240 23 30MB
French Pages 430 [426] Year 1962
L E S P E U P L E S ET L E S
CIVILISATIONS
DU PROCHE O R I E N T
TOME
11
JAWAD
BOULOS
LES PEUPLES ET LES CIVILISATIONS DU PROCHE ORIENT ESSAI D ' U N E H I S T O I R E C O M P A R É E , DES O R I G I N E S À NOS J O U R S
TOME II:
DE 1600 À 64 AVANT J.-C.
MOUTON & Co . 1962 .
's-GRAVENHAGE
© Mouton & Co., Publishers, The Hague, The Netherlands. No part of this book may be translated or reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm, or any other means, without written permission from the publishers.
Publié en collaboration
avec l'Ecole
Section: Sciences
Protique des Hautes Etudes,
Economiques
Printed in The Netherlands
et Sociales,
à Paris
by Batteljee & Terpstra,
Leiden
Vie
POUR LA PAIX ENTRE
LES
HOMMES
J.B.
Table des Matières CINQUIÈME PÉRIODE: 1600-1200 RÉACTION ÉGYPTIENNE CONTRE L'INVASION HYKSÔS. EXPANSION MILITAIRE DES PHARAONS EN ASIE A. L'EMPIRE ÉGYPTIEN D'ORIENT I . NAISSANCE DE L'IMPÉRIALISME ÉGYPTIEN. CONQUÊTE DE LA SYRIE
29
1. L'Egypte, puissance impériale
29
a. Naissance de l'impérialisme égyptien, 29. — b. Syrie-Palestine, zone de protection pour l'Egypte, 30. — c. Conquête de la Nubie (1575— 1556), 31.
2. Conquête du Harou (Palestine, Liban, Syrie)
32
a. Conquête de la Palestine, 33. — b. Conquête de la Phénicie, 34. — c. Conquête de la Syrie-Nord, 34. — d. L'Euphrate, frontière de l'Egypte, 35.
3. Entente égypto-mitannienne
36
a. Réveil des Hittites et des Etats du Nord, 36. — b. Pacte d'alliance égypto-mitannien (vers 1420), 36. — c. Rapports avec Hittites, Assyriens, Kassites, 37. I I . L'EMPIRE ÉGYPTIEN D'ORIENT ET SES VOISINS DU NORD .
.
. 3 8
1. L'empire égyptien d'Orient
38
a. Etendue et richesse des provinces orientales, 38. — b. Organisation politique des provinces orientales, 39. — c. Les tendances régionalistes encouragées et maintenues, 39. — d. Attributions des roitelets locaux, 40. — e. Protectorat libéral, 41. — f. Domination égyptienne et culture babylonienne, 41.
2. Rapports de l'Egypte et de la Crète
42
3. L'Egypte, centre de la vie mondiale
43
a. Centre principal du commerce international, 43. — b. Les bienfaits de la paix égyptienne, 44. I I I . RÉVOLUTION RELIGIEUSE EN EGYPTE: LE MONOTHÉISME SOLAIRE
1. Aton-Soleil, dieu unique, remplace Amon
46
46
a. Objectif de la réforme religieuse, 46. — b. Amon, dieu dynastique et national, 47. — c. Aton, dieu unique et universel, 47.
2. Le monothéisme atonien ou solaire, produit de l'impérialisme politique des Aménophis a. Aton, dieu unique, et Pharaon son Prophète, 48. — b. Le monothéisme atonien, d'inspiration sémito-asiatique, 50.
48
8
TABLE DES MATIÈRES
B. L'ÉGYPTE ET L'EMPIRE HITTITE: RIVALITÉ ET ENTENTE I . DÉCLIN DE LA PUISSANCE ÉGYPTIENNE EN ORIENT
55
1. Nouvelles poussées nordiques. Les Achéens en Crète . . .
55
a. Les Aryens Achéens détruisent la puissance Cretoise. Essor du monde égéen ou proto-grec, 55. — b. Rentrée en scène de l'Empire Hittite, 56. 2. Déclin de la puissance égyptienne en Orient
57
a. Les archives diplomatiques d'El-Amarna, 57. — b. Troubles et insécurité dans le Protectorat égyptien, 58. — c. Phéniciens et Amorréens aux prises. Le roi d'Amourrou (Syrie) convoite les ports libanais, 59. — d. L'unité religieuse de l'empire se révèle inefficace, 60. 3. Les Hittites, maîtres de la Syrie-Nord
61
4. L'Egypte évacue les provinces orientales
63
I I . REDRESSEMENT DE LA PUISSANCE ÉGYPTIENNE
64
1. Reconquête des provinces orientales (Canaan et Phénicie) .
.
65
a. Conquête de la Palestine. Une invasion libyenne repoussée, 65. — b. Conquête de la Phénicie. Bataille indécise de Kadesh (1315), 65. 2. Les campagnes de Ramsès II ou la grande guerre égypto-hittite (1293-1288)
66
3. Le jeune monde achéo-égéen, attiré par le vieil Orient . . .
68
a. Le monde égéen: pays et peuple, 68. — b. La thalassocratie achéenne. Expansion maritime, 69. — c. L'impérialisme achéen. Les Phéniciens éliminés de l'Egée, 69. — d. Expansion économique des Achéens en Phénicie, 70. — e. Les Achéens contre l'Egypte, 70. 4. Paix et entente égypto-hittites. Partage des régions syriennes .
71
a. La paix égypto-hittite (1278), 71. - b. Le traité de 1278, 71. - c. Partage des régions syriennes, 71. — d. Damas, Etat neutre, 72. — e. Indépendance du royaume de Gebal-Byblos, 72. — f. Ougarit, ville cosmopolite, 73. — g. L'entente égypto-hittite scellée par un mariage, 73. 5. Nouvelle marée nordique (vers 1200). Les Peuples de la Mer et du Nord
74
C. LES CIVILISATIONS ORIENTALES AU Ile MILLÉNAIRE. CIVILISATIONS ÉGYPTIENNE, MÉSOPOTAMIENNE, HITTITE, ÉGÉENNE, PHÉNICIENNE I . L A CIVILISATION ÉGYPTIENNE AU I I E MILLÉNAIRE
77
1. L'administration
77
2. L'art
78
3. Littérature
79
9
TABLE DES MATIÈRES II. LES CIVILISATIONS MÉSOPOTAMIENNES ET ANATOLIENNES. CIVILISATIONS KASSITE, ASSYRIENNE, MITANNO-HOURRITE, HITTITE .
.
80
1. Civilisation des Kassites de Babylonie
80
2. Civilisation assyrienne
81
a. Administration, 81. — b. Le droit, 81. — c. Littérature. Religion, 82.
3. La civilisation mitanno-hourrite
82
a. Administration, droit, religion, art, 83.
4. La civilisation hittite
83
a. Le roi, 83. — b. Organisation politique de l'Etat, 83. — La société, 84. — d. Le droit, 84. — e. Art, langue, littérature, écriture, 85. — f. Religion, 86. I I I . L A CIVILISATION ÉGÉENNE AU IIE. MILLÉNAIRE.
CIVILISATION
CRETOISE ET ACHEENNE OU CRÉTO-MYCÉNIENNE
88
1. Origines orientales de la civilisation crétoise 2. Epanouissement de la civilisation crétoise (2000—1750) . . . 3. Période créto-minoenne: 1700-1400
88 89 90
4. Période créto-achéenne ou mycénienne: 1400—1200 . . . .
92
I V . L A CIVILISATION PHÉNICIENNE AU IIE MILLÉNAIRE
94
1. Croyances religieuses 2. Vie sociale et politique 3. L'art phénicien, produit composite 4. Vie littéraire. Les poèmes phéniciens de Ras Shamra .
94 95 98 .
.
.102
a. L'épopée du roi Kéret, 103. — b. La légende du roi Danel, 104. — c. Poème de la naissance des dieux gracieux et beaux, 104. — d. Le poème de Sib'ani, 105. — e. Valeur littéraire et morale des poèmes de Ras Shamra, 105. V . L'INVENTION DE L'ALPHABET PHÉNICIEN
1. L'alphabet, création phénicienne. Epoque de l'invention . 2. Aboutissement d'une longue suite d'expériences 3. Expériences alphabétiques parallèles, contemporaines, antérieures et postérieures 4. Les alphabets sud-arabiques
107
.
.107 107 108 109
5. Importance et signification réelle de l'invention alphabétique . 110 6. L'alphabet phénicien, ancêtre des alphabets modernes . . . 1 1 1 7. La création du livre, initiative phénicienne. Byblos ou la «Cité du Livre» 113 8. Conclusion 114
10
TABLE DES MATIÈRES
SIXIÈME PÉRIODE: 1200-750 FLOTS NORDIQUES ET VAGUES SÉMITIQUES. INVASION DES «PEUPLES DE LA MER ET DU NORD». MODIFICATIONS ETHNICO-LINGUISTIQUES ET MORCELLEMENT POLITIQUE A. L'INVASION DES «PEUPLES DE LA MER ET DU NORD» ET SES CONTRECOUPS DANS LE PROCHE-ORIENT I . INVASION DES «PEUPLES DE LA M E R ET DU N O R D »
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.
119
L'Empire Hittite désorganisé par les avant-gardes de la marée . 119 La grande marée nordique dans l'Egée et en Asie Mineure . . 120 Libyens et Achéens attaquent l'Egypte par l'Ouest 120 Remous en Palestine et en Syrie 121 Une nouvelle attaque libyenne repoussée par Ramsès III . . 1 2 2 Les Doriens envahissent la Grèce 122 Les Achéens, submergés, prennent la mer 123 Invasion de la Syrie. Disparition de l'Empire Hittite . . . . 123 L'Egypte isolée se replie sur elle-même 123 Victoire de Ramsès III (1192) 124
I I . L E S RÉGIONS MARITIMES AU LENDEMAIN DE 1 2 0 0
125
1. Modification de la physionomie ethnique et linguistique du monde de l'époque 125 2. L'Egypte au lendemain de 1200: des Nordiques libyens s'installent dans le Delta 125 3. Le côte de Canaan, royaume philistin 126 a. Les Philistins et leur pays d'origine, 126. — b. Les Philistins, peuple évolué et belliqueux, 126.
4. Le territoire phénicien considérablement amoindri. Les Cananéens de Palestine se réfugient au Liban 127 5. La Syrie-Nord, royaumes néo-hittites. Alep et Damas, principautés sémitiques 127 a. Les Hittites de Syrie-Nord ou Néo-Hittites, 128. — b. L'influence des Néo-Hittites, 128. — c. Alep et Damas, Etats sémites indépendants. La Haute Syrie, mosaïque de races, 128. — d. Prépondérance des NéoHittites, 129. I I I . L E S RÉGIONS INTÉRIEURES AU LENDEMAIN DE 1 2 0 0
130
1. Les Israélites pénètrent en «Terre Promise»
130
a. Epoque de la pénétration, 130. — b. Moïse, libérateur d'Israël, 130. — c. Yahvé, Dieu d'Israël, 130. — d. Moïse, législateur et chef de nation, 131. — e. Israël aux portes de Canaan, 131. — f. Josué et la conquête, 132.
11
TABLE DES MATIÈRES
2. Les Araméens «errants» se stabilisent en Mésopotamie, Syrie intérieure, Transjordanie 132 a. Les Araméens en Syrie. Aramisation de la région, 132. — b. Damas, centre principal des Araméens de Syrie, 134. — c. Les Araméens en Mésopotamie. Leurs luttes contre les Assyriens, 134. 3. Conclusion
135
B. ÉCLIPSE DES GRANDES PUISSANCES IMPÉRIALES. MORCELLEMENT POLITIQUE DU MONDE PROCHE-ORIENTAL I. L'EGYPTE, DE 1 2 0 0 À 7 5 0 . DÉCADENCE, MORCELLEMENT, FÉODALISME, ISOLATIONNISME
139
1. Déclin de l'Egypte
139
a. Décadence et morcellement, 139. — b. Abandon définitif de la Palestine, 140. 2. Rôle omnipotent du grand prêtre d'Amon
140
a. Accroissement du pouvoir clérical, 140. — b. Avènement des prêtresrois. Monarchie dualiste. La XXIe dynastie: 1085—950, 141. — c. Les oracles se substituent aux lois, 141. 3.
Les pharaons libyens. X X I I e et XXIIIe dynasties ( 9 5 0 - 7 3 0 )
142
a. Les mercenaires libyens, bouclier de l'Egypte, 142. — b. Sheshonq I, fondateur de la dynastie libyenne, 143. — c. Politique extérieure de Sheshonq I. Intervention armée en Canaan, 143. — d. Politique intérieure des pharaons libyens, 145. I I . DÉSAGRÉGATION
DU MONDE
PROCHE-ORIENTAL.
EMANCIPATION
DE LA PHÉNICIE, DE LA PALESTINE ET DE LA SYRIE
146
1. La Mésopotamie désorganisée par les Araméens. Babylonie, Assyrie, Elam luttent pour l'hégémonie 146 a. Les Elamites, maîtres de Babylone (1175), 146. — b. La dynastie élamite de Babylone se détache de l'Elam, 146. — c. Les nomades araméens infestent la contrée, 147. — d. Araméens autochtones, puis Assyriens, maîtres de Babylone (1095-900), 147. 2. L'Asie Mineure ruinée et morcelée. Les Phrygiens recouvrent les Hittites détruits 148 3. Eclipse des grandes puissances impériales. Emancipation de la Phénicie, de la Palestine et de la Syrie. Morcellement, divisions et conflits 148 C. LA PHÉNICIE INDÉPENDANTE: 1200-750. L'EMPIRE PHÉNICIEN, PREMIER EMPIRE COLONIAL, MARITIME ET COMMERCIAL I. LA PHÉNICIE LIBANAISE o u MÉTROPOLITAINE
1. A u lendemain du cataclysme de 1200
153
153
12
TABLE DES MATIÈRES
2. Les cités-Etats de Phénicie-Liban: Arvad, Gebal, Sidon, Tyr . 154 a. L'Etat d'Arvad (Rouad), 154. - b. L'Etat de Gebal (Byblos), 154. c. L'Etat de Sidon (Saïda), 155. - d. L'Etat de Sour (Tyr), 155.
3. La Phénicie, ligue d'Etats autonomes. Tripoli, siège de la ligue . 156 I I . EXPANSION DES PHÉNICIENS VERS L'OCCIDENT ET FONDATION DE LEUR EMPIRE MARITIME
158
1. La thalassocratie phénicienne
158
a. Expansion des Phéniciens vers l'Occident, 158. — b. Période de fondation de l'empire: 1200-1000, 159.
2. L'empire phénicien, premier empire maritime et commercial . 160 a. Domaine de l'empire, 160. — b. Naissance à la civilisation d'un nouveau monde, 160. — c. Méditerranée orientale et Mer Egée, 160. — d. Méditerranée centrale et occidentale, 161. — e. Côtes de l'Atlantique, 161. — f. Espagne atlantique, 161. — g. Comptoirs et concessions, 162. — h. Caractère original de l'empire phénicien, 162.
3. La Phénicie, centre de gravité économique mondial .
.
.
.163
a. La Phénicie, centre économique mondial, 163. — b. La Phénicie, puissance commerciale, 164. — c. La Phénicie, puissance financière et politique, 166. I I I . L A PHÉNICIE ET LES PAYS VOISINS, DE 1 2 0 0 À 7 5 0 .
RAPPORTS
AVEC LA PALESTINE ET ISRAËL
1. Expansion économique dans les pays continentaux .
167
.
.167
a. Les Phéniciens et l'Arabie, 167. — b. Les Phéniciens et la Palestine, 167.
2. La Phénicie, de 1200 à 900
168
a. De 1200 à 1000: période obscure, 168. — b. La Phénicie, vers l'an 1000, 169. - c. Abibaal, roi de Tyr (980-969), allié du roi David, 169. — d. Hiram I et Salomon, amis et alliés, 170. — e. Condominium phénico-salomonien sur la Palestine, 170. — f. Déclin de la dynastie à Tyr et à Jérusalem. Agitations sociales et révolutions politiques, 172.
3. La Phénicie, de 900 à 750: rapports avec Samarie, Jérusalem et Damas 173 a. Alliance de Tyr et de Samarie, 173. — b. Rétablissement de l'influence phénicienne à Samarie et à Jérusalem, 174. — c. Jézabel à Samarie, 174. — d. Entente d'Israël et de Juda. Athalie à Jérusalem, 174. — e. L'influence phénicienne éliminée de Palestine. Massacre de Jézabel et d'Athalie, 175. — f. Révolution à Tyr, triomphe de la faction démocratique, 175. — g. Fondation de Carthage en Afrique, 175. — h. Déclin de Tyr en Occident. Essor de Carthage, 176. — i. Nuages assyriens à l'horizon, 176. D. PALESTINE ET SYRIE INTÉRIEURE, DE 1200 À 750 I . L A MONARCHIE UNITAIRE D'ISRAËL. JÉRUSALEM ET T Y R , ALLIÉES ET ASSOCIÉES
181
13
TABLE DES MATIÈRES
1. Les Israélites en Canaan. Saiil (1025—1010), premierroi d'Israël 181 a. L'anarchie en Israël; prépondérance des Philistins, 181. — b. Le pouvoir des Suffètes ou Juges, 182. — c. Le juge Samuel et la fondation de la monarchie, 182. — d. Saiil, premier roi d'Israël, 183.
2. Le roi David (1010-955), créateur de l'Etat national .
.
.183
a. Etendue du royaume de David, 183. — b. Yahvé, Dieu unique et universel. David, prophète et prêtre de Yahvé, 184. — c. Yahvé, Dieu intolérant et jaloux, 185. — d. Mort de David, 185.
3. Le roi Salomon (955—933). Apogée de la monarchie .
.
.
.185
a. Opulence et faste de Salomon, 186. — b. Déclin de la monarchie; mort de Salomon, 186.
4. Le royaume de Salomon, zone économique d'influence phénicienne
186
a. Les Phéniciens dirigent l'économie israélite, 187. — b. Le Temple de Jérusalem, œuvre phénicienne, 188. — c. Prépondérance phénicienne à Jérusalem, 188. — d. Affinités ethniques et culturelles, 188. — e. Réaction antiphénicienne, 189. I I . L E S ROYAUMES D'ISRAËL, DE JUDA ET DE D A M A S . RIVALITÉS ET CONFLITS
190
1. Les royaumes d'Israël et de Juda
190
a. Démembrement du royaume de Salomon, 190. — b. Les deux royaumes d'Israël et de Juda. Scission politique et religieuse, 190. — c. Décadence politique du peuple élu, 191.
2. Israël, Juda, Damas: rivalités et entente
191
a. Omri, roi d'Israël, 192. — b. Alliance de Samarie et de Tyr. Retour de l'influence phénicienne, 192. — c. Achab, vainqueur de Damas, 192. — d. Alliance d'Achab et de Juda. L'influence phénicienne à Jérusalem, 192. — e. Mort d'Achab et déclin de sa dynastie, 193.
3. Réaction nationale et religieuse à Samarie et à Jérusalem .
.193
a. Meurtre de Jézabel (846) et d'Athalie (841), 193. - b. Les luttes des roitelets syro-palestiniens attirent l'Assyrien du Nord, 194. — c. Le royaume de Damas, province assyrienne (733), 195. — d. Le royaume de Samarie, province assyrienne. Celui de Jérusalem, vassal et tributaire (722), 195. — e. Le peuple élu châtié par Yahvé, 195. E. LE PROCHE-ORIENT DES PLATEAUX DU NORD (1200-750) I. ASSYRIE, A R M É N I E , IRAN OCCIDENTAL
199
1. Le royaume d'Assyrie, de 1200 à 900
199
2. Les Araméens menacent la Mésopotamie
200
3. Le royaume d'Ourartou, en Arménie
201
4. Eveil de l'Iran occidental; apparition des Mèdes et des Perses . 202 a. Eveil de l'Iran à la civilisation, 203. — b. Le fer et les chevaux attirent les Assyriens en Iran, 203. — c. Stabilisation des Mèdes, Perses et Parthes, 204.
14
TABLE DES MATIÈRES
I I . L ' A S S Y R I E ET LES ROITELETS SYRO-PALESTINIENS
1. Ascension de l'Assyrie
205 205
a. Bataille de Qarqar, victoire indécise (854), 205. — b. Salmanasar III défait une seconde coalition syrienne, 206. — c. Salmanasar III, suzerain de Babylone, 206. — d. L'Assyrie, maîtresse du pays des Deux-Fleuves, 206. — e. Les Assyriens pillent Damas (805), 207. — f. Eclipse de l'Assyrie (800-740), 207. - g. Fondation de l'Empire assyrien, 207. 2. Elaboration du futur monde gréco-égéen
208
3. Cilicie, Chypre
209
SEPTIÈME PÉRIODE: 7 5 0 - 5 4 0 V A G U E S NORDIQUES: LES CIMMÉRIENS E T LES SCYTHES. RENAISSANCE D E L'IMPÉRIALISME MÉSOPOTAMIEN. EXPANSION DES ASSYRIENS, OURARTÉENS, CHALDÉENS, MÈDES, LYDIENS A. LE GRAND EMPIRE ASSYRIEN. FONDATION, APOGÉE, DESTRUCTION (740-612). L'ASSYRIE CONTINENTALE ATTIRÉE PAR LA MER I . L ' A S S Y R I E , JUSQU'À LA FONDATION DU GRAND E M P I R E
1. L'impérialisme assyrien
215
215
a. L'Assyrie, Prusse de l'Orient ancien, 215. — b. Le pays assyrien, 215. — c. Composition ethnique, 216. — d. L'impérialisme assyrien, 217. 2. Aperçu récapitulatif jusqu'à 750 I I . L ' E M P I R E ASSYRIEN ET L'EGYPTE, DE 7 2 2 À 6 8 9
1. Le cadre historique vers 750
218 220
220
2. Nouvelles vagues nordiques en Asie Mineure. Expansion, vers le Sud, des Cimmériens et des Scythes 221 a. Cimmériens au nord de la Mer Noire. Scythes au nord de la Caspienne, 221. — b. Nomades cavaliers et guerriers redoutables, 221. — c. Les Cimmériens en Asie Mineure, 222. — d. Les Scythes dans le nord de l'Iran, 222. 3. Téglatphalasar III (745—727), maître du Croissant Fertile et de l'Arménie 223 a. Conquête de la Syrie et de la Palestine (738-732), 223. - b. Prise de Babylone (731), 224. — c. Mort de Téglatphalasar et révolte de la Phénicie, 224. 4. Au temps de Sargon II ( 7 2 2 - 7 0 5 ) a. Consolidation des conquêtes. Destruction du royaume d'Israël (722), 224. — b. Révolte en Syrie. Bataille de Qarqar (720), 225. — c. Babylone reprise sur les Chaldéens (710), 225. — d. Pacification de l'Arménie et de l'Asie Mineure. Prise de Chypre (709), 225. — e. Mort de Sargon II (705), 226. - f. L'œuvre de Sargon II, 226.
224
15
TABLE DES MATIÈRES
5. Sargon II et l'Egypte
226
a. Impuissance de l'Egypte. Invasion éthiopienne (730), 226. — b. Les Egyptiens battus près de Gaza (720), 227.
6. Au temps de Sennachérib (705-681)
228
a. Consolidation des conquêtes, 228. — b. Soulèvement et défaite des Chaldéens de Babylone (704), 228. — c. Soulèvement et soumission des Phéniciens (701), 228. - d. Reconquête de la Palestine (701), 229. - e. Révolte de Babylone (700), 229.
7. Sennachérib et l'Egypte
229
a. Les Ethiopiens reconquièrent l'Egypte, 229. — b. Intrigues de Pharaon en Palestine, 229. — c. L'Egypte échappe à l'invasion, 230. — d. Le pharaon Taharka rétablit l'unité monarchique, 230. — e. Mort de Sennachérib (681), 230. I I I . L ' E M P I R E ASSYRIEN ET LA CONQUÊTE DE L'EGYPTE. DÉCLIN ET RUINE DE L'EMPIRE
231
1. L'Empire assyrien au temps d'Asaraddon (689—669). Première conquête de l'Egypte 231 a. Pacification de la Babylonie, 231. — b. Révolte et répression de Sidon (676), 231. — c. Asaraddon en Arabie, 231. — d. Tyr, assiégée, résiste victorieusement, 232. — e. Première conquête de l'Egypte (671), 232. - f. Révolte de l'Egypte (669), 233.
2. L'Empire assyrien au temps d'Assourbanipal (669—626). Apogée et déclin
233
a. L'Egypte, reconquise et reperdue (666—663), 233. — b. Répression des révoltes, 235. — c. Déclin et ruine de l'Empire assyrien, 236. I V . L A CIVILISATION ASSYRIENNE
239
1. Considérations sur la précarité de l'Empire assyrien . . . .
239
a. Antagonisme de la terre (Assyrie) et de la mer (Phénicie, Egypte), 239. — b. Rôle historique de l'Empire assyrien, 240.
2. Civilisation
241
a. Le roi, l'armée et la marine, 241. — b. La société assyrienne, 242. — c. Le port du voile pour les femmes, 242. — d. Le droit, 242. — e. La religion, 243. — f. Littérature et science, 243. — g. La médecine, 243. — h. L'art assyrien, 244. B. L'EMPIRE ASSYRIEN DÉMEMBRÉ; LE PROCHE-ORIENT MORCELÉ. EGYPTE, CHALDÉE, MÉDIE, SE DISPUTENT L'HÉGÉMONIE
(612-540).
T. L A CARTE POLITIQUE APRÈS LA RUINE DE L'ASSYRIE. L E S GRANDS ETATS SUCCESSEURS: EGYPTE, CHALDÉE, MÉDIE,
LYDIE
.
.
.
247
1. L'Egypte, sous la XXVIe dynastie saïte (663—525), se tourne vers la mer. Le Delta s'ouvre aux mercenaires et commerçants grecs 247 a. Avènement de la XXVIe dynastie, 247. — b. Psammétique I (663— 609), unificateur et libérateur de l'Egypte, 247. — c. Psammétique en
16
TABLE DES MATIÈRES Palestine, 248. — d. La Palestine, vieille zone de protection, est occupée par l'Egypte (609), 248. — e. Les mercenaires grecs remplacent les Libyens, 249. — f. Les colonies grecques marchandes, 250. — g. La citéport hellénique de Naucratis, 250. — h. Rapports des Egyptiens et des Grecs, 250. — i. L'Egypte saïte, puissance méditerranéenne. Le Delta, centre politique de la monarchie, 250. — j. Expansion maritime vers le Sud, 251. — k. Amélioration de la condition des classes populaires, 251. — 1. Prospérité de l'Egypte. Renaissance des arts, 252.
2. La Chaldée ou Néo-Babylonie. Babylone sous le règne de . 252 Nabuchodonosor II ( 6 0 5 - 5 6 2 ) . a. La Chaldée jusqu'à Nabuchodonosor II, 252. — b. Babylone et Nabuchodonosor, 254. — c. Babylone, 254. — d. La cité et le palais royal, 255. — e. Le fameux Esagil ou temple de Mardouk, 225. — f. Les jardins suspendus, 256. — g. La Tour de Babel, 256. — h. Les murs de Babylone, 257. — i. La civilisation chaldéenne ou néo-babylonienne, 258.
3. La Médie, en Iran occidental, jusqu'à 612
259
a. Mèdes et Perses vers 700, 259. — b. Naissance de la monarchie mède, 259. - c. La Médie vassale des Scythes ( 6 5 3 - 6 2 5 ) , 260. - d. La Médie émancipée triomphe de l'Assyrie, 260. — e. L'Empire des Mèdes, 260.
4. La Lydie et sa capitale Sardes, jusqu'à 615
261
a. Le roi Gygès (687—652), 261. — b. Rôle historique de la Lydie, 262. II. RAPPORTS DES EGYPTIENS, CHALDÉENS, MÈDES, LYDIENS. COURSE À L'HÉGÉMONIE POLITIQUE DU PROCHE-ORIENT
263
1. L'équilibre oriental au lendemain de 612
263
2. Egyptiens et Chaldéens convoitent la Palestine
263
3. Mèdes et Lydiens convoitent l'Anatolie
264
4. Le royaume de Juda, jusqu'à 609
264
5. Défaite et mort de Josias, roi de Juda (609)
265
6. Les Egyptiens s'annexent Palestine et Syrie (609)
265
7. Les Egyptiens vaincus et expulsés (605)
265
8. L'équilibre international
266
9. Révoltes de Tyr et de Jérusalem contre Babylone
266
a. Tyr, tête de la révolte (597), 266. — b. Défaite et mort de Yoakim, roi de Juda. Le premier Exil (597), 267.
10. Politique maritime et africaine de l'Egypte
267
11. Nouvelle révolte et destruction du royaume de Jérusalem. La dispersion du peuple juif (586) 268 12. Soumission de Tyr (573)
. . . .
269
13. Insuccès égyptiens en Cyrénaïque (568)
269
14. Amasis, pharaon pacifique (568—525)
270
15. La république à Tyr (564)
270
. . . .
TABLE DES MATIÈRES
16. Chaldée, Médie, Lydie et Grecs ( 6 1 2 - 5 3 9 )
17 270
a. Fortification de Babylone, 270. — b. Lydiens et Mèdes, rivalité et entente (591—585), 271. — c. Les Arméniens en Ourartou (vers 600), 271. — d. Prospérité de la Lydie sous Crésus (561—546), 271. — e. Astyage, dernier roi de race mède (584—555), 272. 17. Chute de la dynastie mède en Iran. Avènement de la dynastie des Perses achéménides (555) 272 a. La dynastie royale des Perses achéménides (555—330), 272. — b. Cyrus le Perse (555—528) se substitue à Astyage, 272. — c. La Médie devient la Perse, 273. — d. Cyrus organise son nouveau royaume, 274. — e. Décadence de la dynastie babylonienne, 274. — f. Nabonide à Hama et à Tyr (553—552), 274. — g. Inquiétude en Egypte. Alliance avec Crésus et Nabonide, 274. I I I . L A RELIGION IRANIENNE SOUS LES ROIS MÈDES. L A RÉFORME RELIGIEUSE DE ZOROASTRE
1. Religions des Iraniens
276
276
2. La réforme religieuse de Zoroastre ou le mazdéisme zoroastrien 277 a. Zoroastre, réformateur et fondateur de religion, 277. — b. Aspect religieux de la réforme de Zoroastre, 277. — c. Immortalité de l'âme. Jugement après la mort, 278. — d. Le culte zoroastrien, 279. — e. Valeur morale de la doctrine de Zoroastre, 279. — f. Aspect social de la réforme de Zoroastre, 280. — g. Zoroastre, Bouddha, Confucius, presque contemporains, 281. — h. Rôle du zoroastrisme dans l'Etat, 282.
HUITIÈME PÉRIODE: 5 4 0 - 3 3 0 ORGANISATION E T E X P A N S I O N D U M O N D E IRANIEN. L'EMPIRE PERSE, PREMIER G R A N D EMPIRE PROCHE-ORIENTAL. L E PROCHE-ORIENT A T T I R É P A R L A M E R A. LE GRAND EMPIRE PERSE. FONDATION, CONSOLIDATION, ORGANISATION I. FONDATION DE L'EMPIRE. CYRUS ET CAMBYSE
289
1. L'Empire perse achéménide. Premier grand Empire indoeuropéen
289
2. Caractère de la domination perse
290
3. Cyrus le Grand, fondateur de l'Empire
291
4. Caractère des Perses
292
5. Les conquêtes de Cyrus
292
a. Conquête de l'Asie Mineure (546), 292. — b. La Lydie, satrapie
18
TABLE DES MATIÈRES
perse, 293. - c. Conquête de l'Est jusqu'à l'Indus (545-539), 293. d. Prise de Babylone (539), 294. — e. La Phénicie accueille Cyrus comme un libérateur, 294. — f. Libération des Juifs (538), 295. — g. Mort de Cyrus (528), 295. 6. Cambyse et la conquête de l'Egypte
295
a. Préparatifs, 295. - b. Conquête de l'Egypte (525), 296. - c. L'Egypte, satrapie perse, 296. — d. Projet de conquérir Carthage, 297. — e. Expédition contre l'Oasis de Siouah, 297. — f. Expédition contre l'Ethiopie, 297. — g. Comportement de Cambyse en Egypte, 298. — h. Révolte en Perse (521), 298. - i. Mort de Cambyse (521), 298. - j. Soulèvement des provinces conquises, 298. — k. Avènement de Darius I, 298. I I . RESTAURATION ET ORGANISATION DE L'EMPIRE
1. Darius I, restaurateur de l'Empire
300
300
a. Pacification des révoltes, 300. — b. Darius en Egypte (517), 300. — c. Essor économique de l'Empire reconstruit, 301. 2. Organisation et administration de l'Empire
302
a. Politique de Darius, 302. — b. Création et organisation interne des satrapies, 302. — c. Le tribut des provinces, 303. — d. Les métropoles de l'Empire, 303. — e. Routes impériales, 304. — f. Etalon monétaire, 304. - g. L'armée et la flotte, 305. 3. Langues et écritures des Perses. L'araméen, langue officielle de l'Empire
305
4. Caractère divin de la royauté. L e roi, représentant du grand Justicier céleste
305
5. La satrapie d'Abarnahara: Phénicie, Palestine, Syrie, Chypre . 3 0 6 a. Subdivisions de la satrapie d'Abarnahara, 307. — b. Le territoire d'Arabaya ou Arubu (Arabes), 307. — c. La Phénicie sous la domination perse, 308. — d. Emancipation des colonies phéniciennes d'Occident, 309. — e. Rapports de la Phénicie avec la Perse, 309. B. L'EMPIRE PERSE ET LE MONDE GRÉCO-ÉGÉEN I. L E S GUERRES MÉDIQUES OU GRÉCO-PERSES
1. Origines des Guerres Médiques
313
313
a. Vers l'Empire universel, 313. — b. Darius convoite le monde égéen, 313. — Politique maritime de Darius, 314. — d. Les Grecs, en face des Perses, 314. — e. Campagne perse contre les Scythes de Russie, 315. — f. Préparatifs de guerre. Soumission de Byzance (513), 315. — g. Occupation de la Thrace; soumission de la Macédoine (512), 316. — h. Bilan de la campagne contre les Scythes, 316. — i. Révolte des cités grecques d'Asie Mineure (498), 316. - j. Défaite des Grecs d'Asie (496), 317. k. Les Guerres Médiques, duel entre deux mondes, 317. 2. Les Guerres Médiques ( 4 9 2 - 4 6 6 ) a. Reconquête de la Thrace et de la Macédoine (492), 318. — b. Bataille de Marathon (490), 318. — c. Révolte de l'Egypte et mort de Darius (485), 319. — d. Impuissance du colosse perse, 319. — e. Xerxès, prince
318
19
TABLE DES MATIÈRES
faible et violent, 320. — f. La révolte de l'Egypte sauvagement réprimée, 320. - g. Babylone, révoltée, est prise et détruite (482), 320. - h. Préparatifs de guerre contre la Grèce, 321. — i. Forces terrestres et navales, 321. — j. Alliance avec Carthage, 321. — k. La grande armée traverse les Détroits, 322. — 1. Bataille des Thermophyles et prise d'Athènes (480), 322. — m. Défaite navale des Perses à Salamine (480), 322. — n. L'amiral phénicien exécuté par Xerxès, 323. — o. Les Perses battus et rejetés en Asie (466), 323. — p. Signification morale de la victoire grecque, 323. — q. Athènes, maîtresse du monde égéen, 324. — r. L'Empire perse ébranlé et affaibli, 324. I I . DÉCADENCE ET RUINE DE L'EMPIRE PERSE
326
1. Rapports des Perses et des Grecs
326
a. Révoltes en Bactriane et en Egypte, 326. — b. Traité de paix grécoperse (449), 326. — c. Renaissance de la nation juive en Palestine (445), 326. — d. Essor de la civilisation hellénique et son rayonnement dans le Proche-Orient, 327. — e. Intrigues d'Athènes en Asie Mineure, 328. — f. Révolte de Cyrus le Jeune (401). La Retraite des Dix Mille, 328. - g. Emancipation de l'Egypte (404), 329. — h. La paix gréco-perse d'Antalcidas (387). Récupération des villes grecques d'Asie, 329. — i. Désagrégation de l'Empire, 329. — j. L'Empire provisoirement sauvé, 330.
2. L'Egypte indépéndante (404—345) s'appuie sur les Grecs .
. 330
3. Redressement et fin de l'Empire perse. Artaxerxès III, prince féroce et volontaire 332 a. La Phénicie révoltée est sauvagement réduite (347), 332. — b. Reconquête de l'Egypte (345), 333. — c. Résignation et décadence de l'Egypte, 333. — d. L'Empire redressé, colosse aux pieds d'argile, 334. — e. Destruction de l'Empire perse, 335. C. CIVILISATION ET RELIGION DES PERSES ACHÉMÉNIDES I . L A CIVILISATION PERSE ACHÉMÉNIDE
337
1. Le legs des rois achéménides
337
2. Le mazdéisme achéménide, religion officielle
338
a. Les religions de la Perse, 338. — b. Le mazdéisme achéménide, religion officielle, 339. — c. Aspect religieux et politique du mazdéisme achéménide, 339. — d. Les mages et les sacrifices, 340. — e. Symboles divins et lieux de culte, 340. — f. Aspect social de la religion achéménide. Solidarité sociale et sentiment national, 340. — g. Valeur morale de la religion achéménide, 341.
3. La religion judaïque sous les Perses
. . . .
Achèvement du Temple. Refonte du Pentateuque 342.
342
20
TABLE DES MATIÈRES
N E U V I È M E PÉRIODE: 3 3 0 - 6 4 A V . J.-C. UNIFICATION E T EXPANSION D U M O N D E GRÉCO-ÉGÉEN. L'EMPIRE D ' A L E X A N D R E . LES MONARCHIES HELLÉNISTIQUES A. L'EMPIRE GRÉCO-ORIENTAL D'ALEXANDRE LE GRAND I . L A GRÈCE ET L'HELLÉNISME, JUSQU'À L'EXPANSION D ' A L E X A N DRE. ESQUISSE HISTORIQUE
349
1. Le monde gréco-égéen: pays et race 349 a. Le pays gréco-égéen, 349. — b. Les conditions géographiques du pays gréco-égéen et leur action sur les habitants, 349. — c. Le nom et la race, 350. 2. La Grèce et la civilisation hellénique
350
a. L'hellénisme, 350. — b. Importance de l'histoire grecque, 351. — c. Périodes de l'histoire grecque, 351. 3. La Grèce archaïque, jusqu'à 460 352 a. L'empire égéen de la Crète, 352. — b. L'empire achéo-égéen. Les Achéens, première famille grecque, 352. — c. Les Doriens, seconde famille grecque, 352. — d. Colonisation des côtes d'Asie Mineure, 352. — e. Essor des cités helléniques d'Asie Mineure, 353. — f. Réveil d'Athènes et de Sparte, 353. — g. Influence de la culture orientale, 353. 4. La Grèce classique: V e et IVe siècles. Apogée de la civilisation hellénique 354 a. Athènes, «école de la Grèce», 354. — b. L'hellénisme et la culture orientale, 354. — c. Rivalité d'Athènes et de Sparte, 355. 5. La Grèce macédonienne 355 a. La Macédoine, 355. — b. Philippe II de Macédoine, unificateur de la Grèce, 356. — c. Expédition manquée contre Byzance, 356. — d. La Grèce sous le joug macédonien, 356. — e. Alexandre, roi de Macédoine, 357. 6. Hellénisme et orientalisme avant Alexandre
357
7 L'Orient antique, école de la Grèce
357
I I . L E S CONQUÊTES ET L'EMPIRE D'ALEXANDRE
359
1. Invasion de l'Asie Mineure 359 a. Sur le site de Troie (Ilion), 359. - b. Bataille du Granique (333), 360. 2. Bataille d'Issus (332). Conquête de la Syrie-Nord .
.
.
.361
3. Soumission de la Phénicie. Siège et destruction de Tyr . . . 361 a. Importance de la Phénicie pour Alexandre, 361. — b. Soumission de Marathos, Arvad, Gebal, Sidon, 363. — c. Siège de Tyr, 364. — d. Prise et destruction de Tyr (332), 365. — e. Disparition de Tyr comme puissance maritime, 366. — f. Propositions perses rejetées par Alexandre, 366. 4. Prise de Gaza et reddition de Jérusalem 367 a. Siège et prise de Gaza, 367. — b. Reddition de Jérusalem, 367.
21
TABLE DES MATIÈRES
5. Soumission de l'Egypte
368
a. Alexandre accueilli en libérateur, 368. — b. Alexandre, pharaon d'Egypte (332), 368. — c. Fondation d'Alexandrie, 369. - d. Pèlerinage à l'oasis de Siouah, 369. 6. Conquête de la Mésopotamie, de la Perse et de l'Asie .
.
.
.370
a. Défaite de Darius près de Ninive (331), 370. — b. Alexandre, roi de Babylone et d'Asie, 370. — c. Soumission de la Susiane, 370. — d. Faste des officiers gréco-macédoniens, 370. — e. Projets de conquêtes vers l'Est, 371. — f. Soumission de l'Iran, 371. — g. Conquête de l'Inde, 372. — h. Sur les côtes de l'Océan Indien, 373. — i. Retour d'Alexandre à Suse (324), 373. — j. Mariages gréco-perses, 374. 7. Mort d'Alexandre (323)
374
I I I . ALEXANDRE LE GRAND ET SON OEUVRE. DÉSAGRÉGATION ET PARTAGE DE SON E M P I R E
376
1. Le personnalité d'Alexandre
376
a. Missionnaire et héros, 376. — b. Chef et organisateur, 377. — c. Un mystique convaincu, 377. 2. L'œuvre d'Alexandre le Grand. Unité culturelle du monde proche-oriental 378 a. Annexion matérielle et morale, 379. — b. Economie et civilisation universelles, 379. — c. Fusion de l'Orient et de l'Occident, 380. 3. L'Empire d'Alexandre, jusqu'au partage définitif. Aperçu historique: 3 2 3 - 2 7 5
380
a. La succession d'Alexandre. Le général Perdiccas, régent de l'Empire, 381. — b. Les Gouverneurs des provinces, 381. — c. Une révolte d'Athènes est écrasée (322), 381. d. Rivalités entre les Gouverneurs des provinces. Meurtre de Perdiccas, 382. — e. Régence d'Antipatros (321—319), 382. — f. Régence de Polyperchon. Révolte de Cassandre, 382. — g. Antigone, maître de l'Asie, 382. — h. Antigone et son fils Démétrius, maîtres de la Grèce, 383. — i. Bataille d'Ipsos. Défaite et mort d'Antigone (301), 383. - j. Défaite et mort de Démétrius (283), 384. - k. Défaite et mort de Lysimaque (281), 384. — 1. Séleucus, maître de l'Asie, disparaît en 280, 384. — m. Antigone Gonatas, maître de la Grèce, 384. — n. Démembrement et partage définitif de l'Empire d'Alexandre (275), 385. — o. Caractère éphémère de l'œuvre politique d'Alexandre, 385. B. LES ROYAUTÉS HELLÉNISTIQUES DU PROCHE-ORIENT: L'ASIE, L'ÉGYPTE I . L ' E M P I R E GRÉCO-ASIATIQUE DES SÉLEUCIDES (HAUTE MÉSOPOTAMIE)
SYRIE389
1. Formation et étendue de l'Empire séleucide 389 a. Politique impériale de Séleucus I (312-280), 389. - b. Antioche et Séleucie du Tigre, capitales impériales, 389. — c. Causes des futurs conflits égypto-asiatiques, 389.
22
TABLE DES MATIÈRES
2. La Syrie séleucide ou Haute Syrie
390
3. Babylonie, Iran et Asie Mineure
392
a. La Babylonie séleucide, 392. — b. L'Iran séleucide, 392. — c. L'Asie Mineure, 392.
4. Phénicie .
.
393
a. Sous Alexandre, 393. — b. Sous les successeurs d'Alexandre, 394. — c. Régime politique des cités phéniciennes, 394. — d. La Phénicie et la route des Indes, 395. — e. La Phénicie et l'hellénisme, 395. I I . APERÇU HISTORIQUE DE L'EMPIRE SÉLEUCIDE
(275—64).
397
RAPPORTS AVEC L'EGYPTE ET R O M E .
1. Les Séleucides et les Lagides: rivalités et conflits. Les «guerres syriennes» ou syro-égyptiennes (275—198) 397 a. Causes de conflits, 397. — b. Première guerre syrienne (275—271), 398. — c. Deuxième guerre de Syrie (261—247), 399. — d. Troisième guerre de Syrie (245—241), 399. — e. Antiochus le Grand restaure l'Empire, 400. — f. Quatrième guerre syrienne (219—217), 400. — g. Cinquième guerre syrienne (200—198). Conquête de la Phénicie et de la Palestine par Antiochus III, 400. — h. La Grande Syrie séleucide, 401.
2. L'Empire séleucide et la puissance romaine. Rivalité et conflit armé. Défaite d'Antiochus III 401 a. Germes de conflit, 401. — b. Antiochus en Thrace et à Byzance (195), 402. — c. Défaite d'Antiochus à Korykos et en Magnésie (190), 402. — d. La paix d'Apamée (188), 403. — e. Rome et l'Empire séleucide après Apamée, 403.
3. Désagrégation et ruine de l'Empire séleucide. Révolte des Juifs et querelles dynastiques 404 a. Déclin de l'Empire séleucide, 404. — b. Révolte des Juifs (164), 404. — c. Querelles dynastiques, 406. — d. Indépendance de la Judée (142), 406. — e. Les Parthes occupent la Mésopotamie (129), 406. — f. Extension du royaume de Judée, 407. — g. Agonie de l'Empire séleucide (120—83), 407. — h. Fin du royaume gréco-syrien des Séleucides (83), 407. — i. La Syrie, province romaine (64), 407. — j. L'œuvre politique des rois séleucides, 407. I I I . L ' E M P I R E SÉLEUCIDE ET L'HELLÉNISATION DE L'ASIE .
.
.
.
1. Les civilisations hellénistiques en général
409
409
a. Diffusion de la civilisation hellénistique en Orient, 409. — b. La cité, fondement de l'Etat hellénistique, 409. — c. Caractère de la cité hellénistique, 409. — d. Milieu social, économique et culturel, 410. — e. Vie intellectuelle, 411. — f. Parallèle avec la société moderne, 411. — g. Régime politique des royautés hellénistiques, 412.
2. La royauté séleucide a. Monarchie absolue de caractère divin, 413. — b. Armée, flotte, administration, 413. — c. Les cités séleucides, 413.
413
TABLE DES MATIERES
3. L'hellénisation de l'Asie
23 415
a. Rôle de l'Empire séleucide, 415. — b. L'hellénisation des cités, 415. — c. Les masses populaires imperméables à l'hellénisme, 416. — d. Renaissance de la culture orientale, 416. — e. Œuvre culturelle des Séleucides, 417. IV.
L E ROYAUME GRÉCO-ÉGYPTIEN DES PTOLÉMÉES .
1. L'Egypte sous les Ptolémées .
418 418
a. Le roi lagide, 418. — b. Administration, 419. — c. Alexandrie, seconde Athènes, 419. — d. Politique extérieure, 420. — e. l'Egypte indigène réfractaire à l'hellénisation, 420. — f. Renaissance du sentiment national égyptien, 421.
2. Aperçu historique de l'Egypte ptolémaïque
421
a. Ptolémée I (322-284), fondateur de la dynastie lagide, 421. — b. Ptolémée I occupe la Syrie-Sud (301), 422. — c. Première guerre syrienne ou syro-égyptienne (275—271), 422. — d. Deuxième guerre syrienne (261—247), 423. — e. Troisième guerre syrienne (245—241), 423. — f. Quatrième guerre syrienne (219—217), 423. — g. Cinquième guerre syrienne (200—198), 424. — h. Querelles dynastiques et interventions étrangères, 424. — i. Agonie et fin de la monarchie des Lagides (116-30), 425.
3. Conclusion PLANCHES I — V
425
A L'empire égyptien d'Orient
I. Naissance de l'impérialisme égyptien. Conquête de la Syrie 1. L'Egypte, puissance impériale a. Naissance de l'impérialisme
égyptien
Après avoir recouvert le Proche-Orient asiatique (Asie Mineure, Arménie, Iran), les expansions indo-européennes, poursuivant leurs poussées vers l'Orient méditerranéen, avaient déposé, on l'a vu (I, pp. 398—417), les Mitanniens-Hourrites en Haute Mésopotamie et Syrie-Nord, les Kassites en Babylonie et les Hyksôs dans la Vallée du Nil. Atteinte la dernière par le cyclone nordique, l'Egypte, qui fut la première à le rejeter, s'apprête maintenant à en prévenir le retour, par une contre-offensive en direction de l'Est. Tandis que la Mésopotamie, creuset d'impérialismes constamment en ébullition, végétera longtemps encore sous le joug des Kassites et des Mitanniens-Hourrites, la pacifique Egypte, qui a déjà rejeté les Hyksôs hors de ses frontières, les poursuivra jusqu'à l'Euphrate. En outre, et pendant plus de quatre siècles encore, les Pharaons, qui n'avaient jusqu'ici entretenu avec le monde oriental que des rapports économiques et pacifiques, se feront les champions inlassables du vieil Orient méditerranéen contre le jeune et nouveau monde du ProcheOrient asiatique. Ce rôle de bouclier des vieilles civilisations sémitopharaoniques, contre le Nord et ses hordes barbares, inspiré par leur propre défense, va amener les dirigeants égyptiens à pratiquer une politique nouvelle à l'égard de l'Est, politique d'expansion militaire, qui va mêler l'Egypte, d'une façon très étroite, à l'évolution générale du monde oriental. Tous les régimes antérieurs, l'Empire Thinite, l'Ancien Empire, le Moyen Empire, avaient été des périodes de stabilité et d'unité égyptiennes, plutôt que des Etats à tendances hégémoniques. Avec le Nouvel Empire Thébain, qui succède à l'Empire Hyksôs, les Pharaons inaugureront à leur tour, plus de mille ans après les monarques impérialistes du Tigre-Euphrate, une politique hégémonique, qui se traduira par une expansion militaire en Asie et la création d'un empire colonial. Cet empire incorporera à la vallée du Nil les régions de Canaan, Phénicie et Syrie, sur lesquelles les régimes précédents se contentaient d'exercer une action économique et une influence pacifique. «Désormais, l'Egypte, jusque-là retranchée dans sa vallée entre déserts,
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se lie délibérément au monde asiatique, où elle va tenter d'établir sa prépondérance; nous aurons à relater les affaires non d'un royaume, mais d'un empire égyptien. Aussi l'expression Nouvel-Empire, pour cette plus grande Egypte, est-elle justifiée; ce Nouvel-Empire comprend les XVIIIe, XIXe et XXe dynasties, de 1580 à 1085.»1 Jusqu'aux Hyksôs, on le sait, la rivalité millénaire des Egyptiens et des Mésopotamiens, engendrée par une opposition de besoins et d'intérêts économiques concentrés dans le couloir syro-palestinien, s'était matérialisée par une expansion simultanée, mais différente, des deux grandes puissances: expansion pacifique et commerciale des Pharaons en Canaan-Phénicie, expansion militaire des rois mésopotamiens en Amourrou ou Haute Syrie. La XVIIIe dynastie égyptienne, qui ouvre le Nouvel Empire Thébain, transformera cette politique pacifique en une politique de conquêtes militaires (I, p. 422-429). b.
Syrie-Palestine,
zone de protection
pour
l'Egypte
L'épisode des Hyksôs eut, en effet, de graves conséquences sur les destinées de l'Egypte et des régions syriennes. Le Proche-Orient asiatique ou Orient des Plateaux, depuis qu'il fut remué par les migrations aryennes, s'était affirmé, aux yeux des Pharaons, comme la source des plus grands dangers. D'autre part, le couloir syro-palestinien s'est révélé la route naturelle des invasions nordiques vers la Vallée du Nil. Désormais, il ne suffira plus à cette dernière de fortifier la «Porte de l'Orient» (isthme de Suez) pour barrer le chemin aux Nomades asiatiques. Le danger sémitique, relativement bénin, se trouve maintenant largement dépassé. Ce ne sont plus, comme jadis, les «Amou méprisables», pillards et faméliques, que les fortifications de la frontière orientale maintenaient en respect dans la presqu'île du Sinaï. Il s'agit désormais de grandes masses humaines, de hordes sauvages et belliqueuses, lançant périodiquement leurs flots, enrégimentés et commandés, à la conquête des terres fertiles et cultivées du vieil Orient civilisé. Palestine, Liban, Syrie, ajouteront désormais, à leur rôle de zone économique pour l'Egypte, celui d'une zone stratégique et de sécurité. «L'invasion asiatique non seulement éveilla chez les Egyptiens le sentiment national, mais leur révéla la gravité du danger qui se levait à leur frontière orientale. Ils avaient à redouter une nouvelle migration de hordes nomades, ou le retour offensif d'un Etat puissant, tel que le Mitanni. Or, pour assurer la sécurité de l'Egypte vis-à-vis de l'Asie Mineure, une seule politique a été, de tout temps, efficace: l'occupation militaire de la voie d'invasion, constituée par les vallées Oronte-Jourdain, c'est-à-dire SyrieCanaan . . . Les Thoutmès et les Ramsès ont compris cette obligation stratégique et 1
Moret, Histoire
de l'Orient,
II, p. 482.
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y ont appliqué leurs forces militaires et leur habileté diplomatique. L'histoire nous apprendra que les Ptolémées, les Croisés, Bonaparte, MéhémetAli, et jusqu'au général Allenby, dans la grande guerre 1914—1918, ont obéi à la même nécessité. C'est toujours en Syrie-Palestine que les grands capitaines ont défendu la porte de l'Egypte.» 2 Aussi, après l'épreuve des Hyksôs, l'idée d'établir une zone de protection, en avant de l'isthme de Suez, surgit-elle avec force dans l'esprit des Pharaons du Nouvel Empire. Elle deviendra comme le fondement, la base essentielle de leur politique extérieure, et la condition de leur indépendance. Le programme défensif des souverains égyptiens consistera désormais à prendre possession du couloir Canaan-Phénicie, route des invasions nordiques, et à reconstituer à leur profit l'ancien empire égypto-syrien des Hyksôs. Ce sera la politique traditionnelle de la Vallée du Nil à toutes les époques de son histoire, et même de nos jours. 3 L'œuvre du Nouvel Empire Thébain, qui succède à la domination Hyksôs, sera donc de s'assurer d'une puissante couverture en Asie occidentale et d'une solide armée pour la défendre. La conquête de la Syrie est décidée et la campagne immédiatement commencée. Ainsi, la leçon du malheur fera de la pacifique Egypte un peuple de soldats. c.
Conquête
de la Nubie
(1575—1556)
Après trois ans d'absence, pendant lesquels, poursuivant les Hyksôs vaincus, Ahmès I ( 1580—1558) a parcouru Canaan et «capturé des prisonniers au pays de Zahi» (côte libanaise), le fondateur de la XVIIIe dynastie rentre en Egypte. Ayant reconstitué l'armée et réorganisé la monarchie, il s'empresse de reconquérir la Nubie (Nord-Soudan), qui s'était libérée du joug égyptien depuis l'invasion Hyksôs. Cette expédition s'imposait au monarque avant qu'il ne se lançât en Asie; les provinces nubiennes devaient en effet fournir, à l'armée pharaonique, des archers, des troupes de choc et de la main-d'œuvre. Commencée sous Ahmès I, la conquête de la Nubie ne se terminera que sous son successeur, Thoutmès I, en 1556. «Le roi érige à Tombos, île de la 3e cataracte, une stèle où s'exhale, en style ampoulé, la mégalomanie des conquérants: «Son glaive touche aux deux extrémités de la terre» . . . «Ces conquêtes doublaient l'étendue de la Haute Egypte: il y a 900 kilomètres de Memphis à Eléphantine, mais 1220 kilomètres d'Eléphantine à N a p a t a . . . La barrière fortifiée de Semneh ne se ferme plus aux Nègres qui accompagnent les produits de l'Afrique centrale. Ils fournissent des troupes auxiliaires à l'armée, de la main-d'œuvre pour les travaux 2
Moret, L'Egypte pharaonique, pp. 2 9 0 et 292. L'opposition actuelle de l'Egypte arabe aux projets panarabes de Croissant Fertile ou de Grande-Syrie, trouve dans cette crainte atavique sa légitime explication. 3
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publics, des esclaves pour le service p r i v é . . . En retour, l'influence égyptienne s'exerce, bien au delà de la zone politique, sur les Nègres migrateurs qui vont propager en tous sens, à travers l'Afrique centrale . . . , jusqu'au langage des Egyptiens de l'époque thébaine.»4 Après l'expansion de l'Islam, et aujourd'hui encore, la diffusion de la langue arabe et de l'islamisme, à travers l'Afrique Noire, se fait toujours par la voie des Nubiens et des Soudanais. Thoutmès I (1557—1508), deuxième successeur d'Ahmès I, qui acheva la conquête de la Nubie en l'an 2 de son règne, fit, au cours de la même année, une expédition en Asie. Soumettant le pays de Canaan, il est le premier des souverains égyptiens qui poussa jusqu'à l'Euphrate. Stupéfait de trouver un fleuve qui coule à contresens du Nil, il grave sur une stèle: «J'ai vu de l'eau qui tourne (à rebours du Nil), car elle descend pour aller au Sud» (Moret). Mais cette occupation de la Syrie est précaire. Sous le court règne de Thoutmès II, une révolte est fomentée dans le Harou (Syrie), à l'instigation des rois du Mitanni qui se dressent maintenant contre l'Egypte. 2.
Conquête
du Harou (Palestine,
Liban,
Syrie)
Après la reconquête de la Nubie, les Pharaons se tournent vers l'Asie, où les ennemis sont plus dangereux que ceux d'Afrique. L'armée, reconstituée par Ahmès I, est l'objet des soins particuliers de ses successeurs, et ses membres jouissent d'une condition privilégiée. Des vaisseaux byblites et crétois et des transports égyptiens forment la marine de guerre, qui croise en Méditerranée. Sous Ahmès I cependant, on en était resté, vis-à-vis du Nord, aux procédés d'intimidation: «Le glaive du roi est parmi les Nubiens; ses cris de guerre dans le pays des Fenkhou» (Liban).5 Vers l'époque où nous sommes (1500), les Asianiques Hourrites, que nous avons vus établis, vers 1800, dans le pays des rivières (Naharina), entre l'Oronte et le Khabour, à cheval sur l'Euphrate, s'étendent maintenant plus au sud. Ils constituent l'élément prédominant en Canaan et en Syrie; aussi, les textes égyptiens du Nouvel Empire ne désignent-ils plus la Phénicie et la Syrie sous le nom général d'Amou, mais sous celui de Harou.
Par contre, cet ancien pays de Hourri ou Naharina, le Rezenou des Egyptiens de l'an 2000, est maintenant occupé et gouverné par les Aryens Mitanniens; il devient alors, pour les Mésopotamiens, non plus le pays de Hourri ou le Naharina, mais celui de Mitanni et de Hourri, ou le Mitanni tout court. Les Mitanniens aryens y forment l'élément dominant. 4 5
Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 484, 485, 487. Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 488.
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Les deux capitales, celle des Hourrites (future Edesse et actuelle Ourfa) et celle des Mitanniens (Nissibine), sont encore les centres respectifs des deux races (I, p. 403). Comme l'Empire Hittite (I, p. 404—405), le royaume du Mitanni, commanditaire et cogérant de l'entreprise hyksôs, est donc formé d'une masse de populations asianiques, dominée et dirigée par une aristocratie militaire aryenne. C'est la rivalité de ces deux éléments ethniques qui aurait contribué à la ruine de la domination hyksôs en Egypte, en empêchant les Mitanniens d'envoyer des renforts à leurs congénères du Delta, pour les aider contre les Egyptiens révoltés. Au nord du Mitanni, en Anatolie, le premier Empire Hittite, constitué vers 1800, s'était effondré vers 1750, après son coup de main contre Alep et Babylone. A l'est, l'ancien royaume de Babylonie, devenu le royaume de Kardouniash (I, p. 405—406), végète, depuis 1750, sous les Aryens Kassites. Entre la Babylonie et l'Empire Mitannien, dans le pays d'Assour (future Assyrie), une dynastie de « prêtres du dieu Asur», fondée par Pan Ninoua, le Ninos des Grecs, qui se prolongera jusqu'en 612, a créé, en Haute Mésopotamie, un royaume fondé sur la puissance militaire. Ce royaume sémitique, intercalé entre des monarchies de races différentes et rivales, a conservé son indépendance vis-à-vis des Kassites de Babylone, mais reconnaît la suzeraineté du Mitanni. Désormais, et pendant plusieurs lustres, la Syrie du Nord sera le théâtre de luttes sanglantes entre Mitanniens-Hourrites, Hittites, Amorréens, Assyriens et Egyptiens. Vers 1480, l'Empire Mitannien, appelé Khanigbalbat, inaugure sa puissance renouvelée en s'emparant du royaume d'Alep. Continuateur de la politique traditionnelle des monarchies mésopotamiennes, cet héritier des Hyksôs est le plus puissant Etat de l'Asie antérieure et fait seul, à cette époque, figure de grande puissance. Sa domination s'étend, en pays de Canaan, jusqu'au mont Carmel; c'est lui qui va disputer aux Egyptiens la possession de la Syrie. Dans leur marche vers le Nord, à la poursuite des Hyksôs, les Pharaons trouveront les Mitanniens sur leur chemin. a. Conquête de la Palestine Les randonnées des pharaons Ahmès I et Thoutmès I, en 1560 et 1556, étaient des raids sans lendemain, plutôt que des conquêtes solides. La conquête définitive de la Palestine-Phénicie-Syrie sera recommencée et organisée par le pharaon Thoutmès III (1501—1447). Les seize campagnes orientales de ce grand souverain dureront près de 20 ans (1483—1463); les sept dernières se dérouleront en pays de Canaan et dans la région libanaise. En 1483, Thoutmès III inaugure ses campagnes orientales. Pour lui interdire l'accès de l'Asie, les Mitanniens suscitent, contre les Egyptiens, une
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coalition du Canaan et de la Syrie. Depuis Jaffa «jusqu'aux Confins marécageux de la Terre (Naharina), on se révoltait contre Sa Majesté». En 1482, l'armée égyptienne franchit la frontière, traverse Gaza, contourne la passe du mont Carmel et débouche devant Mageddo (au sud de Nazareth). Taillés en pièces par Pharaon, les coalisés se réfugient dans la citadelle de cette ville. «Tous les princes de tous les pays du Nord sont dans la ville; ce sera prendre mille villes que de prendre Mageddo.»6 Une stèle mentionne que l'armée coalisée comprend 330 princes. Après sept mois de siège, les coalisés capitulent avec armes et bagages. Des sources du Jourdain, dans la Békâ, jusqu'à Tyr, sur la côte, toute la région conquise, au sud de cette ligne, est mise sous l'autorité de princes indigènes, choisis par Pharaon. Une forteresse, construite sur le Jourdain, Beizan, la Bet-Shean biblique, au débouché de la route du Carmel et de Mageddo, commande les accès du Liban. Cette place forte était, pour les Egyptiens, une capitale de résidence, dont le rôle était comparable à celui que tenait Gebal sur la côte. Après ces succès, qui restaurent la puissance égyptienne en Asie et dotent la Vallée du Nil d'une forte zone de sécurité, Thoutmès III revient à Thèbes pour célébrer son triomphe. Impressionnés par sa puissance et ses victoires, les princes asiatiques s'empressent de faire leur cour au vainqueur. Le prince d'Assour, délivré du cauchemar mitannien, envoie au roi d'Egypte quatre kilos et demi de lapis vrai. b. Conquête de la Phérticie Les 2e, 3e et 4e campagnes de Thoutmès III semblent être de peu d'importance. En 1476, une 5e campagne «est dirigée sur les ports du Zahi» (Phénicie), jusqu'à Arvad (l'île de Rouad), et vers Tounep (probablement au nord de Qadesh). «Les jardins (de la côte et des vallées intérieures) étaient pleins de fruits; dans les pressoirs ruisselait le vin comme de l'eau; les grains sur les terrasses (des montagnes) étaient plus abondants que le sable sur la côte . . . Aussi les soldats de Sa Majesté furent-ils ivres et frottés d'huile chaque jour, comme aux jours de fête en Egypte»7 Après avoir organisé en bases d'opérations les ports phéniciens pris, Thoutmès III, en 1475, débarque à Simyra, au nord de Tripoli, d'où il marche sur Kadesh, par la vallée du Nahr el Kébir. Kadesh (près de Homs), centre de résistance et de confédérés, est prise et dévastée, et la population emmenée en captivité en Egypte. c. Conquête de la Syrie-Nord En 1472, une 8e campagne est décisive. «Le roi a brisé toute révolte des « Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 494. 7 Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 495.
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rebelles, en ce pays de Naharina. . . Pour arriver en pays Mitanni, «j'ai traversé en bateau, vers les Confins marécageux de l'Asie. J'avais fait charpenter de nombreux navires de charge en bois de sapin qui sont sur les montagnes de la Terre-du-Dieu (Liban), dans le voisinage de la Dame de Byblos (Hathor). Placés sur des chars que des bœufs ont tirés, on les fit tourner devant moi, pour traverser ce grand fleuve (l'Euphrate) qui fait le milieu entre ce pays étranger et le Naharina» . . . Enfin, Sa Majesté se dirige vers le Sud . . . «pour y chasser et y former des troupeaux d'éléphants». 8 Emus par ces nouveaux succès, mais satisfaits de la défaite des Mitannient dont la puissance paralysait leurs ambitions, les roitelets locaux s'empressent de rendre hommage au pharaon conquérant. Un prince nordsyrien envoie, en cadeau, 2 kilos et demi de lapis de Babylone, avec des objets d'art. Un roi hittite offre 36 kilos et demi d'argent en anneaux, un gros bloc de pierres précieuses et des bois rares. Un prince d'Alasya (Chypre) offre 108 briques de cuivre pur, pesant 185 kilos et demi; 5 briques d'étain, du lapis, de l'ivoire et 1200 porcs (Moret). C'est la 15e campagne de Thoutmès. «L'arrivée des tributs de Chypre et du Grand Khéta marque la fin de la 15e (campagne). Des faits de guerre signalent la 16e et dernière, en l'an 42 (vers 1463): châtiment des Fenkhou (Phéniciens), des villes d'Irkata (Arka, au nord de Tripoli), de Qatna, de Tounep, encore une fois révoltées, mais surtout de Qadesh, où se concentrent les alliés du Mitann i . . . La prise de Qadesh marque la fin des campagnes de Thoutmès III, le succès complet de la revanche contre les Hyksôs . . . Pour bouter l'ennemi hors d'Egypte, et ruiner sa domination en Asie, il avait fallu plus de cent ans d'efforts . . . Le Kharou (Syrie) et le Mitanni étaient vaincus; mais en ces pays de races mélangées et querelleuses, en butte, d'ailleurs, aux nomades insoumis du proche désert (les Soutou), la paix comporte des guérillas continues entre mécontents ou rivaux et contre les pillards. Les successeurs de Thoutmès III en firent l'expérience pendant un siècle.»9 d.
L'Euphrate,
frontière
de
l'Egypte
Conquis et organisé par Thoutmès III, le domaine oriental comprend la Palestine, le Liban et la Syrie jusqu'à l'Euphrate. Il est en frontières communes avec l'Empire du Mitanni, au nord. L'Egypte a maintenant sa frontière stratégique et sa zone de protection: elle ne s'y installera pas longtemps. En plus de ces possessions conquises, l'Egypte victorieuse exerce sur 8
Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 497. • Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 499 et 500.
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Chypre, la Crète, les îles de l'Egée, une suprématie de fait, se traduisant par le paiement régulier de présents ou tributs annuels. La paix officielle ne sera conclue, avec le Mitanni, qu'entre 1430 et 1420. 3. Entente
égypto-mitannienne
a. Réveil des Hittites et des Etats du Nord Pendant que les Hyksôs dominaient en Egypte, tous les peuples orientaux, même ceux du Nord, paraissent subir une éclipse, et leur évolution historique apparaît fort obscure. En Syrie-Canaan, roitelets et cités sont en rivalité et en dispute. Seul, on l'a vu, le Mitanni avait constitué un grand empire, et, après la défaite des Hyksôs, demeurait la seule puissance militaire qui pouvait se mesurer avec l'Egypte victorieuse. Le réveil égyptien et l'expansion des Pharaons en Orient semblent tirer de leur sommeil tous les peuples de cette contrée. Hittites, Kassites, Assyriens, roitelets cananéens et syriens, vont, à l'exemple des Mitanniens, réapparaître sur la scène du monde oriental et disputer aux Egyptiens la possession de la Syrie. Vis-à-vis de tous ces pays et peuples, la politique extérieure des pharaons est celle de la souplesse, de l'équilibre oriental, du protectorat tolérant et libéral. Les événements vont d'ailleurs aider dans cette tâche l'habile diplomatie pharaonique. Vers 1450, apparaît, en Phénicie et en Syrie, une infiltration de hordes nordiques, avant-garde de la célèbre marée qui déferlera, vers 1200, sur le monde oriental et que l'histoire désignera du nom de «Peuples du Nord et de la Mer». Sous la pression de ces hordes, les Hittites d'Anatolie et de Cilicie se déplacent déjà vers le sud. Vers 1430, Khattousil II, roi hittite, ayant réorganisé l'Etat et reconstitué son armée, enlève aux Mitanniens le royaume d'Alep. D'autre part, les rois Kassites de Kardouniash (Babylonie), poursuivant la politique traditionnelle de leurs prédécesseurs, cherchent à reconstituer l'ancien Empire babylonien et à conquérir la Haute Syrie mitannienne, pour déboucher sur la Mer Supérieure. Enclavé entre les Hittites et les Kassites, le royaume du Mitanni, pris dans un étau, ne pouvait échapper au danger qui le menace qu'en s'appuyant sur l'Egypte. b. Pacte d'alliance égypto-mitannien (vers 1420) «Un intérêt égal poussait donc le Mitanni et l'Egypte à s'unir contre une menace commune, à s'entendre pour confirmer les positions acquises, de part et d'autre de l'Euphrate qui délimitait leurs zones d'influence. Ainsi se réalisa Yentente entre les Egyptiens et les héritiers des Hyksôs. Cette entente se révèle surtout par des mariages qui unissent les pharaons
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Thoutmès IV, Aménophis III et IV à des princesses mitanniennes, soit en leur donnant le titre de reine, soit celui d'épouse royale dans le harem.» 10 Pour se rapprocher du Mitanni, qui voulait un accès sur la mer, Thoutmès IV lui abandonne la partie septentrionale de la côte méditerranéenne. La frontière égyptienne fut ramenée sur l'Oronte. Cette entente égyptomitannienne, scellée par des mariages, procédait d'une conception entièrement nouvelle dans le monde. L'Egypte entrait, en fait, dans la voie de la reconnaissance des Etats souverains et égaux en droit. A partir de cette époque, les pharaons, qui n'avaient encore épousé que des princesses égyptiennes de sang divin, entrent dans la voie des mariages politiques. Thoutmès III prend pour grande épouse une Mitannienne; son fils, Aménophis III, s'allie à une Phénicienne et, quelque temps après, à une Mitannienne, puis à une Kassite de Babylone. Pour la première fois, le sang étranger coule dans les veines d'un pharaon. Cette évolution et ce libéralisme étaient, pour l'Egypte, le gage de la paix et de la prospérité générales et celui du succès de sa politique impériale en Asie. c. Rapports
avec Hittites, Assyriens,
Kassites
Avec les Hittites, les Assyriens, les Kassites de Babylone et les roitelets de Phénicie et de Canaan, les rapports de l'Egypte et l'attitude des pharaons varient selon les oscillations de l'équilibre oriental. Entre tous ces peuples et ces Etats du monde oriental, les dirigeants égyptiens vont mener, jusque vers 1200, une politique de bascule. Ils opposeront, les unes aux autres, les ambitions et les convoitises des dynastes locaux, interviendront diplomatiquement, militairement ou financièrement, tantôt pour les uns, tantôt pour les autres. «L'Orient méditerranéen (ancien) a connu et pratiqué toutes les ressources de cette diplomatie internationale que notre naïveté d'Européens croyait «inventée» par les ambassadeurs italiens, espagnols, anglais et français, au temps de notre Renaissance! En fait, dès le deuxième millénaire avant Jésus-Christ, les Orientaux usaient, sans qu'ils fussent neufs, de tous les procédés de la diplomatie moderne. Par l'office de leurs scribes et de leurs ambassadeurs, les pharaons ceignaient les frontières de leurs provinces syriennes d'un réseau continu de pays alliés ou neutres, servant d'Etats tampons contre les migrations inévitables ou les probables agressions.»11 De leur côté, Hittites, Mitanniens, Kassites, roitelets cananéens et syriens, rivalisant de subtilité, ourdissent leurs intrigues, autour des Pharaons, à Thèbes ou à El-Amarna, devenues les capitales de la politique orientale. 10 11
Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 503. Moret, L'Egypte pharaonique, p. 313.
II. L'empire égyptien d'Orient et ses voisins du nord 1. L'empire égyptien d'Orient Les termes d'«Empire égyptien d'Asie» ou «d'Orient», ou de «provinces égyptiennes», employés par les historiens modernes pour désigner les régions syro-palestiniennes annexées par l'Egypte, sont d'invention récente. Les pharaons ne se servaient pas d'expressions semblables. Les documents officiels désignent les pays soumis par leurs seuls noms indigènes: Canaan, Zahi, Harou (respectivement: Palestine, Liban, Syrie). a. Etendue et richesse des provinces orientales Les provinces orientales, avec leurs trois ou quatre millions d'habitants, leurs Etats autonomes — cités marchandes ou principautés terriennes — constituaient pour l'Egypte un immense accroissement de puissance et de richesse. C'était, à la fois, un rempart contre les invasions asiatiques et un marché commercial. La richesse des pays de Canaan et d'Amourrou est surtout représentée par l'activité économique des cités phéniciennes, principautés dominées par la classe marchande: Gebal, Tyr, Sidon, Arvad, etc. Elles possèdent des flottes importantes et sont les marchés du commerce international entre l'Egypte, la Méditerranée, la Crète et Babylone. C'est grâce à cette source de richesses, canalisée vers la Vallée du Nil, que la civilisation a pu atteindre, à cette époque, un haut degré de luxe et de raffinement (tombeau de Touthankhamoun, etc.). «Chaque année, affluaient en Egypte des tributs de toutes sortes dont les premiers bénéficiaires étaient sans doute le roi et le clergé (particulièrement le clergé d'Amon). Mais les soldats et les fonctionnaires participaient eux aussi aux revenus de l'Etat et il n'était pas jusqu'aux plus humbles classes de la société qui n'eussent, au moins indirectement, leur part dans cette distribution. Cet accroissement du pouvoir d'achat développa logiquement le goût du luxe et celui des arts, particulièrement des arts mineurs. 11 semble que le peuple, pendant la plus grande partie du Nouvel Empire, se soit affiné au contact d'une civilisation dont les bienfaits se multipliaient et qu'il ait atteint, sinon le bonheur, du moins un certain nombre de jouissances qui s'en approchaient.» 12 12
Drioton et Vandier, L'Egypte, p. 323.
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En effet, la création d'un empire colonial à l'Est et les contacts avec les Asiatiques ont, sur le pays nilotique, des répercussions considérables. Sans compter le goût du luxe, l'influence du pays conquis sur le vainqueur se manifeste dans les idées religieuses, la littérature, l'art, le costume et la parure. b. Organisation politique des provinces orientales «En principe, Canaan et Syrie, comme l'Egypte, sont considérés propriété personnelle de Pharaon: «Canaan est ta t e r r e . . . les Syriens t'appartiennent comme tes chiens», lisons-nous aux Lettres d'El-Amarna . . . En fait, chaque région, nous l'avons vu, garde son nom originel, reste aux mains des chefs locaux, avec ses populations indigènes.»13 Superposé aux dirigeants autochtones, Pharaon gouverne en qualité de véritable empereur. Mais le régime égyptien n'est pas, comme le régime mésopotamien, une tyrannie; c'est un protectorat libéralement conçu. Chaque peuple conserve, sous contrôle égyptien, son administration traditionnelle: conseils locaux, rois, melek ou princes, en Phénicie et ailleurs. Des garnisons égyptiennes sont installées aux points stratégiques. La puissance souveraine n'impose que la fourniture de contingents, pour contribuer à la sécurité générale, et le paiement d'un tribut annuel, dont le taux et les modalités sont fixés par convention. Ce système impérial, véritable paix romaine avant la lettre, repose, à la fois, sur la force égyptienne, sur l'adhésion des populations indigènes et sur la solidarité matérielle et morale des intérêts qui unit vainqueurs et vaincus. C'est l'avènement, en Orient, d'une grande paix qui durera pendant un demi-siècle. «Très centralisateur en Egypte et en Nubie, le gouvernement égyptien était essentiellement décentralisateur en Asie. Les Pharaons, avec une grande sagesse politique, avaient compris qu'ils avaient plus d'avantages à respecter extérieurement l'autonomie des innombrables principautés d'Asie, afin de pouvoir jouer en tous temps le rôle d'arbitre, qu'à s'aliéner des populations habituées à l'indépendance en cherchant à leur imposer, par des mesures vexatoires, des habitudes qui ne pouvaient convenir à leur tempérament. C'est ainsi que l'Empire asiatique de l'Egypte se composait principalement d'une poussière de cités, le plus souvent fortifiées, et gouvernées tantôt par un roi, tantôt par un conseil de notables.»14 c. Les tendances régionalistes encouragées et maintenues Comme aux époques antérieures, Canaan, Phénicie, Syrie, qui continuent à abriter une multitude de cités, de roitelets, de peuples et de tribus auto13 14
Moret, L'Egypte pharaonique, p. 314. Drioton et Vandier, op. cit., p. 447.
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nomes, restent, sous la domination égyptienne, dans cet état de morcellement. L'autorité suzeraine n'a pas besoin de faire beaucoup d'efforts pour appliquer le principe: «diviser pour régner». Les divisions et les rivalités régionales, favorisées par les conditions physiques de la contrée, sont déjà un mal chronique et incurable. Ainsi, les populations indigènes sont groupées par villes ou provinces; elles ont l'autonomie, mais non pas l'indépendance. Chaque ville forme avec sa banlieue une petite principauté, indépendante des cités ou provinces voisines. L'autonomie locale y est exercée par un chef indigène, un rabisou ou khazanou; suivant l'importance de la ville, c'est un prince ou roitelet, le melek des Sémites, un cheikh ou chef. Il est assisté par des fonctionnaires égyptiens, conseillers ou contrôleurs, sans résidence fixe: les «Messagers royaux». Les rabisous ou khazanous indigènes correspondent sans intermédiaires avec leur suzerain, le Pharaon. Leurs missives, qui forment la plus grande partie des Lettres d'El-Amarna, témoignent d'une humble servilité: «Au roi, mon Seigneur, mon Dieu, mon Soleil, il est dit CCC1! « moi, khazanou de la ville N . . . , ton serviteur, poussière de tes pieds, sol que tu foules, planche de ton siège, escabeau de tes pieds, sabot de tes chevaux, je me roule, de ventre et de dos, sept fois, dans la poussière aux pieds du roi, mon Seigneur, Soleil du C i e l . . . Je suis le serviteur du roi, le chien de sa maison, je garde tout le pays de N . . . , pour le roi mon seigneur.»15 d. Attributions des roitelets locaux Les tâches du rabisou sont ainsi définies: maintenir la paix avec les forces locales, l'Egypte n'y contribuant que par l'envoi d'instructeurs; rassembler et expédier en Egypte le tribut annuel. En outre, les fonctionnaires égyptiens, les inspecteurs, les armées en expédition, la cour de Pharaon en voyage, vivaient sur le pays. Quelques garnisons égyptiennes sont établies. Mais au point de vue administratif, le rôle des rabisous indigènes est réduit à celui de représentant du pouvoir central. Aucune difficulté, même locale, ne se règle sans l'assentiment du roi d'Egypte. Les «messagers royaux», en tournée d'inspection, envoient leurs observations à Memphis, à «l'Administrateur de l'Asie, qui connaît les directions à donner aux pays des Fenkhou» (Phénicie). Les cités phéniciennes forment de petits Etats où l'autorité est collective; une assemblée assiste le monarque. En Syrie intérieure, la seule principauté qui présente quelque étendue est celle d'Amourrou; elle est aux mains d'une famille puissante, qui deviendra bientôt dynastie royale, celle du prince amorréen Abdi-Ashirta et de son fils Azirou. Ces deux person15
Moret, L'Egypte
pharaonique,
p. 316, 317.
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nages, ambitieux et rusés, donneront du fil à retordre à leurs voisins et à leurs suzerains. e. Protectorat
libéral
«En somme: administration locale, indigène, à formes diverses; garnisons indigènes, avec quelques cadres égyptiens d'officiers et de fonctionnaires; des inspecteurs à vastes pouvoirs, sous la surveillance personnelle du roi, c'est un régime que nous appellerions protectorat; notre civilisation moderne l'a réinventé, quand le problème colonial s'est posé au dix-neuvième siècle. Il faut faire honneur à l'administration égyptienne de l'avoir appliqué en Asie antérieure, avec un libéralisme véritable . . . Quel contraste, tout à l'honneur des Nilotiques, avec les procédés violents des potentats d'Asie: massacres, pillage, déportation en masse des habitants, leur remplacement par des colonies militaires implantées dans les provinces conquises . . . Sous la tutelle des administrateurs égyptiens, les populations de Syrie-Canaan ont été préparées à une vie sociale nouvelle, qui s'épanouira à la fin du Ile millénaire.»16 Cette suzeraineté libérale, ce régime de protectorat, assure aux provinces orientales l'ordre et la sécurité et stimule leur prospérité économique. Un grand courant d'échanges circule entre les capitales orientales: Babylone, Assour, Gebal, Chypre, la Crète et le Delta du Nil. La puissance et la civilisation de l'Egypte sont reconnues par le monde oriental, qui ressent, pour la première fois dans l'histoire, les bienfaits d'une politique de paix et d'entente, et accepte de confier à l'Egypte la direction de ses destinées. Entre les Pharaons et les différents monarques orientaux, une sorte de fraternité est désormais admise, de même qu'entre leurs ministres respectifs. Le mot «frère» est employé dans les correspondances royales. Mais Pharaon, par sa puissance et sa richesse, conserve une position éminente; ces avantages lui font un devoir d'aider les rois moins favorisés. «Pharaon devient, en quelque sorte, le banquier de l'Empire» (Moret). / . Domination
égyptienne
et culture
babylonienne
L'hégémonie politique et économique de l'Egypte est assez libérale pour ne pas exclure de ce carrefour mondial, qui est devenu son domaine, toute autre influence. Les échanges avec la Mésopotamie sont très actifs dans les divers centres syriens, et l'influence culturelle de Babylone est prépondérante en Phénicie comme en Syrie. Babylone qui, depuis la domination des Kassites en 1750, n'est plus un empire, est maintenant une métropole mar16
Moret, L'Egypte
pharaonique,
p. 317, 318.
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chande et financière, trait d'union entre l'Orient méditerranéen et l'Inde qui se développe. Mais si l'Egypte domine politiquement le couloir syro-palestinien, c'est le babylonien qui est, dans cette région, la langue du commerce, et c'est le droit babylonien qui préside aux transactions. Les pharaons eux-mêmes emploient le babylonien, comme langue internationale du «service des pays étrangers». C'est donc l'économique, et non le politique, qui détermine, en Syrie-Phénicie, l'orientation de la civilisation. C'est peut-être aussi l'effet d'une réaction nationale contre le dominateur égyptien. Et la Phénicie, avant tout sémitique, est, par surcroît, l'avant-port de la Mésopotamie. Cependant, en dépit de cette primauté du babylonien, comme langue internationale, idiome du commerce et de la diplomatie, le phénicien, cette langue-sœur du babylonien, demeure la langue nationale et même internationale des Cananéens du Liban. C'est elle qui est employée par ces derniers dans leurs transactions et correspondances avec leurs agents et leurs comptoirs à l'étranger. La grande diffusion du babylonien n'a pas empêche les Phéniciens d'employer le véhicule de leur propre langue lorsque, vers cette époque, ils inventèrent l'alphabet, pour faciliter leurs relations commerciales avec les pays éloignés. Ces faits attestent à quel point cette race pré-libanaise, si cosmopolite et si ouverte, entendait conserver sa personnalité particulière.
2. Rapports
de l'Egypte et de la Crète
La Crète, qui avait connu, à partir de 2100, une grande prospérité commerciale et une activité maritime dirigée vers les pays orientaux (I. p. 408), subit, à partir de 1750, une crise redoutable. Les invasions aryennes, qui installèrent les Kassites à Babylone et les Hyksôs en Egypte, en désorganisant la vie économique dans le monde oriental, avaient eu leurs contrecoups dans le monde méditerranéen naissant. La perte de ces deux marchés, mais surtout du marché égyptien, avait ruiné la ville de Cnossos, capitale de la Crète. La crise économique semble y avoir déclenché, vers 1750, une révolution qui gagna toutes les cités. Pour sortir de ce marasme, qui se prolongea pendant près de cinquante ans, Cnossos oriente l'économie crétoise vers un nouveau marché, la péninsule hellénique, qu'elle éveillera à la civilisation, et où les Aryens Achéens viennent de s'installer. La colonisation de la péninsule hellénique par les Crétois y amena bien vite, avec la civilisation, une prospérité grandissante. Mycènes, ville capitale de la future Grèce, adoptera les mœurs, les costumes et les arts crétois, et ses palais correspondent à ceux de Cnossos. La Crète recouvre sa pros-
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périté avec le développement de ce nouveau marché. La marine crétoise devient maîtresse de la Méditerranée orientale, tandis que celle des Phéniciens s'éclipse, après la ruine de ses ports. Cette maîtrise de la mer, passée à la Crète, se développe avec la résurrection du marché égyptien après la chute des Hyksôs (1580). Alliée de l'Egypte, peut-être même sa vassale, la marine crétoise va affirmer son monopole en appuyant les forces terrestres égyptiennes lancées à la conquête de la Syrie. Elle transporte les troupes pharaoniques, accapare les exportations des ports phéniciens et inonde les marchés orientaux des produits de la Crète et de l'Egée. Elle devient le courtier maritime du monde méditerranéen oriental. «Sa prospérité se décèle par une vie sociale luxueuse et joyeuse qui nous étonne par ses aspects modernes. Culte d'une Madone à l'Enfant, probablement importé de Syrie; courses de taureaux; costumes de femmes (blouse à col Médicis et jupe arrondie en cloche avec volants, cousues et non drapées; si bien qu'une fresque est baptisée: la Parisienne); fresques dont on a dit qu'elles évoquaient Botticelli et Constantin Guys; émancipation de la femme qui prend part aux spectacles, monte en char, va à la chasse et joue les toréadors.»17 C'est vers cette époque que les Crétois et les Egéens ont commencé à pousser, vers l'Ouest, le réseau de leurs comptoirs maritimes, notamment en Italie et en Sicile. Vers l'Est, sur les côtes d'Asie Mineure, la vie économique et la navigation progressent rapidement. Troie, sur l'Hellespont (Dardanelles), devenue le siège d'une grande foire internationale, prend une place importante par les péages qu'elle perçoit et par son industrie. L'île de Chypre, grâce à ses gisements de cuivre et à la résine de ses pins, devient, elle aussi, une puissance navale et économique. Ainsi, le monde occidental, qui, au seuil de l'histoire, était presqu'inconnu, est maintenant en voie de croissance continue. En face de l'Orient continental, l'Occident maritime devient de plus en plus important.
3. L'Egypte, centre de la vie mondiale a. Centre principal du commerce international Le vieil axe économique: Egypte-Phénicie-Babylone, est désormais augmenté d'un nouveau partenaire: la Crète. Ces quatre centres sont, à cette époque, les plus grands carrefours du commerce international. Mais c'est l'Egypte qui est le pôle d'attraction du commerce maritime dont le volume 17
De Laplante, Histoire générale synchronìque, I, pp. 45, 46.
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s'accroît de plus en plus. La vie du Nouveau Monde égéen, tournée déjà vers l'Ouest, est toujours axée autour des ports phéniciens, qui font partie de l'empire des Pharaons. Pour centraliser le commerce maritime, ces derniers construisent, sur le site actuel d'Alexandrie, le grand port de Pharos, fréquenté par les marines phénicienne et crétoise. Un canal est percé, qui rattache la Mer Rouge à la ville de Bubastis, sur le Nil; l'isthme de Suez est, pour la première fois, percé. Memphis, capitale de l'Egypte, reçoit les bateaux qui viennent d'Arabie, de Crète et de Phénicie. Des flottes partent vers le pays de Pount, et même vers les Indes. L'ensablement du Delta mésopotamien, qui avait déjà ruiné les villes sumériennes du golfe Persique au profit de Babylone, a fini par y arrêter le commerce maritime; la route des Indes est ainsi déplacée vers le sud, et le commerce avec les côtes asiatiques est détourné vers la Mer Rouge et le Nil. Mais Babylone, quoique isolée du golfe Persique, demeure le centre des voies terrestres de l'Asie continentale. Elle a rétabli son autorité sur les deux fleuves, jusqu'au golfe Persique. La voie des caravanes qui, par Suse et le Bélouchistan, pénètre vers les Indes, est toujours fréquentée. Point de rencontre de l'Asie antérieure, des Indes, de l'Asie centrale, de l'Asie Mineure et de la Phénicie, la vieille capitale mésopotamienne est le plus grand centre international du commerce terrestre et de la finance. Et la Phénicie est toujours son avant-port sur la Méditerranée orientale. Les ports phéniciens, en rapport, d'un côté avec Babylone, de l'autre avec la Crète et l'Egypte, sont un centre très actif où se concentrent et d'où s'exportent les produits des trois continents du Vieux Monde. Mais c'est l'Egypte qui est le centre principal du commerce international, point de jonction du monde méditerranéen et du monde indien, tous deux en voie de développement. Sur le plan international, elle est la grande puissance financière et politique du temps. Pour les emprunts qu'elle concède continuellement aux rois de Babylone, du Mitanni, d'Assyrie, elle s'assure, vis-à-vis d'eux, une position dominante. b. Les bienfaits de la paix égyptienne Pour la première fois dans l'histoire, les pays du Proche-Orient ressentent les bienfaits d'une politique d'entente, d'une direction du monde oriental par un chef unique. Le grand courant d'échanges matériels et artistiques, qui circule entre Babylone, Assour, Gebal, Chypre, Cnossos, se dirige vers le Delta égyptien, qui le renvoie multiplié. Ces apports, au début contributions de guerre, deviennent, par la suite, éléments du commerce mondial. Les autorités locales, rabisou ou Assemblées, correspondent sans intermédiaires avec le roi d'Egypte. Aucune province n'a de pouvoir sur une autre. Cependant, parmi les cités, Tounep dans le Zahi, Simyra, port phé-
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nicien où le directeur égyptien centralisait les navires porteurs des tributs, Gebal «la fidèle, une autre Memphis», revendiquent un rôle dirigeant, justifié par leur loyalisme à Pharaon. Cette grande paix égyptienne, effective et sans secousses, se prolongera en Orient jusqu'après 1400.
III. Révolution religieuse en Egypte: le monothéisme solaire 1. Aton-Soleil, dieu unique, remplace Amon Forgée par les armes et la victoire, la domination égyptienne en Orient devient précaire à mesure que ses moyens militaires s'affaiblissent. Pour consolider leur puissance, les Pharaons inaugurent une réforme religieuse destinée à unir, dans un même culte d'empire, la métropole et les provinces orientales. A l'unité politique, doit correspondre une harmonie spirituelle, qui, à cette époque, «est avant tout religieuse». «La paix de l'Orient signifie que les dieux des divers peuples ont déposé les armes et souscrit les traités: cela est dit en propres termes aux traités intégralement conservés, par exemple entre Ramsès II et Khattausil III, vers 1278.»18 Dans d'autres textes, enregistrant la paix conclue entre les Hittites et leurs voisins d'Asie Mineure, les dieux des anciens adversaires sont garants des traités. Ces faits se passent, rappelons-le, avant la naissance du judaïsme, du christianisme et de l'islamisme, qu'on accuse bien à tort d'être des causes de divisions politico-religieuses en Orient. a. Objectif de la réforme religieuse Un culte d'Empire, un dieu unique pour tous les sujets de Pharaon, doit lier à la cour de Thèbes les peuples disparates d'Egypte et d'Orient, et remplacer, au besoin, les forces d'occupation d'une métropole essentiellement pacifique. Six cents ans avant cette époque, Hammourabi, on le sait, avait déjà réalisé cette réforme politico-religieuse, en élevant Mardouk, dien local de Babylone, au rang de dieu suprême de l'Empire (I, pp. 303— 305). En Egypte, le Soleil, qui avait déjà un caractère international, est choisi comme dieu unique de la métropole et de l'Empire, au détriment d'Amon, dieu de Thèbes et dieu dynastique et national. La réforme ne se réalisa pas sans secousses en Egypte; elle fut, au contraire, l'occasion d'une véritable révolution, provoquant un schisme qui divisa le pays en deux camps hostiles. C'est que le clergé amonien avait pris, dans l'Etat, une puissance politique incompatible avec son rôle strictement religieux; il s'opposa de toute sa force à l'élimination du dieu Amon. Aussi, l'idée de soustraire la monarchie à l'influence du clergé is Moret,
Hist. de l'Orient,
II, p. 515.
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amonien ne fut-elle par étrangère à l'esprit des réformateurs. Elle en fut même une des raisons déterminantes. b. A mon, dieu dynastique et national Nous avons vu, au cours de l'histoire égyptienne que nous venons de suivre, se succéder plusieurs dieux dynastiques ou nationaux, correspondant aux grandes périodes historiques ou Empires. Après Osiris (Empire Thinite), Hôrus, puis Râ (Ancien Empire), Amon (Nouvel Empire), le Nouvel Empire Thébain connaîtra encore, pour peu de temps, il est vrai, un nouveau patron divin: le dieu-soleil Aton. Rappelons qu'Amon, dieu de Thèbes, dont la fortune a suivi l'ascension de sa ville sous le Moyen Empire Thébain, a déjà pris, sous le Nouvel Empire et après les conquêtes asiatiques, une importance considérable. Force productrice et génératrice, dieu de la fertilité, «roi des dieux» et père des pharaons, dieu national par excellence, Amon est représenté tantôt avec une tête humaine, portant, en guise de coiffure, une sorte de mortier dans lequel sont plantées parallèlement deux hautes plumes droites, et tantôt avec une tête de bélier aux cornes recourbées. (Un animal de cette espèce, incarnant ce dieu, est nourri pieusement à Karnak). C'est à Amon ou Amon-Râ, dieu dynastique et national, que le clergé amonien rapportait la victoire sur les Hyksôs, les conquêtes de la Nubie et des provinces orientales, la gloire et la richesse qui s'ensuivirent pour l'Egypte. Aussi, le clergé amonien, dont les richesses s'accrurent formidablement, avait-il pris dans l'Etat, et même sur le roi, un extraordinaire ascendant. Dès le règne d'Ahmès I, apparaît la fonction de «Premier Prophète d'Amon», exercée par le grand-prêtre de ce dieu, qui intervient comme ministre suprême dans les affaires politiques et officie même, aux lieu et place du roi, pour le culte divin. Il intervient même, lors de la succession au trône, en statuant sur la légitimité des princes héritiers, comme cela arriva pour Thoutmès I, II et III. Enfin, les tributs, le butin et les richesses, qui venaient d'Asie, étaient, pour la majeure partie, confisqués par le clergé amonien. c. Aton, dieu unique et universel Trop exclusivement égyptien, le culte d'Amon convenait difficilement aux différentes provinces de l'Empire oriental. Aux races diverses juxtaposées, une religion universelle s'imposait. D'autre part, en Egypte même, les circonstances et l'évolution des esprits avaient complètement changé l'orientation des idées et rendu désuètes certaines conceptions traditionnelles et religieuses. Seul, le dieu Soleil, sous des formes diverses, était, dans tout le monde oriental, adoré et vénéré. Ce fut donc le Soleil, sous sa forme
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de disque (et non pas d'obélisque) et sous le nom d'Aton (nom du disque solaire), que le pharaon Aménophis IV (1370—1352) adopte comme dieu suprême de l'Empire. Bien plus, abandonnant Thèbes, ville du dieu Amon et centre de son clergé, Aménophis IV fonde, en Moyenne Egypte, une nouvelle capitale, Ikhoutaton (l'Horizon d'Aton), l'actuelle Tell-elAmarna, et change son nom Aménophis (qui signifie Amon est satisfait), en celui d'Akhnaton (la Gloire d'Aton). Le culte du Soleil, on l'a dit, était celui qui cadrait le mieux avec l'unité religieuse et l'harmonie spirituelle des divers peuples de l'Egypte et de l'Empire. Le Soleil était, en effet, dans tout le monde oriental, le symbole qui incarne la justice, l'ordre et la paix. Râ-Soleil, père de Pharaon, inspire à ce dernier la justice; Shamash-Soleil dicta à Hammourabi, roi de Babylone, son Code ou décisions d'équité. La «naissance solaire» du souverain était admise par les Asiatiques, tout autant que par les Egyptiens. «Qu'est-ce à dire sinon que, par ce culte de l'astre, seigneur du monde, du Soleil, dieu d'Empire, les souverains égyptiens et asiatiques sont confondus, aux yeux de leurs divers peuples, dans une commune et sublime parenté? Cette adoration d'un dieu universel, créateur des royaumes, inspirateur des lois et de la paix mondiale, servait tous les desseins du roi d'Egypte qui s'en montra le zélé promoteur . . . Le culte du Soleil se confond donc avec le culte du Pharaon, et cela se vérifie dans les temples, aussi bien en Egypte que dans les provinces extérieures de l'Empire.» 19 Le caractère universel de la religion nouvelle se manifeste dans le culte rendu au nouveau dieu. Aucune statue, rappelant une divinité égyptienne quelconque, ne représente Aton; celui-ci est figuré par une forme commune, celle d'un grand disque rouge, d'où partent, en éventail, de longs rayons solaires. Son culte, rendu dans des temples solaires, consistait dans l'oblation de fruits et de gâteaux, et dans la récitation d'hymnes, dans lesquels le soleil était glorifié comme créateur de l'humanité et bienfaiteur du monde. Aucune allusion n'y était faite aux vieilles légendes mythologiques de l'Egypte. Ces hymnes, qui proclamaient que tous les hommes sont les enfants d'Aton pouvaient donc être chantés, tant par les habitants de la vallée du Nil que par les Etrangers. 2. Le monothéisme atonien ou solaire, produit de l'impérialisme politique des Aménophis a. Aton, dieu unique, et Pharaon son Prophète La réforme d'Aménophis est le résultat de plusieurs causes. L'une d'elles, on l'a dit, est la concentration politique du pouvoir, le groupement de pays 19
Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 516.
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disparates et de peuples hétérogènes sous le sceptre d'un roi suprême, vicaire d'un dieu commun à tous les sujets. Ce dieu unique cimenterait l'union des peuples et consoliderait l'armature de l'Empire. «L'idéalisme humanitaire rejoint l'intérêt politique des Egyptiens. Dans l'enivrement sincère de sa foi, Ikhounaton propose à tous les peuples de s'unir dans le culte d'Aton; mais n'oublions par qu'en politique monothéisme signifie impérialisme. Si le culte d'Aton était adopté par l'Orient proche, quel triomphe pour Pharaon, «Soleil des cheikhs étrangers, Soleil des pays et des nations!» Or, il n'est pas douteux que, dans l'esprit d'Ikhounaton, lui seul était qualifié pour être le chef des croyants et enseigner la nouvelle foi universelle. Voici le dernier verset de l'hymne fameux:.. . «O Aton,. . . qui fais vivre les hommes,. . . élève-les pour ton fils qui est sorti de ta chair, moi, Ikhounaton.» Le mot d'ordre à la cour était: «Il n'y a qu'un dieu, Aton, et Ikhounaton est son prophète.»20 Avant même la réforme d'Aménophis IV, dans plusieurs temples de Canaan et de Syrie, comme en Nubie, les habitants adoraient les dieux et les statues des pharaons. «Pour comprendre la valeur politique d'un tel «culte du souverain», il n'est que de se rappeler l'importance, dans l'Empire romain, du «culte de Rome et de l'empereur», conception d'ailleurs empruntée par les Césars aux pharaons, par l'intermédiaire des Ptolémées.»21 Plus de 600 ans avant Aménophis IV, Hammourabi, on l'a vu, avait déjà jeté les bases d'une doctrine monothéiste; en proclamant la suprématie du dieu Mardouk, il pensait mieux unir les peuples disparates de son Empire Babylonien. Mais la réforme monothéiste du Pharaon et sa doctrine universaliste étaient étrangères au peuple égyptien, d'esprit régionaliste, ainsi qu'aux classes dirigeantes, pour lesquelles l'Empire signifie l'hégémonie politique et l'exploitation des peuples soumis, fussent-ils adorateurs d'Aton. Aussi, de même qu'après la mort de Moïse, les Israélites abandonneront le monothéisme religieux pour lequel ils n'étaient pas encore mûrs, de même le monothéisme atonien disparaîtra dès la mort d'Aménophis IV. Toutankhaton (1352—1320), gendre et successeur de ce dernier, cédant devant la réaction amonienne du clergé de Thèbes, abjurera le culte d'Aton, fera sa soumission au clergé d'Amon, quittera Amarna pour réintégrer la ville de Thèbes (1343) et prendra le nom de Toutankhamon. Ce roi, qui jouera un rôle effacé et mourra à 18 ans, après un règne de 9 ans, doit sa popularité à sa tombe, récemment découverte, qui est la seule tombe royale inviolée et demeurée dans un état de conservation unique. 20 21
Moret, H ¡st. de l'Orient, II, p. 530, 531. Moret, L'Egypte pharaonique, p. 319.
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b. Le monothéisme atonien, d'inspiration
1600—1200 sémito-asiatique
La primauté divine d'Aton, perceptible sous Thoutmès IV (1450—1405), avait commencé à se dessiner dès le règne d'Aménophis III (1405—1370). Aton était déjà, comme Râ, un dieu-soleil, représenté sous la forme du disque solaire, tandis que Râ-Soleil avait pour emblème le benben ou obélisque. Rappelons aussi que le dieu solaire, sous forme de disque, est, dès les temps anciens, de provenance asiatique, et que le nom d'Aton est d'origine sémitique, Adon, qui signifie seigneur. La réforme religieuse d'Aménophis IV, son monothéisme intransigeant et exclusif, contraire à l'esprit tolérant, libéral et conservateur des Egyptiens, serait plutôt d'inspiration sémitique. Les changements antérieurs, qui avaient substitué un dieu dynastique à un autre, sans porter atteinte aux prérogatives des autres divinités, contrastent avec l'ardeur fanatique avec laquelle Amon est combattu par les adeptes de la nouvelle foi. En réalité, le personnage principal qui exerce, à cette époque, une influence directrice sur Aménophis III, et sur son fils Aménophis IV, auteur de la Réforme, est la reine Tij, épouse du premier et mère du second. Or, Tij est, comme par hasard, une Sémite, plus particulièrement une Phénicienne. Ajoutons aussi que la mère d'Aménophis III, aïeule du réformateur, est, elle aussi, une Mitannienne-Hourrite de Syrie-Nord. «Aménophis III épouse une Asiatique, dès le début de son règne (1405): Tij, fille d'un cheikh (heqa) du Zahi (Phénicie), nommé Iouia, et d'une dame Touïa; elle reçoit, elle aussi, le rang de reine; toujours figurée sur les monuments à côté du Pharaon; les Lettres attestent qu'elle joue un grand rôle dans la politique égyptienne, et lui prodiguent les marques de respect. Cette Asiatique du Zahi (cananéenne ou mitannienne?) fut la mère d'Aménophis IV, le réformateur monothéiste (sous le nom d'Ikhounaton). Dans celui-ci se trouve bien dilué, par l'ascendance maternelle et grandmaternelle, le sang divin, le sang solaire, jusqu'ici conservé pieusement dans son intégrité par les unions endogames des Pharaons avec des sœursépouses.» 22 Aménophis IV avait douze ans lorsque, en 1370, il succède à son père sur le trône. Sa mère, la Phénicienne Tij, qui était déjà l'âme de la monarchie sous Aménophis III, prend la régence; elle restera jusqu'à sa mort, même après la majorité de son fils Aménophis IV, sa conseillère officielle et son ministre effectif. Rompant avec la doctrine amonienne, Tij, la reine-régente, sacre Aménophis IV, non par Amon, mais par le temple de Râ-Soleil, et un grand temple-obélisque est construit à Karnak, à côté du temple d'Amon-Râ. Bien plus, le roi est proclamé «Premier prophète d'Aton». La rupture avec 22
Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 504.
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Amon est ainsi consommée, et une guerre ouverte est déclarée à son puissant clergé. Quittant Thèbes, centre de la religion amonienne, Aménophis, devenu Ikhounaton, se transporte, en 1364, dans la nouvelle capitale, Ikhoutaton. Son épouse, qui est vraisemblablement celle que les Egyptiens appellent Néfertiti, ses parents, le personnel de la Cour, adoptent aussi des noms atoniens. Thèbes est évacuée, et toute l'administration royale est transférée à Ikhoutaton (El-Amarna), qui sera la capitale du nouveau régime, de 1364 à 1350. Cette réforme et ce déplacement sont accompagnés, on l'a dit, d'une violente persécution religieuse contre Amon et tout ce qui le touche. Les biens d'Amon sont sécularisés au profit de l'Etat; ils sont administrés, non par les prêtres d'Aton, mais par le vizir ou ministre suprême du roi, ce qui atteste le caractère plus politique que religieux de la grande Réforme réalisée. Les noms d'Amon sont détruits sur les monuments publics et privés, et le culte des autres dieux est supprimé. La réforme monothéiste d'Aménophis IV, fils d'une Sémite Phénicienne et petit-fils d'une Asiatique mitannienne, préfigure étrangement, avec ses caractères exclusifs, étrangers à la mentalité tolérante des Nilotiques, celles des futures religions monothéistes des Sémites juifs et arabes. Déterminée par l'impérialisme politique naissant des Pharaons, elle est vraisemblablement inspirée et encouragée par des reines puissantes, d'origine sémitique et asiatique. «Pour la première fois, nous constatons en Egypte le culte d'un dieu jaloux, qui persécute ou supprime certains dieux qui lui portent ombrage, laissant vivre les autres sans aménité, sans rien garder de cette tolérance amicale qui caractérisait jadis les rapports de chaque dieu de métropole avec ses voisins. Ikhounaton prêche une doctrine exigeante et exclusive.»23 Un autre trait du monothéisme atonien, qui le rapproche du monothéisme de Moïse et de Mahomet, c'est son caractère universel et sa conception simpliste de l'Univers. Aton, créateur unique de l'Univers, est aussi Dieu primordial et Providence universelle. Ni systèmes théologiques, ni spéculations dogmatiques, comme chez les Egyptiens ou les Sumériens anciens, sur la genèse de l'Univers et la Création. Ce qui est nouveau dans la doctrine imposée, c'est un retour à la nature; ce que le roi prêche, c'est la Justice, incarnée dans le Soleil, et c'est aussi la Vérité, la Bienveillance et la Joie. Cette passion de la nature se traduit dans l'art, et particulièrement dans l'architecture des temples. Les cours à ciel ouvert, où s'épanchent les rayons solaires, ont remplacé, dans les temples, les sanctuaires «interdits» 23
Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 527.
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et obscurs. Présent en toutes choses, Aton n'avait pas besoin d'être représenté par des statues auxquelles on devait rendre un culte. Le disque solaire et ses rayons ou le roi en personne, «image vivante d'Aton», remplacent les images rituelles et hybrides, les corps d'homme à tête de faucon. Le nudisme est à la mode à la cour. La flore et la faune, créations spontanées de la nature, c'est-à-dire d'Aton, apparaissent sur les murs, les meubles, les bijoux. Créateur de tous les peuples de la terre, Aton, dieu universel, n'est pas le dieu particulier d'un peuple élu, du peuple égyptien, mais celui de tous les peuples de l'Empire. La religion atonienne, on le verra, ne survivra pas à son impérial créateur. Pas plus que le judaïsme, le christianisme ou l'islamisme, elle n'aura raison du caractère individualiste, particulariste et régionaliste, des peuples de Palestine, Phénicie et Syrie, fidèles à leurs dieux, comme ils le seront plus tard à leurs religions monothéistes ou aux sectes nées de celles-ci. Aux divers dieux polythéistes du monde oriental antique, succéderont, en effet, après l'avènement des religions monothéistes, des hérésies et des schismes religieux, qui continueront, sous d'autres noms, les mêmes aspirations particularistes. Seule l'Egypte, l'île nilotique, où les populations sont constamment homogènes, passera en masse d'une religion à l'autre. Après avoir successivement adopté Osiris, Horus, Râ, Amon, Aton, puis de nouveau Amon, après s'être convertie au christianisme, puis à l'islamisme des premiers califes, elle adoptera le chiisme sous la domination des califes Fatimites; enfin, après le rétablissement du califat sunnite au Caire, elle reprendra la doctrine sunnite.
B L'Egypte et l'Empire Hittite: rivalité et entente
I. Déclin de la puissance égyptienne en Orient 1. Nouvelles poussées nordiques. Les Achéens en Crète Tandis que l'Orient méditerranéen, grâce à la paix égyptienne et à l'équilibre créé par l'entente égypto-mitannienne, évolue dans la paix et la prospérité, de nouveaux remous nordiques, dans l'Egée et en Asie Mineure, vont tout remettre en cause. La puissance crétoise disparaîtra sous les coups des Aryens Achéens ou premiers Grecs. En Asie Mineure, le réveil des Hittites et leur expansion vers le Sud, et les troubles qu'ils susciteront dans le Protectorat égyptien, auront pour résultat la ruine de la domination égyptienne en Orient. a. Les Aryens Achéens détruisent la puissance crétoise. Essor du monde égéen ou proto-grec Vers 1400, la puissance et la civilisation de la Crète, qui promettaient encore les plus belles destinées, disparaissent brutalement de la carte du monde. L'Achaïe ou future Grèce, ancienne colonie crétoise qui vient de s'émanciper, veut jouer, à son tour, un rôle politique et s'y prépare sur terre et sur mer. Sa capitale, Mycènes, devient en peu de temps redoutable. Au contact de leurs maîtres crétois, les Achéens étaient devenus des marins, mi-pirates, mi-commerçants. Par un coup de surprise, des contingents achéens, venant du continent, débarquent en Crète. Confiante dans son insularité et sa maîtrise des mers, Cnossos, peu protégée, est occupée sans coup férir. Du jour au lendemain, les vassaux deviennent les maîtres de leurs anciens seigneurs. Colonie achéenne, la Crète est rattachée à la future Grèce et son rôle historique est terminé (vers 1400). La ruine de la thalassocratie crétoise va permettre à la marine phénicienne, bridée depuis plus de deux siècles, d'étendre son champ d'action vers le nouveau monde égéen. Un concurrent sérieux, le Crétois, vient de disparaître, et l'Achéen, son successeur, n'est pas encore de taille à le remplacer. D'aucuns pensent que la révolte des Achéens contre les Crétois aurait été déclenchée à l'instigation de l'Egypte, désireuse d'assurer aux ports phéniciens, qui font partie de son empire, le monopole des mers. «Aménophis III a-t-il contribué à lancer Mycènes à l'assaut de Cnosse en vue de briser le monopole économique crétois? L'a-t-il fait à l'instigation de ses protégés phéniciens et syriens, comme plus tard Tyriens et Sido-
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niens inciteront Darius à la guerre contre la Grèce pour tenter d'abattre la concurrence grecque? La chose est possible. C'est en tout cas à partir de la chute de la Crète que va commencer la renaissance des thalassocraties phéniciennes.»1 Avec les Achéens ou premiers Grecs, qui ouvrent l'ère du monde égéen, nous sommes aux origines de l'histoire de la Grèce. b. Rentrée en scène de l'Empire Hittite C'est à ce moment aussi que réapparaît, après une longue torpeur, l'Empire Hittite, avec son grand roi Shoubbilouliouma (1380—1346), et son expansion en Orient (I, p. 404—405). Constitué vers 1800, effondré vers 1750, réorganisé vers 1450, l'Empire Hittite, vers 1430, avait enlevé aux Mitanniens le royaume d'Alep. A la suite de cette expansion hittite vers le Sud, l'Egypte, voulant barrer la route à ce nouveau partenaire nordique, s'était empressée de conclure avec ses anciens adversaires, les Mitanniens, une paix et une alliance, scellées par des mariages. Par ce compromis, l'Egypte avait abandonné au Mitanni la Syrie septentrionale (1420). Après une nouvelle période d'éclipsé, l'Empire Hittite, vers 1350, rentre brusquement sur la scène de l'histoire orientale et s'affirme l'arbitre de la situation entre l'Asie et l'Egypte. Shoubbilouliouma, grand roi de Khatti, à la tête d'une fédération d'Etats vassaux, inaugure l'avènement du second Empire Hittite ou Nouvel Empire. Il entreprend contre les Asianiques, les Sémites et les Nomades de Syrie-Nord, une lutte sans trêve ni repos. Refoulés vers le sud, à la suite des expéditions punitives organisées par le nouvel Empire Hittite, insoumis, maraudeurs et nomades de tous bords se répandent sur le Protectorat égyptien (Phénicie et Canaan), en y semant la ruine et le désordre. Les groupes les plus importants de ces peuplades barbares sont ceux des Akhlamou, les Aramêens errants, et des Khabirou, dont le clan hébreu d'Abraham s'était déjà détaché vers l'an 2000. Ces Aramêens errants, qui forment la quatrième vague d'expansion sémitique, ne se stabiliseront qu'à la fin du Ile millénaire, en Mésopotamie, Syrie et Jordanie. De même qu'autrefois les Babyloniens et, après eux, les Mitanniens, attirés vers le couloir syro-palestinien, y semaient le désordre et y fomentaient des troubles contre l'influence ou la suprématie égyptienne, les Hittites, à leur tour, vont rendre difficile à l'Egypte l'exercice de sa souveraineté dans les régions syriennes. Ils finiront même par l'en expulser pour quelque temps. 1
D e Laplante, op. cit., I, p. 46.
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2. Déclin de la puissance égyptienne en Orient La grande paix égyptienne et le prestige des Pharaons en Orient se prolongèrent, effectifs et sans secousses, jusqu'après 1400. En Phénicie et Canaan, la soumission à l'Egypte est totale et sans incidents. Les difficultés orientales commencent toutefois pour l'Egypte dès le règne d'Aménophis III (1405—1370). Ce souverain débonnaire, qui n'aima jamais la guerre, menait l'existence molle et voluptueuse d'un despote oriental. Son harem, composé de trois reines officielles (une Phénicienne, une Mitannienne et une Kassite), sans compter les concubines, devait certainement occuper tous ses loisirs. Sous son règne, ce sont des guerres incessantes entre les dynastes des villes, les roitelets locaux, vassaux du Pharaon, mais abandonnés à euxmêmes; ce sont aussi des troubles multiples, causés notamment par la présence, dans les pays orientaux, d'importantes populations étrangères, turbulentes et belliqueuses, charriées par les invasions nordiques et sémitiques. Les recours répétés à l'autorité de Pharaon demeurent sans réponses. La passivité d'Aménophis III encourage, dans la région de protectorat, les tentatives de rébellion, d'indépendance et de désordre. Les vassaux abandonnés ou peu secourus sont déçus. La Syrie échappe de plus en plus à la domination égyptienne; en Palestine, cette domination s'évanouira complètement sous le règne d'Aménophis IV (1370—1352). Les archives hittites de Boghaz-Keuï en Anatolie, nous transmettent un épisode curieux, une démarche humiliante, qui démontre à quel point étaient tombées, à cette époque, les traditions nationales en Egypte. Une veuve de Pharaon, dont le nom n'est pas identifié, écrit au roi hittite, Shoubbilouliouma et lui demande de lui envoyer un de ses fils pour époux. Devenue veuve et sans fils, elle n'entendait pas s'unir à un de ses serviteurs. Il s'agirait, selon des historiens, de la veuve de Toutankhâmon, et, selon d'autres, de la reine Néfertiti, veuve d'Aménophis IV, «le rêveur couronné». Répondant à l'appel de la reine, un prince royal hittite se rend en Egypte, où il disparaît de façon mystérieuse. Les tenants de la contre-révolution amonienne, comprenant le danger que son mariage pouvait présenter, l'auraient fait assassiner. Pour venger son fils, l'empereur du Nord entre en campagne. Ce fut le destin qui sauva de l'invasion l'Egypte épuisée. Malgré ses succès, l'armée hittite fut immobilisée au sud du Carmel, paralysée par une grande épidémie (peste?), qui contraria, pendant vingt ans, l'extension de l'empire hittite. a. Les archives diplomatiques d'El-Amarna Retrouvées, en 1888 de notre ère, sur le site qui fut Ikhoutaton
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(aujourd'hui Tell-el-Amarna), capitale d'Aménophis IV, les archives diplomatiques de cette époque, dénommées aujourd'hui «Lettres d'El-Amarna», sont une source précieuse d'information. Elles sont d'ailleurs contrôlées et complétées par les archives hittites, récemment découvertes dans les ruines de Boghaz-Keuï, en Anatolie. Les archives d'El-Amarna sont constituées par un millier de tablettes en argile cuite, gravées en signes cunéiformes et écritures babyloniennes. Il s'agit de lettres reçues et de copies de lettres envoyées, qui nous montrent la correspondance échangée entre les pharaons Aménophis III et IV (respectivement 1405—1370 et 1370—1352) et leurs représentants, vassaux ou alliés en Orient, ainsi que les rois de Mitanni, d'Assour, des Hittites, de Babylone, de Chypre, de Cilicie, etc. Il ressort de cette documentation que la langue diplomatique et internationale est toujours le babylonien, en dépit de l'éclipsé de Babylone, qui végète sous les Aryens Kassites. Nous y voyons aussi que la Phénicie et ses abords forment un pays riche et peuplé et qu'on y parle principalement l'idiome cananéen, c'est-à-dire phénicien. On y apprend enfin que, tandis que la Phénicie est toujours sémitique, l'arrière-pays, c'est-à-dire la Syrie Creuse, est hourrite ou asianique, et reçoit, depuis les invasions nordiques, une notable proportion de Mitanniens indo-européens, avec apparition de quelques éléments aryens purs. En Palestine, c'est un mélange, par parties égales, de populations sémitiques, hourrites et mitanniennes. b.
Troubles et insécurité dans le Protectorat
égyptien
Les archives d'El-Amarna nous montrent l'inquiétude qui commence à remuer le Proche-Orient, et particulièrement les villes phéniciennes, clientes de l'Egypte. Tous les princes étrangers, Babyloniens, Hittites, Assyriens, Phéniciens, sollicitent et reçoivent de Pharaon des cadeaux, de l'or en grande quantité. Ils murmurent, avec quelque franchise brutale, lorsque les présents ne paraissent pas suffisants. Mais de Phénicie, de Palestine et de Syrie, les lettres sont alarmantes et menaçantes. L'Empire Hittite d'Asie Mineure menace la Syrie-Nord; il entretient des intelligences dans le Protectorat égyptien et noue des intrigues pour y saper la domination pharaonique. «Ces lettres sont un long cri d'alarme des gouverneurs de Phénicie qui avertissent leur maître des complots qui se trament autour d'eux, des trahisons, des défections qu'ils constatent dans leur entourage, des coups de main qui font tomber, l'une après l'autre, les petites villes aux mains de l'ennemi. Chaque lettre se termine, en vain, par une demande de renfort et l'ensemble forme un tableau saisissant de l'état d'insécurité permanente de la Phénicie sous la domination des Aménophis. La correspondance la
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plus complète parmi ces tablettes, qui mentionnent la plupart des villes de Phénicie (Byblos, Tyr, Simyra, Sidon, Beruta), est celle d'un certain RibAddi, gouverneur de Byblos, qui ne comprend pas moins de quarante-cinq lettres.»2 L'attitude des villes phéniciennes, telle qu'elle apparaît dans les lettres d'El-Amarna, diffère d'une ville à l'autre. Dans l'ensemble, Arvad, Simyra, et même Sidon, sont contre l'Egypte; tandis que Tyr, et surtout la fidèle Byblos, restent pro-égyptiennes. Ugarit, très au nord, incline vers les Hittites. Ce sont surtout les lettres des rois de Tyr, Gebal, Beruta, Sidon, qui nous découvrent ce tableau d'insécurité permanente et générale. Ces cités phéniciennes sont défendues par leurs princes locaux; seule, Simyra (au nord de Tripoli), capitale administrative du Protectorat, possède une garnison égyptienne, assez faible d'ailleurs. Les renforts que demandent les villes menacées sont très modérés: Tyr réclame 20 hommes; Gebal 4, avec des chars. Il s'agit évidemment d'instructeurs pour les troupes qu'on lèvera sur place. C'est de l'argent de Pharaon qu'on a surtout besoin. c. Phéniciens et Amorréens aux prises. Le roi d'Amourrou convoite les ports libanais
(Syrie)
Les ennemis qu'on signale sont nombreux et divers: insoumis et maraudeurs, Khabirou et autres barbares, travaillés ou financés par les Hittites, saccagent les champs du Zahi (Liban), et tentent d'enlever Arvad, Simyra, Gebal, Sidon, Tyr. Mais l'ennemi principal des cités phéniciennes et, par suite, de l'Egypte, est Abd-Ashirta, prince d'Amourrou (Syrie-Nord), dont le domaine comprenait vraisemblablement la Syrie Creuse et qui convoite un accès à la mer. Tout en se déclarant vassal d'Aménophis III, l'Amorréen se comporte en prince indépendant; il paie les bandes d'insoumis et de nomades, qui pullulent et dévastent le pays. Un mouvement national sémitique, dont les Araméens errants forment l'élément principal, est dirigé contre l'Etranger. Ce mouvement a pour chef Azirou, fils d'Abd-Ashirta. Rib-Addi, de Gebal, réclame des secours à Pharaon. «Gebal, c'est ton autre Memphis», lui écrit-il; «sous les pieds de mon seigneur sept et sept fois je me suis jeté . . . Que mon seigneur hâte l'envoi des troupes rapidement». Rib-Addi redoute surtout Abd-Ashirta d'Amourrou; celui-ci se sert de Barbares et de Nomades pour attaquer Gebal, qui tient fidèlement à la suzeraineté égyptienne. L'Amorréen a pour alliés, en Phénicie même, Zimrida, roi de Sidon, ainsi que le roi de Beruta. Jouant une comédie tragique, 2
Contenau, La Civilisation
phénicienne,
p. 49.
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qui dura deux ou trois ans, le roi d'Amourrou adresse à l'autorité égyptienne des protestations de fidélité et réclame aide et protection contre les Barbares, qu'il embauchait et utilisait contre Simyra et Gebal, «pour les mieux défendre, explique-t-il, contre les brigands». Outré et déçu, le roi de Gebal, qui ne cessait de dénoncer à Pharaon les astucieux desseins du souverain amorréen, menace enfin, s'il n'est pas secouru, d'abandonner toute résistance et même de passer à l'adversaire. Du coup, le roi d'Egypte se décide à envoyer une petite armée qui rétablit l'ordre, mais pour peu de temps. Revenant peu après à la charge, le roi d'Amourrou, aidé des rois phéniciens d'Arvad et de Sidon, assiège Gebal, pendant que le représentant égyptien, impuissant, assiste avec indifférence aux préparatifs du désastre. Pendant ce temps, Zimrida de Sidon assiège Tyr. Cette confédération phénicienne et amorréenne, hostile à l'Egypte, s'étend vers le sud et la Syrie centrale. Elle prend, sous Azirou, fils et successeur d'Abd-Ashirta d'Amourrou, la forme d'un mouvement national dirigé contre l'Etranger égyptien. Appuyé sur les Hittites, Azirou s'empare de Damas, dont il fait sa capitale. Accusé de trahison, Zimrida, roi de Sidon, proteste de sa loyauté envers Pharaon, auquel il demande du secours. «Aux pieds de mon seigneur, mon dieu, mon soleil, le souffle de ma vie, écrit-il, sept fois et sept fois je me prosterne.. . Sache le roi que j'ai de puissants ennemis; toutes les villes que le roi m'a confiées sont tombées entre les mains des Brigands. Puisse le roi me mettre sous la protection de celui qui commande ses troupes, pour réclamer les villes qui sont tombées aux mains des Brigands»3 d.
L'unité religieuse de l'empire se révèle
inefficace
C'est à ce moment que, pour renforcer son autorité chancelante en Orient, Aménophis IV, faute de forces militaires, pense consolider l'unité de l'empire en recourant aux forces religieuses. En proclamant le monothéisme solaire, qui fait du dieu Aton le dieu unique de l'Empire, il pense s'attacher plus solidement les provinces orientales. Mais l'Egypte était trop faible pour que ce moyen réussît. Ni dans la métropole, ni en Orient, la réforme religieuse ne sut répondre à l'espoir de Pharaon. En Egypte même, la politique sectaire d'Ikhounaton a déjà provoqué des haines et des révoltes (p. 46—49). «Délaissant les complications de la politique réaliste de ses prédécesseurs, Akhenaton (le rêveur couronné), qui eut peut-être comme conseiller Moïse, pensa trouver dans l'avènement d'une religion unique, d'une religion d'empire, le ciment qui permettrait de réunir, dans une même com3
Contenau, La Civilisation
phénicienne,
p. 50.
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munion et un désir mutuel de paix, les peuples si divers de l'Egypte et du Proche-Orient.. . En Egypte, Aménophis IV, en lutte avec les prêtres d'Amon, ne parvint pas à imposer sa religion nouvelle. A l'étranger, le prosélytisme des envoyés du Pharaon ne fut considéré que comme une nouvelle forme déguisée de l'impérialisme égyptien. Ainsi le culte d'Aton ne fut-il accueilli, partout, qu'avec une politesse diplomatique. Pendant ce temps, les affaires temporelles de l'Egypte allaient à vau-l'eau. En vain les gouverneurs demandent-ils des instructions et des secours, en vain les diplomates prodiguent-ils les rapports alarmants, le pharaon compose des hymnes dont s'inspireront les psaumes de David.»4 3. Les Hittites, maîtres de la Syrie-Nord Les Hittites, qui jusque-là avaient agi dans la coulisse, entrent ouvertement en scène contre l'Egypte. Agréant l'hommage et l'alliance de l'Amorréen Azirou, qui avait occupé Damas, l'empereur Hittite Shoubbilouliouma (1380—1346) rétablit son pouvoir sur la Syrie du Nord. Il détache du Mitanni la région de l'Oronte et impose sa suzeraineté aux princes d'Alep, vassaux des Mitanniens. Contraint au recul, le royaume du Mitanni, allié de l'Egypte, accepte l'extension hittite en Syrie-Nord. L'Assyrie en profite pour se rendre indépendante du Mitanni, en s'appuyant sur les Kassites de Babylone. Quant à l'Egypte, qui voit détruire l'état d'équilibre qu'elle avait jadis établi, elle continue à se désintéresser de la Syrie-Nord depuis qu'elle l'a laissée à ses alliés les Mitanniens. Impuissante, elle reste en bons termes avec l'empereur hittite, malgré la nouvelle situation créée par l'expansion de ce dernier. Ikhounaton était «plus préoccupé d'élaborer sa doctrine impériale (du monothéisme solaire) que de régler en détail les affaires enchevêtrées et irritantes des dynastes syriens» (Moret). Encouragé par ses succès et par l'inertie égyptienne, l'empereur Hittite entre lui-même cette fois en campagne. Les citadelles de Qatna et de Tounep, vassales de l'Egypte dans la Békâ, sont emportées d'assaut (vers 1375). Deux princes amorréens, «ambitieux et fourbes», Itakama, qui venait de s'attribuer le royaume de Kadesh, et Azirou, qui s'était emparé de Damas, sont ses principaux alliés. Azirou s'empare des ports phéniciens, au nord de Gebal, puis se joint aux Hittites. «Ce fut probablement à cette époque que le roi de Byblos, Ribaddi, envoya ses premières lettres à Pharaon. Ce prince, dont la fidélité touchante allait être si mal récompensée, se rendait bien compte qu'Azirou, après 4
D e Laplante, op. cit., I, pp. 46, 47.
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avoir pris Tounip, chercherait à achever la conquête de la côte phénicienne. Déjà il s'était entendu avec le prince de Sidon et l'avait chargé de s'emparer de Tyr. Le prince de Tyr, Abimilki, en appela vainement à la métropole et, faute de secours, dut bientôt céder à la force ennemie. Dès lors, il ne restait plus sur la côte phénicienne que Simyra et Byblos qui demeurassent fidèles à l'Egypte. Simyra ne tarda pas à être prise à son tour. La situation devint très embrouillée. Akhnaton recevait en même temps des lettres de Ribaddi et d'Azirou. Le premier se plaignait du second et l'accusait de félonie. Invité à venir se justifier en Egypte, le second prétendait que les attaques hittites, au nord de l'Empire, les incursions araméennes dans le pays de Djahi (Phénicie), l'empêchaient de se rendre en Egypte, mais qu'il s'y rendrait dès qu'il le pourrait: son système de défense est facile à comprendre: s'il conquerrait le Djahi, c'était pour mieux protéger le pays contre les attaques des ennemis du roi d ' E g y p t e . . . Akhnaton, excédé des plaintes perpétuelles qui affluaient à Amarna, chargea un de ses généraux, Bikhourou, qui résidait en Syrie, d'enquêter sur place. Celuici agit avec une telle maladresse qu'on peut le soupçonner de s'être laissé acheter par Azirou. Il combattit Ribaddi et soutint les pires ennemis de l'Egypte. Le pauvre roi de Byblos, que sa ville elle-même avait chassé pendant quelque temps, ne pouvait pas continuer de lutter seul contre tant d'ennemis. Il périt, probablement assassiné par Azirou qui s'empara de Byblos. Après quoi, il se rendit en Egypte et fut assez habile pour se faire pardonner par Akhnaton» 5 En Palestine, la situation était tout aussi mauvaise. Les Nomades Khabirou (Hébreux), hostiles à l'Egypte, occupent la future ville de Jérusalem et contrôlent les ports de la côte. Azirou, qui, jusque-là, jouait sur tous les tableaux et assurait à la fois Egyptiens et Hittites de son loyalisme, est menacé, par les uns et les autres, de la peine capitale. Inquiet des progrès des Hittites qui tiennent la SyrieNord et la Békâ sous leur contrôle direct, le roi amorréen, pris à son propre jeu, veut se rendre indépendant de son grand voisin du Nord, devenu trop puissant. Il s'empresse de faire la paix avec Pharaon, dont la faiblesse cadre mieux avec ses ambitions. Se rendant ensuite en Egypte, il se soumet et se fait reconnaître «comme roi d'Amourrou». En contrepartie de cette reconnaissance, qui scandalisa les amis demeurés fidèles à l'Egypte, Azirou s'engage à assurer la résistance contre les Hittites. Mais cette mission, en raison de la passivité de l'Egypte, est au-dessus des forces du roitelet d'Amourrou. D'autre part, les archives de Boghaz-Keuï nous révèlent que l'ondoyant Azirou avait, en même temps, signé un traité avec les Hittites. 8
Drioton et Vandier, op. cit., p. 399.
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4. L'Egypte évacue les provinces orientales Vers 1350, Shoubbilouliouma, «qui nous apparaît comme la plus forte personnalité politique de cette époque dans tout l'Orient» (Moret), est l'arbitre de la situation générale et la puissance directrice en Orient. Coupé de sa liaison avec l'Egypte, encerclé par les Hittites, le puissant royaume du Mitanni est annexé par ces derniers. Se retournant ensuite contre Azirou et d'autres «princes syriens, infidèles aux Hittites comme ils l'avaient été aux Egyptiens», l'empereur du Nord les écrase. Damas, Simyra, Byblos, Tyr, Sidon, domaine d'Azirou, sont vassaux des Hittites. L'Assyrie, émancipée du Mitanni, intrigue dans ce pays, en s'appuyant sur divers membres de la famille royale mitannienne. Pour mettre fin à ces manœuvres, l'empereur hittite adopte le prince héritier mitannien, lui donne sa fille en mariage et le remet sur le trône après une campagne. Un traité organise les rapports des deux Etats; le Mitanni, réduit à un territoire limité par l'Euphrate et le Khabour, est vassal du Hittite. Par surcroît de précaution, le territoire démembré, entre Alep et l'Euphrate, forme un Etat tampon ayant pour capitale Karkémish (Djérablous), sur l'Euphrate. Une fois ces arrangements faits, l'empereur hittite, rompant la fiction diplomatique, se résout à déchirer le voile de l'amitié avec l'Egypte. Marchant sur la Coele-Syrie, où une influence égyptienne persistait autour de Kadesh, il l'occupe, se mettant ainsi avec Pharaon en état de guerre déclarée. L'équilibre international, sur lequel reposait la politique égyptienne en Orient, était brutalement rompu. La disparition du Mitanni, comme puissance indépendante, mettait fin à l'alliance égypto-mitannienne. La défaite d'Azirou supprimait le seul noyau important susceptible de réunir et de conduire une coalition nationale anti-hittite. Se trouvant brusquement seule, devant une coalition asiatico-hittite, l'Egypte évacue le Liban et la Palestine. Comme toujours après des revers, des troubles éclatent dans la vallée du Nil. La réaction amonienne triomphe; les réformes d'Aménophis IV sont détruites: le dieu Aton est renversé et Amon recouvre sa place et ses droits. Toutankhaton devient Toutankhamon; il sera le dernier de sa race.
II. Redressement de la puissance égyptienne
Les défaites essuyées par l'Egypte et l'évacuation des provinces orientales ont eu d'autres répercussions dans la vallée du Nil. Indignée, la conscience nationale est violemment réveillée par ces désastres. La réaction et le clergé amonien profitent de la surexcitation des esprits pour porter au pouvoir le général Horemheb (1336—1320), qui avait, sous Ikhounaton, réussi à conserver la Palestine à l'Egypte. Elu à la suite d'un oracle rendu par le dieu Amon, Horemheb légitima son ascension au trône en épousant une princesse de sang royal. Horemheb se consacra à l'organisation du royaume. Les sanctuaires d'Aton sont détruits et le nom d'Amon est rétabli partout où il avait été supprimé. Le nouveau souverain fait partir les années de son règne de la mort d'Aménophis III, comme si Aménophis IV, Touthankhamon et Ay, n'avaient jamais régné. Le roi s'occupe ensuite de la réorganisation administrative, réagissant contre l'anarchie, le pillage, l'escroquerie, dans lesquels les pouvoirs publics étaient tombés. Des peines sévères sont décrétées contre les coupables: nez coupé, exil aux confins de l'Asie. Au bout de vingt ans de règne, Horemheb meurt, laissant l'Egypte complètement relevée. Ramsès I (1320—1318), qui semble avoir été choisi par Horemheb pour lui succéder, est, comme son prédécesseur, un ancien militaire. Le court règne de ce fondateur de la XIXe dynastie ne fut marqué par aucune intervention extérieure. Comme son prédécesseur, il consacra ses soins à l'organisation interne du pays. C'est sous son fils et successeur, Séthi I (1318—1298), que l'Egypte jouera de nouveau un rôle important dans l'histoire du monde oriental. Séthi, qui signifie «l'homme du dieu Seth», est originaire de Tanis, l'ancienne Avaris, capitale des Hyksôs, dans le Delta oriental. Le dieu de cette ville est, on le sait, Seth, dont les Hyksôs avaient fait leur divinité principale. Sous la XIXe dynastie, Seth figurera parmi les grands dieux de l'Egypte, et Tanis deviendra, sous le nom de Per Ramsès, l'une des capitales de l'Empire égyptien. Séthi I (1318-1298), Ramsès II (1298-1232) et Mineptah (12321224) seront des rois guerriers, des diplomates et de grands bâtisseurs. «Pendant près de 150 ans (de 1309 à 1168), de Ramsès I à Ramsès III, l'Egypte éblouit encore le monde oriental par le prestige de sa force et par l'ascendant de sa civilisation. . . Après quoi, commencèrent des temps
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nouveaux, où non seulement l'Egypte, mais toutes les antiques monarchies orientales sombrèrent graduellement dans l'anarchie et la servitude.»8 1. Reconquête des provinces orientales (Canaan et Phénicie) Lorsque Séthi I monta sur le trône, l'Egypte, repoussée à l'intérieur de ses frontières, est isolée; elle connaît de nouveau, comme aux premiers temps de son histoire, les incursions des Nomades pillards qui arrivaient jusqu'à l'isthme. Les Bédouins Shasou (Nomades de Syrie et de Palestine) avaient secoué le joug égyptien et s'étaient emparés des forteresses qui défendaient la route militaire menant de Zalou (Kantara) à Gazza. Séthi I, comme Thoutmès en 1483, vient facilement à bout de cette rébellion. Il reprend les forteresses et, continuant sa marche, arrive dans le pays de Canaan (1318). a. Conquête de la Palestine. Une invasion libyenne repoussée Une coalition d'Amorréens et d'Araméens, organisée par les Hittites, tente de barrer la route à l'armée égyptienne. Séthi I résolut d'attaquer de suite les adversaires, qui, dispersés depuis Hammath jusqu'en Palestine, n'avaient pas encore eu le temps d'opérer leur jonction. L'avance foudroyante de Pharaon réussit pleinement et la Palestine est entièrement reconquise (1318). Les nomades Shasou sont domptés et les Khabirou contraints à devenir des sédentaires. En 1317, les campagnes asiatiques sont interrompues; Séthi I rentre précipitamment en Egypte, pour repousser une tentative d'invasion du côté de l'ouest. Poussés probablement par les Hittites, des Aryens Achéens de l'Egée débarquent, en effet, en Libye et, unis aux indigènes, attaquent l'Egypte. Séthi I les écrase; mais, à partir de cette époque, les Egyptiens connaîtront la hantise des «peuples de la mer» et la crainte, jusque-là inconnue, d'une attaque de la vallée du Nil sur plus d'un front. b. Conquête de la Phénicie. Bataille indécise de Kadesh (1315) En 1316—1315, Séthi I reprend ses campagnes d'Orient. Adoptant la tactique de Thoutmès III, en 1476, il aurait commencé par s'assurer le contrôle de la côte. Acre, Tyr, Simyra, Oullaza, sont soumises; empruntant la dépression du Nahr-el-Kébir, Pharaon gagne la vallée de l'Oronte et la ville de Kadesh, au pays d'Amourrou, où le roi «détruit des myriades d'ennemis», pour la plupart Hittites. La victoire et la prise de Kadesh eurent pour effet de changer l'orientation de la vassalité en Haute Syrie. Le roi amorréen de Damas, Benté9
Moret, L'Egypte
pharaonique,
p. 326.
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sina, renouvelant la manœuvre qui coûta jadis le trône à son père, le «perfide Azirou», s'empresse de reconnaître Pharaon comme suzerain. Capturé par les Hittites, il est remplacé sur le trône d'«Amor» par un prince du nom de Sabibi. Kadesh ne tarda pas à retomber au pouvoir des Hittites. Malgré la défaite des Hittites, leur l'influence resta prépondérante en Amourrou. Les Egyptiens n'avaient pas réussi à conquérir cette région. En plus de Thèbes et de Memphis, restées capitales officielles, Séthi I fonde à Tanis, sa ville d'origine, dans le Delta oriental, une nouvelle résidence royale, Per-Ramsès, «poste de surveillance des provinces de Canaan.» En dépit des textes égyptiens, la bataille de Kadesh, livrée par Séthi I, fut loin d'être une victoire. Les deux adversaires étaient restés sur leurs positions. Celle des Hittites était même meilleure, du fait de leur proximité du théâtre des opérations. Aussi, Amourrou et son nouveau prince, Sabibi, étaient-ils de nouveau vassaux du Hittite. 2. Les campagnes de Ramsès II ou la grande guerre égypto-hittite (1293-1288) Energique et ambitieux, Ramsès II (1298—1232), fils et successeur de Séthi I, qui régnera près de 67 ans, rétablira l'Empire d'Aménophis III. Vigoureux, aimant la grandeur et le faste, il affirmera, par la guerre, la diplomatie et son ascendant personnel, l'autorité de l'Egypte et deviendra, pendant un demi-siècle, l'arbitre du monde oriental. Son rival du Nord, l'empereur hittite Moutallou, ne manquait pas non plus d'ambition. Aussi, un nouveau choc égypto-hittite était-il inévitable. En 1294, Ramsès II traverse la Palestine. Avant de pénétrer dans l'intérieur syrien, il s'assure, comme Thoutmès III et Séthi I, le contrôle des ports de la côte. Trois stèles, aujourd'hui fort mutilées, marquent ses passages à l'embouchure du Nahr el Kelb, entre Beyrouth et Byblos. Remontant vers le nord, il s'enfonce à l'intérieur du pays et atteint la vallée de l'Oronte. Comme du temps de Séthi I, c'est en face de Kadesh que les Egyptiens allaient rencontrer les Hittites et leurs satellites. L'année suivante, c'est la grande guerre qui commence. Résolu à un grand effort, le Hittite avait mis sur pied une formidable coalition formée de vassaux et de confédérés. A l'exclusion de l'Amourrou, qui avait déjà fait défection, et de la Phénicie, fidèle à l'Egypte, toute l'Asie Mineure continentale et maritime et le Naharina, jusqu'à Kadesh, participaient à cette grande lutte. Les Hittites avaient en outre enrôlé, comme mercenaires, des éléments bédouins-sémites (Khabiti-Araméens), ainsi que ces nouvelles bandes pillardes, appartenant aux nouvelles tribus indo-européennes, infiltrées en Asie Mineure et y provoquant des troubles et des rébellions.
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Parmi les noms les plus significatifs de ces tribus indo-européennes et asiatiques, dont quelques-uns ont été popularisés par les poèmes homériques et dont d'autres devaient plus tard être autrement connus, figurent: Masa, la Mysie; Sardina, le pays des Sardes ou Lydie; Luka, la Lycie; Kardisha, la Cilicie; Ahhijawa, les Achéens, etc. Ce sont les avant-gardes de l'invasion des «Peuples de la Mer et du Nord», que nous verrons bientôt. «Les rois Hittites les enrôlent pour utiliser leurs services et canaliser au détriment de l'ennemi leur soif de pillage.» Du côté égyptien, les effectifs n'étaient pas moindres. On estime qu'il y avait, de chaque côté, troupes à pied et chars compris, de 25 à 30.000 hommes, armées formidables pour l'époque. Ramsès II entra en campagne par la côte phénicienne et la trouée du Nahr et Kébir, en direction de l'ennemi. Le choc décisif eut lieu, près de Kadesh, aux environs de l'actuelle Homs (1293). Surpris dans sa marche, trompé par des espions et attaqué de flanc, Pharaon, grâce à son courage personnel et à son ascendant sur ses troupes, réussit à regrouper ses armées en déroute. Redressant une situation critique, il arrête l'avance de l'ennemi et obtient une victoire relative. Kadesh ne fut pas prise, mais la route du sud était barrée aux Hittites. Dans cette bataille confuse, les pertes des deux adversaires étaient lourdes, en particulier celles des Nordiques. «Là périt, sur le champ de bataille, la fleur de la noblesse des Hittites et des Indo-Européens, avec les deux princes royaux; beaucoup se noyèrent dans l'Oronte; quelques-uns furent sauvés par les soldats de la forteresse; nous les voyons tirer de l'eau les guerriers à demi noyés, tels que «le prince d'Alep qui, jeté à l'Oronte par Sa Majesté, dégorge l'eau avalée et revient à la vie.»7 La victoire indécise de Kadesh marque simplement une pause dans le duel égypto-hittite. Si Pharaon ne put prendre Kadesh, ni progresser vers l'Euphrate, par contre, les Hittites, qui avancèrent en Amourrou et vers Damas, étaient arrêtés dans leur plan d'enlever Canaan et d'arriver aux frontières du Delta. Le répit que l'Egypte s'est ainsi assuré durera presque un siècle. En 1291, des révoltes, fomentées par les Hittites, éclatent dans toute la Palestine. Une nouvelle série de campagnes ramène Ramsès II en SyrieNord, où il prend la ville de Tounep, défendue par les Hittites. De nouveau, Canaan redevient égyptien jusqu'aux abords de Kadesh. Khatti, la Crète, Chypre, Babylone, l'Assyrie, les princes locaux, envoient des tributs à Pharaon. Vers 1288, la mort de l'empereur hittite Moutallou ouvre une querelle dynastique entre ses héritiers. Khatoutsil III, frère de Moutallou, rétablit 7
Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 551.
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à Damas l'ancien roi d'Amourrou, Bentésina, qui avait été détrôné et remplacé par Sabibi. Mais la crise dynastique et les succès de Ramsès II en Canaan avaient affaibli les Hittites vis-à-vis des Assyriens et des Kassites de Babylone. Ces deux royaumes de Haute et Basse Mésopotamie, qui aspirent à restaurer l'ancien empire de Hammourabi, cherchent à enlever aux Hittites le pays d'Amourrou et celui du Mitanni-Khanigbalbat, qui leur barrent l'accès à la Méditerranée. Vers 1280, Salmanasar I (1280—1260), roi d'Assyrie, profitant des embarras des Hittites, s'empare de la majeure partie du Mitanni et fixe sa frontière occidentale à l'Euphrate. L'ancien pays du Mitanni-Hourri, héritier de la puissance des Hyksôs, disparaît de la carte politique.
3. Le jeune monde achéo-égéen, attiré par le vieil Orient Tandis que l'Egypte est engagée, contre les Hittites et leurs confédérés, dans le guêpier syrien, les Achéens de Grèce, qui, depuis 1400, ont détruit les Crétois, sont maintenant les maîtres de la mer. Leur capitale, Mycènes, est devenue le centre de gravité du monde égéen et celui d'un opulent empire maritime et commercial. Après l'Orient méditerranéen et le Proche-Orient asiatique, le monde égéen, successeur du monde crétois, apparaît, à son tour, sur la scène du monde oriental. Ce jeune et troisième monde, dont l'histoire et la civilisation seront étroitement liées à celles de l'Orient, est l'ancêtre et la première ébauche du futur monde hellénique et du futur Occident. a. Le monde égéen: pays et peuple A la différence du monde crétois, plus méditerranéen qu'égéen, et qui, bien que tourné vers l'Egée, n'en était pas le centre, le bassin égéen est une région géographique naturelle, individualisée et homogène. Son vrai centre est la Mer Egée ou Archipel, pour employer un terme moderne. Situé aux confins de l'Europe et de l'Asie, le bassin égéen comprend la partie méridionale de la péninsule balkanique (future Grèce), les îles qui s'y rattachent et les côtes d'Asie Mineure. C'est la mer, plutôt que la terre, qui fait l'unité de cette région. «Nulle démarcation précise entre l'Orient et l'Occident, entre l'Asie et l'Europe; l'historien ni le géographe ne peuvent les séparer.» Ce sont les Crétois et les Phéniciens, on l'a vu, qui ont révélé aux Achéens nordiques les secrets de l'industrie, de la navigation et du commerce. A l'école de ces initiateurs, les Achéens firent l'économie de plusieurs siècles d'apprentissage (p. 55—56).
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Du contact et du mélange des Méditerranéens et des Asianiques autochtones (Pélasges et Crétois) et des Indo-Européens immigrés (Achéens), une civilisation nouvelle jaillira sur le sol de la future Grèce: la civilisation achéenne, plus connue sous le nom de civilisation mycénienne ou égéenne. b. La thalassocratie achéenne. Expansion
maritime
Devenus marins, les Achéens groupent les villes maritimes de la future Grèce en une confédération dénommée achéenne, constituant la thalassocratie achéo-égéenne, et se lancent dans des aventures lointaines. A l'exemple de leurs initiateurs crétois, les Achéens ont étendu considérablement le champ de leur activité commerciale et maritime. Leur expansion les a portés en Sicile, en Italie, en Sardaigne, sur toutes les îles de l'Egée et toutes les côtes d'Asie Mineure, et même en Phénicie, en Canaan et en Egypte. Renforcés par de nouvelles tribus indo-européennes (Ioniens, Eoliens) récemment immigrées, les Egéens, y compris les Crétois (Keftiou), sont déjà, pour les autres peuples, et notamment pour les Egyptiens, les Peuples de la Mer. c. L'impérialisme achéen. Les Phéniciens éliminés de l'Egée A la différence des Crétois et des Phéniciens dont l'hégémonie était purement commerciale, et à l'opposé de l'Egypte dont la politique et l'économie sont essentiellement libérales, les Achéens, ces descendants de terriens fraîchement transformés en marins et en commerçants, ne concevaient pas le commerce sans domination politique. Le nationalisme et l'impérialisme les engagent dans une politique d'expansion, d'agression et d'aventures, qui amènera leur destruction. La période de leur suprématie maritime (1400—1200) est notamment marquée par une politique hostile à l'égard des marins phéniciens, qui leur font concurrence et qui viennent commercer, voire même pirater, jusqu'en Egée. L'activité de la marine phénicienne dans cette région, qui date du temps des Crétois, se développe d'autant plus que les ports phéniciens connaissent, vers cette époque, une période de décadence aggravée par l'insécurité dans la zone syro-mésopotamienne et par le conflit égyptohittite. Les Achéens voyaient d'un oeil hostile la pénétration, dans l'Egée, des concurrents phéniciens, pour lesquels ils nourrissaient depuis longtemps, comme feront plus tard les Grecs, une antipathie particulière. Aussi, et à mesure que leurs forces s'accroissent, éliminent-ils progressivement les Phéniciens de la mer Egée, qui deviendra une mer achéenne. Débarrassés de ces rivaux gênants et redoutables, les Achéens les suivent jusque dans leur propre domaine. Explorant et exploitant la Méditerranée
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orientale, fréquentant régulièrement les ports phéniciens où leur céramique est importée, ils entretiennent des relations commerciales suivies avec l'Egypte. Pour la première fois, un peuple indo-européen occidental est en contact direct et entretient des relations commerciales avec le vieil Orient méditerranéen. d. Expansion économique des Achéens en Phénicie L'expansion économique des Achéens en Orient, et surtout en Phénicie, dans la seconde moitié du Ile millénaire, est prépondérante. Leurs produits industriels inondent les ports phéniciens et l'Egypte. A Ougarit, face à Chypre, des ivoires mycéniens, des armes et des outils en bronze et en fer, en usage chez les Achéens, ont été découverts. Une colonie d'Egéens, particulièrement des Crétois (Keftiou), est installée dans la cité phénicienne du Nord. L'influence de la civilisation mycénienne couvre, vers cette époque, toute la côte de Canaan. Prépondérante en Méditerranée orientale, la marine phénicienne est cependant numériquement inférieure à celle des Achéens. Ce n'est qu'après 1200, lorsque la puissance achéenne aura disparu, que la thalassocratie phénicienne inaugurera son hégémonie sur les mers. e. Les Achéens contre l'Egypte L'impérialisme et la volonté de puissance lanceront les Achéens dans des aventures dangereuses. Profitant des embarras de l'Egypte, engagée dans le couloir syro-palestinien, ils cherchent à dominer la Méditerranée orientale et les ports phéniciens, et même à s'implanter en Egypte. A l'opposé des Crétois qui, on l'a vu, avaient prêté aux Pharaons le concours de leur flotte, lors de la première conquête de la Syrie, les Achéens prennent part, aux côtés des Hittites, à la guerre menée contre l'Egypte. En 1317, tandis que le Pharaon Séthi I, inaugurant ses campagnes orientales, reconquiert la Palestine, des contingents achéens débarquent en Libye et tentent de s'introduire dans le Delta nilotique. Interrompant ses conquêtes, Séthi I rentre en Egypte et repousse ces envahisseurs. Cette attaque maritime contre le Delta, on l'a vu, laissa dès cette époque, chez les Egyptiens, le cauchemar du danger des «Peuples de la Mer» et celui de la guerre sur deux fronts. A la bataille de Kadesh (1393), dans la grande guerre égypto-hittite, nous avons vu des Achéens combattre, comme alliés ou confédérés, (nous dirions aujourd'hui «des volontaires»), dans les rangs de l'empereur du Nord, contre Ramsès II. Enfin, leur dernière aventure, qui amènera leur fin, est la destruction de la ville de Troie qui garde les Dardanelles. Leur ruine, on le verra, suivra de près celle des Troyens.
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4. Paix et entente égypto-hittites. Partage des régions syriennes a. La paix égypto-hittite (1278) En s'emparant du pays de Mitanni, qu'elle vient d'enlever aux Hittites (1280), l'Assyrie s'est considérablement agrandie, en même temps qu'elle s'est rapprochée de la Méditerranée, vers laquelle elle tendait depuis des siècles. Les forces et l'organisation militaires de cette nouvelle grande puissance, ses visées expansionnistes, sa formation impérialiste, son ambition de reprendre le rôle tenu autrefois par Babylone, en font un voisin dangereux et un partenaire redoutable. De même que, jadis, le danger hittite en Syrie-Nord avait amené Egyptiens et Mitanniens à conclure l'alliance de 1420, le danger assyrien va rapprocher, puis associer, Egyptiens et Hittites. Un traité d'alliance et de confraternité (1278), conclu entre les deux anciens adversaires, établira pour longtemps un nouvel équilibre oriental. En fait, la paix égypto-hittite de 1278, quinze ans après la bataille indécise de Kadesh, a été surtout une conclusion de lassitude. Pharaon en avait assez de cette guerre perpétuelle. De son côté, le Hittite avait besoin de s'assurer le calme du côté égyptien, pour s'occuper du nouveau danger assyrien. b. Le traité de 1278 Le traité égypto-hittite de 1278 est le premier grand règlement international de l'histoire. Le texte égyptien est gravé à Karnak; son duplicatum hittite, rédigé en langue accadienne, a été récemment découvert aux archives de Boghaz-Keuï, en Anatolie. Cet accord, qui rappelle l'arrangement conclu jadis par Thoutmès IV (vers 1420) avec la puissance mitannienne de l'Euphrate (p. 36—37), équivaut à un véritable partage du monde oriental entre les deux Grands de l'époque. c. Partage des régions syriennes Fidèle à sa politique libérale, l'Egypte abandonne aux Hittites, comme jadis aux Mitanniens, la région de Syrie-Nord, depuis la Méditerranée jusqu'à l'Euphrate. La Phénicie et Canaan suivent la fortune de l'Egypte. «La tradition continue». Considérablement réduit, l'empire égyptien de Ramsès II, en Asie, était loin de valoir celui de Thoutmès III (1501—1447). Le texte du traité égypto-hittite n'indique pas la délimitation des frontières entre les deux empires. Il est probable que les conventions qui les règlent ne nous sont pas parvenues. Cependant, d'un acte subséquent et des faits connus, on peut déduire que la nouvelle frontière coupait la Syrie géographique en deux, nord et sud, et que le Nahr el Kébir, frontière
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septentrionale de l'actuelle République libanaise, séparait les deux zones. Kadesh, toutefois, demeurait à l'Egypte. d. Damas, Etat neutre Damas semble avoir été érigée en Etat neutre. Car Bentésina, roi d'Amourrou, qui avait été détrôné par les Hittites pour s'être rallié aux Egyptiens, est remis sur le trône à Damas. On se demande si sa restauration n'a pas été une concession diplomatique accordée à Ramsès II ou s'il s'agissait, dans l'intention des deux nouveaux alliés, de la création, sur leurs frontières communes, d'un Etat tampon. e. Indépendance du royaume de
Gebal-Byblos
Il en est de même de Gebal, cette «autre Memphis,» à laquelle l'entente égypto-hittite aurait également accordé l'indépendance. Gebal, en effet, ne semble pas, à cette époque, avoir été occupée par une garnison égyptienne et son nom disparaît des documents hiéroglyphiques égyptiens. La diplomatie pharaonique tend plutôt à cultiver l'amitié et l'alliance des roitelets giblites dont on a retrouvé les tombes. Deux vases d'albâtre, trouvés dans les hypogées, portent, il est vrai, le nom et les titres de Ramsès II; mais ces objets précieux, qui seraient un cadeau du Pharaon, ne signifient nullement un acte de suzeraineté. En outre, «ce n'est plus en hiéroglyphes égyptiens, mais en phénicien, que le prince de Byblos a fait transcrire son nom; nous savons qu'il s'appelait Ahiram». Fidèle à ses traditions plusieurs fois séculaires et à son égyptophilie, Gebal, indépendante, garde avec l'Egypte, en plus des relations commerciales, les rapports les plus amicaux. Le sarcophage d'Ahiram ou Akhiram montre ce roi vêtu à l'égyptienne, sur un trône de même style, encadré de sphinx ailés. Mais le couvercle porte deux lions étendus de style sumérohittite. A l'intérieur de la tombe, les deux vases au nom de Ramsès II, dont nous avons parlé, sont des cadeaux du Pharaon. Des plaquettes d'ivoire et de céramique, de style mycénien, confirment la variété des influences qui, d'Egypte, d'Anatolie et des «Iles de la Mer», s'exercent concurremment sur la côte phénicienne, au cours du Ile millénaire. «Il existait donc à Byblos, vers 1250, une dynastie de princes indépendants que Ramsès II traitait avec amitié». 8 Mais l'intérêt principal du sarcophage d'Akhiram est dans l'écriture phénicienne gravée sur les bords du couvercle. Cette écriture utilise 22 traits linéaires simples, sorte de sténographie. C'est le prototype de l'alphabet phonétique; la langue s'avère ici le cananéen du nord, c'est-à-dire le phéni8
Moret, Hist. de l'Orient, II. p. 571.
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tien. C'est le premier exemple connu de l'alphabet cananéen ou phénicien, d'où dérivera celui des Grecs. f . Ougarit, ville cosmopolite A 15 km au nord de Lataquié, brille d'un vif éclat un autre foyer de civilisation phénicienne, l'Ougarit des textes égyptiens, sur les sites dénommés aujourd'hui Minet-el-Beida (port) et Ras Shamra (ville). L'influence égyptienne, reconnue au Moyen Empire (2160—1660), y reste sensible sous la XIXe dynastie (1320—1200). L'influence mésopotamienne n'y était pas moindre. Une bibliothèque sortie des fouilles fournit, depuis 1929 de notre ère, de nombreuses tablettes écrites en cunéiformes. Les langues transcrites sont: le sumérien, pour les textes religieux; l'accadien, pour la correspondance diplomatique; une langue sémitique où l'on retrouve un phénicien apparenté au parler des Byblites et des Cananéens de Palestine. Les cunéiformes accadiens utilisés ne comportent plus d'idéogrammes, mais seulement des phonétiques d'une consonne, au nombre de 26: essai d'alphabet, parallèle à celui des Byblites. Ougarit était en outre fréquenté par les Egéens, les Peuples de la Mer (Achéens) et les Crétois. Une colonie importante d'Egéens y était même installée. A Sidon, les documents archéologiques nous montrent, sur un fond cananéen ou phénicien, les influences égyptienne et égéenne. Et «cette dernière influence est aussi importante que celle de l'Egypte» (Contenau). g. L'entente égypto-hittite scellée par un mariage L'entente entre l'Egypte et l'Empire Hittite assurera, pendant près d'un demi-siècle, la paix et la prospérité à l'Orient. Après le traité de 1278, Ramsès II régnera encore 46 ans, pendant lesquels la paix extérieure ne sera jamais troublée. Pour consolider cette entente et cette paix d'équilibre, Ramsès II la cimentera par un mariage. De même que jadis les Thoutmès et les Aménophis épousèrent des princesses mitanniennes pour sceller l'alliance de l'Egypte et du Mitanni, de même Ramsès II, en 1264, épousera une jeune princesse hittite, la fille de Khattousil III, resserrant, par ce mariage, les liens qui unissent les deux pays. Accompagné d'une brillante escorte, le roi hittite amène lui-même sa fille en Egypte, où de grandes fêtes, mentionnées dans une longue inscription officielle, furent célébrées à cette occasion. Ramsès II, qui mourra en 1232, laissera une Egypte riche et couverte de monuments grandioses. Sous son règne, «la vie en Egypte se révèle luxueuse;... ce luxe est bien plus proche du nôtre. L'usage des gants, des draps de lit et des oreillers de plume, des meubles aux coussins rembour-
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rés, des pailles pour boire les boissons rafraîchissantes, des jeux d'échec ou de dames, toutes ces petites choses nous touchent».9 5.
Nouvelle
marée
Les Peuples
nordique
(vers
de la Mer et du
1200). Nord
Tandis que l'Egypte et l'Empire Hittite, évoluant dans l'entente, assurent aux deux Orients la paix et la stabilité dans l'équilibre, une nouvelle et formidable marée nordique, dénommée «les Peuples de la Mer, du Nord et des Iles», déferle, vers 1200, sur le monde proche-oriental. Ce terrible cyclone, dont nous esquisserons plus loin la marche et les remous, bouleversera l'Asie Mineure et le monde égéen, détruira l'Empire Hittite et la thalassocratie achéo-égéenne, ravagera et dévastera les régions syriennes et arrivera, par terre et par mer, aux portes du Delta du Nil. Pour échapper à cette nouvelle «invasion Hyksôs», Pharaon, dans un effort suprême et désespéré, réussira à briser l'assaut de ces Barbares. Mais, épuisée par cette résistance victorieuse, l'Egypte retombera dans une longue période de décadence et de faiblesse, et son rôle de grande puissance politique prendra fin à partir de cette époque. Cette grande vague d'expansion nordique, la dernière au Ile millénaire, en ruinant les grands Etats constitués et en désorganisant la vie économique et politique, détruira la civilisation mycénienne et achéenne et mettra les vieilles civilisations orientales à deux doigts de leur perte. Commencées au début du Ile millénaire, les invasions nordiques qui, pendant près de six siècles, ont secoué et bouleversé le monde oriental et ses vieilles civilisations, ont fini par épuiser ces dernières, ainsi que leur puissance politique. Ces invasions n'ont rien apporté, en échange, dans le domaine artistique, intellectuel et culturel. «Ni les Hyksôs, ni les Mitanniens, ni les Kassites, ni les Hittites n'ont rien fondé d'humain. Quoi qu'en disent certains spécialistes enthousiastes, leur art est rudimentaire, leur apport à la civilisation est mince.»10
• De Laplante, op. cit., I, p. 49. 10 De Laplante, op. cit., I, p. 51.
c Les civilisations orientales au Ile millénaire. Civilisations égyptienne, mésopotamienne, hittite, égéenne, phénicienne
I. La civilisation égyptienne au Ile millénaire
1.
L'administration
Sous la domination des Hyksôs (1700—1580), on l'a vu, le régime féodal a remplacé la monarchie centralisée. Trois grandes régions: le Delta, la Moyenne Egypte et la Haute Egypte, sont gouvernées par des princes vassaux qui sont presque indépendants. Ces trois grandes régions sont subdivisées, à leur tour, en une infinité de principautés minuscules, dirigées par des roitelets vassaux dont les charges sont achetées et héréditaires. La production artistique de cette époque est très réduite; les quelques œuvres d'art retrouvées décèlent un manque total d'originalité. Les artistes de l'époque Hyksôs ne sont pas «des primitifs qui créent maladroitement quelque chose de nouveau»; ce sont, «au contraire, des décadents qui se contentent d'imiter, quelquefois avec talent, les œuvres de leurs prédécesseurs» (Drioton et Vandier). Sous le Nouvel Empire (1580—1090), la civilisation égyptienne retrouva et conserva son individualité propre. En principe, Pharaon est toujours le maître absolu du pays, fils et représentant des dieux et principalement d'Amon, dieu dynastique. En fait cependant, les pouvoirs du roi, à cause de l'extension de l'empire et de la complexité croissante des affaires publiques, sont partiellement exercés par de hauts et puissants personnages qui sont choisis par le souverain: premier ministre, vice-roi de Nubie, grandprêtre d'Amon, chef de l'armée, etc. Amon, dieu dynastique, et son clergé prennent une importance considérable. Le grand prêtre d'Amon, qui porte le titre de «Prophète d'Amon», interprète les oracles du dieu et, par là, exerce sur le roi une influence omnipotente. Sous le couvert d'un oracle truqué, il lui était possible de faire prévaloir son désir, sa volonté ou son avis. Aussi, bien que nommé par le roi, le grand prêtre exerçait-il sur le souverain une véritable tutelle. Une autre fonction du grand prêtre, qui augmentait encore sa puissance et son crédit, c'est son intervention et son arbitrage dans les crises ou querelles dynastiques. Aux époques antérieures, le caractère divin du roi se transmettait aux fils nés d'un couple de sang royal. Le prince né d'une concubine devait épouser une princesse de sang royal pour conserver son droit au trône. L'application de cette règle, depuis le Nouvel Empire, donnait lieu à des complications. Les mésalliances et les usurpations avaient besoin, pour
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se légitimer, de la confirmation du dieu dynastique, c'est-à-dire du grand prêtre, «prophète d'Amon et interprète de ses volontés». Celui-ci dénouait la crise en faveur du candidat de son choix. Ainsi, encore bien que nommé par le roi, le grand prêtre est, en fait, le «Grand électeur des pharaons». Pour briser cette tutelle tyrannique, Aménophis IV, qui substitua Aton à Amon comme dieu dynastique et proclama Aton «dieu unique» et «dieu d'empire», s'appropria lui-même la charge de grand prêtre et ajouta à ses titres royaux celui de «Prophète du dieu unique Aton». Après la mort de ce pharaon réformateur, la réaction triomphante rétablit Amon et son clergé dans leur rôle et leurs prérogatives antérieurs. Vers la fin du Nouvel Empire, la fonction de prophète d'Amon devient héréditaire. Deux dynasties, celle du roi et celle du grand prêtre, gouverneront parallèlement l'Egypte. Vers 1085, le grand prêtre et prophète Hérihor, éliminant le roi, se proclamera pharaon. 2.
L'art
C'est sous Ramsès II (1298—1232) que la civilisation égyptienne atteint, «sinon son apogée artistique, du moins son point réel de maturité et d'équilibre» (Moret). Les temples de Karnak, de Louqsor, etc., sont gigantesques et grandioses; mais leur type est uniforme et comme exécuté en série. Les dimensions des colonnades sont colossales, les statues sont géantes. «Le revers de cette production en masse,. . . c'est la monotonie des œuvres répétées en série, c'est le sacrifice de la perfection ancienne et du fini au gigantesque, à la recherche de l'effet.»1 Mais à côté du grandiose, qui caractérise l'architecture des temples et des tombeaux en Egypte et en Nubie (Abou Simbel), les statues ou statuettes féminines, les bijoux, les objets de toilette, le mobilier se distinguent, au contraire, par une grande finesse d'exécution. «Il y a déjà plus d'élégance aristocratique que de majesté dans plusieurs statues royales du second empire thébain, comme celles d'Aménophis IV, de Toutankhamon et de Ramsès II. Cette élégance s'affirme en toute liberté dans la plupart des têtes de reines (la reine Nefertiti) et de grandes dames de ce temps ou de l'époque saïte. Mais c'est surtout dans les nus féminins qu'elle triomphe . . . Quantité de bibelots et d'objets de toilette, comme les cuillers à fard ou à parfum, montrent d'ailleurs à quel points les artistes de Thèbes et de Sais avaient compris la valeur décorative du corps féminin. Ils furent, avec les Grecs, les seuls sculpteurs de l'Antiquité capables de reproduire librement le nu.»2 1 2
Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 563. R. Grousset, Les civilisations de l'Orient, I, pp. 44 et 46.
LES CIVILISATIONS ORIENTALES AU I l E MILLÉNAIRE
3.
79
Littérature
L'activité littéraire des Egyptiens du Nouvel Empire s'est appliquée aux genres les plus divers: œuvres historiques, lettres, poésie, contes, livres funéraires, recueils magiques. «Les œuvres littéraires de cette époque témoignent d'un mélange de réalisme brutal et de poésie idéaliste, et sont presque toutes pénétrées d'un esprit de superstition qui a certainement joué un grand rôle dans la vie égyptienne.»3 On croit généralement que la langue égyptienne est restée identique à elle-même, des origines à sa disparition. En réalité, comme toute chose vivante, elle a fort évolué au cours des deux millénaires qui viennent de s'écouler. Vers 1400, elle était déjà tellement transformée que la langue qui l'avait précédée et engendrée était devenue, comparativement, une langue morte. «La langue classique, celle qu'écrivaient les scribes du Moyen-Empire, était devenue depuis longtemps une langue morte, dont seuls les savants avaient le secret et qui avait complètement disparu dans la conversation . . . L'ancienne langue s'était maintenue dans les œuvres littéraires, en partie par respect de la tradition, en partie par souci d'élégance et de correction... Ce fut à partir de son règne (Akhnaton) que les scribes commencèrent à écrire la langue vulgaire, qui jusqu'alors avait été réservée à la conversation. L'usage se généralisa rapidement, ce qui prouve bien qu'il répondait à un besoin.»4
' Drioton et Vandier, op. cit., p. 483. 4 Drioton et Vandier, op. cit., p. 474, 475.
II. Les civilisations mésopotamiennes et anatoliennes. Civilisations kassite, assyrienne, mitanno-hourrite, hittite
1. Civilisation des Kassites de Babylonie Les Kassites, ces Aryens ou Indo-Iraniens du Zagros qui s'établirent pendant près de 600 ans à Babylone, semblent n'avoir rien apporté à la civilisation du pays qu'ils ont si longtemps gouverné. Leur domination, féodale et militaire, est plutôt, comme celle des Hyksôs en Egypte, une domination de Barbares incultes et primitifs. Elle se signale surtout par une lutte permanente entre Babylone et Assour. Babylonie, Elam, Assyrie, sont, à cette époque, des Etats de second ordre, à côté des Mitanniens, des Hittites et des Egyptiens. Aucun événement notoire n'est à signaler, dans l'histoire de la Mésopotamie, à l'époque des Kassites. Complètement assimilés par leurs sujets mésopotamiens, les dirigeants Kassites paraissent s'être intéressés plus particulièrement aux travaux de la terre. De grands domaines sont remis en fiefs aux vassaux fidèles. C'est le régime de la féodalité terrienne et seigneuriale. Le panthéon, qui n'a guère varié depuis Hammourabi, a reçu de nouvelles divinités Kassites. L'ancien costume officiel, la robe bordée d'un galon, avec de lourds bijoux, se couvre de riches et épaisses broderies. Le port de la barbe devient habituel, ainsi que les colliers, pendentifs, bracelets. L'Assyrie gardera ce costume. Sous la domination Kassite, la Babylonie a perdu son auréole et son rayonnement politique et culturel; elle est tombée au rang de troisième puissance, au-dessous de l'Assyrie qui commence à l'éclipser. «Dans le domaine intellectuel et artistique, où elle était la grande inspiratrice de l'Asie occidentale, depuis les temps primordiaux, elle ne vit que du passé . . . Le foyer d'art et de littérature, encore rayonnant à l'arrivée des Kassites, semblerait éteint sans les écoles sacerdotales . . . L'invention, en littérature ou philosophie, est tarie; on n'innove rien en mathématiques, astrologie, science calendérique; un étrange silence s'appesantit sur cette civilisation tombée en sommeil, qui n'a pas la force d'éduquer ses vainqueurs. Plus de grands monuments, pendant un demi-millénaire . . . En architecture, on ne signale que des restaurations d'édifices anciens à O u r . . . La sculpture ne nous livre plus de bas-reliefs ni de statues, seulement des bornes de grandes dimensions, appelées Koudourrou . . . La
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Babylonie... ne reprendra la tête de la civilisation mésopotamienne qu'après 612, avec le roi Nabuchodonosor II.»5 2. Civilisation assyrienne Le territoire assyrien, c'est, en gros, la Haute Mésopotamie; c'est l'ancien Soubarrou, la région actuelle de Mossoul. Bien qu'il se présente comme exclusivement sémite, le peuple assyrien, parlant une langue sémitique, l'assyrien, sœur du babylonien, est un produit composite. Ses éléments ethniques formateurs, outre le Sumérien et le Sémite qui forment le peuple babylonien, comprennent, en particulier, des Asianiques autochtones et des Aryens immigrés. Ce sont ces divers mélanges qui feront du peuple assyrien un peuple sémitisé, avec un caractère particulier qui le distingue des autres peuples qui l'avoisinent. Bien qu'ils apparaissent relativement un peu tard sur la scène politique du monde oriental, les Assyriens, qui créeront, au premier millénaire qui va suivre, le premier grand empire d'Orient, sont aussi anciens, peut-être même plus anciens que les Babyloniens de Hammourabi. Ils sont contemporains de Sargon I, roi d'Agadé, dont ils furent les vassaux (vers 2750). Depuis cette époque, ils sont tantôt dominés par leurs voisins du Sud ou du Nord, tantôt indépendants. C'est seulement dans la seconde moitié du deuxième millénaire, qu'ils se dégagent de l'emprise politique de leurs voisins, pour se préparer à la conquête de la Mésopotamie et du ProcheOrient. a. A dministration «La conception de l'Etat est la même qu'en Babylonie et en Hatti» (Delaporte). Comme Mardouk en Babylonie et la déesse d'Arinna en Hatti, le dieu Assur est le maître de l'Assyrie et la gouverne; le prince n'est que son vicaire. Les autres villes ont leurs dieux propres, lesquels relèvent du dieu suprême. Le premier des fonctionnaires civils est une sorte de premier ministre. La population assyrienne, comme dans les autres pays du Proche-Orient, se compose de gens libres et d'esclaves. La loi protège, contre certaines adversités, les déshérités parmi les gens de condition libre. L'armée est composée de troupes levées en Assyrie et dans les pays vassaux. b. Le droit Le droit assyrien, bien que postérieur au Code de Hammourabi, témoigne d'un état de civilisation inférieur à celui de la Babylonie. Ici encore, com5
Moret, Hist. de l'Orient, II. p. 594.
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CINQUIÈME PÉRIODE
1600—1200
me en Hatti et à Babylone, il y a un droit pénal comportant crimes et châtiments et un droit civil réglementant le mariage, le droit familial, les successions, la propriété et les obligations de toutes sortes. La loi assyrienne est l'œuvre du souverain; sa parole crée le droit. Les lois de la guerre sont atroces. Les conquérants assyriens ne se contentent pas de déporter les guerriers vaincus, de brûler, dévaster et détruire villes et campagnes; ils se plaisent à couper les têtes et à mutiler les vaincus. La justice est rendue par un seul juge, alors qu'en Babylonie elle l'est par un tribunal composé de plusieurs magistrats siégeant ensemble. La femme mariée, de condition libre, porte un voile quand elle sort. Elle ne peut traiter des affaires commerciales qu'avec le concours d'un membre mâle de sa famille. Dans les transactions commerciales, on se sert de lingots de plomb estampillés. c. Littérature. Religion A partir de 1400, «à mesure que l'Assyrie prend conscience de sa personnalité particulière,... il commence à se créer une littérature spécifiquement assyrienne. On transcrit, traduit, recompose et rajeunit des textes sumériens ou babyloniens; on imite les écrits des Egyptiens et des Hittites . . . Les inscriptions royales se consacrent de plus en plus à commémorer les hauts faits militaires du roi. . . «Les Assyriens adorent les mêmes divinités que les Babyloniens. Une seule semble leur appartenir en propre, le dieu Assur. Ils rendent toutefois un culte plus particulier aux divinités guerrières . . . Les fêtes semblent avoir été célébrées selon les mêmes rites . . . Toute la littérature religieuse de la Basse Mésopotamie, les Assyriens l'acceptent et se l'approprient. . . Moins policée que la Babylonie, l'Assyrie, dans la seconde moitié du Ile millénaire, a cependant apporté une certaine contribution au progrès de l'humanité.»6 3. La civilisation mitanno-hourrite A l'ouest de la Babylonie, entre l'Oronte et le Khabour, à cheval sur l'Euphrate, la Mésopotamie occidentale et la Haute Syrie sont le domaine des Hourrites asianiques et des Mitanniens aryens, parmi lesquels les Sémites sont largement représentés. Deux langues, l'une indo-aryenne et l'autre asianique, sont, on l'a vu, les parlers des deux races. Deux capitales (Ourfa et Nisibine actuelles) sont les centres politiques des deux groupes ethniques (p. 32—33). 9
L. Delaporte, Le Proche-Orient
asiatique,
p. 214, 215.
LES CIVILISATIONS ORIENTALES AU I I E MILLÉNAIRE
a. Administration,
83
droit, religion, art
La civilisation mitanno-hourrite a exercé son influence depuis le Zagros jusqu'à la Méditerranée. Comme dans la Babylonie des Kassites, l'organisation de l'Etat mitannien est militaire et féodale; c'est le régime du fief. Ce sont les Mitanniens qui introduisent la pratique du char, le cheval dans les armées du Proche-Orient; les Hittites emploient des Hourrites pour l'entraînement des chevaux. Les sanctions pénales sont plus douces qu'en Babylonie ou en Assyrie, où prédomine l'élément ethnique sémitique; elles se traduisent très souvent par des dédommagements en argent ou en nature. C'est aux emprunts hourrites que la civilisation assyrienne doit ce caractère propre qui la distingue de la civilisation babylonienne. Tésoup, dieu de l'orage, identifié au dieu mésopotamien Adad, et Hépet, déesse solaire, sont les principales divinités hourrites; c'est le traditionnel couple divin de fertilité et de fécondité, commun à toute l'Asie occidentale. Aux divinités asianiques, les Mitanniens ont ajouté leurs divinités aryennes: Mithra, Varouna, Indra, etc. L'art mitannien, «qui possède les qualités du futur art assyrien sans en avoir encore les défauts, est vigoureux, plein d'audace un peu malhabile, s'efforçant de copier la nature et d'en rendre le v i e . . . Deux sculptures, (une tête de dieu et un lion). . . assurent à l'art du Mitanni une place d'honneur dans l'art de l'Asie Occidentale ancienne.» 7 4. La civilisation
hittite
a. Le roi Comme le royaume de Mitanni-Hourri, l'Empire hittite est un Etat féodal. A l'opposé des souverains sémito-égyptiens, le Grand Roi hittite n'est pas un monarque absolu; il doit être accepté par l'Assemblée des notables, qui est le juge suprême; vénéré comme dieu après sa mort, il recevra un culte particulier. Il est l'intermédiaire entre la divinité et son peuple et conduit la guerre contre les ennemis du pays. La reine peut être régente. Contrairement aux usages de la cour d'Egypte, le mariage consanguin, qualifié de barbare, est prohibé. Le prince héritier, choisi par le souverain et agréé par l'Assemblée, est associé au gouvernement de l'Etat. Les petits rois vassaux sont liés au Grand Roi par des traités particuliers. Les gouverneurs des provinces ne sont que les représentants du souverain. b. Organisation politique de l'Etat A la différence des empires proprement orientaux, (sémitiques et pharao1
Contenau, L'Asie
occidentale
ancienne, p. 244.
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CINQUIÈME PÉRIODE
1600—1200
niques), où tous les sujets et les provinces appartiennent au monarque, l'Empire hittite est essentiellement fédératif. Les Etats vassaux ou protégés sont liés à l'Etat central par des pactes de caractère international. Même pour les Etats confédérés, qui sont régis par un membre de la dynastie royale hittite, un traité organise leurs rapports avec l'Etat central. L'extradition est même prévue dans certaines conditions. La clause la plus fréquente est celle de l'assistance militaire. Les lois sont codifiées et interprétées dans un esprit plus humain qu'en Mésopotamie. Ces traits témoignent d'un esprit social nouveau, préfiguration de celui des Grecs, qui respectera les droits et la dignité de l'individu dans la cité, et ceux de cette dernière dans la nation ou l'Etat (I, p. 123—125). c. La société La base de la société est la famille, constituée par le mariage. La polygamie n'est admise que pour le roi et les grands. Mais les enfants légitimes sont ceux de la femme principale. L'héritage ne se transmet qu'aux mâles; les filles sont désintéressées par la dot et d'autres mesures. La propriété foncière a souvent un caractère féodal; c'est une concession héréditaire à charge de service militaire. L'esclavage existe. Les coutumes et conceptions sociales des Hittites se répandront, après la conquête, en Syrie et même en Palestine. De là, des analogies entre certains articles du code hittite et des articles du vieux code lévitique qui sera incorporé plus tard dans le Pentateuque. d. Le droit Une collection des lois hittites, dont la découverte est aussi importante que celle du Code de Hammourabi, nous révèle la législation de ce peuple qui, par sa position, est un intermédiaire entre la culture sémito-orientale antique et la culture indo-européenne anciennes. On fait remonter ces lois aux XVIe et XVe siècles approximativement. Cette législation accuse un caractère pénal très marqué, trait commun aux autres législations antiques; mais elle se distingue de ces dernières par son libéralisme. Elle n'est ni homogène, ni entièrement nouvelle. Elle ne mentionne que les coutumes qu'elle entend modifier, laissant subsister les autres par cela même qu'elle s'abstient de les reproduire. Ce n'est donc pas un recueil réunissant, en un tout, les lois et les coutumes existantes. Les lois hittites se distinguent, à cet égard, du Code de Hammourabi dans lequel ce monarque a fusionné les coutumes de Sumer et d'Accad. «La disposition des matières traitées, quoique différente de celle de nos codes modernes, se présente, semble-t-il, sous une meilleure figure que dans les autres codes anciens . . . Comme pour eux, nous distinguons un droit civil et un droit pénal... Une grande attention est apportée aux
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choses de l'agriculture; d'où l'on peut conclure que celle-ci formait le fondement principal de la situation économique. De même l'industrie, représentée par un grand nombre d'artisans variés dont la loi fixe le salaire . . . Mais ce qui surprend le plus, c'est la part donnée, parmi les peines, aux dommages-intérêts. Il semble que chez les Hittites les indemnités pécuniaires aient remplacé les châtiments corporels, dont nous avons vu l'usage très développé parmi les Babyloniens et les Assyriens. Il n'est pas non plus sans intérêt de relever, au nombre des obligations, certains sacrifices à accomplir.»8 Le droit civil traite de la famille, de la propriété foncière, de la propriété mobilière (les esclaves, les animaux, les ustensiles); de la question du louage (louage de personnes, d'animaux, d'ustensiles, d'immeubles); de la vente et des dettes. Le droit pénal réglemente les crimes et délits contre la personne (homicide, coups et blessures, avortement), contre l'ordre familial, contre l'ordre social, contre la morale, contre la propriété. Les peines prévoient la peine capitale, la mutilation, la détention et autres châtiments corporels, les dommages-intérêts. «La guerre est un jugement de dieu pour trancher un différend entre Etats; l'ouverture des hostilités est précédée de l'envoi d'un message é c r i t . . . Si satisfaction n'est pas donnée, les hostilités commencent... Le droit de guerre permet le pillage, l'incendie, la déportation des civils, considérés comme bétail humain . . . Le Grand Roi accepte la soumission dès que celui-ci (l'adversaire) se déclare prêt à reconnaître son pouvoir souverain, et jamais il n'agit avec la cruauté des Assyriens, qui se complaisent à tuer les prisonniers après leur avoir fait subir des tortures.» 9 e.
Art, langue, littérature,
écriture
Les Hittites sont de grands constructeurs; il ne reste que quelques vestiges de leur architecture, dont l'ornementation, par des sculptures en bas-reliefs, sera imitée par les Assyriens. Leurs sphinx et le disque ailé trahissent une influence égyptienne. La langue officielle est celle des immigrants indo-européens; elle s'écrit avec les caractères cunéiformes mésopotamiens. «A la même époque, le babylonien est la langue diplomatique dans tout l'Orient; l'administration hittite possède des scribes versés dans cette langue et même des scribes d'origine babylonienne. On rédige en babylonien la correspondance et les traités avec les alliés, et avec les vassaux de Syrie. Le sumérien, langue morte dont l'influence reste considérable dans les cérémonies religieuses et dans la langue des Babyloniens, doit être connu dans une certaine mesure par les scribes hittites; des vocabulaires leur facilitent l'étude. La 8 9
J. Leroy, Introduction à l'étude des anciens codes orientaux, L. Delaporte, Le Proche-Orient asiatique, p. 200.
p. 80, 82, 85, 86.
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CINQUIÈME PÉRIODE
1600—1200
langue des Hittites asianiques (autochtones) semble disparue de l'usage journalier; elle est encore employée dans des prières adressées aux antiques divinités . . . Une écriture hiéroglyphique, spéciale à l'Asie Mineure et à la Syrie septentrionale, semble réservée à une langue apparentée au Hittite indo-européen . . . «La littérature hittite . . . comprend des Annales, des récits historiques, des traités dont le préambule est aussi de caractère historique, des règlements pour les diverses classes de fonctionnaires, des lettres officielles, des épopées et des mythes, des textes de présages, d'incantations, d'astrologie, de nombreux rituels pour les cérémonies du culte, un traité sur l'entraînement des chevaux. Des fouilles en d'autres sites y pourront ajouter des textes relatifs à l'organisation économique.»10 Les Hittites possèdent une écriture hiéroglyphique propre, mais ils font usage, en même temps, de l'écriture cunéiforme de la Mésopotamie et de la langue sémito-babylonienne, langue diplomatique et internationale de l'époque. En science, les connaissances mathématiques, astronomiques et médicales des Hittites sont empruntées aux Babyloniens. f.
Religion
Comme dans tous les pays du Proche-Orient ancien, la religion, chez les Hittites, occupe la première place dans les préoccupations publiques et privées. Les dieux sont répartis en plusieurs groupes. Un couple divin asianique, la déesse d'Arinna, «reine de Hatti», et son époux, le dieu de l'orage, vient en tête du panthéon; ce couple représente, comme dans les autres régions de l'Orient, le principe de fertilité et de fécondité. La déesse d'Arinna assiste le Grand Roi dans le gouvernement de l'Etat et dans les combats; le souverain est son représentant et son grand prêtre. Arinna et son époux ont plusieurs enfants. D'autres dieux, dont une déesse de la médecine et une déesse de la mer, sont l'apport des Indo-Européens. Des peines sévères frappent le clergé et le personnel des temples, coupables de fautes dans l'accomplissement de leurs fonctions. L'étranger, considéré comme impur, est exclu, sous peine de mort, du culte national. Les dieux sont les maîtres des hommes; ils règlent le cours des événements. Leurs volontés sont manifestées aux hommes, leurs serviteurs, par des songes, des hommes inspirés, des oracles. Le panthéon hittite est extrêmement composite. En plus des dieux des Aryens, apportés avec les envahisseurs, les Hittites ont adopté les dieux locaux des indigènes asianiques et ceux des pays voisins de Houri, d'Arménie, de Mésopotamie, de Haute Syrie, qui furent, pendant quelque 10
Delaporte, Le Proche-Orient
asiatique, p. 204.
LES CIVILISATIONS ORIENTALES AU I I E MILLÉNAIRE
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temps au XHIe siècle, plus ou moins rattachés, politiquement et économiquement, à l'Empire Hittite. Centrée autour de Boghaz-Keuï, la civilisation hittite s'est étendue à l'Asie Mineure orientale et méridionale, ainsi qu'à la Haute Mésopotamie et à la Syrie. Son action sur ce vaste domaine s'est fait sentir, dès le XVe siècle, pendant plusieurs générations. Les Hittites, ces lointains prédécesseurs des Turcs anatoliens, sont, aux XlVe et XHIe siècles avant notre ère, les vrais successeurs des vieux Babyloniens. «Leur rôle, dans l'histoire de la civilisation, ne fut guère moindre. Ils formèrent à bien des égards, tandis que la Babylone des rois Kassites restait en quelque sorte «en sommeil», le chaînon intermédiaire entre la civilisation chaldéenne antique et la civilisation assyrienne postérieure.»11
11
R. Grousset, Les Civilisations
de l'Orient,
I, p. 67.
III. La civilisation égéenne au Ile millénaire. Civilisation crétoise et achéenne ou créto-mycénienne 1. Origines orientales de la civilisation crétoise Bien qu'elle se soit épanouie en dehors du domaine de l'Orient proprement dit, la civilisation égéenne du Ile millénaire plonge ses racines dans le fonds des vieilles civilisations orientales. Le monde égéen est, en effet, un prolongement du monde oriental et son histoire est intimement liée à ce dernier. L'expansion, vers l'Orient, des Crétois, des Achéens et plus tard des Hellènes, est, par ses conséquences, aussi importante, voire davantage, que celle des peuples du Proche-Orient asiatique: Mitanniens, Hittites, Perses (I, p. 408-409). C'est que la mer, qui relie et rapproche les peuples riverains, facilite entre eux les contacts directs et les rend plus ou moins voisins. Elle contribue à créer entre eux une certaine communauté culturelle. Pour les Egyptiens du Ile millénaire, les peuples lointains de l'Egée (Crétois, Achéens et autres) sont, on l'a vu, expressément: «Les Peuples de la Mer». Or la mer, habitat des Egéens, c'est aussi la mer des Egyptiens et des Phéniciens; elle baigne le Delta du Nil et la façade syro-libanaise. Les découvertes modernes, qui ont révélé l'existence, au Ile millénaire, de la brillante civilisation créto-mycénienne, ont éclairé deux points jusque-là obscurs. Tout d'abord, la civilisation crétoise, si foncièrement originale, doit sa naissance à des migrations asiatiques qui lui avaient apporté, au Ile millénaire, le cuivre et les premiers éléments de sa vie religieuse. Elle doit aussi son essor aux leçons des vieilles civilisations de l'Egypte et de la Mésopotamie, transmises par Chypre et la Phénicie. L'Egypte lui donna la technique des vases de pierre, de la faïence, les motifs animaliers, les conventions de la peinture, l'art de la fonte des métaux, des règles d'administration civile et militaire. A l'Orient, et particulièrement à la Mésopotamie, la Crète a emprunté le culte de la Déesse-Mère, le symbole des oiseaux, le culte du taureau, les premiers éléments de son architecture et de son orfèvrerie, les tissus brodés et rayés, les modes féminines, etc. En second lieu, la civilisation hellénique, qui fleurira plus tard dans le bassin égéen, n'est pas née, comme d'aucuns le croyaient, dans un milieu complètement inculte et barbare. Le «miracle grec» n'est pas le produit d'une génération spontanée. La ruine de la civilisation créto-mycénienne,
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vers 1200, et le long moyen âge qui la suivit, n'ont pas fait table rase de ce brillant passé; ils ont certainement laissé subsister des survivances et des traces sensibles qui ont contribué au développement de l'hellénisme. L'influence incontestable de la Crète se décèle dans l'industrie, les arts, la langue, la religion de la Grèce, jusque dans l'âge classique. Mais en dépit de ce vieux patrimoine culturel, dans les débris duquel les Grecs ont certainement puisé, la civilisation hellénique, qui révolutionnera la formation intellectuelle et morale de l'esprit humain, n'en demeure pas moins une création foncièrement originale. Elle saura se libérer des formules figées et du mysticisme des anciens. Si les Grecs sont les héritiers lointains des Egéens du Ile millénaire, ils n'en sont pas les disciples fidèles. Ainsi se trouve reconstituée la chaîne qui relie, dans le temps, par Mycènes et la Crète, la civilisation hellénique et la civilisation crétoise à celles du vieil Orient. Nous verrons aussi, plus tard, les emprunts directs que les Hellènes feront à l'Orient et à l'Egypte. Si, dans ce domaine, les Grecs ont dépassé leurs maîtres crétois et orientaux, ce fait n'efface guère leur dette vis-à-vis d'eux. Cette dette, d'ailleurs, les Grecs la reconnaissaient eux-mêmes. Des origines, à 1200, la civilisation égéenne passa par trois périodes successives: épanouissement de la civilisation crétoise; civilisation crétominoenne; civilisation créto-mycénienne. 2. Epanouissement de la civilisation crétoise (2000—1750) Les habitants de la Crète, comme ceux de l'Egée, sont, avant 2000, les «Pélasges», race composite de Méditerranéens, mélangés d'Asianiques et de Hamites venus d'Asie Mineure et d'Afrique. Vers cette époque, le monde égéen s'éveille à la civilisation, tandis que l'Orient méditerranéen a déjà plus d'un millénaire de vie urbaine et que la Phénicie est, dès avant 3000, un pays de marins et un centre d'exportation et d'échanges (I, p. 408). Le développement de l'activité maritime dans le monde égéen répondait à une nécessité; les communications entre les îles et les côtes continentales de cette zone ne pouvaient, en effet, s'effectuer que par mer. Aussi, dès 2000, les navires circulent-ils entre les différents centres de l'Archipel, créant un réseau d'échanges et développant des foyers de culture. Vers 2000, les migrations aryennes atteignent les Balkans. Les Achéens, ou Proto-Grecs, se sont déjà infiltrés en Grèce continentale et dans les îles. Cnossos, capitale de la Crète, élève de véritables fortifications. Des palais imposants sont construits, dont les vestiges se retrouvent encore. Cette première architecture crétoise a ses origines dans les palais mésopotamiens et hittites. Mais une conception de la vie luxueuse et confortable y apparaît déjà; les dessins imitant certaines pierres, des fresques à décor
90
CINQUIÈME PÉRIODE 1600—1200
floral et à personnages, ornent les intérieurs. Les salles de réception sont luxueusement dallées. La céramique cherche à imiter le métal; elle est ornée de motifs végétaux et géométriques et de silhouettes animales. La finesse des tasses et des coupes a été comparée à celle des coquilles d'œufs. On cite encore les mosaïques en plaques de faïence, les épées de bronze à nervure médiane, les poignards ciselés, les statuettes d'argile, dont quelques-unes représentent des femmes habillées d'une façon artistique et moderne. De délicates statuettes sont taillées dans les pierres dures et même l'ivoire. «L'écriture hiéroglyphique, adoptée peu après 2000, ne fige pas ces dons précieux, mais donne lieu à des motifs d'une charmante finesse, comme celui de la colombe lissant ses plumes, et, sur les plus belles pierres, sont ciselées, à partir de 1800, des figures d'hommes et d'animaux, des scènes très variées, parfois même de véritables portraits. Autour des palais s'élèvent des villes, comme à Cnossos, avec de coquettes maisons bourgeoises. Bâties en pierres, en briques,... les plaques de faïence du XVIIIe siècle nous les montrent percées de belles fenêtres aux carreaux de parchemin huilé, comportant deux ou trois étages avec une toiture en terrasse. Les rues sont pavées de galets, les routes garnies de larges dalles . . . Auprès de la route, un élégant bâtiment serait, d'après Evans, un caravansérail, avec un bassin, entouré d'une banquette, où les voyageurs lavaient leurs pieds souillés par la poussière de la route.»12 Tandis que cette civilisation se développe, exportant ses produits vers Byblos, l'Orient et l'Egypte, une double catastrophe, l'une intérieure et l'autre extérieure, arrête brusquement mais provisoirement son essor. Vers 1750, une invasion étrangère ou révolution intérieure détruit par le feu les villes crétoises. D'autre part, les migrations aryennes en Proche-Orient, en ruinant la vie économique des vieilles civilisations orientales, ont leurs répercussions en Crète. Mais, dès 1700, cette dernière, tournant son activité vers le nord de l'Egée, y trouve de nouveaux débouchés et une nouvelle source de prospérité (p. 42—43). 3.
Période
créto-minoenne:
1700—1400
Après un demi-siècle de déclin, la civilisation crétoise réapparaît, vers 1700, avec une sève débordante et produit ses plus belles œuvres. Une nouvelle dynastie, celle du légendaire Minos, domine politiquement la Crète et tout le monde égéen. Le nom de ce personnage royal sera donné à toute la dynastie qui, de 1700 à 1400, fera la grandeur de la Crète. Minos, seigneur de Cnossos, est, comme ses collègues orientaux, un monarque absolu et de droit divin. Cultivé et amateur de belles choses, il 12
J. Gabriel-Leroux, Les premières civilisations de la Méditerranée, pp. 41, 42.
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protège et encourage les artistes et les savants. Des villes portant son nom, Minoa, disséminées sur toutes les côtes de la Méditerranée, attestent l'expansion crétoise à cette époque. Minos représente sur terre le dieu-taureau; il est aussi chef de l'armée. Mais la divinité principale de la Crète est la Déesse-Mère, commune à l'Asie primitive. Sous des noms variés, c'est la déesse de la mer et des monts, de la nature et des astres, de la vie et de la mort; le dieu mâle lui est toujours subordonné. Cette prédominance du culte féminin semble avoir donné à la femme crétoise une certaine indépendance et le droit de jouer un certain rôle dans la vie sociale et religieuse. «Cnossos devient le centre politique et artistique de l'île, avec magasins, trésors, entrepôts, archives et bureaux, ateliers et manufactures. Dans le cadre des grands escaliers, des colonnades de cyprès, des fresques éclatantes, se déroule une vie de cour luxueuse; fêtes, danses, corridas, où paradent les seigneurs en pagnes brodés, le poignard d'argent à la ceinture, et les dames en crinolines, tournures et nœuds Watteau. L'art, par son naturalisme pittoresque, sa pénétrante et fine observation, évoque souvent celui du Japon. Vers 1580, après un nouveau remaniement du palais, s'ouvre une période véritablement classique par son équilibre et sa plénitude. On construit le Petit Palais près de Cnossos et la tombe royale d'Isopata. On élève des théâtres aux gradins de pierre. L'art atteint une ampleur et une noblesse toutes royales . . . Le régime urbain triomphe de bonne heure en Crète, et c'est un des faits qui frappent le plus vivement les Grecs. A Cnossos, d'élégantes maisons entourent le palais; sur l'îlot de Mochlos, s'entassent des demeures de négociants et d'armateurs, qui possédaient de beaux vases de pierre, de précieux bijoux, de fins cachets ciselés . . . Les palais fortifiés s'humanisent et s'embellissent entre 1700 et 1400 . . . On trouve aussi des colonnes de pierre, cannelées, ornées de chevrons et de ciselures . . . Il faut aussi mentionner le système de canalisation très perfectionné qui assurait l'écoulement des eaux de pluie et des eaux-vannes; les lieux d'aisance bénéficiaient du tout-à-l'égout, que Versailles ignorait au temps des rois. Le style naturaliste produit d'admirables fresques de 1700 à 1600 environ: à Haghia Triada, un chat sauvage, souple et sournois, guette un élégant faisan, parmi des fleurs irréelles et des rochers marbrés; à Cnossos, un singe bleu cueille des tiges de papyrus, un oiseau bleu d'une grâce idéale ouvre ses ailes au milieu des églantines et des iris . . . Les appartements royaux, à Cnossos, offrent des scènes de la vie de cour, traitées en fresques-miniatures, où des foules de minuscules personnages assistent à des spectacles ou des processions. La danseuse en boléro brodé, qui tour-
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billonne sur un mur des appartements de la reine, est un peu plus grande, ainsi que la célèbre Parisienne, avec sa boucle sur le front et son nez retroussé, qui porte un corsage crème pékiné de rouge et de bleu et un grand noeud de ruban sur la nuque . . . Colliers à pendentifs d'or ou d'argent ciselé, bagues, bracelets, ornés de pierres, étaient portés par les hommes aussi bien que par les femmes. Les ceintures, dont les uns et les autres se serraient outrageusement la taille, étaient rehaussées et renforcées de métal ciselé. Les épées de Mallia, cloutées d'or, à pommeau de cristal de roche ou d'os recouvert d'une plaque d'or ciselé, les poignards damasquinés, l'échiquier royal des Cnossos, précieux travail d'ivoire, d'or, d'argent et de pierres rares, sont du même luxe raffiné. . . En ce qui concerne leurs activités littéraires, les documents sont malheureusement encore muets; mais déjà l'écriture témoigne d'un développement très supérieur à celui des peuples voisins. Les hiéroglyphes, dérivés des signes pictographiques primitifs utilisés vers 2000, se simplifient comme en Egypte et aboutissent à un syllabique dont on connaît 135 signes répartis en deux classes. Vers 1700, paraît une écriture linéaire, réduite à 90 signes environ, et en 1500 une écriture réservée aux actes royaux à Cnossos. La netteté et le petit nombre des signes permirent à ce système de se répandre dans les îles, en Grèce et en Asie Mineure.» 13 4. Période créto-achéenne ou mycénienne: 1400—1200 Colonisée pacifiquement par la Crète, la Grèce continentale, encore ébranlée par l'arrivée des Aryens Achéens, adopte les cultures, les modes, les dieux, les objets d'art, les bijoux et tous les produits de la Crète. Affinés au contact des Crétois, les Achéens deviennent des commerçants et des marins et parcourent les mêmes routes que leurs initiateurs. Mycènes, leur capitale, établit des relations directes avec l'Egypte, Chypre et les ports phéniciens. Débarquant, par surprise, dans l'île de Crète (vers 1400), les Achéens la soumettent à leur domination (p. 55). Héritière de la civilisation crétoise ou minoenne, la civilisation achéenne ou mycénienne lui est nettement inférieure. Les guerriers achéens préfèrent les châteaux-forts aux palais somptueux. Les scènes de chasse et de guerre remplacent les paysages fleuris; dans les fresques, les femmes sont lourdement parées; dans la vie, leur place est au harem. Un dieu mâle détrône la Déesse-Mère. Cependant, l'orfèvrerie et l'armurerie gardent un cachet raffiné. Mais dans l'ensemble, l'art devient populaire et industriel; on travaille en gros, pour vendre et exporter. Formant une confédération 13
J. Gabriel-Leroux, op. cit., p. 43, 46, 50, 51, 52, 54.
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de villes, les Achéens inaugurent une domination et une expansion à la fois économique, démographique, politique et militaire; ils éliminent progressivement de l'Egée les marins phéniciens. «Ils ne se contentent plus d'acheter et de vendre, comme les Crétois; ils tentent, surtout dans les îles et en Asie, d'établir des groupements à la fois commerciaux et politiques, les achàies. Ils occupent d'abord Rhodes, où ils fondent plusieurs villes, puis Chypre, déjà à peu près colonisée par les Minoens, où ils apportent leur dialecte a c h é e n . . . En Egypte et en Syrie, les échanges commerciaux se développent: les vases mycéniens pénètrent jusqu'en Nubie, circulent dans le pays de Canaan; toute la côte syrienne, déjà profondément influencée par la Crète, se couvre de comptoirs et Ougarit devient une véritable colonie mycénienne. Mais c'est de préférence sur les côtes d'Anatolie,.. . que s'installent les achaïes, qui renouent la tradition des pirateries égéennes, tout en établissant des relations fructueuses avec les peuples de l'intérieur, surtout les Hittites.»14 Vers 1200, les Achéens, première famille grecque, submergés et refoulés par les Doriens, seconde famille grecque, émigreront dans toutes les directions, et particulièrement vers les côtes d'Asie Mineure. Leur civilisation s'éteindra et le monde égéen tombera de nouveau dans une longue période moyenâgeuse. Plusieurs siècles de ténèbres s'écouleront avant que n'entre en scène la Grèce classique. Homère, qui apparaîtra, vers 850, parmi les successeurs des Achéens d'Asie Mineure, chantera les exploits épiques des Achéens, destructeurs de la cité de Troie.
11
J. Gabriel-Leroux, op. cit., p. 62, 63.
IV. La civilisation phénicienne au Ile millénaire
A part les quelques objets et documents découverts par les archéologues modernes, on n'a pas encore trouvé, comme en Egypte et en Mésopotamie, des documents phéniciens qui nous renseignent assez suffisamment sur la civilisation des Libanais du Ile millénaire. «Comment expliquer notre pauvreté en textes de cette provenance? L'Assyro-babylonien nous a laissé par milliers des documents cunéiformes écrits sur argile séchée ou cuite . . . Il est vraisemblable que les Phéniciens n'ont pas procédé de même façon. Sans doute, ils ont connu l'écriture cunéiforme;.. . mais il est à peu près certain qu'ils ont fait usage du papyrus qu'employaient les Egyptiens;... il est impossible de supposer qu'ils n'en aient pas compris les avantages, alors qu'ils étaient en rapports constants avec l'Egypte et l'imitaient. Mais tandis que la sécheresse du sol égyptien assure la conservation de tout ce qu'on lui confie, l'humidité du climat phénicien a vite fait de détruire ce qui est périssable. Nous ne retrouvons plus les sarcophages fabriqués cependant avec de véritables madriers de cèdre épais de vingt centimètres; il n'est pas étonnant que le papyrus ait disparu. Par contre, les textes de Ras-Shamra écrits sur tablettes ont été conservés.»15 Les textes de Ras-Shamra, récemment découverts, nous révèlent, sous un jour nouveau, l'état social, politique, économique, religieux et culturel des Phéniciens et Cananéens au Ile millénaire. De leur étude se dégagent, très vivantes, les conditions de vie de ces derniers: ressources du pays, habitation, habillement, mobilier, vie familiale et sociale, divinités, culte, morale, justice, médecine, maladie et mort, âme, croyances, gouvernement, administration, armée, etc.
1. Croyances
religieuses
En dépit des nombreuses altérations qu'elle a subies au cours du Ile millénaire, la religion phénicienne conserve, intacts, les grands traits qui la caractérisaient au millénaire précédent (I, pp. 367—373). Ce n'est qu'au 1er. millénaire que ces altérations seront plus profondes, du fait de l'influence hellénistique qui se répandra dans tout le Proche-Orient. Les textes de Ras Shamra rapportent des traditions mythologiques et 15
G. Contenau, La Civilisation
phénicienne,
p. 274.
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religieuses, dont le passé lointain remonte au Ille millénaire. La base de cette mythologie, c'est le culte des éléments et des phénomènes naturels; le panthéon est organisé, les dieux hiérarchisés, et leurs attributions sont multiples et complexes. Ces dieux, que nous avons déjà évoqués au Ille millénaire, sont encore les mêmes. Ce sont, rappelons-le: El, le grand dieu, qui veille sur le cours des fleuves et annonce les pluies, et dont la parèdre est Ashérat de la Mer, nommé aussi Elat; Baal, le plus grand des dieux après El, dont il est souvent l'ennemi, est le dieu des sommets, de l'orage, de la foudre et de la pluie bienfaisante; sa parèdre est Ashérat. Viennent ensuite: Aliyan, fils de Baal, qui a les mêmes attributions que son père et dont la sœur est Anat, vierge guerrière; Mot, frère d'Alyan et son antagoniste, soleil de midi, destructeur de toute végétation et dieu des enfers. Aliyan ne peut coexister avec Mot; ils traduisent, tous les deux, l'alternance des saisons; quand l'un meurt, l'autre renaît. Des textes de Ras Shamra, «il ressort que la religion des Phéniciens, au milieu du Ile millénaire avant notre ère, a conservé très pures de multiples traces de son origine: c'est un rameau de la religion asianique primitive des forces de fertilité et de fécondité, ce qui s'explique par la persistance des éléments asianiques en Phénicie.»16 2. Vie sociale et politique Les textes de Ras Shamra nous montrent que la Phénicie et Canaan, ou Liban et Palestine, qui abritent une même race et parlent la langue cananéenne, offrent une multitude de cités et de petits royaumes autonomes. Au-dessus de cette mosaïque, trône un suzerain lointain et innommé, qualifié du titre de «maître souverain» ou de «Grand-Roi», qui ne serait très vraisemblablement, vers cette époque, que le Pharaon d'Egypte. En outre, les Cananéens sont divisés en adeptes du dieu El et ceux du dieu Baal. Les Amorréens (futurs Syriens) sont les Ben-Dagon, adeptes du dieu Dagon, bien que El et Baal aient aussi, chez eux, d'importants groupes sociaux. L'orientaliste M. Del Medico, qui a déchiffré et réuni en un volume, intitulé La Bible Cananéenne 17, les écrits de Ras Shamra, a fait suivre, chacun des poèmes ou récits déchiffrés, d'un commentaire où sont relatées les données qu'il a pu dégager sur les conditions de vie, les croyances et les mœurs des Phéniciens et Cananéens vers le milieu du Ile millénaire. Les citations suivantes, que nous empruntons à cet ouvrage, nous décrivent des cadres, coutumes et caractères, dont quelques-uns, après 3300 19
Contenau, La Civilisation phénicienne, p. 82. H. E. Del Medico. La Bible Cananéenne, découverte Shamra, pp. 20 à 230. 17
dans les textes
de
Ras
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ans, persistent encore chez une grande partie des populations du Liban, de la Palestine et de la Syrie modernes. Dans les plus anciens textes de Ras Shamra, le dieu principal est Baal; dans les textes postérieurs, la primauté passera à El. Cette ascension de El serait très probablement due à la réforme religieuse du pharaon Aménophis IV, qui proclama le dieu Soleil, Aton, dieu de l'Egypte et des provinces orientales (p. 47—48). Le dieu phénicien El a, en effet, parmi ses principales attributions, celle de divinité solaire. La base de la société est la famille. «La vie familiale, écrit M. Del Medico, est exprimée par la locution «la maison du père», ce qui implique l'idée que les enfants étaient sous la dépendance du père (p. 22). Pour le mariage, comme chez les Hébreux, il y a le mariage par achat (paiement d'un mohr au beau-père), et le mariage dit de tsadiqa, moins honorable, où l'épouse ne quittait pas sa famille. «Dans le mariage par achat, le fiancé se servait d'un ou plusieurs intermédiaires pour demander la main de la jeune fille; la fiancée devait donner son consentement;. . . elle pouvait fixer, elle-même, le montant de son prix d'achat ( 2 2 ) . . . ; la dot (mohr) devait être payée au père de la fiancée en métaux précieux (24) . . . «Comme beaucoup de cités commerçantes de l'Orient ancien, Ras Shamra était à une certaine époque une république théocratique (41) . . . Le dieu principal à Ras Shamra se nomme ici El. Il est «le père de l'humanité» et le «roi». Il est également le prince du père de Kéret (roi de Sidon, héros de l'épopée), donc son dieu familial (44) . . . Le grand ennemi d'El est Baal» (45), (ici dieu du pays d'Edom, dans le Sud palestinien, royaume ennemi de celui de Kéret). L'inimitié entre ces deux divinités n'est, en fait, qu'une transposition de l'hostilité existant entre leurs adeptes respectifs, le «peuple de El» et le «peuple de Baal». «A une époque où le pays était divisé en adeptes d'El et adorateurs de Baal, le rôle du monarque (le Grand-Roi, «suprême maître» de tout le pays) devait être particulièrement délicat. Si nous voyons le Grand-Roi, dans le cycle A.B., se parjurer si fréquemment, tantôt abandonnant El pour Ishtar, tantôt retournant au culte de Baal, nous comprenons qu'il devait tenir compte des divers cultes et de leur suprématie passagère dans les différents territoires de son empire. Dans notre texte, le Grand-Roi se tient nettement à l'écart des conflits religieux et se contente d'invoquer une divinité familiale, le dieu des ancêtres» ( 5 6 ) . . . Si l'on ajoute que chacune des multiples fonctions attribuées à El et à Baal est prépondérante dans une ville ou une tribu, et que les diverses villes ou tribus, relevant d'un même dieu-patron, se séparent sur la question de la prépondérance de la fonction divine, on aura une image approximative du Liban, de la Palestine et de la Syrie modernes, avec leurs grandes
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religions monothéistes et les sectes ou confessions religieuses entre lesquelles ces religions et leurs adeptes se subdivisent aujourd'hui. «La morale . . . est strictement commerciale. Tout se règle par des engagements, des gages, des promesses, des témoignages et des jugements. Aucun acte n'est strictement désintéressé, ni de la part des hommes, ni de celle des dieux (61) . . . Une fois le décès établi, le mort est remis entre les mains des pleureuses qui viennent envahir la maison mortuaire. . . Elles pleurent, se lacèrent la poitrine, font les louanges du d é f u n t . . . C'est à la largesse des dépenses faites à cette occasion, que se mesurait la noblesse d'une famille ( 7 7 ) . . . «Les champs étaient labourés par des attelages de bœufs». Dans le Sud de la Galilée, les hauts-lieux sont déjà arides; «on conservait le souvenir de vastes incendies de forêts allumés par la foudre» (107). (Le déboisement du pays n'est donc pas récent). La culture des céréales (blé) et de la vigne (et aussi l'olivier) est la principale ressource du pays. Un système métrique bien précis montre l'importance que devaient avoir les échanges . . . Pour l'irrigation du sol, on comptait principalement sur la pluie. On supposait qu'une divinité pouvait «retenir» au ciel l'eau fertilisante, pour punir les méchants. L'élevage portait essentiellement sur le petit bétail: chèvres et moutons . . . Le pays connaissait aussi la culture des arbres fruitiers . . . Mais l'activité principale du pays était le commerce . . . Abondance et richesse sont les souhaits habituellement formulés (plus fréquents que longue vie et santé) (128—129)... Le pays connaissait de fréquentes invasions de sauterelles (149) . . . La violence, la colère, la haine doivent être évitées: l'homme violent doit être chassé de sa maison et aller vivre au désert, loin de toute communauté.» La charité est un devoir; elle «est dosée au douzième de la consommation journalière» (131). La nourriture est considérée comme un des plaisirs de l'existence; «elle comporte certains raffinements dignes des d i e u x ; . . . les fruits doux (grenades) sont vantés». Le vin est prisé; «mais il convient d'éviter l'ivresse qui peut résulter d'un excès de v i n . . . La morale sexuelle est très rigide . . . L'amour (dans le mariage) est considéré comme source d'un grand nombre de satisfactions et de plaisirs ( 1 3 1 ) . . . La différence de religion ne constituait pas un obstacle à une union heureuse (58).» «L'élément principal du culte est la prière (152). . . Les prières doivent émaner de tout l'être et non seulement de la bouche (60). . . Pour qu'une prière soit efficace, il convient de la répéter. . . On ne souhaite pas de mal à autrui dans ses prières.. . Un rite particulièrement intéressant est celui des ablutions et des lustrations. Il était d'usage, après une campagne militaire, de laver ses mains du sang ennemi. . . D'autres ablutions étaient
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pratiquées dans un but prophylactique: pour mettre fin aux épidémies et autres calamités. Les aspersions devaient servir à chasser un démon (152) . . . Dans l'armée, les princes sont appelés les «gras»: la force physique, comme la noblesse, se traduit par l'embonpoint ( 5 7 ) . . . Les Cananéens n'aimaient pas beaucoup se battre. Us comptaient surtout sur l'aide d'alliés et de dieux, mais cette assistance leur a trop souvent manqué. Réduits à leur propre force, ils menaient une guerre défensive . . . Généralement ils préféraient transiger pour avoir la paix, céder de vastes territoires, des villes importantes à l'envahisseur (180). . . Niq-mad (successeur du Grand-Roi), probablement un guerrier étranger (Hittite ou Egéen, successeur de Pharaon?) n'avait pas les qualités de prêtre . . . Sous son gouvernement, le spirituel a été nettement séparé du temporel. . . Les Damascènes (les Ben Dagon ou adorateurs du dieu Dagon) étaient considérés comme très actifs, remuants; leur agitation à laquelle les Cananéens n'étaient pas habitués avait fini par épuiser le GrandRoi» (210). (Allusion probable à Azirou, roi de Damas, qui, dans le conflit égypto-hittite, intriguait auprès des deux adversaires et dupait, à la fois, le pharaon d'Egypte et l'empereur Hittite).» 3. L'art phénicien,
produit
composite
Jusqu'à la fin du Ile millénaire, l'art phénicien accuse toujours un caractère composite. Il paraît l'imitation ou l'adaptation de celui des pays étrangers avec lesquels les Phéniciens, commerçants et marins, sont en contact: Egypte, Chypre, Egée, Babylonie, etc. Il sut toutefois éviter l'abus du disparate. L'orfèvrerie est fortement influencée par celle de la Babylonie; la poterie atteste des affinités avec les industries céramiques d'Anatolie. Des armes et des parures, trouvées à Byblos, sont semblables à celles du Caucase; elles sont certainement apportées par des peuples descendant du Nord. L'influence culturelle égéenne se retrouve dans les produits ouvrés. Les langues égyptienne, babylonienne, les dialectes hourrites et peut-être égéens, sont connus et employés dans le pays, par-dessus les parlers locaux: dialectes phéniciens ou cananéens. A Gebal, à côté des œuvres d'art égyptiens ou imités de l'Egypte, on rencontre l'art mésopotamien, l'ivoire et la céramique mycénienne. Ougarit subit l'influence de Chypre et de Mycènes. Un préjugé défavorable, dû surtout à l'animosité des Grecs, concurrents et rivaux des Phéniciens, accuse ces derniers d'être un peuple «cupide, âpre au gain, souvent fourbe, ne connaissant qu'une loi: celle de l'intérêt, et qu'une autorité: celle de l'argent. . .; leur industrie est organisée vers le
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commerce et l'exportation. Leur art est composite;il emprunte ses éléments aux civilisations voisines, et, dans certains cas, cet emprunt est total». Des rois phéniciens font usage de sarcophages égyptiens. On va même jusqu'à dire «qu'il est difficile de parler de civilisation phénicienne, si l'on entend par le mot de civilisation un ensemble de croyances, de mœurs, d'éléments artistiques, propres à un peuple déterminé». Ce jugement, qu'on commence à réviser, est à la fois sévère et injuste. En admettant le caractère cupide ou rapace des Phéniciens, ce caractère est celui de tous les peuples impérialistes, tant anciens que modernes. Les Babyloniens, les Assyriens, les Grecs, les Romains de l'antiquité, n'étaient pas des exemples d'abnégation, ni de désintéressement. Leur voracité était soutenue par des armées conquérantes, alors que l'impérialisme phénicien était tout simplement économique. Nous avons vu, grâce aux textes de Ras Shamra, que les Phéniciens avaient, comme les autres peuples de l'antiquité, leurs croyances religieuses, leurs mœurs, leurs coutumes, leur organisation sociale, politique et économique. Nous verrons bientôt, grâce à ces mêmes textes, que leur activité littéraire et intellectuelle n'était nullement inférieure à celle de leurs voisins d'Egypte et de Babylonie. Les poèmes épiques de Ras Shamra et l'invention de l'alphabet sont suffisants pour assurer l'éternité à leur mémoire. D'autres témoignages de ce genre auraient encore pu mieux nous éclairer; mais ils ont certainement disparu, détruits par le temps, ou restent encore enfouis. Rappelons, en effet, que la découverte des documents de Ras Shamra, et celle de la ville elle-même, ne sont que le fait du hasard. Reste le grief le plus sérieux qu'on reproche aux Phéniciens: le manque d'originalité et le caractère composite de leur art, qui emprunte ses éléments aux civilisations étrangères. «L'art local, pris entre ces multiples concurrences, écrit Contenau, fait modeste figure, représenté, dans ce qu'il a d'original, par une céramique assez pauvre. Et pourtant il existe un art phénicien, car si les motifs ont été empruntés de part et d'autre, les Phéniciens ont su les assembler en évitant l'abus du disparate; mais pour le fond même sur lequel ils ont vécu, nous ne pouvons contrevenir au jugement de Vogüé», «les Phéniciens n'ont eu aucune originalité. . . (Ils) n'ont été que des intermédiaires soit directs, soit indirects . . . Ouvriers habiles plutôt qu'artistes créateurs, les Phéniciens ont été des vulgarisateurs». On leur doit surtout d'avoir, par leur commerce, répandu, d'une partie à l'autre du monde ancien, les idées, les thèmes et les motifs artistiques, mais là encore il ne faut pas surestimer leur rôle.»18 Nous ne cherchons pas à contester ce jugement, peut-être fondé, et 18
G. Contenau, La Civilisation phénicienne,
p. 119.
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nous essayerons d'en donner les motifs. Les Phéniciens ont, à leur actif, trop d'apports culturels pour que la pauvreté de leur art puisse diminuer l'importance de leur contribution au développement de la civilisation antique, notamment dans le domaine littéraire et intellectuel, et surtout au rayonnement de cette civilisation à travers le monde occidental. Les poèmes de Ras Shamra et l'invention de l'alphabet constituent, on le répète, des titres qui suffisent à la gloire des Phéniciens. Aucun peuple ne saurait posséder, à un même degré, toutes les variétés du génie humain. Mais l'art phénicien n'est pas totalement dépourvu d'originalité. Les historiens reconnaissent qu'en «assimilant les emprunts étrangers, les Phéniciens leur donnent un cachet personnel». D'autres informations établissent que cette pauvreté de l'art phénicien n'est pas due à une stérilité congénitale. Certains produits ne le cèdent en rien aux belles œuvres artistiques des étrangers. «Dès le XVe siècle, les magnifiques vases phéniciens de métal ciselé ou repoussé, trouvés à Byblos, à Ougarit, s'égalent aux plus beaux produits chypriotes.»19 Les Phéniciens n'étaient certainement pas dépourvus de dons artistiques; leur manque d'originalité dans ce domaine s'explique par la multiplicité des échanges, et surtout par «la fréquence des invasions qui laissèrent si rarement la Phénicie maîtresse de ses destinées» (Contenau). Tandis que l'Egypte, la Babylonie, la Crète, Mycènes, avaient la chance, grâce à la situation plus ou moins abritée de leur territoire et à leur puissance militaire, de jouir, pendant des périodes plus ou moins longues, d'un régime de paix et de prospérité, la Phénicie, placée au carrefour des routes d'invasion, était continuellement envahie ou courbée sous le joug étranger. Ces conditions étaient loin de constituer un climat favorable au développement d'une activité artistique et nationale. Nous avons vu les Egyptiens, les Babyloniens, les Crétois, dont les brillantes productions artistiques émerveillent encore nos contemporains, connaître, eux aussi, un tarissement de leurs talents, lorsqu'ils tombaient sous une domination étrangère. En Egypte, en effet, pendant la Première Période Intermédiaire (2390— 2160), au cours de laquelle le pays nilotique connut le morcellement, l'invasion et la Révolution, la décadence de la civilisation et de l'art est frappante. «Les beaux vases et les belles coupes en albâtre et en pierres dures des époques antérieures . . . sont remplacés par de la vaisselle en terre cuite de formes généralement très simples . . . (Des figurines de serviteurs) ne sont pas des chefs-d'œuvre artistiques, les silhouettes sont grossières et maladroitement rendues, la composition est naïve.»20 Pendant la domination des Hyksôs, la civilisation et l'art égyptiens ont 18 20
J. Gabriel-Leroux, op. cit., p. 81. Drioton et Vandier, op. cit., p. 222, 223.
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encore plus fortement décliné (p. 77). Les artistes de cette époque se contentent d'imiter les œuvres de leurs prédécesseurs. «C'est le manque de caractère et d'orginalité qui choque chez les artistes de cette époque, beaucoup plus que la maladresse.»21 En Babylonie, sous la longue domination des Kassites, «le foyer d'art et de littérature, encore rayonnant à l'arrivée des Kassites, semblerait éteint sans les écoles sacerdotales . . . On n'innove rien en mathématique, astrologie, science calendérique . . . Plus de grands monuments pendant un demi-millénaire.» (p. 80). Si de riches et puissants empires connaissent la décadence de l'art et la perte de l'originalité dans les créations artistiques, à la suite de l'occupation étrangère, il ne faut pas s'étonner de constater le même phénomène en Phénicie, où les populations ont toujours dû compter avec un pouvoir étranger. Et si des rois phéniciens ont fait usage de sarcophages égyptiens, des souverains d'Egypte, au lendemain de la libération de leur pays, ont, eux aussi, réemployé des monuments créés par leurs lointains prédécesseurs. Lorsque, après 1200, la Phénicie, libérée de la tutelle étrangère, réalisera, sous le régime de l'indépendance, son expansion commerciale et maritime, l'art phénicien ne se contentera plus d'imiter servilement l'étranger. Il élaborera et assimilera ses emprunts; il en fera un tout homogène et original. L'architecture recherchera le colossal: digues du port de Tyr, remparts de Carthage, bastion cyclopéen près de Sidon. A la demande de Salomon, les Phéniciens lui fourniront «les matériaux, les architectes et les artistes», qui construiront et décoreront le Temple de Jérusalem. Cependant, malgré l'indépendance de la Phénicie, dont la durée sera relativement courte, l'art phénicien, au premier millénaire, accusera toujours, dans l'ensemble, une influence étrangère. C'est que cette indépendance est constamment menacée. Faibles sur terre et relativement peu nombreux, les Phéniciens optent pour la mer; leur activité a principalement pour objet le commerce extérieur, l'exportation, l'échange. N'étant pas une grande puissance politique, manquant de moyens militaires susceptibles de lui garantir la paix et la stabilité, la Phénicie se bornera, dans le domaine de l'art, à fabriquer pour transporter et vendre à l'étranger. «La Phénicie ne fut jamais une grande puissance politique . . . , ce qui est une des conditions nécessaires pour créer une source d'influence; son rôle d'intermédiaire dans la vente des produits l'a conduite à ne s'inspirer que des besoins de son commerce; elle imitait ce qui était de bonne vente, d'où cet assemblage de motifs égéens, égyptiens, assyro-babyloniens, dont l'artiste joue sans cesse avec une habileté qui prouve qu'il n'était pas n
D r i o t o n et Vandier, op. cit., p. 301.
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dénué de valeur véritable. Au reste son ambition n'était pas là. L'Egypte, l'Assyro-Babylonie ont voulu créer de grands empires; la Phénicie visait à fonder des comptoirs.»22 4. Vie littéraire. Les poèmes phéniciens de Ras Shamra Si, dans le domaine artistique, les créations phéniciennes, au Ile millénaire, paraissent composites et dépourvues d'originalité, par contre, les découvertes récentes nous ont révélé que, dans le domaine littéraire et intellectuel, la contribution des Phéniciens à la civilisation de cette époque est originale et d'une valeur inestimable. Elle égale, si même elle ne dépasse, celle des autres peuples contemporains. Sans compter le rôle incontestable qu'ils ont tenu en répandant, par leur commerce, les idées et les produits artistiques des diverses civilisations antiques, on doit inscrire à leur actif, avec l'invention de l'alphabet, de belles épopées littéraires. A la suite d'une découverte fortuite à Ras Shamra (p. 95), au nord de Lattaquié, des recherches, menées par M. Schaeffer, en 1928 et 1929 de notre ère, ont révélé les ruines de l'ancienne cité phénicienne d'Ougarit, détruite et disparue, vers 1200 av. J.-C., lors de l'invasion des Peuples de la Mer. Entre autres objets et monuments découverts, on a retrouvé une collection de tablettes couvertes, sur leurs deux faces, de signes cunéiformes, et dont un grand nombre sont mutilées, cassées et imparfaitement lisibles. L'écriture est alphabétique, ne comportant que 27 ou 30 signes; la langue est un dialecte cananéen-phénicien. Leur date de rédaction se situe vers 1400. Ces tablettes représentent des écrits d'époques diverses, rassemblés à un moment donné; ce sont des fragments d'un vaste ensemble disparu, les restes d'une bibliothèque qui devait être, à l'époque de sa constitution, semblable à celles de Ninive et de Babylone. Déchiffrées en 1930, ces tablettes ont livré toute une littérature: missives, dont quelques-unes adressées à la reine d'Ougarit; états nominatifs; textes de comptabilité relatifs au commerce de l'huile, du vin, de la pourpre; un traité sur l'art de guérir les chevaux; enfin et surtout, une série de grands textes littéraires ou poèmes, de caractère mythologique ou légendaire. Les textes ougaritiens ou de Ras Shamra, dont plusieurs belles pages, selon M. Del Medico, pourront «prendre place parmi les plus beaux joyaux de la littérature ancienne», ont été répartis par ce dernier, dans son ouvrage «La Bible Cananéenne», en quatre groupes principaux. 1° Les Légendes: Le Mariage de la Lune; La Légende de Kéret (sa jeunesse, son épopée, sa Mort); Aqahat (série de chants); 2°) Les Ordonnances et 22
Contenau, Le Civilisation phénicienne, pp. 221, 222.
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Préceptes; 3°) Les Chroniques: Les Chroniques du Grand-Roi (Aleyn); les Chroniques du règne de X; les Chroniques du règne de Niqmad; 4°) Les Psaumes ou Prières. «L'ensemble de ces écrits, tel qu'il existait à l'époque où la bibliothèque de Ras Shamra fut constituée, devait composer La Bible Cananéenne. On sait que la Bible Hébraïque n'est pas une œuvre originairement homogène . . . D'autres écrits y ont été ajoutés à diverses époques, livres historiques, prophétiques, etc.. . .»23 Rédigés et fixés vers 1400, les poèmes découverts à Ras Shamra remontent, on l'a dit, à un passé très reculé. Ils se seraient transmis à ceux qui les ont fixés, de génération en génération, soit de vive voix, comme toutes les épopées des Anciens, soit par quelque système d'écriture. Nous ne parlerons ici, très succinctement d'ailleurs, que de quelquesuns de ces poèmes. a. L'épopée du roi Kéret Outre ceux des poèmes ougaritiens qui se développent exclusivement sur le plan mythique et divin, les textes de Ras Shamra nous présentent aussi des épopées et des légendes, où se combinent l'action des dieux et celle des héros qui ont commerce avec les filles des hommes. Jeunesse de Kéret. — Kéret, fils du dieu El et protégé de Sépas, la déesse-soleil, est aussi roi de Sidon. Son territoire est menacé d'invasion par des nomades du désert, conduits par un dieu lunaire: Etrah ou Térah (père d'Abraham?). Parmi les envahisseurs, on cite la tribu de Zabulon, dont le nom apparaîtra plus tard parmi les tribus d'Israël. Tandis que Kéret perd son temps en lamentations, Térah a occupé cinq villes phéniciennes dans la région. La bataille décisive se livre dans le Négeb; Kéret ne semble pas en être sorti vainqueur. Nous avons déjà parlé de cette bataille qui se serait déroulée, aux environs de 2000, entre les Brahmanides-Hébreux, adorateurs de la Lune, et les Phéniciens du Sud de Canaan, adeptes du dieu Soleil (I, pp. 382—383). La guerre semble avoir eu pour objet l'enlèvement de la fille de Térah, que Kéret finira, semble-t-il, par épouser. Le dieu El annonce à Kéret que sa femme lui donnera sept ou huit fils et autant de filles. «Après avoir béni, une dernière fois, Kéret, le dieu El se retire, en même temps que les dieux qui composaient son escorte; ils se retirent tous sous leurs tentes ou leurs tabernacles. Or, les deux mots qui figurent ici sont exactement ceux qui se rencontrent, et dans ce même ordre, au 2e livre de Samuel, chap. 7, V.6, passage où le dieu d'Israël, Yahvé, rappelle qu'il résidait jadis dans une tente ou dans un tabernacle.»24 M 24
Del Medico, op. cit., p. 13, 14. Ch. Virolleaud, Légendes de Babylone et de Canaan, p. 67.
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La mort de Kéret. — Kéret passait, aux yeux des siens, pour immortel. Aussi furent-ils étonnés et inquiets de le voir échapper de justesse à la mort, à la suite d'une maladie ou accident. En effet, Kéret doit mourir parce que, (comme Adam), il a désobéi au dieu El, son père: «il n'a pas su faire régner la justice sur la terre ou tout au moins dans son royaume». «Il paraît évident que nous avons affaire ici, à la fois à une légende du genre de celles des patriarches bibliques et à un conte philosophique. La légende de Kéret, c'est l'histoire d'un vieux roi, qui était peut-être le plus ancien chef dont on conservât, en Canaan, le souvenir; l'histoire d'un roi qui (comme Jacob) avait été chercher sa femme dans un pays voisin du sien, et qui avait enlevé, semble-t-il, celle dont il devait faire son épouse; l'histoire aussi d'un roi qui subira de graves revers et qui sera puni de mort, pour n'avoir pas joué sans défaillance le rôle que les dieux lui avaient assigné.»25 b. La légende du roi Danel Danel est un autre roi mythologique qui règne sur un peuple d'agriculteurs; il est versé dans l'art de la divination et sa fille connaît les secrets de l'astrologie. Pour Danel, la prospérité d'un royaume est liée à la justice que le monarque doit exercer. «Si les Phéniciens d'il y a trente-cinq siècles estimaient qu'aucun hommage ne pouvait être, plus que celui-là, agréable au cœur des dieux, n'estce pas la preuve que ces populations se faisaient déjà, de la divinité, une conception assez haute? Ce nom même de Danel, qui signifie «Justice de Dieu», est évidemment identique — à une légère variante près — à celui du Daniel de l'Ancien Testament,... au Daniel dont parle Ezéchiel,. . . quand, s'adressant au roi de Tyr, son contemporain,. . . l'homme inspiré s'écrie: «Es-tu donc plus sage que Daniel?», et l'on peut tenir pour très vraisemblable que ce Daniel le Sage, dont on ne savait rien jusqu'à présent, hormis son nom, n'est autre que le héros de la légende phénicienne, un ancien roi, célèbre par son équité, et dont le nom était passé en proverbe parmi les Cananéens.»26 c. Poème de la naissance des dieux gracieux et beaux «Ce mythe vient s'ajouter à l'épopée de Kéret pour rappeler aux Phéniciens, sous forme mythologique, leur pays d'origine, le Négeb, d'où, par la côte plus tard appelée Philistine, ils ont atteint, vers le début du Ille millénaire, Tyr, Sidon, Goubla et Arwad. Au XlVe siècle, ils n'ont pas 25 26
Ch. Virolleaud, op. cit., p. 73, 74. Ch. Virolleaud, op. cit., p. 64.
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encore été évincés par les Philistins des côtes voisines de l'Egypte et ils continuent par les routes du Négeb à trafiquer avec les bords de la Mer Rouge.»27 d.
Le poème de Sib'ani
Un autre poème nous parle d'un ancêtre phénicien, héros éponyme, Sib'ani (le septième), fils de Térah ou Etrah, fondateur de la ville d'Ashdod, au sud de Jaffa, et dont l'autorité s'étend jusqu'au Négeb et la corne orientale de la Mer Rouge. Il est en contact, dans ces régions, avec les nomades du désert sémitique. En rapprochant ce poème de celui de Kéret, on s'aperçoit que les deux monarques phéniciens, celui de Sidon et celui d'Ashdod, s'occupent du Négeb, cette route caravanière qui unit la mer Rouge à la Méditerranée et qui demeurait sous le contrôle phénicien. D'autre part, la Bible, qui sera rédigée plusieurs siècles plus tard, nous permet d'identifier les nomades du Négeb et les noms des lieux. Elle nous révèle aussi que Phéniciens et Hébreux ont des héros éponymes communs, et que «nombre de locutions poétiques qu'emploiera l'Ancien Testament» se remarquent dans les écrits de Ras Shamra. e.
Valeur littéraire et morale des poèmes
de Ras
Shamra
Sur l'ensemble des textes trouvés à Ras Shamra, M. Del Medico, qui signale qu'un Homère peut naître des cendres de leur rédacteur, conclut: «La Bible Cananéenne, telle qu'elle a pu être restituée à l'aide de ces quelques tablettes fragmentaires trouvées à Ras Shamra, est forcément incomplète. La traduction des textes présente encore un certain nombre d'incertitudes; beaucoup de détails pourront être étudiés plus à fond. Mais, si l'on tient compte du fait que l'on traduit la Bible Hébraïque depuis plus de 2000 ans et que, malgré une longue tradition, tant de points sont restés obscurs, on peut ne pas se montrer trop exigeant quand il s'agit de la traduction de textes rédigés en une langue inconnue et de l'interprétation de faits tellement nouveaux. On n'en reste pas moins surpris devant la beauté des thèmes, la richesse des expressions, la haute valeur morale qui se dégage de l'ensemble de ces écrits. Beaucoup d'opinions que l'on se faisait sur la civilisation cananéenne (d'aucuns diront: phénicienne) seront à revoir: les mœurs, les croyances des peuples de Syrie et de Palestine seront à considérer sous un jour entièrement nouveau. Quel que soit le jugement de l'Histoire, on ne perdra pas de vue que les Cananéens ont été de grands poètes; on se mon27
L. Delaporte, Mythologie
générale,
p. 69.
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trera plus indulgents devant les faiblesses de leur art, quand on aura saisi toute la beauté de leurs écrits.»28 De son côté, M. Ch. Virolleaud n'est pas moins admiratif. «On disait bien, à l'époque romaine, écrit-il, que la Phénicie avait produit, et dès le temps de la guerre de Troie, des historiens et des philosophes . . . Mais il est sûr, du moins, que la Phénicie a produit, et dès avant la guerre de Troie, des poètes dont les œuvres viennent d'être retrouvées, non pas à Tyr ou à Sidon, ces métropoles de Canaan, mais dans les décombres d'une ville de la Haute Syrie, fondée par Sidon ou par Tyr, et abandonnée depuis 3000 ans . . . Et l'on observera du même coup que, tandis que l'Egypte a fait dans le domaine des œuvres d'imagination de nombreux emprunts à la Phénicie, en revanche, il n'y a absolument rien d'égyptien, et rien de babylonien non plus d'ailleurs, dans les légendes ou mythes cananéens, si l'on en juge du moins par les Poèmes de Ras Shamra, et l'on ne peut en juger que par là, puisque ces poèmes sont les seuls textes authentiques que la Phénicie des hautes époques nous ait laissés.»29
îe M
M. Del Medico, op. cit., p. 236. Ch. Virolleaud, op. cit., p. 61, 84.
V. L'invention de l'alphabet phénicien
1. L'alphabet, création phénicienne. Epoque de l'invention On peut aujourd'hui affirmer, sans crainte d'être sérieusement contredit, que c'est la Phénicie libanaise, ce pays minuscule, cosmopolite et polylingue, mais tenacement particulariste, qui, au Ile millénaire avant le Christ, a doté le monde oriental, et le monde tout court, de l'invention la plus précieuse et la plus féconde de tous les temps: l'écriture alphabétique. C'est à la Phénicie, en effet, et plus particulièrement à Gebal-Byblos, que revient la gloire de cette création. Les témoignages unanimes des Anciens, à cet égard, sont confirmés par les découvertes de la science moderne. On a voulu, pendant longtemps, contester aux Phéniciens le mérite de cette invention. Les dernières recherches entreprises à Gebal par M. Dunand, et dont les résultats sont consignés dans son savant ouvrage «Byblia Grammata», ont aujourd'hui mis fin à ces discussions académiques. Il est désormais définitivement établi que la paternité de l'alphabet revient aux seuls Giblites. En outre, l'époque de ce grand événement, qu'on reportait jusqu'alors au XHIe siècle au maximum, est encore reculée plus en arrière, au-delà même du XVIIIe. Enfin, les essais et expériences alphabétiques, entrepris, par les Phéniciens et autres, antérieurement au XVIIIe siècle, prouvent que cette découverte n'est nullement le fruit du hasard.
2. Aboutissement
d'une longue suite
d'expériences
Rappelons que, pour fixer leurs idées et leurs souvenirs, les peuples de l'Orient antique ont d'abord imité, par le dessin, les objets qui frappaient leur vue. De là naquit l'écriture pictographique, qui est celle des peuples primitifs. Presque simultanément, on le sait, apparurent les hiéroglyphes égyptiens, dans la vallée du Nil, et l'écriture cunéiforme des Sumériens, en Mésopotamie. A Byblos et en Phénicie, on ne connaît, jusque vers 2200, aucun système propre d'écriture; toutes les inscriptions, avant cette date, sont en hiéroglyphisme égyptien (I, p. 326). Mais la méthode figurative ne permet d'exprimer qu'un très petit nombre d'idées, d'un ordre exclusivement matériel; aussi, les signes figuratifs, par un progrès naturel, devinrent-ils de simples symboles et l'écriture devint entièrement idéographique. Mais le signe figuratif ou symbolique
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ne pouvait que reproduire très imparfaitement les idées; de plus, la multiplicité des signes devait nécessairement arrêter le développement de l'écriture et en restreindre l'usage à une classe spéciale, celle des scribes. Un progrès naturel conduisit, de la reproduction des idées (idéographisme), à celle des sons (phonétisme). Les habitants de la vallée du Nil, comme ceux du bassin de l'Euphrate, arrivèrent à l'écriture syllabique, où chaque syllabe est représentée par un signe. Les Egyptiens en sont même arrivés à la décomposition de la syllabe en lettres et à la représentation des lettres. Dans leurs anciens hiéroglyphes, on remarque que les signes syllabiques se mêlent aux signes phonétiques, qui sont de véritables lettres. «L'écriture hiéroglyphique, a dit Champollion, est un système complexe, une écriture tout à la fois figurative, symbolique et phonétique, dans un même texte, une même phrase, je dirai presque, dans le même mot.»30 Un pareil système était encore bien imparfait et d'une complication réelle. Le caractère sacré des hiéroglyphes et la force de la tradition s'opposaient, chez les Egyptiens anciens, à un autre progrès. Nous voyons, en effet, ces derniers attachés à l'écriture hiéroglyphique jusqu'à l'hellénisation de l'Egypte. Les Phéniciens, par contre, qui avaient, dès avant 3000, adopté l'écriture hiéroglyphique égyptienne, l'abandonnèrent, vers 2200, pour un nouveau système hiéroglyphique créé par eux-mêmes, mais directement inspiré de l'Egypte. Les complications de ce nouveau système les amenèrent très vite à lui substituer un troisième système, hiéroglyphique aussi, mais plus simplifié que le précédent dont il dérive et plus proche de l'alphabet dont il est l'ancêtre direct. Enfin, par un dernier progrès, les Gyblites du XVIIIe siècle, peut-être même ceux du XIXe, inventent un quatrième système, presque parfait, puisqu'il continue à être employé après 4000 ans. Un petit nombre de signes, 22 seulement, clairs, faciles à distinguer, représentant chacun toujours le même son, sont créés, et l'alphabet est né. 3. Expériences alphabétiques parallèles, contemporaines, antérieures et postérieures Contre la théorie de la génération spontanée, il y a, dans ce domaine, les nombreux essais antérieurs, entrepris, par les Phéniciens et par d'autres, dès la fin du Ille millénaire. «A Goubla (Byblos), avant le XXe siècle, des inscriptions sur pierre et sur bronze présentent des exemples de tentatives différentes de décomposition des sons, mais avec un bien plus grand nombre de signes (plus de quatre-vingts.»31 A Ras Shamra (Ougarit), au Sinaï, en Transjordanie, 30 31
Cité par Moret, Hist. de l'Orient, I, p. 106. Delaporte, Le Proche-Orient asiatique, p. 179.
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dans le Sud arabique, d'autres tentatives d'instauration alphabétique, antérieures, concomitantes et même postérieures à celles de Byblos, sont amorcées et poursuivies, de façon indépendante et parallèle. L'alphabet élaboré dans la presqu'île du Sinaï, postérieur à celui de Gebal, «semble être aussi l'œuvre des Phéniciens, bien que dérivé directement de l'écriture égyptienne» (Delaporte). L'alphabet cunéiforme phénicien des textes de Ras Shamra (XlVe et XVe siècles), avec ses 28 ou 30 signes, lui est aussi postérieur. 4. Les alphabets
sud-arabiques
Le plus ancien des alphabets sud-arabiques est l'alphabet sabéen (du pays de la reine de Saba), dont dérivent l'alphabet lihyanique et, beaucoup plus tard, les alphabets thamoudéen et safaïtique ou proto-arabes. Malgré de nombreuses ressemblances, l'alphabet sabéen ne semble pas dériver de l'alphabet phénicien; mais des traits fondamentaux le rattacheraient au système hiéroglyphique de Byblos, celui qui a inspiré et directement précédé l'alphabet phénicien. Les affinités entre les deux alphabets, phénicien et sabéen, constituent des traits communs témoignant d'une parenté d'origine. Le système hiéroglyphique de Byblos serait-il le prototype des deux alphabets phénicien et sabéen? Enigme. Toujours est-il que les Proto-Arabes sabéens auraient inventé leur alphabet à une époque très légèrement postérieure à celle de l'invention giblite, alors que les deux pays sont séparés par de grandes distances. On ne peut expliquer ce synchronisme, sous réserve des déchiffrements ultérieurs, que par un rappel de certains événements historiques que nous avons déjà commentés. S'agit-il d'une parenté ethnique entre les ProtoSabéens ou Proto-Arabes et les Phéniciens du début du Ile millénaire? Nous nous retrouvons devant le problème que nous avons déjà rencontré et essayé de résoudre, à savoir: l'expansion amorrite ou pseudo-arabe, vers 2200, dans le Croissant Fertile. Rappelons que, vers l'époque de l'éclosion de l'alphabet byblite, les noms des rois de Gebal-Byblos sont de la même formation que ceux des princes amorrites de Babylone, lesquels sont «nettement arabisés» (I, p. 323). Telle est, sur cette question, l'opinion de M. Dunand, auquel nous devons tous ces renseignements sur les essais alphabétiques de cette époque.32 «Que devons-nous conclure, écrit R. Weill, de cette multiplicité, quant au mécanisme de l'invention générale? Il en ressort simplement que cette invention était mûre, en pays sémitique méditerranéen très civilisé, que le principe venait en lumière d'un bout à l'autre de tout le domaine syropalestinien, et que les systèmes arrivaient à éclosion sans entente préalable, 32
M. Dunand, op. cit., p. 183 et s.
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chacun de son côté, en divers points, et sous des formes entièrement différentes, suivant les circonstances et les influences locales, suivant l'ingéniosité ou la fantaisie des premiers inventeurs.»33 5. Importance et signification réelle de l'invention alphabétique On croit généralement que l'importance de l'invention alphabétique tient surtout au fait que ses auteurs ont su, par une ingénieuse habileté, remplacer les signes hiéroglyphiques par d'autres signes plus simples; cette opération ne serait qu'un détail et le développement de la culture intellectuelle, consécutif à l'invention, ne serait qu'un résultat étranger aux Phéniciens. En réalité, la création de l'alphabet suffit, à elle seule, à couvrir d'honneur ces derniers, d'autant plus que, sans cette invention, le développement de la culture eût été impossible avec l'écriture pictographique. La véritable gloire des Phéniciens réside, en effet, dans l'invention ellemême, indépendamment des conséquences qu'elle a engendrées par la suite. Si les Phéniciens du début du Ile millénaire méritent notre gratitude pour le développement intellectuel que leur alphabet a rendu possible, cette invention, considérée en elle-même et indépendamment de ses résultats, est la solution d'un problème ardu, essentiellement intellectuel, plutôt que graphique. D'autre part, ce problème était encore nouveau pour l'esprit humain et dépassait le niveau des facultés intellectuelles des hommes de l'époque. La gloire des Phéniciens réside donc dans le fait d'avoir posé le problème, en pensant à un nouveau système d'écriture basé sur la décomposition des sons, et de l'avoir résolu par des signes adéquats. Ce n'est nullement le choix de la forme de ces signes qui est importante; cette forme, sur l'origine de laquelle on a longtemps discuté (égyptienne, babylonienne ou égéenne), est tout à fait secondaire. Ainsi, par les conséquences incalculables de cette invention, mais surtout par la position du problème alphabétique et ensuite par sa solution, l'alphabet phénicien fait triplement honneur au peuple qui l'a inventé. L'invention de l'écriture hiéroglyphique (égyptienne) et cunéiforme (mésopotamienne), au IVe millénaire, est peu de chose par rapport à celle de l'écriture alphabétique. L'écriture égyptienne et babylonienne, comme toutes les écritures primitives, est pictographique et idéographique, c'està-dire que les signes qu'elle emploie sont des images représentant des objets ou des idées. Tous les peuples primitifs ont passé par ce stade. Même là où les signes pictographiques, transformés, n'ont plus de ressemblance 33
R. Weill, La Phénicie et l'Asie Occidentale,
p. 172.
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avec l'original, ils demeurent toujours des signes conventionnels qui représentent les objets. L'écriture hiéroglyphique est relativement simple, en ce sens qu'il ne s'agit, en somme, que de peintures représentant des choses ou des idées. Or, la peinture est un art extrêmement ancien, puisqu'on découvre partout des peintures murales ornant des grottes phéhistoriques qui ont abrité des hommes paléolithiques, il y a 20 ou 40.000 ans. Aussi, dès qu'un peuple primitif atteint un certain stade d'organisation politique et sociale, ses chefs s'empressent-ils, pour les besoins de l'administration, de recourir automatiquement à l'écriture pictographique, qui n'est qu'une représentation des objets par des peintures minuscules. Ainsi, outre les Egyptiens et les Mésopotamiens, l'Elam, la Crète, les Hittites et d'autres encore, ont connu, dès l'aurore de leur histoire, des écritures hiéroglyphiques particulières, qu'ils ont d'ailleurs longtemps conservées et dont ils ne réussirent que difficilement, et très tard, à se débarrasser. Tout autre était le problème de l'alphabet, où il ne s'agit nullement de la simplification du système pictographique, ni de l'adoption d'un signe moins compliqué qu'un autre. Les lettres alphabétiques n'ont qu'une valeur conventionnelle, qui pourrait être attribuée à n'importe quel signe. Ce qui distingue l'écriture pictographique de l'écriture alphabétique, — et toute l'importance du problème est dans cette distinction, — c'est que, tandis que le système pictographique est à base d'images, le système alphabétique est à base de sons. Les signes qui désignent ou représentent ces sons sont en principe secondaires; on peut dire que ce sont des signes sténographiques, que chaque peuple peut choisir à sa guise une fois qu'on a trouvé la décomposition des sons.34 Si la création et le perfectionnement de l'écriture pictographique requièrent un simple travail visuel ou d'imagination, la création de l'alphabet implique un puissant travail intellectuel, un grand effort de réflexion philosophique, d'analyse et de synthèse. Innovation originale, l'alphabet phénicien dérive de la décomposition des sons dont les mots sont formés. Et comme le nombre des sons n'est pas illimité, les signes qui les rendent (deux douzaines environ) représentent, par leurs combinaisons diverses, les objets, les idées et toutes les nuances de la pensée. Il n'en est pas de même pour l'écriture pictographique, qui nécessite une multiplication infinie des signes ou images et rend incomplètement les idées et leurs nuances. 6. L'alphabet phénicien, ancêtre des alphabets modernes La simplification, volontairement poussée à l'extrême, du système alphabétique phénicien, fut la cause de sa diffusion et de sa persistance jusqu'à 34
Voir Contenau, Les civilisations
anciennes du Proche Orient, p. 28, 29.
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nos jours. L'omission des voyelles, sa principale imperfection, fit qu'il convenait à toutes les langues, chacune pouvant le compléter à son gré. Cette omission des voyelles caractérise encore aujourd'hui l'écriture arabe. Tous les alphabets proprement dits se rattachent plus ou moins à celui des Phéniciens, Cette invention, qui a conquis le monde civilisé ancien, paraît avoir rayonné presque simultanément dans toutes les directions. Son extension à tous les dialectes sémitiques fut rapide. Plus tard, l'expansion commerciale des Araméens servit à la propager jusqu'en Chine. En Méditerranée, les Tyriens en assurent la diffusion vers la Grèce et les îles de l'Egée. Complété par des voyelles, l'alphabet phénicien passera des Grecs aux Latins et, par eux, aux peuples de l'Europe. «Tous les vieux alphabets grecs d'Asie Mineure et d'Egée dérivent du phénicien, et ils donnèrent, par dérivation, en même temps que le grec classique, et en des formes plus ou moins différentes, les alphabets italiotes, le latin en particulier. Puis, des alphabets grec et latin, dérivèrent ensuite tous ceux du monde oriental depuis l'ère chrétienne, le copte en Egypte (vieux grec), le russe, les alphabets occidentaux dont le nôtre, toutes les écritures actuelles, issues donc d'une souche unique.»35 Négligeant les langues internationales de l'époque, l'égyptien et notamment le babylonien, langue du commerce et de la diplomatie, l'esprit particulariste des Phéniciens les portera à employer la nouvelle invention alphabétique au service de leur propre idiome: le cananéen ou phénicien. «Ce fait est important, note M. Dunand. Il montre que, sous l'empire des puissants idiomes qui se la partageaient, la Phénicie conservait une personnalité bien accentuée.»36 L'alphabet phénicien, «véritable chiffrage du langage parlé», ne s'imposa pas d'emblée, même dans les régions voisines du Liban. Comme toutes les inventions anciennes, il mettra plusieurs siècles à triompher. A Ras Shamra, on continue à employer le système alphabétique que les Phéniciens d'Ougarit avaient réussi à créer. En Egypte et en Babylonie, les traditions désuètes maintiendront longtemps encore l'écriture hiéroglyphique et cunéiforme. Vers la fin du Ile millénaire, tous les systèmes alphabétiques s'effaceront devant le système phénicien de Byblos; après 1000, ils seront complètement oubliés. «Ce fut surtout l'usage officiel de la langue et de l'écriture accadienne qui dut contrarier le développement de l'alphabet phénicien. Malgré cette redoutable concurrence, celui-ci finit par s'imposer et se répandit à travers le monde pour ne s'arrêter qu'aux montagnes de Chine. Même dans ses tentatives alphabétiques, le cunéiforme est tombé de la mémoire des hom35 39
R. Weill, op. cit., p. 161. M. Dunand, op. cit., p. 24.
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mes depuis vingt-cinq siècles et l'alphabet phénicien assure à lui seul, avec l'unique concurrence du système chinois, l'expression durable de toute pensée . . . Ce fut une des créations humaines les plus définitives. Sous ses visages multiples,... et, après 4000 ans, dans un monde qui remet tout en cause, il survit à tous les progrès de la civilisation.»37 7. La création du livre, initiative phénicienne. Byblos ou la «Cité du Livre» L'invention de l'alphabet fut suivie de la naissance du livre véritable; et c'est aussi par Gebal, mère de l'alphabet, que le monde a reçu ce second présent. On ne saurait déterminer, même approximativement, l'époque de cette naissance. «L'histoire du livre est celle de la marche même de la civilisation. Dès qu'on fut parvenu à concevoir l'idée de fixer l'expression de la pensée au moyen d'une «écriture», on se trouva en mesure de le produire.» Aussi, peut-on dire que le livre suivit d'assez près l'invention de l'écriture. Mais le livre pré-alphabétique n'est pas encore cet assemblage de feuilles réunies en volume. C'est plutôt, reproduit sous une forme portative, un texte destiné à la divulgation: lois, préceptes religieux, actes et messages privés, contrats, testaments, etc. On emploie, à cet effet, la terre cuite et émaillée, ou des tablettes de bois couvertes d'un enduit mou, généralement de cire, sur lesquelles on grave en creux, au moyen d'un stylet, le texte en question. On se sert aussi de feuilles de palmier et d'olivier, de l'écorce de divers arbres. Les Egyptiens, qui écrivaient sur la toile, imaginent d'utiliser l'écorce du papyrus, roseau qui croissait abondamment sur les bords du Nil; de là le mot papier. Ce n'est qu'avec le papyrus que le livre proprement dit est né. Mais comme l'écriture hiéroglyphique, toujours seule en usage en Egypte, n'était pas un moyen commode de la propagation de la pensée, ce fut l'écriture alphabétique phénicienne, dont le centre de rayonnement était Gebal, qui donna son expansion au livre véritable. Gebal, qui recevait le papyrus d'Egypte et le transmettait au monde méditerranéen, recevra plus tard des Grecs, pour cette raison, le nom de Byblos. Byblos et bibliou désignent, en grec, le livre et le papyrus. Gebal sera Byblos, ou la «Cité du Livre». Le livre se présente d'abord sous deux formes: d'abord celle de rouleau, écrit d'un seul côté, puis celle d'un recueil de feuillets rectangulaires réunis. C'est cette dernière qui deviendra, plus tard, la forme définitive du livre, le rouleau ayant fini par être réservé aux actes publics ou judiciaires. 37
M. Dunand, op. cit., pp. 24 et 195.
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Conclusion
L'invention alphabétique implique un puissant travail intellectuel, un grand effort de réflexion philosophique, d'analyse et de synthèse. Elle place les Phéniciens parmi les peuples créateurs qui ont le plus contribué au développement de la pensée et de la civilisation universelle. «Aucun peuple, avant les Romains, n'a autant qu'eux contribué à faire partager la culture méditerranéenne à l'Ouest e u r o p é e n . . . La Phénicie a fait plus qu'on ne croit pour préparer la philosophie héllénistique.» 38 En effet, outre leur apport alphabétique au Ile millénaire, les Phéniciens qui, dès le l i l e millénaire, avaient éveillé à la civilisation le monde crétoégéen (I, p. 321), apporteront, au premier millénaire, d'autres contributions au patrimoine culturel du monde ancien. La terrible invasion des «Peuples de la Mer et du Nord» (vers 1200), qui ruina les civilisations orientales et égéennes, «ralentit, mais ne détruisit pas la culture phénicienne. Il semble qu'après le passage des hordes, la civilisation reprit sa marche en partant des ports de la côte . . . Lorsque Ylliade et Y Odyssée furent composées (vers 850), la Phénicie était en pleine prospérité; son commerce rayonnait au loin sur les mers . . . Toute la Grèce d'alors dut beaucoup aux Phéniciens.» 39 Dans les poèmes homériques, V. Bérard a reconnu une influence phénicienne indéniable. Vers le milieu du premier millénaire, peut-être même avant cette époque, l'esprit phénicien d'analyse, pour expliquer la nature, élaborera une doctrine philosophique qui, appliquée scientifiquement de nos jours, a révolutionné le monde de notre époque. Il s'agit de la conception atomistique, base de la théorie atomique moderne, dont le philosophe grec Démocrite (vers 400 av. J.-C.) passe pour être l'inventeur. En réalité, le véritable précurseur de la théorie des atomes est le philosophe phénicien Moschos ou Mochos, de Sidon. Ce fait est rapporté par Strabon et d'autres auteurs anciens.40 Nous savons, par ailleurs, que les écrits de Moschos, antérieurs à Démocrite, «avaient été traduits en grec» (Ph. Berger), et que Démocrite voyagea plusieurs fois en Orient. «Démocrite . . . a peut-être connu, au cours de ses voyages, la tradition d'une initiative qui avait créé un précédent à sa propre théorie.» 40
38 39 40
P. Masson-Oursel, La philosophie en Orient, p. 27—28. Contenau, La Civilisation phénicienne, p. 267 et 7. Masson-Oursel, op. cit., p. 29.
A L'invasion des «Peuples de la Mer et du Nord» et les contrecoups dans le Proche-Orient
I. Invasion des «Peuples de la Mer et du Nord» Vers 1200, trois mondes civilisés, appartenant à la zone méditerranéenne, occupent la scène de l'histoire. Ce sont: le vieil Orient méditerranéen ou sémito-hamitique, et deux mondes indo-européens, fraîchement élaborés: le Proche-Orient asiatique, représenté par les Hittites; et le monde égéen, représenté par les Achéens ou Proto-Grecs, successeurs des Crétois. Tandis que, de 1400 à 1200, les deux Orients évoluent côte à côte, tantôt en se combattant et tantôt dans une paix précaire, le monde achéoégéen ou mycénien, futur monde hellénique, étend, dans l'espace, son activité commerciale et sa suprématie maritime. C'est de ce dernier monde cependant que, vers 1200, soit neuf siècles avant l'expansion gréco-macédonienne d'Alexandre le Grand, va partir une étincelle proto-hellénique et balkanique, qui allumera, dans les trois mondes civilisés, des incendies qui les détruiront l'un après l'autre. Il s'agit de la célèbre invasion des «Peuples de la Mer et du Nord», Barbares nordiques, qui, autour de 1200, ravageront le monde oriental, ruineront ses civilisations et ses Etats, bouleverseront sa physionomie ethnique, linguistique et politique, et le laisseront, pour plusieurs siècles, désagrégé et morcelé. 1. L'Empire
Hittite, désorganisé
par les avant-gardes
de la marée
La période qui suivit la conclusion du traité égypto-hittite de 1278 fut, pour l'Egypte, une ère de paix et de prospérité. Ramsès II, qui survécut quarante-six ans à ce traité conclu avec le Nord, put se consacrer à des œuvres de paix et de construction. L'éclat de son règne et la légende qui s'attache à son nom sont à l'origine de la réputation de conquérant que lui feront les Grecs sous le nom de Sésostris. Cependant, comme tous les souverains qui régnent très longtemps, sa vieillesse sera assombrie par des nuages, annonciateurs de tempêtes, qui montent dans le ciel du Nord (p. 71-74). En Asie Mineure, en effet, l'Empire Hittite, vingt ans environ après le traité avec l'Egypte, commence une nouvelle période de déclin. La dynastie de Boghaz-Keuï, à partir de 1260, tombe dans une longue décadence; l'autorité de ses rois diminue, tandis que leurs possessions s'émancipent. Les causes de la décadence hittite sont dues à la nouvelle marée nordique, dont nous avons déjà vu les avant-gardes en Libye et en Syrie. Dès 1317, en effet, des Aryens Achéens avaient débarqué en Libye, attaqué
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l'Egypte par l'Ouest, et furent repoussés par Séthi I. En 1294, d'autres éléments de cette future vague combattaient, comme mercenaires, dans les rangs hittites, devant Kadesh, en Syrie-Nord. Brisée par la victoire de Ramsès II sur les Hittites, cette vague, grossie, par la suite, grâce à de nouveaux et continuels flots immigrés, désorganisait le Proche-Orient asiatique (p. 65-68). 2. La grande marée nordique dans l'Egée et en Asie Mineure Après 1240, les écluses du Nord, qui alimentaient ces torrents humains, débordent de nouveau en direction du Sud. Une migration générale de hordes nordiques, venant des Balkans et des plaines russes voisines de la Mer Noire, s'est déjà ébranlée. Les Doriens, seconde famille grecque, descendent dans le Péloponèse, d'où ils gagnent les Cyclades et la Crète. Des tribus venant de Thrace pénètrent, par l'Hellespont (Dardanelles), en Anatolie. Les Achéens de Pamphilie (Asie Mineure), frères de ceux de Grèce, refoulés par les nouveaux venus, gagnent d'autres régions d'où ils repoussent les occupants. Les uns et les autres arrivent aux frontières occidentales du Delta nilotique (Libye) et à celles du pays des Hittites: incapables de les arrêter, Egyptiens et Hittites se cantonnent dans une prudente immobilité. Ce flot irrésistible déferlera bientôt sur l'Orient méditerranéen, où ses ravages se feront cruellement sentir. Arrivant en groupes, par terre ou par mer, ces envahisseurs amènent avec eux leurs femmes, leurs enfants et leurs biens. A peine fixés dans un endroit, ces groupes sont obligés d'en repartir, expulsés par d'autres qui les refoulent plus au sud. Si l'Egypte s'était jointe aux Hittites pour arrêter ces migrateurs, le danger aurait peut-être été écarté de la Syrie. Mais Ramsès II, déjà octogénaire, n'eut pas la force de réagir pour prévenir cette nouvelle et terrible invasion. 3. Libyens et Achéens attaquent l'Egypte par l'Ouest Comme en 1317, des groupes de cette vague, débarquant en Libye vers 1227, tentent de s'introduire en Egypte. «La Libye était un pays pauvre qui, jadis, suffisait à peine à nourrir les populations autochtones. On conçoit que l'arrivée de ces bandes d'immigrants ait créé dans le pays une situation extrêmement difficile, et on comprend aisément que les envahisseurs aient cherché à se déverser dans le riche pays d'Egypte. Deux fois déjà, à une époque où ils étaient moins nombreux, ils avaient vainement tenté leur chance.»1 1
Drioton et Vandier, op. cit., p. 415.
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Les principaux groupes débarqués en Libye sont les Libou, et des Achéens de Grèce et d'Asie Mineure, Nordiques à peau blanche, cheveux blonds et yeux bleus. C'est des Libou que viendra le nom actuel de Libye, donné par les Grecs à cette région africaine. Cette expansion des Achéens ou Proto-Grecs, en Asie Mineure et dans l'Orient méditerranéen, préfigure celle des Grecs classiques, qui apparaîtront au premier millénaire. Avec les Achéens, cette première famille grecque, «les Européens de l'antiquité classique prennent place dans l'histoire de l'Orient» (Moret). Pénétrant dans le Delta, les Libyens, Nordiques et indigènes, arrivent jusque dans le voisinage de Memphis. Battus et repoussés par Mernephtah (1227), ils laissent 9000 prisonniers, hommes et femmes, et un riche butin. Ils avaient parmi eux, comme alliés ou mercenaires, des hommes de ces peuples d'Asie Mineure que nous avons déjà rencontrés, au service des Hittites, dans la grande guerre contre Ramsès II, en 1294: Libyens, Sardes, Ciliciens, Achéens, etc (p. 66-67). 4. Remous en Palestine et en Syrie Une tentative semblable, dans les provinces orientales de l'Egypte, est également repoussée vers la même époque. Parmi les documents contemporains, l'hymne triomphal de Mernephtah, au revers d'une grande stèle de Karnak, se termine par une proclamation de tous les ennemis de l'Egypte. «Les princes étrangers gisent à terre et crient: Salam!... Tehenou (Libye) est dévasté; le pays de Khéta (Hittite) reste pacifique; Canaan est fait prisonnier; Ascalon est dépouillé; Gezer est rançonné; Yenoam est réduit à rien; Israël est désolé et n'a plus de semence; la Syrie (Kharou) est comme une veuve pour l'Egypte» . . . Pour la première fois (apparaît), dans un texte daté (1227), le nom d'/sraë/.»2 L'optimisme qu'exhalait l'hymne triomphal de Mernephtah n'était, en réalité, qu'une hyperbole de chancellerie. Après ce pharaon, l'Egypte traverse, en effet, une période d'insécurité et d'anarchie et la dynastie sombre dans le chaos. De 1212 à 1200, quatre pharaons se succèdent, dont le dernier serait un usurpateur, originaire du pays de Kharou (Syrie ou Canaan). «Qu'un Syrien ait usurpé le trône en temps troublé, nous en avons d'autres exemples sous la Ville et la XlIIe dynasties. Nul besoin de penser à une invasion du Delta: Iarsou (l'usurpateur) était probablement un fonctionnaire syrien, de la province égyptienne d'Asie, qui avait fait sa carrière dans la nouvelle capitale Per-Ramsès (Tanis). Sous Mernephtah, un Sémite, Ben Azama, porte les titres de «premier héraut» et d'«échan« Moret, Hist. de l'Orient,
H, pp. 580, 581.
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son», postes de confiance; la tradition biblique attribue à Joseph une telle influence auprès d'un Pharaon.» 3 5. Une nouvelle attaque libyenne repoussée par Ramsès III La victoire de Mernephtah sur les Libyens avait donné du répit à l'Egypte. Tandis que les migrateurs se répandent en Asie Mineure et que, probablement, ces hordes sont employées par les Achéens de Mycènes dans leur expédition contre Troie, l'Egypte se réorganise sous la ferme direction de Ramsès III (1200-1168). Ce roi énergique, qui désire égaler son illustre ancêtre Ramsès II, ne s'occupe pour le moment que de la défense de la vallée du Nil, de l'organisation de l'armée et de son recrutement en contingents nationaux et mercenaires. Il inspecte les frontières, entraîne les troupes et crée le long de la côte un rempart de navires. Une nouvelle attaque des Libyens est repoussée à la frontière de l'Ouest (1195). Vaincus, ces derniers laissent 12.000 morts et un grand nombre de blessés. Parmi les mercenaires de Pharaon figurent des groupes nordiques, dont les Philistins sont les plus connus. 6. Les Doriens envahissent la Grèce Vers cette époque, les Achéens de Mycènes, en Grèce, qui avaient, vers 1400, détruit la puissance crétoise à laquelle ils avaient succédé, vont être détruits à leur tour. Puissance maritime, maîtresse de la mer, Mycènes, comme la Crète, avait négligé les forces de terre. Poursuivant leur expansion maritime, les Achéens de Mycènes se heurtent à la ville de Troie, sur l'Hellespont (Dardanelles), qui gardait la route des mers du Nord (p. 43). Attaquée par une coalition achéenne sous les ordres d'Agamemnon, roi de Mycènes, Troie est défendue par une ligue de tous les peuples de l'Asie Mineure occidentale. Après dix ans de siège, Troie est détruite et son territoire annexé à la Grèce achéenne (vers 1190). Affaiblis par cette longue et âpre lutte, les Achéens de Mycènes sont attaqués et submergés par de nouveaux Barbares nordiques, les Doriens, qui forment la seconde famille grecque. Les forces navales ne furent, en la circonstance, d'aucun secours à Mycènes, envahie du côté du continent. La défaite des Achéens ou premiers Grecs, met fin à la thalassocratie et à la civilisation achéennes, qui n'ont duré que deux siècles environ. Cette première civilisation hellénique «enchantera tellement l'esprit des Grecs qu'ils se rediront, qu'ils amplifieront les exploits de ces sympathiques cor3
Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 581, 582.
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saires (achéens), et que, deux siècles plus tard, un poète de génie, Homère, recueillera, en deux épopées lumineuses, la geste de ces marins-guerriers.»4 7. Les Achéens, submergés, prennent la mer Restée intacte et désormais sans patrie, la flotte achéenne, la reine des mers, met à la voile, en quête de nouveaux territoires pour s'y établir provisoirement et y préparer la reconquête de la métropole. Cette puissante armada fugitive, à laquelle se joindront les Achéens échappés de la zone occupée, les «résistants» de l'empire et ceux qui vivent en pays étranger, ainsi qu'une multitude d'aventuriers d'Asie Mineure et des îles de l'Egée, s'ébranle en direction de la Méditerranée orientale. Ce sont tous ces peuples en mouvement, parmi lesquels on rencontre, de nouveau, des bandes aryennes et asianiques d'Asie Mineure et de Crète, qui avaient servi, comme alliés et mercenaires des Hittites et des Libyens contre l'Egypte, que les Egyptiens appellent les «Peuples de la Mer, du Nord et des Iles».
8. Invasion de la Syrie. Disparition de l'Empire Hittite Formidable masse humaine en déplacement, ces migrateurs nordiques envahissent la Syrie du Nord, où probablement ils arrivent par la mer. Ils y établissent un camp central, ruinent la contrée et ses habitants et couvrent tout l'espace qui s'étend de la Méditerranée à l'Euphrate. Encerclé et moribond, l'Empire Hittite s'écroule sous leurs coups et disparaît pour toujours de l'histoire. Arvad et Chypre sont occupées.
9. L'Egypte
isolée se replie sur elle-même
La brusque disparition de l'Empire Hittite laisse la vallée du Nil isolée, au milieu d'un monde hostile. L'équilibre oriental, édifié à grands frais, est brutalement rompu, comme jadis après la disparition de l'Empire Mitannien. Entourée d'ennemis à l'est, au nord et à l'ouest, l'Egypte se replie sur elle-même, dans une crise de nationalisme qui prit naturellement un aspect religieux. L'arrêt des relations commerciales provoque une crise économique grave. Des soulèvements éclatent parmi les populations asservies. Incapable de les maintenir dans l'obéissance, le pharaon les rejette hors des frontières. C'est à cette époque, selon les historiens, que les tribus israélites auraient quitté le Delta. 4
De Laplante, op. cit. p. 50.
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10. Victoire de Ramsès III (1192) Vers 1192, la grande marée nordique arrive, par la voie de mer et les routes libano-palestiniennes, au contact du Delta du Nil. Dans une grande bataille navale, livrée dans les bouches orientales du fleuve, les escadres égéennes sont détruites. Sur terre, l'armée de Ramsès III taille en pièces les envahisseurs, à la frontière égypto-palestinienne. Vaincue, la confédération des Peuples de la Mer et du Nord se disloque. Ses éléments dispersés refluent, en grande partie, vers les îles de l'Egée, la Sicile, la Sardaigne, l'Italie, les côtes d'Asie Mineure, la Syrie-Nord. L'Egypte était sauvée de l'invasion. Mais, épuisée par cette lutte désespérée, la puissance égyptienne s'effondre après la victoire. Occupée désormais par ses problèmes intérieurs, la vallée du Nil connaîtra bientôt la ruine et le morcellement.
II. Les régions maritimes au lendemain de 1200 1. Modification de la physionomie ethnique et linguistique du monde de l'époque La période qui s'ouvre au lendemain de l'invasion des Peuples de la Mer et du Nord, se caractérise par une modification générale de la carte ethnique et, par endroits, de la carte linguistique, en même temps que par un morcellement politique de l'ensemble du monde proche-oriental et du monde égéen. Les éléments ethniques allogènes, qui, après le passage de l'orage, se sont installés un peu partout, sont aussi nombreux que variés. Tandis qu'une partie des envahisseurs, après l'échec qui a brisé leur élan agressif, sont demeurés sur place (Libyens, Philistins, Néo-Hittites et autres groupes anonymes), des peuplades sémitiques, nomades ou à demi, qui se déplaçaient, depuis des siècles, aux confins des pays cultivés, profitent du désarroi général pour s'établir et se stabiliser en Palestine, Syrie, Mésopotamie: Israélites, Hébreux, Araméens et autres tribus apparentées. Nordiques ou Sémites, ces divers éléments immigrés, apportés par la tempête de 1200, se mêlent aux autochtones, au milieu desquels ils se fondent, ou, submergeant ces derniers, ils les dominent, en leur imposant leur langue et leur nom. Mais les uns et les autres seront, à la longue, assimilés et résorbés dans l'ambiance locale. Héritant des caractères respectifs des peuples autochtones parmi lesquels ils se sont établis, les mélanges stabilisés qu'ils formeront, par leur amalgame avec ces derniers, apparaîtront, sur la scène du monde historique, avec une plus forte vitalité, mais avec les mêmes appétits et ambitions que les peuples qu'ils ont submergés. Ainsi peut-on justement dire, avec Schwarzschild, que «l'élément brut du monde nouveau n'est pas un nouvel Adam, mais le vieil Adam». On peut seulement ajouter que c'est un Adam temporairement rajeuni. 2. L'Egypte au lendemain de 1200: des Nordiques s'installent dans le Delta
libyens
Après la débâcle des Peuples de la Mer, une fraction de cette cohue, les Mashouasha, avaient regagné la Libye. Etouffant dans ce pays peu fertile, qui ne pouvait guère nourrir une population nombreuse, ces Nordiques immigrés, auxquels s'étaient joints des groupes indigènes, décident,
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en dépit de leur récente défaite, «de risquer leurs vies pour s'établir en Egypte». Attaquant le Delta occidental, ces Libyens sont écrasés et repoussés par Ramsès III, en 1189. Toutefois, pour se débarrasser de leurs continuelles attaques, ce pharaon consent à en accueillir un grand nombre dans le Delta, à titre de mercenaires et de colons. L'Egypte, par cette concession, sera désormais à l'abri des invasions venant de l'Ouest. Mais, un siècle plus tard environ (vers 950), ces mercenaires étrangers imposeront à la Vallée du Nil un de leurs chefs comme pharaon, le mashouasha Sheshonq, fondateur de la XXIIe dynastie égyptienne (950—715). 3. La côte de Canaan, royaume philistin a. Les Philistins et leur pays d'origine Venant des côtes d'Asie Mineure, après un long relais en Crète, les Pulasati, résidu des Peuples de la Mer et du Nord, s'établissent sur la côte palestinienne de Canaan, occupant les cinq villes cananéennes de Gazza, Ascalon, Ashdod, Gat-Ekrôn, dont ils forment une confédération d'Etats. Ce territoire, occupé et colonisé par les Phéniciens depuis leur arrivée dans le pays vers 2900 (I, p. 207), est désormais perdu pour eux. Plus au nord, dans le voisinage du Carmel, le port de Dor, occupé par les Zakal qui vivent de commerce et de rapine, sera un nid de pirates qui rançonneront le commerce maritime des ports de la Phénicie. Du nom des Pulasati, qui deviendront les Philistins historiques, dériveront celui de Philistie, qui désignera cette côte palestinienne, et celui de Palestine qui, en géographie grecque classique, désignera l'ensemble du pays de Canaan, côte et arrière-pays. C'est surtout par la Bible que nous connaissons l'histoire des Philistins. Occupant la côte, ils empêcheront toujours les Israélites de prendre contact avec la mer. Israël aura à les combattre pendant plusieurs siècles. b. Les Philistins, peuple évolué et belliqueux Les Philistins n'étaient pas à proprement parler des Barbares. Ces Nordiques s'étaient déjà affinés au contact de la Crète et des civilisations d'Asie Mineure. En Palestine, ils se mêlent aux gens du pays et modèlent leur religion sur les cultes du Croissant Fertile. Possédant de véritables armées, des chars, une organisation politique, ils seront pour Israël l'ennemi le plus redoutable. «Sur les fresques égyptiennes, on les reconnaît à première vue; grands, le nez droit, dans le prolongement du front, la peau claire (alors que les Sémites sont peints couleur brique)... Leur armement était considérable:
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un bouclier rond, un long glaive et deux coutelas dont ils jouaient des deux mains à la fois. Ce sera l'équipement de Goliath.»5 4. Le territoire phénicien considérablement amoindri. Les Cananéens de Palestine se réfugient au Liban La Phénicie, au lendemain de 1200, est dans un état catastrophique. Le territoire national est réduit à la Phénicie classique, l'actuel pays libanais. La riche et puissante cité du Nord, Ougarit, complètement détruite, disparaît pour toujours. Au sud du Carmel, la côte et tous les ports occupés par les Philistins sont définitivement perdus pour les Cananéens-Phéniciens, qui les occupaient depuis leur migration des bords de la Mer Rouge, vers 2900. Fuyant les envahisseurs philistins ou refoulés par eux, les Cananéens locaux se réfugient chez leurs congénères de Phénicie et de Palestine. En Phénicie même, Tyr et Sidon, ravagées, ne se relèveront qu'après plusieurs décades. Réduite à un tiers environ de son ancien territoire, surpeuplée grâce à l'afflux des Cananéens des côtes sud (Philistie) et nord (Ougarit), la Phénicie trouvera la solution de ses problèmes intérieurs dans l'expansion économique et démographique au-delà des mers. Nous verrons plus loin comment elle y a réussi. Dans l'arrière-pays palestinien et libanais, l'invasion de 1200 a pour contrecoup la stabilisation simultanée des Israélites en Palestine et des Araméens errants en Syrie intérieures et en Mésopotamie. Nous esquisserons plus loin l'installation de ces groupements sémites dans les diverses régions qu'ils ont choisies. Nous consacrerons aussi une étude séparée à la Phénicie de cette époque, qui jouera, à partir de 1200, un rôle de premier plan. 5. La Syrie-Nord, royaumes néo-hittites. Alep et Damas, principautés sémitiques Tandis que les Hittites d'Asie Mineure, dont l'empire et la suprématie ont été détruits par les Peuples de la Mer, formeront, avec les nouveaux envahisseurs, notamment les Phrygiens venus de Thrace, une confédération dirigée par les Mouskhou et englobant la Cappadoce et le Taurus, d'autres éléments hittites, échappés au naufrage de leur race, formeront, en Syrie-Nord, une confédération indépendante. 5
Daniel-Rops, op. cit., pp. 152, 153.
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a. Les Hittites de Syrie-Nord ou Néo-Hittites Ces Hittites de Syrie-Nord, appelés Néo-Hittites pour les distinguer de leurs frères d'Anatolie, sont les Hittites locaux qui gouvernaient le pays nord-syrien pour leurs congénères de Boghaz-Keuï. Nous savons, en effet, que cette région, y compris Karkémish, Alep et même Hama, faisait partie du vieil Empire Hittite. Aux Hittites de Syrie-Nord, s'étaient ajoutés ceux d'Anatolie, qui, fuyant les envahisseurs, avaient cherché refuge dans cet ancien domaine hittite, devenu maintenant indépendant sous des dynasties de leur race. b. L'influence des Néo-Hittites Emancipé depuis la disparition de l'empire de Boghaz-Keuï, le royaume néo-hittite de Syrie-Nord occupe, en gros, l'ancien territoire mitanno-hourrite, le Naharina, entre Oronte et Tigre, jusqu'à la Cilicie au nord-ouest. C'est une confédération de petits royaumes, que les Assyriens appellent «les douze rois de Khattou», et où le roi de Karkémish (Djérablous), sur l'Euphrate, tient une place prépondérante. La ville de Hama, sur l'Oronte, fait partie du royaume néo-hittite. L'influence des Néo-Hittites s'exerce sur la côte méditerranéenne, jusque vers les villes phéniciennes d'Arad et de Simyra. Des éléments hittites, colons, commerçants, mercenaires ou réfugiés, se sont introduits en CoeléSyrie et jusqu'en Palestine. Quand les Israélites se sont installés en Canaan, le Hittite ne sera pas pour eux un personnage étranger. Urie, auquel David a enlevé sa femme Bethsabée, était, on le sait, un officier hittite au service du roi d'Israël. En outre, sous David et Salomon, les contacts s'intensifieront entre les deux peuples. c. Alep et Damas, Etats sémites indépendants. La Haute Syrie, mosaïque de races A l'est du territoire néo-hittite, Alep et Damas forment deux principautés sémitiques indépendantes. Ainsi, la Haute Syrie, vers cette époque, est partagée entre deux zones indépendantes et de races différentes: l'une, néo-hittite, comprenant principalement Karkémish et Hama, l'autre, sémitique, constituée par les royaumes d'Alep et de Damas. «Mais il serait erroné de supposer que ces Etats soient des centres purs de toute autre influence que celle de la race qui peut les qualifier; la Haute-Syrie est un agrégat d'Asianiques, parmi lesquels se trouvent des Hittites et des Hourri, et un agrégat de Sémites, parmi lesquels sont des Amorrites et des Cananéens. Qu'il s'agisse des uns ou des autres, l'art est le même et les différences entre ces Etats sont de forme purement politique.
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A Karkémish, l'écriture hiéroglyphique hittite domine; cette écriture, indépendante de celle de l'Egypte, mais de même nature, est bien souvent supplantée en territoire hittite par le cunéiforme. Dans le royaume de Samal, aujourd'hui Zandjirli, qui fait partie de la confédération hittite, l'alphabet sémitique (phénicien) est employé par les inscriptions officielles . . . Le véritable lien entre villes hittites et villes sémitiques est la haine de l'Assyrie qui suffit à les unir contre l'envahisseur.»6 a.
Prépondérance
des
Néo-Hittites
Minorité dirigeante en Syrie-Nord, les Néo-Hittites conserveront et propageront la vieille civilisation hittite anatolienne dont ils viennent d'hériter, notamment dans le domaine religieux et artistique. L'écriture hiéroglyphique anatolienne est conservée, en dépit de la propagation de l'alphabet phénicien. Karkémish est un centre important d'échanges sur la route allant de la Méditerranée au Tigre et un centre de transactions commerciales. Lorsque, vers 1175, les Kassites s'effondreront en Babylonie, les NéoHittites de Syrie-Nord tenteront d'entreprendre, comme autrefois leurs ancêtres Hittites, une attaque contre Babylone. Repoussés par Nabuchodonosor I (1148—1125), ils retomberont, pendant deux siècles environ, dans une véritable torpeur, dont ils ne sortiront que pour se défendre contre l'expansion assyrienne. Après des alternatives de succès et de revers, où toutes les villes de Haute Syrie seront groupées pour lutter contre l'envahisseur assyrien, le royaume néo-hittite disparaîtra, on le verra, lorsque ses deux villes principales, Karkémish et Hama, seront conquises par Sargon II (722—705), qui fera de leur territoire une province assyrienne. Nous verrons plus loin les bouleversements ethniques opérés, dans les régions maritimes de l'Asie Mineure et dans le monde égéen, par l'invasion des Peuples de la Mer et du Nord.
• Contenau, L'Asie Occidentale ancienne, pp. 265, 266.
III. Les régions intérieures au lendemain de 1200
1. Les Israélites pénètrent en «Terre Promise» a. Epoque de la pénétration Entre la chronologie «longue» et la «courte», qui divisent les égyptologues, l'écart représenterait deux ou trois siècles. Selon qu'on adopte la première ou la seconde de ces deux façons de dater, l'Exode, ou sortie des Israélites d'Egypte, se place vers 1400 ou 1225. Cette dernière date, qui est la plus généralement admise, nous paraît aussi la plus probable. Ramsès II (1298—1232) serait le pharaon «persécuteur» d'Israël. Conquérant et amateur passionné de constructions, ce monarque, qui réquisitionnait la main-d'œuvre partout, aurait fait travailler les Israélites, installés dans le Delta oriental, à la construction de la troisième capitale égyptienne, «la ville de Ramsès» (Tanis). b. Moïse, libérateur d'Israël Molestée par une politique nationaliste et xénophobe, qui tendait à éliminer d'Egypte les éléments allogènes, la race élue est persécutée. Mais Yahvé, qui veille sur elle, lui suscite un libérateur, un nouveau héros national, Moïse, qui prendra place dans la galerie des grands Patriarches bibliques. Après Abraham, Isaac, Jacob et Joseph, Moïse, qui apparaît à cette époque, assurera l'Exode de ses congénères hors d'Egypte et en fera une nation. Reprenant le rôle qu'Abraham s'était vu confier, Moïse, à la tête des siens, sort d'Egypte sous le règne de Mernephtah (1232—1224), fils et successeur de Ramsès II. Arrivé à l'oasis de Kadesh, la ville sainte du Négeb, Israël y plante ses tentes. Dans ce lieu, où jadis Brahmanides et Phéniciens locaux s'étaient battus (I, pp. 382—383), la population est toujours sémite; on y rencontre des Ismaélites (futurs Arabes), descendants d'Ismaël, fils d'Abraham et de sa concubine égyptienne Agar. c. Yahvé, Dieu d'Israël C'est en ce lieu que les tribus d'Israël demeureront installées pendant près de 40 ans. C'est là que Moïse les rassemble, les fédère et en fait un groupement solide, uni autour d'une haute idée religieuse. C'est dans ce désert sinaïtique que Yahvé s'est révélé à Moïse et est devenu le Dieu d'Is-
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raël. Jusque-là, en effet, le peuple élu ne connaissait que «El» ou Elohim, nom commun cananéen qui signifie divinité (d'où Isra-El). Désormais, Dieu aura un nom propre, «Yahvé», c'est -à-dire l'Etre par excellence. Un processus analogue marquera le début de la mission du prophète des Arabes. Mahomet rassemblera et fédérera les tribus de la péninsule arabique et fera de leur masse une nation, unie, elle aussi, autour d'une idée religieuse, l'idée d'Allah. Comme les Israélites prémosaïques, les Arabes préislamiques avaient des «ilah», ou divinités. Le Yahvé d'Israël, ou l'Etre par excellence, sera l'Allah des Arabes, ou le Dieu Unique. d. Moïse, législateur et chef de nation Conducteur d'hommes et prophète inspiré, Moïse, comme Mahomet, est également législateur. La Torah ou loi d'Israël se réclamera de lui jusqu'à nos jours. Bien des textes mosaïques s'apparentent aux «décisions d'équité» de Hammourabi, à de vieilles coutumes de Sumer ou de Babylone, aux lois Hittites, aux anciennes traditions de justice en usage dans l'Asie antérieure. Par réaction contre le peuple de statues qui encombraient les temples pharaoniques, Moïse, comme plus tard Mahomet, interdit de représenter Dieu. On présentait à Yahvé les prémices du bétail et de la terre. La sanctification du sabbat datait des débuts de l'Exode. La plus solennelle des fêtes était celle de la Pâque, en mémoire du temps où Dieu avait fait sortir Israël de l'Egypte. Mais la plus importante innovation, vraisemblablement empruntée à l'Egypte, fut la création d'un sacerdoce. Les vêtements somptueux, que les prêtres revêtiront dans les cérémonies, signalent leur caractère sacré: tuniques de pourpre, mitres ou tiares, et, sur la poitrine, un lourd pectoral garni de pierres précieuses. Leur rôle essentiel consiste à interroger Yahvé sur ses desseins. Dans ces fonctions sacerdotales, une tribu sera spécialisée: celle de Lévi, à laquelle appartenait Moïse. Son frère Aaron en sera le premier chef. Le peuple élu de Yahvé est désormais une nation; il a une personnalité qui le distingue des autres groupements sémitiques. Moïse le conduit maintenant en vue de la Terre promise à Abraham, Isaac et Jacob; mais il meurt avant d'y pénétrer. e. Israël aux portes de Canaan Campés aux portes de Canaan, les Israélites reprennent rang parmi leurs congénères, toujours nomades, les Khabirou-Hébreux, qui n'étaient pas de la descendance de Jacob et n'avaient pas émigré en Egypte. Ils se tiennent à l'écart de ces cousins et vivent dans cet isolement relatif qui caractérise leur histoire. En Palestine même, le peuple élu rencontrera les Cananéens et Amor-
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réens locaux et, sur la côte, les Philistins nordiques qui viennent de s'y installer. De la vague araméenne qui se stabilise au nord, deux flots se sont avancés en Transjordanie: les Amonites et les Moabites, proches parents, mais toujours hostiles. Au sud de Canaan, dans le Négeb, les Edomites, nomades farouches, et les Amalécites, razzieurs de profession, lancent toujours des raids sanglants vers le nord. C'est contre tous ces adversaires qu'Israël doit entreprendre la conquête progressive de la Terre Promise. Mais l'ennemi le plus redoutable sera le Philistin, qui possède de véritables armées. Aussi, la tâche sera-t-elle dure et la conquête difficile. /. Josué et la conquête Josué, que Moïse a désigné pour lui succéder, se heurte aux «rois amorrites à l'ouest du Jourdain, aux rois cananéens près de la mer» et aux Philistins de la côte; ces trois groupes se sont coalisés pour repousser les Israélites. Mais la certitude de la protection divine donnera du courage à Israël et lui fera l'âme forte. Une série de coups de main livre à Josué le territoire situé entre l'Hermon au nord et le désert au sud. La Terre Promise n'est que partiellement conquise. Au cœur du pays, les Cananéens demeurent sur leurs positions; mais la Promesse avait reçu un commencement d'exécution. Les terres conquises sont réparties par Josué entre les diverses tribus. La zone des montagnes est donnée à Juda, de la «maison de Joseph», dont une partie s'établit en Transjordanie. 2. Les Araméens «errants» se stabilisent en Mésopotamie, Syrie intérieure, Transjordanie Postés sur l'Euphrate, se déplaçant, depuis 2000, sur un parcours qui s'étend de la Babylonie au Sinaï, recevant constamment du désert des effectifs nouveaux, guettant avec ténacité les terres cultivées où ils rêvent de se fixer, les Araméens errants (I, p. 380) profitent du désarroi général créé par l'invasion des Peuples de la Mer et s'introduisent dans les pays du Croissant Fertile. Tandis que leurs congénères Israélites jettent leur dévolu sur la Terre promise à Abraham et à sa postérité et commencent à l'occuper, les Araméens se divisent en deux groupes, dont l'un se fixera en Syrie, tandis que l'autre, celui des Araméens de l'Est, s'installera le long de l'Euphrate, et particulièrement en Basse Mésopotamie. a. Les Araméens en Syrie. Aramisation de la région Les Araméens de l'Ouest se fixent en Amourrou (Haute Syrie et Damas), parmi les Amorréens autochtones qu'ils domineront et finiront plus tard par recouvrir. Le pays d'Amourrou deviendra désormais, pour les Israé-
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lites, le pays d'Aram et, plus tard, pour les Grecs, le pays de Syrie. La langue araméenne, qui remplacera bientôt le babylonien en Babylonie et l'amorréen en Syrie, sera, quelques siècles plus tard, la langue internationale et du commerce, et finira par se substituer à toutes les langues sémitiques du Croissant Fertile, y compris le phénicien et l'hébreu. Cette unification des idiomes sémitiques préparera la voie à celle que réalisera, plus de mille ans plus tard, la langue arabe, qui remplacera l'araméen et tous les idiomes hamito-sémitiques, depuis l'Irak jusqu'au Maroc. En Syrie, les Araméens fonderont de petits mais puissants royaumes, qui joueront un rôle dans l'histoire mouvementée des peuples et particulièrement des Israélites. En Haute Syrie, les Araméens se heurtent, au nord, à la résistance des Néo-Hittites, les «Douze rois de Khatti», maîtres de la région du Naharina, entre Oronte et Tigre, et des villes de Karkémish, Alep et Hamat (Hama). De bonne heure, Alep passera au pouvoir des Araméens et formera le royaume de Bit-Agushi. Plus au nord, le pays de Ya'udi, nommé aussi Sam'al en araméen, au pied du mont Amanus, sera un royaume araméen, avec Zendjirli pour capitale. Avant 1000, Hama passera sous l'autorité des Araméens. En Syrie centrale, Transjordanie et Palestine, les Araméens trouvent peu de résistance. Seule la Phénicie échappera à leur emprise, tandis qu'en Palestine, les Israélites, auxquels ils se heurteront, leur opposeront une résistance victorieuse. «Quoi qu'il en soit, il est incontestable que, dès le Xle siècle, les Araméens étaient installés dans la vallée du Haut-Oronte, dans celle du Litani et dans tout le sud de la Syrie. A l'époque de Saiil (environ 1044—1029) et de David (environ 1029—974), l'Ancien Testament nous fait connaître les noms des principautés araméennes existant dans ces régions: AramÇobah, Aram-Bêt-Rekhob, Aram-Ma'akah, Geshur et Damas. Çobah était situé dans la Beq'a (Coelé-Syrie), tandis que Bêt-Rekhob se trouvait plus au Sud, dans la région du cours moyen du Litani. Ma'akah occupait sans doute la région de Dan (Tell-el-Kadi) et la Gaulanitide (en Palestine); Geshur devait se trouver plus à l'Est, entre le Yarmouk et la région de Damas. . . . Ce qui semble sûr, c'est que les Araméens ne rencontrèrent dans la Syrie du Sud qu'une résistance assez faible: la population, composée principalement d'Amorrhéens et de Cananéens, était sans cohésion, livrée au désordre et à l'anarchie depuis l'époque d'El-Amarna. Au contraire, les cités de la côte phénicienne, Byblos, Sidon, Tyr, mieux organisées, mieux défendues, réussirent à tenir en échec les envahisseurs; ceux-ci ne purent jamais atteindre la mer. Du côté de la Palestine, ils se heurtèrent au jeune royaume d'Israël.»7 7
Dupont-Sommer, Les Araméens, pp. 25, 26.
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b. Damas, centre principal des Araméens de Syrie Le roi de Çobah, dans la Békâ, était le plus puissant de tous les roitelets araméens de Syrie. Sa puissance sera brisée par David, roi d'Israël, qui installera des garnisons israélites à Damas. Rezon, un officier du roi de Çobah, abandonne ce dernier et se fait l'âme de la résistance araméenne contre les occupants israélites. Comme Azirou jadis, Rezon reprend Damas et s'y fait proclamer roi; il deviendra l'ennemi acharné d'Israël. «Désormais, c'est le royaume de Damas, et non celui de Çobah, qui exercera l'hégémonie sur le monde araméen de Syrie et qui mènera la lutte contre les Hébreux; c'est le roi de Damas que les textes bibliques, et aussi les anciennes inscriptions araméennes, nomment tout simplement «roi d'Aram.» 8 c. Les Araméens en Mésopotamie. Leurs luttes contre les Assyriens Les Assyriens, qui convoitent la Syrie-Nord et un accès à la mer et qui se trouvent, après la disparition des Hittites, sans rivaux pour s'opposer à leurs ambitions, ne voient pas d'un oeil favorable l'installation, à leurs frontières du sud, de ces peuplades araméennes au tempérament belliqueux, qui reçoivent sans cesse du Désert des effectifs nouveaux et qui convoitent la même proie: l'Amourrou (Haute Syrie). Dès 1112, Téglatphalasar I, roi d'Assyrie, bat les Araméens, occupe six de leurs villes et les poursuit dans le désert. Ces succès sont éphémères, car ce même souverain est de nouveau obligé de reprendre les armes contre les Araméens. Ces luttes nécessitent vingt-quatre campagnes, au cours desquelles l'Assyrien est constamment à la poursuite de ces derniers, depuis l'Euphrate jusqu'à Tadmor (Palmyre), en plein désert, d'où leur viennent des renforts. Les textes assyriens qui, jusque vers 900, les qualifient de «gens de la steppe», d'Akhlamou et d'Akhlamou-Araméens, les désigneront simplement désormais sous le nom d'«Araméens». L'action énergique des Assyriens contre les Araméens ne réussit qu'à contenir, pour un temps, la pénétration de ces derniers. Dès 1090, ceux-ci sont solidement installés sur les deux rives de l'Euphrate, dans la région de la grande boucle, où ils ont créé un premier royaume araméen de BitAdini, qui s'étend, à l'est, jusqu'au Balikh. La formation de cet Etat est bientôt suivie de plusieurs autres dans les vallées du Balikh et du Khabour, sur les rives de l'Euphrate et du Tigre et au sud du mont Sindjar. Ces petits Etats sont en général indépendants et parfois rivaux. L'Assyrie, qu'ils menacent au sud, saura un jour profiter de leurs divisions pour les soumettre. En Moyenne Mésopotamie, le flot araméen ne cesse de déferler jusque sur les rives orientales du Tigre. 8
Dupont-Sommer, op. cit., p. 29.
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En Basse Mésopotamie, au sud de Babylone et jusqu'au golfe Persique, c'est le domaine d'un puissant groupe de tribus nomades apparentées aux Araméens: les Kaldu, futurs Chaldéens historiques, qui créeront, vers 850, six petits Etats autonomes; ils fonderont, en 605, l'Empire chaldéen ou Néo-Babylonien et donneront leur nom, Chaldée, à l'antique pays de Sumer. 3. Conclusion Ainsi se trouve stabilisée, après sept ou huit siècles de vie errante, la quatrième vague d'expansion sémitique, celle des Khabirou-Hébreux et des Akhlamou-Araméens, qui s'agitaient dans le désert et sur les frontières depuis la migration d'Abraham, vers 2000. Contrariée dans ses tentatives de stabilisation par les diverses vagues nordiques qui ont déferlé sur le Croissant au cours du Ile millénaire, et par la résistance des Etats sédentaires mieux armés pour se défendre, la vague hébraïque et araméenne a fini par réaliser son rêve, à la faveur du cataclysme nordique de 1200, qui avait désorganisé le monde oriental. Moins heureux que les Araméens, les Proto-Nabatéens, de même que les Ghassanides et les Lakhmides, qui déferleront, plus tard, du plateau arabique, cogneront contre des frontières et des empires solides. Aussi leurs vagues, arrêtées aux confins désertiques du Croissant Fertile, se stabiliseront-elles à demi, les unes en Transjordanie (Nabatéens) et les autres aux portes de Damas (Ghassanides) et de la Babylonie (Lakhmides). Les unes et les autres, particulièrement les tribus Ghassanides et Lakhmides, qui, comme leurs congénères Araméens, nomadiseront pendant plusieurs siècles avant de pouvoir se fixer à l'intérieur du Croissant, finiront par réaliser ce rêve à la faveur de l'invasion des Arabes de l'Islam. Se ralliant à ces derniers, dont ils grossiront les effectifs, ils pénétreront avec eux en Syrie et en Mésopotamie, comme jadis d'autres tribus parentes, Israélites, Cananéens et autres nomades arabiques, s'étaient introduites dans le Delta du Nil avec la cohue des envahisseurs Hyksôs. Si les Arabes de l'Islam, qui déferleront au Vile siècle de notre ère, s'empareront facilement, et dès leurs premières attaques, de l'Orient sédentaire, c'est que, plus heureux que les Proto-Nabatéens, les Ghassanides et les Lakhmides, ils trouveront la Mésopotamie, la Syrie, l'Egypte et même l'Iran, dans un état de décomposition et de faiblesse analogue à celui que les Araméens avaient rencontré après 1200. Aussi, la vague arabe de 640 après J.-C. se propagera-t-elle de la même façon et par les mêmes chemins que ceux des Araméens de 1200 avant notre ère. Les événements politiques et militaires qui se sont déroulés autour de 1200, et les invasions des Peuples de la Mer, qui ont désorganisé et désa-
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grégé le monde oriental, semblent, en même temps, avoir vidé, pour quelques siècles, les réservoirs des Nordiques primitifs. D'autre part, la vague araméenne et hébraïque, qui, après plusieurs siècles de vie errante, vient de se stabiliser en recouvrant les pays du Croissant Fertile, semble, à son tour, avoir dépeuplé, pour quelques siècles aussi, le désert syro-arabique. Aussi, la période qui suivra 1200 sera-t-elle, pour le monde oriental, une époque de calme et de paix relative, qui permettra aux populations de cette vaste zone de se consacrer à la restauration de la vie économique, à la reconstruction des Etats détruits, et à l'élaboration d'un nouveau monde oriental. Ce nouveau monde, qui, revigoré par les croisements, s'élaborera entre 1200 et 1000, apparaîtra, au seuil du premier millénaire, avec les mêmes caractères fondamentaux que ceux de l'Orient des Ile et Ille millénaires, en dépit des modifications superficielles que présentera sa physionomie partiellement transformée au point de vue ethnique et linguistique. Les Araméens de l'Est continueront, en effet, la politique et les traditions séculaires des Mésopotamiens; les Araméens de l'Ouest (futurs Syriens) seront les dignes successeurs des Amorréens; les Philistins et les Israélites poursuivront la tradition des Cananéens autochtones; tandis que les «Douze rois de Khatti», en Syrie-Nord, et les Assyriens, en Haute Mésopotamie, prendront, dans la politique comme dans la guerre, la suite des anciens Hittites et des Mitanniens-Hourrites.
B Eclipse des grandes puissances impériales. Morcellement politique du monde proche-oriental
I. L'Egypte, de 1200 à 750. Décadence, morcellement, féodalisme, isolationnisme
1. Déclin de l'Egypte a. Décadence et morcellement Après avoir repoussé l'assaut des Peuples de la Mer et du Nord, l'Egypte semble épuisée par cet effort. En dépit de sa victoire, qui l'a sauvée d'une nouvelle invasion hyksôs, la Vallée du Nil, après 1200, entre dans une longue période de décadence. Son rôle séculaire, comme grande puissance, et sa grandeur mondiale sont désormais un souvenir historique. Ce rôle ne réapparaîtra plus que rarement et temporairement. Sans disparaître complètement, comme le Mitanni et l'Empire Hittite, l'Egypte, à l'exemple de la Babylonie, sa vieille partenaire, et à six cents ans environ de distance, retombe au rang de puissance moyenne. Affaiblie, coupée du monde oriental par les Philistins et les Israélites fraîchement installés en Palestine, la monarchie pharaonique, hier encore champion et arbitre du monde oriental, se désintéressera désormais des pays de l'Est. Repliée sur elle-même, elle connaîtra, pendant plusieurs siècles, la décadence, dans le morcellement et le féodalisme. «L'ère des grandes épopées est désormais close pour l'Egypte. Le pays, pendant plus de quatre siècles, va être livré aux mains de souverains faibles, qui partageront le pouvoir avec une série de plus en plus nombreuse de dynastes à peu près indépendants. La politique extérieure ignore désormais les vastes entreprises, et à une exception près, les succès.»1 Ainsi, à partir de 1200, le rôle de la Grande Egypte est terminé. Lorsque, plus tard, l'ère des grands empires se rouvrira en Proche-Orient, d'autres peuples, plus jeunes et plus dynamiques, les peuples du Nord et des Plateaux, dirigeront les destinées du monde oriental. Assyriens, Chaldéens, Perses, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Turcs, venant, les uns après les autres, des quatre points cardinaux, détermineront successivement, à partir de 750, les destins de l'Egypte, en même temps que ceux des autres pays orientaux. En attendant l'avènement du premier de ces peuples de proie (l'Assyrien), les petits pays, émancipés depuis la ruine des grands, vont jouer leur rôle sur la scène de l'histoire. 1
Drioton et Vandier, op. cit., p. 490.
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b. Abandon définitif de la Palestine La ruine et l'anarchie qui régnèrent dans le monde oriental après 1200, l'éclipsé ou la disparition des grandes puissances de l'époque, étaient des facteurs favorables à une nouvelle politique d'expansion égyptienne en Orient. Le prestige de sa victoire sur les Peuples de la Mer et du Nord facilitait à l'Egypte la reconquête des provinces orientales, qu'elle gouvernait depuis près de quatre siècles, et même de la Syrie entière. Malheureusement, la victoire de Ramsès III avait épuisé l'Egypte. D'autre part, cette victoire n'avait fait que briser, aux portes du Delta, l'assaut des envahisseurs; elle n'avait rien changé à la situation dans le couloir syro-palestinien. Les envahisseurs n'avaient pas complètement évacué cette zone. Affaiblie, l'Egypte était incapable de procéder à ce nettoyage. «On peut vaincre l'armée d'un Etat régulier et imposer à celui-ci une frontière; mais comment endiguer une migration de peuples, que d'autres populations poussent en avant ou empêchent de revenir en arrière?»2 En plus des Philistins, qui ont occupé solidement la côte palestinienne, les Cananéens, expulsés de cette côte et réfugiés dans l'arrière-pays, ainsi que les Israélites revenus d'Egypte et les Nomades ou Hébreux locaux, tous ces éléments ont fait de la région palestinienne une fourmilière humaine désorganisée et difficile à tenir. Aussi, en dépit de quelques campagnes heureuses entreprises de ce côté, Ramsès III ne put reprendre, pour peu de temps d'ailleurs, que le plateau de Palestine. Coupé de la mer par les Philistins, il ne tarda d'ailleurs pas à l'évacuer. Après un règne relativement prospère, Ramsès III meurt, en 1166, laissant une Egypte affaiblie et la royauté peu respectée. Les Libyens sont dans le Delta, et le pays, sous les derniers Ramsès (1166—1085), est plus divisé. Pharaon, roi et dieu, cédera désormais la place à une poussière de prêtres souverains et de roitelets plus ou moins vassaux les uns des autres. 2. Rôle omnipotent du grand prêtre
d'Amon
a. Accroissement du pouvoir clérical Commencée dès le règne de Ramsès III (1200—1168), la décadence du pouvoir en Egypte s'était encore accrue après la mort de ce pharaon. Le clergé amonien, auquel Ramsès III était redevable de son avènement, n'avait cessé d'augmenter son pouvoir et ses richesses. L'inventaire des biens sacerdotaux, à la mort de ce monarque, est réellement impressionnant. «Les temples, dans leur ensemble, possédaient alors plus de 107.000 - Moret, L'Egypte
pharaonique,
p. 364.
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esclaves soit, par rapport à la population totale, 1 à 2 pour cent de cette population. Les meilleures terres, à proportion de 15 pour cent du total, appartenaient au clergé, ainsi que 169 villes en Egypte, Syrie et Nubie, plus un demi-million de têtes de bétail, 88 navires et 53 chantiers de constructions navales. Amon thébain possédait les 2 / 3 de ces biens . . . Toutes ces dotations, distraites des revenus de l'Etat, l'affaiblissaient d'autant, et sapaient l'autorité des Pharaons. Le calendrier des fêtes dans les temples confirme la puissance grandissante du sacerdoce . . . En additionnant tous les cultes, au cours de l'année, on chômait un jour sur trois, sans compter les fêtes mensuelles des anciens calendriers. D'où négligence et paresse dans toute l'organisation sociale.»3 b. Avènement des prêtres-rois. Monarchie dualiste. La dynastie: 1085—950
XXIe
De Ramsès IV à Ramsès XI (1168—1085), la dynastie ne fait que décliner, tandis que le pouvoir du grand prêtre se consolide. Sous Ramsès IX (1090), Hérihor, premier prophète d'Amon, qui possède déjà l'autonomie financière, est à la fois ministre suprême, gouverneur de la Thébaïde, viceroi de Nubie, général pour le Sud et le Nord. Après la mort de Ramsès XI (1085), le pouvoir effectif est partagé entre Hérihor, grand prophète, qui réside à Thèbes, et Smendès, successeur légitime des Ramsès, dont la résidence est la ville de Tanis, dans le Delta oriental. Avec cette monarchie à deux têtes, commence la XXIe dynastie (1085-950). A Hérihor, succède son fils Piankhi, puis Panezem, fils de celui-ci. Panezem épouse une princesse ramesside et succède au roi de Tanis, comme roi du Nord et du Sud. La monarchie unique est provisoirement rétablie par les prêtres de Thèbes. Mais en dépit de cette unification, les Deux Egyptes formeront une monarchie dualiste et conserveront des administrations et des capitales séparées: Thèbes au Sud, et Tanis dans le Delta. Le roi Panezem, qui s'installe à Tanis, nomme, pour le remplacer dans le Sud, son fils aîné, auquel il transmet, à titre héréditaire, la charge et les prérogatives de premier prophète à Thèbes. La XXIe dynastie s'achève, comme elle a vécu, dans une obscurité complète (950). c. Les oracles se substituent aux lois On peut se faire une idée de la décadence dans laquelle était tombée l'Egypte par la façon dont les affaires publiques étaient dirigées. Les oracles, interprétés par les grands prêtres, tenaient lieu de jurisprudence administrative et politique. Sous la XXIe dynastie, ce recours était devenu 3
Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 589, 590.
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réellement ridicule; la mentalité et la dégénérescence étaient devenues telles que l'on était incapable de demander à la volonté ou à l'intelligence la solution des grands problèmes. L a décision divine, par le moyen des oracles, intervenait non seulement pour dénouer une crise très grave, mais même dans les cas les plus ordinaires: bannissement, amnistie, condamnation de meurtriers, jugement de fonctionnaires accusés de fraude. La faiblesse du pouvoir, la crainte de mécontenter les plaideurs et le désir de fuir toute responsabilité, firent que l'on gouverna en s'abritant derrière le subterfuge de l'oracle, interprété par le grand prêtre. «Il est difficile d'ailleurs de savoir l'idée exacte que les Egyptiens se faisaient de l'oracle, s'ils croyaient réellement à l'intervention du dieu, ou s'ils considéraient l'oracle comme un moyen commode, dans les questions embarrassantes, de s'en remettre au hasard, un peu comme lorsque nous jouons à pile ou face. Cependant, au Nouvel Empire, les affaires judiciaires importantes étaient soumises, non pas à l'oracle, mais à la décision d'un jury, régulièrement constitué. Au contraire, à la X X I e dynastie, de telles affaires étaient jugées par l'oracle . . . En somme, l'esprit religieux des grands prêtres se réduisait à un mélange d'habileté professionnelle (on ne saurait en effet parler de politique à leur sujet) et de superstition. On doit ajouter cependant que la croyance en des pratiques magiques, à vrai dire assez primitives, ne dénotait pas de la part du pontife une naïveté dont on serait en droit de s'étonner. Le grand prêtre connaissait l'art d'exploiter la superstition générale et de la faire tourner à son profit exclusivement personnel. Le gouvernement des grands prêtres n'a jamais été qu'une dictature sans idéal, déguisée en théocratie.»4
3. Les pharaons libyens. XXIle et XXIIIe dynasties (950—730) a. Les mercenaires libyens, bouclier de l'Egypte Les Mashouasha sont une portion des Peuples de la Mer qui, s'étant d'abord implantés en Libye et imposé aux indigènes, réussirent à s'introduire en Egypte, à titre de colons et d'auxiliaires (p. 125—126). «Essentiellement guerriers, ils s'étaient proposés aux rois d'Egypte comme mercenaires et leurs services avaient été appréciés à un tel point, qu'il est presque permis d'affirmer qu'à partir de la fin de la X X e dynastie, en dehors de quelques Nubiens, l'armée égyptienne se composait uniquement de Libyens . . . En guise de solde, les rois d'Egypte leur avaient fait des donations de terrains, et c'est ainsi qu'ils purent créer dans le pays des colonies militaires dont l'importance s'accrut rapidement. Chaque colonie était 4
Drioton et Vandier, op. cit., p. 497, 499.
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commandée par un chef libyen qui portait le titre de «grand chef des Ma», abréviation pour «grand chef des Mashaouasha». Bien qu'ils eussent continuellement vécu en colonies, les Libyens installés en Egypte s'étaient assez rapidement acclimatés et avaient adopté la religion et les mœurs égyptiennes... Ils avaient conservé toutefois leurs noms libyens et aussi l'habitude de ficher une double plume dans leurs perruques.» 5 Ainsi, dès l'an 1000 avant l'ère chrétienne, l'Egypte commence à confier sa défense à des troupes et à des chefs indo-européens. Aux Mashouasha libyens succéderont, plus tard, des Grecs recrutés dans le monde égéen, et, beaucoup plus tard encore, les célèbres Mamlouks. b. Sheshonq I, fondateur de la dynastie libyenne Sheshonq I (950-929), fondateur de la XXIIe dynastie (950-730), était le chef de la colonie militaire libyenne d'Hérakléopolis ou Bubastis, qui avait réussi à s'imposer comme «grand chef des Ma». Il avait épousé une veuve de pharaon. Devenu roi, il légitima son pouvoir en faisant épouser à son fils la fille de son prédécesseur. A Thèbes, son avènement fut mal accueilli et une partie du clergé d'Amon quitta la ville pour se réfugier en Haute Nubie, dans la région de Napata. C'est de ces réfugiés que sortiront les pharaons éthiopiens, qui réapparaîtront en Egypte deux siècles plus tard. L'avènement de Sheshonq avait, d'autre part, suscité des jalousies et fait naître des ambitions parmi les autres chefs de Ma. Dès 950, la multiplicité des roitelets fait que l'Egypte s'est trouvée divisée, comme au temps des Hyksôs, en trois grandes principautés: le Delta, la Moyenne Egypte et le Sud, qui sont elles-mêmes partagées en petites principautés militaires distribuées aux généraux libyens, «grands chefs des Ma». Vers 725, on dénombre, dans le seul Delta, trois rois et quinze grands chefs des Ma. Sheshonq, qui partage le pouvoir et le pays avec ses compagnons d'armes et congénères, leur donne les meilleures terres. Ces derniers, au dire de Diodore, «recevaient en «bénéfices» un tiers des terres de l'Etat; un autre tiers allait aux prêtres; le reste au Pharaon» (Moret). Au-dessus de cette poussière de dynastes, de roitelets et de chefs militaires, trône Sheshonq, comme roi plus ou moins suzerain. c. Politique extérieure de Sheshonq I. Intervention armée en Canaan Sous la XXIe dynastie (1085—950), Israël, grâce à David, était devenu un puissant Etat. Vis-à-vis de ce nouvel et redoutable voisin, «la politique égyptienne est facile à comprendre. Les Pharaons feignaient d'être au mieux avec les puissants rois d'Israël, mais ils ne laissent passer aucune occasion de les affaiblir en favorisant toutes les tentatives de scission. Us 6
Drioton et Vandier, op. cit., p. 500.
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espéraient ainsi pouvoir intervenir un jour dans les affaires intérieures de la Palestine et reprendre à peu de frais l'influence que leurs prédécesseurs avaient acquise autrefois au prix de longues guerres. L'occasion n'allait par tarder à se présenter.»6 Déjà Psousennès II, prédécesseur de Sheshonq, avait donné asile à Hadad, prince d'Edom, fuyant son pays envahi par les troupes de David. Bien accueilli à la cour, Hadad épouse même la sœur de la reine d'Egypte. Le même Psousennès, poussant jusqu'en Canaan, prend la ville de Gezer, puis la donne en dot à une de ses filles qui épouse Salomon. Que les temps sont changés! Vers 1400, les Pharaons avaient daigné épouser des princesses étrangères (Phénicienne, Mitannienne, Kassite); voilà maintenant qu'ils condescendent jusqu'à donner des princesses de leur sang à de petits roitelets de Canaan. «Nous sommes loin de l'attitude dédaigneuse des grands Pharaons. Jadis Aménophis III refusait pour gendre un roi de Babylone» (Moret). Plus haut encore, même un roi de Babylone n'aurait pas eu l'audace de demander en mariage une fille de Pharaon. Imitant son prédécesseur, Sheshonq I (le Shishak de la Bible) donne asile à Jéroboam, adversaire de Salomon. A la mort de ce dernier, Jéroboam quitte la cour d'Egypte et se rend en Palestine, où il fonde, avec dix des douze tribus, le royaume d'Israël. Les deux autres forment, avec le fils de Salomon, Roboam, le petit royaume de Juda (vers 935). Cette scission détermine Sheshonq à intervenir en Palestine, pour essayer de remettre la main sur cette ancienne possession égyptienne, nécessaire à la protection de la Vallée du Nil. Vers 950, Pharaon envahit Canaan et pille Jérusalem. «Il prit les trésors de la maison de l'Eternel, les trésors du roi. . . et tous les boucliers d'or que Salomon avait faits. . . «L'Egypte à l'extérieur faisait mine de grand pays. Les petits princes asiatiques respectaient à nouveau leurs anciens suzerains . . . Les rapports les plus cordiaux existaient (de nouveau) entre l'Egypte et l'antique cité phénicienne (Byblos): Zirbarbaal (roi de Byblos), contemporain de Sheshonq I, avait dédié à la déesse giblite Baalat une statuette du roi d'Egypte, et Eribaal, successeur de Zirbarbaal, avait honoré de la même manière son contemporain Osorkon I. Dans la lutte que les roitelets asiatiques soutiendront deux siècles plus tard contre les Assyriens, ce sera dans le roi d'Egypte qu'ils mettront toute leur confiance. Le prestige de l'Egypte en Asie avait donc survécu à toutes les épreuves que le pays des Pharaons avait traversées. On verra plus loin que l'Egypte mérita bien mal la confiance qu'on avait placée en elle et que son armée ne put jamais résister sérieusement aux armées assyriennes.»7 8 7
Drioton et Vandier, op. cit., p. 502, 503. Drioton et Vandier, op. cit., p. 503, 504.
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d. Politique intérieure des pharaons libyens
Les rapports de Sheshonq et de ses successeurs avec ses vassaux d'Egypte sont, on l'a dit, ceux d'un chef élu par ses pairs. La puissance de ces chefs féodaux ne cessera de grandir avec le temps, jusqu'à devenir dangereuse en créant un état d'anarchie. Chefs militaires ou grands prêtres, beaucoup d'entre eux garderont, vis-à-vis de la couronne, une certaine indépendance. En Thébaïde, où il n'y avait point de chefs de Ma libyens, c'est le domaine du grand prêtre, devenu un véritable pontife-roi. Aussi, Sheshonq I et ses successeurs avaient-ils pris soin de nommer un de leurs fils ou un prince royal, comme premier prophète à Thèbes; d'autre part, l'épouse de Sheshonq I et celle de Takelot I, son second successeur, sont régentes de Thèbes, comme «femmes du dieu» Amon. Les prêtres sont gagnés à la couronne par les libéralités des rois; des temples magnifiques, construits à Bubastis, ont reçu «près de trois tonnes de métaux précieux» (Moret). Toute cette politique n'arrête malheureusement pas la division et l'anarchie. Vers 840, la succession royale ne se transmet plus en ligne directe. Les chefs des Ma sont indépendants et un grand prêtre à Thèbes règne effectivement pendant quarante-quatre ans. Une XXIIIe dynastie se fonde, parallèlement à la XXIIe, tandis que d'autres rois, dont on ne connaît que le nom, surgissent, çà et là, dans des territoires ne dépassant pas l'étendue d'un nome. Vers 730, Sheshonq V, le dernier représentant de la légitimité, est détrôné. A la dynastie libyenne, succédera, après 730, une dynastie éthiopienne (730—663), venue de la Nubie ou pays de Koush (Soudan), ancienne possession égyptienne, à l'extrême-sud.
II. Désagrégation du monde proche-oriental. Emancipation de la Phénicie, de la Palestine et de la Syrie
1. La Mésopotamie désorganisée par les Araméens. Assyrie, Elam luttent pour l'hégémonie
Babylonie,
Bien qu'ils n'aient pas subi directement le choc des Peuples du Nord et de la Mer, dont l'invasion s'est arrêtée aux rives de l'Euphrate, les pays du bassin des Deux-Fleuves, c'est-à-dire la Babylonie, l'Assyrie et l'Elam, n'en furent pas moins bouleversés par les contrecoups de cette violente marée. La Babylonie, qui végète sous la dynastie des Etrangers Kassites depuis plusieurs siècles, doit faire face aux Assyriens à l'ouest, aux Araméens au sud et aux Elamites à l'est. a. Les Elamites, maîtres de Babylone (1175) Dégagés de l'empire hittite, délivrés de l'action égyptienne, les Assyriens, qui, depuis plusieurs siècles, cherchent à déboucher sur les mers et à reconstituer à leur profit un grand empire mésopotamien, attaquent la Babylonie (1178), s'emparent de plusieurs villes et prélèvent un important butin. Profitant de cette attaque, le roi d'Elam se jette de son côté sur la Babylonie, occupe plusieurs centaines de villages, enlève quelques monuments, dont une stèle de victoire de Naramsin et la stèle des lois de Hammourabi, et les emporte à Suse. Il impose un tribut aux villes conquises et donne le royaume de Babylone à son fils. Le roi Kassite succombe après trois ans de résistance (1175); avec lui disparaît la dynastie kassite, qui régnait à Babylone depuis 1750. b. La dynastie élamite de Babylone se détache de l'Elam La dynastie élamite, dite dynastie d'Isin ou de Pashé, qui succède à la dynastie Kassite, occupera le trône babylonien pendant près de 125 ans (1175—1052); c'est la IVe dynastie de Babylone. Elle aura à faire face aux Araméens nomades, aux Assyriens et bientôt à l'Elam dont elle se détachera. En effet, le second roi de cette dynastie se rend indépendant du roi d'Elam (vers 1150). Son successeur, Nabuchodonosor I (1148—1125),
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après des raids heureux contre les Elamites, les Araméens, les Assyriens, est vaincu aux portes d'Assour (1120). c. Les nomades araméens infestent la contrée Les Nomades araméens qui, au Ile millénaire, dévastaient le Croissant Fertile, cherchent maintenant, à la faveur de l'anarchie générale, à se stabiliser en pays cultivé. Déjà, les Araméens de l'Ouest, stabilisés en Syrie-Nord, Damascène et Jordanie (p. 132—134), ont fermé cette zone aux autres Nomades. Les Israélites et les Philistins ont également fermé la Palestine. Il ne restait aux Araméens demeurés nomades, appelés «Araméens insoumis» par les Assyriens, que la Mésopotamie vers laquelle ils refluent, comme jadis les Amorrites et plus tard les Arabes, en cherchant à y pénétrer par la Moyenne Mésopotamie, l'ancien pays d'Accad. Vers 1100, on l'a vu, les Araméens de l'Est sont installés dans la région de la grande boucle de l'Euphrate, où ils créent le royaume de Bit-Adini, dont Til-Barsib est la capitale. Deux autres royaumes araméens sont bientôt créés dans la vallée du Balikh et plusieurs autres dans la vallée du Khabour (p. 134). Ces rudes tribus, qui encerclent l'Assyrie, s'adonnent à l'agriculture et au commerce, mais leurs roitelets, qui demeurent indépendants les uns des autres, sont souvent en rivalité et même en lutte. En Basse Mésopotamie, les tribus araméennes, dès l'an 1000, ont franchi l'Euphrate et atteint le Tigre, vers le site de Bagdad. Au sud de Babylone, d'autres tribus araméennes, les Khaldou (futurs Chaldéens), ont fondé plusieurs Etats qui s'échelonnent jusqu'au golfe Persique (p. 135). En Syrie, les Araméens sont également les maîtres. Le royaume araméen de Damas (p. 134), émancipé d'Israël vers 940, est maintenant à la tête des autres principautés araméennes de cette contrée. d. Araméens autochtones, puis Assyriens, maîtres de Babylone (1095-900) Vers 1095, un chef araméen, Hadadapaliddin, s'empare de Babylone et s'y proclame roi. En paix avec les Assyriens, il luttera cependant, pendant un demi-siècle, contre les Nomades Soutou, qui pilleront continuellement villes, temples, palais et forteresses. En 1052, une réaction nationale se produit; elle portera sur le trône un prince du Pays-de-la-Mer (le BasPays), qui fondera la Ve dynastie de Babylone (1052—1032), bientôt suivie de la Vie et de la Vile (ensemble 1031-1005). La Ville (1005-762) défendra la Babylonie contre les Araméens et les Elamites; elle sera épaulée par le roi d'Assyrie, qui imposera son influence à la Babylonie et consolidera cette influence par des alliances matrimoniales (vers 900).
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A partir de 900, la puissance araméenne domine en Mésopotamie; elle encercle l'Assyrie et la Babylonie, et les isole l'une de l'autre. 2. L'Asie Mineure ruinée et morcelée. Les Phrygiens recouvrent les Hittites détruits L'Asie Mineure, qui, au cours du Ile millénaire, a succédé, comme centre d'empire, à la Babylonie puis au Mitanni, est, elle aussi, ruinée, désagrégée et morcelée. C'est, en effet, en Asie Mineure et dans le monde égéen, que les invasions nordiques de 1200 ont provoqué les transformations ethniques et politiques les plus profondes. En Anatolie centrale, à la suprématie des Hittites, détruite par les Peuples de la Mer, succédera plus tard celle des Phrygiens qui, venus de Thrace avec les envahisseurs, se fondront avec les Hittites subsistants et les autochtones. Les Assyriens appelleront ces nouveaux successeurs des Hittites anatoliens du nom de Mouskhou. Les rois des Phrygiens Mouskhou d'Asie Mineure portent en général le nom de Mita, d'où le nom de Midas. Ils occupent la future Cappadoce, le Taurus et la future Arménie (Ourartou), qui commandent les grandes routes de l'Asie Mineure et dont les mines d'or, de bronze et de fer approvisionnent les marchés de Mésopotamie, de Syrie et d'Egypte. Dominant le Haut Tigre, ils seront continuellement en lutte avec l'Assyrie, gênée par leur voisinage. Ces héritiers des Hittites seront appelés par les Assyriens les «Hittites insoumis». 3. Eclipse des grandes puissances impériales. Emancipation de la Phénicie, de la Palestine et de la Syrie. Morcellement, divisions et conflits Commencées au début du Ile millénaire, les invasions nordiques qui ont, à plusieurs reprises, secoué et bouleversé le vieil Orient méditerranéen, avaient fini par épuiser ses vieilles civilisations et leur puissance politique. Aussi, l'invasion de 1200 ne fit-elle que renverser des édifices dont les fondements étaient déjà bien ébranlés. Cette dernière marée d'envahisseurs laissa le monde civilisé de l'époque, c'est-à-dire le vieil Orient méditerranéen, le Proche-Orient asiatique et le monde égéen, dans un état lamentable de désagrégation politique, de morcellement ethnique et de désorganisation économique. La civilisation subit, dans tous les domaines, une chute rapide. Avec l'affaissement de l'Egypte et la disparition de l'Empire Hittite, l'équilibre politique oriental, édifié à grands efforts pendant des siècles, est brutalement rompu. La vie internationale rentre dans la confusion et
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l'anarchie. L'effondrement des puissances impériales met fin à leur tutelle et à leurs zones d'influence, en Palestine, en Phénicie et en Syrie, dont les peuples deviennent les maîtres de leurs propres destinées. Malheureusement, les roitelets de ces pays émancipés s'épuiseront, à leur tour, dans des luttes intestines. Tandis que les Phéniciens, protégés par leurs montagnes contre les agressions terrestres, se lanceront sur les mers, «dans le couloir Syrie-Palestine, qui réunit la Mésopotamie à l'Egypte, naissent de petits royaumes, animés de vie querelleuse et d'orgueil intrépide; ils se disputeront une suprématie précaire, tandis que l'Assyrien attend son heure et fourbit ses armes.»8 Ces petits royaumes, ces peuples jeunes, «dont le sang et l'esprit ont été renouvelés» grâce à leurs mélanges avec les derniers éléments immigrés, vont entrer sur la scène politique, où ils tiendront provisoirement la place des vieux empires temporairement disparus. Ce sont les Phéniciens du Liban, les Israélites et les Philistins de Palestine, les Araméens de Syrie centrale et les Néo-Hittites de Syrie-Nord. Pendant tout le début du premier millénaire, ces petits peuples, mimant les anciennes grandes puissances auxquelles ils ont succédé, cherchent à s'agrandir les uns aux dépens des autres. Ils rempliront le monde oriental du bruit de leurs querelles. Israélites et Philistins s'entre-dévorent en Palestine; Néo-Hittites et Babyloniens paralysent les mouvements de l'Assyrie. Placés entre le Nord et le Sud, les Araméens de Damas participent à ces conflits sanglants, tantôt sur le théâtre de Syrie-Nord et tantôt sur celui de Palestine. Ce manège continuera jusqu'au jour où le tigre assyrien, bondissant de ses plateaux, happera, les unes après les autres, ces proies faibles et divisées et poussera ses frontières jusqu'à la vallée du Nil. D'autre part, et alors que les roitelets du couloir syro-palestinien vont s'épuiser en luttes pour la construction d'un Etat grand-syrien, les Phéniciens, optant pour l'expansion vers l'Ouest, seront le premier peuple oriental que l'impérialisme lancera en dehors du Proche-Orient. Tournant délibérément le dos à l'Est, où les rivalités sont très âpres et les expansions militaires coûteuses et précaires, ces Libanais de l'an 1000 se lanceront sur la grande mer d'Occident et édifieront, au-delà des mers, un nouveau genre d'empire: un empire colonial, maritime et commercial. Nous allons voir maintenant l'évolution respective de tous ces peuples, depuis 1200 jusqu'à l'avènement du grand Empire assyrien, qui les courbera, les uns et les autres, sous son joug implacable.
8
Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 596.
c La Phénicie indépendante: 1200-750. L'Empire phénicien, premier empire colonial, maritime et commercial
I. La Phénicie libanaise ou métropolitaine
1. Au lendemain du cataclysme de 1200 Jusque vers 1200, la vie économique et politique de l'Orient méditerranéen est dominée, presque constamment, par une double prépondérance qui assurait une sorte d'équilibre: d'une part, l'hégémonie de l'Egypte, au sud, et d'autre part, celle d'une puissance du nord: successivement SumerAccad, Babylonie, Mitanni, Hittite. La conséquence la plus importante de l'effondrement des Egyptiens et des Hittites, vers 1200, a été, on l'a dit, l'émancipation de la Phénicie de la tutelle égyptienne et la disparition de la thalassocratie achéo-égéenne. Ces circonstances heureuses vont permettre aux Phéniciens, désormais maîtres de leurs destinées, de sillonner les mers, sans rencontrer des rivaux. Elles feront passer, au premier plan de la scène politique, le rôle de la Phénicie-Liban, jusque-là reléguée au rang de petit Etat satellite et vassal. Mais l'indépendance coûta cher aux Libanais de cette époque. Le bilan de la Phénicie, au lendemain de la dispersion des Peuples de la Mer et du Nord, présente, on l'a vu, un tableau désastreux. Le territoire national est réduit à celui du Liban actuel: à l'extrême-nord, la grande cité d'Ougarit, complètement détruite, disparaît pour toujours; au sud du Carmel, la côte et tous les ports, occupés par les envahisseurs philistins, sont définitivement perdus pour les Cananéens du Liban, et la route commerciale de la côte à la Mer Rouge leur est désormais fermée. En Phénicie libanaise, Tyr et Sidon, ravagées, ne se relèveront qu'après plusieurs décades. En outre, une masse de réfugiés cananéens de Palestine, refoulés par les Philistins, encombrent les cités libanaises, compliquant davantage une situation économique déjà fort compromise (p. 127). C'est pour sortir de cette situation difficile que les Libanais de cette époque se lancent sur la mer, inaugurant une grande politique d'expansion économique et démographique, qui les portera jusque dans le monde méditerranéen occidental. Malheureusement, cette brillante période de l'histoire de la Phénicie classique, comme chaque fois que ce pays est abandonné à lui-même, est assez mal connue. Ce n'est que lorsqu'elle fait partie des grands empires, que les documents de ces derniers nous la font plus ou moins connaître. Cette carence s'explique par le fait que les archives des cités phéniciennes ont été détruites, les unes par l'action du temps, les autres par les incen-
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dies; d'autres documents seraient encore enfouis sous les décombres de ces villes perpétuellement ravagées par les invasions. La découverte fortuite, en 1929 de notre ère, de la bibliothèque de Ras Shamra, enterrée depuis la destruction d'Ougarit vers 1200 av. J.-C., témoigne de l'existence très probable d'autres documents anciens, recelés par le sous-sol de ce pays. 2. Les cités-Etats de Phénicie-Liban: Arvad, Gebal, Sidort, Tyr C'est pendant cette période d'expansion, qui s'ouvre après 1200, que les Cananéens du Liban, qui sillonneront les mers, seront dénommés, par les Grecs, les Phéniciens. Pour désigner ce pays, nous userons désormais, plus souvent, du nom de «Phénicie libanaise», ou «Phénicie-Liban», afin de le distinguer, d'une part, de la Phénicie d'avant 1200, qui s'étendait de la frontière égyptienne au golfe d'Alexandrette, et, d'autre part, de la Phénicie occidentale, qui naîtra en Afrique du Nord et à Carthage. La paix qui succéda aux invasions nordiques vit naître, sur le territoire de la Phénicie libanaise, quatre Etats principaux. Ce sont, du nord au sud: les royaumes d'Arvad, de Gebal, de Sidon et de Tyr. a. L'Etat d'Arvad (Rouad) La destruction, par les peuples du Nord et de la Mer, de l'active cité d'Ougarit, au nord de Lataquié, profita à Arvad (aujourd'hui Rouad), qui hérite de sa fortune. Bien à l'abri dans son île, Arvad fonde et domine plusieurs villes sur la côte continentale: Antaradus (Tartous), Marathus, Orthosia, Simyra, Enhydra, Caramus, Balança (Banias), Paltos, Gabala (Geblé), Heracleum, Posidium. Vers l'intérieur, le puissant Etat d'Aradus s'étendait, à l'est, jusqu'à Hamat (Hama), sur l'Oronte. La plus importante de ces cités côtières était Simyra, qui commande la trouée du Nahr el Kébir, grande route vers l'Oronte, la Syrie du Nord et la Mésopotamie. b. L'Etat de Gebal (Byblos) Gebal, la Byblos des Grecs, aujourd'hui Jebail, ne semble par avoir été touchée par l'invasion et la guerre; aussi retrouve-t-elle très vite, dans l'indépendance, une prospérité accrue. Le roi Zakabaal, vers 1100, se glorifie de ses «10.000 navires qui trafiquent avec l'Egypte». L'Etat de Gebal s'étendait depuis le Nahr-el-Kelb, au nord de Beyrouth, jusqu'au nord de Botrys, l'actuelle Batroun. Surclassée depuis longtemps par Sidon, puis par Tyr, Gebal, au premier millénaire, ne sera plus considérée comme grand Etat phénicien. Elle restera cependant la grande métropole religieuse de Phénicie. Sur son territoire, à Afka, aux sources du Nahr Ibrahim, qui demeurait un centre de pèlerinage, continueront à être célébrées les grandes fêtes de la passion et de la résurrection d'Adonis.
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c. L'Etat de Sidon (Saida) Sidon, l'actuelle Saïda, qui, dès la seconde moitié du lile millénaire, avait enlevé à Gebal sa suprématie maritime, avait conservé cette prédominance jusqu'à 1200. Pendant cette période de plus de mille ans, elle fut la grande métropole de Phénicie. Son nom désignait l'ensemble des Cananéens du Liban: Sidonien était, en effet, très souvent, synonyme de Phénicien. Sidon, au premier millénaire, conserve son importance et son rôle, bien qu'elle soit, de 1100 jusqu'à 500, surclassée par Tyr. Elle formait, en effet, avec cette dernière et avec Arvad, les trois grands Etats de la Confédération phénicienne. La Bible lui donne presque toujours l'épithète de «grande»: Sidon la grande. Hérodote nous apprend que Sidon avait fourni les meilleurs navires de la flotte du roi perse Xerxès (480). Pline signale ses fabriques de verre, célèbres dans toute l'antiquité. Les Sidoniens avaient la réputation d'être fort industrieux et très habiles dans tous les métiers. Parmi les sciences, ils cultivaient particulièrement l'astronomie et l'arithmétique, si nécessaires à la navigation et au commerce. « Et à présent encore, dit Strabon, on pourrait s'instruire à Sidon et à Tyr, non seulement dans ces deux sciences, mais même dans toutes les autres branches de la philosophie.» Sidon n'a guère laissé de vestiges historiques antérieurs aux Peuples de la Mer, car le «roi d'Ascalon», un des chefs philistins, la détruisit de fond en comble vers 1100; elle fut restaurée par les rois de Tyr, issus euxmêmes de Sidon. En même temps que les autres cités phéniciennes, Sidon prend, depuis l'indépendance, un nouvel et magnifique essor. Elle fonde des comptoirs à Chypre, à Rhodes, en Crète et dans les îles de la Mer Egée. Des dynasties, coupées de fréquentes usurpations, et une assemblée de cent membres, où les prêtres font autorité, forment le cadre politique du jeune Etat émancipé. d. L'Etat de Sour (Tyr) Le quatrième et dernier grand Etat phénicien, vers la fin du Ile millénaire, est celui de Sour, la Tyr des Grecs et l'actuelle Sour. Les invasions continentales, auxquelles Sidon résistait difficilement, trouvaient en l'île de Tyr une forteresse imprenable. Par sa situation insulaire, Sour devient assez vite, pendant cette période troublée, l'entrepôt du commerce entre les pays de l'Euphrate, du Nil et de l'Arabie. Son activité dans les domaines commercial, maritime, et plus tard colonial, se développe prodigieusement. C'est Tyr qui recueillera, sur mer, l'héritage de la thalassocratie achéo-égéenne, détruite par les Doriens. C'est après la destruction de Sidon par les Philistins (vers 1100), que la
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suprématie maritime passe de Sidon à Tyr, comme elle avait passé, mille ans plus tôt, de Gebal à Sidon. A partir de 1100, la prépondérance de Tyr, devenue, à son tour, première métropole de Canaan, ira en grandissant. Déjà, à cette époque, son expansion vers l'extrême Occident est attestée par la fondation d'Utique, en Tunisie. A partir de 1000, la riche cité tyrienne, première métropole de CanaanPhénicie, est une grande puissance méditerranéenne, maîtresse de la mer et d'un vaste empire occidental, le premier empire maritime et colonial. Son hégémonie commerciale, politique et financière s'étendra sur les deux bassins de la Méditerranée. Elle possédera des flottes puissantes et tiendra victorieusement tête à tous les conquérants. Seul, Alexandre le Grand s'en emparera, après sept mois de siège (332). Le gouvernement de Tyr comprenait un Conseil des Anciens, sorte de Sénat, deux Suffètes ou Juges quasi héréditaires, chargés de rendre la justice, et des rois héréditaires, sauf de fréquentes usurpations. Ce gouvernement de ploutocrates connaissait des problèmes sociaux, qui dégénéraient souvent en conflits et en révolutions populaires. «La ville de Tyr, raconte Strabon, le dispute à Sidon en grandeur, en célébrité, en ancienneté; car, si d'un côté, les poètes ont répandu davantage le nom de cette dernière, de l'autre, la fondation de ses colonies, tant en Lydie qu'en Ibérie, jusqu'au delà des colonnes (Gibraltar), élève bien plus haut la gloire de Tyr. Toutes les deux ont donc jadis été, et sont encore maintenant, très célèbres et très florissantes; et quant au titre de métropole des Phéniciens, chacune d'elles croit avoir le droit d'y prétendre.» Hérodote, qui visita Tyr, parle en ces termes du fameux temple d'Hercule. «J'ai vu, dit-il, ce temple richement orné de nombreux monuments, parmi lesquels il y avait aussi deux colonnes, l'une d'or brut, et l'autre en pierre d'émeraude, jetant la nuit un grand éclat.» Et Pline rapporte: «métropole célèbre de Leptis, d'Utique et de Carthage, cette insatiable émule de Rome, Tyr fonda aussi Gadès, au delà des limites du monde». 3.
La Phénicie, ligue d'Etats autonomes.
Tripoli, siège de la ligue
Tyr, Sidon, Gebal, Arvad, sont donc, au seuil du premier millénaire, les quatre grands Etats de la Phénicie indépendante. Les villes qui s'intercalent entre ces quatre cités relèvent de l'une ou de l'autre. Cependant, l'extension et le développement de la navigation et du commerce favorisent plus particulièrement Tyr, Sidon et Arvad, à cause de leur situation géographique, plus avantageuse que celle de Gebal. Ces trois villes communiquent, en effet, avec la Békâ et la Syrie intérieure, par les dépressions du Litani, au sud, et du Nahr-el-Kébir, au nord, Gebal,
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au contraire, est isolée de l'arrière-pays par le massif du Liban. Elle devait principalement sa prospérité et son prestige à l'exportation du bois, à la construction des navires, à ses relations amicales avec l'Egypte et à son rôle de centre religieux et culturel. Dès le Ille millénaire, Gebal avait passé au second plan, comme grande métropole. Au premier millénaire, son activité commerciale baissera tellement qu'elle ne sera considérée que comme un grand foyer religieux et intellectuel: celui du culte d'Adonis et de l'industrie du livre. Grâce à ces deux facteurs, elle gardera son prestige et son rang de grande métropole, restera indépendante des trois autres Cités-Etats qui l'avaient surpassée en gloire et en splendeur et ne sera pas associée à leur ligue tripartite. Tyr, Sidon, Arvad, sont donc, au premier millénaire, les trois plus importants Etats de la Phénicie classique, Etats à tendances expansionnistes. Bien que la superbe Tyr jouât désormais le premier rôle en Canaan-Phénicie, l'ensemble des Etats phéniciens, par des accords librement consentis, formait une sorte de ligue, où les trois Grands avaient voix prépondérante. Une assemblée ou Conseil, représentant les Etats membres, discutait des grandes questions commerciales et politiques qui intéressaient l'ensemble du pays. Le siège permanent de cette assemblée n'était pas fixé sur le territoire de l'un des trois grands membres de la fédération, mais en un territoire phénicien neutre. Ce lieu était Wahlia, l'actuelle Tripoli, qui doit d'ailleurs son nom grec à ses trois quartiers, dont l'un était construit par les Tyriens, un autre par les Sidoniens et le troisième par les Aradiens. Chacun de ces peuples habitait un quartier. «Tripoli, dit Diodore, se compose de trois villes, séparées l'une de l'autre par un stade d'intervalle. Elle renferme le sénat des Phéniciens, qui délibère sur les affaires les plus importantes de l'Etat». Ainsi, la configuration géographique du pays phénicien, comme celle de l'ensemble des régions syriennes, empêchera ses petits Etats de former une monarchie unitaire. L'hégémonie des grandes métropoles de Sidon, Tyr, Arvad, reste plus commerciale que militaire, plus maritime que terrestre; leur empire est sur les mers.
II. Expansion des Phéniciens vers l'Occident et fondation de leur empire maritime 1. La thalassocratie phénicienne L'invasion de la Babylonie par les Aryens Kassites, en 1750, en désorganisant la vie économique et commerciale en Mésopotamie, avait, on l'a vu, provoqué en Phénicie une crise profonde. Ces événements, qui entravèrent l'activité de la navigation phénicienne, permirent aux Crétois, puis à leurs successeurs Achéens, de dominer le monde égéen et d'en expulser la marine phénicienne (p. 42, 43 et 69, 70). Envahie à son tour par les Aryens Doriens, la Grèce achéenne, après 1200, sombre avec sa puissante thalassocratie. Cet événement profitera aux Phéniciens, en les débarrassant de leurs rivaux, les marins, achéoégéens, qui les avaient jadis expulsés de l'Egée (p. 122). Terriens et guerriers, fraîchement venus du Nord, les Doriens n'étaient pas faits pour devenir brusquement des commerçants et des marins. Rompant avec le passé créé par les Achéens et les Crétois, les Doriens perdirent, en ne prenant pas immédiatement la succession maritime des Achéens, le bénéfice de mille ans de travail et d'expérience. Devenus seuls maîtres de la Méditerranée, les Phéniciens sont de taille à profiter de cette situation avantageuse. Ils substitueront rapidement leur thalassocratie à celle des Achéo-Egéens et étendront très loin, vers l'Ouest, les bornes du monde civilisé. La navigation connaîtra bientôt, avec ces maîtres de la mer, une extension et un essor qu'elle n'avait encore jamais connus. Lorsque, plus tard, les Grecs reprendront, sur les mers, la place de leurs prédécesseurs achéens, ils rencontreront sur leur chemin ces hardis navigateurs orientaux. Une haine profonde, née de cette rivalité, opposera Phéniciens et Grecs, comme elle opposait autrefois Achéens et Phéniciens. La participation de la Phénicie, aux côtés de la Perse, aux célèbres Guerres Médiques (492—466), et notamment à la bataille de Salamine, ne sera qu'un épisode sanglant de la lutte commerciale entre ces deux peuples marins et marchands. La destruction de Tyr par Alexandre le Grand (332) en sera le suprême aboutissement. a. Expansion des Phéniciens vers l'Occident L'insécurité et le désordre qui suivirent l'invasion des Peuples du Nord et
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de la Mer, en désorganisant la Mésopotamie, l'Asie Mineure, la Syrie et l'Egypte, ruinait les cités phéniciennes, avant-ports du pays de l'Euphrate. Réduite, la vie économique du Proche-Orient s'est concentrée dans des cités repliées sur elles-mêmes et isolées les unes des autres: villes du Delta égyptien; cités libanaises; Alep, Damas, Babylone. En dehors des cités, c'est la vie féodale et la guerre constante dans presque toute l'Asie antérieure. Résidus des Peuples de la Mer, les pirates Zakal, apostés dans le voisinage du mont Carmel, infestent la mer. La Mésopotamie, dévastée par les tribus araméennes, est désertée par les commerçants qui y passaient jadis en transit. L'activité économique emprunte, autant que possible, la voie maritime du sud. Le commerce des Indes se détourne de Babylone, pour prendre la route de la Mer Rouge. En Arabie, de petits royaumes côtiers deviennent d'importants centres de transit. Frustrées du commerce mésopotamien réduit à peu de chose et de la route des Indes déplacée vers le sud, coupées, d'autre part, de la Mer Rouge depuis l'installation des Philistins sur la côte de Palestine, les villes phéniciennes, remplies de réfugiés cananéens, traversent une crise des plus graves. Leur commerce languit, leur marine est en chômage et leur territoire surpeuplé. Elles ne pouvaient sortir de cette situation angoissante qu'en trouvant de nouveaux champs d'activité et de nouveaux moyens d'existence. L'exiguïté de leur territoire leur commandait de chercher le salut dans l'expansion extérieure (p. 153). A l'opposé des autres Sémites, sédentaires ou nomades, qui, essentiellement terriens, sont assez nombreux pour se tailler une place à l'intérieur du Croissant Fertile, les Phéniciens, obéissant à une loi historique, optent pour la mer, leur domaine familier. René Dussaud a très justement «constaté que la Syrie était soumise à une double fluctuation qu'on peut définir ainsi: d'un côté, émigration par mer des gens de la montagne et de la côte; de l'autre, immigration de nomades de race arabe». Maîtresses des mers, où aucun rival sérieux ne les menace, Tyr et Sidon y rétablissent la police et les sillonnent dans tous les sens. La Méditerranée orientale, la Mer Ionienne, toute la Méditerranée occidentale, les côtes nord et sud de l'Atlantique, s'ouvrent aux navires, aux commerçants et aux immigrants phéniciens, qui propagent partout les marchandises, les arts, les dieux du vieil Orient. b.
Période de fondation de l'empire:
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On n'a presque pas de documents sur la période phénicienne qui s'étend de 1200 à 1000. C'est pourtant au cours de ces deux siècles que les Cananéens du Liban ont édifié leur vaste empire d'outre-mer (p. 153—154). De 1200 à 1100, les Phéniciens réparent les ravages de la guerre et de
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l'invasion et restaurent leurs villes détruites. Ils ont, en outre, résolu, par l'émigration et l'activité maritime, le problème du surpeuplement et du chômage. C'est au cours de ce siècle que commencent leur expansion vers l'Occident et la création de leurs premiers établissements coloniaux. Vers 1100, Utique, en Afrique, est déjà fondée. Vers 1000, le grand empire est presqu'entièrement édifié. 2. L'empire phénicien, premier empire maritime et commercial a. Domaine de l'empire Oeuvre des Tyriens et des Sidoniens, l'empire phénicien, dont le domaine est immense, comprend la Méditerranée orientale, la Mer Egée, la Mer Ionienne et l'ensemble de la Méditerranée occidentale jusqu'au-delà des colonnes d'Hercule (détroit de Gibraltar). De façon générale, la Méditerranée orientale est le domaine des Sidoniens, tandis que les Tyriens, qui occupent Chypre, dirigent leurs efforts vers le bassin occidental. Mais après la destruction de Sidon par les Philistins, vers 1100, la suprématie maritime, on l'a dit, passe à Tyr, qui devient, après cette date, la première métropole de Phénicie. «Cet empire colonial, qui est immense, comparé à l'exiguïté de la métropole, (est le) premier exemple de ces dominations maritimes et commerciales que le Portugal, la Hollande et les grandes nations de l'Europe créeront par des moyens analogues.»1 b. Naissance à la civilisation d'un nouveau monde Précurseurs lointains des Espagnols modernes, les Phéniciens de la fin du Ile millénaire mettront au jour un nouveau monde, le monde méditerranéen central et occidental, dont ils seront les gérants et les bénéficiaires. Eloigné de l'Orient continental ruiné et désuni, ce nouveau monde maritime sera, pendant plusieurs siècles, un monde exclusivement phénicien. Ainsi, à la suite de l'Orient méditerranéen, du Proche-Orient asiatique et du monde égéen, une quatrième zone de l'univers, l'Occident méditerranéen, éveillée à la civilisation par les Phéniciens, entre, à son tour, à partir de l'an 1000, sur la scène de l'histoire mondiale. c. Méditerranée orientale et Mer Egée Chypre fut la première à devenir terre phénicienne; les Tyriens, qui ceinturent l'île d'établissements, centralisent leur domination à Kition et Idallion. Certaines inscriptions des IVe et Ille siècles font allusion à des rois 1
Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 609.
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phéniciens de ces deux villes. Plus tard, les Grecs d'Asie Mineure s'établiront dans le nord de l'île. On relève des traces très nettes de l'installation des Phéniciens en Cilicie. Rhodes est occupée, ainsi que, selon le témoignage de Thucydide, la Crète, les Sporades et les Cyclades. Les meilleures îles de l'Archipel de l'Egée sont annexées. Il semble cependant que les Phéniciens n'allèrent pas plus loin que les Dardanelles. D'autre part, leur action dans l'Egée, freinée par les Grecs, aboutira de bonne heure à une sorte d'arrêt ou d'équilibre. d. Méditerranée centrale et occidentale Les Phéniciens s'installent en Sicile, utile point de relâche pour leurs courses aventureuses vers les Colonnes d'Hercule. Us se fixent à Palerme, au fond d'un golfe, à Solonte, sur un cap, et à Motya, sur une île au fond d'une baie. Ils s'installent aussi, au témoignage de Diodore, à Malte, Gozzo et Pentellaria, trois îles situées en haute mer et offrant aux flottes de sûrs refuges pour passer de l'est à l'ouest de la Méditerranée. Axée sur la Tunisie, l'activité des Phéniciens s'étendait à toute la Méditerranée occidentale: Sardaigne, Marseille, îles Baléares, etc. En Afrique du Nord, leur plus ancienne colonie fut Utique, sur le golfe de Carthage, fondée par Tyr vers 1100. Tout un nœud de places, disséminées jusqu'au Maroc, gravitera autour de ce foyer principal. Combé, fondée vers 814, deviendra la célèbre Carthage. e.
Côtes de l'Atlantique
Franchissant, vers 1000, le détroit de Gibraltar, les Phéniciens s'aventurent sur l'océan Atlantique, qu'ils appellent la « M e r Ténébreuse». Prenant pied sur la côte occidentale du Maroc, ils poussent jusqu'au Sénégal. Des ruines de constructions phéniciennes ont été trouvées dans l'Afrique du Sud, ainsi que dans l'Archipel Indien. Vers 600, des marins phéniciens accompliront, à la demande du pharaon Nékao II, la circumnavigation complète du continent africain, vingt siècles avant les Diaz et les Vasco de Gama. Dans l'Atlantique Nord, les Phéniciens fréquentent les côtes d'Espagne, de Gaule et de Grande-Bretagne, où ils échangent les matières premières d'Orient et d'Occident. f.
Espagne atlantique
Sur la côte espagnole de l'Atlantique, les Phéniciens fondent, vers 1000, leur importante colonie de Gadir ou Gadès, aujourd'hui Cadix. De là, ils se mettent en rapport avec le pays de Tarshish ou Tarsis, dénomination au sens vague qui signifiait l'extrême Occident et désignait la future Anda-
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lousie. Ce pays lointain, qui exploitait des mines d'argent, de cuivre et de plomb, recevait, à travers l'Espagne et la France, l'étain d'Angleterre et l'ambre de la Scandinavie. g. Comptoirs et concessions Dans les pays civilisés, comme en Egypte et en Babylonie, et là où ils rencontrent un pouvoir assez fort pour défendre son territoire, les Phéniciens fondaient de simples comptoirs, des «concessions» ou quartiers séparés, où ils achetaient le droit de commercer, de s'administrer librement et d'élever un temple à leurs dieux. Ces quartiers devenaient le centre du commerce international, le rendez-vous des financiers et des industriels. Le plus connu de ces quartiers est le «camp des Tyriens» à Memphis, dont le temple, consacré à Ashtart, datait de l'an 1200 environ. Ainsi, en moins de deux siècles, un univers immense, aux possibilités illimitées, était ouvert à la civilisation et à l'activité humaine, grâce à l'initiative de ce petit peuple dont le centre principal demeurait adossé aux montagnes du Liban. Cet univers occidental restera soumis aux Phéniciens jusque vers 500, date à laquelle Carthage s'émancipe de sa fondatrice Tyr et continue, pour son compte, l'œuvre de la métropole. h. Caractère original de l'empire phénicien Contrairement aux Egyptiens et surtout aux Mésopotamiens, pour lesquels l'idée d'empire implique une autorité centrale, les Phéniciens procédaient par infiltration, préparant des relations paisibles avec les peuples, qu'ils intéressaient, peu à peu, à leur industrie et à leur commerce. Ils en faisaient des fournisseurs et des consommateurs, plutôt que des sujets. La notion d'empire, au sens grec et romain du terme, les Tyriens et les Sidoniens ne l'ont jamais eue. La métropole phénicienne n'est pas une capitale d'empire, avec des chefs, des proconsuls, des vice-rois, une force armée; c'est une sorte de siège social. Au fur et à mesure de la réussite d'une colonie, elle tend à vivre une vie particulière et libre, une vie de dominion, mais elle demeure unie à la métropole par d'innombrables liens: liens commerciaux, industriels, d'assistance volontaire, d'orgueil commun, de foi commune; mais jamais par la contrainte. Carthage, par exemple, envoyait chaque année une ambassade, qui allait sacrifier à Tyr, au temple de Melkart, et portait une offrande égale, à l'origine, au dixième des revenus du nouvel Etat. Bien plus, cette unité de l'empire, basée sur le sentiment et l'intérêt, s'est révélée plus solide que celle qui repose sur la force des armées. Dominions et possessions sont, en effet, restés soumis à Tyr pendant plus de cinq siècles. Ils restèrent même volontairement rattachés à la métropole après
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que le territoire de cette dernière eût passé sous la domination des Assyriens, puis des Chaldéens. Par les lettres de Tell-el-Amarna, nous savons qu'en fait de troupes terrestres, les princes phéniciens employaient des bandes de mercenaires étrangers, sous la direction de véritables condottieri. L'épisode de la révolte des mercenaires de Carthage nous apprend que les colonies émancipées avaient adopté les procédés de la métropole. N'aimant guère les expéditions militaires et les conquêtes à main armée, les Phéniciens se contentent, au début tout au moins, de points stratégiques, de centres fortifiés, de comptoirs concédés par les populations locales, avec un temple dédié aux divinités de Tyr: Melkart et Ashtart. Ce système leur permettait de recueillir les avantages de la colonisation, sans en avoir les inconvénients. Tout le long de la route de l'Ouest, se succèdent des relais de ravitaillement et de sécurité et des points d'escale: en Sicile, aux Baléares, en Libye, en Tunisie, en Algérie, etc. «Lorsque les convois escortés revenaient chargés de l'argent ou de l'étain de Tharsis, ils pouvaient trouver un abri provisoire dans ces relais contre les tempêtes ou les attaques de corsaires. Il semble que la colonisation phénicienne proprement dite ne se soit établie que plus tard, lorsque la concurrence grecque renaissante eut obligé à tenir plus fortement les points stratégiques essentiels. C'est ainsi que Carthage ne fut fondée qu'en 814.» 2 Pour sauvegarder leur empire colonial et protéger leur commerce, les Phéniciens avaient de grandes flottes de guerre. Enveloppant toute la Méditerranée d'une ceinture presque ininterrompue de comptoirs et de citadelles, «ils instituent, dit Maspéro, sur des routes fixes, comme un service de Messageries maritimes qui unit toutes les rives de la Méditerranée en rapports presque directs et provoqua le mélange de l'Occident nouveau avec l'antique Orient». L'empire phénicien est un prodige de souplesse, d'adaptation et d'esprit d'aventure. Nulle part on ne trouve, comme chez les Grecs et les Romains, des arcs de triomphe phéniciens ou puniques. Les Phéniciens réaliseront l'unité économique du monde méditerranéen; les Grecs y ajouteront l'unité culturelle. Les uns et les autres prépareront la voie à Rome, qui forgera l'unité politique de cette zone et créera l'Empire de l'Univers romain. 3. La Phénicie, centre de gravité économique mondial a. La Phénicie, centre économique mondial A mesure que, sous l'impulsion des Phéniciens, la vie économique et la 2
D e Laplante, op. cit., I, p. 58.
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civilisation s'étendent plus à l'ouest, le rôle et la position de la Phénicie métropolitaine deviennent plus importants. Depuis plus de deux mille ans, la Mésopotamie, centre géographique de l'Asie antérieure, formait le centre économique du monde ancien. L'éclosion et le développement du nouveau monde méditerranéen modifieront profondément, et pour de longs siècles, cette situation privilégiée. La Phénicie libanaise, jusque-là avantport de la Mésopotamie et zone frontière et de transit, sera, à partir de 1000 et jusque vers 500, le centre de gravité économique du vieux et du nouveau monde. La Babylonie, déchue de son rôle prééminent, tombera à celui de zone de passage entre l'Est asiatique et le monde occidental. Les rôles sont ainsi renversés. L'Asie antique, comme l'Europe et l'Amérique modernes, avait le monopole du commerce du monde. L'industrie, telle que nous la concevons aujourd'hui, était presque inexistante dans l'antiquité. Dans la société antique, divisée en classes, le travail des esclaves fournissait tout ce qui était de première nécessité pour la famille. Le commerce, à de rares exceptions près, s'appliquait exclusivement à l'achat et à la vente des objets de luxe. Or, ce genre d'objets pullulait en Asie; c'était donc en Asie que se rencontraient les marchands par excellence. Dès l'origine, on l'a vu (I, p. 167, 222, 321, 353), le commerce phénicien est étroitement lié à l'épanouissement des anciens empires de l'Orient. Car les villes phéniciennes se trouvaient placées aux premiers points où la route de Sumer et de Babylone, vers l'Egypte, touchait la mer. Avec l'extension du monde civilisé vers le monde méditerranéen et l'Occident, la position unique de la Phénicie lui permettait de communiquer sans intermédiaire entre l'Orient, l'Afrique et l'Occident et d'absorber tous les profits du commerce international. Cette situation exceptionnelle donne encore aujourd'hui, à la façade syro-libano-palestinienne, une importance mondiale. b. La Phénicie, puissance commerciale Les communications entre les empires de Mésopotamie et d'Egypte avaient, dès le l i l e millénaire, provoqué l'éclosion, au Liban, du premier Etat purement commercial de l'histoire du monde, Etat dont l'organisation commerciale était entièrement basée sur la communauté des marchands. Le développement et l'extension de l'activité commerciale, au premier millénaire, et l'expansion impériale de la Phénicie avaient transformé ce petit Etat marchand en un vaste empire commercial et maritime, dirigé et organisé par les marchands de la métropole. Dominions, colonies et comptoirs phéniciens portent, eux aussi, l'empreinte de ce caractère exclusivement commercial. Les Egyptiens, les Sumériens et les Babyloniens furent de grandes puis-
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sances, dont le commerce était extrêmement développé. Mais ils n'étaient pas, à proprement parler, des peuples commerçants; ils ne s'étaient pas fait du commerce une spécialité. Les Phéniciens donnent le premier exemple d'un peuple dont le commerce fut l'affaire principale, dont le rôle fut de servir d'intermédiaire entre les vieilles civilisations orientales et l'Europe primitive (I, p. 353-354). Les Phéniciens étaient, avant tout, commerçants et hommes d'affaires, intelligents et pratiques. Lorsqu'ils jugeaient que la suzeraineté de l'étranger est incompatible avec la bonne conduite de leur commerce, ils réduisaient leurs exigences politiques et cherchaient à tirer les avantages les meilleurs du vasselage auquel ils se condamnaient. Le tribut imposé leur semblait un permis de circuler et de trafiquer sur les terres du vainqueur. Les multiples changements de suzeraineté politique qu'ils ont subis n'ont jamais paru les troubler. Ainsi, sous la domination des Assyriens et des Chaldéens, comme sous celle des Perses, la Phénicie restera à la tête du commerce maritime. C'est que, dans le vaste bassin de la Méditerranée, les Phéniciens ne rencontrent point de rivaux à leur taille et que l'Asie, l'Afrique et l'Europe ne peuvent communiquer qu'à l'aide de leurs vaisseaux. Les cités phéniciennes étaient l'entrepôt de ces mille denrées qu'on tirait de l'Inde, de la Chine, de la Sibérie, des pays qui avoisinent la Mer Caspienne, de l'Asie centrale, de l'Arabie, de l'Afrique, des côtes de l'Espagne, de la Gaule, de l'Italie et de la Grèce. «Muni de cet instrument admirable, l'écriture phonétique, qu'il créa et répandit dans le monde méditerranéen, le négoce tyrien, concentré entre les mains d'une aristocratie capitaliste, avait remplacé le négoce égéen. Bois du Liban; lin d'Egypte; écarlate des îles du Péloponèse; argent, fer, étain et plomb d'Andalousie; vins et laines de Damas; moutons et chèvres d'Arabie; aromates, or et pierres précieuses d'Ophir, tous les échanges du bassin passent entre les mains des transporteurs et des banquiers phéniciens.»3 En Espagne, les Phéniciens usaient, semble-t-il, des mêmes méthodes d'exploitation et de colonisation que, 26 siècles plus tard, les Espagnols emploieront, à leur tour, sur les territoires du Nouveau Monde américain. «L'Espagne, dit Gibbon, par une singulière fatalité, fut le Pérou et le Mexique de l'antiquité. La découverte par les Phéniciens du riche continent occidental, et les mesures d'oppression par lesquelles ces derniers contraignaient les indigènes à travailler dans leurs propres mines, pour le plus grand bénéfice de l'étranger, forment le pendant exact de l'histoire moderne de l'Amérique espagnole». De Gadir (Cadix), en Espagne, jusqu'à Tyr, et réciproquement, le ser3
D e Laplante, op. cit., I, p. 57.
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vice maritime fut aussi régulier qu'entre Chypre et la Phénicie. On donnait autrefois aux grands navires qui faisaient cette longue traversée le nom de «vaisseaux de Tharsis». Les marchandises que les Phéniciens transportaient d'un bout à l'autre de la Méditerranée étaient, soit des produits de l'industrie nationale, comme la pourpre et le verre, fabriqués à Sidon et à Tyr, soit des matières premières ou produits étrangers, dont ces rouliers du monde antique se constituaient les dépositaires et les transporteurs. A cet égard, ils incarnaient, au suprême degré, les qualités qui figurent, au premier rang, parmi les dons naturels des Sémites: l'esprit d'entreprise, le goût du trafic, l'habileté pratique. c. La Phénicie, puissance financière et politique Les villes phéniciennes devenaient le grand marché des minerais d'argent, de cuivre, d'étain de toute la Méditerranée. Elles trafiquaient des esclaves enlevés sur les côtes, exportaient, vers les pays neufs, les produits manufacturés d'Egypte et les épices des Indes. Ce trafic considérable, qui était le fait des particuliers et des rois, enrichissait considérablement les cités phéniciennes. Ces cités, «dans lesquelles, dit la Bible, les marchands sont plus riches que des rois», sont gouvernées par des oligarchies d'armateurs et de commerçants, parmi lesquels, lorsqu'il n'était pas choisi dans le clergé, était élu le roi. La prospérité énorme qu'elles connurent au Xe siècle provoqua des mouvements sociaux, qui, à Tyr, aboutiront au remplacement du roi par des magistrats annuels: les Suffètes ou Juges. La république de Tyr prit l'allure d'un véritable empire maritime. Tous les comptoirs d'outremer envoyaient à la métropole une dîme prélevée sur toutes les transactions commerciales. Puissance maritime et commerciale, Tyr devint ainsi une grande puissance financière. Les villes phéniciennes inaugurent une politique de monopole, que nulle autre puissance d'ailleurs n'était capable de leur disputer. «Cette hégémonie commerciale persista même dans une période critique pour la Phénicie: celle où la côte passa sous la domination des Assyriens (740—612). Seule Tyr, isolée en mer, défendue par ses navires, ses richesses, ses alliances politiques et commerciales avec le monde méditerranéen, conserva une farouche indépendance jusqu'à Alexandre . . . Jusqu'au temps d'Alexandre, nulle politique ne réussira en Méditerranée sans le concours, ou la neutralité, des «navires de Tarsis, de Tyr, de Sidon, d'Arad, de Byblos», c'est-à-dire de la flotte phénicienne. Ainsi, le but économique de la colonisation phénicienne est dépassé; l'accroissement de puissance qui en résulte se traduit sur le terrain politique.»4 4
Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 610, 612, 613.
III. La Phénicie et les pays voisins, de 1200 à 750. Rapports avec la Palestine et Israël 1. Expansion économique dans les pays continentaux Il ne faut pas croire, comme on a tendance à le faire, que l'activité commerciale des Phéniciens était entièrement absorbée par la navigation et le trafic maritime. Leur commerce de terre, important et étendu, pénétrait aussi à l'intérieur des continents. Traversant les pays limitrophes, ce commerce cherchait à atteindre les pays continentaux les plus éloignés: Arabie, Mésopotamie, Iran, Arménie, Anatolie, et même le Caucase. a. Les Phéniciens et l'Arabie C'est surtout l'Arabie qui intéresse et attire le négoce terrestre des Phéniciens. Cet océan de sable, qui s'étend à l'Est, communique avec la Mer Rouge, l'Océan Indien et le golfe Persique, et, par-delà ces mers liquides, avec Ophir, l'Inde, l'Asie centrale et méridionale. Les Phéniciens ne se contentent pas de recevoir de leurs voisins de Syrie et de Palestine, et d'exporter par leur intermédiaire, les marchandises transitées. Ils entendent monopoliser eux-mêmes tout le trafic transdésertique. D'où leur entente directe avec les convoyeurs des caravanes du désert et leur expansion dans l'arrière-pays palestinien, en vue d'atteindre le Négeb, l'Arabie Pétrée et les bords de la Mer Rouge. Les principales tribus arabes qui se trouvaient dans des rapports assidus avec les Phéniciens étaient celles des Madianites et des Iduméens, dont les territoires touchent le port d'Elat, sur la Mer Rouge, et Pétra, ville fortifiée à l'intérieur des terres. «Toutes ces tribus étaient les mêmes que les Grecs désigneront sous le nom d'Arabes nabathéens.» La prépondérance phénicienne dans cette partie de l'Arabie, d'où les Proto-Phéniciens étaient venus vers 2900, commence réellement lorsque les rois de Jérusalem, brisant l'extension des Philistins et dominant la route vers la Mer Rouge, deviennent les alliés des souverains de Tyr. b. Les Phéniciens et la Palestine La plus importante expansion terrestre des Phéniciens en Proche-Orient, qui est aussi la moins connue, est celle qu'ils entreprirent dans l'arrièrepays palestinien, en pays d'Israël. Il s'agissait pour eux d'atteindre la Mer
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Rouge et l'Arabie, en contournant la côte palestinienne, domaine des Philistins depuis 1200. Pour réaliser ce plan, les Phéniciens usent d'un moyen qui n'est ni l'expansion démographique et politique, ni l'obtention de concessions et de comptoirs. Ce moyen, que connaît et applique l'impérialisme économique moderne, est la coopération mutuelle. Nous exposerons plus loin comment, sous le couvert de l'alliance et de l'amitié, les Phéniciens exploitèrent, en association avec les rois d'Israël, cette voie terrestre qui, à travers la Palestine, conduit de Tyr aux bords de la Mer Rouge et en Arabie. 2. La Phénicie de 1200 à 900 a. De 1200 à 1000: période obscure De 1200 à 1000, les documents font presque défaut. Tout ce que l'on sait, c'est que, de 1200 à 1100, les Phéniciens ont réparé les ravages de la guerre, restauré leurs villes détruites, créé une puissante thalassocratie, résolu, par l'émigration, le problème de la surpopulation, découvert l'Occident et commencé la fondation de leur vaste empire d'outre-mer. Vers 1100, on l'a dit, la Phénicie est déjà dans sa pleine puissance. Son ancienne suzeraine, l'Egypte, vivote toujours dans le marasme et le déclin. Il n'est pas de meilleur témoignage de cette puissance phénicienne et de la faiblesse des pharaons que le fait, par le roi de Gebal, de retenir prisonniers, pendant dix-sept ans, des envoyés de Ramsès IX (vers 1100). Vers la même époque, un émissaire royal égyptien qui vient chercher des cèdres, est éconduit par le prince giblite, parce qu'il propose, au lieu de l'or, une statue du dieu Amon. Il ne reçoit satisfaction qu'après avoir payé le prix de la marchandise. Un peu plus tard, Zkabaal, roi de Gebal, fier de ses «10.000 navires qui trafiquent avec l'Egypte», ne daigne pas traiter avec un ambassadeur égyptien. «Je ne suis pas ton serviteur, ni le serviteur de celui qui t'envoie», dit le Phénicien. Il menace même le messager pharaonique de le retenir captif, à l'exemple de ses prédécesseurs retenus pendant dix-sept ans et morts en captivité. Comme on est loin du temps où Zimrida, roi de Sidon, et Rib-Addi, roi de Gebal (vers 1400), écrivant à leur suzerain d'Egypte, déclaraient se prosterner «sept et sept fois» devant Pharaon, leur «seigneur, leur dieu et leur soleil»! A partir de 1100, l'expansion économique et démographique des Phéniciens prend plus d'ampleur; vers 1000, la fondation de l'empire est presque complètement achevée; après 1000, l'âge d'or de la Phénicie libanaise ou classique est commencé.
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b. La Phénicie, vers l'an 1000 C'est à partir de 1000 que commence, avec l'apogée de la Phénicie impériale, la suprématie de Tyr en Phénicie et dans l'empire. C'est aussi à partir de cette époque que s'effectue l'expansion économique des Phéniciens en Israël et que pénètre, dans cette région, l'influence phénicienne. Enfin, c'est à partir de cette époque que, grâce à la Bible, aux textes assyriens et à ceux utilisés par l'historien Josèphe, nous sommes un peu plus renseignés sur la Phénicie du premier millénaire. «C'est de 1000 à 500 en chiffres ronds, écrit G. Contenau, la période d'apogée du commerce et de l'expansion de Tyr.» 5 En réalité, la prospérité et la prépondérance de la puissance phénicienne se maintiendront longtemps encore après 500. La domination des Perses, pas plus que celle des Chaldéens et des Assyriens, ne réussira à y mettre fin. Isolée dans son île, protégée par les flots, Tyr, comme l'Albion moderne, ne connaîtra pas l'invasion étrangère avant Alexandre le Grand. C'est ce dernier qui, après sept mois de siège, la détruira, pour la remplacer par Alexandrette, au nord, et Alexandrie d'Egypte. Jusqu'à Alexandre (332), et malgré la perte de son indépendance politique, la Phénicie métropolitaine ou libanaise conservera une puissance maritime et financière de premier ordre, et les puissances continentales doivent compter avec elle. C'est grâce à la flotte phénicienne, alliée des Perses, que la bataille de Salamine (480) ne sera pas un désastre pour ces derniers.
c. Abibaal, roi de Tyr (980—969), allié du roi David A partir de l'an 1000, c'est la cité de Tyr qui exerce son hégémonie sur toute la Phénicie. Tout le pays, depuis Acre jusqu'au Nahr el Kébir, est sous la prépondérance tyrienne. Le roi Abibaal (980—969) s'intitule déjà «roi de Tyr et de Sidon et des Cananéens». La constitution de l'Etat, jusque-là démocratique, est devenue oligarchique; le pouvoir est exercé par quelques familles puissantes appartenant à l'aristocratie financière et marchande. Abibaal est contemporain de David (1010—955), second roi d'Israël. Ce dernier, qui venait de refouler les Philistins sur la côte, de les réduire à l'impuissance et d'étendre sa domination sur tout le pays situé entre Gaza, le Négeb et Damas, était maître de la route terrestre qui mène de la Méditerranée à la Mer Rouge et à l'Arabie. Une alliance conclue entre Abibaal et David assure aux Phéniciens la sécurité sur leurs frontières du sud et permet à Tyr de reprendre, avec l'Arabie et la Mer Rouge, le com5
G. Contenau, La Civilisation
phénicienne,
p. 56.
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merce terrestre interrompu depuis l'installation des Philistins, vers 1200, sur la côte palestinienne. d. Hiram I et Salomon, amis et alliés Hiram ou Ahiram I (969—935), fils et successeur d'Abibaal, est connu pour ses relations avec son contemporain d'Israël, le roi Salomon (973—933), fils et successeur de David. Ahiram, qui monte sur le trône à l'âge de 20 ans, fut un grand roi constructeur. Prodigieusement enrichi par le commerce et les tributs des colonies, il agrandit et embellit Tyr et Sidon par des travaux d'édilité, la construction ou la restauration de temples, de palais et de canaux, l'aménagement de ports pour les bateaux. Il construisit le temple de Melkart et d'Astarté, auquel payèrent tribut toutes les colonies phéniciennes. Il brisa une révolte des Cittiens (habitants de Chypre), qui étaient déjà, avant son avènement, tributaires de Tyr. Ahiram renouvelle avec Salomon le traité d'alliance et d'amitié conclu par Abibaal et David. Ce dernier avait demandé à Ahiram des architectes et des ouvriers pour bâtir sa résidence royale. Salomon leur confie la construction de son palais et du célèbre Temple de Jérusalem. Le bois et l'or sont fournis par le roi de Tyr, qui reçoit en échange du blé et de l'huile d'olive. Lorsque le temple fut terminé, Salomon offrit à Ahiram, en guise de solde de tout compte, un district de la frontière de Galilée, qui comprenait vingt bourgades, présent qui ne plut guère au roi de Tyr, qui le trouvait insuffisant. Supérieur à Salomon dans le domaine matériel, Ahiram ne lui était pas inférieur dans le domaine de l'esprit. «La merveilleuse sagesse que les historiens attribuèrent à Salomon fut aussi l'apanage d'Hiram. L'historien Josèphe, qui nous assure que les Phéniciens, en particulier les Tyriens, conservaient des archives historiques, se fait l'écho d'une tradition qui veut que les deux monarques se soient proposé des énigmes dont l'enjeu était considérable; mais avec un souci d'impartialité méritoire, il rapporte que Salomon ne gagnait pas toujours.» 6 e. Condominium phénico-salomonien sur la Palestine L'événement le plus important du règne d'Ahiram I fut le renforcement de son alliance avec le jeune royaume d'Israël, ce qui permit à la Phénicie d'exploiter, en association avec Salomon, les possibilités économiques de cette zone de passage terrestre vers le sud, et d'en faire, en quelque sorte, une zone d'influence économique et un champ d'exploitation pour les financiers et les hommes d'affaires phéniciens (p. 167—168). • Contenau, La
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phénicienne,
p. 58.
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La ruine des empires asiatiques et l'insécurité qui en résulta en Mésopotamie, eurent pour effet de détourner, vers la route du sud, les caravanes et les navires. La Mer Rouge est devenue un grand centre de trafic international; le commerce des Indes, en empruntant les côtes d'Arabie, donna à cette mer une importance considérable. Ces circonstances permirent également à la Palestine, zone de passage entre l'Arabie, la Mer Rouge et la Méditerranée, de jouer un rôle prépondérant. Grâce à la décadence temporaire de l'Egypte, le jeune peuple israélite et ses premiers rois purent dominer les routes de commerce vers l'Arabie et la Mer Rouge, et exploiter, en association avec les Phéniciens, ces grandes voies de communication. Cette entente entre les deux pays, qui avait commencé au temps de David, est encore étroitement renforcée par Ahiram et Salomon. Outre le danger commun qui, représenté par les Araméens de Damas et les Philistins de la côte, menace les deux pays, les intérêts économiques rendent encore leur association plus étroite. Salomon rêve de faire de son petit royaume un centre de commerce international et de transit entre la Mer Rouge et la Phénicie. Pour l'exécution de ce dessein hardi, le concours des Phéniciens était nécessaire. Inexpert dans le négoce, Israël qui, jusque-là, ne s'était occupé que de culture et d'élevage, manquait de capitaux et de techniciens. C'est en se mettant à l'école des Phéniciens que les Israélites s'initient au commerce et à la finance. De son côté, Ahiram avait intérêt à détourner de l'Egypte le trafic de la Mer Rouge et à le canaliser, par voie de terre, vers Tyr et la côte libanaise. Pour réaliser ce projet, l'entente avec Salomon, qui contrôlait tout l'arrière-pays jusqu'à la Mer Rouge, s'imposait au roi de Tyr. A cette époque, la Phénicie est une grande puissance impériale et Tyr, sa capitale, dans sa splendeur. Très riche, colonisatrice audacieuse, maîtresse des mers par son commerce mondial et ses flottes puissantes, Tyr avait ses chantiers, ses docks, ses ateliers de réparation, ses financiers, ses banquiers, ses techniciens, ses hommes d'affaires. Ahiram, prince opulent et commerçant habile, s'était empressé d'envoyer à Salomon, dès son avènement, une ambassade de félicitations. Les deux souverains concluent un traité d'alliance, qui assure aux Phéniciens la reprise des relations commerciales avec l'Arabie et la Mer Rouge. En échange, les Israélites obtiennent'une participation aux entreprises commerciales. Pour s'affranchir des intermédiaires, notamment les Arabes du désert qui transportaient les marchandises par la voie de terre, Phéniciens et Israélites équipent des flottes sur les bords de la Mer Rouge, vont à Ophir et rapportent de l'or. Ce sont les Phéniciens qui construisirent la flotte israélite et ce sont leurs marins qui la conduisaient. «Bien que le texte biblique semble attribuer l'initiative de ces expéditions à Salomon, ce sont
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les marins phéniciens qui montaient les «navires de Tarsis» pour ramener les trésors de l'Arabie.» 7 «L'alliance de Hiram de Tyr, qui règne sur la mer, et de Salomon, qui détient les routes des caravanes vers la Mer Rouge et le Delta, apporte, à ces régions, une prospérité nouvelle qui laissera, dans la mémoire des hommes et dans les pages de la Bible, le souvenir d'une opulence dorée. C'est aux Tyriens que Salomon confie la construction des navires de haut bord que, d'Esiongueber, il lance sur la Mer Rouge vers le pays d'Ophir. Ce sont des marins tyriens qui montent ces navires qui voguent de concert avec ceux d'Hiram. Tous les trois ans, la flotte fait un voyage et revient chargée d'or, d'argent, d'ivoire, d'animaux exotiques. Quel était ce pays d'Ophir? On a parlé des Indes. Il est plus vraisemblable qu'il s'agissait seulement de la Côte des Somalis, ou plutôt de l'Arabie. La visite de la légendaire Reine de Saba illustrerait cette supposition. Mais l'Ophir n'était vaisemblablement lui-même qu'un relais, un entrepôt où des navigateurs et caravanes arabes apportaient les produits de l'Inde et l'or de Rhodésie.» 8 Cette influence économique phénicienne en pays israélite, impliquant naturellement une influence politique, était encore renforcée par une influence culturelle qui, à l'époque, n'était que religieuse. Les dieux cananéens envahissent Israël, où des hauts lieux sont aménagés pour le culte de ces divinités étrangères exécrées par Yahvé. Mais l'horizon politique d'Ahiram est bien plus vaste que celui de Salomon. Pour le monarque de Tyr, roi de Phénicie et empereur d'Outre-Mer, le jeune royaume d'Israël n'est qu'un pays minuscule, une voie de passage terrestre, une zone économique parmi des centaines d'autres exploitées par les Phéniciens. Le monde méditerranéen en entier était ouvert à l'activité commerciale de ces derniers. f . Déclin de la dynastie à Tyr et à Jérusalem. Agitations sociales et révolutions politiques La prospérité commerciale que connurent les villes phéniciennes, au Xe siècle, provoqua, dans leur sein, des mouvements sociaux qui engendraient souvent des révolutions politiques. Cette agitation sociale avait pour cause le mécontentement de la classe populaire, exploitée par quelques riches familles de financiers et d'armateurs. Les guerres civiles avaient pour résultat le peuplement des possessions nord-africaines, car le parti vaincu émigrait, en grande partie, aux colonies. Baal Outsour (935—919), fils et successeur d'Ahiram, est une pâle figure que la brillante personnalité de son père rend encore plus obscure. Sous son 7 8
Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 611, 612. De Laplante, op. cit., I, p. 57.
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règne, la scission entre le nord et le sud du pays d'Israël aboutit, après 932, au partage du royaume de Salomon en deux Etats distincts: celui d'Israël au nord, capitale Sichem, et celui de Juda au sud, capitale Jérusalem. Ce schisme, qui affaiblit Israël et lui enleva le contrôle de tout l'arrière-pays palestinien, notamment du royaume édomite du sud, mit fin au rôle de pays de transit que l'ancien royaume de Salomon tenait entre la Phénicie et la Mer Rouge. Ce rôle semble avoir repassé à l'Egypte, qui cherche à rétablir son influence en Canaan. Aussi, les villes phéniciennes se rapprochent-elles de Pharaon. La flotte égyptienne, n'étant plus ce qu'elle était jadis, ce sont des armateurs de Tyr et de Sidon qui, moyennant tribut, détiennent la majeure partie du trafic maritime du Delta du Nil. Abdashart (918—910), fils et successeur de Baal Outsour, périt dans une conspiration après neuf ans de règne. Après lui, trois usurpateurs se succèdent, sur le trône de Tyr, de 909 à 888. Pendant ce temps, une lutte fratricide oppose les dynasties d'Israël et de Juda. Les Araméens, devenus puissants à Damas, les Philistins et l'Egypte cherchent à profiter des dissensions entre les rois de Sichem et de Jérusalem pour améliorer leur situation aux dépens des deux frères ennemis. 3. La Phénicie, de 900 à 750: rapports avec Samarie, Jérusalem et Damas a. Alliance de Tyr et de Samarie Au début du IXe siècle, deux usurpateurs, qui seront de grands monarques, surgissent, l'un à Tyr, l'autre à Sichem, et fondent respectivement deux nouvelles dynasties. A Tyr, Itobaal I (887—856), grand prêtre d'Astarté, s'est emparé du trône. Son avènement marque le triomphe du parti oligarchique, représenté par la faction cléricale, sur la classe populaire. Itobaal I régna tranquillement pendant 31 ans. Il fonda, sur ses frontières septentrionales, la ville de Botrys (l'actuelle Batroun). Cette ville servit longtemps de forteresse contre les incursions des rois de Damas, qui s'infiltraient par la trouée Tripoli-Homs, et contre les brigandages des habitants du Liban-Nord. Sous son règne, tout le littoral méditerranéen se couvre de colonies phéniciennes actives et prospères. Menacé par l'ambition des Araméens de Damas, qui, continuant la politique de leurs prédécesseurs amorréens, convoitent un accès à la mer, Itobaal I reprend, à son tour, la politique de son lointain prédécesseur, Ahiram I, en se rapprochant d'Israël. A Sichem, vers 885, après plusieurs drames de palais où trois rois d'Israël trouvent successivement la mort, le général Omri, chef de l'armée,
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est proclamé roi. Intelligent et énergique, ce nouveau monarque choisit pour capitale la ville de Samarie, où il construit des fortifications et un palais royal. b. Rétablissement de l'influence phénicienne à Samarie et à Jérusalem Itobaal et Omri, comme jadis Ahiram et Salomon, étaient faits pour s'entendre; les circonstances les poussaient d'ailleurs dans cette voie. Le royaume araméen de Damas, qui prenait de la puissance et affichait ses visées hégémoniques sur l'ouest et le sud, inquiétait à la fois Tyr et Samarie. Ressuscitant la politique expansionniste d'Ahiram I, Itobaal cherche à rétablir l'influence phénicienne en pays d'Israël. L'ancienne alliance entre les deux peuples est renouvelée; cette alliance est même cimentée par un mariage: Jézabel, fille d'Itobaal, épouse Achab, fils aîné d'Omri. A la faveur de ce mariage, l'influence politique et religieuse de Tyr s'infiltre de nouveau en pays d'Israël. c. Jézabel à Samarie Femme énergique et remarquable, Jézabel aura sur son mari un grand ascendant. En même temps que le goût du luxe, de l'industrie, du commerce et des constructions, la Phénicienne amène avec elle ses dieux, les Baals détestés, les Melkart de Tyr, l'Astarté et ses prêtres, au nombre de neuf cents, dit la Bible, et dont les rites scandalisent les fidèles de Yahvé. La Tyrienne, qui entendait donner à ses idoles la première place, persécuta et même massacra les prophètes de Yahvé. d. Entente d'Israël et de Juda. Athalie à Jérusalem Vers 855, le danger assyrien, qui se profile aux frontières du Nord, rapproche provisoirement Damas, Samarie, Jérusalem et Tyr. L'entente entre les frères ennemis, les rois de Samarie et de Jérusalem, est scellée par un mariage. La fille d'Achab et de Jézabel, Athalie, épouse Joram, fils de Josaphat, roi de Juda. Avec Athalie, fille de la Phénicienne, l'influence de Tyr, puissante à Samarie, pénètre à Jérusalem, où Baal et Astarté arrivent triomphants. Comme à Samarie, des hauts lieux sont rétablis en Juda pour les cultes phéniciens, à la colère de Yahvé et de ses prophètes. Après la mort de son mari, auquel elle s'était imposée, Athalie régentera son fils Ochozias et gouvernera l'Etat. Alliés d'Israël et de Juda, les Phéniciens disposent de nouveau de l'ancienne voie de commerce terrestre entre Tyr et la Mer Rouge. Fort de ses alliances, Josaphat, roi de Juda, reprend possession des routes du Négeb,
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en réduisant en province le royaume d'Edom, émancipé après la mort de Salomon. Le commerce avec l'Arabie et Ophir était rouvert aux Phéniciens. e. L'influence phénicienne éliminée de Palestine. Massacre de Jézabel et d'Athalie Baal Outsour II (855—850), fils et successeur d'Itobaal I, ne règne que cinq ans. Son fils Mettenos (849—821) laisse, en mourant, l'empire phénicien à deux enfants mineurs: Pygmalion et Hélissa. Après la mort de Mettenos, des événements importants surviennent à Tyr, comme à Samarie. Dans la capitale phénicienne, les querelles sociales reprennent avec violence. Dans le pays d'Israël, la réaction cléricale triomphe avec le général Jéhu, qui, appuyé par les fidèles de Yahvé, prend le pouvoir (842). Cette révolution prend un caractère religieux et nationaliste. Champion du monothéisme, Jéhu procède à un véritable massacre. La reine Jézabel est jetée par la fenêtre de son palais et un grand nombre de princes royaux sont égorgés à Samarie. Ce mouvement révolutionnaire gagne Jérusalem. En dépit des mesures prises pour empêcher son succès, Athalie, maîtresse du trône de Juda, est massacrée à son tour. La maison de Baal est détruite, son grand prêtre égorgé, et le culte unique de Yahvé est restauré. A Samarie comme à Jérusalem, la réaction religieuse et le sentiment national triomphent, et l'influence phénicienne est, une fois de plus, éliminée de Palestine. f . Révolution à Tyr; triomphe de la faction démocratique Pendant que la politique phénicienne subissait cet échec en pays d'Israël, les querelles sociales s'aggravent à Tyr. Et tandis que les factions adverses, à Samarie et à Jérusalem, sont représentées, d'un côté, par les fidèles de Yahvé et, de l'autre, par ceux des dieux cananéens, en Phénicie, les partis antagonistes sont les riches, d'une part, et les pauvres, de l'autre. Ces deux partis hostiles prennent chacun pour chef l'un des deux enfants mineurs laissés par le roi de Tyr Mettenos. Le parti aristocratique se groupe autour d'Hélissa, princesse d'une grande beauté qui avait épousé son oncle Acharbas. Grand prêtre de Melkart, ce dernier était, à ce titre, le second dignitaire de l'Etat. Pygmalion, frère cadet d'Hélissa, devenait le candidat de la plèbe. g. Fondation de Carthage en Afrique Une émeute populaire, dirigée par la faction démocratique, renverse Hélissa et met Pygmalion (820—774), en dépit de son extrême jeunesse, en possession du trône. Un mouvement réactionnaire, tenté contre ce dernier,
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échoue; par représailles, Acharbas, le mari d'Hélissa, est assassiné. Devenue veuve, la princesse, vaincue et détrônée, s'enfuit avec ses partisans, d'abord à Chypre, puis à Utique, en Afrique du Nord. Près de cette ville, elle fonde, vers 814, avec le concours des Tyriens qui l'ont suivie, une nouvelle ville, qui sera le centre d'un grand royaume, puis d'un vaste empire: Carthage, «Kart Hadasht», qui signifie: Ville Neuve. h. Déclin de Tyr en Occident. Essor de Carthage Avec la fondation de Carthage, la Phénicie commencera à perdre de son importance comme métropole d'empire. Tyr, dont la population affluait sur la côte africaine, sera bientôt éclipsée par Carthage en Occident; les arts et les industries des Sidoniens seront transplantés sur les rivages nordafricains. La nouvelle colonie prendra un accroissement prodigieux et rapide: soixante ans après sa fondation, Carthage envoie elle-même des colonies dans l'île de Sardaigne; en 654, elle occupe les îles Baléares. Dès lors, Carthage est devenue une sorte de dominion quasi indépendant, qui se substituera, plus tard, à la cité-mère, dans tout le bassin occidental. Bien que Tyr demeure la métropole suprême, les liens qui l'attachent à son empire occidental se relâcheront de plus en plus; le nom même de phénicien disparaîtra en Afrique et se trouvera remplacé par celui de Punique ou de Carthaginois, dans les transactions commerciales. Peu à peu, toutes les colonies occidentales, d'où l'aristocratie phénicienne tirait, en grande partie, ses richesses, abandonneront Tyr, leur métropole, et reconnaîtront l'hégémonie de Carthage. Cette dernière demeurera toutefois, jusqu'aux environs de 500, officiellement rattachée à la métropole. Cependant l'hégémonie commerciale de Tyr, évincée d'Occident par sa fille Carthage, persistera dans la Méditerranée orientale, même dans les périodes où la côte phénicienne passera sous la domination des Assyriens, des Chaldéens et des Perses. Isolée en mer, défendue par ses navires, ses richesses, ses alliances politiques et commerciales, Tyr conservera sa puissance jusqu'à sa destruction par Alexandre le Grand (332). i. Nuages assyriens à l'horizon A partir de 800, le danger assyrien se précise de plus en plus. L'Assyrie, qui cherche à devenir un grand empire, a un besoin vital de débouchés maritimes. A l'exemple de leurs prédécesseurs du pays du Tigre-Euphrate, les rois d'Assour convoitent un accès à la «Mer Supérieure». A chaque tentative d'expansion, ils se portent vers les ports phéniciens. Déjà, vers 1100, on l'a vu, Téglatphalasar I avait temporairement occupé Arvad. En 876, Assournasirpal II reçoit les tributs des rois de Tyr, Sidon, Gebal, Arvad, Son fils, Salmanasar III (858—824), reçoit, à plusieurs
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reprises, le tribut de ces mêmes villes et défait le roi d'Arvad qui résistait. Après l'avènement de Pygmalion et le triomphe du parti populaire à Tyr, et jusqu'à la conquête assyrienne, la Phénicie redevient obscure. Ni la Bible, ni les Assyriens ne nous renseignent sur ce pays. Les peuples heureux, dit-on, n'ont pas d'histoire, et la Phénicie l'était incontestablement à cette époque. En effet, tandis que les routes de la Mer Rouge, barrées par Israël et Juda, se fermaient à leur commerce, les Phéniciens, qui avaient trouvé moyen d'atteindre l'Arabie grâce aux caravanes terrestres conduites par les Nomades, sont plutôt attirés vers l'Afrique du Nord, où d'immenses possibilités s'ouvrent à leurs entreprises. Le monde méditerranéen, sur lequel ils avaient établi leur hégémonie, était assez vaste pour retenir l'activité d'un petit peuple. A partir de Téglatphalasar III (745—727), la Phénicie, à l'exception de Tyr, fera partie de l'Empire assyrien et son histoire sera mêlée à celle de ce dernier.
D Palestine et Syrie intérieure, de 1200 à 750
I. La monarchie unitaire d'Israël. Jérusalem et Tyr, alliées et associées
1. Les Israélites en Canaan. Saiil (1025—1010), premier roi d'Israël Tandis que la Phénicie, protégée par ses montagnes contre les ambitions de ses voisins continentaux, domine la mer et l'Occident, les petits peuples du couloir syro-palestinien, renouvelés et stabilisés après les bouleversements de 1200, s'absorbent dans les querelles. En Palestine, les Israélites, fraîchement installés dans les plateaux ouest-jordaniens, sont d'abord en conflit avec trois groupes d'adversaires: les Cananéens et les Amorréens locaux; les nomades du désert voisin; enfin les Philistins, récemment établis sur la côte. Ils auront encore à faire face à deux peuples, de souche araméenne, les Ammonites et les Moabites, nouvellement stabilisés en Transjordanie, ainsi qu'aux Edomites et aux Amalécites, qui, campés au sud, attaqueront souvent Israël devenu sédentaire (p. 130-132). Mais l'ennemi le plus redoutable pour Israël sera le Philistin, qui possède de véritables armées organisées. Au nord, les Araméens, fraîchement stabilisés en Syrie intérieure, s'étendent de la Transjordanie et de l'AntiLiban à l'Euphrate: leur ville principale est Damas. Au nord-ouest, c'est le domaine des Phéniciens. Succédant à Moïse, Josué, qui avait réussi à introduire Israël en Terre Promise, enlève Jéricho, bat les Cananéens, détruit leurs villes et extermine les habitants. Les vaincus survivants, augmentant le nombre de leurs congénères qui avaient fui devant les Philistins, se réfugient dans les montagnes, en Phénicie, et même en Egypte. Le pays conquis sur les Cananéens s'étend de l'Hermon jusqu'au désert du sud. Il comprend les trois compartiments naturels suivants: la Galilée, au Nord; la Samarie, au Centre; la Judée, au Sud. Procédant à un premier partage, Josué subdivise ces trois régions et les répartit entre les douze tribus (p. 132). a. L'anarchie en Israël; prépondérance des Philistins La mort de Josué fut un malheur pour Israël. L'esprit particulariste de ces nomades à demi sédentarisés reprit le dessus. Josué n'est pas remplacé comme chef suprême et l'anarchie règne parmi les tribus. Devenus agriculteurs, mêlés aux races locales, les Israélites épousent
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des filles cananéennes et, abandonnant le culte de Yahvé, servent les dieux cananéens, notamment Baal et Astarté. Le sentiment national s'affaiblit. Moabites, Ammonites, Amorréens, vaincus par Josué, redeviennent menaçants. D'autre part, les Philistins, qui essaiment vers l'Est, étendent leur domination jusqu'aux montagnes de Galilée; les Israélites, qui s'infiltrent dans cette région, cherchent à les repousser. De taille gigantesque, cuirassés de bronze, les Indo-Européens de Philistie, qui avaient déjà chassé les Phéniciens de la côte palestinienne, en imposent aux Sémites hébreux. Gaza, Ascalon, Hébron, un moment occupées par David, sont reprises par les Philistins, qui pénètrent jusqu'au Jourdain et soumettent plusieurs tribus israélites. Au cours d'une bataille qui est un désastre, 30.000 Israélites sont tués et l'Arche d'Alliance est enlevée par les Philistins. Pendant le Xle siècle, ces derniers, maîtres de la Palestine jusqu'au Liban, interdisent aux Israélites les armes et les outils de fer. b. Le pouvoir des Suffètes ou Juges Sous la pression de ces événements malheureux, des chefs militaires, inspirés de l'esprit de Yahvé, des «Voyants» ou «Prophètes», gardant les mœurs et la piété des ancêtres, maintiennent le sentiment national dans Israël et font respecter par les Juges les lois de Moïse. Le nom de «Juge», Shopet en hébreu, correspondant au terme de Suffète par lequel les Phéniciens et les Carthaginois désigneront leurs magistrats suprêmes, signifie: «celui qui protège avec justice». Ces juges exercent une autorité absolue; mais leur pouvoir, comme celui du dictateur de la Rome républicaine, est temporaire et local. Barac, Gédéon, Jephté, Samson, sont les plus notoires parmi ces magistrats. c. Le juge Samuel et la fondation de la monarchie Les derniers désastres infligés par les Philistins, en faisant entrevoir aux Israélites le danger de se voir expulser de la Terre Promise, réveillent chez eux le sentiment national et les portent à se grouper pour la suprême défense. Réunissant ses congénères et prêchant le culte de Yahvé, le juge Samuel, de la tribu de Benjamin, réussit à battre les Philistins et à les faire reculer vers l'ouest. Profitant de ce succès et de l'autorité qu'il lui confère, Samuel persuade les tribus que leur seul moyen de salut est le rétablissement d'une autorité unique, comme celle de Moïse et de Josué. Les douze tribus réunies choisissent, pour roi, Saiïl, de la tribu de Benjamin. Le nouveau monarque est consacré par Samuel. Pour la première fois, depuis Moïse et Josué, Israël a un chef unique et ce chef est désormais un roi. Cette royauté unitaire, qui durera 90 ans
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(1025—935), représente l'apogée politique des Israélites et se résume en trois grands noms: Saul (1025-1010), David (1010-955) et Salomon (955—935). Après 935, l'esprit particulariste reprendra le dessus, et le royaume sera de nouveau divisé. d. Saiïl, premier roi d'Israël Saul (1025—1010), premier roi d'Israël, est l'incarnation de l'esprit national et de la foi en Yahvé. Israël lui doit le noyau de son armée régulière. Répondant aux espérances mises en lui, Saiil bat les Philistins, les roitelets Araméens, Moabites, Ammonites, Edomites, Amalécites. Brouillé avec Samuel, qui désigne à sa place David, de la tribu de Juda, Saul conserve la royauté. Vers 1010, les Philistins remportent, dans la plaine d'Esdrelon, une grande victoire qui leur permet de reprendre la partie centrale du pays. Trois fils de Saiil restent sur le champ de bataille; le roi luimême, blessé d'une flèche, se jette sur son épée pour ne pas tomber vivant aux mains de l'ennemi (1010). 2. Le roi David (1010—955), créateur de l'Etat national David, qui succède à Saiil, reprend et continue son œuvre inachevée. Son pouvoir, au début, n'est pas accepté par tous les Israélites. Tandis que les tribus du sud le reconnaissent, celles du nord se groupent autour du fils de Saiil. Après sept ans et demi de luttes, David est proclamé seul roi. Véritable fondateur de l'Etat national d'Israël, David crée une puissante armée comprenant douze corps, dont chacun est appelé au service pendant un mois. a. Etendue du royaume de David David donne à Israël la suprématie en Canaan. Enlevant aux Cananéens la place forte de Jébus, la future Jérusalem, il en fait sa capitale (vers 1005). A l'ouest, les Philistins, refoulés sur la côte, sont réduits à l'impuissance; bien que non conquis, ils perdent toutefois, et définitivement, l'hégémonie qu'ils exerçaient sur leurs voisins. En dehors du pays de Canaan, les roitelets voisins, ceux de Moab, de Soba, d'Edom, d'Ammon, deviennent sujets ou tributaires. Les Araméens du nord sont assujettis: des garnisons israélites occupent Damas, et le roi de Hamath, adversaire de celui de la Damascène, envoie à Jérusalem, avec ses félicitations, des vases d'or, d'argent et de bronze. Ainsi, à l'exception du littoral qui demeure aux Philistins domptés, toute la Palestine, y compris la Transjordanie, le Négeb et la Damascène, appartient à David. On en a évalué la population, non compris le territoire de Damas, à un mil-
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lion d'habitants, dont un demi-million d'Israélites et autant de Cananéens et autres éléments assujettis. David, dont l'autorité s'étend, en fait, de l'Euphrate au Sinaï, à l'exception de la Philistie et de la Phénicie, a réalisé la Grande-Syrie intérieure, l'unification de l'arrière-pays palestino-syrien. C'était la première fois, et la dernière, qu'Israël arrivait à un tel degré de force et d'organisation. b. Yahvé, Dieu unique et universel. David, prophète et prêtre de Yahvé L'événement capital, l'innovation importante apportée par le nouvel Etat israélite à la civilisation humaine, est sa religion monothéiste. Les Phéniciens, au début du Ile millénaire, avaient doté l'humanité de l'invention alphabétique. Plus précieux est encore l'apport des Israélites, qui, moins évolués dans le domaine de la civilisation que leurs voisins phéniciens, babyloniens ou égyptiens, doivent à leur religion monothéiste et spirituelle une place prééminente dans l'évolution historique et la civilisation des sociétés humaines. Aux dieux multiples et à fonctions diverses, aux dieux hiérarchisés sous la présidence d'un dieu suprême, Israël propose un Dieu Unique et Universel, dont il a reçu la révélation par l'intermédiaire de Moïse. Ce Dieu de Moïse, de Jacob et d'Abraham, Créateur de l'Univers et maître de toutes choses, c'est Yahvé, «l'Etre par excellence». «La prédominance d'Israël tient à sa religion; le dieu qu'elle propose diffère de ceux qu'adoraient les autres peuples;... il cède devant le repentir lorsqu'il s'agit de pardonner. La supériorité du dieu d'Israël est d'être un dieu universel, que la magie ne peut contraindre. Jusqu'ici on n'avait imaginé que des dieux de villes dans les cités sumériennes, des dieux d'Etat comme Mardouk en Babylonie. Lorsque Aménophis proposait à tous l'adoration du disque solaire, c'était une tentative d'unification que chacun pouvait ne pas suivre. Au contraire, le dieu d'Israël est le dieu unique, non pas le premier, mais le seul; celui qui prétend à l'adoration de tous; ses fidèles sont de ce fait astreints au prosélytisme; ils ne peuvent s'accommoder d'autres dieux. Le Juste souffrant s'étonnait d'être frappé par les dieux à qui il avait toujours voulu plaire; maintenant Israël accepte la notion d'un dieu qui l'a choisi comme peuple élu, mais qui le châtiera s'il s'éloigne de la voie qu'il a tracée; bien plus, ce dieu l'éprouvera si telle est sa volonté. Un cérémonial strict, assez semblable dans sa minutie aux pratiques des anciens cultes, mais différent dans son ordonnance, assurera l'application de la Loi.» 1 A la différence des monarques orientaux, qui sont dieux, fils ou vicaires de dieux, David, roi d'Israël, est simplement prophète et prêtre de Yahvé. 1
Contenau, L'Asie occidentale ancienne, p. 262, 263.
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c. Yahvé, Dieu intolérant et jaloux David organise le clergé, qui sera recruté dans la tribu de Lévi. Les classes sacerdotales auront la charge de rendre la justice et de desservir le culte. Jusqu'à David, Yahvé, révélé à Moïse, est le dieu exclusif du peuple élu; il tolère à ses côtés les divinités des peuples étrangers, notamment les Baals des Cananéens. Depuis David et l'avènement d'un Etat national, l'unité politique comporte l'unité religieuse; en conséquence, les Baals et Astartés cananéens sont persécutés et doivent être expulsés. Mais le peuple, et particulièrement les Cananéens locaux qui forment presque la moitié des sujets de l'Etat, retourneront obstinément à leurs dieux nationaux: les idoles des hauts lieux et les veaux d'or. C'est que les divinités cananéennes incarnent, pour leurs adeptes, le sentiment particulariste et autonomiste. D'où la courte durée de la monarchie unitaire en Israël. d. Mort de David Les débauches de David soulèvent contre lui l'opposition des prophètes. Par passion pour Bethsabée, femme d'Urie, un de ses meilleurs généraux, David fait tuer celui-ci. La vieillesse du roi est attristée par de grands malheurs. Une de ses filles est violée par un de ses frères. Sous l'influence de Bethsabée, il sacre, de son vivant, le fils de celle-ci, Salomon, excluant par cet acte, de la succession au trône, Adonias, l'héritier présomptif de la couronne par ordre de primogéniture. En 955, David meurt et Salomon lui succède sans difficulté.
3. Le roi Salomon (955—933). Apogée de la monarchie A l'opposé de son père, amateur de guerre et de conquête, Salomon fut plutôt un roi pacifique, administrateur et diplomate. La seule expédition militaire qu'il entreprendra est la prise de Hamath, sur l'Oronte, à laquelle la tradition ajoute celle de la cité-oasis de Palmyre. Les relations auxquelles Salomon tenait le plus, et auxquelles il donna les meilleurs soins, furent celles qu'il entretint avec les Phéniciens. Plusieurs facteurs, on l'a vu (p. 170—172), le poussaient dans cette voie. Outre les intérêts économiques, un danger commun, représenté par les Philistins et les Araméens, menaçait à la fois la Phénicie et Israël. A Damas, le roi araméen Rezon (955—935), qui a usurpé le trône, secoue le joug d'Israël et restera hostile à Salomon pendant tout le règne de celui-ci.
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a. Opulence et faste de Salomon Si l'Etat de David représente pour Israël le plus haut degré de force et d'organisation, celui de Salomon marque l'apogée de la prospérité et de la grandeur du peuple élu. Le pays est fortifié; une puissante armée y assure la paix et la sécurité et fait respecter le nom et l'autorité du monarque. L'impôt payé par les Cananéens, les tributs versés par les peuples soumis, les droits de transit perçus sur les marchandises, gonflent le Trésor de l'Etat et permettent à Salomon de faire face à une vie de magnificence qu'il rendit légendaire. «Selon la Bible, sa maison consomme par jour trente bœufs, cent béliers, sans compter la venaison, la volaille et les fruits. Monarque oriental, il entretient un nombreux et luxueux harem: «L'argent n'était pas plus estimé au temps de Salomon, le bois de cèdre n'était pas plus prisé à Jérusalem que les sycomores qui sont dans la plaine». Mais le grand fait du règne de Salomon, ce fut la construction du Temple. Hiram I, roi de Tyr, fournit, contre une redevance en nature, les bois de cèdre et de cyprès nécessaires. Un artiste tyrien dirigea le travail des métaux. Quant au personnel, les architectes vinrent de Phénicie tandis que la population israélite assurait la main-d'œuvre sous forme de corvées.»2 b. Déclin de la monarchie; mort de Salomon Mais cette prospérité et cette grandeur sont artificielles et précaires. Elles sont, on l'a vu, le fait de circonstances extérieures qui, en se modifiant, amènent la décadence. Dès les dernières années de Salomon, le royaume de Damas s'émancipe; les Edomites, libérés, coupent les communications avec la Mer Rouge. L'augmentation des impôts, consécutive à la diminution des recettes extérieures et de transit, provoque la naissance d'une forte opposition intérieure. La vie voluptueuse de Salomon, parmi les «mille» femmes de son harem, et le culte rendu par lui aux dieux de ses femmes étrangères, lui aliènent le clergé et les fidèles de Yahvé. Aussi, à sa mort (933), son royaume, déjà amoindri, se morcelle-t-il en deux Etats minuscules: le royaume d'Israël et celui de Juda (p. 173). 4. Le royaume de Salomon, zone économique d'influence phénicienne Le royaume de Salomon couvrait la vallée du Jourdain (le Ghor actuel) et les plateaux cisjordaniens et transjordaniens qui encadrent cette vallée du nord au sud. L'exiguïté de ce territoire et la pauvreté relative de ses ressources naturelles contrastent singulièrement avec l'opulence de la monar2
L. Homo, Hist. d'Orient, p. 166, 167.
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chie salomonienne, dont la Bible nous vante les richesses, le faste et la splendeur. Nous avons vu (p. 170—171) que les facteurs de cette prospérité matérielle proviennent de la situation du royaume salomonien et de son rôle de zone de passage entre la Phénicie et la Mer Rouge, à une époque où cette mer est un grand centre de transit international entre les Indes, le golfe Persique et la Méditerranée, et où l'Egypte est en décadence. Salomon cependant ne nous apparaît guère, sur le plan politique et militaire, à la hauteur de son père David. Souverain habile et respecté, il est peu redouté de ses voisins. Les Philistins, installés sur la côte, restent indépendants et ferment la Méditerranée. Au nord, Damas, soumise et occupée par David, a secoué le joug et menace Israël. Même avec le petit royaume d'Edom, que David avait vaincu, Salomon procéda à des négociations pour développer son commerce avec la Mer Rouge. Malgré la prépondérance locale de la puissance militaire de David, «il semble qu'il se plaça sous la protection d'Hiram, roi de Tyr. Cette alliance avec les Phéniciens consolida son pouvoir et fut l'élément essentiel de la grandeur de son fils Salomon. . . (Celui-ci) maintient son alliance avec Hiram, qui utilise le royaume de Salomon comme grand'route vers la Mer Rouge, où il est en train de construire une flotte; cette alliance vaut à Jérusalem un prodigieux afflux de richesses . . . «Quant à la sagesse et à la haute politique du monarque, il n'est pas besoin d'aller plus loin que la Bible pour voir que Salomon ne fit que seconder les desseins, d'assez haute envergure d'ailleurs, du roi commerçant Hiram, et que son royaume ne fut qu'un passage entre la Phénicie et l'Egypte. Il ne tira son importance que d'un affaiblissement passager de l'Egypte, qui stimula les ambitions des Phéniciens et les obligea à se concilier le gardien de la clé d'une grande voie commerciale.»3 (p. 170—172). a.
Les Phéniciens
dirigent
l'économie
israélite
Devenu, on l'a vu, une sorte de zone économique d'influence et d'exploitation phénicienne, le royaume salomonien fut envahi par une vague de financiers, entrepreneurs, armateurs, ingénieurs, experts,techniciens et spécialistes phéniciens. Les grands travaux, les ports, les navires, les routes, sont construits par ces alliés; les flottes sont montées par leurs marins. Coiffé de la puissance tyrienne, le royaume de Salomon prend en Mer Rouge la place de l'Egypte défaillante. Jérusalem s'agrandit et se couvre de monuments. Jusque-là capitale d'un peuple de paysans, elle se trouve brusquement devenir une des métropoles commerciales les plus actives de l'Orient (p. 171). 3
G. H. Wells, Esquisse de l'Histoire universelle, p. 119, 120, 121.
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b. Le Temple de Jérusalem, œuvre phénicienne Architectes et ouvriers spécialisés sont demandés à Tyr, pour la construction des palais et des temples. Salomon leur confie la construction de son palais et du magnifique et fameux Temple de Jérusalem, dont un architecte phénicien dressa les plans. Aux termes d'un traité, dont une copie était, selon l'historien Josèphe, conservée dans les archives de Tyr, le roi phénicien s'était engagé à fournir tous les charpentiers et maçons, ainsi que les matériaux nécessaires à cette construction: bois de cèdre et de cyprès du Liban. En échange de ces prestations, Salomon fournissait à son allié du froment, de l'orge, du vin et surtout de l'huile, «huiles d'olives gaulées et non tombées», était-il spécifié. Ahiram I avait, en outre, fourni 120 talents d'or pour décorer le Temple et le palais, recevant, en échange, vingt bourgades en Galilée (p. 170). c. Prépondérance phénicienne à Jérusalem Cette alliance de Tyr et de Salomon, facteur essentiel de la prospérité matérielle de ce dernier, préfigure les accords pétroliers conclus, de nos jours, entre certaines capitales occidentales et les Etats d'Irak et d'Arabie Séoudite. Est-ce à dire que la glorieuse monarchie de Salomon faisait partie du grand empire phénicien de cette époque? Assurément non, si l'on prête au terme d'empire sa signification moderne. Salomon, qui assure, par son armée, la garde et la défense du pays, conserve, dans le domaine de la politique intérieure, tous les attributs de la souveraineté. Mais l'alliance et la coopération technique et financière de Tyr sont indispensables au maintien de l'essor économique de l'arrière-pays palestinien. Aussi, le jour où les Phéniciens cesseront de prêter leur concours, les expéditions vers Ophir s'arrêteront-elles brusquement, provoquant une véritable rupture d'équilibre. La crise qui s'ensuivit fut à l'origine des difficultés que connut Salomon dans sa vieillesse. D'autre part, les relations de la Phénicie avec les divers pays qu'elle exploitait, sont diverses et nuancées. A part quelques territoires occupés à titre de colonies de peuplement, l'ensemble de l'empire phénicien, on l'a vu, n'était uni à la métropole que par des liens économiques, ainsi que par ceux de la parenté ethnique, linguistique et religieuse (p. 162—163). d. Affinités ethniques et culturelles Or, sur le plan économique, la prospérité du royaume d'Israël était solidaire de l'économie phénicienne. L'origine ethnique des deux peuples, tous les deux de souche sémitique, leurs langues, le phénicien et l'hébreu, qui
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sont deux dialectes cananéens, ajoutent encore aux facteurs économiques qui les unissent. Abraham, on l'a vu (I, p. 389), serait un héros éponyme commun aux deux peuples. Quant à la religion, la résurrection des cultes cananéens ou phéniciens, parmi les Israélites, est une preuve de la prépondérance des Phéniciens en Israël. Salomon lui-même adore Astarté et Moloch, divinités phéniciennes; il bâtit même, en face de Jérusalem, des hauts lieux pour le dieu Moloch. Enfin, le peuple soumis à Salomon était presque à moitié cananéen, c'est-à-dire frère du Phénicien. Ce sont ces Cananéens de Palestine qui, après la mort de Salomon, se détacheront de Jérusalem, pour former, avec Jéroboam et les dix tribus, le royaume israélite du nord. e.
Réaction
antiphénicienne
C'est cette prépondérance phénicienne, économique, culturelle et religieuse, en Israël, qui suscita la colère et les imprécations des prophètes, représentants de la tradition nationale et de l'opposition, contre Tyr, et contre son allié Salomon, «ce souverain profane, ouvert à la civilisation des peuples voisins». Les difficultés financières, vers la fin du règne de Salomon, empêcheront ce prince d'apaiser cette vague de mécontentement qui montait et qui disloque le royaume après sa mort. Dans cet échec posthume, les inspirés ont vu la sanction légitime des fautes royales. A cette explication d'ordre moral, l'histoire ajoute d'autres causes qui ont contribué au démembrement du royaume: elles sont d'ordre économique et politique.
II. Les royaumes d'Israël, de Juda et de Damas. Rivalités et conflits 1. Les royaumes d'Israël et de Juda La prospérité du royaume salomonien et le contrôle du commerce de la Mer Rouge par Jérusalem et Tyr étaient mal vus par l'Egypte, qui cherchait à se redresser et à revenir à sa politique traditionnelle d'hégémonie en Canaan. a. Démembrement du royaume de Salomon La crise économique et sociale qui sévissait à Jérusalem, le mécontentement du peuple, les imprécations des prophètes, les intrigues des agents de Pharaon, finirent par produire leur effet. La centralisation du pouvoir politique, commandée par le danger extérieur et maintenue par Saul, David et Salomon, allait à l'encontre des vieilles tendances anarchisantes des tribus récemment stabilisées. Les Israélites du nord et ceux du sud se comportaient, même pendant la période de la monarchie unitaire, comme deux groupements distincts, unis temporairement par la poigne vigoureuse des rois. David lui-même avait dû dompter des révoltes à tendances séparatistes. Aussi, à la mort de Salomon (935), la scission entre le nord et le sud est-elle définitive. Dix tribus du nord, auxquelles Roboam, fils de Salomon, avait refusé une réduction des charges financières, proclament roi Jéroboam, secrètement soutenu par Pharaon (p. 144). b. Les deux royaumes d'Israël et de Juda. Scission politique et religieuse L'ancien royaume de Salomon se fractionne en deux Etats distincts: le royaume d'Israël au nord, correspondant au tiers de l'héritage salomonien, avec Jéroboam pour roi et Sichem comme capitale; et le maigre royaume de Juda, au sud, avec Roboam et Jérusalem. Ces deux Etats, qui ne seront jamais plus réunis, dureront, le premier 213 ans et le second 348. Pour mieux marquer la personnalité distincte de chacun des deux nouveaux Etats, la séparation politique s'accompagne, comme cela se conçoit à cette époque, d'une scission religieuse. Tandis que le sud demeure fidèle à la lignée légitime de Salomon et au vrai culte de Yahvé, le nouveau
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royaume du nord rétablit les vieux cultes cananéens, dont celui des veaux d'or. Cette représentation animale de Yahvé est une concession accordée aux nombreux éléments cananéens assujettis au monarque de Sichem. La réapparition des idoles cananéennes et étrangères prendra encore plus d'importance avec Jézabel la Phénicienne. c. Décadence politique du peuple élu Le démembrement du royaume de Salomon et les luttes que se livreront les deux Etats minuscules qui lui succéderont, marquent le commencement de la décadence politique du peuple élu. Cette lutte fratricide, qui durera près de cinquante ans, finira par épuiser, à la fois, les dynasties d'Israël et de Juda. Les Araméens de Damas en profitent pour s'enrichir aux dépens de l'une et de l'autre; les Philistins agrandissent leur territoire au détriment de celui d'Israël, tandis que l'Egypte, qui se redresse et reprend sa politique traditionnelle à l'Est, reparaît de nouveau dans l'ancien pays de Canaan, où elle rétablira son influence pour près d'un siècle. Ces querelles et cette agitation finiront par être fatales aux deux Etats de Yahvé. Plus près du Nord, d'où dévaleront de nouveaux peuples de proie, le royaume d'Israël tombera le premier, au bout de deux siècles environ (vers 722). Quant au royaume de Juda, qui, à cause de sa situation géographique, sera moins exposé, il aura une durée plus longue, près de trois siècles et demi; il succombera, en 587, sous les coups des armées assyriennes, venues des plateaux du haut Tigre. 2. Israël, Juda, Damas: rivalités et entente Roboam de Juda (935—914) fortifie son royaume, accueille les prêtres destitués par Jéroboam d'Israël et administre le pays avec l'assistance de ses 28 fils, dont il fait des gouverneurs. Sous le prétexte de soutenir Jéroboam, le pharaon Sheshonq, le Shishak de la Bible, s'empare de Jérusalem (930). Abia (914—912),fils de Roboam, annexe des villes prises à son rival du nord. Son fils Asa (911—871) restaure et fortifie ses villes et repousse une attaque de l'Egypte. Nadab d'Israël (910—909), fils de Jéroboam, est assassiné au moment où il assiégeait une ville que les Philistins lui avaient enlevée. Son meurtrier, Baesha (909—886), s'empare du pouvoir et extermine la famille royale. Cet usurpateur fortifie la frontière du sud. Asa de Juda, inquiet de l'activité de ce nouveau voisin qui cherchait à s'étendre de son côté, gagne, par des présents, l'appui de Ben Hadad I, roi de Damas, qui, malgré ses engagements avec le roi d'Israël, ravage la partie nord du royaume de celui-ci.
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a. Omri, roi d'Israël Ela d'Israël (886—885), fils de Baesha, est assassiné, après deux ans de règne, par un de ses officiers. Les troupes proclament roi un chef de l'armée, le général Omri. Intelligent et énergique, Omri (885—875) bat et tue les autres compétiteurs. Abandonnant Sichem, il choisit pour capitale la ville de Samarie, où il construit des fortifications et un palais. b. Alliance de Samarie et de Tyr. Retour de l'influence phénicienne Reprenant la politique de Salomon, Omri s'empare de Moab, à l'est de la Mer Morte, fait la paix avec Juda et renoue avec la Phénicie la vieille alliance d'autrefois, alliance défensive contre le danger araméen. Comme jadis, Damas convoitait une partie du territoire israélite en Transjordanie, ainsi qu'un accès à la mer de l'ouest, en pays phénicien. Sous Achab (873-851), fils d'Omri, l'alliance tyro-israélite, on l'a vu, est cimentée par le mariage du roi avec la princesse phénicienne Jézabel, fille d'Itobaal, roi de Tyr. A la faveur de ce mariage politique, l'influence phénicienne, comme au temps de Salomon, s'infiltre à Samarie, d'où elle gagnera bientôt Jérusalem. Grâce à son ascendant sur son mari, Jézabel donne la première place aux dieux de son pays natal (p. 174). c. Achab, vainqueur de Damas Prince valeureux, Achab, ou «l'impie Achab», comme l'appelle la Bible, tient tête à une violente attaque des Araméens qui sont à l'apogée de leur puissance. Le roi de Damas, Ben Hadad I, nommé aussi Adad-Idri et Hadadezer, à la tête d'une vaste confédération formée de tous les dynastes araméens de Syrie, «32 rois», envahit Israël (857). Assiégé dans Samarie, Achab, après avoir vainement proposé de payer un lourd tribut d'argent et d'or, se résout à combattre. Les Araméens sont battus et Ben Hadad I s'enfuit avec ses alliés. L'année suivante, Ben Hadad I revient à la charge. La rencontre des armées araméennes et israélites a lieu à Aphek, en Transjordanie; Achab est vainqueur et Ben Hadad I fait prisonnier. Mais le danger assyrien qui se dessine au Nord incite le sage Achab à user de clémence envers son ennemi vaincu. Ce dernier consent à restituer au roi d'Israël les villes prises par son père et à accorder à son vainqueur des marchés à Damas. En suite de quoi, une alliance est conclue entre les deux adversaires (856). d. Alliance d'Achab et de Juda. L'influence phénicienne à Jérusalem Avec le royaume de Juda, Achab procède avec le même esprit de conciliation. Un traité d'amitié entre les deux Etats est scellé, on l'a vu, par un
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mariage. Joram, fils de Josaphat, épouse la fille d'Achab et de Jézabel, Athalie. Femme énergique, comme sa mère, Athalie s'impose à son mari. Des hauts lieux sont rétablis en Juda, pour les cultes phéniciens, à la colère des prophètes de Yahvé (p. 174). L'alliance entre les deux royaumes, redevenus pour un temps amis, durera jusqu'à la mort de Joram (841), environ trente ans. Allié d'Achab et du roi de Tyr, Josaphat de Juda, comme jadis Salomon, étend son royaume vers le sud. Pour reprendre possession des routes vers le Négeb, le roi de Juda réduit en province le royaume d'Edom, qui s'était émancipé avec la fin du règne de Salomon. Le commerce avec l'Arabie, la Mer Rouge et Ophir est de nouveau ouvert aux Phéniciens, et Jérusalem voit renaître son ancienne prospérité (p. 174—175). e. Mort d'Achab et déclin de sa dynastie Groupés un moment par le péril assyrien, Araméens et Israélites reprennent leurs luttes intestines. Aidé par Josaphat, Achab réclame au roi de Damas les villes transjordaniennes promises par le traité d'Aphek, conclu en 856. Au cours du combat, Achab est tué d'une flèche; ses troupes démoralisées abandonnent la lutte et ramènent à Samarie le corps du roi (853). Ochosias et Joram, fils d'Achab, qui se succèdent sur le trône de Samarie (respectivement 853—852 et 852—846), sont tantôt en guerre et tantôt en paix avec Damas. Moab à l'Est et Edom au Sud reconquièrent leur indépendance vis-à-vis d'Israël.
3. Réaction nationale et religieuse à Samarie et à Jérusalem Toujours hostiles à la maison d'Omri, les prophètes suscitent constamment des difficultés aux successeurs d'Achab. Encouragé par le prophète Elisée, Jéhu, un général israélite, prend le pouvoir à Samarie et fait tuer Joram (846). a. Meurtre de Jézabel (846) et d'Athalie (841) Le coup d'Etat de Jéhu (846—819) prend un caractère nettement religieux. Le fanatisme exacerbé porte les révolutionnaires à de véritables massacres. La reine Jézabel est jetée par la fenêtre de son palais, tous les descendants d'Achab sont égorgés et les hauts lieux détruits (p. 175). A Jérusalem, Athalie, fille de Jézabel, régente de son fils depuis la mort de son mari (846), est maîtresse du trône et exerce elle-même le pouvoir. Lorsqu'elle apprend la révolte de Jéhu et le massacre qui la suit, elle
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fait périr toute la famille royale. Seul, Joas survécut, caché dans le Temple (846). En 841, l'armée, soulevée par le parti de Yahvé, proclame roi Joas (841—802), seul descendant de David; il est sacré par le grand prêtre Joad. Réfugiée au Temple, Athalie en est chassée avec violence et tuée. La maison de Baal est détruite, son grand prêtre égorgé et le culte de Yahvé restauré (p. 175). Ainsi, à Jérusalem comme à Samarie, la réaction religieuse l'emporte; l'influence étrangère est éliminée et le sentiment national est triomphant. Mais les deux royaumes frères ne sauront malheureusement pas rester unis devant les dangers extérieurs qui les guettent. b. Les luttes des roitelets syro-palestiniens attirent l'Assyrien du Nord Jéhu, qui, en supprimant le parti de la Phénicie, s'est séparé de cette dernière, se trouve seul en face de Damas, où un autre usurpateur, Hazaël, occupe le trône. Maître de la situation, Hazaël bat Jéhu, puis son fils Joachaz (814—798) et leur enlève plusieurs villes. Ce dernier s'en dédommage en faisant payer tribut à Joas de Juda. Ben Hadad II, fils et successeur de Hazaël de Damas, à la tête d'une coalition de dix rois araméens, marche contre Zakir, roi de Hamath, qui avait étendu ses possessions jusqu'à la mer et menaçait Damas d'encerclement. Zakir repousse les assaillants et la coalition est dispersée (vers 800). Le roi d'Israël en profite pour reprendre les villes qu'Hazaël avait annexées. Cette défaite de Damas permet de respirer aux roitelets de Syrie et de Palestine. Mais l'Assyrien reparaît de nouveau. Adadnirari III (810—782), roi d'Assyrie, bat Mari, fils de Ben Hadad II, s'empare de sa capitale Damas, y fait un important butin et reçoit les tributs de Tyr, Sidon, Israël, Edom, Philistie (vers 805). En dépit de ces malheurs, Israël et Juda trouvent moyen de se quereller. Amasia de Juda, qui avait enlevé aux Edomites le contrôle des routes vers la Mer Rouge, se brouille avec Joas, son voisin d'Israël; mais ce dernier réussit à piller Jérusalem. Le peuple révolté fait périr Amasia. Jéroboam II d'Israël (783—743), fils de Joas, rêve de reconstituer le domaine de Salomon; il soumet au tribut les rois de Damas et de Hamath. Succès éphémère. Après sa mort, son fils Zacharie est assassiné; un nouvel usurpateur règne à Samarie et l'Assyrien reparaît. Téglatphalasar III réduit toute la Syrie-Nord en province assyrienne (738). Les rois de Damas, de Samarie, de Tyr, de Sidon, lui paient tribut. Au lieu de s'unir contre l'envahisseur du Nord, les roitelets syropalestiniens intriguent les uns contre les autres auprès de ce dernier. Les
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rois d'Israël et de Damas se coalisent contre Juda, qui sollicite l'appui de l'Assyrie. c. Le royaume de Damas, province assyrienne (733) Répondant à l'appel du roi de Jérusalem, Téglatphalasar III prend Damas, déporte ses habitants, met fin au royaume araméen de cette ville, fait mourir son roi, Razon II, et le remplace par un gouverneur assyrien (733). Descendant en Galilée, l'Assyrien dévaste cette région, déporte les habitants et établit Osée (731-722) roi à Samarie. d. Le royaume de Samarie, province assyrienne. Celui de Jérusalem, vassal et tributaire (722) Osée, roi d'Israël par la grâce de l'Assyrien, ne tardera pas à trahir ses alliés; conspirant avec l'Egypte, il ne payait pas le tribut imposé. Salmanasar V (727—721) assiège Samarie; mais il meurt avant de prendre la ville. Son fils, Sargon II (722—705), emportera Samarie au bout de trois ans de siège, déporte en Assyrie et en Médie la majeure partie des habitants, les remplace par des colons amenés de Babylone et établit sur le pays un gouverneur militaire assyrien (722). Ainsi disparaît, après le royaume de Damas et de Hamath, le royaume politique d'Israël. Celui de Juda prolongera encore, pendant 135 ans, une existence obscure d'Etat vassal et tributaire. Tout le Croissant Fertile est maintenant la proie des Assyriens, dont la domination directe s'étend jusqu'aux frontières de l'Egypte. Menacée, cette dernière va réagir en essayant de porter sa ligne de défense dans le vieux pays de Canaan. e. Le peuple élu châtié par Yahvé Ces événements, qui menacent l'existence même du peuple élu, émeuvent profondément Israël et les prophètes, ses porte-paroles. «Le Ville siècle est l'époque des «prophètes écrivains», Osée, Amos, Isaïe, etc., dont les prédications enflamment les derniers livres de l'Ancien Testament... Les rois de Samarie et de Juda sont de grands coupables; Yahvé les châtiera, et l'exécuteur de cette sentence sera «le roi de l'Assyrie dans toute sa gloire» . . . Mais «Yahvé le Justicier» est aussi «le miséricordieux» . . . Telle est la réaction sentimentale que l'extrême détresse des temps provoque dans le coeur des Israélites: aveu des fautes, soumission au châtiment, humble espoir dans la justice et la miséricorde de Yahvé. Voilà en germe un idéal de moralité jusqu'ici inconnu d'Israël, et qui deviendra, par la suite, le fondement du Judaïsme et du Christianisme.» 4
Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 656, 657.
E Le Proche-Orient des Plateaux du Nord (1200-750)
I. Assyrie, Arménie, Iran occidental Après le passage de la marée nordique de 1200, tandis que l'Egypte est impuissante et repliée sur elle-même, que la Phénicie reflue vers l'Occident, que la Palestine et la Syrie intérieure s'épuisent en luttes pour la suprématie du couloir syro-palestinien, que Babyloniens et Araméens se combattent pour la domination en Basse Mésopotamie, de nouveaux peuples de proie, ceux des plateaux du Nord, s'absorbent, eux aussi, dans des guerres incessantes. Assyriens, Néo-Hittites, Phrygiens, Ourartéens (futurs Arméniens), Elamites, Mèdes et Perses, rivalisant pour la suprématie régionale, entreprennent les uns contre les autres des luttes sanglantes. L'Assyrie, qui fera, au cours de plusieurs siècles, l'apprentissage de la guerre, finira par imposer son joug brutal et sanglant sur les plateaux du Nord et les plaines du Sud (I, p. 287-288). 1. Le royaume d'Assyrie, de 1200 à 900 L'Assyrie, après 1200, comprend la région actuelle de Mossoul et une partie du Kurdistan. Son noyau central est le pays du Tigre supérieur; vers le sud, son territoire s'étend jusqu'à l'Euphrate (depuis 1260). Bien que non touchée directement par l'invasion des Peuples du Nord et de la Mer, l'Assyrie se trouve cependant, après cette invasion, entourée de voisins guerriers et turbulents, tant sédentaires que nomades: Moushkou et Ourartou (Arménie), au nord; Néo-Hittites, Amorréens et Araméens, à l'ouest de l'Euphrate; Soutou, Khabirou-Hébreux, Khaldou, Babyloniens et Elamites, au sud; Kassites, Mèdes et Perses, à l'est. Dépourvus de frontières naturelles, coupés de tout débouché sur la mer, encerclés de tous côtés par des voisins remuants et belliqueux, les Montagnards assyriens cherchent, par une politique impérialiste et militariste, à vaincre ces difficultés et à forger un puissant empire régional, qui sera le noyau du grand Empire assyrien. Après avoir connu, sous les règnes glorieux de Salmanasar I et de son successeur (respectivement 1280—1260 et 1260—1232), une période de grandeur, l'Assyrie, après 1200, subit une forte éclipse. Une crise dynastique paralysera pendant longtemps son essor. Les nomades Araméens, postés sur l'Euphrate, la ravagent au sud, tandis que la Babylonie et l'Elam la pressent, de leur côté, et que de nombreux vassaux s'émancipent de sa tutelle. Sous Téglatphalasar I (1115—1093), l'ordre et la puissance militaire
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renaissent et la politique d'expansion reprend. Dans les premières années de son règne, ce monarque repousse les Araméens, traverse l'Euphrate et arrive jusqu'à la Méditerranée, en face d'Arvad. Après ce raid sans lendemain, Téglatphalasar I rentre en Assyrie, où de nouveaux désordres paralyseront, pendant deux siècles environ, la puissance assyrienne et son expansion extérieure (p. 134).
2. Les Araméens menacent la Mésopotamie L'éclipsé de l'Assyrie après la mort de Téglatphalasar I et la décadence de la Babylonie offrent une occasion favorable aux incursions des Araméens et des Elamites (p. 146-147). A la différence des Araméens de l'Ouest (Syrie), qui ont déjà fondé plusieurs Etats (p. 132—134), les Araméens de l'Est (Mésopotamie) continuent leur vie nomade et leurs incursions en pays cultivé. Ces «Araméens insoumis», comme les appellent les Assyriens, refluent vers la Mésopotamie, s'emparent de Babylone et y établissent l'un des leurs comme roi (vers 1095) (p. 147). Ces Araméens qui soumettent Babylone ne réussissent pas à créer la sécurité dans le pays. Pendant près de cinquante ans, palais, temples, forteresses, en Babylonie et même en Assyrie, sont continuellement pillés par les bandes Soutou et autres tribus araméennes. Vers 1100, les Araméens de l'Est (Mésopotamie) sont installés dans la région de la grande boucle de l'Euphrate, où ils ont créé plusieurs petits royaumes. Vers 1000, ils franchissent l'Euphrate et atteignent le Tigre, vers le site de Bagdad. Au sud de Babylone, d'autres tribus araméennes, les Khaldou (futurs Chaldéens), ont fondé plusieurs petits Etats qui s'échelonnent jusqu'aux a bords du golfe Persique (p. 147). Vers 1050, une dynastie autochtone, la Ve dynastie de Babylone, venue du Pays de la Mer (Sumérie ancienne), renverse la domination araméenne, mais disputera la Babylonie aux Assyriens et aux Elamites. Elle est suivie d'une Vie et d'une Vile dynasties. Pendant toute cette période (1050— 1000), les continuelles attaques des Araméens troublent le pays (p. 147). Vers 900, la puissance araméenne domine la Mésopotamie; elle encercle l'Assyrie et la Babylonie et les isole l'une de l'autre. Rapprochés par le danger commun, les princes de ces deux royaumes, jusque-là ennemis, mettent fin à leurs querelles et concluent une alliance cimentée par des mariages. En Syrie, les Araméens de l'Ouest sont également les maîtres. Le royaume araméen de Damas, émancipé d'Israël, est maintenant à la tête des autres principautés araméennes de Syrie et de Transjordanie.
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3. Le royaume d'Ourartou, en Arménie La période qui suit le bouleversement ethnique et politique de 1200, vit apparaître, au nord-est, autour des lacs de Van, dans le pays d'Arménie, un jeune et puissant Etat, le royaume d'Ourartou (Ararat). Ce nouvel Etat, qui deviendra, quatre ou cinq siècles plus tard, le royaume d'Arménie, n'apparaîtra sur la scène de l'histoire qu'au début du IXe siècle avant notre ère. Adversaire des Assyriens, l'Ourartou tiendra, à partir de cette époque, un rôle mouvementé. Les Ourartéens sont constitués par des populations asianiques, continuation des autochtones d'Anatolie, Assyrie, Syrie-Nord, Elam, Iran. Ces futurs Arméniens sont dominés, après 1200, par une minorité de Nordiques anonymes, qui seraient des Indo-Iraniens d'Arianie ou Iran. Vers la fin du IXe siècle, le déclin de la puissance assyrienne fait passer au premier plan celle du royaume d'Ourartou. Groupant, sous une forte dynastie, les tribus dispersées dans les vallées et les plateaux, les rois d'Ourartou possèdent, vers cette époque, des villes fortifiées dont l'originalité architecturale inspirera les Perses à Pasargades et à Persépolis. A partir de Shadouris I (835—824), fondateur de la dynastie, les rois d'Ourartou s'enrichissent par les mines et les échanges, développent leurs armées, s'imposent jusqu'à la Cappadoce et la Cilicie et menacent l'existence de l'Assyrie, déjà assez menacée au Sud. «A la frontière de ce jeune royaume dynamique à organisation féodale, dans la civilisation duquel ils puiseront largement, s'installent les Perses dès leur pénétration en Iran. Et, à l'époque,... les Perses, entre autres pays du Nord-Ouest de l'Iran, passent sous la suzeraineté de ces nouveaux maîtres . . . Etendant leurs conquêtes au Sud comme au Nord, Ichpuini et Menua (rois d'Ourartou) constituèrent un royaume dont l'étendue égalait, et dépassait même, celui d'Assyrie, tout en étant plus dense. Leurs inscriptions révèlent que leur activité civilisatrice ne le cédait en rien à leurs succès militaires; ils entreprirent de gigantesques travaux d'irrigation, faisant creuser de puissants canaux, en partie construits en pierre, transformant des régions entières et les rendant à la vie agricole. Les tribus perses durent les voir à l'œuvre pour s'être initiées à cet aspect de leur civilisation. Sous le roi Argichti (d'Ourartou), contemporain de Salmanasar III (858—824), la lutte entre les deux royaumes se poursuit, toujours à l'avantage de l'Urartu . . . Conquérant de grande envergure, Argichti annexe tous les pays autour du lac d'Urmia et, retournant vers l'Ouest, amène à son obédience la majorité des petits Etats d'Asie Mineure orientale, jusqu'alors vassaux de l'Assyrie. . . L'avènement d'une personnalité comme Tiglatpilasar III (d'Assyrie) renversa de nouveau la situation»1 (745—727). 1
R. Ghirshman, L'Iran, des origines à l'Islam, p. 76, 77, 78.
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4. Eveil de l'Iran occidental; apparition des Mèdes et des Perses Comme les Nordiques ou Aryas de 2000, ceux de 1200, qui débouchent en Iran, arrivent, en masse et par vagues successives, par les mêmes routes de pénétration: le Caucase et la Transoxiane. Trouvant les régions indiennes fortement tenues en main par leurs aînés de la première vague, les nouveaux arrivants poursuivent leur poussée vers l'Ouest, dans la direction de l'Iran, où les immigrations aryennes de 2000 n'avaient pas été assez denses pour donner au pays une forte armature politique (I, p. 400). C'est dans les compartiments du Zagros, aux frontières des vieilles civilisations mésopotamiennes de l'Elam, de la Babylonie et de l'Assyrie, que s'installent les nouveaux Aryens, que nous connaîtrons bientôt sous les noms de Mèdes, Perses et autres. C'est dans cette région qu'ils vont évoluer et, par leur mélange avec les autochtones, élaborer, au cours de quatre ou cinq siècles, le peuple médo-perse, qui soumettra à sa domination les vieilles civilisations orientales et fondera sur leurs dépouilles le premier empire mondial. C'est vers cette époque que, mises en branle vraisemblablement par les mêmes causes, les vagues indo-européennes qui ont déferlé sur l'Iran (Mèdes et Perses) et sur l'Asie Mineure (Phrygiens, Doriens, etc.), ont également lancé des flots du côté de l'Europe. «Tous brachycéphales, les Celtes et les Italiotes remplacent en Europe, comme les Indo-Européens le firent en Iran, les dolichocéphales autochtones . . . Aux environs de l'an 1000, les brachycéphales envahissent l'Angleterre demeurée jusqu'alors le pays exclusif des dolichocéphales. Les envahisseurs introduisent les dialectes indo-européens comme les Iraniens introduisent les leurs, et, fait qui n'est pas sans importance,... on a remarqué qu'une correspondance de vocabulaire existait entre l'indo-iranien et l'italo-celtique. Il a été remarqué aussi que le vieux perse est apparenté à la langue des Slaves baltes . . . Ces nomades qui envahissent l'Europe sont, comme les Iraniens, des pasteurs qui ne devaient pas ignorer l'agriculture. Mais ils étaient, les uns comme les autres, surtout des dompteurs et des éleveurs de chevaux, et leur cavalerie ainsi que leur charrerie contribuèrent grandement au succès de leur expédition.»2 La première grande migration nordique, celle de 2000, par son amalgame avec les groupements géographiques locaux, avait produit, on l'a vu, en Asie Mineure, Syrie-Nord. Arménie et Iran occidental, les peuples historiques des Hittites, Mitanniens, Kassites, etc. (I, p. 398—400). La seconde marée nordique, celle de 1200, donnera à son tour, par le 2
R. Ghirshman, op. cit., p. 59 et 60.
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mélange de ses éléments avec les autochtones, de nouveaux peuples métis, qui, une fois stabilisés, joueront, à leur tour, sur la scène du monde oriental, un grand rôle politique, militaire, économique et culturel. Cette seconde marée aura pour effet de déplacer, vers le Proche-Orient asiatique ou des Plateaux, et, plus tard, vers le monde égéen et l'Italie, le centre politique du monde connu. Ces futurs peuples sont: les Montagnards des plateaux de l'Assyrie, de l'Arménie et de l'Iran; puis ceux de la Macédoine, de la Grèce et de l'Anatolie hellénisées; enfin, les Romains du Latium, dans la péninsule italique. a. Eveil de l'Iran à la civilisation Tandis que la marée de 2000 semble s'être perdue à travers le plateau de l'Iran, où elle ne réussit guère à amener à la vie historique les populations autochtones de cette vaste contrée, la vague de 1200 fut plus heureuse. Elle éveillera à la civilisation les populations iraniennes, qui continuaient jusqu'alors leur vie énéolithique. La période qui suit l'arrivée des Nordiques de 1200 sur les plateaux de l'Iran, période pendant laquelle s'est stabilisé le mélange ethnique des immigrés et des autochtones, coïncide, en effet, avec une extension de l'usage du fer, dont l'emploi, à partir du IXe siècle, devient plus courant. «Les gisements de f e r . . . mettent en valeur les pays qui, avant, ne jouaient qu'un rôle réduit dans les transactions, et ceci concerne en premier lieu le Nord de l'Iran et les pays limitrophes. Depuis l'Espagne et jusqu'en Chine, une large transformation du monde entraîne un essor commercial dans lequel l'Iran, quoique n'ayant pas de frontières maritimes, tient sa place et participe aux échanges qui se font jusqu'en Gaule et en Bretagne, d'une part, jusqu'à l'Inde, l'Asie centrale et la Chine, d'autre part.» 3 Ainsi, ce fut d'abord le fer, comme de nos jours le pétrole, qui, attirant vers l'Iran les convoitises des pays civilisés, a remué ses populations et attiré sur elles les marchands et les armées, jusqu'au moment où, se redressant à leur tour, les Iraniens repousseront l'impérialisme étranger et, adoptant ses méthodes, forgeront leur propre empire et domineront leurs anciens maîtres. b. Le fer et les chevaux attirent les Assyriens en Iran Les premiers envahisseurs de l'Ouest qui fouleront le sol iranien sont les Assyriens. C'est pour chercher le fer qui leur manque, les chevaux nécessaires à leurs hordes et, en même temps, pour réduire les Montagnards du Zagros, qui ravageaient leurs frontières de l'Est, qu'ils apparaissent, de 3
R. Ghirshman, op. cit., p. 71.
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temps à autre, sur le plateau de l'Iran. Les rois assyriens n'ont jamais cherché à réduire en provinces les régions iraniennes. Leurs campagnes dans ces zones étaient plutôt des raids; les villes étaient pillées ou brûlées et les métaux, chevaux et bétail, emmenés en Assyrie. «Ainsi, à l'époque d'Assurnazirpal (884—860), l'armée assyrienne ne connaît pas encore la cavalerie, son arme de choc étant la charrerie dont l'attelage rudimentaire lui donnait un rendement assez faible et produisait un effet plutôt moral. Elle restait inférieure à la cavalerie de ses adversaires, surtout dans les opérations sur le terrain accidenté qu'étaient les montagnes du Zagros . . . Pour lutter contre la cavalerie, il fallait en créer une aussi, et c'est ce que l'armée assyrienne ne tarda pas à faire . . . La cavalerie changea rapidement l'aspect de la guerre: les formations légères assyriennes, dont le but, comme ce nous semble, consistait souvent bien plus à ramener des chevaux de remonte qu'à conquérir un pays, entrent de plus en plus profondément dans Yhinterland du Zagros.» 4 c. Stabilisation des Mèdes, Perses et Parthes Vers la moitié du IXe siècle, les tribus iraniennes des Perses (Parsua) et des Mèdes (Madai) sont mentionnées par les annales de Salmanasar III d'Assyrie (859—824). Elles sont établies à l'est du royaume d'Ourartou (Arménie): les premières au sud-ouest du lac d'Ourmia et les secondes au sud-est de ce lac. Plus à l'est, sont les Zikurtu ou Sagartiens des Grecs et les Parthava ou futurs Parthes. A l'ouest et au nord du lac Ourmia, se trouve le royaume d'Ourartou, et au sud, sur une grande partie du Kurdistan actuel, celui de Manna. Ces deux royaumes barrent les routes de l'Ouest à ces tribus iraniennes. Toutefois, des Iraniens se rencontrent dans l'armée des rois d'Ourartou: ces derniers en enrôlaient donc comme mercenaires. Vers 700, les Perses, fuyant probablement la domination de l'Ourartou ou la pression des Assyriens, abandonnent le nord-ouest de l'Iran. Se dirigeant vers le sud-est, ils s'installent dans la région montagneuse à laquelle ils donnent leur nom, Parsuah ou Parsumash, et qui sera la future Perse. Les Mèdes demeurent installés au sud-ouest de la Caspienne et les futurs Parthes au sud-est de cette mer.
4
R.Ghirshman, op cit., p. 73, 74.
II. L'Assyrie et les roitelets syro-palestiniens 1. Ascension de l'Assyrie La grande réaction assyrienne, qui va se manifester avec vigueur et reconquérir sur les Araméens les territoires dont l'Assyrie a besoin, commence avec Assournasirpal II (884—858), «le plus cruel des rois d'Assour et peut-être de toute l'histoire». Son prédécesseur, dans son journal de marche, se vantait de faire écorcher vifs les vaincus, de les empaler ou de les faire emmurer vivants. Assournasirpal II le dépassera encore en cruauté. Vers 880, toute la Haute Mésopotamie est aux mains d'Assournasirpal II. «En 877, le roi entre à Carchémish, remonte l'Oronte jusqu'aux abords de Hammath, oblique vers le Liban par la vallée du Saroudj, et arrive «à la grande mer du pays d'Amourrou où il lave ses armes». Il reçoit les tributs d'Arad, Byblos, Sidon, Tyr (au temps d'Itobaal I) et ceux des Amorrites: or, plomb, bronze, tissus, bois, comme jadis en recevaient les Pharaons. Quant aux royaumes de Damas, Israël et Juda, alors sous les sceptres de Benhadad I, Omri, Achab et Asa, il les ignore ou les dédaigne, et ceux-ci ne semblent pas encore inquiets, quoique l'arrivée des Assyriens sur l'Oronte et la Méditerranée les mette directement en péril.»5 Salmanasar III (858—824), souverain énergique et aussi cruel que son père Assournasirpal II, inaugure son règne par une marche victorieuse vers le Sud-Ouest. Dès sa première année, il réduit le royaume araméen de Bit-Adini, sur l'Euphrate, qui lui fermait l'accès vers la Syrie-Nord, et en fait une province assyrienne; descendant jusqu'à l'Oronte et la mer, il reçoit les tributs de Phénicie (858) (p. 176). a. Bataille de Qarqar, victoire indécise (854) Après avoir fortifié sa domination en Ourartou, soumis par son père, Salmanasar III, en 854, surgit à Karkemish et Alep, et remonte l'Oronte. Directement menacé, le roi de Hamath fait face à l'envahisseur. Pour venir à son aide, une vaste coalition des roitelets du couloir syro-palestinien est rapidement constituée. En font partie les rois de Damas, d'Israël, les cités phéniciennes d'Irkat (Arka, au nord-est de Tripoli), Arvad, le pays de Musru (Cilicie), les rois Néo-Hittites de Syrie-Nord, ainsi que le roi 5
Moret, Hisî. de l'Orient, II, 675.
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d'Ammon (Transjordanie) et un roi arabe, Gindibou, qui aurait envoyé mille chameaux. Tyr et Sidon restent neutres. Le choc a lieu à Qarqar, ville du roi de Hamath. En dépit du glorieux récit de Salmanasar III, qui prétend avoir remporté une victoire écrasante, la bataille, en réalité, fut plutôt indécise. L'Assyrien ne prit ni Hamath, ni Damas, ni Samarie. Il se contenta de descendre jusqu'à la mer, puis revint vers ses bases de départ (854). b. Salmanasar III défait une seconde coalition syrienne En 849, Salmanasar III réapparaît devant Hamath. Une nouvelle coalition des rois de Hamath, Damas, Samarie, des 12 rois de Khattou, est écrasée. Mais la victoire assyrienne, comme à Qarqar, est stérile. En 846, une nouvelle campagne défait les rois de Hamath et de Damas; en dépit des incendies, massacres, pillages, les vaincus se relèvent. Mais en 842, Hazaël, qui avait usurpé le trône de Damas à la mort d'Hadadézer, est à son tour défait. La banlieue de Damas est dévastée, le Haurân ravagé. Descendant ensuite vers la côte, l'armée assyrienne campe au Nahr el Kelb, au nord de Beyrouth, où les tributs de Tyr, Sidon, Samarie, sont apportés au vainqueur (842). Relatant cette victoire contre le roi de Damas, Salmanasar III proclame orgueilleusement: «Je l'enfermai dans Damas, j'abattis ses jardins; j'allai jusqu'aux monts du H a u r a n . . . je descendis jusqu'au (promontoire de) Balirasi (rochers du Nahr el Kelb), où j'érigeai une statue: alors je reçus les tributs des Tyriens, Sidoniens, et de Jéhu (roi d'Israël), descendant d'Omri.» 6 c. Salmanasar III, suzerain de Babylone Entre-temps de 852 à 842, Salmanasar III a guerroyé dans le Zagros, où ses annales mentionnent, pour la première fois, le nom des Perses (Parsua) et des Mèdes (Madai). Après une randonnée triomphale en Ourartou-Arménie, il répond à l'appel du roi de Babylone contre lequel son frère s'était révolté, met à mort le prétendant, impose sa suzeraineté au roi de Babylone et soumet le pays araméen de Bit Jakin, près du golfe Persique (850). Là encore, ses annales font mention des Chaldéens (Kaldou), habitants de cette région dont le nom apparaît pour la première fois. d. L'Assyrie, maîtresse du pays des Deux-Fleuves Shamshi-Adad V (824—810), second fils et successeur de Salmanasar III, tout en luttant contre son frère aîné, puis contre le roi de Babylone sou6
Cité par Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 676.
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tenu par les Chaldéens, les Elamites et d'autres Araméens, étend son pouvoir jusqu'au golfe Persique; mais il abandonne tous les avantages acquis par son père dans la zone syrienne. L'Euphrate est la limite occidentale de son empire, qui comprend presque toute la vallée des Deux-Fleuves. Son épouse, Samouramat, qui sera régente pendant les cinq premières années de son fils, serait la légendaire Sémiramis des Grecs. e. Les Assyriens pillent Damas (805) C'est pendant ce recul de l'Assyrien que les Araméens de Hamath et de Damas et les Israélites se querellent, au lieu de s'unir contre un retour de l'ancien maître. Le roi de Hamath repousse une agression du roi de Damas. Tandis que les roitelets syriens sont aux prises, Adadnirari III d'Assyrie (805—782), voulant rétablir l'empire de son grand-père Salmanasar III, passe l'Euphrate et s'empare de Damas, où il fait un important butin (805) (p. 194). «Dans Damas,... le roi d'Assyrie prit 2300 talents d'argent, 20 talents d'or, 3000 talents de bronze, 5000 talents de fer, un lit d'ivoire, un trône d'ivoire, des richesses sans nombre.» De là, vers la Méditerranée, la route était ouverte... Aussi Adadnirari déclare-t-il: «J'ai soumis le pays de Khatou et d'Amourrou en totalité; les pays de Tyr, Sidon, d'Omri (Israël), d'Edom, de Philistie, je leur imposai un pesant tribut» . . . Aucune occupation permanente ne consolide encore ces victoires éphémères.»7 /. Eclipse de l'Assyrie (800-740) Des difficultés en Mésopotamie retiennent les Assyriens loin de la Syrie, où ils ne reparaîtront que vers 740. Pendant cette période d'un demisiècle environ, les roitelets de Syrie et de Palestine continueront leurs luttes intestines. Les Itoua, nomades araméens, saccagent les territoires d'Assyrie et de Babylonie et provoquent des révoltes jusque dans la capitale assyrienne. Adadnirari III et ses successeurs, qui s'emploient à les combattre, doivent encore faire face aux Mèdes, qui menacent la frontière de l'Est, et au roi d'Ourartou, au Nord. Salmanasar IV, Assourdan II et Assournirari IV, qui se succèdent de 781 à 746, passent leur temps à repousser les envahisseurs ou à réprimer les révoltes. g. Fondation de l'Empire assyrien En 745, Téglatphalasar III (745—727), souverain énergique, l'un des plus grands parmi les rois de l'Assyrie, monte sur le trône. Son avènement mar7
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que la fin des troubles et prépare l'apogée de l'expansion et de la puissance assyriennes. Téglatphalasar III inaugure une nouvelle méthode de guerre et de domination, qui lui permet de briser les adversaires et de contenir les peuples vaincus. «L'Assyrie a fini l'apprentissage de la guerre; à partir de Téglatphalasar III, elle saura comment asseoir sa domination sur l'Asie occidentale. Le caractère belliqueux de ses ennemis, Araméens, Néo-Hittites, Phrygiens, Mèdes, reste redoutable, mais elle leur opposera des procédés de conquête nouveaux. . . Désormais les vaincus seront traités avec une méthodique brutalité: les rois décapités;... les guerriers massacrés en masse; la population civile, en grande partie, déportée dans des provinces lointaines, de façon à déraciner toute résistance sur place; des colonies d'Assyriens, ou de nomades Soutou, Mèdes, Arabes, partout implantées dans les cités ou campagnes devenues vides. Sur les pays ainsi repeuplés d'éléments sûrs, ou trop isolés pour lutter et conserver la mentalité ancienne, le gouvernement appartient, non plus aux princes locaux, animés de revanche ou de patriotisme, mais à des généraux assyriens; ils lèvent sur ce qui reste de l'ancienne race, et sur les colons, un lourd tribut annuel, transmis à la capitale; ils exigent en outre pour eux-mêmes des corvées et impôts écrasants. Tel est le régime imposé aux pays réduits en provinces assyriennes.»8 En dix ans (740—730), Téglatphalasar III bat l'Ourartou, reprend possession de Diarbékir, écrase les Araméens et les Nabatéou, s'empare des principautés néo-hittites de Syrie-Nord, capture Damas, soumet la Phénicie, annexe la Babylonie et fonde le grand empire assyrien, qui englobe tous les pays du Croissant Fertile. «Téglatphalasar qui a réuni les deux Mésopotamies, ajoute au titre «roi de Sumer et d'Akkad», celui de «roi des Quatre Régions» et shar Kishshati. C'est la première fois qu'un empire sémitique justifie ce titre protocolaire par l'occupation effective des quatre points cardinaux, en Asie occidentale.»9 2. Elaboration du futur monde gréco-égéen En Asie Mineure, des Achéens et autres Proto-Grecs, refoulés de Grèce, après 1200, par les envahisseurs Doriens (p. 122), s'établissent sur les côtes anatoliennes, où d'autres groupes de leur race étaient déjà installés. Commencée depuis 2000, la migration des Proto-Grecs vers les régions de 8
Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 678. » Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 682.
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l'Est, qui formeront la Grèce d'Asie, se poursuivra au cours des siècles. Venant en masse, les Grecs d'Europe apportent avec eux leurs dieux, leurs richesses, leurs traditions et la civilisation achéo-mycénienne. La Grèce d'Asie sera l'héritière de Mycènes et de la Crète (p. 92—93). Les trois principaux groupes de ces migrateurs s'installent dans des régions qui font respectivement face aux régions de Grèce qu'ils venaient de quitter. Les Achéens et Eoliens se fixent au Nord, entre les Dardanelles et Smyrne; leur véritable centre de groupement est la grande île de Lesbos, avec sa cité Mitylène. Les Ioniens se stabilisent au centre de la façade anatolienne, où la cité de Milet jouit d'un prestige particulier. Enfin, les Doriens s'établissent au Sud, occupant la pointe méridionale de la péninsule, la Crète et Rhodes. D'autres groupes, essaimant vers le Nord, peupleront toute la région côtière d'Asie Mineure, celles de la Mer de Marmara et de la Mer Noire, ainsi que l'intérieur de l'Anatolie. Sur le Bosphore, Byzance est fondée. C'est la Grèce d'Asie qui sera le berceau de la littérature grecque: poésie, épopée, philosophie. C'est ici, notamment en Ionie, que, tandis que la Grèce vit toujours, depuis 1200, dans une sombre stagnation, apparaîtront, vers 850, les poèmes homériques. Sept villes d'Asie Mineure se disputeront l'honneur d'avoir vu naître Homère. La civilisation proto-hellénique, qui naîtra sur les côtes d'Asie Mineure et qui s'achèvera en Grèce propre, est l'héritière de la civilisation mycénienne qui est, elle-même, fille de la civilisation crétoise (p. 92—93). Cette civilisation ionienne sera influencée par celle de l'Est anatolien, en contact avec la Babylonie. L'Ionie était, en effet, reliée à l'Est asiatique et continental par les vallées des fleuves, qui constituaient des voies de pénétration vers l'intérieur. «Par ses routes, l'Ionie hellénisa la Lydie et la Phrygie, et celles-ci «orientaliseront» l'Ionie et tout le monde grec» (J. Gabriel-Leroux). 3. Cilicie, Chypre En Cilicie et dans la région d'Adana, les populations sont mélangées; mais la position stratégique et commerciale du territoire y attire les peuples voisins à tendances hégémoniques: Néo-Hittites, pirates achéens, et enfin Assyriens. Chypre sera achéo-lycienne dans sa partie septentrionale, et phénicienne au sud. Après l'expansion assyrienne, elle sera vassale de Ninive.
A Le grand Empire assyrien. Fondation, apogée, destruction (740-612). L'Assyrie continentale attirée par la mer
I. L'Assyrie, jusqu'à la fondation du grand Empire
1. L'impérialisme
assyrien
a. L'Assyrie, Prusse de l'Orient ancien Si l'on peut comparer l'histoire de l'Orient ancien à celle de l'Europe occidentale moderne, les diverses régions de la Mésopotamie antique, Sumer, Accad, Elam, Assour, ou Sud, Centre, Est et Nord, seraient les prototypes des principautés germaniques du début du XIXe siècle de notre ère. A l'est de la Mésopotamie, comme à celui de l'Allemagne, s'étendent de vastes espaces, asiatico-russes en Orient et russo-asiatiques en Europe. Les conditions physiques de l'Assyrie et de la Prusse sont quelque peu similaires: l'une et l'autre sont, en effet, dépourvues d'un solide encadrement géographique, d'un territoire harmonieux et de frontières naturelles. Privées de communications directes avec la haute mer, elles possèdent, chacune, un sol inégalement fertile, plat et sablonneux en général, arrosé par des fleuves. Les premiers souverains d'Assyrie furent les grands prêtres des deux divinités nationales du pays: Ashur et Ishtart. Pour la Prusse, le premier noyau qui formera l'Etat, le duché de Brandebourg, est, lui aussi, une principauté ecclésiastique, gouvernée par le grand-maître de l'Ordre des Chevaliers Teutoniques. Malgré leurs origines sacerdotales, les deux monarchies, l'assyrienne et la prussienne, n'auront jamais un caractère religieux; elles seront et resteront des monarchies militaires. En Assyrie, le roi n'est pas un dieu, comme le Pharaon; c'est un chef de guerre, et le peuple assyrien n'est qu'une armée continuellement sur pied et presque toujours en campagne. En Prusse également, le césaropapisme romano-byzantin n'aura jamais cours; le palais royal sera une caserne et la guerre, l'industrie nationale du pays. b. Le pays assyrien Assur, ou «mat-il-Asur» en assyrien, est le pays du dieu Assur. C'est le nom antique de la Haute Mésopotamie, la partie nord et montagneuse de la contrée des Deux-Fleuves. L'Assyrie ancienne comprend la région actuelle de Mossoul et une partie du Kurdistan (I, p. 59 et 75). Assur est, pour les Assyriens, l'ancêtre, le roi et la divinité nationale et
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spéciale; il est même, pour ses fidèles, le chef de tous les dieux. Pour les Hébreux, Assur, nommé fils de Sem, frère d'Elam et d'Aram, est la représentation individualisée de l'Assyrie. Les anciens entendaient quelquefois, sous le nom d'Assyrie, l'ensemble des régions des Deux-Fleuves; les Grecs étendirent originairement ce nom encore plus au sud-ouest, jusqu'à ce qu'on distinguât, de l'Assyrie, la Syrie proprement dite, qui en tire même le nom par abréviation. Les monts Niphates, au nord, et le massif du Zagros, à l'est, forment une frontière bien tranchée. Le Tigre est le fleuve principal du pays; d'autres cours d'eau, venant des montagnes arméniennes, le sillonnent. Son climat et ses produits sont différents d'une région à l'autre, à cause de la considérable différence d'altitude. Les anciens remarquaient déjà, en Assyrie, le manque de pluie et la pénurie d'arbres; le pays était fertile en blé, et quantité de fruits étaient récoltés sur les versants des montagnes. Des minéraux, des carrières de marbre et d'albâtre étaient exploitées dans les montagnes du Nord et de l'Est. Par sa situation géographique, l'Assyrie, où se touchaient les différentes races de l'Asie Occidentale, était le théâtre où se rencontraient les peuples les plus divers. c. Composition ethnique Si le peuple assyrien, à l'époque classique de son histoire, se présente comme exclusivement sémite, les éléments ethniques qui le composent sont, on l'a vu, bien différents de ceux des autres Sémites du Croissant Fertile. Héritiers, comme les Babyloniens, de la civilisation de Sumer, parlant aussi, comme ces derniers, une langue sémitique, variante du babylonien, les Assyriens diffèrent cependant des Babyloniens par les composantes ethniques des populations des deux pays. La Babylonie est formée d'un mélange, à peu près égal, de Sumériens asianiques et d'Accadiens sémites; tandis que l'Assyrie est le produit d'un fond asianique ayant accepté la civilisation sumérienne, et sur lequel se sont greffés des apports sémitiques, nordiques, indo-européens et asiatiques (I, p. 287—288). Cette Haute Mésopotamie nous offre encore aujourd'hui une population également composite, où l'élément non sémite ou non arabe est prépondérant. L'actuelle Mossoul, qui occupe le site de l'antique Ninive, est le centre de l'élément kurde de l'Irak ou Mésopotamie actuelle. Au temps des Assyriens, les Kurdes qui, comme les Médo-Perses et les Arméniens, sont des Indo-Européens de langue, figurent parmi les adversaires de l'Assyrie sous le nom de «Gardu». Ils habitent déjà une partie de l'Assyrie et de l'Arménie et le massif du Zagros. Les documents perses les appellent: Koudraha. Les Grecs les connaîtront sous les noms de Carduques et Gor-
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dyéens; ils seront les plus redoutables ennemis de Xénophon dans la retraite des Dix Mille. L'élément asianique autochtone constitue donc le fond de ce mélange stabilisé qui a produit le peuple assyrien. Sémitisé linguistiquement, ce peuple a conservé, physiquement et moralement, les caractères ethniques de la race asianique ou alpine autochtone. d.
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assyrien
Bridé, depuis le début du Ile millénaire, par l'action des invasions nordiques, l'impérialisme mésopotamien va renaître, avec plus de violence, grâce à une race réellement impériale, les Montagnards de l'Assyrie, qui entrera, après 750, sur la grande scène orientale (p. 199—200 et 205—208). Dès le début de son histoire, la Mésopotamie est le théâtre de combats continus, où les impérialismes antagonistes des divers rois ou cités s'entrechoquent pour unifier le pays (I, p. 248, 249). Ce sont d'abord les conflits entre les diverses cités sumériennes, puis entre ces dernières, d'une part, et Accad ou PElam, de l'autre, auxquels répond, du nord, les Sémites d'Assur. Sumer, Accad, Elam, Assur, ou plus exactement: le Sud, le Centre, l'Est et le Nord mésopotamiens, sont les principaux protagonistes de cette longue épopée. Nous avons vu, au cours des millénaires qui précèdent, l'action et la réaction de ces divers centres mésopotamiens. Nous avons vu, au Ille millénaire, se forger, puis s'effondrer, tour à tour, divers empires régionaux, plus éphémères les uns que les autres: empire sumérien d'Ourouk; empire sémitique d'Agadé; empire Gouti; empire sumérien d'Our III; empire sémitique de Hammourabi. Nous allons voir maintenant, après plus de douze siècles d'éclipsé mésopotamienne (2000—750), un autre peuple de proie, établi sur les plateaux de la Haute Mésopotamie, qui édifiera le premier en date des grands empires d'Orient. La pauvreté du pays qu'il habite, la nature montagneuse de son habitat, l'absence de frontières naturelles qui le protégeraient contre les invasions, l'éloignement des grandes voies maritimes, feront du peuple assyrien un peuple de soldats. Successivement aux prises avec ses voisins du Nord, du Sud, de l'Est et de l'Ouest, ce peuple de Montagnards, à travers une succession de victoires et de revers, jette les bases de sa grandeur impériale. A partir de 750, l'armée assyrienne, avec son esprit combatif et sa technique savante, permettra à ce pays, isolé et privé de débouchés, de conquérir de vastes espaces et des accès aux mers. «Coupés des voies commerciales et militaires, encerclés tragiquement, les Sémites d'Assyrie, race vigoureuse, sans scrupule, résolue à vaincre, sont entraînés à faire de la guerre leur industrie nationale. Par le fer, par
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le feu, par le sang, des luttes sans trêve contre tous leurs voisins, presque chaque année, pendant plus de quatre siècles (de 1100 à 700), mènent les rois d'Assour, à marches forcées, de la Babylonie à l'Ourartou, de l'Elam à la Phénicie, jusqu'à l'Egypte, au delà même de ces «Quatre Régions» qui constituaient l'Empire de Sargon I et de Hammourabi. Ce n'est qu'au V i l l e siècle que leur armée a été assez forte pour asseoir une conquête qui terrorisa les populations du Proche Orient, pendant la courte hégémonie de l'«Empire assyrien.» 1 Outre son armée puissante et portée à son point de perfection, l'Assyrie aura la fortune d'être dirigée par une lignée de grands rois et une aristocratie guerrière, possédant les qualités maîtresses qui fondent les empires: l'esprit militaire, le sens de la grandeur et le don inné du commandement. Malheureusement, le tableau assyrien est assombri par les méthodes dures et barbares qui ont présidé à la création et au gouvernement de l'Empire: déportations en masse; pillage et dévastations systématiques des pays conquis; cruauté vis-à-vis des ennemis. Loin de les nier ou les désapprouver, l'Assyrien, au contraire, cruel par nature et par politique, s'en vante dans ses documents officiels. 2. Aperçu récapitulatif jusqu'à 750 Bien qu'ils apparaissent relativement un peu tard sur la scène de la grande histoire, les Assyriens, on le sait, sont aussi anciens, peut-être même plus anciens que les Babyloniens. Dès le début du troisième millénaire, ils apparaissent installés sur les bords du Tigre et les terrasses montagneuses des monts Zagros. Assur, la première capitale de l'Assyrie, est d'abord vassale de Sumer. Sous la dynastie d'Agadé (après 2750), elle fait partie de son empire. Au temps de l'empire sumérien d'Our III (vers 2350), Assour est de nouveau vassale de cet empire et la civilisation sumérienne s'y manifeste dans tous les domaines. A la faveur des contrecoups de l'invasion amorrite, l'Assyrie s'émancipe vers 2300, tandis que Babylone, indépendante de son côté, verra bientôt l'avènement de sa première dynastie. Vers 2100, Iloushouma, prince d'Assour, fonde le premier grand Etat indépendant et cherche à étendre sa domination sur le Sud. Ses convoitises le mettent en conflit avec la jeune et ambitieuse dynastie de Babylone (I, p. 287, 288). Vers 2050, Sargon I d'Assyrie, fondateur du premier empire assyrien, étend son domaine «de la Mer Inférieure à la Mer Supérieure» (golfe Persique et Méditerranée). Mais vers la fin de son règne, toutes ses conquêtes lui sont enlevées par Hammourabi, roi de Babylone; l'Assyrie ellemême tombera aussi sous le joug de ce dernier (vers 2000). Vers 1950, 1
Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 673.
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Shamshi Adad I, roi d'Assyrie, secoue le joug de la Babylonie et annexe même cet Etat, qu'il enlève au fils de Hammourabi. Il aurait étendu son influence jusqu'au Liban et lutté d'influence avec l'Egypte en Phénicie; une inscription commémorative de sa fugitive hégémonie aurait été gravée au Liban, probablement à Nahr el Kelb. Après 1950, l'Etat assyrien est tantôt libre, tantôt vassal de ses voisins. Du XXe au Xlle siècles, l'Assyrie est continuellement aux prises avec ses nombreux voisins: Babyloniens, Mitanniens, Kassites, Hittites, Araméens. Ces luttes se traduisent par une succession de victoires et de revers alternés. Au XlVe siècle, le roi Assourouballit I (1380—1341) réussit, pour la première fois, à porter sa frontière à l'Euphrate et prend le titre impérial de Shar Rishati ou «roi de l'Univers». Après 1200, l'Assyrie, épargnée par le cataclysme des Peuples du Nord et de la Mer, dont l'invasion s'était arrêtée à l'Euphrate, profite de l'affaiblissement des autres Etats pour reprendre sa politique d'expansion. Vers 1100, Téglatphalasar I étend sa domination depuis l'Arménie jusqu'à la «mer Supérieure où se couche le soleil». Il reprend le titre traditionnel de «Roi des Quatre Régions». Mais ces conquêtes, comme les précédentes, sout peu durables (p. 199-200). Après une longue période d'éclipsé, coupée de raids irréguliers, la politique d'expansion assyrienne reprend, après 900, de façon plus ordonnée. Assournasirpal II (884—858) envahit la Syrie-Nord, oblique vers le Liban et reçoit les tributs des villes phéniciennes. Son successeur, Salmanasar III (858—824), écrase successivement deux coalitions de roitelets syro-palestiniens, ravage la région de Damas et impose sa suzeraineté à Babylone (p. 205-206). Enfin, après une nouvelle éclipse d'un demi-siècle environ (800—750), les Assyriens reviennent à la charge (p. 206—208). Téglatphalasar III (745—724), par des conquêtes plus durables, fondera le grand Empire assyrien, sixième Empire mésopotamien et premier grand Empire d'Orient. Plus de douze siècles le séparent de son lointain prédécesseur: le premier Empire babylonien ou de Hammourabi (vers 2000).
II. L'Empire assyrien et l'Egypte, de 722 à 689
1. Le cadre historique vers 750 La première moitié du premier millénaire forme la belle époque du commerce oriental. La Phénicie, et Tyr en particulier, sont à leur apogée. L'expansion économique, commerciale, politique et même ethnique a, depuis 1200, rempli l'Occident du nom et de l'activité des Phéniciens. En Palestine, le royaume d'Israël, puis ses successeurs, les deux royaumes d'Israël et de Juda, poursuivent, avec des hauts et des bas, la politique inaugurée par David et Salomon. En Syrie intérieure et Haute Syrie, les roitelets araméens de Damas, Hamath, Transjordanie, continuent leurs luttes intestines, tantôt les uns contre les autres, tantôt contre les royaumes de Palestine. Ainsi, toute cette poussière de petits Etats de la contrée syrienne vivent chacun dans un splendide isolement politique, insoucieux ou inconscients des dangers extérieurs qui se profilent à l'horizon de la Syrie morcelée. Car l'Assyrie, tel un volcan non éteint, projette, depuis 900, des laves incandescentes, signes avant-coureurs des prochaines irruptions. «Pendant toute cette période, écrit Contenau, les villes phéniciennes font montre de ce particularisme qui a coûté si cher aux divers pays de l'Asie Occidentale ancienne. Unies, coalisées avec les villes de Palestine et de Haute-Syrie, leur indépendance n'a jamais été mise en question; mais les rivalités, les jalousies poussent certaines villes à s'allier avec l'Egypte, d'autres avec l'Assyrie; les alliances se nouent et se dénouent; parfois la guerre est déclarée entre cités rivales; souvent les rois de Tyr portent le titre de rois des Sidoniens dont ils ont fait leurs tributaires; ces luttes perpétuelles sont autant de causes d'affaiblissement contre l'ennemi commun. Beaucoup d'historiens ont considéré la puissance phénicienne comme peu redoutable; convient-il de réagir contre cette opinion? Même en tenant compte que le territoire phénicien, si souvent borné par la montagne, l'a débordée sur certains points et malgré la densité de sa population, il paraît bien que cette puissance n'était que peu de chose par rapport à celle de l'Egypte et de l'Assyrie. Néanmoins, on put voir, dans les rares cas où la Phénicie sut s'inspirer de l'intérêt général pour s'allier à la Palestine et à la Haute-Syrie, que cette confédération constituait un ennemi qui n'était pas négligeable.»2 2
Contenau, L'Asie occidentale ancienne, p. 272.
LE GRAND E M P I R E ASSYRIEN
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En Asie Mineure, les Phrygiens dominent le centre de cette contrée depuis la chute de l'Empire Hittite (p. 148); au Ville siècle, ils touchent, d'une part, la mer Egée et, de l'autre, la région du Haut-Euphrate. Autour de la Phrygie anatolienne, gravitent d'importants royaumes, dont celui de Cilicie, entre l'Anatolie, la Mésopotamie et la Syrie, et celui de Commogène; cette position stratégique et commerciale assura au royaume cilicien un rôle de premier ordre. A la suite de la Cilicie s'étendent la Lycie, la Carie, la Lydie, qui s'helléniseront plus tard et joueront un rôle prépondérant dans les destinées de la Grèce asiatique. Enfin, Chypre, voisine de la Haute Syrie et de l'Asie Mineure, partagera le destin de celle-ci et celui des autres régions d'Asie occidentale. En Babylonie, des tribus araméennes, les Kaldou, sont fixées au sud du pays, dans le voisinage du golfe Persique; ce sont les futurs Chaldéens, qui fonderont bientôt l'Empire chaldéen ou Néo-Babylonien (p. 200). En Egypte, la dynastie libyenne domine la contrée (p. 143—145). 2. Nouvelles vagues nordiques en Asie Mineure. Expansion, vers le Sud, des Cimmériens et des Scythes a. Cimmériens au nord de la Mer Noire. Scythes au nord de la Caspienne Depuis 1200, époque de l'invasion des Peuples du Nord et de la Mer, les Cimmériens et les Scythes sont installés dans les steppes de la Russie méridionale. Ces deux peuples de race aryenne parlent une langue presque commune; ils sont apparentés aux Aryens Iraniens (I, p. 400). Les Cimmériens occupent la steppe qui s'étend au nord de la Mer Noire, ainsi que la presqu'île de Crimée, dont ils conservèrent le nom; les Scythes sont établis au nord de la Caspienne. b. Nomades cavaliers et guerriers redoutables A l'opposé de leurs congénères Mèdes et Perses, qui, stabilisés sur le plateau de l'Iran, ont été imprégnés de la civilisation orientale de Babylone et de Ninive, les Cimmériens et surtout les Scythes sont demeurés nomades. Pratiquant un genre de vie commandé par les conditions physiques de la steppe russo-sibérienne, ils se rapprochent plutôt, par leurs coutumes sociales, des tribus turco-mongoles qui, vers la même époque, s'agitaient à l'extrémité orientale de cette même steppe, en Mongolie. Ces nouveaux partenaires, qui vont bouleverser la physionomie politique du Proche-Orient des Plateaux, sont des guerriers intrépides, des cavaliers redoutables, «porteurs d'arcs et de javelots, cruels et sans miséricorde»; leur vague «bruit comme une mer mugissante» (Jérémie).
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A la différence de la migration des Mèdes et des Perses, qui, trois ou quatre siècles plus tôt, avaient lentement pénétré sur le plateau de l'Iran, en quête de pâturages, l'expansion des Cimmériens et des Scythes, en direction du Sud, ressemble plutôt à la marée de leurs prédécesseurs et congénères de 1200, les Peuples du Nord et de la Mer. «C'est une lave de guerriers, de cavaliers redoutables et pillards, qui se déverse le long des pentes sud de la chaîne caucasique» (Ghirshman). c.
Les Cimmériens
en Asie
Mineure
Entre 750 et 700, une partie des Scythes déferle vers l'ouest, franchit l'Oural et la Volga et envahit le pays des Cimmériens. Ces derniers s'enfuient vers l'Asie Mineure, où ils forment, avec les Asianiques locaux, une confédération de peuples, sur la côte sud de la Mer Noire, dans la région de Sinope. De ce nouveau repaire, les Cimmériens lanceront des raids périodiques, qui dévasteront les régions avoisinantes: Phrygie, Cappadoce, Cilicie, Pont et même Assyrie. d.
Les Scythes dans le nord de l'Iran
Lancés à la poursuite des Cimmériens, les Scythes, ces futurs Russes du Sud, prennent une autre direction, franchissent le Caucase et se trouvent en contact avec l'empire assyrien (vers 700). Ils s'installent au sud du lac d'Ourmia, dans le royaume de Manna. Le royaume qu'ils y fondent couvre la région qui recevra plus tard le nom d'Atropagène, l'actuelle province iranienne d'Azerbeidjan. Ainsi, deux nouveaux royaumes remuants, foyers d'agitations, de guerres et de rapines, naissent à la lisière septentrionale du monde civilisé. Pendant 70 ans (700—630), Cimmériens et Scythes, puis Scythes seuls après le refoulement des premiers, épouvanteront le Proche-Orient, galopant à travers ses régions et pillant leurs richesses. Leurs incursions atteindront l'Asie Mineure, l'Assyrie, la Syrie-Nord, la Phénicie et même la frontière d'Egypte. «Ce vaste remous de peuples, dont l'écho retentit jusque chez les prophètes d'Israël, représente la première irruption historique des nomades de la steppe septentrionale (future Russie) au milieu des vieilles civilisations du sud, mouvement que nous verrons se renouveler pendant quelque vingt siècles d'histoire.»3 C'est cette marée nordique de 750, qui, par les troubles qu'elle fera naître, bouleversera la physionomie politique du Proche-Orient. Par le contrecoup de leurs attaques et de leurs galopades, les Cimmériens et les Scythes provoqueront, par réaction, la formation puis la ruine du grand 3
R. Grousset, L'Empire
des Steppes, p. 38.
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Empire assyrien. Ils aideront Mèdes et Perses à déborder de l'Iran jusqu'en Mésopotamie, puis à construire le grand Empire médo-perse. 3. Téglatphalasar III (745—727), maître du Croissant Fertile et de l'Arménie L'impérialisme assyrien et l'esprit de conquête prennent plus de consistance, on l'a vu, à partir de Téglatphalasar III (745—727), dont l'avènement prépare l'apogée de la puissance et de l'expansion assyriennes (p. 208). Désormais, l'Assyrie opposera à ses adversaires des procédés de conquête encore plus brutaux et appliqués avec une volonté systématique et implacable. «Les vaincus seront traités avec une méthodique brutalité: les rois décapités, écorchés, empalés ou murés vifs, enchaînés par la mâchoire comme des chiens; les guerriers massacrés en masse; la population civile, en grande partie, déportée dans des provinces lointaines, de façon à déraciner toute résistance sur place . . . Le gouvernement appartient, non plus aux princes locaux, animés de revanche ou de patriotisme, mais à des généraux assyriens.»4 a. Conquête de la Syrie et de la Palestine (738—732) Dès son avènement, Téglatphalasar III refoule les Ourartéens (Arméniens), qui s'étaient avancés jusqu'à Karkémish, sur l'Euphrate, et reprend Diarbékir. Les rois néo-hittites, qui s'étendent de Karkémish à la cité phénicienne d'Arvad, sont soumis; une partie des habitants est déportée et remplacée par des Araméens du Zagros et d'Ourartou, «montagnards dépaysés qui s'assagiront, pense-t-il, en vue de la mer». Toute la Syrie-Nord est réduite en province, gouvernée par des généraux assyrien (738). Les rois de Damas, d'Israël, de Byblos, de Tyr, de Karkémish, de Cilicie, paient tribut au vainqueur. Zabibi, reine de Saba (Arabie), envoie des chameaux. En 734, Téglatphalasar, descendant plus au sud, envahit la Philistie et occupe Gaza, dont le roi s'enfuit en Egypte. Une nouvelle reine de Saba, Samsi, envoie un tribut et des présents: chameaux, or, argent, parfums. Des gouverneurs assyriens sont établis dans les régions limitrophes de l'Arabie et de l'Egypte. En 732, l'empereur assyrien, dont l'aide est sollicitée par le roi de Juda contre celui de Damas, occupe cette ville, fait mourir son roi Razon, déporte les habitants et ravage le territoire d'Israël. Damas, érigée en province, reçoit des troupes d'occupation et un gouverneur assyrien, tandis 4
Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 678.
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que les rois de Jérusalem, d'Edom et d'Ascalon, sont simplement tributaires ou vassaux. En Phénicie, le prince impérial Salmanasar est gouverneur. b. Prise de Babylone (731) En 731, Téglatphalasar, maître de la Syrie, de la Phénicie et de la Palestine, s'empare de Babylone où il se fait couronner roi sous le nom de Poulou (729). «Téglatphalasar qui a réuni les deux Mésopotamies, ajoute au titre «roi de Sumer et d'Akkad», celui de «roi des Quatre Régions» et shar Kishshati. C'est la première fois qu'un empire sémitique justifie ce titre protocolaire par l'occupation effective des quatre points cardinaux, en Asie occidentale.»5 c. Mort de Téglatphalasar et révolte de la Phénicie En 727, Téglatphalasar meurt. Son fils, Salmanasar V (727—722), vice-roi de Phénicie, rentre à Ninive pour recueillir la succession impériale. Dès son départ, une révolte générale éclate en Phénicie, soudoyée par le roi de Tyr et de Sidon, Eloulai, en assyrien: Luli. Israël se joint aux rebelles. Pour réprimer la révolte, une expédition maritime est organisée contre Tyr, avec 60 vaisseaux de Sidon, Byblos et Arvad. Les Tyriens réussissent à détruire la flotte ennemie et font 500 prisonniers. Le blocus de l'île échoue complètement, après cinq ans d'efforts (722). Jusqu'à 722, la domination assyrienne est toujours précaire. Les villes phéniciennes, Israël, Juda, Damas, tous ces petits Etats, isolément ou ensemble, sont en constante révolte. Mais à partir de 722, ces conditions s'améliorent, sous la main des grands empereurs qui vont se succéder. 4. Au temps de Sargon II (722—705) a. Consolidation des conquêtes. Destruction du royaume d'Israël (722) Comme son homonyme Sargon I ou l'Ancien, roi d'Agadé (2725—2670), Sargon II (722—705), qui succède à Salmanasar V, n'est pas de sang royal; c'est un militaire que l'armée a porté sur le trône. Energique et populaire, ce roi soldat, dès la première année de son règne, règle par les armes la question d'Israël, dont le roi «conspirait avec l'Egypte» et ne payait pas le tribut annuel. Samarie, dont le siège, commencé sous Salmanasar V, durait depuis trois ans, est prise. Trente mille Israélites, emmenés en captivité, sont installés sur le Khabour, en Mésopotamie, et dans les 5
Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 682.
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villes des Mèdes. Des colons emmenés de Babylone, de Syrie-Nord et d'Arabie, sont transplantés dans Samarie, pour détruire l'esprit national d'Israël. Cette défaite du roi de Samarie marque la fin de la vie indépendante des Israélites. Le royaume de Juda traînera encore, pendant 135 ans, une existence obscure de tributaire (p. 195). b. Révolte en Syrie. Bataille de Qarqar (720) Maître de Samarie et suzerain de Jérusalem, l'Assyrien est maintenant aux portes de l'Egypte. L'empire du Croissant Fertile, que Sargon II vient d'édifier, inquiète Pharaon. En réaction, celui-ci cherche à porter sa ligne de défense en Canaan-Sud. Des circonstances favorables vont l'encourager dans ce dessein. En 721, Sargon II est rappelé en Babylonie par une révolte. Le roi d'Egypte, Bocchoris, qui voit le moment propice, gagne à sa cause Samarie, Damas, Hama et Simyra (720). La bataille s'engage à Qarqar, sur l'Oronte, où, comme en 854, les coalisés sont écrasés. Le roi de Hamath est écorché vif; sa ville reçoit un important contingent de colons assyriens et un général comme gouverneur. Poursuivant sa marche vers le Sud, Sargon bat les Egyptiens à Raphia, au sud de Gaza. Dix mille hommes de Raphia et Hanoun, roi de Gaza, sont déportés au nord. c. Babylone reprise sur les Chaldêens (710) Pendant que Sargon guerroyait en Syrie et en Palestine, la Babylonie secoue son joug et s'émancipe. Les tribus araméennes des Chaldou (futurs Chaldêens), réfugiés dans les marais du pays-de-la mer (ancienne Sumérie et future Chaldée), proclament roi leur chef, Mérodach-Baladan II. Appuyé par les Nomades Soutou et d'autres tribus araméennes, ainsi que par l'Elam, Mérodach s'empare de Babylone (721). Reconquise par Sargon, en 710, la Babylonie, qu'on appellera désormais Chaldée (p. 221), reçoit des milliers de Hittites qui, transplantés d'Asie Mineure, remplacent des Araméens envoyés en Commagène. d. Pacification de l'Arménie et de l'Asie Mineure. Prise de Chypre (709) Déjà en 714, Sargon avait écrasé une révolte de l'Arménie (Ourartou) et enlevé un riche et immense butin. De 713 à 705, les rois de Phrygie, de Cilicie, des Néo-Hittites de Syrie-Nord, révoltés, sont battus; les populations, déportées à Damas et en Palestine, sont remplacées par des Assyriens, des Araméens et des Nomades. En 709, Chypre, qui avait coopéré à la révolte de la Cilicie, est prise après sept jours de traversée et devient tributaire.
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e. Mort de Sargon II (705) En 705, Sargon est assassiné à Khorsabad (près de Mossoul), où il avait élevé sa résidence favorite, Dour-Sharroukin, «forteresse de Sargon». Isaïe (XIV) tirera la morale de cette fin: «Celui qui faisait trembler la terre et qui ébranlait les empires, qui changeait le monde en désert, dévastait ses cités, ne relâchait pas ses captifs, — il ne repose même pas dans sa demeure, jeté loin de sa tombe, comme un vil rameau». f . L'œuvre de Sargon II «Sargon développe la prospérité du pays par la création de débouchés nouveaux et par l'exécution de travaux hydrauliques. Il crée la bibliothèque de Ninive qui deviendra, sous Assourbanipal, le dépôt de la littérature antique et qui sert en même temps d'archives officielles. . . . Sargon a tenté de réaliser l'unité des peuples soumis à son sceptre, non seulement en transplantant, comme l'avait fait son père, les populations des pays conquis, mais en établissant dans les principaux centres des colonies d'Assyriens et en remplaçant les princes vaincus par des généraux-gouverneurs.»6 5. Sargon II et l'Egypte La fondation d'un grand Empire assyrien, englobant la Syrie et la Palestine, constitue, pour l'indépendance de l'Egypte, une grave et dangereuse menace. Aussi, nous l'avons vu, les pharaons, dès 2500, ont-ils régulièrement combattu toute grande formation politique qui se dresse sur leurs frontières palestiniennes (I, p. 262—265). Instruite par les épreuves, l'Egypte, après l'expulsion des Hyksôs (vers 1600), s'improvisa puissance impériale, occupa la Palestine et la Phénicie, et tint en respect et en échec les Mitanniens, puis les Hittites du Nord. a. Impuissance de l'Egypte. Invasion éthiopienne (730) Malheureusement, au Ville siècle, l'Egypte vit toujours dans l'impuissance et le morcellement. Aussi, l'avance des Assyriens en Syrie-Palestine était-elle favorisée tant par les rivalités des roitelets syro-palestiniens, que par les secours dérisoires que le pharaon mettait à leur disposition (p. 145). Lorsque Téglatphalasar III, le conquérant de la Syrie-Palestine, monte sur le trône, en 745, la dynastie des Pharaons libyens, qui régnait depuis 950 (p. 142—145), est à la veille de céder sa place à une nouvelle dynastie de conquérants éthiopiens. L'anarchie qui sévit, pendant ce temps, dans 0
Delaporte, Le Proche-Orient
asiatique, p. 253.
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la vallée du Nil, faisait de cette contrée une proie facile à prendre pour un assaillant résolu. A cette époque, l'Egypte est tranquille du côté de l'Asie; la PalestineSyrie est toujours morcelée et l'Assyrie lointaine. Par contre, à l'extrême Sud, dans le pays de Koush (l'Ethiopie des Grecs), ancienne possession égyptienne, règne une dynastie de rois qui, comme celle de Thèbes, avait fondé à Napata une théocratie amonienne (p. 143). Comme à Thèbes, le roi, à Napata, se dit «premier prophète d'Amon» et ne prend de décision qu'après avoir consulté la statue du dieu. Un temple grandiose, consacré à Amon, est construit sur la montagne et décoré dans un style purement thébain. La langue égyptienne, au début tout au moins, semble avoir été la langue officielle de l'Etat. Les rois-pontifes de Napata s'appuient sur des troupes libyennes aidées de mercenaires noirs. Piankhi, roi-pontife de Napata, naïf, «un peu fat, mais au fond assez sympathique», poussé par son zèle religieux et par l'ambition personnelle, envahit l'Egypte (730). Entré sans coup férir à Thèbes, Piankhi, après avoir fait ses dévotions dans le temple d'Amon, marche sur Memphis qu'il prend d'assaut. Il reçoit la soumission des quatre rois et des divers dynastes qui se partagent le pays jusqu'à la mer et qui l'acceptent comme suzerain. Piankhi leur laisse leurs couronnes et leurs fiefs et s'en retourne à Napata, acclamé par les populations tout le long du Nil. «Dans leurs vivats, il y avait peut-être moins d'enthousiasme que de satisfaction de voir l'étranger s'éloigner». Dès le départ de Piankhi, les divers dynastes reprennent leur autonomie. Tafnakht (730—720) règne sur Saïs, Héliopolis et Memphis; il constitue, avec son fils, Bocchoris (720—715), la XXIVe dynastie. Bocchoris et son père ont laissé dans l'esprit des Egyptiens une réputation de héros nationaux, incarnant la résistance contre l'étranger. La légende et l'histoire les comptent parmi les souverains les plus justes et les plus éclairés de l'Egypte. Bocchoris passe aussi pour avoir été un très grand législateur. b.
Les Egyptiens
battus près de Gaza
(720)
Au moment où Bocchoris monte sur le trône (720), Sargon II, roi d'Assyrie, venait de s'emparer de Samarie (722), capitale du royaume d'Israël, dont le roi était depuis peu l'allié de l'Egypte. Maître du Delta oriental, qu'il jugeait menacé par ce nouveau conquérant asiatique, Bocchoris excite les princes palestiniens et syriens à se révolter contre l'Assyrien, occupé à mater une révolte en Babylonie, et promet de secourir militairement les coalisés. Et ce fut la bataille de Qarqar, sur l'Oronte (p. 225). Poussant vers le sud, comme on vient de le voir, Sargon bat, à Raphia, près de Gaza, le général égyptien Sibo, que la Bible appelle le pharaon So. Rap-
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pelé par une révolte en Babylonie, Sargon interrompt sa marche victorieuse vers l'Egypte (720). 6. Au temps de Sennachérib (705—681) a. Consolidation des conquêtes Sennachérib, qui succède à son père Sargon, recueille une situation catastrophique. Un soulèvement général des populations asservies avait répondu à l'annonce de la mort de Sargon. Grand guerrier, Sennachérib «usa ses vingt-quatre ans de règne à cimenter les fissures et aplanir les matériaux de cette construction artificielle qu'était l'empire assyrien» (Moret). b. Soulèvement et défaite des Chaldéens de Babylone (704) Le roi des Chaldéens, Mérodach-Baladan II, qui avait occupé Babylone en 721 et dont il fut chassé en 710 par Sargon II, revient à la charge. Soutenu par le roi d'Elam et par des Arabes, il réoccupe Babylone. Sennachérib l'en chasse (704) et le remplace par «un Chaldéen, Bélibni, élevé à la cour de Ninive, qu'il appelle «son petit chien» (Moret); il extermine plusieurs tribus et déporte 200.000 captifs en Assyrie (702). Poursuivi dans son pays natal, Mérodach se réfugie en Elam. Sennachérib destitue Bélibni, qui avait comploté avec Mérodach, et le remplace, sur le trône de Babylone, par son propre fils, Assournadinshouma (700), qui, peu après, est enlevé par le roi d'Elam. c. Soulèvement et soumission des Phéniciens (701) Délivré de Mérodach, tranquille du côté de Babylone, Sennachérib se tourne vers Tyr qui s'était révoltée. L'occupation de Chypre par Sargon II, en 709, avait lésé les intérêts des Phéniciens qui, encouragés par l'Egypte, s'étaient empressés de la reprendre. Eloulaios, roi de Tyr, avait organisé une insurrection à laquelle participent les cités d'Ascalon, Jafa, Akkaron et le roi de Juda (701). La réaction de Sennachérib est terrible et les renforts de l'Egypte sont négligeables. Attaqué, le roi de Tyr s'enfuit à Chypre. Sidon, Sarepta, Palaetyros, Acre, capitulent et reçoivent, de l'Assyrie, un roi de la lignée royale de Sidon, Itobaal II. Redevenue capitale, sous la tutelle de Sennachérib, Sidon reprend la suprématie en Phénicie et paie un tribut annuel. A l'abri dans son île, protégée par sa flotte qui domine la mer, Tyr demeure inviolable et indépendante. Arvad, avec son roi Abdimilik, Byblos avec Urumilki, Ashdod et Gaza, s'étaient abstenues d'intervenir et furent récompensées par l'Assyrie.
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d. Reconquête de la Palestine (701) Ayant réglé le sort de la Phénicie, Sennachérib poursuit sa marche vers le sud. Toutes les villes révoltées de la côte palestinienne sont prises et leurs rois sont déportés en Assyrie, avec leurs familles et leurs dieux. Au sud d'Akkaron, les troupes égyptiennes du roi de Koush et des princes du Delta sont défaites et rejetées dans leur pays (701). A la suite de cette victoire, Sennachérib marche contre Ezéchias, roi de Juda, qui réussit à sauver sa capitale du pillage en livrant «30 talents d'or, 800 d'argent, des lits d'ivoire, des armes précieuses» (701). e. Révolte de Babylone (700) En 700, Mérodach, revenu de son exil en Elam, avait réoccupé le trône de Babylone. Sennachérib, qui venait de pacifier la Phénicie et la Palestine, s'empresse de rentrer à Ninive, d'où il repart pour combattre Mérodach de Babylone. Il fait construire une flotte fluviale par des Tyriens, des Sidoniens et des Chypriotes, et des troupes y sont embarquées à destination de l'Elam, allié de Mérodach. Après plusieurs batailles le long du Tigre, et surtout près de l'actuelle Bagdad, Babylone, reprise en 697, passe de nouveau entre les mains d'un agitateur. 7. Sennachérib et l'Egypte a. Les Ethiopiens reconquièrent l'Egypte Piankhi, roi de Napata, qui avait, en 730, conquis et évacué la vallée du Nil (p. 227), se considérait toujours comme le roi officiel de toute l'Egypte. A sa mort, en 716, son frère Shabaka (716—703) est reconnu à Thèbes, où sa domination s'exerce par l'entremise de la divine adoratrice d'Amon. Bocchoris, qui disputa à Shabaka le Delta, est battu, capturé et mis à mort (716). Quittant Napata, le nouveau pharaon s'installe à Thèbes et à Memphis, où ses trois successeurs auront aussi leur résidence. «Shabaka (716—703) agit en Pharaon traditionnel, reprenant les grandes constructions à Thèbes, Memphis, Bubastis, Tanis, restaurant les dogmes religieux, rééditant les vieux textes de théologie . . . (Il) échange lettres et cadeaux avec Sargon.»7 b. Intrigues de Pharaon en Palestine Par contre, Shabataka (703—689), fils et successeur de Shabaka, provoque par ses intrigues une coalition des rois et princes palestiniens et syriens contre l'Assyrie. Sennachérib occupe Samarie et met le siège devant Jéru' Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 689.
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salem; Shabataka envoie des renforts au roi de Juda. «Sennachérib se moqua du secours que pouvait apporter l'Egypte, à cette époque, à la ville assiégée. «En qui donc as-tu placé ta confiance, fait-il dire à Ezéchias (roi de Juda), pour t'être révolté contre moi? Voici, tu l'as placée dans l'Egypte, tu as pris pour soutien ce roseau cassé qui pénètre et perce la main de quiconque s'appuie dessus: tel est Pharaon, roi d'Egypte, pour tous ceux qui se confient en lui» . . . Le mépris du roi était justifié.»8 c. L'Egypte échappe à l'invasion En 690, Sennachérib, désireux de mettre fin aux intrigues de Pharaon, décide de régler son compte à l'Egypte. Sous prétexte de punir les chefs arabes qui avaient fourni des renforts à Babylone et à Jérusalem, le monarque assyrien pénètre en Arabie (désert syro-mesopotamien), où il recrute des chameliers et des chameaux et s'entend avec les cheikhs arabes pour le ravitaillement et le transport des troupes assyriennes à travers le désert de Sinaï. A son retour, le roi d'Assyrie, qui ajoute à ses titres celui de «roi des Arabes», installe un camp à Lachis, près de Gaza, où il réunit une formidable armée destinée à envahir le Delta. Ce fut à la faveur d'un véritable miracle que l'Egypte échappa à la vengeance de l'Assyrien. Décimée par la peste, l'armée assyrienne lève le siège de Jérusalem et quitte la Palestine. d. Le pharaon Taharka rétablit l'unité monarchique Taharka (689—663), neveu et successeur de Shabataka, se consacre à l'administration du pays égyptien. Abandonnant la direction de la Haute Egypte à un de ses compatriotes nègres, Taharka, pour être à proximité de la frontière d'Asie, choisit la ville de Tanis comme résidence royale. On suppose que, grâce à son caractère énergique, il parvint à s'imposer comme Pharaon unique de toute l'Egypte. A Napata, Karnak, Memphis, Tanis, le roi Taharka avait construit et restauré, au cours de son règne, de nombreux monuments. e. Mort de Sennachérib (681) En 689, Sennachérib rentre à Ninive. Pour en finir avec Mérodach, qui tient toujours la Chaldée, le roi assyrien prend Babylone d'assaut, saccage la ville et s'y fait proclamer roi. En 681, Sennachérib est assassiné à Babylone, à l'instigation de deux de ses fils, qui venaient de fomenter une révolte dans cette ville. 8
Drioton et Vandier, op. cit., p. 524.
III. L'Empire assyrien et la conquête de l'Egypte. Déclin et ruine de l'Empire
1. L'Empire assyrien au temps d'Asaraddon (689—669). Première conquête de l'Egypte a. Pacification de la Babylonie Asaraddon (689—669), fils aîné de Sennachérib, qui n'avait point trempé dans le parricide, succède à son père. Fils et époux de princesses babyloniennes, le nouveau monarque relève Babylone de ses ruines et pratique, vis-à-vis de la Chaldée, une politique conciliante. A part quelques révoltes chaldéennes, énergiquement réprimées, la Babylonie pacifiée demeure tranquille. Pour compléter ses conquêtes et mettre un terme aux intrigues des pharaons en Palestine, Asaraddon n'a qu'un moyen et une pensée: la conquête de l'Egypte. b. Révolte et répression de Sidon (676) Après avoir pacifié la Babylonie, Asaraddon retourne en Palestine, où il trouve une situation renversée (677). A l'instigation de Pharaon, le roi de Sidon, Abdimilkouti, avait secoué le joug assyrien et entraîné dans la révolte un roi de Cilicie, Sandouarri. Asaraddon reprend Sidon, détruit ses murailles et «pêche comme un poisson» son roi qui eut la tête tranchée (676). Une partie des Sidoniens est déportée en Chaldée et une nouvelle ville, appelée «forteresse d'Asaraddon», est peuplée par des colons chaldéens et administrée par un gouverneur assyrien. Remontant vers les monts de Cilicie, Asaraddon «capture «comme un oiseau le roi Sandouarri», et lui fait trancher la tête» (Moret). c. Asaraddon en Arabie En 675, une tentative d'invasion de l'Egypte est interrompue par une invasion de Mèdes, Scythes et Cimmériens en Arménie, qui rappelle Asaraddon en Ourartou. Revenant à la charge, en 672, l'empereur assyrien, comme son père Sennachérib, se rend d'abord en Arabie, pour amener des troupes et chameaux habitués au désert et s'entendre avec les chefs bédouins au sujet du transport de l'eau et des vivres.
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d. Tyr, assiégée, résiste victorieusement Pour le transport par mer, un traité de commerce et d'amitié est conclu avec Baal, roi de Tyr (671). Par ce traité, dont les dieux assyriens et phéniciens sont les garants, la marine tyrienne est mise au service des Assyriens pour le transport du butin. Mais le roi de Tyr ne tarde pas à rompre ce traité, refusant de faire transporter, par ses bateaux, les troupes assyriennes vers le Delta du Nil. Tyr, assiégée, résiste avantageusement. La stèle bien connue de Zendjirli célèbre ce siège comme une victoire; elle montre le roi assyrien tenant en laisse, par les lèvres, le roi d'Egypte et le roi de Tyr. En fait, le roi d'Egypte n'a pas été capturé et l'île de Tyr est restée inviolée cette fois encore. N'ayant pu emporter Tyr, ni utiliser sa flotte, Asaraddon se résout à gagner le Delta du Nil par le désert de Sinaï, avec l'aide et l'appui des chefs arabes du désert. e. Première conquête de l'Egypte (671) La grande ambition des Assyriens, la conquête de l'Egypte, se réalise enfin. Après avoir traversé le désert, Asaraddon arrive à la frontière du Delta oriental; de là, après quinze jours de marche, il atteint Memphis qui, assiégée, est prise en une demi-journée. Taharka s'enfuit vers le Nord, laissant sa famille et tous ses biens qui tombent entre les mains du vainqueur (671). Après s'être proclamé roi de Haute et Basse Egypte et roi d'Ethiopie, Asaraddon procède à l'organisation administrative de sa conquête. Parmi les dynastes égyptiens qui s'empressèrent de reconnaître l'envahisseur, les plus célèbres sont le prince de Thèbes et Nékao, fils du pharaon Bocchoris et prince de Saïs. «Il semble que les vaincus aient fait preuve d'une grande lâcheté: Nékao donna un nom assyrien à sa ville de Saïs et à son fils Psammétique;... il est probable que les autres princes les imitèrent.»9 «La Basse Egypte devint province assyrienne. Diviser pour régner, telle fut la politique du vainqueur, qui s'adaptait au mieux avec les mœurs de la féodalité militaire dans le pays déchiré: «J'installai partout rois, gouverneurs, fonctionnaires, scribes» . . . Avec un énorme butin, Asaraddon revient par la côte de Phénicie et fait sculpter, sur un rocher du Nahr-elKelb, à côté des stèles de Ramsès II, une scène à son n o m . . . L'Empire assyrien s'étendait d'Anatolie à Thèbes, de la Mer Supérieure à la Mer Inférieure, plus grand que ne fut jamais l'empire de Sargon l'ancien, ou celui des Pharaons. Fatale alternative des triomphes assyriens: toute conquête est à recommencer! L'Egypte ne fut pas plus docile que la Babylonie ou l'Elam.» 10 » Drioton et Vandier, op. cit., p. 528. 10 Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 693, 694.
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f . Révolte de l'Egypte (669) Peu après le départ d'Asaraddon pour Ninive, le pharaon Taharka réapparaît sur la scène, soulève quelques dynastes du Delta contre le maître assyrien et s'empare de Memphis (669). Nékao, prince de Saïs et de Memphis, qui avait épousé avec enthousiasme la cause de l'Assyrien, est parmi les rebelles. Furieux, Asaraddon quitte Ninive et reprend le chemin de l'Egypte, à la tête de ses troupes; mais il meurt en route, à la fin de 669. 2. L'Empire assyrien au temps d'Assourbanipal Apogée et déclin
(669—626)
Par sa bravoure et son intelligence, Assourbanipal (669—626), fils et successeur d'Asaraddon, élèvera la puissance et la civilisation assyriennes à leur apogée. Il les conduira aussi à leur déclin. a. L'Egypte, reconquise et reperdue (666—663) Deuxième conquête de l'Egypte (666). — En 666, Assourbanipal, qui veut reprendre l'Egypte, quitte Ninive à la tête d'un important corps expéditionnaire. Son armée est ravitaillée en cours de route, en hommes et en vivres, par les princes et rois du couloir syro-palestinien. Arrivé dans le Delta, il marche sur Memphis qu'il reprend, et met en fuite Taharka qui, pour la deuxième fois, se réfugie en Nubie (666). L'armée assyrienne l'aurait poursuivi jusqu'à Thèbes, sans toutefois, semble-t-il, piller cette capitale du Sud. Les dynastes du Delta, qui avaient favorisé la tentative de Taharka, sont envoyés à Ninive. Par un geste de clémence qu'on rencontre très rarement chez les souverains assyriens, Assourbanipal se montre magnanime envers Nékao; il le comble de cadeaux, le renvoie à Saïs et donne à son fils, Psammétique (futur Pharaon), la principauté d'Athribis. Les Ethiopiens reprennent Thèbes et Memphis. — A Taharka, mort vers 663, succède son neveu, Tanoutamon, candidat des prêtres de Napata. Après s'être fait couronner roi dans cette dernière ville, Tanoutamon descend à Thèbes où les dynastes, bien que vassaux des Assyriens, sont favorables à la dynastie éthiopienne qu'ils considèrent comme une dynastie nationale. Amenardès, femme du dieu Amon, avait adopté comme héritière la sœur du roi Taharqa. Tanoutamon s'empare de Memphis, où il reçoit l'hommage des princes du Delta. Mais la réaction de l'Assyrien fut aussi rapide que brutale. Un nouveau chef expéditionnaire assyrien est dépêché en Egypte. Sans engager de combat, Tanoutamon cherche son salut dans une fuite honteuse. Comme jadis Taharqa, il se réfugie d'abord à Thèbes, puis de là gagne sa capitale nubienne: Napata.
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Destruction de Thèbes (663). — Les armées assyriennes, lancées à la poursuite de Tanoutamon, prennent Thèbes et la mettent cette fois à sac. Le pillage fut total et un butin considérable envoyé à Ninive. Déchue de son rôle politique, la capitale égyptienne du Sud ne se relèvera jamais après cette catastrophe. Elle sera désormais une simple bourgade. Au premier siècle de notre ère, Strabon en parle comme d'une ville abandonnée. Fin de la domination éthiopienne en Egypte. L'Ethiopie abandonne la langue et l'écriture égyptiennes. — La défaite de Tanoutamon, sa fuite honteuse, la destruction de Thèbes, mettent fin pour toujours à la domination éthiopienne en Egypte. En Nubie, où les successeurs de Tanoutamon se maintiendront encore pendant plusieurs siècles, l'influence, la langue et la culture égyptiennes se perdront peu à peu et «le royaume nubien cessera désormais de faire partie de l'histoire d'Egypte». «Nul roi, nulle armée de Koush ne redescendra plus à Thèbes. Le royaume de Koush subsistera jusqu'à l'époque romaine; coupé de l'Egypte, il s'africanise de plus en plus, recherche le Haut Nil, déplace sa capitale vers Méroé, perd l'usage de l'écriture hiéroglyphique et de la langue égyptienne pour adopter un dialecte africain et l'écriture dite méroïtique, creusant ainsi une séparation définitive avec l'Egypte et le monde méditerranéen. Les Grecs et les Romains ne connurent à ce sujet que de vagues légendes et transfigurèrent l'Ethiopie en berceau de la civilisation, alors qu'elle fut seulement un reflet affaibli de la grandeur égyptienne, un foyer de la culture thébaine. La date de 663 donne un renom sinistre aux féroces armées d'Assourb a n i p a l . . . La destruction de Thèbes, après celle de Samarie, Babylone, Sidon, et tant d'autres cités, jeta la terreur dans tout l'Orient... L'Egypte meurtrie et tributaire est le suprême fleuron de la couronne d'Assourbanipal; pour cinq courtes années (665—660), il est véritablement l'empereur du monde oriental terrorisé.»11 Soumission du roi de Tyr. — La défaite de l'Egypte met fin aux hésitations du roi de Tyr. Ce dernier, qui avait refusé de participer à l'expédition assyrienne contre la Vallée du Nil, devient plus docile après la victoire d'Assourbanipal. Lorsqu'au retour d'Egypte, celui-ci passe par la côte, le roi Baal donne sa fille au harem royal. Les rois d'Arvad, de Sidon, renouvellent leur hommage. Tirant profit de cette nouvelle situation, la marine phénicienne qui se met au service de la domination impériale, cherche à monopoliser le trafic maritime dans la Méditerranée orientale, et notamment celui de la route de l'Occident vers les Indes, par l'Egypte et la Mer Rouge. Emancipation de l'Egypte (663). — A partir de 663, la fortune, qui avait » Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 697, 698.
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jusque-là favorisé l'Assyrie, commence à changer pour cette puissance de proie. C'est l'Egypte qui donnera bientôt le premier coup de pioche qui ébranlera l'édifice du grand Empire mésopotamien. Après la ruine de Thèbes et la fuite, vers le Nord, du dernier pharaon éthiopien, les trois régions de l'Egypte, la Haute, la Moyenne et la Basse, sont divisées entre une multitude de roitelets vassaux de l'Assyrien. Le plus important de ces derniers est Psammétique, fils de Nékao, maître de Sais et de Memphis. Prenant à sa solde des mercenaires ioniens et cariens, Psammétique (663—603), fondateur de la XXVIe dynastie, détrône ses rivaux et devient seul Pharaon. Cherchant des appuis à l'extérieur, Psammétique commence par une alliance avec la Cilicie, bientôt suivie d'une autre, conclue avec Gygès, roi de Lydie. Ces deux pays, menacés par l'Assyrie, travaillent à lui créer des difficultés en encourageant des révoltes intérieures dans les provinces. Fort de ces alliances et des mercenaires indo-européens qui lui sont fournis, et profitant surtout des attaques cimmériennes et scythes, qui retiennent, dans le Nord, le gros des forces assyriennes, Psammétique délivre l'Egypte du joug d'Assourbanipal (663). «Les rois saïtes avaient pu secouer le joug de l'Assyrie parce que des graves dangers absorbaient toute l'attention des rois de Ninive. Assourbanipal lutta pendant tout son règne (669—626) contre les migrations d'Aryens en Asie Mineure; les Cimmériens aidèrent Perses et Mèdes à déborder de l'Iran jusqu'en Mésopotamie; plus tard, les Scythes, venus des Balkans, envahirent l'Anatolie, bouleversèrent Mèdes et Assyriens et poussèrent jusqu'à l'Egypte.»12 b. Répression des révoltes Répression de Babylone révoltée (661). — La révolte de l'Egypte est suivie par un soulèvement de Babylone et de l'Elam. Shamashshoumoukin, frère du roi d'Assyrie et vice-roi de Babylone, complote contre lui, de concert avec le roi d'Elam qui entre en campagne (661). La réaction d'Assourbanipal est prompte et terrible et la répression implacable. Cerné dans Babylone, le frère du roi s'enferme dans son palais, y met le feu et périt avec les siens. Répression des Arabes (660). — Après avoir réglé son compte à l'Elam, Assourbanipal se retourne contre les Nomades d'Arabie, complices de Suse et de Babylone, les poursuit jusqu'au Nejd et capture leur roi Ouaté, qui sera commis à la garde de l'une des portes de Ninive (660). Les Mèdes, écrasés par Ninive, sont envahis par les Scythes (653). Pendant ce temps, le royaume des Mèdes, qui s'est constitué en Iran, 12
Moret, L'Egypte
pharaonique,
p. 566.
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décide de porter un grand coup à Ninive. Cette opération hardie se solde par un désastre pour les Mèdes. Leur roi, Phraorte (655—633), périt dans l'entreprise et son armée est détruite (653). Profitant de cette défaite, les Scythes envahissent la Médie qu'ils conserveront sous leur joug pendant 28 ans (653—625). Destruction de Suse et morcellemennt de l'Elam (640). Le chef des Perses, roi d'Anzan. — En 640, le roi d'Elam revient à la charge. Assourbanipal enlève Suse, la met en feu et à sang et déporte ses habitants et leurs dieux. Cette répression est suivie de la division du royaume d'Elam en deux portions: YAnzan, qui forme la partie orientale du pays, est indépendant avec les Perses qui s'y sont stabilisés et dont le chef se proclame roi d'Anzan; la Susiane, à l'ouest, est attribuée à Babylone et, par suite, devient vassale de Ninive. c. Déclin et ruine de l'Empire assyrien Les dernières années d'Assourbanipal sont marquées par la décadence assyrienne. On peut fixer le début de ce déclin dès 640. De cette date à celle de sa mort, en 626, l'empereur assyrien consacre son activité à des œuvres d'art et de science. 20.000 tablettes retrouvées forment une partie de la grande bibliothèque qu'il avait constituée et témoignent de son esprit élevé et de sa haute culture. Avec sa mort (626), commence l'agonie de l'Empire. Invasion des Scythes en Syrie et Palestine (630). — Forts de leur victoire sur les Mèdes, dont ils occupent le territoire depuis 653, grossis des Cimmériens refoulés d'Asie Mineure, les Scythes se tournent vers le sudouest, malmènent l'Assyrie, pillent et saccagent l'Asie Mineure, la Syrie, la Phénicie, la Palestine, et poussent jusqu'à la frontière égyptienne (630). «Le souvenir de ce raid s'est conservé dans Jérémie qui l'annonce par des paroles tragiques . . . Le pharaon achète leur retraite de la frontière égyptienne, et, se repliant vers le Zagros, les Scythes poursuivent leur pillage.»13 «Le résultat final de ces invasions fut d'ébranler jusque dans ses fondements l'empire d'Assourbanipal» (Moret). Agonie de l'Empire assyrien. — L'invasion des Scythes en Asie Mineure, en Syrie et en Palestine, avait révélé l'épuisement de l'Empire. Après la mort d'Assourbanipal (626), les Scythes se répandent un peu partout, jetant la terreur et la confusion. Une crise dynastique, qui s'ouvre à Ninive, précipite le déclin de l'Assyrie, impuissante à endiguer le flot des Scythes. Cette carence, qui annonce la fin prochaine de l'Empire assyrien, provo13
Ghirshman, op. cit., p. 82, 83.
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que une grande activité militaire chez les successeurs éventuels: Babyloniens, Egyptiens, Scythes, Mèdes et Perses. Les Mèdes réorganisent leur armée et s'émancipent des Scythes. — Cyaxare (633—584), roi des Mèdes, vassal des Scythes depuis la défaite et la mort de son père Phraorte (653), réorganise son armée, en s'inspirant de la tactique de la cavalerie des Scythes, et remporte sur ces derniers une brillante victoire. Les Mèdes émancipés imposent leur suzeraineté aux Mannéens et aux Perses. Maîtres de l'ouest du plateau iranien, ils fixent leur capitale à Ecbatane, l'actuelle Hamadan. Les Chaldéens de Babylone s'émancipent de Ninive (616—614). — Profitant de la carence assyrienne, Nabopolassar (626—605), gouverneur de Babylone, fils du Chaldéen Kandalanou qu'Assourbanipal avait, en 648, nommé vice-roi à Babylone, secoue le joug de Ninive, se proclame roi et fonde la dynastie chaldéenne ou néo-chaldéenne (Xle dynastie: 626—539). De 616 à 614, toute la Babylonie, devenue chaldéenne, est émancipée du joug assyrien. Les Chaldéens contre l'Assyrie et l'Egypte. — En 616, Nabopalassar refoule les Assyriens jusqu'à Harran. Ce succès inquiète l'Egypte, qui voit dans le jeune royaume néo-babylonien un futur et dangereux rival. Renversant ses alliances, le pharaon Psammétique, sous couleur de soutenir le roi de Ninive, cherche à reprendre la Palestine et la Syrie à l'Assyrie agonisante. En 615, l'armée assyrienne est battue, près de Mossoul (Kerkouk), par les Chaldéens qui arrivent jusqu'aux environs de Ninive. Les Mèdes se joignent aux Chaldéens. Destruction de Ninive (612). — Reprenant la politique de son père Phraorte, qui avait payé de sa vie la témérité de s'être attaqué à l'Assyrie, Cyaxare, roi des Mèdes, occupe, dans les vallées du Zagros, une possession assyrienne qui lui ouvre la voie vers Ninive. Avant de pousser son attaque, il négocie un accord avec Nabopolassar de Babylone. Cet accord est scellé par le mariage de Nabuchodonosor, fils de Nabopolassar, avec la petite-fille de Cyaxare. En 615, Cyaxare s'empare d'Assour. En 612, le roi des Mèdes et celui de Babylone s'emparent de Ninive et la détruisent. Destruction des armées assyro-égyptiennes (609). — Assourouballit (611 —609), dernier roi d'Assyrie, recueille les débris de son armée et se replie sur Harran, où des renforts égyptiens viennent grossir ses troupes décimées. Battus par Nabopolassar, en 609, les Egyptiens se replient, mais se maintiennent en Palestine, d'où, en 605, ils réattaqueront Nabopolassar à Karkémish. L'Etat assyrien disparaît de l'histoire. — «Quant aux Assyriens, ils disparaissent de l'histoire, en tant que nation indépendante, avec leur roi Assourouballit (609). Nabopolassar ne survit guère à un triomphe encore inouï dans le monde oriental.. .
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Lorsque la nouvelle se répandit que Ninive, la louve des nations, gisait abattue, ce fut, d'un bout à l'autre de l'Orient, un cri de joie, puis un concert de malédictions. Au pays d'Israël, les prophètes profèrent sur Ninive l'imprécation funèbre la plus sauvage que l'histoire ait encore entendue . . . Nahoum exhale la rancune des peuples. «Malheur à la ville sanguinaire, pleine de mensonge, pleine de violence» . . . Et Sophonie, contemporain de Josias et de la catastrophe, insulte encore les vaincus: «Yahvé détruira l'Assyrie; il fera de Ninive une solitude, une terre aride comme le désert, . . . un repaire pour les bêtes.» . . . Aujourd'hui encore, Ninive reste ensevelie sous ses ruines, et «la charrue passe sur ses remparts.» 14 Epuisée et affaiblie, l'Assyrie est incapable de réagir en s'imposant, comme jadis, par la terreur. Sa faiblesse fera bientôt éclater, avec une sauvagerie égale à la sienne, les haines accumulées chez les peuples qu'elle avait asservis. «C'est que si la terreur parvient à soumettre, pour quelque temps, les échines souples, et les cœurs d'esclaves, il est, chez tous les peuples, des «nuques raides» qui, tôt ou tard, cherchent à prendre leur revanche. A leur tour, et gonflés de haines rentrées, ces hommes s'efforcent de rendre horreur pour horreur, et mal pour mal.»15
14 15
Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 719. De Laplante, op cit., I. p. 68.
IV. La civilisation assyrienne
1. Considérations sur la précarité de l'Empire assyrien A la différence des empires qu'avaient jadis fondés Babylone ou l'Egypte, l'Empire créé par l'Assyrie était une conquête dont le but était le pillage. Toutes les richesses du pays conquis étaient drainées vers Ninive. Les règles internationales qui, du XVe au XlIIe siècles, avaient présidé aux relations diplomatiques suivies entre les grands Etats, ont disparu à la suite des bouleversements consécutifs aux invasions de 1200. Dans le ProcheOrient, plongé dans la décadence et la féodalité, la loi de la jungle a prévalu partout. Pour édifier leur empire, les rois d'Assyrie ont instauré le principe de la guerre totale. a. Antagonisme de la terre (Assyrie) et de la mer (Phénicie, Egypte) Essentiellement continental, dans un monde où la mer était devenue un élément vital et un facteur essentiel de la prospérité des peuples et des Etats, l'Empire assyrien ne pouvait que végéter sans les cités phéniciennes, avant-postes de la Mésopotamie, et sans la vallée du Nil, qui commande la Mer Rouge et contrôle la route des Indes. La possession de la Phénicie facilitait à l'Assyrie la possession de l'Egypte, dont le commerce était solidaire des ports phéniciens. Aussi, lorsque les Assyriens envahirent l'Egypte, les villes du Delta, qui trouvaient dans leur soumission à Ninive des facilités d'expansion, renoncèrent-elles à la résistance et acceptèrent, comme les cités phéniciennes, une collaboration favorable à leurs affaires. Mais l'annexion de l'Egypte à un Empire continental nuisait considérablement aux villes du Delta, dont la vie économique était en étroite dépendance vis-à-vis du monde méditerranéen maritime. D'autre part, le développement, à cette époque, de la navigation grecque dans l'Egée et la Mer Noire, avait donné, aux routes terrestres qui reliaient les ports d'Asie Mineure à Babylone, une importance considérable dans l'économie internationale, aux dépens des ports phéniciens et de la Mer Rouge. Sardes, capitale du royaume de Lydie, en Asie Mineure, devenait une nouvelle puissance économique et une place internationale de transit. Cette situation desservait fortement les ports phéniciens, par lesquels transitait jadis la totalité du trafic de Babylone vers le monde méditerranéen et l'Egypte.
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Solidaire du monde maritime, l'Egypte ne tarda pas à rejeter le joug assyrien et à combattre farouchement, en dépit de sa faiblesse, contre le retour de cette domination continentale qui ruinait les provinces maritimes qui lui étaient assujetties. En se détachant de l'Assyrie, l'Egypte se rattache à l'économie maritime de l'Occident gréco-égéen. Installés dans la partie maritime du pays, à Sais, dans le Delta, les pharaons nouent une étroite alliance avec Sardes. De même que cette dernière étend sa domination sur les côtes d'Asie Mineure et de la Marmara, l'Egypte cherche, de son côté, à rétablir son protectorat sur les ports phéniciens, qu'elle désire soustraire à la domination assyrienne. Après la perte de l'Egypte, l'Empire assyrien ne conservait, comme accès à la mer, que la Phénicie, elle-même en décadence et, par conséquent, hostile. Ainsi, sans la Phénicie, l'Empire assyrien serait entièrement continental et, partant, peu prospère. D'autre part, la séparation de la Phénicie et de l'Egypte nuisait à leur économie respective. De là cette hostilité et cette résistance farouche de Tyr à la domination assyrienne, qui jamais ne put venir à bout de sa résistance. Quant aux autres cités phéniciennes, toute la période assyrienne est occupée par leurs révoltes. Outre leur rôle d'avant-ports assyriens sur la Méditerranée orientale, les cités phéniciennes sont un poste important pour les rois de Ninive, désireux de conquérir l'Egypte ou de s'y maintenir, comme elles constituaient, pour l'Egypte elle-même, une zone d'influence pouvant mettre en danger le flanc occidental de l'Empire assyrien. Faible sur terre, la Phénicie avait accepté la suzeraineté assyrienne. Fidèle à sa politique traditionnelle, elle paie tribut au vainqueur et reste soumise, tant que ce régime favorise ses intérêts économiques. Malheureusement, la politique tracassière des Assyriens, combattue par celle des Etats méditerranéens, ruine les ports phéniciens. Profitant de ces circonstances, les colonies tyriennes d'Afrique commencent à s'émanciper de la métropole et Carthage prend conscience de sa personnalité. En outre, grâce au déclin de la thalassocratie phénicienne, les entreprises maritimes et coloniales des Hellènes vont, à leur tour, commencer leur expansion, entravée depuis des siècles. Ruinées, les villes phéniciennes ne reverront leur prospérité passée que sous les Perses (540—330), qui s'appuieront sur la marine phénicienne dans leurs luttes contre les Grecs. b. Rôle historique
de l'Empire
assyrien
«La brutalité même des Assyriens ne fut pas sans jouer un rôle historique. Leur politique inhumaine servit inconsciemment la cause de la civilisation. Dans le sang et la haine — par la terreur érigée en système de gouverne-
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ment — ces Romains de l'Asie antique finirent par réunir tous les Orientaux sous le même joug. Race impériale de l'Orient, ils englobèrent dans le même empire tous les anciens Etats civilisés. Par la dévastation et la mort, ils firent régner la paix, du Nil à l'Ararat. Cet empire, il est vrai, s'effondra au moment précis où les Sargonides venaient d'en achever la construction; cette paix de mort fit place à la révolte de tous les peuples martyrisés. Mais l'erreur des Assyriens à cet égard leur survécut, la courte et d'ailleurs effroyable Paix Sargonide annonça la bienfaisante Paix Achéménide. La vaste unité politique que les Sargonides avaient réalisée ne devait plus disparaître. Sous des noms et des maîtres divers, cet empire sargonide dont les Chaldéens, les Achéménides, les Macédoniens, les Sasânides et les Arabes allaient hériter tour à tour, cet empire de l'Asie antérieure allait rester comme une des données les plus constantes de l'histoire et conserver jusqu'à la fin l'empreinte de la civilisation matérielle de Ninive et de Babylone. La civilisation chaldéo-assyrienne contenait déjà en germe presque toute la civilisation arabo-persane. Et la Cour des Sargonides, par la brutalité et le faste du despotisme royal, par le luxe du décor, par le mélange de mollesse et de farouche énergie de tous les personnages, était déjà tout l'Orient.»1« L'idée d'un grand empire oriental, que tant de monarques ambitieux avaient, au cours des siècles passés, vainement tenté de construire, a été temporairement réalisée par les armes assyriennes. Cette idée impériale, qui sera reprise, au cours des siècles futurs, par de nombreux conquérants et réalisée, successivement, par les Chaldéens, les Perses, les Grecs, les Romains, les Arabes, les Turcs, survit, aujourd'hui, dans le panarabisme, système politique moderne qui voudrait réunir, dans un même empire, les divers Etats de l'Orient arabe contemporain. 2. Civilisation a. Le roi, l'armée et la marine Le roi assyrien est le centre de l'Empire. En réalité, l'Empire s'incarne dans le roi, ainsi que dans l'armée dont il est le chef absolu (p. 81). En campagne, le roi d'Assour combat en tête de ses troupes, à pied ou en char, maniant épée, massue ou arc. Dans son palais, en costume de cour, il éclate de vigueur et de luxe écrasant. Sa cruauté s'étale jusque dans ses plaisirs; les salles de ses festins sont décorées des têtes coupées de ses ennemis vaincus. 16
R. Grousset, Les civilisations
de l'Orient,
t. I, p. 72, 73.
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Le faste de ces rois éclate surtout dans les splendides palais qu'ils se construisaient au centre de l'Empire et où ils venaient prendre, entre deux expéditions, quelques mois de repos pendant lesquels ils se livraient à une vie d'indolence et de volupté sans frein. Comme autrefois en Babylonie, le service militaire est réglementé par des lois. Chaque circonscription ou cité doit fournir un contingent déterminé; une taxe spéciale, payée par les terres, sert à l'entretien de l'armée, qui comprend infanterie, charrerie, cavalerie. Les canaux et fleuves navigables et le golfe Persique permettent la création et le développement d'une marine de guerre et de commerce. «Des ouvriers et des matelots phéniciens, note Contenau, étaient employés par les Assyro-Babyloniens». b.
La société
assyrienne
La société assyrienne est formée de deux classes: les hommes libres et les esclaves. Ces derniers jouissent du même régime que celui que fixe à leurs semblables de Babylone le Code de Hammourabi. Le mariage dans les classes libres se conclut, comme à Babylone, après un échange de cadeaux; le mariage par achat est rare. En général, la femme assyrienne jouit de moins de droits que la Babylonienne. Les attentats aux mœurs sont sévèrement punis. c.
Le port du voile pour les
femmes
La coutume orientale du port du voile existait en Assyrie vers 1100. Cette pratique, qui inspirera le voile musulman, est moins une restriction qu'une prérogative réservée aux femmes libres. A la différence du voile musulman qui cache le visage, le voile assyrien, qui laisse le visage découvert, recouvre la tête et descend jusqu'aux pieds. Privilège de classe, le voile était interdit, sous peine de sanctions, aux esclaves, concubines, prostituées, etc. d.
Le droit
On relève plus de précision dans les lois assyriennes que dans le Code de Hammourabi, de même que les dispositions de ce Code étaient plus précises que celles des lois sumériennes antérieures. Mais les lois assyriennes sont plus dures que celles de Hammourabi, qui sont cependant plus vieilles d'un millénaire environ (p. 81—82). «Au lieu que la mansuétude soit allée en augmentant, les punitions sont devenues plus sévères:. . . bastonnade pour les fautes vénielles;. . . abcision de doigts, d'une lèvre, du nez, des seins, des oreilles . . . La mort sera donnée par le pal ou par la pendaison, et aussi par noyade . . .
LE GRAND EMPIRE ASSYRIEN
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. . . Cette rigueur dans la répression . . . est conforme à ce que nous connaissons, par les textes et les monuments, du caractère violent des Assyriens. Ceux-ci, outre les éléments sumériens et sémitiques qui avaient formé les Babyloniens, comprenaient des éléments venus d'Asie Mineure, de race vraisemblablement différente; leur habitat dans une région montagneuse contribuait aussi à leur donner ce caractère de rudesse et même de cruauté naturelle que l'on retrouve chez eux à tous moments de leur histoire. Si nous examinons les contrats, les lettres et les monuments, nous y prenons la notion d'un peuple industrieux, occupé de commerce et des métiers les plus divers.»17 e.
La
religion
La religion assyrienne est toujours, quant au fond, celle du Ile millénaire (p. 82). Toutefois, le dieu national Assour, jadis dieu de la ville d'Assour, est devenu dieu de Ninive, dieu suprême et dieu d'Empire. Créateur de l'humanité, il est surtout dieu de la guerre, et son épouse, îshtar, est une déesse guerrière, armée de pied en cap comme son époux. /.
Littérature
et
science
«Ce peuple brutal était fort cultivé. Elevé à l'école des lettres chaldéennes, il en avait recueilli et nous en a transmis le précieux héritage. Le dernier de ses rois, Ashurbanipal, réunit à Ninive une énorme bibliothèque dont les tablettes ont été retrouvées par milliers et transportées au British Muséum. Cette bibliothèque embrasse l'ensemble des connaissances scientifiques et littéraires accumulées à cette date depuis quelque 2.400 ans que durait la société chaldéo-assyrienne.»18 La littérature épistolaire nous renseigne sur les rites religieux, les oracles, les présages, ainsi que sur les connaissances astronomiques, fondées sur des données d'origine babylonienne (p. 82). La langue assyrienne est sœur jumelle du babylonien. A ces deux idiomes, la langue araméenne se substituera progressivement comme langue internationale et du commerce. Dès le Ville siècle, les rois d'Assyrie ont des scribes araméens à la cour; dans les siècles suivants, l'araméen est compris dans tout le Proche-Orient. g.
La
médecine
«A cette époque, les plus illustres médecins ont à exercer leur talent sur les membres de la famille royale, dont la débilité physique se développe 17 18
G. Contenau, La civilisation assyro-babyIonienne, p. 131, 132. R. Grousset, Les civilisations de l'Orient, I, p. 76, 77.
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rapidement à partir du règne d'Assarhaddon. La médecine, depuis les temps les plus reculés, a été, avant tout, œuvre de rites et de pratiques magiques: le malade est un pécheur, sa guérison dépend de l'éloignement des esprits impurs installés en lui et dans son entourage, de sa réconciliation avec la divinité offensée. Les médecins assyriens ne se contentent plus des anciennes pratiques; ils admettent des causes physiques et tentent de les déceler par un diagnostic sérieux, et ensuite ils s'efforcent de guérir par des remèdes également physiques. Ils n'hésitent pas à déclarer «Je n'y comprends rien», sans craindre de diminuer leur prestige. Ils ont reconnu les avantages de la diète, des onctions, des bains locaux, des lotions, des cataplasmes, pansements et bandages. Les médicaments internes sont plutôt rares. Dans tous les cas le traitement scientifique est accompagné du traitement religieux traditionnel. Des tablettes en métal ou en pierre portent l'image du démon à exorciser et des prêtres revêtus d'un ornement en forme de dépouille de poisson, représentants d'Eâ, le magicien des dieux, placent ces amulettes sur le malade, sur son lit ou dans sa chambre.»19 h. L'art
assyrien
«L'art assyrien dérive non seulement de l'art chaldéen, mais aussi de l'art hittite, ou mieux de l'art chaldéen à travers l'art hittite . . . Hypnotisés par le détail ornemental des tissus, ils (les Assyriens) ont étouffé le corps sous la richesse et la lourdeur de l'étoffe . . . Parmi les êtres mythologiques, c'est tout d'abord le taureau ailé androcéphale disposé en gardien de p o r t e . . . Le corps est celui d'un taureau, mais les boucles et la crinière rappellent le lion et les grandes ailes sont celles de l'aigle. Ce génie, qui tient de l'homme, du taureau, du lion et de l'aigle,. . . «synthèse des grandes forces de la N a t u r e » , . . . a la majesté d'un Zeus . . . Mais le triomphe des Assyriens, c'est la représentation du lion. Ils l'ont vraiment dessiné d'après nature, et, auprès des leurs, les lions grecs euxmêmes paraissent fantaisistes . . . Dans la représentation du lion et dans celle du taureau ailé, les Assyriens devaient inspirer largement la sculpture des Perses achéménides. Tout l'art perse, y compris celui des Sâsânides, devait également hériter des thèmes héraldiques assyriens.»20
Delaporte, Le Proche-Orient -'» R. Grousset, Les civilisations
asiatique, p. 276. de l'Orient, t. I, p. 78, 80, 82, 90, 93, 94.
B L'Empire assyrien démembré ; le Proche-Orient morcelé. Egypte, Chaldée, Médie, se disputent l'hégémonie (612-540)
I. La carte politique après la ruine de l'Assyrie. Les grands Etats successeurs: Egypte, Chaldée, Médie, Lydie
Vaincu par la coalition des Chaldéens et des Mèdes, l'Empire assyrien est partagé entre les deux vainqueurs. Loin de s'être associée à ceux-ci, l'Egypte, au contraire, avait couru au secours du lion assyrien blessé à mort (p. 237); aussi, lors du partage des dépouilles, Pharaon en fut-il exclu. Les Chaldéens reçurent tout le domaine situé à l'ouest et au sud de l'Euphrate, jusqu'à la Méditerranée et la frontière égyptienne (Mésopotamie, Syrie, Palestine); tandis que les Mèdes s'attribuèrent les pays situés à l'est et au nord de l'Euphrate: Iran, Assyrie, Arménie, jusqu'au fleuve Halys en Asie Mineure. A l'ouest de l'Halys et jusqu'à l'Egée, s'étend le puissant royaume de Lydie, avec Sardes pour capitale. Ainsi, quatre grands Etats occupent la scène proche-orientale, de la chute de l'Empire assyrien à l'avènement du grand Empire perse (612— 540); ce sont l'Egypte, au sud; la Chaldée, au centre; la Médie, au nord; la Lydie, au nord-ouest. 1. L'Egypte, sous la XXVle dynastie saïte (663—525), se tourne vers la mer. Le Delta s'ouvre aux mercenaires et commerçants grecs a. Avènement de la XXVle
dynastie
A la XXVe dynastie étrangère des rois éthiopiens (750—663), succède, en Egypte, la XXVIe dynastie (663—525), dynastie nationale, constituée par un bloc solide de six rois saïtes. Battus et refoulés par les Assyriens (663), les maîtres éthiopiens s'étaient retirés dans leur pays d'origine. Abandonnant le monde méditerranéen dont elle vient d'être chassée, la Nubie se tourne vers les régions du Sud et s'africanisera de plus en plus après cette époque (p. 234). Délivrée des maîtres du Sud, l'Egypte, qui se libérera bientôt de ceux du Nord, se tournera vers le monde méditerranéen, s'ouvrira à l'émigration gréco-égéenne et développera sa flotte et son activité maritime. b. Psammétique I (663—609), unificateur et libérateur de l'Egypte Réincorporée à l'Assyrie, après l'expulsion des Ethiopiens (663), la val-
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lée du Nil retourne à ses divisions intérieures. A l'instigation de l'Etranger et sous sa tutelle, le pays nilotique est partagé entre une dizaine de chefs ou roitelets, dont le plus important est Psammétique, roi de Sais et de Memphis, fils de ce Nékao qui, fidèle aux Assyriens, aurait été tué par les Ethiopiens. Fuyant la vengeance de ces derniers, Psammétique lui-même s'était réfugié à Ninive, d'où il était revenu avec les Assyriens victorieux (663). Sitôt rentré à Sais, Psammétique 1 (663—609), dont le séjour à Ninive avait élargi l'horizon politique, se met en devoir d'expulser les Assyriens et d'unifier la vallée du Nil sous son autorité. Pour réaliser ce programme ambitieux et hardi, il se met en rapport avec le royaume égéen de Lydie, dont le roi Gygès, menacé lui aussi par l'Assyrie, cherchait à l'affaiblir. Gygès envoie à Psammétique des mercenaires grecs, ioniens et cariens. Grâce à ces troupes qu'il prend à sa solde, le roitelet de Saïs réduit et supprime ses rivaux et se proclame seul roi de toute l'Egypte. Dans le Sud, la femme du dieu Amon, qui régnait sur la région thébaine, reconnaît l'autorité du roi de Sais et adopte, comme héritière, la fille de celui-ci. Fort de ses mercenaires grecs, et profitant des difficultés qui retiennent les armées de Ninive dans les régions du Nord, Psammétique expulse d'Egypte les occupants assyriens (663), et affranchit le pays de leur domination (p. 235). c. Psammétique en Palestine De même que jadis Ahmès I (1580—1558), qui avait expulsé les dominateurs Hyksôs, les poursuivit en Canaan, de même Psammétique, poursuivant les Assyriens, envahit la Palestine. Bloquée, la ville philistine d'Ashdod, défendue par les Assyriens, résiste pendant plusieurs années. Sollicité d'aider Pharaon à prendre cette ville, le roi de Lydie ne put guère répondre à cet appel. Une formidable invasion de Cimmériens avait annihilé l'alliée d'Asie Mineure: Gygès est tué sur le champ de bataille et son fils, Ardys, contraint d'implorer le pardon et la protection de l'Assyrie (653). d. La Palestine, vieille zone de protection, est occupée par l'Egypte (609) Vers 650, une vague de cavaliers scythes, galopant à travers l'Empire assyrien, submerge la Palestine. Achetant leur retraite, Psammétique réussit à les détourner de la frontière d'Egypte (p. 236). Ce danger auquel il vient d'échapper, et qui témoigne de la faiblesse de l'Empire assyrien, incite Pharaon à recouvrir sa frontière orientale en s'installant en Palestine. La ville philistine d'Ashdod, assiégée par les Egyptiens, aurait, selon Hérodote, résisté pendant 29 ans. En 612, Ninive est prise et détruite par les Chaldéens et les Mèdes (p. 237). Ce grand événement, qui remplit d'aise le monde oriental, donne des
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soucis à Pharaon. Le danger que l'Assyrie constituait pour l'Egypte ne fait, en effet, que changer de place: de Ninive, il se déplace à Babylone. Dans la succession de l'Assyrien, Babylone s'est déjà adjugé la Syrie et la Palestine, que l'Egypte rêve toujours de recouvrer. Sous le prétexte de venir en aide au roi d'Assyrie, qui avait réuni les débris de son armée et guerroyait depuis plus de trois ans contre les Chaldéens, Nékao II (609—594), fils et successeur de Psammétique, envahit la Palestine (p. 237), bat Josias, roi de Juda, qui avait pris le parti de Babylone, soumet la Syrie et pousse jusqu'à l'Euphrate par la vallée de l'Oronte (609). e.
Les mercenaires
grecs remplacent
les
Libyens
Nous avons vu que les pharaons libyens, suivis en cela par les pharaons éthiopiens, s'étaient appuyés sur la féodalité des Libyens d'Egypte (p. 142—143). Psammétique I et ses successeurs saïtes s'attachent les Grecs comme troupes régulières. Cariens, Ioniens et autres Egéens, forment les troupes d'élite et les cadres de l'armée égyptienne, ainsi que la garde de Pharaon. Us reçoivent de ce dernier des terres domaniales et des privilèges et sont établis dans des camps militaires, casernes, garnisons, disséminés à l'intérieur et aux frontrières du pays. Ainsi constituée et organisée, l'armée égyptienne devient une force redoutable telle que l'Egypte n'en avait plus possédé depuis Ramsès II (1298-1232). Psammétique, qui avait éprouvé lui-même la valeur militaire des Grecs, dédaignait les colonies libyennes. Supprimés et rendus à la vie civile, les Libyens avaient émigré, en grande partie, chez les Ethiopiens. Etablis en Egypte depuis près de six siècles, ces anciens Nordiques immigrés étaient devenus impropres au service militaire. «De leurs origines guerrières, ne subsistait que le goût d'une indépendance batailleuse. Quant à les utiliser contre des armées de métier, telles que celles de Koush et d'Assyrie, les défaites essuyées à Raphia et Momemphis prouvaient que ce n'était plus qu'une illusion.»1 Tel sera le cas des colonies militaires des Mamlouks, qui domineront la vallée du Nil après 1250 de notre ère et qui révéleront leur infériorité militaire lors de la conquête de l'Egypte par Bonaparte. Méhemet-Ali, créateur de l'Egypte moderne et fondateur d'une nouvelle dynastie égyptienne, supprimera cette vieille et archaïque armée (1811). De même que l'armée, la flotte de guerre est réorganisée par des Grecs; des navires d'un type nouveau sont construits, par ces derniers, dans les chantiers égyptiens, et les postes les plus importants sont confiés à des marins égéens. Par contre, sur la Mer Rouge, la flotte égyptienne sera montée par des marins phéniciens. 1
Moret, L'Egypte pharaonique, p. 550.
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/. Les colonies grecques marchandes Avec les soldats grecs et à leur suite, arrivent, en Egypte, les marchands hellènes. C'est, en effet, de cette époque, qui correspond à la grande expansion hellénique vers les îles et les côtes de la Méditerranée, que datent l'émigration gréco-égéenne vers la vallée du Nil et l'établissement, dans ce pays, des premières colonies marchandes venues du monde hellénique. Des quartiers grecs se créent à Bubastis, Sais, Memphis. Un trafic intense se fait entre l'Egypte, la Grèce et la Phénicie. g. La cité-port hellénique de Naucratis Les richesses que les étrangers retiraient de ce commerce, ajoutées aux prérogatives octroyées aux mercenaires, sont une nouvelle cause de mécontentement chez les indigènes et provoqueront, chez eux, des crises violentes de xénophobie. C'est pour remédier à cette situation que les pharaons concentreront à Naucratis, sur la branche nilotique de Rosette, tout le commerce grec d'Egypte. Naucratis, dont les habitants sont tous des Grecs, devient rapidement, grâce à son commerce avec l'extérieur, une des villes les plus florissantes du Delta du Nil; elle reçoit de Pharaon les privilèges d'un port franc. h. Rapports des Egyptiens et des Grecs Mais la différence de langue sera toujours un obstacle à la fusion et même à la compréhension mutuelle des Grecs et des Egyptiens. A la différence des Libyens qui, installés en Egypte, adoptèrent la langue et les coutumes du pays, les Grecs d'Egypte ont conservé jalousement les leurs. De jeunes Egyptiens, confiés par Pharaon à ses mercenaires hellènes, sont initiés à leur langue et serviront d'interprètes. En dépit de toutes ces mesures, les contacts entre les Egyptiens et les étrangers grecs n'étaient pas toujours amicaux. «La masse populaire égyptienne, loin de suivre l'impulsion des rois saïtes, resta réfractaire à la civilisation des Grecs, ne supportant leur présence que pour en tirer un bénéfice commercial. Quant aux prêtres, aux gens instruits, ils ne montraient aux Hellènes qu'un indulgent mépris: même à un Platon, les prêtres d'Héliopolis oseront répondre: «Vous autres Grecs, vous n'êtes que des enfants.»2 i. L'Egypte saite, puissance méditerranéenne. Le Delta, centre politique de la monarchie Sous le règne de la XXVIe dynastie saïte, l'Egypte, tournée vers la mer et appuyée sur les Grecs, est une puissance méditerranéenne. Abandon- Moret, L'Egypte
pharaonique,
p. 554.
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nant les sites du Sud (Thèbes) et du Centre (Memphis), cadres millénaires des vieilles métropoles pharaoniques, les rois saïtes fixent dans le Delta le centre politique de la monarchie. La ville de Sais, dans le Delta occidental, devient la première métropole de l'Egypte entière; Memphis sera la seconde capitale. Plus d'une fois, dans le passé, les pharaons avaient transféré, dans le Delta oriental, le lieu de leur résidence: Tanis, Bubastis. Mais leur choix était alors commandé par des besoins de défense. Il s'agissait, en effet, de surveiller, de plus près, cette «Porte de l'Orient», l'isthme de Suez, qu'empruntaient les invasions asiatiques. Les pharaons saïtes, en s'installant sur la branche nilotique de Rosette, tiennent surtout à participer à la vie et à l'activité maritimes du monde méditerranéen. j. Expansion maritime vers le Sud Expulsée de Phénicie, dont les ports lui assuraient l'accès vers la Babylonie et l'Asie, l'Egypte saïte cherche des débouchés nouveaux. Mais la Méditerranée était partagée entre Assyriens, puis Chaldéens (Phénicie), Lydiens (Egée), Grecs et Phéniciens carthaginois (en Méditerranée centrale et occidentale). Les pharaons saïtes se rabattent alors sur la route des Indes par la Mer Rouge. Le canal entre cette mer et le Nil, qui fonctionnait déjà vers 1500 (p. 44), peut-être même depuis Senouset I (vers 1980), est rétabli et élargi. Une politique navale est amorcée et encouragée par Nékao II. Désireux d'explorer les mers et les terres du Sud, Nékao II envoie des navires, montés par des marins phéniciens, à la découverte d'un nouveau monde. Partant de la Mer Rouge et longeant les côtes africaines, les Phéniciens rentrèrent, après trois années de navigation, par le détroit de Gibraltar. Cette grande expédition, qui réalisa le périple complet de l'Afrique, vingt siècles avant Vasco de Gama, n'eut cependant aucune conséquence économique (p. 161). k. Amélioration de la condition des classes populaires Les pharaons saïtes se distinguent par leur esprit de justice et une mentalité plus humaine que celle de leurs prédécesseurs. L'extension du monde, le mouvement commercial qui accroît le cosmopolitisme, incitent les rois d'Egypte à renoncer à leurs prétentions anciennes de rois-dieux. Les cultes grecs sont tolérés et même protégés. La législation est refondue; de nombreuses dispositions légales améliorent la condition des humbles; l'émancipation de la classe ouvrière et paysanne est accélérée, en dépit de la division de la société en diverses catégories. L'abolition de l'esclavage, le remplacement de la contrainte par corps pour dette, par une hypothèque
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sur les terres et les gains, la réglementation du l'usure, améliorent la situation des individus. La loi de Solon, qui abolit les dettes en Attique (Grèce), serait, selon Diodore, empruntée à l'Egypte. Comme les rois de la Xlle dynastie, ceux de la XXVIe, «ayant nivelé la société égyptienne,. . . ont naturellement cherché appui dans la population paysanne et ouvrière, et accéléré son émancipation sociale. Aussi les historiens grecs rappellent-ils avec insistance les goûts démocratiques de la nouvelle famille royale, son amour de la simplicité, la familiarité et la bonhomie de ses mœurs.»3 I. Prospérité de l'Egypte. Renaissance des arts Grâce à cette sage administration et à la paix, l'Egypte connut, sous les rois saïtes, une grande prospérité. Décimée sous les régimes précédents, la population s'accroît considérablement et les agglomérations poussent, le long du Nil, comme des champignons. Hérodote fixe à 20.000 le nombre des villes. Des palais, temples, nécropoles grandioses, statues colossales, naos, stèles, statues en pierre dure et en bronze, monuments monolithes, embelliront les grandes cités de Sais et de Memphis. «Tous ces monuments attestent un retour systématique vers l'architecture et la sculpture du passé . . . De là cette recherche des proportions gigantesques et des pierres compactes, énormes, pour les sarcophages, les naos; du diorite, du granit pour les statues; on revient à la mégalomanie de Khéops (vers 2800); on instaure un style national d'après ce que l'antiquité offrait de plus imposant: l'art de la IVe dynastie (2840—2680). Les statues copient les attitudes, les costumes, les modes vestimentaires de l'Ancien Empire . . . Quant à l'exécution, elle est d'une virtuosité hors pair.»4 2. La Chaldée ou Néo-BabyIonie. Babylone sous le règne de Nabuchodonosor II (605—562) a. La Chaldée jusqu'à Nabuchodonosor II La vieille Babylonie, qui, depuis 700, est devenue la Chaldée, et qui, associée à la Mèdie, avait contribué à la défaite de Ninive, a recouvré son indépendance politique depuis la ruine de cette dernière. Après une éclipse de onze siècles environ, au cours desquels l'antique cité de Hammourabi a connu la domination des Kassites (1750—1175), les dévastations et les hégémonies entrecoupées des Araméens, des Ela' M o r e t , L'Egypte 4 M o r e t , L'Egypte
pharaonique, pharaonique,
p. 556. p. 561.
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mites, des Assyriens (1175—731) et enfin la domination de ces derniers (731—612), Babylone connaîtra, pendant quelques décades encore (612— 539), sa dernière période de grandeur, qui précédera sa ruine définitive. Vers l'époque où nous sommes (600), la Néo-Babylonie ou Chaldée est linguistiquement aramisée. Dès la fin du Ville siècle avant notre ère, cette héritière de la gloire et de la culture des Sémites Accadiens abandonne la langue de ces derniers pour l'idiome sémito-araméen. La stabilisation des Araméens dans les diverses régions du bassin du Tigre-Euphrate a vite fait de substituer leur langue aux idiomes sémito-babylonien et sémitoassyrien. Cette substitution s'est encore affirmée depuis l'ascension politique des Khaldou, ces importantes tribus araméennes qui, établies en Babylonie, ont imposé leur suprématie politique et culturelle à la contrée. Rappelons qu'en 721, sous Sargon II d'Assyrie, les Khaldou, établis dans les terres marécageuses du Delta du Tigre-Euphrate, avaient proclamé roi leur chef Mérodach II. Appuyés par les Araméens et autres tribus nomades, ainsi que par l'Elam, Mérodach s'était emparé de Babylone. Vers 700, on l'a vu, Sennachérib, fils et successeur de Sargon, reprend Babylone et réduit le pays en province assyrienne (p. 225, 228, 229). C'est à partir du court règne de Mérodach que la Babylonie fut appelée la Chaldée (du nom de la tribu des Khaldou). Plus d'un demi-siècle après la défaite de Mérodach, le gouverneur assyrien, frère aîné du roi Assourbanipal, encouragé par les Khaldou, les Araméens et les Elamites, se soulève contre son frère. Après avoir brisé cette révolte, le roi d'Assyrie confie la vice-royauté de Babylone à un prince chaldéen de cette ville, du nom de Kandalou (648). Le fils de ce Kandalou, Nabopolassar (626—605), commandant de l'armée locale, s'émancipe de Ninive et se proclame roi (626). «Par son énergie et sa vaillance, il va libérer la Babylonie et fonder la Xle dynastie, dite néo-babylonienne ou chaldéenne. . . Avec lui, les Chaldou, ces Araméens nomades qui, depuis des siècles, assiégeaient les frontières de Babylone, prennent possession du trône» (Moret) (p. 237). Fils et successeur de Nabopolassar, Nabuchodonosor II (605—562), comme jadis Hammourabi, portera à son apogée la puissance de la dynastie chaldéenne et le rayonnement de la Nouvelle Babylone. Après la ruine de Ninive (612), Babylone, maîtresse du bassin des DeuxFleuves, est coupée de la Méditerranée par l'Amourrou (Syrie-Nord), devenu pays d'Aram, qui lui ferme les ports de Phénicie. Depuis 609, les troupes égyptiennes, profitant des circonstances, occupent la Palestine et la Syrie (p. 248—249). Régénérée par la récente greffe chaldéenne, renforcée par son alliance avec les Mèdes, la Nouvelle Babylone expulse les Egyptiens de Syrie et de Palestine (605) et établit sa domination sur ces régions qu'elle disputera pendant longtemps aux pharaons d'Egypte.
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b. Babylone et
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Nabuchodonosor
Babylone et Nabuchodonosor, deux noms inséparables que la légende, l'histoire et les prophètes d'Israël ont immortalisés. La splendeur de la cité et la légende du souverain sont restées proverbiales jusqu'à nos jours. Nabuchodonosor est un des souverains les plus brillants de l'histoire de l'Orient ancien. La légende qui s'est emparée de ce monarque en a fait l'un des plus puissants et des plus prestigieux de l'histoire universelle. Cette puissance légendaire, Nabuchodonosor la doit surtout à son long règne de quarante-trois ans, à la destruction qu'il fit du royaume de Juda, aux contes fabuleux du livre de Daniel, à sa victoire sur Ninive, à ses conquêtes heureuses, et à ses grands travaux qui firent de Babylone une cité de merveilles et la plus grande métropole qui ait jamais existé jusqu'à son temps. Dans ce vieux cadre mésopotamien, Hammourabi, 14 siècles avant Nabuchodonosor, et Haroun ar Rachid, 14 siècles après, sont les trois grands monarques de la vallée des Deux-Fleuves. c.
Babylone
La Babylone de l'an 600 n'est pas la vieille cité de l'an 2000, embellie par Hammourabi. De cette dernière, connue seulement par les fouilles et les découvertes modernes, les générations postérieures n'ont conservé que le souvenir d'une métropole d'un grand Empire mésopotamien (I, p. 287). Mais la Babylone qui fascina l'imagination des peuples, celle dont la gloire a traversé les siècles et soulevé l'admiration de l'Orient et de l'Occident, c'est la Babylone de Nabuchodonosor II. Vers l'époque où nous sommes, Babylone, sur les bords de l'Euphrate, est l'une des cités les plus antiques, les plus illustres et les plus vastes qui aient existé. Elle a donné son nom à toute la région de Moyenne et Basse Mésopotamie, l'antique pays désigné par les documents cunéiformes du nom de: «Sumer et Accad». Sous les Assyriens, le nom de Babilou, Bab-ili (porte de Dieu), Babel (en hébreu), était restreint à la ville même, tandis que le pays dont elle est le centre, c'est-à-dire la Basse Mésopotamie, s'appelait, d'une manière générale, la Chaldée, en hébreu: «eres Kasdim», le pays de «Kaldi» des textes cunéiformes. Cette région portait aussi le nom de «Senaar», le vieux nom de Sumer. Le nom de Babilou signifie, on l'a vu, «porte des dieux»: le mot bab, dans la langue sémitique, et même en arabe, signifie «porte», et ilu, ili, il, (en arabe ilah), veut dire: dieu. Une autre explication, plus célèbre encore, s'est perpétuée jusqu'à nos jours, grâce à une version babylonienne recueillie par la Bible. Le mot babilou qui signifierait, en langue assyrienne, «confondre», aurait été donné à la ville pour immortaliser le souvenir de la confusion des langues, arrivée à Babylone après le Déluge. Ces
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mêmes traditions existaient chez les Babyloniens et les Israélites; mais leur origine est dans le vieux pays des Deux-Fleuves. d. La cité et le palais royal La cité de Babylone s'étendait le long des deux rives de l'Euphrate, sur une longueur de 20 kilomètres environ, depuis le village actuel de Djumdjunah au nord. Les rues étaient coupées à angle droit: les ruelles, qui aboutissaient sur l'Euphrate, étaient fermées par des portes de bronze. Les maisons de ces rues avaient trois ou quatre étages. Un quai s'étendait sur le parcours du fleuve. Un grand pont, de 120 mètres, au milieu de la ville, joignait les deux rives de la cité. De riches monuments, surtout des temples, sanctuaires et palais, paraient la cité centrale. La cité royale. — Ce quartier de Babylone, à cheval sur l'Euphrate, est la résidence du souverain. C'est une vaste superficie de 10 km de pourtour, qui réunit toutes les splendeurs de Babylone: grand palais, jardins suspendus, temples, etc. «Le palais royal, dont le plan rectangulaire mesure 322 mètres sur 190, est un groupe de constructions disposées autour de plusieurs cours, comme les palais assyriens. La salle du trône, longue de 57 mètres et large de 17, est peinte en blanc et possède pour tout ornement une niche où se place le trône du roi; elle s'ouvre sur une cour aux murs revêtus de briques émaillées figurant des fausses colonnes et un décor floral géométrisé. Un grand bâtiment composé de 14 grandes salles voûtées paraît être l'infrastructure des jardins suspendus, l'une des merveilles du monde ancien.» 5 Les ruines de ce palais royal (aujourd'hui el Kasr), demeure de Nabuchodonosor, couvrent encore de nos jours près de 13 hectares; c'est dans ce merveilleux palais que mourra Alexandre le Grand. e. Le fameux Esagil ou temple de Mardouk Le fameux temple de Mardouk, YEsagil, construit, vers 2000, sous Hammourabi (I, p. 303), souvent détruit par des conquérants sans scrupule, toujours reconstruit et embelli, est restauré et enrichi par Nabuchodonosor. On le retrouvera encore debout au moment de la conquête d'Alexandre le Grand (332). Le Macédonien emploiera dix mille ouvriers, pendant deux mois, pour réparer les ruines et déblayer les décombres de ce monument grandiose, produit magnifique d'une grande civilisation aujourd'hui disparue. Ce temple splendide, qui résume à lui seul le souvenir de la nouvelle Babylone, est un carré de 200 mètres de côté et de 40 de haut. Ses murs sont revêtus d'or, de lapis et de marbre. Le plafond, en cèdre du Liban, 5
Delaporte, Le Proche-Orient
asiatique,
p. 279.
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est couvert d'ornements en or; les portes sont de bronze. A l'extérieur sont érigés les autels. La hauteur de ses dimensions permet aux Chaldéens d'observer avec précision les levers et les couchers des astres. L'impression colossale que ce monument devait produire sur les contemporains est attestée par la légende antique de sa splendeur. f . Les jardins
suspendus
«Ces jardins, une des merveilles du monde, sont aujourd'hui la colline d'«Amran-bn-Ali», s'étendant sur 15 hectares, formant un trapèze de 500 et 300 mètres, sur une profondeur de 400. Ce vaste amas de ruines est séparé du Kasr par une profonde vallée, d'un kilomètre environ. Autrefois l'Euphrate coulait au pied de cette colline, dans laquelle tout fait reconnaître les restes des fameux jardins suspendus. D'après Josèphe qui suivait l'historien Bérose, Nabuchodonosor fit élever ces jardins, sous forme de montagne artificielle, pour consoler une de ses femmes, Mède de naissance, des montagnes de son pays natal. On se promenait sous les voûtes sur lesquelles s'étayaient, en forme de terrasses, les jardins plantés d'arbres. Ces voûtes étaient soutenues par d'énormes piliers. Au dire de Strabon, ces piliers étaient creux et remplis de terre pour qu'ils pussent contenir les racines des plus grands arbres. Ils étaient construits en briques cuites liées avec de l'asphalte. Des escaliers conduisaient en haut et des turbines amenaient l'eau en haut pour arroser les plantations. Ces machines étaient mises continuellement en mouvement pour y faire monter l'eau de l'Euphrate qui baignait l'édifice.»6 Vis-à-vis des Jardins suspendus, sur la rive droite du fleuve, se trouvait le petit palais, qu'un tunnel sous-fluvial joignait à la rive gauche. C'est là que résidera Alexandre le Grand; c'est de ce palais qu'atteint par la fièvre, le jeune héros macédonien se fera transporter, pour chercher la fraîcheur, sous les voûtes des Jardins suspendus, d'où il se fera ensuite porter au grand palais, le Kasr, où il rendra le dernier soupir. g. La Tour de Babel
A 7 kilomètres de la cité royale, sur la rive droite de l'Euphrate, était la ville de Borsippa. «C'est ici que le Talmud place le théâtre de la «confusion des langues». Le grand sanctuaire, que Hérodote vit encore, était une «tour à étages», formée de huit tours superposées; le dernier étage était occupé par le temple de Nébo. Hérodote . . . rapporte que ce temple, peu spacieux, renfermait un lit en or où le dieu recevait une vierge la nuit. . . Ce vieux t e m p l e . . . fut achevé par Nabuchodonosor, et se trouvait sur 9
J. Oppert, Grande Encyclopédie
française, t. 4, Babylone,
p. 1047.
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l'emplacement où la fameuse Tour de Babel avait dû être commencée jadis... La principale ruine de Borsippa est le fameux «Birs-Nimroud», les débris de la Tour (de Babel). Cette ruine, l'une des plus célèbres et des plus gigantesques du monde, se voit à dix lieues à la ronde . . . A côté du Birs-Nimroud se trouve une autre ruine, aussi étendue, mais basse, qui renferme les débris des trois sanctuaires de la Trinité divine et féminine, de Gula. Il s'appelle aujourd'hui Tell-Ibrahim-el-Khalil, et les Bédouins montrent encore la place où, selon eux, Ibrahim, le patriarche Abraham, fut jeté par Nemrod dans la fournaise ardente d'où il sortit sans aucun mal.. . Beaucoup d'autres tumulus se voient dans la plaine babylonienne . . . Séleucie, Ctésiphon, Bagdad, sont bâties avec les briques de Nabuchodonosor. La ville de Hillah occupe l'emplacement de la cité des Babyloniens, et c'est le seul reste de cette cité immense qui, au dire de Pausanias, fut la plus grande que jamais le soleil éclaira dans sa course. Mais le nom de Babylone s'est perpétué, et il s'y est attaché, grâce aux prophètes juifs ainsi qu'aux apôtres chrétiens, la notion d'une agglomération immense et dévergondée... La réputation d'immoralité de Babylone provient de la coutume religieuse qui obligeait toute femme à se donner une fois dans sa vie à un étranger, qu'elle devait attendre dans le sanctuaire de Mylitta, et qu'elle n'avait pas le droit de refuser. Celui-ci devait une somme d'argent au bénéfice du sanctuaire. En dehors de cette coutume toute religieuse, la prostitution florissait à Babylone, et ce ne sont pas les prophètes juifs seuls qui l'attestent.»7 h. Les murs de Babylone L'enceinte extérieure de la ville formait un carré de terre de près de 93 kilomètres de pourtour, avec 48 mètres de hauteur et 27 mètres de largeur. Les origines de cette enceinte remontent, on l'a vu, à la fin du Ille millénaire (I, p. 284); mais c'est Nabuchodonosor qui l'acheva, en lui donnant son extension. Le creusement des deux fossés qui bordent le mur, des deux côtés, a fourni la terre pour bâtir l'enceinte, ce qui explique la disparition presque complète de cette construction colossale, que surmontaient des tours hautes de 108 mètres. Cent portes, aux battants en airain, s'ouvraient dans ces murs gigantesques qui, avec les Jardins suspendus, passaient, dans l'antiquité grecque, pour une des sept merveilles du monde. Une seconde enceinte intérieure, d'une longueur de 69 kilomètres, ren7
J. Oppert, op. cit., t. 4 p. 1049.
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fermant un emplacement de près de 290 kilomètres carrés, complétait la première. Babylone, à l'intérieur de l'enceinte, «est plutôt un pays qu'une ville», dit Aristote. Mais cette vaste surface n'était pas entièrement habitée; des champs cultivés, voisinant avec les quartiers d'habitation, permettaient à la population de soutenir un long siège, tout en restant à l'abri de la famine. Cette cité, dont la magnificence dépasse celle de toutes les cités qui l'ont précédée, sera, sous peu, la proie d'un nouvel envahisseur étranger: l'Iranien-Perse. Après les Gouti du Zagros, au I l l e millénaire, après les Kassites au Ile, après les Assyriens et les Chaldéens, le tour de l'Iranien est pour bientôt. On dirait qu'avant de sombrer définitivement, cette grande cité sémitique a voulu donner tout ce qu'elle pouvait. Son rôle de grande puissance, son indépendance, ses libertés vont disparaître pour toujours. Il faudra attendre une nouvelle vague sémitique, celle des Sémito-Arabes, au V i l e siècle de notre ère, pour voir renaître, dans ce bassin des DeuxFleuves, une autre grande cité sémitique et métropole d'Empire: la Bagdad des Califes Abbassides. i. La civilisation chaldéenne ou néo-babylonienne Les dispositions de la législation de Hammourabi (vers 2000) n'ont subi que d'insignifiantes modifications, en ce qui concerne la famille, les mœurs familiales, les successions, la culture des terres, les croyances et les pratiques religieuses (I, p. 303—307). L'armée néo-babylonienne est organisée sur le modèle de l'armée assyrienne. La langue araméenne, qui a remplacé le babylonien et l'assyrien, est maintenant parlée ou comprise depuis l'Asie Mineure jusqu'en Perse. La religion. — Comme la législation, les croyances et les pratiques religieuses des Néo-Babyloniens ou Chaldéens sont encore, à peu près, ce qu'elles étaient vers 2000, après la réforme religieuse de Hammourabi. Mardouk est toujours le chef suprême des dieux mésopotamiens. Comme jadis, la volonté divine se fait connaître par des oracles et des songes. Les rois se font un devoir de construire des temples aux dieux et d'élever, en leur honneur, leur fille au sacerdoce. « L a pensée d'une rétribution après la mort n'a pas fait de progrès; Nabuchodonosor I I (605—562) et Nabonide (555—539), comme Lougalzaggizi et comme Goudéa, (respectivement 2750—2725 et vers 2500), souhaitent pour bien suprême de devenir vieux, d'être saturés de la plénitude de vie. L'idée dominante exprimée dans la glyptique de cette période,... c'est celle de la prière.» 8 8
Delaporte, Le Proche-Orient
asiatique, p. 288.
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3. La Médie, en Iran occidental, jusqu'à 612 La première histoire des Mèdes et des Perses est très obscure. Ne connaissant pas l'écriture, ces peuples primitifs, dont les premiers souvenirs sont transmis par une tradition orale et des contes légendaires, n'auront leurs annales royales, qui seront écrites d'ailleurs en langue babylonienne, qu'après la prise de Babylone par Cyrus (539). a. Mèdes et Perses vers 700 Les Mèdes (Madai) et les Perses (Parsoua), ces deux groupes frères qui n'apparaissent que tard dans l'histoire, faisaient partie, on l'a vu, de la marée aryenne qui, après 2000, apporta les Hittites en Asie Mineure, les Mitanniens en Syrie-Nord, les Kassites dans le Zagros (I, p. 399, 400). D'autres tribus anonymes avaient gagné la Bactriane, la Sogdiane, la Parthie et l'Indus. C'est seulement vers 850 que les annales des rois d'Assyrie mentionnent, pour la première fois, les Mèdes et les Perses, rencontrés au cours de leurs expéditions vers l'Est. Ces textes les situent à l'est du royaume d'Ourartou (Arménie) (p. 204). Mèdes et Perses se subdivisent en plusieurs tribus autonomes. Les tribus Mèdes sont stabilisées dans le sud de la région située entre la Mer Caspienne et le lac Ourmia, depuis la plaine d'Ecbatane jusqu'au lac de Van. Leurs frères Perses, refoulés par les Scythes qui envahissent l'actuel Azerbeidjan (vers 700), se déplacent vers le Sud, le long du golfe Persique, et s'établissent dans cette région montagneuse, qui prendra leur nom: Parsoua, future Perse. Une fraction des Perses émigré dans la partie orientale de l'Elam, où ils fonderont, vers 640, une petite principauté, dont le roitelet s'intitulera roi d'Anzan (p. 236). b. Naissance de la monarchie mède Demeurés sur place, entre la plaine d'Ecbatane et le lac de Van, les Mèdes réalisent, entre 800 et 700, une certaine unité politique. Subissant les attaques continuelles des Assyriens et des Ourartéens, les six tribus autonomes se coalisent (vers 710) et élisent comme roi un chef local, Déjocès, réputé pour son équité et sa valeur guerrière. Le nouveau roi fixe sa capitale à Ecbatane, l'actuelle Hamadan, dont le nom Hagamadan, qui signifie «lieu de concentration», indique l'origine fédérale de la nouvelle monarchie. Des causes identiques avaient provoqué, vers 1000, l'union des tribus d'Israël, qui s'étaient choisi Saiil comme chef et roi. Déjocès (708—655) réunit sous son autorité, en plus des tribus mèdes, les tribus sœurs des Perses, les Mannéens et les Cimmériens. Dès sa naissance, la monarchie mède, comme toutes les monarchies asiatiques posté-
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rieures, se présente avec tous les traits d'une institution supraterrestre. Le roi a une garde royale et une police d'Etat; un protocole sévère le sépare du peuple et même des nobles. c. La Médie vassale des Scythes (653—625) Etablis sur le plateau de l'Iran occidental, les Mèdes, comme leurs lointains prédécesseurs Goutis et Kassites, sont attirés vers les riches plaines du Tigre et de l'Euphrate, qui s'étalent en contrebas de leurs montagnes. Vers 653, Phraorte (655— 633), fils et successeur de Déjocès, se croit en mesure de conquérir la Mésopotamie sur les Assyriens, et de s'emparer des richesses légendaires de cette Terre promise aux Montagnards de l'Iran et de l'Anatolie, comme aux Nomades du Désert syro-arabique. Profitant des révoltes qui occupent les rois de Ninive, Phraorte marche à l'attaque de cette dernière. La riposte du tigre assyrien est immédiate et brutale. Le roi mède périt dans son entreprise hardie et son armée est détruite (653). A la suite de ce désastre, les Scythes, établis dans l'Azerbédjan (p. 221), envahissent la Médie qui restera sous leur joug pendant 28 ans (653—625). C'est à la suite de cette victoire que les Scythes, se lançant vers l'Ouest et le Sud, ravagent la Syrie et la Palestine jusqu'à la frontière égyptienne (p. 235, 236). d. La Médie émancipée triomphe de l'Assyrie L'entreprise manquée contre Ninive, sera rééditée avec succès, en 612, par Cyaxare (633—584), fils et successeur de Phraorte, qui vengera son père et les Mèdes. D'abord vassal des Scythes, qui avaient envahi la Médie, Cyaxare s'affranchit de ces derniers (625) et rétablit son pouvoir sur les Perses. En 612, le roi mède est de nouveau assez puissant pour rééditer avec succès l'entreprise malheureuse de son père contre Ninive: les années alliées des Mèdes et des Chaldéens détruisent «la louve des nations» et se partagent son vaste Empire (p. 237). e. L'Empire des Mèdes Dans ce partage, Cyaxare s'annexe, en plus de son domaine propre, l'Assyrie, l'Arménie et la partie orientale de l'Elam, devenue, depuis 640, une principauté perse sous le nom de «royaume d'Anzan» (p. 236). Voisins de la Lydie, en Asie Mineure, les Mèdes entrent en conflit avec elle. Après six ans de guerre sans résultat, Mèdes et Lydiens concluent la paix et la consolident par un mariage. La frontière entre les deux royaumes est fixée à la ligne du fleuve Halys (Kizil Irmak).
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A la mort de Cyaxare, l'Empire mède était devenu le plus puissant Etat de l'Asie antérieure. Par leur entente, Mèdie, Chaldée, Lydie, dont les forces se neutralisent, assurent au Proche-Orient, jusque vers 546, une paix internationale d'équilibre.
4. La Lydie et sa capitale Sardes, jusqu'à 615 La Lydie est cette région d'Asie Mineure formée de montagnes et de vallées fertiles et située entre les plateaux de l'Est anatolien et le littoral oriental de l'Egée où s'élèvent les riches cités de la Grèce d'Asie. Par sa situation et sa nature intermédiaires, la Lydie a été, entre le continent asiatique et le monde hellénique, le chemin naturel du commerce et des idées. Les diverses vallées qui sectionnent la Lydie forment de grandes voies de pénétration de la côte vers l'intérieur. Ces routes naturelles ont été, de bonne heure, des routes commerciales et politiques, et sont restées, pendant de nombreux siècles, les grandes voies d'échange entre l'Asie et le monde égéen (p. 209). La population est constituée par un fond asianique autochtone, sur lequel se sont greffés des éléments nordiques Aryens ou Indo-Européens. Son nom ancien est Méonie; ce nom sera remplacé par celui de Lydie, vers le Vile siècle avant notre ère. Le centre du pays a toujours été la ville de Sardes, à l'est de Smyrne; ce nom de Sardes dériverait de celui de Shardana, tribu aryenne que nous avons vue déferler avec les Peuples du Nord et de la Mer (vers 1200), et qui s'était stabilisée dans la région lydienne. Avant les Shardana, Sardes aurait d'abord porté le nom d'Asia, qui fut plus tard appliqué à la région, et qui aurait enfin désigné l'ensemble du continent asiatique (Asie). Ce n'est qu'à partir du Vile siècle que la Méonie ou Pré-Lydie entre dans la période historique. A cette époque, le royaume méonien connaît une grande prospérité économique et commerciale, due à son rôle de route terrestre entre les Grecs de la côte égéenne et les pays de l'Euphrate. C'est aux Lydiens qu'Hérodote attribue la création des premières auberges, inconnues jusque-là. Les grandes routes terrestres sont jalonnées d'hôtelleries (caravansérails), protégées et exploitées par l'aristrocratie militaire et terrienne, qui s'était transformée en oligarchie marchande. a. Le roi Gygès (687—652) L'invasion cimmérienne, qui déferla vers 700 (p. 221—222), avait bouleversé l'Asie Mineure. Candaule (704—687), roi de Méonie, fit appel au concours de ses vassaux; Gygès, héritier de la principauté de Tyra, vient
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à la cour de Candaule, devient son majordome ou assistant et, avec l'aide d'une intrigue de harem, renverse son chef qui périt dans l'aventure. Devenu roi, l'usurpateur Gygès (687—652) consolide son trône en épousant la veuve de Candaule et en s'appuyant sur la tribu des Lydiens, dont le nom s'étendit au pays tout entier. L'ancien prince de Tyra devient, pour les Grecs, le prototype des tyrans opposés aux rois légitimes. Comme les tyrans grecs, Gygès fut l'ennemi de l'aristocratie et de l'avidité des familles riches. Sous Gygès, la prospérité de la Lydie se développe et le commerce y connaît un très grand essor, grâce à l'invention de la monnaie, qui fait honneur aux Lydiens de cette époque. En 676, les Cimmériens se jettent sur la Phrygie voisine et détruisent le royaume de Midas. Pour écarter ce danger et refouler les Cimmériens qui ont coupé la grande route commerciale de Sardes vers l'Euphrate, Gygès fait appel au roi de Ninive, Assourbanipal, et lui offre un tribut (663); Assyriens et Lydiens refoulent les Cimmériens vers le Nord. Une fois le danger disparu, Gygès s'émancipe de l'Assyrie et aide le pharaon Psammétique à s'affranchir du joug de cette dernière (653). Mais les Assyriens, qui tenaient les Cimmériens en respect, les lâchent contre Gygès qui fut vaincu et tué (652). C'est cette seconde invasion cimmérienne qui empêcha Gygès de porter secours à Pharaon, engagé dans le siège d'Ashdod, en Palestine (p. 248). Ardys (652—615), fils de Gygès, se replaça sous la suzeraineté de l'Assyrie, qui l'aida à expulser les Cimmériens. Il reconstitue son royaume ravagé par les invasions et les guerres, et entreprend la conquête du littoral est-égéen. b. Rôle historique de la Lydie Par sa position géographique, le royaume lydien fut, pendant plusieurs siècles, un centre international de rencontre et de fusion. C'est là que la Grèce d'Asie s'est initiée aux religions, aux arts et aux sciences de l'Assyrie et de la Chaldée. Pendant près de trois siècles, ce royaume fut le principal intermédiaire entre le monde maritime de l'Egée et l'Asie intérieure. Aussi l'art lydien n'est-il qu'une combinaison d'apports étrangers. «Les Lydiens n'ont pas été des créateurs. Ils ont eu un rôle analogue à celui des Phéniciens; ce furent des vulgarisateurs empruntant leur art aux voisins. Leur grande invention est celle de la monnaie, qu'on peut rapprocher de celle de l'alphabet, sinon pour l'importance, du moins par ce caractère commun de faciliter les transactions. Ils ont exercé une grande influence sur l'évolution de la civilisation hellénique.»9 9
A.-M. B., La Grande Encyclopédie, t. 22, Lydie, p. 819.
II. Rapports des Egyptiens, Chaldéens, Mèdes, Lydiens. Course à l'hégémonie politique du Proche-Orient Après la disparition de l'Empire assyrien, les quatre grands Etats qui se partagent la domination du Proche-Orient se divisent en deux groupes géographiques, l'un, occidental et maritime: l'Egypte et la Lydie, l'autre, oriental et continental: la Chaldée et la Médie. Ces deux dernières sont coupées de la mer, l'une, par la Syrie qui lui barre la Méditerranée, et l'autre, par la Lydie qui lui ferme l'accès de l'Egée. Voisines et alliées, Chaldée et Médie pratiquent souvent une politique étrangère commune, tandis que l'Egypte et la Lydie, amies et associées en dépit de la distance qui les sépare, se prêtent un mutuel appui. L'Egypte et la Babylonie, ces deux vieilles rivales, vont reprendre leur antique querelle pour la possession des régions syriennes. Revigorée par la récente greffe chaldéenne qui rajeunira sa classe dirigeante, forte de son alliance avec les Mèdes, la nouvelle Babylone enlèvera à l'Egypte les régions syriennes et y gardera la prédominance. Ayant eu, dans leur lot, des régions remuantes et barbares (Assyrie, Ourartou, etc.), les Mèdes ne s'intéressèrent qu'à les maintenir sous leur obédience, laissant à la Chaldée les mains libres à l'ouest de l'Euphrate . 1. L'équilibre oriental au lendemain de 612 Après la ruine de Ninive (612), les forces des quatre grands Etats s'équilibrent. A part les insurrections de Phénicie et de Palestine, qui, en dépit de leur fréquence, de leur grossissement par les Juifs et de la participation partielle de l'Egypte, ne constituent pour Babylone que des opérations de police intérieure, la bonne entente des quatre grandes puissances, et particulièrement des trois monarchies de Babylone, Médie et Lydie, procurera au Proche-Orient, jusque vers 546, une paix qu'il n'avait pas connue sous l'Empire des Assyriens. Mais cette paix d'équilibre ne se maintiendra, surtout en Syrie et Palestine, que par les déportations et l'oppression. Il faudra attendre l'ascension des Perses et leur hégémonie, pour voir succéder, à la domination par la terreur, une paix de justice et de clémence. 2. Egyptiens et Chaldéens convoitent la Palestine Reprenant la politique traditionnelle de leurs prédécesseurs respectifs, les
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pharaons de Sais et les monarques de Babylone, comme plus tard les Diadoques hellénistiques d'Alexandrie et ceux d'Antioche ou les Califes du Caire et ceux de Bagdad, vont, pendant près de trois quarts de siècle, intriguer ou se combattre, en Palestine et en Syrie, pour la possession de ces régions intermédiaires. Héritière de Ninive, la nouvelle Babylone réussira, dés le début, à expulser les Egyptiens du vieux pays de Canaan et à s'installer dans cette zone convoitée par l'Egypte. 3. Mèdes et Lydiens convoitent l'Anatolie De leur côté, Mèdes et Lydiens, qui viennent d'entrer sur la scène de l'histoire, continueront la politique respective des peuples auxquels ils ont succédé. Comme les Gouti, les Mitanniens, les Kassites et les Assyriens, les Mèdes chercheront à descendre dans les plaines mésopotamiennes; ils essaieront, en outre, à une époque où la mer devient un espace vital, à atteindre l'Egée, en passant sur le corps de la Lydie qui leur ferme cette mer à l'ouest. Quant aux Lydiens, tout en cherchant à s'annexer le littoral égéen ou Grèce d'Asie, ils chercheront, comme les Hittites et les Phrygiens, leurs prédécesseurs, à s'étendre vers l'Est asiatique. Ainsi, les quatre puissances de l'époque seront continuellement aux prises. Les luttes qu'elles entreprendront, pour la suprématie politique, finiront par les épuiser et permettront à un cinquième larron, Cyrus, roitelet d'Anzan (p. 259), vassal de la Médie, de les dominer toutes les quatre. Comme plus tard les premiers Califes de Médine, qui profiteront de l'épuisement des Empires byzantin et sassanide, Cyrus, modeste roi d'Anzan, soumettra l'ensemble du Proche-Orient et fondera le grand Empire perse. 4. Le royaume de Juda, jusqu'à 609 Au temps de l'Empire assyrien, la Palestine est sous le joug de Ninive. Le royaume d'Israël, qui avait été rayé de la carte politique (722), est réduit à une province assyrienne. Seul, le royaume de Juda, grâce à la sagesse des Prophètes, avait réussi à se maintenir dans une semi-indépendance (p. 195). Manassê (698—643), roi de Juda, qui avait rebâti les hauts lieux détruits par son père Ezéchias, élevé des autels aux dieux cananéens, auxquels il sacrifia son fils, et soulevé, par ses crimes, la colère d'Isaïe, avait toutefois rendu à son pays le service de le soustraire à l'occupation assyrienne, même lorsque les armées d'Asaraddon et d'Assourbanipal, lancées contre l'Egypte, avaient défilé à ses frontières (675—663).
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Josias (640—609), petit-fils de Manassé, monté sur le trône à l'âge de huit ans, est d'abord sous la tutelle du clergé. Sous son règne, le culte et les mœurs sont épurés, et les idoles cananéennes et assyriennes, qui souillaient le Temple depuis le règne d'Achat», sont expulsées. 5. Défaite et mort de Josias, roi de Juda (609) Lorsque, en 609, le pharaon Nékao II pénètre, avec ses troupes, en Palestine, Josias hésite d'abord à prendre parti pour l'Egypte ou la Chaldée. Mais effrayé par l'ambition de Nékao, le roi de Juda, penchant pour Babylone, essaye de s'opposer à l'avance des Egyptiens. En dépit des prêtres et de Jérémie, qui lui conseillaient de rester neutre dans ce duel entre géants, le roitelet de Jérusalem décide de combattre et va se poster dans le défilé de Mageddo, là où, en 1483, furent écrasés les coalisés amorréens et cananéens qui s'opposaient à l'avance du pharaon Thoutmès III. Comme son lointain prédécesseur, Nékao est vainqueur à Mageddo; Josias, vaincu et grièvement blessé, meurt à Jérusalem et son fils Yoachaz lui succède (609) (p. 248-249). Poursuivant sa marche, Pharaon traverse Kadesh, sur l'Oronte, atteint l'Euphrate et, avec les restes de l'armée assyrienne, tente sans résultat d'enlever Harran. Maître de toute la Syrie, Nékao reçoit le tribut des cités phéniciennes, détrône Yoachaz qu'il emmène en Egypte, et le remplace, à Jérusalem, par Yoakim (609—597), second fils de Josias. 6. Les Egyptiens s'annexent Palestine et Syrie (609) La destruction de l'Empire assyrien, qui avait rempli d'allégresse le monde oriental, fut, au contraire, pour l'Egypte, un grave sujet de soucis. Le danger, pour la vallée du Nil, ne faisait, on le sait, que se déplacer de Ninive à Babylone, où l'ascension de la jeune et ambitieuse dynastie chaldéenne inquiète Pharaon. Aussi, sous le prétexte de venir en aide au roi d'Assyrie, qui, avec les débris de son armée, guerroyait depuis plus de trois ans contre les Chaldéens, à Harran, le pharaon Nékao, qui vient d'envahir la Palestine et la Syrie, s'empresse-t-il de les annexer, à son domaine (609). L'Egypte renouvelle les temps des Thoutmès et des Ramsès. 7. Les Egyptiens vaincus et expulsés (605) L'expansion militaire de l'Egypte vers l'Est n'était pas pour plaire au roi de Babylone qui, à titre de successeur de celui de Ninive, considérait
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la vallée du Nil comme une ancienne province assyrienne et, partant, comme un pays vassal en état de révolte. Aux mercenaires grecs d'Egypte, dont Pharaon tirait sa force, le roi de Babylone oppose, lui aussi, des guerriers grecs pris à sa solde. Dès cette époque, on le voit, le mercenaire grec est le pilier des vieilles monarchies orientales. Nous verrons, un peu plus tard, dans les célèbres Guerres Médiques, des formations militaires grecques combattre, au service du Roi des Perses, contre leurs congénères de l'Hellade. Ayant refusé d'évacuer la Syrie et la Palestine, Nékao et son armée sont battus (605) à Karkémish, sur l'Euphrate, par Nabuchodonosor, fils du roi de Babylone, qui les poursuit jusqu'à la frontière d'Egypte (p. 253). La mort de son père, qui oblige le prince babylonien à rentrer dans sa capitale pour prendre possession du trône, le porte à renoncer au projet de poursuivre plus loin les vaincus. Comme plus d'une fois déjà, l'Egypte est expulsée de Palestine et, seules, des circonstances accidentelles la sauvent encore de l'invasion. 8. L'équilibre international La disparition de l'Empire assyrien n'a donc guère profité à l'Egypte. Toutefois, la carte politique des pays du Nord est sensiblement modifiée à son avantage. Au grand Empire assyrien, qui, dominant les provinces syropalestiniennes, menaçait continuellement la sécurité de la vallée du Nil, succédait une nouvelle Babylonie, dont les ambitions expansionnistes étaient bridées par deux autres puissances nordistes qui lui faisaient contrepoids: la Médie en Iran et la Lydie en Asie Mineure. C'est cet équilibre de forces qui, assurant la paix à la Chaldée, portera Nabuchodonosor II (605—562), au règne long et glorieux, à se consacrer à des travaux de paix (p. 254—258). Babylone redevient la capitale d'un grand Empire mésopotamien. Les expéditions guerrières sont en arrêt; l'activité militaire du puissant roi de Babylone se limite à la police des Etats vassaux. De son côté, l'Egypte, chassée de Syrie et de Palestine, abandonne ses visées sur l'Est et s'occupe de la mer. Nabuchodonosor, qui ne songe pas à s'étendre au-delà du désert de Sinaï et qui ne craint pas de danger du côté égyptien, cherche à se protéger contre une éventuelle expansion des Mèdes, en dépit de ses excellentes relations avec eux. 9. Révoltes de Tyr et de Jérusalem contre Babylone a. Tyr, tête de la révolte (597) Mais cette paix d'équilibre, où se plaisait Babylone, était loin de convenir
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à la Phénicie et à l'Egypte. Dès 597, une révolte contre Babylone, soudoyée par l'Egypte et dirigée par Tyr, réunit Sidon, Edom, Moab, Ammon. En dépit de l'opposition de Jérémie, le roi de Juda, Yoakim, créature de Pharaon, se rallie au mouvement. Comme très souvent jadis, l'Egypte se contente d'envoyer quelques navires qui se joignent à ceux des Tyriens. b. Défaite et mort de Yoakim, roi de Juda. Le premier Exil (597) Une armée babylonienne, renforcée par des mercenaires grecs, marche contre le petit royaume de Juda, auquel l'Egypte n'envoie aucun renfort. Jérusalem est prise et le roi Yoakim assassiné; son fils et successeur est déporté avec sa mère, sa cour et 3000 notables; un autre fils de Yoakim, Sédécias (597—586), est placé, par Nabuchodonosor, sur le trône de Jérusalem à demi déserte (597) et où Temple et palais sont pillés. Nabuchodonosor ressuscite le procédé de la déportation assyrienne.
10. Politique maritime et africaine de l'Egypte L'échec de sa politique palestinienne tourne l'Egypte vers la Méditerranée, la Mer Rouge et l'Afrique. En renforçant sa flotte, Nékao cherche à être en rapports directs avec Tyr et à entretenir la rébellion en Palestine. Ce sont encore des Grecs qui lui construisent des navires, d'un nouveau type corinthien, et qui lui fournissent des marins. La flotte égyptienne rénovée apparaît en Méditerranée orientale et en Mer Rouge. Pour faire communiquer ces deux mers, Nékao a réparé l'ancien canal qui conduit de la branche orientale du Nil aux lacs amers et au golfe Héroopolite (p. 251). Ce premier «canal de Suez», percé vers 1500, obstrué par la suite puis rouvert par Nékao, fonctionnait encore au temps des Perses, des Grecs et des Romains. Suivant Hérodote, 120.000 ouvriers auraient péri au cours des travaux. La flotte de la Mer Rouge permit aux Egyptiens de toucher l'Arabie et Pount et d'éliminer les concurrences locales. C'est Nékao, on l'a vu, qui, pour chercher des débouchés nouveaux et explorer les mers et les côtes du Sud, organisa la fameuse expédition maritime phénicienne, qui se termina par le périple de l'Afrique (p. 251). L'expansion de l'Egypte, en dehors de la mer, se tourne vers l'extrême sud du pays. Psammétique II (594—588), fils et successeur de Nékao, tente de récupérer une partie de la Nubie, au-delà d'Eléphantine. L'expédition, qui comprenait, outre les mercenaires grecs, des Egyptiens et des Phéniciens, ne semble pas avoir réussi (593).
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11. Nouvelle révolte et destruction du royaume de Jérusalem. La dispersion du peuple juif (586) Après 590, les Egyptiens reprennent la route de l'Est, qu'ils avaient temporairement abandonnée. Psammétique II fait une visite en Phénicie (590); dans ce voyage, à caractère plutôt religieux, le pharaon était accompagné de prêtres. Roi par la grâce de Nabuchodonosor, Sédécias de Juda, d'abord fidèle à son suzerain, ne tardera pas à le trahir. Sous son règne, Jérusalem retombe, une fois de plus, dans les cultes cananéens. Dès 593, deux partis divisent les Juifs à Jérusalem. Un parti anti-babylonien, populaire et extrémiste, nous dirions aujourd'hui nationaliste, annonce la fin prochaine de la domination chaldéenne et le retour du roi légitime déporté. Ce parti, soudoyé par les agents de Pharaon, est formé autour du prophète Hanania. Le second parti, conseillé par le prophète Jérémie, prêche la patience et la modération, la soumission à la force et la collaboration avec Babylone. A l'opposé de Hanania, qui annonce une victoire prochaine, Jérémie, plus réaliste, conseille la prudence. Il n'a pas confiance dans la force de l'Egypte et préfère attendre de Dieu et des circonstances la fin des malheurs du peuple élu. Comme toutes les Cassandres, Jérémie est considéré comme un prophète de malheur; sa franchise et sa clairvoyance le font même accuser de trahison. Cédant aux objurgations des extrémistes, Sédécias jette Jérémie en prison. Secouant la suzeraineté de Babylone, il prend le parti d'Apriès (588— 568), fils de Psammétique II, qui vient d'envahir la Palestine et marche, par terre et par mer, à l'aide de Tyr (586). Mais l'arrivée de l'armée de Nabuchodonosor fait reculer les troupes égyptiennes de terre. La flotte d'Apriès continue à occuper et à défendre les villes phéniciennes, tandis que Jérusalem, assiégée par les Chaldéens, est abandonnée à ses seules forces. Quelques renforts égyptiens, envoyés au secours de la ville, sont battus et refoulés. Après 18 mois de siège, Jérusalem est prise; ses murailles sont démolies, son Temple et son palais détruits. Quant à Sédécias, qui avait trahi Nabuchodonosor, ses fils et les grands de son royaume sont égorgés devant lui, et lui-même, chargé de chaînes, est déporté à Babylone avec l'élite des habitants (587). Le clairvoyant Jérémie est remis en liberté; sur les ruines de Jérusalem détruite, il exhale ses fameuses lamentations. Craignant les représailles des vainqueurs, beaucoup de Judéens émigrent en Babylonie, et surtout en Egypte, où Apriès leur concède des terres. 136 ans après le royaume d'Israël, celui de Juda est, à son tour, effacé de la carte, et les Israélites, comme nation, disparaissent de Palestine. Avec
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cette catastrophe, commence, pour le peuple élu, la Grande Dispersion (la Diaspora en grec) (586). Les réfugiés qui se sont installés en Egypte ont emmené Jérémie, qu'ils accablent de reproches: «il avait déchaîné le malheur en le prédisant et les avait détournés des dieux cananéens». Ils en veulent à Yahvé, dieu ingrat, qui les avait abandonnés. 12. Soumission de Tyr (573) Après avoir réglé son compte au royaume de Juda, Nabuchodonosor se retourne contre Tyr, tête de la révolte. Maîtresse de la mer, la flotte tyrienne, renforcée par des navires égyptiens, oppose aux Chaldéens une résistance victorieuse. Pressé de rentrer à Babylone, Nabuchodonosor bloque l'île tyrienne du côté de la terre; ce siège, qui traînera pendant treize ans au dire de Ménandre, ruine la ville, mais n'aura pas raison de sa résistance. Ce n'est qu'en 573, que Merbaal, successeur d'Itobaal, signe un traité avec le roi de Babylone. Comme ses prédécesseurs, le roi de Tyr «conserve son trône et se tire d'affaire avec un tribut». Avec le concours de la flotte phénicienne, Nabuchodonosor, qui a pacifié la Phénicie et la Palestine, va maintenant se lancer à la conquête de la Vallée du Nil, pour mettre fin, une fois pour toutes, aux intrigues égyptiennes qui troublaient continuellement la paix en Palestine et en Phénicie. Mais l'ambition croissante des Mèdes, à l'est de l'Euphrate, force le roi de Babylone à renoncer, pour la seconde fois, à envahir l'Egypte. 13. Insuccès égyptiens en Cyrénaïque (568) Peu heureux du côté de l'Est, Apriès se tourne vers les côtes libyennes, où les Grecs, en pleine expansion, fondaient des comptoirs et des colonies. «Depuis les premières migrations des Peuples de la Mer, au Xlle siècle, ces côtes de Libye avaient reçu la visite des Shardanes et des Akaiousha, qui accompagnaient les Libou et Mâshaouâsha entrés en Egypte. Au septième siècle, arrivèrent des Doriens qui s'installèrent en Marmarique; leur chef, Battos, poussant plus à l'ouest, gagna des plateaux herbeux où il fonda Cyrène, vers 631. De Grèce, les colons y vinrent nombreux, et s'enrichirent par l'élevage des moutons à belle laine, et le commerce du silphium. Cette affluence des Grecs inquiéta les Libyens qui en appelèrent à leur allié de jadis, le Pharaon.» 10 Ne voulant pas utiliser ses mercenaires grecs contre leurs congénères de 10
Moret, L'Egypte pharaonique, p. 571.
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Libye, Apriès envoie à Cyrène des contingents égyptiens qui sont écrasés. Déconsidéré par cette humiliante défaite, Apriès est livré à la populace et meurt étranglé (568). 14. Amasis, pharaon pacifique (568—525) Successeur d'Apriès, Amasis, dernier grand roi saïte, est un militaire qui, par son habileté, est parvenu au trône. Homme prudent et politique réaliste, Amasis, qui régnera plus de quarante ans, assurera à l'Egypte une longue paix et une heureuse prospérité. Pour calmer les sentiments xénophobes de ses partisans égyptiens, le nouveau pharaon rassemble, dans le port fluvial de Naucratis, les navires et marchands helléniques; il ramène à Memphis la garnison grecque de Daphné, mais se garde bien de la licencier. Avec les Grecs de Libye, ses relations amicales sont consolidées par son mariage avec Ladiké, une princesse de Cyrène. Au début de son règne, Amasis eut à subir une attaque des Chaldéens. Un fragment de chronique babylonienne fait allusion à cette expédition qui ne semble pas avoir abouti. Bien que les mercenaires grecs d'Amasis eussent été mis en fuite, il ne semble pas que Nabuchodonosor ait cherché à poursuivre son avantage (567). Des inscriptions rupestres, sculptées par Nabuchodonosor sur les rochers de Nahr el Kelb, au nord de Beyrouth, témoignent de son passage, vers cette époque, sur le littoral libanais. 15. La république à Tyr (564) En 564, à la mort d'Itobaal III, la royauté est abolie à Tyr et remplacée par un régime semi-républicain, celui des Suffètes ou Juges, qui sera appliqué à Carthage et copié plus tard, à Rome, sous le nom de régime des Consuls. 16. Chaldée, Médie, Lydie et Grecs
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a. Fortification de Babylone Les ambitions des Mèdes commencent à inquiéter Nabuchodonosor, qui trouve prudent de prendre ses précautions pour l'avenir. En dépit de ses excellentes relations avec le roi Cyaxare et son fils Astyage, le roi de Babylone cherche à se protéger contre une éventuelle expansion de ses voisins de l'Est. Il reconstruit, entre le Tigre et l'Euphrate, à l'endroit où les deux fleuves se rapprochent le plus, dans la région de Sippar (Abou-Habba), la
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«grande muraille» antique, ou «Mur d'Amourrou», cette vieille ligne de défense que les empereurs sumériens d'Our III avaient édifiée vers 2260, pour prémunir la région contre les Amorrites qui s'agitaient, à cette époque, le long de l'Euphrate (I, p. 284). Elle servit aussi contre les Araméens. Restauré maintenant pour servir éventuellement de défense contre les Mèdes, le vieux Mur d'Amourrou est dénommé, par les Babyloniens de 600, le «Mur des Mèdes». C'est la gigantesque enceinte que nous avons décrite plus haut (p. 257-258). b. Lydiens et Mèdes, rivalité et entente (591—585) Après la ruine de Ninive (612), la Lydie a recouvré son indépendance et restauré sa prospérité commerciale. Le roi Alyatte (610—561), avec l'appui des banquiers ioniens d'Ephèse, renforce son armée de mercenaires grecs, s'empare de Smyrne et étend sa domination jusqu'à la vallée de l'Halys, où il se heurte aux Mèdes. Cyaxare (633—584), roi de Mèdie, qui a recueilli la succession de Ninive en Assyrie et en Asie Mineure, convoite le royaume voisin de Lydie, centre florissant du commerce mondial de l'époque. Pendant six ans (591—585), Mèdes et Lydiens guerroient sans résultat. Une paix de lassitude, conclue entre eux, est scellée par un mariage. Aryénis, fille d'Alyatte de Lydie, épouse Astyage, fils de Cyaxare de Mèdie. La frontière entre les deux royaumes est fixée sur le fleuve Halys. A la mort de Cyaxare (584), le royaume mède était devenu le plus puissant Etat de l'Asie antérieure. c. Les Arméniens en Ourartou (vers 600) C'est à cette époque (vers 600), que de nouveaux Aryens venus du Nord, les Arméniens, s'installent dans le vieux pays d'Ourartou, la future Arménie. d. Prospérité de la Lydie sous Crésus (561—546) Crésus (561—546), roi de Lydie, fils et successeur d'Alyatte, soumet Ephèse et achève l'annexion des côtes et de tous les pays d'Asie Mineure jusqu'à la vallée de l'Halys. Evitant de se mettre à dos les Grecs des îles et d'Europe, le roi de Sardes eut la sagesse de ne pas faire de la Lydie une puissance maritime. Il fut un des agents de l'hellénisation de l'Asie Mineure et combla de ses libéralités les sanctuaires grecs. Maître d'un très vaste territoire, enrichi par le commerce, Crésus est resté légendaire par ses richesses et par son faste. Il est l'auteur d'une réforme monétaire, par laquelle des pièces d'or fin sont substituées aux pièces d'électrum frappées par ses prédécesseurs. Sardes, vers 550, est le
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plus grand centre d'échanges du monde ancien et sa monnaie a cours en Grèce et en Asie. e. Astyage, dernier roi de race mède (584—555) Astyage (584—555), roi de Médie, fils et successeur de Cyaxare, eut un règne long et pacifique. Modelée sur les habitudes assyriennes, sa cour se distinguait par un luxe brillant; la chasse était la grande distraction. Mais le peuple et les grands du pays étaient mécontents du monarque, auquel on reprochait son ivrognerie et son injustice. Le règne d'Astyage se terminera par sa déposition et par la ruine de sa dynastie, au profit de la dynastie parente des Perses d'Anzan ou Perses Achéménides. 17. Chute de la dynastie mède en Iran. Avènement de la dynastie des Perses achéménides (555) a. La dynastie royale des Perses achéménides (555—330) Le royaume de Médie, on l'a vu, est un agglomérat de tribus et de races en voie de fusionnement. Une population composite, formée d'Asianiques autochtones et d'Indo-Iraniens immigrés, de Sédentaires et de Nomades, disséminés dans les diverses régions de l'Iran occidental, obéit à des chefs indo-iraniens qui appartiennent à deux groupes ethniques parents: les Mèdes et les Perses. Au-dessus de ces chefs féodaux, règne, à Ecbatane, le roi des rois, suzerain suprême, qui, depuis la formation du royaume (vers 700), est de souche mède. Intercalés entre l'Elam et la Médie, les Perses fondent, sous un de leurs chefs, Achémenès, une principauté vassale de l'Elam. Lorsqu'en 640, Suze, révoltée contre Ninive, est détruite par Assourbanipal, le fils d'Achémenès, Teispès (675—640), en profite pour s'émanciper de l'Elam et se proclame roi de la ville d'Anzan (p. 236). Après 640, ce petit royaume est rattaché à la Médie. Profitant des difficultés de l'Elam et de l'éclipsé de la Médie, envahie par les Scythes (653—625), les successeurs de Teispès s'agrandissent à l'Est et annexent à leur domaine la région de Parsa, le Fars actuel. Après le redressement de la Médie, sous Cyaxare (633— 585), les Perses retombent sous la suzeraineté des Mèdes. L'un des successeurs de Teispès, Cambyse, épouse la fille de son suzerain Astyage; de cette union naquit Cyrus le Grand. b. Cyrus le Perse (555—528) se substitue à Astyage En 555, Cyrus monte sur le trône d'Anzan. Tout en continuant à reconnaître la suzeraineté de son grand-père Astyage, il profite du mécontentement des Mèdes pour agrandir ses possessions à l'Est. Une entente se-
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crête, nouée entre le roi de Babylone et Cyrus, inquiète Astyage, qui marche contre celui-ci. Mais l'armée et l'entourage d'Astyage, gagnés par le monarque d'Anzan, se révoltent contre leur souverain et le livrent à son adversaire qui le traite avec une grande noblesse. Le vainqueur entre dans Ecbatane, dont il fait sa capitale, épouse sa cousine Amytis, fille du roi vaincu, et devient le «roi des rois». c. La Médie devient la Perse
En réalité, il s'agit bien moins d'une conquête de la Médie par les Perses, que d'une sorte de révolution intérieure, qui substitua, dans le cadre d'un même pays, une dynastie à une autre de même race. Outre que Perses et Mèdes sont proches parents et parlent la même langue, le roi vainqueur est le petit-fils du monarque vaincu. Il n'y eut, en somme, qu'un changement de nom: la Médie est devenue la Perse; mais Perses et Mèdes sont devenus unis et associés dans la direction de l'Etat iranien, et Ecbatane, centre politique de la Médie, est restée, avec Anzan et Pasargades, la capitale de la nouvelle dynastie. «La victoire sur la Médie ne connut pas cette apothéose sanglante et destructrice avec laquelle les Assyriens ou les Babyloniens, les Elamites ou les Carthaginois affirmaient leur pouvoir sur les peuples vaincus. Non seulement Ecbatane est épargnée, mais elle continue à jouer le rôle de capitale . . . Les fonctionnaires mèdes, à qui on adjoint quelques Perses, sont maintenus à leurs postes, et la substitution du pouvoir se produit si discrètement que, pour les peuples occidentaux, le royaume perse reste le royaume mède.»11 Les contemporains n'ont d'ailleurs pas interprété autrement ce renversement des rôles qui venait de s'opérer en Médie. Babylone, qui l'aurait encouragé au début, et les autres capitales du Proche-Orient qui l'avaient observé avec détachement, n'y virent, à cette époque, qu'un simple événement local, une crise intérieure, susceptible peut-être de retenir l'attention des dirigeants iraniens et d'affaiblir leur monarchie. Pour les Grecs, un peu lointains, ce renversement de la dynastie mède ne semble pas les avoir intéressés. L'Iran occidental, métamorphosé en Perse, restera, pour les Grecs, la Médie. Et les célèbres guerres grécoperses, entreprises entre les deux pays, seront connues sous le nom de «Guerres Médiques». Ainsi l'histoire postérieure nous révèle que cette substitution des Perses aux Mèdes, anodine au moment où elle se produisit, ouvrira à l'Iran une grande ère de gloire et de grandeur, et aura des conséquences capitales pour le Proche-Orient et le monde civilisé de l'époque. » Ghirshman, op. cit., p. 109, 110.
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d. Cyrus organise son nouveau royaume Cyrus s'emploie à organiser le grand royaume qu'il vient de conquérir. Il travaille à unir les diverses tribus iraniennes et non iraniennes, sédentaires et nomades, qui constitueront le noyau et la force de l'Etat. Il crée un collège de sept princes perses, qui constitue un conseil royal; le roi est le premier parmi eux. Il gagne les Mèdes par une politique habile et réaliste et leur octroie une participation à l'administration du pays. e. Décadence de la dynastie babylonienne Pendant qu'en Iran la monarchie est régénérée par la substitution des Perses aux Mèdes, en Chaldée, par contre, l'Etat traverse une crise de déclin. La mort de Nabuchodonosor (562) est suivie d'une crise dynastique qui dure près de sept ans. En 555, au moment où l'audacieux Cyrus soumet la Médie, un vieillard dénué d'ambition, Nabonide (555—539), monte sur le trône de Babylone. Ce nouveau roi, fils d'une prêtresse du dieu Sin (Lune), consacre tout son temps au culte de cette divinité, à la restauration des anciens sanctuaires et à des recherches «archéologiques». La classe sacerdotale, négligée, est mécontente. Vieux et érudit dans les choses sacrées, Nabonide, que les modernes ont surnommé «le roi sacristain», vivait à Teima, à proximité de Babylone, et ne venait presque pas dans sa capitale. La défense du pays est laissée au prince héritier, Belsharousour, le Balthazar de la Bible. f . Nabonide à Hama et à Tyr (553—552) Pendant que Cyrus procédait à la réorganisation de son royaume et de son armée, Nabonide, abandonnant la Chaldée, se transporte en Syrie, pour y réprimer une révolte à Hamath (553), puis à Tyr, pour y régler des questions dynastiques (552). Le régime des Suffètes, que les Tyriens s'étaient donné à la mort d'Itobaal III (564), était abandonné et la monarchie rétablie (558). Baléozor, nouveau roi de Tyr, ne règne qu'un an (558); il a pour successeur Merbaal (558—554), un des fils d'Itobaal qui vivaient à Babylone comme otages. A Merbaal succède, en 554, son frère Hiram, pour l'installation duquel Nabonide était venu en personne jusqu'à Tyr. g. Inquiétude en Egypte. Alliance avec Crésus et Nabonide En Egypte, toute l'attention du Pharaon Amasis, à partir de 550, est attirée vers le Nord où gronde l'orage d'une nouvelle invasion. Le déclin de Babylone, après la mort de Nabuchodonosor, l'avènement et l'ambition
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conquérante de Cyrus, inquiètent les dirigeants de la Vallée du Nil. Après s'être déplacé de Ninive à Babylone, le danger, pour l'Egypte, se fixe maintenant à Anzan et Ecbatane, dans les plateaux de l'Iran. Grâce à sa flotte puissante, qui le met en contact avec le monde méditerranéen et égéen, Amasis conclut une alliance avec Crésus, roi de Lydie, qui redoutait, de son côté, l'ascension vertigineuse du roi des Perses (547). Un accord est, en outre, passé entre Pharaon et Nabonide de Babylone. Mais la riposte de Cyrus à ces préparatifs est foudroyante. En 546, Crésus est vaincu et détrôné et, en 539, Babylone est prise d'assaut.
III. La religion iranienne sous les rois mèdes. La réforme religieuse de Zoroastre
1. Religions des Iraniens La religion primitive des tribus aryennes ou indo-iraniennes comprenait deux groupes principaux de divinités: d'une part, les Dêva, ou dieux célestes, et, d'autre part, les Ahoura, ou maîtres. Après la séparation des Iraniens et des Indiens, ces derniers divinisèrent les Dêva et réduisirent les Ahoura au rôle de titans, puis de démons, ennemis des dieux. Les Iraniens, par contre, transformèrent les Dêva en démons et les Ahoura en dieux véritables. Malgré la pénurie de documents, on distingue, chez les Iraniens de cette époque, trois formes de religion: celle du peuple, celle des mages et celle des rois ou religion royale. A ces trois religions, s'ajoutera, vers la fin du Vile siècle, le mazdéisme zoroastrien. 1) La religion du peuple est celle des populations autochtones, qui sont de souche asianique. C'est une religion naturiste, qui, comme celle de tous les pays de l'Asie antérieure, ne connaît pas de Seigneur universel comme dieu. Quatre éléments sont adorés: la lumière (du soleil et de la lune), l'eau, la terre, le vent. Les sacrifices d'animaux sont admis; le sacrificateur prie pour la prospérité du roi et du pays. 2) La religion des mages. Les mages appartiennent à une tribu indoiranienne mède qui, comme la tribu de Lévi en Israël, constitue la classe sacerdotale. Ils possèdent certaines attributions politiques et religieuses. A la différence de la religion du peuple, continuatrice des cultes et des traditions asianiques autochtones, la religion des mages a conservé, jusqu'à la rédaction de YAvesta, une foule de croyances et de traditions aryennes, apparentées à celles des Aryens de l'Inde. Spécialisés dans la connaissance et la pratique du rituel religieux, les mages ne servent que pour les sacrifices qu'ils offrent. Ils n'enterrent les cadavres qu'après qu'ils aient été déchirés par des animaux. Cet usage a persisté chez les Parsis, émigrés de l'Iran dans l'Inde, après l'occupation de l'Iran par les Arabes de l'Islam. 3) La religion royale est celle des rois mèdes et perses, qui feront de leurs divinités indo-iraniennes, et notamment des Ahoura ou «Seigneurs», les protecteurs de la dynastie et du pays. 4) Enfin, la religion zoroastrienne, prêchée par un réformateur et
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prophète mède, Zoroastre, met au sommet de l'univers Ahoura-Mazda ou «le Seigneur Sage», le plus grand de tous les dieux.
2. La réforme religieuse de Zoroastre ou le mazdéisme zoroastrien a. Zoroastre, réformateur et fondateur de religion Le zoroastrisme ou mazdéisme zoroastrien, c'est la religion royale réformée par Zoroastre. La doctrine de cette nouvelle religion est contenue dans un livre sacré, YAvesta, code sacerdotal de la réforme, qui ne sera rédigé qu'au Ille siècle de notre ère et décrété livre canonique au IVe siècle. Zorathoustra (Zoroastre) vivait, suivant l'opinion généralement admise aujourd'hui, entre le Vile et le Vie siècle av. J.-C.; précisant encore davantage, l'orientaliste West fixe ce temps entre 660 et 583. Né en Médie, non loin de l'actuelle Téhéran, contemporain des rois mèdes Phraorte et Cyaxare (respectivement 655—633 et 633—584), Zoroastre, parmi les prophètes et fondateurs de religion, est le premier non-Sémite connu. La vie de ce Mède inspiré est une série de miracles. Se sentant appelé à remplir une mission, il se retire du monde à l'âge de vingt ans. A trente ans, une première apparition le conduit devant le tribunal divin d'AhouraMazda, «le Seigneur Sage», avec lequel il s'entretient et qui lui révèle une loi morale et une pratique religieuse très pures à enseigner aux Mèdes. A la suite de six autres apparitions, l'Inspiré qui, comme le prophète Mahomet, proclame n'être qu'un simple mortel, s'encourage à prêcher sa doctrine, à laquelle s'opposent vigoureusement les prêtres. Cette doctrine, qui entend réformer l'ancienne religion iranienne en lui rendant sa pureté antérieure, l'oriente dans un sens plus monothéiste et la dote d'une morale plus élevée. A quarante ans, Zoroastre, sur l'ordre d'Ahoura-Mazda, se rend à la cour du roi de Bactriane, dans le Nord-Est de l'Iran, et réussit à convertir ce monarque. Les prosélytes et les conversions en masse que ce succès gagna à la réforme lui suscitèrent, en revanche, de nombreux adversaires, particulièrement chez les prêtres et les grands. Des guerres saintes occupèrent les dernières années du prophète, qui perdit la vie au cours d'un combat (583). Longtemps après sa mort, sa doctrine sera celle d'une secte persécutée. b. Aspect religieux de la réforme de Zoroastre Le vieux dieu des Médo-Perses, Ahoura, appelé parfois Ormuz, qui a révélé la loi à Zoroastre en lui ordonnant de prêcher son culte, est le Seigneur Sage ou Savant par excellence (Ahoura-Mazda). Ce dieu suprême
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et créateur est aussi le dieu de la bonté, de la beauté, de la sagesse, de la lumière, de la pureté, de la vérité. Tous les dons viennent de lui, et notamment ceux de la vie et de l'immortalité. L'enseignement de Zoroastre est basé sur l'existence de deux principes: la lumière et les ténèbres, le bien et le mal. Ces deux principes sont toujours en lutte, avec des alternatives de succès et de revers; ils ont chacun une armée à leur service: l'armée du ciel et celle de l'enfer. A la tête de ces deux puissances antagonistes, il y a, d'une part, AhouraMazda, qui crée ce qu'il y a de bon, et, d'autre part, Ahriman, ce qu'il y a de mal. Ahoura-Mazda, qui commande l'armée céleste, est entouré d'un conseil de six demi-dieux, les Saints Immortels, qui semblent se confondre avec les divinités secondaires de l'ancienne religion du peuple médo-perse. Ces demi-dieux, qui se tiennent devant le trône divin d'Ahoura-Mazda, annoncent les futurs archanges de la religion chrétienne: Gabriel, Michel, Raphaël. Au-dessous des Saints Immortels, des milliers de dieux inférieurs ou génies personnifient les forces du Bien: le soleil, la lune, les étoiles, la terre, l'air, le feu, l'eau, la vérité, la justice, la paix, la puissance. Cette armée du Bien se divise en deux classes: une céleste, commandée par le Dieu suprême Ahoura-Mazda, et l'autre terrestre, dirigée par Zoroastre. L'armée du Mal, commandée par Ahriman, comprend les forces infernales, les démons, dont l'enfer est peuplé. Ils personnifient les forces du mal, les péchés, les fautes, les maladies; on peut conjurer leur action par des cérémonies religieuses, et la lumière du jour, le soleil, les met en fuite. Ce dualisme qui oppose Ahriman à Ahoura-Mazda, les mauvais génies aux bons, la punition à la récompense après la mort, aurait inspiré ces mêmes conceptions chez les Juifs, exilés dans la région de Babylone jusqu'à l'avènement de Cyrus. Il se retrouve dans la doctrine chrétienne: Dieu et Satan, les anges et les démons, le jugement dans l'autre monde, le ciel et l'enfer, l'immortalité de l'âme et la résurrection des morts. Ahoura-Mazda, comme le dieu babylonien Mardouk, n'est donc pas un dieu unique. La religion zoroastrienne est un polythéisme hiérarchisé, où toutes les divinités du pays, asianiques autochtones et aryennes importées, sont groupées sous la présidence suprême d'Ahoura-Mazda. Ainsi la fusion des races aryennes et asianiques, qui était déjà avancée en Iran, se reflète dans la religion comme dans la civilisation du pays. c. Immortalité de l'âme. Jugement après la mort L'âme est immortelle. Après avoir flotté, pendant trois jours, autour du cadavre, elle est emportée par le vent devant un tribunal de trois juges,
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qui, pesant les actes de l'homme durant sa vie, la punit ou la récompense. Traversant alors de belles demeures, l'âme du juste monte aux Cieux, auprès d'Ahoura-Mazda, où elle continuera à lutter pour aider Dieu jusqu'à la victoire finale. Celle du méchant trébuche en route et tombe dans les profondeurs des enfers. Un purgatoire reçoit les âmes de ceux dont les bonnes et les mauvaises actions se contrebalancent. «Les derniers jours seront annoncés par la venue d'un Messie sauveur et libérateur, Saoshyant, qui renouvellera le monde après la résurrection, et précédera le jugement dernier. Un flot de métal en fusion couvrira la terre et la purifiera. Alors aura lieu le dernier combat d'Ormazd et d'Ahriman, du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres, pour se terminer par la défaite complète et irrémédiable du second.»12 Sans être donc monothéiste, la doctrine zoroastrienne est un grand progrès vers le culte du dieu unique. D'autre part, la vieille croyance égyptienne dans la survie est portée par Zoroastre jusqu'à l'immortalité de l'âme. «Elle pénétra dans les doctrines juives, et, par cette filière, le zoroastrisme atteignit même la théologie chrétienne.»13 d. Le culte zoroastrien «Le culte est strictement réglementé. Les sacrifices sanglants sont bannis, car la bête qui nourrit l'homme et travaille pour lui doit être vénérée. Le haoma, la boisson enivrante, est exclu également. Enfin, les morts ne peuvent être ni enterrés, ni brûlés, ni immergés, de peur de souiller les trois éléments sacrés que sont la terre, l'eau et le feu. On doit exposer les cadavres sur les montagnes ou sur des tours spécialement élevées à cet effet, puis enfermer les os décharnés dans des ossuaires qu'on dépose dans des sépultures creusées dans les rochers ou construites.»14 Le culte principal est celui du feu, symbole de l'Etre suprême, AhouraMazda, Dieu de la lumière. Dans le temple, au milieu de la chambre de jeu, brûle une flamme éternelle que personne ne doit toucher, ni même souiller de son haleine. Aussi, les prêtres qui officient ont-ils un voile devant la bouche et des gants aux mains. e. Valeur morale de la doctrine de Zoroastre La terre, à l'origine, était un lieu de délices; mais Ahriman, l'esprit du mal, y a introduit la nuit, l'hiver, la grêle, les fauves, les insectes nuisibles, la destruction, la désolation, la mort et autres éléments de son armée maléfique. 12 13 14
C. Huart et L. Delaporte, L'Iran antique, Ghirshman, op. cit., p. 181. Ghirshman, op. cit., p. 142.
Elam et Perse, p. 413.
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Dans la lutte gigantesque et sans trêve, engagée, dans l'univers, entre le Bien et le Mal, et à laquelle tout homme doit participer, chaque existence humaine a une signification et une valeur profondes. De cette lutte, qui doit se terminer par la victoire du bon Esprit, l'homme doit faire son modèle; il doit rallier l'armée du Bien, celle des bons génies, dirigée par Zoroastre et commandée par Ahoura-Mazda. Dans ses actions et dans son cœur, l'homme de l'armée du Bien doit lutter contre le Mal, pour réaliser un idéal de justice et de pureté et gagner sa place dans un séjour de félicité. De là une morale à base religieuse, qui commande la piété, la sincérité, le travail, la justice, la droiture, et condamne la calomnie et la médisance. Le mensonge est la plus honteuse des fautes. La pitié à l'égard des sectateurs du démon est une faiblesse défendue, car elle s'oppose à la justice qui commande de punir. Pour pouvoir triompher des forces du Mal, l'homme de bien doit fortifier son corps et accroître le nombre des siens. Il doit donc bien se nourrir, se marier et avoir des enfants qu'il élèvera dans la même foi. Le mariage est obligatoire et la polygamie conseillée et encouragée. Dans cette existence de lutte, de travail agricole et de vie familiale, l'ascétisme n'est pas l'idéal. «Pour Zoroastre, le monde obéit à un plan, est un processus historique, un champ de bataille où se livre une lutte passionnée entre des forces opposées, et où l'enjeu du combat, c'est précisément l'enfantement pénible de cet état parfait où les hommes vertueux, après avoir contribué à sa formation, jouiront d'une éternelle félicité.»15 La valeur morale et spirituelle de la doctrine zoroastrienne apparaît, dans toute son élévation, quand on la compare à la religion contemporaine de la Chaldée voisine. Nous avons vu, en effet, que les croyances et les pratiques religieuses de la Babylone de Nabuchodonosor sont encore, vers cette époque, celles des temps anciens (p. 258). f . Aspect
social de la réforme de
Zoroastre
Sur le plan social, la réforme de Zoroastre procède d'un éternel principe de justice sociale, la protection et la défense des faibles, des classes populaires, des déshérités, et même des animaux, contre la malfaisance, l'iniquité et la tyrannie des mauvais maîtres. «L'homme doit être bon pour les animaux, les soigner, les bien traiter. Parmi les méchants sont le mauvais juge, l'homme qui abandonne son champ et celui qui oppresse les autres. Un bon prince combat pour sa religion, défend son peuple, nourrit le pauvre, protège le faible. «Bonne pen15
Kreglinger, cité par Challaye, Petite
histoire
des grandes
religions,
p.
122.
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sée, bonnes paroles, bonnes œuvres, voilà la triade qui renferme la morale zoroastrienne.» 16 Zoroastre demande à Ahoura-Mazda de susciter «des chefs justes, mais puissants», de «bons tyrans», qui protègent le peuple contre l'avidité des puissants. Dieu sage et juste, Ahoura-Mazda, auquel s'adresse la prière de Zoroastre, est le dieu suprême qui gouverne l'univers. «Du polythéisme, on passe graduellement au monothéisme» (Moret). L'homme juste doit non seulement s'interdire de commettre de mauvaises actions, mais encore agir et combattre les méchants. Il trouvera sa récompense, si ce n'est dans ce monde, certainement après la mort. «Depuis deux mille ans, la plèbe égyptienne, faute de voir triompher la justice humaine sur terre, attend, dans la vie d'outre-tombe, une justice divine, réparatrice des iniquités terrestres, qui dispense aux bons, mais refuse aux méchants la résurrection.» 17 Par contre, à Babylone, chez les Chaldéens de cette époque, «la pensée d'une rétribution après la mort n'a pas fait de progrès» (Delaporte). g. Zoroastre, Bouddha, Confucius, presque
contemporains
La réforme religieuse de Zoroastre n'est pas, vers 600, un phénomène isolé. Un mouvement d'émancipation civique et politique, un besoin de paix, d'ordre, de justice se dessine, un peu partout, vers cette même époque, et s'exprime par des réformes religieuses. En Grèce, la plèbe, dirigée par des «Tyrans», arrache aux grands les droits civiques et politiques. Dans le Proche-Orient, «qui subit le joug et ne vit depuis plus d'un siècle que dans la hantise des massacres collectifs et des migrations forcées, une lassitude de tant d'horreurs, de tant de boucheries et de tant de larmes, semble gagner les esprits et les cœurs. «Dans l'exil de Babylone, les prophètes juifs épurent leur sectarisme rudimentaire . . . La notion du dieu unique et universel, et non plus seulement exclusif, s'affirme; aussi la notion que les rites ne sont pas l'essence de la religion, mais que seule compte aux yeux de Yahvé une vie conforme au bien. De là découle le principe égyptien de la responsabilité individuelle. Le fils ne portera plus l'iniquité du père . . . Aux Indes aussi la pensée cherche un remède et une consolation à la grande pitié de la condition humaine. Deux grands hérésiarques (Mahavira et Bouddha) naissent en ce milieu du Vie siècle . . . C'est le milieu du Vie siècle qui voit naître aussi le sage de la Chine: Confucius . . . Lao Tseu, le fondateur du taoïsme chinois, est également contemporain de Confucius. . . 16 17
Ghirshman, op. cit., p. 140, 142. Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 713.
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Ainsi du monde entier commence de s'élever cet appel vers une humanité meilleure, vers une destinée moins dure; ainsi commence cette recherche de solutions religieuses et humaines à l'universelle et humaine misère.»18 h. Rôle du zoroastrisme dans l'Etat Sans adopter officiellement la doctrine de Zoroastre, les rois mèdes, tolérants de nature, cherchent à employer l'ardeur de la jeune secte au service de leur politique. La persécution diminue à mesure que progresse l'absolutisme du pouvoir royal et ses ambitions extérieures. Le monothéisme zoroastrien, qui est un «monarchisme divin», cadre parfaitement avec l'impérialisme grandissant de la monarchie mède. Fanatisée et organisée, la nouvelle secte, devenue une communauté puissante, constitue une force précieuse dont les dirigeants cherchent à tirer profit. Au moment où Zoroastre commence à prêcher sa doctrine, les rois mèdes se préparaient à la grande guerre contre Ninive, qu'ils détruisent, en 612, avec l'appui des Chaldéens. Ils avaient donc intérêt à grouper, sous leur autorité, toutes les forces vives du pays. Cette mobilisation des énergies nationales fut encore plus nécessaire lorsque, après la destruction de l'Empire assyrien, les rois mèdes durent maintenir sous leur joug les anciennes provinces assyriennes qu'ils s'étaient annexées après le partage de cet Empire. «La réforme zoroastrienne a fourni aux Iraniens une force morale toute neuve et l'ardeur combative des prosélytes, au moment même où Ninive relâchait sa défense en éparpillant ses armées contre ses sujets révoltés, au moment où l'empire assyrien ne pouvait plus imposer son idéal politique, ni opposer le despotisme à une théorie généreuse d'émancipation et de justice.»19 C'est seulement sous les Perses Sassanides (226—652 ap. J.-C.), que le zoroastrisme deviendra la religion officielle de l'Empire perse. Mais il connaîtra, comme toutes les religions d'Etat, plusieurs sectes dissidentes, dont les deux plus importantes, le manichéisme et le mazdékisme, auront une importance politique considérable. C'est sous les Sassanides que la doctrine zoroastrienne sera consignée dans le livre sacré de l'Avesta. L'Islam conquérant, qui subira profondément en Iran l'influence persane, mettra fin au zoroastrisme officiel. Une colonie de fidèles, cherchant la liberté hors du pays occupé par les Musulmans, émigré aux Indes, au début du Ville siècle de notre ère, où elle continuera le culte ancestral. Ce sont les Parsis actuels, du nom de leur pays d'origine: Pârsa; ils vivent aujourd'hui dans la région de Bombay, où ils pratiquent toujours l'an18
De Laplante, op. cit., I, p. 90, 91, 92. " Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 713.
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tienne religion zoroastrienne. En Perse même, les Zoroastriens ne forment plus actuellement qu'une faible communauté, une dizaine de mille environ, désignés officiellement sous le nom de Zerdoushti, «zoroastrien». Les Persans les appellent «les adorateurs du feu», à cause du culte adressé au feu, symbole d'Ahoura-Mazda. Le monde doit à l'Iran de magnifiques idées religieuses. Le zoroastrisme, le mithraïsme, le manichéisme, furent de nobles doctrines, qui aidèrent l'humanité à s'élever vers de hautes et sublimes aspirations.
A Le grand Empire perse. Fondation, consolidation, organisation
I. Fondation de l'Empire. Cyrus et Cambyse 1. L'Empire
perse achéménide, premier grand Empire indo-européen
A partir de l'expansion des Perses Achéménides, la «faculté de conduire l'histoire», qui, jusqu'alors, était l'apanage de l'Orient méditerranéen ou méridional, passera au Proche-Orient asiatique ou septentrional. A plusieurs reprises déjà, ce monde des Plateaux du Nord avait cherché à dominer l'Orient des Oasis. Les Gouti et les Kassites, qui s'installèrent à Babylone, ne purent y constituer que des royaumes régionaux. Il en fut de même des Hittites d'Asie Mineure, dont l'Empire ne dépassa pas les frontières méridionales de la Haute Syrie. L'empire des Hyksôs, fondé et dirigé par une aristocratie mitannienne, ne fut, politiquement et géographiquement, qu'un empire égyptien, dont le centre était fixé dans le Delta du Nil. Seuls, les Assyriens, dont le pays et la race formaient une transition entre le Sud et le Nord, gouvernèrent leur Empire en se maintenant dans leurs plateaux, à Ninive. Mais avec les Perses, montagnards de l'Iran, successeurs des Gouti, des Kassites et même des Hittites et des Mitanniens, l'Orient méditerranéen sera sous la domination de celui des Plateaux. Cependant, la déchéance politique du vieil Orient méditerranéen n'est pas encore totale. Il demeurera, longtemps encore, le centre de gravité économique, culturel et même politique du monde de l'époque. La Mésopotamie reste encore la Grande Route, et l'isthme syro-mésopotamien, carrefour des routes mondiales, le trait d'union ou le «pont» indispensable entre l'Asie et le monde méditerranéen. Aussi, les nouveaux maîtres iraniens, négligeant leurs plateaux du Nord et leurs forteresses montagneuses, choisissent-ils, comme centre politique de leur Empire, le plateau d'Elam, ce pays mi-mésopotamien et mi-iranien, qui n'est, géographiquement, qu'une continuation de la plaine du TigreEuphrate. «L'Achéménide est si bien, par l'appareil extérieur de sa royauté, l'héritier des anciens monarques du Tigre et de l'Euphrate, que c'est sur le sol chaldéo-élamite, à Suse, qu'il fixe sa résidence.»1 Babylone sera aussi la résidence d'hiver des Grands Rois perses, et Ecbatane, celle où ils passeront les mois les plus chauds de l'été. Ainsi, l'Orient méditerranéen ou des Oasis ne sera, politiquement, qu'à moitié déchu. Sa culture et sa civilisation sémito-hamitiques continueront 1
Grousset, Les Civilisations
de l'Orient, I. p. 102.
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de rayonner, sous l'égide de la suprématie libérale et tolérante des Achéménides, qui en seront imprégnés. C'est la langue sémito-araméenne qui sera adoptée et proclamée comme langue officielle de l'Empire perse. Bref, si les dirigeants autochtones de l'Orient sémito-pharaonique ont été déchus de leur rôle politique, ce vieil Orient lui-même est demeuré, géographiquement, le centre politique, économique et culturel du nouvel Empire perse.
2. Caractère de la domination perse Les traits les plus caractéristiques, par lesquels la domination des Perses se distingue de celle de tous leurs prédécesseurs, c'est la fondation d'un Empire unitaire, centralisé et ordonné. C'est aussi, et surtout, la formation d'un grand Etat composé, auquel une administration libérale donnera, sinon l'unité organique, du moins l'unité politique et économique. C'est enfin le comportement des Perses envers les rois et les peuples vaincus, qui sont traités avec clémence; les coutumes et les institutions de ces derniers sont maintenues et respectées et leurs religions honorées. Cette nouvelle politique, impériale et libérale, faite de tolérance, de justice et de fermeté, que seule l'Egypte des Pharaons avait pratiquée aux époques antérieures, contraste singulièrement avec celle des Sémites dont les empires n'avaient «su, pendant des siècles et des millénaires, que perpétuer le morcellement, la haine et la violence».2 Hammourabi, vers 2000, avait soumis des agglomérations et des cités de même race, dans une région géographique relativement homogène, et leur avait imposé le même dieu national, les mêmes lois et la même langue. La domination des Hyksôs fut celle d'une organisation féodale où les provinces étaient presque autonomes. Les Assyriens avaient dominé par la force, et asservi les vaincus en brisant leurs cadres et leur personnalité nationale. Pour la première fois, les Perses groupent des races diverses, des régions hétérogènes, dans un même Etat centralisé, qui accorde à tous les sujets des droits égaux, leur impose les mêmes charges et laisse à chaque groupement géographique et ethnique ses traditions particulières, sa religion, ses institutions, ses lois, ses fonctionnaires, et même ses chefs locaux. Cette politique, nouvelle dans les annales du monde antique, attire à la race impériale et à ses rois l'affection et le loyalisme des peuples assujettis. «Les précédents essais d'empire n'avaient été que des synthèses fragiles, vouées à la ruine, soit par manque de fermeté, soit par abus de la force. Le vieux titre de shar kishshati, dont se parèrent les Rois des 4 régions, les 2
R . Grousset, Les Civilisations
de l'Orient,
I, p. 102.
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LE GRAND EMPIRE PERSE
Pharaons d'El-Amarna, les Téglat-phalasar, Sargon et Assourbanipal, devint une réalité avec les grands rois de Perse. Deux siècles de répit et de prospérité succédèrent aux frénésies de l'ère assyrienne.»3 3.
Cyrus le Grand, fondateur
de
l'Empire
Cyrus (555—528) est une des grandes figures de l'histoire. «Ce grand homme est digne d'admiration», écrira de lui Xénophon. La nature lui avait donné une intelligence lucide et pratique; l'éducation y ajouta l'esprit de méthode, le sens de l'exactitude et le zèle à remplir ses devoirs, autant de qualités qui ont toujours manqué à ses prédécesseurs sémites. Cyrus est à la fois un grand chef militaire et un politique de premier ordre. Il possède deux qualités éminentes: le sens de l'opportunité et l'art de connaître, de manier et de mener les hommes. Le régime de terreur, pratiqué par les rois d'Assyrie et de Chaldée, fait place, avec l'avènement de Cyrus, à une doctrine gouvernementale et religieuse qui est toute de tolérance et de générosité. Plus d'exécutions, ni de déportations; au contraire, les rois vaincus sont traités avec clémence; les individus et les masses, déportés par les conquérants antérieurs, sont autorisés à rentrer dans leur pays. Cette politique intelligente assurera à l'unité orientale, forgée par Cyrus, une existence de plus de deux siècles. Avec Cyrus, l'ancienne Médie, devenue la Perse, en d'autres termes l'Iran, entre dans la grande histoire. C'est Cyrus qui groupera, sous son autorité souveraine, l'ensemble du monde iranien, jusque-là barbare et relégué hors du monde civilisé. Il donnera à ce monde inorganique et morcelé le sentiment de son unité, de sa personnalité, la notion politique de l'Etat et l'importance de son rôle dans le monde civilisé. Cette œuvre grandiose, prototype de celle que forgera le prophète Mahomet en Arabie et que les successeurs de Cyrus consolideront par la suite, formera une réalité historique, qui se continuera, avec des hauts et des bas, jusqu'à nos jours. C'est aussi grâce à Cyrus, qui soumettra à son autorité l'ensemble du Proche-Orient, que l'Iran, sortant de ses frontières, dominera presque, dès sa naissance, la scène politique du monde proche-oriental, en forgeant un vaste Empire, le premier dans l'histoire par son ampleur et par sa relative durée. Le miracle, c'est que cet Empire, immense et disparate, formé en un temps relativement court, ait pu aussi longtemps subsister. C'est en quelques années, en effet, que Cyrus, modeste roitelet vassal dans le petit pays d'Anzan, a fait de son minuscule domaine le noyau d'un Empire. L'Empire d'Alexandre le Grand, créé, lui aussi, en un temps très court, s'effondrera 3
Moret, Hist. de l'Orient, T. II, p. 815.
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cependant au lendemain de la mort du Macédonien. Si l'Empire romain, plus vaste, durera pendant de nombreux siècles, c'est qu'il sera l'aboutissement d'une lente et séculaire évolution. Le secret de la réussite et de la relative durée de l'Empire perse réside dans la sage politique de ses dirigeants. Loin de contraindre les divers peuples subjugués, qui forment une mosaïque d'entités géographiques, ethniques, culturelles et économiques, à adopter leurs institutions, leur religion et leur civilisation inférieure, Cyrus et ses successeurs accorderont à ces pays de vieille civilisation, que le succès des armes leur a soumis, de larges autonomies grâce auxquelles les cultures et les traditions locales sont sauvegardées, et même favorisées, au détriment de l'autorité centrale. 4. Caractère des Perses Sœurs des tribus mèdes, les tribus perses sont concentrées, depuis 700, le long du golfe Persique et dans l'Elam oriental (p. 259). Comme leurs frères mèdes, les Perses se distinguent par la force physique et la moralité. Grands, robustes, de peau blanche, unissant les aptitudes des montagnards à celles des nomades de la steppe, ils combattent à pied, à cheval et en char. Epris de justice et de liberté, plus bienveillants que les Mèdes, de tempérament libéral, ils respectent les coutumes étrangères et les adoptent facilement. «Monter à cheval, tirer de l'arc et dire la vérité», tel est le triple objectif de l'éducation de leurs enfants.» (Moret). 5. Les conquêtes de Cyrus Maître de l'Iran occidental et de l'Arménie depuis son accession au trône de Médie, Cyrus se rend compte que son royaume, cette zone de grand passage terrestre, a besoin des ports de l'Egée et de la Méditerranée orientale, où aboutissent les grandes routes continentales asiatiques. D'autre part, et dans le même ordre d'idées, les régions de l'Est iranien, où continuent à se mouvoir des tribus primitives turbulentes et belliqueuses, constituent un danger qu'il faut éliminer. C'est à la poursuite de ces deux buts que Cyrus consacrera sa vie. Son attention est d'abord portée à l'Ouest, vers l'Egée et la Méditerranée, dont le séparent la Lydie-Anatolie et la Chaldée-Syrie. a. Conquête de l'Asie Mineure (546) En se substituant aux Mèdes, les Perses étaient devenus les voisins de la Lydie en Asie Mineure. Le rapide accroissement de la Perse et ses visées
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sur l'Ouest, inquiètent Crésus, roi de Lydie, qui s'était déjà assuré des alliances avec l'Egypte, Babylone et la Grèce (Sparte). Fort de son armée solide et de sa superbe cavalerie, Crésus, sans attendre ses alliés, franchit l'Halys, décidé à combattre les Perses avant qu'ils ne deviennent encore plus forts. De son côté, Cyrus désire prévenir l'attaque de Crésus et combattre celui-ci avant l'arrivée de ses alliés. Après une bataille indécise, près de Sinope, des renforts égyptiens et phéniciens arrivent à Crésus. Pour les réincorporer, celui-ci se replie sur Sardes en dévastant le pays, afin d'empêcher l'ennemi d'avancer. Malgré l'hiver, Cyrus poursuit l'adversaire, dont la belle cavalerie, effrayée par les chameaux des Perses, se disperse. Crésus cherche le salut en s'enfermant dans Sardes, sa capitale, qu'on tenait pour imprenable. Après seize jours, la ville est prise et pillée (546). Crésus, capturé, est traité avec clémence; accueilli à la cour du vainqueur, il y jouera le rôle d'un conseiller. Les villes grecques du littoral, sujettes du roi de Lydie, refusent de se rendre; divisées comme toujours, elles sont conquises l'une après l'autre. b.
La Lydie, satrapie
perse
Réduite à son propre territoire, la Lydie devient, après cette époque, un Etat secondaire et vassal. «Cyrus, pour éviter un retour offensif des Lydiens, leur interdit les exercices militaires et l'usage des armes, leur recommandant le chant et la danse. Ils furent bientôt efféminés et acquirent de ce chef une peu flatteuse notoriété. Leur prospérité agricole, industrielle et commerciale, se maintient». Sous la domination des Perses, la Lydie formera une satrapie gouvernée par un Perse. Sardes sera la résidence d'un satrape perse, sorte de vice-roi de l'Asie Mineure. c.
Conquête de l'Est jusqu'à l'Indus
(545—539)
La disparition brutale de l'Etat lydien, après celle de la monarchie mède, comme jadis la ruine de l'Empire Hittite, détruit l'équilibre des forces sur lequel reposait, depuis 612, la paix internationale. Le jeune Empire perse, qui vient à peine de naître, s'étend déjà depuis l'Iran occidental inclus, jusqu'à la Mer Egée, la Marmara et la Mer Noire. Maîtres des grandes routes, qui, traversant l'Iran, mènent aux ports maritimes de la Grèce d'Asie, Cyrus a un besoin vital d'avoir, sous son contrôle, les ports maritimes de la Phénicie, où aboutissent les grandes routes qui mènent d'Iran vers la Méditerranée orientale, la Mer Rouge et l'Egypte. Mais avant de se lancer dans cette nouvelle aventure, où il lui faudra vaincre et soumettre Babylone, Cyrus cherche d'abord à assurer sa sécurité
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du côté de l'Est. Située à la périphérie orientale d'un Empire qui s'étend déjà jusqu'à l'Egée, la Perse de 546 se devait, avant de s'engager dans une grande guerre vers l'Ouest, de protéger ses frontières orientales. La campagne de l'Est occupera Cyrus pendant six ans (545—539). Les peuplades inconnues qui habitent entre la Caspienne et l'Inde sont soumises. Les régions de Merv (Margiane), de Samarcande (Sogdiane), de Bactriane, de Séistan (Sacastène), de Mikrân (Gédrosie), sont érigées en satrapies perses. Les Saces et les Massagètes deviennent tributaires. Ainsi, de l'Oural à l'Indus, les cadres de l'Empire englobent des populations primitives, autochtones, aryennes et asiatiques, qui ne seront plus une menace pour la Perse. Elles constitueront, au contraire, pour les armées de Cyrus et de ses successeurs, une réserve inépuisable de cavaliers et de soldats. Tranquille du côté de l'Est, Cyrus se retourne alors vers l'Ouest. Deux grandes monarchies manquent encore au grand Empire dont il rêve: la Chaldée et l'Egypte. d. Prise de Babylone (539) Dès 539, Cyrus se porte contre la superbe Babylone, dont la conquête était favorisée par le mécontentement du clergé et des grands, négligés par le roi Nabonide, et par les partisans que les Perses avaient gagnés à l'intérieur de la ville. Aussi, malgré la triple et gigantesque enceinte qui protégeait cette vieille capitale de l'Asie antérieure, Cyrus, après avoir battu l'armée du prince héritier Balthazar, détourne les eaux de l'Euphrate et, empruntant les canaux de la ville, entre à Babylone. Les Babyloniens, confiants dans leurs formidables moyens de défense, célébraient, par des danses et des beuveries, une grande fête religieuse. Balthazar est tué par un Babylonien qui avait à venger la mort de son fils. Quant à Nabonide, qui se rendit au vainqueur, il est fait prisonnier. Bien accueilli, il est nommé gouverneur de la Carmanie (au sud de la Médie). Maître de la vallée de l'Euphrate, Cyrus se proclame roi d'Accad et «roi des rois», et s'associe son fils Cambyse comme roi de Babylone (539). Il se déclare envoyé par le dieu de Babylone Mardouk, qui cherchait un roi juste, et ordonne un deuil de six jours, pour pleurer la mort de Balthazar. e. La Phénicie accueille Cyrus comme un libérateur La chute de Babylone libère les cités phéniciennes, qui végétaient sous la domination tracassière des Chaldéens. Tyr et ses sœurs cananéennes accueillent Cyrus comme un libérateur. «C'est que les astucieux ploutocrates tyriens pressentent le rôle qui va leur être donné de jouer dans ce monde nouveau. Ils devinent déjà le conflit gréco-perse. L'élimination totale du
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concurrent grec va pouvoir sortir, au profit des armateurs phéniciens, de l'immense possibilité perse.»4 f . Libération des Juifs (538) Un autre peuple, les Israélites, est dans l'allégresse. Par un édit que Cyrus rend lors de son intronisation comme roi de Babylone (538), le vainqueur n'impose aucune religion, fait rendre aux diverses cités les images des divinités que Nabonide avait fait transporter à Babylone, restitue aux Juifs captifs les vases d'or et d'argent provenant du Temple de Jérusalem, et les autorise à rentrer en Palestine et à y reconstruire le Temple détruit. Cette bienveillance envers les Juifs, qui procède du caractère et de la politique tolérante et libérale de Cyrus, aurait été aussi déterminée par le désir du roi des Perses de s'assurer, non loin de l'Egypte qu'il songe à conquérir, un groupe de partisans dévoués à sa cause. Mais peu de Juifs abandonnèrent les situations qu'ils s'étaient acquises dans les pays d'exil. Près de 42.000 seulement retournèrent dans la contrée où leurs pères avaient vécu; grâce à l'aide du gouverneur perse, cette petite colonie mena à bien l'œuvre de reconstruction du Temple de Jérusalem (538). g. Mort de Cyrus (528) Après la conquête de la Chaldée, qui porte les frontières des Perses juqu'à celles de l'Egypte, Cyrus commence des préparatifs en vue d'une campagne contre cette dernière. Mais des événements survenus aux marches orientales de l'Empire, probablement une invasion de Nomades venus des steppes de l'Asie Centrale, obligent le roi perse à reprendre des opérations militaires dans l'Est. Laissant à son fils Cambyse le soin de préparer la campagne contre l'Egypte, Cyrus part vers l'Est, où il est tué dans une grande bataille (528). Son corps, ramené à Pasargades, fut déposé dans un magnifique tombeau, connu aujourd'hui sous le nom de «mausolée de la mère de Salomon»; son cercueil existait encore du temps d'Alexandre. 6. Cambyse et la conquête de l'Egypte a. Préparatifs Cambyse (529—521), fils et successeur de Cyrus, est obligé, dès son avènement, de lutter contre des révoltes dans les provinces orientales. Du vivant de son père, Cambyse, associé à celui-ci, assumait la royauté en Chaldée, avec le titre de «roi de Babylone», tandis que son frère cadet, 4
De Laplante, op. cit., I, p. 97.
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Bardiya, appelé aussi Smerdis, était chargé du gouvernement des provinces orientales. Jaloux de son aîné, Bardiya ne semble pas être étranger aux désordres qui ont éclaté dans ses provinces après la mort de Cyrus. Cambyse mettra quatre ans (529—525) pour apaiser les révoltes. Après avoir rétabli l'ordre dans l'Empire, Cambyse, continuant la tradition des maîtres du pays du Tigre-Euphrate, se retourne contre l'Egypte, le seul grand Etat oriental qui demeurait encore indépendant. Avant de quitter l'Iran, il cherche à couper court à de nouvelles tentatives de révolte. Craignant que son frère Bardiya ne profite de son absence pour lui enlever la couronne, il le fait secrètement assassiner (526). La ruine des Etats de Lydie et de Chaldée, annexés à la Perse, avait laissé le pharaon Amasis seul en face d'un Empire asiatique gigantesque. Dès la prise de Sardes, Pharaon, prévoyant une attaque perse contre l'Egypte, avait fait alliance avec Polycrate, tyran de Samos, qui lui promit une flotte à opposer à celles des Phéniciens et des Ioniens, devenus sujets de la Perse. Mais lorsque Cambyse, entrant en campagne, vient camper à Gaza, Polycrate abandonne Pharaon (526). Une autre déception, plus amère, attend Amasis: un des meilleurs généraux grecs qui sont à son service l'abandonne et rejoint Cambyse, à qui il révèle les secrets de la défense. Pour comble de malheur, Amasis, vaillant soldat, meurt sur ces entrefaites (525). b. Conquête de l'Egypte (525) Comme jadis les rois assyriens, Cambyse, à Gaza, négocie avec les chefs bédouins du désert, qui lui fournissent des chameaux chargés d'outrés d'eau pour être livrées aux troupes aux stations d'étape. Traversant le désert de Sinaï, Cambyse arrive devant les murs de Péluse, où Psammétique III (525), qui était loin d'avoir les qualités de son père Amasis, avait concentré ses forces de mercenaires grecs. Après une lutte sanglante, l'armée égyptienne se replie sur Memphis; cette seconde capitale se défendit quelque temps et enfin se rendit (525). c. L'Egypte, satrapie perse Après la Médie, la Lydie et la Chaldée, le royaume d'Egypte, à son tour, est annexé à l'Empire. Cambyse s'y fait reconnaître comme le successeur authentique des pharaons, nomme un Egyptien pour administrer le pays, rend hommage aux divinités locales et devient le fondateur de la XVIIe dynastie. Quant à Psammétique, capturé et envoyé à Suse, il est d'abord traité avec bienveillance; mais, accusé plus tard d'avoir préparé un complot, il se donne la mort.
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d. Projet de conquérir Carthage L'importance et la richesse de la Vallée du Nil et l'expansion que Cambyse projette d'entreprendre en Afrique portent le conquérant à demeurer cinq ans environ en Egypte (525—521). Trois expéditions sont décidées, qui devaient lui assurer, en cas de succès, la domination du continent africain: l'une contre Carthage, la seconde contre l'Oasis d'Amon et la troisième contre l'Ethiopie. Bien que sagement conçus, ces trois plans ne purent être réalisés. L'expédition contre la puissance carthaginoise devait assurer à Cambyse la domination de la Méditerranée occidentale, détenue par les Phéniciens d'Afrique du Nord. Mais cette expédition ne pouvait être entreprise sans le concours de la flotte des Phéniciens du Liban, qui refusèrent «de porter la guerre chez leurs propres enfants». Cambyse, qui aurait reçu des assurances quant à la communauté des intérêts perses et phénico-puniques, renonce à cette expédition lointaine, renvoyant probablement à une date ultérieure la réalisation de cet ambitieux projet. e. Expédition contre l'Oasis de Siouah L'expédition contre la grande Oasis d'Amon à Siouah, à l'ouest du Delta, avait pour but d'ouvrir la route de la Cyrénaïque. Une armée de 50.000 hommes, envoyée vers cette région, est détruite dans le désert par une terrible tempête. Mais les Grecs de Libye, de Cyrène et de Barka, impressionnés par cette campagne, se soumettent à Cambyse. La reine Ladika, veuve du pharaon Amasis, est renvoyée avec honneur dans sa ville natale, Cyrène. f . Expédition contre l'Ethiopie L'expédition d'Ethiopie fut commandée par Cambyse en personne. La ville de Napata est atteinte; une nouvelle ville, Méroé, du nom de la femme de Cambyse, est fondée. Mais, de retour à Thèbes, l'armée perse, qui aurait pris un raccourci dans le désert, manque de vivres et perd la majeure partie de ses effectifs. A part la campagne contre Carthage, qui ne reçut aucun commencement d'exécution, les deux autres, bien qu'ayant échoué, se soldent toutefois, pour Cambyse, par des profits. A l'Ouest, les Perses s'étendent jusqu'à la frontière de la Tripolitaine; les Grecs de cette côte africaine, ajoutés à ceux de la côte d'Asie Mineure, tous soumis à la Perse, forment la moitié du monde hellénique de l'époque. Dans la Vallée du Nil, tenue par trois garnisons installées à Daphné, Memphis et Eléphantine, le pays est occupé en entier, ce qu'aucun conquérant antérieur, pas même l'Assyrien, n'avait pu réaliser.
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g. Comportement de Cambyse en Egypte La tradition grecque rapporte que Cambyse, de retour à Memphis, se serait livré à des actes de violence contre les personnes de son entourage et contre les dieux de l'Egypte. Cette conduite, pour Hérodote, s'expliquerait par l'épilepsie ou la démence. Mais ces accusations, sujettes à controverse, ne sont nullement confirmées par les sources égyptiennes et perses. Aucune trace des violences imputées à Cambyse ne se rencontre dans les inscriptions de son règne. h. Révolte en Perse (521) La longue absence de Cambyse, et les nouvelles de ses échecs amplifiés par la distance, avaient nui à l'autorité du roi en Asie, où les mécontents s'apprêtent à lever l'étendard de la révolte. Les nouvelles alarmantes qu'il reçoit de l'Iran décident le roi à rentrer en Perse. Au moment où le roi quitte l'Egypte, un prêtre mède, le mage Gaumata, qui avait une grande ressemblance avec le frère de Cambyse, Bardiya ou Smerdis, supprimé par le roi avant son départ pour l'Egypte, s'était proclamé le véritable Smerdis, fils de Cyrus, et prit possession du trône (521). La plus grande partie des provinces de l'Empire reconnut le nouveau souverain. i. Mort de Cambyse (521) Des émissaires, envoyés en Egypte pour notifier à l'armée l'avènement de l'usurpateur, rencontrent Cambyse en Palestine-Nord, qu'il traversait pour retourner à Suse. En apprenant ces nouvelles, Cambyse, qui s'était blessé grièvement au cours d'un accident selon les uns, ou volontairement d'après la version officielle, meurt courageusement, après avoir recommandé de ne pas laisser la royauté retomber entre les mains des Mèdes (521). y. Soulèvement des provinces conquises L'avènement du faux Smerdis ne porta bonheur ni à l'usurpateur, ni à l'Empire qu'il avait confisqué. Deux mois après, il est pris et exécuté. Mais, entre-temps, de nombreuses provinces s'étaient révoltées: Babylone, la Médie, l'Arménie, l'Asie Mineure, les provinces de l'Est et même l'Egypte. k. Avènement de Darius I L'usurpateur Gaumata avait irrité la noblesse perse, qui, l'ayant démasqué, ne pouvait accepter l'instauration d'une nouvelle dynastie mède. Darius, chef de l'une des sept grandes familles perses qui forment le conseil de la
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couronne, est l'âme de la conjuration. Fort de l'appui des dirigeants des autres familles, il se fait élire pour succéder à Cambyse, qui ne laissait pas de fils (521). Darius était d'ailleurs un successeur légitime; gouverneur de Pasargades, il descendait, en ligne collatérale, de l'ancêtre commun des Achéménides; pour consolider cette légitimité, il épouse deux filles de Cyrus, appartenant à la branche aînée de la dynastie.
II. Restauration et organisation de l'Empire
1. Darius I, restaurateur de l'Empire Darius I (521—485), qui reconstituera et organisera l'Empire disloqué après la mort de Cambyse et de l'usurpateur Gaumata, mettra plusieurs années à combattre, les armes à la main, les révoltes qui surgissaient de toute part. Il reprend, sur des bases différentes, la politique de Cyrus, qui s'était avérée peu efficace. Mais la tâche qui l'attend est surhumaine, et s'il réussit à reconstituer le vaste domaine de son prédécesseur, ce fut surtout grâce à la division qui régnait chez les chefs révoltés. N'ayant pas un plan d'ensemble, ces derniers, qui agissaient séparément, sont vaincus et supprimés l'un après l'autre. a. Pacification des révoltes La première tête qui tomba fut celle de l'usurpateur Gaumata, le faux Smerdis, égorgé de la main de Darius après deux mois de règne (521). A Suse, un chef local avait secoué le joug. A Babylone, un autre usurpateur, qui se déclara le descendant de Nabonide, dernier roi de Babylone, s'était fait proclamer roi sous le nom de Nabuchonodosor III. En Médie et en Arménie, un autre chef, nommé Phraorte, s'était dit descendant du roi Cyaxare et proclamé roi de Médie. Un corps expéditionnaire, envoyé à Suse, capture l'usurpateur qui est mis à mort. Après deux ans de siège, Babylone est emportée (519): Nabuchodonosor est tué et 3000 Babyloniens empalés, comme sous le régime des Assyriens. Darius se porte alors, en personne, en Arménie; Phraorte, battu, est amené à Ecbatane où il est pendu. A l'Est et en Asie Mineure, les nombreux chefs révoltés sont supprimés et les provinces pacifiées. En Judée, où le parti des légitimistes avait fait monter sur le trône un descendant de David, Darius crée un Etat théocratique, à la tête duquel il place un grand prêtre; il ordonne la reprise des travaux de la reconstruction du Temple, qui, autorisés par Cyrus, avaient été suspendus par le fonctionnaire perse local. En Perse même, un second faux Smerdis, qui s'était déclaré fils de Cyrus et roi, est fait prisonnier et pendu. b. Darius en Egypte (517) Grâce à l'intelligente direction du satrape Aryandès, nommé par Cambyse,
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l'Egypte ne participa pas à l'insurrection générale provoquée contre les Perses par le coup d'Etat du faux Smerdis. Mais Aryandès se conduisait, vis-à-vis de Darius, plutôt comme un vassal indépendant que comme un fonctionnaire docile. Il aurait même gravé sur la monnaie son effigie ou son nom, privilège réservé au Grand Roi. Aussi, Darius, qui se rend en personne en Egypte (517), fait-il mourir Aryandès «parce qu'il avait tenté de rivaliser avec lui». En Egypte, Darius déploie ses qualités d'administrateur, de diplomate et de politique. Des fondations sont faites aux temples, des monuments et des sanctuaires sont construits. Son activité bienfaisante s'étend aux affaires économiques et commerciales. Mais son œuvre impériale la plus importante, par ses résultats économiques, est l'élargissement du canal qui unissait la branche orientale du Nil à la Mer Rouge. L'exécution de ce projet avait été amorcée, vers 600, par le pharaon Nékao (p. 267); mais elle n'aurait pas été achevée par crainte d'invasions venant par cette voie. Sous Darius, des navires, partant de la Méditerranée, arrivent en Perse. Darius, qui avait déjà pensé à relier les marches orientales de son empire à ses possessions d'Occident, avait déjà envoyé, de l'Inde occidentale, une flotte commandée par un Grec qui, après trente mois de navigation, atteignit la Mer Rouge. Cette expédition et l'élargissement du canal attestent, chez le Grand Roi, des visées commerciales aux vastes horizons. c.
Essor économique
de l'Empire
reconstruit
L'annexion du bassin de l'Indus à l'Empire eut pour effet de tourner vers l'Occident l'économie indienne. L'élargissement du canal aura sur l'histoire de l'Asie antérieure, et particulièrement de l'Egypte, une influence décisive. La Phénicie, la Babylonie et la Perse elle-même devaient en ressentir les contrecoups. L'Egypte, devenue le point de jonction de l'Occident et de l'Orient, allait désormais jouer le rôle qui avait fait jusqu'alors l'immense prospérité de Babylone. La route de la mer allait détrôner celle de la terre. C'est ainsi qu'en sept années de combat et dix-neuf batailles, Darius a supprimé neuf prétendants qui s'étaient proclamés rois. L'Empire fondé par Cyrus, augmenté par Cambyse et disloqué par les révoltes à la mort de ce dernier, est reconstitué par Darius. Il s'étend, de nouveau, de l'Egée à la Mer Noire et à l'Indus, et du Caucase à la Méditerranée orientale et à l'Egypte jusqu'à la Cyrénaïque. Seuls, les Arabes du désert, alliés de Cambyse lors de son expédition en Egypte, échappent à sa domination.
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2. Organisation et administration de l'Empire a. Politique de Darius Enlevés prématurément par la mort, Cyrus et Cambyse ne purent procéder à l'organisation du vaste univers qu'ils avaient réuni. Cette tâche écrasante incombera à Darius I, qui lui consacrera les 36 ans de son règne (521-485). Jugeant peu efficace la politique trop libérale de Cyrus, dont la domination était du type féodal, le restaurateur de l'Empire l'abandonne pour une nouvelle conception d'Etat. Renonçant aux transportations en masse, procédé habituel des Assyriens, respectant le particularisme des nationalités soumises, Darius entend cependant contrôler et freiner leurs tendances autonomistes. Incorporés à l'Empire, les divers peuples annexés ont le droit de jouir des bienfaits de l'Etat, mais doivent être gouvernés par un Perse, délégué par le Grand Roi. b. Création et organisation interne des satrapies L'Empire est divisé en gouvernements généraux ou provinces, dénommés satrapies, à la tête desquels sont placés des hauts dignitaires à pleins pouvoirs. Ces vice-rois, appelés «satrapes» ou «protecteurs du royaume», sont désignés par le souverain et responsables devant lui. Ils sont choisis parmi les parents du Grand Roi, les membres des grandes familles perses ou les héritiers des dynasties locales. Pour enlever aux satrapes la tentation de se soustraire à l'autorité centrale et prévenir leurs velléités d'indépendance, Darius prend soin de ne pas concentrer tous les pouvoirs dans une même main. A cet effet, chaque satrape est doublé d'un secrétaire royal ou chancelier, nommé par le roi et correspondant directement avec la cour. Ce secrétaire d'Etat assure la liaison entre le pouvoir central et le satrape et surveille les actes de celuici. Des inspecteurs itinérants, avec pouvoirs illimités, parcourent l'Empire pour vérifier la gestion des fonctionnaires locaux. En outre, près de chaque satrape, un général, commandant en chef les troupes qui occupent la province, est nommé par le roi et responsable devant lui. Enfin, un dernier rouage, celui du dignitaire chargé du recouvrement des impôts, relève directement du pouvoir central. Tous ces hauts fonctionnaires se surveillent mutuellement. Ces sages précautions, destinées à prévenir les révoltes, n'impliquent aucune politique de violence vis-à-vis des pays soumis. Au contraire, les peuples conservent leur langue, leurs coutumes, leurs institutions, leurs religions, leurs fonctionnaires et même leurs dynasties ou leurs chefs indigènes. L'Etat doit, à ces peuples disparates, assistance et protection, com-
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me à d'authentiques nationaux, avec cette différence toutefois que les Perses et les Mèdes, considérés comme peuples conquérants, sont exempts de toute contribution, comme le seront les conquérants arabes au début de l'expansion de l'Islam. Mais un système d'impôts fixes et réguliers remplace les rançons arbitraires et le pillage, auxquels les Assyriens soumettaient les vaincus. Les guerres de peuple à peuple, qui se pratiquaient autrefois, cessent brusquement. Une paix profonde, la Paix Achéménide, préfiguration de la Paix Romaine, s'établit, pour siècles environ, sur le Proche-Orient tout entier. c. Le tribut des provinces L'obligation principale des satrapes est d'assurer la sécurité dans leurs provinces et de lever le tribut annuel. Chaque satrapie, suivant ses richesses, doit rapporter au trésor royal une somme annuelle fixée par des édits royaux. Le total des tributs représente près de 15.000 talents d'argent 5 , dont un tiers environ est fourni par la satrapie de l'Inde. La Chaldée et l'Assyrie étaient taxées pour 1000 talents d'argent; l'Ionie et la Carie, pour 450; la Lydie, pour 500; la Phrygie, pour 350; la Cilicie, pour 500; la Phénicie, Chypre et la Palestine, pour 350; l'Egypte et la Cyrénaïque, pour 700. En dehors de ces paiements en argent, les provinces entretiennent les armées d'occupation et versent des prestations en nature. d. Les métropoles de l'Empire Quatre métropoles ou villes capitales servent, suivant les saisons, de résidence royale: Ecbatane, Persépolis, Pasargades, Suse, et même Babylone. Le Grand Roi tient sa cour à Babylone pendant l'hiver, à Suse ou Ecbatane, pendant l'été. Situées au centre géographique de l'Empire, à égale distance de la Méditerranée et de l'Indus, dans ce rebord montagneux de l'Iran occidental, habitat des Perses et des Mèdes, les capitales iraniennes, faciles à défendre, regorgent de trésors. Si l'Iran occidental et ses populations sont la citadelle et la force de l'Empire perse, l'Orient méditerranéen en est la pièce maîtresse, la fenêtre sans laquelle il mourrait d'asphyxie. Aussi, est-ce en Elam, aux portes de la Babylonie, que les Grands Rois fixent leur centre politique principal. «Par ses trois capitales de Pasargades, Ecbatane et Suse, l'Empire Perse s'installait solidement sur le plateau de l'Iran, mais gardait pied en Mésopotamie.»6 Depuis Cyrus jusqu'à nos jours, tous les Empires qui se sont succédé en Iran tinrent à coeur de posséder l'Elam, qui, indépendante jusqu'à Cyrus, finit par être iranisée. 5 8
Le talent d'argent valait 6000 francs-or environ. Contenau, L'Asie Occidentale Ancienne, p. 309.
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impériales
Un vaste et important réseau routier maintient la liaison entre les capitales de l'Empire et celles des provinces. Destinées au service administratif et militaire, ces routes, contrôlées et surveillées, sont parcourues par les caravanes et les marchands et contribuent, par les facilités de déplacement qu'elles procurent, à augmenter considérablement le volume des échanges. Elles sont divisées en stations ou postes garnis de troupes, avec des chevaux frais pour les envoyés royaux et de belles hôtelleries pour les voyageurs. Trois grandes artères, partant de Suse, aboutissent, la première à Sardes et à Ephèse (2683 kilomètres de longueur); la seconde, par Babylone et la Syrie, en Egypte; et la troisième, à la vallée de l'Indus. f . Etalon
monétaire
La richesse du Grand Roi dépasse l'opulence des anciens Pharaons. Le vieil instrument monétaire, créé, depuis plus de deux mille ans, par les Egyptiens et les Mésopotamiens, et amélioré par les rois de Lydie, est perfectionné par les Perses. Les échanges continuent à se faire en nature, mais la valeur des marchandises et des produits, estimée d'abord par rapport à une denrée, l'est maintenant par rapport à un métal (or, argent, cuivre). «En Babylonie, le prix d'une marchandise fut d'abord exprimé en grains de céréales, orge ou blé (she). Dès la dynastie d'Agadé (vers 2700), on adopta un étalon d'argent, métal commun au voisinage des mines alors exploitées en A n a t o l i e . . . En Egypte, où les métaux (sauf l'or) étaient rares, il est probable que ce fut également une unité pondérale de grains qui servit d'étalon initial. . . Sous la IVe dynastie (vers 2700), l'étalon de valeur . . . n'est plus un poids de grains, mais une «coupure», une «taille» d'un objet précieux, vraisemblablement un métal, or, argent, cuivre ou bronze . . . La dernière étape à franchir, et qui l'a été par les Lydiens et Hellènes, sera de présenter la monnaie sous forme de globule ou disque découpé dans un lingot, taillé à un poids fixe, frappé à l'image du souverain ou d'une figure symbolique, avec poinçon de garantie pour l'aloi et la valeur légale. Des spécimens apparaissent en Lydie (où abondent l'or des rivières et l'argent des mines), dès le Ville siècle, se répandent au Ve siècle, depuis Crésus. Le Grand Roi Darios I met en circulation ses doriques, dans son empire; la monnaie se frappe en Egypte dès le début de l'occupation perse.» 7
7
Moret, Hist. de VOrient, II, p. 762, 763, 764.
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g. L'armée et la flotte L'armée perse est sans cohésion véritable. C'est un ramassis de contingents étrangers et hétérogènes, encadrés par des éléments perses et par la garde particulière du Grand Roi. Celle-ci est formée de Perses et de Mèdes, dont 2000 cavaliers et 2000 fantassins, tous d'origine noble, et un corps d'élite, les 10.000 Immortels, dont l'effectif est toujours au complet. La flotte perse «n'était en somme qu'une marine louée, celle des Phéniciens, dont le roi de Sidon était grand amiral et dont le loyalisme n'était à escompter qu'autant que les intérêts phéniciens coïncidaient avec ceux de la Perse. Bref, l'expression «colosse aux pieds d'argile» répondait assez bien à la réalité.» 8 3. Langues et écritures des Perses. L'araméen, langue officielle de l'Empire Avant l'ascension politique des Perses, leur langue, le vieux perse, est un dialecte iranien, celui du Fârs ou Perse propre, qui se rattache étroitement au sanscrit (indien). L'idiome Zend, frère du «vieux perse» et langue de la Bible mazdéenne ou «Avesta», représente un dialecte de la Médie. Le vieux perse s'écrivait en caractères cunéiformes. L'extension rapide du grand Empire achéménide ne permit pas à la langue et à l'écriture perses, accessibles à une minorité de la classe dirigeante, de servir de langue commune à toutes les satrapies. La langue araméenne, qui, depuis le début du 1er millénaire, avait remplacé l'amorréen en Syrie et le babylonien en Mésopotamie (p. 253), avait également succédé au babylonien comme langue internationale du commerce et de la diplomatie (p. 42, 58, 243). Fidèles à leur caractère libéral, les Achéménides adoptent la langue et l'écriture araméennes, qui deviennent officielles depuis l'Egypte jusqu'à l'Inde. 4. Caractère divin de la royauté. Le roi, représentant du grand Justicier céleste «Roi des Rois» ou «Grand Roi», Darius, qui respecte toutes les divinités des peuples soumis à son autorité, règne cependant par la volonté du dieu perse Ahoura-Mazda, dont il est le représentant vigilant. Sa mission sur terre consiste à remplir un ministère de Justice. Aussi, son rôle et sa fonction sont-elles de caractère divin. «Sans être sur terre un dieu vivant comme Pharaon, un Cyrus, un 8
Contenau, L'Asie
Occidentale
Ancienne,
p. 319.
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Darios est roi par droit divin, et un autocrate, nommément désigné par le grand Justicier céleste. Aussi tous ses sujets, y compris les hauts fonctionnaires et satrapes, se disent-ils esclaves (bandaka) d'un maître dont l'accès est défendu par un protocole rigoureux, et qui fait ses apparitions, entouré d'un pompeux cérémonial, devant un peuple prosterné. Le Grand Roi doit tempérer son despotisme par l'application constante du droit et de la justice; il invoque sans cesse la Vérité divine, pour l'opposer au Mensonge qu'inspire tout acte de concussion et de rébellion. Pareille conception de la moralité et de la responsabilité royale, nous l'avons observée déjà dans la législation d'un autre peuple indo-européen, les Hittites.»9 Strabon rapporte qu'une inscription, gravée sur le tombeau de Darius I, traduit les nobles sentiments qui animaient ce puissant monarque. «J'ai été l'ami de mes amis», disait le texte royal. 5. La satrapie d'Abarnahara: Phénicie, Palestine, Syrie, Chypre Le cadre administratif créé par l'Empire assyrien, et conservé par le régime chaldéen ou néo-babylonien, fut maintenu par les Perses. Les pays situés entre l'Euphrate et la Mer Rouge (Syrie géographique), dénommés Abarnahara par les Assyriens et les Chaldéens, forment la cinquième satrapie perse, dont Damas était la capitale. Comme le terme antérieur d'Amourrou (Ouest), créé par les Mésopotamiens du Ille millénaire pour désigner les pays situés à l'ouest de l'Euphrate, le nom d'Ebirnari ou Abarnahara, qui signifie: «au-delà du fleuve» (Euphrate), est d'invention assyrienne et indique, lui aussi, la même direction géographique par rapport au pays de l'Euphrate. Les deux termes sémitiques ont presque le même sens: Amourrou: «Ouest» (du fleuve); Abarnahara: «au-delà du fleuve». La satrapie d'Abarnahara ou cinquième satrapie comprend, selon Hérodote, la Phénicie, la Palestine et Chypre. En réalité, elle englobe tout le territoire situé entre l'Euphrate et la frontière égyptienne, c'est-à-dire la Syrie géographique. «La satrapie est conçue comme un cercle de perception réunissant, autour d'une nationalité prépondérante, un certain nombre de populations voisines, ou même de tribus éloignées, sans rompre toutefois la cohésion géographique . . . Dérogeant à sa méthode consistant à caractériser chaque satrapie par la mention d'un peuple ou de plusieurs, l'historien (Hérodote) esquisse pour la cinquième un tracé géographique, tracé fort incomplet, il faut le reconnaître, qui ne met en valeur que la côte. Ce point de vue se comprend d'ailleurs aisément, les lecteurs grecs devant s'intéresser surtout 9
Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 760, 761.
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307
à ce littoral méditerranéen où se trouvaient les bases navales de la flotte au service de la Perse contre les Hellènes . . . Les Phéniciens avaient trop d'intérêts en Chypre pour ne pas avoir demandé le rattachement de cette île à la satrapie dont ils faisaient partie. En somme, la satrapie d'au-delà du fleuve était comprise entre le coude de l'Euphrate et la frontière d'Egypte . . . On verra d'ailleurs qu'à l'époque hellénistique les termes de Syria, ou de Coele-Syria, avec ou sans mention de la Phénicie, correspondent exactement à celui de Abarnahara.» 10 a. Subdivisions de la satrapie
d'Abarnahara
Outre les cités phéniciennes et leurs territoires respectifs, les subdivisions connues de la Ve satrapie comprennent: Damas, capitale de la satrapie; Hama, Alep, en Syrie-Nord; Samarie, Jérusalem, Ashdod, Dor, en Palestine; et Arabaya, au sud de Gaza. Les cités phéniciennes conservent leurs rois et leurs institutions locales, sous la surveillance du satrape. Damas a un gouverneur militaire distinct du satrape qui y réside. Les autres provinces sont gérées par des agents nommés par le représentant du Grand Roi. b. Le territoire d'Arabaya ou Arubu
(Arabes)
La satrapie d'Abarnahara comprenait, en outre, une enclave au sud de Gaza, le territoire d'Arabaya ou des Arabes. «Le nom «Arabes» prend ici une valeur administrative plutôt qu'ethnique» (Abel). Les nomades de cette côte désertique étaient, depuis Cambyse, exemptés du tribut, en retour de l'aide qu'ils avaient apportée à ce monarque lors de sa marche sur l'Egypte. Ce littoral et son arrière-pays formaient une vaste région désertique, correspondant au Négeb et à la péninsule sinaïtique. Vers 733, les Assyriens avaient institué, dans cette région, un «surveillant d'Arubu», sur la frontière de Musri (Egypte) (p. 223). «Mais les Perses connaissaient d'autres Arabes et ceux-là n'étaient pas exempts du tribut. Dispensés de l'impôt qui pesait sur les peuples incorporés dans les satrapies, ils avaient néanmoins à livrer chaque année au Grand Roi sous forme de présents mille talents d'encens. On reconnaîtra sans peine dans cette catégorie les Minéens, les Nabatéens et autres tribus qui convoyaient de l'intérieur de l'Arabie aux villes de l'Empire les aromates et les denrées précieuses dont le culte et le luxe ne pouvaient se passer. La liberté de leur commerce les obligeait à de telles concessions, mais en fait ils n'étaient pas plus sujets du roi de Perse que leurs congénères du désert entre Palestine et Egypte . . . 10
F.-M. Abel,
Géographie
de la Palestine,
II, p. 109, 111, 112, 113.
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En tout cas, aussi général que l'expression «ceux de la mer» et pas plus administratif que celle-ci, le terme Arabâya désigne l'ensemble du monde arabe (nomade), éparpillé depuis l'Euphrate jusqu'à la frontière d'Egypte, dans la vaste zone enveloppant au midi les satrapies de Babili (Babylonie) et d'Ebirnari (Syrie), qu'Hérodote appelle l'Arabie, la dernière des régions habitées du côté sud. Il reste possible . . . que le nom d'Arabie ait été donné à partir du Ve siècle à l'une ou l'autre des subdivisions de la grande satrapie syrienne.»11 c. La Phénicie sous la domination perse Les cités phéniciennes, qui gardèrent sous la domination perse une situation privilégiée, conservèrent leurs territoires, leurs rois indigènes et leurs institutions locales, sous la surveillance du satrape. «La Phénicie tenait, dans la Ve satrapie, une place particulière comme race, comme traits physiques, comme base maritime . . . Autant d'indices de la survivance du tréfonds ethnique.»12 En guise de tribut, les Perses s'étaient réservé un droit domanial sur une grande partie des forêts du Liban; ce domaine forestier, dont hériteront les Grecs et les Romains, était désigné sous le nom de «Tardes du Roi.» Les cités phéniciennes sont, à cette époque, les suivantes: Tripoli et Myriandos. — Les villes phéniciennes tenaient toujours un synode annuel à Tripoli, siège de la confédération phénicienne, pour traiter de leurs affaires communes et de leurs rapports avec le Grand Roi. 13 Ces cités-Etats possédaient, en commun, des établissements maritimes et des comptoirs espacés sur la côte. Outre Tripoli, centre de la confédération et dont le territoire appartenait aux trois cités d'Arvad, Sidon et Tyr, la ville de Myriandos, en Cilicie, sur le golfe d'Alexandrette, était devenu un port phénicien commun. Arvad. — Arvad, dont le secteur côtier allait du Nahr el Kébir aux environs de Lataquié, s'était substituée à Simyra comme chef-lieu de la province sous la domination assyrienne. Par la ville de Sigon (Sahyoun), Arvad avait le contrôle du Djebel Ansarié ou Alaouite. Gebal-Byblos. — Cité royale battant monnaie; son territoire s'étend de Ras Shakka (nord de Batroun) jusqu'au Nahr ad-Damour (sud de Beyrouth). Tyr. — Tyr s'étendait jusqu'à Acre. La cité insulaire garde son roi et ne sera pas occupée. Mais la ville continentale, Paloetyros, dont les Perses "F.-M. Abel, op. cit., II, p. 113, 114, 115. 12 Abel, op. cit., II, p. 116. 13 La ville de Tripoli, dont le nom phénicien est Wahlia, occupait l'emplacement de la ville actuelle d'El-Mina ou Tripoli-port (p. 157).
LE GRAND EMPIRE PERSE
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avaient fait une place d'armes et un centre d'attaque contre l'Egypte, aurait reçu un gouverneur perse. Sidon. — C'est Sidon, qui, au détriment de Tyr, et après une éclipse de 500 ans environ, reprend, sous les Perses, le premier rang qu'elle occupait, au Ile millénaire, en Phénicie. Le roi de Sidon, de manière générale, est une sorte de grand amiral de la flotte perse, et cette flotte, en grande partie phénicienne, se montre, en toute occasion, l'instrument fidèle du Grand Roi. Sidon s'étend, comme territoire, du Nahr ad-Damour jusqu'au Nahr Kassimié. Le roi de Perse y possédait un parc royal (paradeisos), où il résidait lorsqu'il venait sur la côte, de même que ses satrapes, ses généraux et ses envoyés impériaux. Ce parc royal sera détruit, en 361, par les Sidoniens insurgés. Les cités phéniciennes, qui conservèrent leurs souverains, devaient payer un certain tribut annuel. En outre, la Phénicie ne devait traiter de paix ou de guerre avec aucune nation; ses ennemis et ses alliés étaient ceux de la Perse. d. Emancipation des colonies phéniciennes d'Occident Les luttes contre les Assyriens avaient déjà amoindri l'activité politique et militaire des Phéniciens. N'étant plus en mesure de secourir efficacement leurs colonies de l'Ouest, Tyr et Sidon s'étaient déjà relâchées de cette besogne sur Carthage. Cette fille de Tyr joua, dès lors, dans le domaine commercial et politique, le premier rôle en Occident, aux dépens de la Phénicie métropolitaine. Le contrecoup de la conquête perse fut l'émancipation définitive de Carthage, qui, se détachant politiquement de la mère-patrie (vers 520), étendit son influence et son hégémonie sur toutes les colonies phéniciennes de l'Ouest. Les Tyriens étaient, à ce moment, trop faibles pour intervenir en Occident, où leur navigation se ralentit. L'ancienne colonie carthaginoise devint peu à peu un grand empire maritime, en face de la puissance navale des Grecs de Sicile. Car, et de même que la conquête de la Phénicie par la Perse déplaça, vers l'Occident, la puissance maritime phénicienne, de même l'effondrement de l'empire maritime d'Athènes transporta, vers l'Ouest, la puissance maritime grecque. Phéniciens d'Afrique du Nord et Grecs de Sicile et d'Italie sont désormais face à face, dans le bassin occidental de la Méditerranée. e. Rapports de la Phénicie avec la Perse Rivales des cités grecques, auxquelles les opposaient un vieil antagonisme et de vieilles haines, les cités phéniciennes trouvaient, dans le vaste Empire
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perse, un champ illimité à leur activité, et, dans le Grand Roi, un allié utile. Ayant, ainsi que les Perses, intérêt à affaiblir les cités helléniques, les Phéniciens n'essayèrent pas de secouer le joug perse; ils se montreront même des alliés fidèles et participeront à toutes les expéditions maritimes des Perses contre les Grecs. La flotte phénicienne permit à Cambyse de conquérir l'Egypte; mais, on le sait, elle refusa d'obéir à ce monarque lorsqu'il voulut marcher contre les Phéniciens de Carthage (p. 297). En plus des adversaires communs qui unissent Phéniciens et Perses, ces derniers avaient d'autres raisons majeures qui les portaient à ménager la Phénicie. La Perse, à laquelle a toujours manqué la force navale, avait besoin de la marine et des aptitudes navales des Phéniciens. D'autre part, inaugurant une politique méditerranéenne, et ayant besoin de l'appui de Carthage contre la Grèce, Darius et ses successeurs pratiqueront, vis-à-vis de la maîtresse de l'Occident, une politique de rapprochement, qui les portera à favoriser les cités phéniciennes du Liban.
B L'Empire perse et le monde gréco-égéen
I. Les Guerres Médiques ou gréco-perses
1. Origines des Guerres Médiques a. Vers l'Empire universel Comme tous les Empires fondés par les armes, celui de Darius ne pouvait s'arrêter à mi-chemin. Chaque extension en provoque une autre, soit pour protéger les nouvelles frontières, soit pour satisfaire une ambition qui s'accroît avec le succès. Maître du plus grand et du plus riche Empire qui fût jamais, Darius est poussé à agrandir encore ses possessions et à porter leurs limites jusqu'à celles du monde connu. Cambyse, après avoir conquis l'Egypte, voulut y ajouter l'Ethiopie et le Nord de l'Afrique. Darius lui-même, après avoir reconstitué l'Empire de Cyrus et de Cambyse, agrandit son vaste domaine de l'Est, par la conquête du Pendjab et du Gandarah, et envoya, par l'Indus, une flotte pour explorer l'Océan Indien et atteindre, par mer, l'Arabie et l'Egypte. Les conquérants heureux sont comme les chefs révolutionnaires, pour lesquels tout arrêt constitue un recul dangereux. Emportés et maintenus par la vitesse acquise, l'immobilité, pour eux, est un équilibre instable qui risque de les faire trébucher. Les énergies et les volontés excitées ont continuellement besoin de se dépenser; faute de diversion, elles se retournent fatalement contre celui qui les dirige. C'est après la mort d'Alexandre le Grand et l'arrêt des conquêtes, que l'Empire gréco-macédonien se démembre. Il en est de même du vaste empire des Arabes, dont le morcellement suivra de près l'achèvement des conquêtes. b. Darius convoite le monde égéen Le grand Empire asiatico-égyptien de Darius n'était encore qu'une partie du monde civilisé. A cet énorme Empire continental et partiellement maritime, il fallait, pour qu'il devînt universel, les mers d'Occident, c'est-à-dire le monde égéen, dominé par la Grèce d'Europe, et le monde méditerranéen central et occidental, partagé entre les Grecs d'Italie et les Phéniciens d'Afrique. La rivalité des Carthaginois et des Grecs, en Occident, la communauté de race et d'intérêts qui unit les Phéniciens de Carthage et ceux du Liban, l'attachement intéressé de ces derniers à la cause des Perses, incitent Da-
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rius à porter ses ambitions plus à l'Ouest. Caressant le rêve de conquérir le monde méditerranéen en entier et fort de l'appui de la marine phénicienne, le Grand Roi décide de se lancer dans cette aventure et, pour commencer, se prépare à compléter, par la conquête de la Grèce d'Europe, la possession du monde égéen, dont il occupe déjà les côtes orientales. c. Politique
maritime
de
Darius
Par la possession de la Phénicie, de Chypre et de l'Egypte, la Perse tenait le bassin oriental de la Méditerranée. Les Phéniciens, qui devinaient dans les Perses des adversaires des Grecs de l'Egée, avaient épousé leur cause. Aussi, la Phénicie reprit-elle, sous les Grands Rois, son rôle d'avant-port de la Mésopotamie; elle recouvra une partie de sa puissance maritime, réduite depuis la domination assyrienne et chaldéenne. L'Egypte, grâce au fonctionnement du canal Nil-Mer Rouge, vit son essor commercial et maritime considérablement augmenté. Par contre, les ports grecs d'Asie Mineure, coupés de la Grèce et incorporés à l'Empire traversaient une crise profonde; les villes d'Anatolie, qui devaient leurs richesses à la mer, ne pouvaient, sans être ruinées, être séparées de l'économie grecque. Le monde égéen, en effet, forme un tout économique indivisible. D'autre part, la navigation phénicienne, restaurée et favorisée par les Perses, barrait, à l'expansion économique des cités grecques, l'accès de la Méditerranée orientale. Une expansion de l'Empire perse en Europe ouvrirait, aux uns et aux autres, un champ d'activité et des débouchés naturels. C'est pourquoi nous verrons, au début tout au moins, les Grecs d'Asie Mineure aider les Perses à conquérir la Grèce d'Europe. d.
Les Grecs, en face des
Perses
On s'exagère la disproportion des forces du grand Empire perse, d'une part, et de la petite Grèce, de l'autre. En réalité, les Grecs, en dépit de leur morcellement politique, forment, à cette époque, une vaste famille de peuples, unis par la langue et une culture communes, et dont l'expansion ethnique et économique, vers l'Ouest, en fait les maîtres d'une vaste zone côtière, qui s'étend de Byzance jusqu'au littoral de la France, en passant par le sud de l'Italie, de la Sicile et de la Sardaigne. D'autre part, l'expansion hellénique vers l'Orient et l'Asie n'est pas moins étendue. Sans parler des côtes d'Asie Mineure et de la Mer Noire, ni des importantes et riches colonies grecques d'Egypte, de Libye et de Cyrénaïque, les mercenaires, colons et techniciens grecs, qui faisaient la force des armées pharaoniques, sont aussi au service du Grand Roi, disséminés à l'intérieur de l'Empire perse.
L'EMPIRE PERSE ET LE MONDE
GRECO-ÉGÉEN
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e. Campagne perse contre les Scythes de Russie Darius ne sous-estimait pas la force des Grecs d'Europe. Stratège puissant et habile, il juge nécessaire, avant de s'attaquer directement à eux, de se prémunir contre une attaque de flanc qui pourrait être lancée, au cours de l'expédition, par les Scythes d'Europe, dont les invasions avaient jadis ébranlé les fondements de l'Empire assyrien, et qui occupent, à ce moment, la Russie méridionale jusqu'au Danube. Une autre considération aurait porté Darius à entreprendre sa campagne contre les Scythes, préalablement à une action directe contre la Grèce. En prenant les Balkans à revers, le Grand Roi aurait cherché à porter un coup mortel à son futur ennemi, en le privant du bois de construction pour sa flotte et du blé d'Ukraine, qu'il reçoit des rives de la Mer Noire. Mais au fond, on ne sait pas très exactement les raisons qui ont amené Darius à se lancer d'abord contre les Scythes. C'est probablement en vue de son expansion militaire vers l'Egée, pour faciliter le transport de ses troupes dans les passes difficiles des montagnes de l'Asie Mineure, que Darius aurait ordonné la construction de la route royale qui unit Suse à Sardes. Longue de près de 2.500 kilomètres, cette artère est parsemée, de distance en distance, de stations ou postes garnis de troupes, de belles hôtelleries et de chevaux de relais. Les passages des montagnes et des rivières étaient gardés par des forts. Cette route stratégique et commerciale était achevée lorsque Darius se décida à entreprendre son expédition des Balkans. f . Préparatifs de guerre. Soumission de Byzance (513) La grande armée, destinée à cette première «campagne de Russie», comprend, d'après les sources grecques, 700.000 hommes environ, qui se trouvent rassemblés sur les côtes asiatiques du Bosphore. Avant de se mettre en marche, Darius envoie une flotte, sous le commandement de Démocède, son fameux médecin grec, pour reconnaître le littoral hellénique. Une autre expédition maritime, dirigée par le satrape de Cappadoce, est chargée d'explorer les eaux occidentales de la Mer Noire. Impressionnée par tous ces préparatifs, la ville de Byzance accepte la suzeraineté des Perses, et un pont de bateaux est construit, sur le Bosphore, par les Grecs d'Asie Mineure. Un autre pont, sur le Danube, sera l'œuvre des cités ioniennes. En dépit de cette participation des Grecs d'Asie aux préparatifs de guerre contre leurs congénères d'Europe, et malgré les rivalités qui divisent les divers groupes de cette race, Darius, qui savait leur amour de l'indépendance, ne faisait à ses alliés helléniques qu'une confiance limitée. «Sans doute leur préférait-il ces Sémites de Phénicie, venus à lui spon-
316
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tanément, et qui brûlaient d'être sur les mers les seuls marins du Grand Roi. . . Darius en vint donc à favoriser le Phénicien aux dépens du Grec d'Asie Mineure. Il fit fermer aux marins d'Ionie l'accès des ports de la Mer Noire, les réservant aux Phéniciens. Peut-être voulait-il, par cette mesure, être assuré qu'aucune fuite ne se produirait dans son quasi-blocus du continent grec.»1 g. Occupation de la Thrace; soumission de la Macédoine (512) En 512, la grande armée passe les Détroits. Après avoir occupé la Thrace orientale, elle traverse le Danube. Mais les Scythes, comme les Russes de 1812 de notre ère, sont introuvables. Nomades agiles, ces Aryens primitifs disparaissent aussi rapidement qu'ils apparaissent, et refusent tout contact. Ayant détruit les fourrages et comblé les puits, ils rendent la vie impossible à l'armée perse, qui, éloignée de ses bases maritimes, commence à manquer de provisions, souffre de maladies et perd du monde. Après avoir erré, pendant deux mois, dans ces arides solitudes, Darius, «plus sage que ne seront Napoléon ou Hitler», sauve son armée en repassant le Danube; il rentre à Sardes, en laissant en Europe 80.000 hommes pour garder la Thrace, incorporée à l'Empire, et la Macédoine, qui reconnut la suzeraineté perse. h. Bilan de la campagne contre les Scythes Loin d'être un échec, la campagne contre les Scythes est fructueuse. Si ceux-ci n'ont pu être conquis, par contre, la Thrace, la Macédoine et surtout Byzance, clé des Détroits, sont sous la coupe du Perse. Une puissante tête de pont est établie dans les Balkans, et la route, vers la Mer Noire et le Nord, est désormais coupée pour les Grecs d'Europe. i. Révolte des cités grecques d'Asie Mineure (498) En dépit de cette extension de l'Empire perse jusqu'en Macédoine, les Grecs, semblables en cela aux Sémites, ne sauront pas s'unir devant le danger qui les encercle. Attisées par l'or perse, des guerres fratricides et des révolutions intérieures, ajoutées aux difficultés économiques, devaient fatalement, suivant les calculs de Darius, désagréger l'adversaire qui tomberait comme un fruit mûr. Mais la politique des bras croisés, qui convenait au plan de Darius, ne faisait pas l'affaire des cités grecques d'Asie Mineure, qui, toujours coupées de la Grèce d'Europe, végètent dans une misère grandissante. Leur situation est d'autant plus compromise que la navigation phénicienne, ' D e Laplante, op. cit., I, p. 104, 105.
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favorisée par les Perses, leur barre la Méditerranée orientale, ainsi que la Mer Noire qui venait de leur être interdite. Bénéficiant d'une sorte de monopole, les navires phéniciens, qui sillonnent les Détroits et la Mer Noire, apparaissent même dans les rades des cités d'Asie Mineure. Cette situation, qui ruinait les villes grecques d'Asie Mineure, finit par les pousser à la révolte. Encouragés par l'attitude fière et courageuse de leurs frères d'Europe dressés contre le Grand Roi, les Grecs d'Asie et de Chypre se soulèvent, renversent les gouverneurs qui sont fidèles aux Perses, les remplacent par des gouvernements démocratiques, et rétablissent l'ancienne «ligue ionienne». Des esprits pondérés, effrayés par cette révolte contre l'invincible puissance perse, ont beau prêcher la sagesse; leurs voix sont étouffées par le vacarme de quelques démagogues ambitieux. Sans attendre une réaction des Perses, les révoltés prennent les devants. Sollicitant l'aide de leurs frères d'Europe, ils reçoivent des renforts d'Athènes et, passant à l'action, s'emparent de la ville de Sardes. Bien que la citadelle demeurât aux mains des Perses, ce succès eut un grand retentissement; la révolte devint générale et gagna les villes grecques de Chypre (498). j. Défaite des Grecs d'Asie (496) La réaction des Perses se devine. Evacuant la Thrace et la Macédoine, l'armée perse, qui vient à la rescousse, oblige les insurgés à abandonner la capitale anatolienne et à se retirer. Sentant la cause perdue, Athènes, en guerre avec Aegine, retire ses troupes. Une flotte phénicienne débarque un corps expéditionnaire à Chypre, qui retombe sous le joug perse. Une autre flotte phénicienne, composée de 600 navires phéniciens et chypriotes, détruit, en face de Milet, une flotte grecque de 350 vaisseaux. Ce désastre entraîne la chute de Milet, centre de la révolte (496). La ville est prise, les habitants, emmenés en captivité à Suse, sont établis à l'embouchure du Tigre. Toutes les villes grecques sont reprises et la révolte est étouffée. Perdant leurs anciens privilèges, les Ioniens sont soumis à une organisation satrapale. k. Les Guerres Médiques, duel entre deux mondes La défaite des Grecs d'Asie ne résolvait pas le problème économique qui les avait poussés à la révolte. L'Asie Mineure demeurait toujours coupée de la Grèce européenne. En outre, l'intervention d'Athènes aux côtés des révoltés rendait le choc inévitable entre Darius et la Grèce continentale, et donnait à cette querelle entre voisins les proportions d'un grand conflit entre deux continents: l'Asie et l'Europe. Telle est l'origine directe des célèbres Guerres Médiques ou gréco-per-
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ses, qui vont bientôt commencer. Elles sont, après la guerre de Troie (p. 122), le second épisode de cette «Question d'Orient», qui, se perpétuant jusqu'à nos jours, mettra désormais aux prises les peuples des deux continents. Entre les Grecs d'Europe et les Perses d'Asie, la lutte, qui s'engagera, en réalité, pour la maîtrise de la mer, prendra en même temps la forme d'une croisade démocratique contre l'absolutisme continental et asiatique. La lutte de la Grèce se réclamera d'une mystique pseudoracique, concept nouveau dans les annales du monde antique. Xerxès, successeur de Darius, invoquera la solidarité du continent asiatique; en détruisant Troie, la Grèce avait déjà provoqué l'Asie. La politique asiatique de Xerxès s'accompagne d'un véritable nationalisme perse. Rompant avec l'universalisme professé par Cyrus et Darius, leurs successeurs traiteront les «nonAsiatiques» comme des peuples «soumis» et leur accorderont un statut inférieur. Les Grecs, de leur côté, considéreront les Perses comme des «barbares» qu'il faut détruire. En réalité, cette mystique pseudoracique, cet appel au fanatisme national, masque une guerre économique. De même que, dans la guerre de Troie, les vainqueurs et les vaincus étaient des frères de race, de même, les Grecs et les Perses de cette époque sont tous deux de race indo-européenne. Leurs luttes avaient pour objet la possession des routes du trafic international. 2. Les Guerres Médiques (492—466) a. Reconquête de la Thrace et de la Macédoine (492) Les Guerres Médiques commencent en 492, date à laquelle les hostilités reprennent, en territoire d'Europe, entre Perses et Grecs. La Thrace et la Macédoine, évacuées lors de l'insurrection d'Asie Mineure, sont réoccupées par les Perses. Mais une terrible tempête détruisit, près du Mont Athos, la moitié de la flotte perse, et les opérations contre la Grèce durent être retardées jusqu'à l'année suivante. En 491, une armée débarque en Grèce et s'empare d'Erétrie; la ville est détruite et ses habitants envoyés à Suse. Cet acte maladroit, qui montrait aux Grecs qu'ils n'auraient aucune grâce à attendre des vainqueurs, dressa contre l'envahisseur tous les éléments de la nation, y compris les partisans d'une entente avec l'Empire. b. Bataille de Marathon (490) En 490, un corps expéditionnaire de 50.000 Perses, embarqué sur 600 navires phéniciens, chypriotes et égéens, débarque à Marathon. Une ar-
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mée de 10.000 Athéniens, sous le commandement de Miltiade, s'installe face à l'armée débarquée. Sans attendre les renforts envoyés par Sparte, les Athéniens passent à l'attaque et, combattant avec l'énergie du désespoir, remportent une victoire retentissante. L'armée perse, jusque-là invaincue, reprend précipitamment la mer. Les navires du Grand Roi regagnent l'Asie, et la Grèce est sauvée de l'invasion (490). La victoire de Marathon, dont l'écho, amplifié par les Grecs, a persisté jusqu'à nos jours, ne fut grande que par son effet moral; pour l'Empire perse, elle ne fut qu'un simple échec colonial. D'après les Grecs, les Perses perdirent 6.400 hommes, et Athènes, qui venait de sauver la Grèce de l'invasion, 192 seulement. Les Grecs d'Asie demeurèrent immobiles sous le joug perse, et «la plus grande partie de l'empire n'avait même pas connaissance de cette petite affaire de débarquement manqué» (De Laplante). c. Révolte de l'Egypte et mort de Darius (485) Cependant, Darius, qui ne pouvait rester sur cet échec, prépare la revanche. Mais un soulèvement en Egypte, aidé par les Grecs, vient retarder ses préparatifs. Darius avait porté un grand intérêt à la Vallée du Nil; grenier de blé de la Perse, cette province payait une forte contribution au Trésor impérial. L'achèvement du canal entre Nil et Mer Rouge augmente sa richesse et sa prospérité commerciale. Darius s'était concilié, par sa bienveillance, l'appui du clergé et des nobles, entre lesquels le pays nilotique était partagé. Cependant, les paysans, grevés d'impôts, étaient mécontents, et les Egyptiens supportaient avec impatience la domination étrangère. L'échec des Perses à Marathon, les intrigues des Grecs en Egypte, amenèrent une révolte dans le Delta (486). Une querelle entre ses fils, au sujet de la succession au trône, empêche Darius de s'occuper de cette insurrection. Il meurt en 485, en léguant à son successeur la tâche de venger la défaite de Marathon et de soumettre les Egyptiens révoltés. d. Impuissance du colosse perse L'échec de Darius en Grèce, bien qu'il fût relativement insignifiant pour l'Empire, marquera cependant un arrêt dans sa vie. Tout en demeurant aussi vaste et aussi solide qu'au temps de Darius, l'Empire perse sera moins puissant dans son action; ses coups seront moins foudroyants et son élan moins fougueux. En outre, les successeurs de Darius se distingueront par leur égoïsme et leur imprévoyance. Sous leur direction, la machine impériale, qui, pendant un siècle et demi encore, donnera l'impression d'une puissance robuste, s'écroulera cependant, comme un château de cartes, sous les coups d'un jeune conquérant, Alexandre de Macédoine, en 333.
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«Aucun de ceux qui, depuis Xerxès, régnèrent à Suse, ne sut s'inspirer de la politique généreuse d'un Cyrus ou de celle, ferme et prévoyante, d'un Darius. Ils n'essayaient pas de resserrer les liens entre le peuple maître et les nombreuses nations entrées dans le sein de l'Empire. Ils ne recherchaient que le pouvoir de la domination et mettaient leur or au service de la corruption et de la trahison. Les principes de base sur lesquels fut bâti l'empire furent faussés et sapés. L'Empire resta debout, paraissant plus solide que jamais, mais il était travaillé de l'intérieur par les forces de la dissolution.»2 A ces causes, qui minèrent les fondements de l'Empire, s'en ajoutent d'autres. Les Perses garderont, longtemps encore, leurs forces de nation jeune et se redresseront plus d'une fois. La désagrégation de leur premier Empire est due à l'ambition de leurs rois, qui chercheront toujours à dominer, à la fois, le continent et la mer; elle est due aussi, et surtout, à cette loi historique constante, qui veut que «toute domination perde en force ce qu'elle gagne en étendue.» e. Xerxès, prince faible et violent Xerxès (485—464), fils et successeur de Darius, est un homme influençable et indolent. Vice-roi de Babylone jusqu'à la mort de son père, plus porté à la vie somptueuse qu'à celle des armes, il est cependant obligé de réduire la révolte d'Egypte et de venger la défaite de Marathon, deux fardeaux hérités du règne précédent. S'il décide spontanément de châtier l'Egypte, par contre, c'est sous la pression de son entourage qu'il se résoudra à reprendre la guerre contre la Grèce. /. La révolte de l'Egypte sauvagement réprimée Dès la première année de son règne (485), Xerxès réprime sauvagement la révolte en Egypte, soulevée l'année précédente, sous Darius, et ravage le Delta. Il désigne son frère, Achéménès, comme satrape, mais laisse les nobles et les prêtres en possession de leurs biens (483). g. Babylone, révoltée, est prise et détruite (482) L'année suivante (482), une révolte éclate en Chaldée. La crise économique qui sévissait en Mésopotamie, et même en Iran, par suite du détournement du trafic par le canal Nil-Mer Rouge et de la décadence de la navigation phénicienne entravée par la marine grecque, provoque une insurrection à Babylone, où un usurpateur se fait proclamer roi. La réaction de Xerxès fut aussi prompte que violente. Babylone est 2
Ghirshman, op. cit., p. 168.
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prise, ses fortifications sont rasées, ses temples pillés et détruits, la population emmenée en captivité (482). La vieille capitale de la Mésopotamie, la ville de Hammourabi et de Nabuchodonosor, ne se relèvera plus de ce désastre. Comme Thèbes et Ninive, elle connaîtra désormais l'oubli. A partir de ce temps, Xerxès abandonne son titre de «roi de Babylone»; il ne portera désormais que celui de «roi des Perses et des Mèdes». Ces deux groupes ethniques sont seuls désormais les peuples maîtres. Mais en détruisant Babylone, le Grand Roi rend service à l'Egypte, maîtresse du trafic de l'Inde vers la Méditerranée, et à l'hégémonie navale de la Grèce, au détriment de la marine et des cités phéniciennes. h. Préparatifs de guerre contre la Grèce En 481, Xerxès, cédant à l'influence de son entourage militaire et des Athéniens exilés pour leurs sympathies pro-perses, prend la décision de venger la défaite de Marathon. Tous les peuples de l'Empire, en tête desquels venaient les Perses et les Mèdes, fournissent leurs contingents. Chaque division est commandée par un Perse, sous le commandement suprême de Mardonius, cousin du Grand Roi, qui avait, sous Darius, conquis la Thrace et la Macédoine. i. Forces terrestres et navales L'armée perse comptait, suivant Hérodote, près de cinq millions d'hommes, services de ravitaillement compris. Ce chiffre fantaisiste est visiblement exagéré; il indique cependant un ordre de grandeur qui devait être considérable. Destinée à conquérir la Grèce, cette grande armée avait besoin d'un grand nombre de navires de guerre, de transport et de ravitaillement, sans lesquels l'entreprise ne serait pas réalisable. Les chantiers de construction navale, surtout en Phénicie, sont en pleine activité. Une puissante flotte, alignant près de 12.000 vaisseaux, comprend des escadres et des équipages phéniciens, égyptiens et grecs. Plus de 500.000 marins, selon Hérodote, prennent part à l'expédition. /. Alliance avec Carthage En même temps qu'il se livrait à ces préparatifs, Xerxès procédait à une action diplomatique; il fait appel à l'alliance de Carthage, pour une attaque contre les Grecs de Sicile. La flotte carthaginoise s'apprête et s'augmente. En réponse, le Grec Gélon, maître de Syracuse, se fait le champion de l'hellénisme occidental et rassemble toutes les cités grecques contre la menace carthaginoise. Ainsi, les Hellènes de Grèce et leurs frères de
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Grande-Grèce (Italie et Sicile) se trouvent coincés entre deux fronts: l'Empire perse, à l'Est; la puissance carthaginoise, à l'Ouest. k. La grande armée traverse les Détroits Au printemps de 480, Xerxès, à la tête de sa formidable machine de guerre, se met en route vers la Grèce, par la voie de terre. De l'autre bout du monde, le Carthaginois Hamilcar, avec 3.000 transports, 200 navires de guerre et 300.000 hommes, prend le large en direction d'Himère (Sicile). Sur les Détroits, les Phéniciens construisent un double pont de bateaux, que l'armée perse traverse pendant sept jours consécutifs; en outre, ils percent, au nord du Mont Athos, un canal pour faire passer les vaisseaux. Dans la péninsule hellénique, où le désarroi est grand, les discussions et les querelles divisent les chefs et les cités. La diplomatie perse en profite pour répandre l'or, jouer des rivalités endémiques et s'assurer des alliés et des partisans secrets. Les Grecs du Nord se soumettent, mais Sparte et Athènes, coalisées, décident d'attendre l'ennemi au défilé des Thermopyles, entre la montagne et la mer. I. Bataille des Thermopyles et prise d'Athènes
(480)
Tandis qu'une tempête enlève à la flotte perse près de 400 vaisseaux, l'armée de terre de Xerxès, après avoir attendu l'arrivée des navires, passe à l'attaque et piétine sur place pendant deux jours. La bataille faillit même tourner au désavantage des Perses, lorsqu'une trahison leur indique un passage à travers la montagne. Les Grecs, débordés, battent en retraite. Les contingents qui, sous le commandement de Léonidas, roi de Sparte, gardaient les Thermopyles, se retirent, sauf trois cents Spartiates qui, abordant l'ennemi, sont tués jusqu'au dernier. Marchant sur Athènes, les Perses s'en emparent et y mettent le feu, pour venger l'incendie de Sardes; tous les temples sont détruits, y compris celui d'Athéna. m. Défaite navale des Perses à Salamine (480) En dépit de ce désastre, les Grecs ne cèdent pas. Leur flotte, sous le commandement de Thémistocle, est concentrée à Salamine et résolue à défendre l'isthme. Sparte abandonne les Athéniens, pour se consacrer à sa propre défense. La flotte perse rejoint l'ennemi et ferme la baie de Salamine, où elle espère détruire la petite flotte grecque. Installé sur une hauteur et sûr de la victoire, Xerxès, assis sur son trône, assiste à la bataille. Entonnant leurs chants nationaux, les marins grecs attaquent les vaisseaux perses, qui, à l'étroit dans la baie, se heurtent et brisent leurs rames. Le désordre s'en
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mêle et la déroute le suit. Sous les yeux de Xerxès, la flotte perse est écrasée et perd un tiers de ses effectifs (480). Pendant ce même temps, les Carthaginois sont battus par Gélon de Syracuse; Hamilcar est tué et sa flotte brûlée. n. L'amiral phénicien exécuté par Xerxès La flotte phénicienne, qui prit une part glorieuse à la bataille de Salamine, couvre la retraite perse, empêchant la défaite de se transformer en désastre. En dépit de cette conduite glorieuse, Xerxès, au caractère violent et impressionnable, fait exécuter l'amiral phénicien; en réaction contre cet acte injuste et maladroit, les Phéniciens, suivis par les Egyptiens, abandonnent les Perses. o. Les Perses battus et rejetés en Asie (466) L'échec de Salamine n'était pourtant pas d'une grande importance pour les Perses; l'armée restait presqu'intacte, les régions conquises demeuraient tranquilles et l'ennemi, insignifiant en nombre. Mais le Roi des Rois, perdant la tête, repart pour l'Asie, laissant en Grèce Mardonius, avec un tiers des effectifs. Mardonius ravage le pays; mais les Grecs, exaltés par la victoire de Salamine, regroupent une armée qui rencontre l'ennemi à Platée. Commettant l'erreur de se lancer lui-même dans la bataille, le commandant suprême des troupes du Grand Roi est tué et son armée hétéroclite, privée de son chef, abandonne la lutte (479). Le jour même, une flotte grecque détruit les vaisseaux perses réfugiés à Mycale, près de Samos. Passant à l'offensive, les Grecs, qui fondent la Ligue de Délos (476), sous la présidence d'Athènes, remportent, sur les bords de l'Eurymédon (466), une nouvelle victoire. Les Perses évacuent leurs possessions en Europe; la Grèce est délivrée et l'Asie rejetée derrière les Détroits. p. Signification morale de la victoire grecque Etonnante au premier abord, cette victoire du petit peuple grec contre le colosse perse est compréhensible. Sans diminuer en quoi que ce soit la valeur combative des guerriers grecs et leur amour de la liberté, leur supériorité tient surtout aux maladresses des Perses, à l'incapacité de leur commandement et à la composition bariolée de leur armée. «Les centaines de milliers d'hommes qui la composaient n'étaient pas rangés par armes, mais par pays; le service de l'approvisionnement n'existait quasi pas, le roi comptant vivre sur les pays, ce qui s'avérait impossible pour une telle masse de troupes. Enfin, dans la flotte, une partie importante des vaisseaux
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étaient ioniens, et les Grecs d'Asie, dans une guerre de ce genre, devaient forcément prendre fait et cause pour leurs frères du continent.»® Ainsi, dans ce grand duel entre le vieil Orient et la jeune Europe, l'élite eut raison du nombre, la petite patrie, fière et libre, battit le grand Empire, colossal, hétérogène et inorganique. Eschyle, qui combattit à Salamine, tirera la moralité de cette victoire: «La démesure, en germant, porte l'épi du malheur . . . Zeus, vengeur désigné des pensées trop superbes, s'en fait rendre de terribles comptes.» q.
Athènes,
maîtresse du monde
égéen
Triomphante, la Grèce d'Europe libère la Grèce d'Asie. Toutes les cités grecques se groupent autour d'Athènes victorieuse, qui s'assure une hégémonie navale incontestée. La capitale de l'Attique devint, dès lors, le centre de la civilisation hellénique, et les penseurs les plus remarquables du monde grec vinrent se fixer dans les murs d'Athènes. La pensée grecque, en pleine maturité, jetait les bases d'un monde nouveau, en face de la vieille civilisation orientale. Devenue une grande puissance maritime et économique, Athènes fit du Pirée l'un des plus beaux ports de la Méditerranée et s'installa sur l'Hellespont pour dominer la Mer Noire. Dès 476, la Ligue de Délos groupait 200 cités, répandues dans toute la Mer Egée et la Mer Noire, sous la présidence d'Athènes, pour organiser la défense du monde grec contre le danger perse. Centre de cette vaste fédération, Athènes devint un marché international de première importance. r. L'Empire
perse ébranlé et affaibli
Aigri par la défaite, Xerxès abandonne tout esprit de revanche. Enfermé dans ses capitales asiatiques, entouré de courtisans et d'eunuques, il est assassiné dans son palais, en 465. La défaite des Perses en Grèce ruinera à tout jamais le plan d'un Empire universel iranien. Réduite à n'être plus qu'un immense Etat terrien, la Perse va s'enfermer dans une politique exclusivement continentale et féodale. La Mésopotamie, jadis la grande artère continentale, détrônée par la route maritime, se transforme peu à peu en route secondaire. L'activité économique, se transportant de plus en plus vers les côtes, va détacher, les unes après les autres, les provinces maritimes de l'Empire, pour les grouper en une économie nouvelle, déterminée par la Grèce et l'Egypte. Doublement frappée par la défaite, la Phénicie s'achemine vers une décadence imminente, du fait de la ruine de Babylone et de l'hégémonie navale des Hellènes. 3
Ghirshman, op. cit., p. 171.
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Tandis que Carthage, vaincue en Occident, cherche en Angleterre et en Afrique sud-occidentale des débouchés et des marchés nouveaux, en Orient, par contre, le Grand Empire est comme immobilisé. «La Perse, la Perse géante ne semble pas ébranlée par sa défaite. Seulement elle n'attaquera plus. Ni vers l'Est, ni vers l'Ouest, elle ne progressera plus . . . Elle se contentera de guetter les dissensions grecques, de les attiser, de les favoriser, de les payer, afin d'entraver l'essor de ce peuple qui, s'il savait se fédérer ou se trouver un maître, deviendrait, pour le Roi des Rois, le plus redoutable des dangers. Diviser les Grecs, pour briser la contre-offensive de l'Occident, ce sera désormais toute la politique des Xerxès et des Artaxerxès.»4 Ce roi grec fédérateur, ce maître des Hellènes, qui surgira, en 333, sous le nom d'Alexandre le Grand, détruira l'Empire du Roi des Rois et portera les frontières de l'Europe jusqu'à l'Indus.
1
De Laplante, op. cit., I, p. 113.
II. Décadence et ruine de l'Empire perse 1. Rapports des Perses et des Grecs a. Révoltes en Bactriane et en Egypte Le début du règne d'Artaxerxès I (465—424), fils et successeur de Xerxès, est marqué par deux révoltes. La première est celle du frère du roi, satrape de Bactriane, qui est vaincu et tué (462). Sa mort est suivie de celle de tous les frères du souverain. La seconde révolte, celle de l'Egypte, est plus sérieuse. Encouragée par la faiblesse de l'Empire, la Vallée du Nil, dont le soulèvement, en 485, avait été sauvagement réprimé, s'insurge de nouveau en 460. Athènes, qui cherche, dans une Egypte indépendante, un centre de ravitaillement en blé et une alliée contre la Perse, soutient les révoltés. Assiégée dans Memphis, la garnison perse résiste courageusement. Une armée iranienne, commandée per Mégabyse, satrape de Syrie, avec le concours de la flotte phénicienne, réduit la révolte et brûle la flotte athénienne sur le Nil. Les Egyptiens, vaincus, retombent sous le joug (455). b. Traité de paix gréco-perse (449) Pendant ce temps, l'or perse fait son jeu. Sparte se dresse contre Athènes; mais l'échec de celle-ci en Egypte l'incite à se rapprocher de Sparte. Tranquille du côté de cette dernière, Athènes, après quelques entreprises heureuses contre l'Empire et une victoire navale à Chypre contre les Phéniciens, conclut avec le Grand Roi une paix honorable (449). Par cette paix, qui met officiellement fin aux guerres médiques, la Perse garde l'Egypte et Chypre, et Athènes, libre en Grèce et en Egée, récupère l'Ionie, sur la côte d'Asie Mineure, mais ne cherchera pas à étendre ses possessions en Asie. c. Renaissance de la nation juive en Palestine (445) Pendant la dernière révolte de l'Egypte (460—455), et alors que l'armée perse s'apprêtait à reconquérir cette province, un important contingent de Juifs, vraisemblablement encouragé par la diplomatie du Grand Roi, était retourné à Jérusalem, sous la conduite du scribe Esdras (458). Mal accueillis par les autochtones, les rapatriés, dotés de riches subventions fournies par les marchands juifs restés à Babylone, durent négocier, pendant plus
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de vingt ans, pour réacquérir le territoire de Jérusalem et réformer, chez les Juifs demeurés en Palestine, les mœurs et les doctrines. En 445, quatre ans après la paix gréco-perse de 449, par laquelle la Perse garde l'Egypte et Chypre, Néhémie, un Juif élevé à la cour du Grand Roi, est nommé satrape de Judée.5 Il achève, en collaboration avec Esdras, la restauration du Temple et du culte, publie, en les amendant, les Livres de la Loi, et fixe la doctrine monothéiste. C'est de cette époque (445—440) que datent la renaissance du sentiment national et celle de la nation juive, détruite depuis l'exil à Babylone et la Diaspora, en 586 (p. 268-269). d. Essor de la civilisation hellénique et son rayonnement dans le Proche-Orient La paix gréco-perse de 449, par laquelle Athènes, libre en Grèce et en Egée, a récupéré l'Ionie, marque un recul pour l'Empire. Pour Athènes, c'est le point de départ d'une nouvelle et brillante période de son histoire et de sa civilisation: la période de Périclès (444—429). La Grèce d'Europe dépasse et éclipse la Grèce d'Asie; Athènes affirme la plus belle des civilisations. C'est pendant cette période, en effet, que le peuple hellénique a produit le «miracle» grec et exprimé son génie le plus pur. «Le certain, c'est que l'expression de ce génie prend, en ce Ve siècle, une forme parfaite. Une sèche nomenclature de quelques noms sera certainement plus évocatrice que de longues phrases. En sculpture: Myron, Phidias; en peinture: Zeuxis; en céramique: Euphronios, Douris, Brygos; au théâtre: Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane; dans le lyrisme: Pindare; dans les sciences: Zénon, Théotète, Hippocrate; en histoire: Hérodote et Thucydide. Quant à l'architecture, que pourrait-on ajouter à ces trois dates: 447, le Parthénon; 437, les Propylées; 435, l'Erechteion? La philosophie grecque, tournée vers l'étude de l'homme, quelques noms également suffisent à l'évoquer: Leucippe, Démocrite, Anaxagore, Empédocle, enfin et surtout, Socrate . . . La lumière que projette cette civilisation attique, il n'est pas douteux qu'elle ait ébloui les contemporains. . . Les ennemis de la Grèce, euxmêmes, admirent et imitent... La Perse, elle-même, se laisse toucher par l'excellence de la culture grecque. L'Asie Mineure, peu à peu, s'imprègne d'hellénisme.. . La paix permet aux commerçants, aux voyageurs, de circuler librement dans tout le monde méditerranéen. Dans leurs bagages, ils apportent leur 5
Par une singulière coïncidence, la Palestine contemporaine, où un Foyer National Juif, sous tutelle britannique, fut accordé aux Juifs dispersés, reçoit, en 1920, comme Haut-Commissaire du Gouvernement de Londres, un Juif britannique, Sir Herbert Samuel.
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civilisation. Les Rois ne se fieront plus qu'à des médecins grecs . . . Dans l'Egée, sur la Méditerranée, c'est un va-et-vient incessant de navires, de négociants, de touristes. Le voyage de Grèce en Egypte ne coûte plus que deux drachmes. C'est le temps où Hérodote visite la Perse, le Nil, l'Hellespont. . . Les commerçants grecs remontent le cours des fleuves scythes . . . Ils circulent en Egypte, en Libye, en Gaule. Leurs navires vont même en Phénicie, tandis que navires phéniciens et cypriotes fréquentent aussi le Pirée.»6 e. Intrigues d'Athènes en Asie Mineure Xerxès II (424), fils et successeur d'Artaxerxès I, est assassiné au bout de quarante-cinq jours, à la suite d'une intrigue de palais. Son frère, qui lui succède, Darius II (424—405), réduit, avec l'appui de Sparte, une révolte du satrape de Sardes soutenu par Athènes. Poussant Sparte contre sa rivale, Darius II en profite pour reprendre plusieurs cités grecques d'Asie Mineure. Il n'est guère tenté par une expédition en Grèce d'Europe; il préfère retenir cette contrée par une politique d'équilibre entre Sparte et Athènes, qu'il maintient en rivalité. La dernière année du règne de Darius II (405) est marquée par une tentative de révolte en Egypte. Les Juifs d'Eléphantine, suspects à cause de leurs sympathies pour les Perses, sont l'objet d'une violente persécution et leurs temples sont détruits. Devant la surexcitation des Egyptiens, l'administration perse se garde de sévir. /. Révolte de Cyrus le Jeune (401). La Retraite des Dix Mille Le début du règne d'Artaxerxès II (405—359), fils et successeur de Darius II, est marqué par la révolte de son jeune frère Cyrus, commandant général des troupes et satrape d'Asie Mineure. Quittant sa résidence, Cyrus, à la tête d'une nombreuse armée, dont 10.000 Grecs, remporte une grande victoire près de Babylone, mais il est tué dans la bataille (401). La disparition du jeune Cyrus rend désormais la guerre sans objet. Les soldats asiatiques, victorieux mais sans chef, se débandent. Quant aux dix mille Grecs enrôlés par Cyrus, et dont les chefs avaient été tués par traîtrise, ils parviennent, sous la conduite de Xénophon, à rentrer en Grèce par l'Arménie. Ce beau fait de guerre, raconté par Xénophon dans son Anabase, est universellement connu sous le nom de Retraite des Dix Mille. Le succès de la retraite des Dix Mille avait révélé la faiblesse militaire de l'Empire. Désormais, la Perse n'interviendra dans les affaires grecques qu'en employant l'or et la corruption, et en continuant à dresser, les unes contre les autres, les cités helléniques. * D e Laplante, op. cit., I, p. 117, 118.
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g. Emancipation de l'Egypte (404) Cette faiblesse de l'Empire permet à l'Egypte de secouer le joug perse; commencée dans le Delta, sous le règne de Darius II (405), la révolte aboutit, en 404, à la proclamation de l'indépendance de toute la Vallée du Nil, sous l'égide de rois nationaux. Mais la décadence du pays nilotique, qui a perdu ses vertus militaires, rend précaire sa nouvelle indépendance. L'Egypte ne se soutient plus qu'à l'aide de généraux et d'auxiliaires grecs. En outre, elle ne peut plus compter sur Athènes financièrement affaiblie. Se trouvant presque seule, elle crée des impôts nouveaux pour se préparer à la lutte qui s'annonce. h. La paix gréco-perse d'Antalcidas (387). Récupération des villes grecques d'Asie Profitant de l'affaiblissement d'Athènes, Sparte, encouragée par le succès de la retraite des Dix Mille, intervient en Asie Mineure contre l'Empire. Mais l'or du Grand Roi redresse Athènes, la lance contre Sparte, et fait rappeler d'Asie le général Spartiate envoyé contre les Perses. Pendant que les deux métropoles helléniques s'épuisent en luttes, le Grand Roi dicte au Spartiate Antalcidas la «Paix du Roi», par laquelle toutes les villes grecques d'Asie Mineure, ainsi que Chypre, sont abandonnées à la Perse (387). Eloignées du centre de l'Empire, ces dernières sont simplement vassales du Grand Roi. Conservant leurs dynasties héréditaires et leurs municipalités autonomes, elles retrouvent rapidement leur prospérité commerciale. Quant à la Grèce d'Europe, elle est déchirée et meurtrie. La querelle entre Sparte et Athènes est continuellement ranimée par l'or perse; et lorsque, épuisées, ces deux cités cesseront de se combattre, la diplomatie du Grand Roi fait lancer contre elles la ville de Thèbes qui les écrase. i. Désagrégation de l'Empire Mais la neutralisation de la Grèce d'Europe par les guerres fratricides et la reconquête de la Grèce d'Asie ne compensent pas le désastre que la Perse a subi en perdant l'Egypte. D'autre part, l'Empire, miné de l'intérieur, se désagrège. Les impôts écrasants poussent les indigènes à la révolte. Les satrapes deviennent, pour la plupart, héréditaires et tentent de s'émanciper. Des guerres sociales augmentent les troubles. Tous les pays, à l'ouest de l'Euphrate, se soulèvent. Outre l'Egypte, indépendante depuis 404, Chypre, la Phénicie, la Syrie, ruinées par la politique continentale de l'Empire, s'émancipent et se rapprochent de l'Egypte et de la Grèce. Elles forment une coalition et frappent monnaie. Alliée à Sparte et aux satrapes
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en révolte qui traversent l'Euphrate et marchent sur la capitale de l'Empire, l'Egypte, attirée vers son objectif traditionnel, se dirige vers la Palestine. L'Empire paraît condamné et sur le point de s'effondrer (375). j. L'Empire provisoirement sauvé Tous ces dangers disparaissent cependant, aussi vite qu'ils s'étaient levés, grâce surtout à l'or et aux intrigues perses. A la suite d'une révolte fomentée contre le pharaon, l'Egypte abandonne ses alliés et renonce à la lutte (359). D'autres satrapes suivent son exemple et sont maintenus dans leurs charges. Mais l'anarchie continue; des bandes rançonnent les villes, des luttes sociales déchirent les cités. Les dernières années d'Artaxerxès II, qui était juste et généraux, sont remplies de drames de famille et d'assassinats de palais. Ses fils, ses femmes, ses bâtards, ses concubines, intriguent les uns contre les autres, et nombre d'entre eux sont supprimés. En 359, le roi meurt à l'âge de 86 ans.
2. L'Egypte indépendante (404—345) s'appuie sur les Grecs L'indépendance que l'Egypte s'était octroyée, à la suite de sa révolte de 405—404, durera près de soixante ans (404—345). Pendant cette courte période d'indépendance, la dernière que connaîtra le vieux pays des pharaons, trois dynasties de rois nationaux, les dernières dynasties indigènes (XXVIIIe, XXIXe et XXXe), régneront sur une Egypte temporairement libérée et prospère. Le pharaon Amyrtée (404—398), qui régnera sur toute l'Egypte, est contemporain d'Artaxerxès II; les monuments égyptiens sont muets sur son règne. Sa résidence est la ville de Saïs, dans le Delta occidental. Il forme à lui seul la XXVIIIe dynastie. Néphéritès I (398-392), fondateur de la XXIXe dynastie, est un roi du Sud. Son règne, comme celui de ses successeurs, sera troublé par de fréquentes querelles dynastiques. Les divisions et les ambitions féodales, qui minaient l'Egypte depuis des siècles, ne semblent pas avoir disparu. Néphéritès s'allie avec Evagoras, roi de Sparte, auquel il envoie du blé et l'équipement de 100 trières. Mais la flotte Spartiate, qui avait capturé Rhodes et Chypre, est détruite par Athènes au large de Rhodes. Après cet échec de Sparte, Néphéritès renonce aux entreprises étrangères et reprend l'œuvre des anciens pharaons. Son successeur Achoris (392—380), qui se joint à une coalition contre la Perse, envoie à Evagoras du blé et 50 trières égyptiennes. Mais les trois cents navires du roi perse reprennent Chypre à Evagoras qui, obligé de
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capituler, se réfugie en Egypte; voyant qu'Achoris ne peut le secourir, le roi grec retourne à Chypre et fait la paix avec Artaxerxès II (387). D'autre part, Athènes, réconciliée avec la Perse depuis la paix d'Antalcidas (387), retire son appui officiel à Achoris, qui prend à sa solde des mercenaires et même des généraux grecs et résistera trois ans aux Perses (385—383). Retenus par des révoltes en Asie Mineure, ces derniers ne purent donner tout leur effort contre l'Egypte qui repoussera leurs attaques. Achoris consacre les dernières années de son règne à des travaux de construction. Ses successeurs, deux princes obscurs, ne régnent qu'un an et demi (380-378). Des dissensions dynastiques permettent à un prince du Delta, Nectanébo I (378—360), de monter sur le trône et de fonder la XXXe dynastie égyptienne. Dès le début de son règne, les mercenaires grecs, qui étaient entrés au service d'Achoris, sont rappelés par Athènes réconciliée avec la Perse. Encouragé par la neutralité d'Athènes, Artaxerxès II fait une tentative pour reconquérir l'Egypte. Il confie la direction de la campagne à Pharnabaze, satrape de Syrie, qui réunit à Acre une armée de 200.000 hommes, appuyée de 20.000 mercenaires grecs. L'armée perse pénètre dans le Delta et s'avance jusqu'à la région de Memphis. Par ses hésitations, Pharnabaze, qui refuse d'écouter les conseils du chef grec, est obligé de battre en retraite, à cause de la crue du Nil qui survient à ce moment (374). Cet échec des Perses en Egypte provoqua, dans l'Empire, la célèbre révolte des satrapes, qui paralysa, pendant quinze ans, les forces d'Artaxerxès II. L'Egypte connaît, pendant cette courte période, une ère de sécurité, qui se traduit par de magnifiques constructions. Mais la plupart de ses revenus sont affectés à la défense nationale. Téos (361—359), fils et successeur du précédent, est un prince ambitieux et énergique. Profitant de la crise qui secoue l'Empire perse depuis la grande révolte des satrapes, il cherche à reprendre les anciennes provinces orientales. Par des soldes élevées, ce pharaon philhellène se procure des mercenaires spartiates et athéniens. Pour faire face aux dépenses nécessitées par ces préparatifs, Téos réquisitionne le métal précieux, impose les produits de la terre, augmente les impôts et les taxes, supprime les privilèges octroyés au clergé et confisque une grande partie de la fortune des temples. Ces mesures permettent au pharaon de payer en numéraire les mercenaires grecs et de mettre sur pied la plus puissante armée que l'Egypte ait réunie depuis les Ramsès. Cette force comprend 1.000 hoplites spartiates, amenés par le roi Agésilas en personne, 10.000 mercenaires athéniens, commandés par le célèbre chef de bande Chabrias, 80.000 soldats égyptiens et une flotte de 250 trières. Laissant en Egypte son frère comme
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régent, Téos prend lui-même le commandement de l'expédition et part en Asie, où des succès éclatants l'amènent victorieusement en Phénicie (360). Tandis qu'il se prépare à marcher sur la Syrie, dont la conquête aurait restauré l'empire asiatique de Nékao (609—594), Téos est obligé de suspendre la campagne. Son frère, qui le remplace comme régent en Egypte, exploitant le mécontentement des Egyptiens et des prêtres pressurés par les impôts, se met à la tête d'une insurrection. Nectanébo, fils du régent, qui commande un corps d'armée en Syrie, est rappelé en Egypte par son père, qui lui offre de prendre la couronne. Revenant avec ses troupes, Nectanébo monte sur le trône; Agésilas et ses mercenaires spartiates le rejoignent, tandis que Chabrias, qui reste fidèle à Téos, est rappelé par Athènes (359). Resté seul, Téos se réfugie d'abord à Sidon; traversant ensuite le désert de Syrie, il se rend auprès d'Artaxerxès, qui l'accueille dans l'espoir de s'en servir pour la reconquête de l'Egypte. La mort du roi de Perse met fin à ce projet (p. 329-330). Nectanébo II (359—341), qui a à faire face à une grave insurrection, en triomphe grâce à l'habileté du condottiere grec Agésilas. Après cette secousse, Nectanébo a un règne pacifique. Grand constructeur, son nom figure sur de nombreux monuments égyptiens; temples, palais, kiosques, statues. L'art de cette époque se caractérise par la pureté du style et la perfection de la technique. Sous ce dernier roi indigène, l'Egypte produit ses derniers chefs-d'œuvre artistiques. «L'Egypte doit à son dernier Pharaon de mourir en beauté» (Moret). 3. Redressement et fin de l'Empire perse. Artaxerxès prince féroce et volontaire
III,
Cruel et d'une férocité sauvage, Artaxerxès III (359—338), fils et successeur d'Artaxerxès II, est, par contre, un homme d'Etat éminent et doué d'une volonté tenace. Pour éviter toute compétition ultérieure et mettre fin aux intrigues de palais qui avaient troublé les dernières années de son père, il inaugure son règne par l'assassinat de ses frères et sœurs et de tous les princes de la famille royale, au nombre de plusieurs dizaines. Il réprimera toutes les révoltes et liquidera celle des satrapes. Le principal effort d'Artaxerxès III est dirigé vers la reconquête de l'Egypte, qui, indépendante depuis 404, avait sa part dans toutes les révoltes fomentées dans l'Empire. La Phénicie s'était jointe à elle. a. La Phénicie révoltée est sauvagement réduite (347) Bien accueillie, au début, en Phénicie, la domination perse, depuis la destruction de Babylone en 482, et surtout depuis 400, avait eu pour effet
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de ruiner l'activité commerciale des cités phéniciennes. L'alliance de l'Egypte et de la Grèce, en isolant les ports phéniciens de l'économie maritime, provoqua, en Phénicie, une crise très grave. Aussi, vers 360, Straton, roi de Sidon, se rapproche-t-il de l'Egypte et de la Grèce, au point de recevoir de ses sujets le surnom de «philhellène». En 353, Tabnit ou Tennès, roi de Sidon, appuyé par des mercenaires grecs à la solde de l'Egypte, bat deux satrapes envoyés contre lui. Le palais impérial et le parc du Grand Roi, à Sidon, sont détruits et mis à sac. Cinq ans plus tard (348), Artaxerxès prend en personne le commandement des troupes en Phénicie. Serré de près, le roi Tabnit, qui se rend, est exécuté avec son escorte. Sidon est détruite et 40.000 habitants massacrés (347). Eshmounazar, fils et successeur de Tabnit, relève Sidon de ses ruines et y règne en qualité de vassal. Cette répression farouche rendra désormais la domination perse odieuse aux Phéniciens, qui accueilleront favorablement, en 332, Alexandre de Macédoine. b. Reconquête de l'Egypte (345) Après avoir réduit la révolte phénicienne, Artaxerxès III isole l'Egypte par sa diplomatie et son or. Le général des Grecs qui aidaient les Sidoniens passe, après leur défaite, au service d'Artaxerxès. Le Grand Roi avait réuni une armée de 300.000 hommes, appuyée par une flotte de 300 trières. A ces forces, le pharaon Nectanébo ne peut opposer que 60.000 Egyptiens, 20.000 Grecs et 20.000 Libyens, soit en tout 100.000 hommes environ. A défaut d'une grande flotte pour tenir la mer, une flottille nombreuse défend les bouches du Nil. Attaquée par terre et par mer, l'Egypte est rapidement envahie. Le pharaon Nectanébo s'était d'abord retiré à Memphis; voyant ensuite les progrès de l'ennemi, il abdique et s'enfuit en Haute Egypte. Le Delta est ravagé par les Perses, les temples sont pillés, les prêtres se rachètent en payant des sommes énormes, et l'Egypte est réduite, une fois de plus, à l'état de satrapie (345). Artaxerxès y nomme un satrape et retourne en Perse, emportant un riche butin (344). Après cette grande victoire, toute l'Asie Mineure se soumet au Grand Roi. c. Résignation et décadence de l'Egypte De nouveau sous le joug perse, l'Egypte perd, pour de longs siècles cette fois, l'indépendance qu'elle avait recouvrée en 404. La reconquête perse, accompagnée de destructions et de massacres, a laissé dans l'esprit des Egyptiens un souvenir odieux. Aussi, lorsque, dix ans plus tard (333), Alexandre le Macédonien, vainqueur de Darius III, arrive en Egypte, il y est accueilli comme un libérateur. Cette attitude de résignation joyeuse
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témoigne de la décadence de l'Egypte et de l'épuisement de sa puissance de réaction. «Les vieilles idées égyptiennes subsisteront encore pendant de longs siècles, mais déformées. Accueillies et interprétées par les étrangers, elles donneront l'illusion que le rôle de l'Egypte n'est pas encore terminé, mais ce ne sera jamais qu'une ombre de lui-même que l'antique royaume projettera sur l'écran du monde.»7 d. L'Empire redressé, colosse aux pieds d'argile Grâce à l'action énergique d'Artaxerxès III, l'Empire perse est rétabli dans son intégrité. Aussi vaste que celui de Darius I, il s'étend de nouveau du Pendjab à la Cyrénaïque, du Caucase et de l'Egée à l'Ethiopie. Aucun voisin de taille ne s'oppose maintenant à son expansion. Malheureusement, ce corps gigantesque n'est robuste qu'en apparence; cette formation inorganique est fatiguée et vieillie. La paix dont elle jouit, grâce aux efforts heureux d'Artaxerxès III, n'est qu'un de ces calmes qui précèdent des grandes tempêtes. La Grèce, que les guerres intestines avaient pour longtemps épuisée, est unifiée par la Macédoine qui la relaiera; elle la vengera des Perses, en détruisant leur Empire et en portant jusqu'à l'Indus les frontières de l'Europe, que les Grands Rois avaient fixées à l'Egée. e. Destruction de l'Empire perse En 338, Artaxerxès III meurt empoisonné. Son fils, Oarsès (338-335), qui périt de la même façon, est remplacé par un parent, Darius III Cogdoman (335-330). Homme courageux, le nouveau Grand Roi aurait pu prolonger la vie de son vaste Empire. Malheureusement, il aura pour adversaire toute la Grèce, coalisée pour la première fois dans son histoire, dirigée par un génie militaire, Alexandre, roi de Macédoine, et servie par des guerriers primitifs: les Macédoniens. En 334, Alexandre, à la tête de 35.000 hommes, passe l'Hellespont. En 331, l'Empire perse est détruit, et l'Empire d'Alexandre lui succède.
7
Drioton et Vandier, op. cit., p. 585, 586.
c Civilisation et religion des Perses achéménides
I. La civilisation perse achéménide
Essentiellement libérale, la dynastie des Perses achéménides se caractérise par son sens de l'organisation, son génie administratif et sa tolérance religieuse (p. 304-306). L'Etat achéménide réalise, dans le domaine de l'organisation administrative, trois innovations jusque-là inconnues: une centralisation fort remarquable pour l'époque, une véritable séparation des pouvoirs civils et militaires et une liberté des conceptions et des pratiques religieuses. La centralisation ne fit pas disparaître les diverses nationalités de l'Empire, qui continuèrent à subsister avec leurs civilisations respectives. A l'opposé des envahisseurs et des conquérants antérieurs, qui cherchaient à imposer leurs dieux aux peuples conquis, les Perses ne se préoccupent guère de faire prévaloir Ahoura-Mazda sur les dieux sémites, égyptiens et grecs. «Sur les monnaies des satrapes, on trouve non seulement l'image d'Ahura-Mazda, mais encore celles du Baal de Tarsous et de Pallas Athéné.»1
1. Le legs des rois
achéménides
Les Perses achéménides ont réalisé l'unité de l'Iran et celle du monde oriental. Ils ont créé le premier Etat policé, le premier grand Empire proche-oriental, et favorisé le rayonnement d'une civilisation mondiale. Leurs provinces les plus excentriques connurent une administration bienfaisante: urbanisme, développement de l'agriculture et du commerce, canaux d'irrigation, etc. Les sciences se développent sous leur domination et l'art perse rayonne hors des frontières de l'Iran. L'impérialisme politique des Perses, bien que basé sur la volonté de domination, est atténué par leur esprit libéral et tolérant. Leur nationalisme compréhensif s'accommode des autres religions qu'ils protègent et des langues des peuples soumis à leur autorité. Ceux-ci, tout en gardant leur personnalité historique, entrent en relations les uns avec les autres. Sous la domination des Perses achéménides, en dépit de leur gouvernement despotique troublé souvent par des drames de palais et par les caprices de souverains violents et fantasques, le Proche-Orient connaît, 1
Huart et Delaporte, op. cit., p. 271.
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plusieurs siècles avant l'Empire romain, une ère de paix profonde, inconnue avant les Perses. Les luttes intestines, les guerres de peuple à peuple et de cité à cité, cessent pendant plus de deux siècles. «C'est que la prospérité matérielle des Achéménides se renforçait de doctrines morales et religieuses.»2 Dans l'art, comme dans la civilisation matérielle des Perses, l'influence assyro-chaldéenne est évidente. La langue araméenne et l'écriture cunéiforme sont tout de suite adoptées. En architecture, cependant, les Perses innovent; tandis que les monuments chaldéens avaient une destination religieuse (temples), l'architecture perse ne s'intéresse qu'aux palais des monarques. Dans la sculpture, c'est encore l'Assyrie qui est imitée; mais le génie perse s'élève, dans ce domaine, vers les abstractions personnifiées. «L'art achéménide se présente à nous comme de l'«assyrien apaisé», moins mouvementé, moins varié que l'art sargonide, comme un art large, calme, respirant la grandeur.»3 «Que ce soit dans le domaine de la culture matérielle ou dans celui de la religion ou de la culture spirituelle, les Achéménides furent les premiers à véhiculer les formes et les idées entre l'Occident et l'Orient, et à réaliser le rapprochement de ces deux mondes et de leurs civilisations, traçant ainsi la voie à suivre au monde iranien de l'avenir.»4
2. Le mazdéisme a.
achéménide,
religion
officielle
Les religions de la Perse
Nous avons vu, en parlant du royaume de Mèdie, que les populations de l'Iran occidental avaient, sous le règne des rois mèdes, quatre formes de religion: la religion du peuple, de souche asianique autochtone; celle des mages, d'origine aryenne; celle des rois mèdes; enfin le zoroastrisme, qui venait de naître (p. 276—283). Avec l'avènement des Perses achéménides, une nouvelle religion dynastique se substitue à celle des rois mèdes disparus: le mazdéisme achéménide. La coexistence de toutes ces religions, chez les Indo-Iraniens d'Iran, procède d'un esprit de tolérance qui a servi les Perses à asseoir leur domination sur tous les peuples du Proche-Orient. Jusqu'à Xerxès, en effet, les Rois des Rois, bienveillants envers toutes les religions de leur grand Empire, se feront adopter par Mardouk, à Babylone, et par les dieux de l'Egypte. 2 3 4
Moret, Histoire de l'Orient, II, p. 765. R. Grousset, Les Civilisations de l'Orient, Ghirshman, op. cit., p. 181.
I, p. 115.
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b. La mazdéisme achéménide, religion officielle La doctrine de Zoroastre, bien que combattue par l'aristocratie perse qui la considère comme favorable aux pauvres, aux mages, aux Mèdes et au peuple, semble progresser sous les Achéménides. Mais la religion officielle de l'Etat est la religion des rois achéménides, qu'on peut appeler le mazdéisme achéménide, pour la distinguer du mazdéisme zoroastrien. c. Aspect religieux et politique du mazdéisme
achéménide
Parallèlement au mazdéisme de Zoroastre, les rois achéménides organisent, en effet, une religion officielle, qui, tout en acceptant la suprématie d'Ahoura-Mazda, laisse subsister d'anciennes divinités iraniennes, qui n'ont pas de noms individuels. A partir d'Artaxerxès II (405—359), le panthéon officiel s'augmente de deux divinités qui sont indiquées à côté d'Ahoura-Mazda: Mithra, dieu du Soleil, d'origine iranienne, et Anahîta, la grande déesse asianique de la fécondité. Dieu suprême ou grand dieu, et non dieu unique, Ahoura-Mazda, créateur du ciel et de la terre, choisit le roi, auquel il donnera le pouvoir et son appui divin pour vaincre les ennemis. «C'est lui qui, par sa volonté, conduit les actes du roi. . . Ce n'est pas en son propre nom que le roi achéménide porte son glaive loin de la patrie d'origine; pour exécuter les volontés divines, l'acte du roi doit être entériné par le grand dieu. C'est une subordination étroite. La Perse des Achéménides n'est pas un Etat fondé sur une religion, comme ce sera le cas chez les Califes abbassides; si Darius tire sa puissance du dieu même, il n'est pas question pour lui de plier sous le poids d'une doctrine qui devient religion. Il n'y a pas de culte impérial, mais le seul fait que le roi est placé sur le trône par la volonté d'Ahuramazda donnait au monde perse une sorte d'unité . . . Ahuramazda, le «Seigneur Science» ou «Le Sage», règne dans le ciel et «embrasse et protège avec ses ailes la terre avec le roi», le roi achéménide son vicaire qui règne sur la terre. C'est le dieu suprême, d'un degré plus élevé que les autres dieux. La religion achéménide n'est pas encore monothéiste, mais un courant monolâtrique a passé sur la Perse.»5 Cette doctrine politico-religieuse, qui fait d'Ahoura-Mazda un dieu suprême et, du chef humain, son élu, son protégé et son vicaire sur terre, serait d'inspiration sémito-babylonienne. La monolâtrie des rois de la Babylonie voisine, qui, imposée par Hammourabi (vers 2000), faisait de Mardouk le chef suprême des dieux et, du roi de Babylone, le représentant du dieu suprême, convenait à l'impérialisme naissant des premiers 5
Ghirshman, op. cit., p. 135 et 140.
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roitelets achéménides d'Anzan (p. 272), qui s'étaient empressés de l'adopter. «La religion des rois, c'est celle que les ancêtres de Cyrus avaient eue dans leur capitale d'Anzan, quand ils dominaient une population anzanite plus civilisée qu'eux-mêmes et à laquelle ils l'avaient sans doute empruntée: or cette civilisation anzanite, dans sa forme la plus récente, avait été influencée par celle de Babylone, qui avait soumis l'Elam; d'où sans doute une influence réelle d'une religion sémitique sur les croyances d'une famille incontestablement aryenne.»6 d. Les mages et les sacrifices A la différence du mazdéisme zoroastrien, qui interdit les sacrifices, le mazdéisme achéménide continuait les sacrifices de bœufs, chevaux, bétail, accomplis par l'office des mages, classe sacerdotale d'origine mède. Ces prêtres interprètent les songes, prennent part au couronnement du monarque dans le temple de Pasargades, dirigent l'éducation des jeunes gens et gardent les tombeaux des rois; ils suivent l'armée pour célébrer les sacrifices. Formant une caste fermée, les mages ne se marient qu'entre eux. e. Symboles divins et lieux de culte Tandis que l'Ahoura-Mazda zoroastrien, «le Seigneur de Sagesse», est un être tout abstrait, l'Ahoura-Mazda achéménide a une image divine ou symbole, et des lieux de culte. Il est adoré, dans des temples, sous la forme d'un disque solaire ailé, emprunté aux pharaons par les rois hittites et assyriens. Ce disque, qui représente le soleil et dont sort une figure divine ayant la tête d'un roi achéménide, est l'image officielle d'AhouraMazda; elle plane au-dessus d'un autel en pierre, sur lequel brûle un feu sacré. Le temple perse a la forme d'une tour carrée renfermant une chambre surélevée, où brûle le feu sacré qu'entretiennent les mages. Les cérémonies religieuses se pratiquent en plein air, à quelque distance des temples. Enfin, et tandis que les mages exposent les cadavres, de peur de souiller, par leur contact, la terre, l'eau ou le feu, qui sont des principes divins, les rois achéménides inhument leurs morts. /. Aspect social de la religion achéménide. Solidarité sociale et sentiment national Les qualités éminentes, recommandées par les préceptes du mazdéisme achéménide, ont leur répercussion hors du domaine religieux. La loyauté, l'humanité, l'entraide, l'esprit chevaleresque, la vérité, la justice, l'amitié, sont les vertus les plus prônées et les plus estimées des Perses. Ces ensei• C. Huart et Delaporte, op. cit., p. 294.
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gnements humanitaires contribuèrent à créer, chez les Perses, bien avant les Grecs, une solidarité sociale, génératrice du sentiment national et de l'idée de patrie, inconnue avant les Achéménides. «La vérité et la justice, traits de caractère et vertus élevées de Darius et qu'il prônait dans plusieurs de ses inscriptions, se confondent avec un sentiment national que ne soupçonnaient pas avant lui les empires orientaux anciens. «Ahura-Mazda . . . gardera le pays de l'invasion, de la mauvaise récolte, du mensonge...» Ce sentiment national, développé à un si haut degré chez le grand monarque, n'est pas exclusif puisque le roi est soucieux du bien-être du pays dont il dirige les destinées avec l'aide et suivant la volonté de son dieu suprême. Tout le peuple perse est imprégné de cet attachement à la patrie que remarque Hérodote, qui souligne que jamais un Perse ne prie son dieu pour lui demander des biens pour lui-même. «Mais il prie pour le bonheur de toute la nation perse et pour le roi, et se regarde comme compris dans ce vœu général.» Trait moral d'une noble élévation qui contribuait au développement de la conscience de la nation dans le rôle qui lui incombait de peuple-maître.»7 g. Valeur morale de la religion achéménide Sans atteindre à la spiritualité du mazdéisme zoroastrien, le mazdéisme des Achéménides est cependant d'une noble élévation morale, qui s'oppose diamétralement aux vices et à la férocité dont s'enorgueillissaient les Assyro-Babyloniens. «Dans leurs inscriptions officielles, les successeurs de Cyrus proclament «la loi d'Ahoura-Mazda» qui est la «voie droite», celle que doivent suivre les rois et les hommes . . . Au-dessus de la tombe de Darios, une longue inscription, récemment découverte, proclame une doctrine royale qui nous apporte un son connu: «J'ai aimé la justice et je n'ai pas aimé le mensonge. Ma volonté a été qu'aucune injustice ne soit faite à la veuve ou à l'orphelin. J'ai strictement puni le meurtrier, mais celui qui labourait (son champ), je l'ai récompensé. Cette doctrine royale souvent entendue, c'est, terme à terme, la sebaït des Pharaons, telle qu'elle apparaît déjà formulée aux textes de la Ve dynastie (vers 2500), répétée par les réformateurs des Xlle et XVIIIe dynasties, toujours florissante au temps de l'empire p e r s e . . . Chaque Egyptien, au jour de comparaître devant la Balance, affirme qu'il a pratiqué la Vérité-Justice et ces devoirs d'entr'aide sociale qui, dans l'Evangile de Mathieu, sous les mêmes termes traditionnels, garantissent la condition de la résurrection des Justes.»8 7 8
Ghirshman, op. cit., p. 134. Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 768,
769.
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3. La religion judaïque sous les Perses Achèvement du Temple. Refonte du Pentateuque Dès sa naissance, l'Empire perse fut favorable aux Juifs. A son entrée à Babylone (539), Cyrus rendit la liberté aux Juifs exilés et leur permit de retourner dans leur patrie d'origine. Les rapatriés forment une communauté religieuse, dont les intérêts matériels et spirituels sont gérés par le grand prêtre de Yahvé (p. 295). Sous le règne d'Artaxerxès I (464—424), un nouveau contingent de Juifs, sous la conduite du scribe Esdras, retourne à Jérusalem (458). Accrue par ce renfort, la communauté religieuse commence à reconstruire le Temple. En 445, Néhémie, Juif élevé à la cour du Grand Roi et satrape de Judée, achève, en collaboration avec Esdras, la restauration du Temple et du culte, et procède à la refonte du Pentateuque (p. 326—327). Néhémie publie la Loi de Moïse et proclame le renouvellement de l'antique alliance d'Israël avec Yahvé. Cette «seconde loi» (le Deutéronome), préparée, à Babylone, par Ezéchiel et plusieurs générations de prêtres en exil, reproduit, en les amendant, les quatre premiers Livres du Pentateuque et les Livres historiques, et fixe la doctrine monothéiste. Au Décalogue de Moïse ou «première loi» purement rituelle, le Deutéronome ou «seconde loi» ajoute des prescriptions morales et juridiques nouvelles, des règles de droit civil et pénal. La pratique de la justice est recommandée autant que les actes du culte. Les impôts, le mariage, l'héritage, l'exploitation des terres, sont réglementés. Les Lévites sont seuls qualifiés pour pratiquer le rituel du culte. Le culte de Yahvé est concentré dans le temple de Jérusalem, et l'autorité de ce Dieu s'exerce par l'intermédiaire du seul grand prêtre. Ainsi, Israël devient une communauté religieuse, sur laquelle règne Yahvé; le gouvernement de cette communauté est une théocratie. En même temps, le monothéisme judaïque est plus nettement exprimé: «Je suis Dieu, et il n'y a point d'autre Dieu que moi», dit le Yahvé d'Isaïe. D'autre part, le peuple élu doit éclairer les autres peuples, leur révéler le Dieu Unique. «Moi, Yahvé, je t'ai établi pour la lumière des nations». «Dès lors, ce faible petit peuple, perdu sur l'immense échiquier de l'Empire perse, aspire à devenir le ferment du monde oriental... Le retour à Jérusalem, c'est le début d'une conquête de l'univers par Y oint de Yahvé, le messie.»9 Une autre idée nouvelle, jusqu'ici inconnue aux Juifs, enrichit les derniers écrits de l'Ancien Testament: la préoccupation du destin de l'âme après la mort. Cette idée était pourtant connue en Egypte depuis près de » Moret, Hist. de l'Orient, II, p. 786.
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deux mille ans: la foi égyptienne se fondait, en effet, sur la résurrection des morts, subordonnée à la sanction de la Justice. La Balance divine de la Justice de Yahvé était déjà, elle aussi, mentionnée en Egypte (I, p. 356— 357). Enfin, le Jugement Dernier de l'humanité a déjà été proclamé par les doctrines de Zoroastre (p. 278—279). «Vers la fin de l'empire perse, des textes égyptiens achèvent de confirmer le parallélisme de la Sagesse égyptienne et de la Sagesse biblique... Ce syncrétisme littéraire ne pouvait qu'être favorisé par le syncrétisme politique des Grands Rois.»10
10
Moret, Hist. de l'Orient,
II, p. 788.
A L'Empire gréco-oriental d'Alexandre le Grand
I. La Grèce et l'hellénisme, jusqu'à l'expansion d'Alexandre. Esquisse historique 1. Le monde gréco-égéen: pays et race a. Le pays gréco-égéen Dans le vaste triangle que dessine l'ensemble des pays du Proche-Orient, le monde égéen représente l'angle Nord-Ouest, tandis que l'Iran et l'Egypte forment respectivement les angles Nord-Est et Sud. Ces trois mondes représentent, par définition, des positions-limites ou de transition. Mais, et tandis que l'Iran asiatique et l'Egypte africaine sont plutôt orientés vers l'Orient méditerranéen, le pays égéen est une contrée hybride, un pays mitoyen, qui appartient, à la fois, à l'Occident et à l'Orient, sans être exclusivement à l'un ou à l'autre. «Nulle démarcation précise entre l'Orient et l'Occident, entre l'Asie et l'Europe; l'historien et le géographe ne peuvent les séparer» (p. 68). b. Les conditions géographiques du pays gréco-égéen et leur action sur les habitants Ceux qui soutiennent que l'histoire est une résultante des conditions géographiques, puisent, dans l'exemple de la Grèce, leurs plus forts arguments. Le vrai centre de la Grèce antique est la Mer Egée. Le monde grécoégéen comprend, en effet, la partie méridionale de la péninsule balkanique, la Mer Egée et les îles qui s'y rattachent, et enfin les côtes d'Asie Mineure. C'est la mer, plutôt que la terre, qui fait l'unité de cette région spéciale, à la fois continentale et maritime, européenne et asiatique. Dans ce pays amphibie, dont les terres sont en très grande partie montagneuses (8/10es), les grandes plaines sont peu nombreuses. Les montagnes, couvertes de terres labourables et de pâturages, assurent leur liberté aux habitants. La mer découpe, dans les terres qu'elle baigne, des îles, des presqu'îles, des isthmes, des promontoires, créant ainsi une ligne de côtes très étendue, qui enferme dans ses replis une infinité de rades hospitalières. L'uniformité du climat est remarquable. Un hiver plutôt pluvieux que réellement froid, un printemps et un été de lumière éclatante et pure et de grosse chaleur, un automne d'orages et d'averses, rendent plus simple et
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plus sobre la vie des habitants. Nourriture, vêtement, abri, sont assurés au meilleur compte. Cette constitution physique du pays a déterminé la vie des GrécoEgéens et la nature de leur civilisation. La pauvreté du sol fait que le Grec travaille par nécessité. L'élevage fera de lui un berger et un nomade; la pêche et la navigation, un marin, un commerçant et un pirate. Le morcellement infini de la région est l'une des raisons profondes du particularisme des habitants. La lutte incessante contre les obstacles naturels de toutes sortes a fait les Grecs plus robustes et plus rudes, l'esprit plus libre. L'équilibre moral est le trait fondamental de la psychologie hellénique. Aux produits de leurs champs, maigres et privés d'eau, les Grecs ajouteront ceux du commerce et de l'esprit, «transformant ainsi leur âpre péninsule en un des coins les plus éternellement riches de l'univers» (R. Cohen). c. Le nom et la race On désigne sous le nom d'Achéens et d'/lchaïe, les populations et le pays de la future Grèce, à partir de 1400, époque à laquelle les Achéens, IndoEuropéens venus du Nord, ont dominé les Pélasges autochtones et substitué leur hégémonie politique à celle des Crétois (p. 55—56 et 68—70). Postérieurement à l'époque homérique, Achéen et Achaïe sont remplacés par Hellène et Hellade, du nom d'une tribu parente venue d'Epire, qui aurait imposé sa suprématie au pays. Grec et Grèce, comme les noms précédents, sont une expression plus ethnique que géographique; ces noms, qui ne datent que des Romains, procèdent, eux aussi, de celui d'une tribu originaire d'Epire. Le milieu ethnique égéen est constitué, dès les origines, par un mélange stabilisé, les Pélasges, formé de Méditerranéens et d'Asianiques autochtones et constamment remué et rajeuni, à partir de 2000, par des migrations nordiques et indo-européennes. Achéens, Doriens, Eoliens, Ioniens, Hellènes, Grecs, etc., qui arrivèrent successivement ou simultanément, se fondirent dans la masse autochtone (p. 208).
2. La Grèce et la civilisation hellénique a.
L'hellénisme
Le nom d'hellénisme désigne l'ensemble de la civilisation grecque. Il s'applique aussi, et plus particulièrement, à l'expansion de la race et des idées helléniques hors de Grèce, et à cette civilisation mixte, d'origine grecque, qui s'étendit, à partir du IVe siècle, sur tout le bassin oriental de la Médi-
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terranée. Les monarchies hellénistiques, qui s'organiseront en ProcheOrient, modifieront, dans cette partie du monde, la conception même de la vie. Dans cette évolution, Alexandre le Grand eut un rôle décisif. Il s'efforça de fusionner l'Orient et l'Occident, les Grecs avec les Egyptiens, les Phéniciens, les Syriens, les Babyloniens, les Perses, les Bactriens. Le rôle des monarchies gréco-égyptienne et gréco-syrienne fut énorme dans le monde méditerranéen. C'est là que s'élaborèrent la brillante civilisation alexandrine, la religion chrétienne, les sciences modernes. Les plaines de Syrie, de Mésopotamie, se couvrent de villes qui fixent les populations instables et éparses; une grande richesse se développe dans les contrées ainsi transformées. L'hellénisme ne disparaît pas avec la fin des royautés hellénistiques. Il survivra sous la domination romaine et byzantine; la culture romaine a été une culture grecque. Pour achever son éducation intellectuelle et morale, Rome a dû se mettre à l'école de la Grèce. Les Romains eux-mêmes ont été les premiers à le reconnaître et à s'en honorer. Ainsi donc, et pendant près de mille ans (64 av. J.-C. — 640 ap. J.-C.), la civilisation hellénistique régnera sans partage sur les cités du Proche-Orient. b. Importance de l'histoire grecque L'histoire de la Grèce ancienne n'est donc pas l'histoire séparée d'une nation quelconque. Elle est, au contraire, un chapitre d'une chronologie générale des peuples de la Méditerranée orientale, en même temps que le premier chapitre de l'histoire de la civilisation européenne. C'est à elle que remontent la vie intellectuelle, la science et la philosophie du monde occidental ancien et de l'Europe moderne. Réalisant une des formes les plus parfaites de l'organisation politique, les libres cités de l'Hellade ont proclamé, en face des monarchies despotiques du vieil Orient, les principes de l'Etat moderne et le règne de la raison, au lieu des superstitions religieuses (I, p. 129—130). Nous les verrons se répandre sur les côtes du monde oriental, dont elles entreprennent de bonne heure l'hellénisation. c. Périodes de l'histoire grecque On distingue trois grandes périodes dans l'histoire de la Grèce antique: 1) la période archaïque, des origines à la fin des guerres médiques (460); 2) la période classique, Ve et IVe siècles, apogée de la civilisation grecque; 3) la période hellénistique, d'Alexandre le Grand à la conquête romaine. C'est cette dernière période, celle de l'expansion de la race et de la civilisation helléniques hors de Grèce, qui intéresse plus particulièrement le Proche-Orient. Toutefois, comme les deux époques précédentes ont préparé
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et provoqué la période hellénistique, il nous paraît utile, pour l'intelligence des événements qui vont suivre, d'esquisser brièvement les grandes lignes de l'histoire de la Grèce métropolitaine pendant les temps antérieurs.
3. La Grèce archaïque, jusqu'à 460 a. L'empire égéen de la Crète Le premier Etat égéen connu est, on l'a vu, le royaume de l'île de Crète. Cet Etat, exclusivement maritime, connut une riche prospérité et une brillante civilisation, dont l'apogée se fixe entre 1750 et 1450 (p. 88—92). b. L'empire achéo-égéen. Les Achéens, première famille grecque Les Achéens, rameau de souche indo-européenne, qui ont pénétré en Grèce vers 1400, sont la première population qui ait parlé grec dans le pays égéen. A l'école des Crétois, ces premiers Grecs ont appris les secrets de l'industrie, de la métallurgie, de la navigation et du commerce. Du contact et du mélange des Achéens, des Pélasges et des Crétois, jaillit, dans le monde égéen, une civilisation nouvelle, la civilisation achéenne ou mycénienne (p. 92—93). Renforcés par l'arrivée des Eoliens et des Ioniens, nouvelles tribus indoeuropéennes et proche parentes, les Achéens détruisent la puissance crétoise sur son déclin, et, de 1400 à 1200 environ, détiennent, à leur tour, la primauté dans le monde égéen (p. 55—56 et 68—70). c. Les Doriens, seconde famille grecque Vers 1200, peu après leur victoire contre la ville de Troie, les Achéens sont submergés et refoulés par des frères de race, les Doriens, seconde famille grecque (p. 122). Venus de régions plus froides et plus sauvages, n'étant pas préparés pour devenir des commerçants et des marins, les Doriens resteront longtemps ce qu'ils étaient: des guerriers primitifs. Expulsés de Grèce par les Doriens, les Achéens se ruent, par terre et par mer, sur l'Asie Mineure, la Syrie et l'Egypte. Nous avons déjà vu les conséquences de cette migration formidable qui, charriant de nombreuses tribus asianiques, fut nommée, par les Egyptiens, «invasion des Peuples de la Mer et du Nord» (p. 119-124). d. Colonisation des côtes d'Asie Mineure Le contrecoup de ces migrations fut, pour la Grèce, un grand mouvement de colonisation; des cités helléniques sont créées sur le littoral de l'Asie
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Mineure, par les Achéens, Ioniens et Eoliens, chassés de leur pays. Une douzaine de villes brilleront bientôt d'un très vif éclat. En face de la Grèce d'Europe, une nouvelle Grèce d'Asie surgit, où la fusion entre les Hellènes immigrés et les Méditerranéens et Asianiques autochtones, devait bientôt produire les plus heureux effets (p. 208—209). e. Essor des cités helléniques d'Asie Mineure Transportée sur un terrain nouveau, fécondée par des influences étrangères, la civilisation achéenne se développe rapidement sur la côte asiatique. C'est un phénomène normal dont les Etats-Unis d'Amérique nous présentent actuellement un autre exemple, comme Carthage nous en a présenté un autre dans le passé antique. Du Ville au Ve siècles, ces colonies, qui vivaient de leur vie propre, possèdent des villes riches et prospères, plus puissantes et plus peuplées que Sparte, Athènes ou Thèbes. Ardentes et neuves, ces cités font connaître une forme supérieure de civilisation. Lois écrites égales pour tous, architecture, écoles poétiques et premières sectes philosophiques, poèmes homériques, apparaissent dans la Grèce d'Asie. On y fait l'expérience de toutes les formes de gouvernement: aristocratie, démocratie, démagogie, tyrannie. /. Réveil d'Athènes et de Sparte Cette fièvre, qui dévore les jeunes colonies grecques, va enfin gagner les cités mères de la Grèce d'Europe. Vers 600, Athènes est une cité-Etat où la démocratie triomphe, à l'opposé de Sparte, l'Etat le plus discipliné de l'antiquité. C'est autour de ces deux pôles, qui représentent les deux types traditionnels et opposés du génie grec, que l'évolution politique de la Grèce gravitera du milieu du Vile siècle au milieu du IVe. Les Guerres Médiques, qui se terminent par le triomphe des Grecs d'Europe et l'émancipation des Grecs d'Asie, mettent au premier plan Athènes et Sparte (p. 318—325). g. Influence de la culture orientale Pendant cette première période de l'histoire hellénique, qui va des origines à la fin des guerres médiques, la civilisation grecque a puisé dans le fonds des civilisations du vieil Orient (p. 88). Ce sont les marins phéniciens qui transmirent aux Crétois, aux Achéens, aux Doriens, puis aux Hellènes, les bienfaits de la civilisation de l'Orient sémito-pharaonique. Le souvenir de l'influence phénicienne en Grèce se perçoit dans les poèmes homériques. Il se conserve dans une série de légendes grecques anciennes (I, p. 321 et 408).
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NEUVIÈME PÉRIODE 330—64 AV. J.-C. 4. La Grèce classique: Ve et IVe siècles. Apogée civilisation hellénique
de la
Les Ve et IVe siècles forment le point culminant de la civilisation hellénique. En ces deux siècles, la race hellénique, qui a atteint l'apogée de son développement, produisit ses plus grands chefs-d'œuvre (p. 327—328). C'est dans ces deux siècles que vécurent Démocrite, Socrate, Hippocrate, Pindare, Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane, Hérodote, Thucydide, Périclès, Platon, Aristote, Eschine, Lycurgue, Démosthène, Théophraste, Ménandre, Xénophon. Aucun peuple, aucune époque ne sauraient présenter une théorie plus nombreuse et plus glorieuse de grands hommes. «Nulle part, l'humanité n'a produit, dans un espace de temps restreint, autant de talents divers ni autant d'œuvres originales si voisines de la perfection. La pensée, sous toutes ses formes, s'est montrée là plus créatrice que partout ailleurs . . . Une pénétration de l'intelligence . . . a permis à ses penseurs de poser, sinon de résoudre, presque tous les grands problèmes qui sollicitent l'esprit humain.. . Enfin, c'est en Grèce aussi qu'ont été énoncés pour la première fois un certain nombre de principes qui ont peu à peu adouci les instincts violents et préparé une humanité meilleure. Ce sont là d'incontestables bienfaits, qui confèrent à la Grèce antique le droit d'être considérée comme la principale éducatrice du monde moderne.»1 C'est chez les Grecs que la philosophie s'est constituée à l'état de science autonome, distincte, à la fois, de la religion et des sciences positives. La philosophie des âges suivants, comme celle des temps modernes, se rattache aux penseurs grecs par les liens les plus étroits. a.
Athènes,
«.école de la
Grèce»
Placée au premier rang des cités grecques, par la part prépondérante qu'elle a prise à la défense nationale pendant les guerres médiques, Athènes devient le centre de la vie hellénique et portera à leur point de perfection toutes les productions du génie grec. Pendant près de deux siècles, elle est, pour ainsi dire, la lumière de la Grèce, sa capitale religieuse, artistique et intellectuelle. «Ecole de la Grèce», elle est la véritable créatrice du «miracle grec». b.
L'hellénisme
et la culture
orientale
Dans cette seconde et brillante phase de son évolution, la civilisation classique de la Grèce s'est nettement séparée de la culture orientale. Innovant dans les branches du savoir humain, les Grecs demandent à la raison l'ex1
M. Croiset, La civilisation de la Grèce antique, p. 253, 254.
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plication des mystères de la nature, tandis que l'Orient demeure au stade de la magie, de la sorcellerie, de la religion et de la foi. Dans ce double domaine, les Grecs et les Juifs anciens représentaient les deux pôles opposés. Tandis que, pour les Grecs, l'Ilyade et l'Odyssée ne sont plus les «Bibles de toutes vérités» et les «sources de toutes sciences», chez les Juifs, qui continuent à former une communauté religieuse et un Etat théocratique, la civilisation et l'histoire sont celles de leur foi (I, 129—131). «A vrai dire, Athènes et Jérusalem incarnent parfaitement, l'une et l'autre, les deux attitudes adverses de l'esprit: celle qui demande à l'intelligence seule l'explication du monde, de la vie et de l'homme, et celle qui, pour cette élucidation suprême, ne se repose que sur la foi. Au Ve siècle, ces deux expériences se poursuivent très loin l'une de l'autre et s'ignorent totalement; un jour viendra où elles s'affronteront dans le drame des Macchabées.»2 c. Rivalité d'Athènes et de Sparte Outre sa suprématie dans le domaine de la culture, Athènes est la métropole d'un grand empire maritime. Pendant plusieurs lustres, une rivalité farouche, entre Athènes et Sparte, se traduit, on l'a vu, par des conflits et des guerres qui, attisés par l'or et les intrigues de la Perse, opposent continuellement ces deux métropoles grecques (p. 329). Les succès et les revers, qui alternaient pour l'une et l'autre, finirent par les affaiblir toutes les deux. Vers 370, l'essor de Thèbes la porte à briguer l'hégémonie; malgré sa victoire sur les Athéniens et les Spartiates réunis, cette troisième métropole ne put y parvenir. Athènes, Sparte, Thèbes, s'étaient épuisées tour à tour. Les habitudes efféminées avaient envahi toutes les cités de l'Hellade. Vers ce temps, apparaît une nouvelle puissance proto-grecque, la Macédoine, dont la Grèce, divisée et affaiblie, va devenir la proie. 5. La Grèce macédonienne a. La Macédoine Pays de montagnes, de forêts et de belles vallées, située au nord de la péninsule hellénique, la Macédoine, au Ve siècle, est à peine un Etat. Rudes paysans, cultivateurs et pasteurs de chevaux au service d'une aristocratie belliqueuse, les Macédoniens sont très probablement de même origine que les autres Hellènes, mais plus fortement mêlés d'éléments asianiques autochtones restés à l'écart de toute influence méditerranéenne. Les 2
Daniel-Rops, Histoire sainte, le peuple de la Bible, p. 360.
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Grecs ne considéraient pas comme frères ces Macédoniens, que Démosthène rejette dans la foule des Barbares. Seuls, leurs rois héréditaires sont frottés d'hellénisme. «Piémont de l'hellénisme antique», la Macédoine est, pour la Grèce, une réserve de forces jeunes, belliqueuses, indisciplinées et redoutables. C'est ce pays primitif, qui, sous la direction de ses rois, va unifier les Grecs et les conduire à la conquête du Proche-Orient. b. Philippe II de Macédoine, unificateur de la Grèce Philippe II (360—336), roi de Macédoine, est un soldat doublé d'un homme d'Etat de premier ordre. Ambitieux, énergique, habile et brave, il est rusé et sans scrupules. En quelques années, il forge une admirable machine de guerre, une armée nationale, alors que toutes les autres étaient jusqu'alors mercenaires. La supériorité de cette armée provenait surtout de l'organisation des phalanges et de l'importance d'une cavalerie cuirassée, qui restèrent invincibles jusqu'à l'arrivée des Romains. Grâce aux victoires et à la politique de son roi, la Macédoine, vers 340, devient l'Etat le plus puissant de la péninsule. Les cités grecques commencent à craindre pour leurs libertés; la plus inquiète, parce que la plus menacée, était Athènes, dont l'orateur Démosthène était l'âme. c. Expédition manquée contre Byzance En 339, une expédition macédonienne est lancée en direction du Bosphore. Attaquée, la ville de Byzance, secourue par Athènes, repousse l'assaut lancé contre ses fortifications. «En commémoration de leur succès (attribué à l'intervention de la déesse Hécate), les Byzantins frappèrent une monnaie spéciale portant un croissant de lune, emblème de la déesse H é c a t e . . . Cet emblème . . . était encore populaire à Byzance lorsque, près de sept siècles plus tard, la cité fut fondée à nouveau sous le nom de Constantinople; et ainsi après que Constantinople fût devenue le grand centre de l'Islam, ce croissant de lune de l'ancienne Hécate devint le symbole de la domination ottomane et par ricochet de la foi mahométane.» 3 d. La Grèce sous le joug macédonien Contre le danger macédonien, Démosthène réussit à s'allier avec la puissante cité de Thèbes. A Chéronée, en 338, l'armée macédonienne écrase les forces coalisées et met fin à la liberté de la Grèce. Après la victoire de Chéronée, les cités grecques constitueront désormais une Ligue, dont le chef, le roi de Macédoine, est le généralissime pour le temps de guerre. Imaginant qu'une guerre commune cimenterait l'union 3
A. Weigall, Alexandre,
p. 95.
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imposée par la force, Philippe proclame son intention de venger l'hellénisme, jadis outragé par les Perses, et de libérer les Grecs d'Asie. Il met au point les détails d'une expédition asiatique; mais des troubles domestiques éclatent en Macédoine, et Philippe II est assassiné (336). e. Alexandre, roi de Macédoine Alexandre (336—232), fils et successeur de Philippe, a vingt ans lorsqu'il monte sur le trône. Esprit sain dans un corps sain, élève du philosophe Aristote, il se distingue par la beauté, le charme, la vigueur physique, un esprit inventif, un courage héroïque et la foi en son ascendance divine. Une année lui a suffi pour affermir son pouvoir en Macédoine. En Grèce, la ville de Thèbes, qui cherchait à se dégager de sa vassalité récente, est enlevée d'assaut, rasée et ses habitants vendus. Cet épouvantable exemple réduisit au silence toutes les menaces d'insoumission. Possédant, avec ses qualités, une machine de guerre redoutable, l'héritier de Philippe saura mener, au-delà de son terme, l'expédition asiatique projetée par son père.
6. Hellénisme et orientalisme avant Alexandre L'histoire classique considère la conquête du Proche-Orient par Alexandre comme le point de départ de l'hellénisation de cette vieille contrée. Les découvertes modernes nous obligent à réviser ce jugement traditionnel. Elles nous montrent que l'interpénétration de l'hellénisme et de l'orientalisme a commencé bien avant Alexandre. Les contacts entre les Grecs et les Orientaux étaient déjà anciens et fréquents. Dès le début du Ile millénaire, ces contacts sont assurés, d'une façon continue, par les marins phéniciens et égéens. La culture égéenne, jusqu'au début du Ve siècle, a beaucoup emprunté à la vieille civilisation sémito-égyptienne (p. 88—93). L'expansion gréco-macédonienne ne fut pas, comme celle des Perses, l'invasion soudaine d'une race nouvelle et inconnue. A l'avènement d'Alexandre, l'Asie Mineure, la côte phénicienne et l'Egypte, étaient déjà gagnées à l'hellénisme. La Perse pullulait d'éléments grecs (p. 314, 327, 328). 7. L'Orient antique, école de la Grèce En Asie, comme en Egypte, les Grecs, on l'a vu, n'ont jamais été tout à fait des étrangers. Marchands, mercenaires, réfugiés politiques, diplomates, médecins, artistes, ont eu leur large part dans le développement de l'Empire perse. En Egypte, depuis plus de cinq cents ans, le pays était nettement ouvert aux commerçants grecs, qui y avaient établi des comptoirs.
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Les navires marchands grecs, en nombre toujours croissant, remontaient le Nil et redescendaient à la mer, tandis que les pharaons employaient de plus en plus des troupes grecques mercenaires, qui tenaient garnison dans les villes (p. 249—250). Pendant ce temps-là, des philosophes, des lettrés et des savants grecs, venaient étudier dans les écoles des Egyptiens. «C'est de ce pays (Egypte) que la plupart des Grecs croyaient tenir les principaux éléments de leur civilisation; leurs légendes attribuaient même la fondation de certaines de leurs villes à des gens venus directement d'Egypte, tels que Cadmus et Danaiis, ou à d'autres qui étaient passés par la Phénicie ou par la C r è t e . . . A partir du Vile siècle, plusieurs Grecs célèbres — Thalès, Pythagore, Solon, Platon, Démocrite, pour ne citer que ceux-là — visitèrent l'Egypte et furent très impressionnés par l'ancienneté et, si l'on peut dire, la perfection de sa culture . . . L'influence de la Phénicie sur la Grèce vient aussitôt après celle de l'Egypte. Les marchands hardis et industrieux de Tyr et de Sidon servirent d'intermédiaires pour la diffusion de la civilisation et répandirent, dans toute la Méditerranée, la science, la technique, l'art et les cultes de l'Egypte et du Proche-Orient. C'est peut-être d'eux que les Grecs apprirent l'art des constructions navales, où ils excellaient; ils leur enseignèrent également des procédés plus perfectionnés dans le travail des métaux, des tissus et des teintures; ils contribuèrent, avec la Crète et l'Asie Mineure, à transmettre à la Grèce l'alphabet de forme sémitique . . . Plus à l'est encore, la Babylonie donna à la Grèce son système de poids et mesures, le cadran solaire, ses unités monétaires,... les connaissances astronomiques,... le système de division sexagésimale de l'année et du cercle, etc.»4 (p. 114). Par leurs rapports avec les Phéniciens, par leurs établissements en Asie Mineure, leurs colonies en Egypte, en Crète et à Chypre, puis au cours des guerres médiques, les Grecs avaient appris à connaître les divers peuples de l'Orient et leurs méthodes de gouvernement, fruits d'une expérience millénaire. Parmi les marchands grecs qui visitèrent l'Orient, il se trouvait des philosophes qui allèrent dans les écoles sacerdotales y apprendre les secrets de la Sagesse. Ainsi Lycurgue et Solon, ayant recueilli l'enseignement des Egyptiens, en auraient tiré des lois pour Sparte et Athènes. Au début du IVe siècle, Platon, lui aussi, venu en Egypte pour vendre de l'huile, y aurait séjourné plusieurs années et fréquenta les écoles sacerdotales. En pleine floraison de la Grèce, Platon reconnaît la dette de sa patrie envers l'Orient. Aristote affirme que l'Egypte est la mère des sciences, le berceau des disciplines mathématiques.
4
W. Driant, Histoire de la civilisation, IV, p. 96, 97.
II. Les conquêtes et l'Empire d'Alexandre Avec sa petite armée de 35.000 hommes, Alexandre ne semble pas, au début, avoir songé à conquérir l'ensemble de l'Empire perse. Son plan primitif aurait consisté à venger les Grecs d'Europe, à délivrer les Grecs d'Asie, à construire l'unité politique du monde gréco-égéen, et enfin à s'emparer de toute la façade maritime de l'Empire perse, depuis le Bosphore jusqu'à l'Egypte et la Cyrénaïque. Expulsant les Perses de ces côtes, le Macédonien pensait édifier un empire maritime gréco-égéen. La conquête de la Syrie, de la Phénicie, de la Palestine et de l'Egypte, aurait pour but de mettre fin à l'emploi de ces côtes comme base pour les navires perso-phéniciens. Il était convaincu, d'autre part, que l'Egypte, qui regorgeait d'immigrants grecs, et où l'autorité perse était devenue odieuse, le recevrait à bras ouverts comme fils divin d'Amon. Ce n'est qu'après la conquête de l'Egypte que, grisé par le succès et devenu pharaon, le jeune conquérant, héritier de la politique orientale de ses prédécesseurs égyptiens, se résolut à soumettre l'Asie.
1. Invasion de l'Asie a. Sur le site de Troie
Mineure
(Ilion)
En s'embarquant pour les côtes asiatiques, où les Grecs d'Asie Mineure vivaient sous la suzeraineté du Grand Roi, Alexandre était animé de la croyance fervente qu'il menait une croisade panhellénique pour délivrer les Grecs du joug de la Perse. Il se croyait le chef et le champion d'une nouvelle expédition hellénique, semblable à celle que menèrent, vers 1200, les Achéens de Grèce contre les habitants de Troie. Il entendait, par suite, renouveler, sur le sol de l'Asie, le rôle d'Agamemnon et les exploits d'Achille (p. 122-123). Après plusieurs jours de marche, l'armée gréco-macédonienne et son chef, arrivés dans la péninsule de Gallipoli, traversent les Dardanelles et débarquent là où, neuf siècles auparavant, Agamemnon avait amarré ses navires. Plein de l'esprit de l'Iliade, Alexandre visite les sites de l'épopée homérique. Se voyant sous les traits d'Achille, son ancêtre lointain, il était avide de rivaliser en exploits avec ce grand héros et de s'égaler aux demidieux. Après avoir visité les tombes d'Achille et d'Ajax et offert aux citoyens
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d'Ilion (Troie) une exhibition de jeux athlétiques, le Macédonien, rejoignant ses troupes, se porte vers le fleuve «le Granique», derrière lequel des forces perses s'étaient rassemblées. Darius III, qui ne voyait encore dans cette expédition, aux effectifs insuffisants, que l'escapade d'un jeune aventurier, avait, de sa lointaine ville de Suse, lancé l'ordre à ses lieutenants d'Asie Mineure de s'emparer de cet enfant rêveur et téméraire et de le lui envoyer comme prisonnier. b. Bataille du Granique
(333)
Les deux armées semblent de force égale. Un fort contingent de mercenaires grecs, y compris des officiers et des généraux, était au service des Perses. La flotte perse, recrutée en Phénicie et à Chypre, se monte à 400 navires; celle des Macédoniens est presqu'inexistante. A peine les deux armées sont-elles en présence, qu'Alexandre, se jetant, avec sa fougue coutumière, sur les rives du Granique, franchit ce fleuve, bouscule la première armée perse rencontrée et poursuit son avance pour exploiter le bénéfice de la surprise. Deux fois blessé, il combat avec force et adresse, monté sur son cheval Bucéphale, sème la mort autour de lui et poursuit l'ennemi qui commence à s'enfuir. Les mercenaires grecs, pris comme prisonniers, sont durement châtiés par Alexandre, qui les renvoie en Macédoine pour travailler aux champs, afin de les punir d'avoir porté les armes contre le champion du panhellénisme en Asie. «Le prestige du jeune roi, après cette bataille du Granique, s'éleva, comme de juste, à de sublimes hauteurs . . . L'armée entière l'adorait comme jamais de mémoire d'homme un jouvenceau n'avait encore été adoré, et tous étaient prêts à le suivre n'importe où il les mènerait... Il avait conquis cette estime, il faut s'en rendre compte, non par son talent de général, mais par ses qualités héroïques.»5 Maître de la Phrygie maritime et de l'opulente Lydie, à laquelle il rend ses anciens privilèges, Alexandre retourne à la côte égéenne; Ephèse, capitale des Grecs Ioniens, lui ouvre ses portes, tandis que Milet, satisfaite de sa vassalité envers la Perse, lui ferme les siennes. Les Ioniens de Milet préféraient une vassalité envers la Perse lointaine à une fusion avec leurs frères d'Europe. Après une défense désespérée, Milet se rendit. Halicarnasse, la moderne Brousse, succomba après un long siège. Impressionnées par cette marche triomphale, toutes les villes de la côte méditerranéenne se soumettent au conquérant. En mai 333, Alexandre remonte jusqu'à Ancyre (Angara), puis, tournant au sud, il passe en Cappadoce, franchit le fleuve Halys (Kizil-Irmak) et atteint la grande chaîne du Taurus; traversant l'étroit défilé des «Pyles Ciliciennes» ou «Portes de Cilicie», il s'empare de Tarse (Tarsous). 5
A. Weigall, Alexandre,
p. 186, 187.
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2. Bataille d'Issus (332). Conquête de la Syrie-Nord Pendant ce temps, Darius III, avec une armée dont la supériorité était écrasante, s'était avancé à la rencontre de son adversaire; descendant sur Issus, le roi perse, par une manœuvre habile, coupe les Macédoniens de leurs lignes de communication avec le Nord. Pris comme dans une souricière, Alexandre, dont le courage et le talent sont toujours stimulés par le danger, décide de foncer lui-même contre l'aile des Perses où se trouvait le Grand Roi et de mettre fin à la guerre en tuant, de ses propres mains, Darius lui-même. Se lançant à la tête de ses compagnons, il charge les rangs de l'ennemi sous une grêle de flèches. L'étroite plaine où s'était placé Darius ne permit pas à la grande armée perse de manœuvrer à sa guise. Alexandre traverse le fleuve qui le sépare de l'ennemi; blessé à la cuisse, il fonce en direction de Darius. Celui-ci, après avoir vu les seigneurs de sa garde fauchés autour de lui, saute sur un char et prend la fuite. Disloquée et privée de son chef, l'armée perse est en pleine déroute. Darius laisse entre les mains de son vainqueur sa famille entière: sa mère, sa femme, ses deux filles et son fils, qui deviennent propriété personnelle d'Alexandre (332). Les Macédoniens ont laissé sur le terrain quelques centaines de tués et quelques milliers de blessés. Les pertes des Perses, visiblement exagérées, auraient dépassé cent mille hommes. Par cette victoire, Alexandre s'était ouvert la route vers l'Est et vers le Sud. Un corps d'armée, sous le commandement de Parménion, est envoyé, par la vallée de l'Oronte, à Damas, pour s'emparer des trésors que Darius y avait déposés. Damas est prise, avec les trésors du Grand Roi, les femmes et les familles de la plupart des grands seigneurs de la cour, qui s'y étaient réfugiées. Après avoir organisé les territoires conquis et remplacé les satrapes perses par des gouverneurs grecs, le jeune vainqueur se tourne vers le Sud.
3. Soumission de la Phénicie. Siège et destruction de Tyr a. Importance de la Phénicie pour
Alexandre
Après la victoire d'Issus, le premier objectif d'Alexandre fut la Phénicie. Le siège et la prise de Tyr forment l'épisode le plus intéressant de l'épopée du grand Macédonien; ils constituent aussi l'action la plus décisive et la plus déterminante pour la conquête de l'Orient continental. La victoire d'Issus ouvrait au conquérant la route vers la Perse. Il pouvait gagner la vallée de l'Euphrate et se lancer à la poursuite de Darius
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et de son armée détruite. En choisissant ce parti, il avait toutes les chances d'atteindre rapidement le cœur de l'Empire perse et d'en finir avec la monarchie achéménide, avant qu'elle eût eu le temps de regrouper ses forces. En bon stratège, Alexandre préféra prendre la voie du Sud, pour réduire les cités maritimes de la Phénicie et particulièrement la puissance tyrienne. A cette époque, Tyr, métropole de la Phénicie, est la ville la plus puissante de la Méditerranée orientale; elle était à la fois le marché le plus important de cette partie du monde, le grand entrepôt des richesses de l'Inde et la base navale de la flotte phénicienne, la plus grande de l'Orient méditerranéen. Bâtie sur une île, Tyr n'avait jamais encore été prise de force; au temps jadis, elle avait été assiégée, sans succès, par les Assyriens (671) et par Nabuchodonosor (573) (p. 232 et 269). Solidaire de l'Empire perse dont elle était l'avant-port sur la Méditerranée, rivale séculaire des Grecs qui lui disputaient l'hégémonie commerciale et maritime, la Phénicie était l'alliée naturelle de la Perse. Cette alliance, qui s'était déjà manifestée sur les champs de bataille, lors des guerres médiques (p. 318 et 321—323), continuait encore dans cette guerre entreprise par la Grèce contre le continent asiatique. Les escadres phéniciennes, sous les ordres de leurs rois respectifs, commandées en chef par le roi de Sidon, grand amiral de la flotte perse, occupent les eaux grecques. Sur le Granique et à Issus, Alexandre avait gagné deux grandes batailles, mais il n'avait pas gagné la guerre. Il se trouvait même engagé entre les pinces d'une grande tenaille: à l'est, l'Empire perse, avec ses provinces et ses ressources d'Asie; à l'ouest, la Phénicie, avec ses possibilités maritimes. En outre, la flotte perse restait maîtresse de l'Egée, et une partie de l'armée de Darius campait encore sur le littoral égéen. Enfin, le roi de Macédoine devait toujours craindre une intervention possible, en faveur de Tyr, de la part des Phéniciens de Carthage, ces Américains du monde antique, qui, comme leurs frères d'Orient, étaient en guerre permanente avec les Grecs d'Occident. Deux partis s'offraient donc à Alexandre: poursuivre sa marche vers l'Est ou obliquer vers le Sud; du choix de l'un ou de l'autre dépendaient son destin et celui de l'Orient. Nous savons que c'est sur la Phénicie qu'il fonça tout d'abord. Il ne pouvait, en effet, en se lançant à l'Est, laisser, derrière lui, des adversaires puissants, qui, au premier revers, lui couperaient le chemin de la retraite. Il opta donc pour le Sud, quitte à donner à Darius le temps nécessaire pour regrouper ses forces. Le succès prouva que ces calculs étaient justes. C'est donc à Tyr, bien plus qu'à Issus ou sur les bords du Tigre, que le héros macédonien joua et gagna sa fortune. Ces considérations ne sont nullement hypothétiques; elles sont claire-
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ment exposées dans un discours tenu par Alexandre à ses généraux et à ses Compagnons, et qu'Arrien rapporte en ces termes: «Amis et camarades, dit-il, je vois que notre expédition en Egypte.. . ne sera pas sans danger pour nous, aussi longtemps que les Perses garderont la maîtrise de la mer; et il ne serait pas non plus sans danger . . . de poursuivre Darius, laissant sur nos arrières cette ville de Tyr à demi soumise seulement, et l'Egypte et Chypre sous l'occupation p e r s e . . . Mais si nous arrivions à prendre Tyr, la totalité de la Phénicie serait en notre possession, et la flotte phénicienne, qui est la partie la meilleure et la plus importante de la marine perse, passerait en toute probabilité de notre côté. Car les matelots et les combattants phéniciens n'iront pas croiser sur mer et risquer leur vie pour le compte d'autrui, alors que leurs propres foyers seront occupés par nous . . . Alors, croisant sur mer, avec nos navires venus de Macédoine, unis à ceux de Phénicie,. . . nous acquerrons l'absolue maîtrise de la mer, ce qui fera de notre expédition d'Egypte une tâche a i s é e . . . Et nous serons à même d'entreprendre l'expédition de Babylone, sans aucune crainte concernant les affaires de chez nous, et en même temps avec un prestige très accru, puisque nous aurons retranché de l'empire perse toutes les provinces méditerranéennes.»6 b.
Soumission
de Marathos,
Arvad,
Gebal,
Sidon
Abandonnant donc provisoirement l'Est, Alexandre se dirige vers la Phénicie. Arrivé à Marathos, sur la côte, il reçoit une lettre de Darius, dans laquelle celui-ci se donne le titre de Grand Roi, sans le joindre à celui d'Alexandre. Il exige qu'on lui rende sa mère, sa femme et ses enfants, contre une très grosse somme d'argent; après quoi, il accepterait de former une alliance avec le roi macédonien. Cette lettre arrogante provoque une réponse encore plus arrogante. Alexandre écrit: «Le roi Alexandre à Darius . . . Vous ne savez entreprendre que des guerres iniques;.. . c'est ainsi que toi-même, à la tête d'une si puissante armée, naguère encore tu as voulu acheter mille talents un assassin pour me frapper. Je ne fais donc que repousser la guerre, je ne l'apporte pas . . . Toi-même, je t'ai vaincu en bataille rangée. Infidèle à mon égard, même aux lois de la guerre, tu n'auras droit de rien obtenir de moi; cependant, si tu me viens trouver en suppliant, je te promets de te rendre ta mère, ta femme et tes enfants, sans rançon; car je sais en même temps vaincre et ménager les vaincus . . . Nous t'engageons notre parole que tu peux venir sans danger. Du reste, quand tu m'écriras, souviens-toi que tu écris à un roi et, qui plus est, à ton roi.»7 6 7
Arrien, cité par Weigall, Alexandre, p. 239, 240. Arrien, cité par Weigall, op. cit., p. 231.
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Eclairées sur l'importance du désastre perse, les cités phéniciennes ouvrirent leurs portes au vainqueur. Après Marathos, la ville d'Arvad se soumet sans résistance. Plus au sud, la ville de Gebal-Bublos, dont le roi était parti au service du Grand Roi, capitula dès qu'Alexandre se mit en marche vers elle. Sidon suivit l'exemple de Gebal; elle se rendit aussi, après avoir détrôné son roi absent, qui commandait la flotte sidonienne au service de la Perse. Une anecdote rapportée par Quinte-Curce et Diodore, à l'occasion de la désignation d'un nouveau roi pour Sidon, nous révèle un aspect du caractère d'Alexandre. Sur l'avis de deux Sidoniens notables, on se mit en rapport avec un certain Abdalonyme, homme de sang royal, mais que l'indigence avait réduit à travailler pour vivre. Alexandre, auquel il fut présenté, lui demanda sérieusement s'il avait supporté patiemment sa misère. « Plaise aux dieux, répondit Abdalonyme, que je puisse du même esprit supporter la royauté. Mes bras suffisaient à mes besoins; je n'avais rien, et rien ne me manquait.» 8 Alexandre admira son caractère et lui fit donner, outre le mobilier royal, la plus grande partie du butin pris sur les Perses. c. Siège de Tyr Peu après avoir quitté Sidon, Alexandre vit venir à sa rencontre les ambassadeurs de Tyr, ayant à leur tête le fils du roi. Le roi lui-même, du nom d'Azémilcus, était allé au service de la Perse comme commandant de la flotte. L'ambassade tyrienne apportait au conquérant une couronne d'or et de nombreux présents, et lui déclara que les Tyriens acceptaient de se mettre sous ses ordres. Alexandre demanda à visiter en personne leur ville, afin d'offrir des sacrifices dans le temple de Melkart (Hercule). Rapportée à l'assemblée de Tyr, la proposition d'Alexandre ne parut pas acceptable. L'entrée des soldats grecs dans l'île serait regardée par le Grand Roi comme un acte hostile, et le roi Azémilcus pourrait bien être arrêté par les Perses, au milieu desquels il se trouvait. Imprenable dans son île, Tyr décida de résister, jusqu'au moment où le Grand Roi enverrait une nouvelle grande armée. De plus, Carthage, cette cité-fille de Tyr, ne pourrait manquer de lui envoyer du secours. Les Tyriens répondirent donc à Alexandre qu'en refusant de le recevoir dans leur ville, ils s'engageaient aussi à interdire aux Perses d'y venir. Outré de colère, Alexandre renvoya les ambassadeurs tyriens avec de terribles menaces de châtiment. Mais il savait que la conquête de Tyr n'était pas une entreprise aisée. Imprenable par mer, l'île l'était aussi par terre, à cause de la passe qui la séparait du continent. Se fiant à l'étoile de 8
Cité par Weigall, op. cit., p. 235.
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sa fortune, Alexandre résolut de construire une chaussée jusqu'à l'île; il ne pouvait pas souffrir que cette ville bravât sa puissance. Le jeune conquérant prit une part active à l'ouvrage, portant souvent lui-même des corbeilles de pierres. Voyant la jetée s'exhausser de jour en jour, les Tyriens transportèrent à Carthage les enfants, les femmes et les vieillards, et ne conservèrent que la population valide, pour la défense des murs et l'armement de 83 trirèmes (Diodore). Le travail des assiégeants s'exécutait sous une tempête de flèches et de projectiles lancés des remparts. La colère d'Alexandre devenait chaque jour plus farouche; son tourment, causé par la perte de temps, ne cessait de grandir; il était maintenant déterminé à transférer ailleurs tout le commerce de la cité tyrienne. d.
Prise et destruction
de Tyr
(332)
Après sept mois d'un siège mémorable, une brèche est ouverte dans les murs; avec sa téméraire bravoure, Alexandre s'y jette lui-même; un de ses lieutenants est tué à ses côtés; la ville est prise après une bataille acharnée et sanglante (332). Le roi Azémilcus, qui était revenu pour défendre sa capitale, la plupart des magistrats de la ville et plusieurs envoyés de Carthage, se réfugièrent dans le temple de Melkart. Alexandre avait décrété que tous ceux qui chercheraient asile dans ce temple serait épargnés, étant donné qu'Hercule (Melkart) était son ancêtre. Mais dans les rues et les maisons de la cité eut lieu un horrible massacre. La vieille haine des Grecs contre leurs rivaux séculaires se donna libre cours, avec férocité. Alexandre fit pendre deux mille jeunes gens. «Quant aux prisonniers, ils étaient si nombreux que, quoique la plupart des habitants eussent été transportés à Carthage, il n'y eut pas moins de treize mille» (Diodore de Sicile). Evacuée et détruite, Tyr sera une forteresse et une base navale des Macédoniens. La grande jetée devint le moyen d'accès permanent à cette forteresse; peu à peu, le sable s'accumula sur ses côtes et finit par la transformer en une large langue de terre qui, avec l'ancienne cité-île, forme à présent le cap sur lequel est bâtie l'actuelle ville de Sour. C'est ainsi que la grande cité de Tyr, la puissante métropole de Phénicie, la grande puissance de la Méditerranée orientale, tomba au pouvoir d'Alexandre. Pendant ce siège de sept mois, les Tyriens se couvrirent de gloire; pour les réduire, le vainqueur de l'Asie fut obligé de déployer toutes les ressources de son génie, de sa persévérance et de son courage, et de donner même de sa personne. Alexandre ne trouva que quatre-vingts trirèmes dans les ports de Tyr. En paix avec les Perses, celle-ci n'avait pas besoin d'une grande marine de guerre; ce qui en existait était en mer, avec la flotte perse. La flotte marchande avait dû s'éloigner dès les premiers préparatifs de la guerre.
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Après avoir décrit la prise et le sac de Tyr, Quinte-Curce ajoute que les Sidoniens, ralliés à Alexandre et confondus dans les rangs de son armée, secoururent leurs frères tyriens dans cette épreuve; ils en sauvèrent plus de quinze mille, en leur donnant refuge à bord de leurs vaisseaux. e. Disparition de Tyr comme puissance maritime Après qu'il en eut renversé les murailles et dispersé la population, Alexandre voulut éviter que Tyr pût redevenir une grande puissance au milieu de ses nouveaux Etats. En bon Hellène, il voulait aussi mettre un terme à une rivalité commerciale séculaire, qui pouvait redevenir dangereuse pour la marine hellénique. Pour empêcher le relèvement de la cité phénicienne, il fallait tarir la source de son influence politique et de sa prospérité, en lui enlevant le monopole du commerce maritime. C'est cette crainte qui amena le futur maître de la vallée du Nil à fonder, sur le littoral égyptien, la ville d'Alexandrie. Les caravanes richement chargées, qui, depuis des siècles, partaient du golfe d'Akaba pour se rendre à Tyr, en passant par l'antique Négeb, se dirigeront désormais vers le port d'Alexandrie. Privée de son commerce maritime, Tyr se releva cependant par ses industries, qui furent longtemps célèbres: la pourpre et les verreries; mais elles ne purent lui rendre l'influence politique qu'elle avait acquise par le commerce international, lorsqu'elle en était le centre. f . Propositions perses rejetées par Alexandre La disparition de la superbe Tyr comblait les voeux d'Alexandre; maître désormais de la Méditerranée orientale, son exaltation et son enthousiasme sont sans bornes; ils se révèlent par sa réponse aux propositions que Darius lui fit à ce moment. Le Grand Roi offrait au vainqueur de Tyr: le paiement d'une rançon de dix mille talents (environ cinquante millions de francs-or), pour la liberté de la reine-mère, de la reine et des enfants royaux; une de ses filles comme épouse du Macédonien, qui deviendrait son parent et allié; et enfin, l'Asie Mineure et la Syrie, en guise de dot. Soumise aux généraux et aux Compagnons réunis en conseil, cette proposition reçut l'agrément du général vétéran Parménion. «Si j'étais Alexandre, dit-il, j'accepterais». A quoi Alexandre répliqua sèchement: «Et moi, si j'étais Parménion». Le conseil se rallia évidemment à l'opinion du roi. Alexandre fit aux ambassadeurs perses la réponse suivante: Pour la rançon, il n'avait pas besoin d'argent; le jour où il lui en faudrait, il les prendrait à Darius, étant donné que tout ce que possédait Darius était au roi de Macédoine, par droit de conquête. En ce qui concernait le mariage avec la fille de Darius, Alexandre faisait ressortir qu'il pouvait l'épouser
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s'il le voulait, sans demander la permission de son père. Quant à l'offre de territoire, ni les contrées offertes, ni aucune autre partie de l'Empire perse n'appartenaient plus maintenant à Darius: tout était à Alexandre. Il répétait enfin que si Darius souhaitait être traité avec générosité, il n'avait qu'à venir trouver Alexandre en suppliant.9 Ces prétentions fanfaronnes étaient quelque peu prématurées. Darius, dont les domaines s'étendaient encore de l'Euphrate aux frontières de la Chine, avait sous ses ordres des millions d'hommes. Mais la prise de Tyr avait réellement enivré le héros macédonien. Il n'avait plus ni doutes ni craintes et se croyait désormais invincible. Il allait fêter son vingt-quatrième anniversaire.
4. Prise de Gaza et reddition de Jérusalem a. Siège et prise de Gaza Après avoir quitté Tyr, Alexandre se dirige vers Gaza, place perse très fortifiée, qui commandait et surveillait la satrapie d'Egypte. A l'approche du Macédonien, le gouverneur perse de la ville lui en avait fermé les portes. Située au bord du désert et à courte distance de la mer, Gaza était perchée sur un monticule haut et abrupt et encerclée de puissants remparts. Des troupes perses et arabes et des greniers pleins lui assuraient une résistance assez longue, qui permettrait au Grand Roi et au gouverneur perse de l'Egypte de venir à son secours. Au bout de deux mois et demi de siège, le grand assaut commença, conduit par Alexandre en personne. Les défenseurs se firent tuer jusqu'au dernier et la place fut emportée. «On trouva dans la ville de grandes réserves d'encens et de myrrhe, car Gaza était l'entrepôt général du commerce de l'encens arabique.» Le vainqueur en envoya une quantité fabuleuse à son ancien précepteur Léonidas, resté en Macédoine, en lui recommandant de n'être «plus si avare envers les dieux». En même temps, il expédia à sa mère Olympias, à sa sœur Cléopâtre et à beaucoup de ses amis restés chez eux, la plus grande partie du butin de Tyr et de Gaza.10 b. Reddition de Jérusalem Après la chute de Gaza, Alexandre, selon l'historien Josèphe, se rendit à Jérusalem, pour recevoir sa soumission. Il fut reçu, à quelque distance de la ville, par le Grand Prêtre, entouré d'une foule nombreuse de citoyens sans armes et de prêtres en robes de cérémonie. Avec son caractère mysti» Weigall, op. cit., p. 251, 252. io Weigall, op. cit., p. 257.
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que et sa crainte superstitieuse des dieux de tout pays, Alexandre dut voir en Yahvé une forme locale de Zeus. Il entra à Jérusalem et, comme il avait présenté ses respects à Melkart de Tyr, il sacrifia à Yahvé, sous la direction du Grand Prêtre; après quoi, il autorisa les Juifs à vivre sous leurs propres lois.
5. Soumission de l'Egypte En novembre 332, Alexandre, quittant Gaza en direction de l'Egypte, traversa le désert en sept jours et arriva devant la ville-forteresse de Péluse. Les autorités perses, que les nouvelles de Tyr et de Gaza avaient impressionnées, renoncèrent à toute résistance. Peu après son entrée à Péluse, le conquérant reçut la reddition de la vallée du Nil (332). a. Alexandre accueilli en libérateur En Egypte, le Macédonien fut accueilli en libérateur; en lui se scellait l'alliance gréco-égyptienne qui, depuis Marathon (490), unissait les deux pays contre la Perse (p. 319, 330—332). Il fut, pour la vallée du Nil, non un conquérant, mais le légitime successeur des Pharaons, le vainqueur de l'Asie qui, depuis les temps historiques et notamment depuis l'Empire assyrien, apparaissait comme l'ennemie traditionnelle. b. Alexandre, pharaon d'Egypte (332) Bien qu'il eût déjà pris et conquis plusieurs Etats et royaumes, c'est seulement en Egypte que le Macédonien voulait accepter un trône. Il pouvait maintenant s'appeler pharaon, aussi bien par droit de conquête que par héritage. Les Grands Rois perses étaient pharaons d'Egypte; le dieu Amon de Siouah, Seigneur de l'Egypte, était, suivant une légende admise, le père d'Alexandre. Lors de son entrée solennelle dans Memphis, celui-ci fut reçu avec un enthousiasme délirant par les foules égyptiennes. Peuple religieux et mystique, les Egyptiens considéraient Alexandre comme le maître divinement désigné, qui les a libérés des Perses haïs. Alexandre mit pour la première fois, sous la même souveraineté, la Grèce et l'Egypte. La notion de monarchie universelle, qui dominait, depuis des siècles, la politique orientale, et l'étroite solidarité des intérêts grecs et égyptiens, rendaient naturelle cette union des deux grands Etats. Cessant d'être une province perse, l'Egypte reprit, sous Alexandre, son rang de monarchie souveraine.
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c. Fondation d'Alexandrie Depuis sa décision de conquérir l'Egypte, le nouveau maître de l'Orient songeait à la fondation d'une grande ville grecque, qui serait, sur la côte égyptienne, la capitale de la vallée du Nil. Depuis surtout la destruction de Tyr, il espérait faire, de ce nouveau port de mer, le centre commercial le plus important de la Méditerranée orientale. L'île de Pharos, qui lui rappelait l'emplacement insulaire de Tyr, attira son attention; il avait appris, à ses dépens, combien pareille île pouvait être rendue imprenable. Pharos, toutefois, n'était pas assez grande pour une grande capitale; il choisit donc l'étroite bande de côte située derrière l'île, qui lui servirait de brise-lames. La ville sera nommée Alexandrie, en l'honneur de son fondateur; elle était conçue comme une grande capitale cosmopolite. L'extrémité Ouest sera le quartier égyptien; le secteur central, une zone purement macédonienne et grecque; la partie Est, le quartier phénicien et syrien. Ce dernier quartier fut finalement colonisé surtout par les Juifs. Entourée de murs, coupée de rues parallèles, la nouvelle ville aura un forum, un temple, une bibliothèque publique, un théâtre, une université, un gymnase, un palais de justice. C'est dans Alexandrie qu'après la mort d'Alexandre, son corps sera et restera enseveli. Cosmopolite et marchande, la ville deviendra aussi la capitale de la culture hellénique, supplantant même Athènes comme foyer de l'intellectualité grecque. d. Pèlerinage à l'oasis de Siouah Après avoir tracé les plans de la ville et mis les constructeurs à l'ouvrage, Alexandre partit pour l'oasis de Siouah, centre de pèlerinage sacré, même pour les Grecs. Le sanctuaire d'Amon, aux profondeurs du désert de l'Ouest, le mystère et la sainteté du lieu, inspiraient à son âme mystique une terreur respectueuse. Introduit seul dans le sanctuaire, il fut reçu par le plus âgé des prêtres, qui lui souhaita la bienvenue au nom de son père Amon. A sa demande si Amon lui accorderait l'empire du monde, le prêtre répondit qu'il n'y manquerait pas. «Ce fut à ce moment-là ou à peu près qu'il adopta les deux cornes de bélier, qui étaient un symbole caractéristique du dieu Amon. Il les portait attachées à la résille entourant sa tête,. . . juste au-dessus de ses oreilles; et pendant des siècles après son temps, il fut désigné, dans tout l'Orient, sous le nom de «Celui qui a Deux Cornes».»11 11
Weigall, op. cit., p. 274.
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6. Conquête de la Mésopotamie, de la Perse et de l'Asie a. Défaite de Darius près de Ninive (331) En mai 331, Alexandre quitta Memphis pour Tyr, base de ses opérations contre les Perses; il y trouva sa flotte qui l'avait devancé. Puis, se dirigeant au Nord, il obliqua vers Thapsaque et traversa l'Euphrate. A Arbèles, près des ruines de l'ancienne Ninive, Darius l'attendait avec plus d'un million d'hommes, dit la tradition, cent cinquante mille, disent des auteurs moins portés à l'exagération. L'armée d'Alexandre comptait de quarante à quarante-cinq mille combattants. Comme à son habitude, Alexandre mena lui-même la grande charge. Entouré de ses compagnons, il effectua une trouée à travers les troupes de la garde personnelle de Darius; comme à Issus, les deux adversaires se trouvèrent face à face. Vaincu, Darius sauta sur un cheval et s'éloigna au galop. La bataille coûta au vainqueur cinq cents morts au plus, et au vaincu quarante mille au moins (331). b. Alexandre, roi de Babylone et d'Asie Alexandre fit son entrée à Babylone par des rues jonchées de fleurs. Ayant déclaré qu'il rendrait à la cité ses anciens droits et ses coutumes nationales, il fut accueilli, de même qu'à Memphis, comme un sauveur du joug détesté de la Perse. S'étant fait proclamer roi de Babylone et roi d'Asie, il se conduisit comme un souverain fils du Ciel. Il venait d'atteindre ses 25 ans. c. Soumission de la Susiane Après Babylone, la Susiane, ancien royaume d'Elam, le reçut aussi en libérateur. Il s'empara à Suse d'un fabuleux trésor en or, en même temps que de la fortune personnelle de Darius. Les deux capitales restantes, Persépolis, capitale de la Perside ou Perse propre, et Ecbatane, capitale de la Médie, sont bientôt atteintes et prises. Le trésor pris à Suse et à Persépolis se montait à l'équivalent de près d'un milliard et demi de francs-or. d. Faste des officiers
gréco-macédoniens
Généraux, officiers et soldats, devenus très riches, dépensaient l'argent sans compter. Alexandre lui-même ne dépensait pas grand-chose au-delà de ses propres besoins. Bien que sa table fût toujours somptueuse, les dépenses pour les repas étaient strictement fixées. Il se désintéressait de sa nourriture et était habituellement austère pour sa tenue. Par contre, sa prodigalité envers ses amis était inégalable. Son ami Hagnon «exigeait que
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même les clous de ses souliers fussent d'argent pur». «Tu les égales à des rois», lui écrivait sa mère. Les simples soldats n'étaient pas moins bien traités. Aimant la vie saine et le travail, très sérieux pour son âge, Alexandre essayait de réagir contre la vie fastueuse de ses officiers, métamorphosés en princes orientaux. «Vous reste-t-il à apprendre, leur disait-il, que le plus grand besoin, après nos victoires, est d'éviter les vices et les faiblesses de ceux que nous avons vaincus?» Il prit des mesures sévères pour rétablir l'ancien idéal de simplicité militaire. Il en donnait lui-même l'exemple. Pris d'une soif ardente, durant la poursuite de Darius, il avait refusé de l'eau qu'on lui apportait parce qu'il n'y en avait pas assez pour tout son entourage. Il cherchait à soustraire les troupes aux influences amollissantes du somptueux Orient. Mais ces influences commençaient à les asservir. 12 e. Projets de conquêtes vers l'Est Emporté par le tourbillon des conquêtes, Alexandre, comme tous les conquérants, ne pouvait plus s'arrêter. Il était maintenant déterminé, dit Arrien, à placer ses frontières aux confins de la terre, aux bords de ce grand Océan Extérieur (Indien), qui, d'après les idées de son temps, contournait la terre entière et rejoignait l'Atlantique par la Caspienne, au Nord, et le centre de l'Afrique, au Sud. Il régnerait ainsi sur toute la superficie habitée par l'homme. 13 «Ainsi, dit Plutarque, se sachant envoyé par les dieux pour être l'arbitre de tous, et pour réconcilier les hommes, il voulut que tous regardassent le monde entier comme une patrie unique». Il était entouré, en ce temps-là, d'une société très hétérogène: Macédoniens, Grecs, Thraces, Illyriens, Perses, Egyptiens, Phéniciens, Syriens, Arabes. Sa cour, à Ecbatane, était moins un quartier général militaire qu'un véritable centre de culture grecque, qui devait cimenter l'union de tous les peuples de l'Empire. Cette idée d'Empire universel l'avait entièrement possédé. Il ne pouvait plus comprendre, ni tolérer l'opposition à son droit divin, et regardait les petits peuples qui prenaient les armes contre lui, en Orient, comme des fléaux qu'il fallait exterminer. Il en était arrivé à ne plus avoir d'égards pour la vie humaine; il est vrai qu'il n'en avait pas davantage pour la sienne propre. f. Soumission de l'Iran En 330, Alexandre quitte l'Hyrcanie (Khorassan), qu'il venait d'occuper; 11 soumet l'Ariane (Afghanistan et Bélouchistan), s'empare de la Bactriane 12
Weigall, op. cit., p. 312-314 et 326-328. «3 Weigall, op. cit., p. 340.
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et pousse jusqu'à Maracanda (Samarcande), capitale de la Sogdiane (Boukharie) (327). g. Conquête de l'Inde Après des combats qui sont les plus rudes de sa carrière et qui lui ouvrent un chemin jusqu'aux frontières du pays de Cachemire, Alexandre atteint l'Indus en 327. Les soldats commençaient à murmurer, car les combats étaient durs et le butin insignifiant. Alexandre sentait maintenant, plus qu'à tout autre moment, que la véritable guerre de l'Hellade contre l'Orient commençait, et qu'il s'agissait de mesurer ici les forces de l'Ouest contre celles de l'Est. En 321, l'Indus est traversé; mais à partir de ce moment commencent, pour le jeune conquérant, les batailles les plus sanglantes de sa vie. Le radjah ou roi indien Porus était un adversaire redoutable, et son armée, nombreuse et puissante. Alexandre ne parvenait pas à faire affronter par ses chevaux les éléphants des troupes indiennes. C'est à ce moment que, redevenu «le chef d'une croisade hellénique,... ses pensées se tournaient vers Athènes, comme le centre spirituel de l'empire grec qu'il était en train de c r é e r . . . «O Athéniens!, se serait-il écrié, pourriez-vous imaginer à quels dangers je m'expose pour mériter vos louanges?» 14 La bataille dura huit heures; Alexandre avait monté son célèbre cheval Bucéphale et Porus, son éléphant. Vaincu, celui-ci fut un des derniers à fuir. Conquis par son indomptable courage, Alexandre, qui vint à sa rencontre, lui fit demander «comment il voulait être traité. «En roi», répond P o r u s . . . «Ne veux-tu rien de plus?», reprit le vainqueur. Porus déclara que tout était compris dans ce qu'il avait déjà dit.» 15 Alexandre lui accorda son amitié et lui laissa son ancien royaume (326). Après cette victoire, le radjah de Cachemire offrit sa soumission et envoya des présents. La splendeur des cours indiennes avait impressionné Alexandre. L'Inde fastueuse s'étalait maintenant devant lui. Se dirigeant à travers le Pendjab, il soumet plusieurs dizaines de villes, traverse l'Inde septentrionale de part en part et n'est plus qu'à quatre cents kilomètres de Delhi. Mais ses Macédoniens n'en pouvaient plus; leurs murmures de mécontentement devenaient inquiétants. Depuis 70 jours, des pluies diluviennes s'étaient abattues sur eux et ils s'enfonçaient toujours plus avant dans l'inconnu. Les ambitions d'Alexandre leur paraissaient insatiables, et il leur était défendu de s'enrichir par le butin. Fatigués, ils voulaient retourner chez eux. 14
Weigall, op. cit., p. 371. 15 Weigall, op. cit., p. 374.
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h. Sur les côtes de l'Océan Indien Plein de colère et d'indignation, Alexandre se retira dans sa tente, la rage au cœur. Le troisième jour, il fit annoncer aux troupes sa décision de s'en retourner. Sorti de sa tristesse, il s'occupait maintenant de ses plans pour la descente de l'Indus, espérant atteindre, par cette voie, cet l'Océan Extérieur qui entourait la terre et qui formerait les frontières de son Empire. Après sept mois de navigation, il atteignit les bouches du fleuve. La mer qui s'étalait maintenant devant lui, cet Océan Extérieur, était pleine de terreur pour ses hommes; ils la croyaient remplie de monstres et hantée de démons. Aussi, lorsque la flottille d'Alexandre fut prise par la marée montante, il y eut une panique considérable. La contrée était déserte. Alexandre l'explora dans tous les sens et fit construire une station navale fortifiée, qui, dans l'avenir, maintiendrait le commerce et les communications avec l'Inde. Puis ayant mis la dernière main à l'organisation de l'Inde occidentale, il rentra par la zone désolée de la Gédrosie, après avoir ordonné à la flotte d'explorer la côte en direction de l'Ouest, pour savoir si le littoral continuait jusqu'en Arabie et, de là, en Afrique, ou s'il remontait vers le golfe Persique. 16 i. Retour d'Alexandre à Suse (324) En 324, Alexandre est à Suse, où le rejoint bientôt la flotte, saine et sauve; elle avait trouvé l'entrée du golfe Persique. Les réceptions grandioses que les villes lui firent, la présence des vice-rois, gouverneurs et généraux, venus de différentes parties de son Empire pour le féliciter de ses conquêtes dans l'Inde et lui rendre compte de leur administration, le spectacle de son armée victorieuse, lui procuraient la conscience de son invincibilité. Ivre de gloire, se sentant au-dessus des vulgaires mortels, il buvait de temps en temps, rapidement et abondamment, à la manière macédonienne, au point d'en être complètement stupéfié. Ce fut comme un dieu incarné qu'il se consacra à la réorganisation de son Empire oriental, avant de procéder à la conquête du reste du monde. Cinq ans auparavant, il avait fait former un corps d'environ trente mille jeunes Orientaux de noble naissance, exercés et instruits à la manière macédonienne. Ces pupilles étaient sous le commandement de Séleucus, un de ses meilleurs officiers. Un nouveau projet retient maintenant son attention. Au lieu d'orientaliser les Grecs et d'helléniser les Orientaux, il voulut créer, au cœur du territoire perse, une nouvelle aristocratie de sang mêlé, qui jouerait le rôle de lien entre l'Orient et l'Occident. " Weigall, op. cit., 392, 393, 396.
374 j. Mariages
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gréco-perses
Alexandre passa plusieurs semaines à faire des mariages, et épousa luimême deux femmes, Statira, fille de Darius, et Parysatis, fille d'Artaxerxès III. Quatre-vingts généraux ou compagnons macédoniens et grecs, dix mille officiers et soldats, furent fiancés à des jeunes filles perses et leurs mariages célébrés le même jour. A chaque mariée, le roi donna une dot, et à son époux, une coupe d'or. En procédant à ces mariages, Alexandre ne se souciait que de politique pratique. Ayant l'intention d'aller vers l'Ouest, pour compléter la conquête du monde entier, il voyait la nécessité politique de lier à lui et à ses serviteurs, par des liens de parenté, les éléments influents des différentes races. Avant lui, les rois de Macédoine prenaient toujours, comme épouses secondaires, les filles de princes vassaux, pour se les attacher plus fortement. Par ces mariages mixtes et par la création d'une race née de ces mélanges de Gréco-Perses, Alexandre entendait assurer son trône oriental contre la rébellion, quand il s'en irait vers d'autres pays. L'armée qui partait laisserait derrière elle non seulement une multitude d'enfants mixtes, mais aussi un souvenir non entaché d'animosité. Depuis l'Egypte jusqu'aux Indes, de multiples villes grecques ou mixtes furent fondées, dotées et organisées à cette fin. 17 Portant ses cornes de bélier, ayant ainsi assuré sa position en Orient, Alexandre, roi de Macédoine, Seigneur de toute l'Asie, Roi de Babylone, Pharaon d'Egypte, envoya la plupart des troupes à Opis, au nord de la future Bagdad, et se dirigea lui-même à Ecbatane, résidence d'été du Grand Roi de Perse. De là, il se proposait de descendre à Babylone, avant de partir pour la circumnavigation de l'Afrique.
7. Mort d'Alexandre
(323)
En 323, Alexandre était maître de la moitié la plus importante de la terre; il avait à peine trente-deux ans. Il y avait bonne raison d'espérer que, dans quelques années, il serait maître de la terre entière. Tout marchait à souhait; la paix régnait dans toutes les parties de son immense Empire. Une mission navale est envoyée pour explorer les côtes de la mer Caspienne; des navires vont explorer la côte d'Arabie, pour préparer la voie à une grande expédition qui ferait, par mer, le tour de l'Afrique, de l'Est à l'Ouest, et rentrerait dans la Méditerranée par le détroit de Gibraltar. Une flotte de mille gros navires de guerre est en construction dans tous les chantiers de la Méditerranée orientale. Le dessein du Conquérant était 17
Weigall, op. cit., p. 413-415.
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d'envoyer cette armada à la rencontre de celle qui rentrerait par Gibraltar; les deux flottes réunies devaient réduire Carthage, qui, à cette époque, représentait la puissance maritime la plus importante de l'Occident. En vue du même but, ses ingénieurs sont chargés de construire une grande route littorale, allant de l'Egypte vers la capitale phénicienne de l'Afrique du Nord.18 Ce fut en cette même année (323), qu'au zénith de sa gloire, il quitta Ecbatane pour Babylone. Il semble qu'il avait résolu de faire de cette ville la capitale de son Empire asiatique. Alexandrie d'Egypte serait la métropole de l'Occident et un centre de culture panhellénique plus important qu'Athènes. C'est alors que, tout à coup, survint la catastrophe. Le dieu incarné est emporté, en quelques jours, par une fièvre violente. Il mourait à trente-deux ans, après avoir régné douze ans et demi, dont neuf et demi en Orient.
18
Weigall, op. cit., p. 432, 433.
III. Alexandre le Grand et son oeuvre. Désagrégation et partage de son Empire 1. La personnalité d'Alexandre La personnalité d'Alexandre est aussi grande que l'œuvre qu'il a conçue et en grande partie réalisée. En raison de l'immensité de ses exploits et de ses projets gigantesques, l'histoire a raison de le désigner sous le nom d'Alexandre le Grand. Aurait-il réussi à réaliser son rêve d'hégémonie universelle, en conquérant la terre entière, si la mort ne l'avait prématurément fauché? Le gigantesque de l'entreprise nous en fait douter; il y a tout lieu de penser que la mort, loin de le desservir, lui a épargné l'inévitable tragédie de la désillusion. Elle lui a permis de disparaître alors qu'il était encore au faîte de la puissance et de la grandeur. La personnalité du conquérant macédonien, son caractère et ses talents, ont toujours été l'objet d'une grande discussion. Le public, habitué à la simplification et à la division des personnages célèbres en grands et petits, a toujours considéré le jeune héros macédonien comme un suprême génie militaire. Par contre, les érudits de tous les temps sont partagés. «Les uns le regardent comme un génie et plus qu'un génie, un être quasi surhumain . . . D'autres ne le tiennent que pour un meneur d'hommes aventureux et sans scrupules, emporté par le flot des événements et soulevé à de célestes hauteurs par la chance ou à peu près. Quelques-uns l'ont vu comme un idéaliste, courant de victoire en victoire pour ce qu'il croyait être le bien de l'humanité. D'autres ont pensé que ses motifs étaient purement égoïstes, et qu'il n'avait pour guide qu'un amour forcené de la gloire et du pouvoir personnel.»19 En dépit de la diversité de ces opinions, on doit reconnaître, avec Weigall, qu'Alexandre «a changé la face des mondes grec et perse pour leur bien ou pour leur mal, qu'au temps de sa mort il détenait un pouvoir plus grand que celui d'aucun humain de l'antiquité, et que pas un homme dans toute l'histoire, à l'exception de certains fondateurs de religion, n'a été si largement accepté comme un être surnaturel.»20 a. Missionnaire et héros Alexandre n'est pas un conquérant comme les autres. En se lançant à 1» Weigall, op. cit., p. 9 et 10. 2» Weigall, op. cit., p. 10.
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l'assaut de l'Asie, il ne cherchait nullement un agrandissement territorial pour sa Macédoine. Rêveur et mystique, c'est un grand Empire qu'il rêvait de fonder en Asie; il se regardait comme le fils et l'instrument des dieux pour l'accomplissement de cette mission. Avant de quitter la Macédoine, il distribua presque toute sa fortune et ses biens personnels; il se dépouilla de ses terres et de ses domaines. Il partait donc sans esprit de retour, comme un soldat de fortune, ou comme un prêtre missionnaire qui s'en remet à la seule bonté du Ciel. Alexandre était plus un héros qu'un stratège. Ses victoires étaient gagnées grâce à la qualité de son armée, et surtout à sa hardiesse, à sa témérité à prendre l'offensive, à son audace folle et à l'unité du but. Il ne cherchait jamais à surprendre l'ennemi par une attaque de nuit: «Je ne dérobe pas la victoire, moi; je la conquiers en plein jour et non par traîtrise», répondit-il un jour à Parménion. b. Chef et organisateur Mais ce héros était aussi un chef né, doublé d'un organisateur. Par sa personnalité magnétique et son port majestueux, par sa générosité et sa jeunesse, par son empressement à la rude besogne, il était particulièrement doué pour conduire les hommes et s'en faire obéir. Commander une armée en marche, et en même temps gouverner les territoires conquis, exigeait de grands talents d'administration et d'organisation; d'autant qu'il aimait tout faire par lui-même, et croyait qu'il lui incombait, en tant qu'homme du destin, de porter sur ses épaules tout le poids d'un monde en gestation. c. Un mystique convaincu Alexandre était un mystique, réellement persuadé de sa mission divine. Sa mère Olympias lui avait toujours assuré que le dieu Amon de Siouah, Seigneur de l'Egypte, était son vrai père. Après la conquête de la Vallée du Nil, il était, en tant que Pharaon, un dieu sur terre. A propos de sa filiation divine, il n'y eut jamais dans son esprit une pensée politique; il en était sincèrement convaincu. Les historiens et biographes, qui ont voulu réduire à une simple manœuvre politique sa prétention à la divinité, se sont inspirés de considérations modernes, c'est-à-dire anachroniques. Dans les temps polythéistes où il vivait, «être un dieu sur terre n'était guère plus que d'exceller en terrestre grandeur». Pour Aristote, n'importe quel homme, incomparablement supérieur, en génie, à d'autres hommes, doit être regardé comme «un dieu parmi les hommes». Persée, Hercule, Achille, comptés parmi les ancêtres d'Alexandre, n'étaient-ils pas les fils des dieux Zeus, Nérée et de princesses mortelles? Même en des temps postérieurs plus éclairés, Jules César n'était-il pas le fils d'Apollon?
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Ainsi donc, il n'y avait rien d'extraordinaire dans la conviction où était Alexandre qu'il était né d'un dieu, à une époque où la nature divine n'était pas encore celle qu'a engendrée, par la suite, la pensée monothéiste. Et cette certitude fut encore renforcée par le fait précis de ses succès écrasants. Alexandre était tellement convaincu qu'il avait pour père ZeusAmon que, peu de temps après son pèlerinage à l'oasis de Siouah, il adopta les deux cornes du bélier, qui étaient un symbole caractéristique de ce dieu. Tel est l'ouvrier, qui, dans l'éclat de la jeunesse et en l'espace de quelques années, a «à peu près fait le monde selon le songe qu'il rêvait». Voici maintenant son œuvre.
2. L'œuvre d'Alexandre le Grand. Unité culturelle du monde proche-oriental
La conquête du Proche-Orient par Alexandre marque, dans l'histoire de cette vieille contrée, une grande époque et un tournant décisif. Tandis que la Perse, la Babylonie, la Phénicie, l'Egypte s'écroulent politiquement, la conception de la vie elle-même se transforme dans tout le Proche-Orient. Tout va se modifier, et pour des siècles, dans ce vaste espace que le héros macédonien a soumis à son pouvoir. Un monde oriental nouveau est forgé. «C'est un univers agrandi, où l'Europe, l'Asie et l'Afrique se sentent associées, où l'homme élargit sa vision, où le commerce s'internationalise, où s'opère la synthèse.. . des débris de toutes les civilisations ruinées, Ninive, Babylone, Egypte, Lydie, Perse, matériaux hétérogènes que cimentent l'hellénisme dont la pensée et la langue sont p a r t o u t . . . Ce n'est pas un empire au sens politique du terme, mais c'est l'empire d'une forme de civilisation, l'empire hellénistique.» 21 La prodigieuse personnalité d'Alexandre domine l'évolution de l'humanité orientale jusqu'à la conquête romaine. S'il a achevé de détruire la cité grecque et ses institutions séculaires, il a, en contrepartie de leurs libertés perdues, ouvert devant les Grecs un champ immense. Et s'il a détruit les vieux empires orientaux, il a, par contre, donné le branle à l'hellénisation de l'Orient. Sa pensée fondamentale, la fusion de l'Occident et de l'Orient, sera en grande partie réalisée. En contraignant des millions d'individus, de races, de langues et de religions différentes, à vivre dans une certaine communauté d'intérêts matériels, à tolérer les mêmes idées religieuses, à comprendre une même langue et un même art, il a jeté les premiers fondements de la nation universelle, de la notion du «monde habité» conçu comme un tout. 21
Daniel-Rops, op. cit., p. 365, 366.
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A la confédération orientale, à l'unité politique et administrative, créée par le régime tolérant des Perses, Alexandre a substitué l'unité culturelle du monde proche-oriental. Son action a eu pour effet de réunir et de mélanger, dans un même et vaste creuset, les éléments et les cultures les plus divers, de les pétrir et de les brasser de sa main vigoureuse et de leur donner, comme facteur d'unité, un lien moral, constitué par une langue et une culture communes. a. Annexion
matérielle
et morale
Nous avons vu que les rapports entre Grecs et Orientaux sont antérieurs à Alexandre et que les Hellènes n'étaient pas tout à fait des étrangers en Asie, ni en Egypte. Depuis les victoires d'Alexandre, l'influence de la Grèce n'a fait que croître dans le monde oriental: les modes et les usages s'en inspirent, et la langue grecque devient bientôt courante, au détriment des langues locales. Sur la côte, le phénicien disparaît peu à peu des inscriptions. Le Macédonien prenait à cœur l'annexion matérielle et morale de ces terres asiatiques, immenses et disparates. Par la fusion des populations locales avec les colonies helléniques, installées aux principaux points stratégiques et commerciaux du monde oriental, Alexandre espère transformer une influence superficielle en une influence profonde et durable et amener le monde oriental à une civilisation nouvelle, née du contact de ces diverses races. b.
Economie et civilisation
universelles
Le vaste Empire d'Alexandre allait rendre possible l'organisation d'une économie universelle, axée sur la Méditerranée orientale. Vers ce bassin maritime convergent, en effet, toutes les grandes voies de trafic. La Mer Egée et la Mer Noire font communiquer avec l'Europe; par la Mer Rouge arrivent les produits de l'Afrique, de l'Arabie et des Indes; tandis que les ports phéniciens, par les routes caravanières qui s'enfoncent vers l'Est, rattachent la Méditerranée à l'Asie centrale et à la Chine. Les voies économiques internationales sont la base de cet Empire universel; elles sont organisées autour de centres urbains. Des dizaines d'Alexandries sont créées: la première, Alexandrie d'Egypte, sera la maîtresse économique du monde. L'agriculture, base de toute économie stable, fut encouragée. La politique de mise en valeur de la terre brisera le cadre seigneurial devant l'extension du principe économique: cultiver pour vendre; la population agricole est émancipée. Les tendances politiques et sociales de l'Empire sont ainsi orientées vers la mer, qui devient le point d'attraction.
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La politique du cosmopolitisme impérial favorisait le mélange des races; elle tendait à détruire les sentiments nationaux. Le commerce avait déjà fait du grec une langue internationale en Egypte et en Asie Mineure; Alexandre en fit la langue officielle de l'Empire. Cette langue allait pénétrer, à la suite des soldats, des colons et des marchands grecs, jusqu'en Asie centrale. Tandis que la théorie égyptienne de la monarchie de droit divin s'étendait sur le monde grec, les conceptions philosophiques grecques se répandaient rapidement dans tout l'Orient méditerranéen. La culture grecque, qui part à la conquête du monde, s'apprête à devenir le lien moral qui unira les peuples méditerranéens dans une même civilisation. Avec Aristote, apparaît la pensée réaliste de l'époque hellénistique; la science se séparera de la religion. c. Fusion de l'Orient et de l'Occident La pensée fondamentale d'Alexandre, la fusion de l'Orient et de l'Occident, amorcée de son vivant, ne sera réalisée qu'après sa mort. La diffusion d'une même monnaie donne à toutes les régions occupées une apparence d'unité. Alexandre veut croire à la possibilité d'amalgamer les races. Il favorise les mariages entre Macédoniens et femmes asiatiques et crée partout des foyers d'hellénisme. «Alexandre, dit Plutarque, fonda plus de soixante-dix villes au milieu des Barbares et parsema l'Asie d'institutions grecques.» Pour hâter l'unification de ses immenses domaines, Alexandre utilise tous les moyens: rénover les procédés de culture millénaires; planter des arbres; installer des citadelles pour protéger le trafic terrestre; remettre en état des canaux devenus inutilisables; améliorer le cours des fleuves; irriguer; bref, aider au développement de la prospérité. Mais le moyen le plus cher à son cœur était la diffusion de la langue grecque, de l'art grec, aptes à conquérir l'élite, sinon la masse des indigènes. C'est après sa mort que son initiative devait recevoir la plus éclatante consécration. Si le temps fit défaut à l'ouvrier, il est unanimement admis que, du court règne d'Alexandre le Grand, date une époque nouvelle de l'histoire du monde. La civilisation hellénistique, qu'il a contribué à créer, prendra racine et donnera ses fruits sous ses successeurs.
3. L'Empire d'Alexandre, jusqu'au partage définitif. Aperçu historique: 323—275 Entre la mort d'Alexandre et le partage définitif de son Empire, s'étend une période d'un demi-siècle environ (323—275), remplie de troubles et de
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guerres et caractérisée par une instabilité générale dans tout le ProcheOrient. Pendant cette période confuse et transitoire, un nouvel ordre de choses s'élabore, qui aboutira au partage de l'Empire alexandrin, dont les débris formeront un certain nombre de royaumes indépendants. Dès 300, le monde proche-oriental commencera à reprendre, avec une civilisation et une classe dirigeante gréco-macédoniennes, la forme politique qu'il avait avant l'expansion d'Alexandre. En 275, l'Egypte, l'ancien Empire perse et la Grèce, en d'autres termes, l'Afrique, l'Asie et l'Europe proche-orientales, sous la direction de trois dynasties issues de trois généraux d'Alexandre, vogueront, chacune de son côté, vers de nouvelles destinées. a. La succession d'Alexandre. Le général Perdiccas, régent de l'Empire Comme Mahomet, Alexandre n'avait rien prévu pour sa succession; incapable de parler pendant les derniers jours de sa maladie, il n'avait pu indiquer à son entourage ses dernières volontés. Devant cette situation, les Compagnons du Conquérant, les diadoques ou chefs de l'armée, comme plus tard les Compagnons du Prophète des Arabes, se constituent en «Conseil d'Etat» et proclament conjointement, comme rois, Philippe III, demi-frère idiot d'Alexandre, et son fils, Alexandre IV, né de Roxane. Pour maintenir l'unité de cet Empire bicéphale, les deux souverains incapables sont coiffés d'une sorte de régent, le général Perdiccas (323—321), qui reçut, avec le titre de chiliarque, les pleins pouvoirs civils et militaires. b. Les Gouverneurs des provinces L'immense étendue de l'Empire exigeait sa subdivision en grandes unités administratives, confiées à des généraux capables et responsables. Ptolémée, fils de Lagos, fut nommé gouverneur d'Egypte; Antigone le Borgne reçut la Grande Phrygie; Lysimaque, la Thrace; Peithon, la Médie; Eumène, la Cappadoce; Léonnatos, les rivages de l'Hellespont. La Syrie échut à Laomédon, qui parlait l'araméen, langue commune de la contrée. Quant à Séleucus, il conserva le commandement de la cavalerie. c. Une révolte d'Athènes est écrasée (322) Tandis qu'en Asie le calme règne après la subite disparition du conquérant, en Grèce, au contraire, l'annonce de la mort d'Alexandre provoque des soulèvements, surtout à Athènes où Démosthène, exilé depuis l'établissement de la domination macédonienne, rentre en triomphe. En 322, la révolte est brisée. Vaincue dans une grande bataille, Athènes est obligée d'accepter des conditions sévères. Elle perd sa prépondérance
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maritime et sa grandeur politique; Démosthène se donne la mort par le poison. d. Rivalités entre les Gouverneurs des provinces. Meurtre de Perdiccas Les ambitions et les compétitions des Gouverneurs généraux les poussaient constamment à se chercher querelle, pour s'étendre les uns aux dépens des autres. De là des luttes et des partages successifs, qui eurent pour effet de placer, entre des mains différentes, des régions qui se complètent et de briser cette unité qu'Alexandre avait voulu réaliser. En 321, une coalition, formée autour de Ptolémée, s'ébauche contre Perdiccas, le gérant de l'Empire. Confiant l'Asie à Eumène et marchant sur l'Egypte, Perdiccas est assassiné à Péluse, à l'instigation du général Séleucus. e. Régence d'Antipatros
(321—319)
Antipatros (321—319), doyen d'âge, succède à Perdiccas dans la régence de l'Empire, et un nouveau partage est effectué entre les coalisés victorieux. Séleucus reçoit la Babylonie et les pouvoirs d'Antigone sont accrus. f . Régence de Polyperchon. Révolte de Cassandre En 319, Antipatros meurt de vieillesse, en désignant, pour lui succéder, le général Polyperchon (319—301). Cassandre, fils d'Antipatros, qui se considère lésé par cette désignation, s'allie à Antigone et à Ptolémée pour reconquérir la péninsule hellénique. Polyperchon, pour accroître son autorité et son prestige, rappelle d'Epire la reine Olympias, mère d'Alexandre le Grand. Dès son retour en Macédoine, la reine-mère fait assassiner le roi bâtard, Philippe. Cassandre, se présentant en vengeur, pénètre en Macédoine, s'empare de Pydna, laisse exécuter la reine-mère et s'assure la garde de la reine Roxane et du petit roi, son fils. Polyperchon se réfugie dans le Péloponèse. g. Antigone, maitre de l'Asie Allié de Polyperchon, Eumène, en Asie, est vaincu par Antigone qui cherchait à lui enlever sa province. Bloqué à Babylone, Eumène est livré par ses troupes à Antigone qui l'exécute (316). Séleucus, allié d'Eumène, s'enfuit auprès de Ptolémée en Egypte. Ces succès, qui font d'Antigone le personnage le plus puissant de l'Empire, dressent contre lui Cassandre, Lysimaque, Ptolémée et Séleucus. (315—311). Voulant rétablir à son profit l'unité des provinces égéennes, Antigone annexe le littoral d'Asie Mineure. Se jugeant menacé en Grèce, Cassandre se réconcilie avec le régent Polyperchon.
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Tandis qu'il s'apprête à passer en Europe, Antigone en est empêché par une attaque de ses rivaux: Ptolémée lui enlève la Syrie méridionale et Séleucus rentre à Babylone. En 311, une trêve est conclue, suivie d'un partage aux termes duquel Cassandre reçoit la Grèce; Lysimaque, la Thrace; Ptolémée, l'Egypte; Antigone, l'Asie. Quant à Séleucus, il semble être évincé. h. Antigone et son fils Démétrius, maîtres de la Grèce En 310, Cassandre fait assassiner Roxane et son fils et, en 309, le dernier bâtard et la sœur du grand conquérant. La famille d'Alexandre a disparu, en même temps que tout héritier légitime. Aussi, la trêve de 311 est-elle rompue par Ptolémée, qui, ayant transformé l'Egypte en puissance maritime, ambitionne de conquérir l'Egée où ses escadres ont déjà fait plusieurs apparitions (309—308). Réveillé de son assoupissement par cette incursion, Antigone réagit et la guerre se rallume entre les Diadoques. En 307, Antigone, qui reprend son dessein d'une descente en Europe, confie à son fils Démétrius la mission de l'exécuter. D'une ambition effrénée servie par d'exceptionnelles qualités militaires, Démétrius débarque en Grèce et enlève Athènes qui le reçoit en libérateur. Irrité par cette intervention de Démétrius, Ptolémée envoie une flotte égyptienne qui est écrasée par Démétrius à Salamine de Chypre. A la suite de cette victoire, Antigone prend le titre de roi et le confère à son fils et héritier Démétrius (306). Pour ne pas être en reste, Ptolémée, Cassandre, Lysimaque, se proclament rois à leur tour (305). i. Bataille d'Ipsos. Défaite et mort d'Antigone
(301)
Tenant tête à Cassandre et à Polyperchon en Grèce, Démétrius, en 303, inaugure une politique fédérale et rallie à sa cause les cités helléniques. Appelé en Asie par son père Antigone qui était attaqué par Lysimaque, Ptolémée et Séleucus, Démétrius prend part à la grande bataille d'Ipsos, dans la Phrygie centrale (301). Vaincu, Antigone se donne la mort et Démétrius se sauve en fuyant. La victoire d'Ipsos donne lieu à un nouveau partage entre les coalisés. Lysimaque reçoit la Cappadoce et l'Asie Mineure centrale et occidentale; Séleucus, l'Arménie et la Syrie; Cassandre reste en Grèce et Ptolémée en Egypte. Cependant Séleucus, qui convoitait la Syrie méridionale occupée par Ptolémée, et Lysimaque, qui voulait accroître son domaine, n'étaient pas satisfaits. D'autre part, Démétrius, qui conservait sa flotte et de nombreuses forteresses, représentait une force et ne se résignait pas à sa défaite.
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/. Défaite et mort de Démétrius (283) Des alliances, entre les uns et les autres, ébauchent un nouvel équilibre politique. L'entente de Ptolémée et de Lysimaque pousse Séleucus à se rapprocher de Démétrius, dont il épouse la fille, Stratonice (299). En 297, Cassandre meurt; profitant de cette disparition, Démétrius se tourne vers la Grèce, enlève Athènes après deux ans de guerre (296—294), mais perd tout ce qui lui restait en Asie. Vers 289, il est le maître de la Grèce d'Europe et se prépare à envahir l'Asie. Sa puissance reconstituée dresse de nouveau contre lui une nouvelle coalition, formée par Lysimaque, Ptolémée, Séleucus et Pyrrhus, roi d'Epire. Succombant sous le nombre, Démétrius est pris en Cilicie et meurt en 283. k. Défaite et mort de Lysimaque (281) Lysimaque réunit sous son autorité les régions égéennes. A l'exception de Byzance, toutes les villes grecques de Thrace, de la Propondite, des côtes d'Asie Mineure, lui sont soumises. Il chasse Pyrrhus de Grèce et soumet la péninsule hellénique. Mais les villes d'Asie Mineure, écrasées d'impôts, font appel à Séleucus. Lysimaque est battu et tué (281). /. Séleucus, maître de l'Asie, disparaît en 280 Le vainqueur, Séleucus, dont le pouvoir s'étendait des plateaux de l'Iran au littoral de la Syrie-Nord, annexe à son territoire les possessions de Lysimaque en Asie Mineure. Augmentant son armée de celle de son rival vaincu, il se fait proclamer roi de Macédoine et s'apprête à passer en Grèce d'Europe. Mais il est assassiné par Ptolémée Kéraunos, fils du roi d'Egypte, qui, déshérité par son père, s'était réfugié auprès de sa victime. Avec Séleucus disparaît le dernier des successeurs directs d'Alexandre (280). m. Antigone Gonatas, maître de la Grèce Antigone Gonatas, fils de Démétrius, ne conservait de l'héritage paternel que quelques forteresses. En 279, il met fin à la guerre qui le retient contre Antiochus, fils de Séleucus, conclut la paix avec lui et épouse sa sœur. Antiochus lui abandonne ses prétentions sur la Macédoine et Antigone promet de se désintéresser des affaires d'Asie. En 277, Antigone regagne la péninsule hellénique, où il repousse une invasion de Barbares. Ce rôle de sauveur, que le hasard lui fait jouer, lui permet de marcher sur la Macédoine et de s'en emparer.
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n. Démembrement et partage définitif de l'Empire d'Alexandre (275) En 275, trois dynasties royales, issues de trois généraux d'Alexandre, sont solidement et séparément établies sur le vaste territoire réuni par le Macédonien. Les Séleucides gouvernent l'Asie; les Lagides, l'Egypte; et les Antigonides, la Grèce. «Cette fois, la situation, pour la première fois depuis plus de cinquante ans, parut claire aux contemporains. Avec Ptolémée en Egypte, Antiochos en Syrie et Antigonos en Grèce, le monde prenait la physionomie qu'il allait garder plus d'un siècle. Certes les luttes ne sont point closes et, entre les Etats, les sujets de querelles ne manquent pas plus qu'autrefois entre les cités. Par exemple, la Syrie reste un éternel objet de convoitise, aussi bien pour les souverains de l'Egypte que pour ceux de l'Asie; les détroits septentrionaux seront à plusieurs reprises un sujet de dispute entre les rois de Macédoine et d'Asie; la maîtrise de l'Egée provoquera entre les épigones d'interminables conflits . . . Cependant, à dater du moment où les trois dynasties des Antigonides, héritiers des Argéades, des Séleucides, héritiers des Achéménides, et des Lagides, héritiers des Pharaons, régissent les destinées du monde antique, c'est une nouvelle époque qui commence. Les derniers souvenirs de l'empire d'Alexandre ont disparu. La Grèce, l'Asie antérieure, l'Egypte, sous l'apparence d'une civilisation qui ne semble partout la même que par ses origines helléniques, évoluent en des sens différents et parfois se heurtent avec violence.»22 o. Caractère éphémère de l'œuvre politique
d'Alexandre
Aussi éphémère que les Empires assyrien, chaldéen et perse qui l'ont précédé, celui d'Alexandre eut encore une durée moins longue. L'unitée effective de l'Empire gréco-macédonien ne survécut guère à la mort du fondateur; s'il se maintint officiellement jusqu'en 275, ce fut sous le couvert d'une monarchie fictive purement nominale. Dès la disparition d'Alexandre, le Proche-Orient se morcelle de nouveau. L'Egypte, la Syrie, la Mésopotamie, la Perse, l'Asie Mineure, la Grèce, reprennent, chacune, leur politique traditionnelle des temps antérieurs et continueront leurs rivalités séculaires. «Il est étrange que l'idée de grands ensembles politiques ait toujours hanté et séduit l'imagination des hommes et que, pourtant, ces constructions immenses, quand elles trouvent un bâtisseur, ne tiennent pas très longtemps d'aplomb . . . Que l'on mette en parallèle . . . les trois millénaires qui enferment la vie de la nation égyptienne,... et l'on est en droit de se demander si ces vastes entreprises, qui cependant plaisent tant à l'esprit, ne heurtent pas quelque loi naturelle qui les condamnerait secrètement. 22
R. Cohen, La Grèce et l'hellénisation du monde antique, p. 458, 459.
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Alexandre fut l'un de ces assembleurs de dissemblables, le plus brillant, le plus séduisant de t o u s . . . Mais si, du point de vue de la culture, son œuvre devait connaître des prolongements extraordinaires, l'édifice politique qu'il avait élevé ne lui survécut pas . . . L'aventure alexandrine n'aboutit, en politique, qu'à la destruction de la grande bâtisse perse et au retour à ces «nations naturelles» que les Cyrus et les Darius avaient provisoirement amalgamées en un grand tout.. . Les disputes des (diadoques),... sortant du cadre des conflits personnels, tournent insensiblement aux heurts d'intérêts généraux où Grèce, Asie Mineure, Iran, Babylonie, Egypte, se retrouvent en face des mêmes antiques problèmes à résoudre, des mêmes questions qui mirent autrefois aux prises Hittites, Ramsessides, Mycéniens et Babyloniens.»23 Le caractère éphémère des constructions politiques impériales, dans le monde proche-oriental, semble commandé par une constante ou loi historique. Cette constante est attestée par la fragilité et la précarité de tous les Empires ou Etats proche-orientaux, dont les régions et les populations sont trop hétérogènes pour se grouper volontairement sous l'autorité unitaire d'un seul pouvoir central. Nous avons étudié dans notre premier volume, les causes générales et permanentes qui déterminent cette constante historique proche-orientale (I, p. 76—87).
23
De Laplante, op. cit., I, p. 135, 136.
B Les royautés hellénistiques du Proche-Orient : l'Asie, l'Egypte
I. L'Empire gréco-asiatique des Séleucides (Haute Syrie-Mésopotamie) 1. Formation et étendue de l'Empire séleucide Comme l'Empire d'Alexandre, celui des Séleucides n'a jamais eu de nom. On le désigne du nom du souverain régnant, comme roi de Syrie ou d'Asie. Le monarque séleucide était, en quelque sorte, pour employer une formule moderne, roi de Syrie et empereur d'Asie. a. Politique impériale de Séleucus I (312—280) Après la victoire et le partage d'Ipsos (301), Séleucus, qui avait déjà la Babylonie, reçut l'Arménie et la Syrie-Nord. En 281, sa victoire sur Lysimaque lui rapporte l'Asie Mineure. Maître de la majeure partie de l'ancien Empire perse, ce monarque, qui avait commencé par s'orienter vers l'Est asiatique, fixe sa capitale d'abord à Babylone, puis à Séleucie sur le Tigre. Sa politique continentale fit se détacher de son domaine les provinces occidentales maritimes, solidaires de l'économie méditerranéenne. Entraînées dans l'orbite de l'Egypte, les côtes de Phénicie, comme celles d'Ionie, relèvent de Ptolémée, maître de l'Egypte. Après 300, Séleucus, qui avait échoué dans une tentative de reconquérir les provinces orientales et indiennes de l'Empire d'Alexandre, renverse sa politique continentale et se retourne vers l'Ouest. b. Antioche et Séleucie du Tigre, capitales impériales Après avoir reconquis la Syrie septentrionale, l'antique Naharina (entre Oronte et Tigre), Séleucus marque le but de ses nouveaux desseins en fondant, sur les bords de l'Oronte, une nouvelle capitale, la ville d'Antioche. Sur la côte nord-syrienne, près des bouches de l'Oronte et en face de Chypre, une cité-port est fondée: Séleucie de Piérie. La route de Séleucie d'Antioche, à Séleucie du Tigre forme l'artère vitale du nouvel Empire asiatique. Séleucie d'Antioche devient un des ports les plus considérables de l'Asie, tandis que Séleucie du Tigre, au profit de laquelle Babylone est dépeuplée, devient la métropole commerciale de l'Asie antérieure. c. Causes des futurs conflits égypto-asiatiques Cette nouvelle politique de Séleucus, tournée vers la Méditerranée orien-
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taie, s'opposait à la politique d'hégémonie maritime entreprise par Ptolémée. Elle devait fatalement déchaîner, entre les deux monarques, de longues rivalités et des conflits sanglants. Le duel qui s'engagea entre les Séleucides et les Lagides n'avait pas pour objet principal un agrandissement territorial. Il s'agissait, pour les uns et pour les autres, de dominer les routes qui mènent de la Méditerranée aux Indes. Ces routes, au IVe siècle, prennent une importance croissante du fait de l'orientation de l'Inde vers l'Occident et de l'importance croissante du développement de la Chine. Par la Mésopotamie et la Syrie-Nord, les Séleucides dominaient cette route dans sa partie continentale. Les Ptolémées en contrôlaient la partie méridionale et maritime, par la Mer Rouge et la Palestine. D'autre part, la Phénicie, mieux placée que les cités grecques d'Asie Mineure en ce qui concernait les communications par mer, était encore devenue, depuis les conquêtes d'Alexandre, et surtout depuis le partage de son Empire, une position stratégique et commerciale d'une exceptionnelle valeur. Aussi, la lutte pour la possession de la Phénicie et de la Palestine opposera-t-elle, pendant plus de trois quarts de siècle (275—198), les deux monarchies sœurs et les épuisera l'une et l'autre. Cette rivalité entre les Lagides et les Séleucides, comme autrefois entre les pharaons et les monarques d'Asie, est, on l'a vu, une des permanences de l'histoire proche-orientale (I, p. 423-429).
2. La Syrie séleucide ou Haute Syrie
L'Empire séleucide, qui s'étend des plateaux de l'Iran aux côtes de la Haute Syrie et de l'Asie Mineure, comprend soixante-douze provinces. Il possède plusieurs centres essentiels et distincts, dont les deux principaux sont la Haute Syrie et la Babylonie. Cet Empire est, en somme, la reconstitution des anciens empires mésopotamiens, désignés du nom de «Royaume des Quatre Régions» (Sumer, Accad, Elam et Amourrou ou Haute Syrie). Sous Alexandre, l'ancienne satrapie perse d'Abarnahara (au-delà du fleuve = Haute Syrie), dont la capitale était Damas, garda sa vieille organisation intérieure. Après la mort du conquérant macédonien, la Syrie, en 320, est occupée par Ptolémée. Héritier des pharaons, celui-ci la regardait comme nécessaire à la défense et à l'approvisionnement de l'Egypte. De 318 à 301, la contrée syrienne est au pouvoir d'Antigone de Macédoine. Pendant toute cette période, «les cités phéniciennes étaient toujours gou-
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vernées par leurs rois et les provinces de Syrie par les hyparques»1, ou gouverneurs grecs. Après la défaite et la mort d'Antigone à Ipsos (301), la Syrie est dévolue à Séleucus. Mais Ptolémée, qui s'était empressé d'occuper la Palestine et la Phénicie, refuse de les évacuer et les gardera jusqu'en 198. Le Nahr el Kébir (Eleuthère), frontière septentrionale du Liban actuel, forme la ligne de démarcation entre les deux zones ptolémaïque et séleucide. Géographiquement, la Syrie séleucide englobe les régions comprises entre le Taurus, l'Euphrate et le Nahr el-Kébir. Le nom de Haute Syrie, créé par les Séleucides, servait à distinguer le Nord de cette contrée de la partie méridionale, à laquelle on attachait de préférence le terme de Coelé-Syrie. Celle-ci comprenait la Békâ, la région damascène, la Jordanie, la Galilée et la Judée, appartenant, sauf Damas, aux Ptolémées d'Egypte. La Phénicie, à l'exception de la ville d'Arvad, relevait, elle aussi, de l'Egypte ptolémaïque. Cette coupure de la contrée en deux zones politiques différentes se maintiendra durant tout le Ille siècle. Très peuplée, la Haute Syrie forma quatre provinces: Antioche, ainsi nommée en souvenir d'Antiochus, père de Séleucus; Laodicée (Lataquié), du nom de sa mère Laodice; Séleucie sur la mer; et Apamée sur l'Oronte. Alep reçut le nom macédonien de Béroé. A l'est de Palmyre, la colonisation de Séleucus s'affirme à Doura-Europos, sur l'Euphrate (aujourd'hui Salahiyâ). Roi de Syrie et empereur d'Asie, Séleucus a fait de la Haute Syrie, qu'il gouverne directement, son domaine principal, et, de la nouvelle ville d'Antioche, sa capitale à partir de 300. Damas, qui était, au temps des Perses, le siège de la satrapie et la plus importante des cités de Haute Syrie, est détrônée au profit d'Antioche, de même que Babylone a été dépeuplée au bénéfice de Séleucie sur le Tigre. La Haute Syrie devient, sous les Séleucides, une seconde Macédoine. Son choix, par ces derniers, comme centre de l'Empire, était commandé par leur désir d'assurer leurs communications maritimes avec le monde hellénique et d'être à portée des monarchies rivales d'Egypte et de Macédoine. Pour la première fois dans l'histoire, la Haute Syrie, ce vieil Amourrou ou Ouest, l'une des «Quatre Régions» des anciens empires mésopotamiens, est devenue le centre d'un grand Empire. Ce rang, qu'elle doit maintenant à son rôle de route menant de la mer hellénique vers Babylone et l'Iran, en fera, sous les Gréco-Séleucides, et pendant plusieurs siècles, le centre de la vie politique et commerciale de l'Asie antérieure. Porté des bords de l'Euphrate et du Tigre aux rives de l'Oronte, ce centre ne sera reporté sur 8
F. M. Abel, op. cit., II, p. 128.
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le Tigre que sept ou huit siècle plus tard, à l'époque des Califes Abbassides de Bagdad (762-1250 ap. J.-C.).
3. Baby Ione, Iran et Asie Mineure a. La Babylonie séleucide La seconde province principale de l'Empire séleucide est la Babylonie, qui englobe tout le pays mésopotamien. Assumant directement le gouvernement de la Haute Syrie, Séleucus laisse à son fils, le futur Antiochus I, qu'il avait associé au trône, l'administration de la Babylonie et des provinces orientales de l'Empire. Antiochus avait fixé sa résidence à Séleucie sur le Tigre, qui, détrônant Babylone, devient la nouvelle capitale de la Mésopotamie. Quoique Antioche soit la première capitale et la cité la plus importante de l'Empire, Séleucie sur le Tigre lui est à peine inférieure en importance. b. L'Iran séleucide En Iran, l'Empire séleucide s'étend jusqu'à la Caspienne et à la frontière indienne. La Perside, la Mèdie, la Bactriane, la Parthie, l'Hyrcanie, forment les provinces supérieures de l'Empire. Rattachées à la Babylonie, la plupart de ces provincs recouvreront leur indépendance entre 275 et 250. La Bactriane, qui englobait la plaine septentrionale d'Afghanistan, se constitue en un Etat indépendant sous l'autorité du gouverneur Diodote, dynaste d'origine grecque (250). Ce royaume gréco-bactrien tiendra un rôle important au point de vue de la pénétration de la civilisation hellénistique en Asie. Nulle part, en effet, Grecs et Iraniens, malgré leurs origines et leurs types de vie différents, n'établiront une association politique et culturelle plus cohérente ni plus solide. c. L'Asie Mineure Bien que l'Asie Mineure fût attribuée à Séleucus, celui-ci, qui n'a jamais sérieusement tenté d'en reconquérir les provinces, se contentait d'une vague suzeraineté nominale sur certains princes locaux. Des dynasties autochtones ou d'origine perse ont fondé, dans cette contrée, plusieurs royaumes plus ou moins indépendants ou vassaux: Cappadoce, Pont, Bythinie, Arménie-Atropagène, etc. Toutefois, ces régions, à l'exception de l'Atropagène, refuge du zoroastrisme, subissent profondément l'emprise de la civilisation hellénique. Leurs dirigeants adoptent la langue, l'art et jusqu'aux coutumes des Grecs. Amputé de l'Asie Mineure, le royaume
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séleucide est ainsi coupé de la Grèce par voie de terre; il ne communique avec le monde hellénique que par la mer, dominée par les Lagides d'Egypte. 4.
Phénicie
La Phénicie et la Palestine joueront, sous les monarchies hellénistiques d'Asie et d'Egypte, comme sous les divers régimes qui avaient précédé ces monarchies, leur rôle d'objets de convoitises, d'enjeux et de champs de batailles, entre les pays du Nord et ceux du Sud. a. Sous Alexandre Sous Alexandre, les cités phéniciennes, détachées de la satrapie continentale perse dont le centre était Damas, forment une zone maritime distincte et autonome. «La Phénicie conserva son régime toujours un peu spécial à raison de sa situation et de sa destinée. Les petits Etats qui accueillirent le vainqueur continuèrent à vivre sous leurs rois indigènes.»2 Tyr, qui avait résisté à Alexandre, est soumise, avec son territoire, à un chef de forteresse grec (phrourarque). Gaza, détruite comme Tyr, est repeuplée par des populations voisines et devient une place d'armes. Les Etats phéniciens d'Arvad, Gebal, Sidon, qui avaient accueilli le conquérant, conservent leurs rois nationaux, mais ne formeront plus une puissance maritime ni politique importante. Ce rôle de cité commerciale et maritime sera tenu par les villes gréco-égyptienne d'Alexandrie et grécosyriennes d'Antioche et de Séleucie. Au-dessus des roitelets phéniciens, domine une sorte de vice-roi macédonien, chargé de recevoir les tributs et les impôts. Commerçants et marins, Phéniciens et Grecs n'étaient pas des étrangers les uns pour les autres. Les contacts des deux peuples, qui remontent très haut dans le temps, sont poursuivis après l'expansion macédonienne. Concurrents et rivaux sur les mers et dans les ports, leurs occupations identiques créaient entre eux, par-dessus les conflits et les luttes, une mentalité et une civilisation quasi communes. Le joug des Perses, vers la fin de leur domination, avait contribué à rapprocher les Phéniciens et les Grecs. Si Tyr résista à Alexandre, c'est parce qu'il venait en maître; elle avait accepté de reconnaître sa suzeraineté. Réalistes et pratiques, les Phéniciens se rallièrent très vite au Conquérant macédonien. L'Empire universel qu'il fondait ouvrait à leur activité des horizons plus vastes. Les commerçants phéniciens accompagnèrent les 2
F.-M. Abel, op. cit., II, p. 126, 127.
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armées gréco-macédoniennes à travers toutes les régions de l'Asie. Dans l'entourage du Conquérant, en Perse, figurent des Phéniciens, des Syriens, des Egyptiens. «Des marchands phéniciens avaient même suivi la terrible marche d'Alexandre à travers la zone désolée de Gédrosie», dans l'Inde occidentale. b. Sous les successeurs d'Alexandre Après la mort du Conquérant, la Phénicie redevint, avec la Palestine, l'enjeu des luttes entre les généraux macédoniens, notamment les diadoques d'Egypte et de Haute Syrie. En l'espace de quelques années, elle passera, plus d'une fois, des mains des Ptolémées d'Egypte à celles des Séleucides d'Asie, sans manquer même celles des Antigonides de Macédoine. Occupée, en 320, par Ptolémée, la Phénicie, en 318, tombe au pouvoir d'Antigone. Par le partage d'Ipsos, en 301, elle est du lot de Séleucus; mais Ptolémée, qui l'avait réoccupée à cette date, refuse de l'évacuer, et Démétrius, fils d'Antigone, tenait toujours Tyr et Sidon, que Ptolémée reprendra en 283. Seule la cité phénicienne d'Arvad relevait d'Antioche. Ce n'est qu'à partir de 198 que l'ensemble de la Phénicie sera rattaché aux Séleucides. En dépit de ces bouleversements, la Phénicie se relève assez vite, signe de son éternelle vitalité. Tyr elle-même, à peine sortie de ses ruines, semble avoir recouvré sa force et son indépendance. Lorsqu'en 318 Antigone l'attaqua, elle refusa de se soumettre et ne tomba que par trahison, après un siège maritime qui dura treize mois. Cette longue résistance montre que la vieille métropole phénicienne, privée de sa suprématie maritime, avait recouvré sa prospérité, grâce à ses industries et au transit des caravanes. La pourpre et les verreries de Tyr, Sidon, Arvad, étaient toujours célèbres. Mais ces ressources importantes ne purent rendre à la cité tyrienne le rang qu'elle avait jadis acquis, grâce à sa flotte de commerce et de guerre. Aucune autre ville phénicienne ne jouera plus désormais un rôle important dans le domaine maritime. c. Régime politique des cités phéniciennes Sous les royautés hellénistiques, les cités phéniciennes étaient toujours, comme sous Alexandre, gouvernées par leurs rois nationaux. Leur indépendance relative leur permettait de trafiquer de leur influence dans les conflits des monarques d'Egypte et de Syrie et de garder, des deux côtés, des relations commerciales. Elles avaient, en outre, à l'égal des villes grecques ou grécisées, le rang de «cité», c'est-à-dire le droit d'avoir des gouvernements municipaux autonomes, sous l'autorité suzeraine du souverain hellénistique. Ce régime spécial, les cités phéniciennes l'ont conservé pen-
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dant toute la durée des royautés hellénistiques, tant sous la suzeraineté de l'Egypte lagide que sous que celle de la Syrie séleucide. Le territoire phénicien, à cette époque, s'étendait d'Orthosia (Tartous) aux frontières de l'Egypte. Il était partagé entre les cités-Etats suivantes, qui battent monnaie: Arados (Arvad); Orthosia (Tartous); Tripolis; Botrys (Batroun); Byblos (Gebaïl); Barytos (Beyrouth); Sidon (Saïda); Tyr (Sour). Plus au sud, s'égrènent les villes de Ptolémaïs (Akka, Acre), Joppé (Jafa), Ascalon et Gaza. d.
La Phénicie et la route des Indes
L'Empire d'Alexandre, qui avait placé sous une même autorité toutes les régions et toutes les voies commerciales du Proche-Orient, avait ouvert aux Phéniciens des possibilités dont ils ne manquèrent pas de profiter. Des trois routes qui reliaient les Indes et l'Asie centrale à la Méditerranée et à l'Europe, celle qui aboutissait à la côte phénicienne, par l'Euphrate, Palmyre, Damas ou Homs, était négligée au profit des deux autres: celle du Nord, par l'Iran-Anatolie-Détroits, et celle du Sud, par l'Arabie et la Mer Rouge. Le démembrement de l'Empire d'Alexandre mit fin au système de l'économie universelle, inauguré par le Grand Macédonien. La route des Indes, c'est-à-dire le commerce indien et extrême-oriental, dominera désormais la politique des monarchies hellénistiques, notamment celle des Séleucides d'Asie, et les opposera les unes aux autres. Séparée de la route du Nord par les divers Etats d'Asie Mineure, la monarchie séleucide était écartée de la voie méridionale, dont le dernier tronçon (Mer Rouge—Tyr—Gaza ou Alexandrie) était sous le contrôle de l'Egypte. La route centrale aboutissait sur la côte de la Méditerranée orientale: Syrie et Phénicie. Les cités phéniciennes étaient donc un point terminal où aboutissaient partiellement les caravanes venant, soit par la route centrale, soit par la route méridionale. Sous l'hégémonie lagide ou séleucide, la Phénicie drainait une partie importante du trafic et du transit des deux routes des Indes. De là, les guerres syro-égyptiennes, qui opposeront, pendant près de trois quarts de siècle (275—198), les monarchies lagide et séleucide. A l'issue de ces guerres, Phénicie et Palestine passeront sous la suzeraineté des Séleucides. e.
La Phénicie et
l'hellénisme
Depuis les guerres médiques, et particulièrement depuis l'épopée du grand Macédonien, les progrès de l'hellénisme et l'influence de la Grèce n'ont fait que croître en Phénicie, comme d'ailleurs en Asie. Les modes et les usages s'en inspirent. La langue grecque, langue internationale du commerce, de-
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vient bientôt la seconde langue de la côte. Après 300, les Phéniciens avaient déjà choisi des noms purement grecs ou grécisés, pour désigner leurs villes, leurs fleuves, leurs dieux. Sour devient Tyr: Gebal, Byblos; Arvad, Arados; Béryte, Laodicée du Liban; Baalbeck, Héliopolis, etc. Pendant un certain temps, Jérusalem fut appelée Anîioche. Le dieu Melkart sera Héraclès; Eshmoun, Adonis; Ashtart, Astarté; etc. Le pays de Canaan (Liban) devient Phénicie; Aram, Syrie. Le nom grec de Tripolis (trois villes), qui remplace le nom cananéen ou phénicien de Wahlia (p. 157 et 308), lui est resté jusqu'à nos jours. Mais la langue, les usages et coutumes locales, ne disparurent pas pour autant en Phénicie. Le vieux fonds sémitique est demeuré vivace. A l'ère chrétienne, la langue phénicienne, qui avait depuis longtemps disparu des inscriptions, était encore usitée à Byblos et à Tyr.
II. Aperçu historique de l'Empire séleucide (275-64). Rapports avec l'Egypte et Rome
1. Les Séleucides et les Lagides: rivalités et conflits. Les «guerres syriennes» ou syro-égyptiennes (275—198) a. Causes de conflits Si Séleucus a choisi, comme centre de son vaste Empire asiatique, la province périphérique de Haute Syrie, de préférence à la Babylonie plus centrale, c'est que, d'une part, Antioche est plus proche de l'Egypte et de la Grèce, et que, d'autre part, le centre de gravité économique du vieil Orient, depuis la conquête d'Alexandre, s'est déplacé vers la Méditerranée, grâce à l'extension de l'activité maritime dans cette mer. Le rôle des antiques capitales continentales est, en effet, terminé. Memphis, Thèbes, Babylone, Ninive, Suse, Damas, Jérusalem, céderont le pas désormais aux capitales situées le long de la mer: Alexandrie, Antioche, Carthage, Rome. L'Asie antérieure cesse d'être le centre du monde civilisé; l'isthme syro-mésopotamien devient une simple zone de passage terrestre. Le nouvel axe économique de l'Orient traverse, comme jadis, la Méditerranée; mais il gagne désormais les Indes par le canal Nil-Mer Rouge, et non par la Mésopotamie; il pénètre la Mer Noire par les Détroits. Avec Carthage, et avec Rome qui s'oriente à ce moment vers la mer, le monde occidental prend plus d'importance; il détermine, avec l'Extrême-Orient qui surgit lui aussi, un nouvel équilibre. L'Egypte est le point de contact entre l'Occident et le monde asiatique; c'est ce qui explique la prodigieuse prospérité d'Alexandrie. L'Europe occidentale entre dans l'Histoire. L'hégémonie maritime, dans la Méditerranée orientale, appartient à l'Egypte. Cette hégémonie ne peut toutefois s'affirmer et se maintenir que par la possession des ports phéniciens et égéens. C'est pour cette raison que les Lagides d'Alexandrie se sont emparés de Tyr et de Sidon, ainsi que des îles de Chypre et de Délos. Mais les Séleucides d'Antioche, dont la politique d'empire continental a échoué, sont décidés à leur disputer cette hégémonie maritime. En Occident, la suprématie maritime appartient à Carthage; mais elle est contestée par Rome. Ces luttes pour l'hégémonie maritime, entre Antioche et Alexandrie, comme entre Rome et Carthage, expliquent toutes les grandes guerres des Ille et Ile siècles (p. 389—390).
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En 278, Ptolémée II, qui possède déjà la Palestine et la Phénicie, s'installe à Milet, à Chios et à Samos, menaçant les quelques possessions séleucides de la côté égéenne et enfermant l'Empire d'Antioche entre les pinces d'une gigantesque tenaille. En Cilicie, en Lycie, à Rhodes, à Chypre, les deux adversaires s'affrontent. Garder des fenêtres ouvertes sur la Méditerranée et sur l'Egée était, pour le royaume séleucide, affaire de vie ou de mort. Par son expansion maritime à l'Ouest, l'Egypte, puissance de premier ordre, menaçait l'existence même du royaume séleucide. De là une série de conflits épuisants, dénommés «guerres syriennes», qui ne sont, en réalité que la répétition des vieux conflits qui ont constamment opposé les pays du Nil et de l'Euphrate. «Question syrienne» et «question d'Orient» (les Détroits) mettront aux prises, comme par le passé et dans l'avenir, les monarques gréco-macédoniens d'Asie, d'Egypte et d'Europe. Succédant aux luttes qui aboutirent, au bout d'un demi-siècle (323— 275), au partage définitif de l'Empire d'Alexandre, les guerres dites syriennes, qui se prolongeront pendant près de quatre-vingts ans (275—198), épuiseront les monarchies hellénistiques d'Orient, ruineront les populations orientales et prépareront la voie au redressement de l'Iran et à la conquête romaine. En outre, «si la civilisation grecque ne s'implanta pas aussi fermement en Asie qu'elle aurait pu le faire, la faute en retombe sur ces guerres.» 3 b. Première guerre syrienne (275—271) En 315, Ptolémée I, maître de l'Egypte, avait donné asile à Séleucus, gouverneur de Babylone, et, en 312, le rétablit dans sa capitale. Par le partage d'Ipsos (301), la Syrie est attribuée à Séleucus. Mais Ptolémée en occupe la partie méridionale (Phénicie et Palestine) (p. 383). Séleucus, qui devait au roi d'Egypte sa vie et son nouveau royaume, se garde de les revendiquer et remet à plus tard une intervention armée en Syrie-Sud. Antiochus I (281—261), fils et successeur de Séleucus, grand administrateur et constructeur de villes, néglige les provinces d'Asie Mineure, dont les dynastes font défection, pour porter toute son attention sur la Syrie méridionale qu'il entend enlever à Ptolémée II. Il commence par s'allier avec Magas, demi-frère de Ptolémée II, qui gouvernait Cyrène (Libye). En 275, la première guerre syrienne, ou plus exactement syro-égyptienne, éclate et durera jusqu'en 271. Battu, Antiochus abandonne au vainqueur, outre la Phénicie et la Palestine, une grande partie de la côte d'Asie Mineure. Le roi de Pergame, qui, pratiquement indépendant des Séleucides, a déjà formé un puissant royaume en Asie Mineure, inflige à Antiochus une humiliante défaite à Sardes. 3
W. Tarn, La civilisation hellénistique, p. 19.
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c. Deuxième guerre de Syrie (261—247) Antiochus II (261—246), fils du précédent, espère recouvrer du prestige en vengeant les défaites de son père et en conquérant la Syrie-Sud. Dès son avènement, il déclenche les hostilités contre l'Egypte. Cette seconde guerre de Syrie traînera en longueur, parce que le Séleucide est obligé d'employer son armée ailleurs. En 250, en effet, Diodote, vice-roi de Bactriane, en Iran, s'émancipe des Séleucides et se proclame roi (p. 392). En 249, la Parthie et l'Hyrcanie, foyers d'agitation des disciples de Zoroastre, se révoltent à leur tour. Battu sur mer par l'Egypte, Antiochus réussit cependant à obtenir de cette dernière une paix relativement avantageuse. La Phénicie jusqu'à Béryte, la Cilicie, une partie de la côte d'Asie Mineure sont abandonnées au roi d'Antioche. D'autre part, Ptolémée, qui prépare vraisemblablement à son profit une union future de l'Egypte et de la Syrie jusqu'à l'Euphrate, donne en mariage à Antiochus sa fille Bérénice, avec, comme dot, la SyrieSud (247). Ces conditions généreuses octroyées par le Lagide n'étaient pas pour plaire à Laodice, cousine et première épouse d'Antiochus, qui, répudiée et retirée à Ephèse, y ruminait sa vengeance. En 246, Antiochus II est empoisonné et Bérénice et ses enfants, massacrés. d. Troisième guerre de Syrie (245—241) Le sang répandu par la vengeance implacable de la reine répudiée est la cause de la troisième guerre de Syrie, justement dénommée, par les historiens, «la guerre de Laodice». Les deux adversaires sont Séleucus II (246-223), fils de celle-ci, et Ptolémée III. A la tête d'un corps expéditionnaire concentré à Chypre, le roi d'Egypte débarque par surprise à Séleucie, s'empare d'Antioche et atteint même le Tigre (245). Mais des troubles en Egypte l'obligent à rentrer précipitamment dans sa capitale. Reprenant courage, soutenu par des villes grecques d'Asie Mineure, par Rhodes et par les rois du Pont et de Macédoine, Séleucus II réoccupe la Haute Syrie et pénètre en Coelé-Syrie, où il est cependant arrêté. En 241, une paix temporaire réconcilie les deux adversaires. Ptolémée III récupère quelques places sur les côtes d'Asie Mineure et conserve, en plus de la Coelé-Syrie et de la Cilicie, la cité-port de Séleucie qu'il avait occupée au début des hostilités. En 225, Antiochus, frère cadet de Séleucus II, se révolte. Fort de sa qualité de gendre du roi de Bythinie, confiant en la valeur de ses mercenaires gaulois et soutenu par Mithridate, roi du Pont, il défait Séleucus à Ancyre (Angora). L'Empire séleucide est partagé entre les deux frères;
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Antiochus reçoit l'Asie Mineure, au nord du Taurus; mais il est dépouillé de ses possessions par Attale, roi de Pergame, et meurt obscurément. Séleucus II est tué au cours d'une expédition contre Pergame (223), et son successeur, Séleucus III, disparaît au cours de la même année. e. Antiochus le Grand restaure l'Empire Antiochus III (223—187), dit le Grand, frère et successeur de Séleucus III, hérite d'un royaume amoindri et presque isolé. L'Egypte lui ferme la mer. Mais avant de l'attaquer, il doit régler de graves problèmes internes. De nombreux gouverneurs, dont deux frères du monarque, s'arrogent des droits souverains en Asie Mineure, Médie et Perse. /. Quatrième guerre syrienne (219—217) Sans perdre de temps, Antiochus, qui a terminé ses préparatifs, se rend, en 221, en Iran, d'où il procède à la pacification et à la réorganisation des provinces orientales. Se retournant ensuite contre l'Egypte, il entre vainqueur à Tyr et à Acre (220). Mais à Raphia (217), il est obligé de s'incliner devant Ptolémée IV, qui arrive à sa rencontre avec des forces supérieures composées d'éléments égyptiens indigènes. La Phénicie et la Palestine restent à l'Egypte. En 214, Antiochus rétablit son autorité sur ses possessions d'Asie Mineure. De 212 à 204, il parcourt, à la tête de 100.000 fantassins et 20.000 cavaliers, les régions de son vaste Empire. Poussant jusqu'à l'Inde, il conclut, avec les princes indigènes, des conventions d'amitié (206). g. Cinquième guerre syrienne (200—198). Conquête de la Phénicie et de la Palestine par Antiochus III Les problèmes intérieurs étant réglés, l'apparente tranquillité des provinces de l'Empire permet à Antiochus de reprendre les campagnes contre l'Egypte, pour venger la défaite de Raphia. Alexandrie, qui dominait la Méditerranée orientale, était l'alliée de Rome, maîtresse de la Méditerranée centrale. Contre ce bloc égypto-romain, Antiochus prépare, avec Carthage, maîtresse de l'Occident, et avec la Macédoine, une coalition tripartite. L'opposition des deux «axes» annonce une conflagration mondiale, une guerre générale entre les grandes puissances de l'époque. Philippe V de Macédoine, qui convoite l'Egée, se prépare à refouler l'Egypte de cette mer. Ptolémée V, un enfant de cinq ans, demande à Rome et à Pergame de l'aider. Mais Rome, absorbée par ses luttes contre la Macédoine et contre Carthage, hésite à répondre à l'appel de l'Egypte. Quant à Pergame, elle est immobilisée par la crainte d'une intervention macédonienne.
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Profitant de ces circonstances, Antiochus III, en 200, envahit le royaume de Pergame dont le roi était l'agent de Rome. Se tournant ensuite vers le Sud, il entame la cinquième guerre syrienne, qui se termine, en 198, par la défaite de l'Egypte et la conquête de la Phénicie et de la Syrie. L'ancien Empire achéménide est reconstitué par le roi d'Antioche; il s'étend de la Méditerranée et de l'Egée jusqu'aux Indes, et tient toutes les côtes maritimes depuis les frontières égyptiennes jusqu'aux Dardanelles. h. La Grande Syrie séleucide Après la "conquête de la Phénicie et de la Coelé-Syrie, la Grande Syrie est unifiée sous le sceptre des rois grecs d'Antioche. «La division de la grande stratégie syrienne ne paraît pas avoir été uniforme, car, encore plus que sous Séleucus II en 244, elle comprenait des rois, des dynastes, des cités et des nations.»4 On y dénombre les grandes divisions suivantes: Séleucide ou Haute Syrie: Elle comprend quatre provinces: Antiochide, Séleucide en Piérie, Laodicène-sur-mer, Apamée sur l'Oronte. Cette dernière englobait l'ancienne province de Hamath jusqu'au désert. Coelé-Syrie: En font partie la Coelé-Syrie proprement dite (Békâ actuelle), entre Liban et Anti-Liban, et le territoire de Damas. Viennent ensuite: Galaatide (nord de la Transjordanie); Samaritide; Judée; Idumée, plus au sud; Paralia (ancienne Philistie), zone côtière; et enfin la Phénicie. Sauf cette dernière, gouvernée par ses rois nationaux, toutes ces provinces sont administrées par des hyparques grecs.
2. L'Empire séleucide et la puissance romaine. Rivalité et conflit armé. Défaite d'Antiochus III a. Germes de conflit La victoire d'Antiochus III sur l'Egypte, son extension en Asie et son entente avec la Macédoine inquiètent Rome. Celle-ci, craignant une coalition, contre elle, de l'Asie séleucide et de la Grèce, encourage l'Egypte, Pergame, Rhodes et Athènes. Affermie par sa victoire de Zama (202) contre le célèbre général carthaginois Hannibal, Rome bat la Macédoine et s'approprie sa flotte (197). Ayant commis l'erreur de ne pas être intervenu contre Rome pendant qu'elle luttait contre la Macédoine, Antiochus se trouve maintenant tout seul en face d'une grande puissance militaire, devenue, par surcroît, après sa victoire contre Carthage et la Macédoine, une grande puissance navale, maîtresse du bassin central et occidental de la Méditerranée. 4
Abel, op. cit., II, p. 133.
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Le grand duel, entre le continent asiatique et l'Occident européen, entre la terre et la mer, va de nouveau reprendre. Dans ce conflit, qui n'est que la répétition des guerres médiques ou gréco-perses, l'Asie sera, cette fois, représentée par le roi grec d'Antioche, tandis que l'Europe et la mer auront Rome pour champion. Une nouvelle guerre de Troie, déclenchée par les Romains, les portera, mille ans après les Achéens, vers Byzance et les Détroits (p. 122). Maître du golfe Persique, par la Babylonie, et de la Mer Rouge, par la Palestine, Antiochus, qui avait besoin de Byzance et des Détroits pour dominer la Mer Noire, s'installe, en 196, sur l'Hellespont (Dardanelles). Ayant soumis les cités grecques d'Italie ou Grande Grèce, comme elle avait jadis soumis les cités italiotes, Rome, qui venait de neutraliser Carthage, désire maintenant étendre son hégémonie sur la péninsule hellénique, plongée dans l'anarchie depuis la défaite de la Macédoine. b. Antiochus en Thrace et à Byzance (195) Antiochus, qui venait d'accueillir à sa cour Hannibal vaincu et fugitif, cherche à restaurer, à son profit, l'unité du monde gréco-égéen. A cet effet, il franchit l'Hellespont et pousse jusqu'en Thrace. Rome, qui surveille son activité, le somme de ne pas attenter à la liberté des cités helléniques. Mais les Grecs eux-mêmes étaient indifférents à la querelle dont leur pays était l'objet. Les riches en voulaient aux Romains, qui, avant d'évacuer la Grèce, avaient établi un régime de protectorat qui restreignait la liberté de leurs cités. Quant aux «pauvres, qui rêvaient de réformes sociales, (ils) ne pouvaient avoir de gratitude envers une puissance qui n'avait rien tenté pour soulager leur infortune.» 5 En 195, Antiochus, qui vient de faire sa paix avec Ptolémée V, auquel il donna en mariage sa fille Cléopâtre I, occupe Byzance. Smyrne, attaquée, réclame le secours de Rome, qui envoie trois légats chargés d'écouter les doléances contre le monarque syrien. En 192, les Etoliens de Grèce demandent à Antiochus de les délivrer du joug romain; il répond à leur appel et la guerre éclate. c. Défaite d'Antiochus à Korykos et à Magnésie (190) Hannibal, réfugié auprès d'Antiochus, conseille d'attaquer les Romains dans leur propre pays et propose une alliance offensive avec Carthage. Mais les généraux gréco-syriens, effrayés d'un plan aussi audacieux, le repoussent. D'autre part, Antiochus, au lieu de pénétrer en Grèce, vide encore de Romains, s'attarde devant Smyrne et recule devant les difficul6
R. Coken, op. cit., p. 631, 632.
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tés d'une mobilisation générale. Lorsque, quelque temps après, il débarque en Achaïe avec dix mille fantassins, cinq cents cavaliers et six éléphants, et que Rome, de son côté, envoie 22.000 Romains, le choix des Grecs était fait entre les deux adversaires. L'initiative passe aux Romains, auxquels se rallient les Grecs. La flotte syrienne est détruite à Korykos (190), et Antiochus est refoulé de l'Hellespont par les Romains aidés des Macédoniens. Repassant en Asie, Antiochus y réunit 70.000 guerriers et attend les envahisseurs au nombre de 30.000. En 189, le Séleucide, qui essuie à l'est de Magnésie (Lydie) une écrasante défaite, se retire à Apamée (Asie Mineure) et met fin à la guerre. d.
La paix d'A pâmée
(188)
La paix d'Apamée est désastreuse pour la monarchie séleucide. Outre le paiement d'une indemnité de guerre considérable, le roi d'Antioche donne vingt otages, dont le prince héritier, remet sa flotte aux Romains, évacue toute l'Asie au-delà du Taurus et s'engage à livrer Hannibal. Mais ce dernier avait déjà pris la fuite vers un asile plus sûr. L'Egypte, comme les cités grecques, passe dans la sphère d'influence de Rome. L'Empire d'Antiochus, qui demeure encore immense, ne se relèvera plus de ce choc qui, en le coupant de ses voies d'accès à l'Occident, le laisse dans un équilibre instable. Rome victorieuse plane au-dessus des immenses territoires qu'elle vient de libérer. En Grèce d'Europe, dont elle méprise les minuscules cités, elle accroît les possessions de ses alliés au détriment de ceux qui lui étaient hostiles. Toutefois, traitant durement et dédaigneusement les uns et les autres, elle provoque contre elle, en Grèce, une hostilité unanime. Les Grecs lui reprochent sa politique «pleine d'hypocrisie et de brutalité». e. Rome et l'Empire séleucide après
Apamée
En Asie, comme en Grèce, Rome n'entendait pas s'emparer de territoires. Elle accroît les territoires de ses alliés, particulièrement d'Eumène, roi de Pergame, dont le royaume devient le plus important en Asie Mineure. Les possessions de Rhodes ont quadruplé; quant aux villes grecques d'Asie Mineure, elles sont déclarées libres. L'Empire séleucide, après le traité d'Apamée, était encore bien vaste. Il comprenait la Syrie, la Phénicie, la Palestine, la Cilicie, la Mésopotamie et la plupart des provinces de l'Iran. Seule, la Parthie, profitant du désastre de Magnésie, avait, comme jadis la Bactriane, proclamé son indépendance. Réalisé par Alexandre le Grand et repris par ses successeurs séleucides, le grand dessein des rois achéménides, qui tendait à constituer un
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grand Empire orienté à la fois vers la Méditerranée et l'Extrême-Orient, a définitivement échoué avec la défaite d'Antiochus le Grand. Depuis la paix d'Apamée (188), Rome, qui domine désormais l'économie méditerranéenne et les routes maritimes, se lance dans une politique orientale brutalement impérialiste. Après la destruction de Carthage (146), la guerre sera, pour les Romains, une source de bénéfices, une entreprise financière, dirigée par les banquiers et les financiers de la cité romaine. L'asservissement des peuples orientaux et l'exploitation des richesses de l'Orient continueront, comme par le passé, sous d'autres formes et au bénéfice de nouveaux maîtres. 3. Désagrégation et ruine de l'Empire séleucide. Révolte des Juifs et querelles dynastiques a. Déclin de l'Empire séleucide Pressé par le besoin de payer l'indemnité de guerre aux Romains, Séleucus IV (187—175), fils et successeur d'Antiochus III, multiplie les impôts, mécontente ses sujets et périt assassiné par son ministre. Son frère et successeur, Antiochus IV Epiphane (175—164), est un souverain remarquable et populaire, qui réorganise son royaume et lui donne une grande puissance. En 169, il envahit l'Egypte et s'impose protecteur de Ptolémée VI. En réaction, les Alexandrins, encouragés par Rome, proclament roi Ptolémée VII, frère cadet du protégé d'Antiochus. Furieux, ce dernier revient en Egypte et assiège Alexandrie. Brutalement sommé, par un ambassadeur romain, de quitter l'Egypte, le roi de Syrie s'exécute et rentre dans son pays. Après l'échec humiliant d'Antiochus en Egypte, l'Empire séleucide commence à se désagréger, pour retourner «aux espaces nationaux naturels: Iran, Afghanistan, Syrie du Nord», Phénicie, Palestine. Les successeurs d'Antiochus IV assisteront impuissants «à cette dissolution du grand empire bigarré, aggloméré par les Achéménides, mais qui, par une pente naturelle, tend à revenir à ses divisions géographiques normales»6. Le court et bienfaisant règne d'Antiochus IV est troublé par deux événements qui précipiteront la désagrégation et la ruine de l'Empire: la guerre contre les Juifs et les querelles dynastiques. b. Révolte des Juifs (164) Sous les royautés hellénistiques, les Juifs, qui continuent à former un ' De Laplante, op. cit., I, p. 150.
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monde à part, furent la seule race à résister à l'empreinte de l'hellénisme. La Judée, qui subit avec résignation la domination des Ptolémées d'Egypte, ne s'accommoda guère de la domination des Séleucides de Syrie. Fidèles à leur politique habituelle, les Séleucides, qui n'aiment pas intervenir dans les questions religieuses de leurs sujets, n'avaient porté aucune atteinte à la religion juive. Ce furent les Juifs hellénisants qui, par une querelle intestine, provoquèrent la première intervention des autorités gréco-séleucides. Antiochus IV, humilié par les Romains qui venaient de l'expulser de la Vallée du Nil, se rend à Jérusalem où, pendant son absence en Egypte, le parti des hellénisants avait été renversé. Encouragé par la désunion des Juifs et talonné par le besoin d'argent, le roi d'Antioche se fait conduire au Temple et s'empare d'une partie du trésor sacré. En outre, pour résister contre l'ombre menaçante de Rome, il veut consolider son Empire en unifiant ses peuples par la civilisation et la religion helléniques. A la suite d'une émeute où des milliers de Juifs furent tués, un gouverneur militaire est installé à Sion et une citadelle grecque, l'A kra, est bâtie et tenue par une solide garnison. La pratique de la religion juive est interdite et l'idole de Zeus olympien, sous les traits d'Antiochus lui-même, est érigée dans le Temple de Jérusalem. Cette politique maladroite provoque, chez les Juifs, une levée en masse qui prend le caractère d'une réaction nationale et groupe, contre les Grecs, tous les éléments de la nation persécutée. L'idéal du Juif, même hellénisé, et celui du Grec procèdent de deux cultures antagonistes (I, p. 130—131). «Tous deux désiraient la liberté politique, mais, pour le Grec, la liberté était une fin qui s'exprimait dans une communauté libre à gouvernement indépendant, faisant sa propre loi et adorant les dieux qu'il lui plaisait; pour le Juif, c'était un moyen qui empêchait qu'on troublât sa dévotion à une Loi divine que l'homme ne pouvait modifier, et à un Dieu, à côté de Qui il n'y avait pas d'autre objet de vénération.»7 La révolte trouva ses chefs dans la famille des Macchabées. Occupé sur l'Euphrate dans une guerre contre les Parthes, Antiochus IV ne put opposer toutes ses forces à l'insurrection. Le gouverneur grec fut vaincu et tué; quatre armées gréco-syriennes eurent le même sort. Judas Macchabée (166—160) rentre dans Jérusalem et purifie le Temple, en le réaffectant au culte du vrai Dieu (164). En 163, Antiochus V (164—162) reprend Jérusalem et la démantèle; en 160, son successeur, Démétrius I (162—150), bat Judas Macchabée et réduit la révolte.
7
W. Tarn, op. crit., p. 206.
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c. Querelles dynastiques Depuis la mort d'Antiochus IV, l'Empire séleucide s'acheminait vers la désagrégation. Sous Antiochus V, homme jeune et faible, Rome obtint la destruction de la flotte de guerre syrienne. En 150, Alexandre Balas (150—145), qui prétendait être fils d'Antiochus IV, envahit la Syrie. Se proclamant roi, il est appuyé et reconnu par Rome et l'Egypte. Ptolémée VI, qui convoite la Syrie, donne à Balas sa fille Cléopâtre. Un autre Séleucide, Démétrius II (146—125), dispute le trône à Balas. Rompant avec ce dernier, Ptolémée VI occupe la côte syrienne et, reprenant sa fille Cléopâtre, il la donne à Démétrius II. Balas est vaincu et tué (145). Les excès commis par les troupes mercenaires de Démétrius II provoquent contre lui une violente opposition. Antiochus VI (144—142), fils de Balas, est désigné, puis assassiné par un général de son père, qui prend le pouvoir sous le nom de Tryphon (142—139). La Syrie avait deux rois: Tryphon et Démétrius. Celui-ci, parti pour l'Asie, laisse la régence à sa femme Cléopâtre. En 139, Antiochus VII (139—129), frère de Démétrius, qui a été capturé par les Parthes, vient de Rhodes, épouse Cléopâtre et se débarrasse de Tryphon. Antiochus VII est le dernier des grands monarques séleucides. Il renforce son royaume, soumet la Judée, reprend la Mésopotamie et chasse les Parthes de Médie. Mais ces guerres, la révolte juive, et les querelles dynastiques avaient épuisé les forces des Séleucides, en même temps que leurs ressources financières et militaires. d. Indépendance de la Judée (142) En 147, Jonathas Macchabée (160—143), frère de Juda, pratiquement indépendant, s'empare de Jafa. Son frère Simon (143—135), allié et protégé de Rome, est reconnu, par le souverain séleucide, comme grand prêtre héréditaire et prince des Juifs. Il obtient, en 142, le départ de la garnison gréco-syrienne qui occupait la citadelle de Jérusalem, et fonde la dynastie des Asmonéens, qui finira avec l'avènement d'Hérode le Grand, en 40 avant J.-C. e. Les Parthes occupent la Mésopotamie (129) En 129, les Parthes, remués par une invasion de Nordiques barbares qui déferlent sur les provinces orientales de l'Iran, pénètrent en Mésopotamie. Ils enlèvent Séleucie sur le Tigre et en font leur capitale. Surpris dans ses quartiers d'hiver, Antiochus VII est pris et tué (129). Libéré par le roi des Parthes, dont il avait épousé la fille, Démétrius II rentre en possession de son royaume réduit à la Syrie-Nord. Il reprend
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son ancienne femme Cléopâtre, veuve d'Antiochus VII, mais disparaît rapidement (125). Son fils aîné, qu'il avait eu de Cléopâtre, s'empare du trône; mais il est empoisonné par sa mère, qui entendait exercer seule le pouvoir. Cléopâtre s'adjoint, comme roi, son fils Grypos, qui s'empresse de l'empoisonner. f . Extension du royaume de Judée En Judée, le grand prêtre Jean Hyrcan (135—104), qui a succédé à son père Simon, se lance dans une politique d'extension et entreprend de reconstituer le royaume de David. Les fortifications de Jérusalem sont reconstruites; Edom, Sichem, Samarie et une partie de la Transjordanie sont conquises. Ce prêtre-roi entreprenant réussit à gagner l'alliance de Rome. Après sa mort (104), ses deux fils, Hyrcan et Aristobule, se feront la guerre pendant vingt ans. g. Agonie de l'Empire séleucide (120—83) Les roitelets séleucides, des prétendants et des aventuriers, continuent à se déchirer dans la Syrie morcelée, qui se trouve ramenée au temps qui précédait la conquête assyrienne. Abandonnées à elles-mêmes, les grandes cités se donnent à de petits tyrans qui les défendent contre les incursions. Des chefs arabes se taillent des principautés là où il leur plaisait: les Ituréens, venus du sud-est syrien, s'établissent à l'est du Liban, et les Nabatéens de Pétra (Transjordanie) soumettent Damas (85). La Judée est indépendante sous ses rois nationaux. h. Fin du royaume gréco-syrien des Séleucides (83) En 83, Tigrane, roi d'une Arménie unifiée, soumet une grande partie de la Syrie et met fin à la domination séleucide. Mais l'hégémonie arménienne disparaît lorsque le général romain Lucullus, pénétrant en Arménie, renverse Tigrane (66). Sous Antiochus XIII (66—64), instauré par Lucullus, la Syrie est la proie d'une anarchie indescriptible. i. La Syrie, province romaine (64) C'est comme des sauveurs que les Romains vont apparaître dans cette contrée, pour y rétablir l'ordre et relever les Grecs défaillants. En 64, «Pompée descendit en Syrie, dit Plutarque, et comme elle n'avait pas de roi légitime, il en fit une province romaine». En 63, Jérusalem se donne au nouveau conquérant. j. L'œuvre politique des rois séleucides Agglomérat de races et de pays divers groupés par une dynastie et une
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classe dirigeante étrangères, l'Empire séleucide est une construction nécessairement fragile. Ne disposant ni de la Macédoine, ni de la péninsule grecque, pour y puiser de nouveaux et continuels renforts, cette formation politique artificielle, épuisée par des guerres continuelles, devait fatalement se désagréger pour «revenir à ses divisions géographiques normales», «aux espaces nationaux naturels». Loin de s'étonner de la décomposition et de l'effondrement de cet Empire, on doit, au contraire, admirer que les rois séleucides aient su, en dépit des conditions défavorables, organiser des territoires aussi vastes et aussi disparates et les garder, sous leur autorité, pendant plus de deux siècles.
III. L'Empire séleucide et l'hellénisation de l'Asie
1. Les civilisations hellénistiques en général a. Diffusion de la civilisation hellénistique en Orient Après la conquête du Proche-Orient par les Gréco-Macédoniens, Athènes cessa d'être la capitale intellectuelle de la Grèce. Alexandrie, Antioche, Sidon, Tarse, Ephèse, Pergame, Rhodes, héritèrent de son lustre. Mais c'est surtout Alexandrie, la ville où se concentra particulièrement la vie hellénique, qui prendra, dans le monde gréco-oriental, un rang primordial qu'elle gardera pendant plusieurs siècles. Le rôle des civilisations hellénistiques, issues de la civilisation grecque, fut capital dans l'histoire de l'humanité. C'est par elles que Rome connut la Grèce antique. En Orient, à partir de 300 avant J.-C., tout est grec d'apparence. En Phénicie, Syrie, Egypte, l'hellénisme cherche à transformer l'art local; il franchit les déserts et pénètre dans les Indes. Les grands Etats sont grecs par leurs institutions. L'industrie, le commerce, restent aux mains des Grecs. Poètes, historiens, philosophes, mathématiciens, même d'origine «barbare», jugent bon de parler et d'écrire en grec. Même après la conquête romaine, bien que la puissance matérielle des Hellènes soit brisée, leur hégémonie spirituelle se prolongera encore. Ils enveloppent d'une atmosphère grecque le monde proche-oriental. b. La cité, fondement de l'Etat hellénistique Pour helléniser le Proche-Orient, gouverner ses vastes Etats et réaliser la fusion de ses races diverses, Alexandre avait projeté la coopération des divers éléments de son Empire. Différent du plan d'Alexandre, celui de ses successeurs était de faire de la race gréco-macédonienne la race dominante. Pour asseoir cette domination étrangère, les royautés hellénistiques, et particulièrement la monarchie asiatique des Séleucides, fondent leurs Etats sur un vaste réseau de cités et de colonies plus ou moins grecques. La cité hellénique leur paraissait offrir la seule base d'un Etat stable, parmi la multitude des indigènes orientaux. c. Caractère de la cité hellénistique Le terme de cité, dans la théorie grecque, ne s'applique pas à toutes les
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villes, si grandes soient-elles. Une agglomération humaine n'était une «cité» que si elle possédait un gouvernement municipal autonome et certains organismes de vie corporative. Les rouages essentiels étaient les suivants: les citoyens, divisés en tribus; un conseil choisi par ces tribus; des magistrats responsables, élus ou tirés au sort; des terres; des lois, des finances municipales; et, généralement, un mur d'enceinte. Un groupe d'habitations, qui ne possédait pas ces signes distinctifs, était un village, quelle que soit sa dimension. Pour les Grecs, Babylone, Memphis, Jérusalem, qui n'avaient pas ces caractéristiques, n'étaient, à proprement parler, que des villages. Par contre, les villes phéniciennes, dont l'organisation répondait à ces conditions, recevaient le titre de «cité». A côté de la cité, d'autres formes intermédiaires surgirent: les colonies, communautés à organisation citadine et quasi autonome, habitées par des colons et immigrés grecs. L'appauvrissement de la Grèce d'Europe et l'extension de l'hégémonie hellénique en Proche-Orient avaient provoqué un véritable exode de populations grecques vers les pays de l'Est. Aux vétérans de l'armée et aux colons de Grèce, on adjoignit des indigènes. La langue officielle et des affaires fut le grec, et les dialectes indigènes furent refoulés dans les campagnes. Les noms macédoniens et dynastiques, donnés à une ville indigène, indiquaient que celle-ci était transformée en cité, transformation qui s'opérait par étapes. Le droit de cité hellénique sera accordé progressivement à beaucoup de non-Grecs. d. Milieu social, économique et culturel Les habitants des campagnes et des régions agricoles ne comptent pas au point de vue politique. Ce sont partout des paysans et des cultivateurs indigènes qui, sous toutes les dominations, ont toujours peu évolué. Leur condition n'est pas quasi servile, comme en Egypte, mais celle de serfs achetés et vendus avec la terre. Les Séleucides avaient conservé la coutume, immémoriale en Orient, de prendre un dixième de la récolte; ils partageaient les pertes du paysan quand l'année était mauvaise. Aussi, dans l'ensemble, les ressources foncières des Séleucides étaient-elles inférieures à celles que les Lagides tiraient de l'Egypte. Dans les villes, où une aristocratie de richesse et un corps de fonctionnaires tiennent le premier rang, l'élément populaire forme une masse anonyme et sans droits politiques. Une multitude d'affranchis, de gens de métiers, d'esclaves, vivent dans la dépendance des riches et des fonctionnaires. Une foule confuse d'individus hétérogènes, de conditions et de professions diverses, constitue une classe moyenne, incapable d'une action concertée et continue. Une classe cultivée et restreinte recherche l'élégance, la finesse de l'esprit, la culture intellectuelle, littéraire et scientifique.
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Un langage et une éducation commune, aidés par l'internationalisation du commerce, propagent la littérature, la science et la philosophie grecques. La liberté de pensée est entière. La nationalité et la haine de race disparaissent à l'arrière-plan. Mais si l'esprit grec joue un rôle prépondérant, la contribution des non-Grecs à la culture hellénistique n'est pas absente. e.
Vie
intellectuelle
L'époque hellénistique n'a que faiblement enrichi le patrimoine poétique de la Grèce; mais elle a accompli dans la littérature savante une œuvre considérable. La critique philosophique et littéraire, la grammaire, l'histoire et la géographie ont fait de sérieux progrès. La période hellénistique vit naître les deux grandes sectes philosophiques: le Stoïcisme et l'Epicurisme. La science hellénistique a apporté une contribution importante à l'ensemble des connaissances que la Grèce a léguées aux civilisations postérieures. Les productions admirables léguées par l'art grec antérieur favorisaient les imitations. Pourtant, l'invention, dans l'ensemble des œuvres de ce temps, se manifeste par un grand nombre de productions d'art: architecture, sculpture, peinture, etc. f . Parallèle avec la société
moderne
La société hellénistique a connu une civilisation, une liberté de pensée et des problèmes sociaux, qui préfigurent grandement ceux des temps modernes. «La ressemblance de cette société avec la nôtre est, à première vue, saisissante; même complexité d'Etats, grands et petits, aux formes politiques différentes, les unes plus avancées que les autres, mais à l'intérieur d'une commune civilisation . . . Ainsi l'éternelle préoccupation des prix et des salaires, le socialisme et le communisme, la grève et la révolution, le développement des idées d'humanité et de fraternité entremêlées de querelles violentes; l'émancipation de la femme et la restriction de la population; les questions de franchise et (peut-être) de représentation; l'émigration du prolétariat; une science exacte juxtaposée à une superstition grossière; une vaste littérature, souvent compétente, qui embrasse tous les domaines de l'activité humaine, mais ne produit plus d'écrivains comparables aux grands noms du passé; l'expansion de l'instruction d'où résulte une masse de demi-éduqués;.. . Mais ces parallèles ne doivent pas être poussés trop loin . . . Par exemple, une grève égyptienne et une grève moderne, le communisme stoïcien et le communisme moderne ne se ressemblent que de loin. Et, au
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fond, gisaient deux différences radicales et cruciales; le monde hellénistique était vide de machines et plein d'esclaves . . . Trop souvent, les aspirations vers la liberté et la fraternité, et même les véritables révolutions, entraînent un sentiment d'irréalité, quand on se souvient qu'une grande partie de la population était, pour la masse, exclue de leur objet.» 8 g. Régime politique des royautés
hellénistiques
Les royautés hellénistiques «étaient toutes des monarchies militaires, fondées sur le pouvoir absolu d'un seul homme. Dans chacune d'elles domine une volonté souveraine. A la tête de l'Etat, plus de magistrats élus, mais un maître héréditaire, servi par ceux qu'il choisit lui-même; et, par conséquent, plus de citoyens, mais des sujets . . . Donc, plus de vie politique à proprement parler; ce qui en subsiste çà et là, par exception, ne dépasse guère l'horizon municipal; médiocres querelles intérieures à propos de petits intérêts . . . C'était dans l'armée que résidait la force de l'Etat. Et ces armées, entretenues et soldées par le trésor royal, étaient. . . entièrement dans la main du roi. Pour alimenter son trésor, il fallait que toutes les ressources du pays fussent à sa discrétion . . . Celles de ces monarchies qui étaient proprement orientales, la monarchie des Séleucides, celle des Lagides, héritières des traditions de l'Asie et de l'Egypte, ne conféraient pas seulement à leurs représentants la puissance militaire et politique; elles en faisaient des dieux. Aux religions nationales et à celles de la Grèce, s'ajoutait la religion du roi. Celui-ci devenait pour ses sujets l'objet d'un culte. Une majesté divine enveloppait sa personne. C'était trop peu pour lui que d'imposer à tous l'obéissance, il lui fallait encore l'adoration. Jusque-là confinés en Orient, ces sentiments pénétrèrent alors dans le monde grec, et la consécration qu'ils y reçurent leur valut de se faire accepter plus tard du monde romain. Ces rois de l'époque hellénistique sont tous, à l'imitation d'Alexandre, des fondateurs de villes . . . A ces villes, ils donnent souvent des noms qui rappellent leurs propres noms ou ceux des membres de leurs familles . . . Ces capitales deviennent des foyers renommés de culture. . . Des bibliothèques (sont fondées, où les souverains rassemblent) des manuscrits, achetés souvent à grands frais . . . Le plus frappant est l'effacement de l'élément populaire. Le peuple, qui était presque tout dans les républiques grecques, n'est plus rien dans les royaumes hellénistiques. Les habitants des campagnes... ne comptent plus au point de vue politique; ils deviennent d'ailleurs de moins en moins nombreux, car la vie urbaine exerce autour d'elle une attraction puissante.»9 8 9
W. Tarn, La civilisation hellénistique, p. 9 et 10. M. Croiset, La civilisation de la Grèce antique, p. 258, 259, 261.
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2. La royauté séleucide L'Empire séleucide comprenait la Syrie, la Phénicie, la Palestine, la Mésopotamie, l'Iran occidental, et, nominalement, quelques régions d'Asie Mineure. Ce complexe de pays et de races groupés ensemble par une dynastie étrangère qui gardera sa langue, sa culture et ses usages propres, ne formera jamais un Etat organique. a. Monarchie absolue de caractère divin Successeurs d'Alexandre et, par droit de conquête, du Roi des Rois, les rois séleucides sont des chefs légitimes, tant pour leurs sujets hellènes que pour les autres habitants de l'Empire. Assimilés à des divinités auxquelles on rend un culte ou des honneurs, leur autorité, aux yeux des indigènes, est d'essence divine. Mais le sens religieux, à leur époque, semble être en baisse dans l'Asie antérieure; aussi, leur qualité de dieux ou de vicaires des divinités ne fut-elle pas un facteur essentiel de leur puissance. Héritière de la tradition asiatique, la monarchie séleucide était absolue; le pouvoir du roi n'est limité par aucune assemblée. Appointés par le roi, les nobles n'étaient que des fonctionnaires. Adoptant les méthodes et le style orientaux et asiatiques, la cour séleucide ne conserve, comme éléments grecs, que le langage et les costumes d'intérieur. Héritée de la Perse achéménide, cette forme de monarchie passera, par les Séleucides et les Sassanides, à la Rome de Dioclétien et à Byzance. b. Armée, flotte, administration L'armée et la flotte séleucides n'étaient guère redoutables. L'armée, formée en grande partie d'Asiatiques, est une sorte de milice et les officiers, des propriétaires terriens. Imparfaitement centralisée, la monarchie séleucide comprenait, à côté de la cour et de ses services, ceux de l'administration régionale, hérités du régime achéménide. Comme sous les Perses, la satrapie est une entité administrative, possédant sa capitale et ses services, sous la haute autorité d'une sorte de vice-roi ou stratège; ce dernier concentre entre ses mains les pouvoirs administratifs, judiciaires, financiers et militaires; il est assisté d'un trésorier et d'un grand prêtre. Un statut spécial réglemente le domaine royal et ceux des temples et des cités grecques. Le domaine royal, qui comprend l'ensemble des terres conquises, est laissé aux indigènes contre des redevances. c. Les cités séleucides La monarchie séleucide s'appuyait sur les agglomérations citadines, d'où
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la fondation d'une multitude de cités grecques ou grécisées, qui dominent les régions environnantes. Toutefois, dans ces cités, l'élément indigène est souvent prépondérant en nombre. Le développement du trafic maritime fait passer au premier plan le rôle de la route commerciale qui mène du golfe Persique à la Méditerranée. Les villes d'Asie Mineure perdent de leur importance, au profit de celles de Syrie-Mésopotamie. Des dizaines d'Antioches, de Séleucies, de Laodicées, dont plusieurs d'entre elles n'étaient que des bourgades, sont semées entre l'Oronte et le Tigre. Antioche de l'Oronte, première capitale de l'Empire, est un nœud de routes. Elle avait quatre quartiers distincts, dont un seul réservé aux Grecs. Jouissant de grands privilèges, elle comptait 100.000 habitants environ et était réputée comme une ville de luxe et de plaisir. Séleucie de Piérie, débouché d'Antioche, est l'un des ports les plus importants de l'Empire. Jouissant de grands privilèges, elle comptait 6.000 habitants environ. Plus au sud, Laodicée (Lataquié), du nom de Laodice, mère de Séleucus I, est aussi un bon port. Apamée sur l'Oronte est une forteresse, un entrepôt et un centre agricole. Doura-Europos, bâtie sur un gué fréquenté de l'Euphrate, est une véritable cité grecque; tandis que Séleucie sur le Tigre, seconde capitale de l'Empire, est une ville cosmopolie, peuplée de Grecs, de Babyloniens, de Phéniciens, de Syriens, d'Iraniens et de Juifs. Sa population est de 100.000 habitants environ. Outre ces cités, nommons encore Suse, devenue Séleucie, Babylone, qui a été restaurée, Arados et Sidon, en Phénicie, et, en Palestine, Jérusalem, gouvernée par son grand prêtre. Toutes ces villes, pivots de l'Empire et centres de diffusion de l'hellénisme, ne pouvaient subsister et prospérer que par le négoce. Aussi, les rois séleucides concentrent-ils tous leurs efforts vers le développement du commerce extérieur. Les échanges sont facilités par la frappe abondante d'une monnaie d'argent; les autorités tolèrent le bilinguisme dans les documents privés et officiels, allègent les taxes, construisent des routes, créent une poste d'Etat. Des villes côtières de Syrie et de Phénicie, partent des services de transport maritime vers l'Egée, et des caravanes vers Antioche, DouraEuropos et Séleucie du Tigre. Mais ces villes prospères, helléniques ou hellénisées, ne sont que des oasis au milieu de l'immense masse des populations indigènes. Sujettes ou alliées du roi, elles paient des impôts en compensation des grandes étendues de terres royales transformées en terres municipales. La cité phénicienne d'Arados reçut de Séleucus II des privilèges, y compris le droit de donner asile à des réfugiés politiques.
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3. L'hellénisation de l'Asie a. Rôle de l'Empire séleucide L'Empire asiatique des Séleucides, qui dura plus de deux siècles, eut dans l'histoire un rôle considérable. Il assura par son action la pénétration réciproque des civilisations et des religions de la Grèce et de l'Orient. Des villes et des colonies grecques sont fondées, un peu partout, sur toute l'étendue de l'Asie antérieure. Des hommes et des idées sont semés à travers tout un monde. La langue grecque se propage, accompagnant les commerçants et les soldats. En apprenant à parler grec, les peuples de l'Orient deviennent aptes à s'imprégner des idées de la Grèce. Laissant de côté ce qui ne s'accommodait pas à leur mentalité propre, les peuples orientaux y introduisent des éléments nouveaux empruntés à leur passé. Mais nulle part, sauf chez les Juifs, la civilisation hellénique ne rencontrait de forte résistance. La Perse avait imposé un semblant d'unité aux pays d'Orient. Par une sorte de continuité historique, l'administration séleucide était inspirée de l'administration achéménide, qui, elle-même, s'était peut-être inspirée de l'administration assyrienne. Les Séleucides cherchèrent à reprendre le plan d'Alexandre, qui voulait utiliser les Perses comme gouverneurs de provinces. Ils ressuscitèrent la Babylonie et l'on assista à une renaissance de la littérature cunéiforme. La religion babylonienne fut favorisée; le temple de Mardouk, l'Esagyl, construit à Babylone sous Hammourabi (vers 2000), reconstruit et embelli au cours des siècles (p. 255—256), fut restauré. Mais l'élément perse demeura hostile aux Séleucides.
b. L'hellénisation des cités C'est surtout dans les villes, ces piliers de l'Empire, que l'hellénisation se propage, au point de donner à ces agglomérations un aspect et une physionomie helléniques. Outre les villes neuves, forgées de toutes pièces, un grand nombre de villes asiatiques, telles que les cités phéniciennes, syromésopotamiennes ou iraniennes, adoptent des noms grecs. Le droit grec fait son chemin et les formes légales grecques pénètrent profondément. La langue grecque est aussi très employée par les Orientaux. Le syriaque et l'araméen contiennent de nombreux mots empruntés au grec. Mais les langues indigènes se conservent, surtout dans les districts ruraux. A Byblos et à Tyr, le phénicien était encore usité à l'ère chrétienne. Le bilinguisme était toléré dans les contrats, comme dans les documents officiels. Le terme de «grec» dénotait quelquefois la civilisation et non le sang.
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Cependant, et peu à peu, le nombre des citadins indigènes augmentera de plus en plus, et leur culture, qui n'est que simplement éclipsée, renaîtra progressivement avec le temps. c. Les masses populaires imperméables à l'hellénisme A la différence des classes moyennes et des élites citadines, les classes populaires et les masses rurales conservèrent une indifférence prolongée à l'égard de la culture hellénique qu'elles ne comprennent pas. Les habitants des régions agricoles, qui vivaient dans les villages, étaient partout des paysans et des cultivateurs indigènes, qui conservaient leur langue et leurs coutumes. d. Renaissance de la culture orientale Au déclin de la dynastie séleucide, les villes orientales, même les cités purement grecques, renferment une partie nombreuse d'éléments indigènes, continuellement en voie de croissance. Le Grec perd du terrain, à cause de son mélange avec des souches autochtones. D'origine étrangère, les Séleucides ne disposaient pas de la contrée hellénique pour y puiser de nouveaux et frais renforts. Aussi, dans de nombreuses villes, la place des indigènes devient considérable; celle des Sémites y est parfois prépondérante. Les Grecs n'y sont que rarement en majorité. Tite-Live disait des villes d'Asie Mineure qu'elles ressemblaient à des îlots grecs battus par une mer «barbare». On peut en dire autant de toutes les colonies grecques d'Asie, dans les dernières décades de la domination séleucide. Même dans les régions où l'influence de la civilisation grecque était prépondérante, en Syrie, Phénicie, Mésopotamie, on voit le vieux fonds araméen, phénicien et chaldéen, remonter à la surface. Les Sémites de ces régions conserveront intactes leurs coutumes ancestrales. Extrêmement étendue dans l'espace et rapidement propagée, la civilisation hellénique en Asie n'était donc que de surface. «L'Orient n'était pas conquis. Il était trop profondément lui-même, et cela remontait trop loin dans le passé, pour qu'il pût livrer son âme. Les masses populaires continuaient à parler leurs idiomes maternels, à poursuivre leurs voies traditionnelles, à adorer les dieux de leurs ancêtres. Au-delà des côtes de la Méditerranée, le placage grec s'amincissait, et des centres helléniques, tels que Séleucie sur le Tigre, n'étaient que des îlots grecs sur un océan tout oriental. Il n'y avait pas eu fusion de races et de cultures, conformément au rêve d'Alexandre; il y avait des Grecs et une civilisation grecque au sommet, avec, au-dessous, un mélange de peuples et de cultures asiatiques. Les qualités de l'esprit grec ne pénétraient pas celui de l ' O r i e n t . . . Au contraire, avec le temps, les modes orientaux de la pensée et du sentiment
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remontaient au jour parmi les Grecs dirigeants, et par eux, se répandaient vers l'Occident... Le Grec était tout prêt à accueillir les dieux de l'Orient comme essentiellement identiques aux siens propres, mais, comme en réalité le Grec ne croyait pas, tandis que l'Asiatique croyait, les dieux orientaux survécurent alors que les dieux grecs mouraient.. . Les Grecs offraient à l'Orient la philosophie, l'Orient offrait à la Grèce la religion; ce fut la religion qui l'emporta, parce que la philosophie n'était qu'un luxe accessible à quelques-uns, et que la religion apportait la consolation au grand nombre . . . Un monde désillusionné, exploité, accablé par les guerres, se trouvait heureux de renaître à la foi et à l'espérance. L'effet le moins attendu, mais le plus profond qui résulta des conquêtes d'Alexandre, fut ainsi l'orientalisation de l'âme de l'Europe.» 10 e.
Œuvre
culturelle
des
Séleucides
Il ne faut donc pas s'exagérer le rôle des cités séleucides dans l'hellénisation de l'Asie. Sous les derniers des Séleucides, «on verra dans la cité presque entièrement grecque de Doura-Europos, le vieux fonds araméen remonter à la surface; en pleine Mésopotamie, on assistera au réveil de l'antique civilisation iranienne. En Phénicie, en Palestine, les Sémites conserveront intactes leurs coutumes ancestrales, et en Syrie, les Grecs n'arriveront pas toujours à lutter victorieusement contre une foule de traditions séculaires. Certes, le philhellénisme sera de mode à la cour des Arsacides; mais le peuple ignorera tout de la civilisation grecque.. . Disons donc nettement que si l'on devait mesurer uniquement une œuvre à son succès immédiat, absolu, celle des Séleucides serait manquée. Ils ont échoué dans la tâche qu'ils s'étaient proposés d'accomplir: ils n'ont pas hellénisé l'Asie. Mais en semant, comme ils l'ont fait, et sans compter, à travers tout un monde, des cités, des hommes, des idées, ils ont permis à d'autres de moissonner . . . A Antioche, le nom de chrétien paraîtra pour la première fois. Rome peut venir, car tout est prêt. Et c'est elle qui va se charger de répandre, d'abord en Asie même et ensuite en Europe, les trésors dont son génie sait deviner la valeur pour l'humanité.» 11
10 11
Durant, Histoire de la civilisation, T. VI, p. 160, 161. R. Cohen, op. cit., p. 531, 532.
IV. Le royaume gréco-égyptien des Ptolémées «Plus court encore que celui de Bonaparte»,... le séjour d'Alexandre en Egypte, a-t-on noté avec justesse, n'en a pas moins été décisif sur les destinées de ce pays . . . Le vainqueur d'Issos laissait derrière lui Alexandrie. Il laissait aussi quelques-uns de ses meilleurs compagnons. Il avait, entre la vieille terre des Pharaons et sa patrie, renoué des liens millénaires, soigneusement entretenus jusqu'au milieu du IVe siècle . . . A la mort d'Alexandre, l'Egypte paraît résignée à subir l'occupation militaire macédonienne. En peu de temps, elle a déjà été dotée d'une capitale, d'institutions d'apparence grecque qui se superposent au vieux fonds national. Elle est entrée à nouveau dans l'orbite du monde méditerranéen.»12
1. L'Egypte a.
Le roi
sous les
Ptolémées
lagide
Successeur d'Alexandre et des Pharaons, roi par la volonté des dieux de l'Egypte, le souverain lagide, comme son collègue séleucide, détient un pouvoir absolu et à caractère divin. Ptolémée I, à sa mort, fut promu dieu; ses descendants seront dieux à leur avènement. L'autorité suprême se transmet de père en fils et peut être exercée par les filles. Comme au temps des pharaons, les mariages entre frères et sœurs de sang royal sont admis. Un conseil assiste le roi dans l'expédition des affaires courantes. Incarnation de l'Etat, le roi prétend posséder tout le sol de l'Egypte, «gagné par la lance», à l'exception d'Alexandrie et de Ptolémaïs. Les terres sont concédées à des particuliers; les redevances en blé, produit principal de l'Egypte, sont fournies en nature. La condition des paysans qui travaillent la terre est toujours misérable. L'Etat s'intéressait à l'amélioration de la terre et non à celle du peuple qui l'entretient. Comme les Séleucides, les Lagides furent de grands marchands. L'Egypte, domaine privé des Ptolémées, est l'objet d'un système de nationalisation très poussé, qui servira, en grande partie, de modèle à la bureaucratie de la Rome impériale. Les Lagides furent les plus grands marchands de grains de leur époque. Les impôts sont plus lourds que du temps des Pharaons. L'huile, la fabrication du papyrus et autres produits sont le grand 12
R. Cohen, op. cit., p. 542.
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monopole royal. La mauvaise condition des ouvriers, comme celle des paysans, est révélée par le grand nombre des grèves que l'Egypte antique a toujours connues. Sans vouloir opprimer les Egyptiens, les rois lagides n'avaient aucun désir de leur venir en aide, sauf celui de les conserver aptes au travail. Ainsi, et tandis que les Séleucides luttaient, non sans succès, pour élever et propager la civilisation dans leur vaste Empire asiatique, les Lagides se contentèrent d'administrer leur domaine et de remplir leur Trésor. b.
Administration
Les Lagides ont copié l'organisation administrative et la bureaucratie pharaoniques. Un nomarque, haut dignitaire civil, gère les circonscriptions ou nomes; un chef militaire ou stratège lui est adjoint. Des juges grecs appliquent le droit hellénique. Pour les litiges entre indigènes, des magistrats égyptiens appliquent les coutumes locales. Véritables soutiens de la monarchie, l'armée et la marine sont l'objet de l'attention particulière du souverain. L'armée est formée de volontaires grecs et de mercenaires barbares. Depuis la bataille de Raphia (217), les éléments égyptiens deviendront de plus en plus nombreux. Tolérants en matière religieuse, les Lagides respectent la religion des Egyptiens et favorisent le clergé indigène. Mais en dépit de cette politique libérale, ils ne réussiront pas à désarmer l'hostilité des masses autochtones. Comme l'agriculture et l'industrie, le commerce extérieur est encouragé. Un trafic maritime intense s'établit entre Alexandrie, les ports phéniciens, Chypre, Rhodes, l'Egée. Le canal de Nékao est rétabli entre le Nil et la Mer Rouge (p. 267). c. Alexandrie, seconde Athènes Née par la volonté d'Alexandre, Alexandrie, dont le commerce fera la fortune, compte, sous les Ptolémées, 300.000 habitants environ. Aux Grecs et aux Egyptiens, s'ajoutent des Ethiopiens, des Phéniciens, des Syriens, des Palestiniens, des Juifs, des Perses. Les Ptolémées cherchent à faire d'Alexandrie une seconde Athènes. Le Musée est fondé et fait fonction d'Université. La première bibliothèque de l'antiquité est créée; elle réunit près de 200.000 rouleaux. Les hommes de lettres sont encouragés et subventionnés. Une littérature se forme, dont le caractère prédominant est scientifique: science de la nature, mathématiques, érudition historique et mythologique, critique, philologie. La poésie y est florissante. Des penseurs et des mathématiciens acquièrent une célébrité universelle. L'épicurisme et le stoïcisme se partagent les préférences du monde antique. L'art gréco-alexandrin fleurit, mais l'art indigène survit
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et maintient ses positions. Enfin, c'est surtout par Alexandrie que les Romains seront mis en contact avec la civilisation de la Grèce. d. Politique extérieure Sur le plan extérieur, les Ptolémées ont repris la politique millénaire des Pharaons. Guère impérialistes, ils se confinent dans une politique strictement égyptienne, orientée, comme jadis, vers la protection de leurs frontières asiatiques et vers les centres économiques de la Méditerranée orientale. Les régions de l'antique Canaan et de l'Egée sont indispensables à la Vallée du Nil, tant comme zone de sécurité que comme débouchés. Aussi, en quelques années, Ptolémée I, qui s'installe à Alexandrie et non à Memphis, occupe-t-il la Palestine, Tyr et Sidon, Chypre et Délos. e. L'Egypte indigène réfractaire à l'hellénisation La population indigène de l'Egypte, qui compte, sous les Lagides, 8 à 9 millions d'âmes, ne s'est guère transformée sous le voile transparent de l'hellénisme. Elle continue la vieille Egypte pharaonique, avec sa langue, ses coutumes et ses mœurs. L'administration, les colonies militaires, l'armée, la marine, sont organisées à la grecque; la langue officielle est le grec. Mais aucune fusion sérieuse ne sera vraiment réalisée entre la minorité dominante des Grecs et la majorité écrasante de la masse égyptienne dominée. «Jamais entre les orgueilleux vainqueurs et les vaincus pleins de dédain pour eux, entre Grecs et autochtones ne sera vraiment réalisée la fusion rêvée par Alexandre. Jamais, même au Ile siècle, quand il perd déjà toute pureté et s'orientalise, l'hellénisme ne pénétrera profondément dans les couches de la population indigène . . . Nulle part n'est perceptible une durable influence grecque sur l'évolution générale, sur la mentalité même du pays . . . Pour admirable qu'il ait été, le rayonnement de l'hellénisme en Egypte a été strictement limité aux environs de quelques sites privilégiés».13 Ces sites sont: le Fayoum et les cités de Naucratis, Ptolémàis et Alexandrie. A la différence des Séleucides, qui créèrent en Asie des dizaines de cités helléniques, les Ptolémées furent convaincus, dès le début, qu'ils ne pourraient fonder, dans une Egypte surpeuplée et à population dense, un Etat solide sur la base de la cité grecque. Ptolémée I ne fonda qu'une seule cité, Ptolémaïs, en Haute Egypte, pour contrebalancer le centre d'influence cléricale de Thèbes. En Palestine, la ville d'Aké (Acre) devint Ptolémaïs et Rabath Ammon, l'actuelle Amman, Philadelphie. 13
R. C o h e n , op. cit., p. 555, 556.
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D'autre part, et contrairement au système d'Alexandre le Grand, qui entendait confier aux Egyptiens, sous son autorité, le gouvernement civil du pays, les Ptolémées gouvernèrent la vallée du Nil en pays conquis. Mais le Grec resta un étranger isolé parmi la masse des indigènes. Un fossé profond sépara constamment la population égyptienne et l'Etat grec qui la gouvernait. «L'Egypte avait été, et pendant des siècles, une nation: elle n'est plus, sous les Ptolémées, qu'un Etat. . . D'ailleurs, le vrai mérite des Ptolémées semble bien être ailleurs qu'en leur essai d'hellénisation de l'Egypte. En lui donnant trois cents années de sécurité relative contre les nomades, ils lui ont donné du même coup une prospérité enviable»14. f . Renaissance du sentiment national égyptien Lorsque l'immigration des Grecs commença à se ralentir, l'élément hellénique perdit du terrain devant les Egyptiens, et le pouvoir militaire de la dynastie des Lagides dégénéra rapidement. Au Ile siècle, le sentiment national se réveilla chez les Egyptiens. A partir de 216, des soulèvements commencent et se répètent. En dépit de leurs efforts pour gagner les indigènes, les Ptolémées ne réussissent pas à créer une monarchie nationale. Après 200, la politique égyptienne des rois semble donner des fruits. Des noms grecs et égyptiens apparaissent dans une même famille, et une nouvelle classe mixte se forme. Au premier siècle, l'Egypte est en voie d'absorber l'élément hellénique. Certains Grecs apprennent l'égyptien et adoptent la religion et les coutumes locales, même celle de l'embaumement. Mais Rome, intervenant à temps, occupe l'Egypte, relaie les Grecs épuisés et sauve ce qui restait d'hellénisme dans ce pays. 2. Aperçu historique de l'Egypte
ptolémaique
Après la mort d'Alexandre, les généraux, qui avaient maintenu nominalement l'unité de l'Empire et partagé entre eux le gouvernement des provinces, désignèrent le général Ptolémée pour administrer l'Egypte (322). a. Ptolémée I (322—284), fondateur de la dynastie lagide Souple, rusé, brave, instruit et même savant, Ptolémée se distingue des autres généraux d'Alexandre par un opportunisme intelligent, raisonnable et pratique. Modéré à l'intérieur, il se concilie le sacerdoce et l'aristocratie indigènes, en leur laissant leurs biens, et conserve les cadres de l'adminis14
R. Cohen, op. cit., p. 561.
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tration locale, en les coiffant de hauts fonctionnaires grecs. Une forte armée et une solide flotte lui permettent, au besoin, d'intervenir hors d'Egypte et de pratiquer parfois une politique d'expansion. Dès 322, Ptolémée s'était emparé de la Cyrénaïque voisine. En 320, il occupe la Palestine et la Phénicie, qu'il évacue, deux ans après, pour ne pas combattre Antigone qui s'en est emparé (p. 394). En 315, il donne asile au général Séleucus, gouverneur de Babylone, qui fuyait devant Antigone; en 312, il rétablit Séleucus à Babylone (p. 398). Par le partage provisoire de 311, il est confirmé dans son gouvernement (p. 383). En 308, Ptolémée, qui, entre-temps, a fait de l'Egypte une puissance maritime, occupe Corinthe et Mégare et intervient à Athènes. Mais, effrayé par l'activité d'Antigone, puissant en Asie Mineure, il fait rentrer ses escadres en Egypte. Poursuivie par Démétrius, fils d'Antigone, la flotte égyptienne est écrasée à Salamine de Chypre (307) (p. 383). Pour célébrer ce triomphe, qui lui assure la maîtrise de la mer, Antigone et son fils Démétrius prirent chacun le titre de roi (306). A leur exemple, Ptolémée en Egypte, Cassandre en Grèce, Lysimaque en Thrace, s'octroient le même titre (305) (p. 383). b. Ptolémée I occupe la Syrie-Sud (301) Après le partage d'Ipsos (301), Ptolémée, qui s'était gardé d'intervenir dans la bataille, conserve l'Egypte et occupe la Syrie-Sud jusqu'à Arados et Damas. Bien que ces territoires, par le partage d'Ipsos, aient été attribués à Séleucus, celui-ci, qui devait à Ptolémée sa vie et son royaume, se garda de les revendiquer pour le moment (p. 398). Mais Démétrius, qui possédait encore la maîtrise de la mer, tenait Tyr et Sidon. A la chute de Démétrius (283), dans laquelle Ptolémée joua un rôle important, Tyr et Sidon retournent à l'Egypte. En 284, Ptolémée I, ayant assuré l'avenir de sa dynastie, abdique en faveur de son fils cadet, Ptolémée II Philadelphe, qu'il avait de Bérénice, une ancienne maîtresse. Son fils aîné, Ptolémée Kauranos, exilé par son père, s'était réfugié auprès de Séleucus, en Asie (p. 384). Ptolémée II (284—246) est un homme prudent et un organisateur expérimenté; nerveux et facilement irritable, il sera sous l'influence d'Arsinoé, sa sœur-épouse, et de ses nombreuses maîtresses. Peu guerrier, il laisse ses généraux et amiraux commander les expéditions militaires et navales. c. Première guerre syrienne ou syro-égyptienne
(275—271)
C'est sous le règne de Ptolémée II, en 275, on l'a vu, qu'éclate la première guerre syro-égyptienne (p. 397—398). Battue et repoussée par Antiochus I, l'armée égyptienne reprend le dessus, grâce à la reine Arsinoé qui venait
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de prendre elle-même la direction de la guerre. La Phénicie et la Judée sont conservées et la domination égyptienne étendue jusqu'en Cilicie et sur la côte d'Asie Mineure (271). d. Deuxième guerre syrienne (261—247) Après la mort de l'énergique Arsinoé, Ptolémée II entame la seconde guerre syrienne (261—247). Après quelques succès suivis de revers, il se rapproche d'Antiochus II, qui renvoie sa femme Laodice et épouse la fille du Lagide, Bérénice (247), qui lui apporte la Syrie-Sud comme dot (p. 399). En 246, Ptolémée II meurt, après avoir réprimé à Alexandrie une formidable mutinerie de 4000 mercenaires gaulois; il laisse, consolidé, le royaume légué par son père. e. Troisième guerre syrienne (245—241) Ptolémée III Evergète (246—221), fils du précédent, engage, dès son avènement la troisième guerre syrienne (245—241), dite «guerre de Laodice». Se présentant comme le vengeur de sa sœur Bérénice, femme d'Antiochus II, et de leur fils, assassinés par Laodice en 247 (p. 399), Ptolémée III occupe la Syrie septentrionale et la Cilicie. Mais Séleucus II, fils de Laodice, reprend la Cilicie et la Syrie septentrionale intérieure. Ptolémée III, qui garde Séleucie de Piérie et la Phénicie, voit sa flotte vaincue par Antigone au large d'Andros (246). Cette défaite navale enlève à l'Egypte sa prépondérance sur mer. A la mort de Ptolémée III (221), l'Egypte est épuisée par ses expéditions militaires. /. Quatrième guerre syrienne (219—217) Ptolémée IV Philopator (221—203), fils du précédent, recueille une situation délabrée et une armée inexistante; il laisse le gouvernement à son ministre, Sosibios, homme énergique et sans scrupules. Son adversaire, Antiochus le Grand, profitant de sa faiblesse, occupe Tyr et Ptolémaïs (Acre), et la quatrième guerre syrienne commence (219—217). Créant une nouvelle armée, Ptolémée IV fait venir de Grèce des généraux. En outre, et bien que, depuis 312, aucun indigène n'avait porté les armes, vingt mille Egyptiens sont enrôlés dans l'armée ptolémaïque. Prenant le commandement de sa nouvelle armée, Ptolémée IV, grâce à la bravoure de ses troupes égyptiennes, écrase les années d'Antiochus à Raphia (217) et garde la Palestine et la Phénicie (p. 400). Mais cette victoire, obtenue grâce au concours des Egyptiens, donne au sacerdoce et à la noblesse indigènes une idée de leurs forces et le sentiment de leurs droits. C'est à partir de cette époque, en effet, que datent
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le réveil du sentiment national des Egyptiens et le commencement de leurs insurrections contre les Grecs. g. Cinquième guerre syrienne (200—198) Ptolémée V Epiphane (203—182), fils du précédent, est un enfant de cinq ans. Proclamé majeur à douze ans, il inaugure son règne par une amnistie et des privilèges, suivis de répressions cruelles contre les soulèvements populaires. En 202, Antiochus le Grand, profitant de la faiblesse de l'Egypte, reprend les armes pour venger la défaite de Raphia. Il envahit la Syrie méridionale, et la cinquième guerre syrienne est ouverte (p. 400—401). En 198, l'Egypte a définitivement perdu la Syrie et la Phénicie, qui resteront désormais aux Séleucides jusqu'à la ruine de leur monarchie. En 193, Ptolémée V, réconcilié avec Antiochus III, épouse sa fille, Cléopâtre 1ère. Il maîtrise de violentes et multiples révoltes indigènes et meurt, en 182, ne laissant, comme possessions extérieures, que Chypre et Cyrène. h. Querelles dynastiques et interventions étrangères Sous son fils, Ptolémée VI Philométor (182—145), un enfant, qui épouse plus tard sa sœur Cléopâtre II, des préparatifs sont faits, en 173, pour la reconquête de la Palestine. Prévenant ces desseins, Antiochus IV envahit l'Egypte et maintient Ptolémée VI sur le trône (169). Mais le peuple alexandrin proclame roi son frère cadet, Ptolémée VII Evergète (169— 116). Antiochus appuie son protégé, mais il est occupé ailleurs. Rome appuie Ptolémée VII, et les deux rois frères, qui régnent conjointement, se font une guerre acharnée. Rome qui intervint dans la querelle, somme brutalement Antiochus de quitter l'Egypte et de ne plus se mêler des affaires de ce royaume (169). Le roi de Syrie s'incline (p. 404). En 163, le royaume d'Egypte, à la demande de Rome, est divisé entre les deux frères: Ptolémée VI obtient l'Egypte et Chypre, et Ptolémée VII, la Cyrénaïque et la Libye. Ptolémée VI, continuant la politique traditionnelle, tourne son attention vers la Syrie-Sud, dont il occupe la côte. Il meurt en 145. Ptolémée VII lui succède comme seul roi et épouse sa sœur, Cléopâtre II, veuve de Ptolémée VI, ainsi qu'une fille de celui-ci, Cléopâtre III. Les dernières années de son règne sont remplies de drames de famille et d'émeutes populaires. A sa mort (116), commence l'agonie de la dynastie.
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/'. Agonie et fin de la monarchie des Lagides (116—30) A Ptolémée VII qui, par son testament, avait confié à Rome la protection de son royaume, succèdent ses deux fils, l'aîné, Ptolémée VIII (116— 80), proclamé par le peuple, et le cadet, Ptolémée IX (116—96), choisi par sa mère, Cléopâtre III. Ce dernier laisse Cyrène à son fils illégitime qui, en 96, la lègue à Rome. A Ptolémée X (80—79), qui ne fait que passer sur le trône, succède Ptolémée XI Aulétès (79—51), appuyé par le Sénat romain. Dilettante vicieux, il perd Chypre en 58; expulsé d'Alexandrie par le peuple soulevé, il y est ramené, sur l'ordre du Grand Pompée, triumvir à Rome, par le gouverneur romain de Syrie (55). Ptolémée XI meurt en 51, laissant quatre enfants, dont l'aînée, Cléopâtre VII (51—30), a 18 ans, et le cadet, Ptolémée XII (51—47), 13 ans. Ces deux souverains régneront conjointement. Ptolémée XII fait assassiner le Grand Pompée qui, battu par Jules César dans la bataille de Pharsale, en Grèce, était venu chercher refuge à la cour du roi d'Egypte (48). Débarquant à Alexandrie, César, maître du monde, est gagné par les charmes de la reine Cléopâtre, qui est en conflit avec le roi, son frère. César bat celui-ci et rétablit la reine dans ses droits (47). Jeune, intelligente, cultivée et séduisante, Cléopâtre régnera, conjointement avec son frère Ptolémée XIII l'Enfant (47—44), dans la dépendance de Rome et sous la garde de deux légions romaines. Après la mort de César, Cléopâtre, qui a subjugué le proconsul romain Antoine, maître de l'Orient, associe au trône son fils Césarion (Ptolémée XIV: 34—30), qu'elle avait eu de César. Vaincus à Actium (31) par Octave, héritier de César, Cléopâtre et Antoine rentrent à Alexandrie, où ils sont bientôt rejoints par le vainqueur. Antoine se donne la mort. Cléopâtre, après avoir vainement essayé ses charmes sur le nouveau maître du monde, met fin à ses jours (30). Débarrassé de ses deux adversaires, Octave, futur Auguste, fils adoptif de César, fait tuer Césarion, fils bâtard de celui-ci. Avec le suicide de Cléopâtre et le meurtre de Césarion, la dynastie lagide et la monarchie gréco-égyptienne prennent fin, et l'Egypte est réduite en province romaine (30). Trente-quatre ans auparavant, en 64, on l'a vu, Pompée avait mis fin à la dynastie et à la monarchie gréco-syriennes des Séleucides et organisé la Syrie en province romaine (p. 407). 3.
Conclusion
Nous avons vu, dans le tome premier de cet ouvrage (I, p. 422—429), que l'Empire des Hyksôs (1660—1580), dont les souverains et la classe diri-
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geante sont d'origine étrangère, est un empire égyptien indépendant et souverain, dont le centre politique est la ville d'Avaris, dans le Delta. Comme l'Empire des Hyksôs, le royaume des Ptolémées, dont la dynastie et la classe dirigeante sont d'origine gréco-macédonienne, est, lui aussi, un royaume égyptien indépendant et souverain, dont le centre politique est la ville égyptienne d'Alexandrie. Bien que, sous les Ptolémées comme sous les Hyksôs, l'Egypte soit plutôt un Etat qu'une nation, cet Etat incarne et représente l'Egypte et ne dépend d'aucun Etat étranger. Alexandre, on l'a vu, avait été accueilli par les Egyptiens, non seulement comme un libérateur qui les a délivrés du joug des Perses, mais aussi comme un fils du dieu égyptien Amon et, par suite, comme un pharaon légitime (p. 368). Il se posa en protecteur de la religion égyptienne et montra du respect pour les croyances et les coutumes du pays, pour lesquelles les Perses n'avaient montré que du mépris. Après la mort d'Alexandre, les Ptolémées, qui lui succédèrent en Egypte, jouèrent avec une constance admirable, le rôle de pharaon, hérité du Grand Macédonien. Us en prirent le costume, se firent adorer, comme les anciens rois d'Egypte, et prenaient part au culte rendu aux dieux et aux anciens souverains du pays, en leur qualité de chefs de la religion (p. 418). Ils conservèrent également toutes les cérémonies et tous les usages relatifs à la royauté égyptienne: mariages entre frères et sœurs, association du prince héritier au trône paternel, pratique funéraire de l'embaumement, etc. Cependant, un fossé profond séparait les Grecs, minorité dominante et privilégiée, et les Egyptiens, qui comptaient 8 à 9 millions d'âmes (chiffre énorme pour l'époque). Une haine très vive animait les indigènes, frustrés et humiliés, contre une race étrangère qui exerçait, en sa faveur, une autorité sans limite et exploitait toutes les ressources du pays (p. 420—421). Ce qui opposait les Grecs et les Egyptiens n'était pas dû, au fond, à une différence de race ou de religion. Pareille question n'avait pas encore, à cette époque, la grande importance qu'elle aura, par la suite, dans le domaine politique. Peuple essentiellement cosmopolite et migrateur, les Grecs ne connaissaient pas la supériorité ethnique ou raciale. D'autre part, dans un monde où régnait le paganisme, les Grecs avaient assimilé leurs dieux aux divinités égyptiennes, lesquelles reçurent des noms helléniques. En réalité, l'antagonisme entre les deux races provenait surtout de l'opposition entre deux civilisations ou cultures différentes, produits respectifs de deux mentalités ou caractères psychologiques distincts. Les Hyksôs, on l'a vu, s'étaient égyptianisés; ils avaient adopté la langue des Egyptiens et s'étaient adaptés à leurs mœurs (I, p. 423). Chez les Grecs, qui avaient conservé leur langue et leur culture propres, la philosophie et la science
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prédominaient sur la religion; tandis que, chez les Orientaux, et en particulier chez les Egyptiens, la religion était à la base de la société et marquait de son empreinte la vie tout entière (I, p. 129—140). Aussi, et bien qu'en Egypte et en Syrie la culture et la langue helléniques aient dominé le pays et pénétré inégalement les diverses couches de la société, l'hellénisation était-elle restée superficielle: elle n'était pas parvenue à conquérir l'âme orientale (p. 420). Les classes populaires et les masses rurales avaient conservé leurs langues et leurs coutumes et, dans les régions où l'influence de la civilisation grecque était prépondérante, le vieux fonds indigène (égyptien, araméen, phénicien, chaldéen) ne tarda pas à remonter à la surface (p. 416—417). Bien plus, ce sont plutôt les Grecs d'Egypte, de Syrie et d'Asie, qui s'étaient plus ou moins orientalisés (p. 417). En effet, la civilisation hellénistique est un composé hybride, un produit de la vieille civilisation hellénique, modifié par des apports des vieilles civilisations orientales. D'ailleurs dans tout l'Orient hellénistique, la civilisation indigène n'est pas morte. En Egypte, «on continue à construire des temples de style égyptien. La contrée en est couverte et les Ptolémées en ont fondé plusieurs, dont les restes suscitent encore l'admiration... Alors se développe un style à la fois grandiose et fleuri . . . Ce style a certainement son origine au temps des dernières dynasties nationales . . . La sculpture continue celle du passé . . . Il y avait aussi une littérature égyptienne. Non seulement les prêtres connaissent encore très bien la langue rituelle du passé,... mais nous pouvons aussi affirmer... que l'on écrivait dans la langue et l'écriture du temps, dite démotique, pour le public égyptien. Uniquement sans doute pour ce public: la littérature égyptienne ne rayonne pas hors d'Egypte et n'obtient que rarement la consécration d'une traduction en grec.»15 L'antagonisme entre les Grecs et les Orientaux survivra, dans le monde oriental, sous la domination successive des Romains et des Byzantins, pendant sept siècles environ (64 av. J.-C. — 640 ap. J.-C.), au cours desquels la civilisation hellénistique demeurera prépondérante. Mais la culture orientale finira par prévaloir, en Orient, sur l'hellénisme occidental: la religion prédominera sur la science, parce qu'elle «apporte la consolation au grand nombre» et que «la philosophie n'est qu'un luxe accessible à quelques-uns». En effet, lorsqu'en 640 les Arabes, champions d'une nouvelle religion orientale (l'Islam), envahiront le monde proche-oriental, leurs conceptions politico-religieuses de la société et de l'Etat seront accueillies, avec faveur, par des populations faites pour les comprendre et les adopter. Après 640, la langue grecque et la civilisation hellénistique ou 15
P. Jouguet, L'Egypte ptolémaïque,
p. 112—113.
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gréco-orientale reculeront devant la langue arabe et la civilisation islamique ou arabo-orientale. Nous avons vu (I, p. 106) que, dès les temps anciens, et au cours de leur longue histoire, les peuples de l'Orient méditerranéen sont demeurés culturellement réfractaires à toute assimilation non sémitique. Dans cette vaste zone, les langues non sémitiques (hittite, perse, grecque, latine, turque, etc.) sont, en effet, restées confinées dans le cercle restreint des classes dirigeantes et des élites. Par contre, les idiomes sémitiques (assyro-babylonien, phénicien, amorréen, hébreu, araméen, arabe, etc.) s'y sont aisément substitué les uns aux autres, et même aux idiomes hamitiques (le phénicien en Afrique du Nord, l'arabe en Egypte et en Afrique), en pénétrant toutes les couches sociales. Pour rendre leur joug supportable, les rois lagides ont fait revivre, en leur personne, le pouvoir absolu et divin des anciens pharaons (p. 418). «Les conséquences pratiques de cette conception de la royauté divine, nous les avons expliquées: elles se résument en la subordination totale de la terre et de l'homme à leur maître, le roi-dieu . . . En revanche, le r o i . . . a la responsabilité de faire vivre, de nourrir et d'élever son peuple.»16 Nous savons, par ailleurs, que l'Egypte, à la différence de la Syrie arrosée par les pluies, est une oasis de riches terres irriguées par l'eau du Nil. Elle est d'autant plus fertile qu'elle est mieux irriguée et cette irrigation est d'autant mieux faite et la richesse du pays plus abondante, que l'effort entrepris en commun est plus grand et le pouvoir central plus fort et mieux organisé. Formant l'immense majorité de la population, le paysan égyptien, sédentaire et attaché à la glèbe, était convaincu de la nécessité de l'effort collectif: d'où sa soumission aux lois du ciel et de la terre et aux hommes qui les appliquent au nom des dieux. N'oublions pas aussi que, dans les temps anciens, la force constituait une des bases légitimes du pouvoir politique, et que, d'autre part, la souveraineté résidait dans le roi, dieu ou vicaire des dieux, et non dans la masse des sujets. Dans le domaine de la politique extérieure, l'activité des Ptolémées continua celle des Pharaons (p. 420), à l'éxception de la tendance expansionniste de ces derniers vers le Sud (Nubie), que les Lagides, absorbés par leur activité maritime, avaient nécessairement négligée. Du côté de l'Est, la politique pharaonique d'expansion vers la Palestine et la Syrie, traditionnelle depuis l'expulsion des Hyksôs (I, p. 423—429), continua, sous les Ptolémées, à s'orienter vers ces régions (p. 420). Vrais continuateurs des grands pharaons d'Egypte, les Ptolémées «ne 19
Moret, L'Egypte pharaonique, p. 603—604.
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purent supporter une puissance rivale entre le Nil et l'Euphrate». L'histoire de la dynastie des Lagides est remplie, on l'a vu, de leurs démêlés et de leurs guerres avec leurs frères de race et de langue, les rois séleucides de Syrie-Babylonie, continuateurs, eux aussi, de la politique de leurs prédécesseurs asiatiques (Mitanniens, Hittites, Assyriens, Chaldéens, Perses). Cette rivalité traditionnelle et multiséculaire, qui fut à l'origine des nombreuses «guerres syriennes» ou syro-égyptiennes (p. 422—423), et qui opposera, pendant les siècles à venir, les maîtres successifs de l'Egypte (Romains, Byzantins, Fatimides, Ayyubides, Mamluks) et ceux de la Mésopotamie (Parthes, Sassanides, Abbassides, Turcs-Seljoukides). Surpassant les pharaons dans la politique commerciale (p. 418), les rois lagides réussirent à aménager une route moins dispendieuse que celle de Phénicie-Syrie-Nord, en multipliant les points de relâche sur le littoral de la Mer Rouge, et en remettant en état le canal Nil-Mer Rouge, de manière à diriger tout le trafic indo-arabique sur Alexandrie. Malheureusement, les navigateurs de cette époque, qui devaient suivre les côtes, mettaient des années pour aller aux Indes et en revenir, et le commerce par caravane était encore plus rapide et plus actif que le commerce maritime. C'est seulement vers la fin de la dynastie lagide, autour de 72, qu'un marin grec constata l'existence de la mousson et comprit l'importance qu'on pouvait en tirer pour naviguer en pleine mer. Dans cette vaste extension des relations commerciales, les Ptolémées se réservèrent le monopole des transactions entre la Mer Rouge et la Méditerranée; pour ce qui est du commerce avec les Indes, ils prirent le sage parti de choisir les Arabes comme intermédiaires. En 332, Alexandre le Grand, maître de la vallée du Nil, avait, on l'a vu, rétabli la vieille monarchie égyptienne et occupé le trône des pharaons (p. 368). En 30, Octave-Auguste balaie les rois lagides et détruit leur monarchie; réduite en province romaine, l'Egypte fera partie des provinces dites «impériales», et sera classée comme bien privé de l'empereur. En passant sous le joug de Rome, l'Egypte perd, pour de nombreux siècles, sa vieille et longue indépendance et sa personnalité internationale, qu'elle avait su conserver depuis l'aube de l'histoire. Depuis 3300, en effet, à l'exception de quelques périodes transitoires et relativement courtes (telle la période perse), la souveraineté égyptienne fut exercée, à travers des hauts et des bas, par des monarques indépendants qui, bien que parfois d'origine étrangère (les Hyksôs, par exemple), étaient fixés dans le pays et ne dépendaient d'aucun souverain ou Etat étrangers. A partir de son incorporation à l'Empire romain, et jusqu'à l'avènement du Califat Fatimide, soit pendant un millénaire (30 av. J.-C. — 969 ap.
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J.-C.), l'Egypte, devenue une province ou plus exactement une colonie, sera administrée ou plutôt exploitée par les agents des divers empires étrangers qui domineront la vallée du Nil, et dont les capitales successives seront: Rome, Byzance, Médine, Damas, Bagdad. D'autre part, la disparition de la monarchie lagide et de l'Etat indépendant gréco-égyptien et la réduction de l'Egypte en province romaine, ne mettront pas fin à la prééminence de la race, de la langue et de la culture grecques dans le pays. Cette prééminence, on le sait, survivra, pendant plusieurs siècles, en Egypte comme aussi en Syrie, sous l'égide souveraine des Empires de Rome et de Byzance, et ne disparaîtra qu'après la conquête arabe et l'expansion de l'Islam (640 ap. J.-C.). Mais l'Egypte, sous les Califats successifs de Médine, de Damas et de Bagdad, demeurera une province rattachée au pouvoir central des ces Empires. Il faudra attendre l'avènement du Califat Fatimide (969), dont le centre politique et religieux sera la ville du Caire, près de l'antique et somptueuse Memphis, pour voir l'Egypte recouvrer, sous des souverains d'origine arabo-nord-africaine, son rang d'Etat indépendant et souverain, sa personnalité internationale et son rôle historique, façonnés par le cadre et la situation géographiques du pays du Delta et de la Vallée du Nil.
PLANCHE
Carte du Proche Orient, 2000-1500 avant J.-C.
I
PLANCHE
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Thèbes
Carte du Proche-Orient, 1500-1200 avant J.-C.
Pasorgades Persepolis
II
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Carte du Proche-Orient, 1200-750 avant J.-C.
PERSE • Pasargades • Persepolis
PLANCHE
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Thèbes
Carte du Proche-Orient, 750-330 avant J.-C.
IV
PLANCHE
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Laodicéevs Echbatane • Apomee . ujla Paîmyre MED1E .Séleucie Doura-\ Europos1^—v« 'Vctésiphon SUSIANE Suse Babylone^
Thèbes
Carte du Proche-Orient hellénistique, 330—64 avant J.-C.
Pasargades Persepolis
V