenta, est mixte, et prend place, veut, entre les deux précédentes (1).
si l'on
La population hostile ou amicale Quant à la facon dont Hercule fut accueilli par 18 population, il apparait aussitót que le récit de Denys est rationaliste ; mais celui de Tite-Live le parait aussi : l'un invoque l'horreur du sang versé, l'autre la reconnaissance des opprimés. Que l'on fasse pourtant attention. Méme dans le récit de Denys, Cacus appelle à son aide « les paysans ses compatriotes », phrase que l'on retrouve dans Tite-Live :
« fidem pastorum nequiquam inuocans. » — Properce garde le souvenir d'une légende qui faisait repousser
les sectatrices de Bona
Dea.
Hercule aussitót par Évandre,
A Ovide,
Hercule
par
qui faisait recevoir
s'oppose Servius, qui parle
formellement de la méfiance du roi Arcadien (2). — Nous voilà conduits à la question inévitable : n'y eut-il pas une tradition ancienne, selon laquelle Hercule fut d'abord mal reçu, traité en étranger et en ennemi sur le sol de Rome? Si la légende est grecque, (et a priori il n'y ἃ aucune raison d'en douter), il y a assez d'exemples de récits semblables où, tout le long des côtes méditerranéennes, Hercule, représentant de la race grecque, eut à lutter contre des Barbares in(1) On peut se représenter ainsi la suite chronologique
identifié
à Évandre, Évandre rapproché de Carmenta,
ta hellénisée en Thémis.
: Faune
Carmen-
La plupart des auteurs du siécle d'Au-
guste reviennent ici, comme souvent leur semble la plus nationale. Mais,
ailleurs, à la tradition qui dans le cas présent, ils 8e
sont arrétés à Carmenta, alors qu'ils auraient dà logiquement poursuivre, et retrouver Faunus sous Évandre. (2) Serv., Aen., VIII, 269 : Hercules primo non est ab Euandro
susceptus.
140
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
hospitaliers. La question demande à être traitée à loisir. En tout cas, elle se pose avec netteté par le simple examen des textes augustéens, qui ici encore nous permettent de remonter bien plus haut que l'annalistique récente. Jupiter Inventor
Méme chose pour l'autel de Jupiter Inventor. Virgile luiméme, le poéte religieux, n'en parle pas; Ovide par contre en fait mention. Sans doute les seuls documents littéraires par lesquels cet autel nous est connu, en rattachent la fon-
dation à la victoire d'Hercule sur Cacus. Mais comment alors expliquer que le fait soit passé sous silence par d'autres au-
teurs graves,
fervents d'antiquités nationales,
qui rappur-
tent le même mythe ? A une telle question une réponse précise est sans doute impossible. On peut pourtant soupcouner en ce cas, comme
en d'autres où elle est certaine,
« attraction » exercée par le culte Jupiter. Il se peut que
d'Hercule
le sanctuaire
d'Hercule
sur
celui
uu
de
ad portam
Trigeminam ait annexé à sa légende l'autel tout proche de Jupiter (1). Celui-ci méme y gagnait en antiquité, ce qui suffit à expliquer que personne ne se soit mis en frais pour détruire la légende; mais certains auteurs, plus scrupuleux ou ayant des données plus précises sur l'origine de ce monument, pouvaient se refuser à faire mention d'une légende à leurs yeux
sans fondement.
—
Nous
lisons,
dans Denys,
un détail qui a son intérét : le culte de Jupiter Inuentor, nous dit-il, fut institué par Hercule sous une forme absolu. ment grecque avec le sacrifice d'un jeune bœuf. Or rite »t sacrifice se répétent identiques lorsqu'il s'agit de l'Ara Marima (2). Une telle identité ou bien a pu provoquer le rapprochement des deux cultes, ou bien est due à ce rapprochement méme. Mais on ne s'expliquerait pas alors que,
devant de telles réalités maérielles, Tite-Live et Virgile n'aient (1) Il arrive méme que l'auteur du De orig. gent. Rom., 6, des deux autels n'en fasse plus qu'un, qu'il appelle, par une autre confusion, l'Ara Mazima.
(2) Dion. Hal., I, 39, in fin. et I, 40.
FORMATION DE LA LEGENDE
ROMAINE
D'HERCULB
141
pas accepté la légende de la fondation par Hercule de l'autel à Jupiter Inuentor s'ils n'avaient pas eu d'assez sérieuses raisons d'en douter. Ils ont su remonter au-delà de l'annexion tardive de ce culte à la légende d'Hercule, tandis que Denys, resté à michemin, l'a accepté comme élément originel de cette légende. Voilà donc un autre indice de l'évolution que nous cherchons
à reconstituer.
| L'Ara
Maxima
A qui faut-il attribuer la fondation de l'Ara Marima? — À serrer les textes de prés, quatre écrivains nous donnent quatre formules différentes (1). Ce fut Évandre, selon Denys,
qui le fonda; selon Tite-Live Hercule sur l'instigation d'Évandre; si l'on suit Ovide, Hercule en présence des Arcadiens ; si l'on en croit Properce, Hercule seul comme un défi aux indigénes. Il est facile de remarquer que les données de Tite-Live et d'Ovide sont des compromis, et, pour ainsi dire, des formes de transition entre celle de Denys et celle de Properce. Évandre perd toute importance quand on passe de l'un à l'autre (de méme il ἃ entiérement disparu des textes de
Strabon et Diodore étudiés plus haut). Si l'on considére les deux extrémes,
la différence est énorme : d'un cóté les Ar-
(1) Les vers de Virgile,
Aen., VIII, 268 sqq., sont peu clairs : ...laetique minores seruauere diem primusque Potilius auctor et domus Herculei custos Pinaria sacri hanc aram luco statuit, quae... etc... On met généralement une trés forte ponctuation aprés sacri, en donnant Hercules sous-entendu comme sujet à statuit, Il faut bien
avouer
alors que ce court
passage
sez mal écrit .La difficulté n'est Ja fondation
soit à domus
tout ensemble.
—
est haletant, gauche,
guére moindre
Pinaria,
M. Piganiol
si l'on
soi à Potitius et aux
(Mélanges
de l'École
as-
attribue Pinarli
de Rome,
1909, p. 109, n. 2) adopte sans hésitation la lecture non ponctuée “αἱ en conclut
que,
pour Virgile,
l'Ara Mazima
privée des Potitii et des Pinarli,
est une
fondation
142
LES ORIGINES DE L'ERCULE
ROMAIN
cadiens ori tot L'ucuineur de la fondation, de l'autre Hercule. I] ne s'agit pas ici de chercher quelle croyance avait cours dans le peuple, laquelle est la plus ancienne (1). En tout cas, ne devons-nous pas conclure, en bonne critique, que là encore les écrivains du siécle d'Auguste, loin de se copier l'un l'autre, représentent sur le mythe d'Hercule à Rome plusieurs traditions assez différentes ?
Sans insister davantage, le méme raisonnement vaudrait pour l'initiation des Potitii, attribuée tantót à Hercule tantot à Évandre, avec cette différence remarquable qu'ici c'est Tite-Live qui fait jouer à Évandre le principal róle : preuve
manifeste
que
les auteurs
augustéens se débattent parmi
des traditions mal fixées dans le délai], et sans esprit de parti. Donc elles existent en dehors d'eux, et il nous faudra en tenir compte.
HI.
— DE
LES FORMES LA
LEGENDE
AUGUSTÉENNES : LES
POETES
M. Winter fait assez peu de cas des pocles pour l'étude de la légende de Cacus. Il est certain que, chez eux, des contaminations littéraires ont pu altérer dans de fortes proportions les données de l'annalistique. Virgile s'est servi de l'hymne homérique à Hermés, et peut-étre, bien que tous les rapprochements faits par M. Winter ne soient pas probants, la figure de Cacus a-t-elle été chez lui influencée par le Tiphœus d'Hésiode. Properce a usé de Virgile et de Varron. Ovide, de Virgile, Properce, Tite-Live, et les annalistes; peut-
étre aussi du calendrier de Verrius Flaccus.
mettons-le; il n'en reste
pas moins
Tout cela ad-
que, loin d'étre des
œuvres fantaisistes, ces poèmes d'inspiration nationale représentent un effort pour remonter aux origines des légendes
(1) Selon M. Wissowa (R. K. R?., p. 273, n. 5), la tradition qui fait d'Hercule le fondateur de l'Ara Mazima est sürement la plus.
jeune. des deux. Il n'en donne pas de preuves, οἱ nous n'en som-mes pas aussi persuadé que lui.
FORMATION
DE LA LEGENDE
ROMAINE
D'HERCULE
143
et des cultes Romains, et qu’ils peuvent donc nous fournir des renseignements d’une certaine valeur. M. Winter attaque le caractère du Cacus de Virgile, comme n'ayant aucune portée religieuse. « Cacus a pu, dit-il, être un dieu souterrain : mais il nous est impossible de déterminer son caractére primitif. Lorsque Virgile l'appelle fils de Vulcain, cela n'a aucune valeur religieuse, car nous ne possédons aucune trace de son culte. Et d'ailleurs, la reli-
gion romaine n'est pas une religion de la nature ». (1) — Ces affirmations sont trop absolues. Non seulement nous connaissons par les textes la vieille déesse Caca, parèdre de. Cacus, mais nous savons qu'elle était honorée soit par les Vestales, sectatrices du feu, soit avec les mémes rites que ceux des Vestales (2). N’est-il pas croyable que son « frére » Cacus
avait des attributs semblables aux siens, et
Virgile n'estil pas justifié de lui avoir donné pour pére Vulcain, afin de faire entendre que Cacus est une divinité du feu (3) ? Nous n'avons aucune raison de pousser le doute trop loin : il y a des ornements
poétiques qui cachent sous
une forme suspecte des réalités trés précises. De même, constater que Properce opère une fusion entre le récit de Virgile et un texte connu de Varron, ce n'est pas suffisant pour nier la valeur de ses données. La seconde partie de son récit se rapporte, dit-on, au mythe de Bona
Dea; mais justement le texte de Varron
(4)
dont
il s'est
inspiré nous prouve que Bona Dea n'est pas en ce cas sépa(1) op. c., p. 234. (2) Serv.,
'962 sqq. (3) Nous
Aen., VIIT,
190. — Voir
discussion
verrons qu'il n'y a pas de raisons
vaincantes de considérer Caca comme
de fond,
infra,
absolument
p.
con-
une déesse du feu. Mais
Virgile a fort bien pu faire le raisonnement que nous faisons ici, et d'aprés les connaissances qu'il avait sur Caca, donner pour pére à Cacus Vulcain, dieu du feu. En ce sens, sa création n'est pas une fantaisie poétique, mais une tentative quasi-scientifique pour remonter à ce qu'il croit étre la nature religieuse de Cacus. — Voir infra, l.c. Ä : (4) Varro ap. Macrob., I, 12, 27-28. Une femme, le jour des
mystères féminins de Böha.Dea, refuse à boire à Hercule:
144
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
rable d'Hercule, et que le parallèle entre les deux cultes qui excluent l'un les hommes, l'autre les femmes, remonte en tout cas plus haut que les années augustéennes. D'ailleurs nous
possédons
d'autres
indices
de
cette
hostilité
entre
Hercule et Bona Dea; et surtout le texte qui prétend que Carmenta, mére ou femme d'Évandre-Faunus et étroitement apparentée à Bona Dea, invitée par Hercule à son sacrifice et ne s'y étant pas rendue, fut cause de l'exclusion de son
sexe de l'Ara Marima (1). Nous avons donc là deux explications voisines de ce rite curieux. Il est possible qu'il faille chercher en Grande-Gréce
l’origine du récit de Varron repris par Properce. Les bizarreries du personnage de Bona Dea, considérée comme ennemie du
vin,
ne
semblent
d'Alkimos de Sicile (2) qui des femmes italiques pour le d'Héraclés à Crotone : ayant boire à une femme du pays, il changea
alors
en
pierre
pas
étrangéres
à un récit
cherche à expliquer l'aversion vin en la rattachant au passage soif, dit-il, le héros demanda à qui ne lui donna que de l'eau; le tonneau
de
vin.
Et,
d'autre
part, que les Grecs se soient intéressés directement au culte
romain de Bona Dea, c'est ce que prouve le rapprochement de Damia, nom qu'on lui donne à sa féte de décembre, et de
la déesse Damia adorée à Tarente (3), et par les Trézéniens. Si, de ces témoignages trés divers, il est permis de tirer
une conclusion, c'est que, dans le légendaire romain, Bona Dea n'est pas absolument étrangère à Hercule, et que par conséquent la fusion opérée par Properce n'est pas une
fantaisie personnelle;
ensuite
que,
les
Grecs de l'Italie
méridionale s'étant occupés eux aussi de Bona Dea et d'Hercule, et ayant mélé Hercule à des légendes étiologiques qui, en derniére analyse, s'appliquent à Bona Dea, il est pos-
sible que la fusion en question remonte bien plus haut que les derniers annalistes jusqu'aux Grecs créateurs des légendes Romaines.
Les
poétes
qui
ont
traité du mythe de Cacus ne nous
(1) Plut., Q. R., 60. — De orig. gent. Rom, (2) Müller, F. H. G., IV, p. 296.
6.
(8) Cf. Merlin, l'Aventin dans l'Antiquité, p. 170 sq.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE
145
fourniraient-ils que ces indications, ils ont droit à étre traités avec plus de ménagement que ne le fait M. Winter. Et nous ne dirons pas avec lui que dans Virgile (ou dans Properce) « 1l n'y a aucun caractère primitif ». IV.
—-
SECONDAIRES
LES
VERSIONS
ET DIVERGENTES
Du moment que la question essentielle est toujours de renzonter des textes augustéens qui présentent parfois une unité
factice
aux
états antérieurs
de la légende, toutes les
données en apparence divergentes doivent étre étudiées avec le plus grand soin, confrontées, coordonnées. Il n'est pas impossible qu'elles nous fournissent des renseignements plus précieux que le récit officiel. Mais elles sont fragmentaires, et concernent non pas le drame du forum boarium, mais les différents personnages qui y prirent part. Verrius Flaccus
L'une des plus curieuses est celle de Verrius Flaccus (1), qui se retrouve dans l’Ortgo (2), et selon laquelle le vain-
queur de Cacus fut, non pas Hercule, mais un pátre trés fort nommé Garanus ou Recaranus. Cette donnée est isolée (3). Mais Verrius Flaccus est un auteur assez sérieux pour que l'on préte attention à ce qu'il dit. Ainsi se justifient . les ardentes controverses entre savants sur ce simple
texte (4). Bien entendu, c'est sur l'origine du nom que porte la discussion : est-il celtique, grec ou purement latin? L'effort pour ramener le nom Karanus (sic) à Kerus,
à l’osque
Kerriiui,
méme
sans
admettre
les
et
conclusions
hasardées qu'on en tire en assimilant Hercules à
Genius,
(1) ap. Int. Serv., Aen., VIII, 908. (2) De orig. gent. Rom., 6 et 8. (3) Serc., loc. c. : Solus Verrius Flaccus dicit...
(4) Cf. un résumé trés R. E., VII, 752-754.
clair de ces
controverses
par
Boehm,
ι46
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
parait impossible à justifier étymologiquement (1), et aveclui l'origine latine de Garanus-Recaranus. — Mais il parait tout aussi dangereux d'y retrouver sans changement le Karanos, fils de Pheidon, Héraclide, et fondateur de la dynastie macédonienne, comme le fait Jordan (2), combattu à bon droit par Peter (3) et Wissowa (4). Ce dernier fait mention. du vocable dorien χάρανος, « chef », qui serait tentant
si dans les cités doriennes de Grèce et de Sicile Héraclés. avait eu cette épithéte, ou si seulement on en pouvait trouver une approchante: il n'en est rien dans l'état actuel de nos connaissances
(5).
De facon bien plus défendable,
de la forme Garyaneus
on a rapproché Garanus
(TassFévn: — Gervonefu]s) qui se:
lit sur un vase chalcidien (6). L'hypothése n'est pas invraisemblable (7), bien qu'on n'ait guére invoqué jusqu'ici que la possibilité de confusions pour expliquer que Géryon,. d'ennemi d'Hercule qu'il était, en soit devenu une autre forme (8). Il y avait sans doute mieux à faire. a) Garanus peut étre Géryon d'aprés la donnée de Verrius (1) Voir la plus récente critique de cette hypothése dans Winter, op. cit., p. 255-257. ® Hermes, III (1869), p. 409. (3) R. L., I, 2274. (4) R. E., III, 1168. (9) On pourrait cependant invoquer certains arguments pour
défendre
Garanus = ragavnc. - Melqart, dieu de Tyr, motἃ - mot
« roi de la ville », est traduit dans l'inscription bilingue de Malte
(C. 1. S., 1, 121) par 'Πραχλῆς ἀρχηγέτης. Or cette épithète, prise dans dans son s6ns le plus général,
donc a pu être
signifie
dans
Eschyle « chef, roi »
traduite en dorien par xzoavo;. Au reste c'est là
ure base bien fragile . — Pourtant Héraclés, dans le mythe de Géryon au moins, a été trés influencé par le Melqart tyrien, et les Grecs en faisait la constante confusion, à Gadés, en Sardaigne, en Sicile, (Rós Melqart = Heraclea Minoa) : « Punique et Grec se sont mélés » (Ed. Meyer, R.L., II, 2650-2652). (6) Kretschmer, Gr. Vaseninschrift., 47. (Paris, Bibl. Nationale : de Ridder, 209). (7) Höfer, R. L., s. v., Recaranus, p. 72. (8) Origo, 6 : Recaranus quidam... Hercules appellatus. — Or., 8 : Cum ergo Recaranus, siue Hercules... — Ct. Verrius Flaccus, ap. Serv, l.c
FORMATION
DE
LA
LEGENDE
ROMAINE
D'HERCULE
147
Flaccus. — Géryon, quelle que soit son origine réelle, doit être considéré comme un dieu pasteur de bœufs: son nom méme (γη (v) est une détermination à laquelle il ne peut échapper. Gr Garanus est nettement indiqué comme pasteur. —
Géryon
faire usaze
était
un
type
de tous
les
de
force
textes
qui
redoutable;
sans
méme
le prouveraient,
celui
d'Horace (1), dans sa briéveté, est tout à fait expressif. Or Garanus est caractérisé comme « pastor magnarum uirium.
»
b) Géryon est connu dans l'Italie Centrale, en Etrurie surtout, à une date ancienne, et sous son nom ἃ peine modifié : Gerun (2). Mais nous ne savons en quoi sa légende ressemblait à la légende grecque ou en différait. Qu'il y att
été populaire sous forme divine ne parait pas douteux. c) Dans les pays grecs méme, à Agyrion de Sicile, nous eonnaissons un culte vivace du « héros Géryon », institué, disait-on, par Héraclés (3). Cela a paru singulier: on admet qu'il s'agit ici, comme à Padoue, d'une divinité indigène hellénisée seulement à la surface (4). Effort naïf et vain, qui ne supprime point l'alliance réelle, admise par les Grecs. entre Héraclés et Géryon. Et, qui plus est, cette alliance répond à une trés antique parenté, à une communauté de fonctions, chthoniennes, ou, si l'on préfére, infernales, que nous avons essayé ailleurs de mettre en lumiére (5). Ainsi apparaissent possibles et la confusion gréco-indigène d'un dieu triple ( 2 Géryon) avec Héraclès, et l'introduction, normale, de ce Garanus substitué à Hercule dans la fable de Cacus. Mais M. Hopfner a fortement montré (6) que le nom à
étudier n'était pas Garanus, mais Recaranus, qui est répété avec insistance dans l'Origo gentis Romanae, et dont (1) Horat.,
Carm., II, 14, 8. — Cf. Hesiod., Theog., 981.
(B) Bronze de Lyon : Gaz. Arch., 1888, p. 136. — Bronze d'Orvieto à Berlin. — Peinture de la « Grotta del Orco », Monum. IX, 15 : datée d'environ 350 a. C. (2) Diod. Sic., IV, 24, 3. (4) Weicker, R. E., VII, 1288, ligse 60 sqq.
d. Inst.,
(5) J. Bayet, Mélanges de l'École de Rome, XL (1923), p. 72-76. (6) Isidor Hopfner, Hercules Recaranus (Zeitschrift für vergleichende Sprachforschung,
49 (1920), p. 256-259).
148
LES ORIGINES DE L'HERCULE
ROMAIN
on s'explique trés bien l'abréviation en Garanus (1), tandis que le passage inverse de Garanus à Recaranus reste incompréhensible. Et, grâce à des rapprochements toponymiquos impressionnants (2), il a rendu à peu près certaines l'étymologie celtique du nom et la provenance padane du dieu. Il s'agit de ce dieu indigene triple de Padoue que les Grecs avaient appelé Géryon, mais dont la légende et l'activité étaient mélées de façon inextricable à celles d’Heracles (3). Que de la terre padane à travers l'Apennin et l'Étrurie, le long des routes trés anciennes que nous avons jalonnées, il soit arrive jusqu'à Rome, rien d'étonnant, certes. Mais plutót qu'il s'y trouve, sous son nom celtique, mélé à l'aventure de Cacus. Sans doute cette fable n'avait pas encore pris une forme bien rigoureuse lorsqu’aux environs de 400 a. C. au plus tót ce Recaranus-Hercules fut connu aux rives du Tibre; et pourtant elle devait étre arrétée dans ses grandes lignes, sans quoi l'on ne s'expliquerait pas une substitution aussi simpliste. Peut-étre que des influences pado-étrusques antérieures à l'invasion celtique avaient préparé l'entrée dans le Latium du démon de Padoue, avant qu'il eüt pris l'épithéte gauloise de Recaranus; peut-étre faut-il au contraire reporter son apparition à l'occupation romaine de la Cisalpine, dans la seconde moitié du (1) tion dieu dieu
A cette abréviation M. Hopfner ne donne qu'une explicapratique. Il y a sans doute mieux à faire. On connalt un celtique Grannus que les Romains identiflaient à Apollon, guérisseur des sources (C. 1. L., III, 5873 : Apollini Granno
et sanctae Hygiae. — Cf. C. I. L., III, 5861; 5588; VI, 36; Zangemeister ad C.I. L.,. XIII, 5315. — Voir A. v. Domaszewski,
Abhandl.
sur Rôm.
Religion,
1909, p. 132 sq.), par
suite si pro-
che du Géryon Recaranus de la source Aponus, prés de Padoue, que la confusion, si elle n'était pas primitive, devenait presque inévitable. Justification curieuse de la double graphie, si sus pecte au premier abord.
(f| La source Aponus où l'on consultait l'oracle de « Géryon » (Sueton., Tib., 14) aux bains d'Abano (Cf. radical celtique: Apa = eau); non loin, bains de Recoaro avec leurs huit sources. — Le mot Recaranus se décomposerait en Rec + ar — anus : « Furchἐπ 4. bach — mann ». (3) Voir supra, p. 98 sqq.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE
149
II siècle. Mais, quoi qu'il en soit, il est certain qu'en recueillant cette variante de la Vulgate romaine, Verrius
Flaccus faisait ceuvre d'archéologue averti et scrupuleux. Ainsi
la légende
que
nous
ont
transmise
l'Origo
et
le
commentaire de Servius est loin d'étre, comme le prétendent MM. Wissowa
et Winter, une contrefacon evhémérique,
sans
valeur et récente, du combat d'Hercule contre Cacus (1) ; elle est un témoignage ancien, et des plus singuliers, de la variété des influences grecques, étrusques, italiotes et padanes, qui ont pu agir au cours des siécles sur l'Hercule Romain. Solin
Sur Cacus, nous possédons deux données divergentes dont
l'originalité est grande. L'une, d'abord, rapportée par Solia, qui, aprés avoir mentionné la fondation par Hercule de l'autel à Jupiter Inventor, en ex-voto de sa victoire suc Cacus, continue en ces termes (2): « Hic (Cacus), ut Gellius tradidit, cum a Tarchone Tyrrheno, ad quem legatus uenerat missu Marsyae regis, socio Megale Phryge, custodiae foret datus, frustratus uincula
et unde uenerat reduz, praesidiis amplioribus occupato circa Vulturnum et Campaniam regno, dum attrectare etiam ea audet, quae concesserant in Arcadum iura, duce Hercule qui tunc forte aderat oppressus est. Megalen Sabini receperunt, disciplinam augurandi ab eo docti. » Vient ensuite le
récit de la fondation de l'Ara Mazima. M. Winter rejette toute cette « variante » comme une imagination récente et sans valeur (3). Il est pourtant impossible
de nier qu'elle remonte à l'annaliste Cn. Gellius, contemporain de M. Cato, et qui, bien qu'accusé de recevoir in(1) La difficulté méme
les modernes)
(et pour les anciens plus encore que pour
d'expliquer le nom
de
Garanus-Recaranus
rait à témoigner en faveur de son antiquité. mérique cherche à supprimer toute difficulté aurait
ici, il faut l'avouer, bien mal réussi.
(2) Solin., I, 8-9.
(3
op. cit., p. 221-222.
suffi-
Le système evhérationnelle : il y
150
LES ORIGINES DE L'HERCULE
disti.:ctement
tous
les racont^r:
,1),
ROMAIN
représente
pourtant
autre chose qu'une donnée personnelle (2). En faisant dans .ce texte aussi large que l'on voudra la part de l'evhémerisme, en notant l'effroyable confusion de faits et de légendes dont il témoigne, il reste pourtant la localisation précieuse de Cacus en Campanie auprés du Vulturne, et son apparition dans le pays étrusque et sur
l'emplacement
de
Rome.
c'est aussi la première fois que dans un annaliste,
Et
à notre
connaissance, il soit fait mention de son choc avec Hercule sur les bords du Tibre. N'y aurait-il dans le texte de Gellius
. que ces deux indications, il mérite de nous arréter, et peut orienter les recherches. En tout cas nous n'avons pas le droit
de le rejeter a-priori. Festus
Le second texte, horriblement mutilé, est celui de Festus,
p. 266, .s. v. Romam,
où il rapporte l'immigration des Abo-
rigenes sur les bords du Tibre, sous le commandement
d'un
homme très fort, nommé Cacus (2) : « Historiae Cumanae compositor, Athenis quosdam profectos Sycionem* (-Sicyonem) Thespiadasque* (—Thespiasque), ez quibus porro ciuitalibus, ob inopiam domiciliorum, conpluris profectos in erzteras regiones, delatos in Italiam,
eosque multo errore no-
minatos Aborigines*, quorum subiecti qui fuerint Caerimparum* (=Caci improbi ?) uiri unicarumque uirium imperio (1 Dionvs. Hal., VII, 1. (2) I1 est hors de doute qu'il s'agisse de Cn. Gellius (1* moitié du II* siécle) : 8) Des mss., les uns donnent Cellius, les autres Gellius. De toute évidence, les éditeurs qui corrigent en Calius, pour se rapprocher de Strabon, V, 3, 3, n'ont aucune bonne raison à invoquer; a fortiori si l'on doit lire dans Strabon, comme
le pense
M. Winter,
non
Coelius,
mais Acilius
(ce qui
est fort
vraisemblable). — h) La lecture étant certaine, il n'est pas douteux non plus qu'il faille entendre l'historien Cn. Gellius,
contemporain de Caton l'Ancien. L'hypothése d'un second Gel. lius est maintenant rejetée (cf. Schanz, Róm. Litt., I, p. 132). D'ailleurs ce texte est fort expressif et correspond bien au défaut de méthode dont Denys accuse cet annaliste.
FORMATION
DE LA LEGENDE
ROMAINE
D’HERCULE
151
montem Palalium, in quo frequentissimi consederint, appellauisse
a uiribus
regentis
Valenliam: quod
nomen
aduentu
Euandri Aeneaeque in Italiam cum magna graece loquenlium copia interpretatum dici coeptum Rhom. » Un premier intérét de ce récit, c'est que la source en soit indiquée ; et que cette Historia Cumana nous reporte justement à la donnée de Cn. Gellius que nous venons d'étudier. M. Winter (1), lui, aurait tendance à corriger le passage de facon à substituer à Cumanae historiae, Communis historiae, qui nous est connue comme l’œuvre de Lutatius (2), tandis que l’Historia Cumana n'apparait qu'ici. Mais M. Grupp® à trés fortement montré (3) qu'il n'y avait aucune raison de faire cette correction, et que le récit de Festus doit provenir d'une légende du temple d'Apollon à Cumes. Mais on peut, ce semble, aller plus loin. Nous rapprocherons du texte de Festus le suivant de Plutarque (4) : « Selon certains auteurs les Pélasges, aprés avoir parcouru une grande partie de la terre, et vaincu beaucoup de nations, s'établirent en ce lieu, et, en témoignage de leur puissance, lui donnérent le nom de Röme. » (5) Les deux textes ont la méme origine, l'étymologie grecque
du mot Roma (ou Rómé) : jeu de mots facile. — Mais cette étymologie commune n'est pas la seule. Festus se croit obligé d'expliquer le nom des Aborigénes (ce dont nous n'avons que faire ici: il faut donc admettre que cette étymologie se
trouve dans sa source, et y est jugée importante), et il la dérive de leurs nombreuses pérégrinations. Et de méme Plutarque insiste sur les immenses parcours des Pélasges, ce qui est tout aussi inutile dans un résumé tel que le sien, mais tendait sans doute dans sa source à suggérer au lecteur
l'étymologie (1) (2) (3) (4) (5)
athénienne
de
leur nom:
οἱ
Πελαργοί,
les
op. cit., p. 267. Int. Serv., Aen., IX, 707. 07 Berl. Philol. Wochenschr., XXXI, 1911, p. 999-1002. Plut., Rom., 1, 2. Cf. aussi L. Ateius Philologus, ap. Int. Serv., Aen., I, 273.
152
LES ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
cigognes, les oiseaux voyageurs (1). De telles concordances ne peuvent étre fortuites. ‘Les -deux textes, en effet,
résument
les traditions
athé
niennes sur les Pélasges, traditions à nous bien connues (2). Sicyone,
Thespies,
Athènes,
où passent les Aborigènes, sont
des villes pélasgiques; et M. Gruppe, par une autre voie, a prouvé l'origine athénienne de l'histoire cuméenne rapportée par Festus (3). D'autre part ce ne sont pas là des imagina-
tions récentes
: c'est à Hellanicos et Éphore
(4) que
se
rattachent la notation des nombreux « errements » des Aborigènes-Pélasges, et l'émigration en Italie de la plus grande partie de la race (conpluris).
La conclusion est nette : le fond de l'histoire cuméerine rapportée par Festus remonte au plus tard au début du IV’
siècle
athénien;
des traditions
italiques
relatives
aux
Aborigénes ont pu y étre mélées dés ce moment; plus tard seulement la légende d'Évandre y fut jointe. Mais ce n'est donc pas une tradition récente et sans valeur, loin de là. Quant à l'introduction de Cacus dans cette histoire, outre
la vraisemblance de la correction (5) elle est rendue probable par le rapprochement du texte de Cn. Gellius : jointes, ces (1) Strab., V, 2, 4; Myrsilos ap. Dion. Hal., VIII,:600.
12 sqq. (P) Ed. Les
—
Cf. Ed.
Meyer,
Origines
de
Meyer,
Forschung.
I, 28; Serv.,
zur alt.
Gesch.,
Aen, I,
op. cit., p. 6 sqq. — Voir aussi
notre article
l'Arcadisme
de
Romain
(Mélanges
L'École
p.
: de
Rome, XXXVIII, 1920), surtout p. 91-97. ..(8) Gruppe, I. c. (4) Ed. Meyer, op. cit., p. 119 et 123. (5) La correction de Caezimparum en Caci improbi (ou formes voisines) est quasi certaine (cf. les différentes corrections proposées dans Peter, ἢ. L., I, 2277). En effet : a) il faut lire unicarum uirium et non unitarum uirium. Car ainsi s'explique le nom donné à la ville (a uiribus regentis Valentiam). Les deux eipressions jointes excluent l'hypothése
qu'il y ait eu
deux
rois
(Caci et Pi-
narii unitarum uirium), hypothése venant du texte de Diodore, concu comme issu de Timée, et donc le plus ancien — à tort (voir plus haut).
b) Unicarum uirium ne peut dépendre seul ni directement d'un nom propre comme génitif de qualité. Il faut donc maintenir viri unicarumque; et uiri lui-même doit avoir une épithéte
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE
153
deux données nous font soupçonner en Campanie un travail légendaire assez ancien sur le nom de Cacus: fe plus ancien sans doute qui nous soit saisissable. Ainsi se retrouvent classés les documents, et posées autreınent les questions que M. Winter résolvait trop simplement,
en abaissant autant que possible la date où s'opéra à Rome
la fusion du mythe d'Hercule et de la légende de Cacus." Légendes grecques
italiotes
il suffira enfin pour le moment de faire mention des légendes grecques italiotes, tout à fait négligées par M. Winter, qui concernent le rapt des bœufs d'Héraclés soit par Lakinos (1), soit par Latinos (2). Elles sont étroitement liées au mythe de Géryon et intéressent de façon directe l'ensemble de la fable romaine. C'est là, non ailleurs, que nous avons chance de trouver le schéma, et pour ainsi dire l'ossature du récit des annalistes tel que l'ont utilisé les auteurs augustéens: on ne s'étonnera donc pas que nous leur accordions la plus grande importance.
Enfin une bizarre et trdp bréve donnée, dans le PseudoPlutarque (3), met, à propos de la méme expédition, Hercule aux prises avec Faunus, qu'il tue: Faunus étant un dieu latin au premier chef, et surtout Romain, nous n'avons pas le droit de négliger cette indication. Ces trois textes peuvent acquérir pour nous une trés que l'on recherchera
dans le mutilé Caezimparum,
propre au génitif. c) Dans ces conditions,
on arrive
à la lecture
Ca
avec le nom - i ()mp-
i
{où is) uiri unicarumque uirium. La terminaison de unicarum a influencé la fin de imp... Quant à un nom de roi Aborigéne commençant par Ca ou Cae, nous n'en connaissons pas dans la. tradition. — Cacus, vieille divinité romaine, qui peut donc passer pour Aborigène, est le seul qui convienne. Quant à l'épithéte de uiri, nous reconnajssons qu'elle est moins sûre, seulement admissible. | (1) Diod. Sic., IV, 24, 7. (2) Conon, Narr., 3. (3) Ps. Plut., Parall., 38.
154
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
grande valeur. Tous les autres, en effet (sauf ceux de Solin et Festus relatifs au seul Cacus) se rapportent exclusivement à Rome et nous immobilisent aux bords du -Tibre. Or il est impossible que cette fable du rapt des bœufs, toute grecque
d'apparence,
se soit fixée à Rome sans intermédiaires. Ces
intermédiaires, il faut les chercher,
selon
toute
vraisem-
blance, dans les cités grecques ou hellénisées de l'Italie méridionale. Nous ne devrons y renoncer que si les textes énumérés plus haut n'ont pas pu nous conduire à une reconstruction légitime des étapes et de l'arrivée à Rome de l'Héraclés grec. V. —
CONCLUSION
Des légendes que les annalistes ont traitées successivement avec un sens rationaliste de plus en plus aigu; qu'ils ont fini au début du I” siècle avant notre ère par détruire presque entièrement par l'effort de leur critique evhémériste;
que tous les auteurs du siècle d'Auguste ont travaillé à reconstituer, de facon à créer une vulgate si solide que longtemps elle fut intangible: telle est l'histoire de la tradition romaine sur Hercule. Il nous reste la vulgate,
intégrale;
quelques
bribes
de
l'annalistique et quelques données divergentes. Le mérite de M. Winter a été de montrer, aprés d'autres, les points faibles de la vulgate, restauration trop savante, trop systématique.
Mais il ἃ eu tort d'en mettre trop en doute la valeur d'ensemble, et de trop la considérer comme une œuvre artificielle. Entre ces deux excés doit étre cherchée la vérité. Méme ces textes augustéens nous permettent en effet de soupconner, par leurs désaccords, des états antérieurs de la légende, des formes de passage, qui trahissent une évolution, et nous font remonter au delà méme
de l'annalistique evhémérique.
[19 doivent ainsi nous aider à comprendre les données divergentes.et à restituer cette évolution, qu'ils semblent d'abord nous dissimuler. Mais c'est d'eux qu'il faudra partir, à eux qu'il faudra aboutir.
il La
primitive
Legende
Le nom d'Hercule est grec (1). La légende romaine, rattachée à celle de Géryon, est grecque. Voilà notre point de départ. Comme l’a noté M. Dürrbach (2), l'une et l’autre n'ont pu venir à Rome que de deux côtés : l’Etrurie et la Grande-Grece (ou la Campanie hellénisée). Or rien, ni dans la tradition rituelle,
ni dans
les constructions
savantes
des
Romains, ni dans la fable, ne porte le caractère étrusque: les Romains disent que le dieu est Grec, que son culte est grec. Force est donc de chercher d'abord si Hercule n'a pu venir à Rome directement des colonies hellénes du sud de la péninsule. La légende Romaine d'Hercule est, d'autre part, aussi peu originale que possible dans son ensemble. Elle est construite sur deux
thémes universels,
mais surtout aimés
des
Grecs:
le thème du ravt des bœufs, courant depuis Homère, mis en œuvre sous des formes variées dans les légendes d'Hermés, d'Ulysse, mais surtout d'Héraclés, et rattaché alors au cycle
de la Géryonide (3) ; le thème de I' « hôte criminel » ou du « Barbare impie », qui tue ou cherche à tuer le héros hellene, naufragé ou colonisateur : les légendes d'Ulysse, de Dioméde, de tant d'autres, l'ont mis en œuvre; dans celle d'Héraclés, Busiris représente la forme supérieure de ce type de Barbare sanguinaire: mais mainte légende locale racontait une aven(1) Cf. supra, p. 3 sqq. (2) Dürrbach,
D.S., s. v. Hercules,
p. 124-125.
(3) Théme fréquent dans le Péloponnése Herakles, p. 153. — Alébion et Derkynos
(Cf. B. Schweitzer, en Ligurie, Scylla,
Eryx, les Lestrygons, en Italie et en Sicile, d'autres encore (voir infra, à Rome, Crotone, Locres Épizéphyrienne) volent ou cherchent à voler à Héraclés des bœufs des troupeaux de Géryon.
156
LES ORIGINES DE L HERCULE
ROMAIN
ture analogue (1). Réduite à ses éléments, la fable de Cacus est l'une d'elles: au theme du Barbare impie, elle joint celui du rapt des hœufs; elle est donc parfaite en son genre et parfaitement banale pour des Grecs. Mais ainsi son sens et sa provenance sont clairs; évidente aussi la méthode qu'il faut suivre si l'on en recherche les origines: on se demandera si les mémes thémes en des légendes analogues n'ont pas été mis en œuvre par les cités hellenes de Sicile et de Grande-Gréce; on les suivra autant que possible de proche en proche, de déformation en déformation, sur les routes « légendaires » qui des pays grecs ménent à Rome.
I. —
LA LÉGENDE DE CROTONE
C'est à Crotone, et précisément au cap Lacinien, que nous trouvons Hercule en une légende apparentée aux traditions romaines. . La Légende
Comme Héraclés emmenait à travers l'Italie les troupeaux de Géryon, un habitant de ces contrées, Lakinios ou Lakinos, chercha à lui dérober ses bœufs: Héraclés le tua sur
place (2); il tua aussi, par mégarde, Crotón (3), gendrede (1) Sur les Grecs
tués
par des Barbares,
puis
honorés
comme
héros, dans l'Italie Méridionale, voir en particulier Lycophron (d'aprés Timée), 922 sqq.; 732 sqq.; 1047 sqq.; 1126 sqq. (en GrandeGrèce, Campanie, Apulie et Daunie). — Héraclès civilisateur abolit les sacrifices humains en tuant les rois barbares qui les pratiquent : Busiris, Dioméde (de Thrace), Syleus ou Lityersès, Kyknos (dont la fable est localisée aussi dans l'Italie méridionale), Antée. (2) Diod. Sic., VI, 24, 7, : « Ὁ δ᾽ Πραχλῆς μετὰ τῶν βοῶν περαιωθεὶς (venant de Sicile) εἰς τὴν ᾿Ιταλίαν προῆγε Ou τῆς παραλίας, xai
Ααχίνιον μὲν κλέπτοντα τῶν βοῶν ἀνεῖλε, Κρότωνα δὲ ἀχουσίως ἀποκτείνας ἔθαψε μεγαλοπρεπῶς xal τάφον αὐτοῦ κατεσκεύασε ^ προεῖπε δὲ τοῖς ἐγχωρέou ὅτι xal xatà τοὺς ὕστερον χρόνους ἔσται πόλις ἐπίσημος ὁμώνυμος τῷ τετελευτηχότι. » --- Cf. Serv., Aen., III, 552. (3) Cf. Jambl., Vita Pythag., 9, 50.
FORMATION
DE LA LEGENDE
ROMAINE
Lakinos
(1), qui voulait empécher
reconnu
son
erreur,
il ensevelit
le
D'HERCULE
vol.
et honora
Ayant Crotón,
157 ensuite et
lui
promit l'éponymie d'une ville puissante (2). Le promontoire voisin prit le nom de Lakinos (3), et, s'étant purifié, Héraclés y consacra un temple à Héra (4). .--- Inséparable de cette tradition est celle que nous transmet l’interpolateur de Servius (5), qui nous dit que le roi Lacinius (6) refusa l'hospitalité à Hercule, le chassa, et, en témoignage de sa victoire, éleva le temple de Junon, marátre de son ennemi. Malgré la diversité des sources par lesquelles nous est connue cette légende,
son antiquité n'est pas douteuse:
tout
l'essentiel se trouve dans Diodore qui semble résumer trés vite un récit bien connu, sans doute déjà mis en œuvre par Timée. Tous les autres détails ou bien sont secondaires ou bien exigés par une mise en scéne un peu soignée de la légende, et donc relativement anciens. La fable est construite sur les thémes courants: rapt des troupeaux et punition du ravisseur. On a dit que des Rhodiens l'avaient transporté aux bords du Traeis (7): en fait, elle a pu naître spontanément dans des pays d'élevage, et οὐ le mythe de Géryon était connu. Il est plus intéressant de considérer les thémes secondaires qui donnent à la
légende son caractere local. — C'est d'abord la mention de l'hospitalité
refusée,
qui
ne se trouve,
il est vrai,
qu'inci-
demment et dans la version divergente, plus jeune que la premiére : ceux en effet qui l'ont créée, ne comprenant pas
qu'un temple d'Héra eüt été élevé par Héraclés (or c'est au contraire un témoignage de l'antique alliance entre le dieu et la déesse), l'ont attribué à un ennemi du héros; et la
raison donnée manque vraiment d'originalité. — C'est surtout l'intervention d'un parent du voleur qui (1) (2) (3 (4)
Schol. Theocrit., IV, 33. Diod. Sic., l. c. Etym. Magn., 541, 13. Serv., L c.
($)
Int. Serv.,
Aen.,
III, 552.
(6) C'est un « héros » selon l'Etym. Magn., |. c. (7) Cf. Gruppe, Berl. Philol. Woch., XXXI, (1911), p. 1009.
|
158
LES ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
se dresse contre lui, et qui tombe pourtant avec lui, victima de la fatalité; mais qui sera plus tard l'éponyme de la cité grecque. Voilà, pour ainsi dire, la marque de fabrique de la fable erotoniate, et ce qui nous permettra d'en reconnaitre les diverses contrefacons. Datation
La légende, dans ses éléments, peut remonter fort haut à Crotone: les thémes panhelléniques, rapt des troupeaux, chátiment du voleur barbare, y trouvaient une facile applıcation,
sur une
terre de colonisation encore
récente,
en un
pays d'élevage, ou Héraclés lui-méme semble avoir eu à l'origine les traits d'un héros agricole (1). Pythagore l'accrédita puissamment, nous dit-on. Mais elle ne s'affirme avec tout l'éclat d'une tradition officielle que vers 420 a. C., par les 'premiéres monnaies héracléennes de la cité; à cette date nous sommes sûrs non seulement qu'elle existe, mais qu'on la rattache au promontoire Lacinien; bien plus, qu'on la croit ou qu'on veut la faire croire ancienne, puisqu'on accole à la figure d'Héraclés une inscription en caractéres archaiques (2). La puissance d'expression, l'autorité de ces pieces d'argent ont quelque chose de saisissant. Nous pouvons méme préciser que c'était la version de
Diodore, non celle de l'Interpolateur de Servius, qui était reçue des Crotoniates sur la fondation du temple Lacinien: en effet les monnaies qui suivent immédiatement les précédentes nous montrent à l'avers d'un Héraclés couché, .a face de Héra Lakinia; témoignage aussi net que possible d'une alliance entre les deux divinités, et qui nous aide &
donner aux statéres précédents leur pleine signification. Le culte et les traditions
d'Héraclés
Fondateur
joint à
Héra Lacinienne ont donc pris vers ces années à Crotone une grande vigueur; peut-étre, comme le pense M. Pais (3). (1) Supra, p. 22 sq. (2) Supra, p. 16 sqq. (3) E. Pais, Sicilia, I, p. 213.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE
159
grâce à la longue suite de victoires remportées par la ville aux jeux Olympiques; peut-être dans l'orgueil d'une hégémonie renaissante apres une dure crise de luttes civiles et étrangères. De fait, les deux monnaies essentielles sont du méme temps: avant elles, le type monétaire est le trépied ; aprés 390, on ne retrouve plus la Déesse du promontoire, ni, presque, le héros Fondateur. Breve est l'union des deux divinités: d'autant plus significative pour nous. II.
—
LA
LÉGENDE
DE
LOCRES
La plus évidente imitation de cette légende se retrouve à Locres Épizéphyrienne, cité toute voisine de Crotome et en constants rapports d'amitié ou de guerre avec elle. La Legende Locros,
dit-on
(!),
fils du
roi
Phaiacos
de Skeria,
aban-
donna sa patrie et vint en Italie, où il fut recu par le roi Latinos, qui lui donna en mariaze sa fille Lauriné. Héraclés, survenant avec les bœufs de Gérvon, fut recu en hôte par Locros. Mais Latinos, comme il rendait visite à sa fille, vit les troupeaux, les désira, les enleva. Héraclés le tua d'une flèche ; et aussi Locros qui portait secours à son hôte sous un déguisement, et qu'il prit pour un compagnon de Latinos : il l'ensevelit ensuite honorablement, et, aprés son apothéose, (1) Conon, Narr., 3 (p. 126, 4 sqq. Westerm.) :« ....'0 δὲ 'BpaxAz T ξενίζεται φιλοφοόνως παρὰ τῷ Aoxpü. Ὃ δέ Λατῖνος πρὸς τὴν θυγα-
τέρα ἐλθὼν, τὰς βοῦς ἰδὼν, ἠράσθη τε xat ἤλαυνεν * ὅπερ ἀναμαθὼν Ἡρακλῆς ἐχεῖνον τόξῳ βαλὼν ἀνεῖλε, τὰς δὲ βοὺς ἀνεχόμισε. Λοχρὸς δὲ δεδιὼς περὶ τῷ
Ἡραχλεῖ μή τι δεινὸν ὑπὸ Λατίνου πάθῃ (ἦν γὰρ Λατῖνος σώματι γενναῖος ui ψυχῇ) ἐξελαύνει ἐπὶ βοηθείᾳ τοῦ ξενισθέντος, ἀμειψάμενος
καὶ στολήν.
Ἡραχλῆς δ΄ ἰδὼν αὐτὸν θέοντα, καὶ νομίσας τινὰ εἶναι ἄλλον πρὸς ἐπιχουρίαν σχεύδοντα Λατίνου, βαλὼν ἄτρακτον, χτείνει. Ὕστερον
pato μὲν xai τὰ ὅσια
δὲ
μαθὼν,
ἀπωλοφύ-
αὐτῷ ἐπετέλεσε, καί μεταστὰς δ᾽ ἐξ ἀνθρώπων ἔχρησε,
φίτματι φανεὶς τῷ λαῷ, πόλιν οἰχίζειν ἐπ᾽ ᾿Ιταλίας ἐν ᾧ ἦν τὸ σῆμα τοῦ Λοχροῦ “ xal διαμένει τῇ πόλει τοὔνομα τιμώσγ τῇ κλήσει τὸν Αοχρόν.. »
160
LES ORIGINES
DE L' HERCULE
ROMAIN
il apparut et ordonna de bâtir une ville auprès du tombeau. Ce fut Locres en Grande-Grèce. Sa dépendance Si étonnante dans l'ensemble et jusque dans le moindre détail est la conformité de ce récit avec le précédent qu'on est lenté de n'y voir qu'une relation tardive avec erreur de noms. Mais il n'en peut étre ainsi. Conon est un contempo-
rain de César: il travaille donc vraisemblablement sur les mémes documents que Diodore, avec derriére lui les poetes Alexandrins, Théocrite et Lycophron, qui connaissent la méme légende à propos de Crotón. Dans ces conditions, une erreur de nom et de lieu est difficilement admissible ; et l'on ne voit pas non
plus l'intérét d'une
falsification volontaire.
li reste donc évident que la légende de Crotone a été imitée à Locres.
C'est ainsi que le nom de Latinos est une déformation à peine sensible de l'éponyme Lakinos, qui ne pouvait avoir de place à Locres. De méme sa fille Lauriné n'est qu'une forme légèrement modifiée de Laurè, fille de Lakinos, et qui était elle aussi à Crotone un personnage local éponyme (1). I] n'est pas jusqu'au héros Locros qui ne soit une démarca-
tion de Crotón : ils sont tous deux Corcyréens, et tous deux fugitifs (2). — Mais tous ces noms propres qui avaient un intérét pour les Crotoniates, tous ces héros qu'ils évoquaient dans la campagne ou au cap Lacinien, n'ont plus à Locres de caractére local, ni donc national. La légende locrienne est une imitation,
déjà savante,
L'emprunt pourtant n'est rement déformée, va préter C'est ainsi que le théme de trouvions dans une version
et, en partie,
artificielle.
pas littéral; et la légende, légèà de nouveaux. développements. l'hospitalité refusée, que nous divergente de Crotone, prend à
Locres beaucoup plus d’importarfce. Sans doute l’hôte d’He(1) Tzetz. ad Lycophr., 1008. (2) Schol. Theocrit., IV, 23. —
ce,' II, p. 121.
Cf. F. Lenormant,
Grande-Grè-
FORMATION
DE
LA
LEGENDE
ROMAINE
D'HERCULE
161
racles n'est point coupable envers le héros : l'hospitalité n'en est pas moins violée par le beau-père de Locros, introduit comme parent dans la maison. Un degré de plus, et c'est l'hôte lui-même qui sera parjure. Datation
Pouvons-nous à peu prés dater cet emprunt de Locres à Crotone ? Si la grande expansion de la légende du fondateur n'est pas à Crotone antérieure aux dernières années du V* siècle, c'est à partir du IV* seulement qu'il faudra en supposer l'influence sur Locres. De fait, les années mêmes qui voient se précipiter la décadence de Crotone sous les attaques de Denys de Syracuse, marquent l'exaltation de la puissance
locrienne.
Entre
390 et 380,
Locres
Épizéphy-
rienne ne fait que grandir; chaque coup porté à sa rivale signale une extension de son territoire. Dans le second quart du IV? siècle, c'est la seule ville importante
furent Sybaris et Crotone.
—
Et
sa
de ce pays
décadence
où
d'ailleurs
commence presque aussitót sous les attaques des Bruttiens.- Dans ce court espace de temps, Locres succéde à Crotone, comme Crotone avait succédé à Sybaris. En lui prenant son territoire, en la remplaçant en face des peuplades sabelli-
ques et dans le commerce
extérieur, n’a-t-elle pu aussi s^
parer de ses légendes ? La question se pose avec netteté. Mais elle ne sera résolue par l'affirmative que si d'autres faits viennent corroborer ces premiers indices. Latinos
Le nom de Locros ne peut rien nous apprendre. Mais bien
celui de Latinos: c'est sur lui que porte toute la discussion des origines et de la diffusion de la légende locrienne. Personne ne nie que Latinos soit l'éponyme du Latium, et la question est de savoir comment ce héros lointain se trouve en rapports avec Locros. M. Gruppe (1) a construit
(1) Berl. Philol. Wochenschr., XXXI, p. 1002 sqq.; Cf. R. E., Suppl., III, 994.
162
LES ORIGINES DE L'HERCULE
ROMAIN
un systeme, qui parait fortement lié, et lui permet de tout expliquer, quoique de facon bien compliquée.
Peu importe ici d'oü vient la légende crotoniate: il nous suffit de reconnaitre avec lui qu'elle est le prototype des récits semblables en Italie. De Crotone, dit M. Gruppe, ell a passé directement en Campanie, autour de Baies : comme preuves, nous avons la similitude des traditions qui font descendre les Thespiades ou Thespiens à Crotone et à Cumes. En Campanie, Lakinos devient Latinos, éponyme du peuple qui menace alors la contrée (fin du IV* siécle). De là. la légende déformée aurait été transportée à Locres vers 280 par des bandes Campaniennes, quand la Grande-Gréce se souleva contre le Latium. Mais d'abord, il faut reconnaitre que la légende qui nous est transmise 51 précisément pour Crotone et Locres, n'est point mentionnée sous cette forme en Campanie : or il serait au moins raisonnable d'attribuer au premier intermédiaire d'une tradition plus de netteté qu'aux suivants. Et que dire alors de ce procédé, qui consiste, pour expliquer le passage d'une foble de Crotone à Locres,
villes voisines et tou-
jours en étroites relations, à la faire remonter jusqu'à Cumes et redescendre ensuite jusqu'au fond du Bruttium? Dans de telles explications, il n'y a aucune vraisemblance. I} se peut
certes
qu'elles rendent
compte
de la réalité
(en
pareilles matiéres, tout raisonnement peut se défendre): mais si l'on en trouve une plus simple, on devra la préférer. L'hypothése qui fait le moins de part à l'imagination, et qui donc devrait sembler la meilleure, consisterait à dater cette modificaton de la légende du début du III* siècle, lorsque les Romains furent appelés par Thourioi (en 302 et 286), plus tard par Rhégion (280), et que la Grande-Gréce effrayée chercha contre eux un secours en Pyrrhos, roi d'Épire. Mais il ne faut pas oublier que ces villes grecques, et Locres en particulier, avant de suivre la fortune de Pyrrhos, avaient
sollicité des garnisons romaines (1) F. Lenormant,
Les
ambassadeurs
(en 282) (1); qu'aprés sa
op. cit., IT, p. 137. Cf. Liv., XXIX,
locriens
rappellent
que
pendant
18, 3-4:
la guerre
FORMATION
retraite,
DE LA LEGENDE
Locres demeura
ROMAINE
longtemps
D’HERCULE
fidèle à
la
cause
163
de
Rome ‘1); qu'enfin sa douloureuse histoire et ses perpétuelles variations depuis la fin du IV* siècle et pendant tout !e 115 ne pouvaient être favorables à l'affermissement d'une légende hostile au nom latin. — D'autre part l'obligation de faire passer cette lézende, plus ou moins deformee, du Bruttium dans le Latium, à quoi nous forcent les pius anciennes traditions romaines sur Hercule (2), exclut formellement une date aussi basse : car le passage, et tout le travail légendaire, seraient inexplicables une fois la Campanie soumise et les arines romaines puissantes jusqu'aux extrémités de la péninsule, quels que soient d'ailleurs les fléchissements temporaires de cette puissance.
Il reste à chercher si les années mêmes de l'épanouissement locrien, au temps de Denys l'Ancien, n’admettraient pas aussi cette déformation de la légende crotoniate. — En 384, le tyran de Syracuse, sür de la Grande-Gréce par l’amıtié de Tarente et surtout de Locres, entreprend des expéditions dans les mers Adriatique et Tyrrhénienne (3). Sa flotte livre au pillage Pyrgoi, port de Caeré; ses troupes défont l'armée étrusque, et les prisonniers Tyrrhéniens sont vendus en masse sur les marchés siciliotes, et sans aucun doute aussi italiotes.
—
Or,
à cette date,
Caeré
est l'alliée des
Ro-
mains (4): elle leur a offert un asile pour leurs cultes lors de l'invasion gauloise (5) ; avant et aprés cette catastrophe, sa neutralité bienveillante permet aux armées latines d'agir
avec vigueur contre Véies,
Faléries,
Tarquinies,
Sutrium,
Nepeté, alors qu'il lui eût été si facile de les attaquer à dos
pour soulager les troupes étrusques (6). Le coup porté par Denvs ne frappe donc pas les seuls Étrusques de Caeré; contre Pyrrhos ils ont été fidéles aux Romains : une célébre en témoigne aussi. (1) Jusqu'en 214. Cf. Lenormant, op. cit., II p. 143. (2) Voir infra. (3) Holm, Gesch. Sicil., II, p. 135-136.
(4) E. Pais, Storia Critica..., II, p. 431, 439, 445. (5) Liv., V, 40, 10.
|
(6) Cf. Liv., V, 21; 27; — VI, 3; 4; 9; 10.
monnaie
164 n
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
il atteint aussi, indirectement, les Romains.
Cela est si vrai
que le pillage de Pyrgoi est suivi de conventions entre Denys et les Gaulois, les mortels ennemis des Latins, qui s'engagent comme mercenaires à la solde du tyran grec (1). Il est impossible, dans ces conditions, que le nom latin, répandu en Sicile et en Grande-Gréce par les esclaves de Caeré et les mercenaires gaulois, n'ait pas pris dans les cités helléniques, et à Locres en particulier, une importance à la fois historique et légendaire, en germe déjà dans les vers de la Théogonie,
oü Latinos
fils de Circé était représenté
ré-
gnant avec son frère sur les peuples de Tyrrhénie (2). Mais aprés l'expédition de Denys contre les Étrusques il est prononcé comme
celui d'un ennemi
‘vaincu:
et
il
n'est
plus
étonnant qu'on le retrouve dans la légende locrienne comme substitut de Lakinos, pour désigner l'ennemi d'Héraclés, 'c voleur durement chátié. Ill. — LA LÉGENDE A ROME La méine légende a passé à Rome. Sous quelle forme ? La Légende
°
Héraclès. dit Derkylos dans le Troisième livre de ses « Italiques » (3), était descendu en Italie avec les bœufs de Géryon. Le roi Faunus, fils d'Hermès, le reçut en hospitalité. Ce barbare avait coutume d'offrir à son père ses hótes en sacrifice ; mais quand il voulut porter la main sur Héraclès, celui-ci le tua (4). (1) Holm, I. c. — Cf. F. Lenormant, op. cit., II, p. 125.
(2) Hesiod., Theog., 1011-1016. (3) F. A. G. (Müller), ἐλαύνων
IV. p. 387, 6: « 'HgaZe τὰς Γηρνόνου
Bv ᾿Ιταλίας ἐπεξενώθη Φαύνῳ
βασιλεῖ, ὅς ἦν 'Ερμοῦ
βοῦς
παῖς, καὶ τούς
[γε] ξένους τῷ γεννήσαντι ἔθυεν * ἐπιχειρήσας δὲ τῷ ᾿ΒΠρακλεῖ ἀνῃρέθη " ὡς Δέρχυλλος ἐν τριτῷ ᾿Ιταλιχῶν. » (4) Cf., par simple curiosité, la grotesque rivalité amoureuse
d'H seule et Faune,
dont s'égaye Ovide (Fast,
II, 806 sqq.)
FORMATION
DE
LA
LEGENDE Sa
ROMAINE
D’HERCULE
165
valeur
Cette donnee se trouve dans le petit ouvrage, tr&s suspect dans l'ensemble, attribué faussement ἃ Plutarque sous 'e titre « Parallèles d'histoires Grecques et Romaines », 38, en pendant à l’histoire de Busiris. Mais il est difficile de la
condamner avec beaucoup d’autres de cet opuscule. En effet: 1°) Derkvlos n’est pas un inconnu, dont le nom ait été créé pour les besoins de la cause, D'autres auteurs le citent et semblent attacher une certaine importance à ses écrits. Son nom est alors souvent joint à celui de Deinias, peut-étre argien comme lui et qui écrivait sans doute dans la seeonde moitié du III* siècle avant notre ère (1).Si l'on remarque
avec Müller (2) que, lorsque ces deux historiens sont cités ensemble, Deinias précéde toujours Derkylos, posé à admettre qu'il est aussi plus ancien il est évident qu'ils se trouvaient d'accord sur points, et possible par suite qu'au moins: pour ils aient eu une source
commune,
soit servi de Deinias; 2°) II n'y a bien entendu Derkvlos,
à côté d''Aovoxuxa,
ou bien que
on sera disque lui. Mais beaucoup de les ’Apyolvé Derkylos
se
| aucune impossibilité à ce que ait écrit des
᾿Ιταλιχά.
Si 0.1
doit lui donner place dans le mouvement hellénistique, comme il est fort probable (3), son rang est tout indiqué parmi les Grecs qui entre Timée et les premiers annalistes Romains recueillirent ou forgérent les traditions de la grande ville de l'Occident (4); 3°) Si, dans l’opuscule attribué à Plutarque, souvent une légende grecque semble avoir été créée de parti-pris sur
le patron d'une légende romaine, a
ou réciproquement,
des exceptions, oü les rapprochements
il y
sont tout à fait
Justifiés (5). Il n'y a donc pas de raison positive de rejeter a priori le (1) (2) (3) (4) (5)
W. Christ, Griech. Litter., p. 554. F. H. G., l.c. Cf. Schwartz, R. E, V, 243. x Cf. W. Christ, Gr. Litt., p. 561 sq. par exemple les n** 8 οἱ 18.
166
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
donnée des « Parallèles ». Il y en a au contraire pour l'accepter :
A. — La
légende
présente
des caractéres
d'antiquité
:
«) elle est d'un moment où Faunus est un dieu essentiel de Rome; or sa figure pälit tres tót, et, des les temps classiques,
Silvanus s'est substitué à lui; b) elle témoigne
aussi
d'un moment d'inimitié entre Grecs et peuples du Latium, Rome en particulier, considérée comme la ville de Fau-
aus (1). Elle est donc plus ancienne que l'apologie grecque du nom Romain, commencée dés le III* siècle, et que les exécutions de Mumrinius n'ont pu suspendre. B. -- La légende n'est pas isolée à Rome: a) elle est d'accord avec la tradition qui fait de Faunus le prétre d» sacrifices sanglants (2); b) d'accord aussi avec une tradition qui fait sacrifier à Rome les hótes grecs (3), comme en main-
te autre ville de Sicile et de Grande-Gréce (4). Ainsi les différents faits que nous connaissons concordent pour nous permettre d'attribuer une réelle valeur à la donnée de Derkylos. Quel intérét d'ailleurs aurait eu l'auteur de forger une fable de cette sorte, alors que tant d'autres elnient offertes en Italie, ou méme à Rome?
analogues lui Même si l'on
veut supposer qu'il ἃ imaginé sa fable sur les deux thémes bien connus : sacrifices sanglants à Saturne, suppression de ces sacrifices par Hercule; pourquoi chercher dans Fauaus l'adversaire d'Hercule, pourquoi surtout cn faire un fils d'Hermes ? Rien de cela ne s’explique si l'on suppose une démarcation de la fable de Busiris, qui n'a d’ailleurs
avec celle-ci que des rapports assez lointains. (1) Faunus honoré à Lavinium, Ardée, Tibur, mais surtout ἃ Rome et dans la campagne environnante : Cf. Hild, D. S., s. v. Faunus, p. 1021 sqq. (2) Lactant., fais. vel. I, 22, 9 : « Ante Pompilium Faunus tn Latio qui et Saturno auo nefaria sacra constiluif et Picum patrem inter deos honorauit. » (3) Serv., Aen., VIII, 345.
(4) Cf. l'éponyme de Solus en Sicile, χαχόξενος, et tué par Héraclés (Hécatée de Milet, in Müller, F. A. G., I, p. 3, 48); et les fables précédentes de Locres et Crotone.
FORMATION
DE LA LEGENDE
Nous entreprendrons
donc
texte de Derkylos comme
ROMAINE
cette étude
valable.
D'HERCULB en considérant
167 le
La suite de la discussion
montrera s'il représente vraiment une tradition aussi isolée, donc suspecte, qu'on a bien voulu le dire. Sa dépendance À la considérer en elle-méme, cette légende ne se précisa pas immédiatement comme parente ou dérivée de celles de Locres et de Crotone.
Des trois thémes que nous avons rele-
vés, vol des bœufs, mort de l'hóte parjure, meurtre involontaire d'un ami, seul le second est tout à fait net, et s'est mA. me précisé et enrichi de singuliére facon. Le premier est sans doute sous-entendu comme conséquence des intentions 4e
Faunus à l'égard de son hóte, mais n'est aucunement développé. Quant au troisième, il a disparu: l'ami inconnı
d'Hercule était né dans les légendes grecques d'une nécessit? toponymique, et peut-être du désir d'entourer de poésie le tombeau d'un héros ; cet intérét, trés fort à Crotone et déjà affaibli à Locres, n'existe plus du moment qu'on entre dans l'Italie Barbare. Malgré tout, la dérivation de cette fable ne
serait pas nette, si nous devions nous en tenir aux lignes de Derkylos sans les rapprocher des autres légendes concersant le passage d'Hercule entre Tibre et Vulturne. Mais il faut considérer cette fable, au premier abord bizarre et isolee dans
le mythe
déformée, et les ayant
italique
contaminée elle-méme
d'Hercule,
d'une
part par
comme
incomplète
d'autres
et
traditions,
contaminées.
4°) Faunus était à Rome, dans l'antiquité reculée, si l'on en croit Varron (1), un dieu privé, « correspondant aux héros éponymes ou topiques des cités grecques » (2). Il réunit donc trés exactement en lui dans !a légende transmise par Derkylos, les personnages de Lakinos et Crotón, ou Latinos et Locros, que nous trouvons dans les villes de Grande-Gréce. Il semble naturel que, dans ces deux groupes, l'éponyme de (1) Int. Serv., Aen., VIII, (2) J. A. Hild, D. S., l. c.
275.
108
LES ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
la cité ait été un personnage sympathique et ami d’Héraclès -
mais pourquoi alors était-il tué par le héros ? N'y at-il pas là trace d'une tradition plus ancienne qui lui donnait aussi des torts à l'égard d'Héraclés ? L'exemple de Solus (1) ne nous autorise-t-i] pas à conclure en ce sens ? On conçoit trés bien, d'après cet exemple, l'inimitié primitive d'Héracl$s contre Crotón, Barbare possesseur de la terre; puis lorsque Crotón a été adopté par les Grecs comme héros éponyme, on
lui substitue Lakinos, et l'on arrange la légende de facon à rendre sympathique l'antique ennemi d'Héraclés. Les dédoublements de ce genre ne sont pas rares. S'il en a été ainsi, nous ne nous étonnerons
pas que la
légende romaine ne mette face à face que deux adversaires, Faune et Hercule. Elle reproduit dans sa simplicité la lé. gende originelle de Crotone ou de Locres : la lutte du Barbare injuste contre le Grec justicier. Ainsi, que manque à Rome le pendant de Crotón et Locros, ce n'est pas une raison suffisante pour douter de la descendance locrienne ou
crotoniate de la fable romaine; 2°) Mais nous avons d'autres indices de cette dérivation: c'est la parenté ou plutót l'identification de Faunus et Latinus (2). Quand on ne posséderait que la tradition courante, qui fait de Latinus le fils et le successeur de Faunus, roi des Aborigenes (3), cette étroite parenté suffirait à expliquer la substitution de l'un à l'autre, en passant de Locres à Rome: Faunus ayant l'avantage d'étre un dieu et d'avoir des sanc-
tuaires illustres dans tout le Latium et particuliérement à Rome. — Mais un témoignage précis de cette substitution (1) Voir plus haut, p. 166, n. 4. (2) Parenté déjà notée à propos de la fable locrienne par Schwegler, Röm. Gesch., I, p. 374 : « Wenn bei Conon nicht Cacus, sondern Latinus als der Rinderdieb erscheint, der defür von
Hercules getödtet ist, so erklärt sich diese abweichende Version der Sage vielleicht daraus, dass Latinus, der nach der gemeinen Tradition Sohn des Faunus ist, anderwärts als identisch mit Faunus erscheint. » (3) Dion. Hal., I, 43; I, 59. — Verg., Aen., VII, 47 eqq. — Serv.,
Aen., I, 6 — Arnob, II, 71, etc...
FORMATION
DE LA LEGENDE
ROMAINE
D HERCULE
109
nous est transmis par Appien (1) : Faunus, roi des Laurentes et père de Lavinia, y joue avec Énée le rôle que dans Virgile tient Latinus, fils de Faunus et père de la même Lavinia (2). — Les deux personnages sont donc, pour ainsi dire, interchangeables. Ces différents indices ne prouvent sans doute pas que Ir tradition transmise par Derkylos descend des légendes crotoniate et locrienne; mais ils montrent qu'il n'y a nulle im-
possibilité à l'admettre, et peut-étre quelques raisons de le faire. La voie des légendes
- Plus vraisemblable encore deviendra l'hypothése, si l'on peut jalonner entre Crotone et Rome une voie d'influences levendaires. Or cette voie existe : il est facile de s'en rendre
compte en suivant les traditions grecques relatives à Héra. la déesse argienne, Héraclés et Diomede, les héros argiens:
car ils s'accompagnent presque toujours sur les routes d'Italie.
Éclatante est l'alliance d'Héra avec Dioméde, et certains les cheminements du héros trézéno-argien (3), confiant en la protection de sa déesse, de Grande-Gréce par la voie semi-Côtière jusqu'à Lanuvium, de Daunie par les montagnes jusqu'à Vénafre ; de'la Vénétie méme, où il avait élevé aussi un temple à celle qui l'avait autrefois sauvé, il pouvait accéder à l'Italie Centrale et au Tibre (4). Mais aux lieux précis où s'arréte Dioméde, où les sanctuaires d'Héra se dressaient comme
les bornes de ses courses inquiétes,
Héraclés
est présent, aussi bien en Vénétie (5) qu'à Lanuvium. Et à (1) ap. (2) M. Laurötd, capitale (3) Les
Phot., Bibl., p. 57. p. 16, 6 : 10-16. Pais (Storia Critica..., I, 1, p. 249, n. 1) voit méme en: la fille du Lakinos de Crotone, l'éponyme de Laurentum, de Faunus ou de Latinus. Locriens
avait
peut-être
aussi
contribué
à l'implanter
en Italie : Cf. Gruppe, G. M., p. 346.
(4) Supra, p. 72 sqq.
(5) Cf. les légendes hyperboréennes : supra,
p. 67 aqq.
170
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
Lanuvium du moins, dont l'influence religieuse fut si grande sur Rome, joint sur une dédicace commune à cette Junon Sospita (1), armée, couverte de la peau de chévre, analogue à plusieurs Héras péloponnésiennes (2), celle méme dont Dioméde avait institué le culte, disait-on.
Union étrange de l'Ennemie et du Persécuté ? Non pas. Cette alliance paraít avoir été l'un des primitifs fondements
de la légende argienne (3), et l'immortalité d'Héraclés semble à l'origine plutôt due à Hera qu'entravée
par elle (4).
Seulement il est bien vrai qu'aux temps classiques, à la fia du V*, au début du IV* siècle, où nous sommes
parvenus,
ce
groupemenpt est, aux yeux des Grecs, singulier, et ne se maintient vivant qu'en des sanctuaires rares et antiques,
fideles à leurs primitives traditions (5). L'un d'eux était le temple d'Héra Lacinienne; et le seul dans l'Italie grecque. Encore
la légende
de fondation
allait -elle étre modifiée,
qui l'attribuait
à Héraclés
par sotte ignorance, et l'honneur
de la dédicace reporté à un ennemi d'Héraclés.
Mais certes
lorsque, vers 400 a. C., Crotone frappait ses monnaies au double type d'Héra et d'Héraclés, l'alliance était intacte,
notoire, proclamée. Or c'est précisément
| cette déesse,
féconde,
guerrière,
^t
(1) Eph. Ep., IX, 605 : Herculi Sancto et Iunoni Sispiti.
(2) Supra., p. 76 sqq.
(3) Von Wilamowitz-Móllendorff, Herakles, I, p. 293 et 2%. (4) Le jardin des Hespérides, oü se cueillent les fruits d'immor
talité, est celui de Hera; sur l'CEta, une contrefaçon de ce paradis terrestre
appartenait à Héraclés
(Euseb., Praep.
Ev., V, 214),
ou peut-être
à Zeus (Soph., Trach., 200 et 436). — (Cf. v. Wila-
mowitz, op. c., p. 321, n. 104). — L'adoption d'Héraclés par Héra : n'est sans doute pas primitivement l'effet d'un ordre" formel de
Zeus : qu'onse rappelle l'hymne de Thèbes où le Dieu-héros était dit fils de Zeus et Hera. — Cf.Hesych., s. v. Ἡραῖον. — L'immortalité d'Héraclés est formellement attribuée à Héra par le schol. de Lycophron, 1328 : Héraclés selon lui futallaité, enfant, par Héra: c'est donc chose différente du rite mimétique de l'adoption. — Enfin l'étroite alliance étymologique des deux divinité devait correspondre à une alliance religeuse, peut-étre cultuelle. (5) Ainsi celui de Héra Aigophagos, fondé à Sparte par Héraclés (Paus.,
III, 15, 9).
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULB politique
(1), voisine
d'ailleurs des
Héras
armées
171;
d'Argos
et d’Elis (2), qui, avec celle des bouches du Seilaros, contribua le plus à donner l'épithéte d’ « Argiennes » et la cou-
leur grecque aux Junons militaires latines, qu'on les surnomme Sospita ou Quiritis. A preuve leur union énigmatique avec Hercule sur des monuments gréco-étrusques ou etrusques (3), qui semblent méme témoigner d'une premiere période d'influence de la déesse Lacinienne sur l'Italie Centrale à la fin du VI* siècle, au temps où Crotone fonda son
hégémonie sur les ruines de Sybaris. Mais le IV* siécle nous réserve une éclatante certitude sur la force de diffusion de la Hera Lacinienne et sur sa voie de pénétration vers l'Italie Centrale : son effigie en effet, telle que Crotone l'avait jointe à la figure d'Héraclés, une téte presque de face, qui respire l'audace, les cheveux épars ceints d'un diadéme qu'ornent des palmettes et des griffons, apparait sur la monnaie de Pandosia en plein Bruttium (4), sur celle de Poseidönia, étape essentielle vers le nord (5), en Campanie enfin, sur celles de Naples, Fensernia, Hyrium, Phistélia (6). Comme
si sur cette route parcourue par Dioméde, et toute jalonnée
des
souvenirs
d'Héraclés,
la
grande
déesse
Crotoniate
voulait affirmer que c'est avec elle, et peut-étre gráce à elle, que les deux héros argiens avaient pu de l'Italie achéenne parvenir jusqu'à Lanuvium. Si l'Héraclés Crotoniate joint à Héra Hoplosmia vint ainsi du Cap Lacinien jusqu'à Lanuvium, et sans doute, sous une
(1) G. Giannelli, Culti e Miti della Magna Grecia, p. 165-170. (2) Ct. F. Lenormant, La Grande-Gréce, YI, p. 223. (3) Voir 1. Bayet, Herclé, 2* partie, IV, rr. — Cf. Journ. Rom.
Stud., III (1913), p. 72. (4)
Gr.
Coins
Brit.
Mus.,
(5) J. Babelon, Luynes, I, (6) Gr. Coins Brit Mus., (Mais il faut lire Fenser. — p. 9?, 13. — La monnaie de (Cf. J. Babelon, Luynes, I, Mon. Ant. de UILC, I, p. IV. 287; G. Giannelli, op cit., p.
Italy, p. 370.
538. — Cf. supra, p. 55. Italy, p. 94, 13 (Naples); p. 128, 7 Cf. Cab. des Méd., Cart. 6, n° 229); Naples a été attribuée aussi à Nola 172). — A Phistélia : A. Sambon, — Cf. E. Pais, Italia Antica, II, Ὁ. 206.
172
LE»
ORIGINES
DE
L HERCULE
ROMAIN
forme ou sous une autre, de là à Rome (1), sur laquelle les cultes lanuviens exerçaient
un singulier attrait, et qui,
par
le traité de 338, se réserva la participation au culte de Junon Sospita, — telle légende locrienne illustre, par la même route, accéda aussi à la basse-vallée du Tibre: nous voulons par-
ler de la fable des Dioscures, qui secoururent les Romains à la bataille du lac Régille, comme ils avaient aidé les Locriens contre Crotone sur les rives de la Sagra (2). Quelle impossibilité donc que, suivant le méme trajet au IV* siécle.
la légende d'Héraclés, mürie entre Crotone et Locres, et dont Derkylos nous a transmis le fragile souvenir, soit venue s'acclimater parmi les négociants hellénes établis dans le quartier de l'Aventin ? La fable a-telle passé
d'abord,
sous
cette
ou sous une forme approchée, de Grande-Gréce nie, nous n'en savons rien. Mais nous possédons certains qui nous permettent d'affirmer dans l'existence du thème essentiel : l'enlévement d'Héraclés et le chátiment
du
coupable.
C'est
forme
méme
en Campades indices cette région des bœufs le
fameux
vase de bronze trouvé à Capoue, ou l'on a longtemps voulu voir une ancienne représentation du mythe de Cacus (3): il nous montre Héraclés poussant devant lui ses bœufs après
avoir puni un malfaiteur, trés probablement un voleur. Un tel document suffit à attester que, si le mythe crotoniat: est venu jusque dans le Latium, ce n'a pu étre que par la Campanie, longtemps l'intermédiaire obligé entre Rome (1) L'ancien
Hercule
de
Lanuvium
(Cf.
Lanciani,
Storia degli
Scavi, III, (1900), p. 22 et 31; Galieti, Bull. d. Assoz. Archeol. Rom., 1911 ,p. 31-43) interdisait aux femmes la participation à son polluctum. Rite curieux, qui se retrouve à l'Ara Marima de Rome. Voir infra. (2) M. Gruppe suppose gratuitement (G. M., p. 374) que cette légende vint à Rome par Tarente, sous prétexte que Tarente depuis le V^ siécle est la ville religieusement la plus importante en Grande-Gréce. A supposer que cette derniér affirmation soit exacte (ce dont nous doutons), elle n'autorise en aucune facon à allonger par un crochet aussi immense la route légendeire et commerciale bien plus ancienne que nous avons cherché à retracer entre la Grande-Gréce propre et l'Italie Centrale. (3) Annal. d. Inst. ‚XXIII, 1851. Cf. R. Peter, R. L., I, 22%.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D’HERCULE
173
grandissante et le reste du monde grec, et où nous avons vu s'exercer, justement dans le cours du IV* siècle, l'influ. ence monétaire et religieuse de Crotone (1). IV.
—
LA PRIMITIVE ET
SON
LÉGENDE
ROMAINE
ÉVOLUTION
Ainsi nous avons pu suivre jusqu'à Rome la tradition rapportée par Derkylos: nous savons à peu prés comment elle est née, en quelles circonstances; par quelle voie elle a atteint la cité tibérine.
Mais
là est-elle restée
stérile,
isolés,
sans rapports avec la légende qui a finalement triomphé ? Ou bien a-t-elle modifié cette légende? Ou méme a-t-elle contribué à la créer? Si ce premier essai légendaire sur l'Hereule Romain a simplement avorté, pourquoi? Si au contraire il a évolué,
comment ? Faunus-Évandre
Il y a longtemps qu'a été notée la parenté du mot Faunus avec faueo, fauens, et le parfait rapport de sens entre eux. Non moins süre est l'identification de Faunus avec Évandre, sa pure et simple traduction grecque. Si l'on désirait un fait qui le constatat dés l'antiquité, on le trouverait dans Servius (2), qui affirme qu'Évandre le premier rendit un culte à Faunus : ici, comme souvent ailleurs, le premier adorateur du dieu n'est qu'une autre forme de ce dieu. Que l'on ouvre d'ailleurs !' « Archéologie Romaine » de Denys (1) La légende de Latinos, 815 d'Ulysse et Circé, a dà étre répandue en Italie par des Ioniens, c'est-à-dire en l'espèce par les Chalcidiens (Pais. Storia Critica..., I, p. 305). Elle devait donc être particulièrement connue sur les côtes de la Campanie; et des influences campaniennes ont pu d'une part aider à la formation de la légende locrienne qui donne un rôle à Latinos; de l'autre faciliter, dans la version Romaine de la légende (Derkylos), la substitution de Faunus à Latinus. Rôle d'intermédiaires €t de courtiers,
non
de créateurs.
(2) Serv., Georg., I, 10.
174
LES ORIGINES DE L'IIERCULE ROMAIN
d'Halicarnasse, on ne peut manquer d'être frappé du parallélisme singulier existant entre Faunus et Évandre. C'est ainsi que Faunus, roi des Aborigènes et fils de Mars, règne sur l'emplacement de la future Rome
dre,
roi des Arcadiens et fils d’Hermes
Héraclés,
Latinus,
vainqueur
réputé
cule, de méme
de
fils de que
Cacus,
Faunus,
auprès d'Éva:1-
(1); à tous deux
distribue
est en
des
réalité
Pallas petit-fils d'Évandre
de Latinus qui épouse
Énée
porte le méme
terres
(2) ;
fils d'Her-
(3); et la fille
nom,
Laüna
ou
Lavinia, que la fille d'Évandre qui épouse Héraclés (4). Mieux : selon Justin (5), Latinus est fils d’Heracles et d'une fille de Faunus, exactement comme Pallas (6) est fils d'Héraclés et d'une fille d'Évandre. Le dédoublement d'un personnage mythique ne peut pas, semble-t-il, étre plus évident. Denys a visiblement ici fait effort pour conserver et con-
cilier toutes les données de la légende, sans s'apercevoir qu'Évandre et Faunus faisaient double emploi, et que l'un devait disparaitre devant l'autre. Malgré tous ses efforts, il est trop net que dans son récit Faunus est une figure
presque effacée, et que l'hellénisme d'Évandre
a triomphe
du vieux dieu latin. Dans Virgile, seul survivra sur cement de Rome le fils du subtil Hermes.— Et voici saisissons justement dans le récit de Derkylos la trace de contamination entre les deux traditions:
l'emplaque nous premiére par une
singulière inadvertance, Faunus y est dit fils de l'helléniqu? Hermés, et non de Mars dieu des Latins (7). C'est le germe de l'hellénisation qui devait peu à peu transformer la vieil»: légende et donner
un nom
grec à Faunus
lui-méme.
(1) Dion. Hal., I, 31. (2) Dion.
Hal.,
I, 42.
(3) Dion. Hal., I, 43. (4) (5) (0)
Dion. Hal., I, 43 et 59. Justin., XLTIT. Déjà dans Polybe; Cf. Dion.
Hal.,
I, 32.
(7) C'est à Saturne, non à Hermès, que Faunus devait primitivement vouloir sacrifier Hercule (Cf. Lactant., de fals. rel., I. 22, 9. Voir plus haut).
FORMATION
DE LA LEGENDE
ROMAINE
D'HERCULE
175
Traces de la legende primilive dans
la
tradition
classique
Mais si Faunus a subsisté dans la légende classique sous le nom d'Évandre, ne peut-on saisir dans cette légende méme
quelques traces subsistantes de la fable de Derkylos ? I semble ainsi évident que le personnage de Carmenta, la mère inspirée d'Évandre, quelle que soit d'ailleurs In coniplexité des éléments qui ont contribué à la formation du personnage, a retenu quelque chose du caractére prophétique de Fauna ou Bona Dea, femme ou fille de Faunus, et
s'est peut-étre substituée à elle (1). Ce qui tendrait à le prouver, c'est que parmi les compagnes de Carmenta (qui
n'en sont d'ailleurs que des émanations ou dédoublements', certains auteurs comptaient Tiburs (2), éponyme de Tibur, -où l'on trouve à la fois deux cultes très anciens, justement ceux d'Hercule et de Faunus (3): or la légende d'Hercule à Tibur paraît avoir été trés proche de celle de Rome. — Ainsi, la légende qui mettait en scéne Faunus a pu laisser dans celle de Cacus-Évandre une trace si légére soit.elle, dans le personnage de Carmenta. Une autre trace, bien plus distincte, s'en voit dans la célébre piéce de Properce (4), d'ailleurs si éloignée du reste -de la tradition augustéenne: pour expliquer l'exclusion des femmes de l'Ara Maxima à Rome, le poéte raconte qu’Hercule, pressé de la soif aprés sa victoire sur Cacus, avait
demandé à boire aux sectatrices de Bona Dea (ou Fauna) et n'avait rien pu en obtenir, parce que ce culte excluait les hommes de ses sacrifices; qu'alors le héros, outré de dépit, s'éleva à soi-même un autel de rite inverse. — Un tel récit ἃ d'abord l'air trop spirituel pour qu'on y veuille chercher les arguments d'une étude critique. Pourtant il est peu croya‘ble que Properce l'ait inventé de toutes pièces, surtout étant (1)
Selon
“d’Evandre,
Plutarque
(Rom.,
mais sa femme;
21)
comme
Carmenta Fauna
n'est
pas
la mére
l'est de Faunus,
(2) Int Serv., Aen., VIII, 336. (3) Verg., Aen., VII, 81 sqq. — Ovid., fast., IV, 649.
(4) Propert,
V, 9, 1 sqq.
"
176
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
donné qu'il contredit la tradition officielle: Hercule mal reçu à Rome, quelle étonnante affirmation en face du récit
d'Évandre ! Son étrangeté méme témoigne qu'il garde, plus ou moins
déformé
ou
embelli,
le souvenir
d'un
autre
état
de la légende, et, selon toutes probabilités, plus ancien que le récit officiel. — Il semble qu'on.n'en peut plus doute: quand on le rapproche de la tradition de Derkylos oà Faunus, époux ou père de Bona Dea, est aussi l'ennemi du héros grec. Peut-étre ainsi serons-nous amené à donner sa pleine valeur à une phrase, sans cela insignifiante, de Servius (1): « Hercules primum ab Euandro non est susceptus ». Une felle attitude certes ne concorde guére, sinon avec la lettre du poéme de Virgile, du moins avec le caractére qu'il a voulu donner au roi Árcadien. Là encore, il y ἃ sans doute un vieux souvenir presque effacé, et qui ne s'explique plus guère, d'un état antérieur de la légende, celui que Derkylos nous 8 plus clairement transmis. I] est trop évident d'ailleurs que l'aventure de Cacus. telle qu'elle fut répétée à satiété à la fin du I” siécle avant notre ére, a dü étouffer presque complétement les traditions moins favorables aux premiers habitants de Rome. Nous r'en trouverons donc que des traces trés légéres qui, considérées seules, ne sauraient avoir d'importance, mais qui en prennent par leur accord plus ou moins parfait avec les indices déjà relevés, Ainsi la tradition divergente de Diodore, qui représente en Kakios un ami d'Hercule, nous aid? à comprendre comment, par un phénoméne inverse, FaunusÉvandre d'abord ennemi du héros est devenu son hóte bien-
veillant : de toute certitude, l'influence grecque a détermin: le caractére des deux personnages d'aprés le sens de leurs
noms, le Bon et le Méchant; mais c'est là une action savante, et donc tardive, sur la légende, qui, loin de nous convai -
cre, doit nous mettre en garde contre l'antiquité de la tradition augustéenne. Cacus méme agissait-il dans l'état antérieur de la légende ? Et comment ? Il serait fort tentant d’e.r (1) Serv., Aen., VIII, 269—Mythogr.
Vatic., I, 69.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE
177
faire un séide ou une autre forme de Faunus : ainsi, outre le dedoublement de l'adversaire d’Hercule (Faunus-Cacus correspondant à Lakinos-Crotón et Latinos-Lokros), sera't introduit dans le récit de Derkylos le thème du vol des bœufs le seul qui lui manque pour qu'on en puisse affirmer l4 parenté avec les légendes de Crotone et de Locres. — On l'a tenté, sans preuves ni raisons convaincantes (1). Il existe pourtant une indication grave de Servius, qui :'a contre elle que sa forme evhémérique (2): « Selon les savants et les historiens, nous rapporte-t-il, Cacus était un esclave d'Évan-
dre, trés pervers et voleur (3) ». Quelque rationaliste que soit le caractère de cette affirmation, on ne doit pas en nie” la portée; d'autres explications du méme genre font Je Cacus un conquérant, un tyran cruel, un voleur de gran] chemin, un incendiaire; et il n'y a sous toutes ces formes
nulle originalité, nul souvenir de légendes anciennes. Il n’en est pas de méme du texte de Servius : il pouvait expliquer plus simplement, plus rationnellement, la fable de Cacus sans faire du fils de Vulcain un esclave d'Évandre-Faunus. Il est donc forcé qu'il y ait sous ces lignes un souvenir plus ou moins involontaire d'une légende ancienne. Ne voit-on pas alors combien concordent toutes ces données éparses, de facon à nous permettre de reconstruire une
fable latine apparentée à celle de Locres ? Faunus-Évandre recoit Hercule, comme l'avait fait Locros en Grande-Grèc:; comme à Locres, l'hospitalité est violée, soit par Faunus lui-même, soit par un familier de la maison, en l’espè:e Cacus, l'esclave qui dérobe les bœufs; Cacus comme
Latinos
est chátié; Faunus, coupable, ou innocent comme meurt de da main d'Hercule (4).
Locro;,
(1) Zinsow,
de
sacr. Rom.
pelasg.,
p. 20 et 26, n. 5. Cf.
Peter R. L., 2273 in fin. (2) Serv., Aen., VIII, 190. (3) Affirmation plus nette encore dans dri seruus nequitiae uersutus, et praeter -
que ne nous était attestée d'autre part. Mais nous avons pi la jalonner sans erreur possible sur les traces mythiques
de
Dioméde, sur les traces religieuses de Héra Lacinienne qui, de Crotone, fit sentir son action en Campanie, Junon-Guerriere du Péloponnése, dont Dioméde était censé avoir éta. bli le culte
à Lanuvium,
d’oü
elle
passa
à Rome.
Par
là
vint aussi Hercule. Peut-on dater, ne füt-ce que grossièrement, la pénétration de cette légende grecque dans le Latium ? La difficulté
peut étre insurmontable. La grande influence du culte crotoniate en Campanie remonte pourtant, avec certitude, au début du IV* siécle; et Locres hérite de la puissance de Crotone dans le premier tiers de ce siécle. La fable hostile au nom latin n'a pu naitre enfin que dans ces années, et remonter, plus ou moins déformée déjà, jusque dans le Latium : le milieu du IV* siècle marque en effet une period? d'inimitié violente entre Grecs et Latins (1). Toutes les conclusions chronologiques concordent donc; et nous sommes
sans doute autorisé à dater de la premiére moitié du IV* siécle le mouvement légendaire sur Hercule qui, de Crotone
(1) Cf. E. Pais, Sicilia, p. 483. La; destruction de l'empire de Denys II (357-345) fut sans doute accompagnée
d'une
réaction générale des indigènes.
En 349 (Liv., VII, 25 84.) ou 345 (Diodore), les Romains prennent des mesures sévères pour empêcher sur les côtes du Latium l'établissement de Grecs peut-être venus de Sicile (Liv., VII, 26,
15); En
348 (Liv., VII,
traité d'alliance avec D'autre
part
,les
27)
ou 344
Carthage, Tarentins,
(Diod.
XVI,
69) ils concluent
un
l'ennemie jurée de Syracuse. alliés
des
Samnites,
dont
ils
se
disent les fréres, intriguent avec eux pour empécher l'occupation de Naples par les Romains en 328 (Liv., VIII, 22; 25, 7,27,
11. — Dion.
Hal., XV, 5-8. D» méme
ria (Liv., IX, 14).
en 320 à propos de Luce-
182
LES ORIGINES DE L'HERCULE
ROMAIN
ἃ Locres, de Locres en Campanie, finit par atteindre ıe Latium (1). Combien de temps put se maintenir dans le pays la fable hostile au nom latin que nous a transmise Derkylos ? Y eut-
‘elle méme une durée quelconque ? N'est-il pas croyable au contraire qu'elle n'entra à Rome que déjà modifiée par la substitution
d'Évandre
à Faunus,
et
que
tout
le
travail
légendaire précédent resta confiné parmi les Grecs de la Grande-Gréce ou de Campanie, ou peut.étre dans la colonie de marchands hellenes qui trafiquaient à Rome aupres du port, et au forum Boarium, entre Palatin et Aventin? Toutes questions qui ne peuvent recevoir de réponse que lorsque sera déterminée la facon dont à Rome se fit la :substitution d'Évandre à Faunus.
(1) En 338 (Liv., VIII, 14) Rome obtient par traité participetion aux cultes de Lanuvium, oü nous avons vu se joindre les traditions
grecques
l'Italie Méridionale.
sur Junon.
Dioméde
et
Héraclés,
venues
de
"ΠῚ Évandre
La substitution d’Evandre à Faunus n'est pas connue ailleurs qu'à Rome. Elle suppose d'autre part le travail d'imaginations grecques sur des faits latins, et probablement
autour de certains
lieux
bien
déterminés:
sans
quoi
les
fables helléniques n'auraient pu ni se fixer ni surtout évoluer. Evandre comme tel. l.
- LA
est un
FORMATION
héros, topique,
DE LA
PERSONNE
et doit être explique
D ÉVANDRE
A ROME
D'ailleurs sa trace est nette à Rome. et les lieux euxmémes parlent: 1* Au pied de l'Aventin et non loin de la porte Trigemina
ἱπρὸς ἑτέρῳ τῶν λόφων Αὐεντίνῳ λενομένῳ τῆς Γριθδύμου πύλης οὐ πρόσω) se trouvait un autel consacré à Evandre (1); 2° Le culte du Lupercal, culte soi-disant de Pan Lycaios,. au penchant du Palatin, était attribué aux Arcadiens d'Évaadre, qui avait en cela obéi, disait-on, à un ordre de sa mére
Carmenta (2);
3* Carmenta enfin avait elle-méme un autel et une chapelle prés de la porte Carmentale, sous le Capitole (3), tout prés de la roche Tarpéienne, cemme on peut le conjecturer de quelques lignes de Tite-Live (4).
Ce n'est donc
pas le manque,
c'est l'abondance
et la
(1) Dion. Hal., I, 32, 2. (2) Q. Fabius Pictor, ap Dion Hal., I, 79= H. R. ‚F., Peter, p. 10. — Dion. Hal, I, 33. — Plut., Rom., 91.
(3) Cf. références dans Kiepert -Hülsen, Forma Urbis, 1910, P. 3. (4) Liv., V, 47, 2; Cf. Liv., V, 46, 9 et VI; 17,4.
184
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
diversité des localisation qui sont gênantes ici. Pourquoi cette dispersion des souvenirs d’Evandre ? A laquelle des. trois collines s'attacha d'abord son nom ? Comment s’est-il répandu ? Il va de soi que, si l'on veut parler raison et réalités historiques, Carmenta n'a primitivement rien à voir avec Évandre et que, vieille divinité italique, elle en fut d’abor:l tout indépendante; elle lui fut annexée par l’intermediair. de Faunus: heureuse fortune qui a prolongé sa vague existence.(1). — Il n'est pas non plus douteux, pour nous mo-
dernes, que le sanctuaire du Lupercal, malgré tous les rapprochements possibles entre ses fêtes et les « Lukaia » hetléniques, n'est pas une création arcadienne : bien que les Anciens, raisonnant par analogie, aient eu sur ce point une position en apparence trés forte. — Reste l'autel de la porte Trigemina dont la tradition ni le nom ne peuvent raisonn?blement pas étre enlevés à Évandre. Ne serait-ce pas là qu'il se fixa d'abord? | L'Aventin
Les conditions y prétaient.
En ce coin grouillaient les
étrangers: les Étrusques au nord-ouest, dans le Vélabre (2); les gros
commercants
domiciliés
sur
l'Aventin;
et,
sur
le
Tibre et le long du fleuve, charrois et convois forcément passaient prés des chapelles nombreuses serrées autour de !a porte Trigemina (3). Là, pour la première fois, s’exerca sur la religion Romaine l'influence grecque, et avec une cer-
teine audace, si l'on songe au temple de Cérés (juste derrière la porte Trigemina), desservi par des prétresses de Campanie, et dont le culte est tout hellénique: langue, rituel, mystères nocturnes, lectisternes, θεογαμία, rien n'y man(1) Bouché-Leclercq,
D.S., s. v. Carmenta,
p. 923 sqq.
(2) Cf. Jordan, Top. der Stadt Rom, I, 1, p, 273-275. (3) Cf. Merlin, l'Aventin dans 87.
l'Ant., passim, en particulier p.
FORMATION
DE LA LEGENDE
ROMAINE
D HERCULE
185
que vraiment, et cela dès le V° siècle (1). Sur l’Aventin aussi,
Diane n'était pas sans ressemblance avec la déesse d’Aricie, venue de Grande-Grèce (2), et témoignait en outre des rela-
tions de Rome avec Marseille (3). Un peu plus à l’est enfin, dans la vallée du Grand Cirque, à peu près à mi-chemia
entre la porte Trigemina et la porte Capène, le temple de Mercure était un autre rendez-vous des marchands étrangers arrivant par la Via Appia ou les bords du Tibre (4). Son culte était venu la tradition,
à Rome
dès le début
du
de Sicile ou de Grande-Gréce
V* siècle,
disait
(5). Si les Grecs
avaient pu helléniser de si importants sanctuaires à une date si reculée, il est évident qu'ils pouvaient aussi répandre de nouvelles légendes sur les vieux cultes latins de l'Aven-
tin. Or, s'il y a un dieu antique
sur la colline, c'est Faunus
avec sa parèdre Fauna. La Bonne Déesse, comme on l'appelait (Bona Dea Subsarana) habitait au-dessous du promontoire de Sainte-Balbine, tout prés de la porte Capéne ; son sanctuaire secret, réservé aux fefnmes, ne s'ouvrit méme pas devant Hercule. Quant à Faunus, il parlait dans les solitudes de la colline, où Numa vint surprendre ses ordres prophétiques (6); méme sans y avoir de temple, son nom €i sa puissance étaient vivants auprès des sources et dane les broussailles. Pas plus d'ailleurs que Bona Dea (7), il n'était rebelle à l'assimilation hellénique : dieu en un certain sens civilisateur, poète rustique, « facundus » (8), il prétait à la confusion avec Hermés-Mercure ; peut-étre y pré(1) Id, ib., p. 159-161. (2) E. Pais, Storia di Roma, I, 1, p. 331. (3 Merlin, op. cit., p. 220. (4) Cf. A. Piganiol, Mélanges de l'École de Rome, 1909, p. 120. (5) Steuding, A. L., II, 2808 sqq. (6) Ovid. fast., III, 295; Plut., Num., 15; Arnob,, V, 1. — Cf. 2. A. Hild, D.S., s. v. Faunus, p. 1022.
(7) Sa fête en décembre qui s'appelle Damium, sa prétresse Damiatriz, attestent Déméter à Egine, eit., p. 170 sqq).
(8
l'influence directe de Damia, une sorte de Épidaure, Sparte et Tarente (Cf. Merlin, op.
Hild, I. c. — Otto R.E., VI, 2058 et 2072.
ι86
°
LES
ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN
tait-il aussi par sa qualité de dieu infernal (1). Quoi qu'il en soit, le rapprochement est certain : par confusion ou autrement, Faunus est dit par Derkylos fils d'Hermès (2) : son assimilation à Pan y avait certes contribué. Est-ce à dire qu'il ait été complètement hellénisé sous la forme d'Évandre ? Évandre n'est pas un dieu (3); en seraitil un qu'il n'aurait eu aucune importance pour les Grecs
domiciliés sur l'Aventin. Ils y possedaient d'autres cultes autrement illustres, et n'avaient aucune raison d'y créer un autel pour
un
vague
héros:
que
l'on
suppose
méme
des
Arcadiens désireux de cultes nationaux, le sanctuaire de Mercure-Hermés ne pouvait-il leur suffire ? — Eÿayôoos a tous les caractéres d'une traduction de Faunus,
mais vaut
surtout comme épithéte (4). Au début, Évandre n'a pas dü avoir de vie propre: c'est l'épithéte explicative d'une divinité latine qui ne peut étre que Faunus. Nous croirions vo-
lontiers que l'autel dont parle Denys ne fut primitivemeut qu'un lieu consacré à Faunus, et, pour les Grecs domiciliés ou les voyageurs
qui remontaignt le Tibre, à Φαῦνος Εὔανδρος
ou Évandre tout court.
|
Les Grecs étaient coutumiers du fait. Que l’on songeà Melqart, dieu étranger pour eux; ils en font Melikertés, qui n'est qu'une traduction phonétique; ils lui donnent pour épithéte explicative Palaimón, « le combattant »; et Palaemón lui-même devient dieu : il prend pour mère Leucothée, sa légende se fonde, il vit enfin (5). De même pour Faune à Rome : le parallélisme est rigoureux. Mais il n’y a qu'un lieu cultuel à Rome où ce travail ait pu s’amorcer, c'est
l'autel de la porte Trigemina au pied de l'Aventin. En ce
(1) Serv., Aen., VII, 91. (9) Ps. Plut, Parall., 38. Voir supra, p. 164. (3) Évandre est pourtant déjà connu d'Hésiode, comme apparenté aux Atrides, fils d'Échémos et de Timandra (Serv., Aen., VIII, 130) : mais ce n'est pas sous cette forme qu'il a été connu à Rome. Voir infra. (4) Dans Eschyle, Eum., 1031 : Ἢ ἃ le seng « qui rend les hommes
(5)
heureux
».
Cf. Bérard,
Origine des culles
Arcadiens,
p. 254.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D’HERCULE
187
lieu de transit a dà naître Évandre, comme à Corinthe Palae-
món : les conditions sont les mémes. Cette période des origines ne se calculera ni par années
ni par décades. La tradition la plus osée n'ose pas faire remonter
l'introduction
de l'hellénisme
à Rome
plus
haut
que Tarquin l'Ancien (1); mais les précisions de l'annalistique sur les dieux grecs du Capitole et de l'Aventin ne se rapportent qu'aux premieres années du V* siécle. Si on les admet, ce n'est pas avant la première moitié de ce siècle qu'aurait commencé l'interprétation grecque du nom de Faunus auprès de l’Aventin : cette date n'ayant d'ailleu?S que la valeur d'un terminus post quem. Mais il a fallu que Faune
fût suffisamment
connu
des
Grecs,
pour
qu'ils
eus-
sent compris sa signification; il faut qu'ils s'y soient intéressés, et n'aient (ou quelque signe et le fleuve. Avec aient éprouvé de
pas jugé tout à fait de son culte que ce tout cela, il est rien bonne heure le besoin
indifférent son autel fût) entre la collin® moins que sür qu'ils de préciser une épr-
théte et de lui donner un corps. Faunus en ce point devait être un dieu secondaire (2): à plus forte raison Evandre. Le
Palatin
Il en était bien autrement sur la colline voisine, autou: du Lupercal. Là, dans la cité Romaine et à l'abri du pomerium,
se déroulaient chaque
année,
le 15 février,
monies étranges et presque barbares. Des loups et boues (Luperci) (3) sacrifiaient un loup, qu'ils appelaient Faunus Lupercus; autour de la ville, frappant le sol et les laniéres de peau de bouc; et le souvenir mains vivait encore sous un symbolisme
des cér#-
prétres à la fois chien à leur dieuils couraient nus passants de leurs de sacrifices hutrop clair (4). LA
(1) Cic., de r. p., II, 19. (2) Nous parlons ici de l'autel de la porte Trigemina, non de la colline, bien entendu; Cf. plus haut. (3) J. Carcopino, La louve du Capitole (Bulletin de l'Associa-
tion Guillaume Budé, 6, janvier 1925, p. 15-23). (4) Plut., Rom., 21. — Cf. Otto, R. E., VI, 2062-2070.
188
LES ORIGINES
DE L HERCULE
ROMAIN
divinité rustique que l’on honorait ainsi, les Grecs la connaissaient déjà, et déjà sans doute l’avaient identifiée à Pan; tous les détail du culte leur rappelaient les dieux-loups de la Grèce et les Lukaia d'Arcadie. C'est lorsqu'ils les connurent mieux que dut se nouer à Rome la tradition Évandréenne vivante aux temps classiques. Ces commergants grecs de l’Aventin, venus des pays d'Occident, Marseille, mais surtout Cumes, la Grande-Grece, la Sicile, se faisaient, tout en trafiquant, les complaisants nar-
rateurs des légendes de leur patrie; bien plus, ils cherchaient à les acclimater autour de leurs comptoirs,
comme
si leur
profitable exil leur en düt être plus doux ; et leurs yeux vifs, leur insinuante sociabilité, leur imagination à la fois naive et audacieuse,
leur faisaient bien vite trouver chez les Bar-
bares telle analogie de maurs,
tel mot facile à interpréter,
tel eulte universel à force d'étre primitif, qui les autorisaient à affirmer que leurs fables natales avaient dés avant eux poussé des rejetons jusqu'aux plus lointaines des terres
étrangères.
Ainsi
prit pied dans
Rome,
par
une étranges
acclimatation, la légende « arcadienne » (1). Elle était née peu à peu des traditions indigénes de la Calabre et du Bruttium interprétées par les colons hellénes, et tendait à attribuer aux peuplades œnotriennes une ascendance arcadienne imprévue. Les cités achéennes, Sybaris, Crotone et
Métaponte, et les Chalcidiens-Messéniens de Rhégion et d» Zancle,
travaillant sur une méme matiére,
finirent par lui
donner,
dans la seconde moitié du V* siécle, à la fois l'unité
et une force de rayonnement singuliére, en rattachant les éponymes de l'(Enotrie et de la Peukétie à la race arca-
dienne des Lycaonides,
famille de loups
adoratrice
d'ua
dieu-loup, le Zeus du Mont Lycée. Par un progrès mévitable, mais rapide désormais, les Pélasges, les Ausones, les Aborigènes dont Faunus était le roi, s’agregerent à cette Hignée sauvage; d'inextricables confusions brouillérent tow
(1) Nous
ne faisons que résumer
dans ce qui suit les résultats
de notre article sur les Origines de l'Arcadisme Romain (Melanges de l’Bcole de Rome,
XXXVIII
(1990), p. 63-143).
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D HERCULE
180
tes les légendes de migrations au profit de la tradition arcadienne. Du pays compris entre Rhégion et Crotone, avec
la complicité des Chalcidiens de Cumes, lénè,
Pellana,
Pallantion
et Pallas,
les noms de Pel-
par la grande
voie des
légendes le long de laquelle montaient aussi vers le nori Italos le roi myhique et le mot sacré d' « Italia », finirent par atteindre Rome et trouvèrent sur le Palatin le lieu où ils se fixèrent définitivement pour la suite des siècles. Gráce au culte du Lupercal.-— Il suffit en effet de se reporter aux témoignages les plus anciens pour se rendre compte: que l'activité d'Évandre, c'est-à-dire des Arcadiens, à Rome,
se limite en réalité à l'adoration de Faunus Lupercus, assimilé à Pan Lvcaios, en sa caverne sainte : à lire sans partipris les textes, on est bien vite persuadé que seul le Lupercal a servi de centre à la tradition arcadienne de Rome, et que, sans lui, cette tradition n'aurait:eu aucune précision, autant dire aucune vie. Évandre non plus: car il ne vint au Palatin qu'une fois reconnue et affirmée la parenté des Lupercales avec les Lukaia.
Faunus
alors,
pour les
Grecs,
devient
Pan,
don:
Grec; il n'a plus besoin d'une traduction. Du méme coup, Évandre n'est plus lié comme épithéte à un dieu latin : l'assimilation Faune-Pan lui fait gagner sa liberté. Sans doute il est toujours
comme
Faunus,
ou plutôt un doublet
tel il se substitue
encore souvent
de Faunus,
à lui (1);
et
mais
il peut aussi n'étre plus Faunus. Comme Lycaon s'est détaché de Zeus Lycaios pour fonder son culte sur le Mont Lycée: ainsi Évandre se détache de Pan-Faunus pour fonder le Lupercal au flanc du Palatiu. —
Alors seulement,
identifié à Faune,
et pouvant
par con-
séquent se rattacher à une longue tradition latine, et d'autre part Grec de nom et représentant à Rome toute la tradi-
tion arcadienne de Grande-Gréce, il fut capable de développement et commenga son existence mythologique. (1) Par exemple dans la fable d'Argus (dont la date et la parenté avec celle de Cacus-Hercule se trouvent ainsi confirmées) :
Voir supra., p. 178 δα.
190
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
Si l'on se demande quand se fit ce progrès décisif, on ne pourra donner une réponse précise. On remarquera seulement que, dés la fin du III‘ siècle, Cincius Alimentus, que suivit Cassius Hemina
(1), disait que « le dieu Faunus
de-
vait son culte à Évandre ». Un aussi audacieux renversement des termes témoigne d'un fort long travail et nous autoris.
peut-étre à dater du courant du IV* siècle, à la rigueur d^ début du III*, les premiers développements de la légende d'Évandre à Rome. De telles légendes évoluent en effet trés lentement : si Fabius Pictor nous atteste (2) la trés forte position que prend Evandre sur le Palatin au 1115 siècle, il fallut encore un siécle pour que la tradition arrivát à sa per-
fection classique par la jonction d'Évandre et de l'éponyme Pallas (3), bien que les progrés nous semblent simples et aisés à enchainer. — Cela ne veut pas dire d'ailleurs que
dés le 1V* siecle l'existence d'Évandre ait influencé la tradition purement romaine, ni que d'autres lézendes défavora-
bles à Faunus n'aient pu co-exister un certain temps chez les Grecs de Grande-Gréce, de Campanie, ou méme de Rome. Il ne faut jamais oublier que la fable d'Évandre ne se dé. veloppe ni seule ni sans à-coup : elle subit toutes les in-
fluences du temps et du milieu, et ne fut sans doute pendant de longues années qu'une interprétation grecque de faits romains, par suite ondoyante et diverse. Le
Capitole
Évandre vécut d'ailleurs encore un certain temps en singuliére confusion avec Faunus, et ne s'en détacha jamais, ἃ vrai dire, complètement. Son dernier progrès topographique à Rome le porta sans doute
au
Capitole,
où
habitait
anciennement (à la roche Tarpéienne, et donc au-dessus de ‘a chapelle de Carmenta), Silvanus (4), divinité étroitement (1) ap. Serv., Georg., I,
10z Peter,
H.R.F.,
p. 32, 2 et 68, 8.
(2) ap. Dion. Hal, I, 79= Peter, H.R.F., p. 10. (3) Pour Polybe (ap. Dion. Hal., I, 32), Pallas n'est encore que
petit_fils d'Évandre. (4) Propert., V, 4, 3 sqq.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE
191
apparentée à Faunus, dont 1] n'est qu'une épithéte, et souvent confondu avec lui (1). Au pied de la roche Tarpéienne, la trés vieille déesse Carmenta, assimilée à Fatua, Fauna ou Bona
Dea, comme
telle femme ou flle de Faunus, devint,
selon les diverses traditions, mére, femme ou fille d'Évandre (2). C'était naturel et logique du moment qu'Évandre, forme grecque de Faunus, se répandait de plus en plus daus la ville latine. — Mais réciproquement aussi, le fait de trouver à Rome le souvenir d'Évandre partout où vit Faunus ou des divinités apparentées ne confirine-t-i] pas de façon frappante le rapprochement des deux personnages, ou n'ieux l4 dérivation d'Évandre (3)? Ainsi se suit, en toute rigueur, à Rome le développement du personnage d'Évandre. II.
-—
CONTRE-ÉPREUVE
: L'ÉVANDRE
GREC
Ce schéma, comme tout exposé théorique, a le défaut d'être trop simple. Il s'expose d'autre part à l’objection: Évandre,
au
lieu de se former
naturellement
à Rome
sous
l'influence grecque n'est-il pas venu tout entier de Gréce, peut-être méme d'Arcadie ? Nous devons donc examiner ca que
nous
savons
de l'Évandre
Grec,
montrer
en
quoi
il a
influencé son homonyme Romain, en quoi aussi il en a subi l'influence. Ce sera la contre-épreuve de l'étude précédente. Evandre
Hésiodique
Nous avons déjà noté au passage (4) qu'un Évandre était déjà connu d'Hésiode (5), sûrement comme fils d’Ech&mos de Tégée et de Timandra (6), bien que le texte de Servius (1) Cf. J. A. Hild, D. S., s. v. Silvanus,
p. 1341.
(2) Cf. Bouché-Leclercq, D. S., s. v. Carmenta, p. 923 eqq. (3) Cf. pour l'ensemble du développement : Schwegler, δια, Gesch., I, p. 354 sqq. (4) Supra, p. 186, n. 3. (5) Int. Serv., Aen., VIII, 130.
(6) Hesiod., fr. 90 et 93 (114 et 117), Rzach, Teubner.
Ι 92
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
préte à la confusion (1). Cette filiation nous permet-elle de rapprocner l'Évandre Romain de l'Évandre hésiodique ? Timandra n'est, de tout évidence, qu'un personnage très humain, simple doublet des deux autres filles adulteres de Léda, Héléne et Clytemnestre ; — Échémos est un Tégéate, d'abord compagnon d'Héraclés, puisqu'il prend part avec lui à la fondation des jeux olympiques et triomphe à la lutte (2), plus tard ennemi des Héraclides envahisseurs de l'Ar-
cadie et meurtrier d'Hyllos (3): dans les deux cas representant national de l'Arcadie, et de Tégée en particulier, dans ses prétentions sur le sanctuaire d'Olympie et sa résistance aux Lacédémoniens. Il est important en outre de noter ici que la légende de Timandra-Échémos avait été traitée par
Stésichore,
dans
le
méme
sens,
semble-t-il,
que
par
Hé«iode (A): et, par conséauent, répandue dés le VI* siècle en Grande-Gréce, οὐ la dévotion olympique était puissan!e dans les cités achéennes (5). En Italie donc, cette tradition s'est sans doute intercalée dans
le mouvement
arcadien
de l'Œnotrie,
puisqu'Échémos
est un descendant de Lycaon par Aléos (6) et représente thiquement la ville de Tégée, si importante en ce siécle. a aussi. probablement, introduit dans la péninsule le d'Évandre, bien que ce ne soit là qu'une hypothèse. En
myElle nom tout
(1) « Et quamuis Hesiodus dicat qualiter coniunctus sit Euander (Atridis genere), tamen quidam aiunt Thestii filias Ledam et
Hypermestram
fuisse,
LEDAE
ET TYNDAREI
FILIAS
CLYTEMESTRAM
(sic) HELENAM ET TIMANDRAM FUISSE, QUAM DUXIT UXOREM ECH EMUS ARcas (Cf. Hesiod., fr. 93), cuius filius Fuander, etc...; alti ita tradunt, etc... » — Il faut entendre, comme le prouve le rapprochement des mots soulignés avec le texte d'Hésiode connu par une autre source : « Bien qu'Hésiode (la plus grande autorité en la matière) ait déjà établi cette généalogie, il n'y a que certains écrivains qui disent (comme lui) que, etc...; mais d'autres prétendent, ete... » (2) Pind., OL, X (XI), 66 (3) Herod., IX, 26; Schol, Pind., OL, X (XI), 79. Cf. Hiller v. Gärtringen, R.E., V, p. 1913. (4) Schol. Euripid., Or., 249.
(5) Supra, p. 12; 16, n. 1; 17. (6) Paus., VIII, 4-5.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE
103
cas là s’arrête son action : la filiation, l’influence de l'Évandre romain sont toutes différentes de celles de l'Évandre hésiodique. — Est-il méme licite de retrouver une trace infiniment légere du caractère belliqueux d'Échémos dans ce que Vig.i- nous 1appoite des luttes conduites par Évandr: autour de Préneste? Ce caractére peut venir d'ailleurs, et
de facon plus vraisemblable: il ne doit pas nous inciter à exagérer l'influence
d'Hésiode,
Évandre,
démon
qui est fort minime
(1).
Panique
Bien plus importante est l'hypothèse de G. Lœschcke, qui retrouve en Évandre un démon arcadien du cercle de Pan (2). L'existence de ces « esprits bienfaisants, dispensateurs de la fécondité animale et végétale », est hors de doute; certaine aussi leur parenté avec le Faune latin, dont Évandre n'est qu'une exacte traduction. Le lien de ces deux certitudes est dans les noms que les Grecs donnaient à ces génies : ils en
appelaient en effet certains
Εὐνοίυ:
le rapport de sens avec Εὔσνδοος
ct
᾿Οφέλανδρος,
dont
n’est pas douteux.
Ces trois faits sont indiscutables; et il paraît difficile de ne pas les interpréter comme M. Loeschcke. Si donc Hésiod: a contribué à introduire en Grande-Grèce le nom arcadıen d'Évandre, il apparaît d’autre part que ce nom pouvait représenter un démon du cercle de Pan, le dieu Arcadien. Ainsi s'expliquerait mieux encore comment les marchands :le l'Aventin ont eu si peu de peine à le substituer à Faune. En résumé. Évandre a pu naître à Rome sans nationalité bien définie, prés de la porte Trigemina; mais il a dà, lors-
que sa légende et son personnage se sont précisés, devenir Arcadien et trouver son homonyme dans le cortége de Pan. Il est, dans cette mesure, Arcadien, pourvu qu'il reste bien entendu que sa légende est purement romaine de localisation et italiote de formation. En effet l'heureuse hypothèss (1) E£chémos a son tombeau à Tégée : il y a là une réalité archéologique qui n'existe pas, nous le verrons, pour Évandre. (2) Losschcke, Athen. Mittheil., XIX (1894), p. 520-521.
104
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
de M. Loeschcke ne supprime pas la généalogie d'Hésiode; il
ne peut s'agir dans les deux du méme personnage. Confondus, les deux éléments contribueront fort bien, chacun pour sa part, au développement d'une légende homogéne; mais ils ne peuvent pas la créer. Le principe d'unité est ailleurs :
en l'espèce, à Rome, entre l’Aventin et le Palatin. Les précisions Romaines En dehors du témoignage d'Hésiode et des données servi à M. Lœschke pour établir son hypothèse, tous tes qui attribuent à Évandre une origine arcadienne sont de date récente, et, loin de prouver l'ancienneté ‘origine, ne font que constater l'aboutissement du
qui ont les texprécise de cette travail
romain.
L'essentiel est déjà dit à la fin du IIT* siècle par Fabius Pictor, redit sans doute par tous les annalistes, ressassé par
les auteurs du siécle d'Auguste. Mais là ne s'arrétent pas les précisions. I] faut descendre jusqu'à Pausanias pour trouver notée sous forme définitive la version officielle, sanctionnée
par le souverain: à savoir qu'Évandre vint de Pallantioa d'Arcadie sur les bords du Tibre et transporta à la colline qu'il y occupa le nom de sa ville natale (1) : Antonin, en reconnaissance de cette tradition, avait donné aux Pallantiens d'Arcadie la liberté, et les avait exemptés d'impôt. C'est à la lumiére de ce texte qu'il faut examiner un autre document, qui ἃ pu faire parfois illusion sur l'antiquité du eulte d'Évandre en Arcadie. « A Pallantion, dit Pausanias (2), il y a un temple, et (dans ce temple) des statues, ea
pierre, de Pallas et d'Évandre. » Il va de soi que ces statues, et surtout celle d'Évandre, ont pu aussi bien étre élevées à l'époque romaine, peut-être par Antonin lui-même : en toat cas, Pausanias ne dit pas un mot qui autorise à les faire remonter à une antiquité même relative. Il semble bien que
(1) Paus., VIII, 43, 1-2. (2) Paus., VIII, 44, 5.
FORMATION
DE
la plus importante
LA
LEGENDE
ROMAINE
D'HERCULE
des deux soit celle de Pallas
195
(1), et il
s'agit ici tout à fait sürement de Pallas fils de Lycaon (2): aieul d'Évandre, selon la tradition virgilienne. L'éponymie se transmet donc sans difficulté de Pallas fils de Lycaon à Pallantion d'Arcadie, et à Palatium romain par l'intermé-
diaire d'Évandre. Ainsi est parfait l'accord, non pas entre Hésiode et ces textes de Pausanias, mais entre Pausanias et
la tradition officielle romaine, représentée par Virgile. Mais la tradition virgilienne n'est pas la seule à Rome, méme à la fin du I" siécle : l'éponymie du Palatin est sans doute attribuée parfois aux Pallantiens, mais d'autres fois ἃ
Pallas,
fils ou
petit-fils
d'Évandre,
à Pallantia
sa
fille,
à Palantó femme ou mére de Latinus (3), sans compter les étymologies qui faisaient venir le nom de balare, de palare, ou de Pales. Α ce moment nous sommes donc encore fort loin de la théorie officielle, nette, exclusive, qui trouve à Pallantion une si curieuse et trop parfaite correspondance. — Bien
plus:
Polybe
de Mégalopolis,
dont une statue s'élevait à
Pallantion et qui devait bien connaitre les cultes de sa patrie, attribuait l'éponymie
du
Palatin
romain
non
fils de Lycaon, mais à Pallas petit-fils d'Évandre.
à Pallas
Qu'est-ce
à dire sinon que le groupement des deux statues dans le temple de Pallantion est récent, dà au définitif établissement de la légende officielle, qui ne s'affermit qu'à partir de Virgile ? — Ainsi se trouve dépouillé de toute valeur pré-
cise le seul texte qui pourrait servir de preuve à qui voudrait trouver en Arcadie l'origine religieuse de l'Évandre romain. Les imprécisions Grecques Aussi bien déterminé d'ailleurs est l'Évandre aussi confuses et contradictoires sont les données vandre grec. (1) « "Ev δὲ Παλλαντίψ ἵπτερόν ἐστιν Εὐάνδρου. » (2) Paus.,
VIII,
44,
ναός
τε xa! ἀγάλματα Ans
6 : « αὐτοῖς
( καθαροῖς
θέοις)
romain, sur !'É-
Πάλλαντος, οὐ
76 δὲ
κατὰ ταὐτὰ
ὃ
Πάλλας ἔθυσε καθὰ xat ὁ πατήρ οἱ τῷ Λυχαίῳ Διί. » (3) Varro, de l. L, V, 53; Serv., Aen., VIII, 51; Festus, p. 220, | 3. υ. Palatium, etc... 2
196
LES ORIGINES DE L HERCULE ROMAIN
1° Confusions s'accorde
d'abord
à lui
donner
dans sa filiation. pour
mère
Si
Carmenta,
à Rome en
Grèce
on. on
hésite entre Timandra (1), une nymphe fille du fleuve Ladon qui tantôt n'a pas de nom (2), tantôt se nomme Thémis et
est dite « pleine de l'esprit divin » (3), une Thémis non auwement définie dite prophétesse son de chercher plus, nous n'en Timandra, qui fable romaine,
(4), ou une Nicostrate (5) qui parfois est (6). Et nous n'avons d'ailleurs aucune raià confondre ces différentes personnes; bien avons pas le droit. Sans méme parler de ne saurait avoir rien de commun avec !a il faut au moins admettre deux Thémis e;
une Nicostrate. Deux Thémis, si on veut donner ce nom ἃ la Nymphe
fille du
Ladon,
parceque
la Thémis
delphique
joue aussi un rôle dans cette légende, et a au moins influen-
cé la nymphe inconnue qui prit son nom (7). Et une Nicostrate, qui n'a rien à voir primitivement avec ces légendes. arcado-delphiques, si elle est, comme il semble, d'origine argienne (8). — Presque aussi trouble est d'ailleurs la fi-
liation d'Évandre, tantôt à Hermes,
rapportée tantót à Échémos amant
de
Thémis
ou
de
de Tégée,
Nicostrate,
à
moins qu'il ne soit le père de cette dernière (9). Autant ces données incohérentes sont inexplicables l'une par l'autre, autant elles s'éclairent et prennent un seus «quand on les confronte avec la tradition romaine.
—
Il suf-
ft de se figurer nettement l'importance de Carmenta par rapport à Évandre à Rome. C'est une source, assimilée à
Fatua - Fauna (— Bona Dea), parédre de Faunus, partage (1) (2) (3) (4)
le don
prophétique
(10).
Comme
dont elle
telle, elle attire
Hesiod.,l. c. Paus., VIII, 43, 2. Dion. Hal., I, 31. Plut., Q. R., 56.
(5) Id.,
ib
(6) Strab., V, p. 230. (7) Voir supra, p. 138 sq. (8) R. E., VI, 840.
(9) Int. Serv., Aen., VIII, 130.
$10) Bouché-Leclercq, D. S., s. v. Carments, p. 903 sqq.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D'HERCULE
197
Évandre (= Faunus), dont elle devient la mére, la femme ou la fille, comme elle l'était de Faunus. D'autre part, Faunus est identifié par les Grecs avec Pan d'Arcadie, fils d'Her-
Inés : et par suite on ne s'étonnera pas qu'Évandre, doublet de Faune, soit dit aussi fils d'Hermés.
Dans ces conditions il s'explique d'abord que l'on ait don-
né à la mère de l'Évandre Grec la qualité de Nymphe,
file
du Làdon, pourtant étrangére primitivement à Thémis, et sans doute aussi à Nicostrate. Il en résultait de soi le don prophétique, commun à toutes les Nymphes (1), sans qu'il faille pourtant rejeter l'idée d'une influence directe de Carmenta, que l'on reconnaitra d'ailleurs mieux dans l'eu6ov Aog Thémis que dans une nymphe quelconque non supérieure aux autres. — À ces raisons s'en joignent sans doute d'auires, d'un caractére moins purement romain et plus antique. C'est ainsi que Thémis est comptée parmi les Titans, comme Pallas lui-méme (2) : et le Pallas Titan est à l'origine identique à Pallas, fils de Lycaon et fondateur de Pallantion d'Arcadie (3) : il est donc possible qu'il y ait eu attraction, et que, par une sorte de paresse, Thémis, déjà apparentée à Pallas, ait été donnée pour mére à Évandre. De méme Nicostrate, par son caractére victorieux, rappelle la déesse Nike, fille de Pallas et de Styx (4), adorée à Tégée (5) et qu'Évandre, disait-on, avait établie sur le Palatin (6) ; et, si M. Gruppe peut douter; que le Pallas père ds Niké soit le fils de Lycaon (7), Denys d'Halicarnasse, lui, l'affirme avec la plus grande simplicité (8). Ainsi les diverses confusions grecques sur le nom de Ia mère d'Évandre s'expliquent, d'une pârt, par l'influence de ' y
(1) (2) (3) 1338,
Cf. O. Navarre, D. Cf. O. Navarre, D. Apollod., III, 8, 1; 1. 14. — Cf. Serv.,
.
S., S. v. Nymphae. p. 126. S., s. v. Titanes. Paus., VIII, 3, 1. — Cf. Höfer, R. L., III, Aen., VIII, 54. et Höfer, l. c., 1339.
(4) Hesiod., Theog., 983. (5) (6) (7) (8)
Paus., X, 9, Dion. Hal., Gruppe, G. Dion. Hal,
5. Cf. Athen Mittheil., XIV I, 32, s. fin. M., p. 196, n. 1. I, 33.
(1889), p. 17.
:
198
LES ORIGINES DE L'HERCULE ROMAIN
la légende romaine, de l'autre par des contaminations de légendes évoluant autour de Pallas, aieul d’Evandre. Nulle part nous ne trouvons la descendance simple et logique qui
s'est créée à Rome. Cette descendance semble bien avoir influencé
les généalogies
grecques
tardives;
d'aucune
façon
elle n’a pu en subir l'influence. 2° Confusions par suite dans la localisation de l'Évandre grec. Soit par lui-même, soit par ses parents, Evandre 9. trouve localisé en Grèce tantót ἃ Pallantion (1), Tégée (2), Parrhasion (3), à la frontière de Messénie (4): donc dans l'Arcadie du sud-est ; tantôt
dans
née
peut-être
(5),
au
Cyllène
(6),
l’Arcadie du nord, ἃ Phe-
a
Nonakris,
et
aux
bords du Ladon. Admettons même que certaines de ces localisations n'aient aucune
valeur, et que plusieurs des épi-
thètes attachées au nom d'Évandre soient purement poétiques (Parrhasius, Nonacrius), il n'en reste pas moins qu'i la fin du I" siècle avant notre ère encore, on n'attachait pas
une spéciale importance au lieu d'origine précis d'Évandre. Or il y avait déjà plus de deux siècles que sa léyende vivait à Rome. Pendant tout ce temps il a suffi aux Romains qu'il füt grec et arcadien : pourquoi arcadien, les raisons dans l'Italie méridionale, et
nous en avons vu autour du Lupe:-
eal. Dans le siécle qui suivit, par contre, la légende ayant té fortement établie par tous les écrivains du siècle d'Auguste, elle devient officielle, les précisions lui viennent des
empereurs eux-mêmes,
et la
légende
grecque
d’Evandr:,
dispersée d'abord dans toute l'Árcadie, se fixe enfin à Pallantion. — Cette simple constatation des faits ne montre-
t-elle pas à l'évidence que l'élément d'unité, c'est-à-dire de (1) Paus., VIII, 43, 2; 44, 5. — Dion Hal., I, 31; II, 1. — Verg., Aen., VIII, 51. — Liv., T, 5. — Justin, XLIII, 1. (2) Verg., Aen., VIII, 45. — Serv., Aen., VIII, fast., I, 545.
130.
—
Ovid.,
(3) Verg., Aen., VIII, 344; XI, 31. — Ovid., fast., I, 478. — Sil.
[tal., XII, 710. (+) Cf. l'E23v2272 I^; : Plut., Philop., 18. (5) Verg., Aen., VIII, 165.
(6) Dion, Per., 347, 7. — Ovid., fast., V, 97.
FORMATION
DE LA LEGENDE
ROMAINE
D'HERCULB
vie, pour la légende d'Évandre, se trouve à Rome,
199
non en
Gréce ? Conclusion
La Gréce n'a donc donné, pour cette création mythologique qu'un nom, un germe, peut-être une tendance (si l'hypothése de M. Loeschke est admise). La Grande-Grèce a plus agi, avec tout son mouvement « arcadien ». Mais c'est vraiment à Rome que s'est formé Évandre, entre l'Aventin et le Capitole, par une hellénisation progressive de Faunus, dieu
et roi de l'ancien Latium (1). III.
—
ÉVANDRE
ET
L'ÉPONYMIE
DU
PALATIN
Progressivement aussi il prit sur le Palatin le róle d'exception que lui reconnaît la tradition officielle de l’Einpir:, méme aux dépens de l'éponyme mythologique qui devrait v tenir la première place : au temps d’Antonin, ce n'est plus Pallas, comme au II‘ s. avant notre tre, qui est censé avoir donné son nom au Palatin, ce sont les Pallantiens menés pac
Evandre. Résultat bizarre : car enfin le procédé le plus siruple et le plus courant, mieux, le seul vraiment mythologique, consiste chez les Anciens à donner aux cités et aux pays des éponymes personnels, non collectifs; et, d'autre part, nt Pallantion n'est connu des Romains (au point d'influencer leurs légendes) avant le I" siècle av. J.-C., ni Évandre n'est
(1) Il ne faut pas oublier, bien entendu,
les modifications qu'ont
pu apporter à la légende les divers intermédiaires qui ont transmis à Rome les traditions ou les idées grecques, en particulier Cumes. Mais, sur ce point, Cumes parait avoir travaillé d'accord
avec ses sceurs chalcidiennes, Rhégion et Messine, dont les traditions « arcadiennes » n'étaient point différentes de celles des Achéens de Grande-Gréce : voir supra, p. 188 sq. et J. Bayet, art. cit. — M.Peterson lui-méme (Cults of Campania, p. 73), qui aurait tendance à faire venir l'Évandre Romain de Cumes, n'ose pas l'affirmer : attitude fort prudente, à ce qu'il nous. semble.
200
LES ORIGINES
DE
L HERCULE
ROMAIN
strictement lié ἃ Pallantion. L'artificiel de cette tradition esi
d'une éclatante évidence. En fait l'explication est simple,
ordre chronologique les données
si l’on veut classer
que
nous
par
possédons
Su:
l’eponymie du Palatin. ll va de soi que Pallas devrait logiquement être le seul he-
ros important de la légende palatine : car la seule préoccapation des mythographes est de trouver à la colline un éponyme grec. Certains s'en apercurent, qui firent recevoir Her. cule
à
Pallantée
fils (1). Etat primitif,
non
par
de la tradition,
n'est
qu'une
divers
encore
mais
d'ailleurs,
construction
lée. Nous avons vu en effet
d'éponymes
Évandre,
(2)
au
la
par
qui,
Pallas
loin
son
d'être
savante
et tardive,
lutte
d'étymologies
premier
siécle
avant
iso-
et
notre
ére : cela seul doit nous mettre en garde. Mais il importerait de dater ces éléments confus. Naevius, dans la seconde moitié du III* siècle, donnait encore pour étymologie du Palatin Balatium, la dérivant
du bélement des troupeaux (3). Cent cinquante ans plus tard, Polybe représente la tradition officielle, qui connait Pallas, petit-fils d'Évandre et fils d'Hercule, enseveli sur la colline (4). Dans cet espace d'un siécle et demi doivent prendre place deux progrés essentiels : 1?) Création de
Pallas; 29) Son rattachement à Évandre, qui contient en germe tous les développements futurs. — Or Evandre est déjà trés bien connu à Rome dans le dernier quart du III’ siécle, quand Pallas ne l'est pas encore (5). Et, si Pallas, d'autre part, lui avait été attaché dés l'origine, la généalogie du temps de Polybe serait plus directe, étant plus sim-
ple de songer comme éponyme à l'aieul d'Évandre, ou à un fils portant le méme
nom
(évolution achevée
avec Virgile).
Donc nous sommes en présence de deux légendes différentes,
(1) Eustath., ap. Dion. Perieg., Comm., 347. (2) Supra, p. 195. (8) Varro, de I. L, V, 53; Cf. Serv., Aen., VIII, 51.
(4) ap. Dion. Hal, I, 32. (5) Fabtus
Pictor, ap. Dion.
Hal., I, 70—Peter,
H.R.F.,
p. 10.
FORMATION
DE LA LEGENDE
ROMAINE
D HERCULE
20.
celle de l'Éponyme Palatin, et celle d'Évandre, qui n'ont fusionné que peu à peu.
Avant Pallas, petit-fils d’Evandre,
ne fut-il pas question.
de Pallantıa sa fille (1) ? Question insoluble. — Mais il parait bien que l'éponyme Palantö (2) est antérieure non seule-ment ἃ Pallas, mais ἃ Évandre : elle est liée en effet à Lati-
nus et à Faunus qui sont les formes latines auxquelles s'est substitué Évandre; et elle-même n'est qu'à moitié grecque, si elle l'est (3). Enfin sa liaison avec Hercule sur l'emplacement de Rome nous raméne à un état de la légende intermédiaire entre la fable de Derkylos et la tradition déjà classique de Fabius Pictor : lorsque Faunus n'est déjà plus l'ennemi d'Hercule, mais n'est pas encore l'Arcadien Évandre.
En
somme
(Évandre)
s'est
constituée d'abord;
à elle s'est rattaché un éponyme
quel-
conque
sans doute
du
la
fable
Palatin,
d’Hercule-Faunus d'abord
non
pas
Grec,
ni,
a fortiori, Arcadien, mais Aborigene; le nom de Pallas n'apparaît que plus tard, selon toute probabilité au début du 11" siècle : mais sa parenté avec Évandre a dû être très vite réalisée, peut-étre immédiate, ayant été préparée par tout le travail antérieur. Et alors Pallas devint Arcadien, parcequ'Évandre l'était déjà; mais Évandre ne l'était devenu que lorsque les Lupercales avaient été assimilées aux
Lukaia d Arcadie. Plus
tard,
Pallas
retomba
dans
l'oubli:
sa
principale
faiblesse était, comme l'a fort bien remarqué Denys, l'absence de monument à quoi rattacher sa mémoire. Évandre, qui l'avait aidé à vivre pendant deux siécles, finit par le supplanter : et le Pallantion d’Arcadie permit de rapporter à Évandre,
sans passer par Pallas, l'éponymie de la colline,
es à quoi il n'avait à l'origine visiblement aucun droit.
(1) Serv., Aen., VIII, 51. (2) Varro, de I. L., V, 53; Paul. ez Fest., p. 220; Solin., I, 15. (3) Elle est hyperboróenne, c'est-à-dire peut-être, aborigéne, liée aux Rois Aborigénes du Latium. Cf. Varro,l. c., la fondation
du Pslatin Romain attribuée à des Palatins Aborigènes.
202
LES ORIGINES DE L’HERCULE
ROMAIN
C'est ainsi que nous arrivons à la tradition augustéenne. «que nous la dépassons méme. Mais il était utile de montrer comment à la légende d'Évandre-Faunus se sont agrégées des fables qui lui étaient d'abord totalement étrangères : afin de pouvoir l'en dépouiller, et la ramener à son état primitif. Cet état, nous le restaurons
maintenant
en toute cer-
titude : Evandre se substitue à Faune prés de la porte Trigemina et se transporte sur le Palatin, en méme temps que son caractére se fixe conformément à l'étymologie. C'est le moment solennel oü la fable originelle que nous a transmise Derkylos, si elle veut subsister, doit chercher à Hercule un autre adversaire que Faunus : elle le trouva en Cacus.
IV Cacus
Le troisième acteur de la légende classique d’Hercule à Rome a été traité par les modernes de singulière façon: tantôt comme personnage antique et essentiel, tantôt comme
création tardive de l'époque augustéenne. I. —
LES
DONNÉES
ET
LES
THÉORIES
Les Données
A) Données topographiques. — Le nom de Cacus est attaché à plusieurs point de la ville. D'abord au degré qui descendait du Palatin dans la Vallée du Grand Cirque (1). Puis,
la Notitia Regionum
mentionne,
dans la VIII" Region,
un Atrium Caci. — Les historiens et les poétes font habiter Cacus tantôt au Palatin (2), tantôt sur l'Aventin (3), tantôt aux Salines prés de la porte Trigemina (4).
B) Données littéraires. — Elles sont toutes entachées soit d'evhémérisme soit d'imagination poétique. Cacus est, selon Diodore de Sicile (5), un bourgeois du Palatin qui recoit bien
Hercule;
selon Tite-Live
(6), un pasteur;
d'aprés
Denys
(1) Diod. Sic., IV, 21,2, — Plut., Rom. 20, 8: βαθμοὺς xaX, αχτῆς, est une faute du copiste, sans doute pour σχάλης χαχίης (Cf.
Bethmann, Bull. d. Inst., 1852, p. 40) : l'identiflcation en tout cas n'est pas douteuse. | (2) Diod. Sic., l. c. (3) Verg., Aen., VIII. (4) Solin., I, 7 : « Qui Cacus habitauit locum cui Salinae ^o. men est : ubi Trigemina nunc porta ». (5) Diod. Sic., l. c. (6) Liv., I, 7, 3 sq.
204
*
LES OùIG!NES DE L'HERCULE
ROMAIN
d'Halicarnasse, ou bien un voleur (1), ou bien un chef de bande (2); un monstre fils de Vulcain, qui vomit le feu et dépeuple les environs, pour Virgile (3), suivi par Ovide, qui l'appelle le « brigand de l'Aventin » (4), et Properce, selon qui c’est un voleur et un monstre à trois tétes (5). Enfin une donnée incohérente de Solin a paru sans valeur propre (6); et un texte de Festus (7) est de lecture douteuse (8). — De toute évidence, ces éléments sont trés insuffisants (9).
C) Données étymologiques. — Un seul rapprochement d2 nom ne peut étre contesté. Les textes nous parlent de la déesse Caca, donnée pour sceur de Cacus, et qui en est sürement la parédre, honorée soit par les Vestales soit à la facon de Vesta (10). — Celui qui fut institué entre Cacus et Caeculus (11), en remontant au grec χαίω, n'a, semble-t-il, aucun^ vraisemblance : il n'est pas douteux en effet que la légende du Caeculus de Préneste a toute raison de l'expli«uer comme diminutif de caecus, qui lui-même n'a rien à voir avec χαίω (12): d'autre part, prétendre que Cacus est une forme apparentée à Caecus, comme le faisait Reifferscheid, est une affirmation sans fondement, dérivée d'une eonception personnelle du caractère de Cacus (13). Toutes les autres étymologies proposées, tous les rapprochements ten(1) Dion. Hal., 1, 39. (2) Dion. Hal., I, 42. Cf. aussi : Origo gent. Rom., 6-8. (3) Verg.,
(4) (5) (6) (7) (8) (9)
Aen.,
VIII,
190 sq.
Ovid., fast., I, 551 sqq. Prop., V, 9. Solin., I, 7 sqq. Voir supra, p. 149 sq. Fest., s. v. Romam, p. 266. Voir supra, p. 150 sqq. Cf. R. Peter, R. L., I, 2271 sq.
(10) La donnée eur ce point n'est pas absolument claire. Voir : Lactant.,
153 et (11) p. 287; (12) mot
Inst.,
I, 20, 36; Serv.,
Aen.,
VIII,
190; Myth.
Vatic.
II,
III, 13. Hartung, Hel. d. Róm., I, p. 318 sq.; Preller, ἢ. M®., IT, R. Peter, R. L., I, 2273. Cf. Thesaurus ling. latinae. M. Thurneysen rapproche le
de l'hibern. caech,
du got. haihs = aveugle.
(13) Lorsque Preller (R. M.*, II, p, 287, n. 2) écrit : « Aus Caecus ist Cacus geworden wie aus Saeturnus Saturnus », il fait pétition.
FORMATION
DE
LA
LEGENDE
ROMAINE
D'HERCLZÉ
205
tés (1) témoignent de l'impossibilité d'arriver à un résutat certain ; il est trop évident que telle ou telle étymologie n'a été cherchée que pour expliquer l'un ou l'autre des textes littéraires qui nous ont été transmis; et défendre telle ou telle théorie sur le mythe d'Hercule-Cacus à Rome. Loin de nous servir à expliquer Cacus, leur confusion contribue à en obscurcir la notion : il vaut donc mieux laisser, au moins pour le moment, la question sans réponse (2). de principe. Connaissant Saeturnus et Saturnus, nous pouvons en affirmer la dérivation. Mais cela nous permet-il de créer un dieu Caecus répondant à Cacus ? Cette forme est arbitrairement créée pour expliquer Cacus; Preller l'explique ensuite comme si elle était réclle, et semble désormais la tenir pour certaine : qu'elle réponde à tous ses désirs,rien d'étonnant. — En fait, il est victime du rapprochement Cacus-Caeculus. Mais Cacus n'est pas un dieu aveugle ou myope à notre connaissance. Et rapprocher son caractére (augustéen) de brigand, de la vie de Caeculus fondateur de Préneste, est certes beaucoup moins fondé que de comparer les deux légendes des fondations de Rome et de Préneste
que
: Caeculus
de
est plus proche
de Romulus
(Cf. Plut.,
Rom.,
2)
Cacus.
(1) Cacus, et Κάχιος. — Cacus et Καιχίας. — Cacus et la racine xr4 == faire du tori. — Cacus et Véd. cdkas = fort. — Cf. R. Peter, À. L., I, 2273 sq. (2) Cf. Wissowa, R.E., III, 1165. — I] semble, que, s'il fallait choisir, ne devraient étre retenues que les deux derniéres étymologies, la racine kak (Curtius, Gr. Etym?*., p. 138 sq.; Vanicek, Griech .lat. etym. Wörterbuch, I, p. 100. Etym. Wörterb. der lat. Spr.?, p. 46), et le védique cdkas (Grassmann, Zeitchr. für vgl. Spr. f., 16, (1867), p. 176 sq.). Encore 1& première des deux estelle inexplicable logiquement : a) Cette racine aurait donné à la 919 xaxds, et Cdcus: or, même des anciens étaient troublés de cette
confusion
(Eustath.,
157,
1906,
45 et
1817,
11.)
—
b)
Elle
tend à expliquer Cacus comme un étre malfaisant, ce qui sans doute est d'accord avec la version augustéenne, mais non avec celle de Diodore, ni avec le rôle prêté à Caca, sœur de Cacus; ni avec leur caractére de dieux, les dieux redoutables méme étant souvent dissimulés sous des « noms honorables ». — Resterait çgékas, dont le sens est bien vague : car l'aopliquer au texte
corrigé de Festus
: « Caci
improbi
uiri unicarumque
uirlum »
est sans doute une opération fort tentante, mais qui ne consiste jamais qu'à bátir une hypothése sur une hypothése vraiment peu recommandable.
: proeédé
206
L€& ORIGINES DE L HERCULE Les
ROMAIN
Théories
À. — Sur ces éléments douteux ou insuffisants, s'est. construite à la fin du siècle dernier, avec Rosen, Bréal, Kuhn (1) une théorie spécieuse, qui rapprochait le mythe Hercule-Cacus de celui d'Indra dépouillé de ses bœufs divins par Vritra, démon-serpent à trois tétes. On poussait la. comparaison jusque dans les moindres détails, jusqu'à declarer que « la légende romano-italique était la plus proche de la conception originale » parmi les diverses versions analogues des peuples indo-européens. Quant au synibolism> du mythe, il représenterait la lutte de la lumiére contre les nuages obscurs. Par ce long détour, on arrive d'ailleurs à noter la parenté de l'aventure romaine avec celle d'Héraclés-Géryon. B. — Contre cette théorie s'est élevé avec vigueur et à plusieurs reprises M. Wissowa (2), en se fondant surtout sur la critique chronologique des traditions, qui ne nous permet pas, dit-il, d'affirmer que la légende de Cacus remonie fort au-delà de Virgile; en montrant aussi de façon indubitable que beaucoup des détails dont fait usage la théurie indo-europeenne sont purs ornements poétiques sans valeur mythique. — Une discussion complète et approfondie morntrerait en outre que le nom d'Hercule est grec sans doute (1) Rosen, Anmrrk. zum Rigveda, I, 6, 5, p. XXI. — A. Kuhn, Zischr. für deutsch. Altert., VI (1848), p. 117 sqq. — M. Bréal, Hercule et Cacus (1863). — R. Peter, R.L., I, 2279 sqq. — Oldenberg, Religion des Veda, p. 144. (Cf. R. Peter, l. c., et Wissowa R.
K.
R.?, p. 282, n. 9). — Voir encore
L. v. Schroeder,
Herakles
und Indra (T. 1-2. Denkschrift Akad. Wien, 58, 3/4); et B. Schweitzer, Heraliles, p. 211-219, qui rattache l'aventure au thème général indo-européen de la « lutte contre le géant et le dragon.
».
—
Cette
théorie
se
lie
bien
entendu
étroitement
ἃ.
celle qui fait d'Hercule un dieu italique, né et grandi à l'abri des influences étrangéres. Ou plutót ces deux théories n'en sont
qu'une. Ainsi s'explique que les critiques que l'une s'est attirées atteignent l'autre tout aussi bien.
(2, Wissowa, ἢ. K. R.*, p. 982 sq.; R. E., III, 1165-1169; Berl. Philol. Wochenschr., 1913, p. 879 sqq.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D’HERCULE possible un dieu méme à restituer
207
(1), que les Romains n'ont jamais douté que ce füt grec honoré selon les rites helléniques (graeco ritu), l'époque augustéenne où l'on prenait grand soin de leur qualité originelle aux vieilles divinités itali-
ques; or, si l'un des deux personnages du mythe
italique
est d'origine étrangère, comment admettre que ce mythe soit une forme spontanée en Italie de l'esprit religieux indoeuropéen ? Au surplus, on ne frouve nulle part dans l'ancienne religion romaine trace de la adivinisation des forces de là nıtuıe ni de leurs conflits (2), et, dans ces conditions, un rapprochement avec les mythes indous est impossible. — Il faut donc se reporter, mais directement, à l'influence du mythe de Géryon importé par les Grecs; et surtout aux influences locales, à l'action topographique, vigoureusement mise en valeur par M. Wissowa, quoique avec un certat manque de nuances, et dont nous avons déjà vu un exemple en étudiant l'évolution d'Évandre à Rome. Par malheur, cette vue a été trés vite exagérée, et l'on en arrive à ne plus vouloir remonter au delà des derniéres années du I* siécle pour expliquer la formation de la légende (3j : M. Gruppe a sans doute raison de réagir contre cette tendance (4).
C. — On trouve enfin l'indication ou plutót le germe d'une thöorıe
moins
absolue,
mixte pour
ainsi
dire,
dans
Prel-
ler (5), qui fait la part des traces légéres d'antiquité qui ont
pu subsister dans la poésie du siécle d'Auguste, sans vouloir remonter aux affirmations insoutenables des Kuhn et des Bréal. — C'est dans cette voie sans doute que l'on risque d'arriver à quelques certitudes ou vraisemblances sur une (1) Voir supra, p. 3 sqq. (2) Wissowa, R.K.R?., p. 3. — Déjà Preller, R. M.*, I, p. 1, quoique avec beaucoup de précautions, était forcé de le reconnaître.
(3) C'est la tendance de J. G. Winter, op. cit., voir plus haut; «αἰ de Fr. Münzer, Cacus der Rinderdieb, progr. de Bâle, 1911.
(4) Berl. Wissowa æxagéré
Philol. lui-même,
de M.
Wochenschr.,
XXXI,
1911,
1002-1004.
ib., 1913, p. 881, réagit contre
Fr. Münzer.
Preller, R. M.*, II, p. 287.
—
M.
le scepticisme
208
LES ORIGINES
DE
L HERCULE
ROMAIN
question oü le manque de documents nous forcera pourtant, semble-t-il, toujours plutôt à la discussion et au raisonnement qu’à la simple constatation de réalités bien établies. .]l. —
NATURE
DE CACUS
Mais, pour le moment, il nous est absolument interdit de recourir à l'hypothèse et d'utiliser, si peu que ce soit, les textes augustéens, suspects soit d'evhémérisme soit d'ima-
gination poétique. Sacrifice pénible; mais provisoire. Nous espérons montrer dans la suite qu'exposés à une autre lumiére,
groupés
avec
leur un peu trouble,
d'autres
faits,
ils reprennent
précieuse cependant;
une
va-
et qu'ils ne mé-
ritent pas l'excommunication solennelle que l'on jette sur eux. Ici, oü il s'agit de retrouver sous sa forme la plus nue la légende de Cacus, les critiques n'ont point tort tout à fait d'écarter les séduisantes incantations de la poésie, füt-elle aussi savante que celle de Virgile ou de Properce. Mais que l'on ne s'étonne point alors de la quasi-nullité des résultats. Comment en serait-il autrement ? L'étymolo-
gie ne nous donnant rien, nous en sommes connaître la nature de Cacus,
réduits, pour
à un texte de Servius, relatif
à sa « sœur » Caca (1)! Texte au surplus incertain; et qui,
établi du mieux possible, ne laisse entre les mains de ıa critique qu'un résidu si mince qu'il en est inutilisable, ou peu s'en faut. Le Codez Floriacensis de Servius écrit : « Hunc (Cacum) soror sua eiusdem nominis prodidit : unde etiam sacellum
meruit in quo ei peruigili igne sicut Vestae sacrificabatur. » — La Vulgate (2) donne: « in quo ei per uirgines Vestae sa-
crificabatur. » — Les conclusions qu'on tirera de ce texte différeront gravement selon qu'on adoptera la premiére ou la seconde lecture. Preller, pour appuyer son opinion que Cacus est un dieu
(1) Serv., Aen., VIII, 190. (2) Cf. Myth. Vatic., II, 153; III, 13.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D HERCULE
209
du feu, se sert de la première (1) ; en quoi il suit Preuner (2). Rien de plus légitime, semble-t-il. Pourtant M. Wissowa ne juge pas la lecture assez certaine pour qu'on en puisse tirer quelque conclusion que ce soit (3). Il nous parait cependant qu'il ne peut y avoir de doute et que la lecon du Floriacensis est la seule valable. Si en effet on s'explique parfaitement le passage de peruigili igne sicut à per uirgines (4), il est impossible, nous semble-t-il, de passer de peruirgines Vestae à peruigili igne sicut Vestae (5). -- Textes douteux, dira-t-on. Sans doute. Mais l'un est infiniment preferabl®
à l'autre. Si l'on peut prouver l'inverse, il convient de s'incliner ; sinon, il faut s'en tenir à la lecon du Floriacensis, admise par Preuner et Preller. Or si, comme le dit fort bien M. Wissowa, les Vestales of. fraient des' sacrifices à des divinités qui n'avaient rien à voir avec le feu, par exemple à Ops (et elles prenaient part aussi aux cérémonies
des Argées),
est adorée à la facon de Vesta
dire que la déesse
est
une
donnée
Caca
autrement
précise. On en a tiré les plus extrêmes conséquences.
De toute évi-
dence, le culte de Vesta n'est pas né à Rome avec Rome, et le temple du Forum en dehors du pomerium de la Roma Quadrata, la fondation de la Regia attribuée à Numa, non ἃ Romulus, en sont des preuves suffisantes (6). S'ensuit-il que (1) Preller,
R.
M.*,
II, p. 287 et n. 1.
(2) Preuner, Hestia-Vesta, p. 386 sq. (9) Wissowa, R.E., III, 1164. — Mais encore dans R.K.R., 1902, p. 114 et 145, n. 1, il admettait la lecture du Floriacensis et en ti. rait les conclusions nécessaires. (4) a) Saut du méme au méme au-dessus de plusieurs lettres
(Havet, Crit. Verb., & 444et 461) : peruignesicut; — b) Omission par confusion d'analogues contigus explique parition de ili qui se trouve entre deux
d'autre groupes
part la ig (Id.,
die. ib.,
& 468 et 709); — c) Suggestion regressive de lettres & pu donner : eruin et igın (Id. ib., 8 486). (5) La difficulté serait dans le premier cas (passage du texte I au texte II) la disparition de (s)icut; son introduction ne serait guère moins difficile dans le second : ou méme davantage : car sicut a pu être exprimé par sigle.
(6) A. Schneider, Rôm. Mitt., X (1895), p. 164-165.
210
LES ORIGINES DE L'HERCULE
ROMAIN
la cité palatine dut posséder auparavant un foyer commun où veillait le feu éternel; et que Caca en soit la déesse, plus
antique que Vesta ; et que la localisation précise de son temple nous soit indiquée par la Scala Caci (1)? Qu'en un mot
Caca soit la vieille divinité du foyer au Palatin, obscurcie par Vesta (2)? Cela n'est pas sür. De fait, l'introduction de: Vesta ἃ αὖ étre assez ancienne pour que, si elle s'est substituée à une "ivinité antérieure, celle-ci ait été promptement
oubliée; or le souvenir de sacrifices à Caca semble assez vivant encore dans les textes qui nous sont parvenus. Si, d'autre part, chacune des bourgades pré-romaines avait eu son culte national du foyer avant le syncrétisme, ou bien tous ces cultes auraient également disparu devant l'unité: de Vesta, ou bien, ayant survécu,
mais comme
subordonnés,
il serait étonnant que sur eux nous n'ayons d'autre témo:gnage que celui sur Caca. Il faut donc procéder avec plus de prudence si l'on veut user valablement du texte de Servius. Dans la phrase « tll peruigili igne sicut Vestae sacrificabatur », il n'y ἃ à retenir que le peruigili igne. Sicut Vestae est une glose des mots précédents, qui risque de les obscurcir. Du moment qu'il s'agit d'un feu perpétuel, un Romain de l'áge classique doit songer aussitót à Vesta : cela ne prouve rien quant à l'assimilation des deux déesses. — Caca peut méme ne pas étre
une divinité du feu ou du foyer : la phrase témoigne seule: ment qu'on ne laissait pas s'éteindre la flamme dans son sanctuaire (3). Or cette habitude rituelle de « garder » le
(1) Id., 4b., p. 163 sq. (2) Preuner, Hestia-Vesta, p. 386 sq. (3) Au moins en Grèce, il est possible que ἐστίμ ait désigné dans certains cas le feu perpétuel de divers dieux, non celui de Ja déesse
du foyer seulement
: les autels des dieux,
de Phoibos,
de Poseidón sont nommés
ἑστία (Eschyl., Sept., 275; Eum., 288;
— Sophocl.,
Plutarque
(Ed.
C., 1495).
mentionne
à Athènes
une
« lampe perpétuelle », qui différe sans doute de l'autel de Hestia (Numa, 9, 7)); en était-il de méme pour le feu perpétuel d’Apollon à Delphes (Id., ib.), où l'on ralluma les feux sacrés souil-
les par les Perses (Plut., Arist., 20) * M. Preuner (R.L., I, 2613) croit formellement que ces deux feux éternels appartenaient ὃ.
FORMATION DE LA LEGENDE ROMAINE D’HERCULB feu est universelle et fort ancienne,
primitive m&me,
211 si l’on
admet avec M. Frazer (1) qu'elle est due uniquement à 1a difficulté matérielle de se procurer le nouveau feu : à cela tient le caractere sacré de tout foyer; et l'effort indéniable que chaque famille fait pour entretenir chez elle le feu constant (2). L’iinportance de toute divinité gardienne du feu fut donc trés grande à l'origine. Mais lorsque le culte du feu cesse d'être utilitaire, pour ne garder qu'une valeur, d'ailleurs immense, de symbolisme religieux et moral, comme c'est le cas pour la Vesta Romaine dés les temps historiques, les divinités secondaires gardiennes du feu ne reuvent plus avoir d'importance que par leur caractère propre,
ou
vigoureux
parce
qu'elles
de la Vesta
ont
su
se
officielle.
rattacher
au
Il en
étre
dut
culte
ainsi
plus
d-
Caca. Quel que soit en effet son caractére original, ce caractere a disparu. Divinité spéciale, elle n'avait plus d'impor-
tance déjà avant l'établissement du Calendrier, comme l'a fort bien remarqué M. Wissowa (3) : il en fut ainsi de son paredre
masculin,
Cacus.
Mais
Cacus
fut
plus
compléte-
Athena et Apollon, et que la charge en était confiée à la prétresse d'Athéna et à la Pythie. Ce qui se trouve confirmé par ce que nous savons du culte du feu à Lemnos, où les foyera éteints tous les ans n'étaient railumés qu'avec le feu pris à l'autel d'Apollon à Délos (Philostr., Heroica, p. 740). L'Apollon de Cyréne possédait lui aussi un feu perpétuel (Callim., Hymn., II, ad Apoll., 83); ainsi qu'Héphaistos à Etna en Sicile (Aelian., ^. a., XI, 3); Jupiter Hamnon en Afrique (Verg., Aen., IV, 200; Plutarch., de f. or., 2). — En Italie méme la Diane d'Aricie, appelée, il est vrai, Vesta (Cf. Frazer, Le Rameau d'Or, t. II, p. 6).
On pourrait objecter que c'est précisément le caractère de Vesta romaine comme de Hestia grecque d'étre d'abord 16 foyer lui- méme, la flamme-type. Mais, méme ainsi, nous ne pourrions considérer Caca comme une Vesta primitive latine que si était prouvée la valeur de l'étymologie admise par Preller : xaío : cf. caleo, caldus, canus, candere, Mais elle est loin d'&tre süre.
(1) Frazer, Journ. of Philol, XIV, p. 173.
(2) Cf. Hackenbach, R.E., VIII, p. 615.
(3) Wissowa, R.K.R*., p. 161.
212
LES ORIGINES
DE L'HERCULE
ROMAIN.
ment oublié, et sa déchéance de dieu fut consommée. On garda au contraire le souvenir de la divinité de Caca. Et pour quelle raison, sinon que, étant gardienne du feu (ce que n'était point son frère), elle imposait peut-être encore son ancienne utilité, et que surtout un culte plus jeune ^t plus
fort,
celui
de
Vesta,
s'intéressa
quelque
temps
à son
autel ? En somme, Cacus et Caca ayant, par leur caractere commun, des raisons égales de disparaitre, l'une durait comme divinité alors que l'autre était mort. Voilà le fait a priori inexplicable. Nous aggravons sans doute la difficulté, au lieu de la résoudre, lorsque nous raisonnons ainsi : Caon était divinité du feu, Cacus doit l'être aussi. Nous la reso!vons peuí-étre, lorsque nous expliquons que la survie précaire de Caca est due à son antique privilége d'étre gardienne du feu éternel (1). Mais un raisonnement a-t:il jamais
tenu lieu d'une réalité historique? Cacus,
Est-il
impossible
sans avoir été gardien d'un fover sacré, comme
que sa
« sœur », ait cependant appartenu au cercle des divinités du feu (2) ? Ayant soutenu le pour, nous serait-il cile de prouver le contre ?... — Ainsi se débattra critique tant qu'elle n'invoquera pas de nouveaux ges; contrainte à conclure, pour l'instant, que du de Servius, il n'v a rien à tirer concernant la Cacus.
fort diffisans fin la témoignaseul texte nature de
(1) II n'y n rien d'impossible à cette diversité d'attributions entre les deux membres d'un couple divin. Chacun sait, par exemple, que Vesta forme anciennement couple divin avec Janus. Supposons que nous ne sachions rien de Janus, sinon cette qualité de parédre de Vesta; dirons nous que, Vesta étant divinité -du feu, Janus devait l'être aussi ἢ Telle est pourtant la conclusion que Preller voudrait tirer du texte sur Caca. Il est vrai que, dans le cas présent, Cacus et Caca portent le méme nom : ce qui semble en faire les deux agents, masculin et féminin, d'une mé. me fonction. Ainsi retombe-t-on dans le doute aussitót aprés avoir acquis une vraisemblance. (2) Vesta, par exemple, qui fait couple avec Janus, dont on ne peut dire qu'il soit un dieu du feu, se trouve d'autre part unie,