Les Phéniciens, les Puniques et les autres: Échanges et identités entre le monde phénico-punique et les différents peuples de l’Orient ancien et 2701805694, 9782701805696

Les recherches sur les Phéniciens et les Puniques se sont longtemps concentrées sur les images en creux laissées par d’a

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French Pages 236 [334] Year 2019

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Table of contents :
Avant-propos
Introduction
PARTIE I
Ce qu’ils disent de nous :le monde phénicien vu par les Égyptiens et les Assyriens
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Les Phéniciens, les Puniques et les autres: Échanges et identités entre le monde phénico-punique et les différents peuples de l’Orient ancien et
 2701805694, 9782701805696

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ORIENT

MÉDITERRANÉE

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UMR 8167, Orient et Méditerranée – Textes, Archéologie, Histoire CNRS, Sorbonne Université, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École pratique des hautes études, Collège de France

LES PHÉNICIENS, LES PUNIQUES ET LES AUTRES

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esearch on Phoenician and Punic cultures has long accorded a too-privileged place for Hellencentric, Egyptocentric or Near Eastern perspectives, which necessarily convey only hollow and superficial insights since they derive from “foreign” points of view. This publication is the result of an international workshop held in Paris in 2016, in which we attempted deliberately to abandon such dependence on the hollow and superficial portraits of Phoenician and Punic culture left by their neighbors. Instead, the studies contained herein concentrate on the various forms of exchange and interaction which took place between Phoenicians and Punic peoples and the communities they encountered in the Mediterranean. Our analyses pay special attention to the cultural products, be they material or immaterial. In order better to grasp the complexity of these reciprocal cultural reformulations that took place in this Mediterranean “middle-ground”, we have emphasized interdisciplinary dialogue, imagining and testing new tools, taking into account recent discoveries, and encouraging collective exchanges on the current issues that enliven our discipline.

ISBN 978-2-70180569-6

Échanges et identités en Méditerranée ancienne

LES PHÉNICIENS, LES PUNIQUES ET LES AUTRES

es recherches sur les Phéniciens et les Puniques se sont pendant longtemps essentiellement concentrées sur les images en creux laissées par d’autres peuples, suivant des points de vue helléno ou égypto centriques, proche-orientaux etc. Ce volume, fruit d’une rencontre internationale à Paris en 2016, délaissant les images en creux laissées par les cultures voisines sur les Phéniciens et les Puniques, propose au contraire une enquête sur les formes d’échanges et d’interaction, sur les élaborations culturelles – matérielles ou non – engagées entre ces derniers et les communautés qu’ils rencontrent en Méditerranée. Pour saisir la complexité de ces reformulations culturelles réciproques qui se jouent dans ce middle-ground méditerranéen, le volume fait la part belle au dialogue interdisciplinaire afin de présenter de nouveaux outils, de valoriser des découvertes récentes et d’échanger collectivement sur les questions actuelles qui animent notre discipline.

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sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon

Éditions de Boccard

Les Phéniciens, les Puniques et les autres Échanges et identités en Méditerranée ancienne

ORIENT

MÉDITERRANÉE

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Les Phéniciens, les Puniques et les autres Échanges et identités en Méditerranée ancienne

sous la direction de Luisa BONADIES, Iva CHIRPANLIEVA et Élodie GUILLON

Éditions de Boccard

4 rue de Lanneau, 75005 Paris 2019

Illustration de couverture

Bateau phénicien d’après les plaques en bronze des portes de Balawat (ixe s. av. n. è.). [© L. Bonadies]

UMR 8167, Orient et Méditerranée – Textes, Archéologie, Histoire CNRS, Sorbonne Université, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École pratique des hautes études, Collège de France

Directeur de la collection Pierre TALLET, Sorbonne Université - Umr 8167, Orient et Méditerranée Comité scientifique Vincent DÉROCHE Alessia GUARDASOLE Sébastien MORLET Carole ROCHE-HAWLEY Jean-Pierre VAN STAEVEL Création de la maquette et mise en page Fabien TESSIER © Éditions de Boccard - 2019 ISBN : 978-2-70180569-6 ISSN : 2101-3195

Avant-propos

Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Le choix de ce titre n’est pas un hasard. Pendant notre parcours de formation, nous avons appris à distinguer les Phéniciens et les Puniques en nous fondant essentiellement sur les oppositions avec les autres peuples contemporains, suivant un point de vue helléno-centrique, égypto-centrique ou proche-oriental ; en fait en nous fondant sur des images en creux laissés par ces Autres. Étant donnée la forte influence culturelle que les cultures voisines ont jouée sur la propre production culturelle du monde phénicien, la difficulté principale des études phéniciennes et puniques a été longtemps celle de reconnaître une « vraie » identité phénicienne, d’identifier des caractéristiques « typiques » de ces peuples. En 1963, Sabatino Moscati, dans un article intitulé « La question phénicienne », propose trois marqueurs de cette « identité phénicienne », concept qu’il introduit pour la première fois : la même aire géographique, une langue commune et le partage de processus historiques et culturels spécifiques. C’est le coup d’envoi d’une longue enquête sur les questions d’ethnogenèse. Dans l’impossibilité de reconnaître, au Proche-Orient, une véritable rupture entre la période phénicienne et les époques précédentes, toute la littérature scientifique des années 1980 se concentre sur l’opposition entre continuité et discontinuité, à la recherche des éléments innovants à considérer comme typiques de l’âge du Fer et de la culture phénicienne. Entre les années 1990 et 2000, les études phéniciennes ont commencé à proposer une lecture plus globale de l’ensemble de la production culturelle phénicienne, en particulier dans ses aspects artistiques : les constances et les variations d’une région à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’un atelier à l’autre, et de l’est à l’ouest de la Méditerranée. La difficulté de définir une « identité phénicienne » apparaît alors avec force, car ses caractéristiques principales semblent en partie déterminées par les milieux avec lesquels, suivant les époques et les contextes, les populations phéniciennes entrent en contact. Malgré ce constat, les études actuelles continuent à employer les termes « phénicien » et « punique », sans suffisamment interroger l’unité culturelle qu’ils semblent présupposer. Étant donné l’ampleur et la variété des sites touchés par cette « culture », existe-t-il vraiment des éléments culturels, artistiques et ethniques qui transcendent les limites géographiques et permettent de définir une identité phénicienne et punique ? Et si oui, quels sont-ils ? Comment fonctionnent-ils ?

Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 7-8

8 • LUISA BONADIES / ÉLODIE GUILLON

Pour les journées d’étude que nous avons organisées à Paris, les 13 et 14 mai 2016 à la Maison de la Recherche de l’Université Paris-Sorbonne, nous avons convié, pour explorer ces thématiques, des chercheurs expérimentés dans le domaine des études phéniciennes et puniques, mais également des jeunes chercheurs, comme nous le sommes, dans le but de mettre en avant le dynamisme actuel des travaux sur les cultures phéniciennes et puniques. Notre objectif était en outre de faire dialoguer les disciplines et les spécialités, de découvrir de nouveaux outils, de valoriser des découvertes récentes et d’échanger collectivement sur les questions actuelles qui animent notre discipline. Nous espérons que notre initiative sera suivie d’autres rencontres, afin de faire fructifier les collaborations engagées. Le volume issu des rencontres parisiennes vise enfin à illustrer la vitalité des études méditerranéennes en France, en particulier sur les Phéniciens et les Puniques. Que soient vivement remerciés tous ceux qui ont contribué au succès des journées d’étude et à la publication de ce volume, l’UMR 8167 - Orient et Méditerranée, l’UMR 7041 - ArScAn, l’EA4 601 PLH-ERASME, le Centre Camille Julian et l’IUF et le projet ERC MAP (741182). Luisa Bonadies, Élodie Guillon

Introduction Vous avez-dit « partenaires » ? Corinne Bonnet (Université Toulouse - Jean Jaurès) Pierre Rouillard (CNRS - UMR 7041, ArScAn) Comme les intitulés de dissertation, le titre suggestif de cette Rencontre – Les Phéniciens, les Puniques et les autres : échanges et identités entre le monde phénico-punique et les différents peuples de l’Orient ancien et du pourtour méditerranéen – pourrait appeler une longue exégèse. Chaque mot, en effet, pèse et soulève des questions. Faut-il comprendre qu’il s’agit d’explorer le lien entre échanges et identités ? Que recouvre au juste le vocable d’« échanges » qui a minima renvoie au domaine « économique », donc à la manière dont le commerce influe sur les identités, mais qui peut aussi, dans une acception extensive, évoquer toute forme de contacts et d’interactions ? Et encore : qu’entendre au juste par « identités », un concept englobant et complexe, largement débattu par les historiens, galvaudé par le discours politique, qu’il ne faut ni figer, ni réifier1… Le titre fait également référence à la notion de « monde phénicopunique » que d’aucuns se refusent aujourd’hui d’aborder comme une unité, alors que d’autres s’évertuent à révéler tous les liens qui, dans la longue durée, se tissent encore et toujours entre métropoles et colonies2. Enfin, qui sont ces « autres » par rapport aux Phéniciens et Puniques, une catégorie sémantique vague, sur le mode « The West and the Rest », qui pourrait donner à penser que le monde méditerranéen était partagé entre deux blocs : « nous » et « eux », « identité » et « altérité ». Une telle ligne de partage n’est-elle pas trop redevable à l’ethnographie grecque qui définit to hellènikon3 au miroir, comme dirait Fr. Hartog4, de l’altérité barbare… ? Questionner ce titre, ample et complexe à la fois, c’est déjà souligner la richesse des thématiques qu’il engage et des débats qu’il soulève.

1. Sur ces questions, voir en dernier lieu les récents volumes Garbati, Pedrazzi 2015 ; 2016, en particulier les introductions qui ciblent bien la question des identités. 2. Cf. Bonnet 2015, p. 71-86 ; voir aussi Oggiano 2016, p. 147-180. 3. Hérodote VIII, 144. 4. Hartog 2001. Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 9-16

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Dans un premier temps, cependant, et avant d’y revenir, affranchissons-nous du titre et envisageons les logiques fécondes et sinueuses du « travail culturel »5. On partira pour cela de terrains familiers : les pratiques et discours relatifs aux dieux et à leur « commerce » avec les hommes. Il s’agit là d’un espace de médiation privilégié qui favorise les échanges et les « corruptions » identitaires6, la créativité culturelle. Or, l’intérêt et la difficulté de tout travail sur le monde phénicien et punique, notamment sur ses relations avec la sphère du divin, réside dans le caractère interculturel ou multiculturel des paysages qui le composent. Si, comme l’écrit M. Sahlins, l’espèce humaine est façonnée pour vivre une existence culturelle7, alors tout processus de changement peut être appréhendé comme un travail « naturel », inscrit dans l’espace et le temps, qui ne conduit pas à la disparition de spécificités culturelles plus ou moins originelles, mais à la constante reconfiguration d’un vaste champ des possibles. A fortiori, la rencontre avec d’autres cultures donne-t-elle lieu à un travail subtil d’interprétation, de métabolisation, de reformulation réciproque et créative. Sur ces questions, le détour par l’anthropologie historique et culturelle semble indispensable, aux historiens comme aux archéologues, pour se doter d’outils aptes à déchiffrer les mille et une ressources de l’action humaine (agency), y compris dans un cadre culturellement, politiquement ou économiquement asymétrique, tel que celui de la rencontre avec les « autres ». Ce sont bien des stratégies que la documentation littéraire, épigraphique ou archéologique donne à voir ; elles montrent la remarquable capacité de résilience des cultures mises en contact sur le pourtour de la Méditerranée, dans des contextes tour à tour de cohabitation, collaboration, compétition, conflit, guerre… et paix. Dans ces processus d’ajustement constant, comme on l’a souligné depuis longtemps, les élites, diverses élites, elles aussi régulièrement reconfigurées, jouent un rôle moteur, en activant des stratégies ostentatoires de différenciation sociale pour affirmer leur statut et leur rang. Les travaux de S. Gruzinski montrent ces élites à l’œuvre, dans l’entre-deux des conquêtes et cohabitations, dans des contextes américains d’époque moderne8. Si la documentation phénicienne et punique le permettait – chacun sait que nous sommes lourdement handicapés sur ce plan –, nous pourrions même, comme le fait S. Subrahmanyam9, prêter attention aux destins singuliers de ces individus « connectés » qui contribuent à accélérer ou amplifier les processus d’échanges culturels. Ses travaux montrent bien tout le profit que l’on peut tirer d’une approche micro-historique de trajectoires originales, souvent marginales, d’hommes (ou de femmes) qui, bravant les contraintes politiques ou religieuses, jouant de l’artifice, de la manipulation, voire de l’imposture, ouvrent des voies nouvelles et mettent en contact des cultures, des savoirs, des pratiques, des langues, des images, et même des dieux jusque-là éloignés. La théorie des transferts culturels met, elle aussi, l’accent sur les figures de « passeurs » d’une culture à l’autre, marchands, traducteurs, diplomates10… On en retiendra en tout cas que, 5. Pour cette notion et son application à la Phénicie hellénistique, voir Bonnet 2014. 6. Sur la Méditerranée comme espace de « corruption » et de connectivité, voir Horden, Purcell 2000. 7. Sahlins 2009, p. 103-105. 8. Voir, en particulier, Gruzinski 1988 ; 1999 ; 2008. 9. Subrahmanyam 2013. 10. Espagne 2013 ; pour l’application à l’Antiquité, Couvenhes, Legras 2006.

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pour parler d’échanges, il faut traiter des hommes, en groupe ou singulièrement, d’où toute la validité d’un questionnement sur l’identité : qui sont-ils ? quel rôle jouent-t-il ? comment les échanges les transforment-ils ou comment transformentils les échanges ? En dépit des limites qu’impose la documentation phénicienne et punique, il faut tenter cette expérience, en s’imposant un détour salutaire par d’autres disciplines (et leur boîte à outils) ou d’autres espaces-temps, car décentrer le regard enrichit toujours considérablement l’enquête historique. Voilà pourquoi, à l’échelle de la Méditerranée, la recherche se fait naturellement comparative, notamment lorsque l’on touche au jeu des échanges et des identités. Comparer permet de mieux identifier les « ruses culturelles » partagées, vieilles comme le monde11, mais aussi les spécificités propres au comportement culturel des Phéniciens et des Puniques dans le bassin méditerranéen, eux dont la mètis était légendaire12. Attentifs aux stratégies, à la résilience, aux cohabitations et autres modalités du « vivre ensemble », on ne perdra pas de vue que les relations entre les peuples engagent aussi, souvent, un rapport de force. Face à l’intrusion d’éléments nouveaux ou à la rencontre de cultures « autres », chacun mobilise ses ressources sur le mode empirique et pragmatique, pour défendre son périmètre ou repousser l’autre, autant que pour construire ensemble un nouvel équilibre social, reposant sur des conventions partagées, qui n’excluent nullement des zones de friction, des questions conflictuelles, des traces d’incompréhension… Le concept de middle ground, emprunté à R. White et déjà sollicité par I. Malkin dans son travail sur les réseaux du small world méditerranéen13, s’est, à cet égard, imposé comme un outil avantageux pour penser la complexité des relations interculturelles. La logique du middle ground, cet espace du milieu où l’on met des choses en commun et où l’on voit comment atteindre un compromis viable, permet de dépasser les anciens schémas en vertu desquels les cultures indigènes étaient perçues comme un socle monolithique et immuable, un monde « traditionnel » figé dans sa recherche d’intégrité ou de pureté, et les nouveaux arrivants, comme des « impérialistes » imposant leur loi. Or les identités culturelles ne répondent pas vraiment à une logique de frontières et d’affrontement irréductible, mais plutôt à des dynamiques, poreuses, faites de transactions, négociations, compromis et réseaux. Le concept de middle ground a la vertu heuristique de mettre l’accent sur l’enchevêtrement d’intérêts et d’affiliations qui produisent les nouveaux paysages culturels, les rencontres entre populations « autres ». Pour comprendre les circonstances et les enjeux de ces mises en commun, entre Phéniciens, Puniques et « autres », toutes les disciplines ou spécialités sont utiles et mêmes nécessaires : inscriptions, céramiques, monnaies, produits d’artisanat, techniques de construction, fragments d’imaginaire… Tous les aspects de la vie sociale sont, en effet, susceptibles de réagir aux échanges interculturels : les systèmes d’écriture, la toponymie, les formes de langage symbolique, les hiérarchies sociales et les institutions, les pratiques matrimoniales, la démographie, les habitudes alimentaires ou funéraires, l’urbanisme, la gestion des ressources, les pratiques commerciales…

11. Detienne 1990. 12. Sur le motif de la punica fides, voir Gruen 2012, p. 115-140 (chap. 4). 13. White 2009 ; Malkin 2011 ; Bonnet 2014.

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Tout fait sens, tout peut faire sens au sein du middle ground, qui permet aussi une approche d’histoire « par le bas », attentive aux réalités modestes, mais significatives, du quotidien des « gens ». Il faut donc veiller à ne pas séparer ce qui était solidaire et travailler dans le cadre d’un « paysage » qui combine une vaste palette de couleurs et de signes. Certes le commerce et les « échanges » au sens strict, constituent un domaine clé, parce qu’ils nécessitent de la confiance, parce qu’ils reposent sur des accords et favorisent le rapprochement et la compréhension mutuelle, parce que le business a pour mission de tisser des liens, même s’il comporte forcément une part de ruse. L’articulation de ce champ avec les pratiques religieuses est d’ailleurs bien connue14. Depuis M. Weber au moins (et ses travaux sur la Bourse notamment)15, on sait l’importance de la rationalisation des transactions économiques. Plus elles sont volatiles, plus il convient de les encadrer dans un climat de confiance. On pourrait aussi évoquer le concept de port of trade cher à Polanyi et son approche anthropologique qui fait une place importante à la notion de « réciprocité ». Dans les processus que nous visons, les cultes offrent donc une plate-forme efficace pour les rencontres, les transactions avec les « autres », un contexte privilégié pour l’émergence d’un new deal qui permet de redistribuer les cartes, sans que personne n’y perde son « identité », puisque les pratiques polythéistes relèvent de ce que H. Versnel a récemment appelé la multiperspectiveness16. On fait dès lors le pari que l’espace des rites, des mythes et des représentations du divin, en raison de la plasticité du polythéisme, s’est singulièrement prêté aux arabesques culturelles issues des « échanges ». Les procédures d’interpretatio, flexibles, plurielles, approximatives, s’y épanouissent, en écho à un discours entre les systèmes de pensée, donnant lieu à des conjectures créatives17. Celles-ci n’écrasent pas les identités singulières des dieux, mais en révèlent telle ou telle facette qui parle aux interlocuteurs « autres ». Le miroir est quelque peu déformant, mais il est aussi révélateur. Cela dit, il serait erroné, ou naïf, de penser qu’au sein du middle ground tout est négociable. Les sociologues nous apprennent qu’il existe des contraintes structurelles, constitutives des sociétés, qui, en tant que telles, résistent (mieux) aux processus de transformation18. En d’autres termes, dans les situations interculturelles, s’il est souhaitable de considérer que le champ des possibles est largement ouvert, il ne faut pas pour autant appréhender l’ordre social comme s’il était totalement réversible ou négociable. Au sein des sociétés, agissent des logiques de perpétuation qui ont un puissant effet structurant. Dès lors, dans la Méditerranée des échanges, des corruptions et de la connectivité, où situer la créativité et les résistances ? Du côté des Phéniciens ou des « autres », que se refuse-t-on à négocier et quels sont les éléments qui favorisent la logique du middle ground ? Dans les noms de personnes et de lieux, les institutions politiques et religieuses, les systèmes numériques et chronologiques, les étalons monétaires, les actes du culte, l’intimité des foyers et des esprits, pour autant que nous y ayons accès, où sont les permanences et où sont les appropriations ? 14. Voir, par exemple, Gras et al. 2006. 15. Sur ces questions très complexes, voir Colliot-Thélène 2001 ; Lallement 2004. Pour Polanyi, voir Clancier et al. 2005. 16. Versnel 2011. 17. Sur l’interpretatio comme processus conjecturel, voir Bettini 2016, p. 17-35. 18. Grossetti 2004 ; Bessin et al. 2010.

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Et quelles catégories de population se prêtent au jeu des transactions ou des bifurcations, là où d’autres protègent, inventent ou réinventent la tradition ? Comme l’écrit B. Latour, « il n’y a pas de monde commun, il faut le composer. (…) Il y a un monde, un plurivers à composer, et nous avons pour l’affronter trois ou quatre passions, deux ou trois réactions, cinq ou six sentiments automatiques, quelques indignations, un tout petit nombre de réflexes conditionnés, quelques attitudes bien pensantes, une poignée de critiques toutes faites19 ». Or, le monde phénicien apparaît bien comme un univers de composition, qui invite à être « à l’écoute des motifs et des harmonies qui se détachent du grand murmure du monde, l’attention éveillée aux ordres émergents »20. L’analyse des données archéologiques permet de retrouver quelques points déjà abordés et parfois de les prolonger quand il s’agit d’envisager tout à la fois les relations entre tous les « Orientaux », les regards qu’ils portent les uns sur les autres et la place, huit ou dix siècles plus tard, d’un Balbus, membre de l’élite punique de Gadès, dans la Rome républicaine. Les questions d’« identité » sont présentes tout au long de ce volume, mais elles le sont à partir de realia et d’analyses concrètes, celles de l’écriture ou celles des nécropoles, celles des styles et des techniques ; elles le sont en rendant compte des relations complexes, tant celles entretenues entre les communautés d’Orient, que celles entretenues par ceux que l’on réunit sous le terme de « Phéniciens » et les populations qui accueillent et intègrent – pour un temps - des communautés étrangères. Parmi les questions les plus débattues, celle de la variété des partenaires dans les échanges, de produits, certes, mais aussi ou surtout de styles, de schémas iconographiques ou de techniques, est au centre de nombreuses interventions. Le couple « Grec-Phénicien » reste au cœur des réflexions, mais les populations auprès desquelles les Phéniciens s’établissent sont désormais perçues comme de véritables partenaires. Par exemple, les horizons attestés dans la stèle de Nora sont plus complexes, une fois qu’il a été découvert qu’un type d’amphore hybride sarde-phénicien est lui-même objet d’échanges de Carthage au pays de Tartessos, à Huelva. Des objets, certes, mais qu’il faut situer dans un environnement naturel, ce qui reste à faire souvent, mais aussi humain. On peut alors décliner bien des questions débattues aujourd’hui, celles de la « connectivité », celles du « réseau », autant de perspectives qui induisent des relations pacifiques. N’y a-t-il alors plus de place pour les conflits, comme le suggère J. Zurbach21 ? Face à ce questionnement, avouons que nous sommes souvent désarmés, notamment quand on met dans un raisonnement paratactique le mythe de fondation de Carthage et une série de traits fournis par l’archéologie. Déclinons ces données à partir desquelles il est possible de situer l’état des relations entre Phéniciens et populations indigènes : l’existence, ou non, de fortifications au départ des établissements phéniciens (ainsi, absence à RábitaFonteta [Alicante] et dans bien des établissements du littoral andalou) ; existence, ou non, d’une projection vers l’intérieur des terres de groupes phéniciens, une projection attestée en Sardaigne, avec des habitats ou un sanctuaire à Monte Sirai (près de Sulcis), ce dernier cas n’étant pas attesté en Andalousie où il y a plutôt des centres

19. Latour 2011-2012, p. 38-41. 20. Descola 2005, p. 162 (les italiques sont miennes). 21. Zurbach 2015, p. 247.

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de « captation » ou de transformation dans les mains des indigènes qui devaient exploiter la terre ; l’existence, ou non, d’installations proches d’un établissement d’envergure comme Cadix ou beaucoup plus modeste comme Rábita-Fonteta (Alicante) ayant une architecture défensive (contre qui ?) avec des caractères phéniciens marqués (enceinte à casemate, par exemple), comme à Doña Blanca ou Chiclana (près de Cadix) ou au Cabezo Pequeño del Estaño (près de Rabita-Fonteta) ; l’agrégation des communautés indigènes et phéniciennes dès le début de l’installation, comme à Rábita-Fonteta, plus tard à Cerro del Villar (Malaga). Toutes ces questions sont au départ des réflexions sur les relations entre communautés et incitent à poursuivre des analyses fines, envisagées région par région, c’est à dire à prendre en compte toute l’épaisseur et toute la complexité des populations indigènes qui « accueillent » les Phéniciens. Les questions chronologiques seraient-elles secondaires ? De fait deux systèmes cohabitent, l’un fondé sur des analyses au 14C effectuées sur des restes prélevés dans des secteurs d’habitat et un autre fondé sur des associations de matériel déposé dans des tombes22. Les premiers grands mouvements d’échange, sont, et ceci est analysé ici, bien situés au Géométrique Moyen. Ces quelques questions incitent bien à poursuivre les recherches déjà subtilement avancées dans ce volume en comparant les séquences de vie des établissements phéniciens. Il convient alors de bien évaluer les lieux et les modalités d’échanges culturels dans l’Orient même, de fixer les phases phénicienne et punique dans leurs espaces, ou encore de suivre le processus d’agrégation des communautés phéniciennes et indigènes. En France comme ailleurs, un tel défi posé aux études phéniciennes et puniques passe résolument par une approche décloisonnée, qui favorise le dialogue entre historiens et archéologues, spécialistes de chaque rive de la Méditerranée, avec un œil fixé sur les propositions émanant des anthropologues et des sociologues. C’est un programme ambitieux, mais passionnant. Les jeunes chercheurs réunis à Paris, en mai 2016, sont parfaitement armés pour s’y mesurer et faire avancer les études phéniciennes et puniques.

Bibliographie Bessin (M.), Bidart (C.), Grossetti (M.) (dir.) 2010 Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris. Bettini (M.) 2016 «  Interpretatio Romana: Category or Conjecture? », dans C. Bonnet et al. (dir.), Dieux des Grecs, dieux des Romains. Panthéons en dialogue dans l’histoire et l’historiographie, Turnhout, p. 17-35. Bonnet (C.) 2014 Les Enfants de Cadmos. Le paysage religieux de la Phénicie hellénistique, Paris. 2015 « Des chapelles d’or pour apaiser les dieux. Au sujet des aphidrymata carthaginois offerts à la métropole tyrienne en 310 av. J.-C. », Mythos, 9, p. 71-86. 22. Je remercie Marie de Jonghe d’avoir bien précisé les sources des données.

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16 • CORINNE BONNET / PIERRE ROUILLARD

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PARTIE I LA PHÉNICIE ET L’ÉGYPTE

Ce qu’ils disent de nous :

le monde phénicien vu par les Égyptiens et les Assyriens Luisa Bonadies (VUB – La Sapienza) Lionel Marti (CNRS - UMR 7192, PROCLAC) Abstract The global analysis of the direct and indirect sources on the Phoenicians reveals a certain difficulty in determining the components that make up their identity, stemming from the tendency to attribute a unity to them which is not documented anywhere. If, therefore, the Phoenician identity should rather be considered an instrument of historical and scientific study, here we are trying to broach the subject by reversing the perspective and using a different point of view. The study of the corpus of textual and material data originating from the kingdoms (notably Egypt and Assyria) surrounding the territory traditionally considered Phoenician, as well as the analysis of certain luxury objects generally associated with Levantine craftspeople could, in effect, represent a way to determine the perception that “the strangers / the others” had of the individuals who inhabited the Syrian-Lebanese coast.

L’existence d’un univers phénicien apparaît comme une évidence dès les origines de la redécouverte de l’Orient ancien, monde pourtant de toutes les incertitudes. Le terme « Phéniciens » est conventionnellement considéré dériver de Φοίνικες, appellation déjà présente dans les poèmes homériques du viiie siècle av. J.-C. et construite à partir du mot grec φοῖνιξ, porteur de significations discutées1. La critique récente semble plutôt pencher vers l’idée d’une connexion avec la couleur de la peau2 : l’ethnonyme Φοίνικες pourrait en effet signifier « les hommes rouges » ou « les hommes au visage brûlé » en raison de leur peau basanée. Le mot était probablement utilisé pour indiquer de manière générale les gens du Proche-Orient syro-palestinien, mésopotamien, chypriote et peut-être aussi anatolien, en se basant sur certains aspects somatiques. Si la question de l’origine de l’appellation grecque reste encore ouverte, il est aussi à noter que les concepts de Phéniciens et de Phénicie semblent absents ou très mal définis par nos sources directes et indirectes, étant impossible de distinguer les caractéristiques essentielles de ces individus et les limites de leur territoire3. 1. Pour une analyse récente sur l’origine et les significations du mot grec, cf. Ercolani 2015, p. 171-182. 2. Ibid., p. 177. 3. D’après la théorie généralement acceptée, la culture phénicienne stricto sensu se développerait dans la région conventionnellement comprise entre la ville de Tell Soukas Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 19-41

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L’ethnonyme Φοίνικες n’est en effet présent que dans les sources grecques. Dans les textes proche-orientaux, au contraire, on retrouve plutôt souvent l’appellation de Sidoniens. Par ailleurs, dans les documents en langue phénicienne à notre disposition, il n’y a aucune référence à l’existence d’un mot utilisé par les habitants de la côte libanaise pour se désigner collectivement : apparemment, ils ne se qualifiaient jamais de Phéniciens, mais de Tyriens, Sidoniens, Arwadites, etc., selon le nom de leur cité d’origine. L’« identité phénicienne » devrait donc plutôt être considérée comme une catégorie traditionnellement utilisée par les savants pour désigner les gens qui occupent la côte syro-libanaise au ier millénaire av. J.-C. et qui probablement sont les responsables de la diffusion d’objets orientalisants et égyptisants dans l’espace méditerranéen. Si, donc, ce concept d’identité phénicienne est un instrument d’étude historique et scientifique, il serait intéressant d’aborder le sujet de manière interdisciplinaire, en renversant la perspective et en utilisant un point de vue différent, notamment celui des entités contemporaines. L’étude du corpus des données textuelles et matérielles provenant de ces royaumes (notamment Égypte et Assyrie) voisins et conquérants du territoire traditionnellement considéré comme phénicien, ainsi que l’analyse de certains objets de luxe, considérés comme des marqueurs, pourraient permettre de cerner la perception que « les autres » avaient des habitants de la côte syro-libanaise au ier millénaire av. J.-C.

Ce qu’ils disent de nous : la qualification des Phéniciens dans les textes L’Égypte L’Égypte a eu pendant longtemps des relations commerciales, politiques et culturelles intenses avec la côte levantine. Or, l’analyse des sources écrites montre que les données traitant de ces questions dans la documentation égyptienne sont très disparates, et entraîneront forcément une étude diachronique, gommant par la même les spécificités chronologiques et géopolitiques. Si l’on se cantonne à la période concomitante de l’expansion assyrienne, qui devrait nous permettre d’obtenir un regard croisé de deux ensembles politiques entrant en contact avec la région levantine, force est de constater que la documentation écrite égyptienne est quasi inexistante. La partie ouest du Proche-Orient au-delà de la Vallée du Nil est désignée en égyptien par un terme (Fnḫw) utilisé depuis la Ve dynastie (2400 av. J.-C.) jusqu’à l’époque ptolémaïque pour indiquer les populations de la Syrie-Palestine. Ses acceptations, très débattues, posent de nombreux problèmes d’interprétations4.

(ancienne Shukshu) au nord et la ville de Acco / Saint-Jean d’Acre, au pied du Mont Carmel, au sud, délimitée par la mer Méditerranéenne à l’ouest et les chaînes de montagnes du Liban et de l’Anti-Liban à l’est (cf. Bondi 2009, p. vi). Plusieurs savants ne sont pas d’accord avec cette limitation, notamment Garbini (cf. Garbini 1980). 4. Nibbi 1986, p. 11-20.

CE QU’ILS DISENT DE NOUS : LE MONDE PHÉNICIEN VU PAR LES ÉGYPTIENS ET LES ASSYRIENS • 21

Parmi les différentes hypothèses relatives à l’origine de l’appellation grecque Φοίνικες, certains chercheurs ont proposé un lien avec le mot égyptien Fnḫ (pluriel Fnḫw). Le célèbre vocabulaire de la langue égyptienne Wörterbuch5 accorde à ce terme le sens de « charpentier, menuisier ou charpentier de marine ». Les rapports entre les deux appellations, grecque et égyptienne, se baseraient essentiellement sur une ressemblance phonétique ainsi que sur l’utilisation des deux termes pour indiquer une région asiatique proche de l’Égypte. Le décret trilingue en l’honneur de Ptolémée IV, dont un premier fragment fut découvert en 1902 et un autre plus important en 1923, représenterait une preuve textuelle du lien entre les deux termes : dans ce texte, publié suite à la bataille de Raphia (217 av. J.-C.), le mot grec Φοίνικη est équivalent à l’égyptien Fnḫw et au démotique Kherou6. De plus, il est à noter une correspondance entre l’écriture égyptienne du mot Fnḫw et celle du terme utilisé dans les textes pour nommer les étrangers du nord7. Cet élément plaide en faveur d’un possible lien entre les deux appellations, notamment en considération du fait que d’après les textes égyptiens, les Fnḫw étaient localisés le long de la frontière nord, dans une région connue pour la qualité de ses arbres8. Malgré ces suggestions, l’hypothèse d’un rapport entre les deux appellations a été finalement abandonnée soit en raison d’un défaut de témoignages concernant la ressemblance phonétique, soit pour des raisons historiques. En effet, si l’égyptien Fnḫw était déjà attesté par les documents officiels de l’Ancien Empire, il faut au contraire attendre les Histoires d’Hérodote et, donc, le ve siècle av. J.-C., pour voir apparaître les mots Φοίνικη et Φοίνικες. Fnḫw, donc, devrait plutôt faire référence à une catégorie sociogéographique de personnes unies non pas par une identité ethnique commune, mais par le travail de menuisier qu’elles exerçaient. On constate facilement ici qu’une partie des hypothèses développées pour interpréter le mot égyptien est fortement influencée par le présupposé de l’existence d’une population ayant une identité culturelle forte dans la région « phénicienne », dont nous retrouvons les stéréotypes supposés : un peuple originaire du Levant, spécialisé dans les activités maritimes, liées au bois. Cette remarque révèle clairement une confusion entre les concepts d’identités ethnique et culturelle. D’autres termes faisant référence au Levant existent dans la documentation égyptienne9, mais seul Fnḫw semble encore attesté au ier millénaire av. J.-C. On peut supposer que cette absence de terminologie plus précise est liée à la nature des sources égyptiennes. En effet, l’Égypte de cette époque s’implique peu politiquement dans la région. Néanmoins nous savons que des populations en provenance du Levant résidaient et faisaient carrière en Égypte. 5. 6. 7. 8. 9.

Wörterbuch der ägyptischen Sprache I, p. 576-577. Cf. Vandersleyen 1987, p. 19-20. Nibbi 1986, p. 11-20. Cf. Har-El 1977, p. 75-86 ; Nibbi 1981. Cf. Vandersleyen 2002, p. 27 : l’appellation Réténou était utilisée pour désigner une région, composée de plusieurs États de Syrie et de Palestine. Vandersleyen souligne la valeur très vague de ce terme. Si au nord le territoire des Réténou semble s’étendre au moins jusqu’à l’actuel Liban, les limites sud sont beaucoup moins claires. La branche pélusiaque du Nil matérialisait pour les Égyptiens la frontière entre leur pays et l’étranger, où résidaient les Fenkhou, les Djahy et les Kharou, populations qui parfois franchissaient cette limite et s’installaient dans la zone du Delta.

22 • LUISA BONADIES / LIONEL MARTI

Les inscriptions mentionnant des Phéniciens en Égypte Plusieurs témoignages d’une présence levantine10 ont en effet été repérés sur différents sites égyptiens11. De nature très variée, ils se concentrent essentiellement dans le Delta du Nil, avec quelques attestations au Soudan. Si la majorité des documents épigraphiques se limitent à mentionner le nom de l’auteur ou de ses parents (notamment le père), quelques inscriptions nous offrent des informations sur la ville d’origine. C’est le cas de deux graffitis gravés sur le temple funéraire de Seti Ier à Abydos datables d’entre le ve et iiie siècle av. J.-C. Dans le premier, un certain Pala-ubast habitant à Héliopolis affirme que son grand-père était originaire de Tyr12. Le second gravé par ‘Abdešmun mentionne Kition comme ville de provenance13. Le nom de la ville d’Akko est attesté par un ostracon retrouvé par N. Aimé-Giron dans les réserves du Service des Antiquités de Saqqara14, parmi le matériel provenant des fouilles de Firth et daté par des analyses paléographiques du ve siècle av. J.-C. Un papyrus, de la même époque, en langue araméenne, conservé au Musée Archéologique National de Madrid et probablement rédigé à Abydos mentionne des personnages aux anthroponymes phéniciens dont un certain Abdbaal qualifié de « Sidonien »15. En l’absence d’autres témoignages, on constate que les quelques exemples d’inscriptions cités ici permettent de constater encore une fois que seules des villes de la Phénicie sont mentionnées, jamais des pays ou des États. L’Assyrie Contrairement à la documentation égyptienne, il existe dans le corpus assyrien une multitude de façon de désigner les structures politiques et les individus16 de la région ouest de leur empire17. En voici deux exemples significatifs, qui illustrent ces difficultés d’interprétation. 10. L’appellation « Levantins » exprime un concept plutôt large, utilisé pour indiquer de manière générale tous les individus en provenance du Levant. Étant donné le sujet de ces journées d’étude, nous employons ici l’appellation comme synonyme de Phéniciens. 11. L’analyse actualisée de ces témoignages fait l’objet de la thèse de doctorat en cotutelle de L. Bonadies sous la direction du professeur E. Gubel et du professeur A. Agostini au sein de la Vrije Universitait de Bruxelles et de l’Université de Rome, La Sapienza. 12. Ce graffiti a été publié pour la première fois dans le CIS (I, 102a) et a été ensuite étudié par différents auteurs : Derenbourg 1885, p. 93, no 36 ; Lidzbarski 1912, p. 423; Cooke 1903, no 31a; Lidzbarski 1907, no 39 ; Id., p. 109, pl X, 47; RES 1305; KAI 49.34; Magnanini 1973, p. 66-68. 13. Publié pour la première fois dans le CIS (I, 103c) et ensuite par Derenbourg 1885, p. 89, no 22bis ; Lidzbarski 1912, p. 423; Lidzbarski 1915, p. 98, pl VII, 15; RES 1311; KAI 49.13; Magnanini 1973, p. 66-68. 14. Musée du Caire, no d’entrée 64908 ; cf. Aimé-Giron 1935, p. 18-19, pl. I, n. II; Magnanini 1973, p. 80 ; Pisano-Travaglino 2003, p. 80, Eg. 3. 15. Aimé-Giron 1931, p. 79 ; Teixidor 1964, p. 285-290. 16. Sur la question de l’« ethnicité », voir notamment concernant les nisbe, l’article de Fales 2013 tout particulièrement p. 56-60 pour cette zone. 17. La conquête du Levant par les Assyriens fut une opération de très longue haleine. On pourra se reporter à la grande synthèse de Bagg 2011. Pour un rapide état de la question voir aussi Marti 2014.

CE QU’ILS DISENT DE NOUS : LE MONDE PHÉNICIEN VU PAR LES ÉGYPTIENS ET LES ASSYRIENS • 23

La VIe campagne de Sennachérib Le premier provient des inscriptions royales de Sennachérib décrivant sa VIe campagne (694-693 av. J.-C.) qu’il lança contre des fugitifs sud-mésopotamiens, réfugiés en Élam18. Pour des raisons stratégiques, il opta pour un passage par le Golfe persique ce qui nécessita la construction de navires sur laquelle le souverain assyrien nous livre quelques détails. La version la plus longue précise19: « Le dieu Aššur, mon seigneur, m’encourageait et j’ordonnai de marcher contre eux (les fugitifs babyloniens), vers le pays de Nagîtu. J’installai dans Ninive des gens du pays de Hatti, conquête de [mon arc] et ils construisirent avec compétence de magnifiques bateaux, production caractéristique de leur pays. Je donnai des ordres à des marins tyriens, sidoniens et ioniens20, que j’avais capturés. Elles (mes troupes) laissèrent (les marins) naviguer sur le Tigre avec eux en aval jusqu’à la ville de Opis ».

La vision assyrienne qu’offre ce texte du monde de l’ouest est contrastée. Les navires sont dits être conduits par des marins, dont l’origine est précisément indiquée : Tyr, Sidon et pour faire simple « Ioniens », peuples maritimes par excellence. En revanche, leur construction est laissée à des populations particulièrement vagues, car désignées comme provenant du pays de Hatti21, c’est-à-dire ce que l’on considère traditionnellement comme l’actuelle Syrie de l’ouest22, et non à ces mêmes Tyriens, Sidoniens ou « Ioniens ». L’Ouest vu par Assarhaddon Son successeur, Assarhaddon, alors que l’empire assyrien est très présent sur la côte, décrit parfois dans ses inscriptions royales la situation géopolitique levantine telle qu’il la perçoit et souhaite l’exposer. Les prismes du souverain datant de sa huitième année de règne et postérieurs (soit à partir de 697 av. J.-C.) décrivant les travaux de modification de l’arsenal de Ninive, livrent la liste des souverains sollicités pour obtenir des matières premières,

18. Pour les différentes versions de cette campagne dans les inscriptions royales de Sennachérib, voir Grayson, Novotny 2012, p. 10-11 et Grayson, Novotny 2014, p. 17-18. 19. Grayson, Novotny 2014, p. 82, texte 46, l. 56-62. 20. Une bibliographie assez conséquente s’est développée sur ce passage, dont le mauvais état de conservation des différentes versions du texte laissait un doute sur la lecture d’un toponyme : ia-ad-na-a-a « Chypre » ou ia-am-na-a-a, « Ionie » (Voir les commentaires de Grayson, Novotny 2012, p. 165, n. 20 i’ 7. Or, la consultation de la photo de l’un d’eux (Grayson, Novotny 2012, p. 165, texte 20) permet de régler cette question, permettant d’y lire [uru ṣi-du-un-na-a-a kur ia-a]m*-˹na˺-a-a. texte 20 (Grayson, Novotny 2012, p. 165) (http://www.britishmuseum.org/research/collection_online/collection_object_details/ collection_image_gallery.aspx?assetId=1516201001&objectId=295098&partId=1). 21. Une version courte précise (Grayson, Novotny 2012, p. 222, texte 34, l. 23-24) « Dans des bateaux du pays de Hatti, que j’avais fait dans les villes de Ninive et Til-Barsip, assurément je traversai la mer ». 22. L’aptitude de ces populations à la construction de navires permet néanmoins d’en réduire le champ géographique.

24 • LUISA BONADIES / LIONEL MARTI

esquissant par là même la carte géopolitique de l’ouest du Proche-Orient23. Il précise tout d’abord que les rois sollicités sont ceux « du pays de Hatti et de l’autre côté du fleuve », puis il en donne les noms. Sont d’abord nommés les 12 rois du bord de la mer (ša kišâdi tâmti)24 puis les « 10 rois de Iadnana25 qui se trouve au cœur de la mer (qabal tâmti) ». Cette énumération est suivie d’un total précis de 22 rois du pays de Hatti, de la côte (ahi tâmti) et du cœur de la mer (qabal tâmti). Les territoires dont les souverains ne sont pas mentionnés dans l’énumération correspondent à des provinces assyriennes, qui n’ont donc plus de roi. C’est le cas par exemple de Sidon, dont on connaît le destin tragique du roi, Abdi-milkûti, décapité suite à la IVe campagne d’Assarhaddon26, qui en outre dit avoir construit une nouvelle ville et transformé son arrière-pays en province. Conclusion La confrontation des deux documentations illustre clairement l’absence de pouvoir politique et territorial unitaire dans la région levantine. On voit les Assyriens la comprendre sous deux aspects : un de géographie physique, avec un découpage en grandes zones, « Hatti », zone au-delà de l’Euphrate, Bord de la mer etc., et un second, politique, centré soit sur des petits royaumes ou plus souvent des villes, parmi lesquelles Tyr et Sidon semblent avoir une grande importance. Il ne semble pas ressortir de grands ensembles politiques et/ou culturels. Au Bronze Récent, lors du contact avec des nouveaux groupes d’étrangers (Hittites, Hourrites, Crétois, Chypriotes, et les soi-disant Peuples de la Mer), les Égyptiens introduisent de nouvelles appellations et ils remplacent le générique ‘A’am (Asiatiques) par Kher, probablement correspondant à « Hourrites », mais généralement traduit par « Syriens »27 par les égyptologues. En revanche, l’appellation utilisée par les Égyptiens pour désigner les populations de la côte levantine, Fnḫw, ne change pas dans le temps. Cela révèle en effet que pour les gens de la vallée du Nil il n’y aucun changement politique évident et, par conséquent, ils ne trouvent aucune nécessité d’inventer une nouvelle dénomination. Pour les Égyptiens, les « Levantins » du ier millénaire continuaient à s’occuper du commerce des mêmes produits que ceux du iie millénaire, à parler un dialecte similaire et probablement à s’habiller de la même façon. Par ailleurs, l’intérêt principal de la documentation égyptienne est de nous livrer des inscriptions de « Levantins » qui s’identifient par leur ville d’origine et non par des pays.

Comment nous-voient-ils : les représentations des Phéniciens L’usage d’une codification spécifique permettant aisément l’identification d’un groupe de personnes est souvent considéré comme indiquant l’appartenance à

23. Leichty 2011, p. 23, texte 1 l. v 54-73. Ce passage est très commenté. Voir la bibliographie réunie dans Leichty 2011, p. 11. 24. On remarquera que certains de ces rois sont physiquement assez loin des bords de la mer. 25. C’est-à-dire l’île de Chypre. 26. On pourra se reporter à ce sujet notamment à Marti 2014, p. 14-19. 27. Haring 2005, p. 165.

CE QU’ILS DISENT DE NOUS : LE MONDE PHÉNICIEN VU PAR LES ÉGYPTIENS ET LES ASSYRIENS • 25

une même culture28. Voyons à travers les représentations figurées égyptiennes et assyriennes si un groupe « phénicien » se dégage. L’Égypte Le monde égyptien est bien connu pour ses représentations tant issues des tombes que de nombreux autres contextes. Les Égyptiens distinguaient les groupes humains selon des critères culturels et territoriaux. La représentation des étrangers avait des codes standardisés, notamment pour représenter les tenues vestimentaires, la culture matérielle ou le paysage29. Dans le cas d’expéditions au Liban, pour citer l’exemple qui nous concerne plus directement, l’élément permettant de situer l’action au Levant est la présence d’une forêt de hauts cèdres. Le temple mortuaire de Ramses III à Medinet Habou (XXe dynastie, 1184-1153 av. J.-C.) offre un bon exemple de la convention graphique utilisée dans la représentation des étrangers. Le palais de cérémonie inclut dans le complexe architectural, est luxueusement décoré avec des tuiles multicolores de faïence, sur lesquelles des rangées de prisonniers étrangers dont les jambes sont entravées, sont reproduites (figure 1). Les artistes ont utilisé ici les costumes et les physionomies ethniques typiques de la classification égyptienne : les tuiles proposent en effet des représentations de Syriens, Nubiens, Libyens, Amorites, Philistins, Bédouins, Peuples de la Mer30. Curieusement, les Égyptiens remarquent une différence entre les Syriens, les Amorites et les Philistins31, mais ils n’attribuent pas aux Phéniciens des caractéristiques distinctives. Concernant les individus originaires des territoires à l’est de la vallée du Nil, en effet, une variété de représentations qui permettent de discerner les populations de la Syrie-Palestine et celles de la côte levantine ne semble pas être attestée. Ces gens sont généralement représentés avec la peau claire (blanche ou jaune), le front bas et un gros nez crochu. Les longs cheveux noirs qui descendent sur les épaules, sont souvent attachés par un bandeau (figure 2). Fréquemment insérés dans des représentations de marchands ou de tributaires portant des biens originaires de leur pays, ils sont vêtus d’une robe blanche, à décorations rouge et bleu ou encore à bandes multiples et colorées. La tunique a souvent des franges et des manches longues. La difficulté de discerner les gens d’origine levantine est due aussi au fait qu’ils s’intègrent parfaitement dans le système politique égyptien, en arrivant jusqu’à changer leurs noms pour adopter un anthroponyme local. 28. Cette démarche est régulièrement utilisée pour les bas-reliefs assyriens qui comportent aussi des inscriptions permettant l’identification des différents protagonistes. Voir par ex., le point fait par Brown 2014, p. 515-542 ; pour l’identification des soldats de l’armée assyrienne voir l’article de Postgate 2000, p. 100-105 et celui de Nadali 2005, p. 222-224. Sur la notion d’influence culturelle et d’emprunt de la Syrie du nord dans l’art assyrien voir par ex. Aro 2009. Notons aussi les remarques de Collon 2005 montrant que ces identifications peuvent être liées à des détails et surtout au contexte de celui qui regarde la représentation. 29. Pillon 2013, p. 204. 30. Au Nouvel Empire le contact avec différents groupes d’origines étrangères pousse les Égyptiens à développer de nouveaux modèles iconographiques, cf. Représentations d’un chef amorite et d’un chef philistin sur les tuiles conservées au Boston Museum of Fine arts nos 03.1571 et 03.1572. 31. Pour la question des Philistins en Égypte, cf. Kahn 2011, p. 1-11.

26 • LUISA BONADIES / LIONEL MARTI

1 2

Figure 1 - Tuiles multicolores en faïence du temple mortuaire de Ramses III à Medinet Habou [Ziegler 2002, no 116]. Figure 2 - Sandales de Tutankhamon [Veldmeijet 2011, p. 87, 90, 93].

CE QU’ILS DISENT DE NOUS : LE MONDE PHÉNICIEN VU PAR LES ÉGYPTIENS ET LES ASSYRIENS • 27

Les images d’Asiatiques habillés et représentés à la manière égyptienne sont en effet nombreuses : la scène du banquet reproduite sur le mur septentrional de la sépulture de Nebamun haut fonctionnaire sous le règne de Thoutmosis IV et d’Amenhotep III, représentant un personnage de haut rang d’origine syrienne accompagné de sa femme, est un premier exemple datable du milieu de la XVIIIe dynastie (xive siècle av. J.-C.)32. Le personnage en posture égyptienne, est assis, avec des éléments le distinguant des représentations classiques des Égyptiens de l’époque. Parmi eux, on trouve la longue barbe épaisse, la longue veste à frange et manches longues, ainsi que le bandeau. Ces traits sont considérés comme permettant de reconnaître des caractéristiques essentielles de la représentation des individus des territoires orientaux, qui continuent à être utilisées jusqu’à l’époque tardive, comme le montre la stèle de Khaapis, datable de la XXVIe dynastie33. Le cas des représentations de la tombe de Padiastarte, grand prêtre de Khonsu et Horus, découverte dans l’oasis de Bahariya et datable également de la XXVIe dynastie (vie siècle av. J.-C.), est intéressant comme exemple d’intégration parfaite des Levantins dans le monde égyptien34. Le propriétaire de la sépulture, malgré son nom ouestsémitique, n’a aucun des caractères des populations « syriennes » et il est vêtu à l’égyptienne. Son neveu Thaty, dont la sépulture a été taillée dans la même roche, juste derrière celle de son grand-père, est également représenté habillé à la manière égyptienne, tandis que sa femme, Ta-Nefer-Bastet, et sa fille portent une robe longue à frange d’origine libyenne (figure 3)35.

Figure 3 - Épouse et fille de Thaty, sépulture de Padiastarte, oasis de Bahariya [Fakhry 1942, p. 130]. 32. 33. 34. 35.

Säve-SöDerbergh 1957, pl. XIII. Schäfer 1902, pl. I. Fakhry 1942, p. 125-133. Fakhry 1942, p. 130.

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Assyrie Des personnes provenant des sites levantins sont représentées explicitement dans des documents iconographiques assyriens, tout particulièrement lors des remises de tributs36. L’identification de critères de représentation spécifiques à un groupe de population doit répondre à deux postulats : ils doivent être exclusifs à ce dernier et y être répétitifs, pour au moins une même période de temps. C’est pourquoi, nous nous intéresserons à celles datant d’un même souverain, Salmanazar III37 (858824 av. J.-C.) pour essayer de les caractériser. Les bandes en bronze des portes retrouvées sur le site de Balawat38, livrent deux mentions de tributs des Tyriens et des Sidoniens39. On y voit des personnages barbus portants de grandes robes, et une sorte de bonnet pointu40. La comparaison avec une œuvre contemporaine telle que l’Obélisque noir41, devrait permettre de déceler une cohérence dans les représentations car il comporte, lui aussi, des représentations de tributaires, venant pour certains des mêmes régions42. Le deuxième registre illustre le tribut de Iâû du Bît-Humrî43 dont d’autres inscriptions du souverain précisent qu’il fut reçu en même temps que d’autres44 : « À ce moment, je reçus le tribut des Tyriens, des Sidoniens, et de Iâû « fils » de Humrî ».

Les représentations des Portes de Balawat et celles de l’Obélisque noir, sont concordantes, notamment avec leurs personnages barbus, vêtus de robes et portant des bonnets pointus, ce qui pourrait laisser supposer que la spécificité géographique serait marquée par des traits iconographiques communs. Or, l’analyse de l’ensemble des représentations du document montre qu’ils ne sont pas les seuls à disposer de ces caractéristiques.

36. Voir le point fait par Nun 2007, p. 126-133 et Bär 2007, p. 231-255. 37. Pour une analyse des campagnes de ce souverain vers l’ouest, voir Yamada 2000. 38. Les restes des bandes en bronze que portaient ces portes viennent d’être republiées. Celles datant d’Aššurnaṣirpal II par Curtis, Tallis 2008 ; et celles de Salmanazar III par Schachner 2007. 39. La première épigraphe mentionne uniquement la réception du tribut et se focalise sur le transport par bateaux, des Sidoniens et des Tyriens (Grayson 1996, p. 141, texte 66) tandis que l’autre qui suit le premier (Grayson 1996, p. 147, texte 84) en décrit le contenu. Voir aussi les commentaires de Schachner 2007, p. 225-227 et le dessin de l’ensemble de l’épisode de la bande III qui comporte ces deux épigraphes, p. 295. 40. On notera néanmoins que les deux personnages qui restent sur l’île, regardant le tribut partir, ont des vêtements différents, notamment l’un d’eux a une coiffe beaucoup plus plate. 41. Pour le texte porté par cet objet voir Grayson 1996, p. 62-71, texte 14 et pour les épigraphes p. 148-151, textes 87-91. On pourra trouver sur le site du British Museum de superbes photos de l’obélisque (http://www.britishmuseum.org/research/collection_online/collection_object_details.aspx?objectId=367012&partId=1&searchText=bm+118885&page=1). Sur les scènes représentées voir par exemple Bär 1996, p. 148-162. 42. Les tributaires représentés marquent en quelques sorte les limites de l’empire car ils proviennent de points éloignés : le Gilzânu, Israël, l’Égypte, le Sûhu et le Patina. 43. Il s’agit du Jéhu, roi d’Israël, bien connu par la Bible. 44. Grayson 1996, p. 602, texte A.0.102.12, l. 29-30. Cette réception de tribut se déroule après l’érection d’une représentation royale.

CE QU’ILS DISENT DE NOUS : LE MONDE PHÉNICIEN VU PAR LES ÉGYPTIENS ET LES ASSYRIENS • 29

Le Ve registre de l’Obélisque noir comporte des porteurs de tributs provenant du pays de Patina45, dont certains sont représentés de la même façon que ceux du IIe registre. Il pourrait s’agir, dans ce cas de traits communs liés à leur nature levantine. Mais, le Ier registre présente des personnages parfaitement semblables, provenant du pays de Gilzânu46, une région se trouvant au sud-ouest du lac de Urmia47. Cela tendrait à montrer que plusieurs populations peuvent posséder des modalités de représentation communes48 ou que les spécificités culturelles soient moins nettes que supposé49. Les mêmes constatations de similarités et de différences dans la façon de représenter des personnages peuvent être faites au sujet de la réception d’un tribut provenant du même endroit mais représenté sur deux objets différents50. L’utilisation de ces traits communs pour identifier une culture homogène doit donc être maniée avec précaution. Conclusion Il est intéressant de noter les différences entre les représentations égyptiennes et assyriennes. Dans les premières, contrairement aux secondes, c’est l’absence de bonnet, remplacé par une bande sur le front, qui identifie les gens de la côte levantine et de la Syrie-Palestine. On constatera d’ailleurs que ces caractéristiques sont celles des Égyptiens des reliefs assyriens51, qui auraient des traits « levantins » selon les critères égyptiens. Il ne serait d’ailleurs pas impossible que les porteurs de tributs ne soient pas des Égyptiens mais que ces derniers aient fait transporter le tribut par l’intermédiaire d’un de leur comptoir levantin.

Un exemple de notre artisanat : le cas d’un vase en pierre La question de la définition de la culture matérielle est au cœur du débat sur la notion de « phénicien ». En effet, l’analyse de cette dernière est souvent considérée comme une façon de définir un ensemble culturel cohérent. Cela nécessite alors bien entendu des questionnements sur les styles, les provenances, les influences, etc. 45. C’est-à-dire la région à l’ouest d’Alep. Voir Bagg 2007, p. 188-189. 46. Dont la légende précise qu’il s’agit du tribut d’un certain Sû’a, le Gilzanéen (Grayson 1996, p. 148-149, texte A.0.102.91). Sur ce personnage voir notamment les commentaires de Yamada 2000 p. 252, n. 53. 47. Parpola, Porter 2001, p. 9. 48. N’oublions pas non plus que les personnages portant le tribut d’une entité politique peuvent ne pas en être directement issus mais être des vassaux de cette dernière. 49. Rappelons le commentaire de Collon 2005, p. 66 selon laquelle (« which ethnicity was indicated. First of all, it should be noted that Assyrians, Aramaeans and Semitic inhabitants of the Levant were ethnically related, and this would have been reflected in their general appearance »). 50. C’est le cas de la réception du tribut du Patina / Unqu, représenté sur le Ve registre de l’Obélisque noir et sur la base du trône de Salmanazar III retrouvé à Nimrud (voir Oates 1963, pl. VIa, b et VII a, b ; Hulin 1963, pl. 10 et Russell 1999, p. 66-69. L’épigraphe a été republiée par Grayson 1996, p. 139 texte A.0.109.60. Pour le roi Qalpurunda voir Baker 2002, p. 1005 et pour le contexte historique complexe de ces distributions de tributs voir Yamada 2000, p. 252). 51. Sur le fait qu’il s’agisse plutôt de cadeaux diplomatiques, voir Yamada 2000, p. 252-253.

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Le cas des vases en pierre, retrouvés dans le vieux palais d’Aššur en illustre la difficulté. Parmi ceux datant du règne d’Assarhaddon, certains provenaient explicitement du pillage de la ville de Sidon, selon le texte cunéiforme52 très clair à ce sujet, donc du cœur du « monde phénicien »53. Le premier vase en albâtre (Ass 136) porte l’inscription suivante54 : « Palais d’Assarhaddon, grand roi, roi fort, roi de la totalité, roi du pays d’Aššur, gouverneur de Babylone, roi de Sumer et d’Akkad, fils de Sennachérib, roi de la totalité, roi du pays d’Aššur, fils de Sargon, roi du pays d’Aššur, gouverneur de Babylone, roi de Sumer et d’Akkad : (vase) en pierre-nahbiṣu, rempli d’huile princière, qui était avec les vastes possessions et les biens sans nombre, trésors du palais de Abdi-milkûti, roi du pays de Sidon, qui se trouve au cœur de la mer, que mes grandes mains ont conquis avec le soutien d’Aššur, de Sîn, de Šamaš, de Bêl, de Nabu, d’Ištar de Ninive, et d’Ištar d’Arbèles ».

Le vase porte aussi l’image d’un lion, symbole royal par excellence55. Le second vase (Ass 187) comporte un texte assyrien quasi identique56 et un texte en égyptien hiéroglyphique (figure 4). L’inscription en hiéroglyphes égyptiens est gravée autour de l’épaule, en correspondance des anses. Les signes entourent deux cartouches à plumes de Hershef, appelé « le gouverneur des deux rives (c’est-à-dire de l’Égypte) » et « le Seigneur de Nnj-nsw », probablement correspondant au domaine de Hérakleopolis Magna. Une édition récente de M. Wasmuth et G. Brein a souligné à nouveau la difficulté de compréhension du texte égyptien, en essayant d’en réexaminer la traduction57 : « Sois le bienvenu58, (toi) qui est venu de l’oasis de Bahariya avec tout (cet) excellent vin59 (lit. : avec des bons raisins), qui est agréable pour Ka ! Que tu le donnes à celui qui est dans le besoin (lit. : Le Seigneur du manque / de la carence), aux soucieux et à celui qui est 52. Ass 136 (Pedersen 1997, p. 16) et Ass 187 (Pedersen 1997, p. 17). 53. Plusieurs autres vases ou fragments de même provenance, datent du même souverain mais ont une inscription moins développée. Il s’agit de Ass 137 (Pedersen 1997, p. 17), qui ne comporte qu’une ligne d’inscription, semble-t-il au nom d’Assarhaddon et une représentation du lion royal et de Ass 185a (Pedersen 1997, p. 17) fragment inscrit datant vraisemblablement du règne d’Assarhaddon. 54. Leichty 2011, p. 146-147, texte 70. 55. Pour cette iconographie voir par exemple Niederreiter 2008, p. 51-86 (plus particulièrement p. 78) et Nadali 2008, p. 95-96. 56. Ass 187. Voir Leichty 2011, p. 147-148, texte 71 : « Palais d’Assarhaddon, grand roi, roi fort, roi de la totalité, roi du pays d’Aššur, gouverneur de Babylone, roi de Sumer et d’Akkad, expert en mêlée et combat, celui qui renverse ses ennemis, fils de Sennachérib, roi de la totalité, roi du pays d’Aššur, fils de, Sargon, roi du pays d’Aššur, gouverneur de Babylone, roi de Sumer et d’Akkad : (vase) en pierre-nahbiṣu, rempli d’huile princière, qui était avec les vastes possessions et les biens sans nombre, trésors du palais de Abdi-milkûti, roi du pays de Sidon, qui se trouve au cœur de la mer, que mes grandes mains ont conquis avec le soutien d’Aššur, de Sîn, de Šamaš, de Bêl, de Nabu d’Ištar de Ninive, et d’Ištar d’Arbèles ». 57. Wasmuth-Brein 2013, p. 343-367. 58. Von Bissing propose « Je suis venu, je reviens de l’oasis de Bahariya ». 59. Von Bissing propose de traduire plutôt comme « lait ».

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en deuil (lit. : Le Seigneur son chagrin), en faveur du Ka, le prêtre Herishef, roi des Deux Pays (= Égypte), le prince de la “Maison de Sechemcheperre”, le fils du roi Ramsès, le général (et) chef Takeloth ; sa mère est la Grande du Harem Tentsai, la justifiée ».

Malgré la traduction incertaine, le texte égyptien semble documenter assez clairement le fait que le vase et son contenu sont un riche cadeau. La comparaison de ces deux inscriptions est intéressante, car on observe que le contenu varie en fonction des propriétaires. Les deux inscriptions nous poussent à supposer que le vase a voyagé longtemps et dans différents lieux, avant d’arriver dans le palais d’Assarhaddon. L’inscription égyptienne mentionne en fait la provenance de l’oasis de Bahariya, où il a été rempli de vin60 ; le texte en cunéiforme affirme que le vase a été pillé dans le palais de Abdi-milkûti, roi du pays de Sidon. Ce texte, qui ne donne pas le nom du vase, mais en précise le contenu, mentionne aussi le nom de Takeloth III (milieu du viiie siècle), fils de Osorkon III qui aurait dédié ce vase, alors qu’il n’était que prince héritier. Le vase en pierre nahbaṣu61 est connu comme étant un cadeau prestigieux, comme le montre un exemplaire datant de Sennachérib qui porte un texte disant62 : « Moi, Sennachérib, roi du pays d’Aššur, j’ai donné ce (vase) en pierre-nahbuṣu à Aššur-ilî-mubalissu, mon fils. Quiconque l’emporterait, de lui, de ses enfants, ou de ses petits-enfants, puisse le dieu Aššur, roi des dieux, emporter sa vie, ainsi que celle de ses fils, et puissent-ils faire disparaitre du pays leurs noms, leurs descendances, ainsi que (ceux de) ses conseillers ». L’analyse historique que l’on peut faire de ce petit ensemble dépend de l’angle d’approche. a / Si l’on s’en tient uniquement aux inscriptions qu’ils portent, on en déduit que ces vases sont tous du même type nahbaṣu. Que l’un d’entre eux, d’origine égyptienne, s’est retrouvé avec un autre dans le trésor d’Abdi-milkûti à Sidon avant d’être tous deux ramenés à Aššur par Assarhaddon avec les produits issus du pillage du palais du roi de Sidon. Le troisième est assyrien et est resté en Assyrie. On comprend aussi grâce au vase de Sennachérib qu’il s’agit d’un précieux cadeau. b/ Si l’on ne prend en compte que les lieux de découvertes, on en déduit qu’il s’agit de vases particulièrement prisés par les élites assyriennes, car soigneusement conservés dans les palais sur plusieurs générations. c/ Si l’on s’en tient à la typologie céramique alors deux conclusions s’offrent à nous. Le profil du vase Ass 187 (figure 4a) rappelle clairement des amphores en terre cuite, connues sous différentes appellations63 : Torpedo jars, Carinated-shoulder amphora et plus généralement Canaanite jars64. Produites avec de nombreuses variantes à partir de l’âge du Bronze Moyen au Levant jusqu’à l’époque punique 60. Il est bien connu que, grâce à la disponibilité pérenne d’eau, les oasis représentaient un milieu idéal pour la production du vin (cf. Strabon, Géographie 17, 1, 42). Pour une étude approfondie sur la question du vin en Égypte, voir notamment Tallet 1998. 61. Pour ce vase voir notamment Gaspa 2014, p. 166-168, 206. 62. Grayson, Novotny 2014, p. 167-168, texte 133. 63. L’hypothèse d’un rapport entre la production en pierre et celle en céramique a été proposée pour la première fois par W. Culican (cf. Culican 1970, p. 31, n. 24). 64. Sagona 1982, p. 73.

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a b c

Figure 4 - a/ Vase en pierre, Berlin, Vorderasiatisches Museum (inv. Ass. 2258) [Fontan, Le Meaux 2007, p. 310, no 56] ; b/ Amphore à épaule carénée du Type 7 de la classification de A. Sagona [Sagona 1982, p. 81, fig. 2] ; c/ Amphores à épaule carénée du Type 5-2 [Pedrazzi 2007, p. 74, fig. 3.22].

en Méditerranée occidentale, elles appartiennent au Type 7C de la classification typologique de A. Sagona65 (figure 4b) et à la Forme 5 identifiée par T. Pedrazzi dans son étude sur les jarres de stockage au Levant66. 65. Ibid., p. 83-85. 66. Pedrazzi 2007, p. 71-86. Les variantes 5-1 (fig. 8), 5-3, 5-5 nous semblent les plus proches des exemplaires en pierre étudiés : le sous-type 5-1 pour le profil du corps, qui présente un ventre légèrement convexe dans la partie inférieure (Pedrazzi 2007, p. 71, fig. 3.20, c) ; le sous-type 5-2 (Pedrazzi 2007, p. 73, fig. 3.22, a-b) et le 5-3 pour l’épaule légèrement convexe (Pedrazzi 2007, p. 74, fig. 3.23, c).

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Les vases Ass 136 (figure 5) et de Sennachérib sont du type bag-shaped, caractérisé par un profil élargi, avec un diamètre maximum vers le fond. Diffusés à partir du Fer II, ils sont très répandus entre les xe et ixe siècles av. J.-C. en Palestine du nord et centre-méridionale, et sur la côte syro-libanaise à partir du ixe siècle av. J.-C.67. Les amphores en pierre du type Ass 187 ont connu une diffusion plutôt vaste, avec des exemplaires généralement datés des viiie-viie siècles av. J.-C découverts en Égypte, au Soudan, au Proche-Orient et en Méditerranée occidentale68. Elles ne se retrouvent pas archéologiquement au Levant, n’étant attestées qu’en Assyrie par les deux exemplaires présentés ici, et en Espagne par deux vases retrouvés dans les années 1960 dans la Tombe 3 de la nécropole de Trayamar69. Par ailleurs, le Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre possède 3 autres exemplaires, dont le plus connu a été découvert en 1615 près du théâtre de Marcellus à Rome70. Ce dernier comporte une inscription en hiéroglyphes égyptiens, avec une dédicace au dieu Amon faite par un prêtre d’Amon et Montou-Rȇ, accompagnée d’un cartouche d’Osorkon III, pharaon de la XXIIe dynastie (787-759 av. J.-C.)71. d/ Conclusions : la production des vases en pierre blanche est généralement attribuée au monde égyptien en raison de l’existence d’une longue tradition de taille de la pierre. La présence d’inscriptions en hiéroglyphes a contribué à confirmer cette théorie. Pourtant, les vases retrouvés à Aššur semblent plutôt s’inspirer de types de céramiques levantines, ce qui pousserait à suggérer une production levantine. En revanche, la répartition géographique des vases en pierre est marquée par une rareté d’attestations sur la côte levantine, qui s’oppose à une présence plus importante en Assyrie, Égypte et Soudan. Ces objets de luxe, en raison de leur valeur et de leur fonction voyagent et/ou sont pillés très souvent, dans l’espace et dans le temps, ce qui empêche d’en déduire les lieux d’origine. L’analyse des inscriptions sur le vase Ass 137 retrouvé à Assur, atteste au contraire un parcours totalement différent : la jarre a été produite en Égypte, a été remplie de vin (ou de raisin), avant d’être stockée dans un endroit qui nous est inconnu. Dans un second temps, elle est arrivée à Sidon, sans qu’il ne soit possible de savoir pour quelle raison, où elle a été stockée dans le palais d’Abdi-milkûti. L’inscription en cunéiforme suggère la conclusion de son voyage : suite au pillage du palais de Sidon, l’amphore est arrivée à Aššur.

67. Le type 14-3-1 identifié par T. Pedrazzi présente souvent une décoration peinte qui appartient au style de la bichrome phénicienne. 68. Pour une analyse récente sur la diffusion de cette typologie de vases en pierre, cf. Bonadies 2016. 69. Fernandez Canivell et al. 1967, pl. IV ; Aubet-Semmler 1985, pl. VII. 70. Pierrat-Bonnefois 2010, p. 34. 71. L’exemplaire, qui rejoint la collection Borghese du Musée du Louvre en 1807, est caractérisé par la présence de deux éléments en forme de volute qui ont remplacé les anses originaires. Au ier siècle de notre ère, le vase a été utilisé en tant qu’urne cinéraire par un magistrat romain, Publius Claudius Pulcher, qui a fait graver une deuxième inscription en caractères latins. Cf. Pierrat-Bonnefois 2010.

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Figure 5 - Vase en pierre, Berlin, Vorderasiatisches Museum (inv. Ass. 136) [Onasch 2010, p. 76].

La difficulté dans l’identification des ateliers de production de ces objets représente un exemple des limites de l’analyse de la culture matérielle qui ne peut pas être considérée comme un élément toujours suffisamment fiable pour reconnaître l’identité d’un peuple72. N’oublions pas que nous avons une chance extraordinaire d’avoir retrouvé ces vases en Assyrie, car ils auraient logiquement dû avoir été pillés lors de la prise d’Aššur en 614 et emmenés par les Mèdes. 72. Oggiano 2010 ; Bonadies 2015 ; 2016.

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Conclusion Finalement, la fameuse question de l’identité phénicienne qui nous semble si complexe l’est moins pour ses contemporains. Les qualifications égyptiennes semblent gommer toute possibilité d’identité culturelle unique et se veulent soit géographiques, englobantes et larges, soit extrêmement locales, au niveau du toponyme. Celles issues du corpus assyrien sont aussi de deux ordres, soit de géographie physique, au-delà du fleuve, bord de la mer, etc., soit politique qui semblent se limiter à des petites cités-États, sans qu’un ensemble politique fédérateur n’émerge. Les représentations figurées montrent que seule une analyse d’ensemble permet de s’interroger sur la question de l’identification de population à partir des détails. On voit ainsi que les représentations égyptiennes et assyriennes ne concordent pas nettement, et que dans le cas des assyriennes, des populations éloignées géographiquement peuvent être représentées de la même façon. Enfin, l’exemple des vases en pierre montre les difficultés d’analyse des produits de luxe, et soulève la question très délicate de l’association d’une population à une culture matérielle. La recherche sur les Phéniciens a longtemps insisté sur l’identification d’une série d’éléments et de catégories dans lesquels insérer la culture levantine, en se basant souvent sur l’analyse de certains objets de luxe. Il n’est pas possible d’ignorer le fait que ce type de matériel ne peut pas être considéré comme représentatif d’une culture. Le peu d’exemplaires retrouvés, le contexte de découverte et le fait qu’il s’agit souvent du résultat d’un pillage, sont des éléments qui n’assurent pas une interprétation fiable. Par ailleurs, la forme de l’objet pourrait aussi s’adapter au goût du client et par conséquence ne pas refléter la tradition culturelle de l’artisan qui l’a produit. Ces remarques ne sont pas nouvelles mais elles pourraient être utiles pour réaménager le paradigme de ces études, en tenant compte des critères de corpus, de vides documentaires et de l’usage trop courant de la diachronie qui tend à figer une situation alors que ses alentours sont en constante évolution comme l’illustre le cas de l’Égypte et de l’Assyrie. Même si pour des raisons pratiques le terme « Phéniciens » ne doit pas être abandonné, les recherches futures devront faire attention à ne pas considérer cette notion comme exhaustive et figée. Comme le précisait E. Renan dans sa Mission en Phénicie, « Le plus souvent je ne ferai qu’éveiller le désir d’investigations plus étendues. Je n’ai pas songé, en effet, qu’il me fut possible d’épuiser une matière aussi neuve ». Il faudrait peut-être ajouter à ce commentaire de E. Renan, que nos disciplines sont en constantes évolutions tant par la découverte de nouveaux documents, l’élaboration d’indispensables collaborations transdisciplinaires, que par l’apport de nouvelles problématiques, telle celle de l’identité liquide73. Mais peut-être faudrait-il y intégrer le concept de koine culturelle et/ou de transculturalité pour présenter ce ProcheOrient qui finalement n’est peut-être qu’une association d’identités liquides.

73. Pedrazzi 2014.

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Fenici e Aramei: due culture a confronto Adonice Baaklini (Sorbonne Université) Luisa Bonadies (VUB – La Sapienza) Alessia Venanzi (Sorbonne Université / La Sapienza) Abstract The contribution focuses on the beginning of the First Millennium, which was a period of intense change in the Middle East which, notably, saw the Aramaeans settling on the doorsteps of the Phoenician cities. The authors present the elements, highlighting the links between Phoenicians and Aramaeans in language and in material culture.

All’inizio del I millennio a.C. il Levante è interessato da profonde trasformazioni politiche: l’arrivo di nuove popolazioni e la sedentarizzazione di gruppi nomadi o semi-nomadi preesistenti, determinano la creazione di nuove frontiere geografiche e culturali (figura 1). Gli Aramei, le cui origini non sono ancora ben chiare, si diffusero a partire dal X secolo a.C. nella regione corrispondente all’attuale Siria e Mesopotamia Settentrionale1 dando vita a piccole e grandi entità statali, definite dal termine aramaico Bit (“casa”) seguito dal nome del fondatore reale o mitico. Bit Gabbar, Bit-Agushi, Bit-Adini, Bit-Bahiani, Hamat e Aram-Damasco sono i principali stati aramaici di cui si ha notizia2. Il periodo di massimo splendore corrisponde al regno di Hazael, sovrano di Damasco, che nel IX secolo a.C. estese il suo potere sulla Palestina Settentrionale (Tell Dan), arrivando molto probabilmente a oltrepassare a nord il fiume Oronte. Tale situazione si mantenne fino all’assoggettamento degli stati aramaici da parte dei sovrani neoassiri3. Secondo una teoria generalmente accettata4, i Fenici invece occuparono la regione compresa tra Tell Sukas (antica Shukshu) a nord e Acco ai piedi del Monte Carmelo a sud, delimitata dal Mar Mediterraneo a ovest e dalle catene del Libano e 1. 2. 3. 4.

Dusek-Mynarova in stampa. Per una recente discussione su questo soggetto, cfr. Youger 2016. Eph’al, Naveh 1989, pp. 199-200 ; Galil 2014, pp. 96-97. Bondì 2009, p. VI. I limiti del territorio cosiddetto ‘fenicio’ sono molto controversi: Garbini, in particolare, basandosi sull’esistenza di una continuità culturale con il Bronzo Tardo, sostiene che una “cultura fenicia” esisteva nella regione siro-palestinese almeno a partire dal II millennio a.C. (cfr. Garbini 1980). Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 43-50

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Figura 1 - Cartina del Vicino Oriente con stati aramaici e città fenicie [© L. Bonadies].

dell’Anti-Libano a est. A livello cronologico, il periodo di sviluppo di questa civiltà corrisponde al I millennio a.C., dall’epoca dell’invasione dei cosiddetti “Popoli del mare” fino alla conquista di Tiro da parte di Alessandro Magno nel 333-332 a.C. Gli stati aramaici si creano su una base territoriale nuova, non più corrispondente a quella delle città stato del II millennio: costituiscono infatti dei veri regni con un’area di influenza piuttosto importante. Questa struttura si oppone all’origine a quella delle città-stato fenicie, dirette discendenti delle città cananee di epoca amarniana, con un territorio ridotto e situate a poca distanza l’una dall’altra.

I contatti: le fonti Le fonti contemporanee non parlano di contatti diretti tra le due civiltà5: la sola informazione a tale proposito è offerta da un passaggio più tardo (V secolo a.C.) di Ezechiele6 sulla città di Tiro, in cui il profeta suggerisce l’esistenza di rapporti commerciali con i regni di Aram7 e Damasco8. 5. 6. 7. 8.

Amadasi in Dusek-Mynarova. Ezechiele 27:3-18. Lipinski 2006, pp. 209-210. “[...]Tu, figlio d’uomo, innalza su Tiro una lamentazione, 3 e di’ a Tiro: O tu che sei posta all’ingresso del mare tu che commerci con i popoli in molte isole, così dice il Signore, l’Eterno: O Tiro, tu hai detto: «Io sono di una bellezza perfetta». 4 I tuoi confini sono nel

FENICI E ARAMEI: DUE CULTURE A CONFRONTO • 45

I contatti: la Red Slip Ware L’esistenza di contatti culturali tra Fenici e Aramei potrebbe essere ulteriormente suggerita dalla diffusione di esemplari in Red Slip Ware, un tipo di ceramica ad ingubbiatura rossa attestata in Fenicia soprattutto nei livelli datati tra il 900 e il 500 a.C.9 La Red Slip Ware è attestata anche in contesti aramaici, e in particolare nelle città della costa, come dimostrano i ritrovamenti di Tell Acharneh10, Tell Qarqur11 et Tell Mastumah12. La presenza di esemplari di questo tipo ceramico nelle regioni più occidentali potrebbe essere dovuta alle relazioni tra le città fenicie e le città aramaiche nel Ferro II13: i siti della costa settentrionale, come Ras el-Bassit, che pur gravitando, almeno durante l’VIII secolo a.C., nell’orbita politica del regno di Hamat, sono influenzati dalla “cultura fenicia”, potrebbero aver giocato un ruolo di primo piano in questo sistema di contatti. Nonostante l’interesse di questa ipotesi, l’assenza di dati archeologici non permette per il momento di accettare come definitiva l’idea di una diffusione della Red Slip Ware dalla costa verso la Siria interna14. Un’analisi dei materiali permette ad ogni modo di distinguere tra produzioni più tipiche delle regioni costiere fenicie e produzioni più diffuse in ambito aramaico: è il caso di alcune forme di brocche ritrovate in Fenicia (figura 2)15 e delle coppe a alto piede del tipo Hama fruit-stand che sembrano concentrarsi essenzialmente nella Siria interna16.

La lingua Anche se le catene montuose del Libano e dell’Antilibano rappresentano una frontiera naturale, la cultura fenicia e quella aramaica presentano alcuni elementi di contatto: da un punto di vista linguistico, entrambe si caratterizzano per una continuità onomastica con il cananaico.

9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16.

cuore dei mari i tuoi costruttori ti hanno fatta di una bellezza perfetta. 5 Hanno fatto tutte le assi delle tue navi con cipressi di Senira, hanno preso dei cedri del Libano per farti l’albero maestro; 6 hanno fatto i tuoi remi con querce di Bashan, hanno fatto il tuo ponte con legno di bosco intarsiato d’avorio portato dalle isole di Kittim. 7 Era di lino fino d’Egitto lavorato a ricami, la vela che hai spiegata perché ti servisse da bandiera; ciò che ti ricopriva era di giacinto e di porpora e proveniva dalle isole di Elishah. 8 Gli abitanti di Sidone e di Arvad erano i tuoi rematori; i tuoi savi, o Tiro, erano in te, essi erano i tuoi piloti. […] 16 La Siria commerciava con te per la moltitudine dei tuoi prodotti; in cambio delle tue mercanzie ti davano pietre preziose porpora, stoffe ricamate, bisso, corallo e rubini. 17 Giuda e il paese d’Israele commerciavano con te; in cambio delle tue merci ti davano grano di Minnith, paste, miele, olio e balsamo. 18 Damasco commerciava con te per il gran numero dei tuoi pr odotti e per l’abbondanza delle tue ricchezze con vino di Helbon e con lana candida”. Braemer 1984, p. 222; Bikai 1978, p. 75. Cooper 2006, pp. 43-48. Dornemann 2003. Wada 2009. Baffi 2011, p. 231. Cooper 2006, p. 144. Whincop 2008, form 087 fig. 36, map 49. Ibid., form 166 fig. 51, map 86.

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Figura 2 - Cipro, brocca con orlo a fungo [© Kunsthistorisches Museum Wien].

2 cm (1/2)

a b c

10 cm (1/4)

Figura 3 - a/ Tell Acharneh, bol [Cooper 2006, fig. 1: 16, p. 156] ; b/ Ras el-Bassit, bol [Braemer 1986, fig. 1: 1, p. 224] ; c/ Hama, “Hama fruit-stand” [Whincop 2010, fig. 1: J, p. 34].

FENICI E ARAMEI: DUE CULTURE A CONFRONTO • 47

La scrittura alfabetica, infatti, si diffonde a partire dalla metà del II millennio a.C. in maniera piuttosto uniforme dalla Fenicia alla Siria e alla Palestina. Nei documenti più antichi, la paleografia non testimonia differenze evidenti: al di là dell’introduzione nella lingua aramaica delle mater lectionis, veri elementi di diversificazione nella grafia delle lettere si hanno solo a partire dall’VIII secolo a.C.17. Dal punto di vista dell’onomastica, i Fenici furono fortemente influenzati dall’influsso giocato dalla cultura egiziana: nei sigilli ricorrono frequentemente i nomi della dea Bastet e del dio Osiris. Gli Aramei, al contrario, rimasero maggiormente legati alle divinità locali, tra quali Hadad sembra essere predominante18.

La cultura materiale Le produzioni artistiche fenicie e aramaiche rivelano una generale somiglianza che rende difficile l’attribuzione di un oggetto ad una cultura piuttosto che all’altra, a causa della presenza di motivi iconografici comuni (figura 3). Nonostante questa generale omogeneità, alcuni dettagli sono ad ogni modo rivelatori di piccole differenze iconografiche. Gli Aramei, in particolare nella regione centrale e meridionale, si distinguono per un’arte ibrida, legata sia alla sfera di influenza fenicia, da cui riprendono le proporzioni e l’eleganza delle forme, sia a quella nord-siriana, mescolata ad alcuni elementi di stile neo-hittita e caratterizzata dalla staticità e dalle forme piuttosto robuste. I Fenici, invece, come è ben noto, propendono per una maggiore aderenza ai modelli egiziani, di cui propongono una personale e originale reinterpretazione. La cultura materiale: l’esempio dei sigilli I sigilli definiti aramaici essenzialmente sulla base dei caratteri inscritti, sono di solito riconoscibili per la presenza di due elementi distintivi: lo scarabeo alato che tiene fra le zampe un disco solare, simbolo di rinascita, e vari elementi astrali, tra cui soprattutto la stella e il crescente lunare. Se il primo elemento appare anche su alcuni sigilli fenici e ebraici, il secondo sembra essere una peculiarità aramaica nel Ferro II / III a seguito dell’intensificarsi del processo di “astralizzazione del potere”19. Nei sigilli fenici il soggetto principale occupa i due terzi superiori del campo decorato, mentre la parte inferiore è occupata da un motivo iconografico che ricorda il geroglifico nub. Una corda, parallela al bordo del sigillo, inquadra il motivo. Anche se questo tipo di composizione appare già all’inizio del periodo classico (VIII-VII secolo a.C.), è soprattutto caratteristico del VI-V secolo a.C. e continuerà nella glittica post-classica del IV-III secolo a.C. Mentre la produzione arcaica rivela una predilezione per i motivi naturalistici, l’epoca classica vede la predominanza di motivi religiosi, come scene di offerta e rappresentazioni di divinità e figure mitologiche varie. Questi motivi sono trattati secondo uno stile ispirato sia alla tradizione iconografica orientale che a quella egiziana, presente anche sugli avori e sulle coppe in metallo.

17. Amadasi Guzzo 1987, p. 66. 18. Venanzi 2016. 19. Keel 1998.

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Figura 4 - Sigillo di “Yaʽdadʼel”, VII secolo a.C.? [Avigad-Sass 1997, no 801].

La cultura materiale: la rappresentazione fisica Nei sigilli fenici i funzionari sono di solito rappresentati come una figura incedente, di profilo, con in mano uno scettro caratterizzato alla sua estremità dalla presenza di un disco solare sormontato da un crescente lunare. Nel caso in cui il sigillo appartenga al re, la figura indossa la doppia corona egizia, simbolo del suo potere20. Per quanto riguarda la caratterizzazione dei personaggi nell’arte aramaica, qualche esempio interessante è offerto dai bassorilievi con iscrizioni provenienti dalla Siria del Nord. Le figure considerate come “aramaiche” sembrano caratterizzate da una capigliatura a piccoli boccoli che scendono ricurvi sulle spalle e davanti all’orecchio. Rappresentati di profilo, con naso aquilino e occhi allungati, questi personaggi indossano per lo più una veste a pieghe a livello delle spalle e una tiara conica appuntita di stile neo-assiro o, in alcune rappresentazioni, una fascia che cinge la nuca21.

Conclusioni Le brevi osservazioni qui riportate non hanno chiaramente nessuna pretesa di risoluzione di una problematica vasta e complessa come quella dei contatti tra Fenici e Aramei. Lo scopo principale è quello di sottolineare la difficoltà di individuare “identità culturali” distinte nel Vicino Oriente del I millennio a.C. Si ha piuttosto la percezione dell’esistenza di una koiné culturale con motivi iconografici comuni derivati da tradizioni preesistenti, che vengono reinterpretati alla luce dei nuovi contatti culturali. Le sottili differenze identificabili nelle produzioni artistiche di questo periodo difficilmente possono essere attribuite ad una civiltà piuttosto che ad un’altra. I Fenici, gli Aramei e “gli altri” sembrano contribuire alla creazione di uno stile internazionale, in cui elementi di origine differente si combinano e si sovrappongono, dando spesso vita a forme ibride completamente nuove.

20. Gubel 1991, pp. 913-922. 21. Akurgal 1969.

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Les questions d’identité culturelle que soulèvent certaines faïences de la première moitié du ier millénaire Geneviève Pierrat-Bonnefois

(Musée du Louvre, Département des Antiquités égyptiennes) Abstract The long-standing analogies recorded between the decoration of siliceous earthenware vases and jewellery from the Third Intermediate Period firstly, and those of the metal bowls attributed to the Phoenicians are naturally considered to be adaptations of Egyptian art on the part of the latter. However, the simple fact that the Levantine style was able to flourish on Egyptian soil calls into question the normal habit of attributing earthenware vases discovered in the Mediterranean to the Egyptian culture. The soapstone scarabs from the North of Egypt also give away the presence of Levantine culture in Egypt. Finally, the cultural identity of the stone alabasters frequently attributed to Egypt may be called into question by examining the facts, albeit quickly. This article attempts to put forward an ambivalent interpretation of transregional and multicultural artistic manifestations, dating back to the Second Millennium, expres-sions almost automatically considered to be “Egyptian art”. The habitual semantic tools of Egyptology, influenced by the constitutive Egypto-centrism of the Pharaonic discourse, masks the presence of communities which are very discreet in the ancient texts but which reveal themselves in minor art forms.

Introduction Les emprunts de l’art phénicien aux autres cultures ont été mis en lumière dès les plus anciennes études, tant ils sont patents1. L’art égyptien apparaît comme un des plus sollicités par les Phéniciens. Ces éléments considérés comme des emprunts à l’Égypte ne sont pas omniprésents dans l’art phénicien, mais sont limités à certains types d’objets dont la liste même a une signification : les sarcophages anthropomorphes en pierre, les amulettes en faïence, les scarabées, le décor des coupes historiées en métal. L’approche de cette « porosité » artistique manifeste est généralement envisagée dans le sens d’une diffusion unilatérale, depuis l’Égypte vers le monde phénicien. Cependant, certains phénomènes artistiques, ancrés dans le sol d’Égypte et contemporains de l’expansion phénicienne, reflètent un monde infiniment plus mélangé.

1. Pour une synthèse récente, Gubel 2007, p. 112-113. Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 51-71

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Ils expriment l’empreinte levantine sur des productions créées en Égypte. Deux types d’objets vont illustrer ici ces phénomènes afin de mettre en lumière la complexité du monde égyptien à cette époque, qui correspond à la Troisième Période Intermédiaire égyptienne : les faïences à décor en relief et un groupe de scarabées en stéatite.

Les faïences à décor en relief, en Égypte, à Hermopolis (Touna el-Gebel) : des scènes empruntées et recomposées La faïence apparait à l’observateur superficiel comme l’apanage de l’Égypte. Nous avons essayé avec Annie Caubet de corriger cette vision fausse dans l’exposition que nous avons faite au Louvre en 20052. Toutefois des iconographies hors norme n’ont pas manqué de susciter l’étonnement des égyptologues : tel est le cas des registres historiés des calices en relief (figure 1), question bien posée en son temps par Fr. W. von Bissing3, puis par G. A. D. Tait4, et développée plus récemment par V. Booschlos5 avec une perspicacité renouvelée. Tous ont mis en parallèle leur composition, faite de bribes de sujets tirés de l’art égyptien, avec celle des coupes phéniciennes en métal. Il en résulte des scènes souvent étranges, décalées par rapport à l’iconographie pharaonique, un esprit nouveau et étranger que l’on trouve aussi sur les bijoux séparateurs en faïence ajourée, sans doute sortis d’ateliers proches. Hermopolis semble le creuset de cette production, à l’époque des dynasties libyennes (950-715 av. J.-C.). Ces objets n’ont pas été exportés en Méditerranée. D’autres types de vases de faïence à relief sont attestés dans le monde méditerranéen dès le viiie siècle. Ils portent soit des sujets bucoliques, selon la thématique des scènes d’élevage dans les marais (figure 2) où le fond de fourré de papyrus s’impose comme une marque indéniable du style égyptien, soit des sujets « orientaux », comme l’affrontement de taureaux et de lions6 (figure 3). Les sujets bucoliques et « orientaux » peuvent être conjugués sur le même objet, comme sur un alabastre du musée de Berlin7. Le thème bucolique est commun également sur les calices du type « Hermopolis ». Sur le célèbre « calice Carnavon » (figure 1) un homme aux jambes ployées comme celles de la femme de la jarre de Kition, semble maîtriser deux animaux, un bouquetin et un taureau, selon un schéma oriental ; cependant, la scène s’inscrit dans le cadre général de la vie dans les marais, que l’on s’accorde à considérer comme « nilotique ». On pourrait multiplier les exemples qui démontrent que la séparation des productions entre la Méditerranée et l’Égypte n’est pas aisée, comme si elles participaient en fait d’une même communauté artisanale. Quelle identité culturelle lui attribuer ? Est-ce de l’art égyptien ou de l’art méditerranéen ? Si on envisage la possibilité d’ateliers mobiles, la question de leur « nationalité » se complique encore.

2. 3. 4. 5. 6.

Catalogue de l’exposition : Caubet, Pierrat-Bonnefois 2005. Bissing 1941. Tait 1963. Boschloos 2005. Une gourde du marché de l’art, Catalogue de vente Tajan, 17 mars 2010, Hôtel Drouot, p. 26-27. Un alabastre du Kestner Museum de Hanovre (Allemagne), no 1931, provenant de Cerveteri (Italie), Busz et al. 1999, no 191, p. 359-360. 7. Berlin no 13220, Schoske et al. 1992, no 84, p. 164.

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1 cm (1/1)

Figure 1 - Calice en faïence dit « Calice Carnavon » [© The Metropolitan Museum of Art de New York, Edward S. Harkness Gift, 1926 (26.7.971)].

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1 cm (1/1)

Figure 2 - Jarre en faïence siliceuse, provenant probablement de Kition [© Musée du Louvre, département des Antiquités orientales, AM 569 ; cliché : G. Pierrat].

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2 cm (1/2)

Figure 3 - a/ Gourde en faïence, marché de l’art. Recto et verso [© Musée du Louvre, département égyptien ; clichés : P. et M. Chuzeville ; largeur : 12,5 cm] ; b/ Gourde à décor en relief [© Staatliche Museen zu Berlin – Ägyptisches Museum und Papyrussammlung, inv.-no. ÄM 14500, cliché : J. Liepe ; largeur : 13 cm].

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Sur ces faïences à relief découvertes hors d’Égypte comme sur les calices d’Hermopolis, se trouvent aussi des motifs pharaoniques8. À Ialysos (Rhodes)9, une gourde est ornée d’un faucon coiffé de la double couronne comme Horus. À Tarquinia (Étrurie), le célèbre « vase de Bocchoris »10 représente un roi parmi les dieux, une scène d’apparence très orthodoxe si elle ne prenait pas place sur un fond de papyrus. Au registre inférieur, des singes autour d’un palmier alternent avec des figures à l’égyptienne de prisonniers. Les racines pharaoniques du thème des singes au palmier, récurrent sur ces vases, observé également sur le groupe de scarabées cité infra, ne me semblent pas avérées11. L’alternance des répertoires, employés de façon apparemment incohérente, est caractéristique de ce groupe. Confrontés à ces décors mixtes, les égyptologues tentent d’en extraire une signification conforme à la culture pharaonique. Il en va ainsi d’une belle gourde de Berlin12 (figure 4). En supposant l’assimilation du bouquetin à sa corne par métonymie, et celle de cette corne crénelée à la tige du hiéroglyphe signifiant « année », on parvient à lire « bonne année », le groupe de deux bouquetins de part et d’autre du signe nefer, conformément à ce qu’on attend de la signification des gourdes, en s’appuyant sur celles, postérieures, du vie siècle, dûment gravées de cette formule de vœu de nouvel an. Si au premier regard, la scène supérieure semble s’inspirer de l’art des mastabas accessibles dans la région de Memphis au ier millénaire, on peut s’interroger sur le choix de l’apport d’un bouquetin isolé, sans le bétail d’élevage qui devrait dominer dans une telle scène d’offrande. C’est pourquoi, à côté de cette lecture qui suppose pour le fabricant un bagage culturel « pharaonique » assez savant, nous proposons une autre lecture que je nommerais « para-pharaonique », plus simple, qui prend en compte l’ensemble des éléments, difficilement explicables avec les seuls outils de l’égyptologie classique. Au revers de cette gourde se trouve au registre supérieur la navigation d’un personnage dans les marais, et au registre inférieur une scène d’agression d’un animal à corne par un chien, avec un bouquetin dans la végétation. Celle-ci est traitée par de grosses palmes selon les conventions de la série, dans le style proche des reliefs néo-assyriens13. Sous la scène d’apport du bouquetin, derrière les deux animaux qui flanquent le signe nefer, deux singes sont juchés sur un lotus ouvert. Ces deux animaux, le singe et le bouquetin, sont appelés à orner les cols des gourdes de faïence du vie siècle, dites « gourdes de Nouvel An », inscrites du vœu de

8. Par exemple, Metropolitan Museum of Art de New York, no 26.7.979. 9. Musée archéologique de Rhodes no 7082, dans Coulié, Filimonos-Tsopotou 2014, no 28, p. 201, daté selon nous trop bas 650-590. 10. Relevé des scènes dans Ridgway 1999, fig. 1b, p. 144. 11. Le singe est un thème très développé dans l’art méditerranéen, Greenlaw 2011. En Égypte il est employé dans les arts « mineurs », comme les vases de toilette. Dans la tombe de Kenamon, directeur du trésor sous Amenhotep II (Tombe thébaine no 93), une splendide pièce d’orfèvrerie met en scène des singes dans les palmiers. On le trouve sur les ostraca figurés du Nouvel Empire, des supports d’expression très ouverts, sur lesquels les bouquetins et les taureaux sont aussi des sujets de prédilection. 12. Berlin N 14500. Priese 1991, no 108, p. 180-181. 13. Reliefs de la salle S du palais Nord de Ninive, British Museum no WA 124871. La même façon de représenter la végétation est reprise au viie siècle sur le décor des alabastres et des pyxides rhodiennes en faïence (650-630 av. J.-C.), Coulié, Filimonos-Tsopotou 2014, no 140, p. 283.

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bonne année, et parfois gravées aux cartouches de rois, de Psammétique II (595-589) à Amasis (570-526) (figure 4). Succédant dans le temps aux gourdes à reliefs, portant un décor en grande partie gravé, elles sont découvertes dans des contextes tant égyptiens que méditerranéens, comme celle de Camiros à Rhodes14 et celles de Vulci en Étrurie15. Comme elles, elles puisent aux répertoires de deux traditions orientales et égyptiennes. Ainsi, sur deux gourdes de style très proche, trouve-t-on sur l’une d’elle une vache (Hathor ?)16 passant, et sur l’autre un lion passant rugissant17. Il existe un emploi ancien et récurrent du thème du bouquetin. Dans l’art égyptien, il est avec la gazelle, l’animal qui accompagne l’imagerie des « Asiatiques », comme un emblème du monde désertique18. On le rencontre sur la peinture d’une tombe de la XIIe dynastie (xixe siècle av. J.-C.) à Beni Hasan19 ainsi que sur un très rare alabastre en terre cuite peint du musée Pouchkine20. Il est commun sur les cuillers d’offrandes en pierre sombre du ier millénaire. L’anse en forme de bouquetin est un caractère des vases orientaux. Baptisé « chèvre sauvage » dans les études grecques, le bouquetin règnera sur le décor « orientalisant » des céramiques rhodiennes du viie siècle.

Figure 4 - Gourde en faïence gravée au nom du roi Amasis (570-526) [© Louvre 2003, département des Antiquités égyptiennes, no E 2395, achat Clot bey en 1852 ; cliché : Chr. Décamps].

1 cm (1/1)

14. 15. 16. 17. 18. 19. 20.

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Cette multiplicité des répertoires, orientaux et égyptiens pharaoniques, cette ambivalence intrinsèque devraient être interprétées comme des indices sûrs de l’art levantin. Les gourdes du Nouvel An du vie siècle sont concernées par cette ambivalence, en dépit de leurs cartouches et de leurs vœux impliquant les dieux de l’Égypte. Non seulement ces vases adoptent une forme d’origine orientale, mais en outre leur lèvre emprunte le profil « en champignon » des flacons phéniciens. Nous développerons plus loin l’idée que l’engouement pour les vases à cartouche de pharaon pourrait être également une marque de l’artisanat levantin. Des alabastres en faïence « de Nouvel An », sur lesquels Günther Hölbl a attiré l’attention21, font le lien avec la troisième partie de cet exposé.

Un groupe de scarabées et scaraboïdes à sujets non égyptiens, en Égypte pendant la Troisième Période Intermédiaire Ce groupe est particulièrement bien identifiable par des exemplaires conservés au département égyptien du Louvre, malheureusement sans provenance (figure 5a-g). Outre des scarabées, il comprend d’autres formes comme des cauris oblongs, des amulettes tête de Bès, des plaquettes rectangulaires au cartouche de Thoutmosis III (Men-Kheper-Rê) ou de Ramsès II. Ils sont en stéatite grise, à glaçure d’un vert soutenu, parfois bleu, de taille moyenne à grande. Nous les associons sur la base du style et du répertoire des gravures exécutées sur leur plat, qui les unit en un groupe très particulier. Plusieurs critères formels permettent d’avancer une datation Troisième Période Intermédiaire. Les grands cauroïdes allongés sont bien attestés à la XXVe dynastie22 (figure 5a). Notre datation repose en outre sur le style du masque de Bès, très géométrique, trait pour trait le même que celui des faïences répertoriées par Jeanne Bulté23 (figure 5b). Ces scarabées sont peu attestés au Proche-Orient et en Méditerranée24. Leur foyer d’origine est sans doute le Delta, Naucratis25 étant le site où ils sont le mieux représentés, Tell Moqdam26 (figure 5e), ainsi que dans le Fayoum à El-Lahun27 dans un contexte déterminant pour une datation incluant aussi l’époque libyenne. À côté d’éléments du répertoire magique déjà attesté au iie millénaire, comme l’hippopotame (figure 5e-f), le crocodile, le sphinx royal couché, les prisonniers

21. Hölbl 1981. 22. On trouve la liste typologique propre aux scarabées de la XXVe dynastie dans Jaeger 1982, p. 246-249, qui se fonde sur les sites bien datés du Soudan. En revanche, nous ne le suivons pas sur les plaquettes rectangulaires à cartouche Men-kheper-Rê, qu’il date principalement de l’époque ramesside, en se fondant sur la présence sur ce type de cartouches de rois de cette époque (Jaeger 1982, p. 205-207), alors que dans le style de leur gravure rien ne les distingue de ceux de notre groupe, comme son no 2020, p. 186, ou son no 2441, p. 207. 23. Bulté 1991. 24. Ils correspondent à quelques exemplaires du type V de A. F. Gorton, Gorton 1996, p. 16-18, nos 2, 4, 5 et fig. 1. Ils sont différents de ceux d’Italie, Hölbl 1979. Un découvert à Chypre, British Museum, BM 1902,0915.4. À Rhodes, Coulié, Filimonos-Tsopotou 2014, no 25, p. 200 (la notice propose une date très tardive, 550-500 av. J.-C.). 25. Petrie 1888, pl. 38, nos 149-153, 156-157 ; Gardner 1888, pl. XVIII, nos 74-75, 78, et pl. XIX no 14. 26. Naville 1887, pl. 18, no 12 = Louvre, département des Antiquités égyptiennes E 25438, notre figure 5e. 27. Petrie et al. 1923, pl. 29, nos 1-4, 28, 36, 44.

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c

d

a e b

f

1 cm (1/1)

g

Figure 5 - a/ Amulette en pierre autrefois glaçurée, en forme de cauri (?) allongé [© Louvre, département des Antiquités égyptiennes, no E 2771, achat Clot bey en 1852] ; b/ Amulette plaquette en pierre glaçurée, en forme de tête de Bès, recto et verso [© Louvre, département des Antiquités égyptiennes no AF 8986, sans provenance] ; c-f/ Scarabées en pierre, avec traces de glaçure, plats à décor d’animaux et de Bès [c : AF 10209, sans provenance ; d/ AF 8391, sans provenance ; e/ E 25438, Tell Moqdam ; f/ AF 8798, sans provenance] ; g/ Scarabée en pierre, plat avec scène de singes de part et d’autre d’un palmier [© Louvre 2013, département des Antiquités égyptiennes AF 13587, sans provenance].

allongés, apparaissent des sujets nouveaux, parfois énigmatiques, comme la main humaine, parfois plus aisés à comprendre, comme des pains ovales dans le style de ceux figurés sur les tables d’offrande, des cobras au dessin typique de cette série, de même que des Bès schématiques, seuls ou multiples, aux 3 (ou 4) plumes droites (figure 5a,d-e). Abondamment présent, le cartouche de Men-kheper-Rê, à l’écriture souvent étrange28, semble apporter ici son pouvoir magique protecteur (figure 5a,c-d). 28. Double présence du signe Rê, fig. 8 ; mélange avec le « setep-en-Rê » référence à Ramsès II, fig. 6.

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Enfin, des éléments nouveaux, culturellement en marge du répertoire pharaonique, entrent dans ces compositions : le cheval isolé (figure 5f), le bouquetin couché mais non ligoté (figure 5c-d), le singe de part et d’autre d’un palmier (figure 5g), l’homme assis. Parmi eux, une scène typiquement orientale est celle où un personnage boit dans une jarre au moyen d’une paille, seul ou face à un convive (ici incarnés par des Bès) partageant à la paille la même jarre29, qui ressemble beaucoup à un alabastre (figure 5d). Ainsi, l’objet scarabée, a priori ancré dans la tradition pharaonique, un signe hiéroglyphique transformé en sceau et porte-bonheur, est le support de décors non pharaoniques, et ceci en Égypte même. Cela ne devrait pas surprendre dans la mesure où, quasiment dès l’origine, le scarabée est un type d’objet « partagé » entre Égypte et Levant : depuis ceux découverts dans la « jarre Montet » à Byblos qui font écho à ceux de Kôm el-Hisn30, jusqu’aux scarabées tardifs en faïence de Méditerranée (Lindos de Rhodes, Perachora) et de Naucratis. Ce sont les Phéniciens qui feront durer le type le plus tard, jusqu’au iiie siècle, avec leurs scarabées en pierres fines de couleur. Il est une excellente démonstration d’un objet construit par la culture égyptienne, adopté et porté dans une large mesure par des Levantins. La présence à Naucratis de scarabées et scaraboïdes du groupe discuté ici doit être prise en considération pour la date et la nature de l’occupation de ce site, mixte, bien avant la XXVIe dynastie.

Égyptien

ou pas ? ou comment les alabastres en sont déclarés égyptiens

« albâtre-calcite »

Les alabastres en pierre blanche translucide, autrefois appelée « albâtre égyptien », que l’on pourrait dénommer « albâtre-calcite »31, avec des guillemets qui manifestent notre ignorance de la véritable nature pétrographique dans la mesure où les pierres sont rarement identifiées, se présentent comme un casse-tête pour les archéologues. Nous entendons ici la forme en sac, au col court, aux épaules restreintes, munies de deux anses petites (figure 6). Elle naît à l’époque libyenne et dure jusqu’à l’époque romaine. Plus trapue aux cours des premiers siècles, elle s’allonge jusqu’à devenir fusiforme avec un large col plat au cours des derniers siècles. Il est admis qu’il s’agit d’une même forme qui évolue considérablement au fil des siècles32. Les plus anciens constituent la forme dominante du célèbre groupe d’une vingtaine de vases de pierre, de grande taille, découverts hors d’Égypte, employés comme urnes funéraires phéniciennes à Almuñecar en Andalousie. Trois de ces alabastres portent les noms de pharaons de l’époque libyenne, Osorkon II, Takelot II et Chechonq III, ce qui couvre

29. Louvre département des Antiquités égyptiennes, AF 8391. 30. Les scarabées découverts dans la trouvaille close dite « jarre Montet », ont été datés par de la première Période Intermédiaire et mis en relation avec les scarabées analogues découverts en Égypte dans des sépultures de la même époque à Kôm El-Hisn, Tufnell, Ward 1966. 31. Ou « albâtre-calcite » suivant la proposition faite par Hélène Bouillon, dans sa thèse inédite Vaisselle de Luxe et Échanges culturels au Bronze récent. Étude de cas à partir de sept formes introduites en Égypte au Nouvel Empire, Paris, Université Paris-Sorbonne, décembre 2016, p. 394. 32. Selon le schéma proposé par Bourriau 1984, p. 365-366.

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5 cm (1/5)

Figure 6 - Alabastre en « albâtre » [© Louvre 2013, département des Antiquités égyptiennes no N 1075, sans provenance ; cliché : Chr. Décamps ; hauteur : 37 cm].

l’intervalle 874-773 av. J.-C.33. Un des alabastres est inscrit au nom d’un prêtre d’Amon Osorkon34 tandis qu’une amphore obus35 porte une inscription phénicienne. On constate sur ce corpus limité l’association entre la forme de l’alabastre et les inscriptions égyptiennes. Des alabastres analogues portant des noms de pharaons de la XXIIe dynastie ont été découverts en Orient, dans le palais de Ahad en Samarie (874-853 av. J.-C.) ainsi qu’à Katsamba en Crète36. Que trouve-t-on en Égypte même, source supposée pour la production de ces vases, à la Troisième Période Intermédiaire, époque de l’apparition de cette forme ? Les faits archéologiques apprennent que, au début de cette période, à la XXIe dynastie, les vases de pierre sont peu nombreux en Égypte. Luisa Bonadies dans sa récente étude des amphores obus (CBAS jars) est parvenue aux mêmes constatations37. Afin d’expliquer la présence en nombre des belles jarres à cartouches de la XXIIe dynastie 33. Musée archéologique et ethnologique de Grenade CE08332, inscrit au nom d’Osorkon II (874-850), CE08319 inscrit au nom de Takelot II (847-823), CE08331 inscrit au nom de Chechonq III (825-773). 34. Musée archéologique et ethnologique de Grenade CE 8329. 35. Type CBAS jar, musée archéologique et ethnologique de Grenade CE 8322. 36. Données tirées des notices du catalogue en ligne du site du musée archéologique et ethnologique de Grenade, accessibles en 2009 sur www.juntadeandalucia.es/cultura. 37. Bonadies 2015, p. 530.

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à Almuñecar, Ingrid Wallert a suggéré qu’ils pouvaient provenir du pillage des tombes royales de Tanis de cette époque38. Ce pillage de vases aurait été exhaustif, car les tombes de Tanis n’en ont livré aucune trace. Les tombes inviolées de Psousennès (1040-993 av. J.-C., XXIe dynastie)39 et de son fils Amenemopé40 ne contenaient que deux vases datant du Nouvel Empire, sans doute des récupérations des sépultures des rois thébains, comme d’autres éléments de l’équipement des tombes tanites. Pour la XXIIe dynastie, un seul grand vase fut retrouvé dans le tombeau I, très perturbé, une jarre obus gravée au nom d’Osorkon Ier (924-889 av. J.-C.)41. En ce qui concerne les alabastres « albâtre » de taille courante, on n’en dénombre que deux parmi les centaines d’objets archéologiques des fouilles de P. Montet à Tanis concédés au Louvre42. Ces alabastres courants, de taille bien plus réduite que de ceux d’Almuñecar, sont présents en grand nombre dans les collections publiques. Au musée du Louvre, ils sont répartis entre trois départements : celui des Antiquités égyptiennes, celui des Antiquités grecques, étrusques et romaines, et celui des Antiquités orientales, qui inclut Chypre. Sur les 134 du département égyptien, seulement 6 % ont une provenance, les autres consistant en achats ou des dons divers, non documentés. Sur les 40 du département grec, étrusque et romain, 50 % disposent d’une provenance. Sur les 123 du département des Antiquités orientales, un seul n’a pas de provenance, la grande majorité vient de Suse43. On constate que les alabastres sans provenance sont attribués à l’Égypte plutôt qu’au monde oriental, sans raison, puisque les chiffres témoignent en faveur d’une répartition inverse. Au département égyptien, les provenances certaines sont Héliopolis, Tanis, l’Italie (collection Borghese), et Zaouiyet el-Mayetin où se trouvait une fabrique locale de vases de pierre44. Parmi ceux sans provenance, deux portent une inscription hiéroglyphique. Un petit exemplaire au nom du roi Roudamon (757-754 av. J.-C., XXIIe dynastie) est en cristal de roche (figure 7). Le seul de très grande taille, découvert à Rome en 1615, un magnifique exemplaire gravé au nom d’un prêtre d’Amon et de Montou-Rê, et du pharaon Osorkon III (787759 av. J.-C.) fut remanié par un Romain au ier siècle qui y ajouta son nom45. Cet exemplaire montre qu’un Égyptien de cette époque pouvait s’approprier un de ces vases, voire le commander46. D’autre part, la revue des rapports de fouilles laisse entrevoir que les trouvailles d’alabastres en « albâtre » sur le territoire égyptien ne sont pas aussi nombreuses qu’on aurait pu l’imaginer en considérant les quantités importantes mais sans provenance conservées dans les musées et les découvertes faites dans le monde

38. 39. 40. 41. 42. 43. 44. 45. 46.

Gamer-Wallert 1978, p. 224-225. Montet 1951, pl. 62. Ibid., pl. 129 bas. Ibid., pl. 46. Louvre, département des Antiquités égyptiennes E 16025 et E 16026, postérieurs à la XXVe dynastie d’après leur forme. Données extraites dans la base des collections, dans l’état actuel de la recherche. Pierrat-Bonnefois 2010, p. 29. La datation de ces vestiges reste à approfondir, mais est à placer à la Basse Époque ou après. Ibid., p. 30. Petrie Museum, University College London no UC 16320 est peut-être le fragment d’un alabastre similaire, gravé au nom d’un grand personnage.

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méditerranéen. Le Catalogue général du musée du Caire établi par F. von Bissing en 190747 n’en dénombre qu’une quinzaine, dont ceux des fouilles de W. F. Petrie à Memphis48 et des fouilles de E. Amélineau à Abydos, auxquels s’ajoutent ceux des fouilles de 1923 à Ellahun49 – ces derniers bien datés de l’époque libyenne. Les fouilles plus récentes n’ont pas apporté de bouleversement à ce constat : quelques exemplaires à Herakleopolis, haut lieu des dynasties libyennes50 ; aucun dans le rapport récent des fouilles du « cimetière royal » de la même cité51, trois exemplaires dans les fouilles de Karnak52.

1 cm (1/1)

Figure 7 - Petit alabastre en cristal de roche gravé aux cartouches du roi Roudamon, XXIIIe dynastie, 757-754 [© Louvre 2002, département des Antiquités égyptiennes no E 23325, don L., I. et A. Curtis en 1938 ; cliché : Chr. Décamps].

Si bien que Barbara Aston dans son catalogue des formes des vases égyptiens de pierre53, a recours aux sites d’El-Kurru (Soudan) et Almuñecar comme principales références archéologiques pour le type « alabastre », deux sites hors d’Égypte. C’est un fait à prendre en considération : les lieux de découverte majeurs de ces vases supposés égyptiens se trouvent hors d’Égypte. Le site où l’on a découvert le plus grand rassemblement d’alabastres en « albâtre » est à Nuri au Soudan, la nécropole

47. 48. 49. 50. 51. 52. 53.

Von Bissing 1907, pl. III. Petrie 1909, pl. 16, haut. Petrie et al. 1923, pl. 67. Lopez Grande et al. 1995, pl. 80. Perez Die 2010. Masson 2007, p. 612, pl. 28. Aston 1994, formes 216-220, p. 162-163.

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napatéenne de la fin de la XXVe dynastie et de ses successeurs, de Taharqa (690664 av. J.-C.) à Nastasen (328-308 av. J.-C.)54. Dans les tombeaux de l’époque de Piankhi (747-716 av. J.-C.) à El-Kurru se trouvent des vases d’« albâtre » et de quartz, parfois gravés en langue et écriture égyptiennes au nom des princes locaux (figure 8). À côté des alabastres, majoritaires, se trouve une forme clairement identifiée comme phénicienne : l’oenochoé à lèvre trilobée55. Qui sont ces artisans qui ont travaillé pour les élites napatéennes ? Des Napatéens ? Des Égyptiens ? Ou des Levantins ? L’irruption de ces oenochoés phéniciennes, en dépit d’une inscription en langue et écriture égyptiennes, est un indice pour l’attribution des ateliers d’alabastres à des Levantins plutôt qu’à des Égyptiens. À Sanam, ville soudanaise où se trouve un temple de Taharqa, on a découvert, à côté d’alabastres en « albâtre », des objets de faïence apparentés à ceux trouvés à Rhodes, et pour lesquels l’intervention égyptienne doit être écartée au profit de la tradition chypro-levantine56. Ces indices témoignent que les élites napatéennes ont eu recours pour certains produits à des artisans de Méditerranée orientale, plus sûrement qu’à des Égyptiens. Une donnée récente de l’archéologie soudanaise enrichit la réflexion. Les archéologues qui fouillent la ville de Sanam, y ont découvert parmi les ateliers qui ont œuvré pour l’équipement des rois de Nuri, ceux des vases de pierre, dont les alabastres57. Or la pierre n’est pas locale mais

Figure 8 - Alabastre et oenochoé de la tombe de Kansha, reine de Piankhy (747-726) à El Kurru [d’après Dunham 1950, fig. 1c, p. 31].

54. Dunham 1955. On en trouve dans les tombeaux de Taharqa 690-664, Senkamanisken 643623, Aspelta 563-568, Nastasen 328-308 av. J.-C. 55. Boston Museum of Fine Art no 21.2783. Aruz 2014, no 119, p. 227. Dunham 1950, nos 562563 p. 31, fig. 11c, p. 33, pl. 39 E. ce qui fait deux exemplaires à El Kurru. 56. Pierrat-Bonnefois 2014b. 57. Je remercie Angelika Löhwasser d’avoir attiré mon attention sur les découvertes de matériaux bruts importés sur le site de Sanam. Vincentelli (non daté), p. 29: « As to alabaster and the various type of gemstones found in the three buildings, there is little doubt that they were to meet the demands of the internal market. In building SAK 300 there were 23 kg of alabaster. A substantial quantity that allows us to think that all the alabaster vessels, found in both royal and elites tombs in the region, most probably were manufactured in the Sanam workshops ». La céramique usuelle sur ce site majoritairement égyptienne, indique la source du ravitaillement.

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importée. Ce qui signifie que l’identification de l’origine d’une pierre ne donne pas nécessairement l’emplacement de l’atelier de taille des objets que l’on en tire. Et que l’emplacement de l’atelier ne signifie pas que la production est une manifestation de la culture autochtone puisque les artisans étaient en mesure d’apporter ou de commander leur pierre. Josep Padro, dans le cadre de ses études qui ont fait évoluer la connaissance des relations entre Égyptiens et Phéniciens, n’exprime aucun doute sur l’origine des vases en « albâtre ». Il adhère au postulat d’Ingrid Wallert, pour qui la facture égyptienne va de soi58. C’est ainsi que, selon ce raisonnement commun en égyptologie, les jarres obus en « albâtre » seraient des fabrications égyptiennes qui imitent les formes phéniciennes. À la source de cette conviction se trouvent deux phénomènes, la présence éventuelle d’inscriptions hiéroglyphiques ainsi que la longue histoire des vases de pierre découverts en Égypte. Comme les faïences, les vases de pierre sont trop hâtivement considérés comme l’apanage de l’art des Égyptiens. C’est faire trop peu de cas de l’histoire des vases de pierre à inscriptions égyptiennes découverts au Levant, qui remonte au iiie millénaire et se poursuit au iie millénaire, comme en témoignent les découvertes nombreuses à Byblos59 et à Ougarit60. Là encore une étude comparative exempte de tout préjugé entre ce qui a été trouvé en Égypte et en Méditerranée orientale, serait très utile. À la réflexion, les alabastres du ier millénaire s’inscrivent dans la longue continuité, hors d’Égypte comme sur son territoire, des récipients en pierre gravés aux cartouches des pharaons. Elle s’est poursuivie à l’époque perse, avec les vases à inscriptions bilingues ou trilingues aux noms des souverains achéménides, qui adoptent l’écriture hiéroglyphique et les cartouches royaux à leur bénéfice, et les commandent à des artisans de leur empire, qui pourraient bien être les héritiers de cette très ancienne tradition. La capacité à écrire en hiéroglyphes, même de qualité, n’est en aucun cas l’indice sûr d’une main égyptienne : c’est une question d’expertise artisanale au service d’un commanditaire. Étant donnée la répartition de ces alabastres peu favorable à une implantation égyptienne, il semble peu probable que les noms des pharaons gravés indiquent l’identité de leurs commanditaires. Il nous apparaît plus plausible de supposer que les cartouches des souverains des dynasties libyennes passaient aux yeux des clients comme une valeur ajoutée, symbole de protection et/ou de prestige, plutôt qu’une marque de propriété ou de provenance. Il n’est pas impossible que tel ait été le cas des nombreux vases aux cartouches des glorieux souverains du nouvel Empire. La tradition est perpétuée au vie siècle sur les gourdes de nouvel an. En résumé, le relatif manque de données sur le sol égyptien ainsi que la présence simultanée parmi la production des vases de pierre d’autres formes assurément levantines, incitent à penser que la nature égyptienne de l’alabastre en « albâtre » n’est pas avérée. Cette perspective infirme la conception des alabastres en « albâtre » comme des indices de la diffusion de la culture égyptienne. Plus encore, elle leur donne une autre marque culturelle. Il faut prendre en considération que c’est dans le monde méditerranéen que cette forme va connaître un succès durable et universel. 58. Padro 2001, p. 134. 59. Publiant un vase au nom du roi Ounas (Louvre E 32272, Ziegler 1997), Ch. Ziegler trouve ses parallèles à Edfou… et à Byblos. 60. Caubet 1991.

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Son succès dans les siècles suivants, en différents matériaux, est méditerranéen, et non égyptien. On connaît la fortune de cette forme à partir de la fin du vie siècle, particulièrement dans ce matériau de prédilection des Levantins qu’est le verre. Dans le cadre de sa thèse, G. Hölbl évalue la difficulté d’établir le catalogue des alabastres de pierre en Italie tant ils sont nombreux61. On s’accorde à reconnaître que leur étude dans le champ entier de la Méditerranée a de quoi décourager les meilleures volontés. Il me semble que la dispersion méditerranéenne des alabastres permet d’envisager cette forme comme un marqueur d’identité phénicienne, connu de tous dans l’Antiquité mais aujourd’hui oblitéré par une préséance donnée aveuglément à l’artisanat égyptien. Dans cette optique, je propose de considérer l’Égypte comme un pays parmi d’autres pour la réception et l’emploi de ce type d’objet et bien sûr pour sa production. Ni la pierre ni l’usage des hiéroglyphes ne suffisent à clore le débat.

Conclusion : une erreur d’appréciation fondamentale ? Les études sur les échanges culturels entre Égyptiens et Phéniciens reposent sur un tri préliminaire entre objets de type égyptien et leurs imitations hors d’Égypte62. Les postulats sur lesquels repose cette approche sont remis en cause par les considérations qui précèdent. Nous proposons ici d’envisager ces questions sous un tout autre angle. Ce qu’il est habituel de considérer comme des témoignages de la diffusion de l’art égyptien en Méditerranée au ier millénaire, les scarabées, les vases de pierre, les faïences, les amulettes, les cuillers d’offrande, ne serait dans notre optique rien d’autre que la perpétuation de formes d’art déjà portées auparavant dans une large mesure par les Levantins dans le cadre du Nouvel Empire égyptien. Leur présence en nombre en-dehors de l’Égypte, serait à comprendre non comme l’emprunt de la culture égyptienne par des étrangers, mais comme la perpétuation par les Levantins / Phéniciens de leur propre héritage. Dans le cadre de leur expansion en Méditerranée, cette continuité s’est manifestée avec tant de force que l’on ne peut que s’interroger sur la question. Une telle hypothèse efface la distinction entre « égyptien » et « égyptisant » pour ces catégories d’objets. Les variantes que l’on peut déterminer par l’identification de différences, même si on parvient à les localiser, ne se répartissent plus entre « faits par des Égyptiens » et « copiés par des non-Égyptiens ». L’Égypte est le pays où ces manifestations d’une culture mixte sont implantées, voire nées, dans des conditions particulièrement favorables, surtout au iie millénaire. La signature de cette koinè artisanale est multiple : des thèmes décalés de l’iconographie pharaonique, des savoir-faire techniques, le maniement des répertoires artistiques de sources diverses au sein du même atelier voire sur le même objet, le goût des « références », la capacité à exécuter des inscriptions des différentes langues et écritures, exactes ou de fantaisie. On perçoit ici avec intensité le grand malentendu qui oblitère la vision de l’art phénicien depuis le début de ses études. À leur rôle de commerçants, on leur a associé une personnalité d’adaptateurs plus ou moins habiles de l’art des autres. L’injustice réside en ce que, loin d’être des imitateurs, eux et leurs ancêtres du iie millénaire (au 61. Hölbl 1979, I, p. 240-253. 62. Cela concerne également les échanges commerciaux, Chirpanlieva 2014.

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moins) sont à l’origine de formules artisanales et artistiques qui, nées en Égypte ou ailleurs, ont souvent connu leur plus grand succès en Égypte même63. Leur implantation sur les rives du Nil, avec le cortège d’adaptations d’éléments de la culture égyptienne dont ils ont fait preuve à cette occasion, a scellé leur destinée critique auprès des modernes, toute invention née sur le sol égyptien étant implacablement imputée à l’art égyptien64. Alors qu’ils ont créé les formes d’un art hybride à succès, qu’ils ont continué à les porter et à les reproduire au cours du ier millénaire, on s’obstine à les considérer comme des copieurs. On leur concède le rôle de diffuseur car on connaît l’esprit peu aventureux des Égyptiens. En dépit des efforts de plusieurs générations de chercheurs, ce phénomène peine à prendre la place qui lui revient dans l’histoire de l’art. La recherche gagnerait en clarté si on distinguait dans l’art égyptien ce qui relève de la civilisation pharaonique et ce qui relève de ce monde plus large dont l’Égypte n’est qu’une partie. Un autre art, que l’Égypte alimente de certains traits de son art « pharaonique » si typé. Confronté aux questions des identités culturelles de certains milieux artisanaux comme celui des faïenciers d’Hermopolis, l’égyptologue souffre du déficit d’un cadre préexistant dans l’histoire de l’art égyptien. À côté de la formule « art pharaonique », un outil nous manque, un terme qui nous évite de tomber dans l’ornière de l’« art égyptien », un terme qui prenne en compte ce vaste monde qui est le champ d’action de ces peuples. D’autre part, si on considère les phénomènes dénommés aegyptiaca dans la Méditerranée comme des manifestations de la continuation au ier millénaire d’une culture commune implantée en Égypte comme ailleurs, ne serait-il pas intéressant d’envisager pour l’étude des arts « mineurs » au iie millénaire (celle des objets personnels de luxe) une méthode « rétrospective », au rebours de nos habitudes ? Cette méthode partirait de l’hypothèse suivante : les aegyptiaca du ier millénaire indiquent les catégories d’objets relevant de cette culture mixte aux périodes précédentes, époques pendant lesquelles la nature de ces œuvres, noyées au sein de l’art « égyptien », est difficilement perceptible.

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ixe

et le

viiie s.

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Conteneurs de transport égyptiens dans l’Égypte ancienne. Imitations, assimilations et transposition de modèles étrangers Sylvie Marchand (IFAO – Le Caire)

Abstract The objective of this communication is to offer a quick overview of a global phenomenon, which is evident throughout the ancient world: the imitation of vases using foreign models in ancient Egypt. This article falls under the framework of ongoing research into the large family of Egyptian transport containers made from ceramic which imitate those of a Levantine, Cypriot and Aegean tradition, as well as other Mediterranean lands. Beforehand, it is worth recalling that the questions put forward here have been widely developed and are the result of work, some of which has been published, which has been ongoing for over a decade. This article gives us the opportunity to present the outlines of a new programme, which fits into the framework of the new five-year programme (2017-2021) of the French Institute of Oriental Archaeology in Cairo. It is called “Egyptian transport containers from the Third Millennium BC to the end of the Ptolemaic Period. Imitations, assimilations and transposition of foreign models”.

La question des conteneurs égyptiens imités de modèles étrangers ne concerne pas seulement le domaine stricte de l’étude céramique mais touche à de nombreux aspects de l’histoire de la culture matérielle, qu’il s’agisse de l’appartenance géographique des formes originelles, de l’analyse morphologique et technique des copies et du rendu de leur imitation, de l’examen des décalages morphologiques et chronologiques entre les copies égyptiennes et leurs modèles, du suivi de l’adoption de ces derniers par les potiers égyptiens jusqu’à leur abandon, de la recherche de leurs lieux de production, de cartographier leur diffusion – avec si possible des évaluations statistiques – en Égypte et parfois hors du territoire, et enfin d’en déterminer les usages. Connaître les raisons de ces imitations, accompagnées d’une mise en perspective des importations originales qui arrivent dans la vallée du Nil aux mêmes périodes, contribue à une meilleure évaluation des échanges entre l’Égypte et le monde méditerranéen et oriental. Cette enquête ouvre sur des domaines de recherche variés, comme le rayonnement culturel que ces imitations supposent. Le sujet est ambitieux, il convient d’avancer prudemment par petites touches en reprenant notamment la documentation archéologique ancienne. Pour apprécier au mieux le phénomène, une approche diachronique est indispensable, le cadre chronologique couvre une Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 73-100

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large période qui s’étend du iiie au ier millénaire avant notre ère, de l’Ancien Empire à l’époque ptolémaïque. Nous reviendrons d’abord dans la première partie de cet exposé sur la définition des mots : imitation, assimilation et transposition. Nous suivrons ensuite un parcours chronologique très général qui débute au ive millénaire et s’achève au ier millénaire (figure 18), avec quelques exemples choisis qui viendront illustrer notre propos. Rappelons que certaines illustrations sont parfois inédites, elles apportent donc une documentation renouvelée de l’état de la recherche en cours.

Définitions. Imitation / assimilation / transposition Le phénomène d’imitation, d’assimilation ou de transposition de conteneurs ou d’autres catégories de vaisselles en terre cuite est attesté en Égypte dès l’époque prédynastique jusqu’à l’époque gréco-romaine, et bien sûr au-delà. Son étude reste cependant un phénomène nouveau, documenté de façon ponctuelle. Mais avant d’aller plus avant, il convient de s’arrêter sur les mots employés pour les définir1. Les termes d’imitation et d’assimilation sont proches, il s’agit d’un vase en céramique qui imite la forme d’un autre vase en céramique. L’imitation d’un vase de forme étrangère peut également traduire des exigences techniques et esthétiques, comme la qualité du tournage, celle de l’argile employée et de la confection de la pâte, répondant aussi à des contraintes fonctionnelles spécifiques du récipient, le rendu du traitement de la surface du vase, et enfin le décor s’il existe. L’assimilation, est une différence de degré dans l’imitation, en effet dans ce cas on reprend tout ou partie d’une forme et de ce qui la constitue, col, corps, fond, anses et le décor. On peut par exemple ne donner au vase que l’allure générale du modèle choisi ou quelques éléments jugés les plus significatifs (figure 4). Autre mot utilisé, celui de transposition céramique2. Le terme de transposition est préféré à celui d’imitation dans certains cas, bien que certains chercheurs choisissent de l’utiliser l’un pour l’autre3. La raison principale qui justifie à mon sens de les distinguer est que le terme d’imitation, à la différence de celui de transposition, ne met pas suffisamment en valeur certains aspects, notamment ceux qui sont liés au changement de matériau. Cette recherche exige de recourir aux disciplines de la technique, de l’étude des matériaux, des décors peints et de la polychromie. Elle touche également des domaines aussi divers que les conceptions religieuses, le commerce, les relations

1. Sur la question de l’imitation des conteneurs égyptiens d’après des modèles étrangers aux iiie, iie et ier millénaires, de l’Ancien Empire jusqu’au début de l’époque ptolémaïque, cf. Sowada 2011 ; Thalmann, Sowada 2014; Aston 2002 ; 2004a ; 2004b ; Aston, Bietak 2012 ; Defernez 2007 ; Defernez, Marchand 2006 ; 2016 ; Marangou, Marchand 2007 ; Marchand 2013. Pour suivre ce phénomène aux époques romaine tardive et au début de l’époque arabe en Égypte, voir par exemple Ballet et al. 2012. Sur le phénomène spécifique de la transposition céramique dans l’Égypte ancienne, on consultera Marchand 2011 ; Bader 2011, en dernier lieu voir l’article de Bader sous presse. 2. Pour une vision d’ensemble sur la question de la transposition céramique dans l’Égypte pharaonique, voir Marchand 2011. 3. Voir Bader sous presse.

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Figure 1 - Carte générale d’Égypte [© IFAO].

internationales, ou encore le goût du beau et de la mode. Il s’agit d’un sujet complexe qu’il convient de traiter dans son ensemble à travers toutes les époques de l’histoire de l’Égypte si l’on veut tenter d’en déceler les multiples formes et les fonctions. Il est utile de préciser ce que l’on entend par « transposition céramique ». Le cas le plus fréquent consiste à transposer en céramique un vase primitivement créé dans un autre matériau ou emblématique de celui-ci, comme la pierre, le métal, la faïence égyptienne, le verre, le cuir, le bois ou la vannerie. Le second type de transposition offre les mêmes caractères morphologiques et techniques que le précédent, mais il s’agit du phénomène inverse qui consiste à transposer un vase dont le prototype est connu en céramique, dans un autre matériau qui peut être la pierre (figure 6c), le verre, la faïence égyptienne, le bois, voire même dans quelques cas la vannerie. Enfin une dernière forme de transposition céramique existe, celle des vases « simili » (figure 2). Il s’agit sans doute de la forme la plus emblématique de transposition. Les vases « simili »4 en céramique ou en bois ont souvent retenu l’attention des égyptologues car il s’agit d’un matériel spécifiquement funéraire et ponctuel dans le temps.

4. Voir Baldassari 1981. L’auteur regroupe sur un tableau les formes les plus communes des vases en verre pour le Nouvel Empire sur la base d’imitation de vases en céramique, pierre, faïence, métal ou bois.

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On « maquille » à l’aide d’un décor peint un vase en céramique ou en bois qui imite un autre matériau. Connu dès l’époque prédynastique avec un décor exclusivement monochrome, le vase « simili » réapparaît au Nouvel Empire et atteint sa forme la plus achevée avec l’utilisation de la polychromie et un grand souci du détail et de réalisme. On a pu même parler d’une véritable manie des Égyptiens pour les vases « simili ». À côté des exemplaires de vase « simili » de céramique, on trouve au Nouvel Empire le pseudo vase « simili » de bois. Ce dernier appartient à la même catégorie que les précédents en céramique, il porte les mêmes types de décors peints, tous deux imitant par leur forme et leur aspect les vases en pierre ou en verre. Mais le pseudo « simili » en bois n’est qu’un simulacre de vase, pas même creusé5. Une remarque d’ordre général s’impose pour le cas des transpositions céramiques, si l’on met à part le cas des vases « simili », il est parfois bien difficile de savoir « qui inspire qui », les prototypes d’un vase dans un matériau donné ne sont pas toujours clairement identifiés et ils peuvent varier selon les époques. De plus, l’imitation peut se réduire parfois à une simple filiation morphologique ou décorative. Après ces définitions, le choix de critères généraux pour guider notre étude sur les conteneurs égyptiens en terre cuite imités / assimilés / transposés de modèles étrangers peuvent se résumer comme suit. À côté des critères de forme et de technique de fabrication, ceux de reconnaissance des argiles sont primordiaux. Pour tenter de répondre à ces questions, grâce au renouvellement des données scientifiques à notre disposition, les points suivants sont prioritaires : - le premier volet est l’étude des sources archéologiques, en suivant la chronologie, avec la réalisation d’une typologie de référence par groupe de production (forme / pâte), une définition de leurs usages, et le recensement systématique de la présence de ces conteneurs sur les sites archéologiques d’Égypte, voire même des exemplaires exportés hors du territoire égyptien ; - le second volet est la caractérisation de leurs pâtes (marneuse, calcaire, mixte et alluviale) grâce aux études pétrographiques des exemplaires de références et la réalisation de photos macroscopiques (figures 7-10), avec la mise au point de cartes sur les origines possibles de l’ensemble des productions sur le territoire égyptien et la reconnaissance des ateliers6 ; - le troisième volet du projet concerne la diffusion des conteneurs égyptiens de tradition étrangère, matérialisée par plusieurs cartes pour chaque groupe céramique et pour chaque période chronologique (figures 12, 17). Pour ce dernier point, la reconnaissance des matériaux céramiques est cruciale car elle permet de reconstituer les circuits empruntés par nos conteneurs, dans le cadre du commerce interrégional et celui plus prestigieux du commerce international. 5. De nombreux exemplaires ont été découverts dans les tombes de la xviiie dynastie. Voir par exemple, Davies 1907, p. 32, pl. 27. 6. Sur ce point voir Marchand 2014b. Cet article présente sous forme de plusieurs cartes accompagnées de tableaux, un inventaire des sites de productions céramiques égyptiens du Prédynastique à l’époque médiévale, état 2013. Il met en évidence le nombre dérisoire d’ateliers céramiques mis au jour par l’archéologie sur une aussi longue période par rapport à la superficie du pays. On observe très clairement grâce à l’appareillage des cartes divisant plusieurs périodes, les disparités et les lacunes régionales et chronologiques.

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Parcours chronologique, du ive millénaire au ier millénaire (figure 18) Si les études entamées depuis les années 2000 par les responsables du projet Ifao relatives au dossier de l’imitation des conteneurs étrangers se sont d’abord principalement axées sur la documentation de la fin du ier millénaire av. n. è. (Basse Époque – époque ptolémaïque), à partir notamment des imitations de conteneurs importés des centres les plus actifs du bassin méditerranéen oriental et occidental, celles-ci gagnent désormais à être étendues sur l’ensemble des périodes pharaoniques. De même, si les limites chronologiques de cette recherche méritent d’être élargies, le répertoire formel qu’il implique doit être à nouveau considéré : le phénomène d’imitation ou d’assimilation des conteneurs étrangers, grecs, levantins ou chypriotes, sans oublier ceux de la Méditerranée occidentale et d’Afrique du nord, gagne aussi à être étendu sur le plan typologique et élargi aux questionnements d’ordre culturels et commerciaux qu’il suppose. Limitée jusqu’à présent à des conteneurs de grande taille, des amphores et des jarres notamment, l’étude des assimilations égyptiennes des productions importées des sphères culturelles variables selon les périodes envisagées doit s’étendre aux conteneurs de petite taille (gourdes, bouteilles, vases à parfum ou à onguents, récipients dits de service, amphores de table, récipients à mesure tels que les cuvettes et/ou mortiers), afin de mesurer le degré d’impact du phénomène considéré tant sur le plan géographique que sur le plan socio-économique et culturel. Le phénomène d’imitation et d’assimilation des conteneurs étrangers du ive millénaire au iie millénaire av. notre ère Le ive millénaire à l’époque prédynastique en Égypte connait l’importation de conteneurs principalement originaires du sud Levant. Elle se poursuit pendant les premières dynasties au Protodynastique, auxquels s’ajoutent des conteneurs provenant du nord du Liban7. Les imitations et les transpositions de conteneurs égyptiens d’après des prototypes levantins émergent à l’époque prédynastique (Nagada II). Pour les vases « simili » exclusivement en céramique à l’époque prédynastique, seule la pierre est transposée : la brèche rouge, reconnaissable à ses taches, les porphyres avec ses réseaux irréguliers de veines et de taches, la calcite ou « albâtre » à veines horizontales et verticales, le granit tacheté, ou encore le schiste et la dolérite avec un rendu plus uniforme. Le décor peint à l’époque prédynastique est monochrome. Le « simili » en céramique le plus courant est la jarre à anses tubulaires datée de Nagada II dont le prototype en pierre est bien connu à la même période. Une autre famille de vase est également touchée par la vague des « simili », il s’agit de la jarre en céramique à anses ondulées ou « Wavy-handled jars ». Si la filiation de ce vase depuis la Palestine est certaine, il appartient pleinement au répertoire céramique égyptien à partir de Nagada II. On recense pour ce vase, dont le prototype est en céramique, des imitations en pierre.

7. Voir Amiran 1969, p. 35. Pour des études plus récentes, voir Hartung et al. 2015.

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Les « simili » en céramique des « Wavy-handled jars » imitent la pierre avec un décor simulant les taches (figure 2). Nous avons donc ici un cas intéressant de transposition inverse avec un vase en céramique égyptien de tradition palestinienne qui est transposé en pierre et qui propose également des vases « simili » en céramique qui imitent la pierre.

Figure 2 - « Wavy-handled jars ». Vases « simili » égyptiens, tradition du Levant-Sud. Céramiques à décor peint monochrome imitant la pierre. Époque Prédynastique, ive millénaire, Nagada II [d’après Petrie 1921, pl. 28, n. 6 ; von Bissing 1913, pl. 6, no 2101].

La période suivante, de l’Ancien Empire à partir de la IVe à la VIe dynastie, continue d’entretenir des liens commerciaux étroits avec le Levant. Ce fait est mesurable avec l’importation en Égypte de plusieurs catégories de conteneurs, dont les fameuses jarres à anses « Combed Jars » (figure 3). Elles sont distribuées le long de la côte syropalestinienne et fort courantes en Égypte à cette période. On identifie au même moment quelques imitations / assimilations égyptiennes des « Combed Jars » (figure 4) qui sont des imitations formelles mais sans jamais reproduire le décor au peigne si caractéristique qui recouvre les modèles originaux (figure 3)8. La fin du Moyen Empire, à la fin de la XIIe dynastie, voit l’apparition d’une famille de jarres de transport originaires du Levant, appelées « jarres cananéennes », qui poursuivent leur expansion pendant la Deuxième Période intermédiaire dans toute l’Égypte, mais surtout dans les villes « Hyksôs » du Delta oriental. Les imitations égyptiennes de vases étrangers, telle la « jarre cananéenne », concernent également d’autres catégories céramiques, comme la vaisselle de cuisson, celle de service ou encore utilitaire9. D’autres conteneurs, mais de petite taille, font l’objet d’imitations en Égypte à la même période, dont les fameux cruchons Tell el-Yahoudiya Ware10 (figure 5a-b), primitivement originaires de Syrie-Palestine et distribués un peu partout dans la Méditerranée orientale. Les céramiques fabriquées en Égypte d’inspiration étrangère, constituent l’un des faciès céramique majeur du Delta oriental égyptien qui juxtapose deux traditions culturelles, l’une égyptienne et l’autre principalement levantine – Middle Bronze Age. L’étude des faciès céramiques régionaux spécifiques, avec la question du choix des Égyptiens d’imiter ou non des modèles étrangers, et d’en suivre leur diffusion, constitue une part importante de ce projet de recherche pour la Deuxième Période Intermédiaire. 8. Sur les importations et leurs imitations / assimilations égyptiennes, voir Thalmann, Sowada 2014 et Sowada 2011. 9. Voir les ouvrages de Aston 2002 ; 2004a ; 2004b ; Bader sous presse. 10. Voir sur la chronologie, la typologie et la distribution des Tell el-Yahoudiya Ware prototypes étrangers et de leurs imitations égyptiennes, Aston, Bietak 2012.

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Figure 3 - Abou Rawash, nécropole privée tombe 09, iiie millénaire, Ancien Empire. « Combed-Jar » importée du Levant, h. cons. : 47 cm [© IFAO].

0 1

5 cm

Figure 4 - Imitations égyptiennes (sans décor) de jarres levantines, iiie millénaire, Ancien Empire [Sowada 2011, fig. 1-2].

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2 cm (1/2)

Figure 5 - Kôm el-Khilgan (Delta oriental). iie millénaire, période Hyksôs, XVe dynastie. Cruchon « Tell el-Yahudiya » de fabrication égyptienne locale à décor pointillé imprimé (S181/2-1). Tradition « Middle Bronze Age » [© IFAO].

La période du Nouvel Empire, avant l’époque ramesside, offre une documentation archéologique de premier ordre. Il est vrai qu’à cette époque, les produits manufacturés et les denrées les plus variés circulaient sur les routes commerciales de l’Égée vers l’Égypte, à travers Chypre et la Syrie, les campagnes militaires en Nubie et sur l’Euphrate alimentaient de façon directe et indirecte le marché égyptien en conteneurs en tout genre. Vases céramiques d’apparat et de cérémonie, mais également conteneurs de transport de toutes tailles, que l’on imite et que l’on transpose volontiers dans d’autres matériaux11. Ces vases étrangers viennent d’horizons divers, de Canaan, du Levant, de la Syrie, de Chypre mais également du monde crétois puis mycénien. Certains de ces vases étrangers transposés en céramique, en faïence, en pierre, en métal ou en verre appartiennent à plusieurs catégories12 dont les plus connues sont les « Bilbils », les « Bases Ring Wares », les « Bichrome Wares » chypriotes, les « Spindle Bottles » syriennes ou encore les fameux vases à étrier mycéniens ou « Stirrup Jars ». Transportant des produits alimentaires ou non, certains de ces conteneurs ont fait l’objet de fortes importations. Les amphores à vin égyptiennes (figure 6) sont les exemples les plus courants d’une forme étrangère levantine rapidement imitée / assimilée et transposée dès le début du Nouvel Empire et qui subsistera tout au long du Nouvel Empire en suivant son évolution morphologique proprement égyptienne loin de ses homologues étrangères13.

11. Voir Marchand 2011 ; Bader sous presse. 12. Pour illustrer les principaux modèles étrangers cités ci-dessous, les plus fréquemment imités / transposés en Égypte, voir Amiran 1969, p. 170-186. 13. Pour l’historique des amphores égyptiennes pour toute la durée du Nouvel Empire, voir Aston 2004b.

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Figure 6 - iie millénaire, Nouvel Empire. De la jarre importée « Middle Bronze Age ». a/ à la jarre à vin égyptienne du début du Nouvel Empire (b), à sa transposition en pierre (c) [Bader sous presse, fig. 5].

Le phénomène d’imitation et d’assimilation des conteneurs étrangers au cours du ier millénaire av. notre ère Après le Nouvel Empire, la Troisième Période Intermédiaire est une période moins faste sur la question des imitations égyptiennes des conteneurs étrangers. En effet, nombre d’interrogations demeurent en ce qui concerne la première partie du ier millénaire. Qu’en est-il des reproductions égyptiennes des conteneurs levantins à la Troisième Période intermédiaire et à l’époque saïte ? Quels sont les types de conteneurs, de grande ou de faible capacité, imités ou assimilés au cours de ces périodes ? Qu’en est-il de leur fréquence et de leur répartition géographique ? Le débat reste à ce jour totalement ouvert, les nouvelles découvertes archéologiques, l’intérêt et une meilleure reconnaissance du matériau céramique, mais aussi l’analyse de données anciennes, offrent constamment des réponses qui bousculent les schémas que l’on serait tenté imprudemment d’établir et de « verrouiller ». C’est principalement sur la question cruciale des dates d’apparitions des imitations égyptiennes des conteneurs de traditions chypriotes, syro-palestinienne ou égéenne, que le renouvellement des données est le plus rapide, grâce notamment à l’apport des fouilles récentes qui tendent le plus souvent à avancer la date d’apparition des imitations égyptiennes de conteneurs inspirés de modèles étrangers. La trame chronologique proposée ici sera sans aucun doute rapidement modifiée. Précisons également que la reconnaissance du phénomène ne suffit pas, il doit être quantifié. Ce dernier point est parfois difficile à établir en raison de l’absence fréquente de données statistiques claires publiées. La Troisième Période Intermédiaire connaît la diffusion de petits conteneurs importés du Levant et de Chypre, avec pour les formes les plus courantes les gourdes lenticulaires décorées, les cruches « à bobèche » ou encore les tonneaux décorés14. 14. Voir Aston 1996, p. 334-336 ; voir également Amiran 1969, p. 272-290.

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Figure 7 - Iswid (Delta oriental), ier millénaire, xxvie dynastie. Jarre torpedo importée du Levant (côte libanaise) [Marchand 2014, p. 191, fig. 62, fig. 80].

Les conteneurs levantins de grande taille importés en Égypte sont d’abord associés à un conteneur de transport très ancien en Égypte, la jarre dite torpedo originaire de Syrie-Palestine15. Ce sont les héritières des jarres cananéennes diffusées en Égypte pendant la Deuxième Période Intermédiaire et le Nouvel Empire (figure 6a) examinées plus haut. Les torpedo importées sont trouvées en abondance en Égypte, du Delta en Nubie, et même dans les oasis du désert Occidental (Bahariya et Kharga), dès la Troisième Période Intermédiaire, pendant toute la Basse Époque (figure 7) et jusqu’au début de l’époque ptolémaïque. Les potiers égyptiens les imitent dès la période saïte, d’abord en taille miniature et ensuite au format standard. Un autre conteneur est fréquent, il s’agit des jarres « à anses de panier » d’origine chypriote. Elles sont identifiées sur l’ensemble du territoire égyptien dès l’époque saïte, leurs contreparties égyptiennes, principalement en pâte alluviale, sont, elles, clairement attestées au moins vers le milieu du ive siècle av. J.-C. Cependant, le conteneur le plus emblématique du monde méditerranéen est sans conteste l’amphore de type grec. Les premières tentatives d’imitations égyptiennes d’amphores égéennes voient le jour avant l’époque ptolémaïque dans les premières décennies du ive siècle av. J.-C. Mais là encore il convient d’être prudent sur la date d’apparition et l’impact de ces contrefaçons

15. Beetles 2003 ; Defernez 2001, p. 367-386.

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égyptiennes dans le répertoire amphorique égyptien de la Basse Époque16. Les fouilles récentes révisent nos anciennes données puisque quelques imitations égyptiennes d’amphores égéennes apparaissent dans des contextes archéologiques datés du viie siècle av. J.-C17. Malgré ces tentatives, qui voient le jour à la Basse Époque pendant les dernières dynasties indigènes, le véritable tournant s’amorce à l’époque ptolémaïque quand le phénomène d’imitation des amphores égéennes devient quantitativement mesurable et non plus « anecdotique » si on considère le nombre d’individus recensés pendant les fouilles archéologiques. La période du début du iiie siècle av. J.-C. voit la fin de courants commerciaux égéens, chypriotes et syro-palestiniens, souvent anciens, avec des catégories de conteneurs et de céramiques fines spécifiques, attestés en Égypte dès la Troisième Période Intermédiaire autour du viie siècle av. J.-C., et très actifs pendant la Basse Époque aux veive siècles av. J.-C. On assiste, dès lors, dans la première moitié du iiie siècle av. J.-C. à la montée en puissance du courant commercial égéen et à l’hégémonie des amphores grecques. C’est dans ce cadre que se place le phénomène d’imitation à grande échelle mis en place par les potiers égyptiens de grands conteneurs de tradition orientale, occidentale, et égéenne vers le milieu du ive siècle qui perdure jusqu’au iie siècle av. J.-C. La tradition levantine, la plus répandue étant la jarre torpedo. Elle est emblématique de l’Égypte de la fin de l’époque dynastique au ive siècle av. J.-C. jusqu’au début de l’époque ptolémaïque dans le premier quart du iiie siècle av. J.-C. Le courant phénicopunique reste cependant actif en Égypte à la fin du iiie et au début du iie siècle av. J.-C. Les imitations des conteneurs égéens restent concurrencées au début de l’époque ptolémaïque par les imitations égyptiennes de conteneurs de tradition syro-palestinienne avec les torpedo (figures 8-10) et ceux de tradition chypriote avec les jarres à « anses de panier » (figure 11). La diffusion des torpedo égyptiennes18 peut être synthétisée sous la forme d’une carte, du premier coup d’œil on voit qu’elles sont attestées sur presque tout le territoire égyptien jusque dans la première moitié du iiie siècle av. J.-C. (figure 12). La disparition de ces deux familles de conteneurs importés et de leurs imitations est chose faite dans la première moitié du iiie siècle av. J.-C.19 D’autres conteneurs à grande capacité, dont des jarres « à bec interne » connues en Égypte sous l’appellation d’amphores de tradition phénico-punique (figure 13), dont le(s) lieu(x) de production n’a pas été identifié, prennent alors le relais. Des conteneurs de formes très similaires sont diffusés en Méditerranée occidentale en Tunisie et en Espagne à partir du ive siècle et tout au long du iiie siècle av. J.-C. En Égypte on les trouve sur de nombreux sites dans le Nord Sinaï, au Fayoum et récemment

16. Sur les difficultés d’interpréter la documentation ancienne publiée de certains sites comptabilisant des imitations d’amphores égéennes datées du vie siècle av. J.-C., cf. Defernez, Marchand 2006, p. 73. La question de savoir s’il s’agit d’importations ou d’imitations égyptiennes n’est pas toujours tranchée. La caractérisation des pâtes céramiques locales égyptiennes et de leurs lieux de production reste un sujet d’étude ouvert. 17. Voir par exemple pour les fouilles de Plinthine, Barahona-Mendieta et al. 2016, p. 32, fig. 8, groupe 11. 18. Rappelons que dans l’état actuel de nos connaissances un seul atelier de production pour les torpedo égyptiennes (pâte calcaire) datées de la fin du ive siècle av. J.-C. est connu en Égypte, à Tell Atrib dans le Delta, cf. Mysliwiec 2009. 19. Marangou, Marchand 2007, p. 254.

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a. UF 798-107

b. UF 798-104

c. UF 799-102

0 1

5 cm

Figure 8 - Abou Rawash (région memphite), ier millénaire, seconde moitié du ive siècle av. J.-C. Jarres torpedo égyptiennes en pâte calcaire grossière (groupe 1) [© IFAO].

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5 cm

86 • SYLVIE MARCHAND

01

5 cm Fig. 84. éch. no 135 (A2038-1)

a. (US A32194)

b. éch. no 138 (US A4250-1)

c. (US A42125-2)

d. éch. no 136 (US A32194-2)

e. éch. no 200 (US A5367-5)

f. éch. no 139 (US A32130-1)

Figure 9a-b - Tebtynis (Fayoum), ier millénaire, première moitié du iiie siècle av. J.-C. Jarres torpedo égyptiennes en pâte calcaire grossière (groupe 1) [© IFAO].

CONTENEURS DE TRANSPORT ÉGYPTIENS DANS L’ÉGYPTE ANCIENNE • 87

a. éch. no 133 (US A20236-2)

c. (US A20236-1)

b. éch. no 146 (US A20257-1)

0 1

5 cm

Figure 10a-b - Tebtynis (Fayoum), ier millénaire, 1re moitié du iiie siècle av. J.-C. Jarres torpedo égyptiennes de taille standard et miniature, en pâte alluviale grossière [© IFAO, b : © CEAlex].

88 • SYLVIE MARCHAND

a. éch. no 147 (US A31106-1)

0 1

5 cm

b. éch. no 140 (US 3721-1)

0 1

5 cm

Figure 11 - Tebtynis (Fayoum), ier millénaire, premier quart du iiie siècle av. J.-C. Jarres « à anses de panier » égyptiennes en pâte alluviale grossière [© IFAO].

en Moyenne-Égypte20. À Tebtynis dans le Fayoum par exemple elles sont attestées à partir du milieu du iiie siècle av. J.-C. pour disparaître des couches archéologiques au début du iie siècle av. J.-C.21 La pâte céramique marneuse de couleur rose est remarquablement homogène et a pu faire penser dans un premier temps à une importation. Cependant, de nouveaux examens pétrologiques réalisés en 2017 à l’Ifao par Éric Goemaere (géologue à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique) semblent indiquer en fait une origine égyptienne des conteneurs de Tebtynis (figure 13b), mais leur aire de production est inconnue. Les imitations égyptiennes en pâte alluviale se concentrent dans le Nord Sinaï22, sauf peut-être une miniature en pâte alluviale mise au jour à Tebtynis dans le Fayoum. L’arrêt brusque de la fabrication des torpedo égyptiennes dans la première moitié du iiie siècle av. J.-C. marque l’hégémonie des amphores égyptiennes de type grec qui deviennent l’unique conteneur de transport pour la production viticole le long de la vallée du Nil et dans le Delta23. Après la disparition totale des torpedo égyptiennes dans la première moitié du iiie siècle av. J.-C., les amphores égyptiennes de tradition grecque

20. Découvertes en 2016 de plusieurs bords de jarres « à bec interne » importées de tradition punique dans la nécropole de Sheikh Fald. Fouilles de l’Université de Vienne dirigées par Chr. Kölher, étude des céramiques par S. Boulet. 21. Marangou, Marchand 2007, p. 251. 22. Ibid., p. 251, n. 54. 23. Ce qui n’exclut pas l’existence de particularismes régionaux, avec la résistance de certains conteneurs de transport spécifiques à ces régions ancrés dans la tradition locale, notamment dans les oasis du désert occidental (avec les conteneurs de type siga) ou encore en Haute Égypte (jarres de transport héritées de la tradition pharaonique en « Qena-Ware », encore attestées tout au long du iiie siècle av. J.-C.). Sur ce sujet, voir Marchand 2013.

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Figure 12 - Carte de diffusion des jarres torpedo égyptiennes. [© IFAO ; cliché : S. Marchand, O. Onézime].

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x4 1 cm (1/1)

Figure 13 - Tebtynis (Fayoum), ier millénaire, à partir du milieu du iiie siècle av. J.-C. jusqu’au début du iie siècle av. J.-C. Jarres « à bec interne », amphores de tradition phénico-punique importées ou de fabrication égyptienne ? Pâte marneuse sableuse de couleur rose [a : tiré de Ballet, Poludnikiewicz 2012, p. 313, fig. 685 ; © IFAO].

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prendront alors toute leur place. Un document exceptionnel et fort connu, un bas-relief du tombeau de Pétosiris à Hermopolis / Touna el-Gebel24 daté de la fin du ive siècle av. J.-C. (figure 14), illustre à merveille ce moment privilégié lorsque les conteneurs égyptiens de type torpedo et les amphores égyptiennes de type grec cohabitent encore vers la fin du ive siècle av. J.-C. Cette scène montre les vendanges, la mise en amphores du vin et le décompte de la production. Au premier plan, on voit le remplissage d’amphores égyptiennes de tradition grecque de type rhodien ou cnidien avec leur fond en bouton de la fin du ive et du début du iiie siècle av. J.-C.25, et de jarres égyptiennes torpedo de tradition syro-palestinienne dans leur variante tardive avec sa forme allongée connue en Égypte à la fin du ive siècle av. J.-C.26. Dès la fin du ive siècle av. J.-C., les imitations des amphores de type égéen s’amplifient pour constituer la base du répertoire amphorique égyptien de l’époque grécoromaine. Rappelons simplement que l’Égypte, comme d’autres contrées du monde méditerranéen comme Chypre par exemple, a fait le choix définitif de l’amphore de type grec comme principal conteneur de transport. Les raisons que l’on peut évoquer sont multiples, un choix technique, et dans ce cas précis, il s’agit également d’un fait culturel et d’un phénomène de mode important. La définition la plus commune de l’amphore est celle d’être un emballage commercial ingénieux, à deux anses, qui obéit à des standards précis convenant à la transaction de liquides ; pour l’Égypte, il s’agit principalement de vin27 même si l’on sait par la documentation papyrologique qu’au cours de la période lagide on assiste à l’expansion de l’oléiculture. Le processus d’imitation / d’assimilation des amphores égyptiennes de type égéen est acquis au iiie siècle av. J.-C. avec la création d’un nouveau répertoire amphorique égyptien de tradition grecque28. On constate que les amphores de type égéen ont été considérées par la société égyptienne, et par ses négociants, comme le conteneur idéal pour le transport du vin et pour le vendre. Le choix des modèles d’amphores grecques imitées pour constituer le répertoire amphorique égyptien s’est porté sur les amphores importées les plus courantes qui circulent en Égypte à la fin du ive siècle et au début du iiie siècle av. J.-C. (figures 15-16). Elles imitent les amphores de Cnide, de Rhodes, ou de Chios qui transportaient les crus les plus réputés du monde égéen dans des conteneurs bien identifiés. La forme bien connue de ces amphores est donc un gage de qualité pour les acheteurs. Une autre raison pour l’adoption de l’amphore de type grec est liée aux contraintes techniques, l’amphore, par sa forme spécifique, est un récipient commode pour le stockage et le transport. Toutes les amphores égyptiennes de première génération sont diffusées un peu partout le long de la vallée du Nil, comme le montre la carte de diffusion que nous avons établie sur la base de la documentation archéologique publiée (figure 17)29. 24. Cherpion et al. 2007, p. 56. Scène 56a (GL. 43–44). 25. Ibid., p. 2, n. 7 : communication orale de J.-Y. Empereur. Type d’amphore caractéristique de la fin du ive et du début du iiie siècle av. J.-C. Defernez, Marchand 2006, p. 91-94. 26. Beetles 2003 ; Defernez 2001, p. 387, fig. 4 : imitation locale de jarre torpedo, datable de la fin du ive siècle av. J.-C. (Provenance : Tell el-Herr). 27. Voir Tallet 1998. 28. Sur ce sujet voir en dernier lieu Defernez, Marchand 2016 avec la bibliographie. 29. Comme c’est le cas pour les torpedo égyptienne, un seul centre de production des amphores égyptiennes de première génération à Médamoud a été identifié dans l’état actuel de nos connaissances, cf. Barahona-Mendieta 2016.

Figure 14 - Détail d’une scène du tombeau de Pétosiris à Hermopolis / Touna el-Gebel daté de la fin du ive siècle av. J.-C. Mise du vin dans des amphores égyptiennes de tradition grecque et dans des jarres torpedo égyptiennes de tradition syro-palestinienne [Cherpion et al. 2007, p. 56, scène 56a].

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2 0 1

5 cm

1

Figure 15 - Tebtynis (Fayoum), ier millénaire, milieu du iiie siècle av. J.-C. Amphores égyptiennes en pâte alluviale fine de première génération, imitations de modèles rhodien et chiote [© IFAO].

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Figure 16 - Tanis (Delta oriental), ier millénaire, à partir de la fin du ive siècle av. J.-C. au milieu du iiie siècle av. J.-C. Amphores égyptiennes en pâte alluviale de première génération imitant les amphores égéennes importées (fig. 16a / a) Imitation amphore cnidienne, milieu du iiie siècle av. J.-C. ; fig. 16a / b) amphore adaptation amphores égéennes « Mushroom », fin du ive siècle au milieu du iiie siècle av. J.-C.) [© MFFT ; cliché : S. Marchand].

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Figure 17 - Carte de diffusion des amphores égyptiennes de tradition égéenne de première génération au début de l’époque ptolémaïque [© IFAO ; cliché : S. Marchand, O. Onézime].

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Époque néolithique vers 8800-3800 av. J.-C.

vers 3800-3300 av. J.-C.

Néolithique ancien, moyen, récent ( cultures Tasienne puis Badarienne ) Basse-Égypte : Culture Maadi-Bouto I/Haute-Égypte : Nagada I ( 3800-3500 ) Basse-Égypte : Culture Maadi-Bouto II/Haute-Égypte : Nagada II ( 3500-3300 )

vers 3300-2686 av. J.-C. Ancien Empire 2686-2160 av. J.-C.

Première Période intermédiaire 2160-2055 av. J.-C. Moyen Empire 2055-1773 av. J.-C. Deuxième Période intermédiaire 1773-1550 av. J.-C.

Nouvel Empire 1550-1069 av. J.-C. Troisième Période intermédiaire 1069-664 av. J.-C.

Thèbes

Basse Époque 664-332 av. J.-C.

Époque grecque 332-30 av. J.-C. Époque romaine 30 av. J.-C - 395 apr. J.-C. 395 - 642 apr. J.-C. Époque islamique depuis 642 apr. J.-C.

Figure 18 - Repères chronologiques [d’après les chronologies établies par N. Grimal, Histoire de l’Égypte ancienne, Paris, 1988 ; I. Shaw (éd.), The Oxford History of Ancient Egypt, Oxford 2000].

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En guise de conclusion Ce rapide état de la recherche du phénomène d’imitation / assimilation / transposition des conteneurs de transport égyptiens d’après des modèles étrangers dans l’Égypte ancienne aura nous l’espérons mis en valeur le potentiel de cette recherche qui ne manquera pas d’évoluer très rapidement, et qui nous fait découvrir des pans entiers de l’histoire économique et culturelle de l’Égypte à travers sa longue histoire.

Remerciements - Bettina Bader, pour m’avoir autorisée à publier la photo présentée figure 6. - Luisa Bonadies pour nos échanges sur les jarres torpedo importées. - Max Luaces pour son expertise sur les jarres « à bec interne » de tradition punique importées en Égypte à l’époque ptolémaïque (figure 13). Elle a abouti à notre communication commune sur ce sujet au colloque « 1st Amphoras in the PhoenicianPunic World Congress. Gent 15-17 novembre 2016 ». - Antigone Marangou pour son expertise d’après photo des amphores égyptiennes de Tanis (figure 16). - Mes collègues de l’IFAO, Olivier Onézime pour la réalisation des cartes (laboratoire de topographie), Gaël Pollin pour les photos macros des pâtes (laboratoire photo), Ayman Hussein pour la mise au net de nombreux dessins présentés dans l’article (laboratoire dessin). - La Mission française des fouilles de Tanis dirigée par François Leclère. Je remercie Stéphanie Boulet pour les dessins des amphores figure 16a. - La mission IFAO de Kôm el-Khilgan dirigée par Béatrix Midant-Reynes. Je remercie Christiane Hochstrasser-Petit pour la réalisation du dessin figure 5a. - CEAlex d’Alexandrie dirigé par M.-D. Nenna. Je remercie Kaan Senol (responsable de l’étude des amphores), pour la photo macro présentée figure 10b (jarre torpedo en pâte alluviale, fouilles du chantier Fouad. Photo : CEAlex). - Les missions IFAO de la nécropole privée d’Abou Rawash dirigée par Yann Tristant d’une part et par notre regretté collègue Michel Baud d’autre part, pour la nécropole privée des mastabas de l’Ancien Empire, pour la photo présentée figure 3 (2010, Tombe 09 chambre, US 1140).

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PARTIE II L’ÎLE DE CHYPRE ET LA GRÈCE

Le voyage du dieu ouest-sémitique Rašap à Chypre à l’époque archaïque Jimmy Daccache (Yale University)

Abstract On the island of Cyprus, during the Classical period, the warrior function of god Rašap is not difficult to define, especially in the kingdom of Kition and Idalion, where his cult was well-anchored. However, his image is less obvious during the archaic period. A new proposal for reading Rašap's unique Phoenician attestation, found in Paleo-Kastro shines light on his function as a porter of Hell, “activated” in the archaic period, as well as the place from which his journey ends on the island of Cyprus.

Le culte de Rašap, dieu de l’épidémie et de la guerre, s’est répandu dans une grande partie du bassin méditerranéen1. Son périple débute au iiie millénaire, entre 2340 et 22842, dans le royaume d’Ébla, où son culte se propage dans différents villes et villages qui en dépendent. À partir du iie millénaire, notamment au Bronze récent, Rašap entame son voyage autour du bassin méditerranéen : son culte semble avoir détenu une place importante à Ougarit, où les attestations du dieu sont multiples. L’ampleur quantitative des représentations du dieu guerrier en Égypte atteste de la place éminente qu’il a pu occuper au sein du panthéon local durant la XVIIIe dynastie (1550-1292), sous le règne d’Amenḥotep II (1427-1400) et à l’époque ramesside (1296-1069), surtout sous les règnes de Ramsès II (1279-1213) et de Ramsès III (1184-1153). Au ier millénaire, le culte de Rašap était prospère dans l’île de Chypre, notamment dans le royaume de Kition et Idalion à l’époque classique, sous le règne de Milkiyaton (392-362)3. C’est sa qualité de dieu guerrier – soulignée par son attribut toponymique myklê – qui prédominait durant cette période4. La présence de Rašap dans l’île de Chypre remonte en effet au xive siècle, où son caractère effrayant et malfaisant a pris le pas sur son

1. 2. 3. 4.

Sur les dieux voyageurs, voir l’ouvrage de Bonnet, Bricault 2016. Toutes les dates mentionnées dans l’article sont avant J.-C. Sur la graphie Milkiyaton, voir Briquel Chatonnet et al. 2014, p. 186, n. 3. Daccache 2014 ; 2016, p. 58-59. Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 103-121

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Figure 1 - Cippe de Paleo-Kastro, face inscrite [© J. Daccache, 2016].

Aghios Philon

Kyrénia Kazaphani

Lapithos

Ayia Irini

Chytroi Salamine

Vouni

Nicosie Soloi Tamassos

Marion

Golgoi

Idalion

Paléo-Kastro Lac salé

( Maroni)

Paphos (Ktima) Palaepaphos (Kouklia) Kourion

Kition

Amathonte 0

10

20

30

40

50 km

Lac salé

Figure 2 - L’île de Chypre, lieu de trouvaille du cippe inscrit [carte adaptée d’A. Carbillet, La figure hathorique à Chypre (iie-ier mill. av. J. C.) (AOAT, 388), Münster, 2011, pl. 56].

LE VOYAGE DU DIEU OUEST-SÉMITIQUE RAŠAP À CHYPRE À L’ÉPOQUE ARCHAÏQUE • 105

aspect guerrier. En effet, la main destructive de Rašap (dMAŠ.MAŠ) qui frappe Alašiya, c’est-à-dire Chypre5, est mentionnée dans une lettre d’El-ʿAmarna (EA 356), envoyée par le roi d’Alašiya au pharaon7. De l’époque archaïque à Chypre, il ne nous est parvenu qu’une seule inscription dédiée à Rašap8, datant plus précisément du viie siècle selon la paléographie. Elle est gravée sur un cippe en calcaire de forme pyramidale (figure 1), découvert fortuitement par un paysan à Paleo-Kastro dans la région de Pyla – située au nord-est de Kition9 (figure 2). L’objet est actuellement conservé au musée du Louvre-Lens sous le numéro d’inventaire AO 4411. L’inscription, faite par le sculpteur10 ʾEšmūnḥillēṣ, est en très bon état. Cependant, un éclat de la pierre a fait disparaître une partie du dernier mot qui suit le nom de Rašap (figure 3) : 1. ʾŠ PʿL ʾŠMN 2. ḤLṢ . HQLʿ . Lʾ 3. DNY . LRŠP Š[ ]

Ce qu’a fait ʾEšmūnḥillēṣ, le sculpteur, pour son seigneur, pour Rašap š[ ]

Rašap est suivi d’un qualificatif dont ne subsiste que la première lettre, un šin. L’espace qui suit cette consonne ne peut contenir plus de deux caractères. Les propositions quant à la restitution et l’interprétation de cet élément se sont multipliées : l’épithète toponymique fut la première hypothèse émise11, du fait qu’il était d’usage d’attribuer à Rašap ce genre d’adjectif. E. Lipiński12 a suggéré la ville de Salamine (šlm), où des vestiges archéologiques datant de la fin du viiie siècle ont été mis au jour, notamment la tombe 79, qui a livré une inscription phénicienne peinte sur une amphore13. Il fonde également son hypothèse sur la proximité de Salamine avec le lieu de trouvaille14. Cette interprétation – bien qu’elle soit séduisante – reste cependant conjecturale, puisque le nom de la ville est inconnu de la toponymie sémitique en général et phénico-punique en particulier15.

5. L’attestation du toponyme ʾlšy dans un ostracon d’Idalion de l’époque hellénistique, publié récemment par Amadasi-Guzzo, Zamora, 2018, ne laisse plus de doute quant à l’identification d’Alašiya à Chypre. 6. Moran 1987, p. 200-201. 7. Les archives d’El-ʿAmarna sont constituées de lettres rédigées en akkadien, retrouvées à El-ʿAmarna en Égypte, qui représentent la correspondance internationale d’Amenḥotep IV au xive siècle. 8. Hermary 1984, p. 238-240 ; Hermary 1989, p. 295-296, no 593 ; KB 1143 ; Counts, Toumazou 2006, p. 598, fig. 1 ; Cannavó 2011, p. 315-316 ; Münnich 2013, p. 246-247, n. 3 et p. 250-251. 9. Lacau 1902, p. 207 ; Masson 1966, p. 78, fig. 1. 10. Le nom du métier qu’exerce ʾEšmūnḥillēṣ est rendu par l’hapax qlʿ. Le sens courant de ce terme, attesté dans différentes langues sémitiques, est « frondeur », voir Murtonen 1989, p. 377-378. Mais celui-ci ne constitue pas la seule traduction hébraïque, dans la mesure où le substantif verbal mqlʿt signifie aussi « des choses sculptées, taillées », voir Cannavó 2011, p. 181. 11. Lacau 1902, p. 210-211 est le premier à avancer l’hypothèse, sans proposer de toponyme. 12. Lipiński 2004, p. 68 ; Lipiński 2009, p. 230. 13. Sznycer 1980, p. 127-128. 14. Lipiński 2009, p. 230. 15. En rapprochant šlm du nom du lieu Šalmā ou Šalmiya qui appartenait au royaume d’Ougarit, Lipiński 2004, p. 66 souligne la probabilité d’une origine sémitique du toponyme Salamine. À propos de la localité ougaritique, voir Van Soldt 2005, p. 42-43, 104-106, 143, 184.

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Figure 3 - Cippe de Paleo-Kastro, face inscrite, détail de l’inscription [© J. Daccache, 2016].

A. Caquot et O. Masson16 ont proposé deux qualificatifs divins, šm(m)17, « cieux » et šr, « prince », attestés dans le répertoire phénicien18, pouvant commencer par un šin. Attaché à Baʿl19, le premier adjectif forme le théonyme Baʿlišamīm20, qui peut être vu comme une continuation du lien entre les dieux de l’orage (Tešub et Addu) et le ciel21. Son culte a été répandu dans le monde phénicien dès le début du ier millénaire. La deuxième proposition est d’autant plus vraisemblable que « Rašap le prince » avait déjà fait son apparition dans la légende ougaritique de Kirta22, sous la forme de Rašap zbl. Pourtant, ce rapprochement n’a jamais été fait et a été par la suite délaissé au profit de l’hypothèse selon laquelle Rašap serait associé à Šed. Le dieu Šed, dont le culte est notamment prospère en Égypte, a les caractéristiques d’un dieu sauveur et protecteur contre les animaux dangereux. Son culte provient probablement de l’Orient, car il est attesté à Ras Ibn Hani (RIH 77 / 8A), où il est qualifié de qdš, « saint »23. En Phénicie, il est lié à la racine rpʾ, « guérir » dans le théonyme

16. Caquot, Masson 1968, p. 299-300. 17. Concernant le terme šm au singulier, les auteurs citent la locution ʿštrt šm mentionnée dans l’inscription sidonienne d’Ešmūnʿazōr II (KAI 14 :18), qu’ils traduisent par « Astarté des cieux ». Mais le syntagme est constitué de ʿštrt šm bʿl « ʿAštart-nom-de-Baʿl ». 18. DNWSI, p. 1160-1161 (šmym), 1190 (šr2). 19. À propos de la graphie Baʿl, voir Briquel Chatonnet et al. 2014, p. 186, n. 3. 20. Sur Baʿlišamīm, voir Niehr 2003 ; Bonnet 2010, p. 65-66 ; 2014, p. 72-73 (version française). 21. Niehr 2003, p. 30, 35. 22. RS 3.343+ ii : 6 (KTU 1.15). 23. Bordreuil, Caquot 1979, p. 301-303 (en part. p. 303), pl. VII, 1.

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šdrpʾ24. Dès les plus anciennes illustrations (XVIIIe dynastie), Šed est associé à Horus et figure coiffé de la mèche de l’enfance25. Parfois la divinité Ḥor-Šed apparaît debout sur un crocodile, tenant au bout de ses mains des animaux26. L’argument qui a été développé en faveur de la mention de Šed dans le texte phénicien s’appuyait sur l’effigie qui surmonte le cippe. La face supérieure de celui-ci est creusée d’une mortaise (figure 4), où devait s’engager une sculpture, en l’occurrence une tête de Bes (figure 5), trouvée en même temps que le cippe et ayant un tenon dans sa partie inférieure (figure 6)27. La tête est actuellement exposée au musée du Louvre-Lens sous le numéro d’inventaire AM 1196, surmontant le cippe. Toutefois, l’opinion des chercheurs n’est pas unanime pour reconnaître que ces deux éléments constituaient un ensemble indissociable28. En effet, outre que les dimensions des deux objets ne correspondent pas, étant donné que la largeur de la tête dépasse légèrement celle du cippe (figure 7), l’inscription ne mentionne pas le dieu Bes. Il est certes inhabituel que le dieu-dédicataire et la divinité sculptée ne soient pas les mêmes, mais ce phénomène est attesté en Italie, bien qu’une seule fois, au ier siècle. Il s’agit de la statue en bronze d’Apollon Piombino, de style archaïque, portant une dédicace à Athéna29. Il est à préciser que ce phénomène aurait pu se produire lors d’un réemploi, comme en témoigne la stèle de Baʿl portant une inscription à šdrpʾ30.

Figure 4 - Cippe de Paleo-Kastro, détail de la mortaise [© J. Daccache, 2016].

24. Sur le culte de Šadrapa et son lien avec Šed, voir Lipiński 1995, p. 195-199, 329-332. 25. Šed apparaît à côté d’Horus sur une stèle achetée à Thèbes et conservée actuellement à l’institut d’archéologie de l’université de Strasbourg, voir Loukianoff 1931, p. 69-71, fig. 2. 26. L’association de Šed à Horus donne naissance à la divinité Ḥor-Šed qui figure par exemple sur la stèle amulette du musée égyptien de Turin (no d’inv. 1472) de la XXVIe dynastie, voir Loukianoff 1931, p. 77, fig. 12. 27. Il est malheureusement impossible de vérifier si les dimensions du tenon correspondaient exactement à l’ouverture de la mortaise, puisqu’ils ne sont pas originaux. 28. Lacau 1902, p. 208 ; Lipiński 1995, p. 187, n. 481 ; Lipiński 2009, p. 230 ; Münnich 2013, p. 250. 29. Trouvée par des pêcheurs au large de Piombino, la statue est conservée actuellement au Louvre (Br 2), voir Zagdoun 1989, p. 147-148, 213, 247, no 347. 30. Cat. Louvre, p. 51, no 38.

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Figure 5 - Cippe de Paleo-Kastro surmonté de la tête de Bes [© J. Daccache, 2016]. Figure 6 - Tête de Bes, détail du tenon [© J. Daccache, 2016]. Figure 7 - Cippe de Paleo-Kastro surmonté de la tête de Bes, détail de l’asymétrie des deux objets [© J. Daccache, 2016].

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Il existe certainement un lien entre Šed et Bes, car les deux possèdent un pouvoir protecteur contre les animaux sauvages et dangereux. Mais est-il possible que Bes soit associé à Rašap ? En Égypte, Bes31 est un démon au visage léonin, caractérisé par son nanisme. Apparu au Moyen Empire32, le culte de Bes atteint son apogée durant le Nouvel Empire et perdure jusqu’à l’époque romaine. Dotées de qualités apotropaïques, les amulettes à son image protègent les hommes des forces maléfiques. Dieu de la naissance, Bes veille surtout sur les femmes pendant la grossesse et l’accouchement et sur les nouveau nés. À partir de l’âge du Bronze, l’image du dieu s’est répandue en Mésopotamie33 et dans toute la Méditerranée34. Mais le phénomène de l’évolution de la figure de Bes est remarquable à Chypre35, notamment à Amathonte, qui a livré le plus grand lot d’objets ayant trait à ce nain grotesque. Son effigie s’imprègne d’éléments locaux à partir de l’âge du Fer, pour devenir finalement typiquement chypriote, à savoir coiffée de cornes au lieu des plumes36. Par ailleurs, le lien entre Rašap et Bes est probablement manifeste en Égypte, durant la période saïte (XXVIe dynastie [664-525]). Une statuette remontant à cette époque montre Rašap en « smiting god »37, identifié grâce à l’inscription gravée sur la base : ḏd.n ršp r mȝʿt sȝt rʿ dj(j) ʿnḫ ḥr sȝ ḥȝpj… « Rašap a dit à Maʿat, la fille de Raʿ : je donne vie à Horus, le fils de Hapi… »38. Le dieu est coiffé de la couronne rouge de la Basse Égypte et de la mèche de l’enfance qui caractérise généralement le dieu « Horus enfant ». Il a le bras droit plié, avec le poing levé et tient de la main gauche un grand bouclier de forme trapézoïdale, un arc et une flèche. Un carquois vide est attaché à son épaule gauche. Cette représentation n’est pas la seule attestation de ce type de statues. Il en existe quatre autres de même style, dans lesquelles Rašap est remplacé par Bes39. À l’exception d’une statuette, les autres ont conservé la massue brandie de la main droite. Trois d’entre elles mentionnent respectivement « Amon-Rê », « Min-Horus-le-Fort » et « Harpocrate ». L’association d’Harpocrate « Horus l’enfant » à Bes d’une part et à Rašap de l’autre ne peut pas être contestée. À partir de la basse 31. 32. 33. 34. 35.

36. 37. 38. 39.

Meeks 1992, p. 423-436 ; Carbillet 2011, p. 244-247 (avec bibliographie antérieure). Wilson 1975, p. 77. Ibid., p. 83. Sur Bes à Ougarit, voir Matoïan 2010, p. 213-220 ; en Méditerranée orientale, centrale et occidentale, voir Wilson 1975, p. 83-100 ; Velázquez Brieva 2007, p. 43-178. Les fouilles archéologiques de Kition ont mis au jour des amulettes évoquant Bes (Clerc et al. 1976, p. 118, 127-130, n. 9, 138, 149, 154-155, 157, 159, 161, pl. VIII-IX ; Carbillet 2011, p. 244, n. 258) et une stèle d’« Horus sur les crocodiles » au-dessus duquel figure la tête du dieu, datant de la fin du ive siècle (Carbillet 2011, p. 244 n. 258). Le site d’Amathonte a livré plus d’une vingtaine de pièces représentant Bes (Hermary 1981, p. 28-31). Sur le Bes chypriote en général, voir Carbillet 2011, p. 244-247. Carbillet 2011, p. 245. Cette statuette est conservée au Louvre sous le no d’inv. E 10486, voir Seeden 1980, p. 144 ; Cornelius 1994, p. 132-133, pl. C ; Lipiński 2009, p. 142, 249-251, 257 ; Münnich 2013, p. 94, no 37 et p. 107-108. Traduction d’après Cornelius 1994, p. 132. Ces statuettes en bronze sont conservées au Liverpool Museum (no d’inv. 11594), au Musée du Caire (no d’inv. 38836), au Walters Art Gallery à Baltimore (no d’inv. 54412) et au British Museum (no d’inv. 30737 ou 65518), qui appartenait auparavant à la collection de F. G. Hilton Price. Voir De Meulenaere 1949, p. 10-15, pl. III ; Sandri 2006, p. 157-160. Le rapprochement de ces statuettes au cippe étudié ici a été déjà proposé par Bonnet 1988, p. 411, n. 34, Cornelius 1994, p. 129, Lipiński 2009, p. 250-251 et par Münnich 2013, p. 107.

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époque, l’« Horus sur les crocodiles » se place sous la tutelle de Bes40. Même si Rašap était équipé de toutes ses armes divines dans la statuette saïtique, il est représenté sous les traits d’Harpocrate, coiffé de la mèche de l’enfance. La mention de Rašap et d’Horus dans le texte hiéroglyphique accompagnant la figurine ne laisse aucun doute quant au lien entre ces deux dieux à cette époque. Ainsi, les relations qui s’étaient établies entre Horus l’enfant, Rašap et Bes auraient eu un impact sur l’union de ces deux derniers. Ils n’ont pourtant pas besoin d’un médiateur, notamment puisqu’ils ont un point commun : le contact avec le monde souterrain. La vignette du chapitre 145 du « Livre des Morts » de l’époque de Psammétique Ier (664-610) est par ailleurs celle qui met en évidence le lien entre Rašap et Bes, puisque celui-ci garde la porte de l’Enfer41. À la lumière des hypothèses énumérées plus haut, seul l’attribut šr « prince » s’appuierait sur un parallèle épigraphique, alors que l’équation Rašap / Bes / Šed correspondrait bien à l’union d’éléments opposés chez un dieu lié aux épidémies. Un examen de la pierre dans les réserves du musée du Louvre en 2013 et en 201642 nous a mené à une nouvelle perspective (figure 8). Après le šin, le commencement d’un cercle est conservé, comparable aux deux ʿayn figurant dans le texte (figure 9) et dont la courbe correspond exactement à celle de la lettre appartenant au mot hqlʿ. La gravure est certes moins profonde par rapport au reste de l’inscription, mais cela s’explique par le fait que l’éclat de la pierre aurait emporté la profondeur réelle du ʿayn. Une autre lettre, en l’occurrence un reš, peut éventuellement s’inscrire dans l’espace restant (figure 10). Une telle restitution permettrait de reconnaître dans les caractères qui suivent Rašap le participe šōʿēr « portier ». Ce métier est attesté dans l’épitaphe phénicienne de Baʿlišamār, provenant d’Umm el-ʿAmed, dans laquelle le défunt ainsi que son père sont qualifiés de rb šʿrm, « chef des portiers » 43. La lecture Rašap šōʿēr peut être étayée par certains textes rituels ougaritiques (RS 19.01344, 24.250+45, 24.29446 et RIH 77 / 10B+47), dans lesquels la fonction de « portier » est attribuée à Rašap. Le terme utilisé est ḥāgib « gardien de l’entrée » ou « portier ». Ḥgb a été toutefois sujette à diverses interprétations, parmi lesquelles celle d’un « nom divin ». Cette hypothèse se fonde sur l’existence de l’élément ḥgb dans les noms propres hypocoristiques Ḥagabānu et ḥgby48. Les anthroponymes abrégés, bien attestés à 40. L’« Horus sur les crocodiles » surmonté de la tête de Bes devient un phénomène très courant à cette époque, voir Quaegebeur 1985, p. 132-143 ; Gasse 2004 ; Sandri 2006, p. 160. 41. Leemans 1867, pl. XXXIII ; Velázquez Brieva 2007, p. 39, pl. XII, 1 donne la version de la vignette du papyrus Berlin 3128 et Piankoff 1957 décrit celle du papyrus de Nesipautiutaui (no 3, scène 4) et celle du papyrus de Khonsu-Mes B (no 17, scène 5). 42. Nous tenons à remercier Élisabeth Fontan, conservatrice général au musée du Louvre à cette période, qui nous a permis d’accéder à cet objet, d’étudier l’inscription et d’en faire un relevé sur calque, à partir duquel nous avons produit le fac-similé publié ici. Nos remerciements vont également à Hélène Le-Meaux, l’actuelle conservatrice au département des Antiquités orientales du musée du Louvre, et à Caroline Chenu, régisseur des œuvres au musée du Louvre-Lens. 43. Dunand, Duru 1962, p. 194. Le substantif šʿr « porte » est mentionné dans une dédicace à Baʿlišamīm provenant également d’Umm el-ʿAmed (KAI 18). 44. KTU 1.90. 45. KTU 1.106. 46. KTU 1.134. 47. KTU 1.168. 48. Van Soldt 2012, p. 206.

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Figure 8 - Cippe de Paleo-Kastro, fac-similé de l’inscription [© J. Daccache, 2013].

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Figure 9 - Cippe de Paleo-Kastro, détail des lettres ʿayn dans l’inscription [© J. Daccache, 2016].

Figure 10 - Cippe de Paleo-Kastro, proposition de restitution de la fin de l’inscription [© J. Daccache, 2016].

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Ougarit, sont constitués soit de l’élément divin, par exemple Rišpāyu et ʿAṯtarānu, soit d’un élément substantif, comme ʾAbiyu, de ʾabu « père » et ʿAmmiyānu, de ʿammu « clan, peuple ». Le nom propre composé ʿAbdiḥagab (RIH 77 / 14A+49) est attesté en cunéiformes alphabétique et syllabique, où le déterminatif divin n’est pas noté. Il est donc possible que Ḥagab ne soit pas un théonyme mais une épithète qui remplace le nom divin50. Mais même si on considérait que Ḥagab était un dieu et qu’il formait avec Rašap une divinité double, il faut noter que les théonymes composites dans les textes ougaritiques sont toujours liés par la conjonction waw « et »51, ce qui n’est pas le cas ici. En outre, dans les listes divines, les divinités doubles sont toujours mentionnées ensemble. Rašap n’y figure jamais avec Ḥagab, mais avec le dieu lune, Yariḫu. La deuxième interprétation se base sur le terme hébraïque ḥāgāb52 qui signifie « sauterelle »53 et est surtout fondée sur le fait que Rašap est le dieu de la « peste »54. Ce fléau qui atteint et tue les hommes, ressemble aux invasions de sauterelles, qui constituent un élément important des plaies que YHWH inflige à l’Égypte (Ex 10, 13-14 et 19), puisqu’elles dévorent tout sur leur passage. Toutefois, le terme hébreu désignant les sauterelles dans le livre de l’Exode, n’est pas ḥāgāb mais ʾarbeh. Finalement, la troisième interprétation55 se fonde sur l’arabe ḥāǧeb « gardien de l’entrée », ou « portier »56. P. Xella explique l’expression ršp ḥgb par « Rašap le gardien » de l’Enfer57 en précisant qu’il en est le protagoniste principal, et que son identification à Nergal, dieu de l’Enfer confirme ce rôle du dieu sémitique. Tant que l’on ne disposera pas d’autres textes plus explicites qui donneront quelques lumières sur la locution Rašap ḥgb, nous sommes tentée d’opter pour cette troisième interprétation, d’autant que cette fonction est également attribuée à Rašap sous la forme ṯāǵiru dans le texte ougaritique RS 12.061 (r.)58. Ce terme permet d’étayer notre restitution du mot šʿr, puisque la racine ougaritique ṮǴR correspond à l’hébreu et au phénicien šʿr59. Le texte ougaritique se lit ainsi : 1-4. B ṮṮ . YM . ḤDṮ ḪYR . ʿRBT ŠPŠ ˹.˺ ṮǴRH RŠP Pendant les 6 jours (après) la nouvelle lune (du mois) de ḫiyyāru, s’est couché Šapšu, son portier (étant) Rašap. 49. KTU 4.769. 50. Sur les épithètes qui substituent les noms divins, par exemple Baʿlat Gubal, qui désigne la déesse vénérée à Byblos, voir Briquel Chatonnet et al. 2015, p. 235-236, n. 1. 51. Pour la liste des théonymes composites, voir De Moor 1970, p. 227. L’omission de la conjonction peut rarement se produire : RS 24.271 :28’ = KTU 1.123 : kṯr ḫss, alors qu’à la l. 9 le w est présent ; et à la l. 10 : ʿṯtr ʿṯtpr qu’on trouve sous la forme [ʿṯt]r w ʿṯtpr dans RS 24.251+ :41’ = KTU 1.107. Voir aussi Pardee 2000, p. 582, n. 38, 696. 52. Herdner 1978, p. 28. 53. Le mot ḥāgāb est mentionné 5 fois dans la Bible : Lév 11, 22 ; Nb 13, 33 ; Is 40, 22 ; Qo 12, 5 ; 2 Ch 7, 13. 54. Bien évidemment, il ne s’agit pas de la peste bubonique. 55. Nous notons qu’il existe également une autre explication proposée par Del  Olmo  Lete  2004, p. 606, selon laquelle ḥgb indique une offrande, « diaphragme », « péricarde » ou bien « péritoine », qui fait partie du matériel sacrificiel combustible à Ougarit. 56. Les éditeurs du texte RIH 77 / 10B+ (Bordreuil, Caquot 1979, p. 300) ont présenté ces deux hypothèses en égalité. 57. Xella 1979-1980, p. 150, 152 ; 1988, p. 51. 58. KTU 1.78. 59. À propos des correspondances ṯ ougaritique = š phénicien et ǵ = ʿ, voir Kogan 2011, p. 90 ; Gzella 2011, p. 433.

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La difficulté à interpréter ce texte à caractère astral repose sur la rareté des textes ougaritiques qui abordent un phénomène astronomique60. La formule ṯāǵiruhā Rašap fut interprétée par la visibilité de la planète Mars61, qui est associée à Nergal62. Dans un texte de présage ayant trait à l’astronomie, il est dit que Mars annonce la mort ou bien l’épidémie63. Le nom de l’astre est parfois remplacé par Nergal : « Si Nergal apparaît très petit et blanc, et s’il scintille énormément comme une étoile fixe, il aura compassion d’Akkad »64. Du fait que le dieu Nergal est l’avatar mésopotamien de Rašap, plusieurs spécialistes65 ont envisagé une éventuelle assimilation entre le dieu sémitique et Mars. L’équation Mars = Nergal = Rašap étant vraisemblable, nous serions donc en présence d’une description du coucher héliaque de la planète Mars – nommée Rašap à Ougarit –, phénomène bien attesté en Mésopotamie66. Les deux lignes gravées au verso de la tablette RS 12.061, ˹w a ͗˺dm ˹.˺ tbqrn skn, tendent à confirmer cette identification, bien qu’il y ait eu différentes traductions. Nous n’en présentons que deux : celle de D. Pardee67, « les hommes s’enquerront auprès du gouverneur », et la nouvelle traduction proposée par G. del Olmo Lete68, « Let them scrutinise / They scrutinised. (There is / was) danger ». Cette dernière proposition ouvre de nouveaux horizons sur le contexte ainsi que sur l’éventuelle identification de Rašap à Mars. Au lieu d’expliquer le terme aʾdm par « homme », l’auteur le considère comme un verbe, « devenir rouge », déjà attesté en ougaritique, en akkadien et en d’autres langues sémitiques69. L’interprétation de G. del Olmo Lete est intéressante, car la couleur rouge correspond parfaitement à la planète Mars, parfois nommée dans les textes mésopotamiens MUL.UDU.IDIM SA5 « la planète rouge »70. Son apparition peut provoquer un malheur, comme une violente épidémie (UŠ2-MEŠ šamru)71. Outre le nom astrologique ṣalbatānu et SA5 « rouge » qui traduit l’allure de Mars, celui-ci est désigné par des qualificatifs mettant en évidence son côté maléfique72. Quant au lien entre Šapšu et Rašap, il n’est pas signalé dans d’autres textes ougaritiques. Cela prouve que cette attestation ne souligne pas un rapport particulier 60. Outre le texte RS 12.061, la tablette RIH 78/14 traite de présages relatifs au phénomène lunaire (Pardee 1993, p. 615-616) et le texte akkadien RS 23.038 appartient à la série astrologique « Éclipses du dieu Soleil » connue en Anatolie (Arnaud 1996, p. 718). 61. Gachet-Bizollon, Pardee 2008, p. 183. 62. Pardee 1993, p. 616 ; Pardee 2000, p. 425 ; Koch-Westenholz 1995, p. 128-130. 63. SAA 8 114 :3 : [dṣal-bat-a-nu] a-na mu-ta-ni qa-bi. 64. SAA 8 114 :8-10. Le passage réservé au présage relatif au mouvement de Mars dans le texte SAA 8 502 :r 11-v 3 commence par Nergal pour finir avec Mars. Voir aussi la liste des astres dans laquelle Mars est appelé dU.GUR « Nergal », Koch-Westenholz  1995, p. 192-193. 65. Parmi d’autres, Pardee 1993, p. 616 ; Pardee, Swerdlow 1993, p. 406 ; Wyatt 1998, p. 367 ; Clemens 2001, p. 933, n. 1467. 66. SAA 8 114 ; 143 :r 4 ; 341 :1 ; 419. 67. Pardee 2000, p. 417. 68. Del Olmo Lete 2012, p. 369-371. Dans un ouvrage antérieur (1999, p. 350), l’auteur avait adopté la lecture « two livers are / shall be examined / (there is) danger ». 69. DULAT, p. 17 ; CAD A, p. 95 : adammu et adamu ; Murtonen 1989, p. 83. 70. SAA 8 274 :r 4-5 ; 419 :4. 71. SAA 8 274 :r 5 ; Koch-Westenholz 1995, p. 129. 72. Dans la grande liste des astres, le paragraphe réservé à Mars lui attribue plusieurs noms, parmi lesquels nakāru « l’hostile » et lemnu « le malfaisant », voir Koch-Westenholz 1995, p. 190-193.

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entre ces deux divinités, pas plus qu’entre le soleil et la planète Mars. En effet, toutes les planètes connues à l’époque ont pu une fois ou l’autre servir de « portier » pour Šapšu, à savoir qu’elles étaient visibles lors du coucher du soleil. Que la planète soit appelée par le nom d’une divinité plutôt que par le nom de l’astre proprement dit peut s’expliquer par le fait que le texte ne révèle pas de préoccupations proprement astronomiques, mais s’insère dans un contexte cultuel73. Le texte RS 12.061 ne fait nullement allusion à la sphère souterraine. Pour quelle raison donc Rašap a-t-il été considéré comme le « portier » de ce monde ? Selon la mythologie ougaritique, la divinité solaire faisait fonction de messager auprès des dieux, puisqu’elle pouvait atteindre tous les recoins de l’univers. Elle atteint le domaine de Mōtu, le dieu de la Mort, pour sauver Baʿlu, le dieu de l’orage (RS 2.[009]+ I :6-1874). Les documents mésopotamiens représentent le soleil comme le juge des régions supérieure et inférieure et comme le seigneur des esprits des morts75. L’épopée de Gilgameš décrit effectivement la montagne et surtout la porte par laquelle le soleil passe à l’aube et au crépuscule76. Šapšu passe donc son séjour nocturne dans le domaine des morts. Elle y accède par une porte appelée, dans RS 12.061, « Porte de Rašap ». Le dieu serait ainsi le gardien de cette porte qui mène vers le monde souterrain, voire le portier de l’Enfer77. Les deux textes ougaritiques et l’inscription phénicienne nous permettent d’avancer une conclusion sur le rôle de Rašap dans le monde des morts qui ne consisterait pas à y régner, mais à assister Mōtu, le roi de ce royaume. Rašap fut expressément choisi afin d’assurer la garde de l’Enfer compte tenu de son caractère malfaisant. Son association à Nergal conforterait cette idée, car le dieu mésopotamien n’acquiert une nature infernale qu’en épousant Ereškigal, la reine du monde souterrain. De ce fait, il est préférable de parler d’un Rašap gardien de l’Enfer que d’un dieu de l’Enfer. Il est par conséquent permis de croire qu’à l’époque archaïque à Chypre, ce fut la fonction de portier que Rašap exerçait qui était active, avant que son caractère guerrier n’ait primé sous le règne de Milkiyaton. Cette proposition est d’autant plus vraisemblable que la rédaction de l’inscription est relativement proche de la première attestation de Rašap provenant de Chypre, c’est-à-dire de la lettre d’El-ʿAmarna (EA 35) rédigée en akkadien, dans laquelle il symbolisait l’épidémie qu’avait touchée l’île au Bronze récent. La graphie utilisée dans cette lettre pour noter le nom de Rašap, que l’on ne retrouve qu’à Ougarit, montre que Chypre et le royaume ougaritain partageaient une même tradition et avaient une relation à la fois cultuelle et culturelle très étroite78. Il est donc fort probable que le culte du dieu Rašap soit arrivé d’Ougarit à Chypre déjà au Bronze récent et que sa fonction de šōʿēr, portier de l’Enfer, ait prévalu au moins jusqu’au viie siècle dans l’île. Bien sûr, de nouvelles découvertes épigraphiques, notamment des inscriptions phéniciennes provenant de la Phénicie, pourraient donner lieu à d’autres interprétations. 73. 74. 75. 76. 77.

Pardee 2000, p. 424. KTU 1.6. Foster 2005, p. 729-730, 744. Gilgameš IX 3745, voir George 2003, p. 668-669 ; Foster 2005, p. 738. Parmi les tenants de cette hypothèse De Tarragon 1980, p. 174, 179, n. 31 ; Xella 19791980, p. 149-150 ; Kutter 2008, p. 73-75. 78. À propos des relations entre Alašiya et Ougarit, voir Malbran-Labat 2004.

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La présence phénicienne sur l’île de Chypre selon les signatures de pouvoir et d’autorité Christina Ioannou

(CNRS - UMR 8167, Orient et Méditerranée) Abstract This presentation focuses on the question of where, when and for how long the use of Phoenician writing in Cyprus is attested, serving as a signature of power and authority on the island.

Chypre, du fait de sa position géographique favorisant les relations commerciales en mer Égée et au Proche-Orient, de ses mines de cuivre1 qui représentaient un atout économique tout en étant un lieu d’attraction pour les étrangers, a été une puissance politique, économique et culturelle surtout durant la dernière phase de l’âge du Bronze2. L’écriture apparaît en 1550 av. J.-C. à Enkomi. Il s’agit de l’écriture chyprominoenne3 – qui n’a jamais été déchiffrée –, ce qui rend ainsi impossible l’identification de la langue qui y est représentée. Le fait que les premières traces d’écriture ont été retrouvées à Enkomi ne pourrait certainement pas être le fruit du hasard, dans la mesure où cet emplacement a vraisemblablement donné lieu à la première entité politique de l’île, avant de devenir le centre d’extraction industrielle et d’exportation de cuivre le plus influent4 durant le Bronze final. L’écriture ne pouvait ainsi que faciliter les besoins de gestion administrative, logistique et financière croissants. C’est au cours du ier millénaire que l’alphabet phénicien a fait son apparition, suivi plus tard par l’alphabet grec. Un autre système d’écriture, semblable au linéaire B, a parallèlement été utilisé à Chypre, du ixe av. J.-C. jusqu’au iiie siècle, pour transcrire la langue grecque. Cette graphie était assurément plus achevée et plus améliorée que le linéaire B, tout en offrant un plus large éventail d’utilisations5.

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124 • CHRISTINA IOANNOU

Le premier document présentant une écriture en syllabaire chypriote que nous pouvons distinguer du chypro-minoen, apparaît à partir du xie siècle6 sur un obelos. Il s’agit de la fameuse inscription chypro-minoenne d’O.pe.le.ta.u. La date de cette inscription coïncide avec la date de la première inscription phénicienne trouvée sur l’île, qui présente trois lettres : deux ḤḤ et un H7. Nous remarquons en sus que le corpus des inscriptions phéniciennes d’avant le viiie siècle compte cinq inscriptions, tandis que l’inscription suivante en grec syllabique remonte au viie siècle, faisant de l’obelos inscrit de Palaipaphos un indice unique pour cette période ancienne. Durant le ier millénaire, les indices les plus anciens d’un pouvoir politique à Chypre sont les deux coupes en bronze inscrites en phénicien trouvées dans un magasin d’antiquités de Limassol. Les deux coupes8 se réfèrent à un SKN qui signifie « gouverneur », lequel est serviteur d’Hiram, roi des Sidoniens, et elles ont été utilisées par ce gouverneur de Qartihadasht à des fins de gratitude envers Baal du Liban. Il faut signaler d’emblée que cette inscription ne se rapporte pas à un pouvoir royal phénicien à Chypre, mais au pouvoir d’un gouverneur, autrement dit d’un fonctionnaire obéissant aux ordres d’un roi, celui des Sidoniens, qui se trouve à Chypre à cette période bien précise. Une autre remarque s’impose ici : les objets inscrits ayant été découverts en dehors du contexte archéologique, pourraient consister en des objets de prestige qui circulaient en Méditerranée à l’époque, et ne pas concerner Chypre en particulier. Durant le viie siècle, une paire de bracelets en or et une coupe en argent, faisant partie du trésor de Kourion de Cesnola9, arborent en caractère syllabique paphien des inscriptions se référant à « Ετέανδρου βασιλέως της Πάφου »10 et à « Ακήστορος τω Πάφω βασιλήος »11. Ces deux objets portent les inscriptions connues les plus anciennes comportant le nom grec « βασιλεύς » écrit en syllabique chypriote, qui était utilisé pour caractériser le haut rang hiérarchique du dirigeant d’une ville chypriote12. Le titre de roi est aussi présenté, mais en langue akkadienne sur une stèle érigée à Kition-Bamboula, qui dénote la soumission de l’île au roi Sargon13. Pour identifier les souverains chypriotes comme rois, Sargon II eut recours au terme accadien « sharru ». Ensuite, en 673 / 672, sur un prisme incisé par Esarhaddon14, à l’occasion de la reconstruction du palais de Nineveh, nous lisons l’unique liste connue des royaumes chypriotes et de leurs souverains, liste qui est aussi mentionnée dans une inscription d’Assurbanipal concernant sa première campagne militaire en Égypte, en 66715. 6. Karageorghis 1983 ; Maier, Karageorghis 1984, p. 129-150 ; Masson 1985, p. 380-385 ; Masson 1994, p. 33-36. 7. Masson-Sznycer 1972, p. 128-130, fig. 7, pl. XIX, 1, XXII, 2, et fig. 7 ; Guzzo AmadasiKarageorghis 1977, p. 185-186, pl. XVI, 2 ; Yon 2004, p. 192. 8. Yon 2004, p. 51-52, nos 34a et b, fig. 8a (avec bibliographie). 9. Masson 1984a ; 1984b. 10. Mitford 1971, n. 1. 11. Ibid., n. 217. 12. Iakovou 2006. 13. Yon 1995 ; Malbran Labat 1995. 14. Luckenbill 1927a, p. 265-266 ; Yon 1987, p. 361-362. 15. Luckenbill 1927a, p. 340-341 ; Stylianou 1989, p. 20.

LA PRÉSENCE PHÉNICIENNE SUR L’ÎLE DE CHYPRE • 125

La présence phénicienne durant tout l’époque archaïque est très évidente, comme le confirment les données archéologiques, mais il faudra attendre jusqu’au ve siècle pour avoir une preuve de son utilisation en tant que signature royale, élément qui nous aide à bien déchiffrer la nature de cette présence sur l’île.

MLK La première inscription phénicienne16 qui inaugure le titre politique phénicien ne vient pas de Kition mais de la région d’Idalion. L’inscription, qui date du milieu du ve siècle, a été trouvée dans l’église Saint-Georges, à Idalion et présente la généalogie des rois de Kition. Le fait que les quatre premiers rois portent des noms théophores composés à partir du nom du dieu Baal est digne d’intérêt. L’inscription d’Idalion se réfère à Baalmilk II, fils d’Ozibaal et grand-fils de Baalmilk I. Le roi ayant succédé à Baalmilk II était Baalrom, mais nous ne disposons hélas pas d’une inscription particulière révélant une parenté entre Baalrom et Baalmilk II. La continuité de la dynastie phénicienne de Kition est reflétée par une inscription qui exalte la victoire de Milkyaton contre Salamine et qui révèle que Milkyaton était le fils de Baalrom17. Le successeur de Milkyaton et dernier roi de Kition était son fils Pummayaton18. Le titre MLK, dont l’interprétation est ROI, revient 28 fois dans les inscriptions dédicatoires de Kition couvrant la période du règne de Milkyaton et Pumayaton. Le titre MLK-roi apparaît également sur des inscriptions phéniciennes trouvées dans d’autres endroits tels qu’Idalion19 et Tamassos20, remontant à l’époque où ces deux villes étaient soumises au roi de Kition. MLK a par ailleurs été retrouvé sur les statères de Lapethos21, et peut-être de Marion22, de Vouni23, d’Alassa24.

Dédicaces de MLK à son dieu protecteur Il est par ailleurs intéressant de noter que certaines inscriptions de type politique sont dédiées à un certain roi et au même moment à un dieu phénicien. Notons ici l’inscription sur le trophée de Milkyaton qui se présente comme roi de Kition et d’Idalion, fils de Baalrôm, et de tout le peuple de Kition ; l’inscription se termine par : « à leur seigneur, à Ba’al ‘Oz le dieu qui protège le roi ». Le roi Milkyaton vénérait en somme le dieu phénicien Eshmoun-Milqart, tandis que le roi Pumayaton vénérait le dieu Eshmoun.

16. 17. 18. 19. 20. 21.

Yon 2004, p. 61-62, no 45. Ibid., p. 201. Ibid., p. 178. Ibid., p. 61-62 et 78-79. Ibid., p. 80-82. Hill 1926, p. 118, no 18, pl. VI ; Masson, Sznycer 1972, p. 98, pl. XI, 1 et fig. 3,1 ; Bonnet 1990, p. 141-153 ; Destrooper, Georgiades 1987, p. 346. 22. Masson, Sznycer 1972, p. 80, pl. I, 1. 23. Ibid., p. 86-88. 24. Ibid., p. 91-94, pl. VIII, 1.

126 • CHRISTINA IOANNOU

Astarté est présentée comme la grande déesse de Kition et son temple symbolise le pouvoir politique des Phéniciens. Concernant les inscriptions, nous constatons surtout que durant le règne de Pumayaton, des inscriptions dédicatoires à Astarté sont adressées par les rois à la grande dame pour en attirer l’attention et s’en assurer la faveur. Il faut ainsi mentionner que les inscriptions où le roi prie pour que tel ou tel dieu le bénisse se terminent par la phrase : « …parce qu’il a écouté (sa) voix ou parce qu’il va écouter sa voix ; puisse-t-il nous (ou : me) bénir ». À partir du ve siècle, nous disposons donc d’inscriptions de nature politique liées à la ville, mentionnant les détenteurs du pouvoir politique cédé par les Perses à l’époque classique. Pourtant, il est très probable que la dynastie royale phénicienne ne fût pas constituée de Phéniciens récemment arrivés et installés sur place, mais de personnalités jouissant déjà du statut de citoyens de Kition. Une preuve de cela pourrait être le fait que Kition a adopté à cette époque le modèle de vie chypriote, comme l’affirment les données archéologiques qui reflètent une influence athénienne sur la quotidienneté, avec des importations de coupes à vernis noir, des statuettes copiant le modèle grec, ainsi que des stèles funéraires inspirées de l’archétype grec. Cette image constitue notre clé dans le décodage de la situation sociale et politique de la ville de Kition et ailleurs sur l’île, là où nous disposons des signatures de pouvoir et d’autorité écrites en phénicien.

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LA PRÉSENCE PHÉNICIENNE SUR L’ÎLE DE CHYPRE • 127

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Phoenicians in the Aegean and Aegean Silver, 11th-9th Centuries BC Susan Sherratt

(University of Sheffield) Résumé L’émergence de l’antisémitisme durant le xxe siècle a donné lieu à des abus interprétatifs concernant les cultures sémitiques et l’archéologie classique en Europe a banni les Phéniciens de la mer Égée avant le viiie siècle av. J.-C. Ces dernières trente années, l’orthodoxie des études classiques a néanmoins été défiée sur plusieurs points. Cet article reprend l’analyse des données archéologiques qui témoignent des activités phéniciennes en mer Égée au début du ier millénaire av. J.-C. et envisage un cadre plus large permettant de nouvelles interprétations. Se basant sur les sources littéraires et l’apport de l’archéologie l’auteur propose une analyse des contextes dans lesquels ont émergé les perceptions des identités « grecque » et « phénicienne » qui ont conditionné plus tard l’attitude des Grecs (et subséquemment celle de la tradition gréco-latine en Europe) envers les Phéniciens.

Phoenicians have had a checkered fortune in the history of archaeological and historical interpretation over the last 200 years. Once seen as the first people to travel the entire length of the Mediterranean and beyond (even as far as Britain),1 they were regarded as great explorers and colonizers, especially by the British who, with their own colonial empire, tended to identify with them during the 19th century2 – to the extent that George Rawlinson described the Phoenicians as “the people who of all Antiquity had the most in common with England and the English”3. From the end of the century onwards, however, in tandem with the growth of a more general European philhellenism, anti-Semitism and orientalism,4 Phoenicians were gradually ousted from this prominent position; and, despite ancient Greek traditions that the Phoenicians had preceded them in the western half of the Mediterranean,5 Phoenicians were relegated to an increasingly late and shadowy place in Mediterranean

1. 2. 3. 4. 5.

See e.g. Matthew Arnold, The Scholar Gipsy, pp. 232-250; Arnold 1853, pp. 215-216. Bernal 1987, pp. 350-352; Champion 2001. Rawlinson 1889, p. 23. Said 1978. See e.g. Thucydides 6.2.6; Strabo 3.2.14. Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 129-158

130 • SUSAN SHERRATT

exploration and settlement in comparison to Greeks. Underlying this was a growing rejection by, most prominently, Salomon Reinach of a comprehensive and chronologically undifferentiated belief among a number of earlier 19th century writers that all European civilization originated in the east, with Phoenicians acting as chief intermediaries from a very early date. Using the greatly increased findings of recent excavations and advances in chronological discrimination, Reinach argued for the purely indigenous basis of European, including Greek, civilization.6 While allowing that, from the beginning of Phoenician maritime commerce no earlier than the 13th century BC, western civilization became to some extent a superficial beneficiary of that of the orient, he nevertheless maintained that Europe, over the long term, had just as much, if not more, influence on the east. Reinach alone was clearly not responsible for the decline of the importance of Phoenician maritime activities in the Mediterranean and further afield, but his rejection of the overwhelming dominance of the east and his emphasis on indigenous European development, along with a growing anti-Semitism in western Europe, paved the way for what was to follow. In 1894, Julius Beloch took a step towards this by denying the likelihood of Phoenician settlements in the Aegean on the grounds of the scarcity of Semitic loanwords in Greek, while on similar grounds he argued against Phoenician influence on Greek ship design.7 He also maintained that the Greek alphabet showed that Phoenicians could not have reached the Aegean before the 8th century, that Phoenician objects found in Etruria had probably been taken there by Greek middlemen and, moreover, that Greeks preceded Phoenicians in Sicily.8 Despite Victor Bérard’s determined and spirited championing of Phoenician precedence and superiority over Greeks in Mediterranean seamanship and exploration,9 mainly derived from ancient writers such as Homer and Strabo and from toponymical studies, a form of chauvinistic European philhellenism was to continue and prevail, not least among English-speaking Classical scholars, for another seventy years at least, to the point where Rhys Carpenter still felt able10 – ostensibly on archaeological grounds – not merely to describe the portrayal of Phoenicians in the Aegean in Homer’s Odyssey as a mirage (figure 2), but to argue further that no Phoenicians set foot in the central or west Mediterranean until long after the Greeks had arrived there. The lingering effects of this fairly solid block of hostility among Classical scholars to early Phoenician activity, at least in the Aegean, can still be seen recently in an article by Ora Negbi,11 in which the author sought to rehabilitate early Phoenician maritime activity in the wider Mediterranean. However, although allowing Phoenician toeholds on Crete and Rhodes from around the 10th century BC, she was sufficiently intimidated by Classical scholarship as to lose her nerve over allowing them into the Aegean prope.12 This was at least partly because a number of Classical archaeologists 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12.

Reinach 1893a-b. Beloch 1894, pp. 112, 126. Beloch 1894, pp. 113, 117-118, 121. Bérard 1902-1903. Carpenter 1958. Negbi 1992. Negbi 1992, p. 613, fig. 3.

PHOENICIANS IN THE AEGEAN AND AEGEAN SILVER, 11th-9th CENTURIES BC • 131

ATHENS

EUBOEA

1050 Early Protogeometric 1000 Middle Protogeometric 950 Late Protogeometric 900 Early Geometric I

Sub-Protogeometric I

Early Geometric II

Sub-Protogeometric II

Middle Geometric I

Sub-Protogeometric III

850 800 Middle Geometric I 750 Figure 1 - Ceramic chronology of Athens and Euboea between c. 1050 and c. 750 BC.

Figure 2 - Areas of operation of Phoenicians in the eastern Mediterranean [after Homer, Iliad and Odyssey].

132 • SUSAN SHERRATT

were currently maintaining that East Mediterranean objects found at the site of Lefkandi on Euboea on the eastern coast of Greece, and dating between the late 11th and 9th centuries, were brought there exclusively as a result of some great Euboean “spirit of enterprise”, which led early Euboean Greek aristocrats to the East Mediterranean in search of unspecified metals, mainly (it would appear) in exchange for gifts of clay pots,13 or that the main, and earliest, eastern sphere of influence to affect the Aegean was North Syrian (or Aramaic), rather than the despised Phoenician, which (it was claimed) was much slower to develop.14 My aim in this paper is to dispose of the final lingering effects of this ultimately hellenocentric (and, in many ways, ceramocentric) view, not only by looking at the archaeological evidence for Phoenician activity in the Aegean, some of which might, admittedly, be interpreted in different ways, but also by suggesting a more plausible context than that provided by a simple appeal to the adventurous spirit of Euboean Greeks and their desire for eastern metals.

Late 11th-10th centuries: Tyre and the Aegean We might perhaps start with the distribution of faience and glass objects in the Aegean in the later 11th to 10th centuries BC (figure 3), because it seems quite clear that at this time no one in the Aegean was producing faience, while it seems likely that no one in the Aegean manufactured glass (as opposed to worked imported glass) at any time before the middle of the 1st millennium BC.15 It therefore follows that the majority of faience and glass objects found in the Aegean in the centuries surrounding 1000 BC – apart from those few beads that can be shown to have been recycled from earlier tombs16 or possibly manufactured in the Central Mediterranean17 – originated in the east, as stylistic considerations would indeed suggest.18 On the whole, in these centuries glass and faience beads occur overwhelmingly in south-eastern, southern or eastern-facing areas of the Aegean and at sites which provide other evidence for contacts with the East Mediterranean at this time. Apart from these, one of the earliest recognizable East Mediterranean objects found in the western Aegean after the middle of the 11th century BC is a little Levantine dipper juglet in an Early Protogeometric tomb (Tomb 46) in the Skoubris cemetery at Lefkandi.19 It was found together with an iron dagger, which seems very likely to have been made in Cyprus,20 while a necklace of faience beads were found in a contemporary tomb (Tomb 16) from the same cemetery.21 At around the same time – that is, the

13. Popham, Sackett 1980, pp. 361-363; Boardman 1980, pp. 42-43; 1982, pp. 758-759; Crielaard 1992; Popham 1994; Lemos 1992; 2003; but Coldstream 1982, esp. pp. 262-264. 14. Boardman 1990, p. 180. 15. Tatton-Brown 2006, p. 321. 16. Nightingale 2003, p. 13; Nightingale 2008, p. 89. 17. Nikita, Henderson 2006. 18. Higgins 1980, pp. 223-224; Lemos 2002, pp. 226-227; Webb 1996, pp. 599-600 ; Sherratt 2008, p. 227, n. 22. 19. Desborough 1980, pp. 347-348, pl. 270 (b). 20. Popham et al. 1980, p. 126, pl. 106; Catling, Catling 1980, pp. 252-253. 21. Ibid., p. 114, pl. 207 (b); Popham, Sackett 1980, p. 418 (table 1), p. 421 (table 4).

PHOENICIANS IN THE AEGEAN AND AEGEAN SILVER, 11th-9th CENTURIES BC • 133

Figure 3 - Distribution of eastern faience and glass objects in the Aegean, later 11th-10th centuries.

later 11th century – we see what appear to be the earliest Greek Iron Age pottery imports in the Levant. From Tell es-Safi (a site in the region of Philistia but with strong Phoenician connections) comes a little Early Protogeometric cup or bowl,22 while what is probably a similar cup or bowl was found in Stratum XIV of Patricia Bikai’s deep sounding at Tyre, the description of the fabric and paint of which (described as “blue-black metallic”) suggests to me that it is much more likely to be an Early Protogeometric pot imported from Greece than an example of 12th century “derivative Granary style”.23 During the following 10th and 9th centuries, increasing numbers of Greek (mainly Euboean, but also a few Attic) pots are found in the East Mediterranean,24 and it seems to me highly significant that not only do the largest quantities of the early examples of these go straight to Tyre,25 but that Tyre has also produced a greater range and variety than any other East Mediterranean site.26 22. Maeir et al. 2009. 23. Bikai 1976, pl. XXXIX: 20; Sherratt 2013, p. 629, n. 10. 24. See, e.g. Coldstream 1998, p. 357-359; Lemos 2002, p. 228-229; Coldstream, Mazar 2003; Mazar 2016, p. 104, n. 41; Popham 1994, p. 26-7, fig. 2.12; Gilboa, Sharon 2003, p. 69, fig. 11:19. 25. Coldstream 1989, p. 91, fig. 1 (a). 26. Coldstream, Bikai 1988, fig. 1.

134 • SUSAN SHERRATT

Some have accounted for these early contacts between the Levant and the Aegean in terms of Cypriot seafarers;27 and there are indeed good reasons for suggesting that Cypriots were active in the western Aegean and further west in the late 13th and 12th centuries and probably also later.28 Others, however, have preferred to see them as the result of a particularly Euboean initiative, on the grounds that the greatest concentration and variety of eastern objects in the Aegean between the later 11th and 9th centuries, with the exception perhaps of those found on Rhodes, Kos and Crete, have so far turned up at Lefkandi on Euboea, and on the grounds that Phoenician activity westward could not have started until after the foundation of the Tyrian colony at Kition on Cyprus in the mid-9th century.29 The incentive for this Euboean initiative has been suggested to be Greece’s poverty in raw materials, particularly metal ores, which created a greater need for Greeks to travel eastwards than for Orientals to visit Greece.30 Here I would like to respond to each of these suggestions in turn. In the first place, there is no way we can possibly know, simply from the origins of the objects themselves, whose ships carried East Mediterranean objects to the Aegean or Aegean objects to the East Mediterranean. We can no longer assume, as it was once assumed,31 that in early periods the origin of pottery is a guide to the origin of people who transported it. In addition, from the later 11th century onwards the economies of Cyprus and the Phoenician cities were increasingly closely entwined, so as to bring about a convergence in ceramic styles, among other things,32 and thus it seems pointless to try to distinguish who precisely carried objects of Cypriot or Phoenician origin westward, even supposing we can necessarily clearly distinguish where these were made. The faience and glass beads and the Levantine dipper juglet from Lefkandi could have been taken there on a Cypriot ship, but equally the Cypriot bronze krater from the 10th century Lefkandi “heroon” burial (which might well have been looted from an earlier tomb on Cyprus)33 or the Cypriot Bichrome flask from Tomb 22 of the Palia Perivolia cemetery34 could have travelled on Phoenician ships. In the second place, although it is true that, so far, the greatest number and variety of eastern objects has been found at Lefkandi between the later 11th and 10th centuries, regions like the Dodecanese and Crete are not so very far behind. And while there was almost certainly some sort of direct link between Lefkandi and the east (see further below), the notion of Euboeans travelling east in search of metals and bringing back such eastern novelties does not explain why they also left a considerable trail of these on Kos and Rhodes and at various sites on Crete. Moreover, the old idea that Phoenician activity westward progressed inch by inch along the Mediterranean, starting with the colony at Kition in the mid-9th century, has now been blown out of the water by the finds from Huelva in south-west Spain, which 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34.

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PHOENICIANS IN THE AEGEAN AND AEGEAN SILVER, 11th-9th CENTURIES BC • 135

show that Phoenicians were already active there from around 900 BC.35 It seems clear from this that they went straight to the far west, and then proceeded to go back and secure their routes by establishing colonies and settlements at crucial way-stations. Neither the foundation of a Tyrian colony at Kition, nor its date, can have any bearing on the date of the start of Phoenician activity in the Aegean. Finally, when it comes to the distribution of late 11th-10th century Euboean pottery in the east, it seems especially curious that the earliest and largest quantity (as well as greatest variety) of this should go straight to Tyre and to a lesser degree to places with connections with Tyre, particularly if we are obliged to think in terms of Euboean Greeks taking them there in their search for eastern metals, not least since the Levant itself does not have much in the way of metal resources. It seems to me very much simpler to suppose that Tyrians themselves were the main carriers of these pots from the western Aegean.

Euboea, silver and pots Let me explain why I think so. Lefkandi lies at a choke point on one of the most important and long-used sea routes in the west Aegean, linking south and north.36 The settlement itself lies just at the point where the southern Euboean Gulf narrows to go up towards the tidal race of the Euripos, where the strong tidal currents reverse direction several times a day.37 It is a major route that is still used by large ships travelling from the south Mediterranean up towards Volos, Thessaloniki and the Black Sea, and, at least up to twenty-five years ago (when I last visited Lefkandi), such ships could regularly be seen anchored off Lefkandi, waiting to go through the straits at Chalcis. In the period that we are concerned with – that is, the late 11th to 9th centuries BC – ships passing northward through the Euripos would have anchored off Lefkandi, waiting for the currents to turn, and would no doubt have provided a captive market for those wishing to sell them provisions, water, other home comforts that sailors require, and manufactured goods, such as pots made of clays from the nearby Lelantine clay beds which crews could then resell on their onward journeys, and possibly also finished metalwork, in exchange, perhaps, for exotic novelties or “prestige” items that were generally of greater perceived value to the inhabitants of Lefkandi than they were in the east in their area of manufacture.38 Most significantly, perhaps, this major sea route along the inside of Euboea links two important Aegean regions of silver and/or polymetallic resources: one at Laurion / Thorikos in eastern Attica, where there is evidence that silver was being exploited in this period;39 and the other in the north-west Aegean, where there are rich polymetallic deposits in the Chalcidice, around Pangaion and on Thasos, including silver and gold.40 Although there is as yet no firm evidence that silver was regularly exploited in this region in the 11th-9th centuries, there are some suggestive indications, 35. 36. 37. 38. 39. 40.

González de Canales et al. 2006; Nijboer, van der Plicht 2006. Strabo 9.2.2. Strabo 9.2.8; Lagrange 1930. Sheratt 2010. Snodgrass 1971, p. 248; Daux 1967, p. 628; Mussche et al. 1967, pp. 29-31; Jones 1982, p. 171. Gale 1979, pp. 12-17; Pernicka 1987, pp. 650-656; Nerantzis, Papadopoulos 2013.

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including Lead Isotope Analysis of some of the silver objects from the earlier 16th century Mycenae Shaft Graves,41 clear evidence of metalworking at Koukos, close to the later silver mines of Sykia, and the evidence of Phoenician interest in this general area.42 It is worth remembering that the period we are particularly concerned with was a time when, as the number of hacksilber hoards in the Levant dating between the 12th and 7th centuries43 and the use of silver as a regular medium of payment in the Near East44 generally both suggest, Phoenicians – and the east in general – simply could not have too much silver. There can be absolutely no doubt that what led Phoenicians as far as south-west Spain as early as c. 900 BC were the silver resources of that region, and it seems equally likely that it was also the search for silver that drew them into the western Aegean a century and a half earlier. At any rate, it seems to me more probable that Phoenicians (particularly perhaps Tyrians), with their undeniable need for silver to oil the wheels of their commercial activities in the East Mediterranean, initiated contact with Lefkandi at a crucial choke-point on a major maritime route between two important Aegean silver sources, than that Euboeans set off, in a spirit of adventure and perhaps for some other vague and unspecifiable reasons, to initiate contact with the east.45 At this point, I should perhaps introduce a few more complications of various sorts into the picture I have been attempting to delineate. Some of these are quite easy to deal with, while others require a more speculative approach. I could start with the objection, predictably quite often raised, that there are very few silver objects in the Early Iron Age Aegean.46 This is quite true, although there are a few (for example, silver beads and an earring from Koukos in Chalcidice,47 a silver ring from the female burial in the Lefkandi “heroon”,48 and several items of jewellery from Protogeometric and Geometric date from the North Cemetery at Knossos and elsewhere on Crete).49 But if silver is far more valuable as a commodity to be exchanged overseas, then one would not expect it to be regularly deliberately deposited in graves for the sake of display. It does not mean that the Aegean in general, or sites in the west or north-west Aegean in particular, had no access to or interest in silver, or that silver played no part in their economy. This brings me to a curious feature of Protogeometric (late 11th to 10th century) pottery and its 9th century successor (so-called Sub-Protogeometric) in Euboea in particular. It could be suggested that much Protogeometric pottery (including Attic and Euboean) has a “metallic” appearance, which includes taut profiles with well articulated junctions between necks and bodies, high conical feet, a great deal of emphasis on concentric circles and semicircles drawn with compasses, offset rims (on cups) decorated with tight zigzags, and large areas of black paint with an

41. 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49.

Stos-Gale, Macdonald 1991. Papadopoulos 2005, pp. 588-592; Strabo 7. fragments 34; Herodotus 6. 46-7. Thompson 2003. Schaps 2001; Jurman 2015. Markoe 2000, p. 174. Dickinson 2006, pp. 119-120. Papadopoulos 2005, p. 590. Lemos 2002, p. 128. Evely 1996, pp. 633-634, fig. 155, pl. 266-267.

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increasingly metallic lustre, suggesting tarnished silver.50 Several of these are features which continue to characterise Euboea’s so-called Sub-Protogeometric pottery at a time (in the 9th century) when Attic pottery starts to look rather different – decorated, for example, with recognizable textile-derived patterns (such as the maeander) and with handles that are reminiscent of those tied on to baskets.51 This seems significant. Since clay has no driving aesthetic of its own inherent in the material, potters are often inclined to reflect whatever is prominent or of particular importance in their visual environment in shaping and decorating their pots; and this suggests that, while textiles of one sort or another may have been an important part of the (perhaps economic) environment of Athens in the 9th century, Euboean potters (especially perhaps those at Lefkandi) continued, as in the 10th century, to have metal (possibly particularly silver) vessels foremost in their minds’ eyes. It is therefore at least a possibility that Euboea was also producing finished silver vessels of a type echoed in its pottery, perhaps made from silver acquired originally in nearby eastern Attica to the south or in the north-west Aegean to the north and possibly destined for exchange with visiting easterners. It may well be that in this lay the appeal of Euboean pottery to East Mediterranean consumers: it echoed the silverware which real elites were accustomed to drink from, but came in an attractive but affordable form accessible to those of considerably lesser wealth and status. There are other curious features of the pottery produced in Euboea in the 9th century. Although Euboean pottery was already reaching the East Mediterranean in the 10th and even late 11th centuries,52 it was really during the 9th century that it started arriving in larger numbers. The majority of these were drinking vessels, above all skyphoi decorated with pendent concentric semicircles.53 However, together with these were a surprising number of similarly decorated plates, also produced on Euboea, but of a flat, open form that is rarely found in Greece itself or anywhere in the Aegean, though relatively common among Euboean exports to the East Mediterranean.54 On the other hand, as Coldstream astutely pointed out,55 it is a shape very characteristic of Levantine and Cypriot ceramic and metal repertoires going back at least as far as the beginning of the Iron Age and arguably even further. It thus looks as though it was a shape that was specially produced on Euboea for an East Mediterranean market, and designed to fit into East Mediterranean repertoires,56 with the implication that there was a direct link between Euboea and the East Mediterranean and that the traders of Euboean pottery to the east were in a position to advise its producers as to what would sell best among their customers. Contrary to the suggestion sometimes put forward, that this supports the idea of Euboean initiative,57 I would argue that, especially since Tyre appears as the major and earliest recipient of early

50. 51. 52. 53. 54. 55. 56. 57.

E.g. Desborough 1948, p. 261-263; and Vickers, Gill 1994, pp. 123-129. Schweitzer 1971, p. 30; Barber 1991, p. 366. Lemos 2002, pp. 228-229; and see above. Coldstream, Bikai 1988, p. 40. Ibid., pp. 38-39; Popham 1994, fig. 2.12; Coldstream 2000, pp. 23-24, figs. 7, 9-10. Coldstream, Bikai 1988, p. 39. Ibid.; Coldstream 1989, p. 92; Coldstream 1998, p. 354. Coldstream 1998, p. 356.

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Greek Iron Age pottery in the Levant, it makes much more sense to see their eastern distribution as the work of Tyrian traders. Far from setting out for a largely unknown east in search of metals, with cargoes of empty pots to offer in exchange, Euboeans (or particularly perhaps the inhabitants of Lefkandi) appear to have been producing pots deliberately designed for exchange with eastern traders, as a means of capitalising on the transfers of much more valuable materials (such as silver, and conceivably finished silver vessels) that flowed through or past their site, by the additional provision of cheap products designed for low-level transfer in the same direction.58 This would also have allowed the traders themselves to gain some additional profit by taking back attractively painted pots for commercial sale in the East Mediterranean. What were Greeks (particularly perhaps the Euboeans of Lefkandi) obtaining in return? To judge by the cemeteries at Lefkandi, where objects of eastern origin were proudly deposited, to begin with these were perhaps mainly what might be called “prestige” goods (faience and glass “trinkets” regarded as of no very great value in the contemporary Levant, but also gold – including in the form of jewellery -, iron weapons and personal ornaments) not readily available in the Aegean and therefore carrying the potential for great social prestige, not least because of their novel and exotic nature. They also included objects of bronze (some perhaps abstracted from earlier tombs in the east)59, which, when not deposited in graves, would always have had value for their weights of metal in a period when bronze recycling had become common. Later on, in the 9th century, we see fewer faience objects, and instead an increase in materials, such as ivory, rock crystal and amber, which carried commonly, agreed value within a wider inter-regional economic exchange system. There may have been other goods or materials of perishable nature (e.g. the famous Phoenician textiles), which we cannot hope to find in the ground, or others that have been recycled or are otherwise not recognizable. In this connection, it is also theoretically not impossible that Phoenician traders sailing northward to Lefkandi might have been bringing some silver from eastern Attica for fashioning into vessels or other objects at the site. In short, it should be remembered that counting only what we actually find, especially when deliberately deposited, is a poor guide to the range and extent of what originally existed.

Routes and route changes (figures 4-6) A final complication that I wish to tackle, however speculatively, is the question of the routes used by Phoenicians within the Aegean. One problem is that Phoenicians, on the whole, do not seem to have taken many of their own pots into the Aegean. However, although the presence of pottery of overseas origin is a fairly reliable indicator of contacts (either direct or indirect), it does not follow that the absence of such pots means that there were no contacts; and it is quite clear from both archaeological and literary evidence60 that Phoenicians regularly carried pottery

58. Sherratt 1999, p. 181. 59. Sherratt 2010; 2012, p. 161. 60. González de Canales et al. 2006; Sherratt 2015, p. 76; see also below, and Kourou this volume; also Herodotus 1.1.

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and other goods of a variety of origins around the Mediterranean. Pottery moves – and, although not necessarily a good indicator of who is moving it, since it is a type of good that typically moves by cabotage or tramping (being picked up at one place and sold off at the next place that provides a market for it), it can act as a tracer of routes followed. In the 11th-10th centuries, apart from on Crete and the Dodecanesian islands of Rhodes and Kos, objects of eastern origin seem to be found mainly at sites around the Argolic, Saronic, Euboean and Pagasitic Gulfs, with particular concentrations at Lefkandi (figure 3). This suggests that Lefkandi was an important destination for eastern traders, who possibly made their way there via the Dodecanese and northern Crete, and up to the southern Euboean Gulf via a western Aegean route, perhaps calling in (though there is so far no evidence) at some of the western Cyclades, such as Melos or Keos. I have suggested above that the importance of Lefkandi lay in its position on a long-used sea route, which in particular linked silver sources in eastern Attica and the north-west Aegean, but the question is whether Phoenicians themselves regularly went further north than Lefkandi in these early centuries. That there clearly were links between Lefkandi and the north-west Aegean, especially in the 10th century, is shown by some of the pottery found at Lefkandi, which includes jugs with cutaway necks (both wheelmade and handmade) of a type characteristic of Macedonia and Thessaly, and the Black Slip and Red Slip wares which Lefkandi also shares with Thessaly.61 Moreover, a number of probable Euboean Protogeometric imports have been identified at Torone in the Chalcidice.62 These links could have been established in various ways: by northern Aegeans travelling south, perhaps bringing silver as far as Euboea; or by Euboeans or Phoenicians travelling to and from the north, perhaps in search of north-west Aegean silver; or by a mixture of all three (figure 4). Despite the presence at Lefkandi in a 10th century context of a northern Aegean “Type I” neck-handled amphora, with a sign incised on the handle after firing, which could plausibly be read as a 10th century Phoenician ‘kāp’,63 there is not a great deal of archaeological evidence for Phoenicians going as far as the north Aegean in the 11th-10th centuries, apart from a couple of faience beads from Torone and faience and glass beads from Koukos, both in the Chalcidice, some of which may be as early as this, but which might either have been picked up by people from the northern Aegean travelling south to Euboea or have been transported north by Euboeans. However, this need not necessarily imply that Phoenicians did not venture into the north Aegean at this stage, particularly if one takes into account the possibility that their cargoes of oriental faience or glass trinkets might have been exhausted by the time they sailed beyond Lefkandi. There is so far also no evidence in these centuries for Phoenician material of any sort on the east coast of the Aegean north of Kos (see above), which suggests, at least, that they may not have ventured northwards along this coast in order, for instance, to follow an anti-clockwise circuit of the Aegean.

61. Desborough 1980, pp. 284-288, 346-347; Lemos 2002, pp. 76-77, 83-84, 90-91, 94. 62. Papadopoulos 2005, pp. 486-488. 63. Catling 1996; 1998a, p. 165; Garbini 2001, pp. 109-110 for examples of the sign from 11th-10th century inscriptions.

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Figure 4 - Suggested Phoenician routes in the Aegean, later 11th-10th centuries.

Figure 5 - Suggested main Phoenician routes, 9th century (routes used by others not shown).

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Figure 6 - Suggested main and subsidiary Phoenician routes to the west, late 9th-early 8th centuries (routes used by others not shown).

However, the Euboean and more northerly affinities of pottery found at some sites on the east Aegean coast in the 10th century64 suggest that there was at least some practical mechanism of linkage between these, which could as well be Phoenician ships circuiting the Aegean in a clockwise direction on their way back to the East Mediterranean from Euboea and the north-west Aegean as Euboeans following a similar route or northerners travelling in both directions. On the other hand, the evidence of particularly 10th century Attic pottery (which also reached Lefkandi) finding its way to the north-east Peloponnese, the islands and Crete65 might suggest that, after making their way to Lefkandi, Phoenician traders made their way back to the East Mediterranean by the same routes by which they had come: via the western Aegean route, the Cyclades and the north coast of Crete. It is difficult to know how to fit the island of Skyros, which lies off the north-east coast of Euboea, into this, since it has revealed a number of eastern objects, similar to those of Lefkandi.66 As far as its pottery is concerned, it too has close links with that of Euboea and Thessaly, which, along with the eastern objects, have been interpreted

64. Lemos 2002, p. 37, pp. 211-212. 65. Coldstream 1996; Catling 1998b. 66. Lemos 2002, pp. 168-170, 226-227.

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in terms of it being a Euboean (perhaps specifically Lefkandi) outpost,67 although the former at least may be due to no more than close proximity between the two islands and between them and the Pagasitic Gulf, with people regularly travelling to and fro between them. The eastern objects – which include faience and glass beads and a bronze bowl distributed among just two 10th century tombs – are nothing like as prolific, chronologically diverse or ubiquitous as those from Lefkandi, but it is perhaps worth considering the possibility that Skyros lay on an alternative (but perhaps lesser used) Phoenician route from the south to the north-west Aegean, bypassing the more westerly route through the Euboean Gulfs. From sometime early in the 9th century, however, the pattern (whatever it was) seems to change (figure 5). This is the century in which pendent semicircle skyphoi of Euboean type (if not demonstrably of Euboean origin) begin to appear all round the Aegean, including in the north and at various places along the east coast, as well as at numerous sites in the East Mediterranean68. Here I think there is some case for suggesting that what we may be tracing is a clockwise Phoenician route around the Aegean, going first to Attica and Lefkandi and ending up in Tyre, where a number at least of these skyphoi may belong to the earlier 9th century.69 At this point, it is perhaps worth pointing out that there is evidence from both Kommos on the south coast of Crete70 and from Huelva in south-west Spain that,71 from roughly around 900 BC, Phoenician ships were following the long-distance east-west open sea route along the length of the Mediterranean via the south coast of Crete, and calling in at Kommos on the way. There can be no doubt that what led them to Huelva were the rich silver resources of the Rio Tinto, where, as the much later writer, Diodorus Siculus (5.35), reminds us, they could obtain silver for much lower exchange costs than they could nearer home – far outweighing the transport costs and risks of such long voyages. This is likely to have had implications for Phoenician activity in the Aegean in the long run, and it is perhaps significant that the Lefkandi cemeteries, the repositories of such impressive amounts of eastern material in the 10th-9th centuries, fade out of use before the end of the 9th century. From the later part of the 9th century, some Attic pottery, in the form mainly of kraters and skyphoi, begins to join Euboean pottery in the East Mediterranean, where Tyre seems still to be its main destination.72 At the same time (later 9th to early 8th century), Attic pots of similar date, again in several cases accompanied by Euboean Sub-Protogeometric skyphoi or plates, turn up in the Central and West Mediterranean.73 At Sant’Imbenia in north-west Sardinia a Euboean pendent semicircle skyphos, probably of roughly the same date as the famous Nora inscription, found associated with evidence of metalworking, Phoenician Red Slip and locally made

67. 68. 69. 70. 71. 72. 73.

Lemos 2002, pp. 203-204. Popham 1994, p. 26, fig. 2.12. Coldstream, Bikai 1988, p. 39; Lemos 2002, p. 228. Shaw 1989, pp. 181-182; Bikai 2000, pp. 310-311. González de Canales et al. 2006; Nijboer, van der Plicht 2006. Coldstream 2000, pp. 25-26; Kourou this volume. On Sicily, and at Huelva and Malaga in southern Spain: Kourou, Stampolidis 1996, pp. 715716; Domínguez 2006, fig. 6; González et al. 2006, 19, p. 25, figs. 17-22; Coldstream 2011; Pappa 2012, pp. 18-22; Kourou this volume.

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versions of Levantine transport amphorae, has been hailed as one of the earliest post-Mycenaean Greek exports to the west.74 Like the later 9th century Greek pottery found elsewhere in the Central and West Mediterranean, it was very probably carried there on a Phoenician ship.75 What does this tell us about routes (figure 6)? If later 9th to early 8th century pottery of Euboean and Attic manufacture is turning up in the western half of the Mediterranean, often clearly in association with Phoenician material, then it suggests that, on the one hand, Aegean and long-distance Phoenician routes had begun to interact, and that some pottery picked up on south-west Euboea or at Athens was finding its way westward by means of the long-distance east-west routes. Does this mean, for instance, that at least some eastern ships were making use of the Corinthian isthmus, as there is reason to believe they may have been doing in the 8th century, on their way to Pithecusae.76 The diolkos over the isthmus was possibly not constructed until around 600 BC,77 but some of the relatively small ships of the 9th-8th centuries could have been pulled over the isthmus, Varangian style, with the help of rollers.78 Indeed, the far-flung distribution of early “SOS” amphorae (c. 750-675 BC) of both Euboean and Attic manufacture, which includes southern Spain and the north-west African site of Mogador in the far west and Cyprus and the Levant in the far east, and which maps quite well onto the distribution of later 9th to early 8th century Greek pottery in the Mediterranean, suggests that, as Shefton argued,79 Phoenicians probably also had a hand in carrying these.80 Moreover, it has been argued81 that Phoenicians were closely involved with the Corinthian pottery industry at Corinth itself well into the 7th and 6th centuries. On the other hand, there is perhaps also a suggestion, from the late 9th century, when the rich cemeteries of Lefkandi fell out of use, of a degree of fragmentation as between the long-distance Phoenician routes and other routes used by them and others in the Aegean. An early Attic example of an “SOS” amphora from Mende in the Chalcidice, dating to around 700 BC, which ended up as a baby’s burial urn, carries an inscription in Cypriot syllabic script82. It appears to consist of part of a personal name (-la-si - perhaps a name ending in -lasis, like Gelasis), an abbreviated patronymic beginning Themi-, and the first syllable (Se-) of what has been suggested to be an ethnic (perhaps Selaminios – ‘of Salamis’). Furthermore, it is similar to another Cypriot graffito on an amphora from an early 7th century context at Policoro (the Greek colony of Heraclea Lucania) on the Tarentine Gulf in southern Italy.83 At the very least, even if not Phoenician, this seems to show that at least one inhabitant of the East Mediterranean, possibly from Salamis, a city with strong Phoenician connections,84 74. 75. 76. 77. 78. 79. 80. 81. 82. 83. 84.

Ridgway 2006, pp. 244-245; see Oggiano and Pedrazzi this volume. Ridgway 2006, p. 247; Kourou this volume. Sherratt 2011, p. 6, pl. 1:1. Lewis 2001, pp. 10-11. Stalsberg 2001. Shefton 1982. Pratt 2015, pp. 231-232, figs. 7, 15. Morris, Papadopoulos 1998. Vokotopoulou, Christides 1995. Ibid., pp. 9-10. Yon 1999.

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handled examples of amphorae that ended up in the North Aegean and in Italy. That Phoenicians sensu strictu did not abandon the North Aegean in the same period is perhaps suggested by the finding of up to six Phoenician transport amphorae of “torpedo jar” type in a context also dating to around 700 BC at Methone on the Thermaic Gulf.85 It might seem logical that the Attic “SOS” amphora reached the North Aegean by the western route, up the inside of Euboea; but it could equally well, for example, have been to Salamis and arrived in the N. Aegean via the eastern Aegean coast, since eastern material is found in several of the major east coast sanctuaries by this time.86 Given the absence of Phoenician amphorae of the type found at Methone anywhere else in the Aegean,87 it might seem reasonable to conclude that they, too, may have reached the North Aegean by this more direct route. If so, it looks as though the North Aegean by this period (the end of the 8th century and the beginning of the 7th) formed something of a separate network in comparison with the long-distance east-west routes along the Mediterranean.

Concluding Remarks I recognise that much of the above has to be regarded as highly speculative, based as it is on circumstantial evidence or on the logic of geography in a context of tramping sea trade. We can see what moved whither and often whence it came, but of course88 we cannot tell who carried it. The problems are made worse by the unfortunate fact that it is above all pottery, which was of minor value in the ancient world and unlikely in many cases to be the primary object of directed trade, that survives in such prominent and dominating fashion in the archaeological record, often at the expense of other types of materials and goods, which we hardly, if ever, glimpse at all. Nevertheless, some information can be gleaned from it: that in the later 10th-9th centuries south-west Euboea, using the clays of the Lelantine plain, developed a specialisation in pottery for export that echoed metal (perhaps especially silver) ware and included special shapes designed to fit into an eastern market; and, given the likely nature of early trade in pottery for its own sake, some indications of probable routes. It has not been my aim in this paper to suggest that only Phoenicians (or, rather, those whom the Greeks called Phoenicians) carried cargoes, particularly of pots, around the Mediterranean in the early centuries; but I continue to maintain that they at least played a large part in this. What I have been more concerned with here is the old question, as posed for example by Coldstream:89 who took the initiative in early exchanges between Euboeans and Phoenicians? Given that on the Euboean side it is difficult to find any motive other than some nebulous spirit of adventure and enterprise that accords well with an idealised European view of the ancient Greek character developed from the mid-18th century as part of a romantic hellenism, 85. Kasseri 2012, pp. 300-303; see also ibid., p. 304 for other contemporary Phoenician and/ or Cypriot material in the North Aegean. 86. See e.g. for Samos, Kilian-Dirlmeier 1985, pp. 235-243, 249-253, fig. 20. 87. Kasseri 2012, fig. 3. 88. Pace Boardman 1996. 89. Coldstream 1998.

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my answer would be that it was Phoenicians (particularly probably Tyrians), who had a very credible motive in the ever-pressing need for more and more silver. The archaeological evidence suggests that the site of Lefkandi was a focal destination in the later 11th and especially the 10th century; and Lefkandi’s topographical and geographical position, on a “choke-point” on an important western Aegean Sea route that linked two potentially important sources of silver, must surely have some significance. It was a place where passing ships would be likely to stop in search of food, water and other mariners’ comforts, and in exchange for which, at least initially, they seem to have offered faience trinkets (including perfume flasks), likely to be more of greater value to Euboeans than to the populations of the east, and other goods some of them originally acquired at no cost from looting eastern tombs. Although from the start a few items of probably or possibly Euboean pottery made their way east to the Levant, it was probably not until near the end of the 10th and in the 9th centuries that south-west Euboea began regular production for an eastern trade, in the form, particularly, of pottery reminiscent of metal vessels and including shapes (such as the plate) especially in demand in eastern markets. At this point, although others, including Euboeans, may well also have become involved in the trade, the observation that most of this pottery known so far from the east continues to be concentrated in Tyre suggests that Phoenicians remained the primary carriers. At the same time, the observation that the characteristic pendent semicircle skyphoi (also found in considerable numbers at Tyre) have a suggestive distribution round the north and east coasts of the Aegean might imply that at least some of these may have been dropped off by Phoenician ships on their way home from Euboea via a clockwise circuit of the Aegean. Thereafter, and especially from the later 9th century when the cemeteries at Lefkandi, with their impressive haul of eastern materials, appear to fizzle out, the picture, probably not surprisingly, becomes a great deal more mixed and confused. Phoenicians had some decades earlier (c. 900 BC) reached south-west Spain via the long-distance open-sea route from southern Crete, and the need for silver from the Aegean, which had probably now become more expensive in terms of exchange costs, was lessened. Nevertheless, there are still indications that Phoenicians, in one form or another or in one guise or another and probably as one group of maritime traders among many, continued to frequent various parts of the Aegean, possibly for a variety of purposes, including the casual trading of pottery and its contents of all sorts of origins. The ancient Greek writers themselves (including among earlier authors Homer and Herodotus) had no doubts about Phoenicians, including maritime traders, being active in the Aegean at unspecified early dates, and indeed credited them with teaching Greeks to write.90 It is perhaps, in some ways, a pity that they did so, since if it were not for several centuries’ worth of ancient Graeco-Roman literature, some of it, from Homer on, presenting a disparaging stereotype of Phoenicians, who were clearly seen as the primary “other” in relation to whom Greeks had begun to define themselves collectively since the late 8th century,91 European Classical scholars in the late 19th and 20th centuries might not have been quite so ideologically eager to deny them any significance in the earliest Iron Age history of the Aegean. 90. Herodotus 5.58. 91. Sherratt 2010; Winter 2005.

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Phoenicians and Attic Middle Geometric Pottery in the Mediterranean. Echoes of an early Athenian cultural value Nota Kourou

(Université d’Athènes) Résumé Cet article a pour but d’étudier l’apparition soudaine de céramiques attiques du Géométrique Moyen en Méditerranée, sur des sites liés aux Phéniciens. Ces céramiques sont découvertes dans certains ports de commerce phéniciens en Méditerranée centrale et occidentale, mais également à Chypre, sur des sites levantins majeurs et dans leur hinterland, situés sur des points de contact significatifs (des nœuds). Elles seront analysées pour tenter de comprendre leur fonction, leur réception, leur signification et leur symbolique. L’interaction culturelle est prise en compte quand il est possible de la déterminer avec précision.

The sudden appearance of Attic MG pottery at a number of remote sites in the Mediterranean in the late 9th and basically early 8th centuries BC1 is a significant event that indicates a new period in Athenian affairs and contacts. But it also implies 1. For absolute dates we follow the conventional chronology, i.e. 850-800 BC for the MG I period in Attica and 800-760 BC for the MG II period. Established through a detailed stylistic analysis of Greek pottery correlated to some historical events in the Near East (Coldstream 1968, p. 322-327), it still remains robust, at least for the Aegean. A number of scientific projects, and consequent conferences (cf. eg. Bartoloni-Delpino 2005; Fantalkin 2001), may have made advances for some regional dates, but have not succeeded in overturning the conventional dates for the Historical period in the Aegean. There are many reasons for this failure: from incorrect procedures and erroneous perspectives (cf. Fantalkin et al. 2011 and Nunez 2016) to difficulties in achieving the right calibration of radiocarbon dates for some areas (cf. Kourou 2005). A recent interdisciplinary radiocarbon project to establish an absolute chronological sequence for the Greek world with samples from three major Greek sites had rather limited results (Toffolo et al. 2013). But the main helpful outcome of this project was that the new radiocarbon dates for the transition from SM to PG coincided largely with those of the conventional chronology. On present evidence then it seems preferable to stick to the conventional absolute chronology, at least for Attic pottery that is well established on a minute stylistic analysis. As was wisely emphasised in a recent conference, in comments on its chronology session, “Ce sont les chronologies relatives qui sont importantes et non les chronologies absolues” (Gras 2016, p. 244). Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 159-177

160 • NOTA KOUROU

the inauguration of a new maritime network policy for long-distance travelling in the Mediterranean, in which Attic pottery was involved for the first time. Before then no Attic pottery had ever been carried beyond the Aegean.2 The few earlier Greek exports to the Eastern Mediterranean were on the whole Euboean pottery.3 Isolated fragments of some Argive vases found at a scatter of Levantine sites4 do not change this distribution pattern of early Greek pottery in Cyprus and the Near East, namely one dominated by Euboean pottery. But no Euboean or other Greek pottery occurs in the central and western Mediterranean before the first Attic MG vases turn up. Outside the Aegean, Attic MG vases occur in the eastern Mediterranean at Cyprus and Tyre on the Levantine coast and sporadically further inland at some places lying at significant crossroads in Israel and Syria. The same wares are less frequent in the central and western Mediterranean: they are found at sites where significant metal deposits existed5. The arrival of Attic MG pottery in these areas, which then were closely linked with Phoenician visitors or enterprising residents, points consistently to who were the carriers of the vases out of Attica, long before the Greek colonization started. Yet the presence of other classes of pottery (such as Euboean, Cypriot, Sardinian etc.) in the same pre-colonial contexts implies a more complex network system in the Mediterranean in which many different nationalities were involved.6 To investigate the role of the Phoenicians in these networks and the character or symbolism of the Attic vases moving these long distances, we require first a brief overview of the existing evidence.

Attic MG pottery in Cyprus and the Near East Attic MG pottery first appears in Cyprus in late CG III contexts, i.e. a little before 800 BC. Unlike contemporary Euboean pottery, which had a wide distribution all over the island,7 Attic MG vases are basically confined to the Amathousian tombs. Only few mostly late examples are known from Kition,8 while a large consignment of Greek vases found at Salamis “Royal Tomb 1”9 forms an unusual and exceptional case.

2. Papadopoulos 2015. 3. For Euboean PG vases from Amathous in Cyprus and Tyre on the Phoenician coast, cf. Coldstream-Bikai 1988; Coldstream 1989; 2008. For a PG Euboean vase from Tel Hadar in Israel, cf. Coldstream 1998, p. 358, figs. 1-2; Kopcke 2002. For SubPG Euboean or Euboeanizing vases in Eastern Mediterranean, cf. Kearsley 1989; Kerschner-Lemos 2014. For a full review of the early Greek pottery from Southern Levant, cf. Waldbaum 1994. 4. For a fragment of an Argive PG vase identified at Tel El Safi in Philistia, cf. Mafir-FantalkinZuckerman 2009, p. 61, fig. 3. For another from Bassit in Syria, cf. Courbin 1993; also, Courbin 1976. 5. For a relevant sketch map, cf. Gras et al. 1995, pp. 124-125, fig. 10. 6. Cf. Botto 2016. 7. Cf. Wriedt Sørensen 1988; Crielaard 1999. 8. Cf. Coldstream 1981, 18, n. 8 pl. XVII and XVIII, 2 (a plate) and Coldstream 1994 (a figured LG I kantharos). For an MG II crater fragment, cf. Caubet et al. 2015, p. 174, fig. 17, 34 (kind information by I. Chirpalieva). 9. Dikaios 1963.

PHOENICIANS AND ATTIC MIDDLE GEOMETRIC POTTERY IN THE MEDITERRANEAN • 161

The Salaminian set of Greek vases included a large Attic MG II crater10 and twenty Attic MG II skyphoi.11 Two Euboean PSC skyphoi and eight PSC plates completed the group.12 This exceptional Greek collection of thirty-two vases found in Salamis “Royal tomb 1” is unique in Cypriot practices or perhaps in trade networks. Found in a female burial, the corpus has been variously explained either as the dowry of a Greek princess married to a Cypriot nobleman13 or as a generous gift to the owner of the tomb.14 It might have been either. What is important is that this extraordinary find of Attic vases in a single Cypriot tomb is beyond the usual circulation pattern of Greek pottery in the area. The Amathousian tombs have yielded by now more than thirty Attic MG vases and a few more dating to the start of LG I period.15 The regular number of Attic MG vases in these CG III tombs is frequently confined to a single skyphos.16 Occasionally, however, the Attic skyphos is accompanied by a large Attic crater and this combination has led to the use of the term dinner set for them.17 The single skyphos then is seen as an abbreviated form of the typical Athenian dinner set accompanying the crater. Although both types of dinner set occur in CG III Amathousian tombs, the abbreviated form is much more common and was probably imposed by the difficulties of overseas travel (viz. breakage of vases). The skyphoi are normally of common MG types with a meander, zigzag or chevron decoration, while black-glazed skyphoi remain rare;18 the craters are all of a large size and with a high pedestal. The earliest occurrence of an Attic dinner set in Cyprus comes from Amathous tomb NW 194, in which a large pedestalled Attic MG I / II crater (figure 1), dated a little earlier than ca. 800 BC, and a contemporary skyphos (figure 2) were found,19 along with 15 Euboean PSC skyphoi.20 A combined funerary gift of Attic and Euboean vases in the same tomb was not an unusual practice in Cyprus down to the end of the CG III period.21 The unusual element in the Amathousian tomb NW 194 is the

10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21.

Cf. Coldstream 1963, p. 199, fig. 40; Gjerstad 1977a, pl. IV, 2. Cf. Dikaios 1963, p. 178, figs. 43-46; Gjerstad 1977a, pl. III. Cf. Dikaios 1963, p. 178, figs. 46-49; Gjerstad 1977a, pl. I, 5-6; II. Cf. Gjerstad 1979. Desborough 1979, p. 119; Coldstream 1983, p. 201. Cf. Wriedt Sørensen 1988, p. 14, who had counted 25 Attic vases. Cf. e.g. Gjerstad et al. 1935, p. 81, n. 2, pl. CXL, 1, called Argive, but corrected in Gjerstad 1948, p. 275; Cf. also, Gjerstad 1977a, p. 25, n. 49, pl. V, 1. (Amathous tomb 13) or Coldstream 1987, p. 27, n. 15, pl. XIV (Amathous tomb 240). Coldstream 1995a, p. 187. Cf. an MG II black-glazed skyphos, a chance find from Limassol originlly explained as Corinthian by Gjerstad 1977a, p. 25, n. 51, pl. IV, 1, but identified as Attic by Coldstream 1979, p. 257, no. 5. Cf. Coldstream 1995a, pp. 187-188, no. 2, fig. 1 (crater) and p. 190, fig. 3,1 (skyphos). Coldstream dates the crater to MG I, but the four groups of parallel lines on lower belly suggest a date in MG II. Ibid. p. 189, figs. 1-7 and p 190, figs. 2-8. Cf. e.g. in the tomb Amathous 268, which contained one Attic zigzag skyphos along with a Euboean chevron skyphos (Gjerstad 1977a, p. 26, n. 52-53, pl. VI, 1-2; Coldstream 1979, p. 257; 1995a, p. 26, no. 14 pl. IX, XIV). Similarly, in the tomb Amathous 334 (Coldstream 1987, pl. XIV, 16; 1995a, p. 27, n. 16, pl. IX, XIV; Karageorghis 1982, p. 693, fig. 25) or in the tomb Amathous 450 (Karageorghis 1987, p. 702, fig. 74.).

162 • NOTA KOUROU

Figure 1 - Attic MG I / II pedestalled crater from Amathous, tomb NW 194 [after Coldstream 1995a, p. 188, fig. 1].

Figure 2 - Attic MG I skyphos from Amathous, tomb NW 194 [after Coldstream 1995a, p. 190, fig. 3].

PHOENICIANS AND ATTIC MIDDLE GEOMETRIC POTTERY IN THE MEDITERRANEAN • 163

mixture of large number of Euboean PSC skyphoi on the one hand and of a full Athenian dinner set on the other, which points to a carrier, whether Cypriot or Phoenician, that had visited both places. But in the MG period Cypriot imports decline both in Euboea and Attica, while Near Eastern imports increase in Attica,22 which makes a Phoenician carrier or network more plausible. From the material evidence this network appears rather short-lived, as in the CA period the number of Attic imports declines rapidly in Cyprus. Only few Attic vases of LG I date are known from Cypriot cemeteries to offer testimony to the last flourish of the custom of the imported dinner set in Cyprus.23 All the other imported Greek vases of LG I date known from Cyprus, with the single exception of a Cretan vase,24 are of Euboean origin, although some of them are strongly Atticizing.25 A most representative example of the latest instance of the now rapidly dying practice of the Athenian dinner set in Cyprus and the concomitant shift to Euboean imports comes from Amathous tomb 321, where the dinner set includes a large pedestalled crater (figure 3) and three skyphoi.26 But only one of them is Attic MG II (figure 4), while a second skyphos is a Euboean PSC vase and the third is a local version of it (i.e. a Cypro-Euboean PSC skyphos). What is more important though is that the crater (figure 4), the main vessel of the dinner set, is not Attic, nor of MG date. It is a Euboean vase, although strongly Atticizing, that dates to the start of the LG Ia period, i.e. about 760 BC. This allows the scenario that the Attic MG II skyphos that accompanied it was evidently an import to and already an heirloom in Euboea, when the shipment of the dinner set took place. The set was evidently enlarged by a Euboean PSC skyphos; and on Cyprus it was further enriched by another local, Euboean type cup, the local PSC skyphos. It is evident that the idea of the Athenian dinner set of the MG period in this case has got an entirely Euboean make-over. Thus, the Amathous tomb 321 dinner set is the latest in the series and offers evidence for changing networks and practices both in the Aegean and Cyprus. The proximity of Cyprus to the Levantine coast makes common trade networks and the sharing the same cultural values in the area inevitable. But the distribution of Attic MG pottery in the eastern Mediterranean points to a distinct class of network or networks that transferred Attic MG vases and Athenian dinner sets. The numbers of Euboean vases found in the Near East are superior and have a wider distribution.27 Attic MG pottery is less frequent on the Levantine coast, but occurs inland at major settlements and important nodal points. On the Levantine coast Attic MG pottery appears basically at Tyre, where the material includes three skyphoi and fragments

22. Cf. Kourou 2012, pp. 219-220. 23. Coldstream 1995b, pl. XVIII, 6 (Amathous tomb 443) and Coldstream 1994 (Kition tomb 11 with a kantharos, not a skyphos, cf. Coldstream 1994). 24. From Amathous tomb 646, cf. Kotsonas 2012, p. 156 and fig. 1a. 25. A chevron skyphos from Amathous tomb 160 (Coldstream 1987, p. 24, n. 6, pl. XIII, 6), a lozenge skyphos from Amathous tomb 266 (Coldstream 1987, p. 25, n. 11, pl. XIII, 11) and a black-glazed cup from Amathous tomb 346 (Coldstream 1987, pl. XIII, 7). 26. Coldstream 1987, p. 22, n. 2, pl. VIII, 2 (PSC skyphos); p. 24, n. 9, pls. VIII, 9 and XII (Euboean pedestalled crater); p. 26, n. 14, pl. IX, 14 (Attic MG II skyphos). 27. Cf. Luke 2003, p. 2, fig. 1 (for a distribution map), pp. 36-42 (for the sites that have Greek pottery).

164 • NOTA KOUROU

Figure 3 - Euboean crater from Amathous tomb 321 [after Coldstream 1987, pl. VII,9].

Figure 4 - Attic skyphos from Amathous tomb 321 [after Coldstream 1987, pl. VIII,14].

PHOENICIANS AND ATTIC MIDDLE GEOMETRIC POTTERY IN THE MEDITERRANEAN • 165

of at least six pedestalled craters surviving in small fragments and also some small pyxis fragments.28 A number of fragments of Attic skyphoi and pedestalled craters come from the North Syrian settlement Hama,29 lying at an important crossroads. Otherwise the Greek Geometric pottery found at various sites in these areas is almost entirely Euboean. However, Attic MG pottery has been found at some major sites in Israel, where it was apparently forwarded from Tyre. From Megiddo there come two or three Attic MG skyphoi and two that are possibly Atticizing.30 From Samaria there are fragments of skyphoi and an Atticizing pedestalled crater.31 Ami Mazar has recently excavated a good number of sherds of Attic MG skyphoi at Tell Rehov in the Jordan valley,32 which was a major stopping-station for caravan routes leading to Mesopotamia, Arabia and Egypt. An Attic, or perhaps Atticizing, MG skyphos is mentioned from Tell Abu Hawam, found together with two Euboean skyphoi.33 But no significant amount of Attic pottery has been excavated at Al Mina,34 which suggests that the main coastal centre, where Attic pottery was arriving in the Near East, was Tyre whence its distribution inland started. Tyrian trade was vigorous at the time; Phoenician trade networks had developed to range across more western waters than the Aegean. It is now that concrete evidence for the initial exchange networks involving Levantines appear in the central and western Mediterranean.

Attic MG pottery in the Central and Western Mediterranean The numerous small emporia operating in the central and western Mediterranean in the 9th and 8th centuries BC are awash with Phoenician pottery.35 Smaller numbers of Sardinian or Greek wares, apparently acquired en route, turn up. Occasionally the presence of considerable quantities of Cypriot vases raises questions as to the composition of the crews and the character of the trade networks. It could well be that the expeditions had mixed crews.36 The earliest Greek pottery found in these western and central Mediterranean sites is either Euboean PSC or Attic or Atticizing MG vases. Although there is always a mixture of wares in the same context, a detailed analysis of their distribution plan on current evidence points to two distinct routes, and probably two separate networks handling them. Euboean and Atticizing Greek vases tend to be more frequent in the central Mediterranean, while Attic MG vases are more common further west. 28. Cf. Coldstream, Bikai 1988, p. 40, n. 77-98, pl. XII-XIII. 29. Riis 1965, pl. XI, 23; 1970, p. 160, figs. 55, 145. 30. Clairmont 1955, p. 99, pl. XX, 1-2 (sherds from two Attic MG skyphoi in Chicago); also idem, pl. XX, 5 small skyphos sherd in Chicago. Also, two rather Atticizing, again in Chicago, cf. idem, pl. XX, 3-4; Riis 1970, p. 145, fig. 47c-h. 31. Riis 1970, p. 149, fig. 49 (Attic); Crowfoot, Kenyon 1957, p. 211, fig. 34 (claimed as Atticizing Argive). 32. Coldstream, Mazar 2003, p. 36, fig. 7, but since then the numbers of Attic have been increased greatly. 33. Cf. Herrera, Balensi 1986, p. 170, fig. 1c. 34. For a few Atticizing MG sherds, probably Cycladic, cf. Riis 1970, p. 145, fig. 47i-k. 35. Cf. Botto 2016. 36. For similar explanations, cf. Gras et al. 1995, pp. 125-126; Botto 2016.

166 • NOTA KOUROU

The largest amount of Attic MG vases comes from the site of Huelva, ancient Onoba, at the estuary of the auriferous river Rio Tinto.37 Because of its strong Phoenician presence, the site was for long considered a Phoenician emporion in which a large amount of commercial activity was taking place. But recent excavations at this site have brought to light a great quantity of material, the majority of which is local handmade pottery (4 703 fragments) followed by Phoenician (3 233 fragments). As a result, the site has now been interpreted as an indigenous port, which attracted the interest of Phoenicians for its mineral wealth and mainly for the silver deposits in its hinterland early in the 9th century BC.38 Eight fragments of Cypriot pottery, thirty three fragments of Greek vases, thirty Sardinian, and two Villanovan point to the route followed by the carriers that arrived at Huelva. The Greek pottery consists of Attic MG skyphoi and kantharoi and Euboean PSC plates and skyphoi (figure 5). They represent the earliest appearance and the largest amount of Greek pottery from a Phoenician site in the western Mediterranean. There is no stratigraphy to date precisely the arrival of these vases, but on stylistic grounds the Attic vases belong to the MG period. No crater is included in this set of finds, but a fragment of an Attic MG crater had been found earlier at the same site.39 Another fragment of an Athenian crater of LG Ia date from a rescue excavation at the same site at Huelva implies that evidently Athenian dinner sets continued to arrive there in LG Ia.40 A similar, though much smaller, batch of Geometric Greek vases was recently revealed at Malaga in Andalusia, at the site of La Rebanadilla. The character of the site is not as yet entirely clear, but the mixed assemblage of non-indigenous pottery is similar to that of Huelva on the other side of Gibraltar. It contains Phoenician, Cypriot, Sardinian and Greek vases, which date the find accurately to the early 8th century BC. The Greek vases included a chevron skyphos and two meander skyphoi (figure 6), which were originally claimed as Attic, but they are now characterized Atticizing.41 They date to the MG II period. Another Attic MG II sskyphos has been discovered at El Carambolo in the Tartessos area.42 Their presence in an Andalusian site with a strong Phoenician character at a time when Greek pre-colonization expeditions to the West had not started imply a separate exchange network in which Aegean and Sardinian pottery was involved. Most of the early pre-colonial sites in the central Mediterranean contain fragments of Greek vases, but only few include some dating to the MG period. In their majority these sites belong to a proto-colonial horizon and contain Greek pottery of LG I date. A few among them, however, stand apart as being involved with Phoenician networks already extant in the pre-colonial period, as argued by the presence of Greek MG II pottery. The best known is the extremely significant site of Pontecagnano 37. Canales Cerisola et al. 2004; Botto 2015a-b. 38. Cf. Botto 2015a; 2016, p. 289. 39. Cf. Shefton 1982, pp. 342-343, n. 11, pl. 30a (with previous bibliography). For the intercultural importance of Huelva, cf. Botto 2013, p. 105. 40. Published by Rouillard 1977, p. 397, fig. 169. 41. Cf. Arancia Roman et al. 2011; Sanchez et al. 2012, p. 75, fig. 12; Botto 2015a, p. 194, fig. 30 and 32; Botto 2016, p. 302. 42. Cf. Escacena Carrasco 2008, p. 308, fig. 5.

PHOENICIANS AND ATTIC MIDDLE GEOMETRIC POTTERY IN THE MEDITERRANEAN • 167

Figure 5 - Attic MG skyphoi fragments from Huelva [after Canales Cerisola et al. 2004, pl. LV].

Figure 6 - Attic or Atticizing meander skyphos from Malaga, La Rebanadilla [after Botto 2015b, 194 fig. 3].

168 • NOTA KOUROU

in Campania on the Tyrrhenian coast, in the cemeteries of which a large number of Greek vases of MG II and LG I date have been found.43 The Pontecagnano cemeteries yielded a number of Euboean PSC skyphoi of Kearsley types 5 and 6, some chevron skyphoi and black cups, one-bird cups and a few Atticizing skyphoi. The Ponecagnano Greek vases cover a large time span from pre-colonial to proto-colonial contexts. But with the exception of one probably Cycladic Atticizing cup of MG II / LG I date,44 all are basically of Euboean origin. A similar character concerns recently published material from the Phoenician site of Utica on the north coast of Africa, near Carthage.45 According to literary sources Utica is one of the oldest Phoenician colonies in the West.46 But the earliest safe archaeological evidence for the connection of the site with an early pre-colonial horizon is offered by the recently published Greek pottery, which includes PSC skyphoi and MG II Atticizing cups. The vases are basically Euboean and Cycladic and fall largely in the MG II / LG I period, i.e. around the middle of the 8th century BC. In this sense the Utica find is comparable to the Pontecagnano Greek imports, which have a strong Euboean element. Attic MG vases and more specifically Athenian dinner sets of the type present in the eastern and western Mediterranean are not attested in the central Mediterranean. The Euboean PSC skyphos found together with Atticizing Cycladic cups represent the Greek pottery in pre-colonial contexts of the central Mediterranean implying a different trade network than that operating to the west. Of a distinct character though are two Attic MG amphorae found in the central Mediterranean. The first, which dates to the MG I period, was found at the cemetery of Fusco in Syracuse and out of context.47 Stylistically the vase dates about a century earlier than the establishment of the Greek colony. The other Attic MG II amphora has been found at Gela in similar circumstances,48 again dating a century before the establishment of the Greek colony. These chance finds at two later Greek sites in Eastern Sicily are no more then than traces of Phoenicians travelling westwards. The sudden appearance of Attic MG pottery in the Mediterranean in the second half of the 9th century coincides with the time of the main Phoenician exodus into the central and western Mediterranean, instigated by the pressure of Assyrian imperialism.49 It is the period of the first major Phoenician emporia in the West and the beginning of the Punic world.

Attica in the MG period Attica was a flourishing region during the MG period. Its coastal zone was repopulated for the first time after the end of the Bronze Age and a number of sites, such as Marathon, Merenda, or Anavyssos emerged as major centres. The new prosperous 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49.

Cf. Bailo Modesti, Gastaldi 1999; Kourou 2000; 2005. Bailo Modesti, Gastaldi 1999, fig. 9 n. 32081. Jerbania, Redissi 2014. Cf. Gras et al. 1995, pp. 70-71. Cf. Vallet, Villard 1952, p. 331, fig. 7; Kourou, Stampolidis 1996, p. 712, n. 18. Cf. De Miro 1983, p. 75, fig. 25. For other recent interpretations putting emphasis on an economical development of the Phoenician cities thanks to the Assyrian empire, cf e.g. Cannavo 2007 (kindly suggested by I. Chirpalieva).

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élites created some rich cemeteries, especially in eastern Attica50. A substantial rise of Near Eastern imports, which sometimes are found en masse in the same tomb,51 is attested in Athenian cemeteries. At the same time there is a decline of Cypriot imports, by now representing the few foreign imports in Attica. Neighbouring Lefkandi on the Euboean gulf remains a thriving settlement, but foreign imports are much fewer than before. Evidently at this time a new pattern of imports and trade networks has emerged in the Greek world, and Attica has now a prominent place in them. In the interchange between peoples of the Aegean and the Levantines during the MG period, Euboeans most probably were still actively involved in maritime networks and seafaring, as is implied by the Euboean pottery found in Cyprus and the Levant. The complexity of the activity, networks and mobility of Near Easterners in the Euboean gulf during the MG period is best reflected in a MG I cup found in a MG II context at Eretria (ca. 775 BC): this bears a graffito in Phoenician letters.52 This foreign script on a local vase implies either the presence of a resident Phoenician or an eager apprentice, but at the same time it well mirrors the complexity of Greco-Phoenician relations during the MG period. The increase of Near Eastern finds in MG Attica coincides with a wave of strong Levantine impact on the local metalwork and more specifically in gold working. The techniques of filigree, granulation, and cloisonné re-appear for the first time after the end of the Mycenaean period. In Athens, but also in eastern Attica and in Eleusis, local jewellery in gold and displaying new techniques adopts fresh motifs, creating a wave of Proto-Orientalizing art in the heart of Geometric Attica. This leaves little doubt that there was direct and close contact with the Phoenician world.53 The difficult technical processes involved in the execution of the new techniques in gold working demanded initial guidance: their adoption has been reasonably explained therefore either by the presence of foreign craftsmen living in Attica or to Athenian craftsmen taught by a Phoenician master.54 In either case, behind these objects, in addition to innovation and progress in a rapidly developing society, lies the mobility of people in the Mediterranean. The MG period is indeed one of rather enthusiastic journeying in the Mediterranean, and Attica is now accepting Phoenician visitors or residents for the first time. The incentive for the Phoenician visits to Attica and the source for the new Athenian wealth alike must be sought in the sudden and rapid growth of the silver mines at Lavrion during the MG period.55 At Thorikos, the main industrial centre for extracting silver, ceramic evidence from a number of installations with benches and basins that served as washing units, indicates a rapid increase in processing the galena ore, which contained the silver, during the MG period. Silver was a rare metal in the eastern Mediterranean and although there practically unobtainable locally, it was 50. Cf. Kourou 2012, p. 219. 51. Cf. e.g. Smithson 1968 for a MG I tomb at the Areopagus, the so-called tomb of the Rich Lady in which there was a necklace with over a thousand faience beads, one of rock-crystal and 17 of glass, the largest of which has a close parallel in Sidon. 52. Cf. Theurillat 2007, p. 341, fig. 2. 53. Cf. Coldstream 1977, pp. 56-57, 78-79. 54. Ibid., p. 56. 55. Ibid., p. 70; Bingen 1967, pp. 38-42, figs. 44-48.

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yet a traditional medium of exchange.56 As a uniform standard and a means of payment in the Near East already in the Bronze Age and later in the pre-coinage economy, it was an extremely valuable commodity and inextricably linked with Near Eastern economics.57 Thus in a period of mobility and search for metals in the Mediterranean, the Lavrion mines quickly attracted the Phoenicians to the easily accessible coast of eastern Attica on the Euboean gulf. Given such planned Phoenician visits to Attica during the MG period, intercultural influence was inevitable. The Phoenician influence on the development of metalwork and its after-effects in the creation of a ProtoOrientalizing style is one immediate result of these contacts, the indirect and unintentional transfer of cultural values to the Phoenicians as reflected in their attraction to the Athenian dinner set is another.

The Athenian MG dinner set and its cultural value The Attic MG pedestalled crater together with one or two skyphoi, Coldstream’s “Athenian dinner set”, was chosen by the Phoenicians for transfer to the eastern and western Mediterranean as a prestige-good because of its unique character and its particular symbolism. In its abbreviated form of a single skyphos it possibly lost some of its glamour, but it certainly retained its quality as an emblem of an elite society and its life style. Large pedestalled craters appear in Athens for the first time in the EG period (900-850 BC), but they become common and the most appealing vessel in Athenian cemeteries in the MG period.58 Huge and grandiose examples used as markers over rich male burials in Attica soon became the symbol of the Athenian élite society and its sumptuous way of living. They denote the high status of the Athenian aristocracy and its cultural values. It was evidently in the aping of this concept of an aristocratic way of living that local agencies exported the dinner sets throughout the Mediterranean. The funerary role of the craters remained an exclusively Athenian affair, but the lustre and symbolism of a particularly opulent life style stayed with them far beyond Attica. Recently M. Wekovski linked the appearance of the large pedestalled crater with the emergence of the symposium in Attica, on the grounds that it was the most proper vase shape for lavish communal drinking habits and a “sympotic ethos”.59 This well-established interpretation of the role of the large pedestalled crater in Athenian MG society suits perfectly also with the notion of a dinner set, a symposium set, transferred elsewhere for its particular appeal and symbolism. It was possibly for this reason that the full dinner set with the crater was more popular with the Phoenicians and in the Near East, where there was a long tradition of a convivial institution, the marzeah. Although equating the marzeah with the Greek symposium is a disputed subject,60 the shared concept of an open feast brings them close enough, irrespective of any other major or minor cultural differences.

56. 57. 58. 59. 60.

Cf. Aruz 2014, p. 116. Cf. Peyronel 2010 for “the silver question”. Cf. Coldstream 1968, pp. 17-18. Cf. Wekovski 2012; 2014. Cf. Carter 1997; Matthaus 1999-2000.

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Foreign visitors in Athens would have had the opportunity to dine together with Greeks and they would have come across the Greek way of entertainment, with its gamut of jokes including trick vases and the “smart” habit of the epidexia. This last was the custom of circulating a cup: it remained current in feasts down the ages and it is widely depicted on red-figured Athenian vases.61 The skyphos then stands for the feast and fun: and as such was adopted abroad. One of the cultural consequences of the distribution of Athenian dinner sets in the Mediterranean is the wide imitation of the shape of the Greek skyphos in Phoenician workshops.62 These imitations started to be produced from the end of the 8th century, which shows that it took some time for the vase and the concept behind it to be accepted and copied. Modern scholarship pays appropriate attention to intercultural contacts and the results of mobility in the Early Iron Age Mediterranean.63 Discussions on notions such as acculturation or assimilation are currently raging. The distribution of the Attic MG dinner set taken up in this small case study certainly cannot contribute much to these issues. It cannot be claimed that Attic MG skyphoi have transferred the idea of a symposium in the Western Mediterranean; nor that the imported dinner sets have affected the existing ideas about the marzeah in the Levant. It cannot be said that the circulation of Attic MG pottery in the Mediterranean speeded up cultural contacts in the Early Iron Age Mediterranean, either. Yet, their analysis is not without interest. At this point I end my piece by focusing briefly on the Euboeo-Attic dinner set from Amathous grave 321 (figures 3-4). It stands at the end of the Athenian series of dinner sets in Cyprus, but it is also partially Euboean because of the crater, or even somewhat Euboeo-Cypriot on account of the Cypriot imitation of a Euboean PSC skyphos found in the tomb. Small details that yet highlight larger issues, such as assimilation or acculturation.

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61. Cf. e.g. Wekofski 2016, p. 32, fig. 1.1. 62. Cf. Briese, Dokter 1992. 63. Cf. Babbi et al. 2015.

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Le périple méditerranéen de quelques formes de céramiques : skyphoi, bols et plats. Un dialogue entre Phéniciens et Grecs Iva Chirpanlieva

(CNRS - UMR 8167, Orient et Méditerranée) Abstract It may well be a difficult exercise at this time, but my aim is to demonstrate the existence of a true phenomenon of the imitation of Greek ceramics in the Phoenician-Punic setting. I propose a study covering a long period of time (8th-4th c. BC) of certain forms which provoked the local production of imitations. Despite problems related to vocabulary, dates and insufficient knowledge of the realities surrounding local production, it’s possible to determine this phenomenon in the Mediterranean and to distinguish two different types of influences that the importation of ceramics generated: on the one hand, simple imitations, exact copies of the model or a simple adaptation of shapes and decorative patterns; and, on the other hand, a deeper influence which goes as far as the integration of technical elements or foreign decorative subjects into the local repertoire. This dialogue between Phoenicians and Greeks which is deserving of our full attention.

La présence d’imitations de céramiques grecques sur plusieurs sites phéniciens et puniques et à différentes périodes a déjà été observée par de nombreux chercheurs1. Je propose aujourd’hui une étude sur la longue durée depuis le viiie siècle jusqu’à la fin du ive siècle av. J.-C. sur quelques formes particulièrement parlantes. Malgré les problèmes de vocabulaire et de datation, ainsi que l’insuffisance dans la connaissance des réalités productives locales en Phénicie, une approche systématique doit permettre la reconnaissance des influences, la classification et la datation de ces productions et la clarification de l’interprétation de ce phénomène. Il faut d’abord souligner que l’idée d’un original et de dérivatives a mené pendant longtemps à des conceptions de prédominance d’une culture sur une autre qui transparaissent dans des concepts comme l’hellénisation. Il est alors important de décrire avec précision ce phénomène et surtout d’identifier le degré d’influence et de définir clairement les prototypes dans les importations. Il faut distinguer trois types différents d’influence que les importations céramiques suscitent : en premier lieu des adaptations de formes ou de schémas décoratifs ; de vraies copies du modèle et enfin une influence plus

1. Boardman 1959 ; 2002 ; Coldstream 1979 ; 2010 ; Salles, dans Kition-Bamboula IV ; Rouillard 1990 ; 2009 ; Morel 1986. Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 179-195

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profonde qui va jusqu’à l’intégration au répertoire local de formes, d’éléments techniques, de sujets décoratifs étrangers et même de pratiques liées à ces vases – des adoptions. En termes d’interprétation il me semble que nous devons d’abord comprendre l’aspect économique de la question avant de parler de changement social et notamment la question de concurrence et le fait de produire à moindre coût des produits de prestige. Ce n’est qu’ensuite que nous pouvons aborder les questions suivantes : peut-on identifier la clientèle, peut-on parler d’artisans grecs dans les ateliers phéniciens ou inversement, peut-on parler d’adoption de pratiques grecques ou encore d’hellénisation ?

Présentation de la documentation Malgré l’ancienneté des importations au Levant, datées aujourd’hui du Protogéométrique2, l’apparition d’imitations n’est attestée qu’à partir du viiie siècle et surtout dans la seconde moitié de celui-ci. Ce n’est certainement pas un fait insignifiant, mais il doit correspondre à des réalités économiques précises. Pendant la période comprise entre 800 av. J.-C. et 700 av. J.-C. on observe en Méditerranée orientale un développement économique qui se traduit aussi par l’augmentation et la standardisation des importations d’Eubée, et une distribution qui témoignent désormais d’un échange commercial3. La forme du skyphos à demi-cercles pendants est la plus appréciée et correspond à une demande : notons 59 skyphoi à Tyr4. Mais la seule imitation que nous connaissons de ce type de vase provient de la nécropole d’Amathonte à Chypre (figure 1)5. Ce vase a été produit dans la tradition des productions chypriotes, dans le style Bichrome et il est daté de 800-750 av. J.-C. La forme reprend le schéma grec, mais le vase comporte un pied assez haut typiquement chypriote, le décor imite les demi-cercles pendants eubéens, mais ils sont irréguliers, peints à la main, et un décor linéaire prend la place du vernis noir eubéen en dessous. Le potier connaissait sans doute la forme du skyphos eubéen, mais on voit bien qu’il ne maîtrisait pas les principes du décor au pinceau multiple. Dans ce cas on ne peut pas parler d’une vraie imitation, mais plutôt d’une tentative d’adaptation. Ce n’est que plus tard dans le viiie siècle qu’apparaissent plusieurs types d’imitations. C’est une période pendant laquelle on constate un échange régulier entre la Méditerranée orientale et l’Égée, une distribution plus large des importations grecques d’une quantité plus importante, c’est aussi le temps de la concurrence – on voit que plusieurs centres grecs exportent : Eubée, Athènes, Corinthe, les Cyclades, la Grèce de l’est6. Il faut souligner aussi un degré plus élevé de spécialisation des ateliers de potiers, tant en Grèce que dans le monde phénico-punique7. Il est important de souligner que c’est dans ce contexte que se développe le phénomène d’imitation de poteries grecques, sans doute dans le cadre d’une concurrence et de demandes nouvelles ou accrues. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Maeir et al. 2009, p. 57-80. Chirpanlieva 2013, p. 267. Bikai 1978, pl. XXIIa : 1 (Strata VIII-IX), pl. XXIV : 6 (Stratum X-1). Coldstream 1987, p. 23-24 ; Vacek 2011, p. 229. Chirpanlieva 2013, p. 270-273. Master 2003, p. 47-64.

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2 cm (1/2)

Figure 1 - Imitation de skyphos eubéen à demi-cercles pendants, nécropole d’Amathonte [© A. Georgiadou, avec la permission du Département des Antiquités de Chypre].

La typologie de ces skyphoi d’imitation proposée par N. Coldstream reste pertinente, car elle permet de distinguer les imitations qu’on ne trouve qu’à Chypre de celles qui apparaissent sur la côte levantine8. Il a distingué trois groupes : les skyphoi des groupes 1 et 2 ne se retrouvent qu’à Chypre, ce sont seulement ceux du groupe 3 qu’on trouve sur les sites de la côte levantine. Le groupe 1 comprend des skyphoi d’influence attique – à méandres, chevrons et zig-zags ; la forme et le décor des skyphoi attiques ont clairement influencé ce type de produits, mais on voit aussi des schémas décoratifs apparaître sur des formes typiquement chypriotes comme le bol à pied d’Ayios Iakovos9. Le groupe 2 comprend des skyphoi avec un décor qui mélange influences attique et eubéenne et des motifs chypriotes locaux comme la fleur de lotus ou les oiseaux, et ils sont par ailleurs réalisés dans les styles Bichrome et White Painted (figure 2)10. Il faut souligner également l’engobe crème qui apparaît sur les productions eubéennes et les imitations chypriotes. N. Kourou a déjà proposé de voir dans l’apparition de cette technique en Eubée au Géométrique Récent une éventuelle influence chypriote11. D’autre part, l’oiseau qui a une longue tradition dans l’art chypriote, fait aussi son apparition en Eubée et témoigne d’après Al. Vacek d’un échange entre ces deux régions12. On ne peut parler de copies directes dans ce cas, mais plutôt d’adaptation de formes et de certains motifs étrangers qui viennent se mélanger aux motifs locaux traditionnels, il s’agit de la production d’un produit de prestige imitant l’objet étranger, mais qui reste ancré dans la tradition chypriote.

8. 9. 10. 11. 12.

Coldstream 1979, p. 255-269. Vacek 2011, p. 230, fig. 15. Kition VI, p. 32, pl. XV, CXXIV. Aloupi, Kourou 2007, p. 287-318. Vacek 2011, p. 233.

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Figure 2 - Imitation de skyphos eubéen, à oiseau, Kition [© Musée de Larnaca ; cliché : I. Chirpanlieva].

Figure 3 - Imitation de skyphos grec, groupe 3, Kition [© Musée de Larnaca ; cliché : I. Chirpanlieva].

Figure 4 - Imitation de skyphos grec, groupe 3, Al Mina [© Ashmolean museum ; cliché : I. Chirpanlieva].

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Il est intéressant de noter que ces deux groupes de skyphoi chypriotes ne se retrouvent pas sur les sites phéniciens de la côte levantine. Ce n’est que la série importante de skyphoi du groupe 3, portant un décor simple, uniquement géométrique, constituée de bandes horizontales, traits verticaux ou languettes, ondulées parfois, qui apparaît en milieu phénicien. On ne retrouve pas la même diversité que dans les exemples chypriotes, notamment aucun exemple de White Painted, ni à oiseaux, méandres ou lotus. Ceci est sans doute lié au décor traditionnel de la céramique phénicienne qui n’est que linéaire et ne comporte pas de motifs figurés. Il s’agit d’une réponse culturelle différente de la part des Phéniciens face aux mêmes objets de prestige. Les exemples trouvés sur la côte levantine sont sans engobe ou à engobe très léger et portent un décor en peintures noire, rouge et noire, rouge et rouge-marron. Notons deux exemples à peintures rouge et noire : un à Chypre et un à Khaldé13. Ces skyphoi ont souvent la lèvre droite comme les skyphoi eubéens du Géométrique Récent, mais parfois légèrement déversée. Notons aussi des exemples à peintures rouge et rouge-marron très proches trouvés à Kition et à Al Mina (figures 3-4)14. De cette série se rapproche un autre exemple de Khaldé, à pâte beige-orangée sableuse, très léger engobe et peinture rouge foncée (figures 5-6)15. Un panneau décoratif avec des traits verticaux au niveau des anses et une série de lignes horizontales en dessous sur la panse qui dans les exemples eubéens ou corinthiens est entièrement vernie. Les quelques exemplaires trouvés à Sidon se rattachent aussi à cette série16. À Tyr aussi ont été trouvés plusieurs fragments de skyphoi de cette série17, les sites de Byblos et d’Ashkelon n’ont livré qu’un seul fragment (figure 7). Néanmoins, à Ashkelon il a été trouvé dans un niveau daté avant 604 av. J.-C., ce qui permet d’avoir un terminus ante-quem pour ces productions18. Nous sommes donc face à une série assez uniforme qui se retrouve sur plusieurs sites phéniciens de la côte levantine. Se pose alors le problème du « Al Mina ware », à savoir s’il s’agit de productions chypriotes ou locales d’Al Mina, mais la présence de ces produits sur plusieurs sites levantins pose aujourd’hui un problème. J. Boardman considérait cette série comme une production locale de potiers grecs19. En 1986, Jones a analysé trois fragments d’« Al Mina ware », malheureusement les résultats ont été comparés avec des exemples de l’âge du Bronze de Ras Shamra et d’Enkomi, ce qui met en doute l’assignation d’une origine chypriote20. La vérité est que l’identification de l’atelier de production ainsi que des producteurs de cette série nécessitent encore une clarification et des analyses méthodologiques plus détaillées. Je soutiens l’idée d’Al. Vacek et de S. R. Martin qu’une production locale n’est pas à exclure, tout comme une possible production kitienne, voir même sur plusieurs sites levantins. La question de ou

13. Coldstream 1979, p. 255-269 ; Chirpanlieva 2013, p. 188. 14. Matériel étudié par l’auteur : Chirpanlieva 2013, p. 64-66. Les exemples d’Al Mina sont conservés au Ashmolean museum, Oxford. 15. Chirpanlieva 2013, p. 188. 16. Doumet-Serhal 1995-2004, fig. 61-62. 17. Tyr : Bikai 1978, nos 104 et 110 ; Byblos : Chirpanlieva 2013, p. 177. 18. Ashkelon 3, p. 151-152, no 17 ; S. R. Martin m’a gentiment confié qu’à Dor ont été trouvés aussi quatre exemplaires du même type. Avec tous mes remerciements les plus sincères. 19. Boardman 1959, p. 163-169. 20. Jones 1986.

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2 cm (1/2)

Figure 5 - Imitation de skyphos grec, groupe 3, Khaldé [© Musée de Beyrouth ; cliché : I. Chirpanlieva].

3 cm Figure 6 - Imitation de skyphos grec, groupe 3, Khaldé, no inv 50387 [© Musée de Beyrouth ; dessin : I. Chirpanlieva].

1 cm (1/1)

Figure 7 - Imitation de skyphos grec, groupe 3, Byblos [© Réserves de Byblos ; cliché : I. Chirpanlieva].

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des ateliers de production se pose sérieusement à l’avenir et nécessite des analyses pétrographiques. D’autant plus que si on accepte qu’Al Mina représente un site de redistribution intégré aux réseaux d’échanges phéniciens de la côte levantine, cela veut dire clairement que ces produits ont fait l’objet d’une commercialisation et ne sont pas seulement un produit local caractérisant un seul site. D’autre part, on sait que les ateliers de production de céramiques établis dans les colonies phéniciennes sont touchés également par ce phénomène. On retrouve de nouveau les skyphoi du groupe 3 : quelques exemples sont connus à Malte, ainsi qu’à Motyé et à Sulcis21. Sur le site de Carthage des exemples ont été trouvés dans la chapelle Cintas, 21 skyphoi à Bir Messaouda, dans l’habitat – 28 skyphoi sous le Decumanus Maximus et le Cardo ; ces productions sont placées par R. Docter au viie siècle av. J.-C.22. Ce phénomène touche aussi la péninsule Ibérique : à Toscanos les skyphoi étudiés par P. Rouillard s’insèrent aussi dans le groupe 323. Deux types ont été distingués : à lèvre oblique courte (influence de coupes protocorinthiennes) et à lèvre moins oblique, parfois même presque verticale (influence de skyphoi eubéens du Géométrique Récent). Ils ont été trouvés dans des niveaux postérieurs à 700 av. J.-C. Le site de la Fonteta a livré cinq exemplaires, de la phase 720-670 av. J.-C. et un fragment est connu sur le site de Cerro del Villar24. Les céramiques grecques suscitent alors de multiples influences et des réponses locales diverses. À Chypre, on observe une imitation de skyphoi et de cratères attiques du Géométrique Moyen II, ainsi que de skyphoi eubéens du Géométrique Récent, dans les styles chypriotes Bichrome et White Painted, qui couvre tout le viiie siècle (la période du Chypro-Archaïque I) et probablement une partie de la première moitié du viie siècle. En revanche, à Kition et sur la côte levantine on ne retrouve que des imitations de skyphoi eubéens du Géométrique Récent du groupe 3, datés entre la fin du viiie siècle et la première moitié du viie siècle. Dans le monde phénicien en Méditerranée centrale et occidentale, on retrouve également ces imitations de skyphoi eubéens du Géométrique Récent (groupe 3), mais on peut déceler aussi une influence des coupes protocorinthiennes et plus tard des cotyles corinthiens. Un fait sans doute lié à une commercialisation plus importante des céramiques corinthiennes en Occident qu’en Orient. Il faut souligner aussi que ce phénomène d’imitation est lié aux types d’importations et à une demande locale. La série des coupes ioniennes vient remplacer l’importation des skyphoi géométriques, il faut souligner d’ailleurs la proximité morphologique entre ces deux types de vases à boire. Le phénomène d’influence de ce type de vases sur les productions phéniciennes a rarement été souligné. À Kition, nous connaissons un exemple d’imitation, provenant du sanctuaire de Kathari, réalisé dans la technique Black burnished ware, à pâte grise et engobe gris-noir et P. Bikai classe ce vase dans les productions phéniciennes, mais nous ne connaissons pas à ce jour des exemples sur la côte levantine25. En revanche dans les contextes phéniciens d’Occident, où les coupes 21. Malte : Ciasca 1999, p. 76-86, fig. 7 ; Mozia : Tusa 1972, p. 1, Nigro 2012, p. 11, pl. 2 ; Sulcis : Bernardini 2000, p. 29-62, fig. 5-9. 22. Docter 2014, p. 65-71 ; Vegas 2005, p. 277-283. 23. Rouillard 1990, p. 178-186 ; 2009, p. 177-183. 24. Ibid. Rouillard, Nunez Calvo 1999, p. 138-143. 25. Kition VI, pl. CXXIII.

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Figure 8 - Imitations de céramiques attiques à vernis noir, Kition [© Musée de Larnaca, Kition-Bamboula IV, p. 176-177 ; Kition VI, nos 3972 et 4342].

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ioniennes ont été largement importées, ce phénomène d’imitation a été observé en Sicile, en Sardaigne et en Espagne. Par exemple les fouilles de la nécropole de Monte Sirai ont livré deux exemplaires d’imitations locales de coupe ionienne B2, dont un traduit une nette influence de la forme26. Les cinq exemplaires de Cadix, datés selon A. Saez Romero entre 525-425 av. J.-C. sont cependant plus éloignés des prototypes, car il manque les anses et ils se rattachent au type phénicien à bord caréné27. Le phénomène d’influence de vases importés sur le répertoire phénicien s’accentue avec les vases attiques à vernis noir – surtout les skyphoi et la série des bols, mais aussi les plats à poisson (figure 8). Il est important de souligner que ce sont aussi ces formes qui seront massivement importées entre la fin du ve et la fin du ive siècle dans les villes phéniciennes et puniques28. On retrouve la même logique économique – les potiers phéniciens se mettent à produire localement des imitations de vases très désirés. À Kition et à Salamine des imitations locales de ces vases attiques commencent à être produites vers la fin du ive et au début du iiie s. av. J.-C. – ce que J.-Fr. Salles appelle la période de Transition (entre 310 et 280 av. J.-C.) et surtout dans la première moitié du iiie siècle av. J.-C.29 Cette série de bols et de skyphoi ont des pâtes qui varient entre orangé-gris, orangé-rouge, rouge clair, chamois et verdâtre, et un vernis ou engobe brun mat, brun-rouge, rouge, gris, noir (avec coulures d’engobe). Il est probable que ces imitations soient chypriotes, mais il ne faut pas exclure la possibilité que certaines puissent venir du nord de la côte syrienne, plus particulièrement de la région d’Antioche, où les imitations de la koinè classique-hellénistique sont nombreuses, en céramique généralement non vernie, mais aussi parfois en céramique à vernis noir. Ce type d’imitations est également présent sur la côte levantine à Dor, mais elles ne sont pas de production locale30. Il est important de souligner l’absence d’imitation de vases attiques figurés à Kition, Salamine et à Dor à la différence d’autres centres chypriotes comme Marion ou Amathonte31. On voit encore que les réponses locales à Chypre sont toujours diversifiées. La production locale de vases à vernis noir est un phénomène bien connu dans les centres puniques en Occident. Jean-Paul Morel a déterminé déjà en 1986 les productions carthaginoises imitant les céramiques attiques et italiques à vernis noir avec la classe Byrsa 661 qui a commencé dans le courant du iiie siècle jusqu’à 146 av. J.-C. comprenant des vases d’une qualité meilleure et un bon vernis noir32. Le répertoire des formes comprend des vases à boire dont différents types de coupes sans tige, bols et coupelles. Soulignons aussi le décor imprimé de rosettes, palmettes et des guillochures. S’ajoutent aussi les productions en Sicile punique33, en Sardaigne34, la céramique de Kouass35, celles d’Ibiza36, mais aussi les productions gaditanes 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36.

Bartoloni 2000, p. 102, pl. XXVIe et pl. XVIIId – la coupe N.141 ; Muscuso 2008, p. 15, fig. b VI. Saez Romero 2014, p. 70, fig. 2, nos 7-11. Chirpanlieva 2013, p. 287-289. Salles dans Kition-Bamboula IV, p. 176-177. Martin 2007, p. 142-144. Eriksson 2011, p. 31-32. Morel 1986, p. 25-68. Ciasca 1991, p. 179-186. Bernardini 1988, p. 75-89. Ponsich 1969, p. 56-80. Del Almo y de la Hera 1970, p. 201-256.

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récemment systématisées par A. S. Romero37. L’auteur place le phénomène d’imitation déjà au ve siècle, mais l’essentiel de la production est daté du ive et iiie siècle av. J.-C. et on retrouve les séries de skyphoi et de bols. Ce ne sont pas que les formes des vases à boire qui font partie de ce dialogue entre Grecs et Phéniciens, le plat est également une forme très parlante. Déjà à la période géométrique les plats à demi-cercles pendants eubéens, comme l’a suggéré N. Coldstream, témoignent d’une réponse de la part des ateliers grecs à une demande orientale38. La distribution de ces plats est très spécifique, car ils sont plus populaires en Méditerranée orientale, mais aussi à Huelva39, ainsi qu’en Eubée. Les plats n’ont jamais été acceptés comme une forme courante en Égée. Il semblerait que l’on puisse déceler ici les prémices d’une recherche de marché de la part des Eubéens avec une réponse active à une demande étrangère. Le plat phénicien ne manque pas non plus d’influencer la production grecque. À Pithécuses et Cumes sont produits des plats de type phénicien sur une longue période entre la seconde moitié du viiie et la fin du vie siècle av. J.-C.40. Il y en a à lèvres horizontales et à lèvres pendantes, remarquons aussi le pied annulaire. Le décor est linéaire, mais aussi grec géométrique avec des oiseaux, poissons et serpents, mais certains exemples ont le vernis rouge lustré imitant le Red Slip phénicien. On retrouve ces plats dans les nécropoles et l’habitat, mais ils font aussi l’objet d’une exportation auprès des Étrusques et des Italiques. Les prototypes dans l’importation ne manquent pas, on connait des plats phéniciens Red Slip du Levant à Cumes, Pithécuses, Pontecagnano, etc.41 Nous pouvons observer que la forme et la technique de décoration sont imitées, mais nous retrouvons aussi la décoration géométrique de traditions eubéenne et corinthienne. Il convient d’attirer l’attention sur une autre série de plats grecs importés à Chypre et sur la côte levantine au viie et vie siècles. Ces plats de Grèce de l’Est viennent remplacer ceux d’Eubée et sont particulièrement appréciés. Se pose de nouveau la question d’une adaptation de la forme de la part des Grecs pour un marché phénicien. Ce problème n’a jamais été discuté à mon sens, car le phénomène orientalisant a trop attiré l’attention sur les motifs décoratifs venus d’Orient et bien moins sur les formes. Pourtant la proximité morphologique entre les plats phéniciens des viiie et viie siècles et ceux de Grèce de l’est, que ce soit les productions de Ionie du sud plutôt à pied ou de Ionie du Nord encore plus proches, est assez étonnante42. Il reste difficile d’asseoir cette hypothèse car, contrairement à Ischia, des plats phéniciens importés n’ont pas été signalés encore en Grèce de l’est. Tel est le cas aussi des plats à poissons attiques à vernis noir qui sont ensuite largement exportés vers le monde phénico-punique ensemble avec les assiettes de type rolled rim. Ces deux formes sont produites à Athènes en vernis noir essentiellement au ive siècle, la période aussi de leur exportation massive. Les imitations phéniciennes 37. 38. 39. 40. 41. 42.

Saez Romero 2014, p. 33-79. Coldstream 2008, p. 38-40. Canales Cerisola et al. 2004 ; Botto 2015. Mermati 2012, p. 123-127, 222-226 ; pl. XXX, U1αI-X. Cuozzo 2003. Ashkelon 3, p. 232-243, nos 258-283 ; Bikai 1978, pl. CXXXV, no 120 ; Cook, Dupont 1998, p. 62-64.

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et puniques des plats à poissons apparaissent vers la fin du ive et continuent au iiieiie siècle jusqu’à l’intégration de cette forme au répertoire des productions locales. On en connaît à Kition, Dor, Carthage, Cadix, etc. Il n’est pas étonnant d’observer une telle réception étant donné la tradition de l’usage des plats en milieu phénicopunique. Ils ont finalement fait usage de plats grecs tout le long entre le viiie et le ive siècle jusqu’à en produire localement pour satisfaire cette demande.

Interprétation Nous avons pu constater que Grecs et Phéniciens se sont mutuellement inspirés dans la production d’imitations de céramiques. Ce dialogue n’aurait pas eu lieu en dehors d’un contexte de développement économique et urbain entre le viiie et le iiie siècle av. J.-C. qui a vu fleurir des échanges et sans un certain degré de spécialisation des potiers grecs et phéniciens. Il est important de souligner cette organisation industrielle des ateliers capables de s’adapter à une demande. Il s’agit cependant d’une demande locale pour des produits prisés, et non pas comme le suggérait J. Boardman43, de vases produits pour des Grecs installés dans les cités phéniciennes ou inversement. Dans un milieu conservatif d’artisans qui produisent des céramiques par une nécessité économique, le changement dans une production et le degré d’innovation sont induits par ce mécanisme de demande et de consommation44. Ce ne sont pas les céramiques étrangères elles-mêmes qui produisent une influence, c’est le contexte social de leur usage. L’usage des céramiques importées par une certaine élite a sans doute créé le désire chez un plus large nombre de personnes d’en posséder, d’où la nécessité d’en produire localement des imitations. Nous avons pu définir les prototypes de ces imitations dans les importations, nous sommes bien dans une tentative de production de produits similaires à moindre coût. Ce phénomène peut avoir deux explications : soit une baisse dans l’importation, auquel cas la production des imitations est une adaptation à une situation de faiblesse pour les marchés locaux, incapables de continuer à absorber un produit importé fortement demandé ; soit il s’agit d’une mise en place d’une concurrence liée à une forte demande. Sur le plan culturel il est important de comprendre cette production dans son contexte. Le concept d’acculturation, développé dans la seconde moitié du xxe siècle mesurait le changement culturel utilisant des objets et des techniques étrangers qui apparaissaient dans des contextes locaux45. Les chercheurs étaient surtout préoccupés par la question d’adoption et n’ont pas suffisamment exploré le potentiel de la réponse indigène : les processus d’« imitation », « adaptation » qui émergent de la volonté et des capacités de transformation locaux. Ce qui est sans doute dû, et les exemples les plus clairs émanent des écrits de J. Boardman, à l’idée de suprématie de l’art grec. Mais aussi à l’idée de la diffusion depuis un centre vers la périphérie, depuis une civilisation plus avancée vers des sociétés moins évoluées.

43. Boardman 1959, p. 163-169. 44. Kramer 1985, p. 92-93. 45. Roure 2015.

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Un autre problème interprétatif souvent soulevé est celui de l’introduction de pratiques grecques, hypothèse proposée uniquement sur la base de la présence de vases à boire grecs sur les sites phéniciens et puniques. Citons R. Docter : « Greek drinking habits were widely accepted »46, mais il note qu’il faut éviter de tirer trop vite un trait entre pots et pratiques. La pratique de la boisson et du banquet n’est certainement pas un élément nouveau pour les Phéniciens et malgré la présence des anses, la forme du skyphos ou de la coupe ionienne reste assez proche des vases à boire phéniciens, le skyphos peut très bien être tenu par-dessous à l’orientale. L’exemple le plus intéressant reste la série des bols attiques à vernis noir très appréciés et très proches du bol oriental. Il y a là une limite dans l’interprétation à ne pas franchir sans preuves supplémentaires. Comprendre l’aspect économique de la question ainsi que le niveau d’imitation est donc primordial avant de parler de changement social (adoption de pratiques grecques éventuelles, hellénisation, etc.). Cette discussion soulève bien sûr la question de la mobilité des artisans. Curieusement, elle n’a été traité que dans un sens – la présence de potiers grecs en Orient47. Par exemple l’idée de potiers phéniciens apprentis en Grèce n’a jamais été abordée. Il est étonnant que malgré les études de M.-F. Baslez et D. Briquel48 qui montrent la présence des Phéniciens au ive siècle av. J.-C. à Athènes, les idées sur la circulation de potiers phéniciens ne soient pas développées. Il serait important à l’avenir de ne plus ignorer le rôle actif des potiers phéniciens et puniques. Pour conclure je voudrais retenir l’attention sur un point important : considérer ce phénomène à travers le temps et depuis plusieurs points de vue a permis de dépasser les divisions trop rigides et d’observer des échanges plus souples et ouverts, des influences mutuelles dans l’artisanat, sans forcément chercher une suprématie culturelle. Grecs et Phéniciens ont cohabité et coopéré autour de la Méditerranée et il convient à l’avenir de chercher des modèles d’interaction culturelle plus fidèles à cette fluidité des contacts49. Je soulignerai enfin une caractéristique de l’artisan phénicien – sa capacité à intégrer différentes influences à sa production, qu’elles soient égyptiennes, assyriennes ou grecques, tout en conservant une certaine fidélité à la tradition.

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46. 47. 48. 49.

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PARTIE III LA MÉDITERRANÉE CENTRALE ET OCCIDENTALE

Les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale : questions d’identité Marie De Jonghe

(Casa de Velázquez – EHEHI, Madrid) Abstract Raising the question of the identity or the culture of a civilisation through the prism of burial grounds implies running into questions regarding the cultural isomorphism of a civilisation in terms of its funerary practices, as discussed in New and Post-processual archaeology. For the Phoenician burial grounds, many problems arise. First, the representativeness of the population: the question of the right to burial which, to this day, remains unknown. Second, the perception of social hierarchy which is seen in the burial grounds. Finally, the question of the identity of the Phoenician people who formed a part of this civilisation. Hence, focusing on selected examples of Phoenician burial grounds in the ancient western Mediterranean, we propose an introduction to these problems of identity and the resulting manifestations regarding the way in which the Phoenicians cared for their dead.

Introduction Une des définitions proposées par le dictionnaire de l’Académie française pour l’identité est la suivante : « caractère de ce qui, dans un être, reste identique, permanent, et fonde son individualité ». L’identité, du point de vue de l’étude des sociétés anciennes fait partie de la vie sociale de l’être humain, à la fois individuellement et collectivement. Elle permet de se situer dans le temps et l’espace, à la fois positivement et négativement, en s’associant à des lieux spécifiques, des objets, des pratiques mais également par la distanciation des autres1. D’après S. Moscati2, il existe trois indicateurs principaux pour prôner l’existence d’une identité phénicienne : la communauté de l’aire géographique, de la langue, et le partage de processus historico-culturel identiques. Toutefois, en anthropologie, on admet que l’identité n’est pas constituée de « faits primordiaux », mais de contextes situationnels3. De plus, comme le souligne P. Xella4, dans le cadre des Phéniciens, 1. 2. 3. 4.

Knapp, Van Dommelen 2008. Moscati 1992. Xella 2008, p. 70. Xella 2014. Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 199-222

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l’identité est déterminée de l’extérieur, c’est-à-dire du point de vue de l’étude des critères propres à celle-ci. Ces critères pouvant être historiquement fondés ou plausibles, mais sont relatifs, et doivent être confrontés à la vision interne de la culture. La définition de la civilisation phénicienne et de son identité a déjà fait l’objet d’une ample bibliographie5, et continue d’être l’objet d’études dans lesquelles on s’accorde désormais pour dire que les notions de « monde phénicien » ou de « phoenicity » sont des inventions modernes, ou des conceptions externes6, et que cette apparente unité d’identité n’était pas perçue de la même manière par les Phéniciens eux-mêmes7. Nous ne prétendons pas ici donner une définition précise de l’identité phénicienne, dans la mesure où il s’agit avant tout d’un concept historiographique, mais poser les jalons d’une étude plus large sur les manifestations de l’identité sociale et culturelle dans les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale8. C. Gómez Bellard9, dans une étude sur l’identité punique, mentionne l’importance du monde funéraire pour la compréhension de cette identité. Cette constatation s’étend également aux problématiques de l’identité phénicienne, dans la mesure où le monde funéraire est l’un des médias privilégiés dans l’étude des sociétés anciennes ; le rituel reflétant d’une certaine manière une réalité sociale10. Cette idée nous renvoie plus précisément à la définition proposée par J.-P. Vernant de « l’idéologie funéraire » : « Tous les éléments significatifs qui, dans les pratiques comme dans les discours relatifs aux morts, renvoient aux formes de l’organisation sociale, aux structures du groupe, traduisent les écarts, les équilibres, les tensions au sein d’une communauté, portent témoignage sur sa dynamique, sur les influences subies, sur les changements opérés11 ». Ce qui fait donc des nécropoles un outil a priori pertinent pour l’étude des problématiques identitaires. Ainsi admettant le concept de « politique » de la mort, proposé par J.-P. Vernant, quels indices nous donnent les nécropoles pour mieux comprendre la culture et l’identité phénicienne ? Pour nous permettre d’aborder ces différentes problématiques, nous commencerons par un bref résumé méthodologique sur les questions d’isomorphismes et d’identités. Puis, nous nous interrogerons sur les manifestations de l’identité en utilisant les trois échelles géographiques que nous permettent d’appréhender les nécropoles : la Méditerranée occidentale, la région et la nécropole dans le cadre chronologique compris entre le viiie et le vie siècle avant notre ère.

5. 6. 7. 8.

Bonnet 2004, p. 7-32. Comme l’est par ailleurs le nom « Phéniciens » en lui-même : Pragh 2014 ; Ercolani 2015. Bondí 2014, p. 59 ; Crawley Quinn, Vella 2014, p. 7. Ce travail est basé sur les données et problématiques d’une thèse réalisée à l’université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, sous la direction de Pierre Rouillard et soutenue depuis, en novembre 2017. Elle s’intitule : « Les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale. Architectures et pratiques funéraires ». Je profite de l’opportunité pour remercier Pierre Rouillard pour son aide à la réalisation de cet article. 9. Gómez Bellard 2014. 10. Morris 1996, p. 2. 11. Vernant 1982, p. 5.

LES NÉCROPOLES PHÉNICIENNES DE MÉDITERRANÉE OCCIDENTALE : QUESTIONS D’IDENTITÉ • 201

Isomorphisme et identité Le problème de l’isomorphisme culturel Évoquer la question de l’identité ou de la culture d’une civilisation au travers du prisme des nécropoles, c’est se heurter à la question de l’isomorphisme culturel d’une civilisation sur ses pratiques funéraires. Ce débat a été particulièrement actif dans les années 70, et a généré une longue bibliographie. Il serait hors sujet de nous attarder dessus aujourd’hui, ces discussions ayant été par ailleurs résumées récemment par Marie-Laurence Haack12 et Valentino Nizzo13. Toutefois, pour sortir du danger que représente l’idée d’une équivalence, ou d’un reflet strict de la société sur la manière dont elle se préoccupe de ses morts, je souhaiterais ici rappeler quelques éléments méthodologiques. Sur la relation possible entre nécropole et société, B. d’Agostino14 parle de « omologia », c’est-à-dire une ressemblance sans identité rationnelle15. J.-P. Vernant16 parle de son côté d’une « politique funéraire » que met en place un groupe social pour s’affirmer dans ses traits spécifiques. Les sépultures sont alors simplement la représentation à un instant « T », plus de la communauté que du défunt. Il affirme, plus précisément, que : « À travers la grille des questions qui lui est imposée, le monde des morts (ou du moins ce qui nous en reste) se présente comme le reflet, l’expression plus ou moins directe, plus ou moins médiatisée, travestie, voire fantasmatique, de la société des vivants17. » Dans quelle mesure ce travestissement peut-il permettre de caractériser l’identité complexe d’une civilisation comme les Phéniciens (dans le cas qui nous occupe), avec des manifestations identitaires variées ? Nous tenterons d’y répondre dans la partie suivante. Un autre élément à prendre en considération est celui du rôle et de la compétition des élites entre elles. L. Baray18 introduit cette notion de compétition des dépôts funéraires aux âges du Fer en Europe occidentale ; le mobilier funéraire n’est plus alors la simple représentation du défunt, mais la manifestation de la compétition engendrée par la perte, et la restructuration qui s’ensuit. La tombe serait alors une « semiosphère », exprimant les craintes et les aspirations d’un groupe donné au sein d’une société donnée, à un moment « T » de son histoire19. Nous ne voulons pas tomber dans le piège qui consiste à faire d’une exemplarité une généralité. Mais nous souhaitons amener la discussion sur le problème non seulement de la place des tombes aristocratiques dans les nécropoles phéniciennes ; mais aussi poser la question du manque d’information que nous possédons pour

12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19.

Haack 2015. Nizzo 2015. D’Agostino 1985. Sur les problèmes de traduction de ce mot en français, voir Haack 2015, p. 13. Nous avons donc choisi ici de le laisser dans sa langue d’origine. Vernant 1982, p. 7. Ibid., p. 6. Baray 2009. Ibid., p. 197-198.

202 • MARIE DE JONGHE

la pratique funéraire phénicienne, non simplement du point de vue du défunt, mais de la société qui organise et participe à ses funérailles. Nous ne pouvons pas répondre plus spécifiquement à ces questionnements, qui ne sont d’ailleurs pas l’objet de ce travail. Mais cela nous permet de nous interroger plus précisément sur les problèmes de fiabilité que nous rencontrons pour les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale. Les nécropoles phéniciennes : un cadre d’étude fiable ? Dès lors, si l’on se détache des problèmes liés aux reflets de la société ou du groupe dans les sépultures étudiées, il est une nouvelle série d’interrogations à mettre en avant : le problème généralisé de la fiabilité des nécropoles, et des nécropoles phéniciennes plus particulièrement, comme manifestation représentative de l’identité. I. Morris, dans son travail sur les tombes de Grèce archaïque et la structure sociale20, soulignait la difficulté de trouver un échantillon fiable et représentatif21 : « While it is possible to make these generalisations about ritual forms, we must not lose sight of the fact that archaeologists excavate burials and not whole funerals. Archaeological remains of course provide at best but a pale shadow of past funerary activity »22.

Premièrement parce qu’il est probable que tous les membres d’un groupe n’aient pas obtenu de sépulture23. Il est difficile d’argumenter ce point pour le cas spécifique des nécropoles phéniciennes, notamment à cause du volume souvent lacunaire des données. Toutefois, il nous paraît légitime de nous interroger sur le sujet. Se pose alors un questionnement plus large sur le droit à la sépulture dans la société phénicienne, dont la difficulté de l’étude est exprimée dans notre troisième point. Deuxièmement parce qu’il existe au sein d’une même nécropole des zones distinctes abritant tous les membres d’une même communauté. Pour l’auteur, ce sont les problèmes principaux à son processus de recherche, dans la mesure où son travail se base sur des ensembles funéraires fouillés dans leur intégralité24, mais aux deux problèmes qu’ils soulignent viennent s’en ajouter d’autres pour les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale que nous proposons ci-après. Ainsi, en troisième point, nous ajouterons le nombre de sépultures parfois très limité que l’on retrouve dans les nécropoles phéniciennes. M. E. Aubet25 évoque cette question particulièrement pour la péninsule Ibérique, où il est difficile de qualifier de nécropoles certains ensembles funéraires constitués de deux ou trois tombes26 : 20. 21. 22. 23. 24.

Morris 1989 ; 1996. Morris 1989, p. 29-43, 211-212 ; Morris 1996, p. 21-30. Morris 1989, p. 36. Ibid., p. 97-109. Questionnement sur les dimensions connues des nécropoles ; voir « Estblishing trends » dans Morris 1989, p. 75. 25. Aubet Semmler 1994, p. 288. 26. On citera par exemple : Lagos, une sépulture (Aubet Semmler et al. 1991) ; Málaga, neuf sépultures dispersées (Martin Ruiz, Pérez-Malumbres Landa 2001 ; Martín Ruiz et al. 2003 ; Martín Ruiz 2012) ; Chorreras, une sépulture (Martín Córdoba et al. 2007 ; Martín Córdoba et al. 2008) ; Ayamonte, cinq sépultures (Garcia Teyssandier, Marzoli 2013), mais aussi Trayamar, aussi spectaculaires que peuvent l’être les deux sépultures fouillées sur les

LES NÉCROPOLES PHÉNICIENNES DE MÉDITERRANÉE OCCIDENTALE : QUESTIONS D’IDENTITÉ • 203

« El rasgo más destacable es el volumen y número de enterramientos hasta ahora en Andalucía oriental, que no sobrepasa la cincuenta […], configuran un panorama del mundo funerario fenicio un tanto desolador »27.

Dans ce contexte, comment déterminer précisément quelle portion de la population bénéficiait d’un droit à la sépulture, quand la représentativité de la nécropole fait déjà défaut ? Enfin en quatrième et dernier point, le biais de la hiérarchie sociale mal connue mais soupçonnée dans certaines nécropoles, nous y reviendrons par la suite. Quelle différence observe-t-on entre la manifestation d’une identité culturelle et la manifestation de la hiérarchie sociale ? C’est donc en gardant en tête ces limites et problèmes de fiabilité que nous allons maintenant présenter les indices que nous fournissent les nécropoles phéniciennes sur les différents signes identitaires qui composent cette civilisation.

Quelle identité phénicienne en Méditerranée occidentale ? Architecture funéraire et mode de sépulture Comment se manifestent ces signes identitaires dans la manière dont les Phéniciens se préoccupent de leurs morts ? Pour citer B. d’Agostino et A. Schnapp : « Ce qui gêne dans les rituels funéraires c’est leur diversité […] Les écarts, les différences, les antagonismes qui traversent les pratiques funéraires sont le produit de ce que l’on a convenu de nommer idéologie funéraire28. » Et effectivement ce qui nous gène ici, c’est la diversité : alors quelle forme prend-elle ? Diversité d’architecture et de rites (figure 1) Architecture funéraire : pour résumer, nous avons identifié vingt variations typologiques dans l’architecture funéraire phénicienne29, articulées autour de trois grands types : tombes à accès direct, tombes à puits et tombes à couloir d’accès. cinq identifiées (Schubart, Niemeyer 1976). Le problème ne se limite pas à la péninsule Ibérique : par exemple en Sardaigne : San Giorgio di Portoscuso, quatre sépultures fouillées (Bernardini 2000). Dans tous les cas mentionnés, la fragmentation des données est liée à un contexte de fouille d’urgence. 27. Aubet Semmler 1994, p. 288. 28. D’Agostino, Schnapp 1982, p. 18. 29. Cette typologie a été réalisée dans le cadre d’un Master 2 à l’université Paris 1- Panthéon Sorbonne sous la direction de Pierre Rouillard, et a été remaniée dans le cadre de mon sujet de thèse. Elle comprend trois grandes catégories de sépultures, réparties comme suit : a / Tombes à accès direct : fosse simple ; fosse à canal ; fosse à ressauts latéraux ; fosse à parois maçonnées en briques crues ; fosse géminée ; auge construite ; ciste lithique ; cavité circulaire naturelle retouchée ; cavité circulaire artificielle ; cavité naturelle. b / Tombes à couloir d’accès : tombe bâtie à couloir d’accès et chambre simple. c / Tombes à puits : excavée latéralement au puits d’accès ; excavée au fond du puits d’accès ; le puits d’accès dessert plusieurs sépultures excavées ; à chambre simple bâtie ; à chambre compartimentée bâtie ; excavée et niche latérale ; excavée, niche latérale et ciste ; excavée et ciste.

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ALGÉRIE

PRATIQUES FUNÉRAIRES

PÉNINSULE IBÉRIQUE

SICILE

SARDAIGNE

TUNISIE

i r e ira ca e io ar as un nt é rme rros ca org te S a ag e go TE mo ix laga in yam rrer os uñé a y h L a a ho Gi on iti arth tiqu d a c o ot le m iz g rd a M B C Ra MA Ay Ca M Ja Tr Ch La Al Ib M Pa Th Ot S. U

Dépôts primaires à crémation D. secondaires à crémation D. primaires à inhumation ARCHITECTURES FUNÉRAIRES Sépultures naturelles Fosses simples F. à canal F. à ressauts latéraux F. maçonnées en briques crues F. maçonnées en pierres F. géminées Auges construites Cistes Petits puits circulaires Tombes à puits excavé et niche T. à puits et chambre excavés T. à puits excavé, chambre bâtie T. à couloir d'accès, chambre bâtie

Figure 1 - Carte de localisation des établissements phéniciens de Méditerranée occidentale et tableau synthétique des différents types d’architecture et de pratiques funéraires identifiés dans les nécropoles. [Illustration : Marie De Jonghe].

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On remarque dans un premier temps la relative variété des types d’architecture représentés, puisqu’ils s’étendent de la sépulture naturelle – le dépôt à crémation ou à inhumation est déposé dans une anfractuosité rocheuse30 – aux tombes à puits ou à couloir d’accès et chambre bâties31. Le type de sépulture le plus représenté reste un type de tombe à accès direct : la tombe à fosse simple. Mode de sépulture : on connaît trois modes principaux de sépultures pour les tombes phéniciennes de Méditerranée occidentale : a / Dépôt primaire à inhumation : Il s’agit toujours d’un décubitus avec les membres supérieurs étendus le long du corps ou croisés sur le bassin. On observe quelques cas très rares de décubitus latéral32, et un cas anecdotique de procubitus à Utique33. Le plus grand nombre de dépôts primaires à inhumations est documenté sur le site de Carthage34, et il s’agit du seul mode de sépulture connu pour Utique35. Ce mode de sépulture est beaucoup plus rare pour la période archaïque en Sicile, en Sardaigne36 et en péninsule Ibérique37. b / Dépôt primaire à crémation : Ce mode de sépulture est connu en péninsule Ibérique seulement pour Cadix38 et Puig des Molins39. Il est bien documenté en Sicile40 et en Sardaigne41, mais totalement absent en Afrique du Nord. Ce dépôt est pratiqué en fosse : fosse simple ovale ou rectangulaire, et en fosse à canal42. En Sardaigne ont été documentés quelques cas avec un traitement particulier des restes crématisés : le dépôt primaire à crémation est effectué dans la fosse, mais les ossements sont ensuite ramassés et déposés dans un vase placé dans la fosse même où a eu lieu la crémation43. 30. Des exemples ont été identifiés à Rachgoun : (quelques crémations, et toutes les inhumations : Vuillemot 1955, p. 10-13 ; Vuillemot 1965, p. 60 et 62) et au Puig des Molins (Gómez Bellard 1990, 1977/I ; 1983/II ; 1983 / V). 31. Type de sépulture que l’on connaît par exemple pour Carthage (Benichou-Safar 1978, p. 135-170, Type x) ; Trayamar (Schubart, Niemeyer 1976) ; Malaga (Martín Ruiz et al. 2003 ; Martín Ruiz 2012) et Puig des Molins (Gómez Bellard 1990 h-5 ; h-6 ; h-7). 32. Trois cas ont été identifiés à Carthage : Lancel et al. 1982, tombes A. 191 ; A. 186 ; A. 142. 33. Cintas 1951 : tombe XXIII et De Jonghe, de Larminat, 2018. 34. Benichou-Safar 1978, p. 248-283. 35. Cintas 1951 ; Cintas 1954 ; Colozier 1954. 36. Principalement à Othoca : Del Vais 2012 ; Monte Sirai : Bartoloni 2000 ; Botto, Salvadei 2005 ; Guirguis 2010. 37. Puig des Molins (Gómez Bellard 1990 h-5 ; h-6 ; h-7). 38. Perdigones Moreno et al. 1990. 39. Costa, Fernández 2003. 40. Di Stefano et al. 2009. 41. Tharros : Zucca 1997 ; Del Vais, Fariselli 2012 ; Othoca : Del Vais, Usai 2014 ; Monte Sirai : Bartoloni 2000 ; Botto, Salvadei 2005 ; Guirguis 2010 ; Bitia : Bartoloni 1996. 42. Type de sépulture connu seulement pour la péninsule Ibérique : à Cadix (Perdigones Moreno et al. 1990) et Puig des Molins (Gómez Bellard 1990) ; mais également au-delà de la sphère phénicienne stricto sensu : à Villaricos (Rodero Riaza et al. 1996) et au Portugal (Arruda 2004). 43. Plusieurs exemples documentés à Bitia (Bartoloni 1996, p. 55), mais aussi vraisemblablement à Monte Sirai, sans qu’il soit précisé si toutes les sépultures ont fait l’objet de ce traitement : Bartoloni 2000, p. 70.

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c / Dépôt secondaire à crémation : Il s’agit du mode de sépulture le plus représenté, et qui connaît des traitements variés. Les restes osseux sont déposés dans la tombe sans contenant, ou déposés en urne. Dans la majorité des cas, les ossements sont mis dans un contenant et les cendres sont, soit mis dans un autre, soit déposés au fond de la tombe44. Une homogénéité du mobilier ? (figure 2) Face à cette diversité d’architecture et de modes de sépulture, il est possible d’opposer finalement l’homogénéité du mobilier funéraire : le « kit funéraire » phénicien, qui est bien connu dans l’historiographie des nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale45. On lui connaît des grandes lignes directrices : œnochoé à bobèche, à bec pincé, jarre ou amphore, plat et lampe ; particulièrement pour le viie siècle av. n. è.46. Mais il peut prendre des formes plus ou moins variées à l’échelle de la région voire du site même. Ce viatique se retrouve de Tyr47 à Ayamonte48, avec toutefois une adaptation des formes selon les spécificités productives ou commerciales du territoire. Il est parfois accompagné d’objets spécifiques à la définition du statut personnel, mais dont la variété reste limitée : œuf d’autruche, miroir, couteau, etc. La représentativité de ce trousseau connaît une diminution au vie siècle av. n. è., dans la majorité des nécropoles. Il lui est alors substitué un mobilier plus intime qui se traduit par une abondance d’un mobilier plus personnel : bijoux, scarabée, amulettes, etc. Le problème que soulève ce fameux kit, c’est que, premièrement, il ne concerne que le mobilier céramique ; mais surtout, très peu de tombes le documentent dans son ensemble (comme le montre le graphique de la figure 2). La majorité en comporte le plus souvent une à deux pièces, dont le choix diffère d’un site à l’autre, et il existe un nombre conséquent de tombes sans mobilier49.

44. Phénomène qui a pu être observé : à Rachgoun (Vuillemot 1955, p. 10) ; Carthage (Merlin 1918) ; à Almuñécar (Pellicer Catalán 2007) et à Ayamonte (Garcia Teyssandier, Marzoli 2013). Il semble que cette singularité ait également été observée à Sousse pour la période phénicienne, et qu’elle se poursuive à la période punique, contrairement aux autres pratiques liées à la crémation, observées dans les nécropoles puniques du Sahel : Ben Younès, Ben Younès-Krandel 2014, p. 154. 45. Gauckler en fait fréquemment mention dans ses carnets (Gauckler 1915), au point de parfois limiter la description du mobilier à : « les 6 poteries habituelles ». 46. Benichou-Safar 1978, p. 291-298. 47. Núñez Calvo 2012. 48. Garcia Teyssandier, Marzoli 2013. 49. Comme le montre l’ensemble de sépultures fouillées au Puig de Vila à Ibiza : Gurrea, Ramon Torres 2000.

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Figure 2 - Partie supérieure : exemples du « kit » funéraire documenté dans certaines sépultures de Méditerranée occidentale : a/ Ayamonte [Garcia Teyssandier, Marzoli 2013, p. 100, Abb.7, tombe 1] ; b/ Almuñécar [Fontan, Le Meaux 2007, p. 326, Cat 106, tombe 20] ; c/ Bitia [Fontan, Le Meaux 2007, p. 178, Cat. 105, t. 289] ; d/ Motyé [Tusa 1978, t. 71, fouille 1972] ; e/ Utique [Cintas 1954, t. 4, fig. 24] ; f / Carthage [Fontan, Le Meaux 2007, p. 245, Cat. 100, tombe de Yadamilk, fouille Delattre, Douimès 1894] ; g/ Tyr [Núñez Calvo 2012, p. 239, fig. 3]. Partie inférieure : graphique représentant les moyennes, écarts-types et variances du nombre de céramiques du « kit » par sépultures et par sites.

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Homogénéité et différenciation Dans un article50 visant à comparer les nécropoles phéniciennes de Tyr al-Bass, Achziv et Khladé, Barbara Mura prend comme point de départ à son étude un certain paradoxe entre homogénéité et différenciation dans les nécropoles phéniciennes du Levant, qui en font un outil a priori pertinent pour l’étude des questionnements identitaires. Ainsi au Levant, pour les trois ensembles sépulcraux envisagés, l’homogénéité serait d’après elle immédiatement évidente par : la standardisation du mobilier funéraire, les mêmes rituels pratiqués en dehors de la tombe et la même exiguïté de preuves matérielles pour la définition du statut individuel. La différenciation quant à elle se situe dans la variété des types des tombes et les rites d’inhumation et de crémation. En prenant à notre tour comme point de départ cette distinction, que constate-t-on pour la Méditerranée occidentale archaïque ? En termes d’homogénéité, nous observons également la standardisation du mobilier funéraire (du moins à l’échelle du site ou de la région), de même que les preuves matérielles limitées dans la définition du statut individuel. En revanche, les rituels pratiqués en dehors de la tombe sont moins bien identifiés dans la Méditerranée occidentale. La différenciation concerne également la variation typologique des tombes et les rites d’inhumation et de crémation, que nous présentions précédemment. « On pourrait presque parler d’une “politique” de la mort, que tout groupe social, pour s’affirmer dans ses traits spécifiques, pour perdurer dans ses structures et ses orientations, doit instaurer et conduire continûment selon des règles qui lui sont propres »51.

Ainsi, en partant de cette dichotomie entre homogénéité et différenciation, et en reprenant la définition donnée par J.-P. Vernant de la « politique de la mort », des éléments spécifiques, du mobilier, de l’architecture, des pratiques, ou de la topographie des nécropoles peuvent-ils être des indices identitaires ? Quelles sont ces « règles qui leur sont propres et qui leur permettent de s’affirmer dans des traits spécifiques » ? Et enfin peut-on caractériser les manifestations de la différence identitaire et de la différence culturelle ?

Une homogénéité régionale ? Observations Si à l’échelle de la Méditerranée occidentale, il est difficile de discerner tant des traits spécifiques qu’une homogénéité, nous proposons d’opérer un changement d’échelle pour commencer à observer un schéma. Échelle qui sera, à notre sens, a minima celle de la région. On constate que pour les nécropoles phéniciennes de Sardaigne, l’espace est très homogène, les types d’architectures funéraires sont limités, et les modes de sépultures également, avec une préférence marquée pour le dépôt à crémation. Le phénomène 50. Mura 2015. 51. Vernant 1982, p. 7.

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est comparable en Sicile où les types d’architecture et les modes de sépultures sont équivalents à ceux observés en Sardaigne. Ces deux îles forment du point de vue de cette étude l’ensemble le plus homogène en termes de pratiques, de la Méditerranée occidentale phénicienne. En péninsule Ibérique la situation est plus complexe, d’une part à cause du nombre réduit de sépultures (évoqué précédemment), majoritairement identifiées au cours de fouilles d’urgence, nous privant alors d’une vue plus globale. Mais également parce qu’on retrouve dans une zone limitée à la fois des nécropoles phéniciennes archaïques, mais aussi des nécropoles puniques influencées par Carthage, et des nécropoles archaïques dont la forme est d’inspiration orientale. Pour départager l’ensemble nous avons donc choisi de reprendre ici les catégories présentées par M. Pellicer Catalán52. En ce qui concerne la période archaïque, on observe une grande amplitude d’architecture funéraire. On rencontre ainsi parmi les types les plus imposants, avec par exemple des tombes bâties à couloir d’accès de Trayamar53, ou les tombes à puits et chambres excavées du Puig des Molins54. Ces sépultures de grandes tailles côtoient, parfois au sein de la même nécropole, les types les plus simples ; par exemple les fosses simples ou les cavités circulaires55. Mais un exemple en faveur de l’homogénéité est un type de sépulture pratiquement unique à la péninsule Ibérique56: les puits peu profonds avec niche et/ou ciste. On retrouve des exemples de ce type le long de la côte andalouse57 d’Ayamonte à Almuñécar. Les cas plus significatifs ont été mis au jour dans la nécropole de Laurita, à Almuñécar58. Ce à quoi nous pouvons rajouter l’hypothèse de la présence de puits du même type à Trayamar, d’après le témoignage des ouvriers ayant découvert les fameux hypogés59. Pour l’Algérie, Rachgoun reste malheureusement difficile à comparer puisqu’il s’agit de la seule nécropole phénicienne identifiée en Algérie. Toutefois les caractéristiques de la nécropole peuvent être rapprochées de ce que l’on connaît pour le Puig des Molins, à Ibiza60. Enfin en Tunisie, du point de vue de l’architecture funéraire, Carthage reste le site qui concentre la plupart des typologies architecturales observées, dont la majorité lui sont exclusives. Et malgré le grand décalage entre le volume des tombes fouillées, Utique reproduit le même schéma, à moindre échelle.

52. 53. 54. 55. 56.

57. 58. 59. 60.

Pellicer Catalán 2004, p. 13-14. Schubart, Niemeyer 1976. Gómez Bellard 1990, h-5 ; h-6 ; h-7. Perdigones Moreno et al. 1990 ; Costa 1991 ; Schubart, Maas-Lindemann 1995. Nous précisons ici « pratiquement » parce qu’une variante de ce type de sépulture peut être identifiée à Carthage : le groupe de tombes à puits fouillé par A. Merlin puis une autre plus tard par F. Chelbi, qui présentent les mêmes caractéristiques, mais avec un certain nombre de variations : Merlin 1918 ; Chelbi 1985. Martín Córdoda, Recio Ruiz 2002. Pellicer Catalán 2007. Dans la zone des sépultures 2 et 3 de Trayamar : Schubart, Niemeyer 1976, p. 130. Le lien entre les deux régions a été établi pour la période suivante : Bridoux 2006.

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Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que, si ailleurs en Méditerranée la crémation domine et l’inhumation est plus ponctuelle, ce schéma est différent pour la Tunisie. Il est radicalement inversé pour Carthage qui documente un très grand nombre de dépôts primaires à inhumation ; et Utique est le seul site de Méditerranée à ne présenter que ce type de mode de sépulture. Il semble donc que, si une homogénéité est difficile à identifier pour l’idéologie funéraire à l’échelle de la Méditerranée, des traits spécifiques apparaissent lorsque l’on s’approche d’une étude régionale. Dès lors, quelles hypothèses pouvons-nous proposer pour expliquer ce phénomène ? Hypothèses autour de cette homogénéité Si les Phéniciens s’identifiaient par rapport à leurs villes d’origine, c’est donc les traditions culturelles de la ville qui transparaissent dans les établissements fondés par celles-ci en Méditerranée occidentale. Alors cette homogénéité perçue à l’échelle de la région peut-elle être liée à la ville ou au territoire d’origine ? Le paysage funéraire phénicien en Orient est encore aujourd’hui difficile à cerner dans son ensemble. Toutefois les fouilles réalisées sur certains sites61 et les études récentes62 nous permettent aujourd’hui d’en appréhender les principales caractéristiques. C’est en ce sens que des parallèles sont établis entre Ayamonte et Tyr63, et donc par extension sur toutes les sépultures du même type pour la péninsule Ibérique64. De manière analogue, les sépultures de Chypre et de Carthage sont souvent comparées, particulièrement les sépultures les plus remarquables de cette dernière65. Parallèle qui trouve un écho dans le mythe de fondation de Carthage, avec la première étape dans le voyage d’Élissa qui s’effectue à Chypre66. L’idéologie funéraire chypriote est-elle alors importée également, au même titre que celle des Tyriens ? Un phénomène de transfert culturel avec les communautés locales, peut-il être envisagé pour expliquer ce régionalisme ? La question des mariages mixtes est débattue pour le monde grec, et nous sommes, pour l’heure, incapables de l’appréhender dans le monde phénicien. On pourrait voir une manifestation de ces théories dans la nécropole de Villaricos, qui représente la mixité des populations locales et des Phéniciens67. Massimo Botto présente également pour la Sardaigne, et plus particulièrement pour Monte Sirai, au moins une sépulture d’une femme avec son enfant, probablement issu d’un mariage mixte68. De même, on identifie à San Giorgio di Portoscuso69,

61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69.

Aubet Semmler 2004. Sader 2004 ; Mura 2015, n. 7. Garcia Teyssandier, Marzoli 2013. Voir sous-partie précédente : Observations. Benichou-Safar 1978, p. 363. Justin, XVIII, 4-2. Rodero Riaza et al. 1996. Botto 2013, p. 165 ; Botto 2014, tombe 158. Bernardini 2000.

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toujours d’après Massimo Botto70, l’importance de la composante locale dans la formation des premiers nucleus urbain de la matrice proche orientale. Malheureusement dans l’état actuel de la recherche, et à l’exception de quelques preuves, nous ne pouvons que spéculer. Par ailleurs, ces différentes théories ne s’excluent pas mutuellement, ce qui rend leurs manifestations difficiles à percevoir. De plus, ce que ne prend pas en compte cette manière un peu figée de concevoir les Phéniciens se cantonnant à leurs régions, c’est la question des déplacements de population, lorsque la différence identitaire remet en question la différence culturelle, ou la perception de son homogénéité. Nous pouvons présenter un exemple en ce sens. Rachgoun est, d’après M. Torres Ortiz et A. Mederos Martin71, un site de carrefour, et ils identifient dans la nécropole fouillée par G. Vuillemot des sépultures caractéristiques des Phéniciens de péninsule Ibérique, et d’autres de Méditerranée centrale72.

L’identité au sein de la nécropole Hiérarchie sociale et regroupement familial Les deux précédentes échelles nous permettaient davantage d’appréhender l’identité phénicienne d’un point de vue plus global. L’étude à l’échelle du site nous rapproche davantage de l’individu, et nous permet d’investiguer le lien entre l’identité, notamment l’identité individuelle, et le pouvoir social ; et particulièrement sa manifestation hiérarchique73. Ces questionnements ont un impact direct sur notre perception des nécropoles, d’autant plus que la situation socio-économique de ce groupe conditionne a priori le droit à la sépulture et la facture de cette sépulture : il faut plus de ressources pour la construction d’une chambre bâtie que d’une fosse, mais aussi plus pour une crémation que pour une inhumation. Si l’impact d’une hiérarchie sociale ou d’un regroupement familial sur les sépultures n’est pas identifiable dans son ensemble, il est toutefois possible d’en proposer plusieurs exemples. Le premier ne concerne pas la Méditerranée occidentale, mais Tyr. Sur la nécropole de Tyr al-Bass74, au sein de chaque groupe identifié, la sépulture la plus ancienne est au centre, et les autres viennent s’établir au fur et à mesure autour. Pour la Méditerranée occidentale, on peut citer les exemples de Trayamar75 ou de la nécropole de Laurita à Almuñécar76. Mais également des sépultures mises au jour par A. Merlin sur la colline de Junon à Carthage77. Tous ces exemples concernent

70. Botto 2013, p. 170. 71. Torres Ortiz, Mederos Martín 2010. 72. Une analyse cluster avait également été réalisée autour de cette hypothèse, mais qui n’avait malheureusement pas abouti : Martin Ruiz et al. 1991 ; Esquivel et al. 2000. 73. Knapp, Van Dommelen 2008, p. 21-22. 74. Mura 2015. 75. Schubart, Niemeyer 1976. 76. Pellicer Catalán 2007. 77. Merlin 1918.

212 • MARIE DE JONGHE

plutôt les sépultures de groupes sociaux élevés hiérarchiquement – si tant est que nous puissions définir avec précision cette hiérarchie – avec des tombes de grandes dimensions ou de qualité, et un mobilier funéraire particulier, incluant dans le cas de Laurita et de Junon des vases en albâtre. A contrario, la nécropole dite de « Bir Massouda » à Carthage78 présente également les caractéristiques d’un regroupement, social ou familial sans caractéristique sociale élevée. S’il s’agit ici d’exemples flagrants, que faire lorsque nous ne disposons pas de preuve évidente ? Par exemple pour les quatre cent autres tombes de Carthage que l’on peut identifier pour la période archaïque ? Pour tenter de répondre à ces difficultés, nous proposons ici d’appliquer une sériation sur le mobilier céramique de l’un des sites de notre documentation et ainsi déterminer si ce type de méthode peut nous aider pour la reconnaissance de spécificités identitaires. Sériation et matrice de co-occurrence des nécropoles d’Utique (figures 3-4) Dans l’idée d’appliquer des méthodes d’analyses statistiques aux nécropoles phéniciennes, il fallait choisir un site à présenter dans le cadre de ce travail. Nous avons opté pour les nécropoles du site d’Utique parce que le nombre de sépultures fouillées nous permet de présenter les résultats ici, mais aussi de les comparer par rapport aux plans et à la chronologie établie pour ces deux ensembles funéraires. De plus, le « kit » funéraire, s’il est présent à Utique, est bien moins marqué qu’à Carthage, ce qui nous donne des arguments pour une diagonalisation de matrice qui permettra éventuellement de faire ressortir des éléments pertinents, en lien avec l’identité. Il serait bien trop optimiste de penser que les analyses statistiques sont la réponse à toutes nos interrogations concernant les distinctions identitaires, mais nous pouvons espérer qu’elles permettront de mieux appréhender certaines spécificités, corrélations et regroupements en utilisant un spectre quantitatif qui nous fait souvent défaut. Pour réaliser ces deux matrices nous avons utilisé l’outil Makila développé par P. Ruby. Sériation par AFC (Analyse Factorielle de Correspondance) Il nous faut tout d’abord préciser que cette sériation a été obtenue en effectuant au préalable un lissage du vocabulaire employé par P. Cintas79. Cette sériation nous permet d’observer une première tendance, avec plusieurs groupes. On peut en percevoir environ sept, bien qu’il soit difficile de distinguer une tendance dans la dernière partie. Les chronologies attribuées à chaque sépulture80 ont été ajoutées au

78. Chelbi et al. 2006. 79. Cintas 1951 ; 1954 ; Colozier 1954. La distinction précise entre plat et patère par exemple pose un certain nombre de problème dans la littérature ; nous avons donc choisi de les réunir sous le seul terme de « plat ». 80. Nous avons choisi d’utiliser les chronologies proposées dans la dernière étude réalisée sur le mobilier des nécropoles d’Utique : Khelifi 2014.

TYPE DE MOBILIER CÉRAMIQUE

Am Bo pou l le Ol p Co é u Br pe û M le-p Kyl ar a ix Co mi rfu t te m S ky Py hon ph x Lé ide os cy Cr th e uc Œ he n Œ och no o Pl ch é à a o b La t é à e c m bo pin A m pe bè cé Ar ph ch yb ore e In al dé le Ja te rr rm e in é.e

LES NÉCROPOLES PHÉNICIENNES DE MÉDITERRANÉE OCCIDENTALE : QUESTIONS D’IDENTITÉ • 213

ON TI SI PO RO

N° DE TOMBE

XLIII LIV aucun XXXVI XXXVII XXX XLVIII XLII XXXII bis XXIX LXVI XLVI LVI XI XLIV IX LXXI XIV XXI XIX 14 X XLIX 2 XXII 4 15 XXVI XXXV XLVII LXIII LXV LXXII 18 LXIX XXXIX VI XXXIII XL LXVIII LXX LXXIV 3 2 LXXVI 7 11 9 3 LXXIII XLV XXXIV 5 1 12 16 LVIII XVI 13 10 XII 6 LXXV LIX LXI E.3.2 1 XXIII XXIV Caveau n°1 19

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S PE OU GR

DATATION DE LA TOMBE

Première moitié VIIe s. av. n. è. VIe s. av. n. è. VIe s. av. n. è. VIe s av. n. è. VIe s av. n. è. VIe s. av. n. è. Dernier quart VIe s. av. n. è. Deuxième quart VIe s. av. n. è. Première moitié VIe s. av. n. è. Fin du VIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. Première moitié VIIe s. av. n. è. Deuxième quart VIe s. av. n. è. VIe s. av. n. è. Deuxième quart VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s av. n. è. Premier quart VIIe s. av. n. è. VIIe s av. n. è. VIe s. av. n. è. Première moitié VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe - VIe s. av. n. è. VIe s. av. n. è. Milieu VIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. Milieu VIIe s. av. n. è. Début VIe s av. n. è. VIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIe s. av. n. è. ind. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. Première moitié VIe s. av. n. è. Première moitié VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. Fin VIIe - début VIe s. av. n. è. Première moitié VIIe s. av. n. è. Fin VIIIe - début VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe - VIe s. av. n. è. Première moitié VIe s. av. n. è. VIIe - VIe s. av. n. è. VIIe - VIe s. av. n. è. VIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIe s. av. n. è. VIIe s. av. n. è. VIIe s. av. n.e. VIe s. av. n. è. VIIe - fin VIe s. av. n. è. ind.

Figure 3 - Matrice diagonalisée selon AFC du matériel céramique des nécropoles phéniciennes d’Utique.

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1 2

5 1 1 1

1 1 1 1 1 2 1 1 2 5 2 1 3 1 2 2 22 7 14 1 3 2 1 7 48 31 11 7 1 3 14 31 52 5 8 2 1 11 5 11 4 1 1 3 7 8 4 13 2 2 2 1 2 1 2 16 1 2 1

1 1 2 2

7

Am p Bo oul l e Ol pé Co up Br e ûl K M e-p ylix ar ar Co mit fum Sky th e ph So on os u Py cou xi pe Lé de cy Cr the uc Œ he no Œ c ho no é Pl cho à b at é ec à La b o pi n m bè cé A m pe ch e p Ar ho yb re a In lle Ja dé rr e te rm in é. e

Ampoule Bol Olpé Coupe - Kylix - Skyphos Brûle-parfum Marmite Cothon Soucoupe Pyxide Lécythe Cruche Œnochoé à bec pincé Œnochoé à bobèche Plat Lampe Amphore - Jarre Aryballe Indéterminé.e

Am p Bo oul l e Ol pé Co up Br e ûl Ky M e-p lix ar ar m Co ite fum Sky ph th os So on uc Py oup xi e Lé de cy Cr the uc Œ he no c Œ hoé no c à Pl hoé bec at p à bo inc La bè é m ch A m pe e p Ar hor yb e In alle Jar dé re te rm in é. e

214 • MARIE DE JONGHE

Ampoule Bol Olpé Coupe - Kylix - Skyphos Brûle-parfum Marmite Cothon Soucoupe Pyxide Lécythe Cruche Œnochoé à bec pincé Œnochoé à bobèche Plat Lampe Amphore - Jarre Aryballe Indéterminé.e Légende - Seuillage automatique - Distribution symétrique Valeurs nulles 0 < x ≤ -11

-11 < x ≤ -4 -4 < x ≤ 4

12 < x ≤ 19 19 < x

Figure 4 - Matrice de co-occurrences en diagonales pleines et « Grey-Level Co-occurrence Matrix » (GLCM) du matériel céramique des nécropoles phéniciennes d’Utique.

tableau afin de pouvoir les comparer plus aisément aux résultats. On remarque que cette diagonale n’exprime ni une évolution chronologique, ni une répartition spatiale. Mais à l’intérieur de certains groupes identifiés, il est possible d’observer une évolution chronologique : par exemple les groupes A et B. Peut-on considérer que les groupes identifiés sont liés à l’identité individuelle ou collective de l’individu ? Il est trop tôt pour le dire, et les données céramiques devront être confrontées au reste du mobilier funéraire de chaque sépulture.

LES NÉCROPOLES PHÉNICIENNES DE MÉDITERRANÉE OCCIDENTALE : QUESTIONS D’IDENTITÉ • 215

Matrice de co-occurrences en diagonales pleines et « Grey-Level Co-occurrence Matrix » (GLCM) : Cette matrice nous montre que l’association la plus fréquente en ce qui concerne les nécropoles d’Utique, est : œnochoé à bobèche et œnochoé à bec trilobé, ainsi que les cruches entre elles, ou associées à une œnochoé à bobèche. Un autre élément notable est que l’association lampe / plat (ou patère) est peu représentée, contrairement à Carthage où elle est caractéristique des sépultures archaïques. Il serait tentant, quoi qu’un peu rapide, de voir dans l’association des deux œnochoés la ligne directrice de la politique funéraire, autour de laquelle gravitent ensuite les autres éléments. Ceux-ci revêtiraient alors une symbolique davantage liée à la différence identitaire ou culturelle ? Il est prématuré d’envisager cette possibilité tant que des analyses équivalentes n’ont pas été menées à plus grande échelle sur les autres nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale.

Conclusion Pour conclure ce travail, nous devons reconnaître avoir formulé beaucoup de questions et peu d’éléments de réponse, mais c’est l’apanage des introductions. Ce que nous avons essayé de montrer ici, c’est que la question de l’identité phénicienne dans les nécropoles est perçue au travers d’un grand nombre de filtres, à différentes échelles : a / Celui de la culture phénicienne, donc de la cité et sa répercussion probable sur les établissements occidentaux. b / Celui d’une nouvelle identité occidentale. c / Celui de la communauté. d / Celui du groupe social et ou familial, et l’impact que peut avoir la restructuration de ce groupe à la suite de la perte d’un de ses membres. e / La situation sociale économique de ce groupe. f / Et enfin le statut du défunt en lui-même. Nous pourrions ajouter à cette liste la question des différentes identités sociales que possède le défunt parmi les vivants, telle que l’a théorisé A. Saxe, repris plus tard par I. Morris81. Ainsi, selon Saxe82, la cérémonie funéraire est une occasion de sélectionner des différentes identités sociales que possède le défunt parmi les vivants, ces « social persona » à qui l’on donne une reconnaissance symbolique. Elle peut alors consister en quelques-unes ou toutes les identités que l’individu a assumées dans chacune de ses relations, et le choix de la signification du rôle à donner dans le funéraire est déterminé par les principes organisationnels de la société. Pour les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale, on observe donc à la fois une homogénéité et une diversité. Les raisons de cette diversité sont multiples, notamment par la cité du Levant qui importe avec elle ses traditions dans un nouveau milieu créant ainsi un schéma différent pour chaque établissement phénicien. 81. Morris 1989, p. 37. 82. Saxe 1970, p. 6-7.

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Ainsi, comme le rappelle P. Van Dommelen83, les identités sont non seulement socialement construites, mais elles sont également connectées à des aires particulières et/ou à des objets et des pratiques.

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Contacts et interactions entre « Phéniciens » et Sardes au début du ier millénaire av. J.-C. : le cas des amphores vinaires Ida Oggiano, Tatiana Pedrazzi

(CNR – Istituto di Studi sul Mediterraneo Antico) Abstract The objective of this contribution is to analyse the material documentation, testifying the development of commercial and cultural exchanges at the beginning of the First Millennium BC between the eastern and western regions of the Mediterranean and, in particular, between the region we call “Phoenicia” and Sardinia (figure 1). We will discuss the case of amphoras as a material testimony to these interactions.

L’établissement d’un premier contact entre la « Phénicie » et la Sardaigne s’inscrit dans le contexte historique particulier de ces deux régions, un contexte que nous allons analyser en prenant l’Orient comme point de départ. Le terme « contact » est la notion clé à considérer pour décrire le milieu levantin. Le Levant ne sera pas envisagé comme étant composé de différentes unités ethniques cristallisées et juxtaposées (Louvites, Araméens, Phéniciens, Philistins, Israélites et Judéens, etc.), mais comme une terre où les nombreuses variations régionales ont été déterminées par les contacts entre les différentes réalités locales. La côte levantine doit être analysée en tenant compte des différences régionales et selon une approche de type contextuelle. Il faut considérer que les frontières délimitant les terres, que nous définissons dans notre étude comme « Phénicie », « Syrie », « Philistie » etc., étaient variables selon le type de « frontière » (géographique, politique ou « culturelle ») utilisé comme référence. La non-coïncidence des frontières politiques, géographiques et culturelles rend particulièrement difficile l’identification d’éléments relatifs à l’ethnicité dans des zones qui sont très fortement apparentées, culturellement parlant1. Selon cette perspective, nous devons passer d’une identification des éléments qui définissent chaque groupe ethnique à la description des mécanismes d’interaction entre les groupes (en adoptant donc une approche continuiste qui permet d’analyser les activités humaines en mettant l’accent sur l’identification de ce qui est indistinct

1. Oggiano 2016. Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 223-257

224 • IDA OGGIANO / TATIANA PEDRAZZI

Figure 1 - Carte de la Méditerranée [Bondì et al. 2009, p. 95, fig. 3].

plutôt que de ce qui est bien défini)2. Aussi pouvons-nous parler des « Phéniciens » en Orient, mais en utilisant des guillemets. À partir des xiie-xie siècles av. J.-C. les phénomènes d’unité et de diversité, de connexion et de déchirure (« de division » ?), déjà évidents dans le Levant, se diffusent en Méditerranée occidentale, amorçant ainsi la saison extraordinaire des « interactions méditerranéennes ». Les xiie et xie siècles correspondent à une période de mobilité intense dans l’espace méditerranéen mais aussi à un temps d’instabilité, en raison du mouvement des prétendus « peuples de la mer » et de la crise qui affecte la côte levantine après la date clé de 1200 av. J.-C.3 Avec la désintégration du système économique de l’âge du Bronze, le commerce « non administré », sûrement déjà implanté à l’âge du Bronze récent bien qu’associé alors à des échanges administrés, acquiert une nouvelle importance4. La côte phénicienne, d’autre part, n’a pas été touchée par la dévastation et par la destruction, et les conséquences de la crise ont rapidement été transformées en opportunités par les marchands naviguant sur le bras de mer entre Chypre et le Levant5. Comme conséquence de l’émergence d’un système économique flexible, les routes maritimes anciennes sont parcourues à nouveau. Les anciens itinéraires étaient d’ailleurs bien connus, la connexion entre Chypre et la Sardaigne en particulier6. Les Chypriotes et les Levantins semblent gérer le commerce à longue distance, tandis que les diverses populations locales, tout le long de la Méditerranée, pratiquent des trafics à moyenne et à courte distance. Des céramiques d’ascendance ou de production sarde ont été trouvées à Chypre (sur le site de Pyla-Kokkinokremos, pendant la première moitié du xiie siècle)7 et en Crète, sur le site portuaire de Kommos8. 2. Amselle 2010. 3. Knapp, Manning 2016. 4. Le commerce privé semble s’intensifier à la fin de l’âge du Bronze, comme le montrent les documents écrits mentionnant des agents (du palais) qui créent leur propre entreprise : Bondì 1978 ; Aubet 2000, p. 74-75. 5. Knapp, Manning 2016. 6. Sur les relations entre Chypre et la Sardaigne à la fin du iie millénaire av. J.-C., voir Bernardini 2010 ; Lo Schiavo 2012, avec la bibliographie associée. Sur le rôle de la métallurgie du fer au Levant au début du ier millénaire av J.-C., voir Waldbaum 1999. 7. Karageorghis 2011, p. 89-94 ; Lo Schiavo 2013, p. 113-115. 8. Watrous et al. 1998, p. 337-340 ; Bernardini 2016.

CONTACTS ET INTERACTIONS ENTRE « PHÉNICIENS » ET SARDES • 225

Au cours de cette période en effet, des lingots oxhide de cuivre chypriote ont été recensés en Sardaigne, où ils sont, dans certains cas, imités9. Ces contacts, mis en évidence par la circulation des lingots oxhide, peuvent être datés entre le xiie et le xie siècle av. J.-C. Un peu plus tard, des bronzes d’inspiration orientale (figurines, trépieds, récipients et outils de métallurgiste) sont attestés en Sardaigne10. Cependant, la documentation ne semble pas aller dans le sens d’une présence permanente de groupes de Chypriotes en Sardaigne. Il semblerait plutôt que la Sardaigne nuragique s’ouvre, activement (comme protagoniste), non seulement au cuivre chypriote, mais plus généralement à la culture chypriote11. Au xie siècle déjà, la poterie phénicienne se trouve dans des contextes (funéraires ?) chypriotes, comme en témoigne la documentation de la nécropole de Palaepaphos-Skales, où la céramique bichrome phénicienne est attestée. Cette poterie a été considérée comme le signe des premières activités commerciales phéniciennes à l’étranger, si bien qu’il était possible de parler d’un « Phoenician Bichrome commercial phenomenon ». Cependant, ce « phénomène » pourrait également comprendre des aspects non commerciaux12. Si l’on considère ce milieu levanto-chypriote, il ne devrait donc pas être trop surprenant de trouver, à cette époque déjà, des traces de contacts entre la Sardaigne et le Levant méridional, bien que, jusqu’à présent, des documents clairement datés attestant de ces contacts soient difficiles à trouver13. Toutefois, on évoque encore aujourd’hui la présence des Philistins en Sardaigne en se fondant sur des preuves peu fiables14. Par exemple, un fragment de vase figuré anthropomorphique est encore attribué, à tort, à un sarcophage anthropoïde philistin. Selon certains chercheurs, il confirmerait la présence permanente des Philistins en Sardaigne, pour une période (xie-xe siècle) au cours de laquelle les Phéniciens sont

9. Lo Schiavo 2009 ; 2012. À Chypre, les lingots oxhide cessent d’être produits à partir du xie siècle ; on n’en trouve plus en Sardaigne après le xe siècle. Lo Schiavo 2012, p. 25-26. 10. Lo Schiavo 2012, p. 29. Pour les bronzes de Sardaigne Lo Schiavo 2008 ; Bernardini, Botto 2010. La technique de métallurgie avec la cire perdue en particulier, est attestée, à partir du xie siècle pour les figurines de bronze produites dans le milieu nuragique et pour les trépieds, bien appréciés en Sardaigne au demeurant : Lo Schiavo 2012, p. 30-31. 11. On note également pour les siècles suivants (en particulier pour le ixe siècle), une « eventualità che singoli segni del sillabario cipriota possano essere stati utilizzati come “marks” da ceramisti e da fonditori di estrazione cipriota in Sardegna o da officine sarde in cui sopravvivevano strumentari, tecniche e modelli ciprioti circolati in Sardegna tra il Tardo Cipriota III (1200-1050 a.C.) e il Cipro Geometrico I-III (1050-750 a.C.) » : Zucca 2014. 12. Gilboa 2013, p. 318, p. 224-225. Gilboa souligne que « the origin of the Phoenician Bichrome vessels in Cyprus, as indicated by clay analysis – all point to a social, not stricltly commercial phenomenon » (Gilboa 2013, p. 325). 13. Sur la prétendue présence des Philistins en Sardaigne voir Garbini 2012, contre Maeir 1998, avec des propositions qui pourraient être approuvées. Dans ce travail, il est possible de trouver une bonne analyse critique d’un fragment de ce que P. Bartoloni a proposé d’interpréter comme le visage d’un sarcophage d’un type défini comme « philistin » (Bartoloni 1997 ; 1998 ; contra Acquaro 1998). 14. Garbini 2012, p. 112-121. Selon P. Bartoloni, « la prima frequentazione vicino-orientale della Sardegna fu ad opera di prospectors e mercanti filistei » (Bartoloni 2005, p. 30).

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pourtant encore peu « visibles »15. En fait, il n’y a pas d’attestations archéologiques, textuelles ou littéraires, confirmant l’idée d’une présence directe philistine en Sardaigne et d’une « thalassocratie » philistine en Méditerranée. Au contraire, c’est avant tout la Phénicie, la zone centrale de la côte syro-palestinienne, qui entretient des contacts avec Chypre et avec la Grèce au cours de l’âge du Fer. L’association entre les Philistins et les « peuples de la mer » a amené les chercheurs à présumer une vocation maritime aux Philistins ; il a donc été suggéré une sorte de « passage de témoin » entre les Philistins et les Phéniciens, dans le domaine de la navigation et du commerce à longue distance, après la défaite des Philistins face à David, racontée dans la Bible. Ce cadre, cependant, est loin de la réalité documentaire16. Encore une fois donc, il faut bien distinguer d’une part, les marchandises arrivant en Occident sur les navires qui partaient des ports de l’Est et, d’autre part, les personnes responsables de l’organisation des entreprises d’outre-mer. Si nous partons de cette distinction, les liens avec la culture matérielle des régions du sud (même si ils existaient) seront probablement peu dépendants de l’identification « ethnique » des explorateurs de cette époque ; cette identification peut se révéler trompeuse car au cours de cette période, en Orient, il est par ailleurs très difficile de faire correspondre, à des aspects spécifiques de la culture matérielle, les nombreux noms des peuples (connus par la Bible et par les auteurs classiques)17. En d’autres termes, chercher en Occident ce qu’il est encore très difficile à atteindre (et à comprendre) en Orient pourrait amener à composer des cadres d’interprétation évocateurs certes mais, malheureusement, simplistes et peu fiables du point de vue historique. Le xe siècle est un moment clé pour la compréhension de l’ouverture des villes côtières phéniciennes sur la Méditerranée (de la Méditerranée des Phéniciens). En laissant de côté les questions complexes et très controversées liées à la chronologie de ce siècle, il convient de noter que, dans les zones palestiniennes, ce siècle a longtemps été considéré par certains chercheurs comme le véritable moment de transition vers une nouvelle phase culturelle, qui correspondrait à la monarchie unie et donc au début de l’âge du Fer II dans le Levant méridional18. Une telle lecture dépend fortement du texte biblique. Depuis le milieu du xe siècle, on constate que les conditions pour une mise en place de ce que Liverani a appelé « les États nationaux » semblent commencer à se développer19. Selon d’autres chercheurs, le xe siècle, au moins dans sa première moitié, montre encore des traits culturels fermement ancrés dans les traditions de l’âge du Bronze récent ; les véritables signes d’un profond renouveau dans la culture matérielle doivent donc être situés au ixe siècle, comme on peut voir pour la région phénicienne.

15. Les spécialistes parlent d’une présence permanente de marchands philistins à Santa Maria di Neapolis : Bernardini 2005, p. 15 ; Bartoloni 2005, p. 33. Sur cette question toutefois, voir Oggiano 2016 p. 92, avec bibliographie. 16. Voir à cet égard Gilboa 2013, p. 323. 17. En substance, Phéniciens, Philistins, Israélites, Louvites, Syriens, dans la phase de formation (l’âge du Fer I au Levant), sont encore des entités sociales et culturelles avec des contours peu définis. 18. Finkelstein et al. 2010, p. 101-139. 19. Liverani 1991 ; 2003.

CONTACTS ET INTERACTIONS ENTRE « PHÉNICIENS » ET SARDES • 227

Quoi qu’il en soit, l’augmentation des activités des Phéniciens à l’étranger daterait du xe siècle, bien que ces derniers soient toujours en relation avec les Chypriotes. La consolidation des activités de Tyr à l’étranger et de la présence phénicienne à Chypre et en mer Égée daterait, selon les sources écrites, du xe siècle20. Selon Giboa, cette intensification du commerce méditerranéen doit être placée au début d’une période qui, en Phénicie, peut être considérée comme une « transition » entre l’âge du Fer I et II (« Phoenician Ir1 / 2 transitional horizon », une phase correspondant à Chypre au Géométrique IB / II) et le début du Fer IIA dans la chronologie biblique21. À Kommos, la présence phénicienne est suggérée par la céramique, de datation incertaine et controversée, mais qui remonte probablement à la seconde moitié du xe siècle au moins (figure 2)22.

Figure 2 - Céramique phénicienne de Kommos [Bikai 2000].

Dans les régions côtières du centre et du sud, l’organisation politique et administrative se fonde sur le système de ce qu’on appelle la cité-État, avec quelques différences entre les zones phénicienne et philistine. Ce qui semble certain, c’est que le xe siècle a été un moment de renouveau pour les villes phéniciennes, comme en témoignent les sources écrites et la documentation archéologique attestant de la consolidation des relations entre Tyr et Chypre (Paleopaphos-Skales et Amathonte)23 et du commerce dans la mer Égée.

20. Lefkandi, Mazarakis-Ainian 2012 ; pour la Crète et Chypre : Hoffman 1997 ; Kourou 2000 ; Kotsonas 2006 ; Kotsonas 2012. Pour les échanges entre Phéniciens et premiers Grecs voir Coldstream 2002. 21. Gilboa 2013, p. 319. L’analyse radiométrique nous a permis de dater cette phase de transition vers la seconde moitié du xe siècle, avec quelques variantes possibles en termes de chronologie absolue, entre le milieu du siècle et sa fin : Gilboa et al. 2008, p. 146-158 ; Kourou 2008, p. 320-355. 22. Gilboa 2013, p. 316-317 ; Bikai 2000, p. 310. 23. Pour Paleopaphos-Skales, voir Bikai 1983 ; for Amathus, Bikai et al. 1987.

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La relation entre Tyr et les royaumes d’Israël au xe siècle av. J.-C. devrait être considérée avec davantage de soin. La reconsidération du rôle de Salomon dans l’histoire de la région a amené à revoir également sa relation avec le roi Hiram I de Tyr24 et leurs activités commerciales à Tarshish (lu souvent comme Tartessos)25. La connexion entre le Levant sud et la Méditerranée occidentale, mise en évidence pour les phases précédentes, est maintenant documentée par des objets métalliques trouvés à la fois dans la nécropole d’Er Ras à Akhziv26 et dans le « Hoard » de Tell Jatt, au sud de Megiddo, et dans la péninsule Italienne et en Sardaigne où ces objets arrivaient de la côte levantine27. Il faut toutefois attendre la période comprise entre le xe et le milieu du ixe siècle, pour voir que le commerce entre l’Orient et l’Occident s’intensifie28. Au ixe siècle, une série de changements dans la vie politique, administrative et sociale du Levant, se reflète bien dans la culture matérielle. Les royaumes des Araméens, Israël et Juda, sont réorganisés. Une hiérarchie, nouvellement établie, distingue les capitales (Damas et Hamat, ou Samarie et Jérusalem), les centres régionaux, les villages, les fermes et les forteresses implantées pour contrôler les routes caravanières. L’ancien système de la « cité-État » perdure dans les villes côtières philistines et phéniciennes. En dehors de Tyr, la documentation provenant des autres ports importants est moindre, même si des fouilles et des enquêtes (notamment à Tell Kazel, Tell Arqa, Beyrouth, Tel Buraq, Sidon, Tyr, Tel Dor) fournissent des données importantes à ce sujet. Les villes phéniciennes, avec leurs riches ports, sont donc réellement au cœur de la région côtière du Levant ; leur floruit – comme on l’a dit – peut remonter à la reprise économique des xiie-xie siècles, mais il est consolidé au ixe siècle. L’extension de l’influence économique et culturelle de la côte atteint les régions du nord de la Syrie, comme en témoigne la stèle de Brej, près d’Alep. Cette dernière est écrite en araméen (KAI 201) et dédiée par Bar-Hadad au dieu de Tyr, Melqart, qui est représenté selon une iconographie « phénicisante »29. 24. Finkelstein, Silberman 2001 ; Oggiano 2005 ; p. 223-224 ; Finkelstein, Silberman 2006, David and Solomon, avec bibliographie. 25. Sur le problème de Tarshish, par exemple, voir Beitzel 2010, qui affirme que la preuve de la navigation phénicienne dans la Méditerranée occidentale au cours du xe siècle est suffisante « to entertain to the Solomonic narratives relating to Tarshish be accorded a certain measure of historical plausibility » (p. 37). Pour une contribution récente sur l’emplacement de la Tarshish biblique dans le sud de l’Asie Mineure : Padilla Monge 2006. 26. Dayagi-Mendels 2002, p. 103, n. 18, fig. 4.28 sur les xe-ixe siècles. 27. Pour la nécropole calabraise de di Torre Galli, voir Pacciarelli 1999 ; et pour des informations plus générales sur la péninsule Italienne, voir Botto 2008. 28. Sur la question complexe de la chronologie en Orient et en Occident, il faut, comme l’a montré Bernardini 2016, faire preuve d’une extrême prudence dans l’évaluation des analyses radiométriques et des séquences. Il faut également pratiquer une médiation entre les preuves et les données qui sont basées sur des systèmes complètement différents. Parmi les propositions de médiation, Mariano Torres Ortiz suggère une date intermédiaire entre la fin du xe siècle et le début du ixe siècle av. J.-C. pour situer le début de la présence phénicienne en Occident (Torres Ortiz 2008, p. 135-147), tandis que Ayelet Gilboa (Gilboa 2013, p. 311-342) fixe une date possible au cours de la seconde moitié du ixe siècle av. J.-C., une proposition qui nous semble la plus sage, la plus pondérée et la plus partageable. Voir aussi Nuñez 2008, p. 18-22. 29. Klengel 1965, p. 197, t. 55 ; Orthmann 1971, p. 55, 481 ; Sader 1987, p. 255-258 ; Pitard 1988 ; Puech 1992 ; Dion 1997, p. 121-122 ; Matthiae 1997, p. 229, 234.

CONTACTS ET INTERACTIONS ENTRE « PHÉNICIENS » ET SARDES • 229

Au ixe siècle, de nouvelles liaisons maritimes sont attestées en direction de Rhodes et du Dodécanèse30. Vers le nord, l’influence culturelle phénicienne pénètre en Anatolie méridionale, près de la zone des mines de l’Amanus et du Taurus31. La stèle de Zincirli (KAI 24) de Kilamuwa est une preuve extraordinaire du mélange culturel de ces régions (le nom du roi est louvite mais le nom du père est araméen et l’inscription est phénicienne ; le roi est également représenté avec une robe assyrienne)32. La seule manière de comprendre ces éléments est d’utiliser l’approche continuiste. Le rapport avec l’Occident méditerranéen ne peut être compris que selon cette perspective. Comme pour le reste du Levant, le ixe siècle est aussi la période la plus prospère pour le royaume de Damas. Son roi, Hazaël, a conquis notamment la partie nord du royaume d’Israël ; il a également satisfait ses ambitions commerciales et maritimes grâce à de solides relations avec les royaumes phéniciens de la côte33. Le royaume d’Israël joue un rôle important. Bien qu’il ne soit pas directement impliqué dans les activités maritimes, il occupe une place fondamentale dans l’économie des villes côtières. La vallée de Jezréel et la Galilée en particulier étaient des terres où les produits agricoles étaient cultivés, pour l’exportation vers la Méditerranée occidentale notamment. En Sardaigne, la documentation du site nuragique de Sant’Imbenia, près d’Alghero, confirme cette idée d’une manière extraordinaire. En effet (comme on le dira plus loin), la morphologie des amphores produites localement à Sant’Imbenia ne semble pas inspirée des types côtiers phéniciens, mais plutôt des types en usage dans l’arrière-pays palestinien, notamment en Galilée. Parmi les exemples qui offrent une gamme toujours plus importante de données, la documentation de Sant’Imbenia confirme les nouvelles explorations levantines du ixe siècle, le long des routes maritimes anciennes déjà utilisées par les peuples de la Méditerranée (à savoir, la connexion entre la Sardaigne et la péninsule Italienne ou entre la Sardaigne et la péninsule Ibérique)34. Les navires levantins, circulant le long de la route passant par Chypre et par la Crète35, atteignent, vers la fin du ixe siècle, des zones riches en métal comme le nord-ouest de la Sardaigne et Huelva sur la côte atlantique de l’Espagne. Le cadre devient plus complexe dans les années 830-780 av. J.-C., à en juger par les données provenant de la péninsule Ibérique (bahίa de Gadir36 et d’autres sites clés le long de la route de l’argent, comme Morro de Mezquitilla37), de Carthage38, de la Sardaigne 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38.

Kourou 2003. Pour les relations de la Phénicie avec le nord de la Syrie et la Cilicie, voir Lehmann 2008. Sader 1987, p. 172-175; Dion 1997, p. 99-101; Orthmann 1971, p. 66-67, 545, t. 63a. Pour une connexion possible entre l’expansion de Hazael et l’expansion phénicienne à l’étranger, voir Fantalkin 2006, p. 200. Botto 2007 ; 2008 ; 2011. Pour Kition pendant la période archaïque, voir Yon 1987 ; Smith 2008 ; pour Kommos, Shaw 1998 ; 2000 ; Bikai 2000 ; pour la grotte du Monte Ida, voir Matthäus 2000 ; pour la présence phénicienne à Huelva, Gonzàles de Canales Cerisola et al. 2004. Voir les articles dans Botto 2014. Schubart 1997, p. 13-45 ; Schubart 2006 ; Maass Lindemann 1990, p. 169-177 ; Maass Lindemann 1997, p. 47-60 ; pour les analyses 14C, voir Pingel 2006, p. 147-151. Vegas 2002 ; Vegas 1986-1989, p. 356-361 ; Vegas 1992, p. 181-189 ; pour les dates du 14C voir Docter et al. 2008.

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(Nora39, Sulky et sa région peut-être, Sant’Imbenia40 et Olbia41) et de la Sicile (Motya)42. L’intensification des contacts avec ces régions, essentiellement due à la présence de métal, a été progressivement accélérée grâce à l’exploit réalisé par l’économie levantine et au changement dans le paysage politique. L’émergence de la puissance assyrienne a joué en effet un rôle important dans la vie politique et économique du Proche-Orient. Les Assyriens cependant, jusqu’au royaume de Esarhaddon du moins, ont agi de deux manières différentes avec les villes côtières43. D’une part, ils ont limité leur pouvoir en contrôlant directement l’accès aux zones minières de l’Amanus et du Taurus ; d’autre part, ils ont augmenté les activités commerciales à l’étranger. Ces opérations d’organisation et de contrôle étaient impossibles sans l’aide des royaumes côtiers. Encore une fois en Sardaigne, le lien entre l’expérience chypriote et l’expansion phénicienne la plus ancienne se manifeste avec la circulation dans l’île, entre le ixe et le viiie siècle av. J.-C., de bronzes figuratifs de tradition orientale (figure 3) auxquels on ajoute maintenant les suggestions orientales qui ont été proposées pour les grandes statues en pierre de Monte Prama44. S. Imbenia, comme on l’a dit, est un exemple extraordinaire. Le village est situé dans la baie de Porto Conte, sur la côte nord-ouest de la Sardaigne, dans une région, la Nurra, connue pour ses ressources minérales (mines de cuivre, d’argent et de plomb)45 et pour son arrière-pays fertile, destiné aux activités agricoles et pastorales (figure 4). La région, dans laquelle se trouvent les villages de Palmavera46 et de Flumenelongu47, était certainement bien connue car, lors de la reprise des contacts avec la Méditerranée orientale, des objets de provenance ou de production orientale y ont été retrouvés. Près du Nuraghe Flumenlongu, en fait, où une bonne quantité de ressources en métal est concentrée, on a trouvé un bronze anthropomorphique de production ou tradition orientale connu sous le nom « Baal de la Nurra » ; un autre a été trouvé près de Olmedo48.

39. La plupart des chercheurs préfèrent dater la stèle de la fin du ixe et du début du viiie siècle av. J.-C. Voir notamment Amadasi Guzzo 1995, p. 23-24 ; Lipiński 2004, p. 236 ; Sass 2005, p. 83, 31 ; Lemaire 2012, p. 296 ; la céramique de Nora est attestée à partir du début du viiie siècle av. J.-C. (Bonetto et al. 2009, p. 97-538 avec les contributions de Massimo Botto, Lorenza Campanella et Stefano Finocchi). 40. Cf. infra, n. 73. 41. D’Oriano, Oggiano 2005, p. 171-190. 42. Nigro 2010, p. 1-48 ; Nigro 2014, p. 491-504. 43. Un livre encore très utile sur les relations entre la Phénicie et l’Assyrie : Botto 1990 où l’auteur recueille les textes assyriens (traduits par C. Saporetti) relatifs à la Phénicie. Pour les relations entre l’empire néo-assyrien et le monde grec, voir Lanfranchi 2000 et Fales 2017. Pour la domination néo-assyrienne sur le Levant méridional, voir Fantalkin 2006, p. 201-202. 44. Sur la relation des œuvres de sculpture avec l’Orient et l’implication supposée des travailleurs nord-syriens dans leur mise en œuvre : Rendeli 2010, p. 58-72 ; Bedini 2012, p. 105-134 ; Bernardini 2013. 45. Mine de cuivre à Alghero loc. Calabona, mines d’argent et de plomb dans la région de l’Argentiera et du fer à loc. Canaglia. 46. Moravetti 1992. 47. Lo Schiavo 1976 ; Caputa 2008, p. 679-698. 48. Pour les deux bronzes, Tore 1981 ; Bernardini, Botto 2015, p. 296-306.

CONTACTS ET INTERACTIONS ENTRE « PHÉNICIENS » ET SARDES • 231

Figure 3 - Bronze de tradition orientale dit « Baal de la Nurra » [Bondì et al. 2009, p. 357, fig. 1].

À partir de la fin du ixe siècle et du début du viiie siècle, un village se développe à S. Imbenia, dans un port bien protégé, près d’un nuraghe. Le village est habité jusqu’au viie siècle, une période pour laquelle des écroulements et un abandon général de l’habitat sont mis en évidence. Le village de l’âge du Fer est organisé « en blocs », composés de cabanes avec plusieurs chambres disposées autour d’une cour centrale. Les blocs sont séparés par des ruelles et par des places pavées (figure 5). On peut dater de l’âge du Fer, une intervention en faveur de l’organisation spatiale du village, bien cohérente et planifiée, comprenant la création d’un large espace elliptique (13 × 9 m environ) qui prend la forme d’un véritable « carré » sur lequel se trouvaient des chambres fermées ou des espaces ouverts49. Ce projet rompt avec le passé car il ne semble pas tenir compte de la forme des maisons plus anciennes. Selon l’interprétation de Marco Rendeli, il formerait également un espace public associé à des activités commerciales qui auraient donné une forte poussée à l’économie du village.

49. Depalmas, Rendeli 2012 ; Garau, Rendeli 2012, p. 893-898 ; Rendeli 2013, p. 136-140.

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Figure 4 - Carte de la Sardaigne [Bondì et al. 2009, p. 195].

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Figure 5 - Carte du village nuragique de Sant’Imbenia [Rendeli 2013, fig. 2].

Cependant, l’existence d’une période de grands changements dans la vie du village est également bien documentée grâce à la céramique et à d’autres objets qui ont été trouvés. Ces objets parlent d’une société en mutation rapide, avec une ouverture extraordinaire vers la Méditerranée sur laquelle naviguent les populations du Levant et des côtes de la mer Égée vivant pendant cette période. L’histoire de S. Imbenia, reconstruite à partir de sa culture matérielle et de l’histoire des objets qui « parlent »50 comme les amphores que nous allons aborder plus loin, atteste d’une communauté active et ouverte au commerce, prête à accueillir les navires qui, vers la fin du ixe siècle av. J.-C., amarraient dans la baie de Porto Conte, suivant ainsi des itinéraires dont la mémoire avait été conservée par les armateurs et les marins de la côte syro-palestinienne. Au cours de cette période, les ports les plus importants du Levant sont, comme nous l’avons évoqué précédemment, les ports phéniciens, même si le long de la côte, au nord et au sud, d’autres ports importants devaient exister. Dans la partie nord de la côte syro-palestinienne, on peut rappeler l’existence du port d’Al Mina51, fondé 50. Les objets, les images et les modes de représentation sont les sujets des actions humaines, et non des éléments inertes utilisés pour la réalisation de ces actions. Pour une vision archéologique de la question du rôle actif de la culture matérielle, voir Hodder 2014, p. 19-36. Pour une vision historique et anthropologique, voir Appadurai 1986. 51. Coldstream 1988b, p. 353-360 ; Coldstream 2002, p. 15-32 ; pour une vue d’ensemble efficace de l’interrelation eubéenne avec la côte du Proche-Orient, voir Lane Fox 2010, p. 53-101 ; pour Chypre et Tyr, voir Coldstream 1986, p. 321-327 et Coldstream 1988a, p. 35-44.

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au cours du viiie siècle (selon la chronologie traditionnelle) par les notables locaux de l’État régional de la vallée de l’Amuq (Unqi ou Pattina), sur la route commerciale reliant le royaume syrien du nord, le royaume araméen, l’arrière-pays syrien, la Méditerranée orientale et Tyr52. Si, sur les routes de la péninsule Ibérique, il est probable que le trafic marchand ait été géré principalement par les « Phoinikes »53 dans la Méditerranée centrale, une interpénétration profonde des intérêts mercantiles grecs et phéniciens, pendant les premières phases d’occupation en Occident, est évidente, à la fois à partir des données archéologiques et de la nomenclature eubéenne des lieux (des sites ?) du paysage méditerranéen, comme Ichnoussa et Pithécusses54. En tout cas, on pouvait trouver sur les navires qui allaient vers la Méditerranée centrale des marins, des commerçants, des artisans, de différents milieux sociaux et géographiques55, qui prenaient avec eux des objets destinés à l’échange, mais aussi d’autres objets nécessaires à la vie à bord, comme le pot qu’un inconnu levantin avait laissé dans le village dans lequel il était arrivé, ou encore la coupe gravée de deux lettres, une beth et une zayn (figure 6a-b)56. Pendant la première phase de la relation étudiée, l’existence de métaux dans la région est la « raison d’être » de la présence orientale à S. Imbenia. Les contacts entre les chefs des missions mercantiles levantines et les autorités du village ont probablement été accompagnés de rituels codés. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer la consommation de vin, seul témoignage ayant laissé des traces tangibles dans les céramiques utilisées (figure 7) : les gobelets en « Red Slip » et en « Phoenician Fine Ware », les skyphoi de production eubéenne ou les pots pour verser, comme l’askos. En buvant du vin, on pouvait discuter de la possibilité de réaliser de bonnes affaires. Selon cette perspective, on se rend compte, qu’en plus d’être un élément de cérémonie la boisson, pourrait être un élément supplémentaire intervenant dans les relations d’affaires entre la communauté locale et les marchands venus de l’Orient. Le vin sarde semble avoir été produit sur l’île depuis des temps anciens57 et la région de la Nurra devait être un endroit parfait pour la production. L’arrivée des « Phoinikes » a dû augmenter sa production et sa commercialisation58. Des récipients appropriés ont été réalisés sur place, à cet effet.

52. 53. 54. 55. 56. 57.

Luke 2003, p. 21, 36 ; Lehmann 2005 ; Fantalkin 2006, p. 200-201. González de Canales Cerisola et al. 2004 p. 200-205 ; Torres Ortìz 2008, p. 84-85. Botto 2008, p. 132 ; pour Carthage-Oinoussa voir Torres Ortìz 2008, p. 85 ; Bernardini 2016. Botto, Oggiano 2003 ; Botto 2004. Oggiano 2000 pour l’inscription, voir Garbini 1997, p. 52-53. Les résultats récents du Nuraghe Sa Osa de Cabras, dans la zone de Oristano – où des graines non carbonisées de Vitis vinifera L. ssp. Vinifera, ont été récupérées dans trois puits – ont été soumis à une analyse au 14C qui donne une datation calibrée pour 2σ entre 1286 et 111 av. J.-C. (Ucchesu et al. 2015). 58. L’hypothèse, avancée en premier par Ida Oggiano (Oggiano 2000), a été acceptée et mise au point dans différentes études ; entre autres, Bernardini 2008 ; Rendeli 2013 ; Botto 2015, qui, à la p. 12, suppose que les amphores de production sarde pourraient également contenir d’autres types de produit.

CONTACTS ET INTERACTIONS ENTRE « PHÉNICIENS » ET SARDES • 235

Figure 6 - a/ Cooking pot levantin de Sant’Imbenia ; b-c/ fragment de bol avec inscription [Bernardini et al. 1997, a : p. 232, 23 ; b-c : p. 50].

Figure 7 - a/ Skyphos PSC ; b/ fragments de skyphoi à chevrons ; c/ fragment de bol en Phoenician Fine Ware [Bernardini et al. 1997, a-b : p. 51 ; c : p. 232].

Pour arriver à cette reconstruction historique, le déchiffrement de l’« énigme des deux vases » a joué un rôle bien important. Il s’agit des deux amphores trouvées dans la cabane du village dite de « capanna dei ripostigli » (figure 8)59. L’analyse de la stratigraphie de la cabane est la clé pour comprendre l’histoire racontée ici. Au moment de sa construction, une amphore a été cachée dans un petit trou creusé dans le sol, avec un dépôt composé de 44 kilos de cuivre sous forme de petits lingots. Le récipient qui contenait le cuivre est une amphore faite à la main avec une pâte typique de la céramique nuragique (figure 9). À cette amphore, on a enlevé le col et les lèvres afin d’y déposer les lingots. Le vase a un corps ovoïde et des anses verticales,

59. La stratigraphie de la « capanna dei ripostigli », documentée par Bafico 1998, p. 20-21, est discutée par Oggiano 2000, p. 236-243 ; pour les amphores, Oggiano 2000, p. 240-242.

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Figure 8 - Plan et section de la « capanna dei ripostigli » [Bafico 1988].

placées dans la partie supérieure du corps ; ces éléments rappellent les formes des amphores orientales de transport avec épaules arrondies. Les anses ont des trous sub-ovales et ont tendance à s’élargir selon une technique typique du répertoire vasculaire nuragique (on peut penser par exemple aux cruches askoïdes). En plus des caractéristiques de la pâte et de la forme des anses, une production locale est suggérée par la présence d’une fracture longitudinale qui s’est produite au moment de la cuisson, ce qui rend le récipient inutilisable pour sa fonction principale.

CONTACTS ET INTERACTIONS ENTRE « PHÉNICIENS » ET SARDES • 237

Après sa construction et la dissimulation de la cachette sous le sol, la cabane a été utilisée à des fins spéciales. Outre la présence d’un artefact connecté à des activités productives dont nous ne connaissons pas la nature, des activités, liées à l’utilisation d’une coupe eubéenne (?) et de vases phéniciens en « Red Slip », dont les restes ont été trouvés sur le sol, ont eu lieu dans la cabane. La coupe eubéenne (figure 7a) avec des demi-cercles pendants (du type 5 de Kearsley) est datée par D. Ridgway de la fin du ixe siècle-début du viiie siècle60 et peut être, selon P. Bernardini, plus strictement du début du viiie siècle. En fait, sur la base de comparaisons avec des importations similaires dans la région de l’Ouest et avec les sériations de la Grèce continentale et du Proche-Orient, la coupe ne peut pas être datée avant 780 av. J.-C., comme le suggèrent l’absence de demi-cercles à Pithécusse avant 775 av. J.-C., et une classification plus prudente de cet artefact comme forme hybride de transition entre le type 5 et le type 6 de la classification de Kearsley, proche de quelques spécimens de Cerveteri et Pontecagnano61. La datation du skyphos est évidemment importante, à la fois pour la datation de la couche d’utilisation de la cabane, et parce qu’elle fournit un terminus ante quem pour la construction de la cabane même, qui a évidemment eu lieu avant la date d’utilisation du sol au-dessous duquel les amphores (produites localement et inspirées par des modèles du Levant) ont été enterrées. Si donc le skyphos est daté du début du viiie siècle, l’amphore peut également avoir été produite avant cette date, mais elle ne peut pas fournir de chronologie absolue (elle pourrait tout aussi bien avoir été fabriquée des décennies auparavant, que des semaines)62. Vers la fin du viiie-viie siècle, le village a été affecté par des événements importants. À l’intérieur de la cabane, on constate l’écroulement de quelques grosses pierres du nuraghe mais cela, toutefois, n’a pas entraîné la fin de son utilisation. Au cours du viie siècle, une partie de la cabane a été réhabilitée avec la construction d’un nouveau sol. À cette occasion, un autre vase contenant d’autres lingots a été enterré. Cette deuxième amphore (figure 10) est très similaire à celle trouvée dans le sol inferieur, mais quelques différences sont notables : la forme du corps et des anses est plus proche de celle des amphores orientales, et on voit bien les lignes du tour. La datation de la couche au viie siècle est discutée mais un fragment d’amphore orientale à épaule carénée et présentant une inscription suggère cette datation (figure 11)63.

60. Ridgway 1996, p. 119-120 ; Ridgway 1997, p. 50-52, p. 234, n. 32 ; Ridgway 1998, p. 315-316 ; Oggiano 2000, p. 238 ; Ridgway 2002, p. 220-221 ; Stampolidis 2003, p. 326, no 370. La datation du skyphos a oscillé entre le début et le milieu du viiie siècle ; mais bientôt, cet artefact est devenu le plus ancien du genre trouvé dans l’Ouest, et sa datation, en fonction de son affectation au type 5 de Kearsley (Kearsley 1989, p. 99-101, 98, fig. 39) a été fixée à la fin du ixe-début du viiie siècle; selon Bernardini 2016, p. 19, n. 76, le skyphos est compatible, du point de vue stratigraphique, avec les formes phéniciennes qui, à Sulcis, sont encore décrites dans la seconde moitié du viiie siècle av. J.-C. Cette même date est atteinte par les importations grecques présentes dans l’espace adjacent à la « capanna dei ripostigli » (Oggiano 2000, p. 243). 61. Pour un point récent sur la question, Bernardini 2016, p. 19-21 avec une référence au travail de Rizzo 2005, p. 334-339, n. 6 ; voir aussi Kourou 2005, p. 500-502. 62. Oggiano 2000, p. 239-240 ; Bernardini 2016, p. 22. 63. Oggiano 2000, p. 243 ; pour l’inscription, G. Garbini dans Bafico et al. 1997, p. 52.

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Figure 9 - Amphore dans le sol de la cabane et lingots de cuivre [Bernardini et al. 1997, p. 46].

Figure 10 - Amphore dans le sol supérieur, bâti après l’écroulement des blocs du nuraghe, et lingots de cuivre [Bernardini et al. 1997, p. 46].

CONTACTS ET INTERACTIONS ENTRE « PHÉNICIENS » ET SARDES • 239

Figure 11 - Fragment d’amphore à épaule carénée avec inscription [Bernardini et al. 1997, p. 53].

Nombreuses sont les questions liées à la découverte des deux amphores à l’intérieur de la cabane, en particulier pour la forme, le type de la pâte et la technique de fabrication. En fait, la forme de l’amphore est « étrange » par rapport au répertoire vasculaire nuragique et rappelle, par le profil de son corps, par la position de ses anses et par sa capacité, les amphores de transport orientales de forme ovoïde. La similitude morphologique et fonctionnelle des deux récipients, utilisés comme cachette pour le stockage, une fois la partie du col coupée, donne à penser qu’ils faisaient partie, à l’origine, d’un même contexte stratigraphique et, qu’au moment de l’aménagement de la cabane, après les écroulements, on avait trouvé l’un des deux récipients, l’amphore tournée, qui avait été placée alors dans le nouveau dallage. Au même endroit donc, on trouve deux vases, similaires d’un point de vue morphologique, mais produits avec différentes techniques de fabrication ; les deux sont des imitations d’une forme inconnue dans le répertoire local, mais qui rappelle les types vasculaires en usage dans la Méditerranée orientale. En outre, la première amphore, enterrée sous le sol ancien, est datée d’avant le début du viiie siècle et fournit donc une référence chronologique pour le début de ce type de produit dans le village. Un point restait encore à éclaircir, après cette découverte : quelle forme avaient les lèvres des amphores produites localement ? Les deux amphores, en fait, étaient dépourvues de lèvres, alors que, dans les mêmes contextes de la cabane et des zones proches (la « piazzetta »), avaient été trouvées de nombreuses lèvres, de formes très différentes, sans leur corps. La découverte d’un seul exemplaire, sur lequel une lèvre était finalement accolée au corps, a permis de confirmer la connexion entre lèvres et corps de forme ovoïde et de développer ainsi un véritable « type », identifié par Ida Oggiano et connu à présent sous le nom de « type S. Imbenia »64.

64. Oggiano 2000.

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Ce type, produit localement et inspiré de certains modèles d’Orient, se caractérise par un mélange entre la morphologie générale du vase, caractéristique de la tradition vasculaire levantine, et des éléments de la tradition nuragique65, comme le type d’anse. Des éléments morpho-fonctionnels particulièrement significatifs, tels que le col distingué66, sont généralement ramenés à la tradition nuragique ; celui-ci, cependant, est également attesté dans les amphores orientales de forme ovoïde : le col cylindrique, plus ou moins élevé, sur lequel on trouve un bord enflé et éversé ou un ourlet simple, est attesté, pour les amphores de forme ovoïde, à partir de l’âge du Bronze récent, avec une diffusion à l’âge du Fer, en particulier dans la région palestinienne du nord, et surtout en Galilée67. En ce qui concerne les méthodes de fabrication, les amphores sont faites au tour, ou à la main, ou encore selon une technique mixte (corps au tour et lèvres à la main, ou vice versa). Elles sont parfois recouvertes d’un engobe rouge68, même si on ne peut pas trouver une correspondance entre la présence de l’engobe et le lieu de production des vases69. L’utilisation du tour (tournage) peut être attribuée à la tradition orientale, ainsi qu’un certain degré de purification de l’argile, reconnu également dans les productions vasculaires typiquement locales70. À partir de l’étude des deux amphores, nous avons cherché à reconstruire une image vivante des activités de production de céramique dans le village vers la fin du ixe siècle. Ces activités proviennent de l’interaction entre les « Phoinikes », arrivés dans le village, et les personnes qui y vivaient. On peut presque « imaginer » les ateliers de potiers locaux, déterminés à expérimenter différentes techniques de fabrication de vases en argile, ou à essayer différentes formes de bords pour les amphores. Les bords variaient en effet parce que chaque artisan ou chaque magasin les réalisaient en fonction de leurs choix et de leurs préférences. On peut donc imaginer l’artisan utilisant mal le tour pour faire sa première amphore et réalisant ainsi un vase (celui de la seconde phase de la cabane) avec des parois épaisses discontinues et avec beaucoup d’imperfections dans l’argile. Ce procédé a conduit à la rupture du récipient pendant la cuisson.

65. Sur l’hybridité de la forme, voir Oggiano 2000 et, à suivre, Dessena 2015 et Botto 2011. 66. Dessena 2015 ; Botto 2011, p. 40, suggèrent que la base plate, caractéristique de certains spécimens, rappelle la tradition locale ; le fond plat en fait n’est pas un élément attribuable aux amphores orientales, vu qu’au Levant l’amphore cesse d’avoir une base plate dès la fin du Bronze moyen. 67. Pedrazzi 2007, p. 100-101, type 9-1, avec les spécimens de Tell Keisan, Beth Shean, Hazor datant du Fer I et du début du Fer II (avec quelques exemples du Bronze Récent II). Voir, par exemple, Briend, Humbert 1980, t. 58 : 2 et Yadin, Geva 1986, fig. 8 : 1. Il faut noter que, par rapport aux pots de Sant’Imbenia, l’amphore ovoïde galiléenne est moins ventrue. 68. M. Botto a proposé d’attribuer une valeur symbolique aux pots avec engobe rouge qui identifieraient les individus d’origine sarde phénicienne résidant à l’étranger, par exemple à Las Chorreras : Botto 2015, p. 182. 69. L’étude vaste et détaillée menée sur les pâtes et les revêtements par Beatrice De Rosa (voir De Rosa 2014 ; 2017) a conduit à une classification détaillée des techniques de production et de transformation de ce type d’amphore dans ce secteur de l’île. 70. Voir Bafico 1997, p. 46.

CONTACTS ET INTERACTIONS ENTRE « PHÉNICIENS » ET SARDES • 241

Figure 12 - Distribution des amphores du type Sant’Imbenia dans la région de Posada et Orosei [courtoisie de Paolo Bernardini].

Une fois le type identifié, des amphores « S. Imbenia » ont été mises en évidence dans divers endroits de l’île et de la Méditerranée occidentale de la péninsule Ibérique à Carthagène. En Sardaigne, on a identifié les différents sites dans lequel se trouvait ce type d’amphore ; plusieurs d’entre eux devaient être des centres de production (figure 12). La production dans le site de Posada, le long de la côte orientale de l’île, a dû fournir également son arrière-pays (les amphores se trouvent dans le village nuragique de la colline du château « della Fava » et dans le site nuragique de Luthuthai à quelques km de la côte)71. Toujours le long de la côte orientale de la Sardaigne, les amphores du type S. Imbenia sont présentes dans le village indigène de Santo Stefano, sur 71. Voir Bernardini 2016, p. 24 (avec bibliographie).

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le territoire d’Irgoli72 ; dans le secteur sud-est de l’île à Su Padrigheddu (près de San Vero Milis)73, Su Congiua ‘e Funtà et Nuraxinieddu74. La présence du type à Sulky a été supposée, alors que certains fragments proviennent du Nuraghe Tratalias, dans la région du Sulcis, comme le montre le travail de Fabio Dessena75. La circulation interne d’amphores, ou plutôt des produits qui y sont contenus, est suggérée par la découverte sur le site de Sant’Imbenia des spécimens qui, selon l’analyse archéométrique, peuvent être attribués à des ateliers hors du village76. En dehors de la Sardaigne, des amphores de ce type sont parvenues en Espagne77, ainsi que dans la zone étrusque. Elles ont été trouvées pour la plupart en revanche à Carthage ou sont définies par R. Docter comme « Nuragisch »78. Une fois reconstruite l’histoire de la rencontre entre les traditions artisanales levantine et locale, deux questions peuvent être posées : pourquoi, dans le village, ce type de vase, c’est-à-dire l’amphore, a-t-il été produit ? Et quel est le répertoire levantin dont s’est inspirée la production79 ? Quand on pense à la côte levantine, on peut imaginer les ports de Phénicie et les produits de leur arrière-pays, conservés dans le type d’amphore avec épaule carénée. Cette forme, caractérisée précisément par le carénage de l’épaule et par un étranglement au-dessous, a été attestée dès la fin du ixe siècle en Galilée (niveau VII de Hazor), mais se propage en Phénicie et en Palestine du Nord, en particulier à partir du siècle suivant (figure 13c-d)80. L’introduction de cette nouvelle forme fait partie d’un phénomène plus large qui voit le renouvellement du répertoire morphologique phénicien, en partie dérivé de la période précédente (coupes pour boire plates et hémisphériques, cruches avec un col conique et le corps globulaire trilobé), et en partie élaboré ex novo, comme pour la cruche à lèvre à bobèche. Les amphores qui étaient arrivées à Sant’Imbenia entre la fin du ixe et le début du viiie siècle, et qui représentaient des modèles pour la production locale, étaient cependant les types avec une épaule arrondie (figure 13a) dont la production, attestée au Levant déjà au Fer I (figure 13b, une jarre de Tell Sukas, du Fer I), était concentrée dans le Levant méridional et la Galilée. Cela ne signifie pas que les ports de départ ont été différents des centres de la Phénicie. Il est possible que les amphores soient parties des ports phéniciens, dans ce moment de grande expansion et d’autonomie des villes côtières, en lien avec le royaume d’Israël où l’on trouve les comparaisons typologiques les plus proches des productions sardes. La création de formes « hybrides » rend difficile les comparaisons, mais on peut noter une référence claire à la tradition morphologique du nord de la Galilée (Hazor) et de la Palestine (Tel Mevorakh)81.

72. 73. 74. 75. 76. 77. 78. 79. 80. 81.

Sanciu 2010, p. 8-10 ; Salis 2006, p. 89-108. Roppa 2012, fig. 14. Sebis 2007. Dessena 2015. De Rosa 2014, p. 235 ; Bernardini 2016, p. 21-22. Huelva, Cadiz, Castillo de Doña Blanca, Toscanos, Le Rebanadilla (Malaga), Las Chorreras. Pour une discussion récente au sujet de tous ces contextes, Botto 2015 avec bibliographie. Docter et al. 1997. Oggiano 2000. Voir Pedrazzi 2005. Pedrazzi 2005, p. 466-469.

CONTACTS ET INTERACTIONS ENTRE « PHÉNICIENS » ET SARDES • 243

Si les objets ont leur propre histoire, alors l’histoire des amphores du type « Sant’Imbenia » nous dit que leur naissance est liée à la nécessité (ou au désir) de la communauté locale de stocker un type de produit destiné à être commercialisé et pour lequel il n’y avait pas, dans la tradition de la céramique locale, un récipient approprié. La rencontre entre les deux groupes (locaux et « étrangers ») n’était probablement pas seulement limitée à l’acquisition des métaux par les Levantins ou par les populations levantines, mais devient un échange à différents niveaux qui conduit à la commercialisation d’un produit local, le vin de la Nurra. Cela signifie que les Phéniciens ont constaté que les Sardes de la région de la Nurra produisaient déjà du vin, mais qu’ils ne le commercialisaient probablement pas. Sur les amphores de type « Sant’Imbenia » retrouvées à Huelva et à La Rebanadilla82, on trouve parfois des inscriptions phéniciennes : cela met en évidence le rôle de ces contenants dans le cadre du commerce géré (ou au moins « co-géré ») par la composante phénicienne. Ce sont donc des éléments de similarité (plutôt qu’une différence de ressources, ou bien un prétendu « déséquilibre culturel ») qui ont conduit à la naissance de ce middle ground, ce terrain de rencontres, pour l’élaboration d’une stratégie commerciale commune ; une stratégie qui a confirmé le rôle de la Sardaigne, au centre de la Méditerranée, pas seulement comme lieu de fourniture en métaux par des Levantins « plus évolués », mais plutôt comme une terre riche en ressources et donc elle-même ressource « active » pour les partenaires levantins, intéressés par l’établissement d’un nouveau centre de gravité pour leurs activités déjà très florissantes en Orient. Le rôle actif de la communauté locale dans la commercialisation de ses produits est démontré par l’exportation, ainsi que par les produits contenus dans les amphores, de la même forme que la cruche askoïde qui était associée à la consommation de vin en Sardaigne83. La présence de la cruche askoïde dans la péninsule ibérique, dans les centres du commerce atlantique84, en Étrurie, en Sicile et en Afrique du Nord, témoigne de l’arrivée sur les marchés fréquentés par les Phéniciens non seulement du vin de Sardaigne, mais aussi de la tradition liée à sa consommation. Ces traditions, enrichies par de nouveaux objets – et par quelques nouveaux sons, saveurs et couleurs qui, malheureusement, ne sont pas arrivés jusqu’à nous – modifient les rituels liés au banquet qui avait lieu dans les différentes communautés selon les traditions locales, dans le but commun de créer un ensemble de règles et de conventions dans lesquelles les élites pourraient se reconnaître. Avec l’effort de créer un langage cérémonial commun, des objets de différentes traditions, venant de l’Orient à la Grèce, ou de la Sardaigne, sont utilisés dans le rituel de la consommation du vin par des groupes de l’élite85,

82. Botto 2015. 83. Pour la spécialisation progressive de la cruche askoïde à des fins de consommation de vin, voir Botto 2011, p. 40-46. 84. Pour les matériaux de Sardaigne impliqués dans le réseau des trafics des Phéniciens qui touchent la péninsule Ibérique, voir la synthèse récente de Botto 2015, p. 171-203. Pour la classification des cruches askoïdes dans la péninsule Ibérique, voir Campus, Leonelli 2000, p. 436-441. 85. Bernardini 2016.

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Figure 13 - Amphore du type Sant’Imbenia (de Posada) et types amphoriques levantins de l’âge du Fer ; a/ amphore de Posada (Sardaigne) [d’après Sanciu 2010, fig. 5] ; b/ amphore de Tell Sukas [d’après Pedrazzi 2007, fig. 3.9 : a ; c/ amphore de Hazor [d’après Yadin et al. 1961, pl. LXXII : 9 (Str. VI, Area A)] ; d/ amphore de Tell Keisan [d’après Briend, Humbert 1980, pl. 48 : 4 (niv. 7)].

CONTACTS ET INTERACTIONS ENTRE « PHÉNICIENS » ET SARDES • 245

dans les sites de la péninsule Ibérique (Huelva, La Rebanadilla86), et aussi à Utique87, où des cruches nuragiques, des amphores du type Sant’Imbenia, de la poterie fine phénicienne, des coupes grecques sont associées. L’équation « pots and peoples » est donc, encore une fois, invalidée. Il est cependant probable que des artisans provenant peut-être de la Phénicie ou de la région palestinienne aient été installés dans le village, ceci donnant lieu à ce témoignage singulier (physique, réel et tangible) de contacts et d’échanges de connaissances entre les hommes. Des analogies avec le site Sant’Imbenia se trouvent dans beaucoup d’autres sites sur l’île-même et dans le reste de la Méditerranée. Nous avons laissé parler les amphores de ce site de Sardaigne, mais il ne faut pas oublier la présence d’autres vases et objets eubéens, chypriotes, phéniciens et nuragiques dans des sites de la Méditerranée qui montrent de surprenantes analogies avec Sant’Imbenia, comme Kommos ou Tekke en Crète, Al Mina en Syrie, Pithécusses, Carthage et Huelva en Occident. Comme la documentation de Sant’Imbenia le montre bien, l’histoire des échanges et des rencontres, mis en évidence par la culture matérielle, est presque étonnante dans son articulation propre. Selon cette perspective, il devient difficile d’appliquer l’une des catégories conceptuelles et interprétatives bien connues d’« acculturation », de « colonisation », d’« hybridation », ou d’« entanglement » qui sont souvent adoptées ou rejetées (par conviction ou par effet de mode). Le « tissu » de l’histoire des échanges, un tissu fait de fils, de chaînes et de trames, est beaucoup plus complexe. Les différents acteurs de l’histoire des interactions au début du ier millénaire av. J.-C. ont joué tous ensemble un rôle irremplaçable, un rôle de protagonistes en d’autres termes.

Bibliographie Acquaro (E.) 1998 « Su un presunto frammento di sarcofago filisteo in Sardegna » Studi di Egittologia e di Antichità Puniche, 17, p. 47-53. Amadasi Guzzo (M. G.) 1995 « Les inscriptions », dans V. Krings, La Civilisation phénicienne et punique. Manuel de recherche, Leyde / New York / Koln, p. 19-30. Amiran (R.) 1970 Ancient Pottery of the Holy Land. From Its Beginnings in the Neolithic Period to the End of the Iron Age, New Brunswick. Amselle (J.-L.) 2010 Logiques métisses : anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris.

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246 • IDA OGGIANO / TATIANA PEDRAZZI

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La tomba T 178 della Necropoli A di Entella (Contessa Entellina - pa) Appunti di uno studio in corso* Mariela Quartararo

(chercheur indépendant)

Abstract The article details the discovery of a particular tomb at the site of Entella (T 178) by presenting the results of the anthropological study and the study of furniture. The aim is to enrich the record of the presence of Punic elements in this part of Sicily.

Le indagini archeologiche nel sito di Entella, condotte dalla Scuola Normale Superiore di Pisa1, hanno interessato, tra gli altri, anche il settore Ovest della Necropoli A, posta su una terrazza a mezza costa del versante Sud del plateau roccioso di Rocca d’Entella (figure 1-2)2. Lo spazio indagato si articola in due settori distinti: uno adibito a uso funerario continuativamente dall’età arcaica al periodo tardo repubblicano e successivamente in età normanno-sveva, l’altro dedicato ad attività artigianali3.

*

Sinceri sono i miei ringraziamenti a tutti i componenti del Laboratorio di Storia, Archeologia, Epigrafia, Tradizione dell’Antico della Scuola Normale Superiore di Pisa e L. Bonadies per avermi offerto l’opportunità di esporre i risultati di questa indagine. 1. Le ricerche a Entella e nel territorio dell’attuale comune di Contessa Entellina sono condotte dalla Scuola Normale Superiore di Pisa, in collaborazione con la Soprintendenza dei BB. CC. di Palermo, a partire dal 1983. 2. Le necropoli più antiche della città di Entella sono 3, denominate convenzionalmente Necropoli A, B e C sono tutte periurbane rispettivamente a Sud, a Sud-Ovest e a Nord-Est della Rocca. Tra il 2007 e il 2008 sono state inoltre individuate altre due piccole necropoli sul pianoro sommitale, sui cui insiste la città, denominate Necropoli D (SAS 26) a Nord-Ovest del Palazzo fortificato, Corretti et al. 2010, pp. 88-90, e Necropoli E a ridosso delle fortificazioni Nord-Ovest (SAS 25), Michelini et al. 2010, pp. 71-87; si tratta in ambedue i casi di aree cimiteriali medievali di rito islamico. 3. Di Noto, Guglielmino 1992, p. 714, n. 12. Questa area fu frequentata sin dall’eneolitico; materiali della facies di Thapsos sono stati rinvenuti in sondaggi praticati a Sud della terrazza della Necropoli A; vi si trovano due forni da vasaio attivi in periodo tardo arcaico, con relativa discarica di scarti di lavorazione, oltre a cave per la coltivazione del gesso. Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 259-266

260 • MARIELA QUARTARARO

Figura 1 - Entella. Stralcio da immagine satellitare (37o 07’10.45’’E 515 m elev.; 3. 30 km alt) con indicazione delle Necropoli A,B,C.

Figura 2 - Necropoli A [© Archivio fotografico SAET, Ph. C. Cassanelli].

LA TOMBA T 178 DELLA NECROPOLI A DI ENTELLA • 261

Nella zona ad uso funerario era stata approntata in età ellenistica una trapeza a lastre litiche squadrate, incassate nel terreno, con intorno alcuni bothroi per la consacrazione di offerte e celebrazione di sacrifici in onore di defunti e, plausibilmente, divinità infere4. Le tipologie tombali note sono numerose e comprendono la tomba a fossa terragna semplice, una variante del tipo “a cassa”, la tomba alla cappuccina, la cella ipogea, la sepoltura a incinerazione primaria e secondaria e la tomba a grotticella. Nelle campagne 2001-2003 sono state portate alla luce 39 tombe di cui una databile solo su base stratigrafica tra VII e VI secolo a.C., 33 collocabili tra IV e II secolo a.C., 4 di età medievale e di rito islamico e una di datazione incerta5. Le evidenze relative alla sepoltura T178, rinvenuta immediatamente a valle di una strada carraia moderna, spiccano tra le altre poiché, come vedremo, offrono interessanti contributi per meglio definire le dinamiche della presenza culturale punica a Entella. La T178 è una tomba monosoma, appartiene al tipo a fossa terragna priva di rivestimento interno e copertura e presenta orientamento Sud-Est / Nord-Ovest. Il defunto, rinvenuto con gli arti ancora in connessione anatomica, giaceva in decubito dorsale con cranio rivolto a Sud-Est. Questo e le ossa facciali, seppur schiacciate, permettono di attribuire l’individuo ad un’età immatura, maggiore di 1 anno e inferiore a 66. Gli arti inferiori erano distesi, mentre l’arto superiore destro era flesso sull’addome. Le estremità inferiori e l’arto superiore sinistro sono andati perduti probabilmente intercettati dalle escavazioni clandestine moderne. In attesa di uno studio antropologico completo si può comunque definire l’individuo come infans7. Gli oggetti facenti parte del corredo erano in parte indossati dal defunto e in parte poggiati sul piano di deposizione, all’altezza del cranio (figure 3-4). I manufatti ceramici, rinvenuti pressoché integri, comprendevano 1 coppa skyphoide a vernice nera con risparmio sopra il piede e anse oblique a sezione ovoidale, forse di produzione locale / regionale (figura 5)8, e 2 brocchette / attingitoio globulari, di cui una di probabile produzione punica regionale (figura 6)9. Oltre a questi elementi, sul corpo sono stati trovati tre vaghi in pasta vitrea10 tutti realizzati nella tecnica a “fusione su barra” o rod-formed glass11 e probabilmente pertinenti a ornamenti personali. I due di dimensioni maggiori sono stati rinvenuti adagiati tra la parte inferiore dello sterno e il cranio; il più grande è del tipo “a

4. Di Noto, Guglielmino 2002, p. 531; Guglielmino 2006, p. 503. 5. Guglielmino 2006, p. 503; Di Noto, Guglielmino 2002, pp. 525-532; Fabbri 2002, pp. 533-539. 6. Ringrazio il Prof. P. F. Fabbri, il Prof. R. Guglielmino e la Dott.ssa A. Di Noto per avermi gentilmente fornito i dati inediti qui presentati, insieme a utili suggerimenti e osservazioni. 7. I reperti antropologici sono in corso di studio da parte del Prof. P. F. Fabbri. 8. L’attribuzione di tale reperto a questo contesto è avvenuta solo dopo la pubblicazione di un precedente studio preliminare dedicato alle evidenze puniche ad Entella, Quartararo 2012, pp. 129-136. Tale circostanza ci permette quindi di poter affinare aspetti cronologici e culturali del contesto. Si ringrazia B. Bechtold per l’indispensabile confronto a riguardo. 9. Riguardo la produzione si rimanda a Quartararo 2015, p. 17, tab. 1, taz 002. 10. I manufatti sono stati attualmente sottoposti solo ad analisi autoptiche ma se ne auspica anche l’approfondimento in laboratorio con approccio archeometrico. 11. Sternini 1995, pp. 9-100.

262 • MARIELA QUARTARARO

Figura 3 - Manufatti ceramici in corso di scavo, particolare [© Archivio fotografico SAET, Ph. A. Di Noto].

Figura 4 - Tomba T178 in corso di scavo [© Archivio fotografico SAET, Ph. A. Di Noto].

LA TOMBA T 178 DELLA NECROPOLI A DI ENTELLA • 263

2 cm (1/2)

Figura 5 - Coppa skyphoide a v.n. T178 [© Archivio fotografico SAET, Ph. M. Quartararo].

2 cm (1/2)

Figura 6 - Brocchetta / attingitorio T178 [© Archivio fotografico SAET, Ph. M. Quartararo].

melagrana”12, di color granato scuro e mostra forte iridescenza superficiale13, l’altro è sferico ed è, invece, del tipo “a occhi”14. Data tale posizione di rinvenimento è verosimile pensare che appartenessero entrambi a una collana la cui parte deperibile è andata perduta. Il terzo grano, ancora del tipo “a occhi”, di dimensioni inferiori rispetto ai primi due e peggio conservato, è stato ritrovato, invece, all’altezza dell’anulare della mano destra e potrebbe essere, quindi, leggibile quale elemento di bracciale. I due vaghi “a occhi” presentano una matrice bianca e una decorazione a cerchi concentrici in colori verde e blu ottenuta dall’inserzione di gocce di vetro colorate

12. Il tipo è identificabile con Ruano Ruiz 1996, pp. 63-65 e precedentemente con Gambacurta 1987, p. 209, Tipo C. 13. E’ normale che il vetro, per via della sua stessa composizione, sia soggetto ad alterazione, soprattutto se sottoposto a percolamenti idrici. Gli effetti, come l’iridescenza, possono interessare la superficie e/o la struttura stessa dell’oggetto sino a disintegrarlo Savio et al. 2004, p. 159. 14. Il tipo “a occhi”, diffusissimo in ambito fenicio-punico e centroeuropeo, è stato studiato in modo esaustivo da Ruano Ruiz, nel volume Ruano Ruiz 1996, p. 43 e segg., e precedentemente da Gambacurta 1987, pp. 207, 210, Tipo F, fig. 19.

264 • MARIELA QUARTARARO

1 cm (1/1)

Figura 7 - Vaghi in pasta vitrea del tipo “a melagrana” (NI E6128, a) e “a occhi” (NI E629, b) (E6030, c) [© Archivio fotografico SAET, Ph. M. Quartararo].

(figura 7)15. Infine, quale unico elemento metallico presente nella tomba, un grumo di lega d’argento (ma non sono state effettuate analisi archeometriche) è stato rinvenuto a sinistra del cranio, all’altezza della clavicola e più in superficie rispetto ai vaghi. Per le pessime condizioni di conservazione non è stato possibile dare una precisa identificazione morfologica al reperto, ma data la sua vicinanza al cranio potrebbe leggersi verisimilmente come un orecchino. Ad un primo esame complessivo dei dati, sulla base soprattutto della morfologia della coppa skyphoide a vernice nera, la sepoltura è collocabile nel II secolo a.C.16 Al di là della sua semplicità strutturale e della non elevata ricchezza del corredo, la T178 merita una particolare attenzione in quanto, nell’ambito della Necropoli A, costituisce un unicum per la particolare associazione di un individuo d’età infantile con un corredo costituito da elementi di ornamento di dichiarata tradizione fenicio – punica e manufatti ceramici di produzione insulare e di tradizione formale ancora punica. Significativo, inoltre, è il fatto che l’associazione di un infans con un corredo composto dai suddetti materiali trovi interessanti corrispondenze con seppellimenti di contesti, anche coevi, sia insulari come Lilibeo17 che extra insulari come sepolcreti sardi, spagnoli e nord africani18. Inoltre, valutando in parallelo anche l’orientamento della tomba T178, intermedio tra quello tipico della fase proto-medioellenistica (Est-Ovest) e quello più comune nella fase più tarda (Ovest-Est)19, la semplicità assoluta della fossa e la posa degli arti in estensione come nelle tombe più antiche eccetto il braccio destro flesso più comune nelle sepolture più tarde, ci pare di vedere in questa tomba e nelle tracce tangibili del rito funebre un seppellimento di transizione tra il medio e il tardo ellenismo. 15. Per la tecnica dell’inserzione a gocce, Sternini 1995, p. 123. 16. Come noto, i vaghi in sé non sono purtroppo elementi datanti. Il tipo a “a occhi”, in particolare, è il vago decorato più comune nel mondo antico. Studi specifici condotti a riguardo attraverso sistematici censimenti di alcuni repertori regionali, ne confermano l’attestazione sin dal XIV secolo a.C. in Mesopotamia e in Egitto e una diffusione capillare nel corso del I millennio, con diramazioni ad ampio raggio nel bacino del Mediterraneo fino anche ad aree dell’Europa interna come Russia meridionale e addirittura Cina. Per una sintesi degli studi specifici si rimanda a Spanò Giammellaro 2008, pp. 106-107, n. 113-119. 17. Bechtold 1999, pp. 178, 229-230. 18. Solo per citare qualche esempio Guirguis 2011, p. 9; Ruano Ruiz 1996, pp. 79-81, Bechtold 1999, p. 178, n. 57. 19. Di Noto, Guglielmino 2002, pp. 530-531.

LA TOMBA T 178 DELLA NECROPOLI A DI ENTELLA • 265

Pur essendo evidente il limite insito nell’unicità del caso che qui si tratta, nell’ambito della base statistica della Necropoli A di Entella, anch’essa consistente ma non enorme, sembra comunque innegabile, e degno di nota, il fatto che questo giovane defunto venne deposto con elementi di corredo certamente ricchi di valori e funzioni specifiche per l’individuo e per la sua comunità sia prae che post mortem20, selezionati in modo mirato per accompagnarlo nel suo viaggio verso l’aldilà21. Tale evidenza, in conclusione, arricchisce il dossier della presenza di elementi di cultura punica nella Sicilia occidentale interna ormai romanizzata.

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266 • MARIELA QUARTARARO

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Le mobilier céramique phénicien et punique d’Ibiza : un exemple de glocalisation en Méditerranée occidentale Élodie Guillon

(Université Toulouse Jean Jaurès)

Abstract Using the archaeological material from the Pityusic Islands (Ibiza and Formentera) and, in particular, from local productions, we are attempting to define the material culture and subsequently the cultural processes on the archipelago. The insular nature of the latter but, at the same time, its location as major contact point in the western Mediterranean, drives us to question the local / global dialectic which comes into play in Ibiza and Formentera during the Phoenician period, and especially the Punic period. This question is part of a wider project, PPI. Phéniciens et Puniques à Ibiza (viie-iie s. av. J.-C.). Patrimoine archéologique et modélisation spatiale. This project aims to model, using innovative tools, the interaction networks, which sustained Ibiza and linked it to the rest of the Mediterranean.1

Les Pitiuses, une zone particulière du Middle Ground méditerranéen À la croisée des routes de navigation du bassin méditerranéen occidental, Ibiza forme, avec la petite île de Formentera, l’archipel des Pitiuses, les îles couvertes de pins des Anciens2, distinctes des îles Baléares (figure 1). Les Phéniciens, en provenance du sud de la péninsule Ibérique, s’installent au viie siècle de manière définitive, dans un archipel vide d’occupation humaine3. Ils colonisent progressivement la côte sud 1. Projet développé à l’Université Toulouse Jean Jaurès par l’auteur et Corinne Bonnet, professeur d’histoire grecque, entre 2015 et 2017, soutenu par l’Idex, ATS-Patrimoine (appel 2014). 2. Diodore (V, 16) appelle Ibiza Ebosim, l’île du balsamier, un conifère qu’il considère comme un pin ; Strabon (III 5, 1) donne à Ibiza et Formentera le nom de Pituossai selon la même idée. Sur l’étymologie du nom d’Ibiza (Ybosim, Ebusos, Ebusus), qui pourrait aussi venir du nom du dieu Bès, voir Gómez Bellard 2009, p. 471-472. 3. Un hiatus dans l’occupation des deux îles s’étend de 1200 à 650 av. J.-C. environ. Pour le problème des datations au 14C, voir Gómez Bellard 1995, p. 446. La situation contraste avec celle des autres îles méditerranéennes, notamment les Baléares ou la Sardaigne qui ont une occupation indigène à l’arrivée des Phéniciens (Gómez Bellard 1995, p. 442-455). Voir aussi Ruiz de Arbulo 1998, p. 40-43. Il est étonnant qu’ils n’occupent pas l’île avant, alors même qu’elle est un point stratégique sur la route entre la Sardaigne et la péninsule Ibérique et que la présence d’eau douce et son potentiel sylvicole n’ont pu passer inaperçus. Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 267-280

268 • ÉLODIE GUILLON

Figure 1 - Carte de l’archipel des Pitiuses, avec les premières installations phéniciennes (viie siècle av. J.-C.).

LE MOBILIER CÉRAMIQUE PHÉNICIEN ET PUNIQUE D’IBIZA • 269

de l’île en particulier autour de la future Ybosim (actuelle Eivissa) et du petit établissement de Sa Caleta4. Un premier tournant dans l’histoire phénico-punique de l’île a lieu vers le milieu du vie siècle av. J.-C. : la population s’accroît significativement et les rites funéraires se modifient. Ce serait là deux indices de l’arrivée de populations de Méditerranée centrale, de Carthage notamment5. S’ensuit la phase dite punique de l’île, allant jusqu’au iie voire jusqu’au ier siècle av. J.-C.6. Dans ce middle-ground méditerranéen fait de rencontres, d’échanges, de compromis ou de conflits, les îles Pitiuses, sans autochtones, seraient-elles une parenthèse au sein de laquelle ces contacts n’ont pas lieu ? Et comment les habitants d’Ibiza – Phéniciens, descendants de ces derniers et Puniques au sens large – qui semblent vivre ensemble, participent-ils à une (ré)élaboration, une (re)construction culturelle au sein de l’archipel ? Les processus culturels à l’œuvre aboutissent-ils, à la période punique, au sentiment, à la conscience « d’être ibicenco », autrement dit à un discours et une affirmation d’une identité ibicenca ? Notre base documentaire, pour tenter de répondre à ces questions, sera constituée du mobilier archéologique des Pitiuses et en particulier des productions céramiques d’Ibiza. Celles-ci sont rassemblées et enregistrées dans un système de gestion de données archéologiques, ArchéoDATA, que l’on met actuellement en place en collaboration avec la MSHS-T dans le cadre du projet de recherche pluridisciplinaire PPI : Phéniciens et Puniques à Ibiza (viie-iie siècles av. J.-C.). Patrimoine archéologique et modélisation spatiale, obtenu auprès de l’Idex de Toulouse7. Ce système permettra de regrouper l’ensemble des découvertes archéologiques faites sur les deux îles depuis les premières explorations menées par la SAE, la Sociedad Arqueologica Ebusitana, entre 1900 et 1910, jusqu’à nos jours. Deux autres partenariats, avec le Département d’archéologie et de préhistoire de l’Université de Valence et le musée archéologique d’Ibiza, nous ont déjà permis de recenser 125 sites archéologiques8, comprenant trois fermes puniques fouillées9, les sanctuaires d’es Culleram10 et d’Illa Plana11, les nombreuses nécropoles rurales12, la grande nécropole de Puig des Molins13 et les sites repérés par prospection.

4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13.

Une séquence initiale d’occupation dans le centre urbain ibicenco a pu être perdue, en raison de l’occupation humaine intense et continue jusqu’à nos jours, ou cette occupation correspond à une deuxième phase de l’expansion phénicienne, lorsque chaque escale devient un établissement-port véritable sur la route Gadès-Tyr, ainsi qu’un point de départ de réseaux commerciaux secondaires, en l’occurrence vers les Baléares, le golfe du Lion et la côte catalane. Gómez Bellard 1997, p. 774-775. Costa 1991, p. 795 ; Gómez Bellard 1997, p. 775 ; Gómez Bellard 2008, p. 71-75. Elle-même divisée entre une phase punique classique qui s’étend jusqu’au ive siècle, et qui se poursuit par une phase tardo-punique. http://ppi.hypothese.org. Au sens de concentrations de vestiges immobiliers et mobiliers limités dans l’espace et dans le temps. Voir Ferdière 2006, p. 22. Can Sorà (Rámon 1984), Can Corda (Puig Moragón et al. 2004) et Can Fita (Gonzáles Villaescusar, Díes Cusí 2002). Aubet Semmler 1982. Hachuel, Marí 1988. Tarradell et al. 2000. Fernández 1985, p. 149-175 ; Fernández et al. 1993, p. 145-164.

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Parmi ces données, on examinera ici plus en détail deux productions céramiques locales, à savoir les amphores ibicencas et les statuettes de terre cuite pour interroger leurs caractéristiques, leur fonction et leur répartition. Cela nous amènera aussi à évaluer leur inscription dans les réseaux connectés à l’archipel. Au terme de cette analyse, on tâchera de caractériser le profil culturel matériel des Pitiuses et de comprendre la manière dont il s’articule aux pratiques culturelles de l’archipel.

Le mobilier céramique des Pitiuses convoqué pour l’enquête L’atelier de céramiques ibicencas Un seul centre de production céramique a été découvert sur l’île, sous forme d’un quartier d’ateliers de potiers, à côté de la zone urbaine14. C’est peut-être également le cas dans la production des bijoux et des objets métalliques. Dans tous les cas, ce quartier des potiers entre en fonction dans le dernier quart du vie siècle, date des premières productions locales, bien que l’on n’ait pas de vestiges à leur lier. Les premières traces des ateliers sont datées du dernier quart du ve siècle. Le quartier atteint son extension maximale dans les deux premiers tiers du iie siècle, ce qui correspond également à l’expansion maximale urbaine d’Ybosim15. Les ateliers fournissent des amphores, de la vaisselle de table et de cuisine, ainsi que des figurines de terre cuite, retrouvées à Ybosim, Puig des Molins, dans les établissements ruraux et leurs nécropoles, et en dehors de l’île. Au ve siècle, ces productions sont standardisées et se fabriquent en séries16. Les séries les plus anciennes reproduisent très fidèlement des modèles puniques. Celles du ive siècle, puis de la première moitié du iiie siècle présentent plusieurs adaptations et innovations comparativement aux premières ; les formes hellénistiques – comme le plat à poisson – et catalanes – comme les céramiques à vernis noir de Roses – influencent à leur tour les productions ébusitaines. En fait, à partir du ive siècle, c’est un répertoire plus proprement local qui semble se dessiner, conjonction d’un savoir-faire développé depuis un siècle et des différentes sources d’inspiration avec lesquelles l’île se trouve en contact. Parmi ces productions, on s’intéresse plus particulièrement aux amphores et aux statuettes. Les amphores Avant d’être une production importante des ateliers de céramique, des amphores sont déjà identifiées à Ibiza. Les plus anciennes sont les R-1 Vuillemot, amphores également retrouvées du sud de la France jusqu’à Mogador et du Portugal aux côtes algériennes17. À côté de ce type d’amphores, un autre, les Cintas 268, est plus typique de la Méditerranée centrale18. La présence de ces amphores sur le sol d’Ibiza montre que l’île est impliquée dans les réseaux de distribution de certaines denrées alimentaires en Méditerranée occidentale et centrale à partir du viie siècle au moins. 14. 15. 16. 17. 18.

Ramon 2011, p. 165-221. Ibid., p. 182-192. Ibid., p. 179-182. Vuillemot 1965. Cintas 1950.

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Le quartier des potiers d’Ibiza initie ensuite une production d’amphores locales, singulières et reconnaissables. Elles ont été classées en une typologie unique par Juan Ramon, établie après réunion et synthèse d’études archéologiques dans les zones comprenant des amphores ébusitaines : les Pitiuses, les Baléares, l’Afrique du Nord, le Levant ibérique, la Catalogne, le sud de la Gaule et la Méditerranée centrale19. Les amphores appartiennent à deux grands types. Les premières qui sont produites sont datées entre le premier et le troisième quart du vie siècle et sont des versions locales des Vuillemot R120 pour la classe 1 et d’amphores grecques et italiques pour la classe 221. Dès la fin du vie siècle, cependant, les potiers d’Ibiza introduisent des variantes dans la forme de ces premières amphores et contribuent progressivement à élaborer des contenants locaux singuliers22. Ces premières amphores, datées de la période dite archaïque par Ramon, sont présentes dans l’archipel et sur quelques sites du Levant ibérique. À partir de 450 av. J.-C., commence une diffusion plus importante de ces amphores qui reste limitée pendant un siècle encore pour exploser véritablement aux iiie et iie siècles23. Ce n’est pas un hasard que ce développement de l’exportation d’amphores ébusitaines se fasse en parallèle à une expansion de l’occupation de l’île : si les premiers occupants des Pitiuses semblent se cantonner à quelques établissements de la côte sud d’Ibiza, dont Sa Caleta, au ve siècle les Phéniciens commencent à occuper les alentours de la future Ybosim et le sud-ouest de l’île (figure 2). À partir du ive, les habitants commencent une véritable occupation systématique des zones les plus fertiles de l’île et de Formentera. Cette occupation est encore intensifiée aux iiie et iie siècles24. Les amphores permettraient donc l’exportation des productions agricoles des Pitiuses. Ramon pense d’ailleurs que les types 1 et 2 sont respectivement dévolus au transport de vin et d’huile25. Il n’est pas impossible qu’elles servent également au transport d’autres productions, comme le sel des salines par exemple. Le cas des amphores, associé à ce que l’on sait de l’occupation du sol des Pitiuses, montrerait donc un archipel productif et engagé dans des réseaux de distribution régionaux, au minimum. Ces derniers, particulièrement développés dans les derniers siècles puniques, inscrivent l’île dans sa dimension méditerranéenne (au moins occidentale). Pourtant, la standardisation et l’élaboration d’un profil local et très identifiable des amphores posent une question supplémentaire. Avec ses oliviers et ses vignes, et probablement ses troupeaux d’ovicaprinés et ses arbres fruitiers26, l’île de Bès cherchait-elle à revendiquer un terroir ou un savoir-faire, de même qu’elle a pu le faire pour sa laine, vantée par les Romains, ou que certaines régions sont fameuses pour leur vin, leur élevage, etc.27 ?

19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27.

Ramon 1991, p. 19-93. Ibid., p. 100. Ibid., p. 115. Ibid., p. 102-105. Ibid., p. 146-156 (avec les deux cartes de répartition). Guillon 2016. Ramon 1991, p. 131-135. Gómez Bellard 2008, p. 74. Diodore V, 16.2. L’historien y vante la qualité de la laine ibicenca.

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Figure 2 - Carte des zones d’occupation phénicienne au ve siècle av. J.-C.

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La coroplastie ibicenca Outre les amphores, les ateliers d’Ibiza produisent des figurines de terre cuite en grande quantité. Ces figurines sont liées au domaine cultuel et funéraire, puisqu’elles proviennent des sanctuaires d’Illa Plana28, d’es Culleram29 et des nécropoles30. Ibiza représente pour l’Espagne une des productions les plus massives de ce type d’objets, particulièrement entre les vie et ive siècles, même si elle perdure ensuite. On y retrouve les principales productions de la sphère punique, notamment celles de Sicile et de Sardaigne31, comme les brûle-encens en forme de têtes féminines coiffées du kalathos32 ou les figurines ithyphalliques au corps campaniforme ou ovoïdal. On trouve également à Ibiza des protomés (fin vie, ve et ive siècles), produits sur place, mais montrant des parallèles avec les productions tunisiennes et sardes33. Les ateliers ibicencos offrent cependant une gamme variée de solutions originales tant dans les aspects techniques, avec des ajouts ou des décorations incisées, ou esthétiques avec l’adoption de certains types n’apparaissant que dans la statuaire. Les artisans ibicencos ont une manière particulière de recréer leurs propres modèles : ils utilisent peu les matrices ; ils importent, en revanche, des moules qu’ils modifient par : a/ l’ajout d’éléments typiquement locaux, tels les énormes oreilles percées, les moignons de bras rapportés, l’application surabondante d’éléments de parure (colliers, boucles d’oreilles, diadèmes, etc.) ; b/ le travail à l’estèque, pour faire des retouches et graver des motifs végétaux savants sur les vêtements ; c/ la simplification des coiffures et de certaines décorations34. Au contraire des amphores de plus en plus exportées, ces figurines ont une répartition très locale qui ne concerne que les Pitiuses, et un peu les Baléares. Les potiers individualisent donc leur production dans une autre stratégie que celle de sa reconnaissance à l’extérieur d’Ibiza et Formentera. On est peut-être face à un témoignage d’un

28. Les ex-voto, des figurines exclusivement masculines, datent de la fin de l’époque archaïque (fin vie-ve). Elles présentent un corps fait au tour, campaniforme (le type le plus répandu dans le monde punique) ou ovoïdal. Les mains sont orientées différemment. L’une, souvent dirigée vers le haut, tient une ou des lampes. En ce cas, la seconde est orientée vers le sexe de la figurine. Les deux mains peuvent aussi se rejoindre sur la poitrine. 29. Elles sont datées entre le ive siècle et l’époque romaine. On y trouve beaucoup de bustes féminins moulés, coiffés d’un kalathos de type sicilien. 30. Ce sont surtout des terres cuites moulées, souvent des plaques rectangulaires ou rondes présentant des motifs en relief ou gravés en creux qui ont des analogies à Carthage ou en Sardaigne. Un exemplaire unique présente un motif de sphinx égyptien au pied d’un arbre sacré et évoque un peu les thèmes des ivoires phéniciens. Il est daté du viiie siècle. On trouve également des Bès et des silènes ithyphalliques. 31. Bisi 1997, p. 385 ; voir aussi Aubet Semmler 1969. 32. Bisi 1997, p. 383. 33. Ciasca 1997, p. 414-416. Dans cette zone de production et de diffusion des protomés, très restreinte, Ibiza représente la périphérie occidentale (et la Sardaigne la périphérie septentrionale). 34. Bisi 1997, p. 387 (avec exemples p. 402).

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goût ébusitain, pour le moins. Notons également que, comme pour les amphores, des phases chronologiques sont reconnaissables. Dans les deux cas, les importations d’objets utilitaires et de figurines sont importantes avant l’implantation des ateliers de potiers35. Les premières productions (fin du vie siècle), qui ne correspondent à aucune structure retrouvée, correspondent à une phase de grande perméabilité aux styles extérieurs (on fait des formes similaires aux objets que l’on importe). Dans un deuxième temps, les potiers modifient les formes, les retravaillent et individualisent fortement une partie de leur production (au plus tard au ive siècle). Semble donc se jouer au tournant des ve et ive siècles, un processus de (re)construction culturelle au moins au niveau matériel. Celle-ci témoignerait-elle, par ailleurs, d’un double mouvement des Pitiuses, de singularisation des objets insulaires, ou peut-être même d’une singularisation culturelle plus générale d’une part, et d’une grande ouverture sur l’extérieur, attestée par une perméabilité aux influences extérieures et une inscription dans les réseaux commerciaux, d’autre part ?

Ibiza et Formentera, des îles en réseaux Ibiza (puis Formentera) s’inscrit tôt dans les réseaux commerciaux, en témoignent les premières amphores retrouvées, comme les Vuillemot R1 et les Cintas 268. C’est probablement une des raisons même de l’installation des premiers Phéniciens sur l’île. Ces réseaux impliquent d’abord fortement le sud de la péninsule Ibérique – région d’origine des premiers habitants – puis la Méditerranée centrale, comme on l’a vu précédemment. Toutefois, sa position centrale, dans le bassin méditerranéen occidental, lui permet de garder le rôle de nœud des réseaux méditerranéens, pour reprendre le terme de Peregrine Horden et Nicholas Purcell36. À partir du vie siècle, le rapprochement d’Ibiza avec Carthage débouche sur son intégration complète dans l’orbite de celle-ci, dans la seconde moitié de ce même siècle37. Ce processus a pu favoriser encore davantage sa position de nœud de communication, car, à partir du siècle suivant, elle est un des points névralgiques du commerce en Méditerranée occidentale, avec Ampurias notamment38, puis, dans la première moitié du ive siècle, le grand catalyseur du commerce des établissements puniques, mais aussi du sud de l’Italie et du Levant ibérique. L’intégration d’Ibiza dans les réseaux commerciaux occidentaux et plus largement méditerranéens est confirmée, non seulement par les amphores, mais encore par la présence, dans les sépultures ébusitaines, de divers petits objets, comme les œufs d’autruches (Afrique du Nord), ou les scarabées (provenances variées)39.

35. Gómez Bellard 2000, p. 176-188, 191 ; voir aussi Sánchez 2003, p. 137-138 et Gómez Bellard 2010, p. 575 sur l’utilisation des importations en contexte funéraire. 36. Horden, Purcell 2000, p. 393-394. 37. Gómez Bellard 2000, p. 191. Les colonies phéniciennes d’extrême Occident ont une dynamique différente. 38. Sánchez 2003. Sur le commerce des céramiques grecques dans la même zone, Hermanns 2012, p. 385-393. 39. Velásquez et al. 2015, p. 177-184.

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Parallèlement au développement de cette forte connectivité40, la fin du vie siècle marque un tournant dans l’histoire du peuplement de l’archipel. Sa population augmente de manière conséquente, et les migrants apportent avec eux leur propre culture. Pourtant Ibiza ne devient pas Carthage, ou quelque autre site du monde punique. C’est précisément à la suite de ce moment que débutent l’essor des ateliers et les élaborations originales. Par ailleurs, la grande homogénéité du mobilier, retrouvé dans les nécropoles rurales et urbaine, montre aussi un processus d’élaboration d’une culture matérielle commune à tous les insulaires. Il ne peut s’agir d’une construction originale suite à un isolement, compte tenu de la réutilisation de réseaux déjà éprouvés au profit de la distribution de leurs propres productions. Les réseaux apparaissent donc comme une source économique de premier ordre en même temps qu’un lien aux autres peuples et cultures de la région, tant puniques qu’hispaniques ou grecs (surtout à travers les contacts avec Ampurias), dans une île où finalement la rencontre et/ou la confrontation des cultures et des identités ne semble pratiquement pas exister. Dès lors, l’export d’une production spécifique, dans des amphores très reconnaissables et surtout la frappe de monnaies à partir de la fin du ive siècle ne participentelles pas à l’affirmation d’une identité de la part des Pitiuses, agricole et singulière, affichée à l’extérieur, pour ces « Autres » ?

Une Ibiza ibicenca ou une Ibiza punique ? Dans cette analyse, une dimension n’a pas encore été examinée, la dimension punique. Or, elle s’exprime clairement aux Pitiuses : la langue – au moins écrite – des insulaires est en effet le punique41, les rites funéraires ibicencos ont des parallèles dans toute la sphère punique42, Ybosim est une des cités de cette sphère et un de ses relais commerciaux majeurs. À ce propos, Carlos Gómez Bellard avance l’existence d’une cohérence culturelle punique, reposant sur une même religiosité exprimée de manière similaire entre les vie et ier siècles, dans des territoires compris entre Tunis et l’Atlantique43. Les réseaux méditerranéens et puniques englobant Ibiza véhiculent donc des objets, mais ils transporteraient également une partie de leur symbolique, aidant à la constitution d’une culture punique44, présente aux Pitiuses. À Ibiza et Formentera, les cultures plurielles, en particulier ibicenca et punique au sens large, existeraient donc. Plus qu’une superposition de « couches » culturelles, on pense plus volontiers à un dialogue qui se jouerait entre le global (punique) et le particulier (ébusitain), un dialogue – voire une identité – culturel(le), et non ethnique ou politique, autrement dit une intériorisation par les Ibicencos d’un principe de cohésion. Le rôle de soutien d’Ibiza à Carthage pendant la seconde guerre punique, dépassant la simple obligation envers une cité plus puissante, pourrait aller en ce sens. 40. Sur le concept de connectivité en Méditerranée, Horden, Purcell 2000, p. 123-172. 41. Une des inscriptions retrouvées au sanctuaire d’es Culleram est en caractères néopuniques. Aubet Semmler 1969, p. 41, d’après Solá Solé 1951-1952, p. 41-53 et 1955, p. 25 (l’autre est en écriture phénicienne). Plus récemment, deux inscriptions puniques ont été mises au jour au nord de la nécropole de Puig des Molins, Ramon et al. 2010, p. 233-235. 42. Gómez Bellard 2010. Voir, dans ce même ouvrage la contribution de Marie De Jonghe. 43. Gómez Bellard 2010. 44. Versluys 2010, p. 7-36.

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Le cas des Pitiuses puniques entrerait ainsi dans la définition d’une globalisation, définie comme l’ensemble des processus par lesquels des lieux et des gens deviennent de plus en plus interconnectés et interdépendants45, mais impliquant aussi une hétérogénéité politique, sociale et culturelle. L’homogénéisation concerne l’échelle globale, ici elle serait donc l’affaire de la sphère punique, avec ses rites, sa culture matérielle harmonisée ; la diversité et l’inégalité seraient celle d’une échelle plus locale, ici Ibiza et Formentera. Si l’on veut aller plus loin, Ibiza pourrait même être représentative du néologisme glocalisation46, dont témoignent aujourd’hui ses éléments mobiliers, comme les statuettes et les amphores.

Un mot de conclusion Un article de Myriam Astruc portant sur les œufs d’autruche à Ibiza s’intitule « Entre exotisme et localisme »47. Dès 1957, elle y souligne la polarité qui anime le paysage culturel de l’Ibiza phénicienne et punique. En l’absence de textes, il est difficile de cerner davantage qu’un faciès culturel et de parler d’identité, même si certains éléments – standardisation des contenants, frappe monétaire – pourraient participer d’un discours identitaire au sens large. Dans tous les cas, l’élaboration culturelle originale qui se dessine à Ibiza, à partir de la fin du vie et du ve siècle, est particulièrement visible par le biais des statuettes, des objets chargés de sens dans des contextes cultuels et funéraires. Cette production semble se développer dans un contexte de grande connectivité. La dialectique singularisation / connectivité pourrait prendre racine dans les premiers temps de l’occupation phénicienne de l’île, mais ne s’épanouit qu’à l’époque punique, une fois la place des Pitiuses dans la sphère punique et le bassin méditerranéen occidental en général solidement établie. La conjugaison de traits particuliers ibicencos avec des traits globaux diffusés par les réseaux puniques donne naissance à des processus de « glocalisation » culturelle. Si un tel phénomène semble perceptible, il reste à en analyser les causes, sans doute multiples. Ce n’est pas là l’objet du présent article, mais on peut avancer quelques hypothèses à ce propos. La première tient à l’effort de centralisation et de contrôle territorial effectué par la cité d’Ybosim, à la fois sur le plan politique et sur le plan économique, ce qui se manifeste par le contrôle des fermes, de la production agricole voire, grâce au port, des importations et exportations sur l’île48. L’évaluation du poids de l’insularité d’Ibiza, entre hypo-insularité et isolement, devrait également nous permettre d’apprécier plus finement le phénomène de glocalisation. En effet, la connectivité d’Ibiza, son rôle de nœud au sein du réseau punique plaiderait, d’une part, pour une hypo-insularité, autrement dit un isolement physique fortement minoré par des connexions nombreuses et intensives avec l’extérieur, en l’occurrence la sphère punique et plus largement le bassin méditerranéen occidental. D’autre part, 45. Pitts, Versluys 2014, p. 20. 46. Pitts, Versluys 2014, p. 22-23. Le terme est une combinaison de global et de local. Néologisme né au Japon, il est ensuite utilisé en sociologie et en économie pour désigner l’alliance des tendances globales aux réalités locales, l’adaptation du global à l’échelle locale, dans un monde en connexion. 47. Astruc 1957, p. 47. 48. Gómez Bellard 2008, p. 67-68 ; Díes Cusí et al. 2005, p. 731-751.

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il faudrait réévaluer globalement l’ensemble de la documentation archéologique ibicenca pour voir si, comme pour les statuettes, on observe, dans d’autres corpus ébusitains, l’émergence d’un profil culturel singulier, proprement insulaire. Dans ce cas, c’est l’îléité des Pitiuses, c’est-à-dire la conscience de l’insularité, celle qu’éprouvaient les habitants d’être des insulaires49, qu’il faudrait prendre en compte et apprécier. Bien qu’il s’agisse d’un travail de grande ampleur, le projet de recherche pluridisciplinaire PPI nous permet actuellement d’avancer dans ce sens : nous enregistrons progressivement les 125 sites dans le système ArchéoDATA qui nous permet de renseigner la localisation, les données environnementales (pédologie, géomorphologie, topographie, etc.), administratives, les archives liées aux sites, les travaux de recherche précédemment publiés, ainsi que les structures, le mobilier, les données anthropologiques et archéozoologiques liés à chacun des sites. À terme, la base, rendue accessible aux chercheurs, permettra d’effectuer des études d’envergure et des croisements – typologie, répartition, quantités – sur l’ensemble du mobilier ibicenco.

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49. Bonnemaison 1997, p. 122.

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Les anciennes communautés phéniciennes du détroit de Gibraltar face à Rome (206 av. J.-C. / 44 apr. J.-C.) : entre changements politiques et transformations économiques Max Luaces

(EHESS / UMR 5608 - TRACES / HUM 440)

Abstract The Straits of Gibraltar were affected by the settlement of Phoenician communities. These communities were associated, politically, with the power of Carthage, at the latest, from the arrival of the Barcids on the Iberian Peninsula (236 BC). The outcome of the second Punic War (218-202 BC) triggered the political annexation of part of this area by Rome. Although, historically, we tend to consider this area a Roman space, after the end of the second Punic War (202 BC), archaeological data offers us a different image. It shows the stability of a local Phoenician / Punic culture for several decades, centuries, even. But we can see the gradual transformation of the archaeological material, with regard to Roman culture, during the late Republican era (these Punic communities’ repertoire of materials is characterised by the input of Roman elements). A regional look at these transformations reveals something of a parallel between the political developments at the heart of this area and a cultural environment undergoing profound change. Furthermore, it seems that the cultural integration of these Punic communities into the Roman world was a gradual and complex phenomenon.

Introduction La zone du détroit de Gibraltar a été marquée par l’implantation de populations orientales, à désigner sous le terme générique de Phéniciens1, dès le début de

1. Divers travaux récents sont revenus sur les problématiques et les limites de cette appellation de « phénicien » et de son pendant romain de « punique » : voir Prag 2014, p. 18-23 ; Ferrer Abelda 2011, p. 194-200. Ces terminologies à caractère exogène – ces populations orientales et occidentales ne se désignant pas initialement ainsi – ont été le résultat d’un amalgame réalisé par les Anciens. Si on peut leur attribuer une relative pertinence, du fait de l’influence culturelle et politique de Tyr, puis de celle de Carthage, sur certaines populations, ces terminologies posent des difficultés du point de vue de l’analyse historique. Face à la complexité de cette situation, accentuée par les usages et l’historiographie contemporaine, certains auteurs ont proposé de réaliser une redéfinition sémantique, Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 281-302

Figure 1 - cadre géographique de notre étude, avec la situation des principales communautés du Cercle du Détroit, au début de l’époque tardo-républicaine. Les trois sites qui seront examinés plus en détail sont présentés (étoiles).

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l’âge du Fer2. Des phases précoloniales et coloniales auraient concerné les deux rives du détroit. Mais les établissements phéniciens ont connu de profonds changements au cours du vie siècle av. J.-C.3 À partir de cette période, la plupart de ces anciennes colonies se sont transformées en cités-États autonomes. Leurs configurations politiques et institutionnelles pourraient être rapprochées de celles associées à la notion de la polis grecque4. On observe alors le développement d’un nouveau modèle économique et de pratiques culturelles spécifiques aux populations du détroit de Gibraltar. Ces particularités pourraient amener à les isoler sous la notion de Phéniciens du détroit5. Les multiples spécificités de ces populations ont été conceptualisées autour du paradigme de « Cercle du Détroit »6. Les agglomérations de Gadir, Malaka, Baria ou encore Lixus, seraient à analyser par rapport à ce paradigme (figure 1). Suite à l’expansion des Barcides en Ibérie, la région du détroit s’est retrouvée engagée aux côtés des Carthaginois dans leur deuxième conflit contre Rome. L’issue de cette seconde Guerre Punique (218-202 av. J.-C.) a entraîné l’annexion politique d’une partie de ce secteur par l’Urbs. Durant les décennies ultérieures, les cités de la rive nord du détroit ont été marquées par la disparition de l’empreinte phénicienne, au profit d’un mode de vie « romanisé »7. Cette transformation s’observe tout particulièrement au niveau des activités économiques. L’Ibérie romaine du Haut-Empire est souvent présentée comme un exemple de romanité8. Mais les changements qui ont abouti à cette situation ne se sont pas déroulés en excluant les Phéniciens du détroit. Comme plusieurs travaux l’ont indiqué9, ces derniers n’ont pas été physiquement éliminés par les Romains. De multiples données tendent à démontrer le caractère progressif des transformations qui ont marqué le Cercle du Détroit, entre l’époque tardo-républicaine et le Haut-Empire. Il s’agit d’un processus sur le long cours qui a son propre dynamisme. Bien qu’elle ne soit que rarement envisagée, l’influence des anciennes populations phéniciennes pourraient



2. 3. 4.

5. 6.

7. 8. 9.

avec une désignation en « Phéniciens occidentaux » : López Castro 2007, p. 105. Dans le cas du détroit de Gibraltar, elle pourrait être précisée davantage par une désignation en « Phénicien du détroit », en lien avec les particularismes définis par le paradigme du Cercle du Détroit. Gómez Toscano 2013, p. 82-86. López Castro 2006. L’utilisation du terme polis, d’origine hellénique, entraîne d’évidentes difficultés et présente des risques de confusion, dans le cadre d’une étude sur les Phéniciens du détroit. Il s’agit ici d’un parallèle à valeur didactique, qui tient plus de l’analogie que de la situation réelle, en relation avec les configurations politiques, culturelles et identitaires traduites par la notion de polis. On doit cependant souligner qu’on ne connait pas la nature du fonctionnement institutionnel des cités du détroit. La place du clergé et ses connexions avec une éventuelle aristocratie marchande reste à préciser, de même que celle du reste de la population (assemblée du peuple ?). Ferrer Abelda, García Fernández 2007, p. 653-659. Martín Ruiz 2010, p. 12-13. L’intérêt de ce paradigme est aujourd’hui remis en question, surtout pour la période romaine. Mais il reste le plus pertinent pour l’identification des situations économiques et culturelles pour les populations phéniciennes occidentales : Callegarin 2016, p. 57-65, Bernal Casasola 2016. García Fernández, García Vargas 2010. Dardenay 2011, p. 88-92. López Castro 1994 ; 1995, p. 10.

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avoir été déterminante dans l’exécution de ces changements, puisqu’elles semblent y avoir contribué10. Nous souhaitons examiner la contribution des Phéniciens du détroit dans les transformations qui ont marqué ce secteur, entre l’époque tardo-républicaine et le HautEmpire. On s’attachera à l’évaluer au travers des traces de continuité de la culture phénicienne, dans les activités économiques du début de l’époque romaine. Cette étude présuppose une corrélation entre changement politique et changement culturel qui est loin d’être évidente. Il faudrait alors effectuer cet examen dans le cadre de configurations géopolitiques distinctes, en lien avec un éventuel déploiement multiscalaire. Afin de réaliser un tel travail, nous allons proposer une étude de cas, en présentant les évolutions de trois agglomérations du Cercle du Détroit : Gadir, Carteia et Lixus (figure 1). Chacune de ces cités était caractérisée par des situations politiques et économiques spécifiques, durant l’époque tardo-républicaine. Au-delà de la caractérisation d’une persistance de la culture phénicienne durant l’époque romaine, il s’agirait de mettre en lumière l’implication de ces populations, souvent marginalisées, dans l’histoire romaine du détroit de Gibraltar.

Les transformations économiques de l’époque tardo-républicaine à Gadir La cité de Gadir (l’actuelle commune de Cadix en Andalousie) est une des plus anciennes cités du Cercle du Détroit (figure 1). L’espace de la baie de Cadix a été marqué par une installation précoce des Phéniciens, laquelle s’étalait sur les différentes îles de l’archipel antique11. Il s’agit par ailleurs de l’une des agglomérations phéniciennes occidentales dont l’occupation antique a été la mieux documentée, tant par l’étude des sources textuelles que par l’archéologie. À partir de la fin du vie siècle av. J.-C., on constate l’élaboration d’un modèle économique original à Gadir, établi autour de la préparation et de la commercialisation de denrées halieutiques12. Les activités de production étaient séparées en deux aires d’activité spécialisées (figure 2). La première était dédiée à la transformation des produits de la mer, la seconde était située sur une autre île de l’archipel antique (Antipolis) et était dédiée à la fabrication des conteneurs. Ces deux aires étaient marquées par une installation rationalisée des unités de production, en fonction d’un schéma en parcelle qui prenait en compte les limites de l’espace insulaire et l’accès aux matières premières13. Les principaux types amphoriques, spécifiques à

10. La plupart des travaux sur l’Ibérie romaine analysent les transformations économiques et culturelles de l’époque tardo-républicaine comme le résultat de l’action unilatérale de l’Urbs et des Italiens (Des Boscs-Plateaux 2014, p. 70-77). Mais l’examen des contextes associés aux activités économiques offre l’image d’une situation plus contrastée, avec des faciès marqués durant une longue période par une continuité de la culture phénicienne du détroit. 11. L’espace connu aujourd’hui sous l’appellation de « baie de Cadix » était caractérisé par plusieurs îles, plus ou moins densément occupées, ce qui explique le pluriel de la désignation antique (Gadeira). Niveau de Villedary y Mariñas 2015, p. 227-228. 12. Sáez Romero 2010, p. 897. 13. Luaces 2015, p. 247-249.

LES ANCIENNES COMMUNAUTÉS PHÉNICIENNES DU DÉTROIT DE GIBRALTAR FACE À ROME • 285

Figure 2 - Vue d’ensemble de l’archipel antique de la baie de Cadix (Gadeira / Gadir), avec le schéma d’occupation des aires spécialisées, établies à la fin de l’époque archaïque, et les principales installations économiques.

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Figure 3 - Exemples d’amphores « puniques » produites spécifiquement dans le Cercle du Détroit (T-12.1.1.1 et T-8.2.1.1). Il s’agit de conteneurs de l’époque classique qui sont particulièrement bien documentés à Gadir.

l’époque classique et hellénistique, sont apparus suite à l’élaboration de ce modèle (T-12.1.1.1, T-8.2.1.1) (figure 3). Il répondait à un haut niveau d’organisation et était probablement encadré par des institutions civiques ou religieuses14. Son application, ainsi que les modifications des faciès matériels qui lui furent associées, illustrent les profonds changements qui ont marqué Gadir, entre le ve et le vie siècle av. J.-C. 14. Sáez Romero 2009.

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Mais ces changements n’ont pas été qu’économiques, puisqu’il faudrait les mettre en correspondance avec la constitution d’un nouvel environnement politique et social15. Gadir a tenu une place de premier plan au cours de la seconde Guerre Punique16. D’abord associée aux forces carthaginoises, cette cité a régulièrement été utilisée comme base de repli et d’approvisionnement par les forces puniques. Pour autant, les exactions de ces dernières et les revers militaires subis amenèrent l’oligarchie gaditaine à se tourner vers Rome, via la signature d’un foedus, en 206 av. J.-C. L’ancienne Cadix passa alors sous contrôle romain, tout en conservant une relative autonomie politique, comme tout socius. Bien qu’historiquement romaine, Gadir ne connut pas de véritables transformations au début du iie siècle av. J.-C. Du point de vue des activités économiques, l’archéologie a permis de mettre en lumière l’existence d’une longue phase de continuité. Les activités de production étaient conduites selon le même modèle qu’auparavant et avec les mêmes techniques (figure 4A)17. On retrouve également les mêmes morphologies d’amphores, mais avec quelques évolutions (T-12.1.1.1/2, T-9.1.1.1 et T-8.2.1.1)18. On constate en effet des changements timides, vers les années 170 / 150 av. n. è. L’examen d’un contexte productif amphorique, daté de cette période, a permis de mettre en lumière l’apparition de supports de cuisson en argile. Il s’agit d’un élément technique originaire d’Italie qui était auparavant absent des ateliers du Cercle du Détroit19. C’est en parallèle à ces premiers changements que les types d’amphores dits tardo-puniques apparaissent20. À partir du milieu du iie siècle av. J.-C., le modèle économique antérieur commence à tomber en désuétude, en raison de l’installation d’ateliers en dehors des aires spécialisées (figure 4B). Diverses unités de production sont abandonnées vers cette période21. On constate surtout l’apparition de contextes productifs mêlant fabrication d’amphores et préparation halieutiques22, une combinaison qui était totalement inédite pour la baie de Cadix23, avant l’époque romaine. La transformation de l’environnement économique gaditain s’avère beaucoup plus intense à partir du milieu du iie siècle av. J.-C. Mais il s’agit davantage d’une restructuration que d’un déclin de l’activité. Le début du ier siècle av. J.-C. est caractérisé par un renforcement de ces transformations (figure 4C), le milieu de ce siècle marquant l’abandon définitif du modèle économique antérieur24. Cependant, on peut toujours voir des éléments phéniciens, 15. Niveau de Villedary y Mariñas 2015, p. 234-238. 16. Pour de plus amples détails, on renvoie le lecteur à la vaste bibliographie concernant la présence punique en Ibérie et l’influence de ce théâtre d’opération dans le déroulement du second conflit entre Rome et Carthage. Quelques exemples dans García Osuna Rodríguez 2007, p. 88-95. 17. Sáez Romero 2010, p. 897. 18. Sáez Romero et al. 2016, p. 45-48. 19. Ibid., p. 51-53. 20. García Vargas 1996, p. 53-59. 21. Sáez Romero 2010, p. 902. 22. De Frutos Reyes, Muñoz Vicente 1996, p. 136-138. 23. Ces nouvelles structures de production sont régulièrement rapprochées au modèle de la villa romaine, en raison de la présence d’éléments architecturaux luxueux (Lagóstena Barrios 1996, p. 127-132). 24. Sáez Romero 2010, p. 902-903.

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Figure 4 - Vue diachronique des transformations de l’environnement économique de la baie de Cadix au cours de l’époque tardo-républicaine, entre le début de l’époque romaine (A), le milieu du iie siècle (B) et le début du ier siècle av. J.-C. (C).

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que ce soit au niveau des formes d’amphores (type T-7.4.3.3) ou au niveau des outils de production. Les monnaies, par exemple, sont toujours marquées par une légende en néo-punique25. Il faut attendre l’époque césarienne pour que Gadir offre un panorama matériel davantage romanisé. À l’échelle de la péninsule Ibérique, la documentation amène à envisager une connexion entre les transformations des activités économiques de Gadir et l’expansion de l’Urbs. On constate un parallèle entre la restructuration des activités productives, au milieu du iie siècle av. J.-C., et le ravitaillement des camps romains de Numance en amphores gaditaines26. Il faut souligner que les habitants de Gadir ont eux-mêmes contribué à ces changements27. L’aristocratie phénicienne de l’ancienne Cadix semble avoir participé à la diffusion de ces marchandises dans l’espace romain. Les nombreuses marques épigraphiques en néo-punique de l’épave de la Chrétienne M2 (figure 5), découverte au large de Fréjus et transportant des amphores gaditaines, en serait l’illustration28.

Figure 5 - Inscriptions en néo-punique en provenance de l’épave de la Chrétienne M2 (France), avec une marque épigraphique sur le jas d’ancre (A), et une inscription sur de la céramique de bord (B). Un exemple d’amphore T-7.4.3.3 en provenance de Gadir (C).

L’agglomération de Gadir a eu des rapports spécifiques avec Rome. De cité alliée, elle est devenue un municipium, dont la richesse et l’opulence durant la fin de la République nous ont été rapportées par les sources29. Les divers parallèles, entre 25. Arévalo González, Moreno Pulido 2011, p. 340-343. 26. Sanmartí Grego 1985, p. 142-150 ; Muñoz Vicente 1987, p. 475-476. 27. Les premières techniques productives romaines apparaissent dans des ateliers dont le fonctionnement et l’organisation renvoyaient à l’activité des artisans phéniciens du détroit de l’agglomération (Sáez Romero et al. 2016). 28. Joncheray, Joncheray 2002, p. 57-62. 29. Des Boscs-Plateaux 1994, p. 10-14.

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la chronologie du renforcement de l’empreinte romaine dans les activités économiques et les évolutions géopolitiques, sont particulièrement intéressants30. Mais cette « romanisation » de Gadir ne s’est pas déroulée en opposition avec son passé phénicien, comme en témoigne les références au sanctuaire d’Herakles / Melqart, le fameux Hercules-Gaditanus, durant l’époque impériale31.

Carteia, de la cité phénicienne à la colonie romaine L’agglomération de Carteia, située à une centaine de kilomètres de Cadix, marquait l’entrée méditerranéenne du détroit de Gibraltar, au fond de l’actuelle baie d’Algésiras (figure 6). Cette cité est surtout connue pour la colonie romaine qu’elle était devenue vers 171 av. J.-C. Mais il s’agissait d’une ancienne communauté du Cercle du Détroit, occupée par une population phénicienne occidentale dès le ive siècle av. J.-C.32 La précocité et l’importance de l’influence romaine ont amené à en négliger le passé

Figure 6 - Situation géographique de la cité de Carteia et plan des structures antiques mises au jour (vue régionale : A ; Carteia dans la baie d’Algésiras : B ; plan de Carteia : C). 30. Le fait que l’agglomération offre un visage davantage romain en synchronie avec sa transformation en municipium (49 av. J.-C.), n’est probablement pas anodin. 31. López Castro 1995, p. 263-269. 32. Roldán Gómez et al. 2006, p. 273-277.

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préromain. Les traces archéologiques de la situation de l’agglomération phénicienne occidentale s’avèrent également très réduites33. Mais cette faiblesse particulière de la documentation la rend d’autant plus intéressante pour notre étude. La cité de Carteia a abrité les forces romaines à deux reprises, lors des dernières phases de la seconde Guerre Punique34. Aucune information n’est cependant disponible concernant la configuration de ses relations avec l’Urbs avant le iie siècle av. J.-C. On a généralement tendance à envisager Carteia comme une agglomération stipendiaire. Mais l’existence de traités ne doit pas être négligée. Il s’agissait en tout cas d’une cité stratégique pour Rome, qui n’est pas mentionnée comme une des cités insurgées lors des troubles de 197 av. J.-C., tout comme Gadir. Le recours au Sénat réalisé par plusieurs habitants d’Ibérie, issus de l’union illégitime entre des Romains et des femmes hispaniques, amena l’État romain à leur attribuer une colonie. Le fait que ce soit la cité de Carteia qui ait été choisie pour être refondée, en tant que colonia libertinorum, n’est pas sans intérêt. Il faut par contre signaler que cette refondation ne s’est pas déroulée en excluant les Phéniciens de l’agglomération, ces derniers ayant été invités à faire partie du nouveau corps civique35. Peu de données sont disponibles concernant le déroulement et la configuration des activités économiques au cours du iie siècle avant notre ère. Les premiers témoignages appartiennent à la fin de ce siècle. Néanmoins, les rares informations archéologiques disponibles présentent des caractéristiques originales, surtout si on les compare avec les contextes synchroniques du Cercle du Détroit. Le cas de Gadir nous a permis de montrer l’existence d’une large influence de la culture phénicienne du détroit dans les contextes productifs des années 120 / 80 av. J.-C.36. À l’inverse, l’examen des contextes archéologiques de la figlina d’El Rinconcillo permet de constater la fabrication exclusive de formes romaines (Dressel 1)37. Ces amphores étaient produites dans des fours au départ marqués par une tradition mixte (fours de type B7 ou I/a mais avec piliers latéraux), qui seront rapidement remplacés par des structures typiquement romaines (four de type A4 ou II/d)38. L’ensemble de la documentation sur les activités économiques est caractérisée par la faiblesse de l’empreinte phénicienne. La présence précoce de societates cetariorum gaditanorum39 (figure 7) des sociétés commerciales romaines qui supposent la présence de citoyens de l’Urbs, pourrait contribuer à expliquer cette forte influence romaine. Mais la forme des premiers fours de cet atelier témoigne de l’influence des pratiques productives locales, s’agissant d’une structure présentant un plan similaire à celui des contextes productifs préromains. 33. Il existe des indices d’une production d’amphores « puniques » et de salaisons à K’rt (le nom phénicien de cette cité) (Bernal Casasola et al. 2011, p. 67). Néanmoins, les témoignages matériels en la matière sont particulièrement restreints. 34. Tite-Live XXVIII, 30 ; 31. 35. Tite-Live XLIII, 3. 36. Cette phase marque d’ailleurs l’apogée de la production de certaines amphores associées à une tradition phénicienne, notamment pour les types T-7.4.3.3, T-9.1.1.1 et T-8.2.1.1. Il faut par contre souligner que ces amphores sont accompagnées par des quantités élevées d’imitations locales de Dressel 1 (Sáez Romero 2010, p. 914-918). 37. Bernal Casasola, Jiménez-Camino Álvarez 2004, p. 591-593. 38. Bernal Casasola, Jiménez-Camino Álvarez 2004, p. 592-598. 39. Étienne, Mayet 2002, p. 9-36.

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Figure 7 - Amphore Dressel 1 A fabriquée à Carteia (A), accompagnée des exemples de timbres faisant référence à la societas cetaria de la cité (B).

Le mobilier archéologique relatif aux activités économiques de Carteia est limité pour le début de l’époque romaine. Il témoigne cependant de l’influence des traditions phéniciennes du Cercle du Détroit. On note tout d’abord la présence des activités liées à la commercialisation des produits halieutiques, activités qui ont fait office de paradigme pour les populations du détroit. Par ailleurs, le faciès matériel de Carteia s’avère très proche de celui de Gadir, durant la fin de l’époque républicaine40. Néanmoins, on n’observe pas une persistance équivalente de la culture phénicienne durant le début de l’époque romaine. La K’rt du milieu du iie siècle av. J.-C. est beaucoup plus romaine que phénicienne, avec son temple à podium et son forum. Cette configuration matérielle est difficile à expliquer. Elle est régulièrement envisagée comme la preuve de la présence massive d’une population italique. Mais les données en notre possession invitent à nuancer cette interprétation démographique. La colonie de Carteia était une refondation qui devait surtout abriter des populations ibériques, qu’il s’agisse des habitants de la cité phénicienne ou des individus hispaniques engendrés par des citoyens romains. Ces nouveaux citoyens romains ont-ils cherché à exposer de manière ostentatoire leur statut ? Rome a-t-elle cherché à faire de cette colonie une vitrine de sa culture et de son « modèle » ? Il est difficile de répondre à ces questions et on ne peut pas négliger l’influence d’une immigration 40. Díaz Rodríguez et al. 2003, p. 132-137.

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d’Italiens cherchant à faire fortune dans un secteur très dynamique. Bien que des doutes subsistent, Carteia offre l’image d’une agglomération qui a été l’objet d’une véritable transfiguration, tant au niveau politique qu’économique. Une transformation à laquelle les habitants d’origine phénicienne semblent avoir contribué, d’une manière ou d’une autre.

Les transformations de Lixus, entre l’époque tardo-républicaine et le Haut-Empire Le cas de Lixus nous amène à changer de rive, l’agglomération étant située au Maroc actuel sur le territoire de la commune de Larache (figure 8). Cette cité est mentionnée comme l’un des plus anciens établissements phéniciens du Cercle du Détroit. Sa situation à l’extrémité de l’œcumene en faisait d’ailleurs un lieu quasiment mythique41. L’agglomération occupait le sommet et les alentours d’un promontoire, le Chumis, qui a récemment été l’objet de plusieurs campagnes de fouille42. Ces opérations ont permis de mieux connaître l’occupation du site, entre l’époque classique et le Haut-Empire. Les données archéologiques ont permis d’attester d’une relation entre le site et le Cercle du Détroit, le faciès matériel correspondant à celui observé dans différents secteurs de cet ensemble géohistorique43. Toutefois, la cité de Lixus renvoie à une situation distincte des exemples précédents. À la différence de Gadir et Carteia, l’ancienne Larache n’était pas politiquement contrôlée par Rome durant l’époque tardo-républicaine. Mais la configuration géopolitique de la Maurétanie occidentale durant cette période reste une zone d’ombre. Traditionnellement, la rive Sud du détroit est envisagée comme un territoire sous contrôle de la monarchie maurétanienne, après la seconde Guerre Punique. Néanmoins, Lixus et d’autres cités phéniciennes du détroit commencèrent à frapper des monnaies caractérisées par une légende civique durant le iie siècle av. J.-C.44 La présence d’une organisation de type cité-État est à envisager pour ces communautés. Mais leurs liens avec la monarchie maurétanienne reste pour l’instant inconnue. La configuration politique de l’ensemble des cités de Maurétanie reste d’ailleurs un sujet de discussion45. Ancienne résidence royale (figure 8C-2), la cité de Lixus fit partie d’un protectorat romain, suite au décès de Bocchus le Jeune (33 av. J.-C.), avant de devenir l’une des principales agglomérations du nouveau royaume maurétanien de Ptolémée, 41. 42. 43. 44. 45.

Gras 1992, p. 37-42. Aranegui Gascó et al. 2010. Ramon Torres 2013, p. 35-36. Moreno Pulido 2014, p. 12-14. Certains travaux récents envisagent que l’ensemble de ces anciennes cités phéniciennes furent au départ autonomes, avant d’être intégrées dans le royaume de Maurétanie (Coltelloni, Trannoy 1997, p. 105-109 ; Lassère 2015, p. 48). Le déroulement et la teneur de cette intégration restent cependant à éclaircir. Différentes sources de documentation prouvent ainsi la connexion de Lixus avec cette monarchie, attestée par la découverte de ce qui semble être une résidence royale, datée du début du ier s. av. J.-C. (Aranegui Gascó, Mar Medina 2010, p. 236-252). En l’état actuel, on pourrait envisager que cette communauté a d’abord connu une période d’autonomie, durant tout le iie siècle avant notre ère, avant de devenir une capitale royale. Quel qu’ait pu être la situation réelle de Lixus durant l’époque tardo-républicaine, elle resta fortement marquée par la culture phénicienne du détroit.

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Figure 8 - Situation géographique de la cité de Lixus et plan des structures antiques mises au jour (vue régionale : A ; Lixus dans le Cercle du Détroit : B ; plan des structures connues de Lixus : C).

fils de Juba II. L’assassinat de Ptolémée, sous le règne de Caligula, amena à faire de la Maurétanie occidentale une province romaine, l’empereur Claude octroyant à Lixus le statut de colonie romaine46. Historiquement, l’ancienne Larache est effectivement devenue romaine au milieu du ier siècle apr. J.-C. Mais en tant que cité du Cercle du Détroit, elle serait restée longtemps attachée à la culture phénicienne. L’analyse des activités économiques semble corroborer ce constat. À la différence des exemples précédents, on ne dispose pas d’informations sur les activités de production à Lixus durant l’époque tardorépublicaine. Les données archéologiques témoignent toutefois d’un important développement des activités économiques, à partir de la fin du iie siècle av. J.-C., avec la construction de plusieurs entrepôts47. Ce développement s’intensifie au cours du milieu du ier siècle av. J.-C.48, les activités de production semblant connaître leur apogée au cours de la première moitié du ier siècle apr. J.-C.49 C’est durant cette dernière période que l’une des plus importantes fabriques de salaisons est construite à Lixus, mais il s’agit d’une structure qui est chronologiquement à la jonction entre l’époque punico-maurétanienne et le Haut-Empire. 46. 47. 48. 49.

Hamdoune 1994, p. 83-86. Aranegui Gascó et al. 2004, p. 366-378. Aranegui Gascó 2004, p. 180-181. Caruana Clemente et al. 2001, p. 142-143.

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Jusqu’au début du ier siècle apr. J.-C., les amphores de « tradition punique » ou tardo-puniques dominent les assemblages de la cité tout au moins pour l’époque claudienne50. Le type T-7.4.3.3 représente ainsi le deuxième type le plus représenté dans les faciès céramiques de la première moitié du ier siècle apr. J.-C. (figure 9). L’origine de ces amphores reste incertaine. Aucun contexte ibérique n’a permis de cerner une production aussi tardive de ce type « punique ». Sa production en Maurétanie occidentale jusqu’au Haut-Empire semble aujourd’hui probable. Mais les données disponibles pour l’instant ne permettent pas d’avoir de certitudes. Le mobilier lexitain atteste d’une longue continuité de la culture phénicienne, et ce bien au-delà du cadre chronologique généralement admis. Là encore, les particularités de la situation politique, caractérisée par une incorporation au monde romain beaucoup plus tardive que pour l’Ibérie, pourrait être corrélées à cette longue continuité culturelle. Le constat est important. La Maurétanie occidentale a longtemps

Figure 9 - Deux exemples de T-7.4.3.3 (?) en provenance de contextes du haut-Empire à Lixus. On note la morphologie particulièrement originale, la marque d’une éventuelle production locale (voir figure 5).

50. Ibid., p. 81-185.

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été envisagée comme un territoire marginal dans les réseaux d’échanges antérieurs à l’époque claudienne. Le fait que cet espace ait continué à produire et à exporter des amphores « puniques », des productions qui s’avèrent encore largement marginalisées et peu étudiées, pourrait avoir contribué à sous-estimer le rayonnement économique de la Maurétanie occidentale.

L’influence de la culture phénicienne durant l’époque romaine comme outil d’analyse Les divers cas d’étude présentés ont permis de mettre en évidence divers témoignages d’une continuité de la culture phénicienne dans les activités économiques du Cercle du Détroit, au cours des époques romaines. Mais cette continuité ne se déploie pas de manière équivalente selon l’agglomération. Les établissements que nous avons examinés sont caractérisés par un niveau de documentation inégal d’une cité à l’autre. La comparaison entre leurs différents faciès matériels pose donc des difficultés, en raison des disparités de représentativité du mobilier archéologique par rapport au contexte plus général de l’agglomération. Bien qu’il faille rester prudent, les assemblages amphoriques présentés s’avèrent tout de même marqués par des divergences notables. Le mobilier dit « tardo-punique » représente l’essentiel du mobilier amphorique des contextes gaditains et lexitains de l’époque tardo-républicaine, à la différence de Carteia. Cette dernière cité offre un faciès marqué précocement par l’influence romaine, situation qui est confirmée par l’urbanisme. La persistance d’une empreinte phénicienne du détroit continue durablement à Lixus. On l’observe dans des contextes clairement datés du Haut-Empire, période où l’influence phénicienne n’est plus que marginale en Ibérie. Ces divers exemples témoignent de situations hétérogènes, d’une cité à l’autre et d’une rive à l’autre du Cercle du Détroit. La persistance d’une empreinte phénicienne serait alors à envisager comme multiscalaire. La diversité des situations politiques, et surtout l’influence de leurs corollaires par rapport aux modalités économiques, pourraient être considérées comme un élément d’explication. Les données en la matière restent cependant anecdotiques. Le haut niveau d’incertitude concernant la configuration politique et la chronologie de certains évènements amène à envisager l’explication de ce caractère multiscalaire comme une hypothèse. La continuité de la culture phénicienne du détroit durant l’époque romaine est aujourd’hui largement documentée. Ses conséquences du point de vue de l’analyse historique demandent cependant à être plus amplement considérées. Cette longue influence de la culture phénicienne du détroit apporte un éclairage intéressant à de nombreux phénomènes historiques. L’insurrection de Tingi et du nord de la Maurétanie occidentale contre Bogud II, vers 38 av. J.-C., est généralement envisagée comme une conséquence d’une vacance du pouvoir suite au départ de ce souverain pour l’Ibérie51. L’évènement pourrait être analysé différemment, si l’on prend en compte le fait que ce monarque s’était lancé à l’attaque de Gades (la pendante romaine de Gadir), et du sanctuaire de Melqart / Herakles. L’élite de cette dernière cité restait

51. Gozalbes Cravioto 1994.

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l’un des principaux soutiens d’Octave52. Mais l’agglomération était surtout l’un des grands centres de la culture phénicienne du détroit, à laquelle certaines cités de Maurétanie étaient encore associées à cette période. L’attaque de Bogud II a dû toucher directement aux intérêts de ces populations. Il n’est pas anodin que l’insurrection ait éclaté dans une autre ancienne cité du Cercle du Détroit. La continuité de l’empreinte phénicienne offrirait alors une perspective intéressante pour la compréhension et l’analyse de cet évènement, que ce soit pour des raisons économiques ou par solidarité avec une population culturellement proche. Une influence de la continuité phénicienne occidentale pourrait également être envisagée par rapport à la nomination de Lucius Cornelius Balbus Minor en Africa Vetus (21 av. J.-C.)53. Que Rome ait envoyé un personnage qui connaissait le langage et les coutumes puniques pour pacifier un ancien territoire caractérisé par des traces de cette culture n’est probablement pas sans rapport.

Conclusion On est revenu sur plusieurs attestations de l’influence de la culture phénicienne du détroit durant l’époque tardo-républicaine et le Haut-Empire. Cet examen s’est fondé sur une comparaison entre trois anciennes agglomérations phéniciennes de la région du détroit de Gibraltar : Gadir, Carteia et Lixus. Bien qu’elles renvoient à un niveau de documentation inégal, plusieurs contextes de ces trois cités ont permis de mettre en évidence la persistance d’une empreinte phénicienne dans les activités économiques. La prise en compte de cette continuité offre un éclairage intéressant sur plusieurs phénomènes et évènements de l’Antiquité. On en a envisagé deux exemples, avec la révolte de Tingi en 38 av. J.-C. et le mandat de Balbus Minor en 21 av. J.-C. Mais il en existe bien d’autres. Définir et analyser cette continuité représente un véritable écueil pour l’archéologie, comme l’atteste l’absence de consensus sur les terminologies à employer pour le mobilier du début de l’époque romaine54. Mais cette difficulté n’est pas seulement une problématique archéologique. Le caractère binaire du raisonnement historique, dans l’opposition entre les périodes puniques et romaines par exemple, amène à favoriser un acteur unique dans l’analyse de phénomènes en réalité produits par des actions plurilatérales. Les relations entre les populations antiques sont trop souvent analysées à partir du seul rapport confrontation / soumission. Pourtant, une

52. Les sources attestent du soutien des Balbi, l’une des grandes familles de l’aristocratie gaditaine, à la cause d’Octave. Cornelius Balbus Mayor, riche gaditain qui était lié à la gestion de l’un des sanctuaires de Gadir (peut-être de l’Herakleion) avait eu une influence considérable et largement sous-estimée sur l’ascension de César (Des Boscs-Plateaux 1994). 53. Ce personnage était le neveu de Balbus Mayor. Bien qu’il fût un citoyen romain admis dans les hautes sphères de l’État romain, Balbus Minor était un membre de l’aristocratie gaditaine, à l’origine phénicienne assurée. Le Bohec 2005, p. 53-61. 54. L’usage indifférencié des termes « néo-punique », « tardo-punique », de « post-punique » ou « de tradition romaine », allié aux difficultés de visibilité du mobilier punique d’époque romaine, illustre les problématiques rencontrées par les diverses disciplines historiques, que ce soit l’archéologie ou la philologie antique, par rapport à ces populations et à leurs traces.

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large documentation atteste de situations plus diverses, marquées par des degrés de coopération. Le cas de la contribution de certains phéniciens du détroit à l’histoire romaine en est un exemple. La compréhension de ces phénomènes est importante pour l’étude des populations phéniciennes et puniques, puisqu’elle offre la possibilité de mieux analyser leur devenir durant l’époque romaine. Mais il s’agit également d’une perspective importante pour l’étude du « monde » romain, l’intégration politique et culturelle de populations étrangères ayant été l’une des raisons du succès de l’Urbs. De ce point de vue, l’étude de la persistance de la culture phénicienne occidentale présente un intérêt qui dépasse largement les frontières disciplinaires et qui mériterait davantage d’intérêt.

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L’emploi des Écritures (et des langues) dans l’occident punique : quelles identités ? Écritures et identité dans l’Afrique du Nord Maria Giulia Amadasi Guzzo

(Universita di Roma “Sapienza”)

Abstract The question of the use of different writings with respect to a social and / or political identification has been notably confronted in the case of Cyprus. For the western Punic, the question has been approached specifically from the point of view of bilingualism. Here, the aim is to present the use cases of different writings and languages in the Punic world during the last life stage of Carthage and after its decline to show either the persistence and attachment to traditions or the formation of new subjectivities proceeding by examples, by examining, above all, the use of the writings and the Punic language, but also by examining the use of Greek and the Numidian language (Libyan); finally resulting in the abandonment of writings of Phoenician origin.

L’écriture comme marque d’une identité La question de l’écriture, liée à une langue déterminée, comme marque d’une identité ou d’une ethnicité spécifiques, a été posée plusieurs fois. Un cas paradigmatique est celui de Chypre, analysé surtout par S. Sherratt1, mais aussi par A. Morpurgo Davies2 et M. Iacovou3 en ce qui concerne les rapports entre la Grèce, la Phénicie et Chypre. La plupart des habitants de cette île emploient pendant une longue période à partir du début du ier millénaire av. J.-C. une écriture dérivée du Chypro-Minoen pour exprimer un dialecte grec arcadien, un phénomène qui a été analysé comme l’expression d’une identité chypriote volontaire, du moins dans le cas des inscriptions officielles et des bilingues, en contraste tant avec la Grèce qu’avec la Phénicie. Le cas de Chypre, m’a poussée à me poser la question des significations, en Afrique du Nord à l’époque carthaginoise tardive et après la chute de Carthage, de l’emploi d’écritures (et de langues) d’origine différente, en particulier de l’usage contemporain de l’écriture et de la langue d’origine phénicienne (dans ses stades récents et

1. Sherratt 2003. 2. Morpurgo Davies 1986 ; Morpurgo Davies, Olivier 2012. 3. Iacovou 2013. Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 303-318

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néo-puniques) et de la langue et de l’écriture dites libyques, seules ou dans des textes bilingues ou trilingues. La question de l’usage de langues et d’écritures différentes dans cette région a été abordée en particulier sous l’angle visuel du multilinguisme, mais en examinant aussi les questions identitaires, en rapport avec le latin, le grec et la romanisation, en particulier par Adams4 et Wilson5, ce dernier en se focalisant sur la Tripolitaine. Le but de la présente contribution est d’essayer de cerner le rôle et la fonction joués dans ce sens par les écritures (et langues) libyque, phénicienne (punique et néo-punique)6, dans quelques cas grecque, en Afrique du Nord à partir de la période de la chute de Carthage. Les identités qui se manifestent, ou qu’on perçoit dans ces textes sont de différents types, plus ou moins conscientes ou volontaires, liées à un concept d’ethnicité mais aussi à des catégories d’ordre divers7.

Les types d’écriture et leur liaison à des langues déterminées À leur arrivée en Afrique du Nord, les Phéniciens ont rencontré des peuples parlant des langues dialectalement différenciées, définies comme libyques qui, en général, n’employaient pas l’écriture. Il a été souvent admis que c’est sous l’impulsion ou l’exemple de l’alphabet phénicien (ou punique, c’est-à-dire carthaginois) qu’une écriture alphabétique locale s’est développée en ces territoires8, où les langues parlées jusqu’à nos jours sont dites berbères et appartiennent à la famille appelée afro-asiatique (autrefois chamito-sémitique). Dans les régions actuelles de la Libye, de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc pendant les débuts de la période du Fer c’est seulement l’écriture phénicienne qui est attestée. Mais à partir d’une date encore discutée, remontant sans doute à une époque plus reculée qu’on ne le supposait précédemment, comme le propose la majorité des chercheurs actuels9, est attestée 4. Adams 2003. 5. Wilson 2012. Pour une synthèse sur l’Afrique du Nord antique voir Lassère 2015. 6. J’emploie le terme phénicien pour désigner la langue et l’écriture originaires de la côte libanaise tant dans l’Orient que dans l’Occident méditerranéens ; je réserve le terme punique plus spécifiquement à la langue et à l’écriture de l’Occident à partir du vie-ve siècle environ, lorsque Carthage assume le rôle de « capitale » des territoires anciennement fréquentés et colonisés par les Phéniciens. J’emploie l’adjectif néopunique pour désigner l’écriture qui s’affirme après la destruction de Carthage. Ces termes ont une signification concrète ambigüe, mais sont d’une utilité pratique indubitable. 7. Sur les concepts d’identité consciente ou inconsciente, voir à propos de la Syrie du Nord au Fer II Mazzoni 2016 ; pour une reconstruction historiographique du concept d’identité phénicienne, voir entre autres, Xella 2014 (et bibliographie) ; plus spécifiquement pour l’occident De Simone 2016 ; pour l’époque tardive (après la chute de Carthage), voir l’ensemble du travail de Campus 2012 où sont présentées les identités multiples – plus ou moins volontaires et liées à plusieurs facteurs – se croisant en Afrique du Nord. 8. Cf. parmi les premiers travaux Février 1956, et Rössler 1958 ; dernièrement Kerr 2010b (modèle punique récent, mis cependant en discussion ; voir également la bibliographie avec points de vue différents ; voir aussi le compte rendu de Pichler, Le Quellec 2011). Sur les écritures libyques voir surtout Galand 1989 ; Camps 1996 ; Chaker, Hachi 2000 ; Chaker 2008 ; Ghaki 2013 (avec la citation des études précédentes). Interprétation différente sur l’origine, mais abondante documentation dans Pichler 2007. Principaux recueils : RIL et Galand 1966 ; pour le Maroc, voir aussi El-Khayari 2004. En outre : La lettre du RILB (Répertoire des inscriptions libyco-berbères), sous la direction de L. Galand. 9. Voir note 8.

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une écriture locale (qu’on appelle libyque pour l’époque ancienne) pour exprimer une langue (probablement des langues ou dialectes) reliée aux parlers berbères actuels10, écriture qui est l’ancêtre de celle dite tifinagh. Son emploi, dont le plus ancien document daté, RIL 2, remonte à 139-138 av. J.-C. (c’est la bilingue de Dougga de la dixième année de Micipsa11), mais dont on a identifié des exemples plus anciens12, s’étale sur une aire très vaste, qui se concentre dans une région où, à partir de la fin du iiie siècle av. J.-C., sont connus les royaumes des Massyles, Massasyles et Maures ; avec des variétés difficilement datables, la même écriture est attestée au Sahara et aux Canaries, dans ces îles pour exprimer une langue non identifiée. Plusieurs exemples de l’écriture libyque, avec des traits spécifiques, ont été découverts en Tripolitaine à Ghirza et dans la région intérieure13 et par R. Rebuffat à Bou Njem14. À côté de l’emploi du punique et du libyque, le grec est attesté ; à partir du ier siècle av. J.-C. se diffuse le latin. Les écritures phénicienne, libyque et grecque ont été liées chacune à une langue pendant presque toute la période de leur utilisation, avec quelques exceptions. En Tripolitaine, à partir de la fin du ier-début du iie siècle apr. J.-C. (et peut-être plus tard, les datations sont incertaines : en tout cas jusqu’au ive siècle apr. J.-C. au moins), le punique a été écrit en caractères latins, dans un nombre assez restreint de textes et dans des régions souvent périphériques (il s’agit du groupe d’inscriptions dites latino-puniques)15. Quant au système libyque, jamais il n’a été employé pour des textes puniques ou latins, tandis qu’après la conquête arabe nous avons des textes berbères écrits en caractères arabes (région du Mzab et Maroc du Sud). Dans ces derniers cas, une identité de la communauté des parlants est préservée par la langue, tandis que l’écriture est un moyen de transmission.

Écritures identitaires en Afrique du Nord (iie siècle av. J.-C.-ier siècle apr. J.-C. environ) Ainsi, à partir du iie siècle av. J.-C., punique, libyque et grec, et bientôt latin, coexistent en proportions différentes en Afrique du Nord, le lien entre langue et écriture étant presque indissoluble ; dans les rares cas où ce lien est coupé (à Constantine par exemple)16 c’est justement pour afficher une identité spécifique, soulignée tant par l’onomastique que par l’écriture. En effet, quand d’autres systèmes sont connus dans la même région, le choix d’employer une langue et une écriture bien déterminée est certainement la marque d’une identification, ethnique, sociale ou autre, le lien écriture-identités étant plus évident lorsque des inscriptions en écritures et langues différentes coexistent (bilingues ou trilingues). Les exemples de 10. 11. 12. 13.

Voir à ce sujet les remarques de Galand 2002-2003. Partie punique : KAI 101. Cf. surtout Camps 1978 (vie siècle av. J.-C. ; surtout stèle d’Azib nʾIkkis). Brogan 1984 (catalogue avec bibliographie précédente) ; zone au nord de Bir Bu Gherab, sur la route vers Mizda, cf. Di Vita 1964, p. 141-142. Pour Lepcis, voir les propositions de Piacentini 2018. 14. Rebuffat 1974-1975 ; 2004. 15. Kerr 2010a (cf. aussi, l’étude basilaire de Levi Della Vida 1963). 16. Berthier, Charlier 1955, Gr 1 ; voir aussi Gr 3 (KAI 175, 176) ; voir remarques de Adams 2003, p. 240-242.

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l’emploi du libyque à lui seul, à côté du punique (et du latin, dont je ne m’occuperai pas ici) ou l’emploi du punique par des personnages à l’onomastique libyque ont une signification indubitable, qu’il faut dans chaque cas ou groupe de cas essayer de comprendre pour en tirer des conséquences sur la culture (au sens le plus général) dont participent les auteurs des textes et qu’ils tiennent à communiquer à leur entourage17. La question est particulièrement intéressante à la suite de l’emploi récent de l’écriture libyque et de son développement qui est lié à la familiarité avec l’emploi d’autres types d’écriture – en l’occurrence l’alphabet phénicien, qui semble l’avoir inspirée en tant que système – et qui se diffuse comme moyen propre pour l’expression de parlers également propres18. C’est donc de l’utilisation tour à tour, dans une même période approximative, du système libyque et du système punique dont je vais essayer de mettre en relief la signification respective du point de vue identitaire, face à la culture carthaginoise et face à l’affirmation politique romaine. Punique employé par des Libyens En Tripolitaine19, les témoignages épigraphiques néopuniques au début de l’époque impériale romaine sont nombreux, surtout à Sabratha, Oea (Tripoli) et Lepcis Magna, mais aussi à l’intérieur (pré-désert). À Lepcis Magna, la ville romaine a presque entièrement oblitéré l’ancienne fondation phénicienne et ce n’est qu’une seule inscription en caractères puniques, qu’on attribue au iie siècle av. J.-C., qui nous est parvenue20. L’intérêt de ces inscriptions du point de vue identitaire local21 est évident spécialement dans l’usage de l’onomastique. En effet, les textes en langue punique présentent des noms propres en majorité d’origine phénicienne, mais aussi locaux (libyens ?), en particulier en ce qui concerne tout particulièrement des noms de famille22. On peut ainsi remarquer qu’au ier siècle apr. J.-C. des familles d’ascendance aussi bien punique qu’indigène, désormais bien mixtes, employant des noms personnels le plus souvent phéniciens mais des « noms de famille » libyques, se servent de la langue et de l’écriture des anciens colonisateurs pour mettre en relief, devant leurs concitoyens, dans un contexte administratif romain, leur appartenance à la société locale23 ; celle-ci 17. 18. 19. 20.

Même à ceux qui ne lisent pas, mais qui voient des signes d’écriture différents. Récemment, reprise de la question de l’origine, avec les différentes propositions, Ghaki 2013. Mattingly 1995 ; Di Vita 1982. IPT 31 (Trip. 37 ; KAI 119). Il s’agit d’une dédicace, fragmentaire et discutée quant à l’ensemble de son contenu, à Shadrapa et Milkʿashtart (voir dernièrement, avec bibliographie, Garbini 2002). 21. Sur cet aspect, voir dernièrement Crawley Quinn 2008. Sur les différents éléments de la société de la ville voir aussi Mattingly 1995, p. 160-161 (distinguant trop nettement, d’après moi, l’élément punique de l’élément libyen sur la base de l’onomastique, les deux souches me paraissant extrêmement croisées). 22. Recueil important Jongeling 1984, voir aussi Jongeling 1994 ; pour le libyque : Camps et al. (Dupuis, Rebuffat) 2002-2003 ; en outre en particulier Ghaki 2015. Sur les noms de personne dans les inscriptions néopuniques, voir Amadasi Guzzo 1986 et 2002-2003. Exemples dans Mattingly 1987, p. 73-74. 23. Nous avons par ex. Baʿl shillek ʿGYZ dans IPT 2 (Sabratha), ʿAbdmelqart Tabaḥpi dans IPT 17 (Trip. 12) ; Gersakon DD/R[ dans IPT 42 (Trip. 44j) ; Adonibaʿl, fils de Arish PYLN/T dans IPT 21 (Trip. 27), Hanno, fils de Arisham YGMʿN/K dans IPT 17 (Trip. 12). Le caractère « libyque » de ces noms de famille est seulement supposé.

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s’assimile peu à peu à la mode romaine en ajoutant des noms latins à son onomastique phénicienne et locale : les membres de l’élite de Lepcis Magna tiennent à garder leurs noms traditionnels (phéniciens et libyques), en y ajoutant des éléments latins dans un schéma de trois noms, avant même de devenir citoyens romains24. Ils affichent ainsi une identité liée à leur ville, qui se manifeste tout particulièrement par l’emploi de l’écriture punique, mais en préservant des noms indigènes (qui ne semblent pas apparaître aussi clairement dans l’Afrique du Nord côtière avant la chute de l’« empire » punique) et en accueillant les modes onomastiques romaines, ce qui leur attribue une identité sociale ultérieure25. Lorsqu’on se déplace de la ville vers l’intérieur, des inscriptions en langue et en écriture d’origine phénicienne attestent une onomastique qui est presqu’entièrement libyque, qui montre que des riches personnages locaux, offrant sous l’autorité romaine des édifices cultuels importants ou se faisant ensevelir dans des tombes monumentales, manifestent leur identité sociale par l’usage de la langue et de l’écriture puniques, expression de leur culture et de leur rang – désormais leur propre langue et leur propre écriture en Tripolitaine –, mais tiennent en même temps non seulement à garder leurs noms traditionnels, mais dans quelques cas à mettre en relief leur appartenance à la société tribale qui les distingue26. Voici quelques exemples, qu’on peut dater entre le ier et le iie siècle apr. J.-C. À Ras el-Haddagia, près de Breviglieri (haut-plateau de Tarhuna), une inscription de trois lignes gravée sur un bloc qui faisait partie d’un édifice cultuel rappelle le don d’une statue et de constructions diverses en l’honneur du dieu Amon de Siwa, en l’année du proconsul Lucius Aelius Lamia (17-14 av. J.-C.)27. Le dédicataire a non seulement un nom libyque : T/NKSP fils de Shasidwasan, fils de Namrur28 ; il indique aussi son appartenance à un groupe, les BNʾ MʿSNKʿW, les « fils de Masankaw », probablement une tribu. Il s’agit donc d’un personnage libyque, propriétaire foncier, qui tient à son origine (identité ethnique) mais qui en même temps, commémore ses dons à une divinité égyptienne (Amon de l’oasis de Siwa) en se servant d’une langue et d’une écriture qui témoignent évidemment de son identité sociale. Les inscriptions funéraires du site de Wadi el-ʿAmud (région du Sofeggin) se prêtent à des remarques semblables. Il s’agit de trois inscriptions venant de deux tombeaux identifiés par O. Brogan comme A et B29, qui commémorent la construction du monument (il s’agit de tombes en forme d’obélisque) de la part de descendants des défunts, en souvenir de leur père ou de leur père et d’autres membres de sa famille. Un arbre généalogique des personnages nommés dans les textes a été proposé par

24. Voir par ex. Yatonbʿal, fils de Arish Tabahpi Sabine dans IPT 23 (Trip. 29) ou Baʿlyaton, fils de Hanno G. Saturnine dans IPT 22 (Trip. 28). 25. Pour le rôle des éléments punique et libyque dans les villes, voir Mattingly 1987, p. 73-75. 26. Sur l’aristocratie rurale en Tripolitaine, Mattingly 1987, surtout p. 75-80 et Mattingly 1995, p. 144-152 (organisation du prédésert) ; sur les familles locales p. 166 (reprenant la généalogie attestée à Wadi el-ʿAmud, à propos de laquelle voir ci-dessous). 27. Texte : KAI 118 ; IPT 76 (Trip. 6) ; Jongeling 2008, Breviglieri N 1 (voir ici Appendice, 1). 28. Vocalisations conventionnelles. Sur ces noms et l’expression suivante BNʾ + Nom propre, cf. IPT, p. 111-112. 29. IPT 77 (Trip. 39), du tombeau A, 78 (Trip. 40), 79 (Trip. 38), du tombeau B. Voir en particulier Brogan 1964 et Levi Della Vida 1964 (voir ici Appendice, 2-4).

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D. Mattingly30. La tombe A (IPT 79, Trip. 38) a été faite par Masawkan pour son père Yamrur, fils de Gatit31 de la tribu MṢL (?)32 et pour sa mère Zut, fille de Gan/tidan, de la tribu N/TGLB33 ; en outre pour sa femme Asliyan, fille de YN/TKDʿSN (Yan/tkdasan ?), fils de ṢYWK, de la même tribu N/TGLB de sa mère, et pour un enfant de Masawkan qui n’est pas nommé. Le tombeau a été bâti par ce dernier à ses frais, « pendant sa vie et pendant la vie de ses fils, Arisham et ʾYʾṢDN34 ». G. Levi Della Vida a noté que la femme et la mère de Masawkan proviennent de la même tribu ; en outre que l’un de ses fils a un nom punique, le seul de cette origine attesté dans la présente inscription. Un Arisham, est cité dans l’une des deux inscriptions de la tombe B. Curieusement celle-ci a livré deux textes qui se réfèrent au même défunt, Nimran, fils de Mashukkasan. Le tombeau a été construit par ses fils, dont les noms ne sont pas préservés, tandis que reste le nom de l’un des constructeurs du monument, d’origine punique, Arisham fils de Bodʿashtart. Mattingly suppose qu’il pouvait exister une parenté entre celui-ci et le Arisham nommé à propos de la tombe A35, ce qui pourrait montrer des liens d’origine variée dans la constitution de ces riches familles de l’intérieur (le patronyme du deuxième Arisham est d’origine phénicienne). De son côté Levi Della Vida remarque que les « techniciens » (les bâtisseurs) paraissent de souche phénicienne. On peut supposer leur origine citadine (de Lepcis ?) sans que leur onomastique révèle obligatoirement une ethnie, mais plutôt une condition sociale et culturelle. L’intérieur de la Tripolitaine montre clairement l’identité ethnique locale de ses habitants ; ils sont des propriétaires terriens, agriculteurs et éleveurs de bétail libyens, d’après la reconstruction historique proposée surtout par Mattingly36, dont l’expression écrite est pourtant confiée au punique, langue accompagnée toutefois par une onomastique indigène et par le témoignage d’une organisation sociale de type « tribal ». Celle-ci est bien distincte de l’organisation citadine ; les habitants des villes, lorsqu’ils se désignent le font de manière différente : généralement, ils se disent appartenir « au peuple / à la population » d’une cité déterminée (expression ʿŠ BʿM + nom de ville « qui appartient à la population de » + toponyme)37.

30. 31. 32. 33. 34.

Mattingly 1987, p. 78-79 ; 1995, p. 164. Vocalisation incertaine. Le texte est HMṢLY, probablement l’article + un ethnique en –Y. Comme dans le cas précédent la forme est HN/TGLBY (article + adjectif ethnique). La reconstruction est celle de Mattingly 1987, p. 78 ; l’inscription a ʿYʾṢDN ; le premier alef pourrait être une voyelle à rattacher au W (conjonction « et ») qui précède le nom ; cependant dans les expressions précédentes la conjonction W- n’est jamais suivie de cet alef, qui devrait donc faire partie de l’anthroponyme. 35. Mattingly 1987, p. 70, n. 43 : « The relationship of Nimran to Masawkan is obscure, but a family connection is probably expected ». 36. Voir aussi sur la nature des communautés locales, sédentaires et adonnées à l’agriculture depuis longtemps, Mattingly 2016. 37. Voir IPT 2 (Trip. 35) de Sabratha, qui mentionne BʿLŠLK ʿGYZ ʿŠ BʾM ʿLPQY « Baʿlshillek ‘GYZ qui fait partie de la population de Lepcis » et probablement IPT 32 (Trip. 41), l. 2, où Himilkot DRYDS est ṢMḤ ḤNʾ ʾŠ BʿM ʾ[LPQY] « rejeton de Hanno, qui appartient à la population de Lepcis ». On a proposé que cette expression désigne un citoyen de plein droit, faisant partie de l’assemblée des citoyens, voir en particulier Sznycer 1975. Est attestée aussi l’expression BʿL + toponyme « citoyen de » + nom géographique. La différence entre les deux expressions n’est pas claire.

L’EMPLOI DES ÉCRITURES (ET DES LANGUES) DANS L’OCCIDENT PUNIQUE • 309

Emploi du libyque Ainsi, dans le pré-désert de la Tripolitaine, vers le ier-iie siècles apr. J.-C., les habitants locaux emploient la langue et l’écriture punique. Toutefois, une écriture locale, libyque, existait depuis quelques siècles et est attestée par quelques documents, peu nombreux et regroupés à l’intérieur du pays, à partir d’une période difficile à déterminer. En tout cas, dans la région tripolitaine, leur emploi semble successif aux inscriptions de Breviglieri (Ras el-Haddaja) et de Wadi el-ʿAmud, et parait remonter à une époque où l’écriture d’origine phénicienne n’était peut-être plus usitée38. Il semble donc qu’à partir du iie siècle apr. J.-C. environ, les habitants manifestent leur identité locale par l’onomastique dans les textes latins ou bien par l’adaptation de l’écriture latine à l’expression d’une langue punique très évoluée, enfin par la diffusion de l’usage d’une écriture libyque dans des régions ou sites spécifiques (documents de Bou Njem et de la région de Ghirza). Au contraire, le système libyque (avec ses variétés locales d’écriture et vraisemblablement de langue) est bien attesté plus à l’ouest, où les royaumes Numides et Maure sont attestés essentiellement à partir de la deuxième guerre punique, seul ou dans des textes bilingues (avec le punique ou le latin). Dans ces régions il est intéressant d’observer, sous le point de vue de la question identitaire, le nombre respectif de textes en libyque ou en punique par rapport aux textes bilingues puniques et libyques (libyques-latins ou puniques-latins)39. Quelle que soit l’origine de l’écriture libyque et malgré les datations incertaines, il semble indubitable que son emploi augmente au contact des changements sociaux et culturels dus aux différentes situations historiques, avec un rôle évident dérivant du contact avec la société d’origine phénicienne et les différents usages de la technique de l’écriture (commémoratifs, votifs, funéraires, administratifs). Et c’est ce contact qui a donné à ce système une signification identitaire spécifique. En Tripolitaine, où la culture carthaginoise était prépondérante depuis la fondation des premiers centres portuaires, et où une riche société sédentaire, urbaine et agricole, est présente après le déclin de l’état punique, la marque d’une identité propre a été confiée à l’écriture et à la langue punique (face au latin), à l’onomastique et à l’expression de l’appartenance sociale de type « tribal » (face au punique). Plus à l’ouest, dans les territoires numides et maures, où des royaumes locaux se sont affermis, c’est le libyque – langue et écriture – qui a été employé pour affirmer une identité propre.

38. À Bou Njem (antique Gholaia), le camp romain est daté entre 201 et 260, voir par ex. Rebuffat 2004, p. 55 (« Les graffitis sont datés : forcément entre l’an 201 et 260, probablement des dernières années de cette période »). Sur la datation incertaine, mais « tardive » (iiie-ve siècle) des textes de Ghirza, voir idem, p. 64-65 et tableau p. 70. 39. Voir en particulier Chaker 2002-2003, p. 271 : 10 inscriptions bilingues punique-libyque dans le RIL, voir note 9 ; 18 inscriptions bilingues latin-libyque avec liste à la note 7 ; voir aussi Rebuffat 2007 et Sfaxi 2015.

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Les inscriptions de Dougga KAI 10040 et 10141 sont exemplaires42 ; dans ces textes tant l’onomastique que des titres de fonction43 sont adaptés dans le texte punique à partir du libyque. Cependant, le texte punique est à la première place ; l’écriture libyque a quelques traits spécifiques (en particulier elle est horizontale, de droite à gauche) qui semblent liés à une influence punique. Le rôle identitaire est affirmé par l’adoption à un niveau officiel de la langue libyque, liée au moyen technique d’une écriture spécifique. Mais, la langue et l’écriture puniques sont préservées, même au premier plan, pour une communication plus vaste et vraisemblablement comme signes d’un rang social reconnu depuis une époque reculée. Un double souci pousse donc les rois (ou les grandes familles locales) à employer en même temps le libyque et le punique (puis le latin) : faire reconnaître leur origine et leur autorité sociale indigènes ; montrer leur rang et leur appartenance à la même société qui maintenant, comme auparavant, représente le niveau plus élevé, cultivé et « international », de la société (ils manifestent ainsi le besoin de s’affirmer localement et extérieurement en tant qu’autochtones). C’est intéressant – comme il a été déjà souligné – sont toujours en caractères d’origine phénicienne, suivant une tradition établie, mais aussi pour une nécessité de communication plus aisée avec les centres d’échanges44. Malheureusement, nous connaissons mal la chronologie des inscriptions libyques. L’emploi de l’alphabet local semble se diffuser dans le temps, à l’époque impériale romaine et par la suite, ainsi que dans l’espace avec une fonction identitaire plus que pour un besoin d’échanger des « notions »45, comme l’a montré S. Chaker46. Celui-ci a supposé, en outre, que les variantes de l’écriture libyque, difficiles à classer suivant un critère géographique complètement satisfaisant, pourraient être liées à des niveaux sociaux divers. En tout cas, ce qui semble se manifester c’est une diffusion de l’emploi de l’écriture locale, allant de pair avec le déclin de l’emprise punique (en tant qu’influence commerciale et politique), et sa persistance à côté du latin, lorsque l’alphabet d’origine phénicienne tombe en désuétude. Grec et punique L’emploi d’une écriture et d’une langue déterminée en fonction, du moins en partie, identitaire s’observe dans quelques cas d’emploi du grec47. À Constantine, dans le tophet, au moins une dédicace en grec (KAI 176) a été offerte par ALKIMĒDĒS, tandis que SŌSIPATROS fils de ZŌPYROS a offert une dédicace en caractères grecs

40. 41. 42. 43. 44.

RIL 1 ; Chabot, JA 1918, 1, p. 260-267 ; Février, Karthago 10, p. 53-57. RIL 2 ; Chabot, JA 1918, p. 267-279. Galand 1973. Titres de fonction libyques : voir Chaker 1986 [1988]. Sur les légendes des inscriptions des royaumes de Numidie et de Maurétanie voir par ex. Manfredi 1995. 45. Sur la question de la différence entre savoir lire et écrire et sur la définition de sociétés “orales” ou “écrites”, ainsi que sur le concept de “literacy” dans des milieux oraux, voir Macdonald 2005. 46. Chaker 2002-2003. 47. Voir Adams 2003, p. 240-242.

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mais en langue punique (KAI 175). L’identité qui se manifeste dans ces cas est en quelque sorte double, car les offrants accomplissent un rite typiquement phénicien, mais par l’emploi d’une onomastique et d’une écriture (et dans un cas d’une langue) propres, ils tiennent à montrer leur appartenance ethnique. En Tripolitaine, à Lepcis, deux inscriptions trilingues (IPT 12 [Trip. 4] et 13 [Trip. 5])48 latines, puniques et grecques, appartiennent à une famille de médecins49, dont les liens d’origine avec le monde et la culture tant grecs que puniques, et vraisemblablement libyque, apparaissent dans l’onomastique : dans IPT 12, le médecin s’appelle Klodios , mais il est le fils de Birikit, elle-même fille de Baʿlshillek (noms tous deux phéniciens) ; cependant, lui-même a aussi un nom phénicien et un surnom peut-être local dans IPT 13, où il est (dans l’ordre), en latin BONCAR MECRASI CLOD//US MEDICUS, en grec BŌ[NKHAR MEKHRASI KLŌDI//OS IATROS], en punique BDʿLQRT (pour BDMLQRT) HMQR . . QLʾʿY50 HRPʾ « Bodmelqart Klodios, HMQR . .51 , le médecin ».

Conclusion Au début du ier siècle apr. J.-C., l’emploi du latin à côté du punique et à la place du punique, est de plus en plus fréquent ; une onomastique latine se superpose aux noms d’origine phénicienne, même si les noms puniques et locaux subsistent ; mais, dans les familles de l’élite, une onomastique composée par trois éléments s’affirme, même avant le droit de citoyenneté (quand les tria nomina et la mention de la tribu sont enfin adoptés localement). L’identité sociale se superpose à une identité ethnique, qui tend à s’estomper. C’est une identité qui est manifestée par l’emploi de la langue et de l’écriture d’origine phénicienne, par laquelle s’expriment des catégories sociales différentes. Citoyens qui semblent présenter une origine mixte, libyque et phénicienne (conventionnellement libyphéniciens), riches habitants des campagnes de souche libyenne. Dans le courant du iie siècle apr. J.-C., l’écriture punique disparaît, perdant ainsi toute fonction identitaire ; la langue punique lui survit pendant quelques siècles, en tant qu’expression écrite, en particulier en Tripolitaine. Une soixantaine d’inscriptions en langue punique et en caractères latins, datées de manière approximative entre la fin du ier et le ive-ve siècle apr. J.-C. sont connues surtout de l’intérieur52 ; elles attestent un niveau de punique très évolué et une onomastique mixte, en partie latine, mais souvent libyque et parfois encore d’origine phénicienne53. Une identité locale – où l’élément d’origine phénicienne et l’élément libyen paraissent tout à fait mélangés –

48. 49. 50. 51.

Jongeling 2008, Lebdah N 4 et N 5. Voir Adams 2003, p. 356 ss. sur l’identité professionnelle (« professional identity »). On attendrait QLʾʿDY. Peut-êtra HMQRŠY, un adjectif (ethnique ?) précédé de l’article (Jongeling 2008, p. 17, lit MQRTY). 52. Levi Della Vida 1963 ; Kerr 2010a. 53. Particulièrement intéressante la famille de Iyllul, dont le tombeau se trouve à Wadi Umm el-Agerm, voir IRT 901, Levi Della Vida 1963, p. 71-77 ; 1965, p. 60 et Mattingly 1995, p. 164165, n 17. Sauf un Annobal, les autres membres de la famille ont tous des noms libyques, mais continuent de se servir du punique, écrit en caractères latins, à la différence de ce qui passe à l’ouest où l’élément « local » se sert de la langue et de l’écriture libyque.

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est ainsi représentée, non par le moyen technique de l’écriture, mais par l’emploi de la langue qui, depuis des temps reculés a évidemment créé une unité culturelle solide surtout dans le territoire de la Tripolitaine54. Dans le nord-ouest, au contraire, l’écriture appelée libyque s’était formée sur la base vraisemblable de traditions locales pour exprimer la langue indigène ; la connaissance des usages de l’écriture, du phénicien en particulier, avec le manque pour un certain temps de contraintes politiques externes, puis la formation d’États indigènes structurés, ont donné l’impulsion à un emploi tant officiel que privé de la langue et du système scribal locaux et les ont chargés d’une valeur identitaire bien évidente dans les textes officiels, non affichée (mais nous ne pouvons pas exprimer un jugement certain) dans des documents plus quotidiens. Cette valeur identitaire a été préservée pendant les siècles – jusqu’à nos jours – contrairement au sort de l’écriture (et de la langue) punique, bien minoritaire dans les territoires nord-africains, qui ne subsista pas à l’essor du latin. Le lien étroit entre langue, système d’écriture et identité dans cette même région est attesté par quelques cas d’emploi du grec tant comme marqueur d’une ethnicité (tophet de Constantine) que d’un statut professionnel (médecins). Dans les sociétés douées d’une écriture, langue et écriture vont souvent de pair pour exprimer une cohésion sociale ; l’exemple de Chypre – pour se limiter à la Méditerranée et au ier millénaire av. J.-C. – atteste une identification locale liée à une écriture spécifique. En Afrique, avec le phénomène de la colonisation, au Maghreb et en Libye se répandent ou s’affirment – suivant les régions – la langue et l’écriture d’origine phénicienne, qui deviennent surtout en Tripolitaine, au premier siècle de l’empire romain, des moyens pour exprimer une conscience locale (non ethnique), qui se spécifie, du point de vue social ou ethnique, par l’emploi de désignations onomastiques d’origine différente ou/et d’attributions d’appartenance à des groupes. Au contraire, plus à l’ouest, l’affirmation d’États indigènes de langue libyque, donne à l’écriture locale une dignité identitaire probablement nouvelle qui survit et se répand, à côté d’identités de type social, culturel, véhiculaire entrelacées, exprimées par des langues et écritures « étrangères ».

APPENDICE Je reproduis ci-dessous les textes des inscriptions de Ras el-Haddaja et de Wadi el-’Amud, d’après IPT. Les inscriptions IPT 12 et 13 citées dans le présent texte sont à présent presque illisibles et il ne me paraît pas possible de les transcrire avec certitude. Le texte reproduit plus haut dépend d’anciens dessins et de ce qui restait des inscriptions dans les années soixante du siècle dernier (photos dans IPT, pl. IV). 1. Ras el-Haddaja (IPT 76 [Trip. 6], KAI 118, Jongeling 2008, Breviglieri N 1) ; 1517 apr. J.-C. Au Musée de Tripoli en 1987. 1. LʾDN LʾMN MʾŠ ʾLM ŠPʿR ST WMQDŠ BTʾY WḤʿRPT ʾŠ BʾNʾ W’YQDŠ

54. L’étendue chronologique de l’emploi de la langue et de l’écriture d’origine phénicienne en Tunisie après la chute de Carthage n’a pas été analysée de manière spécifique, ce qui est dû peut-être aussi au manque de repères chronologiques précis pour la période impériale.

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2. BŠT RB TʾḤT RB MḤNT BŠD LWBYM LWQY ʿYLY LʿMYʿ N/TKSP BN 3. ŠʿSYDWʿSN/T BN N/TMRR ʾŠ BBNʾ MʿSNKW . BTṢʾTM BTM « Au Seigneur Ammon. Voici la statue de la divinité de PʿR (?) et le sanctuaire de son temple (?) et les portiques qu’a construit//dans l’année du Proconsul (litt. « le chef au-dessous du chef de l’armée ») dans le territoire de Libyens (= provincia Africa) Lucius Aelius Lamia N/TKSP, fils de//Shasidwasan/t, fils de Namrur qui fait partie des fils de (= la tribu de) Masankaw, à ses propres frais. 2. Wadi el-ʿAmud (IPT 79 [Trip. 38] ; Jongeling 2008, Wadi el-Amud N 1). Au Musée de Tripoli en 1987. 1. BʾR MQNʾTʾ TMʾ ʾŠ PʿLM 2. MʿṢWKN LʾBYʾ YMRR BN GʿṬYṬ 3. HMṢLY WLʾMM ZWṬ BT GʿTYDN HN/TGLBY 4. WLʾBNY WLʾŠTY ʿSLYʿN/T BT YN/TKDʿSN BN 5. ṢYWK HN/TGLBY ḤŠ LʾRBʾTNM NPLʿ BTṢTY BTY 6. BḤYTNM WBḤYT BNʾM ʾRŠM WʾYʾṢDN « Tombeau ; propriété entière, qu’a faite//Masawkan pour son père Yamrur, fils de Gatit//le MṢLY et pour sa mère Zut, fille de Gatidan, le N/TGLBY// et pour son fils et pour sa femme Asliyan/t, fille de Yantkadasan, fils de//ṢYWK, le N/ TGLBY. Hélas pour eux quatre ! Il (le tombeau) a été fait à ses propres frais//pendant sa (corrigé) vie et pendant la vie de ses fils Arisham et ʾYʾṢDN ». 3. Wadi el-ʿAmud (IPT 77 [Trip. 39] ; Jongeling 2008, Wadi el-Amud N 2). Au Musée de Tripoli en 1987. 1. MNṢBT Mʾ PʿLʾ BN[ʾM] 2. L’BN’M NYMR’N Y[… 3. BNʾM N/TŠN/TYLŠN/T PL ʾRŠM « Stèle qu’on faite [ses] fils//pour leur père Nimran Y[….]//Bâtisseurs (?) ….. Arisham ». 4. Wadi el-ʿAmud (IPT 78 [Trip. 40] ; Jongeling 2008, Wadi el-Amud N 3). Au Musée de Tripoli en 1987. 1. NPʿLʾ HMNṢBT Šʾ 2. [LNY]MRʿN BN MʿŠWKKʿŠʿN 3. [BN …]WN/TṬ ʾŠRWLM/ʿ[.]WM[.]WRʾ[..]N/TŠ 4. [ …. ]B/RM/ʾL ŠʿMʾ NYMRʿN BN/T ṢN/Tʾ[.]W 5. [ …. Š]LŠ BNM ʿŠPN/T PLN / T[.]ʾ[ …. ] WʾRŠM BN BDʿŠTRT « Cette stèle a été faite//[pour Ni]mran, fils de Mashukkasan//[fils de ? …]WN/ TṬ, qui (ou : WN/TṬʾŠR) et pour ????//… ??? … son nom (?) est Nimran à l’âge de … années (?)//…. trois. Bâtisseurs ….. ….. et Arisham, fils de Bodʾashtart ».

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Phoenician and Punic Antiquities in the Heart of Europe. The Corpus of Phoenician and Punic Antiquities in Belgium Vanessa Boschloos*/**, Eric Gubel**/***, Roald Docter*

(* Ghent University, Department of Archaeology; ** Royal Museums of Art and History, Brussels, Department of Antiquity; *** Free University of Brussels [VUB], Department of Archaeology and Art Sciences) Résumé Présentation de la contribution belge à un projet de constitution d’un Corpus des Antiquités phéniciennes et puniques qui vise à rassembler le plus de témoignages épigraphiques et artistiques dans les collections de musées et les collections privées, dans une volonté de cooperation internationale.

“Les Phéniciens, les Puniques, et les autres”: The ‘others’ in time and space Through their encounters and exchanges with others, the ancient Phoenician and Punic people left an imprint on the cultural heritage of the entire Mediterranean. Whereas Phoenician-Punic objects surface in on-going excavations around the Mediterranean, the extent of the region in which traces of Phoenician and Punic presence are attested has also substantially increased: Phoenician and Punic artefacts are now spread to all corners of the world. This contribution presents one of the initiatives aiming to virtually bring this Phoenician and Punic material culture back together in a comprehensive Corpus of Phoenician and Punic Antiquities. By observing and studying these artefacts in museums and collections, we have, in a way, become ‘the others’ and projects like the Corpus allow to maintain an overview as well as make connections that bring this distant past a little bit closer to our modern world. And in Belgium, this was taken quite literally.

Concise history of the network The Corpus des Antiquités phéniciennes et puniques (CAPP) is an initiative promoted under the aegis of the Italian Unione Accademica Nazionale in 1987, which at once met with full support from several Mediterranean countries. In 1990, it was adopted by the IUA, the International Union of Academies, as its 44th project (www.uai-iua.org). Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 319-323

320 • VANESSA BOSCHLOOS / ERIC GUBEL / ROALD DOCTER

The IUA is the global organisation of national academies in the fields of humanities and social sciences. It prides itself on supporting projects that cannot be realised in a short time span and therefore initiates, recognizes, fosters and funds basic long-term international research projects, aiming at the creation of fundamental reference tools such as dictionaries, encyclopaedias and text editions. The objective of the CAPP project is to list, classify and study the artistic and epigraphical monuments of the Phoenician and Punic civilisations in association with the most important museums and with local and private collections. It will thus build up a coherent body of documentation, to be published as the work proceeds, for the benefit of specialists and the general public alike. In 2016, the CAPP network constitutes of national committees in the following countries: Italy, Tunisia, Spain, Portugal, France and Belgium. Their first international meeting took place in 2006 and more national committees are being created.

CAPP.be Contrary to Mediterranean countries that continuously have to take into account finds from new excavations, the Belgian collections are of a more manageable size to achieve a full inventory and publication. The Belgian committee1 therefore also decided to approach colleagues in the Netherlands, to encompass in the Corpus both Belgian and Dutch collections.2 Objectives and Methodology Instead of presenting the results of its work in a printed Corpus, CAPP.be considers that such a volume should be preceded by a user-friendly online database. To achieve this, the committee’s work is based on 3 pillars: 1) to encourage and assist Belgian and Dutch collections in making their Phoenician and Punic antiquities available in online catalogues; 2) to provide an up-to-date bibliography and access to digital off-prints of publications of these artefacts; 3) to develop a website as a central point to collect references to these catalogues and to ensure the visibility of the committee’s activities and publications. Parallel to this, the members continue to conduct and to promote scientific research on the objects. Results anno 2016 The largest collection in Belgium, being the Phoenician and Punic antiquities kept at the Royal Museums of Art and History in Brussels (RMAH), was selected as the first to be registered. Some objects had been published before Belgium became

1. The Belgian committee consists today of the following permanent members: E. Gubel (president), R. Docter (vice-president), F. de Callataÿ, G. Bunnens and V. Boschloos. 2. Some objects and collections in the Netherlands have already been published in the past (e.g. Gubel 1988; Derksen 1990; Briese, Docter 1995; Docter 2015). A meeting between Belgian and Dutch colleagues from the Rijksmuseum voor Oudheden, Leiden took place in 2014.

PHOENICIAN AND PUNIC ANTIQUITIES IN THE HEART OF EUROPE • 321

Figure 1 - Work-flow of the Belgian Corpus of Phoenician and Punic Antiquities [© V. Boschloos 2016].

part of the CAPP network3 and its integration coincided with a major exhibition at the RMAH that included a selection of Phoenician objects.4 However, a comprehensive overview remained wanting and an inventory of the storerooms revealed several unpublished items. All Phoenician and Punic objects were entered and described in the museum’s collection management database and subsequently made available on the museum website’s Collections Online interface, Carmentis5 The forthcoming, updated version of Carmentis will not only include the images produced by the museum’s Photolab, but also state-of-the-art interactive 2D and 3D recordings of small objects, created with the Portable Light Dome system developed at the KU Leuven.6 The same imaging device is currently being used to image the nearly 160 Phoenician and Punic coins in the collection of the Royal Library of Belgium.7 Moreover, a re-assessment of Carthaginian pottery at the RMAH was undertaken and published recently8, as well as an assemblage from Uzita (Tunisia) that was temporarily stored and studied in the Netherlands and subsequently in Ghent.9 3. 4. 5. 6.

Gubel 1979; 1985a; 1985b; 1987; 1995 passim; 2003; Gubel, Baert 1999. Gubel, Overlaet 2007. The RMAH’s online catalogue can be consulted here: www.carmentis.be/eMuseumPlus. For more information, see: Hameeuw, Willems 2011; Van der Perre et al. 2016. See also online: https://portablelightdome.wordpress.com/about/ and www.esat.kuleuven.be/ psi/research/portable-light-dome. 7. CAPP.be warmly thanks Johan van Heesch, curator of the Coin Cabinet, and Christian Lauwers and Fran Stroobants for their support and assistance during the imaging sessions at the Royal Library of Belgium. 8. Caltabiano 2014. 9. Perugini, Ryckbosch 2015. Contacts have been established with the Tunisian National Antiquities Service (Institut National du Patrimoine) with the intention of returning this collection.

322 • VANESSA BOSCHLOOS / ERIC GUBEL / ROALD DOCTER

Final remarks The project’s output is gathered on the CAPP.be website www.uai44-capp.be that went live in 2015 and is being updated as the work proceeds. For 2016-2017, the integration of Phoenician and Punic antiquities kept at the university museum of Louvain-la-Neuve is foreseen.10 It is hoped that within the next six years, the website will be completed with references to all the Phoenician and Punic antiquities in Belgium.

Acknowledgements We wish to thank the following institutions and partners for their support: International Union of Academies, Royal Museums of Art and History Brussels, University of Ghent, Royal Library of Belgium, Université de Liège, BELSPO, IAP project 7/14 Greater Mesopotamia and the Portable Light Dome (www.greatermesopotamia.be), and the other CAPP national committees. Copyright: All images are the property of CAPP Belgium and the Royal Museums of Art and History, Brussels.

Bibliography Briese (C.), Docter (R.) 1995 “Archaische Keramik aus Karthago in Leiden”, Oudheidkundige mededeelingen van het Rijksmuseum van Oudheden te Leiden, 75, pp. 39-53. Caltabiano (A.) 2014 “La ceramica fenicia e punica dalle necropoli di Cartagine conservata presso i Musées Royaux d’Art et d’Histoire di Bruxelles: un aggiornamento in memoria di Anna Maria Bisi”, Rivista di Studi Fenici, 42/2, pp. 205-235. Derksen (J. J. V. M.) 1990 “Kannen, kruiken, schalen en lampen uit Noord-Afrika”, Mededelingenblad Vereniging van Vrienden van het Allard Pierson Museum, 48, pp. 2-10. Docter (R. F.) 2015 “An Urn in Leiden and the Excavations of Kelsey and Khun De Prorok”, in R. Docter et al. (dir.), Carthage. Fact and Myth, Leiden, p. 53. Gubel (E.) 1979 “Vijf Fenicische ivoren uit Nimrud in de Koninklijke Musea voor Kunst en Geschiedenis”, Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire, 49, pp. 67-88. 1985a “Notes on a Phoenician Seal in the Royal Museums for Art and History », Orientalia Lovaniensia Periodica, 16, pp. 91-110.

10. In collaboration with Emmanuelle Druart.

PHOENICIAN AND PUNIC ANTIQUITIES IN THE HEART OF EUROPE • 323

1985b “Fenicische en Noordsyrische ivoren uit Nimrud in de Koninklijke Musea voor Kunst en Geschiedenis te Brussel”, in Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire, 56/1, pp. 43-76. 1987 “Antiquités carthaginoises aux MRAH à Bruxelles : Les amulettes puniques”, Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire, 58, pp. 19-36. 1988 “Phoenician Seals in the Allard Pierson Museum”, Rivista di Studi Fenici, 16/2, pp. 145-163. 1995 À l’ombre de Babel. L’art du Proche-Orient ancien dans les collections belges / In de schaduw van Babel. Kunst van het oude Nabije Oosten in Belgische verzamelingen (catalogue d’exposition Musées royaux d’Art et d’Histoire), Bruxelles. 2003 “À propos d’un sceau phénicien épigraphe représentant le dieu Bès”, Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire, 74, pp. 45-61. Gubel (E.), Baert (L.-P.) 1999 “Rasoir punique de Carthage. Notes de Restauration”, Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire, 70, pp. 99-101. Gubel (E.), Overlaet (B.) (dir.) 2007 De Gilgamesh à Zénobie - Van Gilgamesj tot Zenobia (catalogue d’exposition Musées royaux d’Art et d’Histoire), Bruxelles, pp. 235-251. Hameeuw (H.), Willems (G.) 2011 “New Visualization Techniques for Cuneiform Texts and Sealings”, Akkadica, 132/2, pp. 163-178. Perugini (A.), Ryckbosch (K.) 2015 “Commercial Contacts in the Sahel Region during the Punic Period: The Case of Uzita”, Tijdschrift voor Mediterrane Archeologie, 54, pp. 13-18. Van der Perre (A.), Hameeuw (H.) , Boschloos (V.) , Delvaux (L.), Proesmans (M.), Vandermeule (B.), Watteeuw (L.) 2016 “Towards a Combined Use of IR, UV and 3D-imaging for the Study of Small Decorated and Inscribed Artefacts”, in P. M. Homem (dir.), Lights on… Cultural Heritage and Museums!… Cultural Heritage and Museums!, Porto, July 2015, Porto, pp. 163-192.

Conclusion Dans la tradition des recherches sur le monde phénico-punique en France nous avons réuni différents spécialistes : historiens, archéologues, épigraphistes et historiens de l’art, autour d’un sujet déjà ancien – le rapport à l’Autre – mais qui ne cesse de se réactualiser, compte tenu de sa complexité et de l’apport continu de nouvelles données tant sur le plan terminologique que méthodologique et analytique. Il faut souligner d’une part la dimension internationale des contributions, mais surtout la volonté des jeunes spécialistes de former un groupe de réflexion pour faire avancer le débat et soutenir les études phénico-puniques en France, mais aussi en Europe. Ce type de rencontre, faite par et pour les jeunes chercheurs, offre ainsi un dynamisme intellectuel salutaire qui perpétue les efforts des chercheurs confirmés. Ce souffle frais a permis de se détacher des a priori, de certains schémas préétablis, d’idées reçues, de modes induites par des courants de pensée dépassés aujourd’hui ou encore par quelques rigidités des différents champs disciplinaires (S. Sherratt et G. PierratBonnefois, ce volume). Des concepts nés des dérives nationalistes du xxe siècle comme la prédominance d’une culture sur l’autre ou encore l’ethnicité, sont remis en cause. Il n’est, en effet, plus concevable de penser l’histoire en termes d’opposition, d’antagonisme ethnique, de confrontation et de soumission, tout en imposant au passé des concepts modernes tel le nationalisme. Il faut rompre aujourd’hui avec cette idée d’opposition entre les cultures (voire de « choc des civilisations »), avec l’idée d’un monde partagé en blocs héritée de l’époque de la guerre froide, car le caractère binaire de ce type de raisonnement historique obscurcit la richesse et la complexité des échanges, en favorisant un acteur unique dans l’analyse de phénomènes en réalité produits par des acteurs pluriels. Ainsi les relations entre Phéniciens et Égyptiens, Assyriens, Araméens, Chypriotes, Grecs, Romains ou encore avec les autres peuples de la Méditerranée sont ici abordées de manière bilatérale, en essayant toujours de tenir compte de leur dynamisme et de leur pluralité. L’accent est mis sur l’action humaine (agency), dans l’analyse d’un certain nombre de phénomènes : la mixité et le métissage, les polythéismes, l’acculturation, les stratégies de distinction, les influences, les permanences et les appropriations. La question de l’identité des acteurs est donc posée autrement, non plus comme quelque chose de figé et rigide, mais dans sa dynamique en accordant de l’attention aux changements, aux ajustements incessants dans le temps. Repenser ainsi les questions d’identité à travers l’examen critique des sources disponibles,

Les Phéniciens, les Puniques et les autres. Échanges et identités en Méditerranée ancienne, sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon, 2019 — p. 325-327

326 • CONCLUSION

avec une méthodologie fondée sur des données quantifiées et contextualisées et un souci de terminologie plus précise tout en tenant compte des limites de ces concepts explicatifs, tel était le défi soulevé par les participants. Tant il est vrai que les contributions à ces journées d’étude ouvrent des pistes de réflexion et soulèvent de nombreuses questions. Sans prétendre embrasser l’ensemble de la thématique, sans donner la parole à l’ensemble des acteurs de la recherche, nous avons pu représenter différentes tendances à travers ces exemples parlants. Elles couvrent un large territoire méditerranéen : de la Phénicie, en passant par l’Égypte, l’île de Chypre à la Méditerranée centrale et occidentale, jusqu’au détroit de Gibraltar, dans un large spectre chronologique allant de l’âge du Fer à la conquête romaine. Les études de cas proposées se fondent sur une documentation variée comprenant des données textuelles, épigraphiques, archéologiques ou encore iconographiques, et envisagent des situations différentes. La complexité de la problématique transparait autant à travers l’analyse critique du mobilier funéraire (M. De Jonghe, ce volume), le réexamen d’inscriptions (J. Daccache, M. G. Amadasi Guzzo, de L. Marti et L. Bonadies ou encore de Ch. Ioannou, ce volume), l’étude des corpus des faïences et des alabastres (G. Pierrat-Bonnefois, ce volume), des vases en pierre (L. Marti et L Bonadies, ce volume), la prise en compte des influences et inspirations diverses dans la production céramique (I. Chirpanlileva, N. Kourou, M. Luacès, S. Marchand et I. Oggiano et T. Pedrazzi, ce volume), autant pour les conteneurs que les céramiques fines ou encore les terre cuites (É. Guillon, ce volume). Hormis les concepts d’« agency » et d’identité, ont été abordé nombre d’autres et de nouvelles questions ont été posées. En ce qui concerne la question de connectivité l’article d’É. Guillon montre que le cas d’Ibiza, mais également d’autres îles, comme la Sardaigne, souligne cette connectivité des territoires phéniciens et puniques de toute la Méditerranée. Il ne s’agit pas d’une succession de contacts, d’établissements, mais véritablement de territoires en réseaux, portés par la matrice de connectivité qu’est la mer. Ce concept de Horden et Purcell1 semble donc une clé de lecture pertinente pour tenter de comprendre les stratégies d’implantation, d’échanges et de contacts entre les uns et les autres. D’autres participants ont montré l’utilité de concepts tels que la mixité, la transculturalité ou encore l’identité liquide. L’article de L. Marti et L. Bonadies offre l’exemple d’une intégration parfaite des Levantins dans le monde égyptien. Reprenons ici la belle expression de I. Oggiano et T. Pedrazzi de « tissu » de l’histoire des échanges, fait de fils, de chaînes et de trames, qui s’avère bien plus complexe que l’on ne pensait. Des questions encore plus précises ont été développées, notamment concernant l’appellation « Al Mina ware » qui ne semble plus avoir lieu d’être (I. Chirpanlieva, ce volume) ou encore celle de « torpedo jars » (S. Marchand, ce volume) qui pose problème pour finir avec la question des imitations phéniciennes du détroit de Dressel 1 (M. Luacès, ce volume). Les termes mêmes de « Phéniciens » et de « Puniques » qui ne sont qu’une invention moderne ont été questionnés. M. De Jonghe questionne cette idée d’unité d’identité à travers l’analyse des nécropoles. Même si pour des raisons pratiques ces termes ne peuvent être abandonnés, les recherches futures devront faire attention à ne pas considérer ces notions comme exhaustives et figées. 1. Voir Horden, Purcell 2000.

CONCLUSION • 327

Les contributions à ce volume ont enfin le mérite d’avoir posé clairement les limites de la recherche, que ce soit dans les difficultés d’identification de la culture matérielle, dans les soucis de quantification, ou dans l’absence de contexte, de traduction, ou encore dans les problèmes de représentativité, de surinterprétation. Ce volume est donc aussi un état des lieux de la documentation, préambule indispensable pour comprendre les processus historiques dans leur dynamique, et réintroduire nos analyses dans le cadre méditerranéen plus global qui était le leur. Rappelons in fine que Phéniciens et Puniques ne doivent plus être abordés comme des sujets faisant partie de blocs monolithes dans une Méditerranée pourtant multiple. Et c’est d’ailleurs sur ce terme de multiplicité que nous conclurons, car il résume bien les nombreux et nouveaux défis qu’auront à relever les études phénico-puniques, tant avec l’afflux de nouvelles données, qu’avec la pluralité des contextes qui les produisent. L’avenir des études phénico-puniques en France est inscrit dans cette multiplicité et de nombreux nouveaux défis ambitieux sont lancés dans une composition à plusieurs voix où les silences ont aussi toute leur signification.

Bibliographie Horden (P.), Purcell (N.) 2000 The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History, Oxford.

Table des matières

Luisa Bonadies, Élodie Guillon Avant-propos 

     7

Corinne Bonnet, Pierre Rouillard Introduction. Vous avez-dit « partenaires » ? 

     9

PARTIE I - LA PHÉNICIE ET L’ÉGYPTE Luisa Bonadies, Lionel Marti

Ce qu’ils disent de nous : le monde phénicien vu par les Égyptiens et les Assyriens 

   19

Adonice Baaklini, Luisa Bonadies, Alessia Venanzi Fenici e Aramei: due culture a confronto 

   43

Geneviève Pierrat-Bonnefois Les questions d’identité culturelle que soulèvent certaines faïences de la première moitié du ier millénaire 

   51

Sylvie Marchand Conteneurs de transport égyptiens dans l’Égypte ancienne. Imitations, assimilations et transposition de modèles étrangers 

   73

PARTIE II - L’ÎLE DE CHYPRE ET LA GRÈCE Jimmy Daccache Le voyage du dieu ouest-sémitique Rašap à Chypre à l’époque archaïque 

 103

Christina Ioannou La présence phénicienne sur l’île de Chypre selon les signatures de pouvoir et d’autorité 123 Susan Sherratt Phoenicians in the Aegean and Aegean Silver, 11th-9th Centuries BC 

 129

Nota Kourou Phoenicians and Attic Middle Geometric Pottery in the Mediterranean. Echoes of an early Athenian cultural value 

 159

330 • TABLE DES MATIÈRES

Iva Chirpanlieva Le périple méditerranéen de quelques formes de céramiques : skyphoi, bols et plats. Un dialogue entre Phéniciens et Grecs 

 179

PARTIE III - LA MÉDITERRANÉE CENTRALE ET OCCIDENTALE Marie De Jonghe Les nécropoles phéniciennes de Méditerranée occidentale : questions d’identité 

 199

Ida Oggiano, Tatiana Pedrazzi Contacts et interactions entre « Phéniciens » et Sardes au début du ier millénaire av. J.-C. : le cas des amphores vinaires   223 Mariela Quartararo La tomba T 178 della Necropoli A di Entella (Contessa Entellina - pa) Appunti di uno studio in corso 

 259

Élodie Guillon Le mobilier céramique phénicien et punique d’Ibiza : un exemple de glocalisation en Méditerranée occidentale 

 267

Max Luaces Les anciennes communautés phéniciennes du détroit de Gibraltar face à Rome (206 av. J.-C. / 44 apr. J.-C.) : entre changements politiques et transformations économiques  281 Maria Giulia Amadasi Guzzo L’emploi des Écritures (et des langues) dans l’occident punique : quelles identités ? Écritures et identité dans l’Afrique du Nord 

 303

Vanessa Boschloos, Eric Gubel, Roald Docter Phoenician and Punic Antiquities in the Heart of Europe. The Corpus of Phoenician and Punic Antiquities in Belgium 

 319

Conclusion 

 325

Dans la même collection Volume 1 | 2007 Job, ses précurseurs et ses épigones, par Maria Gorea. Volume 2 | 2008 D’Ougarit à Jérusalem. Recueil d’études épigraphiques et archéologiques offert à Pierre Bordreuil, édité par Carole Roche. Volume 3 | 2008 L’Arabie à la veille de l’Islam. Bilan clinique (Actes de la table ronde tenue au Collège de France, Paris, 28-29 août 2006), édité par Jérémie Schiettecatte en collaboration avec Christian Julien Robin. Volume 4 | 2009 Sabaean Studies. Archaeological, epigraphical and historical studies, edited by Amida M. Sholan, Sabina Antonini, Mounir Arbach. Volume 5 | 2009 Les échanges à longue distance en Mésopotamie au Ier millénaire. Une approche économique, par Laetitia Graslin-Thomé. Volume 6 | 2011 D’Aden à Zafar, villes d’Arabie du sud préislamique, par Jérémie Schiettecatte. Volume 7 | 2012 Dieux et déesses d’Arabie : images et représentations (Actes de la table ronde tenue au Collège de France, Paris, 1er-2 octobre 2007), édité par Isabelle Sachet en collaboration avec Christian Julien Robin. Volume 8 | 2012 Alessandro de Maigret, Saba’, Ma’în et Qatabân. Contributions à l’archéologie et à l’histoire de l’Arabie ancienne, choix d’articles scientifiques préparé par Sabina Antonini et Christian Julien Robin. Volume 9 | 2012 Scribes et érudits dans l’orbite de Babylone (travaux réalisés dans le cadre de l’ANR Mespériph 2007-2011), édité par Carole Roche-Hawley et Robert Hawley. Volume 10 | 2012 South Arabian Art. Art History in Pre-Islamic Yemen, par Sabina Antonini de Maigret. Volume 11 | 2012 L’Orient à la veille de l’Islam. Ruptures et continuités dans les civilisations du Proche-Orient, de l’Afrique orientale, de l’Arabie et de l’Inde à la veille de l’Islam (Actes de la table ronde tenue au Collège de France, Paris, 17-18 novembre 2008), édité par Jérémie Schiettecatte en collaboration avec Christian Julien Robin.

Volume 12 | 2013 Entre Carthage et l’Arabie heureuse. Mélanges offerts à François Bron, édité par Françoise Briquel Chatonnet, Catherine Fauveaud et Iwona Gajda. Volume 13 | 2013 Bijoux carthaginois III. Les colliers. L’apport de trois décennies (1979-2009), par Brigitte Quillard. Volume 14 | 2013 Regards croisés d’Orient et d’Occident. Les barrages dans l’Antiquité tardive (Actes du colloque tenu à Paris, Fondation Simone et Cino del Duca, 7-8 janvier 2011, et organisé dans le cadre du programme ANR EauMaghreb), édité par François Baratte, Christian Julien Robin et Elsa Rocca. Volume 15 | 2014 Paradeisos. Genèse et métamorphose de la notion de paradis dans l’Antiquité (Actes du colloque international), sous la direction d’Éric Morvillez. Volume 16 | 2015 Devins et lettrés dans l’orbite de Babylone, sous la direction de Carole Roche-Hawley et Robert Hawley. Volume 17 | 2015 Les Jafnides. Des rois arabes au service de Byzance (vie siècle de l’ère chrétienne) (Actes du colloque de Paris, 24-25 novembre 2008), sous la direction de Denis Genequand et Christian Julien Robin. Volume 18 | 2015 Figures de Moïse, sous la direction de Denise Aigle et Françoise Briquel Chatonnet. Volume 19 | 2016 Le coran de Gwalior. Polysémie d’un manuscrit à peintures, sous la direction de Éloïse Brac de la Perrière et Monique Burési. Volume 20 | 2016 Tamnaʿ (Yémen). Les fouilles italo-françaises. Rapport final, sous la direction d’Alessandro de Maigret et Christian Julien Robin. Volume 21 | 2016 Architecture et décor dans l’Orient chrétien (ive-viiie siècle). Actes de la journée d’étude en hommage au Père Michele Piccirillo (INHA, Paris, 8 décembre 2011), publiés par François Baratte et Vincent Michel. Volume 22 | 2016 Les coutumes funéraires dans le royaume de Méroé. Les enterrements privés, par Vincent Francigny.

Volume 23 | 2017 Du Sinaï au Soudan : itinéraires d’une égyptologue. Mélanges offerts au Professeur Dominique Valbelle, publiés par Nathalie Favry, Chloé Ragazzoli, Claire Somaglino, Pierre Tallet. Volume 24 | 2017 Guérison, religion et raison. De la médecine hippocratique aux neurosciences, textes réunis et édités par Véronique Boudon-Millot et Serena Buzzi. Volume 25 | 2017 Du culte aux sanctuaires. L’architecture religieuse dans l’Afrique romaine et byzantine, édités par François Baratte, Véronique Brouquier-Reddé et Elsa Rocca. Volume 26 | 2018 Tlemcen médiévale : urbanisme, architecture et arts, par Agnès Charpentier. Volume 27 | 2018 Le teint de Phrynè. Thérapeutique et cosmétique dans l’Antiquité, sous la direction de Véronique Boudon-Millot et Muriel Pardon-Labonnelie. Volume 28 | 2018 Le monde de Procope / The World of Procopius, sous la direction de Geoffrey Greatrex et Sylvain Janniard, avec la collaboration de JaShong King. Volume 29 | 2018 Histoire et géographie chez les auteurs grecs (République et Empire), sous la direction de Michèle Coltelloni-Trannoy et Sébastien Morlet. Volume 30 | 2019 Les archives d’Atta-welgimmaš : les textes dits « de Mâlamir », par Florence MalbranLabat et Carole Roche-Hawley.

ORIENT

MÉDITERRANÉE

31

UMR 8167, Orient et Méditerranée – Textes, Archéologie, Histoire CNRS, Sorbonne Université, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École pratique des hautes études, Collège de France

LES PHÉNICIENS, LES PUNIQUES ET LES AUTRES

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esearch on Phoenician and Punic cultures has long accorded a too-privileged place for Hellencentric, Egyptocentric or Near Eastern perspectives, which necessarily convey only hollow and superficial insights since they derive from “foreign” points of view. This publication is the result of an international workshop held in Paris in 2016, in which we attempted deliberately to abandon such dependence on the hollow and superficial portraits of Phoenician and Punic culture left by their neighbors. Instead, the studies contained herein concentrate on the various forms of exchange and interaction which took place between Phoenicians and Punic peoples and the communities they encountered in the Mediterranean. Our analyses pay special attention to the cultural products, be they material or immaterial. In order better to grasp the complexity of these reciprocal cultural reformulations that took place in this Mediterranean “middle-ground”, we have emphasized interdisciplinary dialogue, imagining and testing new tools, taking into account recent discoveries, and encouraging collective exchanges on the current issues that enliven our discipline.

ISBN 978-2-70180569-6

Échanges et identités en Méditerranée ancienne

LES PHÉNICIENS, LES PUNIQUES ET LES AUTRES

es recherches sur les Phéniciens et les Puniques se sont pendant longtemps essentiellement concentrées sur les images en creux laissées par d’autres peuples, suivant des points de vue helléno ou égypto centriques, proche-orientaux etc. Ce volume, fruit d’une rencontre internationale à Paris en 2016, délaissant les images en creux laissées par les cultures voisines sur les Phéniciens et les Puniques, propose au contraire une enquête sur les formes d’échanges et d’interaction, sur les élaborations culturelles – matérielles ou non – engagées entre ces derniers et les communautés qu’ils rencontrent en Méditerranée. Pour saisir la complexité de ces reformulations culturelles réciproques qui se jouent dans ce middle-ground méditerranéen, le volume fait la part belle au dialogue interdisciplinaire afin de présenter de nouveaux outils, de valoriser des découvertes récentes et d’échanger collectivement sur les questions actuelles qui animent notre discipline.

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sous la direction de Luisa Bonadies, Iva Chirpanlieva et Élodie Guillon

Éditions de Boccard