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RITUELS BOUDDHIQUES DE POUVOIR ET DE VIOLENCE LA FIGURE DU TANTRISTE TIBÉTAIN
BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES
SCIENCES RELIGIEUSES
VOLUME
152
Illustration de couverture : , détail (statue du temple de Ch’ongkor, Baragaon, nord du Népal). Photo Nicolas Sihlé ©
RITUELS BOUDDHIQUES DE POUVOIR ET DE VIOLENCE LA FIGURE DU TANTRISTE TIBÉTAIN
Nicolas SIHLÉ
H
F
La La collection diversité des enseignements et des recherches menés au sein de la Section des sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études (Paris, Sorbonne). pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées : philologie, archéologie, histoire, philosophie, anthropologie, sociologie, droit. Avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition qui caractérise les études menées à l’EPHE, la collection aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignants à l’EPHE,
Directeur de la collection : Gilbert DAHAN Secrétaire de rédaction : Cécile GUIVARCH Secrétaire d’édition : Anna WAIDE Comité de rédaction : Denise AIGLE, Mohammad Ali AMIR-MOEZZI, Jean-Robert ARMOGATHE, Hubert BOST, Jean-Daniel DUBOIS, Michael HOUSEMAN, Alain LE BOULLUEC, Marie-Joseph PIERRE, Jean-Noël ROBERT.
© 2013 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2013/0095/26668 ISBN 978-2-503-54470-0 Printed on acid-free paper
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REMERCIEMENTS Le travail présent, fruit d’un long processus de recherche de terrain, texte, avec remaniement partiel et surtout approfondissement de certaines de ses dimensions, n’a pu voir le jour que grâce au concours d’un nombre considérable de personnes, vis-à-vis desquelles, bien souvent, je crains bien de ne jamais réussir à m’acquitter de mes dettes. qui, avec une érudition, une rigueur et une bienveillance incomparables, ont accompagné l’ensemble de ce travail, de sa préparation à son aboutissement présent, qui leur doit beaucoup. Charles Ramble, spécialiste de la région tibétaine dans laquelle j’ai choisi de travailler, occupe aussi une place à part, pour la générosité et la perspicacité du soutien qu’il apporta à mon projet.
Bashkow, Susan McKinnon, Isabelle Henrion-Dourcy, Sylvaine Camelin, Stéphane Gros, Lynne Berrett et Minou Glaeser, mais aussi à plusieurs rapporteurs anonymes, ainsi qu’aux autres membres du Centre d’études himalayennes, du département d’anthropologie de l’University of Virginia, et du séminaire des doctorants du département d’ethnologie de l’université de Paris Ouest Nanterre, pour leurs apports généreux et les discussions critiques
et sociologie comparative (CNRS / Université de Paris Ouest Nanterre), du
éditeur, Gilbert Dahan, ainsi que, pour l’accueil au Népal, du CNAS (Centre for Nepal and Asian Studies) – je pense en particulier au Directeur, Dr. l’accueil amical et généreux de Hubert Decleer et Nazneen Zafar, ainsi que . d’Olivier Nicolas – En quels mots et dans quelle langue puis-je commencer à remercier les desquels j’ai appris pendant un an et demi ? Je ne saurais nommer tous ceux qui m’ont prodigué leur hospitalité, leur temps et leur savoir. Si je ne devais mentionner qu’une personne, je voudrais citer Nyilda, et l’assurer de ma 5
un
du fond du cœur.
imparfaite, mais avec amour et reconnaissance, la marque de tout ce que je dois à mes parents (relecteurs extraordinaires entre autres qualités) et plus largement à ma famille.
6
CONVENTIONS D’ÉCRITURE ET DE LANGUE Dans cet ouvrage, je recours pour les termes tibétains systématiquement à une transcription phonétique, compréhensible par tous, plutôt qu’à la translittération, accessible seulement aux tibétologues. La translittération est indiquée dans le glossaire, et se fait selon la convention la plus courante dans 1 . Un terme dont aucun équivalent n’est connu en tibétain littéraire apparaît, à
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aspirées et non aspirées) et à éviter des conventions peu adaptées pour un lectorat francophone (telles les graphies et Ainsi les voyelles sont rendues par les conventions courantes d’inspiration ü germanique : u en syllabe fermée, comme dans représentées par la juxtaposition des voyelles qui les composent : comme au comme dans au dans Les consonnes suivent la convention anglo-saxonne : se lit j (même précédant ou i) est toujours une occlusive vélaire et , ,
,
J’introduis des traits d’union pour séparer les syllabes quand cela éclaire la prononciation d’un terme pour le non-spécialiste. la majuscule ; ainsi, annuels, en tant que nom propre, est marqué d’une capitale. Toutefois, le
1. En particulier, la capitalisation portera sur la consonne radicale. Cantwell et Mayer CANTWELL – R. M AYER 2. D. GERMANO – N. TOURNADRE
7
Narak est un grand rituel collectif annuel de Ch’ongkor, tandis que le Les termes (notamment sanskrits) retenus désormais dans les dictionnaires par ces derniers. Pour certains termes, je garde une graphie devenue d’usage région du Tibet méridional appelée localement T’ing-ri sera écrite Ding-ri. sans signes diacritiques, assez courantes dans la littérature occidentale. Toutefois, les termes (généralement sanskrits) du registre religieux (ce qui sont donnés avec les diacritiques dans l’ensemble du texte. Pour ce qui est du vocabulaire religieux bouddhique, de façon générale, je cherche à traduire le plus possible les noms communs en français, ainsi qu’à donner une traduction littérale pour les noms propres, quand cela présente adéquate, pour les concepts et divinités bouddhiques, le terme sanskrit (s’il est d’usage relativement répandu) est préféré au terme tibétain, vernaculaire au lieu de Shinje ou ou classique (par exemple Yama ou défaut d’un équivalent sanskrit relativement commun, le terme vernaculaire au lieu de est préféré au tibétain standard, ou littéraire : ainsi j’écris dans le glossaire ; l’équivalent en tibétain standard est parfois indiqué aussi à
Abréviations du terme, la langue est précisée (sauf quand cela ressort explicitement du contexte) au moyen des abréviations suivantes : (bar) dialecte tibétain du Baragaon (précisé seulement en cas (nép) (skt) (tib)
népali sanskrit dialecte du Tibet central / tibétain standard (quand les dialectes
Pour les formes des verbes tibétains, seront employées les abréviations
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INTRODUCTION
Bouddhisme tibétain et violence rituelle
(« Paroles de
[skt. chapitre XIV
(« Prise à témoin [en rapport avec] la voie des projectiles
, bouddhistes dans le monde s’accorderaient pour y voir un condensé de la , doctrine du Bouddha 1 ) évoqué par le premier vers consiste dans le fait de tuer. Ainsi le tib. (humaine ou autre) 2. Le second fragment cité ci-dessus est entonné au cours dans le nord du Népal. Ce n’est là qu’un des nombreux passages du rituel où s’exprime une forte violence destructrice à l’égard des forces et entités hostiles.
1.
,
2. G. OBEYESEKERE E. R. LEACH (éd.),
, Cambridge, Cambridge University Press,
9
sans sourciller. Ce livre examine, à travers une approche anthropologique, le cas assez ou tantriste, dont une des caractéristiques marquantes tibétain ), le est l’association, dans les représentations et dans une large mesure aussi entendre ici la pratique d’exorcismes violents mais aussi, dans une moindre , ces deux catégories ne sont pas aussi distinctes que l’on pourrait croire.) Il importe de noter que, dans le de repoussement ou d’expulsion de l’infortune et de ses agents, voire de destruction, de mise à mort de ces derniers,
mêmes que les précédents), par des spécialistes de rituels tantriques, dans l’objectif de tuer des êtres humains.
sont censées s’appliquer 4
catégories pour l’analyse comparative ne va pas de soi et que tout essentialisme
accord avec certaines sensibilités locales dans la société du nord du Népal étudiée ici). Du point
régions de culture tibétaine à l’intérieur de la République populaire de Chine. Par simple 4. J. D. FAUBION P. L. F. H EELAS dans P. M ARSH – A. CAMPBELL (éd.), 1982, p. 47-61, et F. H ÉRITIER
, Oxford, Basil Blackwell, H ÉRITIER (dir.),
une riche discussion de la notion de violence, mais appliquée essentiellement à l’interaction K ROHN-H ANSEN, « sociale,
trouver dans la violence un principe fondamental du rituel en général 5. violente dans l’expulsion ou le repoussement du mal, mais curieusement il 6 est absent d’un ouvrage comme , ainsi que 7 .
complexe, mais pour les religieux qui se trouvent au centre de cette étude, et ) 8. Ainsi, il est bien problématique, y compris pour certains de ces religieux eux-mêmes 9
5. M. BLOCH, introduction. 6. D. R ICHES (éd.), 7. Voir par exemple J. D. FAUBION dans T. YAMAMOTO (éd.),
, Cambridge, Cambridge
, Oxford, New York, Blackwell, 1986.
, Tokyo – Boulder, École des hautes études en sciences J. D. FAUBION, « Religion, Violence NUMEN J. G. FRAZER, Sir, ), chap. LVR. GIRARD,
1
LVIII.
Il est encore moins présent dans le travail de M. BLOCH,
des démons est certes mentionnée dans l’important travail de B. K APFERER, ), p. 224-225, mais le ressort principal de l’exorcisme est autre. ü ), entendu comme « transgression d’un ordre moral conçue comme entraînant des conséquences nuisant à l’auteur de la transgression, 1
une notion universelle, mais correspond assez bien à des notions bouddhiques et en particulier tibétaines : C. VON FÜRER-H AIMENDORF G. OBEYESEKERE , en particulier dans son
bouddhique de P. B. LAFONT
en tibétain) a été critiqué : ZAGO,
FAURE,
11
cette tension frappante avec un principe clé de l’ordre moral bouddhique, Notons bien toutefois que l’étude présente, à travers l’analyse de l’association des tantristes tibétains à certaines formes d’activité rituelle
) un principe religieux d’une , paraît en fait le plus probante pour les rites d’initiation principe commun ; l’argument repose en partie sur un usage assez lâche de la 11 . La visée du présent ouvrage demeure plus modeste ; les à travers l’étude approfondie de la tension qu’elle fait naître dans l’activité de sur des considérations sur la répartition du pouvoir rituel et de la pureté dans
du tantriste à travers son inscription dans l’ordre socioreligieux d’une société tibétaine, et dans les réseaux religieux du monde tibétain plus largement. La fondamentalement liées à la question de l’exercice de rituels violents.
Bouddhisme tantrique et « tantristes »
bouddhisme (associés entre autres aux noms de Spiro, Tambiah, Gombrich Sri Lanka et dans la majeure partie de l’Asie du Sud-Est continentale. Au centre de ces traditions, le moine est astreint à une discipline imprégnée d’une éthique du renoncement et de la non-violence, mais se rend aussi
BLOCH, 11.
165, et J.-H. DÉCHAUX
E. OHNUKI-TIERNEY, « Vitality on the Rebound : Ritual’s C. M ACDONALD, Compte rendu de « Prey into BLOCH, BLOCH,
penser l’exorcisme tibétain est examinée en conclusion du chapitre IV.
12
dons, il leur permet d’accumuler des mérites 12. Il intervient aussi dans une ). Cette forme de bouddhisme est associée à (exorcistes, spécialistes de rites de passage sociaux ou du culte des divinités ), selon le terme proposé par Gombrich XIX e
développer un courant moderniste, rationaliste (le bouddhisme y est présenté volontiers comme une philosophie plutôt qu’une religion) et critique à l’égard du ritualisme traditionnel.
semblable à celui de la tradition
, mais son orientation doctrinale
Haute Asie et en Extrême-Orient, et centré sur l’idéal du d’altruisme universel qui œuvre pour le salut de tous les êtres. Le bouddhisme arrivons tout de suite) est aussi caractérisé par le développement d’un vaste panthéon de divinités supramondaines (grands protecteurs de la doctrine, divinités mondaines (en particulier chthoniennes) et autres esprits, que les liturgies bouddhiques tentent tant bien que mal d’uniformiser et d’intégrer.
14
. Les discours modernistes sur le bouddhisme tibétain qui
comme nom singulier indénombrable, mais le pluriel est parfois choisi aussi, entre autres dans les études françaises portant sur le monde tibétain. La langue tibétaine en elle-même ne fournit que peu d’indications, le singulier et le pluriel ne s’y laissant que rarement distinguer. Signalons Notons aussi que la notion de mérite(s) semble perçue, au moins dans une partie du monde bouddhique, comme se prêtant à une certaine comptabilité ; ainsi certains Birmans tiennent des livres de comptes de leurs mérites : M. E. SPIRO, 1
GOMBRICH, , Oxford, Oxford University Press, 1991 (19711), p. 58.
circulent en Occident et, dans une certaine mesure, les études textuelles, basées en général sur les productions des élites religieuses, mettent en avant surtout les dimensions intellectuelle, méditative et yogique du bouddhisme tantrique, occultant ou négligeant ainsi son vaste arsenal de techniques à 15
la progression sur le chemin de la libération ultime, le culte de divinités de tous ordres, la longévité, la prospérité, la victoire militaire ou la sorcellerie 16.
. Du point de vue de l’adepte doté d’une formation avancée, le rituel tantrique (skt, tib. ). Par est basé sur une procédure fondamentale, le une récitation ou lecture qui comporte de puissantes formules ésotériques, ou mantras, et s’accompagne de processus de visualisation mentale et de postures ), des divinités sont évoquées et peuvent par 17
et ), théoriquement indispensables, sont toutefois parfois absentes dans la pratique. L’anthropologue doit donc se garder d’aborder le rituel tantrique 18 . Nous reviendrons sur la
remarques critiques de G. LEWIS SIKLÓS B., , Tring, The Institute of Buddhist Studies, 1996 (p. 15-19) ou M. STRICKMANN, , Paris, Gallimard, 1996 (p. 24-25). 17. G. SAMUEL, d’observer, d’une part, que Samuel semble négliger quelque peu la pratique assez courante ) par les simples moines dans le monde TAMBIAH, ses formulations tendent à privilégier la part du maître (par rapport aux spécialistes moins prestigieux, moines ou tantristes) pour ce qui est des rituels tibétains : SAMUEL, . 18. Cela vaut également pour une approche comme celle de Samuel. Pour celui-ci, le bouddhisme tantrique est la manifestation la plus importante, dans le contexte tibétain, de de conscience altérés au moyen desquels des praticiens spécialistes sont considérés comme communiquant avec un mode de réalité autre, et plus fondamental, que le monde de l’expérience G. SAMUEL, , p. 8. Or certains tantristes ne recourent pas ou
14
(
.).
tenu au célibat, contrairement aux religieux qui ne prononcent pas de vœux monastiques. Dans la pensée tibétaine, à travers l’aire culturelle ainsi que (ou, pour utiliser le terme ), s’oppose à celle du , ou tantriste, technique plus précis, un religieux maître de maison, spécialiste de rituels tantriques, recruté le 19 (considéré dans une certaine mesure comme un support passif), le tantriste est la principale de religieux porte un autre nom ; dans d’autres, le terme dans son usage courant exclut certaines catégories de tantristes (notamment de statut de Ding-ri) . Contrairement à la catégorie du inférieur, comme les le célibat) et en général un certain entourage institutionnel, la catégorie du dualité du moine et du tantriste soit absente des idées religieuses. deux autres usages du terme . Étymologiquement désigne un ), et le terme est parfois employé dans ce sens spécialiste de mantras (tib. désigne aussi le bouddhisme tantrique en tant que , « voie adamantine des mantras tel (appelé également se rapproche du sens se caractérisent par une étymologique du terme, mais en général les forte spécialisation dans des rituels tantriques à proprement parler (en général par 21
dans ces pratiques est plus marquée que celle des moines. Ceux que nous appelons Par ailleurs, certains lettrés tibétains, voire des tibétologues spécialisés dans l’étude textuelle, argumentent volontiers que
19. Il importe de préciser que, dans l’ensemble de cet ouvrage, en accord avec l’extension de l’appellation tibétaine spécialistes bouddhiques non monastiques que sont les tantristes. A ZIZ, New Delhi, Vikas Publishing House, 1978 (chap. IV). 21. R. A. STEIN,
, ), p. 65.
1
15
religieux entre les adeptes monastiques et non monastiques. Il est vrai par
asociologique, de la catégorie. L’analyse du principe de la lignée héréditaire prouver que le
, dans le sens commun du terme, représente bien une
L’importante dualité du moine et du tantriste, évoquée ci-dessus, n’est pas symétrique ; elle est sous-tendue par tout un faisceau de relations et hiérarchies. comme spécialiste qui Dans la caractérisation tibétaine fréquente du religieux bouddhique par excellence, n’a pas besoin du tantriste pour être maître de maison. Toutefois, nombre de petites sociétés de l’Himalaya (le jusqu’au début du XXe Dolpo, le Helambu, le pays absence d’institutions monastiques et donc, de fait, une certaine prééminence des tantristes. Cette dualité de statuts socioreligieux est fondamentale du point de vue du clergé bouddhique à proprement parler. Considérons les catégories de maître ( ), religieux considéré comme ayant été un maître accompli dans une existence antérieure, qui choisit de continuer à renaître pour œuvrer pour le salut des êtres. Tous, selon qu’ils ont ou non soit moine,
, soit tantriste,
: cette dualité est fondamentale.
recours à une typologie bipartite pour les religieux non monastiques (lignées héréditaires de statut social élevé d’un côté, spécialistes de statut modeste de l’autre), inspirée principalement du cas de Ding-ri, étudié par Aziz 22. Les que cette typologie ne saurait saisir pan-tibétaine du moine et du tantriste. Il importe, dans la catégorie , de reconnaître la diversité des statuts sociaux et du tantriste, ou du religieux, mais aussi les continuités que l’on retrouve, des simples de Ding-ri aux hiérarques religieux du clan K’ön, à la tête de la principauté et de l’ordre religieux de Sakya. On pourrait hésiter à regrouper les seconds étudiés ici, mais sous la même catégorie que les premiers, ou que les
22. G. SAMUEL, C. R AMBLE
16
nous verrons que ces derniers, en toute modestie bien sûr, font parfois le rapprochement avec les maîtres de l’ordre Sakya. Ils appartiennent bien à une même catégorie tibétaine. La dualité du tantriste et du moine ne recouvre toutefois pas l’ensemble du de l’ex-moine, , celui qui a rendu ses vœux monastiques. Dans certains cas, il demeure perçu comme un spécialiste religieux, mais il n’est pas pour autant nécessairement considéré comme un . L’on trouve dans certaines régions aussi des médiums, spécialistes plus ou moins intégrés à la 24 . Certains sont moines, mais les autres ne sont pas (en ou moins bouddhisés aux divinités du lieu sont considérés en même temps, de 25 . du bouddhisme le contenus religieux que des formes sociologiques. On y trouve notamment la même dualité du moine et du tantriste. De fait, la présente étude, centrée sur une communauté de tantristes bouddhistes, comparera celle-ci souvent de la même région 26. En revanche je ne signalerai à une communauté pas toujours que telle donnée relative au bouddhisme s’applique aussi au . La seconde omission concerne le versant féminin. Contrairement au monachisme, la catégorie du tantriste est essentiellement masculine. Les nonnes constitueront toutefois une référence éclairante dans certaines des analyses qui suivent.
24. Voir par exemple M. BRAUEN, , Graz, Akademische Druck- u. Verlagsanstalt (in Zusammenarbeit mit dem Völkerkundemuseum der Universität Zü N. SIHLÉ S. C. BERKWITZ (éd.), , Santa Barbara, 25. N. SIHLÉ, « The ala and priestly traditions of Nyemo (Central Tibet) : Hybridity JACOBY – A. TERRONE (éd.), , Leyde, et le bouddhisme concernent d’une part des ainsi les
ne sont visibles que pour un œil entraîné, même parmi les Tibétains. D’autre part, au niveau socioreligieux, on note surtout des réseaux et des lignées religieuses propres, des sentiments parfois hégémonique, et un fortement perceptibles. Sur les confusions qui entourent encore souvent le introduction de P. KVAERNE dans S. G. K ARMAY – Y. NAGANO
, signalons l’utile
17
Thèse et approche générale Ce travail est centré sur le cas de Ch’ongkor, communauté villageoise de tantristes du Baragaon, ou Mustang inférieur, une petite société de culture tibétaine du nord du Népal, dans laquelle j’ai passé quinze mois, complétés par trois mois dans la région voisine du Dolpo, entre 1995 et 1999 27. Le présent ethnographique employé ici dans la plupart des descriptions vise essentiellement à alléger l’écriture. Il ne s’agit aucunement de suggérer une validité permanente de ces données : au contraire, il apparaîtra clairement, tout au long, que cette communauté de tantristes était à ce moment dans une phase de changements majeurs. Le texte doit donc être lu comme le produit ethnographique au Népal même, le pays connaissant alors une guerre civile Le Baragaon en général et la communauté de tantristes de Lubra en particulier sont déjà bien documentés, notamment du point de vue de leur organisation sociale, grâce au travail de Ramble. Les développements en particulier sur l’organisation sociale de la prêtrise, et du Baragaon plus largement, dans le chapitre II ci-dessous doivent beaucoup à ce travail fondateur Ainsi qu’il apparaîtra par exemple au sujet de l’emploi de la catégorie III à V, il importe toutefois pour moi d’aller au-delà de questions d’organisation sociale et socioéconomique dans l’étude de ces tantristes, et d’intégrer de façon beaucoup plus approfondie et centrale la dimension religieuse dans l’analyse. L’exigence n’est pas ici seulement d’une plus forte complétude. Pour comprendre plus sous ses aspects est essentiel – et l’ensemble de cet ouvrage en apporte la démonstration – aux discours qui les entourent, ou encore aux manuels rituels ou autres textes utilisés par les prêtres.
L’anthropologie du bouddhisme tantrique, au sens d’une étude intégrant de la culture savante et des questionnements analytiques plus généraux, en est encore à ses débuts. Il faut y voir sans doute la relative inaccessibilité de
de nombreux points traités dans le présent ouvrage des données plus détaillées : SIHLÉ, « Les tantristes tibétains ( ), religieux dans le monde, religieux du rituel terrible : Étude
lecture.
18
certains terrains, mais aussi la complexité du courant tantrique, notamment dans ses aspects rituels et textuels. Outre le travail remarquable, et d’un fort (dont les intérêt comparatif, de Gellner sur le bouddhisme sont eux aussi des religieux tantriques maîtres de maison) 28, le cas tibétain a commencé à être exploré principalement dans des contextes monastiques 29. à la connaissance de la religion tibétaine. C’est aussi une contribution à l’anthropologie du bouddhisme tantrique, et du bouddhisme en général, à la fois du point de vue thématique (la violence, le rituel, l’association de la Nous avons la chance de disposer déjà de quelques travaux pionniers en exemple, de Gellner, de Samuel, ou encore de Mills. Par moments ces travaux partagent toutefois, de façons et à des degrés divers, une certaine tendance à privilégier les perspectives des élites religieuses. Ces perspectives sont utiles, même essentielles, mais il importe parfois de contextualiser de façon un peu plus précise les données provenant plutôt de cultures d’élite (locales ou même extérieures) et, par moments, nécessairement, de relativiser l’importance . Le présent travail dirige son regard vers une communauté de religieux ne maîtrisant que partiellement l’écrit ; rejetant l’hégémonie des perspectives théologiques savantes, il aspire à . Il ne s’agit toutefois pas, à ce titre, d’éviter à avoir à traiter de la composante avec une exigence proprement anthropologique accrue. Les études précédentes qui ont cherché à intégrer la dimension textuelle de l’activité religieuse ont eu tendance, bien trop souvent, à n’apporter qu’une traduction savante des textes, délaissant largement la question des relatives à ces textes. Cette interrogation, certes complexe, trouve
28. D. N. GELLNER, , Cambridge, Cambridge University Press, 1992 et D. N. GELLNER, 29.
S. R. MUMFORD, G. SAMUEL, et M. A. MILLS,
le domaine sino-japonais, le courant tantrique est abordé à travers des problématiques en partie anthropologiques aussi par M. STRICKMANN, , B. FAURE, , Princeton, N. J., Princeton University Press, 1998 , Princeton, N. J., Princeton et B. FAURE,
l’importance accordée au maître ( ) dans les développements sur la vie rituelle de Samuel, ou encore, , de la place du yoga sexuel par exemple dans les arguments de Mills sur les bases de l’autorité dans le monachisme de l’ordre Geluk. E. R. LEACH LEACH (éd.), , Cambridge, Cambridge University Press, 1968, p. 1-6 (p. 1).
19
ici une place autrement plus centrale ; il en va de l’intégrité ethnographique de la présente étude. (Les textes du bouddhisme tibétain sont en tibétain importantes d’ordre grammatical et lexical. Pour celui, soit-il moine ou tantriste, qui ne dispose que d’une formation modeste du point de vue textuel, les textes manuscrits de Ch’ongkor, recopiés par des générations successives intelligibilité limitée.) De même, toujours par souci de cohérence ethnographique, la riche peu mentionnée ; priorité est donnée aux , et à ce qu’elles représentent pour ceux qui détiennent et transmettent ces textes. Ce serait l’originalité de l’approche véritablement du présent travail que de diluer l’attention portée aux sources locales par l’introduction substantielle de données savantes issues d’autres, lointains horizons tibétains .
La question centrale de ce travail peut être formulée ainsi : comment comprendre la forte association institutionnalisée d’un spécialiste religieux bouddhiste avec l’exercice de rituels violents ? La place relativement centrale de la violence dans le contexte tibétain étudié ici pose la question de la cohérence culturelle de cette association. La possibilité d’une cohérence plus large doit être interrogée dans une perspective holiste : l’analyse donne-t-elle à voir, mais une intégration, présentant une certaine logique d’ensemble, des dimensions d’organisation sociale et économique, de représentations et valeurs religieuses, cosmologiques, ou autres ? La recherche d’une certaine cohérence doit être prudente et critique : la tendance du discours ethnologique à privilégier la cohérence est un défaut clairement reconnu . Le Baragaon, au-delà de sa taille modeste, n’a pas grand-chose en commun
tibétain (de parution tellement récente que je n’ai pu la consulter pour le présent ouvrage), se reporter à J. DALTON, ,
MAUSS,
LÉVI-STRAUSS, « Introduction à l’œuvre de IX-LII (p. XXV),
M. MAUSS 2 M. MAUSS, évaluation récente du holisme de Mauss, A. GOFMAN, « A Vague but Suggestive Concept : The JAMES – N. J. ALLEN (éd.), , New ABU-LUGHOD
FOX (éd.),
autonome, fortement structuré par la parenté, mais n’appartient pas non plus au monde plus éclaté de la modernité tardive occidentale. Ce travail met en des données d’organisation sociale, de positionnement dans un ordre moral et de spécialisation religieuse – mais aussi les visions divergentes des acteurs, sur des questions aussi fondamentales que l’interprétation du péché, et des la tension que constitue l’association d’un spécialiste bouddhiste à l’activité rituelle violente ; ils ne l’annulent pas.
des avancées les plus marquées, dans la présente étude, par rapport aux travaux antérieurs, réside dans la documentation ethnographique de la dualité fondamentale dans la vie religieuse tibétaine qu’est celle du moine et du tantriste, être éclairée par les associations (verticales) et les oppositions ou contrastes (horizontaux) suivants : moine
tantriste
pureté du renoncement
péché de la vie mondaine
production de mérites
rituels puissants et violents
d’une tension et d’une division du travail religieux, non universelles, mais répandues, entre le pouvoir et le maniement de la violence ou de l’impur d’une part, et la spécialisation dans une voie de pureté, associée à un statut social plus élevé, de l’autre. Dans l’anthropologie ou la sociologie de la religion, cette dualité analytique importante du pouvoir rituel et de la pureté n’a pour le moment reçu aucun traitement systématique ; la présente étude apporte une
religieux complexe, dans la ligne de toute une tradition de l’anthropologie du bouddhisme
d’autres composantes du champ religieux : A. T. K IRSCH TAMBIAH,
21
une approche empruntant en partie au structuralisme, mais l’objectif central Tambiah étant longtemps restée peu visible dans les études tibétaines , il s’agit fondant sur la diversité locale plutôt qu’en cherchant d’emblée à la réduire. Étayé par des éclairages comparatifs ainsi que par les études textuelles certaines des logiques fondamentales en jeu, au niveau local ou à des niveaux plus généraux. Par ailleurs, l’analyse synchronique structurale est nuancée ici est crucial au regard du fait ethnographique massif des changements sociaux générations. L’analyse, en partie comparative, de ces changements apporte un éclairage précieux, notamment sur la façon dont sont négociées les tensions relatives à l’usage de la violence dans le rituel.
, D. H. HOLMBERG, « Ritual Paradoxes in Nepal : Comparative Perspectives on S. R. MUMFORD, . Toutefois, elle est vue parfois, comme ici, au sens de la complexité interne à certaines traditions bouddhiques : S. J. TAMBIAH, , Cambridge, Cambridge University Press, 1984, G. SAMUEL, . TAMBIAH, G. SAMUEL, (p. 289) est éloquent, mais sans doute un peu excessif. Les tantristes constituent maintenant l’objet central d’au G. E. CLARKE, « The Temple and Kinship among a Buddhist People of the C. R AMBLE qui se penchent surtout sur la dimension socioéconomique (organisation sociale, économie de SIHLÉ contributions plus succinctes : C. VON FÜRER-H AIMENDORF, , Londres, John Murray, 1964, chap. V-VII, NAKANE C., « A plural society in VON FÜRERH AIMENDORF (éd.), JEST, , Paris, Éditions du Centre National de la XXII-XXIV, B. N. A ZIZ, , chap. IV M. S. CALKOWSKI, « Power, Charisma, and Ritual Curing in a Tibetan chap. IV-VI communautés de tantristes du nord-est tibétain par H. LCE-NAG-TSHANG – Y. ’O. SGROL-MA (éd.),
dans quatre autres régions : une communauté de réfugiés essentiellement du Tibet occidental, central, 2 ½ mois) et le Repkong (nord-est tibétain, 8 mois). G. LEWIS, G. LEWIS
22
place importante qu’occupe l’écrit. L’activité principale des tantristes de , textes qui en Ch’ongkor dans leurs rituels réside dans une lecture de grande partie ont été composés ailleurs dans le monde tibétain. Cette donnée a des implications profondes. L’importance et l’originalité analytique et méthodologique de cette étude résident ainsi également dans deux aspects,
contexte présent. La transmission religieuse à Ch’ongkor est centrée sur un rituel et, au moins dans la génération actuelle, les spécialistes savoirtoutefois de déplorer ou d’ignorer cette situation, il convient d’en exploiter le potentiel analytique. Il s’agit d’abord de comprendre ces tantristes en leurs propres termes : ce sont avant tout des religieux du savoir-faire et du pouvoir tantriques, complexes et parfois obscurs, demeurent toutefois pour eux des Le premier des deux aspects novateurs évoqués ci-dessus s’inscrit plus villageoise de religieux, et une petite société de quelques milliers d’habitants s’étendant sur quelques vallées) et une unité de beaucoup plus grande taille, présentant un certain degré d’homogénéité culturelle (l’« aire de culture . Loin d’une ethnologie, largement à contre-courant d’une certaine tendance à mettre en avant la globalisation, 41 , ce travail emprunte une voie médiane. Il s’agit de mettre en évidence une complexité et une cohérence la compréhension de locales, mais cet objectif passe de façon impérative
les années récentes : voir par exemple T. E. HAYS LEDERMAN, N. DEMYK, « D’un paradigme à l’autre : , 2e p. 179-187. En accord avec certaines critiques formulées dans ces travaux, il ne s’agit pas Toutefois, parmi les traits qui font la relative unité du monde tibétain, et qui nous importent en particulier, citons toutefois une langue écrite et un héritage littéraire (les langues vernaculaires sont parentes et ont un degré d’intelligibilité mutuelle variable), des traditions rituelles, des relatives à l’hérédité. 41. Par exemple A. GUPTA – J. FERGUSON
l’imbrication de cette société et de ses institutions dans un espace plus large et complexe, à la fois géographique, historique et socioculturel. Il y a là plus qu’une simple contextualisation. La transmission religieuse à (gens de Ch’ongkor) interagissent avec le monde plus large du bouddhisme tibétain, au gré de contacts locaux ou de voyages 42. Cet ouvrage montre que dans certains de ces contacts a lieu une confrontation momentanée, parfois (Ces interactions peuvent être indirectes : malgré l’ingénuité déployée par par ses interlocuteurs comme inspirées par des perspectives normatives extérieures.) Ces contacts occasionnent ou renouvellent parfois des remises en question prolongées, des tensions durables : nous verrons comment un religieux local est donc loin d’être statique ou isolé hermétiquement. Pour comprendre une institution comme la communauté de tantristes de Ch’ongkor, qui la (re)produisent continuellement, il est et en particulier les essentiel de prendre en compte dans l’analyse les données que constituent, d’une part, un certain isolement et, d’autre part, les contacts et une intégration (relative) dans un monde plus large : ce sont là des circonstances clés dans la constitution et la transmission de cette tradition locale. Dans ces conditions, le village seul ne saurait constituer une unité associés, c’est là sûrement un truisme, mais la solution ne consiste pas à postuler un champ religieux à deux niveaux, élites lettrées des grands centres d’un côté, traditions orales des villages de l’autre. Il importe plutôt d’observer, à travers les discours, les interactions, ou leur absence, l’articulation entre l’ordre local et des entités plus larges, tel le monde du bouddhisme tibétain. dans une situation où l’écrit occupe une place importante, mais où la plupart des textes ne sont pas de source locale, les textes écrits tels que les manuels rituels de la communauté demandent une attention spéciale. Ils sont abordés ici comme des éléments (ou plutôt, des matériaux : nous verrons que la
(voire -
) ou -
personne originaire du village. Notons à ce propos une particularité concernant les ordres ou traditions religieux. Là où en tibétain il existe essentiellement des substantifs, par exemple Sakya, nom d’un des ordres bouddhiques majeurs, et de cet ordre, la littérature en langues occidentales a pris l’habitude d’utiliser ces termes (avec /- ) aussi à la façon d’adjectifs. Par commodité de langage, je m’autorise , ( , cet ordre, etc. Dans le cas de la religion , là aussi en suivant les tendances de la littérature déjà existante, j’utilise seulement l’adjectif .
24
tradition de Ch’ongkor s’est construite en les assemblant, les recomposant, les réinterprétant) d’importance cruciale au point d’articulation entre l’univers Assayag a récemment suggéré que l’ambition d’un Dumont d’intégrer disciplines telles l’orientalisme, déjà installées de longue date sur ce par Snellgrove dans le monde tibétain, par Tambiah en Asie du Sud-Est, et par Strickmann pour la Chine : l’anthropologie de ces civilisations complexes nécessite absolument une familiarité avec les travaux des disciplines textuelles 44. Cet apport peut constituer un éclairage précieux sur les données ethnographiques, mais il ne saurait leur être substitué : l’étude anthropologique de religieux bouddhiques ne saurait faire l’économie d’une réelle ethnographie localisée de leurs textes. anthropologie de l’écrit. Humphrey et Laidlaw notent : « l’anthropologie du rituel liturgique à base écrite), lui préférant celle du rituel centré sur la performance 45. De fait, comment mettre en rapport une communauté locale et des textes rituels rédigés en d’autres lieux et d’autres temps ? Ce travail essaie d’apporter quelques réponses à cette question complexe (chap. IV).
Structure de l’ouvrage Au niveau le plus général, cette étude est structurée par une progression des cadres d’analyse allant du général au particulier, progression ponctuée par
tibétain (chap. I) et dans la société locale (chap. II), sous de multiples aspects religieuse, et en particulier rituelle, de cette communauté. Sont examinés ici, en préalable, les processus de formation et d’acquisition de légitimité rituelle des tantristes (chap. III), puis le champ rituel à proprement parler, à travers
ASSAYAG, « La construction de l’objet en anthropologie : L’indianisme et le comparatisme 44. L. DUMONT
POCOCK SNELLGROVE TAMBIAH,
, chap. XXI,
et M. STRICKMANN 45. C. HUMPHREY – J. LAIDLAW, J. M. ATKINSON, Press, 1989 (p. 14-15).
, Berkeley, University of California
25
sa structure, ses grandes catégories et des exemples de rituels marquants (chap. IV ambiguë de l’activité rituelle violente (chap. V). cette société. Comprendre l’association du tantriste au rituel violent passe liens, à travers un holisme critique, entre une spécialisation religieuse et une et tout au long de l’étude. En particulier, l’exorcisme (« écrasement des démons la fois emblématique des tantristes de Ch’ongkor et controversé, constituera La progression du général au particulier annoncée ci-dessus répond à la fois à un souci didactique (apporter au lecteur les contextes d’intelligibilité du cas ethnographique étudié ici) et à la logique générale de l’argument. Comme tantristes de Ch’ongkor, et de leurs rituels, dans la société du Baragaon et dans le monde tibétain plus largement répond à un impératif autrement plus central monde religieux tibétain, faite de contacts mais aussi d’isolement, constitue un facteur important récurrent, du premier chapitre jusqu’au dernier. Par
d’une part, d’inscrire l’étude résolument dans une approche diachronique et, d’autre part, de faire éclater d’emblée les cadres d’analyse du village et de la petite société locale. générale qui donnent à comprendre qu’un spécialiste bouddhique comme puisse être associé au péché et à des rituels violents. Cette discussion est V, grâce à l’éclairage détaillé que la seconde
religieux, le moine et le tantriste.
26
PREMIÈRE PARTIE
Les descendants de Maître Tsapgyepa Une communauté de prêtres tantriques dans l’Himalaya
CHAPITRE I ISOLEMENT ET CONTACTS RELIGIEUX DANS UNE « PÉRIPHÉRIE TIBÉTAINE »
Ce premier chapitre s’inscrit pleinement dans un des principaux arguments méthodologiques de ce travail : pour comprendre réellement une institution locale comme la communauté de tantristes de Ch’ongkor, il est impératif de prendre en compte, dans leur structure et leur diachronie, à la fois les contacts et un certain isolement qui ont contribué à façonner cette des données d’espace et de temps – perceptions d’un espace, perceptions des idées et pratiques religieuses, et en particulier le relatif cloisonnement des traditions tantriques. Nous verrons que le degré de cloisonnement, tantristes au Baragaon. Les déterminismes ici sont multiples, à l’intersection des principes de transmission religieuse mais aussi de reproduction sociale, des données géographiques et de la contingence historique.
I. Perceptions d’un lieu et d’un espace 1. Pokhara, ville située au centre du Népal et au sud du massif de l’Annapurna ( luxuriante. De Pokhara, un petit avion d’une douzaine de places permet de plus délaissée par les gens du Baragaon eux-mêmes, est une lente ascension à et (deux ethnies pied de quatre ou cinq jours, à travers les pays de langue tibéto-birmane) 1. En quittant l’avion, on arrive dans un autre monde : un air frais et sec, de hautes montagnes aux dénivelés impressionnants, et un paysage aride, hormis quelques zones irriguées. La haute Kali Gandaki, aussi
W. F. FISHER,
, New York,
29
reçoit que de faibles précipitations, essentiellement pendant la mousson d’été. En hiver, les neiges sont fréquentes mais modérées, si bien que la circulation entre les villages et même le fonctionnement de l’aéroport de Jomsom ne sont o De Jomsom, Ch’ongkor peut être atteint en une journée ( On continue le chemin à pied, en remontant d’abord le fond de vallée, plat
limite septentrionale du pays
; nous voici désormais au Baragaon, en
hindou et bouddhique situé dans sa partie haute, elle est appelée localement *Dzar-Dzong, ou *Dzar-Dzong Yü ) du cette étude, j’obtins l’autorisation de me rendre jusqu’à *Tiri, le premier des marche, se trouve un groupe de cinq villages, appelé Shö ou Shöyül, « les (lit. « langue . Encore plus au nord, environ au niveau du village de Giling, commence le royaume de Lo, connu en Occident sous le nom de 2 . La présente étude porte donc sur la partie méridionale du Baragaon, qui comprend douze des dix-neuf villages de la région et ne dépasse pas, d’ouest o
Conservation Area Project (ACAP), la population de l’ensemble du Baragaon
culture tibétaine de l’Himalaya 4.
C. R AMBLE, « Tibetan Pride of Place : Or, GELLNER – J. P FAFF-CZARNECKA – J. WHELPTON (éd.),
La limite imposée à cette étude – ne pas dépasser Tiri – présente une certaine pertinence du point de vue non seulement géographique (les parties sud et nord du Baragaon sont à quelque distance l’une de l’autre), mais aussi, et dans les rapports entre le Baragaon méridional et le Shöyül et le sentiment d’une entre ces deux groupes 5. Cette limite est pertinente aussi du point de vue de l’organisation socioreligieuse locale : ainsi, les spécialistes religieux d’un côté Le chemin de Ch’ongkor quitte la Kali Gandaki pour rejoindre, en une le chemin contourne une crête, endroit appelé le « Col du Bord de la paroi
lieu saint et, en vis-à-vis sur le versant nord, Ch’ongkor, le plus distant des Son emplacement, sur des terres réputées les moins bonnes de la vallée, 6 . Un Ch’ongkora contemporain a Elle appartient au genre des chansons d’éloge de son propre village, chansons
Ch’ongkor apparaît, plus blanc qu’un cristal. Au-dessus du temple de Ch’ongkor, des drapeaux multicolores. Le blanc se voit d’extrêmement loin, le rouge excelle parmi toutes les couleurs. Dans le vase de cristal [de Ch’ongkor], les jeunes gars sont plus beaux que les divinités Dans le vase de cristal [de Ch’ongkor], 8
.
7
lu.
5. C. R AMBLE, « The Mustang villages of Kag, Te and Khyinga: an introduction to history, 18 6. C. R AMBLE 7. Dans le contexte présent, le terme plus élevé des trois étages du monde phénoménal. L’étage intermédiaire est celui des humains lu, divinités du sous-sol et de l’eau, associées à la fertilité, à la richesse et au monde féminin. 8. Brag-zur la-nas bltas-kyang / Chos-’khor shel-las dkar-byung / Chos-’khor lha-sa’i steng-du / dar-sna sna-min-sna-tshogs / dkar-po rgyang-drags-che-song / dmar-po tshossna lags-song / shel-gong bum-pa’i nang-du / khyog-thong lha-las mtshar-byung / shel-gong bum-pa’i nang-du / na-chung klu-nas mtshar-byung //
dans
IGAUDAUT
OURNADRE,
S. DORJE,
EST,
UTSCHOW AMBLE
Pour rejoindre Ch’ongkor, on suit le large chemin principal, sur le
du pays, le tour du massif de l’Annapurna. On rencontre aussi, surtout au venus des basses terres népalaises ou même d’Inde. En contrebas du lieu se concentrent de nombreuses auberges, le chemin de Ch’ongkor s’écarte
de marche. abrite une communauté de tantristes. Avec une vingtaine de maisons, il est de taille modeste. Quelques villageois travaillent dans les champs d’orge et de sarrasin. En apparence paisible, le village s’anime surtout le soir, quand (croisement du bœuf et du yak) les chevaux, les ânes, les vaches et les rentrent des maigres pâturages au-dessus du village. La couleur rouge, caractéristique de l’état religieux, est certes présente dans les vêtements des hommes (ainsi, d’ailleurs, que dans ceux des femmes et enfants), mais de façon relativement limitée, et seuls un ou deux hommes âgés portent les cheveux longs, comme le font si souvent les tantristes. Le principal
Situé en haut du village, manifestement dépourvu de bâtiments attenants le temple de la communauté de tantristes. La porte est close, cadenassée. fait, le temple est inoccupé pendant la majeure partie de l’année. Ce premier contact nous laisse sur une interrogation : quelle est la place du religieux dans cette communauté de tantristes ? Quelle est son importance, et quelles sont ses limites ? Quelles sont les conséquences de cette double activité de religieux et de maîtres de maison agriculteurs ? Nous verrons qu’il y a là 2. Pour sonder les représentations proprement locales de l’espace géographique, religieux et social dans lequel s’inscrivent Ch’ongkor et sa région, laissons-nous guider par le texte local qui se rapproche le plus d’un discours sur cet espace. Ce procédé nous introduira aussi à un premier exemple de construction et d’usage locaux d’un texte rituel et nous permettra d’aborder la question des relations entre un texte et les conceptions locales.
Le texte en question est celui d’un rituel de libations,
(lit.
extension rituelle). De fait, ce texte constitue toujours une composante annexe dans la vie rituelle de la communauté. Le texte (dépourvu de colophon ou de nom d’auteur) évoque des toponymes et noms de divinités du lieu, dont la séquence constitue un parcours particulier de l’espace, centré sur Ch’ongkor. Il est donc propre à cette communauté 9. Le lien entre le texte et les représentations locales est cependant loin d’être simple. Celles-ci n’ont pas pour source principale, loin s’en faut, le parcours virtuel de l’espace suggéré par un texte, mais plutôt l’ensemble des parcours même du contenu du texte, à l’image de beaucoup d’autres à Ch’ongkor, n’est éventuellement les vers manquants de mémoire). Le texte fut visiblement
constitue la suite des toponymes invoqués. L’ensemble de ces réserves mis à part, le trajet en question nous permet de parcourir un espace structuré par un ; il nous fournit un canevas pertinent pour évoquer certain regard l’importance de certains lieux, régions, axes de communication et schémas spatiaux. et religieuse ( Tibet, du Tibet occidental jusqu’aux provinces orientales, Amdo et K’am o (
N. GUTSCHOW – C. R AMBLE , « Up and dans N. GUTSCHOW – A. M ICHAELS – C. R AMBLE (éd.), (p. 157-159). Pour un texte semblable récité plus au nord dans le Baragaon, BLONDEAU – E. STEINKELLNER (éd.),
, C. R AMBLE ,
de l’ensemble de ces régions ; pour les désigner, ils évoquent essentiellement . Plus que des tantristes, ce furent surtout des moines du Baragaon qui, jusqu’à l’invasion chinoise du Tibet dans les au Tibet central. commence la descente de la Kali Gandaki, du Lo à proprement parler jusqu’au , en passant par le Baragaon, désigné ici, dans un registre plutôt pays o
Dans la langue parlée, on utilise surtout le terme népali Baragaon (prononcé localement Baragong), et encore de façon assez rare. Son équivalent dans le dialecte local, Yü à une date inconnue. Le Baragaon a perdu le peu qui lui restait de pertinence en tant qu’entité politique vers le milieu du XXe culturellement et ethniquement divers, le Baragaon constitue aujourd’hui
se désignent d’aucun endo-ethnonyme . L’axe de la Kali Gandaki, orienté du nord au sud et de haut en bas, est une donnée fondamentale de l’espace des Ch’ongkora, et pour la population , qui désigne les territoires à ceux qui se situent au débouché de la Kali Gandaki au sud de la grande chaîne, et au-delà : la région de Pokhara, la vallée de Kathmandu, l’Inde, voire Hong Kong ou l’Europe. Principale voie d’interaction entre le Baragaon et ses voisins, cet axe a notamment servi au commerce du sel tibétain, échangé contre du grain dans les zones népalaises de plus basse altitude, jusqu’à ce qu’il soit supplanté par le sel indien au cours du XXe souvient encore du temps où, l’hiver, les hommes portaient des charges de sel pour gagner quelques roupies. et de grain entre le Lo et le pays L’importance de cet axe demeure toujours. Il constitue la principale voie d’approvisionnement en produits de consommation, notamment alimentaires. l’ensemble de la haute Kali Gandaki se sont généralisées les migrations hivernales vers les basses terres népalaises ou le nord de l’Inde, l’Assam en particulier, pour la pratique d’un commerce plus ou moins modeste : pierres
doute forgé par elle : S. R. SCHULER
et coraux pour les plus aisés, pull-overs beaucoup plus souvent, voire simples vêtements d’occasion. Les modes de parcours de cet axe ont évolué aussi. De et l’implantation en Inde et au Népal de nombreux centres monastiques, le Ce basculement d’un univers est bien rendu dans le parler local par l’expression 11
Baragaon, le Dolpo et le Nyishang. Séparées du Baragaon par de hauts cols de et autres, plus limités. Le parcours tracé par le texte revient ensuite vers la o
sens bouddhique, celui des aiguilles d’une montre. Sont nommés d’abord, en haut du versant sud de la vallée, deux lieux religieux importants pour nombreuses nonnes . Le texte évoque ensuite des toponymes associés à chacun des villages des 12
l’ancêtre des Ch’ongkora, Lama *Tsapgyepa, aurait résidé avant de fonder Ch’ongkor. perception de l’espace dans lequel se situe Ch’ongkor, mais aussi une certaine perception de la communauté. Deux éléments constitutifs centraux de sont une classe de divinités associées à l’étage intermédiaire du monde). Comme l’indique une protectrice associée au clan patrilinéaire que constitue Ch’ongkor. Avec en
11. dus log-ste. occidentale.
3. Les divinités du lieu ne sont qu’une dimension de la géographie sacrée . intimement lié à la présence d’une communauté de tantristes, et que résume 14
montagne *Dü
d’augmentation, de soumission et rituels terribles,
, le
rituels terribles, ou de destruction violente, à l’instar de la base ou enceinte triangulaire des dispositifs rituels de nombre d’entre eux. Le « triangle de la à la nature courroucée (
, skt.
) de la divinité qui se trouve au
15 . Lama Tsapgyepa, fondateur de Ch’ongkor, se serait établi là, dit-on, en raison de cet aspect géomantique favorable. , le fondateur s’établit là Par ailleurs, selon un vieux tantriste ) un esprit local hostile. Ceci nous renvoie aux , mythes fondateurs du bouddhisme tibétain ( .). Il apparaît ici également une forme d’action rituelle d’importance
que, en l’absence des ingrédients nécessaires, Lama Tsapgyepa visualisa rituels servant de support aux divinités tutélaires principales de Ch’ongkor :
R. L. SAUL, « Animated Landscapes : an Ethnography of Change School of Oriental and African Studies, 1998, chap. X. 14. sa gru-gsum gnam gru-gsum. 15. Tib. Jampel Shinje(she). Cette observation émane d’un maître
lettré, établi
, dans les termes suivants : « that by virtue of which one becomes genuinely oneM. DYCZKOWSKI, , M. J. BOORD,
16
des sommets à ces divinités, ou à leurs supports, et ces sommets, la tradition rituelle de Ch’ongkor se trouve ainsi inscrite en grand dans le paysage. Le paysage de la communauté de tantristes est donc chargé de sens. par quelques religieux instruits de la région. Le triangle et ses associations de matériels des rituels, sont pourtant largement connus, même, dans une certaine mesure, au-delà du cercle des seuls spécialistes. Si le discours local se borne généralement à énoncer la forme de la terre et du ciel de Ch’ongkor, en taisant plus sombre de l’activité religieuse. Le chant d’éloge de Ch’ongkor évoqué plus haut est aussi muet à ce sujet et ne renvoie qu’à des aspects paisibles et lumineux de la communauté religieuse : les couleurs du temple et des drapeaux cette communauté de tantristes, qui occulte en même temps qu’elle évoque la
tradition rituelle ambivalente, un lieu surdéterminé, centré sur un temple, ou
II. Discours historiques et identitaires se conçoivent dans le temps. La mémoire du passé des Ch’ongkora et la perception qu’ils ont de leur trajectoire historique actuelle conditionnent largement notre compréhension de l’univers de sens local et de ses enjeux quelques éléments d’histoire politique et culturelle qui suivent serviront à préciser la nature de cette entité sociopolitique et culturelle du Baragaon, et à mieux apprécier ce que peut être une communauté de tantristes dans cette partie du monde tibétain.
des premiers enseignements tantriques au Tibet ; dans la tradition
en particulier, c’est
grandes divinités tutélaires courroucées. Le trio sera présenté en détail plus loin : .
1. Ch’ongkor fut fondé probablement dans la seconde moitié du XVIIe principal élément qui apporte aux Ch’ongkora un certain sens de profondeur historique à leur vision de leur passé collectif est un passage textuel, récité par les religieux, qui comporte vingt-trois noms, peut-être ceux des religieux fondateur ( ). La mémoire locale toutefois ne retient quasiment que ce dernier, souvent appelé Meme Dorje Seng-ge 17. L’histoire de Lama Tsapgyepa, telle que les Ch’ongkora et leurs voisins la racontent, commence avec son arrivée à Montang, la capitale du Lo. sans préciser les circonstances de son départ. Si le nom du lieu d’origine de Tsapgyepa est relativement connu dans la région 18 Le lieu se caractériserait par des maisons aux façades peintes de bandes multicolores, comme celles que l’on trouve à Ch’ongkor ( En fait, ce lieu est probablement le centre religieux du Tibet central connu dans les sources littéraires sous le nom d’Ukpalung (« Vallée X e-XII e et dont l’importance avait fortement décliné à l’époque de Tsapgyepa. parler, uniquement un corpus d’histoires concernant le maître Tsapgyepa, qui s’inscrivent pour la plupart dans un ordre chronologique assez précis, ponctuant les étapes de son voyage, de Montang jusqu’au site de Ch’ongkor grande importance. J’en propose ici une version résumée, composée à partir des éléments les plus courants des récits actuels 19. Dans un des épisodes les plus récurrents, la reine de Lo désirait se laver les cheveux, mais le soleil allait se coucher, ce qui les aurait empêchés de sécher. Lama Tsapgyepa, appelé par le roi, planta alors sa dague rituelle en , dans les rayons de soleil et les cloua sur place (on reconnaît un fer, laver les cheveux, puis Tsapgyepa retira sa dague et la nuit tomba soudain.
17. Le nom ne semble pas attesté en dehors du contexte de Ch’ongkor et de quelques sources écrites régionales. * (ou ), les 18. Un surnom désobligeant des Ch’ongkora est certains sobriquets locaux, et pas seulement à l’égard des Ch’ongkora, pour faire allusion à la qualité d’immigrant ou de descendant d’immigrant. C. R AMBLE 19. C. R AMBLE, « The Muktinath Yartung : A Tibetan harvest festival in its social and historical
41
contrôlant les éléments quand ceux-ci menaçaient de tout détruire, tantôt remporta ainsi une course avec un religieux
jusqu’au sommet d’une
multiples reprises himalayennes . Dans d’autres récits, racontés sur un ton moyen de leur pouvoir de destruction,
, dans l’intention de se tuer 21.
sous-tend l’histoire la plus importante. Lama Tsapgyepa fut appelé, par un messager, à Montang, le roi ou la reine, selon les versions, étant malade. Le maître ordonna au messager de rentrer au plus vite et de dire au roi que telle fenêtre du palais, donnant sur l’est, devait être laissée ouverte ; lui-même partit en chevauchant un rayon et arriva instantanément au palais royal par ladite fenêtre. . Avant de Or Lama Tsapgyepa avait un ennemi, un religieux partir pour Montang, il conseilla à sa femme de ne donner ni hospitalité, ni vint, en l’absence nourriture, ni boisson à qui que ce soit. Lorsque le de Tsapgyepa, et demanda à manger, puis à boire, sa femme refusa. Il lui demanda alors de lui donner au moins un peu de salive, et elle accepta de cracher vers lui. Celui-ci escalada le jet de salive et s’introduisit ainsi dans la maison. Il saisit le moulin à grain manuel que le maître avait investi d’un Montang, Lama Tsapgyepa était mort. ( Nous reviendrons sur le destin de l’assassin ). Aujourd’hui en tout cas personne ne semble tirer argument . La mort du maître est racontée sans grande du fait que l’assassin ait été charge émotive ; elle fait partie de l’ordre (légendaire, magique) des choses. Un autre épisode capital, nécessairement antérieur, est souvent ajouté au précédent, ou raconté séparément. Au chevet du roi, Tsapgyepa s’était assoupi, son chapelet à la main. Une poule essaya d’avaler le chapelet, mais put alors récupérer, de justesse, son chapelet du gosier de l’animal. Ramble présente cet épisode comme une tentative d’assassinat du maître, mais pour
S. R. MUMFORD,
, D. H. HOLMBERG, , Delhi, Motilal Banarsidass,
1996 (19891), p. 217-229. peut désigner des pouvoirs de nature plus variés, 21. Si, dans la littérature bouddhique, l’usage local du terme renvoie à un pouvoir fort, presque toujours employé dans des actes d’agression magique : jet de sorts, etc. ( t’u )
42
un traitement réservé aux plus grands maîtres. Le stûpa continue de faire l’objet d’un culte permanent, et des rituels dédiés à Lama Tsapgyepa sont des tantristes puissants. Si, à Montang, Tsapgyepa demeure un agent puissant et craint, son stûpa est peu connu des Ch’ongkora. Nombre d’entre ceux qui sont allés à Montang ne l’ont jamais visité. Avec la mort de Tsapgyepa dans la capitale du Lo et l’érection sur place d’un stûpa abritant sa dépouille, il semble que le maître ait été intégré sous une forme quasi divine dans le panthéon local de Montang. Les Ch’ongkora, en revanche, séparés des restes corporels puissants du maître, mort dans la lointaine Montang, l’invoquent pour certains actes rituels, mais ne lui vouent aucun culte. de Ch’ongkor, au nom d’un roi de Lo 22. On peut le considérer comme une variante du récit selon lequel Tsapgyepa fut appelé au chevet du roi ou de dramatique encore. Il précise la façon dont Lama Tsapgyepa sauva la lignée royale de la menace d’une extinction imminente : de sorcellerie par le grand maître Ch’öpel de Dzongka (capitale du Gungtang ) Dorje Seng-ge ayant repoussé [l’agression] par un rituel prolongeant la longévité [du roi], du (fond ?) du lac (de l’âme ?) émergea le dispositif de sorcellerie [sous-entendu : placé là initialement pour nuire à la lignée royale de Lo], et la lignée ne s’interrompit pas .
L’absence de cette version dans le corpus narratif de Ch’ongkor est remarquable, vu l’importance à la fois des faits attribués à l’ancêtre fondateur
22. Cette lettre (que j’ai pu consulter via la photocopie d’un informateur local) est citée et traduite partiellement par D. P. JACKSON, « Notes on the History of Serib, and nearby places in référence au passage qui nous concerne ici. phel [’phel] gyi [gyis] mthu stad [gtad] byas nas sku mched gcig la thug nas / gtso brgyad pa (rdo rje) (seng ge’i [ges ?]) sku tshe srings thabs kyi [kyis ?] bzlog pa rlam [bla ?] mtsho
l’objet activé par le rituel de sorcellerie (il faudrait donc lire ’don au lieu de thon). Le terme la, des souverains de Lo. Une attaque dirigée contre le support du la constitue un moyen répandu, dans les représentations tibétaines, pour chercher à tuer quelqu’un.
royale de Lo pendant plusieurs générations, suite au précédent que constitua l’action salutaire de Tsapgyepa 24. En contrepartie de leurs services rituels, les avec le Lo. Toutefois ces relations connurent des vicissitudes, dont les raisons restent obscures. Aujourd’hui, les Ch’ongkora n’évoquent pas ces anciennes été oubliées, ou occultées. La mémoire qu’ont les Ch’ongkora de leur histoire est caractérisée par la quasi-absence de personnalités marquantes entre l’ancêtre fondateur et les
amendes. Le premier s’acquitta de la sienne, mais le second s’enfuit, vers le col du T’orung, en emmenant les deux troupeaux avec lui. Au moyen de son pouvoir destructeur Kunga Rapten représente ainsi un religieux justicier qui se laisse emporter et demeure avant tout l’ancêtre fondateur et une référence identitaire majeure pour les Ch’ongkora. Ainsi, la mémoire de l’histoire ancienne de la communauté apparaît centrée sur des manifestations de pouvoir rituel, dont
Son pouvoir toutefois se manifeste toujours, incarné notamment dans sa ( (
, et
intervient aussi dans une séquence optionnelle, couramment insérée dans sera consommée pendant le rituel. Elle est insérée entre l’invitation, , , à celles-ci. Un
24. N. SIHLÉ d’archives du Baragaon a été récemment publié : C. R AMBLE – N. DRANDUL, , Halle (Saale), International
44
pas de danse, face à l’autel, en tenant devant lui la dague par la pointe entre lecture se poursuit par de courts textes, dont une invocation de la lignée des maîtres de Ch’ongkor qui commence par Lama Tsapgyepa. Tout en récitant, contiennent le breuvage, recueille quelques gouttes dans sa paume et boit. Les personnes en charge de l’intendance du rituel insistent pour qu’il boive . Cette séquence les traits se détendent, on sourit, ou plaisante. Dans cette séquence se trouvent porteuse de bénédiction (
), et l’évocation de celui qui se trouve au .
2.
Les Ch’ongkora conçoivent leur passé aussi sous l’angle d’une certaine place dans l’ancien ordre politique du Baragaon. Cette région de la haute Kali Gandaki a connu de façon répétée la domination politique de voisins plus puissants 25. Le clan noble dominant du Baragaon, *Jampal T’okgye, serait 26 ses environs au XVIe . Sous ces seigneurs ( ) se constitua un ordre 27 XVIII e politique connu localement sous le nom de l’expansion militaire de la principauté de Gorkha, située au centre du Népal actuel, aboutit à la constitution de l’État népalais et à l’intégration du Lo et perdura jusqu’au du Baragaon dans cette nouvelle entité. L’ordre
XX e
Dzong, puis de Dzar ; ces trois villages, avec ceux de *Dangkar-dzong et Samar, marqués aussi par une présence noble, restent connus sous le nom des
25. Pour l’histoire de la région, se reporter à D. P. JACKSON . SCHUH – WANGDU LAMA (collab.) – M. K RETSCHMAR (collab.) – M. L. K ARMACHARYA (collab.), « Investigations in p. 9-92, D. SCHUH – WANGDU LAMA (collab.), « Investigations in the History of the Muktinath C. R AMBLE, « The III, et C. R AMBLE 26. D. SCHUH – WANGDU LAMA
45
En dessous de la noblesse, Ch’ongkor et Lubra, les deux communautés villageoises de tantristes (respectivement bouddhiste et ) du Baragaon, ( ). Ces deux villages jouissaient de prérogatives sociopolitiques importantes étaient chargés de déterminer la dans l’ancien ordre politique. Les date des assemblées politiques du , qui se sont réunies, à Kag, jusque des documents juridiques du leurs représentants étaient assis en haut de la rangée de droite, tandis que ceux de Lubra prenaient place en haut de celle de gauche 28. un important exorcisme de l’entité politique du Baragaon, connu sous le nom de Ngashap Dögyap ( ). Il avait lieu à Dzong. Son abandon, , et à l’amenuisement des ressources des XIX e
XX e
par la suprématie politique et économique régionale des
, des notables
monopole du commerce du sel dans la Kali Gandaki 29 L’ordre du était révolu, mais son nom fait toujours résonner les échos . d’une grandeur passée dans la mémoire La religion des tantristes de Ch’ongkor, dans ses relations avec l’extérieur, . Il est toutefois au entouré de régions – le Shöyül au nord, le Nyishang à l’est et le pays
28. Ils précisent volontiers qu’un gamin morveux de leur communauté se trouvait assis volontiers dans leur récit, occupaient toutefois sans doute une rangée transversale située au fond . , p. 61-68. 29. W. F. FISHER,
BIELMEIER, « Zur Stellung des Dialektes von KÖLVER (éd.), BIELMEIER
46
sud-ouest – où sont parlés des dialectes (tel le
au Shöyül) d’une langue
aussi le , mais connut au cours du dernier millénaire une tibétanisation, au sens de l’adoption importante de traits culturels et linguistiques tibétains. L’établissement du clan Jampal T’okgye, originaire du Lo, contribua sans doute à ce processus, la société locale assimilant alors la langue et la culture de sa strate dominante, notamment pour des considérations de statut. Il y a quelques décennies encore, le conseil villageois de Ky’inga, village de statut , selon inférieur, aurait condamné à une amende quiconque s’exprimait en toute apparence avec l’objectif de supprimer cette langue qui les marquait en tant que catégorie sociale distincte et inférieure . Aujourd’hui, la population du Baragaon méridional ne présente sans doute complexe, multiple, ainsi que processuel et jamais statique du fait culturel. partielle, socialement construite autant que transmise, et non exclusive. Elle ne saurait être considérée comme un simple donné. Au long des sections du tantriste, il sera le plus souvent légitime, dans la discussion, de faire Baragaon, mais ce contexte plus complexe resurgira par endroits. Tournons-nous plus précisément vers la dimension religieuse. Domination politique, tibétanisation et bouddhisation (prise au sens de l’implantation d’institutions et l’adoption de pratiques et de conceptions bouddhiques) : l’articulation complexe entre les processus sociopolitiques, culturels et religieux est d’autant moins aisée à saisir que les sources historiques sont
C. R AMBLE C. R AMBLE C. R AMBLE ül, bien que faisant partie de l’entité politique du Baragaon, ne connut pas la même transformation, sans doute en partie du fait de son éloignement des centres où ces nobles s’établirent. pour l’Himalaya, par plusieurs auteurs, tels T. T. LEWIS, « Himalayan Religions in Comparative M ACDONALD, « Remarks on the
bouddhisation partielle aurait généralement précédé la tibétanisation linguistique : G. SAMUEL, , p. 147. Les études tibétaines et himalayennes ont abordé la bouddhisation en particulier sous ses aspects rituels, mythiques et littéraires : J. B. GYATSO, « Down with S. R. MUMFORD,
, chap. IV
M ACDONALD, « Hindu-isation, SKORUPSKI (éd.),
47
a selon toute vraisemblance joué un rôle important dans l’introduction à une date reculée de pratiques et d’institutions religieuses tibétaines dans cette région . Par ailleurs, la de la vallée XVe-XVI e religieux par les nobles du Baragaon, documenté dans des sources écrites , ne constituent qu’une face assez institutionnelle de la bouddhisation. Ces éléments ne nous disent pas grand-chose de la multiplicité des pratiques et représentations religieuses locales. XVII e
de la bourgade, mais par un prêtre appelé
, qui procédait à
bouddhique à travers le Baragaon, et persistent dans deux villages du nord de la région, mais beaucoup d’autres furent repris en main ou transformés par le clergé monastique . Le récit suivant marqua fortement le début de mon séjour, et me força à porter sur la société du Baragaon un regard plus complexe, enrichi par le doute. Sous la surface d’une société tibétaine bouddhiste surgit, un instant, dont Ramble parle (avec quelque chose de l’ordre de ce sympathie) dans un article de vulgarisation . Ce récit montre que les valeurs et les pratiques les plus contradictoires peuvent coexister et prouve si besoin pour saisir les processus complexes désignés par le terme de bouddhisation.
R. A. STEIN T. HUBER, New York, Oxford University Press, 1999, chap. IV, et M. T. K APSTEIN,
D. P. JACKSON F.-K. EHRHARD F.-K. EHRHARD, « Concepts of Religious HAFFNER – P. POHLE (éd.), Giessen, Institut fü . SCHUH – WANGDU LAMA C. R AMBLE
,
C. R AMBLE BLONDEAU (éd.),
(p. 125), et C. R AMBLE C. R AMBLE
48
,
l’auteur du récit, une des personnes clés de mon séjour à Ch’ongkor. où toutefois, comme la majorité des nonnes, elle ne reçut aucune éducation
trois fois (Nyilda fut sa seconde femme) et chacune de ses femmes lui donna un enfant, mais tous, y compris celui de Nyilda, le seul qui ait atteint l’âge adulte, moururent jeunes
Ch’ongkor. Nyilda, quoique bien occupée, consacre, comme beaucoup de femmes de le mantra (skt. ). Elle participe volontiers à la psalmodie collective du Mani, telle que les femmes la pratiquent plusieurs fois par an dans les villages de la vallée. Telle que je la connais, c’est une femme pieuse, assez sensible et, parfois, quand le souvenir lui vient de ceux qui l’ont quittée, un peu mélancolique. Elle explique les malheurs , « [mon] qu’elle a rencontrés en termes de rétribution karmique : perception), d’un certain âge de surcroît, elle ne cesse de s’exclamer situé au-delà du haut col du T’orung, à une journée de marche vers l’est, je demandai à Nyilda si elle avait déjà assisté au rituel de *Paten qui s’y déroule
. Cet
tibétaines pratiquant la polygamie, celle-ci présente des modalités à la fois de polygynie et GOLDSTEIN de polyandrie : A ZIZ, , ch. VII. Pour aller au-delà des déterminismes socio-économiques et matrimonial tibétain, voir en particulier N. E. LEVINE, , Chicago, University of Chicago Press, 1988. SAGANT M EYER (éd.), WATKINS,
49
41
Jadis, pendant sa jeunesse, Nyilda allait au Nyishang tous les ans. Les années où le grand rituel se tenait (tous les trois ans), elle faisait en sorte d’arriver à ce moment-là. Pour assister au Paten, des gens venaient de tous . peut-être), prises toujours dans un même clan. Nyilda se souvient encore de quelques phrases que chantaient les victimes avant leur immolation. Elle accepta de me les chanter. Elle me précisa des détails, parfois horribles, du . Certains diront : le Baragaon n’est pas le Nyishang. Certes, même si le parlé encore aujourd’hui au Shöyül n’est autre qu’une variante de la langue Baragaon méridional. Toutefois, les deux régions ont connu une implantation monastique bouddhique pluriséculaire, ce qui n’empêcha pas les uns de perpétuer le culte en question, et les autres de venir y assister. L’image que diverses sociétés tibétaines, ou partiellement tibétanisées, de l’Himalaya qui locaux étaient des tantristes 42. Si le Baragaon et le Nyishang avaient été que le monachisme peut également côtoyer longuement de telles pratiques, y compris sous leur forme la plus extrême, comme pour le Paten. Aujourd’hui, même si le tableau n’est pas statique, dans ses grands traits, la religion pratiquée au Baragaon méridional est un bouddhisme tibétain, , tout à fait standard. Toutes les familles comptent ou ont compté ou un des moines, des nonnes ou des tantristes. Les autres types de spécialistes religieux locaux n’ont plus qu’une place marginale, quasiment nulle à Lubra et à Ch’ongkor. Avec la participation, à Kathmandu ou en Inde, aux cérémonies d’initiation publiques dirigées par de grands maîtres tibétains se renforce sûrement la place des composantes éthique voire sotériologique du bouddhisme. La bouddhisation progressive des cultes des divinités du lieu peut être vue comme l’ultime manifestation de l’ancien processus missionnaire et,
, New York, Columbia de Sagant. Le sujet fut donc abordé parce que Nyilda choisit d’en parler. 41. Selon un religieux rencontré plus tard au Nyishang, cette pratique remonterait à « quelques le récit de Nyilda. 42. G. H. CHILDS K RASSER
(éd.),
dans le prolongement de celui-ci, une partie du clergé œuvre toujours pour une conformité accrue avec l’orthopraxie bouddhique ou à bouddhisme normatif dominant. Dans la perception des Ch’ongkora, ce champ apparaît structuré, en comme dans les autres sociétés tibétaines de l’Himalaya, ne revendiquent ni appartenance ethnique tibétaine, ni communauté de destin politique avec leurs voisins septentrionaux : il s’agit ici de perceptions d’une relative communauté . et à l’ouest habitent respectivement les Lowa et Dol(p)o. Plus au nord désignation pan-tibétaine des pasteurs transhumants ou nomades, ce que la province orientale ainsi nommée 44. (Le tibétain du Tibet central, que je parlais en arrivant à Ch’ongkor, est considéré au Baragaon comme du S’ils ne revendiquent aucunement l’appartenance à une communauté faire partie culturellement d’une tibétaine. Dans les sociétés tibétaines du nord du Népal, les gens « se voient, et sont vus, comme les membres de de ces sociétés 45 46 ), un état d’absorption méditative qui peut se prolonger pendant quelques
? Ch’ongkor, et avec autant de bruit que d’habitude. Personne ne savait qu’il
ethnonymes employés sont avant tout des emprunts stratégiques, collectifs ou individuels, aux catégories de l’État népalais ou d’interlocuteurs occidentaux : N. SIHLÉ, « Les tantristes 44. On retrouve des appellations semblables chez d’autres populations de l’Himalaya, par ): , p. 24. C. VON FÜRER-H AIMENDORF, 45. C. R AMBLE 46. thugs-dam-la gdan-’jags.
51
fallait éviter le bruit pendant le moine tibétain qui vivait sur le lieu saint] est venu à un moment. Il a grondé les religieux qui faisaient tellement de bruit. Au lieu de ce tintamarre, il fallait , à voix basse. était sur le toit-terrasse, sous l’auvent. Nous ne savions pas à quoi Le était terminé. Les moines nous ont dit que ce serait reconnaître si le resté ainsi trois jours. – Son corps était-il chaud ? – Oui, il l’était [ : elle l’avait constaté]. Le jour où le corps a été emporté pour la crémation, je n’ai pas voulu que le corps soit recroquevillé comme pour un mort ordinaire. J’ai demandé qu’il soit emporté à cheval 47. Il fallait
l’a fait. Sur le cheval, le le côté. Il était comme vivant. En outre, son corps n’était pas raide. Les gens ) ? [On sent dans le récit l’angoisse, le doute qui est resté : les ( funérailles se sont-elles déroulées comme il fallait ?] menant directement au toit-terrasse, et que cela ne se faisait pas de sortir le par la porte. Il y avait sans doute le corps d’un religieux mort en 48 .
Cette conversation illustre le décalage que les gens du Baragaon perçoivent
vécu chez les Tibétains avant de venir chez eux, et dont la langue avait . La perception locale de ma langue et de mon
49
séjour, ce sentiment d’appartenance à la « périphérie rustique d’une société cependant bien le sentiment d’une
, d’une communauté
47. En général, la colonne vertébrale est rompue à la nuque et au coccyx, de crainte que le défunt revienne comme zombi, poitrine. Plus tard, le corps est emporté à l’aire funéraire sur une sorte de brancard. 49. En fait, mon savoir était tout frais de quelques mois et me venait d’un tantriste de la région même.
52
, explicite dans les discours sur la chose écrite, , à la fois écriture, texte et (en son sens premier) religion. L’écriture commune à l’ensemble des sociétés de culture tibétaine est appelée ,« Le terme s’oppose à , le « fois l’écriture du népali, ou (nép), et l’hindouisme. d’écriture, de religion, et plus généralement de culture, qui se manifestent cruciale dans la communauté de religieux qu’est Ch’ongkor. K’amsung, un jeune maître de maison, qui n’apprit à écrire que le népali, me raconta précédent de la communauté l’empêchait, quand il était comment le petit, de venir voir ses copains, auxquels le vieux tantriste apprenait le tibétain. Il le chassait des abords de sa maison en lui criant : 51
français : l’humour ou l’irritation ? En tout cas, pour le
, étudier le népali, c’était
la perception locale, si plus au nord et au nord-est on est en quelque sorte plus (ou mieux) tibétain qu’ici (du point de vue religieux ou autre), à la base il y , fondamentale mais en partie a une identité culturelle et religieuse menacée.
répandent la scolarisation en népali, la radio et l’usage du népali comme népalisation d’ampleur encore limitée, et par les mêmes vecteurs, apparaissent aussi des indices, en particulier dans le vêtement des hommes et des jeunes, rares sont les trekkeurs qui quittent la piste principale ou interagissent avec la avec le personnel des auberges et des boutiques. de sociétés comme le Baragaon sont complexes. Il y a là des tensions, mais aussi des possibilités de renforcement mutuel 52. L’État népalais trouve son intérêt (économique) dans l’attrait exercé par ces régions sur l’imaginaire occidental, japonais ou autre. Les étrangers, touristes ou expatriés à
51. khyod rong-chos slab-mkhan / khyod sdig-pa-che // 52. C. R AMBLE
Kathmandu, manifestent parfois le désir de subventionner la restauration délabrés locaux Baragaon, en comparaison avec le pays par exemple 54. Dans le contexte de transformations que connaît le Baragaon, les invectives contre le népali n’ont plus cours. C’est aujourd’hui un du précédent
séparé. Une dissociation des savoirs apparaît, signe d’un certain processus rencontrées dans la gestion du crédit se traduisent de façon croissante par la migration, surtout masculine, principalement vers des pays d’Extrême-Orient jadis, et vers les États-Unis aujourd’hui. Ce dernier chapitre de l’histoire d’une communauté de tantristes et de sa société reste largement à écrire. Je me contenterai ici de suggérer l’importance à Ch’ongkor que, dans le village voisin de Purang, au moins une personne de chaque maison était partie, le plus souvent à New York. Éclatée à travers la périphérie de la grande métropole, une forme de communauté d’émigrés s’est constituée, comportant plusieurs centaines de jeunes adultes de la haute
plus jeunes tantristes (sur les huit de la communauté), dépourvus de fonctions avec lesquels je suis en contact téléphonique occasionnel (par le téléphone ils ne se prononcent pas de façon précise sur la date d’un éventuel retour : au Népal ils ne retrouveront jamais d’activité aussi rémunératrice. religieux avec eux. Toutefois, ils participent, avec les autres émigrés du
C. R AMBLE 54. J. F. FISHER,
54
, Delhi, Oxford
la vallée de Kathmandu, qui devrait être placé sous l’autorité de Sakya de l’ordre Sakya 55
certaine vision
de l’évolution de la religion au Baragaon.
3. collectif des tantristes de Ch’ongkor, mon hôte, tantriste lui-même, me dit :
confection des gâteaux rituels ( ) et bavardaient, riaient et buvaient sans retenue. Une annotation accompagne mes notes de cette journée : .
de Ch’ongkor, tellement ceux-ci semblaient unanimes et cohérents avec des données objectives comme l’absence de jeunes se formant à la tradition religieuse locale. Il ne s’agit toutefois pas ici d’avancer un pronostic simpliste de vie ou de mort d’une tradition, et encore moins d’émettre un jugement de valeur. Il bouddhisme tibétain ; mais l’analyse de structures sous leur forme locale et de leur évolution dans le contexte de processus actuels présente assurément une pertinence plus générale dans l’étude du bouddhisme tibétain, et plus largement des sociétés bouddhiques. L’étude de la dimension diachronique, poursuivie à travers l’ensemble de ce travail, est abordée ici à travers une dimension fondamentale de la vision du monde locale : des discours de déclin et d’essor de la religion.
milieu du XXe étaient des tantristes de Ch’ongkor. Depuis, la formation religieuse de base
des maîtres importants.
55
du nombre de religieux susceptibles de répondre à la demande de services
fragile, et les évolutions ont connu des aléas que ne traduisent pas les notions trop simples d’essor et de déclin. Concernant Ch’ongkor même, c’est bien la notion de déclin, à la fois de la tradition religieuse ( ( ), que les discours locaux évoquent sous des formes variées. Selon les ou , ou, plus rupture, de la transmission,
. On évoque la perspective d’une tradition .
surgit plutôt comme commentaire de telle ou telle évolution ponctuelle. L’idée cours des choses. L’évolution n’est pas non plus occultée à l’égard de l’extérieur. Je fus frappé d’entendre un des tantristes les plus âgés de la communauté,
Si l’analyse doit dépasser le discours valorisant les origines et le simple schéma d’un déclin, l’idée d’un temple qui se vide n’est pas dépourvue de justesse. La communauté de tantristes connaît une profonde crise de recrutement. Nous verrons que la perpétuation des communautés ou par exemple , et ). L’histoire récente de Ch’ongkor ne peut toutefois s’expliquer par les seuls facteurs d’ordre structurel. Dans la répartition des huit tantristes actuels en fonction de leur âge, on le double. Même sans compter la vague d’émigration récente, la diminution du nombre de tantristes de la communauté a donc été radicale. En outre, aucun jeune en âge de commencer à apprendre le tibétain ne paraît se diriger dans la voie de l’apprentissage de la tradition religieuse locale. On observe donc une coupure depuis une trentaine d’années déjà dans le recrutement. Un regard précis sur les générations précédentes montre certes l’existence de deux autres creux, d’une vingtaine d’années chacun, au XXe récent est l’écart de vingt-deux ans entre l’aîné des quatre jeunes tantristes actuels et le moins âgé des tantristes de la génération précédente. Entre les à Ch’ongkor. 56
facteurs personnels. Le actuel, respecté pour son savoir-faire rituel étendu, n’a pas le même charisme que son prédécesseur. Ceux qui, comme tous cette voie. Le discours local évoque la notion d’un déclin du prestige des tantristes l’angle de responsabilités individuelles. La principale raison évoquée pour du actuel résume les raisons de son choix d’arrêter son apprentissage et de quitter le village par une formule simple : en restant à Ch’ongkor, on ne fait pas d’argent. Les profondes transformations socioéconomiques que ) constituent des facteurs puissants dans cette connaît le Baragaon ( évolution, mais n’expliquent pas tout : nous verrons que la vie religieuse à qu’à Ch’ongkor. Parmi les transformations de l’activité religieuse collective, une évolution qui marqua les esprits, en particulier parmi les Ch’ongkora âgés, fut l’abandon rituelles, (tib. ), du grand exorcisme collectif Dögyap. Selon la formulation de Nyilda : « à quatorze ans ils entraient dans la “rangée des ) 56 [le groupe social au cœur de l’organisation du village] ; à dix-huit ans ils entraient dans la danse ( 57 , au cérémonie. La participation des jeunes gens, souvent dépourvus d’expérience d’encens. Pour certains, la timidité fut la raison de ce geste, mais de plus en plus il s’agissait surtout de prolonger la période du commerce hivernal, activité économique cruciale. Pour de nombreux Ch’ongkora, ces faits illustrent ce qu’ils perçoivent
caractérisée par la mutation des
, et dans le cas de
la fois d’évolutions sociales majeures, globales (aux répercussions locales maisons et d’une petite société himalayenne.
56. Tib. sngags-gral-la zhugs-pa-red. L’âge le plus couramment avancé est celui de treize ans, mais la cérémonie a parfois lieu un an plus tard. 57. La notion de désigne aussi des signes, notamment fastes, ou, dans le registre doctrinal, la notion bouddhique de chaîne causale devant mener à un autre événement.
57
III. Isolement et contacts religieux 1. Les communautés religieuses du Baragaon sont réunies en trois ensembles, sous les les appellations consacrées de P’orgön Sum Morgön Sum, les « Trois l’essentiel des religieux bouddhistes et du Baragaon. Avec en outre quelques lignées isolées de tantristes, ces religieux exercent quasiment toutes rituels domestiques ou collectifs, ou de divination, de calcul astrologique, etc.
(plus précisément
) de Kag, Dzong
de Dzong, appelé Dzong Gompa ou Dzong Ch’öde, sera présent tout au long de cette étude, en vertu de sa proximité, et de l’importance de ses contacts, pour instaurer, au moins dans la jeune génération de moines, une discipline Le cas de Dzong Ch’öde illustre bien la structure démographique typique présents sont des enfants et adolescents, engagés dans un processus demi-douzaine de moines adultes instruits et actifs, dont les plus jeunes ont depuis émigré. D’autres moines sont absents de façon temporaire ou quasi permanente. Quelques jeunes adultes poursuivent des études avancées dans le nord de l’Inde, et devraient en théorie revenir un jour. D’autres adultes monachisme peut devenir purement nominale. En tant que cadets non mariés, leurs vœux et se sont mariés. ü
respectivement au-dessus des villages de Tiri, de Dzar et de Purang. La aussi implantée sur le lieu saint, et communément désignée par l’expression . Tout comme Gara Gompa, elle est souvent perçue (par ceux qui ont une opinion à ce sujet) comme de tradition se chevauchent partiellement, ne constituent pas en fait des catégories
58
En l’occurrence, si les deux communautés de nonnes pratiquent notamment le cycle rituel du Kunchok Chindü centré sur Padmasambhava 58, les religieux les plus instruits de la région les . La tradition centrale de Ts’ü rattachent plutôt à deux traditions Gara Gompa est une tradition appelée *P’urmu-luk 59. Avec une cinquantaine de nonnes, dont la grande majorité a reçu une formation religieuse de base, Gara Gompa constitue la communauté monastique la plus développée du Baragaon. Elle se distingue aussi par le nombre élevé de nonnes, plus d’une douzaine, ayant accompli une retraite, telle retraite (au Baragaon, ce sont soit des nonnes, soit des tantristes) sont appelées . Composée de nonnes et de tantristes, cette catégorie spécialistes religieux. De par l’importance de ses relations avec Ch’ongkor, Gara Gompa apparaîtra de façon récurrente dans cette étude.
tibétain Shangpa Rimpoche, de tradition
. Celui-ci était déjà
Singapour. La fondation de Gompa Dongdong s’inscrit dans la continuation de l’action du premier Shangpa Rimpoche, son prédécesseur, qui déploya dans Kali Gandaki.
Ch’ongkor et Lubra, les « Deux communautés de prêtres ( constituent les principaux pôles religieux non monastiques de la région. Ce de tantristes ( sont des communautés ). Ensemble, elles . Les tantristes de Ch’ongkor
58. Ces enseignements, révélés au
XVIIe
G. SMITH, CHANDRA (éd.),
connu notamment pour son activité au Dolpo : D. L. SNELLGROVE, , Boulder, Prajña Press, 1961 (19812
59
, sont appelés ou , terme dont le sens premier est en fait se dénomment eux-mêmes 61 , mais sont appelés par les bouddhistes simplement . Avec quatre autres villages au Dolpo, Lubra constitue une des rares communautés religieuses connues dans les régions de culture tibétaine extérieures au Tibet sous occupation chinoise. communauté comme comment serions-nous [de l’ordre] pour lequel l’association forte des
au monachisme était visiblement ,
lignées héréditaires de hiérarques qui ne prononcent pas de vœux de célibat, . les religieux non monastiques sont quasiment inconnus dans la tradition Du point de vue de la tradition tibétaine, la question devrait être tranchée par l’examen des traditions rituelles pratiquées par cette communauté, et de leurs lignées de transmission. Les textes de Ch’ongkor sont en général dépourvus de colophons ou d’indications de lignées de transmission, mais les bribes de lignées existantes tout comme la tradition orale renvoient surtout à des . Vu leurs liens historiques, les traditions et éléments ne sauraient toutefois être pensées comme radicalement séparées. Il convient par ailleurs de nuancer l’étude des continuités historiques objectives (supposées) que représente la transmission de traditions rituelles bouddhisme tibétain. Il importe ainsi de noter que, dans une petite communauté d’une centaine d’habitants et de huit tantristes, l’identité religieuse, loin d’être uniforme, peut comporter des positions multiples, parfois nettement opposées. des tantristes de Ch’ongkor) avec de grands maîtres est inégalé dans la haute Kali Gandaki. La tradition étonnant que des tantristes
, dont le prestige revêt par moments, 62 détient
se reconnaissent comme
.
lignées héréditaires de tantristes isolées et de rares tantristes individuels, ), alors que, dans les générations actuelles, les tantristes de Ch’ongkor et de Lubra n’en ont pas
est employé localement surtout pour les tantristes . 61. L’usage de ce terme, seul ou en composé, pour désigner des religieux non monastiques SIHLÉ 564. 62. Un des principaux hiérarques de l’ordre Sakya.
accompli d’aussi longues. Pour les gens du Baragaon, il y a donc en gros trois ou de Ch’ongkor, les (ou catégories de tantristes : les ) de Lubra, et les . Une lignée héréditaire de prééminente est celle des prêtres des seigneurs de Dzar, qui jouent un rôle important dans l’activité rituelle domestique et collective du Baragaon. Cette lignée est liée aux Lubrakpa par alliance et par la pratique, dans une large mesure, des mêmes traditions rituelles. Notons bien qu’en dehors de Lubra et de deux lignées familiales de Dzar, l’ensemble du Baragaon est bouddhiste. Il importe aussi de mentionner les tantristes du clan (Lo) *Shari Pön-gyü,
à Ch’ongkor de ce qui allait devenir une lignée prestigieuse de religieux et de médecins. Celle-ci se subdivisa rapidement. On compte aujourd’hui trois ül, et une qui demeura plus longtemps à Ch’ongkor même, mais qui n’y est plus présente aujourd’hui (
ensuite à Jomsom même. En l’absence de liens avec d’éventuelles autres branches du clan, les descendants agnatiques d’Emchi Ts’ewang établis au Baragaon et en pays peuvent, pour les besoins de cette étude, être considérés comme entendue au sens de celle de Ts’oknam. Notons que ce clan se distingue des traditions rituelles. La pratique de la branche aînée, de tradition , est centrée sur le cycle Kunchok Chindü tandis que la branche cadette pratique un éventail un peu plus large de et , d’un éclectisme assez classique, avec notamment traditions la tradition P’urmu-luk, qu’ils partagent avec les nonnes de Gara Gompa. avec les autres religieux du Baragaon. Les catégories de religieux dont les contours commencent à se dessiner ne sont pas hermétiquement séparées les unes des autres. On retrouve monastiques de Ding-ri . Le changement d’état le plus courant est le retour de
A ZIZ,
61
toutefois moins fréquent que ce qui ressort de l’ethnographie des Sherpa). En tout cas il faut insister sur le fait que les deux catégories de moine ( ) et de ) restent distinctes : le second est dépourvu du statut et des tantriste ( Dans le contexte tibétain, le Baragaon méridional est non pas exceptionnel, avec ses six villages, ne compte pas moins de cinq communautés monastiques et une communauté villageoise de tantristes ; environ dix pour cent de la population sont de statut religieux. En outre, la vallée se trouve jouxtée par villageoise de tantristes, à Lubra. Avec une présence relativement importante anciens souverains, le Baragaon apparaît du point de vue typologique comme étant à mi-chemin entre les régions himalayennes politiquement moins , marquées généralement par centralisées, comme le Dolpo ou le pays une moindre implantation monastique, et des États (ou anciens États) comme le Ladakh ou le Bhoutan 64.
du lieu – nous l’avons vu, point de tension crucial dans les processus de ou . Leur tradition rituelle, transmise oralement en ligne paternelle, exprime une géographie sacrée centrée sur un village, mais porte aussi la . Ces cultes ont connu parfois la superposition récente de séquences rituelles proprement bouddhiques. ou sont absents. 65 , comme on dit de spécialistes religieux et de panoplie rituelle, pour pouvoir se passer de spécialistes d’une tradition considérée comme inférieure, car dépourvue de
64. Sur le lien entre l’importance de l’implantation monastique et le degré de centralisation , politique, mais aussi l’existence de surplus économiques, voir G. SAMUEL, chap. XVII. 65. Chos-pa’i lung-pa.
62
abandonnés. Un autre élément peut aussi être avancé. Si par certains aspects le leur valorisation commune de la lignée héréditaire, perçue dans les deux cas les rapproche. Ceci pourrait avoir favorisé, ici le remplacement de l’un par types en un 66. Les prêtres peuvent changer, mais les récipiendaires des (anciens) , leurs cultes (toujours multiples, constituant un ensemble non systématisé, à l’image du panthéon même) sont rendus par des tantristes ou les chefs de , l’ancienne langue de la région, comme certains cultes de Lubra, le fondateur de la communauté est réputé avoir soumis le sanguinaire 67 , mais aujourd’hui encore le maître de la maison de la lignée destiné au culte des hautes divinités avec les divinités du lieu, si les tantristes du Baragaon n’ont pas recours aux , ils semblent avoir repris (ou du moins partager) certaines prêtres de leurs formes rituelles, pourtant dévalorisées. Par ailleurs, à Ch’ongkor, et de ses adjoints : la séparation entre ces rituels et le reste de l’activité religieuse communautaire a été maintenue dans une certaine mesure.
(nép). La famille de forgerons de Purang en compte un et des Ch’ongkora font parfois appel à ses services, essentiellement pour des rituels thérapeutiques. Je n’ai toutefois pas entendu parler d’une seule séance lors de mon séjour à Ch’ongkor, et mes informateurs m’assurent qu’il se passe parfois et
, présente donc, par rapport à une société d’Asie du Sud-Est comme
tibétains vont apparaître, distinctions qui constituent des principes structurels importants de cette société bouddhique ; mais ces religieux ont aussi beaucoup en commun.
66. N. SIHLÉ, « The ala 67. C. R AMBLE
2.
pas à un concept simple et d’emploi courant dans la société étudiée. Les religieux ont tous une idée, plus ou moins précise, de la distinction entre deux grands versants de l’apprentissage et de l’activité religieuse bouddhiques : celui des sûtras (tib. ), exotérique et basé sur un apprentissage avant tout ), plus ésotérique et centré beaucoup plus sur une pratique rituelle 68. Habitués à manipuler les volumes de la grande collection canonique du Kangyur, lors des grands rituels de lecture de textes, les religieux sont familiarisés aussi avec (sûtras) et (tantras), la distinction, assez proche, entre les catégories qui constituent deux des grandes subdivisions du Kangyur 69. La similarité de style et de contenu entre les volumes de textes relevant des tantras et leurs reprennent dans leur discours l’opposition classique, trouvée dans les textes, tantristes sont spécialisés plus exclusivement dans les rituels tantriques, les moines les pratiquent aussi. largement partagée à travers la société, apparaît entre deux grands ensembles : simples lectures de textes canoniques, d’une part, et rituels de type tantrique, de l’autre . Si le premier de ces ensembles constitue une catégorie clairement
68. Le terme désigne d’abord les mantras, et seulement par extension le domaine des tantras. Ce second sens est fortement lié au premier en ceci que les mantras occupent dans le bouddhisme tantrique une place capitale. ülwa (skt. P. HARRISON CABEZÓN – Vinaya) : R. R. JACKSON (éd.), , Ithaca, New York, Snow Lion, 1996, , Gellner souligne aussi la distinction importante
plus divers dans le contexte centralité du culte, : D. N. GELLNER,
absentes. (Voir ici D. N. GELLNER LIENHARD (éd.), , Alessandrio – Turin, Edizioni dell’Orso – CESMEO, 1996,
64
reconnue comme telle – on parle de
, « lire, énoncer (à haute voix)
courante, même dans la langue plus technique des religieux 71. Dans l’usage local, le principal terme pour désigner des rituels est (tib. , « rituel pour les rituels, mais en accord avec son étymologie il désigne surtout des 72 plutôt appelés . Le terme ne recouvre donc pas nécessairement tous les rituels tantriques, et il peut désigner aussi de simples lectures de textes canoniques. Même s’il n’existe aucun terme courant pour désigner les rituels tantriques, la distinction entre ceux-ci et les lectures de textes est clairement perçue par tous. Les premiers se caractérisent par des éléments tels les gâteaux rituels, , l’utilisation d’instruments de musique, ou encore certains gestes :
principes structurels internes, de certaines séquences rituelles types, qu’ils lire les textes pour participer à un rituel de lecture de texte, en revanche, dans le cas de rituels tantriques, un religieux ne participe qu’à ceux de sa
même moment, des sections distinctes, mais dans les rituels tantriques la et deux modes de patronage également : un premier qui permet de réunir
GELLNER, « ‘The Perfection of
présenter autant d’utilité ou de pertinence que les deux autres. 71. Un religieux lettré renverrait dans une périphrase à une notion comme , le versant des tantras ( ). Les chercheurs spécialistes du bouddhisme tantrique caractérisent ce , skt. ), mais nombre de pratiques domaine souvent par le rituel d’évocation ( tantriques ne comportent pas de , et la plupart des religieux du Baragaon ignorent le terme . pour désigner tous les services rituels. Le 72. On emploie parfois le composé terme et (auquel est lié étymologiquement), retenus par Blondeau et Karmay comme principaux termes tibétains génériques, semblent absents du discours local au Baragaon. Pour la discussion de Blondeau et Karmay, se reporter à A.-M. BLONDEAU – S. G. K ARMAY, « ‘Le cerf à la vaste ramure’ : en guise BLONDEAU – K. SCHIPPER (dir.), , vol. I, Louvain
65
cloisonnement, une relative séparation des traditions . de fonctions, mais présentent aussi de ce point de vue des distinctions fondamentales. Les lectures de textes ont une importance majeure dans la appropriées pour la production généralisée de bienfaits, typiquement à
supramondaines (le culte de divinités supramondaines et la progression vers mondaines, rituels de prospérité, etc.) 74. Le cloisonnement de l’activité tantrique évoqué ci-dessus est lié à des rituel tantrique donné demande un savoir-faire spécialisé complexe, transmis en partie par l’exemple et l’instruction orale, à l’intérieur de communautés
sur lequel nous reviendrons ( ). Dans la pratique, si tout le monde a au moins une perception approximative, en théorie encore plus radicale, entre le bouddhisme et le
. Dans le
traditionnellement par un , le maître de la maison de la lignée fondatrice de Lubra. Or à Tiri vit un religieux , Pemba Ts’ering, célibataire mais non monastique, qui n’a pas la stature, non dépourvue de charisme, de Ts’ü Ts’ering l’assiste volontiers, avec naturel et simplicité. Il l’aide dans la ) et autres éléments matériels du rituel, préparation des gâteaux rituels ( ce qui est tout à fait anodin, et même au cours du rituel à proprement parler,
canoniques peut être encadrée par des rituels tantriques. Certains de ces textes comportent aussi une forte proportion de mantras, dont l’énonciation est un élément fondamental du rituel tantrique. , et .
66
75 . Le cloisonnement structurel de la transmission religieuse tantrique n’implique pas que les communautés religieuses vivent toutes en vase clos. D’une part, le monde religieux tibétain est marqué, selon les milieux et les individus, par une certaine tendance sectaire, mais aussi par une tendance opposée, éclectique. Un exemple marquant de tradition partagée de façon transversale, la tradition Tersar, est donné ci-dessous. D’autre part, certaines
et Ts’ü régionaux, s’étendant du pays
au Baragaon et au Lo, et comprenant
réseaux sont tissés de liens d’enseignement, d’accueil de visiteurs, de solidarité s’inscrivent dans des réseaux plus étendus et structurés encore. La tradition religieuse de Ch’ongkor est au marquée en revanche par une transmission en vase clos, limitée association de cette tradition avec une activité centrée sur les rituels annuels que groupe social : nous verrons que la pleine appartenance à la communauté quelqu’un de l’extérieur. Au moins de façon indirecte et partielle, l’idéologie et les pratiques sociales de la communauté se trouvent donc à l’origine d’un (relatif) isolement religieux. La tradition rituelle répandue au Baragaon de la façon la plus transversale, oriental 76. En quelques années de séjour au Baragaon, il attira des disciples parmi les maîtres des communautés monastiques, parmi les moines et les nonnes, parmi les tantristes (une douzaine, dont seulement deux de Ch’ongkor) stature religieuse prééminente. Cette tradition rituelle s’est transmise depuis sur deux ou trois générations de disciples, de façon assez indépendante de
75. Une fois, alors que je les observais en compagnie d’un jeune moine à la confection des
de Tiri,
), le maître de maison nous encouragea fortement à lire avec les
devant l’insistance du patron, et nous nous joignîmes pour un moment à eux. Le patron, ravi, ü
– qui rayonnait en tête de sa rangée hétéroclite d’assistants non
– le rituel n’aurait eu
même si la cocasserie et l’étrangeté de la situation ne lui échappaient pas. (catégorie importante de divinités tantriques féminines).
67
structures institutionnelles ; tout au plus certains adeptes se retrouvaient-ils pour pratiquer, quelques fois par an seulement, au sein d’une « Association leur formation religieuse principale. contraste avec celui, bien plus important, des autres tantristes bouddhistes ( pour la plupart) de la région, dont plus de la moitié apprirent, et parfois transmirent, la tradition Tersar. Une des raisons tient peut-être avec les retraites longues : les retraites Tersar durent entre un mois et trois ans, mais celles de la tradition de Ch’ongkor entre une et trois semaines. Devenir est en soi sans doute déjà le signe d’une motivation et d’un goût pour la religion relativement forts. En revanche, la formation religieuse des tantristes de Ch’ongkor s’inscrit dans un univers socioreligieux villageois assez réglé ; elle vise avant tout à répondre ) 77. Les tantristes
, en
collectif et institutionnalisé, et peuvent se sentir plus libres de lui donner une doute encore plus prononcée pour ceux qui deviennent tantristes
en
peut donc être relativement fort, comme dans le cas de Ch’ongkor, mais n’a rien d’absolu. Nous apercevons ici certains des facteurs, d’ordre sociologique voire psychologique, qui contribuent à l’équilibre variable entre éclectisme et fermeture. 3. lama Saisir Ch’ongkor dans un champ de contacts et d’isolement, c’est saisir notamment les processus de transmission religieuse, et la part du cloisonnement et de l’ouverture. Dans le contexte du bouddhisme tantrique, , le maître. Lui seul détient l’autorité de conférer une initiation, en théorie nécessaire pour aborder une pratique tantrique donnée. L’enseignant à proprement parler, apparaissent toutefois relativement absents de la présentation des principales
77. M. WEBER, , Paris, Plon (Pocket), 1995 (19221 J.-P. GROSSEIN WEBER, , Paris, Gallimard, 1996, p. 51-
68
religieuse, un bref arrêt sur les usages du terme
s’impose 78. L’acception ), qui entretient
personnalisée, dans le cadre de laquelle il dispense enseignements, initiations et bénédictions. Il peut être moine, tantriste ou, exceptionnellement dans le préférence devant un maître de statut élevé 79. Un tel maître, en particulier dans sa fonction de dispensateur d’enseignements tantriques, peut être perçu comme associé à la bouddhéité, à l’absolu. Dans le bouddhisme tibétain, le avant même le Bouddha. Le maître indien Padmasambhava, introducteur d’enseignements tantriques au Tibet au VIIIe maîtres sont considérés comme des émanations de divinités supramondaines. excellence de l’élite religieuse se trouvent au cœur d’une grande partie des Samuel . En réponse à des critiques récentes, Dreyfus rappelle l’importance d’intégrer la perspective des élites et, en particulier, des intellectuels d’une tradition religieuse pour la comprendre pleinement 81. Toutefois, dans la mesure où ces intellectuels sont largement extérieurs à la situation locale étudiée (comme dans le cas présent), il convient de procéder avec précaution dans l’intégration de leurs discours ou écrits, et de ne pas surimposer des propres, souvent imparfaitement cohérentes, mais révélatrices des principes l’élite de la grande tradition bouddhique pourrait nous conduire à ignorer une situation, pourtant assez commune, comme celle du Baragaon. Si le terme dans le sens premier du terme (des maîtres dispensant enseignements, initiations et bénédictions) y sont rares, si ce n’est absents 82. Nombre de aucun véritable
. Selon un tantriste
et érudit local, le Lo et le
78. Pour des éléments complémentaires, voir par exemple G. SAMUEL, p. 279-281. , p. 45. 79. M. A. MILLS, G. SAMUEL, DREYFUS,
,
82. L’expression tibétaine A ZIZ,
,
69
Baragaon comptent essentiellement deux
: l’abbé du centre monastique
Il est frappant que le terme (enseignant) est en fait beaucoup plus fréquent que celui de dans le discours local. comporte Par ailleurs, dans la conversation courante, le terme aussi des emplois plus larges. Souvent, il renvoie simplement à une personne de haut statut religieux. Par exemple, le terme peut désigner le détenteur communauté villageoise de tantristes). Quelle que soit l’acception du terme, pour s’adresser à certains tantristes, âgés notamment, de la communauté de Ch’ongkor. Observons maintenant la grande diversité sociologique et religieuse des , même dans n’a connu que la présence intermittente de maîtres, en l’occurrence d’origine extérieure à la communauté. Le maître actuel, originaire en ligne paternelle du Tibet oriental, reçut sa formation dans la communauté monastique de réfugiés tibétains de Dolanji, dans le nord de l’Inde, et ne s’est établi à demeure dans la haute Kali Gandaki que depuis quelques années. Tout comme son prédécesseur, dont il est la réincarnation, il est fortement lié à la communauté de Lubra. Il reste toutefois connu sous le nom de Dzongsampe ü
ü
et encadre rituel, ü
qu’héritier de la maison de la lignée fondatrice, le Labrang (« Résidence du dans certains rituels collectifs. Nous verrons que Ch’ongkor en revanche comporte une fonction de religieux instruits en raison de son aînesse. Il s’agit toutefois d’une fonction est écarté ici bien moins formelle, qui ne porte aucun nom (le terme comme impropre). Ses attributions se limitent à quelques responsabilités de absence de
, quand la lignée de réincarnation qui avait fourni les derniers
ülku. Il
, comme le disent, avec un peu de nostalgie, les nonnes qui l’ont connu. La du Lo fut contestée par les parents, et le jeune homme n’entra jamais dans la
Avec Gompa Dongdong, ce sont donc deux communautés religieuses du Baragaon qui dépendent directement de maîtres tibétains extérieurs à la région. à proprement parler, les nonnes de Gara Gompa En l’absence de reçurent parfois des enseignements et initiations de tantristes du clan Shari Pön-gyü qui partagent leur tradition rituelle. Ts’ampa Pembar en particulier, assuma le rôle de maître de plusieurs nonnes (et d’autres religieux locaux). façon un peu distante, par une disciple du précédent maître, la nonne Ts’ampa : selon une femme * ). Membre originaire de Ch’ongkor, elle est « comme un maîtres de stature importante établis dans la vallée de Kathmandu. Son cas génération actuelle : les religieux qui poussent le plus loin leur formation, et être tentés de ne plus quitter ce nouvel environnement, plutôt que d’assumer des fonctions d’enseignant ou de maître dans leur région d’origine. Dzar Ch’öde et les nonnes de Ts’ü Dzar Ch’öde par un membre d’une branche aînée du clan et Ts’ü un religieux d’une branche cadette. Le maître actuel de Dzar Ch’öde, K’empo peu présent. Ts’ampa Ang-gya, le maître de la communauté de nonnes, l’est bien davantage, mais n’a pas la stature religieuse du précédent. locales et de fonctions de direction des communautés religieuses du Baragaon, nous observons donc toute une d’institutionnalisation de ces fonctions. La faiblesse démographique de cette petite société contribue sans doute à expliquer les vicissitudes connues par . Dans ces conditions, comment est organisée la transmission religieuse ? Dans le cas de traditions partagées sur le plan local ou même régional par tout un réseau de communautés et de lignées, comme pour Gara Gompa, d’autres 71
personnalités peuvent prendre le relais quand une communauté donnée se retrouve sans maître. De façon générale, la stratégie la plus courante consiste sans doute à obtenir les initiations et enseignements cruciaux de maîtres légitime. Ch’ongkor nous présente un exemple du second type ( de la haute Kali Gandaki le recours à des maîtres extérieurs a été longuement institutionnalisé. premiers vœux proprement monastiques, ceux de novice. Pour cela, ils se de Montang, moines (
, tib.
). Une seconde étape, accessible même à un , c’est-
ou
Ngor, Ngor Ewam Ch’öden, au Tibet central 84. Une particularité rare de ce
de marche devant eux, savaient donc quand il leur fallait se mettre en route pour pouvoir y assister. Aujourd’hui les moines prononcent leurs vœux, reçoivent des initiations et parfois même suivent des études avancées dans les grands centres tibétains reconstruits dans la vallée de Kathmandu ou en Inde, paradoxalement rapprochés par l’exil. Grâce aux relations personnelles de Soma Sangbo, le de dons apportés aux institutions
par des adeptes étrangers, en
établis à Kathmandu permet désormais d’assurer la subsistance des moines. Des institutions tibétaines, soutenues par des donateurs étrangers, recrutent aussi parmi les populations de langue tibétaine du nord du Népal. Sur les actuels (adolescents ou jeunes adultes), six huit jeunes moines
84. Ce statut de et cette acception du terme ne me sont connus pour aucune autre région ). de culture tibétaine. Il est tout à fait distinct du statut de moine pleinement ordonné ( Dzong Ch’öde n’a longtemps connu que deux trois. L’ampleur des interdictions et contraintes auxquelles sont soumis les moines pleinement ordonnés ont fait reculer plus d’un devant la prise de ces vœux, et les rares moines qui les ont (retraite estivale
72
, etc.)
institutions et la crise de recrutement actuelle des tantristes de Ch’ongkor est frappant. religieuse, le contraste entre les tantristes de Ch’ongkor et les moines du Baragaon est tout aussi fort. Aucun élément n’indique que les premiers aient jamais entretenu des liens avec le lieu d’origine de leur tradition religieuse centrale (probablement cet Ukpaling, au Tibet central, dont vint Lama Tsapgyepa), ni avec une quelconque lignée de maîtres détentrice de ces enseignements. Les Ch’ongkora ne connaissent personne en-dehors du de tibétologues et d’informateurs érudits, je n’ai pas réussi à en localiser non plus 85. Sur les raisons de cette situation, nous ne pouvons que spéculer.
85. Les textes rituels de Ch’ongkor sont quasiment tous dépourvus de colophon ; par
essentiellement sur l’exploration de sources telles que J. Y. D. DUDJOM RINPOCHE – G. DORJE (trad.) – M. T. KAPSTEIN (trad.), l’ordre Nyingma contient des indications sur les débuts du centre religieux d’Ukpalung, au Tibet central, qui semble correspondre à l’Ukpaling invoqué dans la tradition orale de Ch’ongkor, mais la tradition même de Ch’ongkor n’y est pas repérable. (Je remercie M. Kapstein pour ses indications complémentaires sur la tradition d’Ukpalung.) Plusieurs informateurs érudits, , donnent des indications qui rattachent la tradition rituelle de au Baragaon et au pays qui semblent faire écho, par exemple, à des passages consacrés à Ukpalung dans l’ouvrage précité tenus par des interlocuteurs savants, qui ont voyagé, aient intégré des éléments provenant de sources extérieures. Ces discours présentent parfois aussi des impossibilités chronologiques : convergence assez forte sur le lieu même d’Ukpalung, et par ailleurs quelques mentions
I v).
Globalement, je n’ai pas pu trouver d’éléments
au centre du rituel Dögyap de Ch’ongkor : j’ai tenté de comparer les textes du Dögyap avec deux corpus de Ch’arka Nakpo, que m’ont signalés respectivement M. Ricard et H. Decleer – je les en ) révélés par Guru GU-RU CHOS-DBANG, Ensemble de textes centrés sur ’Joms-byed ’Char-ka nag-po, dans XIII e , de tradition Jangter RDO-RJE-BRAG RIG-’DZIN PADMA ’PHRIN-LAS, pour pour (2 vol.), Dalhousie, 1979 (XVIIe , ou , de Ch’ongkor. Les ressemblances semblent
L’éloignement d’Ukpaling fut peut-être rédhibitoire pour ces religieux aux gérer simplement leurs relations de patronage locales, pour lesquelles les doute perçues dans l’ensemble comme des bases satisfaisantes. Si la tradition centrale des Ch’ongkora s’est transmise largement en vase clos, ces derniers n’ont pas vécu dans un isolement complet. Le souvenir s’est transmis d’un groupe de trois tantristes de Ch’ongkor qui, au milieu du XIX e
y reçurent des enseignements, dont un rituel qui fut adopté dans le cycle des rituels annuels de Ch’ongkor, et qui devint aussi leur principal rite funéraire. Sous ces deux formes, il est appelé 86 . Des tantristes du XXe des régions de Nar et Nubri, situées à quelques jours de marche à l’est de Ch’ongkor 87. L’extension géographique des liens représentée sur la carte no D’autres contacts importants eurent lieu avec des religieux de passage (
de stature religieuse quelque peu controversée, que les gens de la région gardent en mémoire sous le nom de Simpuk Gelong, « le Moine (pleinement ordonné)
courante, le violent exorcisme d’« écrasement des démons saints éloignés, notamment de ceux de la vallée de Kathmandu, et de la participation à de grandes initiations publiques conférées par des hiérarques
s’arrêter toutefois là : il y aura donc eu ici un emprunt ponctuel, mais rien de plus que je n’aie pu communauté pu m’assurer, sur des bases textuelles et iconographiques, qu’il s’agissait en fait d’une tradition distincte. Narak et
. Il s’agit là du nom générique d’un ensemble de rituels funéraires.
rejoint cette même route. Il semble y avoir eu là un axe d’échanges religieux d’une certaine importance régionale.
74
tibétains. Cette évolution, permise par l’arrivée en exil d’une grande partie communication et transport. Elle s’inscrit dans le cadre de ce que certains VII e-IX e
et
X e-XII e
88
.
l’échelle mondiale et vers des régions de culture tibétaine situées dans la périphérie himalayenne et hors du contrôle chinois, tel le Baragaon.
IV. Conclusion spécialistes du monde tibétain ont décrit les tantristes comme des religieux isolés, pratiquant un bouddhisme idiosyncratique, peu orthodoxe, et acceptant 89
sur Ch’ongkor pourrait sembler donner raison à ces perspectives ; mais ce serait oublier que les Ch’ongkora ont aussi enrichi leur tradition par des enseignements reçus de maîtres extérieurs, et que, en leur temps, parmi les ülku ou Ts’ampa Pembar. Ce serait oublier aussi des processus complexes de changements à la fois locaux et plus globaux. Les tantristes de Ch’ongkor sont pleinement partie prenante d’un monde bouddhique tibétain, parcouru de liens de divers ordres, tout en manifestant
religieuse. Ces données sont à mettre en rapport avec un univers socioculturel ). Produit d’une transmission interne mais aussi de rencontres, recherchées ou fortuites, invariante, mais comme composite et en évolution ( ).
88. K. TSETEN 89. G. TUCCI,
E. STUTCHBURY (éd.),
, Rome, la Libreria dello Strato, 1949, p. 7-8, S. B. ORTNER, , Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p. 98, J. DRAPER, SAMUEL – H. GREGOR – , New Delhi, International Academy G. H. CHILDS,
75
CHAPITRE II UNE PRÊTRISE BOUDDHIQUE PROFONDÉMENT ANCRÉE DANS UN ORDRE SOCIAL Les études occidentales du bouddhisme, à travers des approches privilégiant le texte, la doctrine et les origines (putatives), ont longtemps et à l’orientation sotériologique qui, du point de vue théologique, les anime. souvent été caractérisé par les compromis opérés entre ces éléments (souvent mondaines 1. Depuis, les études bouddhiques, tant textuelles et épigraphiques . Pour ce qui est du Baragaon, dans une continuité partielle avec les approches antérieures, 2
dans le cadre d’une interrogation plus générale sur les formes de compromis entre le renoncement et la prêtrise tant que tel dans le corps de l’étude. Le présent chapitre apporte une analyse
DE
University Press, 1917, p. 1-8, E. CONZE,
LA VALLÉE POUSSIN, , Cambridge, Cambridge , Oxford,
1
M. WEBER,
, t. 2, Tübingen, J. C. B. Mohr (Paul ), L. DUMONT
1
dans (19591
, Paris, Gallimard, 1979 M. B. CARRITHERS, « The Modern Ascetics
les débats persistants autour du mariage clérical dans le bouddhisme japonais : R. M. JAFFE, , Princeton, N. J., 2.
SCHOPEN, , Honolulu,
University of Hawai’i Press, 1997, et G. SCHOPEN, que I. STRENSKI S. COLLINS TAMBIAH, M. A. MILLS, C. R AMBLE
, et
, chap. III.
77
détaillée de l’inscription sociologique des tantristes de Ch’ongkor dans leur société et critique la pertinence de la notion de renoncement dans l’étude de ces religieux. Nous verrons que s’il y a compromis, c’est peut-être avant tout entre obligations de la vie mondaine et disponibilité pour l’engagement dans somme (et certaines études ont déjà commencé à le faire), il convient d’établir une distance critique avec la tendance, héritée de l’analyse dumontienne de l’hindouisme, à analyser le bouddhisme sous l’angle d’une dualité présumée fondamentale entre renoncement et vie dans le monde. Contrairement aux spécialistes monastiques, les tantristes tibétains se présentent sous des formes d’organisation qui permettent d’assurer une plus rarement, la communauté résidentielle locale. Ch’ongkor et Lubra du village, , et la communauté religieuse, , centrées toutes deux sur un même bâtiment, le temple 4. Ramble écrit, au sujet de Lubra : of the mechanisms that operate in areas such as trade, land-tax, lending schemes religious life of the village 5.
villageoise à forte concentration de lignées de tantristes) une fois de statut, de normes, de modes d’activité et d’organisation, est absolument . En somme, coexistent au Baragaon, ce qui nous fournira des éléments importants pour l’analyse de la dualité du moine et du tantriste.
I. Organisation sociale d’un « village de religieux » 1. Au Baragaon, le terme d’ampleur variée : clan, lignée, etc. Il désigne également les quatre strates
4. Le terme temple). 5. C. R AMBLE
78
principales de la hiérarchie sociale, constituées chacune de plusieurs clans ou au sens précédent, et plus ou moins fortement endogames 6. La strate supérieure est celle des nobles, 7 . La seconde, constituée de Ch’ongkor et de Lubra (exception faite de quelques . Ce terme pourrait , au sens d’un religieux de haut statut, et , être une contraction de (lit. « commun, dans presque tous les villages. Une subdivision inférieure, celle des de Ky’inga, de P’elak et du Shöyü aux origines tibéto-birmanes du peuplement de la région. Le terme désigne du Baragaon des services, tels ceux de porteur ou de messager, dont les 8 . devaient s’acquitter dans l’ordre politique du , « catégorie agriculteurs propriétaires de leurs terres, que seules des restrictions dans l’interaction sociale distinguent des autres strates 9 société vivent quelques familles d’origine indo-népalaise, de basses castes ), et des tailleurs, (nép. * installés dans la région de façon temporaire. Il a été rappelé en introduction que le statut socioreligieux des tantristes varie fortement d’une société tibétaine à l’autre, voire à l’intérieur d’une même société. La strate n’est par ailleurs ni le seul, ni nécessairement le principal
6. Des données comparables sont analysées par B. N. A ZIZ, 57, N. E. LEVINE, « The Theory of Rü C. VON FÜRER-HAIMENDORF (éd.), Delhi, Sterling, 1981, p. 52-78, et P. DOLLFUS,
, New , Paris, Éditions du CNRS, 1989,
C. R AMBLE III, IV et VI, C. R AMBLE 172 et C. R AMBLE, « Household Organization and Hierarchy in Kag : The Limits to Cultural AFFNER – P. POHLE (éd.), , Giessen, Institut für Geographie der Justus-Liebigpetite société tibétaine de l’Himalaya est celle de I. R IABOFF en ethnologie, Nanterre, Université de Paris-X, 1997. 7. C. R AMBLE C. R AMBLE 8. C. R AMBLE 9. C. R AMBLE C. R AMBLE C. R AMBLE
79
déterminant du statut, caractérisé par la multiplicité de ses composantes, ainsi une marge d’interprétation. Ainsi les tantristes du clan Shari Pön-gyü, dont plusieurs ont vécu à Ch’ongkor, n’ont jamais été considérés comme des Ch’ongkor, ils s’acquittent de la même compensation matrimoniale que des ). Leur savoir religieux et leur pratique de retraites gens du commun ( Pour évoquer ce statut, les gens tendent à laisser de côté le schéma rigide et valorisantes telles
, « lignée
( . ainsi que de connubialité. Le contact sexuel et le partage de la coupe (ou de tout autre récipient personnel) avec une personne de statut inférieur engendrent une pollution qui peut progressivement se transmettre de la même . , concerne la place assise prise dans une assemblée, formelle ou informelle. Les gens prennent place selon leur rang dans une des rangées, organisées, en elles-mêmes et entre . Selon les paroles (traduites quelque peu librement) d’un homme dont le clan entretient avec les Ch’ongkora des relations matrimoniales importantes, ceux-ci « sont à cheval sur la bouche 11
second trouve à s’exprimer bien plus souvent – plusieurs fois par jour – et sociale : sexe, statut monastique ou non, strate, village de résidence, âge, etc. Le groupe formé par les hommes (ou les femmes) d’une même strate pratique en général la commensalité. Certains, du fait par exemple d’une mésalliance, ne sont toutefois que partiellement agrégés à leur strate ; ils peuvent continuer à s’asseoir dans la même rangée mais se trouver exclus de la commensalité du groupe.
S. R. SCHULER C. R AMBLE 11. S. B. ORTNER,
Baragaon, C. R AMBLE
C. R AMBLE, « The N. E. LEVINE, K ARMAY – P. SAGANT, « La place du rang dans la BLAMONT – G. TOFFIN (éd.),
2. Aujourd’hui Ch’ongkor est quasiment coextensif avec le clan des descendants de Tsapgyepa (si l’on excepte ceux qui vivent en-dehors du , du fondateur. (Les trois exceptions sont Rapgye 12, homme sans biens, vivant et travaillant dans la maison de feu son oncle maternel ; un Lowa, chargé avec sa famille de garder la maison d’un Ch’ongkora, en l’occurrence un gendre du clan Shari Pön-gyü, maintenant installé ailleurs ; et un réfugié tibétain, un sens premier, le terme
désigne la substance osseuse, considérée comme
est désigné aussi par plusieurs autres termes, dont , déjà rencontré (et ), ou le composé des deux, , moins exclusivement patrilinéaire que appelé par exemple
, la « lignée de l’os de l’Ancêtre
mais, de par la prédominance de la patrilinéarité, il est souvent utilisé comme synonyme de généralement par
dépourvus de nom, de lieu propre ou de fonction d’aîné du segment de clan. Si le nombre des segments n’est ignoré de personne, la constitution exacte des segments autres que le sien propre n’est pas connue parfaitement de tous. Par ailleurs, mise à part l’identité de la branche descendant en ligne
. Je désignerai les quatre segments dans la suite par les lettres A-B-C-D, A étant l’aîné et les autres étant donnés dans un ordre qui paraît plausible. Le souci de préserver une lignée de religieux peut l’emporter sur le principe du maintien de l’héritage à l’intérieur du segment de clan. Une maison, fondée par un cadet d’une lignée du segment C, connut pendant quatre à la tête de la communauté ( religieux et médecin prometteur (qui s’était formé toutefois dans une autre
12. Pseudonyme.
81
Segment B
Segment C Nouvelle maison, fondée par Pema
Branche rattachée au segment C, établie à Pu†a
membre du clan de Tsapgyepa membre d’un autre clan
Pema
Dzabling
tantriste actif fils unique décédé sans descendance union rompue filiation illégitime
Ong a Dzabling
Ten Dorje
Dorje
makpa (mariage uxorilocal)
adoption
Ts’ewang Namgya
réincarnation
Dawa
d’un autre segment de clan.
tradition religieuse, celle du charismatique Ts’ampa Pembar, du clan Shari Pön-gyü), décéda prématurément, avant même de se marier. Une dizaine le mariage polyandre ) et sa veuve Nyilda, pour maintenir la continuité de la lignée religieuse dans ce qui était appelé parfois une « maison de
années plus tard, à un tantriste de la communauté, Dzabling, un cadet qui de celui-ci. Dzabling était d’un autre segment du clan, mais les lignées Les possessions et textes religieux et médicaux de Dorje, en revanche, furent disciple de Ts’ampa Pembar. ce n’est pas le cas pour de simples individus. Dzabling, en tant que cadet,
82
ne soit pas religieux : les textes resteront dans sa maison d’origine, même si, de par l’extension de la législation népalaise, les cadets héritent désormais aussi. 3. Au Baragaon, les strates des nobles et des artisans sont marquées par une ) et les gens du commun ) pratiquent l’intermariage de façon assez courante. Lubra, où ( aujourd’hui huit clans sont représentés, marque une préférence assez nette
personnes). Les Ch’ongkora doivent donc se résoudre, le plus souvent, à un généralement de statut inférieur. Une bru de bonne famille de ces villages, une fois arrivée à Ch’ongkor, partage la coupe avec les femmes du clan de Tsapgyepa, mais doit cesser la commensalité avec sa famille de naissance des statuts peut qui caractérisent la plupart des discours primer sur les logiques Le clan Shari Pön-gyü constitue le principal partenaire d’échange valorisation, jusqu’à récemment, du mariage entre cousins croisés. L’idée, lignées de tantristes (une condition de la préservation du pouvoir rituel), paraît absente du discours Quand une famille un gendre de Lubra (ce qui, selon la mémoire locale, ne s’est toutefois presque jamais produit). L’important n’est pas ici d’obtenir un gendre qui puisse être religieux. Seuls les Ch’ongkora de souche pratiquent la tradition religieuse de la communauté et un gendre, même jeune et disposant déjà d’une formation pour envisager de se former à la tradition religieuse locale. L’importance de l’obtention d’un gendre , et en cela à la pleine appartenance à la communauté socioreligieuse. de perpétuer ou de renouveler les alliances avec certaines familles. Elle paraît
Ts’ewang
clan de Lama Tsapgyepa (segments A – D) clan Shari Pön-gyü
Segment B
Segment C
relations illégitimes
fils unique décédé sans descendance
Pema Ong a
Tendzin Nyima
Nak-lok
Ong a
Pema
(compte actuellement 2 autres lignées principales à Ch’ongkor même)
Gyalo
(compte actuellement 3 autres lignées principales à Ch’ongkor
Rinchen Paljor
Lamnye
Ts’ewang
Sonam Ch’öten Ongdi
Dorje
Shari Pön-gyü
Segment D
Bu i
Min uk
ashi Urgyen Ngawang
Ts’ering Sam uk
Kolu
Nyima
(autres lignées éteintes ou émigrées)
Tendzin
(branche cadette)
Urgyen
P’ura
Sonam Karsang Ngawang Pemba Migmar Ts’ering
Seng-ge Ngö uk Ong a Tendzin Sangbo Ch’ödzom Pembar Nyima Gyal-tsen
Ten Palzang Ts’ering Dorje Mendok Dorje
Kemi
Künsang
K’amsung
Tsapgye Ch’ödzom Kemi
Membar Ts’ering Sam uk oma
Namgya
Shari Pön-gyü (branche aînée)
tantriste (ou médecin, emchi) actif (dans le cas des descendants d'Emchi Ts'ewang, ici en noir, ce sont tous des tantristes ts'ampa)
Segment A (aîné) (compte actuellement 1 autre lignée principale, cadette, à Ch’ongkor même)
Yeshe Angmo
Garmo
proches parents
Nyima Gyal-tsen Dorje Namgya
Rapgye
Karma Lopsang
Karma Pema Nyima Ch’ö ak Karma Ts’ering Lhenjam Pema Yu ön Ong a Yu-tso endül Gyatso Ts’ering Hritar makpa (mariage uxorilocal)
84
au cas des lignées de tantristes du Tibet central ou méridional 14. 4. 15 de l’organisation sociale est la maison, avec la lignée : en général, la résidence est virilocale et la succession comme
ainsi qu’une personne morale, détentrice de terres et d’autres biens, de droits toutefois que rarement un nom ou une fonction propre. Ses habitants, en général tous proches parents, partagent les tâches domestiques quotidiennes : maisonnée et groupe domestique se confondent. Deux catégories de maison à proprement 16 . . Ce nombre n’aurait pas changé depuis les origines du village. Les scissions ou ventes actuelle est subdivisée en deux moitiés possédées par des lignées distinctes. Les droits et obligations qui lui sont liés sont répartis en alternance parmi les deux détenteurs des demi-maisons. , associées aujourd’hui dans chaque cas à une unique habitation, celle où la famille réside 17. , de types variés, se forment généralement par dissociation, Les d’unités d’habitation distinctes, souvent de taille un peu plus modeste. Certaines de la nouvelle maison secondaire. D’autres, appelées
14. B. N. A ZIZ, SIHLÉ, « The ala 15. En tant qu’unité fondamentale de l’organisation et de la reproduction sociales, cette LÉVI-STRAUSS, , Paris, Plon, 1979 (19751), p. 177. Une reformulation récente apparaît dans C. LÉVI-STRAUSS dans P. BONTE – M. I ZARD (éd.), , Paris, Presses 1
le domaine tibétain, par P. DOLLFUS,
, p. 219-224, et a vu son champ d’application s’étendre
façon précise et rigide (J. CARSTEN – S. HUGH-JONES CARSTEN – S. HUGH, Cambridge, Cambridge University JONES (éd.), Press, 1995, p. 1-46), mais d’explorer dans une perspective holiste l’importance d’une telle entité (dans les concepts locaux comme au niveau de l’analyse externe). On notera dans ce qui
village et dans le temps :
C. R AMBLE
85
Gompa Gyang, Dzong
3
b
a
1
N
Lo
2 19
6
Dzong (chemin principal)
4
5 7
c 9 11
8
untsa m “aire (de battage) du bas”
10 12
15 16
e
18 17
14 13
untsa bar “aire (de battage) du milieu”
untsa tö “aire (de battage) du haut”
20
d
21
Nyishang
h
g
orientation générale (ascendante) de la vallée
f
Gara Gompa, Purang, Muktinåth (chemin principal)
(Disposition et échelle approximatives.)
lha-nga (temple) Anciennes habitations inoccupées depuis nombre d'années, et plus ou moins dégradées, voire en ruine (Certaines constructions n'ayant récemment servi que d'entrepôt à foin, grain, etc. n'ont pas été représentées.) 1-21 a b c, d, h e, f g
maisons habitées (avril 1997) maison habitée (jusqu'en 1996) par un couple âgé de réfugiés tibétains ruine du lha-nga nyingba, “l'ancien temple” maisons habitées jadis par les membres du clan Shari Pön-gyü [celles, respectivement, d'Emchi Ts'ewang, de Ts'ampa P'ura (lieu-dit Ts'ambuk) et de Sangbo] maisons appartenant à des Ch'ongkora (resp. hôtelier / élu politique important) vivant ailleurs depuis des années, mais qui maintiennent une certaine participation à la vie collective de Ch'ongkor (rituels collectifs, impôts...). maison Ts'amkang, qui servit à de nombreuses reprises de lieu de retraite
Maison
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
clan / segment de clan*
A A B B
ongba (maison principale) / k'aldura (maison secondaire)
2
A B B P
A
B
C
B
C
2 k
14 C
15 16 17 18 19 20 C C
B
D
B
k
k k
D
1,5 k k
k
k
k
21
e
f
C
x
C
1,5 k
14 k k 12
nombre de membres du ngak†al (“rangée des tantristes”)
2 2 2 2 2 0 1 0 0 2
0
1
1
2
0
1
1
2
1
1
2
0
1 26
nombre de tantristes
0 1 0 0 0 0 1 0 0 1
0
1
1
0
0
1
0
0
1
1
0
0
0 8
*A – D : segments du clan de Tsapgy pa ; P : clan Shari Pön-gyü ; x : clan de Rapgy (anonyme)
86
dépendait. La subordination de la
à la maison principale apparaît dans les
, et de tout ce qu’elle contient : textes, instruments religieux, etc. Si un tantriste âgé décide de vivre à part dans une maison secondaire, il doit déposer à sa maison d’origine, tenue et objets rituels dont il se sert usuellement, pendant les périodes où il n’en a pas besoin. Cet usufruit limité illustre l’extension du principe de la maison. ou nonnes issus d’une maison donnée, peut présenter une certaine continuité de génération en génération. Par exemple, deux sœurs nonnes plus âgées sont reprendra progressivement les responsabilités dans cette maison. Les deux par périphrase, sont situées dans le village même et ne constituent pas des déjà été notée. Certaines prérogatives et obligations politiques et rituelles demeurent . Les maisons secondaires, et en l’apanage des maisons principales, plus pérennes fondées par un cadet, ont toutefois, particulier les vote aux assemblées villageoises, un statut assez proche de celui des maisons et principales. Récemment, suite à l’accroissement du nombre des la fonction de chef de village, de deux annuel parmi l’ensemble des maisons. Par commodité, le
et les
politiques ne sont pas dissociées du religieux : nombre de cultes aux divinités à l’État népalais, et dotées de fonctionnaires ou de représentants locaux. 5.
constitué une question récurrente de l’étude des sociétés tibétaines. (La discussion tend parfois à oublier que ces entités ne se réduisent pas aux seuls connubialité, la communauté de production, de sociabilité, etc.) Critiquant centrale de la maison dans l’organisation sociale et l’identité de la personne
87
dans une grande partie de la société agricole du Ding-ri, au Tibet méridional 18. se manifestant de façon notable seulement parmi les nobles et les tantristes de haut statut socioreligieux. Les petites sociétés tibétaines de la bordure himalayenne présentent toutefois des faits d’ordre lignager ou claniques, de cultes d’ancêtres ou d’action concertée au niveau du clan. . Les données de certaines sociétés tibétaines de l’Himalaya ont été interprétées 19
une convergence entre de tels processus au Yolmo et au Ladakh . Toutefois, il convient sans doute d’user de prudence vis-à-vis du schéma évolutionniste, suggéré par Lévi-Strauss et repris par Dollfus, de passage d’un ordre social institutions politiques et économiques, et fondée sur la maison et les liens du sol 21. strates de nobles et de dans la détermination du statut : Caste status is in Baragaon to be patrilineally inherited, but in fact this is not entirely true. If a man of a priestly village moves to a commoner village to marry the daughter of a sonless household, his children will be born with who marries into a priestly village will be priests 22 .
L’expression et la suggestion que le rang dépende simplement du village sont toutefois un peu approximatives dans le cas de le clan principal et les autres habitants ( Ch’ongkor, où, si un gendre est de rang autre que
, ni lui ni ses enfants
gendre est facilement intégré au plein statut de maître de maison (c’est-à-dire : ), mais à Ch’ongkor ceci ne vaut que pour un gendre
18. B. N. A ZIZ FÜRER-H AIMENDORF (éd.), A ZIZ, 19. N. E. LEVINE P. DOLLFUS, 21. J. CARSTEN – S. HUGH-JONES 22. C. R AMBLE les études tibétaines, SIHLÉ
88
VON
, chap. VI. CLARKE
idéologie, d’un simple corrélat de l’exogamie de clan ou d’un principe constitutif de la maison parmi d’autres : elle constitue dans ce contexte de tantristes un élément complémentaire important de l’ordre social et surtout, . comme nous le verrons, un principe fondamental de l’ordre éléments en apparence lignagers. Il en va ainsi d’une importante divinité protectrice, associée à la personne, le
mais le du de sa maison d’origine. Il garde son appartenance clanique et de leur la transmet à ses enfants, mais tous participent au culte du du maître de maison, le culte du
que celui-ci a adopté suite à son
et domestique, mais non lignager. Je traduirai donc par la suite
par
II. Organisation interne de la fonction religieuse collective Les principales entités de l’ordre social séculier (le village, le clan et surtout les maisons) étant présentées, il convient de se pencher sur leurs relations avec la face religieuse de cette entité double que constitue Ch’ongkor : la ), centrée sur le temple, (« maison communauté religieuse ( plus englobant au plus restreint, il convient de distinguer trois catégories, dans les faits, associé surtout à la fonction de soutien matériel de l’activité précédent, est celle des spécialistes religieux : les tantristes à proprement
1. Les maîtres de maison ceux-ci atteignent l’âge de treize ans environ, constituent un groupe appelé la
89
. Ses membres, religieux ou non, portent le , ou , les mêmes termes qui désignent les tantristes de la nom de communauté. Le recrutement du groupe, jadis limité aux maisons principales, aînés (de statut , « rangée des de Lubra 24
à Ch’ongkor, d’obligations substantielles (assumées plus précisément par les du temple (
Par le titre de (ou ), et les droits et responsabilités qu’il implique, un statut social important se trouve exprimé : non moins que la pleine appartenance à la communauté socioreligieuse. Celle-ci constitue un Ch’ongkor, la possibilité de pratiquer la commensalité constitue un aspect essentiel dans la perception du de Tsapgyepa, mais avec lesquels le reste de la communauté ne partageait pas région, le
(nép)
, représentant de l’État népalais, qui trancha en
le sens de l’ouverture : désormais tout maître de maison, aîné ou cadet – et, a) –, devait entrer
ailleurs exclues de la commensalité du groupe. La cérémonie d’admission d’un nouveau membre est appelée « entrée dans 25
un des rituels collectifs du temple, le jeune postulant au statut de une écharpe de cérémonie, (correspondant au tib. ), à la statue de , le tantriste à la tête de la hiérarchie religieuse. Celui-ci lui place la seconde écharpe autour du cou et , à son intention, tout en posant des
temple. 24. C. R AMBLE 25. sngags-gral-la zhugs-mkhan.
fois de plein droit, en bas d’une des deux rangées centrales du temple, où on
équivalente à Lubra, l’« entrée dans [la rangée des]
26
,
) 27 fort justement une composante centrale de l’identité collective et , pour le reste il paraît quelque peu inapproprié au sujet de l’objectif de la cérémonie présente, à la fois au regard des conceptions locales et en tant que catégorie analytique 28.
plus forte, on peut entendre à Lubra le commentaire selon lequel la « rangée des
Il est fort possible que les termes
,
ou
dénommant les
locale de ces termes, d’une extension de sens et qu’ils n’aient désigné à l’origine
26. grwa-pa-la zhugs-mkhan. 27. C. R AMBLE 28. Plusieurs auteurs ont souligné que les associations occidentales, en particulier chrétiennes, délicat :
K LASS, RÜPKE
K. VON STUCKRAD (éd.), WEBER,
,
du chamane), une spécialisation centrée sur le culte, voire l’apport de services religieux, en particulier rituels. Il s’agit là bien sûr d’un idéaltype ; les tantristes étudiés ici y correspondent assez bien, même si certaines facettes de leur activité les rapprocheraient aussi de l’idéaltype wébérien du magicien : culte des divinités mais aussi coercition, culte collectif institué mais aussi apports individuels de services... Nous reviendrons d’ailleurs sur ces questions en conclusion de l’ouvrage. Pour des discussions s’appuyant en partie sur le travail fondamental TURNER
SILLS (éd.). A LBERT
91
que des tantristes à proprement parler. Il se pourrait que la « rangée des religieuse de ses membres, ait été élargie à tous les maîtres de maisons principales, pour des considérations d’égalité de statut ou autres. En tout cas, comme d’ailleurs le nom de la strate
, ou l’expression
,
la communauté (ou ses maîtres de maison) et ses tantristes : autrement dit, à une identité collective religieuse. terminologique, le discours local ne manifeste aucune confusion des registres. S’il n’y a aujourd’hui, à Ch’ongkor, aucun terme d’emploi courant
l’opposé est du terme
(lit. « connaisseur du (« non-connaisseur du – à la fois écriture, texte, religion, ou encore une tradition
mais il semblerait qu’à Ch’ongkor
en tant que syntagme nominal
dans un contexte rituel. Dans ce contexte précis, on entend parfois un terme, * . Vu l’insistance que j’ai dû déployer pour parvenir à l’entendre en dehors de tels contextes, son confection des ornements en beurre destinés aux gâteaux rituels des divinités tutélaires. Tout au long d’une journée, il faut préparer du beurre en le malaxant dans de l’eau glacée. Cette tâche pénible réunit de façon égalitaire l’ensemble de la « rangée des quoi l’absence de formation textuelle n’empêche pas, dans le regard local, certaines formes (limitées) de compétence religieuse technique. Au-delà de ces moments de moindre dissociation entre spécialistes religieux et autres quand ils sont présents, les seconds sont en général réduits à une activité de spectateurs passifs. Comme à Ch’ongkor, leur rôle consiste essentiellement à participer à l’organisation économique des rituels collectifs.
92
font pas d’eux, dans le regard local, des prêtres. Par ailleurs, les termes à à Ch’ongkor ne renvoient par en leur sens premier à la prêtrise, Lubra ou mais plutôt à des types de spécialistes religieux. Le terme local qui rend le mieux une notion de prêtrise est 29 ) (sans guillemets) par Ramble des termes et (voire ne rend donc peut-être pas assez précisément les catégories et distinctions catégorie notamment le commerce) sont fortement liées ( ) ; le statut social et la participation . Quel religieuse. 2. Qui devient tantriste à Ch’ongkor ? Les réponses à cette question renvoient principales. On se hâte toutefois d’ajouter qu’il n’y a pas d’obligation en la
seule maison secondaire compta, à ma connaissance, des tantristes, mais avec fondation, fournit à chaque génération un
de la communauté (
dans les générations suivantes. Le milieu familial peut sûrement favoriser un apprentissage précoce des premiers rudiments, comme la lecture ou la important est aussi l’existence d’une collection de textes rituels dans une maison donnée. Au début de mon séjour, un garçon, d’une maison secondaire communauté pour qu’il lui écrive les lettres de l’alphabet. Je demandai à ce dernier, en aparté, pourquoi il n’avait pas accédé à cette requête, d’autant que Ch’ongkor ne comptait aucun jeune engagé dans l’apprentissage de la tradition religieuse locale. Le vieux tantriste répondit laconiquement qu’il n’y avait pas de religieux dans la maison du garçon. Sur le moment, je ne compris pas sa un déterminisme plus matériel : de fait, un garçon qui n’héritera pas de textes
29. C. R AMBLE C. R AMBLE
.
tantristes actuels n’a jamais copié un texte de plus de quelques folios. La plupart des textes de l’un d’entre eux, par exemple, sont des copies de la main d’ancêtres du XIXe principaux textes rituels de Ch’ongkor semble devenu une tâche insurmontable,
à l’écrit ainsi que sur l’activité et l’identité religieuses. Dans une perspective inspirée de Bourdieu, on pourrait vouloir suggérer que le refus du vieux tantriste était une instance de protection du monopole socioreligieux d’un groupe de prêtres. Il me semble toutefois que si la relative fermeture du groupe est assurément une construction sociale, elle l’est en un sens moins calculé, moins stratégique. Pour le vieux tantriste, se lancer dans la tâche d’apprendre au garçon l’écriture compliquée du tibétain ne valait simplement pas la peine : pour lui, le garçon, dépourvu de jeu de textes rituels, ne pourrait jamais devenir un tantriste. 3. IV, et que l’on trouvera listés dans des tableaux synoptiques en annexe A) sont . L’étymologie du terme, inconnue des Ch’ongkora, pourrait être , littéralement « succession (hiérarchie) [des fonctions religieuses, ) [au] maître de discipline ( . Les deux du] maître du rituel ( serait composé correspondent fonctions à partir desquelles le terme à la tête et à la base d’une hiérarchie classique de communauté religieuse, abstraction faite de la présence possible d’un
deux attributions classiques d’un maître du rituel,
. Il occupe aussi
la communauté. En particulier, à cette occasion, il joue le rôle de principal
pour la transmission religieuse. Vient ensuite le
T. ZHABS-DRUNG – DANG Y.,
(lit. « chef des
( 1
DE
NEBESKY
OJKOWITZ,
KOHN,
94
du Dögyap, mais n’est pas l’enseignant des danses, fonction à laquelle le terme , le et le cadet. Aucun des trois n’exerce de rôle particulier. Tout au plus le dernier (de petites formes de pâte), aux moments prescrits dans le rituel, une tâche étant confectionnées dans les rituels de Ch’ongkor, l’appellation de « chef des est donc en léger décalage avec la réalité. En tant que cadet des quelque distance du village, qu’il neige ou qu’il vente, pendant que les autres poursuivent le rituel principal dans la salle du temple. de Ch’ongkor, et le fonctions sont attribuées selon l’aînesse. Si par exemple le il est remplacé par l’ , les et montent chacun d’un grade, et le plus âgé des autres tantristes de la communauté . Dans l’ensemble, contrairement à ce devient le nouveau moins sur une répartition des fonctions que sur l’aînesse. ) aîné et cadet, qui
une seule altercation violente. avec eux tout au long des rituels : les autres participants furent toujours occasionnels. La fonction de prêtrise pour l’activité religieuse collective est en revanche, la seule fonction religieuse occupée à longueur d’année est celle . Les autres tantristes, à moins d’un empêchement de maître du rituel, communauté de tantristes est plus largement investie dans l’activité rituelle du temple, la situation de Ch’ongkor témoigne d’une relative spécialisation de la fonction de prêtrise pour les rituels collectifs.
MILLS, ( ) n’y a été détenue que par intermittence, par des personnalités extérieures, et sans être intégrée fonctionnellement à l’activité rituelle collective.
95
4. , tib. ). La couleur rouge des murs extérieurs indique une fonction religieuse, mais le temple est aussi, secondairement, le lieu d’assemblée villageoise. Un tel
religieuse, qui occupe la majeure partie de la surface de cet étage. Deux rangées de tables basses courent sur toute la longueur. Au fond s’étend, sur presque toute la largeur, l’autel avec les statues des divinités. La rangée de droite aboutit au pied d’une petite structure en maçonnerie, à base carrée : ) du principe d’alternance en haut des deux rangées : le
occupe le trône et le
, et ainsi de suite ( Deux types de cérémonies occasionnelles, faisant intervenir l’ensemble de la communauté, se déroulent dans la salle d’assemblée du temple. Elles constituent le moment culminant de deux ensembles rituels et cérémoniels, est un moment de tristesse et l’autre un moment de réjouissance : la clôture des funérailles, . Dans l’aire de culture tibétaine, la n’est mentionnée, à ma connaissance, que pour la haute Kali Gandaki. Elle Elle se traduit dans certains villages (mais non à Ch’ongkor) par l’exemption et de la participation aux tâches collectives. Dans les deux contextes, , en ), des (les femmes ou veuves de membres du ), de leurs jeunes enfants ( , pluriel * et nonnes du village. Quand des tantristes du clan Shari Pön-gyü vivaient à Ch’ongkor, ceux-ci étaient présents aussi. Le statut prééminent des tantristes et autres membres du
consiste en une terrasse, protégée par des auvents de trois côtés, et ouverte à l’extérieur au sud, où ont lieu les assemblées villageoises. Sous les auvents se
C. R AMBLE,
96
awa
N
ky’impamo Y
1
3
5
ngakpa
L
vestibule
2
4
ngakpa †’u
emchi
jomo
ngakpa
“tantristes” (membres de la “rangée des tantristes”)
ky’impamo
maîtresses de maison
†’u
enfants
awa
moines
étagère à textes autel à statues tablette
emchi
“médecins” (tantristes du clan Shari Pön-gyü)
jomo
nonnes
trône du lama
hiérarchie des officiants du temple
sens du regard
1–5 Y
L
statues : Y = Yidam (Mañjußr¥ Yamåntaka) L = Lowen (Padmasambhava)
déroulent aussi les grandes lectures de textes canoniques instaurées dans les prévaut : la rangée de droite leur revient toujours, contrairement à ce que maîtres sur leur domaine. associées à trois petites constructions situées à l’extrémité ouest du toit. On tantrique adressée aux grandes divinités de la tradition de Ch’ongkor se déroule, pour l’essentiel, dans la salle d’assemblée, au cœur du temple, en présence des divinités (le terme L’activité non tantrique, quant à elle, prend place plus à l’extérieur, sous des emplacement répond à des considérations d’ordre pratique (le lieu est plus éclairé et moins froid, surtout quand il est ensoleillé), mais sans doute aussi 97
de pouvoir sur un lieu et de séparation symbolique : la salle du temple des tantristes n’est pas accessible à tous.
La base économique des rituels consiste en contributions matérielles
contributions matérielles et la fonction d’intendance peuvent reposer sur une combinaison de diverses composantes ou manifestations de la ou encore l’ensemble des maisons en tant que telles. On peut trouver aussi la combinaisons d’une expression de la collectivité et d’une initiative privée .
de l’intendance des rituels pour l’année à venir. Pour le reste, les quatorze maisons principales apparaissent comme le principal fournisseur à la fois de contributions matérielles et de main-d’œuvre pour l’intendance. Selon les , désignés en rotation annuelle, et assistés par le gardien du temple. Dans pendant quasiment toute la durée du rituel. dispositifs annexes, et en particulier un mécanisme appelé * l’occasion d’un grand rituel collectif, le plus souvent, un particulier fait le don d’une somme d’argent, qui est ensuite prêtée à tour de rôle aux maisons, chacune la restituant un an plus tard à l’occasion du même rituel, avec un peut cette parcelle sera prélevée pour les besoins de ce rituel. occupe une place centrale :
C. R AMBLE C. R AMBLE, « The secular surroundings of a Bonpo ceremony : Games, popular rituals and K ARMAY – Y. NAGANO (éd.),
98
essentiellement en grain, payés par les maisons sur une somme initialement apportée pour l’instauration du rituel et répartie entre les maisons. Dans ce mais les maisons restent débitrices d’intérêts perpétuels. Du fait du grand nombre de rituels périodiques annuels (une vingtaine), les contributions dues par les maisons sur une année ont au total une certaine ampleur. Les surplus agricoles de Lubra étant limités, une partie du grain doit être acheté dans d’autres villages. L’économie rituelle de Lubra suppose donc que les maisons pas . dans lequel les intérêts versés sont largement consommés par les Lubrakpa eux-mêmes pendant le rituel. Cette activité rituelle représente toutefois aussi un fardeau non négligeable pour les maisons de Lubra . On peut noter
ponctuel, la communauté a bâti un cycle rituel considérable, reproduit .
Les deux communautés de tantristes présentent des évolutions en partie XIX e XX e), le Narak et le Dögyap, sont pris en charge, non par les quatorze maisons principales, mais par la
initial d’un
avait été réparti entre les maisons pour les rituels les plus , il fut réparti entre les ) et les
désignées : elles sont tenues au célibat et leur mode de recrutement est typique qui en compte au moins trois). Elles n’ont toutefois, au moins aujourd’hui, ni formation ni activité religieuses 41. Dans l’organisation économique des , même si la quasi-totalité de ces rituels sont propres à la communauté des tantristes et .
C. R AMBLE C. R AMBLE C. R AMBLE 41. Dans le passé, certaines reçurent une formation religieuse : S. SHNEIDERMAN, « Doing/ BA Honors, Providence, Université de Brown, 1997, chap. V.
99
Selon Ramble, cette évolution pourrait avoir constitué le début d’une diverger 42. Nous avons vu toutefois que la « rangée des tantristes ( ). Elle être avancée. Les
et
de Lubra, comme les
de Ch’ongkor,
des rituels) et immatériels (le droit de siéger au temple), et leur nombre variant selon les maisons, on aura pu considérer normal que ce soit sur la base de leur nombre exact que les maisons se partagent la charge des contributions commune dans l’activité rituelle collective. Une seconde évolution, sans doute plus importante, concerne la nature permettant d’instaurer un nouveau rituel était apportée principalement assumer eux-mêmes, ensemble en tant que communauté villageoise, le rôle de patrons principaux de leurs propres cérémonies. Un glissement semble ainsi s’opérer, le rôle central de prêtre patronné s’accompagnant désormais d’un . des rituels collectifs les plus anciens. Une évolution comparable apparaît exil, le village se dota de grands textes canoniques et instaura des rituels collectifs de lecture de textes. Il acheta d’abord un nouvel exemplaire, en douze exemplaire du village, manuscrit, était un peu incomplet) 44, puis la collection coût de l’événement, seulement tous les trois ans : la lecture d’une centaine de volumes, répartie entre une trentaine de lecteurs, dure une douzaine de jours. Pour tous ces rituels, les tantristes du village ne pouvant se charger seuls de et rémunération) est environ cinquante fois supérieur à celui d’un grand rituel des tantristes.
42. C. R AMBLE C. R AMBLE 44. Ce texte (le
) est connu dans d’autres parties du
Avec l’instauration de ces lectures de textes, l’économie rituelle de Ch’ongkor devint liée à la production de revenus en numéraire, autrement dit, à une activité commerciale, un trait présent de longue date à Lubra. Par ailleurs, avec le changement de la nature des rituels, les relations entre la
sa communauté de tantristes, et s’inscrit dans un schéma, répandu à travers
des tantristes 1. Une composante importante de l’organisation socioreligieuse du Baragaon inférieur est constituée par la répartition des villages (bouddhistes) en ) , ): Kag Ch’öde : Kag, Tiri, *Pag-ling, *P’elak, Dangkar-dzong ; Dzar Ch’öde : Dzar, Purang, Ky’inga (
.
o
45
Ce regroupement épouse bien la morphologie de la région : les deux derniers ensembles correspondent respectivement aux versants nord et sud Dongdong excepté) se trouvent aussi au centre de paroisses, correspondant Purang est rattaché à Gara Gompa : Ts’ü
o
La paroisse est d’abord une unité de recrutement monastique. La majeure maison principale (
de Dzar. Moines et nonnes demeurent juridiquement membres de leur l’acceptation d’obligations inhérentes à l’économie monastique. Par exemple, si
45. C. R AMBLE
un moine ne peut s’acquitter d’une obligation rituelle assumée par les moines à tour de rôle, sa maison doit trouver et rémunérer un remplaçant. La paroisse est aussi une unité de patronage monastique. Pour des rituels ne une famille est vaut même pour la communauté de tantristes de Ch’ongkor, où la plupart des rites funéraires sont donc exécutés par les moines de Dzong Ch’öde. Le clergé là où le bouddhique, et plus précisément le clergé bouddhique monachisme est présent, est associé au domaine funéraire à travers le monde bouddhiste 46. Dans le monde tibétain, je ne connais toutefois aucun autre cas où un religieux ou groupe de religieux jouit, en vertu du droit coutumier local, de l’exclusivité du patronage pour un certain type de rituels privés 47.
funéraires, et notamment le rituel crucial de
, ou d’éjection du principe
ts’ok (et, de fait, des centres de pouvoir) importants, ainsi que, à travers les visites locale comporte toutefois de nombreuses facettes supplémentaires, qui ensemble composent une complexe géographie, d’une part, d’échanges entre la dimension communautaire des rituels de
. Par extension, le terme particulier des gâteaux rituels de forme conique. En fonction du nombre distribués, on distingue au Baragaon deux approximatif de gâteaux de 48
46. S. J. TAMBIAH,
, chap. XI, D. H. HOLMBERG, , chap. VII, et I. R EADER, , Basingstoke, Macmillan, 1991. 47. Il est vrai que les sources sont peu disertes sur ce point. , Berkeley, University of California 48. S. BEYER,
variantes de grande ampleur : le le distribution s’étend à toutes les maisons du village pour le premier, et à toutes celles de la vallée pour le second, plus rare. Les rituels de La communion (d’individus ou d’un groupe social) dans l’activité vertueuse, et en particulier dans une relation (de culte et d’obtention de sacrements) avec le divin s’inscrit dans toute une économie à la fois sociale et transcendentale, une
cadres (parfois simultanés) dans lesquels la vie religieuse locale se trouve structurée. Dans nombre de contextes, y compris dans leurs relations de
religieux. 2. Trois modes principaux de relations de patronage privées sont à distinguer. Pour la plupart des rituels occasionnels, une maison fait appel au prêtre de services religieux, en particulier rituels, il peut donc renvoyer à un tantriste comme à un moine.) Dans le cas des principaux rites funéraires, il y a toutefois obligation d’appeler en priorité les moines de la paroisse dont on , et quelques autres relation instituée et pérenne entre une maison et un prêtre ; ici, ce dernier est traditionnellement le plus souvent un tantriste au Baragaon.
(« maîtres du (soit , , qui désigne , probablement une autre acception du terme qui désigne le spécialiste du culte des divinités du lieu. (Dans la perception locale, les deux acceptions de 49 .) terme respectueux au champ d’application assez large ;
49. Selon un tantriste lettré, le terme désignant le prêtre domestique serait en fait distinct
La relation de patronage instituée, centrée sur le , constitue typiquement un lien entre une maison et une lignée de religieux. Quand le
formation, sa famille peut solliciter un autre religieux pour assurer l’intérim. Quand le jeune successeur a accompli sa formation de base et peut assumer la fonction de prêtre, le remplaçant lui laisse la place de bon gré. En l’absence de successeur, toutefois, les patrons sont libres de nouer de nouvelles relations de la génération intermédiaire, le maître de maison n’ayant pas de formation religieuse, les liens de patronage se sont défaits. sur le
, ne prend sens, à l’évidence, que pour des lignées ou clans de , il y a quelques décennies encore, étaient essentiellement des tantristes. Il a déjà été mentionné que, au milieu du XXe
exceptés. Mais la démographie n’explique pas tout. Les anciens souverains depuis des temps immémoriaux aux services d’une lignée de tantristes (en l’occurrence Un homme de Purang, dont la maison avait connu une série de changements relation de patronage avec le garantie de continuité de génération en génération. Il y a ici une adéquation de prêtre : quel meilleur gage de pérennité de la maison – l’objectif central du rituel – qu’une association durable avec une lignée héréditaire de prêtres ayant déjà contribué à cette pérennité dans les générations antérieures ? traditionnellement le l’« écrasement des démons commun, et le
en association avec un puissant exorcisme, ). Ce genre d’association, peu
nouée avec un tantriste de Ch’ongkor.
plausible aurait l’avantage (de son point de vue) de préserver la fonction de prêtre domestique spécialiste d’un culte oral.
Dzong, situé à peine à une demi-heure de marche en contrebas de Ch’ongkor, est le village avec lequel la communauté de tantristes a noué le jouissaient d’un quasi-monopole sur le
à Dzong comme à
Dzongba patronnaient les Chongkora également pour un exorcisme collectif jusqu’à son abandon, à Dzong aussi, mais pour le compte de l’ensemble du .). Baragaon (
ülku
eux. Or celui-ci dit aux Ch’ongkora que la décision revenait aux Dzongba. ( ), c’est-à-dire en fait n’utiliseraient, plus la dague rituelle de Lama Tsapgyepa pour le Dögyap de Dzong. Celle-ci n’est pas seulement un objet ) de Tsapgyepa, mais dont la lecture est le plus classique des rituels de lecture de textes, classe de excellence sont les tantristes. de Dzong Ch’öde, tant pour le Dögyap que pour le Ch’ongkor. Un des principaux tantristes aurait alors pratiqué à ). leur place le rituel crucial d’éjection du principe conscient ( Les deux communautés, intimement liées, notamment par leurs relations de nouvelles relations de patronage avaient entre-temps été nouées. Si pas question pour autant, pour ces derniers, de revenir immédiatement aux anciennes relations. Aujourd’hui encore, les moines gardent l’essentiel du patronage à Dzong
SIHLÉ, «
[lha mchod] and
[sri gnon] : the structure and diachrony of a BLEZER (éd.),
eut ainsi des conséquences majeures et durables. Dans une certaine mesure, il contribua à transformer la position des tantristes de Ch’ongkor dans la société locale : la baisse importante de leur patronage porta sûrement un coup à leur prestige. Cependant, à Purang, dont les habitants ont selon les Ch’ongkora une d’un patronage important.
immédiats, comparer l’activité des prêtres du Baragaon n’est pas aisé, le type et la fréquence de l’activité rituelle variant selon les villages et avec le principaux prêtres sont : le prêtre domestique des nobles de Dzar et l’héritier de la maison de la lignée fondatrice de Lubra. Dans la paroisse de
Celui des deux qui compte le plus grand nombre de patrons est Ts’ering il fait la tournée de ses huit patrons les plus éloignés, à Dangkar-dzong et
ainsi moins de temps et le futur successeur de Ts’ering Hritar développe
de repoussement ou d’expulsion de l’infortune et de ses agents, voire de destruction, de mise à mort de ces derniers, que ceux-ci se soient manifestés pratique rituelle, en particulier dans le cas des tournées annuelles comme celles de Ts’ering Hritar.) La dizaine d’autres maisons où Ts’ering Hritar et Ch’ongkor même, où certaines familles, dépourvues de tantristes, doivent faire appel à un prêtre. L’activité du vieux tantriste s’étend bien au-delà de ces relations formelles rituel d’écrasement des démons de sollicitations pour des (
se reportent aujourd’hui sur Ts’ering Hritar ).
3. lecture de textes constituent des séquences rituelles complexes réunissant des
activités tantôt séparées, tantôt communes. J’ai décrit et analysé ces séquences de façon plus détaillée ailleurs 51 ; ici je synthétiserai essentiellement les
typiquement sur une période de quarante-neuf jours : rituel d’éjection du principe conscient et calculs astrologiques ; traitement du corps jusqu’aux funérailles (de nos jours, surtout par crémation, ou encore par don du corps et début de toute une série de rituels s’adressant au principe conscient du
rituels de clôture des funérailles. la plupart des phases importantes voire cruciales pour la transition de la ) est mort à la renaissance. Le rituel d’éjection du principe conscient (
des moines se font toutefois remplacer pour cette tâche éprouvante, souvent la phase de transition du principe conscient (
) du défunt dans l’« état
majeur des rituels de clôture des funérailles (ce dernier ensemble de rituels est appelé des rituels associés à la production de mérites, au moins lors de la cérémonie du rite funéraire de
des tantristes du village, mais dans les faits ils n’ont
Aux rituels visant à guider le principe conscient du défunt et à produire que la mort frappe de nouveau. Des exorcismes peuvent être demandés aux tantristes ou à d’autres religieux. Les tantristes de Ch’ongkor en particulier adaptée au sont les seuls spécialistes d’une variante de l’exorcisme (lit. « rompre [la suite d’agressions des] contexte funéraire, le démons responsables des morts en série).
51. N. SIHLÉ
funéraire est celle des
, ces religieux (nonnes ou tantristes) qui ont
puissants rituels de ou de la pensée discursive), qui sont employés aussi, si ce n’est surtout, en sont contexte villageois, pour éliminer les forces hostiles. Des rituels de prend place juste avant la cérémonie de clôture du deuil et s’étend sur plusieurs , un spécialiste hautement jours et nuits. Il requiert, au même titre que le se prononcer, à l’issue de cette pratique, sur le devenir ultime du principe sont les seuls, hormis les moines, à être conscient du défunt. Les L’association des moines et nonnes aux rites funéraires et à la production aux exorcismes (et des tantristes de mérites, celle des tantristes et au et à la puissance rituelle sont autant d’associations, non exclusives, mais fondamentales, suggérées par la séquence funéraire. Le contraste entre moines et tantristes se précise dans le contexte des lectures de textes canoniques. Ces rituels sont de taille fort variable ; dans le petit village de Ch’ongkor, ils peuvent durer d’une ou quelques heures à une tantôt collectifs ; ils visent surtout à produire des mérites et à obtenir des , qui renforcent la fertilité et la vitalité, et préservent bénédictions, des maux. Le cœur de ces rituels, la lecture à voix haute de textes selon une principe est simple : des lots de pages sont distribués parmi les lecteurs, qui intendance considérable ; pour terminer au plus vite, on fait appel au plus grand nombre possible de religieux, toutes origines confondues. respectée. La place dans une rangée, la qualité des récipients, la déférence des gestes sont autant de marqueurs du statut. On tend à éviter les rappels trop visibles de la hiérarchie de statut entre moines et tantristes, mais parfois, à défaut d’autre place, un tantriste doit s’asseoir avec les moines, et alors « en Les tantristes
ont la réputation d’être des lecteurs lents. En
frappant que, même à Ch’ongkor, on ne fait appel à ces derniers que pour les grandes lectures, en complément des moines et des nonnes.
divinités tutélaires ( ) et, en conclusion de la lecture, un grand rituel ), qui peut être suivi d’une consécration de longévité des multitudes (
– est
( présent. Le
local évacue généralement les implications potentielles d’un tel choix en ) en tel ou tel religieux, et de la foi (comme ailleurs des goûts et des couleurs), on ne discute pas. Certains reconnaissent toutefois que, pour la consécration de longévité, on sollicite presque toujours Soma Sangbo, le moine à la tête de Dzong Ch’öde. Globalement, les grandes lectures de textes font voir des moments de coopération informelle et amicale ainsi que de sociabilité paisible entre moines et tantristes, mais souvent prévalent la séparation et la hiérarchie. Les lectures de textes sont avant tout des rituels du clergé monastique. fortement aux rites funéraires et aux lectures de textes. Ces types de rituels immédiats, mais aussi, dans le second cas, par une préoccupation (qui peut être prédominante) pour la bénédiction, l’exorcisme et se distinguent également par une association marquante avec
4. Des éléments complétant utilement les données précédentes ressortent des principaux rituels collectifs d’importance supra-locale au Baragaon : le et leur prêtre politique du
, l’exorcisme Ngashap Dögyap associé jadis à l’ordre , et connu sous
prêtres dans l’ordre socioreligieux local, et des relations entre eux 52. bönpo lunaire dans le calendrier tibétain, toutes centrées sur des processions au lieu
Pönpö Yartung), concerne au premier plan Dzar, Lubra et Purang, associés de prêtre dans le rituel revient au tantriste
C. R AMBLE
SIHLÉ
de Dzar qui est le prêtre
C. R AMBLE, « The Muktinath VII.
111
associé ici à la prêtrise en raison de ses liens avec ce religieux, qui peut en cas de besoin être remplacé par un Lubrakpa . , le Avec sa chorégraphie centrée sur le souverain et son prêtre Yartung véhicule une certaine image d’un ordre sociopolitique et religieux, statuts prééminents, le rituel demeure toutefois un enjeu. La veille du jour Selon certains, cela vise à éliminer les obstacles pour les événements du que représente cette présence éléments
, dans un rituel centré sur des
monastique, procédé courant de bouddhisation de rituels collectifs. De par leurs liens étroits avec les souverains de Dzar, les moines réussirent même à se placer presque au cœur du Grand Yartung. Les Ch’ongkora, quant à eux, festivités, tentent de récupérer l’importance d’un événement marqué plutôt par leur absence 54.
Dans le Ngashap Dögyap en revanche, les prêtres patronnés par les nobles du Baragaon furent les tantristes de Ch’ongkor. Les villages du Baragaon, à l’exception notable de Lubra, devaient fournir des contributions matérielles prescrites 55. Le rituel avait lieu à Dzong, dans un bâtiment appelé par les , « le temple des tantristes ( Dzongba danses rituelles qui marquaient les deux derniers jours du Dögyap, et étaient honorés à cette occasion par leur famille et leurs proches. Le nom du lieu, la présence massive et centrale des Ch’ongkora mais aussi le fait qu’un rituel du cycle de vie des jeunes Ch’ongkora se déroulait à cette occasion, devant des représentants à la fois de l’ensemble du Baragaon et des détenteurs de l’autorité politique, attestent du statut prestigieux qui revenait à Ch’ongkor dans l’ordre
C. R AMBLE
problématique au vu de l’association étroite entre les nobles du Baragaon et les institutions et maîtres bouddhiques. 55. La seule explication de cette exception qui m’ait été proposée renvoya, de façon ne pourrait exiger des
112
(des membres de la strate des prêtres) qu’ils participent aux .
du ( le reprirent comme rituel collectif de leur seule communauté. Dans les termes d’un de mes informateurs, « il ne convient pas que s’interrompe un rituel de 56
d’un culte adressé à de puissantes divinités, et constitue un acte dangereux. le rituel, cette fois pour la seule communauté locale, à l’instar du rituel que les ), ce patronage fut transféré aux moines de Dzong. Ceux-ci ne disposaient toutefois dans leur panoplie rituelle d’aucun , et moins , que celui des tantristes de Ch’ongkor. Le Dögyap des Ch’ongkora, réduit aujourd’hui au rang de simple rituel villageois, demeure le rituel le plus prestigieux de la communauté de tantristes et garde une certaine notoriété au Baragaon. Cependant les Ch’ongkora prêtres du grand exorcisme annuel du Baragaon. sakyapa , contrairement aux deux précédents grands rituels du Baragaon, ne repose pas sur une relation de patronage de la part des instances du pouvoir politique. Il trouve ses racines dans un rituel institué apparemment pour la longévité du hiérarque
grand exorcisme accompagné de danses rituelles de la tradition Ngor 57. Il est en rotation annuelle à Dzong, Kag et Dzar. Dans chacune des paroisses, des contributions volontaires des maisons ont permis de constituer peu à peu une ). certaine base matérielle et d’instaurer un crédit rotatif ( Les paroisses furent aussi intégrées dans l’exécution du rituel, chacun *
, ainsi que deux
56. mi-bsgrig]. Le terme
(lit. « jeteurs du lü
[sngar-gyi mchod-pa chags-rabs chag-ste ni
qui est au centre du rituel et accompagnent le sabre au poing la structure qui, chargée de tous les maux, péchés et forces hostiles, est expulsée au point culminant du rituel. Les seconds portent le (parfois appelé : dokpa statut collectif de
Ramble 58 dans cette imposition intransigeante de l’égalitarisme entre communautés
en accord avec un principe assez répandu, un homme désigné par les dés ) quelqu’un pour le remplacer. comme porteur du pouvait employer (* lü
de 1994
elle-même un rejet de la fonction dégradante hors de la communauté. Cette des Ch’ongkora, obtenue sous la menace, reste problématique. Si on ne saurait voir le Ch’öpa Sampa comme un rituel en « compétition 59 avec le Dögyap de Ch’ongkor, qui a perdu aujourd’hui toute vocation régionale, il n’en reste pas moins que les moines dirigent aujourd’hui un rituel semblable en bien des points à l’ancien Ngashap Dögyap. L’histoire de ces rituels montre toutefois que le grand exorcisme collectif accompagné de ses
dans la suite ( ). En revanche, le mode d’instauration initial du Ch’öpa Sampa, indépendamment de tout patronage (notamment politique) local, et les nouvelle donne dans les rapports du religieux au politique. Dans le contexte du déclin de l’ancien ordre sociopolitique local, on assiste sans doute à une et de leur pouvoir, tandis que le statut
58. C. R AMBLE 59. .
114
socioreligieux jadis éminent des tantristes de Ch’ongkor ne va aujourd’hui plus de soi.
IV. Être religieux et maître de maison 1. au monde dans l’étude de religieux comme les tantristes de Ch’ongkor ? Les données apportées jusqu’ici montrent avec force que ces religieux, loin de s’écarter du monde comme les ermites, ou même de constituer une société (partiellement) hors de la société comme le monachisme, sont au contraire fortement inscrits dans l’organisation sociale même de la société environnante. Pour conclure sur la notion de renoncement, apportons un clé,
, désigne le monde phénoménal (skt.
) ou, dans le langage
reproduction, etc. Le (skt. ), une notion qui renvoie à l’ordre moral du karma et de les activités caractéristiques du (le travail des champs, qui cause la mort d’animalcules dans la terre, ou même la procréation) soient associées, plus ou , ou péché . Celle-ci s’oppose dans moins directement, à la notion de , l’action vertueuse, activité religieuse par excellence. l’usage courant à , l’ici-bas, et Indirectement, il y a ainsi une tension entre les notions de , la religion (bouddhique). de ), pleinement ordonné, véritablement le religieux par excellence, est caractérisé justement par son abandon desdites activités mondaines, le travail des champs et la procréation, en somme par un certain renoncement 61. Dans un même (le domaine de l’activité mondaine) et de le monde samsarique d’un côté, le renoncement et la libération du l’autre forment des paires de concepts fortement liés l’un à l’autre. 2. La place du tantriste du point de vue de ces concepts et valeurs est assez
G. OBEYESEKERE, ) 61. M. A. MILLS,
115
; mais il en partage la vie, une vie problématique de par ses associations morales. Il y a là une tension constitutive de l’état de tantriste. Je raccompagnai Tandis que le plus jeune de ses cinq enfants braillait à côté de lui, il soupira et le que le concilier. « Un jour on exécute un rituel ( Narak étant centré précisément sur la production de mérites. Nous verrons ) se retrouve, toujours problématique, au cœur que la notion de péché ( même de l’activité rituelle de Ch’ongkor ( , ). Outre les sentiments d’incomplétude ou de contradiction, le discours ( du maître de maison. L’idée selon laquelle le monachisme permet de se
la grande voie monastique, incarnée par les institutions tibétaines établies en Inde et au Népal. Certains franchirent le pas, au détriment de la préservation de la lignée familiale. Le prestigieux Ts’ampa Pembar refusa à son propre
. Par ailleurs, le poids des obligations mondaines n’est qu’une face de la 62
sont moines dans la vallée de Kathmandu. Quand le benjamin dut être , c’est-à-dire d’assurer les moyens d’existence de la famille et la perpétuation de la lignée, et que, sans biens, les soins en hôpital [par exemple] ne pourraient être payés. aussi une autonomie, à la fois sur le plan économique et, dans une certaine mesure, sur celui de la reproduction sociale. Les rapports entre activités religieuse et économique sont complexes. Il peut y avoir une certaine concurrence. La formation religieuse prétendument modeste de tel tantriste, ou, selon certains, des tantristes de Ch’ongkor en général, est parfois expliquée par leur charge d’obligations mondaines. Tel tantriste, parmi les plus jeunes de la communauté, est réputé s’intéresser
62. po].
116
[bla-na-med-pa’i gsang-sngags sngar-gyi chos zab-
aux grands rituels de lecture de textes dans la vallée . L’activité rituelle ne représente en tout cas, dans l’économie déployée par un tantriste domestique, qu’un appoint modeste. En moyenne, les rentrées annuelles en un tantriste pour ses services rituels, abstraction faite de la nourriture et
importante de l’activité rituelle, à savoir les lectures de textes collectives, a en revanche, les rituels collectifs qui ne donnent lieu à aucune rétribution, et constituent des obligations qui ont un coût économique. présente le De façon unanime et récurrente, le discours commerce comme une occupation concurrente de l’activité religieuse, tout en reconnaissant que les revenus en numéraire sont devenus nécessaires ( ). Il y a là entre autres une tension de valeurs, et l’importance
64
: celui activités, me rapporta avec jubilation les propos ironiques d’un homme de le commerce de moutons : « Que l’on ait besoin d’un mouton ou d’un rituel, ( (
) 65. En fait, les tantristes de Ch’ongkor ne mettent en avant que peu d’interdits liés à leur condition de religieux. Ils ne portent pas de fumier. Surtout, ils ne se livrent jamais à l’abattage des animaux, même s’ils participent à leur
pour des services rituels hors du commun, tel un exorcisme majeur. 64. *Tshong-’khor-ba. 65. chos yang byed sdig-pa yang byed.
117
Tsapgyepa sont visés par cet interdit, et le revendiquent. La basse tâche 66 . appelée La nécessité croissante, pour les tantristes, de pratiquer le commerce tient aussi sans doute au recul de la polyandrie, lié à l’extension au Baragaon de
il y a un chien. 67
Dans le dernier cas de mariage polyandre que connaît Ch’ongkor est bien plus actif, une répartition des rôles que ne permet pas le mariage monogame. Ce facteur est absent du discours local, sans doute parce que les Ch’ongkora trouvent aujourd’hui leur compte dans la généralisation du mariage monomarital.
V. Conclusion Si la notion de renoncement présente, dans les contextes monastiques tibétains, une pertinence limitée, circonscrite à certaines activités de de communautés de tantristes comme Ch’ongkor ou Lubra sa pertinence disparaît largement. L’inscription de ces communautés dans leur société est marquée non par une dissociation, mais par la superposition à des principes d’organisation sociale d’une identité religieuse. En témoignent les notions de , ou encore l’association de la relation de prêtre à patron la plus valorisée, celle qui est centrée sur le culte de la divinité domestique, aux unités sociales pérennes de lignée et de maison. Mais de renoncement, point, ou si peu. Globalement, en tant que maîtres de maison, agriculteurs et commerçants, les tantristes
66. C. R AMBLE 67. Go-ba (?)-gi (ou -yi) sbug-la lha shig ’dug / lha dPal-’byor rgya-mtsho skyid-shos-la / goba-gi smad-la khyi shig ’dug / khyi Nyi-ma bsam-grub sdug-shos-la //
118
La coexistence des domaines de l’activité mondaine ( (
) et de la religion
propre, ainsi que l’illustrent l’économie des rituels collectifs et la place de la
Une certaine cohérence générale commence à se dégager. Nous avons vu que l’activité rituelle des tantristes, marquée par l’association au culte de la divinité domestique et aux exorcismes, présente une visée plus exclusivement mondaine que celle des moines, spécialistes par excellence des rites funéraires et de la production de mérites. Or les premiers ont une vie en ), connotée par le renoncement et la progression vers la libération du monde. Autour du tantriste et du moine se dessinent deux pôles majeurs de la religion tibétaine, le premier plus mondain que le second, et associé à l’action rituelle puissante et violente alors que l’autre est marqué par une action plus paisible et vertueuse. L’examen de cette logique d’ensemble est approfondi dans la partie suivante.
119
DEUXIÈME PARTIE
Un ordre religieux local :
pouvoir rituel, violence et péché
1. Ce nom est en fait une appellation générique pour les formes terribles des bouddhas. Les , aux « bras multiples portant des attributs de pouvoir et de férocité, [aux] faces à trois
BEYER,
, p. 42, ma traduction).
4. Désignation littéraire des tantristes ; , le terme peut aussi désigner un moine adepte des yogas (tantriques), ou des tantras plus largement. associés aux relations détériorées (S. R. MUMFORD, 5. Démons de type , p. 157), et au non-respect d’engagements (T. ZHABS-DRUNG – DANG Y., , p. 1249, et glossaire de C. M. CANTWELL, « An Ethnographic Account of the Religious Practice Université de Kent, 1989). , ou , catégorie peu répandue en dehors des textes tantriques, où on les trouve fréquemment, en tant que divinités féminines carnivores, dans l’entourage des grandes divinités courroucées (M. J. BOORD, discussion de R. J. KOHN, appartient à la catégorie plus générale des ( ).
La place donnée à l’énonciation de ce mythe, en préliminaire à l’étude des rituels quelconque primauté logique ou ontologique présupposée du mythe par rapport au rituel, ou des représentations par rapport aux actions. Elle traduit accordent à ce mythe. surtout l’importance que les tantristes
reporter au
, ou
,
une référence au fait qu’à sa naissance il survécut « en mangeant progressivement le cadavre STEIN 8. Ce vers est quelque peu obscur. Dans l’esprit général du passage, il semblerait plus cohérent qu’à l’origine des rubans des cinq couleurs, élément de l’attirail rituel, se trouvent « cinq
. La translittération du passage présent est donnée en annexe.
124
le texte qui s’ouvre par ce mythe 11 était dans l’ (comme sera désigné le texte désormais), aux questions de l’ethnologue. L’ est lue lors du plus important rituel collectif de Ch’ongkor, l’exorcisme Dögyap. Visiblement, aucun autre fragment de texte ne revêt pour ces tantristes autant de sens soumission et du démembrement de Rudra constitue de fait un mythe d’origine de l’attirail que requiert celle-ci. Ce texte énonce donc un des éléments de est relativement simple et concise, occupe une place centrale dans le bouddhisme tantrique et a suscité déjà nombre d’études savantes 12. Rudra, violente, selon l’euphémisme classique repris dans notre version. Il ressort du tantra et autres sources étudiées par Stein que « le drame de la révolte et de la soumission de Rudra était nécessaire. Il est la “cause de l’origine des même ( . En quelque sorte, nous dit ce tantra, l’exorcisme est fondamental dans l’univers rituel du Baragaon. Rudra, les Ch’ongkora mettent en avant surtout le mythe d’origine de certains attributs caractéristiques du tantriste, comme la tresse ou la dague rituelle, marqueurs identitaires importants (
11. Ma-mo’i ’cham-bshad. Les constituent une catégorie, récurrente dans les rituels, de divinités féminines, correspondant à la catégorie indienne des , le plus souvent dépeintes comme laides et féroces : R. VON NEBESKY-WOJKOWITZ, 12. R. A. STEIN
IYANAGA STRICKMANN (éd.), , vol. III, Bruxelles, Institut Belge des Hautes M ACDONALD R. M. DAVIDSON, 14/2 R. D. S. MAYER,
l’origine de certains objets rituels semble assez rare ;
M. H ELFFER, , Paris, Éditions du CNRS – Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1994, p. 128, ou encore un mythe des Kham-Magar DE
SALES SEELAND (éd.),
, Munich,
STEIN
125
. Le terme pu consulter 14. Quand j’assistai au Dögyap de Ch’ongkor, lors des danses rituelles les trois tantristes les plus âgés de la communauté portaient un creux et fermé par un bouchon, sculpté dans un des cas en forme de tête de comparées, si on se laisse guider par le mythe, à celles d’un petit fémur. Il son usage. Un seul suggéra une parenté avec les projectiles rituels à fonction ( destructive d’un récipient ( ) associé au , notion assez courante dans le discours , où elle désigne surtout un grand pouvoir employé dans des actes de sorcellerie ou d’agression magique, voire ces actes mêmes. Le principe du consiste sans doute à placer des substances prescrites dans le récipient, 15 La place du . En tout cas, les Ch’ongkora et leur mythe se rencontrent autour d’un objet au nom
14. Selon Tenzin Samphel, jeune religieux érudit désigne, dans les textes religieux qu’il connaît, d’autres récipients employés dans des rituels de sorcellerie ou d’exorcisme violent, tels des crânes d’animaux ou les boîtes triangulaires . communément appelées ne pas connaître d’objet répondant à ma description. La forme du ü (et non : photographie). NEBESKY-WOJKOWITZ,
126
rappelle toutefois L. A. WADDELL, 1 ), p. 488, avec une VON
CHAPITRE III LE POUVOIR RITUEL ET SA LÉGITIMITÉ
ont suggéré fort justement que les prêtres bouddhistes, par opposition aux chamanes par exemple, « sont des maillons dépersonnalisés dans une chaîne 1 . L’étude ethnographique détaillée entreprise ici va permettre de nuancer le évoluent. De nombreuses études portant sur le bouddhisme tibétain dans des contextes locaux ont décrit les pratiques et spécialistes religieux comme s’il renforcé cette impression en illustrant les données locales par de simples ici, par contraste, est une analyse des spécialistes, des conceptions, des pratiques et des textes religieux bouddhiques en tant qu’éléments d’un champ relations diverses, des hiérarchies et des nœuds de contestation. L’examen de la période d’apprentissage des tantristes de Ch’ongkor est un préalable indispensable à l’étude de leur activité rituelle. Cette étape cruciale
de Ch’ongkor et dans les interactions avec l’extérieur apparaissent ici de multiples contestations et négociations autour de ce qui fonde le pouvoir et la légitimité nécessaires à l’accomplissement de l’acte rituel, notamment violent.
I. Le parcours de formation des tantristes de Ch’ongkor 1. Les tantristes de Ch’ongkor sont avant tout des ritualistes. Au Baragaon, seuls certains religieux plus instruits exercent aussi, par exemple, une activité
1. V. BOUILLIER – G. TOFFIN
BOUILLIER – G. TOFFIN (éd.), , Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences
127
( ), qui donne l’occasion au de la communauté de dispenser une sorte d’enseignement public, en vérité assez formel, devant les Ch’ongkora , « exhorter pour l’auditoire) d’un texte doctrinal sur le Mani, lecture entrecoupée de séquences de psalmodie du Mani, notamment par les femmes 2. De même que leur activité religieuse, la formation des tantristes de Ch’ongkor est orientée fortement vers la pratique et la répétition de certaines attend d’un tantriste surtout un savoir-faire, sa connaissance de la procédure
pour résultat, surtout si la situation se répétait, de plonger l’informateur et l’ethnographe dans l’embarras. Je dus cibler plus précisément mes tentatives d’investigation. Avec un petit nombre d’informateurs privilégiés, j’examinai quelques rituels importants, leur structure d’ensemble, celle des textes les plus importants parmi ceux qui les composent, ou encore les liens entre aussi l’interprétation de certains éléments marquants (gestes rituels, identité
2. et sans doute le meilleur ritualiste et le plus instruit parmi les jeunes tantristes de Ch’ongkor . Notons que Ten Dorje fut reconnu, tout jeune enfant, comme 4 . la réincarnation, De ce fait, Ten Dorje eut une enfance partagée, de façon informelle, entre de la maître,
) veut que le de la communauté soit le , des jeunes religieux. La notion de choix de son maître semblait
, qui avait déjà m’assura que la cérémonie était d’une tout autre tenue du temps de son défunt mari. repose donc surtout sur les récits des religieux et de leur entourage. , .
128
avait mémorisé les textes principaux (
) des deux divinités tutélaires les .
5
, et au maniement du tambour. Pendant son adolescence, Ten Dorje 6 , dans la maison des nonnes 7 ,
faire travailler ensemble, dans une maison inoccupée, ou au temple. Parmi put pousser sa formation le plus loin. Au sujet de la rétribution du maître, on me tint des discours contradictoires.
défunt mari n’avait jamais accepté de paiement pour son enseignement ; les villageois lui auraient témoigné leur gratitude par divers services, lors des récoltes par exemple. En revanche, Dzabling, proche condisciple de Ten Dorje, rituels 8. cadet, lui succéda comme
5. Sur ces catégories et divinités, . S. C. DAS,
, New Delhi, Gaurav
7. Lit. prise de refuge, sous-entendu dans les Trois Joyaux, Kunchok Sum : Bouddha, (l’ordre religieux) ; un élément central dans la profession de (la doctrine boudhique) et prises de refuge. l’histoire religieuse tibétaine.
C. TRUNGPA (trad.), , Boston, Shambhala Publications,
1982 (trad. du tibétain).
129
jour, à la répétition d’une même séquence rituelle (plus développée le dernier jour), comportant notamment les textes principaux associés à la quasi-totalité des divinités tutélaires et des protecteurs de la tradition de Ch’ongkor. La lecture des textes des principales divinités est accompagnée de la récitation d’un chapelet complet, * ou divinité en question. Cette activité n’est pas tant orientée vers l’activation rituel sera exécuté en situation), que vers l’acquisition, par le tantriste engagé dans la retraite, d’une compétence, d’un pouvoir 9. Pendant un jour ou deux donne des instructions, , portant notamment sur la mélodie propre à chaque section des textes, et sur l’usage du tambour et des cymbales . Un des jeunes tantristes, qui n’avait pas connu de conditions d’apprentissage déjà par cœur nombre des textes utilisés pendant la retraite, avait pu, de ce fait, se concentrer davantage sur la récitation répétée ( retraite est pour la plupart des apprentis tantristes surtout un « entraînement à : on y mémorise les allers-retours entre centrale, mais elle fait partie pourtant d’un des principes fondamentaux de la , avec la divinité tutélaire, processus qui repose sur la visualisation de la divinité (au moins en principe) et la répétition continue de son mantra 11. Ceci permet au (On utilise à Ch’ongkor aussi, de façon quasiment interchangeable avec , le terme , qui en fait désigne techniquement deux phases : , puis son évocation, sa , une phase qui semble relativement absente à Ch’ongkor 12.) Le rituel fonctionne ensuite, au moins en principe, comme une réactivation du lien établi avec la divinité tutélaire lors de la retraite. une partie du savoir-faire concret nécessaire pour exécuter des rituels tels . Ten que le culte de la divinité domestique ou l’écrasement des démons
légitime
9. Sur cette distinction,
BEYER, , et d’autorisation de lecture,
,
11. Dans le discours des Ch’ongkora, la référence à la visualisation est en fait quasi absente. 12. Sur ces processus complexes, BEYER,
la communauté. Ten Dorje se souvient qu’il était auparavant plutôt timide, rituels domestiques et l’ensemble des rituels collectifs des tantristes. Un seul des huit tantristes actifs actuels n’est pas allé au-delà de ce stade.
solitaire, longue d’une semaine, qui consiste presque exclusivement à répéter 14
. Ten
, à l’autre. L’assistant rencontrait le retraitant surtout au moment des divinités tutélaires,
, et leur donna des instructions pour ce rituel. On
15
religieux ayant accompli la retraite en question sont autorisés à lire le texte, ou même à confectionner les gâteaux rituels 16. , Ten Dorje chez lui, à titre d’entraînement. Il S’y ajoute l’exorcisme
(ou
, « [exorcisme]
[du] Noir aux . Pour le reste,
17
lü lü varient selon le contexte, à Ch’ongkor
15. Le vise notamment à réparer les fautes commises vis-à-vis des divinités tutélaires : D. L. SNELLGROVE, 2 ), p. 291. 16. Les traditions tantriques sont souvent marquées par le secret qui entoure les pratiques, évoqué devant moi une obligation (théorique) de secret ; en l’occurrence, on m’en parla quand même, sans que j’aie insisté. Si la distinction entre l’exotérique et l’ésotérique est « fondamentale GELLNER, saurait être avancée au sujet de la communauté de Ch’ongkor.
( dokpa référence ici globalement à l’ensemble des exorcismes de la tradition locale. . Les deux toutefois de noter que nombre d’entre eux, dont l’« écrasement des précisée plus loin ( Jampel Nakpo et la modalité rituelle violente,
), entre la retraite .
retraite, appelée *Rorum. Celle-ci est en tous points semblable, dans son déroulement, à la précédente, mais c’est un autre mantra qui est récité cent mille fois 18 pour de nouveaux rituels. Le nom Rorum, assez obscur, est glosé comme 19 , mais ceci pourrait être une au religieux qui l’a accomplie de se protéger contre l’infortune, mais sans préciser le principe de cette protection. Le religieux serait aussi à même une fois l’an, le dernier jour du grand exorcisme collectif du Dögyap. Ce (qui a nécessairement accompli les trois retraites), geste, exécuté par le consiste à tracer quelques traits noirs au pinceau sur le visage des personnes qui se présentent devant lui, dans le temple, lors d’une pause du rituel. Il , du Rorum. Ce sont essentiellement des pour enfants (voire de jeunes gens facétieux) qui se présentent devant le
Actuellement, à part le , seul Pemba Ts’ering, l’aîné des quatre tantristes de la jeune génération, a accompli la retraite Rorum 21.
18. Ici aussi plane une incertitude sur la divinité concernée, que l’on pense en général être la 19. rang srung.
une somme de
3. Hormis Lama Kemi, les tantristes actuels n’ont pas pratiqué d’autres retraites que celles du cycle qui vient d’être décrit 22. Dans l’ensemble celles-ci paraissent
exorcisme Dögyap est le jet des projectiles rituels par le seul des
Ces divergences, concernant un des plus importants rituels de la communauté, peuvent étonner. La question n’est d’ailleurs pas seulement au moment du Dögyap. Parmi dut être désigné pour diriger, en sa phase la plus cruciale, la plus violente, le principal rituel collectif de la communauté. L’enjeu était le statut, la légitimité, de l’âge l’emporta, et le second de la hiérarchie remplaça le . Sa légitimité resta toutefois contestée. Par ailleurs, il s’abstint de conférer la « bénédiction jet de la structure
et des projectiles
.
tradition, je demandai si cette abstention était due au fait que le remplaçant de toute façon il n’y avait plus, à Ch’ongkor, de transmission ni d’initiation , ni d’autorisation de lecture, (théoriquement nécessaires formelle, pour toute pratique tantrique). En somme, il relativisait la portée de toute remplaçant en question). Son discours ne fut pas toujours aussi radical, mais propres membres.
II. De l’acquisition (légitime) de pouvoir pouvoir de tantriste se trouvent deux principes : celui de la retraite et celui,
22. Il y eut aussi quelques cas de retraites autres dans les générations précédentes : des ), retraites de tradition Tersar ( , et surtout des retraites liées à l’usage de certaines une retraite de pratique de jeûne, collections de mantras ( t’u
en fait absent de la pratique locale, de l’initiation formelle, . Penchonsnous d’abord sur le premier. Il convient d’interroger, dans la retraite, la transformation radicale de l’espace social, ainsi que la dimension corporelle du processus auquel se soumet le retraitant. 1.
par des calculs astrologiques. Le moment venu, on commençait à confectionner , à laquelle le village entier et l’ensemble des proches étaient conviés. Les invités étaient nourris (la fête impliquait une dépense importante) et, en retour, honoraient le jeune religieux par la présentation d’écharpes de cérémonie. Il y a une vingtaine le principe fut abandonné, dans des circonstances que je n’ai pu reconstituer . Pendant la retraite, l’espace social du retraitant est marqué par un isolement moins une partie du toit-terrasse souvent attenant deviennent un espace clos, d’obstacles ou infortunes, perte de réalisations, (skt. ). En général, le retraitant ne reçoit la visite que du maître et de l’assistant ; dans de cas rares une autre personne peut aussi être admise. Souvent, au . Je pus assister à l’entrée en retraite d’un
était déjà entamée. Je ne pus le rejoindre que pour le rituel de sortie de retraite. avec les femmes, est rigoureusement évité. L’assistant doit être un homme, et c’est un homme qui prépare la nourriture du retraitant, moud même la farine des repas et lave les récipients. Jadis, quand les récipients et ustensiles
étaient en bois, on en confectionnait de nouveaux et ceux-ci ne devaient pas ), de la divinité au centre des retraites Jampel Nakpo et Rorum. Les précautions concernant le contact, soit direct, femmes et l’interdit de contact entre celles-ci et les divinités courroucées sont 24 . Cette contamination du retraitant ferait obstacle au ) avec la divinité et à l’acquisition de pouvoir. La retraite, par son nom ( appela les rites de passage, ces rituels à la structure tripartite, caractérisés accompagnent notamment des franchissements de seuils ou des changements de statut social 25
Celle-ci consiste, d’une part, en privations alimentaires, ce qui en soi n’est nourriture solide, le religieux se contente de deux poignées et demie de riz aussi. D’autre part, et surtout, ces retraites comportent l’obligation de garder , les pieds reposant sur les cuisses, pendant toute la durée, soit sept jours et sept nuits, sans (skt.
) est transposé
, est interdit aux femmes : D. L. SNELLGROVE, , Kathmandu, Himalayan Book Sellers, 1995 (19571 S. BEYER, , p. 47-48. ), J. S. LA FONTAINE, 25. A. VAN GENNEP,
TURNER, Cornell University Press, 1967, chap. IV et indéterminé de la société ( N. SINDZINGRE pertinentes dans le cadre présent.
, Ithaca, NY,
ici littéralement au niveau du corps 26. D’un ton généralement dépourvu de
pause les deux retraites, mais ensuite n’avait pu quitter son domicile pendant , de . Le discours
, terme de même racine que ). Un tantriste me présenta ces résultats, de façon un peu vague et littéraire, comme 27 . Ten Dorje, plus . Un explicite, déclara que l’objectif était l’obtention de pouvoir rituel, moine 28 à la pratique tantrique, Certains tantristes, on l’a vu, lient explicitement la retraite Jampel Nakpo,
corporelle radicale, une violence faite à son propre corps 29 que, dans de nombreux milieux de tantristes tibétains, le pouvoir rituel acquis lors des retraites tantriques s’articule avec la corporéité également à travers les
26. Le , dont la forme évoque un petit sceptre, à la fois instrument rituel central, attribut de certaines divinités tantriques et élément clé de la terminologie et de l’onomastique tantriques, est un symbole d’inaltérabilité, et en fait de l’absolu tel que le conçoit le bouddhisme tantrique : D. L. SNELLGROVE, A. TRIBE, « Mantranaya / Vajrayâna : WILLIAMS – A. TRIBE (collab.), 27. chos-kyi dngos-grub. 28. sngags-kyi phyogs. 29. Exprimée ainsi, cette notion ne recueillerait pas l’adhésion immédiate des tantristes de
évitait les extrêmes. Il n’empêche que, du bouddhisme ancien (à ce sujet, voir O. FREIBERGER, FREIBERGER (éd.), , Oxford, Oxford bouddhisme apparaît comme partagé entre le rejet des extrêmes et l’idée de la nécessité ou de
Ch’ongkor, même si les cheveux longs du tantriste y gardent visiblement une importance symbolique .) forts, tel l’écrasement des démons , il y a dans le parcours de formation : des tantristes de Ch’ongkor une progression vers le versant violent, modalités, de façon plus exclusive à cette qualité centrale de
.
2. Les retraites sont un des éléments principaux qui constituent la légitimité des religieux en tant que pratiquants de rituels tantriques. En même temps, l’objet d’un ensemble de regards croisés, évaluateurs, entre les Ch’ongkora et certains de leurs voisins ou visiteurs : religieux, ethnologue ou autres. les sont de durée fort variable : entre trois et cinq semaines dans un cas, plus de trois ans dans l’autre. Les Lubrakpa, de leur côté, doivent, pour
(
), et au moins un mois de retraite centrée sur la divinité
associées à de nombreuses autres divinités tutélaires existent aussi. Quelques tantristes an, contre trois ans pour certains au cours des générations précédentes. En : le religieux se faisait emmurer, et l’ouverture
qui expriment la notion selon
tantriques. Parmi les tantristes
, accumulé pendant les retraites , il est de ce fait interdit de se couper les cheveux une fois
nettement au Baragaon, en rapport sans doute avec l’essor du commerce saisonnier en milieu indien, dans lequel la tresse est un attribut féminin. Si les tantristes ont encore tous les cheveux longs, à Ch’ongkor seuls deux hommes âgés, le tantriste Ts’ering Hritar (72 ans) et le Pour les Ch’ongkora, les cheveux longs constituent toutefois toujours une sorte de marqueur de
référence aux pouvoirs du
fondateur], il fallait bien s’astreindre à des
face à mon regard porté par moments sur la comparaison, certains ont parfois ressenti le besoin de défendre leur tradition. Ten Dorje souligna que les nonnes l’ensemble de leur apprentissage pendant les trois années en question. Mais traditions, elle demeure une référence hautement valorisée. locale comporte une série de retraites ) avec la divinité tutélaire ). Une seconde, de trois mois, est consacrée à Küri (tib. Künrik, skt. Sarvavid moine, évoqua un jour une retraite accomplie seulement par quelques moines plus avancés, et dédiée à la divinité Kyedor (skt. Hevajra), divinité tutélaire . La retraite, longue de six mois, est consacrée centrale de la tradition uniquement à la récitation de mantras. « De quoi acquérir un certain la terrible retraite de Jampel Nakpo. , la légitimité de la formation Dans le regard de quelques tantristes apparaît mise en question non tant par la longueur des des tantristes . Celles-ci constituent, dans nombre de traditions, une étape indispensable pour aborder . Elles comportent habituellement un certain nombre de procédures, répétées chacune cent mille fois : récitation d’une formule de prise de refuge ) et de développement de l’esprit d’éveil ( ), prosternation ( ( ), récitation du mantra à cent syllabes ( ) du bouddha Vajrasattva (tib. Dorje-sempa) et souvent méditation ( , skt. ) . Un tel cycle de pratiques centrée sur le maître ( préliminaires ( fait accompli que les cent mille prosternations, d’ailleurs courante, au Baragaon, pour le
PATRUL R INPOCHE, Londres, Altamira, 1998.
,
tantristes , l’absence de pratiques préliminaires à Ch’ongkor revient à bâtir sans fondations. Les tantristes de l’écart par rapport à cette autre vision de l’orthopraxie tantrique . Selon
Les nombres de semaines, de mois ou d’années, ou encore de mantras tradition, ainsi que dans les regards croisés qu’échangent les religieux de traditions voisines, l’évaluation du pouvoir et de la légitimité est guidée en partie par une logique de l’accumulation et du nombre, tempérée toutefois par traditions ont toutes leur valeur propre. 3. , celle de la transmission des enseignements tantriques, processus qui, dans . Il y a là un le monde tibétain, implique en général une initiation, surtout à l’occasion de contacts avec l’extérieur, mais pas seulement. Depuis une époque indéterminée les tantristes surtout, pratiquent des rituels sans avoir reçu de aucune initiation n’a été donnée depuis plusieurs décennies. Le qui , selon le l’un des disciples de Ngakpa Ts’ering, se souvient d’avoir reçu de lui une autre composante de la transmission formelle d’un enseignement : l’autorisation de , pour un des textes de l’exorcisme , le , « Histoire lecture, du crédibles, qui dévoilaient malgré elles ce qu’elles entendaient dissimuler, et
. Au Baragaon, seules les traditions de et celle de Lubra incluent toujours un . Lignée des Maîtres Lor-gy ü ) sur la question connexe Sur la transmission formelle des enseignements, D. L. SNELLGROVE,
BEYER,
ou vis-à-vis d’une certaine idée de l’orthopraxie générale, celle notamment des grands centres religieux tibétains . que les Ch’ongkora se font de la transmission formelle des enseignements. , ou liste des initiations et enseignements reçus, de son Il s’agit du aime à en citer certains éléments, comme autant de contrastes entre la (tib. ) ), ou encore pour porter le vêtement des danses et la clochette rituelle ( , tib. ou ). rituelles et manier la dague rituelle ( Les objets cités dans le composent un parfait attirail de tantriste et renvoient notamment aux pratiques rituelles violentes. Le texte mentionne aussi les spatules utilisées dans les de récitation de mantras, un ensemble d’armes et objets terribles, appelés « les , ou encore le , rituels d’exorcisme collectif. La liste, composée d’objets, de pratiques et rituels, parfois désignés seulement par le nom d’une divinité tutélaire, ou encore de textes à Bouddha (skt.
. Parmi les
angle peut-être inattendu. Il s’agit d’un rituel dit de « toutes les activités , d’un également aux pratiques de sorcellerie, transmis encore aujourd’hui dans la communauté, et désigné ici par le titre abrégé
extérieure. l’espace. Pour une description iconographique et la liste de leurs attributs selon un texte de tradition Jangter, voir M. J. BOORD, , p. 175. , pour gtad-bzlog) las spyi. , pour mnan-gtad).
. La juxtaposition de ces trois rituels et des enseignements élevés de la Grande Perfection démontre mieux qu’un long discours que la recherche (apparente) d’une certaine élévation spirituelle moyens rituels de détruire ses ennemis. Ce document nous permet d’interroger l’histoire locale des pratiques de
divinités tutélaires centrales de Ch’ongkor, sont bien mentionnés, mais sous des désignations générales ; rien ne nous assure que ces initiations se rapportaient à la tradition propre de Ch’ongkor (l’origine des enseignements fort possible que l’absence d’initiation pour les pratiques centrales de la
La question de ce qu’un Il y a là une grande complexité conceptuelle. Le terme, dont le sens premier est le pouvoir, notamment séculier, désigne l’initiation à une pratique ). tantrique, mais aussi la consécration (par exemple de longévité, (skt. Techniquement, du point de vue savant, une initiation tantrique, ), comporte des consécrations, également appelées (ou , skt. le processus d’initiation peut être d’une extrême complexité 41. S’il n’y a pas de transmission d’initiations à Ch’ongkor même, tous les tantristes ont pris part à des initiations publiques accordées par de grands à ces cérémonies permet d’obtenir quelque chose de l’ordre d’une bénédiction 42 . En revanche, , il y a autre chose dans ces cérémonies pour les tantristes familiarisés avec des textes de rituels tantriques où les grandes divinités (consécrations), tantriques sont sollicitées pour leurs ) et (réalisations, skt. ). Pour les (bénédictions, skt. recevoir, le proche de l’obtention d’une réelle initiation. Ainsi, selon certains d’entre eux, ces
[mKhas-pa Zangs-gling dBang-phyug]. 41. Voir S. BEYER, T. G., DALAI LAMA (14e) – J. HOPKINS, 1
281 ; pour des antécédents indiens, A. TRIBE 42. S. BEYER, G. SAMUEL,
SNELLGROVE, ,
GELLNER,
, Londres, , p. 266-
, p. 259-264.
141
j’orientais la conversation sur le sujet de la transmission formelle, ils n’étaient pas toujours à l’aise dans l’évocation de ces concepts et s’appuyaient sur les aspects extérieurs d’une consécration (l’imposition sur la tête d’une statue, ces notions est sûrement plus complexe que ce qu’ils arrivaient à exprimer. , la notion selon Quoi qu’il en soit au niveau du concept exact de (initiation, autorisation de lecture et explication) est relativement répandue parmi les Ch’ongkora. L’initiation en particulier est décrite comme une condition de l’obtention de . Commentant l’absence d’initiation dans la tradition de Ch’ongkor, Soma Sangbo, le moine à la tête de Dzong Ch’öde, me cita la maxime : « Dans celui qui est dépourvu ) ; en pressant du 44 . Il refusa toutefois ). et (quels que soient les Le fait de recevoir de nombreux divinités tutélaires ou textes concernés) est aussi souvent mentionné comme un facteur du pouvoir, de la qualité du religieux. Globalement toutefois, si, dans l’interaction avec une personne extérieure, ou dans le regard des autres religieux instruits de la région, l’absence d’initiation à Ch’ongkor peut pour les Ch’ongkora largement d’ordre théorique, de l’ordre d’une gêne dans pratique locale, le discours
met l’accent avant tout sur les retraites
sans avoir accompli de retraite est « comme chanter une chanson, ou mettre
( facteurs techniques que constituent la transmission formelle et la retraite – et au-delà des déterminations sociologiques de l’accession au statut de religieux ) –, nous verrons que ( l’hérédité peut être perçue comme un vecteur de pouvoir et de légitimité rituels. apportent un regard distancié, parfois critique. En fonction de leur origine
dans ce contexte, STEIN, , p. 121. [dbang med-pa-la byin-rlabs 44. mi-’jug / phye-mar btsir-pas mar-khu mi-yong /]. La formulation varie selon les personnes, mais l’idée reste la même.
142
ainsi que l’illustre de façon lumineuse un entretien avec Pema Yu-tso (âgée Shari Pön-gyü. L’entretien prit place dans la cuisine. Le mari, tantriste et descendant en ligne aînée de Lama Tsapgyepa, était en conversation sur le toit-terrasse attenant, à quelques pas seulement de nous, et pouvait nous entendre s’il tendait l’oreille : [Pema Yu-tso] : Jadis, dans cette maison, un rituel d’appel de la prospérité ( ) était fait tous les trois ans. Maintenant, à Ch’ongkor, il n’y a plus
– Est-il un religieux de qualité ( – Il est assez bon religieux, * . Toutefois la tradition religieuse 45 ( ) de Ch’ongkor est allée en perdant [des éléments], * , en 46 diminuant, . Venant de l’extérieur, je ne crois pas tellement [en la tradition locale] / ne suis pas tellement convaincue, 47 . [Dans cette maison,] on ne fait pas faire beaucoup de rituels, 48 [sous-entendu : par les Ch’ongkora] : est-ce que cela aurait vraiment ? On a fait faire jadis des , des rituels d’appel de la prospérité, par Meme Gelong [Simpuk Gelong, moine tibétain qui vivait dans la grotte de Simpuk]. Maintenant il est reparti. On a fait faire des rituels
de Ts’oknam]. (Elle raconte tout cela de façon un peu gênée, mais pas trop ; elle rit beaucoup, parle parfois
Ch’ongkor ? – Oui, mais pas pour des rituels. Jadis, les tantristes de Ch’ongkor étaient meilleurs. – Qu’est-ce qu’un religieux de qualité ( )? – Pour qu’un religieux soit de qualité, il doit avoir reçu ( ü) beaucoup de , des de beaucoup de
45. bcad-de ? 46. chung-du. 47. Tib. yid mi-ches. J. I. CABEZÓN R. R. JACKSON (éd.),
CABEZÓN – , Ithaca, New York, Snow Lion, 1996,
d’environ cent
49
(retraites de en qui je crois. [pareils] (c.à.d. de même tradition religieuse ; ne trouvant pas de terme, elle a fait un geste où les extrémités de ses index se rejoignent en un arc de cercle) 51. Il faudrait que les tantristes de Ch’ongkor lui demandent des , pour relancer leur tradition religieuse ( ) 52.
tradition rituelle de son propre mari est assez caractéristique du discours des Ch’ongkora eux-mêmes. Les personnes extérieures à la communauté étaient mélange de respect pour les tantristes et de crainte que l’ethnologue commette un impair en répétant leurs propos.
semble-t-il à réfuter ou désarmer les critiques portant sur l’absence d’initiation, selon l’interprétation qu’en donnent des Ch’ongkora critiques de ou pouvoir) transmise par l’hérédité, en ligne paternelle. Les Ch’ongkora du de recourir à des initiations supplémentaires. vue des traités doctrinaux bouddhiques, mais n’est pas sans rappeler la , de religieux de haut statut valorisation de la lignée héréditaire, religieux ( ). s’est éteinte dans un Aujourd’hui toutefois la revendication d’un silence gêné. J’appris l’existence de cette notion par Ts’ampa Ngawang, du clan Shari Pön-gyü, un bon connaisseur de la communauté pour y avoir vécu dans sa jeunesse. Il fallut que j’évoque le sujet pour que les Ch’ongkora m’en semblent n’en avoir gardé qu’un vague souvenir. Le vieux tantriste Ts’ering ajouta qu’il n’avait pas rejeté le concept, mais qu’il n’était pas sûr de ce qu’il
49. Dans le discours local, le terme (autorisation de lecture) se substitue parfois à celui (initiation, l’élément le plus important). de représente la multitude.
144
en était en fait. D’autres religieux se distancient clairement de cette notion et s’en tiennent désormais à une prudente orthodoxie égalitaire. Yu-tso évoquait : demander des initiations à un grand maître. Il rencontra Celui-ci l’interrogea sur l’identité de sa divinité tutélaire et aurait conclu, Le vieux hiérarque aurait alors accepté d’accorder aux Ch’ongkora cette
Cette relative absence d’initiative s’explique en partie par les contraintes ceux-ci ne disposent (par exemple par rapport aux tantristes du Dolpo, région quant aux traditions religieuses détenues par tel ou tel maître. L’examen des contradictions entre les préceptes doctrinaux textuels et les pratiques locales (celles-ci étant parfois étudiées à l’aune de leurs divergences avec ceux-là) a constitué un procédé récurrent dans l’anthropologie du bouddhisme à Ch’ongkor montre qu’il convient plus largement de distinguer, pour le moins, des déterminismes sociaux pas toujours reconnus explicitement (telle l’appartenance à une maison détenant un jeu de textes rituels), des normes locales explicites (l’accomplissement d’une retraite), la pratique locale (qui bouddhisme tibétain (selon lesquelles une initiation est également nécessaire).
avec l’orthopraxie, ou à y échapper par l’invention d’une nouvelle théorie de la transmission de l’initiation (qui en l’occurrence ne trompa pas son monde et avons vu que cette notion trouvait des échos dans des conceptions tibétaines assez répandues. Elle s’inscrit en fait dans un ensemble de représentations pencher.
GOMBRICH,
.
145
1. Une typologie tibétaine assez répandue distingue trois formes de lignées religieuses : la lignée héréditaire ( de réincarnation ( 54 de maître à disciple ( . S’y ajoute 55 ) religieuse de base est celle de la transmission de maître à disciple, appelée . Le terme , « lignée de transmis un enseignement donné. Il peut toutefois aussi désigner la suite de religieuse, ou encore une lignée héréditaire de haut niveau socioreligieux. La lignée de réincarnation, en revanche, ne saurait constituer à elle seule la lignée de transmission d’un enseignement : celui-ci doit être transmis par lignée héréditaire de religieux ( ) n’est pas nécessairement une lignée de transmission de maître à disciple, même si elle fonctionne parfois ainsi. 56 . Il ne s’agit toutefois pas des mêmes formes d’autorité. Les lignées de transmission d’enseignements véhiculent l’autorité de pratiquer, voire de transmettre à son tour, un certain enseignement 57 . Dans la lignée de réincarnation se transmet une autorité spirituelle moins précise, mais qui s’appuie sur une base dogmatique : en théorie le maître est d’un
une lignée héréditaire de religieux ne fait l’objet d’aucun dogme, d’aucune de tantristes tibétains, mais n’est pas attesté dans les sources concernant le bouddhisme indien. pour des lignées de haut statut social ou religieux. Les Ch’ongkora acceptent cette désignation dans le cas de leur ancêtre prestigieux, Lama Tsapgyepa, ordinaire, comme mais, dans leur perception, pas du même statut socioreligieux.
54. S. C. DAS,
T. RIGZIN, ), p. 57.
1
C. M. CANTWELL 55. 56. 57. S. BEYER,
146
On observe dans les élites de culture tibétaine et apparentées des cas de superposition entre une lignée héréditaire de religieux et une lignée de réincarnation. Celui des Ch’öje (aristocratie religieuse bhoutanaise) de Sombrang illustre la quasi-fusion des deux principes. Sept réincarnations successives d’un religieux de la famille furent trouvées parmi ses descendants de la précédente incarnation 58. Plus couramment, comme dans le mouvement œcuménique Rime, au Tibet oriental aux XIXe et XXe familles de haut statut religieux, liées entre elles par de multiples liens de réincarnation et de maître à disciple 59. , certes de statut plus modeste, on Dans le clan des tantristes ) reconnus, à quelques se souvient de deux cas de maîtres réincarnés ( générations d’intervalle, dans un même segment du clan. Il s’agissait, dans un cas, de la réincarnation d’un religieux du Shöyül (Baragaon septentrional) et, dans l’autre, de la réincarnation d’un maître du clan Ngadak (bar. Ngapta) du Nubri, clan de religieux de statut social extrêmement élevé. Ce second avait été à la tête d’un temple, et y commença sa formation religieuse. Un jeune oncle du . Sa femme le railla pour son immodestie. reconnus au Baragaon dont j’ai entendu Ce sont là les deux seuls cas de parler. Le statut socioreligieux assez élevé de leur clan contribua peut-être à
de religieux d’une certaine stature locale : des , un moine qui dirigea brillant, mort précocement. Dans Dzong Ch’öde, ou encore un jeune quatre cas, la réincarnation fut reconnue à Ch’ongkor, dans le clan de Lama Tsapgyepa, dont deux fois dans la propre maison du défunt et une autre , « (re) fois dans son segment de clan. La réincarnation est appelée *
) : il déclare que telle maison
58. M. V. A RIS, « New Light on an Old Clan of Bhutan : The sMyos-rabs of Bla-ma gSangUEBACH – J. L. PANGLUNG (éd.), , Munich, Bayrische Akademie ür Zentralasiatische Studien, 1988, p. 15-24 (p. 24). 59. E. STUTCHBURY, « The Making of Gonpa : Norbu Rinpoche from Kardang and Kunga SAMUEL – H. GREGOR – E. STUTCHBURY (éd.), , New Delhi, International Academy of Indian Culture & Aditya
par une autre.
147
. Elle peut entraîner des cadeaux, voire un rapprochement comparable à une adoption partielle, comme dans le cas de Ten Dorje ( 61
deux cas, celui qui disparaît est appelé, dans une certaine mesure, à reprendre place dans sa famille, dans son groupe. Par ailleurs, entre Ch’ongkor et les grandes familles religieuses tibétaines apparaît clairement une continuité lignées héréditaires. 2. Dans certains milieux de tantristes, la lignée héréditaire apparaît associée de Ding-ri à la transmission de qualités religieuses. Selon Aziz, les appelé . Si un membre de lignée de ne devient pas religieux, ce potentiel est transmis néanmoins à la génération suivante 62. En fait, le terme potentiel qu’elle véhicule reçoit des gloses variées. Certains tantristes parlent de exercice nécessite d’abord une formation, et en particulier une retraite. Selon Ts’ampa Ngawang, du clan Shari Pön-gyü, la lignée héréditaire transmet une , ou ), qui ) et des actions vertueuses résulte de l’étude, de la pratique religieuse ( , bar. ) accumulées par les religieux des générations précédentes. ( Les Ch’ongkora toutefois n’évoquent pas de telles propriétés de la qui pourrait y être associé lignée héréditaire. Mes questions sur le ülku de Jomsom, maître de la communauté de Lubra, eut aussi une réponse des Shu , dubitative, bien qu’il appartienne au grand clan de religieux , « comme pour les [hiérarques] dont tous les hommes sont considérés des
) ou « pouvoir ) 64 véhiculé par une lignée . Selon lui, néanmoins, c’est la pratique personnelle qui compte avant tout, une position
61. D. BÄRLOCHER, , Zurich, Tibet-Institut Rikon, 1982. 62. B. N. A ZIZ, D. LHAGYAL (éd.), 64. Pour cette distinction,
148
K ARMAY – Y. NAGANO
nüpa
ch’inlap,
doute largement sur la transmission héréditaire des qualités religieuses. Je n’ai relevé qu’un seul cas où un Ch’ongkora évoqua spontanément (
) de la lignée de l’os ) de Lama Tsapgyepa. Dans cette formulation toutefois, le
le discours selon lequel les tantristes de Ch’ongkor seraient détenteurs du et transmission de qualités religieuses, ne trouve maintenant plus de défenseurs. la famille K’ön est considéré comme émanation d’un ou de plusieurs des ) est ici appropriée 66 religieuse fortement valorisée est transmise de façon héréditaire en lignée 65
du et évoquées plus haut, posent la question de l’appropriation d’une autorité religieuse par des groupes se perpétuant par hérédité. Si la
l’orthodoxie doctrinale. héréditaire de qualités religieuses tient sans doute en bonne part à des facteurs Shari Pön-gyü constitue un paradigme central 67 les Ch’ongkora sont à un point critique de leur histoire ( ). La menace, assez religieux de lignée héréditaire.
CASSINELLI – R. B. EKVALL,
,
66. M. WEBER, , Berkeley, University of California Press, 1978 (19221 67. N. SIHLÉ, « Pour le bien des êtres et de la doctrine : L’action altruiste dans la culture tibétaine à travers l’exemple du religieux et médecin Ts’ampa Ngawang (Jomsom, nord du mémoire de DEA, Nanterre, Université de Paris-X, 1995.
149
3.
socioreligieuses peuvent aussi sous-tendre l’association, courante en milieu de tantristes, entre lignées héréditaires et lignées d’enseignement. Chez les ), du clan Shari Pön-gyü, la divinité domestique ( tantristes ) de leur Jakpa Melen, est aussi une des divinités protectrices ( Jowo Shar-tsen, la divinité domestique des descendants agnatiques de Lama Tsapgyepa, ne joue aucun rôle dans la tradition des tantristes de Ch’ongkor. Plusieurs maîtres de l’ancien clan Ya-ngel, dont le fondateur de Lubra, furent détenteurs d’enseignements de haut niveau, la tradition de pratiques appelée Shangshung Nyen-gyü, de Grande Perfection (Dzokchen) 68
de ces enseignements 69. Aujourd’hui en tout cas ces derniers ne sont plus transmis à Lubra. La tradition actuelle est constituée essentiellement de rituels tantriques associés à diverses divinités tutélaires, et nombre de tantristes ignorent même le nom Shangshung Nyen-gyü
, , et
).
4. Lignée des Maîtres Lor-gyü Pour les religieux instruits du Baragaon, un véritable est détenteur de Ch’ongkor est d’enseignements. Il peut accorder des initiations. Le plutôt au sens d’un religieux à la tête de la hiérarchie d’une communauté. et sur l’aînesse, éléments qui impliquent au moins une expérience. prononcé ici
68. C. R AMBLE
69. C. R AMBLE
, ) qu’ils invoquent dans certains de leurs rituels ? En
K ARMAY, , Londres, Oxford University Press, 1972, et S. G. K ARMAY, « A
souvent appelée . présentant des coupures, le lien entre les grands maîtres de la transmission les maîtres de la lignée. ), commence avec Lama Tsapgyepa et cite une vingtaine ( de personnages qui sont donc des religieux locaux. Bien que composé par des Ch’ongkora, et lu ou récité dans presque tous les rituels, ce texte pose
religieux et les normes qui gouvernent le genre du . Il permet aussi d’interroger les conceptions et enjeux locaux relatifs à la fonction de . Le texte même est assez simple. Il consiste essentiellement en une liste de noms, précédés de titres, liste encadrée de quelques formules générales : (
)
ü
(
STEIN,
, p. 119.
TUCCI,
Londres,
151
Cette version du texte, celle de Ts’ering Hritar (du segment de clan B), second de la hiérarchie du temple, est, avec vingt-trois noms, la plus que les quinze premiers noms environ. L’identité du dernier religieux permet toutefois d’y voir plus clair. Selon plusieurs informateurs, il s’agirait d’un certain Panjor Gyamtso plus connu sous le nom de Lama *Kolu (approx. hérité par Ts’ering Hritar 71. La liste ne mentionne toutefois aucun des cinq des générations précédant Kolu dont se souviennent encore aujourd’hui les Ch’ongkora. Une question cruciale est celle de la nature exacte de cette ( ) : s’agit-il d’une lignée de transmission de maître à disciple, succession des à la tête de la communauté de Ch’ongkor ? Ce n’est pas la de la communauté et un disciple à lui qui devient même chose : entre un à son tour, d’autres religieux peuvent avoir occupé la fonction de . Lama Tsapgyepa et Lama Kolu, laisse penser qu’il s’agit des de la communauté plutôt que de générations de maîtres et disciples (pour chacune desquelles il faudrait sans doute compter un écart moyen d’au moins vingtcinq ans : une séquence d’une vingtaine de générations serait impossible) 72. classique, il s’inspire dans la forme et le vocabulaire de la norme de référence , désignation classique du maître et du disciple. Le début du texte, qui invoque étonnantes, en ce qui concerne les maîtres de l’avenir) pourraient traduire la volonté de combler une lacune, par exemple l’absence de lignée avant Lama Tsapgyepa . à employé actuellement à Ch’ongkor, pose question. Il pourrait traduire une sorte de mode, mais pourquoi refuser à un religieux le titre le plus prestigieux, celui de dans la tradition de Ch’ongkor : par exemple l’arrêt de la transmission de l’initiation. Nous sommes toutefois condamnés ici à des spéculations. Ce document fascinant, construit par ajouts successifs au cours de l’histoire de la tradition locale, évoque les anneaux révélés par la coupe du
71. Notons que l’identité des noms ne prouve rien en soi. Un garçon reçoit souvent le nom de 72. Rappelons que Lama Tsapgyepa aurait vécu dans la seconde moitié du XVIIe Tenzin Samphel.
152
tronc d’un arbre, y compris jusque dans les possibles traces d’accident de et par son interaction avec à la fois la tradition vivante de la mémoire et le comme nous allons le voir maintenant, à diverses tentatives de récupération . du prestige de la fonction de Ici émerge dans le discours local un autre type de lignée, la lignée de clan, récents de son
serait propre à son segment (le segment C), et qu’il faudrait ajouter à la liste les Ngakpa
74
illettré, se dispute parfois à ce sujet avec son voisin, Lama Kemi, dont il dans sa lignée (et n’en aurait sans doute (« peut-être quarante ou de penser le texte à la façon d’une généalogie, et la lignée des
de
de la vie et de l’identité sociale des Ch’ongkora : la maison, la lignée, voire le segment de clan. Nous observons par ailleurs qu’un texte portant la marque de statut pour les acteurs, même illettrés, comme Ngawang, qui évoluent à l’intérieur de cet ordre. ü ou de Ch’ongkor, la lignée de l’os de Lama Tsapgyepa était celle de tel ou tel des maîtres. Nup Sang-gye Yeshe, disciple important de Padmasambhava et reprises. Encore une fois, une lignée de maîtres est pensée en termes de autorité religieuse sur l’initiation conçue comme qualité de leur os.
74. bla-rgyud nyi-shu-rtsa-lnga yod.
IV. Conclusion qualités religieuses de la lignée de l’os, celle-ci se retrouve bien au centre de leur pensée et, dans une certaine mesure, de leur revendication d’un statut champ du religieux – tout comme l’ordre social local (chap. II) – est structuré critiques. Selon un vieux moine et médecin ( est
) de Dzar : est
est
(prestigieux), d’une lignée commune, vile.
tibétains, et vit surtout à Kathmandu, est critique aussi. Dépourvu de lignée évoqua le cas de Ch’ongkor ; il commenta alors : « On peut appartenir à la ) d’un lignée héréditaire ( « il existe beaucoup de ( ), les Ch’ongkora ne disent pas autre chose. L’inné et l’acquis sont en tension dans (la formation essentiellement, voire l’initiation formelle), tout en pensant le Ainsi, dans leur propre perception de leur identité religieuse, les Ch’ongkora ne se voient pas simplement comme des « des maillons dépersonnalisés dans 75 . Le trait pourrait convenir pour le clergé monastique, mais être tantriste, à
pas sans pertinence dans le cas de la présente forme de prêtrise bouddhique 76. d’autorité dans certaines traditions, doit aussi être pensé, notamment dans les
75. V. BOUILLIER – G. TOFFIN 76. V. BOUILLIER – G. TOFFIN
154
traditions tantriques, comme être de pouvoirs 77 surtout, des spécialistes du pouvoir. Leur savoir-faire rituel vise surtout à mobiliser de puissantes forces rituelles et divines et, dans une certaine et leur hérédité même (leur os), ils sont religieux du pouvoir y compris en un
77. V. BOUILLIER – G. TOFFIN
155
CHAPITRE IV RITUELS TERRIBLES, RITUELS PAISIBLES Le présent chapitre analyse le champ rituel des tantristes de Ch’ongkor à travers sa structure, ses grandes catégories et des exemples de rituels marquants. Il est centré sur l’examen de la dualité des modalités rituelles paisible et violente, une clé essentielle dans l’appréhension de la spécialisation entendu la catégorie de
(skt.
). En référence à des rituels, ce
question présentent des degrés de violence divers, du simple repoussement à la destruction violente (typiquement d’entités démoniaques, ou d’ennemis
1 . Dans un premier temps, à partir de données structurelles et diachroniques,
préciser l’articulation entre le monde du bouddhisme tibétain et l’ordre local. Plus généralement, ce chapitre reviendra de façon plus approfondie sur les questions méthodologiques et théoriques complexes que suscite l’inclusion (à mon sens, indispensable) des textes écrits, en tant qu’objets matériels mais aussi dans leur textualité même, dans l’étude ethnologique d’un univers socioreligieux comme celui de Ch’ongkor 2.
I. Construction d’une tradition rituelle locale 1.
1. ZHABS-DRUNG – DANG Y. , (ressource numérique), dans A. MONTANO PELLEGRINI
VALBY,
2. Une version anglaise de certains des arguments développés sur ces questions (essentiellement dans ce chapitre et le précédent) est parue dans N. SIHLÉ Local and the Global: Some Anthropological Considerations on a Local Corpus of Tantric CABEZÓN (éd.), , New York,
157
des textes principaux (
) associés à une ou plusieurs divinités tutélaires, . Cette phase se conclut ) appelé , « 4
souvent par un petit rituel des multitudes (
de la prospérité, l’exorcisme, etc. Par ailleurs, les deux phases comportent aussi des actions rituelles secondaires, tels l’éloignement préliminaire des , ou des couplets de conclusion de bon augure 5. ) sont omis. La Dans quelques rituels simples, les textes principaux ( plupart, toutefois, évoquent au travers de tels textes une combinaison variable de divinités tutélaires. Les deux divinités centrales sont Padmasambhava et
tantristes de Ch’ongkor, font intervenir au moins les textes principaux de ces trois divinités. Ceux-ci forment le noyau du principal cycle rituel ( ) de la tradition locale. Les autres rituels font souvent intervenir plusieurs divinités tutélaires, mais n’évoquent pas à la fois le Lowen et le Yidam. Une distinction est souvent , sont centrés sur le Lowen, tandis , sont basés sur le Yidam. Ces modalités rituelles correspondent approximativement à l’aspect des deux divinités. en revanche est vénéré à Ch’ongkor en tant que Guru Ts’en-gye, le « Maître courroucées. Dans la pratique, les principaux rituels domestiques des tantristes de Ch’ongkor se conforment à ce schéma : ainsi, les exorcismes s’appuient tous divinités tutélaires, comme , mais centré sur le Lowen (Padmasambhava). Les gâteaux rituels des principales divinités invoquées dans le rituel sont placés en ordre d’importance décroissante, de droite à gauche sur l’étage supérieur de l’autel : d’abord le Lowen, suivi du Yidam (si tous deux sont présents), puis Ch’akdor, suivi des protecteurs de la doctrine. En tête de ceux-ci vient en général Gombo Takshön, le « Seigneur chevauchant un
M. STRICKMANN, , p. 25, 47-48). 5. L’étude la plus approfondie de la structure des rituels tantriques demeure celle de S. BEYER, .
158
. Cette séquence rappelle un schéma assez répandu, qui ordonne les divinités principales d’une tradition rituelle selon une hiérarchie de catégories, hiérarchie respectée dans tout acte de culte 7 de ce schéma forment une triade importante dans le bouddhisme tantrique, 6
Celle-ci regroupe les maîtres, – chez les en premier lieu (skt. Padmasambhava –, puis les divinités tutélaires, ), divinités tantriques féminines, importantes dans la transmission des , les principaux d’entre toutefois assez peu employé 8. importance proprement identitaire. La tradition religieuse de la communauté est souvent désignée en référence à la seconde divinité, de son nom importance, sous des formes variées, dans nombre de traditions tantriques 9. Dans le temple de Ch’ongkor, la statue du Yidam, placée juste à côté du trône , ressort par rapport à celles des autres grandes divinités, alignées du le long du mur du fond ( du Dögyap est centré sur Ch’arka Nakpo, autre forme de la même divinité. Padmasambhava, représenté par une grande statue au centre de l’autel du temple, est aussi une référence identitaire forte. Les chapelles domestiques des Ch’ongkora contiennent toujours en position centrale une statue du « Précieux soi, la communauté étant occupent une place importante dans le discours des tantristes de Ch’ongkor sur ce qui les distingue, en tant que tantristes, des moines. Même si la réalité des rituels est moins tranchée, certains discours associent le Bouddha au versant monastique, à l’action paisible et à l’abstinence, tandis que les l’acte violent et de la consommation d’alcool. Dans une certaine mesure, ces
VON NEBESKY-WOJKOWITZ, 7. Pour une excellente introduction à la structure du panthéon dans le bouddhisme tantrique,
ü
présentation détaillée de S. BEYER, 8. Les grands rituels collectifs du temple comportent un gâteau rituel ( entre les Il semble être perçu comme associé à de vagues divinités protectrices ( 9. S. BEYER, , p. 42-44 ; M. A. MILLS,
) appelé
,
) anonymes.
SIKLÓS B.,
159
respectives des moines et des tantristes, et l’objet de cultes particuliers (de fait, Padmasambhava est la principale référence fondatrice et cultuelle de la tradition Nyingma). Elles représentent aussi, pour de nombreux religieux, des archétypes, moine dans un cas, tantriste dans l’autre. 2. Le cycle rituel centré sur le Lowen, le Yidam et Ch’akdor ne constitue qu’une partie de la tradition rituelle composite de Ch’ongkor. Certains rituels, tel le rituel funéraire , sont connus pour être des ajouts tardifs, mais en composantes et l’époque à laquelle elles furent agrégées. Plus que de simples de voire de cas, plus ou moins systématique par lesquels des rituels, ou des fragments de rituels, relevant à l’origine de transmissions distinctes, furent combinés en de nouvelles unités . Ainsi, dans nombre de rituels de Ch’ongkor, la cohérence entre les textes principaux, centrés sur des divinités tutélaires données, et les appendices rituels qui sont lus ensuite paraît pour le moins problématique. de culte de la divinité domestique, Padmasambhava Dans le rituel est invoqué dans la phase initiale, mais le principal appendice est placé sous les divers textes des appendices rituels constituent un tout ordonné, cohérent, centré sur une même divinité (ici, Ch’arka Nakpo) 11. Les textes principaux lus pour un rituel donné trahissent eux-mêmes
plutôt se combinent, par exemple le cycle de Ch’arka Nakpo dans le rituel de Dögyap 12, ou celui de Yangdak dans le rituel collectif auquel cette divinité
LÉVI-STRAUSS,
GELLNER 11. Pour le moine
érudit M. Ricard (communication personnelle), le principe
même, comportant à la fois les textes principaux, centrés sur une divinité tutélaire donnée, et les appendices rituels, dans lesquels la même divinité est exhortée à agir dans le sens souhaité.
cycle tantrique distinct de celui du Yidam.
donne son nom. Dans le cas du Dögyap, la réunion de divinités de deux cycles donne lieu à la simple juxtaposition des gâteaux rituels respectifs : le de Ch’arka Nakpo est inséré entre ceux de Ch’akdor et des protecteurs. Dans (lit. « en les l’autre. Ils marquent souvent un temps de pause, pour repérer le passage où la fondent alors véritablement en une récitation unique. Les rituels de Yangdak et de Narak sont marqués par un rapprochement formel plus abouti encore, plus intime : les gâteaux rituels des divinités principales des cycles qui les constituent sont fusionnés. Ainsi, dans le rituel ) en de Yangdak, les un seul ( les rituels des tantristes de Ch’ongkor se trouvent réunies dans une courte , ou séquence textuelle qui clôt tous les rituels, celle de . Le premier vers plante un cadre typique de rituel terrible, puis le texte se poursuit par la liste des divinités appelées à repartir : Du 14 , les quatre divinitésbourreaux masculines, les quatre divinités-bourreaux féminines, les vingt et
15
, le grand
mantras des familles [des bouddhas], l’assemblée des quarante-deux divinités paisibles de l’Éveil, l’assemblée , skt.
),
des divinités de la Parole, Yangdak [et] l’assemblée des divinités de l’Esprit,
assemblées de divinités des Huit Enseignements de Grande Réalisation, vous
, est l’une des principales divinités protectrices dans la tradition Nyingma : VON NEBESKY-WOJKOWITZ,
BEYER,
étonnant dans ce contexte.
161
céleste, les Seigneurs du Corps, Seigneurs de la Parole, Seigneurs de l’Esprit, les Seigneurs des Qualités et des Activités, le Seigneur Takshön (« Qui Le (protecteur) lié par serment Dorje Lawa (tib. Dorje Lekpa), qui exécute , la divinité protectrice Dorje Lawa, le chef des l’écrasement des démons Dorje Lawa, le chef du pays Dorje Lawa, le chef du commerce Dorje Lawa, le chef d’armée Dorje Lawa, tous les Dorje Lawa, vous tous aussi
La liste se termine par l’évocation de divers groupes de divinités, certaines associées aux richesses, d’autres à l’exorcisme par exemple, et en particulier ou à l’activité d’écrasement ( ) plus généralement. Le texte au translittéré est donné en annexe. Ce texte est important en tant que construction locale d’un discours assez cadre terrible de son rituel de
. Padmasambhava est relégué au second rang. ), associées au , puis les Huit Enseignements (Ka-gye), un important cycle
démons . Ainsi des références à ce violent exorcisme sont incluses, par l’intermédiaire de ce texte, dans tous les rituels des tantristes de Ch’ongkor, . La nature structure et de la logique rituelles) d’un bricolage, par la relative incohérence d’une injonction de repartir s’adressant à une longue liste un peu hétéroclite de divinités, associées à des cycles rituels divers, divinités qui ne sont en fait jamais toutes invitées dans un même rituel 16.
recomposés et mêlés d’éléments étrangers, les textes de cycles distincts en avant l’idéologie du bouddhisme tantrique laissent la place à un bricolage rituel, déjà connu dans les ingrédients et procédures matériels du rituel tantrique, mais qui se manifeste ici également au niveau de la structure des rituels et cycles rituels. Il y a là sans doute un contraste avec la communauté monastique voisine. Alors que les textes des tantristes de Ch’ongkor sont manuscrits,
d’une cohérence générale puisse prédominer.
162
nombre de ceux des moines de Dzong sont imprimés ; certains sont même des impressions récentes, obtenues par l’intermédiaire du réseau de l’ordre
3. L’introduction de la tradition rituelle locale par un maître originaire du Tibet central au XVIIe ses facettes nous renvoient donc à une certaine articulation entre le monde plaçant d’emblée dans un espace intermédiaire, ou décalé. Il a été question à plusieurs reprises dans cette étude des relations et contrastes avec l’élite du bouddhisme tibétain. Un schéma opposant religion d’élite et religion populaire serait toutefois inapproprié. Une acception courante de ces termes renvoie à l’opposition, sans grande pertinence pour l’étude présente, entre religion instituée et ensemble de croyances et pratiques non systématisées, dépourvu d’institutions propres 17 ; une autre à l’opposition entre élites religieuses (hiérocrates ou virtuoses) et, globalement, masses populaires, leurs formes de religiosité respectives, et sans exclure sans préciser le partage éventuel de nombreux traits 18 perçue par l’élite des grands centres religieux comme ignorante et appartenant à ce qui est au centre de cette étude : des spécialistes religieux autres que l’élite tibétaine, inscrits dans un univers local doté d’une cohérence propre, mais participant aussi d’une grande tradition, multiforme et pan-tibétaine, qui Dans son étude du catholicisme dans la Nouvelle Castille au
XVI e
17. Pour le cas de la religion chinoise, voir M. SHAHAR – R. P. WELLER, « Introduction : Gods SHAHAR – R. P. WELLER (éd.), G. SAMUEL, 18. S. SHAROT,
, chap. X, ainsi que N. SIHLÉ
dans lequel le clergé n’avait qu’une autorité limitée 19 contrairement à la Vierge ou au saint vénérés en tel lieu sous un nom
. Eu égard à la présence de l’écrit dans la religion du village, Marriott suggéra de voir en celle-ci . Un certain consensus a toutefois émergé : l’hindouisme ne saurait être décomposé, même en faisant la part d’interactions, en deux strates caractérisées par des croyances et pratiques 21
22
irrémédiablement problématique . La même objection vaudrait pour toute 24 .
19. W. A. CHRISTIAN, Jr,
, Princeton, N. J., Princeton
R. R EDFIELD 228, R. R EDFIELD R. R EDFIELD – M. B. SINGER
15/1 (1955),
21. M. M ARRIOTT (éd.), 1955, p. 171-222, et M. N. SRINIVAS, New York, Asia Publishing House, 1952, chap. VII. 22. C. J. FULLER, L. DUMONT
M ARRIOTT , Chicago, University of Chicago Press, , , Delhi,
POCOCK TAMBIAH,
de formalisation des relations au niveau de la civilisation et de son histoire. S. SHAROT, G. E. CLARKE E. STEINKELLNER – H. TAUSCHER (éd.),
164
, R AMBLE,
leurs manifestations plus populaires ou communes 25. Certaines de ces formulations, comme nombre de schémas dualistes opposant niveaux savants et populaires, préceptes doctrinaux et pratiques, textes normatifs et réalité vécue, traduisent une vision asociologique, et parfois anhistorique, du premier terme de l’opposition 26.
de poser la question essentielle de l’articulation entre un ordre local et une d’étudier le rôle notamment des spécialistes religieux et de divers médias . Le présent travail rejoint les préoccupations récentes qui, dans le prolongement de ces suggestions en somme, se tournent vers l’étude détaillée des institutions, des médias et des processus (de communication, 27
l’articulation entre grandes traditions religieuses, ordres socioculturels locaux et contextes régionaux, nationaux ou plus globaux 28. L’étude de Ch’ongkor a ainsi souligné que cette tradition locale de spécialistes n’était pas intelligible en dehors de tout un contexte à la fois d’isolement subi, de relative fermeture sociale, mais aussi d’interactions, avec la grande tradition du bouddhisme tibétain, le monde tibétain plus largement, l’État népalais ou d’autres ensembles encore. Pour cette communauté dépourvue de liens institués avec des centres religieux tibétains, les contacts et interactions les plus marquants furent ponctuels et souvent fortuits, comme méridional, avec l’enseignement de
(
conséquences majeures sur l’organisation du patronage ( ), ou lorsqu’un moine tibétain réfugié au Baragaon critiqua la pratique du hrinen , ( ). Par ailleurs, dans cette communauté de tantristes, les liens avec l’extérieur et la connaissance du monde extérieur sont structurés ou
25. G. OBEYESEKERE, « The Great Tradition and the Little in the Perspective of Sinhalese SPIRO, , p. 5 et . 26. J. R. BOWEN 27. R. R EDFIELD 28. P. S. SANGREN, « Great Tradition and Little Traditions Reconsidered : The Question M. SHAHAR J. R. BOWEN – R. P. WELLER monde tibétain, dans un ordre d’idées comparable, C. R AMBLE voire G. E. CLARKE E. STEINKELLNER – H. TAUSCHER (éd.), , Vienne, Arbeitskreis fü
165
: les Ch’ongkora fréquentent de grands maîtres surtout du lieu d’origine du fondateur de Ch’ongkor, Ukpaling, provient des récits des moines transnational du bouddhisme tibétain, avec des conséquences notamment sur son versant monastique, et par ce biais aussi sur les rapports de force et de prestige entre tantristes et moines de cette petite société de l’Himalaya. Un média important dans l’articulation entre l’ordre local des tantristes et le monde du bouddhisme tibétain est constitué par l’écrit, et en particulier les textes religieux. Dans un contexte où la maîtrise de l’écrit (tibétain) est au mieux partielle, et limitée à une minorité, la nature de ce média demande à être examinée de façon critique. Je me bornerai ici à quelques ( hri , et , en particulier ). , il est peut-être plus pertinent ici de souligner leur ( forte interpénétration . Dans le cas du texte ), on voit comment un genre important de 29
adapté aux institutions religieuses de Ch’ongkor, puis le produit réinterprété d’ancrage direct dans l’écrit aussi être quelque peu nuancée . Idéalement, un texte rituel est invariable, et ceci est constitutif de son autorité, mais les tantristes locaux vivent dans un divergent parfois et ne font jamais qu’imparfaitement autorité. trop fortement
de l’écrit et de la transmission religieuse .
29. J. GOODY,
, Paris, Éditions de Minuit, 1979, J. GOODY, , Cambridge, Cambridge University Press, 1986, et , Cambridge, Cambridge University
J. GOODY, Press, 1987.
W. A. GRAHAM, , Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 156. LEWIS, , Albany, State GOODY,
C. GEERTZ
166
J. P. PARRY, « The Brahmanical Tradition and the OVERING (éd.), , Londres, Tavistock
rituel et d’éléments linguistiques dépourvus de contenu sémantique, comme la mélodie d’un texte psalmodié. Il faut considérer aussi toute la part des textes dépourvue de sens pour les religieux : mantras dérivés du sanskrit, mais aussi termes techniques non maîtrisés, symbolisme tantrique complexe, formules obscures, ou passages dont le sens s’est détérioré suite à des copies successives et à la dégradation matérielle des textes. L’importance de cette part d’inintelligible varie selon les contextes, et selon qu’il s’agit par exemple de religieux tibétains érudits ou de spécialistes de formation textuelle plus modeste de Ch’ongkor, voire de populations de langue non tibétaine comme les Tamang. Rares sont les textes, comme l’ ( ), qui présentent pour les Ch’ongkora une forte valeur expressive. Ici le texte et la parole rituels, au travers et au-delà de leur contenu sémantique, sont avant tout des instruments pour la mobilisation de pouvoir rituel.
II. Le terrible et le paisible 1. , distingue des rites de
d’ennemis personnels, ou de toutes sortes de démons) apparaît structurée plus couramment par une opposition binaire entre rituels . Ce second schéma n’est pas une ne simple version réduite du premier. Dans cet usage plus courant, . De même, celui-ci correspond plus à une modalité ; fortement associé aux rituels de destruction, il ne se réduit pas à ces derniers, mais inclut aussi l’usage d’une ) des violence plus contenue, comme dans le simple repoussement ( et seront désormais entendus démons. Sauf mention du contraire, La qualité présente des degrés, parfois au sein d’un même rituel : les actes qui composent un rituel d’exorcisme ne sont pas d’une force ou , dans l’exorcisme collectif Dögyap (
dans et C. GEERTZ SNELLGROVE,
, p. 257-259. L’ensemble complexe de notions ORTNER,
167
perçu comme le plus violent du rituel. Selon l’un des tantristes, deux grands rituels du temple de Ch’ongkor, le Dögyap et le Yangdak, se caractérisent par une montée en violence, marquée par l’accélération de jour en jour du rythme de la lecture des textes principaux. La formule rythmique la plus rapide des tambours est appelée
divinités courroucées peuvent être de puissants alliés dans l’activité rituelle,
elles sont consacrées. Par ailleurs, la tradition de Ch’ongkor, centrée sur le Des religieux instruits indiquent que des obstacles ou infortunes ( peuvent survenir si une telle tradition n’est pas pratiquée correctement.
)
ou courroucé des divinités et certaines caractéristiques des gâteaux rituels ). Précisons qu’un sert de support à une divinité supérieure ( général comme irritables ou féroces ; seules les divinités supérieures ont des , les teints en rouge formes tantôt paisibles, tantôt courroucées. , et les sont plutôt associés aux divinités courroucées et au mode activités paisibles. Pour celui qui est familiarisé avec le symbolisme tantrique, , Ces associations sont toutefois imparfaites. Les gâteaux rituels associés au Yidam comme au Lowen sont rouges. Tout au plus le premier comportet-il une grande marque triangulaire sur sa partie supérieure, une association explicite avec l’activité terrible, alors que le second ne présente aucun autre élément relevant d’un tel symbolisme ( à l’action puissante, reçoit un la lignée fondatrice de Lubra, me dit à plusieurs reprises que les Ch’ongkora, qu’il n’avait en fait pas dû voir souvent à l’œuvre, confectionnaient beaucoup que dans sa propre tradition. Cette revendication par un plus de des marques extérieures de l’activité violente s’inscrit dans un tantriste ensemble de discours sur le pouvoir rituel ( entre autres , et ).
168
2. dokpa lü , Dans les représentations locales, le domaine de l’activité violente, recouvre de nombreux types particuliers de rituels, ainsi que les deux (repoussement) et lü (lit. catégories plus larges et englobantes de fois dans les textes rituels et dans le discours local. Le terme intervient , rituel de « repoussement des dans le nom de divers rituels, comme , rituel démons désigne aussi le simple de « repoussement des démons geste de battre des mains, souvent neuf fois, éventuellement en murmurant constitue plus largement une autre, paisibles ou violents. Un rituel complexe comme l’exorcisme Dögyap peut comporter plus d’une dizaine de sections de repoussement, réparties dans les divers textes qui le composent. discours local est celle de lü mêmes appelées lü. Il y a d’une part des rituels de lü . Le nom de ces rituels comporte le terme : par exemple Ces rituels sont en général courts et dépourvus de lecture préliminaire de ) associés à une divinité tutélaire. Selon un religieux textes principaux ( assez modeste de Dzar, ce ne sont pas de « grands un fort pouvoir rituel ( divinité domestique ( ) ou de l’écrasement des démons . D’autre part (et dans une acception du terme semble-t-il plutôt locale), il , y a des rituels de lü structure sur laquelle ils sont centrés. Souvent plus complexes, ils reposent, dans les conceptions locales comme dans les textes, plus sur des notions de repoussement ou de destruction des démons et autres maux que sur celle de rançon. En fait, les textes mettent en jeu vis-à-vis des puissances hostiles agents du mal .
K ARMAY : G. TUCCI, , p. 177, et A.-M. BLONDEAU
169
peu. Bien plus présente dans leur discours est la notion d’une gradation du , violent. On distingue en particulier les rituels de destruction et de simple repoussement ( . Seuls les premiers, qui transgressent l’interdit bouddhique de prendre la vie, peuvent être problématiques. Les religieux instruits les désignent par l’expression consacrée d’écrasement, notamment des , ceux de destruction par le feu (les rituels , ou , sous leur de (voire de structures comme les ) . Ces rituels sont considérés comme similaires du point de vue de leur violence destructrice. Notons que le degré de violence rituelle employé ne dépend pas nécessairement du fait qu’il y a eu ou non agression de forces hostiles. Un rituel repose sur le principe qu’il y a toujours des démons et esprits à , le rituel domestique le apaiser, à repousser ou à éliminer. Ainsi, le plus violent de la panoplie locale, avec celui de destruction par le feu, était de la divinité domestique. Qu’ils se soient manifestés ou non, les démons
élargie, en référence à des pratiques de repoussement, d’expulsion, voire de destruction de démons ou autres entités malfaisantes, que ceux-ci se soient déjà manifestés ou non. correspond à des catégories variées, certaines plus génériques comme et, dans un registre plus bouddhisé, (responsables d’infortunes récurrentes) 41. La nature de ces entités n’est pas toujours aisée à déterminer. Certaines
M EYER (éd.), structure expulsée dans ces exorcismes.
dans le contexte du Baragaon) : CABEZÓN M. J. BOORD, ORTNER, 41. G. SAMUEL,
, p. 14 et chap. X.
le discours envieux des gens. Il est parfois suggéré que les démons puissent être des productions de l’esprit. Les sections textuelles de repoussement d’entités démoniaques : ennemis de la doctrine, démons en tous genres, , maladies, guerres, et parfois aussi, dans une ennemis personnels, veine plus doctrinale, émotions perturbatrices ( , skt. : désir, dissocier de classes d’êtres moins exclusivement hostiles (par exemple les divinités agressions fort semblables. Toutefois, face à ces esprits et divinités, les rituels mis en œuvre sont moins violents. L’accent est mis sur l’apaisement ou le rétablissement de relations harmonieuses.
un culte propitiatoire aux divinités ( de la prospérité,
ou
), centré sur la
, et le rituel funéraire
attributs de la personne, tel le
, dont l’objectif premier
(tib. 42
.
modalité rituelle dominante, celle de son objectif principal. Pour le reste, tous les rituels tantriques comportent des sections relevant de l’activité paisible sections relevant du pôle violent, en particulier de courtes séquences de repoussement. symétrie ni dans la structure interne des rituels ni dans celle du champ rituel. Dans la syntaxe rituelle tantrique, le culte, au centre des textes principaux ), est premier et généralisé. L’exorcisme, certes répandu en tant que ( simple section de repoussement, ne constitue qu’une des options possibles pour leur temporalité, plus nettement s’agissant de l’activité rituelle privée : ici les rituels périodiques sont le plus souvent paisibles : ce sont surtout des « rituels , qui s’inscrivent dans une relation pérenne distinction est moins tranchée dans l’activité rituelle collective. Pour résumer en deux mots la structure du champ rituel local, on a d’un côté des rituels non tantriques (essentiellement des lectures de textes, ) orientées vers la production de mérites et l’obtention de bénédiction,
42. N. SIHLÉ
171
et de l’autre des rituels tantriques, dont le pôle paisible est centré sur le culte propitiatoire et le pôle violent sur l’exorcisme, au sens large indiqué ci-dessus.
III. Les rituels privés : la divinité et le démon 1. La présentation des rituels de Ch’ongkor qui suit est structurée avant tout et . Ces notions correspondent par une distinction entre rituels , . Cette distinction analytique est répandue 44, mais son importance théorique est parfois négligée. Dans le contexte présent, en accord avec les perceptions locales, un rituel est dit collectif si la responsabilité du soutien matériel et l’autorité rituelle (celle de faire exécuter tel rituel, à tel moment, en tel lieu, par tels
lieu où le rituel se déroule, des personnes présentes pendant le rituel, ou des
cas limite est constitué par un rituel annuel de lecture de la Yum (texte de
certains rituels privés, centrés sur un individu ou sur une maison donnée, complexe comme la clôture des funérailles ( collective des tantristes (
) suppose l’implication
) et comporte visites, échanges de prestations matérielles et manifestation de réciprocité à l’échelle le plus souvent périodiques. Au-delà de cette dimension d’organisation, privée ou collective, la discussion suivante est sous-tendue aussi par une typologie des
d’englober des rituels de nature collective mais de dimension supra- ou infra-villageoise. Quant au 44. P. SMITH
BONTE – M. I ZARD (éd.), 1
172
45
, ou 46
47 48
religieux en domaines autonomes, séparés, alors que la religion tibétaine est 49 . En de perspectives qui souvent marque une même pratique . Mon point de du discours spontané des acteurs mêmes, en explore les implications 51. En l’occurrence, si parfois les Ch’ongkora soulignent la valeur symbolique d’un élément rituel ou attirent l’attention de l’ethnologue sur tel passage textuel, c’est avant tout dans une perspective instrumentale (prévenir des maux, plupart des rituels sont entrepris. Il ne s’agit pas de revenir à l’ancien débat sur la nature expressive ou instrumentale du rituel, mais d’adopter une approche ne négligeant aucune de ces dimensions, et attentive aux rapports complexes entre les deux 52. être appelées
(au sens d’activités axées sur des
de la vie présente, ou le , dans une perspective spirituelle ou sotériologique). Ce sont là deux pôles sur un axe, avec des positions intermédiaires, comme dans le cas de l’accumulation de mérites ou de la . Elle prédomine nettement, à côté d’une possible composante supramondaine, dans les retraites de pratique tantrique analysées plus haut. , ou domaine mondain , , « pratiquer
(
SPIRO, GELLNER,
, p. 191-192, S. SHAROT, , p. 5-7. , p. 5-7. 46. G. SAMUEL, 47. D. G. M ANDELBAUM TAMBIAH,
, p. 1-2.
48. M. E. SPIRO, 49. N. SIHLÉ G. LEWIS 51. M. F. BROWN 52. M. F. BROWN (1984), p. 545-558, et M. F. BROWN
GELLNER,
GLAZIER (éd.),
,
préoccupations mondaines. La pratique proprement sotériologique constitue un sens restreint mais important du terme des tantristes de Ch’ongkor. La prédominance, manifeste dans cette étude, de l’orientation mondaine pragmatique (et, dans la formation des tantristes, de l’obtention d’un pouvoir destiné à être appliqué dans cette même visée) rappelle l’importance que Reader et Tanabe (1998) reconnaissent à la ; la typologie présente rappelle toutefois qu’il convient de ne pas négliger d’autres aspects. présente) est caractérisée par ce que j’appellerai les
: des
les processions du Yartung, ), voire contestent un certain ordre sociopolitique, religieux ou cosmologique. Dans le monde tibétain, nous sommes ici dans un registre en partie extérieur à celui du rituel bouddhique techniquement parlant, et souvent marqué par des particularismes locaux 54. avec une divinité via un médium, peut être appelée ou (au sens propre des termes, et non au sens particulier que leur donne l’anthropologie symbolique) : l’acte vise ici avant tout la manifestation de sens. Il faut par ailleurs distinguer encore une autre forme de contact avec ou (mystique, le divin (ou l’absolu) : une orientation de 55 . Dans le contexte tibétain, de telles pratiques, comme certaines séances de psalmodie
R EADER – G. J. TANABE, , Honolulu, University of Hawai’i Press, 1998.
(D. N. GELLNER,
, p. 5-7) et de Sharot, qui distingue des objectifs religieux thaumaturgiques,
naturel) (S. SHAROT, tibétaine de G. SAMUEL, , inspirée du point de vue typologique par l’œuvre de Spiro (M. E. SPIRO, , Philadelphia, Institute for the Study of Human Issues, 1978 (19671), et M. E. SPIRO, ), et qui de fait se penche surtout sur la composante bouddhique du champ religieux, champ religieux tibétain est pourtant loin d’être inexistante, et fait intervenir parfois de façon centrale les acteurs et institutions bouddhiques (on pense par exemple au rituel d’État majeur
55. On peut penser aussi à ce que de Heusch a nommé l’adorcisme : L. DE H EUSCH, « Cultes de ABEL (éd.), , Bruxelles, ULB, 1962, p. 127-167.
174
par des groupes de femmes, participent aussi d’une visée supramondaine au sens indiqué ci-dessus, mais cette orientation se distingue, à l’analyse, par la recherche, dans le présent du rituel, d’une absorption, d’une ultérieurs. l’étymologie obscure, centré techniquement sur un exorcisme, les Ch’ongkora une orientation au même titre que les catégories précédentes, mais il convient 56 et l’importance que peuvent prendre l’habitude et la tradition. Insistons, pour conclure, sur le fait qu’autour d’une même activité mais parfois s’articuler de façon plus fondamentale, l’une venant par exemple renforcer l’autre de façon assez systématique. Ainsi, à travers voie considérés comme dotés de
cette pratique de virtuose, exceptionnels propres à engendrer des
rituels (bénédictions, amulettes, etc.) 57. En comparaison, les tantristes du plupart sont des spécialistes plus modestes, moins virtuoses. Toutefois, ) avec les puissantes divinités tantriques supramondaines (et ce d’autant plus que ces pratiques sont intensives, comme dans le cas des retraites de trois ans des tantristes ), ils demeurent fortement associés à la notion de pouvoir rituel, et recherchés comme spécialistes de rituels d’orientation mondaine. En somme, à l’orientation sotériologique est substituée (ou, chez certains, associée) une voie plus magique d’acquisition de pouvoir, mais pour le reste dont le champ d’application potentiel est bien plus large, mais l’objectif n’est pas d’entrer ici dans une discussion plus approfondie de cette question. Dans l’immédiat, cette typologie permet d’introduire et de préciser certains termes qui reviennent de façon récurrente dans la présente étude, et de suggérer un cadre plus large à l’intérieur duquel nous pouvons désormais situer de façon
56. J. GOODY MOORE – B. G. MYERHOFF (éd.),
TAMBIAH,
.
175
2. Les tantristes de Ch’ongkor ont une panoplie d’une trentaine de rituels, son extension et la nature des rituels, de celle des moines. Ils sont de loin les l’ensemble des cultes de la divinité domestique, , un rituel dont nous avons vu l’importance dans les relations de patronage ( ). Le prêtre qui accomplit le ( ou aux lu lu associées à la richesse et à la fertilité. Dans le registre paisible, un autre rituel , que je important, mais moins fréquent, est l’appel de la prospérité, n’ai pas pu voir pratiqué par les tantristes de Ch’ongkor. Le domaine de l’exorcisme, bien que fortement associé aux tantristes, d’exorcismes privés exécutés à Ch’ongkor, de sept (exorcismes , mais cinq rituels seulement de d’exorcismes, les petits rituels de rançon lü exceptés, sont plus rares). ; les deux variantes : de la vallée, et les tantristes de la communauté sont associés si fortement à ce puissant exorcisme qu’il serait presque incongru de faire appel à un autre spécialiste. furent accomplis par un tantriste En l’occurrence, les deux autres réputé du clan Shari Pön-gyü, qui exceptionnellement passa deux semaines à Ch’ongkor à la demande de sa sœur Pema Yu-tso (pas tout à fait , convaincue par les rituels des Ch’ongkora : de Ts’oknam sont l’usage de mantras, , de façon isolée, en dehors d’un cadre rituel plus . Malgré la large, souvent pour remédier à des maux dus à une pollution, distance (une petite journée de marche), des Ch’ongkora se rendent parfois à Ts’oknam pour solliciter l’application de tels mantras. les plus respectés était un vieil ex-moine, Un des religieux lü, il était réputé encore plus, et sollicité bien au-delà de Ch’ongkor, pour la clairvoyance dont il faisait preuve dans ses rêves et pour la justesse de ses divinations, les spécialistes par excellence des rites funéraires et des lectures de , textes ( ü, en compensation du péché résultant de l’écrasement des insectes, toutes
176
les tantristes du village les maisons invitent quatre moines 58, mais même. Ceux-ci ne participent qu’aux lectures plus amples, qui nécessitent de nombreux lecteurs. Les nonnes sont aussi les spécialistes quasi exclusives de rituels liés à , « récitation nocturne de modeste. funéraires, contraintes liées aux relations de patronage déjà établies, aux liens de parenté et d’alliance, voire, on l’a vu, aux relations intervillageoises , en tel ou tel d’entre eux). Le champ rituel est marqué à la fois par une typologie de la prêtrise bouddhique tibétaine (ou une de ses variantes) et par une sociologie Les services rituels font tous l’objet d’une contrepartie en nature (boisson, euro, pour une journée de rituel). Celle-ci est plus ou moins standardisée selon les types de rituels, et varie en particulier selon la taille du rituel, mais aussi selon l’exigence éventuelle de qualités spéciales (tel un fort pouvoir rituel), ou encore l’aisance du patron. Si le vocabulaire de la rémunération est souvent employé par les auteurs occidentaux 59, il ne s’agit pas tout à fait d’un paiement comme un autre. Les termes pour le patron du rituel,
accompagné d’un jet de grain suivi d’un comptage des grains restés dans la main, procédure qui présente une dimension divinatoire, d’interrogation de
une activité rituelle (limitée), le don aux moines, pratiqué quotidiennement, d’ordre économique la plus courante avec les religieux bouddhiques. Dans les sociétés tibétaines, en revanche, le simple don aux moines est bien plus rare,
M. A. MILLS, 59. C. VON FÜRER-H AIMENDORF, p. 91, et P. DOLLFUS,
,
, B. N. A ZIZ,
,
177
et le service rituel, qu’il vise la production de mérites ou, souvent, d’autres 3. Le
hri
par les tantristes de Ch’ongkor en conjonction avec le culte annuel de la divinité domestique, ), les premiers un annuel, précédé d’un , dans presque toutes les maisons du versant nord de la vallée. Or cette paire de rituels était d’une déployant une violence complémentarité remarquable, le nocturne abondant dans un symbolisme faste. La paire extrême et le paisible registre de la violence, et les tantristes de Ch’ongkor, spécialistes quasiment exclusifs du relation de patronage instituée, pour ce rituel de grande violence . Cette a ).
deux, voire trois fois par an : en alternance, un « [écrasement des] , et un « [écrasement des] Dans l’exécution du rituel, les variantes de
des .
toutefois le , ou « [écrasement des] qui frappent toujours au même moment de l’année, par exemple). Le choix dépend en partie de considérations pratiques : le simple à trouver, mais le nécessite un crâne de belette et le un crâne de chien. Notons toutefois l’association privilégiée entre les démons et la mort d’enfants en bas âge dans les représentations tibétaines 61.
SIHLÉ, « 61. L’étude du champ sémantique du terme de transformation entre nouveaux-nés et ce type de démon : R. A. STEIN, « Un ensemble BLONDEAU, S. G. K ARMAY – P. SAGANT (éd.),
178
occupe une place paradoxale. D’une violence extrême, il est
Le des
se caractérisent par leur récurrence, comme des morts en série. Or les
protection s’étendant bien au-delà du champ des attaques de . Par ailleurs, contribue peut-être à entretenir le sentiment de sa nécessité. qui suit est basée sur six observations du rituel La description du (où les variations ont été minimes) et des heures d’entretiens 62. L’objectif est textuels, choix orienté par mes entretiens avec les tantristes, permet d’éclairer aussi d’illustrer la part d’incohérence et d’obscurité que gardent ces textes tantriques, mais reste à cet égard sûrement trop lisse, trop intelligible. Elle ne
plus ou moins reconnaissables qu’il s’agit surtout d’énoncer en gardant le
le rituel est beaucoup plus un ensemble d’impressions visuelles et sonores ; pendant des heures la maison résonne du son du tambour et des cymbales. Ce Comme tout exorcisme, le est exécuté de préférence un jour de . En allant chez le patron, le religieux ramasse trois pierres, qui serviront lors du rituel. On dit qu’elles doivent avoir roulé rituel). Arrivé chez le patron, le prêtre échange quelques mots avec la famille, place un autel
), ce qui permet à un plus grand nombre de personnes
dans la nuit.
62. Une version préliminaire a déjà été publiée (N. SIHLÉ, « connais que des descriptions partielles de ce type de rituels : surtout R. VON NEBESKY-WOJKOWITZ, R. J. KOHN, , chap. IX, M. J. BOORD, C. VON FÜRER-H AIMENDORF, , p. 192-196, G. TUCCI, , p. 185-186, A.M. BLONDEAU S. R. MUMFORD, , p. 144-145, 157, J. DRAPER M. S. CALKOWSKI VI. Aucune n’aborde de façon détaillée à la fois les aspects textuels et ethnographiques.
179
au manche de sa dague rituelle. Des tantristes glosent ce geste comme visant à . , tib. ), loin d’être un simple objet inanimé, d’un autre tantriste, les bandes de tissu qui s’accumulent autour du manche ( : selon l’ , ceux-ci proviendraient des cheveux de Rudra et auraient orné la dague originelle ( . Ce
protectrices Gombo Takshön, Dorje Lawa et Tsen. L’étage inférieur de l’autel
Le rituel aborde alors la partie propre au
, peut alors commencer. Elle . , avec la préparation d’un .
représentent trois êtres anthropomorphes et trois animaux, associés deux par 64 type de : un moine, *
, éloigne un chien : le des hommes d’âge mûr, ; des troupeaux ; un homme éloigne un loup : le des enfants 66.
ou
65
. On dit aussi , en fait des appellations techniques du rituel
ou 64. Les
sont représentés avec des têtes d’animaux : R. VON NEBESKY-WOJKOWITZ,
d’autres il est obscur.
,
.
67
les trois pierres ramassées en chemin et disposées en triangle sur un épais , du skt. le pourtour de l’étoile sont inscrites neuf syllabes DZA et quatre syllabes est suivie de NYA. Au centre de l’étoile, une courte liste de types de [ici] 68 . , , basé La lecture reprend avec le texte sur le principe bouddhique du pouvoir inhérent aux paroles de vérité . Les divinités du panthéon supérieur sont invoquées en tant que source ou principe de vérité, celle-ci étant porteuse de 69
71
Les divinités tutélaires et protectrices sont ensuite exhortées à mettre , à travers toute une suite de textes, regroupés en œuvre leurs activités, , ). Dans la seconde interviennent les divinités centrales du : lecture, un assistant, (en général un membre de la maison du patron), bat le rythme avec la pointe d’un couteau sur le bord du plat contenant les : le remplissage à ras bord ( 72
67. Communication personnelle de Tenzin Samphel. 68. 69. S. BEYER, BEYER,
[langs-ba thams-cad khug-cig]. R. J. KOHN, , p. 85. J. I. CABEZÓN
STEIN
C. M. CANTWELL, « To
K RASSER – M. T. MUCH – E. STEINKELLNER – H. TAUSCHER (éd.),
71. [khyed-rnams-kyis kyang bden-pa’i bka’ bzhin sgrub]. 72. de nas skul btang [thong] / nga rgyal skyed.
181
dans la poêle. Si l’une d’elles est restée debout, ce qui est rarement le cas, elles Selon les tantristes, il y a déjà ici une mise à mort des . Le rituel toutefois , . continue, avec le texte , mais les larges catégories des . Leurs divinités protectrices sont d’abord séparées d’eux : Envoyez en haut, dans le ciel, les divinités du patrilignage,
[des
Conduisez au bord des océans les divinités [de] l’oncle maternel, ces pilules composées de tous les ingrédients, séparez [des ennemis] les dieux
), en remplacement de l’encens
(tirée du ) stipulé
(
(grains de sarrasin amer en substitut de la , un morceau du moutarde blanche, pierre noire, tiges d’épineux et d’ divinités courroucées à détruire les ennemis : Corps des Parfaitement Accomplis, faites que [les ennemis] s’évanouissent
un crâne d’animal ou une corne, selon le type de visé. Il manipule les morceaux avec la pointe du couteau et évite soigneusement de les toucher : ne pas laisser sa propre La section suivante du
(odeur, crasse) sur les objets manipulés. porte l’indication , tout en récitant :
retranscrits tels quels, sans rétablissement des formes sanskrites correctes.
182
74
75
[Vous] qui attendez les ordres, factotums, assemblée de messagers, faites Mebel 76, ayant pris dans sa main droite un pieu et dans la gauche un crochet,
]. Que le Courroucé, le Mebel, ayant pris dans sa main droite une épée et dans sa gauche une dague rituelle, plante la dague [dans
tenue tantôt de la main droite, tantôt de la gauche ( Certains tantristes utilisaient jadis un jeu de huit armes miniatures en fer, 77 . Un des tantristes récite encore de mémoire des couplets pour certaines des autres armes : le
78
, concluent-ils parfois.
sont vaincus) et l’expression d’une transgression assumée : le tantriste a donné de ), conclu, lui-même un spectacle de puissance rituelle orgueilleuse ( 79 . , hri , le dernier texte majeur du rituel, et en fait le seul qui concerne explicitement
74. Un schéma de correspondances classique : à la terre, à l’eau, au feu, à l’air (ou au vent)
75. Celles-ci sont associées respectivement aux cinq sens, à l’esprit et à deux niveaux plus T. R IGZIN, , p. 161. élaborés de conscience : destruction violente (communication Tenzin Samphel). 77. Khro-bo-gi phyag-mtshan. 78. da sdig-pa byas-song. longévité,
, de l’ennemi (R. A. STEIN
. Souvent appelé simplement , hri, il l’écrasement des est long (17 folios) et de structure complexe. Une section préliminaire, omise de la lecture, donne des instructions concernant le diagramme ( ). La lecture s’ouvre sur ) au de son origine et du sort qui l’attend :
tromperies magiques et des actes malfaisants [qui enchaînent au] . Pour cela, tu es l’ennemi de toutes les doctrines. Tu es un champ de prompte
des relations détériorées, de par tes dettes karmiques d’existences antérieures, tu détruis la doctrine du Bouddha, tu conquiers la religion ( ) de sainte prestance, tu romps aussi la parole ). Tu tournes le dos aux trois Joyaux, tu du sublime ordre religieux ( des relations détériorées, toi qui es pourvu [de la nature] nuis aux patrons. de Dans le porte, démons ü été inscrits dans le . De crainte que vous ne vous échappiez, vous avez été liés de chaînes de fer. De crainte que vous ne soyez pas tués, la dague a été plantée [en vous]. De crainte que vous ne soyez confondus, votre nom a été écrit. De crainte que vous ne vous échappiez, vous avez été entourés de mantras. La syllabe DZA a été attachée à votre cœur. Que vous soyez tirés démons ANGKU SHA YA DZA DZA
convenant à un
. Pendant ce temps, l’assistant a terminé de remplir le crâne
poêle était disposée. Une corde a été tressée, blanche et noire sur une moitié de sa longueur, uniformément blanche sur l’autre. La dissymétrie symbolise solidement le paquet avec la corde, en faisant neuf nœuds : voilà pour le paquet du pied, en récitant :
(« crochet de
184
M. J. BOORD,
de son entourage accomplis [dans la pratique du] Bourreau [de la Mort, soit
s’accomplissent, que maintenant cet écrasement ne soit pas trop faible 81 phénoménal sont mes sujets. Selon [les maux], quels sont les meilleurs antidotes ? Comme antidote contre les démons-obstacles, le glorieux Yama 82
Vient alors un moment important pour les membres de la maison : ils vont participer directement au rituel. Ils sont tous appelés à apposer neuf sceaux sur la corde enveloppant le paquet. Le sceau, qui fait partie de l’attirail du tantriste, est tenu dans la main droite par les hommes, dans la gauche par les femmes. Puis tous écrasent le paquet, neuf fois, du pied droit pour les hommes et du gauche pour les femmes. Les mêmes gestes sont répétés scrupuleusement au nom des personnes absentes : on saisit le sceau au moyen d’un vêtement leur appartenant et on appuie sur le paquet avec une de leurs chaussures. Les passages lus pendant ce temps détaillent, sans grande cohérence d’ensemble, les types de crâne ou lieux d’enfouissement requis, selon le type ou l’origine de l’agent démoniaque. S’y joint un ensemble assez décousu , discours et, en pratique, ils suivent, pour le choix de crânes, une tradition orale qui s’écarte en grande partie de ces prescriptions textuelles. que, dans le royaume de Yama (le Maître de Le texte assure ensuite au ne] connaît [que] la la Mort, qui préside au jugement des défunts), « [si le ),
tibétologue Tucci commenta : « a manifest concession to the world of Buddhist concepts in the course of a magical ceremony which has little or nothing in tellement d’autres dans le bouddhisme tibétain 84, et le bouddhisme indien
TUCCI,
, p. 186.
voir S. BEYER,
185
avant lui, furent pratiqués et transmis (voire adaptés, composés) depuis être pensé sans eux. par l’assistant au-dessus d’une branchette d’
, elle-même placée
paquet avec sa dague, une page de texte, ou encore sa propre main. Selon les tantristes, le crépitement équivalent à la syllabe de mantra (ou ) 85 des pratiques d’éjection du principe conscient. L’objectif est d’« envoyer [le démon] vers une existence 86 . Les tantristes savent toutefois qu’ils . Un peu paradoxalement, la notion rite hri, énonce : En premier le sceau du Joyau du Bouddha : par la vérité du Bouddha, ne sors : par la vérité du , ne sors : par la vérité du , ne sors et sceau des protecteurs de la doctrine ( ) et des divinités protectrices ( (
).
Le tantriste, s’il est habile orateur, conclut parfois par un couplet annonçant que toutes sortes de ) à l’autel, soit le manche vers la porte. On , les trois pierres sur lesquelles y place le paquet, une branchette d’ la poêle était posée, et le petit gâteau rituel de la divinité protectrice Tsen. , Ce le rôle du « ) d’autres rituels : indiquer la direction dans laquelle les agents nuisibles sont repoussés. Paquet et
la porte et de l’orienter désormais face à celle-ci. Tout le monde s’est écarté aux éléments devant être expulsés. Une séquence de repoussement (
) est
86. yar-’gro-la btang-mkhan. Il est rarement question du principe conscient ( ) d’un démon. Quand j’employai une fois ce terme dans une question, Ten Dorje répondit en lui semblait visiblement incongru.
186
chaque couplet par un jet assez violent de grains de sarrasin amer vers le paquet. Dans les utilisations rituelles de grain (par exemple lors des jets de recours au sarrasin amer, aux grains sombres, pour les actions violentes, les exorcismes, les expulsions, et à l’orge, aux grains clairs, pour les actions paisibles, fastes. La procession se forme : un assistant porte la poêle, un autre le suit avec un sabre ou un couteau au poing, un autre avec un tambour, et un dernier avec une hotte remplie de paille, de branches d’ face à l’autel pour prendre congé des divinités. On est alors au milieu de la nuit. La procession se rend à un emplacement, en général à la croisée de du trois chemins, où un trou profond d’une coudée a été creusé 87. Le du retour à la maison). Le tantriste danse autour du trou pour « écraser la 88 . Le paquet et le reste du contenu de la poêle sont déposés est bloqué par les éléments fondamentaux. Le trou est comblé avec la terre qui avait été extraite de l’endroit. Elle est vigoureusement tassée à l’aide d’une large pierre plate, , . Deux autres pierres sont placées entre elles . De la paille est disposée autour de l’empilement et le tout est transformé en un brasier ardent. Le tantriste danse autour du feu, avec les cymbales, en invoquant les douze grandes divinités du lieu tibétaines [?] Tenma Chu-nyi 91. , pour que les
89
), qu’il ponctue de jets de grains d’orge. Tous trois fois de la trompe-fémur puis tous ensemble, à trois reprises, poussent 92 le cri de victoire : ( )
87. Dans le cas d’un des troupeaux, , le trou est creusé au centre de l’enclos des animaux en question. Dans le cas d’un des enfants, , le paquet est enterré dans le sol de la maison même, sous le lit des parents. 88. sa gnon. permet dans divers contextes rituels de sceller. 89. La croix de les enterrés. M. J. BOORD, 91. Sur ces divinités importantes, VON NEBESKY-WOJKOWITZ, , p. 181-188. Je n’ai pas obtenu d’explication sur leur présence dans la phase d’expulsion de certains exorcismes de la tradition de Ch’ongkor. 92. Tib. lha rgyal-lo.
187
devant la maison, les assistants érigent un second empilement de pierres, de taille plus modeste. Un petit brasier est allumé, puis de nouveau la victoire est proclamée. Un membre de la famille jette de la farine sur l’épaule droite et ) sur l’épaule gauche de tous les participants à des divinités. Puis il s’assied et récite la conclusion du rituel, et notamment ( la
4. Un des traits les plus frappants du
est la multiplicité et la
la force de la vérité, puis incite les puissantes divinités à accomplir leurs bombardées de substances toxiques, découpées, enfoncées et scellées dans un crâne. L’ennemi est menacé d’armes diverses, ligoté, empalé, découpé scellé est écrasé du pied, soumis à un (simulacre de) rite d’éjection du principe conscient ( de bon augure puis scellant et écrasant le paquet avec tous les membres de sa exécuté chez un couple d’hôteliers de Rani Powa qui n’avait encore jamais recouru à cet exorcisme, la maîtresse de maison s’exclama, admirative : rituel éminemment convaincant. La redondance des actes de mise à mort coriace de l’ennemi démoniaque
. Si la redondance peut être perçue comme
d’empêcher les
94
94.
.
S. R. MUMFORD, peut d’ailleurs être perçu comme visant à maintenir les emprisonnés sous terre BELLEZZA, pour une période limitée, par exemple neuf ans : , Leyde,
188
Ce rituel illustre aussi combien la ligne qui sépare l’exorcisme du rituel de sorcellerie peut être ténue 95 parfois insérer dans le crâne le (crasse, odeur) d’un ennemi personnel, par exemple grâce à un fragment de vêtement. Les indications situées au hri, concernant le dessin d’un diagramme , mais début de l’ , font écho à cette pratique : concernant la forme du : [de la main] droite, il se bat la poitrine ; de la gauche il s’arrache les cheveux. Du sang goutte de sa bouche. Ses yeux ont le regard des yeux de mort 96. Ses jambes et ses bras sont liés par des chaînes de fer. Il est entouré de neuf syllabes DZA. [Sur] les quatre muscles (mollets [sous-entendu, de l’ennemi] ; sur le cœur, le nom ; sur le nombril, l’âme, la 97.
Les (ou autres démons) ne sont donc pas les seuls à pouvoir être visés par le rituel d’écrasement 98 . Les textes du rituel évoquent souvent des En somme, le rituel joue sur une notion fort commode, une sorte de principe général, quasiment abstrait, de l’ennemi ou de l’agent hostile 99. hrinen Insistons sur un fait : l’usage du
en tant que rituel de sorcellerie n’est
une rhétorique sophistiquée. Le gouvernement tibétain en exil commissionne (tib. ) visant l’occupant chinois au Tibet. Or, selon parfois un mais Si ailleurs des moines pratiquent parfois le
M. STRICKMANN,
, le fait qu’au Baragaon
, p. 41.
Tenzin Samphel). la C. JEST,
99.
VON
M. STRICKMANN,
, qui
NEBESKY-WOJKOWITZ, en tant que rituel d’ensorcellement est impossible
, p. 41.
189
recule, on continue à Ch’ongkor à énoncer le dicton ( ) suivant, à quelques [tantristes, en particulier de ; les appellent la prospérité ( Ch’ongkor] écrasent les les Ch’ongkora ce rôle rituel fort et ambigu. Les données et comparatives manquent en général, mais une association entre tantristes apparaît dans au moins deux autres sources ethnographiques, pourtant peu disertes sur les tantristes qu’un religieux célibataire est entouré de plus de restrictions qu’un tantriste marié . Cette notion sera précisée plus loin (
Par rapport à la séance d’un chamane ou médium par exemple, le , comme tous les rituels de la tradition transmise par les tantristes de Ch’ongkor, ne laisse qu’une place limitée à l’initiative et à la performance à l’autre apparaissent des variations mineures dans la régularité du rythme, dans l’aisance des enchaînements entre séquences, dans la maîtrise de l’intensité, du crescendo, voire dans l’intérêt et la présence des membres de la (
), stipulée par le manuel rituel, est plus ou moins expressive et forte.
le détail, et largement indépendants des circonstances de son exécution. Que l’on exorcise les ou chez le tantriste même, suite à un rêve dans lequel un rituel est globalement le même. Si nous reformulons ceci dans les termes proposés par Rappaport, le essentiellement la part active jouée dans l’écrasement du crâne par les membres de la famille à protéger) . Notons aussi que la base en grande partie écrite du rituel facilite une certaine invariance (sans toutefois en constituer les discussions suscitées par les travaux de Goody
S. R. MUMFORD, , p. 147-148, et M. A. MILLS, S. R. MUMFORD, , p. 148 n. 12. R. A. R APPAPORT Richmond, Calif., North Atlantic Books, 1974 (19792 PARRY
,
ou motifs sont même la traduction d’originaux indiens. Comment analyser ces rituels dans le contexte socioculturel particulier de leur transmission et de leur exécution ? Si nous abordons le rituel à partir des catégories suggérées par Rappaport, nous nous retrouvons toutefois dans une impasse : avec une composante semble échapper à la possibilité d’une analyse proprement ethnographique qui
. Cette approche en inhérente à un fait symbolique (l’injonction à une divinité d’agir, le geste multiples et variées, suivant les divers univers locaux de sens, les diverses circonstances de son déploiement, et même les divers acteurs individuels à être un leurre, et nous cacher la nature variable de tout processus humain de production de sens. La forme (au sens par exemple du texte d’un manuel rituel) fût-elle invariable, la production de sens se fait toujours en interaction avec un récepteur, à travers une reformulation par un récepteur. Rappaport. Il demeure toutefois la question d’une approche méthodologique d’un rituel à base , textuelle comme le
symboliques (localement pertinentes) ? L’analyse d’exorcismes tibétains sans doute la plus lue est un chapitre . Elle est malheureusement basée sur une interprétation symbolique, certes ingénieuse, mais qui joue sur les catégories . Les
R APPAPORT ORTNER,
, chap. V.
C. R AMBLE D. A. M ESSERSCHMIDT, ORTNER, C. M. CANTWELL
191
sont souvent ténues, voire absentes, qui symboliserait les riches et le clergé . L’objectif général de l’ouvrage, qui oriente toute l’analyse, est lui-même contestable. Il s’agit de montrer la société et les que les rituels, à la fois l’ordre socioéconomique et y apporteraient des solutions, grâce à une transformation, non des données socioéconomiques en elles-mêmes, mais qu’en ont les participants au rituel, suivant ici la vision de de l’ l’action rituelle développée par Lienhardt . Les données et les arguments avancés par Ortner ne permettent toutefois pas de conclure que les exorcismes bouddhiques étudiés jouent ce double rôle . Se pose ici la question des conditions et limites d’une analyse symbolique locales et externes, et partiellement obscures . D’autres critiques de l’ouvrage d’Ortner s’appuient sur l’argument selon lequel un rituel textuel, historiquement invariant au sens évoqué ci-dessus, ne saurait présenter de corrélation (forte) avec un ordre social local donné 111. Il ne faut toutefois pas confondre le rituel et son texte. En l’occurrence, l’analyse d’Ortner est basée sur Le déterminisme textuel n’est ici au mieux que partiel, comme le montrent les considérations qui président au choix du type de crâne à Ch’ongkor. La ou à telle personne dans un des rôles subalternes, tel celui de porteur de représentations et de relations sociales, y compris, on l’a vu, de rapports de
en apportera une illustration exemplaire (
hrinen ).
ORTNER,
C. M. CANTWELL, « An Ethnographic
ORTNER, , p. 5-9, G. LIENHARDT, , Oxford, Clarendon Press, 1961 (en particulier ch. VII), et C. GEERTZ, « Religion as a BANTON (éd.), , Londres, Tavistock publications, 1966, p. 1-46. D. JACOBSON, , Albany, State University of New York Press, 1991, p. 54-66. symbolique, dans un contexte certes de tradition purement orale, mais où des éléments rituels G. LEWIS, ). C. R AMBLE, 111. C. M. CANTWELL
192
et symbolique d’un rituel largement à base écrite comme le . La clé principale proposée ici est ancienne comme le métier d’ethnographe : partir l’écrasement en tant que tel, et la triade du pouvoir rituel, de la violence et de la moralité de l’acte.
mais comprendre le
suppose au minimum que nous explorions un peu
de Turner de saisir un symbole dans son contexte le plus large 112, il convient de et qui a des échos particuliers à Ch’ongkor. Le en lui-même apparaît dans certaines des plus anciennes sources écrites tibétaines . Le motif de l’écrasement d’un ennemi ou d’un être hostile sous la terre héros éponyme de l’épopée, par son oncle mauvais. Les détails de cet épisode, tels que les a rendus David-Néel par exemple, ou encore les cauchemars que 114
: écrasement, enfouissement d’un crâne ou autre réceptacle comportant le nom, un fragment de tissu ou des cheveux de la personne visée 115 l’évidence, le n’est pas un simple exorcisme puissant, mais est entouré De façon générale, on ne pose pas le pied sur des objets importants, touchant au sacré ou liés à la personne, à son corps, à son alimentation : Le motif apparaît aussi dans l’iconographie et la mythologie des grandes divinités courroucées, que l’on représente piétinant par exemple des divinités
TURNER
provenant d’un site archéologique datant du VIIIe-IXe
GLUCKMAN (éd.), , Édimbourg, Oliver and Boyd,
A. H ELLER, « Archeology of COMPARETI
– P. R AFFETTA – G. SCARCIA (éd.), (p. 268). 114. A. DAVID-NÉEL – LAMA YONGDEN, CHAGDUD TULKU, Junction City (Cal.), Padma Publishing, 1992, p. 172. 115. R. VON NEBESKY-WOJKOWITZ,
, Paris, Éditions
hindoues 116 : la violence est ici au service de la victoire du bouddhisme et de religieux puissant de divinités du lieu non bouddhiques, ou mal converties, acte rendu par l’expression Lama Tsapgyepa est dit avoir accompli un tel acte avant de fonder Ch’ongkor ( , mais aussi par exemple d’objets dangereux) sous un stûpa. L’érection des troubles ou dissensions dans une communauté 117. On retrouve sans doute dans l’écrasement par un stûpa le symbolisme du cosmos entier pesant sur la terre, déjà suggéré au sujet de l’empilement de pierres du dos, fut immobilisé, cloué sur place par la fondation de temples 118. On entre ici toutefois dans un autre champ symbolique en soi, celui du transpercement par le clou ou la dague 119. plus ou moins transgressif. Cependant, qu’il vise à tuer ou à immobiliser et que l’ennemi ou le démon pourrait se relever. ou de l’écrasement réapparaît, avec un tour inattendu, dans une sorte d’épilogue de l’histoire du fondateur, qui précise le de Lama Tsapgyepa ( destin de l’assassin ). Des enfants démoniaque triompha, une version précise que sa lignée on est frappé par le parallélisme entre la légende et un rituel de autre religieux, mais à des enfants, l’impuissance, de la moralité et de l’immoralité.
M ACDONALD 117. E. STUTCHBURY 118. M. V. A RIS, 119. M. J. BOORD,
194
GYATSO .
des démons
qui
RITUEL
enfants
tantriste
[pouvoir –] [éthique +]
[pouvoir +] [éthique +/–]
1. tue démon hri [pouvoir +] [éthique –]
2. tente d’écraser définitivement
3. peut “se relever” malgré l’exorcisme LÉGENDE
tantriste
enfants
[pouvoir +] [éthique +/–]
[pouvoir –] [éthique +]
1. tue ennemi bönpo [pouvoir +] [éthique –]
2. tentent d’écraser définitivement
3. “se relève” malgré l’exorcisme
indiquent la séquence temporelle).
Comme un écho à l’analyse lévi-straussienne du mythe, cette légende , positions extrêmes, celles du tantriste et des enfants. La perspective selon 121
dimension, fortement présente dans les deux schémas rassemblés ci-dessous, est celle du pouvoir. De ce point de vue, ce que le rituel lui-même contient en germe ( ou éliminer qu’incarne là le
LÉVI-STRAUSS 1958 (19742), p. 266-275 (p. 272). 121. C. LÉVI-STRAUSS
, ici l’assassin
. Il y a là un premier
, Paris, Plon,
195
niveau de lecture en cela que les enfants, victimes paradigmatiques des
et
Une seconde dimension, éthique, ressort toutefois aussi. Les enfants , ou le dans le
éthique de ce pouvoir ( ). Selon Lévi-Strauss, les spéculations mythiques concernent des « virtualités 122 : la position inattendue des enfants pourrait renvoyer à la possibilité de s’attaquer au mal avec la seule force de la pureté morale. du Une analyse structurale du rapport entre la légende et le rituel renvoie ainsi à une pensée locale travaillée par des paradoxes fondamentaux : l’ambivalence puissant (ou du bien) face aux forces de mal et de destruction que contient le hrinen Pour conclure ces éléments d’analyse du hrinen en tant qu’unité rituelle, il convient sans doute d’examiner dans quelle mesure la théorie de Bloch, centrée sur la notion de violence dans le rituel, permet peut-être de mieux comprendre cet exorcisme clé de la tradition de Ch’ongkor. La consommation
propre de la personne au centre du rituel . On pourrait même suggérer fortement associées à la pratique de la violence rituelle). Certes, celle-ci ne fait pas partie à proprement parler du rituel d’exorcisme, mais la retraite peut être vue, techniquement, comme une phase initiale nécessaire dans retraite 124 toutefois de noter que la plupart des exorcismes tibétains semblent exempts la conquête violente demeure. Celui-ci disparaît toutefois quand on quitte le registre de l’exorcisme et la modalité rituelle violente.
122. C. LÉVI-STRAUSS BLOCH, 124. S. BEYER,
196
la clé principale du , qui partage assurément des logiques propres au rituel tantrique plus largement. D’autre part, la consommation d’une vitalité du
. Les logiques clés du rituel sont ailleurs : dans la redondance , dans l’écrasement, dans l’interruption
s’appliquer mieux à certains rituels de reproduction de l’ordre social qu’aux ) ne paraît pas dénué rituels à visée instrumentale (comme l’exorcisme de fondement 125 toutefois repris au chapitre suivant, mais sous un autre angle, inspiré par
126
, il s’agira, dans le contexte
portent bien entendu la marque de certaines institutions socioreligieuses et conducteur de l’action rituelle violente du tantriste dans le domaine du rituel collectif.
IV. Les rituels collectifs de Ch’ongkor 1.
les catégories ainsi distinguées correspondent à des types de rituels assez
collectives (détaillées dans des tableaux synoptiques en annexe A) : 1) rituels des tantristes (un ensemble de nature fortement tantrique) a. les cinq rituels du temple, avec une forte composante d’exorcisme ;
125. Voir D. N. GELLNER 126. M. BLOCH,
, Paris, Odile Jacob, 1997 (trad. de
197
; 2) rituels de lecture de textes, regroupant divers types de spécialistes 127
avec une relative prééminence monastique ( ); de mérites (jeûne et prosternations, reconsécration de stûpas) ; de village ou relevant de leur autorité (avec éventuellement un tantriste pour
récitation du Mani ; 6) festivités centrées sur la nourriture, la boisson, le jeu, le repos, avec une composante rituelle limitée (procession pour le Yartung du village, n’occupent qu’un rôle mineur.
, le Yangdak, le Narak et le Dögyap, constituent dans les représentations locales le cœur de l’activité rituelle collective du « village 128
l’intendance de loin plus importants ( ). Les autres activités sont de moindre envergure. Signalons toutefois que , qui certes constituent des rituels d’ampleur assez modeste, sont loin d’être dépourvus
du tantriste 129 , au niveau de l’organisation socioreligieuse du village, ont pour pendant structurel des rituels mensuels de
, adressé à . 128. sku-rim che. 129. Il est toutefois frappant de noter que les de Ch’ongkor ont connu un relatif déclin, alors que ceux de Dzong, en relation avec la relative vitalité de la communauté monastique de SIHLÉ e
198
). Les des quatorze maisons principales du village, et les formé par les sept autres maisons.
dans le groupe
XX e
abandonné. Il se tenait sur quatre jours, dont seulement un de jeûne à proprement parler. Chaque maison était tenue de fournir des contributions matérielles et au moins un participant, sous peine d’amende. Dirigé par , le rituel connut de nombreuses vicissitudes et subit les moines ). Les simples que la lecture du Kangyur. monachisme
dans la région, les tantristes de la communauté, auxquels ülku de Jomsom, sont les seuls religieux impliqués dans
l’activité rituelle collective et ils se chargent de tout le spectre d’activités évoqué ci-dessus. Les rituels collectifs se déroulent presque toujours au à Ch’ongkor, tous les tantristes disponibles, soit la majorité des maîtres de maison, participent généralement aux rituels du temple. La communauté paraît donc faire corps avec son temple de façon plus importante et, en l’absence d’autres religieux, plus exclusive qu’à Ch’ongkor. Avant d’aborder la description du plus important des rituels collectifs de Ch’ongkor, le Dögyap, situons-le dans le contexte des cinq rituels du temple
calendrier tibétain (environ mars-avril), le modeste rituel Lurim (qui ne dure qu’un jour alors que les autres s’étendent au moins sur trois) est appelé . Par ailleurs, on peut considérer que l’année se clôt, rituellement, par le grand exorcisme Dögyap. Globalement, . Yangdak. Les tantristes aiment souligner que le Yangdak et le sont basés sur les mêmes textes. Ces rituels partagent en particulier une série de textes d’exhortation ( ) des divinités tutélaires et protectrices, et un certain
199
une divinité protectrice, , ou agit comme s’il l’était, une notion que les tantristes n’aiment pas commenter. Nous sommes renvoyés à une question périphérique mais récurrente dans l’étude du bouddhisme tantrique de la tradition indo-tibétaine : celle des rapports entre le rituel tantrique souvent assez lâches)
.
d’un animal. Le principe des rituels, appelés généralement Narak, qui sont du nord du Népal, consiste à produire des mérites, de façon à compenser le que connaît le pays . Du point de vue textuel, ce sont des rituels de type funéraire. Par son orientation centrée sur la production de mérites, le Narak de Ch’ongkor se distingue nettement des autres rituels du temple des tantristes, où prédominent l’exorcisme et le culte des divinités tutélaires et protectrices. Il est reconnu dans l’ensemble de la vallée comme un rituel « de les Ch’ongkora une valeur et une importance dépassées seulement par le Dögyap. 2. De ce rituel qui s’étend sur cinq jours, je ne peux donner ici qu’une progression générale. La prééminence du Dögyap tient entre autres à son histoire : il s’agit de l’adaptation, à Ch’ongkor même, d’un rituel de stature ). Avec le , il constitue l’un des principaux marqueurs de l’identité religieuse . Son importance tient aussi à sa fonction : l’expulsion, au moment
M ACDONALD 461-462), G. SAMUEL,
M. STRICKMANN, , p. 228, R. A. R AY, « Tibetan BJERKEN,
G. E. CLARKE E. STEINKELLNER (éd.), Vienne, Arbeitskreis für Tibetische und Buddhistische Studien, 1991,
du passage d’une année à la suivante, de l’ensemble des péchés, pollutions et infortunes hors de la communauté locale .
Globalement, dans la perception générale du rituel, on assiste à une sorte de progression tranquille vers le grand spectacle de pouvoir et de violence gâteaux rituels, puis, le soir, la lecture commence. L’ambiance est paisible, bon enfant. La même suite de textes sera lue en tout trois fois, chaque fois . Celle-ci doit être entonnée , avec par le expulsion d’un gâteau rituel, séquence se poursuit par la lecture des textes principaux ( ) du Lowen ) les sections correspondantes de l’un et de l’autre. qui dormiront sur place. Le rythme de la lecture est posé, mais la cadence s’accélérera de jour en jour, ce qui est interprété en termes de renforcement . dö
par Lama Tsapgyepa ( ) est intercalée dans la lecture des textes du Lowen et du Yidam,
) comportant
est considérable :
R ICHARDSON, , R. J. KOHN,
(une étude textuelle approfondie d’un tel rituel), E. BERG,
C. VON FÜRER-H AIMENDORF, , chap. VI. Dans un registre comparable à celui de l’étude de Kohn, nous avons aussi C. M. CANTWELL, une communauté monastique installée en exil. Notons encore l’étude textuelle importante de Stein (R. A. STEIN cas de Lubra (C. R AMBLE études, les aspects textuels et socioculturels autres ne sont jamais approfondis conjointement, de façon intégrée.
personnes présentes. Tout du long, de nombreuses pauses sont observées, alors tranquillement de choses et d’autres. La présence de l’ethnologue, qui pour le premier de solliciter quelques commentaires, mais aussi, pour ces derniers, de lui poser certaines questions à leur tour. Tous savent qu’il a ou deux fois à haute voix la réponse (un peu dépourvue de tact) du jeune étranger, auquel, quelques jours auparavant, sur le chemin du village, il a posé : du dialecte local, enfonce son nez studieusement dans les pages qui viennent d’être lues. Un autre tantriste le tire de son embarras en lui posant dans la comparaison la question qui intéresse le plus les religieux avec leurs homologues point de vue admis ici de façon assez générale, l’ethnologue répond qu’ils interlocuteurs, loin d’être vexés, paraissent ravis et rient de bon cœur, ou secouent la tête, faussement penauds.
féminine ( ) et quatre projectiles , formes en pâte approximativement coniques, au sommet desquelles sont plantées des tiges de bois, destinées à tard dans la nuit. le manuel rituel ( anthropomorphes, chevauchant ânes, yaks, vautours, etc., et disposées dans
ses ministres et alliés, prêts à semer la destruction dans les pays des ennemis obscure. Le texte de
ne le nomme que
, littéralement le
[1b] Les attributs du souverain : [sa] face [est] la face du Chien Hal, [sa] queue [est] une queue de serpent. [Son] corps est installé sur le mont Sumeru (tib. Rirap), [ses] jambes s’étendent jusqu’au fond de l’océan. [Sur] le sinciput, un stûpa de vent, [sur] l’épaule droite, un stûpa d’or, [sur] l’épaule gauche, un stûpa de turquoise. [Sur] la tête, le soleil et la lune. [Dans la main] droite, un
) en bronze souverain et [2a] ses attributs
; [dans la main] gauche, un vase de glorieuse . Ceux-ci constituent le
.
personnage, répondirent en citant seulement le second vers du passage qui le : , « [sa] face (est) décrit dans le manuel
sur un autre passage textuel) : une tête de chouette, des yeux de perdrix se font du rituel est ainsi faite parfois de juxtapositions de fragments épars, de cohérence problématique, à l’image, dans une certaine mesure, des textes tantriques eux-mêmes. confectionnées, ce qui prend Une fois l’ensemble des composantes du érigent la structure complexe, toujours en suivant les instructions de l’aide. Ils reprennent ensuite la lecture, avec un texte dont le mémoire ( ). Celui-ci comporte nom abrégé est justement . La visée mythologique du texte ressort un long mythe d’origine du clairement des premiers vers : « D’abord, la confection du D’abord, l’origine du , comment fut-elle ? discours sur le Dögyap, les Ch’ongkora ne font pas référence à ce mythe ; il si les rituels du temple des tantristes se prolongent fréquemment jusque dans la nuit, les rituels de lecture de textes en revanche s’arrêtent toujours avant le coucher du soleil. On invoque généralement le fait que les moines, nonnes et autres lecteurs doivent avoir le temps de rentrer chez eux avant ici nettement une distinction entre l’activité rituelle diurne et nocturne, en fonction de son mode, paisible ou violent. Cette association ressort clairement aussi, nous l’avons déjà noté, dans l’activité rituelle domestique.
), un bâton portant des encoches en forme de croix, est un attribut terrible de certaines divinités courroucées : RÓNA TAS, « Tally-stick
, ou , sont de type de nourriture ( SNELLGROVE, utilisées notamment dans le cadre de rituels violents,
.
gyecham avec les textes principaux usuels, puis le cycle de Ch’arka Nakpo, forme
confectionnée et de petits morceaux de viande sont empalés sur des tiges de bois, destinées à être plantées sur certains gâteaux rituels, en tant . Pour l’essentiel toutefois, c’est là une
cheveux, et ne réapparaît qu’une bonne heure plus tard. D’autres feront de religieuses,
, et, comme pour d’autres événements religieux
au plus tard le jour où le rituel culmine. Ce geste participe sans doute du qui portent un masque de divinité lors des danses. , à même le sol, en un tas qui grandit progressivement, divers aliments ). Ils seront expulsés avec la et comprennent principalement des morceaux de piment, d’ail, de feuilles de légumineuses crues, parfois de la viande crue, ou encore de la farine de sarrasin amer . , sur l’esplanade devant la dans le temple. Les tantristes plus âgés portent un couvre-chef conique noir, le de battre le tambour, portent des masques divers : celui d’une divinité
une dague rituelle, un premier tour de danse sur l’esplanade et se disposent en arc de cercle, dans un ordre variable. Le intention, avec une tablette sur laquelle il peut poser sa coupe. Il est de
: le lait, le yaourt et le beurre. Sur le symbolisme SNELLGROVE,
mauvaise humeur, peut-être du fait que ce jour-là, le premier rôle revient au , avec lequel il Puis, aux exclamations de * façon humoristique, d’alcool, à la fois formelle et empreinte de bonne humeur, à l’intention des de leur couvre-chef de cérémonie, le
, s’avancent en portant des pots
aux autres religieux et participants. S’ensuit la lecture de l’ , dont le début, comme nous l’avons vu, énonce le mythe d’origine de l’attirail du tantriste ( de la séquence rituelle qui suit, à un . Il s’agit de l’association, répandue à travers l’ensemble de l’aire de culture tibétaine, de au
IX e
devant le roi et avait dissimulé dans ses amples manches un arc et une . ) s’agenouille ensuite et tourne entre ses mains la dague rituelle de Lama Tsapgyepa, la pointe reposant dans une ). Le coupelle ornée de cauris et représentant une calotte crânienne ( geste est interprété par des religieux comme la subjugation de Langdarma, ou de Rudra selon une version où les deux personnages, du reste fort semblables en leur qualité d’ennemis archétypiques de la doctrine, se trouvent confondus le sol, autour du pied gauche, immobile, une « croix de ), ).
le
et l’assassinat de Langdarma (R. A. STEIN BEYER,
doctrinal (M. J. BOORD,
, p. 44-45). Boord évoque aussi
, p. 7). Notons qu’à Ch’ongkor, dans cette séquence rituelle, le porte par ailleurs à son côté l’objet ainsi dénommé habituellement.
l’occasion d’une pause, que ce soit pour se laver les cheveux ou pour une autre obligation, les autres reprennent sans l’attendre 141 remplit le rôle de accompagnera, le sabre (*
: dans un attirail évoquant celui d’un soldat, il ) au poing, le dans son expulsion hors du
), lance joyeusement l’un de ses agnats
, en un
où le rôle de Baragaon. Le hors d’état d’agir avant même d’avoir eu à remplir son rôle. (Dans ce cas, un homme un peu plus sobre se charge de le remplacer.) Le le visage des enfants de Ch’ongkor et des villages voisins qui ont commencé de Ch’ongkor ( Le temple se remplit de plus en plus, et nombre d’adultes rejoignent les enfants parmi les spectateurs. Hormis le placent alors dans l’allée centrale, debout face à l’autel, avec un texte. Celui-ci [orthographié Grum-steg skul-ba], est intitulé * . L’identité des personnages ainsi dénommés ne ressort avec clarté ni du texte ni des maigres indications fournies par les religieux. Ils constituent un groupe de quatre divinités, alliées dans le combat contre les accompagnant leur lecture de mouvements du bras qui évoquent plutôt une
voix haute. Les enfants rient et tout le monde est grandement diverti par cette spectacle à l’intérieur est terminé, et l’expulsion de la structure
approche.
141. Ce jour est aussi celui du rituel mensuel de ). Au cas où tous les tantristes présents sont engagés dans le Dögyap, l’un d’eux doit donc se libérer un moment ce mois-là.
Comme dans tout exorcisme, il est extrêmement néfaste de se trouver sur le autres structures du rituel, chargées de tous les maux. Celles-ci ont toujours l’instar du tranchant d’une lame, aussi appelé et autres éléments expulsés. La procession se constitue. Elle est menée par trois garçons qui portent ( , du et des divers et des protecteurs. Comme dans tout exorcisme, projectiles rituels, lü les porteurs ( nom générique de ces structures) sont désignés parmi les membres de la communauté de plus bas statut. La procession s’arrête dans un champ à la limite des terres cultivées. femmes, en tenue de cérémonie, ont apporté de l’alcool. Libations, récitations deux des traits marquants de ce type de texte rituel : d’une part, l’étendue et du mal, et d’autre part la violence terrible qui peut imprégner le mode rituel cet ouvrage) est le rapport avec] la voie des projectiles seront jetés). 142
maternels 144, les Bönpo Noirs, les Bende Noirs, les Mönpa Noirs, les Cavaliers Noirs, Namen la Blanche, les
142. L’interjection
sert à invoquer un personnage de statut supérieur.
pourrait s’agir d’une graphie corrompue d’une forme du verbe btsugs (par exemple le présent 144. Les ministres-oncles-maternels ( ) sollicités ici sont des formes de divinités mondaines. Il en va de même pour les entités dont les noms évoquent des spécialistes religieux ( , religieux bouddhique ), des groupes ethniques (Mönpa), ou encore des animaux,
catégories, et non de divinités individuelles.
145 Noires, les quatre , les quatre Grands Rois [des orients], l’ensemble du monde supérieur, l’ensemble des divinités lu du monde des divinités du monde intermédiaire, les divinités inférieur, l’ensemble des divinités 146
les divinités de la force vitale (
). ) à l’ennemi 147. Lancez
une pluie de « projectiles les comme
contre la
les comme
contre les
Lancez-les comme contre ce qui s’enfonce en bas 148 dans le creux de l’aisselle 149 contre la récolte du
l’expulsion. Le
est muni de la dague rituelle de Lama Tsapgyepa et , terme qui désigne aussi dans le monde tibétain le rôle central dans ce type d’exorcisme. Il jette au loin le gâteau , un bûcher est allumé. Tout du long, les religieux récitent des passages de textes du cycle de Ch’arka Nakpo, passages centrés sur la notion de
145. Un autre texte du cycle du Dögyap est centré sur les « quatre divinités [orthographié est obscure et la place revêtue par ces êtres rtsa-ra] de la force vitale ( dans le texte ne permet pas de préciser leur identité. Les Ch’ongkora n’en savent apparemment 146. Les textes donnent ma-lha ou ma-lho, probablement deux formes corrompues pour [mo-lha], pendant féminin de à la personne. même un type de projectile
(
, est la pointe.
ces deux éléments architecturaux fondamentaux, c’est la destruction de la demeure et de ses habitants qui serait visée. 149. Le texte est ici ambigu. Il dit : chan ( basée sur une reconstruction hypothétique mchan pa’i sbug la, presque homophone.
jette dans le bûcher la grande construction ) sabre vigoureusement les restes, puis des
du
qui étaient entrés dans la construction du . Selon Nyilda, la veuve du , les villageois récitaient ici traditionnellement, à titre précédent
(obstacles, infortunes),
les trois étendards cette fois-ci dans l’ordre blanc, rouge, noir. Le blanc qui , celui de la religion. Par ailleurs, même si, par rapport à l’aller, l’ordre est inversé, la disposition spatiale reste la même : le blanc est à l’intérieur, le noir à l’extérieur. Un certain nombre d’éléments du rituel, que ce soit l’orientation des objets à expulser, ou l’emplacement choisi pour ce faire, à la limite des terres cultivées du village, jouent sur la dimension radiale et l’opposition entre intérieur et extérieur. Ces notions apparaissent aussi dans le culte de la divinité domestique 151. La procession, en arrivant à proximité du temple, est accueillie par deux femmes en tenue de cérémonie, l’une portant une coupe individuelle , l’autre une large coupe métallique, utilisée dans des contextes cérémoniels, toutes deux remplies de femmes entonnent un chant d’éloge du
, tandis que la coupe individuelle, boit une gorgée et envoie quelques gouttes en libation autour de lui. Des trois chants, l’un est
152
récitation de la
Le petit soleil d’or de l’est revient, ayant fait le tour des quatre continents. Notre maître-racine revient, ayant soumis les ennemis.
(
), etc. En attendant,
ro / skye-ngan bar-chad khyer-ro // 151. SIHLÉ 152. Shar-gyi gser-chung nyi-ma / gling bzhi bskor-te phebs-kyi / *’a-ra’i rtsa-ba’i blama / dgra-bo btul-te phebs-kyi //
d’avoir bien œuvré : le grand rituel du Dögyap, pour l’essentiel, est accompli. une aiguille de cuivre, par le chas de Les chefs de village présentent au la plantera quelque part dans son lit et relatera le lendemain ses rêves, qui auront valeur d’auspices pour l’année .
(le terme désigne, dans ce contexte, les gâteaux partagés de façon à ce que chaque maison du village reçoive une part de pâte (appelée ) sont également la forme de petits écheveaux, cou des animaux en tant qu’objets protecteurs, . Les forgerons de Purang passent aussi au temple (sans entrer dans la salle d’assemblée), car il
Ce qui distingue avant tout le Dögyap est la grande (et spectaculaire)
154
Le (rituel des) quatre cents ( ) repousse cent (maux), le (rituel de) Ch’arka (soit le Dögyap) repousse mille (maux).
En somme, le second est présenté comme incomparablement plus , que l’exorcisme domestique, voire collectif, le plus courant de la communauté. Autre signe de cette puissance dans le repoussement, les tantristes glosent parfois le rituel (c’est-à-dire la victoire
début de l’année allait être marqué par la lecture tri-annuelle des cent et quelques volumes du 154. brgya-bzhi brgya zlog / ’Char-kha (?) stong zlog //
des projectiles souvent appelé
ou en détruisant un
sûr un moine. Le terme par opposition à monastique) 155. Ensemble, le nom, les tresses, un instrument typique telle la plus violente du rituel, renforcent encore l’association, récurrente à travers rituelle, visant l’écartement et la destruction du mal ou, comme le dit le chant, certains contextes monastiques. 3. dans la vie religieuse de Ch’ongkor : la crise du recrutement des tantristes, un discours de déclin dans un contexte de relatifs essor et hégémonie monastiques ), mais aussi et de recul du patronage des tantristes ( le développement de grandes lectures de textes ( , ainsi que Dans les rituels collectifs de lecture de textes, les tantristes de Ch’ongkor
replacer dans un contexte de changements plus large, dont je ne peux ici que résumer les grandes lignes. croissante entre les mains des spécialistes – en somme, une forme de sécularisation – ressort aussi d’un certain recul de la participation des intendants. Les villageois n’assistent qu’aux moments les plus spectaculaires, Les extensions festives des rituels collectifs ont en bonne partie disparu :
155. C. M. CANTWELL
211
conclus par de longues soirées de danse et de chant 156. Plutôt qu’un recul à proprement parler, l’investissement communautaire dans l’activité rituelle collective connaît des transformations dans ses modalités. Ainsi se développent des activités de groupes de femmes pratiques religieuses collectives propres. La transformation majeure a toutefois été le développement des lectures notamment hivernal, les gens ont plus d’argent. Les conséquences, pour rituels collectifs annuels se retrouve un peu dilué. L’activité des tantristes mêmes est désormais moins exclusivement tantrique. La distinction avec fortement associées au clergé monastique, les tantristes n’étant appelés que Par rapport au reste de la vallée toutefois, une donnée frappante est le fort investissement des Ch’ongkora, et notamment des tantristes, dans l’instauration ou la tenue de grands rituels de lecture, collectifs ou privés. avoir joué ici un rôle déterminant. Étant donné le prestige considérable des grands textes (ou collections de textes) canoniques, dont la lecture est une activité de production de mérites (et donc une activité religieuse) par excellence, les Ch’ongkora se devaient, collectivement, de se mobiliser avec force. En même temps, ils ont subi cette évolution. Moins bons lecteurs que , les moines ( ), les tantristes de Ch’ongkor ne sont pas là vraiment dans leur élément : leur domaine demeure le rituel tantrique de culte des protecteurs et de maîtrise puissante. Dans une optique wébérienne, l’évolution générale représente-t-elle un mouvement de rationalisation éthique, au sens où l’essor des lectures de textes et autres activités collectives de production de mérites traduirait un développement de la théodicée hautement rationalisée du karma, alors que le recours au rituel tantrique, en tant que gestion de l’infortune sur un mode pose, toutefois, de la validité d’une distinction entre rituels de production de du tantrisme. Il y a peut-être plutôt une évolution des cosmologies morales ( de textes, à partir d’une certaine ampleur, est toujours encadré par des
156. Cette évolution est sans doute plus générale. Concernant le pays , p. 159.
212
,
J. F. FISHER,
rituels tantriques, et peut culminer en un rituel tantrique à visée nettement rationalisation éthique il y a, le tableau général est toutefois plus complexe.
157
:
fondamentalement collectif.
V. Conclusion Nous avons désormais une vision plus claire de la spécialisation rituelle des tantristes et moines du Baragaon, et notamment de l’importance des pôles que constituent l’exorcisme puissant et violent, d’un côté, et des rituels orientés vers la production de mérites comme les lectures de textes canoniques, de et le Dögyap, l’autre. Pour les tantristes de Ch’ongkor, en particulier, le les plus violents et puissants exorcismes de leur palette rituelle, apparaissent comme des références identitaires prééminentes. Certes, cette spécialisation ce domaine d’activité rituelle, et surtout les tantristes ont d’autres attributions de la divinité domestique importantes, telle l’association avec le culte , ( tantriste Ten Dorje, auquel je demandai une fois de comparer les , commença moines et les tantristes du point de vue des rituels violents, par dresser un tableau assez nuancé, pour conclure de façon plus stéréotypée : , comme c’est du pareil au même. Toutefois les tantristes pratiquent le . Celui-ci est , et les moines ne le pratiquent pas. Le Ch’arka [cycle et n’existe que chez les tantristes. est
Les moines tiennent un discours comparable. Selon Soma Sangbo, le , sont associées à une activité respectivement paisible et violente, ou du moins référence à une (supposée) dissociation parfaite, dans le passé, des activités
157. D. HERVIEU-LÉGER, 1999.
paisibles et violentes lui a sans doute été inspirée par des passages textuels Toutefois, la relative centralité de l’association entre un type de spécialiste religieux bouddhique et une violence rituelle parfois terrible pose question. Le pouvoir et la violence rituels doivent être interrogés dans le cadre d’un
214
CHAPITRE V LES AMBIGUÏTÉS DE LA VIOLENCE RITUELLE
pouvoir (M. STRICKMANN,
, 1996
Principe central des traditions tantriques, la notion de pouvoir rituel, on 1 . Pour analyser les pratiques violentes sous l’angle de leur moralité, il convient d’abord de L’exorcisme violent, en particulier dans sa dimension morale, qui dans ce sans être placé dans un contexte plus large de formes de violence exercée par des moyens magico-religieux ; et ceci implique une meilleure compréhension de la gradation des formes de pouvoir qui sous-tendent ces pratiques. Une fois ceci acquis, nous pourrons véritablement aborder l’analyse de la du point de vue de ses implications violence d’un exorcisme comme le d’ensemble qui sous-tendent l’association marquante du tantriste à l’activité dans le contexte bouddhique qui apparaît ici, mais aussi à avancer des propositions plus générales sur l’interprétation de la violence dans l’exorcisme. Commençons donc avec les notions de pouvoir rituel ou religieux. Une tendance importante dans les études qui ont porté sur des notions de pouvoir religieux, et fortement représentée dans les études sur les traditions tantriques,
l’unanimité :
N. B. TANNENBAUM, , Ann Arbor, Mich., Association for Asian Studies, 1995, et
R. A. O’CONNOR TANNENBAUM, (1997), p. 569-571.
215
politique au sens large 2. Ces études se sont parfois inspirées des théories . Dans le cas présent, certains aspects tels le contrôle monastique des rituels funéraires ,
(
politique et du religieux. Plus généralement, les processus à travers lesquels l’autorité religieuse est conférée sont assurément sous-tendus par une certaine distribution du pouvoir, au sens plus politique dans lequel Asad par exemple utilise ce terme 4. Les chapitres précédents montrent toutefois à l’évidence que sans appauvrir considérablement notre compréhension des faits. Certes, la
en réponse aux infortunes et incertitudes de l’existence 5, est toutefois aussi, , ou encore de moralité. Sans évacuer revêt la dimension proprement rituelle dans le contexte présent. Certaines approches analytiques du pouvoir rituel ont souligné la diversité lesquels la transmission et l’opération du pouvoir rituel sont pensées 6. Dans diversité des formes de pouvoir rituel déployées dans l’univers des Ch’ongkora,
2. Par exemple D. H. HOLMBERG, « Derision, Exorcism, and the Ritual Production of D. G. WHITE D. G. WHITE (éd.), B. A. HOLDREGE J. S. LIDKE
D. H. HOLMBERG
Y. GARB, Résumé de « Power and Kavvanah
paradigme foucaldien apparaît toutefois limité de par l’absence d’individualité, d’intentionnalité et de capacité d’agir ( ) des acteurs qui le caractérise : J. R. FREEMAN, Jr., « Purity and University of Pennsylvania, 1991, p. 41-46, p. S. SANGREN Y. GARB, Résumé H. B. URBAN, « The Path of Power : Impurity, Kingship, and p. 777-816 (p. 784-786), et C. J. R EYNOLDS 4. T. ASAD 5. P. BOURDIEU, 6. Par exemple Y. GARB
216
LOPEZ, Jr. (éd.),
de la diversité des modalités d’action rituelle violente qu’elles permettent de réaliser, et de leurs évaluations morales. Les modalités et gradations du tout, de la vie. Au terme de cet examen, il sera possible d’apporter un nouveau de spécialiste religieux bouddhique.
I. Les modalités du pouvoir Au Baragaon, la notion de pouvoir religieux se décline en une large palette de termes, d’associations et de valorisations. Notre exploration de ce champ sémantique progressera des formes de pouvoir plus exceptionnelles, souvent associées à une période maintenant révolue, jusqu’aux plus communes. / 1 Une manifestation extraordinaire de pouvoir religieux, comme l’immobilisation des rayons du soleil par Lama Tsapgyepa ( ou . Techniquement, le désigne, chez un adepte tantrique, un signe d’accomplissement, terme , skt. : divers pouvoirs, et d’obtention de réalisations ( appliqué de façon prolongée à une pratique tantrique donnée. Au Baragaon, ou reçoit en général peu l’origine du pouvoir d’accomplir des d’attention mais, quand elle est précisée, il s’agit typiquement de longues retraites tantriques, par exemple d’une durée de trois ou même neuf ans. Il en va de même pour la plupart des modalités de pouvoir qui vont être examinées ici. En revanche, contrairement à la majorité des modalités suivantes, les ou qui sont rapportées dans le discours local manifestations de n’ont en général pas d’implications éthiques problématiques. 2.
t’u ngak Deux autres concepts clés, aux implications morales plus problématiques, font référence à un pouvoir détenu en permanence et activé à volonté par un religieux puissant : comme destructeur (ou présenté comme employé dans des actes d’agression), , « pouvoir et ) ou appliqués ) ; l’expression Le
est décrit comme permettant de tuer, de détruire des villages, de
Pön-gyü se distancia ainsi de ces pratiques :
217
Le vise principalement à tuer. Cela existe beaucoup chez les . On dit 7 que « son propre . Mon . Son enseignement ne porta pas là-dessus.
Les mantras, quant à eux, forment une vaste classe de formules puissantes, nombre de textes canoniques, tantriques ou non. Ils sont aussi employés tels quels, en dehors du cadre d’un texte qui les engloberait, tel le Mani, associé à utilisés comme procédures rituelles autonomes, font l’objet de transmissions ) de tels mantras. Leurs usages sont variés, mais le discours local met en avant , dont les manifestations typiques incluent la paralysie, l’évanouissement ou les tics nerveux. Autre fonction courante, certains de ces mantras permettent d’éliminer les parasites des champs. L’emploi de ces mantras constitue une spécialisation prestigieuse, associée à un pouvoir tantrique fort et à un peu transmises. Ces enseignements puissants sont souvent considérés comme ( Rimpoche, sollicita l’autorisation de lecture, (
, de la collection ), le hiérarque refusa, ). Aujourd’hui, cette pratique des mantras a disparu de Ch’ongkor, et s’est maintenue principalement du clan Shari Pön-gyü. parmi les tantristes activité de praticiens des mantras sont désignés, à Ch’ongkor, par le surnom de de la communauté, Ngakpa Ts’ering, ce qu’on pourrait rendre, dans le contexte présent, par connus comme
, à la fois en tant que religieux et en tant que membres
associé au nom propre un trait distinctif, signe de la grande valorisation de la spécialisation dans les mantras. Une femme née à Ch’ongkor désigna une fois même de « seuls vrais cette pratique. Ceci revient à prendre le terme dans une acception étymologisante, peu courante localement, mais non dépourvue de pertinence socioreligieuse dans le cadre tibétain plus large. Au Baragaon, cette femme n’est sûrement pas la seule à avoir le sentiment que des tantristes ne pratiquant au sens le plus plein du terme. pas ce genre de mantras ne sont pas des
7. rang-gi mthu rang-la zug.
218
nüpa ch’inlap 3 Ces mantras puissants et plus encore le renvoient, dans la vision locale, à des pouvoirs d’exception, ou peu communs. Deux autres notions correspondent au pouvoir religieux dans ses expressions les plus courantes : et de ce sont celles de désigne un pouvoir fort, qui permet à un religieux d’exécuter des actions l’exécution du rituel d’éjection du principe conscient ( toutefois, plus souvent qu’ailleurs en milieu de tantristes, le pouvoir d’un , une Plus précisément, (skt. ), dans ses usages variés, désigne à la fois un pouvoir ou potentiel, d’origine transcendante, et le transfert de cette qualité, bénédiction ou transmission de pouvoir. Le peut émaner d’une divinité supérieure, d’un maître, d’un lieu saint imprégné de la présence d’une divinité, d’un objet ayant été en contact avec un maître, ou d’un rituel 8. Les objets et substances obtenus d’un maître ou d’un lieu saint sont eux-mêmes appelés du terme que Hocart lui donne. Quant au spécialiste rituel, les initiations et rituel : de ce point de vue, le est un potentiel ou pouvoir. Notons que ), peut-être en rapport avec ses fortes ce terme (contrairement à celui de connotations transcendantes, ne saurait être utilisé dans le contexte d’une activité rituelle moralement répréhensible. 4
sa-nga
les termes précédents, de
à
, à un verbe comme , « avoir, , apparenté au tibétain ,
l’expression (avec ici au sens de religieux de statut élevé). ), à Elle est glosée en référence au savoir, à l’expertise en religion ( ), autre expression répandue est
(ou
), littéralement « bon
qualité.
8.
T. HUBER,
, p. 15-16.
219
Le terme
ne renvoie donc pas nécessairement, ou directement, à la
par le récit d’anecdotes, destinées à illustrer le sens du terme, qui toutes étaient des histoires de pouvoir : le pouvoir de voler sur les rayons de soleil, au pouvoir de renvoyer les attaques de sorcellerie, etc. L’association de de Ch’ongkora sur les combats que se livraient jadis les minutes d’écart, tous deux eurent la même formulation : ces , étant ), s’attaquaient mutuellement au moyen de « extrêmement magie agressive ( ). Dans la même veine, une Ch’ongkora mariée de longue date à Lubra répondit à ma question sur l’existence éventuelle de pratiques de ou ) dans la communauté en s’exclamant : sorcellerie ( Comment y aurait-il quelque chose de la sorte ici, où il n’y a pas de véritable plus de
pratiquant la sorcellerie (
) : il n’y a pas de
.
pour pratiquer la sorcellerie ? – Sans connaître tous les livres sacrés ( ), comment pourrait-on le faire ?
Le terme
, au Baragaon (au moins dans tout un ensemble de
élevée, fondée en particulier sur un savoir textuel, mais largement détachée d’associations éthiques 9. Le pouvoir n’est, à proprement parler, qu’une et présent aux esprits qu’il tend, dans le discours quotidien, à l’instar de la à l’état de haute formulation du vieux couple Ch’ongkora, à être . Ce terme sémantique entre la qualité et le pouvoir, ou la force. Il exprime ainsi la qualité plat. désigne des mantras de qualité, c’est-à-dire évidemment des mantras puissants. En somme, la gamme des usages de au Baragaon, un religieux de qualité est aussi, en un sens fondamental, un
9. En cela, la situation au Baragaon s’écarte nettement de l’usage courant en tibétain standard, où l’expression surtout ne saurait convenir pour désigner un maître s’engageant dans des actions moralement condamnables. Les propos cités ci-dessus seraient contradictoires s’ils étaient tenus par des locuteurs du tibétain standard. ). On notera qu’Ortner de comprit le terme tsachermu, équivalent ORTNER, et renvoient (au moins dans les dialectes qui me sont familiers) à la sainteté ; les pouvoirs extraordinaires n’en sont techniquement qu’une conséquence, psychologiquement certes prégnante.
façon indissociable, le pouvoir et la sainteté. Dans l’univers rituel, mythique et moral d’une communauté comme Ch’ongkor, cette conjonction idéale est l’atteste notre exploration des termes
,
.
,
11
moyens religieux.
II. Pouvoir, violence et ambiguïté morale 1 symbolique des tantristes de Ch’ongkor. Les attributs des tantristes chargés de telles connotations présentent toutefois toute une gamme d’usages ou ), dans l’abstrait le symbole d’associations symboliques. La dague rituelle ( et instrument par excellence de la violence rituelle, n’est manipulée de façon , voire, avec ouvertement violente que dans l’exorcisme d’écrasement des une violence plus symbolique, dans l’exorcisme collectif Dögyap. La dague symboliquement la plus importante à Ch’ongkor, celle de Lama Tsapgyepa, occupe une place centrale dans des récits exposant les pouvoirs du maître, telle sa maîtrise des éléments ; dans la pratique, elle constitue avant tout un ) de l’ancêtre fondateur. La trompe-fémur ( attribut classique, au symbolisme macabre, du fort pouvoir du tantriste. tantristes de Ch’ongkor sous le nom de
, soit «
(trompe-
avec le symbolisme tantrique des textes, mais confronté ici à ce qui semble partagé entre l’incrédulité et sa foi en la tradition orale. Dans la pratique toutefois, la trompe-fémur n’est utilisée par les tantristes de Ch’ongkor qu’en conclusion de certains exorcismes, alors que les ennemis sont vaincus et que associations symboliques sont donc multiples, allant d’une violence extrême 12
violente (
) est un marqueur symbolique récurrent des tantristes et de
de bouddhisme moins centrées sur le pouvoir rituel : voir par exemple B. FAURE, , Princeton, Princeton University G. ROZENBERG, 12. C. M. CANTWELL
221
), en commençant par Ch’arka Nakpo (lit. collectif majeur de la communauté, le Dögyap. Diverses sources tibétaines (« chapeau Le même symbolisme d’inversion et de violence rituelle, problématique et , occulte, ressort de l’activité nocturne des tantristes : à l’exemple du nous avons vu que leurs exorcismes se prolongent parfois jusqu’au milieu de la nuit. Il convient toutefois de noter que le vêtement du tantriste est parfois blanc : on peut citer les hiérarques de la lignée K’ön, à la tête de l’ordre Sakya, ou, au Baragaon, le précédent maître de Gara Gompa. Dans un registre , « doté d’un vêtement littéraire, savant, l’expression haut niveau. Le plus souvent toutefois, le vêtement des tantristes du Baragaon excellence. Ici encore se réunissent donc des symbolismes multiples, voire l’analyse des représentations du village et de son inscription dans le paysage ( une certaine cohérence objective entre cette diversité des symbolismes et la de l’activité rituelle. Ce que le symbolisme évoqué ci-dessus traduit, c’est l’avons déjà observé à plusieurs reprises. 2 Avant d’aborder les pratiques les plus manifestement problématiques, au sens de la maîtrise des crues, des glissements de terrain, de la grêle ou de domaine présente en réalité aussi une ambivalence morale. Un maître capable 14 est souvent capable de les causer. Les crues qui, périodiquement, submergent le fond de prononcée au moment de sa mort par un de Dzar vaincu par la magie . Longtemps, la botte du de Lubra, placée en un de son ennemi
K ARMAY
TUCCI,
, p. 715, et H. HOULÉ,
p. 25, 57. religieux puissant, par une divinité irritée, etc. chap. XXIV.
222
: ils peuvent être provoqués par un VON NEBESKY-WOJKOWITZ, ,
crues ou les glissements de terrain, pouvoir à la fois protecteur et destructeur, apparaît dans les récits concernant les maîtres puissants de Ch’ongkor ( d’autres endroits 15. La maîtrise de la grêle et de la pluie en revanche est un pouvoir plus répandu : c’est une spécialisation rituelle typique des tantristes, institutionnalisée dans nombre de régions tibétaines. L’exemple de Lhasa est bien connu : Le , pour moine], mais plutôt un magicien, versé dans les charmes qui sont contenus dans les textes religieux. Parmi d’autres pouvoirs, on lui attribue celui d’arrêter la grêle. Il y a, il est vrai, des prêtres qui peuvent repousser les orages de grêle, mais aucun n’est aussi . Ceci est reconnu même par les prêtres eux-mêmes. Ainsi, le gouvernement tibétain emploie deux de ces magiciens pour empêcher ma traduction) 16.
Aujourd’hui, au Baragaon, si la grêle ou les pluies sont parfois mentionnées dans les cultes de tradition orale adressés aux divinités du lieu, à ma connaissance le contrôle des précipitations ne fait pas l’objet d’une des Ch’ongkora étaient réputés pour la pratique de tels rituels. Certains XIXe
pays
et ) jusqu’en , à plusieurs jours de marche au sud du Baragaon. Selon Pema
l’objet d’un culte en cas de sécheresse. Le puissant fondateur de Ch’ongkor, même mort, garde cet attribut classique du tantriste qu’est le pouvoir de contrôler les précipitations.
stade précoce ses études religieuses et médicales, et en général n’est pas de respectés de la communauté. ,
15. Pour Gyasumdo, S. R. MUMFORD, 16. VON NEBESKY-WOJKOWITZ,
Pour cela, ils appliquaient ( collection , (
, et utilisaient
) miniature, ou une petite statue de
constituait un péché (contrairement au fait de faire pleuvoir,
, qui
.
17
3.
lama
bönpo
du passé. Dans le cas de l’histoire de la course jusqu’au sommet d’une montagne qui opposa Lama Tsapgyepa au tenant d’une tradition religieuse inférieure, l’objectif était de triompher, en quelque sorte de soumettre symboliquement son adversaire, mais non de l’attaquer à proprement parler. ennemis. L’expression est presque un cliché de cette veine narrative. , peut-être Les deux protagonistes sont souvent bouddhiste et essentiellement la reprise d’un schéma idéologique préétabli. L’appartenance religieuse de l’adversaire n’apparaît pas toujours cruciale pour le narrateur, et peut varier selon les récits, y compris dans un même village. Ramble voit dans certaines de ces histoires l’indication de possibles tensions locales et le bouddhisme, mais souligne que la cohabitation anciennes entre le au Baragaon est, de l’avis même des intéressés, entre bouddhistes et
à celui de Dzong, mais les récits de combats entre
locaux, en particulier ennemis n’opposent
mêmes, mais fortement associées au monde monastique), comme Ngor-chen
17. Autre procédure, plus exceptionnelle, de contrôle des précipitations : on rapporte que, pluie en projetant brusquement vers l’avant sa chevelure (ses cheveux lui descendaient jusqu’au bas des jambes). Ce mouvement semble analogue à un geste classique du rituel tantrique, désigné au Baragaon par l’expression à projeter vers l’avant, par-dessus l’épaule, un tissu, ou des bandes de tissu attachées à un , pour inciter les divinités protectrices à venir ou à agir. (Sur ce geste rituel, voir aussi les interprétations recueillies par Kohn : R. J. KOHN, ainsi l’ , au niveau des cheveux, d’un pouvoir et d’une procédure tantrique puissante.
224
au Tibet central, la consécration d’un stûpa de Montang, et à cette occasion des grains d’orge, lancés par le maître, seraient tombés jusqu’à Montang. évoque volontiers le contraste entre l’activité belliqueuse et destructrice des anciens maîtres tantristes de la région et celle, empreinte de la compassion du , du maître (tantriste lui aussi) qu’est Sakya Gongma Rimpoche, dont le pouvoir, souligne-t-il, est pourtant tel qu’il pourrait aisément tuer un homme. du fait de raconter les histoires de combats La pertinence n’est donc pas, d’abord, d’ordre sociologique ou politique. Elle entre réside surtout dans l’évocation d’un pouvoir merveilleux mais violent, d’un idéal de religieux (ambigu), le tantriste puissant, et non d’une ancienne
de Ts’ampa Takla, le prêtre médicaux ou rituels qu’ils s’étaient apportés mutuellement n’eurent pas été de magie. Depuis le fondateur et archétype, Lama Tsapgyepa, l’histoire de Ch’ongkor paraît ponctuée et, dans une certaine mesure, constituée par ce l’exercice du pouvoir violent, de l’ordre d’une joute, activité située dans une certaine mesure au-delà des normes de moralité commune ou, pour le moins, en décalage par rapport à elles. 4. et les rituels de sorcellerie ( , ) capable de lutter avec les peuvent viser une victime qui n’est pas un combat entre ennemis soit parfaitement tranchée, on entre ici dans les aspects les plus occultes et problématiques du pouvoir violent des tantristes. Les notions de , d’une part, et de et , d’autre part, doivent être distinguées. Dans les récits qu’il m’a été donné d’entendre, le plus souvent le pouvoir est appliqué par un religieux pour son propre compte, et vise des êtres humains (mais nous avons vu que ce peut être aussi un élément du paysage, par exemple). Il n’implique pas nécessairement un rituel textuel formel mais nécessite un pouvoir hors du commun, une donnée que le discours est un pouvoir éthiquement local associe en général avec le passé. Le 225
ambigu, aux usages souvent destructeurs, mais parfois défensifs ou punitifs, comme dans l’histoire de Kunga Rapten. L’usage du ne fait pas toujours l’objet d’une évaluation morale : souvent il constitue d’abord, dans le discours, un signe de grand pouvoir. ou (termes largement En revanche, les rituels de sorcellerie, synonymes au Baragaon), peuvent être exécutés par un religieux aussi pour le compte d’un patron, et visent toujours un être humain. Ils s’appuient sur un rituel textuel formel, ne nécessitent pas un pouvoir hors du commun, et sont donc en principe à la portée des tantristes actuels 18. Ces pratiques sont toujours moralement réprouvées. Ces notions distinctes restent toutefois assez proches dans les esprits. Elles , sont parfois réunies dans une même phrase (comme ou fondues en une expression, comme
(lit. « sorcellerie [et ?] pouvoir
acquis selon le principe de la retraite tantrique, et en particulier de la
pouvait ensuite commander à celles-ci comme à des serviteurs ( de
. Il ) et par
ou
La notion de étant déjà apparue de façon répétée dans cette étude, ou . penchons-nous maintenant sur les procédures de sorcellerie, , font parfois l’objet de Celles-ci, contrairement à l’usage du pouvoir . Un précisions d’ordre technique dans le discours des tantristes protection contre celle-ci : ils s’appuient souvent sur les mêmes textes. Lama sans me demander, avec un sourire un peu ironique, ce que je comptais bien en faire dans mon pays. Il se présente dans son titre 19 comme dans son contenu . Vis-à-vis des comme un rituel de « repoussement de la sorcellerie , tantristes comme, d’ailleurs, de ma logeuse Nyilda, veuve du précédent (« repoussement de la sorcellerie j’avais beau ne prononcer que le mot de
les formulations, lors de la lecture, ainsi que dans les préparatifs matériels.
18. Nous avons vu toutefois (
19.
ü
.
226
) pour pouvoir pratiquer la sorcellerie. , littéralement peut-être
Lors du rituel, on peut ainsi introduire dans un crâne d’animal, ou dans une corne, des morceaux de vêtement ou des cheveux appartenant à l’ennemi deux variantes (parfois exécutées simultanément), appelées « ( ) et « ), selon que le dispositif est dissimulé par exemple dans un cours d’eau ou sous un rocher. (Ces procédures rappellent le rituel d’écrasement des ), c’est-àdire amaigris. Hormis le secret qui l’entoure, l’apprentissage de ces pratiques semble se dérouler comme pour tout autre rituel : un tantriste demande à un rituel de repoussement de la sorcellerie) et de lui donner à cette occasion des instructions orales. (qui n’est pas lu lors Nous avons vu aussi qu’un passage textuel du du rituel) donne des indications pour inscrire le nom propre, le nom de clan, en papier. La littérature sur le etc. de son ennemi sur une représentation monde tibétain contient de nombreux exemples semblables . Boord, parmi d’autres (et comme les lettrés tibétains), voit en de telles pratiques des formes : provide us with evidence of occasional, all too human, lapses from such a noble altruism. Mortal nature is such that there have inevitably arisen in the past certain self-centred, power-hungry yogins who have been tempted to
On peut se demander si ce ne sont là réellement que des formes dégénérées ) ou détournements individuels, mais bien aussi la transmission d’un savoir-faire pour le moins ambivalent : le texte que je pus photocopier est déjà mentionné dans la liste des initiations et enseignements reçus par un tantriste de Ch’ongkor au XIXe ). Mes informateurs n’ont abordé réellement le sujet de la sorcellerie que dans les derniers jours de mon séjour principal au Baragaon. Un tantriste du clan Shari Pön-gyü, qui avait grandi à Ch’ongkor, me donna le premier, et le plus détaillé, des récits qu’il me serait donné d’entendre, concernant ce que 21
VON NEBESKY-WOJKOWITZ, , chap. XXV. 21. Je n’ai eu vent d’aucune autre occurrence précise de sorcellerie à Ch’ongkor dans la mémoire locale.
227
un tantriste de la communauté (appelé ci-dessous Kunga), en l’occurrence , les deux
22
moment de sa mort (évoquée dans ce récit), Kunga était le
de Ch’ongkor.
On venait les consulter même du pays . Cela peut susciter la jalousie. Une fois, leur chien a déterré quelque part un crâne d’animal (peut-être de chien ?). Il était rempli d’ingrédients rituels, de type « dit alors qu’il devait probablement y avoir aussi un « , pu l’atteindre. de comparer l’écriture sur le papier glissé dans le
trois jours, un exorcisme et un écrasement des démons . Au-dessus de la porte d’entrée de la maison de X, il y avait donc un crâne [accroché à l’issue du premier rituel] et, dedans, un morceau de papier avec bien à celle du a demandé à X s’il s’était passé quelque chose de spécial quand Kunga avait Kunga avait broyé des morceaux de papier dans un moulin à grain manuel. C’était anormal pour un rituel de . (Ces papiers allaient servir pour le rituel de qu’elle avait été réveillée vers minuit par le son d’une trompe-fémur qui
P. DOLLFUS KVAERNE (éd.), , vol. I, Oslo, Institute for Comparative Research in Human Culture, 1994, p. 178-196. Je n’ai en fait presque jamais entendu parler à Ch’ongkor, et aucune maison du village ne comporte aujourd’hui, sur sa du façade, la structure caractéristique (avec un crâne d’animal) qui y est accrochée à l’occasion du rituel.
228
Alors Kunga a fui le village. Il est descendu de la vallée, puis est monté vers le lac Tilitso et, de là, a gagné le Nyishang. Mais il a bien fallu qu’il revienne et il a dû avouer publiquement 24. en bons termes 25 ? resté d’animosité entre lui et les descendants de Kunga. [Le récit saute à une période ultérieure.] Au lieu-dit *K’alung, où il y a une ruine, Kunga avait un champ de légumes. Peut-être a-t-il voulu éliminer un mur qui faisait de l’ombre ? En tout cas, le mur s’est abattu sur lui. Il a dû commencer à fuir, mais a été écrasé par le mur. Le mur l’a écrasé dans la
morceau de son vêtement rouge : c’est ainsi qu’on l’a retrouvé. Son corps était tout aplati, avec du sang qui était sorti par la bouche. Ainsi son propre s’était retourné contre lui. De même [bien plus tard], la mort précoce de son retourne également contre la descendance de celui qui l’envoie. Dans notre famille, depuis des générations on pratique annuellement le repoussement de la sorcellerie ( ). Beaucoup de grands ou de chefs ) font ainsi ; les petites gens n’ont rien à craindre. Il doit être exécuté ( ne se produit qu’une fois par an. Dans le rituel, il y a neuf ingrédients qui interviennent, on écrase neuf fois, etc. 26 est peut-être une des raisons du déclin de la tradition religieuse de Ch’ongkor ? Le dicton, le des hommes frappe ( dynastie de Yarlung], le des femmes frappe Yeshe Ts’o-gyel [ et épouse de Padmasambhava], le des tantristes frappe Guru Rimpoche
d’atteindre le tranchant de la lame d’un couteau [vu de face].
Les circonstances de la mort de Kunga ont frappé les esprits. Dans , le fait de mourir « écrasé ( ) sous la les mots d’une femme et de l’élimination rituelle violente d’êtres démoniaques. Il est dit que l’esprit ).
24. Le coupable fut condamné par le
à une lourde amende.
.
229
tantristes et ce type d’activité. Cette association ressort de façon répétée dans le défaut type associé à la catégorie du tantriste est celui de gagner sa vie en jetant des sorts 27. Si mes interlocuteurs au Baragaon préféraient faire état 28
. Selon une
contribuer à préserver le bouddhisme au Tibet, à l’époque des persécutions par le roi Langdarma (IXe pouvoirs du maître tantriste Nup Sang-gye Yeshe, épargna sa communauté de pratiquants 29 destructeurs mais capables de protéger la doctrine. 5. Peut-on distinguer, sinon une fonction, du moins une dimension politique (au sens des rapports de force dans la société) dans la manipulation par le tantriste du pouvoir rituel violent ? Sa qualité de spécialiste, au moins dans le les données recueillies, toutefois, la notion de sorcellerie ( ,
) intervient le
et ne se limiterait pas au stéréotype du combat entre tantristes puissants. Les histoires relatent généralement le combat de religieux appartenant à deux
clans, celui de Lama Tsapgyepa et celui de Shari Pön-gyü (ou entre des lignées ou maisons appartenant respectivement à ces deux clans), mais il est malaisé de tirer de ce seul exemple de réels enseignements. Le recours, par un souverain, aux services d’un tantriste dans le cadre ancien, conservé à Ch’ongkor, mais dont le contenu semble largement ignoré des Ch’ongkora. Il s’agit de l’épisode dans lequel Lama Tsapgyepa sauva
27. M. R ICARD 28.
(trad.),
E. K AWAGUCHI, ), p. 272, C. R AMBLE, dans G. A. COMBE, 4
, New Kathmandu, Ratna Pustak Bhandar, , p. 226, pour le Shöyü
, Kathmandu, Ratna Pustak Bhandar, 1926 (19752), p. 151-152. , Berkeley, Dharma Publishing, 1977, 29. TARTHANG TULKU, THONDUP R INPOCHE,
de l’extinction la lignée royale de Lo, frappée par une puissante attaque de sorcellerie lancée par un maître du Gungtang, principauté tibétaine avec laquelle le Lo connut des tensions prolongées . Les souverains du Lo, comme ceux du Baragaon, ont patronné ensuite les tantristes de Ch’ongkor pour ancien Ngashap Dögyap (le grand exorcisme collectif de l’ordre politique de « [rituel de] ), c’est-à-dire de l’ennemi. Ailleurs, le rôle de spécialistes tantriques en tant que puissants auxiliaires . Dans un discours (préparé à l’avance, au Népal, celui-ci mentionne de nombreux cas de tantristes au service des États ou royaumes tibétains . Les activités mentionnées sont celles de protection, de rituels de longévité, ainsi que, de façon répétée, la triade démons
(tib.
. Encore et toujours, les tantristes sont recherchés pour leur pouvoir et en particulier pour leur maîtrise de l’acte rituel violent. Selon cet informateur, le royaume de Derge connaissait une répartition , dans le haut (u des fonctions entre quatre maîtres religieux, du pays, quatre ministres dans la partie médiane et quatre tantristes ( ) . Cette organisation renvoie à la vision tibétaine classique d’un étagement vertical et hiérarchisé du monde, avec, de haut en bas, les étages des dieux, des est toutefois associée dans ce discours à une maîtrise dans la hiérarchie du pouvoir. Sous une forme ramassée est exprimée ici une véritable cosmologie, , skt. ). Ainsi les tantristes peuvent se trouver intégrés dans une gestion rituelle et politique du monde qui nécessite la violence, ou du moins un pouvoir puissant. Religieux du pouvoir rituel et religieux fortement inscrits dans le monde, les tantristes apparaissent tout désignés pour remplir ces tâches.
ü
[yul yul med-pa btang-thub-mkhan bla-ma]. M. STRICKMANN, , p. 41.
ü
H. HOULÉ H. HOULÉ,
.
6.
discours sur l’évolution religieuse de Ch’ongkor. La perte des pouvoirs ( , mantras puissants et autres) des grands tantristes de jadis est présentée comme avec l’ancêtre et archétype, Lama Tsapgyepa, capable de voler sur les rayons , un monde du soleil, est récurrente. Pour Nyilda, la veuve du précédent Ch’ongkora dans leurs tentatives d’obtenir un visa pour les États-Unis. Certes, la disparition de certains pouvoirs, comme celui de manier les mantras , etc.), date seulement de (contre les maladies dues à la pollution, la génération précédente, avec la mort de Ngakpa Ts’ering (1899-1964). Pema aujourd’hui ces pratiques n’ont plus de spécialiste dans la communauté. Si la perte des pouvoirs de jadis constitue un des principaux signes de destructrices apparaît à certains comme une des causes fondamentales du . Plus tard, il résuma sa vision des choses ainsi : Oui, bien entendu, Lama Tsapgyepa était capable de mettre en œuvre le ( ) : il allait [même] sur les rayons du soleil et de la pouvoir , il l’employait ) mettant ainsi en œuvre .
le
) de Dzong et Dzar, c’est [celle de] Hrewo Palgön, [maintenant] décédé, c’est la maison Simkang *Nya à petit [la lignée] va sans doute s’éteindre. Une lignée animée de l’esprit de va progresser. En revanche, les souverains pratiquent les attaques de sorcellerie ( ), les quant à eux appliquent leur pouvoir destructeur , ils produisent le , pratiquent la sorcellerie ( ), et leur lignée se vide probablement. Le ) des tantristes de Ch’ongkor déclin de la tradition religieuse ( est probablement dû à ça. Voilà ce qui me vient à l’esprit. Jadis on utilisait beaucoup le pouvoir
ü
ü
[mi yin-na stong-du ’jug-thub-mkhan]. [’di rus-rgyud ’di dga’-mo ma-byung].
activités [rituelles] violentes : hormis cela, ils ne faisaient absolument rien animées de l’esprit de ( ). Voilà probablement la raison pour laquelle cette tradition religieuse a maintenant .
Aux héros ambigus qui manient le pouvoir destructeur le
et pratiquent
. L’ordre moral et le principe de rétribution des actes qui sont
La notion de réincarnation est absente. La rétribution n’est pas individuelle , et de la maison. Ici encore s’exprime donc une entre ces principes et la transmission sociale ou religieuse dans l’univers Le discours sur le déclin religieux de Ch’ongkor ne présente toutefois pas précédent
: (retraites centrées sur
puissants, ils pouvaient accomplir des rituels de sorcellerie ( ) tout comme s’en protéger. Aujourd’hui, ils ne font plus beaucoup de retraites, ils ont moins de pouvoir et les textes [utilisés jadis pour la sorcellerie] sont la cause de (obstacles ou infortunes).
tandis qu’aujourd’hui, le pouvoir des tantristes ces rituels de destruction échappent à leur contrôle. Ce discours est centré sur la valeur classique du pouvoir et ne s’attache pas aux implications morales du ordre fondé sur le pouvoir rituel. Il commenta une fois que les rituels violents et l’usage du pouvoir destructeur impliquent tous du péché pour leurs acteurs. Ceux-ci, au moment de la ) de leur principe conscient et mort, ne peuvent alors réaliser l’éjection ( ). Ce discours conteste l’idée donc ne peuvent parvenir à l’Éveil ( selon laquelle les puissants pratiquants de rituels de destruction auraient jadis conséquences de leurs actes néfastes. Il ajouta toutefois que le précédent lui-même et de Ch’ongkor, au moment de sa mort, aurait réalisé son . Cela était dû, selon lui, au serait resté dans l’état de méditation de fait que le religieux avait reçu de nombreuses initiations ( ) pendant sa vie. Il s’agit là, encore et toujours, d’un discours de puissance (rappelons que
le sens premier de par l’accomplissement spirituel que par l’accumulation de pouvoir. Les données de Ch’ongkor conduisent à s’interroger : assiste-t-on aujourd’hui, dans cette communauté de tantristes, à une (relative) éthicisation du discours, des pratiques et des conceptions religieuses ? Le développement, y compris chez les tantristes, d’activités orientées vers la production de mérites a déjà été mentionné. Une autre indication possible apparaît par exemple dans et un certain nombre de références aux paroles de l’actuel Dalai paraît en décalage avec le Lama. Cette rhétorique de la voie du les gens du Baragaon et les hiérarques
datent essentiellement des
composante doctrinale éthique n’est sûrement pas en soi un élément nouveau.
mentionné que le rituel d’écrasement des démons
est fortement associé
d’origine extérieure à la région. impliquant des Ch’ongkora ne constitue pas un élément réellement probant, par manque de données plus anciennes. La sorcellerie, en tant qu’ensemble de représentations, de discours et de pratiques, ne paraît pas occuper actuellement une place autre que marginale, et peut-être en a-t-il toujours été ) ainsi. Le devenir récent des textes de (repoussement de la) sorcellerie ( indique toutefois peut-être une certaine distanciation par rapport à celle-ci. Le fait que le occulte, et peut-être même leur désuétude, en tout cas pour lui. Par ailleurs, le
pourrait n’être qu’un élément isolé, lié à l’histoire dramatique de sa famille. Les indices recueillis ne permettent pas de se prononcer sur la communauté de Ch’ongkor dans son ensemble. entre deux pôles : l’un est moral et centré sur des conceptions de rétribution des actes ; l’autre, qui prédomine parfois nettement, est plus détaché de pouvoir, y compris sous ses formes violentes. Si des pratiques extrêmes comme les rituels de sorcellerie disparaissent ou sont réduites à une position
extrêmement marginale, d’autres, tel l’exorcisme d’écrasement des démons , résistent, malgré les critiques d’ordre éthique. La violence rituelle que manient les tantristes reste sans doute aussi, dans la perception générale, un moyen nécessaire et légitime.
III. De la nécessité du rituel violent Dans notre exploration de la dimension morale de l’activité rituelle violente des tantristes de Ch’ongkor, il convient de recentrer le regard sur les pratiques d’exorcisme, qui en constituent le cœur véritable, et sur les plus paradigmatiques d’entre elles, le grand exorcisme collectif Dögyap et l’écrasement des dimension fort appréciée des exorcismes violents : leur côté spectaculaire. Le second, un rituel contesté, nous permettra de prendre la mesure réelle est imputé. Rituel bon à penser les tantristes de Ch’ongkor, le fournira certaines clés des conclusions de cette étude.
nous
1.
pour leurs voisins. Les moines de Dzong reprirent alors la charge d’un exorcisme collectif annuel, charge nouvelle à laquelle ils durent se former. Quarante spectaculaire, , que celui des tantristes. Il s’exprime là une attente face à laquelle les moines paraissent quelque peu en retrait, ou en décalage. commentaire courant pour les grands exorcismes collectifs), on se corrige : doté à l’idéologie dominante. Le rituel, par ailleurs, peut évidemment réunir les deux aspects : spectacle plus que les deux notions ne sont pas sans lien. Le spectaculaire renvoie en partie à un plaisir (esthétique, ludique), mais fait voir aussi les divinités, dans les danses, et le pouvoir rituel qui est mis en œuvre, dans les gestes de violence des exorcismes. Dans les grands rituels collectifs des tantristes de Ch’ongkor, , le spectaculaire doit sans doute ou dans un exorcisme privé comme le est le plus souvent associé à la violence rituelle, comme dans les moments clés des exorcismes collectifs Yangdak et Dögyap ( ). Nous avons observé la richesse et l’intensité , caractérisé par toute une séquence d’actes de mise dramatiques du hostiles et la victoire de la religion sont données à voir, à entendre, à ressentir.
L’utilisation des armes, la violence gestuelle et sonore, ou encore, ponctuant le , dans les mots d’un tantriste) rendent tangible le pouvoir violent qui caractérise l’activité rituelle des tantristes et, de fait, s’accordent moins bien
d’analyse de l’ de la violence rituelle, le travail classique de Lienhardt sur la religion des Dinka du Soudan vient à l’esprit. Si les Dinka à visée thérapeutique ou autre, celui-ci, pour Lienhardt, est avant tout, en régule l’expérience qu’en ont les acteurs du rituel et leurs proches . Certains Tibétains, y compris des Ch’ongkora, en commentant qu’un rituel aura ou qu’on se fait ( entre protagonistes humains et non humains. Le rituel culmine dans un acte et « représent[e] la conversion d’une situation de mort en une situation de . Je me limiterai ici à deux commentaires. L’analyse de Lienhardt est fortement suggestive. Comme dans nombre d’analyses symbolistes, la question peut toutefois se poser du degré d’adéquation avec les logiques peu de données explicites sur les idées, motivations et attitudes, dans l’acte même, des participants . Dans le cas présent des exorcismes de Ch’ongkor, du rituel ; en revanche, sur la question précise de l’analyse de la violence données explicites dont je dispose demeurent trop modestes pour permettre de s’engager plus loin dans cette direction. qui chez Lienhardt est sous-tendue par l’idée d’une dichotomie entre univers physique et domaine moral, corrélative d’une dichotomie entre action
G. LIENHARDT, G. LIENHARDT, G. LEWIS
, p. 291. , p. 296.
, mais la matérialité du
41
et les qualités morales qui circulent dans ces actes sont probablement moins même de l’acte concret de violence cas indispensable dans le contexte de l’exorcisme violent bouddhique, et qui fera l’objet des sections suivantes. 2. La place, analysée ci-dessous, de la notion de péché ( ) dans les n’est pas représentative de toute la gamme discours et conceptions des discours que tiennent à ce sujet les tantristes en général, et ceci même au à Lubra, où le dernier
pratiqué dans la communauté même semble
de ceux des Ch’ongkora. En revanche, le discours d’un tantriste relativement érudit (et peu ritualiste) comme Ts’ampa Ngawang s’en démarque clairement. Si celui-ci reconnaît et revendique l’usage de la violence rituelle par les tantristes, il refuse (en tout cas pour ce qui concerne lui-même et sa lignée) la [N. S.] : Y a-t-il un lien entre les tantristes et l’activité rituelle violente,
?
augmentation, soumission et rites terribles, ou violents] sont pratiquées par les moines comme par les tantristes. Toutefois, les tantristes ont le plus de pratique en ce qui concerne les activités violentes, comme les rituels ignées sous sa modalité violente et le jet des projectiles rituels , des structures , etc.). L’activité violente est nécessaire. Par exemple, pour soumettre les divinités [mondaines] et démons du Tibet [à l’époque de l’introduction du bouddhisme],
l’action violente le propre de Guru Rimpoche. Les tantristes ont une pratique où ils cultivent plus le pouvoir ( ü ), la puissance. Ils ont aussi de particulier ce qu’on peut appeler les « aliments [des activités] de soumission et de orgueilleuse, dominatrice ( ). Il y a aussi des limites à l’activité violente. Certains actes sont acceptables, d’autres inacceptables. L’acte violent doit être accompagné de compassion : on
41. G. LIENHARDT,
, p. 285.
– Y a-t-il un lien entre les tantristes et le péché, ? – Il n’y a pas nécessairement de lien. Cela dépend des individus. Si on connaît la religion, on se situe (dans l’activité rituelle) au niveau nouménal ( ).
activité nuisible. Il est important [pour l’activité violente] que cela « tombe à un moment ü
circonstances doivent être correctes. L’action doit être acceptable, le pratiquant ) et de pouvoir ( ).
discours 42 dissocie de la notion de péché, il contraste nettement avec les divers discours plus courants des gens du Baragaon, vers lesquels nous nous tournerons ci-dessous. Pourtant, sur la question éthique épineuse de la violence rituelle, il reprend des arguments assez répandus ailleurs, notamment dans des milieux de religieux de formation textuelle plus poussée : l’essentiel est d’agir animé
mauvais karma en nuisant aux autres, ou à la doctrine bouddhique. En cela, un qui les emploie : ce . Ces arguments n’ont toutefois pas été sans susciter des critiques parmi les théologiens bouddhiques 44, et les dérives perçues dans l’emploi de la violence rituelle ont donné lieu, par exemple vers 45 Xe .
et je lui posai toute une série de questions, qui traduisaient clairement ma recherche d’un CANTWELL
biographie de Padmasambhava lui-même : P. CORNU, 44. D. B. GRAY 45. S. G. K ARMAY SAN SUU KYI (éd.),
GRAY ), ou encore un exemple pris dans la ,
A RIS – AUNG
3.
hrinen
Si le est souvent mentionné, d’autres pratiques sont aussi associées au péché dans le discours général. Les rituels de sorcellerie et l’usage du pouvoir destructeur l’expression consacrée Toutefois, la destruction par le feu dans la modalité violente du
(rituel
celle du souvent) et n’est pas marqué par une telle association avec le péché. Quant à la question de l’éventuel péché qui serait attaché au jet des projectiles , acte répond en relativisant les choses : alors que le rituel de sorcellerie est « le du
pour les Ch’ongkora d’admettre que le principal et le plus prestigieux de leurs rituels, le Dögyap, puisse lui aussi être condamné en tant que péché. D’ailleurs, les exorcismes collectifs annuels de type Dögyap sont pratiqués à travers le monde tibétain ; valorisés et appréciés pour leur dimension spectaculaire, ils constituent de réelles institutions, inscrites dans le calendrier annuel. La condamnation en tant que péché ne se limite pas aux activités pour lesquelles la violence est la plus manifeste. Nous avons vu que l’arrêt de (parfois sans grand discernement quant aux modalités exactes) au sujet de les mantras, comme Ngakpa Ts’ering, transféraient parfois la maladie d’une les puces ou les parasites des champs est également problématique. Au-delà de ces considérations morales, l’emploi de mantras est décrit aussi comme * risquée, dangereuse. On dit que la répétition des mantras use les dents. Selon du clan Shari Pön-gyü, cette l’explication proposée par un tantriste décrit dans le cas de deux autres tantristes de ce clan, est le crachement de sang. un autre tantriste du clan Shari Pön-gyü, elle est soumise à de nombreuses au cours d’une retraite. C’est seulement ensuite que le religieux peut mettre en application ces mantras. Encore faut-il (au moins théoriquement) que la , la réception par
relativement jeunes et faillirent à les transmettre à leur tour. Au sujet de la mort avait sans doute été incorrecte (par défaut d’explication, tib.
), et la retraite
procédures et au manque de maîtrise technique. 4.
hrinen L’association, dans le discours local, entre l’activité rituelle des tantristes concerne le rituel d’écrasement des démons . Il s’agit là toutefois d’un développement assez récent, dont le facteur principal a été la condamnation du l’importance du pour les tantristes de Ch’ongkor, cette condamnation a nécessairement constitué un moment critique de l’histoire récente de la communauté. Aujourd’hui, les souvenirs des Ch’ongkora sur les circonstances exactes de cet événement (il serait plus exact de parler de processus : la condamnation a sûrement été renouvelée, argumentée, reprise par d’autres personne. La situation actuelle porte toutefois encore la trace d’une remise en cause de la vision du monde des Ch’ongkora. Sous l’unanimité du recours , en particulier, se cache une multiplicité de discours et de au terme conceptions du péché et du rituel. à la notion de péché est sans L’association relativement forte du doute liée à l’importance et à la relative fréquence de cet exorcisme. Celui-ci apparaît ainsi, dans l’activité rituelle des Ch’ongkora, comme un élément singulier et paradoxal, à la fois fréquent, valorisé, revendiqué et l’objet ne doit cependant d’une condamnation éthique quasi unanime 46. Le de son maniement de l’acte rituel violent : en somme, un rituel exemplaire. avec le péché, loin de constituer simplement L’association étroite du un accident dans l’histoire de la communauté de Ch’ongkor, nous fournit une Dans la mémoire locale, la condamnation initiale de la pratique du fut prononcée par Simpuk Gelong, « le Moine (pleinement ordonné) de 47
46. Mon propre intérêt pour cet exorcisme était problématique aux yeux des Ch’ongkora. J’ai lors de mon séjour. Bien que eu l’occasion d’assister à une demi-douzaine de rituels de ma logeuse n’ait jamais formulé explicitement sa désapprobation, elle trouvait visiblement que je m’égarais, moralement et intellectuellement, dans ma curiosité au sujet de ce rituel de péché. pourrait avoir commencé déjà
l’écrasement des Aujourd’hui, dans le discours local, y compris parmi ceux qui pratiquent le Mais l’unité de point de vue n’est que de surface. ) apportent des Certains religieux (non tantristes, ou non élaborations techniques qui reprennent sans doute la position sur laquelle se fondait jadis Simpuk Gelong. Selon eux, si l’appel ( ) des démons ) le démon tué (ou son principe conscient) 48. Dans les termes d’un tantriste la fois de pouvoir et de compréhension supérieure ( ). On laisse entendre, de la en général sans le formuler explicitement, que les tantristes génération actuelle ne disposeraient pas de ces facultés (leur rituel ne ferait donc que tuer les démons). On évoque parfois avec ironie, mais sans nommer ailleurs, selon notre érudit Ts’ampa Ngawang, l’écrasement des , en tant que ), ne devrait être pratiqué qu’en des si tous leurs prédécesseurs auraient ainsi accumulé du péché par leur pratique de cet exorcisme, les Ch’ongkora défendent en général l’image qu’ils ont de ). est du de tantriste suggéra même qu’il était vraisemblablement écrit dans le texte
dogmatique que l’on rencontre parfois en milieu tibétain, n’a peut-être rien d’étonnant dans une communauté où la pratique, par les religieux, de rituels Les divergences du discours local vont au-delà de la seule question de
condamnation prononcée par Simpuk Gelong. 48. Il s’agit d’expédier celui-ci idéalement vers un paradis (
). Certains précisent que la
protectrices qu’il invoque et exhorte à agir. L’aptitude à accomplir correctement cette procédure , ou « procédé STEIN,
241
Lubra qu’à Ch’ongkor) renvoient au fait que l’on creuse la terre, ce qui nuit aux . Si pour les uns, ce dernier point apparaît divinités souterraines, lu et central, pour d’autres il implique que le rituel est moins problématique pendant 49 . procédure cruciale d’envoi du démon vers un paradis, une fois qu’il a été
comparent fréquemment la mise à mort des démons avec celle d’un homme. comme péché cache ainsi une diversité de rationalités (ou rationalisations) telle que cette Il convient de s’interroger sur la façon dont cette société, et en particulier certaine façon s’en accommode. Si à Ch’ongkor on invoque parfois un pouvoir subtile qui met en avant l’intention altruiste de l’acte rituel, comme cela est fait par Ts’ampa Ngawang ou dans des biographies de maîtres tibétains . Tuer, c’est tuer, et la contradiction entre l’activité religieuse et ce rituel de péché ne peut être résolue que par l’abandon de ce dernier. Dans une certaine Certains toutefois évoquent le péché qui serait lié à la pratique du adhésion limitée à cette nouvelle vision des choses. Une formulation assez fréquente est arrive aussi, dans des conversations avec des tantristes qui exécutent encore l’écrasement des s’en désintéressent. Nous avons vu par ailleurs que le a servi parfois dispositifs rituels du
et des rituels de sorcellerie proprement dits sont
la notion selon laquelle le destinataire de la violence destructrice du
49. Cette représentation est sans doute liée à l’hibernation des reptiles et batraciens. had been deluded by the negativity is freed from its chains, and thereby liberated in the TUCCI, the Buddhist context, is the most fundamental unwholesome activity, and indeed, its symbolic
(C. M. CANTWELL
pratiques violentes,
242
D. B. GRAY
de ce rituel. En revanche, dans ce contexte, la question de savoir si une certaine façon de tuer des démons constitue un péché pourrait perdre quelque violence légitime face à la violence du monde. 5. Si le
est (sans doute) du péché, il est aussi et peut-être surtout
51 . En fait, aucun autre rituel ne peut remplacer de façon , car aucun ne développe une puissance réellement convaincante le . Le rituel comparable dans la confrontation avec les redoutables démons de « repoussement des depuis que le a été condamné, mais il se limite à la lecture répétée d’un
véhiculent, ils est vrai, une violence de degré variable, parfois forte). Il cela, comme n’impliquant aucun péché. On peut ainsi recourir au . Ainsi que l’exprima une vieille nonne de Ch’ongkor, « si on ne trouve pas à écraser les ), on fait procéder reste « plus fort pour à un ). Le simple est-il vraiment date le et qui le soir récite presque quotidiennement le : « (seuls) les Êtres suprêmes (Kunchok) savent si (les En trente ans, la pratique du a fortement reculé au Baragaon, mais la demande n’a pas disparu. Aujourd’hui, la moitié des tantristes de Ch’ongkor a abandonné le rituel. Quand leurs patrons les sollicitent tout de même, ils prient un des derniers spécialistes actifs de l’exorcisme, et notamment Ts’ering Hritar (74 ans), de les remplacer. Une seule maison une fois par an. Ailleurs, l’intervalle entre deux exorcismes a été porté à trois ans, ou plus. En fait, dans la plupart des maisons de la vallée, le rituel, jadis accompli tous les automnes, n’est plus exécuté que de façon occasionnelle. Ts’ampa de Dzar qui, entre autres attributions rituelles, est Takla, le tantriste trois ans), voulut récemment éliminer la séquence de
qu’il comporte.
bien qu’ayant reçu les instructions nécessaires, n’a jamais pratiqué le , commente ainsi la pratique de ce rituel par les Ch’ongkora : « on ne peut pas
touché par le péché.
dire non à ses patrons ( réguliers. Depuis peu Lama Kemi refuse lui aussi d’exécuter le , alors même qu’il compte un certain nombre de patrons. L’âgé élevé (75 ans) et le sentiment de l’approche de la mort et du jugement des actes pourraient 52 . Comme le formule un jeune , la communauté
de Lubra constitue
l’exorcisme pour tel ou tel de ses nombreux patrons des villages environnants, il semble n’y avoir eu, dans la communauté même, qu’un seul écrasement des . La pratique de ce rituel aurait été ü
respecté dans la région. Selon l’un des tantristes les plus âgés du village, le maisons. Personne toutefois ne se souvient que le ait été associé de . Cela semble bien avoir constitué, au moins façon systématique au . Aujourd’hui, l’œuvre de Simpuk Gelong reste inachevée. La jeune , qui a été formée dans les années génération de tantristes l’ancienne, globalement sans manifester d’états d’âme particuliers. Des quatre jeunes tantristes, l’un n’a qu’une activité rituelle assez limitée, mais . Un tantriste dans l’environnement religieux tibétain de la vallée de Kathmandu, s’enquit récemment, à l’occasion d’un bref passage à Ch’ongkor, de ce qu’était devenue
lectures de textes, telle celle du rituel de « repoussement des démons Ces propos furent rapportés au jeune tantriste en question, qui ne changea pas pour autant sa pratique. 6. aujourd’hui de façon quasi unanime, au Baragaon, entre le et le péché, le puissant exorcisme est donc toujours pratiqué, quoique de façon moins
52. Ce n’est toutefois là pas le seul choix possible. Ainsi Ts’ering Hritar, d’un an seulement son cadet, consacre une partie importante de sa journée à lire des textes religieux ou à actionner dans les environs de Ch’ongkor. C. R AMBLE
244
spécialisation des tantristes dans une activité contestée est même revendiquée des [c’est-à-dire des tantristes de Ch’ongkor] n’a pas son pareil ; le rituel d’appel de la prospérité des l’exorcisme avant tout dans l’opposition entre le tantriste et le moine. Selon les mots d’un notable de Samar, dans le nord du Baragaon : [L’entretien a porté d’abord sur les rituels, dont un par un tantriste n’est pas fait par les moines, seulement par les tantristes. – [N. S.] : Pourquoi ? – C’est du péché. Prendre une femme, ou boire de l’alcool, c’est aussi du 54 .
la seule activité rituelle. En somme, les tantristes sont les spécialistes d’un rituel de péché une existence mondaine dans laquelle ils sont quotidiennement exposés au péché. Ainsi l’exercice, par le tantriste, de la violence rituelle est lié non seulement, de toute évidence, à sa qualité de religieux du pouvoir, mais aussi qualité de religieux maître de maison. Cette acceptation n’est pas toujours faite de gaieté de cœur par les tantristes (toutes communautés et lignées locales confondues), mais elle constitue un aspect nécessaire de leur condition 55. Ainsi, le péché, nous dit-on ici en substance, forme un élément important de notions clés qui permettent de comprendre comment le tantriste est à la fois, et de façon profondément liée, religieux fortement inscrit dans le monde et religieux du pouvoir. Une logique semblable apparaît à l’œuvre dans des contextes hindous, fortement marqués par une cosmologie ordonnée en partie selon un axe de
beings along with the human persons who are their custodians. It is thus no
55. Pour un tantriste
établi à Tiri, le reniement de la lignée héréditaire que constituait
se marierait pas et ne consommerait ni alcool ni viande : en somme, il échapperait au péché inhérent à la condition du tantriste.
245
56
.
La formulation du notable de Samar met aussi en rapport le refus général et de l’exorcisme violent en particulier. Nous avons vu que, pour
, 57
hindou : « l’autorité des brâhmanes ne peut rester aussi éminente que parce que d’autres prêtres prennent en charge la nécessité de l’acte, celle 58
et se retrouver dans le monde tibétain. L’éminence morale du moine, qui que d’autres spécialistes, comme le tantriste 59, se chargent de la nécessaire Ainsi l’explication du notable de Samar a la vertu non seulement d’éclairer celui-ci (et cette cohérence) dans le champ religieux plus large que structurent son acceptation par le tantriste ne constituent pas simplement une opposition structurelle. Ils engendrent aussi des hiérarchies de valeurs concurrentes. Dans l’ordre moral du karma, de la rétribution des actes, le moine, spécialiste nécessaire, mais inférieure, éthiquement ambiguë. En revanche, dans l’ordre le spécialiste par excellence, sinon de l’acte rituel puissant en tant que tel, du moins de ses modalités violentes. Le premier de ces ordres fait l’objet
presque tous de puissants tantristes.
56. J. R. FREEMAN 57. La phase des rituels tantriques ainsi dénommée a pour objectif, selon la formulation (C. M. CANTWELL 58. V. BOUILLIER – G. TOFFIN 59. Ou le
246
7. Dans quelle mesure peut-on généraliser à l’ensemble du monde tibétain permettent de formuler une réponse ? Comme l’ont montré les données du Baragaon même, la violence rituelle, en particulier sous ses formes extrêmes, comme l’écrasement des démons ou, à plus fort titre, la sorcellerie, n’est pas une association toujours centrale pour tous les tantristes. Il y a là toutefois le discours, ci-dessus, d’un tantriste relativement érudit et lui-même peu ritualiste ; les données d’autres régions (y compris de contextes monastiques) , ou la modalité rituelle violente,
pratiques aussi fortement violentes que le une certaine mesure sans doute les logiques suggérées ici, sont bien plus généraux. Dans certaines régions au Tibet même, marquées par une forte présence monastique, comme le Nyemo au Tibet central, ou le Repkong dans le nord-est tibétain, la pratique de rituels d’exorcismes m’a paru bien moindre, bien présent, y compris dans des discours qui insistent sur la distanciation . qui aurait été opérée par rapport à une telle orientation religieuse doute lui aussi à une réalité plus large. En revanche le Dolpo, région voisine du Baragaon, marquée par une quasi-absence du monachisme, présente un essaient, tour à tour, de réunir un nombre considérable de tantristes (une dizaine, par exemple) pour un exorcisme de proportions presque comparables aux exorcismes collectifs des grands temples de la vallée. Là encore, je ne connais pas de région avec un investissement semblable dans de grands marquée par la prédominance du clergé non monastique : les tantristes. En tantristes à la violence rituelle et les tensions dans l’ordre moral bouddhique que ceci occasionne.
de l’infortune (qu’il s’agisse de la prévenir ou d’y remédier) par des moyens puissants, et en particulier par une violence tournée vers les agents postulés de l’infortune, violence pouvant aller ici jusqu’à une mise à mort, apparaît-il de façon comparable dans le répertoire d’autres spécialistes bouddhiques ? d’ordre terminologique. J’en mentionnerai deux. Dans nombre de travaux, 247
et d’interprétation de l’infortune connu dans les sociétés tibétaines, mais qui, mon séjour au Baragaon). Il convient donc d’interroger aussi la littérature sur le traitement de l’infortune. L’absence de détails sur le degré de force ou de violence que pourraient revêtir certaines de ces pratiques peut toutefois rendre la comparaison malaisée. Certes, ce silence des sources pourrait suggérer une relative absence ou faiblesse d’un mode de traitement de l’infortune basé sur une violence forte et spectaculaire dans le contexte en question, mais nous nous contenterons ici d’examiner les données explicites fournies dans la littérature. bouddhique, confrontée à des champs religieux complexes avec des traditions
rôles religieux . La théorie des prototypes 61, alliée à une prise en compte des entre ce qui serait bouddhique et ce qui ne le serait pas, et en reconnaissant que
le tantriste a en commun avec celui-ci, dans une grande mesure, des aspects fondamentaux de sa formation ainsi que de ses pratiques et conceptions religieuses. Le tantriste et le moine ont conscience de partager largement un même univers religieux. Un tantriste peut se trouver en position de maître d’un moine et vice-versa. En comparaison, nombre de spécialistes de la bouddhique, l’argument portera surtout sur les formes et degrés de violence.
GELLNER ),
1
polythétiques et en termes de prototypes est apportée par B. SALER, , New York, 1
M. SOUTHWOLD,
248
« Even Buddhism – in its Tibetan and Sri Lankan versions – includes the passage sur la généralité de la violence dans les religions 62 contre-sorcellerie apparaissent comme des formes d’activité rituelle majeures (en termes à la fois de fréquence et d’ampleur de certains de ces rituels) en particulier au Sri Lanka . Certaines de ces actions rituelles peuvent être à forte composante orale et artistique (masques, structures architecturales des batteurs de tambour-exorcistes
. Ces traditions rituelles présentent
multiples (y compris tantriques) dans une culture religieuse qui n’a jamais monachisme bouddhique, développement d’un bouddhisme moderniste en contexte colonial, urbanisation, etc.) 64. Certaines de ces traditions, tels les rituels de contre-sorcellerie de Suniyama, sont adressées à des divinités de rang supérieur à celui des démons qui président aux grands exorcismes, et sont perçues comme ayant une orientation plus bouddhique que les précédents 65. La violence rituelle est présente ici sous des formes variées ; notons toutefois que dans les exorcismes majeurs décrits par Kapferer, si des démons sont tués ou chassés, ils sont surtout, de façon cruciale dans l’analyse du rituel, bernés et ridiculisés 66. La comédie est un des ressorts majeurs du rituel, non le triomphe de la force destructrice comme dans le ces traditions rituelles sri lankaises et leurs spécialistes, on le voit, ne et tantristes tibétains. Certes, le bouddhisme tantrique a d’anciennes racines nous en avons observé à Ch’ongkor, les initiations, retraites et rituels des
62. R. SCHECHNER
I NGOLD (éd.),
G. OBEYESEKERE, « Sorcery, Premeditated Murder, and the Canalization of Aggression in K APFERER, , B. K APFERER, , Chicago, University of Chicago Press, 1997, et B. K APFERER – G. PAPIGNY, , Méolans64. S. L. FLEISHER, « Rethinking Historical Change in Sri Lankan Ritual : Deities, Demons, BASTIN, , New York, Oxford, Berghahn 65. B. K APFERER, 66. B. K APFERER,
.
249
tantristes tibétains participent d’une même culture du bouddhisme tantrique mêmes.
Sans prétendre à l’exhaustivité, un mot peut être dit des contextes principaux spécialistes religieux bouddhiques, déploient occasionnellement ) 67. Ces pratiques sont de nature bien moins agressive que les exorcismes tibétains, et l’exorcisme sous ses modalités plus puissantes est associé surtout à d’autres spécialistes religieux, de statut plus périphérique, ou maîtres de l’occulte, adeptes de traditions souvent liées au bouddhisme, mais syncrétiques. Tambiah, Hayashi et autres, les exorcistes ruraux ont paru aux observateurs occuper une position intermédiaire entre le bouddhisme et le culte des esprits du lieu. Leur activité concerne ces derniers, mais leurs savoirs et pouvoirs sont fortement liés au bouddhisme ; leurs maîtres sont 68
changements religieux récents, a montré que les
. Hayashi, étudiant les (rejetés hors de la
été des agents de réforme bouddhique dans un contexte de bouddhicisation des pratiques religieuses villageoises 69 par ces spécialistes, l’exorcisme est comparé (en ce qui concerne la personne , mais les esprits nuisibles ne sont pas tués, seulement expulsés 71. Dans le cas de la Birmanie, il convient de mentionner la présence de 72
67. M. E. SPIRO,
TAMBIAH, SCHALK, BECHERT (éd.), , Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1978, DE SILVA, , Colombo, National Museums of Sri Lanka, 1981. 68. S. J. TAMBIAH, HAYASHI, SPIRO, 69. Y. HAYASHI, TAMBIAH, 71. Y. HAYASHI, 72. Le terme est lié au sanskrit
FOXEUS
moral bouddhique). Induisant la possession du patient par l’esprit nuisible dans le but de l’exorciser. Dans les trois exemples de séances d’exorcisme décrites par Spiro, le niveau de violence vis-à-vis de l’esprit est extrêmement
de violence, avec une multiplicité d’actes de mise à mort, dans l’exorcisme tantrique tibétain. Ces maîtres appartiennent à des associations ou sectes religieuses (les ), imprégnées d’idéaux bouddhistes, et centrées sur l’obtention de pouvoirs, entre autres par des pratiques d’alchimie ; leur idéal est d’atteindre , être doté de pouvoirs extraordinaires, entre autres de le niveau de longévité 74 ; parmi les objectifs vers l’infortune et l’exorcisme. Des travaux récents s’intéressent d’ailleurs à la 75 centrées sur des . place de l’exorcisme dans l’activité des (terme lié à celui de Le
76
est, ou était, un dangereux spécialiste de l’exorcisme et de la
moral bouddhique 77 birman, fortement associé au bouddhisme, et entouré de dévotion. Les formes et les degrés de violence déployés dans les pratiques ne ressortent pas toujours clairement des études mentionnées ici ; quand elles sont explicitées, le contraste avec l’importance de la violence dans le contexte tantrique tibétain est saisissant. Par ailleurs, il s’agit bien, dans tous ces cas, de religieux occupant une position relativement périphérique dans le
SPIRO, voir M. E. SPIRO, E. M. M ENDELSON
, voir J. P. FERGUSON – ROZENBERG,
FOXEUS . OXEUS
76. Le birman , le lao qui désigne des savoirs (supérieurs), des pouvoirs, des arts magiques et autres : FOXEUS
, HAYASHI,
77. Y. HAYASHI,
251
) jusqu’à qui, du point de vue du bouddhisme Theravada institué, normatif, sont donc plus périphériques ou exceptionnelles, et n’ont pas la relative centralité et normalité du tantriste dans le contexte du bouddhisme tibétain.
de pouvoir, qui l’un et l’autre (souvent en association, le second dirigeant le premier) agissent pour délivrer les personnes possédées 78. De nombreux autres, et les pratiques dont il est question ici ont été interprétées en les mêmes termes 79. Sur la base de l’étude d’anciens textes tantriques chinois et de leurs prolongements japonais, Strickmann a toutefois soutenu que tantrique médiéval étaient jadis les 81
d’obédience Nichiren (un ensemble de traditions bouddhiques centrées sur ) emploient des techniques d’exorcisme qui la récitation du tantôt font intervenir la possession d’un assistant, tantôt sont basées sur l’interaction directe entre le patient et le maître 82 et Nichiren sont liées historiquement, notamment du point de vue de leurs pratiques d’exorcisme et Shingon, si l’activité rituelle violente n’y a pas disparu 84, l’exorcisme et le rituel thérapeutique semblent ne plus y jouer le rôle important qu’ils avaient dans le bouddhisme tantrique médiéval 85
78. C. BLACKER, 79. C. BLACKER, M. STRICKMANN, 81. I. R EADER, et H. H ARDACRE
, Londres,
, p. 229. , Basingstoke, Macmillan, 1991, p. 117-119,
82. C. BLACKER, H. H ARDACRE 84. Strickmann mentionne des rituels d’agression américaine (M. STRICKMANN, , p. 41). 85. M. STRICKMANN, , p. 149.
252
H. H ARDACRE
japonaises 86. Dans l’ensemble de ces cas, toutefois, si l’attaque de possession en elle-même peut être violente, les moyens rituels mis en œuvre pour y répondre ne semblent présenter rien de comparable à la forte violence dirigée vers les entités démoniaques que déploient les exorcismes tantriques tibétains. De façon générale, le bouddhisme au Japon est fortement associé aux rites funéraires, ainsi qu’à la mobilisation (sans violence) de la compassion et mondaines : prospérité, réussite aux examens, etc. 87 newar Pour conclure ce bref aperçu comparatif, gardant à l’esprit certaines des remarques de Strickmann, considérons une tradition bouddhique à forte composante tantrique, celle des Newar de la vallée de Kathmandu (un contexte de pluralité religieuse, bouddhiste et hindoue principalement). Une formulation de Gellner semble apporter une réponse claire à notre question : [l]es rituels bouddhiques tibétains semblent mettre un plus fort accent sur 88 . Dans le rituel bouddhique bali], ni marquée ni 89 .
bouddhisme
, et non les pratiques, par exemple thérapeutiques, moins
autre discussion, assez typologique, consacrée essentiellement aux médiums ) qui emploient des moyens rituels caste, ou
) des grandes divinités. Les religieux bouddhistes de haute (des religieux tantriques maîtres de maison, comme les
apprenons toutefois que, entre le aussi peut pratiquer des rituels tantriques),
86. W. B. DAVIS,
et le brahmane
(qui lui
, Stanford, Calif., Stanford H. H ARDACRE
87.
I. R EADER,
IV, I. R EADER – G. J. TANABE, S. G. COVELL,
, VIII.
renvoie ici au travail de S. B. ORTNER, , chap. V) et non, comme nous l’avons observé plus fréquemment, les agents nuisibles eux-mêmes. Cette même phrase mentionne ensuite clés (pour les Ch’ongkora) du grand exorcisme Dögyap ( ), ne saurait toutefois représenter la perception dominante de ce qui se passe dans l’exorcisme en milieu tibétain. 89. D. N. GELLNER,
avec des pouvoirs tantriques et la magie curative. Dans la ville de Kathmandu, ) sont aussi considérés comme de puissants les guérisseurs musulmans ( exorcistes .
est la plus représentée dans la catégorie des guérisseurs 91 du bouddhisme 92 des , Gellner précise que ces derniers sont en fait recherchés en tant que guérisseurs plus que pour tout autre rôle fort entre rituels textuels bouddhiques tibétains et
; mais, en termes de
que sont les sont respectés pour leur « pouvoir de repousser les maux, de maîtriser les divinités 94 . Des Newar et autres (chamane népalais) Népalais de la vallée de Kathmandu disent : « le 95 . Sur le degré exact de violence que cette le plus puissant est le pourrait impliquer, les sources à ma disposition sont activité des en toutefois muettes. Par rapport à l’activité tantrique des brahmanes seraient plus associés à des pratiques faisant intervenir tout cas, les des divinités violentes 96. Que retenir de ces données comparatives ? Dans l’ensemble, il convient bien de conclure que la violence rituelle exercée à l’encontre des agents d’infortune, telle qu’elle apparaît chez des tantristes tibétains, ne présente un certaine perméabilité des traditions religieuses, reste applicable. Par ailleurs,
GELLNER 91. D. N. GELLNER 92. D. N. GELLNER G. TOFFIN (éd.),
BOUILLIER – , Paris, Éditions de l’École des Hautes
GELLNER, 94. J. K. LOCKE SKORUPSKI (éd.), , Tring, The Institute of Buddhist Studies, 1989, p. 71-116 (p. 96). 95. Par ailleurs, les relations rituelles tantriques avec les puissances démoniaques A. DIETRICH, .
254
les degrés de violence employés dans les autres contextes bouddhiques semblent le plus souvent bien moindres que dans l’exorcisme tantrique tibétain. ce trait dans d’autres contextes bouddhiques ne saurait recevoir d’explication certains éléments d’interprétation. (Il va par ailleurs de soi que le présent examen de données essentiellement contemporaines et centrées sur le cas du locales tibétaines, et complété, dans la mesure où les données textuelles et iconographiques le permettent, par une perspective historique 97.) de l’autre 98 traits cohérente avec la présence de formes rituelles marquées par une forte violence. Pensons à la dualité des formes paisibles et courroucées des grandes divinités bouddhiques, et au fait que la violence est souvent explicitement anthropomorphes, brandissent des armes, ou encore sont ornées de guirlandes de têtes tranchées. Notons aussi la présence, dans les fondements
élément fondamental de ce faisceau de traits imbriqués caractéristique du bouddhisme tantrique est bien la centralité du pouvoir rituel, un pouvoir au
97. Voir par exemple C. M. CANTWELL
C. M. CANTWELL – R. M AYER, , Vienne, Österreichische Akademie DALTON, . Les pratiques
fondamental à détruire étant ici l’ignorance, racine de tous les maux. Les chercheurs, dont
pratiques de domination et de destruction dans un contexte de guerres ou de troubles sociaux). Le développement des formes d’exorcisme du bouddhisme tibétain, et par exemple du
tibétaine ? D’autres types importants de rituels de grande violence, telle la modalité violente du ), ont toutefois des racines indiennes incontestables, et se retrouvent à travers l’aire d’expansion du bouddhisme tantrique. 98. Les grandes catégories employées ici ne correspondent bien entendu pas à des ensembles hermétiquement séparés les uns des autres. Par exemple, ainsi que l’a rappelé récemment Kate CROSBY
255
vaste champ d’application, dont les zones extrêmes, on l’a vu, sont marquées par des actes problématiques, voire clairement condamnables, au regard de l’éthique bouddhique. Ce pouvoir rituel considérable est conçu comme celui de puissantes divinités protectrices, que l’adepte a la faculté de contraindre à agir à volonté (au moins tant que l’intention peut se draper d’une prétention à dans le cas de la société tibétaine du haut Himalaya népalais examinée ici, des
par ailleurs permettre aussi de dépasser le simple constat d’une relative , au sujet des degrés de violence rituelle employée, il est manifeste que les tantristes tibétains et les religieux. On note d’abord, fondamentalement (même si cela n’explique pas tout), le partage d’une même orientation fortement tantrique. Bien que les revendiquent une identité monastique (assez formelle, et plus pertinente dans certains contextes que dans d’autres), il s’agit ici aussi de religieux bouddhiques non célibataires et maîtres de maison, comme les tantristes tibétains. Les uns comme les autres (si nous nous souvenons des l’infortune, à la magie curative, et aux divinités courroucées. C’est peut-être bien entre ces deux cas, plus proches entre eux, que la comparaison pourrait
majeures entre tantristes tibétains et réside dans le fait que ces derniers sont des prêtres de haut rang dans une société de castes, et de ce fait sont tenus de préserver leur pureté rituelle. Ne pourrait-on pas voir là un trait cohérent avec l’engagement relativement plus fort dans la violence rituelle des tantristes tibétains ?
il a été annoncé en introduction de ce travail, l’objectif n’est pas ici de traiter certaines de ses formes : principalement l’ et, dans une , à partir du cas d’une société bouddhique. moindre mesure, la la modalité rituelle de destruction violente ( ) et, dans certains cas, les techniques rituelles étant quasiment identiques, se fondent (au moins dans l’imaginaire) en un acte unique. Nombre de manuels d’exorcisme par ailleurs incluent des formules qui de fait ne sont autres que de la sorcellerie. Si l’un peut être vu comme une extension transgressive (si ce n’est une composante) L’exorcisme, dirigé principalement vers les forces démoniaques, est une 256
pratique courante et socialement légitime, bien que problématique dans le contexte idéologique bouddhique, tandis que la sorcellerie, dirigée vers des ennemis humains, est une pratique illégitime, dont la réalité est plus souvent parfois, au moins au plan du discours, elle est pensée avant tout en référence aux pouvoirs exceptionnels associés aux maîtres du passé. Notons que dans le cas de la sorcellerie comme de l’exorcisme d’ailleurs, je n’ai recueilli quasiment aucun discours suggérant une origine sociale de l’infortune. Une approche d’orientation fonctionnaliste du traitement et de l’interprétation de l’infortune, en termes de tensions dans les rapports sociaux 99, ne présenterait
Les discours des Ch’ongkora sur les implications éthiques de l’exorcisme , analysés ci-dessus, laissent souvent de côté ce qui est le plus évident : la nécessité de ces pratiques violentes. Quand les entités démoniaques sont préservée. La notion selon laquelle certaines formes de rituel, si ce n’est le rituel en général, visent fondamentalement à restaurer, maintenir ou multiplier la
fertilité, la prospérité . Une théorie du rituel peut-elle être basée toutefois sur une notion aussi un concept sur des contextes culturels où celui-ci n’aurait pas sa place ? En réponse à ces deux objections, Needham soutient, dans son introduction magistrale à travers les civilisations, l’objet de corpus entiers de spéculation théologique ou philosophique : il y a là assurément un champ d’investigation
99. E. E. EVANS-P RITCHARD,
, Oxford,
HOCART, 1
III, , et A. M. HOCART, , Londres, Methuen, 1952, p. 52 et chap. I et V, . HOCART, , et A. M. HOCART,
, p. 11
et description de l’univers conceptuel des Kuria, en Afrique orientale, par M. RUEL, , Leyde, Brill, 1997. (S. BEYER,
257
fondamental sans doute du fait qu’elles sont toutes informées, dans une certaine mesure, par une expérience commune, alors que la mort reste ultimement, pour tous, une grande inconnue de vie, ou de vitalité, l’étude comparative des rituels, en tant que techniques de gestion de ces principes, ferait apparaître des similarités importantes ; une . est entendue au sens large, alors qu’ailleurs il est question de vie en un sens plus
au point de se prêter à des théories générales ? Dans mon esprit, la réponse est clairement négative . Au-delà de cette objection d’ordre général, peut-on (par exemple par l’élimination d’un ennemi), reste-t-il dans cet aspect de la théorie de Hocart autre chose qu’une tautologie ? En somme, il manque peut-être à ces formulations de Hocart, aussi suggestives soient-elles dans le cas des exorcismes qui nous intéressent, la prise en compte d’une typologie ,
S’interrogeant dans un court essai théorique sur les rapports entre religion
dans le contexte tibétain. Celui-ci est marqué par ailleurs par une pluralité de concepts proches ou vie, force vitale, ou longévité, la ou R. NEEDHAM XIII-XCIX
R. NEEDHAM
HOCART, (p. XXXIII-XXXIV).
,
XXXV.
), argument qui de fait se penche surtout sur les orientations de l’action rituelle : D. N. GELLNER, , p. 5-7, et D. N. GELLNER à savoir dans son argument (logico-)évolutionniste selon lequel le rituel est à l’origine du gouvernement : B. SCHNEPEL, « In Quest of Life : Hocart’s Scheme of Evolution from Ritual (p. 167). , en note.
258
de pratiques exceptionnellement répandues, d’une physique ou économie ], dans laquelle la violence religieuse a son transcendante du vital [ . Il voit cette « économie pôles s’étendent toute une gamme de techniques, allant de la possession saint au sorcier 111
elle autorise une motivation cardinale, l’acquisition ou la récupération de sa part correcte du vital, la quête de plus du vital, la quête de l’union avec le défensifs ou punitifs 112 .
tension avec la routine institutionnelle ; aussi « les religions institutionnalisées tendent à n’accorder l’autorisation d’exercer la violence qu’à une catégorie privilégié à la vitalité, servent de médiateurs pour ceux qui sont dépourvus .
d’actions d’augmentation comme de réduction – en particulier violente – de la vitalité, qui manquent aux formulations de Hocart. De « techniques pour polarisée, au sein de laquelle un certain usage de la violence se trouve concerne l’histoire contestée récente de l’exorcisme
des Ch’ongkora.
façon périodique, conjointement avec le culte annuel de la divinité domestique, allait à l’encontre des restrictions énoncées dans les traités savants au sujet pratique excessive par un moine tibétain, qui a mis en cause en particulier les chose de l’ordre de la régulation institutionnalisée et restrictive de l’usage supplémentaires, dont l’étendue exacte demeure toutefois à préciser. Les
J. D. FAUBION J. D. FAUBION 111. 112. J. D. FAUBION
259
tout un spectre, de la communion à l’exorcisme, de l’absorption à l’expulsion de vitalité (positive ou négative). Une même technique peut revêtir des valences multiples et viser simultanément à restaurer et détruire 114. Ainsi l’exorcisme, ainsi qu’il a été mentionné ci-dessus, n’est pas seulement un acte de violence à l’encontre de forces ou entités nuisibles ; il est aussi, et bien sûr . Telle surtout, un moyen de protéger, de canaliser ou de restaurer une problématique, et doit être interrogée explicitement en tant que telle, en
doit être une dimension importante de cette discussion : pour comprendre la pratique rituelle, il convient de prendre en compte « les fondements les dans la magie, comme la plus brutalement matériels de l’ 115 . Si les exorcismes, ou autres, sont pratiqués, c’est sans doute bien en partie parce que des enfants meurent en
l’économie domestique. Il s’agit ici d’un monde rude, non dépourvu de formes de solidarité, mais soumis aux aléas multiples de la nature et d’un petit commerce saisonnier en milieu culturel étranger. En d’autres termes, la violence rituelle apparaît dans le contexte présent avant tout comme une réponse, certes toujours problématique (en soi, voire de par son potentiel d’extension transgressive), mais une réponse nécessaire, à la violence du monde 116. Herrenschmidt a utilisé quasiment les mêmes mots dans son de l’Inde : Violence inévitable, elle est dans l’ordre du monde [une notion plus hindoue que bouddhique, N. S.], , sans doute, exercer sur les déesses 117.
Nous avons observé, dans le contexte tibétain, que la panoplie rituelle
114. 115. P. BOURDIEU,
( 117. O. H ERRENSCHMIDT, O. H ERRENSCHMIDT M. Herrenschmidt de m’avoir signalé cette proximité.
, Lausanne, L’âge d’homme, 1989, MONTRELAY), « Entretien
, nous avons vu que certains recourent maintenant par exemple à un rite beaucoup plus simple, le « repoussement des , et celui-ci demeure recherché. Que certains des tantristes de Ch’ongkor aient désormais abandonné la pratique de cet exorcisme puissant, prisé, fortement associé à l’identité religieuse de ces spécialistes et, dans une certaine mesure, nécessaire n’est pas une évolution anodine. Ce qu’une variante du bouddhisme tibétain en position périphérique avait conçu comme une activité légitime des spécialistes de l’acte rituel violent que sont les tantristes, un moine, perçu comme parlant avec l’autorité de la prestigieuse tradition tibétaine, celle des centres du savoir et de l’autorité religieux, a pu, dans une certaine mesure, et assurément en
de ce qui comptait comme moyens nécessaires. Dans les termes de l’analyse 118
. Pour les tantristes de Ch’ongkor eux-mêmes s’est
activité rituelle une part croissante de simples lectures de textes, domaine d’activité des spécialistes monastiques avant tout, ils restent toutefois les principaux spécialistes de l’exorcisme puissant, du Dögyap spectaculaire . Celui-ci, désormais, de rituel périodique est en passe de devenir rituel d’exception, sous la pression d’un bouddhisme tibétain plus monastique, plus légitime de la violence rituelle. Il reste cependant toujours bien le «
des
beaucoup de protagonistes locaux, va simplement de soi dans un monde exposé aux coups de l’infortune.
118. C. GEERTZ, Haven, Yale University Press, 1968, chap. IV.
, New
261
CONCLUSION
Le tantriste et le moine : une dualité tibétaine fondamentale Aux moines ( ) 1, que l’abbé impose les vœux, avec la discipline ; 2 qu’ils agissent comme il est dit dans le du thé ; que, pour nourriture, ils mangent le ü, [préparé avec] de la mélasse, du miel et du beurre ; que, pour vêtement, ils se fassent une robe de dessous et une robe rouge ; que, pour lieu de séjour, ils demeurent dans les temples ; Que les tantristes ( tantriques (skt. )
) soient liés par le maître aux engagements
moines ; que, pour nourriture, ils mangent ce qu’ils veulent, [mais] qu’ils ne goûtent pas au poison de la jouissance ; que, pour vêtement, ils aient les vêtements blancs, rouges et noirs des tantristes ; que, pour lieu [de pratique], ils prennent les cellules de réalisation tantrique et qu’ils [y] développent leurs qualités ; des de
Que les deux doctrines ne soient point mélangées et que chacun se tienne à sa 4
1. Terme technique désignant le moine.
4. Extrait du ), de son nom exact
(ou
),
(ou
Le passage du
dont est tiré cet extrait rappelle les « lois 5 . La dualité du moine et du tantriste est une polarité fondamentale du bouddhisme tibétain. Les deux catégories sont clairement disjointes : le premier prononce des vœux monastiques et est tenu au célibat, le second non. Le passage de l’un à l’autre de ces statuts est possible, leur cumul ne l’est pas. Cette VIII e
deux façons d’être religieux bouddhiste. Les tantristes de Ch’ongkor et les
même univers religieux. Cet univers est plus centré sur le pôle tantrique dans le cas des premiers, et inclut toute une composante de vie monastique dans le cas des seconds, mais les concepts religieux, le panthéon, dans ses grands Cela dit, tout un ensemble
de distinctions et de contrastes émerge du
d’écho ethnographique contemporain des distinctions normatives exprimées ci-dessus. dans le passage du
Le tantriste apparaît à des titres multiples comme un religieux fortement ) impliqué dans les activités caractéristiques du domaine mondain ( maison. Les principes de l’organisation sociale de la communauté de devenir soi-même tantriste est un acte de continuité, qui s’inscrit dans la pérennité des générations d’une maison et d’une lignée. Cette trajectoire se
(édition xylographique de Derge). Cette traduction s’appuie sur celle de Stein (R. A. STEIN, , p. 91) et sur le texte tibétain (U-RGYAN GLING-PA, , Chengdu,
la chasteté (G. TUCCI, ) , une distinction importante pourrait ne faire référence qu’aux plaisirs des sens dans le contexte tantrique. Quant aux cellules de méditation, elles sont prescrites aux tantristes probablement au lieu d’exercice de leur activité religieuse. 5. G.-C. TOUSSAINT (trad.), ), p. 269-272, et
2
R. A. STEIN,
264
à Ch’ongkor, de membre du groupe l’idéal exprimé localement, les deux mouvements sont conçus comme un seul. à Ch’ongkor, par l’aîné des tantristes du clan. Le principe de la « lignée de fortement les perceptions entourant la transmission de l’autorité et du pouvoir religieux. En revanche, devenir moine est un acte, non de rupture, mais de relatif de façon plus radicale, par rapport à la lignée. L’impétrant, d’abord novice puis moine, entre progressivement dans une autre société, la communauté monastique, qui recrute ses membres dans plusieurs villages et dont les liens religieux s’étendent à d’autres communautés de la région ainsi qu’à des ce renoncement partiel et cette mise à distance des activités mondaines polluantes (associées à des notions de péché), au statut social supérieur du moine. Dans le monde monastique, la lignée héréditaire ne saurait jouer exemples tibétains, la position d’abbé est transmise selon cette modalité à des aspects de spécialisation religieuse. L’inscription du tantriste dans une aspirations à une vie dégagée du péché et centrée sur l’activité religieuse, apparaît de ce fait, et est vécue par moments, comme problématique. Or il y a une cohérence entre ces données et la spécialisation marquée du tantriste ou, dans de nombreuses régions tibétaines, la prévention de la grêle. Dans cette palette d’activités, partagée en partie avec les moines, le domaine de l’exorcisme violent, extrémité du spectre la plus problématique, la plus liée à que l’a exprimé explicitement un notable local, que les tantristes sont à la fois exposés au quotidien au péché de la vie mondaine, de par leur condition de religieux maîtres de maison, et spécialisés dans l’acte rituel violent, éthiquement problématique lui aussi. mondaines, mais tend à éviter la violence extrême. Il est plutôt le spécialiste par excellence de la production de mérites (rites funéraires, lectures de textes), un rôle approprié à la pureté qui est associée à ses vœux et à son état l’action rituelle du tantriste en revanche ressortit davantage au registre de la force, de la violence et de la corporéité. Dans certaines retraites à Ch’ongkor,
265
la pratique ultérieure de rituels de violence 6. Dans les contextes rituels, il spectaculaire le pouvoir violent des divinités que le rite fait agir. Le moine, un d’ordre moral ; le tantriste, un religieux du pouvoir moins dégagé du domaine La plus importante contribution à l’analyse des polarités centrales de la sur le bouddhisme tibétain 7. Celle-ci est centrée sur une distinction entre un auteur) de formes basées sur « l’usage (ou le prétendu usage) d’états de méditative (tantrique en particulier) 8 doute inapproprié 9, mais il y a là une dualité analytique fondamentale, qui trouve des analogies dans les conceptions tibétaines, avec la polarité entre )( les domaines des sûtras ( ) et des tantras ( entre l’érudit ( ) et l’adepte tantrique réalisé ( , ). Notons au
salut ultime (
) : S. B. ORTNER, , Princeton, Princeton University Press, 1999, p. 96. Le contraste, surtout avec ce dernier terme, dont la pertinence locale est vraisemblablement limitée, paraît pouvoir et d’autorité rituels tout comme celles des tantristes. 7. G. SAMUEL, . Mentionnons aussi le travail antérieur de Samuel (G. SAMUEL G. SAMUEL, « Religion in Tibetan Society : A New Approach. par Draper (J. DRAPER (R. A. PAUL, , Delhi, Motilal Banarsidass, 1989 [19821]) ou encore des éléments dans celui d’Ortner, à la fois sur la dualité du moine et du tantriste (S. B. ORTNER, , S. B. ORTNER, , et S. B. ORTNER, ) et sur celle ORTNER, « The Case of the Disappearing Shamans, or No voir aussi L. OBADIA BALIKCI, toutes sur des données des divinités du lieu et clergé bouddhique (moines ou tantristes, selon les cas), voir par exemple H. DIEMBERGER, « Lovanga [Lo ’bangs pa ?] Lama and Lhaven [Lha bon] : Historical Background, dans S. IHARA – Z. YAMAGUCHI (éd.), , Narita, Naritasan Shinshoji, 1992, p. 421C. R AMBLE, , ou encore l’étude d’un cas hybride : N. SIHLÉ, « The ala G. SAMUEL, , p. 8, plus largement chap. I et , et R. A. R AY, 9. R. A. R AY
266
BJERKEN
de virtuosité, l’érudit-adepte réalisé, grands maîtres de la tradition tibétaine. Si l’association des moines avec la production de mérites, comme au
la pratique méditative ne correspond pas simplement à la dualité du moine et du tantriste. Ainsi, nous avons vu que les communautés monastiques du Baragaon sont caractérisées par une forte orientation vers l’apport de services et plus intellectuels ou d’inspiration avant tout sotériologique et éthique. Quant à la pratique méditative, elle apparaît comme une caractéristique de spécialistes de formation plus poussée, qu’ils soient tantristes ou religieux du un contexte comme celui du Baragaon. Les données analysées dans cet ouvrage permettent ainsi de contribuer au du choix des désignations) correspondre à deux orientations majeures de
le courant tantrique par exemple avec les réalités ethnographiques que nous avons examinées. Nous avons noté la place extrêmement réduite qu’occupent la visualisation et plus largement la méditation dans la pratique et le discours des Ch’ongkora, et j’ai ainsi suggéré que l’étude du rituel tantrique doit prendre garde de se fonder sur (si nous voulons garder cette expression), il convient d’ajouter la mention d’une orientation ritualiste. Le principe d’une autorité tirée de l’association institutionnalisé des traditions religieuses en question constituent sans doute propriétés distinctives de ce pôle), mais il importe de noter qu’ils sont loin
RIBE
DAVIDSON, , New York, Columbia University
D. R. BROOKS,
, Chicago, SALER,
.
267
Lubra), même dans ses aspects les plus tantriques, présente manifestement par Samuel 11 convient certes pour des maîtres visionnaires, mais dans ses manifestations quotidiennes les plus courantes, le pôle que Samuel appelle de
et de
. Les travaux anthropologiques comme
des notions de pouvoirs (rituels, religieux, divins) détenus ou mobilisés par le spécialiste tantrique : il manque là sans doute un élément fondamental dans
Le tantriste et le moine au regard de l’anthropologie des spécialistes religieux entre la dualité du moine et du tantriste et les polarités générales de la spécialisation religieuse développées dans la sociologie et l’anthropologie de la religion 12 une piste possible pourrait sembler, dans un premier temps, la dualité du prêtre et du chamane (déjà mentionnée quelques fois dans ce travail), dualité importante dans les études himalayennes entre autres . Il convient toutefois tantriste, tels qu’ils apparaissent par exemple dans le contexte du Baragaon, se rapprochent à l’évidence tous deux plutôt du pôle de la prêtrise. On voit mal ce religieuses instituées), pour prendre la dualité plus générale proposée par Turner 14. Les rapprochements entre méditation tantrique et transe chamanique suggérés par Samuel et d’autres 15
11. G. SAMUEL,
, p. 8.
TURNER M ANDELBAUM théorique de cette dualité, mais aussi P. SAGANT A. FOURNIER FISHER (éd.), , La Haye, Mouton, S. R. MUMFORD, . 1978, p. 167-178, D. H. HOLMBERG TURNER 15. B. N. A ZIZ J. T. HITCHCOCK – R. L. JONES (éd.), W. STABLEIN, « Mahâkâla the Neo-Shaman : Master of HITCHCOCK – R. L. JONES (éd.), ,
268
traditions religieuses 16. Le moine et le tantriste apparaissent bien plutôt second cas d’une prêtrise dépourvue de structures et réseaux comparables à ceux d’un ordre monastique, et donc moins structurée et centralisée au niveau supra-local. Cette prêtrise est plus axée sur le savoir-faire et le pouvoir rituels (par opposition à l’étude discursive, voire scolastique, et à l’autorité d’une tradition instituée, globalement plus présentes dans le clergé monastique) ; d’autorité institutionnalisée : mais le tantriste est religieux de pouvoir est légitime. Notons ici la suggestion de Klass, dans un argument inspiré par le matérialisme culturel de Harris et l’évolutionnisme de Steward, de voir dans l’exercice à temps partiel d’une spécialisation religieuse la caractéristique fondamentale du chamane, par opposition au prêtre 17. Cette caractéristique
en Europe de l’Est à partir du XVIIe chamaniques comme la communication extatique ou directe avec le divin 18. l’exercice à temps partiel de sa spécialisation religieuse, semblerait toutefois contre-intuitive, tellement les traits partagés avec le moine prédominent. L’on pourrait ajouter que la pratique, par les tantristes, des techniques méditatives autrement dit, parmi ceux qui justement peuvent se consacrer à leur activité religieuse à plein temps. La dualité wébérienne du prêtre et du magicien (un spécialiste qui, par contraste avec le précédent, est dépourvu d’association avec des groupes sociaux particuliers, et dont la pratique, non de culte, mais de coercition des entités divines est individuelle et occasionnelle) ne présente sans doute, elle aussi, qu’une pertinence limitée pour notre propos. Nous avons noté que les tantristes sont plus exclusivement spécialisés dans le rituel tantrique que les moines, et qu’une place centrale revient à une composante magique dans ces rituels, au sens de relations de nature souvent (mais non exclusivement) coercitive avec les dieux, et de procédures centrées sur la manipulation de substances, de formules (mantras) et d’une imagerie puissantes. Tantristes et moines sont toutefois chargés aussi de cultes réguliers et institutionnalisés (qui se prolongent dans les rituels occasionnels) : en ce sens, ce sont donc bien D’un point de vue comparatif, l’association faite ici entre le monachisme et la prêtrise n’est pas commune. Précisons qu’il s’agit en l’occurrence d’une
16. R. A. R AY 17. M. K LASS, 18. M. K LASS,
, p. 66-71.
269
dimension importante du monachisme tibétain, mais qui est moins présente d’étude scolastique, qui coexiste avec des voies plus ritualistes dans les simplement associé à une forme de prêtrise. La fonction d’apport de services diverses façons 19. En comparaison, dans l’église catholique en Europe, le moine pourrait être vu comme plus proche du pôle prophétique que de la prêtrise . Dans le contexte du monde indien, le moine du bouddhisme ancien est apparu à opposée au prêtre et homme-dans-le-monde qu’est le brahmane 21 Gellner reprend l’analyse de Spiro selon laquelle, même si le moine du cela ne constitue pas sa fonction principale et il ne saurait être vu comme un prêtre 22. dans les études indiennes , le moine tibétain doit bien être vu comme seulement) de renoncement. Pour ce qui est du tantriste, en revanche, la ici aussi dans une large mesure autour du pôle de la prêtrise. La comparaison avec les données du monde indien convient toutefois d’être poursuivie sous un autre angle : elle fait apparaître l’importance d’une dualité qui pour le moment n’a pas reçu d’étude systématique comparative, celle de la pureté et du pouvoir.
Pureté et pouvoir La dualité du moine et du tantriste dans le contexte tibétain peut être rapprochée utilement d’une polarité qui apparaît sous de multiples variations dans le monde hindou, celle du brahmane orthodoxe et du religieux tantrique, ce dernier occupant, suivant les cas, des positions assez variées sur un axe allant
19. Voir par exemple G. B. J. DREYFUS, A LBERT 21. L. DUMONT, Gallimard, 1979 (19661 22. D. N. GELLNER
, Paris, SPIRO,
le renonçant et l’homme dans le monde (L. DUMONT en fait d’une simple dualité sociologique, mais dans une certaine mesure plutôt, comme le R. BURGHART, « Renunciation in the
de la caste fait apparaître une bien plus grande complexité.
24
centrales du bouddhisme et de l’hindouisme peuvent paraître, au premier abord, assez dissemblables. Le brahmane est marié et maître de maison, tandis que le moine bouddhiste est célibataire et, s’il n’est pas un véritable renonçant, communauté monastique constitue une relative mise en retrait par rapport qui sous-tendent les deux paires de religieux, sont toutefois instructifs. Pour un premier regard comparatif, choisissons le courant tantrique au Cachemire milieux de renonçants 25. Le tableau ci-dessous, volontairement schématique, entend dégager non des dichotomies et des orientations exclusives, mais des
(approximatif, mais frappant) dans celui qui oppose le brahmane orthodoxe s’accompagne d’une inversion des positions par rapport au renoncement et au monde de la maison. par excellence est fortement associée, dans l’idéologie comme dans les pratiques, à la pureté et à une activité rituelle qui s’inscrit dans un ordre moral brahmanique ou du karma et des mérites bouddhiques). La (celui du validation sociale de ces éléments s’exprime, notamment, par le statut social prééminent qui est accordé à ces religieux. Par rapport au moine bouddhiste et
24. Sur la diversité sociologique des groupes pourvus d’identités de renonçant, voir aussi V. BOUILLIER ont aussi une pratique de type tantrique. (Je remercie John Nemec pour sa relecture attentive de cette section du texte.). et le développement d’un large éventail de formes : A. SANDERSON HARDY (éd.),
Londres,
1
et la divinisation du pouvoir féminin (
), et est associé plus fortement au renoncement et
moins ésotérique et plus en accord avec le
brahmanique orthodoxe. Les traditions
plus puissantes que les autres. Dans son adaptation par des milieux de brahmanes maîtres de éléments qui touchaient à l’impur : manipulation de substances polluantes, violence et autres . Les traits pris en compte dans
tantrisme au Cachemire sont marquées par des perspectives normatives théologiques.
271
au brahmane orthodoxe, le tantriste tibétain (et en particulier ) et le renonçant ambivalente, marquée par l’impureté et la transgression. Ils sont tous deux fortement associés au pouvoir rituel fort, voire violent. Leur statut social est inférieur à celui des précédents. Le pouvoir est obtenu en particulier grâce à indiens, sans doute moins répandue dans le monde tibétain, mais que l’on retrouve dans les retraites tantriques (marquées souvent par une alimentation même si ceux-ci ne sont pas les seuls à les pratiquer. Nous avons vu que ce trait
Religieux maître de maison • mariage • importance de la lignée agnatique
Religieux du renoncement (au moins partiel) • célibat • liens de parenté
Brahmane orthodoxe
Hindouisme (exemple du Cachemire médiéval)
Bouddhisme tibétain, ou (exemple du Baragaon)
• position religieuse centrale :
• position marginale, renoncement,
religieux dominant • statut social le plus élevé , non• pureté, loi du violence • associé à un ordre sacré transcendant, et parfois à la recherche de la libération
la caste • statut social inférieur / hors statut social • impureté, transgression, violence • inscrit dans une tradition sotériologique, mais associé
Tantriste • position religieuse en général
Moine • position religieuse centrale : religieux bouddhique par excellence, voie permettant de se consacrer pleinement à la religion • statut social supérieur à celui
statut de religieux maître de maison • statut social de sa strate, • violence, impureté, transgression, ambivalence éthique • rituel, association aux visées mondaines
de pouvoirs
• non-violence, pureté, discipline monastique, ordre moral • production de mérites, association aux visées supramondaines
Le parallélisme observé ci-dessus ne s’étend pas, en revanche, au renoncement ou à la position par rapport au monde de la maison. Le souvent dissociés dans le contexte tibétain, le premier apparaissant surtout 272
Selon Sanderson, dans le courant tantrique médiéval indien du tout concernés par l’obtention de pouvoirs, le chemin de libération étant 26 . Dans le contexte tibétain, la condition de moine est souvent perçue comme plus propice à la progression sur la voie religieuse, alors que le tantriste, homme dans le monde, est beaucoup plus un religieux du pouvoir et du rituel mondain. Ainsi, dans centrale engagée dans une discipline associée à la visée sotériologique et, en position plutôt subordonnée, un spécialiste tantrique cultivant le pouvoir le monde et de renoncement ne sont pas les mêmes 27, mais de part et d’autre se manifeste une certaine disjonction entre pouvoir fort et pureté. Certaines polarités du tableau sont aussi, à un certain niveau, censées être ], dépassées. Selon Sanderson, « dans le monde supérieur où agit le [ la distinction 28 . De façon similaire, on peut noter que le cas des grands maîtres religieux tibétains échappe, dans une certaine mesure, aux généralisations englobent les deux pôles du pouvoir fort et de la pureté morale. Leur position Un exemple ethnographique contemporain, du nord du Kerala, à l’autre extrémité du monde indien, fait apparaître la même tension entre pouvoir violent et pureté, mais cette fois entre deux prêtres maîtres de maison : , ). Ces historiquement ont évolué dans un rapport dynamique de tensions centrées ) 29. Le brahmane sur les valeurs divergentes attribuées au pouvoir sacré ( pureté moindres, participe d’une conception du sacré fondée sur l’expression violente du pouvoir . Dans les perceptions locales, la distinction principale
26. A. SANDERSON
fondé en tant que mouvement de renonçants. 28. A. SANDERSON, Études, Ve section), 1991, cité par V. BOUILLIER, 29. J. R. FREEMAN V-VI. J. R. FREEMAN
V. BOUILLIER,
(conférences à l’École Pratique des Hautes
entre les rituels pratiqués par ces deux prêtres réside dans l’association du brahmane avec les rites paisibles ( ), et celle du prêtre tantrique avec les rites violents ( sanglants, ou rites, s’appuyant sur la déesse, de destruction des forces . Il y a dans cet ensemble de distinctions une similitude frappante avec les
royale avec les données tibétaines examinées ci-dessus ( ) sont ici plus ténus. Dans ce même contexte du Kerala, la polarisation entre, d’une part, un ordre de pureté, associé à un statut supérieur et à une activité rituelle paisible et, d’autre part, un ordre fondé sur la manipulation du pouvoir, associé à une pureté et un statut moindres, ainsi qu’à une activité rituelle violente, se trouve reproduite en quelque sorte à un niveau inférieur de la hiérarchie sociale. Le fortement lié au courant tantrique, et centré sur la sorcellerie ( ) . Si même certains brahmanes sont des sorciers réputés, les membres des rangs inférieurs de la société, qui ne sont pas contraints par les mêmes exigences de pureté, sont les maîtres par excellence de la gestion de la violence illicite et des forces sombres . et de hiérarchie sociale semblables. Certes, les hiérarchies dans les sociétés hindoues, comme dans le monde tibétain, sont multiples et contestées . Si . Laisser à d’autres la spécialisation dans les actes de violence est une façon d’exprimer une prétention à un statut supérieur ; la spécialisation dans la sorcellerie, répandue dans des basses castes, est toutefois aussi le pouvoir .
J. R. FREEMAN J. R. FREEMAN J. R. FREEMAN J. R. FREEMAN
. VI
– E. M EYER (éd.), Études en Sciences Sociales, 1994, p. 155-185. R. BURGHART J. R. FREEMAN J. R. FREEMAN M. AUGÉ,
274
G. TARABOUT, VIDAL – G. TARABOUT , Paris, Éditions de l’École des Hautes
G. TARABOUT , Paris, Gallimard, 1982, p. 257.
Notons, pour conclure ce rapprochement entre quelques grands types de semble relever simultanément de plusieurs orientations du bouddhisme évoquées ci-dessus. Son association prédominante au courant tantrique et les composante monastique, assez formelle, de son identité religieuse (une contextes rituels, etc.) renvoie plutôt à celle du moine. Il appartient par ailleurs à une société de castes et plusieurs auteurs ont souligné qu’il était à certains égards proche du brahmane : il partage avec cet autre prêtre de lignée agnatique un statut éminent dans une hiérarchie du pur et de l’impur . Nous avons ) qu’il ne semble vu ( . Cela contraste fortement avec l’importance de l’acte rituel violent chez des tantristes comme ceux de Ch’ongkor, mais présente qu’occupe la pureté chez les spécialistes tantriques
et tibétains.
spécialistes religieux structurée de façon plus ou moins centrale par une tension entre pureté et pouvoir ? L’extension de ce trait est-elle en elle-même révélatrice d’une pluralité de logiques ? Ces questions importantes devront faire l’objet d’une étude comparative plus approfondie. Dans un contexte de batteurs de tambour-exorcistes au Sri Lanka, par exemple, vient à ). l’esprit (avec, du côté du pôle de la pureté, l’institution monastique De façon beaucoup plus générale, on pense par exemple au pouvoir associé africains ou asiatiques notamment, pouvoir mis en rapport avec la marginalité : n’y aurait-il pas lieu ici aussi de regarder ces situations sous l’angle de la pureté et de l’impur ? pureté et du pouvoir rituel une fécondité analytique qu’il convient d’explorer de façon bien plus systématique. Eu égard à la complexité des réalités sociales,
S. GREENWOLD
15 (1974), GELLNER, , p. 259. La société de castes a ceci de particulier qu’elle est bicéphale, avec les brahmanes à la tête des castes hindoues, (ainsi que les ) au sommet de la hiérarchie de caste bouddhiste : et les GELLNER, GELLNER, , p. 125. S. J. R ASMUSSEN , P. BOURDIEU
275
aussi se pencher sur son avec d’autres axes, d’autres polarités du champ socioreligieux. Ainsi, on pense à l’articulation entre pureté et 41 ), ou entre pureté et renoncement aux relations sociales (le brahmane le plus pur étant en fait celui qui échappe à la prêtrise 42), ou encore à la dualité (par exemple bouddhique) entre orientations d’étude et de pratique rituelle ou méditative . Par ailleurs, à l’instar de l’étude présente de données tibétaines, l’approche se doit bien sûr d’intégrer les rapports structurels synchroniques et la négociation dans la pratique des polarités et tensions en question. Notons articulation entre la spécialisation religieuse, les hiérarchies sociales et le ou subalternes. méthodologiquement, la communauté de Ch’ongkor,
ce qui au premier
les possibilités et les limites de l’appréhension de textes tels que des rituels manuels comme véritables objets anthropologiques. De même, ce travail apporte une contribution à l’étude anthropologique du bouddhisme tantrique et des sociétés bouddhiques plus généralement, en explorant des dimensions qui dans nombre de contextes bouddhiques occuperaient une place plus ici non le don, source de mérites, mais le rituel, et en particulier le qui est au cœur du rituel tantrique. Ce travail analyse aussi, de façon tout à fait novatrice dans l’anthropologie du bouddhisme, la place, au croisement du social et du biologique, d’une part, et des conceptions, pratiques et pour des spécialistes religieux institutions religieuses, de l’autre, de la bouddhiques 44.
41. J. B. CARMAN Leyde, Brill, 1985. PARRY 42.
A PFFEL-M ARGLIN (éd.),
, PARRY – M. BLOCH (éd.),
TAMBIAH,
,
44. Pour le contexte japonais, voir R. M. JAFFE, , et S. G. COVELL, . La succession héréditaire présente là une logique essentiellement socioéconomique, certes avec d’importantes implications morales ; nous n’y retrouvons toutefois pas d’intégration comparable dans un univers proprement socio. Dans le bouddhisme mais les études ne semblent pas faire apparaître de superposition entre hérédité et qualités religieuses comme dans le monde tibétain.
276
Surtout, les tantristes de Ch’ongkor nous ont amenés à nous interroger sur la nature de la violence rituelle dans l’exorcisme. Ce travail a analysé comment une communauté de religieux bouddhiques peut être construite autour de pratiques qui, dans la trajectoire historique récente de cette communauté, et en accord avec les présupposés moraux fondamentaux du bouddhisme, en sont venues, de façon quasi unanime, à être assimilées à des actes de péché. Cette violence dirigée contre des démons va certes de soi du point de vue tibétain demeure problématique. Les gens du Baragaon en sont venus à lequel une des composantes centrales de l’identité religieuse des tantristes de religieux de la production de mérites, et le tantriste, spécialiste de l’exorcisme et comparatives sur le pouvoir rituel et les champs religieux complexes.
277
Annexe A Les rituels collectifs de Ch’ongkor
279
lampes à beurre.
d’année, avec danses (représentation rituelles ( ). du cosmos, expulsée avec tous les maux).
Dögyap :
XII. 26-
e
les trous des
e
(suite au Dasain)
Grand rituel de type , funéraire. Nombreuses
Nawa Rimchö :
possession du danseur par les divinités ?).
Les 5 tantristes de Temple, espace devant la hiérarchie du celui-ci (pour les danses du 28e de variable à l’extérieur (soldat) : souvent du village (pour le jet un des chefs de du , etc., le 29e village.
Les 5 tantristes de Temple. la hiérarchie du temple.
Temple : salle d’assemblée pour le , étage supérieur et toit pour le culte aux divinités protectrices.
Grand rituel centré sur Les 5 tantristes de Temple. un exorcisme. Comporte la hiérarchie du notamment une danse temple. avec mise à mort
Lieu participants) Les 5 tantristes de Temple et lieu-dit ) et culte la hiérarchie du Ts’ambuk, pour le de la divinité du lieu temple. culte de Tingting Tingting Gemo. Gemo.
Description
Les 5 tantristes de la hiérarchie du ) et culte temple. avec rituel des divinités protectrices Tâches rituelles Nawa Rimchö du temple (rituel de (étymologie , chefs de village. inconnue). et renouvellement des supports).
Rolö Yartung
Narak (de
e
de la divinité centrale).
Yangdak :
VIII. ou IX.
VII.
III.
e
Lurim (étymologie :
II.
e
Rituel / fête
Date .
Comportait jadis une lecture partielle de la Yum (avec circumambulation du temple), abandonnée lors de l’instauration des lectures
Évolution
.
une patte avant de mouton et
A incorporé la danse rituelle
en tant que rituel régional et appelé alors Ngashap Dögyap. Institué à Ch’ongkor Riz apporté par l’ensemble des maisons. dernier.
Intendance et contributions d’orge apportées par la
Intendance et contributions (orge, riz) Taso (Tibet méridional) par des tantristes de Ch’ongkor en 1857. Introduit plus tard en tant que rituel collectif du temple.
Contributions d’orge apportées par toutes les l’abattage d’un mouton (sur maisons. Intendance le toit du temple), avec distribution collective de chefs de village (soit, jadis, les 14 maisons (concernant les chefs de principales). village) jadis plus prononcé.
impôt Intendance assurée par les 14 maisons principales.
14 maisons principales. En outre, contributions volontaires de l’ensemble des maisons. Yum et Lungbe Yum).
impôt
Organisation matérielle
281
V. 25e (en théorie).
III. 4e
e
29e chaque mois.
chaque mois.
e
Date
assez festif.
e
Séquence de petits , , rituels ( etc.) sur 4 jours, avec
Rituel de propitiation des divinités tutélaires ( pour les représentants des 7 maisons du groupe.
les représentants des 7 maisons du groupe.
Culte de Padmasamhava avec bénédiction de
Description
Kyingkor Ch’öjel : Culte d’un maître (Lhaptsün Gyepo) de la lignée du fondateur de Ch’ongkor.
Namgang Ch’öpa :
Rituel / fête
Un tantriste.
Un tantriste, chaque jour.
la seconde des retraites de Ch’ongkor.
Un tantriste
Un tantriste ou une nonne
participants)
Rotation parmi les 14 maisons principales.
Rotation parmi les 4 maisons principales chargées (actuellement) de l’organisation du rituel.
Rotation parmi les 7 maisons principales formant le groupe du
Rotation parmi les 7 maisons principales formant le groupe du
Lieu
Intendance assurée par 2 des maisons principales.
(?). Le reste est fourni par la maison hôte le jour en question.
Orge pour la
Le reste est fourni par la maison hôte.
Orge pour la
Le reste est fourni par la maison hôte.
Orge pour la
Organisation matérielle
.
.
Vers 1985 (?), 2 maisons sur les 6 qui patronnaient le rituel ont quitté le groupe, suite à une dispute. A l’origine, il aurait même impliqué les 14 maisons principales.
Évolution
282
Lungbe Yum
. Suit le Ky’oktunggi Yum.
multitudes,
ans).
Lungbe Yum. Dure
Lecture du Kangyur. Certains soirs, rituel de propitiation des divinités tutélaires ( circumambulation des champs, rituel des multitudes ( ) et consécration de longue ). vie (
les textes ajoutés à la Yum sont moins nombreux.
Lecture de la Yum (complétée d’autres textes, au total 19 volumes). Conclu par un grand rituel des ) et une multitudes ( circumambulation des champs avec les textes.
Description
, et surtout consécrations de longévité,
de la Parole [du
lecture du Kangyur
du village. Kangyur
lecture de la Yum (texte de
Ky’oktung-gi Yum lecture de la Yum (texte de
II. ou III.
jours).
Rituel / fête
Date
Lieu
Temple.
village.
par chacun des
est patronné (intendance,
Rimpoche. Argent tiré notamment de la vente d’une modeste auberge, jusqu’alors gérée collectivement.
Collection de textes achetée avec l’aide
Ky’oktung-gi Yum, pour que l’ancien exemplaire du texte ne reste pas inutilisé.
moment du Lurim.
groupe. Dépense et intendance assumées par l’ensemble des maisons.
en remplacement d’une lecture partielle de l’ancien exemplaire du texte,
Instauré dans les
Évolution
formant le groupe des Ky’oktung,
Intendance en rotation parmi
Organisation matérielle
, rituels des ) pour lesquels les moines et tantristes peuvent se trouver en compétition.
de Dzong.
le plus souvent par le moine à la
Lecture : comme ci-dessus.
Temple.
Tantristes, moines, Chez l’un des nonnes (voire intendants. toute personne sachant lire).
participants)
IV. 14-16e
Lungbe Nyungne
de l’entrée [dans l’ordre
Shur-tsen
II.
e
Rituel / fête
Date
Pratiques de jeûne, de silence, de prosternations et de récitation de mantras.
Rituel centré sur
Rituels de propitiation des divinités tutélaires ( ), reconsécration de certains stûpas de Ch’ongkor.
Description
de Lama Kemi (le
prosternations, à la récitation de mantras, etc.
Direction par les moines instruits de Ch’ongkor. Participation de
Moines de Ch’ongkor.
(ou participants) un groupe de 5 ) donateurs ( et quelques champs consacrés au rituel en . Intendance : 2 maisons, en rotation parmi celles comportant des moines. Contributions de chaque maison et crédit rotatif Intendance assurée par trois maisons du village.
Organisation matérielle
Abandon en 1994, par manque de participants.
Jadis, participation obligatoire de chaque maison. Vicissitudes diverses. Reprise en main temporaire par le
et dormaient au temple avec les moines.
A fortement diminué en importance. Durait jadis une semaine, avec
Évolution
de Ch’ongkor), qui est tenu au premier mois de l’année.
Temple.
Temple.
Lieu
284
Rituel / fête
V.-VI. (selon le cycle agricole).
.
Série de cultes ( ) adressés aux divinités du lieu.
env. IV. Trois cultes (selon ( , etc.) à des l’almanach). divinités du lieu (notamment lu, divinités du soussol).
Kar-tsin I. (début) de l’étoile (soit : (selon du moment l’almanach).
Date
[aux] divinités
L’un est de tradition orale, en langue
lu
aux divinités du lieu, surtout de type
du sol.
Premier labour d’un champ, précédé
Description
du haut de la hiérarchie du temple, séparément, assistés chacun d’un des chefs du village. Selon les cas, un chef de village ou un tantriste assisté d’un chef de village.
village.
participants)
Ingrédients matériels limités, probablement fournis par les maisons des chefs de village.
Trois lieux associés aux divinités en question, situés à quelque distance du village (un étang, une
, sous 1.a.
Divers endroits (collines, etc.) associés à des divinités du lieu.
Contributions de toutes les maisons. Maind’œuvre fournie par celles des chefs de village.
Organisation matérielle
Champ de l’un des chefs de village.
Lieu
Évolution
285
IV.
récitation du Mani.
:
K’orü P’ün-tsok :
I. 15-18e
(des êtres) du
Rituel / fête
Date
récitation du Mani.
Quelques
) et du Mani, avec quelques
(tib.
Récitation de
Description
Un groupe de femmes
Les femmes, en trois groupes (un par quartier du village).
participants)
Organisation matérielle
Gara Gompa.
Dzar, qui fournit le capital dont initial pour le les intérêts couvrent les dépenses.
Instauré en 1991-92 par
Évolution
décrite comme en déclin.
Instauré dans les années lampes à beurre (ou huile) : crédit rotatif dans le village, plus tard à
Rotation des maisons dans lampes à beurre (ou huile) : dépense couverte par les quartiers. intérêts d’un crédit rotatif
Lieu
286
e
Yartung
VII. 29e – env.
Ch’ongkor.
P’ak-nyel.
VI. ?
Postérieur.
rituels mineurs dans le temple.
nourriture de fête, chants et danses (période festive principale de l’année).
divinités du lieu puis au
dépourvue d’éléments rituels. Activité : farniente, chants, nourritures riches.
Comme pour le Nouvel An Antérieur, avec un culte plus réduit.
Ts’ong-guk Shama : Nouvel
I. 1er
e
Ts’ong-guk Culte assez simple (sans Ngama : Nouvel support textuel) de la divinité domestique dans chaque maison. Nourritures festives, Antérieur. jeux (dés, etc.).
XII. 1er e
Description
Rituel / fête
Date
(groupes
dans le temple par le
participation de tous les hommes, puis festivités dans les . Rituels
en
participants individuels (hommes).
participants) Adultes de chaque maison.
dans la maison d’un membre de , en chaque rotation annuelle (ou au temple, pour le
Procession et course dans le haut de la vallée (dont
Gyung.
Sous une tente
Cultes dans les maisons : de préférence un homme. Jeux : hommes / femmes réunis en quelques groupes.
Lieu
Boisson, nourriture et intendance apportées par la maison hôte du
contributions des
Une sorte de chef
Organisation matérielle Organisation interne à l’unité domestique.
jadis préséance dans les festivités.
Jadis, procession plus longue. Encore récemment, plus de chants et de danses, ainsi que des travestissements. Le )
En 1994, instauration d’un groupe quelque peu formel de participants (auparavant, participation ouverte à tous).
décision collective.
Évolution
Annexe B Les tantristes tibétains : terminologie régionale
287
(bouddhistes et publiée, il y a plus de deux décennies 1. Les travaux récents ont enrichi particularismes régionaux dans la désignation des tantristes. Les données disponibles ne couvrent toutefois que fort imparfaitement les diverses régions de culture tibétaine ; la périphérie himalayenne du monde tibétain demeure la mieux documentée. , présenté dans l’introduction. Je ne reviendrai pas ici sur le terme est Un proche synonyme de
dans un registre littéraire ou soutenu, les
sont parfois dénommés
des tantras plus largement. ( , le terme ne désigne toutefois pas , puisque les moines peuvent aussi être des adeptes exclusivement des tantristes, chez certains auteurs, est donc, en ce sens, abusif.) Un terme de la langue parlée qui paraît relativement connu à travers le , que l’on peut rendre par « religieux maître monde tibétain est 2 . Il est en fait recensé comme désignation principale de certains religieux principalement à Ding-ri et à certains endroits au Tibet central, mais il apparaît aussi dans des sources textuelles tibétaines. Il semble pouvoir fonctionner parfois comme une désignation générique pour les religieux non monastiques, mais en général il paraît utilisé essentiellement pour des spécialistes rituels de moindre stature religieuse et sociale, comme à Ding-ri, et pourrait revêtir une telle connotation plus largement 4. Le terme fortement connoté par la pratique de retraites longues, typiquement de « trois Il est employé par des réfugiés tibétains originaires du Tibet occidental 5, et
1. C. R AMBLE 2. Le terme syllabe B. N. A ZIZ, – DANG
, p. 76, qui toutefois n’en fournit pas de glose), par référence T. ZHABS-DRUNG , p. 2948. Notons que
A ZIZ, , chap. IV. 4. C. R AMBLE 5. N. SIHLÉ, « Rituels de fumigation (bsangs-gsol) à Choglamsar, village de réfugiés tibétains au
288
. On le retrouve également au Dolpo, situé tout comme le Lo et le Baragaon à la limite méridionale du Tibet de l’ouest, comme terme générique, d’emploi assez limité, où il englobe deux et (sur ces catégories, désignées respectivement par les termes ) 7. deux termes, référence aux tantristes de la communauté de Luri Gompa 8. , à On trouve au Baragaon un terme sémantiquement proche de savoir dans les notes sur son passage à travers le Baragaon ; selon lui, ce terme « fait référence à quelqu’un de connu pour avoir passé de nombreuses 6
9
tibétaine courante, mais au Baragaon il désigne plus précisément, de façon . Dans cette région, les sont soit des tantristes, appartenant souvent à une lignée héréditaire de tels religieux, soit des nonnes, tenues au célibat comme toute autre nonne. Les masculins sont donc des tantristes caractérisés par la pratique d’une retraite de Ch’ongkor ne font que de courtes longue, alors que les tantristes retraites, de l’ordre de quelques semaines. Le discours local au Baragaon et comme deux catégories de utilise fréquemment les termes même niveau et parfaitement disjointes 11. , ou (selon les dialectes), est aussi marqué par des Le terme 12 , mais son acception la plus courante dans la langue parlée tibétaine reste celle de
6. I. R IABOFF de Samling au Dolpo,
(et non
) serait en fait une prononciation locale du terme , comme l’on retrouve
prononcé aussi tel quel au Dolpo, et est bien attesté dans les régions voisines ; il y a donc ici peut-être une élaboration savante spéculative ? est proche sémantiquement de deux termes plus connus, (skt. ) et 8. (skt. ). Souvent employés de façon interchangeable, ils désignent, dans la littérature bouddhique, des adeptes tantriques parfaitement réalisés. Ces derniers peuvent toutefois être moines ou tantristes. 9. D. L. SNELLGROVE
11. On trouve aussi la forme
ou Kagyü
avec la même acception pour des religieux du Sikkim
C. CORLIN, « The symbolism of the A RIS – AUNG SAN SUU KYI (éd.),
le terme n’est peut-être pas à exclure. 12. D. L. SNELLGROVE,
289
. de Lubra, au Baragaon, Toutefois, dans la communauté de tantristes ainsi qu’au Dolpo, dans les communautés de tantristes bouddhistes aussi , ce terme désigne un tantriste 14. Si à Lubra tout religieux de bien que la communauté est désigné par ce terme, au Dolpo en revanche il désigne deux est appelé
. On observera que l’emploi de
dans cette acception , « un véritable
15
de cette communauté sont souvent appelés, de l’extérieur, simplement bouddhiste sur les tantristes en Amdo. apparaît aussi au Zanskar dans des composés qui font Le terme référence à des catégories de religieux non monastiques. Les expressions 16
17
vivant en communauté religieuse. Peu nombreux, les présentent des traits qui renvoient extérieurement au monachisme : ils se rasent le crâne et portent le bonnet de moine, mais non le vêtement monastique 18. Ils 19 , ce qui ne paraît pas être Le terme (ou au Ladakh), attesté dans les sources littéraires tibétaines et dans plusieurs régions occidentales du monde tibétain, joue un rôle particulier. En dehors du Ladakh, le terme semble synonyme de
le pays
ü C. VON FÜRER-H AIMENDORF, , p. 162) ; Paul toutefois indique un usage plus large (R. A. PAUL, , p. 82).
) et reçu un nom religieux, mais n’ayant pas encore prononcé les vœux de novice (
ül) à proprement parler (I. R IABOFF
S. C. DAS, 14. Dans les communautés de de Ding-ri, au Tibet méridional, les religieux étaient ) pour les hommes, et ( ) appelés ( femmes : B. N. A ZIZ, avait cours dans de la région de Nyemo, au Tibet central. une communauté de tantristes 15. grwa-pa ngo-thog ( AMBLE 16. grong-pa’i grwa-pa. 17. a-pha grwa-pa. 18. I. R IABOFF
. Les ethnologues spécialistes du Ladakh le traduisent toutefois par 21 . Ces religieux se caractérisent cependant aussi par une activité tibétains, avec par exemple rituelle qui les rapproche nettement des la pratique d’exorcismes 22 d’astrologue serait distincte ou annexe . L’appellation conventionnelle du Ladakh semble masquer le fait qu’il s’agit de tantristes, dont la particularité est simplement une spécialisation marquée et ne présente pas toute la polysémie du second, qui est en outre d’usage plus / précédents s’écrivent dbon-po), est le terme le plus courant pour désigner un tantriste ; littéraire. Pour ce qui est des autres régions plus orientales du monde tibétain, moins bien décrites, notons qu’au Bhoutan les tantristes sont connus essentiellement sous l’appellation de littéral du terme, ce ne sont là aussi, en général, que de simples spécialistes de désigne plutôt rituels tantriques. Ailleurs, entre autres au Baragaon, un ermite, ou une personne qui pratique de longues retraites de méditation. , qui au K’am peut désigner des tantristes 24. Les sources écrites mentionnent encore d’autres termes que je n’ai pas réussi à corroborer. , sans doute le plus polysémique des termes tibétains désignant des religieux lama, (pour une discussion plus développée, a cours au Dolpo. Terme généralement valorisé, peut aussi désigner, dans certaines régions, un religieux bouddhiste, de quelque niveau qu’il soit ; selon le contexte, il peut s’agir de moines ou de tantristes. Dans nombre de populations tibétaines ou tibéto-birmanes de l’Himalaya (Sherpa, Tamang, etc.), où les religieux bouddhistes sont parfois exclusivement des tantristes,
JÄSCHKE, , Delhi, Motilal Banarsidass, 1881 (19922 qui évoque les 21. M. BRAUEN,
C. R AMBLE du Zanskar. P. DOLLFUS,
22. M. BRAUEN,
P.
, p. 91.
DOLLFUS P. DOLLFUS,
, p. 91, 97.
I. R IABOFF 24. Le terme est mentionné par R. B. EKVALL, H. HOULÉ
291
ces derniers sont appelés souvent , ou tout seul 25. Ce dernier dérive étymologiquement de . Tucci rend le terme, tel qu’il apparaît dans d’anciens documents, par « moines [terme qu’il emploie pour 26
.
27
25. Voir R. A. PAUL, communauté de
, p. 82. Aziz signale pour Ding-ri le terme ü (ou, dans ü [orth. phan-btsun]), qui s’applique à une religieuse d’une où ce sont les femmes qui détiennent le rôle religieux : B. N. A ZIZ, indiquée
ci-dessus,
ü
peut désigner une nonne :
S. C. DAS,
26. R. B. EKVALL, 27. G. TUCCI, détails, les « , quand il ne les nomme pas simplement : G. TUCCI, décrits et mal connus ; on trouve quelques données à ce sujet dans B. N. A ZIZ, « Ani Chodon :
ü nlek ou Shapkar, donnent aussi un éclairage sur la place que peuvent prendre les déplacements de lieu saint en lieu saint, en alternance avec l’érémitisme : BACOT, , Paris, Éditions Bossard, 1925, L. P. LHALUNGPA, STEIN, , Paris, Maisonneuve et Larose, 1972, et M. R ICARD (trad.), .
292
Annexe C Textes tibétains
, 1. « Explication des danses rituelles des
»
Tib. : Ma-mo’i ’cham-bshad / 6 fol, non reliés. Début du texte, édité :
) (phyag ’tshal) lo / he ru ka sngon ’byung [byung] gyi [gi] sgyud [rgyud] las / ru tra [dra] mthar [thar] pa nag po ’dis / mar me mdzad kyi stan [bstan] pa la / dge’ slongs [dge slong] rnam dag lta ba log / las kyis (brgyal po’i) [rgyal pos] chad pa cad [bcad] / smon lam logs [log] pa btab pa’i dus / da lta shakya’i bstan pa la / pha med pa yi bu ru skyes / sangs rgyas stan [bstan] la gnod pa skyel / bstan pa’i spyi dgras [dgrar ?] bgyur [gyur] pa [ba] ’di / (dpa’ bo) chen pos dgral [bsgral] ba ltar / brjes [rjes] ’jug rnal byor [’byor] pho mo rnams / bdrag [drag] po’i chas gyis [kyis] legs brgyan nas / brgyan [rgyan] ’di bzung la dam sri ’dul / bces [ces] gsungs pa dang // yang phra men rgya mtshos bzhus [zhus] pa las / skye [kye] (dpa’ bo) (chen po) lag [lags] / ’drag [drag] po’i chos dgos [gos] ’ji ltar lags / zo [bzo] dang chas [chags ?] lug [lugs] ’ji ltar yin / ces [2a] gsol ba dang // yang sngon sdzogs [mngon rdzogs] yab kyis bka’ btsal pa / nyon dang [sked] la phur pa mi (’tshal lam) / blo [glo] la mthu’ [mthu] snod mi (’tshal yang phra men rgya mtsho’ [mtshos] bzhus [zhus] pa las / skye [kye] (dpa’ bo) (chen po) lag [lags] / lus la mgos [gos] 1 los skyang [kyang] ’tshal / mgo’ [mgo] la ral pa los kyang ’tshal / lags [lag] du snga [rnga] 1 los kyang ’tshal / skyed [sked] la phur pa los kyang ’tshal / blo [glo] la mthu’ [mthu] snod los kyang ’tshal / yang phra men brgya [rgya] tsho’ [mtshos] bzhus [zhus] pa las / skye [kye] (dpa’ bo) (chen po) lag [lags] / dgos [gos] ’byung dang po gang nas ’byung [byung] / ral pa dang po gang nas byung / rnga ’byung dang po gang nas ’byung [byung] / rnga shing dang po gang nas ’byung [byung] / [2b] rnga yu dang po gang nas ’byung [byung] / rnga lpag [lpags] dang po gang nas ’byung [byung] / rnga ste [lte ?] dang po gang nas ’byung [byung] / rnga lcags [lcag] dang po gang nas ’byung [byung] / phur pa dang po gang nas ’byung [byung] / mthu snod dang po gang nas ’byung [byung] / zo [bzo] dang chag [chags] ’tshad [tshad] ’ji ltar bya / ces gsol ba dang // yang sngon sdzogs [mngon rdzogs] yab kyis bka’ brtsal [btsal] ba / nyon dang phra men rgya mtsho’ [mtsho] ma / ma tang sgral [bsgral] pa’i [ba’i] lpagss ( ) [pags] pa las / dgos [gos] ’byung dang po gde [de] nas ’byung [byung] / ma tang sgral [bsgral] pa’i [ba’i] kra [skra] lo las / ral pa dang po de nas ’byung [byung] / ma dang [?] sgral [bsgral] pa’i [ba’i] rtsib gur las / rnga shing dang po de nas ’byung [byung] / ma tang sgral [bsgral] ba’i skang pa las / rnga yu dang po de nas ’byung [byung] / ma tang sgral [bsgral] 294
pa’i [ba’i] pho lpagss ( ) [pags ?] las / rnga lpags dang po de nas ’byung [byung] / ma dang [?] sgral [bsgral] ba’i lte ba las / rnga lte dang po de nas [lcag] dang po de nas ’byung [byung] / ma tang sgral [bsgral] ba’i lag ngar las / phur ba [pa] dang po de nas ’byung [byung] / mdar [dar] sna (lnga’i : ) [legs] rgyan na / ma tang sgral [bsgral] ba’i kla [brla] rkang las / mthu’ [mthu] snod dang po de nas ’byung [byung] / kra [skra] sna snga’i [lnga yis ?] lag [legs ?] rgyan nas / ma tang sgral [bsgral] pa’i [ba’i] rus pa las / rus pa’i phreng ba mang du [po ?] ’byung [byung] / gsum rgya [brgya] drug bcu tshang pa [ba] ni / phyag ’tshad [tshad] ldan pa’i zo [bzo] byas nas / de yang (dpa’ bo) sku la gsol / nga’i [ngas] (byin gyis) rlabs [brlabs] pa yin / bces [ces] gsung [gsungs] pa dang / yang phra men rgya mtsho’ [mtsho(s)] bzhus [zhus] pa las / skye [kye] (dpa’ bo) (chen po) lag [lags] / brgyan dang chas [chags ?] lug [lugs] de yin na / lus la mgon [gon] lugs ’ji ltar lag [lags] / bces [ces] gsol ba dang / sngon sdzogs [mngon rdzogs] yab kyis bka’ rtsal [btsal] ba / nyon dang
pa g.yon ma rgal bar bya / bces [ces] gsungs pa dang // ’dir (slob dpon) (chen po) padma ’byung gnas kyi [kyis] / dpal bsam g.yas [yas] gyi [kyi] sa ’dul ba’i (dus su) / sngon ’byung skal pa dang po la / (bcom ldan) dpal chen he ru kas / ru kra [tra] nag po stul [btul] ba ltar / (khor lo’i) [’khor lo’i] las kyis legs rgyan [brgyan] nas / dpal chen rnga’i gdung stabs rnams bya // (Suivent les instructions chorégraphiques pour les danses,
:)
295
2.
(registre des enseignements reçus)
Tib. : Thobs ( , pour thob)-yig / assez claire. Pas de page de titre. 2 fol., écriture Texte édité :
yang nu ma na na sngags ni / (
.)
yig phran tsam cig dskod [bkod] la / gu ru mtshan brgyad dbang lung khrid thob / zha nag ’cham gos dbang thob / khro bo bcu yis [yi] phyag mtshan tshang ma dbang thob / gang zar [dgang gzar] gang klug [dgang-blugs] dbang thob / rdo rje dril bu dbang thob / bdug [gdugs ?] dbang (rdo rje) pha lam ] dbang lung dbang lung khrid thob / brang [drang] srong log sgri [skt. thob / zhi khro dam pa rig [rigs] rgya [brgya] yi lha dbang chen mo dbang lung thob / sngags bum (rdo rje) dgu khrabs [go khrab] lung thob / dam pa sangs rgyas lung thob / (sing ge) [seng ge] dgra [sgra] yi mdzad pa’i sabs stag dong grol (?) dbang [2a] lung thob / slob dpon slob ’grug [phrug] gyis [gis] mdzad pa’i sa brtag dong grol lung khrid thob / tshi ’grug rnams lcang (?) rig [rigs] dgu dbang lung thob / g.yang [dbyangs] gsal a li ka li lung thob / raksha dbang lung thob / phrang pa [phreng ba] bu ti tsi [bo dhi rtsi] lung 28
e ka dza ti yi gtor ma lung dang bcas pa thob / sdzongs [rdzogs] chen a ti zabs [zab] don snying po’i dbang lung khrid cha lhag tshang ma spe [dpe] lung bum [’bum] gsol bdebs [’debs] bum [’bum] gsong [song] ba yin / gsungs ba tsha nyal [dmyal] dang drang nyal [grang dmyal] khrid thob / bdag [dag] pa’i kyes [skyes] pa snga rgya [lnga brgya] ma dag pa’i kyes [skyes] pa snga [2b] rgya [lnga brgya] khrid lung thob / chos sku’i dug dang [’dug stangs] 29 lung [longs] sku’i ’dug stangs krul [sprul] sku yi ’dug stangs gsum khrid lung thob / khro bo yis [yi] ’dug stangs (sangs rgyas) (thams cad) kyis [kyi] ’dug stangs khrid lung thob / gtad rul tad [gtad] sdog [bzlog] las spyi lung khrid thob / gnan tad [mnan gtad] byed pa’i lung thob / byen zag [sbyin sreg] byed pa’i lung thob / phyags gtor [phyag rdor ?] dbang thob / pho [’pho ?] shos dbang thob / bde [sde] brgyad cha nyom [snyom ?] lung thob / spu bri [gri] slad zer lung thob / mkhas pa zang ling [zangs gling] dbang chub [phyug] lung lag khrid thob / gsam stan [bsam gtan] snyal [nyal ?] chogs [chog] lung lag len khrid thob / de la dor dus [mdor bsdus] tsam cig dkod [bkod] //
28. Corrigé dans le texte par la suite. 29. Corrigé dans le texte par la suite. .
296
, 3. « Prière [aux divinités] de repartir » Tib. : gShegs-gsol / Début du texte :
’bru [gru] sums [gsum] thing nag bar pa’i [’bar ba’i] rkyil khor [dkyil nags [nag] mo / sres [sras] chogs [mchog] ya ma rwa [ra] dza / ’dru [grub ?] chen a [e] ka dza ti / shes [gshed] po zhi [bzhi] shes [gshed] mo zhi [bzhi] / / yi dam chen po ’jam dpal shin [gshin] rjes [rje] rnam skyi kyangs [rnams kyi kyang] / ma byon pa o rgyan kyis [gyi] rgyal po gu ru padma ’byung nas [gnas] / tho sngags rig [rigs] sngags ma ha gu ru sprul pa’i mtshan rgyas [brgyad] / sangs rgyas zhi pa’i lha tshog [tshogs] 42 / bar [’bar] ba khro bo lha tshog [tshogs] / khrag thung [’thung] sngags cu [lnga bcu] rtsa rgyas [brgyad] / byam [’jam] dpal sku’i lha tshog [tshogs] / padma gsung gis [gi] lha tshog [tshogs] / yang dag thug [thugs] gi [kyi] X / ’dud rtsis [bdud rtsi] yon tan gi [gyi] X / phris [’phrin] las phur pa’i X / ’bru [grub] pa chen po ka [bka’] rgyad [brgyad] kyi lha tshog [tshogs] / rnams kyi kyang / com [bcom] sdan [ldan] phyag na rdo rje rtsang [tshang ?] rig [rigs] kyi gis [kyi] X / yon ten [tan] phris [’phrin] las X / gon [mgon] po rtag [stag] zhon rnams kyi kyang / sri nen [mnan] la bya sdam [dam] can rdo rje legs pa / srung ma rdo rje legs pa / bon bon [dpon] rdo rje legs pa / yul pon [dpon] X / tshong pon [dpon] X / rmag [dmag] pon [dpon] X / (rdo rje) lags [legs] ba [pa] rnams kyi kyang / bsrung [srung] ma brnam sred [rnam sras] rter [gter] dag [bdag] rgyad [brgyad] kyi kyang / gu ru snen [mnan ?] pa dang ltor sdog [gtor zlog] ton kyong (?) rnams kyi kyang / sri nen [mnan] la bya tshe gong ma nas ’og tu rton [ston ?] pa / ’og ma nas
297
, « Prise à témoin 4. [des divinités, au sujet de] la voie des projectiles
»
Tib. : Zor-lam dpang-btsugs / Texte intégral ; édité :
kye / dus gsum bla ma zug (?) dang dpang po mdzod / (dkon mchog) gsum po zug dang dpang po mdzod / zhi khro rab ’jam zug dang dpang dzod [mdzod] cig / yi dam lha tshog [tshogs] zug dang dpang mdzod cig / chog [mchog] ya ma ra dza zug dang X / yum chog [mchog] pe ta nag mo zug X / [2a] khro bo cu [bcu] po zug dang dpang X / (bcom ldan) char kha nag po zug X / zhang blon ’dun [bdun] po zug dang X / bon po nag po zug dang X / bhandhe nag po zug dang X / mon pa nag po zug dang dpang X / rta (?) pa nag po zug dang dpang X / sna dman [gnam sman ?] dkar mo zug dang dpang X / ma mo nag mo zug dang dpang po X / bya khra nag mo zug dang dpang X / khyi mo nag mo zug dang X / rtsa ra zhi [bzhi] po zug dang X / gyal chen zhi [bzhi] po zug dang dpang X / steng gi lha rnams zug dang btsan rnams zug dang dpang X / pho lha dgra lha zug dang dpang X / yul lha ma [mo] lha zug dang dpang X / zhang lha srog lha zug dang dpang X // mda’ ni zor kha dgra la stan [btsan] pa ni / gshin rje rkong bzor [gshin rje’i skong zor] char ltar ’phen [’phongs ?] ’du phen [zor du ’phongs] / nyan pa’i sna ba [la ?] zor du ’phongs / smras pa’i lce la zor du ’phongs / bsam pa’i snying la zor du ’phongs / len pa’i lag la zor du ’phongs / ’gro pa’i [ba’i] rkang la zor du ’phongs / steng gi phug [phub] la zor du X / (’og gi) nub la zor du X / chan pa’i bu la zor X / cig] / dgra’o [dgra bo] snying khrag ’jib cig [’jibs shig] / dgra sha kham zo cig / dgra yi rus pa khrum [grum ?] cog [chog] cig // sdzogs s.ho [rdzogs so] / (bkra shis) / dge’o / sarba (mang ga lam) / (mang ga lam) / (om thi ?) //
s’attendrait ici aussi plutôt à l’impératif, soit ’phongs.
298
5.
, « Rituel des substances toxiques »
Tib. : Dug-mdzas-kyi cho-ga / Sources : deux versions, A (suivie ici) et B (graphie plus corrompue). Extraits traduits dans le texte :
pho lha rnam [rnams] gnam la yar du phyug [bcug ?] / mo lha rgya mtsho’i gting du skyol / gzhang [zhang] lha rgya mtsho (khribs su) [khris su] bskyol [skyol] / ma [2a] bu’i srog rtsa myur du bcod [chod] / sdzas [rdzas] rnams pra pa na ye swahwa [swaha] /
bdril [’dril] ma ni grod [drod] la ’dril / rlung ’dril ma ni dbug [dbugs] la ’dril / ’dril byed chen mo da (’dril lo) / mching byed chen mo da mching cig / lte ba’i (gnas su) kyi (B : kyig) [bkyig] la sbyon [byon] / gsang ba’i (gnas su) bkyig la byon / yan lag bzhi la bkyig la byon / mdon [don] snying lnga la bkyig la byon / rnam shes brgyad la bkyig la byon / bkyig byed chen mo ’da’ [da] bkyig cig / mching [’ching] byed chen mo ’da’ [da] mching [’ching] [4a] cig / ka tho [bka’ sdod] g.yas [las] byed pho nya’i tshogs / mtshon cha sna tshogs ’char ltar ’bebs / khro bo yaksha me dbal gyi / g.yas kyi phyag na phur ba [pa] bsnams / g.yon gyis [gyi] phyag na lcags kyu bsnams / lcags kyu’i [kyus] gzungs la phur pa’i [pas] bzlog [thob] / dbal gyi / g.yas gyi [kyi] phyag na ral gri bsnams / g.yon gyis [gyi] phyag [4b] na phur bu bsnams / phur bu’i [bus] bzlog [thob] la ral gri’i [gris] btubs [gtub] /
299
6.
, « Histoire du
, histoire du crâne »
Tib. : Sri-rabs thod-rabs / Extraits traduits dans le texte :
[2a] [2b]
bya ba’i las ngan khyod / dang po byung ba gang nas ’byung / dang po zhe sdang pha yi [yis] bskyed / bde [de] nas ’dod chags ma’i [ma yis] langs / bar du ’dri [dri] bza’ [za] nyes [nye ?] bar ’khor / chags pa lte ba’i dkyil du chags / de nas phung po lnga yis gzugs / de nas (bdur [dur] khrod) gnas su [dben] stong nang nas mkhang [khang] stong nyul / mkhang [khang] stong nyul nas mngal stong khril / las kyi dbang gi [gis] mngal stong kyis [gi] / lus la ’khril cing sri ru langs / wa’i mdog la skra bzang skyes / ltas ngan cho phrul [’phrul] mang po skyes / rgyu [sgyu] ’phrul ’khor ba’i las ngan byed / de [de’i] phyir bstan pa’i spyi dgra yin / myur du ’bral [sgral ?] ba’i zhing yin no // [snga] ma’i lan ’chags [chags] gi [kyis] / (sangs rgyas) bstan pa khyod kyi [kyis] [4b] shig [bshig] / dam pa tshul gyis [gyi] chos yang bcom / ’phags pa’i dge bdun [’dun] bka’ yang cag [gcog / p. bcag] / (dkon mchog gsum) la skyabs [rgyab] kyi mchog (?) [phyogs] / rgyu sbyor rnams la gnod byed pa’i / bsri [sri] can dam sri ma rung pa / bskad [skad] cig tsam gyis ’dir khug cig // gru gsum mthing nag ’bar pa’i [ba’i] (dkyil ’khor) du / lcags kyi khang pa sgo med du / bson bdud shin lcags (?) ma rung kun / byed kyis [kyi] dogs ni lingka’i bkod / shor gyis [gyi] dogs na [ni ?] lcags grogs [sgrog] cug [bcug] / ma bsod [gsod] sdog [dogs] na [ni ?] phur ba’i [pas] stobs [p. btab / imp. thob ?] / nor gyi dogs na [ni ?] ming [5a] yig ’bris / ’gros kyi dogs ni sngags kyi [kyis] bskor / dza yi [yig] snying gi dkyil nas [na ?] ’drong [bsgrogs ?] / rang dbang med par ’dir khug cig / tri dza badzra a gu sha ya dza dza / sri ces pa [ou bcas pa ?] rang dbang med par gnas ’dir khug / tri dza badzra angku sha ya dza dza //
X [gshed grub rnams kyis zhus /] sdig can gos de ci yin na / cing [pr. ] / las ’ching / p. bcings ?] zhing grags [sgrog] pa ci’i [ci yis] cings [ srog ngan pa kun pa [syllabe en trop] nas char [’char ?] / nad rnams btang pa’i [bas ?] rnam smin gyis / da lta sngo dmar byed du cug [chug] / rags] ’de [de ?] byed na / gros [sgrol ?] pa’i gnas ni thod khang yin / thod pa ’di la mnga’ cig gsol / thod pa’i tse [rtse] ru dbang cig bskur / grub pa’i (rin chen) thod mchog ’di / sngags pas [pa’i ?] grub pa don grub [7a] na / da ni grub po mnon ma cung / kro ta [dha ?] rag sha ’khor bcas kyis / ces pa // nga’i ’bran [bran] / ci’i snyen [gnyen] po ci shig che / bgegs kyi bsnyen [gnyen] po dpal chen ya ma che / g.yas pa yab kyi zhabs kyi [kyis] mnan ] / [pr. gnon / imp. non ?] / g.yon pa yum gyis [gyi] zhabs kyis mnan [ dus mi srid / bskal par ’khrugs kyang shor mi srid / blu bur [phur] rtab [btab] pas sdang mi srid / sde phur rtab [btab] pa [pas] shor mi srid / be tson [con] brgyab po [pas] sdang mi srid / (gal lte [te] ?) byang chub sems bskyed na / gshin rje nag po’i lag nas mthong [’thon ?] / bla med byang chub thob par shog // dang po (sangs rgyas) (dkon mchog) rgya / (sang rgyas) bden pas ma btang [thon] 1 / [17a] gnyis pa dam pa chos kyi rgya / chos kyi bden pas ma mthon [thon] cig / gsum pa ’phags pa’i dge bdun [’dun] rgya / dge bdun [’dun] bden pas ma thon cig / bzhi ba ma mo (mkha’ ’gro’i) rgya / lnga ba chos skyongs [skyong] bsrungs [srung] ma’i rgya / drug pa (rnal ’byor) bdag gis [gi] rgya / bdun pa sna [rnam ?] smin las kyis [kyi] rgya / brgyad pa yon dag [bdag] bdag gi rgya //
7.
, « Préparation », titre abrégé de , soit probablement « Le clair miroir, préparatifs techniques (pour le rituel) »
Tib. : ’Phyag (phyag)-len kra-khri (gra-sgrig) len (?) ’sal-pa’i (gsal-ba’i) me-long / Extrait (début) : description du personnage central du .
[1b] btso bo ’phyag mtshan la / mdong pa hal khyi ’dong pa / snga ma sbrul kyi lnga ma / sku ni ri rib steng ’du bzhug pa / zhab (rgya mtsho) sting na skyang / spyir tsug rlung gi chor sten / khrag pa g.yas pa gser kyi chor sten / khrag pa g.yon pa g.yu yi chor sten / dbu la (nyi zla) / g.yas pa khar pa’i khram shing / g.yon pa tshe’i bum pa / rgyab du dpal shos / ste rnams tso bo dang phyag [2a] tshan yin //
ILLUSTRATIONS
Planche I
) de Lama Tsapgyepa.
Planche II
Planche III
) de Ch’ongkor.
Planche IV
Planche V
Planche VI
Dzong.
Planche VII
.
de Ch’ongkor.
Planche VIII
benjamin de la hiérarchie du temple de Ch’ongkor.
ü
de la lignée fondatrice de aîné.
Planche IX
tantriste et médecin du clan Shari Pön-gyü.
nonne de Gara Gompa, originaire de Ch’ongkor.
Planche X
Planche XI
(statue).
(peinture).
Planche XII
Shur-tsen.
Planche XIII
du Dögyap de Ch’ongkor : le personnage central.
du : le sabre les restes de la structure.
Planche XIV
.
Planche XV
de Ch’ongkor jette les projectiles
.
danses autour de la structure et des projectiles .
Planche XVI
le culte de la divinité protectrice Tsen, sur le toit du temple.
Planche XVII
mérites.
Planche XVIII
Planche XIX
: dans un crâne de chien.
: le paquet avec le crâne a été enterré.
Planche XX
) : le
.
Planche XXI
Planche XXII
, les
simultanément, deux modestes rituels de rançon.
Planche XXIII
.
GLOSSAIRE AVEC TRANSLITTÉRATION DES TERMES TIBÉTAINS
Amdo Ang-gya
A-mdo, région tibétaine a-mye, désignation de tantristes au K’am dBang-rgyal, nom propre de personne a-ne, nonne a-ya, prêtre de cultes aux divinités du lieu ’ba’-dar, écharpe de cérémonie ban-btsun, religieux infortune bar-do, état intermédiaire suivant la mort
bon, tradition religieuse tibétaine bon-po, adepte du bu gsum bar-ma, « celui du milieu (parmi) trois
c
Ch’akdor
phyag, prosternation phyag-’bum, cent mille prosternations Phyag-rdor, abrév. de Ch’ana Dorje tib. ’cham, danse rituelle
spyan-’dren, invitation gcig-brgyud, « lignée [de transmission à un]
(ou
)
byin-rlabs, byin-gyis-brlabs-pa, skt. bénédiction
,
spyi-pa, intendant à l’ego, ou de la pensée discursive, employé parfois comme exorcisme chos, à la fois religion (skt. ), tradition
religieux de qualité chos-rgyal, skt.
, « roi selon la
transmission de maître à disciple -mkhan, entraînement à la lecture des textes chos mkhas-pa, expert en religion chos-skyong, protecteur de la doctrine chos mi-shes-mkhan, lit. « non-connaisseur du religieux de qualité chos shes-mkhan, lit. « connaisseur du religieux (substantif)
Ch’öje
cho-ga, rituel Chos-rje, désignation de l’aristocratie religieuse bhoutanaise
Chomdende
autel domestique phyogs-’dra, mchog-’dra (?), comme, semblable lcags-phur, dague rituelle en fer bCom-ldan-’das, Conquérant supramondain,
Ch’ongkor Ch’ongkora
Chos-’khor, village Chos-’khor-ba, habitant de Ch’ongkor mchod-pa’i zhing-thog, lit. « (part de la) récolte
cadet phyugs-sri, chung-sri,
des troupeaux des enfants
dgra, ennemi dgra-bgegs, ennemis-obstacles Tibet méridional rythmique du tambour skt., Drag-skul, drag-las, activité rituelle violente drag-po, skt. , terrible, violent drag-pa, de qualité supérieure gral, rangée grwa-log, ex-moine, moine ayant rendu ses vœux bsgral-ba’i zhing-chog, « rituel [visant] le champ dar-ma, homme d’âge mûr dar-sna, rubans des cinq couleurs bouddhiques da-ru, petit tambour rituel à deux faces (tib.
)
grwa-pa, moine ’dre, démon bzlas-mkhan, réciter (des mantras) de façon répétée bDen-bdar,
Derge
sDe-dge, royaume du Tibet oriental skt, doctrine bouddhique ; sdig-pa, péché rémunération pour l’abattage d’un animal
dril-bu, clochette rituelle ’dril-ba, envelopper dri-ma, odeur, crasse drin-chen, de grande bonté Ding-ri, lieu au Tibet méridional grib, pollution
Ding-ri
mdos, type d’exorcisme ; dispositif au centre d’un exorcisme mdos-rgyab, lit. « jet du sgrog-mkhan, lire, énoncer (à haute voix) dog-pa, écheveau de laine zlog-pa, repoussement (de démons) zlog-stobs-che, puissant pour repousser [l’infortune] sgrol(-ba), libérer Dol-po, région du nord-est du Népal Dol-po, tib. Dol-po-pa, habitant du Dolpo
Dolpo Dol(p)o
sGrol-ma mtshan-don, « récitation nocturne de grong-pa, maison dong-dong, creux de terrain rdo-rje, skt. ; Dorje : nom propre de personne rdo-rje rgya-gram, croix de rdo-rje dkyil-dkrungs, position en tailleur
-
skt. Vajrabhairava Dorje-sempa
rDo-rje sems-dpa’, skt. Vajrasattva mDos-bzhengs, bdud, démon sdud, p. bsdus, réunir dus-sri, du temps dug, copule constative Dug-rdzas-kyi cho-ga,
ünlek
Dülwa
’Brug-pa kun-legs, saint skt. Vinaya, discipline monastique
’dul-ba’i grwa-tshang, « communauté religieuse héréditaire de haut statut (s)grub-chen, grub-thob chen-po, skt. , grand adepte tantrique réalisé sgrub-mkhan, produire, réaliser grub-pa, adepte tantrique sgrub-thabs, grub-thob, skt. , adepte tantrique réalisé Dzabling Dzar-Dzong Yü
’Dzam-gling, nom propre de personne mdzo, croisement du bœuf et du yak
Dzokchen Ati Sapdön du sens profond de l’Ati[yoga] ou Grande Dzong Dzongba
rDzong, village rDzong-pa, habitant de Dzong
e em-chi, médecin dga’, bon mgar-ba, forgeron, membre de la strate inférieure bgegs-gtor, gâteau rituel pour les dge-slong, moine pleinement ordonné
Gesar Giling
sger-gyi, privé Ge-sar, héros de l’épopée dge-tshul, novice dGe-gling, village gos-dkar lcang-lo-can, « doté d’un vêtement blanc
Golok
mGo-log, région du Tibet oriental
Gombo Ch’ak Nyiwa
mGon-po phyag gnyis-pa, « Seigneur à deux
Gombo Ch’ak Shiwa
mGon-po phyag bzhi-ba, « Seigneur à quatre
Gombo Takshön
mGon-po sTag-zhon, « Seigneur chevauchant un sgom-chen, ermite temple
Gungtang
mgon-khang, chapelle des protecteurs go-’phang, état, ou niveau, de bouddha gu(l)-gul, encens tiré du ’gugs-mkhan, faire venir Gung-thang
Guru Ts’en-gye
courant de Padmasambhava Gu-ru mtshan-brgyad, « Maître aux huit
Gya(m)tso
assistant dans un rituel d’exorcisme rGya-mtsho, nom propre de personne rgyab-mkhan, (avec ou ) appliquer pour frapper brgya-rtsa, centaine rgyas btab, sceller brgyad-’cham, « danses religieuses du
Gyeltang , tib.
rGyal-thang, région du sud du K’am dge-ba, action vertueuse ; rituels de clôture des funérailles rgyud, skt. tantra (b)rgyud-pa, clan, lignée ; strate la perpétuation de la lignée ha-la tshu-la, dans un sens et dans l’autre
Hevajra
skt, skt,
skt, sri, type de démon sri lang-mkhan, le fait que des démons sri-bcag, lit. « rompre (la suite d’agressions des) démons sri-bzlog, rituel de « repoussement des démons
( Hritar
)
tib. sri-gnon, exorcisme d’« écrasement des démons Sri-rabs thod-rabs, hri Srid-thar, nom propre de personne srol, tradition srung-ma, divinité protectrice hung-khung, enceinte rituelle triangulaire
Jakpa Melen
’Jag-pa me-len
Jangter
Byang-gter, Trésors du nord ou une parcelle de champ à un rituel) byad-bzlog, repoussement de la sorcellerie byad-ka, (rituel de) sorcellerie byad-ka ’jug-mkhan, exécuter un rituel de sorcellerie ), monde phénoménal d’un prêtre
, tib. *
skt. jo-mo, nonne touche de beurre faste
Jyekundo
sKye-rgu-mdo, région du nord du K’am kha, bouche ; face
(tib), Kag
bKag, nép. Kagbeni
K’am
secondaire Khams, province orientale
K’ampa K’amsung
Khams-pa, habitant ou personne originaire du K’am Khams-gsum, nom propre de personne skam-gtad, « mkha’-’gro, skt. , divinités tantriques féminines mkha’-’gro’i dbang, « pouvoir des collectives bskang-gso, lit. « (rituel qui) satisfait (la divinité
Kangyur
contentement des divinités tutélaires bKa’-’gyur, grande collection de textes canoniques en pâte
Karma-Kagyü
Karma bka’-brgyud, sous-ordre de l’ordre Kagyü kha-btags, écharpe de cérémonie mkhas-grub, érudit et adepte tantrique réalisé
K’enchen
appendice ou extension rituelle) mkhan-po, abbé mKhan-chen, Grand abbé mkhas-pa, érudit
K’ön kong-sor
sked-rags, ceinture P’urwa ’Khon, famille à la tête de l’ordre Sakya de contentement skong-zor, « projectile
Korchung
dkon-gnyer, gardien du temple skor, cycle rituel dKar-chung, nom propre de personne
Krodha
Kunchok Chindü Kunchok Kunchok Sum Künsang Kü (tib.
’khor-ba, skt. transmigration skt, Shinjeshe-nak réincarnation skul, exhortation dKon-mchog spyi-’dus, « Union de tous les dKon-mchog, les Joyaux, les Êtres suprêmes dKon-mchog gsum, les Trois Joyaux (Bouddha, , ) Kun-bzang, nom propre de personne
’khyams-(?), vagabond
Kyedor
kye, interjection Kye rdor (ou rdo-rje), skt. Hevajra skyes-pa, réincarnation
Kyirong
khyim-pa-mo, maîtresse de maison sKyid-(g)rong, région du Tibet méridional tib. skyid-po, agréable, facile ; ne demandant khyog-thong, jeune homme
lag-len, assistant des intendants bla-ma, maître Lamchö Nyi
Bla-mchod gnyis, les « Deux [communautés] de bla-ma’i rnal-’byor, skt. centrée sur le maître
, méditation
transmission lam ’byor-mkhan, trouver la voie [de la réincarnation] lab, parler, dialecte lha, divinité, dieu domestique propitiatoire aux divinités lha-mchod, culte de la divinité domestique lha-pa, médium lha-bon, prêtre de tradition orale, chargé du culte de divinités du lieu lha-bon / lha-dpon (?), prêtre chargé du culte de la divinité domestique ling-ga, du skt. Glo, nép. Mustangbhot
Lo
rlon-gtad, « , tib. Lowa
de transmission de maître à disciple bla-(b)rgyud, lignée de maîtres bla-rtags, signe du la Glo-ba, habitant du Lo slob-dpon, enseignant klu, divinité du sous-sol
lü lü Lubra Lubrakpa
centre d’un exorcisme glud bskyal-mkhan, « emporter le (ou porteur du) lü glud dbyug-mkhan, « jeter le (ou jeteur du) lü Klu-brag, village Klu-brag-pa, habitant de Lubra lung, autorisation de lecture lung-pa, village ; GÉN. : lung-pa’i, villageois, communautaire
, tib. ou
préserve des revers ou infortunes lung-bstan, révélation aux lu
dmag-bzlog, « [rituel de] repoussement de la ma-mo, catégorie de divinités féminines de bas rang
Jampel Shinje(she)
Mebel Membar
smad, bas Me-dbal, grande divinité courroucée Me-’bar
de la strate inférieure
mo, divination mo-lha, divinité maternelle Montang
sMon-thang, capitale du Lo
nag-po, noir gnam ’bebs-mkhan, faire pleuvoir gnam-lcags, fer météorique gnam bcad-mkhan, lit. « couper, interrompre les Dalai Lama rnam-shes, principe conscient rnam-rtog, idée négative Nar
sNar, région du nord du Népal funéraire na-rag dong sprug, lit. « secouer les trous de
gnas, lieu mnan-bsregs-’phangs gsum, « écraser, brûler, sngags, mantra ; versant des tantras (par opposition à do) sNgags-bum rdo-rje go-khrab, sNgags-bum brgya-rtsa, sngags-pa, tantriste sngags-pa’i grwa-tshang, « communauté religieuse Ngapta, tib. Ngadak
sngags-gral, rangée des tantristes mNga’-bdag, clan du Nubri mnga’-zhabs
Ngor
dngos-grub, skt. , réalisation sngon-’gro, pratiques préliminaires Ngor, sous-ordre de l’ordre Sakya du sous-ordre Ngor
Ngor-chen (« le Grand de du sous-ordre Ngor
Nubri
Nyemo
dngos-gzhi, pratique tantrique (basée sur le ) gnon, écraser nor, dégénérer Nub-ri, région du nord du Népal nus-pa, pouvoir rituel, force nyams, décliner nyams-len, pratique (religieuse) sNye-mo, région du Tibet central une divinité tutélaire)
Nyilda
Nyi-zla, nom propre féminin
Nyima
Nyi-ma, nom propre de personne snying-rje, compassion
Nyingma de l’Ancienne traduction des tantras) rnying-ma-pa nyon-mongs, skt. , émotions perturbatrices smyung-gnas, pratique de jeûne yod-mkhan, avoir, détenir ’og, bas (ou
au Ladakh) tantriste (dans le cas du Ladakh, souvent avec un dbon-po’i lha-khang, « le temple des
Ön-chen Nup (« le Grand Sang-gye Yeshe
dBon-chen gNubs Sangs-rgyas ye-shes, disciple important de Padmasambhava
p sous le nom de Guru Rimpoche pha-tshan, « classe (de descendants en ligne)
Panjor P’elak Pel-kyi Dorje Pema
Pemba Pembar
dPal-’byor, nom propre de personne dpe-srol, dicton village dPal-gyi rdo-rje, religieux assassin du roi Langdarma Padma, nom propre de personne Padma bka’-thang, Histoire des existences de Padmasambhava Padma thang-yig, Histoire des existences de Padmasambhava sPen-pa, nom propre de personne dPal-’bar, nom propre de personne
/ retraite consacrée à l’étude dpon-po, seigneur spod-pa, ermite ; vœu ’pho-ba, rituel d’éjection du principe conscient tib. ou
phur-pa (ou phur-bu), dague rituelle, pieu
Rime
rab-byung, moine Rab-rgyas, nom propre de personne skt., ras-pa, pratiquant vêtu d’une simple cotonnade Reb-kong, district en Amdo rim-gro, rituel Ris-med, mouvement œcuménique
Rirap
Ri-rab, mont Sumeru
Rapgye Repkong
(tib.
)
rol-po, adjoint du chef de village, édile rong-chos, lit. « le (nép), et l’hindouisme rab-byung, moine rus-pa, os
sa-bdag, divinité maître du sol transmission skt, central / ordre bouddhique hiérarque à la tête de l’ordre Sakya Samar
Sa-dmar, village
sa-sgo gnam-sgo, « porte de la terre, porte du Samling
(tib.) Sangbo / Sang-ngak Dorje T’ekpa
bSam-gling, communauté religieuse du Dolpo gsar-pa, nouveau skt, bzang-ba, bon, puissant bzang-po, bon bZang-po, nom propre de personne bzang-drag, extrêmement / puissant sangs-rgyas-mkhan, parvenir à l’Éveil en pâte gSang-sngags rdo-rje theg-pa, lit. « Voie tantrique
Seng-ge
se-skad, « langue sems-bskyed, développement de l’esprit d’éveil Seng-ge, nom propre de personne ser-ba srung-mkhan, protéger contre la grêle ser-khyim-pa, religieux non monastique, souvent de statut socioreligieux modeste
Serta
nép. gSer-thang (partie de la région du Golok) de nourriture
Shangpa Shangshung Nyen-gyü
zhang-lha, divinité [de] l’oncle maternel zhang-blon, ministres-oncles-maternels Shang-pa, nom d’un maître Zhang-zhung snyan-brgyud, « Transmission par
Shari Pön-gyü
de Grande Perfection zhabs-phyi, assistant zhabs-brtan, rituel (?) dpon-(b)rgyud, « Lignée noble (ou Lignée de gshed, démon associé à la mort gshed-bzlog, rituel de « repoussement
démons
des
d’augmentation, de soumission et rituels terribles zhing-khams, paradis
d’un groupe de cent divinités zhi-ba, paisible ; Shiwa : nom de divinité ou Shöyü Shu
Zhu, clan de religieux
Simkang
long ornement de tête cérémoniel des femmes gzhung, texte principal d’un rituel ou cycle rituel gzhung-tshogs, rituel des multitudes associé à un texte principal gZims-khang, Résidence srog, force vitale srog-lha, divinité de la force vitale
Sombrang Sonam
Sum-phrang, lieu au Bhoutan central bSod-nams, nom propre de personne bsod-nams-che, de grand mérite gson-rkang, « (trompe-fémur) zor, projectile rituel à fonction destructive
Zor-lam dpang-btsugs, « Prise à témoin [des divinités, en rapport avec] la voie des projectiles propitiatoire zug, frapper (pour certaines formes d’infortune) Sungdü Sur
gZungs-’dus, « Collection de Zur, nom de clan Gra-sgrig, rtags-pa gzigs-mkhan, consulter les auspices courroucée de bouddha, skt.
,
gtam-(?), remplissage à plein
*
sabre gtad, rituel de sorcellerie gtad ’jug-mkhan, exécuter un rituel de sorcellerie gtad-bzlog, repoussement de la sorcellerie rten-’brel, cérémonie (ou geste ritualisé) faste ; signe, notamment faste ; « lien de production (registre doctrinal)
Tendzin Tenma Chu-nyi
bsTan-’dzin, nom propre de personne brTan-ma bcu-gnyis, douze divinités du lieu tibétaines bstan-pa’i dgra, ennemi de la doctrine
, tib.
khri, trône khrid, instructions ’phrin-las, activité rtogs-ldan-pa, lit. « doté de compréhension corps d’un défunt rtogs-pa, compréhension supérieure gto nag(-po) mgo-gsum, « (exorcisme)
(du)
stong, se vider thob-yig, liste des enseignements reçus gtor, perdre gtor-ma, gâteau rituel
-
khro-bo, skt. Courroucé(s), nom générique d’un ensemble de grandes divinités dans leur manifestation terrible rtsa-ba-che, saint, précieux rtsa-ba-che-drag, extrêmement / saint mtshams-ston, « fête (d’accomplissement) de la
Tsapgyepa
(employé au Sikkim) btsan-po, violent, puissant rTsa-brgyad-pa (?), nom du fondateur de Ch’ongkor principal d’un individu tshe, longévité mtshe,
Ts’ering
Ts’ok-nyi
tshad-med, extrêmement Tshe-ring, nom propre de personne tshe-dbang, consécration de longévité ; Ts’ewang : nom propre de personne multitudes Tshogs-gnyis, nom d’un maître religieux
Ts’ü btsun-mo, nonne mthu, pouvoir de destruction mthu sgrub-mkhan, mettre en œuvre un pouvoir de destruction mthu-snod, récipient à sorcellerie mthu-gtad, pratique de sorcellerie phrug, jeune enfant thun-rwa, corne à substances magiques dbu, Tête dbu-chos-rim ’u-lag (origine : le turc ulak), messager ; souscatégorie de la strate des « gens du
rituel U-rgyan pad-zhwa, « chapeau de Padma
Vajrabhairava Vajrasattva Vinaya
-
skt, skt, skt, skt, skt, skt,
Dorje Jikche (Dorje-)P’urwa Ch’ana Dorje Dorje-sempa Dülwa
dbang, initiation, consécration dbang-skur, (conférer une) consécration ou consécration dbang-drag-gi zas, « aliment de soumission et de dbang-thang, puissance dbang-thang-che, de grande puissance wa-zur, lettre w en position souscrite
Ya-ngel
g.yang, prospérité g.yang-’gugs, rituel d’appel de la prospérité Ya(ng)-ngal, clan fondateur de Lubra dbyar-gnas, retraite monastique estivale yar spar-mkhan, envoyer vers le haut fête et rituel collectif du Baragaon yang-tig, véritable
Yolmo
yi-dam, divinité tutélaire ; gâteau rituel associé à une divinité tutélaire g.yog-po, serviteur Yol-mo, région du nord du Népal dbyugs, abandonner
Yü yul-sa, divinité du lieu Yu-tso
courant du g.Yu-mtsho, nom propre féminin
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L. A. WADDELL, 1971 (18941). G. WALLIS, , New York, Modern J. C. WATKINS, , New York, Columbia University Press, 1996. , Berkeley, M. WEBER, University of California Press, 1978 (19221). , t. 2, Tübingen, J. C. B. Mohr M. WEBER, 1 ). M. WEBER, , Paris, Plon (Pocket), 1995 (19221). WHITE (éd.), , Princeton, D. G. WHITE T. ZHABS-DRUNG – DANG Y.,
( ).
1
INDEX
A abattage d’un animal [ abbé de Dzar abbé de Montang accumulation action vertueuse [ aussi cérémonie de clôture des funérailles (sous rituel, types de —)] activité religieuse [ 198, 212, 285, 292 286 [ activité rituelle [ aussi orientations de l’activité rituelle] – organisation socioéconomique de l [ [ âge : agriculture, cycle agricole aînesse [ aussi cadet] aire culturelle tibétaine / monde tibétain – périphérie tibétaine [ aussi Tibet]
288 51, 52, 75, 261, 288
alcool, boisson alcoolisée
alimentation alliance [ aussi mariage] altruisme Amdo âme (la) anthropologie du bouddhisme apprentissage arme (en contexte religieux)
[ aussi dague rituelle] artisans (du Baragaon) : sous strate sociale artisans d’origine indo-népalaise : forgeron ascèse, ascète Assam Assayag
25
association de pratique religieuse astrologie augures, auspices (tib. Aziz
B Baragaon bénédiction ( bétail
élevage
)
68, 251, 285
16, 61, 87-88, 148, 292 (n. 25)
beurre Beyer Bhoutan alcool / boisson alcoolisée bière Birmanie / Myanmar Blacker blanc : sous couleurs Bloch
62, 147, 291
252
17, 47-48 – relations entre bouddhisme et bön / [ aussi sous prêtre] Boord bordure tibétaine périphérie tibétaine (sous aire culturelle tibétaine) bouche : commensalité Bouddha, bouddhas bouddhisation : bouddhisme
227
sous contacts religieux
276 (n. 44)
– b. tantrique de haut niveau [ aussi sous tantrisme] – b. thakali
255-256 14, 222, 241 (n. 48) 67
261 – relations entre 266 (n. 7) [ 127, 154-155, 246
Bourdieu brahmane Brown
C cadet Cantwell caste 276 (n. 44) célibat 272 [ cénobitisme centralisation politique centralisation religieuse cérémonie festivité / cérémonie chamane, chamanisme
58, 87 62
269 [ aussi médium] champ religieux champ religieux complexe (sous religion) changement
[ rituel (sous rituel, dimensions du instauration d’un rituel (sous rituel, dimensions du contacts religieux] chants et danses de laïcs chapelet Ch’arka Nakpo chef de village cheveux – ch. de moine ou nonne
Childs Ch’imik-Gyartsa :
64, 211
: (modalités de ) (pratique de « sectionnement ») [chos] [ aussi religion] Ch’öde Sum : : Ch’ongkor – fondation de – relations entre [ – relations entre – relations entre – similitudes et contrastes entre [ [chos-pa] : Ch’öpa Sampa
religieux 114, 216
Christian christianisme Cinq capitales [ aussi sous ngashap] circumambulation clan 154 – c. noble dominant du Baragaon [
45, 47, 71, 79
commensalité commerce
[ changement] communauté [
aussi sous village] religieuse
compétence religieuse : religieux
55
condisciple
[ consécration ( consécration ( , skt. [ aussi sous initiation]
)
141
contacts [
contacts religieux [ ouverture du versant tantrique (sous tantrisme / courant tantrique)] – c. avec des religieux de passage 165, 244 – liens entre communautés ou lignées
[ contrôle des précipitations (pluie, grêle...), [ conversion, missionarisation (bouddhique, corps [ cosmologie couleurs
)
47-48, 59, 125, 159 (n. 9), 165,
culte [ (sous rituel, types de
(ts’echu) – c. des divinités du lieu, des divinités
129, 197, 198, 281 284
cycle agricole agriculture cycle tantrique (
D dague rituelle
(tib.
, 186, 229
Dalai Lama Dangkar-dzong danse de laïcs danse rituelle
Dasain / [ déclin – discours de démographie démon 245-246, 256 211 [
[
aussi sous écrasement]
[
aussi (sous rituel, types de
: dialecte : Ding-ri
) rituel de
sous langue 15, 16, 61, 87-88, 148, 288,
discipline monastique [ aussi sous vœux] divination divinité [ – d. domestique / d. protectrice associée à la
255, 256
[ tutélaire (yidam)]
168, 175, 188, 215, 256, 274 divinité tutélaire (
[
aussi Padmasambhava] 158, 159, 161, 162, 164, 168,
[ – rituel de type [ aussi Dögyap] – structure / dispositif [ aussi porteur de dispositif dö ou lü (sous assistant)] Dögyap – D. de Ch’ongkor (voire le Dögyap comme
– Ngashap Dollfus 88 Dolpo domaine mondain ( [ aussi orientation mondaine / supramondaine (sous rituel, types de )] – tension entre vie mondaine et aspirations religieuses
78, 115, 265
don Dreyfus dualité du moine et du tantriste – chevauchement dans l’activité religieuse
276 69
264, 265, 267-269, 288 118, 119, 148-149, 154, 159-
59 61 Dumont 144, 146, 148, 154 [
aussi lignée héréditaire]
/ [ tantristes (sous tantriste)] Dzabling de Ch’ongkor Dzar Dzar-Dzong Dzokchen Dzong [
288-289
E écharpe de cérémonie école sous scolarisation économie monétaire [ écrasement
[ aussi sous péché] – symbolisme de l écriture [
aussi sous texte religieux]
éducation religieuse des laïcs [ aussi sous formation religieuse] : sous rituel (dimensions du
[ égalitarisme : élevage, bétail
191, 227 127-128 )
sous hiérarchie
élite religieuse 186, 252, 267 58, 96, 97, 128, 178, 187 (n. 87),
enfant ( [
) / agression
aussi protecteur de la doctrine (sous
enseignement religieux (en tant qu’activité) [
67, 69, 71, 72, 128, 129, 218
ermite 292 (n. 27) secret / ésotérique ésotérique espace, structure de l’espace
État Népal éthique 241, 246, 272 [ aussi morale / ordre moral] ethnicité, ethnie : sous identité exégèse rituelle : sous rituel (dimensions du exil tibétain [ aussi réfugiés tibétains] exode : migration exorcisme
)
171, 176, 188, 191-192, 196, 247-255, 256, 259-261, 274, 277 [
[ – e. domestique / privé – spécialistes de l
176, 247
( du Noir aux trois têtes » ( expulsion
F faste / néfaste 171, 178, 179, 187, 188, 229, 276 [ Faubion femme – place de la comme spécialiste religieuse 17, 69, 197 (n. 127) [ aussi sous activité religieuse] festivité / cérémonie dépourvue de forte composante [ – f. directe / indirecte – groupe de
89, 118119, 145, 154, 264, 276 149, 265
[ foi, dévotion fondation d’institution monastique, de temple [ forgeron ( , nép. formation religieuse
47-48, 194
67, 154
[ scolarisation] Freeman Fürer-Haimendorf
11 (n. 8)
G gardien du temple gâteau rituel (
– gâteau du repoussement (doktor) Geertz Gellner Geluk gens du commun [ aussi ulak] géographie sacrée géomancie Goody Grande et Petite Traditions [ aussi sous local / global] grêle : contrôle des précipitations Gungtang Guru Rimpoche : Padmasambhava Gurung
186
69, 164-165
sous exorcisme 78-79, 81, 116, 146 [
H habillement, vêtements
Hardacre Hayashi Helambu : Yolmo Herrenschmidt héritage hiérarchie – égalitarisme – h. des fonctions dans une communauté religieuse
81, 92, 114 94-95
Himalaya 62, 75, 88, 127, 268, 288, 291292 hindouisme [ aussi sous tantrisme] histoire locale Hocart
219, 257-258, 259 :
divinité protectrice : sous écrasement Humphrey et Laidlaw
25
I iconographie identité [
aussi tibétanité] 261, 275, 277
– références identitaires de la communauté 277 impôt [ aussi sous activité rituelle] Inde indexicalité / canonicité
infortune
[ (sous rituel, types de initiation
[
)] 91, 141
aussi sous enseignement religieux]
[ aussi lignée héréditaire et qualités religieuses] intendant d’un rituel collectif interdit [ aussi sous vœux] isolement religieux [
24, 26, 29, 67, 68, 74, 75, 145,
aussi sous contacts religieux]
J Jambeyang : Jampel Nakpo Jampel Shinje : Jangter Japon
sous retraites du cycle de Ch’ongkor
[ aussi sous activité rituelle] jeûne ( : sous rituel (types de ) Jomsom Jowo Shar-tsen
K Kag Ka-gye Kagyü [ Kali Gandaki
59, 61 62
K’am 291 51, 52
K’ampa :
trompe en os de fémur
: propitiation (sous rituel, types de Kapferer karma
) 249
Karma-Kagyü Kathmandu
Kerala Klass K’ön (clan à la tête de l’ordre Sakya) (tib. Kunchok Chindü Kunga Rapten Ky’inga Kyirong
59
)
269 16-17, 148, 149, 222 285
47, 79 59
L Ladakh 68 [ succession] – usage de lama comme terme pour désigner de Ch’ongkor 228, 286 – Lama Kolu (Panjor Gyamtso)
Langdarma langue – dialecte du Baragaon
Leach lecture – apprentissage / maîtrise de la
244 118, 151, 152
46-47
19 166, 179
[ aussi rituel de lecture (ou récitation) de textes religieux]
légitimité Lévi-Strauss Levine Lewis, G Lewis, T : sous culte Lhasa – (tib.
85 (n. 15), 88, 195-196 49, 88
) prêtre du culte des divinités sous prêtre
– (tib. sous prêtre libération / salut, sotériologie [ rituelle] Lienhardt lieu / perception du lieu géomancie lieu saint lignée – l. de réincarnation [
146, 147, 148 146, 151, 152, 154, 218, 281
lignée héréditaire (agnatique) lignée héréditaire
154, 245 (n. 55), 264, 265, 289 155, 276 [ livre : Lo
texte
[ local/global (société locale / ensembles culturels 25, 69, 75, 145, 151, 152, 166, 192 :
enseignant
:
divinités souterraines et aquatiques
– rituel de [ aussi exorcisme] au sens propre (rituel de rançon) – rituel de – structure / dispositif [ aussi porteur de dispositif dö ou lü (sous assistant)] Lubra – fondation de [
169, 176
(tib. Lurim
M magie sous bouddhisme maison
82, 85
– m. secondaire (k’aldura) – m. secondaire des moines et/ou nonnes – maître de
281 85-87 87, 129, 176 116, 118, 199, 264, 271-272,
maître (religieux)
14 (n. 17), 16, 68, 69
[ contacts religieux] – grand [ Sakya Gongma Rimpoche] – m. au sens de la fonction de direction d’une – relation de
à disciple
[ aussi lignée de transmission] ) maître de discipline ( maître du rituel ( maladie [ aussi rituel thérapeutique (sous rituel, types de
67, 69, 71, 74, 129, 146, 147, 152, 248 94, 95
– texte Mandelbaum Mani (mantra )
(Mamö ch’am-she)
, skt. 49, 127-128, 174-175, 198, 212, 218, 285
(tib.
tutélaire de Ch’ongkor,
aussi sous divinité
mantra
– usage des mantras contre les maux dus à [ aussi Mani] mariage [ Marriott matérialité
164
[ aussi objet rituel (sous rituel, dimensions du Mauss Mayer médecin ( méditation
255
276, 291, 266, 267, 269, 291 – état méditatif se prolongeant entre l’arrêt de médium 252, 259, 268 [ aussi chamanisme] mérite(s) ( 266, 271, 276, 277 méthodologie [ aussi relations avec les ethnologues] migration
Milarepa Mills missionarisation moine
19, 115, 118
– ex-moine – m. de Ch’ongkor – m. en tant que religieux bouddhique par
17, 58, 61-62, 176 55, 87, 96, 97, 199
– m. pleinement ordonné (gelong) – titre Soma [
72 (n. 84), 115 72
vœux] monachisme [ – essor monastique [ aussi sous changement] – soutien économique du [
55-56, 211
monastère (de moines) [ – m. de Lo Montang – m. de Tsarang monastère de nonnes
72 72 58-59
– Gompa Dongdong
59, 71
monastère tibétain 166, 189 Montang : sous Lo morale / ordre moral [ mort [
12, 115, 196, 212, 214, 215,
aussi éthique] aussi rituel funéraire] 14
– vallée de M. : Dzar-Dzong musique rituelle : sous rituel (dimensions du
)
Mustang [au sens des unités administratives Lo] – district du
29
mythe / légende 225, 246
N Nar
74 8, 74, 162, 171
Narak Needham néfaste : faste / néfaste
257-258
[ aussi rituel de destruction violente (sous rituel, types de )] Népal [ aussi sous contacts] Ngadak (clan)
[
aussi tantriste]
[
aussi shanak]
– spécialiste des mantras
147
15, 211, 218
Ngakpa Ts’ering sous de Ch’ongkor : rangée des tantristes [ aussi sous temple] 45 46, 79, 111, 112 [ Ngor noblesse noir : sous couleurs nom, surnom nonne – n. de Ch’ongkor
87, 96, 97
[ Nouvel An
198, 286
novice Nubri Nup Sang-gye Yeshe Nyemo Nyilda de Ch’ongkor Nyingma
74, 147
49, 81-82
– tantristes et tradition Nyishang
O spécialistes religieux 54, 89, 94-95, 96, 97, 98, 117, [
/ ordre religieux [ – organisation en réseau d’un
58
organisation 198-199 [ – o. sociale [ – o. socioéconomique des rituels : sous activité religieuse orientations de l’activité rituelle – orientation de rapprochement ou fusion [ aussi vision] – orientation expressive / communicative
79, 85, 87, 118, 264
174 174 265-266
[ aussi orientation mondaine / supramondaine (sous religion)] orthodoxie, orthopraxie 149
Ortner os [
P Padmasambhava [ aussi sous divinité tutélaire] – Le Maître aux huit manifestations (Guru Ts’en-gye) Pag-ling : gens du commun panthéon parenté [
158, 161 154
147-148, 177, 272
Parry Paten patronage [ aussi sous spécialistes religieux] – continuité / changement dans une relation [
aussi sous succession]
118, 177, 179, 188, 192, 226, – répartition du – répartition du
parmi les principaux
– répartition du patronage (types de relation de – relation de
)
instituée, centrée sur le culte de
paysage (perception du péché (
) 265, 277
[
aussi association du tantriste au péché
– rituel d’écrasement des démons hri et P’elak
79
pélerinage
Penor Rimpoche pièce à autel domestique ( place occupée dans une rangée : sous rangée pluie : contrôle des précipitations Pokhara : divinité domestique politique (ordre — / organisation —) [ pollution
212
45-46
271 (n. 25), 272 [ pouvoir (au sens sociopolitique) pouvoir religieux 215 276 [ association du tantriste au pouvoir rituel (sous – acquisition de [ l’activité rituelle] 44, 196, 217, 222, 224, 225, [
aussi sous éthique]
sous repoussement – qualité d’un religieux et pouvoir religieux (modalités de ) – manifestation extraordinaire de
possession [ aussi médium] pratiques préliminaires ( [ aussi sous retraites du cycle de Ch’ongkor]
142, 219-221, 241
prêtre – p. du culte des divinités du lieu
[ aussi sous patronage (types de relation de – religieux de la lignée / maison fondatrice [ prêtrise prière ( , procréation, reproduction propitiation ) (sous rituel, types de prosternation puissance ( , attribut de la personne) Purang pureté [
) 228, 229, 258
245, 246, 256, 265-266, 271272, 275 aussi pollution] 266 (n. 6)
P’urmu-luk
R Ramble
18, 42, 47, 48, 77, 78, 79, 88, 91,
rangée (place occupée dans une
lors
rangée des tantristes ( – entrée dans la Rani Powa Rappaport « rapprochement » (
) avec une divinité
[ aussi retraite tantrique] Reader et Tanabe
174
(
, skt.
, fruit (
, processus
recrutement, gain / perte de membres (pour une communauté religieuse) – crise du
[
aussi sous maison (maître de
)] 24, 164-165
réfugiés tibétains [ aussi exil tibétain] réincarnation – r. ordinaire (kyewa) religieux (au sens de : spécialiste religieux ou du ) du bouddhisme [ aussi spécialistes religieux] (ch’öpa) et de l’homme du – dualité du
128, 147-148 15 (n. 19), 92
– nombre de – prestige de
259 religion / le religieux [
26
agression et protection de la doctrine] – champ religieux complexe (pluralité de
[ – orientation mondaine / supramondaine [ aussi sous libération] [ aussi sous mondain] – r. et politique
77, 175
47, 62, 87, 114, 174, 189, 215-
142, 145, 149, 165, 166 12, 21, 77 78, 114-115, 118,
renoncement, renonçants [ aussi sous monde] répétition de pratiques religieuses repoussement des maux (
accumulation
– r. des démons she (shendok) reproduction procréation résidence retraite – claustration dans la – épreuve physique dans la
169
[ retraites du cycle de Ch’ongkor [ 142, 168, 256, 281 256 147
Rime [ aussi sous ordre religieux] ritualisme rituel (dimensions du ) [ religieux] – abandon de , ou d’une composante d’un assistant , d’une
– dimension textuelle du 188, 194, 195-196, 216, 218,
– geste dans le – ingrédient
98, 178, 179, 181, 182, 184-188, 228, 229, 269
– instauration d’un 114, 117, 172, 198, 199, 211, 285 [ – objet [ – redondance rituelle – séquence / cycle des rituels périodiques
188, 195, 197
– structure du champ – structure / séquence d’un 226 [ aussi sous accumulation / répétition de pratiques religieuses] rituel (types de ) [
– dualité des rituels centrés sur la performance /
sous orientations de l’activité rituelle [
aussi K’egong]
[
aussi sous consécration] lü
246, 256, 274 [ 255 (n. 97) sous orientations de l’activité rituelle
– r. tantrique
64-66, 171-172, 212, 218, 256,
[ 258 167-172, 178, 179, 196, 199, [ (sous rituel, type de (sous rituel, type de sous violence] rituel collectif – dualité rituel collectif / rituel privé – participation à [ – r. c. du temple, à Lubra rituel de lecture
98, 172, 282
199 111, 171, 198, 211, 212
– lecture du Domang (Sungdü)
176-177
rituel funéraire
[ relation de )] roi / reine / royauté [ aussi sous patronage] Rolö Yartung Rorum : sous retraites du cycle de Ch’ongkor rouge : sous couleurs Rudra : : sous initiation
S 275 [ 14, 65 (n. 71) [ sainteté Sakya Sakya Gongma Rimpoche : sous Sakya Gongma Rimpoche salut libération Samar
219-221, 259 54-55, 144, 145, 225
45 115, 184
Samuel 266-268, 269 savoir religieux scolarisation secret / occulte / ésotérique 257, 271 (n. 25), 275 sous ordre religieux sectarisme sécularisation [ aussi sous spécialistes religieux] : sous langue Serta Rimpoche sous rituel (dimensions du services rituels sexualité et courant tantrique
54, 211
15, 16, 288 67, 74 )
Shangpa Rimpoche (actuel ou précédent) Shapkar
222 61, 84, 142
Shari Pön-gyü (clan) [ et sous Ch’ongkor] Sherpa Shö ou Shöyül sous texte religieux Shurtsen , (tib. , Sikkim Simpuk Gelong
59, 74
16, 54, 62, 191-192, 266 (n. 7), 291-292
)
289 (n. 8) 266 (n. 7), 289
Soma : sous moine Soma Sangbo de Dzong sorcellerie (rituel / pratique de 225 – combat de – rejet des pratiques de
274 42, 194, 219, 222, 224-225
sotériologie : de l’activité rituelle souverains du Baragaon [ aussi sous clan] spécialistes religieux [ organisation socioéconomique de l’activité rituelle (sous activité religieuse)] – rétribution de – rétribution de pour service rituel : sous patronage – spécialisation de la fonction religieuse [
89, 95, 211
spectacle / aspect spectaculaire du rituel Sri Lanka statue statut religieux, socioreligieux
249, 275
statut social 274 [ aussi strate sociale] strate sociale [ Strickmann stûpa succession – succession à une fonction religieuse instituée – succession au rôle de prêtre du culte de la
41, 95, 129
sûtra symbolisme
[
T Tamang Tambiah tambour
167, 291
275 [ aussi musique rituelle] tantra tantrisme / courant tantrique 267 [ aussi rituel tantrique (sous rituel, types de – activité tantrique / non tantrique – tantrisme hindou [ aussi hindouisme] tantriste [
64-66, 97 249, 271 12, 15
– association du 111, 119, 157, 178, 189, 197, – association du – association du – cohérence socioreligieuse dans la et genre
17, 264, 292
– t. de population tibéto-birmane de l’Himalaya 167, 291-292 176, 218, 228 [
aussi Shari Pön-gyü]
[
aussi ts’ampa]
244, 289 [ (tib.
) (« fête de l’exemption [des obligations
177
taxation (acte cérémoniel ou signe faste) [ faste / néfaste] temple – t. comme centre d’une communauté de tantristes
44, 46, 98 57, 181
– t. de Lubra [ sous rituel collectif] Ten Dorje de Ch’ongkor Tendzin Repa : Tersar texte [ aussi écriture] – intelligibilité / non-intelligibilité du
199
112 78, 89, 96
59 (n. 59)
186, 192, 276
– relations entre le
et les pratiques et
texte religieux – lecture de t. r. :
sous lecture
Thaïlande Thakali 229 (n. 24) sous bouddhisme Tibet (régions de culture tibétaine inclues dans [ aussi aire culturelle tibétaine] – T. central
tibétanisation : sous contacts tibétanité (perceptions locales de la —) [ aussi sous identité] Tiri (« [exorcisme] du Noir aux trois sous exorcisme : gâteau rituel tourisme tradition
72, 288
46-47, 51
175 tradition religieuse de Ch’ongkor (construction de la [ religieux] transgression 275 transmission religieuse
[ triangle trompe en os de fémur ( [ aussi musique rituelle] [
75, 127,
)
187, 221, 228
71 Ts’ampa Ngawang Ts’ampa Pembar [ Ts’ampa Takla prêtres de Dzar (sous prêtre) : sous divinité Tsapgyepa (Lama )
61, 71, 75, 82, 116 des souverains
[ Ts’ering Hritar de Ch’ongkor : rituel des multitudes (sous rituel, types de Ts’oknam Ts’ok-nyi Rimpoche [ aussi religieux de la lignée / maison fondatrice de Lubra (sous prêtre)] Tucci tuer
) 71 66, 168, 244 185, 264 (n. 4), 292
[ : sous méditation (incarnation reconnue d’un maître) [ aussi sous lignée]
16, 71, 146, 147
Turner
U : sous hiérarchie Ukpaling / Ukpalung 79 :
maître du rituel
V 224 (n. 17) Vajrabhairava (tib. (tib. (tib.
)
39-40, 131 (n. 14), 141, 149,
: sous bouddhisme vérité (énonciation de la ) vêtements : habillement vie / principe vital
181, 188, 196
[ aussi âme (la sous consécration]
village 211, 212 Vinaya : violence
discipline monastique
259, 277 [ rituel, types de violente (sous rituel, types de du tantriste à l’activité rituelle violente (sous tantriste)] – l’exorcisme comme nécessité / comme réponse vision, activité visionnaire visualisation vitalité sous vie vœux
226, 268
[ pleinement ordonné] voyage (notamment à but religieux) [ aussi pélerinage]
W : Weber
22, 91 (n. 28)
Y : Ya-ngel Yangdak Yartung [ aussi Rolö Yartung] : yoga
111-112, 174, 198, 286
288 (tib. Yolmo
Z Zanskar
16, 88, 164
TABLE DES MATIÈRES
Remerciements Conventions d’écriture et de langue Introduction Bouddhisme tibétain et violence rituelle
Structure de l’ouvrage
5 7 9 9
25 Première partie
CHAPITRE I I. Perceptions d’un lieu et d’un espace
29
III. Isolement et contacts religieux
58
IV. Conclusion
75
CHAPITRE II Une prêtrise bouddhique profondément ancrée dans un ordre social II. Organisation interne de la fonction religieuse collective
77 89
III. La prêtrise au Baragaon : pouvoir monastique IV. Être religieux et maître de maison
115
V. Conclusion
118
Deuxième partie
CHAPITRE III Le pouvoir rituel et sa légitimité
127
I. Le parcours de formation des tantristes de Ch’ongkor
127
IV. Conclusion
154
CHAPITRE IV Rituels terribles, rituels paisibles
157
I. Construction d’une tradition rituelle locale
157
II. Le terrible et le paisible
167
III. Les rituels privés : la divinité et le démon
172
IV. Les rituels collectifs de Ch’ongkor
197
CHAPITRE V I. Les modalités du pouvoir
CONCLUSION Le tantriste et le moine au regard de l’anthropologie des spécialistes religieux
217
263
268
Annexes Annexe A.
279
Annexe B
287
Annexe C. 1.
, « Explication des danses rituelles des 2. (registre des enseignements reçus) 4.
, « Prise à témoin [des divinités, au sujet de] la voie des projectiles
5. 6. 7.
, « Histoire du , soit probablement « Le clair miroir, préparatifs
Illustrations Glossaire / translittération des termes tibétains Bibliographie Index
303
BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES, SCIENCES RELIGIEUSES vol. 140 A. A. Nagy 306 p., 155 x 240, 2009, PB, ISBN 978-2-503-53173-1 vol. 141 (Série “Sources et documents” no 1) C. Langlois, C. Sorrel (dir.) 448 p., 155 x 240, 2010, PB, ISBN 978-2-503-53183-0 vol. 142 (Série “Histoire et prosopographie” no 5) M. A. Amir-Moezzi, J.-D. Dubois, C. Jullien et F. Jullien (éd.) 752 p., 156 x 234, 2009, ISBN 978-2-503-52995-0 vol. 143. B. Heyberger (éd.) 240 p., 156 x 234, 2010, ISBN 978-2-503-53567-8 vol. 144. F. Laplanche (éd.) 735 p., 156 x 234, 2010, ISBN 978-2-503-53182-3 vol. 145 J. Ducor, H. Loveday 474 p., 156 x 234, 2011, ISBN 978-2-503-54116-7 vol. 146 N. Ragot, S. Peperstraete, G. Olivier (dir.) 491 p., 156 x 234, 2011, ISBN 978-2-503-54141-9 vol. 147 C. Borghero XVIIIe
164 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54177-8
vol. 148 (Série “Histoire et prosopographie” no 6) F. Jullien, M. J. Pierre (dir.) 348 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54144-0 vol. 149 P. Gisel, S. Margel (dir) 244 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54217-1 vol. 150 J.-R. Armogathe 227 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54488-5 vol. 151 C. Bernat, H. Bost (dir.) 451 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54489-2 vol. 152 N. Sihlé 374 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54470-0 vol. 153 J.-P. Rothschild, J. Grondeux (dir.) XIXe
234 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54471-7 vol. 154 (Série “Histoire et prosopographie” no 7) S. d’Intino, C. Guenzi (dir.) 295 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54472-4 vol. 155 B. Bakhouche, I. Fabre, V. Fortier (dir.) 205 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54473-1 vol. 156 (Série “Histoire et prosopographie” no 8) C. Zivie-Coche, I. Guermeur (dir.) 2 tomes, 1190 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54474-8 vol. 157 E. Marienberg (éd. et trad.) La Baraïta de-Niddah 235 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54437-0
vol. 158 Gérard Colas 221 p., 156 x 234, 2012, ISBN 978-2-503-54538-7 vol. 159 A. Noblesse-Rocher (éd.) 294 p., 156 x 234, 2013, ISBN 978-2-503-54802-9 vol. 160 A. Nagy, F. Prescendi (éd.) env. 300 p., 156 x 234, 2013, ISBN 978-2-503-54809-8 vol. 161 (Série “Histoire et prosopographie” no 9) O. Boulnois (éd.) avec la collaboration de J.-R. Armogathe suivi de env. 450 p., 156 x 234, 2013, ISBN 978-2-503-54810-4 vol. 162 M. Tardieu, A. van den Kerchove, Michela Zago (éd.) I env. 368 p., 156 x 234, 2013 vol. 163 (Série “Histoire et prosopographie” no 10) R. Gerald Hobbs, A. Noblesse-Rocher (éd.) 392 p., 156 x 234, 2013 vol. 164 P. Bourdeaux, Ph. Hoffmann, Nguyen Hong Duong (éd.) 404 p., 156 x 234, 2013 vol. 165 (Série “Histoire et prosopographie” no 11) M. A. Amir-Moezzi (éd.) 430 p., 156 x 234, 2013
C. Ando S. Bogevska XIIIe XVIe
Réalisation : Cécile Guivarch